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French Pages 284 [285] Year 2021
PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX TOME LXX
LES DIX CATÉGORIES OU PARAPHRASE THÉMISTIENNE DU PSEUDO-AUGUSTIN Texte légèrement émendé de l’édition de L. Minio-Paluello Introduction, traduction et notes Par Alain GALONNIER (CNRS, Centre Jean Pépin – ENS) Présentation de Claudio MORESCHINI (Institutum Patristicum Augustinianum)
LOUVAIN-LA-NEUVE
PEETERS 2021
LES DIX CATÉGORIES OU PARAPHRASE THÉMISTIENNE DU PSEUDO-AUGUSTIN
PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX TOME LXX
LES DIX CATÉGORIES OU PARAPHRASE THÉMISTIENNE DU PSEUDO-AUGUSTIN Texte légèrement émendé de l’édition de L. Minio-Paluello Introduction, traduction et notes par Alain GALONNIER (CNRS, Centre Jean Pépin – ENS) Présentation de Claudio MORESCHINI (Institutum Patristicum Augustinianum)
ÉDITIONS DE L’INSTITUT SUPÉRIEUR DE PHILOSOPHIE LOUVAIN-LA-NEUVE
PEETERS
LEUVEN - PARIS - BRISTOL, CT
2021
A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. No part of this book may be used or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm or any other means without written permission from the publisher. ISBN 978-90-429-4411-4 eISBN 978-90-429-4412-1 D/2021/0602/99 © 2021, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven
À celle qui a cherché mes yeux à l’heure dernière.
TABLE DES MATIÈRES Remerciemens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Index siglorum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XVII A. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I.
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Quelques jalons historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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II. Un ouvrage pour cinq auteurs : une attribution en quête de stabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. a. Augustin d’Hippone (AUGUSTINI) . . . . . . . . . . . II. b. Albinus (ALBINI) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. c. (Marius Victorinus) (AFRI) . . . . . . . . . . . . . . . . . II. d. (Vettius) Agorius (Prétextat) (AGORII) . . . . . . . . II. e. (Pseudo-)Apulée (APULEII) . . . . . . . . . . . . . . . . . II. f. Anonymus (ANONYMI) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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III. Les Catégories d’Aristote dans la tradition latine . . . . . .
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IV. L’attribution à Thémistius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV. A. Thémistius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV. A. a. L’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV. A. b. L’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Thémistius orateur . . . . . . . . . . . . . . . . Thémistius épistolier . . . . . . . . . . . . . . Thémistius paraphraste . . . . . . . . . . . . Thémistius philosophe . . . . . . . . . . . . . IV. B. Contemporanéité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV. C. Le genre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
39 39 40 42 42 42 43 46 48 49
50 54 56 62 64
VI. Une lecture hybride . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. 1. Le traducteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. 2. Le commentariste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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V. Structure, contenu et orientation exégétique des CD . . . . V. a. Le préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V. b. L’axe doctrinal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V. c. Quelques aspects spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . V. d. Typologie exégétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
VIII VI. 2. a. Catégories et Peri hermeneias . . . . . . . VI. 2. b. Le πρός τι . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. 2. c. La distinction homonyme-synonyme-paronyme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. 2. d. Le rapport usia-catégories . . . . . . . . . . . VI. 2. e. La distinction ἐν μόνῳ – ἐν παντί . . . . VI. 2. f. Quantité et mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. 2. g. La différence entre δύναμις et ἐνέργεια
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VII. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII. a. Six procédés d’exégèse relativement aux Catégories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII. b. Réflexes de grammairien-rhétoricien . . . . . . . . . . VII. c. Réflexes de néoplatonicien . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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VIII. Les échos du traité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. a. Martianus Capella . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. b. Boèce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. c. Isidore de Séville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. d. L’ère carolingienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. d. 1. Alcuin et Frédégise . . . . . . . . . . . . . . . VIII. d. 2. Jean Scot Érigène et Heiric d’Auxerre VIII. d. 3. Ratramne de Corbie et Machaire . . . . . VIII. d. 4. Reinhard, Jean de Salerne, Gerbert et Notker . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. e. Lanfranc, Guitmond d’Aversa et Anselme . . . . . . VIII. f. Tronc commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
93 93 97 101 106 107 112 120
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IX. En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 B. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 C. Texte et traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Index codicum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Repères typographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 Passages émendés de l’édition de L. Minio-Paluello . . . . . . . . 156 D. Index des mots grecs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 E. Index nominum des cd . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 F. Index nominum général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
REMERCIEMENTS Nous tenons à assurer de notre pleine gratitude en premier lieu Claudio Moreschini, qui a honoré d’une présentation notre travail, l’a relu et corrigé avec une grande attention, en le faisant bénéficier de toute ses compétences, en deuxième lieu Jean-Louis Le Gludic, dont l’indéfectible amitié nous a de nouveau gratifié d’une révision complète de l’introduction et de la traduction, à l’occasion de laquelle il a procédé à maints ajustements, nous évitant ainsi de nombreux faux pas, et en troisième lieu les responsables des éditions Peeters, entre autres le directeur de la collection qui accueille cette publication, Jean-Michel Counet, et l’assistant de rédaction, Ingemar Spelmans.
PRÉSENTATION1 En spécialiste non seulement de la philosophie médiévale, mais aussi de la philosophie de l’Antiquité tardive, et notamment de Boèce, à qui il a consacré la traduction et le commentaire des Opuscula theologica, publiés chez Peeters, dans la collection « Philosophes Médiévaux » (Boèce, Opuscula sacra, I, 2007, puis II, 2013), Alain Galonnier a présenté des analyses novatrices par rapport aux autres commentaires qui existaient de ces œuvres, et appréciables pour la pensée chrétienne de Boèce et plus largement pour la théologie médiévale, travaux qui se distinguent non seulement par leur érudition, mais aussi par une certaine « audace » dans la réflexion. Auparavant, il avait eu l’énergie suffisante et l’intelligence requise pour organiser seul, en juin 1999 à Paris, un colloque boécien de très grande ampleur, et pas seulement sur les Opuscula theologica, comme l’indique son intitulé : Boèce ou la chaîne des savoirs, dont les actes furent publiés quelque temps après (Peeters, 2003). Deux années plus tôt encore – et ce fut la première étude qu’il consacra à la causa Boethiana –, Alain Galonnier a également fait paraître, en 1997, dans la même série : Anecdoton Holderi ou Ordo generis Cassiodororum : Éléments pour une Étude de l’authenticité boécienne des Opuscula Sacra. Aujourd’hui, il s’intéresse non plus à un Anecdoton, mais à un Anonymus, dénommé A...I Categoriae decem, soit Les dix Catégories d’A…, ou Paraphrase thémistienne – c’est-à-dire de ou inspirée par Thémistius –, placé pour le moment sous la responsabilité d’un Pseudo-Augustin. Grâce à son savoir, qui s’exerce dorénavant sur la période de transition comprise entre la seconde moitié du IVe siècle et celle du VIe siècle en Italie, Alain Galonnier est sans doute l’un des chercheurs français actuels les plus à même de publier, avec introduction et commentaire, ce texte sans auteur identifié à ce jour. C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit, comme lui-même l’explique au mieux, d’un livre précurseur en l’état de nos connaissances, peu connu mais important, en ce sens qu’il est l’un des premiers rédigés en latin, avec le De definitionibus de Marius Victorinus et le Peri hermeneias du Pseudo-Apulée – peut-être lui aussi de la même génération –, à porter sur la logique aristotélicienne : il a certes été Texte traduit de l’italien par Alain Galonnier, et revu par l’auteur.
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occulté par le succès de celui de Boèce, mais, ayant été écrit environ cent cinquante ans avant les deux commentaires de ce dernier sur les Catégories, il apparaît encore plus digne d’intérêt. Le texte soulève plusieurs problèmes essentiels à sa compréhension et interconnectés, qu’Alain Galonnier aborde dans son introduction : qui est l’auteur de cet ouvrage ? quel est son rapport avec Thémistius ? pourquoi est-il dénommé « paraphrase » ?… Le rédacteur énigmatique mentionnant Thémistius comme un philosophe de son aetas, on a pensé tout naturellement qu’il s’agissait de la traduction latine d’une paraphrase des Catégories réalisée par Thémistius, lequel a composé d’autres paraphrases de divers traités d’Aristote, ou en tout cas que cette traduction avait été très influencée par Thémistius, puisqu’on ne connaît pas d’autre paraphraste grec du Stagirite à cette époque, et même antérieurement2. Le milieu romain (ou occidental) de la seconde moitié du IVe siècle s’est, en effet, particulièrement intéressé à la latinisation de productions grecques. Avec prudence, Alain Galonnier suggère d’attribuer, en dernière analyse, la paraphrase latinisée à un Anonyme, et ce dès son titre même, attendu que les différentes attributions à un personnage historique qui avaient été proposées auparavant – et auxquelles nous suggérons d’ajouter celle du Pseudo-Apulée –, ne présentent pas, à ses yeux, de vraisemblance suffisante. Quant à la datation, elle est, à l’évidence, très légèrement postérieure à Thémistius, et antérieure à Isidore de Séville, qui est le premier à citer quelques bribes de son contenu, puisque aucune trace ne lui est apparue repérable chez Martianus Capella, lequel n’en laisse lui-même rien paraître explicitement, ce qui réduirait bien la fenêtre chronologique aux années 350-400. Isidore paraît également avoir été le dernier écrivain à reproduire des fragments de l’œuvre analogue de Boèce, qui a ensuite disparu durant trois siècles, avant de réapparaître autour de l’an mille et de disparaître à nouveau après deux siècles d’influence. Dans l’examen des témoignages sur les Categoriae decem par les philosophes médiévaux, on constate la perspicacité d’Alain Galonnier, qui a souvent su identifier, chez un grand nombre de ceux-ci, la présence, parfois discrète ou fugitive, du texte anonyme, jusqu’à ce que, à partir du XIVe siècle, il disparaisse à son tour, supplanté définitivement par le travail de Boèce. 2 À ce que l’on sait, seul Andronicos de Rhodes (fl. c. 80 – 50) aurait donné une paraphrase, perdue, des Catégories, dont il a édité le texte, que l’on peut reconstituer, pour le début seulement, à partir des commentaires sur ce traité de Dexippe et de Simplicius – voir P. Moraux, Der Aristotelismus bei den Griechen. Von Andronikos bis Alexander von Aphrodisias, I, Berlin/New York, 1973, p. 45-141.
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Après s’être arrêté sur la date de composition et avant d’aborder la survie de l’ouvrage, la question de la paternité est soumise à l’examen, car la paraphrase, éditée de manière critique par Minio-Paluello, porte l’intitulé suivant : Tractatus A...I de categoriis Aristotelis. « A...I » a été choisi par le philologue italien, insatisfait de l’AUGUSTINI qu’ont adopté les copistes, sans doute influencés par Alcuin, qui incite à identifier ce « A...I » avec Augustin. Ce à quoi Alain Galonnier n’est pas favorable, à la fois en raison de l’absence d’une preuve qu’Augustin, touchant les Catégories d’Aristote, ait voulu aller au-delà des notions générales que l’école lui avait fournies, et en raison du manque de connaissance de la part d’Augustin non seulement de la logique, mais aussi de la langue grecque, du moins pour le tout jeune homme qu’il devait être forcément au moment où il aurait pu mettre au point cette paraphrase. Pareille attribution se retrouve d’ailleurs dans les éditions antérieures à celle de Minio-Paluello, encore que ce soit sous la forme « Pseudo-Augustini ». Minio-Paluello lui-même a pensé à un « Albinus » difficilement identifiable, dont le nom aurait été corrompu en « Augustinus », un processus peu crédible en vérité. Par ailleurs, cet « A…I » aurait pu suppléer « Afri », ce qui désignerait alors… Marius Victorinus Afer, une étrange façon de le nommer ; d’autres résolutions sont tout aussi improbables, mais non moins soigneusement examinées par Alain Galonnier, pour les écarter au final, si bien qu’à juste titre, et avec un constant souci de rigueur historique, il préfère penser que « A…I » aurait pu être mis pour « ANONYMI ». Cela disposé, suit un précieux panorama de la présence des Catégories aristotéliciennes dans la tradition de la logique latine jusqu’à l’Anonyme, et par conséquent à Thémistius, puisque ce dernier est nommé, dans le texte même qui nous occupe, un penseur sur lequel il y a matière à s’interroger dans ce contexte. Qu’il s’agisse de la traduction de l’une des paraphrases de celui-ci (Paraphrasis themistiana, comme l’appelle Minio-Paluello), responsable, du reste, de plusieurs autres touchant certains écrits d’Aristote, et non de simples allusions de l’Anonyme à Thémistius, présenté comme son contemporain, au point que nous devrions y voir la transposition de l’une de ses paraphrases, est garanti par la mention du dernier paragraphe : « Voilà… ce que… nous avons traduit ». Le temps de Thémistius est bien reconstitué et mis en lumière par Alain Galonnier, qui connaît également la survivance médiévale de ses paraphrases – et la récapitulation des ouvrages de philosophie arabe qui se réfèrent à Thémistius est très profitable. Il illustre également la pratique exégétique de l’Anonyme, donc sans doute de Thémistius, à savoir
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la structure et les procédés par lesquels les Catégories sont expliquées, tantôt de manière très resserrée, tantôt avec des interventions plus personnelles de son responsable sur le texte aristotélicien, à commencer par une section introductive originale. Mais surtout, Alain Galonnier fait ressortir les intentions de l’Anonyme, sa façon de comprendre les Catégories en lien avec le Peri hermeneias du même Aristote, et sa dépendance, presque naturelle, à l’égard de Porphyre, dont plusieurs éclairages projetés par ce dernier sur les dix catégories du Stagirite sont confrontés à ceux choisis par l’Anonyme. L’enquête sur le contenu est très fouillée et quasiment exhaustive, et je doute que l’on puisse objecter quelque chose de substantiel à Alain Galonnier, qui sait se montrer pertinent sur la logique aristotélicienne et l’Antiquité tardive. Il énumère six démarches exégétiques utilisées par l’Anonyme, qui ne se prêtent pas ou fort peu à un rapprochement avec ce que seront les options de traducteur scholiaste de Boèce et les résultats auxquels celui-ci parviendra, tout en situant avec profit cet ouvrage dans le sillage de la tradition latine de l’Aristote logicien. En somme, cette Paraphrasis themistiana est un texte qui, en raison de son originalité aussi, a mérité une certaine réputation avant Boèce, et, redisons-le, s’est maintenu comme tel même après ce dernier, pendant plusieurs siècles, jusqu’à ce qu’il s’efface derrière l’exégèse boécienne, qui était devenue prégnante. L’importance qu’eurent les Categoriae decem est ensuite soulignée par leur influence sur les écrivains ultérieurs, à commencer par Isidore de Séville, qui, comme nous l’avons indiqué plus haut, aurait été le premier à les mentionner. Après Isidore, Alain Galonnier feuillette la période carolingienne (Alcuin, Frédégise de Tours, Scot Érigène, Heiric d’Auxerre, Ratramne de Corbie et d’autres), jusqu’à la connaissance raréfiée de la paraphrase au XIIe siècle, puis au désintérêt presque total affiché par le XIIIe. La conclusion est efficacement synthétique : « L’impression globale que nous laisse ce survol des Dix Catégories, qui, dans l’état de notre savoir, rendirent le gros des Catégories d’Aristote accessibles pour la première fois sans doute à l’Occident latin, est celle d’un traité de confection hétéroclite, autant par sa présentation du texte grec que par les sources d’inspiration qui la sous-tendent, puisque le commentarisme grec ne nous est pas apparu en mesure de manifester tous ses choix d’exégèse ». Elle est suivie par le texte latin lemmatisé, qui est celui de Minio-Paluello, quelquefois émendé, avec intégration des repères de l’édition reproduite par Migne, et accompagné d’une traduction inédite. Enfin, lorsque l’Anonyme se borne à latiniser Aristote, la traduction du
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Stagirite, due à Michel Crubellier et Pierre Pellegrin, est également rapportée en note. Les bas de page mettent de surcroît à disposition un riche appareil d’annotations explicatives. Au total, nous accédons avantageusement à la « redécouverte » d’un texte d’importance pour mieux connaître la diffusion de la logique aristotélicienne dans le monde occidental. Nous sommes redevables à son traducteur et commentateur d’avoir accompagné les Categoriae decem par tout ce qui pouvait servir au mieux leur appréhension : cadre historique, version française ajustée et éclairante, annotations des contenus. Le présent ouvrage consonne donc bien avec les résultats des précédentes recherches d’Alain Galonnier sur Boèce. Claudio Moreschini (Institutum Patristicum Augustinianum)
INDEX SIGLORUM CAG: CCSL: CCSM:
Commentaria in Aristotelem Graeca, Berlin, 1882-1909 Corpus Christianorum. Series Latina, Turnhout, 1945 sqq Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, Turnhout, 1966 sqq CPPM: Clavis Patristica Pseudepigraphorum Medii Aevi, I sqq., Turnhout, 1990 sqq. CSEL: Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Christianorum, Vienna, 1866-2006 DPhA: Dictionnaire des Philosophes Antiques, R. Goulet (dir.), vol. I-VII, Paris, 1989-2018 MGH AA: Monumenta Germaniae Historica. Autores Antiquissimi, Berolini et alia, 1877-1919 (19612) PL: J.-P. Migne, Patrologia Latina, Parisii, 1844-1864 TLL : Thesaurus Linguae Latinae, Munich, 1893 sqq
A. INTRODUCTION Parfois, et à tort comme nous espérons le montrer, déprécié1, le traité Categoriae decem (« Les dix catégories » = CD), connu également sous les intitulés De decem Categoriis (« Des dix catégories ») et Paraphrasis themistiana (« Paraphrase thémistienne »), toujours en attente d’auteur (nous l’appellerons l’Anonymus, l’Anonyme ou encore le Paraphraste latin) et de datation ferme (courant IVe s. p. Ch.), situe immédiatement l’exégète curieux de sa nature et de son devenir dans l’histoire de la toute première réception au Moyen Âge, dans la tradition latine dont il reste un maillon essentiel car pour l’heure initial, de l’opuscule d’Aristote dénommé Κατηγορίαι, c’est-à-dire Catégories. À cet égard, on ne saurait se dispenser de faire d’emblée le point sur ce qui peut être reconstitué de cette dernière. I. Quelques jalons historiques Nous ignorons par qui et à quelle époque le tout des Catégories fut initialement mis en latin de manière suivie. Est-ce par Varron (116-27), aux dires évasifs de Martianus Capella (IVe-Ve s.)2, par Cicéron (10643) – qui, quoique ne faisant jamais allusion au traité, déclare bien connaître une partie de l’œuvre d’Aristote qu’il estimait accessible3 –, par le Stoïcien Lucius Sergius Plautus (* c. -65) – dont Quintilien dit de lui qu’il traduit l’οὐσία des Catégories d’Aristote par essentia4, ce qui pourrait laisser entendre que ce Plaute, qui n’a rien à voir avec l’auteur de comédies, aurait latinisé l’ensemble du traité –, par Sénèque (c. -4–65) – qui hasarde la même équivalence, mais en affirmant emprunter 1 Voir : « Le médiocre Categoriae decem du Pseudo-Augustin », M.-D. Chenu, La théologie au douzième siècle, Paris, 1957, p. 142. 2 Minio-Paluello (1945, p. 65) voit chez Martianus Capella, De nuptiis Philologiae et Mercurii, IV, § 335, dans le discours du personnage de Dialectica (ou Dialectice) (§ 333 sqq), qui dit avoir bénéficié, sur ce sujet, de l’érudition et du savoir-faire de « son cher Varron », une évocation des Catégories. 3 Voir J. Barnes (1997), et P. Moraux, « Cicéron et les ouvrages scolaires d’Aristote », dans Ciceroniana 2, 1975, p. 80-96. 4 Voir Quintilien, Institution oratoire, III, VI, 24.
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INTRODUCTION
le terme essentia à Cicéron (Plaute n’aurait alors rien inventé)5 et au rhéteur Fabianus [s. + I]6 –, par Quintilien lui-même (c. 35-c. 95) – qui synthétise très sommairement le contenu de l’ouvrage aristotélicien7 –, ou par quelque autre, avant ou durant l’ère chrétienne commerçante8 ? En tout état de cause, entre Quintilien et les CD l’historien est confronté à un hiatus de trois siècles à peu près, durant lesquels les Catégories paraissent avoir disparu de l’horizon intellectuel des penseurs latins connus de la basse-Antiquité, les centres d’intérêt ayant été tout autres : juridiques, agronomiques, médicaux, rhétoriques, dramaturgiques, poé5 Il paraîtrait que Cicéron n’ait jamais usé d’essentia pour traduire οὐσία, mais qu’il ait rendu ce dernier terme soit par aeternitas soit par materia (voir A. Moreno Hernández, « Las traducciones latinas de οὐσία en Cicerón y Séneca », dans M. Raders & R. MartínGaitero (éd.), IV Encuentros Complutenses en Torno a la Traducción, 24-29 de febrero de 1992, Madrid, 1994, p. 407-417 – ici 410-414). Gummere, pour sa part, affirme que Cicéron latinise οὐσία par natura (op. cit. n. suivante, p. 390, a). 6 Sénèque, Lettre à Lucilius : « Cupio, si fieri potest, propitiis auribus tuis essentiam dicere; si minus, dicam et iratis. Ciceronem auctorem huius verbi habeo, puto locupletem. Si recentiorem quaeris, Fabianum, disertum et elegantem, orationis etiam ad nostrum fastidium nitidae. Quid enim fiet, mi Lucili? Quomodo dicetur οὐσία res necessaria, natura continens fundamentum omnium? = Je voudrais, si faire se pouvait sans choquer ton oreille, dire essentia; sinon je le dirai et tu t’en irriteras. J’ai pour caution de ce mot l’auteur Cicéron, sûr garant je pense, et si tu demandes quelqu’un de plus récent : Fabianus, disert et élégant, au discours raffiné même pour notre goût difficile. Car comment faire, mon cher Lucilius? De quelle manière dire οὐσία, la chose nécessaire, la nature renfermant le fondement de tout ? », VI, LVIII, 6 (éd. R.M. Gummere, Seneca. Ad Lucilium Epistulae morales, London, 1925, p. 389-390). Voir P. Aubenque, « Sur l’ambivalence du concept aristotélicien de substance », dans N.L. Codero (éd.), Ontologie et dialogue, Paris, 2000, p. 93-106, et J.-Fr. Courtine, « Les traductions latines d’οὐσία et la compréhension romano-stoïcienne de l’être », dans Idem, Les catégories de l’être, Paris, 2003, p. 11-77. 7 Quintilien, ibid, 23-24 : « Aristoteles elementa decem constituit, circa quae versari videatur omnis quaestio. Oὐσίαν, quam Plautus essentiam vocat, neque sane aliud est eius nomen Latinum; sed ea quaeritur, an sit. Qualitatem, cuius apertus intellectus est. Quantitatem, quae dupliciter a posterioribus divisa est, quam magnum et quam multum sit. Ad aliquid, unde ductae tralatio et comparatio. Post haec Ubi et Quando; deinde Facere, Pati, Habere, quod est quasi armatum esse, vestitum esse. Novissime κεῖσθαι, quod est compositum esse quodam modo, ut calere stare, irasci. Sed ex iis omnibus prima quattuor ad status pertinere, cetera ad quosdam locos argumentorum videntur = Aristote a établi dix éléments, autour desquels semblent tourner toute question. L’οὐσία, que Plaute appelle essentia, et pour le dire il n’y a vraiment pas d’autre nom en latin ; par elle on demande : est-ce ? La qualité, dont le concept est évident. La quantité, qui a été ultérieurement divisée en deux, l’une quant à la grandeur, et l’autre quant au nombre. Le relatif à quelque chose, d’où sont tirés le changement et la comparaison. Après eux viennent le où et le quand ; ensuite, le faire, le pâtir, le posséder, qui est par exemple : être armé, être vêtu. Enfin, κεῖσθαι, qui est être disposé d’une certaine façon, comme : être chaud, se tenir immobile, être en colère. Mais de tous ces éléments, les quatre premiers semblent concerner des conditions, les autres certains lieux d’arguments » éd. H.E. Butler, The Institutio oratoria of Quintilian, London, 1920, p. 420). 8 Voir Gottschalk (1987).
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tiques ou autrement philosophiques (stıoïciens, sceptiques, épicuriens et néopythagoriciens). Ce saut observé, il convient de s’interroger alors sur les conditions historico-culturelles de l’époque de l’apparition tardive de la Paraphrasis Themistiana – celles du IVe siècle après J.-C. –, pour essayer de comprendre dans quelle mesure elles seraient associées à ce qui ressemble à une résurgence des Catégories. Les années 300-400 ont été marquées par une effervescence culturelle qui se concrétisa, au cours de la première moitié de ce siècle, surtout par des traductions gréco-latines d’ouvrages philosophico-scientifiques. On y recense Calcidius, possiblement chrétien, traducteur et commentateur, vers 325-330, d’une partie du Timée de Platon (17a-53c – seulement à partir de 31c pour les gloses –, fortement inspirées par Théon de Smyrne), Firmicus Maternus, qui élabora sa vaste Mathesis (334-337) en huit livres, un traité d’astrologie, plus ou moins traduit d’auteurs grecs, où il ne dissimule aucunement son inspiration stoïcienne et néoplatonicienne, et Marius Victorinus (c. 280-c. 370), très tardivement converti au Christianisme mais contraint de le renier en 362, traducteur, nous y reviendrons, de Libri Platonicorum perdus et de l’Isagoge de Porphyre, et auteur d’un De definitionibus, qui serait l’adaptation en latin d’un traité du même Porphyre9. Ce phénomène connut une nette accélération à mi-siècle et par la diversification des disciplines et en s’étoffant d’une dimension idéologique. On sait, en effet, qu’à partir de 350 approximativement un renversement d’ordre politico-religieux se produisit, en ce sens que les persécutions, qui pendant trois siècles s’étaient exercées contre les Chrétiens, concernèrent directement et massivement les Païens. L’édit de Milan, du 13 juin 313, voulu par Constantin Ier, qui reconnaît aux Chrétiens, auxquels il ordonne de restituer leurs biens personnels et communautaires, le droit d’exercer librement leur culte en tant qu’association, amorça le tournant décisif du basculement en train de s’accomplir, qui n’achemina cependant pas continûment vers le coup d’arrêt définitif porté aux agressions contre ces derniers, comme le montre la politique religieuse de Julien, surnommé l’Apostat, de 361 à 363, qui leur a été souvent et violemment contraire. Mais celle-ci ne fut qu’une brève parenthèse dans le retournement en marche, dû pour l’essentiel à la christianisation foncière de plusieurs autres empereurs successifs. Le durcissement des lois restrictives sous Constance II en 353, 356 et 357, visant les sacrifices, la Voir P. Hadot, Marius Victorinus, Paris, 1971, p. 177-178.
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divination et la magie, et interdisant l’astrologie10, les procès politiques de 371-372, à Rome et à Antioche, sous Gratien, Valentinien II et Valens, qui aboutirent notamment à l’exécution de Maxime d’Éphèse après avoir été condamné pour exercice illégal de la théurgie11, et l’édit de Théodose Ier de 392, qui interdit tous les cultes autres que le Christianisme, proclamé religion officielle de l’Empire romain depuis 380, permirent largement et même instituèrent, à l’encontre des non-Chrétiens, l’apparition et la montée en puissance des autodafés et des destructions d’édifices, voires des homicides12. Dans ce contexte, quoique avec un esprit de résistance plus que de revanche, l’aristocratie sénatoriale romaine notamment, que se complaît à décrire Macrobe (c. 360-c. 435) en ses Saturnales composées autour de 395, comptait une élite païenne, parfois d’origine grecque, qui, en réaction à l’emprise croissante du Christianisme, nourrissait un idéal de savoir profane et avait engagé un programme de renouveau culturel. Elle entreprit ainsi, non seulement de produire des traductions gréco-latines, mais aussi d’établir ou de réviser les éditions des grands textes littéraires, scientifiques et philosophiques de ses illustres devanciers, les assortissant quelquefois de gloses et de commentaires. À titre d’exemples, outre un Albinus non identifié avec précision (peut-être Caeionius Rufius Albinus, consul de 335 puis préfet de la Ville, parce qu’il aurait été tout à la fois philosophe, dialecticien, géomètre et musicologue – voir infra, p. 19-21), et les érudits archaïsants, petits-fils du précédent, Caeionius Rufius Albinus (préfet de la ville en 389-391) et son frère Caecina Decius Albinus (préfet de la Ville en 402)13, dont il ne subsiste pas une ligne, on retiendra Julius Valerius, auteur de Res gestae Alexandri Macedonis, qui appartiennent à une série d’histoires romancées d’Alexandre le Grand, librement adaptées de sources grecques, Rufus Festus Avienus (c. 305-c. 375), poète géographe, qui, vers 350, publia des Aratea Phaenomena et des Aratea Prognostica, paraphrases plutôt fidèles des recueils éponymes
10 Pour une présentation synthétisée, voir Ch. Goddard, « La divination à l’époque tardive : un exemple ultime du processus de romanisation (IVe-VIe apr. J.-C.) », dans Mètis, N. S., 5, Dossier : Tekhnai / artes, Paris-Athènes, 2007, p. 269-272- – ici 267. 11 Voir T. Zawadzki, « Les procès politiques de l’an 371/372 », dans H.E. Herzig & R. Frei-Stolba (éd.), Labor Omnibus Unus, Stuttgart, 1989, p. 274-287. 12 Voir M.-Fr. Baslez (dir.), Chrétiens persécuteurs : destructions, exclusions, violences religieuses au IVe siècle, Paris, 2014. 13 D’après A. Chastagnol, « Le sénateur Volusien et la conversion d’une famille de l’aristocratie romaine au Bas-Empire », dans Revue des études anciennes, 58, 1956, p. 241-253 – dont 249.
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d’Aratos de Soles (c. 315-c. 245)14, puis traduisit, dans sa Descriptio orbis terrae, l’Oἰκουμένη de Denys d’Alexandrie ou le Périégète († +264), Vettius Agorius Praetextatus (c. 310-384), traducteur, nous y reviendrons, de la Paraphrase sur les Premiers et seconds Analytiques de Thémistius, et Junius (ou Julius) Naucellius (c. 310-c. 405), un ami de Symmaque, possible traducteur des Constitutions d’Aristote, collection dont il ne nous reste que la Constitution des Athéniens, et auteur de quelques épigrammes, qui auraient été librement traduites du grec, composantes des Epigrammata Bobiensia, un recueil de 71 pièces de divers poètes latins du IVe s.15. Dans le même temps ou presque, on recense Decimus Magnus Ausonius (c. 310-395), traducteur d’épigrammes grecques, poèmes appartenant aussi au Epigrammata Bobiensia, et auteur des Epitaphia Heroun, qui seraient la traduction du Peplos, recueil poétique du Pseudo-Aristote, Axius Paulus, un ami d’Ausonius, auteur d’un Delirus, qui participe tardivement d’une certaine renaissance de la comédie en Gaule, le célèbre grammairien Aelius Donatus (c. 320-c. 380), qui commenta Térence et Virgile (Énéide et Bucoliques), dont il rédigea une biographie, l’historien Ammien Marcellin (c. 320-c. 395), qui, en ses Res gestae dont il ne subsiste que 18 livres sur les 31 ayant existé, dépeint convulsivement, dans un style féroce et flamboyant, partagé entre répulsion et fascination, une civilisation romaine en pleine déliquescence courant à son autodestruction et un autre historien, sans commune mesure avec le précédent, Aurelius Victor (*c. 325), dont le Corpus tripertitum relate l’histoire de Rome jusqu’à Constance II. Sensiblement au même moment, on trouve Rufius Festus, qui publia, en 370, sur la requête de l’empereur Valens, dont il fut peut-être le grand archiviste, un abrégé de l’histoire de la Rome triomphante, dédié à ce dernier, Flavius Eutropius, proconsul d’Asie en 371, qui écrivit un autre Historiae Romanae Breviarium, Virius Nicomachus Flavianus senior (c. 334-394), à l’anti-Christianisme notoire, préfet du prétoire en 390, qui a peut-être écrit un De vestigiis philosophorum16, traduisit la biographie d’Apollonius de Tyane17 dressée par Flavius Philostrate (c. 170-249), que révisa probablement Tascius Victorianus, luimême éditeur des dix premiers livres de l’Ab Urbe condita de Tite-Live, Voir l’édition de J. Soubiran, Paris, 1981. Voir Étienne Wolf, Epigrammata Bobiensia. Épigrammes de Bobbio, éditées, traduites et annotées, Dijon, 2020. 16 Ce serait à ce Flavianus que, selon Schanz (1914, p. 92), appuyé par Flamant (1977, p. 56, n. 208), Jean de Salisbury, dans son Policraticus (II, XXVI = Webb, I, p. 460b, 9-10), composé en 1159, attribue cet ouvrage : « Sur les vestiges des philosophes ». 17 Thaumaturge néopythagoricien du 1er siècle ap. J.-C. 14 15
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et Sallustius Aventius ou Crispus (préfet de Rome en 384), pressenti pour avoir été, en 395-397, le réviseur des Métamorphoses d’Apulée18. En se maintenant dans ce même éventail chronologique, on rencontre Quintus Aurelius Symmachus (c. 343-c. 403), autre grand traditionnaliste romain, préfet de Rome lui aussi, panégyriste de Valentinien Ier et de Gratien, et éditeur de l’Ab Urbe condita de Tite-Live, Marcellus Empiricus, maître des offices et médecin de Théodose Ier, qui se montre, dans son De medicamentis liber (c. 408), adepte de la superstition, de la magie et de l’incantation, Maurus Honoratus Servius (*c. 370), grammairien, scholiaste de Virgile en son In tria Virgilii opera expositio, et commentateur de Donat, Lucius Septimius, qui mit au point une Ephemeris belli Troiani (Éphéméride de la guerre de Troie) en six livres, qu’il affirme être la traduction du journal de guerre tenu par Dictys Cretensis (Dictys de Crète), un compagnon imaginaire du roi crétois Idoménée lors du siège de Troie19, et jusqu’à Flavius Mallius Theodorus, le consul de 399, qui aurait beaucoup compté pour le jeune Augustin, lit et commente Plotin. Le futur évêque d’Hippone eut par ailleurs pour ami le médecin Theodorus Priscianus, qui composa un recueil en 4 livres : Rerum medicarum libri IV. De son côté, le philosophe Eustathius, au bilinguisme gréco-latin, actif aux alentours de 380-400, est présenté par Symmachus comme cumulant les sagesses de Carnéade l’Académicien, de Diogène le Stoïcien et de Critolaüs le Péripatéticien20. Enfin celui, dont nous reparlerons bientôt, que l’on nomme le Pseudo-Apulée, désignation derrière laquelle se cache le possible traducteur scholiaste du Peri hermeneias d’Aristote, un ou deux compilateurs d’ouvrages grecs mis également en latin, à savoir un Traité de physiognomonie et un Herbarius, et le rédacteur d’un Asclépius, traduction libre de l’Asclepios grec correspondant, morceau du corpus d’Hermès Trismégiste. Ce panel incomplet suffit cependant pour se faire une idée de la volonté tenace d’acculturation qui, idéologisée ou non, a couru sur la totalité du IVe siècle et est allée s’accentuant en sa seconde moitié. Elle accrédite donc la thèse qui y situe la composition des CD autant en raison d’un regain d’intérêt pour la pensée d’Aristote, que par suite d’une sorte de sursaut Voir Chastagnol (1962, p. 216-218). Voir l’édition de Werner Eisenhut, Lipsiae, 1958. 20 D’après Macrobe, Saturnales, I, 5, 14-16. Il faut le distinguer et de l’Eusthatius qui traduisit en latin, un peu avant 400, les Homélies sur l’Hexaéméron de Basile de Césarée (éd. E.A. de Mendiera et S.T. Rudberg, Eustathius, ancienne version latine des neuf homélies sur l’Hexaéméron de Basile de Césarée, Berlin, 1958), et d’Eusthatius, le fils de Macrobe. 18 19
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profane provenant d’une génération d’érudits qui brillait de ses derniers feux. Et quoique l’on ne puisse exclure l’existence d’une version latine soit des Catégories soit d’une autre paraphrase grecque qui les auraient précédées, notre traité, porté par l’idéal didactique que l’on vient de rappeler, demeure le premier du genre en notre possession, en même temps du reste que l’un des premiers témoignages de l’« Aristote latin », avec le Peri hermeneias, déjà mentionné, s’il est de la main du Pseudo-Apulée. Cela étant, aussitôt pressentie chronologiquement, la Paraphrasis themis tiana disparaît du fonds textuel dont témoignent les écrivains immédiatement postérieurs. Il serait sans doute trop réducteur et hasardeux de penser qu’elle aurait pâti des effets du réveil chrétien qui avait commencé à s’amorcer. Reste que le grand œuvre de Martianus Capella recensé ci-devant – dû à celui que Grégoire de Tours, en 594, appellera « Martianus noster »21 – ne lui emprunte rien22. De son côté, et comme on pourra en juger ci-après, le Boèce logicien ne consacre aucune allusion aux CD, et n’y fait probablement aucun emprunt pour sa propre latinisation du premier traité de l’Organon23, alors qu’il fera bon usage, tout en la critiquant, de la traduction de l’Isagoge (c. 270) par Victorinus dans son commentaire mineur de cet opuscule. Et que le Boèce théologien des Opuscula sacra se soit inspiré dans son De sancta trinitate, selon Schurr24, notamment avec son concept d’ultra substantiam, de la tripartition des neuf catégories observée par le Paraphraste latin au § [52] – in ipsa usia, extra usian, et intra et extra [usian] – est une suggestion qui incite, selon nous, à la prudence25. Nous devons par conséquent attendre Isidore de Séville († 636) et ses Etymologiae (c. 615-636) pour voir reproduire deux fragments des CD26. Car si Cassiodore fait bien état d’une traduction par Victorinus des Catégories dans une première phase rédactionnelle de ses Institutions humaines, ce sera la traduction commentée (commentaire mineur)27 en trois livres de Boèce qui, dans la rédaction postérieure du traité cassiodorien, se substituera à celle de Victorinus28. 21 Voir Grégoire de Tours, Historian Francorum, X, 31, et S. Antès, « Témoignages précarolingiens sur Martianus Capella : Cassiodore, le Pseudo-Cassiodore et Grégoire de Tours », dans Institut Félix Gaffiot (dir.), Rencontres avec l’antiquité classique. Hommages à Jean Cousin, Paris, 1983. p. 289-297. 22 Ce que Ferré (2007) et J.-B. Guillaumin (2015) semblenr confirmer en ne mentionnant jamais les Categoriae decem comme autorité scientifique chez Martianus. 23 Les fragments de sa seconde latinisation (voir P. Hadot, 1959) relèvent du même constat. 24 Voir Schurr (1935, p. 86-87, n. 18). 25 Voir infra, p. 84-85. 26 Voir infra, p. 101-106. 27 Sur le commentaire majeur, voir P. Hadot (1959). 28 Sur la tradition textuelle complexe des Institutiones de Cassiodore, voir Holtz (1986).
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Toutefois, et plus curieusement encore, la translation boécienne des mêmes Catégories, qui reste la première dont on dispose à avoir été rapportée par un auteur contemporain au milieu du VIe siècle, disparaît à son tour presque aussitôt, à savoir une cinquantaine d’années plus tard, de l’horizon culturel des médiévaux, puisque, après le même Isidore qui la cite29 – peut-être par le truchement de Cassiodore –, elle s’efface pour plus de trois cents ans. On constate par conséquent que chez Isidore de Séville s’opérerait un phénomène rare en histoire des textes : dans ses Étymologies se rencontrent à la fois la première citation muette de l’adaptation latinisée des Catégories par l’Anonymus aligné sur Thémistius et la dernière citation de la version boécienne du même traité. Par un étrange effet de basculement, la traduction de Boèce apparaîtrait pour la dernière fois en même temps qu’émergeraient les CD, avant une éclipse commune, de deux siècles pour les CD (d’Isidore à Alcuin), et de trois et demi pour l’In categorias (d’Isidore aux années 990-1000). Autrement dit encore, Isidore resterait, pour des raisons qui nous demeurent inexplicables, le premier auteur à avoir reproduit des extraits de la contribution de l’Anonymus et le dernier, jusqu’à Gerbert d’Aurillac (946-1003), à avoir transmis des fragments du Boèce traducteur des Catégories. Quand les CD réapparaîtront, elles constitueront vraisemblablement, durant trois siècles environ (d’Alcuin à Anselme († 1109)), le seul accès au texte d’Aristote. Et lorsque la contribution boécienne refera surface chez Gerbert, en son Libellus de rationali et ratione uti de 99730, ce sera pour se maintenir jusqu’en 1266, date de la nouvelle version des Catégories due à Guillaume de Moerbeke (c. 1215-1286)31 – effectuée cependant à partir de celle de Boèce, qui demeurera, comme nous le verrons, dans le fonds doctrinal touchant ce traité jusqu’à Blaise de Parme († 1416) –, tandis que la connaissance et l’utilisation des CD se maintiendront difficilement, voire déclineront petit à petit, comme on le constate chez Abélard, dès lors que ces dernières ne seront plus que parcimonieusement exploitées dans les ouvrages des XIIe et XIIIe siècles, Henry de Harclay 29 Voir Étymologies, II, 26, par ex. : « substantia est, quae proprie et principaliter dicitur, quae neque de subiecto praedicatur, neque in subiecto est, ut aliquis homo vel aliquis equus » (6) = Boèce : « substantia autem est, quae proprie et principaliter et maxime dicitur, quae neque de subiecto praedicatur neque in subiecto est, ut aliqui homo vel aliqui equus » [5] (= Minio-Paluello, p. 7, 10-12) – voir Cassiodore, Institutiones humanae, III, 10 (= Mynors, p. 113, 20-25) – cf. CD (§ [57) in fine] : « est igitur usia proprie et principaliter dicta quae neque in subiecto est neque de subiecto significantur, ut est hic homo vel hic equus »). 30 Voir Libellus, VI et VIII (= Olleris, p. 301 et 303). 31 Voir Brams (2001).
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(† 1315) étant en apparence le dernier penseur connu les ayant utilisées (voir infra, p. 135). Pareille éclipse de près de trois siècles et demi (d’Isidore à Gerbert) de la traduction de Boèce ne paraît pas avoir retenu l’attention des historiens. De l’article fondateur en ce domaine de Van de Vyver en 1929 aux plus récentes publications, nous n’avons point trouvé ce constat souligné. Et pourtant, il reste possible d’affirmer, sans jamais perdre de vue l’étendue de nos lacunes documentaires, que ce cas serait unique dans la première vague de transmission des traités de l’Organon d’Aristote au monde latin, et qu’il ne sera pas sans incidence, sinon sur le contenu même de l’ancien corpus de logique médiévale, dit Logica vetus, du moins sur sa formation32. Les CD, en effet, n’apparaissent attestées que plus de deux siècles après la date de leur rédaction, par conséquent après que la version de Boèce eut été utilisée, laquelle ne se maintiendra que durant un créneau temporel équivalant à un peu plus d’un demi-siècle, puisque ce ne sera, rappelons-le, qu’au tout début du VIIe siècle, lorsque Isidore présentera les Catégories, qu’il exploitera le texte latinisé de Boèce pour la dernière fois avant sa disparition momentanée, et amorcera la pratique des CD. Un curieux phénomène de substitution se produisit donc vers 650, quand les CD, réapparues il y a peu, vont occulter la traduction boécienne pendant plus de trois siècles. Une illustration parlante de cet état de fait est donnée par un écrit de Ratramne de Corbie († c. 870) : le Liber de anima ad Odonem Bellovacensem, dont il sera de nouveau question plus loin. On y observe que l’auteur cite assez abondamment le cinquième des Opuscula sacra de Boèce (Contra Eutychen et Nestorium), mais, lorsqu’il a besoin de convoquer l’autorité logicienne profane, il fait intervenir, quoique muettement, les CD. Cela tendrait à montrer que Ratramne ne disposait pas à ce moment-là, c’est-à-dire vers 863, du texte des Catégories latinisé par Boèce rédigé autour de 510, alors qu’il connaissait au moins l’un de ses traités théologiques, dont la rédaction était à peine postérieure. D’ailleurs, au même moment Heiric d’Auxerre (841-876) 32 Rappelons que le corpus dit de la Logica vetus n’est pas arrêté dans sa composition. Le noyau dur en est constitué par les traductions des Catégories et du Peri hermeneias d’Aristote et de l’Isagoge de Porphyre, toutes trois effectuées par Boèce. On y ajoute parfois, du même Boèce, les traités De topicis differentiis, De divisione, De syllogismo categorico et De syllogismis hypotheticis. Il arrive qu’on y rattache également le Liber sex principiorum, compilation anonyme du XIIe s., formée par des extraits d’un écrit plus important, qui propose un commentaire anonyme concernant la dernière partie des Catégories d’Aristote. Certains y ajoutent enfin les Topiques de Cicéron, voire le Peri hermeneias d’Apulée ou du Pseudo-Apulée et les CD.
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rédigera des Gloses sur les CD, ce dernier recueil ayant constitué l’une des plus importantes sources du Periphyseon (c. 862-865) de Jean Scot (c. 800-877), offrant notamment à ce dernier une analyse philosophique des concepts fondamentaux d’essence, d’universaux, de temps et de lieu33. En résumé, nous obtenons : • CD (entre 350 et 390) : restent sans écho immédiat • Boèce, In Categorias (c. 510) : premier écho identifié chez Cassiodore († c. 585) • Isidore, Etymologiae (c. 615-636) : premier écho identifié des CD, dernier écho identifié de l’In Categorias • entre Isidore († 636) et Alcuin († 804) : éclipse des CD • entre Isidore et Gerbert : éclipse de l’In Categorias • d’Alcuin à Anselme († 1109) : réapparition des CD • à partir de 997 : nouvel écho identifié de l’In Categorias chez Gerbert • à partir d’Abélard († 1142), exploitation faible des CD et usage important de l’In Categorias • Guillaume de Moerbeke († 1286), retraduit les Catégories en 1266 sur la base de l’In Categorias, traité qui ne cessera toutefois pas, nous le verrons, d’alimenter plus ou moins les gloses sur l’ouvrage aristotélicien • Henry de Harclay († 1315) : dernier écho identifié des CD • Blaise de Parme († 1416) : dernier écho identifié de l’In Categorias. Pour fournir une vague comparaison en fonction de résultats qui restent forcément provisoires, l’influence des CD aurait couru, 250 années environ après leur composition, à peu près sur 500 ans ; celle de l’In Categorias, depuis leur rédaction approximativement sur 480 ans, déduction faite de chaque interruption. II. Un ouvrage pour cinq auteurs : une attribution en quête de stabilité Une fois en possession de cet aperçu d’un étrange chassé-croisé historique, venons-en au traité lui-même. L’opuscule, qui, par fait d’éditeur, s’est trouvé appelé, redisons-le, Categoriae decem ou De decem categoriis, Voir Marenbon (1980, p. 117).
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porte en vérité comme titre, toujours chez Minio-Paluello, l’intitulé suivant : Tractatus A…I de categoriis Aristotelis. Comme le montre ce libellé, son éditeur a préféré laissé l’écrit dans l’anonymat, la mention de tous les mss qu’il a retenus – AUGUSTINI ou AB AUGUSTINO – ne lui étant pas apparue satisfaisante. Pour notre part, nous voyons six identifications envisageables, toutes commençant évidemment par un A, y compris celle d’« Anonyme » (ANONYMI), que nous avons utilisée par commodité. Celle qui retient AUGUSTINI apparaît comme « officielle », en raison de l’indication des mss, les cinq autres étant des conjectures d’exégètes. Envisageons-les rapidement. II. a. Augustin d’Hippone (AUGUSTINI) Augustin n’est pas le plus ancien auteur pressenti des CD, mais il reste, et c’est pourquoi nous débutons par lui, le plus célèbre et celui qui a bénéficié de la seule attribution médiévale connue, due au témoignage explicite d’un auteur carolingien, figure de proue du premier grand renouveau culturel que compte le Moyen Âge, lorsqu’on fait débuter cette ère à Marius Victorinus : Alcuin (735-804). Vers 785-79034 l’Opus quartum de ses Opuscula didascalica, dialogue entre Alcuinus (luimême), directeur de l’école palatine, et son disciple Carolus (Charlemagne), intitulé De dialectica, dont il n’existe toujours pas d’édition critique, utilise abondamment, quoique pas tout à fait mot-à-mot35, les CD. Le pédagogue Alcuin ouvre ce quatrième chapitre par un dizain dédié au roi et empereur, dans lequel il présente l’ouvrage de façon très métaphorique, et inaugure ainsi une longue tradition en l’imputant à un Augustinus magister, immédiatement identifiable et identifié comme étant saint Augustin36. Dès le début du IXe siècle, en effet, époque des premiers manuscrits conservés des CD, on trouve des titres du genre : Tractatus beati Augustini de categoriis Aristotelis, attribution qui persistera plus de mille ans, avant que l’on se résolve, il y a peu37, à parler d’un Voir Rädler-Bohn (2016). Voir les passages édités par Minio-Paluello (1961, p. XC et 189-192), et celui infra, p. 14-15. 36 Sur les conditions qui ont présidé à la rédaction de cet ouvrage, voir Carlson & Hall (2011, p. 66 sqq.), qui précisent que les vers qui vont suivre avaient été placés comme dédicace en tête d’un exemplaire des CD qu’Alcuin offrit à Charlemagne. 37 En 1843, A. Jourdain, Recherches critiques sur l’âge et l’origine des traductions latines d’Aristote, Paris, p. 379, disait encore d’Augustin qu’il avait été le premier à traduire et expliquer les prédicaments d’Aristote. 34 35
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Pseudo-Augustin38. Dans un premier temps toutefois, ce qu’écrit Alcuin, si l’on écarte une erreur de copiste, suggère effectivement d’octroyer la paternité du traité à l’évêque d’Hippone. Voici les huit premiers vers du prologue alcuinien39 : Alcuin : 1. Ce petit livre renferme les dix mots de la nature, Mots qui contiennent déjà, par l’étonnante raison des choses, Tout ce qui pourra se présenter à notre esprit. Que celui qui le lira loue le merveilleux génie des Anciens 5. Et qu’il s’applique à exercer le sien à une telle activité, Ornant les moments de la vie qui lui ont été accordés de titres honorables. Il a plu au maître Augustin, à partir des trésors des anciens Grecs, De le faire passer (transferre) en latin avec une clé interprétative.
Alcuin énonce clairement qu’il s’agit d’un traité grec sur les 10 catégories – qu’il appelle verba –, traduit en latin et doté d’un commentaire (l’ensemble translatio et clavis (vers 8) pouvant tout à fait désigner une paraphrase) par Augustinus magister, dont l’identification ne devrait susciter que peu d’hésitation à considérer deux faits : d’une part, cette dénomination (Augustinus magister) fut celle donnée à Augustin de son vivant et durant tout le Moyen Âge40 ; de l’autre, à la fin du VIIIe siècle on était déjà bien sensibilisé au problème des apocryphes augustiniens qui fleurissaient, et l’on savait dénoncer les fausses attributions. C’est ce que firent, un peu plus tard et efficacement, Prudence de Troyes († 861) et Rémi de Lyon († 875), entre autres, à l’occasion des controverses prédestinationnistes41. L’attribution d’Alcuin a joui d’emblée d’une grande autorité, au point que l’on vit certains copistes modifier la formulation du début de l’opuscule en donnant un nom à l’interlocuteur anonyme mis en scène par le Paraphraste latin. Ainsi, là où celui-ci, pour rendre son écrit plus vivant, recourt au dialogue indirect avec un personnage passif appelé « mon fils » (fili – § [1] et § [176]) ), à prendre peut-être, comme nous le verrons, au sens littéral, on trouve en plusieurs manuscrits « o filii Adeodate = ô Adéodat, mon fils » (§ [1], et Minio-Paluello, p. 133, 4 et 186 38 La littérature mise sous la responsabilité d’un Pseudo-Augustin est l’une des plus fournies qui soit. Voir J. Machielsen (éd.), dans CPPM, I, où plus de la moitié des œuvres recensées concerne Augustin. 39 « 1. Continet iste decem naturae verba libellus, / Quae iam verba tenent rerum ratione stupenda / Omne quod in nostrum poterit decurrere sensum. / Qui legat, ingenium veterum mirabile laudet / 5. Atque suum studeat tali exercere labore, / Exornans titulis vitae data tempora honestis. / Hunc Augustino placuit transferre magistro / De veterum gazis Graecorum clave Latino », éd. Minio-Paluello (1961, p. LXXXVII, 1-8). 40 Voir Bardy (1950) et Courcelle (1955). Cf. Leinsle (1993). 41 Voir Blumenkranz (1954).
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exit. + XCIV) – Adéodat ayant été le fils naturel d’Augustin et son interlocuteur actif dans le De magistro. Ce fut là un excellent moyen pour sortir le tractatus de son anonymat. Mais que vaut l’assertion alcuinienne, forte quoi qu’il en soit de la notoriété de son responsable ? Après avoir très longtemps constitué un acquis, elle se révèle aujourd’hui improbable. Sans dresser l’historique de tous les arguments susceptibles de l’infirmer, nous ferons état de cinq critères qui, selon nous, paraissent aller contre cette désignation. A. Le premier est d’ordre philologique. Augustin, en effet, n’a, semble-t-il, longtemps su du grec que des rudiments42, et ce ne serait au mieux qu’à la fin de sa vie qu’il aurait été en mesure de le lire et de le traduire couramment43. D’autre part, dans le passage des Confessions où il rend compte de son apprentissage des catégories44, il se souvient du moment où, âgé d’une vingtaine d’années, il entra en possession, au sens propre (« in manus meas venissent ») comme au sens figuré, de certaines notions aristotéliciennes (aristotelica quaedam), que précisément « ils appellent Dix catégories » (quas appellant decem categorias – Confessions, IV, XVI, 28), qu’il se félicite d’avoir comprises sans aide – « ils [sc. son maître de rhétorique, tout à son orgueil de pouvoir les enseigner45, et quelques érudits] n’auraient rien pu dire d’autre que seul je n’eusse moi-même connu en lisant » (Ibid.). Le premier réflexe de l’exégète est de se dire – voyant tourner court son objectif immédiat qui est de savoir si le tout jeune Augustin aurait pu être l’auteur, comme l’affirme Voir Marrou (1948, p. 27-46). Voir Courcelle (1948, p. 194). 44 Voir Lossl (2012), qui fait part de la manière complexe dont Augustin aurait eu accès au contenu des Catégories. En interrogeant, dans la liste des catégories, l’ordre inversé de la qualité et de la quantité (Confessions, 4, 16, 28 et De trinitate, 5, 1, 2), il montre qu’Augustin aurait hérité d’une double tradition, l’une dont témoignent Calcidius et Martianus Capella, qui remonterait à Eudore (p. 107-108), et une autre présente aussi chez Claudien Mamert. Ainsi, « il est possible qu’à la fois Augustin et Claudien aient puisé à une source néoplatonicienne, peut-être le De regressu animae de Porphyre (dans la traduction de Marius Victorinus), ou dans une traduction latine des Symmikta Zetemata de Porphyre » (p. 118). Précisons encore qu’Eudore d’Alexandrie (fl. c. 40 a. Ch.) a commenté de manière critique les Catégories d’Aristote (fragments dans le propre commentaire de Simplicius sur le même ouvrage) – voir H. Tarrant, « Eudorus and the Early Platonist Interpretation of the Categories », dans M. Achard et F. Renaud (éd.), Le commentaire philosophique, II, Laval théologique et philosophique, 64, 3, 2008, p. 583-595 45 « Quand un rhéteur carthaginois – mon maître – mentionnait les [dix catégories], à leur nom, ses joues se gonflaient de suffisance au point d’éclater = Quarum [decem categoriarum] nomine, cum eas rhetor Carthaginiensis, magister meus, buccis typho crepantibus commemoraret », Confessions, IV, XVI, 28, 4. 42 43
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Alcuin, des CD –, que l’expression « decem categorias » renverrait tout autant aux dix « vocables qui se disent sans combinaison » (§ [51]), qu’à l’intitulé Decem categoriae, et donc que le futur évêque d’Hippone évoquerait précisément ici cet écrit qu’il eut entre les mains, dont il aurait pris connaissance tout seul, ayant été probablement l’un de ses premiers lecteurs. Magister Augustinus caractériserait alors comme suit les Dix catégories, qui désigneraient non pas l’opuscule d’Aristote mais celui du Paraphraste latin : Augustin : Ces notions me semblent parler assez clairement des substances, comme l’est « homme » (...) et de tout ce que l’on trouve dans ces neufs genres... ou dans le genre de la substance = satis aperte mihi videbantur loquentes de substantiis, sicuti est homo… et quaecumque in his novem generibus… vel in ipso substantiae genere… reperiuntur (Confessions, IV, XVI, 28).
La conjecture ne tient cependant pas au-delà de son énonciation, à considérer ce qu’ajoute le confessant tout de suite après, concernant l’utilité de ces connaissances : Augustin : À quoi cela m’avançait-il, et quand m’en acquitter lorsque, pensant que ces dix prédicaments (praedicamenta) embrassaient absolument tout ce qui est, je m’efforçais de te comprendre, toi mon Dieu, merveilleusement simple et immuable, comme si toi aussi tu étais le sujet de la grandeur et de la beauté » (Confessions, IV, XVI, 29).
En d’autres termes, Augustin, non encore converti, qui se serait trouvé dans l’incapacité, par une connaissance insuffisante du grec, de traduire l’écrit d’Aristote, avoue avoir quand même compris tout seul l’essentiel des Catégories à leur simple lecture (legi eas solus et intellexi), et lorsque, meilleur helléniste, il aurait été éventuellement en mesure de les latiniser, la tâche lui serait apparue inutile, vu qu’à ce moment-là il jugeait relativement inadapté l’outillage aristotélicien face à l’expression de la vraie nature de Dieu. B. Le deuxième critère est d’ordre doctrinal et concerne les très rares points de comparaison avec les CD que compte le De dialectica d’Augustin, un ouvrage de jeunesse qui remonterait aux années 384-386. Les définitions des termes « univoques » et « équivoques », par exemple, qui s’y trouvent énoncées n’autorisent aucun rapprochement significatif, ni d’énonciation ni de présentation, avec celles de leur correspondant adoptées par le Paraphraste latin, à savoir les « homonymes » et les « synonymes » : Augustin : Quidquid dicitur et per plura intellegi potest, eadem scilicet plura aut 1. non solum vocabulo uno sed una etiam definitione contineri queunt aut 2. tantum communi tenentur vocabulo sed diversis expeditionibus explicantur.
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3. Ea quae una definitio potest includere univoca nominantur, 4. illis autem quae sub uno nomine necesse est diverse definiri aequivocis nomen est = Quand une chose est dite et peut être comprise par plusieurs, il va de soi que ces choses qui sont plusieurs ou bien 1. ne peuvent être contenues non seulement en un seul vocable, mais non plus en une seule et même définition, ou bien 2. elles sont partagées uniquement par un vocable commun, mais expliquées par des développements différents. 3. Celles qu’une seule définition peut englober46 sont appelées « univoques », et 4. le nom est « équivoques » pour celles qu’il est nécessaire de définir différemment sous un même nom (De dialectica, IX = Pinborg, p. 109, 14-110, 20).
Formulé plus synthétiquement, nous obtenons : 1. vocable différent, définition différente, 2. même vocable, définition différente, 3. vocable différent (sous-entendu), même définition = « univoques », et 4. même vocable, définition différente = « équivoques ». On ne peut s’empêcher de relever que ce fragment est susceptible de deux lectures : une où l’on dénombre deux parties (3. reprendrait 1. et 4. reprendrait 2.), et une où l’on en dénombre quatre, indépendantes entre elles (1., 2., 3., 4.). Mais dans les deux cas, une incohérence se fait jour. En effet, dans la première lecture le rapport 3. = 1. est impossible puisque 3. y différe de 1. Dans la seconde lecture, c’est le rapport 2. = 4. qui empêche d’y voir quatre parties. Ces décalages n’interdisent toutefois pas de procéder à une confrontation avec un extrait du texte de l’Anonyme, pour noter correspondances et dissemblances : CD, § [10] : « Omonyma » sunt cum res quidem plures commune nomen accipiunt, interpretatione vero ejusdem rei separantur = Il y a homonymes quand des choses, certes plurielles, reçoivent un nom en commun, mais se distinguent par l’énoncé de la même chose = 2. et 4. […] § [14] Polyonyma sunt, cum multa nomina unam rem significant, neque ulla de differentia nominum redditur ratio = Il y a « polyonymes » quand plusieurs noms signifient une seule chose, et quand la formule ne rend compte d’aucune différence des noms = 3. […] § [15] : « Etheronyma » multis aeque nominibus res singulas tenent. Verum in his habet rationem diversitas nominum = Les « hétéronymes »…, soumettent également des choses singulières à plusieurs noms. Mais en eux, la diversité des noms possède une formule = 1.
Il ressort que : 1. ne correspond à rien chez l’Anonyme, dont les polyonymes n’ont pas de correspondants chez Augustin, § [15], 2. correspond aux « homonymes », § [10], 3. ne correspond à rien non plus, et 4. correspond de nouveau aux « homonymes ». D’autre part, tandis qu’Augustin conduit sa réflexion en n’excédant pas la sphère des mots (le sustantif res en est ici absent, et ne nous l’avons introduit que pour faciliter la « Ceux qui ont un nom différent et une même définition », faut-il comprendre.
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compréhension), l’Anonymus met tout de suite en jeu leur référence ontologique. De surcroît, le vocabulaire choisi par chacun des deux auteurs est globalement différent, bien qu’ils visent à cerner les mêmes notions, à commencer par leur désignation : Augustin traduit (univoca – aequivoca), là où le Paraphraste latin translittère (polyonyma – omonyma), et le premier choisit de désigner le λόγος et d’Aristote et de Porphyre par definitio et expeditio, quand l’autre opte pour interpretatio et ratio. C. Le troisième critère, dont nous empruntons le signalement à Anthony Kenny47, est en quelque sorte autoréférentiel. Le fait que l’évêque d’Hippone n’a pas mentionné les CD dans ses Rétractations serait propre à garantir qu’il n’en est pas l’auteur. Dans cet écrit, effectivement, rédigé par étapes au cours de la dernière décennie de sa vie (c. 420-430), Augustin passe en revue, avec rigueur et minutie, l’ensemble de sa production littéraire selon un ordre chronologique : Augustin : Mes œuvres, que ce soient les livres, que ce soient les lettres, que ce soient les traités, je vais les soumettre à une critique sévère, et ce qui m’y déplaît, je le flétrirai d’une manière qui vaudra censure48.
Même les pages égarées y sont consignées, ce qui assure l’exhaustivité. Voici l’exemple des arts libéraux, dont ne purent être achevés que les traités sur la grammaire et la musique, le reste n’ayant été qu’esquissé : Augustin : Des cinq autres disciplines que j’y [sc. à Milan] avais également abordées – la dialectique (dialectica), la rhétorique (rhetorica), la géométrie, l’arithmétique, la philosophie (philosophia) –, seuls les principes en avaient été posés, qui pourtant ont bien été perdus aussi ; mais je subodore qu’ils se trouvent en possession de quelques-uns49.
Si « la dialectique » correspond au De dialectica inachevé que nous avons retrouvé, et si l’on peut en dire autant de « la rhétorique » relativement au De rhetorica, qui est aussi en notre possession50, les Rétractations sont exemptes de toute autre évocation qui pourrait désigner les CD, auxquelles la caractérisation « philosophia » n’est, selon nous, aucunement en mesure de renvoyer.
Voir Kenny (2005, p. 131). Augustin, Rétractations, Prologue (= Knöll, p. 7). 49 Augustin, Rétractations, I, VI, 5 (= Knöll, p. 28). 50 Voir Aubin (2013) pour l’authenticité. 47 48
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D. Le quatrième critère, tout autre, est d’ordre purement lexical. Au § [126], l’Anonymus s’arrête sur le passage 10a27-b11 des Catégories, et plus particulièrement sur les lignes b6-11 : Aristote : « Parfois, alors même qu’il existe un nom établi, le sujet qui est qualifié d’après cette qualité n’est pas nommé de façon dérivée : ainsi l’homme de bien (σπουδαῖος), à partir de la vertu (ἀρετή). Car c’est parce que l’on possède la vertu que l’on est dit homme de bien, mais ce terme ne se dit pas de façon dérivée à partir de la vertu ; mais une telle situation ne se rencontre pas souvent » (10b6-11 = Crubellier–Pellegrin, p. 51).
Il a très probablement à sa disposition la glose de Porphyre, que celuici effectue en deux temps : Porphyre, CC, 70, 14 sqq. : « Alors qu’il y a la vertu (ἀρετή), celui qui participe de la vertu se trouve appelé “méritant” (σπουδαῖος). Ici, la vertu est bien la chose à laquelle l’homme en question participe, mais dès lors qu’il n’a pas de part à ce nom – le “méritant” et la “vertu” constituent en effet des noms différents –, il ne peut être question de dérivés ; si bien que l’homme méritant, quoiqu’il ait part à la vertu, ne sera pas appelé méritant par dérivation » (= Bodéüs, p. 147), et 135, 19 sqq. : « Bien qu’on appelle “vertu” l’état parfait, la personne désignée par cet état n’est plus expressément désignée par un dérivé de “vertu” ; en effet, “vertueux” (ἀρεταῖος) n’est pas dans l’usage et on ne peut pas dire “envertué” (ἐνάρετος), car on ne dit pas non plus “enlettré” celui qu’on qualifie d’après la science des lettres ; celui qu’on désigne à partir de sa vertu est au contraire appelé “méritant” » (= Bodéüs, p. 451 et 453 – nous avons remplacé « sérieux » par « méritant »).
L’Anonymus, qui tente l’équivalence avec le latin, reprend l’exemple en grec, mais en risquant un barbarisme personnel. En effet, au lieu des ἀρεταῖος et ἐνάρετος de Porphyre, illustrations peut-être trop longues et trop complexes pour être reprises telles quelles, il préfère employer une sorte de crase, ἀρετός : CD, § [126] : « En grec on ne dit pas non plus ἀπὸ τῆς ἀρετῆς [« d’après la vertu »] ἀρετός [« vertueux »], mais σπουδαῖος [« méritant »]) ».
Il en vient ensuite donc à citer le mot « virtuosus » comme exemple de barbarisme, lequel est destiné à servir de correspondant à un autre barbarisme, grec celui-ci : ἀρετός, et ce pour faire comprendre que la dérivation qualité → qualifié n’est pas toujours fondée paronymiquement, en latin comme en grec, sur une dérivation morpho-sémantique. Virtuosus, qui n’existait donc pas à l’époque du Paraphraste latin, n’est point dérivé de virtus (on usera alors de moderatus ou d’industrius pour désigner le « vertueux »), au même titre qu’ἀρετός, qui n’existait pas non plus en grec – et n’existera jamais –, n’est point dérivé d’ἀρετή (on
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dira à ce moment-là σπουδαῖος pour signifier pareillement le « vertueux »). Seulement, virtuosus sera employé sans précaution par Augustin, et dans son Contra Secundinum Manichaeum (X)51, de c. 399, et, quoique vraisemblablement non augustinien52, dans le Sermon 161 (De Sancto Thoma Apostolo (2), selon le classement de Mai)53, précisément avec le sens de « vertueux » pour la première occurrence, et de « puissant » pour la seconde. On pense même qu’il serait le premier à avoir validé ce néologisme. Dans ces conditions, et sur le seul emploi du Contra Secundinum, écrit authentifié par les Rétractations (II, X), il devient tout simplement impossible d’identifier l’Anonymus avec Augustin : l’ignorance où se trouve le premier quant à l’usage de virtuosus montre soit qu’il est antérieur au second, soit, s’il en est le « contemporain », que l’un ne peut être confondu avec l’autre. E. Le cinquième et dernier critère, par lequel nous aurions peut-être dû commencer, est tout simplement chronologique : l’évêque d’Hippone (354-430) pourrait difficilement être l’Anonymus, attendu que ce dernier déclare qu’il est le contemporain de Thémistius (c. 317-c. 388) : « Thémistius, philosophe de notre génération » (nostra aetas – CD, § [20]), et « Thémistius, éminent philosophe de notre temps » (nostra memoria – CD, § [176]), des expressions sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Est-il permis de céder à l’hypothèse selon laquelle la Paraphrase thémistienne aurait pu être rédigée par un tout jeune Augustin, celui d’avant sa conversion spirituelle de 387 ? On l’admettra sur un plan strictement événementiel, en mettant à profit le très bref chevauchement chronologique, sans perdre toutefois de vue ce qu’à révélé le premier critère. Mais deux individus nés à environ 37 années d’intervalle peuvent-ils relever « de la même génération », ou ne doivent-ils pas plutôt être dits appartenir à deux générations successives ? Sans même envisager ici des critères supplémentaires, l’attribution à Augustin semble donc, à ce stade de l’enquête, ouvrir sur un balancement contradictoire : elle se justifie relativement à l’indication d’Alcuin, qui ne peut manquer de jouir d’un certain crédit qu’il reste délicat de 51 « An affectione animi, ut virtuosus injusto = est-ce par une affection de l’esprit que le vertueux l’emporte sur l’injuste ? ». 52 Le sermon serait dû à un auteur anonyme du treizième siècle – voir Ch. Mohrmann, Études sur le latin des chrétiens, I, Paris, 19612, p. 200, n. 6. 53 Au sujet de l’Apôtre Thomas : « virtuosus in signis », avec le sens de potens d’après Mai – voir A. Mai, Nova patrum bibliotheca tomus primus, continens Sancti Augustini novos ex codicibus Vaticanis sermones, Romae, 1852, p. 359.
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d émentir, mais elle devient difficilement tenable au regard du faisceau de notations que l’on vient de présenter. Comme nous aurons l’occasion de le redire, le recours à la pseudépigraphie s’explique alors à la fois par l’impossibilité d’accréditer totalement la mention alcuinienne et par la nécessité de céder aux arguments qui l’invalident. Diverses paternités, concernant toutes un auteur dont l’initiale du nom est évidemment « A… », ont cependant été avancées, qui nous ramènent plus ou moins aux années 350-400. Lorenzo Minio-Paluello penche pour « un » Albinus54, Anthony Kenny pour (Marius Victorinus) Afer (= « l’Africain »)55, Pierre Hadot, reprenant Fabricius56 et d’autres, pour (Vettius) Agorius (Praetextatus)57 et Claudio Moreschini pour le (Pseudo-)Apulée. II. b. Albinus (ALBINI) De par la multitude des Albini, chez lesquels les nomina, signa et cognomina se croisent et s’entrecroisent sur plusieurs générations, sans garantir pour autant un lien de parenté, et le peu d’informations dont on dispose sur chaque personnage58, l’Albinus auquel songe Minio-Paluello nous retiendra beaucoup moins longtemps. Il correspondrait à celui, spécialiste de geometria et peut-être de dialectica, qu’évoque Boèce dans la seconde édition de ses In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii, donc celle destinée à des lecteurs aguerris : Boèce : « Albinus quoque de isdem rebus scripsisse perhibetur, cuius ego geometricos quidem libros editos scio, de dialectica vero diu multumque queasitos reperire non valui = On prétend qu’Albinus a aussi écrit sur ces mêmes sujets [i. e. la dialectique] ; je connais bien les livres qu’il a édités sur la géométrie, mais sur la dialectique je n’ai pas été capable d’en retrouver, en dépit de longues et nombreuses enquêtes » (= Meiser, II, p. 4)59.
Ce serait en outre celui dont Cassiodore dit avoir lu le traité sur la musica : Cassiodore : « Apud Latinos autem uir magnificus Albinus librum de hac re compendiosa breuitate conscripsit, quem in bibliotheca Romae nos habuisse atque studiose legisse retinemus = Chez les Latins, un grand personnage, Albinus, 54 Voir Minio-Paluello (1945, p. 67-68). Sur la dynastie des Albini, voir Flamant, (1977, p. 58-63). Pfligersdorffer (1952) se prononce contre cette attribution. 55 Voir Kenny (2005). 56 Voir Fabricius (1793, p. 211). 57 Voir Hadot (1971, p. 194, 20 et 197). Flamant (1977, p. 193), adossé à Courcelle (1948, p. 4), en fait un acquis. 58 Voir The Prosopography (p. 33 sqq.). 59 Voir Chadwick (1981, p. 114), qui avalise l’éventualité.
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a rédigé, avec une concision avantageuse, un traité sur cette matière, qu’il nous revient en mémoire d’avoir possédé dans notre bibliothèque à Rome et lu avec application » 60.
En se limitant à ces seules mentions61, il n’y a rien d’invraisemblable à ce que ce lettré, qui possédait plusieurs cordes à son arc, dont celle de dialecticien, et aurait œuvré dans le cadre des disciplines du trivium et du quadrivium, puisse endosser la condition de paraphraste latin des Catégories d’Aristote. C’est là toutefois la seule présomption qui ne fasse point question. Martindale est d’avis qu’il s’agirait plus précisément de Caeionius Rufius Albinus senior, consul de 335 (puis de 345, selon Chastagnol, 1956) et préfet de la Ville (335-337 – Chastagnol, 1956, ne dit rien de cette dernière charge), surnommé « philosophus »62, sans plus de précision sur pareille réputation, qui aurait été le père de Publilius Caeionius Caecina Albinus, pontife païen, consulaire de Numidie en 365, et le grand-père d’un autre Caeionius Rufius Albinus et de Caecina Decius Albinus, son frère cadet, évoqués tous deux précédemment63. Mais comment quelqu’un nommé consul en 335 aurait-il pu être « de la même génération » que Thémistius ? On pense, en effet, que cet honneur était accordé, au Bas-Empire (284-476) notamment, à des hommes d’environ trente-deux ans64. L’Albinus en question aurait donc dû naître aux environs de 303, ce qui n’en fait guère un sujet « du même âge » que quelqu’un né vers 317, à moins de prendre au sens large les expressions nostra aetas et nostra memoria (voir infra, p. 48-49). De son côté, Flamant ne rejette pas non plus la conjecture de MinioPaluello, suggérant néanmoins qu’il faudrait plutôt y voir le préfet de la Ville de 390-391 (389-391, pour Chastagnol, 1956), le Caeionius Rufius Albinus déjà signalé (c. 340-c. 418)65, petit-fils du précédent et frère aîné de Caecina Decius Albinus. Mais, là encore et à l’inverse, comment quelqu’un nommé préfet de Rome en 389-390 aurait-il pu être « de la même époque » que Thémistius, mort vers 388 ? Car à partir de 346, la préfecture de la Ville aurait été d’un prestige moindre que le Cassiodore, Institutiones, II, V, 10, De musica (= Mynors, p. 149). Cet Albinus fut un temps identifié à Alcinoos ou Alcinous, philosophe platonicien et stoïcien – voir, par exemple, J. Freudenthal, Der Platoniker Albinos und der falsche Alkinoos, Berlin, 1879. 62 Voir The Prosopography, « Albinus 14 » (p. 37). 63 Voir Flamant (1977, p. 59-60). 64 D’après A. Chastagnol, « Observations sur le consulat suffect et la préfecture du Bas-Empire », dans Revue Historique, 219, 1958, p. 221- 253 – ici 221. 65 Voir Flamant (1977, p. 60), et The Prosopography, « Albinus 15 » (p. 37-38). 60 61
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consulat ordinaire et l’aurait précédé dans le cursus honorum 66. Le décalage chronologique apparaît donc plus important que dans le cas précédent. Par ailleurs, quel que soit l’individu auquel il correspond, ce nom d’Albinus comme auteur des CD a donné lieu à une conjecture plutôt fragile pour expliquer le glissement ultérieur imposé par l’attribution d’Alcuin : ALBINI → AUGUSTINI. En effet, Minio-Paluello, soucieux de ne pas faire l’impasse sur la désignation « AUGUSTINI », a suggéré qu’une méprise de nature onomastique se serait produite, due à un copiste peu instruit ou obnubilé par l’évêque d’Hippone, qui aurait remplacé, après une confusion ou une extrapolation sur le ductus, Albinus par Augustinus, selon la dérivation suivante : ALBINUS → AUINUS → AU(GUST)INUS. Autrement dit, sans doute au moment, rappelé plus haut (supra, p. 12), où abondaient les apocryphes augustiniens, ALB aurait été lu AU, lequel, à son tour, aurait été développé en AUGUST67. Bien des éventualités sont certes envisageables en ce domaine, et nous ne nous hasarderons pas trop avant sur le terrain de la paléographie latine, mais on ne peut s’empêcher de penser, avec Claudio Moreschini, qu’il faut une bonne mesure d’imagination pour accepter celle avancée ici. Redisons quand même qu’en dépit des interrogations soulevées, l’identification A…I = ALBINI est, à notre sentiment, la première des trois conjectures qui conserve, avec celles touchant Praetextat et le PseudoApulée, une certaine pertinence. II. c. (Marius Victorinus) (AFRI) L’éventualité de voir Marius Victorinus Afer, c’est-à-dire l’« Africain » parce que né en Afrique († c. 370)68, se cacher derrière l’Anonymus, qui a été mise en avant par Anthony Kenny69 – il s’agirait dans ce cas de résoudre l’énigmatique appellation A…I par AFRI –, apparaît plus ou moins fragile selon le critère d’authenticité que l’on adopte. Bien que n’étant concernée par aucune erreur de transcription sur les noms propres, la conjecture pâtit d’abord de ce qu’il serait curieux,
Voir Chastagnol (1958, p. 230-231). Voir Minio-Paluello (1945, p. 68). 68 Ce surnom aurait pu être donné également à saint Augustin. 69 Voir Kenny (2005, p. 132-133). 66 67
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voire incongru, de désigner un auteur par son ethnique70. D’autre part, et sur un tout autre registre, Victorinus, qui a certes traduit l’Isagoge de Porphyre – version que Boèce, avec un esprit critique, reproduira en grande partie dans son premier commentaire du même traité –, et un autre ouvrage porphyrien pour rédiger son De definitionibus (voir supra, p. 3), n’est pas connu comme spécialiste d’Aristote. La réalité d’une traduction glosée des Catégories et de celle, simple, du Peri hermeneias que lui prête Cassiodore, apparaît du reste très improbable71, attendu que l’information résulterait d’une confusion avec le travail de Boèce72. Dans le premier état textuel des Institutions, il consigne effectivement : Cassiodore : « Categorias… transtulit Victorinus; cuius commentum octo libris ipse quoque formauit »,
tandis que dans le second il énonce : Cassiodore : « Categorias… transtulit patricius Boethius, cuius commenta tribus libris ipse quoque formavit »73.
Le fait d’avoir substitué le patrice Boèce et ses commentaires en trois livres à Victorinus et son commentaire en huit livres, sans les mentionner ensemble comme complémentaires, équivaudrait à une rectification plutôt qu’à une actualisation. Néanmoins, si l’on se souvient de la conjecture précédente à propos d’Augustin, qui, dans son évocation des « dix catégories » aurait directement signifié qu’il avait eu entre les mains, donc lu, les CD, la possibilité que Victorinus ait traduit ou adapté les Catégories d’Aristote retrouve quelque pertinence, pour autant que le rôle de cette traduction pourrait avoir été du même ordre que celui des Libri platonici ou platonicorum (Confessions, VII, 9 et 20)74, qui désignent en fait des écrits des premiers Néoplatoniciens, tels Plotin et Porphyre, sans aller jusqu’à dire que cette version des Catégories en ferait partie : comme il fut initié en quelque sorte à Platon par la latinisation de Marius Victorinus (Ibid., VIII, 2) touchant des traités néoplatoniciens (Cité de Dieu, VIII, 12), le vingtenaire Augustin le fut à Aristote par celle de 70 Sa nomenclature se décompose comme suit : Gaius (nomen) Marius (signum) Victorinus (cognomen) Afer. 71 Voir supra, p. 3, la référence à Hadot, qui vaut aussi pour le Peri hermeneias. 72 Voir Holtz (1986). 73 Voir Cassiodore, Institutiones, II, III, 18, De dialectica (= Mynors, p. 128, 16-17). 74 Voir Rachet (1963).
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la traduction-adaptation nommée De decem categoriis, effectuée par le même. Par ailleurs, Kenny argue d’un critère doctrinal fort intéressant, à savoir que la conception de l’étant que met en place l’Anonymus, où la notion de puissance est dominante, utilise un vocabulaire qui rappelle celui employé par Victorinus en ses écrits théologiques (Epistola ad Candidum, De homoousio recipiendo et Adversus Arium). Dans cette hypothèse, les CD seraient alors à identifier avec la traduction victorinienne des Catégories mentionnée par Cassiodore, identification qui aurait par conséquent toute sa pertinence. Reste que d’après Minio-Paluello, si Martianus Capella pourrait avoir cité des extraits de la version victorinienne des Catégories au livre IV du De nuptiis – ce qui ne ressort pourtant nullement du seul tableau de la p. 36 infra –, et aurait attesté ainsi de l’existence de cette dernière, le style du Paraphraste latin est totalement étranger à celui du Victorinus traducteur de l’Isagoge, notation qui suffit à invalider, pour le même MinioPaluello, l’idée qu’il pourrait lui être identifié75. D’ailleurs, l’ordre et la dénomination des catégories qu’il a choisis accusent des divergences importantes avec ceux retenus par l’Anonyme. En dernier lieu, nous avancerons un argument supplémentaire qui nous apparaît aller aussi contre la possibilité de faire fond sur l’identité de Victorinus avec l’Anonymus. En tant précisément que traducteur de l’Isagoge, le premier n’aurait point dû manquer, s’il avait été l’Anonyme, lequel s’est donné pour tâche de « satisfaire ceux qui sont déjà doctes, ou bien [d’]instruire très complètement les non-doctes » (CD, § [176]), d’intervenir sur la problématique des universaux, dans la mesure où cette dernière est née justement de ce qu’Aristote, dans ses Catégories, s’est contenté de mentionner, sans en traiter vraiment, cinq notions, appelées prédicables (genre, espèce, différence, propre et accident), à propos desquelles Porphyre, dans son Isagoge, soulèvera, touchant les deux premiers, les trois questions qui donneront naissance à ladite problématique, initialement avec Boèce : 1. existent-ils ou ne sont-ils que de purs concepts 2. s’ils existent, sont-ils corporels ou incorporels 3. s’ils sont incorporels, sont-ils séparés ou ne subsistent-ils que dans les sensibles et en rapport avec eux76 ? Or, à ce qu’il nous a été donné de constater, et même si nous nous situons un grand siècle avant Boèce, les CD n’abordent aucune de ces interrogations et donc Voir Minio-Paluello (1945, p. 66). Voir Isagoge, 2 (= De Libera-Segonds, p. 1).
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ne les soumettent pas à l’élucidation dont elles auraient mérité de bénéficier dans le cadre, rappelons-le, d’un auteur qui entend œuvrer « d’une manière persuasive pour les doctes, et d’une manière suffisamment claire pour ceux qui veulent s’instruire » § [149]. La question ayant déjà été énoncée d’emblée par Porphyre et traduite par Victorinus77, elle aurait dû susciter, de la part de l’Anonyme s’il avait été ce dernier, au moins une formulation, voire une tentative de réponse compte tenu de son double idéal pédagogique. II. d. (Vettius) Agorius (Prétextat) (AGORII) La quatrième suggestion, due à Fabricius et reprise par Pfligersdorffer puis Hadot, intéresse Prétextat (c. 310-c. 385)78. L’homme a occupé de hautes fonctions, comme celle de Préfet de la Ville en 367-368, qu’il a su conjuguer, nous le savons, avec l’acquisition d’une culture fort étendue, l’exercice d’un talent littéraire et la conquête d’un statut reconnu de grand docteur en sciences religieuses79. Macrobe le décrit en outre comme ayant essayé de ralentir la progression de la religion chrétienne en défendant une religion païenne héliognostique, adoptée par les adorateurs du soleil80. D’aucuns n’avalisent pourtant pas ce virtuel Paraphraste latin, tel Minio-Paluello – soutenu par H. Chadwick81 –, qui a formulé quelques objections contre cette identification, assez faibles de notre point de vue, dont une suggérant qu’« Agorius » pourrait ne désigner qu’un simple étudiant intéressé par des questions de logique82. Comment concevoir que l’Anonymus, qui entend aussi être utile au lecteur non-spécialiste, aurait pu faire mention d’un prétendu expert issu de son entourage professionnel immédiat, donc totalement inconnu des amateurs de dialectique aristotélicienne qu’il souhaitait atteindre ? D’autres aspects amènent à douter plus ou moins et de cet Agorius et de son identité avec le scripteur des CD. Nous en mentionnerons trois. D’abord, quelle raison y avait-il pour privilégier la graphie « Agorius », qui n’est donnée que par un seul ms., quand celle « Augorius » figure Voir P. Hadot (1971, p. 371). Voir également Courcelle (1948, p. 26-36), Chastagnol (1962, p. 171-177) et Martindale, Prosopographie (p. 722 sq.). 79 Voir Flamant (1977, p. 26-36). 80 Voir Macrobe, Saturnales, I, 17. 81 Voir Henry Chadwick, Boethius. The Consolations of Music, Logic, Theology, and Philosophy, Oxford, 1990, p. 114. 82 Voir Minio-Paluello (1945, p. 67-68). Cf. Pfligersdorffer (1952). 77 78
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dans trois mss et celle « Augurius » dans deux83 ? Certes, à la différence de la première, les deux autres graphies sont absentes de la Prosopographie, dont le premier volume couvre les années 260-395, mais cela n’a point de caractère péremptoire. Ensuite, et c’est ce qui fait obstacle, le constat selon lequel l’Anonymus mentionne une seule fois, quoique en incise, son nom, infirme immédiatement l’implication d’Agorius comme traducteur de la Paraphrasis themistiana, attendu qu’il ne saurait s’être autodésigné : CD, § [125] : « Certains veulent associer ces catégories [« lénitude », « rugosité », « rareté » et « densité »] à une autre, qui se dit chez les Grecs κεῖσθαι, chez nous iacere [« reposer »] (ou bien, comme le veut Agorius – que moi je tiens pour doctissime – “situation” » (situs)84).
Agorius peut fort bien avoir composé lui-même un commentaire sur les Catégories d’Aristote, mais sûrement pas celui qui l’autociterait. De plus, il n’apparaît pas à l’occasion d’un exemple, comme cela se produira, nous le verrons bientôt, avec et chez Apulée. Il intervient en qualité d’autorité exégétique d’Aristote. Enfin, le même Anonymus, outre le fait inhabituel qu’il désignerait un individu cette fois-ci par son surnom (signum)85, évoque cet Agorius comme un érudit, traducteur et commentateur d’Aristote, sans le situer chronologiquement, rien n’indiquant dans son allusion qu’il vécut en contemporain de Thémistius. L’éventualité de l’équation : « Agorius = Vettius Agorius Praetextatus » ne saurait toutefois être rejetée, sur la base de ces trois indices, sans signaler qu’elle présente par ailleurs, dans un cadre moins superficiel, une vraisemblance certaine. Car Vettius Prétextat a traduit en latin, au dire de Boèce, en ses In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii, première version, un ouvrage de Thémistius relatif aux Premiers et Seconds Analytiques d’Aristote : Boèce : Vettius Praetextatus priores postremosque analyticos non vertendo Aristotelem latino sermoni tradidit, sed transferendo Themistium = Vettius 83 On peut exclure un certain Augurius ou Augurinus, diacre martyrisé en 259 à Tarragone, en Espagne, avec son évêque Fructueux et l’autre diacre de ce dernier, Euloge, sur ordre du gouverneur Aemilianus, pendant la persécution exercée par les empereurs Valérien (253-268) et Gallien (253-260). Outre sa situation chronologique, à ce que l’on sait, aucun écrit de cet invraisemblable exégète d’Aristote n’est à mettre à son actif. 84 Ce qui sera également, comme le donnera à voir le tableau des p. 36-37, infra, le choix de Martianus Capella, Boèce, Cassiodore et Isidore de Séville. 85 Voir, supra, le cas de Marius Victorinus. Ici, la nomenclature se décompose ainsi : Vettius (nomen) Agorius (signum ou surnom) Praetextatus (cognomen) – voir Salomies (2012, p. 20-21).
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rétextat a fait passer les Premiers et Seconds Analytiques en langue latine, non P en traduisant Aristote mais en translatant Thémistius (= Meiser, II, p. 3-4).
Si l’on s’en tient à ce que l’on sait de la production thémistienne, cette « translation » des Analytiques coïnciderait avec la Paraphrase des Premiers et seconds Analytiques86, précision, notons-le au passage, en mesure d’infirmer l’avis de Todd, qui tient la Paraphrase des premiers Analytiques pour apocryphe87. Qui serait alors plus à même d’avoir latinisé la Paraphrase des Catégories que celui qui a à son actif la traduction de celle des Premiers et des Seconds Analytiques, nonobstant le fait que Boèce ne mentionne pas, dans sa désignation, « Agorius » ? Pourtant, quel que soit le poids de notre observation, force est de reconnaître que l’impossibilité d’une autodésignation reste une donnée rédhibitoire, ce qui nous pousse à exclure l’idée que l’« Agorius » conjecturé puisse être Vettius Agorius Praetextatus. Sans cette mention, ce serait, selon nous, avec Albinus et le Pseudo-Apulée, l’un des trois candidats les plus sérieux pour une identité avec le Paraphraste latin, sous la résolution AGORII. II. e. (Pseudo-)Apulée (APULEII) Nous devons à la précieuse amitié de Claudio Moreschini notre pénultième suggestion, qui, à terme, est peut-être, avec la deuxième touchant Albinus et la précédente, et pour des raisons différentes, celle manquant le moins, dans la limite de ce que nous savons, de crédibilité. Nous allons tenter d’en évaluer la vraisemblance88. Si les dates d’Apulée de Madaure (c. 125-c. 175) sont loin d’en faire un penseur du IVe siècle, son œuvre polymorphe89 et redondante s’est vue 86 Voir l’édition de M. Wallies pour la Paraphrase thémistienne des Seconds Analytiques (CAG, V, 1), la paraphrase des Premiers étant perdue. 87 Voir Todd (2003, p. 59B). 88 Voir Moreschini (1978, p. 51-132). 89 Parmi les ouvrages d’Apulée qui peuvent être considérés comme authentiques, édités pour la plupart dans la Collection des Universités de France, on retiendra : Métamorphoses ou L’Âne d’or (réflexions d’une personne trop crédule, transformée en âne à la suite d’un ensorcellement), Florida (florilège de ses discours), Apologie (plaidoyer de lui-même déclamé lors du procès qu’on lui intenta pour avoir envoûté son épouse), Du dieu de Socrate (des dieux, de leurs intermédiaires et des hommes, puis de la sagesse), Platon et sa doctrine (De Platone et eius dogmate – la plus ancienne biographie de Platon qui nous soit parvenue –, suivie d’une présentation de sa doctrine en deux livres : philosophie naturelle et philosophie morale), le troisième étant peut-être le Peri hermeneias, Du monde (très inspiré par le Περὶ κόσμου du Pseudo-Aristote – comment le philosophe doit s’appliquer à interpréter la nature et à découvrir ses secrets pour vivre en homme vertueux et participer au divin). Ajoutons que le grammairien Priscien de Césarée
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privée, au fur et à mesure que les recherches se précisaient, d’un certain nombre de compositions, que l’on a imputé à un Pseudo-Apulée. Ce corpus regroupe essentiellement un Herbarius (recueil de diverses recettes médicinales)90, parfois mis à l’actif, à tort semble-t-il, d’un Sextus Apuleius Barbarus, une Physiognomonie (compilation de traités grecs traduits en latin sur cette discipline)91, et l’Asclépius (traduction d’un traité éponyme du Corpus hermeticum, qui a été attribuée notamment à Marius Victorinus92), productions toutes situées dans la seconde moitié du IVe siècle, époque très féconde, nous savons pourquoi, en particulier en traductions gréco-latines. Il va sans dire que le recours à une même pseudonymie ne signifie nullement qu’un seul auteur doive endosser toutes les compositions que l’on retire à la paternité littéraire d’Apulée. Ces écrits pseudo-apuléens, bien qu’ils relèvent de genres très disparates, qui sont bien dans le prolongement de la condition de ce dernier et font aussi du Pseudo-Apulée un érudit polygraphe, ont simplement en commun d’être des latinisations de traités grecs, possiblement rédigés entre 350 et 400. Mais, vu l’éclatement des thématiques, ils ne permettent guère de mener une recherche croisée d’indices susceptibles d’établir une parenté avec les CD. Le cas du Peri hermeneias (connu aussi sous la dénomination : De interpretatione), autre production souvent attribuée au Pseudo-Apulée, est bien plus intéressant pour notre problématique, dans la mesure où, en tant qu’ouvrage fortement inspiré par le deuxième traité de l’Organon d’Aristote, quoique l’on ne puisse pas allé jusqu’à y voir une version latine, il serait, en dépit de ses décalages avec celui des Catégories, dont il est néanmoins complémentaire, le seul écrit en notre possession à même de rendre possible une certaine confrontation avec les CD. Édité comme troisième partie du De Platone et eius dogmate dudit Apulée, ce morceau de logique formelle relativement court (XIV paragraphes de (* c. 470) lui prête une paraphrase du Phédon de Platon, dont il reproduit deux extraits (Institutiones grammaticae, dans H. Keil, Grammatici Latini, 2, p. 511 et 520), et Cassiodore lui attribue une traduction de l’Introduction à l’arithmétique de Nicomaque de Gérase (Institutions, II, 4, 7). 90 Voir Pradel-Baquerre (2013). 91 Voir l’édition et la traduction, introduite et commentée, d’André (1981), p. 31-34. La physiognomonie est la science qui détermine plus ou moins le caractère d’une personne à partir de l’observation de son apparence physique, et plus particulièrement de sa physionomie. 92 Voir W. Scott, « Hermetica. The Ancient Greek and Latin Writings which contain religious or philosophic teachings ascribed to Hermes Trismegistus », I, Oxford, 1924, p. 286-377 et III, Oxford, 1926, p. 1- 300 – ici 79 sqq., signalé par B. Rochette, « Un cas peu connu de traduction du grec en latin : l’Asclepius du Corpus Hermeticum, dans, Cahiers Glotz, XIV, 2003, p. 67-96 – ici 68.
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longueurs très inégales), où se mêlent des éléments provenant surtout d’Aristote93, et moindrement de Théophraste et des Stoïciens, circonscrit dès le début sa thématique, centrée sur une théorie du syllogisme catégorique, apodictique ou assertorique94, : Il est une seule partie de l’art du discours (ars disserendi) essentielle à mon propos, que l’on appelle « énonciatif » (pronuntiabilis), celle exprimant un jugement complet (absoluta sententia), la seule parmi toutes les autres qui dépende de la vérité ou de la fausseté (1)… Nous parlerons maintenant de la proposition affirmative (praedicativa), parce qu’elle est par nature antérieure (prior) et comme un élément de la subordonnée (substitutiva) [ou conditionnelle (condicionalis)] (2).
Nombreux sont ceux qui lui refusent encore l’authenticité apuléenne, en le situant le plus souvent au IVe siècle95. Le chef de file des partisans de l’apocryphité, à laquelle se rattachent diversement Goldbacher96, Lumpe97, Beaujeu – avec énergie98 –, Moreschini99, Sandy100, Lévi101 et Ramsey102, reste G.F. Hildebrand103, qui, dans la section introductive à son édition, aligne quatre raisons – que Meiss104 s’emploiera à réfuter – pour soustraire le Peri hermeneias de la production d’Apulée : 1. il est absent des meilleurs mss du De Platone, 2. son style, abrupt et technique, n’a strictement rien de commun avec celui, extrêmement brillant, d’Apulée, 3. son contenu est bien trop inspiré par Aristote et les Péripatéticiens pour être intégré au De Platone comme troisième livre, et 4. le nom « Apulée » apparaît à plusieurs reprises dans l’exemplification fournie. On pourrait en ajouter un cinquième, prélevé chez Lévi, lequel relève 93 Pour l’essentiel des cinq premiers chapitres du Peri hermeneias du Stagirite, c’està-dire : 1. les principes (le dit, le pensé, la chose, le vrai et le faux) 2. le nom (simple et composé) 3. le verbe 4. la proposition 5. la proposition déclarative et ses espèces. 94 Voir Thomas (1907, puis 1970), Mariano Baldassarri, Apuleio: L’interpretazione – testo latino con introduzione, traduzione e commento, Como, 1986, et D. Londey & C. Johanson, The Logic of Apuleius, Leiden et al., 1987, qui incluent le texte latin et la traduction anglaise du De interpretatione. 95 Voir J.-M. Flamand, « Apulée de Madaure », dans R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, I, Paris, 1994, ici p. 304-307 96 Voir A. Goldbacher, Apuleius, Philosophica, Wien, 1876. 97 Voir Lumpe (1982, p. 10–19). 98 Voir Beaujeu (2002, p. VII) : « La pauvreté du contenu et surtout de notables particularités de langue interdisent d’attribuer ce texte à Apulée ». 99 Voir Moreschini (1966, 1990 et 2015, p. 310 sqq), selon qui l’écrit daterait du IVe s. après Jésus-Christ, bien qu’il figure dans son édition de 1991 (p. 189-215). 100 Voir G. Sandy, The greek world of Apuleius. Apuleius in the second Sophistic, London et al., 1997. 101 Voir Lévi (2014). 102 Voir Ramsey (2017). 103 Voir Hildebrand (1842, vol. 1, p. XLIV). 104 Voir aussi Sullivan (1967) et Mainguy (2007).
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qu’à la différence du corpus apuléen dit authentique qui en est dépourvu, le Peri hermeneias, comme l’Asclepius, présente une particularité « sur le plan de la rythmique clausulaire » : 5. « [Il a recours] au système dit du cursus mixtus (l’accent naturel des mots est mis en valeur à côté du schéma classique de la clausule métrique) et [à] la “prosodie fictive” (les syllabes longues finales sont comptées comme des brèves) »105.
Moins affirmatifs, et dans l’ensemble favorables à un traité apuléen, Londey et Johanson reconnaissent pourtant qu’un doute plane sur cette attribution106. De son côté, Ramsey, qui explore la possibilité que le Perihermeneias se serait inspiré du De arte dialectica (c. 420) de Martianus Capella, et non l’inverse, teste par ailleurs l’authenticité apuléenne du point de vue de la teneur du texte plutôt que de celui de son style, sans parvenir néanmoins à conclure affirmativement à partir de ce dernier critère107. Pareille incertitude, adossée à l’argumentation augmentée de Hildebrand, qu’à titre personnel nous ne saurions écarter, incite à valider le même Pseudo-Apulée comme pouvant être le Paraphraste latin, lequel resterait étranger aux trois compositions pseudépigraphiques susmentionnés (l’Herbarius, la Physiognomonie et l’hermétique Asclépius), qui couvrent des secteurs du savoir assez disparates, afin de ne point donner prise au deuxième argument du même Hildebrand (très grande disparité des styles). Selon Ph. Meiss, qui accrédite donc la responsabilité d’Apulée quant au Peri hermeneias, cet exposé de logique est « la traduction d’un traité original grec : traduction bien apuléenne, non exempte d’ajouts et d’interprétations personnels »108. On pourrait en dire autant du De mundo relativement au Περὶ κόσμου du Pseudo-Aristote. Indépendamment du fait qu’elle soit rapportée par celui qui l’impute à un penseur du IIe s., cette pratique caractérise plutôt bien celle de l’Anonymus, lequel traduit probablement la Paraphrase sur les Catégories de Thémistius autant qu’il l’interprète. Par conséquent, pour peu que l’on avalise la conjecture – qui, au regard du jugement sans appel de Beaujeu et de l’apport de Lévi, n’a pas perdu toute pertinence – d’un Peri hermeneias 105 Voir Lévi (2014, p. 712). Cf. Harrison, 2000, p. 11, n. 44. La méthode (voir Ramsey, 2017, p. 73-74) n’est toutefois pas fiable aux yeux de S.M. Oberhelman et R.G. Hall, « A New Statistical Analysis of Accentual Prose Rythms in Imperial Latin Authors », dans Classical Philology, 79, 1984, p. 114-130. 106 Voir Londey et Johanson (1987, p. 9). 107 Voir Ramsey (2017, respectivement p. 69-73 et 73-80). 108 Voir Flamant, op. cit., p. 305, d’après Meiss (1886). C’est la thèse de C. Prantl, Geschichte der Logik im Abendlande, Darmstadt, 1855, p. 579.
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non apuléen, ce dernier relèverait alors de celui qu’il reste possible d’appeler une fois de plus le Pseudo-Apulée, à l’actif duquel on pourrait l’inscrire, en s’abstenant, il est inutile d’insister, de mettre ce corpus sous la responsabilité d’un seul et même auteur ayant écrit au IVe s. Toutefois, les deux critères habituels de recoupement, à savoir la terminologie et le contenu doctrinal, sont loin d’ouvrir – le premier par son indécidabilité, le second par sa quasi impossiblité –, sur un résultat probant. La mise en parallèle terminologique109, en effet, ne va qu’à demi dans le sens d’une paternité commune entre le rédacteur du Peri hermeneias et celui des CD, puisqu’elle apparaît tantôt concluante, tantôt non concluante, lorsqu’on met leur lexique en vis-à-vis. Les confrontations effectuées ci-dessous font ressortir les divergences (les renvois110 sont indicatifs, non exhaustifs) : « énoncé » = protensio (I) « énonciatif » = pronuntiabilis (I) « substance » = substantia (III) « affirmatif » = dedicativus (IV) « négatif » = abdicativus (IV) « contraires » = incongrui (V) « opposition » = pugna (V) « réfuter » = refutare (VII) « réfufation » = revictio (V) « capable de rire » = cachinnabile (VI) « mot » = particula (VI) « question » = interrogatio (VII) « superflu » = supervacaneus » (XIII)
interpretatio111 (CD, § [10]) ἀποφαντικόν (CD, § [55]) usia (CD, § [7]) κατάφασιν (CD, § [55]) ἀπόφασιν (CD, § [55]) contraria (CD, § [85]) oppositio (CD, § [108]) repellere (CD, § [117]) depulsio § [163] risus capax (CD, § [48]) vocabulum (CD, § [3]) quaestio (CD, § [19]) superfluus (CD, § [21])
On ne peut rien tirer de la disparité avec les termes grecs qui signifient « énonciatif », « affirmatif » et « négatif », étant donné que l’Anonymus ne les traduit pas. Nous signalerons seulement que les hapax dedicativus et abdicativus, qui, par leur préfixation, avec de et ab, renvoie au néologisme dicativus – lequel serait formé soit sur dicatum (supin à l’accusatif de dicere), soit sur dedicatum (supin à l’accusatif de dedicare) –, ont le mérite d’essayer de latiniser celles, avec κατά et ἀπό, de la φάσις (« parole ») grecque, ce que l’Anonymus a renoncé à faire. Plus propres encore à orienter vers deux auteurs distincts sont les couplages : protensio Cf. Conso (2001). Ceux du De interpretatione, les premiers, font référence au texte établi par Moreschini (1991, p. 189-215). 111 Contrairement à ce que le titre latin (De interpretatione) de l’ouvrage présumé d’Apulée pourrait laisser attendre, le substantif interpretatio est absent du Peri hermeneias. 109 110
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et interpretatio, pugna (qui traduirait la μάχη (= « conflit ») stoïcienne112) et oppositio, particula et vocabulum, cachinnabile et risus capax, supervacaneus et superfluus. L’hapax cachinnabile est le plus troublant, puisque l’écart avec risus capax ne peut pas être mis sur le compte de la différence des problématiques, qui se complémentent l’une l’autre, entre les Catégories et le De l’interprétation. Il apporterait même de l’eau au moulin des partisans de l’authenticité apuléenne du Peri hermeneias, dès lors que dans les Métamorphoses (III, VII, 3), Apulée parle de cachinnabilis risus pour désigner un « fou rire »113. Sur un plan un peu différent, certains usages, tels ceux de pugna et de supervacaneus, témoignent d’un souci plus littéraire que dialectique, quand d’autres, tels ceux de protensio (qui se veut le calque de πρότασις) et de particula (qui se veut l’équivalent de λόγος, au sens de « mot » – voir 16b1), ont tendance à susciter un sentiment inverse. En contrepartie, les emplois que partagent les deux traités sont en nombre bien supérieur (là aussi, les renvois restent indicatifs, non exhaustifs – les premières références concernent le Peri hermeneias, les secondes les CD) : accidens (VI) et § [29] concludere (VII) et § [4] confirmatio (V) et § [163] conversio (VI) et § [104] definitio (VI) et § [10] demonstratio (IX) et § [20] differentia (VI) et § [14] docere (XIV) et § [117] enumerare (XIV) et § [126] gignere (IX) et § [9] grammaticus (VI) et § [114] mutare (IX) et [25] necessarius (VII) et § [1] nequire (IX) et § [6] nomen (IV) et § [2] oratio (I) et § [4] ostendere (IV) et § [43] proprietas (VI) et § [149] qualitas (III) et § [52] quantitas (III) et § [52] rationalis (VI) et § [117] Voir Ramsey (2017, p. 134). Voir TLL, III, Lipsiae, 1906-1912, col. 6, 35-38, qui renvoie au Peri hermeneias du Pseudo-Apulée. 112 113
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removere (VII) et § [107] sententia (VII) et § [55] significatio (V) et § [69] similitudo (VII) et § [17] subiectum (VII) et § [31] « ut [Apuleius] disserit, non disserit » (IV) / ut est « Socrates disserit, non disserit Socrates » § [159] verbum = verbe (IV) et § [2] veritas (XIV) et § [166] verum – falsum (XIV) et § [36] veteres (XII) et § [12] vis (VIII) et § [95]
Les rares effets stylistiques repérables sur la première liste ont totalement disparu. Quant à l’exemplification par disserit, non disserit, elle s’impose comme l’élément qui encourage le plus à envisager une paternité commune, puisque, à ce qui nous à été donné de constater, on ne la trouverait, dans la tradition latine de l’aristotélisme, qu’en ces deux traités. Ce serait manquer de rigueur que de déduire hâtivement, de la supériorité évidente du nombre des emplois communs et de leur importance pour l’exégète, que l’auteur du Peri hermeneias et l’Anonymus ne font qu’un. D’autant plus que les contenus doctrinaux, dans la même proportion que celle touchant les deux premières parties de l’Organon, voulues complémentaires, redisons-le, par leur rédacteur, ne se prêtent qu’assez rarement à une comparaison. Deux notions, cardinales pour la dialectique d’Aristote, présentes dans l’un et l’autre opus, ont toutefois une réelle portée, à savoir celle d’accidens (pour rendre συμβεβηκός – 7a27 et 21a11), et celle de definitio (pour traduire λόγος, au sens d’« énonciation » – 3b8 et 19a33). Mais nous ne pouvons raisonnablement rien mettre d’autre en relief. Qu’en est-il dans ce cas de la résolution Tractatus A…I en Tractatus APULEII ? Conformément à ce que nous laissions entendre en commençant son rapide examen, elle nous est apparue, avec celles sur Albinus et Praetextat, comme suscitant le moins de difficultés, d’autant qu’elle viendrait grossir un corpus pseudo-apuléen qui fait partie de ceux qui sont extensibles à loisir, dont la proportion des ouvrages apocryphes et des ouvrages authentiques fluctue inévitablement au gré des découvertes. II. f. Anonymus (ANONYMI) Quel degré de pertinence aurait, en tout dernier lieu, la conjecture selon laquelle A…I pourrait renvoyer tout simplement à l’appellation ANONYMI ? Ni élevé, ni faible, bien qu’elle oblige à récuser les cinq autres, et peut
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a pparaître comme une solution de facilité. La formule TRACTATUS ANONYMI a pourtant prospéré à toute époque, comme en attestent les catalogues de manuscrits, qui plus est en de nombreux domaines, touchant notamment les histoires de la médecine et de la grammaire, souvent à la suite de l’effacement du nom de l’auteur ou de son omission, signe parfois du peu de valeur accordée à ces écrits. Nous n’appliquerons cependant pas cette dernière remarque à notre traité, une identité dissimulée ayant souvent accompagnée la production d’un scholiaste qui ne souhaitait pas s’identifier. Il devient alors possible de récapituler ainsi, en reprenant l’ordre de présentation, les diverses hypothèses pour compléter la dénomination de Minio-Paluello, Tractatus A…I : AUGUSTINI ALBINI AFRI DE CATEGORIIS ARISTOTELIS TRACTATUS AGORII APULEII (PSEUDO-) ANONYMI Les atouts des deuxième, quatrième et cinquième présomptions n’ont cependant pas réussi à faire oublier, malgré les divers problèmes qu’il soulève, le témoignage d’Alcuin. Quoique ce dernier ne cadre pas, notamment, avec le fait que l’Anonymus révèle qu’il est de la même « génération » (aetas, § [20]) ou du même « temps » (memoria, § [176]) que Thémistius, son attribution au Magister Augustinus demeure la première et la plus ancienne, expliquant en cela pourquoi seule, à ce jour, la désignation « Pseudo-Augustin » prévaut toujours parmi les historiens de la philosophie, compromis pratique entre l’attribution alcuinienne et notre ignorance de l’identité du véritable rédacteur.
III. Les Catégories d’Aristote dans la tradition latine La difficulté que nous avons rencontrée à trouver un auteur aux CD provient en partie, comme nous y avons fait allusion, de la relative ignorance où nous sommes du nombre de versions latines des Catégories ayant existé avant notre opus et de leur époque respective. Le premier indice non allusif que l’on possède d’un tel travail est, on l’a vu, très tardif, donné par Cassiodore (c. 490-c. 585) au second livre de
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ses Institutiones, divisées en « divines » et « humaines », où une certaine tradition textuelle lui fait écrire que Marius Victorinus (IIIe-IVe s.) traduisit et commenta en huit livres le premier traité de l’Organon, sans en citer d’ailleurs une seule ligne114. Ce témoignage n’a qu’une faible valeur historique aux yeux de Pierre Hadot, qui lui accorde peu de crédit115, car une confusion, comme nous l’avons dit, avec la version de Boèce, mentionnée dans le second état textuel, aurait pu tromper Cassiodore dans un premier temps, à ceci près – et la nuance n’est pas à ignorer – que le travail boécien ne comporte que quatre livres. Cela étant, le rédacteur des Institutions aurait aussi pu avoir à l’esprit le second commentaire perdu de Boèce sur les Catégories, possiblement en huit livres. D’un autre côté, on peut conjecturer que s’il s’est fourvoyé sur l’auteur d’une version réalisée approximativement un siècle et demi plus tôt, Cassiodore n’a point été abusé quant à son existence, de sorte qu’au milieu du VIe siècle de notre ère aurait circulé, en même temps que celle de Boèce (c. 480-c. 524), une latinisation en huit livres. À cela s’ajoute qu’entre Victorinus et Boèce, il est vraisemblable que Martianus Capella ait donné sa propre traduction. On le déduit des § 355-387 du livre IV de De nuptiis Philologiae et Mercurii (c. 410-c. 430), qui se proposent de rendre compte des Catégories d’Aristote dans une version en apparence autonome. C’est ce dont nous aurons bientôt un aperçu sur plusieurs exemples. Quelque temps plus tard, Claudien Mamert (c. 420-c. 474), brillant helléniste, rédige son De statu animae (c. 470), qui atteste d’une importante exploitation du De regressu animae de Porphyre. Il y observe notamment que Dieu n’est soumis à aucune des catégories aristotéliciennes, l’âme à quelques-unes et le corps à toutes, ce qui lui donne l’occasion de toutes les énoncer116. Et l’on observe qu’en dépit du fait que Claudien se dise disciple d’Augustin, il ne reproduit aucune des deux dénominations de ce dernier. N’aurait-il pas alors pu latiniser lui-même ces Catégories qu’il utilise comme un outil dialectique ? À peu près au même moment, Sidoine Apollinaire (430486), dans une lettre adressée à son beau-frère Probus, loue l’habileté de celui-ci à comprendre les catégories d’Aristote, lorsqu’il intervenait dans la demeure d’Eusèbe, leur maître commun quand celui-ci enseignait la dialectique : « Intra Eusebianos lares…, inter Aristotelicas categorias artifex dialecticus atticissabas = Au sein des Lares d’Eusèbe…, au cœur des catégories d’Aristote, dialecticien habile, tu atticisais [i.e. : “tu parlais Voir Institutiones, II, III, 18 (= Mynors, p. 128). Hadot (1971, p. 119-113) – voir cependant infra, p. 10#. 116 Voir De statu animae, I, XIX, éd. A.G. Engelbrecht, dans CSEL, XI, Vindobonae, 1885, p. 69. 114 115
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comme un Athénien”] »117. Bien que nous ne disposions d’aucun échantillon, cet Eusèbe, ou même ce Probus, auraient tout à fait été en mesure de traduire en latin l’ouvrage du Stagirite. On le constate, les versions gréco-latines des Catégories que l’on peut pressentir sont nombreuses. Une illustration assez probante de l’existence d’au moins sept d’entre elles, consiste à comparer, en fonction des trois critères que sont la façon de restituer chaque catégorie, l’ordre de leur énoncé et l’exemplification qui les accompagne quelquefois, la liste des dix catégories proposées par un certain nombre de versions118 : Aristote (Cat., 1b25-2a4) οὐσία (substance) (ἄνθρωπος, ἵππος) ποσόν (quantité) (δίπηχυ - τρίπηχυ) ποιόν (qualité) (λευκόν, γραμματικόν) πρός τι (relativement à quelque chose) (διπλάσιον, ἥμισυ, μεῖζον) πού (où / quelque part) (ἐν Λυκείῳ, ἐν ἀγορᾷ) ποτὲ (quand / à un certain moment) (χθές, πέρυσιν)
κεῖσθαι (être situé / être dans une position) (ἀνάκειται, κάθηται) ἔχειν (avoir / posséder) (ὑποδέδεται, ὥπλισται) ποιεῖν (faire) (τέμνειν, καίειν) πάσχειν (pâtir) (τέμνεσθαι, καίεσθαι) I CD, § [51] usia (homo, equus) quantitas (bipedalis, tripedalis121) qualitas (albus-niger) ad-aliquid (maius-minus) iacere (stare) = κεῖσθαι facere (caedere) = ποιεῖ́́ν pati (caedi, uri) = πάσχειν ubi (locus) = πού quando (tempus) = πότε habere (vestiri, armari) = ἔχειν
II CD, § [114]119 120 usia (homo grammaticus) quantum (alba, nigra epiphania) objet du chapitre ad-aliquid (prudens pater, optimus filius) iacere (pronus, supinus iacet) facere (dure saltat) pati (fert fortiter vulnera) locus (calidus, frigidus mensis) tempus (locus) habere (decenter armatus)
Epistola, IV, I, § 3, éd. Ch. Luetjohann, dans MGH AA, 8, Berolini, 1887, p. 53. Nous renverrons, dans les énumérations qui suivent : pour Victorinus aux Explanationes in Rhetoricam M. Tullii Ciceronis, pour Augustin aux Confessions et au De trinitate, pour Capella au De nuptiis, pour Claudien au De statu animae, pour Boèce à l’In categorias et au De sancta trinitate, pour Cassiodore aux Institutions, pour Isidore aux Etymologiae. 119 Pour plus de clarté, nous avons légèrement modifié l’ordre d’énumération, iacere venant en avant-dernière position. 120 La qualitas, appliquée à toutes les autres catégories, produit une autre succession. 121 Il faut voir ici l’expression de longueurs : long de deux pieds et long de trois pieds, le pied comme unité de mesure ayant remplacé la coudée que l’on trouve chez Aristote. 117 118
36 III Vict. (Explan., I, 8, 9)122 (prima) substantia quantitas qualitas ad aliquid ubi quando situs habere facere pati
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IV Aug. (Conf., IV XVI, 28) substantia (homo) figura (qualis) statura (quot pedum) cognatio (cuius frater) ubi (constitutus) quando (natus) (stet, sedeat) (calciatus, armatus) (faciat aliquid) (patiatur aliquid)
VI Capella (Nupt., IV, § 340) substantia123 qualitas (candor) quantitas (bipedale) relativum (pater, frater) locus (Romae124) tempus (heri, nuper, vesperi)125 situs (iacet, sedet) habitus (calceatus, armatus) facere (secare, urere)126 pati (secari, uri)127
V Aug. (De trin., V, VII, 8) substantia (homo) quantitas (quadrupedalis) qualitas (candidus) relativus (propinquus) situs (jacet) habitus (armatus) tempus (hesternus) locus (Romae) facere (caedit) pati (vapulat)
VII Claudien Mamert (De stat., I, XIX) substantia qualis quantum habere modus habitus locus tempus actus passio
VIII Boèce (In Cat., 4 = p. 6) substantia (homo, equus) quantitas (bicubitus, tricubitus) qualitas (albus, grammaticus) ad aliquid (duplus, dimidius, majus, minus) ubi (in lyceo, in foro) quando (heri, superiori anno) situs (sedet, iacet) habitus (calceatus, armatus) facere (secare, urere) pati (secari, uri)
122 Dans le passage en question, Victorinus cite aussi les catégories en grec, exactement avec les mêmes termes que ceux employés par Aristote (= Halm, p. 183, 33-37).
Substantia prima (Cicero), substantia secunda (homo, animal) aux § 364-365. Athenis au § 382. 125 Cras au § 382. 126 Calefacere et refrigerare au § 380. 127 Calefieri et refrigerari au § 380. 123 124
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IX Boèce (De trin., IV, 1-12) substantia secunda qualitas quantitas ad aliquid ubi situm esse habere facere pati X Cassiodore (Inst., II, III, 10)128 substantia (aliquis homo, aliquis equus) quantitas (discreta (numerus, sermo) et continua (linea, superficies, corpus, locus, motus, tempus)) ad aliquid (maius, duplum, habitus, dispositio, scientia, sensus, positio) qualitas (bonus-malus) facere (secare, urere) pati (secari, uri) situs (stat, sedet, iacet) quando (hesterno, cras) ubi (in Asia, in Europa, in Lybia) habere (calcatum, armatum esse) X Isidore (Etym., II, XXVI, 5) substantia (aliquis homo, aliquis equus) quantitas (longus, brevis) qualitas (orator, rusticus, niger, candidus) relatio (filius-pater, servus-dominus) situs (longe, prope) locus (in foro, in platea) tempus (heri, hodie) habitus (scientia in mente, virtus in corpore, circa corpus vestimentum) agere (scribo) pati (scribor).
La grande diversité de ce panorama, qui appellerait bien des remarques, laisse au moins supposer l’existence d’un nombre relativement important de traductions latines, complètes ou partielles, du traité d’Aristote. Car il ressort ici : premièrement, que c’est Augustin qui non seulement ne s’aligne pas, comme on aurait pu le croire, sur Victorinus, mais dépend le moins, terminologiquement parlant en tout cas, des CD, ce qui vient 128 Chez Cassiodore, l’abondante exemplification est constituée par des exemples qu’Aristote utilise dans chacune des parties qui reprennent et développent les catégories. Ainsi la division entre « quantité discrète » et « quantité continue ».
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contrer, si besoin était, l’indication d’Alcuin, envisagée plus haut ; deuxièmement, que le Boèce de l’In Categorias Aristotelis et du De sancta trinitate emprunte quasi littéralement par deux fois (l’habere du premier écrit devient certes habitus, comme chez Augustin, mais il reste inchangé dans le second écrit) non seulement la traduction des termes mais aussi leur succession à Marius Victorinus, ce qui n’autorise pas pour autant à aller jusqu’à exclure une version boécienne originale ; troisièmement, que Martianus Capella et Claudien Mamert témoignent chacun d’une version personnelle, donc apparemment indépendante ; quatrièmement, que Cassiodore aussi s’est aligné sur Victorinus pour le choix d’habere, mais sur aucun de ses quatre prédécesseurs, y compris de Boèce, quant à l’énumération des catégories ; et cinquièmement, l’ordre d’énumération et l’exemplification choisis par Isidore de Séville semblent à leur tour relever d’une version distincte des six autres. Il est donc observable que chaque auteur – avec une réserve pour Boèce – a improvisé une latinisation. Qui plus est, l’énumération des catégories avec leur exemplification est un facteur d’appréciation assez fiable, dans la mesure où, de prime abord, elle ne peut se réduire à une simple subjectivation, autrement dit chaque responsable déploie la liste aristotélicienne, ou prétendue telle, qu’il a mise au point, et nous ne voyons pas de raison pour qu’il ait été tenté d’introduire seulement des variantes à l’une ou l’autre liste de ses devanciers que son inspiration du moment lui aurait dictées. En résumé, il est loisible de pressentir – uniquement sur nos critères, il importe d’y insister pour expliquer en particulier la présence entre parenthèses de Boèce – l’existence de huit traductions latines des Catégories entre le IVe et VIe siècle, à savoir, par ordre chronologique, celles dont témoignent, directement ou indirectement : Victorinus, le Paraphraste latin, Martianus Capella, Augustin, Claudien Mamert, (Boèce), Cassiodore, Isidore. Cette conjecture appelle trois remarques supplémentaires. D’abord, on n’oubliera pas que si une réserve pèse sur Boèce, le seul pourtant dont on possède la traduction complète du premier traité de l’Organon, c’est uniquement au regard de sa dépendance quasi-totale envers Victorinus relativement aux paramètres de notre tableau. On aura cependant compris que cet emprunt évident a pu se limiter à l’énumération des prédicaments, puisque la version victorinienne des Catégories est soumise à caution. Qui plus est, si Boèce avait repris cette dernière, il l’aurait indiqué, comme cela a été le cas dans sa première exégèse de l’Isagoge.
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Ensuite, Cassiodore serait le moins susceptible, bien qu’hellénophile convaincu, d’avoir donné sa propre version, dont il aurait été incapable. S’il a bien commandé des traductions gréco-latines aux moines hellénophones de Vivarium, rien n’indique qu’il ait lui-même maîtrisé la langue grecque au point de traduire un ouvrage129. Enfin et surtout – car c’est ce qui va nous importer le plus en l’occurrence –, seules les CD maintiennent le calque latin usia et, au regard de cet hapax du moins, resté unique qui plus est, à ce que nous savons, dans la tradition latine, ne peuvent être imputées à aucun des penseurs retenus. IV. L’attribution à Thémistius Au nombre des divers indices qui peuvent orienter l’attribution d’une signature aux CD, tâche dont nous avons pu mesurer l’incommodité, il en est un que nous n’avons pas encore considéré : l’expression Paraphrasis themistiana, adoptée par l’éditeur Minio-Paluello. Qu’est-ce qui permet d’affirmer que cet ouvrage est thémistien, c’est-à-dire « traduit » de Thémistius lui-même, ou du moins très inspiré par lui, ou même en rapport avec son œuvre ? Tout simplement parce qu’à deux reprises l’Anonymus fait référence à cet auteur, rendant ainsi sa paternité indiscutable. Avant d’examiner ces allusions, rappelons rapidement qui fut Thémistius. IV. A. Thémistius Pour qui souhaite reconstituer, tant que faire se peut, quelques pans de la vie et de l’œuvre de Thémistius, il aura à sa disposition, outre ce que l’intéressé en livre lui-même dans ses ouvrages, principalement ses Discours (Orationes), les témoignages de certains de ses contemporains, comme Libanius d’Antioche (314-396) dans sa correspondance, Julien l’Apostat (c. 331-363) dans sa correspondance également, et Grégoire de Nazianze (c. 330-390 – Lettres, 24 et 38, et Discours, 37). Nous ne ferons, ci-après, que survoler à grands coups d’aile cette bio-bibliographie130. 129 Nous n’avons pas trouvé, chez Pierre Courcelle (1948), la moindre allusion qui permette de penser le contraire. 130 L’outil indispensable en la matière est l’article de J. Schamp et alii, dans le Dictionnaire des philosophes antiques. Voir également Méridier (1906), la thèse de Daly (1970), ainsi que Kupreeva (2000), O’Meara–Schamp (2006, p. 173-186) et Swain (2013).
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IV. A. a. L’homme Thémistius Euphradès (l’« éloquent »)131, naît vers 317132 en Paphlagonie133, dans une famille aristocratique. Sous l’influence prépondérante de son père, Eugenius, il se passionne pour la philosophie, non sans apprendre, selon Libanius, la grammaire auprès d’un Hiéroclès, auquel il écrit vers 356-357134. À partir de c. 337, Eugenius assure son éducation philosophique à Constantinople135, en lui enseignant notamment Pythagore, Zénon, Aristote et Épicure. Thémistius mène ensuite deux carrières de front, l’une littéraire, l’autre politique, adossé à l’idéal platonicien du philosophe-roi. Ainsi, vers 344, il ouvre dans cette même ville une école de rhétorique et de philosophie qui fut très influente, tout en devenant un intime de la cour impériale. Une lettre de Constance II (317-361) nous apprend qu’en 355 il parvient à la dignité de sénateur, toujours à Constantinople136. Environ deux ans plus tard, en 357, on le situe une première fois à Rome, prenant part, à la tête de la délégation du sénat constantinopolitain, à la visite du même empereur Constance II137, et en 359 il devient proconsul de Constantinople138. 377 serait l’année où Thémistius, sous Valens (364-378), a séjourné une seconde fois à Rome139, et c’est peut-être à son retour, au cours des années 377-378 que, subissant les attaques de confrères philosophes jaloux, il acquiert, bien malgré lui, la réputation de « sophiste », ce qui l’autorise à se comparer à Socrate, affublé, bien des siècles auparavant, de la même épithète mortifère140. Quoiqu’en ce temps-là encore l’appellation de « sophiste » désignât couramment, sans connotation spécieuse, tout orateur notoire qui enseignait 131 C’est le surnom que lui donnèrent quelques-uns de ses amis. Simplicius, entre autres, l’utilisera dans son commentaire aux Catégories d’Aristote, Préface, 10 (= Kalbfleisch, p. 1, 12) et dans celui au De caelo (= Heiberg, p. 72, 10). 132 Dans son Oratio, I (= Dindorf, p. 26), il laisse entendre qu’il aurait le même âge que l’empereur Constance II, qui naquit le 07 août 317 ou 318. 133 Au IVe siècle, cette ancienne région du nord de l’Asie mineure était une province de l’Empire romain d’Orient. Voilà pourquoi Thémistius fut également appelé : « Paphlago ». 134 Voir Libanius, Lettre, 517 (= Förster, p. 491-492). 135 Voir Thémistius, Oratio, XX (= Dindorf, p. 287-288). 136 Voir Daly (1970, p. 34-35). 137 Voir Thémistius, Oratio, III (= Dindorf, p. 53). 138 Voir Thémistius, Oratio, XXIV (= Dindorf, p. 456). 139 Voir Thémistius, Oratio, XXIII (= Dindorf, p. 359) et XXXIV (= Dindorf, p. 456, 16 sqq.). 140 Voir ses Discours, XXIII, XXVI et XIX, dans lesquels il tente de répondre à ses détracteurs. Méridier (1906, p. 85) soutient que, malgré ses dénégations, Thémistius ne pouvait échapper à une expression sophistique.
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la rhétorique, visiblement l’accusation portée contre Thémistius allait quelque peu au delà141. Sur le tard, en 384, alors qu’il est princeps senatus, l’empereur Théodose le Grand (379-395) le nomme préfet de la ville de Constantinople. Il mourra dans cette cité quelques années après, au plus tôt en 388142. Brillant orateur et panégyriste143 – Grégoire de Nazianze, dans ses lettres, le qualifie de « roi du discours » » (βασιλεύς λόγων) –, Thémistius se révèle également philosophe, ce dont ne permet point de douter la lettre que lui adressa l’empereur Julien (361-363), en 361144, mais, à en juger par ce que nous possédons de sa production, c’est peut-être davantage en croisant et en approfondissant les sillons tracés par ses maîtres qu’en creusant les siens propres. C’est à ce titre qu’il sera tenu pour un important commentateur et paraphraste – ce sera l’autre surnom, « le Paraphraste », que lui donnera Ammonius (* c. 444)145 –, celui d’Aristote principalement. Les deux exercices (« commentaire » et « paraphrase ») auraient été bien différenciés146 si nous nous fions à ce qu’explique Photius (c. 820-c. 891), qui le dit aussi exégète de Platon. Il indique, en effet, qu’aucun de ses « commentaires » (ὑπομνήματα) n’était disponible au IXe siècle, à la différence de ses « métaphrases » (μεταφράσεις)147, qu’il convient sans doute d’assimiler ici à des « paraphrases »148. En outre, Voir Roduit (2006). Libanius mentionne son nom pour la dernière fois dans une lettre de 388 (Lettre, 18, 3 = Förster, p. 11, 1). 143 Voir Bouchery (1936). 144 Voir Rochefort (1963, p. 3-30), et Watt, 2102. 145 Voir Ammonius, Commentaire aux Premiers Analytiques, 31 (= Wallies, p. 31, 17 et 39, 2). 146 A. de Libera, qui n’évoque cependant pas Thémistius, explique par l’oralité de la « lecture » les formes paraphrastiques du commentaire médiéval, qui créent une indistinction des niveaux d’énonciation dans les traces écrites que nous pouvons en avoir : « “Lire” un texte c’est le lier. Faire une “paraphrase” c’est le relier. Dans les deux cas, c’est, à bien des points de vue, rapporter des énoncés les uns aux autres, tantôt en le disant, tantôt sans le dire, tantôt en s’appuyant sur la mémoire des “auditeurs”, tantôt en comptant sur ses lacunes… La paraphrase… c’est la mémoire assimilée au texte, c’est le texte assimilé à sa mémoire », « De la lecture à la paraphrase. Remarques sur la citation au Moyen Âge », dans Langages, 73, 1984, p. 17-29 – ici. 28-29. 147 Voir Photius, Bibliothèque, I (= Henry, I, p. 153, 15-21) – cité par Steel (1973, p. 676), discuté par Blumenthal (1979 (2)). L’assimilation que nous faisons en l’occurrence entre « métaphrase » et « paraphrase » ne tient à l’évidence pas compte des distinctions que l’on observe entre les deux en linguistique, où, au minimum, la « métaphrase » désigne la reformulation mot à mot et se différencie en principe de la « paraphrase », qui s’apparente à une métaphrase dans laquelle on s’autorise à développer et à digresser. 148 Sur cet exercice chez Thémistius, voir Achard (2008) et Todd (2013, p. 2-7), et plus généralement Zucker (2011). 141 142
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dans l’un de ses discours149, Thémistius évoque certains écrits de jeunesse, qu’il appelle des συγγράμματα (« compositions ») : il s’agit d’espèces de notes de lecture à usage strictement personnel, des sortes de pragmaties (appelées aussi « compositions ésotériques »), destinées à éclairer le texte d’Aristote quand celui-ci apparaît trop complexe ou sibyllin. Malgré leur caractère confidentiel, ces pièces ont circulé à l’insu de leur rédacteur. On ne saurait dire toutefois duquel de ces trois genres relevait le travail sur les Catégories. En vérité, nous allons voir que celui des συγγράμματα doit être rejeté, celles-ci étant sans doute trop informelles. Il s’agirait plutôt d’une « métaphrase », pour reprendre la terminologie photinienne, mais au sens où Thémistius la présente dans l’introduction de son Analyticorum posteriorum Paraphrasis, lorsqu’il définit l’objet de cet exercice, qui lui semblait être nouveau et offrir quelque intérêt, comme suit : résumer et rendre, dans la mesure du possible, avec la concision d’un philosophe, leur sens à certains textes aristotéliciens, en supposant qu’un tel travail serait un aide-mémoire apprécié de ceux qui, déjà familiarisés avec les travaux d’Aristote, n’étaient pas en mesure de les reprendre de manière suivie en raison de l’étendue des commentaires (= Wallies, p. 1, 1-22)150. IV. A. b. L’œuvre Elle s’impose comme étant très abondante. Nous nous limiterons, bien compréhensiblement, à donner quelques repères, en distinguant, un peu artificiellement, l’orateur, le paraphraste et le philosophe. Thémistius orateur Pour l’essentiel, 34 Discours ou Orationes en grec, s’échelonnant de 350 (voire un peu avant) à 380, sont parvenus jusqu’à nous (éd. Dindorf puis Downey–Norman, dont le troisième tome est réservé aux fragments). On en distingue parfois de deux sortes : les « politiques » (1 à 19), adressés surtout à des empereurs, et les « idiotiques » ou « privés » (20 à 34), abordant des thèmes variés, comme l’amitié, l’éloquence, l’art des sophistes, ou encore l’amour pour son enfant. Thémistius épistolier Le corpus épistolaire de Thémistius nous est totalement inaccessible. Ce n’est que par les lettres de ses correspondants (notamment une de Voir Thémistius, Orationes, XXIII (= Dindorf, p. 355-356). Voir Daly (1970, p. 17).
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Julien l’Apostat151, deux du théologien Grégoire de Nazianze (329-390) (= Gallay, 24 et 38)152 et cinq du rhéteur Libanius (314-393) (= Foerster, 82-85153), que l’on peut se faire une idée de leurs thématiques et des centres d’intérêt de leur rédacteur. Thémistius paraphraste Pour ce qui touche au Thémistius paraphraste154, nous nous en tiendrons à quelques généralités, en listant ce qui est accessible d’abord en grec, puis dans d’autres langues. Nous avons à notre disposition : – la Paraphrase des Seconds Analytiques d’Aristote, disponible en grec (en 2 livres)155 – la Paraphrase de la Physique d’Aristote, disponible en grec (en 8 livres) – la Paraphrase du De anima d’Aristote, disponible en grec (en 7 livres). Dans d’autres langues, à savoir le syriaque, l’arabe ou l‘hébreu, et parfois en doublon, nous possédons : – la Paraphrase des Seconds Analytiques d’Aristote (disponible en grec), traduite en arabe, à partir d’une version syriaque d’Isḥāq ibn Ḥunayn (m. c. 910)156, par Abū Bišr Mattā (m. 940), puis traduite de l’arabe en latin par Gérard de Crémone (1114-1187) – la paraphrase du De anima d’Aristote (disponible en grec), traduite du grec en latin par Guillaume de Moerbeke (c. 1215-1286) – la paraphrase du livre Lambda (XII) de la Métaphysique d’Aristote (perdue en grec), traduite en arabe par Isḥāq ibn Ḥunayn, dont il ne subsiste que des fragments, puis traduite de l’arabe (Isḥāq ibn Ḥunayn) en hébreu par Moyses ibn Tibbon (c. 1195-c. 1274), et de l’hébreu (Ibn Tibbon) en latin par Moyses Finzius (c. 1550)
151 Voir W.C. Wright (translaror) & D.P. Curtin (editor), Letter to Themistius the Philosopher. Julian the Apostate Emperor of Rome, Philadelphia, 2018. 152 Éd. P. Gallay, Saint Grégoire de Nazianze. Lettres, vol. I, Paris, 1964. 153 R. Foerster (ed.), Libanius. Opera, vol. X, sur XII (1903-1927), Leipzig, 1921. 154 Concernant le Thémistius paraphraste, voir E. Coda (2018), qui entend montrer, après avoir exposé la nature et l’histoire littéraire des paraphrases aristotéliciennes de Thémistius, comment leur caractère spécifique leur a permis d’être prisées de l’Antiquité tardive à la Renaissance. Pour le Thémistius philosophe, voir infra, p. 46-47. 155 Voir Achard (2006). 156 Éd. Badawī (1947, p. 12-21 et 329-333). À ne pas confondre avec son père : Ḥunayn ibn Isḥāq (c. 808-873), lui aussi traducteur d’Aristote, également du grec en syriaque ou en arabe.
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– la Paraphrase du De caelo d’Aristote (perdue en grec), traduite en hébreu, sur une version arabe perdue de Yaḥā Ibn ‘Adī (893-974), par Zerahjha ben Isak ben Schealtiel ha-Sefardi, en 1284157 (éd. S. Landauer, Berlin, 1902), puis, à partir de la version en hébreu (Sefardi), traduite en latin par Moyses Alatinus en 1574 – la Paraphrase des Catégories d’Aristote (perdue en grec), adaptée en latin à partir du grec. Un travail sur ce traité est évoqué par Thémistius dans sa Paraphrase de la Physique (= Schenkl, p. 4, 25-27), qui parle d’une « explication », et dans son Discours 21 (= Downey–Norman, II, p. 37, 4-5). Boèce, de son côté, dit simplement, cette fois-ci en son In categorias (col. 162A9-10), que, touchant les « dix prédicaments » d’Aristote, le jugement de Thémistius était en désaccord avec celui de Jamblique. Simplicius (490-560) confirme l’existence d’une « transposition » thémistienne « au style élégant » du premier traité de l’Organon dans son propre commentaire sur ce dernier (= Kalbfleisch, p. 1, 10)158, et le Fihrist (= Flügel, p. 248, l. 21) laisse entendre que le même ouvrage pourrait avoir été traduit en arabe par Isḥāq ibn Ḥunayn, auquel le même Fihrist attribue un « Livre des Catégories selon la conception de Thémistius » dans la notice qu’il consacre à Ḥunayn (= Flügel, p. 285-288), et dont il ne reste que des extraits. Il s’agirait donc, en ce qui nous concerne, de cette réalisation diversement caractérisée, dont un scripteur anonyme, contemporain de l’auteur, comme le laissent entrevoir les deux allusions indiquées plus haut et dont nous allons examiner la nature, aurait réalisé une latinisation plus ou moins retouchée, sous la forme, étrangère aux paraphrases thémistiennes, d’un dialogue indirect entre un maître et son disciple ou, plus probablement entre un père et son fils, comme l’indique l’appellation « fili » aux § [1] et [176], qui serait alors à entendre au sens premier. Car il reste possible que cette petite mise-en-scène ait été inspirée à l’Anonymus par le fait que Thémistius, dans le Discours 23 (= Downey– Norman, p. 89, 21-23) précise que le contenu de ses paraphrases a été entièrement emprunté aux travaux de son père. Sont actuellement perdues, en toute langue : – la Paraphrase des Premiers Analytiques159 d’Aristote en 2 livres (perdue en grec, dont atteste Thémistius lui-même dans son Discours 21 Voir Todd (2003, p. 86B-89B). Voir I. Hadot (1990, p. 3). 159 Ce que dit Todd (2003, p. 59B) au sujet de la paraphrase des Premiers Analytiques n’est pas clair au premier abord : « [La] paraphase des Premiers Analytiques… a été 157 158
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(= Downey–Norman, p. 37, 6), confirmée entre autres dans la tradition latine et quoique indirectement, par Boèce lorsqu’il évoque, au début de son propre commentaire majeur au Peri hermeneias d’Aristote, la « traduction » (transferre) latine perdue de Vettius Agorius Praetextatus de la « paraphrasis » de Thémistius des Premiers et seconds Analytiques (= Meiser, p. 3, 6-4, 3). Au XIVe s., des extraits du second livre furent traduits en hébreu. L’Analyticorum Priorum Librum I Paraphrasis, éditée comme attribuée à Thémistius par M. Wallies (CAG, XXIII, 3, Berlin, 1884), serait en fait due au moine byzantin Sophonias (fl. c. 1300) – la Paraphrase des Topiques d’Aristote, que mentionne aussi Thémistius dans sa Paraphrase des seconds Analytiques (= Wallies, p. 42, 15-16). De plus, au deuxième livre du De topicis differentiis, Boèce éclaire la théorie aristotélicienne des topiques par la division qu’en donna Thémistius (= Nikitas, p. 48, 2-3), et le Fihrist d’Ibn al-Nadīm (ob. c. 990) (= Flügel, p. 249, l. 23) signale un « commentaire » à ce traité, attesté ultérieurement par Abū l-Barakãt al-Baghdãdī (ob. c. 1165), dans al-Kitāb al-mu’tabar (Le livre médité)160, puis par Averroès (1126-1198) dans ses commentaires mineur et moyen à ces mêmes Topiques161, qui s’inspirent passablement de cet opus thémistien. Dans ce même registre, d’après le Fihrist, Abū Bishr Mattā (c. 870-940) a traduit un ouvrage de Thémistius sur les Topiques (= Flügel, p. 246, l. 1). Par ailleurs, la tradition arabe, par l’intermédiaire du Fihrist, signale un « commentaire », peut-être paraphrastique, sur l’Éthique de Nicomaque d’Aristote (= Flügel, p. 252, l. 3-4), et un autre sur son De generatione et corruptione (= Flügel, p. 251, l. 6-7)162. Au même moment, ou un peu auparavant, dans un petit texte afférent aux canons de la poésie, al-Fārābī (872-950) indique avoir lu un discours de Thémistius intitulé : Sur l’art de la poésie163, dont on ignore s’il s’agit on non d’une « paraphrase » de la Poétique d’Aristote. Pour ce qui nous intéresse plus particulièrement, on notera que la latinisation de certains écrits (en vérité uniquement des Paraphrases) de Thémistius au Moyen Âge a été beaucoup moins importante, dans la faussement attribuée [à Thémistius] par la tradition byzantine… Parmi les paraphrases perdues de Thémistius [on compte celle des] Premiers Analytiques ». 160 Voir Abū l-Barakãt, vol. I, p. 241-246. 161 Voir Hasnaoui (2004 et 2007). 162 Voir Badawī (1968, p. 102). 163 Voir Arberry (1937, p. 276 in fine, pour le passage traduit en anglais).
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limite, bien sûr, de ce que l’on sait, qu’à la Renaissance, comme permet de le constater l’étude de R.B. Todd (2003, p. 73-95). Thémistius philosophe Le Thémistius philosophus, quand il a su s’affranchir de la condition de suiveur d’Aristote, aurait écrit plusieurs traités de philosophie, à commencer par un curieux opuscule, perdu en grec mais dont il subsiste la version arabe d’Abū ‘Uthmān al-Dimashqī (ob. c. 915), dans l’introduction duquel l’auteur dit réfuter Maxime d’Éphèse (c. 310-c. 372), élève de Jamblique (c. 250-c. 330), sur une question de syllogistique pour défendre Aristote : En réponse à Maxime (et Boéthos) sur la réduction de la deuxième et de la troisième figures à la première, opuscule traduit en français par ‘A. Badawī (1968, p. 166-180), et réédité puis retraduit par Marwan Rashed164. Par ailleurs, Stobée (s. V) cite (Anthologie, XIII, 68)165 quelques lignes d’un ouvrage Sur l’âme, et deux autres, l’un Sur la vertu, l’autre Sur l’amitié ne nous sont parvenus qu’en version syriaque, peut-être due à Sergius de Reshaina († 536)166. Un quatrième, la Lettre à Julien sur la gouvernance, recensé par le Fihrist167, ne subsiste, lui, qu’en version arabe. D’autre part, rappelons que Photius (= Henry, I, p. 153) informe d’une exégèse, invérifiable dans l’état de nos connaissances, touchant des dialogues platoniciens. Reste que les très nombreuses évocations de Platon auxquelles procède Thémistius, en particulier dans ses Discours, et la grande admiration qu’il lui porte, tendent à rendre l’information plausible. Rien de surprenant alors à ce qu’il soit loisible de dégager ses conceptions philosophiques de certains de ses discours et de son travail de paraphraste-commentateur. La présente étude n’étant point une monographie sur Thémistius, nous nous bornerons à signaler trois directions de recherche déjà suivies. Examinant les premiers Discours pour les classer chronologiquement, Herman F. Bouchery a reconnu à Thémistius « le mérite d’[avoir été] un des rares penseurs qui, en ce siècle de Jamblique, savaient résister à l’attrait du mysticisme et de la thaumaturgie des néoplatoniciens : fidèle à l’antique tradition de la pensée grecque, en vrai 164 Des questions concernant les deuxième et troisième figures du syllogisme opposaient Maxime et Thémistius, le premier argumentant en citant notamment Boéthos de Sidon, un Stoïcien du Ier s. avant J.-C. – voir Ammonius, In Aristotelis analyticorum priorum (= Wallies, p. 1, 18-22). 165 Voir Hense (III, p. 468). 166 Voir Sachau (1870). 167 Voir Badawī (1987, p. 102).
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disciple d’Aristote, il honorait en la Raison l’unique principe de toute vie intellectuelle »168. Omer Ballériaux a œuvré dans le même sens touchant le paraphraste-commentateur notamment, dans ses articles de 1989 et 1994, à propos de la doctrine de l’intellect passif et de la conception de l’immortalité de l’âme, qu’il a reconstituées à partir de la Paraphrase du De anima d’Aristote, concluant en ces termes et contre Praechter et Blumenthal169 : « Thémistius fut tout ce que l’on voudra, excepté un péripatéticien respectable ». Il perçoit plutôt chez lui les tendances néoplatoniciennes d’un penseur influencé par Plotin, mais critique envers Porphyre et sans influence de Jamblique. De même, en 2001, Guy Guldentops a cherché à savoir si, pour Thémistius, à partir de sa paraphrase sur les Seconds Analytiques d’Aristote, a pu exister, chez celui-ci, les conditions d’une science suprême. Il a conclu par l’affirmative, en indiquant que le rhéteur philosophe « se situe entre le matérialisme d’Épicure et l’idéalisme de Platon, comme un admirateur d’Aristote, mais… trop souvent tributaire du stoïcisme et du (néo-)platonisme »170. Le travail thémistien sur les Catégories étant perdu et inaccessible dans une autre langue (syriaque, arabe ou hébreu) que le latin, il serait hasardeux d’essayer de vérifier ces appréciations en tentant la même démarche à partir des CD. Plusieurs occasions nous seront toutefois données d’identifier chez l’Anonymus des conceptions qui l’apparentent à un néoplatonicien, voire à un porphyrien, sans que l’on puisse préciser si ces tendances sont à rapporter à Thémistius lui-même ou à son transposeur latin, et donc sans pouvoir les mettre en balance avec celles tirées des trois paraphrases en grec (Seconds Analytiques, Physique et De anima) que nous avons conservées. Rappelons enfin que le penchant « sophiste » de Thémistius – une accusation peut-être malveillante, comme on l’a indiqué –, n’aurait été qu’un apprêt rhétorique involontaire171. D’ailleurs, il semble ne pas avoir été cité, ni en tant que philosophe ni en tant que sophiste, par son quasi contemporain Eunape de Sardes (c. 346-c. 415) dans ses Vies de philosophes et de sophistes (c. 394), portraits brossés de vingt-quatre intellectuels, dont il ne subsiste, il est vrai, que de larges extraits172. 168 H. F. Bouchery, « Contribution à l’étude de la chronologie des discours de Thémistius », dans L’antiquité classique, 5, 1, 1936, p. 191-208 – ici 191. 169 Voir Praechter (1926, p. 655-656) et Blumenthal (1979). 170 Voir Guldentops (2001, p. 119). 171 Voir supra, p. 18. 172 Voir Goulet (2014). Sur l’absence de Thémistius de l’ouvrage d’Eunape, voir Idem (Ibid., I, p. 130), et O. Ballériaux, compte rendu de Robert J. Penella, Greek Philosophers
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IV. B. Contemporanéité L’Anonymus dut avoir à sa disposition l’ensemble de ce corpus philosophique pour parler d’un Themistius nostrae aetatis philosophus (§ [20]) et d’un Themistius nostra memoria egregius philosophus ([§ 176]). La première allusion du Paraphraste latin se situe peu après le début du chapitre III. Il y explique qu’une question très souvent débattue à propos des Catégories cherche à déterminer par quelle composante – l’étant, le conçu ou le dit – Aristote a voulu commencer son écrit et, selon lui, la plupart répondent que c’est en traitant d’abord de ce qui est, c’est-à-dire des choses que procure la nature, ensuite de ce qui est conçu, c’est-à-dire des images mentales que nous formons des choses, et enfin de ce qui est dit, c’est-à-dire de ce que nous manifestons des images des choses par le langage. Or, ajoute-t-il, selon Thémistius, philosophe érudit de « notre génération » (nostra aetas), Aristote a commencé l’explication non pas par ce qui est mais par ce qui est conçu, qu’il appelle lui-même des σημαινόμενα ou des φαντασίαι, à savoir des « images des choses fixées dans l’âme » ; et comme il s’est proposé de traiter de ce qui est conçu, il a forcément traité aussi de ce qui est et de ce qui est dit. En effet, ce qui est conçu provient de ce qui est, que nous percevons par la vue (videndo). Seulement, démontrer ce qui est conçu ne peut se faire qu’à l’aide de ce qui est dit. Donc, bien qu’Aristote ait été ensuite obligé de définir séparément ce qui est, nous devons néanmoins envisager un seul traitement pour les trois. Car celui qui parle de ce qui est conçu interprète aussi l’origine des choses et fait appel aux ressources du langage (§ [20][21]). Sans nous étendre ici sur la conception proprement thémistienne, qui revient à reconnaître que si Aristote commence par ce qui est conçu, l’imbrication des trois paramètres (le conçu, l’étant et le dit) est telle qu’observer une chronologie dans leur traitement n’a point de pertinence, nous retiendrons au passage les expressions vagues nostra aetas et nostra memoria sur lesquelles finalement tout repose, qui signifieraient que l’Anonymus aurait écrit au « siècle » de Thémistius. Le sens de la formule paraît clair, et traduire aetas par « génération », comme nous le faisons, par « âge » ou par « époque » ne changerait pour ainsi dire rien : l’Anonymus serait un « contemporain » de Thémistius, donc un homme qui aurait vécu et écrit au quatrième siècle de l’ère chrétienne.
and Sophistes in the fourth Century A.D. Studies in Eunapius of Sardis, Leeds, 1990, dans L’antiquité classique, 61, 1992, p. 464-466 – ici 466.
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La seconde allusion intervient au cours du dernier paragraphe. L’auteur y conclut de la sorte : CD, § [176] : Voilà, mon très cher fils, ce qu’au terme d’un labeur soutenu, sans que nous fasse défaut l’enseignement (magisterium) de Thémistius, éminent philosophe de notre temps (nostra memoria), nous avons traduit (convertere) du grec en latin à ton profit.
Cette autre expression, qui fait pendant et permet d’encadrer presque symétriquement la réflexion, à savoir : nostra memoria, laquelle renvoie à la durée couverte par une mémoire, qui ne peut à l’évidence excéder celle d’une vie, relance et équilibre nostra aetas. L’Anonyme tenait donc à ce que le lecteur ne perde pas de vue qu’il était de la génération de celui qu’il latinisait. C’est par conséquent aussi l’hommage d’un admirateur au penseur qu’il célèbre et honore en rendant accessible l’une de ses compositions à un lectorat latin. IV. C. Le genre Dans son dernier paragraphe, le Paraphraste latin termine en précisant qu’un gain ne sera retiré de son propos qu’à la condition de renoncer à tout ce qui est trompeur et vil, car il n’a rien oublié dans ce livre, on le sait, de ce qui pourra soit réjouir les doctes, soit instruire ceux qui sont manifestement non-doctes. Cet objectif est au moins propre à exclure notre Paraphrasis themistiana du genre des συγγράματα, dès lors que le responsable de celles-ci, en écartant, comme on l’a souligné, toute diffusion, évacuait par là même une quelconque dimension pédagogique. Cela n’oriente pas pour autant vers une transposiion suivie des Catégories d’Aristote de la part de Thémistius. Car si l’on se fie aux indications de l’Anonymus rapportées précédemment – où la différence entre « commentaire » et « paraphrase » ne paraît ni arrêtée ni importante –, lesquelles garantissent au moins que la production thémistienne compte aussi un « écrit » sur l’opus aristotélicien, que l’Anonymus a « converti » en latin, la signification du substantif magisterium ne permet pas de préciser la nature exacte de ce qui a été réalisé. La possibilité demeure que le Paraphraste latin ait lui-même mis par écrit et latinisé le contenu des cours que Thémistius consacra aux Catégories d’Aristote – ce qui justifierait l’expression : « travail soutenu » –, soit pour l’avoir recueilli auprès d’un auditeur ou de plusieurs, soit pour avoir suivi lui-même ses leçons. Dans les deux cas, Thémistius n’aurait rien rédigé de plus que des notes de cours touchant le premier traité de
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l’Organon. Et l’enseignement en q uestion aurait pu être délivré à Constantinople, à l’école de rhétorique qu’il fonda, ou bien lors de son séjour à Rome en 377. Cela aidera sans doute à comprendre pourquoi l’un des meilleurs spécialistes de Thémistius, Robert B. Todd, dans sa monographie sur cet exégète, après avoir mentionné et rapidement défini les Categoriae decem (p. 60A-B et 61A), ne cite la paraphrase dont elles relèvent (Categoriarum paraphrasis) ni dans le corpus thémistien authentique (p. 73B93A – Analyticorum posteriorum paraphrasis, In libros de anima paraphrasis, In libros de caelo paraphrasis, In metaphysicorum librum duodecim paraphrasis, In physica paraphrasis), ni dans le corpus apocryphe (p. 93A-102B – In librum de insomnis paraphrasis, In librum de divinatione per somnium paraphrasis, In librum de memoria et reminiscentia paraphrasis, In librum de somno et vigilia paraphrasis). Mais Todd omet aussi de recenser l’Analyticorum priorum paraphrasis, bien qu’attestée par Boèce quand il en attribue la mise en latin à Vettius Praetextatus, auteur que Todd cite pourtant (p. 60A). En tout cas, l’enjeu pour nous reste d’identifier non pas l’auteur du « commentaire » aux Catégories (ou de leur « paraphrase ») « traduit » (convertere) ici en latin – c’est Thémistius –, mais celui de sa transposition latine. Quant à la nature de cette dernière, elle tient tout entière dans le sens, pour tout dire indécidable, qu’il convient de donner au verbe convertere du § [176]. Avons-nous à faire à une traduction latine classique, complète, suivie et rigoureuse, ou à une adaptation plus ou moins libre ? Nous verrons que ses divers modes d’expression et l’enchaînement des passages transposés autorisent au moins à écarter la version continue et intégrale. Une fois ces quelques éclairages projetés sur l’environnnement historique, littéraire et conceptuel du texte, il semble opportun de s’intéresser à sa structure proprement dite, avant d’en approcher de plus près deux ou trois fragments. V. Structure, contenu et orientation exégétique des CD Si la Paraphrasis themistiana ne peut pas être assimilée à une latinisation précise et exhaustive, à l’image de ce que feront Gérard de Crémone et Guillaume de Moerbeke sur d’autres paraphrases thémistiennes, comment se présente-t-elle ? On parle, quelquefois un peu vite, de
INTRODUCTION51
« compilation », d’« épitomé » d’Aristote, ou d’« écho latin » de Thémistius173. Dans ce qui nous a été donné de constater, les CD peuvent être définies, en l’état où elles nous sont parvenues, comme étant constituées par une traduction, partielle et non toujours suivie, du traité d’Aristote (1a1-15b32), c’est-à-dire avec des lacunes, dont une importante (la p. Bekker –13 n’est l’objet d’aucune intervention), quelques doublons et des sauts en arrière, le tout se présentant ainsi : 1a8-10 (§ [4]), 2a11-12 (§ [5]), 1a1-4 (§ [10]), 1a6-8 (§ [12]), 1a12-15 (§ [22]), 1a16-19 (§ [26]), 1a20-22 (§ [31]), 1b3-6 (§ [31]), 1a29-b2 (§ [33]), 1a23-29 (§ [34]), 1a24-25 (§ [35]), 1b10-13 (§ [39]), 1b16-20 (§ [47]), 1b25-27 (§[51]), 1b28-2a4 (§ [52]), 2a5-7 (§ [55]), 2a8-10 (§ [55]), 2a11-17 (§ [57]), 2b29-31 (§ [58]), 2b31-36 (§ [58]), 2a19-24 (§[59]), 2b7-12 (§ [60]), 2b15-21 (§ [60]), 2a7-10 (§ [66]-[67]), 3a15-20 (§ [67]), 3a21-28 (§ [68]), 3a33-4a19 (§ [70]), 4b20 (§ [74]), 4b23-25 (§ [74]), 5a1-14 (§ [75]), 4b22-23 (§ [79]), 4b25-37 (§ [79]), 4b21-22 (§ [80]), 5a15-16 (§ [80]), 5a17-23 (§ [81]), 5a23-27 (§ [82]), 5a28-29 (§ [82]), 5a32-33 (§ [82]), 5a38-b9 (§ [84]), 5b11-22 (§ [85]), 5b30-6a1 (§ [86]), 6a15-18 (§ [88]), 6a19-25 (§ [91]), 6a26-35 (§ [92]), 11a15-19 (§ [92]), 6a36-b6 (§ [95]), 11a20-23 (§ [96]), 11a20-38 (§ [97]), 7b15-21 (§ [98]), 7b15-8a12 (§ [100]), 7b23-33 (§ [100]), 7b33-8a12 (§ [101]), 7b15-23 (§ [102]), 6b4-11 (§ [103]), 6b28-7a5 (§ [104]), 8a13-28 (§ [105]), 8a37-b7 (§ [106]), 6b28-7a13 (§ [107]), 11b32-38 (§ [108]), 6b15-19 (§ [109]), 6b20-27 (§ [110]), 8a21-25 (§ [111]), 8b21-25 (§ [112]), 9a29-31 (§ [113]), 8b26-27 (§ [115]), 9a1416 (§ [115]), 9a28-29 (§ [115]), 10a11-12 (§ [115]), 8b28-9a10 (§ [116]), 9a1013 (§ [116]), 9a14-27 (§ [118]), 9a28-b8 (§ [119]), 9b9-19 (§ [120]), 9b20-10a5 (§ [121]), 10a11-12 (§ [123]), 10a16-24 (§ [124]), 10a18 (§ [125]), 10a27-b11 (§ [126]), 10b12-17 (§ [127]),10a17-19 (§ [129]), 10b17-21 (§ [130]), 10b2611a1 (§ [131]), 11a 8-12 (§ [133]), 11a15-19 (§ [134]), 4a10-b29 (§ [134]), 6b2838 (§ [134]), 11a15-19 (§ [134]), 11a20-38 (§ [135]), 11b1-2 (§ [142]), 11b9-10 (§ [144]), 11b10-12 (§ [145]), 15b17-27 (§ [147]), 15b31-32 (§ [148]), 15b28-29 (§ [148]), 11b17-19 (§ [150]), 11b19-23 (§ [151]), 11b32-38 (§ [152]), 11b26-27 (§ [152]), 11b38-12a21 (§ [153]), 12a22-24 (§ 153]), 12a20-25 (§ [155]), 12a2629 (§ [156]), 12a29-35 (§ [157]), 12a35-b1 (§ [158]), 12b6-10 (§ [159]), 14a1-6 (§ [160]), 14a26-35 (§ [162]), 14a36-b3 (§ [163]), 14b4-8 (§ [164]), 14b9-22 (§ [165]), 14b24-26 (§ [167]), 14b27-32 (§ [168]), 14b33-15a2 (§ [169]), 15a1314 (§ [171]), 15a17-20 (§ [172]), 15a20-30 (§ [172]), 15a30-33 (§ [173]), 15b116 (§ [175]),
Remis dans l’ordre, cela donne ceci : 1a1-4, 1a6-8, 1a8-10, 1a12-15, 1a16-19, 1a20-22, 1a24-25, 1a23-29, 1a29-b2, 1b3-6, 1b10-13, 1b16-20, 1b25-27, 1b28-2a1, 2a5-7, 2a7-10, 2a8-10, 2a11-17, 2a11-12, 2a19-24, 2b7-12, 2b15-21, 2b29-31, 2b31-36, 3a15-20, 3a21-28, 173 Voir, respectivement, Stegemann (1934, col. 1655), Marenbon (1988, p. 24) et Erismann (2009, p. 54, n. 37).
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INTRODUCTION
3a33-4a19, 4a10-b29, 4b20, 4b21-22, 4b22-23, 4b23-25, 4b25-37, 5a1-14, 5a1516, 5a17-23, 5a23-27, 5a28-29, 5a32-33, 5a38-b9, 5b11-12, 5b30-6a1, 6a4-11, 6a15-18, 6a19-25, 6a26-35, 6a36-b6, 6b15-19, 6b20-27, 6b28-38, 6b28-7a5, 6b28-7a13, 7b15-21, 7b15-23, 7b15-8a12, 7b23-33, 7b33-8a12, 8a13-28, 8a2125, 8a33-b7, 8b21-25, 8b26-27, 8b28-9a10, 9a10-13, 9a14-16, 9a14-27, 9a28-29, 9a29-31, 9a28-b8, 9b9-19, 9b20-10a5, 10a11-12 (bis), 10a16-24, 10a18, 10a17b11, 10b12-17, 10b17-19, 10b17-21, 10b26-11a1, 11a8-12, 11a15-19 (bis), 11a20-23, 11a20-38 (bis), 11b1-2, 11b9-10, 11b10-12, 11b17-19, 11b19-23, 11b26-27, 11b32-38 (bis), 11b38-12a21, 12a20-25, 12a22-24, 12a26-29, 12a2935, 12a35-b1, 12b6-10, 14a1-6, 14a26-35, 14a36-b3, 14b4-8, 14b9-22, 14b24-26, 14b27-32, 14b33-15a2, 15a13-14, 15a17-20, 15a20-30, 15a30-33, 15b1-16, 15b17-27, 15b28-29, 15b31-32.
Sur le contenu, la version est tantôt quasi littérale, tantôt paraphrastique, tantôt périphrastique, tantôt synthétisée, et alterne avec un commentaire lemmatique, ou glose pure, d’inspiration entre autres vraisemblablement thémistienne. Le tout vise un seul objectif : rendre l’essentiel de l’ouvrage paraphrasé, avec pour principale ambition d’en mettre au clair tout ce qui a été jugé digne et utile de l’être. Cette intention bénéficie de multiples mentions, signe de son importance pour l’auteur : « le présent discours n’a pas pour but de rendre tout ce qui a été écrit par le Philosophe, mais de rapporter plus clairement ce qui peut apparaître obscur aux esprits mal dégrossis » § [70] « parvenu à ce point, il est bon de dissiper quelques obscurités » § [105] « nous avons expliqué, autant que nous avons pu,… » § [112] « cette qualité, pour laquelle nous avons expliqué ces diverses espèces » § [127] « il a par conséquent été indiqué de façon manifeste… » § [133] « il nous reste à enquêter sur… » § [134] « enfin, ayant pour ainsi dire traversé les flots d’un vaste océan, nous avons épuisé le nombre des catégories, à ce que je crois d’une manière persuasive pour les doctes, et d’une manière suffisamment claire pour ceux qui veulent s’instruire » § [149] « à titre d’illustration, nous prendrons comme exemple… » § [151] « cette distinction de deux espèces qui proviennent d’opposés est donc élucidée et claire » § [153] « retraitons à présent, avec plus d’attention… » § [156] « après un examen approfondi… » § [171] « pour rendre leur distinction manifeste… » § [173] « nous n’avons rien omis dans ce livre de ce qui puisse ou bien satisfaire ceux qui sont déjà doctes, ou bien instruire très complètement les non-doctes » § [176].
Si l’écrit de Thémistius nous était accessible, l’application de l’ensemble de ces principes exégétiques déboucherait peut-être sur un effet mitigé, que l’on peut résumer par le jugement que Joseph Bidez a porté
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sur Boèce glosant l’Isagoge de Porphyre, en substituant bien sûr « Thémistius » à « Boèce » et « Aristote » à « Porphyre » : « Thémistius paraphrase, amplifie, résume ou simplifie à son gré. Il altère la disposition même, et il connaît assez son sujet pour consolider l’argumentation d’Aristote là où, dans sa rapidité concise, elle lui paraît trop peu appuyée. D’autre part, préoccupé de se faire suivre sans exiger de grands efforts d’attention, Thémistius ne craint pas de se répéter. Aristote est loin de gagner à ces remaniements. Thémistius l’alourdit à plaisir et il fait souvent disparaître ce qu’il y a, dans son modèle, de logique serrée et de précision élégante »174.
Mais, dans l’hypothèse où nous verrions juste, pouvait-il en aller différemment ? Les quelques travers recencés ne sont-ils pas inhérents au commentarisme ? Quoi qu’il en soit, selon l’objectif réitéré : satisfaire, en étant clair et persuasif, ceux qui sont déjà doctes, instruire très complètement ceux qui ne le sont pas encore, l’Anonymus parcourt l’opuscule d’Aristote sans marquer de division. L’éditeur Minio-Paluello a néanmoins partagé le texte en 176 paragraphes, répartis sur 19 sections, dont 13 portent un intitulé : après une longue introduction qui couvre 8 paragraphes, comportant entre autres une réflexion sur le langage et une autre consacrée à l’analyse de la substance, on y trouve une Divisio substantiae, un De quantitate, un Peri tou pros ti, un De qualitate, au terme duquel les chapitres deviennent beaucoup plus courts ; ce sont : un De iacere, un De ubi et quando, un De habere, un De oppositis, un De proprie, un De simul et un De motu. Une division un peu plus détaillée a été adoptée par les Mauristes, qui portent le nombre de sections à 22 (l’intitulé de la deuxième est toutefois inadapté, puisqu’il n’est pas question des « équivoques » et des « multivoques » dans les CD, mais des « homonymes » et des « synonymes »). Nous avons fusionné les deux dans notre traduction. Le détail est le suivant : Aristoteles latinus :
1. [1] – [8] 2. [9] – [26] 3. [27 – [30] 4. [31] – [41] 5. [42] – [49] 6. [50] – [56] 7. [57] – [70] : Divisio substantiae 8. [71] – [92] : De quantitate 9. [93] – [94] : Ad-aliquid 10. [95] – [112] : Peri tou pros ti J. Bidez (1923, p. 195).
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INTRODUCTION
11. [113] – [137] : De qualitate 12. [138] – []43] : De facere et pati 13. [144] : De iacere 14. [145 – [146] : de ubi et quando 15. [147] – [149] : De habere 16. [150 – [161] : De oppositis 17. [162– [166] : De priore 18. [167] – [169] ] : De simul 19. [170] – [176] : De motu
Patrologia :
1. [1] – [8] : De oratione et quam late pateat significatio οὐσίας 2. [9] – [18] : De aequivocis et multivocis 3. [19] – [21] : Quid Aristoteles agat in categoriis 4. [22] – [26] : De denominativis. Differunt paronyma ab homonymis 5. [27 – [30] : Substantia et accidens 6. [31 – [38] : Quae dicuntur de subiecto, quae sunt in subiecto 7. [39] – [49] : Quid genus, quid species 8. [50] – [56] : De praedicamentis in generali 9. [57] – [70] : De usia sive substantia. Usia proprie. Secundae usiae quae dicantur 10. [71] – [92] : De quantitate. Quanto nihil est contrarium. Contraria quae dicantur 11. [93] – [94] : Ad aliquid. Ad aliquid quando dicitur. Opposita 12. [95] – [112] : ΠΕΡΙ ΤΟΥ ΠΡΟΣ ΤΙ 13. [113] – [137] : De qualitate. Species qualitatis quattuor. Habitus. Affectio. Potentia naturalis. Passivae qualitates 14. [138] – [143] : De facere et pati 15. [144] : De jacere sive situ 16. [145] – [146] : De ubi et quando 17. [147] – [148] : De habere 18. [149] : De postpraedicamentis 19. [150 – [161] : De oppositis. Tres species contrariorum 20. [162– [166] : De priore 21. [167] – [169] ] : De simul 22. [170] – [176] : De motu
Voyons d’un peu plus près quelques étapes. V. a. Le préambule Ce canevas sous-tend un itinéraire conceptuel, que l’Anonymus détaille dans un préambule étendu, qui débute lui-même de cette façon : CD, § [1] : Quoique toute connaissance et toute science relevant de différents arts ne soit exposée que par le langage, pourtant, ô mon fils, il ne s’est trouvé personne
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de capable, dans n’importe quel domaine, qui ne veuille traiter de l’origine ou du principe du langage même, et à cet égard le scrupule mis par Aristote le Philosophe est étonnant, lui qui, désireux de disserter sur tout, a commencé par l’examen du langage même, qu’il savait à la fois délaissé par tous et nécessaire à chacun.
L’originalité de ce bref paragraphe tient à ce qu’il souligne l’initiative d’Aristote, présentée comme téméraire par rapport à celle de ses devanciers, en ce qu’elle s’attaque à l’analyse des origines du langage. Nous n’avons trouvé aucun précédent, ni dans la tradition grecque ni dans la tradition latine, qui rende un tel hommage, explicité comme suit : CD, § [2] : Il nous a ainsi enseigné, parmi ce que les grammairiens nomment les huit parties du langage, que celle-là seule est appelée correctement « partie du langage » qui désigne quelque chose et se signale par un vocable. Par conséquent, nous ne devons accepter, comme seules parties du langage, au dire d’Aristote, que le nom et le verbe, et les autres, constituées à partir d’eux, doivent être nommées « articulations du langage » plutôt que « ses parties », car le nom désigne une personne, le verbe ce que fait quelqu’un ou ce qu’il subit.
Plusieurs remarques paraissent s’imposer. Rappelons tout d’abord que si, pour les grammairiens, les huit parties du discours sont : nom, pronom, verbe, adverbe, participe, conjonction, préposition et interjection, Aristote, en sa Poétique (20, 1456b20-21), ne recensera que six parties de la λέξις : lettre, syllabe, conjonction, article, nom et verbe. L’Anonymus paraît donc ignorer ce texte, s’il ne le passe pas sous silence volontairement. Car en parlant d’« articulations » du langage pour ses éléments autres que le nom et le verbe, l’Anonymus utilise le terme compages (§ [2]). Indépendamment d’un usage peut-être grammatical de ce terme que nous ignorons, il pourrait renvoyer à la fois au σύνδεσμος et à l’ἄρθρον, termes empruntés par Aristote au vocabulaire de l’anatomie pour désigner, dans le passage de la Poétique cité plus haut, la conjonction comme « ligament » et l’article comme « articulation ». Cela accréditerait l’hypothèse que le Paraphraste latin connaissait l’ouvrage et s’en inspirait sans le préciser. Notons encore une certaine incohérence dans sa présentation. Commençant par évoquer l’existence d’une seule partie du langage reconnue comme telle par Aristote [§ (2)], il en cite deux aussitôt après : le « nom » et le « verbe ». Il est vrai que le Stagirite associera les deux éléments langagiers dans son Peri hermeneias : « lorsqu’ils sont émis eux-mêmes par eux-mêmes, les (« rhèmes » pour Crubellier–Pellegrin) valent pour des noms » (16b1920), dès lors que l’un et l’autre signifient quelque concept de l’esprit175, Voir Tricot (1977, p. 82, 3).
175
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INTRODUCTION
autrement dit suscitent une image intellectuelle. Il n’en demeure pas moins que la formulation des CD aurait gagné à plus de nuance. Ce recours au Peri hermeneias répond toutefois aux besoins d’un constat indirectement posé comme préalable à l’examen des Catégories, à savoir que le nom et le verbe sont les deux seules véritables parties de l’oratio aristotélicienne, dans la mesure où elles désignent quelque chose, c’està-dire signifient. Donc, bien que l’allusion soit un peu déphasée, elle ne surprend pas vraiment si l’on veut bien considérer que c’est là le premier indice d’une pratique commentariste. Nous y viendrons dans une prochaine section. V. b. L’axe doctrinal Dans la paragraphe suivant, le scripteur sans nom insiste sur ce qu’est à ses yeux la spécificité aristotélicienne : CD, § [3] : De là, d’après son enseignement, nous devons envisager au moyen de quelle réduction progressive le langage, subsumé par degrés, englobe toutes les choses qui sont saisies à l’aide d’un seul vocable. Car, quoique la désignation des choses mortelles soit diverse et innombrable, et que la diversité si étendue des noms ne puisse être embrassée, pourtant lorsque tu dis en un seul vocable « homme », tu les connais tous ; semblablement des autres choses : « tel cheval », ou « Xanthe », ou « Éthon » ou « Divin », ou « tel ou tel » ; et bien que la compréhension de ces noms soit également infinie, cependant lorsque quelqu’un dit « cheval » il les montre tous. Et si – ce qui se produit couramment –, quelqu’un impose des noms à des lions ou à des bœufs, la connaissance de chacun est étendue sans limite et la pénétration de l’esprit affaiblie176 ; mais lorsque tu dis « lion » ou « taureau », tous, en quelque endroit qu’ils soient, tombent sous ce seul nom de « nature ».
Dès ce moment, nous le disions, l’orientation de l’ensemble du préambule est donnée : elle consiste en une réflexion sur une méthode qui ressemble à la διαίρεσις platonicienne, telle qu’Aristote l’aurait reprise, critiquée et adaptée, mais sans dégager vraiment la spécificité du traitement aristotélicien. Car l’Anonymus donne l’impression de se borner à souligner que toute l’originalité de la démarche du Stagirite réside dans une sorte de méthode classificatoire universelle, où les grandes divisions répondent autant à la nature des choses qu’à ce que nous pouvons en penser. Le vocabulaire qu’il utilise trahit à lui seul son insistance sur ce thème. On rencontre ainsi, concentré, pour la plupart des verbes dans les 176 Nous voyons évoqué dans cette remarque l’effet contre-opératoire de l’individu sur le connaissable (voir infra).
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paragraphes de ce seul préambule, le lexique suivant : astringere (« rassembler »), coartare (« subsumer »), cogere (coactus – « concentrer »), colligere (« réunir »), compendium (« réduction »), comprehendere (« embrasser »), conciliare (« regrouper »), concludere (« englober »), geminare (« réunir »), inflectere (« ramener ») et possidere (« renfermer »). Par ailleurs, l’allusion que l’on trouve, selon nous, à la fin du passage touchant la dépréciation de l’individu dans la connaissance scientifique peut surprendre à l’intérieur d’une paraphrase des Catégories, et soulève en tout cas la question redoutable de la cohérence de l’aristotélisme en ce qui concerne le rôle exact du particulier dans une démonstration de niveau scientifique. Rappelons, en effet, sans pouvoir nous étendre, que dans certains textes, tels les Analytiques et la Métaphysique (par exemple 1039b28-1040a7), Aristote affirme que, indéfinissable et de compréhension infinie, l’individu n’est point objet de science. En revanche, dans d’autres textes, tel celui des Catégories, il soutient que la substance au sens premier du terme n’est autre que l’individu, et que toute science doit viser les individus et se fonder sur leur observation177. Peut-être faut-il, pour sortir de la contradiction apparente, se référer à ce que déclare le Stagirite dans cette même Métaphysique, à savoir que l’universel est visé par la puissance cognitive et le particulier par l’acte de connaissance (Μ, 10)178. Toujours est-il que l’Anonymus introduit en l’occurrence une appréciation qui ne conserve pas, semble-t-il, toute sa pertinence dans le commentaire d’un traité orienté précisément dans la direction opposée. Il manque toutefois au constat des CD, insistant et surillustré, concernant la méthode aristotélicienne, quelques réflexions rapides sur les objectifs de cette dernière. On ne trouve d’allusion ni à la perception intuitive des vérités qui servent de prémisses à toute démonstration, ni à la conduite cohérente et finalisée de la démonstration proprement dite. En outre, on aurait aimé voir exprimer avec plus de précision que la science se donne pour tâche l’enchaînement rigoureux des jugements en un tout organisé qui constitue le reflet du monde réel, et des relations qui lient les substances aux propriétés. Il faut trop deviner que le fondement unique de tout raisonnement scientifique est objectivé par la dialectique, dont la mission globale est d’unifier en un système cohérent les expériences fragmentaires et éclatées du sujet par la saisie intuitive d’une vérité nécessaire. Et pourtant, ce qui a retenu toute l’attention du Voir Allan (1962, p. 147-148). Ibid., p. 163-165.
177 178
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INTRODUCTION
araphraste latin, c’est bien cette division méthodique et exhaustive par P dichotomies successives, celle par genres, espèces et différences, qui reconstruit le réel dans une démarche synthétique, et aboutit à des définitions par des redistributions renouvelées. Les deux paragraphes qui suivent ne laissent point une autre impression : CD, § [4] : Mais en réalité, la capacité du langage, qu’en raison de sa fécondité à produire des genres infinis il [sc. Aristote] a réuni en des vocables indépendants, paraîtrait insuffisante si, une fois subsumés sous une même unité, il ne les englobait sous une désignation unique ; et pour cette raison, il a dit « animal » à la fois l’« homme », la « bête sauvage » et le « cheval », en donnant aux uns et aux autres le nom qui les renferme tous. Et il n’a pas moins désigné brièvement, en partant d’une description extrêmement étendue, les choses qui sont dépourvues d’âme ; car, quoiqu’il existât un arbre soit à noix, soit à châtaignes, soit à glands, soit à pommes, et d’autres innombrables genres de végétaux, les appelant « à rameaux superflus » (surculus)179, il les a tous rassemblés sous un vocable unique et commun. Semblablement, il a appelé synthétiquement « gemmes » diverses pierres de parure. § [5] En dernier lieu, bien qu’il ait suffisamment poussé son analyse en regroupant les genres partout dispersés et connus par ce qui leur est spécifique, pourtant, par un nom sans mesure et extensible à l’infini, en comprenant absolument tout ce qui est, il a dit οὐσία [« ousie »] ce en dehors de quoi rien ne peut être ni découvert ni pensé. C’est l’une des dix catégories.
La prégnance de l’objet concret et extra-linguistique ou res, figurant ici dans la totalité existante, fait directement dépendre la valeur cognitive du contenu langagier de l’existence indépendante de la chose perçue : CD, § [6] Au vrai, c’est un fait établi que les catégories sont appelées ainsi « en Fonction de ce qu’elles ne peuvent être connues qu’à partir de sujets », ὡς κατὰ τινῶν λεχθεῖσαι ; en effet, quelqu’un peut-il connaître ce qu’est un homme à moins de se mettre quelque homme devant les yeux comme sujet pour « homme » ?
Cette manière de définir la catégorie par référence à l’origine sensible de toute signification ne semble point dissidente, du moins en un premier temps, relativement à une certaine tradition néoplatonicienne. Ainsi, le rédacteur de l’Isagoge la souligne-t-il à plusieurs reprises : Porphyre : [Aristote] a adopté le nom « catégorie », reçu dans l’usage ordinaire pour désigner le plaidoyer de l’accusation qui s’exprime à l’aide d ’arguments, mais personnellement, il a désigné sous ce nom l’expression des mots propres à signifier 179 Sur la source possible de cette classification et l’expression « rameaux superflus ou inutiles », que nous préférons à « surgeon », voir la note afférente à ce passage dans notre traduction.
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les choses. Si bien que tout mot simple, significatif, une fois prononcé et exprimé à propos de la chose qu’il signifie, est dit une 180. Ainsi, supposons que la chose soit cette pierre-ci que je montre, que nous pouvons toucher ou que nous pouvons voir : quand nous disons à son propos que ceci est une pierre, le mot « pierre » est une . Il indique en effet la sorte de chose que voici et permet de se prononcer sur la chose montrée, une pierre [...] Le propos (d’Aristote] est de considérer les mots significatifs ; or, les mots ont été prioritairement appliqués aux choses sensibles (c’est en effet à celles qu’ils voyaient et à celles qu’ils percevaient que les hommes ont d’abord donné des noms) et secondairement aux choses naturellement premières, mais secondes pour la perception ; il est donc normal d’avoir posé comme substances premières les premières choses à avoir été nommées par les mots, c’est-à-dire les choses sensibles et les choses individuelles181.
Mais on ne tarde pas à s’apercevoir, dans un second temps, qu’à la différence d’un penseur comme Porphyre qui, en insistant sur la capacité référentielle du langage, ramène la κατηγορία à une « voix » faisant signe vers une chose, le Paraphraste latin en reste à un stade « pragmatique », en donnant la primeur à la matérialité du fait signifiant. Un choix qui se confirmera plus loin, lorsqu’il s’agira d’identifier l’objectif d’Aristote : CD, § [13] : Venons-en à présent à ces choses qui, singulières, sont habituellement signalées par plusieurs noms, quoique Aristote – comme cela a été dit plus haut – ait laissé de côté cette partie [sc. celle sur les polyonymes et les hétéronymes], en raison de ce qu’il a pensé devoir traiter de ce qui est signifié, non de ce qui signifie (or concernant ce point, la question tourne autour non pas des choses mais des noms).
La comparaison avec l’appréciation de Boèce marque tout de suite la différence : Boèce, In Categorias Aristotelis, I, 159C11-15 : In hoc… opere haec intentio est, de primis rerum nominibus et de vocibus re significantibus disputare, non eo quod secundum aliquam proprietatem figuramque formantur, sed in eo quod significantes sunt = Dans cet ouvrage (i. e. les Catégories), l’intention est de traiter des premiers noms des choses et des mots qui signifient des choses, non
180 Au lieu de κατηγόρ[ημα] (« la chose prédiquée »), Bodéüs lit ici κατηγορ[ία]. Mais il rend ce dernier mot par « prédication », et justifie son choix (p. 81, n. 4 et 5). Seulement, d’une part il avait traduit jusqu’alors κατηγορία par « prédicament », de l’autre il ne fait point sens, selon nous, de dire que « pierre » est une « prédication », laquelle désigne « le fait de prédiquer » ; c’est une « catégorie » ou un « prédicament », c’est-à-dire un mot signifiant une chose, alors que la « prédication » est l’opération qui attribue une catégorie à un catégorème. 181 CC, 56, 5-13 et 91, 19-25 (= Bodéüs , p. 81 et 255, traduction très légèrement retouchée par nous ()).
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INTRODUCTION
pas en ce qu’ils sont formés selon un quelconque caractère propre et une manière d’être (figura), mais en ce qu’ils sont signifiants.
La primauté du signifié (la chose) sur le signifiant (le mot), à laquelle veut nous conduire l’Anonymus cernant l’intention du Stagirite (de his quae significantur disserendum putavit), appelle deux remarques. D’une part, elle écorche ce que nous disions précédemment (voir supra, p. 48) sur l’imbrication des trois paramètres (le conçu, l’étant et le dit), qui rendait impossible toute prévalence de l’un sur les deux autres, car ici la primeur est nettement accordée au deuxième : « [Aristote] a pensé devoir traiter de ce qui est signifié, non de ce qui signifie ». D’autre part, la conception adoptée en l’occurrence par le Paraphraste latin paraît à l’inverse de celle suivie par Boèce, qui instaure précisément, dans le fragment cité, une primeur du signifiant sur le signifié. Or, et aussi surprenant qu’il puisse paraître, compte tenu de la dépendance de Boèce envers le Porphyre du commentaire mineur aux Catégories182, la première orientation, celle des CD en ce § [13], se recueille déjà chez Porphyre, qui la fait sienne en répondant à la question de savoir pourquoi le traité ne s’appelle pas Des genres de l’être183 ou Des dix genres : Porphyre : Les êtres, leurs genres, leurs espèces et leurs différences sont des choses (πράγματα), et pas des vocables (φωναί). Or après avoir recensé ces dix distinctions..., Aristote soutient : « Aucune cependant des distinctions qu’on vient de mentionner ne suppose en elle-même une quelconque affirmation, lorsqu’elle est exprimée ; en revanche, la connexion des unes avec les autres produit une affirmation » [2a4-7]. Si c’est en effet leur connexion qui produit une affirmation et que l’affirmation trouve son existence dans un vocable significatif et une formule déclarative, alors ce travail ne peut porter sur des genres de l’être, ni généralement sur des choses en tant que telles, mais plutôt sur des vocables propres à signifier des choses. Ce n’est pas, en effet, la connexion des choses qui devient affirmation ; mais la connexion des vocables significatifs qui montrent des choses, elle, produit finalement l’affirmation. Et Aristote lui-même déclare expressément : « Ce qui se dit sans aucune connexion indique, selon le cas, ou bien une substance… » (1b25-26) et ainsi de suite. En effet, si c’était les choses que son propos avait pour objet, il n’aurait pas dit : « … ou bien indique une substance », car les choses ne signifient pas, mais sont signifiées184. 182 Rappelons que Porphyre rédigea un autre commentaire aux Catégories, en 7 livres et adressé à l’un de ses étudiants (Gedalios ou Gedalius), dont quelques fragments, contenus dans ce que l’on nomme le « Palimpseste d’Archimède », ont récemment été édités et traduits – voir R. Chiaradonna, M. Rashed, D. Sedley, « A Rediscovered Categories Commentary », dans Oxford Studies in Ancient Philosophy, 44, 2013, p. 129-94. 183 C’est le titre de la partie des Ennéades (traités 42-44 = VI, 1-3) où Plotin critique âprement la théorie aristotélicienne des catégories, partie contre laquelle Porphyre rédigera son Isagoge. 184 CC, 56, 34-57, 12 (= Bodéüs, p. 85 et 87).
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Il eût été intéressant, en une autre occasion, de s’arrêter plus longtemps sur ces deux conceptions de prime abord opposées, pour mesurer notamment leur lien avec la future problématique des universaux, et regarder si le responsable du De decem categoriis pourrait ou non y figurer en qualité de premier réaliste connu. Mais nous devons reprendre le fil de son introduction, qui se termine de la sorte : CD, § [7] : Et pour éviter que, dans le cours de son traité nécessitant de très nombreux exemples, les mêmes noms ne soient répétés à des fins d’illustration, et qu’il arrive souvent que des exemples fréquents – comme celui d’« Hortensius »185, ou celui plus étendu d’« homme », ou celui encore plus étendu d’« animal », ou celui le plus étendu d’« ousie » – aboutissent à la saturation, il les a ramenés à d’autres vocables, dont les philosophes se servent pour argumenter. Ainsi, il a appelé « Hortensius », « arbre à noix », « cheval Xanthe » et leurs semblables, αἰσθητά, ἄτομα, ἓν ἀριθμῷ, καθέκαστα : αἰσθητά [« perceptible »] parce qu’ils sont perçus par le toucher, ἄτομα [« éléments indivisibles »] parce qu’ils ne sauraient êtres divisés ni segmentés (qui, en effet, croirait qu’Hortensius puisse être taillé en morceaux ? Que si cela se faisait, alors Hortensius ne serait plus), ἓν ἀριθμῷ parce qu’ils sont d’un seul nombre, καθέκαστα parce que « singuliers » (et en effet ils ne peuvent être réunis en une quelconque unité). § [8] Ensuite, l’art a dit εἴδη [« espèces »] ceux qui sont plus étendus, c’està-dire « homme », « cheval », « lion », « arbre », en quelque sorte les parties du genre et les formes des choses ; puis il [sc. l’art] a dénommé « genres » ceux encore plus étendus, c’est-à-dire les « animaux », les « végétaux », les « gemmes » et les « pierres », desquels naissent les parties ou les formes. Pourtant, les mêmes « genres » peuvent être appelés « espèces » ou εἴδη, parce qu’ils possèdent quelque chose qui est le plus étendu, c’est-à-dire l’ousie, de laquelle ils semblent descendre et naître. Et ils [sc. les philosophes] ont voulu que l’ousie elle-même, au-dessus de laquelle il n’est rien, soit appelée « genre ».
Ce développement confirme, si besoin était, que le processus d’induction abstractive, qui canalise l’exégèse de l’Anonymus, l’oblige à gloser toujours plus sur la fonction subsumante des catégories, à l’origine de laquelle il fait bien intervenir le critère de l’αἰσθητόν.
185 Il est étrange que l’Anonymus, si prompt à user de références grecques, n’ait pas choisi « Socrate » comme exemple d’homme, surtout en mettant l’appellation sous la responsabilité d’Aristote. En outre, plutôt qu’« Hortensius », il aurait pu penser à citer « Cicéron ». Reste que ce choix irait dans le sens d’un réflexe d’auteur du IVe s., puisque dans l’état de nos connaissances, les plus importants fragments de l’Hortensius de Cicéron ont été préservés, outre par Augustin, par son contemporain, le grammairien Nonius Marcellus – voir G. Madec, dans R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, Supplément, Paris, 2003, p. 716-719.
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V. c. Quelques aspects spécifiques Une fois posé ce point d’ancrage et tracée cette orientation, le scripteur sans nom affronte l’opuscule aristotélicien. Étant exclu de le suivre ici pas à pas, nous aurons un meilleur aperçu de sa façon de procéder en comparant un passage des CD typique de l’ensemble avec le passage qui lui correspond chez Boèce, la seule mise en parallèle possible, vu l’état du commentarisme latin à cette époque. Il s’agit du moment où le Stagirite entreprend d’énumérer les caractères de la substance : CD, § [66-70] § [66] Nunc igitur, ut designet usian, ab in-omni-non-in-solo argumentari incipit cum demonstrat esse secundas usias, quas idcirco secundas dicit esse quia id in his inveniri poterit quod in primis. Denique dicit commune hoc esse cuilibet usiae, ut in subiecto non sit. § [67] Cum igitur nec genus nec species in subiecto inveniantur, manifestum est haec «secundas usias» debere nominari (= 3a7-10). Deinde hinc quoque ostendit genus et speciem secundas usias esse, quod omnia quae sunt cum iis quae sibi subiecta sunt interdum solum nomen, non tamen et rationem possunt habere communem; genus autem et species cum subiectis (id est cum aliquo homine) certam et rationis habent et nominis societatem (= 3a15-20). § [68] Monstratis ergo secundis usiis, id est genere et specie, differentia sola restabat quae, consideranti diligentius, quasi accidens videtur esse; siquidem «bipes» vel «mortale» vel «rationale» cum animal dicitur, non quid sit sed quale sit potius demonstratur, ideoque videtur vim tenere qualitatis. Verum quando a genere prima oritur differentia, et sic sequitur species, in accidentibus non debet numerari.
Boèce
Commune est autem omni substantiae in subiecto non esse. Prima enim substantia nec de subiecto dicitur nec in subiecto est; secundare vero substantiae sic quoque manifestum est quoniam non sunt in subiecto (= 3a7-10). (3a10-15) glose (189D13-191C5) Amplius eorum quae sunt in subiecto nomen quidem de subiecto aliquotiens nihil prohibet praedicari, rationem vero impossibile est. Secundarum vero substantiarum de subiectis ratio praedicatur et nomen; rationem enim hominis et animalis de aliquo homine praedicabis (=3a15-20).
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§ [69] Atque ideo Aristoteles eam significatione quidem mixtam dixit esse, virtute autem inter usias habendam decrevit; eadem enim in hac inveniri pronuntiat quae et in ceteris substantiis reperiuntur, id est cum subiecto posse et nomen et rationem habere consimilem (cum enim «gressutum hominem» dicimus, in subiecto idem et vocabulum et eius rationem eamdem possumus invenire; Socrates enim et homo est et gressutus) (= 3a21-28).
Non est autem proprium substantiae hoc; sed differentia eorum est quae in subiecto non sunt; bipes enim et gressibile de subiecto quidem de homine praedicatur, in subiecto vero nullo est; non enim in homine est bipes neque gressibile. Et ratio quoque differentiae de illo dicitur de quo ipsa differentia praedicatur, ut si gressibile de homine dicatur, et ratio gressibilis de homine praedicabitur; est enim homo gressibile (= 3a21-28).
§ [70] Similiter sequitur cetera argumen (3a33-4a9) [le passage étant trop long tando variata, demonstrans quaedam pour figurer ici, nous renvoyons à sa inesse usiae quae sola et omnis habeat, lecture directe] quaedam quae sola et non omnis, quaedam quae omnis et non sola, quaedam nec sola nec omnis (= 3a33-4b19). Quae, quoniam in Aristotele ipso manifesta sunt, superfluum visum est aperire, maxime cum hic sermo non transferre omnia quae a philosopho sunt scripta decreverit, sed ea planius enarrare quae rudibus videbantur obscura.
La mise en parallèle rend tout de suite évidentes deux manières de procéder qui n’ont rien de commun, puisque entre autres l’Anonymus débute par un énoncé de présentation didactique que nous avons fait figurer en caractères italiques, et qui s’expliquera un peu plus loin : CD, § [66] : À présent donc, pour désigner l’ousie, il [sc. Aristote] commence à argumenter par le « en-tous-non-en-un-seul », quand il démontre qu’il y a des ousies secondes dont il dit qu’elles sont secondes en raison de ce que l’on pourrait y trouver ce qui est dans les premières ».
De même, à la fin des extraits mis en balance dans le tableau ci-dessus, où il extrapole de nouveau en fournissant les deux raisons pour lesquelles il se dispense de produire une glose, à savoir l’évidence du propos aristotélicien et l’un des objectifs principaux de la paraphrase, qui est d’instruire les non-spécialistes : CD, § [70] : Il paraît superflu d’éclairer ces points puisqu’ils sont évidents chez Aristote lui-même, surtout sachant que le présent discours n’a pas pour but de rendre tout ce qui a été écrit par le Philosophe, mais de rapporter plus clairement ce qui peut apparaître obscur aux esprits mal dégrossis.
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INTRODUCTION
Entre ces deux excursus, il est aisé de confronter les deux latinisations – ce qui sera fait un peu plus en détail tout à l’heure –, qui illustrent les divers procédés qu’enchaîne le Paraphraste latin et que nous avons identifiés (voir supra, p. 52) : la traduction quasi littérale sur 3a7-10, la traduction paraphrastique sur 3a15-20, la traduction périphrastique sur 3a21-28, la traduction synthétisée sur 3a33-4b19. Soumettons cette pratique à quelques développements. V. d. Typologie exégétique À partir de là, le Paraphraste latin va procéder de six manières différentes (les quatre modes de latinisation précédents plus la glose pure et la coupure) pour cheminer dans le texte aristotélicien, sans identifier les passages concernés et surtout sans informer des moments d’alternance. Il tombe sous le sens que le registre de la paraphrase ne peut s’accommoder trop longtemps d’une latinisation assez stricte, et qu’il a besoin de recourir à d’autres moyens pour atteindre son objectif : expliciter ce qui nécessite de l’être186. 1. Le bref préambule cité § [66], qui n’est pas dissocié du reste, introduit à la première des six caractéristiques amenées plus haut de la manière de procéder des CD : la glose pure, qui clôturera du reste aussi la séquence des § [66-70]. Elle mobilise ici, de manière assez curieuse, le foncteur ἐν μόνῳ-ἐν παντί, apparu dans la section antérieure § [62-65], et auquel nous nous intéresserons sous peu. 2. L’ensemble aménage tout naturellement l’abord direct du texte d’Aristote187 :
Aristote : Un trait commun à toutes les substances est de n’être pas dans un sujet. En effet, la substance première ne se dit pas d’un sujet et n’est pas dans un sujet. Quant aux substances secondes, on voit en tous cas, suivant le même critère, qu’elles ne sont pas dans un sujet (Catégories, 3a7-10). Boèce (3a7-10) : Un trait commun à toutes les substances est de n’être pas dans un sujet. En effet, la substance première ne se dit pas d’un sujet et n’est pas dans un sujet. Quant aux substances secondes, il est manifeste qu’il en est aussi ainsi puisqu’elles ne sont pas dans un sujet = Commune est… omni substantiae in subiecto non esse. Prima enim substantia nec de subiecto dicitur nec in subiecto est; secundarum vero substantiae sic quoque manifestum est quoniam non sunt in subiecto (= Minio-Paluello, p. 9, 22-24). 186 Zucker (2011) distingue cinq variantes de la paraphrase : abrégeante, explicante, reformulante, réorganisante, amplifiante. 187 Pour faciliter la comparaison et sa compréhension nous commencerons par citer la contribution de Boèce, attendu qu’elle équivaut à une traduction littérale de l’opuscule aristotélicien.
INTRODUCTION65
CD, [§ 66-67] : Il dit enfin qu’il y a de commun en chaque ousie le fait qu’elle n’est pas dans un sujet. Par conséquent, comme ni le genre ni l’espèce ne se trouvent dans un sujet, il est manifeste qu’ils doivent être nommés « ousies secondes ».
Ce fragment illustre la deuxième caractéristique de notre ouvrage : le recours à la traduction que l’on a qualifiée de quasi-littérale. Boèce la pousse cependant un peu plus loin que l’Anonyme, qui saute la phrase : « En effet, la substance première ne se dit pas d’un sujet et n’est pas dans un sujet », que Boèce décalque rigoureusement. 3. La précision fournie par Aristote (3a10-15) est ensuite passée sous silence par l’Anonymus ; c’est l’illustration de la troisième caractéristique de sa méthode : la coupure, qui est en l’occurrence d’environ cinq lignes dans l’édition Bekker. 4. La suite de la confrontation trahit alors d’autres procédés. Après que Boèce a latinisé et glosé la séquence 3a7-15, il traduit avec sa rigueur coutumière : Aristote : De plus, rien n’empêche que l’on applique [que l’on n’applique, Crubellier – Pellegrin] parfois à un sujet le nom des termes qui sont dans un sujet, mais c’est impossible pour leur énonciation. Or pour les substances secondes, leur énonciation s’applique au sujet aussi bien que leur nom : en effet, on appliquera à tel homme l’énonciation de l’homme et celle de l’animal (Catégories, 3a15-20). Boèce (3a15-20) : « De plus, rien ne s’oppose à ce que le nom de ce qui est dans un sujet soit quelquefois attribué, alors que cela est impossible pour la définition. Or, la définition, aussi bien que le nom des substances secondes, est attribuée à un sujet ; en effet, tu attribueras la définition de l’homme et de l’animal à l’homme individuel. Amplius eorum quae sunt in subiecto nomen quidem de subiecto aliquotiens nihil prohibet praedicari de subiecto, rationem vero impossibile est. Secundarum vero substantiarum de subiectis ratio praedicatur et nomen; rationem enim hominis et animalis de aliquo homine praedicabis (= Minio-Paluello, p. 9, 29-10, 4),
ce qui, chez son prédécesseur, équivaut à ceci : CD, § [67] : En suite de quoi, il montre également que « genre » et « espèce » sont des ousies secondes, parce que tout ce qui est peut avoir quelquefois, avec ce qui lui est sujet, le nom seul en commun, sans qu’il puisse pour autant posséder aussi la formule188 ; tandis que le genre et l’espèce accompagnés de sujets (par exemple de tel homme) possèdent l’association incontestable et de la formule et du nom. 188 Ratio a ici été traduit par « formule », « définition » ayant été réservé à definitio (par ex. § [35]).
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INTRODUCTION
Nous voici en présence de la quatrième caractéristique des choix de l’Anonymus : la traduction paraphrastique. On remarquera cette autre façon de rendre l’expression aristotélicienne, avec l’exemple du ἐν ὑποκειμένῳ εἶναι : Boèce choisit de traduire sobrement par : esse in subiecto (= « être dans un sujet »), alors que l’Anonymus opte pour une formulation plus décomposée : esse cum eo quod sibi subiectum est (= « être avec ce qui est pour soi un sujet »). On peut se demander si ce n’est point là une manière de forcer les données, avec un profit qui reste à déterminer pour la clarification des énoncés. Modifier en particulier l’esse in en esse cum dans l’intention de restituer ἐν εἶναι – ce qui, grammaticalement parlant, est légitime –, sert-il la compréhension du propos aristotélicien ? 5. Après quoi, l’un et l’autre enchaînent ainsi : Aristote : Cependant, ce trait n’est pas propre à la substance ; la différence elle aussi fait partie des choses qui ne sont pas dans un sujet. En effet, le pédestre et le bipède se disent bien d’un sujet qui est l’homme, mais ils ne sont pas dans un sujet. Car le bipède n’est pas dans l’homme, et le pédestre non plus. En revanche, l’énonciation de la différence s’applique aussi bien à ce dont la différence est dite ; si par exemple le pédestre se dit de l’homme, l’énonciation du pédestre s’appliquera également à l’homme : car l’homme est un animal pédestre (Catégories, 3a21-28). Boèce (sur 3a21-28) : Or, cela n’est pas propre à la substance ; mais la différence relève de ce qui n’est pas dans un sujet ; en effet, « bipède » et « capable de marcher » (gressibilis) sont prédiqués d’un sujet, par exemple d’« homme », mais ils ne sont dans aucun sujet ; car « bipède » pas plus que « capable de marcher » n’est en l’homme. De plus, la définition de la différence est dite de ce dont est prédiquée la différence elle-même ; par exemple, à supposer que « capable de marcher » se dise de l’homme la formule (ratio) « capable de marcher » aussi sera prédiquée de l’homme ; en effet, l’homme est « capable de marcher » = Non est autem proprium substantiae hoc; sed differentia eorum est quae in subiecto non sunt; bipes enim et gressibile de subiecto quidem de homine praedicatur, in subiecto vero nullo est; non enim in homine est bipes neque gressibile. Et ratio quoque differentiae de illo dicitur de quo ipsa differentia praedicatur, ut si gressibile de homine dicatur, et ratio gressibilis de homine praedicabitur; est enim homo gressibile (= Minio-Paluello, p. 10, 5-12). CD, § [68] : Donc, une fois établies les ousies secondes, c’est-à-dire les genres et les espèces, seule restait la « différence » qui, à la considérer le plus soigneusement, ressemble presque à un accident ; s’il est vrai que « bipède », « mortel » ou « rationnel » sont dits avec animal, on n’indique pas « ce qu’on est » mais plutôt « quel on est », et à ce titre il semble posséder la caractéristique de la qualité. En revanche, quand la différence première vient du genre et qu’ainsi l’espèce s’ensuit, elle ne doit pas être comptée au nombre des accidents.
INTRODUCTION67
§ [69] Et c’est certes pour cela qu’Aristote a dit qu’elle est mixte par sa signification et, en raison de cette caractéristique, a décidé de la ranger parmi les ousies ; en effet, il déclare que ce que l’on découvre en elle est identique à ce que l’on trouve dans les autres substances, à savoir de pouvoir posséder avec le sujet à la fois le nom et la formule entièrement semblable (effectivement, quand nous disons : « homme capable de marcher » (gressutus), nous pouvons trouver à la fois le nom même et sa formule (ratio) même dans le sujet ; en effet, Socrate est à la fois « homme » et « capable de marcher ».
On touche en l’occurrence à l’illustration de la cinquième caractéristique de la pratique des CD : la traduction périphrastique. Il faut approximativement deux fois plus de mots à l’Anonymus qu’à Boèce–Aristote pour fournir le même discours, une dilution qui entend expliciter le propos du Stagirite et y parvient d’une certaine manière. À certains moments aussi, et en visant le même objectif, il n’y a pas vraiment dilution mais réénonciation. Par exemple, là où Boèce traduit : « “bipède” et “capable de marcher” sont prédiqués d’un sujet, par exemple d’“homme”, mais ils ne sont dans aucun sujet ; car “bipède” pas plus que “capable de marcher” n’est en l’homme », le Paraphraste latin reformule : « s’il est vrai que “bipède”, “mortel” ou “rationnel” sont dits avec animal, on n’indique pas “qui il est” mais “quel il est”, et à ce titre il semble posséder la caractéristique de la qualité ». Ce procédé est immédiatement suivi par son contraire. 6. Le sixième et dernier palier de la procédure observée par l’Anonymus consiste à faire appel au résumé très fortement synthétisé, justifié par l’évidence du propos du Stagirite, puisque apparemment quatre-vingttrois lignes dans l’édition Bekker, transposées in extenso par Boèce : Boèce, sur 3a33-4a9 (= Minio-Paluello, p. 10, 16-13, 19),
sont ramenées à une unique phrase : CD, § [70] : Il s’attache semblablement à examiner toutes les autres variétés de choses, démontrant que l’une est intérieure à l’ousie qui la possède « seule et toute », qu’une autre est possédée « seule et non toute », qu’une autre est possédée « toute et non seule », qu’une autre n’est possédée « ni seule ni toute ».
Mais comment envisager que cette première moitié du § [70] ait été substituée aux développements de 3a33-4a9 avec le souci d’une équivalence doctrinale ? Car là où Aristote poursuit son chapitre en examinant les cinq autres propriétés de la substance après avoir traité (3a7-32) de celle qui la fait ne pas être dans un sujet (à savoir : 1. (3a33-b9) elle est attribuée σύνωνυμως (« synonymiquement »), 2. (3b10-23) elle est un
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τόδε τι (« un certain ceci »), 3. («3b24-32) elle n’admet pas la contrariété, 4. (3b33-4a9) elle n’est pas susceptible de plus et de moins), l’Anonymus choisit de renvoyer le lecteur, comme le montre en partie le préambule du § [66], à la distinction quadripartite qu’il avait énoncée auparavant, c’est-à-dire aux § [62]-[65], laquelle reprend des Grecs, selon ses propres termes, les quatre manières d’être intérieur à une chose, quoique sans en fournir vraiment les règles d’application : CD § [62] : Par conséquent, une fois parcourues jusqu’au bout les parties par lesquelles est définie l’ousie, Aristote a également voulu la définir d’une autre manière, en ce sens qu’il a montré ce qu’il est nécessaire de trouver naturellement en elle. En effet, ce qui est intérieur à quelque chose, soit est « en un seul et en tous », soit « en un seul et non en tous », soit « en tous et non en un seul», soit « ni en un seul ni en tous ». Les Grecs appellent ces quatre modes d’être : ἐν μόνῳ καὶ ἐν παντί, ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί, ἐν παντί καὶ οὐκ ἐν μόνῳ, οὐκ ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί. § [63] Par exemple, si quelqu’un, voulant définir l’homme, dit : « être capable de rire », c’est à la fois « en un seul et en tous» (car un seul homme rit et il est naturel à la totalité des hommes de rire). Deuxièmement, « en un seul et non en tous », par exemple , définissant l’homme, dit qu’il est « capable de science » (cela peut bien se rencontrer en un seul, non cependant en tous ; et en effet, tous n’étudient pas certaines sciences). Troisièmement, « en tous et non en un seul », comme si quelqu’un, définissant l’homme, dit que l’homme est ce qui se déplace et ce qui prend de la nourriture (cela appartient bien à tout homme, non cependant à lui seul ; car et les animaux domestiques prennent de la nourriture et les bêtes sauvages courent). Quatrièmement, « ni en un seul ni en tous », par exemple : si quelqu’un, dans la définition d’« homme », dit que l’homme est ce qui est blanc (cela n’appartient ni à lui seul ni à tous ; en effet, ni l’homme ne se rencontre seul clair de peau, pas plus que le bœuf ou le cheval, ni tout homme est blanc). § [64] Donc, parmi les quatre modes d’être intérieur à quelque chose, il y en a deux qui indiquent une certaine voie pour une recherche précise et deux qui ne peuvent signifier quelque chose de certain. Nous ne pouvons rien connaître de ce qui n’est « ni en un seul ni en tous », si ce dernier est vraiment général ; l’autre mode d’être qui ne signifie rien de certain, à savoir ce qui est « en tous et non en un seul », ne présente pas de différence avec le précédent, et pour cela il faut semblablement le rejeter. § [65] Les deux modes d’être restants concernent les choses qui peuvent indiquer par des signes certains ce en quoi elles se trouvent, à savoir ce qui est « en un seul et en tous » (en effet, il ne peut être mis en doute que, lorsque tu auras découvert le signe, tu auras révélé ce qu’est ce en quoi on sait qu’il est contenu) ; l’autre mode est ce qui est 2. « en un seul et non en tous », non pas certes en fonction de la même capacité, mais à défaut parce que, en vue de définir une chose, il est nécessaire de se demander si le signe ne pourrait pas être découvert en premier lieu.
Cela ne nous apprend cependant pas reéllement dans quelle mesure les quatre propriétés restantes de la substance qu’envisage Aristote peuvent être prises en charge par les quatre variantes du couple ἐν μόνῳ-ἐν παντί
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(converti en solus-omnis, à lire aussi pars-totum), bien que le Paraphraste latin estime la substitution aller de soi, comme le révèle l’autre moment [CD, § [70]) de glose pure que nous avons rapporté (voir supra, p. 62#), et qui ferme le fragment en question. La confrontation directe des deux classements est, à notre avis, propre à faire ressortir le décalage : Aristote : la substance a aussi les propriétés suivantes (en plus de celle de n’être pas dans un sujet) : 1. (3a33-b9) elle est attribuée synonymiquement (substance seconde) 2. (3b10-23) elle est « un certain ceci » (τόδε τι) 3. (3b24-32) elle n’admet pas la contrariété (« long de deux coudées », « long de trois coudées ») 4. (3b33-4a9) elle n’est pas susceptible de plus et de moins (à la différence d’« un blanc » ou d’« un beau », « un homme » n’est pas plus homme qu’un autre) CD, § [70] : une chose est intérieure à l’ousie qui la possède : a. seule et toute (« l’homme est capable de rire ») b. seule et non toute (« l’homme est capable de science ») c. toute et non seule (« l’homme est ambulant » ou « l’homme
se nourrit ») d. ni seule ni toute (« l’homme est blanc ») (pour les correspondances, voir infra, VI. 2. e.) Signaler qu’un découpage quadripartite similaire, sur lequel nous reviendrons plus loin, et un autre tripartite se rencontrent déjà chez Porphyre, à propos de la caractérisation du propre189, c’est confirmer seulement que nous avons à faire à une espèce de matrice d’analyse, qui, selon nous, ne la rend pas pour autant vraiment adaptée à la section 3a33-4a9. VI. Une lecture hybride C’est l’alternance de ces six procédés qui forme la mosaïque textuelle des CD. Le résultat, nous venons de le voir, se dérobe très souvent à une comparaison avec l’entreprise de Boèce. Soucieux de produire une version fidèle à la lettre, entrecoupée de gloses serrées, celui-ci étreint son texte et en épouse les moindres courbes. Cet objectif et sa réalisation ont 189 Voir Isagoge, IV, 1 (= De Libera–Segonds, p. 15, et Boèce, PL, LXIV, col. 130132), et CC, 94, 2-4 (= Bodéüs, p. 266-268).
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peu de points communs avec ceux de l’Anonymus. De son aveu même, les CD n’entendent apporter des éclaircissements que sur certains volets des contenus aristotéliciens, ce qui contraint leur auteur, nous n’y insisterons pas, à alterner les épisodes de traduction suivie avec toutes sortes d’artifices rhétoriques. Le passage en revue d’une série de rubriques nous servira à mieux appréhender cette spécificité. VI. 1. Le traducteur Pour approcher un peu plus près de ce que propose l’Anonymus en matière de traduction dite quasi littérale – notre deuxième caractéristique, après la glose pure –, qui nous paraît être la plus parlante, nous produirons trois illustrations. La première se situe au moment où Aristote énonce sa distinction fondamentale touchant les deux manières d’énoncer les étants, à l’aide de deux formules à contenu antithétique : Aristote : « Τῶν ὄντων τὰ μὲν καθ᾿ ὑποκειμένου τινὸς λέγεται, ἐν ὑποκειμένῳ δὲ οὐδενί ἐστιν, οἷον ἄνθρωπος καθ᾿ ὑποκειμένου μὲν λέγεται τοῦ τινὸς ἀνθρώπου, ἐν ὑποκειμένῳ δὲ οὐδενί ἐστιν᾿ τὰ δὲ ἐν ὑποκειμένῳ μέν ἐστι, καθ᾿ ὑποκειμένου δὲ οὐδενὸς λέγεται = Parmi les étants, les uns se disent d’un certain sujet, mais ne sont dans aucun sujet ; par exemple, homme se dit d’un sujet, tel homme, mais n’est dans aucun sujet. D’autres, en revanche, sont dits dans un sujet, mais ne se disent d’aucun sujet » (Catégories, 1a20-22).
Boèce latinise en serrant le libellé grec : Boèce : « Eorum quae sunt alia de subiecto quodam dicuntur, in subiecto vero nullo sunt: ut homo de subiecto quidem dicitur aliquo homine, in subiecto autem nullo est ; alia autem in subjecto quidem sunt, de subiecto vero nullo dicuntur = Parmi les choses qui sont, les unes sont dites d’un certain sujet mais ne sont dans aucun sujet, comme quelque homme est assurément dit d’un sujet, mais n’est dans aucun sujet. D’autres sont assurément dans un sujet mais ne sont dites d’aucun sujet (= Minio-Paluello, p. 5, 22-24 – le dernier dicuntur est distributif).
La version de l’Anonymus, entrecoupée de gloses, cherche, sans y parvenir entièrement, à être littérale par deux fois (en caractères gras ci-après) : CD, § [31] : « Ex his… quae sunt, alia de subiecto significantur et in subiecto non sunt; ut homo, de subiecto quidem significatur aliquo homine (neque enim « homo » dici posset nisi esset aliquis de quo diceretur) in subiecto autem nullo est, cum ipse sit usia quam superius diximus in nullo unquam subjacenti esse quippe, cum ipse sit usia quam superius diximus in nullo unquam subjacenti esse quippe cum sit ceteris ipsa subiecta. Alia vero nec in subiecto sunt nec de subiecto significantur = Parmi les choses qui sont, les unes sont
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s ignifiées « d’un sujet » et ne sont pas « dans un sujet » ; comme « homme » est signifié assurément d’un sujet, à savoir de « tel homme » (« homme » ne pourrait, en effet, être dit s’il n’y avait pas quelqu’un de qui on le dise), et il n’est en aucun sujet, puisque lui-même est une ousie, dont nous avons dit plus haut qu’elle n’était jamais en rien de « sous-jacent », puisqu’elle est elle-même sujet pour les autres. D’autres ni ne sont dans un sujet, ni ne sont signifiées d’un sujet ».
Ce qui permet d’affirmer que le Paraphraste latin ne traduit pas tout à fait littéralement, c’est à la fois la traduction, abusive selon nous, de λέγειν par significare (dicere pour Boèce, qui réserve significare à σημαίνειν), et l’énoncé du second statut, puisque l’on passe de : « d’autres sont dites dans un sujet, mais ne se disent d’aucun sujet » (Boèce–Aristote) à : « d’autres ni ne sont dans un sujet, ni ne sont signifiées d’un sujet » (CD), qui n’est autre que le quatrième statut chez Boèce–Aristote, lequel va faire l’objet du parallèle suivant. La deuxième illustration met effectivement en jeu le raisonnement du fragment 1b3-6. Le Stagirite y aborde la quatrième façon pour une chose de se trouver dans un sujet et d’être dite de lui. Après avoir présenté les statuts « être dit d’un sujet et n’être pas dans un sujet », « être dans un sujet et n’être pas dit d’un sujet » et « être dit d’un sujet et être dans un sujet », il ajoute : Aristote : « D’autres à la fois ne sont pas dans un sujet et ne se disent pas d’un sujet, par exemple tel homme ou tel cheval. En effet, aucun de cette sorte n’est dans un sujet ni ne se dit d’un sujet » (Catégories, 1b3-6).
Boèce transpose très fidèlement, selon son habitude : Boèce : « Alia vero neque in subiecto sunt neque de subiecto dicuntur, ut aliquis homo vel aliquis equus ; nihil enim horum neque in subiecto est neque de subiecto dicitur = D’autres [choses] ne sont ni dans un sujet ni dites d’un sujet, comme « quelque homme » ou « quelque cheval » ; en effet, aucun d’eux ni n’est dans un sujet ni n’est dit d’un sujet » (= Minio-Paluello, p. 6, 8-10).
L’Anonymus, lui, s’écarte d’une traduction rigoureuse de trois manières : d’abord, on vient de le voir, il omet les deux statuts intermédiaires (« être dans un sujet et n’être pas dit d’un sujet » et « être dit d’un sujet et être dans un sujet ») ; ensuite il introduit deux variantes dans l’exemplification : « cet homme » devient « Cicéron », voulu sans doute comme équivalent de « Socrate », et « ce cheval » disparaît ; enfin l’explication donnée par Aristote se voit fortement augmentée (en caractères gras ci-après) : CD, § [31 exit.] : « Alia nec in subiecto sunt ; nec de subiecto significantur ; ut est Cicero. Nec in subiecto est, quia usia est : nec de subiecto significatur, siquidem a se ortum vocabulum teneat, neque intelligi possit aliunde = D’autres ni ne sont dans un sujet ni ne sont signifiées d’un sujet, comme l’est
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« Cicéron ». Il n’est pas dans un sujet parce qu’il est une ousie, et il n’est pas signifié de tel sujet puisqu’il possède un vocable tiré de lui-même et ne peut pas être intelligé d’autre chose ».
L’extension n’est pas injustifiée mais elle explicite la traduction d’une manière non-aristotélicienne, option qui participe vraisemblablement de l’objectif arrêté « de rapporter plus clairement ce qui est apparu obscur aux non-doctes ». Car le Stagirite lui-même glosera pour expliquer pourquoi l’individu n’est ni dans un sujet ni dit d’un sujet. Il indiquera, en effet, peu après, qu’« en bref, les choses qui sont individuelles, c’est-à-dire numériquement unes, ne se disent d’aucun sujet » (1b6-7), en sous-entendant qu’il n’est pas non plus dans un sujet (à l’exception de l’accident particulier), parce que, ajoutera-t-il plus loin, les substances premières sont le substrat de tout le reste et tout le reste en est affirmé ou se trouve en elles (2b15 sqq). La manière dont Boèce rend compte à son tour, dans son commentaire, de ces propriétés montre qu’il a déjà lu et travaillé l’Isagoge de Porphyre – « l’individu est une réunion de particularités toujours différentes »190 –, et il n’élargit pas vraiment le raisonnement : « puisque la particularité est elle-même la chose ultime et que rien n’en est le sujet, elle n’est prédiquée d’aucun sujet » (Boèce, 171B6-8), ou, plus bas : « la substance est particulière quand elle n’est ni prédiquée d’un sujet ni dans un sujet » (Boèce, 173D11-13)191. En revanche, vue par les CD, la tentative d’éclaircissement fait appel à deux notions extérieures touchant le second volet (« n’être pas signifié d’un sujet ») du quatrième statut, notions qui tiennent d’une exégèse apparemment originale, à savoir : la possession d’un nom tiré de soi-même – c’est-àdire non tiré de l’espèce ni du genre, comme le nom propre inspiré par l’individu –, et l’impossibilité d’être compris par une chose extérieure. En troisième et dernière illustration de la traduction quasi littérale que pratique le Paraphraste latin, nous choisirons le moment, déjà exploité, où Aristote nomme ses dix catégories (figurent ci-dessous en caractères gras les deux prédicaments sur lesquels va porter la confrontation) : Aristote : Τῶν κατὰ μηδεμίαν συμπλοκὴν λεγομένων ἕκαστον ἤτοι οὐσίαν σημαίνει ἢ ποσὸν ἢ ποιὸν ἢ πρός τι ἢ ποὺ ἢ ποτὲ ἢ κεῖσθαι ἢ ἔχειν ἢ ποιεῖν ἢ πάσχειν = Chacun des termes qui sont dits sans aucune combinaison indique soit une substance, soit une certaine quantité, soit une certaine qualité, soit un rapport à quelque chose, soit quelque part, soit à un certain moment, soit être dans une position, soit posséder, soit faire, soit subir (Catégories, 1b25-27). Porphyre, Isagoge (= Busse, p. 7, 22-23 et De Libera–Segonds, p. 9) – nous traduisons. Cf. Id., ibid. (= ibid., p. 89, 5-7).
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La version boécienne, ce fut noté, suit au plus près l’énumération aristotélicienne, après avoir rendu σημαίνειν par significare : Boèce : Eorum quae secundum nullam complexionem dicuntur singulum aut substantiam significat aut quantitatem aut qualitatem aut ad aliquid aut ubi, aut quando aut situm aut habitum aut facere aut pati = Parmi les termes qui sont dits sans aucune combinaison, chacun signifie soit « substance » soit « quantité » soit « qualité » soit « relativement à quelque chose » soit « où » soit « quand » soit « situé » soit « possession » soit « faire » soit « pâtir » (MinioPaluello, p. 6, 27-30).
Elle présente avec celle de l’Anonymus deux différences majeures qui ne sont peut-être pas toujours à l’avantage de Boèce : CD, § [51] : Eorum… quae nulla sui copulatione dicuntur, quodcumque singulare dictum fuerit aut usian significat aut quantitatem aut qualitatem aut ad aliquid aut iacere aut facere aut pati aut ubi aut quando aut habere = Parmi les vocables qui se disent sans combinaison propre, tout ce qui est dit singulièrement signifie soit « ousie », soit « quantité », soit « qualité », soit « relativement à quelque chose », soit « reposer », soit « faire », soit « pâtir », soit « où », soit « quand », soit « posséder ».
Au compte des réussites, en effet, on relèvera premièrement que significare y traduit cette fois-ci, comme chez Boèce, σημαίνειν, alors qu’il rendait λέγειν dans la première illustration, secondement que le κεῖσθαι aristotélicien, un verbe, dont le sens premier est « être étendu », devient iacere, un verbe aussi, tandis que Boèce, moins respectueux cette fois-ci quant à la classe des mots, lui préférera situs, un substantif, tout comme ἔχειν, habitus pour Boèce, habere pour le Paraphraste latin, qui réservera (§ [96]) habitus à la traduction du substantif ἕξις). D’autre part, la restitution d’οὐσία192 par simple translittération en usia, neutralise la notion de « sous-jacence » (ὑπο-κείμενον), pourtant mentionnée au § [29] comme propriété cardinale de l’ousie, que les Latins tentent de traduire, aussi et d’abord, morphologiquement par le mot sub-stantia, lequel translittère en vérité ὑπό-στασις, qui n’intervient cependant pas de manière explicite chez l’Aristote des Catégories. En troisième lieu, on se doit de noter que le rédacteur anonyme bouleverse notablement l’ordre dans lequel le Stagirite a désigné les catégories : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 devient 1 2 3 4 8 9 5 10 6 7, ce qui ne saurait participer d’une restitution fidèle.
192 Rappelons qu’οὐσία est la forme substantivée, au féminin singulier (nominatif et vocatif) et au duel (nominatif, vocatif et accusatif) du participe présent (οὔσα) d’εἶναι, que l’on devrait alors traduire, sans chercher à nous positionner le moins du monde dans une problématique heideggérienne, par « l’étant ».
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VI. 2. Le commentariste Si l’on cherche, au cours d’une étape supplémentaire, à préciser un peu plus la nature des CD, on ne tarde pas à avoir confirmation qu’elles peuvent être considérées comme le premier ouvrage de langue latine qui nous soit parvenu répondant, en bien des occasions, nous en avons eu un aperçu, au genre littéraire de la grande tradition des commentateurs néoplatoniciens grecs des traités d’Aristote, qui échelonnèrent leur production de 200 à 600 environ. Souvent, en effet, et indépendamment de son degré de réussite, sur lequel nous nous sommes quelquefois interrogé, l’Anonymus interrompt à son gré la traduction par des lemmes ou des parenthèses interprétatives, pour éclairer les points qu’il juge obscurs, développer les indications trop elliptiques à son sens, ou encore effectuer des digressions pour mieux retrouver la teneur du texte original, et surtout tenter de toujours préserver la cohérence de l’enseignement du maître. En voici plusieurs illustrations. VI. 2. a Catégories et Peri hermeneias Il était habituel, chez les commentateurs d’Aristote, de chercher ce qui pouvait relier entre eux les deux premiers traités de l’Organon : Catégories et Peri hermeneias. Sans avoir fait l’objet d’une véritable codification, l’exercice était devenu courant dans la mesure où il relevait de plusieurs κεφάλαια – ces chapitres au moyen desquels les tenants du commentarisme découpaient leur schéma introductif193 –, notamment du σκοπός (le « but » du traité) et de la τάξις (sa « place » dans l’ordre de lecture). Ici, et sans le dire explicitement, l’Anonymus se prononce d’une certaine façon sur ce lien, en rapport avec ce qui va caractériser l’orientation d’ensemble de son introduction, à savoir la valorisation de la démarche fondamentalement réductrice et subsumante d’Aristote (§ [2] à [8]). Elle se trouve alors effectuée en six opérations, conditionnées par la première : – la réduction des huit « parties du langage » à celles du « nom » et du « verbe », les six autres devenant des « articulations de langage » (§ [2]). En découlent : – la subsomption de la totalité des composantes de la nature sous des vocables simples (§ [3]) – la subsomption des genres sous l’espèce (§ [4]) Voir I. Hadot (1987).
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– la subsomption des neuf catégories sous celles de la « substance » (§ [5]) – le fait que chaque catégorie, dont la signification est : « ce qui se dit de certains sujets », renvoie nécessairement à un sujet (§ [6]) – le recours à des mots « perceptibles », « indivisibles », « numériquement un » et « particuliers » (§ [7]) – la subdivision par « espèces » et « genres », la « substance » étant le genre suprême (§ [8]).
Le rôle du Peri hermeneias est par conséquent ici déterminant, attendu que, le traité concernant uniquement le nom et le verbe, il opère une double réduction : l’une relativement aux partes orationis, qui passent de huit à deux, l’autre relativement à leur rôle respectif – d’entre les huit qui assument une fonction linguistique, il n’y a que ces deux qui assument une fonction ontologique. Pour le Paraphraste latin, tel est donc l’acquis, commandé par le Peri hermeneias, qu’il faut avoir assimilé avant de procéder à l’exégèse des Catégories. En tout état de cause, cette manière de rattacher Catégories et Peri hermeneias renvoie, on l’a vu, à une analyse qui s’est fait jour très tôt chez les commentateurs grecs. Tous ne l’ont cependant pas présentée de la même façon. Pour Porphyre, par exemple, dans les Catégories le Stagirite traite de la première « imposition » (θέσις)194, celle des mots sur les choses, c’est-à-dire de leur fonction désignative, alors que dans le Peri hermeneias il traite de leur seconde « imposition », celle des mots sur les mots, c’est-à-dire de leur fonction expressive. Il ne paraît pas superflu de rappeler la manière dont Porphyre expose cette différence, fondamentale chez lui : Porphyre : Le premier usage des mots, ce fut pour faire état de chacune des choses par le moyen de certains vocables et certains mots... Et c’est de cette façon que pour chaque chose, il a établi des mots et des noms aptes à les signifier et à les mettre en évidence par les moyens de ces sortes de sons que profère la voix (φωνή). Mais une fois que furent établis conventionnellement pour les choses certains mots dont c’est la principale fonction, l’homme une seconde démarche, les mots établis eux-mêmes. Ceux qui ont, mettons, la caractéristique de pouvoir être attachés à des articles de tel genre, il les a appelés des « noms » et les autres, tels que « je me promène », « tu te promènes », « il se promène », il les a appelés des « verbes ». Il fournissait ainsi des indications sur les formes caractéristiques des vocables en appelant « noms » les uns et « verbes » les autres. Par conséquent, appeler une chose comme celle-ci de l’« or » et donner à une matière comme celle-là qui brille, de manière si éclatante, l’appellation de « soleil » relevait de la première imposition 194 La traduction de θέσις par « imposition » est classique et bien admise. Elle ne nous semble pourtant pas la plus respectueuse du sens du substantif grec, « instauration » ayant notre préférence.
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(θέσις) des noms ; mais dire que le mot « or » constitue un « nom » relève de la seconde imposition, c’est-à-dire celle qui indique les formes caractéristiques du mot. Le propos de l’ouvrage [i.e. les Catégories] cependant, c’est la première imposition des mots, celle qui sert à faire état des choses… Dans le De l’interprétation, il [fait porter son argument sur] la seconde imposition, laquelle ne concerne plus les mots de nature à signifier les choses en tant que propres à les signifier, mais bien les mots qui servent à signifier la forme caractéristique des vocables dans la mesure où les mots sont des types de vocables. Une forme caractéristique du vocable, en effet, c’est d’être ou un nom ou un verbe. Et dire, par ailleurs, que le mot est pris au sens propre, au sens métaphorique ou d’une autre façon figurée, relève de la seconde étude sur des vocables, et pas de la première195.
Aux yeux du philosophe de Tyr donc, les deux ouvrages sont complémentaires dans la mesure où ils traitent l’un et l’autre de l’imposition des mots sous ses deux formes : en direction des choses (Catégories), en direction des mots (Peri hermeneias). En d’autres termes encore, la première imposition assure une fonction ontologique, quand la seconde imposition assure une fonction linguistique. Dans une approche relativement différente, Ammonius (c. 440-c. 520) préfère relier les deux traités par des considérations plus techniques, et défend cette visée en son propre commentaire sur les Catégories. On sait qu’il y classe ainsi les écrits axiomatiques d’Aristote : Ammonius : théorétiques (opposition vrai-faux) écrits pratiques (opposition bien-mal) instrumentaux (spécification de ces oppositions et démonstration)
Le « théorétique » se scinde à son tour en trois domaines : « le théologique, le mathématique et le physique », le « pratique », se scinde de même en « éthique, économique et politique », et l’« instrumental » est scindé pareillement en trois disciplines, celle concernant les « premiers principes de la méthode démonstrative », celle portant sur « la méthode ellemême » et celle touchant « d’autres moyens de contribuer à la méthode »196. Puis il ajoute, concernant cette dernière, que par le terme de « méthode », il entend celle qui est démonstrative (ἀποδεικτική). Or puisque une démonstration (ἀπόδειξις) est un syllogisme scientifique, avant de le connaître il faut connaître le syllogisme en général. Seulement, vu que le nom « syllogisme » ne renvoie pas à un élément simple mais plutôt à un composé – car il signifie un assemblage d’énoncés–, avant d’en venir au syllogisme, il est 195 CC, 57, 22-59, 2 (= Bodéüs, p. 89 à 95, traduction très légèrement retouchée par nous (() et ponctuation). 196 Voir In Aristotelis Categorias, Prolégomènes (= Busse, p. 4, 28-5, 8).
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par conséquent nécessaire d’étudier les éléments simples desquels ces énoncés sont composés ; ce sont les propositions (πρότασεις). Mais elles aussi étant composées de noms et de verbes, ceux-ci seront traités dans les Catégories. Les propositions, quant à elles, seront traitées dans le Peri hermeneias et le syllogisme en général dans les Premiers Analytiques. Tels sont donc les principes de la méthode. Quant aux Seconds Analytiques, ils nous enseigneront la méthode elle-même, c’est-à-dire le syllogisme démonstratif197. Le critère de complémentarité des deux écrits n’est ainsi plus l’instauration des mots, mais les éléments de la démonstration : le nom et le verbe d’un côté (Catégories), les propositions de l’autre (Peri hermeneias). Il est envisageable, pour autant du moins que nous puissions en juger à partir de ces seuls aspects, de dire que l’Anonymus, s’il fallait le rattacher à une tradition, se rapprocherait plutôt de celle illustrée, voire initiée par Porphyre, lequel a tendance à davantage marquer la spécificité des deux opuscules aristotéliciens en référence aux première et seconde impositions, que de celle reprise par Ammonius, qui établit leur continuité par le truchement de la théorie du syllogisme, donc de la proposition. Celle-ci est effectivement absente de la réflexion du Paraphraste latin dans cette section (§ [2] – [8]). VI. 2. b. Le πρός τι Un premier exemple de cette couleur porphyrienne, pris un peu au hasard, mais à notre sens significatif de l’ensemble, nous conduit à l’examen de la catégorie du πρός τι (« relativement à quelque chose »). L’introduction et la question à laquelle répond le Paraphraste latin atteste qu’il intervient dans une exégèse déjà formatée : CD, § [93] : La troisième des catégories est celle qui est recensée en latin comme ad-aliquid [« relativement à quelque chose »], en grec comme πρός τι. Et certes, ce n’est pas le rang (ordo) qui la fait troisième, mais la nécessité du sujet traité ; car, après le quantifié suivait le qualifié ; seulement, étant donné qu’à la fin du chapitre sur la « quantité », certains quantifiés du même genre lui sont apparus pouvoir être transférés la catégorie du « relativement à quelque chose », il [sc. Aristote] a forcément souhaité (volere) placer cette catégorie, qui avait été au quatrième rang, au troisième, en sorte que, une fois examiné et établi tout ce qui lui convient, l’habituelle confusion suscitée s’est trouvée dissipée.
C’est ce que permet de confirmer notamment Boèce : Boèce : Cur autem de his quae sunt ad aliquid disserat, omisso interim de qualitate tractato, haec causa est, quod posita quantitate magis minusve esse Ibid. (= Busse, p. 5, 7-17).
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necesse est. Quare cum quantitatem continuo ad aliquid consequatur, recte post quantitatem relativorum series ordinata est. Illud quoque est in causa, quod superius cum de quantitate tractaret, relativorum mentio facta est, cum de magno parvoque diceretur, ut ergo continens et non esset operis interrupta distinctio, ideo quantitate finita de relatione, proposuit = Et si l’on demande pourquoi Aristote a enchaîné avec les [choses] qui sont « relativement à quelque chose », le traitement de la qualité ayant été provisoirement remis, [on répondra que] c’est en raison de ceci : après que la quantité a été établie, il est apparu nécessaire d’examiner l’« être qui est plus ou moins ». Voilà pourquoi, quand le « relativement à quelque chose » a succédé immédiatement à la quantité, la série des relatifs a été correctement disposée après la quantité. C’est également en raison de ce que, lorsqu’il a traité auparavant de la quantité, Aristote a fait aussi mention des relatifs, quand il a été question du « grand » et du « petit » ; donc, pour assurer la continuité et afin que le découpage de l’ouvrage ne soit pas interrompu, à cet effet il s’est proposé, une fois l’examen de la quantité achevé, de traiter de la relation (col. 216D-217A).
Il suffit alors de se reporter à Porphyre pour comprendre aussitôt que le scripteur mystérieux et l’auteur de la Consolatio Philosophiae se plient à des réquisits exégétiques précis. L’une des questions en débat parmi les commentaristes était apparemment de savoir quelle doit être la place du « relativement à quelque chose » dans l’énumération des catégories. Sa légitimité provenait du fait que dans sa présentation (1b25-2a4), Aristote énumère les prédicaments selon la suite : substance, quantité, qualité, relativement à quelque chose…, alors que dans son exposé (4b20-11a38) il les examine suivant la succession : substance, quantité, relativement à quelque chose, qualité… Comme on pouvait s’y attendre, la réponse porphyrienne lève toute ambiguïté, et c’est sur elle que se sont, visiblement cette fois-ci, alignés et l’Anonymus et Boèce : Porphyre : Après la substance et la quantité, on soulevait déjà la question de savoir s’il ne fallait pas placer celle de la qualité, mais vu que beaucoup de problèmes s’étaient posés à propos des relatifs dans la catégorie portant sur la quantité, il était apparu nécessaire d’enseigner la nature de ceux-ci immédiatement après la quantité. Donc, après la catégorie des relatifs, la suite de l’examen porte sur la qualité. Et de fait, après la grandeur, qui est quantité, et après le majeur, qui fait partie des relatifs, ce qui se présente naturellement ce sont les affections telles le chaud, le froid, le sec, l’humide, qui sont des qualifiés (CC, 127, 1-9 = Bodéüs, p. 415 et 417).
Ce fut ainsi pour ménager une plus grande unité à son exposé qu’Aristote, selon Porphyre (et ses suiveurs), aurait choisi d’inverser les catégories du « relativement à quelque chose » – déjà impliqué à plus d’un titre dans les développements de la « quantité » – et de la « qualité ». De fait, dans son ensemble, la préoccupation de l’Anonymus apparaît ici
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e xclusivement didactique et philologique, en ce sens qu’il ne s’inquiète que de préserver la cohérence et la continuité du propos aristotélicien. Ce constat nous ramène au début de notre chapitre VI. 2. a. : quoiqu’il n’en appelle pas aux κεφάλαια de manière systématique, on le voit aborder certains d’entre eux, là le titulus (appellare – § [6]), ailleurs l’intentio (velle – § [19] et [93]) et l’ordo (§ [93] et [138]), celui dans lequel il faut lire le traité. Or, si dans sa démarche, et de son aveu même, nous l’avons indiqué, il dit avoir épousé la pensée thémistienne, est-ce à dire qu’il faut voir dans les excursus exégétiques comme celui qui vient d’être abordé la traduction pure et simple du propre commentaire paraphrastique de Thémistius ? L’hypothèse n’a rien d’improbable, en gardant toujours à l’esprit que nous ne savons point sous quelle forme exacte se présentait cette paraphrase (analyse continue ou simples notes de cours). Mais sa dépendance est aussi néoplatonicienne, comme nous l’avons déjà pressenti, et peut-être, dans certains cas, plus particulièrement porphyrienne. Cinq autres exemples, qui suivent le déroulement du texte, devraient aider à préciser la nature exacte de la dette supposée. VI. 2. c. La distinction homonyme-synonyme-paronyme La division en homonyme, synonyme, paronyme, a suscité très tôt, au moins dès Alexandre d’Aphrodise (c. 150-c. 215), des difficultés. Selon Aristote en effet (Catégories, 1a1-15), il faut distinguer : homme réel 1. homonymes (même nom (ὄνομα) / notion (λόγος) différente) homme peint homme 2. synonymes (même nom / même notion) : animal renvoient à un même genre bœuf 3. paronymes (communauté de nom / cas différent) : grammairien ← grammaire.
}
Le cas du synonyme a rapidement posé problème aux commentateurs, puisque de par son exemplification il ne correspond pas à ce par quoi il est défini – s’il y a bien identité de notion (« animal »), il n’y a pas identité de nom (« homme » et « bœuf ») –, mais plutôt à ce que nous appelons aujourd’hui des univoques. Pour sortir de l’embarras, les glossateurs ont proposé des distinctions plus détaillées. On trouve ainsi chez Porphyre, toujours dans le commentaire mineur aux Catégories (CC, 60, 15-33), une répartition pentapartite, préparée par un principe : Porphyre : Toute chose possède un nom (ο̆νομα) et une définition (ou une description – ὁρισμός ou λόγος ὁριστικός) (= Bodéüs, p. 107).
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INTRODUCTION
Autrement dit, toute chose est désignée non seulement par son nom mais également par la notion qui définit et véhicule son essence. À partir de cet énoncé, deux choses, précise Porphyre, sans exemplification toutefois, peuvent être mises en relation de cinq manières différentes et non plus de trois, en étant : homonymes synonymes même nom même nom notion différente même notion
polyonymes nom différent même notion
hétéronymes paronymes participent du nom nom différent notion différente et de la notion mais diffèrent grammaticalement
Dès lors que le polyonyme et l’héteronyme dédoublent le synonyme d’Aristote, ils lui permettent, selon Porphyre du moins, de correspondre plus adéquatement à la définition initiale, bien qu’il n’y ait point, redisons-le, d’exemple immédiat pour l’illustrer. On peut envisager que les CD ont repris cette quintuple distinction, qui ne se retrouvera point dans le commentaire de Boèce (aequivoca, univoca, denominativa – col. 163C-168D), sans doute parce qu’Aristote ne mentionne ni les polyonymes ni les hétéronymes, inutiles à sa réflexion, comme le fait remarquer Porphyre (CC, 60, 37-61, 3). L’Anonyme, en tentant d’adapter plus ou moins les développements que ce dernier a consacrés à la problématique (CC, 60, 34-70, 24), choisit alors d’introduire ces cinq variantes nominales en deux temps, interrompus par une séquence (CD, § [19-21]) qui relie la pentalogie aux trois paramètres du rapport signifiant (mot, chose, concept) : CD, § [10-12 + 17-18] : homonymes 1) εἰκών = similitudo (homo pictus-homo verus) – par le hasard 2) κατά ἀναλογίαν = pro parte (cor principium animalis estfons principium aquae) 3) ἀπό ἑνός = ab uno (medicinale ferramentum-medicinale scientia-medicinale praeceptum-medicinalis usus) – par la volonté ou l’intention 4) πρὸς ἔν = ad unum (illa potio salubris est-ille medicus salubris-ferramentum illud salubre)198 synonymes : ont en commun le mot (vocabulum) et l’énonciation (interpretatio) (homo, equus, fera, avis sont synonymes dans la mesure où ils peuvent être dits animal)
198 L’homonymie a lieu : en 1) par similitude de prédication, en 2) par similitude de nom, en 3) parce que les expressions proviennent toutes de la medicina, et en 4) parce qu’elles visent toutes au salus.
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CD, § [13-16] : polyonymes : plusieurs noms signifient une même chose en une même formule (épée, sabre, glaive) hétéronymes : possèdent, sous plusieurs noms et de manière équivalente, des choses singulières (l’homme et l’humanité, le mortel et la mort, le terrène et la terre) en une même formule (homme mortel terrène) CD, § [22-25] : paronymes (ont en commun le nom (nomen), comme les homonymes, et la fonction (negotium), comme les synonymes) sapiens ← sapientia medicus ← medicina
Toutefois, à y regarder de près, si l’on s’autorise à conclure, d’une extrémité à l’autre, à une lourde dette porphyrienne chez l’Anonymus, ce n’est pas sans décalages, et ce sur deux points. En premier lieu, il n’est pas rigoureux lexicalement parlant, en ce sens qu’il utilise deux termes (vocabulum pour les synonymes et nomen pour les paronymes) pour traduire ὄνομα, et deux termes également (interpretatio pour les synonymes et negotium pour les paronymes) pour rendre λόγος (ὁριστικός). En second lieu, et au détriment de son objectif, le décalage tourne au désavantage, pour autant qu’en dépit de nombreuses zones supposées de convergence avec Porphyre, la présentation du Paraphraste latin, avare de nuances, échoue à traiter la question qui nous occupe, vu que chez lui rien ne différencie plus, à cause de l’exemplification, les polyonymes (« épée », « sabre », « glaive » relativement à « arme blanche » sousentendu), des synonymes « homme », « cheval », « fauve », « oiseau » relativement à « animal »), le polyonyme n’étant en outre pas suffisamment distingué de l’hétéronyme (aeque…tenent). VI. 2. d. Le rapport usia-catégories L’organisation des catégories ayant rapidement sollicité les exégètes, l’Anonymus n’a pas manqué de se prononcer à son sujet. Il amorce sa position par les considérations suivantes : CD, § [50] : Aristote est revenu une seconde fois sur les choses qui sont dites, quoique nous ayons dit plus haut que l’un sans l’autre [sc. « ce qui est » et « ce qui est dit »] ne pouvaient être traités (car à la fois celui qui dit quelque chose le dit de ce qui est, et ce qui est ne peut être compris d’un autre s’il n’est pas dit). § [51] Donc, parmi les choses qui se disent sans combinaison propre, tout ce qui est dit singulièrement signifie soit « ousie », soit « quantité », soit « qualité », soit « relativement à quelque chose », soit « reposer », soit « faire », soit
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INTRODUCTION
« pâtir », soit « où », soit « quand », soit « posséder ». Ce sont les dix catégories, dont la première est l’ousie – à savoir celle qui supporte les neuf autres –, et les neuf suivantes sont des συμβεβηκότα (c’est-à-dire des « accidents) ».
En opposant ainsi, parmi les dix catégories, une ousie et neuf accidents199, le Paraphraste latin se contente de prendre place dans un débat déjà ancien au sein des commentateurs du Philosophe, comme Dexippe (IVe siècle) notamment l’a rappelé200, et comme Simplicius le confirmera201. Il n’est pas contestable qu’Aristote lui-même encourage à procéder à cette distinction entre une catégorie-substrat (l’ousie ou substance) et neuf catégories subordonnées, dont l’existence dépend de quelque chose d’autre que d’elles-mêmes, à l’image des accidents. Dans la Métaphysique, il écrit, en effet : « à l’évidence…, c’est par cette substance que chacun de ces êtres aussi existe » (Z, 1, 1028a28), et un peu plus loin : « de même que “est” appartient à tous , mais non de la même façon, de façon première pour l’un, seconde [secondaire, Crubellier – Pellegrin] pour les autres, de même aussi le “ce que c’est” appartient simplement à la substance, et d’une certaine manière aux autres » (Ibid., 1030a21 sqq.). Pareillement : « si l’univers est comme un tout, la substance en est la partie première ; et s’il est une succession, même ainsi il y a en premier la substance, puis la qualité, puis la quantité... Aucun des êtres autres n’est séparable » (L, 1, 1069a18 sqq.). Dans son commentaire par questions et réponses, Porphyre reviendra sur la même répartition : Porphyre : Tout le reste… est inhérent (à la substance) et a besoin d’elle pour exister. Ce qui montre qu’elle est première naturellement et fait voir de la même façon que l’exposé qu’il [Aristote] lui consacre avant les autres est prioritaire… Elle sert en effet de sujet aux autres genres, tandis que les autres ne peuvent avoir d’existence sans elle!202.
Ce qu’un peu plus tard Dexippe, contemporain de Thémistius, commentera en expliquant que l’on peut découvrir deux raisons pour lesquelles la substance doit être première. D’abord, parce qu’elle seule sert de substrat à toute autre chose : si l’on prend la nature, elle sert de substrat aux formes, et si l’on prend la forme, elle sert de substrat aux accidents. Mais une autre raison se fait jour : la substance est conçue comme subsistant elle-même et par elle-même, tandis que tout autre subsiste en elle, ou n’est pas sans Voir Bos (2000). Voir Busse, p. 31, 11 sqq. 201 Voir Busse, p. 63, 22. 202 CC, 88, 5-7 et 11-12 (= Bodéüs, p. 237). 199 200
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elle, et ce qui existe de lui-même depuis le début est premier par rapport à ce qui est avec lui ou n’est pas sans lui203. Cette analyse, qui institue une sorte d’ousie-centrisme, présente toutefois quelques divergences avec le classement par lequel l’Anonymus poursuit son exposé : CD, § [52] : D’entre celles [sc. les catégories] qui sont neuf, les unes sont intérieures à l’ousie elle-même, les autres extérieures à l’ousie, et d’autres encore à la fois intérieures et extérieures. « Qualité », « quantité » et « reposer » sont intérieures à l’ousie elle-même (en effet, quand nous dirons par la suite « ousie » soit « homme », soit « cheval », il sera nécessaire que nous nous orientions vers « bipède », « quadrupède », ou bien « blanc » ou « noir », ou bien « debout » ou « couché » ; ces choses sont intérieures à l’ousie elle-même et ne peuvent être sans elle). § [53] D’autres sont extérieures à l’ousie : « où », « quand », « posséder » (« lieu » non plus n’appartient pas à l’ousie, et « temps », « posséder un vêtement » ou « posséder une arme » sont également séparés de l’ousie). § [54] D’autres encore sont communes, c’est-à-dire à la fois intérieures et extérieures à l’ousie : « relativement à quelque chose », « faire » et « pâtir » ; « relativement à quelque chose », comme « plus grand » et « plus petit » (en effet, deux choses ne peuvent être dites sinon par rapport à une autre qui leur est associée et qui est plus grande ou plus petite ; c’est donc en cela qu’elles sont, l’une intérieure à l’ousie l’autre extérieure à elle). Pareillement, « faire » est à la fois extérieur à l’ousie et intérieure à elle ; par exemple, quelqu’un ne peut être dit « frapper » sans qu’il en frappe un autre, ou bien « lire » sans que l’un soit le lisant même, l’autre ce qu’il lit (il est donc ainsi à la fois dans l’ousie et extérieur à elle). Semblablement « pâtir » ; en effet, nul ne peut être frappé ou brûlé sinon en pâtissant d’un autre ; pour cela il est aussi à la fois dans l’ousie et extérieur à l’ousie.
Reprenons le tout sous une forme plus dépouillée : intra usian = in usia et non sine usia extra usian = non in usia et sine usia intra et extra usian = in usia et sine usia quantité où relativement à quelque chose qualité intra usian quand extra usian agir intra et extra usian être situé avoir pâtir
Ce n’est point tant le fait que pareille distribution des neuf catégories en trois groupes de trois par rapport à l’ousie, dont nous n’avons pas pu découvrir jusqu’à présent d’antécédent, contraste partiellement avec l’analyse de Dexippe et a fortiori avec celle de Porphyre, qui soulève quelque difficulté. C’est plutôt qu’elle semble s’accorder difficilement – par la notion de l’extra usian – avec la définition même de l’usia rappelée à la fin du § [5] – « ce en dehors de quoi (extra quam) rien ne peut être ni découvert ni pensé (nec inveniri aliquid nec cogitari Busse, p. 43, 27 sqq.
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INTRODUCTION
potest) » – et, pour la même raison, avec le schéma : une substance – neuf accidents. Comment la propriété extra usian peut-elle être convoquée s’il n’y a précisément rien extra usian ? Sur un tout autre plan, cette tripartition, qui nous est apparue originale, est en cela un critère fiable pour juger de l’influence des CD sur les penseurs ultérieurs susceptibles d’avoir pu s’en inspirer. Or nous ne l’avons repérée chez aucun ni sous ce libellé, ni même en faisant abstraction du vocabulaire utilisé. Nonobstant cela, le risque est de la pressentir derrière la moindre classification. Par exemple, dans son In Categorias, Boèce procède à une distinction bipartite assez sommaire : Boèce : Duobus… modis praedicationes fiunt, uno secundum accidens, alio de subiecto: de homine namque praedicatur album, dicitur enim homo albus, rursus de eodem homine praedicatur animal, dicitur enim homo animal… Prior praedicatio… est secundum accidens… De subiecto uero praedicari est, quoties altera res de altera in ipsa substantia praedicatur, ut animal de homine = Les prédications se font de deux façons, l’une selon l’accident, l’autre d’un sujet : car d’un homme est prédiqué « blanc » – un homme est en effet dit « blanc » –, en outre, du même homme est prédiqué « animal » – l’homme, en effet, est dit « animal »… La première prédication… est dite selon l’accident… Quant à ce qu’est « être prédiqué d’un sujet », c’est chaque fois qu’une chose est prédiquée d’une autre dans la substance elle-même, comme animal de l’homme (col. 175D-176A).
Ce serait, à notre sentiment, extrapoler que d’affirmer qu’il faut voir ici à l’œuvre, dans le mode de prédication de subiecto, qui s’exerce in ipsa substantia, la première classe de catégories distinguée par le Paraphraste latin (intérieures à l’ousie = in ipsa substantia) malgré la coïncidence des expressions. Et il en va pareillement au chapitre IV du De sancta trinitate du même Boèce – qui ne fait que s’inspirer de la dichotomie précédente –, où il distingue, dans le contexte théologique d’une application des catégories à Dieu, entre celles qui montrent pour ainsi dire la chose, et celles qui montrent comme les circonstances de la chose, les premières (« substance » (appelée ultra substantiam (« outre-substance » lorsqu’elle est appliquée à Dieu), « qualité », « quantité ») étant prédiquées de façon à montrer qu’une chose est quelque chose, les secondes (« où », « quand », « être situé » et « faire ») s’attachant à montrer de quelle manière une chose est. Considérer, comme le fait Schurr204, que cette bipartition aurait été inspirée par la tripartition de l’Anonymus (in ipsa usia, extra usian, et intra et extra [usian]), et voir Voir supra, p. 7.
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dans l’usage de l’expression ultra substantiam un clair écho de celle d’extra usian, pour en déduire une incidence de ce traité sur le Boèce théologien, est, comme nous l’avons déjà exprimé, hasardeux. N’oublions pas que Boèce n’avait nul besoin de consulter les CD pour accéder au contenu des Catégories, parce que d’une part il lisait Aristote dans le texte, et que de l’autre, il s’est passablement inspiré, pour rédiger son commentaire, de celui de Porphyre. VI. 2. e. La distinction ἐν μόνῳ – ἐν παντί Si nous récapitulons le découpage des § [62]-[63] (cf. § [65], [70], [92]) déjà abordés (voir supra, p. 68) quant aux quatre façons d’« être intérieur à quelque chose », et sans revenir sur l’équivalence peu pertinente, selon nous, avec les quatre propriétés de la substance chez Aristote, hormis celle de n’être pas dans un sujet (3a33-4a9), nous obtenons : CD : 1) ἐν μόνῳ καὶ ἐν παντί (in solo et in omni) = en un seul et en chacun (l’homme capable de rire) 2) ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί (in solo et non in omni) = en un seul et non en chacun (l’homme capable de science) 3) ἐν παντί καὶ οὐκ ἐν μόνῳ (in omni et non in solo) = en chacun et non en un seul (l’homme qui se déplace ou qui se nourrit) 4) οὐκ ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί (nec in solo nec in omni) = ni en un seul ni en chacun (l’homme blanc de peau)
L’Anonymus ne fait ici aucun mystère de l’origine hellène de sa distribution. Néanmoins, comme pour ce qui regarde Aristote, nous ne sommes parvenu à trouver qu’un seul passage dont la dépendance nous a paru identifiable. Il se rencontre, rappelons-le, dans l’Isagoge (IV, 1) de Porphyre, au moment où ce dernier procède à une distinction quadripartite sur le « propre ». Les philosophes, indique-t-il, le disent appartenir à une espèce de quatre manières différentes : Porphyre : a) à une certaine espèce mais pas nécessairement à l’espèce tout entière (l’homme médecin ou géomètre) b) à une espèce tout entière mais non pas à elle seule (l’homme bipède) c) à une espèce seulement, à une espèce tout entière, et à un moment déterminé (l’homme chenu) d) à une seule espèce, à l’espèce tout entière et toujours (l’homme capable de rire) (= De Libera–Segonds, p. 15).
Boèce, au quatrième livre de son commentaire majeur à l’Isagoge, rédigé à partir de sa propre traduction, transpose – non sans introduire
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INTRODUCTION
une variante minime dans l’illustration – en c) par rapport à c’) –, la répartition porphyrienne de la manière suivante : Boèce – Porphyre : a’) soli etsi non omni (à un seul mais non à chacun) – l’homme médecin b’) omni etsi non soli (à chacun mais non à un seul) – l’homme bipède c’) soli et omni et aliquando (à un seul, à chacun et à un certain moment) – l’homme pubescent durant sa jeunesse d’) soli et omni et semper (à un seul, à chacun et toujours) – l’homme capable de rire (= De Libera–Segonds, p. 15 et PL., col. 131D-132A).
La mise en correspondance des deux classements (Paraphraste latin et Porphyre–Boèce) permet alors d’obtenir ceci : 2) = a) et a’), 3) = b) et b’), 1) = d) et d’) sans le facteur temps mais avec la même exemplification, 4) reste sans équivalent, au même titre que c) et c’). L’ensemble sera repris en trois éléments seulement [(b), a) et c)-d) en un même, sans considération de la temporalité non plus] dans un passage du commentaire mineur du même Porphyre aux Catégories (CC, 94 init.), qui se présentent de la sorte : Porphyre : b bis) à tous mais pas à eux seuls = 3 – l’homme bipède a bis) à eux [seuls] mais pas à tous = 2 – l’homme rhéteur ou orfèvre c bis) et d bis) à tous et à eux seuls = 1– l’homme capable de rire (= Bodéüs, p. 267 et 269).
On s’aperçoit alors que, relativement à l’Isagoge, les CD affichent une certaine autonomie en ce que d’une part ils modifient la teneur de la partition porphyrienne, puisqu’il y a ajout de 4) mais suppression de c’), de l’autre ils l’appauvrissent légèrement, puisque la dichotomie temporelle en c’) et d’) n’y a pas de répondant, tandis que relativement aux gloses mineures sur les Catégories, elle l’augmente en dissociant c bis) et d bis), alors que le 4) y est de nouveau sans correspondant. Quant à l’indépendance du Boèce commentateur de l’Isagoge vis-à-vis des CD, elle est due tout naturellement à la fidélité du premier envers le libellé porphyrien. VI. 2. f. Quantité et mesure : Pour amener le chapitre sur la quantité, notre auteur se livre à la réflexion suivante : CD, § [71] : Parmi les accidents, le premier est le quantifié, et non sans raison, car, lorsque nous voyons quelque chose, il est nécessaire que le quantifié soit évalué. Or le quantifié ne peut être identifié sans qu’il soit délimité au moyen de la mesure (mensura).
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§ [72] Si donc quelqu’un veut mesurer (metiri) la seule longueur, abstraction faite de la largeur, on dit de la longueur soumise à la mesure sans la largeur qu’elle est une γραμμή [« ligne »] ; non point parce que ce serait la longueur qui manquerait d’une certaine largeur, mais parce que celui qui mesure la seule longueur est dit mesurer la γραμμή. Quant à la largeur mesurée avec la longueur, elle est dite ἐπιφάνεια [« surface »]. En outre, si la hauteur aussi est associée à la mesure, toutes ces données forment un corps ; cependant, parce que nous ne l’entendons pas de la même manière que nous avons l’habitude d’entendre un corps naturel, cela ne semble pas renvoyer à l’ousie. § [73] Ensuite, nous mesurons aussi le « lieu », dans lequel quelque chose est constitué. Le « temps » est également soumis à la mesure ; car, lorsque quelque chose se meut, il est nécessaire d’obtenir aussi la mesure du temps par le mouvement lui-même, quand nous disons : « il parvient à la première, à la deuxième, à la troisième année », et « au premier, au deuxième, au troisième mois » ou « jour » ou à la première, à la deuxième, à la troisième « heure » ou au premier, au deuxième, au troisième « moment ».
Les textes qui sont susceptibles d’avoir inspiré l’Anonymus doivent donc mettre en avant la notion de « mesure » (mensura et metiri) ou ce qui lui est apparenté. L’importance de cette dernière, introduite dès le § [71], est d’ailleurs rappelée par Aristote lui-même au sujet du langage, justement au chapitre sur la quantité (ποσόν) : Aristote : Le discours fait partie des quantités discrètes. [Qu’il soit] une quantité, c’est manifeste ; car il est mesuré (καταμετρεῖται) par la syllabe brève ou longue (Catégories, 4b32-34).
S’il n’y a pas, dans la plus grande partie de la glose de Porphyre, toujours sur les Catégories, d’équivalent strict de mensura, celle-ci affleure cependant à toutes ses étapes et finit par être explicite à la dernière. Le philosophe de Tyr commence, effectivement, son exégèse du ποσόν en s’arrêtant aux deux sortes de quantité, que le Stagirite avait introduites un peu auparavant, en 4b20, à savoir la continue et la discrète : Porphyre : Quant à la quantité…, elle est, pour une part, discrète et, pour l’autre, continue… [La discrète] présente un intervalle (μεταξύ) où rien ne se place qui puisse faire le lien entre les quantités du même genre […] Le continu, lui, contient une borne (ὅρος) commune qui met en contact ses parties les unes avec les autres205.
Il ne nous paraît pas douteux que par les mots « intervalle » et « borne », Porphyre place son analyse sous le signe de la « mesure », une orientation dont l’Anonymus se serait inspiré, et qui se dédoublerait dans le § [72]. Par ailleurs, le Stagirite, encore au chapitre sur la quantité, Voir CC, 101, 14 sqq. et 102, 13-14 (= Bodéüs, p. 311 et 315).
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s’arrête aux exemples de la ligne et de la surface, ménageant de la sorte une autre référence, moins explicite que la précédente toutefois, à la « mesure » : Aristote : La ligne (γραμμή) est une quantité continue, car il est possible de trouver une limite commune sur laquelle ses parties entrent en contact : un point ; et pour la surface (ἐπιφάνεια) c’est une ligne ; en effet, les parties de la surface entrent en contact sur une limite commune. Et de même, dans le cas du corps, on pourrait trouver une limite commune – une ligne ou une surface – sur laquelle les parties du corps entrent en contact (Catégories, 5a1-7).
Le commentaire mineur de Porphyre fait, lui aussi, intervenir indirectement la « mesure » par l’évocation de la « dimension », et à ce titre aurait pu inspirer plus sûrement le Paraphraste latin, bien que de son côté celui-ci se dispense de toute allusion au point : Porphyre : Le corps est à la fois une quantité et un continu : une quantité, parce qu’il a trois dimensions (τριχῇ διαστάτον), et un continu, parce que ses parties sont en contact une borne commune, surface (ἐπιφάνεια) que l’on conçoit entre elles… parce que la surface est une limite, mais pas une partie du corps… C’est que le tout est constitué de parties, mais ne peut être constitué de limites. La ligne (γραμμή), en effet, ne jamais constituée de points ; au contraire, elle se limite au point ; et le point n’est pas une partie de la ligne, mais sa limite. De même, la surface ne peut être constituée de lignes ; les parties d’une surface sont au contraire des surfaces ; mais elle est limitée par des lignes206.
Ce schéma exégétique est sensiblement reconductible pour le § [73]. Aristote étend la quantité à deux autres notions, en faisant intervenir la « mesure » par le truchement de la temporalité et de la localité : Aristote : Et le temps et le lieu font eux aussi partie de cette sorte de quantité : en effet, le temps présent entre en contact et avec le passé et avec le futur (Catégories, 5a7-8).
La réaction de Porphyre à ce passage : Porphyre : Il y a encore à la fois le lieu et le temps [comme quantités continues]… (Le temps) est une quantité, parce qu’il est conçu sous forme de distance et se mesure (καταμετρεῖται) donc par une certaine quantité numérique, par exemple en heures, en jours et en nuits, en mois et en années. Par ailleurs, c’est une quantité continue, car le lien du passé avec l’avenir, c’est le présent, lequel est point de départ du futur et fin du passé207, 206 CC, 102, 37-103, 11 (= Bodéüs, p. 317 – traduction légèrement retouchée par nous ()). 207 CC, 103, 19 et 30-33 (= Bodéüs, p. 319 – traduction légèrement retouchée par nous ()).
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nous paraît alors encourager encore un peu plus à y voir une possible dépendance du Paraphraste latin. Ce dernier aurait trouvé là explicitement, illustrée par les mêmes divisions temporelles (heure, jour, nuit, mois, année chez Porphyre – année, mois, jour, heure, instant chez lui), la notion de « mesure », dénominateur commun aux trois paragraphes en question. VI. 2. g. La différence entre δύναμις et ἐνἐργεια Un excursus au cœur du chapitre sur le πρός τι, dont nous avons examiné quelques échantillons, procède à la mise au point que voici : CD, § [102] : [Que l’ad-aliquid n’est pas établi correctement,] c’est ce qu’ont l’habitude d’assurer ceux qui ne considèrent pas avec assez d’attention la nature des choses. En effet, tout ce qui existe est dit être soit par une « puissance naturelle », soit par un « acte opératoire », que les Grecs appellent δύναμις καὶ ἐνἐργεια [« puissance et acte »]. Si quelqu’un veut les séparer et ne les confondre dans aucune association, il comprendra que « relativement à quelque chose » ne peut être dit sans l’autre élément duquel il est dit ; en effet, la connaissance de la nature est associée au connaissable en lui-même ; car, en même temps que la nature a commencé d’être connaissable, elle a possédé une connaissance à elle, mais non pas encore une connaissance distinguée par l’ἐνἐργεια (c’est-à-dire par l’« acte »). Donc, la connaissance de la nature ne commence pas d’être au moment où elle commence d’être pratiquée, mais elle naît avec le connaissable lui-même, et l’acte survient ensuite. Il nous faut, effectivement, isoler le commencement de l’acte ; en effet, nous pouvons à présent remarquer que la connaissance a été suscitée avec le connaissable, et que son acte n’apparaît qu’après, par l’investigation des gens avisés.
Il n’apparaît point douteux que l’Anonymus se soit souvenu en l’occurrence de la question de l’antériorité du sensible sur le sentant, dont Aristote fournit plusieurs preuves au chapitre 7 des Catégories ; nous retiendrons celle-ci, bien qu’elle ne soit pas reprise dans la suite des CD : Aristote : La perception accompagne le sujet perceptible, car l’animal et la perception naissent ensemble ; mais le perceptible existe avant qu’il existe une perception. Car le feu, l’eau, et les autres corps de ce genre, dont l’animal est constitué, existent avant même qu’il existe un animal en général ou une perception. De sorte qu’on peut penser que l’objet perceptible est antérieur à la perception (Catégories, 8a7-13).
Mais une source semble d’une plus grande transparence si l’on rattache cette question à la différence entre la δύναμις et l’ἐνέργεια, celle qui se capte chez Porphyre, de nouveau dans son commentaire par questions– réponses aux Catégories : Porphyre : Le sensible en tant que tel ne pas, ou plutôt n’existe pas sans la sensation qu’on en a. Et ce qui est scientifiquement connaissable, en
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tant que tel, ne pas non plus, ou plutôt n’existe pas sans la science qu’on en a. En fait, s’il est connaissable, il existera en puissance (δύναμις) même quand on en n’a pas la science, sauf qu’il ne sera pas objet de connaissance (ἐνέργεια), si la science ne le saisit pas . Or, s’il est potentiellement connaissable du fait qu’on peut en acquérir la science, alors la science aussi existera potentiellement, du fait qu’il est possible à cet objet d’être connu par elle208.
Le Paraphraste latin – et probablement Thémistius, comme il faut l’envisager à chaque fois – aurait trouvé dans le lien indéfectible que rappelle Porphyre, noué par la nature entre le « scientifiquement connaissable » et « la science qu’on en a », l’exemplification qu’il lui fallait pour bien amener à comprendre la manière dont sont associés les deux éléments mis en rapport dans la catégorie du « relativement à quelque chose ». Au terme de ces « carottages », on réalise un peu mieux de quel ordre serait la dépendance pressentie des CD relativement à Porphyre. Elle est certes difficilement contestable, mais ne va point jusqu’à la servilité, loin s’en faut, puisque l’Anonymus sait s’en affranchir par l’adoption de certaines variantes, que nous supposerons délibérées et maîtrisées. VII. Récapitulatif En dernier ressort, et afin que l’on puisse disposer d’un panorama des quelques points qui caractérisent la présentation et l’analyse des CD, nous dresserons trois listes correspondant à tous les aspects qu’il nous paraît important d’avoir à l’esprit, lesquels regroupent ceux abordés plus ou moins en détail dans notre Introduction et quelques autres qui se détachent de la traduction, et que l’on découvrira plus précisément au fur et à mesure de sa lecture : VII. a. Six procédés d’exégèse relativement aux Catégories : – la glose pure – la traduction quasi littérale 208 CC, 120, 27-33 (= Bodéüs, p. 391 – traduction légèrement retouchée par nous ()).
– la – la – la – le
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coupure traduction paraphrastique traduction périphrastique raccourci très synthétisé
VII. b. Réflexes de grammairien-rhétoricien : – l’Anonymus évoque (§ [2]), les huit parties du discours distinguées par les grammairiens, là où Aristote n’en reconnaît que 6 dans sa Poétique – il mentionne de très nombreuses fois les termes grecs dont il propose une traduction latine, soucieux de justifier, à chaque occurrence ou presque, cette dernière – il attache une grande importance à l’étymologie, comme Varron et Quintilien – il souligne avec insistance la fonction éminemment subsumante du langage chez Aristote (§ [3]-[8]) – il attire l’attention (§ [9]) sur le fait qu’Aristote s’est dispensé de traiter des mots du point de vue de leur formulation (ratio) – il exemplifie ses énoncés à l’aide de noms latins, tels « Cicéron » (§ [11] [31], [39]) ou « Hortensius » (§ [7]), tout en ne renonçant pas aux illustrations tirées de la tradition grecque, comme « Socrate » (§ [40], [58], [60], [69], [99], [159]) et « Xanthe » et autres noms de chevaux mythologiques (§ [3], [7]) – il attire l’attention (§ [13], [14] et [15]) sur le fait qu’Aristote ayant été, selon Thémistius (§ [20]), d’abord soucieux de ce qui est conçu, a fait l’impasse sur les polyonymes et les hétéronymes – il introduit trois modes verbaux et un cas flexionnel (« impératif », « optatif », « interrogatif » – « vocatif » (§ [55]), qui ne se trouvent point chez Aristote – il fait intervenir (§ [62] à [65]) quatre « modes » d’être intérieur à quelqu’un (« en chacun et en tous, en chacun et non en tous, en tous et non en chacun, ni en chacun ni en tous »), qui renvoient, non pas à l’« universel » et au « singulier » des dialecticiens, mais au « général » et au « particulier » des grammairiens (voir le generale du § [64], qui n’est point l’universalis, absent du traité) – il tient à faire remarquer (§ [103]) que la catégorie de la relation se diversifie en fonction de trois cas flexionnels (le génitif, le datif et l’ablatif).
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VII. c. Réflexes de néoplatonicien : – au § [2], il associe un temps les Catégories et le Peri hermeneias, comme dans la tradition commentariste, en faisant appel au nom et au verbe, lesquels, en étant réunis, forment la seule partie du langage, qui, à la différence des six restantes, ramenées à des articulations du langage (pronom, adverbe, participe, conjonction, préposition et interjection), désigne un objet et se signale par un vocable – il se montre sensible, dans sa conception de la substance, à la théorie du genre suprême comme principe causal absolu (« par un nom sans mesure et extensible à l’infini, en comprenant absolument tout ce qui est, Aristote a dit οὐσία ce en dehors de quoi rien ne peut être ni découvert ni pensé », (§ [5]), que l’on rencontre notamment dans l’exégèse de Porphyre – il évoque explicitement (§ [19]) le problème exégétique de la nature exacte de l’objectif du début des Catégories d’Aristote (ce qui est, ce qui est conçu, ce qui est dit), qui participe de la recherche du σκοπός (« sujet » du traité commenté), autre rubrique obligée dans la procédure commentariste – il enquête sur l’ordre des catégories et sa justification, en particulier concernant le « relativement à quelque chose » (§ [93]) – il s’intéresse à la question de la différenciation entre homonymes, synonymes et paronymes (§ [22]-[25]) – il s’arrête au problème posé par le rapport entre l’ousie et les autres catégories (§ [50]-[54]) – il consacre plusieurs paragraphes à la distinction entre ἐν μόνῳ et ἐν παντί (§ [62]-[65]) – il justifie le fait qu’Aristote a fait suivre l’examen de l’ousie par celui de la quantité (§ [71]-[73]) – il aborde la question de la différence entre δύναμις et ἐνέργεια (§ [102]) – il réaffirme l’origine sensible de la signification (§ [6]). Dotés de ces quelques aperçus, il n’est pas prématuré, croyons-nous, de centrer à présent notre survol sur la question du devenir doctrinal du traité anonyme : dans la tradition médiévale qui s’est peut-être inspirée, et à divers titres, des CD, ces derniers ont-il servi uniquement de véhicule aux théories d’Aristote, ou bien les séquences exégétiques qu’elles renferment ont-elles fourni un capital doctrinal complémentaire, voire indépendant ? Autrement dit, les Médiévaux qui connurent les Catégories
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d’Aristote par la traduction–adaptation des CD, ont-ils aussi retiré de leur commentaire certains gains doctrinaux qui purent nourrir leur propre réflexion, le plus souvent théologique ? VIII. Les échos du traité Entre la fin du IVe siècle et le premier tiers du VIIe, on l’a dit, les CD semblent avoir été oubliées par ce que le Moyen Âge latin a pu compter de penseurs profanes et chrétiens. Si nous nous en tenons, au sujet de Martianus, à ce que nous avons constaté touchant la liste des catégories rapportée plus haut (p. 35-36) et à la lecture du livre IV du De nuptiis, celui-ci ne paraît en rien avoir payé sa dette intellectuelle au Paraphraste latin. Et nous sommes conduit à faire la même observation avec Boèce relativement à sa traduction glosée des Catégories. Quoique cette partie soit affectée aux résonances des CD, nous la commencerons en nous intéressant aux deux premiers auteurs susceptibles de s’en être inspirés, dans le but de vérifier qu’ils ne donnent a priori aucune prise sérieuse à une telle influence, et de nous assurer par là même qu’Isidore est bien celui chez qui l’on prelève les tout premiers emprunts. VIII. a. Martianus Capella Sur le plan du vocabulaire, les écarts sont très fréquents, à commencer, comme on l’a vu, par la dénomination des catégories, dont l’ordre d’énumération n’est déjà pas le même (la qualitas, entre autres, précédant la quantitas) : usia / substantia, ad-aliquid / relativum, iacere / situs, quando / tempus). Pareillement, concernant les « homonymes » (ὁμώνυμα) et les « synonymes » (συνώνυμα – Catégories, 1a1-8), là où les CD (§ [9]-[18]) parlent, en se contentant de translittérer, d’omonyma (lesquels se diversifient en deux parties (§ [17]) : « fortuits » et « voulus »), de synonyma, puis, en ne suivant plus Aristote dont elles dédoublent, comme on l’a vu, les « paronymes (παρώνυμα) «, de polyonyma et d’etheronyma, Martianus (De nuptiis, § 355-357) parle, de manière plus restreinte, au singulier et en traduisant, d’« équivoque » (même nom, définition différente : « lion vrai » / « lion peint » = « homonymes » (CD) : « Cicéron », un citoyen quelconque, et « Cicéron », l’auteur célèbre), d’« univoque » (même nom et même définition : (« manteau, tunique ») par rapport à « vêtement » = « synonymes » (CD) : « homme, cheval, fauve, oiseau » par rapport à « animal »), et, sans correspondance non plus chez Aristote, de « plurivoque » (noms différents,
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même chose : « épée (ensis), lame (mucro) » par rapport à « glaive » (gladius) = « polyonymes » (CD) : « épée, lame, glaive » par rapport à un référent non nommé), le tout en méconnaissant aussi les « paronymes ». D’autre part, on voit bien, touchant, entre autres, le fragment de Catégories, 1a20-27, que les deux approches n’ont rien en commun : Aristote : « Parmi les étants, les uns se disent d’un certain sujet, mais ne sont dans aucun sujet ; par exemple, homme se dit d’un sujet, tel homme, mais n’est dans aucun sujet. D’autres, en revanche, sont dans un sujet, mais ne se disent d’aucun sujet… Par exemple, tel savoir-lire particulier est dans un sujet, l’âme, mais ne se dit d’aucun sujet ».
Martianus, qui développera ces deux définitions aux § 364-366, ne traduit pas vraiment, puisqu’il utilise les termes « première » et « seconde » appliqués à la substance, là où Aristote n’y recoura que plus loin, lors de l’introduction de l’espèce et du genre (2a11 sqq) : Martianus, § 362 : Prima substantia subiectum est, secunda quae de ipsa prima dicitur ut sit Cicero prima substantia, homo et animal secunda. Iam in subiecto omnes consequentes praedicationes esse intelliguntur, itaque de singulis videamus = La substance première est le sujet, la seconde, elle, est dite de la première elle-même, comme « Cicéron » est une substance première, « homme » et « animal » une seconde. Nous voyons alors que toutes les prédications qui vont suivre sont intelligées comme étant dans un sujet, et il en est ainsi de chacune d’elles.
L’Anonyme, lui, suit davantage le texte aristotélicien, mais pas entièrement, puisqu’il remplace le second volet, qui disparaît, de la division en « ce qui se dit d’un sujet, mais n’est dans aucun sujet » et « ce qui est dans un sujet, mais n’est dit d’aucun sujet », par « ce qui n’est ni dans un sujet ni dit d’aucun sujet », combinaison recensée par Aristote quelques lignes plus bas, en 1b3-5 : CD, § [31] : Parmi les choses qui sont, les unes sont signifiées « d’un sujet » et ne sont pas « dans un sujet » ; comme « homme » est signifié assurément d’un sujet, à savoir de tel homme (« homme » ne pourrait, en effet, être dit s’il n’y avait pas quelqu’un de qui on le dise), et il n’est en aucun sujet, puisque lui-même est une ousie… D’autres ni ne sont dans un sujet ni ne sont signifiées d’un sujet, comme l’est « Cicéron ».
Le cas de la « qualité » témoigne également de deux cheminements intellectuels divergents : Aristote, 8b24-27, 9a14-16, 9a28, 10a10-12 : J’appelle « qualité » ce d’après quoi on dit que certaines personnes sont telles ou telles… L’état et la disposition sont une première espèce de qualité ; l’état, cependant, diffère de la disposition parce qu’il est plus stable et dure plus longtemps… Un deuxième genre de la qualité est ce d’après quoi nous disons que certains sont bons pugilistes ou bons coureurs, ou encore sains ou maladifs, et en un mot tout ce que l’on dit d’après
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une certaine capacité ou incapacité naturelle… Un troisième genre de qualité, ce sont les effets qualitatifs et les affections… Un quatrième genre de qualité, c’est la figure, et la forme qui est présente dans chaque chose particulière.
Martianus synthétise la deuxième espèce, tandis qu’il développe la troisième, et inverse l’une et l’autre (sa deuxième (« susceptible d’éprouver une sensation » – « doux, amer ») correspond à la troisième d’Aristote (« effets qualitatifs et affections » – « douceur, amertume »), et sa troisième (« ce qui est dit d’après ce que quelqu’un peut être et non d’après ce qu’il est » – « fragile ») à la deuxième d’Aristote (« ce qui est dit d’après une certaine capacité ou incapacité naturelle » – « sain ou maladif ») : Martianus, § 367-370 : Qualitatem esse diximus, secundum quam dicimur quales. Qualitatum forma una est, in qua dispositio quaedam et habitus mentis esse intellegitur… Secunda species est earum qualitatum, quas recte passibiles dixerimus… Tertia species est earum qualitatum, quae non ex eo quod iam quisque est sed ex eo quod esse potest intelleguntur… Quarta species est earum qualitatum, secundum quas formas figurasque intelligimus = Nous avons dit que la qualité est selon ce que nous sommes dits qualifiés. La première forme des qualités est celle dans laquelle on intellige qu’est une certaine « dispostion » et un « état habituel » de l’esprit… Il y a une deuxième espèce de ces qualités, celles que nous avons dites à juste titre « passibles »… Il y a une troisième espèce de ces qualités, celles qui sont intelligées non pas à partir de ce que chacun est déjà mais à partir de ce qu’il peut être… Il y a une quatrième espèce de ces qualités, celles que nous intelligeons comme des « formes » et des « figures ».
L’Anonyme, pour sa part, consacre à ce relevé une description beaucoup plus étendue, dont on extraira les données correspondantes : CD, § [113], [115] et [116] : La « qualité », selon laquelle les choses qui existent sont appelées « qualifiées » (qualia)… Les espèces [de la qualité] sont au nombre de quatre… Le premier genre est l’« état habituel » (habitus) [stable] et la « disposition » (affectio) [transitoire] »… le deuxième la « puissance naturelle (potentia naturalis) »… le troisième les « qualités affectives ou affections (passivae qualitates sive passiones) »… le quatrième les « formes et les figures » (formae ac figurae) ».
Même le principe selon lequel tout « état habituel » est une « disposition », mais toute « disposition » n’est pas un « état habituel », varie et dans le vocabulaire (dispositio–habitus (Martianus) / habitus–affectio (CD)) et dans l’énonciation (les deux composantes s’inversent d’un libellé à l’autre) : Martianus, § 367 : Non omnis dispositio habitus, omnis autem habitus dispositio esse intellegitur = Toute disposition n’est pas intelligée comme un état habituel, mais tout état habituel est intelligé comme une disposition. CD, § [116] : Habitus… et affectio videri potest… affectio autem habitus videri non potest = L’état habituel peut… apparaître comme une disposition…, mais la disposition ne peut apparaître comme un état habituel.
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L’illustration, toujours quant à la « qualité », montre aussi amplement l’indépendance de la seconde version vis-à-vis de la première (nous en prélevons quelques échantillons, et nous citons les qualifiés, qui renvoient diversement aux qualités) :
première espèce (état habituel et disposition) : non illustrée par Martianus / virtus, disciplina (CD, [116]-[117]) deuxième espèce (puissance naturelle) : dulce, amarum, calidum, frigidum (Martianus, § 368) / durum, molle (CD, §[118])
troisième espèce (qualité affective ou affection) : fragile, palaestricum (« palestrique », c’est-à-dire : « qui
concerne la palestre ») (Martianus, § 369) / album, nigrum, dulce (CD, §[119])
quatrième espèce (forme et figure) : quadrum, rotundum, pulchrum (Martianus, § 370) / trigonum, tetragonum, conum, cylindrum (figurae) – formosum, deforme (formae) (CD, § [123]).
Un dernier exemple, celui du fragment de Catégories 4b20-25 portant sur la « quantité », illustre d’autres divergences, en plus de celle de la constitution des lexiques :
Aristote : « Dans la quantité, il y a d’une part celle qui est discrète et d’autre part celle qui est continue… Sont des quantités discrètes, par exemple, le nombre et le discours ; sont des quantités continues la ligne, la surface, le corps et, outre ceux-ci, le temps et le lieu ».
Martianus traduit assez fidèlement, mais en ajoutant l’adjectif « bipartite » et en oubliant deux exemples, ceux de la « surface » et du « lieu » :
Martianus, § 371 : Quantitas bipertita est, quod alia discreta est alia continua. Discreta ut numeri et orationis, continua ut lineae ac temporis = La quantité est bipartite, parce que l’une est discrète, l’autre continue. La discrète est par exemple celle du « nombre » et du « langage », la continue est par exemple celle de la « ligne » et du « temps ».
Pour ce qui est de l’Anonyme, la fidélité de sa traduction équivaut sensiblement à celle de Martianus, mais il substitue le « quantifié » à la « quantité », ignore l’adjectif « bipartite », et inverse l’ordre d’énumération (« discrète » / « continue » devient « continue » / « discrète ») :
CD, § [74] et [79] : Autre est ce qui est continu (cohaerens) relativement au quantifié (quantum) lui-même, autre ce qui est discret (separatum). Continus sont la « ligne » (gramme), la « surface » (epiphania), le « corps » (corpus), le « lieu » (locus) et le « temps » (tempus)… Quant au nombre (numerus) et au langage (oratio), ils sont discrets.
En outre, la variation sur l’outil lexical est, une fois de plus, évidente : discreta / continua – cohaerens / separatum, et linea remplace gramme, comme il se doit d’ailleurs pour une traduction.
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Le reste nous est apparu à l’avenant, ce qui dispense d’y prélever d’autres marques de dissociation, dans la mesure où celles qui ont déjà été sélectionnées sont largement suffisantes pour se convaincre que Martianus Capella soit a traduit lui-même les Catégories, soit a reproduit une version qui nous demeure inconnue – celle de Victorinus restant, comme on l’a indiqué plus haut, improbable, malgré l’avis contraire de MinioPaluello –, mais, en aucun cas, n’a démarqué les CD. VIII. b. Boèce La situation de Boèce n’est pas très différente, si ce n’est qu’il a procédé à une traduction intégrale, une fois certainement, voire deux. En effet, la version commentée que nous possédons n’est que la première que Boèce, s’inspirant ouvertement de Porphyre, a rédigée pour un lectorat de débutants. Or il existe un second commentaire, perdu, qui était destiné à un public de lecteurs avancés, dont nous ignorons s’il se fondait sur la même traduction ou sur une autre209. Toujours est-il que celle qui nous est restée semble étrangère aux CD. Les multiples confrontations menées précédemment pourraient nous tenir quitte de tout complément. Nous en fournirons toutefois encore quelques-uns davantage ciblés, dans le seul but de faciliter la comparaison avec la version, plus concise, de Martianus Capella. Comme pour ce dernier, le critère du vocabulaire utilisé par chaque penseur est significatif. La dénomination, dans un ordre modifié du reste, des catégories listées (voir supra, p. 35-36), accuse, là aussi, trois variantes (usia / substantia, habere / habitus, iacere / situs). Dans le même ordre d’idée, la définition des « homonymes » (Catégories, 1a1-3) est tout de suite instructive : Aristote : Sont dites homonymes (ὁμώνυμα) les dont le nom seul est commun, alors que l’énonciation (λόγος) correspondant à ce nom est différente. C’est ainsi que l’homme et la figure dessinée (γεγραμμένον) sont animal.
L’Anonyme, on le sait, translittère ὁμώνυμα, puis traduit λόγος par interpretatio et éprouve le besoin de préciser : « homme véritable » pour le distinguer de celui qui est portraituré : CD, § [ 10] : Il y a homonymes (omonyma) quand des choses, certes plurielles, reçoivent un nom en commun (commune), mais se distinguent par l’énoncé (interpretatio) de la même chose, comme « homme peint » (homo pictus) et « homme véritable » (homo verus).
209 Voir Pierre Hadot, « Un fragment du commentaire perdu de Boèce sur les Catégories d’Arsistote dans le codex Bernensis 363 », dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 26, 1959, p. 11-27.
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Sur les trois points qui viennent d’être relevés, la distance est évidente. Divergeant de l’Anonyme, Boèce, dans une traduction quasi littérale, latinise ὁμώνυμα en aequivoca, rend λόγος par ratio (mieux adapté selon nous qu’interpretatio), et laisse homo (ἄνθρωπος) sans qualificatif, recourant de surcroît à pingitur, présent de l’indicatif de pingor, pour rendre γεγραμμένος, participe de γράφεσθαι (« être dessiné », « être peint »), là où le Paraphraste latin opte pour homo pictus : Boèce (Minio-Paluello, p. 5, 3-5) : Aequivoca dicuntur quorum nomen solum commune est, secundum nomen vero substantiae ratio diversa, ut animal homo et quod pingitur = Sont dites équivoques les choses dont le nom seul est commun, mais dont l’énoncé (ratio) est différente selon le nom de la substance, comme « animal » est dit de l’« homme » et de « celui qui est peint ».
Il en va de même pour la définition suivante, celle des « synonymes » (Catégories, 1a6-8) : Aristote : Sont dits synonymes les objets dont le nom est commun, et pour lesquels l’énonciation correspondant à ce nom est la même. C’est ainsi que l’homme et le bœuf sont animal.
L’Anonyme translittère également le terme principal, passe, sans raison évidente, de l’adjectif commune, employé dans la définition précédente, au verbe iungere, et modifie tout en les augmentant les exemples d’« animal » : CD, § [12] : Quant aux synonymes (synonyma), ce sont des choses qui sont reliées (iungere) par leur nom et leur énoncé, comme l’est « animal » : en effet, il peut être dit de l’homme et du cheval, et du fauve, et des oiseaux.
Avec sa fidélité habituelle au texte-source, Boèce ne reprend aucun des choix du Paraphraste latin, en reconduisant notamment commune et en respectant l’exemplification : Boèce (Minio-Paluello, p. 5, 9-11) : Univoca… dicuntur quorum et nomen commune est et secundum nomen eadem substantiae ratio, ut animal homo atque bos = Sont dites univoques les choses dont le nom est commun et dont l’énoncé est le même selon le nom de la substance, comme « animal » relativement à « homme » et à « bœuf ».
Sondons à présent le passage sur l’οὐσια et sa division (Catégories, 2a11-17) : Aristote : La substance est ce qui se dit proprement (κυριώτατα), premièrement (πρώτως) et principalement (μάλιστα) ; ce qui à la fois ne se dit pas d’un certain sujet et n’est pas dans un certain sujet ; par exemple tel homme ou tel cheval. Mais se disent par ailleurs une seconde substances, les espèces auxquelles appartiennent les substances dites au sens premier – celles-là, et aussi
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les genres de ces espèces. Par exemple, tel homme appartient à l’espèce homme, et le genre de cette espèce est l’animal.
Chez l’Anonyme, qui traduit, dès la deuxième phrase, assez librement, la série des trois adverbes est ramenée à deux, πρώτως ayant disparu. En outre, potior, qui signifie que la substance « première » se voit ainsi appelée parce qu’elle l’emporte sur l’autre, qualifiée de « seconde », est une sorte de réflexe de rhétoricien, qui se permet une variatio sermonis à laquelle n’invite pas le texte d’Aristote, lequel reconduit πρώτως, tout comme la variation observée sur le de subiecto : significare d’abord, praedicare ensuite. Enfin, les propriétés « être dit d’un sujet » et « être dans un sujet » sont inversées : CD, § [57]-[58] : Est dite proprement (proprie) et principalement (principaliter) « ousie » la chose qui n’est ni dans un sujet ni signifiée (significatur) d’un sujet, comme l’est : « cet homme » ou « ce cheval ». Le genre et l’espèce sont dits ousies secondes, c’est-à-dire : « animal » et « homme ». Il [sc. Aristote] dit donc qu’on les nomme « substances secondes » pour cela que la substance qui n’est ni dans un sujet (in subiecto est) ni prédiquée d’un sujet (de subiecto praedicatur) est prédominante (potior).
Plus scrupuleux, Boèce serre de près le texte d’Aristote. Mais, contrastant avec la différence usia / substantia et quelques autres, son lexique présente cette fois-ci deux similitudes notables avec celui du Paraphraste latin (proprie et principaliter et de subiecto praedicatur-in subiecto est), ce qui ne va pas sans interroger : Boèce (Minio-Paluello, p. 7, 10-16) : Substantia… est, quae proprie et principaliter et maxime dicitur, quae neque de subiecto praedicatur neque in subiecto est, ut aliqui homo vel aliqui equus. Secundae autem substantiae dicuntur, in quibus speciebus illae quae principaliter substantiae dicuntur insunt, hae et harum specierum genera; ut aliquis homo in specie quidem est in homine, genus vero speciei animal est = La substance est ce qui se dit proprement, principalement et parfaitement, qui n’est ni prédiqué d’un sujet ni dans un sujet, comme tel homme ou tel cheval. Mais sont dites substances secondes, celles qui, en tant qu’espèces, sont incluses dans les substances dites principalement, celles-là et les genres de ces espèces, comme tel homme, par l’espèce, est assurément dans l’homme, et le genre de cette espèce est l’« animal ».
Néanmoins, bien que Boèce ait difficilement pu trouver de telles expressions ailleurs que chez l’Anonyme (Martianus ne mettait à sa disposition que de subiecto dicitur et in subiecto est, au § 361 de son De Nuptiis), la possibilité demeure que l’un et l’autre aient eu un réflexe autonome de traducteur, ce qui ne permet pas, à notre avis, de voir dans cette exception un emprunt. D’autant plus que nous n’avons pas retrouvé d’analogie de ce type, mais bien d’autres dissemblances, qui sont allées
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se répétant et se diversifiant, par exemple celle à propos du fragment de Catégories, 6b15-19 : Aristote : Il y a aussi de la contrariété parmi les relatifs. Par exemple, la vertu est le contraire du vice, chacun d’eux étant relatif à quelque chose, et la connaissance (ἑπιστήμη) est contraire à l’ignorance (ἁγνοίᾳ). Mais il n’y a pas de contrariété dans tous les relatifs. En effet, il n’y a rien qui soit le contraire (ἐναντίον) de double (διπλάσιον) ni de triple, ni d’aucun des termes de cette sorte.
L’Anonyme, qui reformule plutôt qu’il ne traduit, offre ici un aperçutype de version glosée, la partie mise en caractères gras étant purement une scholie : CD, § [109]-[110] : Aristote a posé… comme dites « relativement à quelque chose » (ad-aliquid) : la « vertu » (virtus) relativement à la « malice » (malitia), l’« ignorance » (ignorantia) relativement à la « connaissance » (scientia) », et a dit qu’elles pouvaient recevoir le contraire, non point en ce que la chose s’y prête, mais en sorte qu’il puisse afficher les vices de ceux qui dissertent de manière non docte. Car, comme nous l’avons expliqué plus haut, ces paroles doivent être tenues pour « opposées » (oppositum) plutôt que dites « relativement à quelque chose… il n’est pas possible de dire « moins double (duplum) » ou « plus double ».
L’indépendance de Boèce, qui suit l’enchaînement phrastique d’Aristote, se fait en l’occurrence davantage sentir, puisque l’on compte une coïncidence lexicale peu révélatrice (virtus-malitia) pour deux disparités plus parlantes (ignorantia-scientia / scientia-inscientia, duplum / duplex) : Boèce (= Minio-Paluello, p. 18, 22-25) : Inest… et contrarietas in relatione, ut virtus malitiae contrarium est, cum sit utrumque ad aliquid, et scientia inscientiae. Non autem omnibus relativis inest contrarietas; duplici enim nihil est contrarium, neque vero triplici neque ulli talium = La contrariété est intérieure à la relation, comme la « vertu » est le contraire de la « malice » – vu que l’une et l’autre sont « relativement à quelque chose » –, et la « science » de l’« inscience ». Mais il n’y a pas de contrariété dans tous les relatifs. En effet, rien n’est le contraire de « double » (duplex), ni même de « triple », ni d’aucun termes de ce genre.
Il est à noter, au sujet de la première disparité, que le Paraphraste latin a, exceptionnellement, mieux traduit que Boèce : son ignorantia n’est pas, comme il se doit, le contraire (ἐναντίον), c’est-à-dire l’antonyme de scientia par simple préfixation privative, comme le fait Boèce (inscientia), mais un terme non apparenté (ignorantia – qui conserve aussi le préfixe privatif), conformément à l’option d’Aristote – ἑπιστήμη / ἁγνοίᾳ. De surcroît, Boèce ne gagne apparemment rien à changer d’adjectif en préférant duplex à duplum pour traduire διπλάσιον, ce qui dit bien son autonomie.
INTRODUCTION101
Ces prélèvements, quoique très circonscrits, ont permis, croyons-nous, de montrer que si Boèce révèle légèrement plus d’affinités avec la Paraphraste latin que Martianus Capella, qui, sur les échantillons retenus, n’en laisse paraître aucune, il n’y a pas lieu d’envisager qu’il ait, sinon connu, du moins utilisé les CD. C’est alors bien, comme annoncé, chez Isidore de Séville, dans ses Etymologiae ou Origines, un recueil à caractère encyclopédique en vingt livres, que se repèrent les premières traces d’une lecture de l’Anonymus et d’une utilisation de son travail. VIII. c. Isidore de Séville Au vingt-sixième chapitre du livre II (De rhetorica et dialectica) de son encyclopédie, Isidore traite, en 15 sections inégales, des « Catégories d’Aristote ». Comme nous l’avons signalé, il y puise un peu à la fois dans les CD et chez Boèce, mais sans suivisme évident la plupart du temps. Nous reproduisons ci-dessous l’intégralité des passages, en faisant figurer pour chaque extrait les correspondances plus ou moins lointaines que nous avons repérées avec la latinisation des CD et celle de Boèce. Certains n’en comportent qu’une, parce que l’autre source, selon nous, ne présente point d’équivalence, d’autres aucune, parce que nous n’en avons trouvé ni dans les CD ni chez Boèce. Enfin, nous avons souligné en caractères gras plusieurs fragments dont la source nous est apparue incontestable, et fait figurer quelques remarques en caractères italiques : – [1] Sequuntur Aristotelis categoriae, quae Latine praedicamenta dicuntur: quibus per varias significationes omnis sermo conclusus est (Isidore). Appellatas vero categorias constat, propterea quod non possint nisi ex subiectis agnosci (CD, § [6]) Aristoteles non de infinitis rerum significationibus tractat, sed decem praedicamenta constituens (Boèce, 160C3-5) Sans pouvoir opter ici pour une dépendance, on notera quand même que celle envers le Paraphraste latin est d’autant plus à écarter que le terme praedicamentum est étranger à son vocabulaire. – [2] Instrumenta categoriarum sunt tria, id est prima aequivoca; secunda univoca; tertia denominativa (Isidore) Aequivoca vel univoca vel denominativa (Boèce, 163C5) On ne conclut pas à une dépendance envers Boèce uniquement par défaut (les CD ni ne reproduisent ni ne citent ce passage) : elle est également constatable par une quasi littéralité. – [2a] Aequivoca sunt, quando multarum rerum nomen unum est, sed non eadem definitio, ut leo. Nam quantum ad nomen pertinet, et verus et pictus et caelestis leo dicitur; quantum ad definitionem pertinet, aliter verus definitur, aliter pictus, aliter caelestis (Isidore)
102
INTRODUCTION
Aequivoca dicuntur quorum solum nomen commune est, secundum nomen vero substantiae ratio diversa (Aristote–Boèce, Minio-Paluello, p. 5, 3-4) – [3] Vnivoca sunt, quando duarum aut plurimarum rerum unum nomen est et definitio, ut vestis (Isidore) Univoca… dicuntur quorum et nomen commune est et secundum nomen eadem substantiae ratio (Aristote–Boèce, p. 5, 9-10) – [3a] Nam et birrus et tunica et nomen vestis possunt accipere et eius definitionem. Ergo hoc univocum in generibus esse intellegitur, quia et nomen et definitionem dat formis suis (Isidore). Species… speciebus univocae sunt, quae uno atque eodem genere continentur, ut homo, equus atque bos ; his commune genus et animal, et communi nomine animalia nominantur. Ergo secundum nomen unum quod illis commune est, animalis, una illius ratio diffinitionis aptabitur (Boèce, 167C9-14) – [4] Denominativa, id est derivativa, dicuntur quaecumque ab aliquo solo differentiae casu secundum nomen habent appellationem, ut a bonitate bonus, et a malitia malus (Isidore) Denominativa… dicuntur quaecumque ab aliquo, solo differentia casu, secundum nomen habent appellationem (Aristote–Boèce, p. 5, 15-16) – [5] Categoriarum autem species decem sunt, id est substantia, quantitas, qualitas, relatio, situs, locus, tempus, habitus, agere et pati (Isidore). Eorum quae secundum nullam complexionem dicuntur singulum aut substantiam significat aut quantitatem aut qualitatem aut ad aliquid aut ubi aut quando aut situm aut habere aut facere aut pati (Aristote–Boèce, p. 6, 27-30) Eorum… quae nulla sui copulatione dicuntur, quodcumque singulare dictum fuerit aut usian significat aut quantitatem aut qualitatem aut ad aliquid aut iacere aut facere aut pati aut ubi aut quando aut habere (CD, § [51]) L’émancipation d’Isidore relativement à ses deux devanciers se manifeste, au moins dans cette énumération, par trois options principales : 1. la latinisation relatio est provisoirement (voir infra [7a]) préférée à la transposition ad-aliquid, 2. le substantif locus est préféré à l’adverbe ubi [voir infra [8]), seul conforme pourtant au choix d’Aristote, et 3. agere, exprimant mieux l’activité, est préféré à facere. – [6] Substantia est, quae proprie et principaliter dicitur, quae neque de subiecto praedicatur, neque in subiecto est, ut aliqui homo vel aliqui equus (Isidore) Est… usia proprie et principaliter dicta quae neque in subiecto est neque de subiecto significatur, ut est hic homo vel hic equus (CD, § [57]) Substantia… est, quae proprie et principaliter et maxime dicitur, quae neque de subjecto praedicatur neque in subjecto est, ut aliqui homo vel aliqui equus (Aristote–Boèce, p. 7, 10-12) Isidore diffère par un seul et même verbe et du Paraphraste latin (praedicatur au lieu de significatur) et de Boèce (praedicatur au lieu de dicitur), mais par le nom substantia il s’écarte du premier, qui a choisi le calque usia, pour se rapprocher du second. Sa dépendance est donc un peu plus importante relativement à Boèce. – [6a] Quantitas est mensura, per quam aliquid vel magnum vel minus ostenditur, ut longus, brevis (Isidore) Quantitatis aliud quidem est continuum, aliud disgregatum… Est autem discreta quantitas ut numerus et oratio, continua vero ut linea, superficies, corpus (Aristote–Boèce, p. 13, 20-21 et 23-24)
INTRODUCTION103
Cum aliquid viderimus id necesse est quantum sit aestimare. Quantum … sit inveniri non potest, nisi fuerit adhibita mensura collectum (CD, § [71]) – [6b] Secundae… substantiae dicuntur, in quibus speciebus illae, quae principaliter substantiae primo dictae sunt, insunt atque clauduntur, ut in homine Cicero (Isidore). Secundae… substantiae dicuntur species, in quibus speciebus illae quae principaliter substantiae dicuntur insunt, hae et harum specierum genera ; ut aliquis homo (Aristote–Boèce, p. 7, 13-15) Secundae dicuntur usiae genus et species, id est animal et homo. Has ergo « secundas substantias » nominari dicit propterea quod illa sit potior quae neque in subiecto est neque de subiecto praedicatur. « Secundae » autem « substantiae » idcirco dictae sunt genus et species quod solae indicent primam (CD, § [58]) La proximité des deux premiers tiers des textes en caractères gras rend superflue toute comparaison avec la version du Paraphraste latin. – [7] Qualitas est, ut qualis sit, orator an rusticus, niger aut candidus (Isidore) Qualitatem… dico secundum quam quales quidam dicimur (Aristote–Boèce, p. 23, 22-23) « Qualitatem » namque dicimus dulcedinem, austeritatem, albedinem, nigredinem; « quale » vero intelligitur quoties album aliquid vel dulce vel austerum vel nigrum dicimus (CD, § [113]) – [7a] Relatio est, quae refertur ad aliquid. Cum enim dicitur filius, demonstratur et pater. Haec relativa simul incipiunt. Namque servus ac dominus uno tempore exordium nominis sumunt, nec aliquando invenitur dominus prior servo, nec servus domino. Alterum enim alteri praeesse non potest (Isidore) « Ad-aliquid »… categoriam vocamus eam quae id quod est dicitur ex altero sine cuius societate esse non possit et cuius vis omnis ex alterius coniunctione descendit […] Cum « dominum » dixeris, necessario existet et servus, cum vero dominum tuleris, nec servus apparet […] Dominus servi dominus et servus domini servus; et rursus, subtracto servo, dominus non est, remoto domino, nec servus apparet (CD, § [95], [98] et [107]) Sive autem relativa dicamus, sive ad aliquid, nihil interest… ut dominus, si desit id ad quod dicitur, id est, servus, non est; dicitur enim ad servum; manifestum ergo est si servus desit, dominum dici non posse, quare dominus ad aliquid dicitur, id est ad servum (Boèce, 217B13-20) – [8] Locus est ubi sit, in foro, in platea. Loci autem motus partes sex habet, dextram et sinistram, ante et retro, sursum atque deorsum. Partes quoque istae sex duo habent [id est, situm et tempus] (Isidore). Ubi et quando videntur locus esse et tempus cum non sint; sed sunt in loco et tempore, ut Romae, in senatu, ante horam tertiam, post mensem Martium. Haec, ut diximus, in loco sunt et in tempore, non locus et tempus (CD, § [145]). Locum… ubi, tempus vero quando, comitatur… Alicubi enim esse dicimus aliquem, ut Socratem, aliquoties autem diffinite, ut in lyceo vel in academia (Boèce, 262D14 et 263A7-9). – [8a] Situm, ut longe et prope (Isidore) – [8b] Tempus, ut: heri, hodie (Isidore)
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INTRODUCTION
Temporum quoque varietas in eo praedicamento, quod est quando, esse manifestum est. Futura enim et praesentia praeteritaque in quando praedicamento veniunt (Boèce, 263A12-15) – [8c] Porro situs a positione dictus, ut quis aut stet, aut sedeat, aut iaceat (Isidore) De iacere dicamus (sive de situ, ut quidam putant) quae categoria in ad aliquid relatis iam videtur esse tractata; siquidem quod iacet positum iacet, positum vero positionis est et positio positi (CD, § [144]) – [9] Habitus ab habendo aliquid dictus, ut habere scientiam in mente, virtutem in corpore, circa corpus vestimentum, et cetera, quae ad habendi modum, designato a doctoribus numero, conprehenditur (Isidore) Non uno modo habere aliquid dicimur; quantum enim tractando colligimus, sub hoc verbo octo sunt quasi quaedam species. Prima est quoties animo habemus aliquid, ut iustitiam, castitatem, iniustitiam vel libidinem. Secunda quoties in corpore habere aliquid dicimur, ut albedinem, nigredinem, varietatem… Quarta cum non in toto corpore sed in parte corporis aliquid habere firmamur, ut in digito anulum, in pede calceos vel cothurnos (CD, § [147]) Habere… est quodam extrinsecus veniens, neque innatum ei a quo habetur, aliud quae est illud ipsum a quo habetur, in se retinere, ut armatum esse vel vestitum esse. Habere enim est vestes atque arma tenere, quae cum eo nata non sunt, neque aliqua cum eo qui habet, communi nostra proprietateque junguntur (Boèce, 264A6-12) – [10] Iam vero agere et pati ab agentis et patientis significatione consistunt. Nam scribo vocis actum habet, quoniam facientis rem indicat. Scribor patientis est, quoniam pati se ostendit (Isidore) – [10a] In his enim novem generibus, quorum exempli gratia quaedam posita sunt, vel in ipso substantiae genere, quod est οὐσία, innumerabilia reperiuntur. Nam et ea quae intellectu capimus, id ad alterutrum horum decem praedicamentorum sermone vulgamus (Isidore) Licet abunde prospexerat [i. e. Aristoteles] dispersa passim genera speciali nota concilians, tamen ingenti quodam et capaci ad infinitum nomine omne quidquid est comprehendens dixit οὐσίαν, extra quam nec inveniri aliquid nec cogitari potest. Haec est una de categoriis decem (CD, § [5]) Cum res infinitae infinitis quoque vocibus significarentur, et (ut dictum est) sub scientia venire non possent, hac definitione, qua decem praedicamentorum divisio facta est, cunctarum rerum et vocum significantium acquirimus disciplinam (Boèce, 161B2-7) – [11] Plena enim sententia de his ita est: « Augustinus, magnus orator, filius illius, stans in templo, hodie, infulatus, disputando fatigatur » (Isidore) – [11a] Vsia autem substantia est, id est proprium, quae ceteris subiacet; reliqua novem accidentia sunt. Substantia autem dicitur ab eo, quod omnis res ad se ipsam subsistit. Corpus enim subsistit, et ideo substantia est (Isidore) Prima [categoria] usia est – scilicet quae novem ceteras sustinet – reliquae vero novem συμβεβηκότα (id est accidentia) sunt (CD, § [51]) Cette fois-ci, l’emploi d’usia par Isidore, qu’il éprouve cependant le besoin de traduire, permet d’identifier sa dépendance, qui, contrairement à [6], privilégie le Paraphraste latin.
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– [12] Illa vero accidentia, quae in subsistente atque subiecto sunt, substantiae non sunt, quia non subsistunt, sed mutantur; sicut color vel forma (Isidore) Et quoniam in permanente usia ea quae accidunt inesse noscuntur, ipsam usiam ὑποκείμενον (id est « subiacens ») et « non in subiecto » appellari voluerunt, illa vero quae accidunt, ἐν ὑποκειμένῳ (id est « in subiacenti ») dixerunt [i. e. eruditi] (CD, § [29]) Individua idcirco primae dicuntur esse substantiae, et quod aliis cunctis subjaceant… Quocirca accidentibus primae substantiae principaliter subduntur, secundae vero secundo loco, et quemadmodum primae substantiae et accidentibus et secundis substantiis subjacent, sic secundae substantiae accidentibus supponuntur (Boèce, 189B-C) – [13] De subiecto autem et in subiecto quasi de ipso et in ipso. Vbi enim dicitur de subiecto, substantia est, quasi dicatur de substantia. Vbi autem dicitur in subiecto, accidentia sunt, id est, quae accidunt in substantia; ut quantitas, qualitas, vel figura. De subiecto igitur genera et species, in subiecto accidentia sunt (Isidore) Est… usia proprie et principaliter dicta quae neque in subiecto est neque de subiecto significatur, ut est hic homo vel hic equus… Secundae dicuntur usiae genus et species, id est animal et homo. Has ergo « secundas substantias » nominari dicit propterea quod illa sit potior quae neque in subiecto est neque de subiecto praedicatur (CD, § [57] et [58]) Quoniam accidens in subjecto est, substantia vero accidens non est, substantia in subjecto non est… Accidens… in subjecto est, particularitas de nullo subjecto praedicatur. […] Omne accidens in subjecto est, et substantia subjectum est […] Sicut primae substantiae subjectae sunt secundis substantiis et accidentibus, ita species subjectae sunt et accidentibus et generibus (Boèce, 171A1214… D5-7 […] 185B6-7… 187C2-4) – [13a] Ex his novem accidentibus tria intra usiam sunt, quantitas [et], qualitas et situs. Haec enim sine usia esse non possunt. Extra usiam vero sunt locus, tempus et habitus; intra et extra usiam sunt relatio, facere et pati (Isidore) Hae sunt categoriae decem, quarum prima usia est – scilicet quae novem caeteras sustinet – reliquae vero novem sunt συμβεβηκότα (id est accidentia sunt). Ex quibus novem sunt alia in ipsa usia, alia extra usian, alia intra et extra. Qualitas, quantitas et iacere in ipsa usia sunt… Alia sunt extra usian, ubi, quando, habere… Alia sunt communia, id est et intra et extra usian: ad-aliquid et facere et pati (CD, § [51], [52], [53], [54]) – [14] Appellatas autem categorias constat, quia non possunt nisi ex subiectis agnosci. Quis enim quid sit homo possit agnoscere, nisi aliquem hominem sibi ponat ante oculos, quasi subiectum homini? (Isidore) Appellatas vero categorias constat, propterea quod non possint nisi ex subiectis agnosci, ὡς κατὰ τινῶν λεχθεῖσαι: quis enim quid sit homo possit agnoscere, nisi aliquem sibi hominem ponat ante oculos quasi subiectum « homini »? (CD, § [6]) C’est le plus long fragment qui atteste de l’influence directe des CD sur Isidore. Minio-Paluello mentionne que chez ce dernier un seul codex porte homini, comme dans les CD, au lieu de nomini. Nous avons cependant estimé qu’il était indiqué de le retenir.
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INTRODUCTION
– [15] Hoc opus Aristotelis intellegendum est, quando, sicut dictum est, quidquid homo loquitur, inter decem ista praedicamenta habentur. Proficiet etiam ad libros intellegendos, qui sive Rhetoribus sive Dialecticis adplicantur (Isidore) Nihil… omisimus in hoc libro quod posset aut delectare iam doctos aut indoctos manifestius erudire (CD, § [176]) Est vero in mente de intentione, utilitate et ordine, tribus quaestionibus disputare, videlicet in alio commentario quem componere proposui de eisdem categoriis ad doctiores (Boèce, 160A6-9)210.
Sans qu’il soit besoin de s’étendre, il est clair que, si la plupart du temps Isidore donne une présentation qui peut apparaître personnelle, les morceaux des sections [2] et [6b] n’en signent pas moins une dépendance envers le Boèce traducteur et glossateur, tandis que la section [11a], développée à la [13a], et le § [51], puis les § [52]-[54] du Paraphraste latin, présentent des éléments communs très significatifs sans être littéraux, et surtout que la section [14] est à l’évidence une citation textuelle de celui-ci (§ [6]). Ce relais passif, qui marque le tout premier jalon manifeste dans l’histoire de la réception des CD, présente toutefois moins d’intérêt pour l’historien des idées au regard des chapitres suivants, qui vont impliquer dans leur grande majorité la dimension doctrinale du traité. Les témoignages textuels font une deuxième fois défaut pour apprécier le poids et l’incidence des CD au cours du gros siècle et demi qui suivra la mort du sévillan, en 636, une carence qui nous oblige à nous reporter à l’orée du IXe siècle. VIII. d. L’ère carolingienne Dans son travail sur l’entourage et la postérité d’Alcuin (From the Circle…), John Marenbon laisse entendre clairement que bon nombre de points d’exégèse abordés par l’Anonymus ne sont pas restés sans écho chez les auteurs carolingiens : Marenbon : « [Les CD] sont les gloses commentées qui ont particulièrement intéressé les penseurs du haut Moyen Âge. Les passages du commentaire qui fournissent d’importantes gloses renferment des discussions sur le rapport entre l’usia et les neuf autres catégories (§ [52]-[54] – nous préciserons ainsi tout du long, ndt), une explication de la distinction aristotélicienne entre δύναμις et 210 Boèce annonce ici son intention de rédiger un second commentaire aux mêmes Catégories, qu’il réserve aux lecteurs avancés, celui-ci étant destiné aux débutants – sur ce second commentaire, voir Hadot (1959).
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ἐνέργεια (§ [102]) et une allusion à la théorie péripatéticienne des vertus comme intermédiaires (§ [160]-[162]). Le passage ajouté par les CD au début de la discussion sur la quantité, concernant la manière selon laquelle un corps géométrique est construit à partir de la longueur, de la largeur et de la hauteur (§ [72][73]), a suscité nombre de réflexions sur la différence entre l’usia et la quantité et a aidé à formuler la théorie alti-médiévale du lieu comme quelque chose d’incorporel. L’extension de la section sur le temps et le lieu (§ [145]-[146])… inaugure un processus qui conduit au traitement développé de Jean Scot sur ces catégories et aux diverses gloses concernant celles-ci, qui apparaissent dans de nombreux manuscrits des IXe et Xe siècles. Les CD ajoutent aussi un passage sur l’orientation ontologique des réflexions d’Aristote et modifient la définition de l’usia »211.
Ce succès s’explique avant tout par la rareté – nous n’y reviendrons pas – d’un fonds dialectique duquel le Boèce logicien, probablement connu mais inaccessible, a disparu à peu près de la fin du sixième siècle, c’est-à-dire après Cassiodore, jusqu’à la toute fin du dixième, c’est-dire avant le Libellus de Gerbert. D’où la nécessité de se rabattre sur le De decem Categoriis, réapparu pour une raison inconnue aux abords de l’an 800, soit au début du renouveau carolingien. VIII. d. 1. Alcuin et Frédégise Le cas d’Alcuin, sommairement abordé en ouverture de notre Introduction, illustre une utilisation compilatoire des CD. Vers 798, l’auteur, au chapitre sur la dialectique de ses Opuscula didascalica, a besoin de citer des textes pour étoffer son propos : montrer combien les dix catégories sont indispensables afin de rendre chaque chose accessible à la raison et aux sens. Il va alors puiser assez abondamment chez l’Anonymus (jusqu’au chapitre XI) ce que celui-ci met à sa disposition dans le but de meubler le dialogue qu’il imagine entre lui-même et Charlemagne. Mais les passages listés par Minio-Paluello (1961, p. 189-192) montrent que l’on n’excède jamais le simple démarquage. On en pourra juger sur cet exemple : Alcuin : Regulariter scire debemus omnia propria nomina communia esse posse et omonyma vocari; ut Cicero non unus sed plures. Sed signis et proprietate quadam discernendi sunt quis sit ille et quis alius et quis tertius Cicero, ut alium crassum dicas, alterum tenuem, vel longus dicatur alius, alter brevis, candido colore quis, alter nigro (De dialectica, I = Minio-Paluello, p. 189, 17-21). CD, § [11] : Regulariter autem accipere debemus omne nomen licet proprium quod possit esse commune cum ceteris « omonymon » vocari; ut Cicero non unus sed plures. Sed si, omisso nomine, signis potius demonstrare velis quis sit Marenbon (1981, p. 20-21) – nous traduisons.
211
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INTRODUCTION
ille Cicero, quis alius, quis tertius; alia de alio signa narranda sunt, ut alium crassum dicas, alium tenuem; vel longus dicatur alius, alter brevis; candido colore quis, alter nigro.
Le libellé, dont on peut douter qu’il faille le mettre à l’actif d’Alcuin, est certes un peu différent, mais le contenu, à peine synthétisé, n’accuse aucun changement et se voit reproduit tel quel. Le reste est à l’avenant212. D’où cette appréciation sans appel de R.B. Page : « le résultat est l’un des plus consistants morceaux de plagiat qui ait jamais été produit »213. Avec Frédégise de Tours († 834), nous changeons de registre. À peine plus tard, en effet, vers 800, on note que dans son Epistola de substantia nihili et tenebrarum la teneur des CD ne va plus être relayée comme un outillage inerte, mais, avec le recul de l’exégète, utilisée comme un ensemble de clés interprétatives. Dans cette perspective, Frédégise va faire fond sur ce que la destination ontologique des catégories (notamment celles de la quantité et du lieu) et leur dimension matérielle mises en avant par le Paraphraste latin peuvent apporter au traitement d’une problématique théologique, celle afférente à la démonstration de l’existence du néant et des ténèbres214. On appréciera sur pièce : Frédégise : I, 2 La question est de ce genre : « est-ce que “rien” est quelque chose ou non ? (nihilne aliquid sit an non?) » 3 Si quelqu’un répond : « Il me semble que “rien” est » (videtur mihi nihil esse), la négation même de ce qu’il conçoit (ipsa eius quam putat negatio)215, l’oblige à reconnaître que « rien » est quelque chose au moment où il dit : « Il me semble que “rien” est ». 4 Cela est tel que s’il disait : « Il me semble que “rien” est une certaine chose ». 5 Que s’il semble être quelque chose, il ne peut sembler qu’il ne soit pas en quelque manière, et donc il reste qu’il semble être quelque chose. 6 Si, en revanche, on répond ainsi : « Il me semble que “rien” est et non quelque chose » (videtur mihi nihil nec aliquid esse), il faut s’opposer à cette réponse, d’abord au nom de la raison, pour autant que le permette (patitur) la raison humaine, ensuite en vertu de l’autorité – non pas d’une autorité quelconque, mais seulement de l’autorité divine, qui est la seule autorité, et la seule qui offre une certitude inébranlable. 7 Faisons donc appel à la raison. 8 Ainsi, tout nom défini signifie quelque chose, comme « homme », « pierre », « bois », car lorsqu’on dit ces noms, nous intelligeons en même temps les choses qu’ils signifient. 9 Certainement, le nom d’« homme » désigne, en dehors de toute différence établie216, l’universalité des hommes, et « pierre » et « bois » incluent semblablement leur généralité. 10 Par conséquent, si « rien » n’est ni plus ni moins qu’un nom, Cf. Dales (2013, p. 57-58). Page (1909, p. 87). 214 Sur Frédégise et les CD, voir Haverkamp (2006, p. 76-79). 215 C’est-à-dire : « Il me semble que “rien” n’est pas », ou : « Il ne me semble pas que “rien” est ». 216 Nous lisons positam au lieu du positum de l’éditeur. 212 213
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comme l’affirment les grammairiens, c’est un nom défini. 11 Or tout nom défini signifie quelque chose. 12 Au vrai, il est impossible que quelque chose de défini ne soit pas lui-même quelque chose, et il est impossible que quelque chose de défini ne soit pas ; donc il est impossible que « rien », qui est défini, ne soit pas quelque chose, et pour cela on peut croire qu’il est (esse probabile est). 13 Pareillement, « rien » est un son proféré (vox) signifiant. 14 Or toute signification se réfère à ce qu’elle signifie. 15 Cela prouve aussi que « rien » ne peut pas ne pas être quelque chose. 16 Pareillement, voici un autre argument : toute signification est signification de ce qui est. 17 Or « rien » signifie quelque chose. 18 Par conséquent, « rien » est la signification de ce qui est, c’est-à-dire d’une chose existante. 19 Et puisque pour démontrer que « rien » n’est pas seulement quelque chose, mais est aussi une grande chose, nous avons mis à contribution la raison en usant de peu d’arguments, alors que l’on pourrait produire d’innombrables exemples de cette sorte, il nous plaît de recourir à l’autorité divine, qui est le rempart et le fondement très solide de la raison. 20 Assurément, l’Église universelle, enseignée par une inspiration divine, issue du côté du Christ et nourrie de l’aliment de sa chair très sacrée et de la coupe de son précieux sang, instruite dès le berceau même des mystères des choses cachées, confesse soutenir d’une foi inébranlable que la puissance divine a fait de rien la terre, l’eau, l’air et le feu, ainsi que la lumière et les anges, et aussi l’âme de l’homme. 21 Il faut par conséquent hisser la pénétration de l’esprit jusqu’à l’autorité d’un si haut sommet, qui ne peut être contrecarrée par aucune raison, réfutée par aucun argument, attaquée par aucun pouvoir. 22 Elle proclame, en effet, que les premières et les principales parmi les créatures ont été établies à partir de rien. 23 Par conséquent, « rien » est quelque chose de grand et de remarquable, et on ne peut évaluer combien est grand ce dont sont issues des choses si grandes et si remarquables217. 217 « 2. Quaestio autem huiusmodi est Nihilne aliquid sit an non? 3. Si quis respondet Videtur mihi nihil esse ipsa eius quam putat negatio conpellit eum fateri aliquid esse nihil dum dicit. Videtur mihi nihil esse. 4. Quod tale est quasi dicat Videtur mihi nihil quiddam esse. 5. Quod si aliquid esse uidetur ut non sit quodam modo uideri non potest quocirca relinquitur ut aliquid esse uideatur. 6. Si uero huiusmodi fiat responsio Videtur mihi nihil nec aliquid esse huic responsioni obuiandum est primum ratione in quantum hominis ratio patitur deinde auctoritate non qualibet sed diuina dumtaxat quae sola auctoritas est solaque inmobilem obtinet firmitatem. 7. Agamus itaque ratione. 8. Omne itaque nomen finitimi aliquid significat ut homo lapis lignum haec enim ut dicta fuerint simul res quas significant intellegimus. 9. Quippe hominis nomen praeter differentiam aliquam positam uniuersalitatem hominum designat lapis et lignum suam similiter generalitatem conplectuntur. 10. Igitur nihil si modo nomen est ut grammatici asserunt finitum nomen est. 11. Omne autem nomen finitum aliquid significat. 12. Ipsum uero aliquid finitum ut non sit aliquid inpossibile est, ut finitum aliquid non sit inpossibile est ; ut nihil quod finitum est non sit aliquid ac per hoc esse probabile est. 13. Item nihil uox significativa est. 14. Omnis autem significatio ad id quod significat refertur. 15. Ex hoc etiam probatur non posse aliquid non esse. 16. Item aliud. Omnis significatio eius significatio est quod est. 17. Nihil autem aliquid significat. 18. Igitur nihil eius significatio est quod est id est rei existentis 19. Quoniam uero ad demonstrandum quod non solum aliquid sit nihil sed etiam magnum quiddam paucis actum est ratione cum tamen possint huiusmodi exempla innumera proferri in medium ad diuinam auctoritatem recurrere libet quae est rationis munimen et stabile fìrmamentum. 20. Siquidem uniuersa ecclesia diuinitus erudita quae ex Xristi latere orta sacratissimae carnis eius pabulo pretiosique sanguinis poculo educata
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INTRODUCTION
Nous sommes loin de l’espèce de paraphrase de la paraphrase pratiquée par un Alcuin juxtaposant, dans un but pédagogique affiché, des sections presque entières des CD. Frédégise incorpore dans sa propre réflexion, non pas des fragments textuels importés directement de l’Anonymus qu’il ne cite à aucun moment, mais des axes thématiques assez caractéristiques autour desquels il articule son analyse. Ainsi en va-t-il du principe selon lequel, tout mot renvoyant à une chose, la signification est nécessairement signification d’un étant : CD : Aristote revient ensuite aux choses qui sont signifiées, en vue de montrer de combien de manières celles qui sont ont coutume d’être signifiées… « Homme » est signifié assurément d’un sujet, à savoir de tel homme (« homme » ne pourrait… être dit s’il n’y avait pas quelqu’un de qui on le dise) (§ [31])… Il est nécessaire qu’« homme » soit signifié de tel « homme » sujet (§ [39]). Frédégise : Tout nom fini signifie quelque chose, comme « homme », « pierre », « bois », car lorsque nous disons ces noms, nous intelligeons en même temps les choses qu’ils signifient (8)… Toute signification se réfère à ce qu’elle signifie (14)… Toute signification est signification de ce qui est (16).
Ces appréciations permettent de disposer d’un indice supplémentaire pour confirmer que Frédégise suit les CD et seulement elles dans le fait qu’à ses yeux la signification a toujours une portée existentielle, Frédégise: « Rien » est la signification de ce qui est, c’est-à-dire d’une chose existante (res existens) (18),
déduction qui consonne avec ce que déclare le Paraphraste latin : CD, § [21] : Il est clair que quelque chose ne peut être dit à moins qu’il n’ait été perçu, et que quelque chose ne peut être perçu à moins que ne soit une chose (res) dont l’image a été saisie dans une représentation.
Mais on sait que selon Aristote la signification est dépourvue d’une telle référence. Les Catégories l’expriment presque en leur début : Aristote, 2a5-6 : Parmi les choses qui se disent sans aucune combinaison, aucune n’est vraie ni fausse,
ab ipsis cunabilis secretorum mysteriis instituta inconcussa fide tenere confitetur diuinam potentiam operatam esse ex nihilo terram aquam aera et ignem lucem quoque et angelos atque animam hominis. 21. Erigenda est igitur ad tanti culminis auctoritatem mentis acies quae nulla ratione cassari nullis argumentis refelli nullis potest uiribus ìnpugnari. 22. Haec enim est quae praedicat ea quae inter creaturas prima ac praecipua sunt ex nihilo condita. 23. Igitur nihil magnum quiddam ac praeclarum est; quantumque sit unde tanta et tam praeclara sunt aestimandum non est » (= Haverkamp, p. 12-13).
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et le Peri hermeneias y revient plus longuement, en précisant qu’un nom signifiant peut renvoyer à quelque chose de fictif : Aristote, 16a16a13-17: En eux-mêmes, « noms » et « verbes » ressemblent à une pensée indépendante de toute composition ou séparation… De fait, ce n’est encore ni vrai ni faux… « ßouc-cerf » signifie quelque chose mais ce n’est encore ni vrai ni faux.
Les CD font l’impasse sur ce volet de la réflexion aristotélicienne, ce qui se ressent chez Frédégise. Une signification vide, autrement dit sans référent chosifié paraît avoir été inconcevable pour l’Anonyme, qui réaffirme tout du long de son traité (voir § [13], [20], [27], [29], etc.) que l’acte signifiant s’exerce immanquablement sur une res. Touchant maintenant la « quantité », elle intervient chez le Paraphraste latin comme une catégorie dont la propriété est précisément d’être fondée dans un sujet concret, lequel est appelé quantum (« quantifié »), évalué au moyen de la mesure et assimilé à un corps : CD, § [71]-[72] : Le premier [des accidents] est le quantifié (quantum), et non sans raison, car, lorsque nous voyons quelque chose, il est nécessaire que le quantifié soit évalué. Or le quantifié ne peut être identifié sans qu’il soit délimité au moyen de la mesure (mensura) … En outre, si la hauteur aussi est associée à la mesure, toutes ces données forment un corps.
Or Frédégise ne paraît pas avoir hésité à adopter cette assimilation, lorsqu’il stipule : Frédégise, (II, 53) : Neminem dubitare credo quin quantitas corporibus adtributa sit quae cuncta per quantitatem distribuuntur et quantitas quidem secundum accidens est corporibus = Personne ne doutera, je crois, que la quantité est attribuée aux corps, lesquels sont tous distribués par la quantité, et que la quantité est assurément dans les corps selon l’accident.
Enfin, lorsqu’il rappelle que : « accidentia… aut in subiecto sunt aut de subiecto praedicantur = les accidents sont soit dans un sujet, soit prédiqués d’un sujet » (Ibid.), l’emploi du verbe praedicare, auquel Boèce, dans la quasi-totalité des évocations de cette propriété, préfère celui de dicere, atteste, à notre sentiment, d’une incidence des CD. D’autres mises en parallèle, que nous ne donnerons pas ici, permettraient d’accentuer ce qui sépare le quasi décalque illustratif pratiqué par Alcuin de l’exploitation des contenus opérée par Frédégise. Contrairement à ce qu’avance Édouard Jeauneau218, selon lequel les développements que Raban Maur (c. 780-856) consacre à la vertu comme 218 Voir Édouard Jeauneau, « Pour le dossier d’Israël Scot », dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, p. 7-72 – ici 54.
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INTRODUCTION
juste milieu et aux quatre vertus cardinales dans son Tractatus de anima (VI-X), « semblent dériver » du contenu du § [160] (et non pas [18]) de la Paraphrase thémistienne, nous n’y avons rien trouvé de tel, ni le substantif medium ni l’adjectif medius ne figurant en ces textes (PL, CX, col. 1115B-1119A). Dans le courant du même siècle – où le De nuptiis de Martianus Capella, qui laisse à penser, on l’a vu, que ce dernier y dispose de sa propre version des Catégories, eut aussi son importance –, une attitude un peu différente relativement à l’usage des CD va émerger, associant instrumentalisation et herméneutique. VIII. d. 2. Jean Scot Érigène et Heiric d’Auxerre Marenbon a lui-même approfondi, dans son article de 1980, la lecture et l’utilisation des CD qui ont été faites par Jean Scot Érigène (c. 807c. 877), pour l’essentiel dans le livre I de son Periphyseon, puis par Heiric d’Auxerre (835-c. 887), notamment quant à la question des universaux, en montrant comment le traité anonyme a aidé le premier à formuler son réalisme et le second, quoique très influencé par celui-ci, son nominalisme. La nature de cette incidence des CD sur Jean Scot a suscité cependant une controverse. En s’écartant de Marenbon, qui aboutit au constat selon lequel, confronté à l’analyse éminemment philosophique des CD sur l’ousia, l’Érigène, bien trop obnubilé par le traité, a négligé d’autres sources contradictoires, P.E. Hochschild s’est appliqué à montrer comment l’auteur du Periphyseon exploite les CD en élargissant les différentes notions d’ousia qu’elles contiennent et en les intégrant à un cadre métaphysique plus large, de sorte que la compréhension érigénienne de l’ousia s’y développe à partir d’une réflexion légitime sur le contenu philosophique de l’exposé du Paraphraste latin. Sans qu’il faille minimiser, à la différence de ce que suggère Marenbon, le rôle d’influences plus importantes sur la pensée d’Érigène, les CD peuvent être considérés comme la source principale permettant d’expliquer sa conception de l’ousia dans toute sa richesse épistémologique et potentiellement théologique219. Ne menant pas présentement une étude sur Jean Scot, qui s’intéresse davantage aux questions de théologie qu’aux questions de logique, nous 219 Voir Hochschild, 2007, p. 213. Voir aussi D. Moran, The Philosophy of John Scottus Eriugena, Cambridge et al., 1989, p. 133, n. 22 : Marenbon ignore l’influence de la signification platonicienne de la dialectique sur l’Érigène.
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n’aborderons point en détail la manière dont il exploite les CD, laquelle a déjà bénéficié de nombreuses publications220. Le développement de ses principaux thèmes de pensée – « application des catégories aux réalités divines, possibilité d’un discours sur le transcendant, rôle de la négativité et statut des entités négatives, théorie de la substance, existences des entités universelles, statut du monde créé, structure et division du réel, conception de l’âme et de l’homme »221 –, l’a effectivement conduit à puiser avec plus ou moins d’ampleur dans ce que lui offrait l’Anonymus. Un exemple devrait suffire à notre survol. La nature divine, selon Jean Scot, étant constitutivement au-delà de tout discours humain, les catégories aristotéliciennes, telles que « substance », « quantité » et « qualité », sont impropres et inadéquates, sauf à exprimer cet outrepassement. Dieu, précise-t-il alors en son Periphyseon ou De divisione naturae (860-866), est ainsi entre autres « plus-qu’ousie » (plus quam οὐσία), « plus-que-quantité » et « plus-que-qualité » : Jean Scot : Il n’est pas ousie (οὐσία), parce qu’il est plus-qu’ousie (plus est quam οὐσία) ; et cependant il est dit « ousie », parce qu’il est créateur de toutes les ousies (οὐσιῶν) (c’est-à-dire des essences). Il n’est pas quantité, parce qu’il est plus-que-quantité […] Pourtant, ce n’est pas incongrument qu’il est dénommé « quantité » de deux manières : soit parce que la quantité est souvent employée pour exprimer l’intensité de la vertu (saepe pro magnitudine virtutis ponitur), soit parce qu’il est principe et cause de toute quantité. Il ne doit pas être intelligé autrement au sujet de la qualité […] Semblablement, il n’est ni genre, ni forme, ni espèce, ni individu, ni ousie, qu’elle subsiste (subsistere) soit généralissime, soit spécialissime ; et cependant, tout cela en est prédiqué, puique c’est d’elle qu’ils tirent la faculté de subsister (subsistere)222.
Au premier abord rien, dans l’idée rectrice, qui provienne vraiment des CD. C’est plutôt le Pseudo-Denys, dont l’Érigène fut le traducteur, ou Boèce, son possible contemporain, qui seraient à évoquer, la plus quam 220 Voir, entre autres, Courtine (2003), Marenbon (1980 et 2005), Hochschild (2007) et Erismann (2002, 2006, et 2011, chap. IV). 221 Erismann (2011, p. 194). 222 « Non est… οὐσία, quia plus est quam οὐσία ; et tamen dicitur οὐσία, quia omnium οὐσιῶν, id est essentiarum, creatrix est. Non est quantitas, qui plus quam quantitas est […] Quantitas tamen non incongrue denominatur duobus modis, aut quia quantitas saepe pro magnitudine virtutis ponitur, aut quia totius quantitatis principium est et causa. De qualitate quoque non aliter intelligendum […] Similiter neque genus est, neque forma, neque species, neque numerus, neque οὐσία, sive generalissima, sive specialissima subsistit; et tamen haec omnia de ea praedicantur, quoniam ab ea subsistendi facultatem accipiunt », Periphyseon, I, 15 = Jeauneau, p. 34, 937-952 et II, 28 = Id., p. 87, 2054-2057.
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οὐσία rappelant, selon nous, l’« outre-substance » (ultra substantiam) du De sancta trinitate223 de ce dernier, dans un chapitre déjà mentionné, où est soulignée l’inadaptation des catégories aristotéliciennes pour signifier Dieu, qui nécessiteraient à cet effet dépassement et conversion. Mais c’est oublier deux données. D’une part, l’emploi du terme ousia – s’il est ici non-translittéré, il figure souvent normalisé en ousia224 –, notion pourtant distinguée, dans un traité antérieur, les Notations sur Martianus (Capella) précisément, de substantia, essentia et hypostasis, tous trois équivalents l’un à l’autre, par Scot lui-même : Jean Scot : Il [sc. Martianus] dit « substance » « essence », c’est-à-dire « hypostase », non pas « ousie », parce que l’« ousie » est au delà de toutes les catégories et ne reçoit aucun accident225,
un emploi qui, nous le savons, quand ousia désigne la première des catégories, comme c’est visiblement le cas ici, fait immédiatement du latinophone qui s’y soumet un lecteur des CD. D’autre part, l’insistance sur l’action « sous-jacente », comme le souligne l’Anonyme (subiacere – § [29] et [31]), de la substance (voir les deux occurrences de subsistere – équivalent de substare – dans le premier des deux textes rapportés), capacité sous-jacente dont elle use elle-même ou qu’elle communique aux prédicables. Nous nous limiterons d’autant mieux à cette brève exemplification que le véritable exégète de la paraphrase thémistienne, qui instrumentalise moins ses contenus, en les prenant davantage comme matière à part entière de son projet d’exégèse, reste, à ce que l’on sait, Heiric d’Auxerre226, puisque ce disciple de l’Érigène composa, d’après Barthélemy Hauréau227, des Gloses sur les CD, dont ce dernier a transcrit quelques extraits à partir d’un seul manuscrit (Saint-Germain, lat. Voir Boèce, De sancta trinitate, IV. Voir Hochschild (2007). 225 Iohannis Scotti Annotationes in Marcianum, éd. C.E. Lutz, Cambridge (MA), 1939, p. 95 : « Substantiam essentiam, hoc est ypostasis, non ousian dicit, quia ousia ultra omnes cathegorias est et nullum accidens recipit » – voir aussi Trego (2008). 226 Sur Heiric, voir Franck Cinato, « À propos de deux livres d’Heiric d’Auxerre : l’Ars Prisciani et le Liber glossarum », dans Histoire Épistémologie Langage, 36, 2014, p. 121-177. 227 Histoire, I, p. 188-195. Barach (1878, « Zur Geschichte des Nominalismus vor Roscellin », p. 5-22) rapporte avoir trouvé, dans le codex 843 (s. X) du fonds des mss latins de la bibliothèque impériale de Vienne, le texte des CD comportant en marge un commentaire (appelé parfois « Anonyme de Barach »), qu’il décrit et édite (p. 7-22). Ces gloses reproduisent certains passages de celles attribuées à Heiric, mais en diffèrent par ailleurs, notamment en raison d’« un nominalisme plus accentué ». L’auteur aurait donc vraisemblablement appartenu à l’école d’Heiric. 223 224
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1108)228. Bien ultérieurement, Marenbon élargira cet éventail codicologique et éditera, sur la base de 16 manuscrits, une suite plus étendue de fragments229, en préférant les dire rédigés « sous la direction d’Heiric ». Il s’agit d’un ensemble assez hétéroclite de 31 chapitres de longueur très inégale, qui diffusent plus ou moins directement, pour 7 d’entre eux, des éclaircissements sur certains paragraphes des CD dans un ordre respectant presque celui suivi par l’Anonymus, dont on sait qu’il ne s’aligne pas toujours sur la succession voulue par Aristote. Nous donnons ici les correspondances complémentaires repérées par Marenbon : VII = § [72] XII = § [18] XIX = § [48] XXVI = § [57] XXVIII = § [102] XXXI = § [146] et [71]-[78]. Parmi les sources auxquelles semble s’être abreuvé Heiric, qui n’en cite toutefois aucune, pour son exégèse, on trouve, outre le Nouveau Testament et Jean Scot (Periphyseon), Augustin (De civitate dei), Martianus Capella (De nuptiis), Boèce (De arithmetica et De sancta trinitate), Alcuin (Didascalica) et Frédégise de Tours (De substantia nihili et tenebrarum). Les quatre échantillons suivants, que nous tirons de ceux édités par Hauréau et repris, pour les trois derniers, par Marenbon230, donneront un aperçu des différentes façons dont Heiric a utilisé les CD : Heiric : Sciendum… quia propria nomina primum sunt innumerabilia, ad quae cognoscenda intellectus nullus seu memoria sufficit: haec ergo omnis coartata species comprehendit et facit primum gradum, qui latissimus est, scilicet hominem, equum, leonem, et species hujusmodi omnes continet. Sed quia haec rursus erant innumerabilia et incomprehensibilia (quis enim potest omnes species animalis cognoscere?), alter factus est gradus angustior, jamque constat in 228 Pour l’attribution à Heiric, voir la mention de Victor Cousin (Ouvrages inédits d’Abélard, Paris, 1836, p. 621) – qui dit avoir lu, en haut du f. 24r° du ms. n° 1108 : « Henricus (sic), magister Remigii, fecit has glosas = Heiric, maître de Rémi, a élaboré ces gloses ». Rappelons qu’Heiric eut pour élève Rémi d’Auxerre (c. 841- c. 905). D’après Hauréau (Histoire, I, p. 185-186) cette attribution concernerait en réalité toutes les gloses rassemblées dans le codex. 229 Marenbon (1981, p. 176-206). 230 Dans les deuxième, troisième et quartrième fragments, nous utiliserons les abréviations suivantes: H. = Hauréau et M. = Marenbon.
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genere, quod est animal, surculus et lapis. Iterum etiam haec genera, in unum coacta nomen, tertium fecerunt gradum arctissimum jam et angustissimum, utpote qui uno nomine solummodo constat, quod est usia (Hauréau, f. 24v) = Il faut d’abord savoir que parce que les noms propres sont innombrables, aucun intellect ni aucune mémoire ne suffit pour les connaître : donc cette espèce subsumante les comprend tous et en constitue un premier degré, qui est extrêmement étendu, à savoir qu’il contient « homme », « cheval », « lion » et toutes les espèces de ce type. Mais parce que ces espèces sont à leur tour innombrables et insaisissables (qui, en effet, peut connaître toutes les espèces d’animal ?), alors un degré plus restreint a été constitué, et il consiste dans le genre, qui est « animal », « rameau » et « pierre ». En outre, ces genres, réunis sous un seul nom, ont également constitué un troisième degré plus restreint encore et plus étroit, en tant qu’il consiste uniquement d’un seul nom, qui est « ousie ». CD, § [3] : De là, d’après son enseignement, nous devons envisager au moyen de quelle réduction progressive le langage, subsumé (coartata) par degrés, englobe toutes les choses qui sont saisies à l’aide d’un seul vocable. Car, quoique la désignation des choses mortelles soit diverse et innombrable, et que la diversité si étendue des noms ne puisse être embrassée, pourtant, lorsque tu dis d’un seul vocable « homme », tu les connais tous ; semblablement des autres choses : « tel cheval », ou Ξανθὸς [« Xanthe »], ou Αἴθων [« Éthon »] ou Δῖος [« Divin »]231, ou « tel ou tel » ; et bien que la compréhension de ces noms soit également infinie, cependant lorsque quelqu’un dira « cheval » il les montrera tous. Et si – ce qui se produit couramment –, quelqu’un impose des noms à des lions ou à des bœufs, la connaissance de chacun est étendue sans limite et la pénétration de l’esprit affaiblie232 ; mais lorsque tu dis « lion » ou « taureau », tous, en quelque endroit qu’ils soient, tombent sous ce seul nom de « nature ». § [4] Mais en réalité, la capacité du langage, qu’en raison de sa fécondité à produire des genres infinis il [sc. Aristote] a réuni en des vocables indépendants, paraîtrait insuffisante si, une fois subsumés sous une même unité, il ne les englobait sous une désignation unique ; et pour cette raison, il a dit « animal » à la fois l’« homme », la « bête sauvage » et le « cheval », en donnant aux uns et aux autres le nom qui les renferme tous. Et il n’a pas moins désigné brièvement, en partant d’une description extrêmement étendue, les choses qui sont dépourvues d’âme ; car, quoiqu’il existât un arbre soit à noix, soit à châtaignes, soit à glands, soit à pommes, et d’autres innombrables genres de végétaux, les appelant « à rameaux superflus », il les a tous rassemblés sous un vocable unique et commun. Semblablement, il a appelé synthétiquement « gemmes » diverses pierres de parure. § [5] En dernier lieu, bien qu’il ait suffisamment poussé son analyse en regroupant les genres partout dispersés et connus par ce qui leur est spécifique, pourtant, par un nom sans mesure et extensible à l’infini, en comprenant 231 Il s’agit des noms des quatre chevaux du char d’Hector dans l’Iliade (VIII, 185) d’Homère. 232 Indéfinissable, l’individu n’est point objet de science pour Aristote (voir par exemple Métaphysique, 1039b28-1040a7), et notre Introduction.
INTRODUCTION117
absolument tout ce qui est, il a dit οὐσία [« ousie »] ce en dehors de quoi rien ne peut être ni découvert ni pensé. C’est l’une des dix catégories.
Nous ne sommes ici qu’en présence d’une paraphrase synthétisée, pratiquée sur trois paragraphes des CD touchant la fonction subsumante du discours, qui n’introduit aucune nouveauté ni nuance, suivisme repérable notamment dans le vocabulaire (coartatus, surculus, lapis, leo…). Le deuxième exemple est très différent du précédent et plus surprenant. Il porte sur le constat de la fin du § [39] des CD : CD, § [39] : Quaecumque… praedicari de animali possunt, eadem et de homine et de Cicerone praedicantur = Toutes les choses qui peuvent être prédiquées d’« animal » sont les mêmes qui sont prédiquées à la fois d’« homme » et de « Cicéron ».
Pour défendre cette position, Heiric, se comportant à son tour en véritable glossateur, introduit un artifice rhétorique, à savoir un contradicteur fictif, comme le fit, en plus du « filius », l’Anonymus aux § [35] et [36] avec les « ergoteurs », et ce pour endosser la négation de l’affirmation du § [39], qui ne fait que reformuler le jugement de Catégories 1b10-13. Heiric le cite en adoptant cette reformulation : toutes les choses qui peuvent être prédiquées d’« animal » sont les mêmes qui sont prédiquées de l’« homme universel » et de l’« homme individuel », qui va être niée : Heiric : Posset aliquis dicere non esse hoc verum, nam de animali praedicatur genus, est enim animal genus, non autem praedicatur genus de homine; neque enim homo genus (est M.), sed species: ac per hoc, inquit, non possunt praedicari de homine quaecumque praedicantur de animali = Quelqu’un pourrait dire que cela n’est pas vrai, car le genre est prédiqué d’« animal » – « animal », en effet, est un genre –, mais le genre n’est pas prédiqué d’« homme » ; et en effet, « homme » n’est pas un genre mais une espèce : et pour cela, dira-t-il, tout ce qui peut être prédiqué d’« animal » ne peut pas être prédiqué d’« homme » (Hauréau, f. 27r).
L’Anonymus, après avoir commencé à donner sa justification du jugement en question (les mêmes choses qui sont dites d’« animal » sont nécessairement dites aussi d’« homme » et de « tel homme ») au § [39], va la poursuivre aux § [40] et [41] à partir d’un seul et même principe – les choses que l’on trouve dans un sujet sont celles qui en sont prédiquées –, et ce à l’aide de trois énoncés : 1. les choses que l’on trouve dans un sujet se retrouvent dans celles qui sont signifiées de ce sujet (§ [39]), 2. les choses que l’on trouve dans ce qui est signifié d’un sujet doivent nécessairement se trouver aussi dans ce qui est sujet (§ [40]), 3. tout ce qui sera dit des choses qui sont signifiées d’un sujet sera prédiqué de même aussi de celles que nous disons « sujets » (§ [41]).
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De son côté, Heiric, pour contrer son négateur imaginaire, livre sa propre argumentation, qu’il distribue à son tour en trois moments : Heiric : Sed huic occurrimus, dicentes genus non praedicari (de animali M.) secundum rem (id est substantiam – om. Marenbon), sed designativum nomen esse animalis (animale H.), quo designatur animal de pluribus (M. – generibus H.) specie differentibus, dici. Nam(que – om. M.) neque rationem animalis (animale H.) potest habere genus, cum dicitur animal est substantia animata et sensibilis. Similiter nec species dicitur de homine secundum id quod significat sed iuxta illud quod de numero differentibus praedicatur (Hauréau, f. 27r / Marenbon, VIc, p. 190) = Mais nous nous opposerions à lui en disant que a. le genre n’est pas prédiqué d’« animal » selon la chose (c’est-à-dire la substance), mais qu’il est le nom désignatif d’« animal », celui par lequel est désigné l’animal qui est dit selon l’espèce en fonction de plusieurs différences. Car b. le genre ne peut pas posséder la définition d’« animal », quand on dit qu’« animal » est une « substance animée et sensible ». Et semblablement, c. l’espèce n’est pas dite d’« homme » selon ce qui signifie, mais d’après ce qui est prédiqué de plusieurs en fonction des différences.
En d’autres termes, a. le genre n’est pas la substance d’« animal » mais sa désignation, b. le genre d’« animal » n’est pas : « substance animée et sensible », mais il est seulement dit tel, c. « homme » n’est pas l’« espèce » d’« animal » selon ce que signifie « homme », mais selon ce que l’on prédique de lui individuellement. Une confrontation point par point permet le constat suivant : Heiric, pour valider, rappelons-le, le principe posé par le Paraphraste latin – tout ce qui peut être prédiqué d’« animal » peut être prédiqué d’« homme » (c’est-à-dire de l’homme universel) et de « tel homme » (c’est-à-dire de l’homme singulier ou individuel) –, se focalise plutôt sur le nom, à la différence du Paraphraste latin, qui, lui, se montre plutôt sensible à la chose. Selon Heiric, en effet, la pensée de l’homme ne peut trouver son expression dans le langage qu’à la condition que ce dictus ne désigne pas directement la chose, et ne se rapporte à elle que dans un rapport « désignatif » et de prédication. D’après lui, développe-t-il, la chose et la pensée ressortissent l’une et l’autre du domaine de la nature, tandis que le « dit » relève d’une convention humaine. Ainsi, le genre, qui fait partie des universaux, est le résultat d’une opération de la pensée, celle qui consiste à regrouper des sousespèces selon leurs ressemblances quant à la substance. Pour l’Anonyme, à présent, il s’agit de moduler l’énonciation d’une sorte d’axiome cardinal sous-tendant toute son argumentation, lequel revient à poser que c’est dans l’universel que s’origine l’être de l’individu – tout ce qui est signifié d’un sujet doit nécessairement se trouver aussi dans ce qu’est ce sujet
INTRODUCTION119
(§ [40]) –, si bien que la réalité de « tel homme » est conditionnée par l’espèce « homme », cause et principe des réalités qui sont subordonnées à l’individu, espèce qui tient elle-même sa couverture prédicative du genre « animal ». La conceptualisation du genre se fera ensuite en remontant ce chaînage : de même qu’« animal » ne peut être compris qu’à partir du sujet « homme universel », de même « homme universel » ne peut être objet d’appréhension qu’en étant discerné à partir du sujet « tel homme » (§ [41]). Le décalage entre chacun des deux plans conceptuels où se placent l’Anonyme d’une part et Heiric de l’autre, ne semble pas avoir gêné le second, qui entend bien ainsi avoir démontré la pertinence du principe rappelé par le premier. Entre ces deux illustrations, une troisième se fait jour, qui, à l’inverse de la première, s’apparente à ce que nous avons caractérisé tout à l’heure comme correspondant à une glose périphrastique. Sur la très brève expression qui ouvre la dernière partie du § [29] : CD, [§ 29] : « Et quoniam in permanente usia… = Et puisque dans l’ousie permanente… »,
le moine d’Auxerre procède à ce développement : Heiric : In permanente usia, id est quae permanet dum mutantur ejus accidentia. Sed melius permanentem usiam illam debemus accipere (M. – attendere H.) quae simpliciter ab esse vero, id est Deo, venit. Illud enim esse quod ita ab esse, id est Deo, venit, sine corruptione durat et est semper. Quicquid enim essentialiter simplex creatum est perpetuo simpliciter perseverat, atque immutabiliter (M. – immutabile H.) secundum sui essentiam manet, ut est animal, vel elementa simplicia: illud vero quod ex quatuor elementis est compactum perit et mutatur, nec permanet. Ergo permanentem usian ad illud esse retulit quod simplex creatum est et non ex partibus, atque (M. – et H.) ideo simpliciter manet. Unde corpora licet (M. – corporaliter H.) resolvuntur quae ex quatuor elementis constant; ipsa tamen elementa, quia simplex esse habent, nullo modo resolvuntur, sed ad τὸ πᾶν, id est ad omne, revertuntur; terra scilicet (M. – videlicet H.) ad terram, (vel Hauréau) ignis ad ignem, et cetera (Hauréau, f. 26v / Marenbon, IIIa, p. 187) = Dans l’ousie permanente, c’est-à-dire : qui permane pendant que ses accidents changent. Mais nous devons mieux entendre cette ousie permanente, qui vient de l’être vrai, c’est-à-dire de Dieu. En effet, cet être qui vient ainsi de l’Être, c’est-à-dire de Dieu, subsiste sans corruption et est toujours. Tout ce qui, effectivement, est créé comme essentiellement simple, persévère simplement sans discontinuer, et demeure immuablement selon son essence, comme l’est l’animal ou des éléments simples. Mais ce qui est composé des quatre éléments périt et se transforme, et ne permane pas. Donc, retourne à cet être, qui a été créé simple et non par parties, l’ousie permanente, et en cela elle demeure simplement. D’où, bien que les corps soient décomposés, eux qui se constituent à partir des quatre éléments, pourtant les éléments eux-mêmes, parce qu’ils
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p ossèdent l’être simple, ne sont dissous en aucune façon, mais sont renvoyés au τὸ πᾶν, c’est-à-dire : au « Tout », à savoir la terre à la terre, le feu au feu et ainsi de suite ».
Le procédé exégétique adopté en l’occurrence est classique : il s’agit de décontextualiser une expression propre à un domaine de pensée (la dialectique) pour amorcer et développer une réflexion qui relève d’un tout autre domaine (le métaphysico-théologique). L’ousie permanente introduit ainsi à Dieu et permet de préciser la nature de ce dernier à travers la sienne propre, pour amener la propriété par excellence de l’un et de l’autre, à savoir d’être définitivement étranger aux modifications accidentelles. On y perçoit certes l’influence du premier livre du Periphyseon de l’Érigène233, mais dans le cadre strict d’une exégèse sous-tendue par les Dix catégories. Une théologisation plus marquée de la réflexion, qui déporte encore davantage l’orientation et l’objectif initiaux des CD, va également s’opérer à la même époque. VIII. d. 3. Ratramne de Corbie et Machaire C’est le cas avec le fragment suivant, qui nous maintient au IXe siècle, c’est-à-dire, rappelons-le, au milieu de la période comprise entre Isidore et Gerbert, durant laquelle on perd toute trace de la traduction boécienne des Catégories, et plus précisément au cœur de l’une des nombreuses controverses théologiques qui le parcourent. Vers 863, Ratramne de Corbie (c. 800-c. 870)234 rédige le traité évoqué plus haut, intitulé Liber de anima ad Odonem Bellovacensem, que l’on se doit de ne pas confondre avec le De anima composé par le même une douzaine d’années plus tôt, vers 850. La question qui agite les controversistes en ce Liber écrit pour Odon, évêque de Beauvais, est afférente à un problème soulevé, sans qu’il s’y attarde, par Augustin en son De quantitate animae (XXXII, 69), quant à savoir si l’âme est unique ou multiple et plurielle. Alors qu’Augustin réservait sa réponse, non sans avoir déclaré l’une et l’autre possibilités absurdes, la question suscitée resurgira quatre siècles plus tard et fera l’objet d’un débat opposant Ratramne à un moine du nom de Machaire et à son disciple, lesquels soutiennent l’existence d’une âme commune à tous les hommes. Nous ne possédons des écrits subversifs, Voir Jeauneau (1991). Sur Ratramne, voir Jean-Paul Bouhot, Ratramne de Corbie : histoire littéraire et controverses doctrinales, Paris, 1976. 233 234
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comme c’est très souvent le cas en ces circonstances, que des fragments rapportés par Ratramne lui-même. C’est la réponse du Discipulus Macharii ainsi restituée qui va surtout nous occuper ici. Le traitement de la question de l’unicité ou de la pluralité de l’âme humaine a rapidement investi le terrain de la dialectique, dans la mesure où le couple unicité–pluralité se transpose aisément en universel–particulier et substance première–substance seconde. C’est dans cette optique que le disciple de Machaire argumente, notamment à l’aide d’une très courte citation des CD, dans le long extrait qui va suivre. L’important pour nous est alors d’essayer de voir jusqu’à quel degré la réflexion du disciple a été conditionnée par cet emprunt. La position de Ratramne, elle, se calque sur celle d’Augustin, lequel reconnaissait que l’âme ne peut être dite ni « unique » (una), ni « à la fois unique et multiple » (una simul et multa), ni « multiple seulement » (multa tantummodo). Mais là où Augustin ne justifiait son refus de développer que par des considérations neutres, sauf pour la première hypothèse – si l’âme était dite « unique », elle serait tantôt heureuse dans tel individu, tantôt malheureuse dans tel autre, et une chose ne peut pas être à la fois heureuse et malheureuse –, Ratramne argumente logiquement pour les trois hypothèses. L’âme, explique-t-il, (p. 116, 13-15) 1. ne peut pas être dite « unique » (una), parce que l’espèce ne se constitue pas à partir d’un individu mais de plusieurs, 2. ni « à la fois unique et multiple » (una et multa), parce que ce qui est « unique » n’est point « multiple », 3. ni « multiple uniquement » (multa solummodo), parce que les individus des âmes singulières sont aussi contenus dans cette espèce qu’est l’âme. En sa réponse à Ratramne, le Discipulus Macharii se maintient de part en part dans le même contexte logique pour établir, redisons-le, que l’âme est commune à tous les hommes. Après une première phrase qui rappelle les trois rejets de Ratramne, il défend sa position et celle de son maître en investissant à son tour massivement le terrain de la dialectique : Ratramne : (5). Ceci, ô distingué père, qui caresse les lèvres mais blesse la dent235, nous émeut en nous troublant beaucoup, à savoir que vous vouliez que genres et espèces ne relèvent de la compréhension 1. ni d’une chose unique seulement, 2. ni d’une chose unique et de plusieurs, 3. ni de plusieurs uniquement. Relativement à cela, nous ne pouvons pas envisager de quelle signification nous devrions les dire s’ils sont exclus de la connaissance d’une chose unique, Voir Proverbes, 12, 18-19.
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INTRODUCTION
d’une chose unique et de plusieurs et de plusieurs seulement, à moins peut-être de les dire d’aucune (6). Mais si l’on affirme cela, il est tout aussi nécessaire qu’ils ne soient affirmés de rien (7). Rien, en effet, signifie quelque chose, mais non point une substance, car il révèle de l’absence de choses existantes (8). Or, genres et espèces renvoient non point à l’absence de choses, mais au contraire à leur subsistance (9). Par conséquent, ils subsistent uniquement. Et les choses dont ils sont prédiqués, non seulement subsistent, mais supportent aussi. Ceux-ci, genres et espèces, manquent en effet d’accidents pour être, celles-là, les choses, nullement (10). Tout ce qui consiste en des choses visibles ou non-visibles est soit corporel soit non-corporel, soit sensible soit non-sensible, soit rationnel soit non-rationnel. (11). Et parmi toutes ces choses, certaines sont dites universelles, d’autres particulières. On dit universelles celles qui sont énoncées des singulières, et particulières celles qui ne sont prédiquées d’aucune autre, mais qui ont des termes tirés d’elles-mêmes, comme « Cicéron », « Platon » (12). Mais dans les universelles on ne désigne nulle part la personne propre ou la substance de quelqu’un à partir des accidents, qui n’ont pas de rapport avec elles, quoiqu’elles soient dites de ces singuliers, par lesquels les accidents échoient aux ousies supérieures (13). Et puisqu’il en est ainsi, en ce que les genres et les espèces sont considérés comme étant les prédicats de plusieurs individus, ils nous apparaissent demeurer dans le champ d’universalité d’une signification unique, par laquelle ils subsistent aussi ; mais, en ce qu’ils sont considérés comme se rapportant à tous les singuliers qui sont contenus dans tel genre ou dans telle espèce – c’est peut-être de là que naît notre discussion –, ils relèvent de plusieurs compréhensions (14). Par exemple « homme », qui est une espèce, peut être prédiqué du seul Cicéron. Pourtant, de même qu’il en est prédiqué, de même il est autant prédiqué de tous les hommes, c’est-à-dire de tout homme, ou du premier homme, ou de tous ceux nés de lui, ou encore à naître, et prédiqué ou bien par l’efficace du faire ou bien par la force et la puissance naturelle. En effet, le concept est formé par les particularités de l’homme en général (15). Et ainsi, comme nous l’avons dit, lorsque « homme » est énoncé de Cicéron ou de n’importe quel autre, il est énoncé de tous les individus à la fois, même si on ne l’exprime point par la langue mais par l’intellect (16). Qui donc dirait que l’espèce, d’une manière ou d’une autre, ne se cache que sous le voile d’un seul individu ? N’importe quel homme indivisible n’est-il pas un abîme du fait qu’il est singulier ?236 À ce propos, si quelqu’un déclare que Cicéron est le sujet d’« homme », ne sera-t-il pas contraint par ce mot à ce que la pensée d’un esprit profond comme celui de Cicéron ne rassemble tous les hommes dispersés çà et là ? (17). Car si tous ne sont pas rassemblés, « homme » ne sera pas l’espèce de plusieurs individus, qui les englobe tous sous un seul mot. (18). Par conséquent, il y a une espèce qui subsiste en soi et qui est prédiquée de plusieurs individus, chacun dans son genre propre (19). Et pour cela, il semble que nous soyons en possession de la compréhension d’un seul individu autant que de plusieurs. Et ainsi découlent du genre et de l’espèce tous les individus qui sont renfermés en eux, quoique aucun individu ne procure à un autre individu quelque chose par la substance, de sorte qu’ils naissent en même temps quelle que soit la manière dont 236 La métaphore renvoie ici à la compréhension sans fin du particulier et à une certaine impossibilité de fonder sur lui une démarche scientifique ; voir plus haut.
INTRODUCTION123
ils sont apparus (20). Et si ceux qui sont produits par l’espèce peuvent être connus comme étant apparus simultanément, et si à la fois ce qui subsiste et ce qui supporte, sans quelque court délai ou intervalle, est présent simultanément et en un temps unique, qui contredira qu’ils sont tels d’une seule autant que de plusieurs compréhensions ?237
Il fait peu de doute qu’en ces passages la réflexion est orientée par un axe spéculatif que nous avons déjà rencontré : celui de la longue introduction de l’Anonymus, soucieux jusqu’à la redondance de nous sensibiliser à l’adaptation aristotélicienne de la διαίρεσις platonicienne. Cette 237 (5). Hoc, pater egregie, labia mulcens, dentem figens, nos valde conturbando movet, quod genera et species nec unius tantummodo intelligentiae, nec unius et multorum, nec multorum solummode esse vultis. Ad quod cogitare non possumus, cuius ea significationis fore pronunciemus, si ab intelligentia unius rei, unius et multarum, et multarum solummodo excludantur, nisi forte nullius esse dicamus (6). Sed si hoc asseritur, pariter nihil esse necesse est asserantur. (7). Nihil enim aliquid significat, sed non substantiam: privationem quippe existentium rerum demonstrat. (8). Itaque genera et species non rerum privationem, immo subsistentiam declarant. (9). Igitur subsistunt tantum. De quibus vero praedicantur, non solum subsistunt, verum etiam substant. Haec enim indigent accidentibus ut sint: illa vero nequaquam. (10). Quicquid in rebus visibilibus vel invisibilibus constat, aut corporale est, aut incorporale; aut sensibile, aut insensibile; aut rationale, aut irrationale. (11). Et in his omnibus dicuntur universalia, quaedam vero particularia. Universalia dicuntur quae de singulis enuntiantur; particularia quae de nullo alio habent praedicationem, verum a se orta habent vocabula, ut Cicero, Plato. (12). Sed in universalibus nusquam alicuius privata persona substantiave ex accidentibus, quippe cum his non contingant, designatur, quamvis de his singulis dicantur, quibus accidentia, hoc est, potioribus usiis contingant. (13). Quod cum ita sit, in eo quod genera et species multorum individuorum praedicamenta esse censentur, videntur nobis in universalitatis collectione, qua etiam subsistunt, unius manere significationis; in eo autem quod de singulis omnibus quae eo genere vel ea specie continentur, unde forte fit disputatio, multarum esse intelligentiarum. (14). Verbi gratia, homo, quod est species, de solo Cicerone praedicari potest. Sic tamen de eo praedicatur, ut pariter de cunctis hominibus praedicetur, hoc est de omni homine vel de primo homine, vel de omnibus ab illo iam natis, vel adhuc nascendis, aut operatione faciendi, aut vi et naturali potentia praedicetur. Intellectus enim generalis hominis ex particularibus sumptus est. (15). Et ideo, ut diximus, cum homo de Cicerone, vel de uno quolibet enunciatur, simul de omnibus individuis, tametsi non lingua prosequente, intellectu tamen enunciatur. (16). Quis ergo tantum sub obtentu unius qualitercumque latere speciem dixerit? Nonne quilibet indivisibilis homo, quod est singularis, abyssus non est? Qua de re, si aliquis profert Ciceronem homini esse subiectum, non in hac voce sic haerebit, ut cogitatio profundi cordis cunctos longe lateque sparsos non colligat homines. (17). Nam si omnes non colligantur, species multorum individuorum non erit homo, quae uno vocabulo omnes comprehendat. (18). Est igitur species, quae in se subsistit, et de multis in suo genere singulariter praedicatur. (19). Ac ideo unius intelligentiae pariter et multorum nobis haberi videtur. Uno namque eodemque tempore a genere et specie sic cuncta manant, quae his concluduntur, quamvis nullum alteri per substantiam aliquid praestet ut esse valeat, ut simul quoquo modo orta nascantur. (20). Et si simul quae specie producuntur nosci possunt orta esse, et id quod subsistit, ut id quod substat, absque morula vel intercapedine aliqua sub uno tempore simul adsunt, quis contradixerit talia unius pariterque multarum esse intelligentiarum? (= Lambot, p. 20-22).
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apologie de la subsomption d’un donné hétérogène sous des principes métaphysiques paraît, en effet, bien dans le ton de l’introduction des CD, tout comme la dépréciation de l’individu, instable et indéfiniment diversifié, qui va de pair. De surcroît, deux citations muettes permettent d’établir que les CD ont effectivement constitué le fond doctrinal sur lequel s’est appuyé le Discipulus pour défendre la théorie de l’existence d’une âme commune. Au fragment (11), dans la définition : « on dit universelles celles [i.e. les choses visibles ou invisibles] qui sont énoncées des singuliers, et particulières celles qui ne sont prédiquées d’aucun autre, mais qui ont des termes tirés d’eux-mêmes, comme “Cicéron”, “Platon” », on aura reconnu la caractérisation de ce qui n’est ni dans un sujet ni affirmé d’un sujet, que l’on rencontre au § [31] des CD ; et au fragment (15), dans l’objection du Discipulus : « pourtant, de même qu’il [“homme”] en est prédiqué [sc. de “Cicéron”], de même il est autant prédiqué de tous les hommes, c’est-à-dire de tout homme, ou du premier homme, ou de tous ceux nés de lui, ou encore à naître, et prédiqué ou bien par l’efficace du faire ou bien par la force et la puissance naturelle », on identifie, dans les dernières expressions (operatio faciendi et potentia naturalis), celles que nous voyons employées par l’Anonymus au § [102]. VIII. d. 4. Reinhard, Jean de Salerne, Gerbert et Notker Le Xe s. marquerait comme une parenthèse dans l’intérêt suscité par les CD, qui se seraient effacées presque entièrement au profit de In Categorias boécien. Les exemples n’abondent pas, mais nous ferons mention de plusieurs illustrations. Ioannis Trithemius (1462-1516) signale, dans ses Annales d’Hirsauge (1514)238 qu’un moine, Reinhard de Saint-Burchard de Wirtzbourg († 934), a composé quatre livres inédits In Cathegorias Aristotelis, dont Prantl dit qu’il y fait grand usage du commentaire à l’intitulé identique de Boèce239. Sans l’avoir scruté, il ne semble pas imprudent de penser que les CD n’y ont aucune place. La deuxième illustration laisse l’exégète dans l’embarras, parce qu’elle vient infirmer la nature du contexte esquissé, celui où la contribution de Boèce donne l’impression de s’être imposée sans partage. En effet, quand, en 942-943, Jean de Salerne († 999) écrivant la biographie d’Odon 238 Ioannes Trithemius, Annales Hirsaugienses, 2 vol., J. Georgius Schlegel, I, S. Gallus, 1690, p. 72. 239 C. Prantl, Geschichte der Logik im Abendlande, II, Leipzig, 1861, p. 49.
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(c. 879-942), deuxième abbé de Cluny, évoque la formation de ce dernier, il aborde entre autres le moment où il était étudiant à Paris (vers 901902), et suivait l’enseignement de Rémi d’Auxerre (c. 841-c. 905), qui fut notamment le successeur d’Heiric à l’école Saint-Germain de cette ville. Ce qu’il en dit à un certain moment est assez équivoque : Jean de Salerne, Vita, 19 (= PL, CXXXIII, col . 52A) : His diebus abiit Parisius, ibique dialecticam sancti Augustini Deodato filio suo missam (missum PL) perlegit, et Martianum in liberalibus artibus frequenter lectitavit = En ces jours, il [sc. Odon] se rendit à Paris, et là il parcourut la dialectique de saint Augustin destinée à son fils Adéodat, puis il lut fréquemment Martianus pour les arts libéraux.
Laissons la mention de Martianus et la séparation de la « dialectique » des artes liberales, pour essayer d’identifier celle-là. Trois éventualités se présentent à nous : – soit il s’agit du De dialectica d’Augustin (c. 385). Mais on ignore si l’ouvrage, qui ne dit rien à ce sujet, a été écrit pour l’instruction de son fils Adéodat – soit il s’agit de son De magistro, rédigé vers 389-390, le seul dialogue d’Augustin qui met en scène Adéodat comme interlocuteur. Mais pouvait-on apprendre la « dialectique » à partir de cet écrit ? Sa partie non théologique, à savoir la première (§ 1-37), est une discussion sur le langage, qui s’appuie très largement sur la grammaire et dispose à une purification de l’âme pour la préparer à la contemplation – soit il s’agit des CD, un dialogue indirect entre le narrateur et son « fils », dans lequel nombre de copistes qui l’ont attribué à Augustin ont vu – cela a été noté – un échange entre Augustin et Adéodat. Sachant qu’Heiric connaissait parfaitement les CD (voir supra, VIII. d. 2.) et dut les enseigner, Rémi aurait tout à fait pu continuer cet enseignement. De toute façon, ce ne fut point Boèce qui servit à assurer la formation « dialectique » d’Odon, laquelle reste à identifier en ce qui concerne Augustin. Toutefois, la parenthèse se referme aussitôt. Vers la fin du siècle, dans son Libellus de rationali et ratione uti240, pur et unique exercice de dialectique connu de son auteur, Gerbert d’Aurillac (945/950-1003) glose sur la distinction observée par Porphyre
240 Voir A. Olleris, Œuvres de Gerbert. Pape sous le nom de Sylvestre II, ClermontFerrand/Paris, 1867, p. 297-310.
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(Isagoge, VII, 2), dans le version de Boèce241, entre rationalis (« rationnel ») et ratione uti (« user de la raison »), le second étant, dit Porphyre, prédiqué du premier en tant que différence. Or, remarque Gerbert, dans l’énoncé : « ce qui est rationnel use de la raison », l’accidentel est prédiqué du substantiel, ce qui contrevient au principe selon lequel l’extension du prédicat ne peut être inférieure à celle du sujet. En vérité, déduitil, on remédie à ce problème en énonçant : « un certain (ou quelque) rationnel use de la raison »242. Bien qu’il aurait pu s’aider du Paraphraste latin pour briller dans sa démonstration, le futur pape Sylvestre II le passe sous silence et s’en tient à convoquer Boèce (voir Libellus, § XIII = Olleris, p. 307). Sensiblement au même moment, le seul fait que Notker Labeo (9501022), vers l’an 1000, traduise et commente en haut allemand la version latine des Catégories due à Boèce, nous évite de rechercher, chez ce représentant du commentarisme latin du Xe s., le moindre recours aux CD. C’est en tout cas ce qu’autorisent à conclure ses éditeurs243. Eu égard à cette tradition boécienne, ce serait de cette période, c’està-dire autour de l’an mil, que dateraient les anonymes et non datés Excerpta Isagogarum et Categoriarum, qui se présentent sous la forme d’un dialogue pédagogique entre un maître et son élève, fondé sur les deux traductions commentées de Boèce244, et qui semble ignorer tout autant la Paraphrase thémistienne. VIII. e. Lanfranc, Guitmond d’Aversa et Anselme Il en va un peu différemment, une cinquantaine d’années après, lorsqu’on pénètre dans l’œil du cyclone de la controverse eucharistique, qui prend pour cible la doctrine de la transsubstantiation de Bérenger de Tours (998-1088). Lanfranc du Bec (1010-1089), qui y a joué un rôle important dès 1049, avec son De corpore et sanguine Domini, laisse effectivement percevoir quelque répercussion, puisque Margaret Gibson (1978, p. 42-43) voit dans l’expression qu’il utilise pour désigner Dieu : « id Voir In Isagogen Porphyrii, editio secunda, ibid. (= De Libera–Segonds, p. 17). Voir Dominique Poirel, « L’art de la logique : le De rationali et ratione uti de Gerbert », dans O. Guyotjeannin & E. Poulle (dir.), Autour de Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an mil, Paris, 1996, p. 312-321. 243 Voir J.C. King & P.W. Tax (éd.), Notker der Deutsche. Boethius Bearbeitung der Categoriae des Aristoteles, Tübingen, 1972, et Notker der Deutsche von St Gallen, Categoriae. Boethius’ Bearbeitung von Aristoteles’ Schrift kategoriai, ed. E. Scherabon Firchow + R. Hotchkiss, 2 vol., Berlin, 1996. 244 Éd. G. d’Onofrio, CCCM, 120, Turnhout, 1995. 241 242
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quod rebus omnibus incomparabiliter maius est = ce qui est incomparablement plus grand que toutes les choses »245, dont se serait inspiré son disciple Anselme du Bec (1033-1109) pour forger l’une des formules de l’argumentum du Proslogion : « aliquid quo nihil maius cogitari possit = quelque chose tel que rien de plus grand ne puisse être pensé »246, un écho de la définition de l’οὐσία des CD, quatrième et dernier gradus dans la hiérarchie ontologique, définie comme suit : « extra quam nec inveniri aliquid nec cogitari potest » (§ [5]). Or il nous faut ajouter qu’entre Lanfranc et Anselme, un autre élève au Bec du premier avalise indirectement cette filiation intellectuelle : Guitmond d’Aversa († 1096)247, moine de la Croix-Saint-Leufroy, qui prit une part active au débat issu en droite ligne de l’affrontement en écrivant les trois livres d’un De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistica. Désireux de croiser le fer avec l’impudent tourangeau, qui s’est risqué trop avant sur le terrain dialectique, il empoigne la même arme pour le soumettre. La transsubstantiatio étant une mutatio, le voici qui aligne, afin de mieux argumenter, dans un latin pour le moins rugueux, les quatre sens que donne selon lui l’Écriture à ce terme : Guitmond : « Quatuor… nihilominus rerum mutationes substantivas sive efficientias nobis Scriptura divina commendat. Unam de qua omnino nihil in id quod sunt, facta sunt omnia; alteram huic contrariam… qua videlicet de eo quod sunt, quantum in ipsis est, redire in nihilum possunt… Tertiam autem mutationem solemniter cernimus, qua videlicet substantiae in eas quae non erant substantias, vel naturali usu vel per miracula, transeunt; sicut nucleus in arborem, semen in herbam, esca et potus in carnem et sanguinem; vel sicut virga in serpentem, serpens in virgam, et caetera huiusmodi. Quarta vero mutatio est, qua (quia éd.) id quod est, transit in id quod nihilominus est, sicut panem et vinum virtute divina in corpus Christi proprium singulari quadam potentia credimus commutari = … Nous trouvons un premier changement dans ce qui, n’étant absolument rien, est fait tout entier quelque chose ; [nous trouvons] un autre changement, contraire au précédent,… dans ce qui, du fait qu’il existe pour autant qu’il est en lui-même, peut retourner dans le néant… Et nous distinguons selon la tradition un troisième changement, celui dans lequel les substances passent, soit par une expérience naturelle soit par des miracles, en ces substances qui n’étaient pas ouvertement, comme la graine en arbre, la semence en plante, l’aliment et la boisson en chair et en sang, ou bien comme le bâton en serpent, le serpent en bâton, et d’autres changements de ce genre… »248. Voir Lanfranc, De corpore, I, dans PL, CL, col. 409B. Voir Anselme, Proslogion, II, éd. F.S. Schmitt, Sancti Anselmi Opera Omnia, I, Seckau, 1938, p. 101. 247 Sur Guitmond, voir Luciano Orabona, Guitmondo di Aversa, La «verità» dell’Eucaristia: De corporis et sanguinis Christi veritate, Napoli, 1995. 248 PL CXLIX, col. 1443C8-1444B13 – nous soulignons par des caractères gras. 245 246
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De prime abord, rien n’empêche que les trois premières acceptions – il y a « changement » quand : (1. ce qui n’était absolument rien devient quelque chose, 2. ce qui est pleinement lui-même retourne dans le néant, 3. ce qui est passe, naturellement ou miraculeusement, en ce qui n’était pas ouvertement) – soient considérées comme étant inspirées par la tripartition que l’on trouve dans le § [170] des CD (1. d’un non-sujet en un sujet, 2. d’un sujet en un non-sujet, 3. d’un sujet en un sujet : CD, § [170] : Omnis immutatio (quae μεταβολή graece est) fit modis tribus: aut ex non subiecto in subiectum ut est ortus vel nativitas (quam Graeci γένεσιν vocant), aut ex subiecto in non subiectum ut est interitus vel corruptio (quam φθοράν Graeci dixerunt), aut ex subiecto in subiectum ut est motus (qui graece κίνησις dicitur) = Toute « modification » (qui est en grec μεταβολὴ), se produit de trois manières : ou bien d’un non-sujet en un sujet, comme l’est la « génération » ou la « naissance », que les Grecs appellent γένεσις ; ou bien d’un sujet en un non-sujet, comme l’est la « disparition » ou la « corruption » (que les Grecs disent φθορὰ) ; ou bien d’un sujet en un sujet, comme l’est le « changement » (qui se dit en grec κίνησις – nous soulignons par des caractères gras).
Conclure immédiatement et sans réserve à une dépendance directe n’est cependant pas aussi aisé que pour les textes précédents, dès lors que nous sommes en présence de l’adaptation d’un fragment de la Physique d’Aristote, dont la suite immédiate (§ [171]-[175]) fera précisément intervenir les quatre termes de μεταβολὴ, γένεσις, φθορά et κίνησις : Aristote : Il est nécessaire… qu’il y ait trois changements (μεταβολή) : celui d’un sujet à un sujet, celui d’un sujet à un non-sujet, celui d’un non-sujet à un sujet. En effet, celui d’un non-sujet à un non-sujet n’est pas un changement du fait qu’il n’est pas selon une opposition, car ce ne sont ni des contraires ni des contradictoires. Or un changement d’un non-sujet vers un sujet selon la contradiction est une génération (γένεσις), si c’est absolument, une génération absolue, si c’est de quelque chose de déterminé, une génération déterminée (par exemple la génération qui va du non-blanc au blanc est génération de celui-ci, alors que celle qui va du non-étant à la substance est une génération absolue, à propos de laquelle nous disons que quelque chose est engendré absolument, et non pas devient quelque chose de déterminé). Celle qui va d’un sujet vers un non-sujet est une corruption (φθορά), absolue si elle va de la substance au non-être, déterminée si elle va vers la négation opposée, comme on l’a dit aussi pour la génération… Il est également impossible que la génération soit un mouvement (κίνησις) (Physique, 225a7-26 – nous soulignons par des caractères gras).
Néanmoins, l’ordre choisi par Aristote (3. d’un sujet à un sujet, 2. d’un sujet à un non-sujet, 1. d’un non-sujet à un sujet) n’est pas celui, à rebours, rapporté par les CD, où le premier changement du Stagirite devient le dernier. Qui plus est, le contenu de l’ouvrage aristotélicien était encore inaccessible aux penseurs de l’époque de Guitmond, ce qui
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n ’exclut pas l’éventualité que la tripartition leur ait quand même était connue. C’est par conséquent doublement que l’on est conduit à conjecturer que ce fragment classificatoire aurait pu parvenir à sa connaissance par le truchement des CD, point de départ éventuel ou aboutissement de la « tradition » évoquée (le solemniter du troisième changement chez Guitmond). VIII. f. Tronc commun À partir du XIIe siècle, nous le savons, les renvois à l’Anonymus oscillent entre modeste maintien et raréfaction. En voici un rapide aperçu. Il semble que la littérature glossatique du XIIe se soit encore un peu intéressée aux CD249. Mais cela tient plutôt de l’exception que de la règle250. Ainsi, les Glossae in Categorias d’Abélard (1079-1142), composées vers 1105-1108 d’après Marenbon251, ne se réfèrent qu’à Boèce252, et l’index locorum du corpus de la Logica Modernorum de L.M. de Rijk, qui édite nombre de traités de logique des années c. 1130-c. 1220, ignore totalement la Paraphrasis themistiana au profit de Boèce. C’est ce dont témoignent, par exemple, la Dialectica Monacensis (c. 1150-1160) à propos de la qualité (= De Rijk, II, 2, p. 521), et l’Ars Meliduna (c. 11541180), dans sa partie inaugurale sur la théorie des termes (= De Rijk, II, 1, p. 292-305). Contrastant avec ces exemples, le Liber sex principiorum, un autre recueil anonyme, un temps attribué à tort à Gilbert de la Porrée († 1154), qui réunit des fragments d’un traité portant sur les six catégories finales (lieu, temps, position, possession, action, passion)253, se serait, d’après Fr. Paparella, inspiré dans une certaine proportion des CD. Ce serait le cas de la distinction que pose le Pseudo-Gilbert à propos de la substance en I, 14 : Pseudo-Gilbert : Singulum… eorum quae dicta sunt incomplexionis eius quae in voce est notatio est. Hoc vero erit vel subsistens vel contingens. Eorum vero quae existenti contingunt singulum aut extrinsecus advenit aut intra Voir Marenbon (1993, p. 78-79). Voir Spruyt (2003) : bien qu’elle ne porte que sur la catégorie du πρός τι (ad-aliquid), sa contribution, qui concerne des gloses du XIIe s. sur les Catégories d’Aristote, fait indirectement ressortir l’absence des CD de l’horizon des glossateurs. 251 Voir Marenbon (1997, p. 40). 252 Voir Dal Pra (1969, p. 43-68). 253 Voir Ch. Girard, « L’objet du Liber sex principiorum d’après ses commentateurs (c. 1230-1337) », dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 86, 2019, p. 97-140. 249 250
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s ubstantiam simpliciter consideratur, ut linea, superficies, corpus » = Chacun des éléments qui ont été mentionnés est la notation de l’incomplexion de ce qui est dans le son proféré. Et il s’agira ou bien de quelque chose de subsistant, ou bien de quelque chose de contingent. Et chacune des choses qui échoient à ce qui existe, soit lui advient de manière extrinsèque, soit est tenue pour strictement intérieure à la substance, comme la ligne, la surface et le corps.
La répartition entre le subsistens, le contingens, et le « ce qui est à la fois extrinsèque et intérieur à la substance » proviendrait directement de celle observée par le Paraphraste latin (§ [52]-[54]) entre les catégories intra usian (contingens), extra usian (subsistens) et, en inversant les propriétés, intra et extra usian254. La parenté ne saute cependant pas aux yeux sur un plan lexical. Ce possible effet d’écho retentira un peu plus clairement chez Thierry de Chartres († c. 1160). Son Heptateuchon, anthologie des auteurs indispensables à son enseignement dans les matières du trivium et du quadrivium, pourrait témoigner d’une influence des CD. Mais il n’y a toujours que deux fragments de disponibles, édités voilà longtemps par Édouard Jeauneau255. On alimente cette présomption par le fait que son Tractatus de sex dierum operibus (c. 1135) recourt aux catégories pour mieux appréhender l’Unité de Dieu. Or si la source qu’il exploite n’est pas immédiatement identifiable, il y a lieu de penser qu’elle se trouve chez l’Anonymus : Thierry, Tractatus, [35] : Cum autem ex numero sint et pondus et mensura et locus et figura et tempus et motus, et cum omnia quecumque secundum quantitatem vel qualitatem vel ad aliquid vel aliquid aliorum habent existere, cum ex numero, inquam, omnis praedicta consistant, necesse est ipsam unitatem quae est summa divinitas omnia praedicta eminentia suae naturae transgredi. Non est igitur pondere vel mensura vel loco vel figura vel tempore terminabilis nec est alicuius motus aut quantitatis aut qualitatis aut alicuius relationis ad aliquid, sed est unitas i.e. aeternitas et interminabilis rerum permanentia, quae cunctorum est fons et origo = Or si toutes les choses sont par le nombre et le poids et la mesure et le lieu et la figure et le temps et le changement, et si toutes possèdent l’exister selon la quantité ou la qualité ou le relativement à quelque chose ou quelque chose des autres, si, dis-je, toutes les choses précitées sont constituées par le nombre, il est nécessaire pour l’Unité elle-même, qui n’est rien d’autre que la Divinité la plus haute, de surpasser les choses précitées par l’éminence de sa nature. Par conséquent, cette Unité n’est pas limitée par le poids ou la mesure Voir Paparella (2009). Voir Jeauneau (1954), qui édite (p. 174-175) une partie du Prologus et l’introduction à la Secunda editio Donati, dans laquelle Thierry explique que l’on trouve, chez le grammairien Donat, deux diffusions du savoir, celle qu’il appelle une prima editio, qui équivaut à un enseignement élémentaire procédant par questions et réponses, et celle qu’il désigne par secunda editio, qui s’apparente à un enseignement supérieur, au cours duquel le maître énonce les conclusions que ses longues recherches lui ont permis d’établir. 254 255
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ou le lieu ou la figure ou le temps terminable, ni n’est en fonction de quelque changement ou quantité ou qualité ou quelque relation à quelque chose, mais elle est Unité, c’est-à-dire Éternité et permanence interminable des choses, qui est la source et l’origine de toutes sans exception (Häring, p. 570).
Que présentement Thierry ait prélevé son matériau didactique, qui ne se rencontre pas chez Boèce, dans les CD ressort assez bien des notions enrôlées (cf. Boèce, col. 208 D, qui ne cite que : numerus, pondus, locus et tempus), à une exception près, curieusement : § [79] : le nombre (numerus) relève du quantifié le poids (pondus) est absent des CD § [72] : la mesure (mensura) relève du quantifié § [73] : le lieu (locus) relève du quantifié § [123] : la figure (figura) relève de la qualité § [73] : le temps (tempus) relève indirectement de la quantité en ce qu’il est soumis à la mesure § [173] : le changement (immutatio, au lieu du motus de Thierry) relève de la quantité.
Ce prélèvement tiendrait même de l’évidence à lire le Commentum super Boethium de trinitate, une très vaste glose, toujours de Thierry, sur le premier des Opuscula sacra de Boèce : Thierry, Commentum, 4, 16 : Augustinus… divisionem hanc praedicationis inducit in suis Cathegoriis. Eorum, inquit, quae praedicantur, alia praedicantur in substantia, alia extra substantiam, alia partim in substantia256 partim extra substantiam. Qualitas et quantitas praedicantur in substantia: eo scilicet quod subiectum afficiunt quodam modo et informant. Cetera vero omnia extra praedicantur, exceptis relativis quae secundum beatum Augustinum partim in substantia praedicantur, partim extra = Augustin conduit cette division de la prédication dans ses Catégories. Des choses, dit-il, qui sont prédiquées, les unes sont prédiquées dans la substance, d’autres en dehors de la substance, d’autres en partie dans la substance en partie en dehors de la substance. La qualité et la quantité sont prédiquées dans la substance, à savoir en ce qu’elles pourvoient d’une certaine manière le sujet et l’informent. Quant aux autres [catégories], elles sont toutes prédiquées en dehors, à l’exception des relatifs, qui, selon le bienheureux Augustin, sont prédiqués en partie dans la substance, en partie en dehors d’elle (= Häring, p. 99). CD, § [52]-[54] : Ex quibus novem sunt alia in ipsa usia, alia extra usian, alia intra et extra. Qualitas, quantitas et iacere in ipsa usia sunt… Alia sunt extra usian, ubi, quando, habere… Alia sunt communia, id est et intra et extra usian: ad-aliquid et facere et pati = D’entre les catégories qui sont neuf, les unes sont intérieures à l’ousie elle-même, les autres extérieures à l’ousie, et d’autres encore à la fois intérieures et extérieures. « Qualité », « quantité » et « reposer » sont intérieures à Ici, nous supprimons, avec un ms., le second alia.
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l’ousie elle-même… D’autres sont extérieures à l’ousie : « où », « quand », « posséder »… D’autres encore sont communes, c’est-à-dire à la fois intérieures et extérieures à l’ousie : « relativement à quelque chose », « faire » et « pâtir ».
Nous avons déjà soupçonné le même emprunt fait à la triple répartition des neuf catégories relativement à l’usia dans les CD (§ [52]-[54]) chez le Pseudo-Gilbert. Ici, Thierry ne fait point mystère de l’identité de celui sous l’autorité duquel il se place – bien qu’il renonce au terme usia –. n’hésitant pas à procéder à un amalgame des sources, puisqu’il connaît par ailleurs le commentaire de Boèce aux Catégories, comme il le montre dans les Lectiones in Boethii librum de Trinitate cette fois-ci, une autre production théodoricienne :
Thierry, Lectiones, 4 : « Praedicamentum itaque Latinus appellat quod Graecus dicit cathegoriam. Cathegoria aut significatio interpretatur... Complectitur autem significatio rem et vocabulum. Non enim res significata tantum significatio dicitur sed vocabulum significans. Unde Boetius in Conmento super Cathegorias dicit quod Aristotiles intendit de significationibus: non de notionibus = Le Latin appelle « prédicament » ce que le Grec dit « catégorie ». La catégorie ou la signification interprète. Mais la signification englobe la chose et le mot. En effet, la signification n’est pas dite de la chose signifiée, mais du mot signifiant. D’où Boèce dit dans son Commentaire sur les Catégories qu’Aristote entend traiter des significations, non des notions » (= Häring, p. 186).
C’est tout simplement que dans le Commentum, l’autorité d’Augustin a pris le pas sur celle de Boèce. Mais cette exploitation des CD, redisons-le, ne sera pas la règle au XIIe siècle. Jean de Salisbury (c. 1117-1180) notamment est là pour le confirmer, lui qui, dans les livres II-IV de son Metalogicon de 1159, sorte de résumé étoffé de l’Organon, offre un panorama de ses lectures touchant l’Aristote logicien, où les chapitres 1-3 du livre III sont réservés aux Categoriae ou Praedicamenta: il ne cite et n’utilise que Boèce, lequel lui rend par ailleurs accessible l’Isagoge de Porphyre. Au cours du XIIIe s., durant lequel on ne compte plus les productions (dénommées Quaestiones, Sententiae, Glossulae, Commentaria ou Expositiones) afférentes aux Praedicamenta du Stagirite – une désignation qui écarte d’emblée les CD, lesquelles, on l’a indiqué en abordant la conribution d’Isidore de Séville, ignorent ce terme –, les philosophes infirmeraient plus ou moins ce détachement, quelques-uns affichant un certain intérêt, d’autres, les plus nombreux, s’y montrant indifférents. Ainsi, au cours de la décennie 1230-1240, Pierre d’Espagne (c. 1205-1277) publie des Summule logicales ou Tractatus Logice, compendium de logique qui a eu un très grand et très rapide succès en son temps et bien ultérieurement, ce durant quatre siècles environ. S’inscrivant dans la tradition classique illustrée par Aristote et
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Boèce, Pierre y sacrifie également au courant plus proche de lui inspiré par la problématique liée aux « propriétés des termes », qui porte un intérêt croissant au paramètre intralinguistique. L’édition proposée par L.M. de Rijk ne fait cependant apparaître aucun écho de la Paraphrasis Themistiana. Pourtant, exactement au même moment, c’est-à-dire au cours des années 1230, lorsque Jean le Page, dans ses Rationes super Praedicamenta Aristotelis, déclare « avec Augustin » que les relatifs doivent être simultanés par nature (= Hansen (2012, p. 164, 8-12)), il se réfère ouvertement au § [98] des CD, et atteste de la sorte de leur impact au sein de la faculté des arts de l’université de Paris257. En revanche, Roger Bacon (c. 1214-1292), dans sa Prima pars logicae, pan inaugural de ses Summulae dialectices (c. 1250), au chapitre De termino, qui tient lieu de commentaire aux Catégories d’Aristote, se place explicitement et à plusieurs reprises sous la seule autorité latine de Boèce258. Au long du même siècle pourtant, dans certains textes didascaliques, tels que le Guide de l’étudiant (c. 1240), le Commentaire aux Topiques d’Aristote (c. 1250) d’Adenulfus de Anagnia (Adénulfe d’Anagni, † 1289), plus précisément au § 43 de son Prologue : « Triplex est principium », ou les Communia logice (Points communs de logique – c. 1260), en leur § 192259, on se demande pourquoi les sciences mathématiques sont plutôt relatives à la quantité, présentée comme le premier des neuf accidents, qu’aux huit autres – réponse : parce que la quantité a des principes indivisibles, à savoir le point et l’unité, en fonction desquels la quantité est abstraite par l’intellect et se trouve considérée dans ses propres principes sans relation à la matière. Or selon Claude Lafleur et Joanne Carrier, il conviendrait de voir, dans la façon d’aborder la question en ces termes, un mode d’expression correspondant implicitement au modèle catégorial des CD, dès lors que la quantité est la catégorie la plus proche de la substance, et que celle-ci est « opposée » aux neuf prédicaments « accidentels » (§ [51] et [71])260. Le critère ne nous paraît cependant pas suffisant pour suggérer une influence avérée de la Paraphrasis Themistiana sur les auteurs de ces traités. D’une part, en effet, l’énumération des catégories faite par l’Anonymus au § [51] n’est pas différente de celle d’Aristote (Catégories, 1b25-26) pour les quatre premières (ce qui veut dire que la « quantité » y occupe aussi la deuxième place), de l’autre, le contraste entre l’ousie et les neuf catégories suivantes ou accidents du § [71] ne joue Voir Ebbesen et alii (1997), Braakhuis et alii (1997) et Grondeux et alii (2013). Voir De Libera (1986, p. 176-220), et Idem, « Roger Bacon et la logique », dans J. Hackett (Ed.), Roger Bacon and the sciences, Cambridge, 1997, p. 103-132. 259 Pour les éditions, voir Lafleur–Carrier (respectivement 1992, 1997 et 2010). 260 Voir Lafleur–Carrier (2010). 257 258
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pas un rôle prépondérant dans les CD, si ce n’est pour la classification de ces dix vocables qui se disent singulièrement et sans liaison : s’il y a lieu de marquer une différence entre une ousie et neuf accidents, c’est pour autant, comme le précisent les § [29], [31], [52], [53] et [54], que les neuf accidents se répartissent en fonction de l’ousie, dès lors que celle-ci leur est « sous-jacente », dans la mesure où trois d’entre eux (« qualité », « quantité » et « reposer ») lui sont intérieurs, trois autres (« où », « quand » et « posséder ») extérieurs et les trois derniers (« relativement à quelque chose », « faire » et « pâtir ») à la fois intérieurs et extérieurs. Ce rapport hiérarchique (un/neuf), pour autant qu’il se trouve déjà énoncé chez Aristote au sujet des substances premières – Aristote : « Si les substances premières n’existaient pas, il serait impossible que quelque chose existe. Car tous les autres termes se disent de celles-ci comme de sujets, ou bien sont en elles comme dans des sujets. De sorte que si les substances premières n’existaient pas, il serait impossible que quelque chose existe » (Catégories, 2b6-9) –,
était du reste devenu une sorte de poncif dans le commentarisme, comme le montrent Porphyre et Boèce, pour ne citer qu’eux : Porphyre : « Q – Pourquoi est-ce à la substance d’abord et avant tout qu’[Aristote] consacre son exposé ? R. – C’est parce que tout le reste lui est inhérent et a besoin d’elle pour exister. Ce qui montre qu’elle est première naturellement et fait voir de la même façon que l’exposé qu’il lui consacre avant les autres est prioritaire » (CC, 88, 3-7 = Bodéüs, p. 235 et 237). Boèce : « Rebus omnibus substantia subjecta est…, prior illa natura est, sine qua alia esse non possunt, quocirca prior naturaliter videtur esse substantia = La substance est sous-jacente à toutes les choses…, cette nature est première, sans laquelle les autres ne pourraient être, c’est pourquoi la substance paraît être naturellement première » (182A4-8).
L’hésitation n’est toutefois plus guère permise pour d’autres penseurs, chez qui l’autorité aristotélico-boécienne classique, en nous fiant toujours à des mentions nominatives, paraît, quoique loin de toute exclusive, avoir été sans concurrence, à l’image d’Albert le Grand (c. 1193-1280), en son De Praedicamentis (1260), de Martin de Dacie, et ses Quaestiones super librum praedicamentorum (1270-1275), de Pierre d’Auvergne (c. 12401304), dans ses Quaestiones super Praedicamentis (c. 1275), et de Simon de Faversham (c. 1260-1306), avec ses Quaestiones super librum Praedicamentorum (c. 1280)261. 261 Voir, respectivement, Borgnet (1890), Roos (1961), Andrews (1987) et Mazzarella (1957).
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L’empreinte du Paraphraste latin sera bien plus nette chez Robert Kilwardby (1215-1279), qui, à l’occasion de ses Notulae super librum Praedicamentorum, tout en suivant Boèce, se place aussi, comme Jean le Page, sous l’autorité d’« Augustinus », en particulier à la lectio XI, q. 12262, pour aborder le même § [98]. Un petit demi-siècle plus tard, Jean Duns Scot (1266-1308) sacrifiera à son tour à la tendance du moment en rédigeant des Quaestiones in librum Porphyrii Isagoge et quaestiones super Praedicamenta Aristotelis (c. 1295). Bien qu’y faisant un discret profit de Thémistius en utilisant l’Analyticorum posteriorum paraphrasis dans la traduction sur l’arabe de Gérard de Crémone, il ne donne pas l’impression d’avoir puisé aussi dans celle sur les Catégories263. C’est le même constat qui s’impose à la bascule séculaire, où l’on s’aperçoit que le crédit de Boèce – soit par ses In Categorias Aristotelis commentaria, soit par sa Porphyrii Isagoge translatio – est sans concurrence, à lire la Sententia supra librum Praedicamentorum de Pierre de Saint-Amour, recteur de l’Université de Paris en 1281, les Glossulae supra librum Praedicamentorum Aristotelis de Gérard de Nogent, recteur à son tour en 1292, le Commentarium in Categorias de Siger de Courtrai (fl. c. 1300-1320), et l’Expositio super librum Praedicamentorum de Thomas d’Erfurt (fl. c. 1300-1325)264. Au début du siècle suivant néanmoins, il est à observer que dans ses Questiones ordinariae, ouvrage rédigé approximativement entre 1310 et 1317, alors qu’il était maître en théologie, Henry de Harclay (c. 12701317) engage avec parcimonie, sur deux paragraphes de sa Quaestio XIII (Utrum Dei ad creaturam sit relatio realis = « Y a-t-il une relation réelle de Dieu à la créature ? »), comme autorité seconde après Aristote, les § [27], [102], [108] et [109] des CD, notamment quant au ad-aliquid265, en rapportant l’ouvrage à Augustin. Mais à peine plus d’une décennie après, la Paraphrase thémistienne retombe dans l’oubli. Il suffit de regarder comment Guillaume d’Ockham (1285-1347), dans sa Summa logicae (c. 1325), énumère et exemplifie (hormis les quatre premières) les catégories en citant Aristote pour constater que, même s’il a pu donner sa 262 Voir Hansen, 2012, p. 131. Il est étonnant que Conti (2012) ne signale pas ces emprunts. 263 Voir Quaestiones (= Andrews, p. 319-320). L’hypothèse des éditeurs (p. 577, 26), selon laquelle les CD auraient été utilisées une fois par Duns Scot sans qu’il en soit conscient, ne nous paraît pas pertinente. 264 Voir Andrews (2008). 265 Voir Quaestio XIII, 98 et 99 (= Henninger–Edwards, p. 576).
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INTRODUCTION
propre traduction du texte du Stagirite, il l’a fait très probablement en ayant la version de Boèce sous les yeux : Ockham : Summa, I, 41 (De numero praedicamentorum, Boehner, p. 106, 31-37) : « “Eorum quae secundum nullam complexionem dicuntur singulum aut significat substantiam aut qualitatem aut quantitatem aut ad aliquid aut ubi aut quando aut situm esse aut habitum aut facere aut pati”. Et postea exemplificans dicit: “Ubi, ut in loco; quando autem, ut in tempore, ut heri; situm esse vero, ut sedet aut iacet; habere, ut calceatus, armatus; facere vero, ut secare, urere; pati, ut secari, uri” ». Boèce, In Categorias, 4 (= Minio-Paluello, p. 6-7) : Eorum quae secundum nullam complexionem dicuntur singulum aut substantiam significat aut quantitatem aut qualitatem aut ad aliquid aut ubi aut quando aut situm aut habitum aut facere aut pati. Est autem substantia quidem ut figuratim dicatur, ut homo, equus; quantitas ut bicubitum, tricubitum; qualitas ut album; ad aliquid ut duplum, maius; ubi vero ut in Lycio; quando autem ut heri; situs vero ut sedet, iacet; habere autem ut calciatus, armatus; facere vero ut secare, urere; pati vero ut secari, uri ». CD, § [51] Eorum ergo quae nulla sui copulatione dicuntur, quodcumque singulare dictum fuerit aut usian significat aut quantitatem aut qualitatem aut adaliquid aut iacere aut facere aut pati aut ubi aut quando aut habere… § [52] Ex quibus novem sunt alia in ipsa usia, alia extra usian, alia intra et extra. Qualitas, quantitas et iacere in ipsa usia sunt (mox enim ut usian vel hominem vel equum dixerimus, advertamus necesse est bipedalem, quadrupedalem, aut album aut nigrum, aut stantem aut iacentem; haec in ipsa usia sunt, et sine hac esse non possunt). § [53] Alia sunt extra usian, ubi, quando, habere (et locus ad usian non pertinet et tempus, et vestiri vel armari ab usia separata sunt). § [54] Alia sunt communia, id est et intra et extra usian: ad-aliquid et facere et pati; ad-aliquid, ut majus et minus (utraque enim dici non possunt nisi coniuncto altero quo maius sit vel minus; propterea ergo unum in se habent, aliud extra se). Item facere et extra est et intra ut caedere quisque dici non potest nisi alterum caedat, vel legere nisi ipse legens aliud sit, aliud quod legit (ita ergo et in usia est et extra). Pati similiter; caedi enim vel uri nullus potest nisi ab altero patiatur; propterea hoc quoque et in usia est et extra usian.
La différence avec les CD et les analogies avec Boèce sautent aux yeux, touchant d’abord l’ordre d’énumération des catégories : substantia, qualitas, quantitas, ad aliquid, ubi, quando, situm esse, habitus, facere, pati / usia, qualitas, quantitas, iacere, ubi, quando, habere, ad-aliquid, facere, pati, ensuite le vocabulaire : substantia / usia assurément, mais aussi habitus / habere et situs / iacere, enfin l’exemplification, qu’Ockham ne commence qu’à ubi : (pour situm / iacere) sedet - iacet / stans - iacens, (pour habitus / habere) calceatus - armatus / vestiri - armari, (pour facere) secare - urere / caedere - legere, (pour pati) secari - uri / caedi - uri.
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Le suivant chronologiquement d’assez peu, Jean Buridan (c. 12921363) s’intéresse de près, notamment en commentant à son tour les Summulae de Pierre d’Espagne, aux Catégories, et rédige deux écrits sur les prédicaments, à savoir un De praedicabilibus (c. 1327), composante de ses propres Summulae, puis, plus d’une trentaine d’années après, des Quaestiones in praedicamenta, son ultime ouvrage, rédigé vers 1361. Aucune des deux contributions n’autorise à faire intervenir les CD. Presque au même moment, Albert de Saxe (c. 1316-1390), que ce soit dans les Quaestiones in artem veterem, ou à l’occasion de sa Perutilis logica (Logique très utile), non rééditée depuis le XVIe siècle, ne donne pas l’impression d’avoir été plus sensible à leur contenu266. Aux abords de 1400 approximativement, Blaise de Parme (c. 13551416) composera un traité sur les Catégories. Mais il s’agit en vérité, là encore, d’un questionnement sur une partie du Tractatus Logice de Pierre d’Espagne. L’édition qu’en ont fournie Joël Biard et Graziella Federici Vescovini ne laisse place à aucun renouveau du De decem categoriis267. Il serait sans doute superflu de diversifier pareil passage en revue, ou de l’étendre à des ouvrages autres que ceux portant spécifiquement sur les Catégories. Pour beaucoup d’historiens, compte tenu du fait que, concernant le langage mental, la part de l’ontologique et l’approfondissement de la nature et de la portée des catégories, les centres d’intérêt se sont déplacés, que d’autres sont apparus, que des notions ont été actualisées ou ont émergé (significatio, appellatio, suppositio, intentio, institutio…), et que d’inévitables évolutions, notamment dans l’approche des processus de signification, se sont produites, il était inéluctable que la matière doctrinale travaillée par la Paraphrase thémistienne, son outillage mental et ses enjeux soient devenus, en dépit de quelques poches de survivance, quasiment obsolètes, car inadaptés et insuffisants. Néanmoins, s’il est incontestable que l’on a cherché à renouveler le rapport référentiel du langage au réel en donnant davantage de relief à l’analyse sémantique, en réélaborant une conception du signe logico-linguistique et en esquissant une démarche sémiologique, cela ne suffit pas, à notre sentiment, pour expliquer que les contenus des CD soient tombés à ce point en désuétude. On se trouve dès lors fondé à se demander, entre autres, pourquoi, dans le cadre de la mise en avant de la catégorie de la « quantité » et vu l’importance de celle-ci dans l’interconnexion des 266 Voir Biard (1991), et Magali Roques, « Blaise de Parme et la quantité », dans J. Biard et A. Robert (éd.), La philosophie de Blaise de Parme. Physique, psychologie, éthique, Firenze, 2019, p. 175-196. 267 Voir aussi Biard (2003).
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domaines physico-mathématique (structure du continu et des indivisibles) et théologique (doctrine eucharistique touchant la présence du corps et du sang du Christ dans le pain et le vin), les penseurs, surtout ceux des XIIe-XIVe siècles268, et ce très majoritairement, n’ont, en apparence, pas trouvé, dans la façon dont l’Anonymus s’est intéressé au quantum, lui consacrant un long développement (§ [71]-[92]), de quoi alimenter ouvertement leur propre réflexion. IX. En guise de conclusion L’impression globale que nous laisse ce survol des Dix catégories, qui, dans l’état de notre savoir, ont rendu le gros des Catégories d’Aristote accessible pour la première fois à l’Occident latin, est par conséquent celle d’un traité de confection hétéroclite, autant par sa présentation parcellaire du texte grec que par les sources d’inspiration qui la sous-tendent, et devraient être ramenées au seul Thémistius, en principe capable d’une certaine originalité, puisque le commentarisme grec ne nous est pas apparu en mesure de manifester tous ses choix herméneutiques. Quant à la postérité relative de cette singulière composition, elle a probablement été servie par son objectif pédagogique, en ce sens que les Médiévaux qui l’ont utilisée avec parcimonie y ont trouvé une instrumentation spéculative leur offrant un outillage sans doute ponctuellement mieux adapté à leur problématique. Il n’en demeure pas moins que sa disparition au profit du travail de Boèce, bien que nous ignorions la cause exacte de leur chassé-croisé, montre dans une certaine mesure les limites intrinsèques de l’entreprise même de l’Anonymus relativement à l’ouvrage du Philosophe. Ce fut peut-être en raison d’un plus grand appétit dialectique et d’une soif de technicité, que les écrivains des XIIe-XIVe siècles ont, dans l’ensemble, préféré disposer de la totalité de l’ouvrage aristotélicien escorté par les scholies boéciennes.
Voir, par ex., Lamy (2012).
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C. TEXTE ET TRADUCTION Rappelons que le texte latin adopté ici, et parfois émendé, est celui de l’édition de Lorenzo Minio-Paluello. La division en chapitres avec leur intitulé a été doublée, puisque nous avons aussi importé celle de l’édition des Mauristes (1663), reproduite dans la Patrologia Latina (vol. XXXII, Parisiis, 1841, col. 1419-1440), afin de faciliter la lecture. Précisons que, à ce que nous avons constaté, l’édition de Minio-Paluello ne permet pas de modifier le texte de la Patrologie sinon par des interventions sur la graphie (du type quattuor au lieu de quatuor), sur la ponctuation (par exemple la suppression de très nombreuses virgules), et le temps des verbes (du type dicimus au lieu de dicamus), par l’interversion de termes (du type ex indocto doctum au lieu de doctum ex indocto), ainsi que par des variantes sur certains mots-outils (du type ergo au lieu d’igitur) et de très rares suppressions de divisions (par exemple des primo… secundo… etc. dans une énumération), que nous avons quelquefois réintroduites pour plus de clarté, ou ajouts (du type quidve patiatur au lieu de patiaturve), qui n’en changent jamais le sens. Ajoutons que pour traduire le lexique aristotélicien adopté par l’Anonymus, nous nous sommes surtout, mais pas uniquement, soit aligné sur la traduction de Michel Crubellier et Pierre Pellegrin (voir notre bibliographie), soit inspiré de celle-ci, soit quelquefois encore positionné en réaction contre elle. Enfin, nous avons indiqué, dans le texte même et en caractères gras, les références au libellé des Catégories d’Aristote, celles du moins signalées par Minio-Paluello dans son apparat des sources, et sur lesquelles l’Anonymus a fait porté sa reformulation ou son exégèse. Qui plus est, un petit trait vertical, parfois double ou triple, indique à chaque fois la fin du passage pressenti. Les extraits trop importants ne seront toutefois pas cités en note. Index codicum : Ld : cod. Romanus, bibl. Maristarum (sine numero) : saec. VIII-IX He : cod. Parisinus, bibl. nat. lat. 12949 : saec. IX Gn : cod. Sangallensis, bibl. monast. 274, saec. IX-X Ps : Parisinus, bibl. nation., lat. 6288 ; saec. X-XI Ep : Parisinus, bibl. nation., lat. 11129 ; saec. XI Be : Bernensis, bibl. urb. 300 ; saec. XI
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TEXTE ET TRADUCTION
Repères typographiques : […] : ajout du traducteur (…) : ajout figurant dans le texte édité : ajout de l’éditeur {…} : suppression de l’éditeur 1a1-4 : début du passage pressenti du texte des Catégories d’Aristote | : fin du passage pressenti du texte des Catégories d’Aristote || : fin du deuxième passage pressenti ||| : fin du troisième passage pressenti Passages émendés de l’édition de L. Minio-Paluello (= M.-P.) § [47] : « † Hoc enim † eorum », « Hoc enim docente cognovimus, eorum » legi cum PL § [51], [54], [89], [96], [144], [151], [152], [168] : « ad aliquid » (M.-P.), « ad-aliquid » legi § [52] : « bipedalem, tripedalem » (M.-P.), « bipedalem, quadrupedalem » legi cum PL [61] : « et taurus [in suo] » (M.-P.), « et taurus in suo genere » legi cum Gn, He et PL [63] : « In solo et non in omni… In omni et non in solo… Nec in solo nen in omni » (M.-P.), « Secundo, in solo et non in omni… Tertio, in omni et non in solo… Quarto, nec in solo nen in omni » legi cum PL § [83] : « maxime cum haec mox videantur labi cum dixeris ; et tempus currit; » (M.-P.), « maxime cum haec mox videantur labi; cum dixeris et tempus currit; » legi § [84] : « si qua vero praeter » (M.-P.), « si quae vero praeter » legi § [85] : « illud esse grandius » (M.-P.), « illud esse grandius monstramus » legi cum PL § [102] : « scibili enim {sive circulo} in ipso » (M.-P.), « scibili enim rei in ipso », legi cum Ld § [105] : « vel caput vel manus ; quae, si… nulla esse discretio) » (M.P.), « vel caput, vel manus ; si… nulla esse discretio » legi § [112] : « explanavimus; licet » (M.-P.), « explanavimus, licet » legi § [118] : « Similiter et salubres et imbecilles dicimus » (M.-P.), « Similiter salubres vel imbecilles dicimus » legi cum PL § [139] : « per naturam sui alterius » (M.-P.), « per naturam sui, alterius » legi cum PL
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TRACTATUS A … I DE CATEGORIIS ARISTOTELIS TRAITÉ D’A …1 SUR LES CATÉGORIES D’ARISTOTE CAPUT PRIMUM. De oratione: et quam late pateat significatio οὐσίας [1] Cum omnis scientia disciplinaque artium diversarum non nisi oratione tractetur, nullus tamen, o fili, in quovis genere pollens inventus est qui de ipsius orationis vellet origine principiove tractare idcircoque miranda est Aristotelis philosophi diligentia qui, disserendi de omnibus cupidus, ab ipsius coepit examine quam sciret et praetermissam a cunctis et omnibus necessariam. CHAPITRE PREMIER : Du langage, et combien est étendue la signification d’οὐσία [1] Quoique toute connaissance et toute science2 relevant de différents arts ne soit exposée que par le langage3, pourtant, ô mon fils, il ne s’est trouvé personne de capable, dans n’importe quel domaine, qui ne veuille traiter de l’origine ou du principe du langage même, et à cet égard le scrupule mis par Aristote le Philosophe est étonnant, lui qui, désireux de disserter sur tout, a commencé par l’examen du langage même, qu’il savait à la fois délaissé par tous et nécessaire à chacun. [2] Is igitur nos docuit ex octo his quas grammatici partes orationis vocant eam solam recte appellari orationis partem quae indicaret aliquid vocabuloque signaret. Itaque solas orationis partes, auctore Aristotele, nomen et verbum debemus accipere, ceteras vero ex his fieri aut « compagines orationis » potius quam « partes ejus » debere nominari; nomen namque personam demonstrat, verbum quid quisque faciat quidve patiatur. [2] Il nous a ainsi enseigné, parmi ce que les grammairiens nomment les huit parties du langage4, que celle-là seule est appelée correctement 1 Récapitulons les six options possibles : « Traité de l’Africain (Marius Victorinus) », « Traité d’Augurius », « Traité d’Albinus », « Traité d’Augustin », « Traité d’Apuleius (Pseudo-), « Traité d’un Anonyme ». 2 Le français peine à restituer la nuance entre scientia et disciplina, qui n’a pas non plus son correspondant en grec – voir I. Hadot, Arts libéraux et philosophie dans la pensée antique, Paris, 1984 puis 2006, et R. Berndt et alii, Scientia und displina: Wissenstheorie und Wissenschaftspraxis im Wandel vom 12. zum 13. Jahrhundert, Berlin, 2002. 3 Pour rendre la variatio sermonis choisie par l’auteur des Categoriae decem, nous traduisons oratio par « langage », sermo par « discours » et lingua par « langue » – cf. infra, n. suivante. 4 Selon les grammairiens les huit parties du discours sont : nom, pronom, verbe, adverbe, participe, conjonction, préposition et interjection.
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« partie du langage » qui désigne quelque chose et se signale par un vocable5. Par conséquent, nous ne devons accepter, comme seules parties du langage au dire d’Aristote, que le nom et le verbe6, et les autres, constituées à partir d’eux, doivent être nommées « articulations du langage » plutôt que ses « parties », car le nom désigne une personne, le verbe ce que fait quelqu’un ou ce qu’il subit. [3] Dehinc, hoc docente, debemus advertere quo compendio paulatim oratio, coartata per gradus, cuncta quae sunt uno vocabulo capta concluserit. Nam, cum sit diversa innumerabilisque mortalium nuncupatio, nec comprehendi possit nominum tam lata diversitas, uno tamen vocabulo cum « hominem » dixeris noscis omnes ; similiter et cetera : equus ille Ξανθὸς vel Αἴθων vel Δῖος, vel ille atque ille ; et quamquam sit horum quoque nominum infinita comprehensio, « equum » tamen cum quis dixerit monstrabit omnes. Et si quis leonibus – quod fieri solet – vel bobus imponat nomina, in immensum tenditur uniuscuiusque cognitio, et acies mentis obtunditur: sed cum « leonem », vel « taurum » dixeris, omnes qui ubique sunt sub uno nomine naturae succidunt. [3] De là, d’après son enseignement, nous devons envisager au moyen de quelle réduction progressive le langage, subsumé par degrés, englobe toutes les choses qui sont saisies à l’aide d’un seul vocable. Car, quoique la désignation des choses mortelles soit diverse et innombrable, et que la diversité si étendue des noms ne puisse être embrassée, pourtant, lorsque tu dis en un seul vocable « homme », tu les connais tous ; semblablement des autres choses : « tel cheval », ou Ξανθὸς [« Xanthe »], ou Αἴθων [« Éthon »] ou Δῖος [« Divin »]7, ou « tel ou tel » ; et bien que la 5 Cf. Porphyre, CC, 70, 28-29 : « Son propos [celui d’Aristote dans les Catégories] a pour objet les vocables (φωνή) simples capables de signifier les choses (πραγμάτα), en tant qu’ils ont cette capacité » (= Bodéüs, p. 149). D’autre part, pour respecter de nouveau la variatio sermonis voulue par l’Anonymus, nous traduisons vocabulum par « vocable », verbum par « mot » (le plus souvent) ou « verbe » (très occasionnellement, comme en infra, § [2] – voir n. suivante), dictum par « expression » et nomen par « nom » – cf. supra, n. 3. 6 Cf. Aristote, Peri hermeneias : « Il faut d’abord poser ce que sont le nom et le verbe [« rhème » Crubellier–Pellegrin] » (16a1). L’Anonymus traduit par verbum à la fois ῥῆμα (ici) et λόγος (§ [159] et hic et illic), tandis que Boèce traduira le premier par verbum (col. 296B8) aussi, mais le second par oratio (col. 271C7). 7 Ξάνθὸς΄, Πόδαργος [« Podarge »], Αἴθων et Λάμπτος δῖος [« divin Lampus »] sont des noms de chevaux, qui désignent ceux du quadrige que conduisait Hector (voir Homère, Iliade, VIII, 185). Pour certains exégètes, ce vers est apocryphe – voir J.-B. Dugas Montbel, Observations sur l’Iliade d’Homère, I, Paris, 1829, p. 344-346. P. Mazon, quant à lui, a un avis partagé sur la question – voir Homère, Iliade, II, Paris, 1972, p. 33, avec la n. 1.
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compréhension de ces noms soit également infinie, cependant lorsque quelqu’un dit « cheval » il les montre tous. Et si – ce qui se produit couramment –, quelqu’un impose des noms à des lions ou à des bœufs, la connaissance de chacun est étendue sans limite et la pénétration de l’esprit affaiblie8 ; mais lorsque tu dis « lion » ou « taureau », tous, en quelque endroit qu’ils soient, tombent sous ce seul nom de « nature ». [4] Verum orationis vis, quae infinita genera procreandi varietate singulis vocabulis colligaverat, parum fecisse visa est nisi eadem coartata in unum singulari nuncupatione concluderet; ideoque et hominem et feram et equum dixit « animal » dans cunctis nomen quod omnia possideret. Nec minus ea quae sine anima sunt, brevi ex immensa demonstratione signavit ; nam, cum sit arbor et nucis et castaneae et glandis et mali, caeteraque inexplicabilia genera virgultorum « surculum » vocans singulari omnia et communi vocabulo astrinxit. Similiter ornamentorum diversos lapides compendiose vocavit « gemmas ». [4] Mais en réalité, la capacité du langage, qu’en raison de sa fécondité à produire des genres infinis il [sc. Aristote] a réuni en des vocables indépendants, paraîtrait insuffisante si, une fois subsumés sous une même unité, il ne les englobait sous une désignation unique ; 1a8-10 et pour cette raison, il a dit « animal » à la fois l’« homme », la « bête sauvage » et le « cheval », en donnant aux uns et aux autres le nom qui les renferme tous |9. Et il n’a pas moins désigné brièvement, en partant d’une description extrêmement étendue, les choses qui sont dépourvues d’âme ; car, quoiqu’il existât un arbre soit à noix, soit à châtaignes, soit à glands, soit à pommes, et d’autres innombrables genres de végétaux, les appelant « à rameaux superflus »10, il les a tous rassemblés sous un vocable unique et commun. Semblablement, il a appelé synthétiquement « gemmes » diverses pierres de parure11. 8 Indéfinissable, l’individu n’est point objet de science pour Aristote (voir par exemple Métaphysique, 1039b28-1040a7), et notre Introduction. 9 « L’homme et le bœuf sont animal. En effet, chacun d’eux est appelé animal, d’un nom qui leur est commun ». 10 L’Anonymus fait ici vraisemblablement référence, en le rapportant à Aristote, à un passage du Περὶ ϕυτῶν ἱστορίας (Sur l’histoire des plantes), remaniement de l’ouvrage d’Aristote sur la question, aujourd’hui perdu, attribué à Nicolas de Damas (Ier s. av. J.-C.), (819b22-24 dans les œuvres d’Aristote), où l’exemple porte sur le myrte, le pommier et le poirier, qui sont des arbres à inclure dans la classe de ceux qui ont précisément beaucoup de « rameaux inutiles » (μάταιος κλάδος). 11 On chercherait en vain dans les Catégories une quelconque subsomption des arbres et des pierres de parure. Il conviendrait de songer au même écrit de Nicolas de Damas pour les premiers, et au Περὶ λίθων (Sur les pierres) de Théophraste pour les secondes.
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TEXTE ET TRADUCTION
[5] Postremo, licet abunde prospexerat dispersa passim genera speciali nota concilians, tamen ingenti quodam et capaci ad infinitum nomine omne quidquid est comprehendens dixit οὐσίαν, extra quam nec inveniri aliquid nec cogitari potest. Haec est una de categoriis decem. [5] En dernier lieu, bien qu’il ait suffisamment poussé son analyse en regroupant les genres partout dispersés et connus par ce qui leur est spécifique, pourtant, par un nom sans mesure et extensible à l’infini, en comprenant absolument tout ce qui est, 2a11-12 il a dit οὐσία [« ousie »] ce en dehors de quoi rien ne peut être ni découvert ni pensé |12. C’est l’une des dix catégories. [6] Appellatas vero categorias constat, propterea quod non possint nisi ex subiectis agnosci, ὡς κατὰ τινῶν λεχθεῖσαι: quis enim quid sit homo possit agnoscere, nisi aliquem sibi hominem ponat ante oculos quasi subiectum « homini »? [6] Au vrai, c’est un fait établi que les catégories sont appelées ainsi « en raison de ce qu’elles ne peuvent être connues qu’à partir de sujets », ὡς κατὰ τινῶν λεχθεῖσαι13 ; en effet, quelqu’un peut-il connaître ce qu’est un homme à moins de se mettre quelque homme devant les yeux comme sujet pour « homme » ? [7] Ne autem, progrediente tractatu, in quo plurimis exemplis opus est, eadem ad docendum nomina repetantur ac saepe accidat ut vel « Hortensii » vel altius « hominis » vel superius « animalis » vel excelsius « usiae » frequentata exempla in fastidium reciderent, alia his vocabula, quibus ad disserendum philosophi uterentur, inflexit. Itaque Hortensium et nucis arborem et equum Xanthum et his similia αἰσθητά, ἄτομα, ἓν ἀριθμῷ, καθέκαστα vocavit: αἰσθητά quod tactu sentiantur; ἄτομα quod dividi et secari nequeant (quis enim credat Hortensium caedi posse per partes? quod si fiat, Hortensius iam non erit), ἓν ἀριθμῷ quod sint numeri unius; καθέκαστα quod singularia (neque enim haec in uno quovis geminari possunt). [7] Et pour éviter que, dans le cours de son traité nécessitant de très nombreux exemples, les mêmes noms ne soient répétés à des fins 12 « La substance est ce qui se dit proprement, premièrement et principalement [« avant tout » Crubellier–Pellegrin] », « avant-tout » nous paraissant redonder avec « premièrement ». Sur cette dernière expression qui entrerait en résonance avec la formule de l’argumentum de saint Anselme en son Proslogion, voir notre Introduction (VIII. e.). 13 Il s’agit très probablement d’une citation de la paraphrase, aujourd’hui perdue, de Thémistius sur les Catégories, que l’Anonymus affirme avoir adaptée – voir infra, § [176].
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d’illustration, et qu’il n’arrive souvent que des exemples fréquents – comme celui d’« Hortensius »14, ou celui plus étendu15 d’« homme », ou celui encore plus étendu d’« animal », ou celui le plus étendu d’« ousie »16 – aboutissent à la saturation, il les a ramenés à d’autres vocables, dont les philosophes se servent pour argumenter. Ainsi, il17 a appelé « Hortensius », « arbre à noix », « cheval Xanthe »18 et leurs semblables, αἰσθητά19, ἄτομα, ἓν ἀριθμῷ20, καθέκαστα21 : αἰσθητά [« perceptibles »] parce qu’ils sont perçus par le toucher, ἄτομα [« éléments indivisibles »] parce qu’ils ne sauraient êtres divisés ni segmentés (qui, en effet, croirait qu’Hortensius puisse être taillé en morceaux ? Que si cela se faisait, alors Hortensius ne serait plus), ἓν ἀριθμῷ parce qu’ils sont « numériquement un », καθέκαστα parce que « singuliers » (et en effet ils ne peuvent être réunis en une quelconque unité). [8] Deinde altiora, id est, hominem, equum, leonem, arborem, ars dixit εἴδη, quasi partes generis et rerum formas ; dehinc superiora, id est animalia et virgulta et gemmas et lapides, « genera » nuncupavit, ex quibus partes vel formae nascuntur. Eadem tamen « genera », « species » vel εἴδη nominari possunt quod habent excelsius aliquid, id est usiam, ex qua oriri videntur et nasci. Ipsam vero usiam, supra quam nihil est, « genus » appellari voluerunt.
14 Quintus Hortensius Hortalus fut un orateur, avocat et homme politique rival, et non moins ami, de Cicéron, lequel a donné son nom à l’un de ses principaux ouvrages. « Socrate » eût peut-être été plus adéquat – voir infra, n. 18. Il est toutefois possible d’y voir le signe d’une approche rhétorique des Catégories. 15 L’Anonymus traduit et nuance (altius, superius, excelsius) sans doute ici l’adverbe ἄνω (« en haut », « en remontant »), que Porphyre utilise dans le sens d’« universel », voir Isagoge, par exemple II, 7 (= De Libera-Segonds, p. 6). 16 Usia étant, pour le Paraphraste latin, la translittération d’οὐσία, nous avons préféré transposer par « ousie » plutôt que par « usie ». 17 Rien ne permet de penser qu’il ne s’agit plus d’Aristote. Pourtant, ce que l’Anonymus lui prête quant à l’exemplification n’offre qu’en partie un ancrage textuel chez le Stagirite (voir n. 19 à 21). 18 Notre auteur, en éventuel rhétoricien, persiste à choisir son premier exemple dans le monde des lettres latines, mais en le couplant ici avec un autre qui relève de la littérature grecque, il aboutit à un effet plutôt déroutant, voire ridicule, comme avec « Hortensius ». 19 Sur l’αἰσθητόν, voir Catégories, 7b35-8a12. 20 On trouve les deux appellations associées (ἄτομον et ἓν ἀριθμῷ) chez Aristote, Catégories 3b12, au sujet de ce que désignent les substances premières, à savoir ce qui est « individuel et numériquement un ». D’autre part, la PL, avec plusieurs mss, donne ἐνάριθμα, ce qui aurait peut-être été plus cohérent. 21 Pour καθέκαστον, qui intervient toujours dans les Catégories sous la forme : καθ᾿ ἕκαστον, voir 2a36, 2b3 et 8b3.
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TEXTE ET TRADUCTION
[8] Ensuite, l’art22 a dit εἴδη [« espèces »] ceux qui sont plus étendus, c’est-à-dire « homme », « cheval », « lion », « arbre », en quelque sorte les parties du genre et les formes23 des choses ; puis il24 a dénommé « genres » ceux encore plus étendus, c’est-à-dire les « animaux », les « végétaux », les « gemmes » et les « pierres », desquels naissent les parties ou les formes. Pourtant, les mêmes « genres » peuvent être appelés « espèces » ou εἴδη, parce qu’ils possèdent quelque chose qui est encore plus étendu, c’est-à-dire l’ousie, de laquelle ils semblent descendre et naître. Et ils [sc. les philosophes] ont voulu que l’ousie ellemême, au-dessus de laquelle il n’est rien, soit appelée « genre ». CAPUT II25. [9] His ita compositis, ea quae mente concepta signari et demonstrari possunt aggressurus Aristoteles omisit illa interim quae de verborum ratione tractantur, cum in linguae usu provenerit ut uno nomine res multae et multis nominibus res una nuncupetur. CHAPITRE II : [9] Ces données ainsi disposées, Aristote, se proposant d’aborder les choses conçues par l’esprit qui peuvent être désignées et démontrées, a néanmoins laissé de côté celles qui sont abordées au moyen de la formule des mots, alors que dans l’usage de la langue il arrive que beaucoup de choses soient appelées par un seul nom, et qu’une seule chose soit appelée par plusieurs noms26. [10] His rebus quas unum nomen complectitur duo vocabula ars dedit, ut ex his alia « omonyma » alia « synonyma » vocaret. « Omonyma » sunt 22 L’Anonymus rend ici son raisonnement difficile à suivre, dans la mesure où il alterne les sujets sans aucune transition, passant d’Aristoteles à ars (entendons : la dialectique), pour finir par un verbe au pluriel, qui pourrrait renvoyer aux philosophes évoqués au paragraphe précédent. 23 Chez Aristote, l’espèce et la forme immanente au sensible se disent chacune εἶδος. Porphyre se montrera un peu plus nuancé dans son lexique, voir Isagoge, II, 1 (De LiberaSegonds, p. 3 in fine) : « “Espèce” (εἶδος) se dit à propos de la forme (μορϕή) de chaque chose ». 24 Il est toujours vraisemblablement question de l’ars, derrière lequel il faut sans doute voir la dialectique. 25 Le titre que donne la PL à ce chapitre, De aequivocis et multivocis = Des équivoques et des multivoques, est sans justification, dans les CD les termes « équivoques » et « multivoques » ayant été remplacés par « homonymes » et « synonymes ». 26 Ces homonymes et ces synonymes seront abordés plus loin en ordre inverse (voir infra, § [13]-[15].
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cum res quidem plures commune nomen accipiunt, interpretatione vero ejusdem rei separantur, ut homo pictus et verus ; in hoc namque idem nomen est; verum si ad definitionem vel ad interpretationem « hominis » redeas, invenientur ista disparia. Cum enim dixeris verum hominem animal esse quod risum capiat et vim rationis admittat, cum de picto idem non possis dicere, necessario inveniuntur esse disparia. [10] À ces choses que renferme un seul nom, l’art a réservé deux vocables, en sorte que les unes sont appelées « homonymes », les autres « synonymes ». 1a1-4 Il y a homonymes quand des choses, certes plurielles, reçoivent un nom en commun, mais se distinguent par l’énoncé27 de la même chose, comme « homme peint » et « homme véritable ». Car dans cet exemple, le nom est identique. Seulement, si tu reviens à la définition ou à l’énoncé d’« homme », ces données apparaissent disparates |28. En effet, lorsque tu dis qu’un homme véritable est un « animal qui a la capacité de rire et assume le pouvoir de la raison », tandis que tu ne peux pas en dire autant d’un homme peint, ces données apparaissent nécessairement disparates. [11] Regulariter autem accipere debemus omne nomen licet proprium quod possit esse commune cum ceteris « omonymon » vocari; ut « Cicero » non unus sed plures. Sed si, omisso nomine, signis potius demonstrare velis quis sit ille Cicero, quis alius, quis tertius; alia de alio signa narranda sunt, ut alium crassum dicas, alium tenuem; vel longus dicatur alius, alter brevis; candido colore quis, alter nigro. Haec igitur quoniam inter se discrepant, solo sociata nomine, « omonyma » dicta sunt, vocabulo juncta, rei interpretatione discreta. [11] Or, en toute rigueur, nous devons accepter que tout nom, bien que propre, soit appelé « homonyme », parce qu’il peut être commun à d’autres. Par exemple, il n’y a pas un seul « Cicéron », mais plusieurs. Mais si, délaissant le nom, tu veux plutôt montrer qui est le célèbre Cicéron, qui cet autre, qui ce troisième, des signes particuliers à tel ou tel devront être exposés, à savoir que tu dises l’un « gros » l’autre « mince », 27 Interpretatio est ici synonyme, non pas, en anticipant sur la traduction de Boèce (Peri hermeneias ou De interpretatione), de la ἑρμενεία aristotélicienne, objet du deuxième traité de l’Organon, mais de definitio, comme le montre la suite immédiate (definitio vel interpretatio), l’une et l’autre correspondant au λόγος d’Aristote (v. c. Catégories, 1a2 et passim). 28 « Sont dites homonymes les dont le nom seul est commun, alors que l’énonciation correspondant à ce nom est différente. C’est ainsi que l’homme et la figure dessinée sont animal : en effet, ces objets ont seulement le nom en commun, alors que l’énonciation correspondant à ce nom est différente ».
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ou que l’un soit dit « grand » l’autre « petit », l’un « de couleur blanche » l’autre « de couleur noire ». Par conséquent, ces choses, puisqu’elles sont séparées entre elles alors que le nom seul les unit, elles sont dites « homonymes », rapprochées par le nom, différentes par l’énoncé de la chose. [12] Synonyma vero sunt res quae et nomine et sui interpretatione iunguntur, ut est « animal »: id enim de homine et de equo et fera et de avibus dici potest. Animal est quod cibum capiat, quod mortale sit, quod sensu moveatur. [12] 1a6-8 Quant aux synonymes, ce sont des choses qui sont reliées par leur nom et leur énoncé, comme l’est « animal » |29 : en effet, il peut être dit de l’homme et du cheval, et de la bête sauvage, et des oiseaux. L’animal est ce qui prend de la nourriture, ce qui est mortel, ce qui est mû par la sensation30. [13] Nunc ad eas res quae singulae multis nominibus signari solent, veniamus, quamquam hanc partem Aristoteles – ut superius dictum est – praetermiserit idcirco quod de his quae significantur, non de his quae significant, disserendum putavit (in his autem non rerum, sed nominum vertitur quaestio). Haec divisa sunt similiter in partes duas, et alia polyonyma, alia etheronyma sunt. [13] Venons-en à présent à ces choses, qui, singulières, sont habituellement signalées par plusieurs noms, quoique Aristote – comme cela a été dit plus haut31 – ait laissé de côté cette partie [sc. celle sur les polyonymes et les hétéronymes], en raison de ce qu’il a pensé devoir traiter de ce qui est signifié, non de ce qui signifie (or concernant ce point, la question tourne autour non pas des choses mais des noms). Ils se divisent semblablement en deux parties : les uns sont des « polyonymes », les autres des « hétéronymes »32. 29 « Sont dits synonymes les objets dont le nom est commun, et pour lesquels l’énonciation correspondant à ce nom est la même. C’est ainsi que l’homme et le bœuf sont animal ». 30 Nous avons vu dans notre Introduction le problème que soulève cette définition aristotélicienne des synonymes, puisque « homme », « cheval », « bête sauvage » et « oiseaux » n’ont pa en commun leur propre nom mais seulemnt le nom qui les désigne chacun, à savoir « animal ». 31 Voir supra, § [9]. 32 Cette remarque sur l’absence, chez Aristote, d’une prise en compte des polyonymes et des hétéronymes, outre qu’elle trahit une mentalité de grammairien, provient sans doute directement du Commentaire aux Catégories d’Aristote par questions et réponses (= CC) de Porphyre (60-61 = voir Bodéüs, p. 107-108).
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[14] Polyonyma sunt, cum multa nomina unam rem significant, neque ulla de differentia nominum redditur ratio33, ut « ensis », « mucro », « gladius »: haec cur unam rem tot significent, nec discerni namque, nec definiri potest. [14] Il y a « polyonymes » quand plusieurs noms signifient une seule chose, et quand la formule ne rend compte d’aucune différence des noms34 ; par exemple, « épée », « lame », « glaive », car on ne peut ni discerner ni définir pourquoi tant de noms signifient une seule chose [à savoir : « arme blanche »]35. [15] Dehinc etheronyma multis aeque nominibus res singulas tenent. Verum in his habet rationem diversitas nominum, velut est « homo mortalis terrenus »: « homo » ab humanitate, « mortalis » a necessitate mortis, « terrenus » a terra in qua cuncta gignuntur. [15] Les hétéronymes ensuite, soumettent également des choses singulières à plusieurs noms. Mais en eux, la diversité des noms possède une formule36, comme il en est d’« homme mortel terrène » : il est « homme » par son humanité, « mortel » par la nécessité de la mort, « terrène » par la terre, de laquelle toutes les choses sont engendrées. [16] Claret igitur in his nominum originem quaeri in superioribus rerum; quamobrem his omissis Aristoteles superiorum maluit movere tractatum. [16] Par conséquent, il est clair que dans ces derniers on recherche l’origine des noms, dans les premiers celle des choses ; c’est pourquoi, Aristote a préféré traiter des premiers en laissant de côté les derniers37. 33 La polysémie de ratio rend sa traduction malaisée. Outre « raison » et « raisonnement », le substantif nous semble désigner dans le présent traité la « formule déterminante » ou « formule de l’essence », soit le λόγος ὁριστικός ou le λόγος τῆς οὐσίας, que l’on trouve notamment chez Porphyre (voir, par ex., CC, respectivement 62, 15 et 64, 26). 34 Cf. Porphyre, CC, 60, 29-30 : « Quand… [les choses] partagent la même formule mais pas le nom, elles sont appelées plurivoques (πολυώνυμα) » (= Bodéüs, p. 107 exit.). Le Paraphraste latin complique ici inutilement, à notre sentiment, la formulation porphyrienne. 35 Cf. Idem, ibid., 69 : « Je déclare que sont plurivoques des choses qui ont des noms différents et multiples, mais dont la formule est une et la même, comme le glaive (ἄορ), l’épée (ξίϕος) et le sabre (ϕάσγανον) » (= Bodéüs, p. 142). 36 Cf. Idem, ibid., 60, 30-31 : « Dès lors que [les choses] ne partagent ni le nom ni la formule, elles sont appelées altérivoques (ἐτερώνυμα) » (= Bodéüs, p. 107-108). Si l’on suppose que le Paraphraste latin suit ici aussi Porphyre, on doit comprendre qu’il signifie, par une expression peu claire (in his habet rationem diversitas nominum), que les hétéronymes diffèrent également par leur formule, 37 « Les derniers », c’est-à-dire « polyonymes et hétéronymes », « les premiers », c’est-à-dire « homonymes et synonymes ».
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[17] Ergo ad omonyma redeamus, quae dividuntur in partes duas: aut enim fortuitu fiunt aut hominum voluntate nascuntur. Fortuitu fiunt cum quodam casu, simile quis alteri accipit nomen; voluntate, cum similitudo nominis ex industria imponentis affigitur. [17] Revenons donc aux homonymes, qui se divisent en deux parties : effectivement, ou bien ils se présentent fortuitement, ou bien ils naissent par la volonté des hommes38. Ils se présentent, en effet, fortuitement39 quand quelqu’un reçoit par hasard le même nom qu’un autre, volontairement quand la similitude d’un nom est fixée par le soin de celui qui l’impose. [18] Horum autem quae industria vel voluntate nascuntur quattuor sunt genera: εἰκὼν, κατ’ ἀναλογίαν, ἀπὸ ἑνός, πρὸς ἕν: ut eadem latinus quoque sermo declarat: similitudo, pro parte, ab uno, ad unum. Similitudo est ut « homo pictus » et « verus »; sola enim similitudine copulantur. Pro parte est (quod κατ᾿ ἀναλογίαν Graeci vocant), ut, quo pacto principium animalis cor dicimus, ita « principium aquae » fontem dicimus: pro parte enim sui similitudo nominis videtur adiuncta. Ab uno est cum dicimus a « medicina » « medicinale ferramentum », « medicinalis scientia », « medicinale praeceptum », « medicinalis usus »: ab uno enim cuncta descendunt. Ad unum est, ut illa potio salubris est, ille medicus salubris est, ferramentum illud salubre. Haec enim cuncta unum, id est salutem, videntur attingere. [18] Or ceux qui se produisent par le soin ou la volonté, sont de quatre genres : εἰκὼν, κατ᾿ ἀναλογίαν, ἀπὸ ἑνός, πρὸς ἕν [« ressemblance », « par analogie », « d’un seul », « vers un seul »]40, comme le discours latin l’exprime aussi : similitudo, pro parte41, ab uno, ad unum. Il y a 38 Cf. Idem, CC, 65, 18 sqq. : « [en prenant] les choses de très haut, on peut dire qu’il y… a deux [sortes d’équivocité] : l’une d’elle est fortuite, et l’autre, le résultat de la pensée » (= Bodéüs, p. 128 init.). 39 L’homonymie fortuite ne présente pas d’intérêt pour l’Anonymus, pareillement à ce qu’il en est pour Porphyre, qui ne lui consacre que quelques lignes – voir CC, (= Bodéüs, p. 12 ). 40 Cf. Porphyre, CC, 65, 19 sqq. : « Si l’on subdivise encore l’[homonymie] qui résulte de la pensée pour distinguer celle où les choses manifestent une similitude (τὸν καθ᾿ ὁμοιότητα), celle qui procède de leur analogie (τὸν έκ τῆς ἀναλογίας) et celle où elles ont la même source et le même but (τὸν ἀϕ᾿ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν), on obtiendra toutes les sortes qui existent » (= Bodéüs, p. 128). 41 Nous ne savons pas expliquer la traduction de κατ᾿ ἀναλογίαν, c’est-à-dire « par analogie », par pro parte (aucun ms. ne donne une autre leçon), qui n’est attesté dans la latinité classique qu’avec le sens de « pour partie » ou « en partie ». L’une et l’autre expressions, à savoir la grecque et la latine, sont pertinentes dans ce contexte séparément et selon le point de vue que l’on adopte, mais nous sommes dans l’incapacité de justifier
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« ressemblance » quand nous disons : « homme peint » et « homme véritable » : ils sont unis, en effet, par une même « ressemblance »42. Il y a « pour partie » (que les Grecs appellent κατ᾿ ἀναλογίαν) quand nous disons par convention : le cœur est « le principe de l’animal », de la même manière que nous disons : la source est « le principe de l’eau ». Effectivement, la ressemblance du nom semble lui être appliquée « pour partie »43. Il y a « d’un seul » quand nous disons, à partir de « médecine » : « instrument médical », « connaissance médicale », « précepte médical », « usage médical » ; tous dérivent, en effet, « d’un seul domaine »44. Il y a « vers un seul » quand on dit : « cette potion est salutaire », « ce médecin est salutaire », « cet instrument est salutaire ». Toutes ces expressions, en effet, paraissent tendre « vers un seul but », à savoir la conservation. CAPUT III. Quid Aristoteles agat in categoriis [19] Sed plerique movere assolent quaestionem de quibus magis Aristoteles voluerit inchoare tractatum. Primo de iis quae sunt, secundo de iis quae percipiuntur, tertio de iis quae dicuntur. Primo: sunt, res omnes quas natura peperit; secundo: percipiuntur, ea quorum imagines animo leur équivalence linguistique, pars n’ayant, à ce que nous savons, aucune parenté, ni morphologique ni sémantique, avec ἀναλογία. À titre de comparaison, au livre V du traité Les politiques d’Aristote, ἀναλογία a le sens d’« égalité proportionnelle » (1301a17). 42 Cf. Porphyre, CC, 65, 25 sqq. : « Le cas du mode d’équivocité constitué en vertu d’une ressemblance, [est] quand, par exemple, je donne l’appellation “homme” à l’animal rationnel mortel, ainsi qu’à l’image d’un homme. Quand, à la vue de celle-ci, je déclare que c’est un homme, ce n’est pas évidemment par hasard que j’appelle également “homme” le dessin figuré, c’est parce qu’il ressemble à l’homme vivant. Donc, c’est à partir de cette pensée que j’appelle “homme” à la fois l’homme vivant et sa statue ou image » (= Bodéüs, p. 129 et 131). 43 Cf. Idem, ibid., 65, 31 sqq. : « Si je me mets à appeler la monade principe des nombres, le point, principe de la ligne, la source, principe des fleuves et le cœur, principe du vivant, le nom de “principe” sera appliqué à des choses équivoques à la suite d’une pensée : c’est en vertu d’une analogie que j’aurai attribué ce nom en commun à toutes les choses en question » (= Bodéüs, p. 131). 44 Cf. Idem, ibid., 66, 2 sqq. : « Quant à la troisième sorte d’équivoques qui résultent d’une pensée, elle comprend les cas où une appellation commune à des choses différentes dérive d’une seule et même chose. Ainsi, la médecine est la seule et même chose dont nous avons tiré l’appellation “médical” appliquée au traité, à la drogue et au scalpel. Mais le traité est médical, parce qu’il contient la transcription de connaissances médicales, le scalpel est médical, parce que c’est un instrument qui sert aux incisions pratiquées en médecine, et la drogue est médicale, parce qu’elle est utile au médecin pour ses thérapies. Par conséquent, le nom est bel et bien commun, mais la formule correspondant à ce nom est différente pour chacun des objets qui reçoivent cette appellation commune » (= Bodéüs, p. 131).
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videndo formamus et condimus; tertio: dicuntur, illa quibus ea quae sunt impressa animis, efferuntur (id namque quod quis concipit animo, lingua prosequente declarat). CHAPITRE III : Ce dont Aristote traite dans les catégories [19] Mais très nombreux sont ceux qui ont l’habitude de soulever cette question : de quelles choses principales Aristote a-t-il voulu entreprendre de traiter45 ? Premièrement, des choses qui sont ; deuxièmement, de celles qui sont perçues ; troisièmement, de celles qui sont dites. Premièrement, celles qui sont : toutes les choses que la nature a produites ; deuxièmement, celles qui sont perçues : les choses dont nous formons et enregistrons les images par l’esprit qui les voit ; troisièmement, celles qui sont dites : les choses par lesquelles est produit ce qui a été imprimé dans l‘esprit (car ce que quelqu’un conçoit par l’esprit, il le manifeste ensuite à l’aide du langage). [20] Sed, ut erudito Themistio nostrae aetatis philosopho placet, de his Aristoteles tractare incipit quae percipiuntur quaeque ipse vocat graeco nomine σημαινόμενα sive φαντασίας, « imagines rerum insidentes animo »; verum cum de perceptis proposuerit disputare et de iis quae sunt et de iis quae dicuntur necessario locuturus est. Percepta enim ex his oriuntur quae sunt, quae videndo percipimus; perceptorum autem deerit demonstratio nisi eorum quae dicuntur auxilio fuerint demonstrata. [20] Mais, comme il agrée à l’érudit Thémistius, philosophe de notre génération, Aristote commence par traiter des choses qui sont perçues, que lui-même appelle en grec du nom de σημαινόμενα ou de φαντασίας, c’est-à-dire « images des choses qui se fixent dans l’esprit ». Seulement, comme il [sc. Aristote] s’est proposé de disputer des choses perçues, il doit nécessairement parler et de celles qui sont et de celles qui sont dites. En effet, celles qui sont perçues naissent de celles qui sont, que nous percevons par la vue. Or la démonstration des choses perçues est défaillante, à moins qu’elles n’aient été démontrées à l’aide de celles qui sont dites46. Voir, par exemple, Porphyre, CC, 55, 3-6 (= Bodéüs, p. 75). Le Paraphraste latin donne le pourquoi de l’objectif d’Aristote dans ses Catégories, déjà effleuré au § [2], et qu’il ne faut jamais perdre de vue. Porphyre, entre autres, est formel sur ce point : « Le propos [d’Aristote] n’est pas de parler des êtres (ὄν), autant qu’ils sont, et de dénombrer leurs genres, mais de parler des mots (λέξις) qui servent à signifier principalement les êtres et de dénombrer leurs genres. C’est donc aux choses qui se disent qu’appartiennent les mots catalogués », CC, 86, 35-37 (= Bodéus, p. 229). 45 46
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[21] Ergo quamquam separatim postea ea quae sunt definiturus sit, mixtam tamen de tribus disputationem debemus accipere. Nam de perceptis qui loquitur, et originem rerum trahit et praesidia orationis implorat. Superfluam igitur quaestionem movet qui dicit scrutari oportere cur Aristoteles in principio suo omonyma detexerit, si de his quae percipiuntur fuerat tractaturus, cum liqueat non posse dici aliquid nisi quod perceptum fuerit, nec percipi aliquid posse nisi res fuerit de qua imago intuendo capiatur. [21] Donc, bien qu’il doive définir ensuite séparément celles qui sont, nous devons admettre cependant une discussion mêlant les trois domaines. Car celui qui parle des choses perçues, à la fois aborde l’origine des choses et requiert le secours du langage. Par conséquent, il soulève une question superflue celui qui dit qu’il faut rechercher pourquoi Aristote, en son début d’ouvrage, a mis en avant les homonymes alors qu’il se disposait à traiter des choses qui sont perçues, puisqu’il est clair que quelque chose ne peut être dit à moins qu’il n’ait été perçu, et que quelque chose ne peut être perçu à moins que ne soit une chose dont l’image a été saisie dans une représentation. CAPUT IV. De denominativis. Differunt paronyma ab homonymis [22] His igitur cognitis, paronyma videamus quae sunt in omonymorum et synonymorum medio constituta, et quae nec paronyma dici possunt nisi in se habuerint utrorumque contractum (id est nisi et nomen homonymorum et negotium synonymorum videantur habere commune) ut a « sapientia » « sapientem », vel « medicum » a « medicina » dicamus; eadem in medico quae in medicina et actus similitudo videtur et nominis. Propterea recte « paronymum » dictum est quod aliunde nomen acceperit. CHAPITRE IV : Des dénominatifs. Les paronymes diffèrent des homonymes [22] Ces points une fois connus, voyons alors 1a12-15 les paronymes, qui sont constitués à mi-chemin des homonymes et des synonymes, et qui ne peuvent être dits paronymes s’ils ne possèdent pas en eux le condensé de l’un et de l’autre (c’est-à-dire s’ils ne semblent pas avoir en commun à la fois le nom des homonymes et la fonction des synonymes), comme nous disons « sage » à partir de « sagesse », ou « médecin » à partir de « médecine » |47 ; on voit dans « médecin » la 47 « Par ailleurs, sont dits paronymes tous les objets qui tiennent leur appellation d’un certain objet, alors qu’ils en diffèrent par la dérivation (προσηγορία). Par exemple, le lettré d’après les lettres, et le courageux d’après le courage ».
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même ressemblance et d’activité48 et de nom que dans « médecine ». Voilà pourquoi on a dit correctement « paronyme » ce qui a reçu d’un autre un nom. [23] Verum, ne eadem videantur paronyma et omonyma quae ab uno dicuntur (id est ἀπὸ ἑνός) hanc differentiam debemus agnoscere, quod ipsa paronyma inter se quidem propter similitudinem nominis omonyma sunt, illius tamen nominis paronyma dicuntur unde nomen acceperint, ut puta a « sapientia » dicamus « hominem sapientem », « sapiens consilium »: inter se haec omonyma sunt, ipsius vero sapientiae paronyma. [23] Mais de peur que paronymes et homonymes ne paraissent identiques – lesquels sont dits « à partir d’un seul » nom (c’est-à-dire : ἀπὸ ἑνός), nous devons prendre connaissance de cette différence, à savoir que les paronymes eux-mêmes sont certes homonymes entre eux en raison d’une ressemblance de nom, quand pourtant ils sont dits les paronymes de ce nom à partir duquel ils reçoivent un nom. De sorte que nous disons, par exemple, « homme sage », « conseil sage » à partir de « sagesse » : entre eux, ce sont des homonymes, mais ils sont eux-mêmes les paronymes de « sagesse »49. [24] Observari tamen oportet ut commutationem ultimae syllabae habeant: neque ita finiantur paronyma quemadmodum desinunt ea de quibus originem ducunt, ut « medicina » et « medicus »: « medicina » aliis litteris clauditur, aliis « medicus ». Hanc igitur differentiam nisi paronyma habuerint, et nisi cum synonymis negotio, cum omonymis nomine fuerint copulata, omonyma potius quam paronyma nominantur; ut, si a « malitia » « vitiosum » dicamus, negotio quidem cum synonymis convenit sed ab omonymis discrepat nomine (neque enim « vitiosus » et « malitia » similia sunt, quamquam eodem intellectu sentiantur); quod si a « malitia » dicatur « malus », recte utrumque convenit. [24] Il faut cependant observer que leurs dernières syllabes accusent un changement, et que, de fait, les paronymes ne se terminent pas de la même manière que les mots dont ils tirent leur origine, comme « médecine » et « médecin » : « médecine » se termine par certaines lettres, « médecin » 48 Dans la définition et la description des paronymes, cet actus, qui deviendra negotium au paragraphe suivant, nous est apparu sans correspondant tant chez Aristote que chez Porphyre. 49 Cf. Porphyre, CC, 69, 30 sqq. : « Il y a trois conditions [pour qu’il y ait des dérivés]… Premièrement, il doit y avoir une chose à laquelle ils doivent participer ; deuxièmement, il faut le nom auquel ils doivent participer : et troisièmement, il faut une différence par rapport à ce nom, marquée par quelque changement formel » (= Bodéüs, p. 145). C’est cette troisième condition que décrit ici l’Anonymus.
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par d’autres50. Par conséquent, si les paronymes ne comportaient pas cette différence, et s’ils n’étaient pas rattachés aux synonymes par la fonction comme aux homonymes par le nom, ils seraient nommés « homonymes » plutôt que « paronymes ». En sorte que si nous disons « vicieux » à partir de « malice », il s’accorde assurément aux synonymes par la fonction, mais se différencie des homonymes par le nom (« vicieux » et « malice » ne sont effectivement pas semblables, bien qu’ils soient perçus par le même concept). Que si « mal » est dit à partir de « malignité », l’un et l’autre s’accordent correctement. [25] In ultima vero syllaba non mutatur hoc modo, ut si dicamus a « sapientia » « verba sapientia »; hic, cum nulla syllaba commutata est, paronymi exclusa est nuncupatio. Unde constat haec et his similia omonymis potius debere conjungi. [25] Au vrai, il ne sont pas modifiés dans la dernière syllabe de cette façon, comme si nous disions « paroles de sagesse »51 à partir de « sagesse ». Ici, comme il n’y a aucune syllabe de changée, l’appellation de « paronyme » est exclue. D’où il résulte que ces noms et d’autres semblables doivent plutôt être rattachés aux homonymes. [26] Scire etiam debemus verba aut simplicia esse aut certe conjuncta. Conjuncta sunt « equus currit »: simplicia, cum haec separantur et dicuntur singula, ut « equus », « currit ». Sed iam satis de his quae significant, dictum puto. [26] 1a16-19 Nous devons savoir aussi que les mots sont soit simples, soit du moins combinés. Ils sont combinés dans : « le cheval court », simples quand ces mots sont séparés et dits un par un, comme « cheval », « court » |52. Mais je crois avoir déjà suffisamment parlé des choses qui signifient. 50 L’écart des terminaisons est plus probant en latin : medic-ina – medic-us. Cf. Porphyre, CC, 70, 1 sqq. : « Le courageux est en effet un dérivé, parce que le courage est la chose à laquelle il participe ; mais il participe aussi son nom, puisque le “courageux” dérive du “courage”, et cependant il participe encore d’un changement formel, puisque l’inflexion apparaît à la fin du nom “courage” ; “courage” en effet se termine par la syllabe “–ge” et “courageux” par la syllabe “–geux” » (= Bodéüs, p. 145 et 147. 51 Littéralement : « paroles sages ». Mais le français oblige à traduire par un complément de nom pour conserver la même morphologie aux deux termes latins : sapientia étant à la fois le substantif « sagesse » (sapientia) au nominatif singulier et l’adjectif « sages » (sapientia), nominatif pluriel neutre de sapiens. 52 « Parmi les choses que l’on dit, certaines sont dites selon une combinaison et les autres sans combinaison. Certaines, donc, sont dites selon une combinaison, par exemple : un homme court, un homme gagne, et les autres sans combinaison, par exemple : homme, bœuf, court, gagne ».
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CAPUT V. Substantia et accidens [27] Restat ut †53 eorum quae sunt quo pacto Aristoteles tractaverit enarremus. Sunt, igitur, illa quae aut percipimus sensibus aut mente et cogitatione colligimus: sensibus tenemus quae aut videndo aut contrectando aut audiendo aut gustando aut odorando cognoscimus; mente ut, cum quis equum aut hominem vel quodlibet animal viderit, quanquam unum corpus esse respondeat, intelligit tamen multis partibus esse concretum (siquidem alia pars sit capitis, alia pedum ceterorumque membrorum, in ipso capite partes suas aures habeant, habeat propriam lingua ipsae quoque partes singulae multa in se habeant quae dividi et separari possunt, ut caro sit aliud, aliud corium, aliud venae, aliud nervi, capilli aliud. Ergo haec mente vel intellectu colligimus ad quae nostri sensus penetrare non possunt). CHAPITRE V : Substance et accident [27] Reste que nous devons rapporter comment Aristote a traité † des choses qui sont. Eh bien, ce sont celles que nous percevons au moyen des sens ou que nous réunissons par l’esprit et la réflexion. Nous saisissons par les sens les choses que nous connaissons soit en les voyant, soit en les touchant, soit en les entendant, soit en les goûtant, soit en les sentant. Par l’esprit, comme lorsque quelqu’un a vu un cheval, un homme ou n’importe quel animal : bien qu’il réponde que c’est un corps unifié, il intellige pourtant qu’il est composé de parties multiples (si vraiment une partie est celle de la tête, une autre celle des pieds et ainsi des autres membres, sur la tête elle-même les oreilles constituent des parties, la langue en constitue une en propre. Les parties elles-mêmes qui peuvent aussi être divisées et séparées en constituent beaucoup de singulières : ainsi, autre est la chair, autre la peau, autres les veines, autres les nerfs, autres les cheveux. Donc, nous réunissons dans notre esprit ou notre intellect ces parties que nos sens ne peuvent atteindre). [28] Consideramus et illa, et animi intentione cognoscimus, vel hominem vel aliud animal, crescere, senescere, nunc stare nunc movere gressum, modo angi curis modo securo pectore conquiescere, sanitate alias frui alias dolorem perpeti, ex nigro album, nigrum ex albo colorem mutari, peritum ex imperito, ex indocto doctum, ex mansueto ferum, ex feroci mansuetum. [28] Nous les considérons aussi, et par l’application de notre entendement nous connaissons que l’homme ou un autre animal peut croître, vieillir, à un moment se tenir immobile, à un autre marcher, parfois être t ourmenté 53 Cette lacune, qui ne nous semble point perturber la lecture, est signalée comme suit par Minio-Paluello : eorum] //// He : ea in //// Gn : ea EpPs : naturam eorum Be.
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par les soucis, parfois trouver le repos avec un cœur serein, tantôt jouir de la santé, tantôt ressentir la douleur, changer de couleur54, de noir devenir blanc ou de blanc noir, devenir habile d’inhabile, docte de non-docte, féroce d’apprivoisé, apprivoisé de féroce. [29] Cum igitur, in iis quae sunt, alia sensibus, alia mentibus colligantur, separari haec propriis nominibus homines eruditi maluerunt, et id quod dinoscitur sensibus « usian » dici, illud autem quod animi tractatu colligitur ac saepe mutatur συμβεβηκός (id est accidens) nominare voluerunt. Et quoniam in permanente usia ea quae accidunt inesse noscuntur, ipsam usiam ὑποκείμενον (id est « subiacens ») et « non in subiecto » appellari voluerunt, illa vero quae accidunt, ἐν ὑποκειμένῳ (id est « in subiacenti ») dixerunt. [29] Par conséquent, comme dans les choses qui sont, les unes sont réunies par les sens, les autres par les pensées, les hommes érudits ont préféré les distinguer par des noms propres, et ce qui est discerné par les sens ils ont voulu qu’on le dise « ousie », et qu’on nomme συμβεβηκός (c’est-à-dire « accident »)55, ce qui est réuni par l’exercice de l’entendement et qui change souvent. Et puisque dans l’ousie permanente les choses qui arrivent sont connues comme lui étant inhérentes, ils ont voulu appeler l’ousie elle-même ὑποκείμενον (c’est-à-dire « sous-jacente ») et non « dans un sujet », tandis qu’ils ont dit les choses qui arrivent ἐν ὑποκειμένῳ (c’est-à-dire « dans ce qui est sous-jacent »)56. [30] Sine dubio tamen illud oportet a nobis agnosci, ut potiorem usian accidentibus dicimus, sic potius ἄτομον vel καθέκαστον, id est hunc hominem vel hunc leonem, iis quae fuerint communia vel communi vocata « animalium » nomine iudicare. [30] Pourtant, il nous faut reconnaître sans aucun doute que, de même que nous disons qu’« ousie » est prédominante par rapport aux accidents, de même il nous faut juger qu’ἄτομον [« élément indivisible »] ou καθέκαστον [« singulier »] – à savoir « cet homme » ou « ce lion » –, est prédominant par rapport aux choses qui sont communes ou appelées du nom commun d’« animal ». 54 Comment un homme peut-il, de noir devenir blanc et réciproquement ? L’Anonymus prépare ici son évocation du § [120] : une affection du corps qui rend ce dernier noir. 55 Comme le signale Kenny (2005, p. 129), cette conception, que l’Anonymus ne fait cependant que rapporter, prend le contrepied de celle qui tendra rapidement à s’imposer, selon laquelle, et à l’inverse, ce sont les accidents qui sont manifestes aux sens et la substance qui ne peut être appréhendée que par l’intellect. 56 Comprenons : « dans un sujet » (in subiecto) – cf. notamment infra, § [38].
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CAPUT VI. Quae dicuntur de subiecto, quae sunt in subiecto [31] Rursus ad ea quae significantur Aristoteles regressus est, quot modis ea quae sunt significari assolent monstraturus. Ex his igitur quae sunt, alia de subiecto significantur et in subiecto non sunt; ut homo, de subiecto quidem significatur aliquo homine (neque enim « homo » dici posset nisi esset aliquis de quo diceretur) in subiecto autem nullo est, cum ipse sit usia quam superius diximus in nullo unquam subiacenti esse quippe cum sit ceteris ipsa subiecta. Alia vero nec in subiecto sunt nec de subiecto significantur; ut est Cicero nec in subiecto est, quia usia est; nec de subiecto aliquo significatur, siquidem a se ortum vocabulum teneat neque intelligi possit aliunde. CHAPITRE VI : Ce qui est « dit d’un sujet », ce qui est « dans un sujet » [31] Aristote revient ensuite aux choses qui sont signifiées, en vue de montrer de combien de manières celles qui sont ont coutume d’être signifiées. Par conséquent, 1a20-22 parmi les choses qui sont, les unes sont signifiées « d’un sujet »57 et ne sont pas « dans un sujet »58 ; comme « homme » est signifié assurément d’un sujet, à savoir de tel homme (« homme » ne pourrait, en effet, être dit s’il n’y avait pas quelqu’un de qui on le dise), et il n’est en aucun sujet, puisque lui-même est une ousie |59, dont nous avons dit plus haut qu’elle n’était jamais en rien de « sousjacent », puisqu’elle est elle-même sujet pour les autres. 1b3-6 D’autres ni ne sont dans un sujet ni ne sont signifiées d’un sujet, comme l’est « Cicéron ». Il n’est pas dans un sujet parce qu’il est une ousie, et il n’est pas signifié de tel sujet puisqu’il possède un vocable tiré de lui-même et ne peut pas être intelligé d’autre chose |60. [32] Dicta sunt duo quae ad usian pertinent quo pacto significentur, quorum superius κοινόν (id est commune), inferius καθέκαστον (id est singulare) dicitur. Nunc ea quae sunt ex accidentibus, quonam modo significentur dicendum est. 57 À la différence de Boèce, qui traduit καθ᾿ ὑποκειμένου λέγεσθαι par de subjecto dici (v. c. Minio-Paluello, p. 5, 23) et de subjecto praedicari (v. c. Minio-Paluello, p. 7, 19), l’Anonymus préfère dire : de subiecto significari. 58 Aristote et ses commentateurs, tel Porphyre, disent tous : ἐν ὑποκειμένῳ εἶναι, ce que l’Anonymus et Boèce traduisent par in subiecto esse, soit : « être dans un sujet ». Il nous paraît donc inutile de surtraduire avec « être inhérent à un sujet » (Bodéüs). 59 « Parmi les étants, les uns se disent d’un certain sujet, mais ne sont dans aucun sujet ; par exemple, homme se dit d’un sujet, tel homme, mais n’est dans aucun sujet ». On remarquera que l’Anonyme ne traduit pas la seconde partie de la division, à savoir : « D’autres, en revanche, sont dans un sujet, mais ne se disent d’aucun sujet ». 60 « D’autres à la fois ne sont pas dans un sujet et ne se disent pas d’un sujet, par exemple tel homme ou tel cheval. En effet, aucun objet de cette sorte n’est dans un sujet ni ne se dit d’un sujet ».
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[32] On a dit comment sont signifiées les deux choses qui regardent l’ousie, dont on dit l’étendue κοινóν (c’est-à-dire « commune »), la restreinte καθέκαστον (c’est-à-dire « singulière »). À présent, il faut dire de quelle manière sont signifiées les choses qui sont à partir des accidents. [33] Sunt igitur ex iis alia quae et in subiecto sunt et de subiecto significentur, ut est scientia vel color (sunt enim in subiecto aliquo, id est in animo vel corpore: neque enim scientia potest esse nisi sit anima subiecta qua contineatur, nec significari scientia possit nisi de subiecta grammatica; vel color quisquam esse possit nisi in subiecto corpore, nec significari possit nisi de subiecto aliquo colore; ita fit ut et in subiecto sint et de subiecto significentur). [33] Eh bien, 1a29-b2 parmi elles, les unes sont « dans un sujet » et sont signifiées « d’un sujet », comme l’est la « connaissance » ou la « couleur » (elles sont, en effet, dans tel sujet, c’est-à-dire dans l’esprit ou dans le corps ; la connaissance, effectivement, ne peut être s’il n’y a pas une âme comme sujet qui la contienne, et la connaissance ne pourrait être signifiée sinon d’une grammaire sujet |61, et il ne pourrait y avoir de couleur sinon dans un corps sujet : elle ne pourrait être signifiée si ce n’est de telle couleur sujet ; il en est ainsi qui à la fois sont « dans un sujet » et sont signifiés « d’un sujet »)62. [34] Alia vero sunt ex iisdem συμβεβηκόσι (id est accidentibus) quae in subiecto quidem sunt sed de subiecto minime significantur; ut est haec grammatica vel hic albus color, in subiecto quidem sunt animo vel corpore, de subiecto autem non significantur (neque enim his aliunde vocabulum pendet, sed suo et speciali nomine designantur). In iis quoque superius accidens « commune » nominamus, inferius (ubi iam certa res est) « pro parte », hoc est καθέκαστον dicitur. [34] 1a23-29 Mais d’autres relèvent de ces mêmes συμβεβηκόσι (c’està-dire de ces [mêmes] « accidents »), celles qui sont assurément dites « dans un sujet » mais ne sont aucunement signifiées « d’un sujet », comme l’est « cette grammaire » ou « cette couleur blanche » ; elles 61 « D’autres à la fois se disent d’un sujet et sont dans un sujet : par exemple le savoir est dans un sujet, l’âme, et il se dit d’un sujet, le fait de savoir lire ». 62 L’Anonyme s’écarte ici d’Aristote avec l’exemple de la couleur : pour lui, elle est à la fois dans un sujet et signifiée d’un sujet, tandis que pour Aristote elle est dans un sujet, mais ne se dit d’aucun sujet – voir le texte cité à la note suivante. Mais il le rejoindra au paragraphe qui suit avec l’exemple de la « couleur blanche » (albus color), qu’il aurait toutefois dû limiter à « blanc » (albus).
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sont certes « dans un sujet », l’entendement ou le corps, mais ne sont pas signifiées « d’un sujet » |63 (et en effet, leur vocable ne dépend pas d’un vocable extérieur, mais elles sont désignées par un nom propre et spécial). En elles aussi, nous nommons « commun » l’accident étendu, « pour partie »64 l’accident restreint (où la chose certaine est déjà), c’està-dire celui qui est dit καθέκαστον [« singulier »]. [35] Verum ne aliquid non apertum praeterire Aristoteles existimaretur et oriundis quaestionibus occasionem dare, de eo quod in subiecto est voluit tractare diligentius ac definire quid esset, ut calumniantibus aditus clauderetur. Definit ergo in subiecto esse quod in altero est aliquo, non ut pars sit quaedam, neque sine eo in quo est potest umquam esse. Haec definitio addita propterea est, quia dici posset et digitum vel pedem in subiecto esse, id est in corpore; hoc igitur exclusit cauta definitione, dicendo id esse in subiecto, quod pars eius non sit in quo est (digitum autem vel pedem partem esse corporis constat). [35] Au vrai, afin que l’on n’estime pas qu’Aristote a omis quelque chose de non évident et qu’il a donné l’occasion de susciter des questions, il a voulu traiter avec plus de soin de ce qui est « dans un sujet » et définir ce qui doit être, pour barrer la route aux ergoteurs. Il définit donc qu’1a24-25 est dans tel sujet ce qui est dans une autre chose, non pas comme s’il en était une partie, et qui ne peut jamais être sans ce en quoi il est |65. Cette définition a été ajoutée parce ce que l’on pourrait dire que le doigt ou le pied est « dans un sujet », c’est-à-dire dans un corps. Il a par conséquent exclu cela dans une définition prudente, en disant qu’est « dans un sujet » ce qui n’est pas en ce en quoi est sa partie (or il est évident que le doigt ou le pied sont une partie du corps). [36] Dehinc a calumniantibus dici posset aquam vel vinum in quodam cado quasi in subiecto esse; sed id oriri docta definitio non sinit, addens 63 « D’autres, en revanche, sont dans un sujet, mais ne se disent d’aucun sujet (par “dans un sujet”, j’entends ce qui, tout en n’étant pas dans quelque chose à la façon d’une partie, est incapable d’être à part de ce en quoi il est). Par exemple, tel savoir-lire particulier est dans un sujet, l’âme, mais ne se dit d’aucun sujet ; et tel blanc particulier est dans un sujet, le corps – car toute couleur est dans un corps –, mais ne se dit d’aucun sujet ». 64 Rappelons que pro parte traduit, sans que nous sachions pourquoi, κατ᾿ ἀναλογίαν – voir supra, § [18]. 65 « Par “dans un sujet”, j’entends ce qui, tout en n’étant pas dans quelque chose à la façon d’une partie, est incapable d’être à part de ce en quoi il est ».
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id esse in subiecto quod sine subiecto esse non possit (vinum autem vel aquam sine cado in quo fuerit posse esse alibi, non potest dubitari). [36] Ensuite, les ergoteurs pourraient dire que l’eau ou le vin sont dans un vase comme « dans un sujet ». Mais la docte définition d’Aristote ne permet pas d’élever cette objection, elle qui ajoute qu’est « dans un sujet » ce qui ne pourrait être sans sujet. Or on ne peut douter que le vin ou l’eau ne puissent être ailleurs, sans le vase dans lequel ils sont. [37] Interea hoc loco debemus advertere qua arte definitio disponatur. Primum enim hanc per immensum tendi oportet, incipientem a genere; dehinc paulatim currendo per partes pervenire debet ad id in quo solum est id quod definitur. Ut ii qui signa formant primo immensum subdeligunt lapidem, dehinc paulatim minuendo et abscindendo superflua ad formandos vultus et membra perveniunt; sic definitio a genere incipiens depulsa paulatim generalitate verborum, ad proprium demonstrandae rei cubile tendit accedere. [37] Parvenu à ce point, nous devons remarquer66 avec quel art est disposée cette définition. En effet, il faut d’abord qu’elle tende à l’infini en commençant par le genre, ensuite elle doit parvenir, en procédant peu à peu par étapes, à ce en quoi est seulement ce qui est défini. Comme ceux qui donnent forme à des statues choisissent d’abord une pierre énorme, puis peu à peu, en diminuant et retranchant le superflu, parviennent à donner forme à un visage et à des membres. Ainsi, la définition, en commençant par le genre et une fois écartée peu à peu la généralité des mots, tend à s’approcher du domaine propre de la chose à désigner. [38] Sed ad propositum revertamur; tractatus enim de iis erat quae sunt quemadmodum significentur. De quibus quoniam iam multa dicta sunt, illud regulariter tenendum nobis est, omnia καθέκαστα, vel ἐνάριθμα vel ἄτομα vel αἰσθητὰ, id est hunc hominem, vel hunc equum vel hanc arborem de subiecto significari non posse; sin vero, haec eadem de accidentibus fuerint, id est hic color, haec disciplina in subiecto esse † posse (quemadmodum enim superius demonstratum est, omne accidens sine subiecto esse non potest). Docti igitur sumus quo pacto vel subiectum vel in subiecto possimus agnoscere.
66 Advertere, dinoscere, discernere, dissolvere, docere, perscrutere, reperire, separare, subdeligere : nous n’avons pas toujours réussi à trouver un seul équivalent pour chaque occurrence de chacun de ces verbes synonymes.
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[38] Mais revenons à notre propos. Nous avions, en effet, à traiter de la manière dont sont signifiées les choses qui sont. Puisque beaucoup a déjà été dit à leur sujet, nous devons admettre cela en toute rigueur que tous les καθέκαστα [« singuliers »], ou les ἐνάριθμα [« unités »], ou les ἄτομα [« éléments indivisibles »], ou les αἰσθητὰ [« perceptibles »], c’est-à-dire « cet homme », ou « ce cheval », ou « cet arbre », ne peuvent être signifiés « d’un sujet ». Sinon, ces mêmes choses se rapporteraient aux accidents, c’est-à-dire « cette couleur », « cette science » † pourraient être « dans un sujet » (en effet, comme il a été démontré plus haut, aucun accident ne peut être sans un sujet). Par conséquent, nous sommes instruits quant à la manière dont nous pouvons reconnaître soit un sujet, soit ce qui est « dans un sujet ». CAPUT VII. Quid genus, quid species [39] Dehinc nos Aristoteles docet et illa quae de subiecto significantur qua ratione noscamus. In his autem speciale illud est quod eadem in ipso subiecto inveniuntur, quae sunt in eo quod de subiecto significatur. Ut enim animal de subiecto significatur homine vel equo, sic et homo de subiecto aliquo homine significetur necesse est; Cicero autem et homo est et animal. Quaecumque igitur praedicari de animali possunt, eadem et de homine et de Cicerone praedicantur. CHAPITRE VII : Ce qu’est le « genre », ce qu’est l’« espèce » [39] Ensuite, Aristote nous enseigne aussi par quelle formule nous connaissons les choses qui sont signifiées d’un sujet. Or en elles, il y a ceci de spécial que l’1b10-13 on trouve dans le sujet même les mêmes choses qui sont dans ce qui est signifié du sujet. En effet, de même qu’« animal » est signifié d’un sujet – « homme » ou « cheval » –, de même aussi il est nécessaire qu’« homme » soit signifié de tel « homme » sujet |67. Or « Cicéron » est à la fois homme et animal. Par conséquent, toutes les choses qui peuvent être prédiquées d’« animal » sont les mêmes qui sont prédiquées à la fois d’« homme » et de « Cicéron ». [40] Quapropter ea quae in eo quod de subiecto significatur inveniuntur, et in eo quod subiectum est necesse est inveniri; ut, si dicas « animal est quod cibum capiat, quod mortale sit, quod sensu moveatur », animal autem de subiecto significatur homine, eadem tamen et de homine dici 67 « Lorsqu’un terme s’applique à un autre comme à un sujet, alors tout ce qui se dit du terme qui s’applique au sujet se dira également du sujet. Par exemple, homme s’applique à tel homme, et animal s’applique à l’homme ».
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necesse est quae de animali dicta sunt. Deinde quae de homine dicta fuerint, eadem et de Socrate; certum autem est Socratem subiectum esse homini, hominem autem animali. [40] C’est pourquoi, celles que l’on trouve dans ce qui est signifié du sujet doivent nécessairement se trouver aussi dans ce qu’est un sujet. Comme si tu dis qu’« animal » est « ce qui prend de la nourriture », « ce qui est mortel » et « ce qui est mû par la sensation », et qu’en outre « animal » est signifié du sujet « homme » ; pourtant68 il est nécessaire que les mêmes choses qui ont été dites d’« animal » soient dites aussi d’« homme ». Puis que les mêmes choses qui ont été dites d’« homme » le soient aussi de « Socrate ». Or il est certain que « Socrate » est sujet d’« homme » et « homme » d’« animal ». [41] Quidquid igitur in iis, quae de subiecto significantur dictum fuerit, idem et de iis quae subiecta dicimus praedicabitur. Regulariter autem illa de subiecto significantur quae per se ipsa cognosci non possunt: ut animal intelligi non potest nisi de subiecto homine, sic homo adverti non potest nisi de subiecto aliquo homine dinoscatur. [41] Par conséquent, tout ce qui sera dit de ces choses qui sont signifiées d’un sujet sera prédiqué de même aussi de celles que nous disons « sujets ». Or, en toute rigueur, celles-là sont signifiées d’un sujet qui ne peuvent être connues par elles-mêmes : de même qu’« animal » ne peut être intelligé si ce n’est à partir du sujet « homme », de même « homme » ne peut être appréhendé si ce n’est en étant envisagé à partir du sujet « tel homme ». [42] Nunc, quoniam de categoriarum omnium generibus et speciebus et differentia locuturus est, inspiciendum primum videtur quid sit genus, quid species, quid differentia. [42] Maintenant, puisqu’on doit parler des genres, des espèces et de la différence de toutes les catégories, il semble qu’il faille examiner d’abord ce qu’est le genre, ce qu’est l’espèce, ce qu’est la différence. [43] Genus est igitur quod secundum multa et differentia quid sit specie ostenditur atque significatur, ut est usia; omnia quidem « usian » dicimus, sed hoc commune nomen specie separatur cum dicimus « animal » 68 Quoique Minio-Paluello ne signale, pour ce tamen, aucune variante parmi les leçons des mss, sa valeur restrictive ne fait point sens dans ce contexte. C’est bien plutôt un enim ou un nam(que) qui conviendrait.
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vel « lapidem »; ita fit ut, uno quasi conjuncta vocabulo, specie separentur. [43] Le genre est par conséquent ce qui est montré et signifié en ce qu’il est par l’espèce selon des choses multiples et différentes, comme l’est l’ousie. Or nous disons « ousie » de tout, mais ce nom commun est divisé par l’espèce, quand nous disons « animal » ou « pierre ». Il arrive ainsi que les [choses] qui sont comme associées en un vocable unique soient séparées par l’espèce. [44] Differentia vero est quae secundum multa et differentia, non quid sit sed quale sit specie praedicatur, ut est animal « gressutum, volatile, aquatile, bipes, quadrupes ». Et genus ergo et differentia specie significantur, sed genus quid sit, differentia autem qualis sit specie possunt agnosci. [44] Quant à la différence, qui est en fonction de choses multiples et différentes, elle n’est pas prédiquée de l’espèce en fonction de « ce qu’on est », mais en fonction de « quel on est », comme l’est un animal « capable de marcher69, volatile, aquatile, bipède, quadrupède ». Donc, et genre et différence sont signifiés par l’espèce, mais par l’espèce on peut reconnaître ce qu’est le genre et quelle est la différence. [45] Species autem est (quam quidam et formam vocant) quae secundum multa et differentia quid sit numero praedicatur atque cognoscitur, ut est homo. Hoc nomen homines cunctos complectitur, et videtur id facere quod species quae de aliquo homine praedicatur, qui numerum in seipso contineat; ut est hic primus, ille secundus, ille tertius. [45] Or l’espèce (que certains appellent aussi « forme ») est ce qui, selon des choses multiples et diverses, est prédiqué de ce qui est en nombre et le fait connaître, comme l’est « homme ». Ce nom embrasse tous les hommes, et semble faire ce que fait l’espèce, qui est prédiquée de tel homme, lequel renferme en lui-même le nombre, comme « celui-ci est premier », « celui-là deuxième », « cet autre troisième ». [46] Ut tamen haec tria uno exemplo monstremus, genus est « animal », differentia « bipes, quadrupes », species « homo, equus ». Sed ut genus nullum est quod non habeat differentiam, sic nec differentiam intellegere debemus quae species non habebit, ut nigrum et album non 69 Là où Boèce usera de l’adjectif peu fréquent gressibilis pour traduire πεζός, l’Anonymus emploie un hapax, recensé comme tel par le Thesaurus Linguae Latinae, VI, II, Lipsiae, 1925-1934, col. 2329 : gressutus. Cf. le pedester du § [169].
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habent differentiam propterea quod ex se species non emittunt (quae enim alia species inveniri potest albi vel nigri?) [46] Cependant, afin que nous montrions ces trois notions par un exemple unique, disons ceci : le genre est « animal », la différence « bipède », « quadrupède », l’espèce « homme », « cheval ». Mais de même qu’il n’y a aucun genre qui ne possède une différence, de même nous ne devons pas intelliger une différence qui ne posséderait pas une espèce. Ainsi, « noir » et « blanc » n’ont pas de différence pour cela qu’ils ne suscitent aucune espèce (en effet, quelle autre espèce de blanc ou de noir peut-on trouver ?). [47] Quoniam igitur quid sit genus, quid differentia, quid species separatum est, ad Aristotelis jam dicta veniamus. Hoc enim docente cognovimus, eorum generum quae inter se diversa sunt nec differentias easdem posse esse nec species; alia enim et species et differentia est dum quaeritur quid sit, alia dum quale sit, alia dum quantum sit; ut, si velis, animalis dicere differentiam, dicas « volatile, bipes, gressutum », si velis speciem, dicas « hominem » vel « avem » vel « equum ». Numquidnam et de disciplina eadem differentia vel species dici potest ? Propterea quod genera diversa sunt, animal et disciplina; animal enim categoria est usiae, disciplina categoria qualitatis. [47] Par conséquent, puisqu’il a été distingué ce qu’est le genre, ce qu’est la différence, ce qu’est l’espèce, venons-en à présent aux propos d’Aristote. En effet, nous avons compris cela par son enseignement70, que 1b16-20 ni les différences de leurs genres, qui sont divergents entre eux ni les espèces ne peuvent être les mêmes. Effectivement, l’espèce aussi est autre que la différence quand on questionne tantôt sur « ce qu’on est », tantôt et autrement sur « quel on est », tantôt et autrement encore sur « combien on est »71. Ainsi, si tu veux dire la différence d’un animal, tu diras « volatile », « bipède », « capable de marcher ». Si tu veux dire l’espèce, tu diras « homme », « oiseau » ou « cheval ». Est-ce que vraiment on peut énoncer la même différence ou la même espèce au sujet de « science » qu’au sujet d’« animal » ? Non, parce qu’« animal » et « science » sont des genres différents. |72 En effet, « animal » est de la catégorie de l’ousie, « science » de la catégorie de la qualité. 70 Nous traduisons la leçon de la PL : « Hoc enim docente cognovimus, eorum », pour faire sens, au lieu de la leçon lacunaire : « † Hoc enim † eorum », de Minio-Paluello. 71 En d’autres termes : « tantôt sur la “substance”, tantôt et autrement sur la “qualité”, tantôt et autrement encore sur la “quantité” ». 72 « Lorsque des genres sont distincts et ne sont pas subordonnés les uns aux autres, leurs différences non plus ne sont pas de même forme. C’est le cas pour les différences
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[48] Denique illa genera quae alterna sibi societate coniuncta sunt, easdem differentias et easdem species habent, ut est usia: huius species est animal, sed idem animal genus est ceteris, ideoque et species et genus dicitur. Quoniam igitur haec duo genera invicem se tenent (quae Aristoteles quoque ὑπ’ ἄλληλα nominavit), easdem differentias habent; ut, si dicas usian esse animal mortale, bipes, risus capax, eadem et de animali potes dicere: « animal est homo, bipes, risus capax, mortalis » (eadem et de homine potes dicere: « homo est animal mortale, bipes, risus capax »). [48] Enfin, ces genres qui sont liés entre eux par une association, possèdent les mêmes différences et les mêmes espèces, comme l’est « ousie », dont l’espèce est « animal ». Mais le même « animal » étant le genre d’autres choses, il est dit pour cela à la fois espèce et genre. Par conséquent, puisque ces deux genres, qu’Aristote a nommés aussi ὑπ᾿ ἄλληλα [« subordonnées »], se tiennent mutuellement, ils possèdent les mêmes différences ; de sorte que, si tu dis qu’« ousie » est un « animal mortel, bipède, capable de rire », tu peux dire la même chose d’« animal » : « l’animal est un homme bipède, capable de rire, mortel » (et tu peux dire la même chose d’« homme » : « l’homme est un animal mortel, bipède, capable de rire »). [49] Certum est ergo invicem sibi coniunctis generibus easdem et species et differentias inveniri, in diversis autem generibus hoc provenire non posse. [49] Il est donc certain que l’on trouve dans les genres qui se lient mutuellement et les mêmes espèces et les mêmes différences. Or cela ne peut pas arriver dans des genres divergents. CAPUT VIII. De praedicamentis in generali [50] Rursus Aristoteles ad ea quae dicuntur revertitur, quamquam superius dixerimus alterum sine altero tractari non posse (nam et qui dicit aliquid, de eo dicit quod est; et id quod est, non potest ab altero intelligi, nisi dicatur). CHAPITRE VIII : Des prédicaments en général [50] Aristote est revenu une seconde fois sur les choses qui sont dites, quoique nous ayons dit plus haut que l’un sans l’autre [sc. « ce qui est » et « ce qui est dit »] ne pouvait être traité (car à la fois celui qui dit de l’animal et celles de la science. En effet, les différences de l’animal sont pédestre, bipède, ailé, aquatique ; mais aucune de ces choses n’est une différence de la science ».
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quelque chose le dit de ce qui est, et ce qui est ne peut être compris d’un autre s’il n’est pas dit). [51] Eorum ergo quae nulla sui copulatione dicuntur, quodcumque singulare dictum fuerit aut usian significat aut quantitatem aut qualitatem aut ad-aliquid aut iacere73 aut facere aut pati aut ubi aut quando aut habere. Hae sunt categoriae decem, quarum prima usia est – scilicet quae novem caeteras sustinet – reliquae vero novem sunt συμβεβηκότα (id est accidentia sunt). [51] 1b25-27 Donc, parmi les vocables qui se disent sans combinaison propre, tout ce qui est dit singulièrement signifie soit « ousie », soit « quantité », soit « qualité », soit « relativement à quelque chose », soit « reposer », soit « faire », soit « pâtir », soit « où », soit « quand », soit « posséder »74 |75. Ce sont les dix catégories, dont la première est l’ousie – à savoir celle qui supporte les neuf autres –, et les neuf suivantes sont des συμβεβηκότα (c’est-à-dire sont des « accidents »). [52] Ex quibus novem sunt alia in ipsa usia, alia extra usian, alia intra et extra. Qualitas, quantitas et iacere in ipsa usia sunt (mox enim ut usian vel hominem vel equum dixerimus, advertamus necesse est bipedalem76, quadrupedalem, aut album aut nigrum, aut stantem aut iacentem; haec in ipsa usia sunt, et sine hac esse non possunt). [52] D’entre celles [sc. les catégories] qui sont neuf, les unes sont intérieures à l’ousie elle-même, les autres extérieures à l’ousie, et d’autres encore à la fois intérieures et extérieures. 1b28-2a4 « Qualité », « quantité » et « reposer » sont intérieures à l’ousie elle-même (en effet, quand nous dirons par la suite « ousie » soit « homme », soit « cheval », il sera 73 Par iacere, l’Anonymus traduit le κεῖσθαι d’Aristote (Catégories, 1b27 et 11b10), « être étendu ou couché », « reposer » – voir infra, § [125]. 74 L’ordre d’énonciation des catégories est un peu différent chez Aristote : « ousie », « quantité », « qualité », « relativement à quelque chose », « où », « quand », « reposer », « posséder », « faire », « pâtir » – voir n. suivante, et § [74], [96], [124]. 75 « Chacun des termes qui sont dits sans aucune combinaison indique soit une substance (οὐσία), soit une certaine quantité (ποσὸν), soit une certaine qualité (πο͂ιὸν), soit un rapport à quelque chose (πρός τι), soit quelque part (ποὺ), soit à un certain moment (ποτὲ), soit être dans une position (κεῖσθαι), soit posséder (ἔχειν), soit faire (ποιεῖν), soit subir (πάσχειν) ». 76 Nous adoptons en l’occurrence la leçon de la PL : « bipedalem, quadrupedalem », qui est plus cohérente par la relation qu’elle établit entre equus et quadrupedalis, celle de Minio-Paluello : « bipedalem, tripedalem », faisant moins sens selon nous. Qui plus est, dans ce contexte bipedalis et quadrupedalis ne signifient pas, comme au § [91], « qui est long de deux (ou de quatre) pieds », mais « qui possède deux (ou quatre) pieds », pourtant rendus ailleurs par bipes et quadrupes (v. c. § [44]).
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nécessaire que nous nous orientions vers « bipède », « quadrupède », ou bien « blanc » ou « noir », ou bien « debout » ou « couché » ; ces choses sont intérieures à l’ousie elle-même et ne peuvent être sans elle). [53] Alia sunt extra usian, ubi, quando, habere (et locus ad usian non pertinet et tempus, et vestiri vel armari ab usia separata sunt). [53] D’autres sont extérieures à l’ousie : « où », « quand », « posséder » (« lieu » non plus n’appartient pas à l’ousie, et « temps », et « posséder un vêtement » ou « posséder une arme » sont également séparés de l’ousie). [54] Alia sunt communia, id est et intra et extra usian: ad-aliquid et facere et pati; ad-aliquid, ut maius et minus (utraque enim dici non possunt nisi coniuncto altero quo maius sit vel minus; propterea ergo unum in se habent, aliud extra se). Item facere et extra est et intra ut caedere quisque dici non potest nisi alterum caedat, vel legere nisi ipse legens aliud sit, aliud quod legit (ita ergo et in usia est et extra). Pati similiter; caedi enim vel uri nullus potest nisi ab altero patiatur; propterea hoc quoque et in usia est et extra usian. [54] D’autres encore sont communes, c’est-à-dire à la fois intérieures et extérieures à l’ousie : « relativement à quelque chose », « faire » et « pâtir » ; « relativement à quelque chose », comme « plus grand » et « plus petit » (en effet, l’un et l’autre ne peuvent être dits sinon par rapport à un autre qui leur est associé et qui est plus grand ou plus petit ; c’est donc en cela qu’ils sont, l’un intérieur à l’ousie, l’autre extérieur à elle). Pareillement, « faire » est à la fois extérieur à l’ousie et intérieur à elle ; par exemple, quelqu’un ne peut être dit « frapper » sans qu’il en frappe un autre, ou bien « lire » sans que l’un soit le lisant même, l’autre ce qu’il lit (il est donc ainsi à la fois dans l’ousie et extérieur à elle). Semblablement « pâtir » ; en effet, nul ne peut être frappé ou brûlé sinon en pâtissant d’un autre ; en cela il est aussi à la fois dans l’ousie et extérieur à l’ousie |77.
77 « Ce qui est une substance, pour le dire sommairement, c’est par exemple : homme, cheval ; une quantité : de deux coudées, de trois coudées ; une qualité : blanc, lettré ; un rapport à quelque chose : double, moitié, plus grand ; quelque part : au Lycée, sur la place ; à un certain moment : hier, l’an dernier ; être dans une position : est couché, est assis ; posséder : est chaussé, est armé ; faire : couper, brûler ; subir : être coupé, être brûlé ».
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[55] Haec igitur, cum singularia sunt, nihil affirmant, copulata vero faciunt ex se, id est aliquem sermonem , vel προστακτικόν vel εὐκτικόν vel ἐρωτηματικόν vel ἀνακλητικόν (ut haec quoque latino ore monstremus), vel imperativum vel optativum vel interrogativum, vel vocativum. Haec quoque sermonis quasi quattuor genera suspensa sunt interim, ideoque semiplena ; neque enim iam intelligitur vel quid imperatum sit vel quid optatum vel quid interrogatum vel quid vocatum, nisi accesserit genus ἀποφαντικόν (id est pronuntiativum) quod habeat in se quandam confirmandi sententiam quae aliquid aut addat aut demat (quod Aristoteles κατάφασιν et ἀπόφασιν dixit); ut est « coelum hoc volubile est », « coelum hoc non est volubile ». [55] 2a5-7 Par conséquent, quand ces catégories sont singulières, elles n’affirment rien ; mais combinées, elles forment quelque chose à partir d’elles, c’est-à-dire un discours |78 , soit προστακτικόν, soit εὐκτικόν, soit ἐρωτηματικόν, soit ἀνακλητικόν ou (comme nous les désignons aussi en latin), soit imperativum [« impératif »], soit optativum [« optatif »], soit interrogativum [« interrogatif »], soit vocativum [« vocatif »]79. Ces quatre genres du discours sont aussi parfois inachevés, et pour cela semi-complets. En effet, on n’intellige pas encore ce qui est impératif, ou optatif, ou interrogatif, ou vocatif, à moins d’y joindre le genre ἀποφαντικόν (c’est-à-dire « déclaratif »)80, qui porte en lui un jugement de confirmation, lequel ou bien ajoute, ou bien retranche quelque chose 2a8-10 (c’est ce qu’Aristote a appelé κατάφασιν [« affirmation »] et ἀπόφασιν [« négation »]), comme l’est : « ce ciel tourne sur lui-même », « ce ciel ne tourne pas sur lui-même ». [56] Ipsum denique pronuntiativum, quod diximus ἀποφαντικὸν, aut falsum est aut verum. Quamobrem omissis illis quattuor quae magis ad grammaticos vel oratores pertinent, huius apophantici – quod philosophos attingit – Aristoteles habuit mentionem. [56] Enfin, le « déclaratif » lui-même, que nous disons ἀποφαντικὸν, est soit vrai, soit faux |81. C’est pourquoi, ces quatre genres ayant été laissés 78 « Chacun des termes que l’on vient de dire, considéré lui-même par lui-même, n’est pas dit dans une affirmation, mais l’affirmation naît de la combinaison de ces termes les uns avec les autres ». 79 L’introduction de ces trois modes et d’un cas, absents des Catégories, trahissent de nouveau un comportement de grammairien. 80 Sur l’expression sermo pronuntiativus, voir L. Cesalli, Le réalisme propositionnel, Paris, 2007, p. 21. 81 « On estime que toute affirmation est soit vraie soit fausse, alors que parmi les choses qui se disent sans aucune combinaison, aucune n’est vraie ni fausse ; par exemple
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de côté, eux qui appartiennent davantage aux grammairiens ou aux orateurs, Aristote a fait mention de cet « apophantique » – parce qu’il ressortit aux philosophes. Divisio substantiae CAPUT IX. De usia sive substantia. Usia proprie. Secundae usiae quae dicantur [57] Expositis ergo omnibus quae disputaturis necessaria videbantur, singulas categorias oportuit definiri. Sed usian, quoniam secundum artem definiri non poterat – quae praecipit ut definitio, quo possit tendi latius, a genere sumat exordium, ipsa autem usia genus non habet cum omnia ipsa sustineat –, per partes eam voluit definire, ut quid sit, non solum eius definitione, verum partium quoque cognitione noscatur. Est igitur usia proprie et principaliter dicta quae neque in subiecto est neque de subiecto significatur, ut est hic homo vel hic equus. « Division de la substance » CHAPITRE IX : De l’ousie ou substance. De l’ousie proprement dite. Des ousies qui sont dites secondes [57] Tout ce dont il paraissait nécessaire de débattre ayant donc été exposé, il convient de définir les catégories une par une. Mais puisque l’ousie n’a pas pu être définie selon l’art – cet art qui recommande que la définition, en vue d’être déployée plus largement, se donne de commencer par le genre, or l’ousie elle-même ne possède pas de genre puisqu’elle-même les supporte tous –, il [sc. Aristote] a voulu la définir par ses parties, afin qu’on découvre ce qu’elle est, non seulement par sa définition, mais aussi par la connaissance de ses parties. 2a11-17 Par conséquent, est dite proprement et principalement « ousie » la chose qui n’est ni dans un sujet ni signifiée d’un sujet, comme l’est : « cet homme » ou « ce cheval ». [58] Secundae dicuntur usiae genus et species, id est animal et homo. Has ergo « secundas substantias » nominari dicit propterea quod illa sit potior quae neque in subiecto est neque de subiecto praedicatur. « Secundae » autem « substantiae » idcirco dictae sunt genus et species quod solae indicent primam; ut, si quis nolit vel nesciat dicere « Socratem », dicat homme, blanc, court, gagne ».
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« animal » vel « hominem », id est genus vel speciem. His vero dictis, quid sit Socrates agnoscitur; aliud autem si dicat, vel « currit » vel « ambulat », nihil possit agnosci. [58] Le genre et l’espèce sont dits ousies secondes, c’est-à-dire : « animal » et « homme ». Il [sc. Aristote] dit donc qu’on les nomme « substances secondes » pour cela que la substance qui n’est ni dans un sujet ni prédiquée d’un sujet est prédominante82 |83. 2b29-31 Or le genre et l’espèce ont été dits « substances secondes » pour cela que seuls ils indiquent la substance première |84. Comme si quelqu’un, ne voulant ou ne sachant pas dire « Socrate », disait « animal » ou « homme », 2b3136 c’est-à-dire genre ou espèce : par ces deux mots, on reconnaît ce qu’est Socrate. Mais s’il dit autre chose, comme : « il court », « il marche », il ne peut en rien être reconnu |85. [59] Manifestum est autem ea quae de subiecto significantur cum iis quae subiecta sunt et nomen et rationem nominis habere communem; ut « homo » de subiecto significatur aliquo homine, sed non solum nomen, verum etiam rationem eandem in subiecto invenies quam in eo quod de subiecto significatur poteris invenire. [59] 2a19-24 Or il est manifeste que les choses qui sont signifiées d’un sujet possèdent en commun avec celles qui sont « sujet » et le nom et la formule du nom, comme « homme » est signifié de tel homme sujet ; et tu trouveras également dans le sujet non seulement le nom, mais aussi la formule elle-même, que tu pourras trouver dans ce qui est signifié du sujet |86. Ce potior synthétise les proprie et principaliter du paragraphe précédent, qui eux-mêmes transposent les κυριώτατα, πρώτως et μάλιστα de la citation de la n. suivante, ces deux adverbes n’ayant apparemment pas été jugés différentiables l’un de l’autre par l’Anonymus. 83 « La substance est ce qui se dit proprement, premièrement et principalement ; ce qui à la fois ne se dit pas d’un certain sujet et n’est pas dans un certain sujet ; par exemple tel homme ou tel cheval. Mais se disent par ailleurs une seconde substances, les espèces auxquelles appartiennent les substances dites au sens premier – celles-là, et aussi les genres de ces espèces. Par exemple, tel homme appartient à l’espèce homme, et le genre de cette espèce est l’animal ». 84 « Mais c’est à bon droit que, seuls de tous les autres termes, les espèces et les genres sont dits substances secondes à la suite des substances premières ». 85 « Car ce sont les seuls, parmi les prédicats, à indiquer la substance première. En effet, lorsqu’on rend compte de ce qu’est tel homme, on en rendra compte de façon appropriée en répondant par son espèce ou son genre, et on le fera mieux connaître en répondant que c’est un homme ou un animal, alors que si on en rend compte (si par exemple on répond qu’il est blanc ou qu’il court, ou toute autre réponse de cette sorte), on en aura rendu compte d’une façon qui lui est étrangère ». 86 « (On voit, d’après ce qu’on a dit, que nécessairement, et le nom et l’énonciation de ce qui se dit d’un sujet s’appliquent à ce sujet. Par exemple, homme se dit d’un sujet, tel homme, et ce nom, bien sûr, s’applique à lui, car on appliquera homme à tel homme »). 82
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[60] Ipsarum deinde secundarum usiarum potior est species genere; magis enim proxima est species primae usiae quam genus. Si enim quis velit ostendere quid sit prima usia, facilius monstrabit si dixerit speciem, quam si dixerit genus; ut, si quis Socratem volens dicere omisso eius nomine, magis eum significet si « hominem » dixerit quam si « animal », (« animal » enim et equum et aquilam possumus agnoscere). Deinde ut primae substantiae subiectae sunt omnibus et his omnia sustinentur, ita etiam species generi, atque ideo magis usia ista quam cetera. [60] 2b7-12 Ensuite, des ousies secondes elles-mêmes l’espèce est plus appropriée que le genre : en effet, l’espèce est plus proche de la substance première que le genre. Car si quelqu’un veut montrer ce qu’est l’ousie première, il le montrera plus facilement s’il dit « espèce » que s’il dit « genre ». Comme si quelqu’un voulait dire « Socrate » sans citer son nom : il le désignerait davantage s’il le disait « homme » que s’il le disait « animal » |87 (nous pouvons, en effet, constater qu’« animal » est aussi « cheval » et « aigle »). 2b15-21 Ensuite, de même que les substances premières sont sujets de toutes les autres choses et qu’elles les supportent toutes, de même aussi l’espèce supporte le genre, et en cela elle est davantage ousie que les autres |88. [61] Videndum est etiam ne, quam speciem solum putamus, eadem sit et genus (ut si quis « animal » dixerit, dixit et genus); dehinc, si dicat « hominem », « equum », « piscem », « avem », pronuntiemus omnia solas species esse? Cum enim sint homo et equus, species manifestae sunt; piscis autem et avis, et genera et species (non enim una est forma avium et piscium): propterea ergo et « species » et « genera » nominantur. Illae autem quae species solum sunt, id est homo, equus, aquila, taurus, aequa virtute usia sunt; ut enim homo usia est, sic et equus et aquila et taurus in suo genere.
87 « Parmi les substances secondes, l’espèce est plus substance que le genre, car elle est plus proche de la substance première. En effet, si on doit rendre compte de ce qu’est la substance première, on le fera de façon plus instructive et plus appropriée en répondant par son espèce, qu’en répondant par son genre. Par exemple on rendra compte de façon plus instructive de tel homme en répondant que c’est un homme, plutôt qu’en répondant que c’est un animal ». 88 « En outre, étant donné que les substances premières sont présupposées comme sujets par tous les autres termes, et que tous les autres termes s‘appliquent à elles ou sont en elles, pour cette raison c’est d’elles surtout que l’on dit que ce sont des substances. Or ce que les substances premières sont par rapport aux autres termes, l’espèce l’est par rapport au genre. En effet, l’espèce est présupposée par le genre comme sujet ».
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[61] Il faut également prendre garde au fait que ce que nous croyons seulement une espèce ne soit pas elle-même aussi un genre (par exemple, si quelqu’un dit « animal », il a dit aussi un genre) ; dans ces conditions, si l’on dit « homme », « cheval », « poisson », « oiseau », exprimeronsnous que tous ne sont que des espèces ? Lorsque, en effet, il y a un homme et un cheval, les espèces sont manifestes ; mais « poissons » et « oiseaux » sont à la fois genres et espèces (il n’y a pas, en effet, qu’une seule forme d’oiseaux ou de poissons) ; ils sont donc pour cela dénommés « espèces » et « genres ». Les vocables qui sont seulement des espèces, c’est-à-dire « homme », « cheval », « aigle », « taureau », sont une ousie par un critère équivalent ; de même, en effet, qu’« homme » est une ousie, de même aussi « cheval », « aigle » et « taureau », chacun dans son genre89. [62] Decursis igitur partibus per quas usia definita est; et alio modo voluit eam definire si ostenderet ea quae necesse est in ea naturaliter inveniri. Ea enim quae insunt cuique, aut in solo et in omni, aut in solo et non in omni, aut in omni et non in solo, aut nec in solo nec in omni. Haec Graeci vocant, ἐν μόνῳ καὶ ἐν παντί, ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί, ἐν παντὶ καὶ οὐκ ἐν μόνῳ, οὐκ ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί. [62] Par conséquent, une fois parcourues jusqu’au bout les parties par lesquelles est définie l’ousie, il [sc. Aristote] a également voulu la définir d’une autre manière, en ce sens qu’il a montré ce qu’il est nécessaire de trouver naturellement en elle. En effet, ce qui est intérieur à quelque chose, soit est 1. « en un seul et en chacun », soit 2. « en un seul et non en chacun », soit 3. « en chacun et non en un seul », soit 4. « ni en un seul ni en chacun »90. Les Grecs appellent ces quatre modes d’être : ἐν μόνῳ καὶ ἐν παντί (1.), ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί (2.), ἐν παντί καὶ οὐκ ἐν μόνῳ (3.), οὐκ ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντί (4.)91. [63] Ut si, hominem definire volens, dicat risus capacem esse; hoc et in solo est et in omni (solus namque homo ridet et cunctis ridere naturale est). Secundo92, in solo et non in omni: ut definiens hominem « capacem 89 Au lieu de la leçon de Minio-Paluello : « et taurus [in suo] », nous traduisons la leçon des mss He, Gn et de la PL : « et taurus in suo genere » pour faire sens. 90 En d’autres termes : « particulier et général », « particulier et non général » « général et non particulier », « ni particulier ni général » – d’après le generale du § [64]. Ce dernier mot relève plus du grammairien que du dialecticien, qui aurait utilisé plutôt universalis (-singularis). 91 Cf. Porphyre, Isagoge, IV, 1 (= De Libera–Segonds, p. 15). 92 Pour plus de clarté, nous avons conservé les secundo, tertio, quarto de la PL.
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disciplinae » dicat esse (hoc in solo quidem homine inveniri potest, non tamen in omni; neque enim omnes disciplinas aliquas didicerunt). Tertio, in omni et non in solo; ut si quis hominem definiens dicat id esse hominem quod ambulat, quod cibum capit (hoc in omni quidem est homine, non tamen in solo; nam et pecudes cibum capiunt et ferae currunt). Quarto, nec in solo nec in omni; ut si quis in hominis definitione id esse dicat hominem quod album est (nec in solo nec in omni est; neque enim aut homo solus candidus invenitur, et non bos aut equus, aut omnis homo albus est). [63] Par exemple [et premièrement], si quelqu’un, voulant définir l’homme, dit : « être capable de rire », c’est à la fois « en un seul et en chacun » (car un seul homme rit et il est naturel à la totalité des hommes de rire). Deuxièment, « en un seul et non en chacun », par exemple , définissant l’homme, dit qu’il est « capable de science », (cela peut bien se rencontrer en un seul, non cependant en chacun ; et en effet, tous n’ont pas étudié certaines sciences). Troisièmement, « en chacun et non en un seul », comme si quelqu’un, définissant l’homme, dit que l’homme est ce qui se déplace et ce qui prend de la nourriture (cela appartient bien à tout homme, non cependant à lui seul ; car et les animaux domestiques prennent de la nourriture et les bêtes sauvages courent). Quatrièmement, « ni en un seul ni en chacun », par exemple : si quelqu’un, dans la définition d’« homme », dit que l’homme est ce qui est blanc (cela n’appartient ni à lui seul ni à chacun ; en effet, ni l’homme ne se rencontre seul clair de peau, pas plus que le bœuf ou le cheval, ni tout homme est blanc). [64] Duo ergo sunt quae ad investigandum aliquam viam monstrant, et duo quae certum aliquid significare non possunt. Id quod est nec in solo nec in omni, nihil ex hoc possumus agnoscere siquidem generale est; alterum in omni non in solo non habet differentiam; proptereaque similiter respuendum est. [64] Donc, parmi les quatre modes d’être intérieur à quelque chose, il y en a deux qui indiquent une certaine voie pour une recherche précise et deux qui ne peuvent signifier quelque chose de certain. Nous ne pouvons rien connaître de ce qui n’est 4. « ni en un seul ni en chacun », si cela est vraiment général ; l’autre mode d’être qui ne signifie rien de certain, à savoir ce qui est 3. « en chacun et non en un seul », ne présente pas de différence avec le précédent, et pour cela il faut semblablement le rejeter. [65] Duo sunt reliqua, quae certis signis id in quo fuerint poterunt demonstrare, id est in solo et in omni (dubitari enim non potest quin, cum
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inveneris, pronunties quid sit id in quo inesse cognoscitur); alterum est in solo non in omni, non quidem virtutis eiusdem, verumtamen quod ad definiendam rem necessario quaerendum sit, si primum non potuerit inveniri. [65] Les deux modes d’être restants concernent les choses qui peuvent indiquer par des signes certains ce en quoi elles se trouvent, à savoir ce qui est 1. « en un seul et en chacun » (en effet, il ne peut être mis en doute que, lorsque tu auras découvert le signe, tu auras révélé ce qu’est ce en quoi on sait qu’il est contenu) ; l’autre mode est ce qui est 2. « en un seul et non en chacun », non pas certes en fonction de la même capacité, mais à défaut parce que, en vue de définir une chose, il est nécessaire de se demander si le signe ne pourrait pas être découvert en premier lieu. [66] Nunc igitur, ut designet usian, ab in-omni-non-in-solo argumentari incipit cum demonstrat esse secundas usias quas idcirco secundas dicit esse quia id in his inveniri poterit quod in primis. Denique dicit commune hoc esse cuilibet usiae, ut in subiecto non sit. [66] À présent donc, pour désigner l’ousie, il [sc. Aristote] commence à argumenter par le « en-tous-non-en-un-seul », quand il démontre qu’il y a des ousies secondes dont il dit qu’elles sont secondes en raison de ce que l’on pourrait y trouver ce qui est dans les premières. Il dit enfin qu’3a7-10 il y a de commun à chaque ousie le fait qu’elle n’est pas dans un sujet. [67] Cum igitur nec genus nec species in subiecto inveniantur, manifestum est haec « secundas usias » debere nominari. Deinde hinc quoque ostendit genus et speciem secundas usias esse, quod omnia quae sunt, cum iis quae sibi subiecta sunt interdum solum nomen, non tamen et rationem possunt habere communem ; autem genus et species cum subiectis (id est cum aliquo homine) certam et rationis habent et nominis societatem. [67] Par conséquent, comme ni le genre ni l’espèce ne se trouvent dans un sujet, il est manifeste qu’ils doivent être nommés « ousies secondes » |93. En suite de quoi, il montre également que 3a15-20 « genre » et « espèce » sont des ousies secondes, parce que tout ce qui est peut avoir quelquefois, avec ce qui lui est sujet, le nom seul en commun, sans qu’il puisse pour autant posséder aussi la formule ; tandis que le genre et 93 « Un trait commun à toutes les substances est de n’être pas dans un sujet. En effet, la substance première ne se dit pas d’un sujet et n’est pas dans un sujet. Quant aux substances secondes, on voit en tous cas, suivant le même critère, qu’elles ne sont pas dans un sujet ».
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l’espèce a ccompagnés de sujets (par exemple de tel homme) possèdent l’association incontestable et de la formule et du nom |94. [68] Monstratis ergo secundis usiis, id est genere et specie, differentia sola restabat, quae consideranti diligentius quasi accidens videtur esse ; siquidem « bipes » vel « mortale » vel « rationale » cum animal dicitur, non quid sit sed quale sit potius demonstratur, ideoque videtur vim tenere qualitatis. Verum quando a genere prima oritur differentia, et sic sequitur species, in accidentibus non debet numerari. [68] 3a21-28 Donc, une fois établies les ousies secondes, c’est-à-dire les genres et les espèces, seule restait la « différence » qui, à la considérer plus soigneusement, ressemble presque à un accident ; s’il est vrai que « bipède », « mortel » ou « rationnel » sont dits avec animal, on n’indique pas « ce qu’on est » mais plutôt « quel on est », et à ce titre il semble posséder la caractéristique de la qualité. En revanche, quand la différence première vient du genre et qu’ainsi l’espèce s’ensuit, elle ne doit pas être comptée au nombre des accidents. [69] Atque ideo Aristoteles eam significatione quidem mixtam dixit esse, virtute autem inter usias habendam decrevit: eadem enim in hac inveniri pronuntiat quae et in ceteris substantiis reperiuntur, id est cum subiecto posse et nomen et rationem habere consimilem (cum enim « gressutum hominem » dicimus, in subiecto idem et vocabulum et eius rationem eandem possumus invenire; Socrates enim et homo est et gressutus). [69] Et c’est certes pour cela qu’Aristote a dit qu’elle est mixte par sa signification et, en raison de cette caractéristique, a décidé de la ranger parmi les ousies ; en effet, il déclare que ce que l’on découvre en elle est identique à ce que l’on trouve dans les autres substances95, à savoir de pouvoir posséder avec le sujet à la fois le nom et la formule entièrement semblable (effectivement, quand nous disons : « homme capable de marcher », nous pouvons trouver à la fois le nom même et sa formule même dans le sujet ; en effet, Socrate est à la fois « homme » et « capable de marcher ») |96. 94 « De plus, rien n’empêche que l’on applique parfois à un sujet le nom des termes qui sont dans ce sujet, mais c’est impossible pour leur énonciation. Or pour les substances secondes, leur énonciation s’applique au sujet aussi bien que leur nom : en effet, on appliquera à tel homme l’énonciation de l’homme et celle de l’animal ». 95 On notera en passant l’usage conjoint, dans une parité de sens, d’usia et de substantia. 96 « Cependant, ce trait n’est pas propre à la substance ; la différence elle aussi fait partie des choses qui ne sont pas dans un sujet. En effet, le pédestre et le bipède se disent bien d’un sujet qui est l’homme, mais il ne sont pas dans un sujet. Car le bipède n’est pas
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[70] Similiter sequitur cetera argumentando variata, demonstrans quaedam inesse usiae quae sola et omnis habeat, quaedam quae sola et non omnis, quaedam quae omnis et non sola, quaedam nec sola nec omnis. Quae, quoniam in Aristotele ipso manifesta sunt, superfluum visum est aperire: maxime cum hic sermo non transferre omnia quae a philosopho sunt scripta decreverit, sed ea planius enarrare quae rudibus videbantur obscura. [70] 3a33-4a19 Il s’attache semblablement à examiner toutes les autres variétés de choses, démontrant que l’une est intérieure à l’ousie qui la possède 1. « seule et toute », qu’une autre est possédée 2. « seule et non toute », qu’une autre est possédée 3. « toute et non seule », qu’une autre n’est possédée 4. « ni seule ni toute ». |97 Il paraît superflu d’éclairer ces points puisqu’ils sont évidents chez Aristote lui-même, surtout sachant que le présent discours n’a pas pour but de rendre tout ce qui a été écrit par le Philosophe, mais de rapporter plus clairement ce qui peut apparaître obscur aux esprits mal dégrossis. De quantitate CAPUT X. Quanto nihil est contrarium. Contraria quae dicantur [71] Descripta igitur usia, quoniam definiri non potuit propter eas causas quas superius memoravi, accidentium definitionem necessarius ordo poscebat. Quorum primum est quantum, nec sine causa; nam cum aliquid viderimus id necesse est quantum sit aestimare. Quantum vero sit inveniri non potest, nisi fuerit adhibita mensura collectum. De la » quantité » CHAPITRE X : Il n’y a rien de contraire au quantifié. Les contraires qui doivent être dits de la quantité. [71] Une fois l’ousie décrite, puisqu’elle n’a pas pu être définie pour les raisons que j’ai rappelées plus haut, l’ordre nécessaire exigeait la dans l’homme, et le pédestre non plus. En revanche, l’énonciation de la différence s’applique aussi bien à ce dont la différence est dite : si par exemple le pédestre se dit de l’homme, l’énonciation du pédestre s’appliquera également à l’homme : car l’homme est un animal pédestre ».. 97 Le passage ëtant trop étendu pour figurer ici, nous renvoyons à sa lecture chez Crubellier-Pellegrin, p. 36-37. Le codage des propriétés restantes de la substance correspond à ceci : 1. = la substance seconde est attribuée dans un sens synonyme, 2. = la substance est désignative (d’un τόδε τι ou hoc aliquid pour la première, d’un ποιόν ou quale aliquid pour le seconde), 3. = la substance n’admet pas de contrariété, 4. = la substance n’admet ni le plus ni le moins en elle-même.
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d éfinition des accidents. Parmi eux, le premier est le quantifié98, et non sans raison, car, lorsque nous voyons quelque chose, il est nécessaire que le quantifié soit évalué. Or le quantifié ne peut être identifié sans qu’il soit délimité au moyen de la mesure. [72] Si ergo omissa latitudine solam quis longitudinem voluerit emetiri, longitudo sine latitudine mensurae subiecta γραμμή dicitur; non quod sit longitudo aliqua quae careat latitudine, sed quod solam quis metiens longitudinem γραμμήν metiri dicitur. Emensa vero cum longitudine latitudo dicitur ἐπιφανεία. Sin autem et altitudo fuerit mensurae sociata, corpus cuncta perficiunt; quod tamen non ita accipimus quemadmodum solemus accipere naturale corpus ne ad usiam reverti videamur. [72] Si donc quelqu’un veut mesurer la seule longueur, abstraction faite de la largeur, on dit de la longueur soumise à la mesure sans la largeur qu’elle est une γραμμή [« ligne »]99 ; non point parce que ce serait la longueur qui manquerait d’une certaine largeur, mais parce que celui qui mesure la seule longueur est dit mesurer la γραμμή. Quant à la largeur mesurée avec la longueur, elle est dite ἐπιφάνεια [« surface »]. En outre, si la hauteur aussi est associée à la mesure, toutes ces données forment un corps ; cependant, parce que nous ne l’entendons pas de la même manière que nous avons l’habitude d’entendre un corps naturel, cela ne nous semble pas devoir être renvoyé à l’ousie. [73] Deinde metimur et locum in quo aliquid constitutum est. Tempus quoque mensurae subicitur; nam cum movetur aliquid, ipso motu necesse est et temporis habere mensuram, cum dicimus « primo » vel « secundo » vel « tertio anno pervenit », et « mense » vel « die » vel « hora » vel « momento ». [73] Ensuite, nous mesurons aussi le « lieu », dans lequel quelque chose est constitué. Le « temps » est également soumis à la mesure ; car, lorsque quelque chose se meut, il est nécessaire d’obtenir aussi la mesure du temps par le changement lui-même, quand nous disons : « il parvient à la première, à la deuxième, à la troisième année », et « au premier, au deuxième, au troisième mois », ou « jour », ou à la première, à la deuxième, à la troisième « heure », ou au premier, au deuxième, au troisième « moment ». 98 Fidèle à Aristote, qui utilise partout le neutre τὸ ποσόν, l’Anonymus, après avoir introduit la quantitas au § [52], ne traitera de celle-ci que par le quantum. Nous sommes tenu de faire sentir la différence dans notre traduction. 99 Au § [72] et [100], l’Anonymus use du mot γραμμή pour désigner la « ligne », mais au § [173], il introduit linea pour la première et la seule fois.
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[74] Hoc modo igitur quantum sit quidque colligitur; ipsius autem quanti aliud est cohaerens, aliud separatum100. Cohaerens est gramme, epiphania101, corpus, locus et tempus; in his enim singularum partium terminos non potest habere mensura. [74] C’est par conséquent de cette manière qu’est cerné le quantifié de chaque chose. 4b20 Mais autre est ce qui est continu relativement au quantifié lui-même, autre ce qui est discret. 4b23-25 Continus sont la « ligne », la « surface », le « corps », le « lieu » et le « temps »102 |103. En eux, effectivement, la mesure ne peut avoir de limites pour chaque partie. [75] Simul namque ut grammes medio punctum figens quasi certum mensurae terminum dederis, utrarumque partium quae, divisa gramme, factae sunt, fit terminus ille communis, ut incertum sit cui parti affixus terminus videatur: adeo sibi pars utraque cohaeret atque coniuncta est. [75] 5a1-14 Car au moment où, plaçant un point au milieu d’une ligne, tu donnes comme une limite pour ainsi dire certaine à la mesure, cette limite devient commune aux deux parties, qui, une fois la ligne divisée, ont été créées, de sorte qu’il devient incertain de voir à quelle partie appartient la limite qui a été fixée, tant l’une et l’autre parties sont solidaires et unies entre elles. [76] Epiphania quoque, simili de causa, conexa dicitur et cohaerens; denique si quis hanc dividere voluerit, in eius medio grammen ponat necesse est, haec gramme quae epiphaniam dividit cum ex hac duas partes fecerit. Ipsarum duarum partium ipsa gramme terminus incipit esse communis; sic enim sibi conexa est ut non appareat cui terminus videatur infixus. [76] La surface aussi, par une cause semblable, est dite « solidaire » et « continue ». En somme, si quelqu’un veut la diviser, il lui est nécessaire de placer une ligne en son milieu, puisque cette ligne qui divise la surface en aura fait deux parties. Cette ligne même a pour fonction d’être la limite commune des deux parties elles-mêmes ; car elle en apparaït si solidaire qu’on ne voit pas pour quelle partie la limite a été fixée. Par cohaerens et separatum l’Anonymus traduit συνεχής et διωρισμένον. L’Anonymus préfère translittérer les mots grecs plutôt que d’employer les substantifs linea (voir cependant §[173]) et superficies. 102 Aristote énumère un peu différemment ces continus : la ligne, la surface, le corps, le temps et le lieu (voir n. suivante) – cf. § [51], [96], [124]. 103 « Dans la quantité, il y a d’une part celle qui est discrète et d’autre part celle qui est continue… Sont des quantités discrètes, par exemple, le nombre et le discours ; sont des quantités continues la ligne, la surface, le corps et, outre ceux-ci, le temps et le lieu ». 100
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[77] Similiter corpus si quis secare voluerit, dividendi corporis terminus gramme vel epiphania sit necesse est; ipsa enim praecisio quam gramme facit cum epiphania necesse est descendat in corpus; atque ideo incertum est sive gramme sive epiphania cui parti terminum dederint, cum diviso corpore, in utraque parte epiphaniam necesse sit reperiri. Ideoque corpus cohaerens est in quo faciendarum duarum partium communis est terminus. [77] Semblablement, si quelqu’un veut partager un corps, il est nécessaire que la limite qui divise le corps soit une ligne ou une surface. En effet, il est nécessaire que la section même que fait la ligne avec la surface s’abaisse dans le corps ; et ainsi, on ne peut pas savoir à quelle partie, soit la ligne soit la surface sert de limite, puisque, le corps une fois divisé, on trouve nécessairement une surface dans l’une et l’autre parties. Voilà pourquoi est solidaire le corps dans lequel la limite des deux parties, quand on les trace, est commune. [78] Temporis quoque similis ratio est cui dividendo, si velimus terminum dare, dicamus « modo ». « Modo » autem inter praeteritum et futurum tempus ita confusum est, ut incertum sit quo debeat separari. Locus autem, quoniam corpus quodcumque circumdat et corporis partibus occupatur, ita communi termino partitur quemadmodum partitur et corpus, ac propterea necesse est eum « cohaerentem » ut cetera nominari. [78] Le raisonnement est semblable aussi pour le temps, lequel, si nous voulons donner une limite en le divisant, nous dirons « présent ». Or le « présent » se confond tellement avec les temps du passé et du futur, qu’est incertain celui duquel il doit être séparé. Quant au lieu, puisqu’il circonscrit chaque corps et est occupé par les parties du corps, il est partagé par une limite commune de la même manière que le corps aussi est partagé. C’est pour cela qu’il est nécessaire qu’on le nomme « solidaire », comme les autres quantifiés |104. 104 « La ligne est une quantité continue, car il est possible de trouver une limite commune sur laquelle ses parties entrent en contact : un point ; et pour la surface c’est une ligne ; en effet, les parties de la surface entrent en contact sur une limite commune. Et de même, dans le cas du corps, on pourrait trouver une limite commune – une ligne ou une surface – sur laquelle les parties du corps entrent en contact. Et le temps et le lieu font eux aussi partie de cette sorte de quantités : en effet, le temps présent entre en contact et avec le passé et avec le futur ; et le lieu, lui aussi, fait partie des quantités continues : en effet, les parties du corps, qui entrent en contact sur une certaine limite commune, occupent un certain lieu. Donc les parties du lieu aussi, qui sont occupées par chacune des parties du corps, entrent également en contact sur cette même limite sur laquelle les parties du corps entrent elles aussi en contact ; de sorte que le lieu lui aussi serait continu ; et en effet, ses parties entrent en contact sur une limite commune unique ».
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[79] Separata vero sunt, numerus et oratio. Quis enim non advertat propriis terminis unum separatum esse a duobus, duos a tribus? Et in oratione singulae syllabae separatae sunt; et natura enim et numero segregantur cum alteram « brevem » dicimus alteram « longam », et « unam » vel « duas ». Nimirum apparet haec quae diximus et ad quantum pertinere et « separata » oportere nominari. [79] 4b22-23 Quant au nombre et au langage, ils sont discrets |105. 4b2537 Qui, en effet, ne remarque pas que « 1 » est discret par rapport à « 2 », et « 2 » par rapport à « 3 », par des limites propres ? Et dans le langage, les syllabes différenciées sont discrètes : elles sont, en effet, différenciées par la nature et par le nombre, quand nous disons l’une « brève », l’autre « longue », et qu’il y en a une ou deux. Il apparaît à l’évidence que les choses dont nous venons de parler appartiennent au quantifié et qu’il faut les nommer « discrètes » |106. [80] Horum quantorum est et alia differentia; nam ex his alia sunt quorum partes positionem habeant ex qua possit agnosci quae pars cuique iungatur, alia vero quorum partes positionem habere non possunt. Positionem autem dico cum videmus cuiusque rei dexteram, laevam, superiora, inferiora, ante, post, longe, iuxta. [80] 4b21-22 Il y a encore une autre différence dans ces quantifiés, 5a15-16 car il y en a certains parmi eux dont les parties ont une position à partir de laquelle peut être connue la partie qui est en contact avec chacune |107, alors qu’il y en a d’autres dont les parties ne peuvent avoir 105 « Sont des quantités discrètes, par exemple, le nombre et le discours ». Rappelons que separatum traduit ici διωρισμένος, qui, dans ce contexte, est synonyme de « distinct », de « séparé » et de « discontinu ». 106 « En effet, les parties du nombre n’ont aucune limite commune sur laquelle ses parties entreraient en contact. Par exemple, si cinq est une partie de dix, ce cinq et l’autre cinq n’entrent pas en contact sur une limite commune, mais ils sont séparés : et le trois et le sept n’entrent pas en contact sur une limite commune. Et en général on ne pourrait pas, dans le cas du nombre, découvrir une limite commune à ses parties, mais chaque fois elles sont séparées. De sorte que le nombre, quant à lui, fait partie des quantités discrètes. Mais de la même façon, le discours fait partie des quantités discrètes. (Que le discours, en effet, est une quantité, c’est manifeste ; car il est mesuré par la syllabe brève ou longue. Je veux parler ici du discours qui s’accompagne d‘émission vocale). En effet, ses parties n’entrent pas en contact sur une limite commune ; car il n’existe pas de limite commune sur laquelle les syllabes entrent en contact, mais chacune est séparée et en elle-même ». 107 « Et il y a aussi, d’une part celle qui est constituée d’éléments ayant une position les uns par rapport aux autres, et qui sont ses parties, et d’autre part celle qui est constituée d’éléments qui n’ont pas de position… En outre, certaines quantités sont constituées de parties ayant une position les unes par rapport aux autres, et les autres de parties qui n’ont pas de position ».
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de position. Or je dis « position » quand nous voyons de chaque chose la « droite », la « gauche », le « dessus », le « dessous », le « devant », le « derrière », le « lointain », le « proche ». [81] Sunt ergo quorum partes sibi manifesta positione iunguntur haec : gramme, epiphania, corpus, locus. Sive enim in gramme sive in epiphania sive in quolibet horum positis terminis partes feceris, quanquam sibi cohaerentes videantur atque coniunctae tamen adverti corporaliter licet quae pars ubi sit, cui vicina sit, cuique iungatur. [81] 5a17-23 Il y en a donc dont les parties sont en contact par une position déterminée, ce sont : la « ligne », la « surface », le « corps », le « lieu ». Si en effet, tu fais des parties soit dans la « ligne », soit dans la « surface », soit dans n’importe lequel de ces quantifiés en y posant des limites, bien qu’elles paraissent continues et en contact, pourtant il est loisible de remarquer, corporellement parlant, où se trouve telle partie, de laquelle elle est voisine et avec laquelle elle est en contact |108. [82] Sunt vero quorum partes positionem non habent haec: tempus, numerus, oratio. « Unum » enim cum dicimus (ipsum numerum solum dicentes, non aliquid corporaliter numerantes), non videmus vel ejus dextram vel sinistram: quippe cum in verbo sit, et in nullo sit corpore, positionem suarum partium non potest demonstrare: nisi forte ordinem dixerimus, quod unum sequuntur duo; positio autem in his dumtaxat non potest inveniri. [82] 5a23-27 Mais il y en a dont les parties n’ont point de position, ce sont : le « temps », le « nombre », le « langage ». En effet, quand nous disons « 1 » (en disant seulement le nombre lui-même et en ne nombrant pas quelque chose corporellement parlant), nous ne voyons ni sa droite ni sa gauche. Assurément, comme cela relève seulement du mot et aucunement du corps, il ne peut indiquer la position de ses parties |109, 5a2829 à moins peut-être que nous ne parlions d’ordre, parce que « deux 108 « Les parties de la ligne ont une position les unes par rapport aux autres, car chacune d’elles est située quelque part, et on pourrait saisir par la pensée et expliquer où chacune est située dans la surface, et avec laquelle des autres parties elle est en contact. Et de même, les parties de la surface ont elles aussi une certaine position ; car on pourrait expliquer de la même façon où chacune est située, et lesquelles sont en contact les unes avec les autres ; et de même pour les parties du corps et pour celles du lieu ». 109 « Dans le cas du nombre, par contre, on ne pourrait assurément pas faire voir de quelle façon ses parties auraient une position les unes par rapport aux autres ou se trouveraient quelque part, ou lesquelles de ses parties entreraient en contact les unes avec les autres ».
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choses » en suivent « une ». 5a32-33 Or dans ces quantifiés uniquement, on ne peut pas trouver de position |110. [83] Similiter et in tempore atque sermone, maxime cum haec mox videantur labi; cum dixeris et tempus currit;111 et sermo, cum nondum dictus fuerit, non apparet. Manifestum est igitur haec tria positionem diversarum partium non habere. [83] Semblablement pour le temps et le discours, surtout quand ils paraissent ensuite s’écouler ; quand tu parles, le temps court aussi. Et le discours n’est pas saisissable tant qu’il n’a pas encore été dit. Il est par conséquent manifeste que ces trois quantifiés n’ont pas de position dans leurs différentes parties. [84] Proprie igitur haec sola, quae dicta sunt, « quanta » nominantur; si quae112 vero praeter haec inveniri potuerint, debent pro accidentibus poni; sunt enim quaedam quae accidentibus ipsis accidunt. Ut, si dicamus « multum album »; propterea « multum » album dicitur non quod ipsum album sit immensum, sed quod epiphania, in qua album est, multa cernatur; manifestum est igitur, cum « multum » album dicimus, ex epiphaniae quantitate album, quod illi accidit, aestimari. Similiter cum longos actus dicimus, non quod actus immensi sint, longi dicuntur, sed ex temporis mensura, quo continentur actus, actuum quantitas aestimatur. [84] 5a38-b9 Par conséquent, seules les choses qui ont été dites [sc. le « temps », le « nombre », le « discours »] sont nommées proprement « quantifiés », et celles que l’on peut trouver en dehors d’elles, on doit les tenir pour des accidents. En effet, il y en a certaines qui affectent les accidents eux-mêmes. Comme lorsque nous disons : « du blanc étendu », on dit : « du blanc étendu », non pas pour cela que le blanc lui-même est très abondant, mais pour cela que la surface dans laquelle se trouve le blanc est perçue comme étendue. Il est par conséquent manifeste que lorsque nous disons : « du blanc étendu », on estime le blanc par la quantité de la surface qu’il affecte. Semblablement, lorsque nous disons : « des actions qui durent », ce n’est pas parce que les actions sont très 110 « Et pas davantage pour les parties du temps, car aucune des parties du temps ne subsiste… Et de même dans le cas du nombre, du fait que un est compté avant deux, et deux avant trois, de cette façon aussi auraient un ordre, mais on ne trouverait absolument pas de position ». 111 Nous avons modifié la ponctuation de Minio-Paluello : « maxime cum haec mox videantur labi cum dixeris ; et tempus currit; » sur cette partie du texte, laquelle nous a semblé ne point faire sens. 112 La leçon de Minio-Paluello (« si qua »), nous est apparue sans signification.
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étirées qu’elles sont dites « durer », mais c’est par la mesure du temps qui renferme l’action qu’est estimée la quantité des actions |113. [85] Illud tamen speciale debemus agnoscere, quanto contrarium nihil esse; epiphaniae enim sive grammae sive duobus cubitis sive tribus contrarium nihil est. Nisi forte errore quodam multum et exiguum esse putemus contraria, non advertentes haec in eorum numerum quae ad-aliquid dicuntur debere transferri. Nihil enim multum vel exiguum dicitur nisi alteri fuerit comparatum. Cum enim dicimus montem « brevem », grandiorem esse alterum cui comparatus est indicamus; vel, cum dicimus « grande » milii granum, comparatione sui generis in quo brevius aliquid invenitur, illud esse grandius monstramus114. Ac propterea manifestum est multum et exiguum vel grande vel breve cum comparata sui vocabulum reperire. [85] 5b11-22 Cependant, nous devons reconnaître notamment qu’il n’y a rien de contraire au quantifié. Il n’y a rien de contraire, en effet, ni à la « surface », ni à la « ligne », ni à « deux coudées » ou à « trois coudées ». À moins peut-être que, par erreur, nous ne pensions qu’« étendu » et « limité » soient contraires, en ne remarquant pas qu’ils doivent être mis au nombre de ce qui est dit « relativement à quelque chose ». Rien, en effet, n’est dit « étendu » ou « limité » s’il n’a pas été comparé à un autre. Quand nous disons, effectivement, une montagne « petite », nous indiquons qu’il en existe une autre plus élevée à laquelle elle a été comparée. Ou bien, quand nous disons « gros » un grain de millet, nous montrons qu’il est plus gros par une comparaison à l’intérieur de son propre genre, dans lequel on en trouve de plus petit. Et il est pour cela manifeste qu’« étendu » et « restreint », « élevé » et « petit » obtiennent leur vocable après avoir été comparés à quelque autre |115. 113 « Seuls les termes que nous venons de mentionner sont appelés des quantités à proprement parler ; tous les autres le sont par accident. Car c’est en nous référant à ceuxlà que nous disons que les autres choses, elles aussi, sont d’une certaine quantité. Par exemple, on dit qu’il y a beaucoup de blanc parce que la surface est grande ; et que l’action est longue parce que son temps est long ; et on dit que le changement est grand. Car aucune de ces choses n’est dite « d’une certaine quantité » par elle-même. Par exemple, si on doit expliquer de quelle grandeur est l’action, on en déterminera la durée, en expliquant qu’elle prend une année, ou de quelque manière semblable ; et pour expliquer quelle quantité de blanc il y a, on déterminera la surface, car autant la surface est étendue, autant on dira qu’il y a du blanc. De sorte que seuls les termes que l’on a mentionnés sont appelés des quantités à proprement parler et en eux-mêmes ; et aucune des autres choses, considérée en elle-même, n’est une quantité ». 114 Nous conservons le monstramus de la PL pour faire sens. 115 « Il n’y a rien qui soit contraire à une quantité. Dans le cas des quantités déterminées, il est manifeste qu’il n’y a rien qui soit, par exemple, le contraire de long de deux coudées ou de trois coudées, ou d’une surface ou de quelque chose de cette sorte. En effet, il n’y a
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[86] Nec in hoc solo errat qui putat multum et exiguum quanto debere coniungi, verum etiam si existimet esse contraria; quod fieri penitus non potest. Nam si haec quodam errore decepti contraria dicimus, fiet ut in una re uno atque eodem tempore contraria videantur incidere. Una enim res et « maior » a minore et « brevis » a maiore uno atque eodem tempore poterit nominari, quod fieri nec rerum natura patitur nec ratio ipsa permittit. Ac propterea eorum sententia repellenda est qui haec credunt esse contraria. [86] 5b30-6a1 Et ce n’est pas seulement en cela que se trompe celui qui pense qu’« étendu » et « limité » doivent être associés dans le seul quantifié, mais bien plus quand il estime qu’ils sont contraires, ce qui ne peut absolument pas être le cas. Car si, trompés par quelque erreur, nous les disons contraires, il adviendra que des contraires se rencontreront en une seule chose et en un seul et même temps. En effet, une seule chose pourra être nommée en un seul et même temps plus grande qu’une plus petite, et plus petite qu’une plus grande, ce que ne souffre pas la nature des choses, ni ne permet la raison elle-même. Et c’est pour cela que doit être rejeté le jugement de ceux qui les croient contraires |116. [87] Magis in quanto contrarietas circa locum videri potest. Veteres enim supra et infra propter coeli terraeque distantiam contraria sibi esse dixerunt, undiqueversum asserentes terram subter esse, coelum super. Contemplantibus enim nobis naturam rerum, terra quae videtur in medio, ubique subter est; nam et antipodes nostri, qui nobis dicuntur adversa figere vestigia, coelum super se habent. Claret igitur terram semper in inferioribus constitutam. rien qui leur soit contraire, à moins que l’on affirme que beaucoup est le contraire de peu, ou grand de petit. Or aucun de ces termes n’est une quantité, mais ils font partie des relatifs, car on ne dit jamais que quelque chose est grand ou petit par soi, mais en le comparant à un autre terme. Par exemple, on dit qu’une montagne est petite ou qu’un grain de millet est gros, du fait que celui-ci est plus grand que les autres objets du même gentre, et celle-là plus petite que les objets du même genre. Donc on fait référence à quelque chose d’autre, puisque, si vraiment on disait que quelque chose est grand ou petit en lui-même, on ne dirait jamais que la montagne est petite et que le grain de millet est gros ». 116 « Que l’on pose que ce sont des quantités, ou bien que ce n’en sont pas, il n’y a rien qui leur soit contraire. Car ce qu’il n’est pas possible de saisir soi-même en soimême, mais en se référant à quelque chose d’autre, comment cela pourrait-il avoir un contraire ? En outre, si grand et petit sont contraires, il s’ensuivra que le même objet recevra ensemble les contraires, et qu’il y aura des choses qui seront contraires à ellesmêmes. Car il arrive parfois que la même chose soit ensemble grande et petite (car elle est petite par rapport à ceci, cependant que, tout en restant la même, elle est grande par rapport à une autre) ; de sorte que le même objet se trouvera être grand et petit au même moment, de sorte qu’il recevra ensemble des contraires. Mais on estime que rien ne reçoit les contraires ensemble ».
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[87] 6a11-15 On peut davantage constater de la contrariété dans un quantifié à propos du lieu. En effet, les Anciens ont dit, à cause de la distance du ciel et de la terre, qu’« en haut » et « en bas » étaient contraires entre eux, affirmant que, où que l’on se trouve, la terre est « au-dessous » et le ciel « au-dessus ». En effet, quand nous contemplons la nature des choses, la terre117, qui est vue au centre, est partout au-dessous ; car nos antipodes118 aussi, dont on dit par rapport à nous qu’ils impriment des traces à l’opposite, ont le ciel au-dessus d’eux. Par conséquent, il est évident que la terre est toujours placée en des lieux inférieurs |119. [88] Deinde illa quoque a physicis iungitur ratio quod propterea ex diversitate locorum terra coelo contraria est (id est illud super, haec deorsum), quod omnia quae pondere gravia sunt naturaliter feruntur ad terram, ad coelum vero levari necesse est quae videntur esse leviora. Hinc igitur coelum terramque contraria sibi esse dixerunt quod hanc deorsum, illud vero superius naturalis necessitas collocavit. Ex hac igitur ratione videtur contrariorum omnium definitio constituta; dicuntur enim illa esse contraria quae cum sint ex uno eodemque genere, multo tamen a se spatio separantur. [88] Ensuite, ce raisonnement est ajouté par les physiciens : la terre est, par ses différentes parties, contraire au ciel (c’est-à-dire que celui-ci est toujours au-dessus et celle-là toujours vers le bas), parce que toutes les choses qui sont plus lourdes sont naturellement portées vers la terre, tandis qu’il est nécessaire que celles qui paraissent plus légères s’élèvent vers le ciel. Par conséquent, ils ont dit que le ciel et la terre étaient contraires entre eux parce qu’une nécessité naturelle a placé celle-ci vers le bas et celui-là plus au-dessus. 6a15-18 Par suite, c’est par ce raisonnement que la définition de tous les contraires semble constituée. On dit, en effet, que sont contraires les choses qui, bien qu’elles soient dans un seul et même genre, sont cependant éloignées entre elles par un espace étendu |120. 117 Par natura rerum, l’Anonymus entend probablement le κόσμος d’Aristote, et par terra la γῆ, au centre duquel elle se tient immobile (voir, par ex., Physique, 296b22). 118 Dans son emploi substantivé, « antipode » désigne une personne qui occupe un point diamétralement opposé à un autre point de la surface du globe. 119 « C’est surtout dans le cas du lieu que l’on pense qu’il existe une contrariété en matière de quantité. En effet on oppose le haut et le bas, en disant que la région qui entoure le centre du monde (κόσμος) est en bas, du fait que ce qui est à la plus grande distance par rapport aux limites du monde, c’est le centre ». 120 « Or il semble que la définition des autres contrariétés provient elle aussi de ces contraires-là : car on définit comme contraires les termes qui sont le plus éloignés l’un de l’autre parmi ceux qui appartiennent à un même genre) ».
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[89] Sed haec qui asserunt habent advertere ad-aliquid dictis potius debere coniungi, siquidem « supra » dici non potest nisi et « infra » fuerit designatum. Quod si calumniari quibusdam libet, « supra » et « infra » categoria magis quae ubi dicitur videri potest (cum enim « supra » et « infra » dicimus, ubi aliquid geratur agnoscitur); sed haec, ut diximus, garrientium sint; nos vero in quanto admitti contrarium credere non debemus. [89] Mais ceux qui assurent cela, doivent remarquer que l’on doit plutôt rattacher ces expressions au « relativement à quelque chose », puisque, assurément, on ne peut pas dire « en haut » sans que soit aussi désigné ce qui est « en bas ». Et s’il vient à l’idée de certains de le contester, « en haut » et « en bas » peuvent plutôt relever de la catégorie appelée « où » (quand, en effet, nous disons « en haut » et « en bas », il est reconnu « où » quelque chose se tient). Mais cela, comme nous l’avons dit, relève des bavards. Quant à nous, nous ne devons pas croire que le « contraire » est admis dans le quantifié. [90] Advertere interea licet hujus occasione tractatus, aliud esse super et subter naturale; aliud vero quod circa nos; naturale enim non potest immutari, nostrum autem migratione hominum commutatur ; ut, si quis, cum in inferioribus fuerit, ad superiora conscendat aut e superioribus velit ad inferiora descendere, omnia quae illi ante fuerant commutantur, cum descendenti inferiora quae fuerant superiora cernantur. [90] Cependant, il est permis de remarquer, à l’occasion de la question traitée, qu’une chose est ce qui se trouve « au-dessus » et « au-dessous » quant à la nature, une autre ce qui nous environne ; en effet, ce qui est quant à la nature ne peut être changé, mais notre monde, lui, se trouve bouleversé par la migration des hommes ; comme si quelqu’un, alors qu’il est dans l’inférieur, accédait au supérieur, ou du supérieur voulait descendre vers l’inférieur, pour lui tout ce qui avait été auparavant se trouverait bouleversé, puisque, une fois descendu, il percevrait comme supérieur ce qui était auparavant inférieur. [91] Illud quoque quanto inest – in omni quidem, non tamen in solo – ut non recipiat magis et minus (quod graece dictum est μᾶλλον καὶ ἧττον.) « Bipedale » enim cum dicimus, non possumus aliud « bipedale magis » vel « minus » dicere; simili enim modo bipedale secundum est quemadmodum et primum; quod si aliud alio amplius fuerit, iam non bipedalis sed alterius mensurae suscipit nomen. Nec numerus magis aut minus sustinet, siquidem tres « magis aut minus tres » nominare dementiae est; et tempus non potest esse tempore magis aut minus. Claret igitur his expositis magis et minus in quanto inveniri non posse.
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[91] 6a19-25 Il est aussi caractéristique du quantifié – assurément en chacun et non cependant en un seul – de ne pas admettre « le plus et le moins » (qui se dit en grec : μᾶλλον καὶ ἧττον). En effet, quand nous disons une mesure « de deux pieds », nous ne pouvons pas en dire une autre « plus ou moins de deux pieds ». C’est effectivement de la même manière qu’une deuxième mesure de deux pieds équivaut aussi à la première ; et si l’une est plus grande que l’autre, elle n’est plus « de deux pieds », mais elle prend le nom d’une autre mesure. Le nombre non plus n’admet pas « le plus et le moins », puisqu’il relève de l’absurdité de nommer 3 « plus ou moins 3 » ; et un moment du temps ne peut pas être « plus ou moins » dans le temps. Il est clair, par conséquent, que « le plus et le moins » ne peuvent se trouver dans le quantifié |121. [92] Proprium vero quanti, et quod in omni et in solo invenitur, illud est, † ut omnia eius « paria » aut « imparia » dicantur, ut numerus « par » et « impar » (non « aequalis numerus » si par est, aut, si impar, non inaequalis); similiterque eius omnia non « aequalia » et « inaequalia », sed « paria » aut « imparia » nuncupantur †. Cetera vero quae ad quantum non pertinent, « similia sibi » potius quam « aequalia » nominamus, ut album « albo simile » aut « non simile » dicatur. Hoc enim verbum specialiter iis quae in quanto sunt videtur infixum. [92] 6a26-35 Au vrai, le propre du quantifié, que l’on trouve à la fois « en chacun et en un seul », c’est † que toutes ses parties sont dites « paires » ou « impaires », comme un nombre est dit « pair » et « impair » (un nombre n’est pas « égal » s’il est « pair », ou bien s’il est « impair » il n’est pas « inégal »)122. Et semblablement, tous ces 121 « Et on estime que la quantité, par exemple de deux coudées, n’admet pas le plus ni le moins ; car un objet n’est pas davantage de deux coudées qu’un autre. Et de même dans le cas du nombre, par exemple on ne dit pas du tout que trois est plus trois que cinq, ni un trois qu’un trois. Et on ne dit pas non plus qu’un temps est plus temps qu’un autre, et en général plus et moins ne se disent d’aucun des termes qui ont été mentionnés.. De sorte que la quantité n’admet pas le plus et le moins ». 122 Bien que le passage soit lacunaire, nous avons tenu à distinguer, dans la traduction, par d’aequalis et impar d’inaequalis. Pour ce faire, nous avons utilisé les deux sens de par et d’impar, qui signifient d’abord « égal » et « inégal », puis « pair » et « impair », attendu qu’il faut voir dans par et impar l’« égal en quantité » et l’« inégal en quantité », et dans aequalis et inaequalis l’« égal en dimension » et l’« inégal en dimension », ces deux dernières acceptions ne convenant pas ici. Ce qui donne ceci : « comme un nombre est dit “égal en quantité” et “inégal en quantité” (un nombre n’est pas “égal en dimension” s’il est “égal en quantité”, ou bien s’il est “inégal en quantité” il n’est pas “inégal en dimension” »). Reste qu’en 6a26-35, fragment sur lequel travaillerait en l’occurrence l’Anonymus, Aristote n’en appelle pas à cette distinction, n’usant dans cette partie du raisonnement que d’ἴσος et d’ἄνισος – voir n. suivante.
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nombres ne sont pas appelés « égaux » ou « inégaux », mais « pairs » ou « impairs » |123. 11a15-19 † Quant aux autres, qui n’appartiennent pas au quantifié, nous les nommons plutôt « semblables » qu’« égaux », de sorte que « blanc » est dit « semblable » ou « non semblable » au blanc. En effet, ce mot [sc. « égal »] paraît avoir été spécialement appliqué à ce qui est dans le quantifié |124. Ad-aliquid CAPUT XI. Ad-aliquid quando dicitur. Opposita [93] Categoriarum tertia est quae latine « ad-aliquid », graece πρός τι censetur. Et quidem hanc tertiam non ordo, sed tractatus necessitas fecit; nam post quantum, quale sequebatur; verum, quoniam in fine quanti quaedam eiusdem generis ad-aliquid videbantur posse transferri, hanc categoriam, quae quarta fuerat, necessario tertiam voluit ordinare ut, discussis atque monstratis omnibus quae cuique convenirent, frequens orta confusio solveretur. « Relativement à quel chose » CHAPITRE XI : Quand dit-on « relativement à quelque chose ». Les opposés [93] La troisième des catégories est celle qui est recensée en latin comme ad-aliquid [« relativement à quelque chose »], en grec comme πρός τι. Et certes, ce n’est pas le rang qui la fait troisième, mais la nécessité du sujet traité ; car, après le quantifié suivait le qualifié ; seulement, étant donné qu’à la fin du chapitre sur la « quantité », certains quantifiés du même genre lui sont apparus pouvoir être transférés la catégorie 123 « Ce qui est surtout le propre de la quantité, c’est d’être dite égale (ἴσος) et inégale (ἄνισος). Car chacune des quantités qui ont été mentionnées est dite égale et inégale : par exemple un corps est dit égal et inégal, et de même un nombre est dit égal et inégal, et un temps égal et inégal. Et de même égal et inégal se disent de chacun des termes dont on a parlé. Mais pour tous les autres termes, ceux qui ne sont pas quantité, on n’estimera pas du tout qu’on puisse les dire égal et inégal. Par exemple, on ne parle pas de disposition égale et inégale, mais plutôt de disposition semblable (ὅμοιος) ; et on ne parle nullement d’un blanc égal ou inégal, mais d’un blanc semblable. De sorte que ce serait particulièrement le propre de la quantité que d’être dite égale et inégale ». 124 « Parmi les traits que l’on a mentionnés, aucun n’est propre à la qualité ; en revanche, semblable ou dissemblable se disent seulement d’après des qualités. En effet, une chose n’est semblable à une autre d’après rien d’autre que ce qui fait qu’elle est qualifiée de telle façon. Par conséquent le fait que semblable et dissemblable se disent d’après elle sera propre à la qualité ».
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du « relativement à quelque chose », il [sc. Aristote] a forcément souhaité placer cette catégorie, qui avait été au quatrième rang, au troisième, en sorte que, une fois examiné et établi tout ce qui lui convient, l’habituelle confusion suscitée s’est trouvée dissipée. [94] Incipit autem non a definitionibus suis Aristoteles, sed ab eorum terminis qui ante se ad-aliquid perperam definire voluerunt. Ita tamen haec debemus audire quasi tractatui necessaria. Astute enim et dat illis auxilium philosophus et medelam male positis terminis quaerit, postea suae prolatione sententiae omnia quae improprie definita sunt, repulsurus. [94] Aristote commence non point par ses définitions, mais par les conclusions de ceux qui auparavant ont voulu définir de manière erronée le « relativement à quelque chose ». Nous devons néanmoins considérer ces conclusions comme si elles étaient nécessaires au traité. En effet, avec habileté, le Philosophe à la fois fournit une aide aux conclusions mal établies et leur cherche un appui, avant de rejeter, au terme de la présentation de ses propres jugements, tout ce qui a été improprement défini125. [95] « Ad-aliquid » ergo categoriam vocamus eam quae id quod est dicitur ex altero sine cuius societate esse non possit et cuius vis omnis ex alterius coniunctione descendit; ut duplum simpli dicitur duplum, maius minoris dicitur maius, simile simili dicitur simile. Claret igitur ad-aliquid non sua vi sed alterius coniunctione consistere. [95] 6a36-b6 Nous appelons donc la catégorie « relativement à quelque chose » celle qui est dite : « ce qui est en fonction d’une autre chose », sans l’association de laquelle elle ne pourrait pas être, et dont toute la capacité découle de l’autre chose par conjonction ; comme « double » est dit « double » relativement à « simple », « grand » est dit « plus grand » relativement à « plus petit », « semblable » est dit « semblable » relativement à « ce à quoi il est semblable ». Il est par conséquent évident que ce qui est « relativement à quelque chose » consiste non de126 sa propre capacité, mais de la conjonction avec une autre chose. [96] Eodem modo accipienda sunt cetera quae eiusdem categoriae esse noscuntur, ut est habitus, affectio, disciplina, positio, sensus; (haec Aris125 L’Anonymus reviendra, au § [109], sur la méthode qu’il prête à Aristote : exposer sa propre analyse tout en redressant celles de ceux qui sont tombés dans l’erreur . 126 Nous avons tenu à respecter dans notre traduction la différence entre consistere + ablatif (« consister en » – § [153] de consistere de (« consister de » – ici et § [106] et [129]) et de consistere in (« consister dans » – § [156]).
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toteles, ἕξιν, διάθεσιν, ἐπιστήμην, θέσιν, αἴσθησιν, nominavit). Et haec namque pendent ex altero, siquidem habitus alicuius habitus dicitur, et affectio alicuius ad-aliquid affectio, et scientia et positio et sensus simili ratione noscuntur. [96] On doit envisager de la même manière les autres choses que l’on sait relever de la même catégorie, comme le sont l’« état habituel »127, la « disposition », la « connaissance », la « position »128, la « sensation »129 (Aristote les a nommées : ἕξις, διάθεσις, ἐπιστήμη, θέσις, αἴσθησις). Car elles dépendent aussi d’une autre chose |130, 11a20-23 puisque l’« état habituel » est dit état habituel de quelqu’un, et la « disposition » de quelqu’un est dite disposition relativement à quelque chose, de même la « connaissance », la « position » et la « sensation » sont connues par un raisonnement semblable |131. [97] Non nos autem turbet quod quaedam huius categoriae esse narrantur quae et qualitati videantur esse coniuncta; habitus enim et affectio et scientia et cetera quae cum his dicta sunt, qualitati videntur maxime convenire. Sed differentiam debemus advertere qua hae duae categoriae, id est qualitas et ad-aliquid sive πρός τι καὶ ποιότης, a se invicem separantur. Quoties enim scientia cuiuslibet rei quae sit scibilis scientia dicitur, et sensus rei eius quae sit sensibilis sensus dicitur, tunc ad-aliquid
127 Sur ἕξις, voir P.-M. Morel, « Vertu éthique et rationalité pratique chez Aristote. Note sur la notion d’hexis proairetikê », dans Philonsorbonne, 11, 2017, p. 131-153 – ici 141 : « une hexis (ἕξις), c’est-à-dire un état habituel qui constitue à la fois une disposition acquise et… une inclination », avec un renvoi à Éthique à Nicomaque, II, 4, 1105b191106a13. 128 Rappelons que la « disposition » diffère de la « position » en ce que la première est un « état provisoire », la seconde le « fait d’être situé ». 129 L’énumération est déroulée un peu différemment chez Aristote (Catégories, 6b2) : possession, disposition, sensation, connaissance, position – cf. § [51], [74], [124]. 130 « Se disent relativement à quelque chose les termes de cette sorte : tous ceux dont on dit qu’ils sont cela même qu’ils sont … d’autre chose, ou qui se rapportent de quelque autre façon à autre chose. Ainsi plus grand est dit être cela même qu’il est par rapport à autre chose, car on dit qu’il est plus grand que quelque chose ; et le double est dit être cela même qu’il est de quelque chose, car on dit qu’il est double de quelque chose ; et de même pour tous les autres termes de cette sorte. Appartiennent aussi aux relatifs les termes tels que par exemple la possession, la disposition, la sensation, la connaissance, la position. En effet, tous les termes que l’on vient de mentionner sont dits être cela même qu’ils sont, d’autre chose, et rien d’autre. Car la possession est possession de quelque chose, la connaissance connaissance de quelque chose, la position position de quelque chose, et de même les autres ». 131 « Il ne faut pas être troublé par la crainte qu’on nous dise que, alors que nous avions annoncé un exposé au sujet de la qualité, nous avons inclus dans notre énumération de nombreux termes relatifs – car les états et les dispositions seraient des relatifs ».
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debemus accipere. At cum scientia aut disciplina non rei cuiuslibet, sed hominis dicitur, qualitatem debemus agnoscere. [97] 11a20-38 | Et ne doit pas nous troubler le fait que l’on dise qu’il y a certaines de ces catégories qui semblent se rattacher aussi à la qualité. En effet, l’« état habituel », la « disposition », la « connaissance » et d’autres choses relatives qui ont été énoncées avec ces derniers, semblent convenir tout à fait à la qualité. Mais nous devons prêter attention à la différence avec laquelle ces deux catégories, c’est-à-dire « qualité et relativement à quelque chose », soit πρός τι καὶ ποιότης132, sont séparées l’une de l’autre. En effet, chaque fois que la connaissance d’une chose quelconque qui est connaissable est dite connaissance et que la sensation de sa chose qui est sensible est dite sensation, alors nous devons l’entendre comme « relativement à quelque chose ». Et quand la connaissance ou la science ne se disent pas d’une chose mais d’un homme, nous devons y reconnaître la « qualité ». [98] Haec est interim differentia; licet, si proprie hanc categoriam (quae ad-aliquid dicitur), volumus definire ut a ceteris separetur (in omnes enim videtur incurrere), alio modo eam debeamus definire ne semper parum considerantibus error oriatur. Tunc ergo et vere et proprie « ad-aliquid » dicitur, cum sub uno ortu atque occasu et id quod iungitur et id cui iungitur invenitur; ut puta133 servus et dominus utrumque vel simul est vel simul non est (etenim cum « dominum » dixeris, necessario existet et servus, cum vero dominum tuleris, nec servus apparet); duplum et simplum alterutrum se vel interimunt vel ostendunt (apparente enim duplo nascitur simplum, duplo pereunte nec simplum poterit permanere; similiterque si simplum non sit, nec duplum est, at si simplum fuerit, et duplum necessario apparebit). [98] Il y a cependant cette différence : il est permis, si nous voulons définir en propre cette catégorie (qui est dite « relativement à quelque chose »), pour la séparer des autres (en effet, elle paraît se répandre en toutes), de devoir la définir d’une autre manière, de crainte qu’en ne les examinant pas toujours suffisamment, une erreur se fasse jour. 7b15-21 132 Pour la première fois sur quatre (cf. § [115], [123], [136]), l’Anonymus inverse les éléments en passant d’une langue à l’autre : « qualité et relativement à quelque chose » en latin, mais « relativement à quelque chose et qualité » en grec. 133 En français, l’expression « comme par exemple » est l’un des pléonasmes les plus répandus et les plus sanctionnés. Le latin l’autorise pourtant : ut puta (ici et § [135] / ut, verbi gratia (§ [118], [141] et [168]) / ut, verbi causa (§ [151]). Nous avons donc décidé d’en faire usage par fidélité au texte source.
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|| Ainsi donc, « relativement à quelque chose » est dit véritablement et à proprement parler quand on trouve, à l’occasion d’une même apparition et d’une même disparition, à la fois ce qui est relié et ce à quoi il est relié, comme, par exemple, « esclave » et « maître », l’un et l’autre sont ou ne sont pas ensemble (et en effet, lorsque tu diras « maître », l’« esclave » aussi existera par nécessité, mais quand tu retireras134 le « maître », l’« esclave » non plus ne se manifestera pas) ; pareillement, le « double » et le « simple » soit se neutralisent l’un l’autre, soit se désignent (en effet, le « double » se manifestant, le « simple » apparaît, et le « double » étant supprimé, le « simple » non plus ne peut pas demeurer. Et semblablement, si le « simple » n’est pas, le « double » n’est pas non plus ; et s’il y a le « simple », le « double » se manifestera par nécessité) ||135. [99] Specialiter tamen ac regulariter, ut haec categoria manifestius dinoscatur, haec via est, qua debemus advertere non recte dici ad-aliquid nisi cum καθέκαστον πρὸς καθέκαστον ἀναφέρεται, hoc est singulare ad singulare refertur; siquidem, cum dicimus « duplum », sine dubio non generaliter sed specialiter hoc « duplum » dicimus, et huius simpli duplum dicimus. Ac propterea tunc vere ad-aliquid categoria est quoties, verbi gratia, Socratem Chrysippo dicimus esse vultu consimilem (ceterum quo pacto vel quis vel cui sit similis demonstrabimus, nisi et quis similis sit, et cui sit similis personaliter indicemus?). [99] Pourtant, pour que cette catégorie soit reconnue de façon plus évidente, de manière spécifique et en toute rigueur, il y a ce moyen en fonction duquel nous devons observer que « relativement à quelque chose » n’est dit correctement que lorsque καθέκαστον πρὸς καθέκαστον ἀναφέρεται, c’est-à-dire lorsque « le singulier est rapporté au singulier » ; puisque, quand nous disons « double », assurément nous ne disons pas ce « double » de manière genérale mais spécifique, et nous disons le « double » de ce « simple ». C’est alors qu’il y a vraiment catégorie du « relativement à quelque chose », toutes les fois que, par exemple, nous disons que Socrate est semblable à Chrysippe par le Notons cet emploi poétique du verbe ferre, au sens d’« emporter ». « On estime que les termes relatifs sont simultanés par nature, et cela est vrai pour la plupart d’entre eux. En effet, le double et la moitié vont ensemble, c’est-à-dire que dès lors qu’il existe une moitié, il existe un double ; dès lors qu’il existe un maître, il existe un esclave, et dès lors qu’il existe un esclave, il existe un maître ; et les autres cas sont semblables à ceux-ci. Et ces termes se suppriment les uns les autres ; car dès lors qu’il n’y a pas de double, il n’y a pas de moitié, et lorsqu’il n’y a pas de moitié, il n’y a pas de double, et de même pour tous les autres cas de cette sorte ». 134 135
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visage136 (d’ailleurs, de quelle manière montrerons-nous « qui » est semblable ou « à qui » si nous n’indiquons pas, du point de vue de la personne, à la fois « qui » est semblable et « à qui » il est semblable ?) |137. [100] Sed sunt quidam qui huic definitioni velint movere superfluam quaestionem asserentes inveniri posse « ad-aliquid » dictum quod ante sit, et postea nascatur quod de ipso debeat nuncupari, ut jam videantur haec duo nec ortu nec occasu sibi esse coniuncta. Ac dant exempla scibilis et scientiae, asserentes ante scibile fuisse et post eius scientiam consecutam (verbi gratia apud geometricos ante γραμμή vel circulus fuit, sed eorum scientia postea a sapientibus comprehensa est) proptereaque ante fuisse scibile in quo possit scientia reperiri. Hoc argumento igitur monstrant multa esse huius categoriae quibus non et ortus et occasus videatur esse communis. [100] 7b15-8a12 | Mais il en est qui, voulant soulever une question superflue quant à cette définition, avancent qu’on peut découvrir que ce qui est dit « relativement à quelque chose » a été avant, et que naît après ce qui doit être nommé à partir de lui-même138, en sorte que ces deux ne paraissent déjà plus être liés ensemble ni par une apparition ni par une disparition. 7b23-33 || Et ils donnent l’exemple du « connaissable » et de la « connaissance », affirmant que le « connaissable » a été avant, et 136 Sur les physionomies de Socrate et de Chrysippe, qui auraient été ressemblantes, voir notamment M.-L. Vollenweider et M. Avisseau-Broustet, Camées et intailles, I, Paris, 1995, p. 299. 137 « Il ne faut pas être troublé par la crainte qu’on nous dise que, alors que nous avions annoncé un exposé au sujet de la qualité, nous avons inclus dans notre énumération de nombreux termes relatifs – car les états et les dispositions seraient des relatifs. De fait, pour presque tous les termes de cette sorte, leurs genres se disent relativement à quelque chose ; mais ce n’est le cas pour aucun des termes singuliers. En effet, la science, qui est un genre, est dite être cela même qu’elle est, de quelque chose d’autre (on dit en effet qu’elle est science de quelque chose) ; mais parmi les sciences particulières, aucune n’est dite être cela même qu’elle est d’autre chose. Ainsi on ne dit pas que la grammaire est la grammaire de quelque chose, ni la musique la musique de quelque chose, mais on dira tout au plus qu’elles aussi sont relatives à quelque chose en les considérant du point de vue de leur genre. Ainsi on dit que la grammaire est la science de quelque chose, non pas la grammaire de quelque chose, et la musique la science de quelque chose, non la musique de quelque chose ; de sorte que les sciences particulières ne sont pas au nombre des relatifs. Or c’est par les sciences particulières que nous sommes qualifiés, car c’est aussi elles que nous possédons : en effet, on dit que nous sommes savants parce que nous possédons l’une des sciences particulières. De sorte que celles-ci, les sciences particulières, seront également les qualités d’après lesquelles précisément nous sommes qualifiés ; or elles ne font pas partie des relatifs. De plus, s’il arrive que le même terme soit à la fois un terme qualifié et un terme relatif, il n’y a rien d’étrange à le compter dans les deux genres ». 138 C’est-à-dire : « à partir de “ce qui a été avant” ».
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que sa « connaissance » est arrivée après (par exemple, chez les géomètres, la γραμμή [« ligne »] ou le « cercle » ont existé avant, mais leur connaissance a été acquise par les sages ensuite), et pour cela le « connaissable », dans lequel la « connaissance » a pu être découverte, a été avant ||139. Par conséquent, ils montrent par cet argument qu’il y a beaucoup de choses relevant de cette catégorie dont l’apparition et la disparition ne semblent pas être communes |140. [101] Et sensibilis enim sensusque exemplum simili ratione constare contendunt, siquidem sensibilia ante fuerint; elementa enim quibus omne corpus constat ante fuerunt quam corpus ex his aliquod nasceretur in quo sensus existeret. His igitur argumentis ostendunt definitionem categoriae quae ad-aliquid dicitur non recte esse defixam. [101] 7b33-8a12 En effet, ils prétendent aussi établir par un raisonnement semblable l’exemple du sensible et de la sensation, puisque les sensibles ont été avant. Effectivement, les éléments par lesquels chaque corps se constitue ont été avant que quelque corps n’en soit né, corps dans lequel a existé la sensation |141. Par conséquent, ils montrent par ces 139 « On a tort de penser que cette simultanéité par nature vaut pour tous les relatifs. Car on peut penser que l’objet connaissable est antérieur à la connaissance : en règle générale, en effet, les objets existent déjà lorsque nous en prenons connaissance : car on ne voit que rarement, ou jamais, que l’objet connaissable naisse en même temps que la connaissance. De plus, lorsque l’objet connaissable est supprimé, cela supprime en même temps la connaissance, alors que la suppression de la connaissance ne supprime pas en même temps le connaissable. En effet, lorsqu’il n’y a pas d’objet connaissable, il n’y a plus de connaissance (car ce ne sera plus la connaissance de rien), mais lorsqu’il n’y a pas de connaissance, rien n’empêche que l’objet connaissable n’existe. Par exemple la quadrature du cercle, si du moins c’est là un objet connaissable : il n’y a pas encore de connaissance de cet objet, mais l’objet connaissable lui-même existe ». 140 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 45-46. 141 « Si l’on supprime l’animal, il n’y aura plus de connaissance, cependant qu’un grand nombre d’objets connaissables peuvent quand même exister. Il en va de même en ce qui concerne la perception : on estime que l’objet perceptible est antérieur à la perception. Car si on supprime l’objet perceptible, on supprime en même temps la perception, alors que la suppression de la perception ne supprime pas l’objet perceptible avec elle. En effet, les perceptions portent sur un corps et résident dans un corps, et si l’on supprime l’objet perceptible, on supprime aussi le corps (car le corps lui aussi fait partie de ce qui est objet de perception), et s’il n’existe pas de corps, cela supprime également la perception, de sorte que la suppression de l’objet perceptible supprime avec lui la perception. Mais la perception, elle, ne supprime pas le perceptible lorsqu’elle est supprimée. Car si l’on supprime l’animal, on supprime la perception, mais il existera un perceptible, par exemple le corps, le chaud, l’amer et toutes les autres qui sont perceptibles. De plus, la perception accompagne la faculté perceptive, car l’animal et la perception naissent ensemble ; mais le perceptible existe avant qu’il existe une perception. Car le feu, l’eau et les autres corps de ce genre, dont l’animal est constitué, existent avant même qu’il existe un animal en général ou une perception. De sorte qu’on peut penser que l’objet perceptible est antérieur à la perception ».
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arguments que la définition de la catégorie qui est dite « relativement à quelque chose » n’est pas établie de façon appropriée. [102] Haec solent parum diligenter naturam rerum intuentes astruere. Omnia enim quae sunt, aut naturali potentia dicuntur esse aut operatione faciendi, quas Graeci δύναμιν καὶ ἐνέργειαν vocant. Quas si quis separare voluerit nec ulla societate confundere, intelliget « ad-aliquid » dictum non posse esse sine altero cuius esse dicitur; scibili enim rei142 in ipso naturae scientia sociata est; simul namque ut scibile esse coepit, habuit scientiam sui, sed necdum ἐνεργείᾳ (id est operatione) monstrata. Non ergo tunc coepit esse scientia eius quando coepit operari, sed cum ipso scibili orta est, et operatio est postea consecuta. Discernere enim nos oportet operationis exordium; tunc enim possumus advertere scientiam cum scibili esse procreatam, operationem vero eius apparuisse postea indagatione prudentium. Quibus depulsis, optima definitio est ad-aliquid relatorum semper ea simul vel exstingui vel nasci. [102] C’est ce qu’ont l’habitude d’assurer ceux qui ne considèrent pas avec assez d’attention la nature des choses. En effet, tout ce qui existe est dit être soit par une « puissance naturelle », soit par un « acte opératoire », que les Grecs appellent δύναμις καὶ ἐνἐργεια [« puissance et acte »]. Si quelqu’un veut les séparer et ne les confondre dans aucune association, il comprendra que « relativement à quelque-chose » ne peut être dit sans l’autre élément duquel il est dit ; en effet, la connaissance de la nature est associée au connaissable de la chose en lui-même ; car, en même temps que la nature a commencé d’être connaissable, elle a possédé une connaissance à elle, mais non pas encore une connaissance distinguée par l’ἐνἐργεια (c’est-à-dire par l’« acte »). Donc, la connaissance de la nature ne commence pas d’être au moment où elle commence d’être pratiquée, mais elle naît avec le connaissable lui-même, et l’acte survient ensuite. Il nous faut, effectivement, isoler le commencement de l’acte ; en effet, nous pouvons à présent remarquer que la connaissance a été suscitée avec le connaissable, et que son acte n’apparaît qu’après, par l’investigation des gens avisés. 7b15-23 Ces difficultés ayant été dissipées, la meilleure définition de ce qui est rapporté « relativement à quelque chose » consiste à dire que ses deux volets ou s’effacent, ou se présentent toujours ensemble |143. 142 Nous adoptons ici la leçon du ms. Ld, pour faire sens, au lieu du « scibili enim {sive circulo} in ipso » de Minio-Paluello. 143 Voir supra, § [98], et le texte d’Aristote cité en note, augmenté de : « Mais on a tort de penser que cette simultanéité par nature vaut pour tous les relatifs ».
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[103] Illud sane debemus memoria continere non omnia « ad-aliquid » dicta iisdem casibus referri ad ea quibus iunguntur, sed alia genitivo casui, alia dativo, pleraque ablativo copulari. Et genitivo quidem ut servus domini, duplum simpli; dativo, simile simili, par pari; ablativo vero, sensibile sensu sensibile, scibile scientia scibile, et caetera huiusmodi quae variis casibus alterius societate nectuntur. [103] 6b4-11 Nous devons absolument garder cela en mémoire, que toutes les choses dites « relativement à quelque chose » ne sont pas rapportées aux mêmes cas à celles auxquelles elles sont reliées, mais que les unes sont unies au génitif, d’autres au datif et le plus grand nombre à l’ablatif144. Au génitif certes, comme : « esclave du maître », « double du simple ». Au datif : « semblable au semblable », « égal à l’égal ». À l’ablatif : ce qui est sensible est dit « sensible par la sensation », ce qui est connaissable est dit « connaissable par la connaissance », et d’autres cas de ce genre qui sont liés à des cas différents par leur association mutuelle |145. [104] Inest autem huic categoriae et soli et omni ut inter coniuncta duo, quae ex se pendeant, sit alterna conversio (quae graece dicitur ἀντιστροφή), et duplum enim simpli dicitur et simplum dupli, et servus domini et dominus servi. Apparet ergo haec copulata vicaria in semet replicatione converti, si tamen scienter et prudenter ista fiat conversio; nam, si imperite haec vocabula convertantur, oritur magna confusio ut, si quis imperite dixerit « avis pennam » stulta conversio est (non enim penna omnis avis est, siquidem sunt quaedam pennae quae non sunt avium ut cicadarum, muscarum ceterorumque animalium quae similiter natura formavit); quod si quis pennam « pennati pennam »146 dixerit, quasi recta conversio est. [104] 6b28-7a5 Et il relève de cette catégorie, à la fois « pour un seul et pour tous », qu’entre les deux parties conjointes, qui sont dépendantes On reconnaît de nouveau le grammairien derrière cette précision. « Tous les termes que l’on vient de mentionner sont dits être cela même qu’ils sont, d’autre chose, et rien d’autre. Car la possession est possession de quelque chose, la connaissance connaissance de quelque chose, la position position de quelque chose, et de même les autres. Sont donc relatifs à quelque chose tous les termes qui sont dits être cela même qu’ils sont d’autre chose, ou qui se rapportent de quelque autre façon à autre chose. Ainsi une montagne est dite grande relativement à autre chose. Car c’est relativement à quelque chose que la montagne est dite grande ; et le semblable est dit semblable à quelque chose, et les autres termes de cette sorte se disent de la même façon, relativement à quelque chose ». 146 Nous déplaçons ici les guillemets ouvrants que Minio-Paluello a disposés autrement (« pennam pennati pennam ») pour faire sens. 144 145
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l’une de l’autre, il y a une « conversion alternée »147, qui est dite en grec : ἀντιστροφή. Et en effet, on dit : « double du simple » et « simple du double », « esclave du maître » et « maître de l’esclave ». Il ressort donc que ces parties interchangées reliées entre elles sont converties par un renversement, à la condition toutefois que cette conversion se fasse en connaissance de cause et avec prudence. Car lorsque ces mots sont convertis maladroitement, il en résulte une grande confusion, comme si quelqu’un dit maladroitement148 : « l’aile de l’oiseau », la conversion est stupide149 (en effet, toute « aile » n’est pas « de l’oiseau », puisqu’il y a assurément certaines ailes qui ne sont pas d’oiseaux, comme celles des cigales, des mouches et d’autres animaux, que la nature a formés semblablement) ; que si quelqu’un dit d’une aile : « l’aile de l’ailé », la conversion est pour ainsi dire correcte150 |151. [105] Hoc loco libitum est quasdam tenebras, quae emergere ex categoriarum similitudine assolent, aperire; siquidem, cum dicimus « pennam pennati » et « caput capitati », videmur usiae partes in accidentibus ponere (penna enim sine dubio pars usiae est vel caput vel manus) ; si152 ad-aliquid referantur, inter usias et ad-aliquid videbitur nulla esse discretio. [105] 8a13-28 Parvenu à ce point, il est bon de dissiper quelques obscurités, qui d’habitude surgissent de la ressemblance des catégories ; 147 Cette conversio alterna, qui équivaut à l’ἀντιστροφή, n’est autre qu’une « réciprocation ». Mais l’Anonymus ne renouvellera pas l’emploi d’alterna, si bien qu’il ne sera plus question, dans le restant du paragraphe, que de conversio, ce qui, en toute rigueur, ne suffit pas à exprimer l’idée de « réciprocité ». 148 Nous ne voyons pas en quoi, si la réciprocation de l’énoncé « l’aile de l’oiseau » est effectivement stupide (« l’oiseau de l’aile »), l’énoncé lui-même (« l’aile de l’oiseau ») est maladroit. 149 Autrement dit : la réciprocation (« l’oiseau de l’aile ») ne pourrait pas se produire, comme le précise Aristote en Catégories, 6b39 (infra, p. 216). 150 À savoir : « l’ailé de l’aile », c’est-à-dire, comme le formule le texte de la n. suivante, « l’ailé (par l’effet) de l’aile ». 151 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 43, passage dont voici la seconde partie : « Si on rend compte de l’aile comme de l’aile de l’oiseau [« l’aile d’un oiseau » Crubellier– Pellegrin], on ne dit pas réciproquement (ἀντιστρέϕει) : “l’oiseau de l’aile“. C’est qu’on n’a pas répondu de façon appropriée par le co-relatif premier quand on a dit :“l’aile de l’oiseau“. Car ce n’est pas , en tant que c’est un oiseau, que l’aile est dite lui appartenir, mais en tant qu’il est ailé. En effet, beaucoup d’autres êtres ont des ailes sans être des oiseaux. De sorte que lorsqu’on en a rendu compte de façon appropriée, cette relation elle aussi est réciproque : ainsi l’aile est l’aile d’un être ailé, et l’être ailé est ailé du fait de son aile ». Cf. Porphyre, CC, 116, 1-13 = Bodéüs, p. 373. 152 Nous avons organisé ici le texte comme suit : « vel caput, vel manus; si… nulla esse discretio », au lieu du : « vel caput vel manus; quae, si… nulla esse discretio) » de Minio-Paluello.
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puisque, quand nous disons : « l’aile de l’ailé » et « la tête du têté »153, nous paraissons placer dans les accidents des parties de l’ousie (« aile », en effet, est assurément une partie de l’ousie, comme « tête » ou « main ») ; si elles sont rapportées au « relativement à quelque chose », il ne paraîtra plus exister aucune distinction entre les ousies et le « relativement à quelque chose » |154. [106] Ut igitur amoveatur universa confusio, advertere nos oportet quo pacto et vere et proprie ad-aliquid definitum sit. Ita enim eius definitio se habet ut dicatur « ad-aliquid » cuius id quod est pendet ex altero cuique necesse sit singulariter (id est καθ᾿ ἕκαστον) vicaria in semet mutatione converti. Hoc quis considerato reperiet nec pennati pennam nec capitati caput recte posse « ad-aliquid » nominari; non enim, ut pennati pennam dicimus, sic possumus dicere pennae pennatum vel capitis capitatum (id namque qui dixerit irridebitur). Esse enim pennato non ex penna descendit, neque penna ex pennato constat. Similiterque capitatum non constat ex capite, neque caput ex capitato videtur consistere. [106] 8a37-b7 Par conséquent, afin d’écarter toute confusion, il nous faut établir de quelle manière est défini, à la fois véritablement et proprement, le « relativement à quelque chose ». En effet, sa définition se constitue ainsi : on dit « relativement à quelque chose » ce dont ce qui est dépend d’autre chose, et auquel il est « selon le singulier » (c’est-àdire καθ᾿ ἕκαστον) nécessaire d’être converti par la permutation des parties interchangeables entre elles. Cela considéré, quelqu’un verra que C’est-à-dire : « muni d’une tête » (κεφαλωτόν). Nous empruntons ce néologisme, qui permet de respecter la parenté morpho-sémantique, à Bodéüs, p. 79 (Porphyre, CC, 55, 25-56, 4), et repris chez Crubellier-Pellegrin : « On rendrait mieux compte de la tête en répondant que c’est la tête d’un têté qu’en disant que c’est la tête d’un animal » (7a1617). Seuls « étêté » et « entêté » sont encore usités. 154 « Il y a une difficulté qui est de savoir si aucune substance n’est dite parmi les relatifs (comme on le pense), ou si cela est possible pour certaines des substances secondes. Car en ce qui concerne les substances premières, cela est vrai : ni les touts, ni les parties ne sont dits relativement à quelque chose. Car on ne dit pas que tel homme est tel homme de telle chose, ni tel bœuf, tel bœuf de telle chose. Et de même pour les parties, car on ne dit pas que telle main est telle main de quelqu’un, mais la main de quelqu’un, et on dit pas que telle tête est telle tête de tel , mais la tête de tel . Et il en va de même pour les substances secondes, du moins pour la plupart d’entre elles. Ainsi, on ne dit pas que l’homme est l’homme de quelque chose, ni le bœuf, le bœuf de quelque chose, ni le bois, le bois de quelqu’un ; mais on dit qu’il est la possession de quelqu’un. Pour des substances de cette sorte, il est clair qu’elles ne font pas partie des relatifs. Mais pour certaines de ces substances secondes, il y a matière à discussion. Par exemple, la tête est dite tête de tel , et la main, main de quelqu’un, et de même chacun des termes de cette sorte, si bien qu’on peut penser qu’il font partie des relatifs ». 153
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ne peut être dit correctement « relativement à quelque chose » ni « l’aile de l’ailé » ni « la tête du têté ». En effet, comme nous disons : « l’aile de l’ailé », nous ne pouvons pas dire : « l’ailé de l’aile » ou « le têté de la tête » (car celui qui le dira sera tourné en ridicule). En effet, concernant « ailé », il ne dérive pas d’« aile », et « aile » n’est pas constitué à partir d’« ailé ». Et semblablement, « têté » n’est pas constitué de « tête », et « tête » n’apparaît pas résulter de « têté » |155. [107] At quod vere « ad-aliquid » dicitur, converti per vices potest, ut superius diximus, dominus servi dominus et servus domini servus; et rursus, subtracto servo, dominus non est, remoto domino, nec servus apparet; pennatum vero esse poterit etiam penna pereunte, et rursum penna potest esse pereunte pennato. Considerata ergo definitione huius categoriae, poterit etiam confusionis ex similitudine exortae discretio reperiri. [107] 6b28-7a13 Or ce qui est vraiment dit « relativement à quelque chose » peut être converti par ses parties interchangeables, comme nous l’avons dit plus haut : le maître est maître d’un esclave et l’esclave esclave d’un maître. Et encore, l’esclave soustrait, il n’y a plus de maître, le maître éloigné, l’esclave disparaît. En revanche, il pourra y avoir « ailé » même quand « aile » sera supprimé, et inversement il pourra y avoir « aile » une fois « ailé » supprimé. Donc, une fois considérée la définition de cette catégorie du « relativement à quelque chose », on pourra également trouver le critère de la confusion née de la ressemblance entre ses deux parties interchangeables |156. [108] Eodem pacto possumus hanc categoriam et ab oppositorum similitudine separare; nam et opposita (quae ἀντικείμενα Aristoteles vocat) quandam huius categoriae similitudinem reddunt, siquidem calidum et frigidum videntur sibi oppositionis societate coniuncta; sed calidum non 155 « Il est clair que si l’on connaît de façon déterminée un terme relatif, on connaîtra également de façon déterminée ce relativement à quoi il est dit. Cela est clair, en tout cas, à partir du relatif lui-même : si l’on sait que telle chose fait partie des termes relatifs, et si être, pour les relatifs, est identique à être dans une certaine relation à quelque chose, alors on connaît également cet autre terme avec lequel celui-ci est dans une certaine relation. Car si on ne connaissait pas du tout le terme avec lequel celui-ci a un certain rapport, on ne saurait pas non plus s’il est dans un certain rapport à quelque chose. Et un tel état de fait apparaît clairement dans le cas d’objets singuliers. Par exemple, si on sait de façon déterminée qu’un certain ceci est double, alors on sait en même temps de façon déterminée de quoi il est le double. Car si l’on ne savait pas qu’il est double d’une certaine quantité déterminée, on ne saurait pas non plus s’il est double en général ». 156 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 43-44.
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frigidi calidum sed frigido oppositum dicimus; et iustum non iniusti iustum, sed iniusto contrarium nominamus. [108] 11b32-38 De la même manière, nous pouvons séparer aussi cette catégorie du « relativement à quelque chose » de la ressemblance des opposés ; car les opposés aussi (qu’Aristote appelle ἀντικείμενα), renvoient une certaine ressemblance avec cette catégorie, puisque « chaud » et « froid » paraissent reliés entre eux par une communauté d’opposition ; mais nous disons « chaud » non pas « le chaud du froid », mais « ce qui est opposé à froid », et nous appellons « juste » non pas « le juste de l’injuste », mais « ce qui est contraire à injuste » |157. [109] Aristoteles quidem, ut in principio huius categoriae diximus, multa exempla proponit quae ad hanc non sub certa forma pertinere videantur, volens de consequentibus reprehendere vitia ceterorum qui hanc secus definire voluerunt. Denique et virtutem malitiae et scientiae ignorantiam quasi ad-aliquid posuit eaque dixit posse recipere contrarium, non quo ita res postulet sed ut indocte disserentium vitia posset ostendere; haec namque, ut superius explicavimus, opposita potius quam ad-aliquid dicta iudicanda sunt. [109] Certes Aristote, comme nous l’avons dit au commencement de l’examen de cette catégorie, propose beaucoup d’exemples qui ne paraissent pas en relever de façon certaine : c’est parce qu’il veut corriger, par les conséquences qu’il tire de leur définition, les défauts des autres, qui ont voulu définir différemment cette catégorie. 6b15-19 Bref, il a posé aussi comme dites « relativement à quelque chose » : la « vertu » relativement à la « malice », l’« ignorance » relativement à la « connaissance », et a dit qu’elles pouvaient recevoir le contraire, non point en ce que la chose s’y prête, mais en sorte qu’il puisse afficher les défauts de ceux qui dissertent de manière non docte. Car, comme nous l’avons expliqué plus haut, ces paroles doivent être tenues pour « opposées » plutôt que dites « relativement à quelque chose » |158. 157 « Quant à ceux qui s’opposent à la façon des contraires, on ne dit nullement qu’ils sont ce qu’ils sont les uns des autres, mais on dit qu’ils sont le contraire les uns des autres. Car on ne dit pas que le bien est le bien du mal, mais que c’est son contraire ; ni que le blanc est le blanc du noir, mais que c’est son contraire ; de sorte que ces oppositions diffèrent entre elles ». 158 « Il y a aussi de la contrariété parmi les relatifs. Par exemple, la vertu est le contraire du vice, chacun d’eux étant relatif à quelque chose, et la connaissance est contraire à l’ignorance. Mais il n’y a pas de contrariété dans tous les relatifs. En effet, il n’y a rien qui soit le contraire de double ni de triple, ni d’aucun des termes de cette sorte ».
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[110] Mihi vero – ut et ipsi Aristoteli placet – magis et minus haec categoria, non omnis quidem nec sola, videtur posse suscipere; simile enim cuilibet et magis simile et minus simile possumus dicere. Sed hoc non in omnibus, ut dixi, quae sunt ad-aliquid poterit inveniri; namque nec magis pater nec minus pater dici potest, nec minus filius aut magis filius, nec minus duplum aut magis duplum. [110] 6b20-27 Quant à moi – comme c’est aussi l’avis d’Aristote luimême –, il me semble que cette catégorie ne peut supporter le plus et le moins ni assurément tout entière ni individuellement. En effet, nous pouvons dire : « semblable à quelqu’un », « plus semblable » et « moins semblable ». Mais cela ne pourrait être obtenu, comme je l’ai dit, pour tout ce qui est « relativement à quelque chose ». Car il n’est pas possible de dire ni « plus père » ni « moins père », ni « moins fils » ou « plus fils », ni « moins double » ou « plus double » |159. [111] Non nos autem fallat ut putemus ad-aliquid esse quoties, verbi gratia, dicimus « cuius equus » vel « cuius lignum » vel « cuius fundus »; haec enim dominum, vel possidentis personam monstrantia non « ad-aliquid » dicta censenda sunt. [111] 8a21-25 Que ne nous trompe pas non plus le fait que nous pensions qu’il y a « relativement à quelque chose » chaque fois que nous disons, par exemple : « cheval d’un tel », ou « bois d’un tel », ou « bienfonds d’un tel » |160, car ces expressions, qui désignent le maître ou la personne du propriétaire, ne doivent pas être regardées comme dites « relativement à quelque chose ». [112] Qua de categoria, quantum potuimus explanavimus, licet161 tanta huic cum ceteris videatur esse permixtio ut ipse quoque Aristoteles huius discretionem haud facile repererit, cuius etiam longa ac diuturna non sit indecens retractatio. [112] 8b21-25 Nous avons expliqué, autant que nous avons pu, ce qu’il en est de cette catégorie, bien que son imbrication avec les autres paraisse être si grande qu’Aristote lui-même, dont l’hésitation, persistante et 159 « Et on estime aussi que les relatifs admettent le plus et le moins. Car on parle de plus ou moins semblable, et de plus ou moins inégal, chacun de ces deux termes étant un relatif : en effet, on dit que le semblable est semblable à quelque chose, et que l’inégal est inégal à quelque chose. Mais tous n’admettent pas le plus et le moins : par exemple le double n’est pas dit plus ou moins double, ni aucun des termes de cette sorte ». 160 Voir supra, § [105]. 161 Nous avons en l’occurrence ponctué ainsi : « explanavimus, licet », au lieu du « explanavimus; licet » de Minio-Paluello.
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ême continuelle, n’est pas inconvenante, n’ait pu, lui non plus, trouver m facilement ce qui la distingue des autres. De qualitate CAPUT XII. Species qualitatis quatuor. Habitus. Affectio. Potentia naturalis. Passivae qualitates [113] Nunc de qualitate tractemus secundum quam ea quae sunt qualia nuncupantur. Multi autem quaerunt quid sit qualitas et quid quale, quorum facilis separatio est; « qualitatem » namque dicimus dulcedinem, austeritatem, albedinem, nigredinem; « quale » vero intelligitur quoties album aliquid vel dulce vel austerum vel nigrum dicimus (licet Aristoteles indifferenter et pro « qualitate » « quale » posuerit et « qualitatem » pro « quali », proptereaque etiam nos eundem secuti similia senserimus). De la « qualité » CHAPITRE XII : Les quatre espèces de la qualité. L’état habituel. La disposition. La puissance naturelle. Les qualités passives [113] Traitons à présent de la « qualité », selon laquelle les choses qui existent sont appelées « qualifiées » |162. Beaucoup demandent ce qu’est la « qualité » et ce qu’est le « qualifié » : la distinction en est aisée ; 9a29-31 car nous disons « qualité » la « douceur », l’« âcreté », la « blancheur », la « noirceur » |163 ; mais « qualifié » est intelligé chaque fois que nous disons quelque chose « blanc », ou « doux », ou « âcre », ou « noir » (bien qu’Aristote ait posé indifféremment et le « qualifié » pour la « qualité » et la « qualité » pour le « qualifié », et qu’en raison de cela nousmême à sa suite nous les avons jugés semblables). [114] Hanc autem categoriam propterea ceteris difficiliorem volunt quia facilius quam ceterae in omnes videtur incurrere; ut puta in usia invenitur, cum dicimus « homo grammaticus »; in quanto, « alba » vel « nigra 162 « Mais il est sans doute difficile de se prononcer nettement sur des cas de cette sorte sans les avoir examinés à plusieurs reprises. En tout cas, il n’est pas inutile d’avoir examiné les difficultés qui se présentent à propos de chacun d’eux. J’appelle “qualité” ce d’après quoi on dit que certaines personnes sont telles ou telles ». 163 « Un troisième genre de qualité, ce sont les effets qualitatifs et les affections. Les qualités de cette sorte sont, par exemple, la douceur et l’amertume, ainsi que l’âcreté et toutes les qualités apparentées à celles-ci, et encore la chaleur et le froid, la blancheur et la noirceur ».
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e piphania »164; in ad-aliquid « prudens pater », « optimus filius »; in facere « dure saltat »; in pati « fert fortiter vulnera »; in loco « obscurus locus »; in tempore « calidus mensis » aut « frigidus »; in iacere « pronus aut supinus iacet »; in habere « decenter armatus ». Erit igitur non parvae prudentiae qualitatem cum ceteris paene confusam mentis vivacitate secernere. [114] On veut cette catégorie plus difficile que les autres, pour cela qu’elle semble, plus aisément que les autres, pénétrer en toutes. Par exemple, on la trouve dans l’ousie, quand nous disons : « homme grammairien » ; dans le quantifié, quand nous disons : « surface blanche ou noire » ; dans le « relativement à quelque chose », quand nous disons : « père avisé », « excellent fils » ; dans l’agir, quand nous disons : « il danse sans élégance » ; dans le pâtir, quand nous disons : « il supporte courageusement les blessures » ; dans le lieu, quand nous disons : « lieu obscur » ; dans le temps, quand nous disons : « mois chaud » ou « mois froid » ; dans le reposer, quand nous disons : « il repose sur le ventre » ou « sur le dos » » ; dans la possession, quand nous disons : « armé convenablement ». Par conséquent, il ne nous faudra pas une perspicacité limitée pour cerner, par la vivacité de l’esprit, une « qualité » qui se confond presque avec toutes les autres. [115] Huius sunt species numero quattuor, quas Aristoteles pro generibus posuit, scilicet propterea quia et ipsae singulae habent species suas. Id vero cum acciderit « subalterna » nominantur (quae Graeci ὑπ᾿ ἄλληλα vocaverunt). Ergo primum genus est habitus et affectio, secundum potentia naturalis, tertium, passivae qualitates sive passiones, quartum formae ac figurae165; (haec Aristoteles ἔξιν καὶ διάθεσιν dixit, φυσικὴν δύναμιν, παθητικὰς ποιοτητας καί πάθη, σχήματα καί μορφάς). [115] Ses espèces sont au nombre de quatre, qu’Aristote a posées comme genres, sans doute en raison de ce que les espèces particulières possèdent elles-mêmes aussi leurs espèces. Mais le cas échéant, on les dénomme « subordonnées » (les Grecs les ont appelées ὑπ᾿ ἄλληλα). 8b26-27 Donc, le premier genre est « l’état habituel et la disposition » |166 ; 9a14-16 le deuxième, « la puissance naturelle » |167 ; 9a28-29 le La qualitas est absente parce qu’elle est l’objet du chapitre. Pour la deuxième fois sur quatre (cf. § [97], [123], [136]), l’Anonymus inverse les éléments en passant du latin (« les formes et les figures ») au grec (« figures et formes »). 166 « L’état et la disposition sont une première espèce de qualité ». 167 « Un deuxième [« second » Crubellier–Pellegrin] genre de la qualité est ce d’après quoi nous disons que certains sont bons pugilistes ou bons coureurs, ou encore sains ou maladifs, et en un mot tout ce que l’on dit d’après une certaine capacité ou incapacité naturelle ». 164 165
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t roisième, « les qualités affectives ou affections » |168 ; 10a11-12 le quatrième, « les formes et les figures » |169. Aristote les a dites : ἔξιν καὶ διάθεσιν [« état habituel et disposition »], φυσικὴν δύναμιν [« puissance naturelle »], παθητίκὰς ποιότητας καὶ πάθη [« qualités affectives et affections »], σχήματα καὶ μορφάς [« figures et formes »]. [116] Habitus est affectio animi longo tempore perseverans, ut est virtus et disciplina quae perseveratione sui et perpetuitate temporis aestimantur, nisi forte eas languor aliquis corporis et casu iniecta debilitas amputaverit. Affectio vero est mutabilis mentis impulsio vel cupiditas levis quae brevi tempore deleatur. Habitus ergo et affectio videri potest (ab hac namque incipit et, si ipsa permanserit, habitus nascitur); affectio autem habitus videri non potest (si enim ad habitum pervenerit, vocabulum proprium non tenebit). [116] 8b28-9a10 L’« état habituel » est la « disposition de l’entendement persistant longtemps », comme il en est de la « vertu » et de la « science », qui sont évaluées par leur persistance et leur permanence dans le temps, à moins peut-être que quelque langueur du corps ou une faiblesse survenue par hasard ne les ait amputées |170. 9a10-13 La « disposition », au contraire, est une « impulsion changeante de l’esprit », ou un « léger désir », qui s’efface après un court temps. L’« état habituel » aussi peut donc apparaître comme une « disposition » (car il commence par celle-ci, et si elle-même demeure, l’« état habituel » naît) ; mais la « disposition » ne peut apparaître comme un « état habituel » (en effet, si elle parvient à l’« état habituel », elle ne conservera pas son vocable propre) |171.
168 « Un troisième genre de qualité, ce sont les effets qualitatifs et les affections. Les qualités de cette sorte sont par exemple la douceur et l’amertume, ainsi que l’âcreté ». 169 « Un quatrième genre de qualité, c’est la figure, et la forme qui est présente dans chaque chose particulière ». 170 « L’état, cependant, diffère de la disposition parce qu’il est plus stable et dure plus longtemps. Telles sont les connaissances scientifiques et les vertus. En effet, on estime que la connaissance scientifique est parmi les états les plus stables et les plus difficiles à modifier, dès lors que quelqu’un a acquis ne fût-ce qu’un peu de connaissance scientifique, et à moins que ne survienne un profond changement du fait d’une maladie ou de quelque autre événement de cette sorte ». Voir la suite en Crubellier-Pellegrin, p. 48. 171 « Les états sont des dispositions, alors que les dispositions ne sont pas nécessairement des états. En effet, ceux qui ont atteint un certain état sont aussi disposés d’une certaine façon conformément à cet état, alors que ceux qui sont disposés d’une certaine façon n’ont pas entièrement atteint du même coup l’état correspondant ».
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[117] Hoc loco non est incongruum – quod saepe quaesitum est – brevi tractatu dissolvere ac docere, quid virtutem disciplinamque discernat: hoc profecto, quod disciplina in ea parte animae quae rationalis dicitur tantummodo diversatur, virtus vero omnes animae partes amplectitur omnemque animam suo imperio gubernat ac regit, ut et iracundiam domet, et cupiditates animo amoveat quod disciplina facere haudquaquam valet. [117] Parvenu à ce point, il n’est pas incongru – parce que cela a été souvent demandé – de distinguer et de préciser dans un bref développement ce qui différencie la « vertu » et la « science » : c’est assurément que la « science » réside seulement dans cette partie de l’âme qui est dite rationnelle, tandis que la vertu embrasse toute les parties de l’âme, et gouverne et régit sous son empire toute l’âme, de telle sorte qu’à la fois elle dompte la colère et éloigne de l’entendement les passions, ce que la « science » n’est aucunement capable de faire. [118] Potentia naturalis est quoties quis videtur vel posse vel non posse aliquid per naturam facere; ut, verbi gratia, plerumque visis corporibus puerorum et contemplatis artubus pronuntiamus aliquid de futuro eosque dicimus vel cursores vel pugillatorios fore; non quod iam hac arte vel studio teneantur, sed videantur positione corporis haec facilius impleturi. Similiter et salubres et imbecilles dicimus172 qui aut facile aut non facile recipiunt aegritudinem. Eodem modo namque et in his potentia naturalis advertitur quae eos facit vel languori crebrius subiacere vel retinere perpetuam sospitatem. « Durum » quoque et « molle » cum dicitur, ostendit potentiam naturalem; durum siquidem quod firmitate naturae corruptionem sui non facile admittit, molle vero in quo est natura laxior nec ad contraria repellenda sufficiens. [118] 9a14-27 Il y a « puissance naturelle » toutes les fois que quelqu’un paraît soit pouvoir, soit ne pas pouvoir faire quelque chose par nature. Ainsi, par exemple, la plupart du temps après avoir vu les corps des enfants et examiné leurs membres, nous prédisons quelque chose quant au futur et disons d’eux qu’ils seront soit coureurs, soit pugilistes. Non qu’ils possèdent déjà cet art ou cette aptitude, mais parce qu’ils semblent devoir les assumer assez facilement étant donné la conformation de leur corps. Semblablement, nous disons bien-portants ou fragiles ceux qui contractent facilement ou non des maladies. Car on observe 172 Au lieu du « Similiter et salubres et imbecilles dicimus » de Minio-Paluello, nous lisons « Similiter salubres vel imbecilles dicimus » pour faire sens.
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aussi de la même manière en eux une puissance naturelle qui fait ou bien qu’ils sont soumis plus souvent à la langueur ou bien conservent une vigueur permanente. Pareillement, lorsqu’on dit « dur » ou « mou », cela montre une puissance naturelle. « Dur » aussi est ce qui, par une fermeté de nature, n’admet pas facilement la corruption ; en revanche, nous disons « mou » ce en quoi il y a une nature plus lâche, et qui n’est pas suffisamment capable de repousser ce qui lui est contraire173 |174. [119] Tertium genus qualitatis sive species, passivae qualitates et passiones, quae sunt huiusmodi: austeritas, caloratio et frigidatio (sic enim θερμότητα et ψυχρότητα placet dicere) et albedo et nigredo: quae non idcirco passivae qualitates dicuntur quod patiantur aliquid, sed quod faciant passiones (mel namque, ut dulce sit, non a dulcedine aliquid passum est, sed dulcem gustantibus efficit passionem). [119] 9a28-b8 Troisième genre de qualité ou espèce : les « qualités affectives » et les « affections », qui sont de ce type : « âcreté », « échauffement » et « refroidissement » (ainsi, en effet, se plaît-il [sc. Aristote] à dire : θερμότητα et ψυχρότητα) et « blancheur » et « noirceur ». Elles ne sont pas dites qualités affectives pour cela qu’elles subissent quelque chose, mais parce qu’elle produisent des affections (car le miel, pour être « doux », n’a rien subi de la « douceur », mais il produit une affection douce chez ceux qui le goûtent) |175. [120] Passivae autem qualitates rectius dicuntur albedo et nigredo et eorum media, id est rubor et pallor. Haec enim nonnisi animae vel corporis passione nascuntur; ut enim nigrescat aliquis, corporis passio est, ut pallescat vel rubescat, animae quae, cum turpitudinis verecundiam 173 L’Anonymus donne l’impression d’avoir pris les qualités « dur » et « mou » au sens figuré (état psychologique), alors qu’Aristote les aurait prises au sens propre (consistance matérielle et naturelle). 174 Voir supra, § [115], puis : « En effet chacun de ces termes se dit, non parce que l’on est disposé de telle ou telle façon, mais parce que l’on possède une certaine capacité naturelle de faire quelque chose facilement, ou de n’être nullement affecté par . Ainsi, on dit que certains sont doués pour le pugilat ou la course, non parce qu’ils sont dans une certaine disposition, mais parce qu’ils ont la capacité naturelle de faire facilement une certaine chose, et on dit que certains sont bien-portants parce qu’ils ont une capacité naturelle de ne pas être affectés facilement, en quoi que ce soit, par les circonstances qui se présentent, et d’autres maladifs parce qu’ils ont une incapacité naturelle à éviter d’être affectés facilement par les circonstances qui se présentent. Le dur et le mou sont eux aussi dans une situation semblable à celle de ces termes : car on dit que quelque chose est dur parce que cela a la capacité de ne pas être divisé facilement, et que quelque chose d’autre est mou parce que c’est incapable de cette même résistance ». 175 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 49.
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ferre nequiverit, quasi ad obtentum sui, sanguinis copiam in exteriores corporis partes fundit, eoque fit ut pudore nimio rubescamus. Pallor quoque simili animae passione constat, cum perculsa metu nimio ad cordis ulteriora confugit eamque sanguis insequitur, adeo ut, desertum sanguine quod est in conspectu, corpus albescat. Haec animae passio ita a philosophis vera esse firmatur ut, etiamsi pallor vel rubor in corpore iugiter perseveret, simili passione asserant evenisse. [120] 9b9-19 C’est à plus juste titre que l’on dit « qualités affectives » la « blancheur » et la « noirceur » et leurs intermédiaires, c’est-à-dire la « rougeur » et la « pâleur ». En effet, elles ne naissent pas sans une affection de l’âme ou du corps. Qu’effectivement quelqu’un devienne « noir », il y a affection du corps176, qu’il pâlisse ou qu’il rougisse, il y a affection de l’âme, laquelle, ne pouvant supporter la honte de la turpitude, diffuse, comme pour se dissimuler, une grande quantité de sang dans les parties extérieures du corps177, et cela fait que nous rougissons par une excessive pudeur. La « pâleur » aussi se constitue par une semblable affection de l’âme, quand, frappée par une trop grande crainte, elle se réfugie dans les retranchements du cœur, et que le sang la suit, si bien que, déserté par le sang, parce qu’il s’offre au regard, le corps blanchit. Cette affection de l’âme est confirmée comme étant si vraie par les philosophes, que même si la « pâleur » ou la « rougeur » persévéraient continuellement dans le corps, ils affirmeraient qu’elles se produisent par une affection semblable |178. [121] Hae igitur qualitates si in corpore perseverent, quia secundum eas quales dicimur, ipsae quoque qualitates passivae censentur; sin vero ad breve tempus exstiterint ita ut cito discedant, « passiones » eas potius nominamus. Non enim quis si ad tempus iratus est aut erubuit aut incaluit aut refrixit, mox ad statum naturae rediturus iterum, « rubicundus » iam 176 Nous ne voyons pas quelle affection du corps peut rendre celui-ci noir. D’ailleurs, Aristote ne va pas jusqu’à l’affirmer – voir infra, n. 178. Cf. supra, § [28]. 177 Du visage seulement, pour être exact, à la différence de la pâleur. 178 « La blancheur, la noirceur et les autres couleurs ne sont pas appelées effets qualitatifs de la même façon que celles qu’on a mentionnées, mais parce qu’elles-mêmes ont été produites par une affection subie. En tout cas, il est clair que beaucoup de changements de couleur se produisent du fait d’une affection subie. En effet, on devient rouge lorsqu’on a honte et pâle lorsqu’on a peur, et ainsi de suite, de sorte que s’il est dans la nature de quelqu’un, du fait de certaines concomitances naturelles, d’éprouver une affection de cette sorte, il est probable qu’il aura la couleur correspondante. Car quelle que soit la disposition qui se produit en fait dans le corps à l’occasion de cet accès de honte, la même disposition pourrait se produire du fait de la constitution naturelle de l’individu, de sorte qu’une couleur semblable se produira naturellement ».
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vel « iracundus » vel « calidus » vel « frigidus » appellari potest, si ad tempus aliquid passus sit. [121] 9b20-10a5 Par conséquent, ces qualités, si elles persistent dans le corps, parce que nous sommes dits « qualifiés » selon elles, elles-mêmes aussi sont regardées comme des « qualités affectives ». En revanche, si elles n’existent que pour un temps limité, en sorte qu’elles se dissipent rapidement, nous les appelons plutôt « affections ». En effet, si quelqu’un s’est mis en colère un temps, et soit a rougi179, soit s’est échauffé, soit s’est rasséréné, alors qu’il va revenir bientôt à l’état de nature, il ne peut plus être appelé « érubescent », « encoléré » ou « chaud » ou « froid », même s’il a un temps pâti de quelque chose |180. [122] Erit igitur inter passivas qualitates et passiones ista discretio quod passiones ad tempus exortae facile commutantur; passivae vero qualitates, secundum quas « quales » dicimur, perpetuo perseverant. [122] Il y aura donc entre les qualités affectives et les affections cette différence que les affections éprouvées un temps changent facilement, tandis que les qualités affectives, selon lesquelles nous sommes dits « qualifiés », persistent dans la continuité. [123] Quartam nunc qualitatis speciem retractemus in qua sunt formae et figurae. Figurae inanimalibus, formae animalibus tribuuntur. Figuras enim tunc designamus cum vel « trigonum » vel « tetragonum » vel « conum » vel « cylindrum » vel « sphaeram » dicimus; formas autem cum « formosos » asserimus aliquos vel « deformes ». In eodem qualitatis genere sunt curvitas et rectitudo (audemus enim εὐθύτητα καὶ καμπυλότητα hoc pacto convertere; ab iis namque « curvum » vel « rectum » quidpiam dicitur). [123] 10a11-15 Traitons à présent de la quatrième espèce de qualité, dans laquelle sont « les formes et les figures ». Les « figures » sont attribuées aux choses inanimées, les « formes » aux animées. En effet, nous désignons des « figures » dès l’instant que nous disons soit « trigone », soit « tétragone », soit « cône », soit « cylindre », soit « sphère »181, et des « formes » quand nous affirmons de quelques-uns qu’ils sont « beaux » ou « laids ». Dans le même genre de qualité sont « la courbure et la rectitude » (c’est ainsi, effectivement, que nous osons Entendons : sous l’effet de la honte et non plus sous celui de la colère. Voir Crubellier–Pellegrin, p. 49-50. 181 Là encore, l’Anonymus préfère utiliser cinq calques latins du grec, et renoncer à triangulus et quadratus (pour ce dernier terme, voir cependant § [131]). 179 180
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traduire : εὐθύτητα καὶ καμπυλότητα182, car par elles on dit quelque chose de « courbe » ou de « droit ») |183. [124] Lenitudo quoque et asperitas et raritas ac densitas (e quibus « rarum », « densum », « lene », « asperum » designamus) qualitatum quidem numero sociantur; sed habent alteram interpretationem sui, siquidem « densum » coarctationem nimiam coniunctarum partium videtur ostendere, « rarum » contra, in quo intervallis frequentibus laxior partium videtur esse coniunctio; quin etiam « lene » illud proprie videtur ostendere in quo positio partium ita apte pariliterque digesta est ut nulla earum mensurae alterius emineret; contra, « asperum » discrepantia coniunctarum partium facit (asperitatem namque non gignit nisi inaequalitas partium, ut sit longior una, altera inferior). [124] 10a16-24 La « lénitude »184 aussi et la « rugosité », la « rareté » et la « densité » (par lesquelles nous désignons le « rare », le « dense », le « lisse » et le « rugueux »)185, sont certes associées au nombre des qualités ; mais elles relèvent entre elles d’un énoncé différent, puisque « dense » paraît montrer une plus grande cohérence des parties conjointes, tandis que « rare » est ce en quoi il paraît y avoir une conjonction plus lâche des parties, avec de fréquents intervalles. Bien plus, « lisse » semble indiquer proprement ce en quoi la position des parties est disposée d’une manière si ajustée et si égale qu’aucune d’elles ne dépasse la taille d’une autre ; au contraire, « rugueux » ne produit que la disparité des parties conjointes (car la « rugosité » ne provient que de l’inégalité des parties, l’une étant plus longue, l’autre plus courte) |186. 182 Pour la troisième fois sur quatre (cf. § [97], [115], [136]), l’Anonymus inverse les éléments en passant du latin (« la courbure et la rectitude ») au grec (« la rectitude et la courbure »). 183 Voir supra, § [115], puis : « et, outre cela, la forme droite et la forme courbe, et tout ce qui peut être semblable à celles-ci. En effet, on dit que quelque chose est qualifié d’après chacun de ces termes ; car quelque chose est qualifié par le fait qu’il est triangulaire ou carré, ou que c’est droit ou courbe, et chaque chose est qualifiée d’après sa figure ». 184 Rappelons que la « lénitude » désigne la qualité de ce qui est « lisse ». 185 Dans son énumération, l’Anonymus s’écarte de nouveau (voir § [51], [74], [96]) légèrement d’Aristote, qui liste : « rare », « dense », « rugueux » et « lisse ». 186 « On peut penser que rare et dense, rugueux et lisse, indiquent un certain être qualifié ; mais il semble bien que des termes de cette sorte tombent en dehors de la division des genres de la qualité. En effet, chacun de ces deux couples de termes paraît plutôt indiquer une position des parties. Car une chose est dense parce que ses parties sont rapprochées les unes des autres, rare parce qu’elles sont éloignées les unes des autres ; et elle est lisse parce que ses parties sont en quelque sorte disposées suivant une ligne droite, et rugueuse parce que telle de ses parties dépasse alors que telle autre est en retrait ».
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[125] Ac propterea haec quidam volunt categoriae alteri sociare, quae apud Graecos κεῖσθαι, apud nos « iacere » (sive, ut Agorius – quem ego inter doctissimos habeo – voluit, « situs ») dicitur. Claret enim unumquodque earum partium quae corpus efficiunt positione constare; verumtamen, cum « lene » vel « asperum » vel « densum » vel « rarum » dicimus, qualia demonstramus eaque omnia quae de his superius explicata sunt ad interpretationem non vocabuli, sed naturae videntur potius pertinere; qua de causa cogit ratio ut haec quoque inter qualia numeremus. [125] Et c’est pour cela que certains veulent associer ces catégories à une autre, qui se dit chez les Grecs κεῖσθαι, chez nous iacere [« reposer »]187 (ou bien, comme le veut Agorius188 – que moi je range parmi les doctissimes –, « situation »). En effet, il ressort que chacune des parties qui composent un corps subsiste dans une position : et cependant, quand nous disons « lisse » ou « rugueux », « dense » ou « rare », nous montrons des « qualifiés », 10a18 et tout ce qui en a été expliqué plus haut semble relever de l’explication non pas du vocable mais plutôt de celle de la nature ; c’est à cause de cela que la raison nous contraint à les compter aussi parmi les « qualifiés » |189. [126] Ab his igitur quas enumeravimus qualitatibus παρωνύμως qualia nominantur, ut « lene » a lenitate, a densitate « densum », ceteraque his similia. Sed plerumque accidit, {licet raro}, ut qualia non παρωνύμως a sua qualitate descendant, ut a virtute non potest dici « virtuosus », sed « moderatus » et « industrius » (nec in graeco quidem ἀπὸ τῆς ἀρετῆς ἀρετός dicitur, sed σπουδαῖος). Unde apparet qualia, etiam neglecta plerumque paronymorum derivatione, constare. Haec hactenus. [126] 10a27-b11 Par conséquent, les « qualifiés » sont nommés παρωνύμως [« paronymiquement »] à partir des qualités que nous avons énumérées, comme « lisse » de « lénitude », « dense » de « densité » et d’autres qui leur sont semblables. Mais la plupart du temps, il arrive que les « qualifiés »190 ne découlent pas παρωνύμως de leur qualité, comme de Sur κεῖσθαι, voir supra, § [51]. Comme nous l’avons signalé dans notre Introduction, il s’agirait de Vettius Agorius Praetextatus (c. 310-c. 387). 189 « Quant aux qualifiés, ce sont ceux qui sont nommés d’après ces qualités, soit par dérivation, soit de toute autre manière ». 190 Minio-Paluello exclut à juste titre ce licet raro, qu’ignore aussi la PL, parce qu’il entre en contradiction avec le plerumque qui le précède et qui sera repris un peu plus loin dans le même paragraphe. 187 188
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« vertu » ne peut être dit « vertueux »191, mais « modéré » et « industrieux » (en grec on ne dit pas non plus ἀπὸ τῆς ἀρετῆς [« d’après la vertu »] ἀρετός192 [« vertueux »], mais σπουδαῖος [« méritant »])193. D’où il apparaît que les « qualifiés » subsistent même quand, la plupart du temps, la dérivation des paronymes n’est pas prise en compte. Mais cela suffit |194. [127] Nunc qualitatis huius, propter quam diversas species explanavimus, consequentias et proprium videamus. Et primum quidem contrarietatem recipere qualitates nulla dubitatio est. Quis enim dubitat saluti contrarium esse languorem195, iustitiae iniustitiam, calorem frigori, malo bonum, non erudito litteris eruditum? Sed hoc non in omni qualitate reperies; nam pallido vel fusco vel quadrato vel trigono nihil potest esse contrarium. [127] 10b12-17 Voyons à présent la suite et le propre de cette qualité, pour laquelle nous avons expliqué ces diverses espèces. Et d’abord, nul doute assurément que les qualités admettent la contrariété. Qui doute, en effet, que 191 Pour que la transposition en latin soit pertinente, il faut que virtuosus ait été un barbarisme à l’époque de l’Anonymus, au même titre que l’ἀρετός grec. Or, on s’aperçoit qu’Augustin utilise le terme dans son Contra Secundinum Manichaeum, X : « an affectione animi, ut virtuosus injusto = est-ce par une affection de l’esprit que le vertueux l’emporte sur l’injuste ? », et dans son Sermon 161 (chez Angelo Mai), probablement apocryphe, à propos de l’Apôtre Thomas : « virtuosus in signis » (synonyme de potens, selon Mai, 1852, p. 359). Donc, ou bien le Paraphraste latin ignore ce néologisme, ou bien il est antérieur à Augustin. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : il ne peut être identifié à l’évêque d’Hippone. 192 Le barbarisme ἀρετός de l’Anonymus est entre les barbarismes grecs ἀρεταῖος et ἐνάρετος de Porphyre – voir n. suivante. 193 Cf. Porphyre, CC, 70, 14 sqq., qui, en développant la présentation d’Aristote, permet de mieux comprendre ce que tente d’expliquer le Paraphraste latin : « Alors qu’il y a la vertu (ἀρετή), celui qui participe de la vertu se trouve appelé “sérieux” (σπουδαῖος). Ici, la vertu est bien la chose à laquelle l’homme en question participe, mais dès lors qu’il n’a pas de part à ce nom – le “sérieux” et la “vertu” constituent en effet des noms différents –, il ne peut être question de dérivés ; si bien que l’homme sérieux, quoiqu’il ait part à la vertu, ne sera pas appelé “sérieux” par dérivation » (= Bodéüs, p. 147), et 135, 19 sqq. : « Bien qu’on appelle “vertu” l’état parfait, la personne désignée par cet état n’est plus expressément désignée par un dérivé de “vertu” ; en effet, “vertueux” (ἀρεταῖος – ce mot qui signifierait “vertueux“ n’existe pas en grec) n’est pas dans l’usage et on ne peut pas dire “envertué” (ἐνάρετος), car on ne dit pas non plus “enlettré” celui qu’on qualifie d’après la science des lettres ; celui qu’on désigne à partir de sa vertu est au contraire appelé “sérieux” » (= Bodéüs, p. 451 et 453). 194 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 51, fragment dont voici presque la fin : « Parfois, alors même qu’il existe un nom établi, le sujet qui est qualifié d’après cette qualité n’est pas nommé de façon dérivée : ainsi l’homme de bien (σπουδαῖος), à partir de la vertu (ἀρετη). Car c’est parce que l’on possède la vertu que l’on est dit homme de bien, mais ce terme ne se dit pas de façon dérivée à partir de la vertu ; mais une telle situation ne se rencontre pas souvent » (Catégories, 10b6-11). 195 Remarquons qu’ici languor s’oppose à salus, qu’au § [134] aegritudo s’oppose à sanitas, et qu’au § [154] salus s’oppose à aegritudo.
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la « langueur » soit le contraire de la « vitalité », l’« injustice » celui de la « justice », la « chaleur » celui du « froid », le « bien » celui du « mal », l’« érudition » par les lettres celui de la « non érudition »196 ? Mais tu ne trouveras pas cela en chaque qualité : car rien ne peut être contraire à « pâle », ou à « sombre »197, ou à « carré », ou à « trigone » |198. [128] Non ergo erit incommodum regulam quamdam dare qua quae qualitates contrarietatem non recipiant possit adverti. Erit igitur notum doctis eas qualitates quae contrariis mediae sunt et eas quae ex formis figurisque nascuntur contrarietatem penitus excusare. [128] Il ne sera donc pas embarrassant de donner une règle qui permette de repérer quelles qualités n’admettent pas de contrariété. Par conséquent, il sera connu des doctes que les qualités qui tiennent le milieu des contraires et celles qui naissent des formes et des figures, répugnent absolument à la contrariété. [129] Contrariis autem medias dixi ut est fuscum vel pallidum; haec enim duo de albedine nigredineque nascuntur ac sunt his media, ipsa vero albedo et nigredo sibi sunt contraria; fusco autem pallidoque contrarium nihil est. Claret ergo contrariorum media contrarium non habere. Quin etiam qualitas quae ex forma vel figura consistit, contrarietatis ignara est ; quid enim quadrato, quid trigono, quid circulo vel cono vel cylindro contrarium quis opponat? Regulariter ergo teneamus contrarietatis receptricem qualitatem nec omnem posse esse nec solam. [129] 12a17-19 J’ai parlé des qualités qui tiennent le milieu des contraires, comme l’est « sombre » ou « pâle » : en effet, ces deux qualités naissent de la blancheur et de la noirceur et tiennent leur milieu ; « blanc » et « noir » sont contraires entre eux ; mais il n’est rien de contraire à « sombre » et à « pâle »199 |200. Il ressort donc que les choses On notera que ce dernier couple ne figure pas chez Aristote. Fuscus traduit le ϕαιός d’Aristote. 198 « Il y a aussi de la contrariété dans le domaine de la qualification : ainsi la justice est le contraire de l’injustice, la blancheur de la noirceur, et de même pour les autres ; et sont contraires également les termes qui sont qualifiés d’après ces qualités : par exemple, l’injustice est le contraire du juste, et le blanc du noir. Mais une telle situation ne se produit pas pour tous les cas, car il n’existe rien qui soit contraire au rouge, au pâle ou aux couleurs de cette sorte, bien que ce soient des qualités ». 199 Aristote (Catégories, 12a12-17) ne justifie toutefois pas explicitement (voir 12a2224) l’absence de contrariété par la notion d’intermédiaire. Or c’est cette condition qui, pour l’Anonymus, empêche d’objecter que « sombre » et « pâle » ont un contraire. 200 « Il y a certes quelque chose d’intermédiaire entre ces termes : entre le blanc et le noir, par exemple, il y a le gris, le pâle et toutes les autres couleurs, et entre le mauvais et le bon, il y a ce qui n’est ni mauvais ni bon ». 196 197
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qui tiennent le milieu des contraires ne possèdent pas de contraire. Bien plus, la qualité qui consiste d’une forme ou d’une figure est étrangère à la contrariété. En effet, quel contraire quelqu’un opposerait-il à ce qui est « carré », lequel à ce qui est « trigone », à ce qui est « cercle », à ce qui est « cône » ou « cylindre » ? Tenons donc, en toute rigueur, que la qualité réceptrice de la contrariété ne peut être ni d’elle tout entière ni d’elle seule. [130] Nec illud est omittendum ut sciamus in contrariis qualitatum sub eadem categoria esse alterum sub qua aliud invenitur; ut iustitiae iniustitia contraria est, qualitas iustitia, et iniustitia igitur qualitas; qualitas est albedo; nigredinem quoque esse qualitatem necesse est. Itaque fit ut regulariter contrariae qualitates categoria semper eadem vinciantur. [130] 10b17-21 Et il ne faut pas omettre ceci : nous savons que dans les contraires des qualités l’un se range sous la même catégorie sous laquelle se trouve l’autre, comme l’« injustice » est le contraire de la « justice » : la « justice » est une qualité, par conséquent l’« injustice » est aussi une qualité. De même, la « blancheur » est une qualité, c’est pourquoi il est nécessaire que la « noirceur » soit aussi une qualité |201. De là vient qu’en toute rigueur les qualités contraires sont toujours liées par une même catégorie. [131] Quaerentes interea quid sit proprium qualitatis, quoniam contrarietatem suscipere nec solius est nec totius, aliud perscrutemur. Video enim magis et minus (hoc est μᾶλλον καὶ ἧττον) in se recipere qualitatem; namque « magis album » vel « magis nigrum » vel « magis musicum » vel « minus musicum » possumus dicere. Verum id quoque nec in omni qualitate nec in sola poterit inveniri. Quis enim prudentiam prudentiorem possit dicere vel albedinem clariorem vel doctrinam doctrina doctiorem vel trigono magis trigonum vel quadrato quadratius. Si enim trigonum fuerit, magis esse quam trigonum non potest; aut si magis aut minus fuerit, iam trigonum non erit. [131] 10b26-11a1 Dans notre recherche de ce qu’est le propre de la qualité, nous avons cependant investi autre chose, puisqu’il n’est ni du « seul » ni du « chacun » d’admettre la contrariété. Je vois, en effet, « le plus et le moins » (c’est-à-dire μᾶλλον καὶ ἧττον) recevoir en lui la 201 « Lorsque de deux contraires, l’un est un terme qualifié, l’autre aussi sera un terme qualifié. C’est clair si l’on s’appuie sur les autres types de prédication : si par exemple la justice est le contraire de l’injustice et si la justice est un terme qualifié, alors l’injustice elle aussi sera un terme qualifié ».
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qualité. Car nous pouvons dire « plus blanc », « plus noir », « plus musicien » ou « moins musicien ». Seulement, cela ne pourra se trouver ni dans la qualité tout entière ni dans elle seule. En effet, qui pourrait dire une « prudence » plus prudente que la prudence, une « blancheur » plus claire , un « savoir » plus savant que le savoir, ou un « trigone » plus trigone qu’un trigone, un « carré » plus carré qu’un carré ? Car si c’est un « trigone », il ne peut être plus trigone qu’un trigone ; ou s’il est plus ou moins trigone, il ne sera pas trigone |202. [132] Separare tamen placet ac discernere eas qualitates quae magis et minus recipiunt ab iis quae hunc gradum comparationis excusent. Sit ergo haec regula: qualitates ipsas magis et minus non posse suscipere, ea vero quae ex his fiunt, comparata, vel magis recipere posse vel minus; ut eloquentiam magis eloquentiam seu minus dicere nullus potest, eum vero qui eloquens dicitur magis vel minus ceteris eloquentem possumus dicere. Claret ergo magis et minus in qualibus inveniri posse, nunquam posse in qualitates incidere. [132] Cependant, il paraît bon de séparer et de différencier ces qualités qui admettent « le plus et le moins » de celles qui répugnent à ce degré de comparaison. Soit donc cette règle : les qualités elles-mêmes ne peuvent être susceptibles de plus et de moins, mais les choses qui en sont formées, comparées, peuvent admettre soit le plus, soit le moins – ainsi nul ne peut dire l’« éloquence » plus ou moins « éloquence » ; en revanche, celui qui est dit « éloquent », nous pouvons le dire plus ou moins « éloquent » que d’autres. Il ressort donc que « le plus et le moins », qui peut être trouvé dans les « qualifiés », ne peut jamais échoir aux qualités. [133] Figurae quoque, ut superius explicatum est, non admittunt magis et minus; siquidem circulo, si aliquid addas aut minuas, « circuli » iam vocabulum non tenebit et in alterius figurae nomen immigrat. Manifeste 202 « Les termes qualifiés admettent aussi le plus et le moins. En effet, on dit qu’une chose est plus blanche ou moins blanche qu’une autre, ou plus juste qu’une autre, et cela admet l’accroissement, car quelque chose qui est blanc peut devenir encore plus blanc ; non pas dans tous les cas cependant, mais dans la plupart ; car on pourrait se poser la question de savoir si l’on peut dire qu’une justice est plus ou moins justice qu’une autre justice, et de même pour les autres dispositions. Car certains expriment un désaccord au sujet des termes de cette sorte ; en effet ils nient absolument qu’on puisse dire qu’une justice est plus ou moins justice qu’une autre justice, ou une santé qu’une autre santé, mais ils disent cependant qu’un homme peut avoir moins de santé qu’un autre, et qu’un homme peut avoir moins de justice qu’un autre, et de même pour ce qui est de savoir lire et des autres dispositions ».
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igitur designatum est quae qualitates huiusmodi gradus comparationis accipiunt et quae ab his videntur alienae esse. [133] 11a8-12 Les figures non plus, comme cela a été expliqué plus haut, n’admettent pas « le plus et le moins » : puisque si tu lui ajoutais ou retranchais quelque chose, le cercle ne porterait plus le vocable de « cercle », et le nom passerait dans une autre figure. Il a par conséquent été indiqué de façon manifeste quelles qualités acceptent les degrés d’une telle comparaison, et quelles autres semblent leur être étrangères |203. [134] Reliquum est ut qualitatis proprium (quod apud Graecos ἴδιον) vestigemus. Namque usia habet hoc proprium ut singularis atque una numero contraria in se suscipiat: (« suscipiat » autem dixi, non « habeat », « contraria »; meminisse autem nos oportet quod usiae, cum de ea tractaremus, nihil diximus esse contrarium); ergo eius est proprium suscipere contraria (id est sanitatem modo, modo aegritudinem), quanti vero (id est τοῦ πόσου) ut par imparve dicatur, τοῦ δὲ πρός τι (id est ad-aliquid) ut sint ἀντιστρέφοντα (hoc est, ut in se convertantur ac sint sibi natura coniuncta), ita et qualitatis hoc proprium est ut cuncta qualia similia aut dissimilia nominentur. Et dulce enim dulci et albo album et stulto stultum et levi leve et calido calidum similia vel dissimilia proprie nuncupantur; aliter enim si dicta fuerint, nuncupationem propriam non habebunt. [134] 11a15-19 Il nous reste à enquêter sur le « propre » de la qualité (qui est ἴδιον chez les Grecs) |204. 4a10-b29 Car l’ousie a ceci de propre qu’étant singulière et numériquement une, elle est en soi susceptible de contraires (j’ai bien dit qu’« elle est susceptible de contraires », non qu’elle les « possède » ; et il nous faut nous rappeler que de l’ousie, quand nous en avons traité, nous avons dit que rien ne lui est contraire) ; donc, le propre de l’ousie est d’être susceptible de contraires (c’est-à-dire : tantôt la « santé », tantôt la « maladie ») |205, 6b28-38 mais le propre du « quantifié » (c’est-à-dire : τοῦ πόσου) est d’être dit par exemple « égal » ou « inégal », le propre τοῦ δὲ πρός τι (c’est-à-dire : « quant au relativement à quelque chose ») est par exemple de relever d’ἀντιστρέφοντα [« réciproques »] (c’est-à-dire : par exemple de pouvoir être changés entre soi et 203 « Les objets auxquels s’appliquent l’énonciation du triangle ou celle du cercle sont tous de la même façon des triangles ou des cercles, et quant à ceux qui ne l’admettent pas, on ne dira d’aucun d’entre eux qu’il est davantage cercle ou triangle qu’un autre. En effet, le carré n’est pas du tout plus un cercle que le rectangle, car l’énonciation du cercle ne s’applique ni à l’un ni à l’autre ». 204 Voir supra, §[92]. 205 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 37-39.
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d’être l’un pour l’autre par une nature conjointe) |206, 11a15-19 de même aussi le propre de la qualité est par exemple que tous les qualifiés soient nommés ensemble « semblables » ou « dissemblables ». Et en effet, sont appelés proprement « semblables » ou « dissemblables » le « doux » par rapport au « doux », le « blanc » par rapport au « blanc », le « sot » par rapport au « sot », le « léger » par rapport au « léger », le « chaud » par rapport au « chaud ». Effectivement, si on les disait autrement, ils ne posséderaient pas d’appellation propre |207. [135] Ne autem nonnulli in legendo turbentur quod et affectio et habitus et disciplina quae, « in ad aliquid » dictis (id est ἐν τοῖς πρός τι) positae, eidem qualitati quoque conexae sunt, hanc discretionem damus: ut tunc categoriae ad-aliquid socientur quando sunt genera, cum vero species, qualitati. Ut puta si « disciplinam » dixeris quae est genus ceterarum, ad-aliquid referenda est (disciplina enim discibilis rei disciplina dicitur); quod si « musicam » (musica disciplinae species est, non genus), qualitati nectenda est; neque enim musicam musici possumus dicere, sed musici disciplinam. [135] 11a20-38 Mais afin que personne ne soit troublé en lisant que et la « disposition » et l’« état habituel » et la « science », qui ont été placés parmi les choses dites « dans les relativement à quelque chose » (c’est-à-dire : ἐν τοῖς πρός τι), sont attachés aussi à la même qualité, nous apportons cette distinction que les catégories sont associées au « relativement à quelque chose » quand ce sont des genres, mais à la « qualité » quand ce sont des espèces. Comme, par exemple, si tu dis « science », qui est le genre de tout le reste, il faut la rapporter au « relativement à quelque chose » (la science, en effet, est dite science d’une chose qu’on peut savoir)208 ; que si tu dis « musique » (la musique est une espèce de la science et non un genre), il faut la rattacher à la qualité : en effet, nous ne pouvons pas dire « musique du musicien » mais « science du musicien ». 206 « Tous les termes relatifs se disent par rapport à des termes qui ont avec eux une relation réciproque. Ainsi on dit que l’esclave est esclave d’un maître, et le maître maître d’un esclave ; on dit que le double est double de sa moitié, et la moitié moitié de son double ; le plus grand plus grand que ce qui est plus petit, et le plus petit plus petit que ce qui est plus grand ; et de même pour les autres, si ce n’est que dans l’expression, la forme grammaticale sera parfois différente. Par exemple, la connaissance est connais- sance de l’objet connaissable, et l’objet connaissable est connaissable par une connais- sance ; la perception est per ception de l’objet perceptible, et l’objet perceptible est per- ceptible par une perception ». 207 Voir supra, §[134]. 208 Nous avons essayé de respecter la parenté morpho-sémantique entre disciplina et discibilis, qui dérivent l’un et l’autre de discere.
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TEXTE ET TRADUCTION
[136] Similiter et affectio et habitus, secundum genera et species, nunc ad-aliquid nunc qualitati nectuntur; siquidem si affectum vel habitum (hoc est ἕξιν et διάθεσιν) generis dixeris (id est disciplinae) ad-aliquid referuntur; sin autem affectum sive habitum speciei esse dixeris (id est musicae vel grammaticae), qualitates debemus agnoscere. [136] Semblablement, et la « disposition » et l’« état habituel », en tant que genres et espèces, se rattachent tantôt au « relativement à quelque chose », tantôt à la « qualité » ; puisque, si tu dis que « disposition » ou « état habituel » (à savoir : ἕξις et διάθεσις)209 relèvent du genre (c’està-dire de la science), elles sont rapportées au « relativement à quelque chose » ; si au contraire tu dis que le « disposé » et le « qui se trouve dans un état habituel » relèvent de l’espèce (c’est-à-dire de la musique ou de la grammaire), nous devons les reconnaître comme des qualités. [137] Quamvis ipse quoque Aristoteles magnus ingenio huic paene permixtioni concesserit ac dixerit posse contingere ut, quod qualitati fuerit, idem referatur ad-aliquid, nec esse importunum si una res duarum categoriarum vocabulo concludatur. [137] Nous le devons quoique Aristote lui-même, grand par le génie, ait lui aussi presque consenti à ce mélange, et ait dit qu’il peut arriver que ce qui relève de la qualité se rapporte identiquement au « relativement à quelque chose », et qu’il n’est pas malvenu qu’une seule chose soit cernée par le vocable de deux catégories |210. De facere et pati CAPUT XIII. [138] Dicta sunt autem omnia quae ad quattuor categorias maximas atque difficiles pertinebant; nunc ordo commonet ut, post qualitatem, de facere et pati tractatus habeatur. Quae duo videntur, ex qualitatis fonte descendere; id namque quod calidum facit, calidum sit necesse est; calidum vero quale esse cognoscimus. Similiter quod calidum fit, passione sui accipit qualitatem; et qui docet, cum docet, doctor est, et discipulum facit; uterque autem sive doctor sive discipulus qualis est; et cetera his similia considerata demonstrant recte has duas categorias praeposita qualitate tractari. 209 Pour la quatrième fois sur quatre (cf. § [97], [115], [123]), le Paraphraste latin inverse les deux éléments en passant du latin (« disposition ou état habituel ») au grec (« état habituel et disposition »). 210 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 52-53.
TEXTE ET TRADUCTION235
Du « faire » et du « pâtir » CHAPITRE XIII : [138] On a dit tout ce qui relevait des quatre plus importantes et plus difficiles catégories. À présent, l’ordre commande qu’après la « qualité » il soit traité du « faire » et du « pâtir ». Ces deux catégories paraissent dériver de la qualité comme d’une source. Car ce qui fait « chaud », il est nécessaire que ce soit « chaud », et nous savons que « chaud » est un « qualifié ». Semblablement, ce qui est fait « chaud » reçoit une qualité par l’affection qu’il éprouve ; et celui qui enseigne, quand il enseigne, est enseignant, et il forme un élève ; or l’un et l’autre, ou bien « enseignant », ou bien « élève », sont des « qualifiés ». Et toutes les autres choses, considérées de semblable manière, montrent à juste titre que ces deux catégories se traitent par la qualité posée au préalable. [139] Haec autem duo, facere et pati, multi dixerunt non posse nisi iis quae fuerint contraria provenire. Id enim quod dulce est dulce non facit nisi id quod dulce non fuerit; nam si id quod patitur dulce fuerit per naturam sui, alterius211 dulcedinem quo recipiat non habebit; necesse est ergo dulce non esse id quod patitur ut dulcedinem recipiat alienam; ac propterea, cum quod facit dulce est et quod patitur dulce non est, necessario dicuntur videri contraria. [139] Beaucoup ont dit que ces deux catégories, « faire » et « pâtir », ne peuvent s’appliquer qu’à des choses qui sont contraires. En effet, ce qui est « doux », ne fait « doux » que ce qui n’était pas « doux » ; car si ce qui pâtit est « doux » par sa nature, il n’aura pas à recevoir d’un autre sa douceur. Il est donc nécessaire que ce qui pâtit ne soit pas « doux », afin de recevoir une douceur extérieure ; et voilà pourquoi, quand ce qui agit est « doux » et ce qui pâtit n’est pas « doux », on dit nécessairement qu’ils doivent être regardés comme contraires. [140] Nonnulli diversa senserunt, asserentes non posse haec nisi in similibus inveniri et sub eodem genere constitutis; nec posse aliquid pati vel facere nisi simile faciat aut a simili patiatur. Dulce enim et amarum vel calidum et frigidum, licet contraria videantur, tamen, cum sub eodem sensu sunt, similia esse confirmant.
211 Nous avons introduit ici une ponctuation qui nous a semblé faire défaut chez Minio-Paluello : « per naturam sui alterius ».
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TEXTE ET TRADUCTION
[140] Quelques-uns en ont jugé différemment, assurant que l’on ne peut trouver ces deux catégories que dans des semblables et dans des choses rangées sous un même genre, et que quelque chose ne peut faire ou pâtir sans que ce soit un semblable qui fasse, ou sans que l’on pâtisse d’un semblable. En effet, le « doux » et l’« amer », ou le « chaud » et le « froid », bien que paraissant contraires, confirment pourtant qu’ils sont semblables puisqu’ils tombent sous le même sens. [141] Denique ab alienis penitusque discretis patiendi faciendive rationem dicunt non posse subsistere: ut, verbi gratia, quid faciet numerus in amaro vel quid albedo pati possit a numero? Sed haec sit conflictio ceterorum; nobis autem regula illa sufficiat ut sciamus facere et pati genere esse coniuncta, qualitate discreta. Etenim calidum quod frigido praestat calorem sui, sub eodem genere est quo est et frigidum, sed discrepat qualitate quod calet; et doctus cum docet indoctum, sub eodem genere est, sed qualitate discernitur. [141] Enfin, ils disent que la formule de ce qui pâtit ou de ce qui fait ne peut se maintenir relativement à des choses étrangères et tout à fait différentes, comme, par exemple : que fera le nombre dans ce qui est amer, ou bien en quoi la blancheur pourrait-elle pâtir du nombre ? Mais que ce débat échoie à d’autres, et que pour nous cette règle suffise de savoir que « faire » et « pâtir » sont unis par le genre et discrets par la qualité. Et en effet, le « chaud », qui fournit au froid sa chaleur, est sous le même genre duquel relève aussi le « froid », mais il s’en écarte par la qualité du fait qu’il chauffe ; et quand un enseignant enseigne à un non enseigné, il est sous le même genre, mais se distingue de lui par la qualité. [142] Claret ergo facere et pati genere esse similia, contraria qualitate. Sed haec duo, ut superius diximus, adeo videntur qualitati non modo ordine sed etiam ratione coniungi, ut eadem recipiant quae recipere diximus qualitatem: namque et contrarietatem non respuunt quam qualitas recipit, et magis et minus admittunt quorum qualitatem quoque diximus receptricem. [142] Il ressort donc que « faire » et « pâtir » sont semblables quant au genre, contraires quant à la qualité. Mais ces deux états, comme nous l’avons dit plus haut, semblent si bien conjoints à la qualité, non seulement par l’ordre congru mais aussi par la raison, qu’ils admettent la même chose qu’admet, nous l’avons dit, la qualité. 11b1-2 Car ils ne répugnent pas à la contrariété que la qualité reçoit, et ils admettent le plus et le moins, dont nous avons dit aussi la qualité réceptrice |212. « Faire et subir admettent eux aussi la contrariété ainsi que le plus et le moins ».
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TEXTE ET TRADUCTION237
[143] Harum vero categoriarum proprium (quod graece ἴδιον), quoniam ipse quoque Aristoteles omisit, nec a nobis lector inquiret. [143] Quant à ce qui est le « propre » de ces catégories (en grec ἴδιον), puisque Aristote lui-même a omis aussi d’en parler, le lecteur ne l’attendra pas non plus de nous. De iacere, sive situ CAPUT XIV. [144] Sequitur ut de iacere dicamus (sive de situ, ut quidam putant) quae categoria in ad-aliquid relatis iam videtur esse tractata; siquidem quod iacet positum iacet, positum vero positionis est et positio positi. Qua de causa, ut ipse quoque Aristoteles – quem sequimur – fecit, ad alia transeamus. Du « reposer », ou de la « situation » CHAPITRE XIV : [144] 11b9-10 Il nous reste ensuite à parler de « reposer » (ou de « situation », comme certains le pensent). Mais cette catégorie paraît avoir été déjà traitée dans celles rattachées au « relativement à quelque chose » |213, puisque ce qui repose, repose « positionné », alors que le « positionné » relève de la « position », et la « position » du « positionné ». C’est pourquoi, comme le fait Aristote lui-même – que nous suivons ici –, passons à autre chose. De ubi et quando CAPUT XV. [145] Ubi et quando videntur locus esse et tempus cum non sint; sed sunt in loco et tempore, ut Romae, in senatu, ante horam tertiam, post mensem martium. Haec, ut diximus, in loco sunt et in tempore, non locus et tempus. De « où » et de « quand » CHAPITRE XV : [145] 11b10-12 « Où » et « quand » semblent être le « lieu » et le « temps », bien qu’ils ne le soient pas ; mais ils sont dans le lieu et dans 213 « On a également dit quelque chose au sujet de être dans une position au chapitre des termes relatifs, à savoir que cela se dit de façon dérivée à partir des positions ».
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TEXTE ET TRADUCTION
le temps : « à Rome », « dans le sénat », « avant la troisième heure », « après le mois de mars ». Ils sont, comme nous l’avons dit, dans le lieu et dans le temps, non le lieu et le temps. [146] Denique, ut claras et nullius tractatus indigas categorias, Aristoteles quoque transgressus est; quod nos etiam faciemus: de tempore enim et loco inter summos philosophos vetus et magna quaestio est, quibusdam volentibus haec corporata esse, aliis vero sine corporibus aestimari. [146] En bref, Aristote a passé ces catégories sous silence parce que claires et ne réclamant aucun développement ; c’est ce que nous, nous ferons également |214 : en effet, concernant le « temps » et le « lieu », il y a aussi, parmi les plus grands philosophes, une ancienne et vaste question, les uns voulant qu’ils soient des corporels, et les autres les estimant privés de corps. De habere CAPUT XVI. [147] Non uno modo habere aliquid dicimur; quantum enim tractando colligimus, sub hoc verbo octo sunt quasi quaedam species. Prima est quoties animo habemus aliquid, ut iustitiam, castitatem, iniustitiam vel libidinem. Secunda quoties in corpore habere aliquid dicimur, ut albedinem, nigredinem, varietatem, vel caetera quae per qualitatem corpori insidunt. Tertia de quantitate descendit, quoties quattuor vel quinque pedum habere dicimur longitudinem. Quarta cum non in toto corpore sed in parte corporis aliquid habere firmamur, ut in digito anulum, in pede calceos vel cothurnos. Quinta species est cum non in corpore sed circa corpus habere aliquid dicimur, ut est vestiis atque indumenta omnia. Sexta quoties ipsas partes corporis habere narramur, ut manus, pedes, caput, aut reliqua quae sunt in compage membrorum. Septimus vero locus est quoties far vel vinum vas aliquod habere dicitur. Octavus habendi gradus est qui possessionem nostram vel dominium videtur ostendere, cum aedes vel rus quis habere dicitur, vel maiorum sepulcra215. 214 « Quant aux termes restants – à un certain moment, quelque part et avoir –, du fait qu’ils sont tout à fait clairs, on ne dit rien de plus à leur sujet que ce qui a été dit au début ». 215 L’Anonymus distingue 8 manières de « posséder » quelque chose là où Aristote n’en distingue que 6. En mentionnant d’abord l’Anonymus, puis Aristote, nous obtenons l’équivalence suivante : 1 = 1 / 2 / 3 = 2 / 4 + 5 = 3 / 6 = 4 / 7 = 5 / 8 = 6. En clair, la possession de quelque chose dans le corps comme la noirceur ou la blancheur chez l’Anonymus (2) est sans équivalent chez Aristote, tandis que la possesion de quelque chose
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Du « posséder » CHAPITRE XVI : [147] 15b17-27 Nous ne sommes pas dits « posséder quelque chose » d’une seule manière. Effectivement, en en traitant, nous en avons réuni au fur et à mesure huit sous ce mot, qui en sont pour ainsi dire des espèces. La première est chaque fois que nous possédons quelque chose dans l’esprit, comme la « justice », la « chasteté », l’« injustice ou le « désir ». La deuxième, chaque fois que nous sommes dits « posséder quelque chose dans le corps », comme la « blancheur », la « noirceur », la « variété des couleurs », ou d’autres états qui s’attachent au corps par la qualité. La troisième dérive de la quantité, chaque fois que nous sommes dits « avoir quatre ou cinq pieds de longueur ». La quatrième, lorsque nous sommes assurés de « posséder quelque chose » non pas dans tout le corps, mais dans une partie du corps, comme un anneau au doigt, des chaussures ou des cothurnes aux pieds. La cinquième espèce est quand nous sommes dits posséder quelque chose non pas dans le corps, mais autour du corps, comme il en est des vêtements et de toutes les choses qui enveloppent. La sixième, chaque fois que nous sommes dits « posséder les parties elles-mêmes du corps », comme la « main », le « pied », la « tête », ou d’autres, qui interviennent dans l’assemblage des membres. La septième est le « lieu », chaque fois qu’on dit qu’un vase quelconque contient du froment ou du vin. Le huitième échelon du « posséder » est celui qui semble montrer notre possession ou propriété, quand on dit de quelqu’un qu’il possède un édifice ou une propriété rurale, ou les tombeaux de ses ancêtres |216. dans une partie du corps (comme un anneau au doigt ou des chaussures aux pieds) et celle autour du corps (comme un vêtement) chez l’Anonymus (4 et 5) n’en font qu’une chez Aristote (3) : possession des choses que l’on porte sur le corps (tunique) ou sur une partie du corps (anneau au doigt). 216 « Avoir se dit de plusieurs façons. En effet, cela se dit 1. au sens où l’on a un état et une disposition, ou quelque autre qualité (en effet, on dit que nous avons une connaissance scientifique ou une vertu) ; soit 2. au sens où l’on a une quantité, par exemple la grandeur que quelqu’un se trouve avoir (en effet, on dit qu’il a une taille de trois ou de quatre coudées) ; soit 3. au sens où l’on a les choses que l’on porte sur le corps, comme un manteau ou une tunique, ou sur une partie du corps (par exemple on porte un anneau à la main) ; soit 4. au sens où l’on a une partie de soi-même, comme une main ou un pied ; soit 5. au sens de ce qui est contenu dans un récipient, comme le boisseau contient les grains de blé et la cruche contient le vin (en effet on dit que la cruche “a du vin” ou que le boisseau “a du grain”, donc on dit que l’on a toutes ces choses-là au sens de ce qui est contenu dans un récipient) ; soit 6. au sens où l’on a un bien (en effet, on dit que nous avons une maison ou un champ). On dit encore que nous avons une femme, et que la femme a un mari ; mais cette dernière façon d’employer le mot semble bien être la plus
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TEXTE ET TRADUCTION
[148] Hi sunt habendi modi quos designato numero comprehendimus; extra quem si quis potuerit invenire desidiae nostrae culpa non erit, cum philosophus ipse liberum arbitrium dimiserit inquirentibus. Sane illud verbum multi doctorum respuunt atque improprie proferri confirmant, cum mulier habere maritum dicitur vel vir uxorem vel pater filium vel filius genitorem, propterea quod asserunt nihil haberi posse quod habeat habentem; sed rectius dici autumant esse mulieri virum vel uxorem viro esse, patrem filio esse, famulis dominum, siquidem verbi huius vim in hoc esse contendunt ut significare non possit et habere aliquem et haberi. [148] 15b31-32 Telles sont les manières de « posséder », que nous avons embrassées dans le nombre indiqué. Si quelqu’un peut en trouver une de plus, la faute n’en reviendra pas à notre négligence, puisque le Philosophe lui-même a laissé libre cours aux investigations |217. 15b28-29 Beaucoup de doctes rejettent absolument ce mot « possession », et confirment que c’est parler improprement quand une femme est dite « posséder » un mari, ou un mari une épouse, ou un père un fils, ou un fils un géniteur |218, parce qu’ils soutiennent que rien ne peut être possédé que ne possède le possédant. Mais ils pensent qu’il est plus correct de dire qu’un homme « est à » une femme, ou qu’une épouse « est à » un mari, qu’un père « est à » un fils, un maître « à » des servantes, puisqu’ils prétendent que la caractéristique de ce mot réside en ceci qu’il ne peut signifier à la fois « posséder » quelqu’un et « être possédé ». De postpraedicamentis CAPUT XVII. [149] Tandem, quasi magni aequoris freta transgressi, categoriarum numerum terminavimus, ut arbitror, non insuasibiliter doctis, satis vero clare volentibus discere. Sed quaedam restant quae calcem libri huius nos tangere contradicunt; namque et in categoriis singulis de contrarietate tractatum est, cum quae reciperet contrarium et quae respueret diceremus; tamen quid sit ipsum contrarium nullus adhuc tractatus ostendit; et adhuc quaedam verba remanent quorum vis ac proprietas debeat explicari. Qua de causa ad oppositorum tractatum necessarium transeamus. impropre. En disant, en effet, que quelqu’un a une femme, nous n’indiquons rien d’autre que le fait qu’il vit avec elle ». 217 « Sans doute pourrait-on découvrir d’autres façons d’avoir, mais on a énuméré ici pratiquement toutes celles qui se disent d’habitude ». 218 Voir supra, §[147].
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Des « postprédicaments » CHAPITRE XVII : [149] Enfin, ayant pour ainsi dire traversé les flots d’un vaste océan, nous avons épuisé le nombre des catégories, à ce que je crois d’une manière persuasive pour les doctes, et d’une manière suffisamment claire pour ceux qui veulent s’instruire. Mais certaines difficultés demeurent, qui nous empêchent d’atteindre le terme de ce livre. Car dans chacune des catégories, il a été traité de la contrariété, quand nous avons dit laquelle accepte le contraire et laquelle le refuse. Cependant, ce qu’est le contraire lui-même, aucun développement ne l’a encore montré, et il reste en outre certains mots dont la caractéristique et la propriété doivent être expliquées. En conséquence, venons-en à un développement nécessaire concernant les opposés. De oppositis CAPUT XVIII. Quatuor species contrariorum [150] Oppositorum species sunt quattuor; opponitur namque aliud alteri, aut figura eius categoriae quae ad-aliquid dicitur; aut contrariorum modo; aut eorum quorum circa nos esse dicitur habitus vel privatio – habitum sane hoc loco ex habendo debemus accipere, non ut in superioribus definivimus esse habitum affectionem quandam animi sempiternam –; aut cum confirmamus aliquid vel negamus. Des « opposés » CHAPITRE XVIII : Quatre espèces de contraires [150] 11b17-19 Il y a quatre espèces d’opposés. Car une chose est opposée à une autre : 1. ou bien par ce que configure sa catégorie qui est dite « relativement à quelque chose », 2. ou bien selon le mode des contraires, 3. ou bien de ceux dont on dit, nous concernant, qu’il y a « possession » ou « privation » – dans ce contexte, nous devons prendre soin de considérer h abitus [« possession »] à partir de habendo [« en possédant »], et non, comme nous l’avons défini plus haut, où habitus était une certaine « disposition permanente de l’esprit »219 –, 4. ou bien quand nous confirmons quelque chose ou le nions |220. Voir § [135] et [136], où nous avons traduit habitus par « état habituel ». « On dit qu’un terme s’oppose à un autre de quatre façons : soit comme les termes relatifs, soit comme les contraires, soit comme la privation et la possession, soit comme l’affirmation et la négation ». 219 220
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TEXTE ET TRADUCTION
[151] Ut, verbi causa, ab iis quae ad-aliquid dicuntur ponamus exemplum, oppositum videtur duplum simplo vel pater filio; contrariorum vero exemplum sit malum bono; eorum quoque quae per habitum et privationem dicuntur, sic caecitas et visio; illorum etiam in quibus est negatio et affirmatio, sicut « currit, non currit ». [151] 11b19-23 À titre d’illustration, nous prendrons comme exemple, parmi les choses qui sont dites « relativement à quelque chose » : 1. l’« opposition », qui semble opposer le « double » au « simple », ou le « père » au « fils » ; 2. l’exemple des contraires aussi, qui semble opposer le « mal » au « bien » ; 3. celui des choses qui sont dites également par « possession » et « privation », comme la « cécité » et la « vision » ; 4. celui encore des choses dans lesquelles il y a négation et affirmation, comme : « il court, il ne court pas » |221. [152] Discretio vero contrariorum et eorum quae ad-aliquid dicuntur contemplantibus manifesta est; ad-aliquid enim dicta de sibi oppositis nominantur (simplum namque oppositum dupli est, et duplum oppositum simpli), contraria vero id quod dicuntur ex se habent neque alterius indigent (quis enim malum boni dixerit aut quis bonum mali)? [152] 11b32-38 | Au vrai, la distinction des contraires et des choses qui sont dites « relativement à quelque chose » est manifeste pour ceux qui sont observateurs222 : 11b26-27 || en effet, les choses dites « relativement à quelque chose » sont nommées à partir de leurs opposés (car le « simple » est l’opposé du « double », et le « double » l’opposé du « simple ») ||223, au lieu que les contraires possèdent d’eux-mêmes ce qu’ils sont dits, et n’ont pas besoin d’une autre chose (qui, en effet, dirait le mal du bien, ou qui le bien du mal ?). [153] Haec est ergo harum duarum specierum quae ex oppositis veniunt dilucida et clara discretio. Ipsa vero contraria in tres species dividuntur: aut enim mediata sunt (id est habent aliquid inter se medium), aut sine medio, aut – ut in quibusdam reperit ratio – habent quidem medium, sed eius vocabulum non apparet nisi utriusque oppositi negatione consistat. 221 « Et pour le dire sommairement, voici ce qu’est chacune de ces oppositions : 1. le double s’oppose à la moitié à la façon des relatifs, 2. le mal s’oppose au bien à la façon des contraires, 3. la cécité et la vue s’opposent selon la privation et la possession, et 4. il est assis, il n’est pas assis s’oppose à la façon de l’affirmation et de la négation ». 222 Cf. Porphyre, CC, 108, 12 : « Les relatifs sont des opposés, mais pas des contraires » (= Bodéüs, p. 341). 223 « On dit que le double est cela même qu’il est, à savoir double, de l’autre terme de l’opposition ; en effet, il est double de quelque chose ».
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[153] Cette distinction de deux espèces qui proviennent d’opposés est donc élucidée et claire |224. 11b38-12a21 | Mais les contraires eux-mêmes se divisent en trois espèces : 1. ou bien, effectivement, ils sont intermédiés (c’est-à-dire possèdent quelque chose d’intermédiaire entre eux) 2. ou bien ils sont sans intermédiaire 3. ou bien – comme la raison le remarque chez certains –, 12a22-24 || ils possèdent certes un intermédiaire, mais son vocable n’apparaît pas, à moins qu’il ne consiste en la négation de l’un et de l’autre ||225. [154] Mediata ergo sunt haec, album et nigrum, inter quae quando nasci potest pallidum vel fuscum, mediata haec opposita dicuntur. Quae vero mediata sunt, non necesse est unum de duobus oppositis in corpore reperiri: si enim nigrum non fuerit, potest esse fuscum, aut, si album defuerit, pallidum poterit inveniri. At vero ex his oppositis quae mediata non sunt, unum necesse est accidere de duobus, ut est salus et aegritudo; horum medium nihil est propterea quod aut salutem necesse est aut aegritudinem humana corpora retinere. [154] Ces intermédiés sont ainsi le « blanc » et le « noir », entre lesquels peut parfois apparaître le « pâle » ou le « sombre »226, ces intermédiés étant dits opposés. Dans le cas de ceux qui sont intermédiés, il n’est pas nécessaire que l’un des deux opposés se trouve dans un corps : si, en effet, quelque chose n’est pas « noir », cela peut être « sombre », ou, à défaut d’être « blanc », cela pourrait être trouvé « pâle » |227. Mais dans le cas de ces opposés qui ne sont pas intermédiés, il est nécessaire que l’un des deux se produise, comme il en est de la « santé » et de la « maladie » ; il n’y a rien en eux d’intermédiaire, parce qu’il est nécessaire qu’ou bien la « santé », ou bien la « maladie » s’empare des corps humains. [155] At illa quibus est quidem medium sed caret nomine nisi huic oppositorum negatione formetur, sunt haec, iustus et iniustus. Est aliquid in 224 « Tous les termes qui s’opposent à la façon des relatifs sont dits être ce qu’ils sont de l’autre terme de l’opposition, ou se disent d’une façon ou d’une autre les uns par rapport aux autres. Quant à ceux qui s’opposent à la façon des contraires, on ne dit nullement qu’ils sont ce qu’ils sont les uns des autres, mais on dit qu’ils sont le contraire les uns des autres. Car on ne dit pas que le bien est le bien du mal, mais que c’est son contraire ; ni que le blanc est le blanc du noir, mais que c’est son contraire ; de sorte que ces oppositions diffèrent entre elles ». 225 « (Dans certains cas), il n’est pas facile de rendre l’intermédiaire au moyen d’un nom, mais on le définit par la négation des deux termes extrêmes ». 226 Comme le dit Aristote, le « gris » est aussi intermédiaire à la fois entre le « noir » et le « blanc », et le « pâle » et le « sombre » – voir infra, n. 228. 227 Voir Crubellier–Pellegrin, p. 55.
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medio, sed non habet nomen, atque ideo utriusque oppositi negatio ei vocabulum creat, ut « nec justum nec injustum » dicamus id quod est medium. [155] 12a20-25 Quant à ceux pour lesquels il y a assurément un intermédiaire, mais dont le nom manque, à moins qu’il ne soit formé par la négation des opposés, ce sont le « juste » et l’« injuste ». Il existe quelque chose dans l’intermédiaire, mais il ne possède pas de nom. Il faudrait que la négation de l’un et de l’autre opposés lui crée un vocable, en sorte que nous disions « ni juste ni injuste » ce qui est intermédiaire |228. [156] Nunc ea opposita quae per habitum privationemque fiunt, diligentius retractemus; in his namque observari oportet ut sint utraque in eodem negotio, in eodem loco, in oportuno tempore. In eodem negotio sunt caecitas et visio (in videndo enim et in non videndo consistunt); haec et in eodem loco sunt (utrique namque et caecitati et visioni in oculis locus est). [156] 12a26-29 Retraitons à présent, avec plus d’attention, des opposés qui se produisent par « possession » et « privation ». Car en eux, il convient d’observer qu’ils se trouvent l’un et l’autre dans le même objet, dans le même lieu, dans un temps opportun229. Se trouvent dans le même objet la cécité et la vision (en effet, ils consistent dans fait de voir et dans celui de ne pas voir). Ils sont aussi dans le même lieu (car l’un et l’autre, la cécité et la vision, sont situés dans les yeux) |230. [157] Maxime tamen in his oportunitas temporis quaeritur; nemo enim recte calvus dicitur nisi in eo tempore quo capillos habere debuerit non habebit; nec sine dentibus (quem νωδὸν Graeci vocant) infantem quisquam poterit dicere eum cui dentes adhuc aetas parva denegavit; siquidem privatio (quae graece στέρησις dicitur) hanc vim tenet ut ostendat quemlibet habuisse aliquid per naturam et non habere. [157] 12a29-35 Cependant, c’est surtout en eux [sc. les opposés] que l’opportunité du temps est requise : personne, en effet, n’est dit correctement chauve, sinon au moment où, alors qu’il devrait avoir des c heveux, 228 « (Dans certains cas), il existe un nom établi pour les intermédiaires ; ainsi, les intermédiaires entre le blanc et le noir sont le gris, le pâle et les autres couleurs de cette sorte ; dans d’autres cas, il n’est pas facile de rendre l’intermédiaire au moyen d’un nom, mais on le définit pas la négation des deux termes extrêmes par exemple : “ce qui n’est ni bon ni mauvais” et “ni juste ni injuste” » – voir supra, § [153]. 229 Le fait de « se trouver l’un et l’autre dans un temps opportun » va bénéficier d’un traitement plus long au § suivant. 230 « La privation et la possession se disent à propos d’une même chose, par exemple la vue et la cécité se disent de l’œil ; et pour le dire de façon générale, l’une et l’autre se disent à propos de l’objet dans lequel la possession existe par nature ».
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il n’en posède pas. Et personne ne pourra dire un nourrisson « sans dents » (en grec νωδὸν), celui à qui son jeune âge refuse encore des dents, puisque la « privation » (qui se dit en grec στέρησις231), doit sa caractéristique à ce qu’il lui faut montrer que quelqu’un a possédé quelque chose par nature, et ne le possède plus |232. [158] Inter haec meminisse nos convenit aliud esse visionem et caecitatem, aliud habere visionem et ea esse privatum, ne, si haec eadem esse iudicemus, confundi ratio videatur. Quod si quis hoc dubium putat aut parum certum, quid quamque rem sequatur advertat; etenim, si esset idem caecus et caecitas, de uno utraque dicerentur; dicimus autem hominem caecum, sed homo dici caecitas non potest. Claret igitur aliud caecum esse, aliud caecitatem. [158] 12a35-b1 Parmi ces opposés, il convient que nous nous souvenions qu’autres sont la vue et la cécité, autre le fait de posséder la vue et celui d’en être privé, de crainte que si nous jugeons que c’est la même chose, notre raison n’en paraisse confuse. Si quelqu’un pense cela douteux ou peu certain, que l’on prenne en compte ce qui résulte de chacune. Et en effet, si « aveugle » et « cécité » étaient identiques, l’un et l’autre se diraient d’une seule chose ; or nous disons un homme « aveugle » ; mais l’homme ne peut être dit « cécité » ; il ressort par conséquent qu’autre est « être aveugle », autre « cécité » |233. [159] Nec affirmatio et negatio idem est quod sunt sub affirmatione negationeque cadentia. Affirmatio enim sive negatio est verbum confirmans aliquid aut negans; alia vero sunt, quae sub his inveniuntur, ut est « Socrates disserit, non disserit Socrates ». Le terme ne figure pas dans les Catégories, mais dans le Peri hermeneias, 19b24. « Nous disons que l’un des objets susceptibles de recevoir cet état en est privé, chaque fois que cet état n’existe pas du tout dans un sujet où il devrait exister par nature, et au moment où ce sujet devrait le posséder par nature. Nous n’appelons pas édenté ce qui n’a pas de dents ou aveugle ce qui ne possède pas la vue, mais ce qui ne les possède pas au moment où par nature il devrait les posséder. En effet, certains êtres, à leur naissance, ne possèdent pas la vue et n’ont pas de dents, mais on ne dit pas qu’ils sont édentés ni aveugles ». 233 « Mais être privé et posséder ne sont pas la même chose que la possession et la privation : car la possession c’est la vue, et la privation la cécité ; mais posséder la vue n’est pas identique à la vue, et être aveugle n’est pas identique à la cécité. Car la cécité est une privation, et être aveugle, c’est être privé, ce n’est pas une privation ; et d’ailleurs, si la cécité était identique à être aveugle, on pourrait appliquer les deux termes au même sujet. Mais on dit que l’homme est aveugle, alors qu’on ne dit jamais que l’homme est une cécité ». 231 232
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[159] 12b6-10 L’« affirmation » et la « négation » non plus ne sont pas identiques aux choses qui tombent sous l’affirmation et la négation. En effet, « affirmation » et « négation » sont des mots confirmant ou niant quelque-chose, mais autres sont les choses qui se trouvent sous elles, comme l’est « Socrate disserte », « Socrate ne disserte pas » |234. [160] Similiter tamen omnia sibi habentur opposita. Aliquoties autem mala malis opponuntur, quoties contrariorum media bona sunt, ut est indigentia et redundantia (quod Graeci ἐνδείαν καὶ ὑπερβολὴν vocant); his enim duobus malis sibi oppositis mediocritas media reperitur. Hanc rationem Peripatetici secuti virtutes medias esse dixerunt ut plus iusto πλεονεξίαν, minus iusto μειονεξίαν dicerent: inter quae mala mediam justitiam locaverunt. Similiter inter versutiam hebetudinemque prudentiam posuerunt; inter libidinem insensibilitatemque (quod Graeci ἀναισθησίαν vocant) temperantia constituta est; inter timiditatem et audaciam, fortitudo. Ita occultum quoddam genus oppositorum reperit perscrutata ratio, ut interdum mala malis inveniantur esse contraria. [160] 14a1-6 Pourtant, toutes ces choses sont semblablement tenues pour opposées l’une à l’autre. Or parfois, des maux sont opposés à des maux, chaque fois que des biens sont intermédiaires entre des contraires, comme le sont « l’insuffisance et l’excès » (que les Grecs appellent ἐνδείαν καὶ ὑπερβολὴν). En effet, entre ces deux maux opposés entre eux, on trouve le « juste milieu » intermédiaire |235. Les Péripatéticiens, suivant ce raisonnement, ont dit que les vertus étaient des intermédiaires, de sorte qu’ils disent πλεονεξίαν « ce qui est au-delà de ce qui est juste », μειονεξίαν « ce qui est en-deçà de ce qui est juste » : en position intermédiaire, entre ces maux236, ils ont placé la justice. Semblablement, ils ont placé la « prudence » entre la « ruse » et l’« hébétude » ; entre le « désir » et l’« insensibilité » (que les Grecs appellent ἀναισθησία), la « tempérance » a été établie ; le « courage » entre la « timidité » et 234 « (Ce à quoi l’affirmation et la négation font référence, n’est pas non plus la même chose que l’affirmation et la négation. Car l’affirmation est un énoncé affirmatif et la négation un énoncé négatif, alors qu’aucun des faits auxquels l’affirmation et la négation font référence n’est un énoncé) ». 235 « Le contraire d’un mal est tantôt un bien, tantôt un mal, car le contraire de l’insuffisance, qui est un mal, c’est l’excès, qui est le mal contraire ; et de même la moyenne est également contraire à l’un et à l’autre, et c’est un bien. Mais on ne peut remarquer une telle situation que dans quelques cas, alors que le plus souvent c’est chaque fois un bien qui est le contraire d’un mal ». 236 Le « juste » tient le milieu entre « ce qui est en excès » et « ce qui est en défaut », ou entre le « trop » et le « pas assez ». C’est ce que rappelle la Souda (voir Adler, delta, 1075), à propos de la δικαιοσύνη (« justice »).
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l’« audace ». Ainsi, la raison perscrutante a découvert un certain genre caché d’opposés, si bien que quelquefois on s’aperçoit que des maux sont contraires à des maux. [161] Sed Aristoteles harum quattuor specierum quae ex oppositis veniunt, proprietates et differentias latius et multis modis explicavit; nos autem et genus et species posuisse sufficiat ne, minutioribus occupati, fastidium necessariis afferamus. [161] Mais Aristote a expliqué plus largement et de multiples manières les propriétés et les différences de ces quatre espèces qui proviennent d’opposés. Quant à nous, qu’il suffise d’avoir posé et les genres et les espèces des opposés, de crainte qu’en nous occupant de sujets de moindre importance, nous ne rendions fastidieuses des choses nécessaires. De priore CAPUT XIX. [162] Quinque modis aliud altero prius dicitur: quorum primus est cum dicimus aliquem tempore seniorem; secundus modus est in quo aliquid nascitur ex priore, sed, priore pereunte, secundum perit, secundo pereunte prius incolume perseverat, ut est unum naturaliter prius duobus (ex eo enim nascuntur duo, sed sine uno duo esse non possunt, sine duobus status unius manet; et duobus exstantibus esse unum necesse est, uno vero apparente duo esse nulla necessitas cogit). De « l’antérieur » CHAPITRE XIX : [162] 14a26-35 Une chose est dite « antérieure » à une autre de cinq manières : la première est quand nous disons que quelqu’un est, selon le temps, plus vieux. La deuxième manière est celle dans laquelle une chose naît d’une chose antérieure, mais l’antérieure disparaissant, la seconde s’efface, alors que si la seconde disparaît, l’antérieure demeure intacte, comme « 1 » est naturellement antérieur à « 2 » (en effet, « 2 » naît de lui, mais sans « 1 », « 2 » ne peut pas être ; et sans « 2 », le statut de « 1 » demeure. Et s’il y a « 2 », il est nécessaire qu’il y ait « 1 », alors que, si « 1 » apparaît, aucune nécessité ne contraint « 2 » à être |237). 237 « On dit que quelque chose est antérieur à quelque chose d’autre de quatre façons. Premièrement et principalement, selon le temps, d’après lequel une chose est dite plus
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[163] Tertio modo ordo quidam prius alterum alteri facit, ut in disciplinis et artibus liberalibus invenimus; namque et in grammatica prius est singularum discere formas et nomina litterarum, dehinc syllabarum coniunctiones agnoscere, tum verborum sumere notionem, postremus nobis est orationis usus assumendus propter quem cuncta eius, quasi praecurrentia membra cognoscimus; et in rhetorica prioris locus similiter collocatur: nam prius prooemium dicimus, dehinc narrationem, post depulsionem, tunc confirmationem, postremus epilogus ponitur. His igitur exemplis tertium prioris modum sufficiat demonstrasse. [163] 14a36-b3 Selon la troisième manière, une chose est antérieure à une autre en fonction d’un certain ordre, comme nous le trouvons dans les sciences et les arts libéraux. Effectivement, dans la grammaire aussi, il est prioritaire d’apprendre les formes et les noms des lettres, avant de connaître les assemblages des syllabes, puis de prendre connaissance des mots, et enfin de nous approprier l’usage du langage, pour lequel nous apprenons tout cela comme les éléments avant-coureurs du discours. Et semblablement en rhétorique, il y a place pour l’antériorité. Car nous disons en premier le proème, puis la narration, ensuite la réfutation, après quoi la confirmation, enfin est posé l’épilogue. Par conséquent, qu’il suffise pour ces exemples d’avoir démontré le troisième mode de l’antérieur |238. [164] Quartus vero modus non multum probabilis et ab ipso Aristotele improbatus exponitur, ut cum fortuna meliores vel ditiores « priores » vulgus assolet dicere. Sed, mea sententia, vis huius prioris explosa est. [164] 14b4-8 Quant à la quatrième manière, elle n’est pas très vraisemblable, et se trouve exposée par Aristote lui-même comme improbable, par exemple quand le vulgaire a l’habitude de dire « premiers » ceux qui vieille ou plus ancienne qu’une autre : car on dit que quelque chose est plus vieux ou plus ancien parce que sa durée est plus longue. Deuxièmement on appelle antérieur ce qui ne se convertit pas quant à l’implication d’existence. Par exemple, 1 est antérieur à 2. Car lorsque 2 existe, il s’ensuit de ce seul fait que 1 existe, alors que si 1 existe, il n’est pas nécessaire que 2 existe. De sorte qu’on ne peut pas obtenir par conversion l’implication de l’existence de l’autre terme à partir de celle de 1. Et on estime que ce qui est tel que l’implication d’existence ne se convertit pas à partir de lui, est antérieur ». 238 « Troisièmement, on dit que quelque chose est antérieur selon un certain ordre, comme c’est le cas dans les sciences et les discours. En effet, il y a de l’antérieur et du postérieur selon l’ordre dans les sciences démonstratives, car selon l’ordre les éléments viennent avant les constructions ; et dans la lecture les lettres viennent avant les syllabes. Et de même dans les discours ; en effet, selon l’ordre, l’exorde est antérieur au développement ».
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sont meilleurs ou plus riches par le hasard |239. Mais, à ce que je sais, la pertinence de cette antériorité a été rejetée. [165] Hi sunt quattuor eius quod « prius » dicitur, modi; sed occultior quidam quintus adjungitur, quoties ex duobus quae in se invicem convertuntur illud est prius quod esse alterum facit; ut, exempli gratia, si est homo, recte eum dicimus animal rationale, mortale, risus capax: et, si vera est hominis ista definitio, esse hominem verum est. Ita utrumque in se convertitur, hoc est et hominis veram definitionem esse et definitionis hominem verum. [165] 14b9-22 Ce sont là les quatre manières de ce qui est dit « antérieur ». Mais il s’en ajoute une cinquième, plus cachée : chaque fois que de deux choses qui se convertissent entre elles est antérieure celle qui détermine l’autre. Par exemple, s’il y a un homme, nous le disons correctement « animal raisonnable, mortel, capable de rire ». Et si cette définition de l’homme est vraie, il est vrai que l’homme existe. Ainsi, on convertit en soi l’un et l’autre, en ce sens qu’il y a à la fois la définition vraie de l’homme et l’homme vrai de la définition |240. [166] Sed quoniam definitio vera esse non poterat nisi prius natura hominis appareret, idcirco ex his duobus, quae in semet converti diximus, homo prioris locum tenet cuius existantia definitionis suae exprimit veritatem. [166] Mais puisque la définition ne pouvait être vraie sans qu’antérieurement apparaisse la nature de l’homme, pour cette raison, de ces deux choses que nous avons dites réciproquées en soi-même, l’homme doit 239 « De plus, et en dehors de ce qu’on a dit, on estime que ce qui est meilleur et plus admirable est antérieur par nature ; et de même la plupart des hommes ont l’habitude de déclarer que les plus estimés et ceux que le peuple aime le plus sont les premiers parmi eux ; mais à vrai dire, cette façon de parler est sans doute la plus impropre ». 240 « Il y a donc à peu près tous les modes de l’antériorité qu’on a dits. Mais on peut estimer qu’à côté de ceux-ci il existe encore un autre mode de l’antérieur. En effet, de deux termes entre lesquels l’implication d’existence se convertit, on peut dire à bon droit que celui qui est pour l’autre en quelque façon cause de son être, est par nature antérieur. Qu’il existe des cas de cette sorte, c’est clair. En effet, le fait que ceci est un homme se convertit, quant à l’implication d’existence, avec le fait que la proposition qui énonce cela est vraie. Car si c’est un homme, l’énoncé par lequel nous affirmons que c’est un homme est vrai ; et cela se convertit bien, car si l’énoncé par lequel nous affirmons que c’est un homme est vrai, alors c’est un homme. Mais la proposition vraie n’est aucunement la cause de l’existence du fait, alors que le fait paraît être en quelque sorte la cause de ce que la proposition est vraie. Car c’est parce que le fait existe ou n’existe pas que la proposition est dite vraie ou fausse. De sorte qu’il y a cinq façons de dire qu’une chose est antérieure à une autre ».
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occuper la place de l’antérieur, lui dont la mise en avant de sa définition exprime la vérité. De simul CAPUT XX. [167] Sequitur ut proprietatem verbi quo simul esse quaedam dicimus exprimamus. Ratio enim videtur exigere ut post « prioris » tractatum de his disputetur quae simul esse firmantur. Simul igitur dicuntur tribus modis cum quaelibet simul existunt uno tempore vel apparent ita ut neutrum de duobus vel prius sit vel alterum consequatur, sed utriusque ortus videatur esse communis. Du « simultané » CHAPITRE XX : [167] Exposons ensuite la propriété du mot par lequel nous disons que certaines choses sont simultanées. La raison, en effet, semble exiger qu’après avoir traité de l’antérieur, on dispute des choses qui, sans conteste, sont simultanées. Les simultanés sont par conséquent dits de trois manières : 14b24-26 la première, lorsque deux choses quelconques existent ou apparaissent dans un même temps, de sorte que des deux ni l’une ni l’autre ne soit ou bien antérieure, ou bien postérieure à l’autre, mais que la génération des deux paraisse être commune |241. [168] Secundus locus est cum naturaliter simul sunt, nullum tamen eorum praestat alteri, ut, verbi gratia, si simplum et duplum ponamus, necesse est simul esse naturaliter, sed neque duplum facit ut simplum sit neque simplum efficit duplum. Hoc loco confundere nos non oportet ne, quoniam, cum de ad-aliquid dictis tractaremus, id esse ad-aliquid diximus quod penderet ex altero, videamur nunc contra superius definita tractare; omnia namque ad-aliquid dicta, dici ex altero, non esse ex altero, disputavimus; nec ullus error est si quis verborum nostrorum pondera diligentius perscrutetur. [168] 14b27-32 La deuxième occasion intervient quand des choses sont naturellement simultanées, sans pourtant qu’aucune d’elles l’emporte sur 241 « On dit que sont simultanées, au sens absolu et principal du terme, les choses dont la génération a lieu dans le même temps, car aucune des deux n’est antérieure ou postérieure à l’autre. De telles réalités sont dites simultanées dans le temps ».
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l’autre : comme, par exemple, quand nous posons le simple et le double, il est nécessaire qu’ils soient naturellement simultanés, mais ni le double ne fait que le simple soit ni le simple ne produit le double. À cet endroit, il ne faut pas que nous introduisions de confusion, de crainte que nous ne semblions à présent intervenir à rebours de ce qui a été défini plus haut, puisque, traitant de ce qui est dit « relativement à quelque chose », nous avons dit qu’est « relativement à quelque chose » ce qui dépend d’une autre chose. Car nous avons soutenu que tout ce qui est dit « relativement à quelque chose » est dit à partir d’une autre chose, non pas qu’il existe à partir d’une autre chose. Aucune erreur n’est possible si l’on pèse, avec assez d’attention, le poids de nos paroles |242. [169] Tertius locus est quoties ex eodem genere manantia simul videntur esse natura, sed specie discernuntur, neque vero sibi, in eo quod dicuntur, aliquid praestant; ut est animal, idem genus est sed species longe discreta. Nec vero aut volatile quidquam pedestri tribuit ut sit aut volatili pedestre aut omnino aliud alteri in eo quod est ullam substantiam subministrat, nullumque alteri aliud prius est, sed simul omnia ab animali (id est ab uno genere) orta nascuntur. [169] 14b33-15a2 La troisième occasion intervient chaque fois que des choses émanant d’un même genre paraissent être simultanées par la nature, mais sont distinctes par l’espèce, et, en ce qu’elles sont dites, elles ne se procurent rien l’une à l’autre, comme il en est d’« animal » : le genre est identique, mais l’espèce de beaucoup distincte. Et ni « volatile » n’amène quelque « pédestre » à être, ni « pédestre » quelque « volatile », ni en général un vocable ne fournit aucune substance à un autre en ce qu’il est, et aucun autre n’est antérieur à un autre, mais tous, issus d’« animal » (c’est-à-dire issus d’un seul genre), naissent simultanément |243. 242 « Sont simultanés par nature tous les termes qui admettent la conversion de l’implication d’existence, et qui ne sont en aucune façon cause de l’être l’un pour l’autre. Ainsi dans le cas du double et de la moitié : en effet, ces termes se convertissent, car lorsqu’il y a un double il y a une moitié et lorsqu’il y a une moitié il y a un double ; et d’autre part aucun des deux n’est cause de l’être pour l’autre ». 243 « Et on dit aussi que les termes qui proviennent du même genre par une délimitation réciproque sont simultanés par nature. On dit que des termes se délimitent réciproquement lorsqu’ils sont déterminés par la même division, par exemple ailé par rapport à pédestre et aquatique. Car ces termes proviennent du même genre et se délimitent réciproquement les uns les autres ; en effet, animal se divise en ces termes (c’est-à-dire en ailé, pédestre et aquatique), et certes aucun d’eux n’est antérieur ou postérieur aux autres, mais on estime que des termes de cette sorte sont simultanés par nature ».
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TEXTE ET TRADUCTION
De motu CAPUT XXI. [170] Omnis immutatio (quae μεταβολὴ graece est) fit tribus modis: aut ex non subiecto in subiectum ut est ortus vel nativitas (quam Graeci γένεσιν vocant), aut ex subiecto in non subiectum ut est interitus vel corruptio (quam φθοράν Graeci dixerunt), aut ex subiecto in subiectum ut est motus (qui graece κίνησις dicitur). Sed et ipse motus tres species habet, incrementum, imminutionem, commutationem qualitatis sive loci (haec a Graecis αὔξησις, μείωσις, ἀλλοίωσις, sive φορά dicta sunt; namque commutationem circa locum φοράν dici voluerunt, quam nos quoque « transgressionem » maluimus dicere secuti doctores). Du « changement » CHAPITRE XXI : [170] Toute « modification » (qui est en grec μεταβολή), se produit de trois manières : ou bien « d’un non-sujet en un sujet », comme l’est la « génération » ou la « naissance » (que les Grecs appellent γένεσις) ; ou bien « d’un sujet en un non-sujet », comme l’est la « disparition » ou la « corruption » (que les Grecs disent φθορά) ; ou bien « d’un sujet en un sujet », comme l’est le « changement » (qui se dit en grec κίνησις)244. Mais le « changement » lui-même possède aussi trois espèces : l’« accroissement », la « diminution », l’« altération de la qualité » ou « du lieu » (celles-là sont dites par les Grecs αὔξησις, μείωσις, ἀλλοίωσις ou φορά245 ; car l’« altération selon le lieu », ils ont voulu la dire φορὰ, que nous également, avec les doctes, nous avons préféré dire transgressio [« déplacement »]). [171] Verum hunc ordinem quem nos in praesenti, quasi discrepantes ab eo libro qui categoriarum dicitur, diligenti examinatione digessimus, ipse quoque Aristoteles in naturalium libris exposuit, in Categoriis autem, secutus docendi compendium, speciem pro genere, id est motum pro immutatione non dubitavit assumere, ut motui diceret, quasi generi, sex species esse subiectas, γένεσιν, φθορὰν, αὔξησιν, μείωσιν, ἀλλοίωσιν 244 Sur la tripartition, voir Aristote, Physique, 225a7-20. Mais le texte était encore inaccessible en ce IVe siècle. Néanmoins, comme pour la φορὰ (voir note suivante), elle aurait pu parvenir décontextualisée à la connaissance des penseurs de cette époque. 245 La φορὰ est absente des Catégories. Il en est en revanche question notamment dans la Physique (v.c. 201a15, 226a33, 260a28) – voir note précédente.
TEXTE ET TRADUCTION253
ποιότητος, κατὰ τὸν τόπον μεταβολήν (haec nos latino sermone « ortum » diximus, « interitum », « augmentum », « imminutionem », « commutationem qualitatis », « transgressionem loci »). [171] Au vrai, cet ordre246, que nous, après un examen approfondi, nous avons adopté présentement en nous écartant pour ainsi dire de ce livre dit des catégories, Aristote lui-même l’a exposé également dans ses livres d’histoire naturelle, alors que dans les Catégories, enseignant naturellement un abrégé, il n’a pas hésité à prendre l’espèce pour le genre, c’est-à-dite le « changement » pour la « modification », 15a13-14 si bien qu’il dit du changement, comme du genre, qu’il comporte six espèces sujets : γένεσις, φθορὰ, αὔξησις, μείωσις, ἀλλοίωσις ποιότητος, κατὰ τὸν τόπον μεταβολήν [« génération, « disparition », « accroissement », « diminution », « altération de la qualité », « déplacement selon le lieu »] (ce sont celles que nous, nous avons appelées en latin : ortus, interitus, augmentum, imminutio, commutatio qualitatis, transgressio loci) |247. [172] Hae sex species omni a se ratione discretae sunt, nisi forte cuiquam parum docte intelligenti qualitatis commutatio (id est ἀλλοίωσις) etiam caeteris existentibus fieri videatur ut, cum nascitur aliquid aut interit aut crescit aut minuitur, tunc facta dicatur etiam commutatio. Sed id falsum ratio docet; nam quae crescunt aut minuuntur, quantitate immutantur non commutantur qualitate (commutatio enim proprie est qualitatis; meminisse autem nos oportet aliud esse immutationem, aliud commutationem; namque immutatio genus est, commutatio species subiecta motui quem immutationis speciem diximus). [172] 15a17-20 Ces six espèces, par un effet global de la raison, sont chacune distinctes de toutes les autres, à moins peut-être que, pour quelqu’un qui intelligerait de manière peu docte, l’« altération de la qualité (c’est-à-dire l’ἀλλοίωσις) » semble être faite aussi pour tous les autres existants, en sorte que, lorsque quelque chose naît, ou bien meurt, ou bien croît, ou bien diminue, on dise encore qu’une « altération » se produit |248. 246 Si cet ordo renvoie à la tripartition du « changement », nous ne voyons pas dans quel « livre d’histoire naturelle » elle se trouve. Ce serait peut-être au traité De l’âme (406a12-13) qu’il faudrait songer, en dépit de quelques différences : « Il y a quatre changements (κίνησις) (déplacement (φορὰ), altération (ἀλλοίωσις), diminution (φθίσις), accroissement (αὔξησις)) ». 247 « Il y a six espèces du changement : la génération (γένεσις), la corruption (φθορὰ), l’accroissement (αὔξησις), la diminution (μείωσις), l’altération (ἀλλοίωσις) et le changement selon le lieu (κατὰ τόπον μεταβολήν) ». 248 « Il y a une difficulté dans le cas de l’altération : que l’altération de ce qui est altéré résulte nécessairement de l’un des autres types de changement ».
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TEXTE ET TRADUCTION
15a20-30 Mais la raison enseigne que cela est faux, car ce qui croît ou diminue se modifie par la quantité et ne s’altère pas par la qualité (effectivement, l’« altération » relève proprement de la qualité. Or il faut nous souvenir qu’autre est la « modification », autre l’« altération ». Car la « modification » est un genre, l’« altération » une espèce sous-jacente au « changement », que nous avons dit espèce de la « modification ») |249. [173] Denique ut horum sit manifesta discretio, geometricum ponamus exemplum: si tetragonum maius, quod intra depictum est currentibus per medium lineis, in brevia tetragona partiaris eique, post, unum breve tetragonum detrahas, minuisti tetragonum majus; at si detracti loco addas gnomonem, qui hemicycli specie ponitur, plus tetragono maiori quam detraxeras reddidisti; idque quantitatis est, non qualitatis, et immutationi potius quam commutationi tribuitur, eoque a se plurimum differunt. [173] 15a30-33 Enfin, pour rendre leur distinction manifeste, prenons un exemple géométrique. Si tu divises un grand tétragone, intérieurement garni de lignes courant par le milieu qui le partagent en petits tétragones, et que tu lui soustrais, ensuite, un petit tétragone, tu as diminué le grand tétragone ; et si à la place de celui que tu as soustrait, tu appliques un gnomon250, disposé en demi-cercle, tu as restitué au grand tétragone plus que tu ne lui as soustrait ; et cela est de la quantité, non de la qualité, et c’est attribué à la « modification » plutôt qu’à l’« altération », et en cela elles différent beaucoup entre elles |251. 249 « Mais ce n’est pas vrai. Car il nous arrive d’être altéré selon pratiquement toutes les affections, ou selon la plupart d’entre elles, sans avoir part à aucun autre changement. En effet, ce qui change selon une affection ne doit pas nécessairement s’accroître ni diminuer, et pas davantage pour les autres changements, de sorte que l’altération serait un changement distinct à côté des autres. Car si elle était identique , alors ce qui s’altère devrait par le fait même s’accroître, ou diminuer, ou il devrait s’ensuivre l’une des autres formes de changement ; mais ce n’est pas nécessaire. Et de même aussi, ce qui s’accroît ou change selon l’une des autres formes de changement devrait s’altérer ; mais il y a des choses qui s’accroissent et ne s’altèrent pas ». 250 Γνώμων chez Aristote. « Le gnomon d’un carré est… l’équerre que l’on accole sur deux côtés de ce carré pour obtenir un carré plus grand », J.-Y. Guillaumin, « Boèce traducteur de Nicomaque : gnomons et pythmènes dans l’Institution arithmétique », dans A. Galonnier (éd.), Boèce ou la chaîne des savoirs, Louvain et al., 2003, p. 341-355 – ici 342. En faisant intervenir le « demi-cercle » (hemicyclus) au lieu de l’équerre, l’Anonymus incite cependant à croire qu’il n’a pas tout saisi du gnomon, ou du moins qu’il en a peut-être confondu deux fonctions, attendu que le gnomon désigne aussi un instrument astronomique (ou sa tige verticale) qui permet de visualiser, par le suivi des ombres successives qu’il projette sur le plan situé au-dessous et autour de lui, les déplacements du soleil sur la voûte céleste. 251 « Ainsi le carré, lorsqu’on lui ajoute une équerre, s’accroît, mais ne devient nullement différente de ce qu’il était ; et de même pour les autres changements de cette sorte. Il en résulte que les changements seront distincts les uns des autres ».
TEXTE ET TRADUCTION255
[174] Fit autem differentia rerum omnium modis tribus, aut materia aut opere aut utroque: materia, si sint annuli similes duo unusque sit aureus alter argenteus; opere, si ex auro dissimiles annuli fabricentur; utroque, si annulus sit aureus et stilus argenteus. [174] Or la différence de toutes choses se fait de trois manières : ou bien « par la matière », ou bien « par l’ouvrage », ou bien « par l’une et l’autre ». « Par la matière », quand il y a deux anneaux semblables, et que l’un est en or, l’autre en argent ; « par l’ouvrage », quand avec de l’or deux anneaux dissemblables sont fabriqués ; « par l’une et l’autre », quand l’anneau est en or et le stylet en argent. [175] Claret igitur has immutationis species nec materia sibi nec opere nec utroque coniungi; adeo autem seiunctae sunt ut earum nonnullae etiam sibi contrariae videantur. Quis enim dubitet γενέσει φθορὰν (id est ortui interitum) esse contrarium, augmento imminutionem? Ipsa quoque commutatio sive qualitatis sive loci, licet non ex eodem specierum numero, tamen habent quod sibi contrarium videatur; nam commutatio qualitatis est cum ex albo fit aliquid nigrum vel album de nigro (quae sibi manifeste contraria sunt); loci quoque commutatio, quam « transgressionem » diximus, superiorum et inferiorum contrarietatem patitur, ac propterea eam quoque apparet habere contraria. [175] Il ressort par conséquent que ces espèces de la « modification » ne sont conjointes entre elles ni « par la matière », ni « par l’ouvrage », ni « par l’une et l’autre ». Et elles sont tellement distinctes que quelquesunes d’entre elles paraissent même être contraires l’une à l’autre. 15b116 En effet, qui douterait que la φθορά soit le contraire de la γενέσις (c’est-à-dire la « génération » le contraire de la « disparition »), l’« accroissement » de la « diminution »252 ? L’« altération » elle-même aussi, soit de la qualité, soit du lieu, bien que ne relevant pas du même nombre d’espèces, possèdent pourtant, chacune, ce qui semble leur être contraire. Car il y a « altération » de la qualité lorsque de blanc quelquechose devient noir, ou de noir devient blanc (lesquelles espèces lui sont manifestement contraires). L’« altération » du lieu également, que nous avons dite « déplacement », supporte la contrariété des supérieurs et des inférieurs, et c’est pourquoi il apparaît qu’elle possède également des contraires |253. 252 L’Anonyme donne ici pour synonyme d’interitus (φθορά), imminutio, qui lui a pourtant déjà servi à traduire μείωσις (§ [170] et [171]). 253 « Absolument parlant, le changement est le contraire du repos, mais les changements particuliers sont le contraire des changements particuliers : la corruption est le
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TEXTE ET TRADUCTION
CAPUT XXII. Conclusio operis [176] Haec sunt, fili charissime, quae iugi labore assecuti, cum nobis Themistii nostra memoria egregii philosophi magisterium non deesset, ad utilitatem tuam de graeco in latinum convertimus, scilicet ut ex his quoque bonam frugem studii a nobis profecti suscipias si te non, dissimilem nostri, aliarum rerum quae lubricae atque inanes sunt cupiditas retentaverit; nihil namque omisimus in hoc libro quod posset aut delectare iam doctos aut indoctos manifestius erudire. CHAPITRE XXII : Conclusion de l’ouvrage [176] Voilà, mon très cher fils, ce qu’au terme d’un labeur soutenu, sans que nous fasse défaut l’enseignement de Thémistius, éminent philosophe de notre temps, nous avons traduit du grec en latin à ton profit, à savoir pour qu’à partir de cela aussi tu recueilles le bon fruit de l’étude que nous avons entreprise, pourvu que ne te freine pas, contrairement à l’exemple que nous t’avons donné, l’appétit des autres choses qui sont fuyantes et sans valeur. Car nous n’avons rien omis dans ce livre de ce qui puisse ou bien satisfaire ceux qui sont déjà doctes, ou bien instruire plus complètement les non-doctes.
contraire de la génération, la diminution de l’accroissement, et le repos selon le lieu du changement selon le lieu, mais il semble bien que c’est surtout le changement en direction du lieu opposé qui s’oppose en outre : ainsi le mouvement de haut en bas s’oppose au mouvement de bas en haut, et le mouvement de bas en haut au mouvement de haut en bas. Quant à la dernière des formes de changement que nous avons énumérées, il n’est pas facile d’expliquer quel est son contraire ; il semble plutôt qu’elle n’a aucun contraire, à moins qu’on ne dise que dans ce cas aussi on lui oppose le repos selon la qualité ou le changement en direction de ce qui est contraire dans l’ordre de la qualité, de la même façon que dans le cas du changement selon le lieu on avait opposé le repos selon le lieu ou le changement en direction du lieu contraire. Car l’altération est le changement selon la qualité, de sorte que ce qui s’oppose à ce changement selon la qualité, c’est le repos selon la qualité ou le changement en direction du contraire de la qualité. Par exemple, devenir blanc s’oppose à devenir noir ; en effet, une chose est altérée lorsqu’il se produit un changement vers les contraires dans l’ordre de la qualité ».
INDEX DES MOTS GRECS (les références chiffrées entre crochets droits renvoient aux § des CD) Αἴθων : Éthon : [3] αἴσθησις : sensation : [96] αἰσθητόν : perceptible : [7], [38] ἀλλοίωσις : altération de la qualité : [170], [171], [172] ἀναισθησία : insensibilité : [160] ἀνακλητικóν : vocatif : [55] ἀναλογία : analogie : [18] ἀναφέρεται : être rapporté à : [99] ἀντικείμενα : opposés : [108] ἀντιστρέφοντα : réciproques : [134] ἀντιστροφή : conversion alternée : [104] ἀπὸ ἑνός : d’un seul : [18] ἀποφαντικóν : déclaratif : [55], [56] ἀπόφασις : négation : [55] ἀπὸ τῆς ἀρετῆς : d’après la vertu : [126] ἀρετóς : vertueux : [126] ἄτομον : élément indivisible : [7], [30], [38] αὔξησις : accroissement: [170], [171] γένεσις : naissance (nativitas) : [170] / génération (ortus) : [170], [171], [175] γραμμή : ligne : [72], [100] διάθεσις : disposition : [96], [115], [136] Δῖος : Divin : [3] δύναμις : puissance : [102], [115] εἴδoς : espèce : [8] εἰκών : ressemblance : [18] ἓν ἀριθμῷ : numériquement un (numeri unus) : [7] ἐνάριθμον : unité [38] ἔνδεια : insuffisance : [160] ἐνέργεια : acte : [102] ἐν μόνῳ καὶ ἐν παντὶ : en un seul et en chacun : [62]
ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντὶ : en un seul et non en chacun : [62] ἐν παντὶ καὶ οὐκ ἐν μόνῳ : en chacun et non en un seul : [62] ἕξις : état habituel : [96], [115], [136] ἐπιστήμη : connaissance : [96] ἐπιφάνεια : surface : [72] ἐρωτηματικόν : interrogatif : [55] εὐκτικόν : optatif : [55] εὐθύτης : rectitude : [123] ἧττον : le moins : [91], [131] θερμότης : échauffement : [119] θέσις : position : [96] ἴδιον : le propre : [134] καθέκαστον : singulier : [7], [30], [32], [34], [99], [106] καμπυλότης : courbure : [123] κατάφασις : affirmation : [55] κεῖσθαι : reposer : [125] κίνησις : changement : [170] κοινόν : commun : [32] μᾶλλον : le plus : [91], [131] μειονεξία : ce qui est en-deça de ce qui est juste : [160] μείωσις : diminution : [170], [171] μεταβολή : modification (immutatio) : [170] / déplacement (transgressio) : [171] μορφή : forme : [115] νωδός : sans dents : [157] Ξανθὸς : Xanthe : [3] οὐκ ἐν μόνῳ καὶ οὐκ ἐν παντὶ : ni en un seul ni en tous : [62]
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INDEX
οὐσία : ousie : [5]
σχῆμα : figure : [115]
παθητίκή ποιότης : qualité affective : [115] πάθoς : affection : [115] παρωνύμως : paronymiquement : [126] πλεονεξία : ce qui est au-delà de ce qui est juste : [160] ποιότης : qualité : [97], [171] ποσόν : quantifié : [134] πρὸς ἕν : vers un seul : [18] προστακτικόν : impératif (imperativum) / optatif (optativum) : [55] πρός τι : relativement à quelque chose : [93], [97], [134], [135]
τόπος : lieu : [171]
σημαινόμενον : image des choses qui se fixe dans l’esprit : [20] σπουδαῖος : méritant [126] στέρησις : privation [157] συμβεβηκός : accident : [29], [34], [51]
ὑπάλληλον : subordonné : [48], [115] ὑπερβολή : excès : [160] ὑποκείμενον : sous-jacent : [29] φαντασία : image des choses qui se fixe dans l’esprit : [20] φθορά : disparition (interitus) : [170], [171] / corruption (corruptio) : [170], [175] φορά : déplacement (transgressio) : [170] / altération (commutatio) : [170] φυσικός : naturel : [115] ψυχρότης : refroidissement : [119] ὡς κατὰ τινῶν λεχθεῖσαι : en raison de ce qu’elles ne peuvent être connues qu’à partir de sujets : [6]
INDEX NOMINUM DES CD Aristote : [1] ; [9] ; [13] ; [16] ; [19] ; [20] ; [21] ; [27] ; [31] ; [35] ; [55] ; [56] ; [69] ; [70] ; [94] ; [96] ; [108] ; [109] ; [110] ; [112] ; [115] ; [143] ; [146] ; [161] ; [164] ; [171]
Éthon : [3] Hortensius : [7] Rome : [145]
Chysippe : [99]
Socrate : [40] ; [58] ; [60] ; [99] ; [159]
Cicéron : [11] ; [39]
Thémistius : [20] ; [176]
Divin : [3]
Xanthe : [3] ; [7]
INDEX NOMINUM GÉNÉRAL Abélard, Pierre : 8 ; 10 ; 129 Adéodat : 12, 13 ; 125 Achard, M. : 13, 44 ; 41, 148 ; 43, 155 Adenulfus de Anagnia : 133 Aemilianus (gouverneur) : 25, 83 Agorius (voir Praetextatus) Albert de Saxe : 137 Albert le Grand : 134 Albinus : XIII ; 19 ; 21 ; 26 Albinus, Caeionius Rufius : 4 ; 20 Albinus, Caecina Decius : 4 ; 20 Alcuin : XIII ; XIV ; 5 ; 10-12 ; 14 ; 33 ; 38 ; 106 ; 107 ; 110 ; 115 Alexandre d’Aphrodise : 79 Alexandre le Grand : 4 Allan, D.J. : 57, 177 Ammien Marcellin : 5 Ammonius (fils d’Hermias) : 41 ; 46, 164 ; 76 André, J. : 27, 91 Andrews, R. : 134, 261 ; 135, 263-264 Andronicos de Rhodes : XII, 2 Anonyme (ou Anonymus) : XIV ; XV : 12 ; 15-17 ; 23-24 ; 26 ; 29 ; 32 ; 38-39 ; 41 ; 48-49 ; 56 ; 58-59 ; 61, 185 ; 64-65 ; 70 ; 74-75 ; 77 ; 80 ; 82 ; 84-85 ; 87 ; 89-91 ; 95-96 ; 98-100 ; 106 ; 108 ; 110-115 ; 117-119 ; 129132 ; 135-136 ; 138 ; 161, 15-16 ; 162, 22 et 25 ; 168, 46 ; 174, 59 ; 183, 73 ; 187, 82 ; 194, 98-195, 100 ; 202, 117 ; 204, 122 ; 206, 125 ; 208, 132 : 214, 147 ; 223, 173 ; 225, 181 ; 234, 209 Anonyme de Barach : 114, 227 Anselme de Canterbury (ou du Bec) : 8 ; 10 ; 126-127 ; 160, 12 Antès, Serge : 7, 21 Antioche : 4 Apollonius de Tyane : 5
Apulée de Madaure : 6 ; 9, 32 ; 26-28 ; 31 Apulée (Pseudo-) : XI ; XII ; XIII ; 6-7 ; 9, 32 ; 19 ; 26-27 ; 29-31, 113 Aratos de Soles : 5 Arberry, A.J. : 45, 163 Aristote : XII ; XIV ; 1 : 5-9 ; 13, 44 ; 14, 17 ; 20 ; 22 ; 25-26 ; 28 ; 32 ; 34-36, 122 ; 37, 128 ; 40-45 ; 47-48 ; 50 ; 53 ; 55 ; 57-60 ; 64-74 ; 76-78 ; 80-82 ; 85 ; 87-89 ; 91-100 ; 107 ; 110-111 ; 128-129, 250 ; 132-136 ; 138 ; 157-159 ; 161, 17 ; 162 ; 164, 32 ; 168 ; 170, 48 ; 172 ; 174 ; 178 ; 180, 69 ; 182-183, 73 et 74 ; 185-187 ; 189 ; 191-192-194, 98 ; 202, 117 ; 204, 122 ; 206, 125 ; 207 ; 214, 149 ; 217-221 ; 223, 173 ; 226, 180 ; 229, 196-197 et 199 ; 234 ; 237238 ; 243, 226 ; 247 ; 252, 244 ; 253 ; 254, 250 Aristote (Pseudo-) : 5 ; 29 Aubenque, Pierre : 2, 6 Aubin, J. : 16, 50 Augurius : 25 Augustin d’Hippone : XIII ; 6 ; 11-16 ; 18 ; 21, 68 ; 22 ; 36 ; 38 ; 115 ; 120-121 ; 125 ; 131 ; 133 ; 135 ; 228, 191 Augustin(Pseudo-) : XI ; 12 ; 33 Aurelius Victor : 5 Ausonius, Decimus, Magnus : 5 Aventius, Sallustius : 6 Averroès : 45 Avienus, Rufus Festus : 4 Avisseau-Broustet, M. : 210, 136 Badawī, ‘A. : 43, 156 ; 45, 162 ; 46 Baghdãdī , Abū l-Barakãt al- : 45 Baldassari, Mariano : 28, 94
262
INDEX
Ballériaux, Omer : 47 Barakãt, Abū l- : 45, 160 Barbarus, Sextus Apuleius : 27 Barch, C.S. : 114, 227 Bardy, gustave, 12, 40 Barnes, Johnatan : 1, 3 Basile de Césarée : 6, 20 Baslez, M.-Fr., 4, 12 Beaujeu, Jean : 28 ; 29 Bekker, Immanuel : 51 ; 65 ; 67 Bérenger de Tours : 126 Berndt, R. : 157, 2 Biard, Joël : 137 Bidez, Joseph : 52-53, 174 Blaise de Parme : 8 ; 10 ; 137 Blumenkranz, B. : 12, 41 Blumenthal, H.J. : 41, 147 ; 47, 169 Bodéüs, Richard : 59, 180-181 ; 60, 184 ; 69, 189 ; 73, 195 ; 79 ; 82, 202 ; 87, 205 ; 88, 206 et 207 ; 90, 208 ; 134 ; 158, 5 ; 164, 32 ; 165, 34-36 : 166, 38-40 ; 167, 42-44 ; 168, 45-46 ; 170, 49 ; 171, 50 ; 174, 58 ; 215, 153 ; 228, 193 ; 242, 222 Boèce : XI ; XII ; XIV ; 7-10 ; 19 ; 22-23 ; 25-26 ; 34 ; 36-38 ; 44-45 ; 53 ; 60 ; 62 ; 64-67 ; 69-73 ; 77 ; 78 ; 84-86 ; 97-101 ; 106-107 ; 113-114, 223 ; 115 ; 124 ; 126 ; 129 ; 131-136 ; 138 ; 163, 27 ; 174, 57-58 ; 180, 69 Boéthos de Sidon : 46, 164 Borgnet, A. : 134, 261 Bos, E.P. : 82, 166 Bouchery, H. F. : 41, 143 ; 46 Bouhot, Jean-Paul : 120, 234 Braakhuis, H.A.G. : 133, 257 Brams, J. : 8, 31 Busse, A. : 76, 196 ; 77, 197 ; 82, 200 et 201 Butler, H.E. : 2, 7 Calcidius : 3 ; 13, 44 Capella, Martianus : XII ; 1 ; 7 ; 13, 44 ; 23 ; 25, 84 ; 29 ; 34 ; 35, 118 ; 36 ; 38 ; 93-97 ; 99 ; 101 ; 112 ; 114-115 ; 125
Carnéade l’Académicien : 6 Carrier, Joanne : 133 Cassiodore : 7 ; 8 ; 10 ; 22 ; 23 ; 25, 84 ; 26, 89 ; 33 ; 34 ; 37 ; 39 ; 107 Cassiodore(-Pseudo) : 7, 21 ; 19 CD (voir Anonyme) Cesalli, L. : 185, 80 Chadwick, Henry : 19, 59 ; 24 Charlemagne, 107 Chastagnol, André : 4, 13 ; 6, 18 ; 20-21, 66 Chenu, Marie-Dominique : 1, 1 Chiaradonna, R. 60, 182 Christ : 109 Chrysippe : 209 Cicéron : 2 ; 61, 185 ; 71-72 ; 91 ; 93-94 ; 107 ; 117 ; 122 ; 124 ; 161, 14 ; 163 ; 178 Cinato, Franck : 114, 226 Conso, D. : 30, 109 Constance II : 3 ; 5 ; 40 Constantin Ier : 3 Constantinople : 40 ; 50 Conti, A.D. : 135, 262 Courcelle, Pierre : 12, 40 ; 13, 43 ; 24, 78 ; 39, 129 Courtine, Jean-François : 2, 6 ; 113, 220 Cousin, Victor : 115, 228 Critolaüs le Péripatéticien : 6 Croix-Saint-Leufroy, La : 127 Crubellier, Michel : XIV ; 65 ; 82 ; 155 ; 158, 6 ; 162, 23 ; 193, 97 ; 211, 140 ; 214, 151 ; 216, 156 ; 221, 170 ; 223, 175 ; 225, 180 ; 228, 194 ; 232, 205 ; 234, 210 ; 243, 227 Curtin, D.P. : 41, 156 Dal Pra, Mario : 129, 252 Daly, L.J. : 39, 130 ; 42, 150 Denys d’Alexandrie : 5 Denys(-Pseudo) : 113 Dexippe : XII, 2 ; 82 ; 83 Dictis Cretensis : 6 Dimashqī , Abū ‘Uthmān al- : 46 Dindorf, W. : 40, 132/135/137-139 ; 42 Diogène le Stoïcien : 6
INDEX263
Divin : 116 ; 158 Donat (voir Donatus) Donatus, Aelius : 5 ; 6 Downey, G. : 42 ; 44 ; 45 Dugas-Montbel, J.-B. : 158, 7 Duns Scot, Jean : 135 Ebbesen, Sten : 133, 257 Edwards, R. : 135, 265 Einsenhut, Werner : 6, 19 Empiricus, Marcellus : 6 Engelbrecht, A.G. : 34, 116 Épicure : 40 ; 47 Érigène, Jean Scot : XIV ; 10 ; 112114 ; 115 ; 120 Erismann, Ch. : 51, 173 ; 113, 220 et 221 Éthon : 116, 158 Eudore d’Alexandrie : 13, 44 Eugenius : 40 Eunape de Sardes : 47 Eusèbe de Césarée : 34-35 Eustathius (traducteur) : 6 Eusthatius (fils de Macrobe) : 6, 20 Eutropius, Flavius : 5 Fabianus : 2 Fabricius, J.A. : 19 Federici-Vescovini, Graziella : 137 Ferré, M. : 7, 22 Festus, Rufius : 5 Flamand, J.-M. : 28, 95 Flamant, J. : 5, 16 ; 20 ; 24, 79 ; 29, 108 Flavianus, Virius Nicomachus : 5 Flügel, G. : 44 ; 45 Förster, R. : 41, 142 ; 43, 153 Frédégise de Tours : XIV ; 108 ; 110111 ; 115 Frei-Stolba, R. : 4, 11 Fructueux (évêque) : 23, 83 Gallay, P. : 43 Gallien (empereur) : 25, 83 Galonnier, Alain : XI-XIV Gedalios (ou Gedalius) : 60, 182 Gérard de Crémone : 43 ; 50 ; 135 Gérard de Nogent : 135
Gerbert d’Aurillac : 8 ; 10 ; 107 ; 120 ; 125-126 Gibson, M. : 126 Gilbert de la Porrée : 129 Gilbert(-Pseudo-) : 129 ; 132 Girard, Ch. : 129, 253 Goddard, Ch. : 4, 10 Goldbacher, A. : 28 Gottschalk, H.B. : 2, 8 Goulet, Richard : 28, 95 ; 47, 172 ; 61, 185 Gratien : 4 ; 6 Grégoire de Nazianze : 39 ; 41 ; 43 Grégoire de Tours : 7 Guillaume de Moerbeke : 8 ; 10 ; 43 ; 50 Guillaumin, J.-B. : 7, 22 Guitmond d’Aversa : 126-129 Guldentops, Guy : 47, 170 Gummere, R.M. : 2, 6 Guyotjeannin, O. : 126, 242 Hadot, Ilsetraut : 44, 158 ; 74, 193 ; 157, 2 Hadot, Pierre : 3, 9 ; 7, 23 et 27 ; 19 ; 22, 71 ; 24 ; 34 ; 97, 209 ; 106, 210 Hackett, J. : 133, 258 Halm, C. : 36, 122 Hansen, H. : 133 ; 135, 262 Häring, Nicolas M. : 131 Harrison, St.J. : 29, 105 Hasnaoui, A. : 45, 161 Hauréau, barthélemy : 114-115 ; 117119 Haverkamp ; 108, 214 ; 109, 217 Hector : 116, 231 ; 158, 7 Heiberg, L. : 40, 131 Heiric d’Auxerre : XIV ; 9 ; 112 ; 114-115 ; 117-119 ; 125 Henninger, M.G. : 135, 265 Henry, R. : 46 Henry de Harclay : 8 ; 10 ; 135 Hense, O. : 46, 165 Hermès Trismégiste : 6 Herzig, H.E. : 4, 11 Hiéroclès : 40 Hildebrand, G.F. : 28 ; 29
264
INDEX
Hochschild, P.E. : 112 ; 113, 220 ; 114, 224 Homère : 116, 231 ; 158, 7 Holtz, Louis : 7, 28 ; 22, 72 Hortensius : 61 ; 91 ; 160-161 Hotchkiss, R. : 126, 243 Ḥunayn, ibn Isḥāq : 43, 156 Idoménée (roi) : 6 Isḥāq ibn Ḥunayn : 43 ; 45 Isidore de Séville : XII ; 7-10 ; 25, 84 ; 37 ; 101 ; 106 ; 120 ; 132 Jamblique : 45 ; 47 Jean Buridan : 137 Jean de Salisbury : 5, 16 ; 132 Jean de Salerne : 124-125 Jean le Page : 133 ; 135 Jeauneau, Édouard : 111 ; 113, 222 ; 120, 233 ; 130 Johanson, C. : 28, 94 ; 29 Jourdain, Amable : 11, 37 Julien l’Apostat : 3 ; 39 ; 43 Kalbfleisch, C. : 40, 131 ; 44 Keil, H. : 26, 89 Kenny, Anthony : 16, 47 ; 19 ; 21 ; 23 ; 173, 55 King, J.C. : 126, 243 Knöll, Ph. : 16, 48 et 49 Kupreeva, I. : 39, 130 Lafleur, Claude : 133 Lampus : 158, 7 Lamy, Alice : 138, 268 Landauer, S. : 44 Lanfranc du Bec : 126-127 Lévi, Nicolas : 28 ; 29 Libanius d’Antioche : 39-41, 142 ; 43 Libera, Alain de : 23, 76 ; 41, 146 ; 69, 189 ; 72, 190 ; 85 ; 126, 241 ; 133, 258 ; 189, 91 Londey, D. : 28, 94 ; 29 Lossi, J. : 13, 44 Lucilius : 2, 6 Luetjohann, Ch. : 35, 117 Lumpe, A. : 28 Lutz, C.E. : 114, 225
Machaire : 120-121 Macrobe : 4 ; 6, 20 ; 24 Madec, G. : 61, 185 Mai, Angelo : 18, 53 ; 228, 191 Mainguy, M.-H. : 28, 104 Mamert, Claudien : 13, 44 ; 34 ; 35, 118 ; 36 ; 38 Marcellus, Nonius : 61, 185 Marenbon, J. : 10, 33 ; 51, 173 ; 106 ; 107, 111-113, 220 ; 115 ; 118119 ; 129 Marrou, H.-I. : 13, 42 Martindale, John : 20 Martin de Dacie : 134 Martin Gaitero, R. : 2, 5 Maternus, Firmicus : 3 Mattā, Abū Bišr : 43 ; 45 Maxime d’Éphèse : 4 ; 46 Mazon, P. : 158, 7 Mazzarella, P. : 134, 261 Meiser, Karl : 26 ; 45 Meiss, Ph. : 28-29 Mendiera, E.A. de : 6, 20 Méridier, L. : 39, 130 ; 40, 140 Migne, Jacques-Paul : XIV Minio-Paluello, Lorenzo : XIII ; XIV ; 8, 29 ; 11 ; 12 ; 19-21 ; 23 ; 24 ; 33 ; 39 ; 53 ; 64-67 ; 70 ; 71 ; 98-100 ; 107 ; 155 ; 172, 53 ; 174, 57 ; 179, 48 ; 183, 76 ; 189, 89 ; 199, 111-112 ; 212, 142 ; 213, 146 ; 214, 152 ; 218, 161 ; 222, 172 ; 227, 190 ; 235, 211 Mohrmann, Ch. : 18, 52 Moran, D. : 112 Moraux, Paul : XII, 2 Moreno Hernández, A. : 2, 5 Moreschini, Claudio : XIV ; 19 ; 26 ; 28 ; 30, 110 Morel, P.-M. : 207, 127 Moyses Alatinus : 44 Moyses Finzius : 43 Moyses ibn Tibbon : 43 Mynors, R.A.B. : 8, 29 ; 22, 73 ; 34, 114 Nadīm, Ibn al- : 45 Naucellius, Junius (ou Julius) : 5 Nicolas de Damas : 159, 10-11
INDEX265
Nicomaque de Gérase : 26, 89 Nikitas, D.Z. : 45 Norman, A.F. : 42 ; 44-45 Notker Labeo : 126 Ockham, Guillaume d’ : 135-136 Odon de Beauvais : 120 Odon de Cluny : 124 Olleris, A. : 8, 30 ; 125, 240 ; 126 O’Meara, D. : 39, 130 Onofrio, G. d’ : 126, 244 Orabona, L. : 127, 247 Page, R.B. : 108 Paparella, Fr. : 129-130, 254 Paphlagonie : 40 Paraphraste (voir Anonyme) Paris : 125 ; 133 Paulus, Axius : 5 Pellegrin, Pierre : XIV ; 65 ; 82 ; 155 ; 158, 6 ; 160, 12 ; 162, 23 ; 193, 97 ; 211, 140 ; 214, 151 ; 215, 153 ; 216, 156 ; 221, 170 ; 223, 175 ; 225, 180 ; 228, 194 ; 232, 205 ; 234, 210 ; 243, 227 Penella, R.J. : 47, 172 Pfligersdorffer, G. : 24 Philostrate, Flavius : 5 Photius : 41 ; 46 Pierre d’Auvergne : 134 Pierre de Saint-Amour : 135 Pierre d’Espagne : 132-133 ; 137 Plautus, Lucius Sergius : 1 ; 2 Platon : 3 ; 22 ; 26, 89 ; 41 ; 46 ; 122 ; 124 Plotin : 6 ; 22 ; 47 ; 60, 183 Podarge : 158, 7 Poirel, Dominique : 126, 242 Porphyre (ou le philosophe de Tyr) : XIV ; 3 ; 9, 32 ; 13, 44 ; 17 ; 22-24 ; 47 ; 53 ; 58-60 ; 75-76 ; 78-81 ; 84-90 ; 92 ; 97 ; 134 ; 158, 5 ; 162, 23 ; 164, 32 ; 165, 34-34 ; 166, 38-40 ; 167, 42-44 ; 168, 45-46 ; 170, 48-49 ; 171, 50 ; 174, 58 ; 189, 91 ; 215, 153 ; 228, 192 et 193 ; 242, 222 Poulle, Emmanuel : 126, 242
Pradel-Baquerre, M. : 27, 90 Praechter, K. : 47, 169 Praetextatus, Vettius Agorius (ou Prétextat) : 5 ; 19 ; 24-26 ; 45 ; 227 Prantl, Carl : 124 Priscianus, Theodorus : 6 Priscien de Césarée : 26, 89 Probus : 34 ; 35 Prudence de Troyes : 12 Pythagore : 40 Quintilien : 1, 4 ; 2 Raban Maur : 111 Rachet, Guy : 22, 74 Raders, M. : 2, 5 Rädler-Bohn, Eva M.E. : 11, 34 Ramsey, E.K. : 28-29 ; 31, 112 Rashed, M. : 46 ; 60, 182 Ratramne de Corbie : XIV ; 9 ; 120121 Reinhard de Saint-Burchard de Wirtzbourg : 124 Rémi d’Auxerre : 125 Rémi de Lyon : 12 Renaud, F. : 13, 44 Reshaina, Sergius de : 46 Rijk, Lambert-Marie de : 129 ; 133 Robert Kilwardby : 135 Rochefort, G. : 41, 144 Rochette, B. : 27, 92 Roduit, A. : 41, 141 Roger Bacon : 133 Rome : 4 ; 5 ; 40 ; 238 Roques, Magali : 137, 266 Roos, H. : 134, 261 Roscelin : 114, 227 Rudberg, S.T. : 6, 20 Sachau, Ed. : 46, 166 Sandy, G. : 28 Schamp, J. : 39, 130 Schanz, M. : 5, 16 Schenkl, K. : 44 Schmitt, Francescus Salesius : 127, 246 Schurr, Viktor : 7 ; 84 Scott, W. : 27, 92 Sedley, D. : 60, 182
266
INDEX
Sefardi, Zerahjha ben Isak ben Schealtiel ha- : 44 Segonds, Alain : 23, 76 ; 69, 189 ; 72, 190 ; 85 ; 126, 241 ; 189, 91 Sénèque : 1 Septimius, Lucius : 6 Servius, Maurus Honoratus : 6 Sherabon Firchow, E. : 126, 243 Sidoine Apollinaire : 34 Siger de Courtrai : 135 Simon de Faversham : 134 Simplicius : XII, 2 ; 13, 44 ; 40, 131 ; 44 ; 82 Socrate : 40 ; 71 ; 187 ; 192 ; 209 ; 246 Sophonias : 45 Soubiran, J. : 5, 14 Spruyt, J. : 129, 250 Stagirite (voir Aristote) Steel, C. : 41, 147 Stegemann, W. : 51, 173 Stobée : 46 Sullivan, M.W. : 28, 104 Swain, S. : 39, 130 Symmachus, Quintus Aurelius : 5 ; 6 Symmaque (voir Symmachus) Tarrant, H. : 13, 44 Tax, P.W. : 126, 243 Térence : 5 Thémistius : XI ; XII ; XIII ; 5 ; 8 ; 18 : 20 ; 25-26 ; 29 ; 33 ; 39-49 ; 52 ; 53 ; 90 ; 91 ; 160, 13 ; 168 ; 256 Theodorus, Flavius Mallius : 6 Théodose Ier (ou le Grand) : 4 ; 6 ; 41 Théon de Smyrne : 3 Théophraste : 28 ; 159, 11 Thierry de Chartres : 130-132
Thomas (Apôtre) : 228, 191 Thomas, P. : 28, 94 Thomas d’Erfurt : 135 Tite-Live : 5 ; 6 Todd, R.B. : 26, 87 ; 41, 148 ; 44, 157/ 159 ; 46 ; 50 Trego, K. : 114, 225 Tricot, Jean ; 55, 175 Trithemius, Ioannis : 124 Troie : 6 Valens : 4 ; 5 ; 40 Valentinien Ier : 6 Valentinien II : 4 Valérien (empereur) : 25, 83 Valerius, Julius : 4 Van de Vyver, André, 9 Varron : 1 Victorianus, Tascius : 5 Victorinus, Marius : XI ; XIII ; 3 ; 7 ; 11 ; 21-22 ; 24-25, 85 ; 27 ; 34-35, 118 ; 36 ; 38 Virgile : 5 ; 6 Vivarium : 39 Vollenweider, M.-L. : 210, 136 Wallies, M. : 26 ; 80 ; 41, 145 ; 42 ; 45-46, 164 Webb, C.J. : 5, 16 Wolf, Étienne : 5, 15 Wright, W.C. : 43, 151 Xanthe : 91 ; 116 ; 158 ; 161 Yaḥā Ibn ‘Adī : 44 Zawadzki, T. : 4, 11 Zénon : 40 Zucker : 41, 148 ; 64, 186