Les peuples et les civilisations du Proche Orient: Tome 3 De la conquête romaine à l’expansion Arabo-Islamique (64 av. J.-C. – 640 ap. J.-C.) [Reprint 2021 ed.] 9783112414682, 9783112414675


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French Pages 400 [404] Year 1964

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Les peuples et les civilisations du Proche Orient: Tome 3 De la conquête romaine à l’expansion Arabo-Islamique (64 av. J.-C. – 640 ap. J.-C.) [Reprint 2021 ed.]
 9783112414682, 9783112414675

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L E S P E U P L E S ET L E S

CIVILISATIONS

DU P R O C H E O R I E N T

TOME

III

JAWAD BOULOS

LES PEUPLES ET LES CIVILISATIONS DU PROCHE ORIENT E S S A I D'UNE H I S T O I R E C O M P A R É E , DES ORIGINES À NOS JOURS

TOME

III:

DE LA CONQUÊTE ROMAINE À L'EXPANSION ARABO-ISLAMIQUE (64 AV. J.-C. - 640 AP. J.-C.)

MOUTON & CO • LA HAYE LONDRES - PARIS

Publié en collaboration avec l'École Pratique des Hautes Études, Sorbonne Sixième Section: Sciences Economiques et Sociales

© 1964 Mouton & Co., Publishers, The Hague, The Netherlands. No part of this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers. Printed in The Netherlands

by Batteljee & Terpstra,

Leiden

Table des Matières

D I X I È M E PÉRIODE: 64 AV. J.-C. - 285 AP. J.-C. V A G U E OCCIDENTALE: EXPANSION DES ROMAINS. L'ORIENT R O M A I N ET L'ORIENT I R A N I E N A.

L'EMPIRE ROMAIN UNIVERSEL: FORMATION ET ORGANISATION (264 AV. J.-C. - 14 AP. J.-C.)

I.

L'EMPIRE ROMAIN ET SA FORMATION

1. L'Empire romain, institution politique nouvelle

27

27

a. L'Empire romain, création latine, 27. — b. Constitution ethnique du peuple romain et de l'Empire, 27. — c. Le cadre géographique et historique, 28. — d. Le romanisme ou romanité, 29. — e. L'Empire romain, formation organique, 30. — f. L'Empire romain, œuvre de citoyens libres, 30. — g. Les provinciaux, citoyens de l'Empire, 31. — h. Déchéance politique de l'Orient méditerranéen, 31. 2. Rome jusqu'à l'établissement de l'Empire. Aperçu historique (700-64 avant J.-C.)

32

a. Rome sous les rois (700—510 av. J.-C.), 32. — b. Rome, puissance italique (335 av. J.-C.), 33. — c. Rome, puissance méditerranéenne (264 av. J.-C.), 34. — d. Rome, maîtresse l'Egée (189), 34. — e. Destruction de Carthage (146), 34. — f. Rome et Mithridate, roi du Pont, 35. — g. Mithridate, maître de l'Asie Mineure et de l'Egée (88), 35. — h. Mithridate expulsé de ses conquêtes (86), 35. — i. Syrie et Cappadoce annexées par Tigrane d'Arménie (85), 36. — j. Mithridate vainqueur de Lucullus (67), 36. — k. Pompée détruit les pirates ciliciens (67), 36. — 1. Pompée vainqueur de Mithridate et de Tigrane (65), 37. — m. Syrie et Palestine, provinces romaines (64—63). L'Egypte, royaume vassal (59), 37. — n. Le monde méditerranéen politiquement unifié. L'Empire romain fondé, 37.

II.

ORGANISATION DE L'EMPIRE ROMAIN: POUVOIR CENTRAL ET ADMINISTRATION PROVINCIALE

1. Elaboration de l'institution du Principat. D e Pompée à l'avènement d'Auguste (60-30 av. J.-C.)

38

38

6

TABLE DES MATIÈRES

a. Le Principat, monarchie civile, élective et viagère, 38. — b. Pompée, premier princeps, 39. — c. Pompée, César, Crassus, triumvirs (60—54), 39. — d. César, imperator et dictateur à vie (54), 40. — e. Assassinat de César (44), 40. — f. L'Orient à Antoine et l'Occident à Octave, 41. — g. Victoire d'Octave et mort d'Antoine (31—30), 42. 2.

Octave-Auguste et l'organisation politique du Principat. La nouvelle formule constitutionnelle

43

a. L'œuvre constitutionnelle d'Octave, 43. — b. Nom et titres d'Octave, 44. — c. Les pouvoirs d'Auguste, 45. — d. Le culte des empereurs, religion officielle de l'Empire, 46. — e. L'Etat romain, monarchie absolue, viagère et élective, 47. 3.

Organisation et administration des provinces romaines . . .

48

a. La province romaine, 48. — b. Administration des provinces, 50. — c. Assemblées provinciales, 50. — d. La paix romaine, 51.

B. L'ORIENT ROMAIN: ORGANISATION ET ÉVOLUTION. ROME ET LA MONARCHIE IRANIENNE DES PARTHES (66 AV. J.-C. — 116 AP. J.-C.) I.

L ' O R I E N T ROMAIN

55

1. La politique orientale de Rome. Domination romaine et culture hellénique

55

a. La politique orientale de Pompée (66—63), 55. — b. La politique orientale d'Auguste, 56. 2.

Les provinces romaines du Proche-Orient: Syrie, Egypte, Asie Mineure

57

a. La province romaine de Syrie, 57. — b. Egypte et Asie Mineure 60. — c. Les langues indigènes en Syrie, Palestine, Liban, Egypte, 60 61

3. Principautés vassales et Etats-tampons a. Le royaume israélite de Judée, 61. — b. Le royaume arabe des Nabatéens de Pétra (Transjordanie), 64. — c. Le royaume d'Edesse ou d'Osrohène, foyer de culture et de réaction sémitiques. 70. — d. La ville de Palmyre ou Tadmor, 72. — e. L'Arménie, 74. II.

R O M E , L ' E M P I R E PARTHE ET LA PÉNINSULE ARABIQUE .

.

.

.

1. La rivalité des Romains et des Parthes, nouvelle phase de l'éternelle Question d'Orient a. La question parthe, 76. — b. Les deux aspects anciens de la Question d'Orient, 76. — c. Ancienneté et permanence de la Question d'Orient, 77. — d. Les données réelles du problème parthe, 78. — e. Période gréco-achéménide, 78. — f. Période macédonienne et gréco-parthe, 79. — g. Période romaine et byzantine, 79.

76

76

TABLE DES MATIÈRES

2. L'Empire parthe, champion du Proche-Orient contre l'Occident romain

7

80

a. Décadence et luttes intestines, 81. — b. Le désastre du proconsul Crassus (53), 81. — c. Les Parthes, champions du monde oriental, 81. — d. Politique prohellénique des Parthes, 81. — e. Hellénisation superficielle, 82. — f. L'Orient romain envahi par les Parthes (40—39), 82. — g. Réaction victorieuse de Rome (37—36), 82. — h. Echec d'Antoine en Médie (35), 83. — i. L'empereur Auguste en Orient (21), 83. — j. Paix romano-parthe (20), 84. — k. Politique pacifique d'Auguste en Orient, 84. — 1. Syrie-Egypte et Gaule, 85. — m. Troubles intérieurs en Iran, 85. 3.

Auguste et la Péninsule arabique

86

a. La Péninsule arabique ou Arabie proprement dite, 86. — b. L'Arabie méridionale, riche centre de transit entre l'Egypte et l'Inde, 87. — c. Prospérité économique artificielle de la contrée sud-arabique, 87. — d. Expédition militaire romaine en Arabie méridionale (25—24 av. J.-C.), 87. — e. Mort d'Auguste. Avènement de Tibère (14 ap. J.-C.), 88. — f. L'œuvre d'Auguste, 88. 4.

Rivalités romano-parthes en Arménie (14-66)

89

a. Au temps de Tibère, Caligula et Claude (14—54), 89. — b. Sous le règne de Néron (54-68), 92.

III.

NAISSANCE ET PROPAGATION DU CHRISTIANISME. ELABORATION DU PREMIER MONDE CHRÉTIEN

95

1. Origine du christianisme

95

2. Jésus, sa vie et sa doctrine

97

a. Le royaume de Dieu annoncé par Jésus, 97. — b. Moyens d'action de Jésus, 98. — c. Les partisans et les adversaires, 98. — d. Le Sermon sur la Montagne, 99. — e. Conditions d'accès au royaume céleste, 99. — f. Réaction haineuse contre Jésus, 99. — g. Condamnation et mort de Jésus (30), 100. 3. Propagation du christianisme

100

a. Les Chrétiens primitifs, secte judaïque en Palestine, 101. — b. Antagonisme des Nazaréens et des Juifs, 101. — c. Diffusion du christianisme en Palestine, Phénicie, Syrie, Egypte, 102. — d. Fondation de la première Eglise d'Antioche, 102. , 4.

Organisation et hiérarchie ecclésiastique des premières communautés chrétiennes a. L'Eglise primitive, 103. — b. Les disciples ou apôtres de Jésus, première autorité suprême de l'Eglise naissante, 103. — c. Conseil des Anciens de l'Eglise, 104. — d. Les premiers évêques et prêtres, 104. — e. La première Eglise catholique ou universelle, 105.

103

8

TABLE DES MATIÈRES

IV.

POLITIQUE VIGOUREUSE DE R O M E EN ORIENT ( 6 6 - 1 0 6 )

.

.

.106

1. Judée et Commagène réduites en provinces. Fin de la nation juive en Palestine (70) 106 a. Aversion de la Judée pour les Romains, 106. — b. Guerre civile à Rome. Suspension des opérations militaires en Judée (68—69), 107. — c. Destruction de Jérusalem par Titus et fin de l'insurrection juive (70), 109. — d. Le royaume vassal de Commagène incorporé à la province de Syrie (72). Une garnison romaine à Palmyre, 110. — e. De Titus à l'avènement de Trajan (79-98), 110. 2. Politique impérialiste de Trajan (106-116). Nabatée et Palmyre transformées en provinces. Les frontières romaines portées jusqu'au Tigre 111 a. Le royaume nabatéen transformé en province (106), 112. — b. La cité de Palmyre annexée à la province romaine de Syrie (106), 113. — c. Conquête de l'Arménie, de l'Assyrie et de la Mésopotamie (114—116), 114. — d. Trajan et le christianisme oriental, 116. C. RÉACTION ORIENTALE, SÉMITIQUE ET IRANIENNE (117-285). IMPÉRIALISME EN IRAN. SÉPARATISME EN ORIENT I.

RÉVOLTES JUIVES ET REDRESSEMENT IRANIEN ( 1 1 7 - 1 9 3 ) .

LES

FRONTIÈRES ROMAINES RAMENÉES À L'EUPHRATE

1. Grandes révoltes juives

119

119

a. La révolte générale de 117, 119. — b. La révolte noyée dans le sang (117), 120. — c. Aspect politico-religieux du nationalisme sémitooriental, 120. — d. Les Juifs, partisans des Parthes, 120. — e. Les frontières romaines ramenées à l'Euphrate, 122. — f. L'empereur Hadrien en Orient, 122. — g. Hadrien en Syrie et à Palmyre, 123. — h. Hadrien en Palestine, Arabie Pétrée, Egypte (130—131), 123. — i. Nouvelle insurrection juive (132), 124. — j. Répression féroce de la révolte (135), 124. — k. Situation légale des Juifs après la révolte, 125. 2.

Renaissance de l'impérialisme iranien. Rivalités, guerre et entente romano-parthes 125 a. Politique orientale de l'empereur Antonin, 125. — b. Troubles en Judée (155), 126. — c. Réveil de l'impérialisme iranien, 126. — d. L'empereur Marc-Aurèle (161—180), 127. — e. Arménie et Syrie envahies par les Parthes (1-61), 128. — f. Les Romains prennent Ctésiphon (165), 128. — g. Paix romano-parthe (166), 128.

3. Rébellion et mort d'Avidius Cassius (175) II.

L'ORIENTALISME

ENVAHIT R O M E ( 1 9 3 - 2 4 9 ) .

129 MONARCHIE

MILITAIRE ET EMPEREURS ORIENTAUX

1. Révoltes militaires et lutte pour l'Empire (193-197) . . . . a. Début de la grande crise du Ille siècle, 132. — b. Compétition des

132

132

9

TABLE DES MATIÈRES

généraux à la mort de Commode, 132. — c. Septime Sévère, empereur de l'Occident, 133. - d. Défaite et mort de Niger (194), 133. - e. Défaite d'Albinus. Septime Sévère seul empereur (197), 133. 2.

Septime Sévère, empereur demi-oriental. Etablissement du Dominât ou monarchie militaire 134 a. Septime Sévère, 134. — b. Prépondérance de l'armée et des provinces, 134. — c. Le Dominât, monarchie militaire et orientale, 135. — d. L'impératrice Julia Domna, 135. — e. Les jurisconsultes syriens à Rome, 136. — f. Des juristes, préfets du prétoire, 136. — g. Les provinces à l'honneur, 136. — h. Subdivision de la province de Syrie, 137. — i. Septime et Julia en Orient (197—199). Defaite des Parthes et annexion de la Mésopotamie, 137. — j. Le christianisme sous Septime Sévère, 137.

3.

Caracalla, empereur de souche syrienne (211-217) .

.

. 138

a. Caracalla et Geta, empereurs associés (211—212), 138. — b. Meurtre de Geta (212). Caracalla seul empereur, 138. — c. Gouvernement de Julia Domna, 139. — d. Caracalla et sa mère en Orient (215), 139. — e. Expédition contre les Parthes, 140. — f. Mort de Caracalla et de sa mère (217), 140. 4.

140

Macrin, empereur africain (217-218) a. Macrin vaincu et tué (218), 141.

5. Elagabal, empereur d'origine syrienne (218-222)

141

a. Avènement de Bassianus, surnommé Elagabal, 141. — b. Religion, extravagances et débauches d'Elagabal, 142. — c. Meurtre d'Elagabal et de sa mère, 144. 6. Alexandre Sévère, empereur d'origine syrienne (222-235) .

. 144

a. L'impératrice Mammea, 144. — b. Alexandre, prince faible et indécis, 145. — c. Alexandre, souverain religieux et tolérant, 145. — d. Meurtre d'Alexandre et de sa mère, et fin de la dynastie des Sévères (235), 146. 7.

L'empereur Philippe l'Arabe, d'origine transjordanienne (244-249)

147

a. De la mort d'Alexandre Sévère, à l'avènement de Philippe l'Arabe (235-244), 147. - b. Avènement de Philippe l'Arabe (244), 147. - c. L'empereur Philippe et les siens, 148. — d. Philippe à Rome, 148. — e. Défaite et mort de Philippe (249), 149.

III. NATIONALISME ET IMPÉRIALISME IRANIENS (230-260). POLITIQUE EXPANSIONNISTE DES PERSES SASSÂNIDES .

.

.

.150

1. Avènement et politique intérieure des Perses Sassânides .

.

.150

a. Chute des Parthes Arsacides (226), 150. — b. Les Perses Sassânides, 150. — c. Ascension de la dynastie sassânide, 150. — d. Nationalisme

10

TABLE DES MATIÈRES

et impérialisme des Sassânides, 151. — e. Le zoroastrisme, religion nationale et officielle, 152. — f. Nationalisme religieux, 152. — g. Persécution des non-conformistes, 153. 2.

Politique extérieure des Sassânides

153

a. Politique impériale d'Ardéshir. Guerre contre Rome, 154. — b. Ardéshir et les Kouchans, 154. — c. L'Empire des Kouchans (actuel Afghanistan), 154. — d. Shahpur I et sa politique impériale, 155. — e. Conquête de l'Empire des Kouchans (241), 155. — f. Shahpur I et Rome, guerre et entente (241—244), 155. — g. Shahpur I et sa nouvelle religion impériale. Le manichéisme ou religion de Mani (242), 155. — h. Echec de la réforme manichéenne, 156. 3. Désagrégation de l'Empire romain. Grande victoire perse. Entrée en scène de Palmyre 157 a. L'empereur Dèce et la persécution contre les Chrétiens (249—251), 157. — b. Anarchie militaire et invasions étrangères. Les Perses à Antioche, 158. — c. Valérien et la persécution contre les Chrétiens, 158. — d. Désagrégation de l'Empire romain. Autonomie de l'Occident, 159. — e. Les Arabes et Palmyre se redressent dans le Désert syrien, 159. — f. Grande victoire perse: désastre de Valérien (260), 159. — g. Entrée en scène de Palmyre, 160. IV.

ASCENSION DU ROYAUME DE PALMYRE. L ' E M P I R E ORIENTAL DE ZÉNOBIE

1. Palmyre entre Romains et Perses

161

161

a. Race et langue, 161. 2. Palmyre jusqu'à 2 6 0

162

a. Palmyre jusqu'à la mort d'Auguste, 162. — b. Au premier siècle de notre ère, 162. — c. Au temps de l'empereur Hadrien (117—138), 163. — d. Au temps des empereurs orientaux (193—249), 164. — e. La dynastie indigène des Haïran (200—272), 165. 3.

Odeinat II, roi de Palmyre (260-266)

165

a. Odeinat II, seigneur de Palmyre et gouverneur de la province romaine de Syrie (258-260), 165. - b. Odeinat II, vainqueur de Shahpur I (260), 166. - c. Odeinat II, roi de Palmyre (260), 166. - d. Odeinat II, duc romain et commandant militaire de la Syrie, 166. — e. Odeinat II, délégué de l'empereur dans l'Orient romain, 167. — f. Politique religieuse d'Odeinat II, 167. — g. Mort d'Odeinat II. Avènement de Zénobie (267), 168. 4. Zénobie, reine de Palmyre (267-272)

168

a. Wahballat, roi sous tutelle, 169. - b. La reine Zénobie (267-273), 169. — c. Vassalité nominale vis-à-vis de Rome, 170. 5. Zénobie, souveraine du Proche-Orient. Annexion de la Syrie, de l'Egypte et de l'Asie Mineure 171 a. Annexion de la Syrie (269), 171. — b. Zénobie, maîtresse de l'Egypte (270), 171. - c. Annexion de l'Asie Mineure (270), 172. - d. Emancipa-

11

TABLE DES MATIÈRES

tion effective de Zénobie, 172. — e. Le milieu religieux à Palmyre, 173. — f. Milieu intellectuel et culturel, 174. V.

RÉACTION

MILITAIRE DE R O M E

(268—274).

RECONQUÊTE

DE

L'ORIENT ET DESTRUCTION DE PALMYRE

176

1. Redressement romain. Les empereurs illyriens 176 a. Règne de Claude le Gothique, premier empereur illyrien (268—270), 176. — b. Avènement d'Aurélien, 177. — c. Fortification de Rome, 177. 2. Reconquête de l'Orient romain

178

a. Aurélien et Zénobie en 270, 178. — b. Rupture avec Palmyre (271), 178. - c. Reconquête de l'Egypte et de l'Asie Mineure (271), 178. d. Bataille de l'Oronte et prise d'Antioche (271), 179. — e. Bataille et prise d'Emèse (271), 179. 3. Prise et destruction de Palmyre

180

a. Siège de Palmyre (272), 180. — b. Capture de Zénobie et reddition de Palmyre (272), 181. - c. Nouvelle révolte de Palmyre (273), 181. d. Destruction de Palmyre (273), 182. — e. Aurélien en Egypte (273), 182. — f. Triomphe d'Aurélien à Rome (274), 182. — g. Zénobie exilée à Rome, 183. 4.

Zénobie et son œuvre

183

a. Les Arabes de Palmyrène, avant-garde de ceux de l'Islam, 183. 5. Palmyre auprès la chute de Zénobie

184

a. Causes de la disparition définitive de Palmyre, 185. VI.

DÉSORGANISATION ET DISLOCATION DE L'EMPIRE ROMAIN. CIVILISATIONS DE L'ORIENT ROMAIN ET IRANIEN

187

1. Précarité de l'unité romaine restaurée

187

a. Réformes politico-religieuses d'Aurélien, 187. — b. De la mort d'Aurélien à l'avènement de Dioclétien (275-285), 188. 2.

Civilisation de l'Orient romain (1er, Ile et I l l e siècles) .

.

. 190

a. L'apport romain, 190. — b. Domaine culturel: prépondérance de l'hellénisme, 190. — c. L'orientalisme dans le domaine artistique, 191. — d. La crise du Ille siècle, 192. 3. Civilisation de l'Orient iranien a. La monarchie iranienne, formation féodale, 193. — b. Organisation sociale et administrative, 194. — c. Armée et justice, 194. — d. L'art iranien, 195. — e. Religions iraniennes, 195. — f. Le zoroastrisme, religion officielle de l'Empire sassânide, 196. — g. Le manichéisme ou religion de Mani, 196. — h. Le manichéisme étouffé en Iran, 197. — i. Expansion du manichéisme hors d'Iran, 197. — j. La Mésopotamie sémitique, berceau du manichéisme, 197. — k. L'Iran, centre d'échange et de mélanges spirituels, 198.

193

12

TABLE DES MATIÈRES

ONZIÈME PÉRIODE: 2 8 5 - 6 4 0 INVASIONS B A R B A R E S E N OCCIDENT: GOTHS, GERMAINS. DISLOCATION D E L'EMPIRE R O M A I N UNIVERSEL. L'ORIENT B Y Z A N T I N E T L'ORIENT I R A N I E N A. L'EMPIRE ROMAIN D'ORIENT OU BAS-EMPIRE (285—395), ÉBAUCHE DE L'EMPIRE GRÉCO-BYZANTIN I. L A TÉTRARCHIE DE DIOCLÉTIEN (285-306) 1. L'Empire romain vers la fin du Ille siècle

203 203

a. Décadence de l'Occident et effondrement du romanisme, 203. — b. Invasions des Barbares, 204. — c. Division de l'histoire de l'Empire romain d'Orient, 204. 2. Réformes politiques de Dioclétien

205

a. L'empereur Dioclétien (285—304), 205. — b. Régime politique dyarchique ou dualiste (286), 205. — c. La dyarchie transformée en tétrarchie (293), 207. 3. Réforme religieuse de Dioclétien

209

a. L'empereur, dieu incarné, émanation du Soleil, 209. — b. L'Empire de Dioclétien, monarchie orientale, 210. — c. Pouvoir absolu et de droit divin, 211. — d. Triomphe de l'orientalisme, 211. 4.

Réforme administrative

212

a. Organisation du pouvoir central, 212. — b. Réorganisation administrative des provinces, 213. — c. Préfets, vicaires, gouverneurs de province, 213. — d. Le dux (duc) ou gouverneur militaire, 214. — e. Préfecture et diocèse d'Orient, 214. 5. Politique orientale de Dioclétien

214

a. Dioclétien en Egypte (295—296), 214. — b. Dioclétien et la Perse; conflit et entente (296—298), 214. — c. Annexions en Mésopotamie et en Arménie, 215. 6.

Culture antique et civilisation chrétienne

215

a. Encouragement officiel de la culture antique. Essor de l'Ecole de droit de Beyrouth, 216. — b. Progrès du christianisme, 216. 7. Ruine du régime tétrarchique. Anarchie militaire et guerres civiles (306-323) 218 a. Abdication de Dioclétien et de Maximien (305). Galère, Auguste pour l'Orient, et Constance pour l'Occident, 218. — b. Germes de conflits intérieurs, 219. — c. Quatre Augustes et deux Césars (307), 219. — d. Sept Augustes (307), 220. — e. Licinius et Maximin se partagent l'Orient (311), 220. — f. Défaite et mort de Maxence et de Maximin (313), 221. - g. L'édit de Milan (313), 221. - h. Licinius, Auguste pour l'Orient, et Constantin pour l'Occident (313-323), 221. - i. Constantin seul empereur. Victoire du christianisme (323), 222.

13

TABLE DES MATIÈRES

II. L A MONARCHIE DE CONSTANTIN (323-337)

223

1. La monarchie de Constantin, institution orientale, unitaire et héréditaire 223 a. Constantin gouverne sans associés, 223. — b. Hérédité de la dignité impériale, 223. — c. Monarchie orientale sans caractère divin, 224. — d. Orientalisation de la cour impériale. Amplification de la bureaucratie, 224. 2. La question religieuse, nouveau problème pour l'Empire. Les hérésies donatiste et arienne au IVe siècle 225 a. Importance des questions religieuses au IVe siècle, 225. — b. Les hérésies chrétiennes remplacent les oppositions politiques et les particularismes provinciaux, 225. — c. Le donatisme en Afrique du Nord, 226. — d. Le schisme mélétien en Egypte. 226. — e. Le paganisme condamné par Constantin, 226. — f. Naissance de l'hérésie arienne en Egypte, 227. — g. L'Orient défend l'arianisme contre l'Occident, 228. — h. Les discussions théologiques gagnent les masses populaires, 228. 3. Les Conciles de Nicée et de Tyr

229

a. Le Concile de Nicée (325), 229. — b. Condamnation d'Arius et de sa doctrine. Définition de la doctrine orthodoxe, 229. — c. Autres décisions du Concile de Nicée, 230. — d. Le Concile de Tyr (335). Triomphe de l'arianisme en Orient, 230. 4.

L'Empire romain chrétien, l'Arménie et la Perse

230

a. L'Arménie convertie s'oriente vers Byzance, 230. — b. Le vieil antagonisme romano-perse revêt la forme religieuse, 231. — c. Mort de Constantin (337), 232. 5. Personnalité de Constantin

232

a. Sa conversion (312), 232. — b. Drames de famille, 233. — c. Constantin partage l'Empire entre ses fils et ses neveux (335), 233. — d. Jugement sur Constantin, 233.

III.

NAISSANCE DU FUTUR E M P I R E BYZANTIN ( 3 3 0 - 3 9 5 )

1. Constantinople, capitale de l'Empire romain (330) . . . .

235 235

a. Byzance jusqu'à 325, 235. — b. Embellissement et fortification de Byzance (325-330), 235. — c. Inauguration de Constantinople (330), 236. — d. Les raisons de l'abandon définitif de Rome, 236. — e. Naissance du futur Empire byzantin, 236. — f. Double destin de Byzance, 237. 2. Constantinople, Rome et la Perse (337-395) a. Les successeurs de Constantin se partagent l'Empire. Constant en Occident et Constance en Orient, 237. — b. La Perse avant Shahpur II, 238. — c. Avènement et politique de Shahpur II, 238. — d. Guerre entre Constance et Shahpur II (340-345), 239.

237

14

TABLE DES MATIÈRES

3.

Querelles religieuses et guerre avec la Perse

239

a. Conflit religieux entre l'Orient et Rome (341), 239. — b. Schisme religieux entre l'Orient et l'Occident (347), 239. — c. Constance seul empereur (350), 240. — d. Persécution contre le paganisme et l'orthodoxie, 240. — e. Restauration officielle du paganisme (361—363), 240. — f. Reprise de la guerre perse (363), 241. — g. Abandon de l'Arménie et des conquêtes de Dioclétien (363), 241. 4.

Rupture et reconstitution de l'unité politique de l'Empire (364-388) 242 a. L'Orient et l'Occident, deux Etats séparés (364), 242. — b. Les Goths dans la péninsule balkanique (376), 242. — c. Concile de Constantinople (381). Triomphe de la doctrine nicéenne ou catholique, 243. — d. Théodose, empereur de l'Orient et de l'Occident (388-395), 243. — e. Suprématie de l'Eglise sur le pouvoir politique, 244. — f. Partage de l'Arménie entre Théodose et Shahpur III (389), 244.

5.

Séparation définitive de l'Orient et de l'Occident romains (395)

244

a. Décomposition de l'Empire, 244. — b. L'Orient et l'Occident définitivement séparés (395), 245. — c. Destinée de l'Empire d'Occident (395-475), 246. - d. Rôle et destinée de l'Empire romain d'Orient (395-1453), 246.

B. L'EMPIRE BYZANTIN, PUISSANCE GRÉCO-ÉGÉENNE AXÉE SUR L'ORIENT ASIATIQUE ET MÉDITERRANÉEN (395—518) I.

FORMATION DE L'EMPIRE BYZANTIN

251

1. L'Empire byzantin et ses caractères essentiels. hellénique, chrétienne et orientale

Monarchie 251

a. L'Empire byzantin, 251. — b. Caractères essentiels et plaies endémiques de l'Empire byzantin, 251. — c. Monarchie hellénique, 251. — d. L'Empire byzantin, monarchie chrétienne, 252. — e. L'Eglise orientale, spéculative et soumise à l'Etat, 253. — f. L'Empire byzantin, monarchie orientale, administrative et bureaucratique, 253. — g. Le césaropapisme à Byzance, 254. — h. Etendue et organisation administrative de l'Empire byzantin, 254. — i. Les titres des hauts dignitaires, 255. 2.

Les trois grandes crises du V e siècle: ruées barbares, rivalité avec les Perses, querelles religieuses 256 a. La crise des invasions barbares et la guerre endémique avec les Perses, 257. — b. La crise politico-religieuse au Ve siècle, 258.

II.

L E S EGLISES APOSTOLIQUES AU V E

SIÈCLE: R O M E ,

TINOPLE, ALEXANDRIE, ANTIOCHE, JÉRUSALEM

1. Les Eglises apostoliques a. Les titres de patriarche et de pape, 264.

CONSTAN263

263

15

TABLE DES MATIÈRES

2. L'Eglise de Rome

264

3. L'Eglise d'Alexandrie

266

a. L'Ecole théologique d'Alexandrie, 266. — b. Prestige et puissance de l'évêque d'Alexandrie, 266. — c. L'Ecole païenne de philosophie, 267. — d. L'Ecole juive d'Alexandrie, 267.

4. L'Eglise d'Antioche

268

a. L'Ecole religieuse d'Antioche, 269. — b. Les Ecoles religieuses d'Edesse et de Nisibine (Nisibe), 269. — c. Edesse, capitale intellectuelle de l'Orient araméen, 270. — d. Académie et bibliothèque d'Edesse, 271. III.

L ' E M P I R E BYZANTIN DE 3 9 5 À 4 5 0 . NAISSANCE DES HÉRÉSIES

273

NESTORIENNE ET MONOPHYSITE

1. Les règnes d'Arcadius et de Théodose II. Gouvernement des 273 favoris et des femmes (395-450) a. Sous le règne d'Arcadius (395-408), 273. - b. Sous Théodose II (408-450), 274.

2. Importantes créations sous le règne de Théodose II . . .

. 274

a. L'Université de Constantinople (425), 274. — b. Le Code Théodosien (429), 275. - c. La Grande Muraille de Constantinople (439), 275.

3. L'Hippodrome et les factions politiques à Byzance . . . .

276

a. Les factions ou partis, 276. — b. L'Hippodrome de Constantinople, 276. — c. L'Hippodrome, palais des courses et centre de rassemblement des partis, 276. — d. L'Hippodrome, centre de la vie byzantine, 277. — e. Présence de l'empereur à l'Hippodrome, 277.

4. Naissance des hérésies nestorienne et monophysite . . . .

278

a. L'hérésie nestorienne, invention d'Antioche, 278. — b. L'hérésie monophysite, création d'Alexandrie, 280.

5. Byzance et la Perse de 400 à 450. Entente amicale et relations de bon voisinage 282 a. Autonomie spirituelle de l'Arménie (387), 282. — b. Consolidation de la chrétienté perse (410), 282. — c. Entente perso-byzantine contre les Barbares de l'Est asiatique (421), 282. — d. La Perse, sentinelle byzantine contre les invasions asiatiques, 283. — e. Duplicité de la diplomatie byzantine, 283. — f. L'Eglise de Perse se détache de celle d'Antioche (435), 284. — g. Révolte de la chrétienté arménienne, 284. IV.

QUERELLES POLITICO-RELIGIEUSES ( 4 5 0 - 4 9 0 ) . P R E M I E R SCHISME RELIGIEUX ENTRE L'ORIENT ET R O M E

285

1. Condamnation du monophysisme et établissement de la doctrine chalcédonienne ou orthodoxe (451) 285 a. Avènement de l'empereur Marcien et de Pulchérie (450), 285. — b. Marcien et Pulchérie hostiles aux monophysites, 285. — c. Le con-

16

TABLE DES MATIÈRES

cile de Chalcédoine monophysisme, 286. de celle de Rome, d'Orient, 286. — g.

(451), 286. — d. Condamnation de Dioscore et du — e. L'Eglise de Constantinople proclamée l'égale 286. — f. L'empereur maître absolu de l'Eglise Germes de conflits intérieurs, 287.

2. Rivalité des monophysites et des chalcédoniens. Tendances séparatistes des provinces orientales 287 a. Rupture de l'unité morale des peuples de l'Empire, 287. — b. Scission des monophysites d'Egypte, 287. — c. Réaction violente du clergé monacal, 288. — d. Tendances séparatistes, 288. — e. Le monophysisme gréco-égyptien, réaction antibyzantine, 288. — f. Le monachisme égyptien indigène, réaction antihellénique, 289. — g. L'empereur Léon I (457— 474), 290. — h. Prépondérance des monophysites en Egypte et en Syrie (474), 290. 3. Essai de réconciliation manqué. Le premier schisme religieux entre l'Orient et l'Occident 291 a. L'édit d'union de l'empereur Zénon (482), 291. — b. Violente opposition contre l'édit d'union, 291. — c. Zénon et la révolte des Isauriejis (482—488), 291. — d. Premier schisme religieux entre Constantinople et Rome (484—518), 291. — e. Réaction antiromaine du monde grécooriental. 292. 4.

Orientalisation de l'Empire byzantin

292

a. Orientalisation du pouvoir impérial, 292. — b. Orientalisation de l'Eglise et de la civilisation byzantines, 293. — c. Réveil de la culture et des traditions nationales en Syrie et en Egypte, 293.

V.

BYZANCE, LA PERSE ET L'ORIENT MÉDITERRANÉEN ( 4 9 0 - 5 1 8 )

.294

1. Politique religieuse de la Perse (480-505)

294

a. L'Eglise chrétienne de Perse se convertit au nestorianisme (484), 294. — b. Naissance de la religion iranienne de Mazdak, 296. 2.

L'empereur Anastase et sa politique ( 4 9 1 - 5 1 8 ) . byzantin axé sur l'Orient

L'Empire 297

a. Avènement de l'empereur Anastase, 297. — b. Politique et réformes intérieures, 298. — c. Politique extérieure d'Anastase, 298. — d. Renforcement de la défense de l'Empire, 298. — e. Désordres, émeutes et révoltes à Constantinople (491—498), 299. — f. Politique syro-égyptienne d'Anastase, 299. — g. Anastase favorise les monophysites (496—513), 299. — h. Violente réaction des orthodoxes, 300. — i. Guerre avec la Perse (502-504), 300. - j. La paix perso-byzantine de 504, 301. - k. Emeute et révolte à Constantinople (512—515), 301. — 1. Nouveaux sujets de mésentente entre Constantinople et Rome, 301. 3.

Causes de l'échec de la politique d'Anastase

302

TABLE DES MATIÈRES

17

C. L'EMPIRE BYZANTIN ATTIRÉ PAR L'OCCIDENT. LE SIÈCLE DE JUSTINIEN (518—565) LA FAMILLE JUSTINIENNE ET SA POLITIQUE GÉNÉRALE. JUSTIN, JUSTINIEN ET THÉODORA ( 5 1 8 - 5 6 5 )

307

1. L'empereur Justinien le Grand (527-565)

307

a. La politique de Justinien; expansion vers l'Occident, 308. — b. Politique chimérique et dangereuse, 308. — c. Les véritables destinées de Byzance, 309. — d. Politique religieuse de Justinien; intolérance et césaropapisme, 309. — e. Prépondérance de la culture latine sur l'hellénisme, 310. — f. Négligence des provinces orientales, 310. — g. Œuvres durables de Justinien, 310.

2. L'impératrice Théodora (527-548)

311

a. Théodora jusqu'à son couronnement, 311. — b. Théodora impératrice, 311. — c. Théodora protectrice des monophysites, 312. — d. Duplicité concertée de la politique religieuse, 313. .

L E GOUVERNEMENT INTÉRIEUR DE JUSTINIEN

314

1. Les débuts de la dynastie justinienne (518-532)

314

a. Nouvelle orientation de la politique intérieure, 314. — b. Réconciliation de l'Empire et de la Papauté (518), 314. — c. Persécution contre les monophysites, 314. — d. Assassinat de Vitalien (520), 315. — e. Insécurité et désordres, 315.

2. Révolution à Constantinople: la sédition Nika (532) .

.

.

.316

a. Conflit des Bleus et des Verts, 316. — b. Révolte de Constantinople, ou la «sédition Nika» (532), 316. — c. Intervention énergique de l'impératrice Théodora, 317. — d. L'insurrection noyée dans le sang (532), 317.

3. L'œuvre intérieure de Justinien

318

a. L'œuvre législative. Le Code Justinien, 318. — b. Réforme administrative, 319. — c. Constructions et monuments. L'Eglise de Sainte-Sophie, 319. — d. Reconstruction des villes détruites, 319. — e. Activité économique et commerciale, 320. — f. Elevage des vers à soie (553), 321. III.

LA POLITIQUE RELIGIEUSE DE JUSTINIEN. LES DIVERSES EGLISES ET GRANDES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES AU V I E SIÈCLE .

.

.322

1. La politique religieuse de Justinien a. Puissance et richesse des Eglises orientales, 322. — b. Le césaropapisme de Justinien, 323. — c. Intolérance religieuse de Justinien, 323. — d. Tolérance envers les monophysites, 324. — e. Prépondérance des monophysites (529—536), 324. — f. Réaction de Rome: persécution des monophysites (536—538), 324. — g. Réaction de Théodora: suspension de la persécution contre les monophysites, 325. — h. Reconstitution de l'Eglise monophysite ou jacobite (543), 325. — i. La querelle des «Trois Chapitres» (543—553). Le clergé d'Occident maté par la force, 325. — j. Echec de la politique religieuse et césaropapiste de Justinien, 326.

322

18

TABLE DES MATIÈRES

2. Les diverses communautés et Eglises orientales au V i e siècle . 327 a. L'Eglise officielle, orthodoxe ou melkite, 328. — b. L'Eglise monophysite ou jacobite, 328. — c. L'Eglise monophysite ou jacobite de Syrie et son fondateur Jacques Baradée (en araméen: Ia'qoub Baradâ'i), 328. — d. L'Eglise monophysite ou jacobite d'Egypte, 329. — e. L'Eglise chalcédonienne maronite, en Coelé-Syrie, 331. — f. L'Eglise monophysite d'Arménie, 332. — g. L'Eglise nestorienne de Perse, 332. IV.

L ' E M P I R E BYZANTIN SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN. EVOLUTION, EXTENSION ET DÉCADENCE ( 5 2 7 - 5 6 5 )

334

1. Justinien et l'Orient jusqu'en 532. Guerre et entente persobyzantines 334 a. Guerre perso-byzantine (527—531), 334. — b. Entrée en scène des tribus arabes du désert. Les rois arabes de Ghassân et de Hîra, 334. — c. Avènement de Khosrau I en Perse, 335. — d. Paix entre Byzance et la Perse (532), 335. 2. Expansion byzantine en Occident et contrecoups en Orient .

. 336

a. Expansion militaire en Occident, 336. — b. Contrecoups dans les Balkans et en Iran, 336. — c. Dans le Désert syro-mésopotamien. Ascension politique des émirs arabes, 337. — d. Guerre perso-byzantine (540— 545), 337. — e. Paix perso-byzantine (546), 338. — f. La diplomatie byzantine, soutien de l'Empire, 338. 3.

Décadence de l'Empire et fin de Justinien

339

a. Misère générale et troubles sociaux, 339. — b. Mort de Justinien (565), 340. V.

L E S ROYAUMES ARABES DE GHASSÂN ET DE H Î R A

341

1. Les tribus arabes ghassânides et lakhmides, avant-gardes des Arabes de l'Islâm 341 a. Le nom d'Arabe avant l'Islam, 341. — b. Les Ghassânides et les Lakhmides, sixième vague sémito-arabique, 341. — c. Ghassânides et Lakhmides, Arabes authentiques, 342. — d. Avant-gardes des futurs Arabes de l'Islâm, 342. 2.

Le royaume arabe de Ghassân, successeur du royaume araboaraméen de Palmyre 342 a. Jusqu'au Vie siècle, 342. — b. Au Vie siècle, 343. — c. Suppression du royaume ghassânide (582), 344.

3. Le royaume arabe de Hîra a. Aux Ille et IVe siècles, 345. — b. Au Ve siècle, 345. — c. Au Vie siècle, 346. - d. Période d'intermède (495-529), 346. - e. Chute de la dynastie lakhmide (602), 347. - f. La dynastie des Tayy (602-613), 347. — g. Bataille de Dhou-Qâr (611), 347. — h. Suppression du royaume de Hîra (613), 347.

344

19

TABLE DES MATIÈRES

4.

348 Les Eglises chrétiennes dans le monde nomade a. Présence des trois Eglises, 348. — b. Prépondérance de l'Eglise monophysite ou jacobite, 348. — c. Dans le royaume de Ghassân, 349. — d. Dans le royaume de Hîra, 349.

5. Destinée historique de l'arrière-pays syrien

350

D. BYZANCE SE RETOURNE VERS L'ORIENT (565—640). DÉSAGRÉGATION ET DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE BYZANTIN. DÉCOMPOSITION ET EFFONDREMENT DE L'EMPIRE PERSE I.

DÉSAGRÉGATION DE L'EMPIRE BYZANTIN 1.

(565-610)

355

Grande guerre avec la Perse ( 5 7 2 - 5 9 1 )

355

a. Période de préparatifs (565—572), 355. — b. Commencement des hostilités (572), 356. - c. Victoire byzantine à Mélitène (575), 356. - d. Reprise des hostilités (578), 356. — e. Victoire byzantine à Constantina (581), 357. - f. Fin de la guerre perse (591), 357. 2.

Les Barbares en Italie et dans les Balkans ( 5 6 8 - 6 0 2 ) .

.

.

.358

a. Les Lombards en Italie septentrionale (568), 358. — b. Etablissement des exarchats d'Italie et d'Afrique, 358. — c. Avars et Slaves ravagent les pays balkaniques (569—602), 358. 3. Politique religieuse des successeurs de Justinien 4.

359

Le règne désastreux de Phocas ( 6 0 2 - 6 1 0 ) . Ruine de l'Empire 3 5 9 a. Mécontentement général vers la fin du règne de Maurice, 360. — b. Soulèvement des troupes du Danube (602), 360. — c. Le centurion Phocas acclamé empereur (602), 360. — d. Invasion du territoire asiatique: les Perses aux portes de Constantinople (604—609), 361. — e. Complot contre Phocas (609), 361. — f. Avènement d'Héraclius (610), 361.

5.

Désagrégation de l'Empire ( 6 1 2 - 6 2 2 )

362

a. L'empereur Héraclius, 362. — b. Etat catastrophique de l'Empire vers 610, 362. — c. Les Perses s'emparent des provinces orientales (612— 614), 362. — d. Les envahisseurs accueillis par les dissidents, 363. — e. La perte catastrophique de Jérusalem (614), 363. — f. Ruine définitive de la Palestine, 363. — g. Les Wisigoths en Espagne; les Slaves en Grèce (615), 364. — h. Avars et Slaves aux portes de Constantinople (617— 619), 364. — i. Héraclius découragé songe à s'enfuir (619), 365. II.

RELÈVEMENT ET DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE BYZANTIN. DÉSORGANISATION ET DISPARITION DE LA PERSE ( 6 2 2 - 6 4 0 ) .

.

366

1. Eclaircie fugitive à Byzance (622-628). Reconquête des provinces orientales 366 a. Première guerre de croisade chrétienne, 366. — b. Réaction antichrétienne en Perse. Guerres de «croisade» antérieures, 367. — c. Recon-

20

TABLE DES MATIÈRES

quête de l'Asie Mineure (622), 367. — d. Héraclius en Arménie et en Médie (623—626), 368. — e. Constantinople repousse les Avars (626), 368. — f. Héraclius dans la région du Caucase, 369. — g. Grande victoire byzantine près de Ninive (627), 369. — h. Révolution en Perse. La paix de 628, 369. - i. Rentrée d'Héraclius à Constantinople (629), 369. - j. Pèlerinage triomphal à Jérusalem (630), 370. — k. Héraclius, Basileus ou Grand Roi, 370. - 1. Triomphe éphémère, 370. 2.

La politique religieuse d'Héraclius

370

a. Le problème religieux, 371. — b. Le monothélisme, formule de compromis, 371. — c. Le monothélisme accepté dans l'Empire (623—633), 371. — d. Les monophysites d'Orient rejettent le monothélisme (634), 372. 3. La Syrie et l'Egypte se livrent aux Arabes (634-642) .

.

.

. 372

a. Les Arabes en Syrie, Palestine, Egypte, 372. — b. Les Arabes accueillis comme des libérateurs, 373. — c. Faiblesse des armées byzantines, 374. — d. L'Empire byzantin, Etat gréco-anatolien, 375. 4.

Transformation générale de l'Empire de Byzance après 6 4 0 . 376 a. Homogénéité du nouvel Empire byzantin, 376. — b. Unité religieuse, 376. — c. L'Empire byzantin de 700, ancêtre géographique de la République turque contemporaine, 377.

5. Désagrégation et disparition de l'Empire perse

377

a. Epuisement de la Perse après sa défaite de 628, 377. — b. Désorganisation de l'Empire perse, 378. — c. La Perse envahie par les Arabes (636-642), 378. - d. L'Empire perse effacé de la carte, 379. E. LES CIVILISATIONS DE L'ORIENT GRÉCO-ROMAIN, BYZANTIN ET PERSE (IVe, Ve et Vie SIÈCLES) I.

L A CIVILISATION DE L'ORIENT GRÉCO-ROMAIN ET BYZANTIN .

1. Sous le Bas-Empire romain (IVe siècle)

.383

383

a. Corruption et vénalité de l'administration, 383. — b. Dépopulation de l'Empire, 383. — c. Renaissance du féodalisme terrien, 384. — d. Crise monétaire 384. — e. Vie intellectuelle, 384. — f. La littérature chrétienne, 385. — g. L'architecture, 386. — h. L'architecture militaire, 386. — i. Naissance des idées démocratiques modernes, 386. 2.

La civilisation de l'Orient byzantin (Ve et V i e siècles) .

.

.387

a. Constantinople, grand centre intellectuel, 387. — b. Contribution de la Syrie, 388. — c. L'art byzantin, art gréco-oriental et chrétien, 388. - d. L'Eglise de Saint-Sophie, 388. - e. Le Code Justinien, 389. II.

L A CIVILISATION PERSE-SASSÂNIDE

1. Le roi sassânide

391 391

2.

Les hauts dignitaires

. . . .

3.

Administration générale

.

.

391 392

TABLE DES MATIÈRES

21

4. Les classes sociales

392

5. Vie économique et sociale

393

6. La religion

393

7. L'art sassânide

394

8. Vie intellectuelle

395

III.

CONCLUSION

396

1. Byzantins et Perses à la veille de l'expansion de l'Islâm (vers 630)

396

2. Survivance de l'Etat byzantin et disparition de l'Etat iranien . 396 3. Survivance de la nation iranienne

397

4. Permanences historiques

399

Dixième période: 64 av. J.-C. — 285 ap. J.-C.

Vague occidentale: expansion des Romains. L'Orient romain et l'Orient iranien.

Mélange stabilisé de Méditerranéens, d'Asianiques et de Nordiques, les citoyens de Rome, abolissant la royauté, se constituent en République (510 av. J.-C.). Réagissant contre les attaques de leurs voisins, ils réalisent, par les armes, l'unité politique de la péninsule italique (510-264 av. J.-C.), et étendent leur hégémonie sur l'ensemble du monde méditerranéen (264—64 av. J.-C.). L'Asie Mineure, la Syrie, l'Egypte forment la partie orientale du vaste Empire romain. L'Iran continental, demeuré indépendant et maître de la Mésopotamie, où il a sa capitale (Ctésiphon), se fera le champion du nationalisme oriental contre l'hégémonie de l'Occident. Par ses attaques incessantes, l'Empire iranien, sous les Parthes, puis sous les Perses sassânides, contribuera à provoquer la dislocation, puis le fractionnement de l'Empire romain universel et la naissance de l'Empire romain d'Orient ou Empire byzantin.

A L'Empire romain universel: formation et organisation (264 av. J.-C. — 14 ap. J.-C.)

I. L'Empire romain et sa formation

L'histoire générale de l'Empire romain universel dépasse le cadre de notre étude. Aussi, nous bornerons-nous à la partie orientale de cet Empire, à partir du moment où elle devint romaine. Toutefois, et pour une meilleure intelligence des événements qui vont suivre, il convient d'exposer, très brièvement, l'évolution historique de la cité de Rome jusqu'à l'avènement d'Auguste et de l'Empire romain universel (31 av. J.-C.). 1. L'Empire romain, institution politique nouvelle a. L'Empire romain, création latine Dans nos précédents volumes (I et II), nous avons vu se former et évoluer, depuis les origines jusqu'à 64 av. J.-C., les peuples et les civilisations du Proche-Orient. Nous avons vu surtout, dans les trois derniers siècles, le rôle de l'Hellénisme, apporté par les conquérants gréco-macédoniens, dans la transformation des civilisations proche-orientales. Nous allons voir maintenant l'action et le rôle du Romanisme, apport des conquérants romano-latins qui ont continué, dans le monde oriental, la mission de la Grèce. Férus de droit, d'autorité, de discipline et d'organisation, les Romains doteront le monde d'un organisme politique nouveau: l'Empire romain. b. Constitution ethnique du peuple romain et de l'Empire Rome et l'Italie. — Les Latins de Rome sont un rameau des Italiotes, IndoEuropéens qui, venus du Nord-Est après 1500 et établis dans l'Italie centrale, avaient fusionné avec les Ligures, Méditerranéens autochtones qui constituaient l'ancienne population du pays. Selon la tradition, des Troyens auraient abordé à l'embouchure du Tibre, après la destruction de leur ville (vers 1200). La fusion de ces éléments divers donna naissance aux Latins primitifs, colonisateurs du Latium vers le Vile siècle et ancêtres directs du peuple romain. Aux Latins du Latium s'ajoutent les Etrusques, Méditerranéens ou Indo-Européens qui, venus d'Asie Mineure après l'invasion des «Peuples de la Mer et du Nord» (vers 1200), s'établirent sur la côte tyrrhénienne, dans l'Italie centrale: Etrurie d'autrefois et Toscane d'aujourd'hui. Du Ville au Vie siècles, leur brillante civilisation est largement diffusée dans

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la péninsule, en même temps que leur expansion politique. Autour de l'an 600, Rome est une ville étrusque et le restera pendant plus d'un siècle. Les Etrusques, et non les Grecs, sont les premiers éducateurs de la future reine du monde méditerranéen ancien. C'est aux habitants de Sparte que l'on peut comparer les premiers Romains. Mais ceux-ci développeront leur Etat militaire dans des proportions plus grandes que celles de l'Etat lacédémonien. Ces rudes pasteurs des collines romaines, ces âpres paysans des rives du Tibre, possèdent des caractères ethniques d'une valeur inestimable. Tempérament pratique et réalisateur, vue concrète des hommes et des choses, don de la précision, sens de l'organisation et de l'action collective, goût inné de la discipline, ténacité dans l'effort, génie du gouvernement, ardent patriotisme et croyance profonde à la supériorité nationale, rare faculté et puissante volonté d'assimilation, telles sont les qualités qui assureront à ce peuple la domination universelle. C'est en trois grandes étapes successives qu'ils fonderont leur Empire mondial: soumission du Latium, formation de l'unité italienne, conquête du bassin méditerranéen. L'Empire. — L'Empire romain, ou, comme disaient ses historiens et ses légistes, YUnivers romain, qui s'étendait sur toutes les régions de la zone méditerranéenne, comprend: les Italiens, mélangés de Grecs dans le Sud et en Sicile, de Celtes dans le Nord, de Phéniciens sur les côtes et dans les îles; les Celtes et les Germains de Gaule; les Ibères d'Espagne; les Germains d'Europe centrale; les Sarmates ou Slaves, derrière la Vistule; les populations grecques ou grécisées dans la péninsule balkanique et sur les rivages de l'Egée et de la Méditerranée orientale. Les races sémitiques ou araméennes occupent la Syrie, la Phénicie, la Palestine; les Arabes sont à l'est du pays syrien; des populations d'origines diverses, débris d'un passé lointain: Aryens, Sémites, Touraniens, etc., s'étendent de l'Arménie à la Mésopotamie; les Egyptiens sont dans la Vallée du Nil; des Hamites et des nègres, mélangés de Sémites phéniciens, occupent tout le littoral méridional de la Méditerranée, du Nil aux colonnes d'Hercule. Dans ce vaste ensemble de pays disparates, il n'y a pas que des différences radicales de race et de langue, mais aussi de mœurs et de civilisation. «Il y avait dans ces populations bigarrées tous les degrés par lesquels on passe de la barbarie la plus grossière à la civilisation la plus raffinée.» L'œuvre des empereurs romains fut de rapprocher tous ces éléments divers, de leur donner la cohésion, de faire régner la paix à l'intérieur durant des siècles, donnant au monde le bienfait delà «Paixromaine». c. Le cadre géographique et historique Un simple regard sur la carte nous montre la position privilégiée de Rome et de l'Italie dans le bassin méditerranéen. C'est l'Italie, avec son prolon-

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gement naturel, la Sicile, qui sépare et coupe en deux la Méditerranée et, avec la Tunisie, commande et contrôle le bassin occidental. Dès l'an 1000, à la suite de l'expansion des Phéniciens vers l'Occident et de l'éveil à la civilisation du bassin occidental de la Méditerranée, la vie économique et commerciale et la prospérité croissante de cette zone y attirèrent bien vite les peuples avides de gain et de négoce. Les Phéniciens sont déjà installés en Afrique du Nord et en Espagne; les Grecs en Italie méridionale ou Grande Grèce et en Sicile; les Etrusques en Italie centrale. Peuple terrien, les Romains, après avoir soumis l'Italie péninsulaire, deviennent une puissance militaire redoutable. Voisine du bassin occidental de la Méditerranée, Rome tourne ses regards vers ce secteur maritime. Eloignée de la mer, qu'elle touche par Ostie, mais bâtie sur la rive d'un fleuve navigable, elle recevait les plus grands bateaux construits alors, et restait, en même temps, à l'abri des pirates, ce fléau du monde antique. Mais Carthage, au fond du golfe de Tunis, domine alors de la Sicile à l'Espagne. Phéniciens d'Afrique, Grecs d'Italie et de Sicile, Latins de Rome, entreront bientôt en conflit; leurs luttes, pour la domination de la Méditerranée occidentale, sont de vraies guerres impériales et coloniales. d. Le romanisme ou romanité Apport des Indo-Européens romano-latins, le romanisme est, comme l'hellénisme, apport des Indo-Européens gréco-égéens, une création de l'Occident, qui l'implanta en Proche-Orient. Il ne s'agit pas, en l'occurrence, d'une culture ni d'une religion nouvelles. Le romanisme est plutôt un système de gouvernement, issu des régimes démocratiques des cités helléniques et adopté par le peuple romain qui l'appliquera sur une vaste échelle. Suivant ce système, que le Proche-Orient n'avait encore jamais connu, le pouvoir politique n'est pas une faveur accordée par les divinités à quelques personnes privilégiées, fils ou vicaires des dieux, mais une fonction, une charge et un mandat. La théorie romaine fait du peuple de Rome le dépositaire de l'autorité souveraine et le maître souverain des peuples étrangers qu'il a soumis. Les pouvoirs de ce «monarque anonyme» sont délégués à des magistrats dont la fonction est, en principe, temporaire et révocable. Le chef suprême, ses collaborateurs ou ministres, ses préposés, sont les mandataires du peuple romain. Ce système, qui avait régi la cité romaine et qui s'étendra progressivement aux territoires conquis, c'est l'Empire romain. Ainsi, à la différence de l'hellénisme, qui est une culture et dont la diffusion a débordé les pays soumis à la domination des Hellènes, le romanisme est, au contraire, une «doctrine nationale et aristocratique», une «espèce d'armature politique». Les dirigeants romains s'emploieront à

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«concilier l'hellénisme, maître des arts et des sciences, avec le romanisme, maître de la guerre et du gouvernement».1 e. L'Empire romain, formation organique Toutes les constructions politiques antérieures, cités, Etats ou empires, que nous avons vu défiler, successivement ou simultanément, sur la scène proche-orientale, ont juxtaposé des peuples nombreux et divers, sans chercher à les unir en un tout plus ou moins organique. Seul l'Empire romain, par le caractère universel de son organisation, par le fusionnement des nationalités les plus diverses, créera, sur les ruines des gouvernements et des religions particularistes de l'antiquité, un état d'esprit nouveau, une conception politique et sociale nouvelle, celle de l'Etat et de la nation, dans le sens moderne de ces termes. C'est seulement à partir de l'époque moderne, que les «nations naturelles» se dégageront des cadres généraux de l'Empire et de l'Eglise son héritière, et que le particularisme national ou régional prévaudra de nouveau sur l'idée de l'unité impériale. A la différence des empires antérieurs, créés et maintenus par la force, et, par suite, essentiellement fragiles, l'Empire romain proprement dit est une formation organique, qui s'est prolongée pendant plusieurs siècles. Ni dans le passé, ni dans l'avenir, le monde ne connaîtra une vaste institution politique de cette durée. Même après sa disparition, l'Empire romain restera le modèle de tous les Etats modernes du type occidental. Le Saint-Empire romain germanique, qui en est issu, se prolongera, sous diverses formes et divers noms, jusqu'au commencement du XIXe siècle. Aujourd'hui encore, la constitution de l'Empire romain continue à dominer l'histoire des peuples de l'Europe moderne. Cette histoire a été faite, en grande partie, des exploits de rois, de chefs et d'aventuriers, qui cherchaient à avoir le titre et à jouer le rôle de césar et d'imperator. La valeur éminente qui, de nos jours encore, demeure attachée au titre impérial, est un hommage au souvenir de l'Empire romain. f . L'Empire romain, œuvre de citoyens libres Ce nouvel Empire, plus grand que ceux qu'avaient édifiés les conquêtes d'Alexandre et de Cyrus, diffère profondément, par sa nature, de tous les grands Etats qui l'avaient précédé. A l'opposé de tous ses devanciers, qui sont la création de monarques conquérants, l'Empire romain est l'œuvre d'une république de libres citoyens. Il y a là une situation absolument nouvelle dans l'histoire. En effet, tandis que les autres grands Etats tiraient 1

Ferrerò, Nouvelle histoire romaine, p. 238.

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leur caractère de communauté de l'obéissance collective à un puissant souverain dont dépendait le bien public, l'Empire romain est organisé, gouverné et administré par un ensemble de citoyens intéressés à la prospérité de l'Etat. g. Les provinciaux, citoyens de l'Empire L'empire athénien et celui de Carthage, qui régentèrent des alliés et des pays subjugués, n'avaient pas dépassé la condition d'une Cité-Etat. Dans l'Empire romain, dès 89 av. J.-C., tous les habitants libres de l'Italie sont déjà des citoyens romains; cette qualité sera même étendue, en 212 ap. J.-C., à tous les hommes libres de l'Empire. L'histoire de l'Empire romain continue donc, non seulement l'histoire de la cité romaine, mais aussi celle de tous les peuples que les Romains avaient successivement subjugués. C'est l'histoire de l'ensemble des pays du bassin méditerranéen: l'Europe, l'Asie Mineure, l'Orient méditerranéen, l'Egypte, l'Afrique du Nord, réunis, pendant plusieurs siècles, sous une même domination. Les provinciaux, d'abord sujets de Rome, arracheront progressivement à la reine du monde ses vieux privilèges, et donneront, à un Empire de cent millions d'habitants, des empereurs d'origine provinciale, qui confectionneront des lois qu'on appellera la raison écrite. Le christianisme, venu plus tard d'Orient, s'efforcera de mettre, dans le cœur des peuples de l'Empire, le sentiment de la fraternité. Grâce à cette marche des provinces vers l'égalité de droits, de civilisation, de richesse et plus tard de religion, «un peuple nouveau va naître de toutes les nations enfermées dans l'enceinte de l'Empire». h. Déchéance politique de l'Orient

méditerranéen

L'unification de l'Iran par la Perse et celle du monde égéen par la Macédoine, avaient respectivement eu comme conséquences l'invasion du Proche-Orient et la formation successive, sur la ruine de ses Etats, de vastes empires orientaux: l'Empire perse, celui d'Alexandre le Grand et ceux des monarchies hellénistiques. L'unification de l'Italie par le génie organisateur de Rome eut, elle aussi, pour effet l'unification politique de l'ensemble du monde méditerranéen, au sein duquel le Proche-Orient maritime ne sera qu'un agrégat de provinces administrées par la cité du Tibre. Il importe, en effet, de noter que, jusqu'à l'expansion romaine, tous les conquérants et envahisseurs qui s'étaient succédé dans le monde procheoriental, avaient considéré le Proche-Orient comme le centre du monde et le but suprême de leurs efforts. Gouti, Amorrites, Mitanniens, Hittites, Kassites, Egyptiens, Assyriens, Chaldéens, Perses, Gréco-Macédoniens,

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attirés vers le Croissant Fertile, y avaient successivement établi le centre politique de leurs empires respectifs. Pour la première fois dans l'évolution historique des pays du vieux monde, les Romains, qui soumettent à leur tour le monde proche-oriental, en feront un domaine provincial, relevant d'une jeune et lointaine métropole occidentale: la Rome des Césars. Les vieilles capitales historiques du Proche-Orient: Babylone, Séleucie, Antioche, Tyr, Alexandrie, Memphis, ne seront plus désormais que de modestes chefs-lieux de province. Par contre, la Mésopotamie, demeurée perse, restera le centre politique de l'Empire iranien des Parthes et de leurs successeurs, les Perses Sassânides. C'est que l'évolution et l'extension de l'activité politique et commerciale, dans le bassin central et occidental de la Méditerranée, ont déplacé le centre de gravité économique et politique du monde antique. Ce monde, qui, à une époque reculée, était centré autour de la vallée du TigreEuphrate, puis, à une époque postérieure, autour des villes phéniciennes et du Delta du Nil, est, depuis quelque temps déjà, axé sur toute la Méditerranée. Cette dernière, qui n'était jadis qu'une voie de commerce secondaire, forme, depuis l'essor de Carthage et du monde méditerranéen occidental, une grande zone de passage intercontinental.

2. Rome jusqu'à l'établissement de l'Empire. Aperçu historique (700—64 avant J.-C.) L'histoire de Rome et du peuple romain peut se diviser en trois grandes périodes, échelonnées sur plusieurs siècles: la Royauté, la République, l'Empire. a. Rome sous les rois (700—510 av. J.-C.) Fondée vers 700, Rome ne fut d'abord qu'une petite bourgade, située sur le Palatin, à laquelle succéda la ville des Sept-Monts. Sa constitution politique était monarchique. Le roi était chef absolu dans l'Etat; mais, dans la pratique, son pouvoir se trouvait limité par deux Assemblées: le Sénat et l'Assemblée curiate, dans lesquelles l'influence appartenait aux chefs des familles les plus puissantes. Dès le Vie siècle, ce premier Etat romain est gouverné par des rois étrusques, qui le domineront pendant près d'un siècle et demi. Les premiers citoyens romains sont les seuls patriciens, à l'exclusion de la plèbe; seuls ils constituent l'armée et jouissent des droits civils et politiques. Devenue tyrannique, la royauté est abolie, en 510, et le peuple jura de ne jamais la rétablir.

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Succédant à la monarchie, la République romaine, proclamée en 510, devait durer près de cinq cents ans. Pendant ces cinq siècles, l'histoire romaine n'est qu'un tissu de luttes intestines et de guerres extérieures. Cette période républicaine peut se diviser en deux parties: de l'an 510 jusqu'au début des guerres puniques (264), et depuis cette dernière date jusqu'à l'établissement de l'Empire (60).

b. Rome, puissance italique (335 av. J.-C.) Pendant la première période républicaine, Rome connut une longue succession de luttes intérieures et extérieures, pendant laquelle le peuple romain, tenant tête à toutes les attaques, s'était donné une constitution politique et sociale équitable et soumit le pays du Latium. Le roi, dont la fonction est supprimée, fut remplacé par deux chefs d'Etat appelés consuls; choisis par le Sénat et parmi ses membres, ils ne devaient rester qu'un an en charge. Formé de patriciens, le Sénat dirige la politique romaine; les consuls ne peuvent rien faire sans le consulter. Toutefois, en cas de danger pressant, un dictateur pouvait être nommé; exerçant un pouvoir absolu dans la cité, il n'avait aucun compte à rendre de ses actes, mais il devait déposer ses pouvoirs au bout de six mois. Les plébéiens, quoique citoyens, n'avaient point accès au Sénat et au consulat. Groupés sous des tribuns, ils revendiquent une extension de droits politiques et sociaux. Vers 450, la Loi des Douze Tables leur reconnaît un droit privé, identique à celui des patriciens. Des terres leur sont attribuées; le régime nobiliaire est remplacé par un système censitaire où les citoyens sont hiérarchisés, non d'après leur naissance, mais suivant leur fortune. La division sociale entre patriciens et plébéiens est remplacée par l'antagonisme entre riches et pauvres. Pour assurer sa défense et toucher à la mer, Rome s'empare de l'embouchure du Tibre et y installe une «colonie» romaine (Ostie). Le danger extérieur porte Rome, qui avait besoin de soldats et par conséquent de citoyens, à consentir des concessions à la plèbe. En 366, une série de réformes a pour effet d'ouvrir à celle-ci l'accès au pouvoir. La plèbe vote des plébiscites, qui sont obligatoires pour tous les citoyens. En 335, Rome annexe le Latium et confère individuellement, à de nombreux Latins, le droit de cité romaine. En 272, Rome s'empare de Tarente, dont elle fait une grande base maritime tournée vers l'Orient. Devenue puissance navale, maîtresse de l'Italie, elle jette les yeux sur la Sicile, la Sardaigne, la Corse, qui forment le complément naturel de la péninsule italique. Mais ces îles appartiennent en partie à Carthage, et la guerre entre les deux puissances devient inévitable.

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c. Rome, puissance méditerranéenne (264 av. J.-C.) Pendant cette seconde période, Rome entreprend les guerres puniques ou romano-carthaginoises et conquiert, l'une après l'autre, toutes les régions du monde méditerranéen. La première guerre punique éclate en 264; Rome victorieuse annexe la Sicile, la Corse et la Sardaigne. Pour compenser ses pertes, Carthage entreprend la conquête de l'Espagne. Ainsi, plusieurs hégémonies se partagent la Méditerranée: Alexandrie et Antioche à l'Est; la Macédoine dans l'Egée; Rome au centre; et Carthage à l'Ouest. Les grands courants économiques qui, venant de ces Etats, s'entrecroisent dans la Méditerranée, sont à l'origine de toutes les guerres déclenchées au cours des Ille et Ile siècles, pour aboutir à l'établissement de l'Empire romain universel. La seconde guerre punique, qui commence en 219, a pour but d'enlever à Carthage l'Espagne et ses riches mines d'argent. En 216, Hannibal écrase les légions romaines dans les batailles du lac Trasimène et de Cannes, en Italie. Vaincue en 202 à Zama, Carthage cède à Rome l'Espagne et ses mines, livre sa flotte et paie les frais de la guerre. d. Rome, maîtresse de l'Egée (189) En 197, la Macédoine, maîtresse des Détroits, est battue par Rome à laquelle elle livre aussi sa flotte. En 196, Antiochus III, roi séleucide d'Asie, qui tient toutes les côtes de la Méditerranée orientale, s'installe sur l'Hellespont (Dardanelles), tandis que Hannibal, le grand ennemi de Rome, se réfugie à sa cour. Vaincu en 189, Antiochus livre sa flotte à Rome et évacue l'Asie Mineure (II, p. 402—403). e. Destruction de Carthage (146) En 146, les Romains détruisent Carthage. Cet acte absurde aura des conséquences graves. Depuis la fin de la seconde guerre punique, la métropole phénicienne d'Afrique n'était plus qu'une cité marchande, sans puissance politique. Son commerce ne faisait pas concurrence à celui de Rome; il contribuait, au contraire, à la prospérité générale du bassin méditerranéen, dominé par Rome. D'autre part, aucune autre ville ne fut autorisée à naître sur les ruines de Carthage, ni dans les environs. Il s'ensuivit que la plus grande partie du négoce carthaginois disparut avec la ville détruite, et l'Afrique du Nord commença à décliner au point de vue économique. Alexandre le Grand avait bien supprimé Tyr; mais il eut le génie de la remplacer par Alexandrie d'Egypte et Alexandrette de Syrie-Nord.

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/. Rome et Mithridate, roi du Pont En 135, l'attrait de Rome était si grand que le roi de Pergame, en mourant, lègue au peuple romain son royaume. Ce nouveau domaine, qui sera désormais la province romaine d'Asie, fera de Rome la voisine du Pont et la mettra en conflit avec ce puissant royaume d'Asie Mineure. Le Pont s'étendait sur la côte méridionale du Pont-Euxin ou Mer Noire. Ses habitants sont un mélange de Cappadociens, de Cimmériens, d'Aryens, d'Assyriens, de Grecs, de Perses, d'Arméniens. Les civilisations grecque et iranienne y possèdent des racines profondes. La dynastie qui le gouverne, celle des Mithridates, appartient à une noble famille perse. Lorsqu'après la défaite d'Antiochus III, les Séleucides furent rejetés d'Asie Mineure, la plupart des cités importantes et des Etats de cette contrée: Rhodes, Pergame, la Bythinie, la Cappadoce, entrèrent dans la clientèle de Rome. Seul Pharnace, roi du Pont, garda une attitude indépendante. Son petit-fils, Mithridate Eupator ou le Grand (123—63), par une série de campagnes heureuses, augmente considérablement son royaume. Au début du premier siècle, le Pont se trouve être l'Etat le plus puissant de l'Asie antérieure. Actif, énergique, ambitieux, tenant à la fois de l'Oriental et du Grec, Mithridate luttera pendant vingt-cinq ans contre Rome et ses habiles généraux (88—63). g. Mithridate, maître de l'Asie Mineure et de l'Egée (88) Les hostilités commencent, en 88, entre les deux grands adversaires. Nouveau champion de l'Asie, acclamé par les populations grecques et asiatiques excédées du joug de Rome, Mithridate envahit les possessions romaines, dont les villes lui ouvrent leurs portes avec enthousiasme. Ces victoires sont malheureusement souillées par le massacre de tous les Romains et Italiens, au nombre de cent mille, qui se trouvent en Asie. Appelé par les Grecs d'Europe, qui désiraient secouer le poids de la domination romaine, Mithridate, enhardi par le succès, débarque à Athènes dont il fait son quartier général. Comme le Pont-Euxin, la Mer Egée devient un lac pontique. h. Mithridate expulsé de ses conquêtes (86) La réaction de Rome ne se fait pas attendre. En 87, le général Sylla reçoit le commandement de la guerre d'Orient. En 86, Athènes est emportée et Mithridate battu à Chéronée. Comme les succès avaient augmenté les alliés du roi du Pont, les revers les diminuent. Par la paix de Dardanos (85), Mithridate rend toutes les conquêtes qu'il avait faites, paie une indemnité de guerre et livre les prisonniers, les transfuges et soixante-dix galères (85).

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I. Syrie et Cappadoce annexées par Tigrane d'Arménie (85) Rentré dans son royaume, Mithridate cherche à accroître, en Asie, son autorité et son influence compromises par sa défaite en Europe. Il resserre son alliance avec son gendre Tigrane II, roi d'Arménie (89—36), qui était devenu le souverain le plus puissant de l'Orient. D'une branche collatérale des Arsacides parthes, Tigrane, profitant des dissensions des princes séleucides d'Antioche, s'empare de la Syrie (83) (II, p. 407). A l'instigation de Mithridate, il envahit la Cappadoce et la réunit à son royaume (77). j. Mithridate vainqueur de Lucullus (67) En 73, la guerre se rallume entre Mithridate et Rome, à la suite de l'acceptation par le Sénat romain du testament de Nicomède, dernier roi de Bythinie, par lequel ce monarque lègue son royaume au peuple romain. Lucullus, gouverneur romain de la Cilicie, est investi du commandement des armées de l'Orient. En 71, Mithridate, écrasé par les légions romaines, s'enfuit chez son gendre Tigrane et son royaume est occupé par l'armée de Lucullus. Sommé de livrer Mithridate, Tigrane refuse et accepte la guerre (69). Lucullus arrive aux portes de la capitale de l'Arménie; mais, surpris par un hiver très rigoureux et harcelé par l'ennemi, il est obligé de battre en retraite et d'évacuer le Pont, où Mithridate rentre en triomphateur (67). k. Pompée détruit les pirates ciliciens (67) Pendant que Lucullus luttait contre Mithridate et Tigrane, ces derniers avaient noué des relations politiques avec une puissance redoutable pour Rome, les pirates ciliciens, maîtres de la Méditerranée orientale. Au 1er siècle avant J.-C., les Ciliciens sont les pirates les plus redoutés; leurs vaisseaux couvrent la Méditerranée. Les communications entre Rome et les provinces étaient interceptées et les flottes qui apportaient le blé au peuple romain étaient arrêtées. Athènes, les Ptolémées d'Egypte, Rome, à plusieurs reprises, équipèrent des flottes pour réprimer leurs brigandages. Pour briser ce nouveau et sérieux péril et mettre un terme aux maux de la piraterie, Pompée est investi par Rome de pouvoirs exceptionnels (67). Il reçoit pour trois ans un pouvoir absolu sur toute la Méditerranée et les côtes, jusqu'à cinquante milles dans l'intérieur, avec une flotte et des troupes nombreuses. Après avoir nettoyé la Méditerranée occidentale et déblayé les fles de l'Egée, Pompée se porte en Cilicie, où étaient les principaux repaires, remporte une victoire éclatante et détermine, par son habile clémence, une reddition générale des pirates (67).

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Pompée vainqueur de Mithridate et de Tigrane (65)

Ce brillant succès vaut à Pompée d'être chargé de la guerre contre Mithridate, en remplacement de Lucullus qui, à la suite de son échec, est dépouillé de son commandement. Le vainqueur des pirates se voit confier par le Sénat la haute direction de toutes les affaires d'Orient (66). Vainqueur de Mithridate, le nouveau proconsul se porte de suite contre Tigrane; réduit à demander la paix, le roi d'Arménie renonce à toutes ses conquêtes d'Asie Mineure et de Syrie et reconnaît la suzeraineté de Rome. Le roi du Pont s'enfuit dans le Nord, où il veut réunir une armée de Scythes et de Sarmates et porter la guerre en Italie. Trahi par son fils Pharnace que les Romains avaient acheté, le vieux Mithridate se donne la mort et son royaume est réduit en province romaine (63). m. Syrie et Palestine, provinces romaines (64—63). L'Egypte, royaume vassal (59) En 64, Pompée descend en Syrie, dépose Antiochus XIII, que Lucullus avait instauré, et réduit le royaume des Séleucides en province romaine. En 63, il descend en Palestine et s'empare de Jérusalem. Enfin, et pour «boucler la boucle», le Sénat romain, en 59, vote une loi qui fait de Ptolémée, roi d'Egypte, «l'ami et l'allié du peuple romain», en d'autres termes, le vassal de Rome (II, p. 407 et 425). n.

Le monde méditerranéen politiquement unifié. L'Empire romain fondé

Après la conquête de la zone proche-orientale, toutes les régions qui ceinturent le bassin méditerranéen sont annexées à Rome et «soudées sans solution de continuité». La Méditerranée devient un lac romain. La période des conquêtes est close et l'Empire romain universel est édifié. Ainsi, et à la différence des grands Empires de Cyrus et d'Alexandre, forgés en quelques années, l'Empire romain, l'un des plus vastes de l'antiquité, a été édifié, entre 200 et 60 av. J.-C., avec une détermination méthodique, province après province. Une conquête suivait l'autre, pour aboutir à l'unification de l'ensemble du monde méditerranéen, sous l'autorité de la cité et des lois romaines. A partir de ce moment, la politique romaine sera conservatrice; elle ne visera désormais que l'organisation et la consolidation de l'Empire, ainsi que la défense de ses frontières.

II. Organisation de l'Empire romain: pouvoir central et administration provinciale L'histoire générale de l'Empire romain présente de belles ou de sombres pages, de brillantes ou de tristes époques, de bons ou de mauvais princes, suivant qu'on la voit d'Orient ou d'Occident. Très souvent, en effet, tandis que l'Orient est dévasté, l'Occident est heureux et tranquille. Souvent aussi la situation est renversée: tandis que Rome et l'Italie sont terrorisées ou ruinées, la Syrie et l'Egypte jouissent d'une ère de calme et de prospérité économique. «Néron, monstre en Occident, était salué «Bon Génie» dans les nomes (d'Egypte), avec une évidente sincérité» (V. Chapot). Grandes divisions de l'histoire générale de l'Empire romain On divise communément l'histoire générale de l'Empire romain en trois périodes: le Haut-Empire, depuis l'avènement d'Auguste jusqu'à celui de Dioclétien (30 av. J.-C. — 285 ap. J.-C.); le Bas-Empire, de l'avènement de Dioclétien à la mort de Théodose I (285—395); et l'Empire romain d'Orient ou de Byzance, de la mort de Théodose à la prise de Constantinople par les Turcs (395-1453). Vue d'Orient, l'histoire de l'Empire romain se diviserait comme suit: l'Empire romain proprement dit ou Haut-Empire, de Pompée, conquérant de l'Orient, à l'avènement de Dioclétien (66 av. J.-C. — 285 ap. J.-C.); l'Empire romain d'Orient (Bas-Empire, Empire gréco-oriental de Constantinople), de Dioclétien à l'expansion de l'Islam (285—640); et l'Empire byzantin proprement dit, de l'expansion de l'Islam à la prise de Constantinople par les Turcs (640-1453). Division de l'histoire du Haut-Empire Le Haut-Empire peut se diviser en deux périodes: celle du Principat, monarchie civile, élective et viagère (60 av. J.-C. — 193 ap. J.-C.), et celle du Dominât, monarchie militaire et absolue (193—285). 1. Elaboration de l'institution du Principat. De Pompée à l'avènement d'Auguste (60—30 av. J.-C.) a. Le Principat, monarchie civile, élective et viagère De 60 avant J.-C. à 193 ap. J.-C., soit pendant plus de deux siècles et demi, l'Etat qui gouverne l'Univers romain n'est pas, à proprement parler,

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une monarchie; il n'est pas non plus une république. Des historiens modernes le désignent sous le nom de Haut-Empire. (Notons que les termes de Haut et Bas-Empire évoquent simplement un sens chronologique.) Momsen donne à l'Etat romain de cette première période le nom de dyarchie, faisant allusion au partage de l'autorité suprême entre l'empereur et le Sénat. Le terme usuel est celui de Principat; le chef suprême de l'Etat est le princeps. Le nom classique d'empire est de création tardive. Véritable monarque, le Princeps, en principe, est un chef suprême, choisi à vie par le Sénat et exerçant, avec son assistance, le pouvoir souverain. b. Pompée, premier princeps L'histoire classique considère Auguste (30 av. J.-C. — 14 ap. J.-C.), qui consacrera sa vie à l'organisation politique et administrative de l'Univers romain, comme le fondateur de la constitution impériale et le premier princeps ou empereur. Vue d'Orient, la série des chefs suprêmes du Principat romain commence plutôt avec le Grand Pompée. Ce fut, en effet, Pompée, proconsul pour l'Orient, qui, de 66 à 63, soumet à l'autorité de Rome l'Asie Mineure, la Syrie et la Palestine. Ce fut Pompée aussi qui fixa, pour plusieurs siècles, les principes de la politique romaine dans l'Asie occidentale.1 D'autre part, si Auguste, organisateur de l'Empire, a porté les noms de princeps et d'imperator, Pompée avait déjà porté ces titres avant lui. c. Pompée, César, Crassus, triumvirs (60—54) En 60, les trois personnages politiques les plus ambitieux et les plus importants de la République, Pompée, conquérant de l'Orient, César, conquérant de la Gaule, et Crassus, signent une sorte d'alliance, connue sous le nom de premier Triumvirat. Cette alliance, suivie d'un partage des provinces entre les triumvirs, faisait de ces derniers les maîtres de l'Etat et mettait fin aux institutions républicaines à Rome. Aspirant à devenir le premier chef de l'Etat, chacun des triumvirs poursuit une politique propre. Tout en respectant la constitution traditionnelle, Pompée envisagea ce rôle en faisant passer la direction suprême aux mains d'un chef unique, le premier citoyen ou princeps, qui devra ses pouvoirs à une investiture régulière. «Pompée avait cru trouver dans la formule du Principat le système nécessaire . . . En 5 0 , . . . Pompée est le premier personnage de l'Etat, le princeps, et les contemporains, tel Cicéron,... lui en donnent expressément le titre.»2 1 2

Voir R. Grousset, L'Empire du Levant, p. 49—51. L. Homo, Histoire romaine, III: Le Haut-Empire, p. 41, 42.

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Régime de compromis, le Principat, dans la pensée de Pompée, devait aboutir à l'instauration à son profit du pouvoir personnel. A la formule du Principat, César substituera une formule plus monarchique, celle du Dominât. C'est à Pompée et non à César qu'Octave-Auguste empruntera sa formule constitutionnelle. d. César, imperator et dictateur à vie (54) En 54, Crassus est vaincu et tué en combattant contre les Parthes. Sa disparition laisse César et Pompée seuls en présence. Aussi ambitieux et aussi peu scrupuleux l'un que l'autre, ils ne pouvaient pas demeurer unis. Pompée et le Sénat se rapprochent et somment César de déposer tous ses pouvoirs. La riposte du proconsul des Gaules fut foudroyante; franchissant le Rubicon à la tête de ses légions, il se proclame le champion des idées démocratiques et pénètre dans Rome, que Pompée et ses partisans venaient de quitter. Maître de Rome, de l'Italie, de la Gaule, puis de l'Espagne, César suit Pompée qui avait passé en Grèce et le défait à Pharsale (48). S'étant réfugié en Egypte, le triumvir vaincu y est assassiné sur l'ordre du roi Ptolémée XII, qui veut se concilier les bonnes grâces du vainqueur (48). A Alexandrie, César est séduit par la beauté de Cléopâtre, l'agrément de son esprit et de sa conversation. Il se déclare en sa faveur dans le différend qui l'opposait à son frère Ptolémée XII (II, p. 425). Les partisans de Ptolémée assiègent le palais de César, jusqu'à l'arrivée de renforts venus de Syrie qui le délivrent. C'est pendant ce siège que les soldats romains ont mis le feu à un quartier de la ville; l'incendie gagne le Bruchion, où se trouvait la célèbre bibliothèque fondée par Ptolémée II Philadelphe (284—246): quarante mille volumes sont brûlés (47). Rentré à Rome, César, par une série de victoires remportées sur les partisans et les alliés de Pompée, se rend maître de tout le monde romain et se fait un pouvoir illimité. Il se fait conférer, dans sa plénitude, la puissance politique et administrative suprême, ce que les Romains appelaient: Yimperium, terme qui donnera naissance aux mots empereur et empire. Sénat, magistratures, comices, sont pratiquement annulés. Le vainqueur reçoit le nom de «père de la patrie»; une fête annuelle est célébrée en son honneur. Le cinquième mois de l'année, celui de sa naissance, reçoit le nom de Julius (Juillet). Sa dictature, conférée d'abord sans échéance, lui est ensuite accordée à vie, en 44. e. Assassinat de César (44) Sachant qu'après sa disparition les guerres civiles recommenceraient, plus terribles encore que par le passé, César songe à transformer sa monarchie

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viagère en une institution héréditaire. N'ayant pas de fils, il adopte, par testament, son petit neveu Octave, le futur Auguste, et le constitue son héritier. Quant au titre officiel de roi, il attend, pour le prendre, la réalisation de nouvelles et grandes victoires. C'est dans ce but qu'il médite des campagnes grandioses contre les Parthes, qui devront l'amener, à la suite d'Alexandre, à la conquête de l'Asie. Pour prévenir cet événement, ses ennemis, débris des partis républicain et pompéien, se décident à supprimer le dictateur. C'est en plein Sénat que, criblé de coups, César expire au pied de la statue du Grand Pompée (44). Meurtre inutile, car la liberté et la république étaient mortes depuis longtemps, et l'on ne ressuscite pas un cadavre. La disparition de César va de nouveau plonger Rome dans un abîme de sang; elle ne fera, en outre, que rendre plus impérieuse la nécessité du pouvoir personnel. La formule monarchique attendra encore plus de trois siècles sa réalisation intégrale; mais Octave, héritier et vengeur de César, réussira à organiser définitivement le pouvoir personnel. Les chefs de la conjuration s'aperçurent bien vite qu'ils ne pouvaient rétablir les institutions républicaines, ni recueillir la succession vacante, et s'empressèrent de s'enfuir. La situation politique et morale de Rome ne sera pas modifiée par le coup de poignard qui frappa le dictateur. Antoine, lieutenant de César, s'empare du pouvoir (44). D'autre part, Octave, héritier de la fortune et du nom de César, apparaît à Rome et revendique son héritage. En supprimant César, les conjurés n'ont fait que changer de maître, et Rome, pendant plusieurs années, connaîtra de nouvelles luttes intestines; ces luttes se termineront par la victoire du fils de César et l'établissement de l'Empire rêvé par le dictateur assassiné. f. L'Orient à Antoine et l'Occident à Octave

Octave, héritier principal et fils adoptif de César, avait 19 ans lorsqu'il se porta candidat à l'héritage politique de son oncle. En face de lui était Antoine, ancien ami et collaborateur de César, et, en même temps, le chef officiel de l'Etat en sa qualité de consul. Homme d'action, de décision et de bon sens, «caméléon», modéré, sage, réservé, Octave s'abrita d'abord derrière le Sénat, que dirigeait Cicéron, et reçut un siège de sénateur parmi les consulaires (44). Un an après, Octave est déjà un des deux souverains de l'Empire. Brouillé avec le Sénat, il passe le Rubicon avec huit légions, comme son père l'avait fait, et demande, malgré les lois, le consulat. Entré à Rome, il se fait proclamer consul par une assemblée populaire (43). Une loi du peuple le nomme, avec Antoine et Lépide, triumvirs, investis, par ce titre, d'une magistrature extraordinaire, d'un pouvoir absolu, sans limites et

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sans appel. Le règne des lois est suspendu; les proscriptions et les meurtres commencent. Les victimes, parmi lesquelles Cicéron vient en tête, se comptent par centaines. L'Italie est domptée, Rome terrifiée et le Sénat décimé. Ecartant Lépide qu'ils confinent dans la province d'Afrique, Antoine et Octave, «le vieux soldat et l'enfant téméraire», se partagent le monde. L'Orient fut confié à Antoine; Octave prit l'Occident. La part de ce dernier est la moins riche et la plus difficile; mais en se faisant le maître de l'Italie et de Rome, Octave avait chance de passer, aux yeux du monde, pour le maître légal de l'Empire. L'entente entre les deux rivaux n'était que provisoire et la lutte devait fatalement recommencer entre eux. Pour s'y préparer, Octave se met hardiment à l'œuvre, déployant une activité et une diplomatie remarquables. Le meurtrier sanguinaire est devenu un homme doux et affable. La légende de l'Octave humain, clément, divin, se forme. C'est un administrateur émérite, un chef pacifique, un amoureux de la liberté et de la tolérance. Le séjour de l'Asie fut fatal aux qualités militaires d'Antoine. Il se laisse lentement amollir par les charmes de l'Orient, s'oublie dans le faste et la mollesse et néglige la guerre qu'il devait mener contre les Parthes. Comme César, il s'éprend passionnément de Cléopâtre, qu'il avait convoquée à Tarse, en Cilicie. Subjugué par la reine d'Egypte, qui lui révèle les mystères de la «vie inimitable», Antoine oublia sa guerre contre les Parthes et ses intérêts qui le rappelaient à Rome, et suivit Cléopâtre à Alexandrie où il passa tout l'hiver dans les fêtes (40). g.

Victoire d'Octave et mort d'Antoine

(31—30)

Rentré à Rome (40), Antoine, qui semble avoir oublié Cléopâtre, épouse Octavie, sœur d'Octave, auprès de laquelle il vit pendant près de trois années. Mais en 36, il dut repartir pour une nouvelle expédition contre les Parthes; son armée, ravagée par les privations et les maladies, échappa de justesse à un complet désastre. Cléopâtre vint le rejoindre en Syrie. Aussitôt, Antoine retombe sous le charme et retourne avec elle en Egypte, sous prétexte d'y préparer une seconde campagne (II, p. 425). Ce second séjour à Alexandrie, différent du précédent, fut encore plus désastreux pour Antoine. La politique audacieuse qu'il y inaugura lui fut fatale, car elle provoqua contre lui, à Rome, une réaction violente et presqu'unanime. Cette politique, inspirée par l'ambitieuse reine d'Egypte, manqua de diviser l'Empire romain en deux blocs hostiles et de réaliser, dès cette époque, la séparation de l'Orient et de l'Occident, qui sera accomplie quelques siècles plus tard. Cléopâtre a été, pour l'Empire romain naissant, le symbole d'un danger redoutable: la reconstitution d'un empire hellénistique d'Orient, avec Alexandrie comme capitale.

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Se conduisant en vrai monarque oriental, Antoine dispose en maître des monarchies asiatiques. Il quitte la toge romaine et adopte la pourpre, interdite aux magistrats de Rome; il revêt en même temps les ornements des royautés asiatiques. Dérogeant à une loi formelle, il célèbre, avec un faste tout asiatique, un triomphe à Alexandrie (34). Ses actes politiques avaient une portée autrement sérieuse. Cléopâtre est déclarée «reine des rois»; le fils qu'elle avait eu de César, Césarion, est nommé, avec sa mère, roi d'Egypte et de Chypre; les enfants d'Antoine et de Cléopâtre reçoivent chacun de riches provinces romaines: Arménie, Syrie, Cilicie. Octavie, sœur d'Octave, est répudiée. Par besoin de la paix, le Sénat, à Rome, sanctionne d'abord tous les actes d'Antoine. Mais l'indignation fut à son comble le jour où l'on put se convaincre qu'Antoine cherchait à constituer, à son profit, un empire distinct en Orient, et à faire d'Alexandrie une capitale rivale de Rome. Menacé directement dans ses prétentions au trône, Octave fit déclarer, par le Sénat romain, la guerre à Cléopâtre, considérée comme cause de tout le mal. Vaincus à Actium (31), Antoine et Cléopâtre se réfugient à Alexandrie, où Octave les rejoint bientôt. Laissant Antoine se tuer, Cléopâtre songe à conquérir Octave. Mais celui-ci n'était pas comme César et comme Antoine. «Le héros (César) avait des faiblesses, le soldat (Antoine) des vices. Le politique (Octave) devait rester froid et implacable» (Duruy). Ayant échoué dans sa tentative, Cléopâtre se donne la mort (30) (II, p. 425). Rentré à Rome, Octave y célébra, par trois jours de triomphe, la conquête de l'Orient. La victoire de Pharsale (48) avait fait de César le maître du monde romain; la victoire d'Actium, vingt-trois ans plus tard, fera de son héritier le maître unique et incontesté de l'Empire. 2. Octave-Auguste et l'organisation politique du Principat. La nouvelle formule constitutionnelle De même que Darius I avait consolidé et organisé l'Empire forgé par Cyrus, Octave, devenu Auguste (31 av. J.-C. — 14 ap. J.-C.), consolide et organise l'Etat et les conquêtes du peuple romain. a. L'œuvre constitutionnelle d'Octave Sous la République, le pouvoir était partagé entre le Sénat et les magistrats nommés par le peuple. Le Sénat, assemblée souveraine, réglait toutes les affaires politiques et administratives. Les consuls ou chefs de l'Etat dirigeaient le gouvernement et l'administration sous l'autorité du Sénat. Sachant que le peuple romain est toujours hostile à la constitution

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monarchique, Octave, qui avait promis, en 36, qu'il rendrait la liberté au peuple et rétablirait la République une fois la paix rendue à l'Etat, veut tenir sa promesse. En 27, le «caméléon philosophe» abdique ses pouvoirs dictatoriaux qu'il avait reçus et exercés en qualité de triumvir et remet le pouvoir au peuple et au Sénat. Convaincu, d'autre part, que les institutions républicaines ne peuvent plus suffire pour administrer le vaste Univers romain, et sans modifier les institutions anciennes, ni prendre les titres de roi ou de dictateur, le nouveau chef de l'Etat romain réunit en sa personne, par des moyens détournés, les plus hauts titres, ainsi que les fonctions des premiers rex ou rois de Rome et des dictateurs: Auguste, Princeps, Imperator, consul, tribun, souverain pontife, etc. b. Nom et titres d'Octave Le nom d'Auguste. — Comme ses successeurs, Octave ne prend pas de titre spécial; mais il modifie son nom propre. Cette manière de se distinguer des sujets a été conservée, depuis lors, par les monarques jusqu'à notre époque. Ayant abdiqué ses pouvoirs dictatoriaux, le nouveau chef de l'Etat reçoit du Sénat le surnom d'Auguste, appellation de caractère religieux et honorifique, qui deviendra bientôt une caractéristique de la fonction impériale; ce nom désignera désormais le chef officiel de l'Etat romain. Le titre de princeps. — Ne voulant pas prendre les titres impopulaires; de roi ou de dictateur, Octave, surnommé Auguste, en veut un cependant par lequel il domine tous les autres pouvoirs. Il sera simplement appelé princeps (prince), c'est-à-dire le premier citoyen de l'Etat. Mais cette qualification qu'Auguste s'attribue indique seulement une primauté individuelle, sans la compétence attachée à une magistrature. Le nouveau régime se nommera, par suite, le Principat. Le Principat. — Le caractère original du régime du Principat est un partage d'attributions entre le Sénat et le magistrat suprême ou prince; il repose sur la souveraineté du peuple. Le princeps qui exerce le pouvoir n'est qu'un délégué du peuple romain; il est soumis aux lois comme les autres citoyens; il n'a d'autre inviolabilité que celle qu'il tient de sa qualité de magistrat romain. Le Sénat garde ses attributions administratives; mais Auguste s'entoure d'une commission de sénateurs, constituant un conseil privé, politique et administratif, dont les décisions sont exécutées par un office d'employés partagés en bureaux, qui sont les fonctionnaires d'Auguste. Ce compromis entre la monarchie et la république réglera la situation de l'Empire romain pendant plus de deux siècles et demi. Les bureaux et les employés d'Auguste sont le germe du système bureaucratique et cen-

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tralisateur que les monarchies modernes emprunteront à l'Empire romain. Le titre d'imperator. — Pas plus que les termes d'Auguste et de princeps, celui d'imperator ne désigne pas une fonction spéciale. Ce titre n'a pas le sens que les modernes lui connaissent et n'évoque encore aucune prérogative souveraine. Adopté par César et par Auguste, puis abandonné, il est pris dans le vieux sens du mot et employé pour féliciter le titulaire d'une victoire. C'est en somme un titre militaire. L'autorité militaire du souverain découlait, en effet, de Yimperium ou commandement, comme son autorité civile était fondée sur la puissance tribunitienne. Abandonné après Auguste, le titre d'imperator deviendra de style après Vespasien (69-79). Autres titres. — Le surnom de César, porté par les premiers chefs d'Etat en souvenir du dictateur assassiné, est aussi un titre honorifique, qui sera restreint, par la suite, au successeur désigné du chef de l'Etat. De nombreux autres titres, particuliers aux empereurs, n'évoquent pas non plus une prérogative souveraine: souverain pontife, investi de la puissance tribunitienne, consul, censeur, père de la patrie, proconsul. Il n'y eut donc aucun titre désignant la fonction souveraine dans l'Etat romain. Les nombreux titres et qualifications honorifiques qu'Octave s'était attribués (Auguste, princeps, etc.) ne lui donnent pas les solides réalités constitutionnelles. Aussi cherche-t-il, dès le début, à étayer son pouvoir sur les anciennes fonctions de la Rome Républicaine. c. Les pouvoirs

d'Auguste

Pouvoir civil. — Auguste tire son pouvoir civil, non de sa qualité de princeps, mais de la fonction de consul, la plus ancienne magistrature républicaine, avec toutes les attributions qui lui avaient été enlevées au cours des révolutions. Renonçant ensuite à cette magistrature annuelle et collégiale, il songe à l'autre grande fonction républicaine, le tribunat. La puissance tribunitienne lui donne l'inviolabilité, le droit de veto contre les décrets de tous les magistrats et les décisions du Sénat, le droit de convoquer les assemblées du peuple, le droit de coercition sur les citoyens; elle fait de lui effectivement le princeps ou prince, c'est-à-dire le premier des citoyens. Pouvoir militaire. — Auguste exerce son autorité militaire en vertu du titre d'imperator, lequel titre, autrefois purement honorifique, prend, à partir d'Auguste, son sens étymologique. Imperator, c'est désormais celui qui possède Yimperium dans sa plénitude, c'est-à-dire l'absolue puissance militaire. En cette qualité, Auguste est le général en chef des armées romaines, le gouverneur de toutes les provinces de l'Empire, le représentant du peuple romain dans les relations internationales: la guerre, la paix, les levées, les nominations des officiers, le droit de frapper monnaie, d'établir

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des impôts, etc. Cela explique pourquoi ce mot a donné naissance aux noms dont on a plus tard désigné le régime imaginé par Auguste: empire et

empereur.

Le nom d'Auguste, qui prévaudra sur celui de princeps, exprime l'ensemble du pouvoir suprême; on le prend dès qu'on a été appelé à l'Empire. Le nom d'imperator indique la face militaire de l'autorité suprême; l'imperium, regardé comme pouvoir proconsulaire, s'exerce seulement sur les provinces, mais non en Italie et à Rome. Cependant, le titre d'imperator finira par exprimer l'ensemble du pouvoir impérial et éclipsera presque complètement le nom de princeps et même celui d'Auguste. Pouvoir législatif. — Le pouvoir législatif reste, en principe, aux assemblées du peuple; mais Auguste prend, sous forme d'édits ou de décrets, une série de décisions qui ont une valeur législative: ce sont ses «constitutions». Enfin, les autres magistratures traditionnelles, qui subsistent, finiront par ne plus être que de simples distinctions honorifiques. d.

Le culte des empereurs,

religion officielle de

l'Empire

L'autorité religieuse, découlant de la fonction de souverain pontife, jointe au titre d'Auguste, fait de l'empereur, à la fois, le chef du culte et l'objet principal du culte officiel. Le culte des empereurs est une des particularités de l'Empire romain, où coexistaient les religions les plus diverses. L'empereur est qualifié de divin, de très saint. Les dieux des peuples subjugués avaient perdu de leur crédit par la suppression de l'indépendance. Le culte de l'empereur, c'est l'adoration de la puissance romaine incorporée dans sa personne. Ce culte sera la religion officielle de l'Empire; si Rome reste fidèle à ses dieux nationaux, elle laissera chaque pays adorer les siens. Mais le culte de l'empereur, commun à toutes les parties de l'Empire, est une religion administrative, un facteur d'unité, la vie religieuse étant étroitement associée à la vie publique. C'est l'hostilité marquée par les Juifs et les Chrétiens à ce culte du génie de l'empereur, qui explique qu'on les ait considérés comme des ennemis de l'Etat. L'influence grandissante des Orientaux, de longue date accoutumés à rendre aux souverains des honneurs divins, celle des Grecs qui divinisaient les hommes sans répugnance, donnent au culte des empereurs, dans la moitié orientale de l'Empire, un caractère particulier qui prépare la monarchie byzantine (II, p. 49). Le culte de l'empereur romain diffère des religions antiques de la Babylonie et de l'Egypte. Ce n'est pas le monothéisme de Hammourabi, ni celui d'Aménophis. Ce culte étrange ne doit pas être jugé avec les idées de notre temps. Il constitue, à son époque, une évolution dans le sentiment religieux. Ce n'est plus le monarque des temps antiques, fils de dieu ou dieu

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lui-même; ce n'est pas encore la doctrine du droit divin des rois, qui naîtra bien plus tard; ce ne sont pas les dieux de Rome qui sont imposés aux provinces subjuguées. C'est l'autorité elle-même qui est divine ou divinisée et qui est adorée en la personne du prince, indépendamment de son mérite et de sa valeur personnelle. e. L'Etat romain, monarchie absolue, viagère et élective La concentration, sur une seule tête, de tous les pouvoirs et de toutes les autorités, fait d'Auguste un monarque aussi absolu que possible, et, du régime qu'il a fondé, une monarchie, une autocratie, aussi complète et aussi entière que les royautés orientales des Perses et des Gréco-Macédoniens. Mais, à la différence de ces dernières, le pouvoir impérial romain, qui n'a pas de durée fixe, est essentiellement viager. Ce qui n'empêchera pas ce pouvoir de se poser, dès l'origine, comme un pouvoir héréditaire. Auguste lui-même ne devait ses destinées qu'à sa qualité de fils adoptif de Jules César. Le Principat se termine donc, en principe, par la mort, l'abdication ou la déposition du titulaire. L'empereur acquiert ou perd son pouvoir par la volonté du peuple, manifestée par l'organe du Sénat et de l'armée. L'expression de la volonté populaire se confond avec la volonté du plus fort; la situation est donc toujours révolutionnaire. La responsabilité du prince n'est effectivement mise en jeu qu'après sa mort ou sa déposition. La sanction est la condamnation de sa mémoire ou du moins la cassation de ses actes. Le Principat n'a donc pas de règle de succession. L'hérédité ne sera jamais admise, en principe, ni la désignation d'avance; elle est en contradiction avec ce fait que le Principat est une magistrature. Lorsque disparaît le titulaire du pouvoir suprême, il n'est pas aussitôt remplacé. Entre chaque règne, il y a une vacance plus ou moins longue pendant laquelle nul ne possède l'imperium. Ce système hybride cumule les inconvénients de la république et ceux de la monarchie; la violence joue, dans la désignation de l'empereur, le rôle principal. Jusqu'à l'époque byzantine, l'Empire romain continuera de souffrir de l'absence d'un système régulier pour la transmission du pouvoir. Pour pallier ces inconvénients, l'empereur prend un associé, qui, ayant part à son autorité, est désigné pour lui succéder. Le plus souvent, on confère cette qualité au fils de l'empereur, fils légitime ou adoptif, ce qui revenait à préparer une succession dynastique. Cet associé prend le nom de la famille impériale et le surnom de César, qui sera celui de l'héritier présomptif. Le nom de César prend ainsi un sens politique défini. Mais ce titre ne confère pas le droit légal à l'Empire; il fallait au titulaire, quand l'Empire devenait vacant, l'assentiment de l'armée et du Sénat.

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Une autre innovation, qui se présentera à partir de Marc-Aurèle (161— 180), est celle du partage du pouvoir impérial entre deux princes ayant également le titre d'Auguste. Cet usage sera constamment appliqué dans le courant du Ille siècle. En général cependant, le premier en date des Augustes conserve une certaine primauté, surtout lorsqu'il s'agit du père et du fils. 3. Organisation et administration des provinces romaines a. La province romaine La province est un territoire tombé sous la domination de Rome et rattaché à l'Etat romain par le lien de sujétion. Jusqu'à Dioclétien (284—305), les pays autres que les terres italiques demeureront toujours dans une condition inférieure. Dans l'idée des vainqueurs, la conquête doit amener l'assujettissement, mais non l'absorption du pays subjugué. La politique romaine consiste donc à détruire les organes indigènes qui faisaient d'un pays un tout cohérent: royauté, sénat, assemblées, magistratures nationales. En outre, pour mieux établir la domination par la division, les principales villes, «civitates», sont isolées les unes des autres et dotées d'une constitution propre. Le régime municipal est implanté et le particularisme local favorisé. Toute province peut donc être envisagée comme un agrégat de civitates juxtaposées, sans lien entre elles, mais toutes placées sous la domination de la cité romaine, qui exerce son autorité par un représentant: le magistrat gouverneur. Les cités provinciales et leurs territoires sont pleinement assujettis à Rome. Propriétés du peuple romain, qui exerce le droit éminent sur les terres conquises, la possession de celles-ci est concédée aux particuliers moyennant une redevance imposée. Cet impôt foncier est appelé tributum dans les provinces de l'empereur. L'organisation intérieure de la cité est réglée par la loi provincia. Les habitants perdent, en principe, la jouissance de leur droit national et leurs magistratures locales. Ils sont soumis au droit proclamé par l'édit du gouverneur, qui, dans une mesure plus ou moins large, tient compte des lois et des usages locaux. Les cités libres conservent généralement les attributs de la souveraineté; leurs habitants gardent leurs lois propres et leurs magistrats. Mais elles finiront par perdre assez vite cette autonomie qui gênait l'action du gouverneur. Sous l'Empire, la tendance à l'uniformité administrative entraînera leur disparition. Au-dessus des cités, tenues séparées les unes des autres, plane la puissance de la Cité souveraine. Elle s'exerce par un magistrat unique, revêtu du pouvoir illimité des magistrats supérieurs: l'imperium. Cette fonction est confiée aux préteurs et aux consuls sortis de charge, aux propréteurs

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et proconsuls, assistés de «legati» et d'un questeur pour l'administration financière. La durée de la magistrature était, selon la règle, annuelle. Les municipes, dont les habitants possèdent le droit de cité, ont une administration autonome calquée sur celle de Rome. Les cités alliées conservent une indépendance au moins apparente. Les cités sujettes sont soumises à l'action directe du magistrat romain délégué dans la province et obligées de lui rendre compte de toutes les résolutions concernant les affaires locales. Colonie romaine. — Le terme de colonia désigne des lieux habités par des colons romains. Composées de citoyens envoyés sur un point du territoire conquis, dans un but politique ou militaire, les colonies reçoivent du Sénat une organisation municipale, image de l'organisation de la Cité romaine. A la différence des colonies grecques, fondées par des émigrants appartenant à des tribus différentes et formant, dès l'origine, des Etats autonomes qui ne conservaient avec la métropole que des liens fort lâches, les colonies romaines sont établies par la métropole et à son profit; elles lui restent toujours étroitement subordonnées. Les habitants d'une colonie romaine proprement dite conservent entièrement leur droit de citoyen romain; ils exercent leurs droits politiques quand ils se trouvent à Rome. La colonie forme un petit Etat avec Sénat, dans lequel on élit des magistrats municipaux. A côté d'eux, il y a, dans la colonie, l'ancienne population, dont les droits sont moindres, mais qui finiront par se confondre avec eux. La loi indique le nom de la colonie, son territoire, le nombre des colons, la nature et la grandeur des lots à leur assigner, le mode de délimitation, etc. Provinces sénatoriales et provinces impériales. — Par le règlement sur l'administration du territoire, en 27, le domaine provincial est divisé en deux parties: les provinces sénatoriales, qui relèvent du Sénat, et les provinces impériales, attribuées à l'empereur. Cette répartition attribue au Sénat les provinces pacifiées, et à l'empereur celles qui exigent encore la présence des années. En réalité, cette juxtaposition n'est qu'apparente. Si l'empereur est maître exclusif dans sa sphère, il a une participation directe et importante à l'administration de l'ensemble du territoire. Son imperium universel, qu'il tient de la constitution, s'étend à Rome et à l'Italie, aussi bien qu'à toutes les provinces. Rome est sa résidence officielle, le siège de son autorité et le centre de son administration. En outre, en plus de son pouvoir légal d'intervention au titre de Yimperium universel, l'empereur a enfin la faculté, lorsque les circonstances l'exigent, de transformer une province sénatoriale en province impériale. Les provinces impériales sont donc celles qui requièrent la présence de

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forces militaires. L'empereur s'y fait représenter par des délégués personnels: les gouverneurs impériaux, qui portent le titre officiel de légat. Les plus importantes de ces provinces, dites consulaires, sont administrées par d'anciens consuls; de ce nombre sont la Syrie et l'Espagne. La Gaule et l'Egypte ont un statut administratif spécial; la première forme un commandement extraordinaire, dont le titulaire est le plus souvent choisi au sein même de la famille impériale. L'Egypte, quoique province romaine, est considérée comme propriété particulière de l'empereur. Les revenus des provinces sénatoriales alimentent le trésor du peuple; ceux des provinces impériales sont envoyés au trésor de l'empereur. b. Administration des provinces Les fonctionnaires romains. — Les représentants du pouvoir central sont en petit nombre. La hiérarchie et la tutelle administrative n'existent pas encore. Les proconsuls, qui sont les gouverneurs des provinces du Sénat, sont, en général, d'anciens consuls qui exercent, hors de Rome, l'imperium consulaire. La puissance proconsulaire constitue un des éléments essentiels de la puissance impériale: d'où le titre de proconsul attribué à l'empereur. Dans les provinces du prince, c'est lui qui, théoriquement, est proconsul; mais il délègue son pouvoir à un Légat augustal, lequel est le gouverneur effectif. La province d'Egypte est gouvernée par un fonctionnaire qui a le titre de «préfet augustal». Les légats d'Auguste ont des collaborateurs qui les secondent dans les domaines militaire, judiciaire et financier. L'administration financière est confiée à un Procurator, remplissant le rôle de questeur. Les procurators sont les administrateurs des biens privés de l'empereur; dans certaines provinces, ils sont en même temps chargés par lui de l'emploi de gouverneur, soit de la province, soit de territoires vassaux qui en dépendent (Judée). A l'exception du préfet d'Egypte, tous les gouverneurs des provinces impériales sont recrutés au sein du Sénat, nommés par l'empereur, responsables devant lui et révocables à son gré. Il les garde en fonction aussi longtemps qu'il lui plaît, généralement cinq ans. Délégués de l'empereur, ils détiennent Yimperium complet et possèdent un pouvoir absolu. c. Assemblées provinciales A côté du gouverneur, qui concentre tous les pouvoirs, les assemblées provinciales, créées par l'empereur, fournissent à l'autorité impériale l'occasion de faire contrepoids au pouvoir illimité du gouverneur. Composé de députés des cités, le conseil provincial émet, s'il y a lieu, un blâme sur la conduite du gouverneur et des vœux relatifs à la réduction des charges. Ces réclamations sont directement adressées à l'empereur, qui y fait directement réponse.

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d. La paix romaine Pour faciliter la tâche de l'administration centrale et rendre plus aisées les relations entre les provinces et la capitale, la poste impériale est créée, probablement à l'imitation de l'ancienne Perse. Un réseau de routes militaires, qui serviront aussi aux besoins d'une circulation d'hommes et de marchandises, sont un des témoignages de la grandeur de l'Empire. L'importance de ces grandes voies romaines est telle, qu'en 20 Auguste s'en fait attribuer l'administration par une loi spéciale. Toutes partent de Rome, d'où elles rayonnent vers les extrémités de l'Empire. Elles rendent possible le transport rapide des légions d'un point à l'autre des provinces. La faiblesse numérique de l'armée romaine était compensée par cette mobilité. Ces routes sont aussi utilisées pour le commerce et servent au développement de la poste impériale. Par l'assimilation graduelle des provinciaux avec les citoyens romains, le fossé traditionnel entre vainqueurs et vaincus devait se trouver peu à peu comblé. Un programme de collaboration politique et économique est amorcé. Le règne d'Auguste inaugure pour les provinces, si durement traitées sous la République, une ère de bonheur et de prospérité. Les provinciaux sont traités avec la justice la plus absolue. Les gouverneurs recevront un traitement régulier, ce qui permet au pouvoir central d'être plus exigeant à leur égard. En outre, Auguste fait de nombreux voyages à travers son Empire et les provinces importantes reçoivent plusieurs fois sa visite. Les dilapidations des gouverneurs deviennent de plus en plus rares. Les provinciaux ont un recours au pouvoir central, et notamment au Sénat, contre les manœuvres des gouverneurs. Il est interdit aux assemblées provinciales de rendre des décrets honorifiques à l'égard des gouverneurs, soit durant le temps de leurs fonctions, soit dans les soixante jours qui suivront leur départ. L'agriculture, le commerce, l'industrie se développent. La paix romaine commence à produire ses fruits.

B L'Orient romain: organisation et évolution. Rome et la monarchie iranienne des Parthes. (66 av. J.-C. — 116 ap. J.-C.)

I. L'Orient romain

1. La politique orientale de Rome. Domination romaine et culture hellénique Essentiellement méditerranéen, l'Empire romain, sauf du côté de la Gaule où il pousse ses frontières jusqu'au Rhin, ne dépasse pas, en général, les limites intérieures des régions méditerranéennes. En Proche-Orient, sa frontière principale sera, en Syrie, l'Euphrate et le désert, et en Anatolie centrale, le fleuve Halys (Kizil Irmuk). Dans les pays proche-orientaux soumis à leur autorité, les Romains, qui protégeront Y hellénisme, «maître des arts et des sciences», y superposeront le romanisme, «maître de la guerre et du gouvernement». En d'autres termes, la domination sera romaine et la culture hellénique. a. La politique orientale de Pompée (66—63) C'est Pompée qui fixa la politique romaine en Proche-Orient; il imprima aux rapports du monde romain et du monde oriental une forme nouvelle, qui subsistera, dans ses grandes lignes, pendant plusieurs siècles. «Tout ce qui dans l'œuvre d'Alexandre s'était affirmé viable, le conquérant romain le prit à son compte. Toutes les régions où l'hellénisme avait fait sérieusement ses preuves, il les couvrit de la force romaine. Toutes les parties aventureuses de l'épopée macédonienne, le génie positif de Rome y renonça... Si de l'an 63 avant J.-C. à l'an 1081 de notre ère, les bienfaits de la conquête macédonienne subsistèrent pour la civilisation, c'est que Rome sauva cette œuvre en la restreignant à ses parties solides. L'Asie Mineure et la Syrie paraissaient suffisamment hellénisées. Pompée les rattacha à l'empire romain. L'Iran était la proie des Parthes et des Saka. Malgré quelques menaces, il n'y intervint point. Pour ce qui est de la Mésopotamie, grecque de surface, araméenne de fond, il hésita et Rome hésita après lui pendant cinq siècles. En tout cela, les Romains se montrèrent les héritiers conscients des Macédoniens. Comme les Macédoniens, ils furent en Asie les soldats de l'hellénisme. Ils ne latinisèrent que leurs provinces occidentales et barbares. Partout où ils trouvèrent l'hellénisme, ils le respectèrent comme une des deux formes officielles de leur domination . . . Rome en Orient ne fit pas œuvre romaine, mais œuvre macédonienne .. . Dans la Question

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d'Orient, les Romains apportaient en effet au monde grec une force inestimable qu'Alexandre et les Séleucides avaient vainement tenté de lui donner: l'unité politique... Dans la Syrie que Pompée venait de réduire en province romaine, son souci de restaurer l'hellénisme séleucide fut manifeste. La réaction de l'élément araméen fut enrayée, l'infiltration arabe fut arrêtée. L'élément grec fut partout protégé et encouragé. Les cheikhs nomades qui opprimaient les cités syriennes furent pris ou durent regagner le d é s e r t . . . Sur la rive gauche du Jourdain, Pompée fonda même une nouvelle Séleucie. Ce dernier nom est significatif: le premier imperator romain en Syrie n'est, à bien des égards, que le dernier des Séleucides. L'émir nabatéen Hârithat (Arétas) III, menacé jusque chez lui, en Arabie Pétrée, par les armées romaines, se reconnut client et, à ce titre, conserva Damas. Quant au royaume juif, Pompée, après avoir pris d'assaut Jérusalem, évita de l'annexer directement... Après la réduction de la Syrie en province romaine, Pompée évita d'entrer en lutte avec l'empire parthe. L'Euphrate marqua la frontière des deux dominations.»1 b. La politique orientale d'Auguste Pratiquant une politique extérieure méthodique, Auguste poussera l'Empire jusqu'à ses frontières naturelles. Du côté de l'Euphrate, il établit en Arménie un roi vassal, intimide les Parthes et noue des relations avec l'Inde. Les Ethiopiens sont vaincus sur le haut Nil; les Nomades africains, soumis ou châtiés. Le principe fondamental de la politique extérieure d'Auguste repose sur l'idée de la défensive. Les guerres de conquête sont terminées et l'Empire romain a partout acquis ses frontières naturelles. Auguste savait qu'un désir universel de paix animait tous les peuples de l'Empire; il savait aussi que les possibilités militaires et financières de l'Etat romain sont limitées. Pour donner plus d'éclat à la manifestation de ses intentions pacifiques, il ordonne, par un sénatus-consulte plusieurs fois renouvelé, la fermeture du temple de Janus (28), qui signifiait que l'Etat est en paix. Cependant, cette politique défensive d'Auguste ne condamne pas absolument le recours à la force, sous forme de guerres préventives ou comme des réactions nécessaires. Dans son testament, il conseille de s'en tenir aux frontières naturelles existantes. Ses successeurs, qui feront quelques conquêtes, reviendront ensuite à la tradition du fondateur. «On s'efforce d'avoir une frontière continue, protégeant l'Empire soit par des barrières naturelles, soit par des retranchements. Le but semble avoir été d'isoler l'Empire, non moins que de le défendre. Les étrangers 1

R. Grousset, L'Empire du Levant, p. 49, 50, 51.

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ne peuvent franchir les frontières que de jour, après avoir déposé leurs armes et sous une escorte militaire qu'ils doivent payer. Au contraire, la circulation des marchandises est libre, mais sous certaines conditions. Les précautions prises pour isoler l'Empire des pays voisins contribuent à manifester son homogénéité, derrière ses frontières, naturelles ou artificielles.» Comme tous les Etats du monde antique, l'Empire romain ne possède pas de représentation permanente à l'étranger. On supplée à cet organisme absent par l'action des gouverneurs des provinces périphériques ou l'envoi de missions extraordinaires. Pour la défense de la ligne de l'Euphrate, frontière de l'Orient méditerranéen, une armée spéciale est créée: Yarmée d'Orient. Son effectif, fixé à trois légions, fait, avec les corps auxiliaires, un total de 30.000 hommes. Ces légions sont groupées en couverture immédiate d'Antioche et du littoral méditerranéen. La province de Syrie, base politique de la puissance romaine en Orient, en devient aussi le centre militaire. La défense de l'Asie Mineure, au Nord, de la Judée et de la Côte d'Arabie au Sud, est réservée aux contingents des Etat vassaux ou à des corps auxiliaires romains. 2. Les provinces romaines du Proche-Orient: Syrie, Egypte, Asie Mineure a. La province romaine de Syrie La Syrie géographique (Syrie proprement dite, Phénicie, Palestine), érigée en province romaine, est divisée en plusieurs unités politiques et administratives (cités ou territoires), relevant chacune du proconsul romain qui réside à Antioche. Ce morcellement politique et administratif, hérité des Séleucides et maintenu par Rome, est dû aux différences ethniques ou aux luttes locales; il subira, par la suite, des remaniements continuels. Les groupements ethniques en Syrie romaine. — Les populations de la Haute Syrie, à demi-hellénisées, occupent la région située au nord d'une ligne allant d'Antioche à Damas. A l'Est de cette zone, on trouve des groupements nomades et semi-nomades, appelés Arabes. Au Liban, sont les Cananéens ou Phéniciens; en Palestine, les Juifs; à l'Est et au Sud de la Palestine, les Arabes ou Nabatéens d'Arabie Pétrée. Des langues différentes sont parlées par ces divers groupements géographiques: le grec, l'araméen, le phénicien, l'hébreu, l'arabe, etc. En outre, chacun de ces territoires nationaux comprend des villes hellénistiques; enfin, des dynastes locaux se maintiennent sur quelques districts plus ou moins vastes. Se substituant aux Séleucides, les Romains respectent, dans l'ensemble, ces divisions compliquées. Aux villes, ils laissent l'administration et la

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gestion de leurs revenus. Dans toute la région maritime, ils favorisent les cités et partagent le pays en circonscriptions urbaines. Dans l'intérieur, au contraire, ils utilisent les dynasties régnantes, comme agents responsables; ces petits royaumes seront, par la suite, annexés l'un après l'autre. Antioche, capitale de la Syrie romaine. — Antioche, l'ancienne capitale de la monarchie gréco-séleucide, reste la capitale de la province romaine de Syrie. Ville hellénisée et résidence du proconsul romain, Antioche sera, pendant toute la période romaine et byzantine, la métropole de la Syrie et le centre politique de la puissance romaine en Orient. Les empereurs, qui la combleront de faveurs, y feront de longs et fréquents séjours. Son territoire paraît avoir absorbé l'ancienne province dite «Séleucide». Avec son port, Laodicée (Lataquié), qui conservera sa prospérité commerciale, Antioche restera, avec Alexandrie, comme du temps des Grecs, une porte de l'Orient sur la Méditerranée orientale. Pompée, qui conquit la Syrie en 64, accorda à Antioche le titre de cité autonome, honorant ainsi, dit-il, dans ses habitants, des descendants des Athéniens. En 47, Jules César qui la visita lui laissa toutes ses libertés et la dota d'un théâtre, d'un amphithéâtre, de bains, d'un aqueduc et d'une basilique qu'on nomma le «Cesarium». Antioche se rallia avec enthousiasme à la cause d'Auguste, allant jusqu'à faire commencer son ère à la bataille d'Actium (31). On la nommait «Antioche sur l'Oronte», pour la distinguer des quinze autres villes de même nom, ou Antioche près de Daphné, bois voisin célèbre chez les anciens et consacré à Apollon. «Après Athènes, Rome et Constantinople, nulle cité antique ne fut plus digne d'admiration par la beauté de son site, par son histoire et par ses monuments.» Les cités phéniciennes. — Tout le long de la côte libanaise, le régime des communes urbaines est renforcé. Tyr, Sidon, Byblos, Tripolis, Tortose, Arados, recouvrent leurs franchises, même lorsque Antoine donna à Cléopâtre le gouvernement de la Palestine et de la Coele-Syrie. Byblos. Pompée débarrassa Byblos d'un despote qui la gouvernait et lui rendit ses libertés. Sous l'Empire, elle est élevée au rang de colonie et fait frapper des monnaies, avec le temple de sa déesse comme emblème. Elle est la ville du philosophe Philon de Byblos, né vers 42 de J.-C. Sidon. Elle eut, sous les Romains, ses archontes, son sénat et une assemblée du peuple, et prit les titres de: Nanarchis, de colonia Augusta ou de Metropolis. Le christianisme y pénétrera de bonne heure. De 40 av. J.-C. à 18 après, elle posséda une école de philosophie qui se réclame d'Aristote. Tyr. «Les Romains favorisent Tyr, à cause de son commerce étendu, et surtout à cause de la fabrication toujours florissante de la pourpre et de la verrerie.»

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Tyr est aussi un centre intellectuel; les stoïciens y ont une école. Le géographe Marinus de Tyr et le platonicien Maximus, un des précepteurs de Marc-Aurèle, seront des enfants de Tyr, ainsi que le néo-platonicien Porphyre de Tyr (262). Lorsque Paul, vers 57, passa par Tyr, il y trouva, dit-on, une église. Beryte (Beyrouth). Elevée par Auguste au rang de colonie, Béryte ou Berytos prend le titre de Julia-Augusta-Félix. Siège de deux légions, possédant les droits de cité romaine, elle tranchera sur ses voisines hellénisées par son caractère latin. Béryte sera le siège d'écoles importantes, dont une école de droit célèbre dans tout l'Empire. Héliopolis, Chalcis, Damas. — Héliopolis (Baalbeck), jusque-là obscure, reçoit d'Auguste le titre de colonie et se posera pour la capitale religieuse de la Syrie romaine. Le royaume de Chalcis est situé dans la Békâ, entre le Liban et l'AntiLiban; occupé par les Arabes Ituréens, il est maintenu à titre de vassal. Damas. Après la conquête d'Alexandre, Damas, qui était, sous les Perses, la capitale de la satrapie d'Abarnahara (au-delà du fleuve) ou Syrie, est remplacée par Antioche, fondée par les Grecs. Le commerce prit la route du Nord; à partir de cette époque, la région sémitique de la Damascène connut le déclin, au profit des villes grecques de Syrie-Nord. A mesure que s'affaiblissait l'autorité des derniers Séleucides, l'infiltration arabe et nabatéenne gagnait du terrain et poussait jusque dans la vallée de l'Oronte. En 85, le roi nabatéen Arétas III (Al-Hâreth) bat le Séleucide Antiochus XII et s'empare de Damas; à cette occasion, des monnaies frappées à son effigie le qualifient de «Philhellène», pour plaire vraisemblablement à ses nouveaux sujets grecs ou hellénisés. D'autres émirs arabes s'installent à Emèse (Homs) et dans de nombreuses villes syriennes (II, p. 407). Les successeurs d'Arétas, qui reconnaissent, en 64 av. J.-C., la suzeraineté romaine à Damas, se perpétueront jusqu'en 106 ap. J.-C., date à laquelle la Nabatée sera réunie à la province romaine de Syrie. C'est pendant cette période, en 35 ap. J.-C., qu'a lieu, sur le chemin de Damas, la fameuse conversion de saint Paul. L'empereur Philippe l'Arabe, originaire de Transjordanie, donnera à Damas le titre de colonie (245). Palestine et Transjordanie. — Pour réduire les tendances régionalistes en Palestine et Transjordanie, Pompée et ses successeurs immédiats y multiplient les communes et les villes affranchies, aux dépens des circonscriptions administratives, et les rattachent au gouvernement de la province de Syrie. Ptolémais (Acre), sous Claude (41—54 ap. J.-C.) et Césarée, sous Vespasien (69—79), deviendront colonies romaines. La Décapole, dont le nom signifie les dix villes, désigne une région

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transjordanienne, sise à l'est du lac de Génézareth; elle comprend une dizaine de villes, dont celle de Philadelphie (l'actuelle Ammane), et probablement Damas. La constitution de cette région et son incorporation à la province syrienne ont pour but, d'une part, de faciliter la défense de la province et les relations commerciales, et, d'autre part, de tenir en respect le royaume des Nabatéens et celui des Juifs. Ces deux Etats vassaux, amputés de plusieurs districts et considérablement réduits, conserveront une certaine autonomie. b. Egypte et Asie Mineure A l'Egypte, le plus ancien des Etats méditerranéens, Auguste fait une place à part: elle est considérée comme domaine des empereurs. «Autant tous les pays devenus provinces étaient hétérogènes, avec leurs cités, leurs cantons, de race, de langue, de mœurs différentes, leurs tribus rivales et ennemies, autant ce vaste pays de sept ou huit millions d'âmes avait l'homogénéité d'un Etat moderne. On lui laisse le système administratif des Ptolémées; la langue grecque reste langue officielle; le vice-roi, relevant directement de l'empereur, prend la place des anciens rois; les institutions religieuses sont respectées soigneusement. La nationalité égyptienne est conservée, et l'on ne s'efforce nullement de la romaniser. Cependant quelques villes grecques avaient leur constitution particulière, et Alexandrie fut aussi traitée à part.» Ancienne capitale de la monarchie gréco-macédonienne des Ptolémées, Alexandrie sera la capitale de l'Egypte romaine et le siège du légat de l'empereur. Ville hellénisée, elle jouira d'une grande prospérité commerciale. En Asie Mineure, où la langue grecque domine, le pays soumis à Rome comprend les régions suivantes, réduites en provinces romaines: Asie, Bythinie-Pont, Galatie, auxquelles s'ajouteront plus tard la Cappadoce et la Commagène, à l'est de l'Halys. c. Les langues indigènes en Syrie, Palestine, Liban, Egypte La langue araméenne. — Uaraméen qui, dans la première moitié du premier millénaire, s'était substitué à l'assyro-babylonien en Mésopotamie et à l'amorréen en Syrie (II, p. 133 et 253), a déjà, vers l'époque où nous sommes (30 av. J.-C.), supplanté, comme langue courante, l'hébreu en Palestine. Disparu de l'usage, ce dernier ne subsiste que comme langue sacrée et langue savante. «C'est l'araméen que parlaient Jésus et les Apôtres. C'est en araméen que se faisait dans les synagogues la lecture des livres sacrés».2 2

Dupont-Sommer, Les Araméens, p. 99.

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Au Liban, où l'araméen commença à se répandre dès 300 av. J.-C., le phénicien continuera à être parlé jusqu'au Ile siècle de notre ère; après cette époque, ce dernier sera définitivement remplacé par l'araméen (syriaque), comme langue courante. La langue démotique. — Dans la vallée du Nil, la langue nationale, depuis le Ville siècle av. J.-C., est le démotique, qui est l'ancienne langue égyptienne (II, p. 79), dans sa seconde phase d'évolution (II, p. 420—421). Au Ille siècle de notre ère, le démotique, à son tour, donnera naissance à la langue copte. Tandis que l'écriture démotique est encore plus ou moins figurative, le copte s'écrira à l'aide d'un système qui a, à sa base, l'alphabet grec. 3. Principautés vassales et Etats-tampons Aux confins des frontières asiatiques de l'Empire, entre les provinces romaines et la monarchie des Parthes, s'échelonnent une série de pays plus ou moins autonomes qui forment, suivant les temps, les lieux et les circonstances, des principautés vassales ou des Etats-tampons. Administrés par des chefs indigènes, ces divers pays seront, pour la plupart, successivement annexés à l'Empire et réduits en province. Ce sont: la Judée, la Nabatée (Transjordanie), l'Osrohène (Edesse-Ourfa) et Palmyre, en Syrie; la Cappadoce, la Commagène et l'Arménie, en Asie Mineure orientale. Seuls, l'Iran et la péninsule arabique resteront constamment soustraits à la domination effective de Rome. a. Le royaume Israélite de Judée A la veille de la conquête romaine. — Lorsque Pompée, en 64, annexa la Syrie, le royaume d'Israël, reconstitué par les Macchabées et indépendant depuis 142 (II, p. 406), commençait à faire figure, sous la dynastie des Asmonéens, dans les destinées du monde oriental. C'était d'ailleurs, à cette époque, le seul Etat indépendant dans l'Orient méditerranéen. La Syrie et l'Egypte vivaient alors sous la domination des dynasties hellénistiques et la Mésopotamie sous celle des Parthes Arsacides. Malheureusement, le sens politique, l'instinct des sacrifices nécessaires qui permet aux nations de mettre à profit, d'une manière durable, la faveur des circonstances, faisait complètement défaut aux Juifs. La petite Eglise juive, redevenue Etat politique, n'avait pas su consolider les résultats obtenus, ni fixer la fortune qui lui avait permis cette ascension. A plusieurs reprises, des troubles éclatèrent à Jérusalem. Le parti théocratique ou clérical ne sut pas s'accommoder des conditions d'un gouvernement civil, dont les traditions s'étaient perdues, et la dynastie asmonéenne, après 104, laissa la discorde s'introduire entre ses membres (II, p. 407).

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La Judée après la conquête (63). — Les intrigues et les violences qui déshonorèrent la famille asmonéenne, eurent pour conséquence l'intervention de Pompée, qui venait de mettre fin à la dynastie séleucide en Syrie. Le contrôle de la Palestine, zone de passage vers l'Egypte, était ainsi offert aux appétits romains. Intervenir dans ces querelles dynastiques, entrer en Judée et s'emparer de Jérusalem, n'étaient qu'un jeu pour le Grand Pompée (II, p. 407). Le pouvoir politique, exercé jusque-là par les descendants de Judas Macchabée, ne sera plus désormais que nominal (63). Hyrcan II (79—38), fils du dernier roi juif Alexandre Jannée, est reconnu grand prêtre et président de la nation, sans le titre de roi. Considérablement réduit par les Romains, l'Etat d'Israël comprendra l'ancien pays de Juda, la moitié orientale de l'Idumée, une bande de la Pérée, à l'Est du Jourdain, et la Galilée montagneuse. Ce nouvel Etat est encore partagé en cinq fractions égales, régies chacune par un synedrion et placées sous la surveillance du proconsul d'Antioche, sans être directement rattachées à la province syrienne. Quant à Hyrcan II, on lui laisse la charge d'administrateur du Temple. Cette organisation, effectuée par Pompée, demeurera à peu près ainsi jusqu'au remaniement d'Auguste, en 30 et 27. Quoique les Romains, au début de leur domination, préférassent le régime du protectorat là où une dynastie indigène et vassale pouvait maintenir l'ordre et payer les impôts, l'incapacité de la dynastie asmonéenne la rendait inapte à cette tâche. Ce sera Hérode, fils d'un ministre d'Hyrcan, qui jouera admirablement ce rôle en Palestine. Hérode et son royaume (40—4 av. J.-C.). — Après les noms de David et de Salomon, celui d'Hérode (40—4 av. J.-C.) est le plus connu de l'histoire juive. D'origine iduméenne, mais juif de religion ainsi que ses compatriotes, Hérode se fraie les voies au trône de Judée en s'assurant la bienveillance des Romains. Fils d'Antipater, gouverneur de la Judée romaine, Hérode, stratège de Galilée, puis de Coele-Syrie, se rend à Rome et reçoit du Sénat le titre de roi des Juifs (40). Fils d'un Iduméen et d'une princesse arabe, il épouse, en 37, Mariammé, petite-fille du roi Hyrcan II, et s'empare de Jérusalem. Après Actium (31), Auguste, par un sénatus-consulte, le confirme dans sa dignité royale. Habile et sans scrupules, politique avisé en même temps que tyran perfide et sanguinaire, Hérode semble tout subordonner à sa propre satisfaction et à sa soif du pouvoir. D'autre part, il aime la dépense et se lance dans les plus gigantesques constructions. Il se débarrassera des membres survivants de la famille royale dont il a pris la place, y compris sa propre femme Mariammé. A Jérusalem, Hérode entreprend la reconstruction du Temple sur un plan magnifique. Le royaume d'Hérode forme, vers l'an 20, un ensemble assez compact.

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Il comprend la Judée, Samarie, la Galilée, la Pérée, l'Auranitide (Djebel Druze), ainsi que d'autres régions adjacentes. Roi par la grâce de Rome, le fils d'Antipater gouvernera son domaine pour le compte de ses protecteurs. «Hérode était pour les Romains l'idéal du roi allié. Celui qu'ils appelaient ainsi, rex socius, était la créature de l'empereur et du sénat et tenait d'eux son titre, . . . titre purement personnel, non héréditaire, et il fallait en solliciter le renouvellement pour ses héritiers . . . En matière de politique étrangère, les droits du rex socius étaient n u l s . . . Il exerçait le droit de haute et de basse justice sur ses sujets, pouvait organiser des douanes et fixer les impôts; il recrutait la gendarmerie de ses Etats. En revanche, il devait à Rome: soumission, aide militaire et parfois le t r i b u t . . . C'était, au fond, le régime du protectorat.»3 Réaction juive contre Hérode. — La méfiance et la résistance des Juifs, à l'encontre de Rome, s'exaspèrent après la nomination de l'Iduméen Hérode comme chef d'Israël. Pour la première fois, un fils d'Esaii gouverne Jacob. Comme tous les fils du désert, cet Iduméen, juif de religion, mêlé de sang juif et de sang arabe, est un excellent diplomate. Mais sa politique et ses sympathies romaines dresseront contre lui la haine de ses sujets. A la romanisation que le roi entreprend, la communauté juive de Palestine résistera d'instinct, comme elle l'avait fait à l'hellénisation entreprise, en 164, par Antiochus IV (II, p. 404—405). «Tout ce que nous en dirons ici, c'est que, dans l'avenir comme par le passé, l'attachement du Juif à sa nationalité et à sa religion devait se montrer une force plus puissante que toutes les pressions de la civilisation gréco-romaine et que ce qui subsista finalement, ce fut la Loi dans toute sa rigueur.»4 Cependant, dans Jérusalem même, un parti préconisait l'adoption de la civilisation hellénique. D'autre part, la communauté juive était assiégée d'influences helléniques; les anciennes villes philistines étaient grecques ou hellénisées. Lorsque Hérode meurt, en 6 ou 4 avant notre ère, Jésus, qui venait de naître à Nazareth, se trouve quelque part en Egypte, fuyant la Palestine et les menaces du despote. A cette époque, les Juifs étaient nombreux en terre du Nil, où ils comptaient près d'un million. Ils constituaient, à Alexandrie, les deux cinquièmes de la population, et la plupart étaient en relations constantes avec leurs frères de Palestine. Partage de l'Etat hérodien (4 ap. J.-C.).—A la mort d'Hérode, la brouille s'est mise entre les héritiers. Son fils Archélaiis part pour Rome demander l'investiture à Auguste. Une délégation de notables juifs le rejoint 3 4

P. Duesberg, cité par F.-M. Abel, Géographie de la Palestine, II, p. 151, note. W. Tarn, La civilisation hellénistique, p. 218.

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bientôt et prie l'empereur de supprimer la dignité royale en Judée et de rattacher le pays à la province romaine de Syrie. Antipas, second fils d'Hérode, s'est, lui aussi, embarqué pour l'Italie, cependant que le troisième fils, Hérode-Philippe, s'installe solidement dans les régions du Nord. Une décision impériale, conforme aux intérêts romains, intervient entre les trois frères rivaux: l'Etat hérodien est partagé en plusieurs petits fiefs. Archélaus obtient la meilleure part de l'héritage: la Samarie, l'Idumée et la Judée, avec Jérusalem comme capitale, mais à titre d'ethnarque et non de roi; Antipas reçoit la Galilée et la Pérée, avec le titre de tétrarque; une autre partie du royaume d'Hérode fut accordée au troisième frère, Philippe. La dignité royale, essentiellement personnelle, disparaît avecHérode, et la Palestine, de nouveau morcelée, se trouve divisée en trois tronçons (4 ap. J.-C.). Régime des Procurateurs (6 ap. J.-C.). — Archélaus (4 av. J.-C. — 6 ap. J.-C.), qui n'avait pas l'intelligence de son père, en avait cependant la cruauté et la violence. Après dix ans de règne, une députation juive vint se plaindre de lui à Rome. Auguste le dépose (6 ap. J.-C.) et l'envoie en exil dans la Gaule. Son territoire est annexé à la province de Syrie; un magistrat consulaire est chargé de recenser cette province et de liquider les propriétés d'Archélaus: c'est lors de ce recensement que, selon quelques auteurs, serait né Jésus-Christ. Ce recensement terminé, le lot d'Archélaus est administré par un Procurateur romain, une manière de vice-roi, qui possède le droit de vie et de mort. Personnellement responsable devant l'empereur, ce magistrat dépend du légat de Syrie pour les secours extraordinaires. Sept procurateurs romains se succéderont en Judée, de l'an 6 à l'an 41. Ils résident à Césarée maritime et se rendent à Jérusalem, à l'occasion des grandes fêtes juives, pour veiller de plus près au maintien de l'ordre. C'est sous le cinquième de ces Procurateurs, le fameux Ponce-Pilate (26—35), que fut mis en croix, à Jérusalem, pendant les fêtes de la Pâque, Jésus de Nazareth. b. Le royaume arabe des Nabatéens de Pétra (Transjordanie) A.

Les Nabatéens

proto-arabes,

cinquième

vague d'expansion

sémitique

Venus du Centre arabique, vers 500 av. J.-C., les Nabateou des inscriptions cunéiformes sont ces Nebaioth que la Bible fait descendre d'Ismaël, ancêtre des Arabes (I, p. 384). Etablis en Arabie Pétrée, en Transjordanie, dans la vallée de l'Oronte, l'Osrohène, la Damascène et la Palmyrène, les Nabatéens arabes forment la cinquième vague d'expansion sémitique qui pénétra dans le Croissant Fertile, après celles des Pré-Accadiens, des Accadiens-Cananéens-Phéniciens, des Amorrites et des Araméens-Hébreux, qui déferlèrent successivement aux Ille et Ile millénaires av. J.-C.

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Les Nabatéens, fraction des futurs Arabes de l'Islâm. — Mais les Nabatéens ne sont pas seulement, comme leurs prédécesseurs, des Sémites nomades originaires du plateau arabique. Ils sont des Proto-Arabes, c'est-àdire une fraction des Arabes préislamiques du centre de la Péninsule, dont la langue, par une évolution continue, deviendra, vers le milieu du premier millénaire de J.-C., le dialecte des Kûraychites du Hidjâz, la langue arabe classique et celle du Coran (I, p. 293—296). Les premiers Arabes, Nomades araméens. — Nos idées et nos connaissances modernes nous inclinent à croire que le nom d'Arabes donné au royaume et aux populations d'Arabie Pétrée et de Transjordanie, vers le milieu du 1er millénaire av. J.-C., serait dû au fait de l'expansion des Nabatéens, venus du Centre arabique. En réalité, le nom d'Arabe était déjà, à cette époque, autochtone en Transjordanie; il désignait les populations nomades et araméennes de cette contrée, à l'exclusion des tribus du Centre arabique, auxquelles le nom d'Arabe ne s'étendra que plus tard. Il importe de rappeler, en effet, que le nom d'Arabe, si souvent employé au 1er millénaire av. J.-C. pour désigner les populations d'Arabie Pétrée, Tranjordanie, Est syrien, s'applique plus particulièrement aux populations nomades et semi-nomades de ces régions, et non aux futurs Arabes du Centre arabique, qui, à cette époque, ne portaient pas encore ce nom. Nous avons vu, en effet, que, pour les anciens, tels que les Assyriens, les Juifs, les Perses, etc., le mot arabe, terme sémitique qui signifiait «errant» ou «nomade», s'appliquait à toutes les tribus sémitiques quinomadisaient aux confins des déserts de Mésopotamie, de Syrie et de Palestine. Il en était de même du mot hébreu, qui, à l'origine, signifiait, lui aussi, «errant» (I, p. 381), et désignait les tribus israélites nomades. Les inscriptions assyriennes du IXe siècle av. J.-C., qui sont les premières à mentionner les Arabes ÇArab), désignent, par ce nom, les tribus nomades qui transhumaient, dans les déserts, à l'Ouest de l'Euphrate. D'aucuns prétendent que le mot sémitique 'Arabi, qui veut dire «steppe», signifierait aussi «ouest» ou «couchant» (de l'Euphrate). Adopté par les Grecs, puis les Romains, le terme assyrien d'Aribi, limité, au début, aux nomades ouest-euphratéens du désert de Syrie, fut étendu, par la suite, à tous les nomades des déserts de Syrie, de Palestine et de Mésopotamie. Les dialectes de ces Aribi ou Nomades ne sont pas encore ceux du Centre arabique, ancêtres du futur arabe proprement dit, mais des dialectes sémitiques plutôt araméens. On rencontre cependant, parmi les noms propres des chefs, quelques-uns dont la consonance s'apparente à l'arabe proprement dit. Ce fait indique simplement la présence d'éléments centre-arabiques immigrés. Le terme d'Arabe avait donc, au 1er millénaire av. J.-C., un autre sens que celui qu'il signifiera par la suite. Il désignait, à cette époque, les tribus

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nomades des déserts syro-palestiniens, dont les dialectes sont araméens, et non leurs sœurs du Centre arabique, qui parlaient des dialectes sémitiques en voie d'évolution vers le futur arabe islamique. C'est seulement dans les derniers siècles du premier millénaire av. J.-C., on l'a dit, que le nom d'Arabes fut étendu, par les Grecs, à toutes les populations de la Péninsule arabique. Extension de la migration arabo-nabatéenne et renforcement des éléments sémites autochtones. — La décadence des Séleucides, l'affaiblissement progressif de leur domination et la réaction sémitique indigène contre l'hellénisme étranger, favorisèrent l'extension de la migration arabo-nabatéenne vers les régions de l'Est syrien. Vigoureux et jeune, ce nouvel élément sémite ne tarda pas à prendre, là où il a pu pénétrer, la suprématie politique sur les autochtones. Cette prépondérance semble s'être effectuée, tout d'abord, à Edesse (l'actuelle Ourfa), où un chef de tribu fonda, vers 132 av. J.-C., le royaume d'Osrohène, dont nous parlerons tout à l'heure. «Triomphant à Edesse, la réaction sémitique se fit sentir jusque dans la Syrie séleucide, dernière citadelle de l'hellénisme au Levant. L'élément araméen, qui constituait le fond de la population rurale, prit sa revanche sur la bourgeoisie grecque des grandes villes. En même temps, à mesure que s'était affaiblie l'autorité des derniers Séleucides, l'infiltration arabe avait gagné du terrain dans la vallée de l'Oronte. Des tribus de bédouins venus du désert installaient leurs tentes au milieu des cultures. Une de ces tribus, celle des Nabâtou, ou Nabatéens de Pétra et de Bosra, s'empara de Damas (v. 85 av. J.-C.). Son chef, Harithât III, devenu «Aretas le Philhellène» (v. 86—62), fit figure de roi et battit le prince juif Alexandre Jannée. En 84, le Séleucide Antiochos XII périt dans une expédition contre ces mêmes Nabatéens. Pendant ce temps, un autre émir arabe, «Sampsikéramos», s'installait à Homs (Emèse). En 67, il fit prisonnier Antiochos XIII. La Syrie tout entière, à l'exception d'Antioche et de quelques autres grandes villes, était, à cette date, tombée au pouvoir des émirs arabes et des paysans araméens. Le génie sémitique avait triomphé de l'hellénisme. L'œuvre des Séleucides avait échoué.»5 Les Nabatéens proto-arabes absorbés par les Araméens locaux. — Moins heureuse que les quatre vagues qui l'avaient successivement précédée au cours des millénaires précédents, l'expansion nabatéenne ne réussit pas, comme ces dernières, à pénétrer à l'intérieur du Croissant Fertile, ni à arabiser les populations araméennes qu'elle avait réussi à subjuguer. Tout au plus imposa-t-elle à celles-ci des dirigeants arabo-nabatéens, comme l'indiquent les noms des princes dans les régions qu'elle avait réussi à soumettre à son autorité politique. Ainsi, à la différence de la vague araméenne de la fin du Ile millénaire. 5

R. Grousset, L'Empire

du Levant, p. 43, 44.

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qui «aramisa» linguistiquement le Croissant Fertile, et de celle des Arabes de l'Islâm, qui «arabisera» plus tard l'Orient méditerranéen, l'expansion des Proto-Arabes nabatéens, qui s'enlisèrent dans la façade orientale de la contrée syrienne depuis la Mer Rouge jusqu'à la Palmyrène, sera, non seulement arrêtée sur place, mais encore absorbée par les masses araméennes autochtones. Celles-ci, en effet, continueront à parler l'araméen, même dans le désert syro-mésopotamien, et finiront par aramiser leurs dominateurs nabatéens, qui ne garderont de leur langue originelle que des traces de mots arabes, tels, par exemple, que les noms de leurs chefs. L'aramisation des Nabatéens semble tellement complète, qu'au centre même de la péninsule arabique, à El-Hidjr (Médaïn Saleh), des tombeaux, découverts en 1875—1877 de notre ère, portent des inscriptions araméennes indiquant qu'ils sont construits par les Nabatéens de Transjordanie. A Teïma, une inscription araméenne remonterait à 400 ou 600 av. J.-C. «De l'existence de ces monuments, il faut conclure que, pendant une période assez longue, les royaumes araméens de la Syrie centrale avaient occupé, à la suite d'expéditions heureuses ou autrement, une notable portion des territoires de l'Arabie du Nord et y avaient établi des centres de population sédentaire considérables.»6 Nous savons, par ailleurs, qu'au Vie siècle de notre ère, «le nord du Hedjâz est fortement pénétré par une colonisation juive et araméenne».7 Causes de l'échec de l'expansion arabo-nabatéenne. — Comparée aux autres expansions sémitiques, celle des Proto-Arabes Nabatéens a donc abouti à un succès partiel dans le domaine politique, et à un échec total sur le terrain linguistique et culturel. Ce résultat tiendrait au fait que, favorisée, au début, par la décadence et la faiblesse de la domination gréco-séleucide en Syrie, la poussée nabatéenne dut reculer, par la suite, devant une expansion occidentale plus vigoureuse, celle des Romains qui, relayant les Grecs épuisés, sauvera à la fois l'hellénisme et la culture araméenne en Syrie. Les Arabes de l'Islâm, qui arriveront à une époque où la romanité, dégénérée à son tour, n'aura aucune force occidentale pour la remplacer, auront raison des Byzantins décrépits qu'ils rejetteront derrière le Taurus. Rajeunissement du sang araméen. — Si, sur le terrain politique et surtout linguistique, l'expansion nabatéenne ne paraît pas avoir réussi, il semblerait toutefois que, du point de vue de la régénération ethnique, elle n'ait pas été stérile. Il est intéressant de constater, en effet, que les pays estsyriens, qui ont été remués par cette immigration proto-arabique et par les mélanges ethniques qui l'ont suivie, connaîtront, quelques siècles plus tard, une plus grande vitalité (I, p. 40—41). • Cl. Huart, Histoire des Arabes, I, p. 42. 7 Cl. Huart, op. cit., I, p. 39.

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On ne peut, en effet, attribuer au seul effet du hasard le fait que les empereurs et impératrices de la dynastie des Sévères soient originaires de Homs; que l'empereur Philippe l'Arabe soit un fils de la Nabatée; qu'Edesse, capitale de l'Osrohène, devienne un foyer ardent de culture araméenne et l'initiatrice de la réaction sémitique contre l'hellénisme; que Palmyre rivalise avec Rome pour la domination du Proche-Orient; que le désert syrien devienne le foyer du monophysisme syro-égyptien et le refuge des grands chefs de cette secte chrétienne antibyzantine. B.

Le royaume

nabatéen

de

Pétra

Milieu ethnique et langue. — Dans la seconde moitié du Ile siècle av. J.-C., la population du royaume nabatéen d'Arabie Pétrée est constituée par un mélange stabilisé de tribus, les unes sédentaires et les autres nomades ou à demi fixées, établies dans l'ancienne Idumée ou pays d'Edom. Ces tribus se rattachent à trois principaux groupes sémites: les Iduméens autochtones, les Araméens originaires de Syrie et les Nabatéens ou ProtoArabes, venus, au Vie siècle, du Sud arabique. Descendants d'Ismaël, ancêtre des Arabes, les Nabatéens dominent les Araméens, rejetons d'Aram, ainsi que les Iduméens ou Edomites, que la légende fait descendre d'Esaii, fils d'Isaac et frère de Jacob. Iduméens, Araméens et Nabatéens proto-arabes, sont donc les éléments formateurs de ce peuple sémite, désigné sous le nom de «nabatéen», du nom des Nebaioth qui fournissent l'élément dirigeant. Le nom des princes régnants indique, en effet, que la suprématie politique appartient à l'élément nabatéen ou proto-arabe. Mais la masse est plutôt iduméenne et araméenne, comme en témoigne leur langue, l'araméen local, qui est demeuré l'idiome du pays. Le caractère fondamental du peuple est la vie nomade et semi-nomade, ce qui l'oppose constamment à ses voisins sédentaires et particulièrement aux descendants d'Israël. Le pays nabatéen. — Vers la fin du Ile siècle av. J.-C., le royaume nabatéen occupait la région de l'Arabie Pétrée située entre la Mer Rouge et la Mer Morte. «Les explorations récentes ont démontré qu'au lieu d'être une série d'installations échelonnées seulement sur les longues routes caravanières, le royaume nabatéen formait un Etat compact, organisé et puissant. L'activité du peuple ne se bornait pas à convoyer les denrées précieuses venues de l'Inde par l'Arabie Heureuse, elle s'exerça avec bonheur aux diverses industries du cuivre, du verre et de la céramique fine et décorée . . . Bien plus, sous l'influence hellénistique, (les Nabatéens) passèrent maîtres dans la sculpture et l'architecture. La surpopulation eut aussi pour effet de fixer un grand nombre de ces anciens nomades en des centaines de bourgs et de villages où ils vivaient de l'agriculture. Des routes mettaient en

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communication les grandes villes avec ces agglomérations et tout un réseau de forteresses et de tours de garde, aussi bien en Moab qu'en Edom, protégeait les pacifiques travailleurs.»8 Pétra, capitale du royaume nabatéen. — Abandonnant Bosra, l'ancienne capitale des Iduméens, au Nord, les Nabatéens firent de Pétra (aujourd'hui Ouadi Moussa), au Sud, leur centre principal. Le nom grec de Pétra correspond à l'hébreu Selah, qui signifie pierre ou rocher, d'où le nom d'Arabie Pétrée qui sera donné à la contrée environnante. Place de commerce et bon repaire, reliant les ports de la Mer Rouge et le Sinaï à la Damascène et au sud de la Syrie, Pétra servait d'entrepôt pour les marchandises à destination du monde gréco-romain. Extension du royaume nabatéen vers le sud. — Originaires du Centre arabique, les Nabatéens ont étendu, dans la direction de cette contrée, leur domination politique. Ce fait est attesté par de nombreux témoignages, notamment par les inscriptions trouvées à El-Hidjr (ancienne Egra et actuelle Médaïn-Saleh), par C. Doughty, en 1875—1877 de notre ère, et gravées sur les tombeaux nabatéens précédemment mentionnés. «Le peuple qui les a construits se nomme lui-même les Nabatéens. La langue des inscriptions est araméenne, mais elle est mélangée d'expressions arabes. .., qui prouvent que la colonisation s'était implantée dans un milieu arabe. Le dieu Aouda de Bostra y est invoqué... Les noms de rois sont ceux du royaume nabatéen qui avait Bostra pour capitale. Lors de l'expédition d'Aelius Gallus, Strabon parle des Nabatéens comme d'un peuple puissant établi au centre de l'Arabie.»9 Extension vers le Nord. — Vers le Nord, les Nabatéens s'étendirent dans le pays de Moab et jusque dans la Damascène. Leurs progrès dans l'Est du Jourdain devaient les mettre en conflit avec les Juifs. Arétas II (AlHâreth: 110—100 av. J.-C.), «roi des Arabes», fondateur de la grandeur nabatéenne, voulut un instant secourir Gaza menacée de la ruine par le roi de Jérusalem. Sous Arétas III (85—62 av. J.-C.), le royaume nabatéen acquit sa plus grande extension; ce grand prince battit le prince juif Alexandre Jannée et occupa tout le pays transjordanien, depuis Damas, qu'il soumit en 85 (II, p. 407), jusqu'à la Mer Rouge où il fonda le port de Haoura, ainsi que le Négeb, où il créa des stations sur la route de Gaza. En 84, Arétas III repousse, dans le Nord, une attaque séleucide, au cours de laquelle le roi Antiochus XII est tué. Suzeraineté nominale de Rome (63). — Arrivé en Syrie, Pompée, qui fit occuper Damas (64 av. J.-C.), vit d'un mauvais oeil la pénétration et l'extension des Arabes dans la contrée, ainsi que l'immixtion d'Arétas dans les affaires damascènes et juives. L'expédition de Judée l'empêcha de 8 8

F.-M. Abel, op cit., II, p. 167, 168. Cl. Huart, Histoire des Arabes, I, p. 41.

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réduire le royaume nabatéen à l'état de vassal. Il se contenta d'une indemnité payée par le «roi des Arabes» et d'une suzeraineté nominale (63). En 36, Antoine cède à Cléopâtre, en même temps qu'une grande partie de la Syrie, une portion du royaume nabatéen et l'oasis de Jéricho. La dynastie des Arétas se maintiendra à Pétra jusqu'en 106 ap. J.-C., date à laquelle la Nabatée sera réunie à la province romaine de Syrie. Arabes de Nabatée et Juifs de Judée. — Ainsi, de part et d'autre du Jourdain, deux groupes ethniques et politiques, tous deux sémites, les Arabes nabatéens de Transjordanie, à l'Est, et les Juifs de Judée, à l'Ouest, ne s'adapteront presque jamais au cadre provincial syro-romain, comme ils ne s'étaient pas adaptés à la culture et à la domination hellénistiques. Arétas III a beau prendre, sur ses monnaies frappées à Damas, le surnom de Philhellène, pour s'attirer la faveur de ses sujets gréco-syriens, il demeurera le fils du désert. D'autre part, une vieille rivalité, due surtout au genre opposé de leur existence respective, oppose constamment, comme par le passé, les Juifs de Judée, Sémites sédentaires descendants d'Israël, aux Iduméens-Nabatéens, Sémites nomades de Transjordanie, descendants d'Esaii et d'Ismaël. Nous avons vu que c'est du pays arabe d'Idumée-Nabatée qu'est sorti Hérode, juif iduméen et de mère arabe, et que, nommé roi de Judée par les Romains, il sera, à cause de son origine, l'objet de l'hostilité de ses administrés juifs (p. 62). Cette rivalité entre les deux groupements géographiques de la contrée palestinienne, remonte, on l'a vu, très haut dans le passé. Dès le début du Ile millénaire av. J.-C., le même antagonisme, provoqué par les mêmes facteurs, opposait les Cananéens sédentaires et autochtones de Palestine aux ancêtres des Juifs, les Hébreux Brahmanides, qui nomadisaient, en ces temps lointains, dans l'Est transjordanien et qui, pour cette raison, furent dénommés les «Hébreux», c'est-à dire les Nomades (I, p. 380—383). c. Le royaume d'Edesse ou d'Osrohène, foyer de culture et de réaction sémitiques Après la Judée et la Nabatée, le troisième Etat sémitique autonome est celui d'Edesse ou d'Osrohène. La ville d'Edesse. — Edesse, l'actuelle Ourfa, ancienne ville du Nord de la Syrie et de la Mésopotamie, est sise sur une petite rivière tributaire du Balikh, lequel se jette dans l'Euphrate. Son nom asiatique est Osroé, tiré sans doute du nom du satrape Osroès (forme arménienne de Khosroès), qui avait gouverné la contrée de YOsroène. C'est cette dernière forme, encore altérée en grec, qui a donné naissance au syriaque Ourhoi, arménien Ourha'i, arabe Ar-Roha, puis Orfa. Quant au nom d'Edesse, il fut donné par Séleucus Nicator, lorsqu'il reconstruisit la ville en 303 av.

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J.-C., en souvenir de la capitale de la Macédoine, et la peupla, ainsi que Nisibe et plusieurs autres villes, de vétérans de son armée. De là le nom de Mijdonie, prononciation macédonienne du mot Macedonia, donné à la contrée. Milieu ethnique et langue. — La population de l'Osrohène est sémitique et sa langue est araméenne. Enlevées aux Séleucides et rattachées aux royaumes parthe, puis arménien, Edesse et sa région semblent avoir été atteintes par l'expansion sémito-nabatéenne, qui déferla sur la Transjordanie. Ce fait est attesté par les noms arabes ou proto-arabes des princes de cette contrée. Le royaume d'Edesse. — Vers 136 av. J.-C., un chef de tribu, nommé Arioû, secoua le joug arménien et fonda un petit royaume autonome qui s'étendait, à l'Ouest et au Nord jusqu'à l'Euphrate, et à l'Est jusqu'au Tigre. A l'époque des conquêtes de Lucullus, de Pompée et de Crassus en Arménie, les rois d'Edesse furent les alliés des Romains. Le roi Abgar II, tout en trahissant Crassus pour le livrer aux Perses, parvint à sauvegarder son indépendance (53 av. J.-C.). Les rois d'Edesse. — Les successeurs d'Arioû, connus des auteurs grecs sous le simple titre de toparques et de phylarques, devaient régner à Edesse jusqu'en 244 de notre ère. «Considérés par les Romains comme des Arabes, ces princes portèrent des noms nabatéens (Ma'noû, Rakroû, 'Abdoû, Saharoû, Gebar'oû, Aryoû), proprement arabes (Abgar, Maz'oûr, Wâ'il), ou parthes (Phradacht, Pharnataspat ou Parthamaspatès).» La principauté ainsi créée, souvent désignée sous le nom de principauté des Abgar, du nom de plusieurs de ses chefs (onze princes du nom d'Abgar contre neuf du nom de Ma'nou), sut traverser toutes les vicissitudes de la suzeraineté arménienne, parthe, puis romaine et se perpétuer plus de trois siècles (132 av. J.-C. — 244 A.D.) sans perdre son caractère araméen.»10 Edesse, initiatrice de la réaction sémitique, contre l'hellénisme en Orient. — «Protégée contre l'hellénisme par le cours de l'Euphrate et contre l'iranisme par le Tigre et le désert, Edesse, sous le gouvernement des Abgar et des Ma'noû, put vivre de sa vie propre. Elle fut l'initiatrice de la réaction sémitique qui commençait à se faire sentir en Orient contre l'hellénisme et qui ne devait plus cesser jusqu'à la grande révolte de l'Islam. La prédication du christianisme, loin de porter atteinte à l'originalité de ce pays, devait y favoriser au contraire l'éclosion d'une riche littérature syriaque (dialecte araméen oriental), dont le rôle devait un jour être capital dans la formation de la civilisation arabe.»11 10 11

Grousset, L'Empire du Levant, p. 43. Grousset, L'Empire du Levant, p. 43.

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d. La ville de Palmyre ou Tadmor Le quatrième et dernier centre sémitique qui conservera, sous Auguste, une certaine autonomie, est la cité de Palmyre, dans le désert nord-syrien. Véritable oasis, entourée de vastes solitudes désertiques et située à michemin entre Alep et le coude occidental de l'Euphrate, Palmyre, entrepôt de commerce et centre d'échanges entre la Syrie et la Mésopotamie, servira, pendant longtemps, d'avant-poste à la Syrie romaine en direction de la monarchie parthe. Les noms de Palmyre et de Tadmor. — Le nom de Palmyre est celui que les Grecs, puis les Romains, ont donné à la ville-oasis. Le nom indigène, qu'elle a repris depuis l'expansion de l'Islâm et qu'elle conserve encore aujourd'hui, est Tadmor. Suivant une opinion communément admise, le mot tadmor est un vocable sémitique assimilé à tamar, qui signifie «palmier-dattier», d'où le nom de Palmyre, du latin «palma», c'est-à-dire palmier. Des orientalistes éminents affirment, cependant, que le nom de Tadmor n'a pas une étymologie sémitique. Milieu ethnique et langue. — De souche sémitique, les Palmyriens sont un mélange d'Amorréens, d'Araméens et d'Arabes, stabilisés dans la villeoasis ou errants dans les environs, et de marchands juifs, syriens et mésopotamiens, attirés par la prospérité commerciale de la ville. La langue palmyrienne est le dialecte araméen parlé en Syrie; elle se rattache à l'araméen de Transjordanie ou Nabatée. La langue grecque semble être couramment employée; elle sera plus tard, au même titre que l'araméen et le latin, un idiome officiel. L'écriture palmyrienne dérive de l'écriture araméenne. Quelques termes arabes, qui apparaissent dans les textes retrouvés, témoignent de l'extension de la migration proto-arabe des Nabatéens jusqu'à la Palmyrène. Palmyre jusqu'à l'expansion romaine. — De très bonne heure, la situation géographique et la prospérité économique de Palmyre y groupèrent une société de marchands, attirés de Syrie, de Mésopotamie et du désert. Des chefs de tribus nomades s'y établirent à leur tour, séduits par le goût du commerce et du gain facile. Commerçants et banquiers syriens, juifs, mésopotamiens et plus tard grecs, s'associèrent avec les cheikhs des tribus qui, disposant d'un élément guerrier, sont capables de les défendre contre les attaques des potentats orientaux et les incursions des tribus nomades, toujours enclines à piller les cités opulentes. Ainsi naquit, au milieu du désert aride, une ville de négoce et de plaisir, dont le prestige rayonnera, plus tard, dans toutes les directions. Au Ile millénaire. Le nom de Tadmor apparaît, pour la première fois, dans des documents retrouvés dans les archives de la ville de Mâri, sur l'Euphrate, à l'époque de Hammourabi (vers 2000). Une autre mention,

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datant du début du Ile millénaire, provient de documents assyriens. Après un silence de plusieurs siècles, le nom de Tadmor apparaît, de nouveau, dans les annales du roi assyrien Téglatphalasar I (vers 1100). La légende de Salomon. La légende attribue à Salomon, roi de Jérusalem (955—933), la fondation ou la reconstruction de Palmyre. Cette légende, que l'historien juif Josèphe rapporte comme un fait historique, s'appuie sur une notation de la Bible (Chroniques), qui cite, parmi les villes fondées par Salomon, Tadmor au désert. Mais cette version des Chroniques ne fait que reproduire, en la modifiant, une notation du Livre des Rois rédigé deux siècles plus tôt, où la ville indiquée est Tamar au désert et non Tadmor. Il est plus vraisemblable de penser qu'il s'agit, en l'occurrence, d'une agglomération située dans le désert palestinien et dont le nom véritable, Tamar, mentionné dans le Livre des Rois, aurait été transformé, par les Chroniques, en Tadmor, dans un but d'édification. Il est peu probable que la domination du troisième roi d'Israël se soit étendue jusqu'à cette lointaine et désertique région. Nous savons, en effet, que le fils de David, prince pacifique, a plus diminué qu'augmenté le domaine territorial laissé par son père. Au premier millénaire. Lorsqu'au Vie siècle Nabuchodonosor II détruisit Jérusalem et envoya ses habitants en exil, les Juifs affluèrent à Palmyre et accaparèrent rapidement les postes de commande du commerce. La destruction de Tyr par Alexandre (332) profita à la ville-oasis, en portant vers elle les caravanes qui, désormais, se dirigeaient vers Antioche. A l'époque hellénistique, Palmyre semble une cité, sinon obscure, du moins ignorée. Toutefois, le fait, par les Chroniques et par Josèphe, d'avoir voulu en attribuer la fondation à Salomon, indique qu'au 1er millénaire av. J.-C., elle était déjà une cité importante. Palmyre après l'expansion romaine en Syrie. — C'est surtout à partir des Romains que la ville-oasis entre dans l'histoire. Elle sera un avantposte de l'Empire romain, une marche frontière qui couvrira la Syrie contre les invasions venant de l'Iran. Lorsqu'en 64 Pompée réduisit la Syrie en province romaine, Palmyre, ville riche et prospère, semble avoir gardé son indépendance. En effet, en 37, Antoine, qui «n'avait d'autres reproches à adresser aux Palmyréniens, placés entre Romains et Parthes, que leur adroite politique» (Appien), envoie contre eux un détachement de cavaliers avec ordre de piller la ville. Mais les soldats romains s'en retournèrent les mains vides, car les habitants, qui eurent vent de l'affaire, s'étaient réfugiés avec leurs biens derrière la ligne de l'Euphrate. Cela montre qu'à cette époque, Palmyre était un centre de négoce important et qu'elle jouissait d'une certaine indépendance, entre les Empires de Rome et de l'Iran. En étendant la paix romaine jusqu'au désert, l'Empire romain assura

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la sécurité des échanges entre l'Orient et l'Occident, et le commerce des caravanes se développa dans des proportions inconnues jusqu'alors. Palmyre, qui en profite, reçoit d'Auguste quelques libertés locales qui lui donnèrent un air d'autonomie. Ce n'est que vers 106 ap. J.-C. que l'empereur Trajan, en réorganisant le service douanier sur les frontières du Tigre et de l'Euphrate, annexera la cité du désert à la province romaine de Syrie. e.

L'Arménie

Pays, nom, race et langue. — Considérée dans son ensemble, l'Arménie est une «île-montagne». Tout le pays, en effet, est un massif de 1.500 mètres de hauteur moyenne; les ramifications des chaînes qui le traversent découpent la région en vallées, entre lesquelles les communications sont difficiles et que couronnent des pics d'une énorme altitude. Le nom d'Arménie serait d'origine étrangère, probablement sémitique (Aram = pays haut). Les Arméniens s'appellent eux-mêmes Haï (au pluriel Hàiq), du nom de leur premier roi légendaire. Ils donnent à leur pays le nom de Haiasdan (demeure des Haïq). D'après leur langue, les Arméniens appartiennent au rameau indo-européen. En réalité, ils sont le produit d'un mélange ethnique stabilisé, formé par la fusion des populations autochtones avec des envahisseurs aryens ou indo-iraniens. Si la langue appartient toujours au groupe indo-européen, par contre, le type physique de l'Arménien a repris, au cours des siècles qui ont suivi l'invasion indo-iranienne, les caractères des Asianiques autochtones (II, p. 201). L'Arménie jusqu'à l'avènement d'Auguste. — Le passé le plus lointain de l'Arménie nous montre ce pays aux prises avec ses voisins. Après 1200, à la suite de la migration indo-iranienne de cette époque, le royaume d'Ourartou (future Arménie), nouvellement constitué, est continuellement en lutte avec les Assyriens, à l'Ouest, et les Médo-Perses, à l'Est. C'est surtout à partir de 850 que, devenu puissant et redoutable, ce royaume apparaît sur la scène de l'histoire où il tiendra un rôle mouvementé et de premier plan (II, p. 201). Après 750, l'Ourartou, subjugué, est vassal du grand Empire assyrien. Par des tentatives continuelles de soulèvements et de révoltes, il opposera constamment à cette domination une résistance farouche. Vers 600, une dernière immigration aryenne, les Hcii, futurs Arméniens, pénètre dans l'Ourartou qu'elle dominera par la suite. Après la destruction de Ninive et le partage de l'Empire assyrien (612), l'Arménie passe sous la domination des Mèdes, puis des Perses. Lorsqu'Alexandre le Grand eut détruit l'Empire perse (330), l'Arménie, exploitant sa position naturelle et profitant de circonstances favorables,

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recouvre son indépendance sous l'autorité d'un dynaste indigène, probablement d'origine hài (arménienne). Les Séleucides, qui la revendiquent après le partage de l'Empire d'Alexandre, ne réussirent jamais à y établir leur pouvoir. Arsace le Grand (258—240), fondateur de l'Empire parthe, institua roi d'Arménie son frère Valarsace. A partir d'Ardachès (90), les rois d'Arménie recommencent à jouer un rôle important dans l'histoire générale. Tigrane I (89—36) secoua la tutelle des Parthes et balança même, pendant un certain temps, la fortune des armées romaines en Orient. Il occupa la Syrie (83—66), et il fallut, pour le réduire, les légions de Lucullus (II, p. 407). Les successeurs de Tigrane se reconnurent, dès lors, vassaux et tributaires de Rome (30 av. J.-C.); Ardachès III rendra à l'Arménie son indépendance (18 ap. J.-C.). Rôle et destinée de l'Arménie entre les Empires romain et parthe. — A la différence de l'Est syrien, où la frontière romaine, protégée par l'Euphrate et le désert, restera relativement stable, en Anatolie orientale, au contraire, cette frontière sera toujours flottante. En effet, tandis que les petits Etats vassaux et les régions annexées, qui couvrent la frontière est-syrienne, ainsi que la Cappadoce et la Commagène anatoliennes, s'accommodent plus ou moins facilement du rôle d'Etats-tampons ou d'avantpostes qui leur est assigné par Rome, l'Arménie sera, au cours des siècles futurs, comme elle le fut pendant les siècles antérieurs, l'enjeu des luttes et le champ de bataille entre l'Occident gréco-romain et l'Orient iranien. Ce rôle tragique, l'Arménie le doit à sa configuration géographique, qui favorise chez ses habitants le développement d'une personnalité collective particulière, et à sa situation entre deux grands mondes antagonistes qui, pour se surveiller ou se combattre, chercheront constamment à passer sur son corps. C'est le sort naturel de tous les petits pays qui se trouvent placés sur le passage des grands peuples de proie (I, p. 74—75). L'Arménie constitue donc, entre Rome et la monarchie des Parthes, une zone stratégique d'une grande importance. Aussi, toute la politique romaine en Proche-Orient, et celle des Parthes, puis des Perses, à l'Ouest de l'Iran, seront-elles, pendant des siècles, centrées autour du problème arménien. L'influence romaine et l'influence iranienne se succéderont sans cesse dans ce pays mitoyen. L'action diplomatique et l'action militaire des deux puissances rivales s'y emploieront à tour de rôle, ou même parfois simultanément.

IL Rome, l'Empire parthe et la Péninsule arabique

De toutes les contrées de l'Asie occidentale, seuls l'Empire parthe et la Péninsule arabique se maintiendront constamment en dehors de la domination romaine. Successeurs lointains des Perses Achéménides et restaurateurs d'une grande partie de leur ancien Empire, les Parthes Arsacides, maîtres du plateau iranien, ainsi que de la Mésopotamie où ils ont déjà une grande capitale (Ctésiphon), continueront la politique traditionnelle des Grands Rois achéménides. Par leurs guerres continuelles avec l'Empire romain, comme par leurs succès passés contre les Gréco-Séleucides qu'ils avaient rejetés de l'Est, les Parthes s'étaient posés comme les champions du monde oriental, asservi par l'Occident gréco-romain. En dépit de ce rôle héroïque, qui sera, pendant plusieurs siècles, celui de l'Iran, c'est aux Arabes de la Péninsule arabique, la plus déshéritée des contrées orientales, qu'il sera réservé de recueillir le fruit des longs efforts des Grands Rois iraniens et de leur succéder, quelques siècles plus tard, dans le rôle de défenseur du Proche-Orient contre l'Occident envahisseur. 1. La rivalité des Romains et des Parthes, nouvelle phase de l'éternelle Question d'Orient a. La question parthe La rivalité des Romains et des Parthes Arsacides, ou «question parthe», qui continue celle des Arsacides et des Gréco-Séleucides et se poursuivra au cours des siècles qui vont suivre, n'est qu'une nouvelle phase de l'éternel problème des relations du monde méditerranéen et occidental, d'une part, et du monde asiatique et continental, de l'autre (I, p. 80—83). Ce problème, dont les origines remontent très haut dans le passé et dont les épisodes successifs continueront à se dérouler, sous des formes et des noms divers, jusqu'à nos jours, a été désigné, par les chancelleries modernes, sous le nom bien connu de «Question d'Orient». b. Les deux aspects anciens de la Question d'Orient La Question d'Orient, ou le problème des relations entre le monde occidental et maritime et l'Orient asiatique et continental, comporte, à l'ori-

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gine, deux aspects distincts, correspondant aux deux secteurs du ProcheOrient. Le premier et le plus ancien en date, limité à l'Orient méditerranéen et orienté du Sud au Nord, est celui des rapports entre l'Egypte pharaonique et méditerranéenne et la Mésopotamie suméro-babylonienne. Le second aspect, qui apparaît avec la naissance à la civilisation du ProcheOrient septentrional et qui s'oriente d'Ouest en Est, est celui des relations entre le monde maritime gréco-égéen et le monde continental irano-asiatique. Ce second aspect, qui n'apparaît qu'après l'an 1000 av. J.-C., c'est-àdire après l'éveil de l'Iran à la civilisation, se greffera sur le premier qu'il finira par éclipser, sans toutefois l'effacer complètement. c.

Ancienneté

et permanence

de la Question

d'Orient

Dans l'Orient méditerranéen ou méridional, le problème des relations entre la zone maritime et la zone continentale s'est posé dès le début des temps historiques. Au lile millénaire, en effet, nous assistons à la rivalité de l'Egypte méditerranéenne, qui cherchait à se procurer, à l'Est (CanaanPhénicie), les produits qui lui manquent, et de la Mésopotamie continentale, qui tendait, pour les mêmes raisons, à s'étendre en sens contraire, vers les côtes de l'Amourrou ou Occident (Syrie). Intercalée entre la monarchie des Pharaons et celle des monarques du bassin de l'Euphrate, comme plus tard l'Arménie entre le monde égéo-occidental et l'Iran, la contrée syrienne servit, pendant des siècles, d'enjeu et de champ de bataille (I, p. 262-265 et 422-429). Au Ile millénaire, la question des relations entre l'Egypte et la Mésopotamie s'aggrave du fait de l'intensification des échanges, de l'expansion aryenne en Asie Mineure et de l'établissement, en Mésopotamie, SyrieNord et Anatolie, des Empires kassite, mitannien et hittite. La rivalité de ces nouveaux Etats continentaux et de la vieille Egypte méditerranéenne, se traduit par des guerres incessantes, dont les épisodes principaux sont successivement constitués par l'invasion des Hyksôs en Egypte, l'expulsion de ces derniers du Delta nilotique et la création, en Syrie, de l'empire égyptien d'Asie. A partir du premier millénaire, la question des relations de l'Egypte et du Nord continental est doublée par celle des rapports du monde égéen et de l'Iran, qui viennent d'entrer sur la scène de l'histoire. La lutte de l'Egypte, maîtresse de la Phénicie maritime, contre les Empires assyrien, chaldéen, médo-perse, de même que les guerres dites «syriennes», entre l'Egypte gréco-ptolémaïque et la Syrie gréco-séleucide, ne sont que les épisodes successifs du problème des relations de l'Egypte et de l'Est asiatique. Dans le Proche-Orient septentrional, le problème des relations entre le

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monde égéen et occidental, d'une part, et le monde asiatique et oriental, de l'autre, remonterait, dans le temps, à la célèbre guerre de Troie (1190). Ce grand conflit des temps antiques se réduit, en effet, à la lutte des Mycéniens de la péninsule hellénique, qui voulaient communiquer avec l'Asie, contre les habitants de Troie, qui contrôlaient les Détroits et fermaient aux Mycéniens l'accès de l'Asie Mineure (II, p. 122 et 317-318). En réalité, le problème des rapports entre l'Europe ou Occident et l'Asie ou Orient commence effectivement avec l'avènement de Cyrus (555—528), fondateur de l'Empire perse achéménide. L'expansion de cet Empire vers le monde égéen, celle d'Alexandre jusqu'aux Indes, les guerres des Parthes et des Séleucides, les conflits romano-parthes et romano-sassanides, de même que les guerres des Califes arabes et celles des Sultans turcs contre l'Empire byzantin, ne sont que les phases successives de l'évolution millénaire d'un même problème. d. Les données réelles du problème

parthe

Enserré entre le Golfe Persique, au Sud, et la Mer Caspienne, au Nord, l'isthme iranien est l'unique route terrestre qui relie le monde méditerranéen et égéen et l'Asie continentale. Cette position privilégiée et ce rôle de grand passage mondial commandent aux maîtres de l'Iran de contrôler les routes qui le traversent, d'une part, jusqu'aux ports de l'Egée et de la Méditerranée orientale, et, d'autre part, jusqu'au bassin de l'Indus. De son côté, le monde méditerranéen et égéen, dont la vie et la prospérité économiques sont fonction de ses relations avec l'Asie intérieure, ne peut se désintéresser de l'isthme qui le relie à cette partie du monde. Commandée par la géographie, cette tendance réciproque à l'expansion, qui se traduira, chez les Iraniens et leurs rivaux de l'Ouest, par deux politiques impérialistes opposées, est à l'origine de tous les grands conflits qui ont toujours mis aux prises l'Iran continental et l'Occident maritime. e. Période

gréco-achéménide

L'expansion iranienne vers l'Occident maritime, qui sera la politique traditionnelle de l'Iran ancien, a commencé avec le roi Cyaxare (633—584), fondateur de l'Empire mède, qui annexa l'Arménie et l'Anatolie orientale. Mais c'est surtout à partir de Cyrus (559—530), fondateur du grand Empire perse achéménide, que l'expansion iranienne vers l'Ouest atteignit ses objectifs. De son côté, l'Occident égéen, représenté, dès 700, par la Lydie ouestanatolienne d'abord et ensuite par les cités maritimes de la Grèce, cherchait à s'étendre vers l'Est anatolien.

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Le choc de ces deux expansions, évoluant en sens contraires, donna naissance aux célèbres «guerres médiques» ou gréco-perses (492—466), qui épuisèrent, en fin de compte, les deux mondes antagonistes (II, p. 318-325). f . Période macédonienne

et

gréco-parthe

Continuateur des Grecs et héritier de leur rivalité séculaire avec les Achéménides, Alexandre de Macédoine détruit l'Empire de ces derniers (330) et forme, sur ses ruines, un vaste Empire gréco-oriental, allant de la péninsule balkanique et de la Méditerranée au bassin de l'Indus. Après celle de Cyrus, cette seconde solution du problème des communications entre l'Occident et l'Asie sera également aléatoire et temporaire. Résolu par la force des armes, ce problème ressuscite avec la faiblesse des successeurs d'Alexandre, les rois gréco-séleucides d'Asie. Les Parthes, qui arrachent à ces derniers le plateau iranien, y fondent un nouvel et puissant Empire qui barre, de nouveau, l'Asie à l'Occident (249). g. Période romaine et byzantine

Successeurs de l'Empire d'Alexandre et de celui des Gréco-Séleucides, les Romains, qui avaient, au début, fixé sur l'Halys et l'Euphrate la frontière orientale de leur Empire méditerranéen, sont ensuite amenés, par la force des choses, à essayer de supprimer l'obstacle parthe, qui obstrue le passage dans l'isthme iranien. De leur côté, les Parthes, obéissant à la même loi géographique, chercheront à atteindre la Méditerranée orientale et l'Egée (129) (II, p. 406). Ce besoin réciproque d'extension territoriale provoquera, pendant plusieurs siècles, des conflits et des guerres, qui opposeront périodiquement Romains puis Byzantins, d'une part, Parthes puis Sassanides, de l'autre, jusqu'au moment où, épuisés par ces luttes incessantes, les deux mondes antagonistes seront surclassés par un nouveau partenaire. Sortant des régions méridionales de la Péninsule arabique, les Arabes de l'Islâm rejetteront les Gréco-Romains en Asie Mineure et effaceront de la carte la puissance iranienne, à laquelle ils succéderont dans son rôle historique de champion de l'Orient contre l'Occident envahisseur. Aussi, les guerres futures qu'entreprendront, pendant plusieurs siècles, les Califes arabes et leurs successeurs turco-asiatiques, contre l'Empire byzantin, de même que les conflits qui opposeront, dans l'Empire ottoman, les puissances européennes et russe, ne sont que les aspects successifs du problème millénaire des rapports du monde occidental et maritime et du monde asiatique et continental. Aujourd'hui, la rivalité de l'Orient russe et de l'Occident anglo-saxon, malgré le voile des doctrines idéologiques dont on la couvre, procède, elle

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aussi, des mêmes causes. La solution de ce nouvel aspect de l'éternelle Question d'Orient sera le grand drame de notre époque (I, p. 80—83). 2. L'Empire parthe, champion du Proche-Orient contre l'Occident romain Vers 249 av. J.-C., les Parthes, rameau détaché des tribus scytho-iraniennes, s'émancipent des Gréco-Séleucides (II, p. 392). Leur chef Arsace I, fondateur de la dynastie arsacide, constitue, en Iran, un petit royaume indépendant. Profitant de l'affaiblissement des Séleucides, Arsace élargit son domaine, qui s'accroîtra encore par la suite. Le déclin de l'Empire séleucide et la dislocation des provinces iraniennes permettent à Mithridate I (174—136), fondateur de l'Empire parthe, de rassembler ces provinces sous son autorité, d'y ajouter, entre 160 et 140, la Médie, la Perside, la Gédrosie, la Babylonie et l'Assyrie, d'imposer sa suzeraineté à l'Arménie et de prendre enfin le titre de Grand Roi. Un camp militaire parthe est installé sur la rive gauche du Tigre, en face de Séleucie, ancienne capitale mésopotamienne des Séleucides; c'est ce camp qui deviendra plus tard Ctésiphon, la capitale de la monarchie parthe (II, p. 406). Compromise sous les règnes successifs de Phraate II (136—127) et d'Artaban II (127—124), morts tous deux en combattant les Scythes à l'Est, la situation de l'Empire parthe est rétablie par Mithridate II (123— 87), souverain remarquable qui, pendant son long règne, consolide le trône, endigue le flot des Scythes nomades et reprend la Mésopotamie et l'Arménie. Anciens Scythes sédentarisés, les Parthes de Mithridate II «barrent la route à leurs proches parents et protègent la civilisation de l'Asie occidentale — rôle que l'Iran joua et qu'il jouera encore au cours de sa longue histoire» (Ghirshman). A l'époque de Mithridate II, son homonyme, Mithridate, le célèbre roi du Pont, tente d'arrêter les conquérants romains qui avancent en Asie Mineure (p. 35). Vers 95, Mithridate II aide son protégé Tigrane à occuper le trône d'Arménie, s'allie avec le roi du Pont et conclut avec l'empereur de Chine un traité de commerce. «Si, dans la constitution de l'empire parthe, Mithridate I joua le rôle de Cyrus, celui de Darius fut réservé à Mithridate II. Le premier le constitua territorialement, le second le raffermit et l'organisa. Il fit de l'Iran une vraie puissance mondiale, et ses contacts avec Rome à l'Ouest et la Chine à l'Est, montrent l'importance de son Etat et l'ampleur de son rôle dans la vie politique et économique du monde d'alors, ce qu'il fit ressortir en prenant le titre de «Roi des Rois».»1 1

Ghirshman, L'Iran, des origines à l'Islam, p. 223.

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a. Décadence et luttes intestines C'est sous les règnes des deux successeurs de Mithridate II, Sanatroikes (87—69) et Phraate III (69—60), que se produit un déclin subit de l'Empire parthe, qui, pendant près de trente ans, traînera dans la décadence et les luttes intestines. Profitant de cet affaiblissement, Tigrane, roi d'Arménie (89—36), ancien protégé de Mithridate II, unifie la contrée arménienne, enlève des provinces aux Parthes et prend le titre iranien de «Roi des Rois». Mithridate III (60—56), qui avait empoisonné son père Phraate III, est déposé par les nobles après quatre ans de règne, puis exécuté sur l'ordre de son frère, Orodès I (56—36), qui lui succède sur le trône. C'est sous Orodès, qui transforme le camp militaire de Ctésiphon, sur le Tigre, en capitale de l'Empire, que le redressement iranien commence à s'opérer. b. Le désastre du proconsul Crassus (53) Trompé par la faiblesse du royaume parthe et attiré par ses richesses, Crassus, proconsul romain de Syrie, est battu à Carrhae, dans la Mésopotamie du Nord. Plus de 20.000 Romains sont tués et 10.000 prisonniers sont transportés à Merv, dans le Turkestan. Crassus lui-même et son fils restent sur le champ de bataille (53). Les aigles romaines demeureront longtemps suspendues, comme trophées, dans les temples des Parthes. c. Les Parthes, champions du monde oriental A partir du désastre de Crassus, le royaume parthe, qui dut sa prodigieuse victoire à la supériorité de sa cavalerie, se pose en défenseur du monde proche-oriental contre l'hégémonie occidentale. Hostiles à la domination romaine, les peuples orientaux — Juifs de Palestine, rois des Nabatéens et d'Edesse, Palmyriens et Arabes du désert — tournent leurs regards vers Ctésiphon, comme vers un centre de délivrance. Comme au temps des Perses Achéménides, l'Iran redevient le champion de l'Orient contre l'hégémonie de l'Occident. d. Politique prohellénique des Parthes Dans l'Iran sédentaire, les Parthes chercheront constamment à se rallier les éléments et les régions hellénisés du pays. Les cités grecques ou hellénisées (Séleucie sur le Tigre, Suse, Doura-Europos sur l'Euphrate, Babylone, etc.) garderont leur organisation propre, sous la haute direction du satrape parthe. L'attitude bienveillante des Parthes envers les cités et les colonies grecques se traduisait par le titre de «philhellène», dont les rois arsacides se

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décoraient sur les monnaies. Nomades primitifs, les Parthes étaient heureux de trouver une société hellénique et une bourgeoisie iranienne hellénisée qui continueraient à administrer, sous leur contrôle, un pays sédentaire et organisé et les riches cités qui détiennent le commerce international. e. Hellénisation superficielle La politique prohellénique des Parthes persistera, avec des fluctuations, pendant presque toute la durée de leur dynastie. «Comme tous les souverains de leur temps, les Arsacides suivirent la mode en «hellénisant» . . . Toutes les légendes de la numismatique parthe sont en effet grecques. Mithridate 1er et nombre de ses successeurs s'y parent du qualificatif de «philhellène» . . . Mais ce vernis d'hellénisme devait être fort superficiel. Les langues parlées... étaient toujours l'iranien . . . en Iran, et l'araméen en Mésopotamie, et les actes étaient rédigés en écriture araméenne, comme sous les Achéménides . . . Dans une telle société, les colonies grecques, comme celle de Séleucie du Tigre, devaient se sentir assez perdues. Séleucie. . . conservait donc dans l'empire féodal arsacide son autonomie municipale, mais la suite nous apprendra qu'elle regardait naturellement, au point de vue politique, comme au point de vue culturel, vers le monde gréco-romain.»2 /. L'Orient romain envahi par les Parthes (40—39) En dépit des troubles intérieurs qui les occupent, les Parthes, profitant de la guerre civile qui sévit à Rome, reprennent la politique expansionnistes de leurs prédécesseurs achéménides et se lancent à la conquête des pays de l'Ouest. En 40, Labiénus, un Romain républicain qui fuyait Rome, passe au service des Parthes et les incite à envahir le domaine romain. Deux grandes années parthes se mettent en marche vers l'Ouest; l'une, sous le commandement de Labiénus, envahit l'Asie Mineure, et l'autre, dirigée par Pacorus, fils du roi Orodès, s'empare de la Syrie et de la Palestine, qui acclament Pacorus comme un libérateur. Hérode, chassé de Jérusalem, est remplacé par Antigone, le dernier des Macchabées (39). «Les Nabatéens acceptent les ordres parthes». g. Réaction victorieuse de Rome (37—36) Secouée par ces désastres, Rome ne tarde pas à réagir. Le triumvir Antoine envoie le général Ventidius Bassus en Asie Mineure. Pacorus et Labiénus sont vaincus et tués (37) et les Parthes expulsés. Les princes vas2

R. Grousset, L'Empire

du Levant, p. 52, 53.

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saux qui avaient bien accueilli les Parthes sont durement traités; Antigone est exécuté et Hérode rétabli sur le trône de Jérusalem. A la suite de cette défaite, Orodès abdique en faveur de son fils, Phraate IV (36—2). Le nouveau roi fait périr son père et ses autres frères. Des troubles intérieurs, qui accompagnent son avènement, l'empêchent de se consacrer immédiatement à la réorganisation et au redressement de son Empire. Encouragé par le succès de son lieutenant Ventidius, Antoine, qui songe à venger le désastre de Crassus, décide d'envahir le territoire parthe. Réunissant une puissante armée qu'il commande en personne, il soumet l'Arménie, qu'il prend pour base de départ, et s'empare de l'Atropatène (Azerbaïdjan) (36), laissant loin derrière lui ses bagages et ses machines de guerre. h.

Echec d'Antoine en Médie

(35)

Profitant de cette négligence, Phraate IV, avec sa cavalerie légère, attaque le camp des machines de siège, les pille ou les détruit, laissant Antoine sans engins ni provisions. Contraint à la retraite, l'illustre triumvir subit de lourdes pertes (36). Revenant à la charge un an plus tard, Antoine reprend l'Arménie et s'avance jusqu'en Médie. Mais une coalition des Parthes et des Arméniens, et sa propre guerre avec Octave, l'obligent à se retirer le plus vite du guêpier iranien. Sa retraite fut pénible et le désastre de son armée évité de justesse (35). Accompagné de Cléopâtre qui l'avait rejoint en Syrie, il rentre à Alexandrie (p. 42). «L'échec d'Antoine, succédant au désastre de Crassus, affermit définitivement la dynastie arsacide. Depuis lors, le public romain admit le partage du monde civilisé entre les deux dominations.»3 /. L'empereur Auguste en Orient (21)

En dépit de l'échec d'Antoine, la conquête de l'Arménie et du royaume des Parthes demeurait très populaire à Rome. Aussi, lorsqu'en 22 la nouvelle d'un voyage de l'empereur en Asie fut connue, l'Italie, croyant qu'il s'agissait de cette conquête, manifeste-t-elle sa joie. Mais Auguste, fidèle à sa politique défensive en Orient, se propose, par ce voyage, de résoudre définitivement le différend qui opposait Romains et Parthes et d'établir, entre les deux puissances, des rapports amicaux. Des contacts, en vue d'une transaction honorable, avaient déjà été entamés, à Rome, avec des ambassadeurs de Phraate IV. En 21, Auguste arrive en Asie. L'Arménie, jadis conquise par Antoine, est gouvernée par un roi hostile à Rome et soumis à l'influence des Par* R. Grousset, L'Empire

du Levant,

p. 54.

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thes. Encouragés par les Romains, les Arméniens soulevés tuent le roi et le remplacent par Tigrane, candidat et protégé d'Auguste. j. Paix romano-parthe (20) Immobilisé par des troubles intérieurs, Phraate IV s'empresse de traiter avec les Romains et leur rend les trophées enlevés à Crassus et à Antoine. Renonçant à la politique méditerranéenne, les Parthes abandonnent définitivement à Rome la Syrie et l'Asie Mineure. Rome, de son côté, renonce aux projets de César et d'Antoine et s'engage à ne pas pénétrer dans l'Asie centrale (20). «Un modus vivendi s'établit.. . Phraate IV (f 2 av. J.-C.) finit ses jours en bonne amitié avec l'empereur Auguste qui s'efforçait adroitement de faire pénétrer l'influence romaine dans ses Etats. A cet effet, Auguste et ses successeurs gagnèrent à la civilisation latine plusieurs jeunes Arsacides élevés auprès d'eux et qu'ils cherchèrent à placer ensuite sur le trône de Ctésiphon, mais chaque fois que ce calcul parut réussir, une réaction du tempérament semi-nomade se produisit chez les Parthes qui chassèrent les clients de Rome pour appeler d'autres prétendants arsacides restés fidèles aux coutumes de leur race.»4 k. Politique pacifique d'Auguste en Orient La restitution des étendards à Auguste a fait à Rome plus de bruit qu'une victoire. On y vit la réparation de deux grands désastres romains et le Sénat éleva un autel «à la Fortune revenue». Des démonstrations officielles, effectuées à cette occasion, déguisaient le désir profond d'Auguste d'arrêter les conquêtes romaines en Orient. L'empereur savait que les tendances agressives des Parthes sont limitées; par contre, leur force défensive est puissante et la politique des conquêtes romaines à l'Est de l'Euphrate s'est révélée hasardeuse et erronée. «La Parthie ne pouvait constituer une menace pour Rome; son organisation sociale, ses fréquentes révolutions de palais, les luttes entre clans, les tendances séparatives des vassaux, l'absence de force au pouvoir central, permettaient à son égard une attitude plus amicale.»5 Auguste savait aussi qu'en dépit de la puissance de sa force défensive, la monarchie des Parthes était facile à conquérir. Mais des raisons politiques supérieures lui conseillaient de renoncer à cette entreprise inopportune et coûteuse. Les Romains ne peuvent, en effet, être les maîtres de cette partie de l'Asie qu'avec une armée très puissante. Or, Auguste avait besoin de forces pour protéger la Gaule contre les invasions germaniques. 4

R. Grousset, L'Empire du Levant, p. 54. Ghrishman, op. cit., p. 227.

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D'autre part, l'Empire romain est maintenant une masse compacte et solide, centrée autour de Rome. Toute conquête ultérieure ne pouvait que détruire cet harmonieux équilibre. Franchir l'Euphrate pour acquérir de nouvelles contrées, prolongerait dangereusement l'extrémité orientale de l'Empire et romprait son équilibre organique. Auguste estime que, sous son règne, l'Empire avait atteint son plein développement et les proportions nécessaires à son existence normale. Ses frontières naturelles sont, à l'Est, l'Euphrate, à l'Ouest, le Rhin. D'un côté, la Syrie et l'Egypte, de l'autre, la Gaule. C'est pour cela qu'Auguste laissera, comme conseil suprême à son héritier, celui de ne pas déplacer les frontières romaines. /.

Syrie-Egypte

et Gaule

Par cette politique prudente et sage, Rome recouvre sa liberté d'action en Occident. Elle va ainsi pouvoir entreprendre, en Gaule, cette politique de romanisation d'où devait sortir la civilisation européenne. «Jusqu'alors, Rome avait vécu sur cette idée que l'Orient était la source unique de richesse et de culture; par là-même, elle avait toujours couru le risque de se laisser prendre au charme oriental et de se transformer en un empire asiatique. Dès ce moment, au contraire, elle trouva un équilibre et devint une puissance mi-asiatique, mi-européenne: dans l'empire, la Gaule fit contrepoids à l'Egypte et à la Syrie, et l'Italie se trouva être, au centre, l'arbitre et la dominatrice de l'Orient comme de l'Occident... Sans la Gaule, Rome n'aurait pu rester bien longtemps la capitale de l'empire.»6 m. Troubles intérieurs en Iran

Phraate V (2 av. J.-C. — 4 ap. J.-C.), fils de l'esclave italienne Musa qu'Auguste avait envoyée en présent à Phraate IV, règne conjointement avec sa mère. Pour lui assurer le trône, celle-ci n'avait pas hésité à empoisonner le vieux roi; sur les monnaies, l'effigie de Musa apparaît à côté de celle de son fils. Phraate V, qui soutint les Arméniens dans leurs luttes contre les Romains, exigea, sans l'obtenir, la restitution de ses quatre frères élevés à Rome. A une lettre d'Auguste, qui lui enjoignait de cesser ses manœuvres en Arménie et de renoncer au titre de roi, il répondit par une communication où il prenait le titre de Roi des rois, tandis qu'il ne donnait à l'empereur que le titre de César. Au bout de six ans de règne, des troubles intérieurs enlèvent au fils de l'esclave italienne le pouvoir et la vie (4 ap. J.-C.). Orodès II (4—8), un usurpateur, est tué après quatre ans de règne. • Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 178.

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Vononès (8—11), fils aîné de Phraate V, vassal de Rome, ne fait que passer sur le trône. Elevé à Rome, il était devenu étranger aux mœurs de son pays. Détrôné, il est remplacé par Artaban III (11—41), descendant d'une branche féminine des Arsacides.

3. Auguste et la Péninsule arabique Après l'Empire des Parthes, le second pays proche-oriental qui échappera à la domination romaine, est la Péninsule arabique. a. La Péninsule arabique ou Arabie proprement dite L'histoire ancienne de la Péninsule arabique (l'île des Arabes), ou Arabie proprement dite, est pleine d'obscurités et de légendes. Dans cette contrée désertique, les agglomérations humaines et la civilisation urbaine ne se sont concentrées que sur les côtes de la Mer Rouge et de l'Océan Indien; l'arrière-pays est le domaine exclusif des tribus nomades. Nom. — Le nom d'Arabie, appliqué à l'ensemble de la Péninsule et surtout aux côtes méridionales, est de création relativement tardive. Nous avons vu (p. 64—66) que le mot Arabe ou 'Arab, mentionné dans les inscriptions assyriennes du IXe siècle av. J.-C., désignait les individus et groupements nomades qui vivaient, dans le désert, à l'Ouest de l'Euphrate. Au cours du 1er millénaire av. J.-C., le mot Arabe s'appliquait à tous les Bédouins et tribus nomades ou semi-nomades des déserts de Mésopotamie, Syrie, Palmyrène, Arabie Pétrée, Sinaï; la langue de ces derniers est un dialecte sémitique, plutôt araméen. C'est seulement plus tard que le nom d'Arabe, limité d'abord aux habitants de la partie septentrionale du plateau arabique, s'étendra à ceux de la Péninsule elle-même, qui sera connue sous le nom d'Arabie.7 Les Egyptiens appelaient du nom général de pays de Pount, la côte arabique de la Mer Rouge (Hedjaz actuel) et celle qui lui fait face, le pays actuel des Somalis. A part ce nom de Pount, les noms anciens de la contrée sud-arabique sont ceux de Saba, d'Ophir, de Mâ'in, de Katabanu, de Hadramout. L'ensemble de ces pays est désigné, par les anciens, sous l'appellation générique de Sabéen, du nom de l'une de ses parties, le royaume de Saba, futur Yémen, dont l'une des reines visita le roi Salomon, vers 950 av. J.-C. C'est l'Arabie Heureuse des Grecs, par opposition à l'Arabie Pétrée, stérile et désolée. 7 C'est ainsi que le nom d'Europe, qui désignait primitivement le monde hellénique, et le terme d'Afrique, qui s'appliquait, au début, à la Tunisie, désignèrent, par la suite, l'ensemble des deux continents qui portent respectivement aujourd'hui ces deux noms.

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Langue. — La langue des habitants du Centre arabique est un idiome sémitique, frère de l'araméen parlé dans le nord de la Péninsule et ancêtre direct de l'arabe islamique. Cet idiome est encore, à cette époque, à une phase d'évolution qui aboutira, quelques siècles plus tard, à la langue arabe classique des tribus préislamiques. b. L'Arabie méridionale, riche centre de transit entre l'Egypte et l'Inde Située au milieu même des premiers centres civilisés de l'ancien monde, la Péninsule arabique n'est entrée que très tard dans l'histoire. Nous savons que, dès la plus haute antiquité, l'Egypte était en relations commerciales avec la côte arabique (pays de Pount). Pour Hérodote, l'Arabie est la terre des parfums rares et des épices. Après Alexandre le Grand, les Grecs ont quelques notions plus précises sur cette contrée. Les Ptolémées instaurent des relations commerciales entre l'Egypte et le Yémen et suppriment la piraterie dans la Mer Rouge. La Paix romaine et le développement du luxe en Occident stimulent le commerce des produits précieux de l'Orient, et le mouvement des caravanes grandit de jour en jour. Les produits de l'Afrique et de l'Inde transitaient dans les ports du Golfe Persique et de la Mer Rouge. Ce commerce par mer enrichissait prodigieusement les Sabéens ou futurs Yéménites, au détriment de l'Egypte romaine. Par Aden, leur port de transit, les Sabéens monopolisaient les produits asiatiques et africains et les exportaient en Egypte, en Palestine et en Syrie. Ainsi, comme Palmyre, la côte sud-arabique est un riche entrepôt commercial et un centre de transit très actif entre l'Inde asiatique et le monde méditerranéen. c. Prospérité économique artificielle de la contrée sud-arabique Due à sa situation entre l'Egypte et l'Inde, et surtout à la rivalité et aux conflits romano-parthes qui interrompent souvent ou rendent difficile le passage de l'isthme iranien, la prospérité de la côte sud-arabique s'accroîtra, au cours des siècles futurs, à mesure que la lutte deviendra plus âpre entre le monde romain et le monde iranien. Cette lutte sera encore plus acharnée, après l'avènement de la dynastie nationaliste des Perses Sassanides (226—652 ap. J.-C.). Autour de l'an 600 ap. J.-C., cette prospérité arabique, à son apogée, verra la naissance et l'ascension, au Hidjâz, du Prophète Mahomet. d. Expédition militaire romaine en Arabie méridionale (25—24 av. J.-C.) Comme l'Iran, qui ferme à Rome la route septentrionale de l'Asie, l'Arabie méridionale, qui domine et monopolise la route du Sud, échappe, elle aussi,

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au pouvoir des Romains. Négligeant l'isthme iranien, dont la conquête lui paraît coûteuse et aléatoire, Auguste décide de placer la route sud-arabique sous la dépendance et le contrôle de l'Egypte romaine. En 25—24, une armée de dix mille hommes, sous la conduite du préfet d'Egypte, se met en marche. Mille guerriers sont fournis par le roi des Arabes Nabatéens et 500 par Hérode, roi de Judée. Débarquant à Leukekomé, dernier port nabatéen sur la côte arabique, les troupes romaines y restent, pendant plusieurs mois, immobilisées par les maladies. Dans le désert, elles ne disposent que de l'eau transportée à dos de chameau. Après six mois de marche sans rencontrer de résistance, l'armée, qui arrive à un point proche de la capitale, est forcée de battre en retraite par suite du manque d'eau. Ces difficultés, qui feront renoncer les Romains à leur entreprise, les décourageront d'entreprendre une nouvelle expédition dans cette contrée. Leur intervention aura toutefois pour résultat de développer les relations par mer entre l'Egypte et l'Inde. e. Mort d'Auguste. Avènement

de Tibère (14 ap. J.-C.)

En 14 de notre ère, Auguste meurt, à soixante-dix-sept ans, et en la 54e année de son règne. Une grave question se pose au sujet de sa succession. Ce princeps était devenu, en fait, le «rex» de Rome, cette vieille magistrature par laquelle la République avait débuté et que les premiers Romains avaient juré de ne plus rétablir. Mais tout le monde maintenant est d'avis que l'Empire ne pourra vivre sans un monarque ou roi qui exerce les pouvoirs de sa charge, mais sans proclamer son titre. Ces pouvoirs, devenus immenses, peuvent être comparés à ceux attribués, de nos jours, à un président américain au cours d'une grande guerre, avec la différence que le princeps romain était élu, non pour quatre ans, mais à vie, qu'il nommait les sénateurs au lieu de dépendre d'un Sénat élu, et qu'il avait affaire à la masse, et non à une chambre de représentants. Le princeps était, en outre, souverain pontife. Après une longue résistance du Sénat, les pouvoirs d'Auguste sont transmis à Tibère, son fils adoptif et son collègue qui, à ce dernier titre, se trouvait à la tête de l'Etat. Le nouveau princeps déclare lui-même que le terme de la durée de ses fonctions serait imposé par les circonstances, et, plus encore, par sa vieillesse prochaine, et que le Sénat pourrait le révoquer à sa guise. Tibère respecte scrupuleusement les lois républicaines et ne veut être que le premier des patriciens romains. / . L'œuvre

d'Auguste

Auguste «eut deux grands mérites. Il réussit à sauver de la destruction le

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principe aristocratique, suivant lequel l'empire n'était pas, comme dans les monarchies, la propriété d'une dynastie, mais la propriété unique et indivisible du peuple romain, une aristocratie de grandes familles élevées selon l'ancienne tradition, ayant seule le droit de l'administrer... Le second mérite d'Auguste fut d'avoir compris que l'avenir de l'empire était plus en Occident qu'en Orient. Il tenta de conquérir la Germanie et il échoua, mais, par contre, il s'empara de la région des Alpes; il affermit solidement les frontières de l'empire sur le Rhin et sur le Danube. Les effets de cette politique sont encore sensibles. Par elle, l'Europe est entrée dans l'histoire de la civilisation qui jusqu'alors ne s'était répandue qu'en Orient ou dans les presqu'îles méridionales du continent européen. Grâce à cette politique, entre la civilisation en décadence de l'Orient et la civilisation en croissance de l'Occident, l'Italie et Rome purent conserver encore pendant trois siècles le sceptre conquis par tant de guerres. La faiblesse de son œuvre de construction est dans la timidité avec laquelle lui et son époque ont affronté le problème capital de l'histoire romaine: le principe de légitimité du pouvoir suprême. Auguste ne fonda pas une monarchie; il reconduisit la république à ses origines, en rétablissant l'autorité du rex.»a 4. Rivalités romano-parthes en Arménie (14—66) a. Au temps de Tibère, Caligula et Claude (14—54) Continuant la politique d'Auguste, ses trois premiers successeurs, Tibère, Caligula et Claude, ne s'occupent que de l'Occident, où ils voyaient l'avenir de l'Empire. Négligé par ces empereurs, le Proche-Orient attire les Parthes qui s'y avancent de nouveau. Echec romain en Arménie. — Détrôné, l'année même de son avènement (11), par Arfaban III (11—41), qui appartient à une branche féminine des Arsacides, Vononès, vassal de Rome, se dédommage du trône iranien en s'emparant de celui d'Arménie. Menacé dans son nouveau royaume, Vononès est convoqué par le gouverneur romain de Syrie qui, ne pouvant le secourir par une intervention militaire, le retient à Antioche, en lui maintenant son titre et l'appareil de la royauté (16). Avalant l'échec subi par son protégé, Tibère, fidèle à la politique orientale de son prédécesseur Auguste, entend maintenir, par la diplomatie, les droits de l'Empire en Arménie. Germanicus, Gouverneur général de l'Orient romain (17—19). — Neveu de l'empereur Tibère (14—37), Germanicus, qui venait d'envahir la Germanie et de se couvrir de gloire dans cette campagne, est investi, avec des 8

G. Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 186.

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pouvoirs très étendus, du gouvernement de toutes les provinces d'Orient (17). Ayant «à administrer des populations très civilisées, et à traiter avec des cours rompues aux intrigues», Germanicus se voit doublé d'un conseiller plus âgé et plus expérimenté, Pison. Ami personnel de l'empereur, Pison est envoyé en Orient en qualité de gouverneur de la Syrie. Commandée par le désir de Tibère d'évacuer la Germanie, dont l'occupation était trop onéreuse, la nomination de Germanicus en Orient déplut à Rome. Les adversaires de l'empereur répandirent le bruit que ce dernier avait rappelé Germanicus par jalousie, et que le proconsulat d'Orient qui lui fut donné n'était qu'un exil masqué. La nomination de Pison, à côté du proconsul d'Orient, ne fit qu'accréditer ces accusations absurdes. Aussi, dès leur arrivée à Antioche, Germanicus et Pison, et en même temps leurs femmes, entrent-ils en dispute. Le désordre s'aggrava à tel point que l'armée et tout l'Orient finirent par se diviser en deux camps hostiles. Pour mettre fin à ce conflit, Pison quitte sa province syrienne et rentre à Rome (19). L'Arménie vassale de Rome (19). La Cappadoce transformée en province. — Germanicus règle la question arménienne en plaçant sur le trône, toujours vacant, Artaxias III, fils du roi du Pont (19). En Asie Mineure, la principauté vassale de Cappadoce est transformée en province romaine. C'est vers cette époque aussi que la ville-oasis de Palmyre apparaît tributaire de Rome. Les légats impériaux de Syrie y réglementent les impôts et les droits d'octroi. Accomplis sans guerre et tacitement acceptés par les Parthes, ces arrangements constituent, pour la politique romaine, de substantiels succès. En 19, Germanicus tombe soudainement malade et meurt à l'âge de 34 ans. Sa veuve Agrippine, ses amis et ses partisans, ainsi que les adversaires de Tibère, accusent l'empereur de l'avoir fait empoisonner. Rome et l'Italie pleurent le héros mort et réclament la punition de Pison, accusé de lui avoir fait administrer le poison. Convoqué par le Sénat pour répondre de cette accusation, Pison se donne la mort (20). Conflit et entente romano-parthes (34—37). — En 34, la question arménienne s'ouvre de nouveau par la mort du roi Artaxias, client de Rome. Le roi parthe Artaban III, devenu hostile aux Romains après la mort de Germanicus, impose comme roi à l'Arménie l'un de ses fils, Arsace, et prétend reprendre aux Romains toutes les possessions orientales conquises autrefois par Cyrus. Tibère riposte promptement à cette nouvelle politique parthe. Vitellius, homme énergique et capable, est nommé gouverneur de Syrie et envoyé en Orient. Arsace, roi d'Arménie et fils d'Artaban, est assassiné par les Ibères, alliés de Rome, qui envahissent l'Arménie. Des armées parthes, envoyées pour redresser la situation, sont successivement battues et re-

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poussées. Fuyant une révolte qui vient d'éclater, Artaban se réfugie aux frontières de la Scythie. Tiridate III, un Arsacide ami de Rome, est conduit par Vitellius en Parthie et placé sur le trône parthe (36). En Arménie, Mithridate, un Ibère, autre client de Rome, prend le pouvoir. En 37, Artaban, qui venait de lever une armée en Scythie, reprend sans combat son royaume. Abandonné par ses troupes, Tiridate se réfugie en Syrie. Instruit par l'expérience, Artaban se montre plus conciliant. A la suite d'une entrevue qu'il a avec Vitellius, sur l'Euphrate, les pourparlers des deux chefs aboutissent à un compromis: Rome reconnaît Artaban comme roi des Parthes; de son côté, celui-ci accepte Mithridate, le candidat romain, comme roi d'Arménie (37). Les empereurs Caligula et Claude. — A la mort de Tibère (37), le Sénat choisit, pour lui succéder, Caius César, fils de Germanicus, surnommé Caligula (37—41) par les soldats. Esprit déséquilibré et malade, le nouveau princeps voulut instaurer à Rome une monarchie orientale. Il exige d'être adoré comme un dieu et annonce son intention de se marier avec sa sœur Drusilla, à l'imitation des Ptolémées et des Pharaons. Sous son règne, Mithridate, que Tibère avait aidé à monter sur le trône d'Arménie, est chassé de son pays et se réfugie à Rome. En 41, Caligula est tué à la suite d'une conjuration. Tandis que le Sénat, dégoûté du régime du Principat discrédité par Caligula, délibérait sur le moyen de lui substituer une autre institution, les prétoriens acclament, comme princeps et empereur, Claude {41—54), oncle de Caligula et frère de Germanicus. Ne disposant d'aucune force armée, le Sénat ratifie ce choix des soldats. Dépourvu de prestige et d'autorité, Claude, qui néglige l'Orient, conquiert la Grande-Bretagne. Il fait accorder le droit de cité à de nombreuses populations provinciales et réalise de remarquables réformes sociales, inspirées de conceptions rationnelles et humaines. Déboires romains en Arménie et en Parthie (42—53). — Profitant de la discorde qui règne au sein de la dynastie arsacide, Claude, qui cherche à renforcer l'influence romaine en Orient, envoie Mithridate, chassé d'Arménie, avec des troupes qui le replacent sur le trône (42). En 49, de nouveaux troubles dynastiques, survenus en Parthie, amènent Claude à intervenir dans ce pays pour y placer, comme roi, un fils de Vononès, Meherdates, qui vivait alors à Rome. Longinus, gouverneur de Syrie, conduit le prince jusqu'à la frontière parthe, où un parti de dissidents vient se mettre à son service. Après avoir soumis l'Assyrie. Meherdates est battu et fait prisonnier (50). En 51, Mithridate d'Arménie est tué, avec tous les siens, par son neveu, le fils du roi d'Ibérie, qui se fait proclamer roi. Vologèse I (51—75), roi des Parthes, envahit l'Arménie et y établit roi son frère Tiridate (53).

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Craignant de provoquer la guerre avec les Parthes, des troupes romaines, qui avaient été d'abord dépêchées vers l'Arménie, s'empressent de rentrer en Syrie. En dépit du double échec que Rome avait subi, avec la défaite de ses deux protégés royaux, en Arménie et en Parthie, la frontière de l'Empire est bien protégée et les Parthes sont contenus sans guerre. La Judée sous Caligula et Claude (37—54). — Tandis qu'Hérode Antipas (4 av. J.-C. — 39 ap. J.-C.), fils d'Hérode le Grand, règne sur la Galilée à titre de tétrarque, son neveu, Hérode Agrippa I (37—44 ap. J.-C.), élevé à Rome et ami de Caligula, reçoit de celui-ci, en 37, le diadème et le titre de roi, avec la tétrarchie de Philippe, puis, en 39, celle de Galilée, enlevée à Hérode Antipas tombé en disgrâce. En 41, l'empereur Claude ajoute, aux territoires octroyés à Hérode Agrippa I, la Judée et la Samarie des Procurateurs romains, dont la fonction est supprimée. Le royaume juif d'Hérode le Grand est ainsi reconstitué sous l'autorité de Rome. En même temps, Hérode, frère d'Agrippa I, reçoit la principauté de Chalcis, entre le Liban et l'Anti-Liban, avec le titre de roi et le rang de prétorien. A la mort d'Hérode Agrippa I, son fils Hérode Agrippa II (44—68) lui succède avec les mêmes noms officiels; mais les Procurateurs romains sont rétablis à Césarée, où ils exerceront leurs fonctions jusqu'en 66. En 50, l'empereur Claude donne à Agrippa II la principauté de Chalcis, avec la dignité royale; puis il la reprend, en 53, pour l'échanger contre la tétrarchie de Philippe et celle d'Abilène, lesquelles s'étendaient des sources du Jourdain à l'Anti-Liban. b. Sous le règne de Néron (54—68) Avènement de Néron. — En 54, l'empereur Claude meurt. Sa femme Agrippine, fille de Germanicus, fait acclamer son fils Néron (54—68), né d'un premier mariage, au détriment de Britannicus, fils de l'empereur défunt et de sa première femme Messaline. Acclamé par la garde prétorienne, Néron, qui n'a que dix-sept ans, est accepté par le Sénat, impuissant et résigné. Néron, qui préférait les arts et les plaisirs à la guerre et à l'administration, laisse au Sénat la direction des affaires publiques. Mais le Sénat, qui avait vieilli, ne déployait aucune activité. Ce furent quelques hommes, groupés autour de Néron, qui prirent en main l'administration de l'Empire. Aussi, et tandis qu'à Rome les mauvais instincts de Néron, accrus par les adulations, plongeaient la capitale dans une atmosphère de discorde et d'anarchie, les provinces étaient mieux administrées. La politique orientale de Néron. — Dès la première année du règne de

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Néron, un vaste projet de politique orientale est élaboré à Rome: l'action romaine est énergiquement reprise dans cette partie de l'Empire, où elle se manifestera désormais d'une façon plus suivie. En 54, la menace d'une intervention parthe en Arménie provoque à Rome une réaction immédiate. Des forces considérables sont envoyées en Orient et les troupes locales sont renforcées. Les rois vassaux de Commagène et de Judée sont invités à tenir leurs troupes sur pied de guerre; en même temps, deux nouvelles principautés vassales sont créées à la frontière occidentale de l'Arménie. Succès romains en Arménie (59—60). — Des désordres intérieurs, vraisemblablement fomentés à l'instigation des Romains, contraignent Vologèse I à consentir à une trêve; Tiridate, frère du roi parthe, est rappelé d'Arménie (55). De 55 à 57, les troupes romaines sont entraînées à la guerre et des recrues levées en Galatie et Cappadoce; une alliance est conclue avec le roi d'Ibérie, dans le Caucase. En 58, l'armée romaine entre en Arménie dont la capitale est enlevée en 59. Un prince cappadocien, Tigrane V, descendant d'Hérode le Grand, est placé sur le trône et une garnison romaine assure son pouvoir (60). Ces succès, amplifiés par la distance, furent accueillis à Rome par des transports de joie. Ils permirent à Néron, accusé du meurtre de sa mère Agrippine, de surmonter une crise profonde qui dressait contre lui une opinion publique horrifiée. «Depuis Auguste, aucune entreprise n'avait été aussi heureuse: des honneurs furent décernés à Néron, comme si les difficultés en Orient avaient été résolues par lui de façon définitive. Ce revirement, bien que passager, était pour lui une chance considérable.»9 Les Romains expulsés d'Arménie (61—62). — Mais ce règlement de la question arménienne, à la satisfaction de Rome, était précaire; il ne pouvait avoir un caractère relativement durable que par une défaite décisive des Parthes. Retenus par des difficultés intérieures, ces derniers s'étaient, jusque-là, abstenus d'intervenir dans la guerre. Mais lorsque Tigrane, enhardi par le succès, envahit une province parthe, Vologèse proclame, de nouveau, son frère Tiridate roi d'Arménie, et envoie une armée pour le mettre sur son trône (61). Devant ces mesures, les Romains mettent la Syrie en défense et envoient deux légions au secours de Tigrane, assiégé dans sa capitale. Après une trêve au cours de laquelle des négociations échouèrent, les opérations reprennent entre les deux puissances. Malheureusement, les troupes romaines réunies en Orient sont placées sous le commandement de deux chefs distincts. Les troupes de Syrie relèvent de Quadratus, gouverneur de cette province, et les légions d'Asie 8

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 204.

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Mineure sont commandées par Corbulon, qui venait de Germanie où il s'était distingué. Disséminées dans le pays, les légions romaines envoyées en Arménie sont attaquées et battues. Forcé de capituler, leur chef consent à évacuer l'Arménie et Vologèse I promet d'envoyer une ambassade à Rome pour traiter de la paix (62). Tandis que l'armée romaine d'Arménie se retire vers ses bases de Cappadoce, semant la route de morts et de blessés, celle de Syrie, qui vient à son secours, arrive sur l'Euphrate. Vologèse somme Corbulon de retirer ses troupes qui ont franchi ce fleuve. Un accord provisoire entre les deux chefs est conclu: l'Arménie sera abandonnée par les Romains et par les Parthes et laissée à ses propres enfants (62). Les pourparlers de paix ayant échoué à Rome, la guerre reprend l'année suivante. L'armée romaine, renforcée, est cette fois unifiée sous le commandement en chef de Corbulon, qui reçoit des pouvoirs extraordinaires. Les premiers succès que celui-ci obtient, dans sa marche en Arménie, déterminent Vologèse à rouvrir les pourparlers de paix. Compromis romano-parthe sur l'Arménie (63). — Aussi épuisés l'un que

l'autre, les deux adversaires arrivent à un compromis. Tigrane est écarté du royaume d'Arménie et remplacé par un prince qui sera vassal de Rome. Tiridate, frère de Vologèse et ancien roi d'Arménie expulsé par les Romains, recouvre son royaume, mais avec la condition de se rendre à Rome pour recevoir de Néron le diadème royal (63). Cette transaction honorable n'était, pour chacune des deux parties, qu'un succès négatif. Elles s'empressèrent cependant de la présenter comme une victoire, dans leurs capitales respectives. A Rome, la cérémonie d'investiture de Tiridate se déroula en grande pompe au Forum; Néron, en costume de triomphateur, reçoit l'hommage de Tiridate, à genoux devant lui. Pour célébrer la fin de cette grande guerre, l'empereur ferme solennellement le temple de Janus (66), pour indiquer que l'Empire est en paix.

III. Naissance et propagation du christianisme. Elaboration du premier monde chrétien 1. Origine du christianisme Né à Bethléem, bourgade de Galilée, sous le règne de l'empereur Auguste, Jésus de Nazareth (4 ou 6 av. l'ère — 30 ap.), fondateur du christianisme, est mort, crucifié à Jérusalem, sous le règne de l'empereur Tibère et l'administration de Ponce-Pilate, procurateur romain de Judée. Jusqu'à 50, les adeptes de Jésus, rares et obscurs, disséminés dans quelques villes, n'attiraient pas l'attention des autorités. Les persécutions dont ils étaient parfois l'objet étaient plutôt des faits accidentels et locaux, produits par des causes particulières. Même sous Néron (54—68), les supplices infligés aux Chrétiens de Rome et la mise à mort des apôtres Paul et Pierre (67), loin d'être dirigés contre la nouvelle religion, étaient motivés par la nécessité où se trouvait cet empereur déséquilibré de se justifier de l'incendie de Rome, qu'on l'accusait d'avoir ordonné. C'est à partir de 60 environ que la religion de Jésus commence à se répandre, de plus en plus largement, en Orient et dans la plèbe. Mais c'est seulement sous le règne de l'empereur Trajan (98—117), que le pouvoir impérial s'occupera officiellement du christianisme. Avant Trajan, aucune ordonnance spéciale n'avait encore été rendue contre les Chrétiens qui, jusqu'alors, ne pouvaient être poursuivis que sur des accusations de droit commun. Si le christianisme ne s'est pas imposé d'un coup à la conscience des peuples, c'est qu'à la différence de la plupart des cultes antiques, il ne fut pas la religion officielle d'un conquérant ou d'une dynastie régnante, et qu'il s'infiltra dans la pyramide sociale en l'abordant par la base. Ce sont les humbles, les déshérités de la vie, les classes moyennes, qui furent les premiers adeptes de cette nouvelle religion. Or, cette partie de la société, quoique la plus nombreuse, ne comptait guère dans le monde antique. Renan a dit, avec raison, que le christianisme est «un mouvement de pauvres». Cette observation ne doit pas être entendue avec nos idées modernes. Jésus n'est pas un démagogue qui cherche, en excitant la foule, à réaliser des réformes politiques ou sociales. Il n'entendait nullement, comme beaucoup de Juifs l'avaient espéré, provoquer une révolution politique ayant pour objet de libérer le pays juif de la domination étrangère. Au contraire, son enseignement, à l'égard des autorités romaines, est tout de loyalisme politique: «Rendez à César ce qui est à César.»

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Jésus n'entendait pas, non plus, provoquer une révolution sociale. L'eût-il voulu, d'ailleurs, qu'il n'y aurait guère réussi; car, ce que nous appelons aujourd'hui les masses populaires ne comptait pas à cette époque. La classe aristocratique dominait les autres et accaparait tous les droits. Le prolétariat antique, esclave ou libre, même dans les démocraties d'Athènes et de Rome, n'avait ni cohésion, ni puissance, et était incapable d'une action collective. Son action destructive était certes incontestable; mais Jésus a formellement condamné et interdit la guerre et la violence. L'enseignement de Jésus impliquait bien une révolution pour l'époque; mais cette révolution était plutôt d'ordre spirituel et surnaturel. Elle avait pour objet le triomphe de la piété et l'établissement du règne de Dieu, et s'adressait tant aux personnages influents et aux docteurs de la Loi mosaïque, qu'à la masse populaire. Mais cette doctrine égalitaire, qui ouvre le royaume de Dieu à tous les hommes, sans distinction de classes ni de races, heurtait trop les intérêts des classes aristocratiques et dirigeantes pour ne pas provoquer de leur part une réaction vigoureuse. Ces classes supérieures, qui, seules, avaient le pouvoir et le moyen d'agir, étaient d'autant plus portées à combattre l'action de Jésus, que la doctrine qu'il enseigne menaçait leurs intérêts et attentait à l'autorité du chef suprême de l'Empire. En effet, le caractère exclusif du christianisme, qui refusait le culte de l'empereur, éloignait de cette religion les classes aristocratiques et dirigeantes et inquiétait les représentants des autorités civiles et politiques. Si, en dépit de ces difficultés majeures, le christianisme a fini par pénétrer toutes les classes de la société antique, c'est qu'il arrivait à son heure, et que le monde de l'époque était assoiffé de sa doctrine. «L'empire romain, le paganisme, la philosophie, le judaïsme officiel, toutes les forces humaines organisées alors, avaient accompli leur révolution. Le monde, désespéré par les fausses religions, demandait vainement aux philosophes le secret de la vie et de la vertu.» La réforme religieuse entreprise par Jésus forme, pour les Chrétiens, le dernier épisode de la mission divine qui avait été confiée au peuple d'Israël, par l'intermédiaire d'Abraham, de Jacob et de Moïse. Nous avons vu qu'un des traits de la religion judaïque est l'espérance messianique, ou l'attente d'un Messie que les prophètes ont annoncé et qui ressuscitera les gloires d'Israël. Ce Messie sauveur, le peuple élu l'attend depuis la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor et la déportation, en Babylonie, d'une partie du peuple juif (587 av. J.-C.). Il crut à sa venue prochaine lorsque Cyrus, détruisant l'Empire de Babylone, autorisa les Juifs à retourner en Palestine et à y reconstruire le Temple de Salomon (538 av. J.-C.).

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«Les Juifs attendaient un sauveur spécial, un messie, qui ramènerait vers le bien l'humanité, tout en ressuscitant... les gloires fabuleuses de David et de Salomon . . . Lorsque la puissance politique des peuples sémites déclina, lorsque Carthage s'enfonça, après Tyr, dans la nuit, et que l'Espagne devint une province romaine, ce rêve se précisa et se répandit. On peut admettre que les Phéniciens, disséminés en Espagne, en Afrique et dans tout le bassin de la Méditerranée, devinrent des prosélytes du judaïsme . . . Le judaïsme est en fait un idéal politique auquel beaucoup de peuples éprouvés apportèrent leur contribution.»1 Ce Sauveur spécial, ce Messie attendu, semble personnifier, pour les Juifs, tantôt l'Israël nouveau, apôtre et maître du monde, tantôt une personne mystérieuse dont les souffrances expiatoires doivent sauver tous les hommes. Pour les Chrétiens, ce Sauveur est le Messie rédempteur, et c'est Jésus qui l'a incarné parmi les hommes.

2. Jésus, sa vie et sa doctrine Né d'une femme et de l'Esprit de Dieu, Jésus, pendant près de trente ans, mène à côté de sa mère, Marie de Nazareth, et de Joseph le charpentier, qui passait pour son père, une existence cachée, pauvre et laborieuse. Au moment où Jésus approche de sa trentième année, l'Esprit de Dieu qui l'a produit lui fraie le chemin, en suscitant un grand prophète, Jean le Baptiste, qui annonce la venue imminente du Messie attendu et l'avènement proche du royaume de Dieu. La pénitence, le baptême et la confession des péchés, que Jean prêche sur les bords du Jourdain, sont une préparation au nouveau règne céleste. Baptisé par Jean, Jésus se rend à Jérusalem pour célébrer dans le Temple la fête de Pâque. Indigné à la vue des marchands qui ont transformé en bazar la maison de Dieu, il les en chasse et s'affirme maître du Temple et Fils de Dieu. a. Le royaume de Dieu annoncé par Jésus Retournant en Galilée, où il séjourne de huit à neuf mois, Jésus pose les fondements de son œuvre. Avec quelques pauvres Galiléens dont il fait ses apôtres, il inaugure son royaume de Dieu. Pour la plupart des Juifs, le règne de Dieu sur la terre est terrestre et politique, et le Messie, annoncé par les prophètes et attendu par Israël, est un nouveau David, chef politique et chef de guerre. Pour les autres, le règne de Dieu est simplement légal et religieux. Les premiers escomptent 1

H. G. Wells, Esquisse de l'Histoire Universelle, p. 255.

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l'affranchissement du joug romain, le rétablissement du royaume d'Israël et un Messie couvert de gloire, qui sera le chef terrestre de ce royaume. Les seconds, résignés au joug étranger, ambitionnent le triomphe de la loi mosaïque, l'imposition de Yahvé comme Dieu de l'Univers, et celle de la Bible comme Code universel. Le règne de Dieu annoncé par Jésus ne répond ni à l'un ni à l'autre de ces deux règnes rêvés par le peuple juif. Suivant l'enseignement de Jésus, la nation juive est destinée à périr et la loi mosaïque à être complétée. Le chef du royaume de Dieu est Jésus; la loi de ce royaume, c'est la volonté de Dieu; et les sujets sont l'ensemble des hommes qui reconnaissent ce chef et acceptent la volonté de Dieu. Avec Jésus, ce nouveau règne, inauguré sur la terre, est un règne infini et éternel, qui débordera sur toutes les races. b. Moyens d'action de Jésus

La sagesse, la puissance et la bonté sont les principaux éléments qui ont aidé Jésus à accomplir son œuvre réformatrice parmi les hommes. L'éloquence est en lui un don merveilleux de l'Esprit; nul apôtre, nul prophète n'a eu, comme lui, le secret de persuader et d'émouvoir. En outre, Jésus faisait le bien qu'il disait; les miracles et les prodiges qu'il accomplissait attestaient sa puissance souveraine et captivaient les foules. Enfin, le caractère de Jésus, sa mansuétude et sa bonté, achèvent de lui gagner le cœur des pauvres et des malheureux; loin de flatter le peuple, comme les séducteurs, ou de le mépriser, comme les grands, il le gagne par l'amour. c. Les partisans et les adversaires

Mais la doctrine prêchée par Jésus heurte, à la fois, les préjugés du peuple et ceux des docteurs juifs. Le règne spirituel, annoncé par Jésus, n'est pas le règne politique qu'ils attendent, ni celui de leur Loi. Jésus, qui se présente sans force humaine, n'est pas le Messie armé de la puissance terrestre. De là un antagonisme qui ira en croissant, entre ceux qui le suivent et une opposition farouche qui lui sera violemment hostile. C'est parmi la foule que Jésus recrute ses disciples. Une sorte de magnétisme divin attirait vers lui la populace qui le suivait partout: aux synagogues, dans les villages et à travers les champs. L'opposition se recrute, en Galilée comme à Jérusalem, dans la classe élevée, gardienne des traditions ancestrales. En même temps que l'opposition grandit autour de Jésus, ses disciples et ses admirateurs augmentent. La foule qui grossit arrive de tous les points de Judée, et même de Tyr et de Sidon, de la Phénicie et de la Syrie. Les malades qui le touchent sont guéris par le simple contact. C'est dans

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ces jours de Galilée qu'il organise hiérarchiquement ses apôtres, dont il porte le nombre à une douzaine. Ce sont des gens obscurs, incultes, et inconnus même dans leur petite province. Annonçant le royaume de Dieu, ils auront, pour donner crédit à leur apostolat, le don de guérir les infirmités et les maladies. d. Le Sermon sur la Montagne C'est en Galilée que Jésus formule le code de sa Loi nouvelle. Sa doctrine révolutionnaire du Royaume de Dieu, résumée par les Evangiles dans le Sermon sur la Montagne, est un appel en faveur d'une purification complète de l'âme et d'une rénovation totale de la race humaine. Dans l'interprétation de la Loi, Jésus écarte la signification littérale et traditionnelle, ainsi que la pratique pure et simple des préceptes de l'Ancien Testament, dont le contenu essentiel est réduit à deux points: l'amour de Dieu et l'amour du prochain. La préparation du règne de Dieu n'implique ni manifestation éclatante, ni révolution violente contre les autorités officielles; ce règne doit être établi d'abord dans le cœur des hommes. C'est seulement quand toutes les créatures humaines auront compris et pratiqué ces conditions, que le règne de Dieu prendra une forme extérieure. Jésus apparaîtra alors de nouveau, pour rassembler l'humanité dans un royaume messianique, visible et glorieux. e. Conditions d'accès au royaume céleste Fustigeant la colère et la volupté, la vengeance et la haine, Jésus indique à l'humanité la route qui conduit au royaume céleste. Les étapes qui y mènent sont constituées par la douceur et l'austérité, la bonté et l'amour. Les conditions requises pour avoir part au nouveau royaume céleste sont nettement posées par Jésus. D'abord aimer et servir Dieu, haïr et mépriser les biens terrestres; aimer nos ennemis, bénir ceux qui nous maudissent; faire du bien à ceux qui nous haïssent; prier pour ceux qui nous outragent et nous persécutent. Les bienheureux sont ceux qui ont souffert et pleuré de l'injustice, ceux qui ont le cœur miséricordieux et pur, ceux qui sont pacifiques et pratiquent la fraternité entre les hommes; ce sont aussi les doux et les humbles, les persécutés et les affamés de justice, les cœurs purs de tout égoïsme. /. Réaction haineuse contre Jésus Après deux mois d'activité, Jésus est, pour la multitude qui grossit de jour en jour, le Messie attendu. Mais ce Messie spirituel et religieux n'est entendu et compris que de quelques élus; la conscience épaisse de la masse.

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qui veut un chef armé et un libérateur, n'a pu le voir sous cet angle. Repoussant avec colère un projet préparé pour l'entraîner à Jérusalem et l'y proclamer roi, Jésus est abandonné par la populace. Seuls restent autour de lui, les apôtres et quelques disciples. Quittant la Galilée, Jésus revient à Jérusalem. Son action, qui se déroule dans le Temple, prend un caractère plus solennel et déchaîne contre lui une lutte haineuse. Sa doctrine, toujours la même, se résume en deux points essentiels: sa filiation divine et sa fonction messianique. La masse qui l'écoute, différente de celle de Galilée, est plus docile à l'autorité. Pour ceux qui le suivent, il est le chef; pour les autres, il n'est qu'un faux prophète, un blasphémateur, et, comme tel, il doit, suivant la loi, être mis à mort. Un nouveau miracle qu'il accomplit à ce moment agite le peuple et inquiète les Pharisiens: Lazare, mort depuis trois jours, est ressuscité par Jésus. g. Condamnation et mort de Jésus (30)

Emus, pontifes et docteurs juifs, réunis en Assemblée solennelle, délibèrent sur le cas de Jésus. Menacés dans leurs intérêts, ils seront inexorables. Trahi par Judas, un de ses disciples, Jésus est saisi et livré au tribunal du grand prêtre Caïphe. Interrogé, par ce dernier, s'il est le Christ et le Fils de Dieu, Jésus, qui savait que sa réponse affirmative serait son arrêt de mort, n'hésite pas à répondre: «Je le suis». En signe de douleur, le grand prêtre, qui crie au blasphème, déchire ses vêtements. A l'unanimité, la sentence de mort est prononcée. Ponce-Pilate, procurateur romain de Judée, auquel la sentence est soumise pour confirmation, essaie vainement de sauver le condamné. Se déclarant «innocent du sang de ce juste», il signe l'arrêt de mort et livre Jésus pour être crucifié. Elevé sur la croix, Jésus, avant de mourir, pardonne à ses ennemis (30).

3. Propagation du christianisme

Après sa mort, Jésus, ressuscité, apparaît à plusieurs reprises à ses disciples, leur donne d'utiles instructions, puis remonte vers son Père céleste. Réconfortés par le miracle de sa résurrection et orientés par ses conseils, ses disciples comprennent que le royaume de Dieu n'est pas si proche qu'ils le croyaient, et que Jésus, le Messie annoncé par les prophètes, devait donner sa vie pour le rachat de l'Humanité, avant de devenir le Messie triomphant, inaugurateur du royaume de Dieu.

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a. Les Chrétiens primitifs, secte judaïque en Palestine Quelques années après la mort de Jésus, une communauté religieuse, distincte du judaïsme et reconnaissant Jésus comme étant le Messie annoncé, est fondée en Palestine et comprend un groupe considérable de personnes. Ses membres, qui forment une sorte de secte judaïque, restent fidèles israélites, fermement attachés à la Loi, à la circoncision, au Temple de Jérusalem et même à la synagogue; l'Evangile n'est point pour eux une religion nouvelle, mais le complément de l'ancienne. Ces premiers sectateurs de Jésus, dont la doctrine (futur christianisme) n'est qu'un judaïsme réformé, ne se distinguent de la masse de leurs coreligionnaires demeurés traditionalistes ou orthodoxes, que par leur croyance en Jésus comme le Messie annoncé par les prophètes bibliques. D'autre part, la communauté des sectateurs de Jésus, à mesure qu'elle progresse, comportera deux groupes distincts: les Juifs réformés et circoncis, et les gentils convertis, mais non soumis à la circoncision. Ces derniers, dont le nombre ira en augmentant, finissent par avoir la prépondérance sur les circoncis. Deux pratiques rituelles sont imposées aux fidèles, en signe d'introduction dans le groupe chrétien et d'adhésion au Christ: le baptême et la Pâque chrétienne; cette dernière est la commémoration du dernier repas du Seigneur. Les adeptes de Jésus sont désignés, par les Juifs de l'observance traditionnelle, du nom de Nazaréens, c'est-à-dire partisans ou adeptes de Jésus de Nazareth. Les gens de culture grecque et romaine, notamment ceux d'Antioche, les appellent Chrétiens, c'est-à-dire sectateurs du Christ ou Messie. b.

Antagonisme des Nazaréens et des Juifs

La différence entre Juifs orthodoxes et Juifs réformés ou Nazaréens est assez marquée pour que le conflit, entre les deux groupes religieux, prenne des proportions de plus en plus grandes et finisse par séparer complètement les deux communautés sœurs. La première, la juive orthodoxe, se fige dans le ritualisme et dans la Loi, tandis que l'autre s'ouvrira, de plus en plus, au monde non juif ou gentil. La communauté du Christ est groupée autour des apôtres, qui forment une sorte de conseil de direction. En quelques années, le nombre des adeptes devint important à Jérusalem, qui sera bientôt la métropole de la nouvelle religion. L'activité et le zèle des néophytes, leur langage hardi, créèrent, entre Chrétiens et Juifs, une tension qui se traduisait souvent par des actes de violence. Les adeptes de Jésus sont l'objet de mesures rigoureuses de la part des autorités juives. Saiil de Tarse, le futur saint Paul, Juif hellénisé, est parmi ceux qui leur firent le plus de mal. Converti à la

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nouvelle religion, à la suite d'une apparition sur la route de Damas (35), Saiil, devenu Paul, qui sera le plus fervent propagateur de la foi évangélique, contribuera, par son énergie, son intelligence et son esprit de décision, à briser les attaches qui liaient le christianisme au judaïsme et à ouvrir, à la doctrine de Jésus, le monde non juif et particulièrement le monde de langue et de civilisation helléniques. c. Diffusion du christianisme en Palestine, Phénicie, Syrie, Egypte Dispersés par la persécution, les fidèles vont, de lieu en lieu, prêcher le Christ en dehors de Jérusalem; d'autres ont poussé jusqu'en Phénicie et en Syrie. Mais ils ne s'adressent qu'aux Juifs seulement, qui sont répandus dans la plupart des villes importantes de l'Empire romain. Les Juifs nés à l'étranger sont plus disposés, que ceux de Palestine, à admettre les changements qui élargissent l'horizon de leur religion. C'est dans les synagogues que les prédicateurs de l'Evangile cherchent ordinairement leur principal auditoire. A Antioche cependant, un grand nombre de Grecs, non juifs ou gentils, se convertissent; ils sont dispensés de la circoncision. Mais à Jérusalem, les Juifs devenus chrétiens restent attachés à la Loi, à la circoncision et au Temple; ils seront dispersés après la destruction de Jérusalem par Titus, en 70. d. Fondation de la première Eglise d'Antioche Après l'Eglise de Jérusalem, celle d'Antioche est la première Eglise en date et la plus importante. La capitale gréco-romaine de la Syrie renferme un très grand nombre de Juifs, jouissant, grâce à leurs richesses, des privilèges de la population hellénique; ils possèdent à Antioche une magnifique synagogue. C'est au sein de cette population juive que le christianisme fait ses premières conquêtes. De nombreuses conversions sont aussi opérées parmi les Grecs de cette ville. Saint Barnabé et saint Paul organisent l'Eglise d'Antioche. Une autre tradition veut que saint Pierre ait été le premier évêque d'Antioche (44), où il fit un séjour de sept années. Avant de partir pour Rome, en 44, saint Pierre établit saint Evode et saint Ignace; celui-ci s'appelle lui-même évêque de Syrie. C'est aux fidèles de l'Eglise d'Antioche que le peuple de cette ville applique le nom de Chrétiens, qui leur restera; le nom de Nazaréens demeurera celui que les Juifs ont appliqué aux fidèles de Palestine. L'Eglise de Damas est aussi ancienne que celle d'Antioche. On y voit, en effet, des fidèles en 35; c'est l'époque de la conversion de Paul, qui allait à Damas pour y chercher les Chrétiens.

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Quant à la première Eglise d'Egypte, on sait fort peu de chose sur ses origines. La légende rapporte que saint Marc, l'un des quatre évangélistes, a été le premier évêque d'Alexandrie. On peut croire toutefois que le milieu alexandrin, où l'élément juif est assez nombreux et où, comme en Palestine et en Syrie, le grec est la langue de la culture intellectuelle, le christianisme se propagea assez vite.

4. Organisation et hiérarchie ecclésiastique des premières communautés chrétiennes a. L'Eglise primitive Les premiers Chrétiens forment une communauté religieuse, dirigée par un organisme investi d'un droit de juridiction. Depuis que leur séparation d'avec les Juifs était devenue plus prononcée, communauté et organisme dirigeant chrétiens sont appelés du nom d'Eglise. Ce nom, d'origine grecque, qui désignait habituellement une assemblée délibérante, est adopté par les Chrétiens de préférence au mot synagogue, qui désigne le temple juif. On disait VEglise de Dieu ou du Christ. Tous les fidèles forment ensemble un seul peuple, le peuple du Christ; le baptême a fait d'eux un seul corps, dont Jésus est la tête. Le symbole de leur union, c'est la Sainte-Cène. L'Eglise primitive était indemne des spéculations métaphysiques, qui produiront plus tard des confusions et des dissensions intestines. Tous les croyants étaient alors d'accord sur la mission messianique du Christ Jésus, sur sa résurrection et son retour, la repentance, la foi en Dieu, la doctrine du baptême, la résurrection des morts et le jugement dernier. Toutefois, des diversités de croyance et de pratique se produisaient sur la nécessité de la circoncision et de l'observance de la loi mosaïque, qui constituaient des points de haute importance. b. Les disciples ou apôtres de Jésus, première autorité suprême de l'Eglise naissante Au point de vue de la direction, la jeune Eglise se groupe autour des douze disciples que Jésus s'était choisis, et qui étaient considérés comme l'autorité suprême. Ils sont désignés du titre d'apôtres, c'est-à-dire d'envoyés, et chargés d'annoncer dans le monde l'avènement du règne de Dieu. A ces Douze, Jésus avait ajouté 70 autres, avec la même mission. Paul se distingue des autres apôtres par l'indépendance de son ministère. A Jérusalem, centre de la plus nombreuse et plus ancienne communauté chrétienne, Jacques le Juste, frère de Jésus, exerce une influence domi-

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nante sur les disciples et tiendra, jusqu'à sa mort (62), la première place dans l'Eglise de cette ville. Aux attributions des apôtres, Pierre ajoutait la garde des clefs du royaume des deux, dont il avait été investi par Jésus. Cette mission qui crée, parmi les apôtres, une sorte de hiérarchie, permettra aux successeurs de Pierre, les évêques de Rome, de revendiquer la suprême direction de l'Eglise. En réalité, le problème de la hiérarchie ecclésiastique, qui provoquera plus tard de nombreux conflits, n'était guère important aux yeux des premiers Chrétiens. c. Conseil des Anciens de l'Eglise En plus des premiers adeptes, le judaïsme fournit au christianisme naissant des éléments essentiels. La lecture de l'Ancien Testament suggère aux premiers Chrétiens la notion du sacrifice et du sacerdoce, la valeur des consécrations, des onctions, des rites, des offrandes, des observances extérieures. Les premiers chrétiens, qui voyaient dans leur nouvelle religion un judaïsme réformé, adoptent pour leur communauté une organisation analogue à celle de la communauté juive. A l'exemple de la synagogue, administrée par un Conseil des Anciens sous la présidence d'un Chef de la synagogue, la première communauté chrétienne eut, elle aussi, un Conseil des Anciens de l'Eglise, élu, sur la proposition des Douze, par l'ensemble des disciples et chargé de l'administration matérielle. Mais, à la différence des Anciens de la synanogue, dont les attributions étaient limitées aux questions administratives et disciplinaires, les Anciens de l'Eglise délibéraient aussi, avec les Apôtres, sur des questions d'ordre religieux. Cette différence est due au fait que la religion juive était déjà fortement constituée et strictement réglementée par la loi et la tradition, tandis que chez les premiers Chrétiens, où tout était en formation, les Anciens de l'Eglise furent amenés à ajouter à leurs attributions premières, d'ordre administratif et disciplinaire, des attributions d'ordre doctrinal et liturgique, et à constituer finalement une solide organisation sacerdotale. d. Les premiers évêques et prêtres Les personnes qui présidaient les Anciens de l'Eglise, dont les pouvoirs s'accroissaient progressivement par l'usage, finirent, à la longue, par absorber ceux de leurs collègues, assumant ainsi tout le gouvernement et toute la juridiction ecclésiastiques. Lorsque leur prédominance personnelle fut établie et confirmée, les chefs des Anciens prirent le titre d'évêque, et leurs collègues ou simples anciens devinrent les prêtres. Les dénominations d'apôtre, prophète, docteur, ancien ou presbytre, surveillant ou évêque,

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président, etc., qui étaient employés, disparurent peu à peu. Seuls les titres de prêtre (ancien ou presbytre) et d'évêque (surveillant) ont été conservés dans la hiérarchie ecclésiastique. e. La première Eglise catholique ou universelle Parallèlement à la formation et à l'organisation des ministères et des charges de l'Eglise et à l'introduction d'un sacerdoce et d'un clergé, se développe l'idée de catholicité, stimulée par la lutte contre les hérésies. Une entité nouvelle et supérieure, appelée l'Eglise catholique, c'est-à-dire universelle, consolide, par son autorité, l'accord dans les interprétations et les formules de la doctrine orthodoxe. Cette union était aussi commandée par la situation des Chrétiens dans un monde païen qui leur est hostile. Une Règle de foi générale, empruntée à la tradition apostolique et destinée à assurer l'unité dogmatique, résume l'ensemble des doctrines essentielles du christianisme naissant. En cas de doute ou de contestation, les Eglises apostoliques de Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Rome, Ephèse, dont le siège avait été occupé par des apôtres, étaient compétentes pour se prononcer sur les points controversés. Lorsque, plus tard, la victoire du christianisme en fera la religion officielle de l'Empire romain, l'action impériale remplacera la contrainte morale imposée par les Eglises apostoliques. Les points débattus seront alors tranchés par des conciles oecuméniques qui, investis de l'infaillibilité, formeront les cours suprêmes de l'Eglise.

IV. Politique vigoureuse de Rome en Orient (66-106) 1. Judée et Commagène réduites en provinces. Fin de la nation juive en Palestine (70) a. Aversion de la Judée pour les Romains Sous les Gréco-Séleucides, les théocrates et les rigoristes juifs n'avaient pas voulu de la dynastie indigène des Asmonéens (143—40 avant J.-C.), qu'ils accusaient d'être trop hellénisée (p. 61). Sous les Romains, la dynastie des Hérodes (40 av. J.-C. — 70 ap. J.-C.) ne fut pas mieux accueillie (p. 62—64). «Appartenant aux Romains par son éducation et aux Juifs par son culte, la famille des Hérodes avait offert au moins cet avantage d'amortir le choc entre deux puissances réfractaires l'une à l'autre.» Les classes riches et même le haut clergé, pliés aux nécessités du temps, s'étaient, il est vrai, accommodés du compromis hérodien. Mais le parti des patriotes et des zélateurs, représenté par les pharisiens, vivait dans une atmosphère surchauffée et professait la haine de l'étranger. «Nourris de visions apocalyptiques» et suivis par une population moins instruite, ces esprits exaltés espéraient sortir de leur médiocre situation présente grâce aux secours divins envoyés par Yahvé. Les mouvements insurrectionnels qu'ils fomentent seront d'une gravité exceptionnelle, et leurs conséquences seront catastrophiques pour les Juifs de Palestine. La Judée «était troublée par une inquiétude incurable depuis que l'hellénisme syrien des colons gréco-macédoniens s'était trouvé en face du mosaïsme indigène. L'esprit exclusiviste de cette religion augmentait l'aversion pour tout gouvernement étranger, comme l'aversion pour tout gouvernement étranger renforçait l'esprit exclusiviste de la religion. La monarchie des Séleucides avait fait à ses dépens l'expérience de telles difficultés. Rome en avait profité pour s'emparer du pays; mais une fois maîtresse de la région, elle s'était trouvée aux prises avec le même dilemme, et astreinte à gouverner un peuple chez qui la religion impliquait la haine de toute domination étrangère, et la haine des étrangers aiguisait à son tour le fanatisme religieux.»1 Révolte de la Judée (66). — Depuis de longues années, des émeutes et des massacres ensanglantaient la Judée. Epuisée par les impôts, envahie 1

G. Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 210.

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par les étrangers grecs et italiques, qui exploitaient le pays sous la protection de l'administration romaine, la population juive exaspérée se révolte. Commencés à Césarée, résidence du Procurateur romain, par un conflit entre Juifs et Grecs, les troubles gagnent Jérusalem, où les troupes romaines, envoyées par le gouverneur de Syrie, sont battues et mises en fuite (66). Enhardi par le succès, tout le pays se soulève et plus de 50.000 Juifs prennent les armes. La réaction de Rome est rapide et vigoureuse. Des forces puissantes, réunies par l'empereur Néron, sont envoyées sur les lieux sous le commandement d'un général expérimenté, le sénateur Titus Flavius Vespasien. En dépit de l'importance des effectifs romains, qui comptent 60.000 hommes, la lutte sera dure et la résistance juive longue et acharnée. Les Romains emploient toute l'année 67 à conquérir la Galilée et n'atteindront la Judée que l'année suivante. A défaut de forces suffisantes et bien organisées, les Juifs soutiennent cette guerre avec une énergie et une résolution farouches. «L'union et l'organisation, indispensables pour faire face à une nation appuyée par de fortes armées, faisaient défaut aux Juifs . . . Mais le fanatisme était si grand que, malgré le manque de direction et de concorde, la Judée opposa aux Romains une résistance désespérée.»2 Ce «manque de concorde», chez les belligérants juifs, est illustré par le fait que, lorsque, quatre ans plus tard, Jérusalem sera assiégée par les Romains, elle sera défendue par deux dictateurs, représentant chacun les différentes factions juives. b. Guerre civile à Rome. Suspension des opérations militaires en Judée (68-69) Chute et mort de Néron (68). — Tandis que Vespasien guerroyait en Judée, une insurrection éclate en Gaule pour renverser Néron (68). Les insurgés sont écrasés près de Besançon. Mais l'armée qui met fin à la révolte proclame empereur son chef Virginius, tandis que les légions d'Espagne acclament Galba. Perdant la tête, Néron s'enfuit de Rome; le Sénat vote sa déchéance, le déclare ennemi public et ratifie l'élection de Galba. Abandonné par la garde prétorienne, recherché par les soldats, Néron se donne la mort (68). Compétition des généraux. — Cette révolution introduit un élément nouveau dans l'élection du princeps ou empereur. Depuis Tibère, c'était la garde prétorienne qui disposait du trône impérial. Après Néron, les légions des provinces veulent, à leur tour, porter leurs chefs au pouvoir. La compétition des divers généraux va ressusciter les révolutions militaires qui avaient désolé le dernier siècle de la République. Trois empereurs, en s

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 211.

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dix-huit mois, vont se succéder: Galba ne règne que sept mois; Othon, ancien ami de Néron et candidat de la garde prétorienne, trois mois; Vitellius, proclamé par les légions germaniques, huit mois. Vespasien, proclamé par les légions d'Orient (69). — A leur tour, les légions d'Orient, qui veulent avoir leur empereur, acclament Vespasien; le commandant en chef des armées de Judée est proclamé, à Alexandrie, par le préfet d'Egypte (69). Les armées de Syrie et de Judée lui prêtent serment, ainsi que les légions de la Dalmatie. Les alliés d'Orient se rallient à sa cause et le roi des Parthes, Vologèse II, lui offre son concours. Un grand conseil, tenu à Béryte (Beyrouth), arrête le plan de campagne. Vespasien, qui était sur le point d'assiéger Jérusalem, laisse à son fils Titus la charge de terminer la guerre de Judée. Le nouvel empereur se rend en Egypte, grenier de Rome, d'où il dirige les événements. Le gouverneur de Syrie, Mucianus, grand chef militaire, qui s'était volontairement effacé devant Vespasien, prend le commandement des légions de Dalmatie et envahit l'Italie. Vespasien empereur (69—79). — Vitellius, qui tient Rome, oppose à Mucianus une résistance féroce. La ville est conquise quartier par quartier; le Capitole est incendié et Vitellius, tué, est jeté dans le Tibre (69). Le lendemain, le Sénat ratifie l'élection de Vespasien. Ce premier empereur plébéien, fondateur d'une nouvelle dynastie, celle des Flaviens, réorganise l'Empire. Suivant l'exemple d'Auguste, il prend, comme collègue au gouvernement, son fils Titus. Il espère, par ce moyen, éviter, après sa mort, des secousses du genre de celles qui suivirent la mort de Néron. Sans insérer dans la constitution le principe oriental de la monarchie héréditaire, Vespasien mettait son successeur éventuel sur la voie qui mène au trône. Renouvellement de la noblesse et du Sénat romains. — Vespasien renouvelle la noblesse romaine, en ajoutant aux deux cents «gentes» ou familles, mille familles italiennes ou provinciales. Le Sénat revigoré reprend sa place dans le système impérial. Une réforme financière et une économie sévère réparent les désastres des années antérieures. «Ce renouvellement du Sénat et de l'ordre des chevaliers fut un événement d'une importance capitale . . . La gloire immortelle de Vespasien est d'avoir su appliquer cette réforme au moment voulu, car elle détermina un nouvel essor de la romanité. . . L'Occident, par cette réforme, sauva Rome et la civilisation romaine une seconde fois. La conquête de la Gaule avait empêché le transfert de la capitale de l'Italie en Orient; la noblesse romanisée des provinces occidentales conserva, pendant plus de cent années encore, aux institutions de l'Empire, leur ancien esprit républicain aristocratique et romain.»3 ' G. Ferrero, Nouvelle

histoire

romaine,

p. 223, 224.

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c. Destruction de Jérusalem par Titus et fin de l'insurrection juive (70) La mort de Néron, les troubles qui ont suivi sa chute à Rome et le départ de Vespasien pour l'Occident, avaient suspendu les opérations militaires en Judée. Les Juifs avaient mis à profit ces circonstances favorables pour refaire leurs forces. Le pouvoir passa au parti extrémiste, dont les chefs, résolus à une résistance désespérée, instituèrent à Jérusalem un régime de terreur. Le gouvernement de la ville est confié à deux dictateurs, dont l'un était grand prêtre; l'historien Josèphe, nommé gouverneur, défend la Galilée. Titus, fils et collègue de Vespasien, chargé du commandement de l'armée d'opérations, reçoit de l'empereur l'ordre et les moyens de terminer, au plus vite et à tout prix, la guerre de Judée (69). Après avoir réduit les campagnes, Titus met le siège devant Jérusalem, devenue le réduit suprême de la résistance juive. On évalue à 600.000 le nombre des réfugiés et insurgés qui s'étaient enfermés dans la capitale. Fanatisés, ces derniers étaient prêts à tous les sacrifices, et la lutte s'annonçait épouvantable. Après un siège de cinq mois, Jérusalem, où la famine et les dissensions intestines avaient fait leur œuvre, est emportée (70). La ville et le Temple sont brûlés et détruits et les survivants vendus comme esclaves ou envoyés aux mines; un tiers de la population avait péri et nombre de Juifs se réfugient à l'étranger. La Judée transformée en province (70). Fin de la nation juive en Palestine. — Après la prise et la destruction de Jérusalem par Titus, la Judée devient une province romaine. Le procurateur romain est remplacé par un légat de rang prétorien, qui commande la Xe légion; il réside à Césarée, élevée par Auguste au rang de colonie romaine. Le Temple et le grand prêtre de Jérusalem ont disparu. La ville sainte, ruinée et évacuée, devient un camp où la Xe légion est installée, exploitant le territoire judéen. A l'ouest de l'ancienne métropole du judaïsme, Amosa devient le domaine de 800 vétérans. Tout le pays juif sera la propriété exclusive de l'empereur, qui le distribue ou l'afferme à son gré. Jafa, rehaussée, s'intitule Flavia Joppa. «Avec Jérusalem, la nationalité juive avait perdu le centre de sa résistance et la grande guerre se trouvait terminée.» Ainsi s'acheva l'existence du judaïsme comme nation en Palestine. Tous les historiens rendent hommage à l'héroïsme qui signala ces années de lutte suprême. Dispersés dans le monde après cette date, les Juifs y promèneront le regret constant d'un passé disparu. D'autres désordres, en liaison avec la grande insurrection de Judée, ayant éclaté à Alexandrie et à Cyrène, Vespasien les fait réprimer sans pitié.

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d. Le royaume vassal de Commagène incorporé à la province de Syrie (72). Une garnison romaine à Palmyre Le traité romano-parthe de 66 continuait à régler les rapports des deux grandes puissances voisines. Vologèse I (51—75), qui avait offert des secours à Vespasien lorsque celui-ci brigua l'Empire en 69, entretient avec Rome les meilleurs rapports. Mais cette attitude pacifique et amicale de Vologèse était commandée par des événements extérieurs qui menaçaient, à cette époque, la partie orientale de l'Iran. Elle était d'autant plus temporaire, qu'à ce moment même une renaissance iranienne commençait à apparaître. C'est sous Vologèse I, en effet, que, suivant une tradition, le texte de l'Avesta aurait été rédigé, et que la ville de Vologésia a été construite, pour supplanter, comme centre commercial, la ville grecque de Séleucie sur le Tigre. Aussi, et en prévision d'un conflit toujours possible avec les Parthes, Vespasien, par précaution, renforce-t-il la situation militaire de l'Empire en Orient. Au nord-est de la Syrie, le royaume vassal de Commagène, dont le roi était suspect, est envahi par le gouverneur de Syrie et incorporé à cette province (72). En même temps, la petite Arménie est annexée et la Cappadoce, à l'Ouest de la Commagène, devient un gouvernement militaire, avec un légat impérial comme gouverneur. Sous Vespasien, la lointaine ville-oasis de Tadmor ou Palmyre (p. 72—74), qui, depuis Tibère (14—37), apparaît tributaire de Rome, aurait reçu une garnison romaine. Ajoutée à la milice indigène, cette force est destinée à protéger la ville contre les incursions des cavaliers parthes. L'entretien des pistes, depuis les frontières romaines jusqu'à la ville, est assuré sur les ordres des légats romains de Syrie. Cette transformation des Etats vassaux en provinces administrées par Rome, devait encore être étendue au royaume nabatéen. La mort de Vespasien, en 79, interrompit cette réalisation, qui sera l'œuvre de l'empereur Trajan (98-117). e. De Titus à l'avènement de Trajan (79—98) Désigné par Vespasien comme son successeur, associé à celui-ci dès le début de son Principat, Titus (79—81), promis à de grandes destinées, ne fait que passer sur le trône, et meurt à l'âge de 42 ans. Son frère Domitien (81—96), qui lui succède, n'avait pas l'expérience militaire et administrative de son frère et de son père. Acclamé par les prétoriens, il est reconnu à contrecœur par le Sénat. Domitien reprend la politique de Vespasien: renforcement des frontières de l'Empire. En Orient, les bonnes relations avec les Parthes seront maintenues, en dépit des dispositions douteuses de ces derniers. Soupçon-

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neux, orgueilleux, d'un tempérament despotique, prodigue et rapace, Domitien, en 96, meurt poignardé. Le Sénat, qui avait organisé le complot et préparé la succession, élit, comme empereur, Nerva (97—98), sénateur et juriste réputé. Vieux et faible, le nouveau princeps prend comme collègue et adopte, d'accord avec le Sénat, Ulpius Trajan, gouverneur de la Germanie et l'un des généraux les plus illustres de son temps. En 98, Nerva meurt et Trajan, qui lui succède, est reconnu par le Sénat. Vespasien avait été le premier plébéien devenu empereur; Trajan, espagnol romanisé, est le premier empereur provincial. Trajan et la conquête de la Dacie (101—106). — Trajan (98—117), qui ressuscite l'esprit et les usages du Principat d'Auguste, laisse gouverner l'Etat par le Sénat et les consuls et se consacre aux affaires militaires. Grand soldat et grand administrateur, il reculera les frontières de l'Empire en Europe et en Orient. Deux questions fondamentales dominent, à cette époque, la politique extérieure romaine: la question dace, sur le Danube, et la question parthe, en Orient. De 101 à 106, deux campagnes acharnées, menées par Trajan, aboutiront à l'occupation de la Dacie (actuelle Roumanie). Le pays dévasté, presque désert, est repeuplé de colons amenés de tous côtés et organisé en province romaine. La langue de Rome, qui se substituera à la langue indigène, se conservera jusqu'à nos jours.

2. Politique impérialiste de Trajan (106—116). Nabatée et Palmyre transformées en provinces. Les frontières romaines portées jusqu'au Tigre Politique orientale de Trajan En Orient, le programme de Trajan est d'éliminer le danger séculaire et permanent que représentait, pour l'Empire romain, la monarchie des Parthes, la seule grande puissance qui subsistait encore, dans le monde, en face de Rome. Abandonnant les moyens diplomatiques, Trajan se propose de résoudre ce problème par le procédé radical de la conquête. «La politique clairvoyante d'Auguste, en ce qui concerne l'Orient, n'a qu'une durée limitée, et sous Trajan se cristallise à Rome une attitude qui tient peu compte des idées du grand fondateur de l'empire. La question de l'Arménie et de l'Iran est reprise et résolue sous une forme brutale: la première doit être conquise et transformée en province romaine; quant à la

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Parthie, elle devra être réduite à la vassalité et gouvernée par un roiclient.»4 Pour réaliser ce programme audacieux par une offensive vigoureuse et décisive, Trajan procède à une préparation minutieuse. Déchirée, à ce moment, par une guerre civile, la monarchie des Parthes offrait aux Romains une occasion favorable pour briser sa puissance. Choisissant la Syrie comme base d'opérations, Trajan, avant de s'engager dans cette campagne difficile, multiplie les précautions préliminaires. En bordure des provinces romaines, subsistaient, comme derniers pays de protectorat, le royaume des Nabatéens, la cité de Palmyre et le royaume d'Arménie. Ces pays non contrôlés directement par Rome, pourraient se révéler gênants dans une grande guerre orientale. Aussi, Trajan résolut-il de les transformer en provinces militairement administrées. a. Le royaume nabatéen transformé en province (106) Le royaume nabatéen avant 106. — Depuis Pompée (63), le royaume des Nabatéens (p. 64—70) tombe de plus en plus dans la dépendance romaine. En 25—24 av. J.-C., lors de l'expédition d'Auguste en Arabie méridionale, le roi nabatéen Obodas fournit 1.000 hommes au préfet d'Egypte. Lors de la sédition juive de l'an 4 ap. J.-C., Arétas IV fournit un contingent nabatéen au général romain Varus. Sous Caligula (37—41), Arétas IV était encore représenté à Damas par un ethnarque, chargé des intérêts nabatéens dans la Damascène et le Hauran. Au temps de Néron (54—68), les successeurs d'Arétas IV perdent leur contrôle sur Damas. Malichos III (48—71), roi de Nabatée, et son successeur Rabbel II (71—106), dernier roi de ce pays, sont de plus en plus sous la dépendance de Rome. Le royaume nabatéen devient la province romaine d'Arabie (106). — En 106, Cornélius Palma, général de Trajan et son légat en Syrie, annexe la Nabatée et l'organise en province impériale. Devenu la province d'Arabie, l'ancien royaume des Nabatéens est administré par un légat impérial; une armée légionnaire d'Arabie est créée, ainsi qu'un limes d'Arabie, formé d'une ligne de châteaux forts destinés à protéger les principaux points stratégiques. A l'Ouest du limes et parallèlement à cette ligne fortifiée, une grande voie romaine, allant de Damas à la Mer Rouge, est construite, en 111, pour assurer aux troupes les facilités de déplacement. La province romaine d'Arabie, qui s'étend du Hauran à la Mer Rouge, ne semble pas avoir absorbé la totalité du territoire de l'ancien royaume nabatéen de Pétra. Au sud d'Aïla, Madian et le territoire d'Hégra ont continué à vivre sous des princes nabatéens indépendants. 4

Ghirshman, op. cit., p. 229.

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Bostra et Pétra, capitales de la province romaine d'Arabie. — Pétra, capitale de l'ancien royaume nabatéen, gardera son rang; mais elle se voit doublée d'une autre capitale, Bostra, située plus au Nord, et, par conséquent, plus rapprochée d'Antioche, centre politique de l'Orient romain. «Bostra, quartier général de la légion, était de droit tête de la province et résidence du légat; mais à cause de la longueur du territoire et des prérogatives royales de Pétra, celle-ci n'en conservait pas moins un rang à part et se trouvait naturellement la métropole du Sud. Le légat pouvait y faire des séjours plus ou moins longs et même s'y réserver dans la nécropole sculptée dans le grès rouge un somptueux monument. Cette dualité de villes principales amènera d'ailleurs la scission de la province d'Arabie. Elle est comparable à certains égards à celle de Césarée et de Jérusalem.»3 Déclin de la prospérité commerciale de Pétra. — La perte de leur indépendance eut, pour les Nabatéens, des conséquences fâcheuses sur le terrain économique. Pour ruiner les tribus du Hidjâz, dont le contrôle lui échappe, Rome drainera vers le Nord syrien le trafic désertique. Ce déplacement profitera à Palmyre, dont la prospérité commerciale s'accroîtra après cette date. «En transformant le royaume des Arétas et des Rabbel en une marche frontière occupée par les détachements d'une légion et par des milices d'origines diverses, les Romains amenèrent une rapide décroissance de cette civilisation. Tandis que les tribus sud-arabiques allaient s'attaquer à la Nabatène par le Sud, l'essor de Palmyre . . . eut pour contre-partie la ruine du commerce de Pétra et de la Nabatène du Nord.» 6 b. La cité de Palmyre annexée à la province romaine de Syrie (106) Vers cette même époque (106), la lointaine cité de Tadmor-Palmyre, qui, depuis Tibère, apparaît tributaire de Rome, et qui, sous Vespasien, aurait reçu une garnison romaine (p. 110), entre définitivement, elle aussi, dans le cadre provincial de l'Empire. A l'exemple de la Judée et de la Nabatée, ce troisième centre sémitique, rattaché à la province de Syrie, perd son indépendance relative. Vers cette époque, cette ville-oasis qui, dès le 1er siècle av. J.-C., et surtout depuis la paix romaine, s'est considérablement enrichie par le commerce des caravanes, est gouvernée par un organisme collectif, l'Assemblée des Tadmoréens, présidée par un chef indigène. Cette assemblée, héritée du conseil des Anciens de la tribu, devient, à partir de Trajan, peut-être même dès Vespasien, le Sénat de Palmyre, simple conseil municipal fonctionnant sous la direction d'un haut fonctionnaire romain, le préposé de Palmyre. 5

Abel, op. cit., II, p. 166. • Abel, op. cit., II, p. 168.

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Trajan y réorganise le service douanier sur les frontières du Tigre et de l'Euphrate. La ruine du commerce de Pétra, depuis la transformation de cette cité en place militaire, profita, on l'a vu, à la ville de Palmyre. A partir de 106, «le trafic de l'Orient se concentre dans l'oasis de l'ancienne Tadmor, pour se diriger à l'Ouest par des voies allant à Damas, à Bostra, à Emèse, fortement gardées par des postes romains. L'importance de Palmyre sous le rapport commercial se doubla d'un avantage politique, car cette place servit aux empereurs de point de départ pour les guerres contre les Parthes.»7 Destinées de la Judée, de la Nabatée et de Tadmor-Palmyre. — Ainsi, trente-six ans après la transformation du royaume de Judée en province romaine, le royaume de Nabatée et la cité de Tadmor connaissent le même sort à leur tour. Ces trois groupes politiques sémites sont supprimés. La Judée avait disparu, à la fois, comme Etat et comme nation en Palestine; les deux autres, comme Etats autonomes. Leurs noms aussi sont changés: la Judée, à l'Ouest du Jourdain, et la Nabatée, à l'Est, seront, l'une, la province de Syrie-Palestine, et l'autre, la province d'Arabie. Quant à Tadmor, elle deviendra Palmyre. Ces trois régions subiront désormais le régime des territoires frontaliers; elles seront militairement administrées. Ces trois centres sémites, violentés par les Romains, auront un jour leur revanche sur ceux -ci. Palmyre disputera à Rome la domination du Proche-Orient. Né en Judée, le christianisme, issu du sémitisme judaïque, succédera à l'Empire romain d'Occident et assoiera ses souverains pontifes sur le trône des Augustes. Quant aux Nabatéens d'Arabie Pétrée et de Transjordanie, ils se rallieront à leurs frères du Sud, les Sémites Arabes de l'Islâm, qui délivreront l'Orient sémito-égyptien du joug de l'Empire romain d'Orient et reporteront au Taurus les frontières de cet Empire. c. Conquête de l'Arménie, de l'Assyrie et de la Mésopotamie

(114—116)

Après l'annexion de la Nabatée et de Palmyre et la constitution du limes d'Arabie, Trajan réunit en Syrie une puissante armée de campagne, dont le noyau est formé par les légions permanentes d'Orient. Prudent et méthodique, instruit par l'exemple de ses prédécesseurs, l'empereur, au heu de marcher directement vers Ctésiphon, à l'Est, préfère atteindre son adversaire en prenant le chemin de l'Arménie. Conquête de l'Arménie (114). — «Des deux grandes routes d'invasion qui pouvaient conduire l'armée romaine aux capitales parthes, Séleucie, Babylone et Ctésiphon, l'une, celle du désert, apparaissait depuis la catastrophe de Crassus comme irrémédiablement condamnée; la seconde, celle d'Arménie, suivie jadis par Antoine, pouvait seule présenter les 7

Abel, op. cit., H, p. 168.

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garanties de sécurité nécessaires et permettre d'obtenir les résultats décisifs que Trajan se promettait de la campagne. Avec son coup d'oeil de grand chef, Trajan ne pouvait hésiter: il se décida pour la route du Nord, celle de l'Arménie.»8 Trajan commence par s'assurer, dans la région du Caucase, une base solide d'opérations, en liant étroitement à la cause romaine les peuplades de cette zone septentrionale. La politique antiromaine des Parthes en Arménie enlevait à l'intervention armée de l'empereur tout caractère d'agression. Chosroès ou Khosrau (107—130), successeur de Pacoras II, venait, en effet, de chasser du trône d'Arménie un roi vassal de Rome et de le remplacer par son propre neveu. Arrivé en Syrie dans les premiers jours de 114, Trajan part d'Antioche, au printemps de la même année, à la tête de son armée et, en quelques mois, conquiert toute l'Arménie. Conquête de l'Assyrie et de la Mésopotamie (114—116). — Maître du Caucase et de l'Arménie, appuyé sur les provinces de Cappadoce et de Syrie, Trajan ouvre la campagne contre les Parthes par une offensive foudroyante. La Médie et une partie de la Mésopotamie du Nord sont occupées (114). Le roi d'Osrohène, Abgar, abandonnant les Parthes, se rallie à la cause des vainqueurs, et l'armée romaine prend ses quartiers d'hiver à Edesse, capitale de ce monarque. Revenant à la charge au printemps de 115, Trajan achève la conquête de la Mésopotamie du Nord. Des discordes intérieures, survenues chez les Parthes, ont facilité les succès romains, en empêchant Khosrau de venir au secours de ses villes fortes. Au printemps de 116, Trajan, quittant de nouveau Antioche où il était revenu prendre ses quartiers d'hiver, reprend les opérations, avec pour objectif la Mésopotamie du Sud, centre politique et administratif de la monarchie parthe et siège de ses villes capitales. «L'armée romaine, dans une offensive irrésistible, conquit l'Assyrie et envahit la Mésopotamie. Des trois grandes capitales parthes, l'une, Babylone, partiellement évacuée, fut occupée sans coup férir; les deux autres, Ctésiphon et Séleucie, furent prises, tandis que le roi des Parthes, Chosroès, s'enfuyait vers l'Est, qu'une de ses filles était faite prisonnière et que le trône d'or des Arsacides tombait aux mains de l'empereur. Maître de l'Assyrie et de la Mésopotamie, Trajan prit officiellement le titre de Parthicus.»9 Arménie, Assyrie, Mésopotamie, érigées en provinces romaines (116). — Pour la première fois, le Proche-Orient romain s'étend jusqu'au Golfe Persique, au Sud, et jusqu'au Zagros, au Nord. Les Parthes sont rejetés 8

L. H o m o , Le Haut-Empire, » L. H o m o , Le Haut-Empire,

p. 470. p. 472, 473.

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dans leurs plateaux d'Iran. L'Arménie, jointe à laCappadoce, est organisée en province romaine. Deux autres provinces sont constituées par l'Assyrie et la Mésopotamie. Cependant, loin d'être définitivement résolu par ces conquêtes, le problème parthe n'est que partiellement et temporairement réglé. Les facteurs essentiels qui opposaient les deux grands adversaires sont toujours présents. L'isthme iranien est toujours fermé aux Romains; la monarchie des Parthes, refoulée dans ses plateaux, y monte une garde vigilante. Elle ne tardera pas d'ailleurs à en descendre, pour s'étendre, de nouveau, en direction de la Mésopotamie et de l'Arménie. d.

Trajan et le christianisme

oriental

Outre le problème extérieur, un autre problème, d'ordre intérieur, occupe, à cette époque, les dirigeants du Proche-Orient romain. Il s'agit de l'ascension et des exigences du christianisme. De caractère exclusiviste, cette religion, qui s'est vite répandue, surtout en Orient et dans la plèbe, cherche à remplacer les autres religions en se posant comme la seule vraie. Menacés, les autres cultes réagissent; leurs sectateurs accusaient les Chrétiens de toutes sortes de crimes imaginaires et sollicitaient les gouverneurs romains de sévir contre eux. Tolérants en matière religieuse, les Romains admettaient que les Chrétiens pratiquassent leur nouveau culte; mais ils ne pouvaient accepter qu'ils refusassent de sacrifier au culte de l'empereur, qui, superposé aux cultes nationaux et locaux, constituait un lien politique et religieux destiné à unifier les peuples de l'Empire. «Lorsqu'on accusait les chrétiens de ne pas sacrifier à l'empereur, le gouvernement était obligé de vérifier l'accusation et les chrétiens avaient à choisir entre le sacrilège et le crime de lèse-majesté. L'autorité ne pouvait ni comprendre ni admettre que les chrétiens, tout en refusant d'adorer l'image de l'empereur, lui fussent dévoués et obéissants. Leur refus était pour l'autorité romaine une révolte.»10 Consulté sur ce grave problème par Pline le Jeune, gouverneur d'une province asiatique, Trajan répondit qu'on ne devait pas poursuivre les Chrétiens dénoncés à cause de leurs convictions religieuses, mais qu'il fallait les punir lorsqu'ils refusaient d'adorer les images de l'empereur. Ces instructions forment la première intervention officielle de l'Etat romain vis-à-vis des Chrétiens.

10

Ferrerò, Nouvelle histoire romaine, p. 236.

c Réaction orientale, sémitique et iranienne (117-285). Impérialisme en Iran. Séparatisme en Orient

I. Révoltes juives et redressement iranien (117-193). Les frontières romaines ramenées à l'Euphrate Après ses victoires sur les Parthes, Trajan avait atteint le sommet de la gloire. Par ses annexions de la Dacie, de la Nabatée, de Palmyre, de l'Arménie, de la Mésopotamie et de l'Assyrie, il avait sensiblement agrandi le territoire et dépassé les limites naturelles qu'Auguste avait assignées à l'Empire. Le règne de Trajan peut être regardé comme l'apogée de l'Empire romain, et le Sénat le reconnut en décernant à l'empereur le titre de «prince excellent». Cependant, loin de consolider le Proche-Orient romain, l'extension territoriale de l'Empire vers l'Est, en groupant, sous une même autorité, des régions disparates et des civilisations différentes, le rendit, au contraire, moins vigoureux et plus vulnérable. Les conquêtes asiatiques seront bientôt à refaire, et, en deçà de l'Euphrate, la domination romaine sera ellemême ébranlée par un réveil du sentiment national, qui se traduira par un soulèvement général de l'Orient romain. 1. Grandes révoltes juives a. La révolte générale de 117

Eparpillés, dans l'Orient, depuis la destruction de leur Etat par Titus (70), les Juifs, qui ont déjà adopté, comme langue courante, l'idiome araméen des populations de Syrie et de Mésopotamie (p. 60), incarnent la réaction du sentiment national contre l'hégémonie étrangère. C'est de cet élément remuant que partira l'incendie qui, gagnant l'ensemble du Proche-Orient, y provoquera un soulèvement général contre la domination romaine. Dès 115, les Juifs de Palestine, de Chypre, d'Egypte, de Cyrénaïque, profitant de la guerre contre les Parthes, qui dégarnissait l'Orient romain des troupes d'occupation, commencent à s'agiter. En 117, tandis que Trajan, qui venait d'achever son entreprise de conquête, s'apprêtait à regagner Rome, une révolte générale des Juifs de Cyrénaïque, d'Egypte, de Chypre, éclate et s'étend à tout l'Orient sémitique: Palestine, Syrie, Assyrie, Mésopotamie. Disséminées à travers des contrées immenses, les garnisons romaines sont chassées ou massacrées. Profitant de ces difficultés, les Parthes, chez lesquels la prise de Ctésiphon a provoqué un redressement du sentiment national, se lancent dans une guerre de partisans, et, à leur suite, l'Arménie se soulève.

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b. La révolte noyée dans le sang (117) Réagissant avec promptitude, Trajan prend les mesures de répression nécessaires. Les villes fortes d'Edesse et de Nisibe sont reprises, et Séleucie sur le Tigre est prise et incendiée. Jugeant ensuite, avec son coup d'œil et sa décision habituels, la précarité de son œuvre, et craignant une jonction éventuelle des Parthes à la révolte, l'empereur se résout à rétablir un royaume parthe qui, amputé de la Mésopotamie devenue romaine, sera placé sous la suzeraineté de Rome. Offerte à Parthamaspates, fils de Khosrau, la couronne est placée sur la tête de ce prince arsacide dans une grande cérémonie tenue près de Ctésiphon. Une fois ces arrangements faits, les Juifs révoltés sont l'objet d'une répression impitoyable. En Mésopotamie, en Egypte, en Cyrénaïque, à Chypre, de sanglantes exécutions mettent fin à l'insurrection (117). c. Aspect politico-religieux du nationalisme sémito-oriental Trajan se rend compte que l'extension de l'Empire, au-delà de l'Euphrate, était une opération hasardeuse qui réclame des efforts continus, et que son œuvre de conquête doit encore être reprise. Mais, épuisé par ces trois années de campagnes, il prend le chemin de l'Occident, où le rappellent les affaires générales de l'Empire. En cours de route, il tombe malade et meurt à Sélinonte, en Cilicie (août 117). «Quand il mourut sur le chemin du r e t o u r . . . (Trajan) pouvait du moins se vanter d'avoir donné à l'empire romain la frontière du Zagros. La révolte de 117 n'en était pas moins un symptôme fort grave. A l'heure où le plus grand des empereurs romains tentait de restaurer l'empire d'Alexandre, toute l'âme sémitique avait affirmé sa haine de la Grèce et de Rome. Depuis la prise de Jérusalem par Titus (70), le nationalisme et le piétisme juifs s'étaient exaspérés. Les zélotes, sectaires héroïques qui repoussaient toute compromission avec l'hellénisme, travaillaient sourdement les masses. Rome méprisait leur impuissance, mais à chaque défaillance de la force romaine, ils couraient aux armes. Ces révoltes juives sont d'ailleurs intéressantes à suivre parce qu'elles permettent de deviner l'évolution de l'âme orientale sous la domination romaine. Elles continuent les révoltes des Macchabées et elles annoncent l'approche de l'Hégire. Ce fut vraiment entre «l'Europe» et «l'Asie» la première guerre de religion, au sens moderne du mot, le premier sursaut de l'antique Orient qui, par delà un philhellénisme de surface, essayait de rejeter la Grèce Extérieure à la mer.»1 d. Les Juifs, partisans des Parthes Les Parthes, qui semblent avoir provoqué ou tout au moins encouragé la 1

R. Grousset, L'Empire du Levant, p. 56.

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révolte juive de 117, ont certainement secouru les insurgés de Mésopotamie, en se livrant, dans cette région, à une guerre de partisans. On ne sait d'ailleurs pas exactement si la révolte a éclaté d'abord en Egypte, ou en Babylonie, fraîchement annexée par les Romains et où les Juifs, clients des Parthes, sont assez nombreux. Pleins de haine pour les Romains et les Grecs, les Juifs étaient, par contre, animés des meilleurs sentiments envers les Parthes, ennemis des Gréco-Romains et champions du monde oriental contre l'Occident envahisseur. C'est, en effet, sur les Parthes que comptaient les Juifs pour libérer leur pays et reconstruire leur Etat. Cette sympathie des Juifs pour les Parthes, qui contraste avec leur hostilité contre les Gréco-Romains, remonte à l'époque du Grand Roi perse Cyrus, qui détruisit l'Empire de Babylone (539 av. J.-C.) et autorisa les Juifs, chassés de Jérusalem, à rentrer dans leur pays et à y rebâtir le Temple de Salomon (II, p. 295). Cet acte généreux était dicté à Cyrus par le besoin d'avoir, aux portes de l'Egypte qu'il rêvait de conquérir, un pays dévoué à ses intérêts. Successeurs de Cyrus et des Perses Achéménides, les Parthes, qui voyaient dans les Juifs un élément actif et hostile à leurs adversaires, ont constamment favorisé, tant sous les Séleucides grecs que sous les Romains, les aspirations nationales des Juifs, et traitaient ces derniers avec bienveillance dans les régions soumises à leur domination. Dès le début du règne d'Auguste, en 40 av. J.-C., Pacorus, fils du roi parthe Orodès, qui envahit la Syrie et la Palestine, fut reçu avec enthousiasme à Jérusalem, d'où il chassa Hérode, créature de Rome, et le remplaça par Antigone, roi national descendant des Macchabées et agréé par les Juifs (40 av. J.-C.). Expulsant les Parthes et reprenant Jérusalem (38), les Romains restaurèrent Hérode et mirent à mort Antigone (p. 82—83). «Pour avoir été opprimé par les Séleucides et par les Romains (le peuple juif) croyait que l'Iran, toujours bienveillant envers lui, était la seule grande puissance susceptible de le délivrer du joug étranger, comme il l'avait déjà fait du temps des rois achéménides. L'apparition des cavaliers de Pacorus qui, à Jérusalem, restaura la dynastie nationale, fut saluée avec enthousiasme. Sous les Parthes, le judaïsme marqua une grande expansion en Babylonie . . . Dans toute cette région, à Babylone comme dans les cités grecques, se réfugie et se concentre la vie morale et intellectuelle de la nation juive avec ses écoles florissantes, et cette proximité joua son rôle dans l'influence qu'exercèrent les idées juives sur la religion iranienne. Pendant la grande révolte juive du second siècle de l'ère chrétienne (117), qui embrasa tout l'Orient romain, les insurgés furent soutenus par les Parthes, aide qui trouve son expression dans le passage bien connu: «Quand tu verras un coursier parthe attaché à un tombeau en Palestine, l'heure du Messie sera proche».»2 8

Ghirshman, op. cit., p. 243.

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e. Les frontières romaines ramenées à l'Euphrate Trajan, sur son lit de mort, avait adopté son neveu, Hadrien (117—138), légat de Syrie. Comme son oncle, le nouveau princeps est un Espagnol romanisé et «un helléniste si parfait qu'il parlait le grec mieux que le latin». Revenant à la politique traditionnelle et défensive de l'Empire, le nouvel empereur résolut de rétablir, pour l'Orient, l'état de chose antérieur. Profitant des luttes intestines qui déchiraient à ce moment la monarchie parthe et des invasions asiatiques qui désorganisaient l'Iran, il conclut la paix avec les Parthes et leur abandonne les trois provinces conquises par son prédécesseur: l'Arménie, l'Assyrie et la Mésopotamie (123). Khosrau se réinstalle dans Ctésiphon, et les frontières romaines sont ramenées à l'Euphrate. Hadrien «justifia ce repli par les traditions de la politique impériale, citant Caton qui n'avait jamais voulu trop agrandir l ' E t a t . . . Il voulut imiter Auguste et Tibère, et se mettre sur la défensive, non seulement pour donner plus de sécurité à l'empire, à l'intérieur de frontières plus restreintes, mais encore pour pouvoir consacrer à des œuvres de paix une partie de l'argent que Trajan avait employé en guerres. Il se proposait, en un mot, de concilier l'hellénisme, maître des arts et des sciences, avec le romanisme, maître de la guerre et du gouvernement.»3 /. L'empereur Hadrien en Orient Militaire devenu empereur, Hadrien préférait les voyages à la guerre. Pendant les vingt et un ans de son règne, il en passera près de la moitié hors d'Italie. Pendant deux grands voyages à travers l'Empire, il sera absent de Rome quatre ans la première fois (121—125) et six ans la seconde (128-134). «Dans cet amalgame aussi vaste et, au point de vue des races, aussi bizarre que l'était l'Empire romain, la présence de l'empereur, ne fût-elle que temporaire, constituait un puissant instrument de loyalisme et d'unité . . . Il savait de plus qu'en raison de la décadence profonde de l'Italie, la véritable base de l'Etat romain se trouvait désormais dans les provinces et qu'en conséquence, l'empereur se devait à elles.»4 Tandis que le premier des deux grands voyages d'Hadrien a porté, à la fois, sur l'Occident et l'Orient, le second se limitera exclusivement à l'Orient. Dans la seconde moitié de 128, Hadrien quitte Rome directement pour Athènes; vers le printemps de 129, il est en Asie Mineure, et, en été, il arrive à Antioche. 9 4

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 237 et 238. L. Homo, Le Haut-Empire, p. 481.

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g. Hadrien en Syrie et à Palmyre «Dans la Syrie occidentale, l'hellénisme avait pénétré depuis longtemps, mais le peuple conservait encore ses dialectes locaux; les industries qui faisaient la prospérité de la Syrie — la laine, la soie, la pourpre — étaient encore les anciennes industries phéniciennes. Commerçants très habiles, les Syriens servaient d'intermédiaires entre la Chine, l'Inde et les provinces de l'empire. On y menait une vie opulente, active, sensuelle, raffinée, une vie de plaisir. Le pays était plein de Juifs, émigrés après la chute de Jérusalem et qui vivaient à part, comme s'ils eussent campé en pays ennemi. De la Syrie occidentale, Hadrien passa dans la partie orientale, région âpre, presque sauvage, et où sévissait le brigandage. Après la conquête romaine, d'autres Juifs avaient pénétré dans ce pays et avaient commencé à y cultiver la terre. Le désert commençait à être sillonné de routes et par des aqueducs; des villes avaient surgi du sol comme par enchantement. Palmyre fut la cité la plus éloignée qu'Hadrien visita; il la dota de magnifiques constructions et l'éleva au rang de colonie.»5 A Palmyre, «le Romain fut reçu avec beaucoup d'égards par les habitants flattés de ce qu'un empereur illustre vînt en personne visiter leur cité . . . Sa popularité fut telle que les Palmyrénéens en firent un Dieu . . . Hadrien eut son temple, son collège de prêtres, son autel, ses sacrifices. Palmyre prit un pseudonyme. Elle se fit appeler Hadrianapolis.6» h. Hadrien en Palestine, Arabie Pétrée, Egypte (130—131) En 130, Hadrien est en Palestine où il ordonne de reconstruire la ville de Jérusalem, restée en ruines depuis Titus. Il visite la province d'Arabie, où la ville de Pétra prend en son honneur le nom d'Andrianépétra. «De l'Arabie, il se rendit en Egypte. La campagne et les bourgades y restaient foncièrement égyptiennes, les grandes villes étaient grecques; les classes dirigeantes étaient grecques avec des éléments romains. Tout cela donnait lieu à des discordes et à des luttes continuelles . . . Quelques années plus tard, il écrivait à un de ses amis: «Je connais bien cette Egypte que tu me vantes, ce peuple inconstant et léger qui s'agite au moindre bruit. C'est une race très séditieuse, très vaine, insolente. La capitale est riche, tout y est abondant et elle nourrit tout le monde;. . . mais le dieu universel c'est l'argent... Il serait à souhaiter que cette grande ville eût des mœurs plus conformes à sa noble tâche de capitale de l'Egypte.»7 Vers l'automne 131, Hadrien quitte Alexandrie et gagne Athènes; il parcourt la Grèce et fonde Andrinople, en Thrace, puis rentre à Rome, 5 6 7

G. Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 242, 243. A. Champdor, Palmyre, p. 43. G. Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 243.

124

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d'où il devait repartir, en 133, pour la Palestine, à la suite d'une nouvelle révolte des Juifs. i.

Nouvelle

insurrection

juive

(132)

La dernière insurrection juive, que Trajan avait noyée dans le sang (117), avait été suivie d'un calme tout apparent. Pendant son dernier voyage en Palestine, Hadrien avait donné l'ordre de reconstruire Jérusalem, restée en ruines depuis sa destruction par Titus (70), sous le nom d'Aelia Capitolina, avec le rang de colonie. «La nouvelle Jérusalem devait être une magnifique ville gréco-latine symbolisant, même en Palestine, la fusion de l'idée romaine et de l'hellénisme. Mais cette attention fut considérée par les Juifs comme une profanation de la ville sainte.»8 Un édit d'Hadrien ordonnait, en outre, l'érection d'un temple de Jupiter, sur l'emplacement même de l'ancien Temple national. D'autres édits interdisaient formellement la circoncision et le sabbat, deux rites religieux sur lesquels le peuple d'Israël ne pouvait transiger. Ces mesures, considérées par les Juifs comme la dernière des injures, rallumèrent les rancunes à moitié éteintes. Une révolte sanglante y répondit, en 132, sous la direction d'un chef, un Messie populaire, du nom de Simon Barcochébas. Jérusalem est enlevée et les Romains sont massacrés en grand nombre. Des troubles sérieux éclatent même en Egypte, comme contrecoup de ce mouvement. j.

Répression

féroce de la révolte

(135)

Comme en 70 sous Vespasien (p. 109), les Romains mettront trois ans pour soumettre et pacifier la Judée. C'est en la présence d'Hadrien, venu luimême sur le théâtre des opérations, qu'en 133 Jérusalem ou Aelia Capitolina, après un an de siège, est emportée et détruite. La répression est conduite avec une dureté implacable et féroce; les forteresses et les villages sont rasés, les chefs de l'insurrection exécutés. «En 135, la dernière citadelle.. . juive succombait. La révolte était réprimée. Elle laissait le pays en ruines. Cinquante des places les plus importantes, 955 gros bourgs, avaient cessé d'exister, et 180.000 Juifs, succombé les armes à la main. La Judée entière n'était plus qu'un désert. Les Romains, de leur côté, avaient éprouvé de grosses pertes.»9 La lutte que venaient de se livrer Romains et Juifs était une lutte à mort. Dressés les uns contre les autres par un double antagonisme religieux et national, et par le souvenir du sang versé, les deux peuples • G. Ferrerò, Nouvelle histoire romaine, p. 243. • L. Homo, Le Haut-Empire, p. 508.

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étaient décidés à se détruire l'un l'autre, et aucune conciliation entre eux n'était à espérer. Aussi, Hadrien se montre-t-il inexorable après la victoire. Décidé à empêcher la reconstitution du royaume juif, il expulse les Juifs de Jérusalem et leur interdit, sous peine de mort, non seulement l'accès de leur ancienne capitale, mais même le droit de venir la contempler de loin. L'ancienne colonie romaine d'Aelia Capitolina est rétablie sur le sol de Jérusalem, dont le nom est supprimé. Deux légions romaines seront installées en Judée. k. Situation légale des Juifs après la révolte Après la révolte de 132—135, qui épuisa les forces de réaction des Juifs, ceux-ci gardèrent le droit de constituer des synagogues, où ils se réunissent, et d'avoir un chef, de caractère purement confessionnel. «Ce chef, appelé, dans la suite, patriarche, nommé par l'empereur, privé de juridiction territoriale, devint un modérateur au lieu d'un excitateur de tous les Juifs dispersés dans l'empire. On lui permit de lever sur les communautés une contribution fixe et annuelle, que l'empire confisqua plus tard à son profit, comme il avait attribué après 70, au temple de Jupiter Capitolin, le sicle que tout Israélite payait pour le temple de Jérusalem. Les Juifs se répandirent sur certains points de la côte et dans le sud de l'Idumée;. . . mais ils se groupèrent de préférence en Galilée, où ils élevèrent des synagogues monumentales et codifièrent leur jurisprudence. La majorité de la population palestinienne adhérait au paganisme et à la civilisation gréco-romaine, dont il reste encore des témoins architecturaux remarquables.»10 2. Renaissance de l'impérialisme iranien. Rivalités, guerre et entente romano-parthes a. Politique orientale de l'empereur Antonin Hadrien, avant de mourir, avait choisi, pour son héritier, Antonin (138— 161), un homme d'âge mûr qui avait fait ses preuves de bon administrateur. Droit et simple, appliqué au travail, consciencieux et juste, Antonin, à la différence de Trajan et d'Hadrien, est un conservateur et un pacifique, préférant la vie sédentaire aux voyages. Il associa étroitement le Sénat à l'exercice du gouvernement. Aussi croyant que patriote ardent, Antonin voulut restaurer la vieille religion nationale, et reçut du Sénat, pour la haute moralité de sa vie, le surnom de «Pieux». Grand constructeur, Antonin multiplie les travaux publics, tant en 10

Abel, op. cit., II, p. 163.

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Italie que dans les provinces. Ce furent surtout les provinces d'Asie Mineure, éprouvées par de terribles tremblements de terre en 138, 142 et 151, qui furent l'objet de sa sollicitude: Ephèse, Smyrne, Mitylène, presque entièrement détruites, furent reconstruites aux frais de l'empereur. En Syrie, le grand Temple de Jupiter à Héliopolis (Baalbek), fut achevé; Laodicée (Lataquié) est dotée d'un Forum et de thermes publics; Antioche, gratifiée d'une grande place, est entièrement pavée aux frais de l'empereur. En Egypte, le Phare d'Alexandrie est reconstruit et un hippodrome est bâti. En politique extérieure, Antonin, fidèle au programme de son prédécesseur, poursuit une politique pacifique et défensive. Il considérait toute nouvelle conquête comme un élément de faiblesse pour l'Empire. «Il préférait défendre les provinces plutôt que de les étendre et «aimait mieux, disait-il, conserver un citoyen que de tuer mille ennemis» . . . Il ne voulut même pas accepter au rang de sujets des peuples étrangers qui lui en avaient fait formellement la demande, mais il sut défendre les frontières de l'Empire.»11 b.

Troubles en Judée

(155)

La diplomatie et la modération, dont Antonin préfère se servir pour régler les problèmes politiques, ne l'empêchent pas de prendre des mesures énergiques lorsque les circonstances l'exigent. Malgré quelques troubles survenus en Judée, il accordera aux Juifs, si durement traités par Hadrien, des atténuations à leur sort. «Dès son avènement, les Juifs obtinrent la permission d'enterrer les restes de leurs morts restés sans sépulture depuis 135.» La pratique des lois mosaïques, la lecture des livres sacrés, la circoncision, les visites individuelles des Juifs à leur ancienne capitale, ainsi que d'autres faits interdits par Hadrien sous peine de mort, sont tolérés. Cependant, en dépit de ces mesures de pacification qui apaisèrent le pays, des Juifs exaltés, «qui n'avaient rien appris ni rien oublié, ne désarmaient pas. En 155, ils prirent les armes. Le soulèvement fut rapidement réprimé et Antonin ne fit pas payer aux autres Juifs l'action de quelques violents; il s'en tint à la politique tolérante qui avait fait ses preuves et n'abrogea aucune de ses concessions antérieures.»12 c.

Réveil de l'impérialisme

iranien

Dès le début du règne d'Antonin, les Parthes avaient recommencé à bouger. La paix conclue en 123, entre Hadrien et Khosrau, n'était, comme 11 12

L. Homo, Le Haut-Empire, L. Homo, Le Haut-Empire,

p. 545, 546. p. 352.

RÉACTION ORIENTALE, SÉMITIQUE ET IRANIENNE

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celles qui l'avaient précédée, qu'une trêve temporaire. Dès 138, les Parthes voulurent mettre à profit la mort d'Hadrien pour s'emparer de l'Arménie; mais ils durent renoncer à leur projet devant les concentrations de troupes qu'Antonin ordonna en Asie Mineure. L'avènement de Vologèse III (148—192) marque, chez les Arsacides, une renaissance de la politique impérialiste en direction de l'Ouest. Dès la première année de son règne, Vologèse réclame d'Antonin l'exécution d'une promesse, faite par Hadrien au roi Khosrau, de restituer le trône royal enlevé jadis de Ctésiphon par l'empereur Trajan. Antonin, considérant qu'il s'agissait pour l'Empire d'une question de prestige, refuse catégoriquement de livrer le trône réclamé. Vologèse, qui se prépare à marcher contre l'Arménie, recule devant la fermeté et les préparatifs d'Antonin. Des négociations entre les deux monarques aboutissent, en 151, à un traité qui rétablit la paix entre les deux puissances. d. L'empereur Marc-Aurèle (161—180) En 161, Antonin meurt, après avoir confirmé la désignation de MarcAurèle (161—180) comme son successeur à l'Empire. Agé de 40 ans, le nouvel empereur se trouvait dans toute la force de l'âge. Dès son avènement, Marc-Aurèle voit réapparaître le problème danubien, réglé depuis Trajan, et l'éternelle question d'Orient. La situation est d'autant plus délicate et périlleuse que le nouvel empereur n'était nullement un homme de guerre, ni par carrière, ni par tempérament. En effet, au moment où les affaires requéraient la direction d'un militaire couronné, c'est plutôt un philosophe, Marc-Aurèle, célèbre par sa sagesse stoïcienne, sa modération et son goût passionné pour la philosophie et les lettres, qui monte sur le trône des Augustes et des Césars. Marc-Aurèle considère la religion et la morale comme la partie essentielle de la philosophie. La vie est une ombre, un rêve; il importe peu qu'elle soit plus ou moins longue. Seul l'ordre établi dans l'univers, par la Providence, mérite considération. Tout conspire vers un même but qui est le bien, et le mal n'est qu'une apparence ou une condition du bien. De là, les préceptes de résignation pieuse que cet empereur se donne si souvent à lui-même, ainsi que ses principes sur la fraternité de tous les hommes, sur leur parenté avec Dieu. Son recueil de Pensées est un des plus beaux livres que possède l'humanité. «Pour la première fois, l'empire de Rome, fondé et gouverné par une aristocratie de soldats, d'hommes d'Etat et de diplomates, eut à sa tête un philosophe. L'hellénisme n'avait jamais remporté un triomphe aussi grand. Mais cette première expérience d'un prince philosophe allait se développer au milieu d'immenses difficultés.»13 13

Ferrero, Nouvelle

histoire

romaine,

p. 246.

128

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e. Arménie et Syrie envahies par les Parthes (161) C'est par le rebondissement de la question d'Arménie que, dès le début du règne de Marc-Aurèle, la rupture entre Rome et les Parthes se produit. Vologèse III, qui avait longuement préparé son offensive, se décide à agir, encouragé par la personnalité peu belliqueuse de l'empereur romain. Un prince arsacide, soutenu par les Parthes, s'empare du trône d'Arménie (161). Le gouverneur romain de Cappadoce, qui veut l'expulser par la force, est battu et tué; le légat de Syrie prend la fuite et sa province est envahie (161). «Après avoir préparé son offensive contre la Syrie, le roi traverse l'Euphrate, entre en Syrie où ses troupes sont acclamées par la population. On s'attend à une nouvelle révolte générale contre Rome. Mais, si la Parthie montra dans le temps une grande force de résistance à l'envahisseur, elle ne pourra cacher sa faiblesse offensive.»14 /. Les Romains prennent Ctésiphon (165) Malgré ses goûts pacifiques, Marc-Aurèle réagit avec toute l'énergie de son caractère. Ne pouvant lui-même quitter Rome, il envoie en Orient, outre des renforts, son collègue, Lucius Verus, second Auguste, prendre le commandement suprême des opérations. Les hostilités, qui dureront cinq ans (161—166), s'achèveront par une grave défaite essuyée par Vologèse à Doura, sur l'Euphrate. «Le roi demande l'armistice, mais les Romains sont bientôt au-delà du Tigre. Ctésiphon est prise et le palais royal brûlé (165). Délivrée un demi-siècle plus tôt par une révolte des provinces orientales romaines, la capitale sera libérée cette fois grâce à une terrible épidémie de peste, partie des frontières de l'Iran et qui, propagée peut-être par l'armée romaine qui était descendue en Mésopotamie des bords de l'Araxe, s'étendit sur toute l'Asie occidentale, l'Egypte, l'Asie Mineure, passa par la Grèce en Italie et gagna même la région du Rhin.»15 g. Paix romano-parthe (166) Les victoires de Marc-Aurèle, en rétablissant le prestige du nom romain, permirent de régler, au profit de l'Empire, l'épineuse question d'Orient. La paix, signée avec les Parthes (166), maintient l'Arménie vassale des Romains. Ceux-ci évacuent la Babylonie, mais gardent, sur la frontière orientale de l'Euphrate, quelques positions qui renforcent, dans cette contrée, leur situation stratégique antérieure. Le royaume d'Osrohène (Edesu 15

Ghirshman, op. cit., p. 230. Ghirshman, op. cit., p. 230.

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se) est placé sous la suzeraineté de Rome, et Carrhes reçoit une colonie romaine. «Vainqueur, comme Trajan un demi-siècle plus tôt, Marc Aurèle pouvait reprendre à son compte la grande politique d'annexion de cet empereur, ou, au contraire, après avoir repoussé l'attaque parthe et vengé l'honneur du nom romain, en revenir purement et simplement à la politique du statu quo. Mais l'expérience avait démontré successivement le danger des deux politiques, l'impossibilité de la première, comme l'insuffisance de la seconde. Aussi l'empereur s'arrêta-t-il sagement à une solution intermédiaire: pas d'annexion de grand style, mais, dans la mesure où la chose apparaissait nécessaire, renforcement de la politique orientale traditionnelle et extension à l'Orient du système des glacis.. . Pour assurer la durée de ces heureux résultats, Marc Aurèle constitua, aux mains d'Avidius Cassius, un grand commandement militaire qui s'étendit à l'Orient romain tout entier.»16 Général de talent originaire de Syrie, Avidius Cassius s'était couvert de gloire dans la campagne contre les Parthes. 3. Rébellion et mort d'Avidius Cassius (175) Une grave révolte, plus dangereuse que celles déclenchées par les Juifs, mais qui fut sans lendemain, est celle d'Avidius Cassius, nommé par Marc-Aurèle commandant suprême de l'Orient romain. D'une ambition effrénée, ce Syrien romanisé ne tarda pas à convoiter le trône impérial, et, pour y parvenir, se lance dans une aventure particulièrement hardie. Mettant à profit les difficultés qui retiennent Marc-Aurèle sur le Danube, il fait répandre la nouvelle de la mort de ce prince et se fait proclamer empereur (175). «Cassius, en sa qualité de Syrien, avait entraîné bon nombre de ses compatriotes. Le préfet d'Egypte s'était prononcé pour lui. Marc Aurèle se hâta de conclure la paix avec les Sarmates et accourut pour rejoindre les gouverneurs restés fidèles; mais il n'était pas encore arrivé sur le théâtre des opérations que tout était fini. Cassius avait été tué par ses propres soldats qui redoutaient son inflexible sévérité. La clémence du bon empereur fut telle qu'on devait l'attendre de son caractère. Ce n'en était pas moins un fait grave que cette rébellion militaire, ce retour à des habitudes qu'on avait pu croire oubliées depuis près d'un siècle. L'adhésion des populations orientales était aussi un fait inquiétant. Comme au temps de Vespasien, elles avaient voulu avoir leur empereur. Le divorce entre les deux fractions de l'empire (Orient et Occident) s'accusait une fois de plus.»17 16 17

L. Homo, Le Haut-Empire, p. 562, 563. G. Bloch, L'Empire romain, p. 155.

130

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Marc-Aurèle n'exerça aucune vengeance contre les personnes, les troupes et les villes qui avaient adhéré au mouvement de Cassius. Refusant pour lui-même les biens confisqués de ce dernier, il les adjugea au Trésor public et regretta que la mort du rebelle «lui eut enlevé l'occasion d'exercer sa clémence». Cependant, pour prévenir le retour de pareilles rébellions, Marc-Aurèle interdit qu'un légat impérial soit désormais nommé gouverneur d'une province d'où il est originaire. «La ville d'Antioche était restée, jusqu'au bout, fidèle à la mémoire d'Avidius Cassius qui lui avait accordé des spectacles, des assemblées publiques et toutes sortes de libertés. Légers et frondeurs, comme à l'ordinaire, ses habitants avaient répandu nombre de calomnies sur l'empereur. Marc Aurèle, par un édit sévère, cassa les mesures prises par Avidius Cassius en leur faveur. Il refusa d'entrer à Antioche lors de son voyage en Syrie, mais il s'en tint à cette manifestation et pardonna aux habitants d'Antioche comme aux autres. De Syrie, Marc Aurèle passa en Egypte. Alexandrie, qui s'était comme Antioche prononcée pour Avidius Cassius, obtint son pardon. Partout, dans le pays, il se conduisit en philosophe et multiplia les témoignages de sa bonté. En 176, il revint par la Syrie, où cette fois il consentit à visiter Antioche, et par l'Asie Mineure.»18 L'échec retentissant de la tentative du Syrien A. Cassius n'empêchera pas d'autres Orientaux d'imiter son exemple et d'être plus heureux. Le premier en date de ces officiers de fortune, qui surgira bientôt, est un demi-oriental, Septime Sévère.19 A Marc-Aurèle, mort en 180, succède son fils Commode (180—192), que son père, sur son lit de mort, avait expressément désigné pour lui succéder. Débauché, paresseux et cruel, Commode, qui avait dix-neuf ans, annonçait un mauvais empereur. Ce choix de Marc-Aurèle, qui se faisait une si haute idée de son devoir de souverain, vaudra à l'Empire douze années d'une effroyable tyrannie, sans compter les conséquences terribles qui suivirent cette triste période. «Il faut pourtant convenir que la philosophie appelée, dans la personne de ce célèbre empereur, à gouverner le monde, se comporta étrangement dans la question de la succession que des empereurs moins philosophes avaient si bien résolue.»20 L'incapacité de Commode et son comportement créèrent, entre le chef 18

L. Homo, Le Haut-Empire, p. 585, 586. Nous avons vu, au cours des siècles passés, les peuples de l'Orient méditerranéen (Araméens, Phéniciens, Israélites, Egyptiens, etc.) en état quasi permanent d'hostilité ou de révolte contre le joug des étrangers (Hittites, Assyriens, Chaldéens, Perses, Gréco-Macédoniens, etc.). Cet esprit nationaliste et xénophobe continuera, au cours des siècles à venir, à dresser les peuples orientaux contre la domination des Romains, des Byzantins, des Asiatiques, des Francs Croisés, etc., et, dans l'Orient arabe des temps contemporains, contre l'hégémonie turco-ottomane et la tutelle étrangère sous toutes ses formes. 20 Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 32. 19

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de l'Empire et le Sénat, un conflit d'une grande violence. Etranglé en 192, Commode est déclaré ennemi public par le Sénat; son nom est rayé de la liste des empereurs, ses statues sont brisées et tous ses actes annulés. Après le massacre de Commode, le Sénat ne sut ni dominer la situation, ni imposer de nouveau un empereur de son choix. Une violente guerre civile aboutira, avec la victoire de Septime Sévère en 193, à l'avènement des empereurs orientaux et à l'absolutisme militaire des généraux empereurs. Avec la mort de Commode, le régime du Principat prend fin. A la monarchie civile, viagère et élective, succédera le Dominât, monarchie militaire et héréditaire.

II. L'orientalisme envahit Rome (193-249). Monarchie militaire et empereurs orientaux 1. Révoltes militaires et lutte pour l'Empire (193—197) a. Début de la grande crise du Ille siècle De la mort de Commode (192) à l'avènement de Dioclétien (284), l'Univers romain traverse, avec quelques intermittences, une période de près d'un siècle, remplie de troubles et de guerres civiles. Pendant cette longue période de désordres, appelée par les historiens la crise du llle siècle, qui se terminera, avec l'avènement de Dioclétien, par la dislocation et le fractionnement de l'Empire, le trône impérial sera convoité et occupé par des généraux d'origines diverses, africaine, syrienne, arabe, illyrienne, et Rome sera envahie par les idées et les religions orientales. De 193 à 249, des empereurs d'origine africaine et orientale, proclamés et appuyés par les armées des provinces, occupent, avec leurs femmes, le trône impérial. «Les compétitions des prétendants, les révoltes militaires sévissent à l'état presque continu, laissant le soldat démoralisé, la frontière dégarnie et ouverte à l'invasion, amenant la dépopulation, la misère, la crise économique, le relâchement des liens sociaux, le brigandage et les jacqueries, et, comme suite, un abaissement sensible dans le niveau de la vie intellectuelle. Seuls les grands juristes poursuivent leur œuvre sans se troubler, et achèvent d'édifier l'impérissable monument du droit romain.»1 b. Compétition des généraux à la mort de Commode A Commode, assassiné en 193, succède Pertinax. Choisi par le Sénat, celui-ci, après trois mois de règne, est égorgé par les prétoriens, qui vendent l'Empire aux enchères au sénateur Davidius Julianus. En réaction, les légions de Bretagne proclament comme empereur leur chef, Albinus; celles de Syrie, Niger; celles de Pannonie, Septime Sévère. L'anarchie qui s'était produite à Rome à la mort de Néron, se répète après 124 ans. Le peuple de Rome et le Sénat faisaient des vœux pour Niger, Italique de naissance, et pour Albinus, qui, bien que né en Afrique, appartenait à la noblesse italienne. Septime Sévère, Africain, d'une riche famille de Leptis (Tripolitaine), est marié avec une Syrienne, Julia Domna, qu'il avait connue et épousée pendant qu'il commandait une légion en Syrie. 1

G. Bloch, L'Empire romain, p. 158, 159.

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Légat impérial en Syrie, Niger, qui avait trois légions sous ses ordres, est proclamé par elles à Antioche; les légions de Palestine, d'Arabie, d'Egypte et de Cappadoce, se prononcent également en sa faveur. Les rois parthes, menacés par les Kouchans à l'Est, lui promettent leur alliance. Il est l'empereur incontesté de l'Orient et le chef souhaité par Rome et l'Italie. «Septime Sévère, au contraire, apparaissait comme l'étranger, comme l'ennemi. Il avait contre lui, outre sa réputation de dureté, ses tendances bien connues. Africain, comme son rival (Albinus), mais plus exclusivement, plus apparemment africain, il laissait entrevoir, sous le vernis de la culture latine, le fonds persistant de l'éducation indigène.»2 c. Septime Sévère, empereur de l'Occident Gouvernant la Pannonie, Septime Sévère avait, sur ses rivaux, l'avantage d'être plus près de la métropole. Intelligent et résolu, il descend en Italie et marche contre Julianus. Abandonné par ses soldats, celui-ci est déposé et condamné à mort par le Sénat qui, pliant sous la force, élit à contrecœur l'Africain victorieux. Dès son entrée à Rome, Septime Sévère, pour plaire au Sénat et pour neutraliser Albinus, son rival de Bretagne, prend celui-ci comme collègue dans l'Empire. Demeurés seuls face à face, l'Africain Septime Sévère, reconnu par tout l'Occident, et l'Italien Niger, empereur de l'Orient, représentent, en dépit de leurs origines, deux mondes antagonistes qui vont de nouveau s'affronter sur le champ de bataille. d. Défaite et mort de Niger (194) Prenant l'offensive, Sévère traverse l'Asie Mineure et s'empare des Portes Ciliciennes. La bataille décisive se déroule dans la plaine d'Issus, là où, cinq siècles auparavant, l'Occident, représenté par Alexandre de Macédoine, et l'Orient, par Darius, avaient déjà réglé leurs comptes. Comme Darius, Niger est battu et tué (194). Antioche, qui avait épousé sa cause, est mise à sac et perd son autonomie; elle devint tributaire de Laodicée (Lataquié). Sévère pousse jusqu'à Nisibe, qu'il élève au rang de colonie. e. Défaite d'Albinus. Septime Sévère seul empereur (197) Après avoir dompté l'Orient, Sévère rentre à Rome pour faire face à un nouveau danger. Son collègue Albinus, encouragé par le Sénat, se révolte, franchit les Alpes et descend en Italie. Faisant pression sur le Sénat, l'Africain fait déclarer le nouveau prétendant comme ennemi public et le défait dans une bataille près de Lyon (197). 2

G. Bloch, op. cit., p. 164.

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«Sévère était désormais, à la tête des légions victorieuses, l'arbitre de l'empire. Le Sénat n'avait plus qu'à s'incliner. Mais Sévère . . . était un fils de l'Afrique. Il avait conquis l'empire au prix de terribles dangers et contre la volonté du Sénat: l'ayant conquis, il voulait le garder pour lui et pour sa famille, et c'est ici que l'Africain se m o n t r a . . . Il chercha surtout des appuis auprès des soldats et des chevaliers . . . Septime Sévère fut vraiment l'empereur des soldats qui, élu par eux, gouverne par eux et avec eux.»3 2. Septime Sévère, empereur demi-oriental. Etablissement du Dominât ou monarchie militaire a. Septime Sévère Par sa politique et son comportement, Septime Sévère (193—211), sur le trône, restait un étranger. «On raillait son accent punique et l'on affectait de voir dans son avènement la revanche d'Hannibal auquel il éleva des statues. Son mariage avec la Syrienne Julia Domna semblait le détourner encore de la tradition nationale.»4 Africain, de souche probablement punique, et connaissant l'Orient pour y avoir séjourné, Septime Sévère est un demi-oriental. Marié à une Syrienne, qui exerce sur lui une grande influence, ce successeur des Augustes et des princeps devrait être considéré, à juste raison, comme le premier des empereurs romains orientaux. b. Prépondérance de l'armée et des provinces Avec Septime Sévère, le régime politique renonce aux fictions constitutionnelles. Le nouvel empereur, contre lequel le Sénat s'était déclaré dans la guerre civile, néglige cette Assemblée. Appuyé sur ses légions, il affaiblit et appauvrit l'aristocratie historique et constitue, parmi les chevaliers, une noblesse de fonctionnaires dépendant de lui. Faisant de l'armée une puissance politique supérieure au Sénat, il exerce ouvertement le pouvoir absolu et renforce le principe monarchique. Dès la révolte d'Albinus (196), il avait désigné, comme héritier de l'Empire, son fils Bassanus (le futur Caracalla), que le Sénat avait proclamé César. Fondé sur la force des armes, le nouveau régime, inauguré par Septime Sévère et continué par ses successeurs orientaux et illyriens, incline vers l'absolutisme militaire, imité de l'Asie. Militaires et d'origine provinciale, les empereurs du Ille siècle augmenteront, en même temps que l'influence des légions, celle des provinces de l'Empire. Les prérogatives de Rome, du Sénat et de l'Italie, seront progressivement supprimées. 3

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 267, 268. * G. Bloch, op. cit., p. 165.

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c. Le Dominât, monarchie militaire et orientale Ce nouveau régime politique, qui succède à celui du Principat élaboré par Auguste, est désigné souvent du nom de Dominât. A la monarchie civile, élective et viagère du Principat, appuyée sur le Sénat et la garde prétorienne, se substituera désormais, pour près d'un siècle (193—285), une monarchie mi-orientale, c'est-à-dire militaire, héréditaire et absolue, fondée sur les légions et la noblesse provinciale. «Septime Sévère fut en somme le premier vrai monarque absolu ou presque absolu de l'Empire, qui osa se faire appeler officiellement dominus (maître); qui rendit la justice dans son palais et qui frappa l'autorité du Sénat d'une humiliation définitive dont le Sénat ne se releva plus.»5 Cette révolution, qui changeait le caractère et la nature du pouvoir impérial, fut saluée, au début, comme un bienfait. Elle aboutira, au bout d'un siècle d'évolution graduelle, avec l'avènement de Dioclétien (284), à l'organisation définitive du régime politique et social communément désigné par les historiens sous le nom de Bas-Empire. d. L'impératrice Julia Domna Femme de Septime, Julia Domna est la fille de Julius Bassianus, prêtre d'Elagabal, le dieu Soleil, dans le centre religieux d'Hémèse ou Emese (Homs), en Syrie. Appartenant à une famille où le sacerdoce était héréditaire, de condition modeste, elle avait connu Septime lorsque, simple général, il commandait une légion en Syrie. Sa beauté, son intelligence et un horoscope qui lui avait prédit qu'elle serait un jour la femme d'un roi, décidèrent Sévère à l'épouser. D'un caractère énergique, elle contribua efficacement à réaliser cette prophétie, encourageant son mari à briguer l'Empire et à marcher sur Rome, et l'accompagna, pendant tout son règne, dans ses guerres et ses voyages. En retour, Sévère la comble d'honneurs et de titres. Sur les inscriptions et les monnaies, elle est désignée des noms de Augusta, mère de la patrie, mère du Sénat. Intelligente et ambitieuse, Julia Domna exerce sur les affaires publiques une action prépondérante. Curieuse des problèmes philosophiques, elle réunit autour d'elle, au palais impérial, un cercle de juristes, de penseurs, de savants, de poètes et d'écrivains: Ulpien, Papinien, Galien, Philostrate. Elle fait venir à Rome de nombreux compatriotes, notamment sa sœur Julia Maesa et ses deux nièces, mariées à des Syriens: Julia Soemias et Julia Mammea; l'une sera la mère de l'empereur Elagabal, et l'autre celle d'Alexandre Sévère.

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Ferrero, La ruine de la civilisation

antique, p. 36.

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e. Les jurisconsultes syriens à Rome Le règne de Septime Sévère se distingue par l'intérêt qu'il portait aux questions de droit. L'empereur et son fils Caracalla se mêlent personnellement aux discussions juridiques et le Digeste a conservé le souvenir de leurs interventions. Comme l'impératrice, qui les attire et les accueille à Rome, «la plupart des jurisconsultes du temps étaient nés, eux aussi, en Syrie» (Besnier). Ces grands juristes ont contribué à accentuer l'orientation du pouvoir vers l'absolutisme monarchique, fondé sur la force des armées. L'empereur, à leurs yeux, était le maître suprême, et la loi, l'expression de sa volonté suprême, la lege regia. f . Des juristes, préfets du prétoire La désignation du célèbre jurisconsulte Papinien, comme préfet du prétoire, témoigne de la considération qu'avait l'empereur pour les hommes de loi. Chef du corps des prétoriens, qui, depuis Auguste, forment à Rome la garde personnelle du princeps, le préfet du prétoire est le compagnon assidu du souverain. Il veille sur sa vie, exécute ses ordres, est mêlé à son existence intime et connaît mieux que personne la pensée de son maître. Au Ille siècle, ce haut fonctionnaire sera le juge suprême de l'Empire. Dès Septime Sévère, la préfecture du prétoire est exercée par Papinien, grand juriste romain. Sous Alexandre Sévère, elle sera occupée par Ulpien (170—228), célèbre juriste phénicien, né à Tyr. g. Les provinces à l'honneur Africain romanisé, Septime Sévère comprit et aima l'œuvre grandiose accomplie par Rome. Empereur d'origine provinciale, il jugeait équitable que les provinces, qui avaient apporté une contribution importante à cette œuvre, en partagent les bénéfices. Aussi, un nivellement général est-il préconisé et appliqué dans toutes les régions de l'Empire, et particulièrement en Afrique et en Orient. «La garde (prétorienne) fut reconstituée. Elle n'avait admis jusqu'alors que des Italiens, avec quelques recrues originaires de l'Espagne, de la Macédoine, du Norique. Elle s'ouvrit désormais à tous les légionnaires . . . Les provinces furent comblées. Ce n'est pas que Septime Sévère ait négligé la capitale. . . Mais ses bienfaits touchèrent plus particulièrement l'Afrique, son pays natal, et cet Orient d'où l'impératrice Julia Domna était originaire et auquel elle conservait sa prédilection. La ville d'Alexandrie fut dotée du régime municipal, et pour la première fois on vit un Egyptien siéger dans le Sénat. L'honneur était grand, mais ce Sénat qui lui ouvrait ses portes n'était plus guère qu'une assemblée d'apparat.»6 « G. Bloch, op. cit., p. 165, 166, 167.

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h. Subdivision de la province de Syrie Dans le but de réduire la puissance du légat de Syrie, Septime Sévère, en 195, divise la Syrie en deux provinces: Syria Coele et Syria Phoenice. La première, embrassant la Haute Syrie, a pour chef-lieu Antioche; la seconde, capitale Emèse (Homs), s'étend de la côte phénicienne jusqu'à la Palmyrène inclusivement, englobant Tyr, Héliopolis (Baalbek) et Damas. Par cette subdivision, le nombre des provinces romaines, dans la Syrie géographique, est porté à quatre: Syria Coele, Syria Phoenice, Syria Palestina (ancienne Judée) et Arabia (ancienne Nabatée ou Transjordanie). i. Septime et Julia en Orient (197—199). Défaite des Parthes et annexion de la Mésopotamie En 197, l'empereur, accompagné de l'impératrice, se rend en Orient où l'appelle une nouvelle invasion des Parthes. Défaits et repoussés, ceux-ci sont poursuivis par les Romains, et Ctésiphon, qui capitule, est livrée au pillage; 100.000 prisonniers sont pris. La province de Mésopotamie est délivrée et agrandie, et Nisilie est le point d'appui des offensives romaines (199). Septime Sévère et sa famille restent deux ans en Orient; l'empereur visite la Palestine, l'Arabie et l'Egypte. Les princes de Palmyre reçoivent le droit de cité romaine et le cognomen de Septimius, en récompense de leur loyalisme et de leurs services. Au seuil de l'Egypte, Septime offre un sacrifice aux mânes de Pompée. Alexandrie reçoit le droit de posséder un sénat municipal, un temple de Cybèle, un Panthéon, des thermes, un gymnase. Retournant à Antioche, où il reste encore un an, l'empereur rentre à Rome au début de 202. j. Le christianisme sous Septime Sévère Les historiens de l'Eglise placent sous le règne de Septime Sévère la cinquième persécution. Et pourtant, pendant les dix premières années de son règne, les Chrétiens bénéficiaient de l'intérêt que l'empereur portait à tout ce qui venait d'Orient. C'est pour lui qu'ils avaient pris fait et cause pendant les guerres civiles, et ils étaient nombreux dans la domesticité des Sévères. En 202, pendant qu'il se trouvait en Palestine, Septime interdit la propagande juive et chrétienne. Mal disposés envers le christianisme, les juristes saisirent cette occasion de sévir contre cette religion. Cependant, en Syrie et en Palestine, il ne semble pas y avoir eu de persécutions violentes. C'est seulement à Alexandrie et à Carthage que la propagande chrétienne est énergiquement combattue. Vers la fin du Ile siècle, l'Eglise d'Alexandrie est l'une des plus floris-

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santés et des plus actives du monde chrétien. La présence d'une nombreuse colonie juive avait favorisé les progrès du christianisme; l'existence d'une grande école d'exégèse et de théologie, dont la méthode se réclamait de Platon, atteste l'importance de la communauté chrétienne. Cette école sera illustrée par les grands noms de Clément d'Alexandrie et d'Origène. Ce dernier surtout se fera remarquer par l'ardeur de son zèle et l'éclat de sa parole. Il dirige l'école d'Alexandrie et contribue, plus que tout autre, à faire entrer dans la philosophie chrétienne la philosophie hellénique. 3. Caracalla, empereur de souche syrienne (211—217) a. Caracalla et Geta, empereurs associés (211—212) Septime Sévère avait désigné, pour lui succéder simultanément, ses deux fils, Caracalla et Geta, qui étaient ses collègues dans l'Empire. L'aîné, Caracalla, s'appelait d'abord Bassianus, du nom de son grand-père maternel, prêtre du dieu local d'Emèse, en Syrie. En 196, il prit le nom d'Aurélius Antoninus, en hommage à Marc-Aurèle. Le nom de Caracalla n'est qu'un sobriquet, que la tradition lui donna à cause de la coupe de son manteau. Quant au nom de Geta, il est tiré de celui de son grand-père paternel. Le partage héréditaire de l'Empire entre les deux frères était une innovation scandaleuse au point de vue du droit public romain. Mais l'Empire, depuis Septime Sévère, est devenu une monarchie orientale, un bien de famille, et les années sont dévouées à la dynastie de l'empereur disparu. Aussi, le Sénat impuissant se résigna-t-il à ratifier le fait accompli. b. Meurtre de Geta (212). Caracalla seul empereur Les deux empereurs et frères sont, dès leur plus jeune âge, animés, l'un contre l'autre, d'une haine mortelle. La première année de leur règne est signalée par une scène atroce. Le cadet, Geta, est égorgé par son frère Caracalla, dans les bras de leur mere Julia Domna (212). «Lesamesetaient si endurcies que le fratricide ne fit pas l'impression qu'on pourrait supposer. Le meurtrier prétexta d'un complot... La mère elle-même se résigna. Ambition ou, encore une fois, raison d'Etat, elle resta auprès du fils criminel, associée, tant qu'il vécut, au gouvernement. Seul Papinien fit entendre la protestation d'un honnête homme: il lui en coûta la vie.»7 Tels sont les débuts de ce prince qui «n'aima jamais personne» (Dion Cassius). Ses bustes se reconnaissent par leur expression farouche et méchante. Brutal, cruel et débauché, «on doit le ranger parmi les mauvais empereurs, au même titre que Néron, Domitien et Commode... Il 7

G. Bloch, op. cit., p. 171.

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n'y a lieu à retenir à l'actif de Caracalla que son zèle à défendre les frontières de Germanie et d'Orient; à l'intérieur, c'est à sa mère et aux jurisconsultes que revient tout le mérite des mesures heureuses de son regne.»8 c. Gouvernement de Julia Domna

«Uniquement occupé du soin de l'armée et de la défense des frontières, il (Caracalla) abandonnait à sa mère . . . le gouvernement de l'Empire. Déjà très influente du vivant de Septime Sévère, Julia Domna fut toute-puissante sous le nouveau règne. Les juristes, émules ou disciples de Papinien, qui avaient entouré et conseillé Septime Sévère, restèrent en faveur. Rien ne fut changé dans les principes ni dans les procédés de la politique impériale, absolutiste et niveleuse, hostile aux hautes classes, à Rome, à l'Italie, favorable aux petites gens, aux soldats, aux provinciaux, soucieuse d'accroître les ressources du Trésor, accueillante aux religions orientales.»9 C'est à Julia Domna que serait dû l'édit célèbre, signé par Caracalla, par lequel le droit de cité romaine est conféré à tous les habitants libres de l'Empire. Cette grande réforme, qui mit fin aux dernières différences existant encore entre l'Italie et les provinces conquises, et qui hâta la déchéance de la classe dirigeante à Rome, aurait été prise, non par libéralisme politique, mais dans un intérêt fiscal. Sur sept millions d'habitants que comptait l'Egypte, deux seulement ont accédé, sur leur demande, à la cité romaine. d. Caracalla et sa mère en Orient (215)

Comme son père, Caracalla est, lui aussi, un empereur voyageur. Admirateur d'Alexandre le Grand et désireux de suivre son exemple, il quitte Rome pour l'Asie (214), accompagné de sa mère Julia Domna et de Macrin, préfet du prétoire. Traversant la Thrace, il y fait élever des statues à Alexandre et organise une phalange sur le modèle macédonien. En Troade où il débarque, il offre des sacrifices au tombeau d'Achille et aux héros de l'épopée homérique. En 215, Caracalla et sa suite quittent Nicomédie, où ils viennent de passer l'hiver, et arrivent à Antioche. Tranquille du côté des Parthes, dont le roi, Vologèse V, lui manifeste des dispositions amicales, l'empereur pousse jusqu'en Egypte. «A Alexandrie, il entra en conflit avec la population, d'humeur frondeuse et indisciplinée, qui criblait sa mère de sarcasmes, lui reprochait à lui-même le meurtre de son frère et tournait en ridicule son désir de riva8 9

Besnier, L'Empire romain, de l'avènement Besnier, op. cit., p. 60.

des Sévères au concile de Nicée, p. 57, 58.

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liser, malgré sa petite taille, avec Achille et Alexandre. Pour se venger, il fit massacrer ou expulser un grand nombre d'habitants.»10 e. Expédition contre les Parthes En Iran, une guerre civile, réchauffée par les Romains, venait de se terminer par la victoire d'Artaban V contre son frère Vologèse V. Pendant que Caracalla était en Egypte, le nouveau roi parthe manifeste des dispositions hostiles contre les Romains. Rentré à Antioche, en 216, l'empereur, qui se repose sur sa mère de la direction des affaires de l'Empire, se consacre entièrement à la préparation d'une expédition contre les Parthes. Commençant par le royaume d'Osrohène, Caracalla s'empare traîtreusement de son roi, Abgar X, l'envoie à Rome, annexe son domaine à la province de Mésopotamie et érige Edesse, la capitale, en colonie romaine. Le roi d'Arménie, attiré à Antioche, y est retenu; mais une attaque romaine contre le pays arménien est repoussée. Se tournant enfin contre les Parthes, sous le prétexte que leur roi a refusé de lui donner sa fille en mariage, l'empereur franchit l'Euphrate et le Tigre, ravage la Médie et prend Arbelles. Après avoir passé l'hiver à Edesse, il reprend les opérations en 217. f . Mort de Caracalla et de sa mère (217) Pendant qu'il visitait le temple de la Lune, près de Carrhes, en Haute Mésopotamie, Caracalla est tué par un officier de ses gardes du corps, sur l'ordre de son préfet du prétoire, Macrin, qui, accusé depuis peu de complot contre l'empereur, avait pris les devants. Profitant du désarroi qui suivit le meurtre, Macrin se fait proclamer empereur par les légions (217). Durement frappée par ce malheur, Julia Domna n'a pas voulu survivre à la ruine de sa famille; âgée et gravement malade, elle se laisse mourir de faim à Antioche où elle était restée. Les médisances populaires l'ont accusée d'avoir eu un commerce incestueux avec son fils Cararalla; de là, le surnom de Jocaste que les Alexandrins lui avaient donné. 4. Macrin, empereur africain (217—218) Caracalla, qui ne laissait pas de fils, n'avait rien prévu pour sa succession. Les légions d'Orient, qui avaient proclamé Macrin, préfet du prétoire de l'empereur assassiné, ignoraient la part qu'il avait prise au meurtre de son chef. Trop heureux d'avoir été débarrassé de Caracalla, le Sénat ratifie le choix des soldats. 10

Besnier, op. cit., p. 75.

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Macrin, comme Septime Sévère, est un Africain; mais il n'est pas apparenté à la famille de celui-ci, et son pays d'origine est Cherchel, en Mauritanie. Pour se concilier la faveur des soldats, le nouvel empereur se réclame des Sévères, en ajoutant à ses noms celui de Severus. Mais, pour prévenir toute réaction de la part de cette famille, il renvoie les princesses syriennes dans leur pays d'origine. C'est à la suite de cette mesure que Julia Domna s'est suicidée. a. Macrin vaincu et tué (218) En dépit des largesses qu'il prodiguait aux soldats, Macrin était mal vu par l'armée, qui lui reprochait ses origines civiles et sa mollesse. L'assassinat de Caracalla avait renversé les positions sur le front romano-parthe. En 217, Artaban V inflige deux défaites à Macrin. En 218, une trêve est conclue: les Romains gardent la Mésopotamie, mais paient à Artaban une lourde contribution et lui renvoient, sans rançon, tous les captifs parthes. Tirant profit de ces échecs, la famille des Sévères qui, chassée de Rome, était retournée à Emèse, en Syrie, y ourdit un complot contre Macrin. Celui-ci est battu et tué (218), et Elagabal lui succède sur le trône.

5. Elagabal, empereur d'origine syrienne (218—222) Après le meurtre de Caracalla et le suicide de Julia Domna, la plupart des Syriens qui leur faisaient cortège, renvoyés de Rome, étaient rentrés dans leur pays d'origine. De ce nombre étaient la sœur de l'impératrice disparue, Julia Maesa et les deux filles de celle-ci, Julia Soemias et Julia Mammea, mariées toutes deux à des Syriens. Toutes ces princesses impériales s'étaient retirées à Emèse (Homs), berceau de leur famille, auprès du temple du dieu Soleil Elagabal, le «dieu de la montagne». Elles y jouissaient de la considération que leur valaient leur nom, leur passé, leur grande fortune et leur attachement au culte local du dieu solaire. a. Avènement de Bassianus, surnommé Elagabal Agé de quatorze ans, Bassianus, fils de Soemias et de Marcellus, personnage consulaire d'origine syrienne, reçoit le sacerdoce du dieu héréditaire dans sa famille. Circoncis, il est, comme jadis son arrière-grand-père de même nom, grand prêtre d'Elagabal à Emèse. Maesa et ses deux filles, qui caressent le projet de restaurer la dynastie des Sévères, exploitent habilement les influences religieuses locales et réveillent les sympathies des troupes de la région pour la maison des Sévè-

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res. Persuadant aux soldats que le jeune prêtre Bassianus était fils de Caracalla, elles gagnent la légion campée à Emèse et font proclamer empereur le jeune prêtre d'Elagabal (218). Après trois mois de lutte, pendant lesquels Macrin jeta aux légionnaires l'argent à pleines mains, celui-ci fut vaincu, aux confins de la Syrie, dans une bataille dirigée par Gannys, tuteur d'Elagabal, et à laquelle ont concouru Maesa et Soemias elles-mêmes. Macrin, qui s'était enfui, est arrêté et massacré à Chalcédoine, sur le Bosphore (218). Le jeune vainqueur entre en souverain à Antioche, d'où il fait part au Sénat de son avènement et de son intention de s'inspirer des exemples d'Auguste et de Marc-Aurèle. En conséquence, il abandonne son nom pour ceux d'Aurélius Antoninus; mais il sera connu dans l'histoire sous le sobriquet populaire d'Elagabal, tiré du nom du Baal d'Emèse, auquel il avait été consacré et dont il restera un adorateur fervent et fanatique. Après avoir procédé à de nombreuses exécutions pour mettre fin aux troubles provoqués par sa révolte, l'adolescent impérial fait périr son tuteur Gannys, à qui il devait la victoire sur son rival Macrin (219). Gannys, dont les remontrances commençaient à irriter l'empereur, était soupçonné de prétendre à l'Empire. Le règne d'Elagabal commençait dans le sang. Sa grand-mère Maesa jouera, auprès de lui, le même rôle que Julia Domna auprès de Caracalla. b. Religion, extravagances et débauches d'Elagabal Mystique et dévot, le jeune prêtre syrien, devenu empereur romain, se considérait toujours comme le représentant et le ministre du dieu solaire de son pays d'origine. «S'il prit tous les titres romains qu'avaient portés ses prédécesseurs,. . . sur les monnaies, il se qualifie lui-même de sacerdos Dei Solis Elagabali. C'était en effet un prêtre syrien qui occupait maintenant la place des Césars et des Antonins. Par ses vêtements somptueux, aux couleurs éclatantes, ses allures efféminées, ses mœurs dissolues, sa dévotion sensuelle et exaltée, Elagabal était un pur Oriental. Il était aussi, sans aucun doute, un malade, un déséquilibré, dont les instincts pervers ont pu, comme ceux d'un Néron, se donner libre carrière, grâce à son élévation précoce au pouvoir absolu, et le conduire aux plus répugnants excès. Il scandalisa Rome lorsqu'il y fit son entrée le 29 septembre 219, vêtu de pourpre et de soie brodée d'or, chargé de bijoux, la figure fardée, les yeux peints. Avec lui les cultes sémitiques et tous les vices de l'Orient s'installaient en maîtres dans la capitale . . . Sa grand-mère Julia Maesa et sa mère Julia Soemias, qui portaient l'une et l'autre les titres d'Augusta . . . , prirent séance au Sénat à côté des

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consuls. L'indolente et voluptueuse Soemias songeait plus à ses plaisirs qu'à la politique;... elle aurait présidé un Sénat de femmes, q u i . . . régla différentes questions d'étiquette et de costume. Maesa tint à exercer tous les droits que lui conférait sa qualité d'impératrice. Moins cultivée que Julia Domna, mais tout aussi énergique et ambitieuse, elle régna sous le nom de son petit-fils, comme naguère sa sœur sous le nom de Caracalla . . . La machine administrative ne continuait à fonctionner qu'en vertu de la vitesse acquise et dans la mesure où le permettaient les fantaisies, quelquefois étranges, du prince. La religion de l'Elagabal d'Emèse. Le fait essentiel c'est l'établissement, à côté des cultes anciens, de la religion (sémitique) de l'Elagabal d'Emèse, proclamé dieu suprême de l'Empire:.. . première tentative d'organisation d'une religion solaire. Cette tentative diffère de celle que fera plus tard Aurélien, en ce que le dieu Elagabal est adoré à Rome, sous son nom sémitique,... et qu'on l'honore suivant les rites de son pays d'origine; il n'y a pas assimilation d'une divinité orientale aux vieilles divinités grécoromaines, mais conquête de Rome par l'Orient. Avant de se rendre dans la capitale, l'empereur Elagabal y avait envoyé un tableau qui représentait la pierre noire d'Emèse, symbole de son dieu, et qui fut placé dans la salle des séances du Sénat, au-dessus de la statue de la Victoire. Quand il fut arrivé à Rome, il fit venir la pierre elle-même. C'était un bloc de forme conique, marqué de stries, un de ces bétyles qui tiennent une si grande place dans les religions de l'Asie. On l'installa au Palatin, tout près du palais impérial, dans un temple élevé spécialement pour l'abriter, l'Elagabalium . . . (qui) était destiné à devenir le centre de la religion nouvelle. L'empereur y réunit tous les emblèmes sacrés des cultes romains . . . Pour consacrer ce rapprochement, il célébra solennellement le mariage de son dieu, dont tous les autres n'étaient, disait-il, que les serviteurs, avec la Dea Caelestis (la Tanit carthaginoise), qu'il avait fait venir de Carthage. Elagabal, en costume sacerdotal, présidait aux sacrifices et aux libations et conduisait les danses sacrées . . . (Il) s'était fait circoncire et évitait de manger de la viande de porc, mais ces pratiques étaient communes à tous les Sémites et ne signifient nullement qu'il adhérât à la religion juive . . . Extravagances et débauches — . . . Il répudia sa première femme, Cornelia Paula,. . . pour épouser, au mépris des traditions les plus sacrées, une Vestale, . . . disant que d'un prêtre comme lui et d'une prêtresse devaient naître des enfants divins . . . Cela ne l'empêchait pas de s'habiller en femme et d'affecter les allures d'une courtisane; il s'éprit d'un athlète de Smyrne et d'un esclave carien, conducteur de char,. . . qu'il voulait proclamer César. Pendant près de quatre ans, la Cour impériale fut le théâtre d'orgies scandaleuses . . . qui soulevaient l'indignation générale . . . De tels

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dérèglements ne pouvaient manquer de nuire à la marche des affaires publiques. Le T r é s o r . . . fut vite épuisé et les recettes n'arrivaient pas à couvrir les dépenses.»11 c. Meurtre d'Elagabal et de sa mère Le dégoût finit par balayer cet empereur dépravé. Prévoyant la fin, sa grand-mère, Maesa, lui fait nommer César son cousin Alexandre, fils de Mammea, qu'il adopte. Bientôt jaloux, Elagabal veut le faire périr; les prétoriens l'empêchent et, sur une nouvelle tentative, le massacrent avec sa mère (222). On jette son cadavre au Tibre et le Sénat le décrète d'infamie. Avec sa mort, sa révolution religieuse prit fin: la pierre noire fut renvoyée à Emèse, la Dea Caelestis, à Carthage, et le dieu Soleil, qui reprend son nom romain, perd le rang suprême auquel il avait été élevé.

6. Alexandre Sévère, empereur d'origine syrienne (222—235) Alexandre Sévère naquit, en 205, à Arka, en Phénicie (près de Tripoli), dans le temple d'Alexandre le Grand, où ses parents assistaient à une fête solennelle. Fils de Julia Mammea, et du Syrien Marcianus, cousin germain d'Elagabal et son cadet de quatre ans, il fut élevé sous les yeux de sa grand'mère Julia Maesa et de sa mère Julia Mammea. Ces deux femmes avaient reporté sur lui toutes leurs espérances, par mépris pour Elagabal. Entouré de maîtres excellents, qui développèrent en lui les plus heureuses dispositions, le jeune Alexandre vivait à la cour impériale, depuis qu'Elagabal, avec lequel il était venu à Rome, avait occupé le trône. a. L'impératrice Mammea Alexandre devait son trône à sa grand-mère Maesa, qui mourra en 226, et à sa mère Mammea. Cette dernière, qui reçut le titre d'Augusta, «passe dès lors au premier plan et joue auprès de son fils le même rôle que Julia Domna auprès de Caracalla et que Julia Maesa auprès d'Elagabal. Elle était bien de la lignée de ces princesses syriennes, ambitieuses et intrigantes, qui avaient la passion du pouvoir et de l'argent et qui apportaient à Rome les procédés de gouvernement des monarchies orientales.»12 Julia Mammea, qui réussit à soustraire son fils aux influences corruptrices de la cour, continua à veiller sur lui avec un dévouement trop jaloux. De mœurs pures, d'humeur douce et affable, versé dans les lettres grecques 11 12

Besnier, op. cit., p. 81—85. Besnier, op. cit., p. 89.

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et latines, Alexandre manquait toutefois de volonté. Dès son avènement, sa mère place à ses côtés un conseil de régence, formé de seize sénateurs choisis parmi les plus distingués par l'expérience et l'intégrité de leur vie, et sans l'avis desquels rien ne s'exécute. Elle donne à son compatriote, l'illustre jurisconsulte Ulpien, disciple et continuateur de Papinien, la préfecture du prétoire, c'est-à-dire la plus haute dignité de l'Empire. Ulpien sera le conseiller le plus influent de l'empereur et de sa mère et l'inspirateur de leurs décisions. b. Alexandre, prince faible et indécis Malheureusement, l'éducation féminine d'Alexandre, son caractère peu énergique, feront de lui un prince trop faible. Il assistera, impuissant, à une bataille de trois jours entre la population de la capitale et les prétoriens. Il abandonnera même, à la vengeance de ces derniers, Ulpien, massacré en sa présence (228). «Par ailleurs, le règne de Sévère Alexandre ressemble à tous ceux qui l'ont précédé ou suivi. Il est marqué, comme eux, par des intrigues, des émeutes, des tentatives d'usurpation. Il y eut conflit à la cour entre les deux impératrices, la mère et la femme d'Alexandre . . . Jalouse de sa bru, (Julia Mammea) lui refusa le titre d'Augusta et l'accabla de mauvais traitements; la jeune f e m m e . . . fut exilée et son père mis à mort, sans que l'empereur eût osé les défendre.»13 c. Alexandre, souverain religieux et tolérant Philosophe couronné, dont les vertus privées contrastent avec les vices et les dérèglements de son cousin Elagabal, Alexandre Sévère rompt avec les tendances absolutistes de ses prédécesseurs. Imitant les gouvernements de Trajan et de Marc-Aurèle, il aurait redonné de l'autorité au Sénat, refusé le titre de Dominus et aboli le cérémonial monarchique. «Sévère Alexandre, descendant, comme Elagabal, des grands prêtres d'Emèse, ne pouvait manquer d'être, lui aussi, un prince religieux. Mais sa piété n'eut pas le même caractère d'exaltation maladive et d'exotisme que celle de son cousin. Tandis que celui-ci s'était voué exclusivement au culte de son Baal, auquel il subordonnait tous les autres dieux, c'est surtout à la religion officielle des Romains qu'Alexandre, d'après l'Histoire Auguste, manifesta son attachement. Au début de son règne, il n'hésita pas à renvoyer dans leurs patries respectives la pierre noire d'Emèse et les autres symboles sacrés venus de loin.»14 13 14

Besnier, op. cit., p. 95. Besnier, op. cit., p. 101.

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Vis-à-vis des autres cultes, Alexandre Sévère aurait témoigné d'un esprit de large tolérance; paganisme, judaïsme, christianisme, auraient vécu, sous son règne, en bonne intelligence. L e christianisme n'était toujours pas formellement autorisé; mais cette religion existait et se diffusait, et un grand nombre de Chrétiens étaient admis à la cour ou remplissaient des missions officielles. Bien plus, l'empereur aurait «accordé sa protection aux Chrétiens et placé même l'image du Christ dans sa chapelle domestique».15 Il est plus probable qu'il garda, vis-à-vis des Chrétiens, une attitude de neutralité bienveillante. d. Meurtre d'Alexandre

et de sa mère, et fin de la dynastie des

Sévères (235) En 232, les frontières de la Syrie sont menacées par les Perses Sassânides, qui viennent de succéder aux Parthes Arsacides. Pour conjurer ce danger, Alexandre Sévère se rend en Orient, à la tête d'une puissante armée. Après une campagne de deux ans, les Perses sont repoussés et le domaine oriental de l'Empire protégé. La campagne contre les Perses avait obligé l'empereur à dégarnir de plusieurs légions les frontières du Rhin et du Danube. Profitant de ces circonstances, les Alamans envahissent la Gaule et les Marcomans la péninsule balkanique. Quittant l'Orient, l'empereur court sur le Rhin; aux environs de Mayence, il est tué, avec sa mère, dans une émeute militaire conduite par un légionnaire thrace, Maximin, qui est proclamé empereur (235). Alexandre avait 29 ans. C'est le dernier des princes syriens; avec lui, la famille des Sévères se trouve anéantie par l'armée qui avait été l'instrument de sa fortune. «Cette dynastie des Sévères est riche en contrastes. De Septime Sévère et Caracalla à Elagabal, d'Elagabal à son successeur, l'opposition est frappante. Et pourtant, les deux derniers (Elagabal et Alexandre), nés d'une mère et d'un père syriens, se ressentent, chacun à sa façon, de leur commune origine. Tandis que chez l'un elle se traduit par un débordement furieux de passions ignobles, chez l'autre elle se manifeste par un syncrétisme, non plus grossier, mais épuré, associant et conciliant dans une sympathie égale toutes les formes de la piété, tous les bienfaiteurs de l'humanité, tous les saints du passé, Orphée et Jésus. Un nouveau Marc Aurèle plus mystique que philosophe, d'un esprit plus libre, avec une large compréhension des choses religieuses.»16

14

"

Besnier, op. cit., p. 87. Bloch, op. cit., p. 173, 174.

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7. L'empereur Philippe l'Arabe, d'origine transjordanienne (244—249) La chute de la famille des Sévères marque le commencement d'une période d'anarchie militaire qui va durer près de trente ans (239—268). Les généraux prétendants surgissent de toutes parts, et la guerre civile dévaste tout l'Empire. Pendant cette période mouvementée, le Proche-Orient donnera encore à l'Empire son dernier empereur oriental, Philippe l'Arabe. a. De la mort d'Alexandre Sévère, à l'avènement de Philippe l'Arabe (235-244) Porté au trône par la rébellion des légions qui avaient massacré le dernier des Sévères, Maximin le Thrace (235—238), ancien berger des Balkans, ne demanda pas la ratification du Sénat et gouverna comme si ce dernier n'existait pas. En 238, Gordien, proconsul d'Afrique, est proclamé empereur et reconnu par le Sénat. Vieillard de quatre-vingts ans, il s'associe son fils, Gordien II, avec le titre d'Auguste. Resté fidèle à Maximin, le légat de Numidie marche contre les Gordiens, qui sont vaincus et tués, près de Cartilage, après un mois de règne. Le Sénat, Rome et l'Italie, qui s'étaient prononcés pour les Gordiens, les remplacent par deux nouveaux Augustes, Pupien et Balbin. Maximin, qui se trouvait en Gaule, descend en Italie; il est tué par les soldats sous les murs d'Aquilée (238). Après 90 jours de règne, Pupien et Balbin, brouillés entre eux, sont massacrés par les prétoriens, qui élèvent à l'Empire Gordien III, neveu de Gordien I. Gordien III (238—244) a l'appui du Sénat; jeune et incapable, il trouve dans son beau-père, Timésithée, qu'il nomme préfet du prétoire (241), un homme fidèle et énergique, qui régnera sous son nom et sera, en quelque sorte, «le tuteur de l'Etat». En 241, les Perses envahissent la Mésopotamie et s'avancent jusqu'à Antioche. Gordien et Timésithée, arrivés en Orient, y rétablissent la situation. Antioche et Carrhes sont reprises; Nisibe est occupée après une grande bataille et Abgar XI, roi d'Osrohène, est réinstallé à Edesse comme vassal de Rome. b. Avènement de Philippe l'Arabe (244) En 243, Timésithée, qui vient de repousser victorieusement les Perses, meurt après ces brillants succès. Il est remplacé dans ses fonctions de préfet du prétoire par Philippe, dit l'Arabe, officier né dans la province d'Arabie (Transjordanie), et réputé le plus habile dans l'armée. Intelligent

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et résolu, Philippe, comme son prédécesseur Timésithée, ne tarde pas à dominer le faible Gordien et à commander à sa place. En 244, l'empereur, voulant se débarrasser de Philippe, est, sur l'ordre de ce dernier, déposé par les soldats et massacré près de Zaïtha, sur la rive gauche de l'Euphrate. Proclamé par les troupes, Philippe est confirmé par le Sénat. Après les empereurs africains et syriens, voici maintenant le tour de l'Auguste arabe (244-249). c. L'empereur Philippe et les siens «Le nouvel empereur, M. Julius Philippus, avait quarante ans. Il était né en Arabie (Transjordanie moderne), dans la Trachonitis, où plus tard il fonda une ville à laquelle il donna son nom (Philippopolis, l'actuelle Shahba) . . . Sa famille devait être de rang équestre, à en juger par le cursus honorum de son frère C. Julius Priscus. On ne sait rien des débuts de Philippe lui-même; il n'apparaît qu'au moment de la guerre contre les Perses sous Gordien III, où il exerçait un commandement aux côtés de Timésithée. Malgré son origine provinciale et militaire, il chercha à se concilier le Sénat et il paraît avoir vécu avec lui en bonne intelligence . . . Pour consolider son pouvoir, il confia à ses proches d'importants emplois; son frère fut fait préfet de Mésopotamie et préfet du prétoire et son beau-frère Severianus gouverneur de Mésie; son fils Philippe le Jeune. . . prit le titre de César, puis celui d'Auguste, en 247, à l'âge de neuf ou dix ans. Non seulement l'impératrice . . . fut proclamée Augusta, mais encore lorsque le père de Philippe, Marinus, vint à mourir, il obtint les honneurs de l'apothéose et l'on frappa des monnaies à son effigie, comme s'il avait lui-même régné: la nouvelle dynastie qui se fondait prétendait se créer ainsi des titres de légitimation.»17 d. Philippe à Rome Pressé de rentrer en Europe, pour faire face à une situation inquiétante sur la frontière du Danube, Philippe s'empresse, dès son avènement, de conclure la paix avec les Perses, auxquels il accorde des conditions avantageuses. Le roi vassal d'Osrohène, obligé de quitter Edesse, est invité à se retirer à Rome (244). Une fois ces arrangements faits, le nouvel empereur, nommant son frère Priscus comme rector Orientis, gagne la Thrace (245), où il bat les Carpes. Après avoir imposé un traité à ces derniers (246), il rentre en triomphe à Rome (247). Le grand fait du règne de Philippe est la célébration du millième anniversaire de la fondation de Rome (248). Venu de si loin pour présider à 17

Besnier, op. cit., p. 152.

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cette fête nationale, cet empereur d'origine arabe est un témoignage frappant des transformations de l'Empire et de la foi en ses destinées. e.

Défaite

et mort

de Philippe

(249)

Mais les révolutions militaires, dont la dernière avait porté Philippe au trône, vont reprendre leur cours. Le sort des chefs de l'Empire dépend des légions, et les provinces mécontentes avaient chacune son prétendant prêt à entrer en compétition. Attaquées par les Goths, les légions du Danube, perdant confiance en Philippe, acclament comme empereur Dèce, gouverneur de la Dacie et de la Mésie (248). Fidèle à l'empereur qui l'avait chargé de repousser les Barbares, Dèce n'avait accepté le trône que sous la menace des légions. Passant en Italie, le nouveau prétendant est vainqueur à Vérone. Philippe périt dans la bataille (249) et son fils est massacré à Rome dans le camp des prétoriens. «Ainsi se terminait misérablement un règne qui avait commencé par une intrigue de cour et un coup de force et qu'assombrirent à la fin sédition et invasion, mais qui reste cependant l'un des plus honorables de cette époque troublée . . . Sa chute (de Philippe) n'eut d'autre cause que la vieille rivalité des armées d'Orient et d'Occident; les légions de Mésie ne pouvaient manquer de préférer Dèce, leur général, à ce Romain d'Arabie.»18 Avec la mort de Philippe l'Arabe, la série des empereurs orientaux est close et celle des empereurs illyriens commence.

18

Besnier, op. cit., p. 155.

III. Nationalisme et impérialisme iraniens (230-260). Politique expansionniste des Perses Sassânides 1. Avènement et politique intérieure des Perses Sassânides a. Chute des Parthes Arsacides (226) Au temps de l'empereur Alexandre Sévère, en 226, de graves événements, survenus en Iran, auront des répercussions profondes sur l'évolution de l'Orient romain. Affaiblie par les dissensions intestines, discréditée par les défaites, la dynastie des Parthes Arsacides, qui avait régné près de cinq siècles (250 av. J.-C. — 226 ap. J.-C.), est renversée par les tribus iraniennes du Fars et remplacée par une dynastie nationale iranienne, celle des Perses Sassânides. b. Les Perses Sassânides De même que, jadis (555 av. J.-C.), les Perses Achéménides s'étaient substitués aux Mèdes dans la domination de l'Iran (II, p. 272—273), de même les Perses Sassânides, répétant le même coup que leurs lointains ancêtres, renversent les Parthes Arsacides et recouvrent leur ancienne suprématie. Cinq siècles et demi environ après la chute de Darius III (330 av. J.-C.), dernier roi perse achéménide, la prépondérance politique en Iran revient aux tribus perses. Cette substitution des Sassânides aux Arsacides, c'est la revanche triomphante du Sud iranien contre le Nord, des Sédentaires de l'Iran intérieur contre les Nomades de l'Iran extérieur, des Perses du Fars contre les Parthes venus du pays des Scythes. c. Ascension de la dynastie sassânide Sassân, l'ancêtre de la dynastie des Perses Sassânides, était un prêtre du temple d'Anahita. Son fils Bâbek (Papak) fut roitelet de Khir et vassal de la monarchie parthe. Ardéshir (Arataxerxès), fils de Bâbek, comme jadis Cyrus, conçut le projet audacieux de renverser la dynastie parthe et de la remplacer par la sienne. Ayant réalisé l'unité du Fars (Perside), il se proclame roi. Mais son suzerain parthe, Artaban V, que les ambitions du roitelet perse commencent à inquiéter, marche contre lui à la tête d'une puissante armée. Après plusieurs rencontres, Artaban est vaincu et tué (224). Deux ans plus tard, l'ancien roitelet de Khir entre triomphalement

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à Ctésiphon, où il est couronné Roi des Rois (226—241). Le vieil Empire iranien des Parthes Arsacides sera désormais, pour plusieurs siècles (241— 640), c'est-à-dire jusqu'à l'expansion de l'Islâm, l'Empire des Perses Sassânides. «A l'exemple des Parthes, les grands rois sassanides eurent leur capitale à Ctésiphon et le fondateur de la dynastie reconstruisit la ville jumelle de Séleucie sous le nom de Vêh-Ardachêr. Or les deux cités étaient situées en dehors du territoire ethniquement iranien (en Mésopotamie). La Babylonie, l'Assyrie et les autres parties de la Mésopotamie soumises aux Sassanides restaient en effet des pays de langue sémitique, araméenne, et les Sassanides ne pouvaient songer à leur imposer le parler pehlvi. Bien mieux, comme nous le verrons, l'élément araméen fut bientôt renforcé sur la rive droite de l'Euphrate par une pénétration arabe continue qui accentua le sémitisme de la région. C'est donc avec raison que les rois sassanides, à partir du règne de Châhpouhr 1er (241—272), prennent sur leurs monnaies le titre de . . . «Roi des rois de l'Iran et du Non-Iran». Ce titre allait être justifié davantage encore par leurs prétentions territoriales sur l'Orient romain.»1 d.

Nationalisme

et impérialisme

des

Sassânides

La substitution des Sassânides aux Parthes, comme jadis celle des Achéménides aux Mèdes, apparut tout d'abord, aux contemporains, comme un simple fait divers. Cependant, cet événement local eut bientôt, pour l'Iran, le Proche-Orient et l'Empire romain, des conséquences profondes qui modifieront le cours de leur évolution historique. Se réclamant du grand souvenir des Perses Achéménides, dont ils prétendaient descendre, les Perses Sassânides inaugureront, en Iran, une politique farouchement nationaliste, et s'emploieront opiniâtrement et avec constance à reconstituer l'ancien Empire de Cyrus, qui s'étendait de l'Indus à l'Egée et à la Méditerranée. Continuant, en Orient, le rôle traditionnel d'ennemis héréditaires du monde gréco-romain, ces nouveaux maîtres de l'Iran seront désormais, pour les Romains, des adversaires plus redoutables que les Parthes (p. 76—80). «Tandis que les Achéménides (et les Arsacides) n'avaient pas hésité à faire de larges emprunts à la civilisation assyro-babylonienne, puis à l'hellénisme, Ardashîr et ses successeurs restèrent uniquement, exclusivement perses. L'empire du dernier des Darius avait été un empire cosmopolite, défendu par des Grecs et des Çaka. L'empire sâsânide fut iranien, d'un aryanisme intransigeant. En face de l'empire gréco-romain, Etat international où toutes les races avaient accès au pouvoir, qui compta des empereurs espagnols, syriens, africains et illyriens, l'empire sâsânide fut unique1

R. Grousset, L'Empire du Levant, p. 60.

152

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ment iranien, avec tout au plus une certaine place faite à la culture araméenne ou syriaque à côté du pehlvi national.»2 e. Le zoroastrisme, religion nationale et officielle La province du Fars, domaine des Perses, était, sous la domination des Parthes, le conservatoire de la vieille religion iranienne, le mazdéisme, avec le double culte d'Ahoura-Mazda et d'Anahita. Sassân, ancêtre des Sassânides, occupait une fonction dans le temple d'Anahita. Dans le Nord-Ouest, l'ancienne caste sacerdotale des Mages, qui pratiquait la religion mazdéenne sous les Achéménides, avait adopté, postérieurement à la chute de ces derniers, le mazdéisme zoroastrien. Cherchant à grouper, contre Rome, toutes les forces nationales dans une unité spirituelle et morale, les rois sassânides élèvent le mazdéisme zoroastrien au rang de religion impériale et officielle. Dans cette alliance du mazdéisme avec l'Etat, le spirituel se subordonne au temporel en Iran. Ahoura-Mazda occupe le premier rang, tandis que les vieilles divinités iraniennes, Anahita et Mithra, sont reléguées à un rang secondaire. «A cette même époque, il fallait, pour n'être pas primé par «l'usage méditerranéen des peuples du livre», posséder une arme semblable et fixer les traditions sacrées par l'écriture. Ce travail a été fait dans l'Avesta, où ont été recueillies les traditions orales dont certaines remontent très haut. Certains savants pensent que cet ouvrage a été rédigé au IVe siècle; d'autres l'attribuent au Vie siècle seulement... Après l'unité politique, l'Iran réalise son unité religieuse... Le zoroastrisme, forgé par les mages et amené aux proportions d'un culte d'Etat, vient renforcer celui-ci dans cette lutte et met les forces spirituelles de la nation à la disposition de la défense de l'Orient dont l'Iran se fait le champion contre la puissance occidentale.»3 f . Nationalisme religieux Ainsi, le nouveau nationalisme iranien se double et se renforce d'un nationalisme religieux. L'esprit de tolérance, qui caractérisait les Iraniens, et particulièrement les Achéménides et les Arsacides, fera place désormais à un fanatisme intransigeant. Alors qu'à cette même époque l'Empire romain s'ouvrait aux cultes orientaux et au mithraïsme iranien, le nouvel Empire sassânide, rivé à sa nouvelle religion officielle, arrête le christianisme sur l'Euphrate et le bouddhisme à l'Est. Bien plus, les Iraniens non-conformistes, chrétiens, manichéens et autres infidèles, seront persécutés ou chassés du pays. 2

R. Grousset, Les Civilisations de l'Orient, I, p. 118, 119. » Ghirshman, op. cit., p. 286.

RÉACTION ORIENTALE, SÉMITIQUE ET IRANIENNE

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Cet esprit intolérant, si contraire à la mentalité et aux habitudes libérales des Iraniens, est dû à la conjonction de la religion et de la politique. Pour la première fois, en effet, l'Iran s'est doté d'une religion officielle. Dans l'Etat sassânide, le clergé zoroastrien a une place prépondérante. A côté de la dynastie, une véritable Eglise s'est constituée, avec sa hiérarchie de prêtres ou mages, dirigés par un pontife suprême, «sorte de pape du mazdéisme». Les grands rois sassânides, qui firent du mazdéisme zoroastrien une religion d'Etat, se qualifieront eux-mêmes de «Serviteurs de Mazda». Ce nationalisme religieux a aussi une racine dans la réaction d'un peuple qui, après avoir conquis et gouverné le monde sous la direction des Achéménides, dut vivre, après sa défaite en 330 av. J.-C., sous le joug successif des Grecs, puis des Parthes. «Les religions les plus arrogantes, écrit Wells, naissent chez les peuples les plus humiliés.» 4 g.

Persécution des non-conformistes

Cette nouvelle organisation politico-religieuse ne pouvait, en effet, qu'être exclusiviste et oppressive. «Dans un gouvernement où l'Etat et l'Eglise forment un même pouvoir, les dissentiments religieux se transforment fatalement en scissions politiques.» L'autorité théocratique est forcément exposée, de la part des sujets non-conformistes, à une opposition vigoureuse, qui transporte sur le plan religieux toutes les querelles politiques, et vice versa. L'opposition politique se réclame alors de prétextes religieux qui, en la renforçant, sapent, par le fait même, l'unité et la force de l'Etat. Pour réagir, dans ces conditions, contre le danger de désagrégation, l'Etat se croit obligé de recourir à la force pour ramener à l'obéissance les dissidents et les récalcitrants. De là les persécutions contre les minorités religieuses, qui deviennent alors ennemies de l'Etat et dangereuses pour son existence. Cet état de choses, l'Empire romain le connaîtra à son tour, lorsque, plus tard, le christianisme deviendra la religion officielle de l'Empire. 2. Politique extérieure des Sassânides Comme celle du royaume parthe, l'organisation de l'Empire sassânide est féodale. Le Roi des Rois occupe le sommet de la pyramide; il est le centre de la vie de l'Empire. L'administration centrale, sans supprimer le système féodal, fonctionne sur des bases nouvelles. Après avoir forgé une armée aguerrie, Ardéshir (226—241), fondateur du nouvel Empire iranien, porte toute son attention sur les questions extérieures. * H. G. Wells, op. cit., p. 172.

154 a.

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Politique impériale d'Ardéshir. Guerre contre Rome

Nous avons vu que la position de l'isthme iranien, unique route terrestre entre l'Asie continentale et le monde méditerranéen et égéen, commande à tout Etat iranien de s'étendre, d'un côté jusqu'à l'Indus, et de l'autre jusqu'à la Méditerranée et l'Egée. Or, au moment où surgit la monarchie sassânide, avec ses tendances nationalistes et impérialistes, elle se trouve enserrée entre l'Empire romain, à l'Ouest, et celui des Kouchans, à l'Est. Ces deux Empires constituent, pour la nouvelle et ambitieuse dynastie sassânide, une menace politique et une gêne économique. Ardéshir se décide à frapper tout d'abord l'ennemi héréditaire, le Romain de l'Ouest. Une guerre contre ce dernier est populaire en Iran. D'autre part, les désastres de Crassus et d'Antoine, les concessions d'Auguste, les succès des Parthes dans l'Orient romain, sont autant d'événements encourageants pour les ambitions expansionnistes du fondateur de la dynastie sassânide. Reprenant la politique traditionnelle de ses prédécesseurs parthes, Ardéshir, dès le début de son règne, entreprend la guerre contre les Romains. Mais la riposte d'Alexandre Sévère, qui vint en personne se mettre à la tête de ses armées d'Orient, et la résistance que rencontrent les Perses en Mésopotamie romaine, obligent Ardéshir, après une campagne peu heureuse de deux années (231—233), à mettre fin à la guerre (p. 146). Revenant à la charge, en 236, il s'empare de Nisibe et de Harrân, mais des mouvements inquiétants, surgis à l'Est, l'amènent à arrêter provisoirement la guerre contre les Romains. b.

Ardéshir et les Kouchans

Comme jadis Cyrus, Ardéshir comprend qu'avant de s'engager à l'Ouest, il devra, au préalable, écarter le danger de l'Est, représenté maintenant par le puissant et riche Empire des Kouchans. Dans ce but, il commence à se préparer à une campagne asiatique; mais il meurt, en 241, laissant à son fils, Shahpur I, la tâche de l'exécution. c.

L'Empire des Kouchans (actuel Afghanistan)

Depuis la première moitié du premier siècle de notre ère, les Kouchans, rameau des tribus scythiques, occupent la région qui s'étend de Caboul jusqu'à la rive gauche de l'Indus. Profitant des difficultés des Parthes, en luttes continuelles avec les Romains, les Kouchans s'étendent vers l'Ouest et ferment, à l'Est, la route commerciale qui traverse l'isthme iranien. Rome chercha même à établir avec eux des contacts directs. Mais les Kouchans étaient plutôt attirés par les richesses de l'Inde, qui, faible et morcelée, représentait une proie plus intéressante que les

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régions désertiques de l'Iran oriental. Aussi, la frontière occidentale de l'Empire Kouchan était-elle à peu près stabilisée sur la ligne qui marque aujourd'hui la frontière entre l'Iran et l'Afghanistan. L'Empire Kouchan représentait donc, contre la monarchie sassânide, sinon un danger d'invasion, tout au moins un élément efficace de blocus. Une coalition entre Kouchans et Romains étoufferait économiquement la monarchie iranienne, enserrée entre ces deux grands blocs. Les Parthes, en conflit permanent avec Rome et affaiblis par leurs luttes intestines, avaient toujours hésité à attaquer les Kouchans, par crainte d'être amenés à faire la guerre sur deux fronts. d.

Shahpur I et sa politique impériale

Ambitieux et actif, Shahpur I (241—270), que les Romains ont appelé Sapor, rêve, comme son père, de restaurer l'ancien Empire achéménide. Coincé entre les Kouchans et les Romains, et menacé par les Nomades du Nord qui battent les passes du Caucase, il cherchera à réduire successivement ces trois dangers. Suivant le conseil d'Ardéshir et l'exemple de son lointain prédécesseur Cyrus, c'est vers l'Est qu'il porte tout d'abord son effort. e. Conquête de l'Empire des Kouchans (241) Une campagne heureuse permet à Shahpur I de s'emparer de la capitale des Kouchans et de pousser jusqu'à la vallée de l'Indus qu'il occupe. Considérablement réduit, l'ancien territoire Kouchan est placé sous une nouvelle dynastie, qui reconnaît la suzeraineté perse (241). /. Shahpur I et Rome, guerre et entente (241-244) Ayant réglé la question orientale, Shahpur I, répétant l'aventure entreprise, dix ans plus tôt (231), par son père, envahit la Mésopotamie romaine et s'avance jusqu'à Antioche (241). L'empereur Gordien III et son préfet du prétoire Timésithée, venus en personne de Rome, reprennent Antioche, Carrhes, Nisibe et réinstallent à Edesse le roi de l'Osrohène, Abgar IX, vassal de Rome (243). Mais Gordien est tué, à l'instigation de Philippe l'Arabe qui le remplace. Impatient de rentrer à Rome, Philippe s'empresse de conclure la paix en abandonnant aux Perses la Mésopotamie et l'Arménie (244). Le roi de l'Osrohène se retire à Rome (p. 147—148). g. Shahpur I et sa nouvelle religion impériale. Le manichéisme ou religion de Mani (242) Esprit large et puissant, Shahpur I, désireux de réaliser l'unité morale des

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peuples de son vaste Empire, protège Manès ou Mani (215-276), créateur d'une religion universelle dont les idées sont puisées dans le zoroastrisme, le christianisme et le bouddhisme. Pour unifier toutes les forces nationales iraniennes dans sa lutte contre Rome et réduire la résistance des peuples de l'Orient méditerranéen qu'il projette de soumettre à son autorité, Shahpur I croit trouver, dans la doctrine de Manès, les éléments d'une religion à la fois nationale, impériale et universelle. Situé à un carrefour d'idées iraniennes, chrétiennes et bouddhiques, l'Empire perse sassânide serait plus accueillant à une religion synthétique qui, plus ouverte que le mazdéisme, concilierait toutes ces tendances. Dès son avènement (241), Shahpur I s'intéresse à Mani, dont il fait son compagnon. C'est au couronnement du monarque que ce dernier commence, pour la première fois, à prêcher en public. Shahpur I le laisse exercer librement son apostolat et faire des prosélytes. Dans la pensée du roi, cette nouvelle religion iranienne, créée et propagée par un Iranien et qui, grâce à son caractère synthétique, s'adaptait aux exigences politiques du moment, pouvait lutter avantageusement contre l'envahissement du christianisme méditerranéen, unifier les forces spirituelles de l'Empire perse, servir la politique sassânide et consolider la dynastie. h.

Echec de la réforme

manichéenne

En dépit de la protection royale, la doctrine de Mani, comme toutes les réformes prématurées et imposées par les politiciens, est mal accueillie dans le pays qui l'a vu naître. Combattue par les autres grandes religions, et notamment par le clergé zoroastrien tout-puissant, et repoussée par l'Eglise chrétienne de Perse, elle sera, après la mort de Shahpur I, persécutée sous son fils et successeur Orzmad I (273). En 276, sous Bahrâm I, fils et second successeur de Shahpur, Mâni lui-même, convaincu d'hérésie, sera arrêté, écorché vif et décapité. Etouffée en Iran, la religion manichéenne franchira les frontières de son pays d'origine et se répandra, vers l'Est, jusqu'en Turkestan et Haute Mongolie, et, vers l'Occident, jusqu'en Afrique et en Europe. «Si les rois de Perse avaient continué à favoriser la nouvelle religion au lieu de la combattre, il est certain, qu'étant donné l'expansion merveilleuse de celle-ci à travers l'ancien continent, cela aurait donné au successeur de Cyrus et de Darius l'hégémonie politique de l'Asie. Néanmoins, la cause du manichéisme servit celle de l'Iran et aida à la pénétration des idées et de la civilisation iraniennes jusque sur les hauts plateaux qui avoisinent le désert de Gobi.» 5 D'autre part, «destiné à servir de trait d'union entre le christianisme et ' Huart et Delaporte, L'Iran antique, Elam et Perse, p. 345.

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le zoroastrisme, entre le monde romain et le monde sassanide, il (le manichéisme) était des deux côtés récusé comme hérétique. Rome et l'Iran restaient en présence».6 3. Désagrégation de l'Empire romain. Grande victoire perse. Entrée en scène de Palmyre. De la mort de Philippe l'Arabe (249) à l'avènement d'Aurélien (270), la crise politique et l'anarchie militaire sont à leur comble dans l'Empire romain. Les empereurs ne font que passer sur le trône. Les invasions se précipitent et les usurpations se multiplient. La ruine économique s'étend et des empires régionaux se constituent en Occident et en Orient. a. L'empereur Dèce et la persécution contre les Chrétiens (249—251) Au cours de ses deux ans de règne, Dèce ou Décius (249-251), successeur de Philippe l'Arabe, s'occupe de deux grandes questions: le problème chrétien et celui des Barbares Goths. Avec Dèce commence, pour le christianisme, une nouvelle période. Jusqu'alors, les persécutions contre les Chrétiens se faisaient par des rescrits, c'est-à-dire des instructions visant des décisions d'espèce ou des cas isolés. A partir de Dèce, c'est la persécution par édits, ayant une portée générale. Imbu de sentiments conservateurs et traditionalistes, Dèce considère la participation, au culte, des dieux romains et de la divinité impériale, comme une manifestation nécessaire de loyalisme. L'abstention des Chrétiens ne pouvait plus être tolérée. Considérant la religion chrétienne comme un danger pour l'Empire, il prescrit de rechercher les Chrétiens et de les contraindre, par les tourments, à abjurer leur foi. De là une persécution générale, dont l'effet provoqua de nombreuses apostasies, mais excita aussi, chez ceux qui étaient résolus à persévérer, une exaltation aspirant au martyre. «La persécution de Dèce fut très courte, mais très violente. Elle entraîna des exécutions nombreuses et des défections plus nombreuses encore . . . L'une des premières victimes de la persécution fut le pape Fabien, martyrisé le 21 janvier 250 . . . En Asie, Origène fut arrêté à Césarée de Palestine et retenu en prison jusqu'à la fin de la persécution; les épreuves qui lui avaient été infligées contribuèrent à hâter sa mort, qui eut lieu trois ans plus tard à Tyr. Deux évêques, Alexandre de Jérusalem et Babylas d'Antioche, moururent en prison; un troisième, Achatius, survécut à sa captivité. . . Denys, évêque d'Alexandrie,... le plus célèbre des disciples Grousset, L'Empire du Levant, p. 65.

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d'Origène,... réussit a échapper aux agents du préfet Sabinus et à se réfugier dans le désert de Libye . . . Devant les menaces, les apostasies (en Egypte) se multiplièrent, surtout parmi les fonctionnaires et les riches.»7 L'invasion des Goths, qui absorba toute l'activité et l'attention de Dèce, l'obligea à mettre fin à ces persécutions. En 251, au cours d'une campagne contre ces Barbares, Dèce est tué avec son fils; c'est le premier empereur romain qui meurt en combattant l'ennemi. b. Anarchie militaire et invasions étrangères. Les Perses à Antioche Gallus (251-253), qui remplace Dèce, est renversé par Emilianus (253), lequel est tué par ses propres soldats (253). Valérien (253-260), de vieille famille sénatoriale, est proclamé empereur par les troupes danubiennes. La situation de l'Empire est lamentable. Les Francs, les Alamans, les Goths, se ruent sur le territoire romain. Les Perses pénètrent en Syrie et s'emparent d'Antioche. Une épidémie de peste, qui fait ravage, dépeuple des provinces entières. L'Empire est sur le point de s'effondrer. «Valérien ne se sentit pas la force de s'opposer seul à cet écroulement universel, et il introduisit une réforme qui allait provoquer le fractionnement de l'empire, ainsi que l'irréparable déchéance de l'ancienne civilisation. Il nomma Auguste son fils P. Licinius Egnacius Gallien (263-268) et lui assigna les provinces de l'Occident, en gardant pour lui celles de l'Orient. La grande oeuvre de Rome, l'unité de l'Orient et de l'Occident, était ébranlée. Mais cette mesure ne servit à rien.» 8 c. Valérien et la persécution contre les Chrétiens Gallus avait continué la persécution commencée par Dèce. Valérien, d'abord indulgent pour les Chrétiens, finit par décréter contre eux des mesures plus précises et plus cruelles que celles de ses prédécesseurs. On explique ce changement d'attitude par des considérations d'ordre matériel: les biens confisqués procurent de nouvelles ressources au Trésor obéré. L'édit de Caracalla, accordant, en 212, le droit de cité romaine aux ressortissants de l'Empire, avait eu le même mobile (p. 139). Le nombre des Chrétiens est déjà très elevé; il y en avait beaucoup dans les hautes classes et même à la cour. Un édit de 259 vise les évêques, prêtres et diacres qui devront être exécutés, et les sénateurs et chevaliers qui subiront la dégradation, la confiscation de leurs biens et la mort, s'ils persistent dans leur foi. Dans tous les cas, la confiscation est la peine principale. 7 8

Besnier, op. cit., p. 162, 163, 164. Ferrero, op. cit., p. 273, 274.

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A Rome, le pape Sixte II est mis à mort, avec quatre de ses diacres. Les persécutions s'étendent à l'Asie, la Palestine, l'Egypte, l'Afrique, la Gaule, et se prolongent jusqu'à la chute de Valérien. d. Désagrégation de l'Empire romain. Autonomie de l'Occident «De toutes parts, l'Empire se disloque. Le système des pronunciamentos se généralise; chaque armée, chaque province veut avoir son empereur; tous les chefs militaires prennent la pourpre. C'est l'époque qu'on désigne par l'appellation caractéristique des Trente Tyrans.» Les populations, livrées à elles-mêmes, pourvoient à leur propre salut; chaque province a son empereur, qui est celui de l'armée en garnison. Des tendances séparatistes se manifestent aux deux extrémités de l'Empire. Postume, acclamé empereur par les légions de la Gaule (260), réussit à fonder un véritable empire gallo-ibérique, qui dura jusqu'en 267. e. Les Arabes et Palmyre se redressent dans le Désert syrien Tandis que l'Occident se démembre, en Orient, la cité de Palmyre, jouant entre la Perse agressive et la Syrie sans défense, commence son ascension politique, au milieu du Désert syro-mésopotamien, et s'apprête à entrer sur la scène de la grande histoire (p. 72—73). Le désarroi administratif et les troubles de l'époque avaient favorisé l'avance des tribus du Désert et leur infiltration parmi les populations sédentaires. Comme vers la fin de la domination gréco-séleucide, les Nomades du désert de Syrie s'introduisent dans les campagnes et même dans les villes frontalières (II, p. 407). Les Arabes Ghassânides, dans l'Est syrien, et leurs frères Lakhmides, à l'Ouest de l'Euphrate, qui, dès 200, nomadisent dans leur secteurs respectifs, commencent à prendre de l'importance. Tandis que les Lakhmides de l'Euphrate avaient déjà fondé le royaume de Hîra, qui évolue dans le sillage de la Perse, les cheikhs Ghassânides ou chefs des tribus arabes de Syrie sont accueillis par les Romains, qui les emploient pour la défense des frontières syro-romaines. Ils seront classés, dans l'administration romaine, sous les noms de phylarques et d'exarques, organisés militairement et contrôlés par les gouverneurs des provinces. Une autre famille de cheikhs arabes, qui domine et protège Palmyre, jouera bientôt un rôle mouvementé dans les destinées du monde oriental. f . Grande victoire perse: désastre de Valérien (260) Poursuivant méthodiquement ses plans de conquête, Shahpur I, qui domine l'Arménie depuis 252, envahit, en 256, la Mésopotamie, enlève les places fortes de Nisibe et de Carrhes et prend Antioche, où un Grec de

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cette ville, qui avait aidé à l'avance des Perses, est établi par Shahpur avec le titre d'Auguste (256). Valérien accourt en Orient; à son approche, les Perses évacuent Antioche et se retirent sur Edesse, autour de laquelle une rude bataille s'engage. Une grande victoire fait tomber entre les mains de Shahpur l'empereur Valérien et 70.000 légionnaires romains, qui sont envoyés en Iran (260). La captivité de Valérien, le premier empereur romain tombé aux mains de l'ennemi, fait subir au prestige du nom romain une grave atteinte en Orient. Valérien mourra en captivité; quant aux prisonniers, ils seront internés dans un camp en Susiane et employés à la construction d'une digue gigantesque destinée à servir aux irrigations et dont les vestiges sont, en partie, encore utilisés de nos jours. g.

Entrée en scène de Palmyre

Exploitant sa victoire, Shahpur rentre dans Antioche, ravage la Syrie et la Cappadoce et s'avance jusqu'en Cilicie. Mais en retournant dans ses Etats, il est surpris et battu, au passage de l'Euphrate, par Odeinat II, prince arabe de Palmyre et époux de la célèbre Zénobie (260). Gonflé par ce succès, Odeinat, qui, depuis 258, avait reçu de Rome les titres de sénateur, de consul et d'exarque ou «chef de Palmyre», prend lui-même le titre de roi (260). Ainsi, les échecs subis par Rome, à l'Est et à l'Ouest, provoquent la naissance, aux frontières de l'Empire romain, de deux Etats pratiquement indépendants: le royaume de Palmyre, à l'Est, et l'empire des Gaules, à l'Ouest.L'heure du morcellement et des autonomies régionales commence pour l'Empire romain universel.

IV. Ascension du royaume de Palmyre. L'Empire oriental de Zénobie Tandis que l'Empire des Gaules, né à la suite des échecs subis par Rome en Occident, n'est qu'un empire romain régional, le royaume de Palmyre, surgi à la suite des défaites romaines en Orient, est dirigé par des chefs indigènes et prend un caractère nettement national. 1. Palmyre entre Romains et Perses

Oasis au milieu du haut désert syrien, séparée de la Syrie et de la Mésopotamie par de vastes solitudes, située au croisement des voies de caravanes, Palmyre, à partir de 260, jouera, entre les Romains et les Perses, lancés les uns contre les autres dans une lutte qui s'intensifie de plus en plus, un rôle capital, mais essentiellement éphémère. Encouragés par les défaites que les Perses venaient d'infliger à leurs protecteurs romains, gonflés, d'autre part, par leur prodigieuse victoire contre le puissant Shahpur, les Palmyriens, vers 260, croient le moment venu de se libérer d'une tutelle qui, quoique bienfaisante, commence à leur peser. Prenant conscience du rôle politique qu'ils pourraient jouer entre les deux grandes puissances rivales, et protégés par le désert qui est leur élément, les princes de Palmyre songent à fonder un Etat indépendant et à s'imposer, comme arbitres, entre la Perse et Rome. Ce projet ambitieux et hardi les amènera à la formation de l'empire oriental de Zénobie, qui sera brutalement détruit, en 272, par la puissance romaine redressée. a. Race et langue

De souche sémitique, les Palmyriens sont, à cette époque, un mélange d'Amorréens, d'Araméens et d'Arabes nomades ou à demi fixés. La langue palmyrienne, à l'époque romaine, est le dialecte araméen parlé en Syrie; elle se rattache étroitement à l'araméen de Transjordanie ou dialecte nabatéen. On n'a relevé, dans les textes palmyriens retrouvés, qu'une dizaine de termes arabes. Par contre, les termes grecs sont plus abondants, surtout dans le langage administratif et architectural. Les Palmyriens portaient généralement deux noms: l'un, indigène et sémitique, et l'autre, grec. Les vocables militaires sont latins (p. 72—73).

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«L'emploi da la langue hellénique était usuel (à Palmyre). Bien plus, elle était considérée, au même titre que l'araméen, comme idiome officiel: les inscriptions, non seulement privées, mais publiques, sont rédigées la plupart du temps dans ces deux langues.»1 L'écriture palmyrienne dérive de l'écriture araméenne; elle présente des ressemblances avec celle des manuscrits trouvés près de la Mer Morte, en 1947 de notre ère. Comme l'écriture phénicienne, dont toutes ces écritures dérivent, celle de Palmyre n'a pas de voyelles. 2. Palmyre jusqu'à 260 Dues à sa situation entre deux grands Empires en perpétuel conflit, la brillante fortune de Palmyre, sa puissance et sa grandeur n'ont duré qu'un quart de siècle environ (250—272). Avant cette courte période, le site palmyrien couvre de longs siècles d'obscurité; après, ce sont des ruines grandioses dans un paysage immense et désolé. a. Palmyre jusqu'à la mort d'Auguste Nous avons vu que Palmyre, simplement mentionnée dans des inscriptions mésopotamiennes de 2000 et de 1100 et dans la Bible, n'est entrée dans l'histoire qu'après l'expansion romaine en Orient. Au temps de Pompée et d'Antoine (64 et 37), cette ville-oasis, entrepôt commercial, jouissait d'une certaine indépendance (p. 72—73). L'Empire romain, qui étendra la paix jusqu'au désert, assura, dans cette zone, la sécurité des échanges. L'activité des caravanes connut un grand développement. Auguste accorda à Palmyre quelques libertés et privilèges, qui lui donnèrent un air d'autonomie (p. 73—74). b. Au premier siècle de notre ère C'est à partir de l'empereur Tibère (14—37), que Palmyre apparaît comme tributaire de Rome. Les inscriptions retrouvées attestent que les légats impériaux de Syrie y réglementent les impôts et les droits d'octroi. Au temps de Vespasien (69—79), l'entretien des pistes Palmyre-Euphrate, Palmyre-Emèse et Palmyre-Damas, est assuré par les légats romains (p. 110). On pense même qu'une garnison romaine, ajoutée à la milice indigène, protégeait la ville contre les incursions des cavaliers parthes. La milice palmyrienne était composée, en partie, d'un contingent d'archers montés à cheval ou à chameau (ancêtres des méharistes modernes). Bien que, dès l'époque de Vespasien, les Romains aient employé les archers palmyriens, 1

G. Février, cité par Champdor, Palmyre,

p. 77, en note.

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c'est seulement sous Trajan (98—117) que des unités palmyriennes régulières sont constituées et incorporées à l'armée romaine. Il faut croire que, dès Trajan, Palmyre, à l'exemple de la Nabatée contemporaine, est annexée à la province de Syrie. Sous la direction d'un haut fonctionnaire romain (le préposé de Palmyre), qui prenait les décisions importantes, les tribus palmyriennes jouaient un rôle actif dans la vie de la cité, par l'intermédiaire d'un organisme collectif, YAssemblée des Tadmoréens, présidée par un chef indigène. Cette Assemblée, mentionnée dans des inscriptions de 25 et de 51 ap. J.-C., est devenue, après 75, le sénat de Palmyre, simple conseil municipal fonctionnant sous la direction du fonctionnaire romain. La transformation du royaume nabatéen en province romaine militairement administrée (106) et le déplacement vers le nord des routes désertiques qui aboutissaient à Pétra ruinèrent cette dernière au profit de Palmyre, dont le rôle et l'activité commerciale furent décuplés (p. 113—114). «Dès le premier siècle, le commerce palmyrénien avait enrichi la cité, et les vieux sanctuaires de l'époque hellénistique, comme celui de Bêl, furent reconstruits avec des proportions imposantes et dans le style romain. Les monuments funéraires se multiplient: c'est l'époque des tombeaux en forme de haute tour, qui donnent aux ruines de Palmyre un aspect si particulier . . . La religion restait traditionnelle, avec un panthéon encombré de dieux locaux ou importés.»2 c. Au temps de l'empereur Hadrien (117—138) En 129, l'empereur Hadrien, qui visita Palmyre, en fit une «ville libre» dans le cadre de l'Empire. A cette occasion, la ville changea de nom (p. 123). De même que Hadrien avait changé le nom de Jérusalem en celui d'Aélia Capitolina, et que Pétra, en Arabie, prit, en l'honneur de cet empereur, le nom d'Adrianépétra, Palmyre, pour lui manifester sa reconnaissance, sera Hadriana Tadmor et Hadrianos Palmyrenos. Les impôts sont désormais établis par le sénat local et directement perçus par la ville; mais un fonctionnaire impérial surveille la gestion financière. Ce fonctionnaire, appelé curateur, était le commandant d'armes de la place. Les Palmyriens fournissent à Rome des archers, qui, mêlés aux troupes auxiliaires de l'Empire ou constitués en unités régulières, combattent glorieusement, avec les légions romaines, sur toutes les frontières: sur le Danube, comme aux confins du Sahara africain. «Par l'armée, et aussi par le commerce, Palmyre entrait dans la grande communauté du monde romain. Ces contacts ne pouvaient manquer de modifier profondément les mœurs et les croyances. Nous verrons que le 2

J. Starcky, Palmyre,

p. 37.

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costume occidental se substitue au costume local. La religion elle-même participe à ce grand courant de spiritualisme qui traverse le monde méditerranéen. A Palmyre, il prend une forme bien précise: c'est l'époque où l'on commence à ériger des autels «à Celui dont le nom est béni à jamais». Ces dédicaces, du moins lorsqu'elles sont rédigées en palmyrénien, ne donnent pas de nom à la divinité.»3 d. Au temps des empereurs orientaux

(193—249)

Sous les empereurs africains et orientaux, les Palmyriens furent encore l'objet de marques de faveur. Septime Sévère, en 195, rattacha Palmyre à la province de la Syrie Phénicienne, dont Homs (Emèse), ville natale de l'impératrice Julia Domna, devint la capitale (p. 137). Des statues en l'honneur de la famille impériale furent érigées par les Palmyriens. L'empereur Caracalla, fils de Septime Sévère et de Julia Domna, qui avait accordé, en 212, le droit de cité romaine à tous les sujets libres de l'Empire, confère à Palmyre le rang de colonie romaine, et l'exempte, ainsi qu'Emèse, de l'impôt foncier. En signe de reconnaissance, les Palmyriens, qui ajoutèrent à leur nom, comme tous les citoyens de l'Empire, le gentilice de Caracalla, le firent précéder du nom de Julius, en l'honneur de Julia Domna. En 232, losqu'Alexandre Sévère, à la tête d'une puissante armée, se rendit en Orient pour combattre les Perses (p. 146), il établit à Palmyre son quartier général. Les Palmyriens reçurent, avec de grandes manifestations, cet empereur syro-romain, originaire de la ville voisine d'Emèse. Ils guidèrent les légions à travers le désert et leur permirent d'atteindre aisément Doura-Europos, sur l'Euphrate, où la vingtième cohorte d'archers palmyriens, qui y tenait garnison, grossit le corps expéditionnaire romain. Cette campagne donna aux Palmyriens l'occasion de s'enrichir davantage, en fournissant à l'armée romaine tout ce dont elle avait besoin. Sous le règne des Sévères (193—235), les monuments, comme les constructions et les Colonnades, commencent à embellir la ville en lui donnant l'aspect d'une riche métropole. «Le courant de syncrétisme, que nous avons signalé pour l'époque des Antonins, s'accentue encore à l'époque des Sévères, et à Palmyre, les autels «au dieu non-nommé» se multiplient au point que nous en suivons l'offrande, année par année. On sait qu'à la même époque, avec les grands juristes de l'école de Béryte (Beyrouth), le droit prenait un caractère universel, et qu'un sens plus aigu de la solidarité humaine trouvait son expression dans des institutions sociales qui annoncent déjà les nôtres»4 3 4

Starcky, op. cit., p. 47. Starcky, op. cit., p. 52.

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165

e. La dynastie indigène des Hairan (200—272) Les chefs ou princes de Palmyre, vers 200, sont, d'après leurs noms, d'origine arabe. Le premier d'entre eux dont on connaisse le nom s'appelait «Hairan» ou Hàiranès, fils de Wahballat, fils de Nasôr. Chef des tribus nomades de la région environnante, il s'était enrichi en protégeant les caravanes, les commerçants et les voyageurs qui traversent le désert syro-mésopotamien. Nommé stratège de Palmyre au temps de la guerre parthique de 199, il seconda si bien Septime Sévère, par sa connaissance des lieux et des pistes et par les approvisionnements qu'il envoya aux légions romaines, que l'empereur lui conféra, avec le droit de cité romaine, celui de prendre le prénom de Septime (p. 137), qui deviendra dès lors le genitilice de la famille (199). Septimus Odeinat I, fils de Hairan, ami et conseiller de Philippe l'Arabe (244—249) pour les affaires orientales, est nommé par cet empereur à la dignité de sénateur romain. Accusé de rechercher l'alliance des Perses et de fomenter une révolte en Syrie, il aurait été mis à mort sur l'ordre de Rufius, légat impérial de Syrie (250). Septimus Hairan (250—258), fils d'Odeinat I, porte, comme son père, le titre de sénateur, auquel il ajoute, suivant une inscription bilingue de 251, celui d'exarque des Palmyriens; le texte araméen traduit le mot «exarque» par l'expression «rash Tadmor», ou chef de Palmyre. L'ancienne «ville libre», grâce à l'anarchie militaire qui règne dans l'Empire, est devenue une sorte de principauté vassale de Rome, sous l'autorité de Haïran. 3. Odeinat II, roi de Palmyre (260—266) a. Odeinat II, seigneur de Palmyre et gouverneur de la province romaine de Syrie (258-260) Septimus Odeinat II (258—266), fils ou frère de Haïran, est nommé par l'empereur Valérien (253—260) gouverneur de la province romaine de Syrie-Phénicie (capitale Emèse), dont relevait Palmyre. Le titre de «chef de Palmyre», porté par son père Haïran, est remplacé par le titre grec «despote», traduit en araméen par seigneur de Palmyre. La principauté tend à se transformer en royaume. Septimus Odeinat II est une belle figure de grand chef du désert syroarabique. C'est à lui que Palmyre dut son subit et prodigieux essor politique. Intelligent et ambitieux, possédant de brillantes qualités militaires, connaissant toutes les pistes du Désert de Syrie, il était le chef arabe dans toute sa force et sa beauté. Arabe romanisé, il a pris rang dans la hiérarchie impériale. En 258, il a, en plus du titre de sénateur, ceux de consul

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et de seigneur de Palmyre. Sa femme, Zénobie (Bat-Zabbaï, forme sémitique), est la fille de l'un des principaux magistrats de Palmyre. b. Odeinat II vainqueur de Shahpur I (260) La puissance romaine craquant de tous côtés, Odeinat rêva de faire de Palmyre une puissance politique. En 260, à la suite de la marche victorieuse du roi de Perse Shahpur jusqu'à Antioche et de la capture de l'empereur Valérien (p. 159—160), il manœuvra si habilement qu'il réussit à se pousser au premier plan. Encouragé par les Romains battus et humiliés, dédaigné par les Perses victorieux auxquels il aurait fait des avances, Odeinat coupe la retraite à Shahpur, le bat et le rejette derrière l'Euphrate (p. 160). La puissance du roi de Perse est temporairement brisée par cette tempête arabe soufflant du désert syro-arabique (260). Moins de quatre siècles plus tard, entre 632 et 642, une tempête arabe plus violente, soufflant du même désert, expulsera les Gréco-Romains de Syrie et d'Egypte, détruira l'Empire des Perses Sassânides et édifiera, sur les décombres des uns et des autres, l'Empire arabe des Califes. c. Odeinat II, roi de Palmyre (260) Après ce succès qui l'enivre, Odeinat prend le titre de roi. L'empereur Gallien (260—268), trop préoccupé ailleurs, s'incline devant le fait; bien plus, espérant attacher à sa cause un allié aussi précieux, l'empereur le comble de titres et d'honneurs; il lui confie même des missions de confiance. «Il n'est pas impossible aussi qu'Odeinat ait cherché à constituer à son profit, entre l'empire des Perses et celui des Romains, une sorte d'Etat-tampon, dont l'Euphrate eût été l'artère vitale» (G. Février). d. Odeinat II, duc romain et commandant militaire de la Syrie La danse des prétendants au trône impérial n'était pas encore terminée en Orient. En 261, Macrien, un général de Valérien né en Egypte, fait proclamer empereurs ses deux fils: Macrien le Jeune et Quiétus, qui sont reconnus par l'Egypte, la Syrie et l'Asie Mineure. Passant en Occident, Macrien et son fils aîné, Macrien le Jeune, sont tués en Illyrie. Quiétus, second fils de Macrien, empereur pour l'Orient, se réfugie dans Emèse (Homs) (262). Odeinat offre à Gallien de marcher contre Quiétus. L'empereur, qui accepte son aide avec empressement, lui accorde, en plus des titres que le Palmyrien possédait déjà, celui de duc romain, qui fait de lui un général des troupes impériales en Orient. Ce nouveau titre permet au roi de Palmyre d'exercer un grand commandement militaire, depuis les frontières

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de l'Egypte jusqu'à l'Asie Mineure. Mais l'administration civile de ce vaste territoire reste confiée aux légats de Gallien (262). e. Odeinat II, délégué de l'empereur dans l'Orient romain Au nom de Gallien, Odeinat attaque Homs, centre des insurgés. Quiétus périt dans la bataille (262). La Mésopotamie est reconquise et Ctésiphon, capitale des Perses, est atteinte (entre 262 et 266). Par cette victoire, l'unité de l'Empire est rétablie; l'Orient rentre dans l'orbite de Rome et les frontières romaines du temps de Septime Sévère sont recouvrées. Les ateliers d'Antioche et d'Alexandrie frappent monnaie au nom de l'empereur. Le royaume de Palmyre, agrandi, reste vassal; mais Odeinat, couvert de gloire et d'honneurs, reçoit de Gallien le titre d'empereur et celui de «correcteur de tout l'Orient». Ce dernier titre fait du roi de Palmyre le délégué de l'empereur dans l'Orient romain. On prétend même qu'Odeinat reçut aussi le titre d'Auguste et qu'il fut reconnu par Gallien comme son collègue pour l'Orient. «Il est très probable qu'à la fin de sa vie, vers 265, Odénath reçut encore d'autres titres, non pas celui d'Augustes, comme le prétend à tort le biographe de Gallien,... mais celui. . . d'imperator, viager et non plus temporaire et révocable comme celui de dux, conjointement avec son fils Hérodès, qui était ainsi désigné pour lui succéder dans toutes ses fonctions et dignités, et aussi celui de . . . corrector totius Orientis. Ainsi l'empereur de Rome investissait le roi de Palmyre d'une dignité qui était accordée en Italie à de hauts fonctionnaires chargés de la réorganisation administrative de la péninsule et qui faisait désormais d'Odénath son délégué en Orient au point de vue civil, comme la dignité de dux, faisait de lui son représentant au point de vue militaire. Grâce à Odénath, Gallien avait vu la situation de l'Empire sur l'Euphrate se rétablir. Grâce à Gallien, Odénath, tout en restant vassal de Rome, accroissait singulièrement la puissance de sa patrie et son propre prestige. A tous deux l'alliance était avantageuse.»5 f . Politique religieuse d'Odeinat 11 Tranquille du côté extérieur, Odeinat peut se consacrer désormais aux problèmes de politique intérieure, notamment la question religieuse et l'ordre. A cette époque, en effet, les progrès du christianisme menacent beaucoup d'intérêts. Damas, Césarée, Antioche et les autres villes syriennes voient avec beaucoup d'inquiétude la propagation de la religion nouvelle, si préjudiciable aux croyances païennes. Les temples sacrés d'Ephèse et de Baalbek, les adorateurs d'Aphrodite sur le mont Liban (à Afka), ceux 5

Besnier, op. cit., p. 216, 217.

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d'Adonis à Byblos, voient dans la religion nouvelle une concurrente, dont l'expansion ruinerait l'opulente hiérarchie des prêtres et des prêtresses et diminuerait l'autorité qu'ils avaient acquise. Entouré de magistrats et de rhéteurs imbus de la philosophie platonicienne des écoles d'Athènes et d'Alexandrie, Odeinat, tolérant comme tous ceux de sa race, fait respecter toutes les croyances, excluant le fanatisme des discussions théologiques. Il apaise les préoccupations matérielles des prêtres et des prêtresses, qui s'enrichissaient par les offrandes faites aux divinités des temples. Grâce à Odeinat, les chrétiens, qui étaient persécutés par les autorités romaines, purent, sous la domination du roi arabe de Palmyre, édifier leurs églises et se livrer librement à leur culte. g.

Mort d'Odeinat II. Avènement de Zénobie

(267)

En 267, une invasion de Barbares, déferlant en Asie Mineure, pénètre en Cappadoce. Tandis qu'Odeinat monte à leur rencontre, il est assassiné, en même temps que son fils aîné Hérodès, par son cousin Manius (267). Celui-ci aurait agi à l'instigation probable de la reine Zénobie, qui voulait assurer le trône à son fils Wahballat, au détriment d'Hérodès, fils aîné, né d'une première épouse. La disparition brutale d'Odeinat fut une perte pour Rome, à laquelle il était loyalement dévoué. « I l fallait que Dieu fût bien irrité contre l'empire romain, écrit l'Histoire Auguste, puisque, Valérien disparu, il n'épargna pas Odeinat. Il n'y a pas de doute que ce prince, aidé de Zénobie, n'eût restauré toutes les parties de la terre, lui qui avait déjà remis l'Orient en ordre.» Manius, meurtrier et successeur d'Odeinat, est bientôt tué par les troupes. Son successeur Wahballat, fils d'Odeinat I I et de Zénobie, est un enfant mineur. Prenant la régence en son nom, Zénobie exercera vigoureusement le pouvoir et portera la puissance palmyrienne à son apogée, puis à sa ruine définitive et totale.

4. Zénobie, reine de Palmyre (267—272) C'est un fait curieux dans l'histoire du monde ancien que le rôle politique joué par les femmes orientales. Comme les déesses, les souveraines font recette. Pour n'en citer que les principales, rappelons Sémiramis de Babylone, la reine de Saba, Didon la Tyrienne qui fonda Carthage, Cléopâtre, Julia Domna, ses sœurs et ses nièces, et maintenant Zénobie. Leur initiative courageuse n'était pas sans danger; la plupart d'entre elles payèrent de leur vie leurs ambitions démesurées. « A Rome, les mœurs, non la loi, leur avaient interdit (aux femmes)

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longtemps la participation au pouvoir suprême. Mais depuis longtemps, elles y aspiraient, comme à un complément du titre d'Augusta.»6 «Et si plus tard brille, pendant quelque années à Rome, l'influence féminine, c'est quand l'empire échappe à la race épuisée des Romains, et que des hommes d'Asie, ceux qu'on a nommés les princes syriens, héritent du pouvoir des Augustes: avec eux s'implantent à Rome l'influence et le pouvoir des femmes: les Soémis, les Maesa, les Mammée, sont les véritables souveraines; en leur qualité d'Orientaux, Alexandre Sévère et Héliogabale sont menés par des femmes, grâce à leur jeunesse, par des mères et des aïeules.»7 C'est à tort que l'on a accusé l'islamisme d'avoir parqué la femme dans le harem. Sans compter les épouses et les filles du Prophète, nombre de femmes, dans les premiers temps de l'Islâm, jouèrent de grands rôles politiques. Ce ne fut que plus tard, sous l'influence des coutumes asiatiques, que la femme musulmane fut reléguée dans le cadre étroit des besognes domestiques. Rappelons que le port du voile est une coutume assyrienne, que l'Islâm hérita par l'intermédiaire des Perses (II, p. 242). a. Wahballat, roi sous tutelle Wahballat (267—273), fils d'Odeinat II et de Zénobie, ne semble pas avoir gouverné l'Etat palmyrien pendant la courte durée de son règne. Mineur ou incapable, il est remplacé dans ce rôle par sa mère Zénobie, qui exerce le pouvoir à titre de régente. Le nom de ce prince, Wahb Allât, est une expression sémito-arabe qui signifie: don d'Allât, divinité féminine des Arabes préislamiques de la péninsule. Son nom grec, Athénodore, «don d'Athénée», n'est qu'une traduction variée du nom sémitique: Allât est remplacée par Athénée. b. La reine Zénobie (267—273) Tandis que la famille régnante, les Haïranites, est sémito-araméenne, et plus probablement arabe étant donné les noms propres de ses membres (Haïran, Wahballat, Nasôr), Zénobie elle-même serait plutôt d'origine hellénique. Son père s'appelait Antiochus. La forme sémito-araméenne de son nom, Bat-Zabbai, «fille de Zabbaï», n'a guère de rapport avec le nom grec ou grécisé de Zénobia. C'est elle, très vraisemblablement, que les historiens anciens citent souvent quand ils parlent d'une reine Zobba, «qui régnait sur la Mésopotamie et sur une partie de la Syrie». On a retrouvé sur une monnaie d'Antioche, frappée à l'effigie de Zénobie, la légende suivante: «Septimia Zenobia Augusta». Nous savons que le nom • G. Bloch, op. cit., p. 174. ' L. Double, Les Césars de Palmyre,

cité par Champdor, op. cit., p. 125.

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de Septime est le gentilice des Haïranites depuis Septime Sévère, qui leur avait accordé cette faveur. «D'origine arabe ou alexandrine (son père s'appelait Antiochus), BatZabbaï, la fille de Zabé, devenue Septimia Zenobia, prétendait descendre de Sémiramis et se faisait appeler «la nouvelle Cléopâtre». L'Histoire Auguste vante sa beauté, sa valeur militaire — elle avait accompagné Odénath dans sa lutte contre Sapor et aimait à se montrer à cheval et en armes, — ses hautes qualités morales: gravité, clémence, esprit d'économie; très cultivée, elle s'entourait de lettrés et de philosophes, comme Longin; si elle ne parlait pas couramment le latin, elle savait le grec et l'égyptien; saint Athanase prétend qu'elle s'était convertie au judaïsme; en tout cas elle avait des sympathies pour les Juifs et fit restaurer à ses frais une synagogue d'Alexandrie; elle était en rapports aussi avec les chrétiens et son principal ministre fut l'évêque hérétique d'Antioche, Paul de Samosate. Dans l'exercice du pouvoir, elle fit preuve de beaucoup d'énergie et porta à son apogée la puissance de Palmyre.»8 Ambitieuse et autoritaire, Zénobie conduit les affaires du gouvernement avec une énergie et une sûreté remarquables. Négligeant l'Assemblée de la ville ou Sénat de Palmyre, elle commande seule et elle est obéie. Ses soldats se croient invincibles parce qu'ils ont battu les Perses. Son conseiller, le rhéteur Longin, l'encourage à profiter du chaos de l'Empire romain pour étendre ses possessions territoriales et fonder un nouvel empire oriental. «Les très rares images — plus ou moins conventionnelles — qu'on possède d'elle donnent l'impression d'une femme petite, mince, aux lèvres serrées . . . Son biographe nous dit qu'elle n'était rien moins que sensuelle: on est tenté de le croire. Un désir effréné du pouvoir était le seul ressort qui maintenait cette âme tendue.»9 Trébellius Pollion renchérit sur la chasteté de Zénobie et la sévérité de ses mœurs. c.

Vassalité nominale vis-à-vis de Rome

Dès son avènement (268), Zénobie, tutrice de son fils Wahballat, donne à celui-ci les titres de «roi des rois» et de «correcteur de tout l'Orient», que son père avait portés. L'empereur Gallien avait refusé d'accorder au nouveau prince palmyrien ces dignités qu'Odeinat II avait reçues à titre viager. Aussi, les relations entre Rome et Palmyre devinrent-elles un peu tendues. Sous prétexte de combattre les Perses, une armée romaine, aux effectifs insuffisants, est envoyée en Asie; les embarras de Gallien à Rome l'empêchent d'envoyer des forces supérieures. En une seule bataille, les 8

Besnier, op. cit., p. 217, 218. » G. Février, cité par Champdor, op. cit., p. 122, en note.

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troupes romaines sont détruites par Zénobie. Mais l'incident n'eut pas de suites; l'entente tacite entre Rome et Palmyre persista et le statu quo ante fut maintenu. Antioche continua à dépendre de Palmyre; mais, sur les monnaies de l'atelier antiochien, figure toujours l'effigie de Gallien, symbole de la suzeraineté romaine. En 268, Gallien est assassiné à Milan, et la valse des prétendants à l'Empire reprend son cours en Occident. Auréolus, meurtrier de Gallien, est tué, à son tour, et remplacé par Claude le Gothique (268—270). Profitant de cet état d'anarchie, Zénobie, qui s'intitule «illustrissime reine», donne à son fils, en plus des titres de roi et de correcteur, ceux de consul, dux Romanorum et imperator. Mais les titres de César et d'Auguste restent toujours réservés à l'empereur romain, ainsi que l'attestent les monnaies d'Antioche et d'Alexandrie jusqu'au milieu de 269. 5. Zénobie, souveraine du Proche-Orient. Annexion de la Syrie, de l'Egypte et de l'Asie Mineure a. Annexion de la Syrie (269) Les difficultés où se débattait Claude en Occident permirent à Zénobie d'agrandir son domaine. Vers la fin de 269, Antioche et la Syrie sont occupées par les Palmyriens, et les émissions de monnaie au nom de l'empereur romain sont arrêtées. Au début de 270, l'empereur Claude meurt de la peste à Sirmium. Son frère Quintullus, désespérant de triompher de son rival, se donne la mort (270), et Aurélien prend le pouvoir (270-275). b. Zénobie, maîtresse de l'Egypte (270) Mettant à profit ces événements qui retiennent loin d'Orient les forces romaines, Zénobie, en quête de nouveaux marchés commerciaux, songe à fonder un vaste empire oriental. Reprenant vraisemblablement les plans ambitieux de Cléopâtre, dont elle prétend descendre, elle forme le dessein de grouper sous son sceptre l'Egypte et le Croissant Fertile. Elle avait déjà «noué des relations commerciales actives avec l'Abyssinie, l'Arabie, l'Inde. La voie de la Mer Rouge concurrençait celle de l'Euphrate. Avec l'Asie Mineure et la Syrie, les transactions n'étaient pas moins actives, soit par Pétra et le pays des Nabatéens, soit par la route côtière, soit par la mer.»10 La possession de la vallée du Nil lui donnerait le contrôle de la Mer Rouge et celui des transactions avec le Yémen, la Somalie, l'Egypte et les Indes, et couperait, au besoin, Rome, adversaire en perspective, de son 10

G. Février, cité par Champdor, op. cit., p. 128.

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principal centre de ravitaillement en céréales. Des Palmyriens, qui tiennent garnison ou commercent en Egypte, ainsi qu'un Egyptien acquis à la cause de Zénobie, préparent le terrain. Las de payer des impôts aux procurateurs romains, les Egyptiens, qui rêvent d'indépendance, accueilleront comme une libératrice la descendante des Ptolémées. En 270, Zabdas, général de Zénobie, à la tête de 70.000 Palmyriens et Syriens, pénètre en Egypte et défait les troupes égypto-romaines. Accueilli avec enthousiasme par les Egyptiens, le conquérant ne s'attarde pas à Alexandrie. Après avoir confié la royauté de l'Egypte à Wahballat, fils de Zénobie, Zabdas quitte le pays en n'y laissant qu'une modeste garnison de 5.000 hommes. c. Annexion de l'Asie Mineure (270) Enivrée par cette riche conquête, Zénobie, franchissant un dernier pas, se proclame Augusta et donne le même titre à son fils. Et, sans attendre les contrecoups de sa conduite hardie, elle envoie Zabdas, le conquérant de l'Egypte, avec une puissante armée en Asie Mineure. Toute cette contrée, à l'exception de la Bithynie, reconnaît la suzeraineté palmyrienne (270). Ainsi, tout l'Orient, depuis la Mer Noire et le Bosphore jusqu'à l'Ouest du Nil, échappe à la tutelle de Rome et reconnaît celle de Zénobie. «Malgré ces audacieux empiétements, qui pouvaient donner à Zénobie la tentation de secouer la tutelle de Rome, Aurélien en 270 n'hésita pas à renouveler l'alliance conclue jadis avec Odénath . . . Vaballat obtint le droit de porter les mêmes titres que son père, et sur quelques monnaies apparaissent à la fois les deux images de l'empereur de Rome et du roi de Palmyre.»11 d. Emancipation effective de Zénobie L'attitude conciliante de Rome, occupée sur le Danube, n'était due qu'à son désir de gagner du temps. Mais l'empire oriental de Zénobie trouble la quiétude d'Aurélien. Le lien de vassalité, purement nominal, qui attache encore Palmyre à l'Empire, couvre en réalité une émancipation effective, qui se traduit dans les domaines politique et culturel. Cette émancipation du monde oriental offre, pour Rome, plus de dangers que celle du monde gaulois déjà latinisé. «L'Etat palmyrien . . . avait sa civilisation propre, une civilisation hybride, mi-hellénique, mi-sémitique, qui ne s'était jamais fondue avec la latine. Les tendances séparatistes étaient anciennes dans ces pays et ne devaient pas abdiquer. Il y avait eu Mithridate, il y avait eu Antoine et Cléopâtre, il y aura Byzance. Sans doute, la coexistence de ces éléments 11

Besnier, op. cit., p. 218.

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hétérogènes était une cause de faiblesse, mais si les Grecs, peu favorables aux Sémites, furent assez faciles à gagner, ces derniers en revanche formèrent un noyau solide, qui fut l'âme de la résistance.»12 Il faut reconnaître toutefois que Zénobie n'était pas antiromaine, ni hostile à la civilisation occidentale. Possédant parfaitement le grec, l'araméen et l'égyptien, mais parlant peu le latin, elle voulait que ses fils se perfectionnent aussi dans l'étude de l'idiome des Romains. «Ce zèle pour la langue latine . . . prouve que Zénobie n'avait pas agi par haine de Rome, comme aurait pu le faire un Sassanide; pour elle, Palmyre faisait partie de l'Empire; et elle avait tenté sa chance, comme tant d'autres citoyens de cet Empire, qu'ils fussent originaires d'Espagne, de Syrie ou d'Afrique.» 13 L'exemple de ses voisins et compatriotes d'Emèse, qui avaient gouverné l'ensemble de l'Empire romain, la confirmait dans ses desseins. e. Le milieu religieux à Palmyre L'Etat de Palmyre et sa puissance militaire concrétisent les aspirations nationales et les tendances autonomistes du monde oriental. Avec Zénobie, la réaction politique de l'Orient sémitique est doublée d'une réaction parallèle dans les domaines religieux et spirituel. Mis en contact sur un terrain nouveau et dans un milieu politique et social essentiellement cosmopolite et libre de toute tradition, l'hellénisme et l'orientalisme vont essayer de fusionner, pour produire une culture religieuse mixte, un syncrétisme religieux conciliant toutes les religions existantes. Le dieu sémitique Shamash (Soleil), d'origine babylonienne, occupe la première place à Palmyre. C'est à lui que les Palmyriens dédient le plus beau de leurs temples; son imposante statue de marbre et d'or se dresse au milieu du sanctuaire. Devant lui se tient Azizou, le dieu des guerres, de provenance arabique. «La forme même du nom (Azizou), la terminaison en ou, dénote une origine arabe, et non araméenne ou cananéenne. En fait, Azizou ne paraît se rencontrer que dans des régions ayant subi à quelque degré l'influence arabe: Emèse, la Nabatène, Palmyre.»14 Une autre divinité, apportée à Palmyre par les tribus arabes venues du plateau arabique, est la déesse Allât. Distincte de l'Allatu babylonienne, maîtresse du monde souterrain, l'Allât arabe, divinité féminine solaire qui s'oppose à la Lune, dieu masculin, forme avec celui-ci un couple divin représentant, pour les Arabes anciens, le principe vital. Dès le premier siècle de notre ère, soit près de six siècles avant l'Allah des Arabes de l'Islâm, YAllât des Arabes préislamiques, apportée par des tribus du Centre 12 13 14

G. Bloch, op. cit., p. 190. Starcky, op. cit., p. 65, 66. G. Février, cité par Champdor, op. cit., p. 98, en note.

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arabique, commença à se répandre et à recevoir un culte en Transjordanie, Palmyrène et Syrie. On doit rapprocher d'elle YElat phénicienne et punique, adorée à Sidon et en Phénicie.15 Enfin, dans ce milieu palmyrien essentiellement cosmopolite, le panthéon groupe des dieux de toutes les régions du Proche-Orient. Les dieux locaux sont grécisés et assimilés aux dieux grecs dont les attributions sont similaires. Quant au judaïsme et au christianisme, ils sont accueillis avec sympathie. Gréco-Syrienne ou Gréco-Egyptienne probablement chrétienne, ou plus probablement juive, mariée à un Arabe et gouvernant des Araméens, «Zénobie, comme tant d'autres au Ille siècle, paraît avoir songé à faire triompher un large syncrétisme, absorbant et conciliant toutes les religions qui se disputaient les esprits.»16 «Ainsi la conquête pacifique de l'Orient gréco-romain par le monde sémitique ne s'accomplissait pas seulement dans le domaine politique, mais aussi dans le domaine spirituel.»17 f.

Milieu

intellectuel

et

culturel

Voulant ajouter aux gloires de la guerre et de la politique celle des lettres, Zénobie avait rédigé, en langue grecque, une histoire abrégée d'Asie et d'Egypte, dans laquelle elle établissait, pour sa famille, une origine royale, celle des Ptolémées d'Egypte. Autour d'elle, deux grands intellectuels sont ses conseillers les plus écoutés: le philosophe et rhéteur Longin et le célèbre Paul de Samosate, archevêque hérétique d'Antioche. D'origine syrienne, au moins par sa mère, Longin, qui aurait poussé Zénobie à la révolte contre Rome, était très estimé à la cour palmyrienne. Auteur de plusieurs ouvrages célèbres de critique et d'histoire, sa charge officielle est celle de «professeur de littérature grecque» auprès de la reine. «On peut supposer que Zénobie utilisait Longin pour gagner à elle les milieux cultivés, les «intellectuels» de Syrie, de même que Paul de Samosate devait attirer à Palmyre les centres judéo-chrétiens.»18 Paul de Samosate était né à Samosate sur l'Euphrate, «où les influences indigènes se faisaient sentir plus fortement que sur le littoral hellénisé de la Syrie». Il était fonctionnaire à Antioche, chargé de la perception des impôts, lorsqu'il fut nommé, en 260, évêque de cette grande métropole. «Les douze années de son épiscopat coïncident avec la domination des princes de Palmyre sur Antioche. Tout dévoué à leur cause, il se fit leur agent et devint, comme Longin, leur familier. En même temps qu'évêque, il était ducenarius, c'est-à-dire investi de hautes fonctions financières — 15 18 17 18

G. Février, cité par Champdor, op. cit., p. 103, en note. Besnier, op. cit., p. 220. R. Grousset, l'Empire du Levant, p. 63. G. Février, cité par Champdor, op. cit., p. 138, en note.

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premier exemple d'un dignitaire de l'Eglise exerçant une charge civile. Il avait dans la ville de chauds partisans parmi les éléments syriens, favorables aux rois de Palmyre. Mais le clergé chrétien ne tarda pas à lui déclarer la guerre, incriminant à la fois ses mœurs et sa doctrine.»19 La doctrine de Paul de Samosate, partant d'un monothéisme intransigeant, tend à «simplifier le christianisme et éliminer le mystère.. . JésusChrist n'est pas considéré comme Dieu, mais comme un homme adopté par Dieu, et en qui le Verbe, attribut divin, a établi sa demeure;... (Paul nie) la nature divine du Christ pour ne pas ruiner l'unité de D i e u ; . . . si le Christ était Dieu, il y aurait deux dieux.»20 En 270, un concile réuni à Antioche excommunie et dépose Paul. Mais celui-ci, ouvertement protégé par Zénobie, se maintint par la force à son évêché d'Antioche, et une partie de la ville l'appuyait dans sa résistance. Il ne succombera qu'en 272, avec la fin malheureuse de Palmyre et de sa reine.

19 20

Besnier, op cit., p. 219. Besnier, op. cit., p. 220.

Y. Réaction militaire de Rome (268-274). Reconquête de l'Orient et destruction de Palmyre 1. Redressement romain. Les empereurs illyriens La dynastie des Sévères (193—235) avait «prolongé d'un demi-siècle les bienfaits de la paix romaine». Avec la fin de cette dynastie, l'Empire romain, on l'a vu (p. 147), connut une période d'anarchie militaire de trente ans environ (235—268). Décimées et appauvries par la guerre, les invasions, l'insécurité et les épidémies, les populations de l'Empire, particulièrement en Occident, étaient, en outre, désorganisées par des migrations de Barbares, que les empereurs attiraient pour augmenter le nombre des travailleurs et des agriculteurs. Les métaux précieux se font rares; les impôts sont écrasants; l'activité commerciale ralentie. L'aristocratie et la classe moyenne aisée avaient disparu. L'ancienne classe dirigeante est remplacée par une autre, formée d'éléments nouvellement enrichis, mais dépourvue de cette culture gréco-romaine qui avait fait la grandeur de l'Empire. Enfin, la religion romaine, ce polythéisme païen qui avait été la base de la société et de l'Etat romains, est mourante, et les cultes de l'Orient envahissent l'Occident. Cependant, dans cette grande civilisation agonisante, des forces intellectuelles et morales, des élites demeurent, qui vont essayer de réagir contre la décomposition générale. C'est autour d'une série de chefs, réputés pour leur grand cœur et leur haute intelligence, que les forces de réaction vont se grouper. Ces chefs énergiques, originaires des provinces illyriennes ou danubiennes, arrêteront la désorganisation générale, contiendront les Barbares, réprimeront les usurpations et mettront fin aux tentatives d'autonomie régionale. Dernières convulsions de l'Empire universel et centralisé, ces résultats seront précaires, et l'unité rétablie sera temporaire. Dès 285, en effet, l'Orient et l'Occident romains seront pratiquement séparés. a. Règne de Claude le Gothique, premier empereur illyrien (268—270). La réaction qui devait retarder la dislocation de l'Empire se produisit en 268. A cette date, une formidable invasion de Barbares, passant le Danube, recouvre la péninsule hellénique et coupe toute communication entre l'Occident et l'Orient. Une conjuration de généraux met à mort l'empereur Gallien et nomme, pour lui succéder, un Goth d'origine balka-

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nique, Claude le Gothique (268—270), homme de haut mérite et officier général de premier ordre (p. 171). Trois graves problèmes retiennent l'attention du nouvel empereur: l'empire indépendant des Gaules, les invasions barbares dans les Balkans et l'ambition croissante de la reine de Palmyre, devenue toute-puissante et pratiquement émancipée de la tutelle de Rome. Dès l'avènement de Claude, Zénobie avait donné à son fils le titre d'empereur (268), occupé la Syrie et Antioche (269), et fait cesser, dans l'atelier d'Antioche, la frappe des monnaies à l'effigie de l'Auguste romain (p. 171). Procédant par étapes, Claude suit, en Occident comme en Orient, une politique d'expectative. L'empire des Gaules, menacé d'écroulement par l'intérieur, est provisoirement laissé de côté. Le problème de Palmyre est plus urgent. Mais avant de s'engager dans une guerre orientale, l'empereur juge indispensable une expédition dans les Balkans, destinée à pacifier cette zone de passage vers l'Asie. A la tête d'une force puissante, Claude attaque le gros de l'armée barbare, qui, au nombre de 320.000, avait traversé le Danube. Encerclés près de Nish, les Barbares sont écrasés et mis en déroute, et cinquante mille d'entre eux restent sur le champ de bataille. Malheureusement, Claude, sur lequel on fondait les plus belles espérances, meurt à Sirmium, au Sud du Danube, emporté par la peste (270) (p. 171). b. Avènement d'Aurélien D'origine modeste et balkanique, comme Claude, Aurélien (270—275), qui lui succède, est aussi un homme de guerre. En 271, il arrête, à Pavie, une invasion barbare qui avait pénétré en Italie et bousculé les légions romaines. Après avoir rétabli la sécurité en Italie, Aurélien s'occupe de la frontière danubienne, où il parvient à mettre de l'ordre. Mais le danger des Barbares était devenu tellement grand à cette époque que, pour mieux défendre la frontière des Balkans, l'empereur se résigne à abandonner la partie transdanubienne de la Dacie (275). c. Fortification de Rome En outre et pour les mêmes raisons, la construction, autour de Rome, d'une puissante ceinture de murailles, longue d'une quinzaine de kilomètres, est ordonnée, pour mettre la capitale de l'Empire à l'abri des surprises et des attaques barbares. Cette ceinture, qui transforme Rome en forteresse, nécessitera dix ans de travail (271—281); ses ruines sont encore aujourd'hui l'objet de l'admiration de nos contemporains. Mais ces fortifications gigantesques seront insuffisantes contre le danger

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barbare. «Soixante ans plus tard, une autre solution prévaudra: afin de soustraire la capitale au péril des invasions germaniques, Constantin la transférera des bords du Tibre aux rives du Bosphore.»1

2. Reconquête de l'Orient romain a. Aurélien et Zénobie en 270 Profitant des difficultés qui retenaient en Occident les forces de l'Empire, Zénobie, dont les ambitions croissaient avec les succès, avait, en 270, annexé l'Egypte et l'Asie Mineure (p. 171—172). Cherchant à gagner du temps, Aurélien, pour éviter un conflit immédiat, se garde de protester contre les empiétements de la reine orientale. Bien plus, il reconnaît à Wahballat tous les titres qu'avait portés son père et, sur les monnaies latines d'Antioche, figurent, pour la première fois, d'un côté l'image du roi de Palmyre et de l'autre celle de l'empereur (p. 172). b. Rupture avec Palmyre (271) Aurélien «était toujours le souverain et il possédait seul la dignité suprême d'Augustus; mais en réalité tout l'Orient, à l'exception de quelques villes de Bithynie, échappait à son autorité. Il n'y avait plus qu'un pas à faire pour que l'Etat palmyrénien rompît ses derniers liens de vassalité. Vaballath et Zénobie se décidèrent à le franchir en 271: entre le 23 février et le 29 août, de nouvelles monnaies sont frappées à Antioche et à Alexandrie; elles ne portent plus l'effigie d'Aurélien, mais seulement celle de Vaballath, qui n'hésite pas à s'attribuer la couronne radiée des empereurs et la qualité d'Augustus; on commence en même temps à émettre des pièces à l'image de Zénobie, appelée Augusta, avec le diadème et le croissant. Aurélien ne pouvait tolérer cette usurpation: c'était la guerre.»2 c. Reconquête de l'Egypte et de l'Asie Mineure (271) Tranquille du côté du Danube, Aurélien déclare la guerre à Zénobie. En 271, il envoie une armée, commandée par Probus (futur empereur), qui reconquiert l'Egypte. A la tête d'une seconde armée, il prend lui-même le chemin de l'Asie Mineure, en direction d'Antioche. Ancyra (auj. Ankara) est enlevée; Tyane, ville fortifiée en Cappadoce, livrée par un traître, est évacuée par les Palmyriens. Toutes les villes où l'élément grec était en majorité ouvrent leurs portes aux Romains. Après avoir traversé les Por1 2

Besnier, op. cit., p. 255. Besnier, op. cit., p. 236 et 237.

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tes Ciliciennes et les Portes Syriennes, Aurélien et son armée se dirigent vers Antioche, où Zénobie venait d'arriver. d. Bataille de l'Oronte et prise d'Antioche

(271)

Excellentes dans l'offensive, les années palmyriennes, comme, en général, tous les guerriers du désert, sont moins mordantes dans la défensive. Un simple échec suffit parfois à transformer leur retraite en déroute. C'est ce qui arriva aux troupes de Zénobie, qui étaient pourtant plus nombreuses et aussi organisées que les armées romaines du Ille siècle. C'est à l'Est de l'Oronte, à quelques lieues d'Antioche, que le choc de l'Orient et de l'Occident se produisit. De part et d'autre, Zénobie et Aurélien commandent en personne. Soulevée par l'enthousiasme, «la cavalerie palmyrénienne traversa le fleuve et se porta à la rencontre des Romains. L'empereur, malgré la valeur de ses propres cavaliers, n'osa engager le combat et eut recours à la ruse. Il simula la fuite, et les cataphractaires palmyréniens, lourdement armés, s'épuisèrent et se dispersèrent à la poursuite de l'ennemi, qui bientôt tourna bride et les massacra un à un.»3 Zénobie, qui s'était retirée à Antioche, ne tarda pas à la quitter. Les Chrétiens de la ville, encouragés par les évêques d'Alexandrie, de Jérusalem et de Rome, prennent ouvertement parti contre la reine, protectrice de leur adversaire Paul de Samosate. Les Grecs, de leur côté, se rallient aux Romains. Reprenant de la force, le parti de Rome jette le masque. Secrètement et dans la nuit, Zénobie quitte Antioche et regagne directement Emèse (Homs). Entré triomphalement à Antioche, Aurélien y règle les affaires urgentes, expulse Paul de Samosate, qui occupait son poste par la force, et se met à la poursuite de Zénobie qu'il rejoint dans la grande plaine d'Emèse, où 60.000 Palmyriens attendent l'envahisseur. e. Bataille et prise d'Emèse

(271)

«Bientôt arrivèrent auprès de la reine vaincue, mais qu'on croyait encore puissante, de nombreux auxiliaires qu'elle avait demandés à toute l'Asie, et en particulier aux Arméniens et aux Sarrasins (Arabes); les Sarrasins surtout, se souvenant qu'elle était comme eux de sang arabe, arrivèrent en grand nombre, et Zénobie se vit, en quelques jours, à la tête d'une formidable cavalerie sarrasine, meilleure assurément que les lourds escadrons détruits à la bataille d'Antioche; sa nouvelle armée était nombreuse, et elle se crut en état de venger glorieusement le premier échec que lui eussent fait subir les hommes de l'Occident.»4 L'armée palmyrienne, forte de 60.000 hommes, déclenche l'attaque; 3 4

Starcky, op. cit., p. 60. Lucien Double, cité par Champdor, op. cit., p. 177, en note.

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«l'armée romaine fut un instant dans un réel danger» (Zozime). «Les cavaliers d'Aurélien sont d'abord submergés. Mais ceux qui peuvent se dégager renouvellent la tactique qui leur a réussi sur l'Oronte, et, les fantassins aidant, font un grand carnage. La campagne est bientôt couverte d'hommes et de chevaux, et les survivants se réfugient dans la ville. Zénobie réunit son conseil de guerre, qui décide à l'unanimité le repli sur Palmyre.»5 Aurélien fait son entrée à Emèse. Un butin considérable, qu'il y trouve, lui permet de reconstituer son trésor de guerre et de payer la solde de ses troupes. Lançant ensuite ses légions sur les traces de Zénobie, il s'engage dans le Désert. Après une semaine de marche extrêmement pénible, où son armée est constamment harcelée par les Bédouins, l'empereur arrive sous les murs de Palmyre, qui est immédiatement assiégée.

3. Prise et destruction de Palmyre a. Siège de Palmyre

(272)

Bien protégée, Palmyre disposait d'un matériel de guerre énorme. Zénobie attendait des secours de la Perse. Elle comptait sur les Arabes du désert. Disséminées jusqu'à Homs, centre de ravitaillement des Romains, les tribus devaient harceler les convois de vivres destinés à ces derniers et les obliger finalement à lever le siège de Palmyre. Mais Aurélien, par la terreur et l'argent, réussit à neutraliser l'hostilité des Arabes. Cependant, et bien que la situation des assiégés s'aggravât, des mois passent, et l'empereur craint d'immobiliser, pendant longtemps encore, ses légions autour de Palmyre. Pensant, d'autre part, que cette seconde Cléopâtre, qui prétend descendre de la première, préférerait mourir sous les ruines de sa capitale plutôt que d'accepter «une captivité dorée», Aurélien résolut de lui écrire et lui offrit une paix honorable: Zénobie et les siens remettraient leurs biens au Trésor de Rome et s'établiraient dans la ville qu'il leur indiquerait; Palmyre, réduite à son ancien territoire, conserverait, comme par le passé, ses droits politiques et administratifs et sa franchise municipale. Ces propositions sont refusées par l'«Augusta» de l'Orient, qui y répond par une lettre très altière, rédigée en araméen et traduite en grec. «Personne encore avant toi», écrit-elle à Aurélien, «n'avait osé faire par écrit une telle demande. Sache qu'à la guerre il n'est rien qui puisse s'obtenir sans mérite ni sans courage. Tu as l'audace de me proposer de me rendre, s

Starcky, op. cit., p. 61.

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alors que tu épuises tes efforts à m'assiéger dans ma ville que tu sais imprenable.»6 Sa proposition refusée, Aurélien s'applique alors à rendre le siège plus efficace. Avec l'or trouvé à Emèse, il gagne l'amitié et le concours d'un grand nombre de chefs nomades. La route des secours envoyés par les Perses est complètement coupée. L'armée romaine de siège reçoit désormais régulièrement les convois de vivres qui arrivent de Homs, et ses effectifs se trouvent grossis par les troupes qui, échelonnées entre Palmyre et Antioche, n'avaient plus à veiller à la sécurité des voies de communication. Par contre, les vivres s'épuisent dans la ville assiégée. b. Capture de Zénobie et reddition de Palmyre (272) Enfermée dans Palmyre, Zénobie, qui comptait sur la faim pour faire reculer l'adversaire, voit cette arme se retourner contre elle. Comprenant alors que toute résistance est désormais impossible sans une intervention effective du roi de Perse, elle décide d'aller elle-même marchander ce concours. Montant sur un dromadaire de course, elle gagne l'Euphrate en direction de Ctésiphon. Tandis qu'elle franchissait le fleuve dans une barque, des cavaliers romains, lancés à sa poursuite, l'atteignent et, s'emparant de sa personne, la ramènent au camp d'Aurélien. Lorsque les Palmyriens apprirent que leur reine était prisonnière, la ville se rendit et implora le pardon du vainqueur (272). Aurélien se montra magnanime. Faisant son entrée dans la capitale vaincue, il empêcha le pillage, mais s'empara des trésors de la ville. Usant de sa clémence coutumière, il laisse à Palmyre ses lois et ses franchises municipales. A Emèse, où il retourne ensuite en ramenant avec lui la reine prisonnière, il se contente de faire périr quelques-uns des conseillers de celle-ci, en particulier le philosophe Longin, considéré comme l'auteur de la fameuse lettre adressée par Zénobie à Aurélien. La prise de Palmyre et la captivité de Zénobie eurent des contrecoups immenses dans tout le Proche-Orient. Une crainte salutaire immobilisa tous les mouvements autonomistes. Le nom de Rome reprend son éclat d'autrefois; le roi des Perses abandonne Zénobie à son sort et sollicite l'amitié du vainqueur. Quelque temps après, Aurélien prend le chemin de Rome, emmenant Zénobie et quelques Palmyriens de marque. c. Nouvelle révolte de Palmyre (273) Tandis qu'il s'acheminait vers Rome, Aurélien, arrivé près du Danube, a des difficultés avec les Barbares Carpes qui cherchent à s'étendre vers le Sud. Profitant de cette tentative d'invasion dont ils se seraient exagéré 6

Cité par Champdor, op. cit., p. 193.

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l'importance, quelques Palmyriens, qui cherchent à se soulever, tentent de gagner à leur cause Marcellin, gouverneur romain de Mésopotamie. Dénoncés par ce dernier à l'empereur et effrayés des conséquences de leur acte, ils lèvent l'étendard de la révolte, sous la conduite d'un certain Apsée qui prend le titre de «prostatès» (chef). Achille ou Antiochus, parent de Zénobie, est proclamé empereur. Le premier acte d'Apsée fut de faire massacrer la petite garnison romaine et son commandant, laissés par Aurélien à Palmyre. d. Destruction de Palmyre (273) A la nouvelle de cette révolte, Aurélien revient comme la foudre. En un temps record, il traverse l'Asie Mineure et la Syrie, et surprend la ville révoltée avant qu'elle ait le temps de se mettre en état de défense. Pendant huit jours, Palmyre est livrée au pillage et les oasis qui l'environnent sont incendiées. Une partie de la population est massacrée et l'autre, réduite en esclavage. Les destructions sont si grandes que l'empereur, qui s'en émeut, essaie lui-même, mais vainement, de retenir ses légions en furie. Lorsqu'enfin il y parvint, il était déjà trop tard: Palmyre n'existait plus. Comme pris de remords, Aurélien, avant de quitter la ville détruite, ordonne d'employer l'or pris dans la cassette de Zénobie et les joyaux de la couronne à la restauration du temple de Zeus-Belos, assimilé par l'empereur au Soleil, dieu suprême de l'Empire rénové. e. Aurélien en Egypte (273) Quittant le site de Palmyre, Aurélien descend en Egypte où il réduit un usurpateur grec, ami de Zénobie, qui n'avait été que refoulé par Probus, en 271, et qui s'appuyait sur les débris de l'armée palmyrienne en Egypte. D'Alexandrie, l'empereur reprend le chemin de Rome. /. Triomphe d'Aurélien à Rome (274) Arrivé en 274 à Rome, Aurélien, acclamé comme un conquérant, reçoit les surnoms de Palmyrenicus, Arabicus, Persicus, Armeniacus. Dans le grand triomphe que l'empereur célèbre dans la capitale de l'Empire, Zénobie figure avec des chaînes d'or au cou et aux membres. «Dans le cortège, on admirait le char que la reine s'était fait construire en vue de son triomphe à Rome . . . Ce triomphe sur une femme aurait valu à Aurélien les remarques ironiques du sénat et du peuple.»7 A ces critiques déplacées, l'empereur devait répondre: «Ceux qui disent que je n'ai vaincu qu'une femme ne savent pas qui était cette femme, ni combien elle était 7

Starcky, op. cit., p. 64, 65.

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énergique dans ses décisions, persévérante dans ses desseins, ferme avec ses soldats.»8 g. Zénobie exilée à Rome Aurélien fixe Rome pour résidence à Zénobie; entourée des égards dus à son rang, elle reçoit une villa princière et une pension généreuse. «L'Histoire Auguste» rapporte qu'elle termina ses jours à Tivoli «comme une dame romaine». Quant à sa fin et à celle de son fils, «les uns disent qu'ils ont été tués par Aurélien, les autres qu'ils moururent de mort naturelle, et de fait, de nos jours (IVe siècle), on compte encore des descendants de Zénobie parmi les nobles romains».9

4. Zénobie et son œuvre L'échec de la tentative de Zénobie, qui rêva de fonder un grand empire oriental, ne diminue pas la grandeur de l'œuvre, ni celle de l'ouvrière. La reine de Palmyre est une grande souveraine, comparable aux grands monarques des temps anciens. A cheval sur le Désert et les terres cultivées, l'empire temporaire qu'elle a créé est un agglomérat de Sédentaires et de Nomades, de Sémites et d'Indo-Européens, d'Orientaux et d'Occidentaux. Sa cour foisonne d'esprits éminents, grecs, araméens, juifs, chrétiens. Parlant plusieurs langues et lisant Homère et Platon, elle rédigea elle-même une histoire abrégée de l'Egypte et de l'Asie, où elle établissait un rapport de parenté entre sa famille et la dynastie gréco-égyptienne des Ptolémées. Le philosophe Longin jouissait d'une grande autorité dans tout le bassin méditerranéen. Réfugié à la cour de Zénobie, conseiller de la reine, il dirigeait à Palmyre une école consacrée aux hautes spéculations philosophiques et littéraires. Paul de Samosate, évêque d'Antioche, est célèbre pour ses doctrines antitrinitaires. Ses partisans, les Pauliniens, seront encore assez nombreux à l'époque du concile de Nicée (325). Il cumulait, avec sa dignité d'évêque, la charge de percevoir les impôts, que lui a confiée Zénobie. a. Les Arabes de Palmyrène, avant-garde de ceux de l'Islam L'empire de Zénobie représente, à son époque, les aspirations nationales et les tendances séparatistes du vieil Orient sémitique, subjugué, depuis plus de six siècles, par l'Occident gréco-romain. Dans le centre de cet em8

Champdor, op. cit., p. 204 • Starcky, op. cit., p. 66.

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pire, en Palmyrène, de même que dans l'Est syro-palestinien et à l'Ouest de l'Euphrate, des éléments arabes préislamiques, successeurs des Nabatéens et contemporains des Arabes Ghassânides (sud de Damas) et Lakhmides (Hîra) que nous verrons bientôt, sont déjà infiltrés dans la façade orientale de la Syrie. Ces diverses tribus sœurs, venues du Sud arabique vers 200, dominent les Araméens et autres Sémites autochtones, depuis la Mer Rouge jusqu'à l'Euphrate. Elles forment une sixième vague arabique, une avant-garde des Arabes de l'Islâm qui déferleront, à leur tour, vers 632. «Il faut s'arrêter un instant sur cette étrange aventure d'un émirat palmyrénien détachant des Romains, sans lutte ni rupture, toutes leurs provinces asiatiques. En réalité, l'événement ne faisait que sanctionner les conséquences d'une révolution passée inaperçue: la mainmise de la race arabe sur une partie de l'Orient hellénistique. Il y avait là une lente et insensible prise de possession, analogue à la pénétration des Slaves dans les Balkans au Ville siècle... A chaque fois que la puissance grecque ou romaine faiblissait — à la chute des Séleucides, à l'époque de Zénobie — les progrès de la race arabe apparaissaient au grand jour. Cette conquête sans drapeau prépare et annonce de loin l'heure de l'Islam.»10 5. Palmyre après la chute de Zénobie

Comme tant de cités antiques anéanties par la guerre, Palmyre, après l'aventure malheureuse de Zénobie, a été effacée de la carte. A la suite de Mâri, de Thèbes, de Ninive, de Tyr, de Cartilage, de Jérusalem, elle disparaîtra définitivement de l'histoire, non seulement comme Etat, mais aussi comme cité importante. L'ancienne capitale temporaire de l'Orient, qui fit trembler, pendant un temps, Rome et la Perse, ne sera plus désormais qu'une bourgade, imbriquée dans le système défensif du limes romain. Réduites au rôle de zone militaire aux confins orientaux de l'Empire romain, Palmyre et les pistes qui y conduisent relèveront des seuls services de la défense de cet Empire. Sous Dioclétien (285—312), le site de Palmyre fera l'objet de travaux militaires. Vers 400, il sera le siège d'une légion romaine. Justinien (527—565) fera entourer la place de fortifications, la pourvoira d'eau et y installera une garnison, «pour lutter contre les incursions des Sarracènes» (Arabes). Mais ces travaux de défense ne sont pas réalisés dans le but de donner de la vie à une ville systématiquement condamnée et détruite. Les décombres et les ruines grandioses qui jonchent le vaste espace sur lequel elle s'élevait ne seront jamais relevés. Le sable du désert les recouvrira pro14

R. Grousset, L'Empire du Levant, p. 63.

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gressivement, ensevelissant, sous ses plis, le cadavre mutilé de l'ancienne métropole du Désert syrien. «Depuis longtemps», constate Procope qui vivait au Vie siècle, «la plus grande partie de la ville était devenue un désert.» Après le départ de la petite garnison romaine qui tenait les lieux, seuls viendront camper, sur les ruines éparses de Palmyre, redevenue Tadmor, les chameliers et les nomades de la localité. a. Causes de la disparition définitive de Palmyre

Palmyre aurait pu, grâce à sa situation géographique, se relever de ses ruines, panser ses blessures et, comme tant d'autres cités antiques détruites par la guerre, reprendre peu à peu son ancien rôle de grande cité marchande. Des tentatives dans ce sens semblent avoir été entreprises après la catastrophe. Des inscriptions, postérieures à 273, témoignent, en effet, de la part de la ville, d'une volonté de survie et de redressement. Mais le courant commercial qui avait créé la richesse et la puissance de Palmyre ne reprendra jamais plus son cours d'autrefois. Des conditions politiques supérieures ont commandé, depuis la révolte de Zénobie, une nouvelle orientation économique dans cette zone. La politique stratégique de Rome exige maintenant la suppression de Tadmor comme centre de transit international, et cette condamnation est irrévocable. Comme Thèbes, Ninive, Babylone, Mâri, Carthage, Tyr, la capitale de Zénobie ne renaîtra plus de ses cendres. D'autres centres la remplaceront et hériteront de son rôle commercial, comme l'avaient fait Alexandrie d'Egypte et Séleucie d'Antioche après la destruction de Tyr par Alexandre le Grand, en 332 av. J.-C. En se soulevant contre Rome, Zénobie avait peut-être oublié que la prospérité de sa capitale, condition de sa puissance, était due à des conditions économiques favorisées par les Romains eux-mêmes. Nous avons vu que, mécontente des rois nabatéens qui courtisaient les Parthes, Rome avait transformé la Nabatée en zone militaire (106) et déplacé, vers la cité-oasis de Tadmor, le trafic transdésertique qui aboutissait à Pétra (p. 113). En se révélant plus dangereuse que l'ancienne capitale de la Nabatée, Palmyre paya de son existence son ingratitude et son orgueil. Le trafic qu'elle avait, grâce à Rome, réussi à monopoliser, sera désormais canalisé, par ordre de Rome, vers d'autres centres plus dociles, qui avaient vainement jusqu'alors tenté de le lui enlever. «En 297, une convention passée entre l'empereur Dioclétien et le roi perse Narsès stipula que désormais tous les échanges commerciaux devaient se faire par Nissibin, à l'Ouest du Djebel Sindjar, et comme les Perses commandaient toujours les routes capitales de la Characène, le commerce du Golfe Persique devait donc emprunter cette voie: c'était

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le coup de grâce pour Palmyre.»11 A partir de cette époque, une nuit profonde couvrira, jusqu'aux temps modernes, le passé de Palmyre et le souvenir même de Zénobie.12

11

Champdor, op. cit., p. 217, 218. Aujourd'hui, grâce à la ligne qui traverse le site de Palmyre et amène le pétrole de l'Irak jusqu'à la Méditerranée, Tadmor-Palmyre est un gros bourg de cinq à six mille habitants. 12

VI. Désorganisation et dislocation de l'Empire romain. Civilisations de l'Orient romain et iranien La reconquête de l'Orient sur Zénobie et celle de la Gaule sur Tétricus rétablissent l'unité de l'Empire romain universel. Rome, fière et heureuse, couvre Aurélien de titres et d'honneurs. Le plus beau et le plus flatteur de ces titres est celui de Restitutor Orbis. Malheureusement, ce remembrement de l'Empire sera très éphémère. Dix ans environ après les victoires d'Aurélien, l'Empire romain universel, devenu ingouvernable, sera pratiquement partagé entre deux Augustes, dont les domaines territoriaux seront respectivement distincts. 1. Précarité de l'unité romaine restaurée a. Réformes politico-religieuses d'Aurélien En même temps que l'unité matérielle, Aurélien voulut donner, à l'Empire restauré, une unité morale capable d'en arrêter la décomposition et de le mettre à l'abri des séditions et des révoltes. L'empereur, représentant du dieu Soleil et dieu lui-même. — Pour rendre l'autorité impériale indiscutable, en la portant au-dessus de l'humanité, Aurélien institue officiellement le culte du Soleil. Cette divinité, qui incarne la puissance suprême, devient le maître souverain de l'Empire romain, et l'empereur, représentant du Soleil, s'intitule lui-même: dieu et maître par droit de naissance (deus, dominus natus). Cette nouvelle monarchie de droit divin, fondée sur une nouvelle religion officielle dont le culte était très répandu dans le monde, devait, dans la pensée d'Aurélien, rallier tous les sujets de l'Empire. Elle devait, d'autre part, relever l'autorité impériale par l'éclat de la pompe extérieure. Un grand temple, élevé à Rome au dieu Soleil, est servi par un collège de pontifes. Le culte du soleil ou mithràisme, religion officielle de l'Empire. — En proclamant officiellement le culte du Soleil, Aurélien instituait, comme religion d'Etat, un culte d'origine iranienne, le «mithraïsme latinisé». Le culte de Mithra, vieille divinité iranienne, dieu de lumière et Soleil de justice, s'était déjà, à la suite des campagnes orientales de Pompée, largement répandu dans l'Empire romain et jouissait, chez les soldats et dans le peuple, d'une énorme popularité. En passant par la Babylonie et l'Asie

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Mineure, le culte iranien de Mithra s'est mélangé d'éléments sémitiques, asiatiques et autres. «Le mithraïsme était un culte asiatique né d'une fusion du mazdéisme avec la théologie sémite et avec d'autres éléments empruntés aux religions de l'Asie Mineure. Comme presque toutes les religions asiatiques, celle-ci était absolutiste et monarchiste, puisqu'elle enseignait que les monarques régnent par la grâce divine, et reçoivent comme tels de Mithra les attributs de la divinité et lui deviennent consubstantiels. L'adoption du mithraïsme comme culte officiel était donc un acte de profonde politique: c'était un effort pour trouver dans l'absolutisme mystique un principe de légitimité qui remplaçât l'antique validation du Sénat, maintenant inefficace, et qui pût soustraire l'autorité impériale aux caprices des légions sans cesse révoltées . . . En fait Aurélien s'efforce de convertir l'empire gréco-romain en un empire asiatique.»1 L'âme de l'Orient vaincu envahit l'Occident vainqueur. Faillite de la réforme religieuse d'Aurélien. — La monarchie de droit divin et l'absolutisme oriental, inaugurés par Aurélien, sont des institutions étrangères à l'âme romaine et occidentale. Agréées en Orient, leur pays d'origine, elles sont incomprises à Rome, qui les accueille avec indifférence. Aussi, la réforme politico-religieuse d'Aurélien n'arrêtera-t-elle guère la dissolution de l'Empire. Le monothéisme solaire d'Aurélien, pas plus que, jadis, celui du pharaon Aménophis IV (II, p. 46—52), n'atteindra pas le but visé par son auteur. Non seulement Aurélien échoue dans sa réforme politico-religieuse, mais en outre, une réaction nationale, organisée par les partisans de la tradition romaine, trame un complot contre le souverain réformateur. En dépit de sa qualité sacro-sainte de représentant du dieu Soleil, Aurélien comme la plupart de ses prédécesseurs, périt vulgairement de mort violente (275). b. De la mort d'Aurélien à l'avènement de Dioclétien (275—285) De la mort d'Aurélien à l'avènement de Dioclétien, soit en l'espace de dix ans, six empereurs et un usurpateur sont successivement tués par les légions. Malgré cette cascade d'assassinats, l'unité de l'Empire est tant bien que mal conservée. Nommé par le Sénat dont il était le princeps, Tacite (275—276), successeur d'Aurélien, est un vieillard de 75 ans. Renonçant aux procédés autoritaires de ses prédécesseurs, il fait appel à l'étroite collaboration du Sénat. En 276, il défait les Goths qui avaient envahi l'Asie Mineure et pénétré 1

Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 83, 84, 85.

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en Cilicie. Mais au retour de cette expédition, il est tué par ses soldats. Florianus (276), frère de Tacite, succède à ce dernier. Mais l'armée d'Orient proclame son chef Probus. La rencontre entre les deux compétiteurs a lieu devant Tarse, en Cilicie. Florianus, comme son frère, est massacré par ses troupes, et Probus reste seul empereur. Probus (276—282) avait, sous Aurélien, reconquis l'Egypte sur les armées de Zénobie. Devenu chef de l'armée d'Orient, il s'était révélé un général capable en même temps qu'un politique prudent. En Occident, Probus, par une intervention énergique, repousse et détruit Francs et Alamans qui, ayant franchi le Rhin, ravageaient la Gaule. Prenant ensuite le chemin du Danube et de l'Orient, il bat les Burgondes, Vandales et autres hordes venues du fond de la Germanie, nettoie l'Illyrie des bandes pillardes qui l'infestaient, traverse l'Asie Mineure et met fin aux incursions des Blemmyes en Egypte. Saturninus, gouverneur de Syrie et vainqueur des Blemmyes, est proclamé empereur par une partie de la population d'Alexandrie. Mais, retournant en Syrie, l'usurpateur est assiégé dans Apamée, sur l'Oronte, et tué par ses partisans (280). Rentré à Rome en 281, Probus reprend en 282 la route de l'Orient, décidé à enlever aux Perses la Mésopotamie et l'Arménie. Tandis qu'il rassemblait son armée sur le Danube, Carus, préfet du prétoire à Rome et chargé de la défense de l'Occident, est proclamé empereur en Rétie et en Norique. En apprenant ces nouvelles, les soldats de Probus se soulèvent et mettent à mort leur empereur. Carus (282—283), dès son avènement, s'associe ses deux fils comme collègues. Laissant à l'aîné, Carin, le gouvernement de l'Occident et le soin de défendre la Gaule contre les Germains, Carus prend le chemin de l'Orient, avec son second fils Numérien. Reprenant à son compte les projets de son prédécesseur contre la Perse, l'empereur, arrivé en Orient, envahit la Mésopotamie, s'empare de Séleucie et s'avance jusqu'à Ctésiphon. Mais il meurt sur les bords du Tigre, probablement tué par ses soldats excédés par les difficultés de la guerre perse (283). Carin (283-284) et Numérien (283-285), fils et collègues de Carus, se proclament Augustes. Numérien, qui accompagnait son père en Orient, ordonne, sous la pression des Perses, la retraite de l'armée. Arrivé sur les rives du Bosphore, on le trouva mort, probablement assassiné par son beau-père, préfet du prétoire (284). Réagissant enfin contre cette anarchie militaire, quelques généraux, réunis en conseil de guerre, font périr l'assassin de Numérien et choisissent, comme empereur, Dioclétien, commandant de la garde prétorienne (284). Dioclétien (285—312) conclut la paix avec les Perses et regagne l'Europe pour marcher contre Carin, empereur en Occident. Dans la rencontre qui eut lieu en Mésie, Carin a le dessus; mais il est massacré par

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ses soldats, et Dioclétien, reconnu par les années d'Orient et d'Occident, est seul maître de l'Empire (285). Avec Dioclétien, qui partagera entre deux Augustes l'administration territoriale de l'Empire et qui fera de Nicomédie sa capitale, l'Empire romain universel et centralisé sera pratiquement partagé en deux blocs distincts. A partir de 285, en effet, l'Empire romain d'Orient, sous le couvert d'une unité fictive avec celui d'Occident, commencera effectivement et séparément son futur et long destin. 2. Civilisation de l'Orient romain (1er, Ile et IIle siècles) Sous la domination romaine, la civilisation de l'Orient méditerranéen est un produit composite, né du mélange de l'orientalisme, de l'hellénisme et du romanisme. C'est la continuation de la civilisation hellénistique ou gréco-orientale, accommodée aux conditions nouvelles apportées par les Romains ou Italiotes. La vie intellectuelle et artistique du monde grécooriental se ressent visiblement de cette nouvelle influence. a. L'apport romain La passion du réalisme, le culte de la grandeur, la largeur de conception, l'orgueil national, le souci de bâtir pour l'éternité, le sens aigu de la décoration, et surtout le génie de l'organisation, sont les dons suprêmes du peuple romain. Il y a lieu d'y ajouter l'art de gouverner, qui est une vocation des Romains. Après la conquête du monde, qui augmente les besoins et les moyens de ces derniers, les édifices deviennent plus vastes; l'orgueil national se gonfle; la grandeur se hisse au colossal, et le goût du décor, au faste et à la somptuosité. Devenu un instrument de puissance, l'art se met au service de la politique. Entré en contact avec la Grèce et l'Orient, Rome, à l'aurore de l'Empire, est déjà l'émule des brillantes cités hellénistiques de l'Orient: Antioche, Alexandrie, Pergame. Mais, habillé à la grecque, l'art romain tire de ses origines italiques le secret de sa puissante personnalité. b. Domaine culturel: prépondérance de l'hellénisme Doté de la culture hellénique et conservant la sienne propre, l'Orient opposera au romanisme un bloc résistant. Il finira même, au cours d'une évolution de trois ou quatre siècles, par imposer à l'Occident sa prépondérance intellectuelle et morale et ses conceptions religieuses et politiques. Parmi les causes qui se sont opposées à la diffusion de la civilisation romaine, la plus importante est le caractère aristocratique de cette civilisation, qui n'atteignit presque jamais les masses indigènes. L'Orient romain

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conservera donc la langue grecque et ses idiomes locaux: l'araméen en Syrie, le copte en Egypte. Mais le grec tenace devient la seconde langue officielle de l'Empire. Bien plus, sous la domination romaine, le domaine de l'hellénisme s'étend à tout le plateau anatolien. D'autre part, la Syrie et l'Egypte achèvent de prendre figure de pays grecs. Aussi, l'action romaine en Orient, vis-à-vis de l'hellénisme, est-elle de protection. «Héritier du passé hellénique, l'Empire romain, — fidèle à la politique de Pompée — s'en constitue le patron et le tuteur. Menacée par l'orientalisme iranien envahisseur, la civilisation hellénistique trouve dans cet appui la plus solide des sauvegardes et la plus efficace des garanties.»2 c. L'orientalisme dans le domaine artistique

Antioche, Alexandrie, Ephèse restent, ce qu'en a fait la conquête d'Alexandre, les creusets où viennent se fondre les éléments les plus disparates du monde oriental. «L'influence orientale, asiatique et égyptienne, avait toujours été très considérable en Syrie . . . Dès les deux premiers siècles de l'ère chrétienn e , . . . l'action de l'élément oriental (iranien) se traduit sur l'art romain par un certain nombre de traits précis. Les proportions deviennent énormes; c'est le triomphe du colossal. Les temples se dressent souvent sur de hautes terrasses, schéma familier aux civilisations traditionnelles de l'Asie; ils sont entourés de vastes parvis à colonnades — tels les temples de Jupiter, à Héliopolis (Baalbek), de Bel, à Palmyre, ou de Gérasa — et pourvus d'immenses annexes... Enfin, l'orientalisme se traduit encore en Syrie par un dernier caractère: la surcharge souvent maladive et la fantaisie exubérante de la décoration . . . Trait particulier à relever: contrairement aux traditions de l'art romain impérial, la sculpture ne tient dans la décoration qu'une place secondaire: c'est le cas, notamment, pour les statues de Baalbek ou de Palmyre . . . . . . D'autres monuments, épars à travers les provinces syriennes, attestent la vitalité et l'originalité d'un art où les influences romaine, hellénistique et orientale, se sont juxtaposées, mêlées et confondues; citons parmi les plus caractéristiques, l'Arc tétrapyle de Lattaquieh, les Théâtres de Gérasa, Amman et Shuhba, les Thermes de Serdjilla, dans la région du Nord, la Quaisarieh de Shaqqâ, sans doute la résidence d'un haut fonctionnaire impérial, la Basilique de Shaqqâ, et surtout le Prétoire de Mousmieh, l'ancienne Phaena . . . L'Arabie (ancienne Nabatée), au temps de son indépendance, avait conservé son caractère strictement sémitique. La conquête et l'annexion ro2

L. Homo, La civilisation romaine, p. 367.

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maine, sous Trajan, l'ouvrirent à la civilisation et à l'art romains... A Bostra, deux théâtres,... des temples, des palais, un arc de triomphe, des aqueducs; à Pétra, un théâtre, des temples,... des arcs de triomphe. L'architecture, dans l'ensemble, est romaine, mais comme en Syrie, de nombreuses particularités de construction ou de décoration trahissent l'influence orientale...; les tombeaux de Pétra, creusés dans le roc et précédés d'une façade monumentale,... suffiraient à en fournir la démonstration visuelle. En Egypte, à l'époque hellénistique, les deux éléments grec et indigène, bien que la prépondérance appartînt au premier, avaient vécu côte à côte. La situation reste la même sous la domination romaine, où l'empereur se considère comme le successeur direct des Ptolémées . . . Le rôle de métropole de la civilisation gréco-romaine, joué en Asie Mineure par Ephèse, en Syrie par Antioche, revient, en Egypte, à la capitale, Alexandrie, la seconde ville de l'Empire pour le chiffre de sa population. Les empereurs y élèvent de nombreux monuments, dont un seul, la colonne de Dioclétien, connue sous le nom de Colonne de Pompée, haute de 28m75,. . . subsiste encore au sommet de la colline du Serapeum. Dans le domaine de l'art industriel, Alexandrie conserve aussi la place prépondérante qu'elle s'était acquise à l'époque hellénistique;... les produits fabriqués d'Alexandrie, ces articles de Paris d'autrefois, faisaient prime jusqu'aux régions les plus lointaines du monde civilisé.»3 d. La crise du IHe siècle La terrible anarchie politique et militaire du IHe siècle, qui avait succédé à la «Paix romaine» des deux siècles précédents, avait provoqué dans l'Empire, et surtout en Occident, une crise économique et sociale sans précédent, en même temps qu'une crise de la civilisation. Crise de production, de transports, crise monétaire et de spéculation, paralysent la vie économique tout entière (p. 132, 147-149, 157-160). Décimée par la guerre civile, les invasions, la peste, la famine, l'insécurité générale et l'appauvrissement universel, la population de l'Empire romain, évaluée à cinquante millions d'âmes, diminue de plus en plus, provoquant une crise agricole et industrielle et accroissant l'appauvrissement général. Les terres abandonnées s'étendent; les petites villes et les campagnes se dépeuplent au profit des grandes cités, où le chômage règne. Les petites et les moyennes fortunes disparaissent, et l'intérêt de 12 pour 100 par mois devient normal. L'Etat devient la providence des masses; la fiscalité est écrasante, la monnaie falsifiée et les prix augmentent vertigineusement. La piraterie se réveille; le réseau des voies romaines est 3

L. Homo, La civilisation romaine, p. 379—390.

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déserté par le commerce et les ports maritimes sont paralysés. Les arts périclitent et la civilisation recule. «Fleur de luxe, née de la prospérité générale, la civilisation romaine est frappée en même temps et dans la même mesure que cette dernière. L'appauvrissement universel... la flétrit jusque dans ses racines . . . Les aristocraties décimées, dispersées ou ruinées, perdent leur valeur sociale antérieure... E n f i n , . . . la civilisation romaine est atteinte dans son idéal et dans son âme. La paix romaine, la plus ardente des religions, le moins indiscuté des dogmes qu'ait connus jamais l'humanité, s'évanouit comme un rêve au choc brutal de l'épreuve, au contact implacable des réalités . . . La renaissance du IVe et du Ve siècle pourra masquer le mal, partiellement même l'adoucir, mais le guérir, jamais. Il y a des passés que l'on ne saurait ressusciter; la civilisation romaine de l'âge d'or a été du nombre.»4 3. Civilisation de l'Orient iranien L'Empire sassânide, comme l'Empire parthe auquel il a succédé, comprend, on le sait, outre le plateau iranien qui forme son épine dorsale, la vieille Babylonie jusqu'à l'Euphrate. C'est dans cette contrée mésopotamienne, de race sémitique et de culture araméenne, que l'Empire perse, comme l'Empire parthe, avait ses plus considérables agglomérations urbaines, et jusqu'à sa grande capitale: Ctésiphon. En liaison linguistique et culturelle avec la Syrie sémito-hellénique, la Mésopotamie, qui s'était très tôt ouverte à la prédication du christianisme, comprenait de nombreuses communautés chrétiennes, juives et iraniennes, et se trouvait être, comme l'Iran qu'elle prolongeait vers l'Ouest, un carrefour d'idées iraniennes, sémitiques, chrétiennes, bouddhiques, etc. La Basse Mésopotamie était tellement intégrée au monde iranien ancien, qui l'a dominée pendant plusieurs siècles, que, lorsque plus tard les Arabes Abbâssides, appuyés sur les Iraniens, se substitueront aux Arabes Umayyades de Damas, c'est à Bagdâd, sur le Tigre, à proximité de l'ancienne Ctésiphon, qu'ils fixeront la capitale de leur empire arabo-iranien. Sans cette association irano-abbâsside, la capitale du nouvel Empire arabomésopotamien eût certainement été mieux placée, non sur le Tigre, mais sur l'Euphrate, près de l'ancienne Babylone, aux portes du plateau arabique où les Arabes puisaient leurs forces et leurs renforts. a. La monarchie iranienne, formation féodale L'Empire parthe était une monarchie féodale, où une multitude de petits rois ou princes, dont plusieurs frappaient monnaie, gouvernaient leurs fiefs 4

L. Homo, La civilisation romaine, p. 397—398.

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respectifs sous la suzeraineté du Grand Roi et le contrôle du satrape, sorte de vice-roi héréditaire. Cette organisation, héritée des Séleucides et des Achéménides, a été transmise aux Sassânides. b. Organisation sociale et administrative La structure sociale forme toujours une pyramide dont le Grand Roi, chef de la nation, occupe le sommet. Quatre classes, fermées les unes aux autres, forment une gradation descendante, à partir du sommet. La première classe se compose des grands vassaux, grands et petits princes féodaux presqu'autonomes, mais attachés au souverain par la reconnaissance de sa suzeraineté. Leur nombre a toutefois diminué depuis l'avènement de la dynastie sassânide. La seconde classe comprend les chefs des sept grandes familles qui se sont perpétuées depuis les Achéménides. La lutte de cette vieille aristocratie contre le trône, pour la défense de ses privilèges séculaires, sera une des causes de la faiblesse de la monarchie sassânide. La troisième classe est celle des grands dignitaires de la monarchie: ministres, officiers royaux, etc. Enfin, la quatrième classe, formée d'hommes libres, est constituée par la noblesse terrienne, responsable, vis-à-vis de l'Etat, de la perception des impôts à prélever sur les paysans. Ces derniers, qui forment la grande masse de la population, sont libres, en principe, mais, en fait, ils sont réduits à l'état de serfs et vendus avec les terres. A la tête de l'administration, un premier ministre exerce un pouvoir absolu sur tous les services de l'Etat, sous le contrôle du souverain qu'il remplace pendant son absence. Il commande parfois les armées en campagne. Le pays est divisé en provinces ou satrapies, gouvernées par des membres de la famille royale ou des sept grandes familles; les satrapies étaient divisées et subdivisées en circonscriptions dirigées par de petits seigneurs. c. Armée et justice Le commandement de l'armée est une charge héréditaire détenue par un membre de la famille royale. L'armée sassânide se basait, comme sous les Parthes, sur la cavalerie cuirassée et sur les éléphants, ce qui lui donnait un avantage sur les légions romaines, essentiellement constituées par de l'infanterie. «Dans l'ensemble, on considère que la science militaire de l'Iran à cette époque ne le cédait en rien à celle des Romains.»5 Le roi est le juge suprême. En général, la charge de rendre la justice est confiée au clergé, «le droit et les principes de la morale étant étroitement liés à la religion». Comme tous les peuples orientaux, «le peuple iranien 6

Ghirshman, op. cit., p. 282.

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avait toujours été épris du droit et de la justice, et un bon juge jouissait d'une grande considération».6 Le gros des revenus de l'Etat était fourni par les impôts perçus sur les terres. En dehors des impôts et des taxes, d'autres ressources provenaient des propriétés de la couronne, de l'exploitation des mines, des douanes et enfin du butin des guerres. «Généralement, la tendance était la même que sous les Achéménides, c'est-à-dire à thésauriser. C'est ainsi que tombèrent entre les mains des Arabes, lors de leur conquête, des trésors royaux qui hantèrent longtemps l'imagination des historiens.»7 d.

L'art

iranien

«En ce qui concerne la civilisation matérielle, les arts plastiques, la Perse est surtout tributaire de la Mésopotamie . . . Babylone a créé l'art oriental. Mais la Perse a emprunté de toutes parts . . . Le colossal et le chatoyant, le faste et l'éclat caractérisent tout l'art de l'Orient. Néanmoins, dans cet art, la Perse a des traits distinctifs. Elle aime le gigantesque, mais elle l'allège... L'art de la Perse est oriental et il est aryen: comme celui de la Grèce,... il manifeste, jusqu'à un certain point, le sentiment de la mesure et le goût de l'ordre. Sa séduction agira sur les Arabes et, par les Arabes, sur l'art occidental du Moyen-Age.»8 e.

Religions

iraniennes

Comme les Achéménides, les Parthes, qui avaient, eux aussi, leur religion dynastique, ne semblent pas avoir imposé à leur Empire une religion officielle. Comme les autres cultes nationaux, le zoroastrisme est simplement favorisé et protégé. «La triade Ahuramazda—Mithra—Anahita, adorée sous les Achéménides, semble avoir gardé sous les Parthes les faveurs de la religion populaire, et probablement aussi officielle.»9 Cependant, le culte d'Anahita, auquel était lié le culte du feu, devint prépondérant sous les Parthes et se propagea en Arménie et en Asie Mineure, où il jouit du plus grand succès. Le culte de Mithra, dieu de lumière et Soleil de justice, qui se répandit à la suite des armées romaines, atteignit l'Afrique du Nord et l'Europe, jusqu'aux régions du Danube et du Rhin. Nous avons vu que le mithraïsme latinisé, qui fut un rival redoutable pour le christianisme, faillit devenir, sous Aurélien, la religion officielle de l'Empire romain (p. 187—188).

6

Ghirshman, op. cit., Ghirshman, op. cit., 8 Huart et Delaporte, • Ghirshman, op. cit., 7

p. p. op. p.

280. 281. cit., «Avant-Propos», p. X I et XII. 240.

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/. Le zoroastrisme, religion officielle de l'Empire sassânide Dès l'avènement des Perses Sassânides, la religion zoroastrienne, dont le foyer, la région du Fars, est le berceau de la nouvelle dynastie, est élevée au rang de religion officielle de la monarchie. Le zoroastrisme, on l'a vu (II, p. 277—283), présente «un culte épuré, dégagé des sacrifices sanglants». Cette religion de qualité supérieure est, selon Renan, «la moins païenne du monde païen».10 Pour la première fois, semble-t-il, l'Iran a une religion d'Etat, qui n'est pas la religion dynastique. Cette innovation coïncide, en Iran, avec la naissance d'un esprit nouveau. A l'opposé des Parthes et des Achéménides, essentiellement tolérants et ouverts au monde extérieur, les Sassânides, nationalistes, exclusivistes et xénophobes, fondent un Etat national appuyé sur une religion nationale et inaugurent une politique exclusiviste. Vaincus et détruits par l'invasion d'Alexandre le Grand, les Perses, qui, depuis cette lointaine époque, végétaient sous la domination des Grecs, puis des Parthes, cherchent, sous les Sassânides, à reprendre la place qu'ils occupaient au temps des Achéménides, et à venger les défaites et les humiliations infligées à leur race. C'est sur le zoroastrisme, religion iranienne, qu'ils établiront leur réaction nationale et leur volonté de redressement. Rappelons que Sassân, le fondateur de la dynastie, était, jusqu'à son avènement, un prêtre du temple d'Anahita (p. 150). g. Le manichéisme ou religion de Mani En 240, on l'a vu, une nouvelle religion iranienne, protégée par Shahpur I, est prêchée en public par Mani ou Manès (215—276), qui se dit envoyé de Dieu, comme Zoroastre, Bouddha et Jésus, et dont les idées sont puisées dans le zoroastrisme, le christianisme et le bouddhisme (p. 155—156). Religion universelle, le manichéisme s'ouvre aux hommes de toutes races et de toutes conditions. Rejetant le judaïsme et l'Ancien Testament, le manichéisme emprunte ses hymnes à la Babylonie, ses idées à Zoroastre, la trinité au christianisme, la métempsychose au bouddhisme. Dédoublant tous les éléments, Mani trouvait chez eux deux natures, une bonne et une mauvaise; il rejetait tout l'Ancien Testament, mais admettait les Evangiles et les Epîtres de saint Paul. «A la base de cette religion se trouve l'opposition qui existe entre la lumière et les ténèbres, donc entre le bien et le mal. De ces deux éléments toujours à l'état d'antagonisme, est formé le monde. Chez l'homme, l'âme étant lumière et le corps ténèbres, toute la morale manichéenne gravite autour de l'affranchissement de l'âme du corps. Quand toutes les âmes, quand toute la lumière, détenues prisonnières de la matière, seront libé10

Huart et Delaporte, op. cit., «Avant-Propos», p. XIV.

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rées et monteront au soleil, le ciel et la terre s'écouleront et se sépareront, tandis que le royaume de la lumière durera éternellement. En pratique, les fidèles sont divisés en élus et en auditeurs. Les premiers forment le clergé, sont astreints au célibat, ne mangent pas de viande, doivent éviter la cupidité et le mensonge. Les auditeurs ont le droit de se marier, peuvent travailler comme les autres hommes, doivent conserver leur pureté et éviter de rechercher la richesse. La nouvelle religion ne connaît ni sacrifices, ni images, mais impose des prières et des jeûnes; les manichéens pratiquent le baptême, la communion et reçoivent l'absolution ou rémission des péchés avant la mort.»11 h. Le manichéisme étouffé en Iran Gravement menacés par le manichéisme, les autres cultes iraniens, et particulièrement le clergé zoroastrien, se coalisent dans une réaction violente. Peu de temps après la mort de Shahpur I, Mani est arrêté, jugé et supplicié (276), et sa doctrine, sévèrement persécutée, est étouffée en Iran (p. 156-157). /. Expansion du manichéisme hors d'Iran Persécuté en Iran, le manichéisme se répand à travers le monde (p. 156). Les écrits de Mani se propagent en Babylonie et gagnent la Syrie, la Palestine, et le Nord de l'Arabie (Nabâtée). De là, le manichéisme pénètre en Egypte, où il se répand surtout parmi les moines. D'Egypte, la littérature manichéenne passe en Afrique du Nord, à Carthage, où elle obtient un moment l'adhésion de saint Augustin. En Espagne, en Gaule, en Italie, les manichéens étaient nombreux à la fin du IVe siècle. A Rome, les témoignages de leur présence et de leur activité sont attestés de 372 à 523. En Asie Mineure et à Byzance, leur doctrine a de nombreux adeptes. Enfin, en Babylonie, son pays d'origine, le manichéisme conservera longtemps des partisans. Les auteurs arabes, qui les connaîtront sous le règne des premiers Califes de Bagdad, les appellent Zanadiq (athées). Dans le Turkestan, les convertis sont restés fidèles au manichéisme; les trouvailles de l'Asie centrale ont donné des textes en langue turque, relevant des doctrines bouddhique et manichéenne. En Extrême-Orient, les Turcs Ouighours de Haute Mongolie se convertiront au manichéisme, au Ville siècle. j. La Mésopotamie sémitique, berceau du manichéisme Si le manichéisme a échoué en Iran, c'est probablement parce qu'en 11

Ghirshman, op. cit., p. 284.

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réalité il n'était pas spécifiquement iranien. En effet, bien que de famille iranienne, Mani est né dans un milieu sémitique, en Babylonie perse. Il se servait, pour tous ses écrits, de la langue syriaque (araméenne) et inventa une écriture dérivée d'un alphabet araméen. Le seul livre qu'il rédigea en pehlevi (perse) est celui qu'il dédia à son protecteur Shahpur I. Mani était donc plus mésopotamien qu'iranien, et la Babylonie, pays de transition entre l'Orient romain et l'Orient perse, produisait, à cette époque, des réformateurs religieux appartenant à toutes les tendances. «La Babylonie était la terre d'élection de ces novateurs; la population y était fort mélangée, pratiquait un large syncrétisme.. . C'est justement sur les rives du bas Euphrate qu'étaient établis à demeure les Çabiens ou chrétiens de saint Jean-Baptiste, que les Arabes appellent Moughtasila, «partisans des ablutions», parce qu'ils se lavaient constamment dans le fleuve . . . A l'époque qui nous occupe, on rencontrait en ces régions des sectes gnostiques variées, dont les écrivains ecclésiastiques nous ont entretenus, les Caïnites, les Nicolaïtes, les Séthiens.»12 k. L'Iran, centre d'échange et de mélanges spirituels

«Mais le rôle des Perses dans l'histoire de la pensée humaine n'a pas consisté seulement à répandre des croyances originales... Ils ont largement contribué au mouvement syncrétique qui a préparé l'avènement des religions universalistes. Dès l'époque achéménide, ce mouvement «commence à se développer avec ampleur. De l'Orient à l'Occident de l'empire, c'est le mélange des cultes et l'alliance des dieux». Il s'accentue sous les Sassanides: «Placé au centre des trois grands empires du temps, Byzance, la Chine et l'Inde, l'empire sassanide sera pendant quatre siècles le point d'échange de l'esprit humain.» Du Mazdéisme se détacheront le culte de Mithra et la doctrine de Mani, avec lesquels se propagera aussi et se contaminera la pensée iranienne.»13

12 19

Huart et Delaporte, op. cit., p. 416, 417. Huart et Delaporte, op. cit., «Avant-Propos», p. XVI.

Onzième période: 285 — 640

Invasions barbares en Occident: Goths, Germains. Dislocation de l'Empire romain universel. L'Orient byzantin et l'Orient iranien

Après environ quatre siècles d'éclipsé, le monde gréco-égéen rentre de nouveau en scène et reprend le premier rang dans le monde proche-oriental. La crise du Œ e siècle et les invasions barbares, en ruinant l'Occident, ont désorganisé et disloqué l'Empire romain universel et déplacé, vers les Détroits, son centre de gravité économique, administratif et politique. Le transfert de sa capitale à Nicomédie d'abord, puis à Byzance-Constantinople, transformera la physionomie ethnico-linguistique du vieil Empire romain, qui deviendra un Empire gréco-oriental. Successeur de l'Empire des Césars de Rome et des monarchies hellénistiques de Grèce, d'Asie et d'Egypte, ce nouvel Etat gréco-oriental et maritime, qui sera l'Empire byzantin, poursuivra la politique traditionnelle de ses devanciers: hégémonie en ProcheOrient et rivalité avec l'Iran continental.

A L'Empire romain d'Orient ou Bas-Empire (285—395), ébauche de l'Empire gréco-byzantin

I. La tétrarchie de Dioclétien (285—306)

1. L'Empire romain vers la fin du lile siècle a. Décadence de l'Occident et effondrement du romanisme Considérée sur le plan géographique, l'histoire générale de l'Empire romain universel est celle de l'union et de l'évolution de l'Orient et de l'Occident méditerranéens, pendant plusieurs siècles, sous une même autorité centrale. Durant les quatre premiers siècles de l'histoire de ce vaste Empire (1er s. av. J.-C. — lile s. ap. J.-C.), Rome, centre géographique de l'Univers romain, en est aussi le centre administratif et politique. A mesure que l'Occident s'appauvrit et se désorganise, la prééminence politique et militaire de Rome diminue. Incapables de repouser les Barbares qui franchissent de plus en plus les frontières de l'Occident et ruinent cette partie de l'Empire, Rome et l'Italie, dont les classes dirigeantes ont vieilli et dégénéré, deviennent des contrées excentriques et des centres politiques vulnérables. Dès le début du lile siècle, on l'a vu, l'Empire romain universel ne formait plus qu'un cadre administratif sans âme, soutenu par des armées qui, formées en grande partie par des provinciaux et des barbares, n'ont plus de romain que le nom. Les dirigeants de l'Etat, empereurs ou généraux presque tous provinciaux, sont, en général, des hommes éminents; mais ils n'ont pas les troupes qu'il méritent. Et pourtant, ce sont ces troupes provinciales et mal recrutées qui, dès la fin du Ile siècle, se sont substituées au Sénat et à la garde prétorienne pour faire et défaire les empereurs (p. 132-134). Au cours du lile siècle, les guerres continuelles, les invasions, l'insécurité, les épidémies, avaient appauvri et raréfié la population de l'Empire, et particulièrement celle de l'Occident. Avec l'aristocratie et les classes moyennes, s'effondraient l'hellénisme et le romanisme, ces deux piliers qui avaient soutenu la civilisation gréco-romaine. Le paganisme grécoromain, qui avait été, pendant des siècles, la base de l'Etat et de l'ordre social, est agonisant. Les cultes orientaux, et particulièrement le christianisme, pénètrent et progressent jusque dans Rome (p. 147—149, 157— 160, 188-190, 192-193). Vers la fin du lile siècle, le colosse romain est sur le point de s'effondrer. La décomposition l'envahit et la désagrégation le menace.

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ONZIÈME PÉRIODE:

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b. Invasions des Barbares

A ces causes internes qui minent l'Empire s'ajoute encore un danger extérieur qui devenait chaque jour plus menaçant. Depuis quelque temps déjà, on l'a vu, les Barbares du Nord franchissent en masse les frontières occidentales. En 268, une formidable invasion de Goths est repoussée; en 271, une vague d'envahisseurs germaniques inonde l'Italie du Nord et s'avance victorieusement jusqu'à Milan. Dans le même temps, Vandales et Sarmates traversent le Danube et entrent en Pannonie où leur élan est brisé. Entre 271 et 273, la guerre contre Palmyre retient les efforts des armées de l'Empire. En 275, la Dacie transdanubienne, exposé aux assauts des Barbares, est évacuée. Pour protéger Rome contre les coups de surprise, une vaste enceinte fortifiée est construite (p. 176—178). «La mort d'Aurélien avait donné le signal d'une invasion plus terrible encore que toutes les précédentes. Francs et Alamans franchirent le Rhin (276) et se répandirent à travers les provinces gauloises sans rencontrer nulle part de résistance sérieuse (p. 189). Soixante ou soixante-dix villes furent saccagées. Il n'est aucune région de la France actuelle où l'exploration archéologique et les trouvailles monétaires n'aient permis de constater l'importance des dévastations.»1 En Orient, où les Parthes, puis les Perses, ont périodiquement saigné l'Empire, Rome surveille anxieusement ces ennemis séculaires, qui fourbissent maintenant leurs armes et se préparent à de nouvelles agressions contre le domaine romain. c. Division de l'histoire de l'Empire romain d'Orient

L'histoire de l'Empire romain d'Orient, dont la durée s'étend de l'avènement de Dioclétien à la prise de Constantinople par les Turcs (285—1453), peut être divisée en trois grandes périodes, correspondant à trois grandes transformations. Pendant la première période, qui, illustrée par les règnes de Dioclétien et de Constantin, va de 285 à 395, l'Empire romain universel transporte, dans le monde égéen, à Nicomédie d'abord, puis à Byzance-Constantinople, son centre administratif et politique. C'est pendant cette période d'un siècle environ, que l'Empire romain d'Orient s'élabore et donne naissance à l'Empire gréco-romain d'Orient ou byzantin. Pendant la seconde période (395—640), qui va du partage définitif de l'Empire romain universel à l'expansion de l'Islâm, l'Empire gréco-romain d'Orient ou byzantin, qui se forme avec ses traits particuliers, est un Etat gréco-oriental, centré sur l'Egée et axé sur l'Orient asiatique et méditerranéen où sont ses forces vives. 1

Besnier, op. cit., p. 271.

L'EMPIRE ROMAIN D'ORIENT OU BAS-EMPIRE

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Pendant la troisième période (640—1453), l'Empire gréco-oriental ou byzantin subit sa dernière et décisive transformation. Perdant ses plus riches provinces (Syrie et Egypte), il devient géographiquement, ethniquement et économiquement, jusqu'à sa disparition, un Etat égéen, ou, si l'on veut, gréco-asiatique. C'est l'Empire byzantin proprement dit, Etat proprement hellénique, axé sur la Grèce et l'Asie Mineure. C'est sous cette forme réduite, mais plus homogène et plus proportionnée à ses forces réelles, qu'il survivra jusqu'au XVe siècle.

2. Réformes politiques de Dioctétien a. L'empereur Dioclétien (285—304) La tentative d'Aurélien de convertir l'Empire romain en une monarchie orientale avait échoué. Celle de Probus, qui s'efforça de gouverner l'Etat avec l'appui du Sénat, ne réussit pas mieux. Les empereurs les plus capables s'étaient usés à lutter contre une fatalité inexorable et l'Empire tournait dans le même cercle (p. 187—190). Seule une réforme radicale, indiquée par la géographie, pouvait maintenant enrayer le mal et proroger une échéance fatale qui s'annonçait imminente. Cette réforme révolutionnaire, qui morcellera l'Empire romain universel et transférera, en Orient, son centre politique, sera tentée par un grand empereur, Illyrien et militaire comme ses prédécesseurs, Dioclétien (285-304). Ancien chef des gardes du corps du précédent empereur, Dioclétien est un Dalmate, originaire des provinces danubiennes. «A la différence des autres empereurs illyriens, il fut moins un homme d'épée qu'un homme de gouvernement. Sa qualité la plus certaine n'était pas la vaillance du soldat ou le coup d'oeil du général, mais l'intelligence du politique.»2 Pendant les vingt années que durera son règne, il réalisera les grandes réformes politiques et administratives qu'exigeait l'état de l'Empire malade. b. Régime politique dyarchique ou dualiste (286) L'Orient et l'Occident, deux Empires unis. — La première réforme de Dioclétien divise l'Empire en ses deux parties naturelles, qui se sont toujours jalousées et opposées, l'Orient gréco-oriental et l'Occident latinisé. Ces deux grands secteurs formeront en quelque sorte deux Etats ou Empires unis et associés. Dioclétien se rend compte que, dans l'Univers romain de son époque, l'Orient occupe la première place et que, par suite, le centre politique de 1

Besnier, op. cit., p. 282.

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l'Empire doit se déplacer vers les provinces orientales. Mais le prestige de Rome et de son nom empêchera les dirigeants d'opérer brutalement ce transfert. L'Empire romain, Etat dualiste et bicéphale. — Le problème délicat du transfert de la capitale est ingénieusement tourné, grâce à une solution originale et hybride qui sera d'ailleurs temporaire: l'Empire romain universel sera un Etat dualiste et bicéphale, formé de deux Etats unis, l'Occident et l'Orient, et gouverné par deux Augustes associés, mais résidant chacun dans une capitale distincte: Milan en Italie, pour l'Occident, et Nicomédie sur la Mer de Marmara, pour l'Orient. Les deux Augustes et leurs territoires respectifs. — Dès 276, Dioclétien s'adjoint, comme associé et collègue, avec le titre d'Auguste, un Illyrien de ses amis, Maximien (276—305). De mœurs rudes et d'esprit inculte, connu pour sa bravoure et ses capacités militaires, Maximien reçoit le gouvernement de l'Occident, gravement menacé par les invasions barbares. Dioclétien garde l'Orient. Nicomédie, capitale de l'Empire d'Orient. — Jusqu'à la conquête romaine, la Babylonie, la Syrie-Nord ou le Delta égyptien, avaient formé, suivant les époques, le centre de gravité du Proche-Orient. Avant Alexandre le Grand, c'était Babylone. Le Conquérant macédonien hésita un moment entre Babylone et Alexandrie. Sous les successeurs d'Alexandre et sous la domination romaine, ce furent Antioche et Alexandrie. Avec Dioclétien, les rives des Détroits l'emportent. Cette préférence est maintenant commandée par le fait que les Détroits forment le point central entre le Rhin et l'Euphrate et contrôlent les régions du Danube et de la Mer Noire, dont l'activité économique et l'expansion démographique se sont, entretemps, considérablement développées. Prépondérance effective de l'Auguste d'Orient. — Bien qu'ils résident, l'un à Nicomédie (Asie Mineure) et l'autre à Milan (Italie), les deux Augustes ont, du moins en théorie, un pouvoir égal sur toute l'étendue du territoire de l'Empire. En règle générale, chacun d'eux devait se tenir sur son domaine géographique propre; mais en cas de nécessité, la ligne de démarcation qui sépare les deux domaines pouvait être franchie par l'un ou l'autre. En principe et en droit, l'Empire n'était pas divisé; les rapports des deux Augustes sont ordonnés dans une «hiérarchie savamment graduée» qui sauvegardait l'unité de direction. «L'indivision de l'Empire était affirmée par leur double effigie sur les monnaies, par leur double signature au bas des actes publics... L'unité de direction était sauvegardée par la prééminence reconnue au plus âgé, à VAuguste senior, c'est-à-dire à Dioclétien. Il avait de plus l'initiative pour les lois proprement dites. Sa suprématie s'exprimait par le surnom de Jovius, fils de Jupiter, qu'il avait pris pour lui, tandis qu'il donnait à Maxi-

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mien celui d'Herculus, fils d'Hercule.»3 «La dyarchie restait, en droit comme en fait, une monarchie.»4 Le partage de l'autorité suprême entre deux chefs d'Etat n'était pas une nouveauté chez les Romains. Sans remonter à la période républicaine, où deux consuls avaient été, pendant longtemps, à la tête de l'Etat romain, le pouvoir impérial lui-même fut souvent partagé entre deux chefs suprêmes, régnant conjointement (p. 138). Mais avec Dioclétien, qui s'est inspiré de ces précédents, la division géographique de l'Empire, dont on avait pressenti depuis longtemps la nécessité, est devenue un fait presqu'officiel. L'Orient et l'Occident, effectivement séparés, prendront désormais conscience de leur personnalité respective, et évolueront, chacun, autour de sa propre capitale. c. La dyarchie transformée en tétrarchie (293) Deux Augustes et deux Césars. — Le régime dyarchique ou dualiste donna, au début, d'heureux résultats. Tandis que Dioclétien, en Orient, ramenait l'Arménie sous l'influence romaine, Maximien, en Occident, repoussait sur le Rhin une nouvelle invasion germanique. D'autre part, Maximien, auxiliaire précieux et docile, s'inclinait sans réserve devant le génie supérieur de son aîné. Aussi, lorsque, quelques années plus tard, de nouvelles révoltes et de nouvelles migrations montrèrent aux deux Augustes débordés qu'ils ne suffisaient pas à la besogne, Dioclétien élargit-il son système en nommant deux autres collaborateurs officiels, d'un rang inférieur, intitulés Césars. Ces deux empereurs en sous-ordre, dépendant chacun de l'un des deux Augustes et préposés à une portion des territoires administrés par ces derniers, sont autorisés à battre monnaie et à revêtir la pourpre. Mais ils ne faisaient la guerre que sous les auspices de leur chef et ne remportaient de victoire qu'en son nom. En 293, deux chefs militaires éprouvés, Constance Chlore et Galère, nommés Césars, relèvent, le premier, de Maximien, et le second, de Dioclétien. La question successorale. — Par la création de deux Césars, la question de la succession impériale, source de tant de désordres, se trouvait en même temps résolue. Le titre de César était, sous le Haut-Empire, celui du successeur désigné de l'Auguste régnant. Les deux Césars, adoptés par leurs Augustes, reçoivent leur nom et épousent leurs filles. A la mort d'un des deux Augustes, son César lui succède et nommera, à son tour, un autre César. Le principe de la succession à l'Empire reste donc toujours celui de l'adoption. Domaines territoriaux des quatre tétrarques. — En répartissant sur deux têtes d'abord, puis sur quatre, le fardeau du pouvoir, Dioclétien croyait, 3 4

G. Bloch, L'Empire romain, Besnier, op cit., p. 285.

p. 195.

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par ce moyen, décongestionner l'administration centrale, rendre plus efficace la lutte contre les envahisseurs, prévenir les usurpations et empêcher que le pouvoir fût jamais vacant. La répartition des provinces avait aussi un but anologue. Dioclétien et Maximien, tout en demeurant les maîtres dans toute l'étendue de leur gouvernement, cèdent à leurs collègues respectifs une portion de leur territoire. Dioclétien, qui a l'Orient, se réserve les parties les plus riches, c'està-dire l'Asie Mineure, la Syrie et l'Egypte, et laisse à Galère l'administration de la péninsule balkanique, avec, comme capitale, Sirmium, en Macédoine. Maximien, qui gouverne directement l'Italie, l'Espagne et l'Afrique, laisse à Constance la Gaule et la Bretagne, avec, pour résidence, Trêves, en Gaule. Par ces divisions territoriales, comme par les réformes politiques, Dioclétien n'entendait guère porter atteinte à l'unité politique de l'Empire, ni rompre avec les traditions romaines. Les quatre chefs de l'Etat forment, en théorie, un conseil collégial, dont Dioclétien est, en quelque sorte, le président. Comme la dyarchie, la tétrarchie de Dioclétien reste donc, en principe, une monarchie. «En réalité, ce que les empereurs se partagèrent tout d'abord, ce furent plutôt les théâtres d'opérations et les armées que les provinces . . . A la longue cependant, par la force des choses, la division en quatre domaines distincts finit par s'effectuer. Mais chacun des empereurs était reconnu partout... Le premier des Augustes se réservait un droit de regard et de contrôle.»5 Quatre capitales remplacent Rome. — Chacun des quatre tétrarques aura sa capitale: Nicomédie et Sirmium, pour l'Orient, Milan et Trêves, pour l'Occident. Devenu chef-lieu de province, Rome est soumise à l'autorité d'un préfet de police. Ainsi, après avoir détrôné Antioche, Alexandrie et tant d'autres métropoles, l'ancienne reine de l'univers est détrônée à son tour. Prépondérance de la bureaucratie. — Dioclétien est le fondateur de la monarchie administrative et hiérarchisée du Bas-Empire. L'organisation administrative et bureaucratique, instituée par lui, absorbe la personnalité de l'empereur, si prépondérante aux premiers siècles de l'Empire. Le conseil secret du prince, les grands départements ministériels, avec leurs bureaux et leur personnel hiérarchisé, deviennent les vrais maîtres de l'Etat. La cour, avec ses offices, l'entourage personnel de l'empereur, particulièrement les femmes et les prêtres, auront une grande influence. Ce nouveau régime politique représente, en réalité, un compromis entre l'organisation de la monarchie asiatique des Perses et les usages de l'empereur romain, chef militaire. 5

Besnier, op. cit., p. 292.

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Le Bas-Empire romain, monarchie orientale. — Ainsi, après le régime du Principat civil, fondé par Auguste, et celui du Dominât ou monarchie militaire des empereurs provinciaux, l'Empire romain universel, à partir de Dioclétien, inaugure une troisième période de son histoire, communément appelée le Bas-Empire, pendant laquelle le pouvoir impérial, axé sur le monde gréco-asiatique, est caractérisé par une évolution très rapide vers la monarchie orientale. Cette nouvelle période (285—395) connaît d'abord, avec Dioclétien (285 —304), une fédération d'Etats dont le chef suprême réside en Orient (Nicomédie), puis, avec Constantin (323—337), la restauration de l'unité politique et territoriale, le maintien définitif du centre de l'Empire dans sa partie orientale (Byzance-Constantinople) et l'établissement de la monarchie héréditaire. C'est pendant cette période d'un siècle environ que s'élabore le futur Empire gréco-romain d'Orient ou byzantin, successeur direct de celui de Dioclétien et de Constantin. «L'œuvre de Dioclétien, complétée par ses successeurs, n'est donc pas une révolution mais un aboutissement et une consécration. Le nom de bas empire doit être pris simplement au sens chronologique.»6 3. Réforme religieuse de Dioclétien Le mal dont se mourait l'Empire romain universel était trop profond pour qu'une simple réforme politique et administrative, destinée à décongestionner le pouvoir central, pût lui redonner la vie et la santé. Au contraire, ce remède, à lui seul, aurait même pu aggraver l'anarchie, en poussant chacun des quatre empereurs à se rendre indépendant. «Mais Dioclétien compléta ce partage de l'Empire par une réforme organique et profonde de toute l'institution suprême . . . S'engageant résolument dans la voie sur laquelle Aurélien avait fait les premiers pas un peu timidement, Dioclétien fixa officiellement le principe de la divinité des empereurs . . . Dioclétien prend le titre de Jovius, Maximien celui d'Herculus; les sujets et l'armée prêtent serment par leur nom, comme jadis par le nom de Jupiter ou d'Hercule; et la divinité, dont eux et l'Empire reçoivent leur force, est précisément le Dieu du Soleil, Mithra, dispensateur des trônes et des empires.»7 a. L'empereur, dieu incarné, émanation du Soleil Pour établir le principe de leur divinité, les deux Augustes se proclament «Fils de dieux et créateurs de dieux». La divinité iranienne dont ils se • A. Baudrillart, Gr. Mem. Encycl. Larousse, p. 209. ' Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 112, 113.

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réclament, Mithra, dieu du Soleil, avait déjà été, sous Aurélien, proclamée le premier des dieux et le protecteur de l'Empire, et Aurélien luimême, qui participait à la nature divine du Soleil, se faisait appeler officiellement «dieu et seigneur» (deus et dominus) (p. 187—188). Mais la réforme religieuse d'Aurélien s'était effectuée sans plan d'ensemble. Au contraire, les réformes que Dioclétien «a accomplies de 284 à 305 continuent et complètent celles des Sévères, de Gallien et d'Aurélien; elles ont un caractère systématique qui témoigne chez leur auteur d'un esprit précis et réalisateur. Dans tous les domaines, l'absolutisme monarchique, vers lequel depuis trois siècles le monde romain s'acheminait lentement, s'affirme et triomphe . . . L'autorité suprême appartient aux quatre empereurs qui. . . sont considérés également comme élevés, par le fait de leur avènement, au-dessus de la condition humaine. Ils participent à la nature des dieux, dont ils ne sont pas seulement les représentants, mais les incarnations. Tout ce qui les touche est sacré;. . . leurs images sont des idoles devant lesquelles on offre des sacrifices et des libations. Dioclétien est le premier empereur qui se soit fait reconnaître publiquement comme dieu et adorer. . . L 'adoratio était un acte religieux, qui consistait dans une génuflexion et un baiser: les personnages admis en la présence d'un empereur s'agenouillaient à ses pieds, comme devant une statue de dieu, et portaient à leurs lèvres un pan de son vêtement de pourpre . . . Il faut voir là un nouvel emprunt aux usages de la cour perse. Les empereurs apparaissaient en public dans le décor somptueux dont s'entouraient les monarques de l'Orient; comme eux, ils portaient le diadème et le sceptre, s'habillaient de soie et de pourpre, décoraient leurs vêtements et leurs chaussures de pierres précieuses; comme eux aussi, ils se faisaient rendre des marques de respect et de dévotion qui ne convenaient qu'à des dieux.» 8 b.

L'Empire

de Dioclétien,

monarchie

orientale

Inspirée des cultes orientaux favorables à la divinisation des souverains, la réforme religieuse de Dioclétien est destinée à renforcer l'autorité impériale et à relever le prestige de l'empereur régnant. A cet effet, la monarchie théocratique des Sassânides offrit à Dioclétien un modèle achevé. «On avait constaté que la foi des Perses dans la divinité des rois les mettait à l'abri des attentats. Il (Dioclétien) voulut lui aussi bénéficier de cette immunité, se couvrir de cette armature sainte, et il fut lui aussi un dieu sur la terre, adoré comme les dieux du ciel. On ne l'aborda plus qu'en 8

Besnier, op. cit., p. 297, 298, 299.

L'EMPIRE ROMAIN D'ORIENT OU BAS-EMPIRE ( 2 8 5 — 3 9 5 )

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se prosternant, en baisant le pan de sa robe de pourpre. On ne lui parla plus qu'avec ces formules: votre Majesté, votre Sainteté, votre Eternité. Tout ce qui touchait à sa personne, service public et service privé, fut sacré . . . Quand il daignait se faire voir à ses sujets, c'était revêtu d'un brillant costume, gardé par une nombreuse escorte, soustrait par une étiquette rigoureuse aux contacts profanes.»9 Cette réforme religieuse achève de transformer l'Empire gréco-romain en un Etat oriental. L'empereur n'est plus, comme les princeps ses prédécesseurs, un simple mortel qu'on est autorisé à approcher chaque jour et à toute heure. A l'exemple des Grands Rois sassânides et des anciens Pharaons, il est un être sacro-saint. La véritable innovation, dans ce domaine, c'est la formation d'une cour orientale, avec son cérémonial et son personnel qui, en isolant le souverain, en feront, ce qu'il était en titre, une sorte de dieu vivant. En instituant cette étiquette officielle, Dioclétien, soldat de fortune, de caractère austère et de mœurs très simples, ne s'inspirait que de vues politiques. Il entendait élever davantage l'empereur au-dessus des soldats et du peuple, pour assurer la stabilité du pouvoir politique. La divinité de l'empereur romain n'était pas une nouveauté; plus d'un des prédécesseurs de Dioclétien s'était déjà laissé nommer seigneur ou dieu. La religion officielle, on le sait, faisait aux peuples de l'Empire un devoir d'adorer l'empereur vivant, symbole de l'autorité romaine, et des temples étaient élevés à l'empereur mort (p. 46—47). La réforme religieuse de Dioclétien a seulement accentué cette tendance, sous l'influence des idées orientales. c. Pouvoir absolu et de droit divin Ce qu'il y a de nouveau sous le règne de Dioclétien, c'est la monarchie absolue, avec toutes ses conséquences, affirmée en principe et proclamée sans réticence. La fiction d'après laquelle le pouvoir est délégué par le peuple à l'empereur, est nettement supprimée. L e souverain se considère empereur par la volonté des dieux, et non point par le choix du peuple, de l'armée ou du Sénat. En théorie, cette autorité est de droit divin. L'empereur, qui la détient, gouverne et légifère seul; il est la loi vivante, supérieur à toutes les lois écrites. Les consuls n'ont plus qu'un titre; le Sénat, oublié, est remplacé par le «conseil du prince»; et les prétoriens ne sont plus qu'une garde urbaine. d. Triomphe de l'orientalisme Le césarisme romain, miné par l'Orient qu'il avait subjugué, se transforme en une monarchie orientale. Sur les ruines de l'hellénisme et du romanis» G. Bloch, op. cit., p. 236. 237.

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me, détruits par la grande crise du lile siècle, triomphent finalement l'absolutisme asiatique et la royauté orientale de droit divin. En réalité, cette transformation n'a pas été improvisée par Dioclétien; elle n'est qu'un stade d'une évolution qui avait commencé depuis longtemps, et qui sera consommée par Constantin. Dioclétien n'a fait que supprimer la fiction d'une délégation du peuple, délégation qui, depuis longtemps, n'existait qu'en apparence. L'orientalisme, qui se développera encore davantage sous Constantin et ses successeurs, remplacera désormais, de façon graduelle, le romanisme et l'hellénisme. Les traditions gréco-romaines seront, de plus en plus, remplacées par les idées orientales; les vaincus triomphent de leurs vainqueurs. 4. Réforme administrative a. Organisation du pouvoir central Le préfet du prétoire. — Créé par Auguste pour commander la garde impériale ou prétorienne, le préfet du prétoire était devenu, au lile siècle, une sorte de chancelier d'Etat ou premier ministre. La décentralisation administrative et militaire, qui partagea le pouvoir entre quatre chefs d'Etat, porta à quatre le nombre de ces préfets; ils résident chacun auprès de l'Auguste ou du César dont ils relèvent. Les secrétaires d'Etat. — Le préfet du prétoire est assisté de quatre ou cinq personnages, sorte de ministres ou secrétaires d'Etat, qui se partagent les principaux départements ministériels. Ils auront, pour la plupart, le titre de cornes (compagnons de l'empereur), dont on fera plus tard le mot «comte». Le premier en grade et le plus puissant est le grand chambellan; il assure l'administration du palais, les affaires étrangères, les bureaux de la chancellerie, la garde de l'empereur et son service privé. Les quatre ministres sont préposés à la justice, à l'armée, aux finances, aux domaines. Un système bureaucratique complet, mettant en mouvement un personnel extrêmement nombreux, prend un développement considérable. Le personnel administratif est recruté sans considération de rang social, de descendance ou de nationalité. Cette réforme, qui abandonne le principe aristocratique, inaugure une véritable révolution dans ce domaine. Conseil législatif. — Exclu de la direction politique et de l'administration des provinces, le Sénat demeure un corps consultatif. A sa place, un conseil impérial (consistoire), image raccourcie du Sénat, examine les questions de caractère législatif. Il est composé du préfet du prétoire, des généraux ou chefs militaires de la résidence impériale, des comtes et des ministres, et d'un certain nombre de conseillers secrets.

L'EMPIRE ROMAIN D'ORIENT OU BAS-EMPIRE

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L'activité législative de Dioclétien est attestée par les douze cents rescrits que les Codes ont conservés. Deux recueils de lois sont promulgués; ils contiennent, l'un, les constitutions impériales antérieures, et l'autre, celles de Dioclétien (Codes Grégorien et Hermogénieri). Ces deux codes, qui seront utilisés plus tard par les rédacteurs du Code de Justinien, auraient été «compilés tous les deux à Beyrouth, où existait, depuis le début de l'Empire, un centre de dépôt et d'affichage des actes officiels pour tout l'Orient et, depuis le commencement du lile siècle, une école de droit très florissante.»10 b. Réorganisation administrative des provinces En même temps qu'il procède à la séparation et à l'organisation du pouvoir central, Dioclétien morcelle les provinces et multiplie les gouverneurs. Les provinces, qui étaient au nombre de 14 au temps d'Auguste, sont portées à 96. Les deux moitiés de l'Empire, l'Orient et l'Occident, sont divisées chacune en deux groupes de provinces ou préfectures. Les deux groupes de la moitié orientale, qui relèvent de l'Auguste et du César d'Orient, sont celui d'Orient et celui d'Illyrie; pour l'Occident, ce sont ceux d'Italie et de Gaule. Ces quatre groupes ou préfectures sont partagés en plusieurs nouvelles circonscriptions supérieures, appelées diocèses, et subdivisées chacune en plusieurs provinces. c. Préfets, vicaires, gouverneurs de province Les quatre préfectures sont régies par quatre préfets du prétoire, résidant respectivement dans les quatre capitales de l'Empire: Nicomédie (Orient), Sirmium (Illyrie), Milan (Italie) et Trêves (Gaule). Les préfets sont, chacun dans sa circonscription, de véritables viceempereurs; ils promulguent les lois impériales, édictent, en certains cas, en leur propre nom, et président à l'administration et aux finances. Ils ont le droit de vie et de mort et la juridiction suprême sur certaines affaires, dont le taux est limité à un certain maximum. Leurs décisions ne sont pas susceptibles d'appel à l'empereur. A la tête de chaque diocèse est un vicaire qui représente le préfet. Audessous du vicaire viennent les gouverneurs de province ou praesidens, qui sont des administrateurs civils et des juges. L'appel de leurs décisions est porté, selon les cas, au vicaire ou au préfet du prétoire; ils sont nommés par l'empereur et correspondent directement avec le maître des offices ou chancelier d'Etat. Mais le préfet a un pouvoir disciplinaire sur les vicaires et les gouverneurs et peut même les suspendre. 10

Besnier, op. cit., p. 301, 302.

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d. Le dux (duc) ou gouverneur militaire Pour séparer les pouvoirs civil et militaire, chaque diocèse et chaque province ont, à côté du chef civil (vicaire et proeses), un chef militaire, le dux (dux = général, dont on fera le mot: duc). Par cette réforme, le danger des nouveaux empereurs acclamés par les légions des provinces, est écarté. Mais le principe antique de l'unité de toutes les fonctions publiques se trouve détruit. e. Préfecture et diocèse d'Orient La préfecture d'Orient comprend cinq diocèses: Orient, Egypte, Asie, Pont, Thrace. Le diocèse d'Orient est subdivisé en 15 provinces: Phénicie, Phénicie du Liban, Syrie, Syrie Salutaris, Palestine, Palestine Seconde, Palestine Salutaris, Arabie, Euphratèse, Osrohène, Mésopotamie, Cilicie, Cilicie Seconde, Isaurie, Chypre. Le diocèse d'Egypte compte six provinces. Le vicaire du diocèse d'Orient réside à Antioche; celui d'Egypte, à Alexandrie.

5. Politique orientale de Dioclétien a. Dioclétien en Egypte (295—296) En 295, Dioclétien quitte Nicomédie pour visiter les provinces d'Asie et réprimer une insurrection qui avait éclaté en Egypte. Traversant la Syrie et la Palestine, l'empereur arrive sous les murs d'Alexandrie, où un certain Achilleus s'était fait proclamer empereur. Après un siège de huit mois, Alexandrie est prise et son atelier monétaire supprimé; Achilleus et ses partisans sont capturés et mis à mort (296). b. Dioclétien et la Perse; conflit et entente (296—298) Profitant des troubles qui occupaient Dioclétien en Egypte, Narseh (293— 303), roi de Perse, qui avait renversé et remplacé Bahrâm III, se jette sur l'Arménie et menace en même temps la Syrie (296). Chargé de cette guerre, Galère, le César de Dioclétien, accouru du Danube, est d'abord battu dans la région même où Crassus et ses légions avaient été anéantis (53 av. J.-C.), et où Valérien fut fait prisonnier et mis à mort par Shahpur I (260). «Galère vaincu rejoignit Dioclétien à Antioche; l'Auguste lui reprocha vivement son échec et le fit marcher à pied devant son char, en présence de toute l'armée, témoin de son humiliation.»11 Mais, l'année suivante, Galère revint à la charge avec une nouvelle ar-

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mée reconstituée. Les troupes perses furent mises en déroute et la famille royale capturée; Narseh, blessé, parvint à s'échapper (297). Au lieu de profiter de ces succès en poursuivant l'ennemi, Dioclétien estime plus sage de mettre fin à la guerre par une paix négociée. D'autres troubles et problèmes, surgis dans d'autres secteurs, réclamaient son attention. c. Annexions en Mésopotamie et en Arménie En 298, un accord avantageux, conclu avec les Perses, attribue à l'Empire toute la Mésopotamie jadis conquise par Septime Sévère. Cinq provinces perses de la haute vallée du Tigre sont également annexées; l'Arménie est attribuée à Tiridate, client de Rome, et l'Ibérie (Géorgie actuelle) devient un Etat vassal de Rome. En outre, une grande partie du commerce entre la Perse et l'Empire passera par le bureau des douanes de Nisibe. Cette dernière clause consommera définitivement la ruine de Palmyre, détruite par Aurélien en 273 (p. 185-186). La victoire sur les Perses et le traité de 298 qui la consacre assureront à l'Orient une paix de cinquante ans. L'augmentation des impôts est amplement compensée par l'ordre assuré au pays et le renouveau de prospérité générale. «L'Empire barbare et asiatique, dirigé par des généraux divinisés, semblait s'être installé triomphalement, et nous ne pouvons pas imaginer quel aurait été le sort du monde et de l'Europe si, à la place de la tradition gréco-romaine, déjà éteinte, ou presque, le christianisme ne s'était levé pour combattre cet absolutisme théocratique.»12 6. Culture antique et civilisation chrétienne «Grâce à la réforme de Dioclétien, l'Empire romain sort renouvelé de la grande crise du troisième siècle... Malheureusement, il y avait dans l'œuvre de Dioclétien une contradiction qui la minait sourdement. Dioclétien avait cherché à sauver l'Empire des barbares qui l'attaquaient du dehors, en le faisant barbare au dedans; autrement dit, il avait achevé la destruction du romanisme et de l'hellénisme, opérée par la crise du troisième siècle, en la rendant pour ainsi dire officielle, par une réorganisation de l'Empire, fondée sur des principes opposés à ceux sur lesquels s'appuyait l'Etat grec et latin, en anéantissant ce qui avait été l'âme, la force, le soutien de l'hellénisme et du romanisme: l'unité des fonctions publiques, l'organisation aristocratique de la société, l'esprit politique, le polythéisme.»13 11 11 13

Besnier, op. cit., p. 296. Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 285. Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 131, 136.

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Le culte oriental du souverain-dieu, étranger à l'âme occidentale, ne réussit pas à remplacer le romanisme et l'hellénisme, sur lesquels s'appuyait l'Etat gréco-romain. Pour combler ce vide, et donner au corps immense de l'Empire une âme et une force spirituelle nouvelle, deux courants contraires prennent naissance: l'un tend à restaurer la culture antique et l'autre à y substituer la nouvelle doctrine chrétienne. a. Encouragement officiel de la culture antique. Essor de l'Ecole de droit de Beyrouth Dioclétien et ses collègues, qui sont pour la restauration de la culture antique, s'efforceront de remettre en honneur l'étude de la jurisprudence, de la littérature, de l'architecture, protégeant les écoles, récompensant les professeurs et honorant les hommes d'élite. Les lettres sont reconnues comme la source de toutes les vertus et la meilleure préparation à toutes les carrières civiles et militaires. C'est ainsi que Dioclétien «protège l'école de droit de Beritus (Beyrouth) et cherche à y attirer comme étudiants même de jeunes Arabes.» 14 Sous l'Empire, l'Ecole de droit de Beyrouth est, avec celle d'Alexandrie, de Césarée de Cappadoce et d'Athènes, l'une des plus florissantes écoles provinciales. Aussi, est-elle souvent désignée, à cette époque, comme l'un des foyers les plus actifs de la science des lois. On ignore l'époque exacte de sa fondation; mais son existence est déjà mentionnée dans la première moitié du troisième siècle. Une constitution de Dioclétien accorde des immunités aux étudiants de cette Ecole. b. Progrès du christianisme L'anarchie du Ille siècle vit l'ascension croissante d'une autre force, qui sera appelée bientôt à dominer l'Empire, puis à lui succéder en Occident: le christianisme. Il ne s'agit, cette fois, ni d'un prétendant au trône, ni d'une province qui se sépare, mais d'une religion et d'une civilisation nouvelles. L'unité du monde romain lui avait préparé les voies, les crises sociales en avaient favorisé la diffusion, l'anarchie politique en précipitera l'avènement et le triomphe. Jusqu'en l'an 303, le christianisme, bien qu'hostile aux réformes religieuses de Dioclétien, est en paix dans l'Empire. C'est que les chrétiens sont déjà très nombreux dans l'administration et à la cour; l'impératrice et sa fille ont même des rapports avec ce nouveau culte. D'autre part, l'empereur, dans l'intérêt de l'unité et de la paix de l'Empire, s'était refusé, pendant plusieurs années, à traiter les chrétiens en ennemis. Mais 14

Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 139.

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cet état de choses ne pouvait continuer plus longtemps sans compromettre les réformes fondamentales du nouveau régime. La principale difficulté viendra du culte des empereurs, sur lequel l'accord est impossible. Les chrétiens ne peuvent pas reconnaître et adorer l'empereur-dieu, dont le culte est la base même de la discipline militaire. Et c'est de là que sortira le conflit qui va bientôt éclater. En 302, un édit chasse tous les chrétiens de l'armée; en 303, un autre édit de Dioclétien ordonne la démolition des églises, la destruction des livres chrétiens, l'exclusion des chrétiens de tous les offices publics, la dissolution des communautés et la confiscation de leurs biens. Une sédition ayant éclaté en Syrie, et le palais impérial ayant été incendié à Nicomédie, les chrétiens en sont accusés. Ces événements provoquent un autre édit, prescrivant l'emprisonnement des évêques, des prêtres et des diacres qui se refuseraient à consigner les livres sacrés; un dernier édit soumet tous les fidèles aux tourments, pour les contraindre à apostasier. Il s'ensuit une persécution qui sera si atroce en Orient, qu'elle fera donner au règne de Dioclétien le nom d'ère des martyrs. «Les uns, comme en Arabie, furent tués à coups de hache; les autres, comme en Cappadoce, eurent les jambes coupées; d'autres, comme en Mésopotamie, furent pendus les pieds en haut, la tête en bas, et au-dessous d'eux on allumait un feu dont la fumée les étouffait; quelquefois on leur coupait le nez, les oreilles ou les mains . . . Des scènes de violence et de nombreuses exécutions eurent lieu en Syrie à Antioche, et en Phénicie à Tyr.»15 Dans ce suprême et dernier effort contre le christianisme, le paganisme a épuisé sa force de compression. A partir de 303, la persécution languit. Reconnaissant son impuissance à réduire les chrétiens ou répugnant à pousser les choses à l'extrême, Dioclétien, prenant occasion des fêtes en l'honneur du vingtième anniversaire du gouvernement des deux Augustes, promulgue une sorte d'amnistie en faveur de ceux des chrétiens qui se déclarent prêts à revenir ouvertement à la vieille religion. Comme toutes les demi-mesures, cette dernière ordonnance n'a d'autre résultat que d'aggraver le mal, en exaspérant la résistance des chrétiens. En 303, Dioclétien tombe gravement malade; Galère, connu pour son hostilité aux chrétiens, assume la régence en Orient. Un édit, contresigné par Dioclétien, fait obligation à tous les sujets de l'Empire de sacrifier aux dieux, sous peine des châtiments les plus sévères. Cette persécution, la plus violente et la plus systématique de toutes celles entreprises par l'Empire contre le christianisme, durera huit ans en Occident (303—311) et dix ans en Orient (303-313). Cependant, les haines religieuses avaient, avec le temps, perdu de leur 15

Besnier, op. cit., p. 331, 332.

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virulence. Chrétiens et païens n'étaient plus, comme auparavant, animés, les uns contre les autres, des mêmes sentiments d'hostilité fanatique. De façon générale, «les chrétiens, à la faveur d'une longue paix, avaient pris l'habitude de vivre en bonne intelligence avec le pouvoir civil... De son côté, la masse des païens n'a plus, contre la religion nouvelle, la même haine aveugle qu'autrefois. Ce ne sont plus les émeutes populaires,. . . mais les ordres impériaux qui mettent en mouvement les magistrats, et ceux-ci bien souvent s'acquittent de leur mission avec mollesse... L'initiative des rigueurs est venue de l'autorité centrale; elles s'arrêteront partout lorsque les empereurs cesseront de les prescrire.»16 Aussi, l'antagonisme séculaire entre l'Empire et l'Eglise n'était-il plus irréductible. Un accord, souhaité des deux parts, est désormais possible; il ne tardera pas à se conclure.

7. Ruine du régime tétrarchique. Anarchie militaire et guerres civiles (306—323) a. Abdication de Dioclétien et de Maximien (305). Galère, Auguste pour l'Orient, et Constance pour l'Occident Après vingt années de gouvernement, Dioclétien, fatigué, surmené et vieilli par une vie d'activité fiévreuse, décide d'abandonner le pouvoir, après avoir amené son collègue Maximien à suivre son exemple. Depuis longtemps, il faisait construire à Salone, dans sa Dalmatie natale, la villa où il voulait finir ses jours. Ce furent les troubles suscités par la persécution contre les chrétiens qui précipitèrent sa décision. Le 1er mai 305, l'Auguste senior annonce officiellement son retour à la vie privée. Cette abdication volontaire, qui frappa le monde d'étonnement, demeure un des faits les plus extraordinaires de l'histoire. A quelques kilomètres de Nicomédie, sur une colline et au pied de la colonne surmontée par la statue de Jupiter, en présence des grands de l'Empire et des officiers, Dioclétien salue Galère du titre d'Auguste et lui donne à son tour, comme César, Maximien Daïa. Le même jour, à Milan, a heu une même cérémonie où Maximien cède son siège à Constance Chlore, lui donnant, comme César, Valerius Sévère. Puis Dioclétien se retire dans son palais de Salone, où il vivra huit années entouré du respect universel. «L'Auguste vieux et las ne fut jamais considéré comme un homme privé. Jusqu'au dernier jour de sa vie, il garda tous les titres et reçut tous les hommages que méritait son passé; il demeura pour les nouveaux prini» Besnier, op. cit., p. 333.

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ces, «notre seigneur et notre père» . . . Mais il vécut assez pour . . . assister au triomphe définitif du Christianisme... Ce triomphe marquait la fin de la civilisation antique, et était la conséquence nécessaire de toute l'œuvre qu'il avait accomplie dans un bien autre dessein.»17 b.

Germes

de conflits

intérieurs

Née d'une conception chimérique, la constitution tétrarchique forgée par Dioclétien n'avait porté ses fruits que par l'ascendant incontesté du fondateur. Ses successeurs n'auront pas la même autorité. Aussi, dès son départ et en dépit des précautions prises, la rivalité naîtra-t-elle très vite entre les quatre empereurs, qui se feront bientôt la guerre pour le pouvoir suprême. Par ailleurs, le résultat du partage territorial effectué par Dioclétien sera de faire éclater les dissidences, jusque-là assoupies, entre la moitié orientale et la moitié occidentale de l'Empire, qui évolueront désormais, plus nettement, vers la séparation définitive et prochaine. La grande faute qui ruina le système compliqué de Dioclétien fut l'éviction des fils de Maximien et de Constance. Devenus Augustes, ces deux derniers se voient donner, comme Césars, deux personnages peu connus dont les noms furent mal accueillis par les soldats. «Les succès militaires de Constance et de Maximien avaient créé dans l'armée un sentiment dynastique dont bénéficiaient les héritiers naturels, injustement évincés, contrairement à toutes les prévisions . . . Dioclétien, vieilli avant l'âge, malade, usé physiquement et moralement, incapable de résister au soldat violent et grossier (Galère) qui, à la longue, s'était fait son tyran, dut accepter de sa main les deux candidats, ses créatures, qu'il imposait à son choix.»18 c.

Quatre Augustes

et deux Césars

(307)

Une année ne s'était pas écoulée depuis l'abdication du Grand Réformateur, que Constance Chlore mourait, laissant un fils, Constantin, qui avait été exclu lors de la dernière répartition du pouvoir. Jeune, intelligent, énergique et ambitieux, Constantin se fait proclamer César par ses soldats (306), sans attendre les décisions des Augustes. Afin d'éviter une guerre civile, Galère reconnaît le fait accompli. Sévère succède à Constance comme Auguste. D'autre part, Rome, déchue de son rang de grande capitale, supportait avec mauvaise humeur cette situation inférieure de ville de province. L'absence de la Cour et de l'empereur, qui n'y était venu «qu'une fois, 17 18

Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 147, 148. G. Bloch, op. cit., p. 198.

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vingt ans après son avènement», et l'annulation du Sénat blessaient l'orgueil et lésaient les intérêts de la vieille métropole. Aussi, la population et le corps des prétoriens se soulèvent et proclament Auguste le fils de Maximien: Maxence, qui, lui aussi, avait été exclu de l'Empire par Dioclétien. Pour affermir son autorité, Maxence rappelle son père, qui n'était guère satisfait de sa retraite, et lui fait reprendre le titre impérial. Six empereurs sont alors en fonction, quatre Augustes: Galère, Sévère, Maximien, Maxence, et deux Césars: Maximin Daïa et Constantin. d. Sept Augustes (307) L'unité de l'Empire était brisée. Convoqué pour y porter remède, Dioclétien n'y réussit guère (307). Il l'aurait pu, probablement, s'il avait consenti à reprendre le pouvoir; mais il ne le voulut pas. Il contraignit même Maximien à se démettre pour la seconde fois, et Licinius, officier illyrien, ami de Galère, est désigné Auguste. Une mêlée confuse et sanglante se prolongera pendant seize ans (307—323). Maximin Daïa et Constantin se proclament Augustes, et Maximien revient sur sa seconde abdication; les quatre Augustes deviennent sept. C'est au milieu de ces désordres que Galère, Constantin et Licinius promulguent un édit de tolérance (311), qui suspend la persécution du christianisme. En édictant cette mesure, les trois Augustes pensent vraisemblablement gagner à leur cause l'appui de l'élément chrétien, contre Maxence et Maximin. Le christianisme et le paganisme deviennent, dans les mains des empereurs, des armes de guerre civile. e. Licinius et Maximin se partagent l'Orient (311) A la mort de Galère (311), Licinius et Maximin s'accordent et se partagent l'Orient. Maximin prend l'Asie Mineure, la Syrie et l'Egypte; et Licinius, les provinces situées entre le Bosphore et l'Adriatique. Maximin entreprend une vigoureuse persécution contre les chrétiens en Syrie, en Egypte et dans les autres provinces. «De sa retraite de Spalato, Dioclétien assistait à la ruine de la tétrarchie . . . La lutte allait éclater, pour la possession de l'Occident, entre Constantin et Maxence, pour la possession de l'Orient, entre Licinius et Maximin Daïa, en attendant qu'un des deux vainqueurs se retournât contre son associé de la veille et reconstituât à son profit l'unité de l'Empire.»19 f . Défaite et mort de Maxence et de Maximin (313) Maître de la Gaule, de la Bretagne et de l'Espagne, Constantin, estimant w

Besnier, op. cit., p. 345.

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«qu'il n'y avait pas place en Occident pour deux Augustes», rompt avec Maxence, maître de l'Italie et de l'Afrique (312). Traversant les Alpes et le Nord de l'Italie, Constantin marche sur Rome, à laquelle il promet la restauration de ses anciennes prérogatives. «Cette campagne d'Italie a été comparée par Burckhardt à celle de Bonaparte en 1796.» Maxence, battu, est noyé dans le Tibre. Enhardi par cette victoire, le Sénat proclame Constantin premier Auguste et lui dresse un arc de triomphe. L'année suivante, Constantin et Licinius, réunis à Milan (313), déclarent entière et absolue la liberté de professer la religion chrétienne. Mais Maximin, dans les provinces orientales, continue sa politique de persécution des chrétiens; battu par Licinius, il s'enfuit en Cilicie où il meurt (313). g. L'édit de Milan (313) C'est cet édit de tolérance, rendu, en 313 à Milan, par Constantin et Licinius, qu'on considère comme le triomphe du christianisme. En vertu de ce texte, la religion chrétienne est reconnue et les chrétiens ont le droit de se réunir, à condition de ne pas troubler l'ordre public. Les biens séquestrés durant la grande persécution sont restitués aux églises. Quant à la question du culte de l'empereur-dieu, elle est habilement tournée: les chrétiens devront prier leur Dieu pour la prospérité de l'empereur et celle de l'Etat. h. Licinius, Auguste pour l'Orient, et Constantin pour l'Occident (313-323) Après la disparition de Maximin, Licinius et Constantin, seuls Augustes survivants, dominent, le premier en Orient et le second en Occident. Après quelques combats entre eux, une paix reconnaît à chacun la partie territoriale qu'il gouverne. Mais cette paix, qui durera près de neuf ans (313— 323), n'est qu'une simple trêve. «Dans ces neuf ans, les deux empereurs se préparèrent à la lutte décisive de toutes les manières, organisant des armées, cherchant des alliés, et surtout exploitant la lutte entre l'ancienne religion mourante et la nouvelle, qui avec tant d'énergie la supplantait. Constantin s'efforça de toutes les manières de s'assurer l'appui de l'élément chrétien; Licinius, par opposition, . . . s'appuya sur l'élément païen. Lorsque la guerre éclata, en 323, Constantin ne représentait pas seulement l'Occident contre l'Orient; il portait avec lui les vœux des chrétiens contre son rival, que regardaient avec confiance et sympathie les païens. On sait que la victoire sourit au champion des chrétiens. Le 3 juillet 323, les deux armées se rencontrèrent dans la plaine d'Andrinople; Licinius fut battu . . . Crispus (fils de Constantin) battit l'armée de Licinius à l'entrée de l'Hellespont. . . Entouré

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par l'ennemi, (Licinius) dut se battre auprès de Chrysopolis (Scutari), où il fut de nouveau vaincu.»20 i. Constantin

seul empereur.

Victoire du christianisme

(323)

Cette victoire contre Licinius, qui fait de Constantin le seul empereur survivant, rétablit l'unité de l'Empire, après dix-sept ans d'anarchie militaire et de guerres civiles. La victoire de Constantin est aussi celle des chrétiens, auxquels la liberté est définitivement accordée après trois siècles de persécution. Il ne faut toutefois pas trop exagérer les traitements qui furent infligés aux adeptes du christianisme, au cours de cette longue période. Si l'on «repasse, année par année, l'histoire de ces trois siècles, on n'y trouve que de rares et courtes périodes de persécution effective et quelque peu générale. Dans les temps ordinaires, c'est-à-dire presque toujours, les chrétiens pouvaient mener leur vie et leurs travaux, mêlés aux autres sujets de l'empire et jouissant comme eux de la protection que les lois assuraient à tous.» L'histoire a, en effet, considérablement réduit les exagérations de la légende, au sujet des persécutions des chrétiens au cours des trois premiers siècles de l'Empire. Ces persécutions, souvent individuelles et parfois collectives, ne visaient, quand elles étaient ordonnées, que certains lieux, mais d'une manière intermittente et durant des périodes très courtes. Par contre, les Eglises chrétiennes n'avaient, dans l'Empire païen, aucune place, ni aucune part légitimes. Sous les règnes les plus bienveillants, le mot d'ordre était de les ignorer, afin de les tolérer. De leur côté, les chrétiens, en dépit de leur loyalisme envers les empereurs, se trouvaient contraints, par les exigences de leur religion, à faire de leurs Eglises les cadres d'une association qui constituait un Etat dans l'Etat, avec son organisation, ses lois, sa juridiction propres. Le chrétien était sujet de l'Eglise pour toutes les matières intéressant la conduite de la vie. Aussi, lorsque l'Empire deviendra chrétien, l'Eglise fera-t-elle de ses lois les lois de l'Empire; elle assujettira à sa discipline les magistrats et les empereurs euxmêmes.

20

Ferrero, La ruine de la civilisation

antique, p. 166, 167, 168.

II. La monarchie de Constantin (323—337)

1. La monarchie de Constantin, institution orientale, unitaire et héréditaire A l'opposé de Dioctétien, qui essaya de restaurer l'édifice impérial par la décentralisation administrative et militaire, Constantin (306—337), empereur unique depuis 323, cherchera à atteindre le même but par le rétablissement de l'unité. Mais les deux empereurs réformateurs ne semblent avoir réussi, dans l'exécution de leurs projets, que tant qu'ils tenaient eux-mêmes le gouvernail de l'Etat. a. Constantin gouverne sans associés Resté seul empereur après sa victoire sur Licinius, Constantin se sentait assez fort pour gouverner sans associés. Renonçant à l'expérience tétrarchique ou dyarchique de Dioctétien, le nouvel empereur, qui rétablit par les armes l'unité de l'Empire, cherche à maintenir et à consolider cette unité. Il résout le problème de ses collaborateurs ou associés, en choisissant ses propres enfants comme assistants et successeurs éventuels. Par ce moyen, il espérait, sans doute, que les liens du sang seraient assez puissants pour conserver une union forgée par la force. Constantin, en 317, avait déjà proclamé Césars ses deux fils aînés: Crispus et Constantin II ou le Jeune. En 324, ses deux autres fils, Constance et Constant, malgré leur extrême jeunesse, reçoivent, comme les deux aînés, le titre de César. En outre, l'Empire est partagé entre quatre zones administratives, respectivement attribuées à Constantin II, Constance, Constant et leur cousin Dalmatius. b. Hérédité de la dignité impériale Le système imaginé par Dioctétien, suivant lequel le successeur à l'Empire est choisi d'après son seul mérite et adopté par l'Auguste régnant, est détruit. Les successeurs désignés appartiennent désormais à la famille impériale. Le principe d'hérédité l'emporte sur celui du choix et de l'adoption. «Constantin. . . put rétablir l'unité de l'empire et lui donner une véritable constitution en fondant une dynastie qui devait le régir. Ce fut Constantin, en effet, qui, le premier, décida de résoudre l'insoluble problème

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de l'autorité suprême en appliquant à l'empire le système dynastique de la monarchie asiatique.»1 Cette réforme organique, conséquence naturelle de la monarchie absolue officiellement proclamée par Dioclétien, n'était plus une mesure révolutionnaire. Elle était, au contraire, l'aboutissement et la consécration d'une longue évolution qui, depuis Pompée, César et Auguste, n'avait cessé de conduire le pouvoir impérial vers la monarchie héréditaire. Envahis par l'orientalisme, l'esprit démocratique et la tradition gréco-latine étaient bien morts pour manifester de la répugnance contre le système dynastique. c. Monarchie orientale sans caractère divin Si, allant plus loin que Dioclétien, Constantin ajoute à l'autorité absolue le principe héréditaire, par contre, sa monarchie manque du troisième attribut des monarchies orientales: le caractère divin. La difficulté de recourir à cette mesure, à cause du christianisme, fera la faiblesse du système organisé par Constantin. Aussi, après sa mort, l'unité de l'Empire, laborieusement réalisée, volera-t-elle de nouveau en éclats. «Constantin s'était appuyé, dans sa lutte décisive contre Licinius, sur les chrétiens, et, ayant vaincu avec les chrétiens, il ne pouvait plus gouverner que d'accord avec eux et en respectant leurs croyances . . . Constantin pouvait donc introduire dans l'Empire toutes les institutions et le cérémonial des monarchies asiatiques, mais non la doctrine que le souverain était un Dieu,... et, par ce côté, son gouvernement était plus faible que celui de Dioclétien.»2 d. Orientalisation de la cour impériale. Amplification de la bureaucratie En remaniant le système politique de Dioclétien, Constantin cherche à renforcer le pouvoir central. «Si le souverain n'est plus considéré officiellement comme un dieu, la cour devient tout à fait orientale; la pompe du cérémonial, les complications de l'étiquette, le luxe des courtisans, le mystère dans lequel se cache l'empereur, sont grandement accrus. Les grands dignitaires ont sous leur dépendance un nombreux personnel, minutieusement hiérarchisé et titré. . . Au-dessous des ministres de la maison impériale et du Consistorium, se trouve la bureaucratie, créée par Dioclétien et notablement amplifiée par Constantin.»3 L'organisation provinciale de Dioclétien est maintenue: l'Empire est toujours partagé en quatre sections ou préfectures, à la tête desquelles commandent les quatre préfets du prétoire; les préfectures restent divisées 1 2 3

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 291. Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 170, 171. Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 172, 173.

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en diocèses, dirigés par les vicaires, et les diocèses en provinces, administrées par les praesidens. Le nombre des provinces, qui avait été porté par Dioclétien à 96, passe à 120. Le Sénat et les vieilles magistratures de Rome ne sont plus que des charges municipales.

2. La question religieuse, nouveau problème pour l'Empire. Les hérésies donatiste et arienne au IVe siècle Pendant les 1er et Ile siècles, la tâche des empereurs romains était de gouverner l'Empire et de le défendre, contre les Barbares en Occident et contre les Perses en Orient. A ces problèmes, s'était ajouté, au lile siècle, celui de la lutte des généraux pour l'Empire. Avec Constantin, un nouvel et grave problème surgira, le problème religieux, qui, surajouté aux deux autres, occupera, à partir du début du IVe siècle, l'attention et les efforts des empereurs romains d'Orient. a. Importance des questions religieuses au IVe siècle Depuis sa conversion au christianisme, Constantin incline de plus en plus vers cette religion. Rompant avec son attitude de neutralité et de tolérance, il favorise les chrétiens, auxquels il accorde d'importants privilèges, et fait construire de nombreuses églises. Pour manifester ses sentiments chrétiens, l'empereur rend obligatoire le repos du dimanche, assimile à l'homicide le meurtre de l'esclave par son maître et révise un grand nombre d'anciennes lois païennes. La religion païenne, qui était au service de l'Etat, n'avait pas été abolie; au contraire, l'édit de Milan (313) avait établi la liberté des divers cultes dans l'Empire. Mais la religion chrétienne était une religion exclusive, qui voulait imposer sa loi à la société et à l'Etat. Et l'empereur était fatalement amené à intervenir, pour régler les nombreuses difficultés que cette opposition faisait naître. Aussi, les questions religieuses prendront-elles désormais, dans l'Empire, une importance plus grande que les questions économiques et politiques. b. Les hérésies chrétiennes remplacent les oppositions politiques et les particularismes provinciaux Les premières difficultés «surgirent à cause des hérésies chrétiennes. La société chrétienne, maintenant qu'elle n'avait plus à lutter contre l'Etat païen, commençait à se fractionner en sectes qui se combattaient avec fureur, exaspérées par les intérêts qui se mêlaient souvent aux doctrines. L'Etat ne pouvait se désintéresser de ces luttes qui troublaient la vie civile

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et parfois l'ordre public, mais rien n'était plus difficile pour lui que d'intervenir.»4 Loin de s'être apaisées sous Constantin, les luttes entre sectes chrétiennes, qui s'étaient de tout temps produites avec violence, ont, au contraire, augmenté d'intensité. Aux querelles entre chrétiens et païens, s'ajoutèrent alors les conflits entre chrétiens de sectes différentes, qui ébranleront l'Empire par leurs dissensions. Les sectes religieuses remplaceront désormais les partis politiques, les tendances régionalistes et les mouvements séparatistes. c. Le donatisme en Afrique du Nord La première intervention de Constantin dans les démêlés qui divisaient les chrétiens se fit en Afrique du Nord. A Carthage, une secte de fanatiques prétendait exclure de la communauté chrétienne les évêques et les prêtres défaillants qui, pendant la persécution dioclétienne (303—304), avaient remis aux agents du gouvernement les livres sacrés et les objets du culte. Les orthodoxes intransigeants opposèrent, à l'évêque de la ville, un évêque de leur secte, Donatus, dont le nom sera donné à l'hérésie: donatisme. Ce schisme, qui fit naître violences et représailles, durera près de deux siècles. «Il donna à toutes les passions locales l'occasion de se manifester et il faut voir en lui un réveil du particularisme provincial.»5 Un concile, réuni à Arles (314), donne tort aux donatistes; en 316, Constantin rend sa sentence contre ces derniers, qui sont exclus de toutes les églises d'Afrique. Des désordres sanglants ayant suivi l'exécution de la sentence, notamment à Carthage, l'empereur, à la suite d'une supplique des évêques donatistes, autorise ces derniers à garder leurs églises (321), «s'en remettant à Dieu du soin châtier leur folie». Le donatisme resta prédominant en Afrique. d. Le schisme mélétien en Egypte Dans le même temps, un schisme égyptien, de même inspiration que celui de Donatus, le schisme mélétien, du nom de Mélèce (310—326), évêque de Lycopolis, en Egypte, déchire l'Eglise de cette province. e. Le paganisme condamné par Constantin Cédant de plus en plus à l'esprit exclusif du christianisme, qui ne pouvait tolérer aucun culte, l'empereur, en 315, renouvelle et renforce les mesures prises par ses prédécesseurs contre la propagande judaïque. Après avoir condamné le donatisme, il promulgue, de 319 à 321, des édits qui 4 5

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 290. Besnier, op. cit., p. 367.

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affaiblissent l'emprise du paganisme et trahissent l'hostilité du souverain contre les cultes païens, qu'il qualifie de «superstitieux». Ces édits impériaux condamnaient implicitement le culte de l'empereur, qui, jusqu'à Constantin, avait été considéré comme un pilier du trône impérial. Cette contradiction n'était guère en faveur de la consolidation de l'œuvre de Constantin. «Pour conquérir l'empire et fonder une dynastie, Constantin s'était appuyé sur les chrétiens; mais en s'appuyant sur les chrétiens, il avait affaibli le pouvoir absolu qu'Aurélien et Dioclétien avaient cherché à consolider grâce aux cultes orientaux. S'il apporta en Europe la monarchie asiatique, il l'introduisit déjà chétive, presque énervée par le christianisme qui n'admettait pas un de ses principes essentiels: la divinité personnelle du souverain. Il y avait en somme une opposition inconciliable entre la monarchie asiatique et le christianisme. Tous les efforts que Constantin tenta pour éliminer cette contradiction échouèrent. On en voit la preuve dans son attitude vis-à-vis de l'hérésie arienne qui avait éclaté en Orient.»6 f . Naissance de l'hérésie arienne en Egypte Arius et sa doctrine. — Une querelle doctrinale, d'une extrême gravité, provoquée par une hérésie nouvelle, l'arianisme, déchire l'Eglise victorieuse. Tandis que les schismes donatiste et mélétien n'affectaient que l'Afrique du Nord et l'Egypte et ne touchaient pas aux dogmes fondamentaux du christianisme, l'hérésie arienne, née à Alexandrie, ébranle les bases de la foi et troublera l'Egypte, les provinces d'Orient et tout le monde romain où elle s'était largement propagée. Né en Libye ou en Egypte, vers 260, Arius, en 318, est à la tête d'une des paroisses d'Alexandrie. Au début du IVe siècle, la capitale de l'Egypte romaine est un foyer intense d'activité intellectuelle et religieuse, divisé par le schisme de Mélèce. Arius, qui avait suivi à Antioche l'enseignement rationaliste du célèbre Lucien, prêche la doctrine suivante. Le Père est seul éternel; le Fils, qui est le Verbe ou Logos, engendré par le Père, n'a point été tiré de la substance de Dieu; il n'est donc pas une partie consubstantielle du Père, ni une forme distincte du Dieu unique; en conséquence, le Fils, qui n'est pas de la même essence que le Père, lui est subordonné; il a reçu du Père la plénitude de tous les attributs divins, à l'exception de l'éternité. En affirmant ainsi le monothéisme, Arius accorde au Christ un rang secondaire, le dépouille de son rôle et fait disparaître l'idée de la Rédemption, qui est l'idée fondamentale du christianisme. • Ferrero,

Nouvelle

histoire

romaine,

p. 291.

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Soulevée par les docteurs de l'Eglise, cette question théologique, comme toutes les questions de même nature qui surgiront par la suite, ne semble pas avoir été agitée par la masse des fidèles. Ceux-ci «ne songeaient guère à explorer les immensités de l'infini et de l'éternel, ni à procéder à l'analyse qualitative et quantitative de la substance divine contenue en Jésus-Christ. Leur foi et leur espérance avaient des objets plus proches et plus positifs: Jésus était essentiellement, pour eux, Celui qui devait venir, le Christ, le Messie annoncé par les prophètes; et ils s'occupaient moins de son essence et de sa nature que de son histoire et de son œuvre.» g. L'Orient défend l'arianisme contre l'Occident Cependant, comme les dissentiments dogmatiques de cette époque recouvrent, en général, des querelles et des scissions politiques, la doctrine arienne divisa l'Empire en deux camps passionnément hostiles. Combattue par les Occidentaux, la nouvelle doctrine est défendue par les Orientaux, chez lesquels elle a pris naissance. L'arianisme «répondait mieux que l'orthodoxie aux aspirations des païens et plus particulièrement aux tendances et aux habitudes des Orientaux. Depuis le temps des Sévères, le paganisme évoluait vers le monothéisme, sous la forme du syncrétisme solaire; or, c'est au nom du monothéisme que l'arianisme contestait la divinité incréée du Christ. D'autre part, il s'est développé dans des pays profondément imbus de la culture philosophique des Grecs; il est une réaction de l'ardeur spéculative de l'Orient hellénistique contre l'esprit plus froidement raisonneur de l'Occident latin. C'est ce qui a fait à la fois sa force, au lendemain de la fondation de Constantinople, quand les influences orientales ont pris le dessus, et sa faiblesse au temps de Théodose, quand les influences latines l'ont définitivement emporté.»7 h. Les discussions théologiques gagnent les masses populaires Tandis qu'évêques s'opposent à évêques et conciles à conciles, le peuple, divisé lui aussi, entre naturellement dans la mêlée. «Les rapports métaphysiques du Père et du Fils furent discutés dans les boutiques et dans les marchés, les deux partis échangeant les imputations les plus odieuses . . . De leur côté, les païens profitèrent de cette occasion pour prendre une maligne revanche contre le triomphe récent des chrétiens. Ils tiraient des principes de leurs adversaires tout ce qu'ils pouvaient en déduire de conséquences ridicules, et leurs comédiens jouaient la Trinité sur le théâtre» (Vollet). ' Besnier, op. cit., p. 377.

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Constantin jugea alors devoir intervenir. Pour couvrir de l'autorité de l'Eglise les mesures qu'il aura à prendre, il ordonne la réunion d'un grand synode, qui, groupant tous les évêques de la chrétienté, aura à se prononcer sur l'hérésie.

3. Les Conciles de Nicée et de Tyr a. Le Concile de Nicée (325) Voisine de Nicomédie, capitale de l'Empire, Nicée, en Bithynie, est choisie comme lieu de réunion du premier concile oecuménique convoqué par l'empereur. Jusqu'alors, en effet, les conciles n'étaient que régionaux. Près de 250 évêques, presque tous orientaux, répondirent à l'appel: 120 d'Asie Mineure, 22 de Coelé-Syrie, 19 de Palestine, 19 d'Egypte et de Libye, 7 des pays grecs d'Europe, 3 des provinces danubiennes, un d'Afrique, un de Gaule, un d'Italie, un de Calabre, 2 prêtres délégués par le pape de Rome. L'empereur, qui n'est point encore baptisé, prononce le discours d'ouverture. Après avoir invité ses auditeurs à se reporter aux Ecritures, il se retire, laissant les évêques délibérer seuls sous la présidence de l'un d'eux. b. Condamnation d'Arius et de sa doctrine. Définition de la doctrine orthodoxe Le Concile définit la doctrine orthodoxe; le texte voté constitue le Symbole de Nicée, qui deviendra, après les modifications qui y seront apportées en 381, le Credo de l'Eglise catholique. Ce Credo affirme que «JésusChrist est né du Père avant tous les siècles, qu'il est Dieu de Dieu, lumière de lumière, consubstantiel au Père». Les propositions d'Arius sont condamnées et ses partisans anathématisés. Appliquant la sentence du concile, Constantin exile Arius, ainsi que quelques évêques qui sont remplacés sur leurs sièges épiscopaux. «La question pouvait donc être considérée comme réglée. Mais le christianisme n'était pas une religion politique, comme les autres religions de l'Orient et de l'Occident; les questions théologiques avaient pour lui une importance absolue, indépendante de toutes leurs possibles conséquences politiques. Le concile de Nicée, que Constantin avait convoqué pour rétablir la paix dans les esprits et dans la croyance, allait déclencher une formidable lutte théologique qui devait, malgré tous les efforts de l'empereur, affaiblir encore davantage l'empire épuisé.»8 8

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 292.

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c. Autres décisions du Concile de Nicée Le Concile de Nicée régla aussi le schisme mélétien qui subsistait en Egypte, ainsi que le comput de la fête de Pâques. D'autres décisions, en matière d'organisation et de discipline, modèlent la hiérarchie religieuse sur les cadres de l'administration civile. L'évêque d'Alexandrie exercera sur l'Egypte une primauté analogue à celle de l'évêque de Rome en Occident. Il en est de même des évêques d'Antioche et de Jérusalem, dont l'autorité s'exercera respectivement sur la Syrie et la Palestine. Enfin, les prêtres et évêques ne peuvent être transférés d'un évêché dans un autre; un évêque ne peut recevoir ceux qui ont été excommuniés par un de ses collègues. d. Le Concile de Tyr (335). Triomphe de l'arianisme en Orient La condamnation officielle de l'arianisme par le Concile de Nicée (325) n'avait pas mis fin à la querelle que l'hérésie avait provoquée. Les discussions théologiques, considérées par l'empereur «comme une folie furieuse», continuèrent comme auparavant. Des partisans à la cour, parmi lesquels Constance, la propre sœur de l'empereur, des évêques, qui ne s'étaient soumis que par feinte à la doctrine nicéenne, continuaient la lutte, et l'ardeur des hérétiques redoublait de violence, surtout en Orient. Toujours animé du désir de rétablir l'unité morale de l'Empire, Constantin tente une réconciliation entre les deux doctrines. Arius consent à adoucir la sienne; mais il se heurte à une opposition invincible de la part des orthodoxes ou nicéens, et surtout d'Athanase, nouvel évêque d'Alexandrie et grand antagoniste de l'hérésie. Furieux de l'intransigeance des orthodoxes, contre lesquels son autorité demeurait impuissante, Constantin passe du côté des ariens qui, en 335, réussissent, au Concile de Tyr, à faire condamner Athanase. L'évêque d'Alexandrie est exilé en Gaule et ses partisans poursuivis et dispersés. Arius rentre en triomphateur à Alexandrie; les ariens envahissent la Cour et deviennent, en peu de temps, le parti dominant dans tout l'Orient. Mais les nicéens ne désarment pas, et une lutte implacable entre les deux partis bouleversera tout l'Empire, ajoutant un nouvel élément à toutes les autres causes de faiblesse. 4. L'Empire romain chrétien, l'Arménie et la Perse a. L'Arménie convertie s'oriente vers Byzance Depuis 288 ou 300, le roi d'Arménie, Tiridate III, d'origine parthe-arsacide, avait embrassé le christianisme. Cette conversion orientera plus for-

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tement les tendances et la politique arméniennes vers Byzance, tandis qu'une partie de la noblesse arménienne cherchera à maintenir les vieilles attaches avec l'Iran. «Foyer des guerres irano-romaines, l'Arménie sera déchirée entre deux factions de sa population, les pro-iraniens et les proromains.»9 La conversion de l'Arménie au christianisme, en modifiant le rôle de ce pays, avait encore aggravé sa situation. Asiatique par sa position, iranienne par sa culture, l'Arménie, devenue chrétienne, prenait désormais, «dans le grand duel qui commençait entre l'Europe et l'Asie,.. . parti pour la chrétienté, c'est-à-dire pour l'Europe... Chahpouhr II, engagé dans une lutte à fond contre le christianisme, ne pouvait, sur ses frontières, laisser l'Arménie devenir la citadelle de cette religion.»10

b. Le vieil antagonisme romano-perse revêt la forme religieuse Outre les luttes religieuses, nées à l'intérieur de l'Empire, le christianisme a provoqué une modification notable des rapports entre l'Empire romain, qui protège officiellement les chrétiens, et la monarchie des Perses qui, depuis l'avènement des Sassânides, a fait du mazdéisme zoroastrien une religion d'Etat (p. 152—153). Opprimées par le mazdéisme perse, les chrétientés disséminées en Babylonie, Assyrie, comme celles d'Arménie, sont tentées de chercher, auprès de l'empereur romain, un protecteur naturel. Les sympathies de leurs chefs sont ouvertement en faveur de Byzance. Suspects aux autorités iraniennes, les sujets chrétiens du Roi des Rois furent l'objet de nombreuses persécutions, qui ensanglantèrent les quarante dernières années du règne de Shahpur II (309—379). Mais ces mesures punitives étaient plus politiques que religieuses; les évêques de Perse et leur clergé furent persécutés, non comme chrétiens, mais comme partisans des Romains. «L'antique lutte de l'hellénisme et du génie de l'Orient affecta dès lors un caractère religieux. Ce fut des deux côtés une guerre sainte. A cet égard, l'Islam devait seulement aggraver une situation qui exista dès le TVe siècle. Lorsque l'hellénisme et l'âme asiatique furent enfermés chacun dans l'armature rigide d'un dogme (et il n'était pas de dogmes plus intransigeants que ceux du zoroastrisme sassanide), lorsque le frottement des races et des civilisations s'aviva de deux fanatismes rivaux, la haine entre l'Hellène et le Barbare, devenus YOrthodoxe et l'Infidèle, prit un caractère inexpiable. La réaction asiatique se traduisit dans le parsisme, puis dans l'islam; mais sous ces noms divers, elle resta aussi intransigeante: depuis • Ghirshman, L'Iran, des origines à l'Islam, p. 267. Grousset, L'Empire du Levant, p. 68, 69.

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Shahpouhr II et Constantin, la question d'Orient fut le choc de deux croisades adverses.»11 c. Mort de Constantin

(337)

La persécution des chrétiens de Perse sous Shahpur II amena, en 336, une nouvelle rupture entre l'Empire et la monarchie sassânide. Comme toujours, l'enjeu du conflit est l'Arménie, écartelée entre les deux influences rivales. En 337, Constantin quitte sa capitale en direction de la Perse. Arrivé sur les bords du Tigre, il tombe malade et meurt, après avoir reçu le baptême des mains d'un évêque dévoué aux ariens. Son corps, transporté à Constantinople, est enseveli dans l'église des Saints-Apôtres (337).

5. Personnalité de

Constantin

Avant de porter un jugement sur Constantin, qui fut réellement un très grand prince, il convient de rappeler certains actes qui laissent voir, chez leur auteur, une âme superstitieuse et inquiète, un caractère violent et cruel, et une activité incohérente. a. Sa conversion

(312)

C'est à la suite de deux visions, la première en 310 et la seconde en 312, que Constantin abandonna le culte d'Apollon pour celui du Christ. La victoire contre Maxence (312), promise par ces visions, était pour Constantin, qui avait l'obsession du surnaturel, l'œuvre du Dieu chrétien, comme récompense de sa récente conversion. Mais il ne reçut le baptême qu'à son lit de mort. Les circonstances et les motifs de la conversion de Constantin prêtent à controverse. Les uns ont voulu y voir un calcul politique, d'autres, la conséquence d'une illumination subite, comme saint Paul sur le chemin de Damas. Il y a tout lieu de penser que «sa conversion n'est pas un acte d'habile politique destiné à grossir le nombre de ses partisans; elle n'est pas non plus un bouleversement brutal de son être par une éclatante révélation qui l'aurait transformé du tout au tout; elle est la conséquence de son vœu et la manifestation de sa reconnaissance. Il ne faut pas le comparer à Henri IV ou à Bonaparte, ni à saint Paul, mais à Clovis, qui fit, sur le champ de bataille de Tolbiac, la même promesse et qui, une fois exaucé, tint pareillement sa parole.»12 " Grousset, L'Empire du Levant, p. 67. 12 Besnier, op. cit., p. 359.

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b. Drames de famille Peu de temps après le Concile de Nicée (325), Constantin fit un séjour à Rome, où il n'avait point paru depuis treize ans. Il y célébra le vingtième anniversaire de son avènement au pouvoir. Comme il s'abstint de participer aux cérémonies païennes qui eurent lieu à cette occasion, le Sénat et le peuple de Rome lui en gardèrent rancune. Une sombre tragédie de famille, survenue à cette époque à Rome, vint encore agir sur l'âme inquiète de l'empereur. L'impératrice Fausta, jalouse de Crispus, fils aîné de Constantin et d'une première épouse, voulait assurer le pouvoir à ses propres enfants: Constantin, Constance et Constant. Accusé, Crispus est arrêté et mis à mort, ainsi qu'un grand nombre de ses amis. Cependant, Hélène, la mère de Constantin, qui détestait Fausta et voulait venger la mort de Crispus, parvint à démontrer que celui-ci était innocent. Par l'ordre de Constantin, Fausta fut mise à mort. Ce drame acheva de tourner contre l'empereur les esprits des Romains; une virulente épigramme fut affichée à sa porte. c. Constantin partage l'Empire entre ses fils et ses neveux (335) En 335, Constantin, qui avait, au prix de suprêmes efforts, reconstitué l'unité de l'Empire, rétabli un gouvernement cohérent et imposé la monarchie héréditaire, détruit sa laborieuse construction en répartissant les territoire de l'Empire entre ses trois enfants et deux de ses neveux. Il assigne à l'aîné, Constantin, l'Espagne, la Gaule, la Bretagne; à Constance, l'Asie Mineure, la Syrie, l'Egypte; à Constant, l'Italie et l'Afrique; au neveu, Dalmatius, la Thrace, la Macédoine et la Grèce; enfin, un frère de celui-ci, Annibalien, reçoit le trône vacant de l'Arménie et les régions limitrophes du Pont. Les trois fils de l'empereur reçoivent le titre d'Auguste; Dalmatius, celui de César, et Annibalien, le titre de roi des rois. «A quoi servait d'avoir tant lutté et répandu tant de sang pour renverser la tétrarchie de Dioclétien, s'il la reconstituait plus faible et sous une forme plus dangereuse? Mais Constantin non plus n'avait la force de résoudre la terrible question du principe légal de la suprême autorité. Le principe dynastique, dépouillé du caractère divin, était, lui aussi, faible, incertain, oscillant, comme tous les autres principes que l'Empire avait essayés. Constantin comprit qu'il n'avait ni la force ni l'autorité nécessaires pour s'imposer aux ambitions de tous les membres de sa famille et transmettre son pouvoir à un seul de ses enfants.»13 d. Jugement sur Constantin Les contemporains et la postérité ont porté sur Constantin des jugements 13

Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 191, 192.

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forts divers. Les historiens ecclésiastiques lui ont attribué toutes les vertus; les historiens païens, tout en reconnaissant ses grandes qualités, ont signalé les conséquences funestes de sa politique. Pour Ferrero, «Constantin fut un souverain de grand mérite. Mais il était venu à une époque où s'accomplissait le plus grand bouleversement qui se soit produit dans l'histoire du monde occidental: sa christianisation. Constantin n'était plus un païen et un homme du monde ancien, et il n'était pas encore un chrétien ni un homme du monde nouveau. L'activité qu'il déploya fut incohérente, hésitante, violente et en grande partie stérile. Il fonda une dynastie et la brisa; il rétablit l'unité de l'empire et la détruisit; il voulut reconstituer par le christianisme la concorde spirituelle et il exaspéra les luttes au sein même de l'Eglise . . . Dioclétien est le dernier grand homme du monde antique; Constantin, l'inquiet personnage, symbolise une époque de transition.»14

14

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 294 et 295.

III. Naissance du futur Empire byzantin (330—395)

1. Constantinople, capitale de l'Empire romain (330) a. Byzance jusqu'à 325 Dès sa victoire contre Licinius (323), Constantin, devenu seul empereur, avait quitté l'Occident où il résidait depuis 306, pour s'installer à Nicomédie, capitale de l'Orient. Convaincu de la nécessité de maintenir définitivement, dans cette partie de l'Univers romain, la capitale de l'Empire unifié, son choix se porte sur un site idéal, Byzance, sur les rives du Bosphore. Grâce à sa situation géographique, Byzance, dont les origines remontaient à plus de mille ans dans le temps, avait connu, dans le passé, une grande prospérité économique et joué un rôle important tout au long des Guerres Médiques (492—466 av. J.-C.). Elle tint victorieusement tête à Philippe II, père d'Alexandre le Grand, qui ne réussit pas à la prendre (II, p. 356). Au Ile siècle après J.-C., elle était devenue une des cités les plus importantes du Proche-Orient. Ravagée par Septime Sévère (193—211), pour la punir d'avoir pris parti contre lui, Byzance ne s'était plus relevée complètement. Ayant décidé de la restaurer et de l'agrandir pour en faire une «nouvelle Rome», Constantin commença les travaux en 325. b. Embellissement et fortification de Byzance (325—330) «L'empereur détermina lui-même les limites de la c i t é . . . Quarante mille soldats goths, employés comme manœuvres, furent les ouvriers de ces travaux gigantesques. Pour orner la ville, Constantin n'hésita pas à dépouiller Rome, Alexandrie, Ephèse, Antioche, Athènes. Il voulait, de son vivant, voir se dresser dans toute sa splendeur la capitale dont il rêvait.»1 Une immense muraille défend la ville contre les incursions terrestres. A l'intérieur de la cité, sont le forum, où se dressent deux arcs de triomphe, et une colonne de pierre qui porte au sommet la statue de l'empereur Constantin. L'église des Saints-Apôtres, destinée aux sépultures impériales, celle de Sainte-Sophie, dédiée à la Suprême Sagesse, le palais impérial, et enfin l'Hippodrome, qui sera le centre de la vie publique, sont les monuments les plus célèbres de la somptueuse cité.

1

Auguste Bailly, Byzance, p. 19.

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c. Inauguration de Constantinople (330) Lorsqu'en 330 les grands travaux furent achevés, Constantin, parmi des fêtes grandioses qui durèrent quatre jours, inaugure solennellement la nouvelle Byzance, lui donne son nom: Constantinople, et la proclame officiellement la métropole de l'Empire. Ce déplacement officiel et effectif, au profit de l'Orient, du centre de gravité du vieil Empire romain, préparera la scission inévitable et définitive de l'Orient et de l'Occident, qui sera consommée soixante-cinq ans plus tard (395). d. Les raisons de l'abandon définitif de Rome Les raisons de l'abandon définitif de Rome et de l'installation de la capitale de l'Empire à Byzance, sont d'ordre militaire, politique et économique. Le danger des invasions barbares en Gaule, en Italie et dans les Balkans, et la nécessité d'être continuellement en alerte sur la frontière perse, faisaient que la capitale de l'Empire était mieux placée sur le Bosphore, à proximité du Danube et à mi-chemin entre le Rhin et l'Euphrate. D'autre part, l'Empire romain, devenu une monarchie chrétienne et orientale, ne pouvait plus avoir pour capitale la ville païenne de Rome. En outre, la désorganisation et l'appauvrissement de l'Occident donnaient la prééminence à la partie orientale, qui était la plus riche de l'Empire. Enfin, le développement, vers cette époque, de la vie économique et de la civilisation dans la partie méridionale de la Russie, avait considérablement accru l'importance de la Mer Noire et du trafic des Détroits. «Si les causes de ce grand événement furent nombreuses, la principale doit être cherchée dans la décadence des provinces occidentales, dévastées par les barbares, appauvries, dépeuplées. Comme le développement des provinces occidentales, et surtout de la Gaule, avait fixé le siège de l'Empire en Italie, de même celui-ci se déplaçait vers l'Orient, c'est-à-dire vers les provinces plus riches, plus peuplées, moins touchées par la crise des temps, maintenant que l'Occident tombait en ruines. Constantin choisit avec une extraordinaire intelligence l'endroit, car Constantinople est la situation idéale pour la capitale d'un Empire qui est moitié en Asie et moitié en Europe.»2 e. Naissance du futur Empire byzantin Le transfert de la capitale de l'Empire à Byzance marque le commencement du futur Empire byzantin. Autour de la «nouvelle Rome», grecque et chrétienne, la partie orientale de la monarchie prendra de plus en plus conscience d'elle-même. A partir de ce moment, l'Empire de Rome, fondé 2

Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 189, 190.

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par les Latins du Latium, perdra progressivement son caractère romain; il sera, de plus en plus, un grand Etat gréco-oriental, qui n'aura plus, dans quelque temps, de romain que le nom. Si le latin demeurera longtemps la langue officielle, la langue grecque reprendra graduellement son ascendant et deviendra, sous peu, la langue dominante. f . Double destin de Byzance «Constantin avait voulu que la cité qui portait son nom éblouît l'univers; il l'avait réalisée à la mesure de son orgueil, de son génie, de ses rêves; mais, en faisant d'elle l'objet fabuleux d'une admiration universelle, il imprimait fatalement l'avers de cette médaille à l'excès glorieuse; l'émerveillement devenait convoitise et c'était une proie qui, pendant un millier d'années, allait susciter parmi tous les peuples un farouche désir de conquête . . . Les dissensions religieuses, que la foi ardente et intolérante de l'époque transformait en ferments de guerres civiles, n'étaient guère moins redoutables. Ainsi, à peine fondée, et bien avant que, par l'édit de 395, Théodose eût divisé l'Empire, Byzance nous apparaît soumise à son double destin: tandis qu'elle lutte contre les Barbares, elle est déchirée par les querelles religieuses, et, durant tout son règne, Constantin les vit bouleverser sa capitale, et se propager dans son empire.»3 2. Constantinople, Rome et la Perse (337—395) Depuis que Constantinople est devenue la capitale de l'Empire romain universel, l'esprit de rivalité, qui a toujours animé les relations entre l'Orient et l'Occident, n'a fait que s'accroître. L'Occident ne voulait pas admettre que la nouvelle capitale fût la supérieure, ni même l'égale de Rome. De son côté, le monde gréco-égéen et oriental considérait la ville du Tibre comme une vieille cité, que les conditions nouvelles de l'époque ont éclipsée au profit de Byzance. Sous les successeurs de Constantin, le monde gréco-oriental, qui prendra de plus en plus conscience de lui-même, se cristallisera autour de Constantinople. Après 395, date de la séparation définitive de l'Orient et de l'Occident romains, cette cristallisation du monde gréco-oriental se fera autour de trois noyaux distincts: Constantinople, Antioche, Alexandrie. a. Les successeurs de Constantin se partagent l'Empire. Constant en Occident et Constance en Orient De même que l'organisation tétrarchique de Dioclétien n'avait pas survécu à son auteur, la réforme de Constantin, fondée sur les liens du sang, ne 3

A. Bailly, op. cit., p. 25, 26.

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réussira guère à sauvegarder l'unité de l'Empire. L'année même de la mort de Constantin (337), ses trois fils, appuyés sur une partie de l'armée, massacrent Dalmatius et les autres parents collatéraux. Après s'être partagé leurs dépouilles, les trois frères, qui prennent le titre d'Auguste, entrent en conflit. En 340, Constantin II, Auguste de la Gaule et de la Bretagne, se jette sur l'Italie, domaine de son frère Constant; mais il est battu et tué près d'Aquilée et ses provinces sont annexées par Constant. Occupé par la guerre contre les Perses, que Constantin le Grand avait commencée l'année de sa mort, Constance, Auguste de l'Orient, ne pouvait intervenir contre l'agrandissement de l'empire de son frère en Occident. b. La Perse avant Shahpur II Après la mort de Shahpur I (270), l'empire Kouchan, que ce grand prince avait envahi et soumis (p. 155), profita des luttes intestines qui occupaient les Iraniens, ainsi que de leurs conflits avec Rome, pour restaurer son indépendance. Bahrâm II (276—293), troisième successeur de Shahpur I, fut contraint d'abandonner à Dioclétien la Mésopotamie du Nord et l'Arménie (286). Bahrâm III (293), qui ne fit que passer sur le trône, fut détrône par Narseh (293—303), fils de Shahpur I, qui, écrasé par Dioclétien (297), céda à celui-ci un ensemble de provinces situées à l'Est du Tigre (p. 215). Cette victoire assura à l'Empire romain quarante-deux années de paix en Orient (298-340). Hormizd II (303-309), fils et successeur de Narseh, pour se mettre à l'abri des menaces des Kouchans, épousa une princesse de cette race. c. Avènement et politique de Shahpur II Shahpur II (309—379), fils et successeur d'Hormizd II, est un des plus grands princes sassânides. Monté très jeune sur le trône, il occupa la première partie de son long règne à lutter contre les attaques des Kouchans. Après les avoir enfin écrasés et rattaché leur territoire à ses Etats, Shahpur II reprend la lutte traditionnelle à l'Ouest, pour laver la honte des défaites essuyées par ses prédécesseurs. Nous avons vu que, dès le règne de Constantin, Shahpur II avait inauguré dans ses Etats une politique de nationalisme religieux, fondé sur le mazdéisme zoroastrien. Dirigée contre Byzance, protectrice officielle du christianisme, la politique religieuse de Shahpur II commença par une persécution générale du clergé et des fidèles chrétiens, qui, quoique sujets des Sassânides, étaient considérés, par ces derniers, comme des partisans romains. C'est pour les défendre que Constantin, l'année de sa mort (337), quitta Constantinople pour l'Asie et mourut sur les bords du Tigre (p. 231-232).

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d. Guerre entre Constance et Shahpur II (340—345) Cherchant à mettre à profit les difficultés qui opposent les trois fils et successeurs de Constantin, Shahpur II, en 340, envahit l'Arménie et assiège Nisibe. Constance, renonçant à combattre les empiétements de son frère Constant en Occident, concentre ses efforts contre les Perses. Ces derniers, qui occupent l'Arménie, sont obligés de l'évacuer, et Nisibe, assiégée, leur résiste avantageusement. En 341, un armistice est conclu entre les belligérants, aux termes duquel Archak, nommé roi d'Arménie par Shahpur II, paie tribut, à la fois, aux Perses et aux Romains. En 345, l'armistice est rompu et la guerre reprend entre les deux monarchies. Les Byzantins, qu'on appellera toujours les Romains, obtiennent d'abord une grande victoire à Singara (Sindjar), qui est bientôt suivie de fréquentes défaites. Mais une nouvelle invasion à l'Est, celle des Chionites ou Huns Hephtalites, tribus nomades vraisemblablement mongoles qui s'installent sur les terres des Kouchans, empêche Shahpur d'exploiter ses succès contre les Romains, et permet à ceux-ci de profiter d'une heureuse accalmie. A l'Est, les hostilités aboutissent à un accord, aux termes duquel les Hephtalites sont autorisés à s'établir sur les terres Kouchanes, à titre de «fédérés», et s'engagent à fournir au Roi des Rois des troupes pour sa guerre contre les Romains. 3. Querelles religieuses et guerre avec la Perse a. Conflit religieux entre l'Orient et Rome (341) La rivalité politique qui commence à opposer Constantinople à Rome est avivée par les querelles religieuses. Le fougueux évêque nicéen Athanase, rentré à Alexandrie à la suite de l'amnistie accordée après la mort de Constantin, avait recommencé la lutte contre les ariens, en faisant appel aux évêques de l'Occident et aux deux empereurs. En 341, un concile est convoqué à Rome par le pape Jules I, qui y invite tous les évêques de l'Orient. Par une lettre expédiée d'Antioche, les évêques de cette ville, de Césarée, de Constantinople et d'autres diocèses, dénient toute prééminence à l'Eglise de Rome, jetant ainsi les bases de ce schisme d'Orient qui dure encore aujourd'hui. Le concile de Rome acquitte Athanase (341). En réaction, les évêques orientaux, réunis à Antioche, confirment de nouveau la formule de l'arianisme (341). b. Schisme religieux entre l'Orient et l'Occident (347) En 347, sur la proposition des deux empereurs, un concile oecuménique est convoqué à Sardica (Sofia), à la frontière des deux Empires. Mais les

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évêques orientaux, protestant contre la présence de leurs adversaires et particulièrement Athanase, qu'ils considéraient comme des hérétiques, se retirent de la réunion et tiennent un concile séparé, à Philippopolis, où Athanase et même le pape Jules I sont frappés d'excommunication. Le Concile de Philippopolis déclare que, seuls, les conciles avaient le droit de gouverner l'Eglise et que l'Eglise de Rome n'avait aucune suprématie sur les autres. A cette déclaration, les évêques orthodoxes de l'Orient et de l'Occident répondirent en reconnaissant à l'évêché de Rome, en l'honneur de l'apôtre Pierre, le droit de juger en dernier ressort. c. Constance seul empereur (350) Tandis que cette agitation religieuse se poursuivait, Constant est tué à l'instigation de Magnence, un Germain, qui se proclame Auguste d'Occident (350). Vers le même temps, un autre prétendant, Vétranion, se proclame en Illyrie. Menacé dans son domaine, Constance conclut un armistice avec les Perses et marche contre les deux usurpateurs. Vaincus l'un après l'autre, Vétranion se soumet (351), tandis que Magnence se donne la mort après deux ans de résistance (353). d. Persécution contre le paganisme et l'orthodoxie L'unité de l'Empire était rétablie au profit de Constance, Auguste de l'Orient arien, qui procède à une violente persécution contre les païens; leurs temples sont fermés, le culte ancien est déclaré criminel et la peine de mort décrétée contre ceux qui lui étaient demeurés fidèles. Désireux de mettre un terme à la querelle des ariens et des nicéens, le pape Libère demande à Constance la convocation d'un nouveau concile. L'empereur y consent, mais avec l'intention secrète de faire annuler les décisions du Concile de Nicée et de faire établir la suprématie du christianisme oriental. Réunis à Milan en 355, les évêques, sous la pression de l'empereur, donnent gain de cause à la doctrine arienne et déclarent la doctrine opposée comme un crime contre l'Etat. Athanase, condamné, se réfugie en Haute Egypte; son protecteur, le pape Libère, est contraint de prendre le chemin de l'exil. Tous les évêques fidèles au Concile de Nicée sont déposés et remplacés, en Orient et en Occident. «De violentes insurrections populaires éclatèrent contre les évêques qui avaient pris la place des exilés, et une nouvelle guerre de religion s'engagea entre l'Occident et l'Orient.»4 e. Restauration officielle du paganisme (361—363) En 359, les Perses s'emparent d'Amida (Diarbékir). Pour reconquérir 4

Ferrero, Nouvelle

histoire romaine, p. 297.

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cette place importante, Constance part pour l'Orient. Mais, pendant son absence, Julien, qu'il avait nommé César pour l'Occident, s'était proclamé Auguste. Pour lutter contre ce nouveau danger, Constance conclut hâtivement un armistice avec les Perses et prend le chemin de l'Europe. En cours de route, il meurt à Tarse (Cilicie), emporté par la fièvre (361). L'usurpateur, Julien (361—363), descendant de Constance Chlore, devient seul empereur. Dès son arrivée à Constantinople, il inaugure une nouvelle politique religieuse, qui favorisera la restauration du paganisme, d'où le nom de Julien l'Apostat qui lui fut donné. «Julien ne considérait pas le paganisme et le christianisme en philosophe, mais en soldat et en magistrat. Il considérait le christianisme comme un dissolvant, ajouté à tous ceux qui décomposaient l'empire.»5 Sans recourir aux persécutions, le nouvel empereur entend ressusciter le paganisme comme religion d'Etat, tout en tolérant les autres cultes. Tous les privilèges que l'Eglise et le clergé avaient conquis sont abolis, et les ecclésiastiques, qui avaient été bannis par l'Etat à cause de leur doctrine, sont rappelés de l'exil; les biens attribués à l'Eglise sont restitués à ceux qui en avaient été dépouillés. Ces réformes révolutionnaires menacent de provoquer dans l'Empire des luttes terribles. Des rixes sanglantes, entre païens et chrétiens, commencent surtout en Orient. f . Reprise de la guerre perse (363) En 363, Julien reprend la guerre perse, que son prédécesseur avait arrêtée par une paix boiteuse et bouclée à la hâte. Grand soldat, Julien, aidé des Arméniens, descend l'Euphrate, accompagné d'une flotte de guerre; vainqueur dans toutes les rencontres, il arrive jusqu'à Ctésiphon. Comprenant qu'il ne pouvait se rendre maître des fortifications de la capitale des Perses, il remonte le Tigre en direction de la Mèdie. L'armée romaine est harcelée au cours de cette retraite, et l'empereur, qui s'exposait sans ménagements, est tué d'un coup de javelot lancé par un cavalier perse (363). g. Abandon de l'Arménie et des conquêtes de Dioclétien (363) Son successeur, Jovien (363—364), acclamé par les troupes, n'a pas les qualités que requièrent les circonstances. L'armée, démoralisée et impatiente de rentrer, le contraint à conclure hâtivement une paix désastreuse. Jovien abandonne à Shahpur II toutes les conquêtes de Dioclétien, c'est-àdire les cinq provinces situées au-delà du Tigre, et, en plus, les deux places fortes de Singara et de Nisibe, en Mésopotamie, ainsi que l'Arménie (363). Cette paix humiliante, acceptée sans l'excuse d'une défaite militaire, 6

Ferrerò, Nouvelle

histoire romaine, p. 299.

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porta un coup sensible au prestige de l'Empire et lui aliéna les sympathies de ses alliés naturels, tant arméniens que mésopotamiens ou syriaques chrétiens. «L'abandon de l'Arménie constituait pour le monde romain un recul dont la gravité n'a pas besoin d'être soulignée. . . L'Arménie chrétienne se voyait, au seuil des temps nouveaux, abandonnée par le monde grécoromain, livrée à ses propres moyens, vouée, bon gré mal gré, à graviter dans l'orbite de l'Iran mazdéen aujourd'hui, musulman demain. Les conséquences de cette orientation n'ont pas besoin d'être soulignées.»6 Quelques mois plus tard, Joviçn meurt, après avoir signé un édit restituant aux chrétiens les privilèges dont les avait dépouillés Julien (364).

4. Rupture et reconstitution de l'unité politique de l'Empire (364—388) a. L'Orient et l'Occident, deux Etats séparés (364) En 364, un conseil de généraux choisit comme empereur un autre officier, Valentinien (364—375), qui nomme son frère Valens (364—378) comme collègue, avec le titre d'Auguste. Dès leur avènement, les deux empereurs frères se partagent l'Empire: Valens prend l'Orient et Valentinien, l'Occident. L'unité de l'Empire, rétablie par Constance et maintenue par Julien et Jovien, est encore, une fois de plus, brisée. De 364 à 375, Valentinien et Valens s'occupent à repousser les invasions barbares, qui assaillent sans relâche toutes les frontières des provinces occidentales: Alamans, Quades, Sarmates, Saxons, Gétules, Maures, Goths, Wisigoths, etc. En 375, Valentinien, Auguste pour l'Occident, meurt subitement en Illyrie; les officiers de son armée proclament, comme empereurs, ses deux fils, Gratien (375—383) et Valentinien II (375—392). b. Les Goths dans la péninsule balkanique (376) Tandis que l'Occident est assailli et secoué par les incursions des Barbares, en Orient, Valens, qui n'avait eu à faire face qu'à quelques tentatives de révolte et à des difficultés avec la Perse, s'occupe des querelles religieuses et soutient l'arianisme oriental contre l'orthodoxie occidentale. En 376, cependant, les Goths avaient occupé une bonne partie de la péninsule balkanique. Sans attendre les renforts qu'il avait demandés à Gratien, Valens livre bataille aux envahisseurs près d'Adrianopolis (Andrinople); son armée est écrasée et lui-même est tué (378). 6

Grousset, L'Empire du Levant, p. 71.

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Pour réparer ce désastre et arrêter l'avance des Goths, Gratien charge Théodose, un chef militaire d'origine espagnole, de la défense de l'Orient. Théodose reconstitue l'armée, soumet les bandes Goths, mais les installe en Thrace et en Macédoine. En récompense de son succès, Gratien élève Théodose à l'Empire (379-395). c. Concile de Constantinople (381). Triomphe de la doctrine nicéenne ou catholique Avec Gratien, Valentinien II et Théodose, trois empereurs des provinces occidentales, l'Occident, l'orthodoxie et l'Eglise de Rome ont maintenant la prédominance sur l'Orient, l'arianisme et l'Eglise orientale. En 379, un décret impérial abolit toutes les hérésies; en 380, un second décret proclame la doctrine du Concile de Nicée, appelée officiellement désormais la doctrine catholique, c'est-à-dire universelle, comme la doctrine religieuse de l'Empire. En 381 enfin, le culte catholique, basé sur le symbole de Nicée, est imposé à l'exclusion de tout autre. Un Concile oecuménique réuni à Constantinople (381), où la première place est réservée au siège de Rome et la seconde, à celui de Constantinople élevé au rang de patriarcat, confirme solennellement le symbole de Nicée. En 382, les privilèges du sacerdoce païen sont annulés et ses biens confisqués. «En cette même année ou l'année suivante, Gratien et par conséquent Théodose, les premiers parmi les empereurs, renoncèrent à l'ancienne dignité de grands pontifes.»7 Cette vieille dignité païenne passera, plus tard, à l'évêque de Rome, qui sera appelé le «Souverain Pontife.» d. Théodose, empereur de l'Orient et de l'Occident (388—395) En 383, Maximus, un officier espagnol gouverneur de la Bretagne, envahit la Gaule et se proclame empereur; abandonné par ses milices, Gratien est assassiné (383). Reconnu par Théodose comme Auguste pour l'Espagne, la Gaule et la Bretagne, Maximus, dont l'autorité est contestée par Valentinien II, envahit l'Italie (387). Valentinien s'empresse de s'enfuir et se réfugie auprès de Théodose, en Orient (387). L'accroissement de la puissance de Maximus, Auguste de l'Occident, provoque la réaction de celui de l'Orient. Marchant contre l'usurpateur, Théodose le bat, le met à mort et rétablit Valentinien à Rome (388). N'ayant que dix-sept ans, celui-ci n'était, en quelque sorte, qu'un second Auguste, et Théodose devenait, en fait, l'empereur de l'Orient et de l'Occident.

7

Ferrerò, Nouvelle

histoire romaine,

p. 304.

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e. Suprématie de l'Eglise sur le pouvoir politique L'évolution des événements avait amené l'Etat à une soumission presque complète vis-à-vis de l'Eglise. Lorsqu'en 390, des révoltés sont massacrés à Thessalonique par ordre de Théodose, celui-ci, à titre de punition, se voit interdire par l'évêque l'entrée de l'église et exécute la condamnation. «La logique des choses suivait son cours: plus l'empereur s'affaiblissait, plus la nouvelle religion progressait et se préparait à gouverner le monde.»8 «Le Bas-Empire, qui a connu l'absolutisme politique, l'absolutisme administratif, l'absolutisme économique et social, ne connaîtra jamais, au sens complet du terme, l'absolutisme religieux. En imposant l'orthodoxie au monde romain, l'empereur a travaillé pour l'Eglise beaucoup plus que pour lui-même . . . L'opposition — une opposition irréductible — viendra de cet élément à la fois intransigeant et inassimilable qui s'appelle le christianisme . . . Mais, victorieuse par l'appui du pouvoir impérial, l'Eglise n'entend pas se mettre à son service. Le monothéisme solaire avait fait de l'empereur un dieu sur terre. Le christianisme, qui n'admet et n'admettra jamais la divinité impériale, se contente de voir en lui le représentant de Dieu sur terre, image vivante de la divinité . . . L'absolutisme impérial, complet dans tous les domaines, s'arrête aux frontières de la conscience et de la foi. Théodose . . . en fait lui-même la dure expérience.»9 f . Partage de l'Arménie entre Théodose et Shahpur III (389) La mort de Shahpur II (379), après un règne de 70 ans, fut suivie, en Perse, d'une période de troubles qui durera plus d'un siècle. L'aristocratie féodale, alliée au clergé zoroastrien, luttera contre le trône qu'occuperont des souverains médiocres. Pendant cette longue période, la dynastie perse est déchirée par les ambitions de ses membres et la monarchie devient élective dans la famille sassânide. Shahpur III (383—390) règle avec Théodose la question d'Arménie; le pays est partagé en deux parties, dont l'une est soumise à l'influence de Constantinople et l'autre, à celle de Ctésiphon (389). 5. Séparation définitive de l'Orient et de l'Occident romains (395) a. Décomposition de l'Empire La réaction du monde païen contre la suprématie religieuse et politique de l'Eglise catholique se manifeste d'abord à Alexandrie. En 391, de vérita8 Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 305. * L. Homo, Nouvelle histoire romaine, p. 521, 522, 523.

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bles batailles de rues éclatent entre chrétiens et païens, dans la capitale de l'Egypte. En Italie, Abrogaste, général d'origine franque, appuyé sur l'élément païen encore nombreux, renverse et tue Valentinien II (392) et lui substitue, comme Auguste, Eugène, un noble personnage romain. Reconnu par l'Occident, l'usurpateur Eugène (392—394) s'empresse de restaurer le paganisme. Théodose, obligé de venger Valentinien et de combattre le paganisme renaissant, marche contre l'Occident. Battus aux pieds des Alpes Juliennes, Eugène et Abrogaste sont tués; les cultes païens sont interdits et les temples, fermés ou détruits (394). L'unité de l'Empire est encore une fois rétablie. Mais les guerres, les invasions et la fiscalité avaient désorganisé l'Empire et ruiné les classes dirigeantes et moyennes. Les paysans libres sont asservis. Le mécontentement et l'esprit de révolte sont domptés par des lois et des procédés d'une cruauté atroce. Théodose s'était efforcé «de réorganiser l'empire, de le sauver de la ruine qui le menaçait de tous les côtés: mais le résultat ne fut pas en proportion de la peine qu'il s'était donnée. Le monde ancien agonisait, aucune force humaine ne pouvait plus le guérir.»10 La décomposition de l'Empire évoluait fatalement vers la ruine ou le morcellement. C'est à la séparation définitive de l'Orient et de l'Occident qu'aboutira le grand règne de Théodose I, appelé le Grand. b. L'Orient et l'Occident définitivement séparés (395) En 395, Théodose meurt à Milan, âgé de cinquante ans. Brisant lui-même, comme Constantin, l'unité qu'il venait de rétablir à son profit, il avait, sur son lit de mort, partagé l'Empire entre ses deux fils, encore très jeunes, Arcadius (395-408), qui eut l'Orient, et Honorius (395-423), l'Occident. Comme au temps de la tétrarchie de Dioclétien, les deux Etats des fils de Théodose forment, en principe, un Empire unitaire, dont la législation reste commune, tandis que l'administration est divisée. Le prétendu partage de 395 n'en est pas un, en réalité. Comme tant de ses prédécesseurs, Théodose, en désignant un Auguste pour l'Orient et un autre pour l'Occident, n'entendait nullement consacrer la séparation définitive des deux parties de l'Empire. L'unité du pouvoir impérial subsistait dans la conscience des peuples, et les contemporains n'ont pas eu le sentiment que l'Orient et l'Occident seront désormais distincts. En effet, quarante ans plus tard, lorsque le Code Théodosien sera promulgué (429), il le sera aux noms de Théodose II, pour l'Orient, et de Valentinien III, pour l'Occident. Ce Code stipulera, en outre, que toute constitution émanant de l'un 10

Ferrero, Nouvelle histoire romaine, p. 305.

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des deux empereurs devra, pour être valable, être communiquée à son collègue. Cependant, la mort de Théodose I marque, en fait, le commencement de la séparation définitive de l'Orient et de l'Occident romains. La liaison qui les rattachera encore est «purement formelle, simple décor qui ne masquait pas la réalité. Les deux empires, irrévocablement séparés, eurent désormais leur histoire indépendante, leurs destinées particulières.»11 En effet, si l'unité constitutionnelle de l'Empire subsiste après 395, par contre, l'opposition entre l'Orient et l'Occident et l'évolution distincte des deux Etats, seront désormais le caractère dominant des rapports de ces deux mondes. Ce caractère résulte de plusieurs causes, dont les principales sont les suivantes: «1) Les forces vives de l'empire étaient toutes en O r i e n t . . . 2) Le christianisme se développa différemment en Orient et en Occident... 3) Le choc des invasions barbares fut inégalement réparti entre l'Orient et l'Occident.»12 c. Destinée de l'Empire d'Occident (395—475) En Occident, Honorius (395—423), qui ne peut résister à l'invasion des Barbares, s'enferme dans Ravenne, laissant à son général, Stilicon, la charge de la défense. Son successeur, Valentinien III (425—455), sous lequel les dévastations continuent, est tué par un sénateur dont il avait outragé la femme. Sept empereurs succéderont à Valentinien, en l'espace de vingt ans (455—475). Le huitième et dernier, Romulus Augustule (475), sera déposé, au bout d'un an de règne, par Odoacre, un chef barbare, qui renverra à Constantinople les insignes impériaux, en déclarant qu'il continuera à gouverner l'Italie comme lieutenant de l'Auguste d'Orient. En devenant une simple province nominalement rattachée à l'Empire d'Orient, l'Empire d'Occident mettra fin à son histoire et le Moyen Age commencera en Europe (475). d. Rôle et destinée de l'Empire romain d'Orient (395—1453) Si l'Empire d'Orient se défendra mieux que celui d'Occident contre la décadence et l'effondrement, c'est parce que Byzance offrira un centre de cristallisation au monde gréco-oriental qui, même sous la domination romaine, avait su jalousement conserver sa physionomie, son esprit, sa culture, ses traditions et sa civilisation propres. Dès sa naissance officielle, en 395, l'Empire romain d'Orient, ou plus exactement l'Empire grécoromain et byzantin, est déjà «tout organisé et en pleines fonctions». Aussi, 11 12

G. Bloch, op. cit., p. 202. P. Lemerle, Histoire de Byzance, p. 34, 35.

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et tandis que l'Empire d'Occident, qui succombera sous la ruée des Barbares, ne sera plus qu'un nom après 475, l'Empire d'Orient, qui résistera à toutes les tempêtes et durera encore près de mille ans, ne tombera qu'en 1453, sous les coups des Turcs Ottomans. «C'est grâce à cette résistance que l'Orient peut devenir une seconde fois l'éducateur de l'Occident retombé dans la barbarie. Mais cette vitalité de l'empire d'Orient ne peut s'expliquer que par les vicissitudes différentes de la crise politique. La monarchie absolue et héréditaire fondée par Constantin a mieux réussi en Orient qu'en Occident, parce qu'elle y avait retrouvé son pays d'origine et, par conséquent, un terrain favorable préparé par la tradition. Au fond, l'Orient n'avait jamais vu dans l'empereur romain que le successeur et le continuateur des rois qui avaient gouverné, sous des noms différents, ses Etats dans les siècles qui avaient précédé la conquête romaine. Il avait compris la république aristocratique d'Auguste comme une monarchie unifiée et universelle.»13

13

Ferrerò, Nouvelle histoire romaine, p. 320.

B L'Empire byzantin, puissance gréco-égéenne axée sur l'Orient asiatique et méditerranéen (395—518)

I. Formation de l'Empire byzantin

1. L'Empire byzantin et ses caractères essentiels. Monarchie hellénique, chrétienne et orientale a. L'Empire byzantin De même que l'histoire de l'Empire romain d'Orient ou Bas-Empire, qui commence avec l'avènement de Dioclétien (285), apparaît comme la continuation de celle du Principat ou Haut-Empire, de même, aucune coupure nette ne sépare l'histoire de l'Empire romain d'Orient de celle de l'Empire qualifié de byzantin. Toutefois, comme l'Empire romain d'Orient a commencé à s'élaborer à partir du jour où Dioclétien fixa sa résidence à Nicomédie, on pourrait de même affirmer que cet Empire peut être dit byzantin, à partir du moment où Constantin en transporta la capitale, de Nicomédie à Constantinople-Byzance (330). Mais, en réalité, c'est surtout à partir du «partage» de 395, qui l'a définitivement séparé de l'Occident, que l'Empire dit byzantin, qui n'était qu'ébauché après 330, commence véritablement à se former, en accentuant plus fortement les traits particuliers et originaux qui le caractériseront dans l'histoire. C'est au Ve siècle, en effet, que les caractères essentiels de cet Empire seront définitivement fixés, et que les grandes crises, extérieures et intérieures, développeront en lui le sentiment de sa personnalité et achèveront de lui donner sa physionomie propre. b. Caractères essentiels et plaies endémiques de l'Empire byzantin Les principaux caractères de l'Empire byzantin sont les suivants: formation hellénique et chrétienne; monarchie héréditaire et absolue, à la façon des monarchies asiatiques; Etat oriental, c'est-à-dire théocratique ou religieux; administration bureaucratique et fortement centralisée. Quant aux grandes crises extérieures et intérieures, qui secoueront continuellement cet Empire à partir du Ve siècle, et qui seront des plaies endémiques pendant toute la durée de sa longue existence, ce sont: les ruées barbares, la rivalité avec la Perse, et les querelles religieuses. c. Monarchie hellénique Nous avons vu que, dès Dioclétien, l'Empire romain d'Orient commença à s'élaborer et que, sous Constantin, depuis surtout la fondation de Con-

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stantinople, le futur Empire byzantin, groupé autour de la nouvelle capitale, grecque et chrétienne, commença à s'ébaucher. A partir de 395, l'Empire romain d'Orient tiendra tout entier en Byzance; et «Byzance, c'est la fin de Rome» et de la romanité en Orient. C'est à partir de 395, en effet, que le vieux monde gréco-égéen (II, p. 349—350), dont la personnalité s'est grandement développée depuis l'expansion gréco-macédonienne (330 av. J.-C.), reprendra, dans l'histoire et sur la scène du Proche-Orient, son rôle prééminent d'autrefois, auquel avaient mis fin les conquêtes de Pompée (64 av. J.-C.). Les Romains avaient relevé, en Orient, les monarchies hellénistiques, vieillies et décadentes. Rajeunis, entre-temps, par de nouveaux mélanges ethniques, les Gréco-Egéens se substituent, insensiblement et sans conquête, aux Romains épuisés à leur tour. Ce nouvel Empire gréco-égéen, pacifiquement édifié, n'est, en somme, que l'ancien Empire gréco-macédonien d'Alexandre et de ses successeurs les rois hellénistiques du Proche-Orient, reconstitué et unifié sous la direction de la cité hellénique de Byzance. La langue grecque qui, même sous les Romains, n'avait pas été menacée par le latin officiel, reprend son ascendant. Ce nouvel Empire, qu'on continuera à dénommer «romain», ne sera plus, en fait, qu'un Empire gréco-oriental, dont l'hellénisme est le caractère original et la force. En dépit du titre d'«empereurs des Romains» dont ils continueront à se décorer et de l'usage officiel du latin qu'ils s'efforceront de maintenir partiellement, les successeurs de Théodose I, en Orient, commandent à des Grecs, et eux-mêmes le sont ou le deviennent. «On parle souvent de cet empire «oriental» ou byzantin comme s'il avait continué la tradition romaine.. . Cet empire reposait sur une tradition beaucoup plus ancienne que celle de Rome . . . En fait, il s'agit de l'empire hellénique, dont rêvait Hérodote, et qu'avait fondé Alexandre le Grand . . . L'Empire d'Orient parla donc grec et continua, bien que sous une forme dégénérée, la tradition hellénique. Son centre intellectuel n'était cependant plus la Grèce, mais Alexandrie.»1 Ainsi, ce nouvel Empire gréco-oriental évoluera désormais sous la forme d'un Etat gréco-égéen, authentiquement hellénique et axé sur l'Orient asiatique et méditerranéen. C'est en Orient, en effet, en Grèce, Asie Mineure, Syrie, Egypte, que se trouvent sa force et ses intérêts; et c'est en Orient aussi que les périls menaceront constamment son existence: les invasions barbares, dans les Balkans, et celles des Perses, en Asie. d.

L'Empire byzantin, monarchie

chrétienne

«Dans cette monarchie où le christianisme était devenu la religion d'Etat, 1

H. G. Wells, Esquisse de l'Histoire Universelle, p. 253, 254 et 278.

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où l'Eglise, tout ensemble protégée et gouvernée par l'empereur, était étroitement mêlée à toutes les affaires publiques, Constantinople, toute pleine d'églises, fut une grande cité religieuse. A son évêque, le concile oecuménique de 381 venait d'attribuer la prééminence honorifique . . . après l'évêque de Rome, le plaçant au-dessus des autres patriarches orientaux et tendant à faire de lui comme le pape de l'Orient... Et ainsi apparaissent, dès le début du Ve siècle, quelques-uns des traits qui caractériseront le mieux l'empire byzantin. Dans cette monarchie absolue et de droit divin, où l'empereur est le représentant et le vicaire de Dieu sur la terre, où sa personne et tout ce qui l'approche sont considérés comme sacrés, deux influences s'exerceront toutes-puissantes aussi longtemps que cet empire durera: celle de l'hellénisme et celle de l'orthodoxie.»2 e. L'Eglise orientale, spéculative et soumise à l'Etat Tandis que, dans l'Empire romain d'Orient, l'hellénisme se substituera graduellement au romanisme, en Occident, par contre, la langue et la tradition latines survivront au déclin et même à la disparition totale de la puissance romaine. Comme la destinée des deux Empires d'Orient et d'Occident, définitivement séparés depuis 395, celle des deux Eglises diffère très sensiblement, elle aussi. L'Eglise d'Occident, «d'un esprit pratique, se préoccupe surtout d'exercer son action sur la révolution politique et sociale qui s'accomplit autour d'elle. Celle d'Orient, spéculative et subtile, disserte sur les dogmes, se divise en controverses passionnées sur la nature du Christ (les hérésies), et multiplie les grands conciles; mais elle laisse l'empereur, héritier du grand pontificat des empereurs romains, prendre sur elle une autorité considérable.»3 f . L'Empire byzantin, monarchie orientale, administrative et bureaucratique Voisine de l'Orient asiatique et méditerranéen, Constantinople donnera à l'Empire byzantin sa conception du pouvoir impérial, en hâtant l'évolution de cette conception qui avait commencé dès le Ille siècle. Au IVe siècle et surtout au Ve, l'autorité impériale deviendra, «à l'image des monarchies orientales, un pouvoir absolu et de droit divin, environné de pompe et d'étiquette destinées à en marquer le caractère sacré» (Diehl). Le souverain incarne l'Etat, et son palais est le «centre de l'Empire». «On ne sert plus l'Etat, mais l'empereur; la notion orientale, et 2 3

Ch. Diehl et G. Marçais, Le Monde Oriental de 395 à 1081, p. 6 et 7. C. Bayet, «Empire byzantin», La Gr. Encyclopédie, VIII, p. 550.

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bientôt médiévale, du service personnel du prince, se substitue à la notion antique de magistrature.»4 Comme au lile siècle, et toujours de plus en plus, l'administration byzantine est centralisée, bureaucratisée, hiérarchisée. «Tout ce peuple de fonctionnaires et leurs innombrables subordonnés dépendaient étroitement du pouvoir central, et attendaient de l'empereur, qui surveillait exactement leurs actes, leur avancement dans la hiérarchie des dignités aussi bien que dans celle des fonctions publiques. Ainsi cet empire apparaît essentiellement comme une monarchie administrative, et il devra pour une part sa durée au système bureaucratique qui lui servait de robuste armature.»5 «Byzance a vécu d'intelligence, de diplomatie, d'astuce, d'expérience du commandement, de science administrative. Jamais peut-être il n'y eut mécanisme d'Etat plus savant, plus sûr.» Dans cette organisation bureaucratique et centralisée, «l'économie sociale est conçue comme une vaste administration où chacun a sa fonction... L'individu ne compte pas, simple rouage de la machine... Ce qui est vrai des sujets ne l'est pas moins de l'empereur dont la fonction, condition nécessaire de l'existence de l'empire, est naturellement d'autant plus sacrée . . . L'idée du bien de l'ensemble de la société est présente partout; et ici comme là, l'idée du tout n'est pas loin de se confondre avec l'idée de Dieu. L'empereur est presque autant le chef religieux que le chef politique.»6 g. Le césaropapisme à Byzance C'est dans ses tendances vers l'absolutisme théocratique que le caractère oriental de l'Empire byzantin se manifeste avec netteté. Comme dans les monarchies orientales, le politique et le religieux s'y confondent et l'Eglise y dépend étroitement de l'Etat, suivant la doctrine qui sera celle de Byzance et qu'on désigne parfois du nom de césaropapisme. On doit reconnaître cependant que, si l'empereur byzantin «est presque autant le chef religieux que le chef politique», le patriarche de Constantinople, dont le rôle n'est pas complètement effacé, conservera toujours une certaine indépendance. Le césaropapisme byzantin n'est donc pas absolu. Ce sera, plus tard, Moscou qui, revendiquant l'héritage de Byzance, ira, dans ce domaine, jusqu'au bout. Moins évolués ou plus asiatisés, les futurs Tsars «seront véritablement papes et césars». h. Etendue et organisation administrative de l'Empire byzantin En 395, l'Empire byzantin comprend, en Europe, la péninsule balkanique; en Asie, l'Asie Mineure et la Syrie; et en Afrique, l'Egypte et la Libye. 4 5 0

P. Lemerle, Histoire de Byzance, p. 27. Diehl et Marçais, op. cit., p. 4. Platon, «Classe», La Gr. Encycl., XI, p. 559.

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Ce vaste domaine est partagé, comme au temps de Dioctétien et de Constantin, en deux préfectures du prétoire, celle d'Illyrie et celle d'Orient. Ces deux préfectures sont divisées en sept diocèses: deux pour la préfecture d'Illyrie: Macédoine et Dacie, et cinq pour les préfectures d'Orient: Orient proprement dit, Asie, Pont, Thrace, Egypte. Chacun de ces diocèses est subdivisé en provinces. Le diocèse d'Orient proprement dit compte 15 provinces: Palestine, Phénicie, Syrie, Cilicie, Chypre, Arabie (Tranjordanie), Palestine seconde, Palestine Salutaris, Phénicie du Liban, Euphratèse, Syrie Salutaris, Osrohène (Edesse), Mésopotamie, Cilicie seconde, Isaurie. Le diocèse d'Egypte comprend six provinces; celui d'Asie, onze; celui du Pont, onze; celui de Thrace, six. Le diocèse de Macédonie et celui de Dacie, comptent, le premier, 6 provinces, et le second, cinq. Il y a donc onze provinces pour la préfecture d'Illyrie et 49 pour la préfecture d'Orient, soit, au total, 60 provinces pour tout l'Empire. Comme sous Dioctétien, les hauts dignitaires qui sont à la tête de l'administration civile de ces unités administratives, sont, au sommet, les deux préfets du prétoire, ceux d'Orient et d'Illyrie, véritables vice-empereurs qui résident à Constantinople. Les diocèses sont administrés par des vicaires du préfet, qui ont, sous leurs ordres, les gouverneurs de province. Deux des vicaires du préfet du prétoire pour l'Orient portent des titres spéciaux: comte d'Orient, pour le diocèse d'Orient proprement dit, et préfet Augustral, pour le diocèse d'Egypte. Le premier réside à Antioche, et le second à Alexandrie. Ils ont, sous leurs ordres, les gouverneurs des provinces. i. Les titres des hauts dignitaires A tous les personnages de la hiérarchie politique, administrative et militaire, correspondent des titres honorifiques. Le titre de nobilissime est réservé aux princes du sang; les consuls ont le titre de gloriosus. Les plus hauts fonctionnaires: les préfets, les ministres, sont dits illuster; les soussecrétaires d'Etat, proconsuls, vicaires des diocèses et généraux, sont les spectabiles; les chefs de bureau sont les perfectissimi et les clarissimi. Un grand nombre de personnages de cette hiérarchie sont qualifiés de comtes (comités), c'est-à-dire compagnons du prince ou conseillers: ce sont les membres du conseil privé de l'empereur, les ministres des finances, le vicaire d'Orient, les commandants de la garde et plusieurs chefs militaires. On multiplie les décorations, les insignes extérieurs de chaque fonction. Outre le traitement, les fonctionnaires bénéficient d'une série de privilèges et d'exemptions; une nouvelle noblesse administrative se constitue. Mais le pouvoir, qui repose sur la bureaucratie, conserve vis-à-vis de ses agents une grande méfiance. Redoutant leur ambition et leurs intrigues, il ne les

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nomme que pour un certain délai et les déplace constamment, paralysant ainsi les principaux mérites de son système. 2. Les trois grandes crises du Ve siècle: ruées barbares, rivalité avec les Perses, querelles religieuses Pendant toute la durée de l'Empire byzantin, et particulièrement au Ve siècle, trois grands problèmes domineront l'évolution générale de cet Empire: la question des invasions barbares, la rivalité traditionnelle avec les Perses, et les crises intérieures provoquées par les querelles religieuses. Si, en dépit de ces graves questions, qui secoueront profondément et périodiquement le monde gréco-oriental, l'Empire byzantin subsistera quand même pendant de nombreux siècles, c'est à sa propre vitalité, et non à la valeur personnelle des empereurs, qu'il le doit. Loint d'être «une pâle survivance de l'empire romain, descendant de façon continue et fatale vers la ruine définitive, au milieu des querelles de moines et des cérémonies compliquées d'une cour presque barbare», l'Empire byzantin, «qui, pendant onze siècles, aux confins de l'Occident et de l'Orient, a su résister aux coups portés par l'un et l'autre et remplir auprès de l'un et de l'autre sa mission historique et civilisatrice, mérite mieux que l'indifférence ou le mépris»,7 que certains érudits et philosophes, plus préoccupés de polémique que d'histoire, ont contribué à créer autour de son nom. Bien que le péril barbare soit loin d'être négligeable, ce sont surtout les dissensions religieuses qui, à partir du Ve siècle, agiteront et remueront profondément le monde oriental et son Empire. Si, en effet, les Barbares, dans les pays balkaniques, et les Perses, en Asie Mineure et en Syrie, menacent l'existence ou tout au moins l'intégrité territoriale de l'Empire byzantin, les querelles religieuses et les schismes qu'elles provoqueront ont aussi une portée aussi grave: elles menacent l'unité politique de l'Etat, par le danger des mouvements séparatistes qu'elles contribueront à développer. «On a aujourd'hui peine à comprendre le trouble profond qu'apportèrent dans l'empire ces grandes hérésies: arianisme, nestorianisme, monophysisme, où il semble que la subtilité métaphysique des théologiens de l'Orient se soit acharnée en discussions compliquées sur des formules assez vaines. Sous ces apparences religieuses se cachaient souvent des oppositions politiques: antagonisme de la Syrie et de l'Egypte contre la domination hellénique, rivalité des patriarches d'Alexandrie, qui rêvaient d'être les papes de l'Orient, et de ceux de Constantinople.»8 7 8

Lemerle, Histoire de Byzance, p. 6. C. Diehl, «L'Empire byzantin», Gr. Mem. Encycl. Larousse,

I, p. 220.

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a. La crise des invasions barbares et la guerre endémique avec les Perses Pacifique au début, la pénétration des Barbares à l'intérieur du monde gréco-romain, se fit d'abord sous la forme de migrations de hordes faméliques, cherchant des moyens de travailler et de vivre. A partir du Ille siècle, ces déplacements avaient commencé à prendre l'aspect de l'envahissement violent. En 376, deux cents mille Wisigoths, fuyant les Huns, avaient franchi le Danube et envahi la Thrace. Etablis en Mésie (382), à titre d'alliés, ils se soulèvent, vers 400, et ravagent la péninsule hellénique sous la conduite de leur chef Alaric. Incapable de les refouler, l'empereur Arcadius leur concède de nouveaux territoires et accorde à Alaric un très haut grade militaire. En 408, Alaric et ses hordes, tentés par l'Occident affaibli, se tournent vers la Gaule et l'Espagne, où ils s'installeront bientôt. En 395, les Huns, franchissant le Caucase, dévastent l'Asie Mineure, la Mésopotamie, la Syrie, et arrivent sur les rives du Danube où ils s'établissent. En 434, leur chef Attila franchit le Danube et s'empare de plusieurs villes; l'Empire, impuissant, achète la paix en payant un gros tribut. En 447, l'avide chef barbare envahit encore la Grèce et marche sur Constantinople, qui conclut avec lui un traité humiliant. «En réalité, l'empire était alors à sa merci. Le hasard, ou cette Providence qui, à l'heure des pires dangers, intervint si souvent en faveur de Byzance, détourna Attila vers l'Occident, comme, une fois déjà, elle y avait attiré les Wisigoths; de ce nouveau péril, plus redoutable, plus immédiat que le précédent, l'empire d'Orient fut à nouveau sauvé.»9 Une troisième vague de Barbares, les Ostrogoths, essayera, au Ve siècle, de dominer à Byzance. Etablis dans l'Empire à titre d'alliés, bénéficiant d'un important tribut, les Ostrogoths interviennent constamment dans la politique intérieure et concourent même à l'accession des empereurs au trône. La diplomatie byzantine, qui souffre de leur arrogance et commence à craindre leurs convoitises, réussira à détourner leur ambition vers l'Empire romain d'Occident, détruit par les Germains en 475 (p. 246). Attiré par cette proie relativement facile à prendre, leur chef Théodoric, élevé à la cour de Constantinople, s'embarque pour l'Italie. Battant les Germains et chassant Odoacre de Ravenne, il fait de cette ville la capitale de son royaume (493). «Ainsi, la troisième vague d'assaut était détournée à son tour; et, finalement, . . . après avoir été bien souvent sur le point d'être saisi et dépecé par (les envahisseurs), l'empire d'Orient était délivré de cette longue et terrible menace: le flot se déversait sur l'Occident.»10 ' A. Bailly, op. cit., p. 42. A . Bailly, op. cit., p. 43.

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A partir de la fin du Ve siècle et du début du Vie, de nouvelles populations barbares, qui s'étaient établies au nord du Danube, seront, à leur tour, successivement attirées par les richesses et les trésors des cités et la fertilité des campagnes gréco-romaines. Ce sont les Lombards, les Hérules, les Gépides, les Avars, à l'Ouest; les Slaves, Bulgares, Antes et Huns, sur le cours inférieur du Danube. A mesure que les troupes byzantines, appelées ailleurs, dégarnissent les frontières des Balkans, ces divers peuples envahissent les provinces de l'Empire, et poussent même jusque sous les murs de Constantinople. Ce fléau chronique, qui ravagera périodiquement les provinces balkaniques, ruinera et décimera leurs populations. Procope estime «à plus de 200.000 le nombre des Romains qui, dans chacune de ces invasions, furent massacrés ou emmenés en captivité».11 Ces provinces continuellement envahies deviendront, peu à peu, des territoires déserts. Mais, à la différence de ce qui s'est passé en Occident, les années byzantines empêcheront qu'aucun de ces peuples envahisseurs ne s'établisse à demeure, à l'intérieur des frontières. Une autre plaie chronique, qui, depuis plusieurs siècles, n'avait cessé d'anémier le monde gréco-romain, est constituée par la vieille rivalité de l'Empire gréco-romain et de l'Iran. Comme leurs prédécesseurs parthes, les Perses sassânides continueront leurs attaques et leurs incursions, en direction de la Syrie, de l'Arménie et de l'Asie Mineure, jusqu'à la destruction et la disparition de l'Empire iranien, en 640. b. La crise politico-religieuse au Ve siècle La crise politique du Ille siècle, en désorganisant l'Empire romain universel, avait amené la dislocation de cet Empire et la naissance de l'Empire romain d'Orient, qui lui a succédé. La crise religieuse que connaîtra l'Empire byzantin au Ve siècle, en provoquant la division et les querelles intestines, aboutira à la rupture de l'unité spirituelle de la monarchie et à l'affaiblissement de sa puissance défensive, et favorisera les tendances séparatistes et autonomistes de la Syrie et de l'Egypte, force et richesse de l'Empire byzantin. Les crises religieuses couvrent des problèmes politiques. — C'est juger très superficiellement que de considérer comme des arguties purement théologiques les débats religieux qui, à partir du Ve siècle, occuperont constamment le monde de Byzance. Ces grands débats théologiques, qui passionnaient les foules et intéressaient les hommes politiques, couvrent, on le répète, de nombreux problèmes politiques. «Sous les apparences de la lutte religieuse, il semble bien que se cachent 11

Diehl et Marçais, op. cit., p. 73.

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des intérêts, des programmes, des oppositions politiques, et que l'antipathie ancienne et profonde de l'Egypte et de la Syrie sémitiques contre le monde grec et sa capitale Constantinople ait trouvé volontiers, dans ces querelles, l'occasion de se manifester, opposition qui devait peser lourdement sur les destinées de l'empire.»12 Les hérésies religieuses, produit de la pensée grecque. — On a tendance à croire que c'est l'Orient sémitique et égyptien qui est à l'origine des crises religieuses qui divisèrent le christianisme naissant. En réalité, ce sont plutôt les Grecs, qui, grâce à leur esprit raisonneur, déclenchèrent ces querelles, auxquelles les autres Orientaux se sont naturellement associés. «Confiants en la raison, sa force intuitive et ses raisonnements discursifs», «les Grecs qui se font chrétiens apportent dans leur foi leurs habitudes d'esprit: ils veulent voir clair, ils définissent donc et analysent» (A. Dufourcq). Ce sont, en effet, les Ecoles grecques d'Antioche, d'Alexandrie et de Constantinople, qui, par des doctrines théologiques opposées, défigurent la foi et déclenchent les discussions religieuses. Les évêques ou patriarches de ces métropoles, leurs partisans grecs et indigènes, trouveront respectivement, dans ces discussions, un motif pour affirmer leurs rivalités cléricales, leurs tendances particularistes et leurs aspirations autonomistes. Rivalité des patriarches. — La rivalité des évêques ou patriarches de Constantinople, de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche, a pour cause apparente une question de prééminence. En réalité, les conflits qui opposent ces grands prélats ont pour mobiles une volonté d'émancipation chez les uns, ou de suprématie chez les autres. L'évêque de Rome cherche à maintenir son autorité sur l'ensemble du monde chrétien. Le patriarche de Constantinople veut soustraire l'Empire byzantin à la tutelle religieuse de Rome et rêve, en même temps, d'être le pape de l'Orient. Quant au patriarche d'Alexandrie, qui aspire au même rôle que celui de Constantinople, son mouvement incarne l'opposition de l'Orient méditerranéen contre la domination gréco-byzantine. Du triomphe de l'un ou de l'autre de ces divers mouvements, dépendent, en grande partie, le maintien ou la rupture de l'unité de l'Empire. Oppositions politiques et tendances séparatistes. — Au Ve siècle, l'idée de la communauté romaine, où les divers peuples civilisés étaient, depuis assez longtemps, groupés sous une autorité commune, était devenue une conception communément admise. Le prestige de l'Empire romain était encore trop considérable pour inspirer aux divers peuples qui le composent l'idée de s'en détacher. Les Barbares eux-mêmes, admirant les grands souvenirs de cet Empire, chercheront à avoir des titres impériaux. 12

Diehl et Marçais, op. cit., p. 21, 22.

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Cet état d'esprit est toutefois contrecarré par des sentiments complexes et divers (oppositions internes ou nationalismes régionaux), qui, devant la faiblesse croissante de l'Etat, pousseront instinctivement les factions politiques de la capitale à briguer les hautes charges de l'Etat, et les divers peuples de l'Empire à retourner à la «nation géographique». Ces sentiments nouveaux, ou en voie de renaissance, se manifesteront bruyamment sous la forme de l'opposition religieuse. L'évolution naturelle de ces divers sentiments incitera d'abord les empereurs de Byzance, devenus les protecteurs de l'Eglise d'Orient, à se libérer complètement de la tutelle religieuse des papes de l'Occident. Elle portera aussi les factions politiques, sous prétexte de défendre leurs idées et leurs convictions religieuses, différentes de celles du pouvoir politique, à combattre le despotisme impérial. Elle poussera enfin les populations de la Syrie et de l'Egypte à manifester leur esprit particulariste et leurs tendances autonomistes, sous forme de doctrines religieuses opposées à celles, dites orthodoxes, professées et imposées par Byzance. Les hérésies religieuses, doctrines répréhensibles. — Les crises religieuses qui agiteront l'Empire byzantin sont provoquées par les hérésies, c'est-àdire par des doctrines réprouvées par l'Eglise. Dès avant le triomphe officiel du christianisme, le corps des fidèles connaissait déjà ce mal. Mais la lutte qu'on devait soutenir contre les païens et les persécutions contre les chrétiens, faisaient qu'on y fermait trop souvent l'œil. Ainsi, de nombreuses doctrines hétérodoxes sont restées ignorées. Le triomphe du christianisme amène les empereurs à traiter les hérétiques comme des rebelles et des malfaiteurs. Sous Constantin, les ariens et leurs chefs furent bannis et les donatistes, réduits. Théodose le Grand, Honorius, Arcadius, Théodose II et d'autres empereurs, rendent contre les hérésies de nombreux et sévères édits. Considérée par les théologiens et les canonistes comme le plus grand des crimes, parce qu'elle attaque les fondements de la religion, l'hérésie est punie des plus grandes peines canoniques: déposition pour les clercs, excommunication pour tous et privation de sépulture ecclésiastique. L'Eglise catholique ou universelle, gardienne de l'orthodoxie. — Aux sectes chrétiennes, dont les doctrines erronées étaient susceptibles de troubler la foi, les communautés orthodoxes opposèrent l'unité d'une entité supérieure, qu'elles appelèrent l'Eglise catholique, c'est-à-dire universelle, et s'appliquèrent à donner à cette unité une forme extérieure et visible. Une Règle de foi générale fut instituée (381). Empruntée à la tradition apostolique et destinée à assurer l'unité dogmatique, cette Règle de foi résumait l'ensemble des doctrines essentielles du christianisme. En cas de doute ou de contestation, on s'adressait ordinairement aux Eglises apostoliques, c'est-à-dire aux Eglises dont le siège avait été ou était censé avoir

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été occupé par les apôtres: Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Rome, Ephèse, et qui, pour cette raison, semblaient avoir été constituées dépositaires de leur doctrine. Les conciles oecuméniques, autorité suprême et infaillible. — Depuis la victoire du christianisme, l'autorité morale de l'Eglise fut remplacée par l'action des lois impériales, qui ne reconnaissaient qu'aux catholiques seuls la qualité de chrétiens et sévissaient contre les dissidents. Lorsque des divergences périlleuses surgissaient, des conciles oecuméniques examinaient les points débattus et se prononçaient sur la catholicité de la doctrine et de la discipline. Ces conciles oecuméniques, investis de l'infaillibilité, devinrent les cours suprêmes de l'Eglise. Leurs décisions dépendaient, en grande partie, des patriarches, auxquels les autres évêques étaient habitués à obéir, et parfois elles étaient déterminées par les impulsions des empereurs. Les doctrines christologiques au Ve siècle. Débats sur les deux natures du Christ. — Les débats religieux, au Ve siècle, porteront sur la nature humaine et la nature divine du Christ. Le Concile de Nicée (325), qui avait condamné l'arianisme et proclamé que le Christ était de même essence que Dieu le Père, n'avait pas eu à se prononcer sur la façon dont s'unissaient ces deux natures en Jésus-Christ. Les doctrines christologiques qui, au Ve siècle, diviseront le monde chrétien et l'Empire entre plusieurs camps passionnément hostiles, naîtront des diverses solutions données à ce problème. Pour les théologiens de l'Eglise d'Antioche, la nature humaine, dans la personne du Christ, occupe une grande place (nestorianisme). Pour l'Ecole d'Alexandrie, au contraire, la nature humaine est reléguée au second plan (monophysisme). Ces deux doctrines soulèveront des problèmes qui touchent à la grave question de la Rédemption. Si l'homme seul a souffert sur la croix (école d'Antioche), l'humanité n'est plus rachetée; et si c'est Dieu qui a subi le supplice de la croix (école d'Alexandrie), cette hypothèse est impossible et absurde. Soulevés par les rivalités et les ambitions des patriarches de Constantinople et d'Alexandrie, ces débats christologiques prendront bien vite une tournure politique violente. «Un déchaînement de passions religieuses, des conflits de métropoles, des rivalités entre potentats ecclésiastiques, des conciles bruyants, des lois impériales, des destitutions, des exils, des émeutes, des schismes, voilà les conditions dans lesquelles les théologiens grecs étudièrent le dogme de l'Incarnation. Et si l'on regarde à quoi aboutirent leurs querelles, on voit, au fond de la perspective, l'Eglise orientale irréparablement divisée, l'em-

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pire chrétien démembré, les lieutenants de Mahomet foulant aux pieds la Syrie et l'Egypte. Tel est le prix de ces exercices métaphysiques.»13 Il ne serait peut-être pas sans intérêt de rappeler ici que ces deux doctrines théologiques sur l'Incarnation, produit respectif du génie gréco-sémitique (Antioche) et gréco-égyptien (Alexandrie), trouvent comme antécédents, dans le passé lointain des deux contrées où elles ont pris naissance, deux conceptions identiques sur l'origine divine du pouvoir monarchique. En effet, tandis que le monarque syro-mésopotamien est un homme, simple vicaire des dieux (patesi), en Egypte, par contre, le pharaon est dieu sur terre et fils des dieux.

" Mgr Duchesne, cité par Diehl et Marçais, op. cit., p. 24.

II. Les Eglises apostoliques au Ve siècle: Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem 1. Les Eglises apostoliques Les Eglises apostoliques sont au nombre de cinq: une en Occident, celle de Rome; et quatre en Orient: celles de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem. Elles sont dites apostoliques, parce qu'elles ont eu, on l'a dit, des apôtres comme premiers évêques: saint Pierre, pour Jérusalem, Antioche et Rome; saint Marc, pour Alexandrie. Quant à Constantinople, qui tient son rang de sa qualité de capitale d'Empire, elle peut arguer du caractère apostolique du fait qu'elle a absorbé et s'est fait rattacher l'Eglise apostolique d'Ephèse, qui aurait eu saint Paul comme fondateur. En se développant, l'Eglise constitua son organisation dans les cadres établis par Dioclétien et Constantin pour l'organisation administrative de l'Empire romain. D'une manière générale, le chef-lieu de la province est le siège d'un évêque; et la métropole civile du diocèse impérial est celui d'un métropolitain ou métropolite (archevêque), auquel sont subordonnés les évêques des provinces groupées en diocèse. Mais cette hiérarchie ne comportait alors que les titres d'évêque et de métropolitain; les noms d'archevêque, d'exarque, de patriarche, n'avaient point de valeur officielle. Au Concile de Nicée (325), cette organisation apparaît comme déjà réalisée, au moins pour l'Orient. Au deuxième Concile oecuménique de Constantinople (381), les diocèses d'Orient sont adoptés comme ressorts d'une juridiction ecclésiastique supérieure. Dans le diocèse de Thrace et, plus tard, dans ceux du Pont et d'Asie, cette juridiction est attribuée à l'évêque de Constantinople; dans les diocèses d'Orient proprement dit et d'Egypte, elle reste possédée par les évêques d'Antioche et d'Alexandrie. En outre, on décerne à l'évêque de Constantinople la préséance sur tout l'épiscopat oriental, à l'instar de la préséance reconnue à l'évêque de Rome. En 451, le Concile de Chalcédoine reconnaît à l'Eglise de Constantinople les mêmes privilèges qu'à celle de Rome. Il retire au siège d'Antioche la juridiction sur les trois provinces de la Palestine et l'attribue au siège de Jérusalem (451). A cette même date, l'Eglise de Chypre est reconnue indépendante. Ainsi se trouvent constituées, en Orient, vers le milieu du Ve siècle,

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quatre grandes circonscriptions ecclésiastiques indépendantes les unes des autres, dont les centres sont: Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, non compris la circonscription autocéphale de la province de Chypre. En Occident, toute la suprématie est reconnue au siège de Rome. Nous dirons brièvement un mot des Eglises de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche, laissant de côté l'Eglise de Constantinople, dominée par l'empereur, et celle de Jérusalem, peu importante au point de vue du territoire et du nombre des fidèles. a. Les titres de patriarche et de pape Le terme de patriarche, emprunté au grec, signifie père de famille; il a été appliqué par l'usage à certaines figures de la légende juive et de l'histoire ancienne d'Israël: Adam, Noé, Abraham, Jacob, etc. Bien que, dès 536, l'évêque de Constantinople s'intitule patriarche oecuménique et que le nom de patriarche soit fréquemment employé, dans des documents, pour désigner les évêques ou métropolitains d'Alexandrie, d'Antioche, de Constantinople, de Jérusalem et de Rome, c'est seulement à partir du Ville ou IXe siècle, que ce nom de patriarche apparaît comme désignant une dignité propre aux chefs de ces cinq Eglises. Le titre de pape, qui signifie père, est aussi d'origine grecque. Ce nom fut donné, par les chrétiens de l'Eglise primitive, à tous les clercs, qui étaient leurs pères spirituels, et, avec un caractère spécial, aux évêques ou métropolitains d'Alexandrie, Antioche, Jérusalem et Constantinople. Dans l'Eglise d'Occident, le titre de pape, réservé d'abord aux évêques et aux abbés, sera exclusivement attribué à l'évêque de Rome, vers la fin du Vie siècle. 2. L'Eglise de Rome On attribue la fondation de l'Eglise de Rome à saint Pierre, qui aurait été martyrisé dans cette ville, en 66. Pendant les premiers siècles, le nombre des chrétiens de langue latine était faible, en comparaison de celui des fidèles des Eglises gréco-orientales. Ne possédant point encore de littérature, l'Eglise latine se rattachait au christianisme oriental. C'est en grec qu'ont écrit les anciens auteurs de l'Occident. Tous les conciles oecuméniques, jusqu'en 869, furent assemblés dans la partie orientale de l'Empire et rédigèrent leurs canons en grec. Dès les premiers temps toutefois, on note «une différence essentielle entre le caractère de la théologie ou le tempérament des théologiens dans les deux Eglises. Tandis que les théologiens grecs, notamment les alexandrins, pénétrés consciemment ou inconsciemment de philosophie, se livrent

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aux spéculations les plus téméraires sur les objets de la métaphysique religieuse, les théologiens latins réprouvent la philosophie, comme la mère des hérésies, et se gardent contre les hardiesses de la pensée; ils acceptent comme inviolables toutes les doctrines transmises par la tradition ou énoncées par les conciles, et ils se contentent de les expliquer et de les défendre. Quand ils se permettent un effort original, ils le font porter sur des sujets pratiques et positifs: apologétique, culte, sacrements, moyens de salut, morale, discipline, gouvernement ecclésiastique.»1 Vers la fin du Ile siècle, on trouve, en Occident, la reconnaissance d'une certaine supériorité de l'Eglise de Rome. Cette supériorité résulte surtout du fait que cette Eglise, ayant été fondée par Pierre et Paul, est la dépositaire et la gardienne de l'enseignement de ces deux apôtres. Mais les Eglises de Jérusalem, d'Antioche et d'Alexandrie ont été, elles aussi, fondées par des apôtres. Il s'ensuit qu'à la complète égalité de tous les apôtres, correspond l'égalité épiscopale. Le texte grec du Concile de Nicée (325) ne mentionne nullement la primauté du siège de Rome. Au IVe siècle et au commencement du Ve, les évêques de Rome, écrivant à d'autres évêques, prennent encore et tout simplement le titre d'évêque de la ville ou de l'Eglise de Rome. Outre le fait que l'Eglise romaine a été fondée par les apôtres Pierre et Paul, une autre cause a concouru à l'extension de l'autorité des évêques de cette Eglise: c'est l'importance de leur métropole. Dès que le christianisme devint la religion de l'Etat, il éprouva le besoin instinctif de faire refléter, dans l'Eglise, l'image de l'Empire romain. Dans ces conditions, le siège de Rome se trouvait naturellement désigné pour l'honneur suprême. Le principe de l'appel à Rome, même contre les synodes provinciaux, fut admis par le Concile de Sardique (347). Mais les Orientaux ont toujours protesté contre ce Concile, auquel ils avaient refusé d'assister. Le Concile de Constantinople (381) statua que l'Eglise de cette ville aurait la préséance d'honneur après l'Eglise de Rome (p. 239, 240, 243). Dès le commencement du Ve siècle, les évêques de Rome s'appliquent à revendiquer et à exercer l'autorité suprême, à titre de successeurs de saint Pierre. Le Concile oecuménique de Chalcédoine (451) rappelle aux évêques de Rome que leur siège devait la préséance, qui lui avait été précédemment reconnue, à la situation politique de leur ville, et que «le Très Saint-Siège de la nouvelle Rome» (Constantinople) devait jouir des mêmes privilèges que celui de l'ancienne. Bien que l'évêque de Rome, Léon 1er dit le Grand, déclarât ce canon nul et le cassât, la décision du Concile de Chalcédoine, sur la question de la préséance, a déterminé, depuis lors, le régime de l'Eglise d'Orient, en même temps que sa conduite et sa doc1

Vollet, «Eglise», La Gr. Encyclopédie, XV, p. 679.

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trine à l'égard des prérogatives de Rome. Le refus des papes d'en tenir compte fut la cause originelle du futur «schisme d'Orient» (p. 286). Léon le Grand (440—461) est le premier évêque de Rome qui prit le vieux titre romain de souverain pontife; le titre de pape ne sera attribué exclusivement à ses successeurs qu'à la fin du Vie siècle. S'appuyant sur le Concile de Sardique, sur l'importance historique de Rome et surtout sur les prérogatives de saint Pierre, Léon obtint de l'empereur d'Occident un édit qui soumet à l'évêque de Rome tous les évêques de l'Empire occidental (455). 3. L'Eglise d'Alexandrie Vers le même temps où l'évêque de Rome aspirait à devenir la tête de l'Eglise d'Occident, celui d'Alexandrie rêvait d'être le chef suprême des Eglises d'Orient. Cette prétention paraît, à priori, injustifiée. Les Eglises de Constantinople, d'Antioche, de Jérusalem et de Rome semblent devoir être supérieures à celle d'Egypte: la première, à cause de son rang politique; les trois autres, à raison de leurs premiers fondateurs. Cependant l'Eglise d'Alexandrie domine, en fait, toutes les Eglises d'Orient, y compris celle de Constantinople, capitale de l'Empire. Cette situation, elle la doit à plusieurs causes, dont les plus importantes sont: son école théologique, la toute-puissance de son évêque et le rôle d'Alexandrie, la plus grande et la plus riche cité de l'Orient, comme centre intellectuel mondial. a. L'Ecole théologique d'Alexandrie Dès la fin du Ile siècle, l'Ecole d'Alexandrie est déjà florissante; son institution avait été nécessitée par la situation de l'Eglise dans une ville intellectuelle, qui est le siège de toutes les études. Le christianisme devait offrir, aux païens instruits qui venaient à lui, une doctrine scientifique; il devait aussi être défendu contre les attaques des philosophes et des rhéteurs païens. Cette Ecole avait été illustrée par Clément, mort en 220, et par Origène, mort en 254. Elle tient une place considérable dans l'histoire de la théologie chrétienne, dans les spéculations de la métaphysique et l'interprétation allégorique. Les anciens documents ne mentionnent, pour cette époque, aucune Ecole analogue dans aucune autre ville. b. Prestige et puissance de l'évêque d'Alexandrie C'est l'Eglise d'Alexandrie qui, au Concile de Nicée (325), avait fixé les formules de la foi chrétienne et vaincu l'arianisme. L'empereur, en 380, lui avait reconnu le rôle capital dans la défense de l'orthodoxie. Et bien que le concile de 381 eût donné à l'évêque de Constantinople le premier

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rang après celui de Rome, les évêques d'Alexandrie avaient souvent marqué leur supériorité sur ceux de la capitale. «Dans tout le monde chrétien, le prestige d'Alexandrie était grand; elle se recommandait tout ensemble du souvenir de saint Marc, qui avait été son premier évêque, et de celui de saint Athanase, qui avait défendu l'orthodoxie, sauvé l'Eglise, et qui avait vraiment dirigé le monde chrétien. A ce prestige s'ajoutait la puissance redoutable que possédait en Egypte l'évêque d'Alexandrie. Il avait sur son clergé une autorité absolue; il trouvait dans les moines, qui peuplaient les innombrables monastères du désert, . . . une armée fidèle, dévouée, souvent indisciplinée et fanatique, prête à le soutenir en toute circonstance. Le peuple enfin avait pour son chef religieux une vénération profonde; un esprit national commençait à naître autour d'une Eglise nationale, et le patriarche apparaissait comme le successeur des anciens Pharaons. Il était par surcroît fort riche et il savait distribuer son argent à propos; enfin les fonctionnaires impériaux étaient à sa dévotion. Les patriarches d'Alexandrie surent utiliser ces forces au profit de leurs ambitions. Profondément jaloux de leur rival, l'évêque de Constantinople, désireux de fonder en Orient une papauté alexandrine, ils conduisirent la lutte avec une énergie brutale, et plus d'une fois en véritables démagogues... Ils eurent en outre cette bonne fortune de rencontrer une alliée dans la papauté romaine, intéressée comme eux à humilier Constantinople.»2 En plus de son Ecole théologique et chrétienne, Alexandrie, ce phare de lumière, possède aussi une Ecole païenne de philosophie et une Ecole juive. c.

L'Ecole païenne de philosophie

Très célèbre, fondée à la fin du Ile siècle de notre ère, l'Ecole de philosophie d'Alexandrie est la dernière grande Ecole de l'antiquité païenne. Sa doctrine est un platonisme rajeuni ou néoplatonisme. Elle doit sa physionomie propre à la tendance synthétique d'unir en elle l'esprit grec et l'esprit de l'Orient. En outre, elle représente le monde antique dans ses derniers efforts de résistance au christianisme triomphant. Elle joua, au temps de l'empereur philosophe Julien l'Apostat (361—363), un rôle actif dans la restauration des vieilles croyances païennes, qu'il s'agissait de rendre acceptables aux esprits éclairés. Cette Ecole, qui ira désormais en dégénérant, finira par disparaître vers la fin du Vie siècle. d. L'Ecole juive

d'Alexandrie

Quant à l'Ecole juive d'Alexandrie, son rôle dans le mouvement intellectuel de l'époque n'est pas moins important. 2

Diehl et Marçais, op. cit., p. 25, 26.

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En Egypte, les Juifs adoptent la langue grecque, oubliant presque entièrement l'hébreu. Devenus des lecteurs et des admirateurs des poètes et philosophes grecs, ils combinent, dans leur littérature, la civilisation grecque et la civilisation orientale et contribuent, par cette fusion, à rajeunir l'une et l'autre. «Comme les autres Asiatiques, ils ont apporté et mis dans le courant de la grande circulation des vues nouvelles, pour les peuples occidentaux, sur la religion, la philosophie, l'histoire. Ils écrivent et pensent... pour ce monde cosmopolite dont Alexandrie était devenue plus ou moins la capitale intellectuelle. Ils y propagent discrètement quelques-uns des principes fondamentaux du judaïsme, tels que l'unité de Dieu, la foi dans une justice supérieure, et aident ainsi à préparer, parmi les païens, l'avènement du christianisme.»3 Mais les Juifs, qui représentent la pensée orientale, incarnent aussi la réaction du monde oriental. Occupant à Alexandrie deux quartiers sur cinq, ils sont intimement mêlés aux événements politiques du pays. A Alexandrie, comme d'ailleurs à Antioche, l'antagonisme entre Grecs et Juifs se traduisait souvent en batailles et en émeutes. Nous avons vu les multiples insurrections que les Juifs ont entreprises, dans tout l'Orient, pour secouer le joug romain (p. 106, 119, 124). Pour les Juifs, la population grecque représente l'Empire romain et la domination occidentale. Ainsi, Alexandrie, sous les Byzantins comme sous les Césars de Rome, demeurait une grande métropole cosmopolite, où la vie intellectuelle était particulièrement intense. Comme sous les Ptolémées, on y rencontrait encore «trois types d'esprit,... qui correspondaient aux types principaux de la race blanche: la mentalité lucide et critique des Grecs aryens, la ferveur et le monothéisme des Juifs sémitiques, et la notion, profondément enracinée chez les peuples de la Méditerranée, d'une religion fondée sur des mystères et des sacrifices».4

4. L'Eglise

d'Antioche

Antioche, après la ruine des Eglises de Judée (70), fut la première métropole des Eglises chrétiennes. C'est dans la nombreuse colonie juive et parmi les Grecs de cette ville, que le christianisme naissant fit ses premières conquêtes, que les fidèles de Jésus-Christ furent, pour la première fois, appelés chrétiens, et que fut fondée la première Eglise des Gentils. Antioche fut le siège des apôtres Pierre et Paul. Aussi, ses évêques, qui seront élevés à la dignité de patriarche, eurent-ils le droit de s'asseoir à côté des évêques de Rome, d'Alexandrie et de Constantinople. Dans la 3 4

Loeb, «Alexandrie», La Grande Encyclopédie, II, p. 130. H. G. Wells, op. cit., p. 184.

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hiérarchie des Eglises chrétiennes réunies à Nicée (321), Antioche occupe le troisième rang, après Rome et Alexandrie. En 381, elle dut céder le pas à Constantinople et, en 481, le Concile de Chalcédoine confirme cet ordre, malgré l'opposition des évêques de Rome et d'Alexandrie. En outre, elle fut le siège de plusieurs conciles ou synodes. Quant à la juridiction ecclésiastique d'Antioche, centre de l'Eglise de Syrie et siège du vicaire impérial, elle s'étendait, au temps des apôtres, sur la Syrie, la Phénicie, la Cilicie, pour embrasser, plus tard, l'ensemble des provinces qui formaient le vaste diocèse politique d'Orient. Au Ve siècle, le Patriarcat d'Antioche compte plusieurs «éparchies» ou provinces ecclésiastiques, constituées à l'intérieur des provinces politiques. En 431, cependant, au Concile d'Ephèse, les trois éparchies de Palestine en sont détachées, pour former le Patriarcat de Jérusalem. Comme l'Eglise d'Egypte, celle de Syrie est une Eglise d'Etat. C'est l'empereur qui crée les cadres et souvent les remplit; c'est lui qui fait les métropolitains. Ces conditions donnent au rôle et à la fonction de l'évêque un caractère officiel. En effet, depuis qu'avec Constantin le christianisme est devenu la religion de l'Etat, les prélats, en dehors de leurs fonctions spirituelles, sont des personnages semi-officiels; quant aux métropolitains et aux patriarches, leur autorité éclipsera, de plus en plus, celle des gouverneurs des provinces et même parfois des vicaires impériaux. Patriarches, métropolitains et évêques, sont les véritables chefs de la nation. a. L'Ecole religieuse d'Antioche Si l'Egypte chrétienne a son Ecole de théologie, la Syrie a aussi les siennes à Antioche, à Edesse et à Nisibine ou Nisibe. Cependant, ce qu'on désigne sous le nom d'Ecole d'Antioche semble correspondre, non à une institution ecclésiastique, mais à une certaine tendance, commune à quelques théologiens de Syrie. «Cette école, qu'un historien allemand appelle Ecole Syrienne historicoexégétique, aurait eu pour caractères propres: de préférer le texte de la Bible aux spéculations théologiques; d'écarter de son interprétation le système des allégories, pour adopter le sens naturellement indiqué par la grammaire et l'histoire; d'attribuer à la nature humaine une part réelle dans la personne du Christ.»5 Rappelons qu'Antioche eut aussi, comme évêque, Paul de Samosate, le conseiller de la reine Zénobie de Palmyre et le précurseur de l'arianisme (p. 174, 175). b. Les Ecoles religieuses d'Edesse et de Nisibine (Nisibe) Dès le milieu du lile siècle, Edesse, où le christianisme avait fait de rapi5

E.-H. V., «Antioche», La Grande Encyclopédie, III, p. 223.

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des progrès, devint peu à peu le centre d'une culture intellectuelle rayonnant dans tout l'Orient. Les chrétiens de Chaldée et de Perse, chassés par les Sassânides, se réfugient à Edesse et contribuent ainsi à donner de l'éclat à son académie. Les querelles religieuses, la lutte des orthodoxes et des nestoriens, qui divisent la ville au Ve siècle, amènent la rupture entre les deux sectes. Il se forma alors deux Ecoles: à Edesse restent les orthodoxes, qui seront plus tard jacobites et monophysites; et les nestoriens se retirent à Nisibine, qui devient à son tour le centre littéraire de toute le société chaldéo-persane. C'est à la suite de cette séparation que la langue araméenne, langue nationale de l'ensemble du Croissant Fertile, se divise en deux idiomes littéraires: celui d'Edesse ou jacobite (syriaque), usité en Syrie, en Palestine et dans le Nord de la Mésopotamie; et le dialecte de Nisibine ou nestorien (chaldéen), employé à l'Est et dans tous les pays où pénètrent les missionnaires nestoriens. Mais le syriaque édessénien reste partout la langue ecclésiastique et littéraire. c.

Edesse,

capitale

intellectuelle

de l'Orient

araméen

Nous avons vu, à l'avènement de l'Empire romain, le royaume araméen de l'Osrohène, cristallisé depuis 132 av. J.-C. autour de sa capitale Edesse, vivre de sa vie propre, sous la direction de sa dynastie arabo-nabatéenne (p. 70—71). «Edesse fut l'initiatrice de la réaction sémitique qui commençait à se faire sentir en Orient contre l'hellénisme et qui ne devait plus cesser jusqu'à la grande révolte de l'Islam. La prédication du christianisme, loin de porter atteinte à l'originalité de ce pays, devait y favoriser au contraire l'éclosion d'une riche littérature syriaque (dialecte araméen oriental), dont le rôle devait un jour être capital dans la formation de la civilisation arabe.»6 C'est à Edesse, dans ce milieu essentiellement araméen, qu'en réaction contre l'hellénisme, la littérature syriaque, expression du nationalisme syrien renaissant, a pris naissance au commencement de l'ère chrétienne. Et c'est d'Edesse, devenue une capitale intellectuelle de l'orientalisme sémitique, que la littérature syriaque, c'est-à-dire araméenne, s'est répandue depuis la Méditerranée jusqu'au Tigre et au golfe Persique. Cependant, cette littérature, stimulée par un sentiment de réaction locale, ne se rattache pas à un passé indigène et n'a pas un caractère national. Elle apparaît, au commencement, comme un rameau de la littérature sacrée de la Palestine et se développe ensuite sous l'influence de la civilisation grecque. Presque tous les auteurs syriaques appartiennent au clergé et ont en vue l'enseignement de la religion, dans le domaine de • Grousset, L'Empire du Levant, p. 43.

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laquelle ils font entrer les diverses branches de la philosophie et de la science en général. Les genres littéraires profanes sont pliés à leurs propres idées, et mêlent, en histoire et en poésie, les faits et les légendes. Les oeuvres originales des auteurs syriaques ou syriens ont pour objet la théologie, la littérature apocryphe, l'hagiographie, l'histoire, le droit canon et le droit civil, la grammaire. Des livres étrangers traduits en langue syriaque, les plus nombreux sont les livres grecs, qui traitent de l'histoire, de la philosophie et des sciences naturelles, ou ceux composés par les Pères de l'Eglise. A l'origine de la littérature syriaque, se placent les anciennes versions de l'Ancien et du Nouveau Testament. La fin du Ile siècle est marquée par le célèbre Bardesane d'Edesse, théologien, philosophe, astronome, poète et historien. On ne trouve, au Ille siècle, que les actes syriaques de saint Thomas et, au IVe siècle, des hymnes, des homélies poétiques, des actes de martyrs, des commentaires bibliques et des discours exégétiques. L'apogée de la littérature syriaque commence au Ve siècle; c'est l'époque des schismes qui divisent la chrétienté syro-mésopotamienne en deux grandes fractions: les monophysites à l'Ouest et les nestoriens à l'Est. Poésies, lettres dogmatiques, questions religieuses, histoire, traduction des oeuvres de la philosophie et de la médecine grecques, sont abondantes. d. Académie et bibliothèque d'Edesse Edesse, au Ve siècle, est aussi le siège d'une Académie et d'une bibliothèque; on y traduit du grec en syriaque les œuvres d'Aristote et celles des philosophes, des médecins et des savants grecs. Cette culture, qui fleurira jusqu'au Xle siècle, se poursuit à travers les dissensions religieuses et les guerres qui partagent la Syro-Mésopotamie entre l'Empire romain et celui des Perses. Après la conquête arabe, les sciences prendront la place des lettres. L'alchimie, l'astrologie et la médecine seront cultivées. Mais cette branche du savoir, essentiellement grecque, consistera surtout en traductions et ne sortira guère de cette tradition. Et c'est par cette voie que la science grecque, sous ses formes multiples, sera communiquée aux Arabes. Les médecins nestoriens, attirés à Bagdâd par les Califes Abbâssides, transmettront aux Arabes la philosophie et la médecine grecques; ils publieront d'importants travaux de lexicographie. L'ère de la littérature syriaque se prolongera jusqu'au XlVe siècle. C'est dans ce milieu et ce cadre de l'Orient du Ve siècle, que vont se déchaîner, au sujet des doctrines christologiques, les controverses et les hérésies. Elles prendront bien vite une tournure et un aspect politiques, et déclencheront des crises religieuses qui diviseront l'Eglise orientale et affaibliront l'Empire chrétien de Byzance.

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C'est aussi dans ce milieu sémitique de Syrie et de Mésopotamie, probablement parmi les successeurs islamisés des théologiens chrétiens d'Antioche, d'Edesse et de Nisibine, que se recruteront les futurs commentateurs des doctrines du Coran. Et c'est des controverses de ces derniers que naîtront les schismes et les sectes islamiques, qui diviseront la communauté musulmane et affaibliront l'Empire des Califes.

III. L'Empire byzantin, de 395 à 450. Naissance des hérésies nestorienne et monophysite A partir de 395, la politique des empereurs de Constantinople, qui se désintéresseront de l'Occident pendant plus d'un siècle, se tournera vers l'Orient. La conception du pouvoir impérial, déjà profondément modifiée, pendant le IVe siècle, au contact de l'Orient, se transformera encore davantage. Revêtu d'un caractère divin, l'empereur deviendra, de plus en plus, la figuration concrète et visible de Dieu.

1. Les règnes d'Arcadius et de Théodose II. Gouvernement des favoris et des femmes (395-450). La famille de Théodose le Grand, mort en 395 (p. 245), continuera à régner, à Constantinople, avec son fils Arcadius et son petit-fils Théodose II, deux souverains médiocres. Sous leurs règnes successifs (395—450), la réalité du pouvoir est exercée par des favoris, des eunuques et des femmes. «De tout cela naissait à la cour impériale une suite de rivalités et d'intrigues, de disgrâces éclatantes et de sombres tragédies, qui marquent l'histoire politique de l'époque aussi bien que le gouvernement des affaires religieuses et annoncent l'orientalisation progressive de l'institution impériale, de la cour et de la monarchie.»1 a. Sous le règne d'Arcadius (395-408) Avec Arcadius, soumis à toutes les influences, le pouvoir est exercé d'abord par le précepteur Rufin, puis, après l'assassinat de ce dernier, par l'eunuque Eutrope, et enfin par l'impératrice Eudoxie, fille d'un général de l'armée. Un événement important marque cependant le règne terne d'Arcadius: la destruction de l'influence germanique qui s'exerçait, dans l'Etat, grâce aux troupes étrangères employées à la protection des frontières. «Comme il n'existait pas, à proprement parler, de nationalité byzantine, l'Empire, pour sa défense, devait recourir aux services de mercenaires.»2 Un puissant parti germanique s'était groupé autour d'un Goth arien, Gaïnos, un chef 1 2

Diehl et Marçais, op. cit., p. 8. Bailly, op. cit., p. 29.

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illustre des armées impériales, ennemi d'Eutrope. Marchant contre Constantinople, à la tête des troupes germaniques d'Asie Mineure, Gaïnos obtient d'Arcadius la destitution et l'exécution d'Eutrope. Mais la population orthodoxe de la capitale ne vit pas sans inquiétude le triomphe de l'arien Gaïnos. Attisée par le fanatisme religieux, une révolution populaire massacra la plupart des Goths installés à Constantinople. Gaïnos, qui s'était réfugié en Thrace, auprès du roi des Huns, fut mis à mort par ce dernier, pour plaire à Arcadius. b. Sous Théodose II (408-450) Théodose II, incapable, comme son prédécesseur, de diriger les affaires de l'Etat, sera, lui aussi, pendant son long règne de 42 ans, gouverné par des femmes: d'abord sa soeur Pulchérie, jusqu'en 421; puis sa femme, Eudécie, fille d'un professeur athénien. Pulchérie, qui, à l'âge de quinze ans, avait pris le titre d'Augusta, avait de réels dons politiques. Elle consacra son activité au gouvernement de l'Etat et à l'éducation de son jeune frère Théodose. Sentimental et rêveur, ce dernier passait son temps à copier les œuvres de ses écrivains préférés, d'où le surnom de Calligraphe qui lui fut donné. Sous le gouvernement de Pulchérie, le palais impérial est un lieu de simplicité monacale et de vertu chrétienne. Ce fut Pulchérie qui trouva à son frère la femme qui le dominera par la suite: Eudécie, d'origine modeste, mais d'une beauté extraordinaire. «Rappelons au surplus que, ni pour les empereurs ni pour leurs épouses, la question d'extraction ne se posait. Le couronnement, qui leur conférait un caractère sacré, suffisait à les légitimer.»3 Païenne convertie au christianisme, instruite, Eudécie se passionna, comme son entourage, pour les subtilités théologiques. Elle ne tarda pas à prendre sur Théodose, qui l'adorait, une influence grandissante, au détriment de Pulchérie. 2. Importantes créations sous le règne de Théodose II Trois événements illustrent le règne de Théodose II: la création de l'Université de Constantinople, la publication du Code Théodosien et les Remparts de Constantinople. Il convient d'y ajouter aussi l'Hippodrome. a. L'Université de Constantinople (425) Créée, en 425, sous le nom d'«Ecole Supérieure Chrétienne», l'Université de Constantinople éclipsera très vite la célèbre Ecole d'Athènes qui, jusqu'à ' Bailly, op. cit., p. 31.

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la fin du IVe siècle, formait le grand centre de culture pour tout l'Occident. La prépondérance du christianisme et les invasions barbares qui ravageaient le Grèce avaient attiré, vers la métropole de l'Empire, des maîtres et des élèves. Ceux-ci venaient aussi de Syrie, d'Egypte, d'Arménie, d'Afrique du Nord. Des professeurs, payés par l'Etat, enseignent la langue et la littérature grecques et latines, la rhétorique, la philosophie, la jurisprudence, et préparent des fonctionnaires à l'Empire. Bien que la langue officielle soit le latin, l'organisation des études fait plus de place au grec. Enfin, tout en encourageant la culture antique, l'Université de Constantinople sera, en outre, le centre intellectuel du monde chrétien. b. Le Code Théodosien (429) C'est aussi sous Théodose II, en 429, que sera publié le Code Théodosien, vaste recueil de constitutions et de lois impériales promulguées depuis Constantin. Ce recueil servira de fondement au célèbre Code Justinien, qui paraîtra un siècle plus tard. c. La Grande Muraille de Constantinople (439) Enfin, c'est sous le règne de Théodose II que fut commencée (413) et achevée (439) la construction de la Grande Muraille de Constantinople, un des plus beaux monuments de l'architecture militaire du Moyen Age. Cette Muraille, nécessitée par l'extension de la ville depuis Constantin, devait protéger les vastes quartiers qui s'étaient étendus en dehors de l'enceinte primitive. Formée de trois lignes de remparts allant de la Corne d'Or à la Mer de Marmara, couvrant sept kilomètres de long, cette solide enceinte est destinée à protéger la capitale contre la menace croissante des attaques barbares. «Contre cette digue inébranlable, pendant mille années d'histoire, vint se briser l'effort des Huns, des Perses, des Arabes. A l'abri de ces murs, la nouvelle Rome amassait ses richesses et exaltait ses splendeurs: chez elle venaient se juxtaposer et se mélanger les trésors artistiques de l'Orient et de l'Occident. Centre commercial et centre intellectuel, aussi passionnément éprise d'esthétique que de métaphysique,. . . poussant au dernier raffinement toutes les susceptibilités de la pensée, mais conservant l'irrésistible élan de toutes les passions primitives, Constantinople était bien la capitale d'un monde nouveau, point de rencontre et de fusion de trois civilisations — celles de Rome, d'Athènes, et de l'Orient — qui, s'interpénétrant et se fondant, allaient donner naissance à la civilisation byzantine.»4 * Bailly, op. cit., p. 34, 35.

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3. L'Hippodrome et les factions politiques à Byzance a. Les factions ou partis Comme à Rome sous les empereurs, quatre factions, symbolisées par des couleurs différentes (bleu, vert, blanc et rouge), se partageaient le peuple de Constantinople. Organisées en corporations, elles représentaient deux grands partis opposés, les Bleus et les Verts, comprenant chacun un sous-parti: les Blancs et les Rouges. On ne sait si ces factions correspondaient à des divisions administratives de la cité ou représentaient deux tendances sociales différentes, une droite et une gauche. Formés en milices urbaines, organisés comme les groupements politiques modernes, ces partis occupaient, dans la vie publique byzantine, une place officielle extrêmement importante, et participaient à tous les cortèges et à toutes les grandes cérémonies. Toutes les villes importantes de l'Empire avaient leur parti bleu et leur parti vert. b. L'Hippodrome de Constantinople Si l'empereur de Byzance est la loi et le pouvoir absolu personnifiés, et si le palais impérial est le centre d'où émane toute autorité, l'Hippodrome, palais des courses, est à Constantinople le centre de la vie publique. A la différence des monarchies asiatiques, où l'opposition ne pouvait se manifester que dans les ténèbres des complots, le pouvoir autocratique des empereurs de Byzance était souvent mis en respect, et parfois en échec, par l'Hippodrome de la capitale. c. L'Hippodrome, palais des courses et centre de rassemblement des partis L'Hippodrome, ou champ de course de Constantinople, installé par Théodose II non loin de celui agrandi par Constantin, était situé à côté du palais impérial. Les cochers de l'Hippodrome étaient des personnages privilégiés et extrêmement importants. Adorés par la foule, nommés par l'empereur, exemptés d'impôts, ils avaient leur légende, leurs poètes et même leurs statues, qui s'élevaient, sur les places publiques, à côté de celles des empereurs. A la différence du cirque romain, qui était spécialement consacré, d'abord aux courses de chevaux et de chars, et, par la suite, aux combats de gladiateurs et d'animaux, et à l'opposé de l'hippodrome grec, qui, dans un grand nombre de villes, servait pour la célébration des jeux si renommés dans le monde hellénique, l'Hippodrome à Byzance était, à la fois, un champ de course et le lieu où les factions antagonistes transportaient leurs rivalités politiques et religieuses. C'est sur ce terrain sportif, en effet, que les deux factions adverses, les Bleus et les Verts, réglaient très sou-

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vent leurs querelles endémiques. De même que toutes les grandes villes de l'Empire avaient leur parti bleu et leur parti vert, elles avaient, toutes aussi, leur Hippodrome. «Ce lieu public s'était à un tel point habitué au système des deux partis qu'on peut le considérer comme le prototype de notre Parlement. De chaque côté du Cathisma, loge impériale, siégeaient les deux factions, les Bleus ou parti gouvernemental à la droite de l'empereur, les Verts ou opposition à sa gauche. Chacune avait son entrée propre . . . Les sentences de l'empereur pouvaient être mises en discussion, soit comme contraires aux lois, soit tout simplement comme prétexte à étaler les griefs au grand jour.»5 d. L'Hippodrome, centre de la vie byzantine Jamais peuple ne s'est intéressé aux jeux du cirque et aux courses plus passionnément que les Byzantins. Byzance tout entière remplissait l'Hippodrome et faisait du cirque le centre véritable de la vie byzantine. Plus de cent mille êtres humains se massaient sur les gradins. Sur la piste de sable, la course, avec le galop des chevaux et les hurlements de la foule, soulevait et déchaînait la fureur collective des spectateurs, portant à son paroxysme l'enthousiasme frénétique des passions latentes. Pour le moindre prétexte, des luttes furieuses et sauvages, entre les partis en présence, ensanglantaient le cirque et même la ville, et provoquaient souvent des insurrections redoutables. «Les âmes ne pouvaient résister ni à la joie de la victoire, ni à la rage de la défaite: il fallait des morts pour assouvir les cœurs. Aussi, combien de fois vit-on la course se terminer par une bataille! La moitié de cette foule, dans la fureur et l'humiliation de se voir vaincue, se ruait dans la piste pour se jeter à l'assaut des gradins opposés, où triomphait la faction adverse. Les poignards entraient en jeu. Aussitôt la garde impériale intervenait, frappant au hasard les combattants qui s'entr'égorgeaient.. . On comprend que Byzance n'ait pas eu besoin de combats de gladiateurs . . . Sous Justinien, (une sédition) laissa dans le cirque, selon des mémorialistes contemporains, un entassement de quarante mille cadavres.»6 e. Présence de l'empereur à l'Hippodrome L'attitude des partis vis-à-vis du pouvoir impérial dépendait de celle que prenait l'empereur dans le cirque. Les spectateurs portaient une écharpe de la couleur du groupe auquel ils appartenaient. Quand l'empereur 5 G . Y o u n g , Constantinople, « Bailly, op. cit., p . 55.

des origines à nos jours, p. 58.

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accordait sa faveur à l'un des deux partis, il adoptait, pour les courses, les couleurs de ce parti; par ce geste, la faction adverse était rejetée dans l'opposition. «La présence de l'empereur au cirque avait une importance politique du même ordre que la présence du roi d'Angleterre au Parlement. Les Constantinopolitains, n'ayant pas de représentation démocratique régulière, manifestaient leur opinion dans le tumulte, un tumulte qui dégénérait facilement en émeute. C'est dans le cirque que les citoyens appelaient l'empereur à faire droit à leurs griefs ou que l'opposition cherchait à se débarrasser des partis au pouvoir. Souvent d'ailleurs la contre-partie n'était pas moins brutale. Ainsi, l'attention impériale ayant été un jour attirée, par la comédie où on ridiculisait le préfet de la ville, sur un acte d'arbitraire commis par ce dernier, le coupable fut précipité dans l'arène et décapité séance tenante.»7 En dehors des jeux, des courses et des luttes sanglantes, l'Hippodrome est souvent le théâtre d'autres événements tragiques. De nombreux empereurs, violemment pris à partie, y ont subi les outrages du peuple: les uns ont été mutilés, d'autres lapidés, d'autres enfin aveuglés et torturés. L'Hippodrome servait aussi parfois aux couronnements des empereurs, à leurs triomphes et à ceux des généraux sur les ennemis vaincus, aux exécutions capitales et aux supplices des condamnés. Enfin, les tribunaux siégeaient sous les portiques, et le peuple pouvait y suivre les débats judiciaires. 4. Naissance des hérésies nestorienne et monophysite C'est sous le règne de Théodose II qu'apparurent les deux grandes hérésies religieuses du Ve siècle, le nestorianisme et le monophysisme (p. 261), qui, succédant aux hérésies donatiste et arienne du IVe siècle (p. 226— 230), agiteront longtemps le monde de la Chrétienté, ébranleront l'Empire romain d'Orient et contribueront à son démembrement au Vile siècle. a. L'hérésie nestorienne, invention d'Antioche Le nestorianisme ou doctrine de Nestorius. — En 428, Nestorius monte sur le siègle patriarcal de Constantinople. Né en Syrie, il fut moine dans un couvent près d'Antioche, puis prêtre dans cette ville. Prédicateur de talent, renommé pour sa science, son éloquence et ses austérités, Nestorius était passionnément attaché aux idées de l'Ecole d'Antioche sur la personne de Jésus-Christ. A ses yeux, Jésus n'est qu'un homme en qui le Verbe de Dieu avait résidé comme dans un temple. La Vierge Marie n'avait été ' G. Young, op. cit., p. 46.

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mère que de l'humanité, non de la divinité, et devait être appelée non pas mère de Dieu, mais «mère du Christ». Deux natures distinctes existent en la personne de Jésus, et c'est la nature humaine qui a été crucifiée. Opposition de l'évêque d'Alexandrie. — Soutenue par le Patriarcat de Constantinople et par celui d'Antioche, berceau du nestorianisme, la doctrine de Nestorius provoquera, par la fougueuse opposition du patriarche d'Alexandrie, des querelles et des débats qui, sortant bientôt du cadre théologique, auront une signification politique. En s'opposant à Constantinople et à Antioche, Alexandrie se pose comme rivale, voire même comme autorité supérieure. La proclamation de la nouvelle doctrine fournit, en effet, à Cyrille, patriarche d'Alexandrie et rival de Nestorius, l'occasion de combattre ce dernier. Intervenant dans ces débats, les Alexandrins, attachés à la doctrine théologique de leur propre Ecole qui relègue au second plan la nature humaine du Christ, sont également excités par leur haine contre le siège de Constantinople, qui a, depuis 381, la préséance d'honneur sur tout l'épiscopat oriental (p. 263). Tous les évêques de Syrie, attachés à la théologie d'Antioche, et tous ceux d'Orient, se solidarisent avec Constantinople et soutiennent Nestorius. Isolé, Cyrille gagne l'appui de l'évêque de Rome, en s'adressant à lui. Un Concile tenu à Rome se prononce contre Nestorius (430). Enhardi par la décision du synode romain, Cyrille assemble un Concile à Alexandrie, où, censurant âprement la doctrine de Nestorius, il proclame sa formule orthodoxe. Sommé d'y souscrire, le patriarche de Constantinople refuse (430). Le Concile d'Ephèse de 431; condamnation de Nestorius. — Dans cette querelle dogmatique qui s'est étendue à tout l'Orient, l'empereur Théodose II incline à soutenir Nestorius, tandis que sa soeur, l'Augusta Pulchérie, penche pour Cyrille. La Cour tient ainsi les deux parties rivales. Mais la querelle s'envenime, menaçant l'unité politique de l'Empire. Devant l'antagonisme irréductible des adversaires, Théodose, sur le conseil de Nestorius, décide de réunir à Ephèse un concile oecuménique, espérant par ce moyen rétablir la paix dans l'Eglise. Fort du nombre de ses partisans et de l'appui de l'empereur, le patriarche de Constantinople était sûr de son triomphe. Mais on avait compté sans l'habileté du patriarche d'Alexandrie. A Ephèse, celui-ci, sans attendre l'arrivée des évêques syriens et des légats de l'évêque de Rome, procède à l'ouverture du Concile (431). Refusant de comparaître dans ces conditions, Nestorius est jugé par défaut, condamné et excommunié. Quand les évêques syriens sont arrivés, ils se constituent eux-mêmes en Concile, au nombre de quarante-trois, sous la

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présidence de Jean d'Antioche; Cyrille d'Alexandrie et Memnon, évêque d'Ephèse, sont condamnés et excommuniés. Enfin arrivent les légats de l'évêque de Rome, qui, s'érigeant en arbitres, se prononcent contre Nestorius. Triomphe de Cyrille d'Alexandrie. — Après bien des hésitations, l'empereur approuve toutes les dépositions prononcées à Ephèse, et les évêques déposés sont mis aux arrêts. Mais Cyrille et ses amis travaillent à Constantinople; bien que condamné et excommunié, celui-ci rentre à Alexandrie et y reprend ses fonctions épiscopales sans autre autorisation, alors que Nestorius, remplacé sur le siège de Constantinople, est exilé puis interné à Pétra, et ensuite en Egypte. Bien plus, Cyrille ne tarde pas à rentrer en grâce à la cour de Constantinople; des documents démontrent qu'il usait largement du trésor de l'Eglise d'Alexandrie pour acheter des auxiliaires. «Aussi, put-il imposer aux Antiochéens mêmes la soumission et l'union, acceptant au reste une profession de foi conciliante (433). La paix était donc rétablie, et Cyrille, du consentement de l'empereur, qui le laissait librement agir, apparaissait comme le pape de l'Orient, »s Edesse et Nisibine, foyers du nestorianisme condamné. — Cependant, la doctrine de Nestorius ne disparaît pas pour autant. Le foyer de ses adeptes, qui sont encore nombreux, est l'Ecole d'Edesse (p. 269—271), centre des études théologiques pour la Syrie, l'Arménie, la Chaldée et la Perse. Au concile d'Ephèse, Rabulas, évêque d'Edesse, avait soutenu énergiquement la cause de Nestorius; mais après la condamnation de celui-ci, il avait promptement pris rang parmi les persécuteurs. Il témoigna de son dévouement au parti victorieux en fermant l'Ecole qui illustrait sa ville épiscopale (431). Après sa mort (436), Ibas, élu évêque, reconstitue cette Ecole dont il avait été le chef. Jusqu'à la fermeture définitive, ordonnée, en 489, par l'empereur Zénon, on y enseignera fidèlement le nestorianisme, c'est-à-dire la théologie antiochéenne. D'autre part, Barçauma, un des maîtres de l'Ecole d'Edesse, avait fondé à Nisibine une Ecole qui restera florissante jusqu'au milieu du Moyen Age (p. 270); et il avait même réussi à assurer aux nestoriens la protection des rois de Perse, sur le territoire desquels beaucoup de persécutés se réfugieront et établiront de nombreuses églises et d'importantes écoles. b. L'hérésie monophysite, création d'Alexandrie La doctrine monophysite. — Si le nestorianisme, appelé aussi diphysisme ou diophysisme, sépare le Christ en deux personnes, le monophysisme est 8

Diehl et Marçais, op. cit., p. 28.

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une doctrine qui verse dans l'excès contraire. Les monophysites n'admettent réellement, dans la personne du Christ, qu'une seule nature, où l'élément divin absorbe l'élément humain. Création de l'Eglise gréco-syrienne d'Antioche, le nestorianisme a été poursuivi et condamné à la diligence de l'Eglise gréco-égyptienne d'Alexandrie. A son tour, cette dernière lancera le monophysisme qui sera, lui aussi, poursuivi et condamné. En 444, le patriarche Dioscore, plus ambitieux et plus autoritaire que Cyrille, succède à celui-ci sur le siège d'Alexandrie. «Un Pharaon succédait à un autre.» Animé, contre le nestorianisme, de la même haine que son prédécesseur, Dioscore se joint aux partisans de l'archimandrite Eutychès, qui, exagérant la doctrine de son ancien chef Cyrille, était tombé dans le monophysisme. Condamné, déposé et excommunié par le tribunal de l'évêque de Constantinople (448), Eutychès expose l'affaire au pape Léon I, dit le Grand, et obtient que la question soit tranchée par un concile oecuménique, qui se réunit à Ephèse en 449. Le Concile d'Ephèse de 449. Triomphe de Dioscore et de sa doctrine. — Le Concile d'Ephèse de 449, auquel cent cinquante évêques assistent et qui est présidé par Dioscore, est généralement désigné sous le nom de «Brigandage d'Ephèse» ou de «Conciliabule des Brigands». Dès la première séance, Dioscore obtient ce qu'il veut. «Intimidés par les propos menaçants de Dioscore, par la brutalité vigoureuse des moines qui l'accompagnaient,... par le déploiement d'appareil militaire, les évêques rétablirent Eutychès dans ses dignités, déclarèrent sa doctrine orthodoxe, et destituèrent son persécuteur Flavien (patriarche de Constantinople) . . . Dans une autre séance, Dioscore fit déposer, comme nestoriens, ses adversaires antiochéens,... et même le patriarche d'Antioche Domnus. C'était pour Alexandrie un triomphe éclatant. Son évêque avait combattu avec succès et humilié Constantinople, où il installait peu après, en remplacement de Flavien, un prélat de son choix; il avait dirigé en maître, avec le consentement de l'empereur, l'Eglise d'Orient; il avait bravé Rome même, dont les légats, porteurs de la lettre du pape Léon à Flavien, où Eutychès était formellement condamné, n'avaient pu se faire entendre au concile; et il avait triomphé de l'Etat même . . . Alexandrie, après le concile de 449, apparaissait à tous comme la nouvelle Rome, et peut-être le fût-elle en effet devenue, si Dioscore avait été un homme de l'envergure de Léon le Grand.»9 Le grand triomphe de Dioscore et de sa doctrine inquiète Rome. Pour remédier au mal produit par l'assemblée d'Ephèse, où ses représentants avaient fait une piteuse contenance et où «l'épiscopat grec fit preuve . . . • Diehl et Marçais, op. cit., p. 29, 30.

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d'une lamentable pleutrerie», le pape Léon demande la convocation d'un concile général qui se réunirait en Italie. L'empereur Théodose II la refuse et Dioscore excommunie le pape (450).

5. Byzance et la Perse de 400 à 450. Entente amicale et relations de bon voisinage a. Autonomie spirituelle de l'Arménie (387) Dans l'Arménie, soumise à la Perse, la conversion de la population au christianisme s'acheva entre 387, date de la fondation du premier Patriarcat arménien, et 400. «La nation arménienne prit ainsi conscience d'ellemême, précisément à l'heure où les vicissitudes de l'histoire menaçaient de l'absorber dans l'Empire perse. Elle parvint de la sorte à échapper aux dangers de l'assimilation et à conserver, à défaut de l'indépendance politique, son autonomie spirituelle.»10 b. Consolidation de la chrétienté perse (410) Yazdgard I (339—421), fils de Shahpur III, combattu par la noblesse perse et le clergé zoroastrien, se rapproche de Byzance et manifeste une réelle tolérance envers le christianisme. En 410, il autorise la réunion d'un concile, qui adopte la formule de Nicée, l'exercice du culte chrétien et la construction d'églises. Un catholicos ou patriarche est installé à SéleucieCtésiphon et cinq métropolites dans les grandes provinces. Le Patriarcat de la nouvelle Eglise perse servait souvent à maintenir la concorde entre Ctésiphon et Byzance. c. Entente perso-byzantine contre les Barbares de l'Est asiatique (421) Bahrâm V (421—348), second fils et successeur de Yazdgard I, ne réussit à se rendre maître de son royaume qu'avec l'aide du roi arabe Lakhmide de Hîra, près duquel il avait été élevé. «L'émir lakhmide al-Moundhir I apparut ainsi comme l'arbitre des querelles de famille entre princes sassanides. Ce fut la première révélation de la puissance arabe dans la grande histoire.»11 Peu après son avènement, Bahrâm V eut à repousser les Hephtalites ou Huns blancs, qui menaçaient ses frontières du Nord-Est. Pour se concilier les sympathies du clergé zoroastrien, dont le concours lui était nécessaire dans la guerre, il ordonne une persécution contre les chrétiens, dont 10 11

Grousset, L'Empire du Levant, p. 72. Grousset, L'Empire du Levant, p. 73.

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beaucoup se réfugient sur le territoire romain. En réaction, Byzance rompt la paix et bat les Perses en plusieurs rencontres. Bahrâm, qui avait besoin d'avoir les mains libres pour faire face aux ennemis de l'Est, se rapproche de Théodose II, qui avait le même intérêt à la défaite des Huns de l'Est; un accord est conclu entre les deux monarques, par lequel la liberté du culte est garantie aux chrétiens en Perse et aux mazdéens en territoire byzantin (421). C'est aussi avec Théodose II que Bahrâm règle la question d'Arménie, en partageant ce pays entre les deux Empires (428). d. La Perse, sentinelle byzantine contre les invasions asiatiques Cette entente entre Constantinople et Ctésiphon était déterminée par le danger des invasions asiatiques, qui menaçaient l'existence même de la Perse. Les Hephtalites ou Huns blancs, installés par Shahpur II sur les terres des Kouchans (Afghanistan) à titre de fédérés (p. 239), avaient réussi à évincer ces derniers et à former, à la faveur de l'affaiblissement de la monarchie iranienne, un vaste et puissant empire qui s'étendait jusqu'aux frontières de l'Inde. Envahissant la Bactriane, ils menacent maintenant la frontière orientale de la Perse. Déjà, en 395, ils avaient traversé le territoire perse, envahi l'Arménie, la Cappadoce, le Nord de la Syrie et menacé Antioche. Byzance était donc aussi intéressée que Ctésiphon à contenir ces Barbares. Entre elle et les Hephtalites, l'Iran jouait le rôle d'Etat-tampon ou de bouclier. Un affaiblissement excessif de la monarchie sassânide pouvait ouvrir à ces Barbares la voie des possessions byzantines. Déjà, en 389, Shahpur III avait conclu, avec l'empereur Théodose le Grand (p. 244), un accord par lequel Byzance participait financièrement à la défense des passes du Caucase. Plus tard encore, le roi Pérôz (459—484), battu et capturé par les Hephtalites, serait racheté par l'empereur Zénon (480). e. Duplicité de la diplomatie byzantine Cette politique subtile de Byzance ne manquait pas parfois de duplicité. Pour détourner les Perses des frontières mésopotamiennes de l'Empire, où leurs attaques dévastatrices étaient trop fréquentes, la diplomatie byzantine, tout en appuyant les Perses contre les Hephtalites, semble travailler, en même temps, à leur créer des difficultés sur leurs frontières asiatiques. «Tant que ceux-ci (les Perses) étaient occupés par les barbares, la Mésopotamie (byzantine) pouvait se considérer comme hors de danger. Il fallait donc, tout en protégeant la Perse contre une défaite trop désastreuse, susciter et alimenter des conflits entre elle et les Huns. Et de fait, on apprend, par une chronique syrienne, que les Huns qui avaient... forcé les «Portes du Caucase», que gardaient les troupes de (Pérôz), et qui poussèrent

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jusqu'aux provinces appartenant à l'Iran, ce qui obligea le Roi des Rois à lever des armées pour les combattre, avaient été soulevés par les Romains».12 /. L'Eglise de Perse se détache de celle d'Antioche (435) Désireux de mettre fin aux suspicions dont les Iraniens chrétiens étaient l'objet, le patriarche et le clergé de Perse, accusés de sympathies pour Byzance, réunissent un synode, en 435, et proclament l'indépendance de l'Eglise de l'Iran vis-à-vis de celle d'Antioche. g. Révolte de la chrétienté arménienne Yazdgard II (438—459), fils et successeur de Bahrâm V, est un zélé zoroastrien. Menacé par les Hephtalites, il voulut rattacher plus étroitement à son trône les chrétiens de Perse et d'Arménie, en les contraignant, par la persécution, à embrasser le zoroastrisme. Cette politique maladroite provoqua en Arménie une révolte générale, où les troupes iraniennes furent écrasées. Yazdgard, qui venait d'être défait par les Hephtalites, prend la tête d'un corps expéditionnaire, pénètre en Arménie, écrase les rebelles (451) et ramène en Iran le patriarche Joseph et dix évêques, qui seront exécutés trois ans plus tard (454).

12

Ghirshman, op. cit., p. 270.

IV. Querelles politico-religieuses (450—490). Premier schisme religieux entre l'Orient et Rome De la mort de Théodose II jusqu'à l'avènement de la dynastie justinienne, l'Empire byzantin traverse une période de 70 ans environ (450—518), remplie de troubles et de dissensions intestines. Les empereurs qui se succèdent sont, en général, médiocres et sans prestige. En outre, l'absence d'une loi précise réglant la transmission du pouvoir impérial fait que le trône, pendant toute cette période, est à la merci des révolutions militaires et des intrigues de cour.

1. Condamnation du monophysisme et établissement de la doctrine chalcédonienne ou orthodoxe (451) a. Avènement de l'empereur Marcien et de Pulchérie (450) Avant de mourir, Théodose II, sur le conseil de sa sœur Pulchérie, avait désigné, pour lui succéder, un de ses généraux, Marcien (450—457). Pour donner au nouvel empereur une manière de légitimité, Pulchérie l'épouse. Mais celle-ci, en dépit de son intelligence et de son expérience des affaires, ne réussira pas à faire de cet empereur-soldat un grand souverain. b. Marcien et Pulchérie hostiles aux monophy sites Nous avons vu Théodose II, après le grand triomphe de Dioscore et du monophysisme au Concile d'Ephèse de 449, refuser la demande du pape Léon I qui voulait réunir, en Italie, un concile général pour se prononcer sur la doctrine monophysite (450). Après la mort de Théodose II (450), la situation se modifie. Le nouvel empereur, Marcien, cherchera à abattre Dioscore, devenu trop puissant. D'autre part, de nombreux évêques orientaux étaient mécontents de la tyrannie ou jaloux de la suprématie du patriarche d'Alexandrie, qui se posait en pape de l'Orient. Enfin, Pulchérie, devenue impératrice, est l'adversaire des monophysites, depuis le temps où sa belle-sœur Eudocie, femme de Théodose II, était leur protectrice. «On aperçoit ici ce qu'un antagonisme doctrinal peut, en réalité, recouvrir de passions humaines. En l'espèce, la tactique de Rome, capitale de la chrétienté, lui était imposée par les événements: elle devait se dresser

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contre celle des deux cités orientales qui, dans l'enivrement de la victoire, n'hésiterait pas à s'affranchir de son autorité et à instituer une papauté d'Orient. Les désirs du pape et ceux de l'empereur — ou de l'impératrice — concordaient donc exactement.»1 c. Le Concile de Chalcédoine (451) Le pape Léon I avait proposé de régler lui-même le conflit, s'estimant compétent pour prendre, à ce sujet, les décisions nécessaires. Mais il s'inclina sur l'insistance de l'empereur Marcien, qui, préférant la réunion d'un concile, y convoqua tous les évêques chrétiens. La réunion a lieu à Chalcédoine, en face de Constantinople; près de six cents évêques y assistent, parmi lesquels les Egyptiens sont relativement peu nombreux (451). Les représentants de l'empereur et ceux du pape de Rome dirigent les débats. d. Condamnation de Dioscore et du monophysisme Dioscore, accusé d'immoralité et de violence, est, à la requête des légats romains, solennellement déposé; les moines qui le soutenaient sont dépouillés de leurs privilèges et soumis à l'autorité des évêques. La formule romaine, qui reconnaissait dans le Christ une seule personne en deux natures, est solennellement proclamée par l'assemblée. «C'était, au sentiment des monophysites, la revanche de Nestorius, dont on canonisait la doctrine, tout en anathématisant sa personne.»2 — «Le bien de la paix a ses exigences.» (Mgr. Duchesne). e. L'Eglise de Constantinople proclamée l'égale de celle de Rome A Chalcédoine, la papauté romaine a imposé sa doctrine à l'Eglise d'Orient et réduit les ambitions des patriarches d'Alexandrie. Mais ce triomphe dogmatique de Rome est balancé par une autre décision du Concile de Chalcédoine: l'Eglise de Constantinople reçoit les mêmes privilèges que l'Eglise de Rome. Elle voit aussi étendre sa juridiction sur les diocèses du Pont, de l'Asie Mineure, de la Thrace et sur les Eglises situées hors des limites de l'Empire. Ces décisions, contre lesquelles Rome protestera en vain, créeront à la Papauté un rival redoutable; elles seront la cause du premier schisme religieux (491—518), qui séparera, pendant 27 ans, Rome et Byzance. f . L'empereur maître absolu de l'Eglise d'Orient Le véritable vainqueur à Chalcédoine est le gouvernement impérial. La majorité des évêques présents au Concile, bien qu'elle partageât les idées 1 2

Bailly, op. cit., p. 44. Diehl et Marçais, op. cit., p. 31.

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de Cyrille et de Dioscore, avait cédé, avec une platitude extrême, devant les exigences du pouvoir politique. L'empereur tout-puissant gouvernera désormais l'Eglise orientale en maître absolu. En Occident, par contre, l'Eglise de Rome devient une «monarchie pontificale», indépendante du pouvoir affaibli. «Et déjà se manifeste la différence profonde des deux mondes. En Occident, il y a une papauté presque souveraine; en Orient, il y a une Eglise d'Etat et un épiscopat de cour.»3 g. Germes de conflits intérieurs Ainsi, après le nestorianisme antiochéen, condamné à Ephèse en 449 (p. 281), le monophysisme alexandrin est à son tour condamné à Chalcédoine (451). Par ces deux victoires, l'Eglise de Constantinople domine les Eglises orientales, et l'empereur gouvernera l'Eglise de la capitale. Mais, si le nestorianisme vaincu émigrera en Mésopotamie perse et deviendra la seule norme chrétienne de la monarchie sassânide, par contre, le monophysisme survivra à sa défaite et à sa condamnation, gagnera la Syrie et représentera, dans l'Orient méditerranéen, l'esprit régionaliste syro-égyptien. Il sera bientôt la cause de longues agitations, qui déchireront le monde oriental.

2. Rivalité des monophysites et des chalcédoniens. Tendances séparatistes des provinces orientales a. Rupture de l'unité morale des peuples de l'Empire Le triomphe du gouvernement impérial à Chalcédoine coûtera cher à l'Empire. Avec une âpre intransigeance, les dissidents combattront, pendant près de deux siècles, la doctrine de Chalcédoine. L'unité morale des peuples de l'Empire, fondement de l'unité politique, sera à jamais brisée. Des Eglises nationales, à tendances nettement séparatistes, se formeront en Egypte et en Syrie. b. Scission des monophysites d'Egypte La déposition de Dioscore fait éclater, à Alexandrie, une émeute furieuse, pendant laquelle un grand nombre de soldats sont brûlés vifs. La plupart des partisans du prélat déposé lui restent fidèles; après sa mort, ils l'honoreront comme un saint, inaugurant ainsi le schisme d'Egypte. Son successeur Proterius, chalcédonien, est installé et maintenu sur son siège par la force militaire. Mais les monophysites égyptiens, fidèles à Dioscore qu'ils * Diehl et Marçais, op. cit., p. 33.

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persistent à regarder comme leur patriarche légitime, se séparent de Proterius, qui est tué dans sa cathédrale (457). Ils se placent sous la direction du prêtre Timothée Elure, dont ils font leur patriarche; celui-ci excommunie tous les chalcédoniens et, parmi eux, le pape Léon I. c. Réaction violente du clergé monacal L'intransigeance d'Elure finit par amener la Cour à intervenir; Elure est déposé et exilé à Chersen (460). «Les troubles religieux continuèrent: il ne suffisait pas de condamner le monophysisme pour l'extirper des âmes. En Egypte, en Syrie, en Palestine, le prolétariat monacal, exaspéré beaucoup moins par la défaite du monophysisme que par l'obligation de se soumettre aux évêques, trouvait, dans la défense de la doctrine, un prétexte à se révolter. Plus voisins du peuple que les prêtres, les moines le travaillaient sourdement. Dans Alexandrie, les séditions étaient perpétuelles. Des prélats étaient massacrés. Une vive tendance séparatiste se manifestait dans les cités égyptiennes.»4 d. Tendances séparatistes Pendant toute la seconde moitié du Ve siècle, les luttes religieuses agiteront l'Orient. Les adversaires du Concile de Chalcédoine sont nombreux et puissants, en Egypte, en Palestine, en Syrie et même à Constantinople. Beaucoup d'évêques, qui s'étaient déclarés à Chalcédoine contre le monophysisme, professent en secret des sentiments contraires. La plupart des moines, dont les communautés sont très nombreuses, se prononcent ouvertement contre le gouvernement et son Concile. C'est surtout l'Egypte, créatrice du monophysisme, qui en est le fief principal. On peut dire qu'à l'exemple du régionalisme mésopotamien, qui s'est cristallisé autour du nestorianisme, le particularisme égyptien a jeté son dévolu sur le monophysisme. Comme autrefois, au temps du paganisme antique, les différents nationalismes orientaux revêtent maintenant des formes religieuses. Quant à la Syrie, chalcédoniens ou orthodoxes, monophysites et même nestoriens, s'y répartissent, en groupes plus ou moins compacts, entre les différentes variétés régionales de la contrée. e. Le monophysisme gréco-égyptien, réaction antibyzantine C'est Alexandrie, citadelle et champion du monophysisme, qui dirige l'opposition contre l'orthodoxie imposée par Constantinople. La rivalité des deux capitales et le particularisme gréco-égyptien se nourrissent de ces querelles religieuses. C'est contre le Byzantin, bien plus que contre les 4

A. Bailly, op. cit., p. 45.

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doctrines elles-mêmes, que le peuple égyptien, clergé et laïques, manifeste sa réaction. Pour mieux comprendre ce revirement dans la conduite de l'Eglise grecque d'Alexandrie, à l'encontre de celle de Constantinople, il convient de rappeler brièvement l'évolution du christianisme égyptien, entre le Ille siècle et la fin du Ve. De même que l'évêque de Rome, le patriarche d'Alexandrie, fier de son grand et riche diocèse, considérait le patriarche de la jeune Constantinople comme un parvenu, dont l'autorité provient et dépend d'un accident politique. Comme le souverain de Byzance soutient son patriarche, l'antipathie du métropolitain d'Alexandrie s'étendit peu à peu au gouvernement central de l'Empire. f . Le monachisme

égyptien indigène, réaction

antihellénique

D'autre part, Alexandrie, qui, entre le Ile et le Ille siècles, avait été le foyer le plus brillant de la philosophie gréco-chrétienne, vit, vers la fin du Ille siècle, descendre des déserts et de la Haute Egypte un monachisme indigène, exalté, fanatique et ignorant. Ce monachisme était la forme nationale ou égyptienne du christianisme, en réaction contre le christianisme gréco-alexandrin, plus hellénique qu'égyptien. L'action indigène égyptienne se manifesta, dès lors, ouvertement et devint, de plus en plus, antihellénique à Alexandrie, là où, deux siècles auparavant, s'était consommée l'union entre l'hellénisme et le christianisme. Cent ans plus tard, les patriarches grecs d'Alexandrie, cherchant, dans leur lutte contre ceux de Constantinople, un point d'appui en Egypte, font cause commune avec les moines de la Thébaïde; cette alliance préparera la scission entre la pensée grecque et le siège patriarcal d'Alexandrie. Pour transformer cette scission en un schisme, il suffira alors d'une simple divergence doctrinale. Les débats christologiques en fournissent d'ores et déjà l'occasion. Le monophysisme permettra donc à l'Egypte de prendre conscience d'elle-même et de son individualité. Une Eglise séparée se fondera à côté de l'ancienne; elle sera d'autant plus vigoureuse qu'elle incarnera désormais un nationalisme en voie de formation. Au point de vue religieux, la conséquence de ce schisme sera, plus tard, incarnée dans l'Eglise copte d'Egypte, qui demeurera jusqu'à nos jours. (Cinq siècles environ après cette époque, une réaction de même nature se reproduira en Egypte, lorsque ce pays, arabisé, islamisé et incorporé dans le vaste Empire des Califes arabes, veut recouvrer son individualité propre et restaurer son autonomie politique. En 969, un Califat dissident ou chiite autonome, celui des Fâtimides, se dressera, au Caire, en face du Califat Abbâsside de Bagdâd, champion de l'Islâm sunnite ou orthodoxe.)

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g. L'empereur Léon 1 (457—474) Léon I (457—474), originaire d'Isaurie, en Asie Mineure, parvient au trône grâce à l'influence d'un Goth, le patrice Aspar, qui, à cause de son arianisme proclamé, ne pouvait y prétendre lui-même. Disposant d'une solide cohorte de mercenaires isauriens, venus du Taurus avec lui, Léon se débarrasse d'Aspar et de ses Germains, par un massacre qui lui vaudra le surnom de «boucher» (471). Par ce massacre, la puissance germanique à Constantinople est abattue; mais elle est remplacée par celle des Isauriens, aussi arrogants et aussi exigeants que les Goths. Léon et ses successeurs seront les prisonniers de ces nouvelles milices. h. Prépondérance des monophysites en Egypte et en Syrie (474) A la mort de Léon I (474), son gendre Zénon (474—491) et son beaufrère Basiliscus (474—476) se disputent le trône pendant deux ans. Profitant de cette lutte, les monophysites font de nouveaux progrès. Pour les gagner à sa cause, Basiliscus rend, en leur faveur, un édit appelé l'Encyclique. Cet édit, auquel six cents évêques adhèrent servilement sous peine de déposition, réprouve la doctrine du Concile de Chalcédoine (476). Rappelé d'exil, le patriarche Timothée Elure est réinstallé à Alexandrie. A Antioche, les moines chassent le patriarche orthodoxe et le remplacent par leur chef, un monophysite, Pierre le Foulon (476). Ainsi, les deux grandes métropoles de l'Orient méditerranéen sont aux mains de la dissidence. Tandis que la Syrie et l'Egypte passent aux monophysites, à Constantinople, par contre, l'orthodoxie demeure prépondérante. Mécontents de Basiliscus, protecteur de leurs adversaires, les moines de la capitale et le patriarche Acace réussissent à provoquer un soulèvement qui renverse cet empereur (476). Aussitôt, les six cents évêques qui avaient, sous la pression, signé l'Encyclique de Basiliscus, s'empressent d'exprimer leur repentir. Les évêques monophysites, que l'empereur détrôné avait rétablis sur leurs sièges, en sont de nouveau évincés. Mais à Alexandrie, le patriarche monophysite Elure demeure sur son siège; et lorsqu'en 477 il meurt, les monophysites lui donnent, comme successeur, Pierre Monge, que le gouvernement finira par reconnaître, en 482, par préférence à son concurrent orthodoxe.

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3. Essai de réconciliation manqué. Le premier schisme religieux entre l'Orient et l'Occident a. L'édit d'union de l'empereur Zénon (482) Vainqueur de Basiliscus, Zénon, demeuré seul empereur, estime nécessaire de refaire la paix et l'unité dans l'Eglise. Attaché à la doctrine de Chalcédoine, mais instruit par l'expérience, il cherche à rallier les monophysites, tout-puissants en Egypte et en Syrie; renonçant aux moyens de contrainte, il entreprend une œuvre de conciliation. Pour supprimer les divisions et les dissensions provoquées par la controverse sur les deux natures du Christ, Zénon publie, en 482, son célèbre «édit d'union» (Henoticon), dont la doctrine, omettant tous les points controversés, formule ceux sur lesquels les deux parties étaient d'accord. En fait, la formule de Chalcédoine est implicitement abandonnée. b. Violente opposition contre l'édit d'union Comme toutes les demi-mesures, l'Henoticon mécontente les deux parties adverses. «Il est difficile de persuader aux hommes que les questions pour lesquelles ils se disputent et se haïssent n'ont point d'importance.» Bien que beaucoup d'évêques, notamment les patriarches monophysites d'Alexandrie et d'Antioche, acceptent Y édit d'union, une véritable opposition se manifeste en Egypte, particulièrement parmi les moines qui, toujours furieux, «se souciaient peu de théologie et voulaient uniquement se soustraire à l'autorité épiscopale» (Bailly). Aussi, trente mille moines s'assemblent-ils pour protester.5 Un clan intransigeant, les acéphales (sans tête), se sépare du parti monophysite. Ainsi, au lieu de concilier les deux partis existants, l'édit d'union, devenu un instrument de désunion, y ajoutera un troisième, encore plus ardent que les deux autres. c. Zénon et la révolte des Isauriens (482—488) En 482, Zénon, aux prises avec les difficultés religieuses, aura encore à défendre son trône contre un nouvel adversaire, Ilus, un des chefs isauriens qui l'avaient aidé à triompher de Basiliscus. Après une guerre acharnée, qui durera six ans, Ilus est vaincu et tué (488). d. Premier schisme religieux entre Constantinople et Rome (484—518) Des conséquences plus graves vont encore découler de l'édit d'union publié par Zénon. Tandis que cet empereur luttait contre l'Isaurien Ilus, les rela5

Les Ordres monacaux de l'Egypte byzantine préfigurent l'institution des Frères musulmans de l'Egypte arabe de nos jours.

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tions s'aggravent avec l'Eglise de Rome. Inquiet des tendances autonomistes de l'Eglise d'Orient et mécontent de l'édit d'union promulgué par l'empereur, le pape Félix III réagit violemment contre YHenoticon. Sur la plainte du patriarche chalcédonien d'Alexandrie, qui, évincé de son siège, était venu déposer une plainte contre Acace, patriarche de Constantinople et complice de Zénon, le pape de Rome, se faisant le chef des partisans de Chalcédoine, dépose solennellement et excommunie Acace (484). «La manœuvre était hardie. Sans doute l'évêque de Rome espérait-il intimider ses subordonnés factieux, et, par la crainte, les déterminer à la soumission. Ce fut le contraire qui se produisit. Sans être officiellement proclamée, l'indépendance de l'Eglise orientale était devenue une nécessité. Bien loin de se soumettre, Byzance opta pour la rébellion, et ce fut, entre les deux pouvoirs, un schisme qui dura de 484 à 518 — premier coup ouvertement porté par les orientaux à l'unité de l'Eglise chrétienne.»6 e. Réaction antiromaine du monde gréco-oriental A Constantinople, les partisans de Rome se livrent à des manifestations qui, en provoquant les manifestations contraires de leurs adversaires, aboutissent souvent à des séditions. Des conflits semblables surgissent à Antioche, à Jérusalem et dans d'autres villes orientales. Les monophysites profitent forcément de tous ces événements. Mais, dans l'ensemble, et en dépit des querelles qui les divisent, les populations orientales approuvent la politique antiromaine de Byzance. 4. Orientalisation de l'Empire byzantin a. Orientalisation du pouvoir impérial Outre sa politique antiromaine, l'Empire byzantin s'affirme de plus en plus, et dans tous les domaines, comme un pouvoir gréco-oriental. Dès le début du Ve siècle, cet Empire ne cesse d'évoluer vers l'orientalisme. Après l'écroulement de l'Empire d'Occident (475), l'Empire d'Orient, devenu, territorialement, presqu'entièrement oriental, accentuera encore son évolution vers l'Orient et se désintéressera de plus en plus du monde occidental. Cette évolution se manifeste, surtout à l'intérieur, par de nombreuses transformations. La plus importante de celles-ci est l'établissement du sacre ou cérémonie du couronnement de l'empereur, qui, à partir du milieu du Ve siècle, marquera, de façon plus expressive, le caractère divin du pouvoir impérial. «La conception du pouvoir impérial s'écartait de plus en plus de la * A . Bailly, op. cit., p. 46.

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conception romaine. Ce n'était plus des légions ou du Sénat que l'empereur recevait la souveraineté;... la cérémonie du sacre, instituée par Marcien en 450, transformait l'autocrate en élu du Seigneur. Revêtu ainsi d'un caractère divin, il en accentuait la majesté par le luxe éblouissant dont il s'entourait.»7 b. Orientalisation de l'Eglise et de la civilisation byzantines «En même temps que le pouvoir impérial, l'Eglise aussi s'orientalisait. C'est en Orient que s'étaient posés les grands problèmes théologiques, en Orient que s'étaient tenus les grands conciles . . . Après l'échec de la papauté alexandrine, les patriarches de Constantinople, chefs incontestés de l'Eglise d'Orient et soutenus par l'empereur, se posaient déjà en rivaux des papes. A l'est de l'empire, au Caucase, en Géorgie, en Arménie, en Perse, en Arabie, au pays d'Axoum, des Eglises étaient nées qui vivaient de leur vie propre, et ne connaissaient guère Rome que de n o m . . . Enfin toute la civilisation de l'empire romain d'Orient était profondément pénétrée d'influences orientales. Depuis longtemps, dans toutes les provinces du Levant méditerranéen, l'hellénisme était la forme classique de la civilisation. Quoique le latin y fût la langue officielle, le grec était la langue dominante; les grandes villes qui dirigeaient le mouvement économique et intellectuel, Alexandrie, Antioche, Ephèse, Constantinople, étaient essentiellement des cités hellénistiques.»8 c. Réveil de la culture et des traditions nationales en Syrie et en Egypte «Mais en outre, depuis le IVe siècle, on constatait en Orient un autre phénomène: c'était, sous le vernis hellénique, le réveil des vieilles traditions nationales sémitiques, araméennes, etc., en Syrie, en Mésopotamie, en Egypte. Par haine du paganisme, qui s'appuyait surtout sur la tradition hellénique, le christianisme victorieux avait vu sans déplaisir et encouragé plutôt les manifestations de ces tendances nationales q u i . . . ont leur répercussion aussi sur la vie publique de ce temps. Par là s'explique l'antagonisme qui, contre Constantinople, la capitale hellénique de l'empire, dressa les populations d'Egypte et de Syrie; par là s'explique l'opposition religieuse de ces provinces, sous laquelle se cachaient leurs revendications nationales. Mais par là surtout, par l'influence combinée de l'hellénisme, du vieil Orient ressuscité et du christianisme, la civilisation de l'empire romain d'Orient prenait un aspect nouveau, dont l'art de ce temps exprime bien le caractère.»9 7

Bailly, op. cit., p. 47. Diehl et Marçais, op. cit., p. 40, 41. • Diehl et Marçais, op. cit., p. 41, 42.

8

V. Byzance, la Perse et l'Orient méditerranéen (490—518)

1. Politique religieuse de la Perse (480—505) a. L'Eglise chrétienne de Perse se convertit au nestorianisme (484) Byzantins et Perses vers 480. — Pendant le long règne du roi Pérôz (459— 484), successeur de Yazdgard II, les difficultés qui retenaient les Perses à l'Est et les Romains à l'Ouest, continueront à empêcher les deux adversaires traditionnels de reprendre leurs luttes séculaires, interrompues par leurs accords de 421 et 428 (p. 282—284). Pendant plusieurs années, la famine qui sévissait en Perse et la guerre contre les Hephtalites mènent le pays iranien au bord de l'abîme. Dans une première expédition contre ces derniers, Pérôz, battu et fait prisonnier, est libéré (480) contre le paiement d'un tribut, qui aurait été versé par l'empereur Zénon (p. 283). Conversion de l'Eglise perse au nestorianisme (484). — C'est sous le règne de Pérôz que l'Eglise chrétienne de Perse, qui s'était détachée d'Antioche en 435 (p. 284), se convertit au nestorianisme (p. 278—280). Cet événement capital allait changer les dispositions du gouvernement sassânide à l'égard de ses sujets chrétiens. Nous avons vu que les communautés chrétiennes de Perse (Irak et Iran), persécutées par les autorités sassânides, recrutaient leurs docteurs à Edesse où l'Ecole théologique célèbre, appelée «Ecole des Perses», fonctionnait depuis 363. Opposés aux tendances en cours à Constantinople, les docteurs de l'«Ecole des Perses», à partir de 457, sont expulsés d'Edesse. Se réfugiant à Nisibine, en territoire perse, ils y fondent, sous la direction de leur chef Barçauma (p. 280), une nouvelle «Ecole des Perses» qui professa ouvertement le nestorianisme En 484, le Credo nestorien est adopté par l'Eglise chrétienne d'obédience sassânide. Barçauma avait réussi à assurer aux nestoriens, persécutés dans l'Empire byzantin, la protection des rois de Perse. Ceux-ci accueilleront dans leur territoire beaucoup de persécutés chrétiens et autoriseront l'établissement de nombreuses églises et d'importantes écoles. Constitution de l'Eglise nestorienne de Perse (484). — En 484, un synode, assemblé à Séleucie sur le Tigre, constitue, en Mésopotamie et Iran perses, une Eglise nationale, absolument indépendante des Eglise chalcédonienne et monophysite du monde byzantin ou gréco-oriental. Les membres de cette Eglise nestorienne perse s'appelleront eux-mêmes Chré-

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tiens Assyriens ou Chaldéens; le nom de Nestoriens leur sera donné par leurs adversaires ou par les étrangers. «Ce ralliement de l'Eglise chrétienne de Perse au nestorianisme eut des conséquences politiques immédiates. Le roi Pérôz, bien que peu favorable, on l'a vu, aux chrétiens, l'appuya de son autorité. Il y voyait avec raison le moyen de détacher enfin de Byzance ses sujets chrétiens . . . Pérôz accorda son appui à Barçauma et à la nouvelle Ecole de Nisibe. Après lui tous les rois sassanides eurent tendance à considérer l'Eglise chrétienne, désormais nestorienne, de Perse avec des yeux nouveaux. Du moment qu'elle avait rompu avec Byzance pour se constituer en Eglise indépendante de Byzance, voire hostile à Byzance, elle apparaissait à la Cour de Ctésiphon comme désormais inoffensive; mieux encore: comme une Eglise vraiment indigène, qu'on pouvait tolérer sur un pied presque officiel après le mazdéisme d'Etat... Le nestorianisme devint ainsi un peu comme la seconde religion nationale de l'empire perse.»1 Sous le successeur de Pérôz, «le nestorianisme devient la seule norme chrétienne de l'Iran, et, pour donner le change au zoroastrisme, depuis toujours opposé au célibat, la nouvelle Eglise chrétienne l'abolit également».2 Libération de la chrétienté arménienne (484). — La défaite que les Perses avaient infligée à l'Arménie, en 451 (p. 284), ne brisa pas la résistance de la chrétienté arménienne. Dès 478, les Sassânides, obligés de lutter contre les Hephtalites, à l'Est, relâchent la persécution religieuse en Arménie et laissent même établir un régime de tolérance. Après avoir rétabli la situation financière et reconstitué l'armée, Pérôz, en dépit des conseils de son entourage, attaque les Hephtalites et perd, dans cette aventure, la bataille et la vie (484). Profitant de cette catastrophe, qui oblige les Perses à évacuer l'Arménie, les Arméniens, qui s'étaient soulevés, obtiennent, avec, la paix, la liberté pour la religion chrétienne, l'autorisation de démolir les pyrées mazdéens établis chez eux, et l'autonomie de l'Arménie. Sous la suzeraineté perse, un chef arménien indigène, avec la dignité de marzbân (vice-roi), gouvernera le pays de 485 à 505. Décadence de la Perse. — La défaite et la mort de Pérôz plongent la Perse dans une profonde et longue décadence. Pendant plus d'un demisiècle, le royaume sassânide, astreint au paiement d'un lourd tribut annuel, est presque vassal du puissant empire Hephtalite. Balâsh (484—488), frère de Pérôz, déposé après quatre ans de règne, est remplacé par Kobâd, fils de Pérôz. Les Hephtalites, qui gardaient Kobâd en otage, n'auraient pas été étrangers à son ascension. 1 1

Grousset, L'Empire du Levant, Ghirshman, op. cit., p. 273.

p. 79.

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A son avènement, Kobâd (488—531), qui régnera quarante-trois ans, trouve la Perse dans un état catastrophique. Les années de disette et les guerres de Pérôz avaient littéralement ruiné le pays. Les féodaux étaient en révolte, les Huns envahissaient les frontières du Nord, les Hephtalites réclamaient le tribut, et le trésor était vide. Enfin, des luttes politiques et religieuses déchirent la société mazdéenne, et la royauté sassânide rentre dans une longue période d'effacement. b. Naissance de la religion iranienne de Mazdak «Toute guerre malheureuse amène une réaction religieuse et politique.» La défaite, la misère et les difficultés engendrées par la dernière guerre, avaient provoqué en Perse une réaction religieuse et sociale qui s'est traduite, au début du règne de Kobâd, par la naissance d'une nouvelle religion, le mazdakisme, du nom de Mazdak ou Mazdek, un socialiste ou communiste iranien, né dans le Khorassân. Le mazdakisme, doctrine communiste. — L'enseignement de Mazdak, qui découlait de celui de Mani (p. 196—198), admettait l'existence de deux principes opposés, la lumière et les ténèbres. Leur mélange et leur séparation étaient le produit du hasard. Du mélange de l'eau, du feu et de la terre, provenaient l'organisation du bien et celle du mal. Le monde spirituel est organisé comme le monde matériel. Le mouvement mazdakite appelait ses fidèles à l'égalité dans le partage des biens entre les hommes. La nouvelle secte admettait la communauté des biens, celle des femmes, l'abolition de tous les privilèges et l'interdiction de tuer les êtres vivants pour se nourrir. «Pour supprimer la contradiction, la haine, la guerre, qui sont des choses mauvaises provenant évidemment des ténèbres, Mazdak se tournait vers leur principe et trouvait celui-ci dans l'amour des femmes et de la fortune; pour supprimer cet inconvénient, il ordonna de pratiquer la communauté des femmes et des biens, tous les hommes devant y avoir également part, comme à l'eau, au feu et au vent.»3 «Dans une société comme celle de l'empire sassanide, où les diverses classes avaient des cloisons étanches, où le roturier ne pouvait jamais espérer s'élever au-dessus du rang qui l'avait vu naître, où le système social se basait sur la famille, la propriété et la stricte distinction des classes, le programme de Mazdak, qu'on appelle avec raison le communisme iranien, était une véritable révolution.»4 Kobâd encourage les mazdakites. — Voyant dans le développement de ces doctrines le moyen de briser, à la fois, la puissance de l'Eglise maz» Huart et Delaporte, L'Iran antique, Elam et Perse, p. 423. Ghirshman, op. cit., p. 271.

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déenne et l'influence de la noblesse devenue presqu'indépendante, Kobâd en favorisa la prédication. Détrôné et jeté en prison, à la suite d'un complot organisé par les nobles (497), Kobâd s'évade de la prison et se réfugie chez les Hephtalites. Mais il revient, deux ans après (499), à la tête d'une armée hephtalite, renverse son frère qui l'avait remplacé et reprend sa place (499). Extermination de la secte des Mazdakites (505). — Le mouvement mazdakite, que Kobâd, à son avènement, avait favorisé, finit par tourner à la révolution; des soulèvements, des pillages, des enlèvements de femmes, des expropriations de terres, des réquisitions de récoltes, sont organisés et perpétrés au nom des principes de la nouvelle secte. «Tous les novateurs socialistes et communistes posent des règles qui ne pourraient être mises en pratique que par des sociétés de saints; mais il y a partout des êtres vicieux, des paresseux, des criminels nés, et la Perse n'échappa pas à ce sort commun des utopistes: la lie du peuple s'empara avidement de ces théories égalitaires; il s'ensuivit des désordres tels que le pouvoir politique dut s'en mêler et extirper la nouvelle secte.»5 Devenu plus tiède à l'égard des Mazdakites, Kobâd profitera de leur opposition à la désignation de son fils Chosroès comme héritier du trône, pour rompre avec la secte. A la suite d'une controverse religieuse entre leurs chefs et le clergé zoroastrien et chrétien, les mazdakites, confondus par leurs adversaires, sont massacrés (505); leurs livres sont brûlés et leurs biens, confisqués. Mais leurs idées continueront à se répandre secrètement. Pour les combattre, le roi cherche à remédier à l'état de misère des masses populaires, par des réformes sociales et fiscales que sa mort (531) empêchera de réaliser. C'est seulement au début du règne de son successeur, Khosrau I, que la monarchie se sentira assez forte pour lutter contre le mouvement communiste et réaliser les réformes préconisées par Kobâd.

2. L'empereur Anastase et sa politique (491—518). L'Empire byzantin axé sur l'Orient a. Avènement de l'empereur Anastase A la mort de Zénon, sa veuve Ariadné fait reconnaître un de ses protégés, Anastase (491—518), simple huissier à la cour. Agé de 64 ans, le nouvel empereur, intelligent, instruit, ferme et prévoyant, se révélera un bon administrateur et un politique habile. » Huart et Delaporte, op. cit. p. 424.

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b. Politique et réformes intérieures Dès le début de son règne, Anastase eut à soutenir une longue guerre intérieure contre les Isauriens, qui, comme leurs prédécesseurs germaniques ou goths, étaient devenus trop puissants. Après six ans de lutte (493—498), les Isauriens sont licenciés et chassés de Constantinople et leurs biens sont confisqués. Leur province, l'Isaurie, en Asie Mineure, qui s'était révoltée, est également domptée. Pour rendre à l'Empire l'ordre et la prospérité, Anastase réorganise l'administration financière, améliore le système de la répartition et de la perception des impôts, surveille la gestion des fonctionnaires, diminue les dépenses inutiles et les frais de la cour. Mais ces réformes entraînent des mécontentements, car le poids des impôts est trop lourd et une grande agitation régnait dans tout l'Empire. c. Politique extérieure d'Anastase Anastase avait compris qu'il était difficile, sinon chimérique, de reconquérir l'Occident, envahi et dominé par les Barbares. Théoriquement, sa suzeraineté sur Rome et l'Italie persistait depuis l'effondrement de l'Empire d'Occident (475). Il pouvait donc honorablement se contenter de cette souveraineté nominale. Par contre, Anastase sentait de plus en plus que l'Empire gréco-romain d'Orient, qui n'avait rien à espérer d'un Occident appauvri et désorganisé, devait axer sa politique sur la Grèce et l'Orient méditerranéen. Son premier soin est de maintenir son contrôle sur les provinces de l'Empire et de protéger les frontières contre les ennemis extérieurs. Sur le Danube, de nouveaux peuples barbares, les Slaves, puis les Bulgares, apparentés aux Huns, menacent la frontière, qu'ils franchissent à plusieurs reprises, ravageant la Macédoine et la Thrace. En Asie, l'ennemi séculaire est toujours le Perse; en outre, des tribus arabes du désert syro-arabique s'agitent aux confins du Croissant Fertile. d. Renforcement de la défense de l'Empire Pour faire face à ces dangers extérieurs, Anastase prend les mesures nécessaires à la défense et à la sécurité de l'Empire. Le vieux limes romain, qui s'étend de la Mer Noire à la Mer Rouge, est renforcé, les tribus voisines des frontières sont surveillées; de grandes forteresses sont construites. En avant de Constantinople, un long mur, qui porte le nom d'Anastase, est édifié; il s'étend de la Mer Noire jusqu'à celle de Marmara, sur une longueur de 78 kilomètres environ.

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e. Désordres, émeutes et révoltes à Constantinople (491—498) Toutes ces mesures nécessitent de grosses dépenses et entraînent, par suite, un accroissement des charges fiscales. Le mécontentement qui s'ensuivit, chez les populations de l'Empire, ajouté à celui créé par les réformes financières et la politique religieuse d'Anastase, augmente l'agitation qui régnait déjà dans la capitale. Des désordres éclatent à Constantinople, en 491, 493 et 498, qui sont durement réprimés par la police impériale. j. Politique syro-égyptienne d'Anastase Sous le règne d'Anastase, le mouvement d'orientalisation de l'Empire s'accentuera encore davantage. Sentant plus nettement que la destinée de l'Empire byzantin est liée à la Grèce, à l'Asie Mineure, à la Syrie et à l'Egypte, Anastase renonce à toute idée d'expansion en Occident; concentrant son attention sur l'Orient, il fait de l'Empire une monarchie nettement orientale. Pour s'émanciper définitivement de la tutelle religieuse que l'Eglise romaine prétend exercer sur l'Empire, Anastase veut unir, autour de son trône, tous les peuples soumis à son autorité. Mais la Syrie et l'Egypte cherchent à secouer la tutelle de Constantinople. L'effort de l'empereur portera surtout à «faire entrer dans le courant romain ces peuples de Mésopotamie, de Syrie, d'Egypte, qui ne supportaient déjà qu'avec impatience leur subordination à Constantinople. Le seul moyen de les assimiler était de rapprocher de leur civilisation la civilisation de l'empire;... il ne pouvait maintenir sa domination qu'en se soumettant lui-même aux lois que lui prescrivaient ses conditions géographiques, ses voisinages, ses relations, ses échanges».6 g. Anastase favorise les monophysites (496—513) La rupture religieuse avec Rome (484), qui inaugura le premier schisme entre Constantinople et l'Occident (p. 291—292), avait forcément profité aux monophysites. Croyant sincère et profondément religieux, Anastase, à son avènement, avait signé une déclaration d'orthodoxie et pratiqué, à l'exemple de son prédécesseur Zénon, la politique de YHenoticon. Mais bientôt, sous l'influence de «certains Syriens de son entourage, comme le préfet Marinus», il accorde ses sympathies, puis sa protection ouverte, aux monophysites les plus avancés, qui sont tout-puissants en Syrie et en Egypte. En 496, Anastase, qui entend gouverner l'Eglise en maître, fait déposer • Bailly, op. cit., p. 48.

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le patriarche de Constantinople, Euphémios, adversaire du patriarche monophysite d'Alexandrie. Un peu plus tard, en 511, il se débarrassera du successeur de ce dernier, Macédonios, accusé de nestorianisme, et le remplacera par un monophysite, Timothée. En 512, Flavien, patriarche d'Antioche, jugé trop modéré, est remplacé par le fameux Sévère, qui, au synode de Tyr (513), fait condamner explicitement le Concile de Chalcédoine. h. Violente réaction des orthodoxes Réagissant contre les décisions d'Anastase, les orthodoxes de la capitale se livrent à des manifestations qui dégénèrent en émeutes. Ceux de Syrie et de Palestine, dirigés par l'illustre saint Sabas, firent au patriarche monophysite d'Antioche et à ses partisans une guerre acharnée. En Egypte, la politique impériale soutint également les dissidents. Ainsi, la politique religieuse d'Anastase, destinée à combattre, à Constantinople, l'opposition qui s'appuyait sur les partisans de Rome, et à rallier la Syrie et l'Egypte, où les monophysites sont tout-puissants, aboutit à créer dans l'Empire un nouvel élément de trouble. Elle ne fera qu'aggraver la crise intérieure qui déchirait la monarchie. «Ce qui aigrissait encore le conflit, c'étaient les éléments politiques qui s'y trouvaient mêlés. C'était une chose grave qu'en Orient tous les soulèvements tentés contre le gouvernement impérial se fissent au nom de l'orthodoxie. C'était une chose grave aussi qu'en Egypte, en Syrie, la question des nationalités se mêlât étroitement à la question religieuse, et que ce fût pour le gouvernement une nécessité de tenir compte de cet aspect du problème et de chercher les satisfactions indispensables.»7 i. Guerre avec la Perse (502—504) C'est au milieu de ces graves difficultés qui paralysent l'Empire que surgit un conflit avec la Perse. Le roi Kobâd, qui, grâce aux Hephtalites, était monté sur le trône (p. 295), devait à ces derniers le prix de leur concours et le tribut annuel. S'adressant à Constantinople, il demande à Anastase un emprunt, en même temps que la cotisation promise à son pays (p. 283). Mais l'empereur, craignant que cet argent ne serve aux Perses à se procurer des armes qui pouvaient être tournées contre lui, refuse la requête perse. Ce refus amène la rupture et la guerre entre les deux Empires (502). «Le grand duel qui s'ouvrait ainsi allait se poursuivre, avec des accalmies qui ne seraient que des trêves, pendant cent vingt-six ans (502—628), et aboutir à l'épuisement simultané de l'empire byzantin et de l'empire perse, au profit du seul monde arabe. Sous le règne de Kavâdh, d'ailleurs, 7

Diehl et Marçais, op. cit., p. 37.

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les opérations se limitèrent à une guerre de sièges sur le limes byzantinoperse.»8 La guerre, qui dura trois ans, fut d'abord malheureuse pour l'armée byzantine, peu nombreuse et mal commandée. Kobâd envahit l'Arménie et la Mésopotamie et s'empare successivement de Martyropolis, de Théodosiopolis (Erzeroum), d'Amida (Diarbékir) et de Nisibe (503). Mais ces succès furent sans lendemain. L'année suivante, quelques autres succès byzantins, des désordres intérieurs en Perse et une invasion des Huns, obligent Kobâd à conclure la paix (504). /. La paix perso-byzantine de 504 Cette paix perso-byzantine de 504, comme toutes celles qui l'ont précédée, n'était qu'une simple trêve. «Entre les deux Etats, des points de friction subsistaient, tentation constante et prétexte à de nouveaux conflits. Chez les Arabes du désert de Syrie, en Arménie, au Caucase, Byzantins et Perses se disputaient l'influence et la suzeraineté, et le péril en somme restait menaçant.»9 C'est au lendemain de cette paix, en 505, que Kobâd procéda à l'extermination de la secte religieuse des mazdakites (p. 297). k. Emeute et révolte à Constantinople (512—515) En 512, une violente émeute ensanglante de nouveau Constantinople, et l'empereur lui-même est grossièrement insulté à l'Hippodrome. En 513, Vitalien, commandant de l'armée de Thrace, se révolte et, sous prétexte de défendre l'orthodoxie, marche sur Constantinople avec 50.000 hommes et une flotte importante. Battu sur mer, Vitalien rentre en Thrace, mais sa force demeure inquiétante (515). I. Nouveaux sujets de mésentente entre Constantinople et Rome Vis-à-vis de Rome, l'intransigeance d'Anastase rend extrêmement difficile tout arrangement pour mettre fin à la rupture et au schisme de 484. Fermement attaché à la doctrine orthodoxe, le pape réclamait la reconnaissance officielle du Concile de Chalcédoine et la condamnation des hérétiques. En outre, l'évêque de Rome déclarait que la puissance spirituelle était égale, voire même supérieure au pouvoir temporel; tandis qu'à Byzance, une opinion inverse prévaut sur ce point. Cette nouvelle doctrine rendait encore plus impossible toute entente entre Constantinople et Rome. Une ambassade pontificale, venue à Constantinople pour essayer d'arriver à un accord, est brutalement renvoyée par l'empereur (517). 6

Grousset, L'Empire du Levant, p. 80. • Diehl et Marçais, op. cit., p. 43.

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De même que les monophysites, en Orient, maintenaient l'empereur dans l'intransigeance, «en Occident, le roi des Ostrogoths, Théodoric, qui était alors en assez mauvais termes avec la cour de Byzance, poussait le pape à une lutte dans laquelle il trouvait son avantage. Ainsi, le schisme durait, la mésentente grandissait entre Constantinople et Rome; et dans le domaine religieux aussi, par la constitution d'une Eglise indépendante de la papauté, se manifestait la tendance qui, de plus en plus, entraînait l'empire vers l'Orient».10 En 518, Anastase meurt, sans avoir réglé la question de la succession au trône, et laissant l'Empire dans un état lamentable de crise intérieure.

3. Causes de l'échec de la politique

d'Anastase

Si Anastase, qui fut réellement un grand prince, échoua dans sa tentative de restaurer l'unité morale de l'Empire, la cause doit en être cherchée dans la politique religieuse qu'il a pratiquée. Cette politique, qui, comme celle de ses prédécesseurs, chercha à imposer aux peuples de l'Empire une même et commune croyance, avait fatalement abouti à aggraver encore la désunion qui régnait déjà. Cette politique religieuse, héritée des empereurs païens de Rome, dont le culte, dans toutes les villes et les temples de l'Univers romain, assurait l'unité des peuples de l'Empire, ne pouvait plus se continuer dans un monde devenu chrétien. La religion païenne, toute de pratiques externes et dépourvue de dogmes et de doctrines métaphysiques, acceptait la multiplicité des dieux et s'accommodait de la suprématie locale des uns sur les autres. Avec le christianisme, ses dogmes et ses problèmes métaphysiques, c'est attenter à la liberté de penser que d'imposer par la contrainte, à un groupe humain, des formules religieuses faites par d'autres. Si les Grecs anciens avaient accepté, sans réaction, une foule innombrable de dieux et de déesses, ils se seraient certainement révoltés contre toute autorité qui aurait tenté de leur imposer des idées philosophiques ou scientifiques toutes faites. En outre, ces discussions sur les doctrines religieuses, dans un monde vieilli et où les tendances régionalistes progressaient inconsciemment, couvrent, on le répète, des dissensions et des oppositions politiques, des intérêts matériels et des aspirations séparatistes. La faiblesse de l'Empire et l'intervention maladroite des empereurs dans ces querelles, ne faisaient que les envenimer davantage, en les exacerbant. Les empereurs byzantins auraient certainement mieux réussi dans leur politique d'union, si, renonçant au double rôle de roi et de pontife, ils 10

Diehl et Marçais, op. cit., p. 37.

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avaient, à l'exemple de l'Occident, laissé à l'Eglise son indépendance et aux divers évêques et communautés chrétiennes la liberté d'établir leurs conceptions religieuses. Les hérésies auraient probablement été moins nombreuses, et la réaction des dissidents certainement moins violente. En tout cas, cette réaction ne serait pas sortie des limites du cadre religieux et n'aurait pas considéré le pouvoir politique comme un ennemi à combattre et dont il faudrait se défaire ou se séparer. «Dans un gouvernement où l'Etat et l'Eglise forment deux pouvoirs distincts, les dissentiments dogmatiques risquent beaucoup moins de se transformer en scissions politiques. Mais la forme de l'autocratie byzantine, qui accordait au monarque une souveraineté spirituelle et un droit d'intervention dans les problèmes ecclésiastiques, l'exposait à une opposition qui transportait toutes les querelles du plan temporel sur le plan religieux; c'est là ce qui explique la passion, dont on s'étonne parfois, que les Byzantins manifestaient dans la défense de leurs doctrines théologiques: elles recouvraient presque toujours des intérêts politiques ou matériels. Anastase devait en faire une assez rude expérience.»11 Dans le monde moderne, les pays qui ont séparé le domaine politique et le domaine religieux ont mis fin aux dissensions intestines pour cause de religion et, par suite, au délicat problème des minorités religieuses. Dans ces pays, les passions humaines et les rivalités qu'elles engendrent se sont transposées sur d'autres concepts, tels que les opinions politiques et sociales, et les communautés religieuses ont fait place aux partis politiques.

11

Bailly, op. cit., p. 50.

c L'Empire byzantin attiré par l'Occident. Le siècle de Justinien (518—565)

I. La famille justinienne et sa politique générale. Justin, Justinien et Théodora (518-565) A l'empereur Anastase, mort en 518, succède Justin (518—527), paysan macédonien et soldat de fortune, fondateur de la dynastie justinienne (518—565). Choisi par le Sénat, le nouvel empereur est confirmé par l'armée et le peuple. Peu préparé à son nouveau rôle, âgé de 70 ans, illettré, Justin abandonne la direction des affaires publiques à son neveu Justinien, qui, armé de solides études, était intelligent, habile, travailleur, ambitieux et de tempérament dominateur. Justinien (527—565), qui, dès l'avènement de son oncle, reçut les plus hautes dignités de la cour, est associé, en 520, au gouvernement de l'Empire. En 527, il succède officiellement à Justin, qui l'avait adopté peu avant sa mort. Dans les actes du règne de Justin, il est difficile de démêler la part de Justin et celle de Justinien. On peut dire que le règne du neveu a commencé, effectivement, en même temps que celui de l'oncle, c'est-àdire en 518. De même qu'on ne peut séparer le nom de Justin de celui de Justinien, de même on ne peut séparer le nom de ce dernier de celui de sa femme, l'impératrice Théodora (527—548), qui fut pour son mari la plus précieuse des conseillères. C'est grâce à cette intelligente collaboration que le règne de Justinien fut un des plus éclatants de l'histoire byzantine, que ce prince reçut de Byzance le nom de Justinien le Grand et que le Vie siècle fut désigné, par les historiens, du nom de «siècle de Justinien». Jusqu'à la mort de Théodora (548), c'est-à-dire pendant plus de vingt ans, l'association du souverain et de son épouse sera constamment très étroite et le gouvernement de l'Empire sera vraiment bicéphale. 1. L'empereur Justinien le Grand (527—565) L'empereur Justinien, dont la figure domine tout le Vie siècle, est un personnage difficile à connaître, et, par suite, à juger. C'est qu'à son sujet les témoignages des historiens anciens sont contradictoires, suivant qu'ils approuvent ou non sa résolution obstinée de reconstituer, au profit de Byzance, l'ancien Empire romain d'Occident, en négligeant les provinces orientales et les frontières asiatiques de son propre Empire. On peut toutefois affirmer que Justinien, qui avait le sentiment et le goût passionné de l'absolutisme, était simple de manières, affable d'ac-

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cueil, maître de lui-même. Il attirait ceux qui l'approchaient par une certaine bonté naturelle, et imposait le respect par une puissance de travail continue et tenace. Autoritaire, vaniteux, méfiant et jaloux, il voulait être le maître dans tous les domaines, et ses amis et favoris n'étaient jamais sûrs de sa confiance. «C'est qu'au fond, sous des dehors absolus, l'empereur cachait une âme indécise et faible. Son humeur avait des sautes brusques, colères soudaines, abattements inattendus; sa volonté subissait l'ascendant des volontés résolues et fortes, celui de sa femme Théodora, de son ministre Jean de Cappadoce. Et naturellement ce faible fut, selon les cas, dissimulé, perfide et, par peur, cruel... Si bien qu'au total, malgré d'incontestables qualités, Justinien apparaît plutôt médiocre, avec son âme mal équilibrée, sa volonté incertaine, sa vanité puérile, son despotisme jaloux, son activité même, réelle, mais inquiète et brouillonne. Pourtant, si le caractère est incontestablement médiocre, l'esprit en lui ne manquait ni de portée ni de grandeur.»1 a. La politique de Justinien; expansion vers l'Occident L'avènement de la dynastie justinienne marque un changement important dans les destinées de l'Empire gréco-oriental de Byzance. Admirateur fanatique de la latinité et de la puissance romaine, orienté, par son éducation, vers Rome et l'orthodoxie, exalté par les grands souvenirs de l'ancien Empire romain dont Byzance était l'héritière, Justinien rêve de reconstituer, au profit de la Nouvelle Rome, l'ancien Empire des Augustes, et de régner sur l'Orient et l'Occident de nouveau réunis. Pour assurer la réalisation de ce grand rêve, Justinien se tourne vers l'Occident et consacrera sa vie à lutter pour chasser les Barbares des provinces occidentales. b. Politique chimérique et dangereuse Ce rêve, qui n'est pas sans grandeur et qui assurera à Justinien sa renommée, détournera, pour un siècle, l'Empire byzantin de ses véritables destinées, qui sont en Orient. «Le grand danger d'une telle politique . . . était d'éloigner et de disperser les forces dont Byzance pouvait avoir besoin contre ses voisins immédiats, de rendre plus précaire son union avec les provinces orientales, de ranimer chez celles-ci les velléités d'autonomie, d'interrompre et peut-être de rendre impossible la constitution de cette puissance homogène, mais fatalement tournée vers la Grèce et l'Orient, dont Constantinople, par sa situation, devait être la Métropole et dont seule elle pouvait assurer l'unité.»2 1 2

Diehl et Marçais, op. cit., p. 53, 54. Bailly, op. cit., p. 80.

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c. Les véritables destinées de Byzance Centre géographique du monde gréco-égéen, Byzance, qui formait avec ce monde une entité ethnique et politique homogène, était mal placée pour grouper politiquement, sous son autorité, l'ensemble du monde méditerranéen. Les lois de la géographie et de l'histoire nous enseignent, en effet, que, seules, Rome et l'Italie, qui forment le centre géographique du bassin méditerranéen, pouvaient, à la rigueur et aidées par les circonstances, unir, sous leur direction politique, l'ensemble de ce vaste monde. Plus oriental qu'occidental, l'Empire byzantin trouvait, en Asie Mineure, Syrie, Egypte, ses forces vives et sa zone vitale. En abandonnant la politique raisonnable d'Anastase et de ses prédécesseurs, qui s'étaient proposés de constituer une monarchie gréco-égéenne axée sur l'Asie Mineure et l'Orient syro-égyptien, Justinien détourna l'Empire byzantin de ses véritables destinées. «L'amour et la vénération du passé lui dissimulaient les réalités présentes. Ce qu'il ne voyait pas, c'est que la séparation de l'Occident et de l'Orient n'était pas un accident historique, mais une nécessité géographique et économique. Comment Byzance eût-elle rétabli ce que Rome n'avait pu maintenir? Pour asseoir sa domination sur tous les pays que borde la Méditerranée, il lui eût fallu des armées innombrables. Les eût-elle recrutées, que, malgré ses richesses, elle n'aurait pas eu de quoi les entretenir et les payer. Il ne s'agissait pas pour elle de choisir entre l'Occident et l'Orient: l'Occident lui échappait fatalement. Pour ne pas l'avoir admis, pour avoir voulu refaire et avoir en partie refait l'empire, — victoire momentanée —, Justinien avait laissé ruiner quelques-unes de ses plus belles provinces, et l'avenir demeurait précaire.»3 Cette politique expansionniste de Justinien épuisera irrémédiablement la monarchie. Dès avant sa mort, l'Empire byzantin, comme, plus tard, son lointain successeur l'Empire ottoman, commencera à traîner une existence d'«empire malade», qui sera démembré au premier choc. «Toute domination perd en force ce qu'elle gagne en étendue.» d. Politique religieuse de Justinien: intolérance et césaropapisme Héritier des droits de l'Empire romain qu'il veut restaurer, vicaire de Dieu et champion de la religion orthodoxe, qui est celle de Rome, Justinien, qui associe dans sa personne l'orgueil impérial et la piété du chrétien, est un croisé avant la lettre. Mais cette conception du devoir impérial, qui assura à Justinien sa grande renommée, était, elle aussi, dangereuse pour l'Empire. Car les desseins poursuivis étaient en disproportion avec les ressources de l'Etat, qui 3

Bailly, op. cit., p. 89, 90.

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sortira ruiné de ces entreprises. D'autre part, les populations non-orthodoxes, considérées comme dissidentes, étaient persécutées sans miséricorde. Enfin, l'Eglise elle-même n'échappa pas à l'autorité despotique de Justinien. «Sous prétexte de la bien gouverner et d'y remettre l'ordre et la paix, il la tyrannisa. Son règne fut le triomphe de l'intolérance et du césaropapisme.»4 e. Prépondérance de la culture latine sur l'hellénisme Au lieu de conserver à l'Empire gréco-byzantin son caractère original, Justinien travaillera à diminuer l'influence de l'hellénisme. Les adhérents de la culture antique sont persécutés; l'enseignement de la philosophie et du droit sont supprimés à Athènes; l'usage officiel de la langue latine, qui s'était affaibli sous les règnes précédents, était fortifié. Les travaux législatifs de Justinien, qui font sa véritable gloire, répondent à cette même pensée de réorganisation romaine. Enfin, dans l'Eglise même, l'empereur sacrifiera au pape les prétentions à l'autonomie, revendiquée, depuis le IVe siècle, par les patriarches de Constantinople. f . Négligence des provinces orientales Emporté par ses visées impérialistes sur l'Occident, Justinien néglige l'Orient. En luttant pour reconquérir les anciennes provinces occidentales, il sacrifie la sécurité des provinces orientales, et particulièrement de la Syrie qui forme, avec l'Egypte, les plus riches parties de son domaine. Sur le Danube, il laissera sans protection la frontière des Barbares; en Asie, il fera aux Perses des concessions humiliantes. Ainsi, en dépit du grand renom qui s'attache à la mémoire de Justinien, la politique qu'il suivra pendant tout son long règne sera funeste pour l'Empire. Aussi, son œuvre ne lui survivra guère. Après sa mort, ses successeurs seront forcés de tourner leur attention et de concentrer leurs forces contre les Perses, qui menacent la sécurité des provinces asiatiques, et contre les Slaves, dont l'activité guerrière met en danger l'existence même de l'Empire en Europe. Moins d'un siècle plus tard, l'Empire sera démembré; ses plus riches provinces, la Syrie et l'Egypte, exaspérées et mal protégées, passeront aux conquérants arabes. g. Œuvres durables de Justinien Si la politique chimérique de Justinien sera funeste à l'Empire, par les conquêtes inutiles et coûteuses qu'elle entreprendra en Occident, par contre, son œuvre législative et administrative, ses travaux de construction, ses 4

Diehl et Marçais, op. cit., p. 55.

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créations architecturales, ses travaux de fortification des frontières, sont ses plus beaux titres de gloire. C'est sous son règne que seront édifiés deux grands monuments, l'un juridique, le Code Justinien (529—534), et l'autre architectural, l'église de Sainte-Sophie (532—537). Ces deux belles œuvres impérissables traverseront les siècles et assureront éternellement le souvenir et la gloire de Justinien le Grand. 2. L'impératrice Théodora (527—548) a. Théodora jusqu'à son couronnement D'origine levantine, née en Syrie ou à Chypre, Théodora, «la plus illustre des impératrices byzantines», est une femme remarquable, célèbre par sa beauté, son charme et son intelligence. Elle avait commencé sa vie comme actrice, danseuse et courtisane, à Constantinople, en Afrique et à Alexandrie. C'est dans cette dernière ville, que, touchée par la grâce, elle passa de la débauche à la vertu et se consacra à l'amour de Dieu. Ce fut en cet état que, rentrant à Constantinople, elle y rencontre ou retrouve Justinien, neveu de l'empereur, et devient sa maîtresse. Pour en faire sa femme, celui-ci, passionnément épris de sa beauté et du charme de sa conversation et de son esprit, obtient de son oncle l'abrogation de la loi qui interdit aux sénateurs d'épouser des actrices. Mariée, Théodora est, à la mort de Justin, solennellement couronnée avec son mari et s'asseoit avec lui sur le trône impérial (527). b. Théodora impératrice Pendant plus de vingt ans (527—548), l'impératrice Théodora sera pour son mari une conseillère, une confidente et une collaboratrice très précieuse. «Le sens politique est souvent très aigu chez les femmes. Il exige une vue concrète de la vie, un opportunisme, une faculté de s'adapter aux événements et d'y conformer ses principes, qui sont essentiellement des qualités féminines. Théodora les possédait à un degré éminent, et d'autant plus peut-être que sa vie aventureuse et tumultueuse avait magnifiquement enrichi son expérience humaine.»5 Une fois sur le trône, Théodora fut d'une correction irréprochable. Ambitieuse et aimant le pouvoir, elle possédait les qualités qui font les grands souverains: «une intelligence habile et souple, un esprit lucide et ferme, une énergie fière, une fermeté virile, un courage calme,... une volonté enfin résolue et f o r t e . . . (Par contre), elle avait l'âme autoritaire et d u r e ; . . . pour conserver son pouvoir, sans scrupules, elle fut violente, 5

Bailly, op. cit., p. 71.

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perfide, cruelle, implacable dans ses rancunes, inflexible pour ceux qui attirèrent sa haine.»8 D'autres souveraines ont joué, dans l'histoire de l'Empire romain, un rôle politique remarquable. Sans compter les impératrices syriennes, dont l'influence à Rome fut prépondérante au Ille siècle, à Byzance aussi, les impératrices Eudoxie, femme d'Arcadius, Pulchérie, sœur de Théodose II et épouse de Martien, Eudocie, femme du même Théodose, gouvernèrent assez heureusement l'Empire. Mais Théodora les dépasse toutes. Admirée pour sa beauté autant que pour son génie, elle est, par excellence, l'impératrice byzantine. «Plus passionnée que son mari, plus tenace dans ses desseins, et surtout dans ses rancunes, elle fut la plus grande des impératrices byzantines et, de beaucoup, la plus révérée. Autant Justinien se montrait d'accès facile, autant Théodora savait faire sentir la distance qui la séparait des simples humains. Les sénateurs eux-mêmes devaient lui demander audience . . . Ils ne l'abordaient qu'avec crainte. . . Toujours parée comme une idole,... elle porta la dignité impériale à un tel degré de prestige qu'elle semblait être placée sur un plan surhumain, où son époux, grâce à elle, s'était élevé à son tour . . . Aucune impératrice ne devait être plus exactement associée à l'empereur, jusque dans la soumission et la vénération des armées et du peuple . . . Le règne de Justinien est indissolublement le règne de Théodora: l'histoire ne peut séparer ceux que rien ne sépara jamais.»7 c. Théodora protectrice des monophysites Pendant vingt ans, la toute-puissance de Théodora s'étendra à tous les domaines de l'Etat: administration, législation, diplomatie, politique, armée, Eglise, questions religieuses. Tandis que Justinien, emporté par son rêve d'expansion vers l'Occident, protège l'orthodoxie pour gagner la sympathie de l'Eglise de Rome, Théodora, plus perspicace et plus réaliste, se tourne vers l'Orient, son pays d'origine. A Alexandrie, où elle avait séjourné avant d'être impératrice, elle avait connu quelques-uns des chefs du parti monophysite et, sous leur influence, aurait renoncé à sa vie de débauches. Devenue souveraine, elle recevait les monophysites au palais et mettait son crédit à leur service. «Ce n'était point par piété seulement: elle avait trop de sens politique pour ne point comprendre quelle était, dans un Etat chrétien, l'importance des questions religieuses, quel péril il y avait à s'en désintéresser. Mais tandis que Justinien, théologien dans l'âme, s'occupait des questions religieuses surtout pour le stérile plaisir de dogmatiser, Théodora, comme tous • Diehl et Marçais, op. cit., p. 57, 58. 7 Bailly, op. cit., p. 77, 78.

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les grands empereurs de Byzance, savait, sous la forme passagère des querelles théologiques, reconnaître le fond permanent des problèmes politiques. Elle comprenait que ces riches et florissantes provinces d'Asie, de Syrie, d'Egypte, constituaient vraiment les forces vives de la monarchie; elle sentait le danger que créaient pour l'empire les dissidences religieuses par lesquelles, dans ces régions, les nationalités orientales manifestaient dès ce moment leurs tendances séparatistes: elle sentait la nécessité d'apaiser par des concessions opportunes et une large tolérance les mécontentements menaçants; et lorsqu'elle s'efforçait d'orienter vers ce but la politique impériale, bravant la papauté, protégeant les hérétiques, entraînant à sa suite Justinien indécis et troublé, on peut sans paradoxe affirmer qu'elle voyait plus juste que son impérial associé et pressentait plus clairement l'avenir. On peut se demander si l'empire, telle qu'elle le rêvait, si la grande monarchie orientale fortement unie qu'elle concevait n'eût pas été un plus solide obstacle aux attaques des Perses et des Arabes.»8 d.

Duplicité

concertée

de la politique

religieuse

Ainsi, c'est grâce à Théodora que la politique occidentale et orthodoxe de Justinien n'a pas disloqué l'Empire, en provoquant des révolutions sanglantes à Constantinople et des mouvements séparatistes dans les provinces orientales. C'est grâce à elle que la Syrie et l'Egypte, où les monophysites étaient tout-puissants, n'ont pas levé l'étendard de la révolte. «Si le contact se maintint entre la capitale et les provinces asiatiques, ce fut par la volonté et l'intervention constante de Théodora. Dans cette association si étroite du souverain et de son épouse, dans ce gouvernement qui fut vraiment bicéphale, il semblait qu'elle eût pris à tâche de représenter la partie orientale de l'Empire, la Syrie, l'Egypte, avec lesquelles elle demeurait en relations étroites, allant même jusqu'à témoigner une sympathie déclarée aux monophysites qui s'y trouvaient en majorité, et qui, aux yeux de Justinien, apparaissaient comme des hérétiques voués à tous les supplices. Cette divergence de vues, entre deux époux si parfaitement unis, semblerait assez étrange si l'on n'y voyait, ce qu'elle fut sans doute, une profonde habileté, et, pour chacun d'eux, le moyen, en toutes circonstances, de dégager sa responsabilité et de s'assurer un alibi.»9 Grande souveraine, protectrice des monophysites orientaux, Théodora fut accablée de malédictions par les historiens ecclésiastiques de l'Eglise occidentale. Mais l'Eglise orthodoxe d'Orient commémore aujourd'hui encore, à la date du 14 novembre, «la mort de Justinien et la mémoire de Théodora». 8

Diehl et Marçais, op. cit., p. 59, 60. « Bailly, op. cit., p. 80, 81.

II. Le gouvernement intérieur de Justinien

1. Les débuts de la dynastie justinienne (518—532) a. Nouvelle orientation de la politique intérieure Sous l'impulsion de Justinien, exalté par son programme d'expansion en Italie, la politique intérieure du gouvernement s'oriente vers la réalisation de ce grand projet. En conséquence, et pour marquer la direction dans laquelle cette politique va s'engager, le premier acte du nouveau régime sera la réconciliation de l'Empire et de la Papauté romaine, avec, comme corollaire, la persécution des dissidents monophysites ou antiromains, sur tout le territoire de l'Empire. Les circonstances avaient préparé les esprits à ce brusque changement: la politique monophysite et antiromaine d'Anastase avait échoué. A Constantinople, les orthodoxes ou chalcédoniens mécontents, groupés autour de Vitalien qui s'était soulevé contre Anastase, remplissaient la capitale de leurs agitations (p. 301). b. Réconciliation de l'Empire et de la Papauté (518) Dès 518, une ambassade impériale annonce au pape Hormidas l'avènement de Justin et ramène de Rome, à la demande du nouvel empereur, des légats pontificaux chargés de mettre fin au schisme de 484 (p. 291). Malgré la résistance des monophysites et les hésitations du patriarche de Constantinople, les envoyés pontificaux, soutenus par l'empereur, firent sentir leur autorité avec autant d'habileté que d'énergie. Parfois même, leurs propositions étaient présentées sous forme d'ordres et imposées d'une manière brutale qui n'admettait pas les discussions. «Ces diplomates ecclésiastiques, profonds et sagaces, savaient que la violence des factions répond à la faiblesse du pouvoir, mais que les rébellions sont promptes à se calmer, lorsqu'elles voient se dresser devant elles une énergie résolue.»1 Ils étaient assurés d'ailleurs de l'autorité de l'empereur, qui tenait à mettre fin au conflit; aussi, toutes leurs décisions furent-elles acceptées et exécutées. c. Persécution contre les monophysites En 518, tous les évêques monophysites sont déposés et chassés de leurs sièges. En 519, le patriarche de Constantinople signe une déclaration d'or1

Bailly, op. cit., p. 67.

L'EMPIRE BYZANTIN ATTIRÉ PAR L'OCCIDENT

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thodoxie; les noms des patriarches hérétiques (Acace et ses quatre successeurs) et ceux des empereurs Zénon et Anastase sont rayés des diptyques de l'Eglise de Constantinople. En Syrie, le gouvernement impérial, encouragé par les légats pontificaux qui, pendant 18 mois, demeurent à Constantinople, agit contre les monophysites avec une implacable rigueur. Le célèbre Sévère, patriarche d'Antioche, et plus de cinquante évêques sont déposés. Les communautés monophysites sont brutalement dispersées. Les couvents, évacués, sont occupés par les troupes; un grand nombre de religieux expulsés sont massacrés, tandis que les survivants fuient en Egypte, à laquelle on n'osa pas toucher. «Le patriarche d'Alexandrie, appuyé sur sa fanatique armée de moines, était tout dévoué à la doctrine monophysite. Pareillement, en Palestine, en Syrie, en Mésopotamie, en Osrohène, en Arménie, dans le désert syrien surtout où les proscrits avaient réussi à reconstituer un véritable «Etat», l'hérésie conservait des positions importantes.»2 d. Assassinat de Vitalien

(520)

Par ces mesures et ces persécutions, le gouvernement impérial désarma le puissant Vitalien, chef de la faction orthodoxe, qui se proposait de se faire proclamer empereur à la mort de Justin. En 520, Vitalien est assassiné au palais, probablement sur l'ordre de Justinien, qui tenait à écarter de sa route un rival dangereux. Craignant la réaction de la foule dont Vitalien était adoré, Justinien, qui cherche un appui populaire, se détermine pour un parti dans la capitale. Anastase avait soutenu la faction des Verts; Justinien protège celle des Bleus. «Condamné, par les usages mêmes, à s'aliéner une partie de la population, il accorda à celle dont il se déclarait solidaire, toutes les faveurs, tous les privilèges, toutes les formes de protection qu'il lui était possible d'imaginer. Ainsi, du moins, il s'assurait de sa part un attachement inébranlable.»3 e. Insécurité et désordres

Lorsqu'en 527, Justinien, succédant à Justin, monte sur le trône, une agitation redoutable régnait dans la capitale. La crise intérieure, provoquée par la politique d'Anastase, persistait dans tout l'Empire. La faction des Bleus, encouragée par la faveur que lui témoignaient les autorités impériales, se livrait à toutes sortes d'excès. Le parti adverse, la faction des Verts, demeuré attaché à la dynastie d'Anastase, répondait à la violence par la violence; son opposition prenait une tournure antidynastique. 2 3

Diehl et Marçais, op. cit., p. 50. Bailly, op. cit., p. 69.

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A cet état de fermentation inquiétant, s'ajoutait un malaise général dû à la corruption de l'administration publique. L'insécurité et la misère régnaient dans toutes les provinces. Le meurtre, le brigandage, le mépris des lois, étaient devenus l'industrie des grands propriétaires terriens qui, jouissant d'une réelle impunité, prenaient à leur solde des hommes armés, usurpaient les terres de leurs voisins plus faibles et exploitaient le travail des populations pacifiques. D'où une émigration incessante, vers la capitale, d'une foule de gens ruinés, de déclassés, qui augmentaient à Constantinople le nombre de la plèbe, toujours agitée et frondeuse. La désertion des campagnes et l'abandon des terres agricoles, en appauvrissant les provinces, tarissaient en même temps les sources de la richesse publique et les revenus du fisc. La partialité et la corruption des magistrats étaient scandaleuses, et les contradictions des textes juridiques facilitaient l'arbitraire des magistrats.

2. Révolution à Constantinople: la sédition Nika (532) a. Conflit des Bleus et des Verts Encouragées par la faiblesse des effectifs qui gardaient la capitale, les dissensions intérieures devenaient de jour en jour plus menaçantes. Les Bleus et les Verts terrorisaient la capitale par leurs brigandages. Le vol, les meurtres, les attaques à main armée, se réclamaient naturellement de prétextes politiques ou religieux. Rivaux des Bleus, attachés à Justinien et au concile de Chalcédoine, les Verts, adeptes du monophysisme, étaient partisans d'Hypatios, neveu d'Anastase et prétendant au trône. b. Révolte de Constantinople, ou la «sédition Nika» (532) Cette atmosphère trop orageuse ne pouvait qu'aboutir à une catastrophe. Habilement travaillé par les Verts, le peuple se souleva brusquement et une formidable émeute, qui commença à l'Hippodrome, gagna bientôt la ville entière (532). La préfecture de la ville fut incendiée et la foule se rua vers le palais impérial, en réclamant la destitution des ministres. Justinien renvoie ses conseillers; mais cet acte, accompli sous la menace et interprété comme une faiblesse, ne fit qu'encourager la populace. Voyant le succès de la révolte, les Verts et les Bleus, ainsi qu'un grand nombre de personnages mécontents de l'absolutisme impérial, se coalisent et marchent avec les insurgés. Le révolte devient une véritable révolution. Pendant plusieurs jours, la capitale est ravagée. Retranché au palais, Justinien est proclamé déchu et Hypatios, neveu d'Anastase, acclamé comme empereur par les révolutionnaires.

L'EMPIRE BYZANTIN ATTIRÉ PAR L'OCCIDENT

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«Le mot d'ordre et le cri de ralliement des révolutionnaires était Nika: Victoire! . . . Et cette explosion démagogique, qui fut brève, mais tragique, a conservé dans l'histoire le nom de sédition Nika. Ce fut un débordement de folie. Le peuple s'attaque aux édifices qui, par leur majesté ou leur richesse, lui semblaient symboliser l'ordre social qu'il lui fallait abattre. La Basilique de Sainte-Sophie fut incendiée, les bains de Zeuxippe furent détruits, . . . les prisons ouvertes, les criminels relâchés.»4 c. Intervention énergique de l'impératrice Théodora Jugeant la situation désespérée, Justinien songe à s'enfuir et fait charger, sur des vaisseaux, ses richesses et celles du trésor. Mais l'impératrice Théodora, admirable d'énergie, refuse de suivre la décision de l'empereur et les conseils de ses ministres. Dans un discours plein de fierté et de hauteur d'âme, elle rappelle leur devoir à Justinien et à son entourage et les éclaire sur les conséquences de leur départ. «Je suis convaincue, déclare-t-elle, que, dans la situation actuelle, nous n'aurions aucun avantage à fuir, même si la fuite devait nous sauver. Nous ne recevons la vie que pour la perdre, et celui qui a été revêtu de la souveraineté ne doit plus vivre s'il en est dépouillé. Dieu ne permettra pas que je renonce jamais à la pourpre, que je renonce jamais à mon titre d'impératrice. Tu peux t'enfuir, César, si tu le veux . . . Mais dis-toi bien que si tu abandonnes ton palais, tu perdras bientôt la vie. Quant à moi, je m'en tiens à cette vieille maxime, qui j'aime: «la pourpre est le plus beau linceul.»5 d. L'insurrection noyée dans le sang (532) L'attitude énergique de Théodora relève le courage de la cour et sauve le trône. Le général Bélisaire, à la tête de troupes mercenaires formées de Barbares, se jette sur les révoltés qui s'enferment dans l'Hippodrome. Dans cette enceinte dont on ferme les issues, la lutte dure six jours et se transforme en un véritable massacre: 40.000 cadavres de rebelles restent sur le sable de l'arène. Hypatios et son frère sont arrêtés et exécutés. Après ce carnage, l'ordre se rétablit comme par miracle, et le pouvoir impérial, consolidé et affermi, se montrera désormais plus absolu que jamais. Tranquille au-dedans, Justinien se consacrera à la politique extérieure, et notamment à la réalisation de ses desseins sur l'Occident.

4 5

Bailly, op. cit., p. 83. Procope, cité par Bailly, op. cit., p. 83, 84.

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3. L'œuvre intérieure de Justinien Si, dans le domaine extérieur, la politique occidentale de Justinien fut désastreuse pour l'Empire, par contre, la gloire de cet empereur réside dans ses méthodes de gouvernement et dans les grandes réalisations intérieures qu'il a accomplies au cours de son règne. Dans son ensemble, son œuvre intérieure apparaît majestueuse et son activité puissante, vaste et variée. C'est cette œuvre remarquable qui, plus que les conquêtes éphémères et ruineuses, donne à Justinien le droit au titre de «Grand». C'est en protégeant les frontières de l'Empire contre les Barbares, en édifiant un monument juridique incomparable et enfin en réalisant un immense programme de travaux publics et un ensemble de créations architecturales, que ce souverain donna la preuve de sa grandeur impériale et laissa, dans l'histoire de la civilisation, une trace immortelle. «Aujourd'hui encore, le Code et Sainte-Sophie assurent une durée éternelle à la mémoire de Justinien» (Diehl). a. L'œuvre législative. Le Code Justinien Souverain absolu, Justinien est la «loi incarnée et vivante». A son avènement, le droit se présentait sous la forme confuse d'un amas de textes contradictoires. Les constitutions impériales des règnes précédents s'étaient, en effet, succédé en se superposant et sans abroger les prescriptions antérieures. Pour adapter l'ancienne législation païenne à un Etat chrétien et à un idéal nouveau, Justinien ordonne la mise à jour et la codification des lois, en prenant pour base le Code Théodosien, paru en 429 (p. 275). Une commission de jurisconsultes choisis acheva, en 14 mois, la révision de tous les codes et lois antérieurs et aboutit à l'établissement du Code Justinien (528—529). Ce nouveau recueil sera désormais seul obligatoirement applicable dans l'Empire. Au cours des années suivantes (530—533) apparurent: le Digeste, appelé aussi les Pandectes, recueil des opinions des grands jurisconsultes de la Rome antique, et les Institutes, manuel pratique à l'usage des étudiants. Enfin, à partir de 534, paraîtront les Novelles ou ordonnances nouvelles, qui seront successivement publiées (534— 565). Ces nouveaux recueils juridiques, dont Justinien était très fier, seront la base de l'enseignement du droit dans les Ecoles de Constantinople, de Beyrouth et de Rome. «Si les Institutes, le Digeste et le Codex Justinianus étaient rédigés en latin, c'est de la langue grecque que se servit Justinien pour les Novelles; ce simple fait nous indique assez que, malgré son attachement à la tradition romaine, l'empereur devait se soumettre à la nécessité historique qui faisait de l'Empire byzantin un pouvoir gréco-oriental. On sait quelle fut

L'EMPIRE BYZANTIN ATTIRÉ PAR L'OCCIDENT

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à travers les âges la fortune de ce gigantesque monument; ce Corpus juri¿ civilis a traversé les siècles, et c'est à lui que nous devons la conservation du droit romain, dont les principes demeurent inébranlables dans la plupart des Etats modernes.»6 b. Réforme administrative Pour introduire dans l'administration des habitudes d'honnêteté, Justinien, en 535, supprime la vénalité des charges et augmente considérablement les traitements des gouverneurs. Mais il exige, en retour, que tous les fonctionnaires soient honnêtes et que la justice soit équitable et pour tous. Les évêques sont autorisés à surveiller la conduite des magistrats. Rompant avec la tradition administrative des deux siècles précédents, l'empereur diminue le nombre des provinces, supprime les diocèses et leurs préfets, et réunit les pouvoirs civils et militaires aux mains du même magistrat ou gouverneur, qualifié de l'épithète de Justiniani (536). Pour rendre la justice plus rapide et plus sûre, il crée, dans les provinces, une série de juridictions d'appel. c. Constructions et monuments. L'église de Sainte-Sophie Grand constructeur, Justinien donne un grand élan aux travaux publics. Eglises, hôpitaux, palais, routes, ponts, murailles, aqueducs, cours d'eau, puits, citernes, bains publics, théâtres, places publiques, etc., témoignent de la grandeur de l'empereur. Dans le domaine architectural, c'est l'âge classique du byzantisme. «De tous les monuments que suscita la magnificence de l'empereur, aucun ne devait surpasser Sainte-Sophie.»7 Edifiée par Constantin, sous le nom de Sainte-Sagesse ou Sainte-Sophie, détruite au cours de la sédition Nika (532), la vieille basilique est reconstruite par Justinien avec une magnificence inouïe. Commencés en 532, les travaux dureront cinq ans, et, en 537, la Grande Eglise est solennellement inaugurée. Cette merveilleuse création vit sa haute coupole s'écrouler en 558; cinq ans après, sa reconstruction est terminée (563). d. Reconstruction des villes détruites Les villes de Syrie, qui avaient été déjà désolées par plusieurs tremblements de terre, sont, en 526, ruinées par une nouvelle secousse sismique. Mais cette dernière est l'une des plus terribles catastrophes de ce genre que l'histoire ait enregistrées. A Antioche, près de 200.000 personnes, au témoignage de certains auteurs contemporains, ont péri sous les décombres • Bailly, op. cit., p. 95. ' Bailly, op. cit., p. 103.

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ou par l'incendie. Séleucie et Daphné sont également détruites. Pendant dix-huit mois, le sol, aux environs d'Antioche, reste agité. Deux ans plus tard (528), un autre tremblement de terre, le sixième, détruit ce qui restait de la ville, et près de cinq mille personnes périssent. Séleucie et Laodicée (Lataquié) comptent sept mille cinq cents victimes. D'autres secousses, en 551 et 554, éprouvent de nouveau les villes de Syrie. Après chacun de ces désastres, Antioche et les autres villes syriennes, grâce à la munificence de Justinien, se relèvent plus splendides de leurs ruines. Après l'invasion de la Syrie par Khosrau I, qui détruisit Antioche de fond en comble (540), Justinien releva cette ville de ses ruines et la rebâtit avec un luxe inouï. «Voici les quelques lignes que Procope consacre à la reconstruction d'Antioche: «Toute la ville, écrit-il, n'était qu'un amas confus de pierres et de cendres, de telle sorte que les particuliers ne pouvaient plus reconnaître la place où avait été leur maison. Comme il n'y avait plus de rues ni de marchés, de places publiques ni de bains, et qu'il n'était pas possible dans cette confusion de rebâtir la ville, Justinien fit enlever les ruines, et lorsque la place fut nette, il la fit paver de grandes pierres, puis il traça les places, les rues, les portiques, les galeries, bâtit les aqueducs, distribua l'eau dans les quartiers, éleva des théâtres, des bains, et d'autres ornements, qui sont les marques les plus ordinaires de l'abondance des villes et de la félicité des habitants . . . Il rebâtit ainsi Antioche avec plus de magnificence qu'elle n'en avait jamais eu.»8 e.

Activité

économique

et

commerciale

Comme au temps de l'Empire romain, le commerce byzantin, au Vie siècle, se faisait avec l'Asie, entrepôt des marchandises de luxe et des objets précieux: tissus riches, pierres rares, bijoux précieux, épices, parfums, ivoires, perles et surtout soies brutes destinées aux ateliers syriens et byzantins. Tous ces articles, qui provenaient par caravanes des Indes et de la Chine, ne pouvaient atteindre leur destination que grâce au concours des Perses. Ce concours et l'état de guerre presque permanent avec ces derniers, rendaient les importations onéreuses et souvent difficiles ou impossibles. Pour remédier à cet état de choses qui faisait de l'Empire le tributaire de la Perse, Justinien favorise les grandes routes du Nord et du Sud: par la Mer Noire, la Mer d'Azov et la Caspienne, on atteint Samarcande et Boukhara; par la Mer Rouge, les marchands de Syrie et d'Egypte étendent leurs opérations jusqu'au Yémen et à l'Abyssinie, dont les navires allaient jusqu'à Ceylan. s

Bailly, op. cit., p. 93.

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f . Elevage des vers à soie (553) Pour produire elle-même la soie qui lui manquait, Byzance trouva le moyen de la fabriquer. « Justinien n'eut pas de cesse que, par fraude et par ruse, il ne fût parvenu à découvrir la provenance et les procédés de fabrication de la soie. Ce furent des moines qui réussirent à se procurer en Chine des cocons, et à surprendre le secret de l'élevage des vers. Byzance, Alexandrie, Beyrouth, Tyr, Antioche, Thèbes, devinrent aussitôt des centres de production: des mûriers furent plantés partout; des fabriques furent fondées; l'industrie de la soie fut décrétée monopole d'Etat, et devait devenir une des sources les plus abondantes des revenus impériaux. Byzance, en peu de temps, supplanta presque complètement la Chine sur les marchés occidentaux, et les tissus historiés que réalisaient ses artistes n'étaient pas moins somptueux que ses mosaïques.»9 Les étoffes de Beyrouth, la pourpre de Tyr, les vins et les orfèvreries d'Antioche, sont répandus en Chine, en Afrique, en Italie et en Gaule. Alexandrie s'enrichissait par l'exportation du blé. Quant à Constantinople, le commerce de l'univers voguait vers son port; les monnaies byzantines, vers le milieu du Vie siècle, étaient universellement acceptées sur tous les marchés mondiaux.

» Bailly, op. cit., p. 102.

III. La politique religieuse de Justinien. Les diverses Eglises et grandes communautés chrétiennes au Vie siècle 1. La politique religieuse de Justinien Depuis le Concile de Chalcédoine (451), le patriarche de Constantinople était le chef suprême de tous les évêques de la péninsule balkanique et de l'Asie Mineure, et l'égal du pape de Rome. Sous le règne de Justinien, son autorité épiscopale tendra de plus en plus à s'étendre à toutes les Eglises orientales. Aspirant à devenir le pape de l'Orient, il cherchera constamment, avec l'appui du gouvernement impérial, à mettre sous son obédience les patriarches d'Antioche et d'Alexandrie. a. Puissance et richesse des Eglises orientales Les trois Eglises apostoliques d'Orient, Constantinople, Antioche et Alexandrie, étaient prodigieusement riches. Leurs richesses étaient constamment augmentées par les donations et les fondations pieuses, encouragées par une législation spéciale. Leur puissance était due à la protection de l'autorité civile, et surtout à l'armée fanatique des moines, dont l'influence était considérable. «La capitale et l'empire étaient pleins de monastères: en 536, à Constantinople, on trouvait 67 monastères d'hommes, sans compter ceux des femmes. En Syrie et en Mésopotamie, certaines villes, telles qu'Amida (Diarbékir), Edesse (Ourfa), Jérusalem, avaient autour d'elles comme une couronne de monastères; Alexandrie et le désert d'Egypte en étaient remplis. Pour ces hommes austères, pour ces femmes pieuses,... les Byzantins avaient un respect profond; l'attrait du cloître entraînait à la vie ascétique toutes les classes de la société; les fondations de couvents, les donations magnifiques étaient innombrables, et Justinien en donnait l'exemple . . . Plein d'admiration pour cette vie monastique qui met l'homme en communication directe avec Dieu, il fondait des couvents à Constantinople, en Syrie, en Palestine, en Arménie, jusque dans la lointaine péninsule du Sinaï, tandis qu'à Jérusalem saint Sabas, le grand solitaire du Vie siècle, fixait dans son Typicon les règles minutieuses et sévères de la vie religieuse. A côté des monastères prenaient place les fondations charitables: hôpitaux, maisons de retraite pour les vieillards, asiles pour les

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pauvres, pour les malades, pour les orphelins . . . La plupart de ces pieuses maisons étaient administrées par des moines, et cela augmentait d'autant le prestige et l'influence de l'ordre monastique. Tout cela n'allait pas sans quelque danger pour l'Etat. Justinien, avec plus de zèle religieux peut-être que de sens politique, n'épargnait rien pour protéger et accroître les biens des couvents . . . Mais ces énormes propriétés, qui pour une grande part échappaient à l'impôt, avaient pour effet de diminuer les ressources du Trésor. Les couvents enlevaient par ailleurs des soldats à l'armée, des fonctionnaires à l'administration. Enfin ces moines, ardents et fanatiques, étaient souvent dans l'empire un élément de troubles redoutables. Jean d'Ephèse a dessiné la silhouette de quelquesuns de ces rudes ascètes syriens qui, «avec une liberté divine», s'en venaient au palais impérial injurier et braver Justinien et Théodora. Les orthodoxes n'étaient pas moins audacieux que les monophysites.»1 b.

Le césaropapisme de Justinien

Sur l'Eglise riche et sur son clergé puissant, Justinien, avec son caractère autoritaire, entendait exercer son autorité despotique et absolue. Des lois impériales ont réglementé l'organisation du clergé, la fondation et l'administration des monastères, le régime des biens ecclésiastiques. S'arrogeant le droit de nommer et de déposer les évêques, de convoquer et de diriger les conciles, de sanctionner leurs décisions, Justinien, théologien dans l'âme, s'érigeait en docteur de l'Eglise et en interprète infaillible des Ecritures. C'est surtout en matière religieuse que l'absolutisme impérial de Justinien, consacré par la législation, s'exerce avec rigueur. De même qu'il modifie le Code à sa volonté et établit l'unité de la législation civile, Justinien prétend régler en maître le dogme et la discipline, et imposer, dans l'Empire, l'unité religieuse. « U n Etat, une religion, une loi», tel est le programme de cet autocrate impérial. En revanche, l'autorité civile est mise à la disposition des évêques pour la répression des hérésies et la propagation de la foi orthodoxe. Sur toute la surface de l'Empire, la munificence de l'empereur se traduit par la construction de nombreux établissements religieux. Reconnaissante à Justinien de cette protection et de ces bienfaits, l'Eglise orientale se pliera docilement à ses volontés. c.

Intolérance religieuse de Justinien

Contre les hérétiques, la rigueur impériale, formulée par des textes de loi, sera implacable. «L'intolérance religieuse devint une vertu d'Etat.» Les 1

Diehl et Marçais, op. cit., p. 101, 102.

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ONZIÈME PÉRIODE: 2 8 5 — 6 4 0

hérétiques sont exclus des fonctions publiques et des professions libérales; leurs assemblées sont interdites et leurs églises, fermées. Les païens sont durement persécutés et, dès 529, la célèbre Université d'Athènes, dernier asile des lettres et de la philosophie païennes, est fermée et les maîtres qui y enseignaient vont chercher refuge à Ctésiphon, auprès de Khosrau I. Des conversions en masse sont ordonnées. La révolte des Samaritains, en Palestine, est noyée dans le sang (530); les Juifs et autres dissidents sont persécutés. Pour plaire à la papauté romaine, Justinien applique, en Italie et en Afrique, cette même politique contre les ariens, qui sont dépouillés au bénéfice des orthodoxes ou catholiques.

d. Tolérance envers les monophysites La sévérité rigoureuse du pouvoir impérial contre les non-orthodoxes est cependant plus nuancée et moins catégorique vis-à-vis des monophysites. Bien qu'il s'agisse d'une secte hérétique et dissidente, la politique de Justinien procède à son égard à plus de ménagements. Les monophysites demeuraient, en effet, nombreux et puissants dans les provinces orientales; ils avaient même, au palais impérial, une protectrice puissante en la personne de Théodora. Entre le pape, partisan de l'orthodoxie, et l'impératrice, protectrice des monophysites, la politique de Justinien oscilla constamment (p. 312—313).

e. Prépondérance des monophysites (529—536) Peu après son avènement, en 529, Justinien, sur le conseil de Théodora, cherche un terrain d'union avec les monophysites. Il commence par rappeler d'exil les évêques et les moines proscrits. Sévère, l'ex-patriarche d'Antioche déposé en 518, est invité à venir à Constantinople; une formule de foi (nouvel Henotikon) est imposée au clergé orthodoxe. Une pleine liberté est laissée à la propagande monophysite jusque dans la capitale. Malgré la défense de la loi, des réunions religieuses sont tenues où l'hérésie est prêchée. En 535, l'évêque Anthime, secrètement acquis aux monophysites, monte sur le siège patriarcal de Constantinople. Protégé par l'impératrice, il préconise ouvertement, avec le consentement de l'empereur, le retour à la politique antichalcédonienne des empereurs Zénon et Anastase.

f. Réaction de Rome: persécution des monophysites (536—538) La réaction de l'Eglise romaine fut prompte et violente. Quittant Rome, le pape Agapit arrive à Constantinople, prononce la déposition d'Anthime et, par un concile, fait anathématiser les dissidents (536). Ces sentences sont confirmées par l'empereur, qui craignait de voir lui échapper l'Occi-

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dent qu'il se proposait de conquérir. En 538, une violente persécution est ordonnée contre les monophysites. «En Syrie, en Mésopotamie, en Arménie, les bûchers s'allumèrent,.. . et on se flatta à force de rigueurs et de tortures d'anéantir l'hérésie. Le plus illustre des apôtres monophysites, l'ardent Jean de Telia,.. . tombé entre les mains du patriarche d'Antioche E p h r e m , . . . fut exécuté sans miséricorde. La citadelle même du monophysisme, l'Egypte, ne fut pas épargnée: le patriarche Théodose, un protégé de Théodora, fut arraché à son siège (538), exilé avec son clergé,. . . remplacé par un prélat, le moine Paul,. . . capable d'imposer par la terreur le respect de l'orthodoxie. Sous cette main de fer, l'Egypte plia; les moines eux-mêmes acceptèrent le concile de Chalcédoine.»2 g. Réaction de Théodora: suspension de la persécution contre les monophysites En dépit des mesures rigoureuses décrétées contre les monophysites, les populations orientales restaient obstinément fidèles à leur foi et le monophysisme refleurissait en Orient. L'impératrice continuait à protéger les grands chefs de la secte, à accueillir les exilés et à intercéder en leur faveur auprès de Justinien. Ayant donné satisfaction à Rome, celui-ci revient à une politique de tolérance qui lui conserverait la Syrie et l'Egypte. Rentrés en faveur, les principaux chefs des dissidents sont employés par l'empereur à convertir les païens d'Asie Mineure et de Nubie, et à fonder des chrétientés chez les Arabes de Syrie (543). h. Reconstitution de l'Eglise monophysite ou jacobite (543) Grâce à la protection de Théodora, le célèbre chef monophysite «Jacques Baradée put reconstituer secrètement l'Eglise monophysite. Consacré clandestinement comme évêque d'Edesse (543), cet homme actif, courageux, infatigable, sut, en peu d'années, malgré les rigueurs de la police acharnée à ses traces, et bien que sa tête même eût été mise à prix, réformer dans toute l'Asie, en Syrie, en Egypte, les communautés dispersées, leur donner des évêques et un chef enfin dans le patriarche Paul d'Antioche qu'il ordonna en 550. Grâce à lui, une église monophysite nouvelle était née, qui, de son fondateur, garda désormais le nom de Jacobite.»3 i. La querelle des «Trois Chapitres» (543—553). Le clergé d'Occident maté par la force Comme ses prédécesseurs, Justinien, qui veut réaliser l'unité religieuse, 2 3

Diehl et Marçais, op. cit., p. 107. Diehl et Marçais, op. cit., p. 108, 109.

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cherche un compromis entre les monophysites ou jacobites et les orthodoxes (chalcédoniens ou catholiques). Pour plaire aux monophysites et rendre les (chalcédoniens plus souples, on cherche à discréditer l'autorité du Concile de Chalcédoine, base de la foi orthodoxe, en signalant, parmi les textes approuvés à ce concile, trois écrits ou «chapitres» comme marqués de l'influence de l'hérésie nestorienne. Profitant de ce prétexte, Justinien condamne les trois chapitres incriminés (543). Devant les protestations indignées de Rome, Justinien réagit avec brutalité. Se considérant comme supérieur à la papauté elle-même, l'empereur fait amener à Constantinople le pape Vigile. Quittant Rome en 545, celuici, peu pressé, arrive en 547 dans la capitale de l'Empire, où il séjournera, pendant sept ans, dans une captivité déguisée (547—552). Faible et indécis, Vigile, sous la pression de la menace et de la violence, finit par condamner les «trois chapitres» (548). Mais cette décision scandaleuse ne réussit qu'à compliquer une situation déjà fort compromise. En Occident, une grande partie du clergé refuse d'accepter une condamnation extorquée à un pape prisonnier; en Orient, les monophysites réclament une reconnaissance officielle de leur doctrine. Par une politique de plus en plus violente et autoritaire, Justinien s'applique à réduire les oppositions. Par un nouvel édit impérial (551), il condamne une seconde fois les Trois Chapitres et, passant à l'action, il dépose les évêques récalcitrants d'Afrique. Le pape Vigile, qui essayait de résister, est arraché, par les pieds et par la barbe, de l'église où il s'était réfugié. Une nouveau concile oecuménique, le 5e, convoqué à Sainte-Sophie en présence du pape et de quelques prélats soigneusement choisis, confirme la condamnation impériale des Trois Chapitres (553). En 554, le pape, toujours prisonnier, cède à la volonté de l'empereur et confirme la condamnation prononcée par le Concile de Sainte-Sophie. Les récalcitrants sont réduits par la prison, l'exil ou les déportations. Mais en Italie, une grande partie de l'épiscopat refuse la décision du Concile de Sainte-Sophie et excommunie le «pape méprisable» qui avait trahi l'orthodoxie. De cette longue lutte, la papauté sortait humiliée et l'absolutisme impérial affermi. Aux yeux de ses sujets, l'empereur, «détenteur d'un pouvoir divin, est le seul intermédiaire entre la terre et le ciel». La doctrine «césaropapiste», suivant laquelle l'empereur byzantin «est prédestiné dans les desseins de Dieu pour gouverner le monde», se trouve encore plus renforcée. j.

Echec de la politique

religieuse et césaropapiste

de

Justinien

En humiliant et en mécontentant le clergé d'Occident, Justinien n'a fait que le rejeter dans l'opposition, sans réussir, en échange, à gagner les mo-

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nophysites d'Orient. Ceux-ci, en effet, restèrent réfractaires, en dépit des mesures et des démarches que l'empereur, fidèle à la mémoire de l'impératrice Théodora morte en 548, multipliera en leur faveur jusqu'à son dernier jour. Employant la force contre les prélats orthodoxes qui lui résistent, Justinien fait déposer et exiler le patriarche de Constantinople (565). Il ira même, à la veille de sa mort, jusqu'à glisser au monophysisme. Mais les monophysites, jugeant insuffisantes les concessions qui leur sont faites, resteront dans l'opposition. Même dans le domaine du pouvoir impérial, où Justinien, qui a maté l'Eglise, semble avoir établi un absolutisme incontestable et sans limites, cet absolutisme n'est toujours qu'un produit de la force brutale. Le «césaropapisme» impérial est, en effet, contesté, dans son principe, par une doctrine contraire. Au cours de la lutte provoquée par la question des Trois Chapitres. Facundus d'Hermiane déclarait nettement que «seul le Christ est roi et prêtre» et que l'empereur doit «exécuter les canons de l'Eglise, non point les fixer ou les transgresser».4 Ainsi, la politique religieuse de Justinien, comme celle de ses prédécesseurs qui avaient voulu, par la contrainte, réaliser l'unité spirituelle de leurs sujets, aboutit à un échec total. Les doctrines métaphysiques, comme les opinions politiques, ne sauraient être impunément imposées par la force. Chez les peuples dynamiques et avides de liberté, cette action contraignante de l'autorité amènera, comme réaction, la haine et l'hostilité des dissidents, et, par voie de conséquence, les luttes et les divisions intestines. Dans les sociétés statiques, vieillies ou résignées, elle aura pour principal résultat la «momification» du groupement social qu'elle gouverne, en comprimant ses forces les plus vives (p. 302—303).

2.

Les diverses communautés et orientales au Vie siècle

Eglises

Les controverses et les luttes religieuses, entre chalcédoniens et monophysites, avivées par les interventions arbitraires du pouvoir impérial, avaient abouti, sous le règne de Justinien, à une véritable séparation entre les partisans des deux doctrines théologiques. Ce schisme créa, dans l'Empire byzantin, et particulièrement en Syrie et en Egypte, deux grandes communautés chrétiennes ou Eglises séparées, qui formeront désormais des nations distinctes et rivales: l'Eglise officielle ou orthodoxe et celle des dissidents monophysites ou jacobites. On doit y ajouter les deux communautés ou Eglises dissidentes d'Arménie (monophysite) et de Perse (nestorienne). Cette dernière possède encore de nombreux fidèles en Syrie. 4

Diehl et Marçais, op. cit., p. 112.

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a. L'Eglise officielle, orthodoxe ou melkite L'Eglise officielle ou chalcédonienne, dite aussi orthodoxe ou catholique, est celle des Chrétiens qui, obéissant aux ordres des empereurs, avaient accepté la décision du Concile de Chalcédoine (p. 286—288). Cette Eglise est désignée aussi sous le nom de melkite (impériale), du mot syriaque melek qui signifie: roi ou empereur, nom qui restera jusqu'à nos jours. Les chrétiens de cette Eglise relèvent, suivant leur résidence respective, des patriarches orthodoxes ou chalcédoniens des Eglises apostoliques d'Orient: Constantinople, Antioche, Jérusalem et Alexandrie. b. L'Eglise monophysite ou jacobite En face de l'Eglise officielle ou melkite et en opposition avec elle et avec le pouvoir impérial qui l'appuie, une autre Eglise chrétienne, celle des dissidents monophysites, s'est déjà élaborée et constituée, formant, de son côté, une hiérarchie parallèle mais distincte. Ses adeptes, très nombreux et puissants en Syrie, Egypte et Arménie, sont groupés en plusieurs communautés, appelées jacobites, du nom de Jacques Baradée, leur fondateur et leur organisateur. c. L'Eglise monophysite ou jacobite de Syrie et son fondateur Jacques Baradée (en araméen: Ia'qoub Baradâ'i) La sécession de l'Eglise monophysite de Syrie date du jour où Justin et Justinien, cherchant une réconciliation avec Rome, avaient déposé de leurs sièges tous les évêques monophysites (518), y compris le plus illustre d'entre eux, le célèbre Sévère, patriarche d'Antioche (p. 314—315). Mais la rupture totale avec l'Eglise officielle ou impériale n'eut lieu qu'en 543, date à laquelle le célèbre chef monophysite, Jacques Baradée, consacré clandestinement évêque d'Edesse, organisa les communautés monophysites dispersées en Syrie et en Egypte et constitua la première Eglise monophysite, qui portera son nom (p. 325). Né dans l'Osrohène, à une vingtaine de lieues d'Edesse, vers la fin du Ve siècle, Jacques Baradée se distingue par sa science et sa réputation de sainteté. Venu à Constantinople, il s'y retira dans un couvent, où il vécut pendant une quinzaine d'années. Durant ce temps, les monophysites de la Syrie et des contrées voisines sont réduits à une lamentable détresse. Les évêques et les prêtres sont déposés ou exilés (p. 324—325). Vers 541, les évêques monophysites, qui se trouvent retenus en captivité à Constantinople, consacrent Jacques nominalement comme évêque d'Edesse, mais en réalité comme métropolitain, avec une autorité oecuménique. Bravant tous les périls, Jacques parcourt, sous les haillons d'un mendiant — d'où le surnom de Baradée = mendiant —, l'Asie Mineure, la Syrie, la Méso-

L'EMPIRE BYZANTIN ATTIRÉ PAR L'OCCIDENT

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potamie et les contrées voisines. Il ordonne près de 80.000 clercs, 89 évêques et deux patriarches, dont Paul d'Antioche (550), et établit parmi ses frères et fidèles une organisation et une discipline qui les constituent en un corps solide. Il fonde le «patriarcat oecuménique d'Antioche», qui compte seize diocèses et dont il est le premier titulaire. Bien qu'il porte le titre de «patriarche d'Antioche», c'est dans le Désert de Syrie qu'il établit sa résidence, auprès des tribus et des émirs arabes Ghassânides, ralliés au monophysisme. Coupés d'Antioche, les monophysites de la Syrie, de l'Osrohène, de la Mésopotamie, du Désert syro-mésopotamien, obéissent à leurs propres évêques et au patriarche Jacques Baradée, véritable chef de cette vaste communauté orientale. Pour ces dissidents enragés, le Credo des chrétiens impériaux n'est pas le leur; le patriarche chalcédonien d'Antioche est leur ennemi, de même que son protecteur, l'empereur de Constantinople qui les persécute. Ils se constituent en une véritable nation, obéissant à leurs évêques et à leur patriarche qui sont les chefs spirituels et temporels de la communauté. Le syriaque ou araméen, langue des indigènes, remplace le grec et devient la langue unique de ces opposants, de même que le futur copte ou égyptien, en Egypte, et l'arménien, en Arménie, deviennent respectivement les langues liturgiques des Eglises monophysites de ces deux contrées. Dans l'Empire perse, la langue religieuse de l'Eglise nestorienne est le chaldéen ou araméen oriental. L'empereur et les évêques impériaux usent de tous les moyens pour s'emparer de Baradée; mais l'amitié des tribus arabes et la protection de leurs chefs, ralliés au monophysisme, le dévouement des fidèles, l'endurance de Baradée aux fatigues et à la faim, déjouent les entreprises de ses ennemis. Désormais, le mot d'ordre viendra aux monophysites, non plus d'Antioche ni de Constantinople, mais du campement des rois arabes du Désert de Syrie, partisans enthousiastes du monophysisme, auprès desquels Jacques Baradée a établi sa résidence. d.

L'Eglise monophysite

ou jacobite

d'Egypte

L'Eglise monophysite d'Egypte, dite encore jacobite, ou eutychéenne, du nom de l'archimandrite alexandrin Eutychès (447), auteur de l'hérésie monophysite (p. 281), sera plus tard connue sous le nom d'Eglise copte. Tandis que, dans l'Egypte chrétienne du Vie siècle, les villes importantes étaient fortement marquées de l'empreinte de l'hellénisme, dans les campagnes, au contraire, la population agricole, purement égyptienne, se distingue par un christianisme primitif, étroit et simple, mais ardent et passionné. Cette masse copte était pieuse, docile aux enseignements religieux qui venaient d'Alexandrie, respectueuse de la tradition des grands patriarches, et aimait, par-dessus tout, les histoires de saints, de martyrs et de

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moines pieux, ainsi que le merveilleux, le miracle et le mystique. Dans son christianisme élémentaire, subsistaient beaucoup de restes du paganisme antique ou pharaonique. Dans le culte rendu aux saints, se perpétuaient le souvenir et la crainte des nombreux dieux d'autrefois. «Et on a pu dire que le culte des reliques, qu'on rencontre en Egypte plus tôt qu'ailleurs, procède de la légende d'Osiris et de l'adoration de ses membres dispersés. La masse superstitieuse croyait, comme autrefois, à la magie; seulement elle invoquait Sabaoth et Jésus au lieu d'Horus et d'Apollon; elle portait des amulettes, comme autrefois; seulement elle y inscrivait des versets de la Bible ou la prière du Notre Père . . . La communion ressemblait fort aux repas rituels de Sérapis et avait les mêmes vertus. Dans la conception de la vie d'outre-tombe et du jugement dernier, beaucoup de gens se figuraient le Christ comme jadis ils se représentaient Osiris . . . Mais ce christianisme superficiel s'accompagnait d'un profond sentiment national. C'est un fait remarquable que jamais peut-être, plus qu'à l'époque byzantine, n'est apparue l'idée d'une patrie égyptienne. Dans un curieux document de la fin du cinquième siècle, écrit par le philosophe alexandrin Horapollon, on trouve à plusieurs reprises ces expressions: «Notre patrie, notre terre natale» . . . Ces Coptes détestaient la domination grecque autant que la civilisation hellénique, et c'est pourquoi leur christianisme prendra si vite la forme d'une opposition politique . . . Si l'on compare le clergé de province à celui qui, à Alexandrie, entourait le patriarche, il apparaît de qualité médiocre . . . Mais il était, entre les mains du patriarche, un puissant et docile instrument de règne. Et à côté de lui, il y avait l'innombrable armée des moines . . . Ainsi, toute cette Eglise égyptienne demeurait fort près du peuple. Elle partageait ses passions et sa haine pour les Grecs. Certains de ses évêques, à la fin du Vie siècle, ne savaient plus d'autre langue que le copte; presque tous, les moines surtout, appartenaient à la race indigène. C'est pour cela que, dans sa presque totalité, cette Eglise, à la suite de ses patriarches, s'est jetée dans l'hérésie monophysite et y a entraîné son peuple. C'était une forme encore d'opposition à l'hellénisme détesté et à la domination de Constantinople, une façon encore de défendre la nationalité et la patrie égyptiennes.»5 En même temps que Justinien employait le zèle des missionnaires monophysites à l'évangélisation des populations païennes, surtout dans le Haut-Nil, les dissidents égyptiens sont traités avec intolérance et dureté. Profitant des troubles causés par la querelle des Trois Chapitres (p. 325 —326), Jacques Baradée, qui avait organisé l'Eglise monophysite de Syrie, était venu en Egypte et y consacra douze évêques monophysites. Mais la 5

Ch. Diehl, L'Egypte chrétienne et byzantine, p. 501, 502, 503, 506, 508.

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réaction brutale du pouvoir impérial fit triompher l'orthodoxie dans le Delta: presque toute la hiérarchie épiscopale était orthodoxe, tandis que la masse de la population égyptienne, surtout dans les provinces, demeurait fermement monophysite. C'est surtout en 575 que l'Eglise monophysite d'Egypte est constituée; un patriarche est élu et reconnu par le vieux Jacques Baradée. Pour consolider son siège, le nouveau patriarche dissident nomme, d'un seul coup, 70 évêques monophysites ou jacobites. e. L'Eglise chalcédonienne maronite, en Coelé-Syrie Tandis que, dans le Sud égyptien et l'Est syrien, les populations ont, en grande partie, passé à la dissidence, en Coelé-Syrie cependant, au milieu des monophysites locaux, un groupement de chalcédoniens indigènes dits Maronits, a déjà formé une communauté distincte, qui demeure fidèle au Patriarcat orthodoxe d'Antioche. Intercalée entre la province chalcédonienne d'Antioche ou Syrie Première et le Désert monophysite, la province de Syrie Seconde (CoeléSyrie) et sa capitale Apamée forment, entre Homs et Alep, une région de transition où chalcédoniens et dissidents sont perpétuellement en lutte. C'est dans cette région que s'élevait le célèbre monastère de Saint-Maron, qui avait déjà commencé à prendre part aux controverses doctrinales de l'époque, pour défendre la foi orthodoxe. De même que les monophysites ou jacobites doivent leur nom à Jacques Baradée, les Maronites du couvent de Saint-Maron et leurs partisans doivent le leur au moine Maron, dont les disciples forment le premier noyau de la future communauté maronite, qui s'établira plus tard dans le Liban. Prêtre et anachorète, le moine Maron (Mârûn), qui mourut vers 410, vivait, retiré sur une montagne, dans la région d'Apamée (Aphamiah, l'actuelle Kalaat al-Mudiq), dans la vallée de l'Oronte. Sa sagesse et sa vie de pénitence et de prière faisaient de lui un directeur d'âmes. Les miracles qu'il accomplissait le rendirent célèbre dans toute la contrée et attirèrent à lui un grand nombre de disciples. Après la mort de Maron, ses disciples établirent leur communauté dans un monastère dédié à sa mémoire, le monastère de Saint-Maron, situé aux environs d'Apamée. Dès les premières années du Vie siècle, ce couvent était déjà en pleine activité. Constitué par un vaste édifice, il était entouré de plus de 300 cellules et possédait des richesses considérables. Dès 517, des documents le montrent à la tête des couvents de la Syrie Seconde; il est l'«exarque», c'est-à-dire le chef des couvents et des monastères de cette province. L'importance de cette organisation monastique, à cette époque, nous est révélée par le fait que 350 de ses moines furent massacrés et plu-

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sieurs de ses couvents brûlés, au cours d'une persécution déchaînée par les monophysites (517). A partir de la fin du Vie siècle, les moines du monastère de SaintMaron, qui prennent une part effective à toutes les controverses doctrinales de l'époque, représentent tout le parti chalcédonien ou orthodoxe, non seulement dans la Syrie Seconde, mais même à Antioche. Leur langue officielle et liturgique est encore le grec, et les chefs ou supérieurs du monastère portent des titres grecs: archimandrite, apocrisiaire, exarque. C'est dans leur couvent, qui sera, après la conquête arabe, le centre de la future Eglise maronite, que seront ordonnés les évêques et le patriarche de cette communauté chrétienne. C'est seulement en 939, après la destruction du monastère de Saint-Maron, que le siège du Patriarcat maronite sera transféré au Liban. f . L'Eglise monophysite

d'Arménie

Vassale de l'Empire perse, l'Arménie, qui prend de plus en plus conscience de sa personnalité, veut ajouter à son autonomie politique, étayée sur sa foi chrétienne (p. 282), une autonomie religieuse vis-à-vis de Byzance. Dès 506, un synode national arménien rejette comme nestorienne la formule orthodoxe de Chalcédoine. En 554, un nouveau concile national condamne expressément cette doctrine Mais la rupture définitive avec l'Eglise byzantine n'interviendra qu'en 608—609, date à laquelle un troisième concile proclamera une formule qui ne reconnaît qu'une seule nature dans le Christ, ce qui est la définition même du monophysisme. «Entre l'Arménie et Byzance un fossé spirituel était maintenant creusé que rien par la suite ne devait combler. Sans nous engager sur le terrain théologique, nous noterons que l'Arménie achevait ainsi de conquérir sa complète indépendance morale: le monophysisme la préservait de l'absorption par les Byzantins comme le christianisme l'avait délivrée de la menace d'absorption par la Perse.»6 g.

L'Eglise nestorienne de Perse

Si Constantinople, le monde égéen, l'Asie Mineure et la côte syrienne sont principalement chalcédoniens, et si la Syrie intérieure, l'Egypte et l'Arménie sont plutôt monophysites, la chrétienté perse forme une Eglise nestorienne nationale. Nous avons vu qu'en 435, l'Eglise chrétienne de Perse, protégée par les rois sassânides, s'était détachée de l'Eglise grecque d'Antioche (p. 284), et qu'en 484, elle adopta le Credo nestorien, en se constituant en une Eglise nestorienne nationale (p. 294—295). Les membres de cette Eglise, » Grousset, L'Empire

du Levant,

p. 77, 78.

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qui se désignent sous le nom de Chrétiens Assyriens ou Chaldéens, persévèrent dans la doctrine primitive des Eglises de Syrie, refusent à Marie le nom de Mère de Dieu, réprouvent le culte des images, ainsi que la croyance à la transsubstantiation et au purgatoire, et n'admettent comme sacrements que le baptême, l'eucharistie et l'ordre. Leur patriarche, appelé catholicos, résidera à Séleucie sur le Tigre jusqu'en 762, puis à Bagdâd jusqu'au XVIe siècle, ensuite à Mossoul. Ces chrétiens, dits nestoriens, se répandront en Mésopotamie et en Perse; ils porteront l'évangile chez les Arméniens, les Mèdes, les Elamites, les Bactriens et les Huns; ils établiront des Eglises dans l'Inde et à Ceylan, et prendront pied en Tartarie et en Chine. Toutes leurs Eglises reconnaîtront la juridiction du patriarche de Séleucie sur le Tigre.

IV. L'Empire byzantin sous le règne de Justinien. Evolution, extension et décadence (527 — 565) 1. Justinien et l'Orient jusqu'en 532. Guerre et entente perso-byzantines a. Guerre perso-byzantine (527—531) A l'avènement de la dynastie justinienne (518), la situation extérieure de l'Empire, surtout en Asie, était confuse et réclamait une solution rapide. La guerre qui traînait, avec des accalmies et des trêves, depuis 502, immobilisait les armées byzantines sur les frontières orientales (p. 300—301). Après un armistice prolongé, conclu en 506, la guerre avait repris en 527, vers la fin du règne de Kobâd en Perse et de Justin à Byzance. Elle eut pour prétexte la fortification, par les Byzantins, de la place frontière de Dara, en face de Nisibine, et la rivalité des deux puissances au Caucase. Fidèle à l'orthodoxie byzantine, le roi d'Ibérie (Géorgie), sommé par les Perses d'embrasser la foi zoroastrienne, implore l'aide de Byzance. Bélisaire, le célèbre général de Justinien, envoyé au secours des Ibériens, perd une première bataille, en Mésopotamie occidentale (527), mais reprend sa revanche trois ans plus tard (530), à Dara. Dans une troisième rencontre, Bélisaire est de nouveau battu (531) à Callinicum (Raqqa). Une invasion des Massagètes, qui ravagent l'Iran oriental, et la mort de Kobâd amènent un armistice entre les belligérants (531). b. Entrée en scène des tribus arabes du désert. Les rois arabes de Ghassân et de Hîra C'est dans cette guerre perso-byzantine de 527—531, que nous voyons apparaître les Arabes Lakhmides de Hîra, à l'Ouest de l'Euphrate (p. 282), ainsi que leurs congénères Ghassânides, dans l'Est syrien. Ces deux blocs de tribus mi-sédentaires vont désormais jouer, dans le Désert syromésopotamien, un rôle militaire et politique important, au service respectif des deux Empires rivaux. Du côté des Sassânides, «les principales opérations furent conduites par le roi arabe de Hîra, le Lakhmide al-Moundhir III (règne de 505 à 554), client des Perses, qui, en 529, dirigea une razzia à travers la Syrie jusqu'à Antioche . . . Il immola de même le fils d'al-Hârith ibn Djabala, chef d'une tribu arabe rivale, celle des Ghassânides, laquelle, dans le désert de Syrie,

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guerroyait pour l'empire (byzantin), comme les Lakhmides guerroyaient pour le Perse.»1 c. Avènement de Khosrau I en Perse Khosrau I (531—579), le Chosroès des Grecs et le Kisrâ des Arabes, fils et successeur de Kobâd, est un des plus grands souverains de l'histoire orientale. Prince actif, ambitieux et avide de conquêtes, il gouvernera avec sagesse, pendant un long règne de près d'un demi-siècle, son vaste et riche Empire. Il y rétablira l'ordre, en organisera les forces et sera incontestablement le plus grand roi de la dynastie sassânide. Ses sujets lui décerneront les surnoms d'Anouchak-Ravân (à l'âme immortelle) et de Dâdgar (le Juste), et son souvenir sera perpétué dans les littératures arabe et persane des siècles postérieurs. Khosrau I brisera la résistance des nobles et du peuple, qui s'étaient ligués contre son pouvoir, et soumettra toutes les classes du pays à son autorité. Une série de réformes économiques, sociales, législatives, fiscales et militaires, portent la marque d'un esprit nouveau et d'un désir d'équité. d. Paix entre Byzance et la Perse (532) Depuis la mort de Kobâd (531), les opérations militaires entre Perses et Byzantins étaient suspendues. Pour des raisons différentes, les deux adversaires voulaient mettre fin à un conflit où ils ne tenaient pas à s'engager à fond. Pour l'un comme pour l'autre, les revers et les défaites s'équilibraient. C'est surtout Justinien, qui, absorbé par sa politique occidentale, tenait à se dégager, le plus promptement et à tout prix, du guêpier oriental. «Lorsque donc, en septembre 531, la mort de Kobad donna le trône à son fils Chosroès I Anoushirvan, le nouveau souverain, surtout préoccupé de consolider à l'intérieur son pouvoir naissant, se prêta volontiers à des pourparlers qui, en septembre 532, aboutirent à la conclusion d'une paix éternelle. Justinien, heureux d'en finir, céda sur presque tout. Il consentit à payer à nouveau la subvention annuelle que les Romains versaient aux Perses pour l'entretien des forteresses qui défendaient contre les Barbares du Nord les passes du Caucase, tribut déguisé et assez lourd.»2 Moyennant ces conditions humiliantes, Justinien, libre du côté de l'Orient, pouvait maintenant se retourner vers l'Occident, pour y reconquérir les territoires qu'avaient envahis les Germains. «Il ne songeait pas que, pour réincorporer à l'Empire des territoires que leur éloignement plaçait hors du rayon d'action de Byzance, il allait la désarmer sur ses 1 1

Grousset, L'Empire du Levant, p. 80. Diehl et Marçais, op. cit., p. 66.

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frontières d'Orient, où elle était directement menacée. Politique grandiose, mais chimérique, beaucoup plus poétique que réaliste, qui devait exposer Constantinople affaiblie à tous les dangers des invasions.»3

2. Expansion byzantine en Occident et contrecoups en Orient a. Expansion militaire en Occident Commandées par Bélisaire et Narsès, deux généraux illustres, les armées de Justinien conquièrent d'abord l'Afrique du Nord (533—534), où ils détruisent le royaume des Vandales qui s'y étaient établis. De 535 à 552, elles s'emparent de la Sicile et de l'Italie, en en chassant les Ostrogoths de Dalmatie qui y avaient constitué un royaume. Enfin, en 554, une partie de l'Espagne est enlevée aux Wisigoths. Mais ces expéditions lointaines furent longues et coûteuses, et les territoires conquis, dans l'état où ils furent abandonnés par les Barbares vaincus, étaient loin de compenser les sacrifices que leur conquête avait occasionnés. La lutte fut, en effet, âpre et sanglante. L'Italie, qui fut pendant plus de 15 ans un champ de bataille, était couverte de ruines, et Rome, la métropole de l'Occident, prise et reprise plusieurs fois par les deux adversaires, était à moitié détruite. Bien que la Gaule, une grande partie de l'Espagne et l'Afrique occidentale restèrent en dehors des nouvelles frontières de l'Empire, on peut dire que Justinien avait réalisé son dessein et que la Méditerranée était redevenue un lac romain. Mais cet Occident reconquis était un domaine ruiné, dévasté et dépeuplé, où les industries et la culture étaient détruites, «et dont la capitale, abandonnée par une grande partie de sa population, n'était plus qu'une cité morte, à laquelle il faudrait bien des siècles pour retrouver un peu de sa majesté passée».4 b. Contrecoups dans les Balkans et en Iran Pendant que les armées byzantines étaient occupées à conquérir les provinces occidentales, les Barbares de la région du Danube, Slaves, Bulgares, Huns, ravagèrent à plusieurs reprises la péninsule balkanique, détruisant tout sur leur passage et massacrant les populations sédentaires. Dans l'Orient asiatique, les Perses, sous le règne de Khosrau I, connaissent l'apogée de leur puissance. Ce dernier avait mis à profit la paix perpétuelle de 532, qui ne fut respectée que du côté byzantin, pour réorga3 4

Bailly, op. cit., p. 85. Bailly, op. cit., p. 87.

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niser son Empire et ses forces. Dégarnies de troupes, les frontières et les provinces byzantines d'Asie sont une proie tentante. La Perse avait maintenant l'occasion de réaliser son rêve séculaire, en s'étendant vers les mers de l'Ouest. Occupé en Occident, condamné à la défensive en Orient, Justinien s'efforçait, par des mesures diplomatiques et militaires, d'écarter le danger perse, devenu plus grave que jamais. c. Dans le Désert syro-mésopotamien. Ascension politique des émirs arabes Profitant des mêmes circonstances, les émirs arabes du Désert syro-mésopotamien, dont le rôle politique était jusque-là négligeable, s'imposent de plus en plus, dans leur zone mouvante, entre les deux grandes puissances rivales. Comme, autrefois, les Arabo-Araméens de Nabatée (p. 66—69, 112) et de Palmyre (p. 165—182), les Arabes Ghassânides et Lakhmides, qui ont déjà fondé, dans l'Est syrien et à l'Ouest du bas Euphrate, deux royaumes mi-sédentaires, apparaîtront désormais, et de plus en plus, sur la scène internationale. Frères et rivaux, ces deux groupements de tribus, respectivement vassaux de Byzance et de la Perse, continueront, dans le Désert, à guerroyer l'un contre l'autre, tant pour leur propre compte que pour celui des deux puissances dont ils relèvent. Déjà, dans la guerre persobyzantine de 527—531, nous avons vu les Lakhmides de Hîra écraser leurs frères Ghassânides de l'Est syrien et razzier la Syrie byzantine jusqu'à Antioche (p. 334-335). «Mais le rôle tenu par ces deux tribus arabes est symptomatique. Elles se battent aujourd'hui l'une contre l'autre pour le compte des deux grands empires civilisés voisins. Le jour est proche où tous ces nomades feront leur unité et alors les vieilles dominations sédentaires s'écrouleront sous leurs coups.»5 d. Guerre perso-byzantine (540—545) La politique expansionniste de Justinien et ses succès militaires en Occident, firent penser à Khosrau I que l'appétit de conquête de l'empereur byzantin ne manquera pas de se retourner un jour vers l'Orient. Les prétextes pour réagir contre l'adversaire séculaire ne manquaient guère au Grand Roi. En effet, les Arabes Ghassânides, clients des Byzantins, et les Lakhmides de Hîra, vassaux des Perses, continuaient, en dépit de la paix perso-byzantine de 532, leurs guerres fratricides dans le Désert. Bien plus, Justinien s'était déjà imposé comme arbitre dans la lutte qui divisait les deux émirats arabes. Sous le prétexte que la diplomatie impériale travaillait contre lui parmi 5

Grousset, L'Empire

du Levant,

p. 81.

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les tribus du Désert, Khosrau I, qui avait reçu des Goths d'Italie des messages le suppliant de tenter une diversion en leur faveur, entre en campagne. Ayant mis à profit les années qui suivirent la paix de 532, le roi perse franchit sans combat la frontière byzantine, presque dégarnie de troupes, et envahit la Syrie qu'il met à feu et à sang (540). Antioche est prise et détruite et ses habitants sont transplantés sur les bords du Tigre, dans une nouvelle ville bâtie à proximité de Ctésiphon, que les Arabes connaîtront sous l'appellation de Roumiya (Romaine). Pendant cinq ans (540—545), les armées perses dévastent impitoyablement toutes les provinces asiatiques de l'Empire, tandis que les généraux byzantins, qui commandaient sur place, intriguaient au lieu de combattre ou se laissaient battre quand ils engageaient un combat. e. Paix perso-byzantine (546) Préoccupé par les événements d'Italie, Justinien, moyennant un tribut élevé, achète aux Perses une trêve de cinq années (546—551), qui, renouvelée en 551 et 557, est convertie, en 562, en un traité de paix conclu pour cinquante ans. Justinien, qui s'engage à payer un gros tribut annuel, verse d'avance le montant de sept annuités et s'interdit toute propagande religieuse en territoire perse. En échange, le Grand Roi accorde la liberté du culte à ses sujets chrétiens. f . La diplomatie byzantine, soutien de l'Empire Ainsi, malgré ses préoccupations occidentales, Justinien, moyennant finance, réussit à maintenir ses frontières asiatiques. Procédant de façon analogue dans les Balkans, il empêche les peuples barbares de s'installer, d'une façon durable, sur le territoire de l'Empire. Réorganisant l'armée et consolidant les travaux de défense, il élève, sur toutes les frontières, une ligne continue de forteresses. Vers la fin de son règne, Justinien, par manque d'argent, néglige les frontières orientales. Par raison d'économie, les effectifs sont diminués et les places fortes laissées à l'abandon. Mais la diplomatie byzantine se substitue, de plus en plus, à l'action militaire. Pour tenir en échec ses ennemis, le vieil empereur, dont la puissance militaire a décliné, cherchera à s'assurer, sur toutes les frontières de l'Empire, une clientèle de vassaux. Moyennant le paiement d'un subside annuel, il s'assure les services de ses voisins barbares. Des titres et des insignes de commandement sont conférés à leurs chefs, pour lesquels l'Empire et ses institutions conservaient un très grand prestige. Ressuscitant les pratiques de la Rome d'autrefois, la «Nouvelle Rome» neutralisait l'un par l'autre les peuples barbares, en entretenant entre eux les rivalités et les haines.

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«Mais on savait à Constantinople combien tous ces barbares avides, indisciplinés, changeants et perfides, étaient de dangereux serviteurs. La diplomatie impériale les surveillait donc fort exactement. Pour maintenir sur eux l'influence byzantine, on faisait épouser des femmes grecques à leurs chefs, on élevait les fils de ces chefs à Constantinople, dans la domesticité luxueuse du palais; on les invitait à la cour et, par la splendeur de leur réception, on s'efforçait de leur donner une haute idée de la puissance de l'empire. Pendant tout le règne de Justinien, ce fut au Palais Sacré un défilé constant de souverains barbares;.. . l'empereur et Théodora s'empressaient à les combler, eux, leurs femmes et leurs enfants, d'égards, de cadeaux, de caresses . . . La propagande chrétienne était étroitement unie à l'action politique; les missionnaires ne travaillaient pas moins efficacement que les diplomates à faire accepter la suzeraineté impériale, à ouvrir des domaines nouveaux à l'influence et à la civilisation de Byzance.»6 Dans la Russie méridionale, dans le Caucase, dans le Désert de Syrie, le christianisme se répand avec la civilisation byzantine. En Asie, cette politique, qui visait à créer des difficultés à la monarchie perse, recrutait des alliés, dans le Nord, chez les Huns Sabires, et dans le Sud, chez les Arabes du Désert syrien, héritiers ou successeurs des Palmyriens et des Nabatéens qui, dans ces mêmes régions, jouèrent un rôle identique au temps de la Rome des Césars. Les uns et les autres, ainsi que les Yéménites et les Ethiopiens, pouvaient, par des attaques opportunes, immobiliser, le cas échéant, les mouvements du colosse perse. Inspirée de la tradition romaine, cette politique, dont les contemporains ont admiré le principe, «est celle-là même que, avec un peu plus d'habileté peut-être, l'empire byzantin pratiquera pendant tout le Moyen âge, et par où il répandra dans tout l'Orient le christianisme et la civilisation».7 3. Décadence de l'Empire et fin de Justinien a. Misère générale et troubles sociaux Les guerres continuelles en Occident et contre les Perses, les invasions des Barbares dans les Balkans, avec leurs cortèges de destructions, de dévastations et de ruines, avaient épuisé la force et les ressources de l'Empire byzantin. Sous des apparences de splendeur, une profonde misère se manifeste. Pour suffire aux frais de guerre, aux dépenses de construction, au luxe prodigieux de la cour, pour entretenir une administration compliquée et payer des subsides aux Perses et aux Barbares, les sujets sont écrasés * Diehl et Marçais, op. cit., p. 80, 81. 7 Diehl et Marçais, op. cit., p. 82.

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d'impôts. Faute d'argent, l'armée, mal payée, se désorganise et les forteresses sont dégarnies. En conséquence, les guerres traînent et les Barbares franchissent la frontière. Les terres, laissées à l'abandon, cessent de payer les redevances. Les impôts deviennent de plus en plus écrasants et le gouvernement en exige le paiement avec une implacable rigueur. Rendus personnellement responsables de leur rentrée, les gouverneurs des provinces se rattrapent sur les contribuables, qui en étaient venus à préférer une invasion ennemie à l'arrivée des agents du fisc. «Ajoutez à cela les misères qui, sous le règne de Justinien, éprouvèrent cruellement la monarchie: les tremblements de terre qui, en 551, ravagèrent la Palestine, la Phénicie, la Mésopotamie; en 553 et en 557, Constantinople; la famine de 556; la grande peste de 542—543, qui, partie d'Egypte, dévasta la Syrie, l'Asie Mineure, Constantinople et jusqu'à l'Italie, et celle qui, en 557, désola à nouveau pendant six mois la capitale; autant de désastres qui épuisaient le Trésor public obligé de les réparer. On conçoit qu'à la fin du règne on ne vécut plus que d'expédients, altération des monnaies, emprunts forcés, confiscations.»8 Ces difficultés financières, la misère générale et un mécontentement universel, suscitèrent, pendant les dernières années de Justinien, une longue suite de troubles sociaux. De 553 à 564, les Verts et les Bleus n'avaient pas cessé de remplir la capitale et les grandes villes de l'Empire d'agitations et d'émeutes. Un régime presque féodal s'est développé dans les provinces, où le paysan libre a presque disparu. L'Empire n'est plus qu'un organisme épuisé et menacé de toutes parts. Contre l'empereur vieilli, des complots sont tramés, à l'instigation de quelques membres de la famille impériale qui se disputent déjà son héritage. b.

Mort de Justinien

(565)

En 565, Justinien meurt à l'âge de 87 ans. L'un de ses neveux, Justin II, marié à une nièce de Théodora, avait déjà pris ses précautions. Avec l'appui du Sénat et de la garde impériale, il succède sans difficulté à son oncle (565).

8

Diehl et Marçais, op. cit., p. 100.

V. Les royaumes arabes de Ghassân et de Hîra

Placées, l'un au flanc oriental de la Syrie byzantine et l'autre à la frontière occidentale de la Mésopotamie perse, les royaumes arabes de Ghassân et de Hîra, forment, on l'a vu (p. 337), pour le compte des deux grands Empires dont ils sont respectivement les vassaux, deux sentinelles mobiles aux portes du Désert. Nous allons dire un mot de la formation et de l'évolution de ces deux Etats mi-sédentaires, qui, dirigés par des Arabes originaires de la Péninsule, arabiseront linguistiquement le Désert syro-mésopotamien et ses confins et prépareront la voie aux futurs Arabes de l'Islâm.

1. Les tribus arabes ghassânides et lakhmides, avant-gardes des Arabes de l'Islâm a. Le nom d'Arabe avant l'Islam Nous avons vu, plus haut, que le nom d'Arabe ÇArab), qui, comme celui d'Hébreu Çlbri), signifiait primitivement «Nomade», désignait, depuis le début du premier millénaire av. J.-C., les populations errantes du pays de , Aribi ('Aribi = steppe), qui comprenait les Déserts ouest-euphratéens jusqu'au Sud de la Palestine. C'est seulement vers la fin du premier millénaire av. J.-C. que le nom d'Arabe s'était également étendu aux populations du centre de la Péninsule arabique (p. 64—65). b. Les Ghassânides et les Lakhmides, sixième vague sémito-arabique A partir du Ve siècle ap. J.-C., les Nomades ou Arabes du Désert syromésopotamien sont mieux connus que leurs aînés araméens des mêmes lieux. Leurs plus importants groupements sont maintenant constitués par diverses tribus, dont l'identité et l'origine centre-arabique sont historiquement attestées. Venus, vers 200 ap. J.-C., du centre et du Sud de la Péninsule, les Bani Ghassân, Tannoukh, Lakhm, ainsi que les Ibâd, Iyâd, Thalaba, Hanifa, Kinda, Tamîme, Tayy, Abs (Antar), Bakr, Taghleb, etc., forment une sixième vague d'expansion sémito-arabique, dont une partie a déjà fondé, aux portes de la Syrie et du bas Euphrate, les deux royaumes mi-sédentaires de Ghassân et de Hîra (p. 337).

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c. Ghassânides et Lakhmides, Arabes authentiques La langue de ces nouvelles tribus sémitiques, immigrées depuis 200, est un dialecte centre-arabique, ancêtre direct de la future langue du Coran et de l'arabe moderne. Ces tribus préislamiques sont donc des Arabes authentiques, dans le sens moderne de ce terme. A la différence de leurs prédécesseurs proto-arabes de Nabatée et de Palmyre, qui, venant du Centre arabique (vers 500 av. J.-C.) et dominant les confins syro-désertiques depuis la Mer Rouge jusqu'à l'Euphrate, avaient abandonné leur dialecte proto-arabe pour l'idiome araméen local, les Ghassânides et les Lakhmides, qui, venant du même habitat originel, dominèrent les mêmes lieux, conserveront leur dialecte propre, la future langue arabe, et contribueront à la propager parmi les populations araméennes du Désert et de ses confins. d. Avant-gardes des futurs Arabes de l'Islâm Derniers venus du plateau arabique avant l'expansion de l'Islâm, les Ghassânides et les Lakhmides, qui arabisèrent linguistiquement les tribus araméennes du Désert syro-mésopotamien et de ses confins, prépareront la voie à leurs frères musulmans, qui les recouvriront bientôt. Ces Arabes préislamiques du Vie siècle forment, en quelque sorte, aux portes de la Syrie et de la Mésopotamie araméennes, deux avant-gardes des Arabes de l'Islâm, qui déferleront, au Vile siècle, sur les régions du Croissant Fertile. «Cette lente pénétration ne se remarquait guère, poussière de tribus nomades venues à petites étapes, qui apparaissaient au seuil du désert et empiétaient progressivement sur les cultures . . . Au reste, la pacifique reconquête araméenne avait précédé l'arabisation et la facilitait. Peu à peu, en Babylonie chez les Sassanides, en Syrie chez les Byzantins, les vieux noms sémitiques des eaux et des montagnes reparaissaient et les noms officiels, les noms iraniens ou grecs, n'étaient plus que des mots savants, bons pour les seuls bureaux. Du Zagros à la Mer Rouge, la domination perse ou byzantine subsistait, mais la terre était redevenue araméenne et arabe.»1 2. Le royaume arabe de Ghassân, successeur du royaume arabo-aramêen de Palmyre a. Jusqu'au Vie siècle Originaire du Yémen, la tribu arabe de Ghassân, qui tire son nom de Mâzin Ghassân, fils d'un ancêtre arabe Kahtanide, avait, dès le début du 1

Grousset, L'Empire du Levant, p. 91.

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Ille siècle, fixé ses tentes en Arabie Pétrée, sur le territoire limitrophe de la Syrie et du Hidjâz, là où sept siècles auparavant s'étaient installés les premiers Nabatéens proto-arabes (p. 64—70). Comme ces derniers, les Ghassânides s'étendirent peu à peu jusqu'au Hawrân et à la Palmyrène, dominant et gouvernant les tribus araméennes et arabes locales. Leur nom de Ghassân sera, dans la suite, appliqué au territoire où Os se sont établis et à l'Etat qu'ils y ont formé. Le premier de leurs chefs, sous la conduite duquel ils sont arrivés dans l'Est syro-palestinien, est Amr Ibn Amir, surnommé Mozeikiya, qui serait aussi l'un des aïeux des tribus de Yathrib (future Médine). Son fils Djafna (240—250) est le premier roi ghassânide. Thahlaba (263—303), second successeur de Djafna, contemporain et vassal d'Odeinat II, roi de Palmyre, et de la «reine Zabba» (Zénobie, 266—273), aurait réussi, après la destruction du royaume arabo-palmyrien (273), à supplanter les autres chefs arabes de la région. Souverain unique de la contrée, depuis la Mer Rouge jusqu'à la Palmyrène, Thahlaba se fit donner l'investiture par les Romains. A partir de cette époque, les Arabes Ghassânides, convertis au christianisme, commencent à prendre rang dans l'histoire. Pendant trois ou quatre siècles, les Ghassânides, gardiens des frontières syriennes, comme autrefois les princes de Palmyre (p. 161—186), seconderont, comme ces derniers, les empereurs romains d'Orient dans leurs expéditions contre les Perses. Ils soutiendront aussi, contre leurs frères arabes de Hîra, inféodés aux Perses, une guerre incessante, qui n'amènera jamais d'ailleurs de résultat décisif (p. 337). b. Au Vie siècle

C'est au Vie siècle que les Ghassânides dominent effectivement sur les confins orientaux de la Syrie. Vers 500, des incursions et des combats heureux, en Palestine et en Syrie, leur donnent une prépondérance qui est reconnue par l'empereur Anastase (491—518). Restés semi-nomades, leurs princes souverains auront plusieurs résidences ou capitales, dont Bosra, dans le Hawrân, est la plus importante. Le premier prince ghassânide dont l'existence est historiquement sûre est Al-Hâreth V ibn Djabala (528—569). Contemporain de Justinien qui le nomme chef de toutes les tribus du Désert syro-palestinien, Al-Hâreth reçoit de cet empereur le titre de phylarque, la plus haute dignité byzantine, et la mission de défendre le Désert contre les incursions des Bédouins du Sud et contre les agressions des Arabes lakhmides de Hîra, clients des Perses. En 528, Al-Hâreth défait le roi de Hîra, Al-Moundhir III, et, en 529, il aide les Byzantins à réduire la révolte des Samaritains en Palestine. Il com-

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bat les Perses, sous le célèbre général byzantin Bélisaire, en 531 et 541. En 529, dans une campagne entreprise contre le Lakhmide Al-Moundhir III, qui voulait faire payer une contribution aux tribus arabes du désert de Palmyre, un des fils d'Al-Hâreth tomba aux mains du roi de Hîra, qui l'aurait sacrifié à la déesse arabe El-Ozzâ (p. 334). Mais, dix ans après, Al-Hâreth est débarrassé de son redoutable adversaire lakhmide, qui périt dans un combat sur la route d'Alep à Callinicum (Raqqa) (544). En 563, Al-Hâreth visite Constantinople, pour y régler la question de sa succession, et meurt en 570. Al-Moundhir II (570—580), fils et successeur d'Al-Hâreth, vainqueur des Arabes de Hîra en 570, refuse, pendant trois ans, d'obéir aux ordres de Byzance, qui lui avait supprimé les subsides que recevait son père. Réconcilié avec les Byzantins, dont il avait, pendant ses années de révolte, cruellement dévasté le territoire, Al-Moundhir visite Constantinople, en 578, et y est reçu avec de grands honneurs. Accusé ensuite d'intelligence avec les Perses, il est saisi et interné, puis exilé en Sicile (580). Son fils et successeur, An-Nohmân (580—582), privé des subsides qui étaient payés à sa famille, se soulève et ravage, à son tour, le domaine byzantin. Capturé dans le désert, il est interné à Constantinople (582). c. Suppression du royaume ghassânide (582) Après An-Nohmân, la suprématie des Ghassânides se fractionne entre plusieurs émirs de cette famille, qui se feront la guerre les uns aux autres. «Le groupement des Arabes sur les frontières romaines, si péniblement obtenu, se rompit du coup: les tribus se fractionnèrent en quinze parties sous des chefs différents, dont la plupart reconnurent la suprématie des Perses. L'anarchie se rétablissait dans le désert, et ceux qui étaient passés à l'ennemi offraient encore le plus grand danger pour les frontières.»2 En 613—614, les Perses, qui envahiront la Syrie, balayeront cette poussière de roitelets ghassânides.

3. Le royaume arabe de Hîra La ville de Hîra, qui a donné son nom à l'Etat et au pays de même nom, est située à l'Ouest du bas Euphrate, sur l'emplacement de la future ville irako-musulmane de Kûfa. Comme son nom syriaque l'indique (Hîra = bergerie), elle servit d'abord de lieu de refuge pour les nomades environnants, qui, pour une raison quelconque, cherchaient à changer leur mode d'existence en se stabilisant dans cette région arrosée par l'Euphrate. 1

Cl. Huart, Histoire des Arabes, I, p. 61.

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a. Aux llle et IVe siècles Les premiers habitants établis à Hîra sont, comme les Ghassânides de Syrie, des tribus centre-arabiques venues du Najd et de Tihama, les Tannoukhs, sous la conduite d'un de leurs chefs, Malek ben Fahm (vers 200 —225). Aux Tannoukhs, se joignent bientôt les Ibâd, Arabes chrétiens groupés autour de leur évêque, et d'autres clans sémites locaux ou immigrés. Placés sur la frontière occidentale de la Perse, dont ils seront presque toujours les vassaux, les princes de Hîra défendront souvent la monarchie sassânide contre l'Empire romain et byzantin, et contre les incursions des Arabes Ghassânides, inféodés aux Gréco-Romains. Frères rivaux, les Arabes Hîra et ceux de Ghassân se disputeront longtemps la suprématie dans le Désert syro-mésopotamien. A Malek Ben Fahm, succèdent, l'un après l'autre, son frère Amr, puis Djahimat el-Abrach (ensemble, vers 225—280). Contemporain de Shahpur I (241—272), Djahimat, d'après les traditions arabes, serait entré en conflit avec la «reine Zabba», la Zénobie de Palmyre (266—273). Vers la fin du llle siècle, sous le règne de Shahpur I, le pouvoir, à Hîra, passe de la famille des Fahm à la tribu de Lakhm qui, comme celle des Ghassânides de Syrie, serait originaire du Yémen. A Amr (280—288), premier prince lakhmide, succède le célèbre Imrououl-Kays (288—328), surnommé al-bâdi (le débutant ou fondateur), c'està-dire «le premier qui fut roi». Grand prince et grand poète arabe, il fut, en effet, le premier «qui ceignit la mitre», nous dit «une inscription en caractères nabatéens et en langue arabe mélangée d'expressions syriaques, qui est maintenant au musée du Louvre».8 Cette inscription est le premier texte préislamique trouvé dont la langue s'apparente au futur arabe classique; elle est datée de 328 ap. J.-C. Imrou-oul-Kays, dont la dignité royale fut confirmée par une investiture perse, aurait entrepris des conquêtes et des expéditions dans l'intérieur de l'Arabie et même dans l'Arabie méridionale. b. Au Ve siècle Les quatre fils de Imrou-oul-Kays, qui se succédèrent sur le trône de Hîra, totalisent ensemble 90 ans de règne. Le dernier d'entre eux, AnNohmân I, surnommé El-Ahwar (le borgne) et Assâyeh (le pèlerin), aurait régné pendant trente ans (388—418). Il aurait eu des rapports avec saint Siméon le Stylite et aurait laissé prêcher le christianisme dans ses Etats. An-Nohman I, qui a obtenu des Perses le titre de général, avec le commandement de deux formations militaires, composées l'une d'éléments * Cl. Huart, op. cit., p. 64.

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arabes et l'autre de troupes perses, fut aussi chargé de l'éducation de l'héritier royal sassânide, le futur Bahrâm V (421—438). Il fit construire deux beaux palais, qui restèrent célèbres chez les poètes. Al-Moundhir I (418—462), fils du précédent, aida Bahrâm V, pupille de son père, à monter sur le trône perse, et participa avec lui à la guerre contre les Byzantins, où, en 421, les Perses furent défaits, et où une foule de combattants arabes furent noyés au passage de l'Euphrate. Al-Moundhir I apparaît «comme l'arbitre des querelles de famille entre princes sassânides», en même temps qu'un allié précieux pour ces derniers (p. 282). c. Au Vie siècle Al-Moundhir III (505—554), roi de Hîra, prend une part active à la guerre de Kobâd contre Justinien, en pillant continuellement le territoire byzantin (p. 337). Ce prince aurait sacrifié à la déesse arabe El-Ozzâ 400 religieuses prisonnières. C'est ce massacre qui aurait porté Justinien à faire appel aux Arabes Ghassânides de Syrie et à les grouper sous l'autorité d'un prince ou phylarque arabe, pour les opposer à leurs congénères de Hîra, clients des Perses. A la bataille de Callinicum (Raqqa), sur l'Euphrate (531), les Perses et les Arabes de Hîra battirent le général byzantin et ses alliés ghassânides, mais le fils d'Al-Moundhir III, An-Nohmân, resta parmi les morts. Après la paix perso-byzantine de 532, Lakhmides et Ghassânides continueront à se disputer la route de Palmyre et la suprématie dans le Désert. C'est au cours de ces luttes fratricides que, pour venger son fils tué à la bataille de Callinicum (531), Al-Moundhir III, qui fit prisonnier, au pâturage, un fils du roi de Ghassân (544), le sacrifia à la déesse El-Ozzâ (p. 334). Mais quelque temps après, le roi de Hîra, attaqué par le chef de la tribu des Banou-Hanifa, périt dans le combat, à El-Hiyâr, sur la route d'Alep à Raqqa (554). d. Période d'intermède (495—529) C'est sous le règne d'Al-Moundhir III que la tribu arabe de Kinda, venue du Centre arabique avec son chef Hodjr, surnommé Akîl al-Murâr (460— 480), et établie sur les confins du Désert de Syrie, entre Ghassân et Hîra, soumet à son autorité les tribus qui l'entourent, et s'empare du royaume de Hîra (495). Le roi kindite Al-Hâreth (495-529), petit-fils de Hodjr et beau-père d'Al-Moundhir III, établit sa résidence à Anbâr, en Irak. Le Kindite Al-Hâreth entreprend de nombreuses incursions sur les territoires appartenant aux Perses et aux Byzantins. Pour se mettre à l'abri de ses attaques, l'empereur Anastase (491—518) conclut un traité avec lui, et le roi perse Kobâd (488—527), suzerain du royaume de Hîra,

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accepte sa mainmise sur ce dernier pays. Mais en 529, le roi kindite, poursuivi par le duc romain de Palestine, se retire dans le Désert, où le lakhmide Al-Moundhir III le met à mort et réoccupe son trône à Hîra (529). e. Chute de la dynastie lakhmide (602) An-Nohmân III (580—602), fils et troisième successeur d'Al-Moundhir III, surnommé Abou-Qaboûs et chanté par les poètes, passera à cheval ses vingt-deux ans de règne. Accusé par Khosrau II de vouloir se rendre indépendant, An-Nohmân, convoqué par son suzerain, se rend auprès de lui, après avoir déposé ses armes chez une fraction des Bani Abs, puis chez les Bani Bakr. Jeté en prison, près de Ctésiphon, il y mourra vers 602. f. La dynastie des Tayy (602—613) La chute d'An-Nohmân sera celle de la dynastie lakhmide et marquera la fin de l'autonomie du royaume vassal. Après lui, un Arabe chrétien de la tribu de Tayy, Iyâs ben Khabisa (602—613), gouvernera le pays avec l'assistance d'un haut fonctionnaire perse, en qualité de résident. g. Bataille de Dhou-Qâr (611) C'est pendant cette période, vers 611, que la tribu arabe des Bani Bakr remportera sur les Perses la célèbre victoire de Dhou-Qâr, qui révélera aux tribus du Désert arabique la faiblesse de l'Empire sassânide. Mécontent des incursions des Bani Bakr sur le territoire perse, Khosrau II demande à leur chef, Hâni, la remise des armes qu'An-Nohmân avait déposées chez lui. Sur le refus de Hâni, un corps expéditionnaire est lancé contre lui, composé de 2000 Perses et de 3000 Arabes vassaux du Grand Roi, recrutés chez les Taghlibites et les Yadites et commandés par Iyâs, le roi fantoche de Hîra. En face d'eux, l'ensemble de la tribu des Bani Bakr se tient sous le commandement en chef de Hâni. La bataille a lieu à Dhou-Qâr, dans la région de Kûfa, sur la rive droite du bas Euphrate, où les Bani Bakr taillent en pièces l'armée des Sassânides (611). Cette victoire éclatante, qui sera, comme la guerre de Troie, immortalisée par les récits et les poèmes du roman arabe d'Antar, «ne contribua pas peu à donner de l'audace aux premières entreprises des Musulmans» (Cl. Huart). h. Suppression du royaume de Hîra (613) Après leur défaite à Dhou-Qâr, les Perses suppriment l'Etat de Hîra (613),

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qui sera désormais administré directement par un gouverneur perse, jusqu'au jour où Khâled ibn el-Oualid, général du Calife Abou Bakr, annexera ce pays au nouvel Empire arabe de l'Islâm (632). Ainsi, les deux royaumes vassaux de Ghassân et de Hîra seront presque simultanément supprimés, par leurs suzerains respectifs, à la veille du grand déclenchement de la marée arabo-islamique. «Le résultat de cette double mesure fut également funeste pour les deux empires. Les Byzantins en Syrie, les Perses en Iraq, au lieu d'avoir affaire à des princes arabes responsables et qu'ils pouvaient toujours contrôler, ne se trouvèrent plus en présence que d'une poussière de tribus nomades qui leur échappaient entièrement... La bataille de Dhou-Qâr, même s'il ne s'agit que d'un épisode purement local, révéla au monde arabe la faiblesse du vaste empire sassanide. L'heure de l'islam était venue.»4

4. Les Eglises chrétiennes dans le monde nomade a. Présence des trois Eglises Dans le Désert syro-palestinien, où le christianisme s'est propagé de bonne heure, les trois Eglises — l'orthodoxe, la monophysite et la nestorienne — rivalisent de zèle et d'ardeur. Ce sont surtout les monastères et les couvents, les moines stylites, les moines solitaires et les moines aumôniers de l'armée byzantine, appartenant aux trois Eglises et installés dans le limes syro-byzantin, qui ont contribué à l'expansion de la religion chrétienne dans le monde nomade. Dès le Ve siècle, la vie religieuse est très florissante dans tout le limes: en Transjordanie, au Hawrân et jusqu'à Edesse et Nisibine. On compte, vers cette époque, entre Damas et Edesse, «36 éparchies, évêchés ou archevêchés, melkites». Sur ce même limes, les monophysites possèdent 22 sièges épiscopaux et près de 137 couvents et monastères, échelonnés depuis le fleuve Yarmouk, affluent du Jourdain, jusqu'à Palmyre. Enfin, les nestoriens, qui relèvent du catholicos de Perse, ont plusieurs évêchés, dont trois métropolitains. b. Prépondérance de l'Eglise monophysite ou jacobite Aux trois Eglises sédentaires, disséminées dans le limes syrien et dont les évêchés et les monastères sont la base d'action des missionnaires des tribus, correspondent trois Eglises nomades, avec leur clergé propre et leur hiérarchie épiscopale respective. Mais c'est l'influence des monophysites 4

Grousset, L'Empire du Levant, p. 92, 93.

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qui est prépondérante dans le Désert syrien, grâce surtout à la protection des rois de Ghassân, qui sont eux-mêmes monophysites. c. Dans le royaume de Ghassân C'est sur l'intervention du roi ghassânide Al-Hâreth (528—569), qu'en 533, l'impératrice Théodora a fait renvoyer, dans leurs couvents d'Edesse et d'Amida, 500 moines monophysites qui étaient exilés. En 543, ce même monarque arabe obtint de l'impératrice la nomination du célèbre chef monophysite Jacques Baradée au siège épiscopal d'Edesse (p. 325). Nous avons vu que Jacques Baradée, devenu chef suprême et organisateur de l'Eglise monophysite ou jacobite, installa sa résidence auprès des rois ghassânides, ses protecteurs (p. 328—329). Enfin, c'est aussi Al-Hâreth qui a fait désigner par l'impératrice un certain Théodore, comme évêque monophysite des tribus de Damascène (543). Les historiens donneront à ce prélat nomade le nom d'«évêque des Arabes» ou «évêque des tribus». Protégée par les rois ghassânides, à cheval sur le Désert et les terres cultivées, l'Eglise monophysite du monde nomade était devenue assez puissante et, par sa situation géographique, assez dangereuse pour inquiéter le pouvoir impérial affaibli et, par suite, soupçonneux. Vers 580, le roi ghassânide Al-Moundhir I, accusé d'intelligence avec la Perse, est exilé en Sicile. En 582, la royauté ghassânide est dissoute et l'Eglise monophysite décapitée (p. 344). Désorganisés par ces événements qui ont augmenté leur haine contre Byzance, les Arabes monophysites du Désert accueilleront avec sympathie les Perses, qui envahiront la Syrie en 613, et, en 634, ils recevront avec enthousiasme leurs frères qui viendront du Sud, les Arabes musulmans. Le monothéisme de ces derniers apparaîtra, aux monophysites du Désert de Syrie, plus proche de leur Credo que les doctrines diophysites ou trinitaires des chalcédoniens grecs. Embrassant, pour la plupart, la religion de leurs frères du Hidjâz et se joignant à leurs troupes victorieuses, les Nomades monophysites contribueront à chasser de Syrie la Byzance chalcédonienne et impériale, et à propager, dans le monde oriental, le nouveau monothéisme islamique. d. Dans le royaume de Hîra Sur le territoire du royaume de Hîra, une grande partie des habitants sont chrétiens; quant à la dynastie lakhmide, elle se serait convertie au christianisme en 580. Chez ces Arabes de l'Est, vassaux des Perses, deux Eglises sont constituées: l'Eglise nestorienne, qui dépend du catholicos nestorien de Perse, et l'Eglise monophysite ou jacobite. Pour calmer les soupçons du gouverne-

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ment perse, les jacobites suivirent l'exemple des nestoriens qui, séparés de leurs coreligionnaires d'Antioche, avaient créé un primat nestorien indépendant, dont le centre est établi à Séleucie sur le Tigre (p. 282 et 283). L'évêque jacobite du royaume arabe lakhmide a pour centre la capitale de ce royaume, la ville de Hîra. La suppression par les Perses de la principauté de Hîra et sa transformation en province sassânide (613), aura encore pour conséquence, comme chez les Ghassânides, d'exciter la haine des Arabes lakhmides contre leurs maîtres et de les bien disposer envers leurs frères conquérants, les Arabes de l'Islâm.

5. Destinée historique de l'arrière-pays syrien A la différence de la façade maritime de la Syrie et de l'Egypte, dont les populations s'étaient plus ou moins accommodées de la domination et de la culture gréco-romaines, l'arrière-pays syrien, plus continental que maritime, a constamment opposé une résistance plus ou moins marquée à l'hégémonie occidentale sous toutes ses formes. C'est dans cette partie de la Syrie, riveraine du Désert, que, pendant tout un millénaire (330 av. J.-C.— 640 ap. J.-C.), se sont continuellement recrutés les divers tenants de la réaction indigène contre la domination occidentale. C'est, en effet, dans cet arrière-pays syrien, isolé de la mer et tourné vers l'Est continental et asiatique, que, pendant la domination grécoromaine et byzantine, se sont continuellement succédé, on l'a vu, de petits Etats sémites mi-indépendants, qui ont, à tour de rôle, cherché à se libérer du joug gréco-romain. Juifs en Judée, Proto-Arabes en Nabatée (Transjordanie), Araméens en Palmyrène et en Osrohène (Edesse), Arabes Ghassânides dans le Hawrân, ont successivement ou simultanément essayé de se soustraire au joug de l'Occident maritime, en cherchant un appui dans l'Orient continental. Trop faibles pour secouer, par leurs propres forces, la domination gréco-romaine, ces divers peuples sémites, qui, comme au premier millénaire av. J.-C., ne surent jamais s'unir, ont vainement, pendant des siècles, attendu leur délivrance d'une intervention victorieuse des rois de l'Iran, ennemis héréditaires des Gréco-Romains et champions séculaires de la réaction nationale orientale. Après environ mille ans d'attente, les vœux séculaires de ces petits peuples syriens seront bientôt réalisés, au-delà même de leurs espérances. L e libérateur qui viendra bientôt sera, en effet, un frère oriental, et sémite par surcroît, l'Arabe d'Arabie, qui n'avait jusqu'alors représenté qu'un élément négligeable dans la balance des forces internationales. Ce parent sémite, improvisé conquérant et fondateur d'empire, qui réalisera

L'EMPIRE BYZANTIN ATTIRÉ PAR L'OCCIDENT

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l'unité politique et religieuse de la Péninsule arabique, se lancera bientôt vers les pays sédentaires du Nord. Nouvel émule d'Alexandre le Grand, qui fut le champion de l'hellénisme occidental, le nouvel envahisseur arabe, colporteur de l'islamisme oriental, déferlera sous peu sur la Syrie, la Mésopotamie et l'Egypte, rejettera l'Occident gréco-byzantin derrière le Taurus, et détruira le vieil Empire perso-iranien qu'il rayera, pour plusieurs siècles, de la carte politique du monde. Il convient de noter que ce sentiment national, qui a toujours animé les populations de l'arrière-pays syrien, se manifeste d'une façon plus vive à la suite d'une importante immigration sémito-désertique, qui semble revigorer l'énergie des Sédentaires autochtones. En conséquence, c'est tantôt l'une et tantôt l'autre des diverses régions est-syriennes qui, plus fortement remuée par de nouveaux apports ethniques, prend la tête du mouvement de redressement. Dans le passé lointain, après la stabilisation des Hébreux et des Araméens «errants», ce sont, on l'a vu, les régions de Jérusalem, d'Ammon (Transjordanie), d'Aram (Damas), de Hamath (Hama), qui réagissent, simultanément ou séparément, contre la domination assyro-babylonienne, ou qui se combattent les unes les autres pour la suprématie de la Syrie intérieure. Sous les Grecs et les Romains, après la sédentarisation des Nabatéens proto-arabes, ce sont la Judée, la Transjordanie (Pétra), l'Osrohène (Edesse), et Tadmor (Palmyre), qui passent successivement au premier plan. Le Hawrân, à son tour, apparaît après l'arrivée des Arabes Ghassânides. Avec la marée arabo-musulmane, qui va bientôt déferler, le premier rang reviendra de nouveau, comme sous les Araméens, à la région de Damas. Sous les Turcs Ikhshidides d'Egypte, qui occuperont la Syrie, Alep, au Xe siècle, fondera un Etat national autonome, grâce à la dynastie des Hamdânides, de la tribu arabe des Taglib. Ce sentiment national et pro-continental des régions de l'Est syrien ne manque pas cependant de réagir contre l'Orient continental, lorsque la protection de celui-ci se transforme en hégémonie. C'est ainsi, on l'a vu, que les roitelets araméens et israélites luttèrent contre les Assyriens et les Babyloniens qui envahirent et occupèrent successivement leurs pays. En outre, ces dynastes sémites défendirent constamment leurs territoires respectifs contre les incursions de leurs voisins et parents du Désert arabique. Il est incontestable que si les Arabes Ghassânides et Lakhmides avaient respectivement conservé leurs Etats et leurs dynasties, ils n'auraient pas manqué de s'opposer à l'expansion de leurs frères arabes de lTslâm. Un descendant des Ghassânides, Djabala ben al-Aïham, luttera contre le général arabe Khâlid ibn el Oualid, chef des armées du Calife. Un descen-

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dant des Lakhmides, Al-Moundhir, combattra les Arabes musulmans à la tête des Arabes du Bahraïn, qui avaient répudié l'Islâm après la mort du Prophète (633). A cette destinée particulière de l'arrière-pays syrien, répond, chez les habitants de la partie maritime de cette contrée, une vocation parallèle, mais dirigée en sens contraire. Solidaire de l'économie méditerranéenne, la façade maritime de la Syrie, comme aussi le Delta du Nil, est naturellement hostile aux dominations continentales et asiatiques. Tandis que les populations est-syriennes s'appuient sur l'Orient continental pour renforcer leur réaction contre l'hégémonie de l'Occident, les habitants des côtes syriennes et égyptiennes cherchent, dans l'Occident méditerranéen, un point d'appui centre la domination de l'Est continental. C'est ainsi, on l'a vu, que, contre les Empires assyro-chaldéens et perses, les Phéniciens et les Egyptiens, constamment alliés, appellent à leur aide les Etats de l'Asie Mineure occidentale. Pendant toute la durée de la domination de ces Empires continentaux, les insurrections et les révoltes n'ont guère cessé en Phénicie et en Egypte. Et, lorsqu'Alexandre le Grand battit les Perses à Issus, l'Orient méditerranéen accueillit le héros triomphant comme un libérateur. L'Egypte, qui lui ouvrit ses portes, poussa même les manifestations de sa joie jusqu'à reconnaître, dans le conquérant macédonien, le fils du dieu égyptien Amon et l'héritier légitime des Pharaons. Mais cette sympathie que la côte méditerranéenne manifeste à l'égard du monde occidental, se transforme, comme dans l'Est syrien, en une hostilité ouverte ou latente, vis-à-vis de l'Occident, à partir du moment où ce dernier devient maître à son tour. Conséquence des conditions géographiques et économiques (I, p. 86— 87), ces tendances différentes, qui distinguent les populations continentales de l'Est syrien et celles des régions maritimes avoisinantes, remontent donc très haut dans le temps. Loin d'être un produit de l'islamisme, qui lui est très postérieur, le nationalisme antioccidental de l'Orient byzantin nous semble être, au contraire, la cause indirecte de l'expansion rapide de l'Islâm primitif. Avant l'apparition de l'islamisme et du Coran, le judaïsme et la Bible avaient, on l'a vu, pendant des siècles, joué, en Orient, ce rôle d'idée-force qui animait la réaction indigène contre les maîtres étrangers, fussent-ils orientaux, comme les Assyriens et les Babyloniens, ou occidentaux, comme les Grecs et les Romains. Militairement faibles, les Juifs de l'Orient ancien cherchaient à compenser leur infériorité numérique et technique, en surexcitant le sentiment national par le ferment de la passion religieuse.

D Byzance se retourne vers l'Orient (565—640). Désagrégation et démembrement de l'Empire byzantin. Décomposition et effondrement de l'Empire perse

I. Désagrégation de l'Empire byzantin (565—610) Justinien, en mourant, laissait à ses successeurs un très lourd héritage et un pays épuisé (p. 339—340). Sans argent et sans armée, le gouvernement impérial était impuissant contre les périls extérieurs et intérieurs qui le menaçaient gravement. La désorganisation et la ruine de l'immense Empire le conduiront, au bout d'un demi-siècle, à une liquidation forcée qui le démembrera de tous les territoires situés en Occident et des provinces de l'Orient méditerranéen. A l'intérieur, le despotisme impérial, qui avait, pendant longtemps, écarté du pouvoir le Sénat et les nobles, est ouvertement combattu par des soulèvements continuels. Le séparatisme provincial se redresse en Syrie et en Egypte. Tout en se tournant vers l'Orient, qui sera le principal objet de leur attention, les successeurs de Justinien chercheront timidement à conserver l'Occident. 1. Grande guerre avec la Perse (572—591) a. Période de préparatifs (565—572) Justin II (565—578), dit le Jeune, successeur de Justinien, essaye de reconstituer l'armée et de restaurer les finances. Energique et courageux, mais hautain et maladroit, il était, en outre, malade et d'un esprit mal équilibré. Dès son avènement, Justin II supprime les subsides que son prédécesseur payait aux Huns Outourgours et aux Arabes Ghassânides. En même temps, il prépare la rupture de la paix, conclue avec les Perses en 546, aux termes de laquelle l'Empire devait payer à ces derniers un gros tribut annuel, dont sept annuités avaient été versées d'avance (p. 338). Décidé à refuser le paiement du terme de 570, Justin II négocie avec le Khagan des Turcs, Itami (562—576), une alliance contre la Perse. Nouvellement apparus en Asie Occidentale, les Turcs, qui s'étaient emparés de la Sogdiane en en chassant les Huns Hephtalites, envoient une ambassade à la cour de Constantinople. Des relations amicales sont établies entre Byzantins et Turcs, en même temps qu'un arrangement pour la fourniture directe à Byzance de la soie de Chine. En Arménie, la diplomatie byzantine qui, dès 570, intrigue contre les Perses, réussira, en 572, à provoquer dans ce pays un soulèvement général contre Ctésiphon. En riposte à cette activité malveillante et hostile de la part de Byzance,

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Khosrau I (531—579), en 570, chasse du Yémen les Abyssins, alliés chrétiens de l'Empire, qui avaient conquis, vers 526, le royaume de Himyar, dans le Sud arabique. Après avoir soumis le Yémen à la suzeraineté perse, Khosrau réclame à Justin le paiement du tribut échu et le somme, en même temps, de ne plus s'immiscer dans les affaires d'Arménie. Justin refuse le paiement demandé et accueille une ambassade arménienne qui fait appel à son aide (571—572). Prenant sous sa protection les Arméniens chrétiens révoltés, l'empereur déclare la guerre aux Perses (572). b. Commencement des hostilités (572) Les hostilités, qui dureront près de vingt ans (572—591), commencent par l'entrée des troupes byzantines en Arménie. Mais, sur la frontière syromésopotamienne, la faiblesse numérique des Byzantins et la défection du roi Ghassânide, auquel on avait supprimé les subsides, permettent aux troupes perses de s'emparer de la citadelle de Dara, en Mésopotamie (573). c. Victoire byzantine à Mélitène (575) A la suite de la perte de la position stratégique de Dara, l'instabilité mentale de Justin se transforma en folie. De 573 à 578, sa femme, l'impératrice Sophie, dirigera en son nom les affaires de l'Etat, avec le concours d'un haut dignitaire impérial, Tibère, qui est adopté par l'empereur avec le titre de César (574). Moyennant une grosse contribution, Sophie obtient de Khosrau I une trêve d'un an (574), à l'expiration de laquelle les Perses, qui avaient regroupé leurs forces, se jettent de nouveau sur l'Arménie et marchent sur la Cappadoce (575). Aux environs de Mélitène, une grande bataille s'engage; après deux jours de combats furieux, l'armée perse est battue et Khosrau I lui-même prend la fuite (575). «C'était la victoire la plus éclatante que l'empire eût jamais remportée sur les Perses. Le grand roi vaincu entama des négociations pour la paix; mais quelques succès perses amenèrent la rupture des pourparlers: tout était à recommencer.»1 d. Reprise des hostilités (578) Tibère (578—582), qui succède à Justin, veut mettre fin à la guerre perse. Militaire de talent, il était convaincu qu'une paix achetée n'est jamais durable: aussi, dès son avènement, les troupes byzantines se mettent-elles en marche et poussent jusqu'au Tigre (578). Des pourparlers de paix sont 1

Diehl et Marçais, op. cit., p. 129, 130.

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amorcés, lorsque Khosrau I meurt (579); son fils et successeur, Hormizd IV (579—590), rompt les négociations et la guerre reprend. Dans ce duel qu'il veut continuer contre l'Empire byzantin, Hormizd, qui cherche à réaliser l'unité spirituelle parmi ses peuples, «se montra favorable à ses sujets chrétiens qu'il refusa de persécuter malgré les invites du clergé zoroastrien. «De même, répondait-il aux môbadh, que notre trône royal ne peut se tenir sur ses deux pieds de devant s'il ne s'appuie aussi sur les deux pieds de derrière, ainsi notre gouvernement ne peut être stable et assuré si nous provoquons la révolte des chrétiens.» L'Eglise chrétienne de Perse, depuis sa conversion au nestorianisme, était, nous l'avons vu, assez nettement séparée de Byzance pour que l'Etat sassanide pût la considérer comme intégrée au monde iranien.»2 e. Victoire byzantine à Constantina (581) En 580, les Byzantins reprennent l'offensive. Franchissant l'Euphrate, ils tentent de pénétrer jusqu'à Ctésiphon et remportent sur les Perses une grande victoire, près de Constantina (581). L'empereur Maurice (582—602), qui succède à Tibère, est aussi un grand général. Conseiller et favori de son prédécesseur, il avait épousé la fille de celui-ci et reçu le titre de César. Sérieux et brave, Maurice, qui reconstituera l'armée et réorganisera l'administration, maintiendra le prestige de l'Empire et sera un vrai empereur. /. Fin de la guerre perse (591) Sous le règne de Maurice, la guerre avec les Perses continuera, avec des succès divers, jusqu'en 590. Des mutineries, qui éclatèrent parmi les troupes byzantines à cause des réductions de la solde, permirent aux Perses de s'emparer de Martyropolis en Arménie (590). Mais une révolte du satrape de Médie, qui s'empara de Ctésiphon et s'y proclama roi à la place d'Hormizd assassiné, renverse la situation en faveur des Byzantins. Khosrau II Parviz (590—628), fils d'Hormizd, réfugié en territoire byzantin, sollicite l'appui de l'empereur Maurice. Remonté sur le trône grâce aux troupes impériales, Khosrau II restitue à son bienfaiteur Dara et Martyropolis, cède une partie de l'Arménie et de la Mésopotamie et annule le tribut consenti par Justinien (591). Ce traité valait à Byzance un accroissement de territoire et de sérieux avantages; les populations guerrières de l'Arménie fourniront à l'Empire d'excellents éléments pour le recrutement de son armée.

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Grousset, L'Empire du Levant, p. 83.

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2. Les Barbares en Italie et dans les Balkans (568—602) Pendant que l'Empire luttait en Arménie et en Mésopotamie contre les Perses, et en Syrie contre les incursions des Arabes Ghassânides, les conquêtes de Justinien en Italie sont submergées par les Barbares. Tranquille du côté de l'Orient après la paix avec Khosrau II, l'empereur Maurice se retourne vers l'Occident, où l'Italie, ravagée par les Lombards, échappait graduellement à la domination byzantine. a. Les Lombards en Italie septentrionale (568) En 568, les Lombards, d'origine germanique, s'abattent sur l'Italie septentrionale, qui portera leur nom (Lombardie), et poursuivent leur marche vers le Sud. Fuyant devant ces hordes, le gouverneur byzantin et ses troupes se retranchent dans la ville de Ravenne, sur la côte nord de l'Adriatique. Grâce à l'énergie du pape Grégoire le Grand (590—604), Rome résiste aux assauts des Barbares. Mais le reste de la péninsule italique, enlevé à Byzance, deviendra, en dix ans, un royaume lombard. Isolée par les envahisseurs, Rome est coupée de ses communications avec Ravenne et Constantinople. b. Etablissement des exarchats d'Italie et d'Afrique Pour conserver Ravenne, tête de pont et base d'opérations militaires futures, l'empereur Maurice en réorganise le gouvernement. La totalité du pouvoir est concentrée entre les mains d'un gouverneur militaire, l'exarque, véritable vice-roi exerçant l'autorité souveraine au nom de l'empereur. C'est vers cette époque que fut créé également l'exarchat de l'Afrique du Nord. Ce régime, au début du Vile siècle, sera connu sous le nom de régime des thèmes et appliqué dans toute l'étendue de l'Empire byzantin. Malgré ses pertes en Italie, l'Empire ne restait pas inactif dans cette contrée. Impuissante à résister par la force, la diplomatie byzantine, qui ne se désintéressait pas de l'Occident, gagnait par des subsides les ducs lombards et s'efforçait, par les mêmes moyens, à les faire attaquer par les Barbares Francs. En Afrique du Nord, en Espagne, en Gaule, elle emploie les mêmes procédés et fait usage des mêmes intrigues pour agrandir ses possessions ou pour les conserver. c. Avars et Slaves ravagent les pays balkaniques (569—602) Dans la péninsule balkanique, de nouveaux barbares, les Avars, arrachent à l'Empire la plus grande partie de cette contrée. Peuplade asiatique fuyant devant les Turcs, les Avars, qui s'étaient d'abord répandus dans les plaines de la Russie méridionale, avaient gagné le Danube, vers le milieu du Vie

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siècle, et s'installèrent en Pannonie, sur les frontières de l'Empire. Le vaste territoire qu'ils dominaient, à cette époque, s'étendait sur toute l'Europe orientale. En 569, les Avars demandèrent à Byzance des subsides qui leur furent refusés. En 571, Justin II, battu, se résigne à leur payer un tribut. En 579, les Avars annexèrent Sirmium (Mitrovitza), après trois ans de guerre. En 580, Avars et Slaves du bas Danube ravagèrent épouvantablement l'Illyrie et la Thrace qu'ils conquirent. C'est à partir de cette époque que commença la slavisation de la péninsule balkanique. En 587, Slaves et Avars poussent jusqu'à Andrinople et menacent la capitale de l'Empire. La paix conclue avec les Perses, en 591, permettra à l'empereur Maurice d'opposer à ces Barbares une résistance organisée. Rudes et meurtrières, les opérations militaires dureront près de onze ans (591-602).

3. Politique religieuse des successeurs de Justinien Désireux d'effacer la trace des luttes religieuses qui avaient agité l'Empire sous Justinien, Justin II, pendant les six premières années de son règne (565—571), pratiqua une politique tolérante. Sous l'influence du patriarche de Constantinople, il revint, en 572, à la politique de la persécution contre les monophysites. «A Constantinople, en Syrie, en Cappadoce, en Cilicie, en Isaurie, leurs couvents furent fermés, leurs églises dévastées, leurs évêques déposés, arrêtés ou bien cités à Constantinople et jetés en prison. Tibère (578—582), malgré quelque tolérance passagère pour les monophysites, montra au total le même zèle pour l'orthodoxie. Les ariens furent poursuivis; ce qui restait de païens en Syrie fut traqué sans merci à Héliopolis (Baalbek) et à Antioche; sous l'influence du patriarche Eutychius, la persécution recommença contre les monophysites . . . L'avènement de Maurice (582—602) ramena quelque tranquillité. L'empereur était d'humeur tolérante . . . Il se montra donc bienveillant pour les dissidents, pour les Juifs, pour les donatistes.»3

4. Le règne désastreux de Phocas (602—610). Ruine de l'Empire La lutte contre les Avars et les Slaves, commencée en 591, était sur le point de s'achever à l'avantage de l'Empire, lorsqu'une révolution militaire, s

Diehl et Marçais, op. cit., p. 136.

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éclatant en 602, ruina d'un seul coup les efforts déployés et les résultats obtenus par Maurice au bout de vingt ans de règne. a. Mécontentement général vers la fin du règne de Maurice Irrité par les mesures fiscales qui s'étaient considérablement accrues à cause des guerres continuelles, le peuple de Constantinople, insouciant, comme toutes les foules, de la destinée de l'Empire dont l'existence se jouait sur la frontière du Danube, avait déjà manifesté sa colère par de multiples séditions. Le mécontentement était général et le pouvoir impérial faible et peu obéi. Les factions troublaient la capitale de leurs disputes fréquentes; «au lieu de les tenir en main, le gouvernement semblait au contraire rechercher l'appui de l'opinion publique» (Diehl). Dans les provinces, la rapacité et la corruption des fonctionnaires et des juges provoquaient la haine des sujets, qui ne trouvaient de recours que dans la protection de l'Eglise. Dans l'armée, la sévérité et la parcimonie de l'empereur Maurice provoquaient chez les troupes des mutineries et des soulèvements. b. Soulèvement des troupes du Danube (602) En 602, les troupes impériales, ayant reçu l'ordre d'hiverner sur la rive gauche du Danube afin de conserver les territoires reconquis, se soulèvent brusquement. Mettant à leur tête un officier subalterne, un simple centurion (capitaine), Phocas, ils abandonnent leurs camps et marchent sur Constantinople. Saisi d'épouvante, Maurice envoie à Phocas une ambassade qui est renvoyée. Abandonné de tous, se défiant de son entourage qu'il suspectait de comploter contre sa personne, l'empereur, qui voit le peuple se soulever, passe sur la côte d'Asie et se réfugie dans une église, près de Nicomédie (602). De ce refuge, il envoie son fils Théodose demander du secours à Khosrau II, qu'il avait rétabli sur son trône en 590. c. Le centurion Phocas acclamé empereur (602) Tirant profit de ces événements, les chefs des Verts, qui représentaient l'opposition sous Maurice, se déclarent pour l'usurpateur et vont à sa rencontre. A la vue des troupes rebelles qui pénètrent dans la capitale, la population acclame le nouveau maître, qui s'empressa de se faire couronner avec sa femme Léontia. D'âme vulgaire, il se montra, le lendemain, debout sur un char et jetant des poignées d'or. Violent et sanguinaire, il envoie vers Maurice des soldats qui le décapitent avec ses fils; leurs têtes, ramenées à Byzance, furent exposées au Champ de Mars, tandis que la femme et les filles du souverain déchu sont enfermées dans un couvent. Pendant huit ans, Phocas (602—610) essayera d'affermir par la terreur

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son pouvoir maléfique. Son règne, qui sera pour Byzance une période de deuil et d'angoisse, achèvera la ruine de l'Empire. d. Invasion du territoire asiatique: les Perses aux portes de Constantinople (604-609) La faiblesse et l'anarchie de l'Empire, la révolte, contre Phocas, du général byzantin Narsès qui commandait la région d'Edesse (603), donnent aux Perse l'espoir de réaliser leurs ambitions séculaires. Se posant en vengeur de Maurice, qui avait demandé son aide, Khosrau II bat les troupes impériales sous les murs d'Edesse (604) et enlève Dara l'année suivante (605). En 606, les Perses entrent en Arménie et en Mésopotamie; en 607, ils ravagent la Syrie et la Palestine; en 608, ils sont en Asie Mineure et, en 609, à Chalcédoine et aux portes de Constantinople. e. Complot contre Phocas (609) Impuissant, l'Empire agonisait. Dans la capitale épouvantée, les conspirations contre Phocas se multiplient et les répressions sont implacables. Accusés de complot, tous les membres de la famille de Maurice, y compris sa veuve et ses filles, sont successivement exécutés. Une révolte à Antioche ne fut réprimée que par de cruelles exécutions en masse. Mais ces mesures ne faisaient qu'exaspérer la fureur des populations. Phocas était hué et injurié toutes les fois qu'il paraissait à l'Hippodrome. Tout l'Empire demandait un sauveur. A défaut d'un membre de la famille de Maurice, qui avait été entièrement anéantie, ce fut Héraclius, exarque de l'Afrique du Nord, qui, sollicité par tous les mécontents, y compris le propre gendre de Phocas, ainsi que par le Sénat et les différents corps de l'Etat, accepta de diriger l'insurrection. f . Avènement d'Héraclius (610) Tandis qu'une armée envoyée d'Afrique en Egypte, par la voie de terre, bat les généraux de Phocas et occupe Alexandrie (609), Héraclius confie à son fils Héraclius le Jeune une flotte qui, mettant à la voile pour l'Orient, paraît devant Constantinople en 610. La seule arrivée de la flotte provoque dans la capitale une révolte de la population entière. Saisi et conduit à Héraclius, Phocas, avec ses principaux conseillers, est décapité et sauvagement mutilé. Héraclius, proclamé empereur par le Sénat et le peuple, est couronné par le patriarche (610).

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5. Désagrégation de l'Empire (612—622) a. L'empereur

Héraclius

Héraclius (610—641) est l'un des grands souverains de l'Empire byzantin; il en est aussi peut-être le plus infortuné. Jeune, brave, pieux, intelligent et général expérimenté, Héraclius était de caractère noble et d'âme généreuse. Malheureusement, à ces belles qualités, il joignait une âme impressionnable et une volonté faible. Dans les dernières années de sa vie, une maladie singulière faisait qu'en face de la mer, il avait une sorte de phobie qui lui donnait un sentiment de terreur et d'angoisse. Cette neurasthénie tardive explique partiellement pourquoi ce monarque, qui, à son avènement, paraissait comme le sauveur nécessaire, était devenu si différent à la fin de son règne. b. Etat catastrophique de l'Empire vers 610 A l'intérieur et à l'extérieur, Héraclius recueillait une succession catastrophique. La politique de Phocas avait détruit toutes les ressources et toutes les forces de l'Empire. Phocas le savait si bien qu'au reproche qu'Héraclius lui adressa sur la façon dont il avait gouverné l'Empire, le souverain renversé répondit à son vainqueur: «On verra si tu le gouverneras mieux». Le Trésor était vide, l'armée presqu'inexistante, la crise religieuse en effervescence, et enfin, sur toutes les frontières, l'ennemi poursuivait ses progrès. Cet état de décomposition attirait sur l'Empire moribond les vautours traditionnels. De tous les côtés à la fois, les ennemis accourent; le plus entreprenant d'entre eux est l'ennemi séculaire: le Perse éternel. Aussi, c'est sous le règne d'Héraclius, qui manifestera pourtant une incontestable volonté de grandeur et restituera à l'Empire une partie de son prestige, que le rêve ambitieux de Justinien s'effritera peu à peu, emportant avec lui une grande partie de la bâtisse impériale. Le relèvement précaire qu'Héraclius aura la gloire d'entreprendre, ne sera qu'une éclaircie fugitive, qui sera très vite suivie d'une véritable catastrophe: la perte définitive de la Syrie et de l'Egypte, enlevées par les Arabes de l'Islâm. c. Les Perses s'emparent des provinces orientales (612—614) Héraclius consacre les premières années de son règne à la réorganisation de l'administration impériale. La reconstitution de l'armée exigeait du temps et de l'argent, deux choses qui manquaient au nouveau monarque. Les finances étaient obérées; quant au temps, l'ennemi, qui surveille l'Empire agonisant, n'entendait pas le lui laisser. S'empressant de prendre les devants, Khosrau II déclenche une offensive foudroyante. «En 612, les Perses, qui avaient repoussé dédaigneusement les ouver-

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tures de paix d'Héraclius, envahissaient la Cappadoce et attaquaient Césarée; ils occupaient l'Arménie; ils menaçaient la Syrie, où, en 613, ils battaient les Grecs près d'Antioche et s'emparaient de Damas; en mai 614, Jérusalem tombait entre leurs mains et, avec elle, la relique vénérable entre toutes, le bois de la Sainte-Croix, que le vainqueur emportait à Ctésiphon. En 615, une armée perse pénétrait en Asie Mineure et parvenait jusqu'à Chalcédoine, en face de Constantinople; en 619, l'Egypte était conquise; une flotte perse paraissait devant la capitale; l'empire s'effondrait en Orient.»4 d. Les envahisseurs accueillis par les dissidents Outre la faiblesse numérique des armées impériales dans l'Orient méditerranéen, ce qui facilita la victoire des Perses et leur installation en Syrie, en Palestine et en Egypte, ce furent les dissensions religieuses. Les monophysites, les nestoriens et les Juifs, qui formaient la plus grande partie des populations des provinces orientales, étaient persécutés par l'orthodoxie, représentée par l'autorité impériale. Les conquérants perses, de religion mazdéenne, n'étaient guère un danger pour tous ces dissidents. «Cette hostilité des sectes orientales à l'égard de la doctrine établie par le concile de Chalcédoine, et, d'autre part, l'animosité des Juifs envers les Chrétiens, apportèrent aux Perses une aide puissante.»5 e. La perte catastrophique de Jérusalem (614) De tous ces désastres infligés par l'invasion perse de 614—619, la prise de Jérusalem, la destruction et le pillage des lieux saints et surtout l'enlèvement de la Croix du Christ, la plus sainte des reliques chrétiennes, furent les plus humiliants pour l'Empire et les plus cruellement sentis par l'orgueil impérial. La Ville Sainte fut emportée après un siège de vingt jours (614). La rage de l'ennemi n'épargna ni les hommes ni les monuments. Par haine des chrétiens, les Juifs collaboraient au pillage et à la dévastation. L'église du Saint-Sépulcre fut incendiée, les trésors ecclésiastiques dérobés et envoyés en Perse et soixante mille chrétiens périrent dans des batailles de rues. Des milliers de prisonniers, y compris le patriarche Zacharie, furent envoyés en Perse. f . Ruine définitive de la Palestine Dévastée et ruinée par l'invasion perse de 614, la Palestine ne se relèvera jamais plus de cette catastrophe. «Ce fut un désastre inouï, tel qu'il n'y en 4 s

Diehl et Marçais, op. cit., p. 144. Bailly, op. cit., p. 126.

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avait pas eu depuis la prise de Jérusalem sous le règne de Titus, mais cette fois on ne pouvait porter remède à cette calamité. Jamais plus la ville ne connut de période analogue à l'époque brillante du règne de Constantin . . . Dès lors, la ville et ses monuments déclinèrent d'une façon continue... L'invasion persique eut pour effet un changement immédiat de la situation créée par l'importation factice de la civilisation gréco-romaine en Palestine. Elle ruina l'agriculture, dépeupla les villes, anéantit un grand nombre de monastères et de couvents, arrêta le développement du commerce. Cette invasion libéra les tribus pillardes arabes des conventions qui les liaient et de la peur qui les retenait, et elles commencèrent à fonder l'unité qui rendit possibles les grandes invasions de la période postérieure . . . La Palestine entre dans cette période troublée qu'il serait loisible de qualifier de médiévale si elle ne s'était prolongée jusqu'à nos jours.»6 Cette invasion persique de 614, qui ravagea cruellement la Palestine, aura, sur les destinées de la Chrétienté orientale et de l'Empire grécochrétien de Byzance, des conséquences incalculables. C'est ce véritable cataclysme, et non l'invasion relativement bienveillante des Arabes de l'Islâm (638), qui ruinera, pour les siècles à venir, la Palestine sainte, jusqu'alors si active et si prospère. g. Les Wisigoths en Espagne; les Slaves en Grèce (615) En même temps que ces désastres, et pendant que les efforts d'Héraclius étaient retenus par les difficultés de l'Empire en Orient, ce qui restait des possessions occidentales était la proie des Barbares, ou sur le point de l'être. En Espagne, les rois wisigoths, dès 615, commençaient à reconquérir les places occupées par les Byzantins. En Italie byzantine, une grave agitation, encouragée par la faiblesse de l'autorité impériale, se manifeste dès 616. Dans la péninsule des Balkans, les incursions des Slaves, qui déferlaient continuellement depuis le début du V i l e siècle, avaient laissé, dans les pays ravagés, des tribus barbares qui s'y étaient définitivement fixées. Sous Héraclius, toute la Grèce fut submergée par les Slaves; l'empereur reconnut ces cantons slaves ou «slavinies», qui avaient poussé sur toute l'étendue de la péninsule, et réussit à régler au mieux leur dépendance à l'égard de l'Empire. h. Avars et Slaves aux portes de Constantinople

(617—619)

En 617 et 619, des hordes d'Avars et de Slaves ravagent les provinces • N. P. Kondakov, cité par Bailly, op. cit., p. 125, 126.

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balkaniques et les îles de l'Archipel. Poussant jusqu'aux portes de Constantinople, ils en pillent les faubourgs, dévastent les églises, font une masse de prisonniers et emportent un riche butin. Au cours de ces incursions, le chef des Avars faillit enlever l'empereur Héraclius, qui, attiré dans une embuscade, échappa de peu à la capture. Occupé à reprendre la guerre contre les Perses pour reconquérir la Syrie et l'Egypte, l'empereur, moyennant le versement d'un important tribut, achète la retraite des Barbares et une attitude pacifique de leur part (619). i. Héraclius découragé songe à s'enfuir

(619)

Tous ces désastres, auxquels s'ajoutèrent la peste et la famine, provoquent chez Héraclius un tel état de découragement, qu'en 619, il songe à abandonner l'Empire et à s'embarquer pour l'Afrique. Quatre-vingt-sept ans auparavant, pendant la sédition Nika (532), l'empereur Justinien, qui, succombant à une crise d'abattement, voulut abandonner la capitale en révolte, avait renoncé à son projet sur les instances de l'impératrice Théodora (p. 316—317). En 619, ce fut le patriarche Sergius qui, amenant Héraclius à venir prier dans l'église de Sainte-Sophie, l'y supplia d'abandonner son projet. Après avoir mis à sa disposition tous les trésors ecclésiastiques, Sergius fit jurer à l'empereur de ne pas déserter son poste. Se soumettant à la volonté du patriarche et du peuple, Héraclius, passant de l'abattement à l'enthousiasme, se décide, non seulement à rester au milieu de son peuple et de son Empire ruiné, mais encore à reprendre la guerre, à conduire lui-même son armée contre les Perses et à sauver l'Empire.

II. Relèvement et démembrement de l'Empire byzantin. Désorganisation et disparition de la Perse (622—640) 1. Eclaircie fugitive à Byzance (622—628). Reconquête des provinces orientales a. Première guerre de croisade chrétienne L'histoire classique considère l'expédition militaire entreprise, en 1096— 1099, par l'Europe chrétienne contre l'Orient musulman, comme la première des Croisades. En réalité, la guerre qu'Héraclius se prépare à mener contre les Perses est une véritable croisade et la première en date. Cette guerre est, en effet, différente de toutes celles que les empereurs de Byzance avaient déjà entreprises en Orient. Il ne s'agissait pas seulement, pour Héraclius, de repousser l'ennemi séculaire et de reprendre les provinces perdues, mais encore et surtout de châtier un ennemi païen, de reconquérir le Saint-Sépulcre et les lieux saints, et de reprendre la SainteCroix que les Perses, en 614, avaient enlevée et emportée à Ctésiphon. L'armée à laquelle sera confiée cette mission, et dont l'ardeur combattante est, de ce fait, décuplée, sera l'armée du Christ. «A défaut du sentiment national, bien faible encore, le sentiment religieux suscitait dans les âmes un universel enthousiasme. Les troupes chrétiennes, fanatisées, se mettaient en marche avec la joie sainte qui devait plus tard animer les Croisés.»1 Cette première croisade avant la lettre réunit toutes les conditions des luttes futures qui mettront plus tard aux prises, pendant près de deux siècles (1096—1291), l'Europe chrétienne et l'Orient musulman. Cinq siècles environ avant le pape Urbain II, promoteur de la première croisade contre les Seljûkides musulmans, le patriarche Sergius prêche la guerre sainte contre les Sassânides zoroastriens, et met à la disposition des combattants les trésors ecclésiastiques. Héraclius, par sa piété, son courage et le rôle qu'il s'était assigné, mérite d'être appelé «le premier des croisés». «Ce n'est pas sans raison que le chroniqueur Guillaume de Tyr commence son histoire des Croisades par le récit de la lutte de l'empereur d'Orient Héraclius contre le roi de Perse Khosroès Parvis. Dans une large fresque liminaire, il nous montre le grand roi sassanide envahissant en 614 la Terre Sainte, détruisant les églises et pillant le Saint-Sépulcre, puis Héra1

Bailly, op. cit., p. 128.

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clius, préfiguration de Godefroy de Bouillon, reconquérant la Syrie, reconquête dans laquelle notre auteur voit, en fait, la première des croisades (628). Au-dessus de ce grand duel il dresse, symbole et enjeu de la lutte, la Vraie Croix que nous retrouverons en 1098, aux journées d'Antioche.»2 b. Réaction antichrétienne en Perse. Guerres de «croisade» antérieures A la lutte religieuse proclamée par Héraclius, répond, en Perse, une réaction de même nature. Une véritable guerre de religion commence entre les deux Empires. Aux ouvertures de paix de l'empereur chrétien, le roi mazdéen répond par un manifeste qui était comme une déclaration de guerre au christianisme: «Tu prétends mettre ta confiance en Dieu; pourquoi donc n'a-t-il pas sauvé de mes mains Césarée, Jérusalem et Alexandrie? Est-ce que je ne pourrais point aussi détruire Constantinople? Ne te laisse point abuser par un vain espoir en ce Christ qui n'a pu se sauver lui-même des mains des Juifs quand ils le crucifiaient!»3 Déjà, au IVe siècle, sous les règnes des empereurs Constantin et Constance (323—361) et de leur contemporain le roi Shahpur II (309—379), le vieil antagonisme entre Gréco-Romains et Perses avait également, on l'a vu, revêtu la forme religieuse (p. 231 et 238). Plus haut encore dans le temps, lors des célèbres Guerres Médiques (492—466 av. J.-C.), les Grecs et les Perses s'étaient respectivement réclamés d'une mystique pseudoracique, qui prit la forme d'une véritable croisade (II, p. 317—318). c. Reconquête de l'Asie Mineure (622) Pour exciter l'indignation des fidèles, Héraclius fait lire publiquement, dans toute les églises, le manifeste de Khosrau II. De grandes cérémonies religieuses sont ensuite ordonnées, pour marquer d'un caractère de «croisade» la guerre décrétée contre les ennemis de la Chrétienté. Irrité luimême de la réponse de Khosrau, l'empereur est maintenant décidé, non seulement à repousser l'ennemi qui menace Constantinople et à reconquérir sur lui l'Anatolie, la Syrie et l'Egypte, occupées depuis 612, mais encore à porter ses armes sur le territoire des Perses, à y anéantir leurs forces et à entrer dans leur capitale. Ce plan audacieux est minutieusement préparé, et une alliance est conclue avec les populations chrétiennes du Caucase et avec les Khazars, peuple turc de la steppe russe. Au printemps de 622, Héraclius, après avoir confié au patriarche Sergius et au patrice Bonus le soin de défendre la capitale, s'embarque lui-même pour les côtes d'Asie Mineure. Débarquant en Cilicie, dans le 2 3

Grousset, Histoire des Croisades, I, «Introduction», p. I et II. Grousset, L'Empire du Levant, p. 85.

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golfe d'Alexandrette, il réunit les garnisons voisines, et, après leur avoir prêché la guerre sainte, il remonte vers le Nord. Une grande victoire qu'il remporte en Arménie, lui livre Chalcédoine, le Pont et la Cappadoce, que les Perses se hâtent d'évacuer (622). d. Héraclius en Arménie et en Médie (623—626) Rappelé en hâte à Constantinople menacée d'une invasion des Avars qui s'agitaient sur le Danube, Héraclius reprend, au printemps de 623, l'offensive en Asie Mineure. Débarquant à Trébizonde, il traverse l'Arménie, dont il occupe la capitale, pénètre en Médie et faillit surprendre Khosrau II dans sa résidence royale. Après avoir détruit le grand temple du feu sacré de Ganzaka (l'actuelle Tabriz), les Byzantins ravagent et pillent le pays et ramènent 50.000 prisonniers (623). En 624, Héraclius rentre en campagne. Pendant deux ans (624—625), il obtient des succès locaux, marqués par la retraite progressive de l'adversaire. Tandis qu'il préparait, pour 626, une grande expédition qui devait le conduire au cœur de la Perse, un grave danger, menaçant soudain Constantinople, détourne son attention de la Perse et l'oblige à suspendre provisoirement les opérations militaires en Asie. e. Constantinople repousse les Avars (626) L'absence prolongée d'Héraclius qui, parti de Constantinople depuis trois ans, s'attardait en Arménie et au pied du Caucase, avait encouragé Khosrau II à tenter une diversion en s'avançant jusqu'à Chalcédoine. Attiré dans son jeu et rompant le traité qui le liait avec l'empereur, le Khagan des Avars vint, de son côté, à la tête de ses hordes accourues de Hongrie, assiéger Constantinople. Repoussant tous les assauts, le patriarche Sergius, par son éloquence enflammée et les manifestations religieuses qu'il organisa, entretint la confiance chez les assiégés. La maîtrise de la mer, restée aux Byzantins, empêche une jonction des Avars et des Perses. Après un dernier assaut où les troupes et la flotte du Khagan furent écrasées, celui-ci, découragé, leva le siège et reprit le chemin de la Hongrie (626).

Cette délivrance miraculeuse de la capitale fut attribuée, par le peuple et même par les assiégeants, à la protection de la Vierge (la Théotokos), en l'honneur de laquelle Sergius composa un hymne d'action de grâces. Cet hymne fameux est encore aujourd'hui chanté dans la liturgie orthodoxe, lorsque, chaque année, l'Eglise grecque fête, le samedi de la cinquième semaine du carême, le souvenir de la délivrance miraculeuse de Constantinople en 626.

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f . Héraclius dans la région du Caucase L'action combinée des Avars et des Perses, probablement destinée à ramener Héraclius dans sa capitale, n'avait pas ému l'empereur, qui s'était contenté d'envoyer des renforts à la ville assiégée. Comptant sur le courage et l'énergie de Sergius, il alla lui-même chez les Géorgiens et les Khazars turcs de la région du Caucase. Recrutant des renforts chez les uns et attirant les autres dans son alliance, Héraclius, avec son armée et 40.000 nouveaux auxiliaires levés sur place, va porter la guerre au cœur de l'Empire perse. g. Grande victoire byzantine près de Ninive (627) En 627, tandis que les Khazars occupent l'Ibérie (Géorgie) et assiègent Tiflis, Héraclius, par une action foudroyante, traverse l'Arménie et, près des ruines de Ninive, détruit complètement l'armée de Khosrau. Marchant ensuite sur Ctésiphon, il s'empare de la résidence royale de Dastagerd, le Daskara des auteurs arabes, à 100 kilomètres de Ctésiphon, d'où Khosrau venait de s'enfuir. Un butin énorme y tombe entre les mains des Byzantins, ainsi que trois cents étendards romains jadis capturés par les Perses. L'empereur y trouva aussi des milliers de prisonniers et de chrétiens de Syrie, d'Asie Mineure et d'Egypte, qu'il délivre. Après avoir mis le feu au palais royal de Dastagerd, pour venger les grandes villes byzantines détruites par les Perses, Héraclius juge plus prudent de reposer ses troupes après ce raid foudroyant. Au printemps de 628, il franchit la chaîne du Zagros, en direction de l'Azerbaïdjan. h. Révolution en Perse. La paix de 628 A la suite de ce triomphe, une révolte générale éclate en Perse, organisée par le propre fils du roi: Shiroyé (Siroès: 628). Accusé d'incapacité, Khosrau II est enfermé dans une salle emplie d'or et d'objets précieux, où il mourut de faim et de soif. Héraclius réclame et obtient la restitution de la Croix, premier objectif de cette guerre, l'évacuation de la Syrie, de la Palestine et de l'Egypte occupées par les Perses, et la libération des prisonniers. De son côté, l'empereur s'engage à ne pas violer l'intégrité du territoire perse (628). i. Rentrée d'Héraclius à Constantinople (629) Dans une lettre triomphale, Héraclius annonce ces événements au peuple de Constantinople (628). En 629, il quitte l'Asie, après sept années de guerre, et rentre dans sa capitale, où il est reçu avec un enthousiasme délirant. Revenant ensuite à Hiérapolis (Menbidj), en Haute Syrie, il y reçoit la Vraie Croix, restituée par les Perses.

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j. Pèlerinage triomphal à Jérusalem (630) En 630, Héraclius, accompagné de sa femme, fait à Jérusalem un pèlerinage solennel. Portant lui-même la relique sacrée, il gravit le Calvaire, chargé de ce fardeau précieux qu'il remet à Zacharie, patriarche de Jérusalem. Devant un peuple immense, la Croix du Christ est replacée dans le sanctuaire qu'avaient profané les Infidèles. k.

Héraclius, Basileus ou Grand Roi

Après tant d'années d'angoisses, la monarchie byzantine est restaurée dans sa gloire et le succès de l'Empire, prodigieux. L'ennemi héréditaire est abattu et la Chrétienté sauvée et triomphante. Vainqueur du «Grand Roi», dont la gloire et la puissance avaient trop souvent éclipsé celles de l'empereur de Byzance, Héraclius, pour marquer son grand triomphe par un titre symbolique, prend officiellement et pour la première fois le titre de Basileus, mot grec qui, signifiant «Grand Roi», désignait jusque-là le puissant roi de Perse. Héraclius sera le Grand Roi, le seul Roi, titre qui sera désormais celui des empereurs de Byzance. La gloire d'Héraclius dépasse, à ce moment, celle de tous ses prédécesseurs, y compris Justinien. Sauveur de la Chrétienté et de l'Empire, il jouit d'un prestige incomparable. Tous les rois de la terre, en y comprenant l'empereur des Indes et le roi des Francs, Dagobert, lui témoignent leur admiration et lui demandent son amitié. I. Triomphe éphémère Malheureusement, comme nous l'avons très souvent vu dans les périodes antérieures, cette victoire et cette gloire d'Héraclius ne devaient pas longtemps prolonger leurs heureux effets. Ce redressement miraculeux n'était qu'une éclaircie fugitive. Les désastres vont bientôt suivre ce relèvement précaire; ils seront plus terribles qu'ils ne le furent jamais dans le passé. «En réalité Byzance victorieuse était aussi affaiblie que la Perse vaincue. Les deux grands empires civilisés, qui prétendaient se partager l'Orient, sortaient également épuisés de ce duel gigantesque de vingt-trois années, et cela quand l'union de toutes leurs forces n'eût pas été de trop contre le péril qui, pour tous deux, montait du désert: la révolte arabe.»4 2. La politique religieuse d'Héraclius Comme ses prédécesseurs, Héraclius eut, lui aussi, outre les angoissants problèmes extérieurs, des questions théologiques à régler et des querelles religieuses à arbitrer. 4

Grousset, L'Empire du Levant, p. 91.

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a. Le problème religieux Pour maintenir, à l'intérieur, l'ordre et la paix, Héraclius s'efforçait surtout d'assurer à l'Empire l'unité morale nécessaire à sa stabilité et à son existence. C'est de ce grand objectif que s'inspirera sa politique religieuse. Malheureusement, cette politique, intransigeante à l'égard des dissidents qui formaient la majorité des populations des provinces orientales, poussera ces dernières à se soustraire au joug de Byzance et à accueillir volontiers, comme elles le firent en 614, «tout envahisseur qui leur permettait de concevoir Dieu comme ils l'entendaient». Sous l'occupation perse, qui avait duré plus de douze ans (614—626), la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et l'Egypte, étaient passées aux mains des dissidents monophysites, qui avaient favorablement accueilli l'envahisseur. Les évêques orthodoxes avaient presque partout disparu; les titulaires des sièges patriarcaux d'Antioche, d'Alexandrie et d'Arménie étaient monophysites. Le retour à l'Empire orthodoxe de ces provinces dissidentes et inquiètes, posait à Héraclius un problème très grave. b. Le monothélisme, formule de compromis Pour gagner les provinces orientales et arrêter leurs mouvements séparatistes, il ne s'agissait plus, comme jadis, de leur imposer l'orthodoxie par la force, mais plutôt de trouver, entre l'orthodoxie et le monophysisme, un principe d'entente, une formule de conciliation. De là naquit le monothélisme ou la formule de l'unique volonté. Destinée à fondre les deux partis opposés dans une nouvelle doctrine qui les absorberait et unifierait la Chrétienté, le monothélisme, comme en 482 l'édit d'union ou Henoticon, ne réussira qu'à créer un troisième parti: celui des monothélites. c. Le monothélisme accepté dans l'Empire (623—633) Dès 616, le patriarche de Constantinople Sergius avait cru trouver la formule magique susceptible de ramener les dissidents. Sa doctrine de l'unique volonté ou «l'énergie unique» pouvait être acceptée par les monophysites, puisqu'elle s'ajustait à leur doctrine de la nature divine de JésusChrist, et par les orthodoxes, puisqu'elle s'ajoutait, sans les altérer, aux deux natures conjointes dans la personne du Christ. Enthousiasmé par cette ingénieuse formule, Héraclius, dès 623, la propose à plusieurs évêques qui l'acceptent. En 629, le patriarche monophysite d'Antioche, Athanase, et, en 630, le catholicos arménien et ses évêques approuvent la profession de foi impériale. En 631, l'évêque Cyrus, nommé patriarche d'Alexandrie, est envoyé en Egypte, investi de pouvoirs politiques extraordinaires. Cyrus réussit dans sa mission et, en 633, l'Egypte, la Thébaïde et la Libye acceptent la doctrine de l'énergie unique.

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Enfin, Sergius expose la doctrine au pape Honorius, qui l'approuve. Par cette réconciliation générale, l'empereur avait rétabli la paix et l'unité religieuse dans l'Empire. d. Les monophysites d'Orient rejettent le monothélisme (634) Malheureusement, cette union et cette paix religieuses n'étaient que de surface; elles ne devaient durer qu'un an. Ni les monophysites, ni les orthodoxes intransigeants n'étaient satisfaits. Le feu couvait sous la cendre lorsqu'en 634, Sophronius, élu patriarche de Jérusalem, remet en question l'union obtenue, en proclamant que le monothélisme n'était qu'une hérésie. A Alexandrie, les monophysites rejettent la formule monothélite qu'ils avaient acceptée et réclament la condamnation officielle du Concile de Chalcédoine. Pour dompter cette opposition, l'Eglise orthodoxe et l'Empire en revinrent aux vieilles méthodes d'intimidation et de persécution. En même temps, un document appelé l'Ecthésis, préparé en 634 et publié en 638 au nom de l'empereur, proclamait la volonté unique, tout en affirmant l'union des deux natures en Jésus-Christ. Ce document, que le patriarche Cyrus fit accepter à Alexandrie, ne réussit pas à contenir la violence des opposants. Enfin, le pape de Rome refuse d'accepter l'Ecthésis et condamne, dans un synode romain, la doctrine qui y est exprimée (640).

3. La Syrie et l'Egypte se livrent aux Arabes (634—642) Tandis qu'entre Constantinople et Rome un long conflit, qui durera quarante ans (640—680), commence au sujet de l'Ecthésis, ce document est désormais sans valeur dans les provinces orientales. Exaspérées par les autorités byzantines, la Syrie, la Palestine et l'Egypte se sont déjà délibérément livrées aux Arabes qui viennent de franchir leurs frontières (634-642). a. Les Arabes en Syrie, Palestine, Egypte Ainsi, au lieu de l'union rêvée, Constantinople, par la lutte qu'elle ordonna contre la dissidence religieuse, «hâta le détachement politique des provinces orientales de la monarchie». La politique religieuse d'Héraclius, par sa maladroite brutalité, avait poussé les populations de Syrie et d'Egypte, depuis longtemps inclinées à se détacher de l'Empire, à se jeter dans les bras de nouveaux conquérants. «L'empire n'était plus en mesure, après l'effort qu'il venait de soutenir (contre les Perses), de supporter une nouvelle guerre. Les envahisseurs

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(arabes) purent, sans grande peine, sans avoir à livrer de bataille sérieuse, développer peu à peu leurs conquêtes. En 636, ils occupaient la Syrie; en 638, après avoir subi un siège de deux ans, Jérusalem capitula; la Sainte Croix avait pu être enlevée et transportée à Constantinople. L'Egypte passa sous la domination des nouveaux maîtres entre 640 et 650. Tout ce que la volonté et la ténacité d'Héraclius avaient repris aux Perses était à nouveau arraché à l'empire.»5 b. Les Arabes accueillis comme des libérateurs Par haine de Byzance, assimilée à l'orthodoxie qu'elle protégeait et imposait par la force, les dissidents de Syrie et d'Egypte, nombreux et puissants, ont accueilli comme des libérateurs les Arabes musulmans, de même qu'en 614, et pour les mêmes motifs, ils avaient acclamé l'invasion des Perses mazdéens. «Ce ne fut pas, écrira plus tard Michel le Syrien, un léger avantage pour nous d'être délivrés de la cruauté des Romains, de leur méchanceté, de leur colère, de leur cruelle jalousie, et de nous trouver en repos.»6 De nombreux autres témoignages de ce genre attestent la joie enthousiaste des Syriens et des Egyptiens de se voir délivrés par les Arabes du joug détesté de Byzance. Un autre document nous montre, en même temps que la jubilation des jacobites syriens à l'occasion de la conquête arabe, leurs griefs contre les Maronites, chalcédoniens de Coelé-Syrie, qui les avaient persécutés. Ces derniers qui, en 517, avaient eu 350 moines massacrés et divers couvents brûlés par les monophysites (p. 331—332), semblent, par la suite, avoir pris leur revanche. «Les moines de Bet Maron (maronites), de Mabbourg (actuellement Menbidj) et d'Emèse (Homs), écrit Barhebroeus, maphrien (métropolite) jacobite de l'Orient, «montrèrent leur méchanceté et pillèrent nombre d'églises et de monastères. Les nôtres s'en plaignirent à Héraclius qui ne leur répondit pas. C'est pourquoi, le Dieu des vengeances nous délivra par les Ismaélites (les Arabes) des mains des Romains. Nos églises, il est vrai, ne nous furent point rendues, les Arabes conquérants ayant laissé à chaque confession ce qu'ils avaient trouvé en sa possession. Mais ce ne fut pas un léger avantage pour nous que d'être affranchis de la méchanceté des Romains et de leur haine cruelle envers nous.»7 En Egypte, les monophysites semblent avoir poussé leur haine contre Byzance jusqu'à faciliter l'invasion et l'établissement des Musulmans dans leur pays. Ils auraient même prêté leur assistance aux envahisseurs arabes, s

Bailly, op. cit., p. 136. Diehl et Marçais, op. cit., p. 157. ' Cité par Mgr P. Dib, L'Eglise Maronite,

6

p. 55.

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en guidant leur marche à travers le Delta. Ce qui est certain, en tout cas, c'est que Benjamin, patriarche jacobite d'Egypte, exilé par Cyrus, patriarche orthodoxe et véritable vice-empereur, enjoignit à ses coreligionnaires, qui représentaient l'Egypte indigène et nationale, de faire bon accueil aux nouveaux envahisseurs. En contrepartie, le général arabe Amr ibn el As, conquérant de l'Egypte, fit rendre aux monophysites égyptiens leurs églises et les propriétés qui en dépendaient, et combla d'égards leur patriarche Benjamin, qui fut rappelé et réinstallé à Alexandrie. Ainsi, tant en Syrie qu'en Egypte, les Arabes musulmans en 634—642, de même que les Perses mazdéens en 612—614, sont accueillis comme des libérateurs. Opprimés depuis des siècles, trop faibles pour se libérer euxmêmes, les peuples de ces deux contrées se réjouissent de la défaite des Gréco-Byzantins et acclament ceux qui les ont vaincus. Ils «regardent l'humiliation de leurs anciens maîtres comme une fortune pour eux». Cette réaction indigène n'est pas pour nous surprendre. En 330 av. J.-C., ces mêmes pays, qui applaudissent maintenant à la défaite des GrécoByzantins honnis, avaient acclamé les Gréco-Macédoniens d'Alexandre le Grand, qui les avaient délivrés du joug détesté des Perses Achéménides. Sous la domination des Gréco-Macédoniens, ils souhaitèrent, de nouveau, un autre libérateur, qui fut le Romain, puis le Perse. Montesquieu constate, en effet, que sous l'hégémonie hellénistique, les peuples de Syrie et d'Egypte «n'avaient point cet esprit d'indépendance qui nous porte à secouer le joug, mais cette impatience qui nous fait désirer de changer de maître».8 c.

Faiblesse

des armées

byzantines

Outre la politique religieuse et la tyrannie fiscale, qui créaient un terrain favorable à la conquête musulmane, les armées d'Héraclius étaient insuffisantes et les finances en désarroi. Le temps avait manqué à l'empereur, après la longue et coûteuse guerre contre les Perses, pour relever les forces militaires de l'Empire. Se sentant mal défendues, les populations orientales, indifférentes au sort de l'Empire, s'empressaient de passer du côté du vainqueur. L'armée gréco-byzantine est formée, dans sa grande masse, d'éléments locaux, syriens en Syrie et égyptiens en Egypte. Si les officiers supérieurs sont de nationalité grecque, les soldats et les officiers subalternes sont des indigènes, indifférents à la cause qu'ils défendent, et, très souvent, partisans ou sympathisants de celle des envahisseurs. Comparable à une milice nationale, cette armée n'était d'ailleurs pas faite pour la guerre. Son rôle 8 Montesquieu, Considérations décadence, p. 28, 29.

sur les causes de la grandeur des Romains

eî de leur

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principal était de combattre le brigandage, de réduire les dissidences religieuses et surtout de coopérer à la perception des impôts. Il est très probable que, si les populations autochtones de Syrie et d'Egypte avaient coopéré avec les Byzantins pour défendre leurs propres pays, l'expansion des Arabes aurait pu être arrêtée, ou tout au moins retardée. Cette hypothèse est d'autant plus vraisemblable que le nombre de ces nouveaux envahisseurs était relativement peu important. Rappelons qu'Alexandre le Grand, avec seulement 40.000 hommes, avait conquis, sur les Perses Achéménides, toute l'Asie occidentale et l'Egypte, dont les populations étaient heureuses de se débarrasser de leurs anciens maîtres (II, p. 359-372). Outre la Syrie et l'Egypte, les Byzantins perdront encore, au cours du Vile siècle, l'Afrique du Nord, Chypre, Rhodes, la Crète, la Sicile, enlevées par les Arabes. En Occident, les possessions byzantines seront occupées par les Barbares, à l'exception de l'Italie méridionale où l'élément hellénique était prépondérant. Dans la péninsule balkanique, la physionomie ethnique est modifiée par l'installation des Slaves et la formation d'un Etat bulgare. Ainsi, l'Empire romain d'Orient, reconstitué par Justinien au Vie siècle, est amputé de toutes parts au Vile siècle. «Ce qu'il en reste . . . se recroqueville en Anatolie et dans les Balkans, autour de Constantinople: à l'Empire romain succède, aux alentours de 700, un Empire byzantin; sous l'antique décor universaliste, c'est un particularisme qui dès lors s'organise.»9 d. L'Empire byzantin, Etat gréco-anatolien A partir de 640, nous entrons dans la troisième période de l'histoire de l'Empire fondé jadis par le peuple de Rome et qui porte encore le nom d'Empire romain. La première période, qui va de l'avènement d'Auguste à celui de Dioclétien (30 av. J.-C.—285 ap. J.-C.), est celle de l'Empire romain universel, dont le centre est la ville de Rome, et l'Italie, l'épine dorsale. La seconde période (285—640) est celle de l'Empire gréco-oriental de Nicomédie, puis de Byzance, qui, bien qu'officiellement appelé Empire romain d'Orient, n'avait, en fait, de romain que le nom, ainsi que la langue latine, employée, cumulativement avec le grec, comme langue officielle. La troisième période, qui s'étend de l'expansion de l'Islâm à la prise de Constantinople par les Turcs (640—1453), est celle que nous aurons bientôt à aborder. Pendant cette période, Byzance, héritière de Rome, continuera son duel séculaire avec l'Orient continental, représenté par les • A. Dufourcq, «Histoire de l'Eglisce», Gr. Mem. Larousse, I, p. 445.

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ONZIÈME PÉRIODE:

285—640

Arabes qui succéderont aux Iraniens, puis par les Turcs qui relaieront les Arabes. D'autre part, l'ancien Empire gréco-oriental de Byzance, territorialement réduit, se transformera en un Empire régional, en un Etat grécoégéen ou gréco-anatolien, qui sera l'Empire byzantin proprement dit, prédécesseur lointain de l'actuelle République turque.

4. Transformation générale de l'Empire de Byzance après 640 Géographiquement réduit à la région naturelle du monde égéen, c'est-àdire à l'Asie Mineure, à l'Egée et à la Grèce, l'Empire byzantin, après 640, subit, dans tous les domaines, une transformation générale. Au point de vue économique, la perte de la Syrie et de l'Egypte a enlevé à Byzance les ports d'Antioche, de Beyrouth et d'Alexandrie, qui, depuis des siècles, étaient les plus prospères de la Méditerranée orientale; elle l'a privée aussi des industries de Syrie et du blé de la Vallée du Nil. En outre, la civilisation byzantine, jusqu'alors gréco-orientale, c'est-à-dire grécosyrienne et gréco-alexandrine, se ressent de cette modification géographique et économique, et sera désormais presqu'exclusivement hellénique. D'autre part, la slavisation massive de la Grèce, en modifiant le caractère ethnique de cette région, concentrera l'Empire grec de Byzance dans sa partie la plus hellénique, c'est-à-dire à Constantinople et en Asie Mineure, qui forment aujourd'hui le territoire de la République turque. a. Homogénéité du nouvel Empire byzantin Mais en revanche, ce nouvel Empire byzantin ou plus exactement grécoanatolien, constitué, pour la plus grande part, de populations grecques et de régions où prédomine l'élément hellénique, possédera, outre l'unité géographique, une plus grande homogénéité ethnique, culturelle et religieuse. Il connaîtra, par suite, une cohésion organique et une unité morale, dont l'absence avait été, jusqu'alors, la grande infirmité de l'Empire grécooriental. La langue grecque, idiome dominant des populations égéo-anatoliennes, triomphe définitivement du latin officiel, qui disparaît complètement. Elle devient la seule langue officielle de la législation, de l'administration, de l'armée et du commandement. Les titres des fonctionnaires s'hellénisent, de même que celui de la dignité impériale: basileus. b. Unité religieuse Dans le domaine de la religion, l'homogénéité géographique et culturelle

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de l'Empire lui assurera désormais l'unité religieuse, que tous les successeurs de Constantin avaient jusqu'alors vainement cherché à réaliser. «En perdant les provinces monophysites, l'empire perdait du moins les opposants les plus obstinés à toute politique de conciliation. La conséquence en est immédiate: au concile de Constantinople de 681, Constantin IV fit condamner le monothélisme et restaurer l'orthodoxie. Une autre source de querelles disparaît en même temps: les rivalités entre le patriarcat de Constantinople d'une part, ceux d'Alexandrie, de Jérusalem et d'Antioche de l'autre. Toute l'orthodoxie orientale est désormais étroitement groupée autour du patriarche de Constantinople, qui prend une importance d'autant plus g r a n d e . . . On a pu dire que désormais, et pour toute l'histoire de Byzance, la notion d'orthodoxie et celle de nationalité se confondent.»10 c. L'Empire byzantin de 700, ancêtre géographique de la République turque contemporaine C'est sous cette forme nouvelle, mieux proportionnée à ses forces et à ses possibilités nouvelles, que l'ancien Empire gréco-oriental, devenu un Empire gréco-anatolien, poursuivra désormais son évolution historique. Ramassé sur lui-même, cet Empire régional, axé sur l'Asie Mineure et concentré autour de Constantinople, se prolongera encore pendant près de huit siècles (640-1453). La transformation de l'Empire gréco-oriental de Byzance en un Etat régional gréco-anatolien, préfigure celle de son futur successeur, l'Empire turco-ottoman des temps modernes. Démembré après la guerre mondiale de 1914—1918, l'Empire des Sultans-Califes, territorialement réduit à l'Asie Mineure, se «recroquevillera», lui aussi, autour d'Istanbul (Constantinople) et d'Ankara (Ancyre). Transformé en un Etat turco-anatolien, qui est la République turque contemporaine, il forme, comme l'Empire byzantin après 640, un Etat régional, moins vaste que l'immense Empire dont il a procédé, mais géographiquement plus homogène et ethniquement plus organique et plus solide. 5. Désagrégation et disparition de l'Empire perse a. Epuisement de la Perse après sa défaite de 628 Nous avons vu Byzance, après sa victoire de 628 sur Khosrau II, sortir épuisée d'une longue lutte qui a abouti à cette victoire. De son côté, la Perse, vaincue et ruinée, entra alors dans une période de désorganisation et de déclin que les conquêtes arabes vont précipiter (p. 370). 88

P. Lemerle, Histoire de Byzance, p. 74.

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ONZIÈME PÉRIODE:

285—640

Après la défaite de Khosrau (628), «la population mâle du pays perse, tenue de fournir les effectifs militaires nécessaires, ne put y suffire sans subir un appauvrissement en hommes; ces pertes marquèrent le début d'une de ces crises d'anémie qui frappent les peuples après chaque effort disproportionné, les terrassent au moment même où ils remportent des succès et les abandonnent vaincus entre les mains de l'ennemi.»11 b. Désorganisation de l'Empire perse Dès 628, on l'a vu (p. 369), Khosrau II, humilié et discrédité par la défaite que venait de lui infliger Héraclius, est déposé et mis à mort par son fils Shiroyé (Siroès), né de son mariage avec la princesse byzantine Maria. Cette révolution de palais et les conséquences de la défaite avaient déchaîné dans le pays les ambitions des féodaux et celle des généraux. Et comme tous les malheurs arrivent presque toujours ensemble, le Tigre et l'Euphrate débordent, couvrant l'Irak et le convertissant en un vaste marais. La peste, qui se joignit à ces catastrophes, enlève Shiroyé après six mois de règne (628). De la mort de Khosrau II à l'avènement de Yezdegerd III, dernier prince de la dynastie, soit pendant quatre ans (628—632), une douzaine de personnes ceignirent la tiare royale. A défaut de princes sassânides, on met des princesses sur le trône. Les grands chefs de l'armée cherchent également à s'emparer de la couronne. «L'empire, dont l'organisation militaire avait fait ses preuves, se décomposait du fait même de cette armée dont les généraux, gouverneurs de provinces, considéraient celles-ci comme leur propre fief. Le tableau rappelle étonnamment l'état de l'Empire sous les derniers Achéménides avec la domination des satrapes. L'Empire s'effritait et se transformait en un ensemble de petits Etats que les historiens arabes énumèrent avec précision.»12 C'est cette désorganisation de l'Empire perse, bien plus que sa défaite de 628, qui a permis aux Arabes de remporter les succès militaires qui leur ouvriront le monde iranien. c. La Perse envahie par les Arabes (636—642) Moins heureux que l'Empire byzantin, qui n'a été que rejeté derrière le Taurus, l'Empire perse sassânide, désorganisé et chancelant, s'effondrera tout entier devant la marée arabo-islamique, comme jadis l'Empire perse achéménide s'était écroulé devant la ruée gréco-macédonienne d'Alexandre le Grand (II, p. 359-372). 11 12

Ghirshman, op. cit., p. 276. Ghirshman, op. cit., p. 277.

BYZANCE SE RETOURNE VERS L'ORIENT

379

La victoire que la tribu arabe des Banou Bakr avait remportée, en 611, sur les Perses, à Dhou-Qâr, dans la région de Kûfa (p. 347), avait certainement encouragé les Arabes de l'Islâm, en leur montrant que les armées perses n'étaient pas invincibles pour les Arabes. «Et il est à noter que ce furent les Bekr ben Wâïl, vainqueurs dans ce combat (Dhou-Qâr), qui induisirent les Musulmans à la conquête de la Perse.»13 En 635, une bataille décisive livrée à Kadisiya, au sud de Kerbela, anéantit l'armée perse qu'on avait tant bien que mal réunie. L'année suivante (636), Ctésiphon est prise avec ses immenses trésors. En 642, une nouvelle armée perse est détruite sur le plateau iranien, au sud de Hamadân. d.

L'Empire

perse effacé de la carte

De même que, jadis (331 av. J.-C.), Darius III, dernier roi achéménide, vaincu par Alexandre le Grand, s'était enfui vers le Nord où il fut tué par un personnage de sa suite (II, p. 370), de même Yezdegerd III, dernier roi sassânide, vaincu par les Arabes, s'enfuit vers l'Est où il est assassiné par un meunier qui l'avait hébergé (651). De même aussi que l'Empire perse achéménide, détruit par Alexandre, fut transformé en plusieurs provinces gréco-macédoniennes, qui adoptèrent la langue et la culture helléniques, de même l'Empire perse sassânide, détruit par les armées du Calife, formera un ensemble de provinces arabes, qui adopteront la langue et la religion des nouveaux conquérants. Enfin, sous les Arabes, comme aussi sous les Gréco-Macédoniens, l'Iran, qui disparaît temporairement comme Etat indépendant, survivra comme entité nationale, gage de la résurrection future de sa souveraineté politique et de sa personnalité internationale.

11

Cl. Huart, op. cit., p. 222.

E Les civilisations de l'Orient gréco-romain, byzantin et perse (IVe, Ye et Vie siècles)

I. La civilisation de l'Orient gréco-romain et byzantin

1. Sous le Bas-Empire romain (IVe siècle) La crise économique et sociale provoquée par la grande anarchie politique et militaire du Ille siècle, continue à produire ses effets tout au long du IVe siècle. En dépit des efforts et des réformes de Dioclétien et de Constantin, l'Empire gréco-romain, y compris l'Orient, continue à souffrir des conséquences de l'appauvrissement des provinces et de la dépopulation des campagnes (p. 192—193). a. Corruption et vénalité de l'administration Le système administratif de Dioclétien, continué par Constantin, en faisant de l'empereur un être sacro-saint et isolé de ses sujets, ne fit qu'aggraver et multiplier les maux dont l'Empire souffrait. Soumis à une surveillance attentive, qui aboutit à un véritable espionnage, les agents du pouvoir furent réduits à trembler devant des subalternes, et leur initiative est paralysée. «Encore si ce monde de surveillance eût été honnête! Là était la plaie. Sans doute, la corruption, la vénalité sont de tous les temps, mais jamais, on peut le dire, elles ne se sont étalées avec ce cynisme ni donné plus libre carrière. . . On partageait pour n'avoir pas à se d é n o n c e r . . . La bonne volonté des empereurs était impuissante. Le système de Dioclétien avait élevé un mur entre eux et leurs sujets. A travers l'opposition des intéressés et l'obstruction des amis qu'ils se ménageaient à la cour, la vérité perçait difficilement... En 377, la députation de la Cyrénaïque, sous la conduite du fameux orateur Synesius, dut faire antichambre trois ans . . . La mauvaise administration pesait sur les populations d'un poids d'autant plus lourd que la situation économique de l'empire était plus critique.»1 b. Dépopulation de l'Empire La dépopulation, qui avait commencé dès le premier siècle, était devenue très sensible au IVe siècle. De vastes étendues de terres sont devenues improductives, faute de travailleurs; des barbares sont établis sur les terres incultes, pour les mettre en valeur. «Tout l'Orient était en pleine décrois8

G. Bloch, op. cit., p. 249, 250, 251.

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ONZIÈME PÉRIODE:

285—640

sance, mais nulle part le désastre n'était aussi effrayant qu'en G r è c e . . . Plutarque, qui d'ailleurs ne limite pas le mal à sa patrie et le considère comme universel, nous dit que c'est à peine si la Grèce aurait pu de son temps lever 3000 hoplites, juste autant que la seule cité de Mégare en avait envoyés à Platée»,2 en 480 av. J.-C. De grandes villes en Asie Mineure, en Syrie, à Chypre, n'existaient plus que de nom. Seule «l'Egypte, grâce à sa merveilleuse fécondité, faisait contraste avec les autres provinces» (Bloch). c. Renaissance

du féodalisme

terrien

Les guerres civiles et les invasions avaient accumulé de vastes et nombreuses ruines. Les échanges coupés, le travail suspendu dans les campagnes dévastées ou dans les villes assiégées ou mises au pillage, avaient appauvri les populations. Des bandes de vagabonds, transformés en brigands, désolent les routes et les campagnes. Les grandes constructions continuent à Constantinople, mais elles sont arrêtées dans les provinces. Le féodalisme renaît sous la forme d'une aristocratie terrienne: les populations des campagnes se font les sujets d'un particulier et non plus de l'Etat. d.

Crise

monétaire

Une crise monétaire, produit de la crise économique, désorganise la vie sociale. Le ralentissement dans l'exploitation des métaux fins et l'exportation de l'or pour les achats de luxe, ont pour effet la raréfaction des métaux précieux. Le malheur était qu'il n'y avait pas moyen de remédier à cette situation. «L'Etat moderne a le crédit chez ses nationaux ou au dehors. L'Etat romain n'empruntait pas et, d'ailleurs, comment l'eût-il pu? Il n'avait que des voisins pauvres ou ennemis, et à l'intérieur, il n'existait rien de semblable à ces grandes sociétés financières qui, chez nous, en cas de besoin, viennent en aide au Trésor... La forme essentielle de la richesse était la richesse foncière, auprès de laquelle la richesse mobilière comptait pour peu de chose.»3 e.

Vie

intellectuelle

Cependant, l'effort de restauration générale, qui, appuyé et secondé par l'autorité publique, s'effectue dans tous les domaines, est suivi, au IVe siècle, par une renaissance de la civilisation. La grande université de Constantinople, fondée par Constantin, est 2 3

Bloch, op. cit., p. 252, 253. Bloch, op. cit., p. 254, 255.

LES CIVILISATIONS DE L'ORIENT GRÉCO-ROMAIN, BYZANTIN ET PERSE 3 8 5

dotée de nombreuses chaires. La poésie latine renaît. Un seul historien, Ammien Marcellin, d'Antioche, auteur d'une Histoire romaine de Nerva à Valens, est, pendant cette longue période, le seul historien véritablement digne de ce nom. L'éloquence ou rhétorique se survit sous la forme officielle des Panégyriques. «La littérature de langue grecque, malgré le réveil des nationalismes orientaux, iranien et palmyrénien, entre autres, avait cependant, grâce à son passé de civilisation plus lointain et plus riche, grâce aussi à son caractère d'universalité et d'humanité tout nouveau, eu moins à souffrir que l'Occident de la crise du Ille siècle. Aussi le mouvement intellectuel se continue-t-il vivace en Orient et sans cette coupure brutale, sans cette vaste zone de désolation dont la littérature latine offre l'exemple. La poésie épique refleurit avec Nonnus et Quintus de Smyrne... Le roman donne l'essor à des œuvres originales intéressantes . . . Mais, en Orient, la faveur de la pensée profane contemporaine va surtout, comme par le passé, à la rhétorique et à la philosophie. Athènes, Constantinople, l'Asie Mineure, la Syrie, l'Egypte ont leurs florissantes écoles de rhéteurs et les maîtres qui y enseignent jouissent d'un renom universel... Le mouvement philosophique, enfin, sous la forme dominante du néoplatonisme, s'incarne dans les œuvres de Julien... etdeProclus,... le dernier représentant notoire de l'illustre école d'Alexandrie.»4 Dans la littérature, comme dans l'art, la forme masque trop souvent l'indigence de la pensée et l'absence de l'âme et de la vie. La langue latine achève de conquérir la Gaule et l'Afrique. La littérature chrétienne et l'architecture sont les seuls éléments vivants et originaux de cette époque de décadence. / . La littérature

chrétienne

«En Orient, où, en raison du génie national lui-même, porté à la subtilité et à la casuistique, les luttes religieuses trouvent un terrain favorable entre tous, où, par suite de ces conditions spéciales, la lutte contre l'hérésie va revêtir une forme particulièrement violente, l'orthodoxie voit se lever pour sa défense toute une pléiade d'ardents champions. La galerie s'ouvre dans la première moitié du IVe siècle par saint Athanase (v. 296—373), un Egyptien d'Alexandrie, l'âme de l'Eglise d'Egypte et l'adversaire implacable de l'hérésiarque Arius. Puis ce sont saint Grégoire de Naziance (328-389), un Asiatique de Cappadoce,... saint Basile (329-379), évêque de Césarée,. . . saint Grégoire de Nysse, son frère, et enfin le plus célèbre des Pères de l'Eglise orientale, le Cicéron de l'Orient, saint Jean Chrysostome (v. 345—407),.. . évêque de Constantinople . . . L'histoire 4

L. Homo, La Civilisation

romaine, p. 404.

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enfin, avec Eusèbe de Césarée (v. 260—338) et ses continuateurs . . ., joue son rôle, et un rôle considérable, dans cette œuvre ardente, d'apologie et de polémique chrétienne.»5 g.

L'architecture

«L'architecture du IVe et du Ve siècle affecte surtout trois formes originales, en relation directe avec les trois grands faits qui dominent la vie politique et sociale du monde romain pendant cette période: la monarchie à l'orientale, le christianisme, la défense nationale. Ces trois faits trouvent leur expression dans une triple manifestation architecturale: le palais, la basilique, la fortification.»6 Sous le Bas-Empire, le Palais de Salone, construit par Dioclétien, témoigne de la renaissance artistique. La basilique chrétienne et la basilique voûtée remplacent les basiliques romaines du Haut-Empire, restées conformes aux règles de l'architecture grecque. h. L'architecture militaire «Les villes, qui ont perdu leur foi séculaire dans la vertu magique de la paix romaine, s'entourent de murailles fortifiées. Reléguée jusque-là dans la zone des frontières, l'architecture militaire prend désormais, au sein du monde romain tout entier, un essor nouveau et puissant. En Europe, en Asie, en Afrique, toutes les provinces, l'Italie et jusqu'aux capitales elles-mêmes, Rome d'abord, Constantinople ensuite, se voient entraînées dans ce mouvement général, dont la loi implacable du salut public dicte souverainement la nécessité. . . Citons seulement, à titre d'exemples,.. . en Orient, Chalcédoine, Nicomédie, Nicée, Cyzique, Lampsaque, Tarse, Séleucie, Antioche; en Egypte, Alexandrie. . . . Quelques-unes de ces enceintes, en tout ou en partie, témoignent, dans leurs vestiges conservés, d'un travail méthodique et effectué à loisir.»7 /. Naissance des idées démocratiques modernes La ruine de la civilisation antique, provoquée par les crises du Ille siècle, a surtout été précipitée par l'ascension du christianisme, qui lui donna le coup de grâce au IVe siècle. «A l'époque dont nous parlons (sous Dioclétien, 285—306), le christianisme avait déjà porté, dans le domaine idéal, un coup mortel à l'organisation artistocratique de la civilisation antique, en affirmant que tous les hommes, étant tous fils du même Dieu, sont tous égaux devant lui. La doc6 L. Homo, La civilisation romaine, p. 415, 416. « L. Homo, La civilisation romaine, p. 417. 7 L. Homo, La civilisation romaine, p. 420, 421.

LES CIVILISATIONS DE L'ORIENT GRÉCO-ROMAIN, BYZANTIN ET PERSE 3 8 7

trine de l'égalité morale des hommes avait été déjà énoncée par quelques grands philosophes de l'antiquité; mais seul le christianisme réussit à la faire pénétrer dans la conscience universelle, en détruisant ainsi jusqu'en ses fondements le véritable gouvernement aristocratique, et créant la démocratie moderne. Dès que le principe selon lequel les hommes seraient moralement non égaux, mais inégaux, fut détruit dans la conscience des masses, l'aristocratie put être encore une convention sociale . . . ; elle cessa d'être une forme organique et presque sacrée de la société civile, comme elle l'avait été dans l'antiquité.»8

2. La civilisation de l'Orient (Ve et Vie siècles)

byzantin

Au Ve siècle, le monde gréco-égéen, groupé autour de Byzance, élabore ce qu'on appelle le monde byzantin. Au cours du Vie siècle, ce monde byzantin donne naissance à une civilisation gréco-orientale, c'est-à-dire gréco-syrienne et gréco-alexandrine, dont le siècle de Justinien représente l'âge classique. «Le paganisme asiatique et la spiritualité grecque se pénètrent, se mêlent, s'adaptent en des formes neuves, à la gloire du Christ, et à celle de l'empereur, véritable représentant de Dieu sur la terre.» «Cette culture gréco-byzantine différait beaucoup de la culture grecque antique. S'affranchissant de la domination romaine, elle reprend son développement normal; elle n'a sans doute pas la vertu romaine, elle n'en a pas non plus la vulgarité. Mais quelque chose de sénile apparaît déjà en elle: elle fait collection de vieux maîtres, s'enflamme dans la lutte des partis et déteste toute nouveauté. Pour tout art, l'architecture; pour toute science: amasser de l'argent et faire jouer le mécanisme de la loi.»9 a. Constantinople,

grand centre

intellectuel

Au Vie siècle, comme à toutes les époques de l'histoire de Byzance, c'est la littérature historique qui occupe la première place dans le domaine des lettres. Justinien, qui encourage les historiens, voit en eux un moyen d'éterniser sa gloire. Avec l'histoire, la théologie a aussi occupé la pensée byzantine, et Justinien lui-même s'est essayé dans cette branche du savoir humain. La poésie profane a peu de valeur littéraire; mais la poésie religieuse a laissé des chefs-d'œuvre. Quant à la philosophie, cette fille de la Grèce, elle semble agoniser, avec le monde gréco-païen, devant la montée du monde 8 Ferrero, La ruine de la civilisation antique, p. 121, 122. • G. Young, Constantinople, p. 50, 51.

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ONZIÈME PÉRIODE:

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byzantin et chrétien. Dépassant Alexandrie, Antioche et Athènes, Constantinople, au Vie siècle, devient le grand centre intellectuel de l'époque. b. Contribution de la Syrie «Mais il est remarquable que, dans ce puissant mouvement des esprits, c'est l'Orient, celui de Syrie en particulier, qui tient la plus large place et fournit la contribution la plus remarquable. Non seulement le Vie siècle marque vraiment l'apogée de la littérature syriaque, avec des écrivains . . . , des historiens . .., des prédicateurs . . . Mais, parmi les écrivains grecs, beaucoup, et les plus illustres, sont originaires de Syrie;... les juristes éminents du temps . . . sont presque tous des professeurs de l'école de Béryte; beaucoup des écrivains ecclésiastiques de l'époque. . . appartiennent aux provinces syriennes. On sait l'activité intellectuelle des écoles fameuses d'Antioche, d'Edesse et de Nisibe. Et pareillement, dans le domaine de l'art, la Syrie, au Vie siècle comme au Ve, devait exercer une influence profonde sur le développement de l'art byzantin.»10 Dans l'histoire de l'art gréco-oriental ou byzantin, la Syrie a substitué la pierre à la brique des Romains et des Byzantins. C'est en Syrie, du Ile au Vile siècles, que la basilique romaine se transforme en église chrétienne et que naissent les églises à coupoles. La décoration sculpturale remplace l'ornementation en marqueterie de marbre ou en mosaïque. Les premières mosquées seront bâties sur le modèle des constructions syriennes, dont le type s'est perpétué jusqu'à nos jours: édifices à terrasses sur arcades. c. L'art byzantin, art gréco-oriental et chrétien Dans les constructions, les architectes font preuve d'un esprit d'invention, d'une ingéniosité et d'une maîtrise merveilleuses. La décoration des édifices est magnifique; les mosaïques sont admirables, de même que les beaux manuscrits, les étoffes historiées, les ivoires sculptés, les orfèvreries précieuses. «Au temps de Justinien, la capitale, accueillant les éléments divers que lui fournissent les diverses régions de l'Orient, les combinant, les transformant, les réalisant en des formules définitives, prend désormais la direction incontestée de l'art byzantin:... art officiel, ayant pour objet principal de glorifier Dieu et l'empereur; art oriental, où l'hellénisme et le vieil Orient asiatique s'unissent au service du christianisme.»11 d. L'Eglise de Sainte-Sophie Le Vie siècle ou «siècle de Justinien» se distingue surtout, on le sait, par 10 11

Diehl et Marçais, op. cit., p. 115. Diehl et Marçais, op. cit., p. 119.

LES CIVILISATIONS DE L'ORIENT GRÉCO-ROMAIN, BYZANTIN ET PERSE 3 8 9

deux créations remarquables, dues à l'initiative de cet empereur: la Grande Eglise de Sainte-Sophie (p. 319) et le Code Justinien. «La Grande Eglise émerveillait tout d'abord ceux qui la voyaient par l'audace et la légèreté de cette gigantesque coupole qui semblait «non pas s'appuyer sur la maçonnerie, mais être suspendue au ciel par une chaîne d'or» . . . La coupole peut être considérée comme une des caractéristiques essentielles de l'architecture byzantine . . . «Quand on y pénètre pour prier, dit encore Procope de Sainte-Sophie, on la regarde comme un ouvrage de la sagesse de Dieu plutôt que de l'art des hommes.»12 «Et aujourd'hui encore, ajoute C. Diehl, après quatorze siècles écoulés, SainteSophie apparaît comme «une des plus puissantes créations de l'architecture», comme un de ces monuments types où se résument tout un ensemble de méthodes et tout un idéal d'art.» 13 e. Le Code Justinien Ce qui fait l'importance historique de l'œuvre législative de Justinien, c'est le désir d'adapter les vieilles lois romaines et païennes, toujours en vigueur, à un Etat gréco-chrétien et à un régime social nouveau (p. 318—319). «Dans le droit des personnes, la loi proclame... qu'en droit naturel tous les hommes sont égaux, que tout homme naît libre. En conséquence, la condition de l'esclave est adoucie, l'affranchissement est encouragé et rendu plus facile . . . Le mariage est permis entre affranchis et personnes de rang sénatorial, entre hommes libres et femmes de condition vile, actrices ou courtisanes. La femme, dans la maison, devient l'égale de l'homme, et presque la privilégiée. La l o i . . . oblige le futur époux à constituer à la f e m m e . . . une provision, qui lui appartiendra en cas de rupture du mariage. Elle renforce, de façon générale, les garanties qui protègent la femme, et adoucit même en sa faveur les peines qui punissent l'adultère. Les relations se modifient de même entre le père et les enfants. L'antique patria potestas perd sa rigueur d'autrefois . . . De façon générale, l'esprit chrétien introduit partout la protection du faible, et de même, il apporte partout un grand souci de la moralité publique pour réprimer . . . toute la corruption dont Constantinople en particulier était pleine . . . Le même esprit apparaît en ce qui concerne les biens . . . (En matière de succession), la législation de Justinien posa des principes nouveaux. Les héritiers furent appelés à la succession selon l'ordre des affections présumées du défunt; le droit successoral se régla sur la parenté naturelle, sans qu'aucune différence fût faite entre les sexes; le droit des agnats fut supprimé. Le fils. . . ne put plus être déshérité... La mère put, sans restric12 13

Bailly, op. cit., p. 103, 104. Diehl et Marçais, op. cit., p. 117.

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tions, hériter des enfants, les filles ou sœurs furent appelées à l'héritage . . . Par cet esprit de douceur, d'équité, de simplification dont elle était pénétrée, (la législation de Justinien) préparait les voies à la législation moderne. . . . Nulle part l'idée de l'Etat fondé sur le droit, la théorie aussi de l'absolutisme impérial n'ont été formulées de façon plus nette et plus complète que dans la législation de Justinien . . . C'est de son œuvre législative que ces idées ont passé en Occident au Moyen âge et y ont fait connaître les principes du droit qui règle les sociétés modernes.»14

14

Diehl et Marçais, op. cit., p. 86, 87, 88.

II. La civilisation perse-sassânide Comme l'Empire des Perses Achéménides et celui des Parthes Arsacides, l'Empire des Perses Sassânides, qui les a continués dans le même cadre géographique, est «un Etat militaire; la science n'y pouvait naître, ni les arts» (p. 193-198). 1. Le roi sassânide La structure sociale du pays, comme l'organisation administrative, forment une pyramide de classes superposées et rigoureusement séparées, et dont le sommet est occupé par le «Grand Roi», chef de la nation et de l'Etat. Bien que la religion occupe une grande place dans l'Etat, c'est le roi, et non la divinité, qui est plus particulièrement révéré et glorifié; il est une émanation de dieu sur la terre. Chez les Gréco-Romains, les Juifs et les Chrétiens, c'est la divinité qui passe au premier plan. Le roi sassânide est le centre de la vie de l'Empire. Chef suprême de la nation, maître souverain de l'Etat, autocrate absolu appuyé sur une religion exclusive dont il est le chef, il concentre entre ses mains la totalité des pouvoirs. Son despotisme est seulement «tempéré par le détrônement et le meurtre» (Huart et Delaporte). L'habillement du roi est d'une somptuosité éclatante. La tiare en or, ornée de pierres précieuses, répand une splendeur éblouissante; elle a la forme sphérique, symbole du soleil, sur laquelle sont ajoutés un croissant et une étoile. Invisible et caché à son entourage par un rideau, le roi est inaccessible même aux plus hauts dignitaires de sa cour. Il ne se montre en public qu'à de rares occasions. Ses audiences solennelles sont un spectacle grandiose. La chasse est son plaisir favori. Les titres, charges de cour, dons d'argent, d'une tiare ou d'une robe d'honneur tirée de la garde-robe royale, sont les moyens par lesquels le souverain récompense ses bons serviteurs. Le butin énorme dont les Arabes se sont emparés lors de la prise de Ctésiphon, en 637, leur donna une haute idée du luxe qui régnait à la cour des Sassânides. 2. Les hauts dignitaires Au-dessous du roi et sous son contrôle, un grand ministre a la direction absolue de toutes les affaires de l'Etat. Les Califes Abbâssides de Bagdâd,

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sous l'influence de leur entourage persan, rétabliront cette fonction de grand vizir, sur le modèle sassânide. Les princes vassaux et ceux des provinces éloignées portaient le titre de «roi», d'où l'expression «Roi des Rois» ou «Grand Roi», dont le chef de l'Empire était seul qualifié. Tous les hauts dignitaires, appartenant pour la plupart à la famille royale, remplissent leurs charges à titre héréditaire. Les gouverneurs de province, quand ils sont de race royale, portent le titre de shâh (roi). Ces gouverneurs reçoivent, comme marque d'honneur, un trône d'argent, le trône d'or étant l'apanage exclusif du Grand Roi.

3. Administration

générale

A partir de Khosrau I (531—579), le territoire de l'Empire et l'armée sont partagés en quatre grandes sections territoriales, gouvernées par quatre généraux en chef. Véritables vice-rois, ces derniers dirigent en maîtres leurs territoires respectifs. La politique et l'administration intérieures s'appuient sur un système perfectionné d'espionnage, hérité des Achéménides. Nombre de traditions administratives remontent aux Assyriens et aux Babyloniens. La force de l'armée réside, comme au temps des Arsacides, dans la cavalerie cuirassée de cottes de mailles. Les fonctions judiciaires sont exercées par le clergé; le roi est le Juge suprême. Epris de droit et de justice, le peuple iranien avait une grande considération pour les bons juges. Les revenus du Trésor sont fournis par les impôts perçus sur les terres.

4. Les classes

sociales

Les classes sociales sont au nombre de quatre: les ecclésiastiques, les guerriers, les fonctionnaires, les cultivateurs et artisans. Elles ont chacune un chef, un contrôleur et un instructeur, nommés par le roi. Le grand pontife, chef des ecclésiastiques recrutés dans la vieille tribu mède des Mages, est le chef suprême de l'Eglise mazdéenne et le directeur de conscience du roi. Les paysans sont attachés à la glèbe et astreints à la corvée; la situation de la population des villes est plus avantageuse. Les Arabes, qui succéderont à l'Empire perse après avoir eu l'heureuse fortune de le renverser, admireront la perfection du gouvernement des Sassânides, qui leur paraissait un modèle de l'art de gouverner, et chercheront à imiter son organisation et ses méthodes.

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5. Vie économique et sociale L'agriculture est toujours la base de la structure économique de l'Empire. Mais la position géographique de l'isthme iranien et son rôle de voie de passage entre l'Asie intérieure et le monde méditerranéen et égéen, donnent au commerce et à l'industrie une grande activité. La fabrication des étoffes, le commerce de la soie importée de l'Inde et celui des articles venant de Syrie, d'Egypte, d'Asie Mineure, étaient fort développés. «Dans les échanges commerciaux, la monnaie sassanide en argent ou en cuivre, plus rarement en or, circule sur une vaste aire. Cette époque connaît l'apparition de la véritable traite, et dans la circulation de celle-ci, le monde bancaire juif de Babylonie et les institutions analogues perses montrent une influence prépondérante . . . Les commerçants chrétiens syriens emprunteront la traite à l'Iran et la passeront à l'Occident où elle sera connue surtout à partir de l'époque mérovingienne. Dans les villes, l'usage de la monnaie s'étend... A la campagne, toutefois, le paysan, le soldat, le fonctionnaire et même l'impôt, sont payés en nature — tradition qui s'est conservée dans certains pays jusqu'à l'époque moderne. Mais le commerce extérieur appartient déjà entièrement à l'économie à base monétaire.»1 Le commerce était sévèrement contrôlé par l'Etat qui avait institué des monopoles à son profit, tel celui de la soie brute venant de Chine. L'Etat étend même ses pouvoirs sur certaines industries privées et sur celles qui intéressent directement la cour, l'armée ou l'administration. Dans le domaine agricole, le paysan est un serf. La grande propriété, accaparée par de véritables princes féodaux, se transforme en entreprise fermée qui possède ses propres producteurs, et où le paysan opprimé appartient au grand seigneur. Partout, vers cette époque, en Asie occidentale comme en Europe, surgit ce système féodal des magnats agricoles, qui s'étendra aux villes et s'établira pour plusieurs siècles. «Sur les bases de l'héritage antique, l'Iran, de même que Rome, arrivent à une forme de féodalisme plus productif que celui des périodes antérieures. «La servitude des paysans naguère libres est rachetée p a r . . . une révolution féodale»... Cette révolution est à la base du féodalisme moyenâgeux arabe, slavo-russe et méditerranéen qui conservera la haute culture du monde antique pour en assurer le développement.»2 6. La religion Linguistiquement aryanisés depuis plus d'un millénaire, les Asianiques de l'Iran, qui ont assimilé les Indo-Aryens immigrés, appartiennent à la 1 2

Ghirshman, op. cit., p. 310, 311. Ghirshman, op. cit., p. 314.

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race asianique ou alpine, dont un rameau, les Sumériens, colonisa, au IVe millénaire, la Basse Mésopotamie et y créa, avec une civilisation précoce, les premiers systèmes religieux (I, p. 161, 175). A ses religions primitives, l'Iran a superposé, au cours des siècles, d'autres doctrines religieuses, autochtones ou importées: le mazdéisme, le zoroastrisme, le mithraïsme, le manichéisme, le mazdakisme, qui inspirèrent de nombreuses religions étrangères et se propagèrent en dehors des frontières iraniennes, atteignant l'Extrême-Orient, l'Asie occidentale, l'Afrique et l'Europe. Nous avons déjà parlé de toutes ces religions, aux époques de leur apparition respective (II, p. 3 3 9 - 3 4 1 ; III, p. 195-197, 296-297). Parmi les religions importées, les plus importantes sont: le christianisme, à l'Ouest, et le bouddhisme, dans les parties orientales de l'Empire. Cessant d'exister comme Etat après la conquête arabo-islamique, la Perse «perdait en même temps sa religion nationale (le zoroastrisme), qui, poursuivie longtemps par un prosélytisme ardent, finit par disparaître à peu près complètement: on sait qu'il n'en reste plus que quelques groupes d'adeptes aux environs de Téhéran et à Yezd, plus la colonie qui est allée s'établir dans l'Inde, dans la région de Bombay, et y a prospéré jusqu'à nos jours». 3 Ce sont aujourd'hui les Parsis, du nom de leur pays d'origine: Pârsa, la Perse. Devenue musulmane après la conquête arabe, la nation iranienne ne tarda pas à adopter une hérésie islamique, le chiisme, «plus conforme à ses aspirations nationales». Les Iraniens sont, encore aujourd'hui, partisans d'Ali et de ses successeurs.

7. L'art sassânide «L'art sassanide, qui est la dernière phase de l'art oriental ancien, vieux de quatre millénaires, une synthèse de l'art iranien qui comptait déjà plus d'un millénaire d'existence, reste ouvert aux courants extérieurs qu'il adopte et qu'il transforme suivant les traditions du sol qui les nourrit. . . Dans ses manifestations les plus anciennes, il est un successeur direct de la dernière phase de l'art parthe qui était essentiellement iranien.» 4 D'autre part, l'art sassânide, aboutissement d'une longue évolution qui remonte aux Assyriens, établit «la continuité entre des arts en apparence aussi dissemblables que l'art assyro-achéménide et l'art m u s u l m a n . . . De fait, on ne peut comprendre les arts musulmans que si on a saisi le rôle immense joué en Asie par l'art sâsânide, avec sa double tendance, d'une part, vers la représentation naturaliste des formes vivantes, surtout anima3 4

Huart et Delaporte, op. cit., p. 359. Ghirshman, op. cit., p. 287.

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les, d'autre part, vers la stylisation décorative et l'abstraction géométrique».5 8. Vie intellectuelle C'est sous les premiers rois sassânides que fut exécutée la rédaction définitive et complète de l'Avesta, bible du zoroastrisme, devenu, depuis peu, la religion officielle de l'Etat (p. 152). Certaines parties de cette œuvre, considérée comme la «source de toute science», contiennent des passages traitant de la médecine. Des préceptes d'Hyppocrate y sont adaptés au dogme de la religion zoroastrienne. L'Avesta et ses commentaires, ainsi que la littérature iranienne de l'époque sassânide, inspireront en grande partie, au Xe siècle de notre ère, le Shah Namé ou «Livre des Rois», magnifique épopée de 60.000 vers environ, due au génie du poète iranien Firdousî. La traduction des œuvres littéraires grecques et indiennes commence sous Shahpur I (309-379). Mais c'est le règne de Khosrau I (531-579) qui est la période de la renaissance iranienne (p. 335). «Imprégné d'une large tolérance religieuse qui tranchait sur l'intolérance de l'Eglise chrétienne de Byzance, le «siècle» de Khosroès attira en Iran les philosophes grecs persécutés en Grèce et qui furent accueillis à la cour de Ctésiphon. Les idées occidentales qui pénètrent à cette époque se mêlent à celles qui viennent de l'Inde.»8 C'est à cette époque aussi que le livre indien «Kalila et Dimna», célèbre recueil de fables, est apporté de l'Inde et traduit du sanscrit en langue pehlevie (vers 570).

5

Grousset, Les civilisations de l'Orient, I, p. 120, 142. • Ghirshman, op. cit., p. 309.

III. Conclusion

1. Byzantins et Perses à la veille de l'expansion de l'Islâm (vers 630) Si l'invasion arabe de 633 a si rapidement abattu Byzance et Ctésiphon, ce fait n'est pas seulement dû à la faiblesse respective de ces deux Empires, à cette époque, mais aussi à leur double négligence. Habituées à ne prendre au sérieux d'autres forces armées que les leurs, ces deux vieilles monarchies rivales, qui étaient les seules grandes puissances de leur temps, s'étaient abandonnées à une sorte de vie passive, après la paire d'épuisement qu'elles avaient conclue ensemble en 628 (p. 370). Méprisant la force des nomades d'Arabie, Byzance et Ctésiphon étaient bien loin de craindre une invasion sérieuse qui viendrait de leur côté. Elles considéraient leurs incursions comme des actes de brigandage, et leur répression, une simple opération de police. Pour cette besogne, Byzantins et Perses s'en étaient d'ailleurs souvent remis au concours d'émirs vassaux, choisis parmi les Arabes eux-mêmes et chargés de repousser les incursions de leurs frères de race (p. 341—348). Si, aux environs de 630, Byzantins et Perses avaient été mieux informés de ce qui se passait au sud de leur double domaine, ils se seraient rendu compte qu'un puissant Empire politico-religieux venait d'unifier la Péninsule arabique et qu'une fièvre guerrière d'expansion extérieure poussait le jeune Etat islamique à se lancer vers le Nord. Ils auraient alors conjugué leurs efforts et leurs moyens, pour barrer la route à ce nouveau et grave péril extérieur. Us se seraient certainement associés, comme ils le firent, dès le règne de Shahpur III (383—390), contre les Huns et les Hephtalites du Nord de la Perse, en fortifiant à frais communs les passes du Caucase, d'où les Barbares cherchaient à déboucher (p. 283). Des mesures identiques, prises dans le Désert syro-mésopotamien, auraient probablement mis en échec les forces militaires de l'Islâm naissant, forces relativement faibles en regard des possibilités immenses des deux colosses du Nord. La marée arabe aurait vraisemblablement été brisée dans son premier élan et le cours de l'histoire en aurait peut-être été modifié. 2. Survivance de l'Etat byzantin et disparition de l'Etat iranien. L'Empire byzantin territorialement réduit et l'Empire perse effacé de la carte, tel est le bilan de la première poussée arabo-islamique.

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A partir du milieu du Vile siècle, la carte politique, ethnico-linguistique, économique et religieuse du Proche-Orient est profondément modifiée, et l'Iran est remplacé, par les Arabes, dans son rôle historique de champion du monde oriental contre les visées hégémoniques de l'Occident. Vainqueur de l'Occident gréco-romain, vengeur et libérateur de l'Orient méditerranéen, le nouvel Empire des Califes, qui arabisera et islamisera le Croissant Fertile, l'Iran et l'Egypte, se substituera à l'Empire des Sassânides et continuera la politique traditionnelle de ses prédécesseurs continentaux: expansion de l'Orient continental vers les mers occidentales. De son côté, l'Empire byzantin, devenu un Empire régional, survivra, en prospérant, à sa défaite et à sa transformation géographique et ethnique. Evoluant désormais, sous une forme réduite, mais plus homogène et mieux faite pour la vie et la lutte, il poursuivra, avec des hauts et des bas, son rôle séculaire de champion de la civilisation maritime et occidentale, jusqu'au milieu du XVe siècle. Cette destinée différente des deux vieux Empires d'Iran et de Byzance, frappés pourtant par un même cataclysme, tient d'abord à cette loi supérieure, historique et biologique, qui veut que les Etats et les Empires, comme les individus, aient une durée de vie et des manières de mourir différentes. Les uns, à l'instar d'un homme prématurément fauché par le destin, ont une fin brusque et périssent de mort violente; les autres, minés par une maladie incurable qui épuise le corps social, traînent une existence de moribond et s'effondrent au premier choc. En l'espèce qui nous occupe, cette destinée différente des deux grands Empires d'Iran et de Byzance tiendrait surtout à la différence respective de leurs caractères essentiels. Puissance continentale, la Perse fut submergée par une marée continentale arabique, qui sera recouverte, quelques siècles plus tard, par une vague continentale asiatique, celle des Turcs Seljûkides, qui déferlera, au Xe siècle, des plateaux de l'Asie centrale. Par contre, Byzance, maîtresse de la mer, réussira à arrêter à mi-chemin cette invasion continentale et, malgré sa faiblesse relative, résistera victorieusement, pendant plusieurs siècles, aux assauts des Arabes, puis des Turcs Seljûkides. Elle ne succombera qu'après l'épuisement complet de ses forces, sous les assauts répétés des Turcs Ottomans d'Asie Mineure, qui l'attaqueront par terre et par mer (1453). 3. Survivance de la nation iranienne Si l'Empire perse a disparu vers 640, par contre, la nation iranienne demeurera vivante sous le nouveau joug. Une autre loi supérieure fait qu'en général, lorsqu'un Etat disparaît, la nation qui l'avait forgé survit dans la désorganisation ou sous le joug étranger. Elle gardera intactes son âme

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propre et ses qualités essentielles, qui sont, en principe, des caractères permanents, tandis que, trop souvent, les caractères secondaires, qui sont essentiellement variables, tels que la langue, la religion, la culture, se verront modifiés ou transformés (I, p. 35-47). Ainsi, l'Iran, qui disparaît comme Etat indépendant après la conquête arabe et qui embrassera l'islamisme et acceptera la langue arabe, survivra comme nation, en conservant son âme et sa mentalité propres. Il reprendra, sous peu, son individualité historique et, un peu plus tard, sa personnalité internationale. Ce sommeil forcé, l'Iran l'a déjà connu dans le passé, à la suite de la conquête d'Alexandre le Grand. Hellénisé et transformé en provinces gréco-macédoniennes, l'Iran antique ne tarda pas à reprendre son individualité iranienne, puis à recouvrer, avec son indépendance, son rôle de grande puissance, après l'avènement de la dynastie iranienne des Parthes Arsacides, vers 250 av. J.-C. (p. 80). Sous la domination des Arabes, «l'affaiblissement moral et politique des Iraniens, qu'aggrava la démocratisation introduite par l'Islam, n'empêcha pas le maintien des traditions qui survécurent et se manifestèrent à la cour des Califes pour permettre, lors de la décadence de ceux-ci, qu'une nouvelle renaissance de l'esprit iranien se fît sous les Abbassides . . . Le peuple qui, devant toutes les invasions plus récentes, arabes, turques ou mongoles, sut trouver la force non seulement de survivre mais d'iraniser ces éléments étrangers, ce peuple fit, au cours de sa longue histoire, preuve d'une vitalité extraordinaire. Son récent réveil, datant d'il y a à peine un quart de siècle, s'annonce sous le signe d'une vigoureuse renaissance nationale qui semble être susceptible de lui rendre son ancienne place dans la famille des peuples d'Asie antérieure.» 1 Ainsi, l'âme de l'Iran et son esprit, c'est-à-dire ses caractères originaux et permanents, survivent à tous les bouleversements politiques et sociaux. Les éclipses, plus ou moins longues, que ce pays a souvent connues, sont essentiellement temporaires, et les transformations qu'il a subies sont superficielles et n'affectent, en général, que les caractères secondaires de la race. Aujourd'hui, «la Perse vit toujours: elle a maintenant derrière elle vingtcinq siècles d'existence. C'est une belle et longue histoire. Je sais bien que l'introduction de l'islamisme a transformé les mœurs des habitants, les règles de leur conduite, les bases de leur législation; mais des observateurs profonds, tels que le comte de Gobineau, vous diront que ces modifications sont superficielles et n'ont pas changé l'âme des vieux Perses, qui vit encore chez les Persans de nos jours. Ceux-ci qui, dans le haut moyen âge, ont eu une influence profonde sur l'évolution de la religion musul1

Ghirshman, op. cit., p. 326.

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mane, ont adopté une hérésie plus conforme à leurs aspirations nationales; ils sont Chiites, partisans d'Alî et de ses successeurs». 2 A l'exemple de l'Iran, l'Egypte, les divers pays du Croissant Fertile et même les différentes régions de la Péninsule arabique, recouvreront progressivement, après l'expansion de l'Islâm, leur individualité et leur personnalité respectives, étayées, pour la plupart, sur des confessions religieuses particulières: sunnisme, chiisme, christianisme, et leurs diverses sectes.

4. Permanences

historiques

Dans nos précédents volumes (I et II), qui retracent l'évolution historique des peuples proche-orientaux depuis les origines jusqu'à l'ère chrétienne, nous avons constaté l'existence de deux grandes lois ou constantes historiques qui, déterminées par des facteurs géographiques relativement permanents sont perpétuellement en action dans le monde proche-oriental (I, p. 76-87). En premier lieu, nous avons vu la permanence de la rivalité qui a constamment opposé, l'une à l'autre, la Mésopotamie et l'Egypte, ou les maîtres de ces deux pays, pour la possession du couloir syro-palestinien qui les relie (I, p. 262-265). En second lieu, nous avons vu également la permanence de l'antagonisme qui a successivement mis aux prises, d'une part, les pays continentaux de l'Est (Mitanni, Hatti, Assyrie, Babylonie-Chaldée, Médie, Perse achéménide), et, d'autre part, les pays maritimes de l'Ouest (Egypte, Phénicie, Crète, Achaïe, Lydie, Grèce), pour la possession de l'isthme syro-mésopotamien, qui unit la Méditerranée au Golfe Persique et à l'Iran (I, p. 423-428; II, p. 428-430). Dans le présent volume (III), qui expose la continuation de l'évolution historique des peuples proche-orientaux depuis la conquête romaine jusqu'à celle des Arabes (64 av. J.-C.—640 ap. J.-C.), nous avons, de nouveau, constaté l'action permanente des deux constantes sus-indiquées, dans la rivalité endémique et les conflits successifs qui opposèrent continuellement: d'une part, l'Empire romain et son successeur l'Empire byzantin, puissances occidentales et maritimes qui possédaient l'Egypte et la Syrie, et, d'autre part, l'Empire iranien des Parthes arsacides et de leurs successeurs les Perses sassânides, puissances orientales et continentales qui dominaient la Mésopotamie. Nous verrons, plus loin, aux cours des siècles qui suivront l'expansion de l'Islâm, l'action permanente de ces mêmes constantes, dans la rivalité 2

Huart et Delaporte, op. cit., p. 464.

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et les conflits qui opposeront successivement, d'une part, les Empires continentaux des Arabes, des Turcs seljûkides, des Mamlûks, des Turcs Ottomans, et, d'autre part, l'Empire maritime de Byzance et les Etats de l'Europe occidentale.

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