STSA 17 Gassendi, La Logique de Carpentras, S. Taussig: Texte, Introduction Et Traduction (Les Styles Du Savoir) (French and Latin Edition) 9782503532226, 2503532225


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STSA 17 Gassendi, La Logique de Carpentras, S. Taussig: Texte, Introduction Et Traduction (Les Styles Du Savoir) (French and Latin Edition)
 9782503532226, 2503532225

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La Logique de Carpentras

Les styles du savoir Défense et illustration de la pensée à l’âge classique Une collection dirigée par Sylvie Taussig et Anthony Turner Le dix-septième siècle souffre de sa majesté : tout en lui semble grand, en particulier le savoir et la pensée dominés par les imposants systèmes philosophiques et théologiques. Pourtant, ce siècle n’est pas moins riche que le précédent en minores inventifs, en expériences de pensée ponctuelles mais fécondes, qui structurent, en tous domaines, le savoir et la paideia des hommes de façon aussi solide et durable que les grandes constructions théoriques auxquelles nous sommes habituellement renvoyés. Les Styles du savoir visent à corriger cet effet de mirement qui affecte la compréhension de ce siècle, en insistant sur un certain nombre des notions et de textes oubliés, négligés, méconnus qui s’avèrent pourtant fondamentaux pour la constitution des savoirs et des institutions à l’âge classique. En republiant des textes aujourd’hui inaccessibles et en proposant aux lecteurs des essais peu soucieux des frontières tracées par les interprétations dominantes, cette collection se propose ainsi de dessiner les contours d’un « autre » dix-septième siècle.

LA LOGIQUE DE CARPENTRAS

Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, Ms. 1832, fol.205r - 259r

Transcription, introduction, traduction et notes par Sylvie Taussig

F

© 2012, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2012/0095/211 ISBN 978-2-503-53222-6 Printed on acid-free paper

INTRODUCTION

Avant de commencer cette introduction, je voudrais remercier Howard Jones sans lequel ce volume n’aurait pas existé. C’est lui qui m’en a donné l’idée, qui a accompagné chaque instant de sa réalisation, qui m’a chaque fois rendu le courage et la patience que je perdais de semaine en semaine. En un mot il fut un autre Shiva, car c’est avec au moins huit bras qu’il m’a donné un coup de main, et je peux dire, citant Mersenne, que cet ouvrage « non est meum, tuum est », et tuum ne désigne pas seulement Gassendi. Le nom de Pierre Gassendi, à la différence de celui de son contemporain René Descartes, n’a pas sa place parmi les plus illustres logiciens. Au demeurant, il ne lui est pas fait par là d’injustice. Ce sont dans les autres branches de la philosophie que Gassendi a apporté les plus grandes contributions au royaume de la pensée. Il serait toutefois erroné de dénier toute importance à ses écrits sur la logique. Au contraire, leur étude doit être recommandée, et cela pour au moins deux raisons. La première est que, quoique ces textes concernent la logique au premier chef dans la mesure où ils exposent de manière systématique toutes les règles du raisonnement, ils sont aussi étroitement liés aux réflexions qu’il était simultanément en train de développer dans des domaines tels que l’épistémologie, la psychologie, la physiologie et la méthode scientifique. En second lieu, d’un point de vue chronologique, ils apportent une aide indispensable dans la reconstitution des étapes successives qui scandent la construction de sa philosophie dans son ensemble. Le premier contact de Gassendi avec l’étude de la logique fut précoce, et il s’y montra d’une redoutable compétence. En 1609, il entra, à dix-sept ans, à l’Université d’Aix pour étudier la philosophie ; et le Père Fesaye, son

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professeur, stupéfait de sa maîtrise de la logique, aurait remarqué, nous est-il dit1, qu’il lui arrivait plus souvent qu’à son tour de ne plus savoir qui était le maître et qui était l’élève. De fait, quand il était absent, Fesaye confiait la direction de la classe au jeune Gassendi. En 1617, trois ans après avoir reçu son doctorat en théologie à Aix, Gassendi fut nommé pour succéder à Fesaye dans sa chaire de philosophie où il enseigna la logique selon sa propre méthode. Il relevait de sa responsabilité de former ses étudiants à ce qui était alors la philosophie dominante à l’époque, à savoir celle d’Aristote. Cependant, comme une lettre de 1621 à Faur de Pibrac nous l’apprend, Gassendi n’attendait déjà plus grand-chose des doctrines aristotéliciennes, encore moins dans leur interprétation par les scolastiques, et sa lecture d’autres auteurs de l’Antiquité, en particulier Cicéron, Sénèque, Sextus Empiricus et Lucien, ainsi que de quelques Modernes comme Charron, Jean-François Francesco Pic de la Mirandole et Montaigne, l’avait initié au scepticisme dans l’esprit de la formule bien connue de Dante « Che, non men che saper, dubbiar m’aggrada »2. Aussi, tout en apprenant à ses étudiants à défendre Aristote, il se sentit tenu de leur donner les moyens d’argumenter en faveur de la position opposée en mettant à leur disposition « sous forme d’appendices, des principes par les quels les enseignements d’Aristote étaient complètement détruits »3. Les « opinions » de Gassendi furent si bien reçues par ses amis qu’ils réussirent à le convaincre d’en faire un livre. Pourtant, les Exercitationes Paradoxicæ adversus Aristoteleos, publiées à Grenoble en 1624, ne vont pas au delà du livre I, alors que Gassendi avait prévu d’en écrire sept. Seul le deuxième 1

Les notes sur le cours de logique de Fesaye de 1611 /1612 sont conservées dans Mss. 752-753 – « Logicæ explicatio in tres tractatus divisa » – Bibliothèque municipale, Marseille. Voir aussi Mémoire de Gassendi, vies et célébrations écrites avant 1700, éd. S. Taussig et A. Turner (Turnhout : Brepols, 2008), p. 75 et 81 et 142 : « Il s’en alla après estudier en Philosophie a Aix sous le R. Pere Fezayi Religieux Carme, auquel jay ouy dire qu’il ne sçauoit point s’il estoit son Escholier, ou son Maistre » ; et « Le P. Fesaye… m’a dit cent fois que M. Gassendi, estudiant sous luy et n’ayant encore que 15 ans commencés, il estait assez capable pour estre son maistre plutôt que son escholier ». 2 [Non moins que savoir, douter m’agrée], in Montaigne, Essais, I, 25. Pour la lettre à Faur de Pibrac, voir Gassendi, Opera Omnia, VI, 1-2, et Pierre Gassendi (1592-1655), Lettres latines, 2 vols., Sylvie Taussig (traduction et notes) (Turnhout : Brepols, 2004), pp. 1-3 ; désormais abrégé en LL et les Opera omnia en OO. 3 « At Appendicis tamen loco placita etiam tradiderim ex quibus Aristotelea dogmata prorsus enervarentur », Exercitationes Paradoxicæ adversus Aristoteleos, 1624, OO, III, 100. Édition française, Dissertations en forme de paradoxes contre les Aristotéliciens, livre I et II. Traduit et édité par B. Rochot (Paris : Vrin, 1959), p. 6.

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livre, sur la dialectique, fut achevé, mais ne connut qu’une publication posthume, dans l’édition des Opera omnia de 16581. Le livre I des Exercitationes lance une attaque généralisée contre les aristotéliciens, auxquels il reproche principalement d’avoir nui à la philosophie elle-même : avec leur attachement vétilleux aux arguties de la disputatio, ils ont fait de la philosophie un cirque, et cette obsession est à l’origine du déclin aussi d’autres branches, plus utiles, de la philosophie, qui s’en sont trouvées négligées. De plus, leur servilité envers le maître les a aliénés de l’esprit d’indépendance sur lequel repose la recherche de la vérité. Vu la virtuosité que Gassendi déploie d’un bout à l’autre de sa critique, il n’est guère douteux que les aristotéliciens aient cruellement ressenti le dard de son attaque – et ils le menacèrent, ne fût-ce qu’implicitement, de représailles2. Le livre II, qui traite plus directement de la logique, nous intéresse ici plus particulièrement. Le ton est là encore très critique, à ceci près que Gassendi ne s’en prend pas à la dialectique naturelle, c’est-à-dire à la capacité innée de raisonner, mais à la dialectique artificielle élaborée par les aristotéliciens, qui oblige l’étudiant à perdre des mois de travail, voire des années, pour acquérir la maîtrise de toute une masse de règles qui sont pour la plupart d’entre elles inutiles, puisqu’en dépit de toute leur subtilité, elles échouent à produire un instrument de découverte (instrumentum inveniendi)3. Pour justifier sa mise en cause générale de la dialectique artificielle, Gassendi s’emploie à réfuter systématiquement toutes les prétentions que les aristotéliciens avancent sur la base de ces techniques et présupposés : il suffit de les comparer à la fiabilité des sens pour voir aussitôt que ni le processus de définition par le genus et la differentia, ni le processus de division, tout élaboré qu’il est, ne peuvent guère nous aider à trancher le vrai du faux ; rien de ce que les aristotéliciens disent des catégories et des universaux ne fait sens, parce qu’ils prêtent attention aux concepts, et non pas aux particularités du monde réel ; 1

Opera omnia (Lyon, 1658, numérisés sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF), désormais abrégé en OO. Nb. La traduction de B. Rochot (voir note précédente) contient les deux livres. 2 Voir la lettre à Schickard du 27 août 1630 (LL, I, n° 26, p. 62) (OO, VI, 35B), où il reconnaît qu’il s’en fallut de peu que la publication du livre I « ne provoque une tragédie » (parum abfuit quin […] excitaret tragoediam). 3 OO, III, 149 A -B [Rochot, p. 237 : « Nous luttons donc plutôt contre cet Art dédaigneux et superbe à l’acquisition duquel nous voyons qu’il faut consacrer tant de mois et même pour beaucoup tant d’années ».

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enfin, ce mécanisme fort sophistiqué qu’est le syllogisme ne peut servir d’instrument de preuve valide, dans la mesure où il implique soit une petitio principii soit un raisonnement circulaire. Commune à toutes ces accusations est la certitude sous-jacente de Gassendi que la lourde machine de la dialectique aristotélicienne ne contribue en aucune façon à l’acquisition du savoir. Du reste, et plus fondamentalement, aucun système dialectique n’est à ses yeux susceptible de découvrir la véritable nature des choses. Son objectif, explicité dans la Préface du livre I, est donc de mettre en évidence deux vérités dont il est fermement convaincu : l’incertitude de la connaissance humaine et la justesse de la maxime nihil sciri1. C’est pourquoi il consacre la dernière exercitatio à une présentation détaillée des modes sceptiques, qu’il décline dans leurs dix tropes traditionnels en les éclairant à l’aide d’exemples qui se trouvent aussi chez des auteurs sceptiques comme Montaigne, Sanchez et Charron, avant de conclure que, si la possibilité d’une connaissance pleine et exacte des choses telles qu’elles sont par leur nature même nous échappe, c’est parce que les sens, sur le témoignage desquels repose toute notre information, ne sont fiables qu’au plan de l’apparence des choses2. Le livre II adopte dans son ensemble le même ton négatif que le premier. Cependant, dans les deux ultimes sections de cette même exercitatio, Gassendi explique que, de son point de vue, la position sceptique comporte un aspect positif. Même si l’homme ne peut acquérir d’autre connaissance que celle des apparences et doit se résigner à ne pas comprendre les secrets intimes de la nature qui nous restent irrémédiablement cachés, cela ne signifie pas qu’il doive renoncer à les étudier et à les observer. Les astronomes, par exemple, peuvent démontrer que la terre est ronde, même s’ils échouent à révéler la « véritable nature » de la terre dans toute sa complexité3. En dernier ressort, la connaissance fondée sur l’expérience (scientia experimentalis) est largement 1

OO, III, 102 A ou B [Rochot, p. 13 : « Ici sont établis les fondements essentiels du pyrrhonisme, et surtout cette proposition : que l’on ne sait rien, est soutenue ». Voir aussi OO, III, 203B (Rochot, p. 486)] 2 OO, III, 203A [Rochot, p. 486 : « [que] reste-t-il a faire, sinon conclure qu’on ne peut savoir ce qu’est une chose en elle-même ou selon sa nature propre, mais seulement de quelle façon elle apparaît aux uns ou aux autres ? »] 3 OO, III, 209A [Rochot, pp. 510-512 : « J’ajoute cependant que grâce aux Mathématiques je pourrai m’assurer par exemple que la Terre est bien sphérique ; […] mais pourquoi la Terre est sphérique, ou quelle est sa nature absolue […] les Mathématiques aussi bien que tout autre science demeurent aveugles là-dessus »].

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aussi utile que celle qui est produite par la démonstration dialectique (scientia Aristotelea). Sa stratégie dans les Exercitationes Paradoxicæ est donc assez claire, et l’attaque frontale : il s’agit de déloger les aristotéliciens de leur magistère en contestant leur autorité. Sa décision d’interrompre la publication après le livre I est sans doute le signe de ce que le temps n’était pas encore venu de procéder à une confrontation aussi directe et qu’il fallait inventer une autre tactique, plus fructueuse. C’est ainsi qu’il entreprend de promouvoir une philosophie concurrente de l’aristotélisme, et ce sera l’épicurisme. Certes, il peut paraître surprenant que, parmi toutes les écoles philosophiques de l’Antiquité, il ait choisi celle du Jardin, dont les principaux préceptes étaient en désaccord avec les principes fondamentaux du dogme chrétien, mais il faut rappeler que Gassendi commence justement par amender la doctrine d’Épicure partout où il le juge nécessaire. De plus, les Exercitationes nous donnent quelques indications des raisons pour lesquelles cette philosophie devait séduire Gassendi. Tout d’abord, l’épicurisme garantissait à ses disciples ce que le système aristotélicien n’avait su offrir aux siens, à savoir cette tranquillité de l’âme que Cicéron tenait pour la principale récompense de la philosophie1. Mais ce qui l’attirait plus que tout, c’était la théorie corpusculaire de la matière qu’avait adoptée Épicure : la distinction sur laquelle elle se fondait, opposant les qualités primaires, imperceptibles, aux qualités secondaires accessibles à la perception sensorielle lui permettait d’articuler sa propre conviction qu’aucun système philosophique ne pouvait prétendre à la connaissance des choses telles qu’elles sont vraiment et que l’on ne pourrait jamais les connaître que dans la manière dont elles apparaissent. Nous nous contentons de renvoyer ici, pour la description précise et détaillée des principales étapes des travaux de Gassendi comme interprète et avocat d’Épicure, à l’ouvrage de Bernard Rochot2 et nous nous limitons à rappeler quelques éléments, indispensables pour remettre dans son contexte cette Logica de Pierre Gassendi. Le projet de Gassendi est décrit dans une lettre à Peiresc du 11 septembre 1629 : « ce à quoi je m’occupe maintenant, c’est de traduire le Xe 1 Cicéron, De Senectute, I, 2, cité par Gassendi dans les Exercitationes Paradoxicæ, Préface (OO, III, 99 ; Rochot p. 6 : « Jamais la philosophie ne pourra être assez dignement louée : qui suit ses préceptes peut vivre une vie entière sans être malheureux » 2 Bernard Rochot, Les Travaux de Gassendi sur Épicure et sur l’atomisme, 1619-1658 (Paris, 1944).

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livre de laërce qui est tout d’Épicure rempli de tant de fautes qu’il n’est presque recognoissable en tous les lieux les plus importants. J’ay devant moy diverses traductions, notes et manuscrits et conférant le tout avec la petite cognoissance que j’ay de la philosophie de cet homme, je tasche d’en faire une traduction à ma mode, et que je puisse débiter quand j’employerai l’autorité de Laërce ». Et son « grand dessein », dont il avait donné à lire à Peiresc la première esquisse sous la forme d’un plan dans une lettre du 28 avril 16311, progressa avec la plus grande lenteur, et il ne l’avait toujours pas achevé à la date de sa mort en 1655. De fait, le plan de 1631 subit en seize années deux réécritures complètes. La première révision se fit lentement. En août 1631, Gassendi n’avait pas dépassé la rédaction du neuvième chapitre du livre III de la Physique pour laquelle il avait prévu quatre livres, soit quarante-deux chapitres2. Le 2 mars 1632, il avouait à Naudé que « Notre Épicure va toujours très lentement, comme il est normal pour son grand âge »3. En mai 1632, il était arrivé au troisième chapitre du livre IV de la Physique, mais n’arriva au bout de la rédaction du dernier chapitre qu’en avril 16334. Cette lenteur s’explique par de multiples raisons, à commencer par son désir d’exhaustivité : son étude des sources antiques à la recherche de tous les fragments survivants d’Épicure et de tous les témoignages pouvant se rapporter à lui prit beaucoup de temps, d’autant qu’il fut détourné de son travail par des ouvrages de commandes, pour ainsi dire, tels que son Examen Fludii, qu’il écrivit pour répondre à la prière de Mersenne. À ces contrariétés s’ajoutent le soin de sa correspondance, très fournie, et ses occupations de savant, dédié à l’observation astronomique et à différentes expériences scientifiques, ainsi que l’ensemble des activités liées à son statut d’homme d’Église et, fut un temps, l’ambition qu’il eut de faire carrière. Pourtant il est juste de dire que Gassendi fut à lui-même son pire ennemi et qu’il fut dans un sens la victime de son penchant à la révision. Ainsi donc, alors que le moment était venu pour lui de passer à la dernière partie de sa rédaction, à la section consacrée à l’Éthique, il décida de commencer la nouvelle année (1634) par une révision de tout ce qu’il avait déjà écrit5. 1 2 3 4 5

Lettres de Peiresc, éd. Ph. Tamizey de Larroque (Paris, 1893), IV, pp. 249-250. Lettre à Gabriel Naudé, OO, VI, 44B-45A, voir LL, p. 78-79. Noster Epicurus lentissime semper, ut grandævus, incedit. OO, VI, 46A, voir LL, p. 81-82. Voir Howard Jones, Pierre Gassendi : An Intellectual Biography, Nieuwkoop, 1980, p. 32. Lettres de Peiresc, op. cit. IV, p. 202 (28 décembre 1633).

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Il s’attela à cette tâche avec le plus grand sérieux, puisqu’il se donna lui-même un programme de travail qui impliquait qu’il achevât un « cahier » par semaine1. Le 21 février 1634, le sixième avait été envoyé à Peiresc2. Le 9 mars, il promit au même Peiresc de lui envoyer deux « cahiers » contenant une section intitulée « De philosophia Epicuri universa », qui devait se glisser entre l’« Apologia », c’est-à-dire le tout premier livre, et la « Canonique »3. Moins de deux semaines plus tard, Gassendi retrouve Peiresc à Aix et s’installe chez lui, mais en mai le travail n’a pas avancé, et il en va de même en août4. En fait, il faut attendre l’automne de 1636, soit plus de deux ans plus tard, pour que Gassendi reprenne sa seconde révision. La raison de cet ajournement est que d’autres préoccupations sont survenues entre-temps : les affaires de sa paroisse, un voyage dans les Alpes de Provence, des observations astronomiques et le soin de sa correspondance, et la rédaction d’une réponse au De Veritate de Lord Herbert of Cherbury, que Gassendi accepta d’entreprendre à la demande de Mersenne, de Peiresc et d’Élie Diodati. Quant à la reprise de la révision, nous en connaissons la date précise grâce à une lettre que Peiresc envoie à Pierre du Puy le 25 novembre 1636 pour informer son correspondant de ce que « Mr. Gassend a enfin prins resolution de pursuyvre son grand dessein de la philosophie ancienne plus illustre, et a recommence d’y travailler a bon essiant »5. Or Gassendi reprend son travail au début de la section sur la canonique. À l’origine, son intention avait été de ne consacrer à la « canonique »6 qu’un seul livre articulé en cinq chapitres. Mais la première rédaction de son 1

Ibid. Lettres de Peiresc, op. cit. IV, pp. 414-15. 3 Correspondance de Mersenne, éd. P. Tannery et al., 17 vol. (Paris : Beauchesne, puis PUF, puis Éditions du CNRS, 1932-1988), IV, no. 320, p. 66, lettre de Gassendi à Peiresc, 9 mars 1634 : « […] vous recevrez les deux derniers cahiers, ausquels j’ay acheve le Livre de Philosophia Epicuri universa ». 4 Lettre de Peiresc à Schickard du 25 août 1634 (Bibliothèque Inguimbertine, ms. 1774, fol. 140). 5 Lettres de Peiresc, op. cit. III, p. 611. 6 Le terme de « canonique », préféré à logique même s’il en recouvre la même matière, désigne en particulier chez Épicure une des trois branches de la philosophie, à côté de la physique et de l’éthique. Voir LL p. 237 (à Valois du le 24 janvier 1642 n°178) le récit qu’en fait Gassendi : « Aussi se contentant de changer seulement le nom de la dialectique, Épicure a écrit une Canonique, autrement dit il a donné les règles qu’il a jugées utiles pour raisonner et qui contiennent (à ce qu’on dit) tout ce que Cicéron a semblé désirer ». 2

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projet, qui prend place en 1634, la canonique occupe trois livres – à savoir les livres IX à XI – de l’ouvrage auquel il donna le titre de De Vita et Doctrina Epicuri. Ce sont ces trois livres, rédigés à Aix-en-Provence en 1636, qui sont conservés à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras (ms. 1832, fol. 205r – 256r). Gassendi ne devait pas arrêter là sa contribution à la logique, puisqu’il en traite à nouveau dans la série de lettres que Gassendi adresse à son protecteur, Louis Emmanuel de Valois, comte d’Alais, au cours de la première moitié de 16421, puis dans les Animadversiones in Decimum Librum Diogenis Laertii, publiées en 1649 et enfin dans les deux livres qui constituent la « pars logica » de son Syntagma Philosophicum, conçu entre 1649 et 1655. Précisons cependant que, s’il compose et recompose ses réflexions, il n’infléchit pas sa pensée et n’introduit pas de nouvelles thématiques. Ses ajouts concernent exclusivement les exemples, et la prise en compte de la logique de Lulle, Ramus, Bacon et Descartes. En revanche, dans l’Institutio Logica, qu’il composa au cours des dernières années de sa vie pour qu’elle trouve sa place dans le Syntagma Philosophicum, comme la première des trois grandes divisions de la philosophie (logique, physique, éthique) et qui représente, au niveau du contenu comme de la forme, sa propre version de ce que devait être, pour ses contemporains, un manuel de logique, Gassendi choisit finalement une approche très différente. Aussi le ms. 1832 de Carpentras occupe-t-il une position importante, à mi-chemin entre sa polémique contre la logique aristotélicienne, œuvre de jeunesse, et ses développements sur le sujet, œuvre de maturité. Dans le livre IX (fol. 205r–225v – « De canonica dialecticæ substitute »), qui est divisé en neuf chapitres, c’est par une sorte de digression que Gassendi amorce son traitement de la canonique, puisqu’il présente, du point de vue de l’étymologie, à la fois l’origine et les différentes acceptions du mot « canon » en grec. Il poursuit par un rapide historique du terme « dialectique » et un résumé des principaux systèmes dialectiques de l’Antiquité, qu’il conclut par une explication du rejet, par Épicure, de la dialectique traditionnelle, jugée trop pesante pour servir d’instrument efficace dans la recherche de la vérité. La plupart des objections qu’Épicure formule contre la dialectique ressemblent à s’y méprendre à celles que Gassendi lui-même avait soulevées contre la logique aristotélicienne dans les Exercitationes Paradoxicæ. Gassendi ne manque cependant pas de souligner que la répudiation 1

OO, VI, 139A – 154B. Voir LL, pp. 252-283.

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de l’outil dialectique n’a pas d’effet sur la possibilité, qu’il soutient, d’atteindre un certain niveau de connaissance authentique de la réalité. Le livre X (fol. 225r-238v – « De criteriis veritatis generaliter ») est consacré à l’examen de la conception épicurienne de la vérité et des critères dans leur articulation avec les modes sceptiques traditionnels. Dans cette partie Gassendi expose d’abord la distinction opérée par Épicure entre les choses complètement évidentes (res manifestæ) et les choses totalement cachées (res penitus occultæ). Dans ces deux cas, pour Épicure, l’emploi d’un critère ou d’un instrument de jugement (organum instrumentumve iudicandi) n’a aucun sens. La question du critère ne se pose en fait que pour les choses qui sont cachées par nature ou du fait des circonstances, et deux camps s’opposent à cet égard, qu’il convient d’identifier : il y a d’un côté ceux qui croient possible de surmonter l’incertitude en observant certains signes qui nous permettent de découvrir les choses telles qu’elles sont vraiment (secundum se), et de l’autre ceux qui nient qu’il puisse y avoir un critère idoine, soit parce que les signes ne sont eux-mêmes pas clairs, soit parce que les facultés humaines sont sujettes à l’erreur. C’est à l’examen de ces deux positions contraires qu’est consacré le reste du livre X. Gassendi, qui commence par la seconde de ces deux positions, propose une liste de ceux qui y adhèrent ; l’on y trouve, entre autres, la plupart des philosophes présocratiques, Socrate lui-même et Platon. Sans détailler leur point de vue, il se tourne vers les sceptiques, autrement dit ceux qui rejettent le plus fermement le principe d’un critère, et leur consacre des développements plus fournis. Il introduit à l’appui de leur position, outre les dix modes traditionnels, trois modes supplémentaires qui permettent d’établir que tout argument peut être en définitive réduit soit à un raisonnement circulaire (diallelus), dans la mesure où il est impossible de démontrer la vérité d’une proposition sans recourir, en guise de preuve, à une seconde proposition, laquelle ne se démontre à son tour que par la première ; soit à une régression à l’infini (reiscere in infinitum), dans la mesure où tout nouvel élément que l’on apporte à l’appui d’un premier a nécessairement besoin lui-même d’être confirmé par un troisième ; soit à une affirmation gratuite (assumptio), qui implique que le protagoniste d’un débat ne peut poser une hypothèse sans que son adversaire puisse immédiatement poser l’hypothèse inverse. Gassendi présente ensuite les arguments en faveur de l’existence du critère. Selon sa méthode, il commence par donner la liste de ceux qui défendent cette position, en précisant toutefois qu’Épicure en est la principale figure ;

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et ce sont ses arguments qu’il exposera, non sans avoir au préalable posé une distinction indispensable entre deux instruments de jugement possibles, les sens et l’intellect. Or Épicure est du nombre de ceux qui ont accordé un rôle à ces deux instances, c’est-à-dire, plus précisément : relève de la catégorie des sensibilia – les choses qui sont connues exclusivement par les sens – à la fois les choses évidentes (res manifestæ) et celles qui sont cachées du fait des circonstances ; en revanche, les choses cachées par nature doivent être soumises à l’interprétation de l’esprit (mens, intellectus) qui prend pour ce faire les sensibilia comme point de départ. Jusque là, Gassendi s’en était tenu à une présentation strictement historique, sans rien dire de sa propre position. C’est donc dans le dernier chapitre du livre X (fol. 236v-238r), quand il expose la réponse générale d’Épicure aux arguments sceptiques, qu’il se découvre enfin : s’il veut bien accorder au fondateur du Jardin qu’il a su réfuter les modes sceptiques sur la faillibilité des sens, il juge cependant que la connaissance des propriétés des choses à laquelle peuvent arriver les sens et l’intellect travaillant de conserve reste partielle et que l’homme ne peut arriver à une complète compréhension de leur nature intime (intima natura). Ce texte ressemble à une captatio benevolentiæ qui cependant, placée comme elle est au milieu de l’ouvrage, ne peut remplir la fonction purement rhétorique dévolue à ce genre de figure. En fait, disant son avis personnel, avec le « nous » à la place du « je », il ne parle plus seulement à « tu », désignant Luillier, son premier lecteur, mais avec la conscience de la postérité. Le livre XI (fol. 239r-256r – « De criteriis veritatis specialiter ») est consacré à une présentation plus détaillée du point de vue d’Épicure. Gassendi y procède de façon méthodique, en s’appuyant essentiellement sur les livres VII et VIII de l’Adversus Mathematicos de Sextus Empiricus, sur le traité de Plutarque Adversus Colotem, sur les Académiques de Cicéron ainsi que sur son De Natura Deorum, sur les ouvrages logiques d’Aristote, l’Institutio Oratoria de Quintilien et surtout sur le livre X du De Vita et Moribus Philosophorum de Diogène Laërce1. 1 Gassendi, tout le temps qu’il était à Aix, avait à sa disposition la bibliothèque de Peiresc ; quand il était à Paris, il pouvait consulter à son gré la riche collection de livres de JacquesAuguste de Thou, Rue des Poictevins. L’ensemble du texte grec de Diogène Laërce avait été édité par Froben à Bâle en 1533, par Plantin à Anvers en 1566, par Sambucus à Rome la même

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Sa pratique de la citation et de la doxographie rend la lecture de Gassendi parfois difficile, d’autant qu’il complique encore les choses en proposant des corrections au texte qu’il juge parfois altéré, mais il faut reconnaître que son goût philologique pour l’exhaustivité lui a permis de comprendre remarquablement bien la position d’Épicure et qu’il a su organiser sa matière de façon systématique. Les trois critères sont exposés chacun leur tour ; et, fidèle au choix, par Épicure, du terme de canonique de préférence à celui de dialectique, Gassendi associe à chaque critère une série de quatre canons ou règles générales. Le premier des trois critères est la perception sensorielle (sensio, sensation dans notre traduction), qui mérite cette première place dans la mesure où c’est par l’intermédiaire des sens que nous sommes d’abord en contact avec le monde extérieur. De plus, selon le premier des quatre canons, toute sensation est vraie. Ce qu’il est essentiel de noter ici cependant, c’est la restriction qui s’attache à cette affirmation : Épicure veut dire par-là que toute sensation est vraie en tant que sensation. Si, par exemple, une tour apparaît ronde à quelque distance, cette apparence est indéniablement vraie, même si, à regarder de plus près, la tour se révèle être en réalité carrée. Ce qui est capable d’être faux, comme le deuxième canon l’établit, c’est une opinion (opinio), ou un jugement, qui est basé sur la sensation, le « coupable » de l’erreur étant non pas le sens, mais l’esprit ou l’intellect qui se forme l’opinion. Pour continuer avec le même exemple, la fausseté intervient si, sur la base du fait qu’une tour apparaît ronde à quelque distance, l’esprit juge qu’elle est ronde en réalité, alors qu’à regarder de près, il s’avère qu’elle est carrée. Ainsi donc, comme les canons trois et quatre l’énoncent, l’opinion, ou le jugement, sera vraie si elle est soutenue par l’évidence des sens, fausse quand elle ne l’est pas. Le deuxième des trois critères recouvre ce que Gassendi appelle anticipatio, ou prænotio. Ce qui est entendu par ces termes (Cicéron, comme le fait année et par Henri Estienne à Paris in 1570 (cette version connut une deuxième édition, à Paris en 1593, puis une troisième édition, à Genève en 1624. La première édition en grec de Sextus Empiricus date de 1621, à Paris, réalisée par P. et J. Chouet. Le texte grec des Œuvres morales de Plutarque fut édité pour la première fois par Aldus Manutius à Venise en 1509 (Plutarchii Opuscula LXXXXII) ; le texte connut des éditions partielles (par Gilles de Gourmant) à Paris en 1509 et 1512 ; en 1542 Johann Froben et Nicolas Episcopius republièrent l’édition aldine à Genève en 1542 (877 pp.), et en 1572 Henri Estienne publia à Genève le texte grec des Vies Parallèles et des Œuvres Morales en 3 volumes (2101 pp.). Les Œuvres morales étaient disponibles aussi en français grâce à la traduction d’Amyot, sous le titre Les Œuvres morales et philosophiques de Plutarche, translatées de Grec en Francois par Messire Jacques Amyot, publiée par Claude Morel à Paris en 1618.

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remarquer Gassendi, emploie aussi le mot notitia) est un concept mental commun à tous les individus. Ce qui singularise la position d’Épicure sur la question de ces préconceptions est que pour lui, chacune repose d’une certaine manière sur la sensation (Canon 1). En outre, l’existence de ces préconceptions est une condition nécessaire à tous les processus intellectuels ultérieurs, comme la recherche, le doute, la compréhension, la formation de jugements, la débat et la communication (Canon 2). Troisième point : plus nos préconceptions sont générales, plus elles sont fiables quand il s’agit de raisonner sur des exemples particuliers (Canon 3). Enfin, il nous faut démontrer les choses les moins évidentes en utilisant les préconceptions des choses qui sont évidentes (Canon 4). Le dernier critère, auquel Gassendi consacre ici le développement le plus court, lui réservant une discussion plus nourrie dans son analyse de l’éthique épicurienne, porte le nom de passio et se décline dans les deux sentiments de plaisir et de douleur considérés comme les arbitres de ce qu’il faut poursuivre et éviter. Il est tentant de comparer le ms. 1832 de Carpentras avec les Exercitationes Paradoxicæ adversus Aristoteleos. Cela ne peut être fait cependant qu’avec la plus grande prudence. Il est exact que dans les deux livres Gassendi soutient qu’il est possible d’acquérir une certaine connaissance, et il serait bien évidemment possible de déterminer si sa position a connu quelques infléchissements au cours des douze années qui séparent les deux rédactions. Pour autant, les deux livres sont d’une nature très différente. Gassendi a conçu les Exercitationes Paradoxicæ comme un ouvrage polémique qui vise avant tout à miner les prétentions des aristotéliciens et de leurs épigones scolastiques à revendiquer la propriété unique et exclusive de la vérité, alors que le ms. 1832 de Carpentras est l’exposé d’une philosophie que notre auteur regarde d’un œil favorable. Il est clair que son point de vue s’est modifié au cours de ces années, d’autant que son état d’esprit est celui d’un homme qui veut rester ouvert aux nouvelles idées, dans son cheminement vers la vérité ; toutefois l’on ne saurait mettre en évidence de changements majeurs ou radicaux dans sa pensée. Les Exercitationes Paradoxicæ, comme nous l’avons vu, limitaient la connaissance aux choses telles qu’elles apparaissent. De même, dans le ms. 1832 de Carpentras, il continue à exclure la possibilité pour l’homme de connaître leur véritable nature. Une modification de ses idées doit cependant être notée : sa conviction que nihil sciri, qui pourrait être renvoyée au scepticisme, s’oriente de plus en plus clairement vers une affirmation dogmatique : certes notre connaissance

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demeurera partielle et limitée aux apparences, mais cependant cette connaissance, que nous acquérons par les sens, justifie que nous nous employions à poursuivre un labeur incessant d’observation et d’expérimentation, dans la mesure où tout élément supplémentaire contribuant à cette connaissance partielle des choses nous rapproche à chaque fois d’autant de la compréhension du fonctionnement de la nature des choses et de la nature des objets. De plus, les données sensorielles peuvent nous fournir des signes sur lesquels nous pouvons nous appuyer, par les forces de notre raison naturelle, pour découvrir des choses qui échappent à notre perception par les sens. Au demeurant, les Exercitationes Paradoxicæ contenaient déjà ces idées, avancées à la fin plus ou moins gratuitement, sans davantage d’élaboration philosophique. En revanche, le ms. 1832 de Carpentras leur accorde une place centrale, et elles y sont bien plus étayées. La principale raison en est naturellement que ces considérations sont des traits essentiels de la philosophie épicurienne que Gassendi a entrepris d’exposer. Il n’en est pas moins remarquable que ce déplacement des marges vers le cœur du propos s’accompagne d’un changement de ton, notamment dans le traitement des modes sceptiques. Alors que dans les Exercitationes Paradoxicæ Gassendi ne cache pas son plaisir de les utiliser comme des armes contre les prétentions aristotéliciennes, dans le ms. 1832 il ne voit plus dans leur force, qu’il doit bien reconnaître, qu’une restriction agaçante. Le même changement de ton se fait jour entre les deux textes sur la question du progrès. Dans le livre I des Exercitationes, le mot, entouré d’une aura positive, renvoie à la certitude de l’auteur que les générations présentes et futures sauront dépasser largement leurs prédécesseurs en accumulant les observations1. Mais ces remarques sont dans ce cadre essentiellement des instruments rhétoriques dont Gassendi se sert pour nourrir le feu de sa critique contre les aristotéliciens, accusés d’entraver l’avancement de la connaissance du fait de leur adhésion servile au principe d’autorité du maître et à ses préceptes. En revanche, les remarques sur le progrès que l’on lit dans le ms. 1832 de Carpentras sont fondées sur sa propre expérience comme observateur et expérimentateur, ce qui transforme leur portée, même si leur teneur n’est guère différente. Les Exercitationes Paradoxicæ n’avaient certes pas été écrites par un 1 OO, III, 115B [Rochot, p. 68 : « Car je mets en fait que si nous avions autant que les Anciens l’esprit attentif, nous irions beaucoup plus haut, et, nous aidant de leurs ressources, nous arriverions enfin quelque jour a nous élever au faite de quelque monument gigantesque’ »]

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homme dont la vie et l’expérience se limitaient aux bibliothèques et aux salles de classe, étant donné son initiation précoce à l’astronomie, mais douze ans plus tard, il a déjà publié les Parhelia sive soles quatuor spurii (1629), le Mercurius in sole visus (1632), la première des quatre lettres du De apparente magnitudine (1636) et les deux premières des trois lettres du Proportio Gnomonis. Rédigée par un philosophe qui a étudié de première main les « secrets » de la nature, la discussion que nous lisons dans le ms. 1832 de Carpentras sur la vérité et la possibilité de la connaissance n’a plus rien d’un exercice académique visant à confondre une école rivale. Elle est bien plutôt une lutte à l’intérieur de Gassendi lui-même, entre d’un côté le savant attaché à l’étude de la nature, pour qui il est d’une importance vitale qu’il y ait quelque espoir de contribuer, par ses recherches s’ajoutant à celles des autres, à la compréhension de l’univers, et de l’autre le philosophe prudent qui se sent lié par la démonstration que rien ne peut être su. Il ne peut s’empêcher de croire à l’accroissement des connaissances, car seule la faculté de connaître vraiment quelque chose est susceptible de rendre justice au désir inné de l’homme de savoir ; autrement tous ses efforts dans ce sens ne seraient que perte de temps, et les livres, les enseignements, les recherches seraient inutiles1. Cependant, au moment de prendre une position définitive sur la possibilité de connaître vraiment la vérité c’est Gassendi le sceptique qui l’emporte2. Il faut ajouter que chez Gassendi le point de vue philosophique ne s’entend jamais détaché de sa perspective chrétienne, toujours sous-jacente : seul Dieu, créateur de toutes choses, connaît leur véritable nature ; à l’homme il n’est donné que de considérer leur écorce. Au cours des dix-neuf années qui séparent la composition du ms. 1832 de Carpentras et sa mort, Gassendi conserve cette même position. Dans le livre II du De logicæ origine et varietate, qu’il prépare entre 1649 et 1655 pour l’inclure dans le Syntagma Philosophicum, Gassendi recourt pratiquement aux mêmes termes pour souligner sa conviction qu’en fin de compte, la vérité nous est inaccessible : « Existimamus videlicet magno esse disputandum lucro, si in hac tanta virium imbecillitate eo possimus assurgere, unde non ipsam qui-

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« Quod vero quidpiam consequamur, dum eo nervos intendimus, perspicuum est, quoniam alioquin frustra esset adpetitus ingenitus, inanes essent omnes vigiliæ, irrita omnia instrumenta, vani libri, vani præceptores, vani quotcumque vel incumbent, vel incubuerunt hactenus ad cognoscendum intimius, perfectius, et uberius res quam a rudibus vulgo cognoscantur » (fol. 237v). 2 « Siquidem et nos ex iis sumus quibus veritas in profundo est, ac multum lucri existimamus si ex nostris studiis et laboribus verisimilitudinem reportemus » (fol. 236r.)

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dem (seu veritatis quasi corpus) sed vel tenuem quondam ipsius imaginem, sive potius umbram intueri possimus »1. Le ms. 1832 de Carpentras est classé parmi les papiers de Peiresc à la Bibliothèque Inguimbertine, et je tiens à remercier ici M. Jean-Francois Delmas, le conservateur en chef, de m’avoir autorisée à publier cette transcription – que je traduis – ainsi que quelques images du manuscrit. Celui-ci, qui contient, en plus des livres IX-XI du De Vita et Doctrina Epicuri, le début du livre XII sur la physique (Liber duodecimus de universo seu natura rerum, ff. 257r – 259r) et où le nom de Gassendi figure en haut du fol. 205r, est écrit de trois mains différentes, sans marque de paragraphe et avec une ponctuation minimale. Dans la présente édition, en vue d’une plus grande clarté, des paragraphes et des signes de ponctuation ont été ajoutés. Jusqu’en 1988, l’on pensait que le ms. 1832 de la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras était l’unique copie de cette portion du De vita et doctrina Epicuri de Gassendi. Cependant, Carla Rita Palmerino découvrit cette année-là le ms. Harley 1677 de la British Library un codex in-quarto de 160 folios : ce ms, décrit dans le catalogue de la British Library comme contenant « Pars media cuiusdam Operis Philosophici », mais sans indication d’auteur ni de date de composition, contient une copie du Livre VIII du De vita et doctrina Epicuri (ff. 1v – 55r), que Gassendi acheva en mars1634, suivi d’une copie des livres IX-XI du même ouvrage (ff. 56r– 160r)2. Comme C. R. Palmerino l’explique, il est impossible de retracer toutes les étapes qui ont finalement fait aboutir à Londres le Ms. Harley 1677. Il appartient à un ensemble de manuscrits qui furent offerts à Robert Harley, le premier comte d’Oxford, par le colonel Henry Worsley entre 1707 et 1712. Il n’est pas possible de déterminer la date à laquelle il fut copié sur le ms. 1832 de la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras. Nous savons cependant qu’il n’était pas en possession du colonel Worsley quand sa collection de manuscrits fut cataloguée par Edward Bernard (Catalogi Librorum Manuscriptorum Angliæ et Hiberniæ in Unum Collecti, Oxford, 1697), et il est certain que la copie fut effectuée après 1649, dans la mesure où il y a des passages où, au lieu de suivre la version du ms. 1832 de Carpentras, le copiste a choisi une 1 OO, I, 79B. 2 C. R. Palmerino, « Pierre Gassendi’s De Philosophia Epicuri Universe rediscovered », Nuncius, 14.1 (1999) pp. 263-294.

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autre version, qu’il lisait dans les Animadversiones in Decimum Librum Diogenis Laertii publiées par Gassendi en 1649. Philologie et correction de texte Je renvoie en général à l’excellent article de K. Algra (voir infra bibliographie) qui indique les forces et les faiblesses de la méthode philologique de Gassendi ainsi que sa réception. Cet article raconte l’histoire de la mauvaise réputation de philologue de Gassendi, depuis le XIXe siècle, du fait d’Usener et, la jugeant injuste, le défend en précisant que 23 (ou 21) de ses corrections sur la lettre à Hérodote ont été retenues par les éditeurs modernes1, alors que seul Usener le dépasse dans ce score (avec 33 corrections ou 50) ; il précise ainsi que la modestie de Gassendi sceptique quant à ses propres capacités d’helléniste est surtout une captatio benevolentiæ. Ses défaillances ainsi son surtout due à la méthode de son temps, qu’il décrit (p. 96 sqq.). En revanche il approuve une « certaine mesure d’interprétation philosophique » jugée indispensable, face à une approche plus technique comme celle d’Usener taxée ici d’ « inefficacité » partielle. Par exemple, « l’altération du mot ἐναργείας en ἐνεργείας (s’explique effectivement comme une erreur de scribe puisque le mot ἐνεργεία était beaucoup plus familier, surtout dans le langage philosophique, que le mot ἐναργεία, terme presque technique de l’épistémologie épicurienne. Ici donc Gassendi a bien deviné le sens du grec original – à l’aide, sans doute, de sa grande connaissance de la philosophie épicurienne » (p. 98). Note sur cette édition Les paragraphes : il n’y en a pas dans le manuscrit, et je les ai ajoutés pour faciliter la lecture. En revanche il y a des titres. Il en va de même des citations, qui ne sont pas signalées dans le manuscrit, mais que j’ai notées en italique. J’ai basculé en notes de bas de page les références inscrites dans les marges. Les numéros de pages sont donnés dans le manuscrit en haut et à droite : je les ai inscrits entre crochets dans le corps du texte. 1

Respectivement par l’édition de von der Muehll (1916) et de Long.

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Je reproduis quelques pages du manuscrit pour donner une idée de la manière dont le texte se présente. Phantasia : J’ai traduit par représentation quand le terme renvoie au corpus stoïcien et aristotélicien réservant le mot de phantaisie à Gassendi. J’ai traduit le grec pour coller au latin quand il s’agit de Diogène Laërce ou de Sextus Empiricus, mais non pas quand c’est Aristote qu’il cite. Dans la traduction, j’ai fait le choix de mettre au nominatif les termes grecs qui sont déclinés dans le texte. Bibliographie sommaire (d’autres références sont citées directement dans les notes) Epicurea, éd. H. Usener, Leipzig 1887 ; rep. “L’Erma” di Bretschneider, Rome, 1963. Epicurea, trad. Lidia Massa Positano, Padoue, 1969. Opere di Epicuro, éd. Margherita Isnardi Parente, Turin, 1974. Algra Keimpe « Gassendi et le texte de Diogène Laërce », Elenchos 15 (1994), pp. 79-103. Arrighetti Graziano, Epicuro, Opere, Turin, 1960 ; 1973. Bailey Cyril, Epicurus : The Extant Remains, Oxford, 1926 ; repr. Georg Olms Verlag, Hildesheim, 1970. Diels Hermann, Doxographi Graeci, Berlin, 1879 ; repr, de Gruyter, Berlin, 1958. Jones Howard, Pierre Gassendi’s Institutio Logica, A Critical Edition with Translation, Assen, 1981. C. R. Palmerino, « Pierre Gassendi’s De Philosophia Epicuri Universe rediscovered », Nuncius, 14.1 (1999) pp. 263-294. Pierre Gassendi, Lettres Familières a Francois Luillier, avec Introduction, Notes et Index, par Bernard Rochot, Paris, 1944. Pierre Gassendi, Dissertations en forme de Paradoxes contre les Aristotéliciens, I et II, Texte établi, traduit et annoté par Bernard Rochot, Paris, 1959. Rochot Bernard, Les Travaux de Gassendi sur Épicure et l’Atomisme, 1619-1658, Paris, 1944. Usener Hermann, Glossarium Epicureum, ed. M. Gigante and W. Scmid, Rome, 1977.

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Pour les sources antiques, j’ai utilisé les traductions suivantes, indiquant seulement que je les modifiais le cas échéant, en l’occurrence seulement quand l’interprétation de Gassendi l’imposait ; je ne suis pas intervenue pour les cas où la traduction ne posait pas de problèmes conceptuels, mais des choix stylistiques que je ne partage pas nécessairement. Il peut donc y avoir une certaine différence entre mon effort de simplicité et la sophistication d’autres traducteurs. Alcinous, Enseignement des doctrines de Platon, introd., texte établi et commenté par J. Whittaker, et trad. par P. Louis (Paris : Les Belles Lettres, 1990). Alexandre d’Aphrodise, Traité du destin, texte établi et trad. par P. Thillet (Paris : Les Belles Lettres, 1984) Aristote, Catégories. Sur l’interprétation (Organon I-II), Introduction générale à l’Organon par P. Pellegrin. Présentations et traductions par M. Crubellier, C. Dalimier et P. Pellegrin (Paris : GF Flammarion, 2007). Aristote, De l’âme, traduit du grec par P. Thillet, édition établie, présentée et annotée par p. Thillet (Paris : Gallimard, 2005). Aristote, Génération des animaux, texte établi et traduit par P. Louis (Paris : Les Belles Lettres, 1961). Aristote, Mouvement des animaux, texte établi et traduit par P. Louis (Paris : Les Belles Lettres, 1973). Aristote, Petits traités d’histoire naturelle (De la sensation et des sensibles ; De la mémoire et de la réminiscence ; Du sommeil et de la veille ; Des rêves, etc.), trad. présentation, notes, bibliographie et index par P.-M. Morel (Paris : GF Flammarion, 2000). Aristote, Rhétorique, Livres I et II texte établi et traduit par M. Dufour, livre III, texte établi et traduit par M. Dufour et A. Wartelle (Paris : Gallimard, « TEL », 1998). Aristote, Les Réfutations sophistiques, Introduction, traduction et commentaire par L.-A. Dorion (Paris : Vrin / Presses de l’Université Laval, 1995). Aristote, Seconds analytiques, Présentation et traduction par P. Pellegrin (Paris : GF Flammarion, 2005).

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Aristote, Topiques, texte établi et traduit par J. Brunschwig, 2 Vol. (Paris : Les Belles Lettres, 1967) Augustin, La Cité de Dieu, in Œuvres, II, éd. publiée sous la direction de L. Jerphagnon 3 vol. (Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000). Augustin, Enseigner le christianisme, in Œuvres, III, éd. publiée sous la direction de L. Jerphagnon 3 vol. (Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000). Bible de Jérusalem (Paris : Les Éd. du Cerf/ Groupe Fleurus-Mame, 2001). Cicéron, Divisions de l’art oratoire et Topiques, texte établi et traduit par H. Bornecque (Paris : Les Belles Lettres, 1924). Cicéron, De la divination, traduit et commenté par G. Freyburger et J. Scheid (Paris : Les Belles Lettres, 1992). Cicéron, De l’orateur, texte établi par H. Bornecque et traduit par E. Courbaud, 3 vol. (Paris : Les Belles Lettres, 1971). Cicéron, Des termes extrêmes des biens et des maux, texte établi et traduit par J. Martha 2 vol. (Paris : Les Belles Lettres, 1967 et 2002). Cicéron, Du meilleur genre d’orateurs, dans L’Orateur, texte établi et traduit par A. Yon (Paris : Les Belles Lettres, 1964). Cicéron, La Nature des dieux, trad. et comment. par C. Auvray-Assayas (Paris : Les Belles Lettres, 2002). Cicéron, Traité du destin, texte établi et traduit par A. Yon (Paris : Les Belles Lettres, 1997). Cicéron, Tusculanes, texte établi par G. Fohlen et traduit par J. Humbert (Paris : Les Belles Lettres, 1931). Clément d’Alexandrie, Stromates, introd. et notes de Th. Camelot, texte grec et trad. de Cl. Mondésert (Paris : Éd. du Cerf, 1954) pour le vol. 2. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, éd. sous la direction de M.-O. Goulet-Cazé (Le Livre de poche, « Classiques modernes », 1999).

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Eusèbe de Césarée, La Préparation évangélique. Livres XIV-XV, introd., texte grec, trad. et annotation par É. des Places (Paris : Éd. du Cerf, 1987). Grégoire de Nysse, L’Uomo (De opificio hominis  ; La Création de l’homme), trad., introd. et notes par B. Salmona (Rome : Città Nuova, 1991). Hippocrate, De la bienveillance (De decente habitu), in Œuvres complètes, Littré vol. 9 (Paris : J.-B. Baillière, 1861). Horace, Épîtres, texte établi et traduit par F. Villeneuve (Paris : Les Belles Lettres, 1934). Jérôme, Apologie contre Rufin, introd., texte critique, trad. et index par P. Lardet (Paris : Éd. du Cerf, 1983). Lucien, Comment il faut écrire l’histoire et Dialogues des morts, in Œuvres complètes, I, traduction avec une introduction et des notes par E. Talbot (Paris : 1857). Lucien, Philosophes à vendre, suivi de Le Pêcheur ou Les Ressuscités, trad., présentation et notes par O. Zink (Paris : Librairie générale française, 1996). Lucrèce, De la nature, traduction et présentation par J. Kany-Turpin (Paris : GF Flammarion, 1997). Perse, Satires, texte établi et traduit par A. Cartault (Paris : Les Belles Lettres, 1966). Philon, De la création du monde (De opificio mundi), in Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 1, publié par R. Arnaldez, J. Pouilloux, Cl. Mondésert, introduction et notes par R. Arnaldez ; traduction par J. Pouilloux (Paris : Éd. du Cerf, 1961). Platon, Œuvres, Tome V, 1ère partie : Ion. - Ménexène. – Euthydème, Texte établi et traduit par L. Méridier (Paris : Les Belles Lettres, 2003). Platon, Œuvres, Tome IV, 3ème partie, Phèdre, Texte établi par Cl. Moreschini et traduit par P. Vicaire ((Paris : Les Belles Lettres, 2002). Platon, Œuvres, Tome VIII, 2ème partie, Théétète, texte établi et traduit par A. Diès (Paris : Les Belles Lettres, 1976). Plaute, Comédies, tome V, texte établi et traduit par A. Ernout (Paris : Les Belles Lettres, 1938).

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Pline, Histoire naturelle, texte établi et traduit par H. Le Bonniec (Paris : Les Belles Lettres, 1983). Plutarque, Opinions des philosophes, texte établi et traduit par G. Lachenaud (Paris : Belles Lettres, 1993). Les Présocratiques, éd. établie par J.-P. Dumont, avec la collaboration de D. Delattre et de J.-L. Poirier (pour Xénophane, Parménide, Empédocle) (Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988). Quintilien, De l’Institution oratoire, éd. et tr. J. Cousin (Paris : Les Belles Lettres, 1975-1980). Sénèque, Lettres à Lucilius, texte établi par F. Préchac et traduit par H. Noblot (Paris : Les Belles Lettres, 1947). Sextus Empiricus, Contro i logici (Adv. math., VII etVIII), introduzione, traduzione e note di A. Russo (Rome-Bari : Laterza, 1975). Sextus Empiricus, Contro i fisici. Contro i moralisti, traduzione e note di A. Russo (Rome-Bari : Laterza, 1990). Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes (Hypotyposes), introd., trad. et commentaires par P. Pellegrin (Paris : Éd. du Seuil, 1997). Sophocle, Électre, 1221. Les Stoïciens, textes traduits par É. Bréhier, éd. sous la direction de P.-M. Schuhl (Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962) (pour Cicéron, Premiers académiques; Plutarque, Des contradictions des stoïciens, Des notions communes). Thémistius, Themistii Orationes quæ supersunt, éd. H. Schenkl (Leipzig: B. G. Teubner, 1965), Vol. I ; trad. italienne Discorsi di Temistio, éd. R. Maisano (Turin : UTET, 1995). Théodoret, Thérapeutique des malades helléniques, texte critique, introd., trad. et notes P. Canivet, 2 vol. (Paris : Éd. du Cerf, 1958).

DE VITA ET DOCTRINA EPICURI

Liber Nonus : De Canonica Dialecticæ Substituta

[205r] 1. Canonices etymon et descriptio. Iamdiu est, Francisce Luilleri, amicorum suavissime, ex quo ad te misi cum vitæ ac morum Epicuri apologiam tum præfationem in placita et philosophiam eiusdem. Sed nosti nempe quibus curis negotiisque fuerim distractus et quam raro fuerit concessum lareis musasque colere. Nunc etiam domo procul absum, diversatus videlicet apud inlustrem Fabricium, qui me secum esse denuo voluit dum germani absentiam pro orbitate pene habet, tametsi vix dicere licet domo procul me agere, cuius vir ille eximius tantam in suis ædibus sollicitudinem gerit. Ipse est, qui ubi persensit fuisse me domi repetiturum pristina illa studia suasit, ac tandem impetravit ut procurarem huc adsportari commentariorum scriniolum, pleno otio atque in sua media bibliotheca versandum. Feci proinde ac iam regressus ad intermissam operam, id quod ad præfationis calcem fueram pollicitus, aggredior. Scilicet dicendum adsumo de Epicuri canonica, quæ habita est dialectices loco.

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LA VIE ET LA DOCTRINE D’ÉPICURE

Livre neuvième : Du remplacement de la dialectique par la canonique

[205r] 1. Étymologie et description de la canonique Cela fait déjà longtemps, cher François Luillier, toi le plus doux de mes amis, que je t’ai envoyé d’une part mon apologie de la vie et des mœurs d’Épicure, et d’autre part une préface à ses préceptes et à sa philosophie1. Mais tu sais quels soucis et affaires m’ont distrait, et comme j’ai rarement eu la possibilité de cultiver mes lares et les muses. Maintenant encore je suis loin de mes foyers, séjournant chez l’illustre Fabri2 qui a voulu que je sois encore une fois avec lui alors que l’absence de son frère lui fait presque l’effet d’être orphelin ; mais j’ai à peine le droit de dire que je suis loin de chez moi, dès lors que cet homme éminent m’entoure dans sa demeure de tant de sollicitude. C’est lui en personne qui, quand il a appris que j’allais, chez moi, revenir à mes anciennes études, m’a conseillé et a fini par obtenir de moi que je me soucie de faire apporter ici mon petit coffret de notes de travail3, pour que je puisse m’y atteler en plein loisir et au cœur de sa bibliothèque. J’ai donc ainsi fait et, maintenant revenu à cet ouvrage que j’avais interrompu, j’entame ce que j’avais promis au bout de ma préface. Ainsi, je reprends ce que j’ai dit, à savoir qu’il faut parler de la canonique d’Épicure, qui a pris la place de la dialectique. 1 Le De vita et moribus est de fait dédié à F. Luillier. 2 Pereisc. 3 Je reviens sur la traduction par commentaires que j’ai toujours donnée au terme de commentarii que Gassendi utilise fréquemment pour désigner ses travaux préparatoires ; il appartient en fait à Cicéron dont il désigne de fait les « notes ».

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LIBER NONUS : DE CANONICA DIALECTICÆ SUBSTITUTA

Quandoquidem vero ea potest res nova plurisque videri non erit forte iniucundum si canonices etymon paulo uberius exploraro. Principio vox κανών unde ea deducta refferri quidem a plerisque ad originem hebraicam solet. At sufficit mihi quod Græcis usurpata esse primario videatur ad designandum regulam, seu instrumentum, quo longitudo tum dirigitur, tum probatur recta, et quia nulla longitudo esse potest rectior ea, quæ tum perpendiculo, tum libella declaratur, heinc factum est ut ea vox adtributa utrique sit, et gnomoni etiam, sive organo, ex duabus regulis constanti, quarum alteri ad libellam factæ, altera est perpendicularis. Tum quia trutinæ examen lanceis libellat, seu horizonti parallelus constituit, eapropter eodem nomine venit ; uti et veniunt virgulæ quibus clypei in æquilibrio quasi tenentur. Sic etiam columnæ, et pali terræ infixi, et cavearum clathri, et alia quæ perpendiculariter quasi eriguntur canones vocantur. Ne duas res ad numerum quas valde rectas esse oportet, alteram valde recentem, [205 v] tormentum puta bellicum, alteram valde antiquam, calamum puta cui textores sua circumvolvunt licia ab Homero1 usque canonem vocatum. Deinde quadam compositione canon apellatur ea tabula, cui fila superinducuntur pro designandis paginæ conscribendæ lineis, ut recta procedant. Ex hoc autem effectum est ut tam liber ex multis rectis lineis constans generaliter dictus fuerit canon, quam specialiter ipsum opus, seu Medicina Avicennæ ; et apud nos sacra illa, ac magis arcana Liturgiæ pars. Sic specialius adhuc series illæ, sive columellæ, quibus chronologia distinguitur, chronologici canones dicuntur ; et cum de ea causa quilibet catalogus vocitari possit canon, solent nostri sic nuncupare tum catalogum librorum sacrorum, tum eum cui inseritur quisquis hominum adscribitur divis. Prætereo vero paulo remotius, ipsos quoque seu censores, seu directores librorum adpellari Canones ; hoc nimirum sensu Cicero Tironem librorum suorum canonem dicit, uti supra meminimus2. Ad hæc translatione quadam

1 Iliad. 2 lib.16.epist.fam.17

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Mais puisqu’il semble que cela soit une nouveauté pour la plupart des gens, il ne sera peut-être pas intempestif que j’examine un peu plus abondamment l’étymologie de la canonique. Tout d’abord la plupart des savants renvoient à une origine hébraïque le terme κανών, « canon » dont elle est tirée. Mais il me suffit que les Grecs semblent l’avoir employé pour désigner la règle, ou l’instrument, qui permet de tracer une longueur et de vérifier si elle est droite ; et c’est parce qu’il ne peut y avoir de longueur plus droite que celle qui est mise en évidence par le fil à plomb ou le niveau que ce terme a servi à désigner ces deux instruments, et aussi le cadran solaire, c’est-à-dire à un instrument fait de deux tiges dont l’une est perpendiculaire à l’autre mise au niveau. Ensuite, étant donné que le fléau de la balance équilibre ses plateaux et qu’il les fixe en étant [lui le fléau] parallèle à l’horizon, il reçoit ce même nom, de même que le reçoivent aussi les petites baguettes qui servent à maintenir les boucliers presque en équilibre. De même aussi les colonnes et les poteaux fixés en terre, ainsi que les piquets des haies et tout ce qui est dressé à la verticale ou presque s’appellent des canons. Et je ne compte pas les deux choses dont il faut absolument qu’elles soient droites, l’une d’invention tout à fait moderne, [205v] à savoir la catapulte pour la guerre, l’autre d’invention ancienne, je veux parler du roseau sur lequel les tisserands enroulent leurs lisses et qui, depuis Homère, s’appelle un canon. Ensuite, c’est en raison d’une certaine diposition qu’est appelée canon la tablette où l’on a inséré par dessus des fils pour marquer les lignes d’une page à écrire de façon à ce que leur direction soit droite. Or de là résulte qu’a été appelé canon aussi bien en général tout livre constitué de nombreuses lignes droites qu’en particulier l’ouvrage même d’Avicenne, la Médecine ; et chez nous, la partie sacrée et le cœur de la liturgie. Aussi, de manière encore plus spécifique, ces séries ou petites colonnes grâce auxquelles on marque une chronologie, sont appelés les canons chronologiques ; et alors que, pour cette cause, n’importe quel catalogue peut être nommé canon, les nôtres ont coutume de désigner de ce nom à la fois le catalogue des livres sacrés, et celui dans lequel ont été insérés tous les hommes qui ont été mis au rang de dieux. Mais je passe sur un sens un peu plus éloigné, à savoir que les censeurs ou correcteurs des livres sont appelés canons ; assurément c’est dans ce sens comme Cicéron1 dit de Tiron qu’il est le canon de ses livres, comme nous l’avons rappelé ci-dessus. Outre ces sens, par métaphore, le mot de canon est 1 Cicéron, Epistulæ ad Familiares, XVI, 17, 1.

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usurpatur canon pro lege, seu norma, ad quam seu oratio, seu opus dirigitur. Inde canones nuncupantur ipsa artium tam liberalium quam mechanicarum præcepta, adeo ut etiam liber Polycleti, a quo velut a lege quadam (ut loquitur Plinius1) lineamenta artis peterentur, fuerit hoc nomine illustris ; et ipsa quoque musica ars, seu dicta illa apud A. Gellium geometriæ pars2, quæ vocis longitudines et latitudines emetitur, Canonices nomen obtinuerit. Nuncupantur etiam ipsæ morum leges, seu illas natura præscribat, quo pacto κανών τοῦ καλοῦ, regula honesti, ab Euripide dicitur3, seu humanum placitum ; cuiusmodi sunt principum constitutiones : adeo ut etiam iudices, qui iuxta ipsas dirimunt liteis, comparentur canoni, ut dum Aristoteles oratores notat4, qui usuri canone eum reddunt perversum. Tandem translatione quadam remotiore accipitur canon pro eo quod recte et ex præscripto efficitur. Sic fuit apellata una ex pensitationibus principi olim solitis exsolvi : ac reciproce etiam portio frumentaria, ab Imperatore populo distribui solita. Sic apud nos qui clerici illius portionis participes sunt, quæ ex penu, seu ærario ecclesiastico quasi pensitatio aut canon distribuitur, nominantur canonici. Indeque est cur ius speciale, quod clericos adtinet, dicatur canonicum, ad discrimen iuris civilis, quod universe civium est. Sed hæreo in limine nimis. Quare ut veniam ad Epicurum, is librum conscripsit qui κανών vocitatus est eadem ratione qua liber ille Polycleti iam memoratus. Quippe ut statuarius

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lib.34.cap.8 lib.16.cap.18 in hecuba lib.1.rhet.cap.1

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employé pour dire loi ou norme, sur laquelle un discours ou un ouvrage est réglé. De là sont appelés canons les préceptes des arts tant libéraux que mécaniques, au point que le livre de Polyclète, dans lequel, comme dans une loi (ainsi que le dit Pline1), les artistes vont chercher les règles habituelles de l’art, fut lui aussi illustre sous ce nom ; et l’art musical lui-même, autrement dit l’art dont on lit chez Aulu Gelle2 qu’il est la partie de la géométrie qui mesure la hauteur de la voix et le tempo3, a obtenu le nom de canonique. Sont nommées aussi les lois mêmes des mœurs, soit celles que prescrit la nature, – et c’est ainsi que l’on trouve chez Euripide κανών τοῦ καλοῦ pour dire la règle du bien4 – soit la volonté humaine ; tels sont les édits des princes, de telle sorte que les juges aussi, qui tranchent les procès selon elles, sont comparés à un canon, comme quand Aristote5 blâme les orateurs qui ne savent se servir du canon sans le fausser. Enfin par un glissement de sens encore plus éloigné, on admet le terme de canon pour ce qui est fait droitement et comme il est prescrit. Ainsi fut appelé un des paiements qui étaient autrefois d’ordinaire réglés au prince : et réciproquement aussi la portion de blé que l’Empereur distribuait d’ordinaire au peuple. Ainsi chez nous les clercs qui reçoivent une part de cette portion qui est distribuée comme un paiement ou canon tiré des provisions ou trésor de l’Église sont-ils appelés chanoines [canonici]. C’est pourquoi un droit spécial, qui concerne les clercs, est appelé droit canonique, pour le distinguer du droit civil qui s’applique aux citoyens en général. Mais je m’attarde trop dans le préambule. C’est pourquoi il me faut en venir à Épicure : il a écrit un livre qui est appelé κανών [canon] de la même façon que ce livre de Polyclète que j’ai déjà cité. Car comme le statuaire a décrit dans son canon toutes les proportions 1 Pline, Histoire naturelle, XXXIV, xix, 55. NB Il s’agit en fait d’une statue ; l’interprétation de Gassendi traduit un certain embarras du texte, explicité par la note de l’édition moderne. Faut-il conclure que pour Gassendi, une statue ne pouvait servir de modèle ? Jugeaitil que seul un livre, donc une conceptualisation, pouvait jouer ce rôle, ou est-il tributaire d’interprétations qui le précèdent ? 2 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVI, 18. 3 Je dois cette traduction à Patrice Bailhache, que je tiens à remercier. Il renvoie au Journal de Beeckman, p.  247 (http://www.dbnl.org/tekst/beec002jour02_01/beec002jour02_01_0006.htm) : « Vocem in loquendo variare notissimum est secundum acumen et gravitatem, celeritatem et tarditatem, plenitudinem et exilitatem. Quod dici potest vocis longitudo, latitudo et profunditas ». 4 Euripide, Hécube, 602. 5 Aristote, Rhétorique, I, 1, 1354a.

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in suo canone proportiones omneis corporis descripsit, et [206r] opere præcepta probavit, quod etiam Galenus præter Plinium refert1, ita philosophus in suo omnia veritatis criteria, hoc est iudicandi instrumenta exposuit, et subiecto mox opere, Physica videlicet, regulas in illo traditas redegit in praxim. Scripserat Democritus librum eodem titulo, nescio an eodem argumento, quando apud Lærtium maxima pars legitur2, non περὶ λογικῶν, De logicis rebus, sed περὶ λοιμῶν, De Pestibus. Mihi verissimile est debere περὶ λογικῶν legi, quando ea, quæ Empiricus ex illo opere citat3, logica esse plane esse videntur, pestemque nihil attinent. Nempe hæc dicuntur expressa ad verbum, cognitionis duæ sunt species, altera germana, altera tenebricosa ; et tenebricosæ quidem sunt hæc omnia, visus, auditus, olfactus, gustatus, tactus ; germana vero est ab ea secreta, et cum illa non potest amplius nec minimum, vel videre, vel audire, vel odorare, vel gustare, vel tactu sensire ista subtilior longe succurrit. Utcumque sit tamen, velut eius canon distinctus fuit triplex, ita canon Epicuri vi multiplex fuit, quando sic apellatus est, non tam quod una singularis, et individua regula foret, quam quod multarum complexio. Id innuere Plutarchus videtur4, dum ridet Colotem, quod legerit illas Epicuri κανόνας διοπετεῖς, regulas abs Iove demissas, et rursus dum ἔρρειν δὲ, inquit5, ὁμολογοῦσι τοὺς κανόνας αὐτοῖς καὶ παντάπασιν οἴχεσθαι τὸ κριτήριον, fatentur excidere sibi illas regulas, omninoque illud iudicandi instrumentum evanescere. Ut Epicurum taceam notari, quod scripserit περὶ ἀληθείας, καὶ κανόνων, καὶ κριτηρίων, De veritate, de regulis, de iudicandi instrumentis6. Verum ne putes κανόνας, potiusquam κανόνα propterea inscriptum, suadent tum Lærtius et

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lib.de plac.hip.et plut. lib.9 lib.1.adv.log. lib.1.adv.col. ibid. ibid.

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du corps et [206r] a confirmé ses préceptes par leur application, ce que Galien, après Pline, rapporte lui aussi1, de même le philosophe a-t-il exposé dans le sien tous les critères de la vérité, c’est-à-dire les instruments permettant de juger, et, ajoutant aussitôt les applications, à savoir la physique, il a rapporté à la pratique les règles qu’il y avait enseignées. Démocrite avait écrit un livre doté du même titre, mais je ne sais s’il portait sur le même sujet, puisqu’on lit chez Diogène Laërce2 que le titre principal n’est pas περὶ λογικῶν, Sur les questions de logique, mais περὶ λοιμῶν, Sur les pestes. Il me semble hautement probable qu’il faille lire περὶ λογικῶν, puisque ce qu’il cite de cet ouvrage semble relever complètement de la logique et ne porte nullement sur la peste. Car il est dit que les propos suivants y sont littéralement tenus3 : « Il y a deux formes de connaissance : l’une pure, l’autre opaque ; opaques sont toutes les choses suivantes, la vue, l’ouïe, le goût, le toucher ; la connaissance pure n’a rien de commun avec elles ; et c’est quand l’opaque ne peut plus le moins du monde voir, entendre, sentir, goûter ou sentir par le toucher que vient à la rescousse la pure, bien plus fine ». Quoi qu’il en soit cependant, de même que son canon s’organise en trois parties, de même le canon d’Épicure s’organise en parties par essence multiples4 puisqu’il a reçu ce nom moins parce qu’il était une règle singulière et individuelle que parce qu’il était un ensemble articulé d’un grand nombre de règles. C’est cela que Plutarque semble indiquer5, quand il se moque de Colotès de ce qu’il a lu ces κανόνες διοπετεῖς, « règles d’Épicure envoyées d’en haut par Jupiter », et encore quand ἔρρειν δὲ, dit-il6, ὁμολογοῦσι τοὺς κανόνας αὐτοῖς καὶ παντάπασιν οἴχεσθαι τὸ κριτήριον, « ils avouent que toutes leurs règles sont perdues et que tout instrument pour juger a disparu ». Pour taire le fait qu’Épicure est blâmé chez Plutarque7 pour avoir écrit un ouvrage περὶ ἀληθείας, καὶ κανόνων, καὶ κριτηρίων, Sur la vérité, sur les règles, sur les instruments du jugement. Mais ne va pas croire que le titre en serait κανόνας, plutôt que κανόνα ; car c’est Diogène Laërce qui nous en 1 Galien, De temperamentis, I, 9 (dans Claudii Galeni Opera Omnia, éd. C.G.Kuhn, Leipzig 1821, I, p. 566). 2 Diogène Laërce, IX, 47. 3 Sextus Empiricus, Adversus Mathematicos, VII, 139. 4 Il faut noter que dans sa présentation à venir de la philosophie d’Épicure, Gassendi revient cependant à la division triple de Démocrite, dont la dialectique devient soit canonique, soit canonique, la physique (d’abord intitulée physiologie) et éthique (ou morale). 5 Plutarque, Contre Colotès, 1118 a. 6 Plutarque, Contre Colotès, 1109 b. 7 Plutarque, Contre Colotès, 1109 f.

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alii, tum Cicero ipse, apud quem regula singulariter dicitur. Veluti cum Torquatus ait, si stabilem rerum scientiam tenebimus, servata illa, quæ quasi delapsa de cœlo est ad cognitionem omnium regula, ad quam omnia iudicia rerum dirigantur, nunquam ullius oratione victi desistemus. Itemque Velleius, dum, cuius, inquit, rationis vim, atque utilititatem ex illo cœlesti de regula et iudicio volumine accepimus. Quod hic vero de iudicio, περὶ κριτηρίοῦ, vides additum, arguit quod supra meminimus, primam hanc philosophiæ partem fuisse aliis quoque nuncupationibus inscriptam. Porro ex his illa videtur non minore iure canonica dici quam pars illa geometriæ, sive musica, de qua paulo ante. Siquidem ut illa est ars modulandi canones tradens, sic ista est ars tradens canones diiudicandæ veritatis. Parum autem moror, seu scientiam, seu facultatem dicere quam artem malueris, dum intelligas complexionem quamdam regularum, seu præceptorum, quæ si quis teneat, facile possit præscriptum opus exequi. Sed neque hæreo [206v] ut explicem Canonices materiam esse ipsos Canones aut finem ipsum veritatis ex eorum praxi adsecutionem. Id innuo potius, cum veritas, cui investigandæ ars ista præsertim inseruit, ea sit, quam physica expectat, nihilominus quandam superesse circa ethicam, cui explorandæ etiam conducat. Quippe non modo res naturales, sed morales etiam mentem distrahunt, adeo ut sæpe in utrisque diiudicare oporteat quænam opinio ex pluribus vera sit, et anteponenda ; discrimen est solum, quod circa naturam veritate cognita homo conquiescat, at circa mores labor supersit in gubernando adpetitu. Cum enim quispiam, exempli causa, novit causam eclypseos solis, nihil molitur amplius ; at postquam novit causam germanam voluptatis esse virtutem, restat ut ex virtute agat, quo voluptatem consequatur. Sed hæc suis locis uberius. Nunc cum Canonica videatur esse prope eiusmodi, qualem Dialecticam

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persuade, ainsi que d’autres, notamment Cicéron lui-même, chez lequel la règle est mise au singulier. Comme le dit Torquatus1, « si la connaissance de la physique est chez nous solidement assise, et si nous demeurons fidèles à la règle, à cette règle qu’on peut dire descendue du ciel pour être un moyen universel de connaissance et sur laquelle se règleront tous nos jugements, il n’y aura jamais personne dont l’argumentation triomphe de notre conviction et nous en fasse départir ». Et aussi Velleius, quand il dit2 : « L’importance et l’utilité de ce principe, nous les avons apprises dans cet ouvrage divin d’Épicure Sur la règle et le jugement ». Mais cet ajout de « sur le jugement » περὶ κριτηρίοῦ que tu vois ici conforte ce que nous avons rappelé ci-dessus, à savoir que cette première partie de la philosophie reçut pour titre d’autres dénominations encore. En outre parmi ces noms cette première partie semble être désignée comme canonique à aussi juste titre que l’est la partie de la géométrie, ou musique, dont il a été question ci-dessus3. Assurément de même que celleci est l’art qui expose les canons pour moduler, de même l’autre est-elle l’art qui expose les canons pour juger de la vérité. Or j’hésite peu à appeler science ou faculté ce que tu pourrais préférer nommer art pourvu que tu entendes par là un certain ensemble articulé de règles ou préceptes, tels que, une fois qu’on les possède, il est facile d’exécuter l’ouvrage prescrit. Mais je ne m’attarde pas à expliquer que la matière de la canonique est formée des canons eux-mêmes ou que sa finalité est l’obtention de la vérité par leur mise en pratique. J’indique plutôt que, s’il est vrai que cet art est surtout voué à rechercher la vérité que la physique réclame, il y en a néanmoins de reste concernant l’éthique, à l’observation de laquelle ce même art est utile. Car non seulement les choses naturelles mais aussi les questions morales divisent l’esprit au point que souvent il faut, dans les deux domaines, trancher entre de multiples opinions pour juger laquelle est la vraie et doit être préférée ; la seule différence est que, pour ce qui est de la nature, l’homme peut se reposer une fois qu’il connaît la vérité, alors que, pour ce qui est des mœurs, il lui reste la tâche de gouverner son appétit. En effet, quand quelqu’un, par exemple, connaît la cause de l’éclipse du soleil, il n’entreprend rien de plus ; mais après qu’il connaît que l’authentique cause du plaisir est la vertu, il lui reste à agir selon la vertu pour obtenir le plaisir. Mais nous en parlerons plus 1 Cicéron, De Finibus, I, xix, 63. 2 Cicéron, La Nature des dieux, I, xvi, 43. Traduction modifiée. 3 Gassendi renvoie ici, comme à d’autres moments de son développement, à des parties précédentes de son ouvrage, ici à son préambule sur la division de la philosophie.

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describunt, ut videas tamen cur Epicurus abiecisse istam dicatur, aut quid existimaverit esse in ipsa reprehendum, retexenda est paulo altius conditio qua dialectica ad usque Epicurum fuit.

2. Quid quotuplexque criterium de quo hic sermo Itaque sciendum imprimis est, dialecticæ vocem esse non videri ipso Platone antiquiorem. Phavorinus certe apud Lærtium memorat1 a Platone primum nominatam Dialecticam ; et Plato ipse id insinuat2 cum de eis loquens qui norunt dividere, colligere, et possunt in unum ac multa respicere, an recte, inquit, an secus, Deus viderit, hos certe hucusque dialecticos voco ; scribit idem Lærtius3 Dialecticos dictos ex Dionysio Carthaginensi, διὰ τὸ τοῦς λογοῦς πρὸς ἐρώτησιν καὶ ἀπόκρισιν διατίθεσθαι, quod sermones ad interrogationem, responsionemque disponerent. Ex quo apparet dialecticam, quod dialogorum ars haberetur, eiusmodi nomen sortitam, atque idcirco Platonem dixisse4 nihil esse aliud τήν ψυχὴν διαλέγεσθαι : animam ratiocinari, seu disserere, quam ipsam secum interrogando et respondendo colloqui. Id ne mirere, Zeno ille, a quo primum inventa esse dialectica dicitur, primus etiam author dialogorum perhibetur, et apud Lærtium5, dum id memorat, definitur dialogus quidem, qui ex interrogatione et responsione constans instituitur de re quapiam phi-

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lib.3 in phædro lib.2 in theæt lib.3

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longuement en son temps. À présent, alors que la canonique semble être presque identique à ce qu’ils décrivent comme la dialectique1, pour que tu voies cependant pourquoi l’on dit qu’Épicure a rejeté cette dernière, et quels reproches il a estimé qu’il fallait lui faire, il nous faut reprendre d’un peu plus haut pour décrire ce que fut la dialectique jusqu’à lui. 2. Ce qu’est la dialectique et laquelle fut la plus ancienne C’est pourquoi il faut d’abord savoir que le terme de dialectique ne semble pas plus ancien que Platon lui-même. Favorinus du moins rapporte chez Diogène Laërce2 que c’est Platon qui le premier nomma la dialectique ; et Platon lui-même le suggère quand parlant de ceux qui savent mener à bien ces « divisions et rassemblements », « porter leur regard vers une unité, et qui soit l’unité naturelle dominant une multiplicité », il dit « – est-ce ou non à bon droit que je leur donne ce titre, Dieu le sait ! – jusqu’à présent au moins, je les nomme “dialecticiens” »3 ; le même Diogène Laërce écrit qu’on les appelle dialecticiens, à la suite de Denys de Carthage, διὰ τὸ τοῦς λογοῦς πρὸς ἐρώτησιν καὶ ἀπόκρισιν διατίσθεσθαι4, « du fait qu’ils disposaient leurs arguments sous la forme de questions et réponses ». D’où il appert que c’est parce qu’elle est considérée comme l’art des dialogues que la dialectique a ainsi reçu ce nom en partage et que c’est la raison pour laquelle Platon dit qu’elle n’est rien d’autre que5 τήν ψυχὴν διαλέγεσθαι, le fait que « l’âme raisonne, disserte », que l’âme elle-même colloque avec soi en s’interrogeant et se répondant. Pour prévenir ta question, ce Zénon, dont il est dit que la dialectique a été inventée par lui en premier, est considéré aussi pour être le premier auteur de dialogues ; et, chez Diogène Laërce6, dans le passage où cette information est donnée, l’on trouve assurément une définition du dialogue qui, consistant en interrogation et réponse, s’engage sur quelque matière

1 Le pluriel renvoie à tous les autres philosophes sauf Épicure. 2 Diogène Laërce, III, 24. Interprétation différente du texte de Diogène Laërce par les traducteurs modernes. 3 Platon, Chèdre, 266b. 4 Diogène Laërce, II, 106. Il s’agit de Denys de Chalcédoine. 5 Platon, Théétète, 189e – 190a. Traduction modifiée. 6 Diogène Laërce, III, 48.

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losophica vel civili, idque servato personarum decoro, et apta verborum structura. [207r] Dialectica vero ars sermonum, qua aliquid confirmamus, aut refellimus, constans ex interrogatione et responsione disserentium. Non male proinde M. Fabius disputatricem interpretatur1 et D. Augustinus scientiam bene disputandi definit2. Cicero quoque illam interdum disceptatricem nominat3. Interdum artem disserendi, et vera ac falsa diiudicandi describit4. Porro cum Plato artem [208r] hanc mirum in modum extulisset5, quippe illius esse voluit non tradere modo generales interrogandi ac respondendi, itemque definiendi dividendique simileis regulas, sed notare etiam, ac eruere uniuscuiusque rei naturam occuparique potissimum circa id, quod revera est, eodemque modo semper se habet, primum nempe principium, boni ideam, et cætera. Unde eam fecit ut verissimam ac certissimam, sic etiam nobilissimam, supremamque omnium scientiarum ; cum Plato, inquam, ita sensisset quod etiam infra dicetur fusius, Aristoteles ipse non consensit ; siquidem cum apud Lærtium divississet6 τὸ λογικὸν, hoc est rationalem philosophiæ partem, in analyticam et dialecticam, voluit analyticam quidem occupari circa res veras, at dialecticam non magis quam ipsam rhetoricam circa verisimileis dumtaxat : adeo proinde ut nihil sit mirum, si in Posterioribus Analyticis dialectica dicatur7 alia ab illa scientia principe, quæ continet omnium principia, et in Topicis contrahatur ad argumenta probabilia8. Stoici etiam nihil somniaverunt de huiusmodi principatu, cum τὸ λογικὸν dividentes in rhetoricam et dialecticam ut illam definierunt artem bene dicendi oratione continua, sic istam dixerunt simpliciter artem bene

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lib.12.cap.2 lib.de.dial. lib.4.acad. lib.de.or lib.6.de.rep. in philebo et cæ. lib.9 lib.1 lib.1

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philosophique ou civile, et cela en conservant le caractère propre des personnages et en adaptant la construction des mots1. [207r] Or la dialectique, art des conversations, par lequel nous confirmons ou repoussons quelque chose, consiste en interrogations et réponses de ceux qui raisonnent. Ce n’est donc pas à tort que M. Fabius2 la traduit par le terme de « art disputatoire » et que saint Augustin la définit comme la science de la discussion3. Cicéron l’appelle aussi de temps en temps « celle qui décide du vrai et du faux »4. En outre, alors que Platon avait porté cet art [208r] à des hauteurs admirables5 – puisqu’il voulut que relève de lui non seulement la tâche de transmettre des règles générales pour interroger et répondre, et des règles similaires pour définir et diviser, mais il attendit aussi de lui qu’il relevât et dévoilât la nature de chaque chose, et surtout qu’il traitât de ce qui est en réalité et de ce qui est toujours égal à soi-même, à savoir le premier principe, l’idée du bien etc. De là il en a fait la plus vraie et la plus certaine de toutes les sciences, et aussi la plus noble et la plus haute ; alors que Platon, dis-je, avait eu cette conception, que nous exposerons ci-dessous en nous étendant davantage, Aristote ne fut pas d’accord ; assurément, vu que chez Diogène Laërce6, il a divisé τὸ λογικὸν, c’est-à-dire la partie rationnelle de la philosophie, en deux parties, l’analytique et la dialectique, il a voulu que l’analytique soit consacré au vrai, mais que la dialectique se consacre seulement au vraisemblable, ni plus ni moins que la rhétorique : si bien qu’il ne faut pas s’étonner de ce que, dans les Seconds analytiques7, la première soit présentée comme autre que cette science première qui contient les principes de tout et de ce que, dans les Topiques, elle soit restreinte aux arguments probables8. Les stoïciens ne partageaient pas ce type de spéculation sur une telle primauté puisque, ayant divisé τὸ λογικὸν entre rhétorique et dialectique, de même qu’ils ont défini la première comme l’art de bien dire dans un discours 1 L’expression structura verborum se trouve chez Cicéron, Du meilleur genre d’orateurs, II, 5. 2 [Fabius] Quintilien, De l’institution oratoire, II, 20, 7 et XII, 2, 13. 3 Augustin, Enseigner le christianisme, II, xxxi, 48. 4 Cicéron, Académiques, II, xxviii, 91. 5 La phrase est très sinueuse ; je la laisse ainsi puisque Gassendi lui-même s’en rend compte quelques lignes plus bas. 6 Diogène Laërce, V, 28. 7 Aristote, Seconds analytiques, I, xi, 77a29. 8 Aristote, Topiques, I, 100b.

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disserendi ea, quæ in interrogationem et responsionem cadunt. Ut et Seneca1 et Lærtius2 habent adnotandum tamen usu evenisse ut tam logica quam dialectica non Ciceroni3 modo et aliis, verum etiam Stoicis, Peripateticisque, quod Plutarchus innuit4, pro eadem re acciperentur, et aliquid detraheretur ex Platonis sententia, aliquid ad cæterorum sententiam accederet ; sicque ars nec nimis angustis coerceretur limitibus, nec nimis amplis dilaberetur. Si nosse velis, illos præsertim ex Cicerone accipies5, qui præterquam quod aliquoties universam artem in duas partes dividit, unam inveniendi, alteram iudicandi, explicatius quoque interdum dialecticam dicit6, quæ docet rem tribuere in partes, latentem explicare definiendo, obscuram explanare interpretando, ambiguam primum videre ac deinde [208v] distinguere, postremo habere regulam, qua vera et falsa iudicentur, et quæ quibusque propositis sint, quæ non sint consequentia ; et rursus7 quæ rem definit, genera dispertit, consequentia adiungit, perfecta concludit, et similia. Verum quia qualiscumque tandem dialectica intelligatur, inquiritur simul ipsius origo, et antiquitas, seponenda quæstio heinc est de dialectica naturali, quippe cum illa nihil est aliud quam vis quædam humanæ menti ad ratiocinandum seu disserendum ingenita, haud dubium sane quin ea tam sit,

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epist.89 lib.7 lib.de fato lib.1.plac.cap.1 in top. et 4.de fin. in bruto 5 Tuscul.

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suivi, de même ils ont dit de la seconde qu’elle était simplement l’art de bien exposer les sujets qui sont susceptibles d’être traités par interrogation et réponse. Comme le disent à la fois Sénèque1 et Diogène Laërce2, il faut cependant noter qu’il est arrivé à l’usage que la logique et la dialectique soient considérées comme une seule et même chose, non seulement par Cicéron3 et d’autres4, mais aussi par les stoïciens et les aristotéliciens, ce que Plutarque indique5, et qu’il soit retiré quelque chose à la conception de Platon et quelque chose ajouté à celle de tous les autres ; et ainsi que l’art ne soit pas enfermé dans des limites trop étroites, ni dissous dans des limites trop larges. Si tu veux connaître ces limites, tu les apprendras surtout de Cicéron qui, outre qu’il divise quelquefois l’ensemble de l’art en deux parties, l’invention et le jugement6, appelle aussi cependant, dans un plus riche développement, dialectique l’art7 « qui apprend à diviser un tout en ses diverses parties, à dégager par une définition une idée cachée, à éclaircir par une interprétation un sens obscur, à voir les équivoques, puis à les résoudre, enfin [208v] à posséder une règle permettant de déterminer ce qui est vrai et ce qui est faux, et de savoir de quelles prémisses on peut ou ne peut pas tirer quelles conséquences » ; et encore8 : « qui définit l’objet, classe les genres, tire les conséquences, formule les conclusions » ; et ainsi de suite. Mais parce que, sans préjudice de ce que l’on entend par dialectique, on cherche toujours en même temps à savoir ce qu’est son origine ainsi que son ancienneté, il faut exclure la question de la dialectique naturelle, car cette dernière n’étant rien d’autre qu’une certaine force de raisonner ou d’exposer 1 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXIX, 9. 2 Diogène Laërce, VII, 41. 3 Cicéron ne le dit pas explicitement, mais on peut le déduire de Académiques, I, 95 ; Traité du destin, 1 ; Tusculanes, IV, 33. En revanche, on peut supposer que La Ramée, qui l’affirme, est la source de Gassendi (Petri Rami dialectica, Audomari Talaei prœlectionibus illustrata, 1569), à moins que ce ne soit les Commentarii colegii Conimbricenses in universam Dialecticam Aristotelis (1604) qui attribuent à Cicéron d’avoir écrit que « tota ars disserendi utroque vocabulo, logica scilicet vel dialectica significata » (voir André Robinet, Descartes, la lumière naturelle : intuition, disposition, complexion, Paris : Vrin, 1999), p. 17. 4 Par exemple Quintilien, De l’institution oratoire, XII, 2. 5 Plutarque, Opinions des philosophes, I, 1, 874e. 6 Cicéron, Topiques, 6. 7 Cicéron, Brutus, XLI, 152. Gassendi met le verbe doceret au présent de l’indicatif pour adapter à son propos. 8 Cicéron, Tusculanes, V, xxv, 72.

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quam humana ipsa natura antiqua. Quare et cum quæratur solum unde originem habuerit, quam artificialem adpellant, ea potest, quantum coniicio, duplicem agnoscere causam. Una est quasi ludicra a Cicerone indicata dum ut homines, inquit1, labore assiduo et quotidiano adsueti cum tempestatis causa opere prohibentur, ad pilam se, aut ad talos, aut ad tesseras conferunt, aut etiam novum sibi ipsi aliquem excogitant in otio ludum ; sic illi a negotiis publicis, tamquam ab opere aut temporibus exclusi, aut voluntate sua feriati, totos se alii ad poetas, alii ad geometras, alii ad musicos contulerunt, alii etiam ut dialectici novum sibi ipsi studium ludumque pepererunt. Si poscis exemplum, vide quid Agellius de seipso narret2 : Saturnalibus, inquit, Athenis, alea quadam festiva et honesta lusitabamus huiuscemodi. Ubi conveneramus complusculi eiusdem studii homines ad levandum tempus, captiones, quæ sophismata appellantur, mente agitabamus, easque, quasi talos, aut tesserulas in medium vice sua quisque iaciebamus. Altera magis seria est nec alia ab ea quam circa rhetoricem ita exprimit Quintilianus3 : homines enim, inquit, sicut in medicina, cum viderent alia salubria, alia insalubria, ex observatione eorum effecerunt artem ; ita, cum in dicendo (adde et in disserendo) alia utilia, alia inutilia deprehenderent, notarunt ea ad imitandum vitandumque, et quædam secundum rationem eorum adiecerunt ipsi quoque. Hæcque confirmata sunt usu ; tum quæ sciebat quisque docuit. Oratores heic recito4, [209r] et parem causam dialecticæ ac rhetoricæ facio : quia iidem oratores sunt, qui iure queruntur has artes, quasi forent duæ, fuisse separatas, iure, inquam, quoniam ut pridem sapientes adpellati sunt qui individuas possiderant, sic videtur iniuria utrisque usus fuisse discre-

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lib.3.de orat. lib.18.cap.13 lib.3.cap.2 Cic.1.de orat. Et alias. Quintilian.prœm. et lib.2.cap.21

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ses arguments innée à l’esprit humain, il ne fait aucun doute qu’elle soit aussi ancienne que la nature humaine elle-même. C’est pourquoi, alors que la question de l’origine se pose seulement pour celle qu’on appelle artificielle, celleci peut, à ce que je conjecture, admettre deux causes. L’une relève presque du divertissement, comme le spécifie Cicéron quand il dit1 : « Il arriva aux philosophes ce qui arrive aux hommes qui ont l’habitude d’un travail assidu et journalier. Ceux-ci, lorsque le mauvais temps les force à interrompre leur occupation, consacrent leur activité à la paume, aux dés, aux osselets, ou même imaginent quelque nouvelle distraction pour occuper leur loisir. De même éloignés des affaires publiques, comme de leur occupation, soit par les circonstances qui les en écartaient, soit par leur volonté qui se donnait vacance, ils consacrèrent toute leur activité, les uns à la poésie, d’autres à la géométrie, d’autres à la musique  ; d’autres même, les dialecticiens, par exemple, se créèrent un nouvel objet d’étude et de distraction ». Si tu veux un exemple, vois ce qu’Aulu Gelle dit de sa propre personne2 : « Aux Saturnales à Athènes, nous avions coutume de jouer aux dés dans la joie et l’honneur de la façon suivante : Quand nous nous étions réunis au moment du bain à plusieurs poursuivant les mêmes études, nous travaillions dans notre esprit des pièges qu’on appelle sophismes et nous les jetions au milieun de l’assistance, chacun à tour de rôle, comme des dés ou des pions ». L’autre est plus sérieuse et se confond avec celle que Quintilien formule à propos de la rhétorique quand il dit3 : « La médecine a été découverte par l’observation de ce qui est sain et de ce qui est malsain, et, selon certains auteurs, se fonde entièrement sur l’empirisme ; de même, c’est en parlant (ajoute, en discutant4) qu’ils ont remarqué des éléments utiles et d’autres inutiles, et qu’ils ont noté ceux qu’il faut imiter et ceux qu’il faut éviter et en ont ajouté eux-mêmes aussi certains par raisonnement ». Je cite ici des orateurs [209r] et je donne cause commune à la dialectique et à la rhétorique : parce que ce sont les orateurs eux-mêmes qui se plaignent à juste titre de ce que ces arts soient séparés, comme s’il y en avait deux, ils s’en plaignent à juste titre, dis-je, puisque de même que, jadis, le nom de sages 1 Cicéron, De l’orateur, III, xv, 58. 2 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVIII, xiii, 1-2. 3 Quintilien, De l’institution oratoire, II, 2, 3. 4 La parenthèse et cet impératif «  ajoute  »sont de Gassendi qui insiste ainsi sur l’importance de la formulation devant un interlocuteur et des critiques de ce dernier, en plus du critère de la cohérence interne d’un discours.

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tus, nimirum si ab oratione aut nervos rationum, aut gratiam verborum quispiam detrahat, aut garrulitatem meram exercebit, aut ineptus erit ad faciendum fidem. Et quamquam Cicero insinuat1 utriusque artis divortium non esse habendum Socrate antiquius, quasi ille, cum fuerit mortalium sapientissimus, dialecticam a rhetorica divulserit primus, clarum est tamen Socratem nec se contulisse, nec alios duxisse ad nudum dialecticæ studium. Siquidem apud Xenophontem censuit2 qui illa præditi essent non modo διαλεκτικωτάτους, sed etiam ἡγεμονικωτάτους, præstantissimos, fore : argumento sane quod rhetoricam non [210r] putaverit dissociandam. Quippe ille dignus imperio non est, qui excoluit solum genus illud, fortasse subtile, et certe acutum, ut ille de Stoicis habet, sed tametsi exile, inusitatum, abhorrens ab auribus vulgi, obscurum, inane, ieiunum, et cætera3. Quæ commemoro, ut subindicem idem videri dialectices rhetoricesque initium fuisse. Et sane, ex quo homines in societate esse coeperunt, videntur semper extitisse qui populis regendis præfecti persuadere illis debuerint leges, bella, pacem, et alia, atque idcirco apud se prius meditari rationes varias ipsosque scite se ad finem consequendum disponere : quod est, ab omni antiquitate artificium quoddam dialecticæ fuisse. An illud etiam litteris fuerit consignatum alia quæstio est. Interea vero satis est dialecticam adsequi artem nihil esse aliud, quam parare sibi facultatem ratiocinandi adposite et faciendi fidem vel sibi vel aliis ex observatione eorum quæ vel conferunt vel efficient ad id præstandum. Talem adsequutos fuisse Lycurgos, Solones, et alios, ipse post Platonem4 Cicero insinuat5. Neque est plane quod dubitemus de præclaro illo toto

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loco cit. lib.4.memorab. Cic.loc.cit in.protag. loc.cit

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revint à des hommes qui les avaient possédées de façon indivise, de même il semble que ce soit injustement que l’usage en ait été distingué ; assurément retirer à un discours soit les nerfs du raisonnement soit la grâce des mots, c’est ou bien se condamner à produire un pur bavardage, ou bien manquer de la pertinence nécessaire pour emporter l’adhésion. Et quoique Cicéron indique que le divorce entre les deux arts ne doit pas être considéré comme plus ancien que Socrate1, en tant que ce dernier, alors qu’il était le plus sage des mortels, avait le premier disjoint la dialectique de la rhétorique, il est cependant clair que Socrate ne s’est pas employé à l’étude nue de la dialectique et n’y a conduit personne. Assurément on lit chez Xénophon qu’il a jugé que ceux qui la possédaient étaient non seulement διαλεκτικωτάτοι « les plus éloquents », mais encore ἡγεμονικωτάτοι, « les plus capables de gouverner »2 : un bon argument pour dire qu’il n’a pas jugé bon de dissocier la rhétorique. Car n’est pas digne du pouvoir suprême celui qui a cultivé seulement le genre dialectique, « peut-être précis, à coup sûr pénétrant », comme Cicéron le dit des stoïciens3, « mais maigre, étrange, en désaccord avec le goût populaire, obscur, vide, aride », etc. Si je rappelle cela, c’est pour suggérer qu’il semble que la dialectique et la rhétorique aient le même point de départ. Et vraiment, depuis que les hommes ont commencé à être en société, il semble qu’il y ait toujours eu des gens qui, préposés à diriger les peuples, durent leur faire agréer les lois, les guerres, la paix, et les autres choses, et durent, pour ce faire, exercer d’abord par devers soi les différents raisonnements et se disposer habilement euxmêmes pour obtenir cette fin : autrement dit, c’est de toute antiquité que la dialectique a requis une part de technique. Savoir si cette technique a été également consignée dans des ouvrages est une autre question. Pour le moment il suffit de comprendre que l’art dialectique n’est rien d’autre qu’acquérir pour soi la faculté de raisonner de façon appropriée et d’emporter l’adhésion soit de soi-même soit d’autres, et cela en se conformant aux procédés qui sont utiles ou efficaces pour y parvenir. Que les Lycurgue, les Solon et d’autres ont maîtrisé cet art, c’est Cicéron4 lui-même qui l’indique après Platon5. Il n’y a vraiment aucune raison pour nous de douter de

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Cicéron, De l’orateur, III, xvi, 60. Xénophon, Mémorables, IV, 5, 12. Cicéron, De l’orateur, III, xviii, 66. Cicéron, De l’orateur, I, xiii, 58 et III, xv, 56. Platon, Protagoras, 316 d-e ; voir aussi Banquet, 209 d.

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sapientum examine, cuius suo loco est facta mentio. Certe acutæ illæ sententiæ, nisi diuturnis perfectissimisque ratiociniis non prodiere ; et quod Myson dixit1, Non ex verbis res, sed ex rebus verba quærenda ; quoniam forent non verborum res, sed rerum causa inventa verba, arguit sane quoque aliquid ex dialecticis fuisse observatum. Quid quod idem etiam videtur dicendum de præclaris quibusdam viris heroicorum temporum, ut de Ulysse, cui Minerva non alia de causa adstitisse fingitur quam quod provide omnia circumspiciens ratiocinatione eximia polleret2 ; ut de Nestore, qui non nisi longa experientia et observatione id evicerat, ut ratione et oratione mellitissima uteretur, ut de Phœnice, qui fuit Achilli a Peleo datus, ut illum sermonis faceret peritum, μύθων ῥητήρα, ac artem proinde quam norat doceret. An memorabo, quod iisdem circiter temporibus Salomon noster floruerit, in cuius operibus, ac in Ecclesiaste præsertim, ea continentur ratiocinia, quibus absit, dicamus quidpiam reperiri in universis philosophorum libris præstantius ; talia profecto absque diuturna, accurataque meditatione proferre nemo valeat. Sed adtende præterea ut ille observet sapientes temporum illorum tenuisse artem dialecticam : Quis talis, inquit, ut sapiens, et quis cognovit solutionem verbi ; quæ verba seu idem, seu alius libro Sapientiæ amplificans, Si, inquit, multitudinem sapientiæ desideret quis, scit præterita, et de futuris æstimat ; scit versutias sermonum, et dissolutiones argumentorum. Vis quidpiam adhuc longe antiquius ? Ecce dialogus Jobi cum amicis, quem plerique autumant fuisse a Mose conscriptum, ita constat ex personis philosophice disserentibus ut videas

1 Laer.lib.1 2 hom.Iliad

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ce remarquable essaim de sages dont j’ai fait mention en son temps1. Il est évident qu’à moins de raisonnements longs et très parfaits, leurs pensées pénétrantes ne seraient pas nées ; et ce que Myson dit2, qu’« il ne faut pas scruter les faits en se fondant sur les paroles, mais scruter les paroles en se fondant sur le faits », rend clair vraiment que les dialecticiens ont apporté quelque chose. La même conclusion s’impose, semble-t-il, s’agissant de certains hommes remarquables des temps héroïques, comme Ulysse, vu que, si l’on forge cette fiction que Minerve l’assistait3, c’est pour la seule raison que c’est en examinant toutes choses avec soin et prévoyance qu’il fut puissant par son raisonnement éminent ; comme Nestor qui n’a obtenu que de sa longue expérience et de ses observations de savoir mettre en œuvre le raisonnement et une parole du plus doux des miels ; comme Phénix que Pelée confia à Achille pour qu’il fasse de lui un maître du discours4, μύθων ῥητήρ, et qu’il lui enseigne donc l’art qu’il connaissait. Rappellerai-je que ce fut à peu près vers la même époque que vécut notre Salomon dont les ouvrages, surtout l’Ecclésiaste, contiennent des raisonnements dont nous serions loin de dire qu’il se trouve quoi que ce soit de supérieur à eux dans tous les livres des philosophes ; et de tels raisonnements, assurément personne ne saurait les exprimer sans une méditation longue et soignée. Mais prête attention en outre à la façon dont Salomon observe que les sages de ces temps éloignés ont maîtrisé l’art dialectique5 : « Qui est comme le sage et qui sait expliquer cette parole ? » ; ces mots, soit le même homme, soit un autre, les amplifiant dans le livre de la Sagesse, dit6 : « Désire-t-on encore la profondeur de la sagesse ? Elle connaît le passé et juge de l’avenir ; elle sait l’art de tourner les maximes et de résoudre les paraboles ». Veux-tu quelque chose d’encore plus ancien ? Voici le dialogue de Job avec ses amis, dont la plupart estiment qu’il a été écrit par Moïse, qui consiste en des personnes qui raisonnent philosophiquement de telle sorte que tu peux voir que c’est l’art du raisonnement qu’elles se jettent mutuelle1 Gassendi renvoie ici à des parties précédentes de son ouvrage, ici à son histoire de la philosophie qui est reprise également dans le Syntagma philosophicum et dans les Lettres latines. 2 Diogène Laërce, I, 108. 3 Homère, Odyssée, XIII, 290-302. 4 Diseur de paroles : c’est une des épithètes dites homériques attribuées à Achille, Homère, Iliade, IX, 443. Phénix est attaché à Achille « Pour lui enseigner tout cela : être habile en paroles, vigoureux en actions ». 5 Ecclésiaste, VIII, 1. 6 Sagesse, VIII, 8. Traduction modifiée.

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etiam illas sibi obiicere mutuo disserendi artem. Eiusmodi sunt illa Jobi1 : Respondete, obsecro, absque contentione ; et2, Non inferior vestri sum ; quis enim hæc, quæ nostis, ignorat ? et3, Nunquid Deus indiget vestro mendacio, aut decipietur, ut homo, vestris fraudulentiis ? Itemque illa amicorum4 : An cum cæteros irriseris, a nullo confutaberis ? et5, senes et antiqui sunt in nobis, multo vetustiores quam patres tui. Quo loco nota traditam a maioribus eruditionem et artem. [210v] 3. Dialectica Zenonis seu Eleatica Quod adtigi porro de dialectica litteris primum consignata nihil morandum. Imprimis est quod Phavorinus apud Lærtium id ascribere Platoni videtur6, quod Averroes Aristoteli7, quod alii denique aliis. Siquidem constat hosce omneis excelluisse quidem, atque adiecisse dialecticæ artis permulta : at non propterea primos fuisse qui ipsi adhibuerint manum. Certe de Aristotele testatum fecere Ammonius et Themistius8 ; et Aristoteles ipse id retulit9 potius ad Zenonem Eleatem, dum illum apud Lærtium10 non Dialectices minus, quam Empedoclem Rhetorices autorem fecit. Itaque Zeno Eleates habitus est primus inventor et scriptor dialecticæ artis ; tametsi Sextus Empi-

1 cap.6 2 cap.12 3 cap.13 4 cap.15 5 cap.15 6 lib.3 7 prœm. phys. 8 in eius vita apud Philop. 9 in 1.Analyt. 10 lib. 9

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ment à la face. Telles sont les paroles de Job1 : « Répondez, je vous en prie, pas de fausseté ». et2 : « Je ne vous cède en rien, et qui donc ne sait tout cela ? », et 3 : « Est-ce pour Dieu que vous proférez des paroles injustes, pour lui ces propos mensongers ? ». Et encore celles de ses amis4 : « Ton verbiage rendra-t-il muets les autres, te moqueras-tu sans qu’on te confonde ? » et5 « Il y a même parmi nous des têtes chenues, des vieillards, chargés d’ans plus que ton père ». En ce lieu remarque qu’ils reçoivent de leurs aînés l’instruction et l’art. [210v] 3. La dialectique de Zénon, ou éléate Il ne faut pas s’attarder sur ce que j’ai rapidement abordé, à savoir la question des ouvrages où la dialectique fut consignée pour la première fois. Tout d’abord il y a le fait que Favorinus chez Diogène Laërce semble l’attribuer à Platon6, mais Averroès à Aristote7, et d’autres à d’autres. Si assurément il est établi que tous ces auteurs ont excellé dans l’art dialectique et l’ont grandement enrichi, ce n’est pas pour autant qu’ils furent les premiers à y mettre la main. Certes, sur la paternité d’Aristote, nous avons Ammonius et Thémistius qui en portent témoignage ; mais Aristote lui-même l’a attribuée plutôt à Zénon d’Élée, quand, chez Diogène Laërce8, il fait de lui l’auteur de la dialectique non moins que d’Empédocle celui de la rhétorique. C’est pourquoi Zénon d’Élée est considéré comme étant le premier à avoir inventé l’art dialectique et l’avoir mis par écrit ; même si Sextus Empiricus l’attribue aussi à Empédocle9 pour la raison que l’inventeur de la rhétorique a dû être aussi celui de la dialectique, et cela selon Aristote lui-même, quand il a fait de la 1 Job, VI, 29. Traduction modifiée. 2 Job, XII, 3. 3 Job, XIII, 7. 4 Job, XI, 3. 5 Job, XV, 10. Traduction modifiée. 6 Diogène Laërce, III, 24. 7 Averroès, Aristotelis. De physico auditu. Libri octo. Cum Averrois Cordubensis variis in eosdem commentariis, « Proœmium Averrois », 4°, 2° colonne, L (in Aristotelis Opera cum Averrois commentariis, Vol. IV, Venise, 1562-1574 ; reprint Minerva, Francfort-sur-le-Main, 1962). Je tiens à remercier Maroun Aouad de m’avoir procuré cette référence. 8 Diogène Laërce, IX, 25. 9 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 6 ; cf. Diogène Laërce, VIII, 57.

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ricus id tribuit1 etiam Empedocli, eo quod inventor rhetoricæ debuerit etiam dialecticæ esse, idque vel ex ipso Aristotele, cum fecit Dialecticam Rhetoricæ ἀντίστροφον, hoc est, ut ipse interpretatur, ἰσόστροφον, propter eandem materiam. Veluti cum poeta dixit Ulyssem ἀντίθεον quasi ἰσόθεον, hoc est deo parem. Et sane qui Empedoclis versus ab eodem post modum citantur argumenti plane dialectici sunt ; et magis adhuc qui referuntur ex Parmenide Zenonis magistro. Aliunde etiam Diogenes Apollinaris Zenonis illius contemporaneus videtur, nisi prius saltem non posterius scripsisse quidpiam dialecticum, dum operis sui hoc fecit initium a Lærtio commemoratum2 : videtur mihi qui sermonem de re quacumque aggreditur debere principium facere perspicuum adhibereque simplicem et gravem eloquutionem. Enimvero ista non obstant, quominus ea laus ab omnibus prope Zenoni tribuatur, ac proinde dialectica origine Eleatica sit. Id solum notandum aliqua ipsius ab ætate usque sapientum iacta fuisse semina ; postquam illi perscrutari causas naturales acceperunt, displicuitque illa poetarum argumentandi ratio, qua effecta omnia Naturæ non ad suas causas, ac ne ad ipsam fortunam quidem, sed ad deos referebantur inartificiali ratiocinatione, hinc non modo [211r] physici a Thalete instituti, sed ipsi etiam præter Xenophanem Empedocles, Parmenides, Zeno a Pythagora derivati ita censuerunt ratiocinandum ut ne illud quidem inartificiale argumentum αὐτὸς ἔφα, ipse dixit, probaverint. Cæterum videtur tota illa ars, a Zenone instituta, constitisse primum in præceptis scite rogandi respondendique  ; quod ut ille primus dialogos conscripsit ex relatis superius, ita observaverit et collegerit regulas, quibus ad servandum decorum colloqutores uterentur. Ex hoc certe esse videtur cur statim dialogorum ars philosophis placuerit ac Platoni potissimum, qui Zenonem quoque ipsum colloquentem introduxit3, et quibus perinde lubi-

1 lib. 1. adv. Log. 2 lib. 9 3 in parmen.

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dialectique ἀντίστροφος de la rhétorique1, c’est-à-dire comme le traduit le même Sextus, ἰσόστροφος, « portant sur la même matière »2. De même quand le poète dit qu’Ulysse est ἀντίθεος pour dire ἰσόθεος, c’est-à-dire « égal à dieu ». Et assurément les vers d’Empédocle qui sont cités par le même3 [Sextus Empiricus] par la suite sont complètement dialectiques ; et plus encore ceux qui sont rapportés comme étant de Parménide, le maître de Zénon4. Par ailleurs, Diogène Apollinaire, le contemporain de Zénon, semble avoir écrit quelque chose de dialectique sinon avant Zénon, du moins pas après lui, puisqu’il place au début de son ouvrage ces propos que rappelle Diogène Laërce5 : « Lorsqu’on commence n’importe quel discours, me semble-t-il, il faut présenter au lecteur un commencement qui ne souffre pas contestation et s’exprimer de façon simple et noble ». Assurément ces faits n’empêchent pas que cette gloire soit attribuée par presque tous à Zénon et donc que la dialectique soit originaire d’Élée. Il faut seulement noter que quelques semences de dialectique furent jetées depuis l’âge des sages ; après qu’ils ont commencé à scruter les causes naturelles et que leur a déplu la façon d’argumenter des poètes qui revenait à rapporter tous les événements naturels non pas à leurs causes, et pas même non plus à la fortune, mais aux dieux, et cela par un raisonnement dépourvu de toute technique, de là non seulement des physiciens instruits par Thalès, mais aussi des physiciens dérivés de l’école de Pythagore comme Empédocle, Parménide, Zénon, en plus de Xénophane, ont estimé qu’il fallait raisonner sans même admettre cet argument dépourvu de toute technique, αὐτὸς ἔφα, « c’est lui-même qui l’a dit ». Pour le reste, il semble que l’ensemble de cet art, établi par Zénon, ait consisté d’abord en des prescriptions sur la manière de demander et de répondre habilement ; parce que, de même qu’il fut, d’après ce que j’ai rapporté plus haut, le premier à écrire des dialogues, de même il a observé et rassemblé des règles que les interlocuteurs utilisaient pour conserver les bienséances. Et il semble que ce soit la raison pour laquelle l’art des dialogues a aussitôt conquis les philosophes, et surtout Platon, qui a introduit Zénon en personne comme inter1 Aristote, Rhétorique, I, 1, 1354a (analogue, dans la traduction moderne). 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 6 (équivalent dans la traduction italienne) ; la référence à Homère (par exemple Iliade, II, 17 et II, 565 ; XI, 428 ; Odyssée, I, 324 ; XX, 124) qui suit est dans le même paragraphe 6 de Sextus. 3 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 121. 4 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 111. 5 Diogène Laërce, IX, 57.

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tum non est dialogorum forma omnia tradere, eam saltem in Symposiis aliisve scriptis usurparint. Inde est etiam cur secutis postmodum temporibus omnis ratiocinatio interrogatio dicta fuerit, quod ab illo usque ævo mos non fuerit syllogismos, uti nunc facimus, absolute proponere, sed interrogando dumtaxat. Tenebatur nempe respondens ad singulas enunciationes sententiam interponere, ut ex concessis, aut negatis argumentatio concluderetur. Rogabatur, exempli gratia1, quidquid non perdisti, habesne, an non habes ? Ac tum si respondisset, habeo, subsumebatur, atqui cornua non amisisti ? quod cum videretur esse admittendum, concludebatur, cornua ergo habes ; vel, si respondisset, non habeo, tum subsumebatur, sed oculos non perdidisti ; et, hoc admisso, concludebatur, oculos igitur non habes. Inde est rursus cur Aristoteles2 et cæteri fere supponant omnem argumentationem, quæ sit dialecticæ materia, non esse sine dialogo, quando omnis conclusio pars est vel affirmans, vel negans alicuius problematis inter disserentes controversi ; itemque cur communis notio eum dialecticæ finem statuat, ut quis cum alio disserat, et defectu concertationis dialogum ipse secum instituat. Inde postremo intelliges quid sit apud Lærtium3 philosophum aliquem ἐρώτησε λόγον, rogasse, hoc est proposuisse, vel etiam adinvenisse rationem, syllogismum vel argumentationis peculiarem formam ; quid velit Lucianus4, cum illum deridet, qui scripturus historiam ab initio usque et per totam seriem συνερώτησε τοὺς ἀναγιγνώσκοντας, interrogavit lectores, seu syllogismos proposuit atque intertextuit  ; quid denique Seneca dum scribens ad Lucilium5, iubes me, inquit, quicquid est interrogationum aut nostrarum, aut ad traditionem nostram excogitatarum, comprehendere ? aliaque similia.

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agell. lib. 16. cap.2 in topic. et cæ. lib. 2 et cæ. quo hist, scribe. epist. 89

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locuteur [de Socrate]1 et la raison pour laquelle même ceux qui n’ont pas trouvé bon de tout rapporter sous la forme du dialogue ont cependant recouru à cette forme dans les Banquets ou autres écrits. De là aussi la raison pour laquelle, dans les périodes suivantes, tous les raisonnements furent appelés interrogation, parce que l’habitude se généralisa de proposer des syllogismes non pas dans l’absolu, comme nous le faisons aujourd’hui, mais seulement en les mettant sous forme de questions. Celui qui répondait était de fait tenu à donner son avis à chaque proposition, de telle sorte que l’argumentation fût conclue selon qu’il avait répondu oui ou non. L’on demandait, par exemple, « ce que tu n’as pas perdu, l’as-tu ou ne l’as-tu pas ? » Et alors, s’il avait répondu, « je l’ai », arrivait la prémisse mineure : « mais tu n’as pas perdu de cornes ? », et, s’il apparaissait que cela dût être admis, on concluait « tu as donc des cornes » ; ou bien, s’il avait répondu, « je ne l’ai pas », la prémisse mineure était la suivante : « mais tu n’as pas perdu d’yeux », et, cela étant admis, l’on concluait, « donc tu n’as pas d’yeux ». C’est pourquoi là encore Aristote et les autres supposent que toute argumentation, qui est la matière de la dialectique, repose nécessairement sur un dialogue, puisque toute conclusion est soit la partie affirmant, soit la partie niant de quelque problème controversé entre ceux qui raisonnent ; et c’est aussi pourquoi la conception commune établit que la dialectique a pour but que quelqu’un raisonne avec quelqu’un d’autre et, par défaut à défaut de discussion, entre en dialogue avec lui-même. De là enfin tu comprendras ce que cela veut dire que chez Diogène Laërce2 un certain philosophe ἐρώτησε λόγον, « ait questionné », c’est-à-dire proposé, voire découvert un raisonnement, un syllogisme ou une forme particulière d’argumentation ; et [tu comprendras] à quoi tend Lucien3 quand il se moque du philosophe qui, dès l’exorde d’un livre d’histoire, συνερώτησε τοὺς ἀναγιγνώσκοντας, « jeta une question à la tête de ses lecteurs », c’est-à-dire proposa et inséra des syllogismes qu’il enchaîna tout du long de son propos ; ce que voulait enfin dire Sénèque quand, dans une lettre à Lucilius, il dit4 : « Tu veux maintenant que je rassemble tous les arguments imaginés par nous ou pour nous rendre ridicules ? » et ainsi de suite.

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Platon, Parménide, 127b sqq. Diogène Laërce, II, 116. Lucien, Comment il faut écrire l’histoire, 17. Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXV, 1. Traduction modifiée.

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Deinde ars Zenonis nihil aliud fuit quam subtilis quædam methodus consecutionum. Ita declarat præsertim Proclus in Platonis Parmenidem, ubi fuse docet quemadmodum Zeno tradiderit viginti quatuor consecutionum quasi formas. Nempe cum duas [211v] generales suppositiones faceret, si quidpiam est, si quidpiam non est, docebat rursus generaliter inquiri posse circum utrumque, quid sequeretur, quid non sequeretur, et quid simul sequeretur, ac non sequeretur, adeo ut efficerentur consecutionis modi sex. Subinde vero quemlibet modum subdistinguebat in quatuor, prout aliquid sequabatur vel idem ad seipsum, vel aliud ad aliud, vel idem ad aliud, vel aliud ad ipsum : adeo ut inde constituerentur modi viginti quatuor. Constat proinde illum fuisse virum acutissimum, quod indicant etiam ratiocinia illa apud Aristotelem1 De sublato motu ex positione continui infinite dividui, de sono grani milii in terram cadentis, ex sono magnæ copiæ granorum pariter cadentium, et similia2. Quinetiam sunt qui illum propterea τῆς ἐριστικῆς, litigiosæ artis, perhibent authorem, quam tamen nisi primus conscripsit saltem adauxit Protagoras  ; et utcumque ea de re sit, saltem Aristoteles contendit3 illum παραλογίζειν, captiose ratiocinari, ac nominatim eo argumento, quod ‘Achillem’ nuncupat quodque tametsi Phavorinus dixisset rogatum a Parmenide, Lærtius4 tamen primo rogatum a Zenone commemoravit. Id fuit una earum rationum quibus Zeno usus est, ut motum non esse probaret. Vocata vero ‘Achilles’ est, quemadmodum Themistius et Simplicius interpretantur, quod Achilles pedibus celer cum testudine tardigrada fuisset in ea comparatus. Dicebat nempe, si continuum et quælibet ipsius pars proportionaliter accepta infinite dividua sit, numquam eveniet ut Achilles testudinem consequatur ;

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lib. 6 et 7 phys. æl. in hist. philos. lib. 6 lib. 9

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Enfin l’art de Zénon ne fut rien d’autre qu’une subtile méthode de consécutions. Cela est mis en évidence surtout par Proclus dans ses commentaires sur le Parménide de Platon1, dans le passage où il nous propose tout un développement sur les vingt-quatre formes de consécutions décrites par Zénon. Car alors qu’il distinguait deux [211v] suppositions générales, « s’il y a quelque chose, s’il n’y a pas quelque chose » il enseignait ensuite qu’il était possible de rechercher pour chacune d’elles ce qui s’ensuivait et ce qui ne s’ensuivait pas, et ce qui s’ensuivait et en même temps ne s’ensuivait pas, de telle sorte que cela produisait six modes de consécution. Aussitôt après il distinguait sous chacun des modes quatre sous-modes, selon ce qui résultait, à savoir le même du même, l’autre de l’autre, l’autre du même et le même de l’autre, de telle sorte que qu’il en résultait la constitution de vingt-quatre modes. Il est donc établi que ce fut un homme très pénétrant, ce que suggèrent aussi ces raisonnements chez Aristote2 sur la suppression du mouvement selon la position du continu divisible à l’infini, du bruit fait par un grain de mil tombant sur le sol, du bruit fait par une grande quantité de grains tombant pareillement, et autres semblables3. Et bien plus il y en a qui le décrivent comme en outre l’auteur de ἡ ἐριστικὴ, l’art des querelles, lequel art cependant, si ce n’est pas Protagoras qui fut le premier à lui consacrer un ouvrage, il l’a du moins augmenté ; et quoi qu’il en soit, Aristote prétend du moins4 qu’il παραλογίζειν, « commet un paralogisme », et notamment par cet argument qu’il appelle « Achille » et que, même si Favorinus avait dit qu’il fut questionné en premier par Parménide, Diogène Laërce cependant a rappelé qu’il l’a d’abord été par Zénon. Cela fut un des arguments que Zénon utilisa pour prouver que le mouvement n’existait pas. Mais s’il fut appelé « Achille », c’est, selon l’interprétation qu’en donnent Themistius et Simplicius5, parce qu’Achille aux pieds rapides était, dans cet argument, comparé à une tortue marchant lentement. Il disait en effet : soit un espace continu et que n’importe laquelle de ses parties considérée proportionnellement 1 Proclus, Commentaire sur le Parménide de Platon, II, 721.19 – 729.38. 2 Aristote, Physique, VI, ii ; VI, ix ; VII, v et VIII, viii. 3 ael. in hist. philos. 4 Aristote, Physique, VI, ix, 239b5. 5 Themistius, In Aristotelis Physica Paraphrasis, VI, 8.9 (Aristote, 239b14 sqq.), (dans Commentaria in Aristotelem Græca, V, 1, ed. M. Wallies (Berlin, 1900) pp. 119-20 ; Simplicius, In Aristotelis Physica, VI, 9 (Aristote, 239b14-30), dans Commentaria in Aristotelem Græca, X, éd. H. Diels (Berlin, 1895), pp. 1013-1015.

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nam quantacumque proportione moveatur velocius, nullo tamen momento spatii partem percurret, in quo testudo etiam aliquantulam non percurrat, quæ cum tam infinite possit quam prior illa dividi, et ut illa superetur ab Achille etiam momentum requirat quo testudo interea prætergredietur aliam, sequitur ut numquam Achilles attingere cursu testudinem possit. Simile est quod a Plutarcho Stoicis obiicitur1 de Adrasti equo insectante testudinem. Verum de Zenone iam satis. De Protagora aliquid dicendum qui profecto potuit Zenonem audire, cum Socrates audierit et Protagoras senior Socrate apud Platonem perhibeatur2. Is ergo, ut innuimus iam, conscripsit quod habet Lærtius3 ἐριστικῶν τέχνην, litigiosorum artem, ac amplissimam adeo viam stravit sophismatibus, quando Aristotele definiente4 sophisma est syllogismus eristicus sive litigiosus, ut scribit, non exprimitur enim quis et quædam perfecta, ut Socrates scribit, [212r] quemadmodum philosophema est syllogismus demonstrativus, epicheirema dialectus seu probabilis, et aporema dialecticus contradictionis  ; hinc legitur5 speciali verbo proposuisse sophismata, et omissa sententia contra vocabula disseruisse. Primus quoque dixit duas esse rationes de quacumque oppositas mutuo, iuxta quas etiam interrogavit ; ac præterea scripsit ἀντιλογιῶν, hoc est contradictionum, libros. Is primus professus est aperte se esse sophistam (sed sapientem intelligebat), ac posse de quacumque re, tum concise, hoc est rogando respondendoque, disserere, tum oratione perpetua sermonem prolixum habere, quod non obscure Plato insinuat6. Cum solerent porro cæteri Sophistæ, ac nominatim Gorgias, non tam artis præcepta dare, quam orationes dictare varias circa ea, quæ vulgo in vita occurrunt, ut qui excepissent parati ad omnen occasionem

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lib. de stoic. repugn. in protag. lib. 9 lib. 8 topic. laert. loc. cit. in protag.

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soit divisible à l’infini ; il doit arriver que jamais Achille ne rattrapera la tortue. En effet, quelle que soit la proportion par laquelle il l’emporte en vitesse, il ne parcourt cependant une partie de l’espace en aucun temps durant lequel la tortue également n’en parcoure une petite partie, qui peut être aussi bien divisée à l’infini que la précédente, de sorte que le franchissement par Achille de cette partie précédente-là requiert ce temps égal durant lequel la tortue aura progressé de cette petite partie-ci. Il s’ensuit que jamais Achille ne peut rattraper la tortue. Plutarque adresse une objection semblable aux stoïciens sur le cheval d’Adraste poursuivant la tortue1. Mais assez parlé de Zénon. Il faut dire quelques mots de Protagoras qui assurément a pu être un auditeur de Zénon, vu que Socrate le fut et que Platon présente Protagoras comme étant plus âgé que Socrate2. Protagoras donc, comme nous l’avons déjà indiqué, a mis par écrit ce que Diogène Laërce appelle3 ἐριστικῶν τέχνη, l’art des querelles, et il a pavé ainsi une très large route pour les sophismes. Puisque, selon la définition d’Aristote4, le sophisme est un syllogisme éristique ou contentieux, par exemple « il écrit », car le sujet du verbe n’est pas exprimé parfaitement comme dans « Socrate écrit », [212r] de même qu’« un philosophème est une déduction démonstrative, un épichérème une déduction dialectique […], un aporème la déduction dialectique d’une contradiction » ; de là on lit qu’il a donné aux sophismes un nom spécial et que, laissant le sens de côté, il a disserté contre les formulations. Il fut aussi le premier à dire que sur chaque chose existent deux raisons qui s’opposent, et c’est sur cette base qu’il a interrogé ; et en outre il a écrit des livres d’ἀντιλογίαι, c’est-à-dire de contradictions. Il fut le premier à professer ouvertement qu’il était un sophiste (et il entendait par là un sage) et qu’il pouvait, sur n’importe quel sujet, soit raisonner de façon concise, c’est-à-dire en interrogeant et répondant, soit employer de longs discours en parlant sans interruption, ce que Platon indique dans des termes non voilés5. Alors qu’en outre tous les autres sophistes, et notamment Gorgias, avaient l’habitude moins de donner des préceptes de l’art que de dicter des discours adaptés aux différentes choses qui arrivent communément dans la vie, pour que ceux qui 1 Plutarque, Des notions communes, 1082E, xliii ; cf. Homère, Iliade, XXIII, 346-7. 2 Platon, Protagoras, 310e. 3 Diogène Laërce, IX, 52, ou «  la race banale des éristiques  », chez les interprètes modernes qui lisent genos et non pas techné. 4 Aristote, Topiques, VIII, xi, 162a15-18. 5 Platon, Protagoras, 335c.

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forent, quod habet Aristoteles1, dum id perinde fuisse declarat, ac dum Philosophi non tam methodum interrogandi respondendique traderent, quam varia interrogationum responsionumque genera circa ea omnia, de quibus vulgo sermo incidit, exhiberent. Protagoras ipse suam publice quidem evulgari et innotescere noluit, sed illam tamen discipulos ἐν ἀποῤῥήτω, hoc est privatim, (idque pretio permagno) docuit, quod a Platone memoratur2. Huius celebratur illud argumentum, quod Græci ἀντιστρόφον vocant, dicere reciprocum licet, quoque perhibetur adversus Euathlum discipulum usus. Is se illi tradiderat ea conditione instituendum, ut pacta mercede denariorum, ex Quintiliano3, decem millium, et persolutis ab initio, quod A. Gellius habet4, quinque millibus, ad cætera quinque solvenda adigi non posset, nisi quo primo die apud iudices caussam orasset, et vicisset. Cunctante illo, Protagoras petere mercedem ex pacto instituit ; et scribit quidem A.Gellius5 Protagoram primum dilemmate usum, quod seu vicisset Euathlus mercedem deberet solvere ex pacto ; seu non vicisset, ex sententia iudicum ; Euathlum vero elusisse, quod seu vicisset, non deberet ex sententia, seu non vicisset, ex pacto. Sed Lærtius scribit Euathlum contestatum primum fuisse et excepisse Protagoram : Atqui, si ego vicero, quod ego vicero ; et si tu viceris, quod tu viceris, accipere me mercedem oportet. Utcumque sit, ferant iudices propterea distulisse causam in diem longissimam ac perquam lapide dixisse, mali corvi, malum ovum.

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lib. elench. in fi. in theæt. lib. 3. cap. 1 lib. 5, cap. 10 loc. cit.

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les auraient entendus soient prêts pour toute occasion, ce que l’on lit chez Aristote1, quand il déclare que ce fut exactement comme quand les philosophes transmettaient moins une méthode pour interroger et répondre qu’ils ne produisaient différents genres d’interrogations et de réponses à propos de tous les sujets sur lesquels la conversation tombe ordinairement, Protagoras lui-même ne voulut pas divulguer et faire connaître publiquement son art, mais il l’enseigna cependant à ses disciples ἐν ἀποῤῥήτω, c’est-à-dire en privé (et moyennant une forte somme), ce qui est rappelé par Platon2. L’on connaît de lui cet argument que les Grecs appellent ἀντιστρόφος3 – on peut traduire par « réversible » [ou qui se retourne]4 – et dont on raconte qu’il l’a utilisé contre son disciple Évathle. Il s’était confié à son enseignement à la condition que sur les honoraires de dix mille derniers qui avaient été convenus, selon Quintilien5, cinq mille seraient acquittés d’abord, mais que les cinq mille restants ne lui seraient payés qu’au jour où, plaidant une cause devant les juges, il aurait gagné un procès pour la première fois. Comme il temporisait à plaider, Protagoras décida de lui réclamer au tribunal ses honoraires selon leur accord ; et Aulu Gelle6 écrit que Protagoras utilisa pour la première fois ce dilemme, disant qu’« Évathle ait gagné, il devrait payer les honoraires en fonction de l’accord conclu ; ou qu’il n’ait pas gagné, il le devrait d’après la sentence des juges » ; mais Évathle s’y déroba, disant qu’« il ait gagné, il ne devrait rien selon la sentence des juges, ou qu’il n’ait pas gagné, il ne devrait rien selon leur accord ». Mais Diogène Laërce7 écrit qu’Évathle s’était inscrit en faux contre son professeur et que Protagoras avait répondu : « Mais si je gagne, c’est parce que j’aurai gagné que je devrai recevoir les honoraires ; et si tu gagnes, c’est parce que tu auras gagné qu’il le faudra ». Quoi qu’il en soit, qu’on rapporte que les juges ont fait durer le procès pendant toute une très longue journée et ont dit comme on jette une pierre : « D’un mauvais corbeau, un mauvais œuf »8. 1 Aristote, Les Réfutations sophistiques, 34, 183b - 184a. 2 Platon, Théétète, 152c. 3 Diogène Laërce, IX, 50, sqq. 4 Aulu Gelle, Nuits attiques, V, x, 2 et 3. 5 Quintilien, De l’institution oratoire, III, 1, 10. 6 Aulu-Gelle, Nuits attiques, V, x. 7 Diogène Laërce, IX, 55. 8 Ce proverbe est équivalent du moderne « Tel père, tel fils » ; on le trouve, avec toutes les références, dans les Adages d’Érasme (825) : « De mauvais corbeaux naissent de mauvais œufs. » Érasme le reprend en outre dans un Colloque, le « Mariage non-Mariage, ou l’union mal assortie ».

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4. Dialectica Euclidis seu Megarica Hic de Socrate iam foret dicendum quod illius peritiam in rebus dialecticis et Chrysippus ille διαλεκτικώτατος [212v] apud Plutarchum commendarit1, et Xenophon ostenderit2, et Plato in omnibus prope dialogis fecerit perspicuum. Verum quia tota illa peritia in discipulis, successoribusque legitur expressa, idcirco placet illam potius in ipsismet agnoscere, disquirereque ex iis, quæ reliquerunt, monumentis. Et plures quidem celebrantur ex eius auditoribus, qui de dialecticis rebus scripserunt, ut inclytus ille Coriarius Simon Atheniensis cuius apud Lærtium3 memorantur dialogi De scientia, De iudicio, De disserendi ratione, Περὶ τοῦ διαλέγεσθαι ; ut Simmias Thebanus, cuius etiam dialogi fuerunt inter cæteros De veritate, et De ratiocinatione, Περὶ τοῦ λογισμοῦ, idque apud Lærtium. Attamen quia duo solum fuere, quorum dialectica aliquid specialius ad nos usque transierit, Euclides nimirum ac Plato, ea propter de illis dumtaxat adiiciendum est aliquid. De Euclide autem primo est dicendum quod ille maxime ad sectam Eleaticam accesserit, adeo ut non modo referat Lærtius4 Parmenidem illum tractasse, sed Cicero etiam declaret5 sectatores ipsius, dictos a patria Megaricos, transisse in sectam a Parmenide et Xenophane institutam. Quinetiam cum ii nuncupati deinceps fuerint Dialectici (scilicet ob interrogandi respondendique peritiam) adpellati etiam Eristici sunt6, quod perfecte callerent artem a memoratis Zenone et Protagora conscriptam. Cæterum Euclidis mos fuit, ut est apud Lærtium7, cæterorum demonstrationes non sumptionibus impugnare, sed conclusionibus dumtaxat ; nimirum quasi consecutiones forent satis perpiscuæ, illationes congerebat, Ergo, Ergo, Ergo, quæ methodus

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de stoic. rep. lib. 4. mem. lib. 2 eodem lib. lib. 4. acad. laert. loc. cit.

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4. La dialectique d’Euclide ou mégarique Il faudrait ici maintenant parler de Socrate parce qu’à la fois Chrysippe, διαλεκτικώτατος, le dialecticien des dialecticiens1, a loué [212v] chez Plutarque2 sa maîtrise dans les choses dialectiques, que Xénophon l’a montrée et que Platon l’a fait briller dans presque tous ses dialogues. Mais parce que toute cette maîtrise nous est donnée à lire telle qu’elle est exprimée chez ses disciples et successeurs, je crois bon donc de la saisir plutôt chez eux et de la rechercher dans les témoignages qu’ils ont laissés. Et certes parmi ses auditeurs on en vante plusieurs qui ont écrit sur les choses dialectiques, comme ce célèbre cordonnier Simon d’Athènes dont Diogène Laërce mentionne ses dialogues3 Sur la pratique du dialogue, Περὶ τοῦ διαλέγεσθαι ; ou comme Simmias de Thèbes, qui laissa entre autres dialogues un Sur la vérité, et un Sur le raisonnement, Περὶ τοῦ λογισμοῦ, ce qui se trouve aussi chez Diogène Laërce4. Cependant parce qu’il n’y en eut que deux dont la dialectique nous soit parvenue un peu plus spécialement, à savoir Euclide et Platon, telle est la raison pour laquelle ce sont les seuls sur lesquels il faut ajouter quelques précisions. Pour Euclide, il faut d’abord dire qu’il a surtout fréquenté l’école d’Élée, au point que non seulement Diogène Laërce rapporte qu’il pratiquait les écrits de Parménide5, mais que Cicéron aussi fait voir que ses auditeurs, appelés mégariques du nom de sa patrie, étaient passés dans l’école instituée par Parménide et Xénophane6. Qui plus est, alors qu’on leur donna ensuite le nom de dialecticiens, assurément à cause de leur maîtrise de l’art d’interroger et de répondre, ils sont aussi désignés par le nom d’éristiques, parce qu’ils étaient rompus à la perfection dans l’art mis par écrit par Zénon et Protagoras que j’ai déjà mentionnés. Pour le reste, la façon de procéder d’Euclide, comme on le lit chez Diogène Laërce7, fut de s’opposer aux démonstrations des autres en s’attaquant non pas aux prémisses, mais seulement aux conclusions ; assurément comme si les consécutions étaient assez évidentes, il accumulait des inférences, « donc » , « donc » , « donc » ce qui est la méthode 1 Ce superlatif n’est associé à Chrysippe dans aucune source, c’est Gassendi qui le lui attribue. 2 Plutarque, Des contradictions des stoïciens, 1046A, xxiv. 3 Diogène Laërce, II, 122. 4 Diogène Laërce, II, 124. 5 Diogène Laërce, II, 106. 6 Cicéron, Académiques, I, xlii, 129. 7 Diogène Laërce, II, 107.

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argumentandi est omnium urgentissima ; quare et cum hoc modo foret instans, premens, ac vehemens, notatus fuit a Timone quasi quandam litigii seu contentionis rabiem, λύσσαν ἐρισμοῦ, Megaricis inspiravisset. Missum facio quod argumentum a comparatione ductum invalidum censuerit, seu illud a similibus, seu a dissimilibus esset, quoniam, si ex similibus, insistendum potius videretur iis, propter quæ illa inducerentur, si ex dissimilibus, ea forent supervacua, quod ipsam rem nihil attinerint. Adde potius Eubulidem illius successorem fuisse, qui ex eodem Lærtio πόλλους λόγους ἐρώτησεν, varios ratiocinandi modos, (seu varia mavis sophismata) in dialecticam introduxit, scilicet τὸν ψευδόμενον, mentientem ; διαλανθάνοντα, fallentem ; Ἠλέκτραν, Electram ; ἐγκεκαλυμένον, obvelatum  ; σωρείτην, acervalum  ; κεράτινον, corneum  ; φαλακρὸν, calvum. Magna horum pars fuit deinde usurpata a Stoicis, qui ‘fallentem’ tamen dixisse videntur non διαλανθάνοντα sed διαλεληθότα. Is qualis fuerit non plane constat, ut neque ille calvus dictus, nisi forte vel designarit respondendi ansam præreptam, vel præ se tulerit memorabilem ob calvitiem Æschyli casum, aut quidpiam aliud simile. De cæteris, [213r] ut iam dicamus, pseudomeni sive mentientis, meminerunt Cicero1, Seneca2 et alii, ac nominatim Africanus iurisconsultus3, qui quæstionem quamdam ad legem Falcidiam spectare ad hunc modum innuit, quo quidquid verum esse constituerimus, falsum reperietur. Dicitur autem ‘menticus’ quod solitus sit his verbis proponi quæ Cicero repetit4, si dicis te mentiri verumque dicis, mentiris ; dicis autem te mentiri, verumque dicis ; mentiris igitur. Electræ meminit Lucianus5

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lib. 4. acad. ep. 45 qui quadring. 88 ff.ad leg. fal. loc. cit. in auct. vit.

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la plus pressante pour argumenter ; c’est donc du fait de la manière d’être d’Euclide, toujours instant, insistant et véhément, qu’il fut taillé en pièces par Timon1 au titre qu’il avait inspiré aux mégariques une sorte de rage de la querelle ou du conflit, λύσσα ἐρισμοῦ. Je passe sous silence le fait qu’il a jugé invalide le raisonnement par analogie, c’est-à-dire celui qui s’établit soit à partir de termes semblables, soit à partir de termes dissemblables, puisque, s’il s’établit à partir de termes semblables, il vaut mieux qu’on se tourne vers les choses elles-mêmes sur la base desquelles les semblables sont induites et que, s’il s’établit à partir de termes dissemblables, ils seraient superflus, en tant qu’ils ne concernent pas la chose elle-même. Ajoute plutôt qu’il eut pour successeur Eubulide, qui, d’après le même Diogène Laërce2, a introduit dans la dialectique πόλλους λόγους ἐρώτησεν, « de nombreux raisonnements par interrogation » (c’est-à-dire si tu préfères différents sophismes, à savoir ὁ ψευδόμενος, le « menteur » ; διαλανθάνων, le « Trompeur » ; Ἠλέκτρα, « Électre » ; ἐγκεκαλυμένος, le « Voilé » ; σωρείτης, le « Sorite » ; κεράτινος, le « Cornu » ; φαλακρὸς, le « Chauve ». La plupart d’entre eux fut ensuite utilisée par les stoïciens qui semblent cependant avoir appelé le « trompeur » non pas διαλανθάνων, mais διαλελήθως. Ce que fut ce dernier n’est pas tout à fait établi, non plus que cet autre qui s’appelle le Chauve, si ce n’est peut-être ou bien qu’il aura désigné l’occasion saisie pour répondre, ou bien qu’il aura présenté l’exemple de la calvitie d’Eschyle ou quelque chose d’autre de ce genre. Pour parler maintenant de tous les autres, [213r] le Menteur a été évoqué par Cicéron3, Sénèque4 et d’autres auteurs, et notamment le jurisconsulte africain5 qui a précisé qu’une certaine question sur la loi Falcidia concernait ce mode : « Ce que nous établirons être vrai se révélera être faux ». Or il est appelé “menteur” parce qu’on l’expose d’habitude dans les termes que Cicéron reprend6 : « Si tu dis que tu mens et si tu dis vrai, tu mens ; or tu dis que tu mens, et tu dis vrai, donc tu mens ». Quant à Électre, c’est Lucien 1 Gassendi suit ici Diogène Laërce II, 107 (voir en note p. 317 les références pour Timon, Fr. 28D). 2 Diogène Laërce, II, 108 où on lit aussi la liste des sophismes. Voir Les Mégariques : fragments et témoignages, éd. Robert Müller (Paris : Vrin, 1985). 3 Cicéron, De la divination, II, iv, 11. 4 Sénèque, Lettres à Lucilius, XLV, 9. 5 Ulpien, Digeste, 35, 2, 88. L’exemple sur la loi Falcidia est très courant, encore repris par Leibniz dans le De conditionibus de 1665 (pour les détails juridiques techniques, voir Gottfried Wilhelm Leibniz, Des conditions, éd. Pol Boucher, Paris : Vrin, 2003, pp. 205-206). 6 Cicéron Académiques, II, xxx, 96.

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indicatque modum sic dictum quod per ipsum quispiam probetur scire aliquid simulac nescire, exemplo Electræ Agamemnonis filiæ, quæ adstante Oreste, sed adhuc incognito, noverat quidem Orestem esse fratrem suum, sed quod ille foret Orestes non norat. Desumptum id ex Sophocle, An ille vivit ? Siquidem ego vivo ; An tu ille es, etc. Obvelati etiam ut modum adfinis, meminit Lucianus1, exemplo allato, unde illi nomen : Nosti tuum patrem ? Maxime. Quid igitur si prope te obvelatum aliquem statuam et rogem, nostin’ hunc ? Quid dices ? Scilicet non nosse me dicam. At ille ipse est pater tuus ; itaque si istum non nosti, palam est te patrem non nosse. Acervalem, sive Soriten (hoc nomine cum nihil magis tritum) præclare definit Ulpianus2, cum ab evidenter veris per brevissimas mutationes disputatio ad ea quæ evidenter falsa sunt perducitur. Cicero indicat3 sic ductum ab acervo tritici, quem quis uno grano addito effici fateatur : si enim rogetur, duo vel tria grana pauca sunt an ne multa ? si dicat pauca (ut pauca sunt), quatuor igitur an ne multa ? nisi sint, adde unum ; quinque igitur, an ne multa ?, atque ita consequenter usque ad decem, et si opus fuerit, ulterius ; adeo ut vel numquam sint futura multa, vel fatendum sit granum unicum distinctionem inter multa et pauca statuere ac proinde conficere vel destruere acervum. Hinc notum est apud Lærtium lacunam esse septimo libro, dum pro exemplo obvelati subiicitur, Nonne quidem duo pauca

1 loco. cit. 2 de verb. et rer. signif. 3 4. acad.

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qui l’évoque1 et qui indique que ce mode est ainsi nommé parce que, par son biais, l’on parvient à prouver que quelqu’un, en même temps, sait quelque chose et ne le sait pas, sur l’exemple d’Électre, la fille d’Agamemnon, qui, Oreste étant près d’elle mais ne s’étant pas encore fait reconnaître, savait assurément qu’Oreste était son frère, mais ne savait pas que cet homme-là était Oreste. Or cela est tiré de Sophocle2 : « Est-ce qu’il vit ? S’il répond : certes, je vis. Elle dit : est-ce que toi tu es lui ? ». Quant au Voilé, c’est Lucien qui l’évoque comme un mode tout proche de celui-ci 3, en apportant l’exemple dont il tire son nom : « Ton père, tu le connais ? – Oui. – Comment cela ? Si je place à tes côtés quelqu’un de voilé et que je te demande : “Le connaistu ?”, que diras-tu ? – Évidemment que je ne le connais pas. – Et pourtant c’était précisément ton père ; donc si tu ne connais pas cet homme, il est évident que tu ne connais pas ton père ». Le Tas4 ou Sorite (sous ce nom il n’est rien de plus rebattu), c’est Ulpien5 qui le définit remarquablement : « quand, à partir de choses dont la vérité est évidente, la discussion, en passant par des changement minuscules, est conduite à des choses dont la fausseté est évidente ». Cicéron indique qu’il est mené sur la base d’un tas de blé dont l’interlocuteur finit par reconnaître qu’il est réalisé par l’ajout d’un seul grain6. « Car si on demande si deux ou trois grains constituent une petite ou une grande quantité, et que la réponse soit “petite” (car c’est une petite quantité), et donc quatre sont une grande quantité ? Si ce n’est pas le cas, ajoute une unité ; cinq donc font-ils une grande quantité ? », et ainsi de suite jusqu’à dix et, si besoin est, au-delà ; si bien que, soit jamais cela ne constituera une grande quantité, soit il faut concéder qu’un unique grain établit la distinction entre une petite et une grande quantité et est donc en mesure de réaliser ou de détruire un tas. De là il est clair qu’il y a chez Diogène Laërce7 une lacune au septième livre, quand il est ajouté comme exemple du voilé : « Deux n’est1 Lucien, Philosophes à vendre, 22. 2 Sophocle, Électre, 1221. 3 Lucien, Philosophes à vendre, 22. 4 Acervalis se trouve chez Cicéron, De la divination, II, 4. 5 Ulpien, « De verbo et rerum significatione », I, 65 (complément du De regulis juris, publiée à Valence par Belon en 1514). 6 La référence à Cicéron (Académiques, II, xvi, 49) n’est pas littérale. Le texte le plus proche que je trouve est Diogène Laërce, VII, 82, qui ne le pose pas sous forme de question et que Gassendi examine au paragraphe suivant, à propos du Voilé. Peut-être Gassendi le transforme-t-il en interrogation pour se conformer à sa définition de la dialectique. 7 Diogène Laërce, VII, 82. Traduction modifiée.

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sunt ? nonne et tria ? nonne et quatuor ? et cætera. Constat quippe hæc potius in exemplum soritæ adferri, de quo plurima etiam Stoici, ac potissimum Chrysippus, unde est Persianum illud1, Et numquam Chrysippe tui finitor acervi. Denique Corneus, sive Cornutus, vel Ceratinum, Ceratine, Ceratis, Ceras, vulgatissimus modus est, et cuius non nemo meminit authorem, ob illud exemplum quod et nos ante retulimus ; sed ut est apud Empiricum2 proponere hoc loco præstat, si non et pulchra cornua habes, et cornua habes ; pulchra autem cornua non habes, et cornua habes ; cornua igitur habes. Et isti sunt quidem Eubulidis modi, nisi quod Lærtius scribit Diodorum cognomento Cronum illiusque post Apollodorum successorem adinvenisse iuxta aliquos Obvelatum et Cornutum. Porro tam Diodorus quam Stilpon copulantur a Cicerone3 cum illo alio Eubulidis successore Alexino, viro, ut Lærtius habet, [213v] contentiosissimo : eorum enim sunt, inquit ille, contorta et aculeate quædam sophismata, seu conclusiunculæ fallaces. Et circa Diodorum quidem, nihil est memorabilius quam quod habet Empiricus : perfamiliaris illi erat, ut motum everteret, illa ratiocinatio, Si quid movetur, aut in loco quo est movetur, aut in quo non est ; atqui nec in quo est, manet enim ; neque in quo non est, cum nihil agat, ubi non est ; non igitur quidquam movetur. Itaque cum aliquando ad Erophilum medicum venisset, ut quem attulerat luxatum humerum restitueret, facile Diodorum medicus irrisit : nam, inquit ad illum, aut in quo erat loco humerus existens excidit, aut in quo non erat ; at

1 Sat. 2 lib. 2. hypot. cap. 22 3 loco cit.

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il pas un petit nombre ? Trois ne l’est-il pas ? Et quatre ? » etc. Il est de fait établi que cela est versé plutôt en exemple de sorite auquel les stoïciens ont consacré de nombreux développements, et parmi eux surtout Chrysippe, d’où ce vers de Perse1 : « A-t-on jamais trouvé, Chrysippe, quelqu’un pour arrêter ton sorite ». Enfin le Cornu2 est un mode extrêmement banal que tous les auteurs sans exception rappellent, à cause de cet exemple que nous avons rapporté ci-dessus ; mais il convient de l’exposer ici comme il se trouve chez Sextus Empiricus3 : « S’il n’est pas vrai que tu as de belles cornes et que tu as des cornes ; mais il n’est pas vrai que tu as de belles cornes et que tu as des cornes ; donc tu as des cornes ». Et tels sont certes les modes d’Eubulide, si ce n’est le fait que Diogène Laërce4 écrit que Diodore surnommé Cronos et successeur d’Eubulide après Apollodore, aurait été, selon certains, le premier à découvrir le voilé et le cornu. En outre, aussi bien Diodore que Stilpon est associé par Cicéron à cet autre successeur d’Eubulide, Alexinos, un homme qui adorait la querelle5, [213v] comme nous le lisons chez Diogène Laërce, comme des gens qui « vous harcèlent de coups d’épingle avec leurs sophismes (c’est ainsi qu’on appelle ces arguments fallacieusement concluants6 ». Et à propos de Diodore, rien n’est plus mémorable que ce qu’en dit Sextus Empiricus7 : très familier lui était ce raisonnement qu’il utilisait pour renverser le mouvement : « Une chose qu’on bouge reste en effet dans le lieu où elle est ou dans le lieu où elle n’est pas, mais pas dans celui où elle est ; il n’est pas vrai que c’est dans le lieu où elle n’est pas, parce que rien n’avance où elle n’est pas ; donc on n’a rien bougé ». C’est pourquoi, alors qu’il était un jour allé chez le médecin Érophile, pour qu’il lui remette l’épaule qu’il lui avait apportée luxée, le médecin se moqua facilement de Diodore8 : « L’épaule a été déboîtée soit dans un lieu où elle se trouvait, soit dans un lieu où elle ne se trouvait pas ; mais c’est ni là où elle était, ni là où elle n’était pas ; donc elle n’est pas déboîtée ». Sur

1 2 3 4 5 6 7 8

Perse, Satires, VI, 80. Je ne traduis pas la liste de tous ses variations lexicographiques, latines ou grecques. Sextus Empiricus, Hypotyposes, II, 22 [241]. Diogène Laërce, II, 111. Diogène Laërce, II, 109. Cicéron, Académiques, I, xxiv, 75. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 311 ; cf. Hypotyposes, II, 22 [242]. Sextus Empiricus, Hypotyposes, II, 22 [245].

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neque in quo erat, neque in quo non erat ; non igitur excidit. De Stilpone id habet Plutarchus1, quod negaverit alterum de altero prædicari, neque enim prædicatum idem esse cum subiecto, ut animal cum homine, cum dicis, homo est animal, quoniam alioquin vel ipsi equo non conveniret esse animal, vel hominem quoque esse conveniret. Sic de eodem refert etiam Lærtius, quod cum species, seu quæ dicimus universalia, negaret, assereret consequenter eum qui hominem dicit, dicere neminem, non enim hunc potius quam illum. Itemque olus id non esse, quod ostenderetur ; olus quippe iam extitisse a millibus annorum multis. Sed et refert illum de Minerva Phydiæ sic aliquando interrogasse, Numquid-nam Iovis filia Minerva Deus est ? Et cum respondetur, Certe, hæc autem, inquit, non Iovis est, sed Phydiæ, quo sibi concesso, hæc ergo, inquit, non est Deus : quam sane ob causam apud Areopagitas postulatus, non ivit inficias, sed recte se redarguisse dixit : neque enim Deum illam esse, sed Deam, quod dii sint mares. Prætereo autem, quod Theodorus propterea cavillatus est2, Unde-nam id norat Stilpon ? An sublata veste spectarat ? De Alexino nota est quam Menedemo Erytriano interrogationem proposuit : sed haruspici nimirum haruspex ; illo enim rogante, an verberare patrem desiisset, neque verberavi, inquit iste, neque desii. Tandem et de hoc Menedemo, quando ipsum eiusque sectam ad superiorem pertinere Cicero3 contendit, illud adiiciendum est, fuisse quoque illum, ex Lærtio, ἐριστικώτατον, litigiosissimum. Is enumerationes negativas sustulit, et ex affirmativis admisit

1 loco cit. 2 Laert. eodem lib. 3 4 acad.

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Stilpon, Plutarque nous rapporte la chose suivante1, à savoir qu’il niait qu’on puisse prédiquer le différent du différent, car (affirmait-il) le prédicat n’est pas identique au sujet  : par exemple «  animal  » n’est pas identique à « homme » lorsqu’on dit « l’homme est un animal » ; autrement en effet, soit « être animal » ne serait pas applicable au cheval même, soit il serait applicable à l’homme également. Nous lisons sur ce même homme chez Diogène Laërce2 qu’alors qu’il niait les espèces, c’est-à-dire ce que nous appelons les universaux, il affirmait par conséquent que quand on dit « homme », on ne dit personne, car on ne dit ni cet homme-ci ni cet homme-là. Ou encore que « le légume » n’est pas ce légume qu’on me montre, car le légume existait il y a plus de dix mille ans. Mais il rapporte aussi qu’il a un jour conçu ce dialogue interrogant sur la Minerve de Phidias3 : « Est-ce que Minerve, la fille de Jupiter, est un dieu » ? Et comme on lui répondait « oui », il reprit : « Mais celle-ci n’est pas de Jupiter, elle est de Phidias » ; l’autre en convenant, il dit : « Donc ce n’est pas un dieu » : étant pour ce propos convoqué devant l’Aréopage, loin de nier, il soutint qu’il avait raisonné correctement : « En effet elle n’est pas un dieu, mais une déesse, parce que ce sont les mâles qui sont des dieux ». Or je passe sur les chicaneries de Théodore à ce propos : « D’où Stilpon tenait-il ce savoir ? Lui avait-il ôté son habit pour regarder ? » D’Alexinos est connue l’interrogation qu’il proposa à Ménédème d’Érytrée4 : mais c’est un devin en présence d’un autre devin5 ; le premier l’ayant interrogé s’il avait cessé de battre son père, répondit « Je ne le battais pas et je n’ai pas cessé de le battre ». Enfin sur ce même Ménédème, puisque Cicéron prétend6 que lui-même et son école [l’érétrienne] se rapportent à la précédente [mégarique], il faut ajouter qu’il fut également, d’après Diogène Laërce7, ἐριστικώτατος, « très fort en éristique ». Cet homme a rejeté les propositions négatives et, parmi les affirmatives, il n’a admis que les simples, rejetant les conditionnelles et les conjonctives. Il eut notamment l’habitude

1 Plutarque, Contre Colotès, 1120 a. 2 Diogène Laërce, II, 119. 3 Diogène Laërce, II, 116. 4 Diogène Laërce, II, 135. 5 Gassendi paraphrase ici Cicéron, De la divination, II, xxiv, 51 : les deux haruspices qui rient quand ils se rencontrent. 6 Cicéron, Académiques, II, xlii, 129. 7 Diogène Laërce, II, 134.

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solas simplices, connexas vero et complexas. Non item postremo rogiatiuncula huiuscemodi solitus est uti, Diversum nonne a diverso diveesum est ? Certe. Prodesse autem a bono diversum est ? Certe. Non est igitur prodesse bonum. 5. Dialectica Platonis De Platone ut iam dicamus, placet illi primum dialecticæ finem in eo præsertim consistere, ut mens per illam repurgetur pravis [214r] opinionibus ; germanam vero scientiam, quæ nimirum sit primi entis, et formarum immaterialium, seu intelligibilium, induat1. Supponit2 quippe (ut alias declarabitur fusius) mentem hominis particulam esse divinæ illius auræ, quæ totam mundi agitat molem, quæque intelligentissima est idea ipsa existens rerum omnium generabilium, ac typus formarum seu specierum omnium, adeo ut etiam nostra mens, quatenus intelligitur, suo coniuncta principio insitam notitiam rerum omnium habeat3. Verum quia demersa in corpus, quasi in specum tenebrosum, veluti obtenebrescit, oblivionemque contrahit rerum omnium quæ prius norat, ideo vult illam per species rerum externarum sensibus acceptas ita excitari, ut per varios quasi reminiscentiæ gradus scientiæ lumen recuperet sensimque ad ipsius solis, hoc est primi entis, et principui sui, nec non formarum quæ ab ipsa dependent, notitiam perveniat. Ac ipsarum quidem rerum sensibilium haberi dumtaxat opinionem docet, quod et sensus fallaces sint, et ipsæ res fluxæ caducæque ; at rerum intelligibilium haberi docet scientiam, quod et mente percipiantur, et ipsæ perennes sint, maxime vero primum principium4. Censet autem mentem præparandam esse quadam quasi προπαιδείᾳ, institutione prævia, scientiis mathematicis ; quamquam non vult illas esse proprie scientias, et, cum præstantiores tamen opinione habeat, apellandas potius διανοίας, seu cogitationes, ducit. Suadet vero mentem idcirco imbuendam mathematicis, ut cogitare et credere res imma-

1 2 3 4

lib. 6 et 7 de rep. in soph. et cæ. in tim. et cæ. lib. 7 de rep. in phæd. et cæ. lib. 7. de rep.

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d’utiliser ce petit raisonnement par interrogation1 : « Une chose différente d’une autre est autre ? – Oui. – Or l’utile est différent du bien ? – Sans doute. – Donc l’utile n’est pas un bien ». 5. La dialectique de Platon Pour parler maintenant de Platon, il pense d’abord que la fin de la dialectique consiste surtout en ce que l’esprit, grâce à elle, se nettoie de ses opinions [214r] mauvaises et revêt la science authentique, qui est assurément celle de l’Être premier et des formes immatérielles, ou intelligibles. Car il suppose (comme je le montrerai ailleurs de façon plus développée) que l’esprit de l’homme est une particule de ce souffle divin qui agite toute la masse du monde et qui est l’idée même, très intelligente, et existante de toutes les choses susceptibles de génération et le prototype de toutes les formes ou espèces, au point que même notre esprit, dans la mesure où nous pouvons comprendre ce qu’il est, possède, en tant qu’il est lié au [premier] principe, a une connaissance innée de toutes les choses. Mais parce que, une fois immergé dans le corps, comme dans une caverne ténébreuse, il s’enténèbre pour ainsi dire et contracte l’oubli de tout ce qu’il connaissait auparavant, Platon veut que l’esprit soit amené, par le biais des apparences des choses externes recueillies par les sens, à recouvrer la lumière de la science en suivant les différentes étapes si je puis dire de la réminiscence et à parvenir à la connaissance du soleil lui-même, c’est-à-dire de l’Être premier, et de son principe, ainsi que des formes qui dépendent de lui. Et il enseigne que, sur les choses sensibles elles-mêmes, on ne peut arriver qu’à une opinion, parce que les sens sont trompeurs et que les choses mêmes sont changeantes et caduques ; mais il enseigne que l’on arrive à la science des choses intelligibles, à la fois parce qu’elles sont perçues par l’esprit et parce qu’elles sont éternelles, surtout le premier principe. Mais il estime que l’esprit doit être préparé par les sciences mathématiques qui font office de προπαιδεία, « instruction préliminaire »2 ; bien qu’il ne veuille pas qu’il s’agisse proprement de sciences et bien que, tout en les considérant comme supérieures à l’opinion, il pense préférable de les appeler διανοίαι, c’est-à-dire « pensées ». Mais il engage l’esprit à s’imprégner de mathématiques de manière à ce qu’il s’habitue à réfléchir à des choses 1 Diogène Laërce, II, 134. 2 Platon, République, VII, 536d.

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teriales consuescat ; idque ad ipsum usque annum ætatis trigesimum, quo quis iam possit scientiæ dialecticæ incumbere, ipsiusque ductu conniti ad illam primi entis notitiam. Hinc dialecticæ munus esse docet1 analysi quadam dirigere mentem, ac dividendo, definiendo, inducendo, ad primum principium, quod idem est, primum verum deducere, adeo ut postquam fuerit ad ipsum evecta per eosdem gradus regredi possit ad res usque sensibiles, reditura ad illud primum in quo denique conquiescat. Quocirca et mirum non est, si dialecticam πορείαν apellet propter progressum ex illo specu, e quo ut oculus ad lucem, ita mens ad verum contendat, et ex ipsis umbris, seu rebus materialibus, contendat ad simulachra, seu formas rebus ipsis impressas ; ex ipsis autem simulachris, nullo iam sensibili utens, sed puris ipsis et germanis speciebus ad ipsum verum, boni ideam, simplex immixtumque principium. Vix autem differt πορεία illa a memorata analysi, cuius Alcinous tres species distinguit2 : unam, qua [214v] adscendimus a sensibilibus ad intelligibilia, ut si a pulchro, quod in corporibus est, ad id quod animorum est ; ab hoc ad illud in vitæ officiis  ; ab hoc rursus ad aliud quod legibus continetur  ; ac tandem ad immensum eius pelagus, adeo ut quod reliquum est, ipsum pulchrum, tandem assequamur ; alteram, quæ ex demonstratis, et subdemonstratis, ad primas, medioque carentes propositiones, ut dum quæstione facta, sit-ne animus immortalis ? inquirimus, an idem semper moveri posset ? eoque demonstrato, rursus, an quod semper moveri potest, idem quoque per se moveatur ? Iterumque hoc demonstrato, an quod per se moveri potest, principium sit motus ? et post hoc deinde, an principii nulla sit origo ? quod quidem ut ratum habetur, ut et illud, quod ingenitum est, interitus quoque esse expers ? ex quo tandem efficitur, ut ipse animus interitus esse expers concludatur ; tertiam ex suppositione ad ea, quæ sine suppositione sumuntur : quando nempe quisquis aliquid investigat illud ipsum supponit ; deinde quod ad suppositum sequitur considerat ; post hæc, si eius, quod suppositum est, ratio

1 lib. 6. de rep. 2 lib. de doct. plat. cap. 3

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immatérielles et à croire à leur existence ; et cela jusqu’à trente ans, âge auquel l’on peut se consacrer à la science dialectique et mettre tous ses efforts pour s’élever, sous sa conduite, à la connaissance de l’Être premier. De là il enseigne que la fonction de la dialectique est de diriger l’esprit par une sorte d’analyse et, en divisant, définissant, inférant, de le conduire vers le premier principe, ce qui est la même chose que le premier vrai, de telle sorte qu’après s’être hissé jusqu’à lui, il puisse redescendre par les mêmes étapes jusqu’aux choses sensibles, sa destinée étant de revenir à ce premier vrai pour s’y reposer enfin. C’est pourquoi il n’est pas non plus étonnant qu’il appelle la dialectique πορεία, à cause de la progression depuis cette caverne dont on peut dire que, de même qu’un œil tend vers la lumière, de même l’esprit tend à en sortir pour aller vers le vrai et que, laissant les ombres, ou choses matérielles, il vise aux simulacres, c’est-à-dire aux formes imprimées dans les choses ; qu’ensuite, laissant les simulacres, sans rien utiliser de sensible, mais seulement les espèces elles-mêmes pures et authentiques, il tend vers le vrai lui-même, l’idée du bien, le principe simple et sans mélange. Or cette πορεία diffère à peine de l’analyse que j’ai rappelée, dont Alcinous1 distingue trois sortes : la première, par laquelle [214v] nous remontons des choses sensibles aux intelligibles – par exemple, lorsqu’on part du beau qui est dans les corps pour passer au beau dans les âmes ; puis au beau dans les occupations ; ensuite au beau dans les lois ; et enfin au vaste océan du beau, de telle sorte que, en poursuivant la recherche, nous trouvions pour finir le beau en soi ; la deuxième, qui, à partir des choses montrées et démontrées, remonte aux propositions premières et immédiates, comme quand, la question étant posée de savoir si l’âme est immortelle, nous cherchons si elle peut être toujours en mouvement ; puis, cela étant démontré, si ce qui est toujours en mouvement se meut aussi soi-même ? Puis, de nouveau, cela étant démontré, si ce qui peut se mouvoir soi-même est principe de mouvement ? Et après cela ensuite, si le principe est sans origine ? Cela étant considéré comme établi, de même aussi que le fait qu’il est inengendré, [nous posons la question de savoir] s’il échappe aussi à la mort ? D’où il se fait enfin qu’il est conclu que l’âme elle-même échappe à la mort ; la troisième sorte d’analyse [s’élève] à partir d’une hypothèse à ce qui est admis sans hypothèse ; quand assurément quelqu’un cherche quelque chose, il le suppose ; ensuite, il considère ce qui résulte de cette supposition ; après cela, s’il faut rendre compte de cette hypo1 Alcinous, Enseignement des doctrines de Platon, V, 157.

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reddenda sit, aliam suppositionem adsumens quærit utrum quod prius suppositum fuerat rursus ad alteram suppositionem consequatur  ; idemque observat donec ad principium perveniat, quod non amplius ex suppositione sumatur. Cæterum quod propterea Plato1 censeat per has analyses divisionem esse necessariam dialectico, ideo facit ne ignoretur, ut rite partiri omnia genera in species conveniat, ac ne mens erret aut fluctuet, dum explorando rei naturam verum genus ac differentiam germanam nancisci peroptat. Nempe et aliud quoddam munus dialecticæ præcipuum definitionem Plato facit2, quoniam tum demum ipsi videtur acquiri rei scientia cum eius natura definiendo innotescit. Ex quo videri mirum non debet, si velit dialectici esse imponere nomina rebus, ac nominibus recte uti, quando apprime ad id facit perspecta illarum natura. Aliud munus dialecticæ diximus esse inductionem ; ea vero se habet ut genus ad omnem demonstrationem sive ratiocinationem, qua Plato probat quæ vera sentit, vel refellit quæ falsa putat (prætereo autem esse et alia, ut adnotavit Lærtius3, de quibus, quia non comprehendit, sustinendum adsensum ducit). Et inductionem quidem esse Platoni generalem probandi modum perspicuum facit tum eius lectio, tum quod post Ciceronem4 Quintilianus ait, Socratem illa plurimum usum, et hanc illum habuisse viam, ut cum plura interrogasset, quæ fateri adversario necesse esset, novissime id, de quo quærebatur, inferret. Ut vide apud illum adpositum exemplum : nam sit igitur, inquit, interrogatio talis : quod est pomum [215r] generosissimum ? nonne quod optimum ? concederetur. Quid equus ? qui generosissimus ? Nonne qui optimus ? et plura in eundem modum. Deinde, cuius rei gratia rogatum est, Quid homo ? Nonne is generosissimus, qui optimus ? fatendum erit. Præter hanc autem inductionem, quæ est a simili, ipsique adnexam a dissimili, adiungit Alcinous aliam, quæ est a singulis ad universa. Ipsi adnectit Lærtius5 aliam, ab uno singulari ad aliud ; sed illa, ut idem observat, est rhetorum propria, cum ea quæ ex pluribus singularibus universale colligitur philosophorum potius sit, tamquam omnis scientiæ ac certitudinis fundamentum. Nimirum quisquis existimat se ex universalibus singularia colligere, nihil aliud nisi retexit inductionem ipsam, qua oportet prius ex illis singularibus collegisse universalia. 1 2 3 4 5

in Theæt. in crat. lib. 3 in top. lib. 3. cap. 1 locis cita.

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thèse, posant une nouvelle hypothèse, il recherche si ce qui a d’abord été supposé s’accorde à son tour avec la deuxième ; et il observe cela jusqu’à ce qu’il arrive à un principe qui ne soit plus posé par hypothèse. Pour le reste, parce qu’en outre Platon pense que la division par ces analyses est nécessaire au dialecticien, il fait en sorte que ce dernier n’ignore pas qu’il convient de partager convenablement toutes les choses en espèces, et il fait en sorte que l’esprit n’erre ni ne fluctue, quand, en examinant la nature d’une chose, il souhaite obtenir finalement le genre des choses et la véritable différence. Assurément Platon fait de la définition une autre mission essentielle de la dialectique, puisque la science de la chose lui semble être acquise seulement quand sa nature, étant définie, devient claire. De là il ne doit pas sembler étonnant qu’il présente comme le propre du dialecticien de donner un nom aux choses et d’utiliser correctement les mots ; puisque c’est avant tout la connaissance de la nature des choses qui le permet. Nous avons dit qu’un autre devoir de la dialectique était l’induction ; elle est le mécanisme commun à toute démonstration ou raisonnement, qu’utilise Platon pour prouver les choses dont il pense qu’elles sont vraies, ou bien rejeter celles qu’il considère comme fausses (je passe qu’il y en a d’autres dont, comme le fit remarquer Diogène Laërce1, parce qu’il ne les comprend pas, il pense qu’il faut suspendre son jugement). Et ce qui nous rend clair que l’induction est pour Platon le mode général pour prouver, c’est d’une part ses propres textes, d’autre part le fait que Quintilien2 dit, après Cicéron, que Socrate l’a grandement utilisée et qu’elle fut à ses yeux une méthode qui « consistait à questionner son interlocuteur sur plusieurs points, dont il devait nécessairement convenir, et, finalement, à inférer de son analogie avec ce qui avait été antérieurement admis la conclusion du problème débattu ». De même vois, chez lui, un exemple approprié3 : « Soit donc la question suivante : “Quel est le plus noble des fruits ? [215r] N’est-ce pas le meilleur ?” On l’accordera. “Et le plus noble cheval ? N’est-ce pas le meilleur ?” Et, ainsi de suite, plusieurs questions allant dans le même sens. “Et chez les hommes, le plus noble n’estil pas le meilleur ?” Il faudra bien le reconnaître ». En plus de cette induction, qui est du semblable, et qui est unie à celle qui est du dissemblable, Alcinous en ajoute une autre4, qui va du particulier à l’universel. Diogène Laërce en 1 2 3 4

Diogène Laërce, III, 52. Quintilien, De l’institution oratoire, V, 11, 3. Quintilien, De l’institution oratoire, V, 11, 4. Alcinous, Enseignement des doctrines de Platon, IV, 154.

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Hinc tametsi Alcinous in eo laborat ut in Platone tres easdem agnoscat syllogismorum figuras, quas Aristoteles induxit ; ut primam hoc exemplo : Iusta pulchra sunt : pulchra bona ; iusta ergo bona sunt ; secundam hoc, quod parteis nullas habet, nec rectum, nec rotundum est : at quidquid figuræ est particeps, aut rectum, aut rotundum est ; quod igitur parteis non habet, non est particeps ullius figuræ ; tertiam hoc, quod figuræ est particeps, quale est : quod figuræ particeps, finitum ; quod ergo quale, finitum est. Tametsi etiam agnoscit illas hypoteticas ratiocinationes eadem methodo deductas, qua Stoici in iis desudant. Attamen nec videtur Plato aliquid de illis somniasse (uti neque illos syllogismos exposito modo proposuit) ; nec Alcinous aliud in Platone sic reperit, quam apud quemlibet authorem reperire in promptu est ; tametsi nihil minus ipsi, quam quod quæritur, atque reperitur, venerit in mentem. Id suadet quod etiam quærit in Platone decem categorias, et alia quæ Platoni non fuerunt curæ. Itaque restat, ut adiiciam Platonem usum quoque fuisse inductione a contrariis ; idque, ut Lærtius notavit1, refellendo potissimum et argumentando adversus Sophistas. Nempe et Sophistæ illa utebantur, unde sunt exempla congesta a Lærtio, ut, Tuus pater aut est a meo diversus, aut

1 loc. cit.

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rapporte une autre qui démontre par le particulier telle conclusion particulière1 ; mais cette sorte d’induction, comme il l’observe, est le propre des orateurs ; alors que celle qui démontre l’universel par le particulier appartient plutôt aux philosophes, en tant qu’elle est le fondement de toute science et de toute certitude. Assurément tout homme qui estime qu’il démontre l’universel à partir de plusieurs singuliers ne fait rien d’autre que faire l’inverse de l’induction, par laquelle il faut avoir d’abord démontré les universels à partir de ces singuliers. De là, même si Alcinous travaille à reconnaître les trois figures de syllogismes qu’Aristote a présentées, la première par cet exemple2 : « Les choses justes sont belles ; les choses belles sont bonnes ; donc les choses justes sont bonnes » ; la deuxième par le suivant : « ce qui n’a pas de parties n’est ni droit ni rond ; mais ce qui participe à une figure est ou droit ou rond ; donc ce qui n’a pas de parties ne participe pas non plus à une figure » ; la troisième par celui-ci : « ce qui participe à une figure relève de la qualité ; ce qui participe à une figure est fini ; donc une certaine chose qui relève de la qualité est finie ». Même s’il reconnaît que ces trois raisonnements hypothétiques sont déduits par la même méthode que celle dont la formulation a fait suer sang et eau les stoïciens. Cependant, ni Platon ne semble pas avoir spéculé à leur sujet (de même qu’il n’a pas proposé de syllogismes de la manière que j’ai exposée) ni Alcinous n’a par là repéré chez Platon autre chose que ce qu’il est loisible de trouver chez n’importe quel auteur ; même si rien de moins que ce qui est cherché et trouvé ne lui vint à l’esprit. Ce qui nous en persuade, c’est qu’il recherche dans Platon également les catégories et d’autres choses qui n’ont cependant pas retenu l’attention de Platon3. C’est pourquoi il me reste à ajouter que Platon a utilisé aussi l’induction par opposition ; et cela, comme Diogène Laërce l’a noté4, ce fut surtout pour repousser les sophistes et argumenter contre eux. Car les sophistes l’utilisaient eux aussi, ce dont nous avons des exemples accumulés par Diogène Laërce5 comme : « Mon père est ou bien autre que le tien ou bien le même ? Si donc ton père est autre que le mien, puisqu’il est autre d’un père, il ne sera pas un père. Mais s’il est le même que mon père, puisqu’il est le même que mon père il sera mon père ». Vois qu’il y en a d’autres de la même farine, surtout dans l’Euthy1 2 3 4 5

Diogène Laërce, III, 54 puis 55. Alcinous, Enseignement des doctrines de Platon, IV, 154. Alcinous, Enseignement des doctrines de Platon, VI, 158. Diogène Laërce, III, 54. Diogène Laërce, III, 53.

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idem ; si igitur diversus a meo tuus est pater, cum diversus a patre sit, pater esse non poterit ; si vero idem est, qui meus pater, meus ergo pater erit. Vide et alia eiusdem farinæ, præsertim in Euthydemo : canis est tuus ; canis est catulorum pater ; igitur canis est tuus pater, et cætera. Hic autem observa quod ait Plotinus1 circa Platonis dialecticam ex accidenti esse, quod ipsa cognoscat mendacia et sophismata, videlicet respectu quodam et quasi aliquid alienum in eam illatum extrinsecus, quod [215v] deprehendatur non congruere ad normam ipsam veritatis. Eximius vero est seu Plato, seu apud ipsum Socrates, in sophismatibus refellendis, ut cum vel tacite distinguit, vel respondendo adiicit aliquid amplius quam sit rogatum, quod indignari Sophistæ solent : an Patrocles frater tuus ? ex matre quidem, non patre ; igitur frater et non frater. Non eodem quidem patre, et cætera. Nunc cum de Aristotele videatur dicendum operæ est pretium heic adtexere compendiosam illam dialecticæ explicationem, quam Cicero2 tribuere tam Aristoteli quam Platoni videtur, esse Platonicam omnino ; in Academicis eam vide : Quamquam oriretur a sensibus, tamen non esse iudicium veritatis in sensibus ; mentem volebant rerum esse iudicem : solam censebant idoneam, cui crederetur, quia sola cerneret id, quod semper esset simplex et uniusmodi et tale quale esset. Hanc illi Ideam apellabant, et quæ sequuntur.

6. Dialecta Aristotelis Igitur Aristoteles alia quadam incedens via dialecticæ finem esse statuit ut per ipsam acquiramus tam veri, τοῦ ἀληθοῦ, quam verissimilis, τοῦ πιθανοῦ, notitiam eo sensu quo est ante dictum. Quia vero illum tam inventionis, quam iudicii principem Cicero3 agnoscit, et Lærtius4 scribit nihil fuisse ab eo prætermissum quod ad inventionem et dispositionem usumque spectat (quæ duo posteriora ille comprehendit sub nomine iudicii), ideo paucis est de utraque parte dicendum. Ac primum quidem ad inventionem Topicorum pertinent 1 2 3 4

enn. 1. lib. 3 cap. lib. 1 in top. et cæ. alias lib. 5

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dème1 : « Et Patroclès est ton frère ? Parfaitement, né de la même mère, mais non du même père. Par conséquent, il est ton frère et il ne l’est point. Pas du côté paternel », etc. Or observe ici que ce que Plotin dit2 à propos de la dialectique de Platon, qu’« elle ne connaît l’erreur et le sophisme que par accident et comme le fait d’un autre, tenant l’erreur comme quelque chose d’extérieur aux vérités qui se trouvent en elle, en reconnaissant quand on le lui présente ce qui est contraire [215v] à la règle du vrai ». Mais aussi bien Platon que Socrate chez Platon est remarquable pour repousser les sophismes, comme quand il distingue tacitement, ou bien quand par sa réponse il ajoute quelque chose de plus que ce qui était demandé, ce dont les sophistes avaient l’habitude de s’indigner3 : « Patroclès est-il ton frère ? Parfaitement dis-je, né de la même mère, mais non du même père. Par conséquent, il est ton frère et il ne l’est point. Pas du côté paternel », etc. À présent, alors qu’il semble qu’il faille parler d’Aristote, il vaut la peine d’ajouter ici que cette explication résumée de la dialectique, que Cicéron semble attribuer tant à Aristote qu’à Platon4, est complètement platonicienne ; vois celle qu’il énonce dans les Académiques : [ils estiment que], « quoique la vérité naisse des sens, le critère de la vérité n’est cependant pas dans les sens ; ils veulent que l’esprit soit le juge des choses ; ils considèrent que lui seul mérite que l’on se fie à lui, parce qu’il est seul à discerner ce qui est simple et toujours semblable à soi-même, et il le voit tel qu’il est. C’est esprit qu’ils appelaient Idée », et tout ce qui suit. 6. La dialectique d’Aristote Donc Aristote empruntant une autre route a établi que la fin de la dialectique était qu’elle nous permette d’acquérir la connaissance tant du vrai, τὸ ἀληθές, que du vraisemblable, τὸ πιθανόν, au sens qui a été dit auparavant. Mais parce que Cicéron le reconnaît comme celui qui a ouvert la voie à l’invention ainsi qu’au jugement5 et que Diogène Laërce écrit6 qu’il n’a rien négligé de ce qui sert à l’invention ni de ce qui sert à l’évaluation, ni de ce qui 1 2 3 4 5 6

Platon, Euthydème, 288e. Plotin, Traité 20, Ennéades I, 3 (= Sur la dialectique), 5, 14-16. Platon, Euthydème, 297d-e. Cicéron, Académiques, I, viii, 8. Cicéron, Topiques, II, 6. Diogène Laërce, V, 28.

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libri, quoniam illi conscripti sunt ut sint quasi sylva locorum, in quibus reperire licet argumenta varia ad faciendam fidem, eamque non modo verissimilimem et coniecturalem (quod ille voluisse præsertim videtur), sed etiam veram ac necessariam (quod philosophus præsertim requirit), cuiusmodi sunt loci a definitione, a causa, et alii. Cicero1 illa sic exposuit, ut iuri civili accommodata fecerit. At licet cuique pari modo ad quamcumque volet materiam eosdem locos traducere, ac proinde a definitione, ab enumeratione partium, a notatione, a coniugatis, a genere, a specie, a similitudine, a differentia, a contrariis, ab adiunctis, a cæteris argumentari. Ita nimirum Aristoteles2 supponit, cum ex iis peti vult argumenta, seu materies, aut problema propositum pertineat ad mores, seu ad naturam, seu ad alia. Quod autem docet locos omnes, unde argumenta eruuntur, revocari ad quatuor illa problematum capita, definitionis, generis, proprii, et accidentis, id suadet ad eamdem inveniendi partem spectare celebrem Porphyrii De Prædicabilibus, quem Aristotelei vulgo præfigunt dialecticis libris. Certe et [216r] ad eamdem spectare Categorias seu Prædicamentorum librum Aristoteles ipse non obscure innuit, cum primo statim Topico, definire, inquit, oportet genera categoriarum in quibus insunt dictæ quatuor differentiæ. Hæc autem sunt numero decem, quid est, quantum, quale, ad aliquid, ubi, quando, situm esse, habere, facere, pati. Semper enim accidens et genus et proprium et definitio in una categoriarum reperientur, et cætera. Deinde ad iudicium, seu dispositionem, pertinent Analytica, tum Priora, tum Posteriora. Imo et qui inscribitur De Interpretatione liber, quatenus fusius explicat quod contractius exprimitur initio Priorum de propositionibus, seu enunciationibus, iisque veris, falsis, adfirmativis, negativis, universa-

1 in top. 2 lib. 1. topic.

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sert à l’utilisation (quant aux deux derniers aspects, il les regroupe sous le nom de jugement), c’est la raison pour laquelle il faut consacrer quelques développements à ces deux parties. Et d’abord les livres des Topiques portent assurément sur l’invention, puisqu’ils ont été conçus pour être comme une forêt de lieux, dans lesquels il est possible de trouver des arguments variés pour emporter l’adhésion au niveau non seulement du vraisemblable et du conjectural (ce qui semble avoir été le but principal d’Aristote), mais aussi du vrai et du nécessaire (ce que le philosophe recherche avant tout), et ce sont les lieux tirés de la définition, de la cause et autres. Cicéron les a exposés de manière à les adapter au droit civil. Mais il est permis à chacun de transposer pareillement ces mêmes lieux à la matière qu’il voudra, et par conséquent de tirer des arguments de la définition, de l’énumération des parties, des signes, des mots qui sont de la même famille, du genre, de l’espèce, de la similitude, de la différence, des contraires, des dépendances, et de tous les autres1. Il est clair qu’Aristote suppose qu’il doive en être ainsi quand il veut qu’on y puise des arguments, autrement dit de la matière, que le problème posé se rapporte aux mœurs, à la nature ou à d’autres sujets. Or ce qui nous assure que, selon sa doctrine, tous les lieux, dont sont tirés les arguments, se réduisent à quatre types de problèmes, la définition, le genre, le propre et l’accident, c’est le fait que c’est de la même partie de l’invention que traite le célèbre livre de Porphyre, Les Prédicables, que les aristotéliciens placent communément en tête des livres dialectiques. Certes [216r] que les Catégories, autrement dit le livre des Prédicables, se rapportent aussi à l’invention, c’est Aristote lui-même qui l’indique de façon non obscure2 quand, dès la première Topique, il dit : « Il nous faut à présent déterminer les catégories des prédications dans lesquelles entrent les quatre qui ont été indiquées. Elles sont au nombre de dix : essence, quantité, qualité, relation, lieu, temps, position, état, action, passion. En effet, l’accident et le genre et le propre et la définition se retrouveront toujours dans une seule des catégories », etc. Ensuite viennent les Analytiques, tant Premiers que Seconds, qui concernent le jugement, ou disposition. Ou plutôt, le livre qui a pour titre De l’interprétation, dans la mesure où il explique plus amplement ce qu’exprime de façon plus contractée le début des Premiers Analytiques, au sujet des

1 Gassendi résume ici Cicéron, Topiques, III, sq. 2 Aristote, Topiques, I, ix, 103b20.

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libus, particularibus, indefinitis, simplicibus, modificatis, oppositis, conversis, et cætera. Itemque de enunciationum partibus, quæ sunt verbum est et duo termini, seu duo nomina ipsum circumstantia, ut in hac, homo est iustus, cum id, quod præcedit, dicitur subiectum, id quod sequitur, adtributum, seu prædicatum. Videlicet, quia erutum ex locis illis argumentum non videtur posse meliore iudicio disponi quam contexendo syllogismum, seu orationem in qua ex præmissis, admissisque duabus enunciationibus (maiorem et minorem vocant) tertia, quæ sit conclusio necessario colligitur ; idcirco totam operam in artificio syllogismorum elaborandorum consumpsit, adeo ut mirum non sit, si se illud primum adinvenisse glorietur, et propterea haberi sibi non parvam gratiam postulet  ; quamquam neque negat1 priores philosophos contexuisse syllogismos, neque contendit illos ipsorum caruisse artificio, sed supponit id artificium abs nemine traditum fuisse, illudque fuisse a se simul excogitatum et traditum. Porro exstat illud præcipue, et generaliter quidem in libris Priorum, in quibus præter cætera docet treis idcirco esse syllogismorum figuras, quod argumentum, seu medium, possit trifariam cum terminis conclusionis sic collocari, ut duas præmissas constituat. Supponamus enim (ut exemplum in litteris, quod ille fecit, adferamus) probari debere conclusionem hanc, omne C est B ; medium vero ad id probandum occurrere nobis, A ; tunc tale medium potest ita copulari, nunc cum C, nunc cum B, ut primo fiat subjectum Maioris, et adtributum Minoris, undeque existat talis syllogismus, A est B, C est A, igitur C est B, etc. Secundo, ut fiat adtributum tam Maioris, quam Minoris, ut si quis dicat, B non est A, C est A, igitur C non est B. Tertio, ut fiat subjectum utriusque, ut si dicatur, A est B, A est C, igitur C est B. Sunt itaque hæ tres figuræ, quibus mirum est quartum non adscriptam, in qua medium fieret adtributum Maioris et subjectum Minoris, ut si diceretur, C est A, A est B, igitur C est B. Id certe longe præstitisset quam intexere

1 lib. elench. in fi.

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propositions ou bien des énoncés, des vrais, des faux, affirmatifs, négatifs, universels particuliers, indéfinis1, modalisés2, opposés, convertis3, etc. Et de même au sujet des parties des énoncés, que sont le verbe est et les deux termes ou deux noms l’encadrant, comme en cet énoncé l’homme est juste, où ce qui précède s’appelle le sujet et ce qui suit, l’attribut ou bien le prédicat. Il est clair qu’aucun argument tiré de ces lieux ne semble pouvoir être disposé d’une meilleure façon qu’en assemblant un syllogisme, autrement dit un discours en lequel depuis des prémisses, c’est-à-dire de deux énoncés admis (qu’on appelle la Majeure et la Mineure) un troisième s’ensuit nécessairement qui est la conclusion ; c’est en cela que consiste tout le travail d’élaboration artificieuse des syllogismes, de sorte qu’il n’est pas étonnant que, le premier à le découvrir, il [Aristote] s’en soit glorifié et ait demandé pour cette raison qu’on lui en ait une obligeance signalée, quoiqu’il ne nie point que les philosophes antérieurs aient assemblé des syllogismes et ne soutient pas davantage que leurs syllogismes aient manqué d’art ; mais il avance que cet art, personne ne l’a transmis, et qu’il lui est revenu à la fois de le découvrir et de le transmettre. En outre cela se voit principalement et dans toute sa généralité dans les Premiers Analytiques, en lesquels avant tout Aristote enseigne qu’il y a trois figures du syllogisme pour cette raison que l’argument, c’est-à-dire le moyen peut se disposer de trois façons avec les termes de la conclusion, de manière à former les deux prémisses. Supposons en effet (en apportant un exemple en lettres, comme Aristote a fait) que nous devions prouver cette conclusion que « Tout C est B » ; et que, pour moyen terme destiné à cette preuve, nous vienne un A : alors un tel moyen peut se lier de telle façon, tantôt avec C, tantôt avec B, que primo, il devienne le sujet de la Majeure et l’attribut de la Mineure, d’où advient ce syllogisme : « A est B, C est A, donc C est B ». Et que secundo, il devienne l’attribut aussi bien de la Majeure que de la Mineure, comme si l’on disait : « B n’est pas A, C est A, donc C n’est pas B ». Que tertio, il devienne le sujet de chacune (des prémisses), comme on dira « A est B, A est C, donc C est B ». C’est pourquoi il y a trois figures, auxquelles on peut ajouter une quatrième, en laquelle le moyen serait attribut de la Majeure et sujet de la Mineure, comme si l’on disait « C est A, A est B, donc C est 1 Il y a deux/trois quantités des propositions, tous les, quelque et l’absence de quantificateur. 2 L’attribution peut être simple, X est M ou modalisée, il est nécessaire, possible, que X soit M. 3 La conversion c’est l’échange sujet/prédicat, quand c’est possible.

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quos appellant modos indirectos primæ figuræ ; sed utcumque sit hoc notandum est cuiusque figuræ distingui modos varios, prout enunciationes fiunt affirmativæ, negativæ, universales, particulares. Quippe in prima dici [216v] potest, omne A est B, omne C est A, igitur omne C est B ; vel, nullum A est B, omne C est A, igitur nullum C est B ; vel, omne A est B, aliquod C est A, igitur aliquod C est B ; vel, nullum A est B, aliquod C est A, igitur aliquod C non est B. Sic in secunda : nullum B est A, omne C est A, igitur nullum C est B ; vel, omne B est A, nullum C est A, igitur nullum C est B. Sic in tertia : omne A est B, omne A est C, igitur aliquod C est B ; vel, nullum A est B, aliquod A est C, igitur aliquod C non est B, atque ita de cæteris, adeo ut ad usque novemdecem distinguantur utileis modi, præter multos inutileis. Prætereo autem, cum prima figura sit omnium perfectissima (ut et perfectissimus est ex illa relatus modus), idcirco Aristotelem tradere simul artificium quo aliæ figuræ et modi ipsarum ad primam figuram modosque ipsius revocari valeant. Docet autem id fieri vel per conversionem ; nam exemplum, primum secundæ figuræ efficeretur secundum primæ, si Maiorem illius, nullum B est A, ita converteris, nullum A est B ; vel per ductum ad incommodum sive impossibile, quando nimirum negata conclusione eius contradictio accipitur, et sic una præmissarum reservata alia unde conclusio elicitur uni præmissarum prius negatæ repugnans, quod concedere incommodum est, et ad impossibilia refertur : ut si prioris exempli in tertia figura negata fuerit conclusio, aliquod C est B, et contradictione ipsius nempe, omne C est B, pro Maiore accepta et servata eadem Minore, tale argumentum facias, quale est idem secundum primæ figuræ, exemplum, nullum C est B, omne A est C, igitur nullum A est B ; quæ iam conclusio pugnat cum illa prius admissa, omne A est B.

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B ». Cela aurait beaucoup mieux valu que d’insérer ce qu’on appelle les modes indirects de la première figure1 ; mais quoi qu’il en soit sur ce point, il faut remarquer que de chaque figure sont à distinguer des modes variés, en raison du fait que les énoncés peuvent être affirmatifs, négatifs, universels, particuliers. Ainsi on peut dire, pour la première figure : « Tout A est B, Tout C est A, donc Tout C est B ; ou bien Nul A n’est B, Tout C est A, donc Nul C n’est B ; ou bien Tout A est B, Quelque C est A, donc Quelque C est B ; ou bien Nul A n’est B, Quelque C est A, donc Quelque C n’est pas B ». De même pour la seconde figure : « Nul B n’est A, Tout C est A, donc Nul C n’est B ; ou bien Tout B est A, Nul C n’est A, donc Nul C n’est B. Et de même pour la troisième figure : Tout A est B, Tout A est C, donc Quelque C est B ; ou bien Nul A n’est B, Quelque A est C, donc Quelque C n’est pas B », et ainsi de suite, jusqu’au point de distinguer pas moins de dix-neuf modes valables, outre une multiplicité de non-valables. Je passe donc, comme la première figure est la plus parfaite de toutes (et de même est le plus parfait le mode qui s’y rattache) au fait qu’Aristote nous a rapporté tout l’art par lequel les autres figures et leurs modes propres pouvaient être réduits à la première figure et à ses propres modes. Il enseigne d’ailleurs que cela se peut ou bien par conversion ; car, par exemple, le premier mode de la seconde figure donnerait le second mode de la première, si sa Majeure, « Nul B n’est A », était ainsi convertie : « Nul A n’est B » ; ou bien par réduction à l’incohérent, autrement dit à l’impossible, quand la négation de la conclusion est assurément tenue pour une contradiction, lorsqu’elle compte pour l’une des prémisses, l’autre étant conservée, d’où se tire une conclusion incompatible avec l’une des prémisses antérieure à la conclusion niée, ce qu’il est incohérent d’accepter et se trouve réduit à l’impossible : ainsi dans le premier exemple de la troisième figure, si la conclusion à nier était « Quelque C est B » et qu’en contradiction avec celle-là même, « Tout C est B », elle soit prise pour la Majeure, la Mineure étant conservée, cela ferait un argument tel qu’il serait le même qu’un second mode de la première figure, par exemple, « Nul C n’est B, Tout A est C, donc Nul A n’est B », ce dont la conclusion est incompatible avec cette prémisse antérieurement admise : « Tout A est B ». 1 Innovation de Théophraste, qui a ajouté cinq modes aux quatre canoniques de la première, auxquels d’ailleurs tous les autres peuvent se ramener par conversion sujet/prédicat ou permutation des prémisses.

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In libris vero Posteriorum totus est speciatim circa syllogismum demonstrativum, seu gignentem scientiam, hoc est cognitionem claram et indubiam. Unde et declarat copiose quemadmodum demonstratio constet a principiis seu propositionibus veris, et indemonstrabilibus, ac primis, quæ eædem sint causæ conclusionis, et ea notiores, itemque universales, necessariæ, per se, rerum æternarum. Et nullum quidem exemplum adfert beatæ illius demonstrationis, cui ista omnia convenient. Verum postquam demonstrationem aliam docuit esse διότι, seu, cur fit (a priori et per causam vocant) ; aliam ὅτι seu, quod sit (a posteriori vocant, et per effectum), prioris esse exemplum dicit, cum [217r] ex eo quod planetæ prope sint infertur ipsos non scintillare, vel ex eo quod luna est globosa colligitur ipsam lumine augeri ; posterioris, cum ex opposito probatur planetas esse prope quia non scintillant, et lunam esse globosam quia augeretur lumine. Quo etiam loco commendat illud Anacharsidis, non sunt in Scythia tibicines, quia neque vites. Mitto quæ habet consequenter de medio demonstrationis, ac nominatim de definitione, quam potissime esse medium vult. Quæ item de scientiæ oppositis, ut ignorantia, opinione, et aliis. Tandem quod ad usum, seu alteram partem iudicii spectat, conscripsit Aristoteles, tum nonnulla capita librorum Analyticorum, ac Topicorum ultimum librum, tum etiam librum Elenchorum, seu ille unus, seu duplex sit. In iis nempe tradit varia tam interrogantis quam respondentis officia, atque adeo modum, quo ille hunc irretiat, hic illum eludat. Heinc est quod docet consequenter de speciebus sophismatorum sive paralogismorum, quas refert ad duo capita, in dictione, extra dictionem. Nam in dictione quidem agnoscit quæ vocat sophismata homonymiæ, ut si quis ex eo quod canis definitur, animal latrans, colligat sidus quoddam latrare, nempe cui nomen canis est ;

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Dans les Analytiques postérieurs, tout est particulièrement consacré au syllogisme démonstratif, ou qui produit la science, c’est-à-dire la connaissance claire et indubitable. D’où Aristote fait voir avec abondance que toute démonstration procède de principes ou propositions vraies, aussi bien indémontrables que premières, qui sont elles-mêmes les causes de la conclusion, plus connues qu’elle, et encore universelles, nécessaires et portant sur des choses éternelles. Et il n’apporte certes nul exemple de cette heureuse démonstration, à laquelle tous pourront convenir. Mais après avoir enseigné qu’autre est la démonstration du διότι, c’est-à-dire « pourquoi c’est » (qu’on appelle a priori et par la cause) et qu’autre celle de l’ὅτι, c’est-à-dire « le fait que c’est » (qu’on appelle a posteriori ou par les effets), il dit que voici un exemple de la première démonstration : de ce que [217r] les planètes sont proches on infère qu’elles ne scintillent pas, ou de ce que la lune est sphérique on conclut que sa lumière augmente ; et voici de la démonstration postérieure : à l’opposé on prouve que les planètes sont proches de ce qu’elles ne scintillent pas et que la lune est sphérique de ce qu’elle augmente en lumière. C’est également en ce lieu1 qu’il fait valoir l’argument d’Anacharsis, qu’« il n’y a point de joueurs de flûte en Scythie parce qu’il n’y a pas de vignes ». Je laisse de côté ce qui tient logiquement au moyen terme de la démonstration et nommément à la définition, dont Aristote veut qu’elle soit par excellence le moyen terme. Et de même ce qui tient aux opposés de la science, comme l’ignorance, l’opinion, et autres. Enfin, pour ce qui est de l’usage, c’est-à-dire la seconde partie du jugement, Aristote lui a consacré d’une part plusieurs chapitres des livres Analytiques et le dernier livre des Topiques, et d’autre part aussi le livre des Réfutations, que celui-ci soit simple ou double. Dans ces passages, il rapporte effectivement les différents devoirs qui incombent à celui qui interroge et à celui qui répond, ainsi que la manière pour le premier d’embarrasser le second et, pour le second, d’éluder le premier. Puis il y a ce qu’il enseigne par la suite sur les espèces de sophismes ou paralogismes, qu’il rapporte à deux espèces, qu’ils « tiennent à l’expression »2 ou qui sont « indépendants de l’expression »3. En effet, parmi ceux qui « tiennent à l’expression », il reconnaît ce qu’il appelle les sophismes d’homonymie, comme si quelqu’un, sur la base de la définition du chien comme un animal qui aboie, infère qu’une certaine 1 Ibid., 78b 30, après examen des exemples susdits au chapitre I, 13. 2 Aristote, Les Réfutations sophistiques, 4, 165b sqq. 3 Aristote, Les Réfutations sophistiques, 4, 166b sqq.

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amphiboliæ, ut si ex oraculo, Crœsus Halin penetrans magnam pervertet opum vim, colligat Crœsus Persicas potius quam suas opes se perversurum ; compositionis, ut si ex eo quod quis est sutor, et idem est vir bonus, colligas esse sutorem bonum ; divisionis, ut si quod vere dicitur, nunc te esse natum, quis inferat se nunc esse natum ; accentus, ut si quia dum leporem quis venatur, currit, inferatur oratorem, dum in concione leporem venatur, currere ; figuræ dictionis, ut si ex eo quod calcari dicitur, quod perambulatur, colligatur te calcare totum diem, quia totum diem perambulas ; extra dictionem vero quæ vocat accidentis, ut si ex quo quod dicis te Coriscum nosse, et eumdem tamen velatum non agnoscis, coargueris idem simul nosse et non nosse ; sive quod dicitur simpliciter, et secundum quid, ut si ex eo quod non sunt reddenda arma domino furioso, inferatur non esse ergo reddenda domino, vel ex eo quod sunt reddenda domino, inferatur ergo et furioso ; ignorationis elenchi, seu redargutionis, nempe dum quis redarguitur, eo quod ignoret contradictionem non esse nisi de eodem respectu eiusdem, ut si quis ex eo quod dimidium non est duplum, inferat duo non esse duplum unius, cum duo sint dimidium quatuor ; petitionis principii, ut si quis probet animum immortalem esse, quia

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étoile aboie, parce qu’elle a pour nom le chien1 ; et les sophismes d’amphibolie, comme quand, à partir de l’oracle « si Crésus franchissait l’Halys, il renverserait un grand empire », Crésus infère qu’il va renverser les richesses de la Perse plutôt que la sienne2 ; les sophismes de liaison, du fait que quelqu’un est un cordonnier et aussi un homme bon, tu en conclus qu’il est un bon cordonnier ; les sophismes de division, du fait que si un propos vrai est tenu, à savoir « que tu es né maintenant », quelqu’un infère qu’il est né maintenant ; les sophismes d’accentuation, du fait que parce que quand l’on chasse un lièvre il court, on infère que l’orateur court3 ; les sophismes de la forme de l’expression, qui dit qu’est piétiné ce sur quoi on a marché, de sorte qu’il conviendrait d’en conclure qu’on piétine toute la journée parce qu’on marche toute la journée ; mais sont « indépendants de l’expression » les sophismes qu’il appelle d’accident, comme si du fait que tu dis que tu connais Coriscus et que tu ne le reconnais pourtant pas vu qu’il est voilé, tu argumentes qu’il est en même temps vrai que tu le connais et que tu ne le connais pas ; soit ce qui est dit simplement et selon lequel, comme quand à partir du fait qu’il ne faut pas rendre les armes à un maître furieux, il est donc inféré qu’il ne faut pas les rendre donc au maître, ou bien à partir du fait qu’il faut rendre les armes au maître, il est inféré qu’il faut les rendre aussi au furieux ; les sophismes d’elenchus ou réfutation de l’ignorance ; car quand quelqu’un réfute parce qu’il ignore que la contradiction ne se dit que du même par rapport au même, de sorte que si quelqu’un à partir du fait que la moitié ne signifie pas le double conclut que deux n’est pas le double d’un étant donné que deux est la moitié de quatre4 ; de pétition de principe, comme de démontrer que l’âme est immor1 Gassendi traite cet exemple dans les Exercitationes, livre II, Diss. i, art.6 : « Que la dialectique se taise donc en ce qui concerne les choses sérieuses ; et qu’elle s’exerce cependant à ces petits jeux dont elle prétend tirer gloire : Tout chien aboie ; mais une certaine constellation est le Chien ; donc une constellation aboie. » 2 Cet exemple se trouve dans Ammonius, De l’interprétation, IX, 135. Gassendi le reprend dans le Syntagma philosophicum, Éthique, Livre III, [841b], voir Pierre Gassendi, De la liberté, de la fortune, du destin et de la divination, traduction et annotation par Sylvie Taussig (Brepols 2008), p. 101. 3 Jeu de mot introduisible, lepus voulant dire lièvre et lepos esprit. 4 Une fois deux est considéré comme moitié de quatre, et une fois comme double d’un ; si l’on suppose, correctement, que la moitié n’est pas la même chose que le double, on peut conclure que deux n’est pas le double de l’un et, en même temps, que deux n’est pas la moitié de quatre – or, en réalité, deux est considéré sous des aspects différents : une fois en tant que double et une fois en tant que moitié ; par conséquent, ce n’est pas du même deux (i.e.

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morti obnoxius non sit ; consequentis, ut si ex eo quod mel est flavum, putet consequi bilem esse mel, cum bilis sit flavus ; non causæ, ut si quia vinum bibentes rixantur, vinum inferat damnandum ; [217v] plurium denique interrogationum, ut si quis rogatus, numquid Socrates homo est, et brutum, responderit, est, inferatur, igitur est brutum ; si, non est, ergo non est homo.

7. La dialectique des stoïciens Sed his dimissis dicendum est de Zenone Cittiæo, qui sic instituit Stoicos, ut quam plurimum operæ in dialectica ponerent1. Nimirum cum illam a rhetorica ita distinxisset, ut rhetoricam palmæ, dialecticam pugnæ similem esse diceret, facile persuasit nervos orationis ad dialecticam pertinere, et sine illa neminem posse vehementer sollerteque sermones conserere, nec verum a falso internoscere, nec probabilia et ambigua distinguere, quod a Lærtio2 memoratur. Quare et mirari non debes, si Chrysippus volumina supra trecenta, ab eodem Lærtio, recensita de dialectica scripserit, evulgatumque fecerit, deos, si uterentur dialectica, Chrysippeam usurpaturos ; neque item si vel de uno pseudomeno tot volumina fuerint, quot a Seneca notantur conscripta3. Id mirum nihilominus, quod Cicero non semel notat4, Stoicos tot libris nihil tradidisse de ea parte dialecticæ quæ inveniendi adpellatur ; addo, cum pars alia, quæ ad iudicandum, sive disponendum spectat, versetur potissimum

1 2 3 4

Cic. 1. de fin. quintil. Lib. 2. cap. lib. 7 epist. 45 in. top. et cæ. 4 de fin.

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telle parce qu’elle n’est pas soumise à la mort ; de conséquence consequentis, comme de penser, du fait que le miel est jaune, qu’il s’ensuit que la bile est du miel, vu que la bile est jaune ; de fausse cause, comme d’inférer qu’il faut condamner le vin parce que des gens qui ont bu du vin se sont querellés ; [217v] enfin d’interrogation multiple, par exemple s’il était répondu à la question de savoir « si Socrate est homme et fauve » : « il est », on en déduirait « Donc, il est fauve » ; mais si on répondrait « il n’est pas », on en déduirait « Donc, il n’est pas homme ». 7. La dialectique des stoïciens Mais ayant terminé sur ce point, il me faut parler de Zénon de Cittium, qui a formé les stoïciens de façon qu’ils donnent le plus d’attention possible à la dialectique. Assurément alors qu’il avait distingué celle-ci de la rhétorique de telle sorte qu’il disait que la rhétorique était semblable à la paume, et la dialectique au poing, il a facilement persuadé que la vigueur du discours concernait la dialectique et que, sans elle, nul ne pouvait engager des conversations avec véhémence et adresse, ni connaître le vrai et le faux, ni distinguer le vraisemblable et ce qui est formulé de façon ambiguë, comme le rappelle Diogène Laërce1. C’est pourquoi tu ne dois pas t’étonner si Chrysippe a écrit plus de trois cents volumes, comme dit le même Diogène Laërce2, sur la dialectique et qu’il a fait savoir que, s’il y avait une dialectique chez les dieux, ce ne pouvait être que la sienne ; et tu ne dois pas t’étonner davantage s’il y eut de rédigé sur le seul menteur le si grand nombre de volumes que Sénèque note. Ce qui est néanmoins étonnant, c’est ce que Cicéron appelle plus d’une fois3, à savoir que les stoïciens, dans leurs si nombreux livres, n’ont rien rapporté sur cette partie de la dialectique qui s’appelle l’invention ; j’ajoute qu’alors que l’autre partie, qui concerne le jugement ou la disposition, est considéré sous le même aspect) que l’on dit les deux propositions = ce n’est pas une contradiction de dire que deux est le double d’un et qu’il est en même temps la moitié de quatre ; celui qui, pour respecter le principe de non-contradiction, tire la conclusion : « il infère que deux n’est pas le double d’un vu que deux sont la moitié de quatre », a tort. 1 Diogène Laërce, VII, 47. 2 Diogène Laërce, VII, 180. Il semble que Gassendi confonde ici Épicure et Chrysippe. C’est le premier qui a composé plus de trois cents cylindres « de sa main », tandis qu’à Chrysippe est attribué plus de sept cent cinq ouvrages. 3 Cicéron, Topiques, I, 2 ; De finibus, IV, iv, 10.

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in confectione syllogismorum, et ex syllogismis, alii sint absoluti, ut qui sunt ex Aristotele paulo ante, alii hypothetici, qualis iste, si est A, est B ; atqui est A ; igitur est B ; addo, inquam, Stoicos nihil pene docuisse de absolutis, sed fuisse totos in hypotheticis, in quibus aliunde Aristoteles desuderat nihil. Eo porro ut pervenirent, duo distinxerunt dialecticæ locos1, alterum de voce, quæ significat, alterum de re, quæ significatur. Et occasione quidem prioris quærunt quid sit vox, quid dialectus, quot et quales sint literæ, quæ partes orationis, quid barbarismus, quid sollecismus, quid poema, quid alia (imitati nempe Aristotelem, qui etiam definit quid nomen, quid verbum), ac disputant etiam de definitione, divisione, deque genere, specie, et ambiguis. Posterior vero non intelligitur de rebus, prout sunt extra animum, sed quatenus transeunt per sensus (qua occasione de sensibus agunt) et recipiuntur in animo (qua occasione agunt de phantasia, seu impressione, quæ fit in principe animi parte veritatemque diiudicat, si præsertim comprehensiva, καταληπτικὴ, fuerit, quod infra explicabitur). Denique et eædem res ab animo ipso cognoscuntur et quasi dicuntur, qua occasione nascitur illis Περὶ τῶν λεκτῶν, De Dictis, tractatio. Nempe volunt dictorum quædam imperfecta esse, hoc est, imperfecte quid significare (κατηγορήματα etiam adpellant), ut, scribit, non exprimitur enim quis, et quædam perfecta, ut, Socrates scribit, [218r]. Inter perfecta præcipuum dant locum axiomatibus, hoc est enunciationibus (ita nimirum Cicero vertit2, cum aliquando etiam effata interpretetur), docentes quid discriminis sit inter axioma quale est adlatum, Socrates scribit, et interrogationem, pronuntiationem, iussionem, et similia. Axioma autem varie dividunt, scilicet in verum,

1 Seneca Laertius Empiric. et al. 2 lib. de fato. 4 academ.

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consacrée essentiellement à la fabrication de syllogismes et que, parmi les syllogismes, les uns sont absolus, comme ceux qui sont rapportés d’après Aristote ci-dessus, et les autres hypothétiques, tel que le suivant : « s’il y a A, il y a B ; or il y a A ; donc il y a B » ; j’ajoute, dis-je, que les stoïciens n’ont presque rien enseigné sur les syllogismes absolus, mais qu’ils se sont entièrement voués aux hypothétiques, sur lesquels Aristote n’avait d’ailleurs sué ni sang ni eau. En outre, pour parvenir là, ils distinguèrent deux lieux de la dialectique, l’un sur le son vocal qui signifie, l’autre sur la chose, qui est signifiée. Et, dans le premier, ils recherchent ce qu’est la voix, ce qu’est l’expression et ce que sont les lettres, les parties du discours, le barbarisme, le solécisme, la forme poétique et les autres choses (ils imitent Aristote, qui définit aussi ce qu’est le nom, ce qu’est le verbe) et ils débattent encore de la définition, de la division, et du genre, de l’espèce et des équivoques. Le second lieu ne s’entend pas des choses en tant qu’elles sont hors de l’esprit, mais dans la mesure où elles transitent par les sens (c’est à cette occasion qu’ils traitent des sens) et sont reçues dans l’esprit (c’est à cette occasion qu’ils traitent de la représentation, ou impression, qui se produit dans la principale partie de l’esprit et qui juge de la vérité, surtout si elle fut compréhensive καταληπτικὴ1, ce qui sera expliqué ci-dessous). Enfin les mêmes choses sont connues et comme dites par l’esprit luimême, et c’est à cette occasion qu’ils sont conduits à traiter Περὶ τῶν λεκτῶν, « Des exprimables »2. Car ils veulent que certains des exprimables soient incomplets, c’est-à-dire signifient quelque chose incomplètement (ils les appellent aussi des κατηγορήματα, prédicats3) comme « écrit », car il n’est pas indiqué qui fait l’action, et que certains soient complets, comme « Socrate écrit » [218r]. Parmi les exprimables complets, ils accordent la place principale aux propositions, c’est-à-dire aux énonciations (c’est ainsi que Cicéron4 les traduit, alors qu’il interprète aussi quelquefois comme des effata5), enseignant quelle différence il faut poser entre la proposition, telle celle que j’ai rapportée, « Socrate écrit », et l’interrogation, l’affirmation, l’ordre et autres semblables. Or ils divisent la proposition en différentes sortes, à savoir vraie, 1 Ce terme est employé par Cicéron, Académiques, II, vi, 18, reprenant Diogène Laërce, II, 92 ; IX, 61. 2 Diogène Laërce, VII, 63. 3 Diogène Laërce, VII, 64. 4 Cicéron, Traité du destin, I, 1. 5 Cicéron, Académiques, II, xxx, 95.

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falsum, probabile, et consentaneum. Itemque in possible, ut Diocles vivit ; impossibile, ut terra volat ; necessarium, ut virtus iuvat ; non necessarium, ut Dion ambulat. Sed præcipua divisio est ut axiomatum alia simplicia, alia non simplicia dicantur. In simplicibus numerant adfirmativum, negativum, privativum, et alia ; in non simplicibus vero connexum, quod adficitur coniunctione si, ut si dies est, lux est ; adnexum, quod coniunctione ἐπεὶ, quoniam, ut quoniam dies est, lux est ; copulatum, quod coniunctione et, ut et dies est, et lux est ; disiunctum, quod coniunctione vel, ut vel dies est, vel nox est ; caussale, quod coniunctione διότι, propter quod, ut propterea quod dies est, lux est ; declarans maius, ut magis est dies, quam nox ; declarans minus, ut minus nox est, quam dies. Cum sint vero cuiuslibet harum specierum partes duæ, quarum aliam incipientem vocant, ut si dies est, aliam desinentem, ut lux est (vocat Cicero1 superius et inferius, dicunt vulgo iam antecedens et consequens), idcirco illas varie secundum veritatem et falsitatem comparantes, connexum illud verum dicunt cuius antecedenti oppositum consequentis repugnat (usitata ac non inepta usurpo vocabula) ; tale est exemplum adlatum, nam antecedenti, si dies est, repugnat lucem non esse, quod est oppositum consequentis, lux est ; falsum, cuius antecedenti oppositum consequentis non repugnat, ut in hoc exemplo, si Dion est, Dion ambulat ; adnexum verum, quod e vero incipiens desinit in id, quod est sibi consequens, ut quoniam dies est, sol est super terram ; falsum, quod secus, ut quoniam nox est, Dion ambulat, atque ita de cæteris.

1 4 acad.

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fausse, probable1 et conforme. Et encore en possible, comme « Dioclès vit » ; impossible comme « la terre vole » ; nécessaire, comme « la vertu plaît » ; non nécessaire comme « Dion se promène ». Mais la principale division oppose certaines des propositions qui sont dites simples aux autres qui sont non simples2. Parmi les simples, ils rangent l’affirmative, la négative, la privative et autres ; et parmi les non simples, ils mettent donc la conditionnelle qui est affectée par la conjonction « si », comme « s’il fait jour, il y a de la lumière » ; la paraconditionnelle, qui l’est par la conjonction ἐπεὶ, « puisque », comme « puisqu’il fait jour, il y a de la lumière » ; la conjonctive, qui l’est par la conjonction « et », comme « il fait jour et il y a de la lumière » ; la disjonctive, qui l’est par la conjonction « ou », comme « ou il fait jour ou il fait nuit » ; la causale, qui l’est par la conjonction διότι, « parce que », comme « parce qu’il fait jour, il y a de la lumière » ; la comparative qui élucide le plus, « comme il fait plus jour que nuit » ; la comparative qui élucide le moins, comme « il fait moins nuit que jour ». Mais alors que chacune de ces espèces comporte deux parties3, dont ils ont appelé la première le membre initial, comme « s’il fait jour », et la seconde le membre final, comme « il y a de la lumière » (Cicéron les appelle le « précédent » et le « suivant »4, alors qu’on les appelle communément « l’antécédent » et le « conséquent »), c’est pourquoi, définissant les propositions en les comparant leur degré de relation à la vérité et à la fausseté, ils disent qu’est vraie la proposition conditionnelle dont au membre initial, « s’il fait jour », s’oppose la contradictoire du membre final (j’utilise un vocabulaire courant, lequel ne manque pas d’être adapté) ; tel est l’exemple que j’ai introduit, car au membre initial « s’il fait jour » s’oppose le fait qu’il n’y ait pas de lumière, ce qui est la contradictoire du membre final « il y a de la lumière » ; qu’est fausse la proposition conditionnelle au membre initial de laquelle ne s’oppose pas la contradictoire du membre final, comme dans l’exemple, « si Dion est, Dion se promène » ; qu’est vraie la paraconditionnelle qui commence par le vrai et s’achève sur une affirmation conséquente, comme « puisqu’il fait jour, le soleil est au-dessus de la terre » ; fausse celle qui ne l’est pas, comme « puisqu’il fait nuit, Dion se promène », et ainsi de suite pour toutes les autres. 1 2 3 4

Diogène Laërce, VII, 65. Diogène Laërce, VII, 68 sq. Diogène Laërce, VII, 73 sq. Cicéron, Académiques, II, xxx, 96. Traduction modifiée.

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Hisce præmissis de syllogismo agunt, quem tamen frequentius λόγον, seu rationem appellant ; quippe et rationem definiunt quæ constat ex tribus axiomatibus, sumptione, adsumptione, et conclusione vocatis ; exemplum adferunt, si dies est, lux est, sumptio : est autem dies, adsumptio : igitur lux est, conclusio. Tropum, hoc est modum (seu mavis regulam) adsignant, ut huiuscemodi, si primum, ergo secundum ; atqui primum, igitur secundum. Hoc autem tropo brevitatis causa utuntur interdum tam in adsumptione, quam in conclusione, et tunc dicitur λογότροπος ; exempli gratia, si vivit Plato, respirat Plato ; atqui primum ; ergo secundum. Deinde rationum alias dicunt indefinentes, seu quæ pravum exitum habent [218v], ἀπεραντοὺς, qualis illa est, si dies est, lux est ; atqui dies est ; igitur deambulat Dion ; alias definientes, seu rectum exitum habentes, περαντικοὺς λόγους. Ex his vero quasdam esse demonstrabiles, seu quæ ulterius debent aut possunt probari, quasdam indemonstrabiles, quæ secus. Harum quinque statuuntur species, quæ operose quidem definiri solent ; sed breviter tamen intelligi possunt ex reductione ad has regulas : primam, si primum, ergo secundum ; atqui primum ; ergo secundum ; secundam, si primum, ergo secundum ; atqui non primum ; igitur nec secundum ; tertiam, non primum simul ac secundum ; atqui primum ; non ergo secundum, vel, atqui non secundum ; igitur nec primum ; quartam, vel primum, vel secundum ; atqui primum ; non ergo secundum ; quintam, vel primum, vel secundum ; atqui non primum ; igitur secundum. Exempla esse in promptu possunt. Præterea alias dicunt συλλογίστους καὶ ἀσυνάκτους seu colligendi vim non habentes, idque seu propositiones non cohæreant, ut in ista, si dies est, lux est ; atqui frumenta in foro venduntur ; ergo deambulat Dion, seu quod superfluum intermisceatur, ut in hac, si dies est, lux est ; atqui dies est ; quin

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Après ces explications, ils traitent du syllogisme qu’ils appellent plus souvent λόγος, ou « argument »1 ; car ils définissent aussi l’argument comme ce qui consiste en en trois propositions, nommés prémisse, mineure et conclusion2 ; ils apportent comme exemple « s’il fait jour, il y a de la lumière », prémisse ; « or il fait jour », mineure ; « donc il y a de la lumière », conclusion. Ils assignent un trope, c’est-à-dire un mode (ou si tu préfère une règle), comme suit : « si le premier, alors le second ; or le premier, donc le second ». Or ils utilisent ce trope à cause de sa brièveté aussi bien dans la mineure que dans la conclusion, et il s’appelle dans ce cas λογότροπος, un « argument réduit en mode »3 ; par exemple « si Platon vit, Platon respire ; or le premier donc le second ». Ensuite ils disent que d’autres arguments sont non conclusifs, pour désigner ceux qui aboutissent mal [218v], ἀπεραντοὶ, comme le suivant : « s’il fait jour, il y a de la lumière ; or il fait jour, donc Dion se promène » ; et des arguments conclusifs, pour désigner ceux qui aboutissent correctement, περαντικοὶ λόγοι. Parmi ceux-là, ils disent que les uns sont démontrables, c’est-à-dire tels qu’ils doivent ou peuvent être prouvés ultérieurement4, et les autres indémontrables, qui ne le sont pas. De ces derniers il est établi cinq espèces dont les définitions sont d’habitude laborieuses5 ; mais qui peuvent cependant être compris avec brièveté grâce à la réduction aux règles suivantes : la première : « Si le premier, donc le second ; or le premier, donc le second » ; la deuxième, « si le premier, donc le second ; or non le premier, donc non le second » ; la troisième « non le premier en même temps que le second ; or le premier ; donc non le second » ou bien « or non le second ; donc pas non plus le premier » ; la quatrième : « ou bien le premier ou bien le second ; or le premier ; donc non le second » ; la cinquième : « ou bien le premier ou bien le second ; or non le premier, donc le second ». Les exemples existent à foison. En outre ils appellent d’autres arguments ἀσυλλογίστοι καὶ ἀσυνάκτοι [non syllogistiques et non concluants6], c’est-à-dire ne permettant pas de conclure, et cela, soit que les prémisses n’aillent pas ensemble, comme dans le suivant : « s’il fait jour, il y a de la lumière ; or du blé est vendu au marché ; 1 2 3 4 5 6

Diogène Laërce, VII, 78 sqq. Diogène Laërce, VII, 76. Diogène Laërce, VII, 77. Diogène Laërce, VII, 78-81. Diogène Laërce, VII, 79-81. Je n’ai pas trouvé la référence qui associe les deux adjectifs.

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etiam Dion deambulat ; igitur lux est, seu præpostera forma sit, uti in ista, si dies est, lux est ; atqui lux est ; igitur dies est : non enim adsumendum erat secundum, sed primum. Rursus alias dicunt esse necessarias, alias non necessarias, itemque alias veras, alias falsas. Volunt autem veritatem et falsitatem consecutionum ex his iudicari regulis ; verum vero est consequens, ut si dies est, lux est ; et falso falsum, ut si falsum est noctem esse, falsum est et tenebras esse ; et falso verum, ut si terra volat, terra est ; at non vero falsum, ut si terra est, non sequitur tamen quod volet. Postremo et ipsi tradunt varios captiosæ rationis sive sophismatum modos, quos isti solent ἀπόρους λόγους, quasi dicas intricatos, aut etiam inextricabileis, adpellare. Ex iis sunt quos superius circa Eubulidem deduximus : mentiens, fallens, Electra, obvelatus, sorites, cornutus. Præterea vero sunt θερίζων, metens, et κυρίστων, dominans, cuius utriusque meminit Lucianus1, sed exemplis nullis adlatis. Iudicat tamen Lærtius metentem fuisse quasi quoddam sophismatum genus, cum dicit Zenonem, ut septem ipsius addisceret species, ducentas minas obtulisse dialectico, qui poposcerat tamen solum centum. Sic quem Lærtius adpellat περαίνοντα, colligentem, videtur nihil fuisse aliud, quam genus eorum sophismatum, seu syllogismorum, qui sola peccant materia, cum aliunde forma valeant. Ita prope colligitur cum ex ipsa vi nominis περαίνειν ; quippe est frequenter (et maxime apud Plutarchum) [219r] ex concessis concludere ; tum ex interpretatione Alexandri Aphrodisæi2.

1 in auc. vet. in symp. et cæ. 2 in symp. et de procr. an

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donc Dion se promène », soit qu’il s’y glisse quelque chose de superflu, comme dans la suivante : « s’il fait jour, il y a de la lumière ; or il fait jour ; et bien plus Dion se promène ; donc il y a de la lumière », soit que la forme soit intervertie, comme dans le suivant : « s’il fait jour, il y a de la lumière ; or il y a de la lumière ; donc il fait jour » ; en effet ce n’est pas le second qui constituait la mineure, mais le premier. Ils disent encore que certains arguments sont nécessaires, d’autres non nécessaires, et aussi que les uns sont vrais, les autres faux1. Or ils veulent que la vérité et la fausseté des consécutions soient jugées d’après les règles suivantes ; le vrai suit le vrai, comme « s’il fait jour, il y a de la lumière » ; et le faux suit le faux, comme « s’il est faux qu’il fasse nuit, il est faux que ce soient aussi les ténèbres » ; et le vrai suit le faux, comme « si la terre vole, la terre existe » ; et le faux suit le non vrai, comme « si la terre existe, il ne s’ensuit cependant pas qu’elle vole ». Enfin ils rapportent eux aussi des modes variés d’arguments captieux ou sophismes, qu’ils ont l’habitude d’appeler ἀπόροι λόγοι, pour ainsi dire intriqués ou même inextricables2. Parmi ceux-ci sont ceux que nous avons développés quand il fut question d’Eubulide : le menteur, le trompeur, Électre, le voilé, le sorite, le cornu. Mais il y a en outre θερίζων, le « moissonneur » et κυρίστων, le « dominateur », dont Lucien mentionne l’un et l’autre3, mais sans apporter d’exemple. Diogène Laërce juge cependant4 que le moissonneur fut une sorte de sophisme, quand il dit que Zénon, quand il en apprit les sept formes, offrit deux cents mines au dialecticien qui ne lui en avait pourtant demandé que cent. De la même façon, il semble que l’argument que Diogène Laërce appelle5 περαίνων, le « conclusif », n’ait été rien d’autre que le genre de ces sophismes ou syllogismes qui pèchent par leur seule matière, alors qu’ils sont valable au niveau de la forme. Il suffit presque, pour le comprendre, de regarder d’une part au sens de son nom, περαίνειν, « aller jusqu’au bout de » ; car il arrive fréquemment (et surtout chez Plutarque) que « l’on conclue à partir des points dont on a convenu »6 ; [219r] et d’autre part d’après l’interprétation d’Alexandre d’Aphrodise7. 1 2 3 4 5 6 7 31.

Diogène Laërce, VII, 79. Diogène Laërce, VII, 82 (« embarrassants » dans la traduction moderne). Lucien, Philosophes à vendre, 22. Diogène Laërce, VII, 25. Diogène Laërce, VII, 77. Plutarque, Banquet des sept sages, 152b ; De la création de l’âme d’après le Timée, 1013b. Alexandre d’Aphrodise, Commentaire sur les Premiers Analytiques d’Aristote livre I, 21,

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Extat etiam apud Lærtium1 qui dicitur οὔτις, Nullus, deductus, ut opinor, ex eo nomine quod sibi Ulysses, cum colloquens Polyphemo, apud Homerum adfinxit2 ; exemplum Lærtius subiicit, sed quia tam adsumptio, quam conclusio, alias iuxta definitionem ibidem adlatum necessaria evanuit, idcirco ecce aliud exemplum eodem, ut puto, pertinens, quod recensetur postmodum inter sophismata Chrysippi : si quis est Megaris, non est Athenis ; est autem homo Megaris : igitur homo non est Athenis. Extat et apud Lucianum3 κροκόδειλος, Crocodilus. Ratio autem nominis petitur ex ipso exemplo  ; nempe, Chrysippus ad mercatorem : est-ne tibi puer ? quidni ? quid si hunc ad flumen forte ambulantem crocodilus rapiat, postea vero se rediturum polliceatur hac lege, ut illi verum dicas, quidnam de puero reddendo apud se decreverit ? quid tu dices ipsum in animo constituisse ? Quæstionem rogas ad quam difficile est admodum respondere. Dubito enim utrum dicere debeam, quo puerum recipiam. Extat apud Ciceronem4 ἀργὸς λόγος, Ignava Ratio, cui si pareamus, inquit, nihil est omnino quod agamus in vita. Sic enim interrogant, si fatum tibi est ex hoc morbo convalescere, sive tu medicum adhibueris sive non, convalesces ; item, si fatum est tibi ex hoc morbo non convalescere, sive tu medicum adhibueris sive non, non convalesces ; et alterutrum fatum est ; medicum ergo adhibere nihil adtinet. Sed de hoc alias. Quod memini vero sophismatum, sive rogatiuncularum Chrysippi specialium. En adhuc nonnulla ex Lærtio5 : qui non initiatis indicat mysteria impie agit ; ierophantes non initiatis indicat mysteria : ergo impie agit ; esse quoddam caput ; illud tu non habes : igitur caput non habes ; si quid loqueris, id ex ore egreditur tuo ; atqui ‘currum’ loqueris : igitur currrus egreditur ex ore tuo. Sed istis faciendus iam modus.

1 2 3 4 5

in locis citatis Odyss. in auct. vit. lib. de fato lib. 7

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Il y a encore un argument qui s’appelle, chez Diogène Laërce1, οὔτις, « personne », tiré, à mon avis, de ce nom qu’Ulysse, quand il s’entretient avec Polyphème, se donne à lui-même chez Homère ; Diogène Laërce ajoute un exemple ; mais, puisque aussi bien la mineure que la conclusion ne correspond pas à la définition qui est fournie au même endroit, l’exemple échappe aux [arguments] nécessaires2 ; c’est pourquoi j’ajoute ici un autre exemple se rapportant, je crois, au même argument, qui est recensé par la suite parmi les sophismes de Chrysippe3 : « Si quelqu’un est à Mégare, il n’est pas à Athènes ; or, il y a un homme à Mégare, donc il n’y a pas un homme à Athènes ». Il y a encore, chez Lucien4, κροκόδειλος, le « crocodile ». Le pourquoi de son nom se tire de l’exemple même ; car Chrysippe demande à un marchand : « Tu as un enfant ? – Pourquoi donc ? – Suppose qu’un crocodile trouve cet enfant errant au bord du fleuve et l’enlève ; s’il promet ensuite de te le rendre à condition que tu lui dises sans te tromper ce qu’il a décidé sur la restitution du marmot : quelle intention diras-tu qu’il a ? – La réponse est difficile : je ne sais pas laquelle des deux peut me rendre l’enfant ». Il y a chez Cicéron5 ἀργὸς λόγος, l’« argument paresseux », dont il dit que, si nous lui obéissions, nous ne ferions plus rien du tout dans la vie. On interroge en ces termes : « S’il est dans ta destinée de relever de cette maladie, fais ou non venir le médecin, tu en relèveras. De même, s’il est dans ta destinée de ne pas relever de cette maladie, fais ou non venir le médecin, tu n’en relèveras pas. » Et « Or le destin veut l’un ou l’autre ; appeler le médecin est donc tout à fait inutile ». Mais nous en parlerons ailleurs. Puisque je mentionne les sophismes, ou les petites interrogations spéciales de Chrysippe, en voici quelques-unes d’après Diogène Laërce6 : « Celui 1 Diogène Laërce, VII, 82 ; cf. Homère, Odyssée, IX, 366 et 408. 2 Richard Goulet, à qui je dois cette traduction, précise que Gassendi, lisant le syllogisme incomplet du texte des mss de DL (Si quelqu’un est ici, celui-ci n’est pas à Rhodes), constate que ce n’est pas un syllogisme complet et que ça ne correspond pas à définition donnée dans les lignes qui précèdent. D’où son idée d’aller chercher un meilleur exemple plus loin, ce qu’ont fait tous les commentateurs à sa suite. La reconstitution traditionnelle est d’ailleurs contestable, dans la mesure où elle ne fait pas figurer le mot OUTIS qui donne son nom au sophisme (voir le commentaire de J.-B. Gourinat, La Dialectique des stoïciens, Paris : Vrin, 2002, p. 278-279). 3 Diogène Laërce, VII, 187. 4 Lucien, Philosophes à vendre, 22. 5 Cicéron, Traité du destin, XII, 29. 6 Diogène Laërce, VII, 186 et 187.

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8. Quatenus dialectica ab Epicuro repudiata Et hactenus quidem inventio progressusque Dialectices ad ævum usque Epicurum. Dixissem etiam et de Pyrrhone, quando quos induxit modos Epoches, seu cohibitionis ad sensus, præ se pene ferunt dialecticæ speciem ; verumtamen et de his modis dicetur infra opportunius, cum de veritatis criteriis. Et Pyrrhonis institutum non minus ad partes philosophiæ cæteras, quam ad ipsam dialecticam evertandam est comparatum. Iam ergo ipse Epicurus non omnino quidem Pyrrhoni adhæsit, quasi aut nulla haberi posset de rebus certa cognitio, aut nullum utile præceptum ad comparandam illam foret ; sed in eo tamen est imitatus, quod ut [219v] supervacaneam repudiavit dialecticam tanto adparatu seu ab aliis, seu a Stoicis præsertim edoctam, præsertim duo ; nam, ut aliquoties iam innuimus, reiecit potissimum dialecticam Stoicorum. Ex hoc certe esse videtur, cur cum Stoici nihil magis in ore habuerint quam τὸ λεκτὸν καὶ τὰ λεκτὰ, dictum et dicta, Epicurei, ut illis ansam ita gloriandi præscinderent, non modo negarunt τὸ λεκτὸν esse quid incorporeum, ut adseverebant Stoici, sed etiam omnino inficiati fuerint, ἀνηρηκότες τὴν ὑπαρξὶν τῶν λεκτῶν, tollentes e medio dictorum existentiam, ut habet Sextus Empiricus1, apud quem rursus οἱ μὲν Ἐπικούρειοι φασὶν μὴ εἶναι λεκτὸν, dictum extare Epicurei negant, quod etiam aliquoties repetit Plutarchus, Adversus Coloten. Itaque non repudiavit quidem Epicurus quod alii parce de

1 2 adv. log. 2 hypot.

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qui dévoile les mystères aux profanes commet un acte impie ; or, l’hiérophante dévoile les mystères aux profanes, donc, l’hiérophante commet un acte impie ; il y une tête, mais tu n’as pas cette tête-là ; or il y a une tête que tu n’as pas ; donc tu n’as pas de tête ». Et de même « si tu parles de quelque chose, cela sort de ta bouche ; or tu parles d’un char, donc un char sort de ta bouche ». Mais cessons là ces balivernes. 8. Dans quelle mesure la dialectique fut rejetée par Épicure Et jusqu’à présent nous avons traité de l’invention et du développement de la dialectique jusqu’à l’époque d’Épicure. J’aurais aussi parlé de Pyrrhon, puisque les modes de la suspension du jugement, ou action de s’en tenir à l’évidence des sens, qu’il a introduits présentent presque l’apparence de la dialectique ; mais en vérité il sera plus opportun de parler de ces modes cidessous, quand il sera question des critères de la vérité. Et le projet de Pyrrhon est conçu pour renverser autant toutes les parties de la philosophie que la dialectique elle-même. À présent donc Épicure lui-même n’a pas complètement suivi Pyrrhon, qui considérait qu’il était impossible d’arriver à aucune connaissance certaine des choses, ou qu’il n’y avait aucun précepte qui pût servir à l’acquérir ; mais il l’a cependant imité sur le point qu’ [219v] il a rejeté, la jugeant superflue, la dialectique telle qu’elle était enseignée avec une telle pompe par les philosophes en général, et surtout par les stoïciens, et surtout par deux d’entre eux ; car, comme nous l’avons déjà suggéré un certain nombre de fois, c’est essentiellement la dialectique des stoïciens qu’il a rejetée. Et cela semble être certes la raison pour laquelle, alors que les stoïciens n’ont rien eu de plus dans la bouche que τὸ λεκτὸν καὶ τὰ λεκτὰ, « l’exprimable et les exprimables », les épicuriens, pour leur arracher cette occasion de se glorifier ainsi, non seulement ont refusé que τὸ λεκτὸν fût quelque chose d’incorporel, comme l’affirmaient les stoïciens, mais ils l’ont même complètement nié, ἀνηρηκότες τὴν ὑπαρξὶν τῶν λεκτῶν, « éliminant l’existence des exprimables », comme le dit Sextus Empiricus1, chez qui on lit encore2 οἱ μὲν Ἐπικούρειοι φασὶν μὴ εἶναι λεκτὸν, « les épicuriens disent que l’exprimable n’existe pas », ce que Plutarque répète aussi plusieurs fois dans le Contre

1 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 258. 2 Sextus Empiricus, Hypotyposes, II, 11 [107]. Gassendi cite de façon approximative.

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criteriis veritatis adtingerant, puta, ut verum aliquid esse contra Scepticos stabiliunt, et quo pacto illud ex rebus eruendum fore tradunt, sed repudiavit solum operosum illud syllogismorum artificium, una cum proambulis illis circa voces, et alia, cumque subiunctis circa sophismata illorumque redargutiones ; non quod ipse syllogismos non texuerit admiseritque, et quemadmodum fierent nec scierit, nec docuerit, sed partim quod illorum usum non necessarium censuerit, partim quod planiore longe ac simpliciore artificio illos contexi ostenderit ; quod idem dicendum de definitione, ac proinde de genere, specie, divisione, et aliis, ut suis infra locis dicetur ; non item quod nihil tradendum de vocibus voluerit ; sed quod non esse descendendum ad grammaticam opinatus fuerit, quasi qui accedunt ad dialecticam ignorare possint aut debeant quid sint litteræ, quid vocales, quid nomen, quid verbum, quid sollecismus, et similia  ; non denique quod non interdum solvenda sophismata fuerint, sed quod vel ad ea, quæ sunt in scientiis, dialectica conferat nihil, vel ad ea, quæ fieri solent in ispsamet dialectica, alia quædam sit simplicissima ac facillima respondendi via. Locus porro hic postularet ut declararemus specialius quam sit non necessaria, inutilisque dialectica, verum præter ea quæ sparsim in sequentibus adtingentur, satis abunde, ut opinor, id præstitimus in Exercitationibus adversus Aristoteleos, ubi et multis generaliter et non paucis specialiter vana disseruimus præcipua illa capita de definitione, de discretione veri ac falsi, de arte syllogismorum, de inventione argumentorum, de solutione sophismatum ; ac ubi declaravimus quæ visa sunt esse germana quærenda scientiæ instrumenta ;

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Colotès1. C’est pourquoi Épicure n’a certes pas rejeté les autres points que les autres avaient traités avec sobriété concernant les critères de la vérité, comme par exemple le fait qu’ils établissent, contre les sceptiques, qu’il y a quelque chose de vrai et enseignent comment tirer ce vrai des choses, mais il a rejeté seulement cette laborieuse technique des syllogismes, en même temps que les préambules à propos des sons vocaux et autres, et ainsi que leurs remarques additionnelles sur les sophismes et leurs réfutations ; [et s’il l’a fait], ce n’est pas parce qu’il n’avait pas lui-même forgé et admis des syllogismes, ni non plus parce qu’il n’avait pas su ni enseigné comment ils se faisaient, mais en partie parce qu’il a pensé que leur utilisation n’était pas nécessaire, en partie parce qu’il a montré qu’on pouvait employer une technique largement plus claire et plus simple pour les forger ; et il faudra dire la même chose de la définition, ainsi que du genre, de l’espèce, de la division et de tout le reste, comme cela sera fait plus bas en son temps ; ni non plus parce qu’il avait voulu qu’il n’y ait aucun enseignement sur les mots ; mais parce qu’il fut de l’opinion qu’il ne faut pas descendre jusqu’au niveau de la grammaire, comme si ceux qui accèdent à la dialectique pouvaient ou devaient ignorer ce que sont les lettres, les voyelles, le nom, le verbe, le solécisme et autres semblables ; non pas enfin parce qu’il n’avait pas été de temps en temps confronté à la résolution de sophismes, mais parce que soit la dialectique n’est en rien utile à ceux qui sont dans les sciences2, soit il existe une autre voie bien plus simple et bien plus facile pour répondre aux matières que traite d’ordinaire la dialectique elle-même. Il serait ici opportun que nous exposions plus spécialement à quel point la dialectique est non nécessaire et inutile ; mais, en plus de ce qui sera abordé dans la suite du texte çà et là, nous avons déjà assez abondamment traité de ce point, je crois, dans les Exercitationibus adversus Aristoteleos, où nous avons consacré de très longs développements à ce sujet en général, et un certain nombre de passages en particulier3 au fait que sont vains ces principaux chapitres sur la définition, la différence du vrai et du faux, l’art des syllogismes, l’invention des arguments, la solution des sophismes ; et où nous avons fait connaître ce qui constitue, à notre avis, les véritables instruments de la science, 1 Plutarque, Contre Colotès, 1119f, par exemple. 2 Soit « qui se consacrent aux sciences » soit « qui possèdent la connaissance ». 3 Exercitationes paradoxicae adversus Aristoteleos, II, Exercitatio V (Opera omnia, III, 183B-191B) ; éd. française, Pierre Gassendi, Dissertations en Forme de Paradoxes contre les Aristoteliciens, Texte établi, traduit et annoté par Bernard Rochot, Paris, 1959, pp. 392-433.

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adtexuimus tandem [220r] et ratiocinati sumus circa illam egregiam D. Augustini1 sententiam, quam si heic repetiero non erit forte importunum : ille igitur adposita ista usus similitudine, si quispiam, inquit, dare volens præcepta deambulandi moneat non esse cuiquam levandum pedem posteriorem, nisi cum posuerit priorem, et cætera, vera dicit, nec aliter ambulari potest, sed facilius homines hoc faciendo ambulant, quam animadvertunt, cum faciunt, aut intelligent, cum audiunt ; qui autem ambulare non possunt, multo minus ea curant, quæ nec experiendo possunt attendere. Itaque plerumque citius videt ingeniosus non esse ratam conclusionem, quam præcepta eius capit ; tardus autem non eam videt, sed multo minus quod de illa præcipitur ; magisque in his omnibus ista spectacula veritatiis sæpe delectant, quam ex eis in disputando aut iudicando adiuvamur. Hactenus D. Augustinus. Itaque sufficit iam adponere non quod posset adversus omnes universe obiici, sed speciatim solum quod adversus Stoicos, quando ii sunt quos Epicurus est potissimum insectatus ; quamquam neque necesse est ut nos propterea desudemus, vel congeramus quæ alii, qui non fuere ex eadem secta adversus ipsos obiecerunt. Siquidem satis in promptu est, quod verbi causa Cicero dicit2, illos ossa nudare, spinas vellere, contortius concludere, dicere squalidius, ratiunculis uti, et similia ; quod Plutarchus comparat illos cum polipo propria

1 lib. de doctr. christ. cap. 37 2 lib. 4 acad. 2 et 3 tuscu.

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et qu’il faut rechercher à ce titre ; nous avons enfin ajouté [220r] et étudié la remarquable pensée de saint Augustin dont il ne sera peut-être pas malvenu que je la reprenne ici : lui, donc, utilisant cette comparaison, dit1 : « Comme si quelqu’un, voulant expliquer comment on marche, indiquait qu’il ne faut pas lever le pied arrière avant de poser celui de devant, puis décrivait comment il convient de faire mouvoir, une par une, les jointures des articulations et des genoux. Il dit vrai, et l’on ne peut pas marcher d’une autre manière, mais les hommes ont moins de difficultés à faire cela, quand ils marchent, qu’à s’en rendre compte quand ils le font ou à le comprendre quand ils se l’entendent dire. Et ceux qui ne peuvent marcher se soucient encore moins de ce qu’ils ne peuvent connaître par l’expérience. Pour un homme intelligent, voir qu’une conclusion n’est pas valable prend ainsi, le plus souvent, moins de temps qu’en comprendre les règles. Le balourd ne voit pas cela, mais il voit moins encore les règles que l’on donne à son sujet et dans tous ces cas le plaisir qu’on tire de la contemplation de la vérité dépasse l’aide que nous pouvons tirer de ces règles pour discuter et juger ». Jusque là c’était Augustin. C’est pourquoi il suffit de présenter maintenant des critiques générales valables contre tous, mais seulement des objections particulières contre les seuls stoïciens, puisque c’est surtout contre eux qu’Épicure s’est acharné, quoiqu’il ne soit pas nécessaire que cette tâche nous fasse suer sang et eau ni que nous accumulions toutes les objections qui furent formulées contre eux par d’autres philosophes, qui ne venaient pas de l’école épicurienne. Assurément ce que Cicéron dit par exemple est assez sous les yeux : « Ils décharnent les os, arrachent des épines2, concluent de façon trop serrée3, parlent de façon trop raboteuse4, utilisent de petits syllogismes5 », et autres semblables ; la façon dont Plutarque les compare au polype qui mange ses propres tenta1 Augustin, Enseigner le christianisme, II, xxxvii, 55. Cité aussi dans les Lettres latines, à Valois du 23 mai 1642 n° 201. Voir Exercitationes paradoxicae adversus Aristoteleos, II, Exercitatio I, 9 (Opera omnia, III, 157a)  ; éd. française, Pierre Gassendi, Dissertations en Forme de Paradoxes contre les Aristoteliciens, Texte établi, traduit et annoté par Bernard Rochot, Paris, 1959, pp. 268-269. 2 Cicéron, De finibus, IV, 3, 6, critiquant les péripatéticiens et le platonisme ancien, parce qu’ils pratiquent « un langage qui n’est pas d’homme, arrachant des épines ou décharnant des os, comme font les stoïciens. » 3 Cicéron, Tusculanes, III, 10, 22 : « Voilà comment les stoïciens s’expriment sur ces questions, dans une forme où la chaîne du raisonnement est trop serrée. » 4 Cicéron, De finibus, IV, 3, 5 : « Chez vous, c’est trop raboteux. » 5 Cicéron, Tusculanes, IV, 10 : « Ils raisonnent avec de petits syllogismes. »

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acetabula hieme voranti, quasi ipsorum dialectica suis inventis sola pascatur, neque extra ipsam nullus sit præceptorum usus, ac necesse proinde sit intra eius fines consumi quidquid inter eos nascitur. Ne commemorem quod specialiter de Chrysippo verba faciens, ille, inquit, de conflictu vocalium loquutus ipsum non modo neglegendum ait, sed et obscuritates aliquas admittendas esse, et defectus orationis, atque adeo sollecismos, quos alii turpes existimant esse, et cætera ; et quod Lucianus causatur illos nihil aliud quam mutuo sibi fingere cornua, facere crocodiles, nihilque habere aliud quam misera verbula et rogatiunculas huiuscemodi quibus mentem pascant ; quod Themistius1 postquam recensuit illorum outidas, obvelatos, dominantes, cornutos, quæ molesta, ait, et importuna sophismata, subdit, quorum et intelligentia difficilis est, et inutilis notitia, et bovis illius instar, cui Midæ plaustrum fuit adligatum ; eiusmodi vero homines philosophari putabitis, et cætera ; quod denique solus Quintilianus interpretatur paulo benignius dum oratorem futurum non dehortatur ducendum per exquisitas ambiguitates, non quia, inquit, ceratinæ, aut crocodilinæ possint facere sapientem, sed quia illum ne in minimis quidem oporteat falli. Ista, inquam, et alia quæ ex Empirico præsertim deduci [220v] possent, fusissime sunt satis in promptu, nec sunt regerenda. Abunde satis videbitur, si ex ipsa illorum secta protulerimus non Panætium, qui apud Ciceronem2 nec acerbitatem sententiarum, nec disserendi spinas probavit, non cordationes quosdam alios, sed vel unicum Senecam, ex quo adhuc non omnia, sed tria aut quatuor solummodo ex Epistolis seligamus loca. Is ergo imprimis postquam memoravit3 Zenonem, ut deterreret homines ab ebrietate, sic colle-

1 orat. 14 2 lib. 4. de fin. 3 epist. 83

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cules1, comme si la dialectique de ces philosophes se nourrissait toute seule de ses propres inventions, sans qu’aucun précepteur en usât en dehors d’ellemême, et qu’il était donc nécessaire que tout ce qui y naissait s’étouffât à l’intérieur de ses limites. Pour ne pas rappeler ce qu’il dit de Chrysippe en particulier dans un passage qu’il lui consacre2 : « en parlant des voyelles qui se heurtent, il dit […] qu’il ne faut pas tenir compte de pareilles choses, mais qu’il faut même admettre des obscurités, des omissions et […] des solécismes dont bien d’autres personnes auraient honte », etc. ; et l’accusation que leur adresse Lucien3 de ne rien faire d’autre que de se planter réciproquement des cornes, de fabriquer des crocodiles et de n’avoir rien d’autre que de misérables petits mots et des malheureuses interrogations de ce genre pour se nourrir l’esprit ; le fait que Thémistius, après avoir recensé leurs Personnes, leurs Voilés, leurs Dominants, leurs Cornus, les traite de « fâcheux », en ajoutant4 que ce sont « des sophismes importuns qu’il est difficile de comprendre et inutile de connaître, à l’image de ce bouvier à qui la voiture de Midas fut attachée », etc. ; et qu’enfin Quintilien est le seul à interpréter avec un peu plus de bienveillance5 quand il ne dissuade pas le futur orateur de passer par des « subtilités raffinées ; non que, dans son opinion, le syllogisme des cornes ou le syllogisme du crocodile puisse faire un sage, mais, d’après lui, même dans les plus petits problèmes, le sage doit être infaillible ». Ces remarques, dis-je, et d’autres qui pourraient être empruntées surtout à Sextus Empiricus [220v], sont suffisamment disponibles en très grande abondance, et n’ont pas besoin d’être retranscrites. Il semblera bien assez si, de leur secte [des stoïciens], nous mettons en avant non pas Panétius, qui, chez Cicéron6, « critiqua l’âpreté de leurs idées et les épines de leur argumentation », non pas d’autres auteurs sensés, mais le seul Sénèque, chez qui, là encore, nous choisissons non pas tout, mais seulement trois ou quatre passages des Lettres. Lui donc tout d’abord, après avoir rappelé que Zénon, pour détourner les hommes de l’ivresse, avait conçu le raisonnement suivant7 : 1 Plutarque, Des notions communes, 1059D, ii. 2 Plutarque, Des contradictions des stoïciens, 1047B, xxviii. Traduction modifiée. 3 Lucien, Dialogues des morts, 1 « Diogène et Pollux ». 4 Thémistius, Discours, II, 30b (À Constantin). 5 Quintilien, De l’institution oratoire, I, 10, 5. Gassendi met au singulier les incises, qui désignent chez Quintilien les philosophes qui forment le sage. 6 Cicéron, De finibus, IV, xxviii, 79. 7 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXIII, 9.

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gisse : ebrio secretum sermonem nemo commitit ; viro autem bono commitit : ergo vir bonus ebrius non erit ; tum1, multis interpositis, si hoc colligere vis, inquit, virum bonum non debere ebrium fieri, cur syllogismos agis ? Dic quam turpe sit plus sibi ingerere quam capiat, et cætera ; et postquam id dixit, Zeno noster hac collectione utitur, nullum malum gloriosum est ; mors autem gloriosa est : mors ergo non malum ; tum ironicως ita excepit : perfecisti ; liberatus sum metu ; post hæc non dubito porrigere cervicem. Non vis severius loqui nec morituro risum movere ? Ac infra, ego non redigo ista ad legem dialecticam et ad illos artificii veternosissimi modos. Totum istud genus exturbandum iudico, quo circumscribi se, qui interrogatur, existimat, et ad confessionem perductus, aliud respondet, aliud putat. Pro veritate simplicius agendum est, contra metum fortius. Et paulo post, quem mortalium circumscriptiones vestræ fortiorem facere, quem erectiorem possunt ? Frangunt animum, qui nunquam minus contrahendus est et in minuta ac spinosa cogendus, quam cum aliquid grande componitur. Et tandem, adversus mortem tu tam minuta iacularis ? Subula leonem excipis ? Acuta sunt ista, quæ dicis ; nihil est acutius arista. Quædam inutilia et ineffica-

1 epist. 82

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« Personne ne fait de confidences à l’homme ivre ; or on en fait à l’homme de bien ; partant l’homme de bien ne sera pas ivre » ; puis, après un long passage que j’omets1 : « Si tu veux prouver que l’homme de bien ne doit pas s’enivrer, pourquoi procèdes-tu par syllogismes ? Montre combien il est honteux d’en ingurgiter plus qu’on en saurait contenir », etc. Et après qu’il a ajouté2 : « Notre Zénon a recours à ce raisonnement : « Il n’y a point de mal qui soit glorieux ; or la mort est glorieuse ; donc la mort n’est pas un mal » ; et de poursuivre par un commentaire ironiκως3 : « À merveille ! Je ne crains plus rien. Après cela, je n’hésiterai plus à offrir ma tête. Mais voudrais-tu bien parler sérieusement et ne pas me faire rire en présence du supplice ? » Et plus loin4 : « Pour moi, je ne réduis pas les questions aux lois de la dialectique, à ces finesses entortillées de l’artifice le plus saugrenu. Mon avis est qu’il faut rejeter bien loin tout cet appareil de questions par lesquelles l’adversaire estime qu’on la circonvient et qui lui font répondre, en le réduisant à quia, le contraire de ce qu’il pense. Défendons la vérité avec plus de franchise, combattons la peur plus virilement ». Et peu après5 : « Dans vos raisonnements à traquenard, quel mortel trouverait de quoi fortifier, de quoi hausser son courage ? En réalité, ils brisent le ressort de l’âme ; or jamais il ne convient moins de rétrécir l’âme, de la faire entrer de force dans d’épineuses minuties, que lorsqu’on met sur pied quelque grande entreprise. » Et enfin6 : « Et toi tu t’escrimes contre la mort avec des dards si menus ? C’est avec un tire-pointe que tu attends le lion. Tu as des paroles bien affilées : est-il rien de plus affilé qu’une barbe d’épi ? Certaines armes ne sont, en raison de leur délicatesse même, ni pratiques ni efficaces ». Ensuite, après que, pour défendre le précepte des stoïciens selon lequel la célébrité qui vient après la mort est un bien, il ajoute7 : « Mais notre objet ne doit pas être de disserter sur des arguties et 1 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXIII, 18. 2 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXIII, 9. 3 Gassendi met souvent le suffixe de l’adverbe en grec. Il n’est pas sûr que ce soit pédanterie cependant, car il ne le fait que dans des cas importants. Citons par exemple le métaphoriκως du Syntagma, Éthique III, « De la liberté, de la fortune, du destin et de la divination », in Opera, II, p. 851b (ou mon édition p. 135), ou le dogmatiκως du Contre Fludd (voir Sylvie Taussig, « L’examen de la philosophie de Fludd de Pierre Gassendi par ses hors-texte p. 291 [45]). 4 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXII, 19. 5 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXII, 22. 6 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXII, 24. 7 Sénèque, Lettres à Lucilius, CII, 20-21.

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cia ipsa subtilitas reddit. Deinde postquam ad defendendum Stoicorum placitum claritatem quæ post mortem contingit bonum esse varia interposuit, subnectit1, sed non debuit hoc nobis esse propositum, arguta disserere et philosophiam in has angustias ex sua maiestate detrahere ; quanto sanctius est ire aperta via et recta, quam sibi ipsi flexus disponere, quos cum magna molestia debeas relegere. Neque enim quidpiam aliud istæ disputationes quam se inter se perite captantium lusus. Dic potius, quam naturale sit in immensum mentem suam extendere, et cætera. Ad hæc postquam edisseruit sint-ne virtutes animalia, infert2, dissilio risu, cum mihi propono solecismum animal esse et barbarismum et syllogismum, et aptas illis facies tamquam pictor assigno ; hæc disputamus attractis superciliis, fronte rugosa ? non possum hoc in loco dicere illud Cecilianum : O tristes ineptias ! Ridiculæ sunt. Sed hæc abunde, nisi quod inutilia fortassis non sunt, ut neque [221r] ea quæ referenda adversus sophismata manent ut planum fiat Epicurum propter repudiatam Stoicorum dialecticam tanto esse excusatiorem, quanto vir hic magnus, qui sese illorum sectæ addixerat, non contempsit solum, sed etiam irrisit. 9. Quatenus Canonica Dialecticæ Substituta ac potissimum circa usum vocum Cæterum, quia ex dictis constat Epicurum non ita plane abiecisse dialecticam, ut mentem circa veritatis investigationem fecerit inermem, ea de causa sciendum est illum substituisse dialecticam quæ resectis supervacuanis necessaria suppeditaret. Nempe illam constare voluit canonibus quibusdam paucis ad diiudicandum verum cognitu necessariis. Quare et totus pene fuit circa veritatis criteria, de quibus dicetur sequentibus libris. Præterea vero quoniam prævidit totam pene dialecticam merum esse verborum ludum, idcirco pauca indigitavit de legitimo vocum usu, quem qui tenuerit nihil indigeat farragine illa immensa. Haud abs re proinde faciemus, si hic adtexuerimus duos canones quibus illum usum contineri censuit, non quod iisdem plane verbis apud Epicurum legantur, sed quod libro deperdito, in quo ii debuerunt extare apertius, colligamus ipsos potuisse præponi fere huiusmodi ex iis quæ supersunt reliquis. Duo autem distinguendi sunt, ut alter ad interrogantem,

1 epist. 102 2 epist. 113

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de ravaler la majesté de la philosophie à la minceur de ces subtilités. Ne vautil pas mieux cent fois suivre la grand-route en droiture que de se créer, de son chef, des labyrinthes qu’il faudra reparcourir bien péniblement ? En vérité ces disputes ne sont rien d’autre qu’un jeu entre doctes, de mutuelles attrapes. Dis-nous plutôt combien il est naturel à l’homme d’élever sa pensée jusqu’à l’infini », etc. En outre, après qu’il a discuté si les vertus sont des êtres animés, selon les stoïciens, il dit1 : « Je me tiens les côtes quand je me figure que solécisme, barbarisme, syllogisme sont des animaux et que j’assigne à chacun, comme fait le peintre, un physique approprié. Et c’est de cela que nous discutons, sourcils contractés, tout renfrognés ? Je ne saurais dire ici avec Cécilius : “Ô tristes inepties” : elles sont comiques ! » Mais [il semblera] bien assez [de citer] ces passages, à ceci près qu’ils ne sont peut-être pas inutiles, non plus que [221r] ne le sont ceux qu’il me faut encore rapporter contre les sophismes, pour qu’il soit clair qu’Épicure est d’autant plus excusé d’avoir rejeté la dialectique des stoïciens que ce grand homme, qui s’était lui-même inscrit dans leur secte, non seulement les méprisa, mais s’en moqua aussi. 9. Jusqu’à quel point se fait la substitution de la canonique à la dialectique, et surtout quant à l’emploi des mots Pour le reste, parce que, d’après ce qui a été dit, il est établi qu’Épicure n’a pas si complètement rejeté la dialectique qu’il aurait par là privé l’esprit de toutes ressources dans l’investigation de la vérité, c’est pour cette raison qu’il faut savoir qu’il lui a substitué une dialectique capable de fournir les outils nécessaires, le superflu étant retranché. Car il a voulu qu’elle consiste en un petit nombre de canons nécessaires à la connaissance pour juger du vrai. C’est pourquoi il s’est presque tout entier consacré aux critères de la vérité, dont nous parlerons dans les livres suivants. Mais c’est en outre parce qu’il vit d’avance que presque toute la dialectique était pur jeu de mots qu’il ne donna que très peu d’indications sur l’emploi légitime des mots, estimant que celui qui le maîtrise n’a en rien besoin de ce fatras immense2. Nous ne serons donc pas hors de propos si nous ajoutons ici deux canons dont il a pensé qu’ils embrassaient tous les aspects de cet emploi, non pas parce qu’ils 1 Sénèque, Lettres à Lucilius, CXIII, 26. Le texte de Budé écrit Célius, ami de Cicéron, à la place de Cécilius, préféré par Gassendi. 2 Je n’ai pas réussi à rendre jeu de mots indigitavit / indigeat.

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ad respondentem alter pertineat ; tametsi, ut possint ad usum generaliorem traduci, eo pacto proponendi sunt ut alterum qui loquitur, alterum qui audit usurpare possit. Esto igitur :

Canon Primus : dum loqueris, delige voces communes et perspicuas, ne aut ignoretur quid velis, aut interpretando tempus frustra teras. Duæ hic adiunguntur qualitates vocis, altera, ut sit communis, hoc est ex usu quem penes norma arbitriumque loquendi est ; altera, ut perspicua, seu eiusmodi quæ, si fieri possit, expositione non indigeat. Et prior quidem ex eo iudicatur quod cum dialectici artem suam iactarent quasi pernecessariam iis, qui vocantur physici, seu speculatores naturæ, censuerit contra Epicurus, et quoquot ab illo stetere dialecticam esse penitus inutilem, ἀρκεῖν γὰρ, (sic habet Lærtius1) τοὺς φυσικοὺς χωρεῖν κατὰ τοὺς τῶν πραγμάτων φθόγγους, quod physici iuxta rerum voces (seu recepta vulgo rerum nomina communesque phraseis) procedere valeant. Posterior vero colligitur ex eo, quod Epicurus scribens ad Herodotum2, ἀνάγκη, inquit, τὸ πρῶτον ἐννόημα [221v] καθ’ἕκαστον φθόγγον βλέπεσθαι καὶ μηθὲν ἀποδείξως προσδεῖσθαι, oportet notionem cuiuslibet vocis prima fronte clarescere, et nihil quicquam insuper declaratione indigere ; causam subiungit, εἴπερ, inquit, ἕξομεν τὸ ζητούμενον ἢ ἀπορούμενον, καὶ δοξαζόμενον ἐφ’ ὅ ἀνάξομεν, si habituri quidem sumus quo seu quæsitum, seu dubitatum, seu opinabile referamus.

1 lib. 10 2 in præfat.

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se lisent chez Épicure dans la formulation exacte que nous leur donnons, mais parce qu’un livre perdu, dans lequel ils durent se trouver exposés plus ouvertement, nous permet de comprendre, d’après les canons qui nous restent, que ces deux canons, ou leur équivalent, ont pu y figurer avant ceux-ci. Or il faut en distinguer deux, en tant que l’un convient à qui interroge, et l’autre à celui qui répond ; même si, pour qu’ils puissent être transposés à un usage plus général, ils doivent être proposés d’une façon telle que celui qui parle puisse utiliser le premier, et celui qui écoute employer le second. Donc voilà : Premier canon : Quand tu parles, choisis des termes communs et clairs pour qu’on n’ignore pas ce que tu veux dire ou pour que tu ne consommes pas en vain du temps à expliquer Il s’y ajoute deux qualités du mot, la première qu’il soit commun, c’està-dire qu’il relève de « l’usage auquel appartient la souveraineté, le droit, la règle »1 ; l’autre, qu’il soit clair, c’est-à-dire tel que, si possible, il se passe d’explication. Et l’on juge de la première qualité d’après le fait que, alors que les dialecticiens se vantaient de ce que leur art était tout à fait nécessaire à ceux qui s’appellent physiciens, autrement dit observateurs de la nature, Épicure a été d’un autre avis et, tous ceux qui étaient de son école ont tenu que la dialectique était tout à fait inutile : ἀρκεῖν γὰρ, (c’est ce que dit Diogène Laërce2) τοὺς φυσικοὺς χωρεῖν κατὰ τοὺς τῶν πραγμάτων φθόγγους, « il suffit en effet que les physiciens s’avancent en s’appuyant sur les sons des choses » (c’est-à-dire aux termes communément employés pour désigner les choses et aux expressions courantes). Quant à la seconde, elle se comprend de ce que dit Épicure, écrivant à Hérodote3  : ἀνάγκη τὸ πρῶτον ἐννόημα [221v] καθ’ἕκαστον φθόγγον βλέπεσθαι καὶ μηθὲν ἀποδείξως προσδεῖσθαι, « Il est nécessaire que, pour chaque son vocal, la notion première soit vue et n’ait nullement besoin de démonstration » ; il ajoute la cause et dit : εἴπερ ἕξομεν τὸ ζητούμενον ἢ ἀπορούμενον, καὶ δοξαζόμενον ἐφ’ ὅ ἀνάξομεν, « si nous devons bien posséder l’élément auquel rapporter ce qui suscite une recherche ou soulève une difficulté, et qui est matière à opinion ».

1 Horace, Art poétique, 72. 2 Diogène Laërce, X, 31. 3 Diogène Laërce, X, Lettre à Hérodote, 37 puis 38.

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De priore autem ut dicatur primum, videntur sane de humana societate parum mereri, qui propria rerum nomina, seu ars, seu casus fecerit, repudiant, ac interim alia obtundunt quæ communis usus non probet. Notati fuere hoc vitio Stoici potissimum, atque idcirco Cicero de Zenone loquens, ille, inquit1, Metelli vitam negat beatiorem quam Reguli, præponendam tamen ; nec magis expetendam, sed magis sumendam ; et, si optio esset, eligendam Metelli, reiciendam Reguli ; ego, quam ille præponendam et magis eligendam, beatiorem hanc apello, nec ullo minimo momento plus ei vitæ tribuo quam Stoici. Quid interest, nisi quod ego res notas notis verbis adpello, illi nomina nova quærunt quibus idem dicant ? Ita quemadmodum in senatu semper est aliquis qui interpretem postulet, sic isti nobis cum interprete audiendi sunt. Bonum adpello quidquid secundum naturam est, quod contra, malum ; nec ego solus, sed tu etiam, Chrysippe, in foro, domi ; in schola desinis. Quid ergo ? Aliter homines, aliter philosophos loqui putas oportere ? Quanti quidque sit, aliter docti, aliter indocti ; sed cum constiterit inter doctos quanti quidque sit, si homines essent, usitate loquerentur. Sic ille. Ac novi quidem philosophis (ut omnibus etiam artificibus) usu venire ut voces quædam speciales et necessariæ sint ; verum eæ quarendæ non sunt, nisi cum communes deficiunt ; tametsi quoque perrarum est ut illæ insolitæ sint, et cum fuerint, debet vir sapiens, quantum natura illarum fert, communi captui accommodare. Quare et tanto magis cum significare res abstrusas voluerit, usitatas ita adsumet ut non præterea primigenia significatione

1 lib. 3. de fin.

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Or pour parler d’abord de la première qualité, il me semble que méritent vraiment peu de la société humaine ceux qui rejettent les noms propres des choses, qu’ils résultent de l’art1 ou du hasard, et qui entre-temps assènent d’autres mots que l’usage commun ne reconnaît pas. Les stoïciens surtout furent blâmés pour ce vice, et c’est pourquoi Cicéron dit de Zénon2 : « Selon Zénon, dit-il, la vie de Métellus n’est pas plus heureuse que celle de Régulus ; elle est cependant préférable ; elle n’est pas plus à rechercher, mais elle est plus à prendre ; et s’il y avait lieu d’opter, il faudrait choisir celle de Métellus et rejeter celle de Régulus. Et bien moi, la vie que Zénon dit être préférable et à choisir plutôt, je l’appelle plus heureuse, sans pour cela lui attribuer quoi que ce soit de plus que les stoïciens. Où est la différence entre nous, sinon en ceci que, moi, je désigne des choses connues par des mots connus, au lieu qu’eux ils cherchent des noms nouveaux pour désigner la même chose ? De même qu’au sénat, il y a toujours quelqu’un qui réclame un interprète, de même avec eux, un interprète est indispensable pour les entendre. J’appelle bien tout ce qui est selon la nature et mal tout ce qui lui est contraire. Et je ne suis pas seul à parler ainsi : toi, Chrysippe, toi aussi, tu parles de la sorte en public et chez toi, mais, une fois dans ton école, c’est fini ! Qu’est-ce à dire ? Tu crois donc qu’il faut deux langages, un pour le commun des mortels, un autre pour les philosophes ? Dans l’appréciation de chaque chose gens instruits et ignorants diffèrent ; mais du moment qu’il y a accord entre gens instruits sur l’appréciation de chaque chose, si les stoïciens étaient comme tout le monde, ils emploieraient le langage ordinaire ». Voilà ce que dit Cicéron. Et je sais qu’à l’usage, le besoin de mots spécifiques se fait parfois sentir aux philosophes (comme à tous les artisans également) ; mais ces mots ne doivent être recherchés que quand les mots communs manquent ; même s’il est par ailleurs extrêmement rare que ces mots soient inusités ; et, quand bien même ils le seraient, le sage doit les mettre au niveau d’un entendement moyen, autant que leur nature le permet. C’est pourquoi, plus absconses seront les choses qu’il voudra signifier, plus il prendra des mots usités sans les dépouiller de leur signification primitive, mais de manière à les transposer à ses idées par un glissement de sens très facile à comprendre. Tu veux un exemple chez Épicure ? Alors que les gens appellent communément ἄτομα, autrement dit insectiles, ce qui n’admet pas la division par un procédé ordi1 Ou métier. 2 Cicéron, De finibus, V, xxix, 88-89.

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illas spoliet, sed deflexione facillima ad institutum suum traducat. Exemplum vis in Epicuro ? Cum ἄτομα, seu insectilia vulgus ea vocet, quæ facultate vulgari divisionem non admittunt, ille hanc vocem retinens accommodavit suis principiis quæ sola vere secari nequeunt. Et cum vulgus κενὸν, seu vacuum, id adpellet vas in quo nec liquorem, nec quidpiam aliud sensibile aut videt, aut palpat, usurpavit ille hanc vocem et accommodavit illi spatio, in quo solo proprie est nihil. Ita nimirum loqui maluit, quam cum Democrito illud δὲν, hoc vero μηδὲν, aut alia ratione obscuriore adpellitare. [222r] Et sugillatus quidem, ut supra indicavimus, quod usus propterea λέξει κυρίᾳ, hoc est, dictione usu firmata, recepta, communi, rebus ipsis accommodata, usurpaverit ἰδιωτάτην, quod est dicere, nimis familiarem. Sed diiudicari id velim ab iis, qui res non verba doceri curant, quique dialecticam adgressi dedocentur voces significatusque vulgares, et iis vocibus obfuscantur, quas, ubi satis adtenderunt, deprehendunt frustra et nugaciter vocibus vulgaribus cognitisque substitutas. Neque vero id deprehendet modo circa voces simplices, sed etiam circa compositas, quæ sunt illis vice interpretamenti. Audias, exempli gratia, vice illius propositionis, nullus homo est iustus, æquipollentem proponi hanc, non aliquis homo est iustus. An-non Epicurus iure exclamaret, ecquis est non philosophorum, sed omnino mortalium, qui vel sic loquatur, vel curare debeat ut sic loquentem intelligat ? Recepta est phrasis et communis vox, qua idem significes ; loquere ut alii loquuntur, nec ut artificium ostentes ; ridiculum te exhibe uno verbo ; nihil videtur esse laudabilius quam cœlum, cœlum, terram, terram, et sic omnia suis receptisque dicere nominibus, neque affectare genus orationis, quod communis usus non ferat. Ita nimirum efficitur, ut seu de principiis rerum naturalium, seu de rebus cælestibus, seu de quibuscunque aliis disseratur, sufficiat abunde communis et

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naire, il retint ce terme et le réserva à ses principes, qui sont les seules choses qui ne peuvent vraiment pas être coupées. Et alors que les gens appellent communément κενὸν, c’est-à-dire le vide, un récipient dans lequel ils ne voient ni ne perçoivent au toucher aucun liquide ni rien de sensible, il a employé ce mot et l’a réservé au seul espace dans lequel il n’y a proprement rien. Assurément a-t-il préféré parler de la sorte, plutôt que de dire avec Démocrite1 pour l’un δὲν, mais pour l’autre μηδὲν, ou que d’employer un autre moyen plus obscur. [222r] Et il a suscité la moquerie, comme nous l’avons indiqué cidessus, du fait de son utilisation de λέξις κυρία, d’une « expression propre »2, c’est-à-dire une façon de parler confirmée par l’usage, reçue, commune, adaptée aux choses mêmes, raillée pour être ἰδιωτάτη, ce qui revient à dire trop familière. Mais je voudrais que la question fût tranchée par des gens qui se soucient d’apprendre ce que sont les choses et non pas les mots, et qui, abordant la dialectique, désapprennent les mots et les significations communes et sont éblouis par les mots dont cependant, quand ils y prêtent assez attention, ils surprennent qu’ils sont vainement et frivolement substitués aux termes communs et connus. Et cela il le met en évidence non seulement pour les mots simples, mais aussi pour les composés dont le rôle est de servir d’explication. Écoute, par exemple, à la place de cette prémisse, « aucun homme n’est juste », que celle-ci équivalent est proposée : « Il n’est pas un homme qui soit juste ». Épicure ne s’exclamerait-il pas à bon droit : « Quel homme, je ne dis pas parmi les philosophes, mais absolument parmi les mortels, ou bien parlerait ainsi, ou bien devrait se préoccuper de comprendre quelqu’un parlant ainsi ? Il existe une phrase reçue et un mot courant, qui te permettraient de dire la même chose ; parle comme les autres parlent, et non pas pour étaler ta technique ; montre-toi ridicule en t’en tenant à un seul mot ; il n’y a rien de plus louable que d’appeler le ciel ciel, la terre terre, et ainsi de tout le reste avec les noms qui sont reçus, et ne caresse3 pas une rhétorique que l’usage commun ne soutient pas .» Il s’ensuit assurément que, qu’il soit question des principes des choses naturelles, des choses célestes, ou de n’importe quel autre sujet, la façon de parler courante et claire suffit bien, sans qu’il soit nécessaire de recourir à ces termes de prédicats et de propositions conditionnelles et autres du genre, ou de connaître la technique pour tourner des propositions 1 Voir Démocrite, Fragment 156, tiré de Plutarque, Contre Colotès, 1108f. 2 Diogène Laërce, X, 13. 3 Je lis « adsectare », et non pas « adfectare ».

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aperta locutio, nec sit necesse confugere ad illas categorematum, connexorum, et similes voces, seu nosse artificium convertendi axiomata, aut contexendi syllogismos, quos nemo e plebe, quoties opus est, natura duce non contexit ; cum opus est, dico ; nam abunde constat superfluas esse, verbi causa, huiusmodi suppositiones, si dies est, lux est, et magis adhuc quæ adtexuntur. Atqui de posteriore, hoc est de perspicuitate quæ sane consequitur ad communem usum, ut quidpiam dicatur, præmittendum est quod verbis allatis ab Epicuro supponitur. Quippe ut ad notitiam rerum trifariam comparati sumus, ita nos trifariam possumus habere ad illum quicum loquimur. Et vulgo quidem de rebus vel opinionem certam habemus, vel de illis dubitamus, vel plane quales sint nescimus, quo casu de iis quærimus. Quocirca et dum ille est nobis propositus scopus, quemadmodum proponi debet ut nos auditor intelligat, docet Epicurus debere nos illi perspicue seu quæstionem proponere, seu dubitationis fidem facere, seu opinationem testari ; alioquin enim nec quarenti respondere poterit, nec dubitanti succurrere, nec opinanti adsentiri, refragarive ; aut si faciat, vel andabatarum more conseret sermones, vel tempus frustra consumetur, ut nosmet explicemus clarius. Quære, exempli gratia, ab eo qui sectarum placita non plane calluerit1, sit-ne hoc quod Stoici dicunt vinculum intelligens ex aquis marinis. Dubitationem proponito circa

1 Clem. 8. stro.

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ou assembler des syllogismes que, dans le commun, tous sans exception assemblent, chaque fois qu’il en est besoin, sous la conduite de la nature1 ; quand il en est besoin, je dis ; car il est établi abondamment que sont superflues, par exemple, les suppositions du type, « s’il fait jour, il y a de la lumière » et à plus forte raison toutes celles qui s’assemblent par dessus. Et pour dire quelques mots de la seconde qualité, c’est-à-dire de la transparence qui résulte pleinement du sens commun, il faut commencer par expliquer ce qu’Épicure veut dire dans les propos que j’ai cités. Car comme notre nature nous dispose à une triple connaissance des choses, de même pouvonsnous avoir une triple disposition vers celui avec qui nous parlons. Et communément certes sur les choses, soit nous avons une opinion certaine, soit nous en doutons, soit nous ne savons pas du tout ce qu’elles sont, raison pour laquelle nous les étudions. C’est pourquoi, tandis que le but que nous nous proposons est de trouver la façon de l’exposer pour que l’auditeur nous comprenne2, Épicure enseigne que c’est de façon transparente que nous devons soit lui poser une question, soit le convaincre que nous doutons, soit lui faire connaître notre opinion ; en effet, autrement il ne pourra pas répondre à qui l’interroge, ni venir en aide à celui qui doute, ni tomber d’accord avec celui qui affirme, ou bien le réfuter ; ou bien s’il le fait, soit il tiendra des propos à la manière des andabates3, soit il perdra son temps en vain afin d’obtenir que nous nous expliquions plus clairement. Demande, par exemple, à celui qui ne connaît pas tout à fait à fond les doctrines des écoles [philosophiques], s’il existe ce que les stoïciens appellent le lien intelligent [nourri] des eaux de la mer4. Émets un doute sur le fait que,

1 C’est-à-dire de ses lumières naturelles. 2 Je lis « debeat » et non pas « debet ». 3 Gladiateurs qui combattent les yeux bandés. Gassendi emploie l’image dans les Exercitationes (i, 123b), dans la Disquisitio, Contre la Méditation vi, Doute iv, Instance III, 403b ; dans les Lettres latines, lettre à Valois, 6 août 1651 (i, n° 631, p. 577) et dans l’Exercitatio epistolica (voir mon article p. 262 [16] et p. 296 [50]. 4 Diogène Laërce, VII, 145 : « Le soleil (est nourri) par la grande mer, lui qui est une masse incandescente de nature intelligente  ». Vu le choix de Gassendi de traduire par vinculum l’anamma grec, comme s’il confondait les deux sens du verbe an-aptein : lier et allumer, il semble qu’il ne travaille pas avec un texte latin de référence, par exemple la version d’Aldobrandin, qui a un texte fort différent (De vitis dogmatis & apophtegmatis eorum : qui in philosophia claruerunt : libri X / Thoma Aldobrandino interprete  : [apud Aloysium Zanettum] ([Romæ]) : 1594, ici VII, 359, p. 199).

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id, quod apud Platonem [222v] anima dicitur secta in duas partes, littera X instar ; dicito opinari te cum Aristototele1 motum esse actum entis in potentia, quatenus in potentia : ecquid te putas consecuturum ? Quam multa verba erunt perdenda, ut obscure dicta clarescant, ac præsertim si te his verbis, ut fieri solet, explicares, quæ per alia rursus explicari debeant, ac illa denuo per alia2 ? An-non ex iis eris, qui ideo in Theæteto carpuntur, quod, si de re quapiam rogaris, voculas quasdam involutas implexasque ceu e pharetra egerunt eiaculenturque, et si illius dicti rationem quæsieris, rursus sagitta novo nomine acuminata sis percutiendus ; rem vero ipsam nunquam ad certum perducturus exitum ? Sane, cum vox concessa sit eo fine ut mentem declaret, quippe cum ipsa sit quædam rei excogitatæ declaratio, nihil videri potest absurdius, quam id, quod declarat, declarari ipsum debere, et (quasi luci lux alia, qua videatur, sit necessaria) illi, qui interpretem agit, opus esse interprete. Attendunt auditores ut intelligant quid significaturi simus ; expectant, rogant, obtestantur ut loquamur apertius. Quænam esse laus ista potest ut vel non capiunt quæ dicimus, vel torqueri debeant aut perdere tempus, ut capere possint ? An-non vel prorsus tacendum est, vel sic loquendum, ut merito non tacuisse fidem faciamus ? Quid necesse est sphynges, griphes, ænigmata obtrudere, cum illi præsertim magna contentione clara bonaque verba expectant ? Quid malam fidem testari iuvat dum professi quidpiam docere efficimus ne id præstemus ? At, inquies, perspicua non suppetunt verba ; nisi suppetunt, tacendum est

1 lib. 3. phys. 2 apud plat.

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comme on le lit chez Platon1, [222v] l’âme soit coupée en deux parties, comme un X [chi] ; dis que tu penses avec Aristote2 que le mouvement est « l’acte d’un être en puissance, en tant qu’il est en puissance », que penses-tu qu’il s’ensuivra ? Que de salive devra être dépensée pour éclairer des choses dites de façon obscure, et surtout si tu t’expliques, comme on l’habitude de le faire, avec des mots qui doivent à leur tour être expliqués par le biais d’autres, et ces autres à nouveau par d’autres ? Ne te retrouveras-tu pas ainsi parmi ceux qui sont déchirés dans le Théétète précisément parce que3 « quelque question que tu poses à l’un d’eux, de leur carquois, dirait-on, ils tirent formulettes énigmatiques et te les lancent comme flèches ; et si du sens de l’une tu cherches à te rendre compte, une autre t’a déjà frappé dont le sens est changé tout à neuf. Tu ne viendras jamais à bout de rien avec aucun d’eux ». En effet puisque le mot a été accordé à l’homme pour qu’il fasse connaître sa pensée à qui l’écoute, que peut-il faire de plus absurde qu’employer des mots obscurs et étrangers à l’usage, en sorte que ce qui avait été destiné à éclaircir doive lui-même être éclairci et que celui qui joue le rôle d’interprète ait besoin d’un interprète (comme si la lumière avait besoin d’une autre lumière pour être vue) ? Les auditeurs nous écoutent attentivement pour comprendre ce que nous allons signifier ; ils attendent de nous que nous parlions plus clairement, ils nous le demandent, ils nous en supplient. Quelle peut être cette gloire que nous pensons tirer de ce qu’ils ne comprennent pas ce que nous disons, ou bien doivent se tourmenter ou perdre du temps, pour pouvoir le saisir ? Ne vaut-il pas mieux nous taire complètement, ou bien parler de façon à convaincre que nous avons eu raison de ne pas nous taire ? En quoi est-il nécessaire d’imposer des phébus, des griffons, des énigmes, alors qu’ils attendent surtout, dans un état de grande tension, des mots clairs et bons ? À quoi bon invoquer la mauvaise foi, alors que, faisant profession d’enseigner quelque chose, nous faisons en sorte d’en être incapables ? Mais, diras-tu, je ne dispose pas de mots transparents ; si tel est le cas, il faut donc te taire ; ainsi en effet, tu ne tromperas personne. Assurément, de même que c’est malice que de ne pas mener à bien ce que tu t’es engagé à faire, de même est-ce témérité que d’entreprendre ce que tu ne peux exécuter. Bien qu’à un homme intelligent ne font presque jamais défaut les 1 Platon, Timée, 36b. Voir le commentaire que Gassendi fait au chiasme de Platon dans une lettre à Mersenne du 2 novembre 1635 (Lettres latines, n° 82, p. 143). 2 Aristote, Physique, III, 1, 201a. 3 Platon, Théétète, 180a.

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ergo ; sic enim neminem deludes. Nimirum ut malitia est nisi id præstes ingenue quod te facturum receperis, ita temeritas est id suscipere quod exequi nequeas. Quamquam vix unquam intelligenti desunt verba adposita quibus quidlibet quilibet ostendat. Revera enim quandocunque rem quampiam rite noverimus, ac simul colloquentis linguam non ignoraverimus, aut ille erit plane hebes, aut similitudinibus ratiocinationibusque ipsius captui accommodatis, ac familiari ipsi dictione expressis, in eiusdem rei notitiam adsurget. Neque dicas non expedire veritatem semper facere apertam ; eo siquidem casu aut loqui non debes, aut illos dumtaxat alloqui quorum interest. Nec rursus dicas id fieri ne res pretiosæ nimis vilescant ; quippe hunc prætextum superiore libro speciosissimum observavimus convelandi aut ignorantiam aut barbariem aut invidiam aut imposturam. [223r] Quod si nihil dicas subesse mali obscurius quipiam proponere, dum saltem mens fuerit illud explanare : id ut volueris si tantum tibi abuti tempore licuerit, si auditorem satis patientem adstare tibi contingerit, si rem ludicram facere ex veritate lubuerit, si proinde rem adeo sanctam sic traducere non puduerit. Sed hac de re fortasse nimis.

Canon 2 : Dum audis enitere ut vim subiectam vocibis teneas ; ne te vel præ obscuritate lateant, vel præ ambiguitate deludant. Congruit hic canon cum superiore, quando idem scopus audienti, qui loquenti esse propositus debet. En autem imprimis verba Epicuri quæ in Epistola citata1 præcedunt, πρῶτον μὲν τὰ ὑποτεταγμένα τοῖς φθόγγοις εἰληφέναι ὅπως ἂν τὰ δοξαζόμενα, ἢ ζητούμενα, ἢ ἀπορούμενα ἔχωμεν εἰς ὅ ἀνάγοντες ἐπικρίνειν καὶ μὴ ἄκριτα πάντα ἡμῖν εἰς ἄπειρον ἀποδεικνύωσιν, ἢ κενοὺς φθόγγους ἒχωμεν : oportet primum res vocibus subiectas percipere, ut quæcumque vel opinamur, vel quærimus, vel ambigimus, habeamus quo referentes diiudicare possimus, ac ne indiudicata nobis omnia absque ullo fine explanent explanareve debeant qui nobiscum disserunt, aut inaneis sonos habeamus. Respexit autem

1 ad herod.

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mots appropriés pour montrer, qui qu’il soit, n’importe quoi1. En effet, en réalité quand nous connaissons une chose dans les règles et que nous n’ignorons pas la langue de notre interlocuteur, à moins qu’il ne soit complètement stupide, il s’élèvera à la connaissance de cette chose, grâce à des comparaisons et des raisonnements mis au niveau de son entendement et formulés dans une expression qui lui est familière. Et ne va pas dire qu’il n’est pas à propos de toujours faire toute clarté sur la vérité ; dans ce cas certes, ou bien tu dois ne pas parler, ou bien adresse-toi seulement à ceux que cela intéresse. Ne va pas dire non plus que cette pratique [de l’obscurité] existe pour empêcher que des choses trop précieuses ne se déprécient ; de fait nous avons fait remarquer dans le livre précédent que d’aucuns se servaient ce prétexte très spécieux pour couvrir d’un voile l’ignorance, la barbarie, la jalousie ou l’imposture. [223r] Que si tu dis qu’il n’y a rien de mal à proposer quelque chose de plus obscur pourvu du moins que ton intention fût de l’expliquer : cela [fais-le] autant que tu le voudras, s’il t’est tellement loisible de gaspiller ton temps, si tu as la chance d’avoir près de toi un auditeur assez patient, s’il te plaît de faire, de la vérité, un divertissement, si donc tu n’as pas honte d’exposer à la risée une chose à ce point sainte. Quand tu écoutes, efforce-toi de comprendre la notion qui est placée sous les mots ; pour éviter qu’ils ne t’échappent par leur obscurité ou ne te jouent par leur ambiguïté. Ce canon s’accorde avec le précédent, puisque le même but doit être proposé à celui qui écoute qu’à celui qui parle. Or voici d’abord les mots mêmes d’Épicure qui précèdent dans la lettre citée2, πρῶτον μὲν τὰ ὑποτεταγμένα τοῖς φθόγγοις εἰληφέναι ὅπως ἂν τὰ δοξαζόμενα, ἢ ζητούμενα, ἢ ἀπορούμενα ἔχωμεν εἰς ὅ ἀνάγοντες ἐπικρίνειν καὶ μὴ ἄκριτα πάντα ἡμῖν εἰς ἄπειρον ἀποδεικνύωσιν, ἢ κενοὺς φθόγγους ἔχωμεν, « Pour commencer, il faut saisir ce qui est placé sous les sons vocaux, afin qu’en nous y rapportant nous soyons en mesure d’introduire des distinctions dans ce qui est matière à opinion – que cela suscite une recherche ou soulève une difficulté – et pour 1 Ou bien « n’importe quoi à n’importe qui », si l’on admet une coquille du quilibet qui serait alors cuilibet. Mais je préfère l’autre solution qui indique le peu d’importance de la condition sociale de celui qui expose. 2 Diogène Laërce, X, 37. En effet, en 221v Gassendi cite le § 38 de la lettre à Hérodote, et ici il donne le texte qui précède cette citation antérieure.

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et Cicero1, cum est in hunc modum locutus, omnis in quærendo quæ via quadam et ratione habetur oratio, præscribere primum debet, ut quibusdam formulis : ea res agetur, ut inter quos disseritur conveniat quid sit id de quo disseratur. Hoc positum in Phædro a Platone probavit Epicurus sensitque in omni disputatione id fieri oportere. Sic Cicero apud quem rursus Epicurus is perhibetur, qui crebro dicat diligenter oportere exprimi quæ vis subiecta sit vocibus. Prætereo vero citatis verbis iudicari ab Epicuro veritatis criteria, ad quæ adtendentes diiudicare possimus id quod opinando, quærendo, dubitando proponitur. Nam censet illum, cui fuerit quipiam quovis modo propositum, non posse criterium idoneum iudicando deligere, nisi prius intelligens quod vocibus subiectum sit perceperit propositionem. Docet proinde alterum e duobus eventurum esse, nempe ut vel proponens debeat esse sui ipsius interpres, idque infinite donec aliquid obscurum superfuerit, vel, nisi velit aut valeat, sonos sine mente simus habituri. Prætereo etiam propter illud quod Cicero ex eo deducit, peccare propemodum omnes quotquot videre licet disputantes, familiarissimum vitium, quod non ab initio constituant quomodo quidque intelligatur. Ex hoc nempe fit ut innumeras argumentationes texant et retexant, dum hic quidem unam vocem uno [223v] sensu accipit, ille vero alio, et unus pro notione illa quam affingit adoritur, alter pro sua excipit, adeo ut totum diem trahant distrahantque altercationem, cum si constaret inter ipsos quomodo rem conciperent, deprehenderentur aut idem sentire, aut facile certe atque uno verbo rem universam peragerent. Verum tamen histrionia placet, ac tantum abest ut vitio hæc matæotechnia vertatur, quin pretium illi quæsitum est : ita se habent humanæ mentes. Atque hæc quidem propter

1 lib. 2. de finib.

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éviter que tout ne reste pour nous sans distinction dans des démonstrations que nous mènerions à l’infini, ou bien que nous n’ayons que des sons vocaux vides ». Cicéron a visé lui aussi le même point, quand il a parlé de la façon suivante1 : « Dans toute question, une discussion régulière et méthodique doit exiger, comme première règle, que l’on fasse ce que font certaines formules [juridiques] avec leur “point à juger”, c’est-à-dire qu’il y ait entre les interlocuteurs accord sur ce qui constitue l’objet de la discussion. Ce principe, Platon l’a posé dans le Phèdre, Épicure l’a approuvé et il a eu le sentiment qu’en toute discussion il fallait procéder de la sorte ». Ainsi s’exprime Cicéron chez qui l’on découvre par ailleurs qu’Épicure aurait dit à plusieurs reprises qu’il faut avoir grand soin d’extraire la notion qui est placée sous les mots2. Je passe sur le fait que les propos que j’ai cités attestent qu’Épicure juge qu’il existe des critères de la vérité, auxquels il nous faut prêter attention pour pouvoir arbitrer entre ce qui nous est proposé, en émettant des opinions, en interrogeant et en doutant. Car il pense que l’homme à qui a été proposé d’une manière ou d’une autre un quelconque énoncé ne peut choisir un critère de jugement valable s’il n’a pas d’abord compris la proposition en saisissant ce qui est placé sous les mots. Il enseigne que, de deux choses l’une, soit celui qui propose doit être l’interprète de ses propres propos, et cela à l’infini tant qu’il restera quelque chose d’obscur, soit, s’il ne peut ou ne veut le faire, nous n’aurons jamais que des sons dépourvus de sens. De plus, à cause de ce que Cicéron en déduit3, à savoir que sont dans l’erreur presque tous ceux qu’il est permis de voir en train de se disputer, je passe sur le fait que c’est une faute extrêmement courante de la part d’interlocuteurs que de ne pas arrêter dès le début [de leur conversation] la façon dont ils entendent chaque chose. De là assurément vient qu’ils tissent et retissent des argumentations innombrables, vu que celui-ci donne à tel mot tel [223v] sens, mais celui-là tel autre, et que le premier attaque sur la base de la notion qu’il entend, tandis que l’autre la comprend sur la base de la sienne, de telle sorte ils traînent et entretiennent toute la journée leurs chicaneries, alors que s’ils avaient clairement établi comment entendre la chose, soit ils découvriraient avec surprise qu’ils sont du même avis, soit en tout cas ils feraient le tour de l’ensemble de la question facilement et en un seul mot. Mais la comédie plaît cependant ; 1 Cicéron, De finibus, II, i, 3-4. 2 Cicéron, De finibus, II, ii, 6. 3 Cicéron, De finibus, II, ii, 4.

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illud, quod habetur in canone, fore ut nisi vocum vim teneas, illæ te præ sui obscuritate lateant, seu quod idem est, inanes evadant ; porro illud, quod sequitur, vel ambiguitate deludant, consequens omnino est, ac tanto magis præcavendum, quanto sophista habendus est, quisquis adfectat obscuritatem. Species certe obscuritatis nocentissima ambiguitas est, quoniam et errorem inducit ignorantia mera peiorem, et comparatur solum ad hoc, ut candorem, bonamque fidem, et simplicitatem ridiculam faciat. Id Epicuro sane displicuit, cum et nihil habuit, ut constat, perspicuitate antiquius, et vanitatem sophistarum, qui heinc gloriam petunt, redarguit. Non enim, inquit, vita nostra propria sui ostentatione aut inani gloriola eget, sed ut tranquille ævum degamus : οὐ γὰρ ἰδιολογίας ἢ κενῆς δόξης ὁ βιός ἡμῶν ἔξει χρείαν, ἀλλὰ τοῦ ἀθορύβως ζῆν. Et quia tamen fieri vix potest ut in sophistas non incidatur, eapropter loco artis immensæ, qua solvantur sophismata, voluit solum ut adnitamur quid illi velint percipere, neque prius respondeamus quam ipsos adegerimus ut verborum suorum vim apertam faciant. Hic nimirum germanus est eludendi sophistas modus, ut, cum ob sensum sub vocibus occultatum efferantur, ipsi se funirendulos dum illum retegunt demonstrent. Et hoc est quidem quod ipsi cavent ac præterea legem primitus tulerunt quam a Platone1 ac Cicerone2 indicatam refert A. Gellius3 : si de

1 in Euthydem. 2 4 academic. 3 lib. 16. cap. 2

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et, loin que cet art frivole1 soit imputé à vice, on lui accorde un grand prix ; ainsi sont les esprits humains. Et cela se produit à cause de ce qui est contenu dans le canon, à savoir que si tu tiens pas le sens des mots, ils t’échapperont à cause de leur obscurité, c’est-à-dire, ce qui revient au même, ils se videront de sens ; qui plus est, ce qui suit dans le canon, à savoir qu’ils te jouent par leur ambiguïté, en est complètement la conséquence, et il faut d’autant plus se tenir sur ses gardes que tout homme qui affecte l’obscurité doit être tenu pour un sophiste. À coup sûr, l’ambiguïté est la forme d’obscurité la plus nuisible, puisqu’elle induit l’erreur qui est pire que l’ignorance totale, et elle n’est apprêtée qu’à cette seule fin, à savoir de couvrir de ridicule la candeur, la bonne foi et la simplicité. Cela a vraiment déplu à Épicure, vu que la transparence fut, comme il est établi, ce qui lui tint le plus à cœur et vu qu’il a dénoncé la vanité des sophistes qui recherchent là la gloire2. « En effet », dit-il3, « notre mode de vie ne requiert pas une recherche qui nous serait propre et une opinion vide, bien plutôt une vie sans trouble » οὐ γὰρ ἰδιολογίας ἢ κενῆς δόξης ὁ βιός ἡμῶν ἔξει χρείαν, ἀλλὰ τοῦ ἀθορύβως ζῆν. Et parce que cependant il est peu probable qu’il ne soit pas tombé sur les sophistes, c’est pourquoi, à la place de l’art immense qu’il faut pour résoudre les sophismes, il a seulement voulu que nous nous appliquions à comprendre où ils veulent en venir et que nous ne répondions pas avant de les avoir contraints à clarifier le sens de leurs mots. C’est assurément la façon authentique d’esquiver les sophistes si bien que, portés aux nues qu’ils sont à cause du sens caché sous les mots, ils démontrent, 1 Quintilien, De l’institution oratoire, II, 20, 3 : « L’éloquence est aussi une sorte de Mataiotechnia, c’est-à-dire une vaine imitation de l’art qui ne comporte vraiment rien de bon ni de mal en soi, mais qui est un travail inutile, comme celui de cet homme qui, d’une certaine distance, lançait à la suite des pois chiches sur une aiguille et les y enfilait sans en perdre un seul ; Alexandre, l’ayant vu, lui fit cadeau, dit-on, d’un boisseau de ces légumineuses, ce qui était au vrai la plus digne récompense d’un tel travail. C’est à de tels gens qu’il faut comparer, je crois, ceux qui usent leur vie au prix d’études et de labeurs prolongés à des déclamations sur des thèmes qu’ils veulent aux antipodes de la vérité. » Gassendi reprend l’image dans le Syntagma philosophiæ Epicuri, Physique, Section ii, chapitre 6 (sur les démons) : « Ces arts de divination sont de purs mataiotechniæ : il est vraisemblable que quelque chose arrive, mais ils prédisent que ce qui arrivera doit arriver pour des raisons vraisemblables, mais en dehors de tout raisonnement et de toute consultation. » 2 Gassendi laisse les verbes à l’indicatif, mais je les interprète comme des verbes de propositions causales introduites par cum qui veut le subjonctif. 3 Diogène Laërce, X, 87.

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quapiam re quæratur, disputeturque, atque ubi quid rogere, ut respondeas, ne amplius quid dicas, quam id solum, quod es rogatus, ut aias, aut neges. Attamen si legem tulerunt, servent eam ipsi inter se, nam alioquin viri cordati, verique amantes ea sunt soluti. Insinuatum iam ante est Socratem noluisse se illa astringi reclamante sophista licet, et Menedemus animosius, cum ob [224r] responsionem superius adlatam sophista legem opposuisset, ridiculum, inquit, est vestris parere legibus cum in ipsis foribus obsistere liceat ; quod quidem apud Lærtium. Possunt igitur illi solum eos irretire qui nihil de ipsis mali suspicantur ; quamquam et qui sic irretiuntur dicere cum Socrate possunt se esse ex iis qui malint eo modo refelli quam refellere, aut etiam cum Aristippo abire se victos quidem, sed illis, qui vicerint, dormituros iucundius. Cæterum autem qui suspicantur se cum sophistis agere, non est cur dari sibi magis quam lapidi verba patiantur. Nam finge sophistam rogare, An-ne omnis canis latrare potest, an-non ? ac esse qui vicissim quæratur, quid intelligis hoc nomine canis ? Tum si intelligere se dicat animal illud quadrupes domesticumque, nulli non notum erit quod respondens adfirmet, sed ille ridiculus erit si pergat assumere aliquod sidus esse canem, tale scilicet animal, ut latrare sidus concludat. Sin dicat se sua interrogatione comprehendere etiam sidus, tum erit quod respondens neget ; ille vero interea comprobabit se stolidum, quod in sidera transferat latratum. Quod si non roget, sed potius

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quand ils le dévoilent, qu’ils sont des marchands de fumée. Et c’est de cela même qu’ils se gardent, et c’est pourquoi ils ont dès l’origine promulgué la loi qu’Aulu-Gelle rapporte telle qu’il la tire de Platon et de Cicéron1 : « Si on interroge et discute sur un sujet et qu’on te pose alors une question à laquelle tu répondes, de ne rien dire de plus que cela seulement qu’on te demande, ou d’approuver ou de nier ». Mais cependant, s’ils ont proposé cette loi, qu’ils l’observent eux-mêmes entre eux, car par ailleurs des hommes sensés et amants du vrai en sont détachés. J’ai déjà suggéré auparavant que Socrate n’a pas voulu être lié par cette loi, en dépit des protestations du sophiste, et Ménédème a dit avec plus de passion, alors que [224r], à cause de la réponse qu’il avait reçue et que j’ai rapportée plus haut, le sophiste avait opposé la loi : « Il serait ridicule, dit-il, que je vous suive sur vos terres, alors qu’il m’est possible de résister sur le pas de la porte », ce qui se trouve certes chez Diogène Laërce2. Ils ne peuvent donc embarrasser que ceux qui ne soupçonnent rien de mal à leur sujet ; bien que ceux-là qui sont embarrassés peuvent également dire avec Socrate qu’ils sont du nombre de ceux qui préfèrent être dupés que dupes3 ou même avec Aristippe qu’ils partiront vaincus assurément, mais qu’ils dormiront plus paisiblement que ceux qui les ont vaincus4. Or quant à ceux qui soupçonnent qu’ils ont affaire à des sophistes, il n’y a aucune raison qu’ils supportent qu’on leur en conte plus qu’à une pierre5. Car imagine qu’un sophiste demande « Est-ce que tout chien peut aboyer, ou non ? », et qu’il y ait un homme qui l’interroge à son tour : « Qu’entends-tu sous ce nom de chien ? » S’il dit alors qu’il veut parler de l’animal à quatre pattes et domestique, il n’est pas d’homme qui ne saura pas qu’il doit dire oui dans sa réponse, mais l’autre sera ridicule s’il continue par la mineure que telle constellation est un chien, et conclut que tel l’animal la « constellation aboie »6. S’il dit au contraire que sa question comprend aussi 1 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVI, ii, 1. 2 Diogène Laërce, II, 135. Voir sur le jeu de mots la note 2 p. 352 de l’édition utilisée. 3 Variation sur l’idée socratique qu’« il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre » (Apologie de Socrate). 4 Plutarque, Sur les moyens de connaître les progrès qu’on fait dans la vertu, 80c. 5 Gassendi emprunte cette expression à Plaute, Mostellaria, 1073. 6 Gassendi traite cet exemple dans les Exercitationes, livre II, Diss. I, art. 6 : « Que la dialectique se taise donc en ce qui concerne les choses sérieuses ; et qu’elle s’exerce cependant à ces petits jeux dont elle prétend tirer gloire : Tout chien aboie ; mais une certaine constellation est le Chien ; donc une constellation aboie. »

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syllogismum totum propinet, rogandus erit pari modo quid in prima propositione nomine canis intelligat efficieturque ut hærere in ipso limine cogatur ; ac nisi plane delilarit, obmutescet tamquam piscis, neque latum unguem ulterius procedet. Idem dicerem de tam variis sophismatum generibus, quæ sunt ante commemorata. Sed omnia solvendi eadem ratio est, nisi placet etiam tot parcere verbis ; cuique certe licet quod Diogeni olim, qui concludenti quod haberet cornua nihil respondit aliud quam adtacta fronte se non reperire, et colligenti non esse motum nihil aliud quam adsurrexit, et rogatus quid ageret, Zenonis, inquit, rationes confuto. Quid-ne liceat, cum quidquid sensu et experientia repugnante, acute licet, opponitur, id despectum potius quam disquisitionem mereatur ? Nisi forte Diodorus ille non dignus sua morte fuit, qui præ pudore, quod non potuisset solvere sophisma, interiit. Generosius

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la constellation, il n’est pas d’homme qui ne saura qu’il doit dire non dans sa réponse ; mais l’autre prouvera qu’il est stupide d’attribuer un aboiement aux constellations. S’il ne pose pas de question, mais enchaîne d’une seule traite tout son syllogisme, il faudra lui demander de la même manière ce qu’il entend sous le nom de chien dans la prémisse majeure, et il s’ensuivra qu’il sera contraint d’hésiter sur le seuil même : après avoir voulu rire d’autrui, il se fera muet comme une carpe et n’avancera pas plus loin, fût-ce d’une largeur d’ongle1. Je dirais la même chose des si nombreux genres variés de sophismes qui ont été rappelés ci-dessus. Mais la même méthode vaut pour les résoudre tous, à moins que l’on ne préfère s’épargner tant de mots ; à chacun certes il est permis ce qui fut jadis permis à Diogène qui, à un interlocuteur qui concluait qu’il avait des cornes, ne répondit rien d’autre qu’après avoir tâté son front il n’en trouvait pas et qui, face à un interlocuteur qui arguait que le mouvement n’existait pas, ne fit rien d’autre que se lever et, quand il se vit demander ce qu’il faisait, répondit « je réfute Zénon »2. Comment cela ne lui serait-il pas permis, vu que tout ce qu’on propose, fût-ce de façon astucieuse, au rebours du sens et de l’expérience, appelle le mépris plus qu’un examen ? Sauf si peut-être ce Diodore ne manqua pas de bien mériter sa mort, lui qui périt de honte, parce qu’il n’avait pas pu résoudre un sophisme3. Aristippe, pressé de « dénouer » une énigme, répondit avec plus de noblesse4 : « Pourquoi Sextus Empiricus, Contre les moralistes, II, 29 : le mot chien « a des sens sous lesquels tombent aussi bien l’animal aboyant que l’animal marin et autre ceux-là, le philosophe, et par-dessus le marché, l’étoile ; mais ces sens n’ont rien de commun, et le premier n’est pas contenu dans le second, ni le second dans le troisième ». Pour une analyse du langage à partir de cet exemple, Sénèque, Des bienfaits, II, 34, 2 : « Nous donnons même nom au chien de chasse et au chien de mer et à la constellation du chien : comme nous n’avons pas de quoi donner un nom à chaque objet, toutes les fois que c’est nécessaire, nous employons des mots d’emprunt. » 1 Pour cette expression de la comédie passée en proverbe (latum unguem, Érasme, Adages, I, 5, 6), Plaute, Aululaire, 56-57 ; Cicéron (Académiques, I, 58) utilise une formule similaire, unguem transversum. Montaigne (Essais, III, chapitre 10) : « J’ai pu me mêler des charges publiques sans me départir de moi de la largeur d’un ongle. » 2 Diogène Laërce, VI, 38. Repris et traduit par Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVIII, ii, 9, et par Sénèque, Lettres à Lucilius, XLIX, 8, qui cite le syllogisme et ajoute « avec d’autres gentillesses, subtiles rêvasseries du même modèle. » 3 Diogène Laërce, II, 111. 4 Diogène Laërce, II, 70.

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sane Aristippus, qui cum urgeretur ænigma dissolvere, cur me, inquit, fatue, vis dissolvere, quod vinctum negotium facessit ? Quod me adtinet, arbitror id dici ad sophistam posse : mi amice, tu argutaris ; ego medullas rationum quæro. Si veritatem docere cupis, loquere serio, dic aperte, et neque sis inanilogista, neque ullum verbum, ut Comicus ait1, perplexabile facias. Si fallere vis, nequam virum agis indignus qui cum viro bono, verique amante conseras sermones. Sin risum dumtaxat movere adfectas, a philosophis igitur ad mimos, apud quos Vaniloquidorus et Nigidololoquides sis, ut cum [224v] eodem comico dicam2. Enimvero ut locum istum locis aliquot Senecæ3 concludam, en ut ille excipiat : Tu mihi verba, inquit, distorques et syllabas digeris. Scilicet nisi interrogationes vaferrimas struxero et conclusione falsa a vero nascens mendacium adstrinxero, non potero a fugiendis petenda secernere. Pudet me ; in re tam seria senes ludimus : mus syllaba est ; mus autem caseum rodit ; syllaba ergo caseum rodit. Puta me nunc istud non posse solvere. Quod mihi ex ista sententia periculum imminet ? Quod incommodum ? Sine dubio verendum est, ne quando in muscipulo syllabas capiam, aut ne quando, si negligentior fuero, caseum liber comedat. Nisi forte illa acutior est collectio : mus syllaba est, syllaba autem caseum non rodit, mus ergo caseum non rodit. O pueriles ineptias! In hoc suspercilia subduximus ? In hoc barbam demisimus ? Hoc est, quod tristes docemus ac pallidi ? Et postea, Quid enim aliud agitis, cum eum, quem interrogatis, scientem in fraudem indicitis, quam ut formula cecedisse videatur ? Sed quemadmodum illum prætor, sic hos philosophia in integrum restituit. Quid disceditis ab ingentibus promissis ? et cætera. Alio autem loco4, multum illis temporis verborum cavillatio eripuit, et captiosæ disputationes, quæ acumen irritum exercent. Nectimus nodos et ambiguam

1 2 3 4

Plaut. In pseud. fin. in pœn. epist. 48 epist. 45

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veux-tu, stupide, dénouer ce qui, même attaché, nous met dans l’embarras ? ». En ce qui me concerne, je pense pouvoir dire au sophiste : « Mon ami, tu baratines tandis que moi, je cherche la (substantifique) moelle des causes. Si tu désires enseigner la vérité, parler sérieusement, déclare-le ouvertement, ne fais pas le phraseur et, comme dit le Parasite1, n’emploie pas de mots à double sens. Si tu veux tromper, tu agis en gredin, tu es indigne de t’entretenir avec un homme de bien, aimant la vérité. Au contraire, lorsque tu en remontres aux autres, alors tu tends à faire rire les philosophes et jusqu’aux saltimbanques, chez qui tu es Esbroufeur et Alambiqué, dirais-je [224v] en citant le même auteur comique2. En vérité, pour conclure ce passage avec quelques passages de Sénèque, voilà les commentaires que cela lui inspire3 : « Et toi, tu viens me torturer les mots, tu te fais éplucheur de syllabes ! Par ma foi ! Faute d’avoir construit des arguments bien captieux, d’avoir réduit aux termes d’un mensonge, par conclusion fausse, un principe vrai, je demeurerai incapable de discerner d’avec ce que je dois fuir ce que je dois désirer. Je rougis de honte : d’une affaire si sérieuse, nous ne tirons, nous, des vieux, qu’une amusette. “Rat est une syllabe ; or un rat mange du fromage ; donc une syllabe ronge du fromage”. Suppose ici que je ne puisse pas démêler ton sophisme. Par suite de ma triste ignorance, de quel péril suis-je menacé ? De quel inconvénient ? Je cours évidemment le risque de prendre des syllabes à la ratière ou de voir un jour par ma négligence, un livre dévorer mon fromage. Mais que dis-tu de ce syllogisme plus subtil ? “Rat est une syllabe ; or une syllabe ne ronge pas de fromage ; donc un rat ne ronge pas de fromage”. Sottises puériles ! C’est pour ce résultat que nous froncions les sourcils, que nous faisions descendre notre barbe ? Voilà ce que nous enseignons, chagrins et blêmes ? » Et plus loin4 : « Et vraiment, en poussant sciemment dans le piège celui que vous interrogez, 1 Plaute, Asinaria, IV, 1 Plaut. 2 Ou Diseur de mensonges et conteur de bourdes, Plaute, Persa, IV, 6. 3 Sénèque, Lettres à Lucilius, XLVIII, 4-7. La suite de la lettre de Sénèque est citée dans le Livre I des Exercitationes, 108b : « Que de superfluités chez les philosophes ! Que de choses dépourvues d’usage ! Eux-mêmes se sont abaissés aux distinctions de syllabes, aux propriétés des conjonctions et des prépositions, et ils ont dérobé aux grammairiens et aux géomètres tout ce qu’il y avait d’inutile dans leurs disciplines pour le transporter dans la leur. » Gassendi ajoute en incise que cela vaut aussi pour les théologiens. Ce texte de Sénèque est repris et paraphrasé par Pétrarque, Mon secret, livre I, qui le met dans la bouche d’Augustin. 4 Sénèque, Lettres à Lucilius, XLVIII, 10-11.

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significationem verbis alligamus, deinde dissoluimus. Tantum nobis vacat ? Et infra, cæterum qui interrogatur, an cornea habeat, non est tam stultus, ut frontem suam tentet, nec rursus tam ineptus aut hebes, ut non habere se nesciat subtilissima quod tu illi subtilissima collectione persuareris. Sic ista sine noxa decipiunt, quomodo præstigiatorum acetabula et calculi, in quibus me fallacia ipsa delectat. Effice ut qui fiat intelligamus ; perdidi usum ; idem de istis captionibus dico ; quo enim nomine potius sophismata adpellem ? Nec ignoranti nocent, nec scientem iuvant. Denique1 postquam alio loco docuit ista non esse prospicienda, vel si prospicienda ad hoc solum, ne verba nobis dentur, et aliquid esse in illis magni ac secreti boni iudicemus, subiicit, quid te torques ac maceras in ea quæstione, quam subtilius est contempsisse quam solvere ? Docet postmodum quanta sit dementia sedentem atque otiosum eiusmodi quæstiones ponere, quod non perdidisti, habes ; cornua autem non perdidisti ; cornua ergo habes, aliaque ad exemplum huius acutæ delirationis concinnita. Tandem vero postquam proposuit illud tragici (Euripidis scilicet), veritatis simplex oratio est, concludit, ideoque implicare illam non oportet ; nec enim minus quicquam convenit quam subdola ista calliditas animis conantibus magna. Verumtamen de his iam satis.

1 epist. 49

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faites-vous autre chose que de donner à croire que ses conclusions sont rejetées ? Mais ce que le préteur fait pour les plaideurs lésés, la philosophie le fait pour vos victimes, en les rétablissant dans leur droit. Pourquoi trahissez-vous vos immenses promesses ? ». Dans un autre passage1 : « Les chicanes de mots leur ont ravi beaucoup de leur temps, les captieuses controverses qui ne mettent en jeu qu’une stérile subtilité. Nous tressons le nœud d’un raisonnement ; nous enlaçons l’équivoque dans la trame des mots, ensuite nous la démêlons. Avons-nous du temps de reste ? » Et plus bas2 : « Au surplus, l’homme à qui on demande : “As-tu des cornes ?” n’est pas si sot que de se tâter le front, ni, d’autre part, assez inepte ou obtus pour que ton argumentation très subtile l’oblige à admettre qu’il n’en sait rien. Ces pauvres finesses abusent l’esprit, mais innocemment, comme les gobelets et les dés [de l’escamoteur], qui ne m’intéressent que pour l’habileté du tour de main. Dévoilemoi le secret du jeu, adieu l’amusement. Je dis la même chose de vos “attrapes” – pour désigner les “sophismes”, trouverais-je un meilleur équivalent. On ne perd rien à les ignorer, on ne gagne rien à les savoir ». Enfin, après que, dans un autre passage, il a expliqué3 qu’il « n’interdis[ait] pas que l’on donne à ces élucubrations un regard, mais rien qu’un regard, un simple bonjour à la porte, à seule fin d’éviter que l’on nous paye de mots en nous donnant à croire que ces formules recèlent quelque précieuse et secrète vertu », il ajoute : « Pourquoi peines-tu, pourquoi te consumer sur un problème qu’il est plus adroit de dédaigner une fois pour toute que de résoudre ? » Il explique enfin en quoi cela est une folie que de rester4 « assis en oisif à proposer des questions comme celle-ci : “Tu as ce que tu n’as pas perdu ; or tu n’as pas perdu de cornes ; donc tu as des cornes”, avec d’autres gentillesses, subtiles rêvasseries du même modèle ». Enfin, après qu’il a cité le vers du tragique (en l’occurrence Euripide)5, que « la vérité s’exprime simplement », il conclut qu’il ne faut pas « entortiller son langage. Car rien ne sied moins que ces insidieuses finesses aux âmes qui tentent une héroïque aventure ». Mais il suffit sur ce point.

1 2 3 4 5

Sénèque, Lettres à Lucilius, XLV, 5. Sénèque, Lettres à Lucilius, XLV, 8. Sénèque, Lettres à Lucilius, XLIX, 6. Sénèque, Lettres à Lucilius, XLIX, 7. Sénèque, Lettres à Lucilius, XLIX, 12.

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[225r]

LIBER DECIMUS : DE CRITERIIS VERITATIS GENERALITER 1. Quid verum, quid falsum dicatur Principio quantum ad rem facit sciendum est unamquamque rem spectari posse vel absolute, et, ut loquuntur secundum se, vel comparate, et prout ad nostram sive cognitionem, sive dictionem refertur. Et priore quidem modo unaquæque res est ipsum quod est, nihil vero aliud ; posteriore autem varias adispiscitur denominationes. Nam primo quatenus ad nostram cognitionem respectum habet, vel ea manifesta et evidens est, et tunc, quia parit in nobis cognitionem sui certam et indubiam, idcirco ipsa quoque certa et indubia dicitur, vel occulta est et obscura, et tunc, quia sui cognitionem facit incertam et dubiam, incerta et dubia vocatur. Dicitur autem præterea verisimilis et probabilis, quando maius quoddam est certitudinis quam incertitudinis argumentum. Deinde quatenus ad nostrum dictionem enunciationemve spectat, aut ea talis dicitur enunciaturque qualis secundum se est, et tunc, quia nostra dictio ipsi conformis dicitur vera, ideo et res ipsa vera dicitur, aut qualis non est, et quia tunc dictio ipsi incongrua falsa dicitur, ideo ipsa quoque falsa nominatur. Atque ut iam de veritate et falsitate præsertim dicamus, sciendum est rursus, licet res omnis spectata secundum se sit ipsum, quod est, ac nihil præterea, nihilominus maioris cuiusdam explicationis gratia solere illi adtribui ut vera dicatur. Sic enim dicimus rem aliquam secundum se vere esse, aut esse, exempli causa, verum aurum, verum hominem, et similia ; quamquam non perinde adpellatur falsa, quoniam in se est semper vera quædam res, non autem quod esse putatur : sic aurichalcum non falsum aurum, sed verum aurichalcum est, et homo pictus non falsus homo, sed vera hominis effigies. Porro hæc rerum veritas agnita est ab Epicuro, cum apud Sextum Empiricum1, οὐ διηνέγκει, φησὶν, ἀληθὲς εἶναὶ τι ἢ ὑπάρχον, nihil differt, inquit, dicasne esse aliquid verum, an existens ; quo sensu etiam apud Lærtium existentiam simul et veritatem coniungit, cum ὑπῆρξε, inquit, τοῖς οὖσι καὶ ἀληθέσι προσαγορευομένοις, subest iis, quæ existentia atque vera nominantur. Ex quo 1 lib. 1. advers. log.

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[225r]

DIXIÈME LIVRE : SUR LES CRITÈRES DE LA VÉRITÉ EN GÉNÉRAL 1. Ce qui est dit vrai et ce qui est dit faux Premièrement pour ce qui concerne les choses, il faut savoir que chacune peut être considérée soit dans l’absolu et, comme on dit, en soi, ou bien par comparaison, selon qu’on la rapporte soit à notre connaissance, soit à notre discours. Et vue sous le premier angle ainsi défini, chaque chose est cela même qu’elle est, et vraiment rien d’autre ; mais vue sous le second, elle reçoit différentes dénominations. Car d’abord, au respect de notre connaissance, ou bien elle est obvie et évidente, et donc c’est parce qu’elle engendre en nous une connaissance certaine et indubitable de ce qu’elle est qu’elle est dite elle aussi certaine et indubitable, ou bien elle est cachée et obscure, et alors c’est parce qu’elle rend la connaissance de ce qu’elle est incertaine et douteuse qu’elle est appelée incertaine et douteuse. Or elle est dite en outre vraisemblable et probable quand la preuve qui l’établit a plus de certitude que d’incertitude. Ensuite, au respect de notre discours ou énonciation, ou bien elle est dite et énoncée être ce qu’elle est en soi, et alors c’est parce que notre discours est dit conforme au vrai que la chose est dite elle-même aussi être vraie, ou bien elle est dite et énoncée être ce qu’elle n’est pas en soi, et c’est parce qu’alors le discours est dit non-conforme à elle ou faux que la chose est dite elle aussi fausse. Et pour parler maintenant surtout de la vérité et de la fausseté, il faut savoir encore que, quoique toute chose considérée en soi soit cela même qu’elle est et rien de plus, néanmoins, au nom d’une plus grande clarté, elle a l’habitude de se voir attribuer le fait qu’elle est dite vraie. En effet nous disons ainsi qu’une chose est vraiment en soi, ou est, par exemple, vrai or, vrai homme, etc. ; bien qu’elle ne soit pas pareillement dite fausse, puisqu’elle est en soi toujours une vraie chose, et non pas ce qu’elle est jugée être ; ainsi l’orichalque n’est pas du faux or, mais du vrai orichalque, et un homme en peinture n’est pas un faux homme, mais une vraie image d’homme. En outre, Épicure reconnaît bien cette vérité des choses, puisqu’il dit, chez Sextus Empiricus1, οὐ διηνέγκει, φησὶν, ἀληθὲς εἶναὶ τι ἢ ὑπάρχον, « qu’il n’y a pas de dif1 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 9.

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fit ut [225v] iuxta Epicurum illum verum sit quod in rerum natura subsistit, seu habet existentiam, possitque ista veritas, cui falsitas nulla opposita est, dici veritas existentiæ. Præter hanc autem agnita Epicuro alia, cui falsitas esse opposita possit, quæque adpellanda occurrat veritas dictionis, seu enunciationis, iam exposite et consequenter etiam veritas iudicii et opinionis. Hinc nimirum sunt allatæ illæ ex Epicuro veri et falsi descriptiones apud eundem Empiricum1, ἐστὶν ἀληθὲς τὸ οὕτως ἔχον ὠς λέγεται ἔχειν, καὶ ψεῦδος ἐστιν τὸ οὐκ οὕτως ἔχον ὡς λέγεται ἔχειν verum est quod ita se habet, ut se habere dicitur ; falsum quod non ita se habet, uti se dicitur habere. Quo loco nota descriptiones esse verbo dicendi potius quam iudicandi traditas, tum quia λέγειν, dicere, intelligi etiam de sermone interno potest, quo adfirmando aut negando ferimus iudicium de aliqua re, tum quia ipsa dictio, seu vox, nihil est aliud quam interpretatio, ἑρμηνεία interni iudicii. Inde oratio, quæ voce profertur (adde, si velis, et scribitur, aut quodam signo exprimitur), perinde est Epicuro aut vera aut falsa, ac ipsum-met iudicium. Hoc nempe sensu est accipiendum quod apud Sextum legitur2, περὶ τῇ φωνῇ τὸ ἀληθὲς καὶ ψεῦδος ἀπολείπειν, et verum et falsum in voce relinquere ; et consequenter quod Epicurus, ἐκ φωνῆς συνέστηκεν ἡ ἀπόδειξις, demonstratio ex voce constat, quæ aliunde et vera est et concludens oratio. Hic notandum ut Epicurus cum Aristotele conveniat, a Stoicis vero dissidens. Siquidem Aristoteles aperte quoque insinuat non differe an aliquid dicas esse verum, an esse, quando in Metaphysicis docet, ἕκαστον ὡς ἔχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας, unamquamque rem, ut se habet ad esse, ita se habere ad veritatem. Insinuat quoque id verum esse, quod ita se habet, ut se habere

1 loco. cit. 2 Ib.

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férence entre dire d’une chose qu’elle est vraie ou qu’elle existe » ; dans ce sens aussi il associe chez Diogène Laërce l’existence et la vérité, quand il dit1 ὑπῆρξε τοῖς οὖσι καὶ ἀληθέσι προσαγορευομένοις, qu’« existe ce que l’on dit être et être vrai ». De là vient que [225v], selon Épicure, est vrai ce qui se trouve dans la nature, ou y a existence, et que cette vérité, à laquelle aucune fausseté n’est opposée, peut être dite vérité de l’existence. Outre cette vérité, Épicure en reconnaît une autre, à laquelle une fausseté peut être opposée et qu’il faut appeler vérité du discours, ou de l’énoncé, et aussi, clairement et par conséquent, du jugement et de l’opinion. D’où assurément le même Sextus Empiricus nous rapporte, d’après Épicure, les définitions suivantes du vrai et du faux2 : ἐστὶν ἀληθὲς τὸ οὕτως ἔχον ὠς λέγεται ἔχειν, καὶ ψεῦδος ἐστιν τὸ οὐκ οὕτως ἔχον ὡς λέγεται ἔχειν, « Est vrai ce qui est ce qu’il est dit être ; est faux ce qui n’est pas ce qu’il est dit être ». Dans ce passage, note que je traduis les définitions par le terme « dire » plutôt que par celui de « juger », d’une part parce que λέγειν, « dire », peut s’entendre aussi d’un discours [en notre for] intérieur par lequel, en affirmant ou en niant, nous portons un jugement sur une chose, d’autre part parce que le discours lui-même, ou la voix, n’est rien d’autre que l’interprétation, ἑρμηνεία, du jugement intérieur. De là l’exposé, qui est prononcé par la voix (ajoute, si tu veux, également, l’exposé qui est écrit ou exprimé par quelque signe) est, pour Épicure, aussi vrai ou aussi faux que le jugement lui-même. Car c’est dans ce sens qu’il faut entendre ce qu’on lit chez Sextus Empiricus3, περὶ τῇ φωνῇ τὸ ἀληθὲς καὶ ψεῦδος ἀπολείπειν, « qu’il laisse le vrai et le faux au son vocal » ; et par conséquent ce que dit Épicure4 : ἐκ φωνῆς συνέστηκεν ἡ ἀπόδειξις, « la démonstration est composée de son vocal », ce qui est d’ailleurs un discours vrai et concluant. Il faut noter ici qu’Épicure est d’accord avec Aristote, mais s’oppose aux stoïciens. De fait, Aristote suggère lui aussi ouvertement qu’il n’y a pas de différence entre dire d’une chose qu’elle est vraie, ou qu’elle le soit effectivement, quand il enseigne dans la Métaphysique5, ἕκαστον ὡς ἔχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας, « qu’autant une chose a d’Être, autant aussi elle a de vérité ». Il suggère aussi qu’est vraie une chose qui est

1 2 3 4 5

Diogène Laërce, X, 51. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 9. Sextus Empiricus, Adv. math.,VIII, 13. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 336. Aristote, Métaphysique, α, 1, 993b 31-32.

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dicitur, cum dicuntur1 in Logicis, ὁμοίως οἱ λόγοι ἀληθεῖς ὥσπερ καὶ τὰ πράγματα, orationes similiter ac res ipsæ sunt veræ esse. Quinetiam quod circa enunciationes oppositas de futuro contingenti Aristoteli placuit, Epicurus quoque probavit : Aristotelis verba sunt2 : quidvis esse, aut non esse, et fore, aut non fore necesse est ; non tamen separatim dicendum alterum necessarium ; verbi gratia, necesse est cras fore, vel non fore bellum navale ; non est autem necesse fieri bellum navale, nec necesse est cras non fieri ; sed necesse est fieri, aut non fieri. Epicurus autem apud Ciceronem3 negat pariter omnem enunciationem aut veram esse aut falsam. Et Epicurei arguuntur quod dixerint veras quidem esse ex contrariis disiunctiones, sed quæ in his enunciata essent, eorum neutrum esse verum. Sic alio loco cum Epicurus verum esse [226r] non concedat, quod ita effabimur, aut vivet cras Hermarchus, aut non vivet (separatim, intellige) id subiicitur, vide quam sit cautus is, quem isti tardum putant; ‘si enim’, inquit, ‘alterutrum concessero necessarium esse, necesse erit cras Hermarchum aut vivere aut non vivere ; nulla autem est in natura talis necessitas’. Ad Stoicos quod attinet, ut agnoscas qui Epicurus ab ipsis dissideat, adverte illos tria quædam coniugata admittere, nempe, rem quæ voce effertur diciturque ipsis τὸ τυγχάνον, quasi dicant ens vel extra occurrens, ipsam vocem quæ profertur, et significationem vocis, quæ quidem in mente solius intelli-

1 lib. de Interpr. 2 Ib. 3 lib. de fato

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ce qu’on dit qu’elle est, lorsqu’il est dit dans la Logique1, ὁμοίως οἱ λόγοι ἀληθεῖς ὥσπερ καὶ τὰ πράγματα, « sont vrais les énoncés qui sont en accord avec les choses ». Et bien plus, Épicure a approuvé lui aussi ce qui fut l’avis d’Aristote à propos des énonciations opposées sur le futur contingent. Aristote dit les mots suivants2 : « Certes, toute chose est ou n’est pas, c’est une nécessité, et aussi toute chose sera ou ne sera pas. Mais l’énoncé séparé de l’un des deux membres de l’alternative n’est pas un énoncé nécessaire. Je dis par exemple que nécessairement il y aura ou il n’y aura pas une bataille navale, mais que demain une bataille navale se produira ou demain elle ne se produira pas ne sont pas des énoncés nécessaires. Il est porutant nécessaire qu’elle se produise ou ne se produise pas ». Or Épicure chez Cicéron nie pareillement3 que « toute énonciation soit vraie ou fausse ». Et preuve est faite que les épicuriens ont dit que les « disjonctions faites de contradictoires sont vraies mais des deux choses qui sont énoncées dans ces disjonctions ni l’une ni l’autre n’est vraie »4. De même, alors que, dans un autre passage Épicure n’admet pas que soit vraie [226r] la proposition suivante5 : « Ou Hermaque vivra demain, ou il ne vivra pas » (si les deux sont pris séparément), Cicéron ajoute ceci : « Vois combien il est habile, cet Épicure que vous considérez comme un esprit lent ; si en effet, dit-il, j’admets que l’un ou l’autre est nécessaire, il sera nécessaire que, demain, Hermaque vive ou bien ne vive pas ; or il n’y a pas pareille nécessité dans la nature ». Quant aux stoïciens, pour que tu apprennes en quoi Épicure est en désaccord avec eux, prête attention que eux admettent trois éléments liés, à savoir la chose qui est énoncée par le son vocal et qu’ils appellent6 τὸ τυγχάνον, pour ainsi dire « ce qui est » ou « ce qui se présente à l’extérieur » ; le son vocal même qui est produit ; et la signification du son vocal, qui est assurément dans l’esprit de celui-là seul qui le comprend, et non pas du barbare, même s’il entend de la même façon7. En plus de cela, ils sont d’avis que la chose et le son vocal sont des corps ; mais que la signification est incorporelle et que c’est elle qui est proprement ce qui est appelé 1 2 3 4 5 6 7

Aristote, Sur l’interprétation, IX, 19a33-34. Aristote, Sur l’interprétation, IX, 19a28-33. Cicéron, Traité du destin, X, 21. Cicéron, Traité du destin, X, 37. Cicéron, Académiques, II, xxx, 97. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 11. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 11-12.

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gentis, non autem barbari, tametsi similiter audientis subsistit. Ad hæc sententia illorum est, rem et vocem esse corpora ; significationem autem esse incorpoream ipsamque proprie esse quæ appelletur λεκτὸν, dictum. Denique putant veritatem et falsitatem competere non rei, non voci, sed significationi, seu dicto dumtaxat ; atque illi non omni quidem, sed cum ex ante memoratis dictorum alia imperfecta, alia per se perfecta sint, et inter perfecta sint axiomata, existimant solis axiomatibus ut vera vel falsa sint tribui. Quare et apud Empiricum axioma definiunt id quod est verum aut falsum. Hæc igitur cum ita sint, constat qua in re Epicurus a Stoicis dissenserit. Nam primo opinatus est rem ipsam posse dici veram ; deinde ipsam quoque vocem dici posse veram aut falsam, modo prius exposito ; tertio autem repudiavit τὸ λεκτὸν, dictum, quatenus illi ipsum habebant, quasi aliquid incorporeum, ac proinde considerebant quasi aliquid distinctum, non modo ab actione mentis, qua dictum comprehenderetur, sed etiam ab ipsamet re quæ sola significaretur. Hac autem in re Epicurus adsentientem habuit Stratonem, cognomento Physicum, qui ipse quoque, ut habetur apud eundem Empiricum, duo illa sola, rem et vocem, in veris et falsis reliquit. Ex his obiter corrigere licet mendosum locum apud Plutarchum, libro priore adversus Colotem. Is vulgo ita legitur, τίνες μᾶλλον ὑμῶν (adloquitur Epicureos) πλημμελοῦσι περὶ τὴν διάλεκτον, οἳ τὸ τῶν λεκτῶν γὲνος, οὐσίαν τῷ λόγῳ παρέχοντες, ἄρδην ἀναιρεῖτε, τὰς φωνὰς καὶ τὰ τυγχάνοντα μόνον ἀπελιπόντες τὲ καὶ μεταξὺ σημαινομενα πράγματα δι’ ὧν μαθήσεις et cæt., quæ interpres ita vertit : Ecquis magis in sermone peccat quam vos, qui cum genus effatorum substantiam sermonis substernatis funditus tollitis voces, et obvia tantum reliquentes vocabula ; interim significationes eorum per quæ discimus, et cætera. Constat vero Stoicos esse non Epicureos, qui faciant τὸ λεκτῶν γένος, dicta seu effata, sermonis substantiam, neque Epicureos esse qui voces tollant funditus, relinquantque

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λεκτὸν, « exprimable ». Enfin ils pensent que la vérité et la fausseté ne se rencontrent ni dans la chose, ni dans le son vocal, mais seulement dans la signification, ou le discours ; et, alors que, d’après ce que nous avons rappelé ci-dessus, parmi les exprimables, les uns sont incomplets, mais les autres complets en soi et que parmi les complets se trouvent les propositions, ils estiment qu’il doit être attribué d’être vrai ou faux non pas à tous les exprimables, mais seulement aux propositions. C’est pourquoi chez Sextus Empiricus1, ils définissent la proposition comme ce qui est vrai ou faux. Et donc alors qu’il en est ainsi, il est établi que sur ce point Épicure est en désaccord avec les stoïciens. Car d’abord il a pensé que la chose elle-même pouvait être dite vraie ; ensuite que le son vocal lui aussi pouvait être dit vrai ou faux, de la manière exposée ci-dessus ; troisièmement il a rejeté τὸ λεκτὸν, « l’exprimable », dans la mesure où les stoïciens le tenaient pour quelque chose d’incorporel et le considéraient donc comme quelque chose de distinct, non seulement de l’action de l’esprit par lequel est compris l’exprimable, mais aussi de la chose elle-même qui seule est désignée. Or sur ce point, il semble qu’Épicure soit d’accord avec Straton, surnommé le Physicien, qui, lui aussi, comme on le lit chez le même Sextus Empiricus2, n’a gardé parmi ce qui est susceptible d’être vrai et faux que deux choses seulement, à savoir la chose et le son vocal. Ces remarques permettent de corriger en passant un passage défectueux chez Plutarque, dans le premier livre contre Colotès3. On le lit communément de la façon suivante : τίνες μᾶλλον ὑμῶν (il s’adresse aux épicuriens) πλημμελοῦσι περὶ τὴν διάλεκτον, οἳ τὸ τῶν λεκτῶν γὲνος, οὐσίαν τῷ λόγῳ παρέχοντες, ἄρδην ἀναιρεῖτε, τὰς φωνὰς καὶ τὰ τυγχάνοντα μόνον ἀπολιπόντες4 τὲ καὶ μεταξὺ σημαινομενα πράγματα δι’ ὧν μαθήσεις etc., paroles que le traducteur interprète ainsi : « Qui commet dans le langage plus de fautes que vous, vous qui, en sacrifiant le genre des énoncés, c’est-à-dire la substance du discours, supprimez complètement les mots et ne conservez que les vocables courants, et dans l’intervalle la signification des termes par lesquels nous apprenons, etc. ». Mais il est établi que ce sont les stoïciens et non pas les épicuriens qui font de τὸ λεκτῶν γένος, « les exprimables et les énonciations », la substance du discours, et que ce ne sont pas les épicuriens qui suppriment complètement les mots en ne laissant que les choses, τὰ τυγχάνοντα 1 2 3 4

Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 12. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 13. Plutarque, Contre Colotès, 1119 f. Je corrige ici la coquille du texte qui porte ἀπελιπόντες.

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res solas, τὰ τυγχάνοντα μόνον, quam vocem interpres non videtur assequutus, ut taceam cum verbis τὰ καὶ μεταξὺ [226v] non cohærere quæ præcedunt. Itaque crediderim locum ita posse restitui, οἳ τὸ λεκτῶν γένος οὐσίαν τῷ λόγῳ παρεχόντων, ἄρδην ἀναιρεῖτε, τὰς φωνὰς, καὶ τὰ τυγχάνοντα μόνον ἀπολείποντες, τὰ καὶ μεταξὺ, qui ipsa dicta quæ substantiam orationi tribuunt plane tollitis, vocibus quidem ac rebus locum relinquentes ; interea vero, et cætera. Discrimen aliud prætereo circa veritatem aut falsitatem futurorum contingentium. Siquidem Stoici desudant, et nominatim contendit omnes nervos Chrysippus (Ciceronis verba sunt1) ut persuadeat omne ἀξίωμα aut verum esse aut falsum. Verum hac de re cum de fato et fortuna disseretur.

2. Quid quotuplexque criterium de quo hic sermo De criterio ut iam dicamus, sciendum est huiusmodi vocem non usurpari hoc loco quatenus potest significare vel tribunal iudicis aut locum in quo iudicat, vel argumentum rationemve, seu id ex quo desumimus iudicandi materiam ; sed prout sonat organum instrumentumve iudicandi. Interpretatur Cicero2 una voce iudicium ; clarius forte iudicatorium eadem ratione dici posset qua τὸ αἰσθήτηριον, sensorium, vulgo dicitur. Sed perspecta vi nominis nihil obstat criterii vocem tanquam celebrem retinere. Ac sciendum rursus hoc criterium diversimode usurpari, præsertim apud Empiricum3. Nam primo aliud dicitur cui adtendentes vivimus, aut aliquid facimus ; cuiusmodi est patriæ lex aut consuetudo in communi vita. De hoc vero quæstio non est, aut

1 lib. de fato 2 i. de finib. 4 academ. et cæ. 3 lib. 2. hypot. et 1 advers. logic.

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μόνον, termes que le traducteur semble ne pas avoir compris, pour taire que ce qui précède n’est pas cohérent avec les mots τὰ καὶ μεταξὺ [226v]. C’est pourquoi je croirais que le passage peut être restitué de la façon suivante : οἳ τὸ λεκτῶν γένος οὐσίαν τῷ λόγῳ παρεχόντων, ἄρδην ἀναιρεῖτε, τὰς φωνὰς, καὶ τὰ τυγχάνοντα μόνον ἀπολείποντες, τὰ καὶ μεταξὺ, « vous qui supprimez complètement les exprimables mêmes qui attribuent la substance au discours, laissant la place aux mots et aux choses ; mais dans l’intervalle, etc. » Je passe sur le différend entre épicuriens et stoïciens au sujet de la vérité et la fausseté des futurs contingents. Assurément les stoïciens ont sué sang et eau, et notamment Chrysippe « fait tous ses efforts » (ce sont les mots de Cicéron1) « pour démontrer que tout ἀξίωμα est ou vrai ou faux ». Mais il en sera débattu avec le destin et la fortune2. 2. Quel est le critère dont nous parlons et combien de forme il prend Pour parler maintenant du critère, il faut savoir que ce mot n’est pas utilisé en ce lieu dans son sens possible de tribunal de juge c’est-à-dire de lieu dans lequel le juge juge, ni dans celui d’argument ou de raisonnement, c’està-dire de ce dont nous prenons la matière des jugements ; mais en tant qu’il veut dire l’organe ou l’instrument pour juger. Cicéron le traduit par un seul mot « jugement »3 ; on pourrait peut-être de manière plus claire l’appeler le « siège des jugements » de la même façon que l’on dit communément τὸ αἰσθήτηριον, le « siège des sensations »4. Mais, vu la force du mot, rien n’empêche de retenir le terme de critère en tant qu’il est très employé. Mais il faut savoir encore que ce « critère » reçoit un sens différent surtout chez Sextus Empiricus. Car en premier lieu il sert à désigner ce sur quoi nous nous réglons pour vivre ou pour faire quelque chose ; relèvent de ce genre les lois de la

1 Cicéron, Traité du destin, X, 21. 2 Voir Pierre Gassendi, De la liberté, de la fortune, du destin et de la divination, traduction et annotation par Sylvie Taussig (Brepols 2008). 3 Cicéron, De finibus, I, vii, 22, puis 63 et 64 – la fin de ce paragraphe étant consacré à cette faculté de juger, que J. Martha traduit la première fois par « critère », la seconde par « jugements » pour terminer par « critérium ». 4 On trouve encore chez Voltaire : « Il y a un être qui, dans l’espace infini comme dans son sensorium, voit, discerne et comprend tout » (Éléments de la philosophie de Newton mis à la portée de tout le monde).

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certe magna dissensio quod facile omnes tale aliquid admittant aut probent ; aliud dicitur quo aliquid esse aut non esse, itemque verum aut falsum esse in rebus præsertim naturalibus iudicamus ; et de isto iam agitur. Sed et potest istud accipi bifariam, ut a Galeno indicatur. Nam aliud est artificiale, idemque mechanicum ; cuiusmodi est circinus quo rotunditas exploratur, ulna qua longitudo, libella qua pondus. Aliud vero naturale quod non ipsi paravimus, sed a natura sortiti sumus ; idipsumque est quod quæritur iam ; ac non tam quidem quatenus vere physicum est quam quatenus spectat ad logicam artem. Nempe hac de causa Empiricus ipsum quasi tertium membrum constituit. Ad-hæc naturale criterium duplex subdistinguitur, τὸ δι’οὗ, id per quod, τὸ καθ’ὅ, id secundum quod. Et criterium quidem per quod dicitur aliqua facultas [227r] sensus puta, aut intellectus. Criterium vero secundum quod dicitur adplicatio, ἐπιβολὴ, facultatis ad suum obiectum, non multum distincta ab eius functione, qualis est sensio aut intellectio. Sunt qui ista duo in unum confundant, vel potius agnoscant dumtaxat τὸ δι’οὗ, criterium per quod, quemadmodum Alcinous1, qui aliunde secundum addit, τὸ ἀφ’οὗ, criterium a quo, ipsumque dicit vel mentem, vel etiam hominem a quo verum diiudicatur. Sunt alii qui, cum illa duo priora retineant, hoc admittunt etiam quasi tertium, ut constat ex Empirico2, apud quem homo dicitur criterium a quo, et tria esse criteria similitudinibus declaratur. Ut enim dum gravia et levia subiiciuntur examini tria reperiuntur, videlicet libripens, a quo fit examen, libra, per quam fit, et libræ positura, secundum quam fit ; ut etiam in exploratione

1 lib. de doctr. plat. cap. 4 2 loc. cit.

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patrie ou la coutume dans la vie quotidienne1. Mais ce point ne pose pas question, et le fait que tous admettent ou approuvent facilement quelque chose de tel ne soulève pas de grands désaccords ; et [le critère] a cet autre sens de ce sur quoi nous jugeons que quelque chose est ou n’est pas, et que ce même quelque chose est vrai ou faux, surtout dans les phénomènes naturels, et c’est du critère dans ce sens-là qu’il est traité maintenant. Mais [celui-là à son tour] peut lui aussi être entendu dans deux directions, comme cela est indiqué par Galien2. Car il peut être artificiel, et également mécanique ; tel est le compas qui sert à mesurer la rotondité, l’aune qui sert à mesurer la longueur, le niveau qui sert à mesurer le poids. Mais [il peut être] aussi naturel, et nous ne l’avons pas fabriqué nous-mêmes, mais nous l’avons reçu en partage de la nature ; et c’est celui-là même qui est recherché maintenant ; et moins dans la mesure où il est vraiment physique que dans la mesure où il se rapporte à la logique. C’est la raison pour laquelle Sextus Empiricus l’a constitué presque comme un troisième membre. En outre ce critère naturel est subdivisé en deux, τὸ δι’οὗ, le critère « au moyen duquel »3 et τὸ καθ’ὅ, le critère « selon lequel »4. Et l’on appelle critère « au moyen duquel » une faculté, [227r] par exemple les sens ou l’intelligence. Mais l’on appelle critère « selon lequel » l’attention, ἐπιβολὴ, de la faculté à son objet5, attention peu distincte de son exécution telle la sensation ou l’intellection. Il y en a certains qui confondent les deux en un, ou qui plutôt ne reconnaissent que τὸ δι’οὗ, le critère « au moyen duquel », tel Alcinous6, qui en ajoute d’ailleurs un deuxième, τὸ ἀφ’οὗ, le critère « par lequel » et dit que ce dernier est soit l’esprit, soit même l’homme qui arbitre du vrai. Il y en a d’autres qui, alors qu’ils retiennent les deux premiers critères, admettent ce dernier presque comme un troisième, comme cela est établi d’après Sextus Empiricus7 qui appelle l’homme le critère « par lequel » et qui rend évident, par des analogies, qu’il y a trois critères. En effet, de même que, soumettant à la pesée des choses 1 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 11 [23-24] ; voir aussi Adv. math., II, 29. 2 Galien, Historia Philosophiæ, Ch. 4 (dans H. Diels, Doxographi Græci (Berlin, 1958) 606). 3 Sextus Empiricus, Hypotyposes, II, 6 [48-69]. 4 Sextus Empiricus, Hypotyposes, II, 6-7 [70-79]. 5 Je traduis ἐπιβολὴ par attention, en soulignant que dans son édition du livre X de Diogène Laërce tel qu’il est repris dans les Opera omnia (Tome V) Gassendi traduit par inspectio (voir par exemple p. 14). 6 Alcinous, Enseignement des doctrines de Platon, IV, 154. 7 Sextus Empiricus, Hypotyposes, II, 5 [22-47], et Adv. math., VII, 263-291.

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rerum rectarum et obliquarum requiritur primum artifex, a quo, deinde regula, per quam, tandem regulæ adplicatio, secundum quam res explorentur ; pari modo ad veritatem aut falsitatem dijudicandum tria illa necessaria sunt, videlicet homo, a quo, facultas illius, per quam, et facultatis adplicatio, seu mavis functio, secundum quam dijudicatio peragatur. Porro quia criterium a quo, sive ipse homo, non admodum proprie videtur criterium, eapropter tota difficultas circa alia duo præcipue versatur ; quamquam etiam tota dissensio de criterio secundum quod pendet a dissidio circa criterium per quod, quippe sensio supponit sensum, et intellectio intellectum. Quocirca et licet nonnulli agnoscant præsertim criterium secundum quod, illud tamen de quo hic primario ambigitur, videtur esse criterium per quod, adeo proinde ut controversia in eo potissimum sit, an illud per quod veritas diiudicatur sit sensus, an mens, an utrumque, an aliquid alium, an nihil. Id priusquam investigemus duo quædam præmittenda sunt. Unum est verum ac veritatem non in ea præcise ratione usurpatum deinceps iri, qua usurpatur a Stoicis. Cum illi enim ex antedictis statuerent verum nihil esse aliud quam axioma, quod etiam voluerunt esse quid incorporeum, declarat Empiricus1 ipsos existimasse veritatem esse non quidpiam abstracte sumptum, sed quamdam complurium verorum axiomatumque congeriem, quam et scientiam adpellaverunt, adeo ut censuerint veritatem seu scientiam perinde dumtaxat a vero, sive axiomate differe, ut populus aut civitas ab uno quodam homine seu singulari cive differt ; quamquam et voluerunt aliunde veritatem esse corpoream, quatenus non tam animæ hæret quam est ipsamet pars animæ

1 loc. cit.

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lourdes et légères, on découvre trois critères, à savoir un contrôleur par lequel la pesée se fait, la balance par laquelle elle se fait et la position de la balance selon laquelle elle se fait ; de même que aussi dans l’examen des choses droites et obliques sont requis d’abord l’artisan, par lequel les choses sont examinées, ensuite la règle par laquelle les choses sont examinées, enfin l’application de la règle selon laquelle les choses sont examinées ; de la même façon pour juger la vérité ou la fausseté, trois instances sont nécessaires, à savoir l’homme, par lequel le jugement est effectué, sa faculté, par laquelle le jugement est effectué, et l’attention de la faculté, ou si tu préfères son exécution, selon laquelle le jugement est effectué. De plus, parce qu’il est un peu impropre de qualifier du nom de critère le critère « par lequel », c’est-à-dire l’homme lui-même, toute la difficulté réside principalement autour des deux autres critères ; bien qu’il soit également clair que tout le désaccord sur le critère « selon lequel » découle du désaccord autour du critère « au moyen duquel », vu que la sensation suppose les sens, et l’intellection l’intelligence. C’est pourquoi, même si certains reconnaissent surtout le critère « selon lequel », il semble cependant que le critère sur lequel porte principalement le débat soit le critère « au moyen duquel », de telle sorte que la controverse tourne essentiellement sur la question de savoir si ce par quoi la vérité est jugée est le sens, ou l’esprit, ou les deux, ou quelque chose d’autre, ou rien. Avant d’étudier cette question, deux points sont à préciser au préalable. Le premier est que je donnerai pas dans ce qui suit au vrai et à la vérité l’acception précise que leur donnent les stoïciens. En effet, alors qu’il appert de ce que nous avons dit auparavant que ces derniers ont établi qu’il n’existait rien d’autre que la proposition, dont ils ont aussi voulu que ce soit quelque chose d’incorporel, Sextus Empiricus montre1 qu’ils ont personnellement estimé que la vérité n’était pas quelque chose d’abstrait, mais un amoncellement de plusieurs vrais et propositions, lequel amoncellement reçut d’eux le nom de science, au point qu’ils ont pensé que la vérité, ou science, différait du vrai ou de la proposition seulement comme un peuple ou une cité diffère d’un seul homme ou d’un citoyen individuel ; bien qu’ils aient par ailleurs voulu que la vérité fût corporelle, puisqu’elle est moins attachée à l’âme qu’elle n’est elle-même la partie principale de l’âme, quand elle est disposée d’une certaine manière, c’est-à-dire quand elle comprend de nombreuses choses vraies ; et 1 Le passage paraphrase Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 38-41 ; cf. Hypotyposes, II, 7 [80-83], où ce que nous rendons par amoncellement est traduit dans un cas par ensemble [ensemble] et dans l’autre par multiplicité.

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princeps, certo quodam modo se habens seu multa vera intelligens ; et aliunde apud ipsos tam pars animæ etiam princeps, τὸ ἡγεμονικὸν, quam anima tota corporea censetur. Prætereo vero quod dicunt [227v] illum in quo est veritas, seu scientia, perinde posse dicere falsum, et tamen non fallere, ac grammaticus exemplum soloecismi proponit, nec loquitur incongrue ; tametsi hoc iam pertinet ad virtutem veracitatis, de qua dicendum alibi. Nunc ergo illa Stoicorum usurpatione dimissa, acceptum iri dicimus verum quidem pro eo, quod ita se habet ut noscitur, vel dicitur, seu pro eo cui conformis est quæ de illo habetur cognitio, et fit enunciatio ; veritas autem pro conformitate ipsa cognitionis cum re cognita, vel enunciationis cum re enunciata, ac etiam (ut specialem modum de ea loquendi complectamur) pro ipsa rei natura aut statu, quo illa se secundum se habet, et cognosci expetitur. Alterum est quod non multo iam ante adtigimus, scilicet rerum quasdam esse manifestas, et quasdam occultas. Et manifestæ quidem sunt quæ ex seipsis in notitiam veniunt, ut lux diurna, seu diem esse ; occultæ vero triplicem ac potissimum apud Sextum admittunt differentiam. Quippe quædam sunt, aut dicuntur penitus occultæ, quædam natura, quædam ad tempus. Penitus occultæ sunt quæ ita se habent ut nullo modo cadere in comprehensionem possint ; cuiusmodi est stellas esse numero pares. Occultæ natura, quæ natura quidem sua, sive per seipsas evidentes fieri non possunt, sed per aliquid tamen aliud possunt innotescere et a nobis comprehendi ; cuiusmodi sunt meatus, seu pori in cute, qui per se non possunt fieri nobis conspicui, sed tamen ex sudoribus inesse cuti colliguntur. Occultæ ad tempus, quæ cum sua natura evidentes sint, ob impedimenta tamen aliqua externa ad tempus nos latent ; cuiusmodi est respectu nostri iam Roma, aut si velis sol nube interposita, vel ignis domo intercepta. Hisce prænotatis non investigamus, an sit aut quale criterium ad veritatem diiudicandam quod spectat ad res manifestas ; ipsæ siquidem sui fidem faciunt, suique præsentia veritatem statuunt in

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que par ailleurs elle est pour eux autant la principale partie de l’âme, τὸ ἡγεμονικὸν, que l’âme corporelle en entier. Mais je laisse ce qu’ils disent, [227v] à savoir que l’homme en qui est la vérité ou la science peut dire le faux et cependant ne pas se tromper, de même que le grammairien propose l’exemple du solécisme sans émailler son discours de fautes de syntaxe1 ; même si ce point se rapporte déjà à la véracité de la vertu, dont il nous faudra parler ailleurs. Mais, après avoir écarté l’acception stoïcienne du concept, nous disons à présent que le vrai doit être entendu comme ce qui est ce qu’il est connu ou dit être, c’est-à-dire comme ce à quoi est conforme la connaissance que l’on a de lui et qui devient énonciation ; et que la vérité est en fonction de la conformité de la connaissance avec la chose connue, ou de l’énonciation avec la chose énoncée, et même (pour adopter la façon particulière utilisée pour parler d’elle) en fonction de la nature ou de la condition de la chose, selon laquelle elle est en soi et est attendue d’être connue. Le second point [à évoquer au préalable] est ce que nous avons déjà abordé, à savoir que parmi les choses, certaines sont obvies, et certaines obscures2. Et certes sont obvies celles qui viennent d’elles-mêmes à notre connaissance, comme la lumière diurne, c’est-à-dire le fait qu’il fasse jour. Quant aux obscures, il s’en distingue trois sortes, et surtout chez Sextus Empiricus. Car certaines sont, ou sont réputées être, obscures une fois pour toutes, certaines le sont par nature, certaines occasionnellement. Sont obscures une fois pour toutes celles qui sont telles qu’elles ne peuvent d’aucune manière tomber sous notre entendement : entre dans cette catégorie le fait de savoir si les étoiles sont en nombre pair. Sont obscures par nature celles qui ne peuvent certes pas devenir obvies par leur nature ou par elles-mêmes, mais qui peuvent se faire connaître par autre chose et être ainsi saisies de nous par l’esprit ; tels sont les passages, ou pores3 de la peau qui ne peuvent par eux-mêmes devenir évidents pour nous, mais dont on infère qu’ils existent dans la peau d’après la sueur. Sont obscures occasionnellement celles qui, ayant une nature évidente, nous échappent occasionnellement à cause d’obstacles extérieurs ; telle

1 Je surtraduis incongruens en le prenant pour un hellénisme, renvoyant au grec σύμβαμα interprété en latin par congruitas (voir Gaffiot, s. v. congruitas, p. 393). 2 Sextus Empiricus, Hypotyposes, II, 9 [97-98]. 3 Sur cet exemple, voir lettres à Valois du 27 juin 1642 n°206 et du 22 août de la même année n°214.

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propatulo adeo ut omnimodam certitudinem pariant et neque ulla disquisitione, neque criterio indigeant. Non quæritur etiam an detur criterium circa res penitus occultas. Illæ quippe neque seipsis, neque indicio ullo se produnt, ac proinde necesse est ut illarum veritas indiiudicata maneat ob incertitudinem invictam. Quæritur ergo an sit criterium quo diiudicare veritatem liceat circa res, quæ sunt vel natura sua, vel natura solum occultæ. Etenim cum incertitudo, qua nos utræque adficiunt, videatur superari posse propter indicia, seu signa quædam, quibus utræque patefiant, ea de causa placuit plerisque philosophis non deesse nobis criterium, quo signa illa percipiamus, et cuius ope exploremus quomodo se res secundum se habeant, atque adeo veræ secundum se sint. Cum vero sive illa signa non omnino certa videantur, sive facultates quæ in nobis sunt fallaces esse iudicentur, idcirco placuit aliis veritatem esse indiiudicabilem, atque adeo nullum [228r] extare illius criterium. Heinc duæ quædam generales de criteriis sunt opiniones, altera ponentium, altera tollentium, quæ cognoscendæ uberius sunt.

3. Veritatis criteria qui tollant Ut initium vero ducamus ab iis qui, ut negaverunt posse quidpiam sciri comprehendive ab homine, ita criterium non admiserunt quo illud verum comprobaretur. Prætereundi sunt in primis poetæ citati Lærtio1, ut Homerus, Euripides, ac præsertim Archilochus, cuius sunt illa carmina –

1 lib. 9. in pirrh.

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est maintenant Rome1 par rapport à nous ou, si tu veux, le soleil, quand un nuage s’interpose, ou le feu [dans une cheminée] quand une maison se place entre. Ce préalable étant posé, nous n’étudierons pas s’il y a un critère, et quel il est, pour juger de la vérité qui concerne les choses obvies ; assurément elles font foi d’elles-mêmes et établissent leur vérité par leur présence au vu et au su de tous, de telle sorte qu’elles engendrent une certitude absolue et n’ont que faire d’une recherche ni d’un critère. Il ne sera pas cherché non plus s’il existe un critère sur les choses obscures une fois pour toutes. Car celles-ci ne se livrent aucunement, ni par elles-mêmes, ni par aucun signe, et il est donc nécessaire que leur incertitude invaincue empêche qu’il soit jamais jugé de leur vérité. Donc notre recherche porte sur la question de savoir s’il existe un critère permettant de juger la vérité des choses qui sont obscures soit par leur nature soit occasionnellement. En effet, alors que l’incertitude dans laquelle nous sommes quant à ces deux catégories de choses semble pouvoir être surmontée grâce aux indices, ou signes, par lesquels les deux se révèlent, c’est pour cette raison que la plupart des philosophes ont estimé que nous ne manquons pas d’un critère par lequel nous percevons ces signes et à l’aide duquel nous examinons ce que les choses sont en soi. Or, que ce soit parce que ces signes ne paraissent pas complètement certains, ou parce que les facultés qui sont en nous sont jugées être trompeuses, d’autres en ont conclu que la vérité était inaccessible au jugement et qu’il n’existait donc aucun [228r] critère pour elle. De là, il y a deux opinions générales sur les critères, l’opinion de ceux qui les acceptent et l’opinion de ceux qui les suppriment, qu’il nous faut connaître de façon plus développée. 3. Ceux qui suppriment les critères de la vérité Or, pour commencer par ceux qui, s’ils n’ont pas nié la possibilité que l’homme sache ou comprenne quelque chose, n’ont pas admis un critère permettant de reconnaître pour vrai ce quelque chose, il faut d’abord passer sur les poètes cités par Diogène Laërce2, comme Homère, Euripide et surtout Archiloque dont sont les vers : 1 Sextus Empiricus prend l’exemple d’Athènes, que Gassendi « latinise », comme il le fait pour les noms des dieux… 2 Diogène Laërce, IX, 71 (traduction modifiée)  ; Archiloche, Fr. 70B. Sans doute Gassendi mêle-t-il à la référence de Diogène Laërce celle de Sextus Empiricus, Adv. math.,

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Talis mens hominum, mi fili Glauce, creatur, qualem rex hominum inducit in oras – quasi eam insinuet humanæ mentis inconstantiam ut nullum certum ratumque ferat de re ulla iudicium. Prætereundi etiam sunt Septem Sapientes quia duci solent in eamdem sententiam propter illud, ne quid nimis, et similia. Primo vero loco memorandi sunt Parmenides Xenophanesque, qui ex Cicerone1 minus bonis quamquam versibus, sed tamen illis versibus increpant eorum, arrogantiam quasi irati, qui cum sciri nihil possit, audeant se scire dicere. Et de Parmenide quidem etiam Seneca2 ; de Xenophane vero Empiricus3 etiam testatur propter eos versus in quibus negat quempiam mortalium nosse perspicue aliquid, aut de ulla re habere plusquam opinionem, δόκος δ’ἐπὶ πᾶσι τετύκται. Subdit similitudinem, ut enim ex compluribus tenebrosam domum ingressis ad tollendum aurum, quod inter varia similia lateat, nemo certus esse potest se incidissse in aurum (licet forte inciderit), sed opinari dumtaxat, ita ex philosophis in mundum ingressis ut veritatem palpando quærant nemo est, qui sese illam arripuisse certus sit (tametsi forte illam teneat), sed opinari. Ad summum sufficit Lærtius Zenonem Eleatem, quasi quod negaverit motum, rem omnium perspectissimam, censuerit non posse abstrusiora comprehendi. Addit Seneca quidpiam amplius, scilicet placuit Zenoni nihil esse ; subiicit autem præterea Lærtius Empedoclem, de quo Cicero ipse quoque, furere tibi, inquit, Empedocles videtur. At mihi dignissimum rebus iis, de quibus loquitur, sonum fundere. Num ergo is excæcat nos aut orbat

1 lib. 4. acad. 2 epist. 88 3 lib. 1. adv. log.

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Le cœur des hommes, mon cher Glaucos, Est tel que le jour que le roi des hommes leur envoie l’un après l’autre – en quelque sorte, il suggère que l’inconstance de l’esprit humain est telle qu’elle ne porte sur aucune chose aucun jugement qui soit certain et ratifié. Il faut passer aussi sur les sept sages auxquels cette conception est attribuée d’habitude à cause de leur « rien de trop », et autres [adages] semblables. Mais il faut mentionner en premier lieu Parménide et Xénophane qui, d’après Cicéron1, en vers assez mauvais sans doute, mais en vers, se plaignent avec une sorte de colère de ceux qui osent dire avec arrogance qu’ils savent, alors que rien ne peut être su. Et Parménide est également cité à ce titre par Sénèque2 ; quant à Xénophane, Sextus Empiricus l’atteste3 à cause des vers dans lesquels il nie qu’aucun mortel sache très clairement quelque chose ou ait sur aucune chose plus qu’une opinion, δόκος δ’ἐπὶ πᾶσι τετύκται, « Tout n’est qu’opinion ». Il ajoute la comparaison suivante4 : parmi un groupe de plusieurs personnes entrant dans une maison plongée dans l’obscurité pour voler de l’or qui est caché parmi des objets semblables à de l’or, nul ne peut avoir la certitude d’être tombé sur l’or (il a pu tomber dessus par hasard), mais seulement l’opinion, ainsi des philosophes entrant dans le monde pour rechercher la vérité à tâtons : aucun ne peut avoir la certitude s’en être emparé (même s’il la tient par hasard), mais il en a l’opinion. Diogène Laërce, estimant que les choses les plus abstruses ne pouvaient être comprises, se contente de placer au pinacle Zénon d’Élée5, sous prétexte qu’il a nié le mouvement, comme chacun sait. Sénèque ajoute quelque chose de plus6, à savoir que Zénon a posé qu’il n’y avait rien ; or Diogène Laërce ajoute en outre Empédocle7, dont Cicéron lui-même dit aussi8 « Empédocle te paraît atteint de folie ; mais selon moi les mots qu’il répand sont très signes des sujets dont il parle. Est-ce qu’il nous rend aveugles ou nous prive des sens, en pensant qu’il n’y a pas en eux un pouvoir assez grand pour juger les objets VII, 128, qui cite le second vers après deux vers d’Homère. En revanche trois vers d’Euripide se lisent bien chez Diogène Laërce immédiatement après. 1 Cicéron, Académiques, II, xxiii, 74. 2 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXVIII, 45. 3 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 49. 4 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 52. 5 Diogène Laërce, IX, 72. 6 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXVIII, 44. 7 Diogène Laërce, IX, 73. 8 Cicéron, Académiques, II, xxiii, 74.

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sensibus si parum magnam vim censet in iis esse ad ea quæ sub eos subiecta sunt iudicanda ? Subiicit Heraclitum eo quod adhortatus nos est ne coniecturam temere de rebus maximis faciamus ; subiicit Hippocratem eo quod feratur ancipiti humanoque modo locutus, tum fortassis quoque ob præclarum illud aphorismorum initium, vita brevis, ars longa, occasio præceps, experientia fallax, iudicium difficile. Præteribam Democritum, quem Lærtius [228v] adiecit propter illud, lege calidum, lege frigidum, causa autem nihil scimus ; unde et Cicero, nam is, inquit, non hoc dicit quod nos, qui veri esse aliquid non negamus, percipi posse negamus ; ille verum esse plane negat. Et rursus, non nostra culpa est ; naturam accusa, quæ in profundo veritatem, ut ait Democritus, penitus abstrusit. Platonem etiam quem ille accenset eo quod dixerit se veritatem quidem diis, deorum filiis relinquere, quærere autem verisimilia. Cicero vero Socratem coniungens et ab his rebus removendum Socratem et Platonem, Cur ? an de ullis certius possum dicere ? vixisse cum eis equidem videor : ita multi sermones perscripti sunt e quibus dubitari non possit quin Socrati nihil sit visum sciri posse ; excepit unum tantum, scire se nihil se scire, nihil amplius. Pergit, quid dicam de Platone ? qui certe tam multis libris hæc persecutus non esset nisi probavisset, ironiam enim alterius perpetuam nulla fuit ratio præsertim persequi. Iam cum magna istorum pars ad eos qui criteria statuunt ab Empirico referatur, subiicitur Xenophani Zeniades Corinthius, memoratus Democrito, quod cum dixerit omnia esse falsa, omnemque adparentiam opinionemque esse fallacem, non potuerit nec veritatem, nec id unde veritas iudicaretur

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qui relèvent d’eux ? ». Il ajoute Héraclite parce qu’il nous a exhortés à ne pas faire de conjectures hasardeuses sur les choses les plus grandes1 ; il ajoute Hippocrate2, parce qu’il est rapporté avoir parlé d’une façon dubitative, et qui convient à un homme, et peut-être aussi à cause de ce célèbre début des Aphorismes : « La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement difficile ». Je laissais de côté Démocrite, que Diogène Laërce [228v] a ajouté3 à cause de cette phrase : « pure croyance le froid, pure croyance le chaud, en réalité nous ne savons rien » ; de là Cicéron aussi dit4 : « Et il ne dit même pas, comme nous, que la vérité existe mais qu’elle ne peut être perçue ; il dit qu’il n’y a pas du tout de vérité ». Et encore5 : « Est-ce notre faute ? Mettez en cause la nature qui, comme dit Démocrite, a caché la vérité dans les profondeurs ». [ Je laissais de côté] aussi Platon qu’il met à ce nombre6 parce qu’il a dit qu’il abandonne la vérité aux dieux et aux enfants des dieux, pour rechercher pour sa part seulement le vraisemblable. Mais Cicéron joignant Socrate ajoute qu’il faut mettre de côté Socrate et Platon7 : « Et pourquoi ? Y a-t-il des philosophes dont je puisse parler avec plus de certitude ? Il me semble avoir vécu avec eux ; et il y a bien des dialogues écrits qui ne permettent pas de douter que Socrate croyait que rien ne peut être su ; sauf pourtant une seule chose : il disait qu’il savait que rien ne peut être su, mais rien de plus. Que dire de Platon ? Il n’aurait répété cette thèse dans tant de livres, s’il ne l’avait approuvée ; il n’aurait aucune raison de persévérer dans l’ironie de Socrate, surtout si continuellement ». À présent, alors que Sextus Empiricus rapporte la plupart de ces [philosophes] à ceux qui admettent des critères8, il range avec Xénophane Xéniade de Corinthe, dont fait mention aussi Démocrite, parce que, vu qu’il avait dit que tout est faux et que toute apparence et opinion sont trompeuses, il ne pouvait rester ni de vérité ni rien par quoi la vérité pourrait être jugée. Puis

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Diogène Laërce, IX, 73. Diogène Laërce, IX, 73. Diogène Laërce, IX, 72. Cicéron, Académiques, II, xxiii, 73. Cicéron, Académiques, II, x, 32. Diogène Laërce, IX, 72. Cicéron, Académiques, II, 74. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 53-54.

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relinquere. Tum etiam Anacharsis Scythia, qui sustulerit omnem comprehensionem artium diiudiactricem, eo quod iudicium ferre non possit neque imperitus, propter ignorantiam, neque peritus, propterea quod illius peritia controvertitur, et requiritur qui iudicium ferat. Adlusit igitur ad id, quod memoratur alias dixisse, Græcos esse ridiculos, apud quos tibicines peritissimi de arte decertent, decernat vero populus imperitissimus artis. Tum rursus Protagoras, qui Xeniadi plane contrarius censuerit nihil esse falsum, sed esse omnia vera quæcunque homini adparent, seu sanus, seu furiosus sit, seu infans, seu senex. Nimirum voluit hominem esse mensuram rerum omnium, omniaque proinde ita esse ad aliquid, hoc est ad ipsum hominem, ut qualiacunque illi adpareant, talia sint, nihil reveritus quod illi Aristoteles obiecit1 fore igitur ut idem quod aliis aliud, aliudque adparet, bonum simul ac malum sit ; quocirca cum nihil per se falsum esse dixerit, nihil fuit illi necesse admittere criterium quo separaret verum a falso ; nisi fortassis id accipias quemadmodum Cicero, qui de iudicio (seu criterio) loquens, aliud, inquit, iudicium Protagoræ est, qui putet id cuique verum esse quod cuique videatur. Non pauca etiam Plato2 de hoc. Euiusdem sententiæ Empiricus facit Euthydemum et Dionysodorum, quatenus et ipsi senserunt esse omina ad aliquid, seu relata ad quidpiam aliud. Facit et Gorgiam Leontinum, licet non eadem incesserit qua Protagoras ratione et via. Siquidem is docuit primum, nihil esse ; secundo, si aliquid sit, ab homine tamen non [229r] posse cognosci ; tertio, licet possit cognosci, non esse tamen eiusmodi ut aliis possit enunciari. Nimirum nihil esse censuit quia id esse non possit, neque non ens, ut constat, neque etiam ens, quia vel foret æternum ; cum nihil tale esse possit, quoniam careret principio, essetque infinitum, et consequenter nusquam esset tamquam incomprehensibile loco,

1 lib. metap. 2 in theat.

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aussi Anacharsis le Scythe1 qui a supprimé toute saisie qui soit juge des arts, parce que il ne peut être porté de jugement ni par le non-expert, à cause de son ignorance, ni par l’expert, pour cette raison que son expertise est contestée et parce que la présence de quelqu’un qui en soit juge est requise. Il a donc fait allusion à un fait dont je mentionne qu’il rappelle qu’il en a parlé ailleurs2, à savoir que sont ridicules les Grecs chez lesquels des joueurs de flûte très experts participent aux concours, alors que ce sont les gens les moins experts en cet art qui sont juges. Et encore Protagoras3, qui, prenant le contre-pied de Xéniade, a décidé que rien n’est faux, mais que toutes les choses sont vraies comme elles apparaissent aux hommes, qu’ils soient sains d’esprit, fous, enfants, vieux. Assurément il voulut que l’homme soit la mesure de toutes choses et que donc toutes choses soient relatives à quelque chose, c’est-à-dire relatives à l’homme même, à telle enseigne que toutes les choses sont telles qu’elles lui apparaissent, n’ayant aucun égard à l’objection que lui fit Aristote, à savoir qu’il s’ensuivrait donc que la même chose qui apparaît telle à l’un et telle à l’autre serait en même temps un bien et un mal ; c’est pourquoi alors qu’il dit que rien n’est faux en soi, il ne ressentit pas la nécessité d’avoir un critère pour séparer le vrai du faux, sauf si peut-être tu comprends la chose comme Cicéron qui, parlant du jugement (ou critère), dit4 : « Autre est le critère de Protagoras que la vérité est pour chaque homme ce qui lui paraît vrai ». Platon a de nombreuses pages sur cette question. Sextus Empiricus range dans la même opinion5 Euthysème et Dionysodore, en tant qu’ils ont eux aussi pensé que toutes les choses étaient par rapport à quelque chose, c’est-à-dire relatives à quelque chose d’autre. Il le fait aussi de Gorgias de Léontium6, même s’il n’a pas suivi le même raisonnement ni la même voie que Protagoras. De fait, il a d’abord enseigné qu’il n’y a rien ; deuxièmement que s’il y a quelque chose, l’homme [229r] ne peut cependant le connaître ; troisièmement, qu’en admettant que quelque chose puisse être connu, ce n’est jamais au point de pouvoir être transmis à autrui. Sans doute a-t-il pensé qu’il n’y avait rien parce que ne peut exister ni le non être, comme cela est évident, ni même l’être, parce qu’il serait éternel, 1 2 3 4 5 6

Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 55-56 ; voir aussi Hypotyposes, III, 29 [259-265]. Diogène Laërce, I, 103. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 60 ; voir aussi Hypotyposes, I, 32 [216]. Cicéron, Académiques, II, xlvi, 142. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 64. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 65-87.

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ne aliquid maius admitteretur infinito ; vel foret ortum, et tunc aut ex nihilo, quod dici non potest, aut ex eunte, quod rursus dici non potest, quandoquidem ens supponitur fuisse. Deinde censuit nihil posse cognosci, sive mente percipi, quoniam quæ mente percipiuntur sive cogitantur, non sunt entia, nisi dum quispiam cogitatur hominem volantem, aut currum in mari currentem, dicatur statim homo volare, aut currere in mari currus. Quamquam ut falsa non dicimus quæ auditu percepta sunt, licet visu non percipiantur, quoniam iudicium penes propriam facultatem esse consentaneum est, ita neque falsa dicenda videntur quæ cogitatione percipiuntur, licet visus non comprobet, quia id alterius sit facultatis, adeo proinde ut si quis currum in mari currentem cogitaverit, tametsi non videat, credere tamen debeat, aut, si id absurdum est, dicat igitur ea quæ cogitantur esse non entia, ne memoretur quod Scylla, Chimæra, et alia eiusmodi, quæ non entia sunt, cogitari. Denique censuit rem cognitam, seu cogitatam enuntiari significarique aliis non posse, quoniam talis res vel visu, vel auditu, vel alio sensu percepta est, et extrinsecus posita ; sed oratio ipsa enunciantis. Fusius hæc apud Empiricum, aut etiam in libro Aristoteli adtributo De Xenophane, Zenone, et Gorgia. Nisi fortassis hic prætereundum quod a Platone1 scriptum est Gorgiam et Lysiam ipsis veris ante-

1 in phædo

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alors que rien ne pourrait être tel, puisqu’il manquerait d’un commencement et qu’il serait sans limite (valeur aussi plus claire): par conséquent il ne serait nulle part, comme en un lieu incompréhensible (au sens étymologique de ce qui ne peut pas le comprendre ou envelopper), de ce que rien de plus grand ne pourrait s’adjoindre à l’infini ; soit né, et alors ce serait né ou bien du rien, ce qui ne peut être dit, ou bien de l’être, ce qui ne peut non plus être dit, puisque cela présuppose l’existence antérieure de l’être. Ensuite il a estimé1 que rien ne peut être connu, c’est-à-dire perçu par l’esprit, puisque ce qui est perçu ou pensé par l’esprit n’est pas à moins que, quand quelqu’un imagine un homme en train de voler ou un char en train de parcourir la mer, il soit aussitôt dit de l’homme qu’il vole ou du char qu’il roule sur la mer. Bien que, de même que nous ne disons pas que sont fausses les choses qui sont perçues par l’ouïe, sans l’être par la vue, puisqu’il convient que le jugement soit remis à la faculté propre, de même ne semblent pas devoir être dites fausses les choses perçues par la réflexion, sans que la vue les confirme, parce que le jugement relève d’une autre faculté, au point que si quelqu’un imagine un char en train de parcourir la mer, même s’il ne le voit pas, il doit cependant le croire ou bien, si cela est absurde, il dit donc que ces choses qui sont imaginées ne sont pas, et je ne rappelle pas ici que l’on pense Scylla, la Chimère, et autres du même genre, qui ne sont pas. Enfin il a estimé qu’une chose connue ou imaginée ne peut être énoncée ou signifiée à d’autres, puisque telle chose est perçue par la vue, l’ouïe ou un autre sens, et qu’elle est placée à l’extérieur ; mais que le discours même est celui de celui qui énonce. De plus amples développements sur ces points se lisent chez Sextus Empiricus2, ou même dans le livre attribué à Aristote Sur Xénophane, Zénon et Gorgias.3 Sauf si peut-être il faut passer sur ce que Platon écrit4, à savoir que Gorgias et Lysias ont préféré aux choses vraies elles-mêmes les choses vraisemblables et ont fait

1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 79-80. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 83 sqq. 3 Dans les Exercitationes Paradoxicæ (I, Exercitatio IV), Gassendi traite du sujet suivant « Que la plus grande incertitude rège sur les Livres et la Doctrine d’Aristote » et il met notamment en cause l’attribution des différents livres (121a-123a  ; édition française pp. 94-102), mais il ne parle pas de ce livre. 4 Platon, Phèdre, 267a. Il est intéressant de noter que Platon se réfère non pas à Lysias, en l’associant à Gorgias, mais Tisias. Gassendi se trompe, sans doute parce que, dans ce dialogue, Lysias est le principal protagoniste.

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posuisse verisimilia, effecisseque vi orationis ut parva magna, et magna vicissim parva, vetera item nova, et novissima vetera viderentur. Subiicit ille Gorgiæ Metrodorum Chium, Anaxarchum, et Monimum Cynicum. Metrodorum quidem quoniam, ut verbis Ciceronis dicam, sensus adpellavit post Democritum obscuros et tenebricosos, et, initio libri, qui est de natura, ‘Nego’, inquit, ‘scire nos sciamusne aliquid, an nihil sciamus ; ne id ipsam quidem, nescire (aut scire), scire nos, nec omnino sitne aliquid an nihil sit.’ Anaxarchum autem et Monimum, quoniam ea quæ sunt, et adumbratæ picturæ, τῇ σκιογραφίᾳ, similia dixerunt, et non differe censuerunt ab iis, quæ per somnia aut per furorem incurrunt. Denique addit Scepticos esse istis adnumerandos ; nempe, quia cum arguant cognosci non posse cuiusmodi res secundum se sint, urgent consequenter id dici non posse ; ex eoque sequi nihil esse verum, atque idcirco nullum esse veritatis criterium. Sed de Scepticis statim plura. Addamus [229v] interea, si placet, Academicos ab Arcesila institutos, quoniam vix quicquam a Scepticis differre animadvertuntur ; et certe cum Arcesilas induxerit ἀκαταληψίαν, seu cohibitionem iudicii, quomodo potuit organum iudicandi statuere ? Neque vero Carneades, tametsi quidpiam innovarit, veri criterium ideo restituit, quia non propterea aliquid verum, sed verisimile solum habuit, quæ causa est, ut disserat etiam apud eundem Empiricum adversus ponentes criterium. Addamus propterea Cyrenaicos, qui iuxta factam ab eodem Empirico explicationem, nihil aliud plane dixerunt quam Sceptici, quod etiam paucis Cicero habet ; nam, negant, inquit, esse quidpiam

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par la puissance de la parole que les petites choses paraissent grandes, et les grandes petites, et aussi les vieilles neuves et les plus neuves vieilles. Il ajoute1 à Gorgias Métrodore de Chio, Anaxarque et le cynique Monime. Métrodore certes parce que, suivant Démocrite, il qualifia, pour utiliser les termes de Cicéron2 « les sens [d’]obscurs et [de] ténébreux » et « dit, au début de son livre Sur la nature, “je dis que nous ne savons pas si nous savons quelque chose, ou si nous ne savons rien ; je dis que nous ne savons même pas ce que savoir ou ne pas savoir ; je dis que nous ne savons absolument pas s’il y a quelque chose ou s’il n’y a rien” ». Quant à Anaxarque et Monime, c’est parce qu’ils ont dit que les choses qui existent sont semblables à une peinture scénographique, ἡ σκιογραφία, et qu’ils ont estimé qu’elles ne différaient pas de celles qui vous arrivent dans les rêves ou dans la folie3. Enfin il ajoute4 que les sceptiques doivent être mis à ce nombre ; assurément parce que, s’ils affirment que l’on ne peut connaître ce que sont les choses selon soi, ils précisent par conséquent avec insistance que cela ne peut être dit ; il s’ensuit que rien n’est vrai ; et que pour cette raison il n’y a aucun critère de vérité. Mais nous allons tout de suite après parler plus longuement des sceptiques. Ajoutons [229v] en attendant, si tu veux bien, les académiciens formés par Arcésilas5, puisqu’il est constaté qu’ils diffèrent à peine des sceptiques. Et certes alors qu’Arcésilas a introduit ἀκαταληψία, c’est-à-dire la suspension de jugement, comment put-il établir un organe de jugement ? Et Carnéade lui-même, quoiqu’il ait quelque peu innové, n’a pas restitué le critère du vrai parce qu’il n’a pas retenu pour autant le vrai mais seulement le vraisemblable ; c’est la raison pour laquelle il débat chez le même Sextus Empiricus contre ceux qui posent un critère6. Ajoutons en outre les cyrénaïques qui, selon l’exposé du même Sextus Empiricus7, n’ont absolument rien dit de différent des sceptiques, ce qui est brièvement noté chez Cicéron8 : ils « disent que 1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 88. 2 Cicéron, Académiques, II, xxiii, 73. 3 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 88. 4 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 150-159. 5 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 159-165. Sur la comparaison entre Arcésilas et les sceptiques, voir Hypotyposes, I, 33 [226-235]. 6 Carnéade : Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 159-175 ; la controverse est en 166 sqq. 7 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 190-200. 8 Cicéron, Académiques, II, xxiv, 76.

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quod percipi possit extrinsecus ; ea se sola percipere quæ tactu intimo sentiant, ut dolorem et voluptatem, neque se quo colore, aut quo sono sit scire, sed tantum sentire adfici se quodam modo. Et rursus, qui, inquit, præter permotiones intimas nihil putant esse iudicii. Quo loco notandum, cum legimus Cyrenaicos pro criterio admittere perturbationes, adfectiones, passiones, τὰ πάθη, ut etiam Academicos id quod est rationi consentaneum, τὸ εὔλογον, ac denique Scepticos id quod adparet, τὸ φαινόμενον, non convinci illos propterea quod criterium aliquod veritatis admiserint. Quippe ista solum sunt criteria vitæ omnibus iis necessaria qui in societate degunt, qui ad fœlicitatem contendunt, qui uno verbo sunt actionis, ac proinde electionis fugæque participes.

4. Modi epoches Scepticorum ad tollendum veritatem ipsiusque criteria Porro cum Sceptici videantur collegisse omnia, vel præcipua argumenta quibus videntur seu veritatem, seu eius criteria posse omnino evertere, idcirco illa adtingere inutile forte non erit. Igitur cum ea referuntur ad certos quosdam epoches, seu cohibendi adsensus modos, ii percurrendi in primis sunt, quoniam ostendunt veritatem latere in profundo, tametsi res nobis sub variis adiunctis accidentibusque adpareant. Nempe dictum supra iam est non contendere Scepticos quin res nobis tales ac tales videantur, sed arguere solum quod secundum se non sint propterea eiusmodi, cuiusmodi nobis videntur. Quo sensu apud Senecam Nausiphanes ait ex his, quæ videntur esse, nihil magis esse quam non esse.

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nul objet extérieur ne peut être perçu et que l’on perçoit seulement ce que l’on sent par le toucher intérieur, comme la douleur et le plaisir. Ils ajoutent qu’ils ne savent pas de quelle couleur sont les objets et quel son ils émettent, mais seulement qu’ils sentent qu’ils sont affectés de telle ou telle manière ». Et encore1 : ils « pensent qu’il n’y a pas d’autre critère que les émotions internes ». En ce lieu il faut noter que quand nous lisons que les cyrénaïques admettent comme critère les perturbations, les affections et les passions, τὰ πάθη, et aussi que les académiciens admettent ce qui est conforme à la raison, τὸ εὔλογον, et enfin que les sceptiques admettent ce qui apparaît, τὸ φαινόμενον, tous ces philosophes ne sont pas pour autant convaincus d’avoir admis quelque critère de vérité2. Car ce ne sont là que des critères de vie nécessaires à qui vit en société, tend au bonheur, en un mot participe à l’action, et donc au choix et à la fuite. 4. Les modes de suspension de jugement des sceptiques pour supprimer la vérité et ses critères En outre, vu que les sceptiques semblent avoir rassemblé sinon tous les arguments, du moins les principaux, par lesquels ils pensaient pouvoir renverser complètement soit la vérité, soit ses critères, c’est la raison pour laquelle il ne sera peut-être pas inutile de les aborder. Or ces critères étant rapportés à certains modes d’épochè, c’est-à-dire aux modes de suspension de l’assentiment, ce sont eux qu’il faut parcourir en premier, puisqu’ils montrent que la vérité se cache dans les profondeurs, même si les choses nous apparaissent sous différents attributs et accidents. Assurément, il a déjà été dit ci-dessus que les sceptiques ne contestent pas que les choses nous paraissent telles ou telles, mais se contentent d’affirmer qu’elles ne sont pas de tel genre pour la seule raison qu’elles nous paraissent être de ce genre. Dans ce sens, Nausiphane dit chez Sénèque3 que « la non existence des objets qui paraissent exister n’est pas moins probable que leur existence ».

1 Cicéron, Académiques, II, xlvi, 142. Traduction modifiée. 2 Gassendi emploie ici comme souvent un vocabulaire juridique – être convaincu. 3 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXVIII, 43.

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Modos illos Lærtius paucis, multis Empiricus describit, utrique decem sunt. Primus sumitur ex multiplici animalium differentia, quippe quod variis modis nascantur, et diversas partes diversimodeque contexta sensuum organa habeant, efficitur ut quæpiam res non eadem omnibus adpareat, sed his quidem unius coloris, odoris, saporis, formæ, et similium, illis vero alterius ; [230r] unde rursus efficitur ut ad hæc adpetunt, illa respuant, et quod istis est salutare, illis est letiferum. Hinc si quæratur, exempli gratia, sitne herba suavis an insuavis, et caro similiter, neutrum videatur pronunciandum, si natura rei spectetur, sed adparere solum utrumque, herbam nempe suavem ovi, insuavem lupo, carnem contra suavem lupo, insuavem ovi. Et, si quæratur sitne cicuta venenum an cibus, dicendum sit solum adparere utrumque, venenum puta homini et cibum coturnici ; at neutrum ex natura sua, quandoquidem si alterum foret, vel coturnices quoque necaret, quas tamen pinguefacit, vel homines etiam nutriret, quos necat. Secundus ex multiplici hominum diversitate, quippe tametsi standum foret hominibus solis, nihilominus ea est inter illos corporum temperamentorumque discrepantia, ut manifestum sit unam rem non uniusmodi omnibus videri, sed talem quidem huic, talem vero illi (quod exemplo notabili demonstrat Plutarchus1 de Berenice et Spartana illa, quæ ad se mutuo accedentes æque aversatæ sunt, altera butyrum, altera unguentum); et consequenter diversa ferri de rebus iudicia, quando animus sequitur corporis temperamen-

1 lib. 1. adv. col.

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Si Diogène Laërce consacre peu de mots à la description de ces modes1, Sextus Empiricus s’étend longuement2, ils sont au nombre de dix chez l’un et l’autre. Le premier est tiré de la différence multiple des animaux3, en tant que, du fait de la différence qu’il y a dans leur génération et de la variation dans la composition des parties de leur corps et de leurs organes sensoriels, il se fait qu’une chose n’apparaît pas la même à tous, mais aux uns d’une certaine couleur, odeur, saveur, forme etc., mais aux autres d’une autre ; [230r] d’où il se fait encore qu’ils désirent les unes et recrachent les autres, et que ce qui est à ceux-ci salutaire est mortifère pour ceux-là. De là, à la question si, par exemple, une herbe est agréable ou désagréable, et une viande pareillement, il semble qu’il faille répondre ni l’un ni l’autre, si l’on a égard à la nature de la chose, mais seulement qu’elle apparaît l’un et l’autre, à savoir l’herbe agréable au mouton, désagréable au loup, la viande en revanche agréable au loup, mais désagréable au mouton. Et à la question si la ciguë est un poison ou une nourriture, il faut dire seulement qu’elle apparaît l’un et l’autre, à savoir poison pour l’homme, mais nourriture pour la caille ; mais elle n’est ni l’un ni l’autre par sa nature, puisque si elle était l’un, ou bien elle tuerait aussi les cailles, que sa fibre engraisse, ou bien elle nourrirait aussi les hommes, qu’elle tue. Le deuxième mode est tiré de la diversité multiple des hommes4, vu que, même s’il faut s’en tenir aux hommes seulement, il y a néanmoins un désaccord entre eux de corps et de tempéraments, de telle sorte qu’il est manifeste qu’une chose unique ne semble pas à tous d’une unique sorte, mais telle à l’un et telle à l’autre, ce que démontre par un exemple notable Plutarque5 à propos de Bérénice et de cette femme de Sparte, qui, assises l’une auprès de l’autre, se détournèrent aussitôt l’une de l’odeur du beurre, l’autre de celle du parfum ; et que par conséquent des jugements différents sont portés sur les choses, puisque l’esprit suit à la fois le tempérament du corps et les choses soumises aux sens. Qu’il n’est donc pas étonnant que les mêmes choses ne plaisent pas à tous et que les hommes voient se creuser de si grands divorces 1 Diogène Laërce, IX, 79-88 ; cf. 2 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 13-14 [36-163]. Gassendi à chaque fois résume le texte de Sextus Empiricus  ; je m’aide de la traduction existante, en la modifiant cependant largement. Je ne préciserai pas à chaque fois. Je ne l’annote pas non plus systématiquement. 3 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 13-14 [40-78]. 4 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [79-163]. 5 Plutarque, Contre Colotès, 1109 b.

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tum, et res obiectas sensibus. Ac proinde mirum non sit, si alia aliis placeant et tanta opinionum discordia inter se decernent. Quare et potest quispiam dicere ad summum talem rem sibi adparere, at non pronuntiare talem ex natura sua ; nam alioquin alii contrarium pari iure tuerentur ; cum necesse tamen sit naturam uniusmodi esse. Tertius ex varietate sensuum in eodem homine. Nam tametsi uni ex hominibus standum foret, nihilominus qui in eo sensus aut organa eorum diversimode res percipiunt. Siquidem mel palato suave, molestum est oculis, et quod unguentum exhilarat olfactum, ingratum est gustatui ; adeo ut dici solum possit talem rem cuipiam adparere secundum hunc sensum, talem secundum alium, nec adseri possit quidpiam absolute, ut præteream incertum esse an non sint plures qualitates quam homines percipiant, forsan aliquo sensu destituti, (quippe et privatus olfactu ne suspicaretur quidem esse odorem in pomo, sed solum colorem, saporem, lævorem, et quæ alios sensus adficiunt), an unica sit qualitas quæ sensibus variis varia exhibeatur, uti idem cibus transmissus in varias partes corporis hic fit caro, illic vena, alibi os, et eadem aqua transfusa in plantam hic fructus, illic folium, alibi cortex, et similia. Quartus ex varietate adfectionum in eodem sensu, quando tametsi standum foret uni unius hominis sensui, ille tamen adeo diverse adficitur prout in iuventute aut senectute est, in somno aut vigilia, in sanitate aut morbo, in saturitate aut fame, in quiete aut motu, in amore aut odio, et similibus, ut proinde varia et sequatur studia et ferat de rebus iudicia ; [230v] sicque ad summum dicere possit talem rem sibi videri in hac ætate aut in hoc statu, at non continuo talem secundum se esse, ne in alia ætate aut in alio statu naturam illius adserat mutatam.

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entre les opinions. C’est pourquoi quelqu’un peut dire tout au plus qu’une chose apparaît telle à tel homme, mais non pas prononcer qu’elle est telle par sa nature ; car autrement d’autres hommes seraient tout aussi justifiés à observer qu’elle est contraire, alors qu’il est cependant nécessaire que la nature de la chose soit unique. Le troisième mode est tiré de la variété des sens dans le même homme1. Car même s’il faut nous en tenir à un seul parmi les hommes, les sens qui sont en lui ou leurs organes percevront les choses de façon différente. Assurément le miel est doux au palais, mais pénible pour les yeux, et tel parfum qui égaye l’odorat est ingrat au goût ; au point qu’on peut seulement dire d’une chose qu’elle apparaît telle à quelqu’un eu égard à ce premier sens, mais telle eu égard au second, et que rien ne peut être affirmé dans l’absolu. Pour passer sous silence qu’on ne sait pas s’il n’y a pas plus de qualités que ce que les hommes en perçoivent, dépourvus qu’ils sont, peut-être, de quelque sens ; car un homme privé d’odorat ne soupçonnerait même pas qu’il y a de l’odeur dans la pomme, mais [dirait qu’il y a en elle] seulement de la couleur, de la saveur, du poli et de tout ce qui affecte les autres sens ; qu’on ne sait pas si est unique la qualité qui se manifeste différemment d’un sens à l’autre, de telle sorte que la même nourriture transmise dans les différentes parties du corps devient ici chair, là veine, ailleurs os, et que la même eau diffusée dans la plante devient ici fruit, là feuille, ailleurs écorce, etc. Le quatrième mode est tiré de la variété des affections à l’intérieur d’un sens donné2, puisque, même s’il faut s’en tenir à un seul sens d’un seul homme, ce sens est cependant affecté de façon si diverse, suivant que l’homme est dans sa jeunesse ou dans sa vieillesse, en train de dormir ou en état de veille, en bonne santé ou atteint de maladie, dans la satiété ou dans la faim, au repos ou en mouvement, plein d’amour ou plein de haine, etc., que les goûts qu’il développera et les jugements qu’il portera sur les choses seront d’une variété correspondante. [230v] Et ainsi un homme peut dire tout au plus qu’une chose lui semble telle alors qu’il a tel âge ou qu’il est dans tel état, mais non pas qu’elle est telle en soi continuellement, pour éviter d’avoir à soutenir, à une autre âge ou dans un autre état, que sa nature a changé.

1 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [91-99]. 2 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [100-117].

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Quintus ex positionibus, intervallis, locis. Siquidem ex positione cervicis columbæ ad solum, illa adparet versicolor, eademque res in variis lucis gradibus non uniusmodi coloris videtur, et ratione intervalli eadem res nunc parva, nunc magna, nunc quadrata, nunc rotunda, nunc quiescens, nunc mota esse iudicatur, et ratione loci multa in ære dura rectaque esse dixeris quæ in aqua mollia et curva visuntur. Quamobrem cum nulla res careat certo positu, intervallo, loco, determinari non potest cuiusmodi secundum se sit, sed solum qualis pro illorum diversitate adpareat. Sextus ex admistionibus videlicet rerum quibuscum in sensus eorum obiecta insinuantur, quippe alio et alio modo ab iis percipiuntur, prout sui species transmittunt per medium calidum aut frigidum, humidum aut siccum, rectum aut tortuosum, angustum aut amplum, ut exempla passim occurrunt in sonis, odoribus, et cæteris. Idque ne aliquid adtingam de variis tunicis, humoribus, meandris, aliisque in corpore partibus quibus oportet species illas diversimode formari, priusquam ad facultatem sentientem perveniant ; unde qui bile laborant flava omnia iudicant, qui sanguinis suffusione rubra, ex quo proinde efficitur, ut liceat solum adserere talem adparere rem, qualis pro tali medii dispositione exhibetur. Septimus ex quantitate et constitutione subiecti. Siquidem caprinum cornum integrum nigrum adparet, comminutum vero in ramenta album, quo

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Le cinquième mode est tiré des positions, des distances et des lieux1. En effet d’après la position de la tête de la colombe par rapport au sol, elle apparaît colorée2, et la même chose ne paraît pas, sous des degrés variés de lumière, de la même couleur ; et en fonction de la distance la même chose est jugée être tantôt petite, tantôt grande, tantôt carrée, tantôt ronde, tantôt au repos, tantôt en mouvement ; et en fonction du lieu, tu dirais que bien des choses dans l’air sont dures et droites, qui paraissent dans l’eau molles et courbées. C’est pourquoi alors qu’aucune chose n’est dépourvue d’une position, d’une distance et d’un lieu donnés, il n’est pas possible de déterminer ce qu’elle est en soi, mais seulement comme elle apparaît en fonction de leur diversité. Le sixième mode est tiré des mélanges des choses par le biais desquelles les objets sont introduits dans leurs sens3. Car les sens perçoivent les objets de façon différente, selon qu’ils transmettent leurs espèces par un milieu chaud ou froid, humide ou sec, droit ou tortueux, étroit ou large, comme des exemples se présentent de tous côtés dans le domaine des sons, des odeurs etc. Et cela, pour ne pas aborder les différentes membranes, humeurs, méandres4 et autres parties du corps par lesquels il convient que ces espèces se forment de différente manière, avant qu’elles ne parviennent à la faculté sensorielle, d’où ceux qui souffrent de la bile jugent que tout est jaune, ceux qui souffre d’une inflammation des yeux que tout est rouge, si bien qu’il se fait donc qu’il est seulement permis d’affirmer que la chose apparaît telle qu’elle est manifestée en fonction de la disposition de tel milieu. Le septième mode est tiré de la quantité et de la constitution des objets5. Assurément la corne d’une chèvre, entière, apparaît noire, mais blanche quand 1 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [118-123]. 2 L’exemple, qui n’est pas chez Sextus Empiricus, se lit chez Cicéron, sur le « cou de la colombe » (voir infra [248r] Cicéron, Académiques, II, vii, 19-20) et Gassendi le supprime des Lettres latines (13 juin 1642 n° 204). 3 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [124-128]. 4 Je choisis de ne pas traduire le terme, car je ne sais pas quelle signification exacte Gassendi pouvait lui donner. N’étant pas médecin, il n’utilise pas un terme classique mais éventuellement une métaphore ou un terme de son cru. Les méandres font immédiatement penser aux intestins, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’autres parties du corps, ce que j’incline à penser. Le mot en tout cas ne se trouve pas dans le Lexicon novum græco-latinum de Steven Blankaart ni dans le Dictionnaire de James (Robert James, Dictionnaire universel de médecine… traduit de l’anglais par Diderot, Eidous et Toussaint), ici T. IV (Paris : Briasson, David l’aîné, Durand, 1747). 5 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [129-134].

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etiam vel opposito modo ramenta argenti nigra videntur, quæ in toto alba adparent. Sic quæ avenulæ separatæ asperæ sunt, compositæ evadunt læves, et quod vinum moderate sumptum iuvat, idem largius epotum nocet. Quare et dici solum potest cuiusmodi res in tali vel quantitate vel constitutione adpareat, at non continuo pronuntiari tale id esse secundum se. Octavus ex relatione. Cum nihil enim in mundo sit, quod ad aliud non referatur, nempe ut ad æquale, vel inæquale, simile, vel dissimile, itemque ut ad subiectum, ut ad obiectum, ut ad originem, ut ad alia, idcirco cognosci non potest, nec consequenter pronuntiari qualis res pure et secundum sese sit, sed solum qualis adpareat ad cæteras res comparata. Nonus ex crebro aut raro contingentibus. Hinc enim non solem sed cometam miramur, non aquam sed aurum habemus in pretio. Quippe ob frequentiam unius et raritatem alterius cum constet vicibus mutatis habitum iri solem longe mirabiliorem cometa, et aquam auro longe pretiosorem. Ita fit ut res æstimentur non ex eo quod secundum se sunt, sed ex eo quod infrequentes vel familiares [231r] adpareant. Decimus, qui moralis est, ex institutis, legibus, consuetudinibus, persuasionibus fabulosis, et dogmatibus variis. Siquidem gentes varias, imo et eiusdem gentis varios homines si percurras, deprehendes illis placere et instituta contraria institutis, et leges legibus, et consuetudines consuetudinibus, ac etiam institutis leges, et legibus consuetudines, et ita de cæteris, absque eo

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elle est réduite en rognures, de même qu’inversement les rognures d’argent paraissent noires, mais blanches quand elles sont dans l’ensemble de l’argent. Ainsi, ces grains de sable qui, séparés, sont raboteux, assemblés deviennent doux ; et ce vin qui consommé avec modération fait du bien, bu plus largement nuit. C’est pourquoi on peut seulement dire ce qu’une chose apparaît être dans telle quantité et ou telle constitution, mais non pas déclarer qu’elle est telle en soi continuellement. Le huitième mode est tiré de la relation1. De fait, alors qu’il n’y a rien dans le monde qui ne se réfère pas à autre chose, en tant que tout se réfère à l’égal ou l’inégal, le semblable ou le dissemblable et en même temps en tant qu’au sujet, à l’objet, à l’origine et au reste2, c’est pourquoi on ne peut connaître ni par conséquent prononcer ce qu’est la chose purement et en soi, mais seulement ce qu’elle apparaît être par comparaison avec les autres choses. Le neuvième mode est tiré de la rareté ou de la fréquence des occasions3. En effet de là vient que nous ne nous étonnons pas de voir le soleil, mais le faisons pour une comète, que nous n’accordons pas de prix à l’eau, mais le faisons pour l’or. C’est qu’à cause de la fréquence de l’un et de la rareté de l’autre, alors qu’il est établi que, si les rôles étaient échangés, le soleil serait tenu pour un phénomène bien plus admirable que la comète, et l’eau pour une matière bien plus précieuse que l’or. De là vient que les choses ne sont pas estimées d’après ce qu’elles sont en soi, mais d’après le fait qu’elles [231r] apparaissent peu fréquemment ou de façon familière. Le dixième mode, qui est moral, est tiré des différences de mœurs et d’institutions, d’habitudes, de croyances aux fables4 et de dogmes5. Assurément si tu passes d’un peuple à l’autre, et même d’un homme à l’autre à l’intérieur d’un même peuple, tu découvrirais qu’ont cours des mœurs contraires à des mœurs, et des lois contraires à des lois, et des coutumes 1 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [135-140]. 2 On peut mesurer à l’abstraction de ce passage le travail de reformulation à des fins pédagogiques auquel Gassendi s’astreint pour faire comprendre son propos à son intelocuteur, le prince de Valois, à qui il écrit : « qu’on peut dire d’un individu qu’il est beau, doux, érudit et grand par rapport à l’un, mais laid, amer, ignare, petit et d’autres détails par rapport à un autre. Ainsi donc, alors qu’on ne peut le dire tel ou tel dans l’absolu, on peut seulement le définir dans la mesure où il apparaît en comparaison avec l’un ou l’autre ». 3 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [141-144]. 4 Gassendi modifie le texte qui parle de croyance aux mythes, alors que le lexique latin lui fournissait un mythicus possible. 5 Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 14 [145-162].

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quod sit necesse exempla congerere, quæ passim sunt obvia, adeo ut, cum variis gentibus ac hominibus res adeo pugnantes probentur, dici ad summum possit quid cuique vanum, iustum, utile, adpareat, non vero quid tale secundum se sit. Prætereo hisce decem modis adiungi quosdam alios, sed præcipuos tamen tres esse. Unus est qui dicitur reiscere in infinitum, cum id nimirum, quod in alterius confirmationem adducitur, declaratur ipsum egere confirmatione alterius, et hoc rursus alterius, sicque exitum nullum reperiendo. Alter dicitur diallelus, seu alternatorius, cum nimirum ille, qui probat, ostenditur adferre unum ad probationem alterius quod ipsum per alterum, seu per primum confirmatur. Postremus hypotheticus, sive ex suppositione, cum scilicet aliqua facta ab adversario suppositione adsumit adversarius licere et sibi contrariam suppositionem facere. Et possunt quidem horum trium exempla formari circa materiam quamlibet, verum quædam circa hanc ipsam, quæ præ manibus versatur, proponenda statim sunt. Iam enim omnia argumenta quæ seu adversus veritatem, seu adversus criteria congeruntur a Scepticis, vel ipsi modi tota serie expositi sunt, vel ad illos pertinent, et ex iisdem intelliguntur. Aliqua vero ut adtingamus, arguunt inprimis nihil esse verum, aut veritatem non dari, quandoquidem qui dari dicit aut simpliciter enuntiat, aut demonstratione etiam utitur. Si solum enuntiat et ita esse supponit, fidem

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contraires à des coutumes, et aussi des lois contraires à des mœurs, et des coutumes contraires à des lois, et ainsi de suite, sans qu’il soit nécessaire d’amasser des exemples qui sont évidents partout1, au point que, vu que des choses si contradictoires sont approuvées par des personnes et des peuples différents, on peut tout au plus déterminer ce qui apparaît à chacun vain, juste, utile, et non pas ce qui est tel en soi. Je passe sur le fait qu’à ces dix modes en sont joints quelques autres, mais qu’il y en a surtout trois principaux2. On appelle l’un « renvoyer à l’infini », vu que ce qui est apporté pour étayer une première chose est déclaré avoir besoin d’être étayé par une autre chose, et il en va de même de cette autre chose qui a besoin d’encore une autre pour être étayée, et cela sans qu’on trouve la moindre issue ; le deuxième s’appelle diallèle ou alternatoire, alors que celui qui prouve est présenté comme apportant une chose pour prouver la seconde qui est elle-même étayée par l’autre, c’est-à-dire la première ; le dernier mode est hypothétique, c’est-à-dire partant d’une supposition quand assurément, un adversaire ayant fait une supposition, son adversaire s’arroge le droit de faire la supposition opposée. Et quoique des exemples de ces trois modes peuvent être formés autour de n’importe quelle matière, il nous faut proposer aussitôt quelques exemples pour la matière même qui est devant notre seuil. En effet tous les arguments que les sceptiques amassent soit contre la vérité, soit contre ses critères, ou bien sont les modes eux-mêmes présentés intégralement et dans l’ordre, ou bien se ramènent à eux et sont compris à partir d’eux. Or, pour que nous en abordions quelques-uns, ils affirment tout d’abord que rien n’est vrai, ou que la vérité ne se donne pas, puisque toute personne qui dit qu’elle se donne soit s’en tient à énoncer [cette assertion] soit utilise en plus une démonstration. Si elle ne fait qu’énoncer et supposer qu’il en est ainsi, elle n’emporte pas l’adhésion, puisque toute personne qui le nie énonce tout pareillement [une assertion] et est tout aussi légitime de supposer le contraire. Si au contraire elle utilise une démonstration, celle-là est soit vraie soit fausse ; et si elle est fausse, elle ne mérite pas qu’on y croie ; si elle est dite 1 Sur ce point, les arguments des sceptiques sont particulièrement abondants (Montaigne ou La Mothe Le Vayer). Gassendi lui-même développe plus longuement dans les Exercitationes, livre ii, Diss. vi, art.4 (Et aussi des mœurs diverses des différents peuples) les différences de coutumes d’un peuple à l’autre, sur le point précis du mariage, puis des rites funéraires. 2 Sextus Empiricus, consacre le chapitre 15 aux cinq modes, dont Gassendi ne retient que trois et qu’il n’examine pas dans le même ordre (Hypotyposes, I, 15 [164-177].

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non facit, quoniam qui negat similiter enunciat et pari iure contrarium supponit. Sin utitur demonstratione, aut illa est vera, aut falsa, et si falsa quidem, non meretur fidem ; si vera dicatur, nunc diallelus est, an sit enim verum quidpiam quæritur, et demonstratio præterea postulabitur, qua illa vera demonstretur, et huius quoque alia, et usque in infinitum, quo redigi absurdum est. Sic, inquiunt, nullum datur signum quo veritas intima, seu quod est occultum natura monstretur, quoniam vel sine demonstratione id asseritur, et tunc neganti satis est adserere oppositum, vel cum demonstratione, et tunc, quia demonstratio continet signum rei occultæ et de qua est quæstio, inciditur in diallelum. Deinde non dari criterium sic arguunt, quoniam, ut controversia, quæ de illo est, diiudicari valeat, confessum habere criterium oportet, et ut confessum criterium sit, controversia prius est diiudicanda, qui modus rursus diallelus est, uti [231v] etiam erit, si quis urgeat probari criterium non posse absque demonstratione, et iudicari non posse an demonstratio sit vera non constituto criterio. Rursus quoque hominem ipsum non esse criterium a quo, quoniam, si absque demonstratione quis id adserat, non erit cur fides habeatur ; si cum demonstratione, aut illa indiiudicata erit, ac proinde incerta, neque fidem faciens, aut diiudicata et tunc quæretur, a quo ? Quoniam vero necesse erit ut respondeatur ‘ab homine’, diallelus efficitur modus. Atque id quidem præterquam quod ut ex primo modo non conveniunt animalia circa rerum iudicium, ita neque homines ex secundo ; imo neque idem homo secum ex tertio et quarto ; ex quo fit, ut cum tanta sit iudiciorum dissensio, nesciatur a quo homine diiudicari veritas debeat, et maxime quidem quia, tametsi omnes consentient in uno, qui iam sit mortalium sapientissimus, nihilominus ignoratur an non futuris seculis sit exoriturus sapientior, et rursus sapientior postea secuturis. Ad hæc neque criterium esse per quod, quoniam si illud quidem dicatur sensus, ostensum est iam quam varia ferantur secundum sensum iudicia ; cum id, quod uni dulce est, sit amarum alii, et ita de cæteris ; si intellectus, constat etiam quanta sit opinionum pugna et quam sit incertum cui potissimum intel-

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vraie, alors il y a diallèle, car si l’on cherche à savoir si quelque chose est vrai, une démonstration sera requise, qui permettrait de démontrer la vérité de la première démonstration, et il faudrait une démonstration de la deuxième démonstration, et cela à l’infini, où il est absurde d’être ramené. Ainsi, disentils, il n’est donné aucun signe par lequel soit montrée la vérité intime, autrement dit ce qui est obscur par nature, puisque ou bien cette dernière assertion est assénée sans démonstration, et alors il suffit à ceux qui le nient d’asséner l’inverse, ou bien elle est posée avec une démonstration et alors, parce que la démonstration contient le signe de la chose obscure et dont il est question, on tombe dans un diallèle. Ensuite ils affirment qu’un critère ne se donne pas, puisque, pour que la controverse dont il est l’objet puisse être tranchée, il faut avoir un critère partagé et reconnu et, pour qu’un critère le soit, il faut d’abord trancher la controverse, or ce mode est à nouveau un diallèle, comme [231v] cela sera aussi le cas, si [l’interlocuteur sceptique] revient à la charge avec l’argument que le critère ne peut être prouvé sans démonstration et qu’il est impossible de juger si une démonstration est vraie sans critère constitué. Que par ailleurs l’homme lui-même n’est pas le critère « par qui », puisque, si quelqu’un avance qu’il le serait sans [en fournir la] démonstration, il n’aura pas de quoi faire foi ; s’il le fait avec démonstration, ou bien cette dernière restera en attente d’être tranchée par jugement et donc incertaine, et ne faisant pas foi, ou bien elle sera tranchée par jugement, et alors on demandera, « par qui ? ». Mais puisqu’il sera nécessaire que la réponse soit « par un homme », le mode diallèle sera constitué. Et cela outre le fait que, de même que, d’après le premier mode, les animaux ne s’accordent pas sur un jugement vrai, de même les hommes ne le font pas davantage d’après le deuxième mode, ni non plus un seul et même homme d’après le troisième et le quatrième, d’où le fait que, vu la profondeur du désaccord entre les jugements, on ne sait pas par quel homme la vérité doit être jugée, et surtout certes parce que, même si tous s’accordent sur un homme qui soit au jour d’aujourd’hui le plus sage des mortels, on ignore néanmoins s’il ne paraîtra pas dans les siècles à venir un qui soit plus sage, et un encore plus sage dans les siècles ultérieurs. Qu’outre cela il n’y a pas de critère « au moyen duquel », puisque, si l’on dit, que ce critère est le sens, on a déjà montré toute la grande variété de jugements qui sont portés selon le sens ; puisque telle chose, qui est pour l’un douce, est amère pour l’autre, et ainsi de suite ; si l’on retient l’intellect, il est également établi qu’il y a conflit entre les opinions et que l’on ne sait à quelle

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lectui videatur standum. Si utrumque, perspicuum est non posse intellectum iudicare per sensum, alioquin cum illo pariter errabit sentietque contraria ; neque sensum per intellectum, quoniam illi potius ita facem præfert, ut alioquin nihil videat. Denique eadem aut similia possunt obiici de criterio secundum quod. Sed hac in re nimis iam sumus.

5. Veritatis criteria qui ponant Quamobrem videndi sunt potius qui criteria adserunt, quique, ut mox ante insinuatum est, vel solum sensum, vel solum intellectum, vel utrumque, vel aliquid certe ab iis dependens aut cum iis connexum pro criterio statuunt. Et qui solum quidem sensum pro criterio pridem habuerint unus fere memoratur Asclepiades ; de hoc nimirum Antiochus Academicus apud Empiricum1 sic habet, quidam autem alius, in medicina quidem nulli secundus, et qui adtigerat etiam philosophiam, persuasum habebat sensus quidem reipsa ac vere esse adprehensiones, ratione autem nihil nos omnino comprehendere. Ex iis vero qui intellectum aut rationem solum pro criterio habuerint, memorantur primum ab Empirico plerique eorum, quos vel ex ipso, vel ex Lærtio, vel ex Cicerone iam retulimus inter eos qui criteria tollunt. Tales extiterunt imprimis Xenophanes Parmenidesque : Xenophanes quidem quoniam tametsi sustulerit eam comprehensionem, eam tamen reliquit, quæ [232r] secundum opinionem, propter illud δοκός δ’ἐπι πᾶσι τετύκται, inest et opinio cunctis ; Parmenides præsertim quoniam ex iis triginta quinque quos ille citat versibus, is reiecisse quidem tam sensum, quam opinionem videtur a veritatis iudicio, sed constituisse tamen rationem, seu mentem, δίκην ipsi adpellatum, quæ doceret ut veritas indubitata haberetur, ἀληθείης εὐπειθέος ἀτρεκὲς ἦτορ, ut ab opinione

1 lib. 1. adv. log.

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conception il faut manifestement s’en remettre. Si les deux conjointement servent de critère, il est évident que l’intellect ne peut juger par le sens, sans quoi il se trompera pareillement avec lui et arrivera à des opinions contraires ; ni le sens par l’intellect, puisque c’est plutôt le sens qui présente une torche devant l’intellect de telle sorte que, à moins de [cette lumière], il ne voit rien. Enfin des objections semblables peuvent être exprimées sur le critère « selon quoi ». Mais nous avons déjà été trop long sur ce point. 5. Ceux qui posent des critères de vérité Puisqu’il faut plutôt voir ceux qui affirment des critères et qui, comme nous l’avons déjà suggéré auparavant, admettent comme critère soit le seul sens, soit le seul intellect (soit les deux conjointement), soit en tout cas quelque chose qui dépend d’eux ou leur est lié. Et parmi ceux qui ont autrefois retenu comme critère le sens, on ne mentionne presque qu’un unique philosophe, Asclépiade ; de lui assurément l’académicien Antiochus dit, chez Sextus Empiricus1 : « Un autre, sans nul autre pareil dans la médecine, et qui s’était mis aussi à la philosophie, était convaincu de ce que les sensations étaient réellement et vraiment des perceptions, mais que nous ne saisissions rien par la raison ». Mais parmi ceux qui ont admis pour critère le seul intellect, ou la raison, Sextus Empiricus mentionne2 la plupart de ceux qui nous avons déjà cités, soit d’après Diogène Laërce, soit d’après Cicéron, parmi ceux qui suppriment les critères. De ce nombre furent en premier lieu Xénophane et Parménide : Xénophane certes, puisque, même s’il a supprimé cette compréhension3, conserve cependant la compréhension [232r] selon l’opinion, à cause de cette phrase, δοκός δ’ἐπι πᾶσι τετύκται, « Tout n’est qu’opinion »4. Parménide surtout5 puisque, dans les trente vers que cite Sextus, il semble avoir exclu du jugement de la vérité assurément tant le sens que l’opinion, mais avoir constitué la seule raison, ou l’esprit appelé δίκη, Dikè, Justice6, qui 1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 201. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 49. 3 Gassendi traduit ici l’acatalepsia, la compréhension complète. 4 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 49, déjà cité supra. Xénophane, Fragment 34. 5 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 111-114 ; 111 pour le vers cité (Parménide, fr. 1, l.29). 6 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 113. Pour une mise au point du débat sur cette notion chez Parménide, voir Nestor L. Cordero, « Le logos comme critère chez Parménide »,

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differret, ut non esset cuique fides adhibenda. Itemque Empedocles, quem nonnulli quidem volunt constituisse criterium in sensibus, quatenus docuit omnia nos cognoscere ex similitudine participationeque elementorum ex quibus constamus, adeo ut ignea nostri portione cognoscamus ignem, ærem ærea, et cætera, propter celebrata illa carmina, γαιή μὲν γὰρ γαίαν, et cætera. Alii vero quod manifeste fallaces sensus dixerit, et visus fuerit eorum correctionem intelligentiæ permittere extremis illis versibus, qui sunt apud Empiricum ; ideo volunt criterium in intellectu constituisse. Clarius hisce locutus est obscurus alias Heraclitus, dum et sensus malos esse testes, quique illis fidant barbaros esse pronuntiavit, et rationem esse decrevit ad quem pertineat rerum iudicium. Sed notandum voluisse illum rationem, seu mentem, quæ in nobis est, non eam habere ex se vim, sed ex participatione mentis, seu rationis universalis per totum mundum effusæ, ac proinde in ære etiam nos circumstante existentis. Siquidem censuit cum dormimus, segregationem utriusque fieri, at cum vigilamus, circumstantem hanc introrsum adtrahi per sensus ; et mentem innatam hoc modo adtrahere intelligentiam, diiudicandique vim, ut carbo ex igne admoto ignescit. Missum autem facio quod est opinatus id, quod placet omnibus hominibus, ratum habendum, ob perfectam quamdam participationem rationis communis ; quod uni vel paucis non item, propter imperfectam.

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enseigne comment la vérité doit être tenue pour indubitable, ἀληθείης εὐπειθέος ἀτρεκὲς ἦτορ1, comment elle diffère de l’opinion, comment il ne faut pas faire foi à chacun. Et aussi Empédocle2, dont certains ont voulu qu’il ait fait consister le critère dans les sens, dans la mesure où il enseignait que nous connaissons toutes les choses par comparaison et par participation des éléments dont nous sommes constitués, au point que nous connaissons le feu par notre portion ignée, l’air par notre portion aérienne, etc., à cause de ces vers illustres, γαιή μὲν γὰρ γαίαν3, etc. Mais, parce qu’il a manifestement dit que les sens sont trompeurs et qu’il a semblé confier à l’intelligence le soin de les corriger dans ses tout derniers vers qui se trouvent chez Sextus Empiricus4, d’autres veulent qu’il ait fait consister le critère dans l’intellect. Héraclite, ailleurs obscur, a parlé plus clairement sur ce point5, quand il a énoncé que les sens sont de mauvais témoins et que ceux qui y ajoutent foi sont des barbares, et qu’il a décrété que c’était à la raison que revenait de juger les choses. Mais il faut noter qu’il a voulu que la raison, ou l’esprit, qui est en nous, n’ait pas par lui-même cette faculté, mais qu’il la tire de la participation de l’esprit, autrement dit de la raison universelle répandue partout dans le monde, et par suite existant aussi dans l’air qui nous entoure. Il a assurément estimé, que, quand nous dormons, notre esprit propre se sépare de cette raison qui l’entoure, mais que, quand nous sommes éveillés, cette raison qui nous entoure est attirée à l’intérieur par les sens ; et que l’esprit inné attire de cette façon l’intelligence et la faculté de juger, de même que le charbon s’enflamme grâce au feu qui entre en son contact. Or je passe sous silence le fait qu’il a été d’avis qu’il faut tenir pour constant ce qui plaît à tous les hommes à cause d’une certaine participation parfaite de la raison commune ; mais que ce qui plaît à un seul ou à une poignée, il ne faut pas le tenir pour tel, la participation étant imparfaite.

in Cosmos et psychè : mélanges offerts à Jean Frère, éd. Eugénie Vegleris (Hilsesheim : Georg Olms Verlag, 2005), p. 46 sq. 1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 50, citant Euripide, Phéniciennes, 469 [La fable du vrai est très simple]. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 115, puis 120-126. 3 [Par la terre, la terre] Empédocle, fr. 109 in Aristote, Métaphysique, III, iv, 18, 1000b, 3 ; cf. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 92. 4 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 123. 5 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 126-134; 126 pour la ciation précise.

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Additur istis Democritus quod tametsi cognitionem, quæ est per sensus, damnaverit, eam tamen, quæ est per mentem, retinuerit, tribueritque illi τῆς ἀληθείας κρίσιν, veritatis iudicium, idque in eo, qui iam ante memoratus, Canonum libro. Exinde est quod legitur sustulisse ea quæ adparent sensibus, quoniam ex iis nihil sit vere, sed solum ex lege, hoc est pro cuiusque dispositione adpareat, sed reliquisse tamen verum in iis quæ sunt ; cuiusmodi Lærtius quoque non dissimulat illum atomos et inane constituisse. Taceo Democritum aliunde non videri hac in re aliud quam Epicurum sensisse, ut referetur paulopost. Præter istos porro scribit ille fuisse in eadem sententia physicos Thaletem secutos, ac nominatim Anaxagoram, celebrem mentis adsertorem, qui aliunde de sensibus loquens, propter eorum, inquit, imbecillitatem non possumus verum iudicare. Quod autem sensus forent imbecilli, neque digni quibus crederetur [232v], probabat ex eo quod, si ex duobus coloribus, albo et nigro, alterum guttatim effundamus in alterum, minime discernit visus mutationes, quæ paulatim fiunt, etsi ad naturam subiectas. Notum est ut argumentatus nivem esse nigrum ex eo fuerit, quod cum nix aqua concreta sit, aqua sit potius nigra quam alba. Scribit eiusdem quoque sententiæ exstitisse Pythagoreas, ac nominatim Philolaum. Siquidem opinati sunt rationem esse quæ indicat, non omnem quidem, sed eam quæ est disciplinis exculta. Nimirum censuerunt rationem, seu mentem, quæ in nobis est, similitudinem habere cum ea, quæ est per universum fusa, quæque est natura communis, propter participationem illius ; quippe cuius quædam pars sit intra humanum corpus demersa, et quia, ut est

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Démocrite est ajouté à ce groupe1, parce que, même s’il a condamné la connaissance qui se fait par les sens, il a cependant retenu celle qui se fait par l’esprit et lui a attribué τῆς ἀληθείας κρίσις, le « jugement de la vérité », et cela dans le livre des Canons que j’ai déjà mentionné. De là vient la raison pour laquelle on lit qu’il a supprimé les choses qui apparaissent aux sens, puisque parmi elles rien n’est « vraiment », mais seulement « d’après une loi », c’est-à-dire qu’elles n’apparaissent qu’en fonction de la disposition de chacun, mais qu’il a cependant conservé le vrai dans les choses qui sont ; Diogène Laërce ne dissimule pas non plus qu’il a rangé les atomes et le vide dans cette dernière catégorie2. Je tais le fait que Démocrite ne semble pas avoir eu sur ce point un avis qui diverge de celui d’Épicure, comme cela sera rapporté ci-dessous. En plus de ces hommes, il [Sextus] écrit3 que furent de la même opinion les physiciens qui suivirent Thalès, et nommément Anaxagore, le célèbre avocat de l’esprit qui, parlant à un autre sujet des sens, dit : « C’est à cause de leur faiblesse que nous ne sommes pas capables de juger le vrai ». Or il apportait comme preuve de ce que les sens étaient faibles et n’étaient pas dignes qu’on les crût [232v] le fait que, si nous versons goutte à goutte deux couleurs, le blanc et le noir, l’une dans l’autre, la vue ne discerne pas du tout les changements qui se produisent peu à peu, quoiqu’ils existent aux yeux de la nature4. Il est connu qu’il a conclu que la neige était noire5 d’après le fait que, alors que la neige est de l’eau gelée, l’eau est plutôt noire que blanche. Il écrit6 que les pythagoriciens furent de cet avis, et nommément Philolaos. Assurément ils furent d’avis que c’est la raison qui est le critère, non pas toute la raison, mais celle qui est cultivée par l’instruction7. Assurément ils ont estimé que la raison, ou l’esprit, qui est en nous, a une similitude avec la raison qui est répandue partout dans l’univers et que c’est sa participation qui fait que la nature en est commune ; alors qu’une certaine partie de la 1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 135-140 ; 138 pour la ciation précise. 2 Diogène Laërce, IX, 45. 3 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 90. 4 Gassendi traduit littéralement le grec de la tournure non classique de Sextus Empiricus, pros thn fusin upokeimenas. La traduction italienne donne « questi sussistano nelle realtà delle cose ». 5 Sextus Empiricus, Hypoyposes, I, 13 [33]. 6 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 92-109. 7 Gassendi s’inspire de Cicéron (Archias, 12) pour traduire Sextus Empiricus qu’il modifie (le grec dit simplement « naît de »).

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circa Empedoclem dictum, similia nosse similium est, ideo ipsius esse rationis comprehendere et iudicium ferre de natura universorum, ac tum quidem potissimum cum disciplinis fuerit purgata, ignorantiamque et oblivionem, quantum licet, exuerit, quam ex corporis contagione contraxit. Prætereo quod cum illi velint administrari mundum per harmoniam, et harmonia in numerorum proportione sit constituta, adeo proinde ut anima, ac natura ipsis dicatur et harmonia, et numerus. Possit exinde intelligi quid sit id, quod docent numerum esse numero similem et numerum numero cognosci ; quibus de rebus plura alias. Cæterum vel ex antedictis Platonem his addendum constat. Siquidem imprimis censuit sola intelligibilia esse vera, sensibilia autem esse opinabilia dumtaxat, quod sola intelligibilia constanter et perpetuo maneant, sensibilia autem sint in continuo fluxu, adeo ut res sensibilis ne duobus quidem momentis perserveret eadem. Quo sensu etiam Heraclitus dixerat non traiici bis eundem fluvium. Deinde voluit solam mentem cogitationemque, τὴν διανοίαν, esse veritatis criterium, quod neque opinio, neque sensus, facultates inferiores, eo possint assurgere. Unde Cicero, Plato, inquit, omne iudicium veritatis, veritatemque ipsam abductam ab opinionibus et a sensibus, cogitationis ipsius et mentis esse voluit. Notandum tamen placuisse illi evidentiam secundum sensum debere præcedere ut ratio adveniens discernat quid sit id, quod solum adparet, quidque veri sit cum illo coniunctum. Iam qui criterium in sensu simul ac ratione posuerint videntur ipsi potissimum succesores Platonis fuisse. Primum Speusippus, qui apud eundem Empiricum opinatus est sensum esse criterium rerum sensibilium et intellec-

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raison se trouve immergée dans le corps humain et parce que, comme on le dit à propos d’Empédocle1, il appartient aux semblables de connaître les semblables ; et que donc il appartient à la raison même de comprendre et de porter un jugement sur la nature de toutes les choses, et surtout quand elle a été purgée par l’instruction et s’est débarrassée, autant que permis, de l’ignorance et de l’oubli qu’elle a contracté par contagion du corps. Je passe sur le fait que, alors que les pythagoriciens veulent que le monde soit régi par l’harmonie et que l’harmonie réside dans le rapport des nombres, de telle sorte que, pour eux, comme l’âme, la nature est harmonie et nombre. Et qu’on peut de là comprendre ce qu’ils veulent dire quand ils enseignent que le nombre est semblable au nombre et que le nombre est connu par le nombre ; mais sur ces choses nous parlerons plus longuement ailleurs. Pour le reste il est clair ne serait-ce que d’après ce qui a été dit plus haut que Platon doit leur être ajouté. Assurément tout d’abord il a estimé que seules les choses intelligibles sont vraies, mais que les choses sensibles relèvent exclusivement de l’opinion, parce que seules les choses intelligibles demeurent constamment et perpétuellement, tandis que les choses sensibles sont dans un flux continu, de telle sorte qu’une chose sensible ne persiste pas la même d’un moment à l’autre. C’est dans ce sens aussi qu’Héraclite avait dit que l’on ne traverse pas deux fois le même fleuve2. Ensuite il voulut que seul l’esprit et la pensée, ἡ διανοία, soient critère de vérité parce que ni l’opinion, ni le sens, facultés inférieures, ne peuvent s’élever à ce niveau3. De là Cicéron dit4 : « Platon voulut que le jugement de la vérité et la vérité elle-même fussent soustraits aux sens et à l’opinion, mais qu’ils relèvent de la pensée et de l’esprit ». Il faut cependant remarquer que Platon fut d’avis que l’évidence selon le sens devait précéder de telle sorte que la raison, survenant après, distingue ce que sont les choses qui ne font qu’apparaître et ce qu’il y a de vrai qui s’y joint. Pour passer maintenant à ceux qui ont posé le critère à la fois dans le sens et dans la raison, il semble qu’il s’agisse surtout des successeurs de Platon. Tout d’abord Speusippe qui, chez le même Sextus Empiricus5, a défendu l’opi1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 92 ; Empédocle, fr. 109. 2 Platon, Cratyle, 402a ; Héraclite, fr. 12. 3 Je n’ai pas trouvé la référence d’Héraclite mettant la pensée, littéralement διανοία, comme critère de vérité. 4 Cicéron, Académiques, I, 30. 5 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 145-146.

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tum intelligibilium. Sed adiecit tamen tam sensum debere scientificum esse quam rationem scientificam, cum sensus quoque possit esse veritatis [233r] particeps secundum rationem. Ut tibicinis enim digiti artificiosum exequuntur operationem, non quam innatam habeant, sed quam exercitatio non sine ratiocinatione aliqua acquisierit, ita sensus, licet ex se non eliciat operationem accommodatam ad scientiam, ratione tamen eruditus acquirit usum ad discernendum citra errorem obiectum suum. Deinde Aristoteles, Theophrastus, et universe Peripatetici, apud quos ut duo sunt similiter genera rerum, sensibilia et intelligibilia, ita quoque criteria duo, sensibilium nempe sensus, intelligibilium intellectus. Haud abs re vero Theophrastus communem utrique addidit evidentiam, seu perceptionem manifestam ; quippe ab ea non modo sensus, sed et medio sensu intellectus certitudinem accipit, ex quo fit, ut ipse Aristoteles sensus evidentiæ tantum tribuat, ut sensui magis quam rationi fidendum aliquoties dicat. Volunt etiam illi phantasiam esse aliquid medium inter sensum et intellectum, quatenus tam sensitivam quam intellectivam agnoscit ac suo modo κριτικὴν, seu iudicatricem, facit1. Ex specie per sensum traducta, quæ adpellatur φάντασμα, intellectus accipit ansam fingendi universaliorem, ut cum ex specie Dionis repræsentante quid singulare, movetur ad formandum speciem, seu cogitandum hominem sub ratione universali. Ex quo fit, ut aliunde sensus dicatur iudex rerum singularium, intellectus universalium. An Xenocratem adtexemus, qui opinionem sensui et intellectui interposuit ? Sed vide ut acceperit. In tres essentias primum distinxit, sensilem puta earum rerum quæ intra cœlum continentur, intelligibilem puta earum

1 lib. 3. an. cap. 11 et lib. de motu anim. cap. 6

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nion selon laquelle le sens est le vrai critère des choses sensibles, et l’intellect celui des intelligibles. Mais il a cependant ajouté que le sens devait être aussi susceptible de générer la connaissance que la raison ; vu que le sens peut lui aussi participer [233r] de la vérité selon la raison. En effet, de même que les doigts du joueur de flûte exécutent les opérations de leur art, non pas celles qu’ils ont de façon innée, mais ceux que l’exercice leur a acquis non sans quelque raisonnement, de même le sens, quoiqu’il ne tire pas de soi les opérations appropriées à la science, a cependant besoin d’être dégrossi par la raison pour acquérir la pratique de discerner son objet sans commettre d’erreur. Ensuite, Aristote, Théophraste et, en général, les péripatéticiens1, chez lesquels, de même qu’il y a semblablement deux genres de choses, les sensibles et les intelligibles, il y a de même aussi deux critères, le sens pour les sensibles, l’intellect pour les intelligibles. Mais il n’est pas hors de propos [de préciser] que Théophraste a ajouté2le sens commun et l’évidence, autrement dit la perception obvie ; car c’est d’elle que non seulement le sens, mais aussi l’intellect, par l’intermédiaire du sens, reçoivent la certitude, d’où le fait qu’Aristote lui-même attribue à l’évidence du sens un rôle si grand qu’il dit qu’il faut se fier quelquefois plus au sens qu’à la raison. Ils veulent aussi que la représentation soit quelque faculté intermédiaire entre le sens et l’intellect, dans la mesure où elle connaît la faculté tant sensitive qu’intellective, et à sa manière la rend κριτικὴ, « judicatrice »3. À partir de l’espèce transmise par le sens, laquelle est appelée φάντασμα, « l’intellect » tire l’occasion de forger une espèce plus universelle, comme quand à partir de l’espèce transmise par le sens, laquelle est appelée φάντασμα, « l’intellect » tire l’occasion de former une espèce plus universelle, comme quand de l’apparence de Dion représentant quelque chose de singulier l’intellect est mis en mouvement au point de former une espèce, c’est-à-dire la pensée de l’homme du point de vue de l’universel. De là vient que le sens est ailleurs défini comme le juge des choses singulières, et l’intellect celui des universelles. Ajouterons-nous Xénocrate4, qui a interposé l’opinion entre le sens et l’intellect  ? Mais vois comme il l’a entendu. Il a distingué d’abord trois essences, la sensible, autrement dit l’essence des choses qui sont contenues 1 2 3 4

Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 217-227. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 218. Aristote, De l’âme, III, iii, 427b14 sqq. ; De motu animalium, 6, 700b3-6. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 147-149.

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quæ extra cœlum sunt, et opinabilem seu mistam, ut puta ipsius cœli, quod adspectabile cum sit intelligibile est per astrologiam. Postmodum rerum quæ intra cœlum criterium dixit esse sensum, earum quæ extra scientiam, earum quæ in ipso opinionem. Adiecit autem tametsi sensus non sit criterium adeo stabile verumque ac scientia, esse nihilominus verum solamque esse opinionem quæ veri falsique sit capax. Mitto quod traditas propterea tres Parcas esse dixerit, et Clotho quidem esse sensibilium, Atropon intelligibilium, Lachesim vero opinabilium. Adtexere saltem possumus Galenum1, qui dum adversus Phavorinum scepticis faventem pro criteriis disputat, ac non semel commemorat αἴσθησιν τε καὶ νόησιν, sensionem et intellectionem, declarat sensum intellectumque innata nobis esse criteria. Idem etiam expresse docet2 dum Platonica placita cum Hippocraticis comparans ostendit Hippocratem quoque in eadem fuisse sententia. Quin etiam forte non incongrue adtexetur his Potamon cum apud Lærtium3 duo criteria statuerit, unum a quo, puta τὸ ἡγεμονικὸν, partem animæ principem ; alterum per quod, puta τὴν ἀκριβεστάτην φαντασίαν, exquisitissimam phantasiam. Quippe ut princeps animæ pars est intellectus, sive mens, ita phantasia ipsi descripta nihil videtur esse aliud quam [233v] evidentissima per sensum perceptio, quemadmodum paulo post fusius circa Epicurum explicabitur. Postremo dicere quis posset Stoicos esse adtexendos, cum ii præsertim tantam fidem adtribuerint sensibus, quantam et Plutarchus4 innuit, et apud

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lib. de opt. doctr. lib. 9 in præfat. lib. 4. plac. cap. 9

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dans notre ciel [dans le sublunaire], l’intelligible, autrement dit celle des choses qui sont hors de notre ciel [dans le supralunaire], et la conjecturale ou fondée sur l’opinion, ou mixte, autrement dit celle du ciel lui-même, lequel est visible en tant qu’il est intelligible par le biais de l’astronomie1. Par la suite, il dit que le sens est le critère des choses qui sont dans notre ciel, que la science est celui des choses qui sont en dehors de notre ciel, que l’opinion est celui de celles qui sont dans le ciel même. Or il a ajouté que, même si le sens n’est pas un critère aussi stable et vrai que la science, il est néanmoins vrai, et que seule l’opinion est susceptible d’être vraie ou fausse. Je laisse le fait qu’il a dit2 que c’est pour cela qu’ont été assignées aussi trois Parques, et que Clotho est celle des sensibles, Atropos celle des intelligibles, et Lachésis celle des conjecturales. Nous pouvons à tout le moins ajouter Galien qui, alors qu’il se prononce en faveur des critères dans la dispute qui l’oppose à Favorinus prenant le parti des sceptiques et qu’il mentionne plus d’une fois3 αἴσθησις τε καὶ νόησις, sens et connaissance, montre que le sens et l’intellect sont des critères innés en nous. Il enseigne cela encore expressément quand, comparant les préceptes de Platon avec ceux d’Hippocrate, il montre qu’Hippocrate fut aussi du même avis4. Et bien plus, il n’est pas inconvenant de leur ajouter Potamon, vu que, chez Diogène Laërce5, il a posé deux critères, à savoir l’un « par quoi », τὸ ἡγεμονικὸν, « la partie directrice de l’âme » ; l’autre « au moyen de quoi  », à savoir ἡ ἀκριβεστάτη φαντασία, la «  représentation la plus exacte ». Car de même que l’intellect, ou esprit, est la partie directrice de l’âme, de même la représentation qu’il décrit ne semble-t-elle être rien d’autre que [233v] la perception par le sens la plus évidente qui soit, comme cela sera expliqué plus longuement un peu plus loin quand nous traiterons d’Épicure. Enfin l’on pourrait dire que les stoïciens doivent être ajoutés, alors que ce sont eux surtout qui ont accordé aux sens toute la confiance que Plutarque

1 Gassendi emploie le terme d’astrologie, courant de son temps pour désigner la science des astres. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 149. Gassendi latinise : Sextus Empiricus parle des Moires. 3 Galien, De Optima Doctrina, IX (dans Claudii Galeni Opera Omnia, éd. C.G.Kuhn (Leipzig, 1833), Vol. 1. 4 Galien, De Hippocratis et Platonis Placitis, IX, 1 (Kuhn, Vol. V, p. 724). 5 Diogène Laërce, I, 21.

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Ciceronem1 Lucullus describit, et adseveraverint, ut D. Augustinus2 observat, animum hinc concipere notiones quas adpellant ἐννοίας. Sed primum Lærtius3 ostendit Stoicos fuisse varios in criteriis adsignandis ; nam Boethus quidem criteria dixit rationem, sensum, et adpetitum, scientiam ; Chrysippus alicubi sensum, et notionem anticipatam ; antiquiores rectam rationem. Deinde apud eumdem Lærtium cæteri communiter, ut Antipater et Apollodorus, imo Chrysippus quoque ipse criterium unicum dixerunt τὴν καταληπτικὴν φαντασίαν, comprehensivam phantasiam. Ita Cicero etiam et Empiricus supponunt, ac iste quidem potissimum, qui totus est in explicanda hac phantasia, quam ad Zenonem primum refert. Ac Zeno quidem voluit phantasiam esse impressionem, τυπώσιν, in anima, seu, ut sectatores explicant, in principi animæ parte ; verum de ea statim fuit inter Cleanthen et Chrysippum controversia ; nam ille voluit impressionem secundum eminentiam et depressionem intelligi, sicut dum sigillum imprimitur ceræ ; hic vero esse potius alterationem quandam contendit. Porro cum variæ sint divisiones speciesque phantasiæ hoc debet sufficere, illam quæ debet esse criterium, ut comprehensiva sit, et debere esse probabilem ; alioquin enim non traheret animum ad sui adsensionem ; sed et debere ita esse veram, ut possit scientiam parere ; alioquin enim posset esse inanis comprehensio. Quare et illi addiderunt phantasiam comprehensivam procedentem ab eo, quod est ; quippe, cum eius, quod nihil est, veritas et scientia sit nulla. Et hoc quidem gestu conficiebat Zeno,

1 lib. 4. acad. 2 lib. 8. civit. cap. 7 3 lib. 7

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indique1 et que Lucullus décrit chez Cicéron2, et qui ont affirmé, comme saint Augustin l’observe3, que « l’esprit de là [des données des sens] conçoit des notions qu’ils appellent des ἐννοίαι » ; mais d’abord Diogène Laërce4 a montré que les stoïciens ont varié dans leur exposé des critères ; car Boèce a dit que les critères étaient l’intellect, la sensation, la tendance et la science ; Chrysippe quelque part la sensation et la préconception ; d’autres parmi les stoïciens plus anciens, la raison droite. Ensuite, chez le même Diogène Laërce5, tous les autres stoïciens en général, comme Antipatros et Apollodore, et même Chrysippe lui aussi en personnel, ont dit qu’il existait un unique critère, ἡ καταληπτικὴ φαντασία, « la représentation compréhensive ». C’est ce que sous-entendent Cicéron6 et Sextus Empiricus7, et surtout ce dernier qui se consacre tout entier à expliquer cette représentation dont il rapporte l’invention à Zénon8. Et Zénon certes a voulu que cette représentation fût une « impression », τυπώσις, « dans l’âme », c’est-à-dire, comme ses disciples l’expliquent, dans la partie directrice de l’âme9 ; mais il s’est élevé à ce propos une controverse entre Cléanthe et Chrysippe ; car le premier voulut que l’impression se comprenne en termes de reliefs et de creux, comme quand un sceau s’imprime dans la cire ; mais le second a affirmé une fois que c’était plutôt une altération10. De plus, alors qu’il y a différentes divisions et espèces de représentation, il devrait suffire, pour rendre cette dernière compréhensive, que celle-là, qui doit être le critère, soit probable ; car autrement, elle ne conduirait pas l’esprit à lui donner son assentiment ; mais qu’elle doit être vraie de manière à pouvoir enfanter la science ; car autrement elle pourrait être compréhension vide. C’est pourquoi ils ont aussi ajouté que la représentation compréhensive11 « procède de ce qui est », car de ce qui n’est rien, il n’y a ni vérité ni science. « Zénon le démontrait par des gestes », dit Cicé-

1 Plutarque, Opinions des philosophes, IV, 8, 899d. 2 Cicéron, Académiques, II, vii, 22. 3 Augustin, Cité de Dieu, VIII, 7. 4 Diogène Laërce, VII, 54, pour toutes les références qui suivent aussi. 5 Diogène Laërce, VII, 54. 6 Cicéron, Académiques, II, vi, 17. 7 Sextus Empiricus Ad. math., VII, 152. 8 Sextus Empiricus Ad. math., VII, 230. 9 Sextus Empiricus, Ad. math., VII, 228. Voir aussi Hypotyposes, II, 7 [70]. 10 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 230. 11 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 249.

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inquit Cicero, nam cum extensis digitis adversam manum ostenderat, visum (hac voce Cicero interpretatur phantasiam), inquiebat, huiusmodi est  ; deinde, cum paulum digitos constrinxerat, adsensus huiusmodi ; tum, cum plane compresserat pugnumque fecerat, comprehensionem illam esse dicebat (qua ex similitudine etiam nomen eius rei, quod ante non fuerat, κατάληψιν imposuit). Cum autem lævam manum admoverat, et illum pugnum arcte vehementerque compresserat, scientiam talem esse dicebat, cuius compotem nisi sapientem esse neminem. Sic ille. Nec vero id Stoici modo addere coacti sunt, sed et cum phantasiæ ita imprimantur ab eo, quod est, ut tamen interdum vel congruenter ipsi non fiant, vel non omnes impressionis proprietates habeant, vel quid aliquibus obsistat, et cætera ; idcirco dixerunt phantasiam illam comprehensivam esse, quæ est impressa et obsignata ab eo, quod est, et congruenter ei, quod est, cuiusmodi non fuerit ab eo, quod non est, et cui nihil obstat. Addiderunt autem enitendum esse ut eiusmodi phantasia plane perficiatur ac talis habeatur ; ita enim tandem germanum [234r] futurum veritatis criterium. An prætereundum vero hic est quod de Sphæro Stoico Lærtius et alii scripserunt ? Cum aliquando apud Ptolomæum Philopatim Alexandriæ diverteret, exorto sermone an sapiens opinaretur necnon, et negante Sphæro opinaturum rex illum redarguere volens mala punica cerea ipsi adponi mandavit ; Sphæro autem decepto rex ipsum falsæ phantasiæ adsensisse exclamavit ; ille vero se, quod ea essent punica mala, adsensisse est inficiatus, sed quod esse punica mala foret verissimile ; differe nempe inter se comprehensivam phantasiam et quid est verissimile, sive εὔλογον, rationi consentaneum.

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ron1. « Il montrait sa main ouverte, les doigts étendus : “voici la vision” » (c’est par ce mot que Cicéron traduit la représentation2) « disait-il ; puis il contractait légèrement les doigts : “Voici l’assentiment”. Puis il fermait la main et serrait le poing, en disant  : “Voici la compréhension” (c’est d’ailleurs d’après cette image qu’il a donné à cet acte un nom qui n’existait pas auparavant, celui de κατάληψις) ; puis avec la main gauche, qu’il approchait, il serrait fortement le poing droit en disant : “Voici la science, que personne ne possède sinon le sage” ». Voilà ce qu’il dit. Mais non seulement les stoïciens sont forcés d’ajouter cela [qu’ellze procède de ce qui est] ; mais en plus, parce que les représentations sont imprimées par ce qui est de façon telle qu’il arrive cependant parfois qu’elles ne lui correspondent pas ou bien qu’elles n’aient pas toutes les propriétés de l’impression, c’est pourquoi ils ont appelé compréhensive la représentation3 qui est imprimée et scellée par ce qui est, et en pleine correspondance avec ce qui est, ce qu’elle ne serait pas avec ce qui n’est pas, et à qui rien ne fait obstacle. Et ils ajoutèrent qu’il faut multiplier les efforts pour qu’une représentation soit parfaitement complète et considérée comme telle ; car c’est à ce prix [234r] qu’il y aura enfin un véritable critère de la vérité. Mais faut-il passer sur ce que Diogène Laërce4 est d’autres ont écrit sur le stoïcien Sphaïros ? Alors qu’il séjournait quelquefois à Alexandrie chez Ptolémée Philopator, une discussion étant un jour survenue sur la question de savoir si le sage pouvait avoir des opinions, et Sphaïros ayant nié qu’il le pût, le roi, voulant le réfuter, ordonna qu’on lui servît des grenades de cire. Sphaïros s’étant laissé prendre, le roi s’écria qu’il avait donné son assentiment à une représentation fausse ; mais Sphaïros répondit qu’il n’avait pas donné son assentiment à ce que les fruits fussent des grenades, mais à ce qu’il était vraisemblable qu’ils le fussent. Qu’assurément il y avait une différence entre la représentation compréhensive et ce qui est vraisemblable, autrement dit εὔλογον, « conforme à la raison ».

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Cicéron, Académiques, II, xlvii, 145. Sur cette traduction, rejetée par Gassendi, voir infra p. 203. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 248 et 253. Diogène Laërce, VII, 177. Traduction modifiée.

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6. Veritatis Criteria ab Epicuro Adsignata Tempus est ut de Epicuri criteriis aliquid dicamus. Sciendum vero omnem quæstionem iuxta Epicurum vel de rebus ipsis esse, vel de solo nomine ; id enim docet apud Lærtium τῶν τε ζητήσεων εἶναι τὰς μὲν περὶ τῶν πραγμάτων, τὰς δὲ περὶ ψιλὴν τὴν φωνὴν ; quare et fuisse quidem illi adsignata criteria ad diiudicandum quæstiones de rebus ; at circa quæstiones de voce supposuisse illum eas posse diiudicari seipsis clarioribus redditis. Unde Canones iam adlati extant. Sciendum est rursus quod supra quoque obiter adtigimus, veritatem quæstionibus circa res factis expetitam aut ad nudam rerum ipsarum speculationem pertinere, aut ad actionem vitæ referri. Et speculatio quidem rerum naturalis est scientiæ ; vitæ vero actio moralis. Sed rerum in speculationem, seu contemplationem cadentium, aliæ quidem sensu noscuntur, seu eæ sint plane manifestæ, seu ad tempus solum occultæ, dicunturque αἰσθητὰ τε καὶ φαινόμενα, sensibilia et adparentia, aliæ intelligentia, quæ vel sunt occultæ natura et ex sensibilibus tamen intelligi possunt, vel eiusmodi sunt quæ cum sensum per sese fugiant, intellectum tamen aliunde percellunt, dicunturque vulgo ἄδηλα καὶ νοούμενα, immanifesta et intelligibilia. Quamobrem tria hic distinguntur rerum quasi genera, sensibilium, intelligibilium, moralium, quibus singulis sua esse videantur adsignanda criteria. Sciendum denique Epicurum supponere criterium a quo, seu quod iudicat, dici quidem posse ipsum hominem ; sed illud tamen in homine esse intellectum, seu mentem. Quippe non alii facultati id adtribuit, ut iudicet, licet possit ut organum ferendo iudicio conferre. Et supponit quidem aliunde criterium per quod dici posse tam ipsam mentem, quatenus per ipsam

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6. Les critères de la vérités assignés par Épicure Il est temps que nous disions quelque chose des critères d’Épicure. Or il faut savoir que toute question, selon Épicure, porte soit sur les choses mêmes, soit sur leur nom seulement ; en effet il enseigne chez Diogène Laërce1 τῶν τε ζητήσεων εἶναι τὰς μὲν περὶ τῶν πραγμάτων, τὰς δὲ περὶ ψιλὴν τὴν φωνὴν. Et que c’est pourquoi il définit des critères permettant de trancher des questions sur les choses. Mais que pour ce qui est des questions sur le mot, il a supposé qu’elles peuvent être tranchées par elles-mêmes une fois qu’elles sont mises sous une forme plus claire. D’où il existe les canons déjà cités. Il faut savoir encore ce que nous avons déjà touché ci-dessus en passant, à savoir que la vérité que l’on vise au niveau des questions posées sur les choses soit concerne la spéculation nue sur ce que sont les choses mêmes, soit est référée à l’action de la vie. Et la spéculation naturelle des choses relève de la science ; mais l’action morale relève de la vie ; mais que parmi les choses qui sont objet de spéculation, c’est-à-dire de contemplation¸ les unes sont connues du sens, soit qu’elles soient obvies une fois pour toutes, soit qu’elles soient obscures seulement occasionnellement, et elles sont dites αἰσθητὰ τε καὶ φαινόμενα, « sensibles et apparentes », les autres [sont connues] par l’intelligence, [je parle de celles] qui sont soit obscures par nature, mais peuvent cependant être comprises à partir des sensibles, ou bien qui sont d’une sorte telle qu’alors qu’en soi elles échappent au sens, elles frappent cependant l’intellect et sont dites ἄδηλα καὶ νοούμενα, « non obvies et intelligibles ». C’est pourquoi trois genres de choses sont ici distingués, le genre des sensibles, celui des intelligibles, celui des morales, si bien qu’il semble qu’il faille assigner à chacun ses propres critères. Il faut enfin savoir qu’Épicure suppose que le critère « par lequel » ou « ce qui juge » peut être dit l’homme lui-même ; mais que cette instance est cependant dans l’homme l’intellect, ou esprit ; car il n’attribue pas à une autre faculté la tâche de juger, même si une autre faculté peut, comme instrument, être utile pour former le jugement que l’on portera. Et il suppose certes par ailleurs que le critère « au moyen duquel » peut être identifié à l’esprit lui-même, dans la mesure où les intelligibles sont perçues autant par lui que par le sens et l’appétit également. Mais parce que ce n’est pas à proprement parler en portant notre attention sur ces deux dernières instances 1 Diogène Laërce, X, 34 : « Parmi les recherches, les unes portent sur les choses, les autres se rapportent simplement au son vocal  ». Gassendi ne traduit pas en latin, ce qui est exceptionnel.

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intelligibilia percipiuntur, quam etiam sensum, et adpetitum. Verum quia hæc proprie non sunt ad quæ adtendentes ferre iudicium possumus, idcirco dimissis facultatibus [234v] usurpavit solum criterium secundum quod, atque adeo criteria dixit functiones aliquas tam sensus, quam intellectus, quam adpetitus. Hinc ergo satis illi fuit ea ostendere, ad quæ respicere mens debeat, ut veritatem diiudicet circa genera proposita rerum ; unde et singula criteria singulis accommodans scriptum reliquit in Canone referente Lærtio κριτήρια τῆς ἀληθείας εἶναι τὰς αἰσθήσεις καὶ πρόληψεις καὶ τὰ πάθη, criteria veritatis esse sensus, seu sensiones, anticipationes, et passiones. Interpretetur autem τὰς αἰσθήσεις, sensus, non tam quod Epicurus facultates sensuum intellexerit, quam quod alii vulgo sic interpretantur, ac nominatim Cicero, ex eo forte quod sensus vox significet etiam actionem sentiendi, ut Græce quoque αἰσθήσεις tam facultas quam actio est. Utcumque sit, particulam, seu sensiones, adhibui ad declinandum ambiguitatem. Mitto eadem criteria a Cicerone1 iudicari, cum de Epicuro loquens, omne, inquit, iudicium in sensibus et rerum notitiis et in voluptate constituit. Quo loco per rerum notitias anticipationes, seu prænotiones intelligit, et voluptate nomine passionem, quæ oppositam etiam dolorem complectitur. Ut intelligas autem quid sit, quod Lærtius subdit addidisse Epicureos καὶ τὰς φανταστικὰς ἐπιβολὰς τῆς διανοίας, adparentiales (ut ita loquar) adplicationes intellectus, ac simul quod Empiricus (cum aliunde neque anticipationes, neque passiones deducat) sensum sensionemve nomine phantasiæ fuse explicat, supponendum est ex iis, quæ dicentur postmodum, velle Epicurum ea, quæ cognoscuntur, non modo sensu, sed etiam mente, percipi ex incur-

1 lib. 4. acad.

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que nous pouvons porter un jugement, il les a donc pour cette raison congédiées [234v] et n’a utilisé que le critère « selon lequel » et ainsi il a dit que les critères étaient l’exercice tant du sens que de l’intellect et que de l’appétit. D’où donc il lui fut suffisant de montrer ce que l’esprit doit considérer pour juger de la vérité des différents genres de choses qui lui étaient proposés ; d’où adaptant à chaque genre les critères qui lui conviennent il a mis par écrit dans un canon, comme le rapporte Diogène Laërce1, κριτήρια τῆς ἀληθείας εἶναι τὰς αἰσθήσεις καὶ πρόληψεις καὶ τὰ πάθη, que « les critères de la vérité sont les sens, c’est-à-dire les sensations, les prénotions et les affections ». Or il faut traduire αἱ αἰσθήσεις par « les sens », moins parce qu’Épicure a compris par là les facultés sensorielles que parce que d’autres le traduisent communément de cette façon, et notamment Cicéron, peut-être pour cette raison que le terme de sens signifie aussi l’action de sentir, de même que αἰσθήσεις en grec est autant la faculté que l’action. Quoi qu’il en soit, j’introduis en incise « c’est-à-dire les sensations », pour dissiper l’ambiguïté. Je laisse que ces mêmes critères sont jugés par Cicéron quand, parlant d’Épicure, il dit2 : il « place le critère dans les sens, dans les connaissances des choses et dans le plaisir ». Dans ce passage par « connaissances » il entend les anticipations, c’est-à-dire les prénotions, et par « plaisir » la passion qui comprend aussi la douleur qui est son opposé. Or pour que tu comprennes le sens qu’ont à la fois le fait que les épicuriens, comme Diogène Laërce écrit ensuite3, ont ajouté καὶ αἱ φανταστικὰι ἐπιβολὰι τῆς διανοίας, les « attentions apparentielles (si je puis dire) de la pensée » et en même temps le fait que ce soit sous le nom de phantaisie que Sextus Empiricus4 présente longuement le sens ou la sensation (alors que c’est de là et de nulle part ailleurs qu’il tire les anticipations ni les passions), il faut 1 Diogène Laërce, X, 31. 2 Cicéron, Académiques, II, xlvi, 142. Traduction modifiée. Je conserve le terme de connaissances à cause de la réflexion de Gassendi infra p. 293 (250v). Le terme de « juger » peut surprendre : c’est dans un passage où il présente et donc évalue les critères des différentes écoles pour montrer le désaccord des dogmatiques. 3 Diogène Laërce, X, 31. Construit sur « apparence ». Les interprètes modernes écrivent « imaginatives », « immédiates » chez Conche. Je m’autorise le néologisme « apparentiel », alors que le TLFi précise (s.v. « apparence) qu’«  On rencontre dans la docum. le néol. apparentiel, elle, adj. (É. Faure, L’Esprit des formes, 1927, p. 195 ; suff. -iel*). Qui concerne l’aspect extérieur des choses », et que Gassendi lui-même souligne son audace devant la création d’un néologisme. 4 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 203-216.

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sione, seu adlapsu imaginum ex rebus prodeuntium, ac partim in sensum incidentium, partim in mentem usque pervadentium. Quandoquidem vero hæ imagines sunt quæ adparere res faciunt (quippe quando intercipiuntur, vel non adlabuntur, tunc res non adparent), idcirco tam sensus, quam mens ipsarum adlapsu sic percellitur, ut iis perceptis res quoque ipsas seu id, quod adparet percipiat. Hinc concursus iste rei adparentis et facultatis percipientis, ipsa est adparentia, seu mavis adparitio, quam Epicurus videtur φαντασίαν Græce dixisse. Ac intellexit quidem præsertim ipsammet seu sensus, seu mentis actionem. Verum quia non satis aperte videmur illam exprimere, dum vel adparentiam vel adparitionem vocamus, hæc siquidem vocabula nescioquid magis res adtinent, ac multo minus cum dicimus sensionem aut intellectionem, quippe facultates hæc connotant magis, ea de causa vel τὴν φαντασίαν interpretari adparentiæ perceptionem convenit, vel cum rem ipsam tenuerimus, ipsum nomen φαντασία tanquam vulgatum retinere. Certe et visum reddere, quod Cicero fecit, possemus. At nescioquid iudicium hac voce intelligitur, quod cum nuda adprehensione cuiusmodi vult Epicurus phantasiam esse non cohæret, itaque phantasia nihil aliud secundum rem Epicuro esse videtur, quam sensio, aut intellectio, aut, quod est idem, actio vel functio ipsorum, sensus et intellectus. Ac ne [235r] id mirum tibi videatur propter præconceptam vulgo apud Aristoteleos de phantasia opinionem, quod ea nempe non actio, sed facultas interna sit, ecce Plato1 ipse apertissime illam pro actione sensus usurpavit ; nempe hæc sunt ipsius verba, τὸ δὲ γε φαίνεται αἰσθάνεσθαί ἐστιν; ἔστι γὰρ.

1 in theæt.

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supposer à partir de ce qui sera dit ensuite qu’Épicure veut que les choses qui sont connues soient perçues non seulement par le sens, mais aussi par l’esprit, grâce au bombardement ou écoulement d’images provenant des choses, dont une partie concerne le sens et les autres progressent jusqu’à l’esprit. Mais étant donné que ce sont ces images qui font apparaître les choses (puisque quand elles sont interceptées, c’est-à-dire quand elles ne glissent pas [jusqu’à leur but], alors les choses n’apparaissent pas), c’est la raison pour laquelle autant le sens que l’esprit est frappé par leur écoulement de telle sorte qu’il perçoit dans ces images perçues les choses elles-mêmes également, autrement dit ce qui apparaît. Cette rencontre de la chose apparente et de la faculté qui perçoit, c’est cela même qui est l’apparence, ou si tu préfères l’apparition, qu’Épicure semble avoir appelé en grec φαντασία. Et sans doute a-t-il compris par là surtout l’action même soit du sens soit de l’esprit ; mais parce qu’il semble que nous ne l’exprimions pas assez clairement, quand nous l’appelons apparence ou apparition, car ces vocables s’appliquent un je ne sais quoi de plus [par rapport à φαντασία] aux choses1 ; et encore beaucoup moins clairement quand nous disons sensation ou intellection ; car ces derniers termes connotent plus la faculté ; c’est pourquoi il convient soit de traduire ἡ φαντασία par « perception de l’apparence », soit, alors que nous savons bien de quoi nous parlons, de garder le mot même de φαντασία en considérant qu’il est devenu courant. Certes nous pourrions le rendre par visum [vision] comme le fit Cicéron2. Mais on entend par ce mot je ne sais quel jugement, ce qui ne correspond pas à la sorte d’appréhension nue qu’Épicure veut que soit la phantaisie, et c’est pourquoi la phantaisie semble, pour Épicure, n’être rien d’autre selon la chose que la sensation ou l’intellection, ou bien, ce qui revient au même, l’action ou l’exercice des deux, du sens et de l’intellect. Mais pour que [235r] tu ne trouves pas étonnante cette acception au regard de l’opinion couramment préconçue chez les aristotéliciens sur la phantaisie, à savoir qu’elle n’est pas une action, mais une faculté interne, voilà que Platon lui-même a employé le terme de façon très claire pour désigner

1 Il semble que Gassendi ait oublié la préposition ad, construction classique de adtineo. L’on peut imaginer qu’il n’a pas omis le ad et traduire par « adhérer », « coller » aux choses, mais vu que le sens est à peu près le même, je préfère l’hypothèse d’un petit bourdon. Cela dit il écrit « rem ipsam tenuerimus » une ligne plus bas, ce qui renforce cette dimension de l’agrippement des choses par les mots. 2 Cicéron, Académiques, II, xxiv, 77. Voir le passage supra p. 197.

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Φαντασία ἄρα καὶ αἴσθησις ταὐτὸν, et cætera : ipsum itaque adparere nonne sentire est ? igitur phantasia et sensio sunt idem, et cætera. Sic etiam Cyrenaici apud Plutarchum1 phantasiam perinde pro actione sensus, ac perturbationem pro motione adpetitus accipiunt. Stoici quoque ac ipsos ea in re imitatus Philo2, cum phantasiam esse voluerunt impressionem quandam in principi animæ parte, non pro facultate sane eam habuerunt, sed pro actione principis partis, quæ diceretur tamen impressio, tum quod actio foret ex genere earum, quæ immanentes dicuntur, ac impressorum modo se habent, tum quod res externa sui specie vel imagine cum eiusmodi actione principem partem adficeret, et in ea quasi figeretur. Quid quod Aristoteles ipse perraro dicit supponitve phantasiam esse facultatem ? Creberimme vero pro actione aliqua id nomen usurpat. Nam et in libro De Insomniis motionem quandam esse vult, et in libris De Anima tum motionem dicit, tum actionem perinde facit ac τὴν νόησιν, intellectionem, et λογισμὸν, ratiocinationem ; uti et in libro De Motione Animalium perinde ac αἴσθησιν, sensionem, et ἐννοίαν, notionem. Sic in libro De Memoria et Reminiscentia describit tanquam actionem, quæ ad eandem animæ partem cum recordatione pertineat ; et in libro De Somno et Vigilia tanquam actionem, quæ in vehementi animi deliquio interdum creetur. Prætereo autem licet Aristoteles velit phantasiam esse quid distinctum tam a sensu eiusque actione, quam etiam ab intellectu, distinguere tamen illum duplicam phantasiam, αἰσθητικὴν καὶ λογικὴν, sensibilem et intellectua-

1 lib. 1. adv. colot. 2 lib. de mundo

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l’action du sens ; car telles sont ses paroles1 : τὸ δὲ γε φαίνεται αἰσθάνεσθαί ἐστιν; ἔστιν γὰρ. Φαντασία ἄρα καὶ αἴσθησις ταὐτὸν, etc. « Or cet “apparaître”, c’est être senti ? – Effectivement. – Donc phantaisie et sensation sont identiques », etc. De même aussi les cyrénaïques chez Plutarque2 veulent pareillement dire par phantaisie l’action du sens, et par perturbation le mouvement de l’appétit. Les stoïciens également, et Philon les imitant sur ce point3, alors qu’ils ont voulu que la phantaisie soit une impression sur la partie directrice de l’âme, ont considéré que la phantaisie n’était non pas certes une faculté, mais une action de la partie directrice, qu’ils appellent cependant impression ; d’une part parce que cette action est du genre de celles qui sont dites immanentes et qui se comportent à la manière des choses imprimées, d’autre part parce que, en vertu d’une action de ce genre, la chose extérieure affecte la partie directrice par son aspect ou par son image et qu’elle est presque représentée en elle. Que penser de ce qu’Aristote lui-même dit ou laisse très rarement entendre que la phantaisie serait une faculté ? Mais il arrive très souvent qu’il emploie ce terme pour désigner une action. Car dans le livre Sur les rêves4, il veut que ce soit un mouvement et, dans les livres Sur l’âme5, il dit tantôt que c’est un mouvement et tantôt il en fait une action à la même enseigne que ἡ νόησις, « intellection », et λογισμὸς, « raisonnement » ; de même que dans le livre Sur le mouvement des animaux6 il la met sur le même plan que αἴσθησις, « sensation », et ἐννοία, « pensée ». Ainsi dans le livre De la mémoire et de la réminiscence7, il décrit la réminiscence comme une action qui concerne la même partie de l’âme que la mémoire ; et dans le livre Du sommeil et de la veille8, il la décrit comme une action qui se crée de temps en temps dans l’évanouissement d’un esprit véhément. Or je passe sur le fait que, quoique Aristote veuille que la phantaisie soit quelque chose de distinct tant du sens et de son action que de l’intellect aussi, il distingue deux parties dans la phantaisie, αἰσθητικὴ καὶ λογικὴ, « une sen1 Platon, Théétète, 152b-c. Gassendi ne rend pas non plus le jeu grec entre le verbe et le substantif. 2 Plutarque, Contre Colotès, 1120 c. 3 Philon, De la création du monde, LI, 150. 4 Aristote, Des rêves, I, 459a17. 5 Aristote, De l’âme, III, viii, 432b. 6 Aristote, Mouvement des animaux, 7, 701b17-18. 7 Aristote, De la mémoire et de la réminiscence, I, 450a23-24. 8 Aristote, Du sommeil et de la veille, 3, 456b12-15.

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lem, idque in libro De Anima tertio1, ac etiam apud Empiricum2, quod memoro, ne res adeo mira in Epicuro videatur, si tam ad mentem quam ad sensum phantasiæ vocem retulit. Cæterum quod retulerit testatur Plutarchus libro quarto De Placitis, sed loco prius corrigendo. Is habetur capite nono, in quo sic vulgo legitur, καὶ ἡ μὲν αἴσθησις μοναχῶς ψευδοποιεῖται τὰ κατὰ τὰ νοητά, ἡ δὲ φαντασία δίχως· καὶ γὰρ αἰσθητῶν ἐστὶ φαντασία, καὶ νοητῶν. Quibus verbis falli videtur tam sensus quam phantasia ; sensus quidem uno modo, phantasia vero duplici ; cum expertissime tamen constet, non modo ex infra dicendis, sed etiam ex iis, quæ statim apud Plutarchum præcedunt, verum esse omnem sensum, veram esse omnem phantasiam. Itaque locus videtur potius in hunc modum esse legendus *καὶ ἡ μὲν αἴσθησις μοναχῶς μὴ ψευδοποιεῖται, οὐ γὰρ κατὰ τὰ νοητά· ἡ δὲ φαντασία διχῶς, καὶ γὰρ αἰσθητῶν ἐστὶ φαντασία, καὶ νοητῶν et sensus quidem unico modo efficitur expers fallaciæ ; neque enim ea quæ sunt intelligibilia [235v] adtingit ; phantasia vero bifariam, quoniam et sensibilium phantasia est, et intelligibilium. Iam cum phantasia sit actio qua seu sensus, seu mens sese adplicat vel incumbit ad percipiendam adparentiam, seu res imaginibus suis incurrentibus adparenteis, efficitur ut cum aliunde talis adplicatio, seu incubitus dicatur ἐπιβολὴ, ipsa phantasia, seu actio, quam perceptionem adparentiæ interpretati ante sumus, dicta sit etiam Epicuro φανταστικὴ ἐπιβολὴ, hoc est, quasi incubitus et adplicatio ad adparentiam ; et quia datur non modo quædam φανταστικὴ ἐπιβολὴ τῆς αἰσθήσεως, adplicatio sensus ad adparentiam, earum rerum quæ in sensum cadunt, sed quædam etiam intellectus ad adparentiam

1 cap. 11 2 1. advers. logic.

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sible et une intellectuelle », et cela dans le troisième livre Sur l’âme1, et aussi chez Sextus Empiricus2, ce que je mentionne pour éviter que l’on ne trouve tellement étonnant qu’Épicure ait rapporté le mot de phantaisie tant à l’esprit qu’au sens. Du reste nous avons pour témoin de ce qu’il a eu cette conception Plutarque dans son quatrième livre Opinions des philosophes, mais dans un passage qu’il faut d’abord corriger3. Il se trouve au neuvième chapitre, dans lequel on lit communément, καὶ ἡ μὲν αἴσθησις μοναχῶς μὴ ψευδοποιεῖται, οὐ γὰρ κατὰ τὰ νοητά· ἡ δὲ φαντασία διχῶς, καὶ γὰρ αἰσθητῶν ἐστὶ φαντασία, καὶ νοητῶν. Ces mots semblent dire que tant le sens que la phantaisie se trompe ; le sens d’une seule manière, mais la phantaisie doublement ; alors qu’il est établi le plus solidement qui soit à la pierre de touche de l’expérience, non seulement d’après ce qu’il faudra dire ci-dessous, mais aussi d’après le passage de Plutarque qui précède immédiatement celui-ci que j’ai cité, que tout sens est vrai, que toute phantaisie est vraie. C’est pourquoi le passage doit être lu plutôt de la façon suivante : καὶ ἡ μὲν αἴσθησις μοναχῶς μὴ ψευδοποιεῖται, οὐ γὰρ κατὰ τὰ νοητά· ἡ δὲ φαντασία διχῶς, καὶ γὰρ αἰσθητῶν ἐστὶ φαντασία, καὶ νοητῶν : « et le sens est rendu insusceptible d’erreur d’une seule manière ; en effet il ne touche pas les choses qui sont intelligibles [235v] ; mais la phantaisie doublement, puisqu’elle concerne à la fois les objets sensibles ezt les objets intelligibles ». À présent, puisque la phantaisie est une action par laquelle soit le sens soit l’esprit s’attentionne ou s’applique à percevoir l’apparence, c’est-à-dire les choses apparentes par leur image qui bombarde [soit le sens soit l’esprit], il se fait que, alors qu’une telle attention ou application4 porte le nom d’ἐπιβολὴ, la phantaisie elle-même, ou action que nous avons interprétée tout à l’heure comme la perception de l’apparence, est nommée chez Épicure5 φανταστικὴ ἐπιβολὴ, c’est-à-dire « application et attention à l’apparence » ; et parce qu’il existe non seulement φανταστικὴ ἐπιβολὴ τῆς αἰσθήσεως, une 1 Aristote, De l’âme, III, xi, 434a. Le traducteur préfère « délibérative » pour le second adjectif. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 63. 3 Plutarque, Opinions des philosophes, IV, 9, 899f. 4 Il est étonnant que Gassendi incubitus, dérivé de incubo, si proche de incumbit, et l’on peut se demander pourquoi il n’emploie pas dans le premier cas incubo. Quoi qu’il en soit, je ne parviens pas à traduire le sens de « se pencher sur », comme un oiseau couve son œuf. 5 Diogène Laërce, X, 31.

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earum rerum quæ in intelligentiam, ideo Epicurus aliquoties huius quoque meminit, ac nominatim in Ratis Sententiis, ubi, ne omnia conturbentur dividendam esse opinionem docet, cum iuxta alia, tum ἤδη κατὰ τὴν αἴσθησιν καὶ τὰ πάθη, καὶ πᾶσαν φανταστικὴν ἐπιβολὴν τῆς διανοίας, tum iuxta sensum, ac passiones, ac omnem mentis adplicationem factam ad adparentiam ; ac cuiusmodi quidem esse potest operatio mentis per insomnia, quam Epicurus etiam elici non vult, nisi per incursum imaginis, quæ adlapsu extrinsecus in ipsam usque penetret mentem, ut suo loco dicetur fusius. Utcumque sit Epicurei acceperunt exinde ansam adiiciendi sensionibus, seu applicationibus sensus, καὶ τὰς φανταστικὰς ἐπιβολὰς τῆς διανοίας, applicationes ipsius mentis ; ut cum latius explicarunt quod videri cuipiam poterat deesse sensioni, seu primo criterio. An idcirco est cur Empiricus, dum criterium hoc explicat, non sensionem dicit, sed phantasiam, quasi Epicurus isto nomine actionem, seu adplicationem utramque comprehendisset ? Videtur tamen etiam utramque comprehendisse nomine sensionis propter sensiles, vel sensibilibus cognatas imagines, quæ ad mentem pertingunt. Heinc certe quidquid dicit de actione sensus dum vigilamus, dicit etiam de actione mentis dum dormimus ; et ut ostendat rem sibi esse veluti indifferentem, scribit ad Herodotum debere vocum significatus esse perspectos, εἴμεν (puto pro εἰτε) κατὰ τὰς αἰσθήσεις δεῖ πάντα τήρειν καὶ ἅπλως τὰς παρόυσας ἐπιβολὰς εἴτε διανοίας εἰθ’ ὁτουδήποτε τῶν κριτηρίων, ὁμοίως δὲ καὶ τὰ ὑπάρχοντα πάθη… si necesse quidem sit ut omnia adtendere secundum sensiones, vel iuxta præsenteis adplicationes seu mentis, seu cuiuslibet criteriorum, similiterque iuxta passiones quæ reveræ sunt. Quo loco

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« attention du sens à l’apparence » des choses qui relèvent du sens, mais aussi une attention de l’intellect à l’apparence des choses qui relèvent de l’intelligence, c’est la raison pour laquelle Épicure mentionne aussi quelquefois cette dernière, et notamment dans les Maximes capitales1 où, pour éviter la confusion générale, il enseigne qu’il faut diviser l’opinion, d’une part selon d’autres catégories, et d’autre part ἤδη κατὰ τὴν αἴσθησιν καὶ τὰ πάθη, καὶ πᾶσαν φανταστικὴν ἐπιβολὴν τῆς διανοίας, « selon le sens, les passions et toute attention de l’esprit à l’apparence » ; et telle peut être certes l’action de l’esprit pendant les rêves dont Épicure veut exclusivement qu’elle ne soit le produit que du bombardement d’une image qui, au terme de son écoulement depuis l’extérieur, parvient jusque dans notre esprit, comme cela sera dit plus longuement en son temps. Quoi qu’il en soit, les épicuriens ont profité de l’occasion pour ajouter aux sensations, soit attentions du sens, καὶ αἱ φανταστικὰι ἐπιβολὰι τῆς διανοίας, les « attentions apparentielles de l’esprit lui-même » ; comme quand ils expliquèrent plus profondément pourquoi tout un chacun pouvait avoir l’impression de manquer de sensation ou de premier critère. Est-ce la raison pour laquelle Sextus Empiricus, quand il explique ce critère, ne parle pas de sensation, mais de phantaisie comme si, par ce terme, Épicure avait englobé à la fois l’une et l’autre ? Il semble cependant aussi qu’il ait englobé l’une et l’autre sous le nom de sensation à cause des images sensibles, ou bien apparentées aux sensibles, qui parviennent à l’esprit. De là sans doute [la raison pour laquelle] tout ce qu’il dit sur l’action du sens pendant que nous sommes éveillés, il le dit aussi de l’action de l’esprit pendant que nous dormons ; et pour montrer que la chose [l’emploi d’un vocable ou d’un autre] est à ses yeux pour ainsi dire indifférente, il écrit à Hérodote2 que les significations des mots doivent être claires εἴμεν (à lire je pense à la place de εἰτε) κατὰ τὰς αἰσθήσεις δεῖ πάντα τήρειν καὶ ἅπλως τὰς παρόυσας ἐπιβολὰς εἴτε διανοίας εἰθ’ ὁτουδήποτε τῶν κριτηρίων, ὁμοίως δὲ καὶ τὰ ὑπάρχοντα πάθη, « s’il est nécessaire d’observer toutes choses suivant les sensations, et en général suivant les attentions présentes, que ce soit de l’esprit ou de n’importe quel critère, et de la même façon selon les passions qui sont vraiment ». Dans ce passage, note qu’il est dit παρούσας, c’est-à-dire présentes, à cause de l’évi1 Diogène Laërce, X, 147. Je ne conserve pas la traduction. 2 Diogène Laërce, X, 38. Les éditeurs modernes font un autre choix de lecture ; mais rapportent une correction de Gassendi (par εἴτα) qui ne correspond pas au choix qu’il fait ici, mais à celui de son édition du livre X de Diogène Laërce tel qu’il est repris dans les Opera omnia (Tome V), p. 14 ligne 31. Voir les commentaires qu’il ajoute à son choix p. 69.

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nota παρούσας, seu præsenteis, dici propter evidentiam, quæ est ex præsentia, et de qua dicetur inferius ; adeo ut cum aliunde evidentia et phantasia idem sint, perinde videatur dixisse παρούσας ac dixisse φανταστικὰς, quamquam heic sumus scrupulosiores. Sufficiat proinde criteria veritatis ea esse quæ ex Lærtio retulimus, et de quibus quia specialiter sequente libro dicturi sumus, ea propter solum superest ut hinc adtexatur generaliter Canon, qui opponatur Scepticis. [236r]

7. Canon generalis. Est aliquid verum quod possit diiudicari et sciri. Ita nimirum colligitur tum ex adsignatis veritatis criteriis, tum ex iis quæ præfati sumus dum quæsivimus an Epicurus accensendus philosophis dogmaticis, an acatalepticis foret. Tum quippe inter cætera placere Epicuro memoravimus sapientem δογμάτεῖν καὶ οὐκ ἀπορήσειν, decreta habiturum, nec dubitaturum. Et Lucretius citatus est non sine quadam indignatione insectans eos qui nihil sciri, nihil esse verum profiterentur ; quæ repetere necesse non est. Addere possem quod Epicurus ex Cicerone1 reprehendit ironiam illam perpetuam qua Socrates apud Platonem in cælum effert laudibus Protagoram, Hippiam, Prodicum, Gorgiam, cæteros, se autem omnium rerum inficium fingit et rudem. Possem et quod Colotes a Plutarcho vehementer reprehenditur propter impugnatam cohibitionem adsensus. Possem et plura alia, sed res videtur in confesso. Itaque hoc loco disquirendum potius quomodo Epicurus possit Canonem præsentem tueri, ac obiectionibus proinde Scepticorum facere satis ; non quod in eadem causa non sit cum cæteris philosophis qui aliquid sciri defendunt, sed quod vel alii dedignentur rem impugnare adeo absurdam, vel quod, præter ea quæ illi opponent, speciales rationes Epicuro sint quibus inniti valeat. Non item quod nobis propterea circa inventionem, diiudicationemque veritatis ac scientiæ certitudo ingeneretur. Siquidem et nos ex iis sumus quibus veritas in profundo est, ac multum lucri existimamus

1 In Bruto

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dence qui naît de la présence et dont nous parlerons plus bas ; au point que, alors que d’ailleurs l’évidence et la phantaisie sont la même chose, il semble avoir dit παρούσας exactement comme il a dit φανταστικὰς, même si nous sommes ici plus scrupuleux. Qu’il suffise que donc que les critères de la vérité soient ceux que nous avons rapportés d’après Diogène Laërce et à propos desquels, parce que nous allons en parler en particulier dans le livre suivant, il nous reste pour cette raison seulement à joindre un canon en général, qui s’oppose aux sceptiques. [236r] 7. Canon général. Il y a quelque chose de vrai qui peut être jugé et su Cette conclusion s’impose à coup sûr d’une part du fait qu’il reconnaît des critères de la vérité, d’autre part à cause de ce que nous avons dit préalablement quand nous nous demandions s’il fallait compter Épicure parmi les philosophes dogmatiques ou parmi les acataleptiques. C’est encore que nous avons rappelé qu’Épicure avait été d’avis, entre autres, que le sage1 δογμάτεῖν καὶ οὐκ ἀπορήσειν, « élabore des doctrines et ne reste pas dans le doute ». Et l’on a cité Lucrèce attaquant non sans quelque indignation ceux qui déclarent que rien n’est su, que rien n’est vrai, autant de propos qu’il n’est pas nécessaire de reprendre. Je pourrais ajouter le fait que, d’après Cicéron2, Épicure blâme cette ironie perpétuelle par laquelle Socrate, chez Platon, élève jusqu’au ciel par ses louanges Protagoras, Hippias, Prodicos, Gorgias et tous les autres, mais se donne lui-même comme un homme qui ne sait rien du tout et comme un naïf. Je pourrais aussi ajouter que Colotès se voit reprocher vertement par Plutarque3 ses attaques contre la suspension d’assentiment. Je pourrais ajouter encore bien d’autres preuves, mais la chose est de l’aveu de tous. C’est pourquoi dans ce passage il faut plutôt rechercher comment Épicure peut tout à la fois conserver le canon présent et satisfaire aux objections des sceptiques ; non qu’il ne lutte pas dans cette cause aux côtés de tous les autres philosophes qui défendent que l’on sait quelque chose, mais parce que soit les autres n’ont pas daigné combattre une thèse aussi absurde, soit parce que, outre les raisonnements qu’ils opposent, Épicure en a de spéciaux sur lesquels il vaut la peine de s’appuyer. Il ne s’ensuit pas qu’une certitude s’engendre en 1 Diogène Laërce, X, 121. 2 Cicéron, Brutus, LXXXV, 292 ; cf. Platon, République, 337a. 3 Plutarque, Contre Colotès, 1124b.

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si ex nostris studiis ac laboribus verisimilitudinem reportemus. Sed quod, cum ista exercendi animi gratia suscepta sint, existimemus eam causam, quam habemus præ manibus, quantum quidem licet, esse adiuvandam. Heinc est ut quibus videbimur non omnino satisfecisse, credere debeant nec nobis quoque satisfactum omnino esse, et in eo tamen conquiescere quod imbecillitatis conscii putemus hominem debere iis, quæ secundum naturam licet adipisci, esse contentum. Nam nihil quidem esset pulchrius quam quæ natura posuit in recessibus habere perspecta ; at forte non minus præposteri sumus dum eo vota intendimus, quam si vel obtinere alas vel sistere florem ætatis, quibus nihil videatur esse expetibilius, desideremus. Sed hæc alias uberius. Nunc propugnare Canonem Epicurus videtur posse, imprimis quod saltem indubium videtur dari illud verum quod a re quatenus existit non differt. Nempe quidquid Gorgias obiiciat, certum tamen est esse aliquid, et quod res per se manifesta sit, tota eius ratiocinatio adparet merus esse cavillus. Certe nisi aliquid foret, non veniret illi in mentem inficiari aliquid esse, et nisi ipse aliquid esset, non ita ratiocinaretur. Quare et qui audiunt non sic fascinantur ut arbitrentur se esse nihil, nihil ipsum, qui loquitur, nihil, quæ ob oculos habent  ; et satis illis esse videtur si Diogenis more, hoc est contemnendo, paralogismis respondeant. Ac forte etiam illud adiiciant : non est, amice, quod conquerare, si quis verberet, aut occidet te ; quippe verberat, aut occidit nihil. Quin dicere Epicurus possit ad argumentum Gorgiæ : id, quod existit, esse ens, et illud quidem esse posse vel æternum, puta inane aut atomum, quibus aliunde infinitas secundum magnitudinem multitudinemque tribuatur, ut infra [236v] explicabitur, vel ortum, non ex nihilo, sed ex entibus

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nous sur la question de la découverte ou du jugement de la vérité et de la science. Assurément nous sommes de ceux pour qui la vérité est dans les profondeurs, et nous estimons que c’est pour nous un grand bénéfice que d’obtenir la vraisemblance de nos études et de nos travaux. Mais c’est parce que, alors que nous avons entrepris de tracer ces lignes pour exercer l’esprit, nous estimons que cette cause, qui se présente à nous, mérite d’être plaidée et soutenue, autant que possible du moins. De là vient que ceux qui auront le sentiment de ne pas avoir obtenu pleine satisfaction par nos démonstrations doivent croire que notre satisfaction n’est pas du tout complète non plus, et cependant apaiser leur dépit en comprenant bien que, conscient de notre faiblesse, nous pensons que l’homme doit être content des choses qu’il lui est permis d’atteindre selon la nature. Car assurément rien ne serait plus beau que d’avoir sous les yeux les choses que la nature a posées dans des replis secrets ; mais peut-être ne sommes-nous pas moins ridicules et malséants de tendre vers là nos vœux que si nous désirions avoir des ailes ou suspendre la fleur de l’âge, ce qui paraît être de tout le plus souhaitable. Mais nous évoquerons cela plus longuement ailleurs. En fait, Épicure semble pouvoir se faire le champion de ce Canon, d’abord parce qu’il paraît absolument hors de doute qu’il y a quelque chose de vrai qui ne diffère pas de la chose dans la mesure où elle existe. Assurément, quelles que soient les objections de Gorgias, il est cependant certain qu’il y a quelque chose ; et, parce que la chose est obvie en soi1, tout son raisonnement paraît être pure baliverne. Certes s’il n’y avait pas quelque chose, il ne lui viendrait pas à l’esprit de nier qu’il y eût quelque chose ; et, s’il n’était pas lui même quelque chose, il ne raisonnerait pas ainsi. C’est pourquoi ceux qui l’écoutent ne sont pas assez fascinés pour penser qu’ils ne sont rien ; que rien ne serait celui-là même qui leur parle, rien les choses qu’ils ont sous les yeux ; et il leur semble qu’ils en font assez si, à la manière de Diogène, c’est-à-dire par le mépris, ils répondent par des paralogismes. Et peut-être ajouteraient-ils aussi2 : « Tu n’as aucune raison, mon ami, de te plaindre, si quelqu’un te frappe ou te tue ; car c’est rien qu’il frappe, ou qu’il tue ». Et bien plus Épicure pourrait répliquer à l’argument de Gorgias : que cela, qui existe, est un être, et peut être soit éternel, comme le vide ou l’atome, auxquels il attribue d’ailleurs l’infinité en termes de grandeur et de multitude, comme [236v] 1 Je ne sais pas pourquoi il met un subjonctif après quod. 2 C’est Gassendi qui invente cette réplique.

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alio se habentibus modo, ut declaratur exemplo domus ex iis, quæ erant, sed non perinde coadunata emergentis. Sic enim et res naturales oriri postea probabuntur paucis. Itaque Epicurus conficiet esse aliquid, sive esse aliquid verum, seu, quod est idem, dari saltem veritatem existentiæ. Deinde urgebit negari non posse quin sit etiam aliquid secundum dictionem aut enunciationem verum, cum vel constet illum, qui se loqui dicit, verum aliquid dicere. Esto vero non omnia, neque omni modo homines cognoscant, aut dicant, cuiusmodi sunt, dubio tamen procul bene multa sunt, quæ huiusmodi sint cognoscunt et dicant. Ecquis certe est qui sole exorto ambigat vere et cognosci, et dici solem esse exortum, lucere supra horizontem, caussari diem, et similia ? Neque obstat quicquam ratio illa Gorgiæ : siquidem multa cogitamus, quæ non sunt : chimæræ, aut currus per mare translati ; et dum res aliis effamur, verba non res eloquimur ; quod hæc sit loquendi conditio, ut cum res vel coram adduci vel ore transire non possint, verba substituamus quæ illas demonstrent. Dices Scepticos non negari quin cognoscemus enunciemusque adparentia quamplurima, at difficultatem esse de vero occulto seu veritate intima rerum ; sed primum hoc satis videtur, ut statuatur esse verum aliquid, si rerum adparentiæ vere cognosci admittantur, quippe et ex hoc sequitur posse tale verum diiudicari et sciri et consequenter dari criterium quo efficiamur de illo certi, seu illud sit sensus, seu quod voles aliud. Porro adiiciet Epicurus cognosci etiam quidpiam occultum illudque certis indiciis diiudicari, ac vere sciri. Exempla postea adferentur de atomis, de inani, de anima, et aliis, quæ argumenta certa convincant. Sed ut exemplo illi hæreamus quod superius adtigimus de meatulis seu poris cutis, nonne cum illi non pateant, certissime tamen ex ipsa transudatione colliguntur ? Sane ut per cribrum aqua effluit, quod effluxus pateat per foramina, quibus quia peluis destituitur, ideo effluxum non permittit, ita qui humor est intra cutem

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nous l’expliquerons ci-dessous, soit né, et dans ce cas né non pas de rien, mais d’êtres qui sont autres que lui, comme cela est illustré par l’exemple de la maison qui s’élève à partir de [matériaux] qui étaient déjà, mais n’avaient pas le même agencement. De fait il sera démontré par la suite en peu de mot que c’est ainsi que naissent aussi les choses naturelles. C’est pourquoi Épicure conclut qu’il y a quelque chose, autrement dit que quelque chose est vrai, soit, ce qui revient au même, que la vérité de l’existence se donne. Ensuite il soulignera avec insistance qu’il ne peut être nié qu’il y ait aussi quelque chose de vrai selon le discours ou énonciation, alors qu’il est établi que l’homme qui dit qu’il parle dit quelque chose de vrai. Admettons que les hommes ne peuvent ni savoir ni dire à propos de toutes les choses ce qu’elles sont, encore moins sous tous leurs aspects ; il ne fait cependant aucun doute qu’il en existe vraiment beaucoup dont ils peuvent savoir et dire qu’elles sont ceci ou cela. Quel est l’homme qui, après le lever du soleil, n’est pas sûr que l’on puisse savoir et dire que le soleil est levé, qu’il brille au-dessus de l’horizon, que le jour a là sa cause, et ainsi de suite. Et le raisonnement de Gorgias ne s’y oppose en rien : car nous imaginons des quantités de choses qui ne sont pas : les chimères, ou les chars lancés sur la mer ; et quand nous disons des choses à autrui, ce sont des mots que nous prononçons, pas des choses ; parce que c’est cela même, parler, à savoir que, les choses ne pouvant pas être apportées en présence, ni passer par la bouche, nous leur substituons des mots qui les font voir. Tu diras que les sceptiques n’ont pas nié que nous connaissions et énoncions de très nombreuses choses qui apparaissent ; mais que la difficulté porte sur le vrai [qui est] obscur, c’est-à-dire la vérité intime des choses ; mais tout d’abord, si l’on admet que les apparences des choses sont vraiment connues, il semble que cela suffise pour statuer qu’il y a quelque chose de vrai, car de là s’ensuit aussi que telle chose peut être jugée pour vraie et faire l’objet d’un savoir, et qu’il existe par conséquent un critère par lequel nous arrivons à son sujet à une certitude, que ce soit le sens ou n’importe quoi d’autre que tu voudras. En outre Épicure ajoutera qu’il y a connaissance même de quelque chose d’obscur, et que des indices certains permettent de juger de ce quelque chose et qu’il peut vraiment faire l’objet d’un savoir. Des exemples seront apportés ensuite touchant les atomes, le vide, l’âme, et autres, et ces arguments, certains, convaincront. Mais pour nous arrêter à cet exemple que nous avons effleuré plus haut, sur les petits passages ou pores de la peau, n’est-il pas vrai que, même s’ils n’apparaissent pas, on infère en toute certitude de leur existence par la

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idcirco egeritur, quod pervia sint illa foraminula, quæ nisi essent, perpetuo contineretur, neque exiret. Nimirum quomodo exiret nisi pateret exitus ? Discrimen profecto id solum videtur, quod illius sint foramina ampla, ipsius exilissima, quodque ex cribro guttæ magnæ, ex cute insensibiles donec plurimæ coierint prodeant. Instabis esse difficultatem non tam de rebus huismodi, quam de natura intima hominis, equi, aliarum rerum. Attamen imprimis neque Epicurus, neque ullus omnino sapiens profiteatur se rerum omnium perspectas naturas habere, imo neque ullius rei omneis recessus intimos. Cum vero natura alicuius rei non sit tam habenda angusta quam illam definiunt, qui vulgo indivisibili constituunt, sed quam plurimis qualitatibus proprietatibusque explicata contineatur, hinc fieri dicit Epicurus ut qui aliquas alicuius rei proprietates noverit, naturam illius novisse dicatur non tam perfecte ille quidem quam alius [237r] qui noverit plureis ; sed perfectius tamen quam alius qui vel paucas, vel unicam ; adeo proinde ut natura intima alicuius rei secundum gradus cognoscatur, sed semper tamen cognoscatur. Exemplum esto ipse homo, in quo præter res adparenteis haud male argumentamur animam inesse ex vitæ actionibus, cuiusmodi sunt sensio, progressio, et aliæ ; unde et ad eius naturam dicimus spectare quod animam habeat. Idque cognoscenteis dicimur habere aliquam (generalem certe) naturæ humanæ notionem. Deinde quomodo attendimus esse in homine ratiocinationem, colligimus eam animam debere esse ratiocinantem, hominemque per ipsam esse rationale animal, et cum id quoque ad naturam hominis pertineat, existimamur specialius illius naturam novisse. Postea, dum consideramus ut homo suis ratiociniis rimetur abscondita, ut artes inveniat,

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transpiration. Assurément de même que l’eau s’écoule par un tamis, parce que ce flux est rendu possible du fait des petits trous, alors qu’un bassin, qui en est dépourvu, ne permet pas l’écoulement, de même cette humeur qui est sous la peau s’épanche pour cette raison précise que sont ouverts [en elle] ces tout petits trous, alors que, s’ils n’existaient pas, [l’humeur] serait contenue pour toujours à l’intérieur et ne sortirait pas. Assurément comment sortiraitelle s’il n’y avait de sortie praticable ? La seule différence assurément semble être que de l’un les trous sont larges, et de l’autre minuscules et que, du crible sortent de grosses gouttes, mais de la peau des gouttes qui sont imperceptibles jusqu’à ce que plusieurs se rassemblent. Tu me presseras que, ce qui fait difficulté, c’est moins ce genre de choses que la nature de l’homme, du cheval, d’autres choses. Cependant tout d’abord Épicure ni aucun sage du tout ne prétend avoir l’intelligence de la nature de toutes les choses ; ni à plus forte raison des replis intimes d’aucune chose en particulier. Mais alors que la nature d’une chose quelle qu’elle soit ne doit pas être considérée comme étroite1 autant que la définissent ceux qui la constitueront, mais qu’elle est distinctement contenue dans le plus de qualités et de propriétés possibles ; Épicure dit qu’il en résulte que l’homme qui connaît quelques propriétés d’une chose est dit connaître sa nature, et cela certes moins parfaitement [237r] que tel autre qui en connaît plus de propriétés ; mais plus parfaitement cependant que tel autre qui en connaît soit moins, soit une seule ; de telle sorte que la nature intime d’une chose est connue par degrés, mais qu’elle est cependant toujours connue. Prenons l’exemple de l’homme lui-même dont nous n’aurons pas tort de conclure qu’en plus des choses qui apparaissent, il y a en lui une âme, en tirant argument des actions de la vie, telle la sensation, l’action d’avancer et autres ; d’où nous disons qu’il se rapporte à sa nature qu’il ait une âme. Et, connaissant cela, nous sommes dits avoir une notion (certes générale) de la nature humaine. Ensuite de la façon dont nous observons qu’il y a du raisonnement dans l’homme, nous concluons que cette âme doit être raisonnante et que l’homme, par elle, doit être un animal rationnel, et alors que cela aussi se rapporte à la nature de l’homme, nous passons pour connaître plus spécia1 Le manuscrit est ici très difficile à lire, et j’hésite entre angusta et augusta, qui donnent l’un et l’autre un sens qui pourrait être satisfaisant. Contre le copiste du manuscrit Harley qui a augusta (qui pourrait se soutenir mieux si Gassendi avait mis une majuscule à Nature), je choisis cependant angusta, vu le contexte, alors qu’il vient de parler des intimos recessus de la nature.

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ut leges condat, ut iuste ac iniuste agat, et similia innumera, ne memorem quæ vulgo notant, ut loqui illum ac ridere, admirari, et cætera, dum ista, inquam, consideramus, specialius adhuc intimiusque illius naturam introspicimus. Et quod dico de homine dici etiam potest de cæteris rebus quarum naturas intimas magis minusve perspicimus prout illarum proprietatates innotescunt nobis per plura pauciora ve indicia. Quod vero quidpiam consequamur, dum eo nervos intendimus, perspicuum est, quoniam alioquin frustra esset adpetitus ingenitus, inanes essent omnes vigiliæ, irrita omnia instrumenta, vani libri, vani præceptores, vani quotcumque vel incumbent, vel incubuerunt hactenus ad cognoscendum intimius, perfectius, et uberius res quam a rudibus vulgo cognoscuntur. Urgebis forte non propterea illam haberi scientiam quæ demonstratione paratur, seu quæ procedit ex causis veris, primis, immediatis, æternis, et cæteris. Verum Epicurus hanc scientiam concedit Aristoteleis et aliis qui tum demum cum poterunt demonstrationem proferent, qualem descriptam magnifice apud Aristotelem habent. Contentus erit demonstratione quæ, definitore M. Tullio1, ex rebus perceptis ad id quod non percipiebatur adducit ; neque id modo, sed etiam sufficiet illi scientia quæ in rei definitione aut descriptione consistat ; exemplo scilicet Platonis, apud quem nulla est scien-

1 lib. 4. acad.

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lement sa nature. Ensuite, pourvu de considérer la manière dont l’homme examine, par ses raisonnements, des choses cachées, la manière dont il invente arts et techniques, la manière dont il promulgue des lois, la manière dont il agit de façon juste et injuste, et une infinité d’autres choses semblables, pour ne pas rappeler les choses que l’on relève communément, comme le fait qu’il parle et rit, qu’il admire, etc., pourvu de considérer cela, dis-je, nous regardons encore plus distinctement et plus intimement à l’intérieur de sa nature. Et ce que je dis de l’homme peut l’être aussi de toutes les autres choses dont nous percevons plus ou moins la nature intime dans la mesure où leurs propriétés sont connues de nous par plus ou moins d’indices. Mais que nous arrivons à quelque chose quand nous y mettons toutes nos forces, cela est évident, puisque sinon ce serait pour rien que nous avons un appétit inné1, inutiles seraient toutes les veilles, vains tous les instruments, du vent que nos livres, du vent que nos précepteurs, du vent que tous les hommes qui s’attachent ou se sont attachés jusqu’à ce jour à connaître les choses plus intimement, plus parfaitement et plus abondamment qu’elles ne sont connues communément par les illettrés. Tu me presseras peut-être que ce n’est pas pour autant qu’est possédée la science qui s’obtient par la démonstration2, autrement dit qui procède des causes vraies, premières, immédiates, éternelles, etc. Mais Épicure abandonne cette science aux aristotéliciens et autres qui proposeront seulement quand ils le pourront une démonstration telle qu’ils en ont la magnifique description chez Aristote. Épicure se contentera de la démonstration qui, selon la définition qu’en donne M. Tullius3, « un raisonnement qui mène des objets perçus à ceux qui n’étaient pas perçus » ; et bien plus, il se satisfera même de la science qui consiste dans la définition ou la description de la chose ; assurément à l’exemple de Platon, chez qui il n’existe de savoir plus excellent que la 1 Sous-entendu « pour le savoir » ou « pour la vérité ». Je ne l’indique pas dans le texte, pour conserver la force de l’expression, la vigueur et l’évidence de l’ellipse. 2 C’est-à-dire aristotélicienne : Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 3 : « La science est donc une disposition, permettant la démonstration, ayant tous les autres caractères que nous spécifions dans nos Analytiques. Quand on a, de quelque manière, une certitude et que les principes en sont connus, on sait de science sûre ; si l’on ne connaît rien de plus que la conclusion du syllogisme, la science que l’on possède aura un caractère accidentel. » Pour une semblable raillerie, voir Lettres latines, à Mersenne du 2 novembre 1635 n° 81 : « […] Aristote qui a dépeint une démonstration telle qu’il n’a pu jamais en faire aucune ». Et surtout les Exercitationes, Livre II, Diss. 5, art. 1 (182a-183b) (éd. Rochot, pp. 386-392). 3 Cicéron, Académiques II, viii, 26.

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tia definitione rei præstantior sit. Sic dicet hominem acquirere scientiam cum in rerum ignoratarum notitiam perveniet, et maxime cum desinet ob acquisitam admirari. Nisi fortasse Periclem nihil amplius scientiæ quæsivisse dices quam e turba milites, qui ob eclipsim consternabantur, cum ille eos erigeret caussam quam noverat exponens. Uno verbo scientia Epicuro erit, et ea quidem germana scientia, seu ea per demonstrationem, seu per definitionem habeatur, et sive sciatur caussa per effectum, sive effectus per caussam ; quomodocumque enim contingat, [237v] abiget ignorantiam cui oppositam esse scientiam constat. Obiter vero adnota scientiam quæ dicitur per caussam nihilo videri perfectiorem ea quæ per effectum paritur, cum quisquis demonstrat effectum per caussam nosse prius debeat caussam per effectum, ea lege qua prius solemus perspicere quod familiarius quaque effectus percellunt nos ut investigemus caussas de quibus fortassis ne cogitaremus quidem. Sed his prætermissis inquires quid ex Epicuro responderi valeat ad modos illos Epoches, qui sunt ex Scepticis allati. Videtur autem universe responderi posse eandem quidem rem diversimode adparere et variis animalibus, et variis hominibus, et uni etiam homini secundum sensus varios et adfectationes varias (qui primi quatuor modi sunt) ; verum cum tam variæ phantasiæ, sive adparentiæ creentur, iudicari tamen in re, sive obiecto quolibet generalem quandam caussam quæ iis omnibus præstandis sufficiat. Unde et tametsi effectus conformes inter se non sint, nihilominus duo quædam sunt, quæ et certa esse et facto examine comprobari vera possunt : alterum est caussam in obiecto esse eandem, alterum est dispositiones in facultatibus diversas, ut dum sole indurante lutum et liquefaciente ceram, unum in sole calorem, et in luto humorem mærum, in cera pinguem agnoscimus ; adeo proinde ut labor dumtaxat supersit in uniformitate unius et difformitate cæterorum investiganda.

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définition de la chose1. Ainsi dira-t-il que l’homme acquerra le savoir quand il parviendra à la connaissance des choses ignorées, et surtout quand il cessera d’être dans l’étonnement devant le savoir déjà acquis. À moins que tu ne dises peut-être que Périclès n’a pas recherché à savoir plus que les simples soldats qui étaient anéantis à cause d’une éclipse, alors qu’il les remit debout en leur en exposant la cause, qu’il connaissait2. En un mot, pour Épicure, il y aura savoir, et même savoir authentique, qu’il se gagne par la démonstration, ou par la définition, que la cause soit connue par l’effet, ou l’effet par la cause ; mais quelle que soit la manière dont cet heureux événement se produira, [237v] il dissipera l’ignorance à laquelle il est établi que la science s’oppose. Mais note en passant que la science qui est dite par la cause n’est en rien plus parfaite que celle qui est produite par l’effet, vu que tout homme qui démontre l’effet par la cause doit d’abord connaître la cause par l’effet, selon la règle qui veut que nous percevions d’ordinaire en premier ce qui est plus familier et que les effets nous causent un ébranlement tel que nous nous lancions dans l’investigation de causes dont nous n’avions peut-être même jamais imaginé l’existence. Mais cela étant dit au préalable, diras-tu, qu’est-ce qui peut être répondu, d’après Épicure, à ces modes de l’Époché, que j’ai rapportés d’après les sceptiques. Or il semble que l’on puisse leur répondre en général que sans doute la même chose revêt une apparence différente d’un animal à l’autre et d’un homme à l’autre et, pour un seul homme aussi, d’un sens à l’autre et d’une affection à l’autre (ce sont les quatre premiers modes), mais que, même s’il se crée tant de phantaisies ou apparences différentes, l’on juge cependant qu’il y a dans la chose, ou objet, une cause générale qui suffit à répondre de tous. De là, même si les formes des effets ne coïncident pas, il y a cependant deux choses, qui peuvent être certaines et qui, examen fait, peuvent être reconnues pour vraies. La première est que la cause est une dans l’objet, la seconde que les dispositions sont différentes d’une faculté à l’autre ; comme quand, quoique le soleil durcisse la boue et liquéfie la cire, nous identifions dans le soleil une unique chaleur, ainsi que dans la boue une humeur pure, mais une humeur grasse dans la cire ; de telle sorte donc qu’il ne nous reste que l’effort de l’investigation sur l’unité de forme du premier et la variation de forme des autres. Sans doute l’homme qui parvient [à mener à bien cette investigation] 1 Voir par exemple Théétète 147b. 2 Plutarque, Vie de Périclès, XXXV.

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Nimirum si quis adsequatur, nihilo censebitur minus et rei naturam perspectam habere et scientiæ proinde esse particeps. Exempli caussa, quoniam exemplum de saporibus familiare est, constare potest saporum omnium generalem causam ipsum esse sal, si constet omnia effici insipida sale detracto. Et quia sal multiplex est varieque temperari potest, evenire potest ut alia ratione temperetur in melle, alia in absynthio, et sic utrumque seorsim sit specialis cuiusdam saporis, quantumcunque is varietatem pro varietate gustuum subeat. Potest aliunde quoque constare non omnem palatum neque omnem linguam eadem ratione conformari ; si præsertim æquum videatur ut quæ in fronte, naso, genis, et reliqua facie diversitas est, eadem in aliis partibus, ac nominatim in lingua et palato admittatur. Porro ubi in istis fuerit contexturæ diversitas, fieri non potest ut idem sal eandem affectionem caussetur ; cum enim corpuscula salis quæ humore exsolvuntur suæ cuiusdam figuræ sint, ut suo infra loco declarabimus, necesse est ut ea recepta in meatulis organi, qui et ipsi suæ sunt figurationis, gratum sui sensum causentur, ubi admittentur in meatulos consimiliter figuratos, ingratum in alios, quos nempe suis angululis non demulcebunt, sed discerpent. Quamobrem inde etiam constabit unde ex uniformi causa tanta generetur adparentiarum diversitas. Quod idem plane [238r] est dicendum de odoribus, de coloribus, de sonis, et cæteris, quamquam hæc non possunt hoc loco breviter et perspicue dici, pendentque ex iis quæ in Physicis sunt ex professo edisserenda. Satis heic esto non posse quidem eam qualitatem, quæ uni adparet, ipsissimam dici quæ sit in obiecto, cum aliæ aliis adpareant, quæ idem iuris vendicarent, verum dici posse obiectum esse revera uniusmodi et varias adparentias suam habere necessitatem, adeo proinde ut nihil vetet certitudinem habere et scientiam.

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n’en sera pas moins estimé avoir l’intelligence de la nature de la chose et donc avoir une part de savoir. Par exemple, puisque l’exemple des saveurs est familier, il peut être établi que la cause générale de toutes les saveurs est le sel lui-même, s’il est établi que, si l’on ôte le sel, tout est rendu insipide1. Et parce que le sel est multiple et peut être diversement composé, il peut arriver qu’il soit composé dans le miel selon telle proportion, dans l’absinthe, selon une autre, et ainsi, quelle que soit sa saveur particulière quand il est pris séparément, il en reçoit une variété quelconque en fonction de la diversité des goûts. Il peut par ailleurs être établi que tous les palais et toutes les langues n’ont pas la même conformation ; si surtout il semble juste d’admettre que la diversité qui concerne le front, le nez, les joues et le reste du visage concerne pareillement aussi les autres parties, et notamment la langue et le palais. De plus vu la diversité de contexture entre eux, il ne peut se faire que le même sel cause la même affection. En effet, alors que les corpuscules de sel qui sont détachés par le liquide sont d’une certaine figure, comme nous l’expliquerons ci-dessous en son temps, il est nécessaire que, se réceptionnant dans les petits passages d’un organe qui sont dotés eux aussi de sa configuration propre, ils causent une sensation agréable ; puisqu’ils pénètrent par de petits passages qui ont pareille figure, mais désagréable dans les autres que leurs petits angles ne caresseront pas, mais déchireront. C’est pourquoi il sera par là également établi comment il se fait qu’une si grande diversité des apparences soit générée par une cause uniforme. Et il faut tenir tout à fait les mêmes raisonnements [238r] sur les odeurs, les couleurs, les sons et tout le reste, quoiqu’ils soient à mener à bien ici rapidement et clairement, et qu’ils reposent sur de ce dont il faudra traiter ouvertement dans la Physique. Qu’il suffise [de dire] ici que la même qualité qui apparaît à l’un ne peut être absolument identifiée à celle qui est dans l’objet, puisque pour d’autres ce sont d’autres qualités qui apparaissent, lesquelles affichent de droit la même prétention, mais qu’il peut être dit que l’objet est en réalité d’une seule nature et que ses différentes apparences ont leur nécessité de telle sorte que rien n’interdit d’arriver à la certitude et à la science. On peut maintenant apporter la même réponse, par analogie, pour les autres modes. Assurément, la position, la distance, le lieu, le mélange, la 1 Combinaison plaisante d’une réflexion scientique et d’un exemple tiré des évangiles, pour cette raison présenté comme « familier », Gassendi étant communément amené à prêcher sur le Sermon sur la montagne.

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Iam circa alios modos idem proportione potest responderi. Siquidem positio, intervallum, locus, admistio, constitutio, quantitas, raritas, frequentia, et si quæ sunt huiusmodi, non obstant quin res sint revera res aliquæ et necessitate quadam caussentur varias adparentias. Potest autem necessitas huismodi non ignorari, adeo ut possit aliquid veri certique haberi et sciri. Quippe illud exempli gratia de varietate colorum pendet ex cognitione causæ creantis colores, quæ si comprobetur esse lux, congruum evadit ut pro variis lucis gradibus, refractionibus, admistionibusque umbrarum color necessario varietatem subeat. Sic ratione intervalli necessitas est quæ efficiat ut res quadrata rotunda adpareat, magna parva, et cætera, ut res suis locis sunt fusius dicendæ. Quin ille etiam decimus ac moralis modus dependet quamplurimum ex physica caussa, ac principio illo quod cum animus sequatur corporis temperamentum, consequens videatur ut temperamentis adeo diversis existentibus diversa etiam placeant, nec omnibus eadem probentur. Quod tres alios modos spectant, pertinent illi non tam ad rem quam ad argumentandi formam ; unde illos ob eam causam dumtaxat adteximus, ut allaturi argumenta quæ adversus veritatem illiusque criteria fiunt, intelligi exinde possent. Ad illa vero quidnam dicamus ? Profecto cum obiicitur veritatem, signum, criterium a quo, per quod, secundum quod, aut cum demonstratione, sive sine demonstratione proponi, dicere possumus imprimis demonstrationem nos habere non Aristoteleam illam, aut quæ præviam disquisitionem signi, criterii, similiumque ad amussim exigat, sed quam vulgo omnes homines cordati beneque adfecti admittant pro ratione consentanea et cui contradici nisi animo contradicendi non possit. Nimirum in illa perstandum videtur, nec abeundum in infinitum, aut diallelus extimescendus, aut curanda cætera quæ subtilitate potius quam stabilitate colligi videntur. Deinde respondere licet demonstrationem non adhiberi quando ea sunt adeo evidentia ut enunciatione sola opus

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constitution, la quantité, la rareté, la fréquence et toutes les autres choses de ce genre s’il y en a n’empêchent pas que les choses soient réellement des choses et causent, en vertu de quelque nécessité, des apparences variées. Or une telle nécessité peut ne pas rester ignorée, de telle sorte qu’il est possible de tenir et de savoir quelque chose de vrai et de certain. Car ce [raisonnement] par exemple sur la variété des couleurs repose sur la connaissance de la cause créant les couleurs si bien que, s’il est avéré que c’est la lumière qui est la cause, il devient logique que la couleur subisse nécessairement des variations en fonction des différents degrés de lumière, de réfractions et de mélanges d’ombres. De même, par rapport à la distance, il y a une nécessité qui fait en sorte qu’une chose carrée apparaisse ronde, grande, petite, etc., comme il faudra traiter plus longuement de ces questions chacune en son temps. Et bien plus, le dixième mode, moral, repose le plus possible sur la cause physique et sur ce principe selon lequel, alors que l’esprit suit la complexion du corps, il semble aller de soi qu’aux complexions tellement diverses qui existent plaisent aussi des choses diverses, et que les mêmes choses ne soient pas goûtées de tous. Pour ce qui est des trois autres modes, ils portent moins sur une réalité que sur la forme de l’argumentation ; d’où la seule et unique raison que nous avons eue de les ajouter, c’est pour qu’ils servent à comprendre ceux qui apporteront les arguments qui se font contre la vérité et ses critères. À ces arguments cependant, que devons-nous répondre ? Assurément à l’objection selon laquelle la vérité, le signe, le critère « au moyen duquel », « par lequel », « selon lequel » sont proposés ou bien avec démonstration soit sans démonstration, nous pouvons dire premièrement que la démonstration dont nous disposons n’est pas la démonstration aristotélicienne, autrement dit celle qui exige une recherche préalable de signe, de critère et autres semblables tirée au cordeau, mais celle que les hommes sensés et bien disposés admettent communément en bonne logique et à laquelle il ne peut être apporté de contradiction que par esprit de contradiction. Assurément il semble qu’il faille s’en tenir à celle-là, sans s’en aller à l’infini, craindre le diallèle ou se soucier de tout le reste dont la spéculation semble relever de la subtilité plutôt que de la stabilité1. Ensuite il est permis de répondre que la démonstration ne s’applique pas à des matières si évidentes qu’elles ont besoin seulement d’être énoncées. Mais quand nous sommes attaqués au titre que nous 1 L’opposition de Gassendi entre les deux substantifs répond plutôt aux exigences de l’oreille que de l’esprit dans une phrase qui est surtout une charge rhétorique amusée.

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habeant. Cum vero urgemur fidem non mereri, et contrarium enunciari ac supponi posse ab eo qui contra insistet, ferendum est nobis ut ille enunciet ac [238v] supponat quantum lubuerit, cum neque curare debeamus si dicentibus nobis diem esse, aut solem esse lucidum quis non roget an demonstrando, an non demonstrando dicamus, ut nisi demonstrationem protulerimus fide nos carere convincat. Verum ista omnia uberius ex sequentibus solvenda occurrunt. Quamobrem restat ut adtexamus egregium locum Senecæ1qui librum totum quadam quasi anacephaleosi concludat : Audi, inquit, quantum mali faciat nimia subtilitas, et quam infesta veritati sit. Protagoras ait de omni re in utramque partem disputari posse ex æquo, et de hac ipsa, an omnis res in utramque partem disputabilis sit. Nausiphanes ait ex his, quæ videntur esse, nihil magis esse quam non esse. Parmenides ait ex his, quæ videntur, unum esse universa. Zenon Eleates omnia negotia de negotio deiecit : ait nihil esse. Circa eadem fere Pyrrhonii versantur et Megarici et Eretrici et Academici, qui novam induxerunt scientiam, nihil scire. Hæc omnia in illum supervacuum studiorum liberalium gregem coniice. Illi mihi non profuturam scientiam tradunt ; hi spem omnem scientiæ eripiunt. Satius est supervacua scire quam nihil. Illi non præferunt lumen, per quod acies dirigatur ad verum ; hi oculos mihi effodiunt. Si Protagoræ credo, nihil in rerum natura est nisi dubium ; si Parmenidi, nihil est præter unum ; si Zenoni, ne unum quidem. Quid ergo nos sumus ? Quid ista, quæ nos circumstant, alunt, sustinent ? Tota rerum natura umbra est aut inanis aut fallax. Non facile dixerim, utrum magis irascar illis, qui nos nihil scire voluerunt, an illis, qui ne hoc quidem nobis reliquerunt, nihil scire. Tantum Seneca.

1 epist. 88

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n’emportons pas l’adhésion et que l’inverse peut être énoncé et supposé par celui qui nous presse d’arguments contraires, il nous faut supporter qu’il énonce et [238v] suppose autant qu’il lui plaît ; alors que nous ne devons pas nous soucier si, alors que nous disons qu’il fait jour ou que le soleil est brillant, quelqu’un nous demande1 si nous le disons au terme d’une démonstration ou non, de telle sorte qu’il convainc que nous manquons de moyen de faire foi si nous n’avons pas apporté une démonstration. Mais ces objections me semblent devoir être résolues plus abondamment grâce à ce qui suit. C’est pourquoi il nous reste à ajouter ce remarquable passage de Sénèque qui conclut tout le livre par une sorte de récapitulation : « Apprends », ditil2, « combien la subtilité poussée à l’excès fait de mal, combien elle attente à la vérité. Protagoras dit qu’on peut soutenir également le pour et le contre dans toute question, à commencer par celle-ci : en toute question, le pour et le contre sont-ils soutenables ? Nausiphane prétend que la non existence des objets qui paraissent exister n’est pas moins probable que leur existence. Parménide affirme que parmi les propriétés qui paraissent appartenir à l’univers aucune ne lui appartient réellement. Enfin Zénon d’Élée, vidant le débat, dénie l’existence à toute chose. Tels sont à peu près les sentiments des pyrrhoniens, des mégariques, des érétriens, des académiciens, qui ont introduit une science nouvelle : ne rien savoir. Relègue ce fatras dans le tas des choses inutiles qu’enseignent les arts libéraux. Les uns m’offrent une science qui e me sera d’aucun profit ; les autres m’enlèvent l’espérance d’arriver sur aucun point au savoir ; encore vau-il mieux savoir des choses inutiles que de tout ignorer. Ceux-là ne me présentent pas les lumières qu’il faut à ma vue pour aller au vrai ; ceux-ci me crèvent les yeux. Si je m’en rapporte à Protagoras, il n’est rien dans l’ordre des choses naturelles qui ne prête au doute ; à Nausiphane, l’unique certitude, c’est que rien n’est certain ; à Parménide, l’Un seul existe ; à Zénon, l’Un même n’existe pas. Que sommes-nous donc, que sont tous ces objets qui nous entourent, nous alimentent, nous soutiennent ? La nature est ou une ombre sans corps ou l’ombre d’un corps qui nous échappe. J’aurais peine à dire à qui j’en veux le plus, à ceux qui nous refusent toute possibilité de rien connaître, ou à ceux qui ne nous laissent même pas la consolation de l’ignorance ». Ici s’arrête Sénèque.

1 Je supprime la négation, non, pour laquelle je ne trouve pas de sens satisfaisant. 2 Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXVIII, 43-46.

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[239r]

LIBER UNDECIMUS : DE CRITERIIS VERITATIS SPECIALITER

1. De sensu criterio primo Acturi iam specialius de veritatis criteriis merito ordimur a sensu, quoniam ipse est quo primum venamur adsequimurque rerum notitiam. Præmonendum vero hic est, quod supra quoque notavimus, nomine sensus nunc facultatem, nunc actionem intelligi. Nimirum ita Epicurus apud Plutarchum distinxit mendoso illo quidem, sed, ut minima tamen fiat immutatio, in hunc sensum legendo loco τὸ μόριον (supple τῆς ψυχῆς, veluti suo loco declarabitur) ἐστιν αἴσθησις, ἥτις ἐστὶν ἡ δυνάμις, καὶ τὸ ἐπαίσθημα, ὅπερ τὸ ἐνέργημα· ὥστε διχῶς παρ’αὐτῷ λέγεσθαι, αἴσθησιν μὲν τὴν δύναμιν, αἰσθητὸν δὲ τὸ ἐνέργημα : pars animæ ipse est sensus, qui facultas est quæpiam, ac ipsa quoque sensio, scilicet operatio ; adeo ut sensus apud ipsum bifariam dicatur, facultas sentiendi, et sentiendi functio. Id certe consequens videtur ad id quod Plutarchus de Stoicis præmiserat asserentibus sensum πολλαχῶς, multifariam, dici, ut puta quasi habitum, quasi facultatem, et quasi actionem. Utcunque sit autem, hoc præmoneo ut seu Epicurus, seu Lucretius, seu alius nomine sensus indiscriminatim nunc pro facultate, nunc pro actione utatur, distinguere valeas, ubi opus fuerit. Nempe hac de causa nos quoque aliquando sensionis vocem, duriusculam licet, usurpabimus ut omnis confusio vitetur. Repeterem hic sensionem speciatim, et phantasiam generatim, quod veritatem adtinet in eadem esse conditione. Verum res est ante satis inculcata et deducenda potius occurrit circa Canones de primo criterio ita instituendos.

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[239r]

LIVRE XI SPÉCIALEMENT SUR LES CRITÈRES DE LA VÉRITÉ

1. Sur le sens, premier critère Sur le point de traiter maintenant des critères de la vérité, nous commençons à juste titre par le sens, puisque c’est par lui que nous traquons et obtenons la connaissance des choses. Mais il faut prévenir ici à l’avance, point que nous avons déjà signalé ci-dessus, que sous le nom de sens c’est tantôt une faculté, tantôt une action qui est comprise. Assurément c’est la distinction qu’Épicure a faite chez Plutarque1, dans un passage corrompu certes mais qui, à condition d’une transformation minimale, doit être lu dans le sens suivant, τὸ μόριον (rétablis τῆς ψυχῆς, comme nous l’expliquerons en son temps) ἐστιν αἴσθησις ἥτις ἐστὶν ἡ δυνάμις, καὶ τὸ ἐπαίσθημα, ὅπερ τὸ ἐνέργημα· ὥστε διχῶς παρ’αὐτοῷ λέγεσθαι, αἴσθησιν, μὲν τὴν δύναμιν, αἰσθητὸν, δὲ τὸ ἐνέργημα : « Fait partie de l’âme le sens lui-même, qui est une faculté, ainsi que la sensation, c’est-à-dire son opération ; de telle sorte que, chez Épicure, le sens revêt une double acception, étant à la fois faculté de sentir et exécution de l’acte de sentir ». Cela certes semble être la conséquence de ce que Plutarque avait dit au préalable2 des stoïciens affirmant que le sens est dit πολλαχῶς, « avoir plusieurs acceptions, à savoir qu’il peut s’agir d’une disposition, d’une faculté ou d’un acte ». Mais quoi qu’il en soit, je t’en préviens ici par avance pour que, qu’Épicure, Lucrèce, ou un autre utilise le nom de sens indifféremment pour désigner tantôt une faculté, tantôt une action, tu puisses faire la distinction quand tu en auras besoin. C’est bien sûr pour la même raison que nous recourrons nous aussi quelquefois au mot un peu plus rude de sensation, de manière à éviter toute confusion. Je reviendrais ici sur le fait que la sensation en particulier et la phantaisie en général sont, par rapport à la vérité, dans la même condition. Mais la chose a été déjà assez martelée, et il me vient à l’esprit qu’il faut plutôt l’amener aux canons à formuler comme il suit pour le premier critère. 1 Plutarque, Opionions des philosophes, IV, 8, 899 d. Traduction modifiée. 2 Plutarque, Opionions des philosophes, IV, 8, 899d. Traduction modifiée.

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Canon primus : Sensus nunquam fallitur, ac proinde est omnis sensio, omnisque adeo phantasia vera Ita frequenter Epicurus apud Ciceronem, Plutarchum, Empiricum, Lærtium, et apud quos non πᾶσαν αἴσθησιν καὶ πᾶσαν φαντασίαν ἀληθῆ ὑπάρχειν, μὴ ψεύδεσθαι, et cætera. Ut autem qua de veritate id pronuntiet intelligas, ac simul eam absurditatem, qua infamari prima fronte Canon videtur, suspectam habeas, sciendum est duplex [239v] ab Epicuro distingui cognitionis genus. Quippe alia cognitio est simplex quædam adprehensio, alia vero iudicium. Et simplex quidem adprehensio est cum res nuda cognoscitur et nihil penitus de ea vel adfirmatur vel negatur, ut si quis Platonem ita videat sive cogitet, ut dicat illum esse hoc aut non esse illud. Iudicium vero est quoties res ita cognoscitur ut quidpiam de ea adfirmetur vel negetur, ut si cogitando Platonem dicatur Plato est homo, vel Plato non est bellua. Rursus simplex adprehensio subdistinguitur ; alia enim sensu fit, alia vero mente ; sensu ut dum color obiicitur visui, sonus auditui, odor olfactui, ita ut sensio quædam creetur ; mente quoties species cuiuslibet rei seu sensibilis, seu intelligibilis in illam ita incidit ut cogitatio rei sequatur. Iudicium autem est etiam duplex, opinio puta, et ratio. Et opinio quidem est iudicium præceps, seu absque prævio examine, veluti si quis visa re, quæ oculo curva appareat, pronuntiet statim eam esse curvam ; ratio vero iudicium maturum, ut si quis visa eadem re curva non statim curvam pronuntiet, sed cum facto examine disquisitisque omnibus compererit nihil repugnare. Iam quod spectat quidem ad iudicium ac opinionem potissimum dictum est supra, ut veritas, aut falsitas illi conveniat. Neque hoc Epicurus negat,

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Premier canon : Le sens ne se trompe jamais ; et donc ainsi chaque sensation, et chaque phantaisie est vraie. C’est ainsi que [s’exprime]1 fréquemment Épicure chez Cicéron, Plutarque, Sextus Empiricus, Diogène Laërce et chez lesquels on ne lit pas2 πᾶσαν αἴσθησιν καὶ πᾶσαν φαντασίαν ἀληθῆ ὑπάρχειν, μὴ ψεύδεσθαι, « toute sensation et toute phantaisie sont vraies et ne trompent pas » etc. Mais pour que tu comprennes sur quelle vérité Épicure s’exprime, et en même temps que tu tiennes pour suspecte la réputation d’absurdité qui a été faite d’emblée à ce canon, il faut savoir [239v] qu’Épicure a distingué deux genres de connaissance. Car l’une est une sorte d’appréhension simple, mais l’autre un jugement. Et il y a appréhension simple quand c’est la chose nue qui est connue, sans qu’absolument rien soit affirmé ou nié sur elle, comme quand quelqu’un voyant Platon ou pensant à lui dit qu’il est ceci ou n’est pas cela. Mais il y a jugement toutes les fois que la chose est connue de façon telle que quelque chose est affirmé ou nié à propos d’elle, comme si, en pensant à Platon, l’on dit « Platon est un homme » ou « Platon n’est pas une bête ». L’appréhension simple est à son tour subdivisée ; l’une se fait selon le sens, et l’autre se fait selon l’esprit ; elle se fait selon le sens quand une couleur se présente à la vue, un son à l’ouïe, une odeur à l’odorat, de telle sorte qu’il se crée une sensation ; elle se fait selon l’esprit chaque fois que l’apparence d’une chose, sensible ou intelligible, y pénètre de façon telle qu’il s’ensuit une pensée sur la chose. Or le jugement est lui aussi double, entre l’opinion et la raison. Et certes est opinion le jugement précipité, c’est-à-dire sans examen préalable, comme quand quelqu’un, ayant vu une chose qui apparaît courbe à son œil, prononce aussitôt qu’elle est courbe ; mais est raison le jugement mûr, comme quand quelqu’un voyant la même chose courbe ne prononce pas aussitôt qu’elle est courbe, mais, examen fait et toutes choses explorées, aura découvert que rien ne s’oppose [à ce qu’elle le soit]. À présent pour ce qui regarde le jugement et l’opinion surtout, il a été dit ci-dessus que c’est à eux que la vérité et la fausseté se rapportent. Car c’est 1 L’ellipse du verbe est ici significative : de fait la formulation du canon ne se trouve nulle part. 2 Je ne sais pas interpréter autrement cette relative. Mais de fait, la phrase grecque ne se trouve littéralement chez aucun de ces auteurs même si son sens et présent effectivement chez Cicéron, La Nature des dieux, I, xxv, 70 ; De finibus, I, xix, 64 ; Académiques, II, xxvli, 82 ; Plutarque, Contre Colotès, 1109A ; Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 203 sqq. ; VIII, 9 ; VIII, 63 ; Diogène Laërce, X, 32.

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sed adserit potius ut postea dicetur. Quod spectat vero ad simplicem nudamve rei adprehensionem censet Epicurus nullam falsitatem in eam cadere, esse vero eiusmodi, ut cum veram existendi causam habeat, competat illi veritas quam existentiæ diximus, cuique falsitas opponitur nulla. Quocirca et cum omnis sensio omnisque phantasia sit ex genere apprehensionum simplicium, mirum non est si veritatem utriusque tuendam suscipiat. Sed adducendæ sunt rationes quibus ad hoc inducitur. Prima extat apud Lærtium1, dum πᾶσα, inquit, αἴσθησις ἄλογος ἐστι, καὶ μνήμης οὐδεμίας δεκτική : omnis sensus est irrationalis, neque memoriæ ullius capax, quasi dicat quod hisce verbis habet apud Empiricum2  : αἰσθήσεως ἴδιον ὑπῆρχε τοῦ παρόντος μόνον, καὶ κινοῦντος αὐτὴν ἀντιλαμβάνεσθαι, οἷον χρώματος, οὐχι δὲ διακρίνειν ὅτι ἄλλο μέν ἐστι τὸ ἐνθάδε ἄλλο δὲ τὸ ἐνθάδε ὑποκείμενον : sensus proprium est, illum solum, quod est præsens quodque ipsum movet adprehendere, exempli gratia, colorem, non vero discernere aliud quidem esse quod hic, aliud quod illic subiicitur. Unde rursus apud Lærtium οὔτε γὰρ ὑφ’αὑτῆς κινεῖται, οὔτε ὑφ’ἑτέρου κινηθείσα δύναται (videtur pro ἀδυνατοῦ) τι προσθεῖναι, ἢ ἀφελεῖν· neque enim aut a seipso movetur, aut ab alio motus potest quidpiam vel addere, vel adimere. Consistit proinde hæc [240r] ratio in eo quod, cum sensus non ratiocinetur, idque defectu memoriæ qua sensiones sui varias comparare inter se possit ; cum res perceptæ sic illum adficiant, ut necessario tales adprehendat, neque possit functiones suas, quidpiam addendo aut detrahendo alias facere ; cum denique in recipiendis rerum imaginibus mere passive se habeat et adprehendat quidem illas, sed non iudicet tamen illarum subiectum huiuscemodi esse aut non esse, eapropter sensus non fallitur, sed verus sit ea veritate quæ

1 lib. 10. in can???????????????????????????????. 2 lib. adv. log.

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un point qu’Épicure ne nie pas, mais qu’il affirme plutôt, comme cela sera dit plus loin. Mais pour ce qui regarde l’appréhension simple ou nue de la chose, Épicure juge qu’aucune fausseté ne la concerne, mais qu’elle est d’un genre tel que, dès lors qu’elle a la vraie cause d’exister, il lui revient la vérité que nous avons définie comme la vérité de l’existence, à laquelle ne s’oppose aucune fausseté. C’est pourquoi, alors que toutes les sensations et toutes les phantaisies appartiennent au genre des appréhensions simples, il n’est pas étonnant qu’il soutienne qu’il faut défendre la vérité des unes comme des autres. Mais il faut introduire les raisonnements par lesquels il est amené à cette conclusion. La première se lit chez Diogène Laërce quand il dit1 πᾶσα αἴσθησις ἄλογος ἐστι, καὶ μνήμης οὐδεμίας δεκτική : « Toute sensation est irrationnelle et incapable de mémoire », comme le dit ce qu’il l’expose en ces termes chez Sextus Empiricus2 αἰσθήσεως ἴδιον ὑπῆρχε τοῦ παρόντος μόνον, καὶ κινοῦντος αὐτὴν ἀντιλαμβάνεσθαι, οἷον χρώματος, οὐχι δὲ διακρίνειν ὅτι ἄλλο μέν ἐστι τὸ ἐνθάδε ἄλλο δὲ τὸ ἐνθάδε ὑποκείμενον : « Mais il appartient au sens de ne percevoir que ce qui est présent et qui le meut, par exemple une couleur, mais de ne pas discerner que l’objet qui se trouve ici diffère de celui qui se trouve là ». D’où encore chez Diogène Laërce3 οὔτε γὰρ ὑφ’αὑτῆς κινεῖται, οὔτε ὑφ’ἑτέρου κινηθείσα δύναται (me semble-t-il à la place de ἀδυνατοῦ) τι προσθεῖναι, ἢ ἀφελεῖν : « en effet, il n’est pas mu par lui-même, et lorsque quelque autre chose le meut, il n’est pas capable d’y ajouter ou d’en retrancher quoi que ce soit ». Par conséquent son raisonnement consiste [240r] en ceci qu’alors que le sens ne raisonne pas, et cela faute d’avoir une mémoire par laquelle il puisse comparer entre elles ses différentes sensations ; qu’alors que les choses perçues l’affectent de telle sorte qu’il les appréhende nécessairement sous cet aspect et qu’il ne peut modifier l’exécution de son acte de sentir en leur ajoutant ou en leur retirant quelque chose ; alors qu’enfin il se comporte de façon purement passive dans le fait de recevoir les images des choses et que, s’il les appréhende, il ne juge pas que leur substrat est ceci ou cela, voilà pourquoi le sens ne se trompe pas, mais est vrai de cette vérité qui est appelée de l’existence. Je passe sur le fait qu’Aristote suggère le même raisonnement, quand il enseigne quelquefois que4 « le sens ne se trompe pas sur son objet propre », 1 2 3 4

Diogène Laërce, X, 31. Traduction modifiée. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 210. Diogène Laërce, X, 31. Traduction modifiée. Aristote, De l’âme, II, vi, 418a ; III, iii, 428b.

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existentiæ dicta est. Prætereo Aristotelem eandem rationem insinuare, cum docet1 aliquoties non errare sensum circa obiectum proprium, et utitur quidem verbo iudicandi, sed ea voce nihil aliud quam perceptionem significat, vel adprehensionem propriæ qualitatis sensibilis, quando iudicium non extendit ad illius usque subiectum. Nempe errorem esse vult non quod visus colorem percipiat, vel auditus sonum, sed quod pronuntietur cuiusmodi, aut ubi sit subiectum coloratum, vel sonans ; quod quidem fieri negat a sensu circum proprium sensibile. Secunda ratio (quæ et priorem magis declarat) ita habet apud eundem Lærtium – καὶ τὸ τὰ ἐπαισθήματα δ’ὑφέσταναι πιστοῦται τὴν τῶν αἰσθήσιων ἀλήθειαν. ὑφέστηκε δὲ τὸ ὁρᾶν ἡμᾶς καὶ ἀκόυειν, ὥσπερ τὸ ἀλγεῖν : sed et veritatem sensuum id confirmat, quod sensiones reipsa existant, perinde quippe et videre et audire nos ac dolere vere constat. Id fusius apud Empiricum ; sed iam auditur nomen phantasiæ - ὡς γὰρ τὰ πρῶτα πάθη, τουτέστιν ἡδονὴ καὶ πόνος, ἀπὸ ποιητικῶν τινῶν καὶ κατ’ αὐτὰ τὰ ποιητικὰ συνίσταται, οἷον ἡ μὲν ἡδονὴ ἀπὸ τῶν ἡδέων, ἡ δὲ ἀλγηδῶν ἀπὸ τῶν ἀλγεινῶν, καὶ οὔτε τὸ τῆς ἡδονῆς ποιητικὸν ἐνδέχεταί ποτε μὴ εἶναι ἡδὺ οὔτε τὸ τῆς ἀλγηδόνος παρεκτικὸν μὴ ὑπάρχειν ἀλγεινόν, ἀλλ’ ἀνάγκη καὶ τὸ ἧδον ἡδὺ καὶ τὸ ἀλγῦνον ἀλγεινὸν τὴν φύσιν ὑποκεῖσθαι, οὕτω καὶ ἐτὶ τῶν φαντασιῶν, παθῶν περὶ ἡμᾶς οὐσῶν, τὸ ποιητικὸν ἑκάστης αὐτῶν πάντῃ τε καὶ πάντως φανταστόν ἐστιν, ὃ οὐκ ἐνδέχεται, ὂν φανταστόν, μὴ ὑπάρχειν κατ’ ἀλήθειαν τοιοῦτον οἷον φαίνεται, ποιητικὸν φαντασὶας καθεστάναι. καὶ ἐπὶ τῶν κατὰ μέρος τὸ παραπλήσιον χρὴ λογίζεσθαι. τὸ γὰρ ὁρατὸν οὐ μόνον φαίνεται ὁρατόν, ἀλλὰ καὶ ἔστι τοιοῦτον ὁποίον φαίνεται· καὶ τὸ ἀκουστὸν οὐ μόνον φαίνεται ἀκουστόν ἀλλὰ καὶ ταῖς ἀληθείαις τοιοῦτον ὑπήρχεν, καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων ὡσαύτως. γίνονται οὖν πᾶσαι αἱ φαντασίαι ἀληθεῖς καὶ κατὰ λόγον : sicuti enim primæ passiones, voluptas puta et molestia, pendent a quibusdam causis illas efficientibus, ac propter [240v] ipsas causas in re constant (videlicet voluptas pendet a rebus iucundis, molestia vero a molestis), et neque contingit illud, quod efficiens voluptatis est, non esse iucundum, neque quod exhibit molestiam non esse molestum, sed necesse est quod voluptatem creat iucundum, quod molestiam molestum secundum naturam sit, eadem ratione circa passiones phantasiarum quæ fiunt in nobis, quidquid cuiuslibet illarum

1 lib. 2. an. cap. 6 et lib. 3. cap. 3

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et il utilise certes le verbe « juger » ; mais par ce mot il ne veut rien dire d’autre que la perception ou l’appréhension de la qualité sensible propre quand le jugement ne s’étend pas jusqu’à son substrat. Car il veut que soit une erreur non pas le fait que la vue perçoit une couleur, ou l’ouïe un son, mais le fait que ladite couleur ou ledit son soit prononcé être d’une certaine sorte, ou bien l’endroit où se trouve le sujet coloré, ou sonnant, et cela assurément il nie que cela se produise à partir du sens à propos d’un sensible propre. Le deuxième raisonnement (qui éclaire davantage le premier) se trouve sous la forme suivante chez le même Diogène Laërce1 καὶ τὸ τὰ ἐπαισθήματα δ’ὑφέσταναι πιστοῦται τὴν τῶν αἰσθήσιων ἀλήθειαν. ὑφέστηκε δὲ τὸ ὁρᾶν ἡμᾶς καὶ ἀκόυειν, ὥσπερ τὸ ἀλγεῖν : « Que les impressions sensibles existent accrédite la vérité des sensations ; car pour nous le fait de voir et d’entendre existe de la même manière que le fait de souffrir ». Il est plus développé chez Sextus Empiricus2 ; mais s’y fait entendre déjà le terme de phantaisie – ὡς γὰρ τὰ πρῶτα πάθη, τουτέστιν ἡδονὴ καὶ πόνος, ἀπὸ ποιητικῶν τινῶν καὶ κατ’ αὐτὰ τὰ ποιητικὰ συνίσταται, οἷον ἡ μὲν ἡδονὴ ἀπὸ τῶν ἡδέων, ἡ δὲ ἀλγηδῶν ἀπὸ τῶν ἀλγεινῶν, καὶ οὔτε τὸ τῆς ἡδονῆς ποιητικὸν ἐνδέχεταί ποτε μὴ εἶναι ἡδὺ οὔτε τὸ τῆς ἀλγηδόνος παρεκτικὸν μὴ ὑπάρχειν ἀλγεινόν, ἀλλ’ ἀνάγκη καὶ τὸ ἧδον ἡδὺ καὶ τὸ ἀλγῦνον ἀλγεινὸν τὴν φύσιν ὑποκεῖσθαι, οὕτω καὶ ἐτὶ τῶν φαντασιῶν, παθῶν περὶ ἡμᾶς οὐσῶν, τὸ ποιητικὸν ἑκάστης αὐτῶν πάντῃ τε καὶ πάντως φανταστόν ἐστιν, ὃ οὐκ ἐνδέχεται, ὂν φανταστόν, μὴ ὑπάρχειν κατ’ ἀλήθειαν τοιοῦτον οἷον φαίνεται, ποιητικὸν φαντασὶας καθεστάναι. καὶ ἐπὶ τῶν κατὰ μέρος τὸ παραπλήσιον χρὴ λογίζεσθαι. τὸ γὰρ ὁρατὸν οὐ μόνον φαίνεται ὁρατόν, ἀλλὰ καὶ ἔστι τοιοῦτον ὁποίον φαίνεται· καὶ τὸ ἀκουστὸν οὐ μόνον φαίνεται ἀκουστόν ἀλλὰ καὶ ταῖς ἀληθείαις τοιοῦτον ὑπήρχεν, καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων ὡσαύτως. γίνονται οὖν πᾶσαι αἱ φαντασίαι ἀληθεῖς καὶ κατὰ λόγον : « De même que les premières passions, à savoir le plaisir et la peine, dépendent de certaines causes qui les produisent et, du fait [240v] de ces causes mêmes, s’y conforment en réalité (au sens que le plaisir dépend des choses agréables, et la peine des choses pénibles) et qu’il ne peut se faire que ce qui est facteur de plaisir ne soit pas agréable et que ce qui produit la peine ne soit pas pénible, mais qu’il est nécessaire que ce qui crée le plaisir soit agréable par nature et que ce qui crée de la peine soit pénible par nature, de la même façon pour les phantaisies qui 1 Diogène Laërce, X, 32. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 203-204.

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effectivum est prorsus omninoque est tale, ut sit phantasiæ efficiens, et tale cum sit, effici non potest ut reipsa aliud evadat, quam cuiusmodi esse conspicitur id quod est effectivum phantasiæ. Idem porro in specie de singulis existimandum. Quippe quod est visibile, id non adparet visibile modo, sed et tale est quale videtur ; et audabile non modo adparet audabile, sed revera quoque est tale, atque ita de cæteris. Quare omnes phantasiæ, idque ut par est, efficiuntur veræ. Pergit Empiricus : εἰ γὰρ ἀληθὴς λέγεται φαντασία, φασὶν οἱ Ἐπικούρειοι, ὅταν ἀπὸ ὑπάρχοντος τε καὶ κατ’ αὐτὸ τὸ ὑπάρχον γίνηται, πᾶσα δὲ φαντασία ἀπὸ ὑτάρχοντος τοῦ φανταστοῦ καὶ κατ’ αὐτὸ τὸ φανταστὸν συνίσταται, πᾶσα κατ’ ἀνάγκην φαντασία ἐστὶν ἀληθής : Etenim si phantasia videtur vera, inquiunt Epicurei, cum gignitur ab eo quod est et iuxta idipsum quod est (esse effectivum phantasiæ), omnis sane phantasia ex necessitate est vera1. Uno verbo rationis vis in eo consistit, quod visus, exempli gratia, revera moveatur ab imagine quæ revera est quæque, tametsi tale esse debere non iuduetur, nihilominus causam aliquam necessariam habeat in rerum natura, ob quam talis sit et talis adpareat, neque causa perseverante non possit non esse et adparere talis ; atque idcirco non possit non creari in sensu talem visionem et phantasiam ; ex quo proinde fiat ut neque sensus fallatur, dum imaginem recipit quæ ex necessitate et causa sua imprimitur talis, neque sensio falsa creetur, quæ pari modo non potest huiusmodi imagine causaque eius existente non creari huiusmodi. Prætereo Platonem2 ad eamdem rationem alludere dum, postquam phantasiam et sensum idem esse dixit, pergit, an-non qualia unusquisque sentit, talia unicuique esse videntur ? Videntur. Sensus igitur semper est eius rei, quæ existit, et minime fallax, quippe qui scientia est ? Videtur. Prætereo etiam quæ plura et præclara Tertullianus habet in eamdem sententiam, ac nominatim illud, iam ne ipsis quidem causis adscribendum est fallaciæ elogium. Si enim ratione hæc accedunt, ratio fallacia perhiberi non meretur. Quod sic fieri oportet mendacium non est. Itaque si et ipsæ causæ infamia liberantur, quanto magis sensus, quibus iam et causæ libere præeunt, cum hinc potissimum [241r] veritas et fides et integritas sensibus vindicanda sit, quod non aliter renuntient quam quod illa ratio mandavit, quæ efficiat aliter quid a sensibus renuntiari

1 Le copiste du ms. Harley a eu du mal avec cette phrase et a lu « Etenim si phantasia videtur vera, inquiunt Epicurei, cum gignitur ab eo, quod est, et iuxta id ipsum, quod est, omnisque phantasia creatur ab eo, quod effectivum phantasiæ omnis sane phantasia ex necessitate est vera ». 2 in theæt.

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sont les passions qui ont lieu en nous, ce qui est le facteur de n’importe laquelle d’entre elles est absolument et tout à fait tel qu’il est facteur de cette phantaisie, et alors qu’il est tel, il ne peut se faire qu’il soit en réalité autre que comme il est vu, à savoir ce qui est facteur de la phantaisie. Le même raisonnement vaut par rapport à chaque sensation. De fait, ce qui est visible non seulement apparaît visible, mais est aussi tel qu’il apparaît ; et quelque chose d’audible apparaît non seulement audible, mais est aussi tel dans la réalité, et ainsi de suite. C’est pourquoi toutes les phantaisies, ce qui est normal, sont vraies ». Sextus Empiricus poursuit1 : εἰ γὰρ ἀληθὴς λέγεται φαντασία, φασὶν οἱ Ἐπικούρειοι, ὅταν ἀπὸ ὑπάρχοντος τε καὶ κατ’ αὐτὸ τὸ ὑπάρχον γίνηται, πᾶσα δὲ φαντασία ἀπὸ ὑτάρχοντος τοῦ φανταστοῦ καὶ κατ’ αὐτὸ τὸ φανταστὸν συνίσταται, πᾶσα κατ’ ἀνάγκην φαντασία ἐστὶν ἀληθής : « En effet, si une phantaisie semble vraie, disent les Épicuriens, quand elle provient de quelque chose qui est et selon cela même qu’elle est […], absolument toute phantaisie est nécessairement vraie2.  » En un mot la force de son raisonnement consiste à dire que la vue, par exemple, est en réalité mue par l’image qui existe en réalité et qui, même si elle n’est pas jugée devoir être ceci ou cela, a néanmoins une cause nécessaire dans la nature des choses qui fait qu’elle est ce qu’elle est et apparaît ce qu’elle apparaît, si bien que, la cause persévérant, elle ne peut pas ne pas être ce qu’elle est et ne pas apparaître ce qu’elle apparaît ; et que c’est pourquoi il n’est pas possible que ne soit pas créée dans le sens telle vision et telle phantaisie ; d’où par conséquent il se fait que le sens ne se trompe pas, pendant qu’il reçoit l’image qui s’imprime comme elle s’imprime par la nécessité et par sa cause, et qu’il n’est pas créé de sensation fausse, puisque la sensation, de la même façon, ne peut pas ne pas être créée ce qu’elle est, tant qu’existent son image et sa cause. Je passe sur le fait que Platon fait allusion au même raisonnement quand, après avoir dit que la phantaisie et le sens étaient la même chose, il poursuit en demandant3 s’il est vrai que les choses « risquent d’être à chacun telles chacun les sent. – Vraisemblablement. Il n’y a donc jamais sensation que de ce qui est, et jamais que sensation infaillible, vu qu’elle est science. – Apparemment ». Je passe aussi sur les nombreux et remarquables développements

1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 205. 2 Je ne traduis pas la parenthèse ; Gassendi ne traduit pas tout le grec. Le texte est-il lacunaire ? 3 Platon, Théétète, 152c.

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quam sit in rebus. Quæ commemoro ut minus mirere si Epicurus apud Empiricum πᾶν αἰσθητὸν ἔλεξε βέβαιον : sensibile omne dixit ratum. Tertiam rationem sic habet Lærtius  : οὐδὲ ἔστι τὸ δυνάμενον αὐτὰς διελέγξαι. οὔτε γὰρ ἡ ὁμογένεια αἴσθησις τὴν ὁμογενῆ διὰ τὴν ἰσοσθένειαν, οὔθ’ ἡ ἀνομογένεια τὴν ἀνομογένειαν, οὐ γὰρ τῶν αὐτῶν εἰσι κριτικαί· οὔτε μὴν λόγος, πᾶς γὰρ λόγος ἀπὸ τῶν αἰσθήσεων ἤρτηται. οὔθ’ ἡ ἑτέρα τὴν ἑτέραν, πᾶσαις γὰρ προσέχομεν : neque vero quidpiam est quod ipsos sensus refellere possit. Non enim sensus similis similem genere refellet (ut visus Platonis visum Socratis) propter æquipollentiam, neque is etiam, qui genere erit dissimilis, dissimilem (ut auditus visum) ; siquidem non earumdem rerum iudicio inserviunt ; sed neque ipsa etiam ratio (seu ratiocinatio), quandoquidem omnis ratio dependet a sensibus ; neque demum alia (supple sensio eiusdem sensus, ut visio visionem) aliam ; omnibus enim adtendimus. Hoc est seu prope, seu procul, et pari sensus contentione advertimus animum, cum tamen res hic suo semper modo, illic suo semper adpareat, adeo ut non huic quam illi sensioni fidere magis oporteat. Itaque veritatem sensuum Epicurus adprobat, quod nihil prorsus valeat ipsos falsitatis convincere ; et dubium quidem esse possit de ratione, sed nimirum ratio opinionem quidem corrigere potest, at non ipsum sensum ; a cuius experimentis cum dependet, patet, si ille falleretur, ipsam quoque falsam

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que Tertullien apporte au soutien de la même doctrine1 : « De vrai, contre les causes mêmes il ne faut pas non plus porter le grief de tromperie. Car si elles arrivent de par la raison, la raison ne mérite pas qu’on la dise menteuse. Ce qui doit se produire ainsi n’est pas un mensonge. C’est pourquoi, si les causes elles aussi sont exonérées du grief de fausseté, combien plus les sens, que précèdent les causes à présent exonérées ! Car il faut revendiquer pour les sens [241r] vérité, fiabilité et intégrité : ils ne communiquent pas les objets autrement que ne l’a commandé cette raison qui fait que quelque chose est communiqué par les sens autrement qu’il n’en va dans la réalité ». Si je rapporte cela, c’est pour que tu t’étonnes moins si Épicure, chez Sextus Empiricus2, a dit πᾶν αἰσθητὸν ἔλεξε βέβαιον « toute chose sensible est solide ». Le troisième raisonnement est ainsi présenté par Diogène Laërce3 : οὐδὲ ἔστι τὸ δυνάμενον αὐτὰς διελέγξαι. οὔτε γὰρ ἡ ὁμογένεια αἴσθησις τὴν ὁμογενῆ διὰ τὴν ἰσοσθένειαν, οὔθ’ ἡ ἀνομογένεια τὴν ἀνομογένειαν, οὐ γὰρ τῶν αὐτῶν εἰσι κριτικαί· οὔτε μὴν λόγος, πᾶς γὰρ λόγος ἀπὸ τῶν αἰσθήσεων ἤρτηται. οὔθ’ ἡ ἑτέρα τὴν ἑτέραν, πᾶσαις γὰρ προσέχομεν : « Et il n’est rien qui puisse réfuter les sensations. Car une sensation de même genre qui ne réfutera pas une autre sensation de même genre » (comme la vue de Platon réfutant la vue de Socrate), « en raison de leur force égale, ni une sensation d’un autre genre ne réfutera une deuxième d’un autre genre » (comme l’ouïe réfutant la vue), « car elles ne distinguent pas les mêmes choses, et la raison » (ou raisonnement) « certes non plus, car toute raison est suspendue aux sensations, et l’une » (supplée la sensation réfutant son propre sens, comme la vision la vision) « ne réfutera l’autre ; car c’est vers toutes que nous sommes tendus ». C’est-à-dire que la chose soit proche ou lointaine, nous tendons l’esprit avec le même effort au niveau du sens, alors que cependant la chose apparaît là-bas et ici toujours à sa manière, de telle sorte qu’il convient de ne pas se fier plus à cette sensation qu’à celle-là. C’est pourquoi Épicure approuve la vérité des sens, parce qu’il n’existe rien qui soit susceptible de les convaincre de fausseté ; et l’on pourrait douter de sa raison, mais assurément la raison peut corriger l’opinion, mais non pas le sens lui-même ; car alors qu’elle dépend des expériences de ce dernier, il est clair que, s’il se trompe, elle-même aussi 1 Tertullien, De l’âme, XVII, 10. Je tiens à remercier Paul Mattei d’avoir bien voulu me communiquer la traduction de ce passage et du suivant, avant la parution de son ouvrage savant (« Sources Chrétiennes »). 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 355. 3 Diogène Laërce, X, 31-32.

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futuram, nec vere umquam correcturam. Quomodo autem possit ratio beneficio sensus opinionem corrigere declarabitur postea. Iam Epicurum Lucretius1 in hunc modum interpretatur : Nam maiore fide debet reperirier illud, sponte sua veris quod possit vincere falsa. Quid maiore fide porro quam sensus haberi debet ? an ab sensu falso ratio orta valebit dicere eos contra, quæ tota ab sensibus orta est ? Qui nisi sint veri, ratio quoque falsa sit omnis. An poterunt oculos aures reprehendere, an aureis tactus ? an hunc porro tactum sapor arguet oris, an confutabunt nares oculive revincent ? Non, ut opinor, ita est. Nam seorsum cuique potestas divisa est, sua vis cuique est, ideoque necesse est quod molle, aut durum sit, gelidum, fervensque seorsum id molle, aut durum, gelidum, fervensque videri. Et seorsum varios rerum sentire colores, et quæcumque coloribus sunt coniuncta, necesse est. Seorsus item sapor oris habeat vim, seorsus odores nascuntur, seorsus sonitus. Ideoque necesse est non possint alios alii convincere sensus. [241v] Nec porro poterunt ipsi reprehendere sese, æqua fides quoniam debebit semper haberi. Proinde quod in quoque est his visum tempore, verum sit. Quartam sic habet Empiricus2 : καὶ ἄλλως, φησίν, οἱ προειρημένοι τῶν φαντασιῶν διαφορὰν εἰσάγοντες οὐκ ἰσχύουσι πιστώσασθαι τὸ τινὰς μὲν αὐτῶν ἀληθεῖς ὑπάρχειν, τινὰς δὲ ψευδεῖς· οὔτε γὰρ φαινομένῳ διδάξουσι τὸ τοιοῦτον (ζητεῖται γὰρ τὰ φαινόμενα), οὔτε ἀδήλῳ διὰ φαινομένου γὰρ ὀφείλει τὸ ἄδηλον ἀποδείκνυσθαι : Et alioquin, inquit, (nempe Epicurus) ii, qui phantasiarum inter se discrimen memorati sunt introducere, (quales nominatim fuere Stoici, qui etiam cum apud Plutarchum sensuum veritatem defenderent, phantasiarum tamen alias veras, alias falsas esse dicebant) probare hoc ipsum non possunt, quod ex iis aliæ quidem veræ, aliæ autem falsæ sint. Siquidem neque ulla re apparenti quid tale docebunt ; quandoquidem quæstio est de rebus apparentibus ; 1 lib. 4 2 lib. 2. adv. Log.

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sera fausse et ne corrigera jamais rien. Quant à la façon dont elle peut, grâce au sens, corriger l’opinion, cela sera expliqué ci-dessous. À présent Lucrèce traduit Épicure comme il suit1 : Car il faut reconnaître comme plus digne de foi Ce qui peut de soi-même réfuter le faux par le vrai. Que trouver en ce cas de plus fiable que les sens ? La raison tout entière issue de la sensation Pourra-t-elle les réfuter si sa source est trompeuse ? Qu’ils ne soient pas vrais et toute la raison devient fausse. Ou la vue pourra-t-elle être corrigée par l’ouïe, L’ouïe par le toucher, le toucher par le goût, À moins qu’à son tour l’odorat ou la vue ne triomphe ? Non, je ne le crois pas : chaque sens ayant un pouvoir Particulier et séparé, il est donc nécessaire De sentir le mou, le froid ou le chaud séparément, Séparément aussi les couleurs variées des choses, Comme le qualités liées aux diverses couleurs. Le goût possède aussi faculté particulière, Les odeurs et les sons naissent séparément, Ils ne peuvent donc pas se réfuter les uns et les autres, [241v] Non plus qu’ils ne pourront se corriger eux-mêmes Puisqu’ils devront toujours être également fiables. Leur perception de chaque instant est donc vraie. Sextus Empiricus présente le quatrième raisonnement dans les termes suivants2 : καὶ ἄλλως, φησίν, οἱ προειρημένοι τῶν φαντασιῶν διαφορὰν εἰσάγοντες οὐκ ἰσχύουσι πιστώσασθαι τὸ τινὰς μὲν αὐτῶν ἀληθεῖς ὑπάρχειν, τινὰς δὲ ψευδεῖς· οὔτε γὰρ φαινομένῳ διδάξουσι τὸ τοιοῦτον (ζητεῖται γὰρ τὰ φαινόμενα), οὔτε ἀδήλῳ διὰ φαινομένου γὰρ ὀφείλει τὸ ἄδηλον ἀποδείκνυσθαι : « Du reste, dit-il (il faut entendre Épicure), ceux dont on a rappelé qu’ils ont introduit une distinction entre les phantasies » (nommément, les Stoïciens en furent, eux qui – même si, à en croire Plutarque, ils soutenaient que les sens étaient véridiques – disaient que, parmi les phantasies, les unes sont vraies et les autres fausses) « ne peuvent même pas prouver ce point, à savoir que parmi celles-ci, 1 Lucrèce, De Rerum Natura, IV, 480-499. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 64.

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neque etiam immanifesta, quoniam quod est immanifestum per adparens quidpiam demonstrandum est. Hoc idem etiam insinuatur in Ratis Sententiis, nam εἰ μάχῃ, inquit, πάσαις ταῖς αἰσθήσεσιν, οὐχ ἓξεις οὐδ’ ἅς ἂν φῇς αὐτῶν διεψεῦσθαι πρὸς τί ποιούμενος τὴν ἀναγωγὴν κρίνῃς. Εἴ τινα ἐκβαλλης ἁτλως αἰσθησιν, καὶ […] συνταπράξεις καὶ τὰς λοιπὰς αἰσθήσεις τῇ ματαίῳ δόξῃ, ὥστε τὸ κριτήριον ἅταν ἐκβαλεῖς : Si sensionibus omnibus repugnas (quod Pyrrhonii faciunt), ne eas quidem quas hallucinari dixeris habebis, quo referens diiudicare valeas ; si unam quamdam prorsus reiicias (quod nonnulli alii), reliquas pariter sensiones opinione vana conturbabis, adeo ut omne criterium abiectum sit. Quod perinde ac si diceret sensum esse criteriorum primum, ad quod quidem provocare circa res immanifestas cæteris liceat ; ipsum vero debeat constare per se, ac manifestæ veritatis esse, quippe cum sit basis primusque plane ad scientiam gradus ἐπιβάθρα τῆς ἐπιστήμης. Sic enim Clemens1 loquitur. Quare et, si falli omnem sensum dixeris, deesse iam tibi criterium, quo vel idipsum de aliquo particulari sensu confirmes ; si aliquem solummodo, perplexa iam disputatione intricari te, quis, vel quando, vel quomodo fallatur sensus aut non, adeo ut, cum dirimi controversia non valeat, necesse sit omne criterium tibi penitus excidat. Nihil mirum proinde illud Epicuri apud Ciceronem2 dictum celebrari : si ullum sensibus visum falsum est, nihil percipi posse. Hinc spectavit Lucretius3 cum probavit esse corpus ex sensu : […] quo, inquit, nisi prima fide functa valebit, haud erit occultis de rebus quo referentes confirmare animi quicquam ratione queamus.

1 lib. 6. strom. 2 lib. 4. acad. 3 lib. 1

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les unes sont vraies et les autres fausses. En effet, ils n’enseigneront quoi que ce soit de tel, ni à partir d’une chose apparente, puisque justement la question porte sur les choses apparentes, ni à plus forte raison à partir d’une chose inapparente, puisque ce qui n’est pas obvie, il faut le rendre manifeste par quelque chose d’apparent ». Les Maximes capitales vont dans le même sens, car il dit1  : εἰ μάχῃ πάσαις ταῖς αἰσθήσεσιν, οὐχ ἓξεις οὐδ’ ἅς ἂν φῇς αὐτῶν διεψεῦσθαι πρὸς τί ποιούμενος τὴν ἀναγωγὴν κρίνῃς. Εἴ τινα ἐκβαλλης ἁτλως αἰσθησιν, καὶ […] συνταπράξεις καὶ τὰς λοιπὰς αἰσθήσεις τῇ ματαίῳ δόξῃ, ὥστε τὸ κριτήριον ἅταν ἐκβαλεῖς : « Si tu combats toutes les sensations, tu n’auras même plus quelque chose à quoi te référer pour juger celles d’entre elles que tu prétends être erronées. Si tu rejettes purement et simplement une sensation donnée et […] tu iras jeter le trouble jusque dans les autres sensations avec une opinion vaine et cela t’amènera à rejeter en totalité le critère ». Que cela est exactement comme s’il disait que le sens est le premier des critères, auquel il est permis de faire appel s’agissant des choses non-obvies à tous les autres alors que le sens lui-même doit s’imposer par lui-même et relever de la vérité manifeste, vu qu’il est le fondement et le premier degré vers la science, ἐπιβάθρα τῆς ἐπιστήμης. Telle est la formule de Clément2. Que c’est pourquoi, si tu dis que tous les sens se trompent, il te manque déjà le critère qui te permettrait d’étayer cette affirmation sur un sens particulier ; que si tu dis qu’il n’y a qu’un sens particulier qui se trompe, tu t’empêtres dans une dispute déjà complexe consistant à demander quel sens se trompe ou pas, ou quand, ou comment, de telle sorte que, alors que la controverse ne peut être tranchée, il est nécessaire que tu te retrouves complètement privé de tout critère. Rien donc d’étonnant si ce propos d’Épicure que l’on lit chez Cicéron est souvent repris3 : « Si une seule représentation sensible est fausse, rien ne peut être perçu ». C’est vers là qu’a regardé Lucrèce quand il a prouvé par le sens qu’il y avait des corps4 : […] en cela, « dit-il », si la foi n’est pas première, inébranlable Dans le domaine de l’invisible aucune référence Jamais ne pourra confirmer la seule théorie.

1 2 3 4

Diogène Laërce, X, 146-7. Clément d’Alexandrie, Stromates, II, 5, 13, 3. Cicéron, Académiques II, xxxii, 101, et La Nature des dieux, I, xxv, 70. Lucrèce, DRN, I, 423-425.

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Ex quo et alias sic cecinit : Invenies primis ab sensibus esse creatam notitiam veri, neque sensibus posse refelli. [242r] Et rursus ita conclusit : Denique ut in fabrica, si prava est regula prima, normaque si fallax rectis rationibus exit, et libella aliqua si ex parti claudicat hilum, omnia mendose fieri, atque obstipa necessum sit prava cubantia prona supina atque absona tecta iam ruere ut quædam videantur velle, ruantque prodita iudiciis fallacibus omnia primis,  sic igitur ratio tibi rerum prava necesse est, falsaque sit, falsis quæcunque a sensibus orta est. Quintam denique ad hanc consequentem innuere videtur tum illud, quod habet Plutarchus1, nisi omnes phantasiæ sint veræ, πίστιν οἴχεσθαι καὶ βεβαιότητα, καὶ κρίσιν ἀληθείας actum esse de fide constantia, et iudicio veritatis, tum quod Lærtius in Ratis sententiis, εἰ δὲ μή, πάντα ἀκρισίας καὶ ταραχῆς ἔσται μεστά : si minus omnia fore confusione, ac perturbatione plena, tum quod apud Ciceronem2 Torquatus, si omnes sensus erunt veri, ut Epicuri ratio docet, tum denique poterit aliquid cognosci et percipi. Quos qui tollunt et nihil posse percipi dicunt, ii remotis sensibus ne idipsum quidem expedire possunt quod disserunt. Præterea sublata cognitione et scientia tollitur omnis ratio et vitæ degendæ et rerum gerendarum, tum quod præclare Lucretius :

1 lib. 1. adv. Col. 2 lib. de fin.

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D’où il a écrit ailleurs1 : Tu découvriras que les sens formèrent les premiers La notion de vérité et qu’ils sont infaillibles. [242r] Et ensuite il a conclu ainsi2 : En architecture, si la règle est fausse au départ, Si l’équerre est menteuse et s’écarte des lignes droites, Si le niveau en quelque endroit cloche d’un rien, Il s’ensuit que tout est gauche et de travers, Difforme, affaissé, plongeant en avant, en arrière : L’édifice discordant semble vouloir s’écrouler, Croule même en partie, tout entier faussé Par la fausseté des premiers jugements. Ainsi toute raison qui naîtrait de sensations Mensongères serait mensongère et viciée. Qu’il existe enfin un cinquième raisonnement qui fait suite au précédent à la fois semble nous être suggéré par le fait que, comme on le lit chez Plutarque3, si toutes les phantaisies ne sont pas vraies, πίστιν οἴχεσθαι καὶ βεβαιότητα, καὶ κρίσιν ἀληθείας, « c’en est fini de la confiance, de la constance4 et du jugement de la vérité », ainsi que ce que rapporte Diogène Laërce dans les Maximes capitales5 εἰ δὲ μή, πάντα ἀκρισίας καὶ ταραχῆς ἔσται μεστά  : « Sinon, tout sera plein d’indistinction et de trouble », et ce que dit, chez Cicéron, Torquatus6 : « Si les sensations doivent toutes être vraies, comme l’enseigne la doctrine d’Épicure, c’est alors qu’enfin il sera possible de connaître et de comprendre quelque chose [avec vérité]. Quant à ceux qui ruinent la véracité de la sensation et qui nient que rien puisse être compris [avec vérité], ils ne sont même pas capables, une fois la sensation éliminée, de mener à bien l’exposé de leur propre théorie. Ce n’est pas tout : une fois ruinée la connaissance scientifique, c’est aussi la ruine de toute méthode pour la conduite de la vie et pour l’action », et aussi ce que Lucrèce exprime remarquablement7 : 1 2 3 4 5 6 7

Lucrèce, DRN, IV, 478-479. Lucrèce, DRN, IV, 513-521. Plutarque, Contre Colotès, 1123 c. J’ajoute une ponctuation entre fide et constantia. Diogène Laërce, X, 146. Cicéron, De Finibus, I, xix, 64. Lucrèce, DRN, IV, 500-510.

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Et si non poterit ratio dissolvere causam, cur ea, quæ fuerint iuxtim quadrata, procul sint visa rotunda, tamen præstat rationis egentem reddere mendose causas utriusque figuræ, quam manibus manifesta suis emittere quæque et violare fidem primam, et convellere tota fundamenta quibus nixatur vita salusque. Non modo enim ratio ruat, omnis vita quoque ipsa concidat extemplo, nisi credere sensibus ausis, præcipitesque locos vitare, et cætera quæ sint in genere hoc fugienda, sequi contaria quæ sint. Prætereundum porro non est quod pro hac ratione Tertullianus1 habet. Ecce enim, quid agas, inquit, Academice procacissime ? Totum vitæ statum evertis, omnem naturæ ordinem turbas, ipsius Dei providentiam excæcas, qui cunctis operibus suis intelligendis, incolendis, dispensandis, fruendisque fallaceis et mendaceis dominos præfecerit sensus. Et vide, si placet, ut postea idem doctor probet sensuum veritatem ex variis historiis mysteriisque evangeliis, ac illud tandem adiiciat, atqui ne apostolis quidem eius ludificata natura est ; fidelis fuit et visus et auditus in monte, fidelis et gustus vini illius, licet aquæ ante, in nuptiis Galilææ, fidelis et tactus exinde creduli Thomæ. Recita Ioannis testimonium : ‘quod vidimus’, inquit, ‘quod audivimus, oculis nostris vidimus, et manus nostræ contrectaverunt de sermone vitæ.’ Falsa utique testatio, si oculorum et aurium et manuum sensus natura mentitur. Hæc ille. Sed iam tempus est proponamus experimenta quæ solent contra obiici. Ea sunt pene innumera. Sufficiunt tamen præcipua, quæ sunt a Lucretio congesta. Eiusmodi sunt : [242v] Primo, quod obiicitur de quadratis turribus, quæ procul rotundæ adparent : quadratasque procul turreis cum cernimus urbis, propterea fit uti videantur sæpe rotunda esse.

1 loco. cit.

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Et si la raison ne peut expliquer pourquoi Des objets qui de près étaient carrés paraissent Arrondis de loin, mieux vaut, à défaut de son aide, Expliquer incorrectement les deux figures Que laisser échapper de nos mains l’évidence, Que trahir notre fois première et ruiner toute L’assise de nos vies et de notre salut. Car non seulement ta raison s’écroulerait Mais ta vie périrait dès lors que tu n’oserais plus Te fier aux sens qui te gardent des précipices, Ou d’autres mauvais pas, et te guident à l’opposé. De plus il ne faut pas omettre ce que Tertullien dit pour ce raisonnement1 : « Que fais-tu, Académie de bel aplomb ? Tu bouleverses toute l’assiette de la vie, tu troubles tout l’ordre de la nature, tu aveugles la Providence de Dieu lui-même, qui aurait préposé à la compréhension, à la pratique, à la distribution et à la jouissance de toutes ses œuvres des sens trompeurs et menteurs ». Et vois, de grâce, comment par après le même docteur prouve la vérité des sens par différentes histoires et mystères des évangiles, avant d’ajouter ceci pour finir2 : « Eh bien ! des apôtres non plus la nature ne s’est pas jouée ; fidèles ont été et la vue et l’ouïe sur la montagne, fidèle aussi le goût du fameux vin, quoique ce fût de l’eau auparavant, lors des noces en Galilée, fidèle encore le toucher de Thomas, qui y gagna de croire. Lis le témoignage de Jean : “Ce que nous avons vu, dit-il, ce que nous avons entendu, que nous avons vu de nos yeux, et que nos mains ont touché du Verbe de vie”. Faux témoignage, assurément, si par nature les sens (yeux, oreilles et mains) sont menteurs ». Voilà ce qu’il dit. Mais il est temps à présent que nous exposions les expériences qui sont d’habitude présentées comme autant d’objections là-contre. Elles sont presque innombrables. Il suffit cependant de donner les principales, qui sont rassemblées par Lucrèce, et qui sont les suivantes : [242v] En premier, l’objection sur les tours carrées qui apparaissent rondes de loin3 : Les tours carrées d’une ville dans le lointain Nous paraissent rondes pour la raison suivante. 1 Tertullien, De l’âme, XVII, 11. 2 Tertullien, De l’âme, XVII, 19. 3 Lucrèce, DRN, IV, 353-354.

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Secundo, quod de umbra sequente, imitanteque corporis gestus : umbra videtur item nobis in sole moveri et vestigia nostra sequi gestumque imitari ; æra si credas privatum lumine posse indigredi, motus hominum, gestus que sequentem. Tertio, quod de navi visa immota ac prætereunte littore : qua vehimur navi, fertur, cum stare videtur ; quæ manet in statione, eapropter creditur ire ; et fugere ad puppim colles campique videntur, quos agimus præter navim, velisque volamus. Quarto, quod de sideribus quiescere visis cum tamen continuo moveantur : Sidera cessare ætheriis adfixa cavernis cuncta videntur ; at adsiduo insunt omnia motu, quandoquidem longos obitus exorta revisunt, cum permensa suo sunt cælum corpore claro. Solque pari ratione manere et luna videtur in statione, ea quæ ferri res indicat ipsa. Quinto, quod de montibus dissitis et procul tamen visis coniunctis : Exstantesque procul medio de gurgite montes classibus inter quos liber patet exitus, ingens insula coniunctis tamen ex his una videtur. Sexto, quod de circumcursatione post gyrationem pueris adparente : Atria versari, et circumcursare columnæ usque adeo fit uti pueris videantur, ubi ipsi desierunt verti ; vix ut iam credere possint non supra sese ruere omnia tecta minari.

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En deuxième celle sur l’ombre qui suit et imite les gestes du corps1 : Notre ombre nous paraît se mouvoir au soleil, Coller à nos semelles, copier tous nos gestes, Si du moins tu crois que l’air privé de lumière Peut marcher et suivre les mouvements d’un homme. En troisième celle sur le navire qui paraît immobile et le rivage qui s’en va2 : Le bateau qui nous emporte semble immobile, Celui qui reste au port le croise, nous semble-t-il, Et devant la poupe s’enfuient les monts et les plaines Quand nous les doublons, volant à larges voiles. En quatrième celle sur les étoiles qui semblent être au repos alors que cependant elles se déplacent constamment3 : Astres sur l’antre du ciel fixés, tous au repos Croyons-nous, et pourtant voyageurs assidus Puisqu’ils se lèvent pour revoir le lointain couchant Et de leurs corps brillants mesurent l’espace du ciel. Soleil et lune semblent aussi rester à leur poste, Quand la réalité nous montre qu’ils se meuvent. En cinquième celle sur les montagnes détachées et qui pourtant de loin semblent groupées4 : Surgissant du gouffre matin, les montagnes Aux flottes laissent libre un immense passage Mais on les voit groupées, formant une île au loin. En sixième celle sur les cercles qui apparaissent aux enfants après une ronde5 : L’atrium tourne, dansent en rond les colonnes Aux yeux des enfants à peine ont-ils eux-mêmes Cessé de tournoyer : lors, ils sont prêts à croire Que le tout menace de s’écrouler sur eux.

1 2 3 4 5

Lucrèce, DRN, IV, 364-367. Lucrèce, DRN, IV, 387-390. Lucrèce, DRN, IV, 391-396. Lucrèce, DRN, IV, 397-399. Lucrèce, DRN, IV, 400-403.

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Septimo, quod de sole proxime montes viso cum tanta spatia interiaceant : Iamque rubrum tremulis iubar ignibus erigere alte cum coeptat natura supraque extollere montes, quos tibi tum supra sol montes esse videtur comminus ipse suo contingens fervidus igni,  vix absunt nobis missus bis mille sagittæ, vix etiam cursus quingentos sæpe veruti inter eos solemque iacent immania ponti æquora substrata æthereis ingentibus oris, interiectaque sunt terrarum millia multa quæ variæ retinent gentes et sæcla ferarum. [243r] Octavo, quod de tanto spatio sub aqua viso, quantum est inde ad cælum: qui lapides inter sistit per strata viarum, despectum præbet sub terras impete tanto, a terris quantum cœli pate altus hiatus ; nubila despicere et cœlum ut videare videre corpora mirando sub terras abdita cœlo. Nono, quod de flumine, dum traiicitur, in caput suum elabi viso : Denique ubi in medio nobis equus acer obhæsit flumine, et in rapidas amnis despeximus undas, stantis equi corpus transversum ferre videtur vis et in adversum flumen contrudere raptum, et quocunque oculos traiecimus omnia ferri et fluere adsimili nobis ratione videntur. Decimo, quod de portico in angustum abire visa : Porticus æquali quamvis est denique ductu stansque in perpetuum paribus suffulta columnis, longa tamen parte ab summa cum tota videtur, paulatim trahit angusti fastigia coni, tecta solo iungens, atque omnia dextera lævis

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En septième celle sur le soleil qui semble tout proche des montagnes quoiqu’il y ait entre eux d’immenses espaces1 : Rouge, voici déjà le disque aux feux tremblants Que la nature lance jusqu’en haut des montagnes : Ces monts que le soleil te semble alors toucher Et lui-même embraser de ses flammes ardentes Se dressent tout au plus à deux mille flèches de nous, Souvent même à cinq cents jets de javelot, tout au plus ; Entre eux et le soleil, sous les vastes rives du ciel S’étendent les plaines immenses de la mer, Les milliers de terres peuplées d’hommes et d’animaux divers. [243r] En huitième celle sur l’espace qui semble s’étendre sous l’eau aussi vaste que l’abîme de la terre au ciel2 : Logé dans l’interstice des pavés du chemin Ouvre sous terre une perspective aussi vaste Que l’abîme du ciel au-dessus de la terre, Et tu crois voir à tes pieds le ciel, les nuages, Les astres miraculeusement enfouis dans le sol. En neuvième celle sur le fleuve qui, quand on le traverse, semble couler vers sa source3 : Notre cheval fougueux s’arrête au milieu d’un fleuve ; Baissons alors les yeux vers les odes rapides : Il semble qu’une force entraîne à contre-courant Son corps immobile et le pousse en travers ; Regardons à l’entour, nous verrons toutes choses De semblable manière emportées en amont. En dixième celle sur le portique qui semble devenir étroit4 : Un portique fût-il parfaitement symétrique, Soutenu par des colonnes toujours égales, S’il est vu tout en long depuis une extrémité Peu à peu se rétracte et d’un cône prend les dehors, Joignant le toit au sol, le côté droit au gauche, 1 2 3 4

Lucrèce, DRN, IV, 404-413. Lucrèce, DRN, IV, 415-419. Lucrèce, DRN, IV, 420-425. Lucrèce, DRN, IV, 426-431.

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donicum in obscurum coni conduxit acumen. Undecimo, quod de sole nautis viso ex undis emergere, in undas demergi : In pelago nautis ex undis ortus, in undis sol fit uti videatur obire et condere lumen ; quippe ubi nihil aliud nisi aquam cœlumque tuentur ; ne leviter credas labefactari undique sensus. Duodecimo, quod de remis inflexis, seu refractis visis : At maris ignaris in portu clauda videntur navigia, aplustris fractis obnitier undis. nam quæcumque supra rorem salis edita pars est remorum, recta sit, et recta superne guberna.  Quæ demersa liquore obeunt, refracta videntur omnia converti sursumque supina reverti et reflexa prope in summo fluitare liquore. Tertiodecimo, quod de nocturnis sideribus præter nubila properare visis : Raraque per cœlum cum venti nubila portant tempore nocturno, tum splendida signa videntur labier adversum nubes atque ire superne longe aliam in partem quam quo ratione feruntur. Quartodecimo, quod de rebus ob distortam leviter pupulam geminatus visis : At si forte oculo manus uni subdita subter pressitt eum, quodam sensu fit uti videantur omnia quæ tuimur fieri tum bina tuendo, bina lucernarum florentia lumina flammis binaque per totas ædes geminare supellex et duplices hominum facies et corpora bina. [243v]

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Jusqu’à les confondre en l’obscure point d’un cône. En onzième celle sur le soleil qui semble aux marins sortir des flots et disparaître dans les flots1 : Aux marins en mer, le soleil semble surgir des flots, Dans les flots disparaître et cacher sa lumière. C’est parce qu’ils ne voient rien que l’onde et le ciel : Ne crois donc pas étourdiment que les sens toujours défaillent. En douzième celle sur les rames qui semblent fléchies, c’est-à-dire brisées2 : Pour qui ne connaît pas la mer, les navires au port Semblent boiter et, poupe brisée, s’appuyer sur l’onde, Car droite est la partie des rames surgissant Des flots salés et droit le haut du gouvernail Mais les parties plongées dans l’eau semblent brisées : Leur direction change, tout se dresse à rebours Et retourne presque flotter à la surface. En treizième celle sur les étoiles nocturnes qui semblent glisser à l’encontre des nuages3 : Quand les vents par le ciel portent des nuages épars, La nuit nous croyons voir les astres éclatants Glisser à l’encontre des nues et suivre au-dessus d’elles Un cours bien différent de leur course véritable. En quatorzième celle sur les choses qui semblent doubles, quand la pupille est légèrement déformée4 : La main sous l’œil, si nous pressons le bas du globe, Par quelque sensation voici qu’apparemment Tout objet regardé se double sous notre regard : Double la flamme fleurissant le flambeau, Double le mobilier de toute la maison, Doubles visages des hommes, corps jumeaux. [243v]

1 2 3 4

Lucrèce, DRN, IV, 432-435. Lucrèce, DRN, IV, 436-442. Lucrèce, DRN, IV, 443-446. Lucrèce, DRN, IV, 447-452.

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Quintodecimo, quod de rebus iisdem visis per insomnia, quæ per vigiliam : Denique cum suavi devinxit membra sopore somnus, et in summa corpus iacet omne quiete, tum vigilare tamen nobis et membra movere nostra videmur, et in noctis caligine cæca cernere censemus solem lumenque diurnum conclusoque loco cœlum, mare, flumina, montes mutare et campos pedibus transire videmur, et sonitus audire, severa silentia noctis undique cum constent, et reddere dicta tacentes. Quibus adfine est et sextodecimo addi potest, quod de furiosorum visis. Ea certe copulat Plutarchus1, cum de Epicureis loquens, ἐκ τῶν, inquit, ἐνυπνίων καὶ τῶν παρακοπῶν οὐδὲν εἶναι φασι παρόραμα τούτων οὐδὲ ψεῦδος οὐδε ἀσύστατον, ἀλλὰ φαντασίας ἀληθεῖς ἁπάσας, καὶ σώματα, καὶ μορφὰς ἐκ τοῦ περιέχοντος ἀφικνουμένας : ex iis quæ per insomnia, aut per furores adparent nullam esse aiunt hallucinationem, nullum mendacium, nihil quod non cohæreat, sed esse omnes phantasias veras, et corpora ac formas advenientes per ærem. Neque dubium est quin hæc fuerit Epicuri sententia, quando apud Lærtium τά τε, inquit, τῶν μαινομένων φαντάσματα καὶ κατ’ ὄναρ ἀληθῆ, κινεῖ γάρ· τὸ δὲ μὴ ὄν οὐ κινεῖ : visa insanientium et dormientium vera sunt ; movent scilicet cum id, quod non est ens, non moveat. Quo loco vides etiam rationem superioribus haud absimilem. Sed Plutarchus instat, quid tantum impossibile censeamus, si ista credere par est ; nam quas nullus opifex, aut mirabilium fictor, aut temerarius pictor auderet inter se componere formas ut ludicrum earum spectaculum redderent, ea ipsi serio adfirmant esse, et cætera. Verum, ut ista omnia, et quæ alia sunt id genus, solvantur, qui sequitur Canon adhibendus est :

1 lib. 1. adv. col.

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En quinzième celle sur les choses qui paraissent les mêmes dans les rêves que dans l’état éveillé1 : Quand le sommeil nous tient en sa douce torpeur Et que le corps repose dans un calme parfait, Nous croyons cependant veiller, mouvoir nos membres. Au sein des ténèbres aveugles de la nuit, Nous pensons voir le soleil et la clarté du jour, Échangeant notre chambre close contre ciel, océan Fleuves et montagnes, traversant les plaines à pied, Entendant des bruits quand l’austère silence nocturne Règne partout, croyant enfin parler, bouche muette. À ces réflexions ressemble et peut être ajouté en seizième ce qu’il dit des visions des fous. Plutarque les associe assurément quand, parlant des épicuriens, il dit2 : ἐκ τῶν ἐνυπνίων καὶ τῶν παρακοπῶν οὐδὲν εἶναι φασι παρόραμα τούτων οὐδὲ ψεῦδος οὐδε ἀσύστατον, ἀλλὰ φαντασίας ἀληθεῖς ἁπάσας, καὶ σώματα, καὶ μορφὰς ἐκ τοῦ περιέχοντος ἀφικνουμένας : « de ce qui apparaît dans les rêves ou dans les accès de folie, ils disent qu’il n’y a aucune hallucination, aucune illusion, rien qui soit incohérent, mais que ce sont chaque fois de vraies phantaisies, et des corps et des formes qui arrivent par l’air ». Et il n’est pas douteux que ce fut l’avis d’Épicure, puisqu’il dit chez Diogène Laërce3 τά τε τῶν μαινομένων φαντάσματα καὶ κατ’ ὄναρ ἀληθῆ, κινεῖ γάρ·τὸ δὲ μὴ ὄν οὐ κινεῖ : « les images mentales des fous et celles qui surviennent dans les rêves sont vraies, car elles meuvent. Mais ce qui n’est pas ne meut pas ». Dans ce passage tu vois encore un raisonnement qui n’est pas sans être fort semblable aux précédents. Mais Plutarque demande avec instance ce que nous jugerions impossible, s’il est normal de croire cela ; car pour ce qui est des formes qu’aucun artisan ou aucun fabricant de merveilles ni aucun peintre téméraire n’oserait combiner entre elles de manière à faire d’elles un spectacle récréatif, ils affirment sérieusement qu’elles sont, etc. Mais pour résoudre ces choses et les autres de la même sorte, [il faut] le canon suivant :

1 Lucrèce, DRN, IV, 453-461 2 Plutarque, Contre Colotès, 1123 b-c. 3 Diogène Laërce, X, 32.

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Canon secundus : Opinio est consequens sensum in quam vertitas et falsitas cadit. Ita Epicurus passim et nominatim apud Plutarchum, dum esse dicit τῶν δόξων τὰς μὲν ἀληθεῖς, τὰς δὲ ψευδεῖς : opinionum alias quidem veras, alias autem falsas. Itemque apud Empiricum, ubi τούτων γὰρ inquit (de opinionibus loquens), αἵ μὲν ἦσαν ἀληθεῖς, αἵ δὲ ψευδεῖς : opinionum nonnullæ veræ, nonnullæ autem falsæ sunt. Sic apud Lærtium Epicurei opinionem ἀληθῆ τὲ φασι καὶ ψευδῆ : veram esse et falsam dicunt. Porro cum opinio iuxta antedicta [244r] sit quoddam mentis iudicium sensus functionem consequens, seu simplici adprehensioni veluti superveniens, idcirco addit Lærtius ipsos opinionem adpellasse καὶ ὑπόληψιν, quasi dixeris subsumptionem. Cum enim visus, exempli gratia, adprehendit turrim rotundam, neque tamen quicquam pronunciat, sed renuntiat simpliciter quod adprehendere contingit, tunc mens nihil cunctando subsumit ac pronunciat turrim esse rotundam estque subsumptum hoc iudicium quod opinionem adpellant. Adpellat etiam Epicurus idem iudicium διάληψιν, quasi interceptionem dicas ; interiacet enim opinio inter nudam adprehensionem et maturum iudicium. Ea vox habetur aliquoties in Epistula ad Herodotum, saltem in Regiis ms., ut cum ait τὸ δὲ ψεῦδος, καὶ τὸ διημαρτημένον ἐν τῷ προσδοξαζαμένῳ ἀεί ἐστιν εἴτ’ ἀντιμαρτυρούμενον εἴτ’ οὐκ ἐτιμαρτυρούμενον (ita fortassis legen-

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Deuxième canon : L’opinion suit le sens, qui est susceptible de vérité ou de fausseté C’est ainsi que s’exprime Épicure un peu partout et en particulier chez Plutarque quand il dit1 τῶν δόξων τὰς μὲν ἀληθεῖς, τὰς δὲ ψευδεῖς : « les opinions sont tantôt vraies, tantôt fausses ». Et de même il dit chez Sextus Empiricus2 τούτων γὰρ (parlant des opinions), αἵ μὲν ἦσαν ἀληθεῖς, αἵ δὲ ψευδεῖς : « Parmi les opinions, les certaines sont vraies, d’autres sont fausses ». On trouve chez Diogène Laërce3 : les épicuriens « disent » de l’opinion ἀληθῆ τὲ φασι καὶ ψευδῆ « qu’elle peut être vraie ou fausse ». En outre, alors que l’opinion, selon ce qui a été dit ci-dessus, [244r] est un jugement de l’esprit qui fait suite à l’exercice du sens, autrement qui vient en quelque sorte en sus de l’appréhension simple, c’est la raison pour laquelle Diogène Laërce ajoute4 qu’ils ont appelé l’opinion καὶ ὑπόληψις « aussi supposition ». En effet, alors que la vue, par exemple, appréhende une tour ronde, et cependant, sans rien prononcer, annonce en retour simplement ce qu’elle se trouve être en train d’appréhender, c’est donc alors l’esprit qui, sans balancer, suppose et prononce que la tour est ronde et voilà qu’est supposé ce jugement qu’ils appellent opinion. Épicure appelle aussi le jugement διάληψις, c’est-à-dire « distinction » ; car l’opinion se place entre l’appréhension nue et le jugement mûr. Ce mot se trouve quelquefois dans la Lettre à Hérodote, du moins dans les Manuscrits Royaux5, comme quand il dit6 τὸ δὲ ψεῦδος, καὶ τὸ διημαρτημένον ἐν τῷ προσδοξαζαμένῳ ἀεί ἐστιν εἴτ’ ἀντιμαρτυρούμενον εἴτ’ οὐκ ἐτιμαρτυρούμενον (c’est peut-être ainsi qu’il faut 1 Plutarque, Opionions des philosophes, IV, 9, 899f. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 210. 3 Diogène Laërce, X, 34. 4 Diogène Laërce, X, 34. 5 Il s’agit des manuscrits P (=Codex Parisinus græcus 1759), comme le précise K. Algra dans son article « Gassendi et le texte de Diogène Laërce » (Elenchos 15 (1994), pp. 79-103, ici p. 82 note 7), à ceci près que par une communication personnelle, Tiziano Dorandi, que je remercie ici, m’indique que la date donnée par Algra (XIIIe siècle) est fausse et qu’il faut dater le manuscrit du XIe /XIIe siècle ; il s’agit d’un des meilleurs codex de Diogène Laërce (K. Algra, ibid., p. 86) ; et Q (= Codex Parisinus græcus 1758 (début XIVe siècle, sigle Q), copié sur P. Les intendants successifs de la Bibliothèque du roi (Nicolas Rigault, puis Pierre et Jacques Dupuy) mettent ces manuscrits à la disposition de Gassendi, comme le précise la Préface aux Animadversiones (K. Algra, ibid., p. 86-87 note 19). 6 Diogène Laërce, X, 50. Traduction modifiée.

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dum est potius quam ἐπιμαρτυρηθήσεσθαι ἢ μὴ ἀντιμαρτυρηθήσθαι, εἰτ’ οὐκ ἐπιμαρτυρουμένου quod nulla ratione cohæret) κατὰ τὴν κίνησιν ἐν ἡμῖν αὐτοῖς συνημμένην τῇ φανταστικῇ ἐπιβολῇ, διάληψιν δὲ ἔχουσαν (videtur pro ἐχουσῃ), καθ’ ἣν τὸ ψεῦδος γίνεται : falsitas et error in eo, quod opinamur, semper est, sive refragantem, sive non suffragantem evidentiam habeat, secundum motionem quæ in nobis sit, cohærentem quidem cum adplicatione ad adparentiam, seu adhibentem tenuem iudicium, iuxta quod falsitas creatur. Et paulopost τὸ διημαρτημένον οὐκ ἂν ὑπῆρχεν, εἰ μὴ ἐλαμβάνομεν καὶ ἄλλην τινὰ κίνησιν ἐν ἡμῖν αὐτοῖς συνημμένην μὲν τῇ φανταστικῇ ἐπιβολῇ (tres hæ voculæ iuxta præcedentia imo et sequentia supplendæ videntur) διάληψιν δὲ ἔχουσαν : error non foret nisi præterea adsumeremus quamdam aliam in nobis ipsis motionem, cohærentem quidem cum adplicatione ad adparentiam, verum adhibentem iudicium. Quo utroque loco constat ex supradictis adplicationem ad adparentiam nihil esse aliud quam ipsam sensionem, seu simplicem adprehensionem eius quod adparet : quæ quidem si sola foret, nulla esset falsitas ; at falsitas est ob illud iudicium quod est in motione, seu actione mentis ipsam comitante, ut subsumptione aliqua. Intellige tamen quoties contingit pravum ferri iudicium ; nam alias potest veritas esse ; heinc enim est quod Epicurus, cum dixit apud Empiricum alias veras esse, alias falsas opiniones, subiicit ἐπείπερ κρίσεις καθεστᾶσιν ἡμῶν ἐτὶ ταῖς φαντασίαις, κρίνομεν δὲ τὰ μὲν ὀρθῶς τὰ δὲ μοχθηρῶς : siquidem ea nostra sunt circa phantasias iudicia ; iudicamus autem ista quidem recte, illa autem prave. Vide autem ut consequenter modum falsitatis superinductæ declaret ; cum sit enim sensio, seu phantasia, vera, et quæri [244v] possit unde ergo suboriatur falsitas, pergit id contingere ἤτοι παρὰ τὸ προστιθέναι τι καὶ προσνέμειν ταῖς φαντασίαις ἢ παρὰ τὸ ἀφαιρεῖν τι τούτων καὶ κοινῶς καταψεύδεσθαι τῆς ἀλόγου αἰσθήσεως : sive quod aliquid addamus attri-

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lire plutôt que ἐπιμαρτυρηθήσεσθαι ἢ μὴ ἀντιμαρτυρηθήσθαι, εἰτ’ οὐκ ἐπιμαρτυρουμένου, ce qui est irrémédiablement incohérent) κατὰ τὴν κίνησιν ἐν ἡμῖν αὐτοῖς συνημμένην τῇ φανταστικῇ ἐπιβολῇ, διάληψιν δὲ ἔχουσαν (me semble-t-il à la place de ἐχουσῃ), καθ’ ἣν τὸ ψεῦδος γίνεται : « La fausseté et l’erreur résident dans le fait que nous émettions une opinion, soit qu’elle ait le vote favorable de l’évidence, ou le vote défavorable, selon le mouvement qui est en nous, étroitement uni avec l’attention à l’apparence, mais appliquant un mince jugement, de sorte que c’est en le suivant que la fausseté est créée ». Et un peu après1 : τὸ διημαρτημένον οὐκ ἂν ὑπῆρχεν, εἰ μὴ ἐλαμβάνομεν καὶ ἄλλην τινὰ κίνησιν ἐν ἡμῖν αὐτοῖς συνημμένην μὲν τῇ φανταστικῇ ἐπιβολῇ (il semble qu’il faille ajouter ces trois petits mots pour que cela cadre avec ce qui précède et ce qui suit) διάληψιν δὲ ἔχουσαν : « Mais l’erreur n’existerait pas si nous n’ajoutions également un autre mouvement en nous-mêmes qui, tout en étant cohérent avec l’attention à l’apparence, cependant applique le jugement ». Ces deux passages permettent d’établir d’après ce qui a été dit plus haut que l’attention à l’apparence n’est rien d’autre que la sensation ellemême, autrement dit l’appréhension simple de ce qui apparaît : et que si l’on s’en tenait à cette seule appréhension, il n’y aurait aucune fausseté ; mais il y a fausseté à cause de ce jugement qui s’opère dans le mouvement ou dans l’action de l’esprit qui l’accompagne, comme cela arrive avec une quelconque supposition. Comprends cependant que, chaque fois que cela se passe, c’est un mauvais jugement qui est porté ; car autrement il peut y avoir de la vérité ; en effet c’est là ce qu’ajouta Épicure, quand il dit chez Sextus Empiricus que parmi les opinions les unes sont vraies et les autres sont fausses2 : ἐπείπερ κρίσεις καθεστᾶσιν ἡμῶν ἐτὶ ταῖς φαντασίαις, κρίνομεν δὲ τὰ μὲν ὀρθῶς τὰ δὲ μοχθηρῶς : « puisqu’elles ne sont que les jugements que nous portons sur les phantaisies ; or nous jugeons certaines d’une façon correcte, d’autres de façon tortue ». Or vois comme il éclaire conséquemment le mode d’addition de fausseté ; alors que en effet la sensation, c’est-à-dire la phantaisie, est vraie, et qu’il est possible [244v] de rechercher d’où vient la fausseté, il poursuit en disant que cela arrive  : ἤτοι παρὰ τὸ προστιθέναι τι καὶ προσνέμειν ταῖς φαντασίαις ἢ παρὰ τὸ ἀφαιρεῖν τι τούτων καὶ κοινῶς καταψεύδεσθαι τῆς ἀλόγου αἰσθήσεως : « soit parce que nous ajoutons quelque chose et l’attribuons aux phantaisies, soit parce que nous leur soustrayons quelque chose, et qu’en géné1 Diogène Laërce, X, 51. Traduction modifiée. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 210.

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buamusque phantasiis, sive quod ipsis quidpiam adimamus, et universe sensui rationes experti adfingamus aliquid. Huc respexit Lucretius, cum enumeratis illis obiectionibus conclusit : Cætera de genere hoc mirando multa videmus, quæ violare fidem quasi sensibus omnia quærunt, nequidquam, quoniam pars horum maxima fallit propter opinatus animi quos addimus ipsi, pro visis ut sint quæ non sunt sensibus visa. Itaque docet Epicurus quidquid falsitatis in hoc negotio intervenit, id non sensibus imputandum, sed opinioni adscribendum. Sic Epicurei, inquit Tertullianus1, post recitatos Stoicos, constantius parem omnibus atque perpetuam defendant veritatem, sed alia via ; non enim sensum mentiri, sed opinionem ; sensum enim pati non opinari. Et vide ut idem Tertullianus reipsa id probet, quamvis improbare videatur, quod adtribuit Epicureis abscidisse illos et opinionem a sensu, et sensum ab anima. Prætereo autem et alios, etiam ex sanctis patribus, qui Epicuro adstipulentur, ac Nyssenum nominatim, qui postquam de visu loquens memoravit2 illa de remo refracto et turri quadrangula, quæ rotunda videtur, subdit neque est hic error visus, sed intellectus ; nam hic quidem vidit et annunciavit, intellectus autem repræsentatis non intendit. Dixeris Macrobium3 accinere ipsi ; nam quod remus, inquit, in aqua fractus videatur, vel quod turris eminus visa, cum sit angulosa, rotunda existimetur, facit rationis negligentia, quæ si se intenderit, agnoscit in turre angulos, et in remo integritatem, et omnia illa discernit, quæ Academicis damnandorum sensuum occasionem dederunt ; cum sensus unus inter certissimas res habendus est. Potest proinde universe responderi pro sensibus, non negari quidem experimenta, quæ obiecta sunt ; at quæ in illis est falsitas, eam ad intellectum, seu mentem, quæ opinatur, referendam esse ; quippe sensum ita adfectum

1 lib. de an. cap. 17 2 lib. 4. de philos. cap. 3 3 lib. 6. saturn. Cap. 14

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ral nous accolons quelque chose d’inventé aux sens qui ne font pas intervenir la raison ». C’est à cela qu’a regardé Lucrèce quand il conclut, après avoir énuméré ici les objections1 : Nous voyons bien d’autres merveilles de ce genre Qui semblent se liguer pour trahir la sensation. En vain, puisque l’erreur provient le plus souvent D’opinions que l’esprit ajoute de lui-même : On suppose avoir vu ce que les sens n’ont vu. C’est pourquoi Épicure enseigne que tout ce qui intervient comme fausseté en l’occurrence ne doit pas être imputé aux sens, mais attribué à l’opinion. Ainsi « les Épicuriens, avec plus de fermeté », dit Tertullien après avoir cité les stoïciens2, « défendent la vérité comme égale et immuable pour tous les sens, mais ils prennent un autre chemin ». Et vois comme le même Tertullien approuve en réalité, quoiqu’il semble le désapprouver, ce fait qu’il reconnaît aux épicuriens d’avoir séparé l’opinion du sens et le sens de l’âme. Or je passe sur d’autres auteurs, y compris parmi les saints pères, qui se font les répondants d’Épicure, et nommément Grégoire de Nysse qui, après avoir rappelé, traitant de la vue, l’expérience de la rame brisée et de la tour quadrangulaire qui paraît ronde, ajoute3 : « L’erreur ne vient pas de la vue, mais de l’intellect. Car l’une voit et annonce, mais l’intellect ne se soucie pas de ce qui est représenté. » Tu dirais que Macrobe abonde dans son sens ; car, dit-il4, « le fait qu’une rame plongée dans l’eau paraît brisée, qu’une tour, vue de loin, semble ronde, alors qu’elle présente des angles (des pans coupés) résulte de ce que la raison n’est pas intervenue ; mais si elle agit, elle reconnaît des angles dans la tour et la ligne droite dans la rame et elle discerne toutes les erreurs qui ont fourni aux Académiciens l’occasion de condamner les sens, alors que les sens doivent être considérés comme une des sources de connaissances les plus sûres ». L’on peut donc répondre généralement pour les sens qu’[il n’est pas question de nier] les expériences qui servent d’objection, mais que la fausseté qui est en eux doit être rapportée à l’intellect, ou esprit, qui émet une

1 Lucrèce, DRN, IV, 462-466. 2 Tertullien, De l’âme, XVII, 4. 3 Grégoire de Nysse, La Création de l’homme, 10. 4 Macrobe, Saturnales, VII, 14, 20-21. Gassendi met au singulier ici ce qui est au pluriel dans le texte original (habendi sunt). Peut-être cite-t-il de mémoire ?

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cum tali distantia et obiecto sic posito necessario pati huiusmodi phantasiam, seu hanc sensionem exprimere, quam cum nude menti exhibeat, tum ipsius mentis esse opinari, sive iudicare, an res adparens sit talis necne. Contendit nempe Epicurus ut adferamus exemplum in visu non corpus ipsum per se videri, sed colorem solummodo (idem dicendum de figura, adiunctisque cæteris) ; adhuc vero nec ipsum colorem per se conspici, sed per sui speciem, quæ transmissa per ærem incurrit in oculum ; quare oculum informari non corpore eiusque colore, sed specie coloris ac corporis solum. Cum vero hæc species alia sit prope, puta integra, alia procul, puta mutilata, idcirco [245r] oculum non eandem hic, illicque excipere ; sed excipere tamen semper qualis revera utrobique pro ratione loci est, adeo ut illic per revera integram, hic per revera mutilatam videat. Hinc igitur utramque visionem veram necessariamque esse, cum præsertim oculus non iudicet rem quæ hic apparet esse eamdem, quæ illic est visa, sed nude ac simpliciter rem hic per unam speciem adprehendat, illic vero per aliam ; porro autem mentem esse, quæ rem hic ab oculo visam opinetur esse talem, qualis ab oculo videtur ; adeoque et tum maxime falli cum existimat omnibus in locis eamdem illius impressionem in oculo fieri. Patet igitur non oculum falli, cum procul existens turrim teretem adspicit, sed mentem, quæ non aliam turris speciem oculo prope occursuram iudicat ; neque enim visus qui decipitur, dum progressum umbræ intuetur, sed mentem, quæ unicam lucis privationem in variis succedentibusque locis opinatur, cum sint tamen innumeræ, adfingitque sensui quod unicam videat, cum sensus tamen alias aliasque perpetuo (sed nihil pronuntiando) respectet ; atque ita de cæteris. Sed audiendus est ipse Epicurus -ἐξαπατᾷ δὲ ἐνίους, inquit apud Empiricum, ἡ διαφορὰ τῶν ἀπὸ τοῦ αὐτοῦ αἰσθητοῦ, οἷον ὁρατοῦ, δοκουσῶν προσπίπτειν φαντασιῶν, καθ’ ἣν ἢ ἀλλοιόχρουν ἢ ἀλλοιόσχημον ἢ ἄλλως πως ἐξηλλαγμένον

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opinion ; puisque le sens ainsi affecté à telle distance et par un objet occupant telle position subit nécessairement une phantaisie de ce genre, ou exprime une sensation qu’il transmet toute nue à l’esprit ; mais qu’il relève de l’esprit même d’avoir une opinion, c’est-à-dire de juger, si la chose qui apparaît est ou non ce qu’elle apparaît. Assurément Épicure, soutient, comme nous en avons apporté l’exemple en ce qui concerne la vue, que ce n’est pas le corps lui même qui se voit en soi, mais seulement la couleur (il faut dire la même chose de la figure et des autres attributs) ; mais que, de plus, ce n’est pas par elle-même que la couleur même est perçue, mais par son apparence, qui, transmise par l’air, bombarde l’œil ; que c’est pourquoi l’œil n’est pas informé par le corps ou par sa couleur, mais seulement par l’apparence de couleur et de corps. Mais qu’alors que cette apparence est une de près, par exemple entière, et autre de loin, par exemple mutilée, c’est la raison pour laquelle [245r] l’œil ne la reçoit pas pareillement ici et là ; mais qu’il le reçoit cependant toujours telle qu’elle est en réalité de chaque côté en fonction du lieu, de telle sorte qu’il la voit ici véritablement entière, là véritablement mutilée. Que de là donc les deux visions sont vraies et nécessaires, alors surtout que l’œil ne juge pas que la chose qui apparaît là est la même que celle qui est vue là-bas, mais qu’il appréhende de façon nue et simple la chose, ici par une apparence et là par une autre ; qu’en outre c’est l’esprit qui est d’opinion qu’une chose vue ici par l’œil est telle qu’elle est vue par l’œil ; et qu’ainsi il se trompe à cet instant précis quand il estime que la même impression se produit dans l’œil quel que soit le lieu. Il est donc évident que ce n’est pas l’œil qui se trompe, quand, regardant de loin, il aperçoit une tour arrondie, mais l’esprit, qui juge que ce n’est pas une autre apparence de tour qui devra, de près, s’offrir à son œil ; en effet ce n’est pas non plus la vue qui abuse, quand elle observe la marche de l’ombre, mais l’esprit qui est d’opinion qu’une unique privation de lumière a lieu dans les différents lieux successifs, alors qu’elles sont bien plutôt sans nombre, et c’est bien l’esprit qui impute faussement au sens de la voir unique, alors que le sens considère cependant en découvre perpétuellement de nouvelles les unes après les autres (mais ne prononce rien) ; et il en va de même de tous les autres exemples. Mais il faut écouter Épicure lui-même – ἐξαπατᾷ δὲ ἐνίους, dit-il chez Sextus Empiricus1, ἡ διαφορὰ τῶν ἀπὸ τοῦ αὐτοῦ αἰσθητοῦ, οἷον ὁρατοῦ, δοκουσῶν προσπίπτειν φαντασιῶν, καθ’ ἣν ἢ ἀλλοιόχρουν ἢ ἀλλοιόσχημον ἢ 1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 206-209.

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φαίνεται τὸ ὑποκείμενον. ὑπενόησαν γὰρ ὅτι τῶν οὕτω διαφερουσῶν καὶ μαχομένων φαντασιῶν δεῖ τὴν μέν τινα ἀληθῆ εἶναι τὴν δ’ ἐκ τῶν ἐναντίων ψευδῆ τυγχάνειν. ὅπερ ἐστὶν εὔηθες, καὶ ἀνδρῶν μὴ συνορώντων τὴν ἐν τοῖς οὖσι φύσιν. οὐ γὰρ ὅλον ὁρᾶται τὸ στερέμνιον, ἵνα ἐπὶ τῶν ὁρατῶν ποιώμεθα τὸν λόγον, ἀλλὰ τὸ χρῶμα τοῦ στερεμνίου. τοῦ δὲ χρώματος τὸ μέν ἐστιν ἐπ’ αὐτοῦ τοῦ στερεμνίου, καθάπερ ἐπὶ τῶν σύνεγγυς καὶ ἐκ τοῦ μετρίου διαστήματος βλεπομένων, τὸ δ’ ἐκτὸς του στερεμνίου κἀν τοῖς ἐφεξῆς τόποις ὑποκείμενον, καθάπερ ἐπὶ τῶν ἐκ μακροῦ διαστήματος θεωρουμένων. τοῦτο δὲ ἐν τῷ μεταξὺ ἐξαλλαττόμενον, καὶ ἴδιον ἀναδεχόμενον σχῆμα, τοιαύτην ἀναδίδωσι φαντασίαν ὁποῖον καὶ αὐτὸ κατ’ ἀλήθειαν ὑπόκειται. ὅνπερ οὖν τρόπον οὔτε ἡ ἐν τῷ κρουομένῳ χαλκώματι φωνὴ ἐξακούεται οὔτε ἡ ἐν τῷ στόματι τοῦ κεκραγοτος, ἀλλ’ ἡ προσπίπτουσα τῇ ἡμετέρᾳ αἰσθήσει, καὶ ὡς οὐθείς φησι τὸν ἐξ ἀποστήματος μικρᾶς ἀκούοντα φωνῆς ψευδῶς ἀκούειν, ἐπείπερ σύνεγγυς ἐλθὼν ὡς μείζονος ταύτης ἀντιλαμβάνεται, οὕτως οὐκ ἂν εἴποιμι ψεύδεσθαι τὴν ὄψιν, ὅτι ἐκ μακροῦ μὲν διαστήματος μικρὸν ὁρᾷ τὸν πύργον καὶ στρογγύλον ἐκ δὲ τοῦ σύνεγγυς μείζονα καὶ τετράγωνον, ἀλλὰ μᾶλλον ἀληθεύειν, ὅτι [245v] καὶ ὅτε φαίνεται μικρὸν αὐτῇ τὸ αἰσθητὸν καὶ τοιουτόσχημον, ὄντως ἐστὶ μικρὸν καὶ τοιουτόσχημον, τῇ διὰ τοῦ ἀέρος φορᾷ ἀποθραυομένων τῶν κατὰ τὰ εἴδωλα περάτων, καὶ ὅτε μέγα πάλιν καὶ ἀλλοιόσχημον, πάλιν ὁμοίως μέγα καὶ ἀλλοιόσχημον, ἤδη μέντοι οὐ τὸ αὐτὸ ἀμφότερα καθεστώς. τοῦτο γὰρ τῆς διαστρόφου λοιπόν ἐστι δόξης οἴεσθαι, ὅτι τὸ αὐτὸ ἦν τό τε ἐκ τοῦ σύνεγγυς καὶ τὸ πόρρωθεν θεωρούμενον φανταστόν : nonnullos autem decipit ea phantasiarum, quæ videntur ex eodem contingere sensibili (verbi causa adspectabili), differentia, iuxta quam subiectum aut alterius coloris, aut alterius figuræ, aut alio modo immutatum adparet. Existimant enim discrepantium, pugnantiumque hac ratione phantasiarum aliam quidem veram, aliam autem ex adverso falsam esse oportere : quod quidem est stultum atque hominum naturam rerum non considerantium. Non enim totum cernitur solidum (seu corpus), ut verba faciamus in adspectabilibus, sed ipsius solidi color. Coloris vero aliud quidem est in ipso solido, ut est quod apparet in iis, quæ prope aut mediocri ex intervallo conspiciuntur, aliud extra solidum est (puta species aut simulacrum) recipiturque in locis ordine succedentibus, ut quod in iis, quæ ex longo conspiciuntur intervallo. Hoc ipsum est autem quod in medio

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ἄλλως πως ἐξηλλαγμένον φαίνεται τὸ ὑποκείμενον. ὑπενόησαν γὰρ ὅτι τῶν οὕτω διαφερουσῶν καὶ μαχομένων φαντασιῶν δεῖ τὴν μέν τινα ἀληθῆ εἶναι τὴν δ’ ἐκ τῶν ἐναντίων ψευδῆ τυγχάνειν. ὅπερ ἐστὶν εὔηθες, καὶ ἀνδρῶν μὴ συνορώντων τὴν ἐν τοῖς οὖσι φύσιν. οὐ γὰρ ὅλον ὁρᾶται τὸ στερέμνιον, ἵνα ἐπὶ τῶν ὁρατῶν ποιώμεθα τὸν λόγον, ἀλλὰ τὸ χρῶμα τοῦ στερεμνίου. τοῦ δὲ χρώματος τὸ μέν ἐστιν ἐπ’ αὐτοῦ τοῦ στερεμνίου, καθάπερ ἐπὶ τῶν σύνεγγυς καὶ ἐκ τοῦ μετρίου διαστήματος βλεπομένων, τὸ δ’ ἐκτὸς του στερεμνίου κἀν τοῖς ἐφεξῆς τόποις ὑποκείμενον, καθάπερ ἐπὶ τῶν ἐκ μακροῦ διαστήματος θεωρουμένων. τοῦτο δὲ ἐν τῷ μεταξὺ ἐξαλλαττόμενον, καὶ ἴδιον ἀναδεχόμενον σχῆμα, τοιαύτην ἀναδίδωσι φαντασίαν ὁποῖον καὶ αὐτὸ κατ’ ἀλήθειαν ὑπόκειται. ὅνπερ οὖν τρόπον οὔτε ἡ ἐν τῷ κρουομένῳ χαλκώματι φωνὴ ἐξακούεται οὔτε ἡ ἐν τῷ στόματι τοῦ κεκραγοτος, ἀλλ’ ἡ προσπίπτουσα τῇ ἡμετέρᾳ αἰσθήσει, καὶ ὡς οὐθείς φησι τὸν ἐξ ἀποστήματος μικρᾶς ἀκούοντα φωνῆς ψευδῶς ἀκούειν, ἐπείπερ σύνεγγυς ἐλθὼν ὡς μείζονος ταύτης ἀντιλαμβάνεται, οὕτως οὐκ ἂν εἴποιμι ψεύδεσθαι τὴν ὄψιν, ὅτι ἐκ μακροῦ μὲν διαστήματος μικρὸν ὁρᾷ τὸν πύργον καὶ στρογγύλον ἐκ δὲ τοῦ σύνεγγυς μείζονα καὶ τετράγωνον, ἀλλὰ μᾶλλον ἀληθεύειν, ὅτι [245v] καὶ ὅτε φαίνεται μικρὸν αὐτῇ τὸ αἰσθητὸν καὶ τοιουτόσχημον, ὄντως ἐστὶ μικρὸν καὶ τοιουτόσχημον, τῇ διὰ τοῦ ἀέρος φορᾷ ἀποθραυομένων τῶν κατὰ τὰ εἴδωλα περάτων, καὶ ὅτε μέγα πάλιν καὶ ἀλλοιόσχημον, πάλιν ὁμοίως μέγα καὶ ἀλλοιόσχημον, ἤδη μέντοι οὐ τὸ αὐτὸ ἀμφότερα καθεστώς. τοῦτο γὰρ τῆς διαστρόφου λοιπόν ἐστι δόξης οἴεσθαι, ὅτι τὸ αὐτὸ ἦν τό τε ἐκ τοῦ σύνεγγυς καὶ τὸ πόρρωθεν θεωρούμενον φανταστόν : « Or certains se font duper par la différence entre des phantaisies qui semblent se produire du fait du même objet sensible, différence en vertu de laquelle l’objet apparaît avoir une autre couleur, ou une autre forme ou une autre modification quelle qu’elle soit. Car ils estiment que, parmi des phantaisies ainsi contradictoires et opposées, il faut que l’une soit vraie, mais l’autre en face fausse. Ce qui est stupide et le fait d’hommes qui ne considèrent pas la nature des choses. Car ce n’est pas l’ensemble du solide » (entends “corps”) « qui est pris en compte – pour parler des choses visibles –, mais la couleur de ce solide. Or, de la couleur, une partie est dans le solide même, comme dans le cas des objets que l’on regarde de près ou bien à une faible distance, mais une partie est en dehors du solide » (entends l’espèce ou le simulacre) « et prend place dans les lieux qui se suivent dans l’ordre, comme dans le cas des objets que nous regardons à une grande distance. Or c’est cela même qui se change dans l’intervalle et qui, recevant une figure propre, produit la phantaisie de ce que le solide est en réalité. C’est donc de cette façon que ce qui est entendu, ce n’est pas le son qui se trouve dans un objet en bronze une fois

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immutatum propriamque accipiens figuram talem phantasiam procreat quale ipsum revera est. Quo ergo modo neque vox, quæ in ære pulsato est, neque ea, quæ est in ore vociferantis exauditur, sed ea quæ in nostrum sensum incurrit. Et quomodo nemo dicit eum, qui parvam ex intervallo audit vocem, falso audire, quoniam cum prope venerit eam adprehendit tanquam maiorem, ita nec visum falli dixerim, quod ex intervallo parvam turrim ac teretem videat, ex propinquo autem maiorem et quadrangularem, sed potius illum esse verum, quoniam et quando parvum ipsi sensile ac huiusmodi figuræ adparet, revera parvum, istoque modo figuratum est, confractis motu per ærem simulachrorum finibus, et rursus quando magnum adparet figuræque alterius, tum perinde magnum rursus alioque modo figuratum est : scilicet cum idem non sit utrobique. Hoc enim est de cætero perversæ opinionis æstimare idem esse sensile quod prope et quod procul conspicitur. Nunc intelliges responsionem quam adfert ipse Lucretius ad primum illud experimentum. Dicit nempe turres quadratas ideo videri procul – Angulus obtusus, quia longe cernitur omnis, hinc etiam potius non cernitur ac perit eius plaga nec ad nostras acies perlabitur ictus, æra per multum quia dum simulachra feruntur,[246r] cogit hebescere eum crebris offensibus ær : hinc ubi suffugit sursum simul angulus omnis, fit quasi tornata ut saxorum structa tuantur,  non tamen ut coram quæ sunt, vereque rotunda, sed quasi adumbratim paullum simulata videntur. Et quam ad secundum de umbra – Nam nihil esse potest aliud nisi lumine cassus ær id quod nos umbram perhibere suemus : nimirum quia terra locis ex ordine certis lumine privatur solis quacunque meantes officimus, repletur item quod liquimus eius,  propterea fit uti videatur, quæ fuit umbra corporis, e regione eadem nos usque secuta. Semper enim nova se radiorum lumina fundunt

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frappé, ni celui qui est dans la bouche d’un homme en train de crier, mais celui qui frappe notre sens. Et de même que personne ne dit de celui qui entend un son de faible intensité à une certaine distance qu’il entend faux, puisque, quand il s’approche, il le perçoit dans une intensité supérieure, de même je ne dirais pas que la vue se trompe, parce qu’elle voit de loin une tour petite et ronde, mais de près plus grande et carrée, mais plutôt que la vue est vraie, puisque quand la tour apparaît au niveau des sens petite et de cette forme, elle est vraiment petite et revêt vraiment cette forme, ses bords étant brisés par le mouvement des simulacres dans l’air, et à l’inverse quand elle apparaît grande et d’une autre forme, alors elle est de la même façon grande et revêt une autre forme, alors qu’assurément le même objet n’est pas les deux en même temps. C’est du reste le fait d’une opinion tordue que d’estimer que l’objet qui est vu de près et de loin est le même par rapport au sens ». À présent tu comprendras la réponse que Lucrèce lui-même apporte à cette première expérience. Il dit assurément que les tours carrées sont vues donc de loin1 : À grande distance tout angle devient obtus, Ou plutôt disparaît, son impulsion se perd, Les chocs ne peuvent plus parvenir à nos yeux Parce que, à tant frapper ses simulacres qui la traversent [246r] La grande masse d’air le force à s’émousser. Quand donc tous leurs angles échappent à nos sens, Ces édifices de pierre semblent modelés sur un tour ; S’ils n’ont l’aspect d’objets arrondis, présents et vrais, Ils leur ressemblent un peu, à la façon d’esquisses. Et celle qu’il apporte à la seconde sur l’ombre2 : Compte rendu ce que d’ordinaire nous appelons une ombre N’est rien d’autre que l’air, de lumière endeuillé. Oui, de place en place, au gré de notre marche, Le sol perd la lumière que nous interceptons Et la capte à nouveau quand nous la libérons. Ainsi la même ombre, l’ombre de notre corps, Semble-t-elle partout nous suivre en droite ligne. Or toujours affluent de nouveaux rayons lumineux 1 Lucrèce, DRN, IV, 355-363. 2 Lucrèce, DRN, IV, 368-378.

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primaque dispereunt, quasi in ignem lana trahatur. Propterea facile et spoliatur lumine terra et repletur item, nigrasque sibi abluit umbras. Vide ut proinde concludat, quoniam id potest cæteris quæ obiiciuntur accommodari : Nec tamen hic oculos falli concedimus hilum. Nam quocunque loco sit lux atque umbra tueri illorum sit ; eadem vero sint lumina, necne, umbraque quæ fuit hic eadem nunc transeat illuc, an potius fiat paullo quod diximus ante, hoc animi ratio demum discernere debet, nec possunt oculi naturam noscere rerum. Proinde animi vitium hoc oculis adfingere noli. Paucis certe exinde potest responderi ad tertium, non sensum falli, sed mentem, seu quod est idem, non sensionem, sed opinionem falsam esse, quod ex eodem maris loco, perinde ac ex eadem navi, varios observemus situs littoris. Ad quartum quoque non visum falli, qui solem semper videt ubi est, sed mentem ipsum, quæ varia loca, cum non discernat, unum atque eumdem esse reputat. Ad quintum etiam, falsam dumtaxat opinionem esse, quod per eamdem speciem res repræsentari prope et procul debeant. Ad sixtum item opinionem falli, quasi sensorium adhuc agitatum recipere debeat in se species rerum quiescentium, ut si ipse consisteret. Ad septimum hallucinationem opinionis esse, quod cum visus æque recipiat imminutas longo intervallo species, ac non sic deminutas brevi, mens ipsa inde colligat intervallorum æqualitatem. Ad octavum item, quod cum visus in aqua solem videat, ut videre adigitur per speciem reflexam, mens per directam putet conspici. Ad nonum, quod cum visus succedentes tempore fluctus observet, mens [246v] adpre-

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Et meurent les anciens comme l’aine au feu dévidée. La terre se laisse donc dérober la lumière Comme elle s’en emplit pour se laver des ombres noires. Vois comme il conclut donc, puisque cette conclusion peut être adaptée à toutes les autres objections1 : Mais nous n’admettons point qu’alors les yeux se trompent. Nulle erreur : partout voir l’ombre et la lumière, Voilà leur rôle, mais est-ce ou non la même lumière, La même ombre passe-t-elle d’un endroit à l’autre Ou n’est-ce pas plutôt comme nous l’avons dit ? À la raison enfin de faire la différence, L’œil ne peut connaître la nature des choses. Ainsi n’impute pas aux yeux les défauts de l’esprit. On peut certes de là répondre en peu de mots à la troisième expérience, que ce n’est pas le sens qui se trompe, mais l’esprit, c’est-à-dire, ce qui revient au même, que ce n’est pas la sensation, mais l’opinion qui est fausse, quand elle prononce que c’est depuis le même lieu de la mer exactement comme depuis le même navire que nous observons différents sites du rivage. Pour la quatrième expérience, que ce n’est pas non plus la vue qui se trompe, elle qui voit toujours le soleil là où il est, mais l’esprit lui-même qui, alors qu’il ne fait pas la distinction entre les différents lieux, décrète qu’il ne s’agit jamais que d’un seul et du même. Pour la cinquième expérience aussi, que c’est seulement l’opinion qui est fausse, en estimant que les choses se présentent aux yeux sous le même aspect de près et de loin. Pour la sixième expérience que, de même c’est l’opinion qui se trompe de conclure que le siège des sens, agité de la sorte, devrait recevoir en lui les apparences de choses immobiles comme s’il était lui-même au repos. Pour la septième expérience, que c’est par une hallucination de l’opinion qu’alors que la vue enregistre à juste titre une diminution des apparences à une grande distance, mais un moindre rétrécissement à une courte, l’esprit lui-même en infère l’égalité des distances. Aussi pour la huitième expérience, parce qu’alors que la vue voit le soleil dans l’eau, de même qu’elle est contrainte de le voir à travers l’apparence fléchie, l’esprit pense qu’il est vu à travers une apparence droite. Pour la neuvième expérience, parce qu’alors que la vue observe des flots qui se succèdent dans le temps, l’esprit [246v], pour cette raison, appréhende comme s’ils se succédaient dans 1 Lucrèce, DRN, IV, 379-386.

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hendet propterea veluti loco succedenteis, sicque unum locum pro totidem retro locis habet, quotquot ex ea parte in illum undulationes adpellunt. Ad decimum, quod opinetur vel idem, vel æquale spatium eadem specie prope, qua procul debere visui occurrere. Ad undecimum, quod existimet cœli fornicem incumbere ipsi mari eadem ratione qua dictum est ad septimum experimentum. Ad duodecimum, quod non discernat aliam visionem per speciem directam, aliam per refractam necessario ac vere fieri. Ad decimumtertium, quod cum visus nubes in aliis aliisque locis revera videat, mens opinetur ipsas perinde loco immotas, ac iugi visione adspectus illas insequitur, ex quo iudicet non ipsas a sideribus, sed ab ipsis sidera intervallo facto discessisse. Ad decimumquartum, quod cum geminæ species in geminos oculos, æque directe uniformiterque incurrunt ex eadem re, oculus unus speciem directam, alius obliquam recipit, tum duplicem rem imaginetur atque id quidem præter responsionem ex nostra sententia verissimiliorem deductam ex parallelismo axium visionis ab utroque oculo ; ex alterius tantum oculi actione, cum visio directa distinctaque est, et ex duplici, sive separata actione utriusque cum obliqua est et confusa visio ; quæ alias fusius dicenda sunt. Ad decimumquintum et decimumsextum eadem ratio est, quando præter phantasiam intervenit etiam opinio, seu somniet, seu insaniat quis. Cum Epicurus enim velit, ut alias explicabimus, etiam adparitiones illas tam somnientium quam insanientium per inventionem simulachrorum, seu imaginum fieri, ea de causa docet illas esse veras quippe creatas per simulachra oculum mentemve revera moventia : at quod opinio, quæ de illis habetur, sit vera, hoc non adserit. Hinc dum Plutarchus Epicuream sententiam sic exagitat, adserere possumus illam non legitime explicari. Sicuti enim cum Epicurus dixit visionem turris procul positæ tanquam rotundæ esse veram, non censuit idcirco pronuntiandum turrim in se esse revera rotundam, sed voluit solum dicere visum specie rotundata, ut sic loquar (et ut Plutarchus etiam loquitur), vere adfici.

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le lieu et considère ainsi qu’il n’y a qu’un seul lieu et non pas autant de lieux, derrière, qu’il y a d’ondulations poussées par derrière. Pour la dixième expérience, parce qu’il est d’opinion que le même espace, ou un espace égal doit s’imposer à la vue sous la même espèce de près ou de loin. Pour la onzième expérience, parce qu’il estime que l’arche du ciel se penche sur la mer ellemême de la même façon que ce qui a été dit à la septième expérience. Pour la douzième expérience, parce qu’il ne discerne pas qu’il arrive nécessairement et vraiment que la vision par une espèce droite soit différente de la vision par une espèce réfractée. Pour la treizième expérience, parce qu’alors que la vue aperçoit réellement des nuages dans des lieux très divers, l’esprit opine ensuite comme s’ils étaient immobiles et le regard les suit en les fixant longuement, à la suite de quoi il estime que ce ne sont pas eux qui s’éloignent des étoiles, mais les étoiles qui se sont éloignés d’eux, en laissant un espace de séparation. Pour la quatorzième expérience, parce que des espèces doubles bombardent depuis la même chose également, directement et uniformément, un œil reçoit une espèce droite, l’autre une oblique, alors il imagine que la chose est double et cela contre l’interprétation plus vraisemblable à notre avis déduite du parallélisme des axes de la vision de chacun des deux yeux1 ; du fait de l’action de seulement un œil, quand la vision est directe et distincte, et de l’action double ou séparée des deux yeux quand la vision est oblique et confuse ; autant de thèmes qu’il faudra développer davantage ailleurs. Pour les quinzième et seizième expériences le même raisonnement vaut, puisqu’en plus de la phantaisie intervient également l’opinion, qu’il s’agisse d’un rêve ou d’un délire. En effet, alors qu’Épicure veut, comme nous l’expliquerons ailleurs, que ces apparitions qui affectent tant les rêveurs que les fous soient produites elles aussi par la découverte qu’ils font de simulacres ou d’images, c’est pour cette raison qu’il enseigne qu’elles sont vraies en tant que créées par des simulacres qui mettent vraiment l’œil ou l’esprit en mouvement ; mais ce n’est pas là affirmer que l’opinion, qui est tenue sur elles, est vraie. De là, alors que c’est la conception que Plutarque impute aux épicuriens, pour la critiquer2, nous pouvons affirmer qu’il ne l’expose pas comme il faut. En effet, de même que, quand Épicure a dit que la vision de la tour placée au loin en tant que ronde est vraie, il n’a pas estimé pour autant qu’il fallait prononcer que la tour fût ronde en réalité, mais il a voulu seulement dire que 1 Expérience avec Peiresc et lettre à Galilée. 2 Plutarque, Contre Colotès, 1121b.

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Ita iam nihil amplius dicit quam seu oculum, seu mentem vere adfici rerum imaginibus. Quod enim res ipsæ veræ et solidæ existimentur, hoc non motionis esse simplicis, sed consequentis eam opinionis, quæ proinde sola falsa sit. Ecce enim apud Sextum docet πλανᾶσθαι δὲ τοὺς τινὰς μὲν τῶν φαντασιῶν λέγοντας ἀληθεῖς τινὰς δὲ ψευδεῖς παρὰ τὸ μὴ δύνασθαι χωρίζειν δόξαν ἀπὸ ἐναργείας. ἐπὶ γοῦν τοῦ Ὀρέστου, ὅτε ἐδόκει βλέπειν τὰς Ἐρινύας, ἡ μὲν [247r] αἴσθησις ὑπ’ εἰδώλων κινουμένη ἀληθὴς ἦν (ὑπέκειτο γὰρ τὰ ἔδωλα), ὁ δὲ νοῦς οἰόμενος ὅτι στερέμνιοι εἰσιν Ἐρινύες ἐψευδοδόξει : errare eos qui dicunt phantasiarum alias quidem veras, alias autem falsas, quod opinionem ab evidentia separare non valeant. Quod ad Orestem equidem spectat, cum ille sibi videbatur intueri Furias, sensus quidem a simulachris motus erat verus ; simulachra enim suberant ; at vero mens existimans solidas esse Furias opinatione fallebatur. Universe ergo censet Epicurus paris esse veritatis phantasias quascumque, seu vigilantium, seu dormientium, seu sanorum, seu insanorum : ex quo est illa omnium ἰσότης, æqualitas, quam Plutarchus habet, ac ὁμοιότης, similitudo quam Lærtius in Epistola ad Herodotum – ἡ δὲ (pro τε γὰρ) ὁμοιότης τῶν φαντασίων, ἣ ἐν μανίᾳ (puto pro φαντασμῶν οἱονεὶ ἐν εἰκονί, idque ex contextu et ex præcedentibus) ἢ καθ’ ὔπνους γινομένων, ἤ κατὰ ἀλλὰς τινὰς ἐπιβολὰς τῆς διανοίας, ἢ τῶν λοιπῶν κριτηρίων οὐκ ἄν ποτε ὑπῆρχε τοῖς οὖσί τε καὶ ἀληθέσι προσαγορευομένοις, εἰ μὴ ἦν τινα καὶ ταῦτα (forte τοιαῦτα) προς ἅ (non ὅ) βάλλόμεν : Similitudo vero phantasiarum, seu per insaniam acceptarum, seu per insomnia creatarum, seu per quasdam mentis aut aliorum criteriorum adplicationes, non adnumeraretur iis, quæ entia et vera dicuntur, nisi quædam forent ac eiusmodi (simulachra intellige) ad quæ collimaremus. Prætereo autem ut Plutarchus quoque ipsam ὁμοιότητος vocem insinuet, ubi dicit

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la vue était vraiment affectée par une apparence ronde, si je puis m’exprimer ainsi (et c’est aussi de cette façon que Plutarque s’exprime), de même ne ditil dorénavant rien de plus que le fait que tant l’esprit que l’œil est vraiment affecté par les images des choses. En effet, il ne relève pas du mouvement simple d’apprécier la vérité et la stabilité des choses, mais de l’opinion qui fait suite à ce mouvement, laquelle donc est seule fausse. Car voici ce qu’il enseigne chez Sextus Empiricus1 πλανᾶσθαι δὲ τοὺς τινὰς μὲν τῶν φαντασιῶν λέγοντας ἀληθεῖς τινὰς δὲ ψευδεῖς παρὰ τὸ μὴ δύνασθαι χωρίζειν δόξαν ἀπὸ ἐναργείας. ἐπὶ γοῦν τοῦ Ὀρέστου, ὅτε, ἐδόκει βλέπειν τὰς Ἐρινύας, ἡ μὲν [247r] αἴσθησις ὑπ’ εἰδώλων κινουμένη ἀληθὴς ἦν (ὑπέκειτο γὰρ τὰ ἔδωλα), ὁ δὲ νοῦς οἰόμενος ὅτι στερέμνιοι εἰσιν Ἐρινύες ἐψευδοδόξει : « Sont dans l’erreur ceux qui disent que parmi les phantaisies les unes sont vraies mais les autres fausses, parce qu’ils ne parviennent pas à séparer l’opinion de l’évidence. En ce qui concerne Oreste, alors qu’il avait l’impression de voir des Furies, son sens, mu par les simulacres, était vrai ; car les simulacres étaient là dessous ; mais c’était son esprit, estimant que les Furies étaient des corps stables et constants, qui se trompait dans la formation de l’opinion ». En général donc Épicure estime que sont d’une vérité égale toutes les phantaisies des hommes, qu’ils soient éveillés, endormis, sains d’esprit ou fous ; de là est cette ἰσότης, « égalité », que nous lisons chez Plutarque2, et ὁμοιότης, « ressemblance », que nous lisons chez Diogène Laërce3 dans la Lettre à Hérodote – ἡ δὲ (à la place de τε γὰρ) ὁμοιότης τῶν φαντασίων, ἣ ἐν μανίᾳ (je pense, à la place de φαντασμῶν οἱονεὶ ἐν εἰκονί, et cela d’après le contexte et ce qui précède) ἢ καθ’ ὔπνους γινομένων, ἤ κατὰ ἀλλὰς τινὰς ἐπιβολὰς τῆς διανοίας, ἢ τῶν λοιπῶν κριτηρίων οὐκ ἄν ποτε ὑπῆρχε τοῖς οὖσί τε καὶ ἀληθέσι προσαγορευομένοις, εἰ μὴ ἦν τινα καὶ ταῦτα (peut-être τοιαῦτα) προς ἅ (et non pas ὅ) βάλλόμεν : « Car la ressemblance des phantaisies, qu’elles soient perçues par le délire de la folie ou créées par le biais des rêves, ou selon d’autres attentions de la pensée ou des autres critères, ne serait pas ajoutée au compte des choses que l’on dit être et être vraies, si les choses de ce genre » (comprends les simulacres) « vers lesquelles nous jetons un œil n’étaient pas aussi quelque chose ». Or je passe sur le fait Plutarque renvoie lui aussi à ce mot de ὁμοιότης quand il dit4 πᾶσαν εἶναι φαντασίαν ὁμοίως ἀξιόπιστον, πᾶσαν 1 2 3 4

Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 63. Plutarque, Contre Colotès, 1123 d. Diogène Laërce, X, 51. Je ne conserve pas la traduction. Plutarque, Contre Colotès, 1121 d.

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πᾶσαν εἶναι φαντασίαν ὁμοίως ἀξιόπιστον, πᾶσαν ὑπάρχειν ἀληθῆ, ἄπιστον δὲ καὶ ψευδῆ μηδεμίαν : omnem phantasiam esse similiter fide dignam, nullam quæ fidem non mereatur, aut quæ falsa sit – quamquam quid in his immoror cum videatur potius responsio ex Lucretio sic concludenda : Illa tibi est igitur verborum copia cassa omnis quæ contra sensus instructa parata sit. Canon tertius : Opinio illa vera est cui vel suffragatur, vel non refragatur sensus evidentia. Ita Epicurus locis variis. Nam apud Lærtium, ἂν μὲν γὰρ ἐπιμαρτυρῆται, ἢ μὴ ἀντιμαρτυρῆται, ἀληθῆ εἶναι, supple δόξαν : opinionem veram esse, si suffragationem habeat, vel refragationem non habeat. Ac infra in Epistola ad Herodotum – ἐὰν δὲ ἐπιμαρτυρηθῇ, ἢ μὴ ἀντiμαρτυρηθῇ, τὸ ἀληθές, supple γίνεται : si suffragatio fuerit, vel refragatio non fuerit, verum est. Apud Empiricum vero ἀληθεῖς μὲν (scilicet δόξαι) ἐπιμαρτυρούμεναι, καὶ οὐκ ἀντιμαρτυρούμεναι [247v] πρὸς τῆς ἐναργείας : illæ opiniones sunt veræ, quæ ab evidentia vel suffragationem, vel non refragationem sortiuntur. Definitur porro consequenter quid vocibus istis Epicurus intelligat – ἔστι δὲ ἐπιμαρτύρησις μὲν κατάληψις δι’ ἐναργείας τοῦ τὸ δοξαζόμενον τοιοῦτον εἶναι ὁποιόν ποτε ἐδοξάζετο, οἷον Πλάτωνος μακρόθεν προσίοντος εἰκάζω μὲν καὶ δοξάζω παρὰ τὸ διάστημα ὅτι Πλάτων ἐστί, προσπελάσαντος δὲ αὐτοῦ προσεμαρτυρήθη ὅτι ὁ Πλάτων ἐστί, συναιρέθεντος τοῦ διαστήματος, καὶ ἐπεμαρτυρήθη δι’ αὐτῆς ἐναργείας : est autem suffragatio (sic interpretor potiusquam suffragium, quoniam durius isti opponeretur refragium, quin dicerem adtestationem, adstipulationem, aut aliud  ; sed deest quod commode opponam) comprehensio per evidentiam facta, quod opinabile tale sit, quale fuerimus prius opinati, veluti Platone procul accedente coniicio quidem et opinor quantum per intervallum licet quod sit Plato ; cum autem ipse adpropinquarit intervallo iam sublato fit adtestatio quod Plato sit, habeturque suffragatio per

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ὑπάρχειν ἀληθῆ, ἄπιστον δὲ καὶ ψευδῆ μηδεμίαν : « Tout phantaisie est semblablement digne de foi ; il n’y en a aucune qui ne mérite de faire foi ou qui soit fausse » – bien que je m’attarde un peu sur ce point alors qu’il semble qu’il faudrait plutôt conclure ma réponse d’après Lucrèce1 : Considère donc comme un vain amas de paroles Les arguments fourbis pour combattre les sens. Canon 3 : Cette opinion qui reçoit un vote favorable de l’évidence du sens ou n’en reçoit pas un vote défavorable est vraie. C’est ce que dit Épicure dans différents passages. Car chez Diogène Laërce2 : ἂν μὲν γὰρ ἐπιμαρτυρῆται, ἢ μὴ ἀντιμαρτυρῆται, ἀληθῆ εἶναι : « Si elle (complète avec δόξαν [l’opinion]) reçoit un vote favorable, ou si elle ne reçoit pas un vote défavorable, elle est vraie ». Et plus bas dans Lettre à Hérodote3 – ἐὰν δὲ ἐπιμαρτυρηθῇ, ἢ μὴ ἀντιμαρτυρηθῇ, τὸ ἀληθές : « Et s’il y a vote favorable ou vote défavorable (complète avec γίνεται [survient]) le vrai ». Mais chez Sextus Empiricus4 ἀληθεῖς μὲν (assurément δόξαι) ἐπιμαρτυρούμεναι, καὶ οὐκ ἀντιμαρτυρούμεναι [247v] πρὸς τῆς ἐναργείας : « Sont vraies les opinions qui reçoivent le vote favorable de l’évidence [des sens], ou du moins qui n’en reçoivent pas un vote défavorable ». En outre ce qu’Épicure comprend par ces termes est défini tout de suite après – ἔστι δὲ ἐπιμαρτύρησις μὲν κατάληψις δι’ ἐναργείας τοῦ τὸ δοξαζόμενον τοιοῦτον εἶναι ὁποιόν ποτε ἐδοξάζετο, οἷον Πλάτωνος μακρόθεν προσίοντος εἰκάζω μὲν καὶ δοξάζω παρὰ τὸ διάστημα ὅτι Πλάτων ἐστί, προσπελάσαντος δὲ αὐτοῦ προσεμαρτυρήθη ὅτι ὁ Πλάτων ἐστί, συναιρέθεντος τοῦ διαστήματος, καὶ ἐπεμαρτυρήθη δι’ αὐτῆς ἐναργείας : « Est un vote favorable » (je traduis ainsi plutôt que par suffrage, puisqu’à ce mot s’oppose trop durement rejet pour pouvoir dire attestation, confirmation, ou autre ; mais il manque un terme à opposer précisément) « une compréhension obtenue par le moyen de l’évidence du fait que l’objet sur lequel nous avons une opinion reçoit à bon droit cette opinion que nous en avons conçu, comme quand, alors que Platon arrive de loin, je considère et j’émets l’opinion, autant que la distance me le permet, 1 2 3 4

Lucrèce, DRN, IV, 511-512. Diogène Laërce, X, 34. Diogène Laërce, X, 51. Traduction modifiée. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 211-212.

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ipsam evidentiam. Sequitur οὐκ ἀντιμαρτύρηασις δὲ ἔστιν ἀκολουθία τοῦ ὑποσταθέντος καὶ δοξασθέντος ἀδήλου τῷ φαινομένῳ, οἷον ὁ Ἐπίκουρος λέγων εἶναι κενόν, ὅπερ ἐστὶν ἄδηλον, πιστοῦται δι’ ἐναργοῦς πράγματος τοῦτο, τῆς κινήσεως· μὴ ὄντος γὰρ κενοῦ οὐδὲ κίνησις ὤφειλεν εἶναι, τόπον μὴ ἐχοντος τοῦ κινουμένου σωμάτος εἰς ὅν περιστήσεται διὰ τὸ πάντα πλήρη εἶναι καὶ ναστά, ὥστε τῷ δοξασθέντι ἀδήλῳ μὴ ἀντιμαρτυρεῖν τὸ φαινόμενον κινήσεως οὔσης : non refragatio vero est consecutio rei non evidentis quam supponimus et opinamur ad adparens, seu evidens quidpiam ; ut dum Epicurus dicit esse inane, quod quidem est inevidens, suadetur per rem evidentem, ut puta per motum. Quippe inani non existente neque motus esse debet, cum corpus, quod movendum est, loco destituatur in quem se recipiat, quod omnia plena pressaque sint : quo fit ut rei non evidenti id quod est adparens seu evidens non refragetur, motus videlicet cum sit. Subdit postmodum ὅθεν ἡ μὲν ἐπιμαρτύρησις καὶ οὐκ ἀντιμαρτύρησις τοῦ ἀληθὲς εἶναί τι ἔστι κριτήριον : quamobrem suffragatio et non refragatio est criterium quo verum esse quid exploratur. Ac denique ubi est etiam de falsitate pronunciatum, id subiicitur, πάντων δὲ κρηπὶς καὶ θεμέλιον ἡ ἐνάργεια : omnium autem basis et fundamentum est evidentia. Cæterum cum Epicurus velit aliunde evidentiam idem esse cum phantasia, ut Empiricus quoque habet, constat tamen evidentiam κατ’ ἐξοχὴν dici eam phantasiam, quæ seposito intervallo similibusque obstaculis rem menti demonstrat qualis in se est. Etenim licet omnes phantasiæ, seu mavis sensiones, sint ex æquo [248r] evidentes, unaquaque nempe pro speciali statu et conditione sui loci aliarumque circumstantiarum, nihilominus non omnes ex æquo ansam præbent opinioni, ut conformitatem cum re habeat, sed quædam speciatim id vendicant iuris. Plutarchus illas propterea vocat non simpliciter evidentes, sed ἐναργέστατα πάθη, καὶ κινήματα τῆς αἰσθήσεως, evidentissimas

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qu’il s’agit de Platon ; mais quand il s’est approché et que la distance a été réduite, il se fait l’attestation que c’est Platon, et le vote favorable résulte de l’évidence même ». Puis ensuite1 : οὐκ ἀντιμαρτύρηασις δὲ ἔστιν ἀκολουθία τοῦ ὑποσταθέντος καὶ δοξασθέντος ἀδήλου τῷ φαινομένῳ, οἷον ὁ Ἐπίκουρος λέγων εἶναι κενόν, ὅπερ ἐστὶν ἄδηλον, πιστοῦται δι’ ἐναργοῦς πράγματος τοῦτο, τῆς κινήσεως·μὴ ὄντος γὰρ κενοῦ οὐδὲ κίνησις ὤφειλεν εἶναι, τόπον μὴ ἐχοντος τοῦ κινουμένου σωμάτος εἰς ὅν περιστήσεται διὰ τὸ πάντα πλήρη εἶναι καὶ ναστά, ὥστε τῷ δοξασθέντι ἀδήλῳ μὴ ἀντιμαρτυρεῖν τὸ φαινόμενον κινήσεως οὔσης, « mais ne constitue pas un vote défavorable la conséquence d’une chose non évidente que nous supposons et conjecturons d’après quelque chose de manifeste et d’évident ; comme quand Épicure dit que le vide existe, ce qui est certes une chose non évidente, il s’en convainc par le moyen d’une chose évidente, à savoir par exemple le mouvement. Car, si le vide n’existait pas, il n’y aurait pas de mouvement non plus, dans la mesure où il manquerait au corps qui doit être mû un lieu dans lequel il se reçoive, puisque toutes les choses seraient pleines et comprimées ; de là vient qu’une chose non évidente ne reçoit pas le vote défavorable de ce qui est apparent ou évident, dès lors qu’il y a mouvement ». Il ajoute après2 : ὅθεν ἡ μὲν ἐπιμαρτύρησις καὶ οὐκ ἀντιμαρτύρησις τοῦ ἀληθὲς εἶναί τι ἔστι κριτήριον : « de là le vote favorable lié à l’absence de vote défavorable est le critère par lequel il est vérifié que quelque chose est vrai ». Et enfin, dans l’énoncé qui définit la fausseté, il est ajouté3, πάντων δὲ κρηπὶς καὶ θεμέλιον ἡ ἐνάργεια : « L’évidence est le piédestal et le fondement de toutes les choses ». Pour le reste, alors qu’Épicure veut ailleurs que l’évidence soit la même chose que la phantaisie, comme on le lit aussi chez Sextus Empiricus, il est cependant établi que porte le nom d’évidence κατ’ ἐξοχὴν « avec des reliefs »4 cette phantaisie qui, la distance et tous les différents obstacles analogues étant écartés, montre à l’esprit la chose telle qu’elle est en soi. En effet, même si toutes les phantaisies, soit, si tu préfères, les sensations, sont aussi [248r] évidentes les unes que les autres, chacune assurément selon sa position spéciale et la condition de son lieu et les autres circonstances, néanmoins elles ne donnent pas toutes à égalité l’occasion à l’opinion de prononcer qu’elles ont une conformité avec la chose, mais seules certaines spécialement sont en droit 1 2 3 4

Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 213. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 216. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 216. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 228. Voir aussi Hypotyposes, II, 6 [70].

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adfictiones motionesque ipsius sensus, innuitque proinde iuxta Epicurum ἀδύνατον τὸ μὴ συγκατατίθεσθαι τοῖς ἐναργέσι : impossibile esse evidentibus non adsentiri. Itaque censet Epicurus quoties in nobis phantasia aut sensio aliqua creatur non debere statim mentem in ea opinione esse, ut res in se sit vere talis, qualis prima fronte adparet, sed expectandum esse donec omnia accurate circumspexerit, et ad eam sensionem, phantasiam, seu evidentiam pervenerit, cui contradici non possit. Sententia est apud Plutarchum  : εἰδώλου προσπίπτοντος ἡμῖν περιφεροῦς, ἑτέρου δὲ κεκλασμένου, τὴν αἴσθησιν ἀληθῶς τυποῦσθαι : imagine nobis rotunda aut refracta incidente, sensum quidem vere informari ; at non debere nos tamen illico προσαποφαίνεσθαι ὅτι στρογγύλος ὁ πύργος ἐστίν, ἡ δὲ κώπη κέκλασται, adserere quod aut turris teres, aut remus infractus sit. Quare et apud Lærtium introduxit τὸ προσμένον, quod est expectandum esse, indicare eam evidentiam, quæ expectanda omnino sit priusquam de re opinio feratur. Subdidit enim οἷον τὸ προσμεῖναι καὶ ἐγγὺς γένεσθαι τῷ πύργῳ καὶ μαθεῖν ὁποῖος ἐγγὺς φαίνεται : cuiusmodi est expectare, et ad turrim prope accedere, ac animadvertere qualis cominus adpareat. Simile exemplum est illi quod Empiricus de Platone habet. Enimvero idem dicendum de cæteris omnibus quæ obstant perfectæ sensus evidentiæ. Nam si aliunde intervallo rationabili existente interponatur tamen aut caligo, aut diversitas alioquin insignis, ut aquæ et æris, aut vitrum coloratum figuratumve, aut si oculus adficiatur humore adventitio suique specialis coloris, aut si distorqueatur, et vel ipse, vel res visa, vel utrumque sit in motu, aut alia quadam ratione fiat impedimentum evidentiæ, censet Epi-

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de le revendiquer. C’est pourquoi Plutarque appelle ces dernières non pas simplement évidentes1, mais ἐναργέστατα πάθη, καὶ κινήματα τῆς αἰσθήσεως, « les passions et les mouvements du sens les plus obvies, et il indique selon Épicure ἀδύνατον τὸ μὴ συγκατατίθεσθαι τοῖς ἐναργέσι : « Mais il est impossible de ne pas donner son assentiment aux choses évidentes ». Aussi Épicure estime-t-il que ce n’est pas à chaque fois que se crée en nous une phantaisie ou sensation que l’esprit doit être aussitôt de l’opinion que la chose est en soi véritablement telle qu’elle apparaît de prime abord, mais qu’il lui faut attendre d’avoir tout inspecté avec soin et d’être parvenu à cette sensation, phantaisie ou évidence à laquelle il ne peut être apporté de contradiction. La phrase suivante se lit chez Plutarque2 εἰδώλου προσπίπτοντος ἡμῖν περιφεροῦς, ἑτέρου δὲ κεκλασμένου, τὴν αἴσθησιν ἀληθῶς τυποῦσθαι : « Quand une image ronde ou réfractée nous bombarde, le sens est assurément vraiment informé » ; mais nous ne devons cependant pas sur-le-champ προσαποφαίνεσθαι ὅτι στρογγύλος ὁ πύργος ἐστίν, ἡ δὲ κώπη κέκλασται, « affirmer ni que la tour est ronde ni que la rame est rompue ». C’est pourquoi il a introduit chez Diogène Laërce3 τὸ προσμένον, ce qui veut dire « qu’il faut attendre », pour signifier cette évidence, qui doit être attendue avant que ne soit posée une opinion sur la chose. En effet il ajoute οἷον τὸ προσμεῖναι καὶ ἐγγὺς γένεσθαι τῷ πύργῳ καὶ μαθεῖν ὁποῖος ἐγγὺς φαίνεται : « par exemple on attend, on se rapproche de la tour et on comprend comment elle apparaît de près ». Semblable à cet exemple est celui que Sextus Empiricus introduit sur Platon4. Et en effet il faut dire la même chose de toutes les autres choses qui font obstacle à la parfaite évidence du sens. Car si, alors que par ailleurs la distance est raisonnable, s’interpose cependant ou bien de l’obscurité ou une différence remarquable sous d’autres rapports, comme une différence d’eau et d’air, ou bien un verre coloré ou façonné, ou bien si l’œil est affecté d’une humeur accidentelle ou abîmé, ou si, soit lui, soit la chose vue soit les deux sont en mouvement, ou s’il y a un empêchement à l’évidence de quelque ordre que

1 Plutarque, Contre Colotès, 1124 a. Le texte dit au contraire « il est possible de etc. » Quant à la première référence, le texte originel étant au datif, cela confirme mon choix de mettre au nominatif les mots grecs que Gassendi décline pour les faire entrer dans sa phrase conformément à la syntaxe latine. 2 Plutarque, Contre Colotès, 1122 f. 3 Diogène Laërce, X, 34 ainsi que référence suivante. 4 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 212.

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curus expectandum esse, ac illam solam opinionem veram fore existimat, cui sublatis his omnibus evidentia fecerit fidem. Idem vero etiam dicendum de sensibus reliquis, cum nullus sit, cui plurima esse obstacula non possint quo minus speciem obiecti sui illibatam percipiat, atque hac in re idem sensit quod adtribuitur Stoicis, tametsi in verbis fuerit discrepantia ; ex quo locus ille apud Ciceronem1 : Neque vero hoc loco expectandum est dum de remo inflexo aut de collo columbæ respondeam [248v]. Non enim is sum qui quidquid videtur tale dicam esse quale videatur. Epicurus hoc viderit et multa alia, meo autem iudicio ita est maxima in sensibus veritas, si et sani sunt et valentes, et omnia removentur, quæ obstant et impediunt. Itaque et lumen mutari sæpe volumus, et situs earum rerum quas intuemur, et intervalla aut contrahimus aut diducimus, multaque facimus usque eo dum adspectus ipse fidem faciat sui iudicii. Quod idem fit in vocibus, in odore, in sapore, ut nemo sit nostrum qui non in sensibus sui cuiusque generis iudicium requirat acrius. Adhibita vero exercitatione et arte, ut oculi pictura teneantur et aures cantibus, quis est qui non cernat quanta vis sit in sensibus ? Quam multa vident pictores in umbris et in eminentia, quæ nos non videmus. Quam multa, quæ nos fugiunt in cantu exaudiunt in eo genere exercitati, qui primo inflatu tibicinis Antiopam esse dicunt, aut Andromacham, cum id nos ne suspicemur quidem, et cætera. Idem pene etiam Empiricus2 habet, cum de Stoico loquens, visum, inquit, intendit et accedit prope id quod cernitur, ut omnino non aberret. Teret enim oculos et, ut semel dicam, facit omnia, donec certam, et cætera. Quinetiam idem adtribuit Academicis a Carneade institutis, dum, ne fallamur in cognitione alicuius hominis, considerare nos volunt tam ea quæ in ipso sunt, quam ea quæ extra. Prioris generis sunt color, magnitudo, figura, motus, sermo, vestitus, calceatura ; posterius lux, dies, cœlum, terra, amici, et cætera omnia. Nam quod iste sit Socrates, inquiunt, credimus ex eo, quod omnia ei adsunt, quæ adesse consueverant, color, magnitudo, figura, gestus, pallium, quod hic sit, et nulla in re a seipso dissideat. Pergit Empiricus : et quomodo

1 lib. 4. acad. 2 lib. 1. adv. col.

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ce soit, Épicure pense qu’il faut attendre et il estime que seule sera vraie l’opinion à laquelle l’évidence fera foi, une fois tous ces obstacles ôtés. Mais il faut dire aussi la même chose des autres sens, alors qu’il n’y en a aucun qui ne puisse trouver sur son chemin bien des empêchements à percevoir l’apparence entière de son objet, et dans cette affaire il partage cet avis qui est attribué aux stoïciens, même s’il y a désaccord au niveau des mots ; d’où ce passage chez Cicéron1 : « Il ne faut pas s’attendre ici que je réponde à propos de la “rame brisée” ou du “cou de la colombe” ; je ne suis pas homme à dire que tout ce qui nous paraît est tel qu’il nous paraît. C’est à Épicure à considérer ces points et bien d’autres. À mon avis, il y a une très grande vérité dans les sens, à condition qu’ils soient sains et bien portants, et qu’on écarte tout ce qui leur fait obstacle et les empêche d’agir. C’est pourquoi nous voulons souvent que l’éclairage soit changé, ainsi que la situation des objets que nous regardons ; nous diminuons ou nous augmentons les intervalles, et nous multiplions nos visées jusqu’à ce que l’aspect même de l’objet fasse foi du jugement qui lui est propre. La même chose arrive dans les sons, les odeurs, les saveurs, si bien qu’il n’est personne d’entre nous qui ne recherche un discernement plus fin dans les sensations de toute espèce. Mais si l’on y adjoint l’exercice et l’art, qui ne voit le pouvoir qu’ont les sens ? Combien de choses que nous ne voyons pas voient les peintres dans les creux et dans les reliefs ? Combien de détails nous échappent ans la musique, qui sont entendus par les artistes exercés ! Au premier son de la flûte, ils nous disent : C’est Antiope, ou c’est Andromaque, alors que nous n’en avons pas le moindre soupçon », etc. On lit presque la même chose chez Sextus Empiricus quand, parlant du stoïcien, il dit2 : « Il tourne [son organe de] vue et s’approche au plus près de ce qu’il a discerné pour éviter complètement de se tromper. Car il se frotte les yeux et, pour le dire en un mot, fait tout jusqu’à ce que une certitude », etc. Et bien plus il attribue la même pensée aux académiciens formés par Carnéade, puisque, pour que nous ne nous trompions pas dans la connaissance de quelque homme, ils veulent que nous considérions autant ce qui est en lui que ce qui est hors de lui3. Du premier genre sont la couleur, la grandeur, la figure, le mouvement, le discours, l’habit, les chaussures ; du second sont la lumière, le jour, le ciel, la terre, les amis et tout le reste. Car, disent-ils4, nous 1 2 3 4

Cicéron, Académiques, II, vii, 19-20. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 258. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 176. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 178.

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nonnulli medici aliquem vere febricitare non ex uno solum symptomate coniiciunt, uti ex vehementia pulsus, aut ex abundantia caloris, sed ex concursu plurium, ut caloris simulac pulsus, et ex ulceroso tactu, et ex rubore, ac siti, et ex iis quæ sunt secundum analogiam, ita Academicus ex phantasiarum concursu iudicium facit veritatis, et cætera. Prætermittendum hic non est exemplum illud Macrobii1 quod maxime videtur etiam esse Epicureum, nisi circa modum loquendi quo iudicare sensus dicit, cum dicere tamen rationis iudicium voluerit. Probat nimirum illi non nunquam ad discernendam speciem non sufficere sensum unum ; nam si eminus, inquit, pomi quod malum dicitur figura visatur, non omnimodo id malum est ; potuit enim ex aliqua materia fingi mali similitudo. Advocandus est igitur sensus alter, ut odor, iudicet ; sed potuit inter congeriem malorum positum auram odoris ipsius concepisse ; hic tactus consulendus est qui potest de pondere iudicare ; sed metus est ne et ipse fallatur, si fallax opifex materiam quæ pomi pondus imitaretur elegit ; confugiendum est igitur ad saporem, qui si formæ consentiat malum esse nulla dubitatio est. Nunc ut ista demum concludam, vult Epicurus omnia esse accurate consideranda priusquam opinemur aut feramus iudicium ; at cum [249r] expensis omnibus evidentia sensus plane faverit, aut reluctata non fuerit, tum demum vult sensui esse plane standum. Ac ne illum propterea, quod fieri solet, culpandum ducas, Aristotelem2 ecce cito qui de generatione apum disserens, si quando, inquit, ista satis cognita habebuntur, tunc sensui magis erit quam rationi credendum. Rationi etiam fides adhibenda est, si quæ demonstrantur conveniunt cum iis, quæ sensu percipiuntur, rebus. Alibi3 quoque de motu agens, universa itaque, inquit, censere quiescere, et huius quærere rationem

1 lib. 6. saturn. Cap. 14 2 lib. 3. de gen. an. cap. 10 3 lib. 8. physic. cap. 3

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croyons que cet homme est Socrate du fait que sont présentes sur lui toutes les choses qui l’étaient d’ordinaire, la couleur, la taille, la figure, les gestes, le manteau, le fait qu’il soit ici et le fait qu’il ne diffère aucunement de lui-même. Sextus Empiricus poursuit1 : « Et de même que quelques médecins conjecturent qu’un homme a de la fièvre non pas à partir d’un seul et unique symptôme, comme l’accélération violente du pouls, ou d’une chaleur excessive, mais du concours de plusieurs, comme la chaleur en même temps que le pouls, et sous l’influence de plaies, la rougeur et la soif, et autres symptômes qui sont en conformité, de même l’académicien formule-t-il un jugement de vérité sur la base du concours des représentations ». Il ne faut pas omettre ici cet exemple de Macrobe qui semble être tout à fait épicurien lui aussi, si ce n’est quant à la façon de parler par laquelle il dit que les sens jugent, alors qu’il a voulu cependant parler du jugement de la raison. Il approuve de fait que pour lui [Épicure], il suffit quelquefois d’un seul sens pour discerner une figure2 : « Car si l’on voit de loin la figure d’une pomme, ce qui est appelé pomme n’est pas tout à fait une pomme ; car on a pu fabriquer une copie de pomme dans une matière quelconque ; pour juger, il faut donc évoquer un autre sens, comme l’odeur ; mais, placée au milieu d’un tas de pommes, elle a pu avoir pris la brise de cette odeur ; il faut donc consulter le toucher qui peut juger du poids ; mais il y a à craindre qu’il ne se trompe lui-même si l’artisan trompeur a choisi une matière qui imitât le poids de la pomme. Il faut donc se réfugier dans la saveur : si elle est en accord avec la forme, il n’y a aucun doute que ce soit une pomme ». À présent pour que je conclue enfin sur ce point, Épicure veut que toutes les choses doivent être considérées avec soin avant que nous n’émettions une opinion ou que nous portions un jugement ; mais alors que, [249r] toutes choses étant pesées, l’évidence du sens a tout à fait appuyé et n’a pas résisté, c’est alors seulement qu’il veut qu’il faille s’en tenir tout à fait au sens. Et pour que tu ne penses pas qu’il faille le blâmer pour cela, contrairement à ce qui se passe d’habitude, voilà que je cite Aristote qui, dissertant sur la génération des abeilles, dit3 : « Si la connaissance en est un jour suffisante, il faudra se fier aux observations plus qu’aux raisonnements, et aux raisonnements dans la mesure où leurs conclusions s’accorderont avec les faits observés ». 1 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 179. 2 Macrobe, Saturnales, VII, 14, 22. 3 Aristote, Génération des animaux, III, 760b.

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ipsum posthabendo sensum ; imbecillitas profecto est mentis. Vides ut Aristoteles sensus evidentiam tanti faciat, ut ipsi rationem posthabeat ac ne quærendam quidem, vel audiendam, ubi illa adfuerit, ducat. Diceres illi adrisisse quod ait Hippocrates1 pleraque non ratiocinatione, συλλογισμοῦ, sed auxilio indigere ; quodque omnem nostram cognitionem constare vult ex functionibus sensuum. Dignus sane vir, quem propterea faceret Plato2 commendatum. Nam quod Galenus3 utrumque deinde commendaverit mirum minus est, quando alias idem expresse quod Aristoteles dicit, et rursus docet4 venæ sectionem non demonstratione, sed sensu egere ; ac uno verbo5, si quis naturæ contemplator futurus sit, illum propriis oculis credere debere contendit.

Canon tertius : Opinio illa vera est cui vel suffragatur, vel non refragatur sensus evidentia. Ita Epicurus iisdem quibus prius locis, cum et connexi Canones sint. Apud Lærtium quidem, ἒαν δὲ μὴ ἐπιμαρτυρῆται ἢ ἀντιμαρτυρῆται ψευδῆ τυγχᾶνειν (supple τὴν δόξαν) : opinionem falsam esse si non suffragationem, vel refragationem habeat. Et postea ad Herodotum, κατὰ δὲ ταυτὴν (supple κίνησιν memoratam superius) τὴν συνημμένην τῇ φανταστικῇ ἐπιβολῇ, διάληψιν δ’ ἔχουσαν, ἐὰν μὴ ἐπιμαρτυρηθῇ ἢ ἀντιμαρτυρηθῇ, τὸ ψεῦδος γίνεται : iuxta hanc vero motionem cohærentem quidem cum adplicatione ad adparentiam, sed adhibentem tamen iudicium, si suffragatio non fuerit, vel refragatio fuerit, falsum creatur. Apud Empiricum vero postquam expositum est quæ opiniones

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lib. de mod. lib. de off. med. in phædro lib. 4. de simpl. lib. 2. de mo. musc. lib. 2. de usu part.

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Ailleurs aussi, traitant du mouvement, il dit1 : « D’abord, affirmer que tout est en repos et en chercher une raison en plaçant la sensation en seconde ligne est une faiblesse de la pensée ». Tu vois comme Aristote fait si grand prix de l’évidence du sens que c’est en seconde ligne, après elle, qu’il place la raison ; et qu’il pense qu’il ne faut pas même rechercher ni écouter cette dernière, quand l’évidence est présente. Tu dirais que lui2 aurait souri ce que dit Hippocrate3, à savoir que la plupart des cas n’ont pas besoin de raisonnement, συλλογισμός, mais d’intervention secourable ; et le fait qu’il veut que toute notre connaissance consiste dans l’exercice des sens. Un homme vraiment digne que, pour cette raison, Platon aurait recommandé. Car il est moins étonnant que Galien les ait ensuite recommandés l’un et l’autre4, puisqu’il dit ailleurs expressément la même chose5 qu’Aristote6, et il enseigne à nouveau que la section de la veine n’a pas besoin de démonstration, mais d’expérience sensible) ; et en un mot il prétend que, si l’on veut être contemplateur de la nature, on doit se fier à ses propres yeux. Canon 4 : Est fausse une opinion qui reçoit le vote défavorable de l’évidence du sens ou qui ne reçoit pas son vote favorable C’est ce que dit Épicure dans les mêmes passages qu’auparavant, alors que les canons sont eux aussi étroitement liés. Car chez Diogène Laërce7 ἒαν δὲ μὴ ἐπιμαρτυρῆται ἢ ἀντιμαρτυρῆται ψευδῆ τυγχᾶνειν (complète avec ἡ δόξα) : « Est fausse une opinion si elle ne reçoit pas un vote favorable, ou reçoit un vote défavorable ». Et plus loin à Hérodote8, κατὰ δὲ ταυτὴν (complète avec κίνησιν [mouvement] rappelé plus haut) τὴν συνημμένην τῇ φανταστικῇ ἐπιβολῇ, δίαληψιν δ’ ἔχουσαν, ἐὰν μὴ ἐπιμαρτυρηθῇ ἢ ἀντιμαρτυρηθῇ, τὸ ψεῦδος γίνεται : « Selon ce (mouvement) étroitement conforme à l’attention à l’apparence, mais appliquant cependant le jugement, s’il n’y a pas vote favorable 1 Aristote, Physique, VIII, 253a. Traduction modifiée. 2 À Épicure. 3 Hippocrate, De la bienveillance (De decente habitu), XI. 4 Galien, De Simplicium medicamentorum temperamentis, IV, 4 (Kuhn, Vol. XI, p. 632). 5 Galien, De usu partium, II, 3 (Kuhn, Vol. II, p. 98). 6 Galien, De motu musculorum, II, 5 (Kuhn, Vol. IV). 7 Diogène Laërce, X, 34. Traduction modifiée. 8 Diogène Laërce, X, 51. Je ne conserve pas la traduction. Les éditeurs modernes précisent que τὴν συνημμένην τῇ φανταστικῇ ἐπιβολῇ, δίαληψιν δ’ ἔχουσαν est une scholie.

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sint veræ, subiicitur ψευδεῖς δὲ αἵ τε ἀντιμαρτυρούμεναι καὶ οὐκ ἐπιμαρτυρούμεναι πρὸς τῆς ἐναργείας : illæ vero falsæ sunt, quæ ab evidentia vel refragationem, vel non suffragationem habent. Tum definiendo explicandoque quæ vis sit vocibus subiecta, ἡ μέντοι ἀντιμαρτύρησις μαχόμενόν τί ἐστι τῃ οὐκ ἀντιμαρτυρήσει· ἦν γὰρ συνασκευὴ (addo συν) τοῦ φαινομένου τῷ ὑποσταθέντι ἀδήλῳ, οἷον ὁ Στωικὸς λέγει μὴ εἶναι κενόν, ἄδηλον τι ἀξιῶν, τούτῳ δὲ οὕτως ὑποσταθέντι ὀφείλει τὸ φαινόμενον συνασκευάζεσθαι, φψμὶ δ’ ἡ κίνησις· μὴ ὄντος γὰρ κενοῦ κατ’ ἀνάγκην οὐδὲ κίνησις γίγνεται κατὰ τὸν ἤδη προδεδηλωμένον ἡμῖν τρόπον : est autem refragatio quid oppositum non refragationi. Siquidem rei evidentis cum non evidenti supposita coeversio est ; quemadmodum Stoicus dicit non esse inane, id pro non evidenti habens ; cum hoc autem supposito coeverti debet quod evidens est, motus, inquam, [249v] quia non existente inani, necesse quoque est motum non esse, eo modo qui declaratus nobis iam ante est. Sequitur ὡσαυτως δὲ καὶ ἡ οὐκ ἐπιμαρτύρησις ἀντίξους ἐστὶ τῇ ἐπιμαρτυρήσει· ἦν γὰρ ὑπόπτωσις δι’ ἐναργείας τοῦ τὸ δοξαζόμενον μὴ εἶναι τοιοῦτον ὁποῖόν περ ἐδοξάζετο, οἷον πόρρωθεν τινος προσίοντος εἰκάζομεν παρὰ τὸ διάστημα Πλάτωνα εἶναι, ἀλλὰ συναιρηθέντος τοῦ διαστήματος ἔγνωμεν δι’ ἐναργείας ὅτι οὐκ ἔστι Πλατών. καὶ γέγονε τὸ τοιοῦτον οὐκ ἐπιμαρτύρησις· οὐ γὰρ ἐπεμαρτυρήθη τῷ φαινομένῷ τὸ δοξαζόμενον : similiter non suffragatio suffragationi opponitur. Quippe subversio est qua per evidentiam constat opinabile, cuiusmodi fuerat opinione conceptum non esse ; ut quopiam procul accedente coniicimus ex intervallo eum esse Platonem, at sublato intervallo constat nobis per evidentiam quod Plato non sit. Atque talis quidem est non suffragatio ; nam opinioni præhabitæ res evidens non suffragatur. Concluditur proinde ἡ οὐκ ἐπιμαρτύρησις καὶ ἀντιμαρτύρησις τοῦ ψεῦδος εἶναι (supple κριτήριον) : non suffragatio et refragatio falsitatis criterium est.

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ou s’il y a vote défavorable, survient le faux ». Mais chez Sextus Empiricus1, après avoir exposé quelles opinions sont vraies, il ajoute ψευδεῖς δὲ αἵ τε ἀντιμαρτυρούμεναι καὶ οὐκ ἐπιμαρτυρούμεναι πρὸς τῆς ἐναργείας  : «  Sont fausses les opinions qui reçoivent de l’évidence soit un vote défavorable soit une absence de vote favorable ». Ensuite en définissant et en expliquant quelle signification force est placée sous les mots2, ἡ μέντοι ἀντιμαρτύρησις μαχόμενόν τί ἐστι τῃ οὐκ ἀντιμαρτυρήσει·ἦν γὰρ συνασκευὴ (j’ajoute συν) τοῦ φαινομένου τῷ ὑποσταθέντι ἀδήλῳ, οἷον ὁ Στωικὸς λέγει μὴ εἶναι κενόν, ἄδηλον τι ἀξιῶν, τούτῳ δὲ οὕτως ὑποσταθέντι ὀφείλει τὸ φαινόμενον συνασκευάζεσθαι, φψμὶ δ’ ἡ κίνησις·μὴ ὄντος γὰρ κενοῦ κατ’ ἀνάγκην οὐδὲ κίνησις γίγνεται κατὰ τὸν ἤδη προδεδηλωμένον ἡμῖν τρόπον : « Or un vote défavorable est quelque chose d’opposé à l’absence de vote défavorable. Si une chose évidente est subordonnée à une chose non-évidente, il s’ensuit la destruction des deux ; ainsi le stoïcien dit que le vide n’existe pas, le considérant comme une chose non évidente, une fois que l’on a pris cela comme base, il est nécessaire que s’effondre, dis-je, ce qui est évident, à savoir le mouvement, [249v] parce que, si le vide n’existait pas, il n’y aurait nécessairement pas de mouvement non plus, de la manière que nous avons expliquée ci-dessus ». Puis3 : ὡσαυτως δὲ καὶ ἡ οὐκ ἐπιμαρτύρησις ἀντίξους ἐστὶ τῇ ἐπιμαρτυρήσει· ἦν γὰρ ὑπόπτωσις δι’ ἐναργείας τοῦ τὸ δοξαζόμενον μὴ εἶναι τοιοῦτον ὁποῖόν περ ἐδοξάζετο, οἷον πόρρωθεν τινος προσίοντος εἰκάζομεν παρὰ τὸ διάστημα Πλάτωνα εἶναι, ἀλλὰ συναιρηθέντος τοῦ διαστήματος ἔγνωμεν δι’ ἐναργείας ὅτι οὐκ ἔστι Πλατών. καὶ γέγονε τὸ τοιοῦτον οὐκ ἐπιμαρτύρησις·οὐ γὰρ ἐπεμαρτυρήθη τῷ φαινομένῷ τὸ δοξαζόμενον : « De la même façon, l’absence de vote favorable s’oppose à un vote favorable. Car c’est assurément un renversement, ce par quoi un opinable vaut pour une évidence, alors qu’il reviendrait à ce genre d’opinion de n’être pas un concept comme quand quelqu’un arrive de loin, nous conjecturons à distance que c’est Platon, mais, la distance étant réduite, il appert pour nous, du fait de l’évidence, que ce n’est pas Platon. Et telle est aussi l’absence de vote défavorable ; car la chose évidente ne vote pas en faveur de l’opinion que l’on avait formulée auparavant ». Il conclut donc4 : ἡ οὐκ ἐπιμαρτύρησις καὶ ἀντιμαρτύρησις τοῦ ψεῦδος εἶναι (complète avec κριτήριον) : « l’absence de vote favorable et le vote défavorable sont le critère de la fausseté ». 1 2 3 4

Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 211. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 214. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 215. Sextus Empiricus, Adv. math., II, 216.

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Porro quidquid dictum iam ante de veritatis criteriis, huic etiam est accommodandum, ac potissimum circa id quod est προσμεῖναι expectendum esse. Nimirum lapis Lydius quo non modo veritas, sed falsitas etiam exploratur, ipsa est evidentia ; et cum præcipua erroris causa sit præcipitatio iudicii, tempus est quod disquisitione uberiore adhibita falsitatem apertam facit. Hinc Epicurus docet fore ut erroris conturbere tenebris, εἰ μὴ διαιρεῖς (detraho post εἰς irrepsisse visum, idque in Ratis Sententiis) τὸ δοξαζόμενον κατὰ τὸ προγενόμενον καὶ τὸ παρὸν : nisi distinguas opinabile iuxta id quod antecessit (cum verbi causa primo adspectu atque eminus conspexisti rem) et id quod præsens, sive coram ac perspicuum fit ubi propius accesseris. Sic ad Herodotum, καὶ ταύτην οὖν σφόδρα γε δεῖ τὴν δόξαν κατέχειν, ἵνα μήτε τὰ κριτήρια ἀναιρῆται τὰ κατὰ τὰς ἐναργείας (existimo pro ἐνεργείας) μήτε τὸ διημαρτημένον ὁμοίως βεβαιούμενον πάντα συνταράττη : hanc igitur sententiam tenere oportet, ut neque criteria, quæ iuxta evidentiam sunt, pereant, neque error pari modo confirmatus omnia conturbet. Et vide iterum in Ratis Sententiis, εἰ βεβαιώσεις καὶ τὸ προσμενον ἅπαν ἐν ταῖς δοξαστικαις ἐννοίαις, καὶ τὸ μὴ (expungo inde particulam τὴν interpositam) ἐπιμαρτύρησιν ἔχον (expungo et inde οὐκ particulam) ἐκλειψεῖς τὸ διψευσμένον, ὡς τετηρηκὼς ἔσῃ πᾶσαν ἀμφισβήτησιν, καὶ πᾶσαν κρίσιν τοῦ ὀρθῶς ἢ μὴ ὀρθῶς : si et quidquid est expectandum inter ferendum lib. 4 opinionem pro constanti tenueris, et quod non habet suffragationem, quippe quod sit falsum, prætermiseris, sic te habebis, quasi canens ambiguitatem quamlibet et ad omne iudicium tam eius, quod recte, quam quod non recte se habet adtendens. Denique innuit Lucretius1 non esse temere ferendum iudicium, ut fit cum ex parvis indiciis opinionem concipimus quæ per maiora destinatur [250r] :

1 lib. 4

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En outre tout ce qui a été dit plus haut sur les critères de la vérité doit être appliqué, et surtout ce qui a été avancé avec l’idée de προσμεῖναι « qu’il faut attendre »1. Assurément une pierre de touche permettant de vérifier non seulement la vérité mais aussi la fausseté, voilà ce qu’est l’évidence ; et alors que la principale cause d’erreur est la précipitation du jugement, le temps est ce qui met la fausseté à découvert, après le mise en œuvre d’un examen plus copieux. De là Épicure enseigne qu’il se passera que tu seras troublé des ténèbres de l’erreur2 εἰ μὴ διαιρεῖς (je retire ensuite le εἰς qui me paraît s’être glissé dans les Maximes capitales) τὸ δοξαζόμενον κατὰ τὸ προγενόμενον καὶ τὸ παρὸν « si tu ne divises pas ce sur quoi l’on forme une opinion, en ce qui a précédé » (quand, par exemple, tu as regardé une chose d’un premier coup d’œil et de loin) « et ce qui est déjà présent », c’est-à-dire ce qui est devant toi, clair et net, quand tu t’approches plus près. Ainsi à Hérodote3, καὶ ταύτην οὖν σφόδρα γε δεῖ τὴν δόξαν κατέχειν, ἵνα μήτε τὰ κριτήρια ἀναιρῆται τὰ κατὰ τὰς ἐναργείας (je crois, à la place de ἐνεργείας4) μήτε τὸ διημαρτημένον ὁμοίως βεβαιούμενον πάντα συνταράττη : « Et il faut bien conserver cette opinion afin que les critères conformes aux évidences ne soient pas détruits, et que l’erreur, affermie de semblable manière, n’introduise pas le trouble partout ». Et vois encore dans les Maximes capitales5, εἰ βεβαιώσεις καὶ τὸ προσμενον ἅπαν ἐν ταῖς δοξαστικαις ἐννοίαις, καὶ τὸ μὴ (supprime de là la particule τὴν qui s’est interposée) ἐπιμαρτύρησιν ἔχον (supprime de là aussi la particule οὐκ) ἐκλειψεῖς τὸ διψευσμένον, ὡς τετηρηκὼς ἔσῃ πᾶσαν ἀμφισβήτησιν, καὶ πᾶσαν κρίσιν τοῦ ὀρθῶς ἢ μὴ ὀρθῶς : « Mais si tu tiens pour ferme ce qu’il faut attendre en posant une opinion et que tu supprimes ce qui n’a pas de vote favorable, c’est-à-dire ce qui est faux, tu te retrouveras à célébrer une ambiguïté et à porter attention à tout jugement sur ce qui est correct aussi bien que sur ce qui est incorrect ». Enfin Lucrèce indique qu’il ne faut pas porter inconsidérément un jugement, comme cela se passe quand nous concevons à partir de petits indices une opinion qui est décidée [seulement] par le biais de plus grands6 : [250r]

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Diogène Laërce, X, 34. Diogène Laërce, X, 147. Traduction modifiée. Diogène Laërce, X, 52. Sur cette correction de Gassendi, voir l’introduction. Conche souligne qu’il adopte la lecture de Gassendi (p. 106). Diogène Laërce, X, 147. Lucrèce, DRN., IV, 816-817.

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Deinde adopinamur de signis maxima parvis ac nos in fraudem induimus, frustramur et ipsi. Mitto exempla congerere, cum præter allata vel unum de igne sufficere possit. Nam opinio, exempli gratia, quod ignis calidus non sit ex eo falsa convincitur, quod ipsi evidentia per sensum facta refragetur. Similiterque opinio quod sphæra ignis inter lunam æremque interiaceat ex eo, quod ipsi non suffragetur evidentia facta per sensum, quod deducetur alibi. Concludo ergo maximam partem controversiarum physicarum posse facile dirimi si ad evidentiam sensus provocetur. Et Plutarchus1 quidem ita obiicit, si æqua fides sensibus debetur cominus et eminus, aut omnibus aut ne istis quidem illisve tribuere iudicium par est, et si contingit nos pariter procul et prope adfici, falsum est neque phantasiam phantasia, neque sensionem sensione evidentiorem existere. Attamen ita obiicit quasi voluerit debere statim iudicium sive opinionem ferri iuxta quamlibet sensationem, seu phantasiam, et discrimen statuerit nullum inter eas, quibus adhærendum, et eas, post quas est expectandum, cum tamen solum docuerit quemlibet sensum qualibet sensione vere adfici, et sensionem quamlibet esse ex vera vereque impressa sensibilis rei specie, discrimenque hactenus non esse, quia verum vero verius non sit. Quod ad certitudinem autem cognitionis, quæ est iudicio annexa, spectat, non negavit eam haberi posse ex una sensione maiorem quam ex alia, sed hoc sensum iam nihil adtinere qui nihil iudicet neque suspicetur, esse vero opus mentis proprium, quæ sensiones comparans intelligere debeat quænam sensio fiat per integram speciem, quæ permaneat, et cætera, et consequenter quænam sit, quæ rem qualis secundum se sit demonstret evidentius. Hinc non est cur ille ita urgeat, quas isti vocant suffragationes (ἐπιμαρτυρήσεις) nihil ad sensum faciunt, sed ad opinionem ; unde et iubent ut eas secuti de externis rebus pronuntiemus, cum opinionis iudicium est. Siquidem hæ suffragationes non sunt introductæ ad

1 lib. 1. adv. col.

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Enfin, de faibles signes nous concluons à des merveilles, Nous laissant abuser et frustrer par nous-mêmes. Je renonce à entasser les exemples, alors qu’en plus de ceux que j’ai déjà apportés, un seul, sur le feu, pourrait suffire. Car l’opinion, par exemple, que le feu n’est pas chaud, est convaincue de fausseté du fait que l’évidence faite par le sens vote là contre. L’est tout autant l’opinion selon laquelle une sphère de feu se place entre la lune et l’air, du fait que l’évidence faite par le sens ne vote pas pour, ce qui sera déduit ailleurs1. Je conclus donc que la plupart des controverses physiques pourraient facilement tranchées s’il était fait appel à l’évidence du sens. Et sans doute Plutarque présente-t-il l’objection suivante2 : « Si on accorde aux sens la même confiance de loin comme de près, il est juste de n’attribuer le jugement ni à tous ni à ceux-ci ou ceux-là. Et s’il arrive que nous soyons affecté pareillement de loin et de près, il est faux qu’il n’y ait pas une phantaisie plus évidente qu’une autre, ni une sensation plus qu’une autre ». Cependant, en posant cette objection, il fait comme si [Épicure] avait voulu qu’il fallût porter un jugement ou une opinion aussitôt dans la foulée de n’importe quelle sensation ou phantaisie, et qu’il n’ait posé aucune différence entre celles des sensations auxquelles il faut adhérer et celles après lesquelles il faut attendre, alors que cependant il s’est borné à enseigner quel sens est vraiment affecté par quelle sensation, et quelle sensation provient d’une apparence vraie et vraiment imprimée de la chose sensible, et que, tant qu’on en reste là, il n’y a pas de différence parce que le vrai n’est pas plus vrai que le vrai. Pour ce qui est de la certitude de la connaissance qui est attachée au jugement, il n’a pas nié que telle sensation pût être tenue pour générer plus de certitude que telle autre. Mais que cela ne concerne en rien le sens, qui ne juge rien ni ne soupçonne rien, vu que c’est en revanche le travail propre de l’esprit qui, comparant les sensations, doit comprendre quelle sensation résulte de l’apparence entière, qui demeure, etc. et, par conséquent, quelle est celle qui montre de façon plus évidence la chose telle qu’elle est en soi. De là Plutarque n’a aucune raison de les attaquer3 : « ce qu’ils appellent des votes favorables (ἐπιμαρτυρήσεις) ne concerne pas la sensation, mais l’opinion ; à partir de quoi, ils ordonnent que, nous conformant à eux, nous nous prononcions sur la réalité exterieure alors que c’est un jugement de l’opinion. Assurément ces votes favorables ne sont pas introduits pour reconnaître aux sens 1 Gassendi profite ici pour introduire un élément de la nouvelle astronomie. 2 Plutarque, Contre Colotès, 1121 d. 3 Plutarque, Contre Colotès, 1121 e.

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stabiliendum primariam illam veritatem sensuum, sed ad declarandum quopacto opinio de rebus sensu perceptis sit concipienda. Sed de his tamen hactenus. 2. De Anticipatione, sive Prænotione, Criterio altero Quam Aristoteles1 vocat προυπάρχουσαν γνώσιν, antecedentem cognitionem, hanc Epicurus πρόληψιν dixit. Velleius autem apud Ciceronem2 latine vertit sive anticipationem [250v], sive prænotionem. Sunt enim, inquit, rebus novis nova ponenda nomina, ut Epicurus ipse πρόληψιν adpellavit quam antea nemo eo verbo nominarat. Vidimus iam ante ut Cicero3 fuerit notitiam quoque interpretatus, cum dixit Epicurus inter cætera iudicium constituere in rerum notitiis ; quam etiam interpretationem attribuit4 Lucullo Stoicorum partes agenti, dum, efficiuntur, inquit, notitiæ rerum, quas Græci tum ἐννοίας, tum προλήψεις vocant. Nempe Stoici nominatim vocabant ἐννοίας, ex quo Plutarchus ansam accepit scribendi librum adversus illos Περὶ τῶν κοινῶν ἐννοίων, De Communibus Notitiis. Communes autem adpellantur quod sint communes hominum omnium ; qua de causa πρόληψεις quoque id adiunctum habet apud Alexandrum Aphrodisæum5, cum fatum esse aliquid, inquit, confirmat abunde ἡ κοινὴ τῶν ἀνθρωπῶν πρόληψιν, communis hominum anticipatio. Missum facio ut eadem vox a grammaticis usurpetur pro ea figura, qua unum membrum ad duo, vel plura accommodandum præmittitur6 ; ut a Rhetoricis pro ea figura, quam Quintilianus7 præsumptionem vocans tum esse dicit, cum id, quod obiici potest, occupamus ; ut a Dialecticis pro ea, quam etiam Cicero præsumptionem interpretatur, præ adsumptione scilicet quadam ad constituendum syllogismum. Adnoto solum aliquos patrum existimare quod est hac voce ab Epicuro designatum nihil esse aliud quam adpellatam Aristoteli fidem, τὴν πίστιν, quo in numero sunt et Theodoretus8 expresse, et

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lib. 1. poster. cap. 1 lib. 1. de na. deor. lib. 4. acad. quæst. eodem lib. lib. de fato lib. 2. de divin. lib. 9. cap. 2 serm. 1. de fin.

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la valeur de vérité première, mais pour expliquer de quelle façon une opinion doit être conçue sur les choses perçues par le sens. Mais arrêtons-nous là sur ces thèmes. 2. De l’anticipation ou prénotion, critère deuxième Ce qu’Aristote appelle1 προυπάρχουσα γνώσις, « connaissance préexistante », c’est cela qu’Épicure a nommé πρόληψις. Or Velleius chez Cicéron2 traduit en latin soit par « anticipation » soit [250v] par « prénotion ». « À de nouvelles choses, dit-il, il faut donner un nom nouveau, et c’est Épicure lui-même qui a appelé πρόληψις une connaissance qu’avant lui personne n’avait désignée sous ce mot ». Nous avons déjà vu comme Cicéron a aussi interprété3 par « connaissances », quand Épicure dit entre autres que le jugement consiste dans les « connaissances des choses » ; il attribue aussi cette interprétation à Lucullus parlant au nom des stoïciens quand il dit4 que « résultent les notions qu’on appelle en grec ἐννοίαι ou προλήψεις ». Assurément les stoïciens les appelaient nommément ἐννοίαι, d’où Plutarque profite de l’occasion pour intituler son livre contre eux Περὶ τῶν κοινῶν ἐννοίων, Contre les notions communes. Or si elles sont qualifiées de communes, c’est en tant qu’elles seraient communes à tous les hommes ; raison pour laquelle πρόληψεις a aussi ce mot comme épithète chez Alexandre d’Aphrodise5, quand il dit : « Que le destin soit », dit-il, ἡ κοινὴ τῶν ἀνθρωπῶν πρόληψις, « l’anticipation commune des hommes l’établit suffisamment ». Je passe sous silence que le même terme est employé par les grammairiens pour désigner cette figure par laquelle un membre est placé devant pour en concéder deux ou davantage ; de même que par les rhétoriciens pour cette figure que Quintilien, qui l’appelle « anticipation »6 dit qu’elle se produit alors qu’elle « consiste à prévenir les objections » ; comme par les dialecticiens pour cette figure que Cicéron traduit par « præsumptio » [mineure ou prolepse]7, pour constituer le syllogisme. Je note seulement que quelques pères [de l’Église] estiment que ce qui est désigné sous ce mot par Épicure n’est rien 1 2 3 4 5 6 7

Aristote, Seconds analytiques, I, 1, 71a1. Cicéron, La Nature des dieux, I, xvi, 43 et I, xvii, 44. Cicéron, Académiques II, xlvi, 30. Cicéron, Académiques II, x, 142. Alexandre d’Aphrodise, Traité du destin, 165, 14-15. Traduction modifiée. Quintilien, De l’institution oratoire, IX, 2, 16. Cicéron, De la divination, II, liii, 108.

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Clemens Alexandrinus1 non multum obscure ; cum tamen si quid Aristoteleum præter antecedentem illam cognitionem, τὴν πρόληψιν, adtineat, sit maxime habitus ille principiorum vulgo vocatus, qui in logicis ethicisque est Aristoteli νοῦς, sive intelligentia. Sed his demissis Canonas ecce.

Canon 1 : Omnis quæ in mente gignitur prænotio dependet a sensibus, idque vel incursione, vel proportione, vel similitudine, vel compositione. Prænotionem dico in mente tum quia functio sensuum non dicitur proprie notio, nec consequenter prænotio, sed generaliter quidem phantasia, vel sensio, specialiter autem visio, auditio, et cætera, tum quia, tametsi nosse et prænosse (id quod nihil vetat) sensui concedatur, hoc tamen loco agitur solum de prænotione, quæ esse in mente, aut animo debet, ut ex qua aliæ eiusdem mentis notiones deinceps dependeant. Scilicet hac de causa prænotio Epicuro quoque apud Lærtium est ἔννοια, quasi [251r] sit mentis ipsius non sensus adplicatio ; itemque νόησις ἐναποκειμενὴ, quasi notio menti immanens, sive, ut Cicero vertit, insita. Ex quo idem Cicero illam definit anteceptam quamdam animo informationem, ut intelligamus quæstionem non esse de informatione, quæ in sensu sit, et cuius aliquam memoriam conservare sensus non potest. Quippe quæ hic quæritur notio est veluti quædam impressa immanensque animo notitia, quæ sit veluti memoriale et monumentum aliquod, ad quod cum mens respexerit, notiones illas exserere possit. Hinc videlicet dicitur apud Lærtium μνήμη τοῦ πολλάκις ἔξωθεν φανέντος, memoria eius quod exterius multoties adparuit. Debet enim et, ut sit perfecta, repetitis evidentibusque sensionibus sic esse firmata, ut memorare volenti se illico sistat et

1 lib. 2. strom.

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d’autre que ce qui est appelé ἡ πίστις, « foi » [certitude sensible], par Aristote1. De ce nombre sont expressément Théodoret2, et Clément d’Alexandrie3 pas très obscurément ; alors que cependant, si quelque chose d’aristotélicien se tient au-delà de la prolepse, cette connaissance antécédente, ἡ πρόληψις, c’est précisément ce qu’on appelle communément un habitus des principes, qui, chez l’Aristote des livres de logique et d’éthique, est le νοῦς, c’est-à-dire « intelligence ». Mais cela étant dit, voici les canons. Canon 1 : Toute prénotion qui naît dans l’esprit repose sur les sens, et cela soit par la rencontre, l’analogie, la ressemblance ou la composition Je dis « prénotion dans l’esprit » d’une part parce qu’il est impropre d’appeler l’exécution des sens « notion » ou, partant, « prénotion », mais qu’il faut l’appeler généralement « phantaisie », ou « sensation », mais spécialement « vision », « audition », etc., et d’autre part parce que, même s’il est concédé au sens de connaître et de préconnaître (car rien ne l’interdit), le présent développement ne concerne que la prénotion qui est dans l’intellect ou dans l’esprit, en tant que c’est sur elle que reposent ensuite aussi les autres notions de ce même esprit. Assurément c’est pour cette raison que la prénotion est, pour Épicure, là encore chez Diogène Laërce4, ἔννοια, [251r] comme pour dire qu’elle est l’attention de l’esprit lui-même et non pas du sens ; et encore νόησις ἐναποκειμενὴ, comme pour dire que la notion « est immanente à l’esprit », c’est-à-dire, selon la traduction de Cicéron, « implantée dans l’esprit »5. De là vient que Cicéron la définit6 comme une représentation formée auparavant dans l’esprit, pour que nous comprenions qu’il n’est pas question de l’information qui est dans le sens et dont le sens ne peut conserver aucun souvenir. C’est que la notion sur laquelle porte notre présente recherche est comme une connaissance imprimée et demeurant dans l’âme qui est comme un souvenir et une trace enregistrés tels qu’il suffit que l’esprit aille y regarder pour y puiser lesdites notions. De là assurément elle est dite

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Aristote, Topiques, V, 3, 131a23-26. Théodoret, Thérapeutique des malades helléniques, I, 90. Clément d’Alexandrie, Stromates, II, 5, 13, 3. Diogène Laërce, X, 33. Cicéron, La Nature des dieux, I, xxxvi, 100. Cicéron, La Nature des dieux, I, xvi, 43.

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exigenti quidpiam ad ipsam sese clare exhibeat. Ea causa est cur etiam dicitur κατάληψις, comprehensio, quod per illam res cognita veluti perfecte et, ut sic dicam, manu teneatur. Dicitur autem præterea δόξα ὀρθὴ, opinio recta, quoniam est confirmatio quædam eius opinionis, quæ per evidentiam sensus comprobatur vera modo prius exposito, ut taceam nisi talis fuerit, non prænotionem, sed potius præignorationem fore. Denique apellatur etiam καθολικὴ νόησις, generalis notio, quoniam, ut inferius dicetur, ea demum est germana prænotio quæ præparatur quasi idea quamplurimis repræsentandis. Nunc non est quod tempus teramus ut declaremus prænotionem dependere a sensibus, quod iam ante ex Epicuro et Lucretio retulimus, præter id quod habet Torquatus, dum apud Ciceronem1 quidquid animo, inquit, cernimus, id omne oritur a sensibus. Idem etiam clarius constabit ex dicendis alias de mente, cum interea illud videatur consideratione dignum, quod non Aristoteles modo, et quotquot volunt intellectum esse rasam tabulam, confirmant nihil esse in ipso quod in sensu prius non fuerit, sed Plato etiam, et quotquot volunt intellectualem cognitionem esse reminiscentiam, id pernegare non possunt, quando intellectum excitari volunt ex perceptione sensu facta rerum in sensum incidentium. Certe et experientia constat tantum nos scire quantum recordamur, ac tantum recordari quantum videndo, audiendo, et cætera percipimus. Itaque cum constet prænotionem, de qua agimus, monumentum rei quæ innotuerit nobis per sensus, seu ut est apud Lærtium προηγουμένων τῶν

1 lib. 1. de fin.

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chez Diogène Laërce1 μνήμη τοῦ πολλάκις ἔξωθεν φανέντος, « la mémoire de ce qui nous est souvent apparu en provenance du dehors ». La notion doit en effet, pour être complète, être confirmée par des sensations répétées et évidentes, de manière à se fixer sur-le-champ [dans l’esprit] de celui qui veut se la rappeler et à se manifester elle-même clairement à celui qui [voudra] juge[r] quoi que ce soit d’après elle. Quant à la raison pour laquelle elle est appelée aussi κατάληψις, « compréhension », c’est parce qu’elle permet de connaître la chose pour ainsi dire parfaitement et, si je puis m’exprimer ainsi, de la tenir en main. Or elle est dite en outre δόξα ὀρθὴ, « opinion droite », puisqu’elle est une confirmation de l’opinion qui est approuvée comme vraie par l’évidence du sens de la manière exposée ci-dessus, pour taire le fait que, si elle n’était pas telle, elle ne serait pas prénotion, mais pré-ignorance. Enfin elle est aussi appelée καθολικὴ νόησις, « notion générale »2, puisque, comme cela sera dit plus bas, elle est enfin la prénotion authentique qui se dispose à l’avance comme une idée pour représenter le plus de choses possible. À présent il n’est pas nécessaire de gaspiller du temps à expliquer que la prénotion repose sur les sens. En effet nous avons rapporté ce point auparavant d’après Épicure et Lucrèce, en plus de ce que soutient Torquatus, quand, chez Cicéron3, il dit : « Tout ce que nous apercevons par l’âme a son origine dans les sens ». Ce point encore sera plus clairement établi à partir de ce que nous devrons dire ailleurs sur l’esprit, alors qu’en attendant semble digne de considération le fait que non seulement Aristote, et tous ceux qui veulent que l’intellect soit une table rase, confirment que rien n’est en lui qui ne fut d’abord dans le sens, mais que Platon aussi, et tous ceux qui veulent que la connaissance intellectuelle soit réminiscence, ne peuvent le nier, puisqu’ils veulent que l’intellect soit excité par une perception faite par le sens des choses qui frappent le sens. Certes il est établi par l’expérience que nous ne savons que ce dont nous nous souvenons, et que nous ne nous souvenons que de ce que nous percevons par la vue, l’ouïe, etc. C’est pourquoi alors qu’il est établi que la prénotion, dont nous traitons ici, est trace enregistrée de la chose qui se fait connaître de nous par les sens, autrement dit comme on le lit chez Diogène Laërce4 προηγουμένων τῶν αἰσθήσεων, « par les sens qui précèdent », il reste qu’il faut observer comment 1 2 3 4

Diogène Laërce, X, 33. Diogène Laërce, X, 33. Cicéron, De Finibus, I, xix, 64. Traduction modifiée. Diogène Laërce, X, 33.

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αἰσθήσεων, præducentibus sensibus, observandum restat qui fiat ut observentur animo, seu mente concipiantur multa quæ, cum existentiam in rerum natura non habeant, non videantur etiam potuisse in sensum incurrere, veluti chimæra, mons aureus, et similia. Epicurus ergo ut ostendat res quæ sunt in mente non uno modo transire per sensum, sic habet apud Lærtium, ἐπινοῖαι πᾶσαι ἀπὸ τῶν αἰσθήσεων γεγόνασι κατά τε περίπτωσιν [251v] καὶ ἀναλογίαν καὶ ὁμοιότητα καὶ σύνθεσιν, συμβαλλομένου τι καὶ τοῦ λογισμοῦ, cogitationes (seu animi notiones) omnes procedunt ex sensibus aut per incursionem, aut per proportionem, aut per similitudinem, aut per compositionem, ipso scilicet ratiocinio conferente aliquid. Videtur autem Empiricus1 rem hanc illustrare exemplis voluisse, cum docere aggressus est omnem notionem intelligentiamve aut esse a sensu, aut non sine sensu. Verum supponit τὴν περίπτωσιν, incursionem, esse primariam, ac velut directam sensilis rei sua præsentia in sensum factam impressionem, ut dum præsente Socrate ipsius species in oculum incurrit ac recipitur. Consequenter enim vult mentem ex hac eadem incursione rem ipsam, puta Socratem, velut directo cognoscere, deincepsque ex hac et aliis incursionibus consimilibus aliquo aliorum modorum varias subire cogitationes. Hinc proinde secundo loco est ἀναλογία, proportio, quam ille nomine diviso παραύξησιν καὶ μείωσιν, amplificationem et extenuationem, vocat. Est autem amplificatio cum rem aliquam iusto maiorem concipimus, sed servata tamen proportione ad minorem quæ vere se habet, ut cum magnitudine montis gigantem concipimus, sed cum eadem tamen proportione partium, qua se habet homo magnitudinis vulgaris. Extenuatio, cum iusto minorem ex opposito, ut dum pygmæum magnitudine pulicis, sed cum proportione eadem membrorum.

1 lib. 1. adv. col.

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il se fait que sont observées dans l’esprit ou sont conçues dans l’intellect bien des choses qui, alors qu’elles n’ont pas d’existence dans la nature des choses, ne semblent pas avoir pu non plus venir rencontrer le sens, comme une chimère, une montagne dorée, et autres semblables. Épicure donc, pour montrer que les choses, qui sont dans l’esprit, n’ont pas qu’une seule façon de passer par le sens, s’exprime ainsi chez Diogène Laërce1 ἐπινοῖαι πᾶσαι ἀπὸ τῶν αἰσθήσεων γεγόνασι κατά τε περίπτωσιν [251v] καὶ ἀναλογίαν καὶ ὁμοιότητα καὶ σύνθεσιν, συμβαλλομένου τι καὶ τοῦ λογισμοῦ : « Toutes les pensées » (ou notions de l’esprit) « procèdent des sens, soit par la rencontre, soit par la ressemblance, soit par la composition, le raisonnement apportant lui aussi sa contribution ». Or il semble que Sextus Empiricus ait voulu illustrer cette chose par des exemples, quand il a entrepris d’enseigner que toute notion ou intelligence ou bien est produite par un sens ou bien non pas sans un sens2. Mais il suppose que ἡ περίπτωσις, « la rencontre », est l’impression première et pratiquement directe de la chose sensible faite par sa présence dans le sens, comme quand, Socrate étant présent, son apparence rencontre l’œil et y est reçue. Par suite, il veut en effet que l’esprit connaisse comme directement la chose même, dans notre cas Socrate, par cette même rencontre, et qu’ensuite il formule d’une manière ou d’une autre différentes pensées à partir de cette rencontre et d’autres tout à fait semblables à l’un des autres modes. De là donc il y a en deuxième lieu ἀναλογία, « analogie »3, qu’il appelle, en divisant ce terme, παραύξησις καὶ μείωσις, « accroissement et diminution ». Il y a « accroissement »4 quand nous concevons une chose plus grande que de juste, mais en conservant cependant la proportion par rapport à la plus petite qui existe vraiment, comme quand nous concevons un géant de la taille d’une montagne, mais avec cependant la même proportion, des parties qu’un homme de taille ordinaire. [Mais il y a] « diminution », quand à l’inverse nous concevons une chose plus petite que de juste, comme un pygmée de la taille d’un pouce, mais avec la même proportion des membres5.

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Diogène Laërce, X, 32. Traduction modifiée. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 56. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 58. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 59. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 60.

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Tertio loco est ὁμοίοτης, similitudo, ut cum Socratem, quem non vidimus, ipsius effigie nobis conspecta intelligimus, aut cum Alexandriam, quæ fando solum innotuit, ex visæ urbis alterius similitudine cogitamus. Postremo est σύνθεσις, compositio, ut cum ex homine et equo, qui in sensum incurrunt, componimus hippocentaurum, similiterque ex leone, dracone, et aliis animalibus ipsorumque partibus visis chimæram, eodemque modo ex conspectis seorsim monte ac auro montem aureum, et cætera. Quod ratiocinium porro ad ista conferre quippiam dicitur nihil arguit aliud quam innatam mentis vim, qua ex præhaustis per incursionem rerum imaginibus possumus amplificationem, extenuationem, comparationem, compositionem facere, idque veluti ratiocinando a minore, a maiore, a similitudine, a pluralitate. Hic nota Epicurum alias videri ista omnia refferre ad duplicem modum. Siquidem in Epistola ad Herodotum innuit intelligi omnia ἢ περιληπτῶς, ἢ ἀναλόγως τοῖς περιληπτοῖς, aut comprehensione, aut proportione ad comprehensa. Nimirum per περίπτωσις, incursionem, et certe illa proprie ac vere comprehendimus quæ per sese nobis adparent ac velut directe et primario in sensum incurrunt ; per ipsam vero ἀναλογίαν significare potius amplificationem et extenuationem modo, sed similitudinem etiam, qua unum simile intelligitur ex proportione alterius [252r], ac simul compositionem, qua ex proportione totius ad partes et partium ad totum, et ipsarum denique partium inter se, unum quidpiam coadunamus. Cæterum quomodocunque id fiat, docet Epicurus apud Lærtium prænotiones esse ἐναργεις, evidentes, quod acquirantur per sensus, quorum propria est evidentia, et apud Clementem πρόληψιν definit ἐπιβολὴν ἐπὶ τὶ ἐναργές, καὶ ἐπὶ τὴν ἐναργῆ τοῦ

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En troisième lieu il y a ὁμοίοτης, « ressemblance »1, comme quand nous concevons Socrate, que nous ne voyons pas, par son portrait que nous avons sous les yeux, ou comme quand nous imaginons Alexandrie, qui ne nous est connue que par ouï-dire, d’après la ressemblance d’une autre ville que nous avons déjà vue. Il y a enfin σύνθεσις, « composition »2, comme quand à partir d’un homme et d’un cheval, qui rencontrent le sens, nous composons un hippocentaure, et pareillement à partir d’un lion, d’un dragon et d’autres animaux et de leurs parties, une chimère, et de la même façon à partir d’une montagne et de l’or aperçus séparément une montagne d’or, etc. En outre, dire que le raisonnement apporte quelque chose à ces sensations, ce n’est jamais que mettre en avant la force innée de l’esprit par laquelle nous pouvons, à partir des images des choses préalablement perçues par la rencontre des choses, faire des accroissements, des diminutions, des comparaisons et des compositions, et cela en raisonnant pour ainsi dire à partir du plus petit, du plus grand, de la ressemblance, de la pluralité. Remarque ici qu’Épicure semble ailleurs rapporter tout cela à deux modes. Assurément dans la Lettre à Hérodote il indique3 que toutes les choses sont comprises ἢ περιληπτῶς, ἢ ἀναλόγως τοῖς περιληπτοῖς, « soit par une connaissance qui embrasse ou par analogie avec les choses que la connaissance embrasse ». Assurément par περίπτωσις, « rencontre », et de fait nous comprenons proprement et vraiment les choses qui nous apparaissent par elles-mêmes et qui rencontrent le sens comme directement et au premier rang ; mais par le terme même d’analogie, il veut dire plutôt non seulement accroissement et diminution, mais aussi ressemblance par laquelle une chose semblable est conçue par comparaison avec l’autre [252r], et en même temps « composition », par laquelle nous assemblons une chose unique, d’après la proportion de tout par rapport aux parties et des parties par rapport au tout, et enfin des parties entre elles. Pour le reste, quelle que soit la façon dont cela se fasse, Épicure nous enseigne chez Diogène Laërce4 que les prénotions sont ἐναργεις, « claires », parce qu’elles sont acquises par les sens, dont l’évidence est le caractère propre,

1 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 59. L’exemple d’Alexandrie ne se trouve pas chez Sextus Empiricus. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 60. 3 Diogène Laërce, X, 40. 4 Diogène Laërce, X, 33.

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πράηματος ἐπίνοιαν, adplicationem ad aliquid evidens, et ad evidentem rei intelligentiam, quod non sit quælibet occurrens et secundum sensum evidentiamque cognitio, sed quæ eiusmodi cognitioni veluti superveniat ipsamque perficiat. Alias profecto idem foret cum phantasia, seu adplicatione mentis simplici ad adparentiam, cum præter illam phantasiam opinionem etiam præconceptam comprehendat.

Canon 2 : Nihil quærere, dubitare, intelligere, opinari, redarguere, edisserere sine prænotione licet. Ita licet ex variis authorum locis colligere. Siquidem Empiricus1 οὒτε ζητεῖν, inquit, οὒτε ἀπορεῖν ἐστι. κατὰ τὸν σοφόν Ἐπίκουρον ἄνευ προλήψεως, neque quærere, neque dubitare iuxta sapientem Epicurum licet absque prænotione. Beatus Clemens Alexandrinus2 post traditam illam prænotionis definitionem subdit Epicurum docuisse μὴ δύνασθαι δὲ μηδένα, μήτε ζητῆσαι, μήτε ἀπορῆσαι, μηδὲ μὲν δοξάσαι, ἀλλ’ οὔδε ἐλέγξαι χώρις προλήψεως, neminem posse nec quærere, nec dubitare, neque vero opinari, sed neque redarguere sine prænotione. Cicero3 postquam informationem, ut vidimus, anteceptam dixit, subiicit sine qua nec intellegi quicquam, nec quæri, nec disputari possit. Mitto quæ sunt apud Lærtium et alios. Hoc autem idem pene est ac quod Aristoteles 4docet omnem doctrinam omnemque disciplinam in cogitatione positam et præexistente cognitione esse. Tametsi cum Aristoteles velit prænoscendum et quod res sit, et quid eadem sit, Epicuro sufficiat prænotio quid sit, seu quid voce significetur. Quippe et rerum non existentium, exempli causa chimæræ, haberi potest prænotio, et ipsa habita, cum deinceps auditur chimæræ vox, statim notio propria in mente consurgit. Hac de causa vult Epicurus usurpanda esse nomina perspicua, et quæ rem statim menti subiiciant. Sic enim adlato exemplo concludat apud Lærtium παντὶ οὖν ὀνόματι τὸ πρώτως ὑποτεταγμένον ἐναργές ἔστω (videtur quippe pro ἐστι), omni igitur nomini quæ vis est ab initio subiecta manifesta esto. Exemplum vero in homine 1 2 3 4

lib. adv. gramm. lib. strom. lib. 1. de na. deo. lib. 1. phys. cap. 1

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et il définit chez Clément1 la πρόληψις comme ἐπιβολὴς ἐπὶ τὶ ἐναργές, καὶ ἐπὶ τὴν ἐναργῆ τοῦ πράηματος ἐπίνοιαν, « l’attention dirigée sur quelque chose d’évident et sur le concept évident de l’objet », parce qu’elle n’est pas n’importe quelle connaissance qui s’impose à l’esprit et qui s’accorde au sens et à l’évidence, mais une qui vient en plus d’une connaissance de ce type et qui la rend parfaite. Assurément la même chose vaudrait pour la phantaisie, c’està-dire l’attention simple de l’esprit à l’apparence, alors qu’en plus de cette phantaisie Épicure comprend aussi l’opinion préconçue. Canon 2 : Il n’est nullement possible sans prénotion de chercher, de douter, de comprendre, d’émettre des opinions, de réfuter et d’exposer C’est la conclusion qu’il est possible de tirer des passages variés de ces auteurs. Assurément Sextus Empiricus dit2 οὒτε ζητεῖν οὒτε ἀπορεῖν ἐστο. κατὰ τὸν σοφόν Ἐπίκουρον ἄνευ προλήψεως, « sans prénotion, il n’est pas possible, selon le sage Épicure, ni de chercher ni de douter ». Saint Clément d’Alexandrie, après avoir rapporté cette définition de la prénotion, ajoute qu’Épicure a enseigné3 μὴ δύνασθαι δὲ μηδένα μήτε ζητῆσαι, μήτε ἀπορῆσαι, μηδὲ μὲν δοξάσαι, ἀλλ’ οὔδε ἐλέγξαι χώρις προλήψεως, « que personne ne peut ni faire une recherche intellectuelle, ni poser un problème ni non plus avoir une opinion, et pas même faire une réfutation, sans préconnaissance ». Cicéron, après qu’il a dit4 « une représentation formée auparavant dans l’esprit », ajoute5 « sans laquelle rien ne peut être conçu ni recherché ni discuté ». Je laisse ce qui se lit chez Diogène Laërce et autres. Or cela est presque la même chose que l’enseignement d’Aristote6, que toute doctrine et toute discipline sont placées dans une pensée et une connaissance préexistantes. Même si alors qu’Aristote veut qu’il faille connaître d’avance à la fois que la chose est et ce qu’elle est, Épicure se satisfait de la prénotion de ce qu’elle est, c’est-à-dire de ce qu’elle signifie par son nom. C’est qu’il peut y avoir une prénotion également de choses qui n’existent pas, par exemple de la chimère ; et, dès lors qu’on la possède, quand ensuite on entend le mot de chimère, 1 2 3 4 5 6

Clément d’Alexandrie, Stromates, II, 4, 16,3. Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 57. Clément d’Alexandrie, Stromates, II, 4, 16, 3. Cicéron, La Nature des dieux, I, xvi, 43. Cicéron, La Nature des dieux, I, xvi, 43. Aristote, Seconds analytiques, I, 1.

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adfert ; ubi enim docuit quæ sit hominis prænotio, τὶ τοιοῦτον ἐστὶν ἄνθρωπος [252v], subiicit, ἅμα γὰρ τῷ ῥηθῆναι ἄνθρωπος εὐθὺς κατὰ πρόληψιν καὶ ὁ τύπος αὐτοῦ νοεῖται, simul enim ac dicitur ‘homo’, statim illius quoque forma iuxta prænotionem intelligitur. Quod si requiras an præhabenda sit hominis exquisita notitia, ut possimus de illo quærere, dubitare, et cætera, respondebit Epicurus id minime esse necessarium, sed sufficere ut vel externa facie cognoscamus qua in re a cæteris rebus differat. Scilicet Epicurei, ut Empiricus1 memorat, καὶ δεικτικῶς ᾠήθησαν δύνασθαι τὴν ἐπίνοιαν τοῦ ἀνθρώπου περίστασθαι, λέγοντες “ἄνθρώπος ἐστι τοιουτονὶ μόρφωμα μετ’ ἐμψυχίας”, existimarunt se posse hominis notionem palam facere dicentes, homo est quidpiam tali forma præditum cum animatione. Cæterum quod nihil quærere sine prænotione liceat manifestum prorsus est. Quomodo enim illud inquiramus de quo nobis nulla suspicio ? Quod si quædam suspicio est, quædam etiam est illius prænotio. Ecce apud Lærtium, καὶ οὐκ ἄν ἐζητήσαμεν τὸ ζητούμενον, εἰ μὴ πρότερον ἐγνώκειμεν αὐτό· οἷον τὸ πόρρω ἐστὼς ἵππος ἐστὶν ἢ βοῦς· δεῖ γὰρ κατὰ πρόληψιν ἐγνωκέναι ποτὲ ἵππου καὶ βοὸς μορφήν· οὐδ’ ἂν ὠνομάσαμέν τι μὴ πρότερον αὐτοῦ κατὰ πρόληψιν τὸν τύπον μαθόντες, neque vero id, quod quærimus, quæreremus nisi illud prius haberemus cognitum, exempli causa, quod procul consistit equusne an bos est ; oportet enim equi et bovis formam aliquando prænotione habuisse perspectam. Quippe ne nominaremus quidem aliquid, nisi prius illius effigiem prænotione adriperemus.

1 lib. 1. adv. log.

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aussitôt la notion propre surgit dans l’esprit. C’est pour cette raison qu’Épicure veut qu’il faille employer des termes évidents et qui présentent aussitôt la chose à l’esprit. Car c’est ainsi qu’après avoir donné un exemple, il conclut chez Diogène Laërce1 παντὶ οὖν ὀνόματι τὸ πρώτως ὑποτεταγμένον ἐναργές ἔστω (me semble-t-il, à la place de ἐστι), « Et donc pour tout nom, ce qui en premier est mis à ses côtés doit être clair ». Or il prend « homme » comme exemple ; de fait, après avoir enseigné quelle est la prénotion de l’homme, τὶ τοιοῦτον ἐστὶν ἄνθρωπος [252v] « telle sorte de chose est un homme », il a ajouté ἅμα γὰρ τῷ ῥηθῆναι ἄνθρωπος εὐθὺς κατὰ πρόληψιν καὶ ὁ τύπος αὐτοῦ νοεῖται, qu’« en même temps que l’on prononce “homme”, aussitôt par la prénotion on pense à une image de l’homme ». Que si tu demandes s’il nous faut avoir au préalable une connaissance raffinée de l’homme, pour que nous puissions rechercher, douter, etc., Épicure répondra que cela n’est pas du tout nécessaire, mais qu’il nous suffit de savoir ne serait-ce que par sa forme extérieure sous quels aspects il diffère des autres choses. Assurément les épicuriens, comme Sextus Empiricus le rappelle2, καὶ δεικτικῶς ᾠήθησαν δύνασθαι τὴν ἐπίνοιαν τοῦ ἀνθρώπου περίστασθαι, λέγοντες “ἄνθρώπος ἐστι τοιουτονὶ μόρφωμα μετ’ ἐμψυχίας”, « estimèrent qu’ils purent faire passer la notion de l’homme en disant “l’homme est telle chose pourvue de telle forme dotée d’animation” ». Pour le reste il est complètement manifeste qu’il n’est pas possible de rechercher quoi que ce soit sans prénotion. En effet, comment nous enquérir de ce dont nous n’avons pas le soupçon ? Que s’il y a quelque soupçon d’une chose, il y en a aussi quelque prénotion. Voici qu’il dit chez Diogène Laërce3 καὶ οὐκ ἄν ἐζητήσαμεν τὸ ζητούμενον, εἰ μὴ πρότερον ἐγνώκειμεν αὐτό· οἷον τὸ πόρρω ἐστὼς ἵππος ἐστὶν ἢ βοῦς· δεῖ γὰρ κατὰ πρόληψιν ἐγνωκέναι ποτὲ ἵππου καὶ βοὸς μορφήν· οὐδ’ ἂν ὠνομάσαμέν τι μὴ πρότερον αὐτοῦ κατὰ πρόληθιν τὸν τύπον μαθόντες, « Et nous n’aurions pas entrepris de chercher ce que nous recherchons, si nous ne l’avions pas connu auparavant, comme lorsqu’on dit : “ce qui se trouve là-bas est un cheval ou un bœuf ” ; car il faut par la prénotion avoir connu un jour la forme du cheval et du bœuf. Et nous n’aurions pas non plus donné un nom à quelque chose si auparavant nous n’avions pas connu son image par la prénotion. » 1 Diogène Laërce, X, 33. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 267. 3 Diogène Laërce, X, 33.

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Idem porro est de dubitatione ac de inquisitione dicendum. Nam et quomodo ambigemus, sitne id quod ad quæstionem respondetur tale an non, nisi conceptum prius formaverimus ad quod expendamus, illudne, de quo hæremus, tale sit an aliud ? Similiter intelligentiæ ac opinionis par ratio est. Siquidem soluta quæstione et disputatione sublata intelligimus quidem, atque opinamur quod res talis sit ; verumtamen id agimus beneficio prænotionis ad quam referentes quod proponitur conformitatem veram observamus. Καὶ τὸ δοζαστὸν (sic apud Lærtium habet Epicurus) ἀπὸ προτέρου τινὸς ἐναργοῦς ἤρτηται, ἐφ’ ὅ ἀναφέροντες λέγομεν, οἷον ὅταν ἴσμεν ὅτι (existimo pro πόθεν ἴσμεν) τοῦτο ἔστιν ἄνθρωπος, etiam id quod opinamur (adde et intelligimus) e quodam priore evidenti pendet ad quod referentes ipsum loquimur, veluti dum scimus, quod istud est homo. Denique qui liceat refellere quidpiam, edisserereve id quod opinamur, aut refellimus tale esse, aut non esse, nisi præcognitum habeamus quale sit id, ad quod respicientes arguimus illud non esse ipsi consentaneum ? Obiici posset adversus hunc et præcedentem canones, cum Epicurus deorum naturam sensibilem non faciat, quomodo ergo aut quidpiam nobis de diis innotuit, aut tam multa de iis quærimus, opinamur, disputamus. Verum suo loco ostendetur ut et deorum notio haberi iuxta Epicurum [253r] dicatur per imagines, et ut istæ imagines, nisi sint corporeæ ac sensibiles, saltem quasi corporeæ ac sensibiles quasi sint, et ut rerum sensu perceptarum istis observandis agnoscendisque fiat necessaria, adeo ut res sensibiles sint velut gradus ad internoscendum divinam naturam, et denique ut deorum notiones habeantur veluti innatæ atque a natura ipsa insitæ, quod a mundi usque hominumque

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Il faut en outre dire la même chose sur le doute et sur la recherche. Car comment hésiterons-nous si la réponse donnée à la question est correcte ou non, si nous n’avons pas d’abord formé le concept par rapport auquel nous devons peser si la chose, sur laquelle nous hésitons, est telle ou autre ? Un raisonnement pareil vaut pour l’intelligence et l’opinion. Assurément c’est après que la question et la dispute sont résolues que nous comprenons que la chose est ceci ou cela et que nous émettons l’opinion qu’elle l’est ; mais cependant nous le faisons grâce à la prénotion, parce que c’est en référant à elle ce qui nous est proposé que nous observons la vraie conformité [entre l’objet et la prénotion que nous en avions]. Καὶ τὸ δοζαστὸν (c’est ainsi qu’Épicure s’exprime chez Diogène Laërce1) ἀπὸ προτέρου τινὸς ἐναργοῦς ἤρτηται, ἐφ’ ὅ ἀναφέροντες λέγομεν, οἷον ὅταν ἴσμεν ὅτι (j’estime à la place de πόθεν ἴσμεν) τοῦτο ἔστιν ἄνθρωπος, « Et ce à quoi l’on opine » (ajoute “et l’on comprend”) « est suspendu à une évidence antérieure, à quoi nous nous référons en parlant, pour dire par exemple, en le sachant que ceci est un homme ». Enfin comment serait-il possible de réfuter quoi que ce soit ou d’expliquer à fond ce dont nous avons l’opinion que c’est telle chose ou dont nous voulons réfuter que ce le soit, si nous ne possédions pas en tant que connu au préalable ce que c’est, prénotion que nous considérons pour affirmer que la chose réelle ne lui est pas conforme ? L’objection que l’on pourrait élever contre ce canon et le précédent, c’est qu’alors qu’Épicure ne donne pas aux dieux une nature sensible, comment se fait-il donc soit que quelque chose sur les dieux se fasse connaître de nous, soit que nous nous posions tant de questions sur eux, émettions tant d’opinions à leur propos et en débattions tellement ? Mais il sera montré en son temps que, pour Épicure, [253r] la notion des dieux est possédée par le biais des images et que ces images, si elles ne sont pas corporelles et sensibles, sont du moins quasi corporelles et quasi sensibles, et que cette notion nous est nécessaire pour les observer et les reconnaître par le biais de la sensation des choses perçues de telle sorte que les choses sensibles sont comme des degrés pour reconnaître la nature divine et qu’enfin [pour Épicure] les notions des dieux sont possédées comme de façon innée et placées en nous par la nature même, parce que, depuis le début du monde et des hommes, les images

1 Diogène Laërce, X, 33.

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exordio imagines deorum in humanas mentes et adpulerint et impressiones in iis fuerint. Posset et quidpiam obiici de naturali antipathia qua ovis lupum non prævisum fugit, et quæ sunt alia eiusmodi. Verumtamen et ista quoque edisserenda nobis sunt cum de rerum naturalium qualitatibus loquemur. Sufficiat interea ut dum fœtorem declinamus etiam non viso cadavere, quia corpuscula emittuntur quæ, cum oculis non sentiantur, organum tamen olfactus feriunt, ita abs re inimica emitti corpuscula, quæ tametsi visu aut olfactu non percipiantur, sensibilia tamen sint actu, adeo ut horrorem inducant, ac nocumentum maius præsagiant nisi per fugam consulatur. Denique posset obiici quidpiam de prænotionibus vacui, rerumque similium, quarum ne esse quidem ullæ species possunt. Attamen censendum est illa haberi κατ’ ἀναλογίαν. Nam ex eo, quod aliquod vas visum est primum terra oppleri, ac deinde aqua, postea ære, intelligimus tandem magis attenuendo tale spatium in quo nihil omnino sit ; eodem modo atomum quoque ex attenuatione rerum minutissimarum eodemque modo cætera, ac nominatim ea etiam quæ esse non credimus, qualia sunt vulgata quatuor elementa, de quibus alias dicendum est.

Canon 3 : Habendæ prænotiones sunt quam maxime generales, ut argumentari tutius in particularibus liceat. Hoc est quod docere videtur scribens ad Herodotum cum probaturus generalium physiologiæ capitum notitiam esse necessariam id assumit, τῆς γὰρ ἀθρόας ἐπιβολῆς πυκνὸν δεόμεθα, τῆς δὲ κατὰ μέρος οὐχ ὁμοίως, universali quippe notione (seu ea mentis adplicatione, qua definita prænotio est) crebro indigemus, particulari non item. Pergit autem, βαδιστέον μὲν οὖν καὶ ἐπ’ ἐκεῖνα

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des dieux se sont dirigées vers les esprits humains et furent en eux des impressions1. Quelque objection pourrait être faite aussi sur l’antipathie naturelle par laquelle le mouton fuit le loup qu’il n’a jamais vu et les autres cas de ce genre. Mais cependant de cela aussi il nous faudra disserter à nouveau quand nous parlerons des qualités des choses naturelles. Qu’il suffise de dire en attendant que, tandis que, même sans avoir vu un cadavre, nous en évitons la puanteur parce que des corpuscules sont émis qui, alors qu’ils ne sont pas sentis avec les yeux mais cependant frappent l’organe de l’odorat, de même des corpuscules sont émis par une chose ennemie, lesquels, même s’ils ne sont pas perçus par la vue ou par l’odorat, sont cependant des sensibles par leur effet de telle sorte qu’ils suscitent l’horreur et présagent une nuisance plus grande sauf si l’on prend la résolution de fuir. Enfin quelque objection pourrait être avancée sur la prénotion du vide et autres choses semblables, dont il ne peut pas même exister la moindre apparence. Toutefois il faut penser que ces choses sont possédées κατ’ ἀναλογίαν. Car à partir du fait que quelque récipient a été vu d’abord rempli de terre, et ensuite d’eau, et après d’air, nous concevons enfin, à force de diminution supplémentaire, un espace tel qu’il n’y a rien du tout dedans ; de la même façon [nous concevons] aussi l’atome au terme de la diminution des choses minuscules, ainsi que selon la même méthode toutes les autres choses, et nommément aussi les choses dont nous ne croyons pas qu’elles existent, comme les quatre éléments, dont il faut parler ailleurs2. Canon 3 : Il faut avoir des prénotions aussi générales que possible, afin de pouvoir argumenter plus sûrement sur les choses singulières Cela est ce qu’Épicure semble enseigner dans sa lettre à Hérodote quand, sur le point de démontrer que la connaissance des chapitres généraux de la physiologie est nécessaire, il affirme3 τῆς γὰρ ἀθρόας ἐπιβολῆς πυκνὸν δεόμεθα, τῆς δὲ κατὰ μέρος οὐχ ὁμοίως, « en effet nous avons fortement besoin d’une notion universelle » (c’est-à-dire de l’attention de l’esprit par laquelle est 1 L’expression peut paraître curieuse : l’on penserait lire un fecerint. De fait c’est ce qui a été d’abord écrit, mais le mot est rayé et remplacé très lisiblement par un fuerint. 2 Voir Pierre Gassendi, Le Principe matériel, op. cit. 3 Diogène Laërce, X, 35. Traduction modifiée.

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συνεχῶς, ἐν τῇ μνήμῃ τὸ τοσοῦτο ποιητέον, ἀφ’ οὗ ἣ τε κυριωτάτη ἐπιβολὴ ἐπὶ τὰ πράγματα ἔσται καὶ δὴ καὶ τὸ κατὰ μέρος ἀκρίβωμα πᾶν ἐξευρήσεται, τῶν ὀλοσχερωτάτων τύπων εὖ περιειλημμένων καὶ μηνημονευμένων· ἐπεὶ καὶ τῷ τετελεσιουργημένῳ τοῦτο κυριώτατον τοῦ παντὸς ἀκριβώματος γίνεται, τὸ ταῖς ἐπιβολαῖς ὀξίως δύνασθαι χρήσθαι : quocirca et eo [253v] adnitendum est, et circa memoriam id crebro agendum, ut rerum notio evadet firmissima. Sane etiam specialiter quidlibet evadet exquisite notum, si generalissimæ formæ animo perceptæ, memoriæque mandatæ fuerint, cum hoc universæ rei comprehensæ in eo qui perfecte operam navavit signum maxime proprium sit, ut habitis notionibus uti quam celeriter possit. Ex quo licet intelligi supponere quidem Epicurum dari notiones rerum speciales, ut Socratis, Bucephali, cæterarumque rerum singularium. Nam statim atque nomina huiusmodi rerum audimus (postquam nobis primum innotuerunt), ipsas intelligimus ; at velle tamen ut præcipue universales curemus, quippe ex quibus etiam licet singularium rerum habere notionem. Idem proinde voluit quod Plato, cuius ideæ nihil sunt aliud (saltem quatenus quæruntur in nobis) quam prænotiones rerum ita generales, ut resectis omnibus singularium discriminibus id solum contineant, quod in omnibus reperitur, ut si quis prorsus abstracte hominem concipiat, adeo ut illud intelligat solum quod in omnibus hominibus est, ut rationis capax esse animal ; detrahat vero albedinem, nigredinem, iuventutem, senium, et similia, quæ ad aliquos, non ad omnes spectant. Unde patet prænotionem huiusmodi generalem debere non ex uno, vel paucis, sed vel ex omnibus, vel certe ex quamplurimis specialibus rebus per inductionem colligi. Talia Peripatetici quoque dicta illa sua universalia describunt, tametsi in eo Epicurus differt a vulgari ipsorum sententia, quod pro genere habeat quidquid notionem continet plurium, seu illa sint membra adhuc generalia,

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définie la prénotion) « et pas autant d’une notion du détail ». Or il poursuit1 : βαδιστέον μὲν οὖν καὶ ἐπ’ ἐκεῖνα συνεχῶς, ἐν τῇ μνήμῃ τὸ τοσοῦτο ποιητέον, ἀφ’ οὗ ἣ τε κυριωτάτη ἐπιβολὴ ἐπὶ τὰ πράγματα ἔσται καὶ δὴ καὶ τὸ κατὰ μέρος ἀκρίβωμα πᾶν ἐξευρήσεται, τῶν ὀλοσχερωτάτων τύπων εὖ περιειλημμένων καὶ μηνημονευμένων·ἐπεὶ καὶ τῷ τετελεσιουργημένῳ τοῦτο κυριώτατον τοῦ παντὸς ἀκριβώματος γίνεται, τὸ ταῖς ἐπιβολαῖς ὀξίως δύνασθαι χρήσθαι : « Il faut donc faire des efforts continuels et mettre fortement en présence de la mémoire, pour que la notion des choses devienne la plus ferme qui soit. Et de fait spécialement une chose quelle qu’elle soit devient plus finement connue, dès lors que les formes les plus générales auront été bien perçues et confiées à la mémoire, alors que le signe le plus propre de la compréhension totale d’une chose dans l’homme qui a fait complètement tous ses efforts est qu’il peut utiliser les notions qu’il possède le plus rapidement possible ». De là il [Épicure] peut concevoir qu’il existe des notions spéciales des choses, comme de Socrate, de Bucéphale et de toutes les autres choses particulières. Car aussitôt que nous entendons les noms des choses de ce genre (après que nous en avons eu une première connaissance), nous comprenons les choses elles-mêmes ; mais qu’il veut cependant que nous nous occupions surtout des notions universelles, c’est-à-dire celles qui nous permettent d’avoir la notion des choses particulières. Sa pensée rejoint donc celle de Platon, dont les idées ne sont rien d’autre (du moins dans la mesure où on les examine [comme elles sont] en nous) que des prénotions tellement générales des choses que, une fois qu’est retranché tout ce qui distingue les choses singulières, elles contiennent cela seulement qui se trouve dans toutes, comme quand quelqu’un conçoit un homme complètement abstraitement de telle sorte qu’il ne retient que ce qui se trouve dans tous les hommes comme être un animal capable de raison, mais retire la peau blanche ou noire, la jeunesse, la vieillesse et autres semblables, qui concernent certains hommes et non pas tous. D’où il est évident que une telle prénotion générale doit être déduite par induction non pas à partir d’une chose spéciale, ni d’une poignée de choses spéciales, mais ou bien à partir de toutes ou bien du moins du plus grand nombre possible. Répond aussi à cette description ce que les péripatéticiens intitulent les universaux, même si sur ce point Épicure diffère de leur manière de voir courante, parce qu’il considère comme le genre tout ce qui contient la notion de 1 Diogène Laërce, X, 36. Je ne conserve pas la traduction.

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seu dicta vulgo individua ; pro specie vero quidquid est pars tali subiecta generi, ac proinde sive possit respectu aliorum rursum fieri genus, sive non possit, quod sit individuum. Denique et talis prænotio non differt ab ea, quam seu descriptionem, seu definitionem dicunt. Siquidem unaquæque res ita prænotione circumscribitur ut nulli alii quam cuius est prænotio convenire possit. Si posset enim, tunc adhuc magis limitanda designaretur, et quærenda foret differentia, qua alioquin similibus dissimilis evaderet. Ex quo intelligere potest, sicuti prænotio est rerum tam universalium quam particularium, ita definitionem esse. Neque enim Plato est minus circumscribendus ac definiendus, ne accipietur pro Socrate, quam homo, ne pro bellua, aut animal, ne pro planta. Quod enim volunt aliqui totam essentiam singularium, ut Platonis et Socratis, contineri in homine, seu definitione illa generali, qua homo dicitur esse rationale animal, minus probabile videtur ; tam enim Plato habet suam essentiam singularem, quam homo suam generalem, et animal suam generaliorem ; et differentia illa, qua Plato dissidet a Socrate individuusque efficitur, dici quidem potest præter essentiam hominis, at non tamen præter essentiam Platonis ; [254r] alioquin etiam differentia, qua homo differt a bellua, cum simili ratione sit præter essentiam animalis, foret etiam præter hominis essentiam, quod nemo sane dixerit. Sed plura hac de re deque cæteris Adversus Aristoteleos. Addo hic solum Epicurum non fuisse ita scrupulosum ut quemadmodum prænotionem, ita et definitionem aliam ob causam quæsierit, quam ut quomodocunque tantum unaquæque res distincta a cæteris intelligi posset. Quippe videtur in ea re illis esse accensendus qui, cum apud Ciceronem1 dicerent nihil esse clarius ἐναργεία, orationem nullam putabant illustriorem ipsa evidentia reperiri posse, neque ea, quæ tam clara essent, definienda censebant, intellige nimirum defi-

1 lib. 4. acad.

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plusieurs soit qu’ils soient les membres à ce point généraux ou bien les individus, pour reprendre le terme courant ; mais qu’il considère comme l’espèce tout ce qui est partie rangée sous un tel genre, et cela, soit que cela puisse devenir à son tour genre au respect des autres, soit que cela soit impossible, ce qui est la définition d’un individu. Enfin une telle prénotion ne diffère pas non plus de ce qu’on appelle soit description, soit définition. Assurément toute chose est circonscrite par une prénotion telle qu’elle ne puisse convenir à rien d’autre que ce à quoi dont elle est la prénotion. Car si elle le pouvait, cela impliquerait la nécessité de la limiter davantage, et il faudrait rechercher la différence par laquelle la chose deviendrait dissemblable des choses qui lui sont semblables pour tout le reste. De là il [Épicure] peut comprendre que, de même qu’il existe une prénotion des choses tant universelles que singulières, de même il en existe une définition. En effet Platon ne doit pas être moins circonscrit et défini, pour ne pas être pris pour Socrate, que l’homme, pour ne pas être pris pour une bête, ou que l’animal, pour ne pas être pris pour une plante. En effet, la conception des quelques-uns qui veulent que la totalité des essences des choses particulières, comme de Platon et de Socrate, soit contenue dans l’homme, autrement dit dans cette définition générale par laquelle l’homme est dit être un animal rationnel, semble moins probable ; en effet, Platon a autant son essence particulière que l’homme a son essence générale, et l’animal son essence plus générale encore ; et on peut dire de cette différence, par laquelle Platon se distingue de Socrate et devient un individu, se situe assurément hors l’essence de l’homme, mais non pas hors de l’essence de Platon ; [254r] autrement la différence par laquelle l’homme diffère de la bête, si, sur la base du même raisonnement elle se situe hors de l’essence de l’animal, se situerait aussi hors de l’essence de l’homme, ce que vraiment personne ne dirait. Mais [tu liras] de plus longs développements sur cette question et toutes les autres [dans mon livre] contre les Aristotéliciens. J’ajoute ici seulement qu’Épicure ne fut pas assez vétilleux pour avoir eu d’autre raison de rechercher la prénotion ainsi que la définition que pour permettre que chaque chose pût seulement être comprise comme distincte de toutes les autres d’une manière ou d’une autre. Car il semble en l’occurrence devoir être mis au nombre de ceux qui, disant chez Cicéron1 qu’il « n’y a rien de plus clair que l’ἐναργεία […], pensaient qu’on ne peut découvrir nul discours apportant plus 1 Cicéron, Académiques, II, vi, 17.

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nitionibus operosis in quibus sane frustra sudatur, cum alias res quæ definitur manifesta prænotione intelligitur. Nunc ad institutum ut redeam, idcirco censuit Epicurus habendas esse prænotiones quam maxime fieri potest generales, quod exinde tutius et commodius circa singularia argumentari sit in promptu. Sic enim ex eo quod homo prænoscitur quidpiam animatum, Platonem quoque, cum sit homo, animatum colligi ; et e contra saxum, cum anima careat, ne esse quidem hominem. Quippe prænotio generalis ea debet esse, quod mox ante insinuabamus, ut si cuipiam rei conveniat, ea talis sit, si discrepet, minime. Quo spectant illa duo notionum capitalia genera, quæ Aristoteles1 apellat dici de omni, dici de nullo. Verum exemplo Epicureo hanc firmemus sententiam, cum ille in Ratis Sententiis eius quod iustum dicitur examinasset naturam, generalem ex illo prænotionem faceret, detraxit primum omnia iustorum particularium discrimina, ac deprehendit nihil superesse præter solam utilitatem. Unde hoc generaliter constituto docuit consequenter circa species temporis illud esse iustum pro ratione cuiusque εἰς τὴν πρόληψιν (τοὺ συμφερόντος supple) ἐναρμότην, ad hanc prænotionem utilitatis congruit, et contra ea iniusta esse (de constitutis lege loquitur) μὴ ἁρμόττοντα εἰς τὴν πρόληψιν, quæ ad eamdem non congruunt. Qua de re plura in Ethicis. Et adtexendæ quidem hoc loco viderentur regulæ quibus argumentatio dirigenda esse vulgo creditur. Verum quia hinc maxime spectat illud D. Hieronymi2, Stoici dialecticam sibi vendicant, et tu huius scientiæ deliramenta contemnis, in hac parte Epicurus es, idcirco non est quod moliri hic adnitamur

1 lib. 2 adve. ruf.

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de lumière que l’évidence elle-même, et il ne faut pas définir les choses aussi claires », comprends définir par des définitions laborieuses dans lesquelles on s’épuise vraiment en vain, alors que la chose qui est définie est comprise par une prénotion obvie. À présent, pour revenir à l’ordre de mon propos, si Épicure a pensé qu’il fallait avoir des prénotions les plus générales possibles, c’est parce qu’il est possible de raisonner à partir d’elles plus sûrement et plus commodément sur les choses particulières. En effet c’est ainsi que du fait qu’un homme est connu d’avance comme quelque chose d’animé, il est conclu que Platon aussi, vu qu’il est un homme, est animé ; et qu’au contraire un rocher, vu qu’il est dépourvu d’âme, n’est pas même un homme. C’est que la prénotion générale doit être telle, comme nous le suggérions il y a peu, que si elle convient un peu à une chose, alors la chose est telle, mais que si elle ne s’y accorde pas, alors la chose n’est pas du tout telle. C’est sur cela que portent les deux genres principaux de notions, dont Aristote dit1 que ce qui est dit de tout est dit d’aucun. Mais nous appuierons cette façon de voir par un exemple épicurien : après avoir, dans les Maximes capitales, examiné la nature de ce qui est dit juste dans le but d’en construire la prénotion générale, il retira d’abord tout ce qui distingue les choses justes particulières et il découvrit qu’il ne restait rien que la seule utilité. De là cela étant constitué généralement, il a enseigné en conséquence à propos des espèces de son époque que telle chose était juste au nom du rapport de chacun2 εἰς τὴν πρόληψιν (complète avec τοὺ συμφερόντος) ἐναρμόττην, « à la prénotion d’utilité »3 et qu’au contraire étaient injustes4 (il parle des choses établies par la loi) μὴ ἁρμόττοντα εἰς τὴν πρόληψιν, les choses « qui ne s’y accordent pas ». Mais nous en parlerons plus longuement dans les livres d’Éthique. Et il semblerait qu’il faille ajouter ici les règles qui, de l’avis général, doivent régir une argumentation. Mais parce que cette phrase de saint Jérôme s’y rapporte particulièrement5, « et comme les stoïciens revendiquent pour eux la dialectique et que tu dédaignes les divagations de cette science, sur ce 1 Aristote, Seconds analytiques, I, iii, 73a29-30. 2 Diogène Laërce, X, 152. 3 Gassendi ne retire pas le verbe congruit qu’il a pourtant déjà traduit par pro ratione. 4 Diogène Laërce, X, 153. 5 Saint Jérôme, Apologie contre Rufin, I, 30, 66-67 (423a). Gassendi modifie le texte de Jérôme qui indique logique à la place de dialectique. Les éditeurs modernes choisissent de lire epicureus, mais Gassendi écrit clairement (cf. manuscrit) Epicurus.

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aliquid. Nempe Epicurus has technas, ut supra est dictum, contempsit veluti inutileis, et causa fuit ipsi quod quisque pro iis quas habet rerum prænotionibus sponte et luce naturæ sola intelligat statim, et colligat quidquid istis artibus suis se existimant adipisci. Inde est quamobrem Torquatus apud Ciceronem1 docet non esse necessarium exquisitis rationibus confirmare, tantum satis esse admonere. Interesse enim inter argumentum conclusionemque rationis et inter mediocrem animadversionem atque admonitionem ; altera occulta quædam et quasi involuta aperiri, [254v] altera prompta et aperta iudicari. Id pervidere porro exemplo vel familiarissimo licet : etenim si quis cum habeat prænotionem hominis, quod sit animal rationale, nihil necesse est ut illi prætexas figuras et modos quibus inferat Platonem, quem constat hominem esse, esse igitur rationale animal - quippe hoc vel nolens eliciet – et præscribes quidem illi, ut sic dicat : omnis homo est animal rationale ; atqui Plato est homo ; igitur Plato est animal rationale ; sed partim quidem id per se dicit, partim etiam concludit sic : Plato est homo ; ergo animal rationale, quandoquidem homo est ; vel, omnis homo est animal rationale ; igitur et Plato ; vel, quia Plato est homo, igitur animal rationale, aliisque modis similibus quibus singulis idem dicet. Neque aberravit a vero. Sed plenius alias id pressimus. Indico solum hanc esse causam cur inter argumentandum Epicurus nunc aliquam propositionem prætermiserit, nunc conclusionem præviam fecerit ; neque id tamen inscitia, neque imperite, quibus verbis illum ab A. Gellio excusari adversus Plutarchum supra vidimus, imo quibus sæpe et ipse Plutarchus, et Plato, et homines omnes excusandi occurrerent, Aristoteles vero nominatim, qui vix unquam suis ipsius argumentandi legibus paruit.

1 lib. 1. de fin.

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point tu es Épicure », c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas de raison de faire des efforts pour entreprendre cela ici. Assurément Épicure a, comme nous l’avons dit ci-dessus, méprisé ces techniques comme inutiles, et la cause en est à ses yeux que chacun comprend et embrasse sur-le-champ, par luimême et par la seule lumière de la nature, en fonction des prénotions qu’il a des choses, tout ce que ces gens-là estiment atteindre par ces artifices qui sont leurs. Cela explique que Torquatus, chez Cicéron, enseigne1 « qu’il n’est pas nécessaire d’appuyer [cela] de raisonnements compliqués, il suffit de [le] signaler par un simple avertissement. Car il y a une différence entre un raisonnement avec conclusion et forme, et une simple remarque ou avertissement : le raisonnement met en lumière des idées cachée, et comme enveloppées, au lieu que l’avertissement nous appelle [254v] à juger ce qui est devant nous et en pleine lumière ». Il est possible de voir cela complètement par l’exemple le plus familier qui soit : en effet, à quelqu’un qui a une prénotion de l’homme comme quoi il est un animal rationnel, il n’est en rien nécessaire de le pourvoir des figures et des modes qui doivent lui servir à inférer que Platon, dont il est établi qu’il est un homme, est donc un animal rationnel – car cela il l’obtiendra même s’il ne le veut pas – et de lui prescrire de formuler la chose comme suit : « tout homme est un animal rationnel ; et Platon est un homme ; donc Platon est un animal rationnel ». Mais en partie il dit cela tout seul et en partie il produit le raisonnement suivant : « Platon est un homme ; donc il est animal rationnel puisqu’il est un homme » ; ou bien « tout homme est un animal rationnel ; donc Platon l’est aussi » ; ou bien « parce que Platon est un homme, donc il est un animal rationnel », et quant aux autres modes, il dira la même chose à l’égard des singuliers semblables. Et [ce faisant] il ne s’écartera pas du vrai. Mais nous insistons sur ce point plus pleinement ailleurs. J’indique seulement que là est la cause pour laquelle, en argumentant, Épicure tantôt a omis quelque prémisse, tantôt a posé sa conclusion devant ; et cela, [ce ne fut] ni par ignorance, ni maladroitement, puisque tels sont les mots dont Aulu Gelle2, comme nous l’avons vu ci-dessus, se sert pour le justifie contre les accusations de Plutarque, et bien plus dont il s’impose qu’il faille se servir pour justifier bien souvent Plutarque lui-même, et Platon, ainsi que tous les

1 Cicéron, De Finibus, I, ix, 30. 2 Aulu Gelle, Nuits Attiques, VII, 5.

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Canon 4 : Quæ minime evidentia sunt ex rerum evidentium prænotionibus demonstrari debent. Idipsum est quod Epicurus velle videtur his verbis quæ sunt apud Lærtium : καὶ περὶ τών ἀδήλων ἀπὸ τῶν φαινομένων χρὴ σημειοῦσθαι, oportet etiam ex iis quæ adparent (sive evidentia sunt) signum capere ad inevidentia. Sic non longe post ad Herodotum ubi loquitur de sensu, καθ’ ἥν, inquit, ἀναγκαίον τὸ ἄδηλον τῷ λογισμῷ τεκμαίρεσθαι, iuxta quem necessarium est facere ad id, quod occultum est, ratiocinando coniecturam. Porro hæc duo verba, σημειοῦσθαι καὶ τεκαίρεσθαι, id in memoriam revocant quod περὶ τοῦ σημείου καὶ τοῦ τεκμηριοῦ habet Quintilianus1. Tametsi enim utraque vox idem sonare posse videtur, quod argumentum seu medium ad argumentationem, seu demonstrationem contexendam accommodatum, nihilominus ille sic distinguit ut dicat τεκμήριον adpellari signum, seu argumentum necessarium, quod enim aliter se habere non possit, vix pertinere ad artis præcepta videatur. Nam, inquit, ubi est signum insolubile, ibi ne lis quidem est ; σημεῖον vero adpellari signum non necessarium, comprehendens nempe ea quæ εἰκότα Græci vocant, quæque, inquit ille, etiamsi ad tollendam dubitationem sola non sufficiunt, tamen adiuncta cæteris plurimum valent. Et non contenderim quidem Epicurum ad distinctionem hanc respexisse. Sed dici tamen potest illum inter demonstrandum ita usurpasse signum, quod Græci propterea adpellant ἐνδεικτικὸν, seu demonstratorium (interpretatur Cicero2 insignem ac proprium percipiendi notam), ut nunc illud [255r] quidem quasi

1 lib. 8. cap. 9 2 lib. 4. acad.

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hommes, et nommément Aristote qui n’a presque jamais obéi à ses propres lois d’argumentation. Canon 4 : Les choses qui ne sont pas du tout évidentes doivent être démontrées par les prénotions des choses évidentes C’est cela même qu’Épicure semble vouloir dire par ces mots que l’on trouve chez Diogène Laërce1 καὶ περὶ τών ἀδήλων ἀπὸ τῶν φαινομένων χρὴ σημειοῦσθαι, « même les réalités inévidentes sont à rendre manifestes à partir de ce qui apparaît » (c’est-à-dire de ce qui est évident). De même, très peu après, à Hérodote, quand il est question du sens, il dit2 καθ’ ἥν ἀναγκαίον τὸ ἄδηλον τῷ λογισμῷ τεκμαίρεσθαι, « il est nécessaire de suivre pour conjecturer, avec l’aide du raisonnement, l’inévident  ». En outre ces deux verbes, σημειοῦσθαι καὶ τεκμαίρεσθαι, « rendre manifeste » et « conjecturer » font revenir à la mémoire ce que Quintilien dit3 περὶ τοῦ σημείου καὶ τοῦ τεκμηριοῦ. Car même si les deux mots peuvent sembler dire la même chose, à savoir l’argument ou le moyen adapté pour construire une argumentation ou bien une démonstration, il les distingue cependant de façon telle qu’il dit que τεκμήριον veut dire signe ou argument nécessaire, parce qu’en effet il ne pourrait être autrement. Aussi me paraît-il n’avoir presque aucun rapport avec les préceptes de l’art. « Car », dit-il4, « là où un indice est irréfutable, il n’y a pas non plus de contestation » ; et d’autre part il dit que σημεῖον veut dire signe non nécessaire, comprenant assurément ces choses que les Grecs nomment εἰκότα, « et qui », dit-il5, « même si à eux seuls, ils ne suffisent pas à lever les doutes, ont néanmoins beaucoup de force quand ils sont soutenus par les autres ». Et je n’irais certes pas prétendre qu’Épicure a eu égard à cette distinction. Mais l’on peut cependant dire que, dans le cadre de ses démonstrations, il a employé le signe, que les Grecs appellent pour cette raison ἐνδεικτικὸν, « démonstratif » (Cicéron traduit6 par « distinctif et propre à la perception du réel ») de façon telle qu’il l’a tenu [255r] tantôt pour quasi

1 2 3 4 5 6

Diogène Laërce, X, 32. Diogène Laërce, X, 39. [À propos du signe et de la probabilité]. Quintilien, De l’institution oratoire, V, 9, 4. Quintilien, De l’institution oratoire, V, 9, 8. Cicéron, Académiques II, xxxi, 101.

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necessarium ac insolubile habuerit, nunc vero quasi non necessarium et verisimile dumtaxat. Prætereo autem ut voluerit illud esse quomodocunque per evidentiam sensus prænotum ; propterea enim universe αἰσθητὸν εἶναι τὸ σημεῖον, signum esse sensibile, apud Empiricum dixit. Adnoto solum demonstrationem ex signo prioris generis constantem videri illam qua inane ex motu esse comprobavit. Ea cum ex causa Ἐπικούρος δοκεῖ (verba sunt Empirici1) ἰσχυροτάτην τεθείκεναι ἀποδείξιν εἰς τὸ εἶναι κενὸν τοιαυτὴν, videtur sibi Epicurus eiusmodi firmissimam probando inani adtulisse demonstrationem, εἰ ἐστι κίνησις, ἐστὶ κενὸν, ἀλλὰ μὲν ἐστι κίνησις, ἔστιν ἄρα κενὸν : si motus est, inane est ; motus autem est ; quare et inane. Examinandum porro in Physicis est quid virium habeant quæ hanc adversus demonstrationem opponuntur. Posterioris generis quamplurima etiam occurrent in Physicis, ac in Metereologicis præsertim. Id hic sufficiat quod Epicurus ἰσονομίαν apellavit, interpretatur Cicero2 æquilibritatem, seu æquabilem tributionem. Coincidit vero cum eo, quod vulgo admittitur, posito uno contrariorum in rerum natura, poni alterum necessario. Utitur autem Velleius τῇ ἰσονομίᾳ iuxta Epicurum, cum demonstrat, si mortalium tanta multitudo sit, esse immortalium non minorem, et si quæ interimant innumerabilia sunt, etiam ea quæ conservent infinita esse debere. Et obiicit Cotta, isto modo quoniam homines mortales sunt, sint aliqui immortales, et quoniam nascuntur in terra, nascantur in aqua, et cætera. Verum hæc solum arguunt demonstrationem eisumodi constare ex signo minime necessario, neque obs-

1 lib. 2. adv. 2 lib. 1. de na. de.

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nécessaire et incontestable, tantôt pour quasi non nécessaire et seulement vraisemblable. Or je passe sur le fait qu’il a voulu que le signe [dans cette seconde acception] soit d’une manière ou d’une autre connu d’avance par l’évidence du sens ; en effet c’est pourquoi [Épicure] dit chez Sextus Empiricus1 qu’en général αἰσθητὸν εἶναι τὸ σημεῖον « le signe est sensible ». Je fais seulement remarquer que la démonstration par laquelle il a prouvé l’existence du vide par le mouvement semble être une démonstration consistant dans le signe du premier genre. Alors que c’est pour cette raison que Ἐπικούρος δοκεῖ (ce sont les mots de Sextus Empiricus2) ἰσχυροτάτην τεθείκεναι ἀποδείξιν εἰς τὸ εἶναι κενὸν τοιαυτὴν, « Épicure croit avoir apporté la démonstration du vide la plus solide qui soit en le prouvant de la façon suivante », εἰ ἐστι κίνησις, ἐστὶ κενὸν, ἀλλὰ μὲν ἐστι κίνησις, ἔστιν ἄρα κενὸν : « S’il y a du mouvement, il y a du vide ; mais il y a du mouvement, donc il y a du vide ». En outre il fau[dra] examiner dans les livres de la Physique la valeur des arguments qui sont opposés à cette démonstration. Mais de très nombreux signes relevant du second genre se trouveront aussi dans les livres de la Physique, et surtout ceux de la Météorologie. Qu’il suffise ici de dire que ce qu’Épicure a appelé ἰσονομία, Cicéron l’a traduit3 par « stricte égalité », c’est-à-dire « représentation équilibrée ». Or cela correspond avec cet adage, qui est communément admis, à savoir que « si l’un des contraires est posé dans la nature des choses, il est nécessaire de poser l’autre aussi ». Or Velléius utilise ἡ ἰσονομία dans le sens d’Épicure, quand il démontre4 que « si la multitude des mortels est si considérable, celle des immortels ne doit pas être moindre et que si les causes de destruction sont innombrables, celles de conservation elles aussi doivent être infinies ». Et Cotta lui objecte5 : « À ce compte, puisqu’il y a des hommes mortels, il y en a d’autres qui sont immortels et puisqu’il y en a qui naissent sur la terre, il y en a qui naissent dans l’eau », etc. Mais ces propos ne font guère que rendre manifeste que ce type de démonstration consiste en un signe absolument pas nécessaire, et ne s’opposent pas à ce qu’ils « aient néanmoins

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Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 177. Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 329. Cicéron, La Nature des dieux, I, xix, 50. Cicéron, La Nature des dieux, I, xix, 50. Cicéron, La Nature des dieux, I, xxxix, 109.

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tant quin sit ex iis, quæ adiuncta cæteris, ex Quintiliano, plurimum valent. Neque dicas demonstrationem instituendam solum esse ex signis necessariis. Siquidem non omnes tenentur usurpare illam ad mentem Aristotelis ; et quamvis geometræ videantur non nisi ex necessariis demonstrationes texere, clarum est tamen demonstrationes, quæ texuntur a physicis, non esse paris necessitatis. Dices forte Empiricum definitionem hanc adferre, quæ Epicuri esse videatur : ἀποδειξίς ἐστι λόγος δι’ ὁμολογουμένων λημμάτων κατὰ συναγωγὴν ἐπιφορὰν ἐκκαλύπτων ἄδηλον : demonstratio est oratio quæ per sumptiones concessas colligendo aperit non manifestam illationem ; quod enim Epicuri sit, arguit exemplum adpositum probati inanis per motum ; quod autem dixit sumptiones esse in demonstratione concessas, supponit profecto esse necessarias, sive, quod est idem, constare ex signo necessario ; alias siquidem quomodo pro concessis possent haberi ? Verum ut demus definitionem posse Epicuro adtribui, nihilominus tam ipse [255v] quam cæteri physici eas propositiones pro concessis habent, non quibus omnino contradici nequeat (ecquod enim placitum est, quod a multis non improbetur ?), sed quibus licet contradicatur, sua tamen manet uberior fides. Nempe non physicæ perinde ac geometricæ necessariæ sunt ; sed eæ tamen possunt adsumi, quæ præ sibi oppositis verissimilitudinem tueantur. Hic nota illud argumentum quod solet vulgo in Scepticos demonstrationem et scientiam impugnantes obiici, Epicureorum proprium fuisse. Nimirum dicit Empiricus Epicuri sectatores rusticitus institisse sic : ἤτοι νοεῖτε τί ἐστιν ἀπόδειξις, ἢ οὐ νοεῖτε· καὶ εἰ μὲν νοεῖτε, καὶ ἔχετε ἔννοιαν αὐτῆς ἔστιν ἀπόδειξις· εἰ δὲ οὐ νοεῖτε, πῶς ζητεῖτε τὸ μηδ’ ἀρχὴν νοούμενον ὑμῖν : aut intelligitis quid sit demonstratio, aut non intelligitis ; et si quidem intelligitis, eiusque habetis notionem, demonstratio est ; sin vero non intelligitis, quomodo id quæritis quod ne a vobis quidem omnino intelligitur ? Ac obiectio quidem ista non

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beaucoup de force  », dit Quintilien1, «  quand ils sont soutenus par les autres ». Et ne va pas dire qu’il ne faut entreprendre de démonstration que sur la base de signes nécessaires. De fait, tous ne sont pas tenus d’employer le [terme] de démonstration dans le sens défini par Aristote ; et quoiqu’il semble que les géomètres n’aient tissé de démonstrations qu’avec des signes nécessaires, il est cependant clair que les démonstrations qui sont tissées par les physiciens ne sont pas de la même nécessité. Tu diras peut-être que Sextus Empiricus apporte cette définition2 qui semble être d’Épicure : ἀποδειξίς ἐστι λόγος δι’ ὁμολογουμένων λημμάτων κατὰ συναγωγὴν ἐπιφορὰν ἐκκαλύπτων ἄδηλον, « la démonstration est un exposé qui, en raisonnant par le biais de prémisses sur lesquelles on s’accorde, ouvre sur une conclusion non obvie ». La preuve qu’elle est d’Épicure est l’exemple qu’il présente à la suite sur le vide prouvé par le mouvement ; or quand il dit que, dans la démonstration, on s’accorde sur les prémisses, il suppose certes qu’elles sont nécessaires, c’està-dire, ce qui revient au même, qu’elles consistent en un signe nécessaire ; autrement comment pourrait-on considérer que l’on s’est accordé dessus ? Mais quoique nous reconnaissions à Épicure la définition, néanmoins autant lui [255v] que tous les autres physiciens considère que l’on s’accorde non pas sur les propositions totalement impossibles à réfuter (cite-moi en effet un seul précepte qui n’est pas désapprouvé par un grand nombre), mais sur celles qui, quoique susceptibles d’être réfutées, font cependant plus foi. Assurément les propositions physiques ne sont pas aussi nécessaires que les géométriques ; mais l’on peut cependant retenir celles qui l’emportent finalement en vraisemblance sur celles qui leur sont opposées. Note ici que cet argument, qui sert d’habitude communément d’objection contre les sceptiques combattant la démonstration et la science, est spécifiquement épicurien. Assurément Sextus Empiricus dit3 que c’est de façon rustre que les disciples d’Épicure ont lancé l’attaque suivante : ἤτοι νοεῖτε τί ἐστιν ἀπόδειξις, ἢ οὐ νοεῖτε· καὶ εἰ μὲν νοεῖτε, καὶ ἔχετε ἔννοιαν αὐτῆς ἔστιν ἀπόδειξις· εἰ δὲ οὐ νοεῖτε, πῶς ζητεῖτε τὸ μηδ’ ἀρχὴν νοούμενον ὑμῖν ; « soit vous comprenez ce qu’est une démonstration, soit vous ne comprenez pas ; et si vous comprenez et que vous en avez une notion, il y a démonstration ; mais au contraire si vous ne comprenez pas, comment faites-vous pour chercher 1 Quintilien, De l’institution oratoire, V, 9, 8. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 314. 3 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 337.

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convincit penitus, cum, ut iam ante innuimus et Empiricus arguit, etiam earum rerum, quæ non sunt quasque esse non credimus, habere prænotionem liceat. Sed non est illa tamen propterea adeo rusticana ac Empiricus subnotat, cum nullam videas frequentius a subtilioribus scientiæ ac demonstrationis propugnatoribus usurpari. Quin ea est, cui sua constare probabilitas valeat, aliis præsertim rationibus iuncta, quibus existentia demonstrationis comprobatur. Earum una ex eadem schola producitur rursum ab Empirico, dum postquam obiectionem celebrem proposuit, quod nec in genere, nec in specie detur demonstratio, ac insistit etiam quod una debeat per aliam et aliam infinite demonstrari, subiicit Demetrium Laconem inter Epicuri sectatores insignem facile solvi posse dixisse obiectionem huiusmodi : μίαν γάρ, φησί, τῶν ἐπ’ εἴδους ἀποδείξεών τινὰ (συνάγουσαν ὅτι ἄτομα ἐστι στοιχεῖα, ἢ ὃτι κένον ἐστι) καταστησάμενοι καὶ βεβαίαν δείξαντες αὐτόθεν ἔξομεν ἐν ταύτῃ καὶ τὴν γενικὴν ἀπόδειξιν πιστήν : ὅπου γὰρ ἐστι τὸ τινὸς γενούς εἶδος, ἐκεῖ πάντως εὑρίσκεται καὶ γένος, οὗ ἐστι τὸ εἶδος, καθάπερ ἀνώτερον ἐπεμνήσαμην, nam si, inquit, unam aliquam ex iis quæ sunt in specie demonstrationibus (colligentem quod insectilia elementa sint, aut quod sit inane) constituerimus, ac firmam ostenderimus, eo ipso in ea exploratam quoque illam, quæ in genere demonstrationem habebimus ; ubi enim est species alicuius generis, ibi continuo deprehendetur et genus illud, cuius est species, ut prius demonstravimus. Multa magno molimine ab Empirico respondentur, sed partim ratio constat eodem modo, quo cæteræ, partim ad eam firmandam valent quæ pro veritate [256r] ac scientia superiore libro disputavimus, partim constabilienda manet ex iis, quæ in Physica de atomis et de inani, ac cæteris edisserentur.

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ce qui n’est pas du tout compris, du moins de vous ? ». Sans doute cette objection ne convainc-elle pas complètement, vu que, comme nous l’avons suggéré déjà auparavant, et comme Sextus Empiricus l’affirme1, il est possible d’avoir une prénotion y compris de choses qui n’existent pas et dont nous ne croyons pas qu’elles existent. Mais elle n’est pas pour autant aussi rustre que Sextus Empiricus le lui reproche, vu que tu n’en vois aucune qui soit plus fréquemment utilisée par les défenseurs les plus subtils de la science et de la démonstration. Bien plus, sa vraisemblance lui donne de se maintenir, surtout quand il s’y joint d’autres raisonnements permettant de confirmer l’existence de la démonstration. Sextus Empiricus2 expose ensuite l’une d’entre elles, qu’il tire de la même école, quand, après avoir exposé la célèbre objection, selon laquelle il n’existe de démonstration ni dans le genre ni dans l’espèce, et avoir aussi insisté sur le fait qu’une première doit être démontrée par une deuxième et la deuxième à l’infini, il ajoute que Démétrius de Sparte, un insigne sectateur d’Épicure, a dit qu’une objection de ce genre pouvait facilement être défaite : μίαν γάρ, φησί, τῶν ἐπ’ εἴδους ἀποδείξεών τινὰ συνάγουσαν ὅτι ἄτομα ἐστι στοιχεῖα, ἢ ὃτι κένον ἐστι καταστησάμενοι καὶ βεβαίαν δείξαντες αὐτύθεν. ἔξομεν ἐν ταύτῃ καὶ τὴν γενικὴν ἀπόδειξιν πιστήν : ὅπου γὰρ ἐστι τὸ τινὸς γενούς εἶδος, ἐκεῖ πάντως εὑρίσκεται καὶ γένος, οὗ ἐστι τὸ εἶδος, καθάπερ ἀνώτερον ἐπεμνήσαμην, « car si, dit-il, nous réussissons à constituer une quelconque de ces démonstrations qui concernent l’espèce (concluant à l’existe d’éléments insécables ou du vide et à en manifester la solidité, nous aurons du coup, en elle, cette démonstration qui concerne le genre ; en effet, là où est une espèce d’un quelconque genre, là on découvre aussitôt le genre dont c’est l’espèce, comme nous l’avons démontré ». Sextus Empiricus donne à cela de nombreuses réponses, fort laborieusement ; mais, en partie la raison s’en établit comme toutes les autres, en partie sont en mesure de la conforter tous les arguments dont nous avons débattu en faveur de la vérité [256r] et du savoir dans le précédent livre, en partie elle demeure à étayer à l’aide de ce qui sera débattu dans la Physique sur les atomes et le vide etc.

1 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 60. 2 Sextus Empiricus, Adv. math., VIII, 348.

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3. De Passione : Criterio Postremo Passionem, τὸ πάθος, ut iam fieri solet, hic accipimus pro ea quam perturbationem et commotionem animi Cicero est interpretatus. Quintilianus et alii adfictum dicunt, et adfectionem. Qua de re plura in Ethicis. Nunc ut vidimus supra passiones voluptatis et molestiæ adpellari ab Epicuro τὰ πρῶτα πάθη, passiones primas, ita perspicuum est eas esse quas criterium facit in disputandis iis, quæ amplectenda fugiendave sunt. Etenim, ut Eusebius1 habet ex Aristotele, epicurea sententia est τῆς αἱρέσεως καὶ φυγῆς ἀρχὴν καὶ κριτήρων ἐχεῖν ἥμας τὴν ἡδονὴν καὶ τὸν πόνον, voluptatem molestiamque principium nobis esse et criterium prosecutionis ac fugæ. Unde et illud apud Lærtium, πάθη δὲ εἶναι δύο, ἡδονὴν καὶ αλγηδόνα, ἱστάμενα λέγουσιν περὶ τῶν ζώων, καὶ τὴν μὲν οἰκεῖον, τὴν δὲ ἀλλότριον, δι’ ὧν κρίνεσθαι τὰς αἱρέσεις καὶ φυγὰς : passiones duas esse, voluptatem et molestiam, quæ omnibus insunt animalibus ; et illam quidem naturæ consentaneam, hanc vero alienam, ex quibus de prosecutione et fuga feratur iudicium. Itaque de his esse possunt huiusmodi Canones : Canon 1 : Ea voluptas, quæ nullam habet adnexam molestiam, amplectenda est. Canon 2 : Ea molestia, quæ nullam habet voluptatem adnexam, fugienda. Canon 3 : Ea voluptas, quæ aut maiorem voluptatem impedit, aut graviorem molestiam parit, fugienda. Canon 4 : Ea molestia, quæ aut maiorem avertit molestiam, aut uberiorem voluptatem creat, amplectenda. Hosce porro Canones non est quod hoc loco epicureos esse probemus explicemusve pluribus ; siquidem hoc est ex professo præstandum in Ethicis, et necesse nihil est hic aliquid contexere quod illic fuerit retexendum. Hactenus ergo Canonica.

1 lib. 14. præp.

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3. Sur la passion : dernier critère Nous entendons la passion, τὸ πάθος, comme il est déjà courant de le faire, pour celle que Cicéron traduit par perturbation et émotion de l’âme1. Quintilien2 et d’autres disent « affection ». Nous en parlerons plus longuement dans les livres de l’Éthique. À présent, de même que nous avons vu cidessus3 qu’Épicure appelle les passions du plaisir et du désagrément τὰ πρῶτα πάθη, « les premières passions », de même est-il évident qu’elles sont ce qu’il prend pour critère dans sa discussion de ce qui doit être embrassé ou fui. En effet, comme Eusèbe le dit d’après Aristote4, la phrase épicurienne est τῆς αἱρέσεως καὶ φυγῆς ἀρχὴν καὶ κριτήρων ἐχεῖν ἥμας τὴν ἡδονὴν καὶ τὸν πόνον, « le choix et la répulsion ont pour principes et critères le plaisir et la douleur ». De là aussi cette proposition chez Diogène Laërce5 πάθη δὲ εἶναι δύο, ἡδονὴν καὶ αλγηδόνα, ἱστάμενα λέγουσιν περὶ τῶν ζώων, καὶ τὴν μὲν οἰκεῖον, τὴν δὲ ἀλλότριον, δι’ ὧν κρίνεσθαι τὰς αἱρέσεις καὶ φυγὰς, « Ils disent qu’il y a deux types d’affection, le plaisir et la douleur, qui se trouvent en tout être vivant ; l’une est appropriée, l’autre est altérante, et c’est par elles que nous décidons de nos choix et nos refus ». C’est pourquoi sur ces passions, il peut y avoir les canons suivants : Canon 1 : Tel plaisir qui n’est mélangé d’aucun désagrément doit être embrassé. Canon 2 : Tel désagrément qui n’est mélangé d’aucun plaisir doit être fui. Canon 3 : Tel plaisir qui empêche un plaisir plus grand ou qui enfante un désagrément plus pénible doit être fui. Canon 4 : Tel désagrément qui détourne un désagrément plus grand ou qui crée un plaisir plus abondant doit être embrassé. Ces Canons, ce n’est pas la peine que nous prouvions ici qu’ils sont épicuriens ni que nous les expliquions davantage ; de fait, il nous faudra le faire ouvertement dans les livres de l’Éthique, et il n’est en rien nécessaire de construire ici ce qu’il faudra reconstruire là-bas. Arrêtons donc la canonique.

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Cicéron, Tusculanes, IV, vi, 11. Traduction modifiée. Quintilien, De l’institution oratoire, V, 12, 6. Voir [240r] : Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 203. Eusèbe, Préparation évangélique, XIV, 21, 1. Diogène Laërce, X, 34.

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