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French Pages [512] Year 1997
HISTOIRE DES DOCTRINES DE L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE Directeur : Jean PÉPIN 19
APOLLONIUS DYSCOLE
DE LA CONSTRUCTION
TEXTE GREC ACCOMPAGNÉ DE NOTES CRITIQUES INTRODUCTION, TRADUCTION NOTES EXÉGÉTIQUES INDEX
PAR
JEANLALLOT
VOLUME 1 *
INTRODUCTION,
TEXTE ET TRADUCTION
Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique
PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, v··
1997
Il mars 1957 n'auwrisant. aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41. d'une part. à l'usage privé du c o pi s te et non destinées à une utilisation collective» et. d'autre parr. que les analyses et les eourres citation' dans un hut d'exemple et d'illustration. «toute représentation ou repro d u ction intégrale. ou partielle. faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ay:mts droit ou ayants cause. est illicite» (Alinéa 1er de l article 40). Cette représentation ou reproduction. par quelque p rocédé que ce soit. constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 ct suivants du Code pénal. La loi du
que les «copies ou reproductions strictement réservées
'
©Librairie Philosophique J. VRIN. 1997 ISSN 0153-0828 ISBN 2-7116-1321-6
TABLE DES MATIÈRES
VOLUME!
Abréviations Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Notice technique sur le texte grec et la traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . DE LA CONSTRUCTION .......................................................................... . Sommaire analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .... . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . . . . . . Livre I Livre II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . .. . . . . ......... . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . . . . . .... . . . . . . . ... . ... . . . . . . . .... . Livre ID ........................................................................................................ Livre IV ........................................................................................................ . Adverbes de lieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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VOLUME II
NOTES .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . :. . . . . . . . . . . . . . . ......... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . Notes du livre I . . . . ... . . . . . . .. Notes du livre II . . . . . . .. . . . .... .. . . . . Notes du livre III . . . . . . . . . .. . . . . . .. Notes du livre IV . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. . Notes des Adverbes de lieu . . .. . . . . . . . . . . . . . . .. . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . INDEX .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . Index technique français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . Index technique grec . .. . . .. . . . . . . . . . . .. . .. .. . . Mots grecs étudiés dans la Syntaxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Auteurs et passages cités dans la Syntaxe . . .... . . .. .. . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . ... Textes anciens mentionnés dans l ' introduction et dans les notes . . . . . Auteurs modernes mentionnés dans l ' introduction et dans les notes . . .... BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .......... . . .......................... ....... ..... ............ ..... . ... ........ .
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ABRÉVIATIONS
N.B. Pour les noms propres d'auteurs et d'ouvrages, voir la section "Références abrégées" de la bibliographie. - Les abréviations propres aux Notes critiques du texte grec sont signalées dans la Notice technique sur le texte grec et la traduction, p. 85, note 2.
ace.
accusatif
Hom.
Homère
accent.
accentué
hom.
homérique
act.
actif ad locum 1 -os
/1.
lliade
ad loc. 1 Il.
imparf.
i mparf ait
adj.
adjectif, -ival
impér.
impératif
adnom.
adnominal
inacc.
inaccentué
adv.
adverbe, -bial
indic.
indicatif
anaph.
anaphore, ·rique
indir.
indirect
a or.
aoriste
inf.
infinitif
art.
article
intrans.
intransitif
asp.
aspiré
introd.
introduction
att.
attique
ion.
ionien
ca
circa
juxtap.
juxtaposé, -sition
cf.
confer
1(1). 1, 2, etc.
ligne(s) 1,
ch., chap.
chapitre
1(1). 1, Il, etc.
livre(s) 1, II, etc. passage cité
2, etc.
campos.
composé, -sition
1( oc). c(it).
conj.
conjonction
litt.
littéralement
conject.
conjecture
morph.
morphologie, -gique manuscrit(s)
cons.
consonne
ms(s)
constr.
construire. -truction
N
nom
dat .
datif
nb.
nombre
dér.
dérivé
nég.
négation, -tif
dir.
direct
n. ère
notre ère
dise.
discours
n(n).
note(s)
dor.
dorien
n(n). cr.
note(s) critique(s)
e.g.
exempli graria
nomin.
nominatif
enclit.
enc litiqu e
n. pr.
nom propre
env.
environ
nt.
neutre
éol.
éolien
O . obj.
objet
ex.
exemple
obi.
oblique
fr. , frag. fut.
fragment
Od.
Odyssée
futur
opp.
opposé, -sition
gé n .
génitif
opt.
optatif
gr.
grec
0
zéro
gram.
grammaire, -atical
p.
page
gr. mod.
grec moderne
proposition
Hérod.
Hérodien
p p. ex.
par exemple
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ABRÉVIATIONS
parad.
paradigmatique
s
parf.
parfait
s.
siècle
part.
participe
s(s).
et suivant(e)(s)
pass.
passif
s. v.
sub verbo
phr.
phrase
schol.
scholie
pdphr.
partie de phrase
sei/.
scilicet
pers.
personne, -nel
sg.
singulier
phono!.
phonologie, -gique
sign .
signifier, -iant, -ication
pl.
pluriel
subj.
subjonctif
poét.
poétique
subst.
substantif, -ivé
sujet
poss.
possessif, -ion
suiv.
suivant
postpos.
postpositif
t.
terme
pqparf.
plus-que-parfait
temp.
temporel
prée.
précédent
trad.
traduction
prép.
préposition, -tionnel
trans.
transitif
prépos.
prépositif
Uhlig
prés.
présent
U, Uhl. v.
pron.
pronom, -minai
V, vb.
verbe
qqn
quelqu'un
voc.
vocatif
qqch
quelque chose
VS
q. v.
quod vide
*
voir
versus précède une forme
réfl.
réfléchi
non attestée et/ou
resp.
respectivement
agrammaticale
INTRODUCTION
Sommaire 1. APOLLONIUS : LE GRAMMAIRIEN ET SA TRADITION..................................................... 1.1. Éléments biographiques ........ ............... ..................... ....... .............. ................... 1.2. La tradition grammaticale ..... ...................................................................... ..... 1.2.1. Les deux sources tk la grammaire alexandrine ....... ............................ 1.2.2. Philologie et grammaire 'technique' ......... ... ................ ... ....... .... ...... 1.2.3. Apollonius comme tekhnik6s ....... .. . .... ..... .... ...... .... .. ......... ... ......... .. 1 .2.4. Philosophie du langage et grammaire ................................... ..... .. ..... 1.2.4.1. Le langage comme insuument sémiotique ......... ................ ... 1.2.4.2. Le langage comme suucture emboîtée ........................ . .. .... . 1.2.4.3. Le mot (simple et complexe) .... ......... ............. ............ ........ 1.2.4.4. Parties de la phrase : classement fonctionnel .......... ........ .. .. 1.2.4.5. Accidents ......... ....... . ............... ............. ..... ........... .............. 1.2.4.6. La détermination.. .............................. ....... ......... ..... ............. 1.2.4.7. La phrase complexe ........................ ....... ............. .. ........ ..... 1.2.4.8. La syntaxe des signifiés . . ..................... ... .... . .. ......... ...... ..... 1.2.4.9. Vices et vertus. régularité (analogie) et irrégularité, fautes et figures . .. .. . ..... ... ... ........................... ............ ........ ........ ... ......... ..... . 2. LA SYNTAXE D' APOLWNIUS ............................................................................................ 2.1. Le plan de l'ouvrage ........... . ................. .. .. ...... .......... ............... .. ...... . .......... 2.1.1. Livre 1 ......................... . ............................. ............................................. 2.1.2. Livre 11................................................................................................... 2.1.3. Livre 111............. . . ....... . .. ....... . ... ... ... .................. ... .. .. .... ... . 2.1.4. Livre IV ................. ................ .. ............. ....... ............. ........ . ................ 2.2. Le 'système' de la Synllu:e ...................... ........................... ... ........... ............. 2.2.1. Le programme ......... .... . .. .... .... ....... ......... . ... ..... ........................ ......... 2.2.2. La mise en œuvre du programme .......................................................... 2.2.2.1. Livres I et II: le domaine du nom........................................... 2.2.2.2. Livre Ill le verbe (personnes, modes, diathèses).................. 2.2.2.3. Le livre IV consUUction des parties de phrase non fléchies 2.2.2.3.1. La partie transmise du livre IV consuuction des .
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:
prépositions.............................................................................. 35
2.2.2.3.2. La partie perdue du livre IV..................................... 2.3. Théorie et discours syntaxiques ................ .................................... ......... ........... 2.3.1. Le programme ..................... ....................... .............................. ........... 2.3.1.1. L'étude des assemblages; la complétude .......... ........ ............. 2.3.1.2. La congruence (katallel6tës) .................................................. 2.3.1.3. Limites de la congruence morphologique: la 'coïncidence' (sunémptosis) ..... ..... .. .... ... ....... ......... . ...... .......... ...... ...... ... . . ... .... ...... 2.3.1.4. Ordre et désordre :les clivages du logos ................................ 2.3.1.5. Analogie et pathologie ............................................................ .
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DE LA CONSTRUCTION 2.4. Les ressorts de la syntaxe apollonienne ............ ............. ............... ........ .. . . ..... 2.4.1. Addition.. . ......................... .......... ...... ...................... ........... . . . . . ......... . . . . 2.4.2. . . . selon u n ordre naturel. . ..... ............... ............... ..... ....... .... . .. .. ..... ... . 2.4.3. Cas d 'ordre inversé .. ................... ............ ....... .. .. ........................ . .... .. . . 2.4.4. L'ordre 'naturel' comme signe de la relation ... . ........... ......... ... ........... 2.4.5. Un discours codé .... ........ ... ..... .. . .. . ............ ... ............ ..... . ......... ........... 2.5. Les relations syntaxiques................................................................................... 2.5.1. Donner: Apollonius, un syntacticien prisonnier de la 'grammaire du mot' ........... ...... ... ........ .. . ..... .. . .. .... ...... . ... . ...... . .. . ......... .... . 2.5.2. Bécares Boras : Apollonius fonctionnaliste malgré lui ..... .................... 2.5.3. Essai de repérage des relations syntaxiques.. .. . ... . . .. . ... ... . . . .. ..... . . . ...... .. . 2.5.3. 1 . Relation perçue et relation nommée . . ...... . ............. ............ . 2.5.3.2. Vocabulaire des relations syntaxiques . . ........ . .. ...... . ..... .. . .
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2.5.3.2.1. Un vocabulaire motivé .... . ... . ... .. . ..... .. ......... . 2.5.3.2.2. Relations interphrastiques: vocabulaire spéci fique 2.5.3.2.3. Transitivité et réflexivité ... . .... . ....... . . . . . .. . . .. ... 2.5.3.2.4. Sujet et prédicat: absence de désignations spécifiques . . .............. ..... ........ ............. .. .. ........ ... ............... ..... 2.5.3.2.5. Une syntaxe des parties de phrase ....... . .. . ...... . 2.5.3.2.6. Syntaxe des phrases complexes . .. ... . . .. . .. .. .. . 3.1'RADUIRELASYNTAJŒ .... ... ... . ... . . . ...... .. . . .. .. .... . ......... .. .. . .. ... .. . . .. .. . . ..... 3.1. Le texte grec 3.1.1. Histoire . . .... ... .. .... . ....... . . ... ... ... . .. . ... ...... .. . . . . . .. . . . .. . 3.1.2. Le texte et les notes critiques du présent ouvrage . .... . .. . . .. . . .. . .. 3.2. Le 'style' d'Apollonius .. . . ..... . .. . .. .. . . . .. ...... .. . .. .. . . . . .. . ..... .. . .... 3.3. La traduction e t les notes................................................................................... 3.3.1. Traduire pour l e lecteur non helléniste .. . . . . . .. . .. . . ... . ... .. . .. 3.3.2. Traduction et interprétation . . ....... ..... . . . .......... .. . ... . . ... . . . .. . ...
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1. APoLLONRJS 1.1.
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LE GRAMMAIRIEN ET SA TRADITION
Éléments biographiques
La tradition nous a conservé, sous deux formes légèrement différentes!, une Vie d'Apollonius d'Alexandrie le grammairien qui est en fait une brève notice compilant des informations biographiques à la fois sur A. et sur son fils Hérodien. On a pensé que cette notice pourrait être l ' œuvre du grammairien Théodose d ' Alexandrie (4• s. de notre ère) . J ' en traduis ici, d' après J ' édition de R. S chneider (GG II III, p. XI), ce qui intéresse, directement ou indirectement, Apollonius : Cet Apollonius était originaire d'Alexandrie. Sa mère s'appelait Ariadnè, son père Mnèsitheos. Il eut un fils, Hérodien le grammairien. Il habitait dans le quartier d'Alexandrie appelé Proukheion2, en bordure de l'avenue; c' est aussi là qu'il fut enterré. Il a écrit sur les h u it parties de la phrase3 et sur la construction. Il fut appelé 'Dyscole'4 parce que son expression était difficile (il condensait
1. Pour le détail, voir GG Il 3, p. Xl-XII. 2. Également connu sous le nom de Brukh(e)ion. 3. Peri tôn oktô merôn toû 16gou: il s'agit des 'parties du discours ' ; sur la trad u ct ion par 'parties de (la) phrase'. cf. ma note 9 au li vre 1. 4. A p pl iq u é à une personne. l'adjectif grec duskolos peut. comme Je fr. difficile. faire ré férence aussi bien à un trait de car actère cf. le Dusko/os. 'L'Atrabilaire·. comédie de -
11
INTRODUCTION
beauc o up d e sens e n peu d e mots), o u bien parce qu'il avait mauvais caractère, ou bien parce que, dans ses cours, il posait des problèmes difficiles à résoudre (c'était en effet l usage chez les savants d' autrefois, de se rassembler quelque part et d ' énoncer, à d es fins d'exercice, des mots5 énigmatiques et opaques). Apollonius était si pauvre qu ' il écrivait ses ouvrages sur des tessons, n'ayant pas les moyens de s'acheter du p ap ier . Il éleva son fils Hérodien de telle façon q u arri vé au terme de son éducation, celui-ci se s ép ara de son pè re à cause de sa dureté ou parce qu'il lui avait imposé une marâtre. (Hérodien) arriva à Rome sous Marc Antoine ( ... ) et devint son ami ... '
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Il est toujours délicat d ' interpréter de telles notices, où le légendaire côtoie volontiers et concurrence le réel . Il n ' y a guère de raisons de douter des informations topographiques : A. semble avoir résidé non loin du Musée, le quartier de 'Proukheion' - le mot pourrait être une déformation de puroukheîon ' silo à grain ' - s ' étendant entre la résidence royale et le port6. On n ' a jamais mis en doute non plus qu ' A . fût le père d ' Hérodien ; à défaut d ' indication chronologique concernant A. lui-même, cette paternité, avec l ' information sur le séjour d ' Hérodien à Rome sous Marc-Aurèle ( 1 6 1-1 80), nous permet de situer la période d' activité d ' A. vers le deuxième tiers du 2< siècle de notre ère. En revanche, rien ne permet de contrôler les informations relatives à sa pauvreté et à sa sévérité envers son fils. Il se peut fort bien qu ' i l n ' ait pas été riche, mais personne ne croit vraiment qu' il ait écrit son œuvre - certainement plusieurs milliers de pages d ' une édition moderne - sur des tessons de poterie !7 Quant à l ' éducation du petit Hérodien, même si son père nous dit en passant (S. rn, § 172) que l ' amour (phileîn) de l ' éducateur implique une certaine énergie qui le distingue de la p ass i v it é amoureuse (erân), on ne saurait en conclure q u ' elle ait été d' une dureté propre à i ndu ire une rupture entre le fils et le père . Lentz (GG III I, p. VIII), en tou t cas, faisant fond sur les expressions qu ' utilise H érodien pour parler de l ' œuvre d ' A . , notamment quand il est en désaccord avec lui, ne trouve rien qui accrédite la légende d' une brouille familiale. Est-il permis néanmoins de suggérer une interprét ation métaphorique des indications dont la littéralité éveille la suspicion? Pour la première, on pourra penser que la légende du grammairien écrivant sur des tessons nous informe indirectement sur la condition précaire du professeur indépendant, qu i n'a pas eu la chance, l ' habileté, ou la servilité, de se faire protéger par un puissant (comme son fils par Marc-Aurèle!) ou subventionner par une institution (comme Aristarq u e et les autres savants de la grande époque du Musée d ' Alexandrie); s ' il était vrai (j ' y reviens) que notre homme eût m a uvai s caractère, on ne s au r ai t , après tout, s ' étonner q u ' il ait eu à p âtir économiquement de compréhensibles difficultés relationnelles . S ur l ' autre po in t le différend entre père et fils, il pourrait fort bien avoir ex i s t é , mais sur un t o u t autre plan que celui des règlements de comptes entre un jeune homme et un pater familias à la ma in un peu leste. Erbse ( 1 960: passim, en particulier 363s.) a montré avec beaucoup de rigueur et de finesse qu' Hérodien et A. ne pratiquaient pas la grammatike de la même ,
Ménandre- qu'à des propriétés de la production langagière, orale ou écrite- cf. 'un auteur difficile'. 5. Ou 'des propos' (variante de la tradition manuscrite).
6. La 'rue', dr6mos. sur laquelle donnait la maison d'A. pourrait avoir été la rue de Canope qui traversait le Proukheion. J'emprunte ces précisions
à Blank (1982:5,
avec les notes).
7. Il se pourrait qu'on ait affaire ici à une sorte de lieu commun de la biographie antique: on sait en tout cas que Cléanthe, le successeur de Zénon à la tête de l'école stoïcienne. est censé avoir écrit, "faute de pouvoir s'acheter du papier, sur des tessons et des omoplates de bœuf' fDiog. La. VII 174).
12
DE LA CONSTRUCTION
façon: là où le père, théoricien d ' esprit relativement novateur et indépendant, exploite les controverses de la tradition pour étayer son argumentation théorique et fonder ses propres règles, le fils, plus attaché à l' empirisme philologique et aux acquis de la critique aristarchéenne, avait tendance à ne voir dans les règles q ue des moyens de justifier les leçons d' Aristarque. Même sans durcir plus que de raison les effets d'une telle différence de perspective, il n' est pas interdit de penser que la notice biographique du couple père-fils ait pu connoter, sous les espèces domestiques d' un banal conflit entre éducateur et éduqué, la divergence épistémologique entre le père, plus linguiste (tekhnik6s), et le fils, plus philologue (grammatikés). Reste la question du surnom : pourquoi 'duskolos '? Ici, tout le monde s'accorde à penser que les trois explications avancées dans la Vie s o n t recevables. Pourquoi pas? Sur l a difficulté du style d ' A . , entre autres pour raisons de concision, nous aurons l'occasion de revenir (ci-dessous 3.2.)- mais nous pouvons d' ores et déjà affirmer tranquillement q1,1e contester la chose serait faire preuve d'un goût marqué pour le paradoxe. Sur le mauvais c aractère du personnage, les seuls documents que nous ayons sont les adjectifs dont il affuble les grammairiens, les théories ou les méthodes avec lesquels il n ' est pas d ' accord: le plus simple ici est de renvoyer à l ' Index technique français, sous RIDICULE, SÉRIEUX (PAS -), SOT, STUPIDE le lecteur qui se reportera aux textes p ourra j uger sur pièces, selon ses standards personnels , si notre auteur outrepasse ou non les limites d' une saine correction fraternelle entre savants. La troisième explication est sans doute pour nous la plus i ntéressante, dans la mesure où elle replace A. dans le cadre de son activité - celle d ' un professeur qui pose des colles quasi insolubles à ses élèves. Même si, ici encore, il faut sans doute faire la part de la légende, il est probable que cette brève évocation des usages des 'savants d' autrefois' nous fait entrevoir quelque chose de ce qu'étaient les 'leçons' (skhola{) auxquelles A. lui-même fait allusion au début de la S. (l, § 1 ) et du traité Des conjonctions (213, 1)8. Householder ( 1 9 8 1 :6) a relevé dans la S., peut-être avec un peu de complaisance, toute la panoplie des exemples inventés qui renvoient à des scènes de salle de classe ( voir, entre autres, I, § Ill fin; Il, § 32 ; Ill, § § 26, 5 7 , 1 80, etc . ) ou à des leçons de grammaire (I, § § 37, 46-49, 52 ; 93; III, § 1 5 2, etc . ) . Il en conclut que de tels exemples -
paraissent clairement évoquer une salle de classe dans laquelle un maître essaie de maintenir l'ordre et d'apprendre à un groupe de garçons à lire la poésie (surtout lyrique) et à écrire, posant parfois aux élèves des q uestion s de grammaire sur le texte étudié. Qu'il ait été pauvre ou non, Apollonius était certainement un maître d ' école. Je ne nie pas q u il puisse être légitime de 'faire parler' ces phrases apparemment insignifiantes que sont les exemples de grammaire9, mais, dans le cas présent, je ne trouve pas les conclusions de Householder particulièrement convaincantes. Avec Blank (1993 :7 1 0), j ' ai peine à m ' imaginer A. essayant d' inculquer sa '
8. On notera. dans le texte des Conjonctions, l'expression skholikai sungumnasiai qui fait écho aux gumnasiai 'exercices·, de la Vie. 9. Chevalier (1976) a bien montré les implications théoriques et idéologiques du choix des
exemples tel qu'on peut l'observer dans les grammaires françaises depuis le xvre siècle. Mais son analyse suppose un décodage plus fin que celui que nous propose Householder: ce dernier me paraît procéd er un peu mécani qu ement en prétendant trouver dans une collection d'exemples inventés le reflet direct de données biographiques concernant l'auteur.
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INTRODUCTION
doctrine en matière de conjonctions ou de syntaxe de l a phrase à des bambins d'école primaire. Je crois plutôt qu il s' adressait à un public de 'most advanced and serious students ' (Blank, l.c.); quant aux exemples de salle de classe, ils peuvent parfaitement appartenir, avec les autres où ' le cheval court' , où on 'pioche un champ ' , où ' mon père philosophe' , où 'si Dion marche, il bouge ' etc . , à une panoplie technique accumulée au fil des ans et dans laquelle puise à loisir le grammairien du 2• siècle. Tant il est vrai qu'au 2• siècle la grammatike a déjà derrière elle une longue et féconde tradition - c ' est d' elle qu 'il me faut dire quel ques mots maintenant. '
1.2. La tradition grammaticale 1.2.1. Les deux sources de la grammaire alexandrine Nous ne savons pas ce que fut la formation, ni quels furent les maîtres d'A.
La seule indication dont nous disposions à ce sujet est celle d' une grammaire anonyme ID, qui signale en passant qu'A. fut l ' élève (mathëtes) de Tryphon- ce qui est chronologiquement impossible, Tryphon ayant vécu au plus tard dans la seconde moitié du 1 er siècle avant J.-C. Il e st fort tentant de voir, dans une telle con traction de l ' his toire, l ' indice d ' une concepti on de la bi ographie intellectuelle qui privilégie les dépendances doctrinales au détriment des relations personnelles effectives : aussi bien Tryphon est-il, comme nous allons le voir, le tekhnikos de loin le plus souvent cité par A. À défaut donc de pouvoir nous représenter autrement que par la spéculation ce que furent les années de formation du jeune A., il sera utile de situer brièvement son œuvre par rapport à la tradition sur laquelle elle fait fond. Au seuil du 2• siècle de notre ère, la grammaire alexandrine est une discipline qui, cultivée de manière assidue pendant plus de trois siècles par des dizaines de savants de premier plan, a incontestablement atteint un haut degré de maturité . Il est hors de question de résumer ici l ' histoire de ces années de formation, de compilation et de spéculation li; je me contenterai de remarques sél ectives, directement ordonnées à la compréhension et à l ' appréciation de 1' œuvre apollonienne. Les deux composantes principales dont la grammaire alexandrine constitue une synthèse sui generis sont la philologie et la philosophie. L u ne et J'autre ont été pratiquées en Grèce, comme on sait, longtemps avant 1' époque classique : si, pour la philosophie, la chose est évidente et bien connue - il suffit, pour le rappeler d'un mot, d'évoquer Je foisonnement de la pensée dite 'présocratique' -, il est peut-être moins trivial de souligner que l' acti vité philologique, entendue comme examen exégétique, esthétique et critique des monuments de la tradition littéraire, homérique en particulier, a été pratiquée naturellement, pour ainsi dire, comme la prose par Monsieur Jourdain, dans les corporations de rhapsodes à qui il incombait de cultiver, de conserver et de faire connaître les chefs-d' œuvre de la tradition épique archaïque. On ne saurait imaginer que ces professionnels de la récitation homérique ne se soient pas posé, dans le cadre strict de 1' exercice de leur métier, tous les types de probl è me s voués à devenir le p ain quotidien du grammatikos alexandrin: comment prononcer les hexamètres archaïques? quelles variantes p rivi légi er '
1 O. Publiée par Cramer. An. Gr. Ox. III, p. 261-278: voir p. 269,26. 1 1. Outre les articles synthétiques des encyclopédies de l'Antiquité, Je lecteur pourra consulter sur ce sujet Lersch ( 1 838- 1 841 ) . Steinthal (1890-1 891). Pohlenz ( 1951). Pfeiffer ( 1968). Pinborg ( 19751.
( 1 939),
Robins
14
DE LA CONSTRUcnON
dans une morphologie polydialectale et polychronique foisonnante? que signifient les hapax et autres mots rares (glossai) sortis de l'usage? quelle attitude adopter face aux contradictions, aux redites, aux vers jugés indignes du Poète (Homère)? outre les vers isolés , y a-t-il des poèmes ou des parties de poèmes apocryphes ? etc. Il est par ailleurs raisonnable de supposer que certaines au moins de ces questions n' étaient pas restées le domaine réservé des spécialistes, mais avaient fait leur chemin dans les milieux ' cultivés' - à commencer par les créateurs, poètes au premier rang, qui ne cessaient de puiser au trésor de la tradition épique, en continuant par les penseurs qui interrogeaient ou critiquaient H omère comme ' maître de vérité ' , pour aboutir, plus modestement, à la foule plus anonyme des 'consommateurs' de la culture et de ses transmetteurs : les maîtres d' école et professeurs qui faisaient réciter et expliquer Homère à leurs élèves t2 . Quoi qu'il en ait été dans le détail des pratiques philologiques de l ' époque archaïque, il est clair que les professeurs de culture que furent les sophistes, puis les philosophes 'post-socratiques' - Platon et ses disciples, Aristote et les siens, les Stoïciens, pour ne citer que la tradition dominante - ont repris à leur compte, approfondi et diversifié les problématiques héritées, léguant ainsi aux nouveaux spécialistes que sont, à partir du 3e siècle av. J. C., les grammatikoi ce qui allait faire l'objet spécifique de leur science : l'exploration aussi rigoureuse que possible des œuvres littéraires grecques et, comme l'un des outilsl3 ordonnés à cette fin, la description de la langue grecque elle-même et de son fonctionnement. 1.2.2. Philologie et grammaire 'technique '
Ces deux aspects du programme de la grammatike sont évidemment solidaires l ' un de l'autre : l ' examen des œuvres, tâche de nature 'philologique ' , fournit le matériau à décrire - c' est l'aspect empirique (emp e i r(a) d e la grammaire -, l'élaboration raisonnée d'un métalangage de description et la formulation des règles présidant au fonctionnement de la langue fournit l ' appareil théorique et instrumental , la tékhnë grammatike proprement dite, discipline de nature ' linguistique' . Historiquement, il n'est guère douteux que l ' empeiria, au moins à titre de dominante, a précédé la tékhnë: si Aristarque (ca 217- ca 145), figure emblématique de la philologie alexandrine, ne peut avoir fait l ' économie d ' un mini mum de réflexion théorique et de réflexion systématique (cf. Erbse 1 980, Ax 1 99 1 ), son œuvre par excellence réside cependant dans les fameux commentai res (hupomnemata) dont il a accompagné ses éditions des poèmes homériques et dont celui sur 1' lliade, moyennant diverses médiations, a fourni à toute l ' antiquité et bien au-delà la référence obligée en matière de critique homérique. La thèse, en revanche, a été vivement contestée, selon laquelle Denys le Thrace, disciple direct d ' Aristarque 12. Cf. Marrou (1975:251).
13. L'un des outils seulement: le programme de la 'grammaire', au sens ancien du terme,
englobe l'ensemble de ce qu'a recouvert, dans son acception la plus large. le vocable de 'philologie' - à savoir l'examen de toutes les questions que peut soulever l'étude des œuvres, questions linguistiques, certes. mais aussi documentaires (éclaircissements sur les faits racontés, qu'ils soient historiques ou légendaires. description des realia). herméneutiques (interprétation, éventuellement allégorique). critiques (jugement d'authenticité). C'est un tel programme que circonscrit la définition de la grammatikë et son analyse en parties chez Denys le Thrace et ses commentateurs. Cependant, en raison même du propos qui est le mien ici. je me restreindrai délibérément à ce qui relève de l'aspect linguistique de la 'grammaire'.
INTRODUcriON
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et, comme son maître, interprète d' Homère (cf. Pfeiffer 1968: 267; Linke 1 977: 1 3-33), fut aussi le célèbre technographe que la tradition a fait de luii4• Quelque réponse qu ' on donne à cette question précise, on ne faussera certainement pas l'histoire de la grammatik� alexandrine en faisant observer que, si J' art du commentaire philologique culmine au 2• siècle av . J.-C. dans l ' œuvre d'Aristarque, la réflexion linguistique systématique caractérisant en propre la tékhnë continue à se développer dans les siècles qui suivent et ne culminera, précisément, qu' avec Apollonius. Cela dit, qui reste très général, l' histoire de la grammaire alexandrine entre Aristarque et Apollonius n'est pas facile à faire, faute d ' informations précises sur les œuvres de bon nombre des grammairiens dont la tradition nous a conservé les noms - et souvent pas grand chose de plus que les noms. Egger ( 1854:10s.), recoupant les notices biographiques de la Souda, a dressé une liste permettant de baliser, à vrai dire très partiellement et approximativement, la suite des générations reliant régressivement Apollonius à Aristarque. Je laisserai de côté cette liste, qui appellerait beaucoup de correctifs et de compléments qu' il n'est pas de mon propos d ' apporter ici. Je me contenterai de considérer celle des grammairiens que mentionne A. dans la partie de son œuvre qui nous est parvenue, et de faire observer que, sur la vingtaine de noms propres qu' elle contient, les deux noms de philologues abondamment cités sont ceux de deuxiS grandes figures des 3•-2• siècles : Zénodote (une quinzaine de mentions) et Aristarque (vingt-cinq mentionsi6), tandis que ceux dont il signale ou discute l'opinion en tant que tekhniko{ sont dispersés chronologiquement sur les presque quatre siècles qui le séparent d' Aristarquei7 : 14. Sur la longue et encore vivante controverse autour de la question de l'authenticité de la Technè attribuée à Denys (éd. G. Uhlig = GG 11), cf. Lallot (1989:20-26), avec la bibliographie, à compléter par Robins (1986), Kemp (1991), Swiggers & Wouters (1994), Law & Sluiter (1995). 15. Pour être complet, il faut ajouter quelques mentions plus dispersées d'autres philologues de la même époque: • Aristophane de Byzance (début du 2• s.), cité une fois seulement (S. IV,§ Il ), pour sa décision en matière d'accentuation des prépositions en éolien; • Comanos, contemporain et adversaire d' Aristarque, cité trois fois: P. 4,18, pour la préférence qu'il accordait à la désignation du pronom par le mot antimomasia (au lieu de antimumia dont leu sonnait éolien); C. 230,7, pour signaler qu'il rangeait kata panni les conjonctions; S. Il, § 99, pour son interprétation d'Il. 5.63 par une hyperbate. 16. Ce chiffre ne donne en fait qu'une idée très approximative et nous place bien au-dessous de la réalité des références à l'œuvre de philologie homérique d ' Aristarque: il apparaît en effet que, dans un très grand nombre de cas, les leçons et les interprétations d'Homère que discute A. remontent à Aristarque, ce que prouve leur mention, souvent dans des termes identiques à ceux que nous lisons chez A., dans les Scholies A de l'lliade; cf., sur ce point, Erbse (1960). On trouvera à mainte reprise dans mes notes la confirmation de cette dépendance étroite d'A. par rapport à la tradition philologique aristarchéenne (v. p. ex., entre bien d'autres, la n. 261 du 1. 1): s'agissant du corpus 'classique', homérique en particulier, il se présente a:1 tekhnik 6s du 2• s. de n. ère comme déjà abondamment 'grammaticalisé'- si l'on veut bien entendre ici par ce terme: accompagné d ' un com mentaire grammatical (paraphrases, discussions, interprétations) qui est devenu comme son double indissociable. Mais, il faut le souligner, tradition n'implique pas servitude: A. sait montrer à l' occasion qu'il peut s'écarter des thèses aristarchéennes (v. p. ex. la justification du pronom h eautous II, §§ 150-160), ou que, lorsqu'il s'y rallie, il a ses propres raisons de le faire et ne s'incline nullement devant l' argument d'autorité (v. p. ex. 1, § 62 et n. 163). 17. A. mentionne certes encore, pour la même période. divers noms de philologues post aristarchéens. Mais ces mentions. peu nombreuses et très sporadiques. confirment par leur rareté et leur dispersion mêmes que les savants qu'elles contribuent à sauver de l'oubli
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DE LA CONSTRUCTION
Aristarque lui-même est crédité d'une opinion de caractère nettement 'technique', la description des pronoms comme 'formant série pour la personne' -opinion discutée ultérieurement par Habron et A. (P. 3 , 12 et S. II, § 1 5 ) Parmi les propres disciples d'Aristarque, Denys le Thrace et Apollodore d'Athènes sont cités P. 5, 1 9s., non pour leurs travaux de philologie homérique, mais pour l'usage qu'ils faisaient du mot drthron 'article' appliqué à des pronoms tB. Tyrannion l 'Ancien, disciple de Denys et auteur d'un ouvrage Sur les parties de la phrase, est cité P. 4,2 , pour sa désignation des pronoms par le terme sëmeioseis 'signaux' (frag. 5 8 Haas). Tryphon, fils (ou élève?) d'un Ammonius lui-même élève d'Aristarque, semble bien être, dans la 2• moitié du 1 er siècle av. J.-C . , le premier grand tekhnik6s préapollonien. En tout cas, c'est lui qu'A. honore du plus grand nombre de références (40, dont 1 1 dans la S.), et surtout dont il discute les thèses de la manière la plus approfondie. À cause du prestige dont il jouissait manifestement, et que l' imponance que lui accordait A. n'a certainement pas peu contribué à renforcer, son œuvre, bien qu'accessible uniquement par la tradition indirecte, est loin d'être pour nous, comme il arrive trop souvent, une de ces coquilles (presque) vides, simplement ornées de quelques titres d'ouvrages dont le contenu se réduit à des bribes plus ou moins significatives. Des 1 3 8 fragments recueillis par Velsen (1853) - et dont les deux cinquièmes environ proviennent de mentions dans l'œuvre conservée d'A.-. il ressort que Tryphon avait exploré, de manière sans doute assez systématique, les principaux secteurs entre lesquels se répartissait la matière formant l'objet de l'analyse 'technique' de la langue grecque. Il avait en particulier consacré plusieurs ouvrages, visiblement riches d'une réflexion personnelle de haut niveau, à la théorie des parties de la phrase et aux questions les plus difficiles qu'elle soulevait: traités Des articles (cf A., S. I, §§ 50, 74-75 , 84, 1 06, 1 36 ; IV, § 6), Des pronoms (cf. A., P. 1 6, 1 4 ; 5 1,4 ; 56,4 ; 60, 1 7 ; 6 1 , 1 7 ; 65 , 18 ; 79,23 ; 89, 1 4; S. II, § § 1 3 3 , 1 48 ) ; Des personnes (cf. A., P. 5 1 ,9 et S. III. § 35), D e s prépositions (cf. A., S. IV, § 36), Des conjonctions (cf. A., C. 220,6 ; 223,30 ; •
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225, 1 ; 227,25 ; 228, 1 1 ; 230,5 ; 23 1 ,8 ; 235,5 ; 237, 1 4 ; 238, 1 5 ; 240,4 ; 240,20 ;
n ' étaient rien de plus que les honnêtes continuateurs des grands fondateurs des 3c.2e
siècles av. J.-C. On trouve ici les noms suivants:
• Denys de S i don, (P. 81.4). Ptolémée Pindarion. dit 'l ' analogiste' ( cité P. 79.25; C. 241,1) et Démétrios Ixion (P. 79,26; 89,3 et 14). tous les trois philologues disciples d'Aristarque, sont mentionnés pour des problèmes de morphologie pron ominale homérique; • Seleucus Homericus (IC moitié du 1er s. de n. ère). p h i l ologue de l'école d'Aristarque, est cité deux fois: A. 195.3. pour sa critiq ue du syntagme homérique ouran6thi pro; S. Il, § 130, pour son opinion sur la forme pronominale de 2• pers. ho m é ri q u e sphôi. A utre philologue de la même époque (?) et de l a même tradition. Ptolémée d'Ascalon, grand spécialiste de prosodie homérique. est cité P. 78.3 1 pour son opinion sur une forme de réfléchi homérique ; • Didyme l'Ancien (2' moitié du 1 cr s. de n. ère), l'un des q uatre abréviateurs d ' Aristarque et l'auteur d'une œuvre gigantesque qui lui valut une réputation de travailleur infatigable et un surnom éloquent: Chalcentère ('aux entrailles de bronze'). est mentionné une fois (A. 1 59 . 1 3). pour l'étymologie qu'il donnait de la forme dïnterlocution orân ·mon bon'; • Apion Mochthos ('la Peine'), grammairien de la 1 c moitié du 1 cr s . de n. ère. di sciple de Didyme Chalcentère. est c ité une fois (S. 1, § 1 54 ) po u r un point de morphologie éolienne.
1 8. Curieusement. cette unique mention de Denys par A. n·est pas relevée par Linke ( 1977 ).
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INTRODUCTION
242, 1 8; 246,2 8; 247,23; 248 ,14; 255 ,9; 257, 1 ), Des adverbes (cf.A., A. 1 37,20; 1 46,15; 150,2 0;153,7 ; 159 ,15; 162 . 8; 164 ,4; 167,24 ; 174,3 ; 1 88, 1 1 ; 1 8 8 , 1 9; 197, 1 9; c. 232,4)19. • Hab ro n, élève de Tryphon, tekhnik6s comme son maître, est loin d'avoir produit une œuvre aussi riche et diversifiée que lui. Des 21 fr ag ments de lui qu'a réunis Berndt ( 1 9 1 5), 2 sont rapportés à u n traité Des possessifs, 7 à un tr ai té Des paronymes, 3 à des ouvrages di ver s, et 8 à un trai té Du pronom. Ces derniers sont tou s connus par des citations d'A. (qui ne livre aucun fragment de ses autres ouvrages): cf. P. 5 1 ,4 ; S. 1, § 1 0 1 ; II, §§ 1 5, 38, 53; 68; 1 5 1 ; III, § 45 . Héraclide (de Milet), sans doute de quelques décennies plus âgé qu'A., auteur, semble-t- il, du premier traité s ys té matiqu e d'accentuation et d'un ouvrage sur la flexion des verbes irrégu liers est cité trois fois: A. 174,6 pour l' éty mo logi e qu'il donnait de l'adverbe autôs 'en vain', S. IV, § § 56, pour s on accentuation de eisho, et 6 1 , pour son étymologie de epe{. Quelques autres tekhnikof, vi si ble men t d'importance moindre aux yeux d'A., sont mentionnés ici ou là, pour la plupart une seule fois. Ce sont parfois, on ne s'en étonnera pas, des personnages peu connus et éventuellement mal identifiés: Dionysodore de Trézène est cité P. 3 ,16 pour 1' appell ation de paronomas{a qu'il appliquait aux pronoms; Dracon, P. 1 7, 1 pour celle de dipr6sôpos biperso nne l ' (cf. S. I, § lOO e t III, § 1 1 2) par laquelle il d ésig nai t les pronoms possessifs; un certain Phi lopo n, d'identité incertaine, est mentionné C. 24 8 , 1 , pour l'assentiment qu'il donnait à l'enrôlement de s p art i c ules explétives parmi les conjonctions. •
,
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1.2.3. Apollonius comme tekhnik6s
Ainsi balisée par les noms propres de g ramm airiens dont nous sommes sûrs, parce qu'il les cite, qu'A. pre nait en considération leurs opinions, la tradition gramma ticale post arist arc hée nne nous apparaît bien caractérisée par la double composante signalée plus haut, philologique d ' abord, li nguis tique ( tech nique ) ensuite. Pour être solidaires l'un de l'autre, ces deux aspects de la grammaire, auxquels tendent à correspondre deux types d'ouvrages commentaires philologiques d'un côté, traités te ch nique s' de l'autre semblent bien avoir été cult ivés chacun par des grammatikof relati ve me nt spécialisés. En tou t cas, si le nom de grammatik6s, gardant l' ambiguïté d'un terme g én é riqu e , peut effectivement s ' appliquer à tous, la nomenclature 'professionnelle' s'est dotée du terme spécifique de tekhnikos pour désigner ceux dont l'œuvre avait un caractère tec hni qu e m arqu é A. est de ceux-là: la philol og ie de tradition aristarchéenne est pour lui une source permanente de faits de langue à dé crir e mais la tâche propre quïl s ass ig ne - dans une tradition que j e qualifierai de t rypho n ie nn e' -,c'est l'élaboration d'un discours th éo r i qu e rigoureux et d'un corpus de règles cohérent qui permette, pr éc isé ment , u n e des crip tio n rati onnelle et non co n tradic toir e de tous les faits obse rvés Entièrement ordo n n é e à un tel obje cti f, son œuvre a été unanimement reconnue, pendant de longs siècles, comme le monument l e plus achevé de l a tékhnë grammatike ale x an d rine . J'y reviendrai c i ap rè s (2.3.). Je voudrais seulement so ulig ne r ici, po ur conclure ce propos sur l i ns c r ip ti o n d'A. dans la tradition grammaticale al exandrine, que le tekhnik6s par excellence qu ïl fut n ' a -
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19. Pour une vue d'ensemble sur l'œuvre d e Tryphon. cf. C . Wendel. R E I I 7 1 (1939): 726745.
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DE LA CONSTRUCilON
jamais rompu les amarres qui le rattachaient à la 'matière' philologique ; à preuve la déclaration liminaire de la S. (1, § 1 ) :
L'étude qui va suivre panera sur la construction ( . .. ) ; mon propos est d'exposer le s uj e t à fond, car c 'est absolument nécessaire à l 'explication des textes poétiques. L'affirmation de cette finalité n'a rien d 'une allégeance formelle : histo riquement apparue pour fournir des outils aux exégètes des œuvres littéraires, poétiques au premier chef, la théorie linguistique du grammairien alexandrin n'est pas une fin en soi ; elle reste fondamentalement conçue comme ordonnée aux tâches d'explication (exegësis) linguistique des textes poétiques. Il suffit de feuilleter la S. (ou, plus simplement, de jeter un regard sur l'Index des auteurs et passages cités) pour constater la part qu'occupe dans l'ouvrage la masse des citations poétiques (dont plus de 90% homériques) auxquelles le tekhnik6s applique sa réflexion- faisant d'elles à la fois la source, la matière et la pierre de touche de la théorie.La boucle est ainsi bouclée: appelée à 1' existence par les difficultés linguistiques du matériau philologique, la tékhnë, tout en s'élaborant selon ses propres exigences de rigueur, teste ses hypothèses sur les énoncés poétiques et met les règles qu'elle élabore au service du philologue. Il faut maintenant se demander si le tekhnik6s en tant que tel, dans sa démarche scientifique d'élaboration et de formulation des règles, trouve à s'appuyer sur une tradition épistémologique, et si oui, dans quelle mesure cette tradition est adaptée, ou au moins adaptable , à l'objet qu'il étudie . Nous rencontrons ici la question des sources philosophiques de la grammaire. 1 . 2.4. Philosophie du langage et g ra mma i r e
Le cadre limité de la présente introduction ne permet évidemment pas de traiter de manière approfondie une aussi vaste question ; je renverrai pour cela aux nombreuses études qui existent sur le sujet20_ Ici encore. je me limiterai à un certain nombre de remarques de caractère général susceptibles d'éclairer tel ou tel aspect de la réflexion linguistique d'A. Confrontés à la tâche inédite de décrire le fonctionnement de la langue grecque tel qu'il se donne à observer dans les textes du riche patrimoine littéraire qui va d'Homère aux derniers siècles de l'ère païenne, les tekhnikoi post-aristarchéens pouvaient faire fond sur une tradition plur iséculaire de réflexion philosophique sur Je langage . Des penseurs présocratiques aux logiciens stoïciens, en passant par les sophistes, Socrate, Platon, Aristote, bien des problèmes avaient été posés et débattus , b ien des hypothèses, parfois contradictoires, formulées, des concepts fondamentaux avaient été élaborés, un premier corps de terminologie technique mis en place.
1 .2.4 . 1 . Le langage comme instrument sémiotique L'idée s' était formée et progressivement affinée au fil de la tradition que Je langage constituait un dispositif sémiotique complexe , dans la mesure où une Jqmze m(ltérielle phonique/graphique - variable selon les temps et les lieux permettait de véhiculer, c'est-à-dire de faire passer d'un locuteur à un auditeur, un sens immaJériel, lui -même en rapport avec un certain �ta�. de ch oses sensoriellement ou intellectuellement accessible aux sujets parlants - qu' il 20. Pour rn ' en tenir aux ouvrages les plus i mportants (rangés chronologiquement) : Lersch ( 1 83 8 - 1 84 1 }. R. T . Schmidt ( 1 839}. Steinthal ( 1 890- 1 89 1 ) , Pohlenz ( 1 93 9 } , Mette ( 1 952}, B arwick ( 1 95 7 } . Pinborg ( 1 975 }, Baratin & Desbordes ( 1 98 1 ). Blank ( 1 982), Frede ( 1 987), B aratin ( 1 989b. c , d, 1 99 1 ). Sluiter ( 1 990). lldefonse ( à par. 1 997 ) .
INTRODUcriON
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s ' agisse d e leur état intérieur (affections : ptithë) o u d e l ' état d u monde autour d' eux (objets, événements, etc. : pragmata). L ' articulation entre ces différents niveaux2 • , les termes utilisés pour les désigner ont naturellement varié, et il n' entre pas dans mon propos d ' étudier cette variation. Je me contenterai d ' indiquer qu ' il y a là une source i mportante de concepts et de termes grammaticaux. J ' en énumère un certain nombre qui se retrouvent chez A. : fortement articulée chez Platon (Rép. 392 c ) , Aristote (R h é t. 1 403 b 15 )22 et les Stoïciens (Diog. La. VII 62), l ' opposition entre Je dit comme contenu (lùJ lektéon , logos , ditinoia, sëmain6menon, lekt6n) et la forme du dire (hôs le ktéon, léxis, phône, sëmaînon) s e retrouve chez A., qui distingue nettement, en particulier pour l ' entité centrale qu' est le mot (cf. 1 .2.4.3.), entre ce qui relève du sémantique - sens (énnoia, émphasis23 ) , signifié (sëmain6menon ou dëloumenon), valeur (dunamis) , connotation (parémphasis), contenu de pensée (noëton) etc .24) - et ce qui relève du phono-morphologique forme vocale, soit générique (phône, litt. ' voix'25, prophorti, litt. ' émission, prononciation ' , plus rarement skhêma 'forme' ), soit fonctionnellement spécifiée (skhëmatism6s, kharaktêr, désignant une 'formation ' en tant que caractérisant un mot, une classe, une flexion). Cette opposition a notamment trois domaines d ' application particulièrement importants : 1 ) à l ' analyste de la langue en 'parties de phrase' , elle fournit deux ordres de critères complémentaires et, en principe, hiérarchisés : le sens prime la forme (cf. 1 .2.4.4. ) ; 2) corrélativement, mais à un autre niveau 'technologique' , elle fournit au grammairien en tant qu' auteur d ' un ouvrage consacré à une partie de phrase le cadre de sa description : a) le sens, b) la forme26 ; 3) elle permet de faire passer une frontière particulièrement nette entre variation morphologique fonctionnelle ( flexion, dérivation) et variation 'pathologique' : la première affecte la forme et le sens, la seconde la forme seule (cf. 2.3. 1 .5.). beaucoup moins nette dans la tradition philosophique est la distinction entre signification et référence telle qu' elle s ' est élaborée depuis le Moyen Âge et a acquis droit de cité tant chez les linguistes que chez les logiciens modernes. Plus exactement, si cette distinction est nécessairement impliquée dans la réflexion des anciens sur le rapport des mots aux choses et dans la problématique du ' dire vrai ' , si même elle a parfois donné lieu à des formulations nettes27, il n ' apparaît pas qu'elle ait été approfondie pour elle •
•
2 1 . Elle est présentée de manière particulièrement nette, chez Aristote, dans le premier chapitre du Peri hermeneias. 22. S ur la continuité notionnelle et le renouvellement terminologique, touchant notamment le
mot léxis, entre Platon et Aristote, cf. Dupont-Roc & Lallot ( 1 980:307ss.). 23. S ur l' emploi des ces termes, ainsi que de ceux de la famille du second, cf. Van Ophuijsen ( 1 993:755ss.). 24. Sur pa rémphasis, voir Caujolle-Zaslawsky ( 1 97 8 ) . Chez A . . l ' usage de noët6n est strictement limité aux considérations théoriques liminaires de la S. (!, § 2. cf. n. 10). 25 . L'histoire de ce terme, de ses origines prégrammaticales à son usage technique chez les grammairiens grecs et latins (vox), a fait l' objet d' une étude approfondie par Ax ( 1 986a). 26. Cf. A . 1 1 9 , 1 : "L' étude de tout mot implique une double approche (duo /6goi), celle du sens (ho peri tes ennoias) et celle de la forme (ho peri toû skhema tos tes phones)" ; voir une application de cette dichotomie, Synt. ! , § 75 : 63 , 1 6 et 64,2. 27. Je rappelle q u ' au début du Peri hermeneias ( 1 6 a 4), Aristote distingue les ' choses' ou ' états de choses ' (prtigmata) des ' affections de l ' âme' (pathemata tes psukhes) qui les reflètent et dont les formes vocales (phOna[) sont les 'symboles ' (sumbola) ou les ' signes' (sëmeîa). - De leur côté, les Stoïciens, selon Sextus Empiricus, Adv. math. Vlll 1 1 - 12 ,
20
DE LA CONSTRUCTION
même dans l' antiquité, ni q u ' elle ait débouc hé sur l ' i nstauration d ' une
terminologie différenciée et rigoureuse dont les grammairiens auraient pu se saisir. S ' agi ssant d ' A. , s ' il serait impertinent (malgré certains indices allant occasionnellement dans ce sens : voir par exemple S. Ill , § 59 et n . 1 37 , la polysémie de p r6sopon 'personne ' ) de lui prêter une confusion de principe entre le niveau du signe linguistique et celui du référent extralinguistique, on ne constate pas, cependant, qu' il fasse usage d ' un vocabulaire différencié pour rendre respectivement les notions de signification et de désignation.: pour ne prendre qu ' un exemple, j ' attire ici l ' attention sur la synonymie, à mes yeux indiscutable, entre les verbes sëmainein et dëloûn ' signifier, indiquer, désigner' - deux verbes qui a prio ri auraient fort bien pu se prêter à exprimer la d i stinction en question2 s . Inversement, i l apparaît q u ' un terme comme h up oke imenon - qu'on doit traduire par 'sujet' au sens logique dans nombre de textes aristotéliciens - a fondamentalement chez A. le sens de 'référent' (c ' est du moins ainsi que je crois pouvoir le traduire de manière presque constante : cf. l ' Index technique s. v. ) . Parallèlement à h upokeimen on, qui désigne le corrélat extralinguistique d'un terme de type substantivai, on peut dire, je crois, que des termes comme prâgma acte , état de choses' , prâxis ' action ' , diathesis ' disposition , diathèse, procès' se partagent la référence aux corrélats extralinguistiques des verbes�9. '
1 .2.4.2. Le langage comme structure emboîtée À la tradition philosophique les grammairiens doivent encore l' image du logos, langage ou discours, comme un assemblage hiérarchique conduisant par paliers de l ' élément minimal (stoikh e îon) qu' est le phonème ou la lettre à 1 ' entité construite autonome appelée préci sément log os ' phrase , énoncé, discours ' . On mesurera la remarquable continuité d' une telle représentation en •Comparant le texte d ' A. , Sym. I, § 2 au passage ci-après du Craryle (424 e425 a) :
[Dans
le cadre de l ' examen sur la j u stesse des noms, Socrate suggère à
H ermogèn e une confrontation méthodique des éléments du langage avec les essences des chose s . Porté par la métaphore des peintres , qui imitent le réel en j ux tapos a n t et aussi en mêlant (sunkerasantes) les couleurs , il se laisse entraîner par son propos (légon exënékh thën) et esquisse dans un seul souffle toute l a combinatoire linguistique : ] . . . de même
nou s aussi nous rapporterons les éléments aux choses , un élément
unique à la chose unique qui paraîtra l ' appeler, puis nous en assemblerons p l u s ieurs (sumpol/a ) , fab r i qu an t ce qu ' on appelle j u stemen t des ' s y l labe s ' (sullabcis) , puis nous composerons (sunrithénces) à l e ur tour l e s syllabes q u i sont
à part) tro is entités mutuellement soli daires (suzugeîn (to sëmaÎnon ) , q u i n ' est autre que la forme vocale (phfmë) ; le signifié (to sëmainàmenon ) . défini comme "le contenu (prâgma) même qui est indiqué par
distin guaient aussi ( écriture mise allëlois ) : le signifiant
la voix et que nous appréhendons comme subsistant dans notre pensée. tandi s que le� b arbares n ' y ont pas accès bien q u ' i ls entendent la forme vocale'' : l ' é vénement (to runkhanon ) . à savoir 'le substrat extérieur' (là ektàs hupokeimenon ) . J e me contente de noter ici la tripartition qui ne peut pas n e pas évoqu er pour nous l a tri ade signifia/li· s ig n ifi é- référe n t - l aissant de côté J ' analyse critique du témoignage de Sextus et
l ' interprétation ( controversée) du terme wnkhanon : cf. B aratin ( 1 982: 1 5 et n . 1 6) : Frede ( 1 9 87 [ 1 978] : 304 et [ 1 977] : 349 1 : Long & Sedley ( 1 987 : 1. p. 1 9 7 ) .
28.
Pour un exemple
de fl exibilité sémantique dans le champ lexical d e l a signification . voir
III, § 1 1 2 et n . 262. Sur la synonymie entre sema{nei et dëloûn, c f. *A .. § 17 et n . 3 5 . § 27 et n . 58.
2 9 . Sur les emplois respectifs de prâgma el de diath esis. cf. l 'étude approfondie de Ophuij sen ( 1 99 3 : 7 3 3 s s . ) .
V an
INTRODUcnON
21
(ex hôn suntithentai) des noms et des verbes3° ; puis encore, à 1 ' aide des noms et des verbes, nous formerons maintenant un ensemble
les constituants
(sustesomen) grand et beau, un tout (holon) : le logos - qui sera à l' onomastique
ou à la rhétorique ou à tout art appproprié ce qu ' était tout à l ' heure à la peinture l 'être vivant du tableau. La récurrence dans ce texte de termes composés à l ' aide du préverbe su(n)-, qui exprime l ' association, impose déjà l ' idée selon laquelle parler, c ' est mettre ensemble, composer
(suntithénai),
coordonner ou construire (suntassein) des
constituants selon un processus répété d ' intégration d ' unités de rang inférieur dans des unités de rang supérieur, jusqu ' à ce que soit atteint un niveau, celui du lOgos, 'phrase ' , ' énoncé ' ou même 'texte ' , qui se singularise par un caractère de complétude ( l ' autotéleia d ' Apollonius) qui permet d ' y voir un 'tout ' . En un mot, le texte cité du Cratyle est gros du futur concept de suntaxis.
1 .2.4 . 3 . Le mot (simple et complexe) Entre les différents niveaux évoqués par le texte de Platon, il en est un qui constitue un seuil - celui où apparaît l a signification. C ' est à Aristote q u ' i l reviendra d e formuler l a chose avec une parfaite netteté. A u chapitre 20 d e l a Poétiqu e , énumérant à son tour l a séquence ordonnée q u i va d e l ' élément au
logos,
il la structure fortement en marquant le passage des termes non pourvus aux termes pourvus de signification (phonai asëmoi vs sëmantika{) . En plaçant ce seuil non pas, c omme nous aurions tendance à le faire, entre la syllabe et le mot, mais entre les mots outils - conjonction (sundesmos), articulation (anhron) - et le couple nom-verbe ( onoma - rh éma ) , il prépare directement la théorie de l ' énoncé minimal, annoncée par Platon
(Sop h is te 262 c) et repri se comme un § 1 4), et indirectement celle de la
dogme par les grammairiens (cf. , chez A., S. 1,
' consignifi c ation ' c omme mode de signi fier spécifique des mots - o u t i l s grarrun aticaux (cf. S. 1, § 1 2 ) . Dans le même texte, auquel fait écho l e chapitre 2 d u Peri hermeneias ( 1 6 a 20), soucieux de bien marquer un autre seuil , celui qui sépare l e m ot signifiant, nom ou verbe, du logos, signifant lui aussi, Aristote soulève et ré sout à sa façon le délicat problème des noms 'complexes ' (sumpeplegména), qui, bien q u ' analysables en deux (ou p l usieurs) segments signifiants - ainsi
Kallippos
en
kal6s
'beau'
+
hippos
' cheval ' -, ne ' signifienf31 pourtant qu' une
30. Je garde la traduction reçue de 6noma par ' nom' et de rhema par 'verbe ' , mai s , bien qu' elle puisse s ' appuyer sur les exemples, respectivement de lion. cerf, cheval pour le premier, de marche, court, dort pour le second en Sophiste 262 b, cette traduction. qui anticipe sur l ' usage de ces termes chez les grammairiens, a chance d ' être anachronique : les on6mata sont plutôt ici les termes propres à fournir des sujets, les rhëmata les termes ou locutions propres à fournir des prédicats.
31. Les guillemets veulent ici attirer l ' attention sur l ' ambiguïté du verbe grec sëmafnein que je traduis par 'signifier' . Aristote ne paraît pas être sensible à la différence sémiotique, mise en lumière par les logiciens modernes, entre le nom commun, qui renvoie à une classe d ' i ndividus en signifiant la qualité qui leur est commune, et le nom propre, qui renvoie à un individu en le désignant par le nom qu 'il porte, sans que ce nom signifie par lui-même la moindre qualité : pour reprendre l ' exemple donné par Jakobson ( 1 957: 1 77 ) . si deux chiens s ' appellent Fido, cela n ' i ndique nullement qu'ils ont en commun une qualité de 'fidoïté ' . Les Stoïciens ont-ils aperçu ce qui a échappé à Aristote ? S ' il faut faire confiance au résumé de leur doctrine que Diogène Laërce empru nte à Dioc l è s de Magnésie. on ne manquera pas d'observer (VII 58) que les définitions des deux parties du discours distinctes que sont l ' appellatif (prosêgoria, notre ' nom commun ' ) et le nom (propre, 6noma) n e recourent pas au mê me verbe : si le premier "signifie (sëmaÎnon) une qualité commune". le deuxième "désigne (dëloûn) une qualité propre " . Mais c ' est peut-être beaucoup prêter à une tradition de seconde ou de troisième main que de spéculer sur l a
22
DE LA CONSTRUCTION
chose une : non p as ' beau cheval ' ou ' (le) cheval (est) beau' , mais bien 1' i ndiv id u unique appelé ' C al l i ppe ' . Ce faisant, Ari stote in au g ure , en termes
sémantico-référentiels, la réflexion sur l a composition comme phénomène linguistique sui generis ; le s grammairiens, qui en pousseront plus avant la théorie (en particulier dans le cadre de la syntaxe prépositionnelle : cf. A., S. IV), ret i endro n t, pour l ' analyse des noms propres composés, l ' intuition première du Stagiri te (cf. A., S. II, § 1 6 1 et n. 355). 1 .2.4.4. Parties de la phrase : c las sement fonctionnel Les considérations q ui précèdent, avec les références à Pl at on (Cra tyle, Sophiste), à Aristote (Poétique, Peri hermeneias) et aux Stoïciens (Dioclès de M agnés ie chez Diogène Laërce VII 49ss.), nous ont déjà fait entrevoir un aspect capi tal de la réflexion des p hi losophes sur le langage : l ' analyse d u logos en constituants fonctionnellement différenciés, les fameuses 'parties d u d iscours ' , mérë (toû) logou32. C' est, pour nous a u moins, le Platon du Sophiste (261 d-262 d) qui f ormul e pour la pre mi ère fois avec une netteté parfaite : 1 ) la subdivision en deux (ditton génos) des éléments de la lan gue qui font référence à la réalité - les 'verbes ' rhemata, qui renvo i ent à des ' ac tions' ou à des 'états de chose s ' (p rcixe is), et les ' noms ' , onomata, qui renvoient à ceux q u i accomplissent les acti ons ou sont i m pli q u és dans les états de choses (prcittontes) ; 2) la nécessité, pour qui c onqu e veut parler, légein, de former son énoncé, logos, en entremêlant de mani è re ré g l ée ces deux types d ' éléments différenciés. Cette double intuition fondamentale donne alors le branle, dans la tradition philosophique. à u ne enquête systém ati que et de plus en plus raffinée sur les espèces de mots d on t se constitue la langue grecque. Ce n ' est pas ici le lieu de retracer les étape s de cette quête33. Je me contenterai, pour en donner une idée, de citer Qu i n ti l ien (l IV 1 8) qui les résume sommairement34 : ,
,
Les ancien s p armi eux Aristote et Théodectès, ne connaissaient q ue les verbes, les noms et les conjonctions ( . . ). Peu à peu, le nombre [des parties du discours] fut augmenté par les philosop hes , surtout stoïciens : les articles furent ajoutés aux ,
.
différence des verbes quand ils ont l ' un et l ' autre pour complément le même substantif : qualité. Quoi qu ' il en soit de la s émio tique stoïcienne en la matière, il est clair que les grammairiens s ' en tiennent, ou reviennent, à une conception unitaire de la signification nominale : dans la Technè attribuée à Denys le Thrace ( 34,6 U = ch. 1 2,59176 L). les deux espèces du nom que sont le nom propre (ku rion) et l ' appellatif (prosëgorikon) sont définis parallèlement comme signifiant (sëmaînon), l ' un la substance (ousia) particulière, l ' autre la substance commune. Si A., en cela plus stoïcien que la Technè . définit plutôt le nom en termes de ' qualité' (cf. S. !, § 7 8 ) . je ne trouve pas trace chez lui de la distinction sémiotique moderne entre nom propre et nom commun.
32. Ce syntagme voué à devenir un des vocables techniques les plus caractéristiques de la tradition grammaticale gréco-latine n ' apparaît pas chez Platon. Chez Aristote, la Poétique ( 1 456 b 20) parle de mérë léxeos 'parties de l 'expression ' , et le Peri hermeneias ( 1 6 b 27) fournit les éléments du futur syntagme technique : logos dé esri phone sêmantike hés ton merôn . . . ( S u r la d i stinction entre mérë logou et mérë léxeos dans la tradition péripatéticienne, cf. Ammonius, ln A r. de int .. p. 1 2 , 16ss. Busse.) Chez Diogène Laërce, Je résumé de Dioclès de Magnésie fait alterner méros log ou ' partie du logos ' et stoikheîon logou 'élément du logos' : selon une sch ol ie à la Technè (5 1 4,35), la deuxième expression était celle des ' philosophe s ' . stoïciens selon toute vraisemblance (cf. Galien, De Plar. et Hipp. dogm. , p. 673.6 Müller. qui J ' attribue à Chrysippe) . (Pour une interprétation de la distinction méros-stoikheîon, voir lldefonse 1 992:4 l ss . ) 3 3 . On en trouvera u n e bonne description dans Robins 1 966 ; on peut consulter aussi Lallot 1 988b. 34. On lit un texte de contenu très voisin, et probablement de même source , chez Denys d' Halicarnasse. De comp. verb. Il 1 -3 .
23
INTRODUCTION
conjonctions, puis ce furent les prépositions ; aux noms on ajouta l'appellatif, puis le pronom, pu i s un mixte du nom et du v erb e le participe, et aux verbes eux-mêmes on ajouta l' adverbe. ,
Platon, Aristote, les Stoïciens : il est clair que les grammairiens alexandrins ont hérité des philosophes une théorie très élaborée des mérë logou . Il est non moins clair qu' ils l ' ont contestée sur plusieurs points, modifiée et complétée, et qu'ils ont longuement disputé entre eux de divers cas litigieux (délimitation entre article et pronom, statut du nom propre, de l ' infinitif, du p articipe, des interjections, etc .)35 avant que la doctrine ne se fixe pour de longs siècles. 1 .2.4.5. Accidents La théorie des parties du discours est sans doute la contribution la plus visible de la tradition philosophique à la discipline grammaticale. Il ne faut cependant pas la réduire à son résultat le plus sec et le plus scolastique : une liste de huit classes de mots. C' est en fait de toute une pratique du merism6s, de la partition du discours, que les grammairiens ont hérité, et, dans ce cadre, d ' un inventaire déjà élaboré des 'accidents ' affectant différentiellement les classes de mots, tels que le cas, le genre, le nombre, le temps, la modalité, la diathèse. Ici encore, je me limiterai à de brèves indications. Le terme de ' cas ' (ptbsis) fait son apparition chez Aristote (P e r i hermeneias, Premiers Analytiques, Topiques, Poétique, etc.) où i l désigne, pour le nom comme pour le verbe, des formes qui se distinguent, morphologiquement et sémantico-fonctionnellement, d ' une forme considérée comme basique (nominatif singulier pour le nom, indicatif présent pour le verbe) ; les ' cas du nom' - qui n ' ont pas encore reçu de noms individuels - recouvrent à la fois les formes 'obliques' du paradigme casuel, le pluriel par rapport au singulier et l ' adverbe dérivé d' un adjectif ; les ' cas du verbe' recouvrent les temps autres que le présent et les formes correspondant aux modalités non assertives. Chez les Stoïciens, la notion de cas se spécifie dans le sens que nous lui connaissons (il se limite désormais aux formes - mais à toutes les formes, nominatif comprisJ6 - des paradigmes de type nominal, adverbe exclu), et les cas portent des noms : ' droit' (orthi), ' génitif' (gen iké), ' datif' (do tiké) , ' accusatif' (aitiatiké)37 ; on ne sait pas précisément à quand remonte l ' intégration du 'vocatif (klëtiké) dans la série des cas. Dès lors, le phénomène de la flexion casuelle ( opposée à la flexion personnelle du verbe), notamment sous les espèces du couple 'casuel - non casuel' (ptôtikon - aptôton), va pouvoir j ouer un rôle cardinal dans la procédure de partition du discours en constituants fonctionnellement différenciés et dans le raisonnement syntaxique (e.g. S. Ill , 3 5 . Doxographie de ce débat : Sch. Technè 5 14-52 1 . Pour A., la liste ordonnée des h u it mére logou q u ' il présente au début de la S. (l, §§ 1 2-36) a manifestement le caractère d ' un élément de doctrine dont la remise en cause est exclue. Nul doute que sa position en la matière ait contribué à renforcer Je caractère canonique de la liste. 36. C ' est déjà le cas chez Aristote, Pr. Anal. 49 a 1 ss. Il faut donc prendre avec c ircons pection la doxographie tardive (e.g. Ammonius, ln Ar. de int. , p. 42,30ss. Busse) selon laquelle le nominatif, pour Aristote, n ' était pas un cas. 3 7 . Cf. Diog . La. VII 64-65 . Je donne la traduction reçue des noms grecs des cas, sans préjudice de ce q u ' ont pu être les motivations premières (mal connues) de ces dénomi nations : voir sur ce point De Mauro ( 1 965), Lallot ( 1 989: 1 39ss.) Sur J 'histoire du terme ptosis, cf. Hiersche ( 1 955), Delamarre ( 1 980). Dupont-Roc & Lallot ( l 980:332s. ) ; sur la conception proprement stoïcienne des 'cas ' , cf. Müller ( 1 943:94- 1 2 1 [sommairement résumé dans Pinborg 1 975:86]), Frede ( 1 987 [ 1 978] : 304s. et [ 1 977]:347s.), lldefonse ( 1 997 : 1 55 - 1 87 ) .
24
DE LA CONSTRUCflON
§ § 1 3- 1 8) . Plus finement, l ' étude de la distribution des formes casuelles par rapport au verbe, prenant en compte d ' abord la polarité 'cas droit' (orthé ou eutheîa , sei/. le nominatif) - 'cas obliques ' (pldgioi, sei/. génitif, datif et accusatif), ensuite la diversité fonctionnelle des obliques, va constituer un domaine particulièrement important de la syntaxe verbale (cf. S. III, §§ 1471 90). Occasionnellement, on constate qu' A. a connaissance d' une réflexion syntaxique stoïcienne en matière de syntaxe casuelle : cf. III, § 1 87 . E n raison de leur corrélat naturel évident - respectivement arithmétique et physiologique (sexe) -, le nombre (arithm6s) et le genre (génos), régulièrement associés dans les formes à flexion casuelle et bien marqués dans la morphologie des déterminants, ont été facilement et précocement repérés (Ar., Poét. 1 457 a 20 ; 1458 a 8ss. ; Diog. La. VII 58). Ils ont également constitué un champ privilégié pour l ' observation de l ' arbitraire linguistique, au sens où le nombre ou le genre grammatical d ' un nom est souvent en contradiction avec les caractéristiques correspondantes de son référent (noms de villes souvent pluriel , comme Athênai ' Athènes ' , noms neutres d' êtres sexués, comme meirdkion 'jeune homme' , gunaion 'femme' , etc.). Cette confrontation a très tôt permis de dégager la notion de genre grammatical (opposé au sexe), marqué par l ' accord de l ' article et, partiellement, par la morphologie nominale (ll. cit. ). A. achoppera (S. III, § § 50-53 ) sur le redoutable problème de syntaxe grecque que soulève la fameuse règle dite " tà zbia trékhei " où un pluriel neutre se comporte syntaxiquement comme un singulier. Le ' temps ' (khr6nos) est, pour Aristote, l ' accident verbal par excellence , puisque c ' est lui qui différencie le verbe du nom (Peri herm. 1 6 b 6, Poét. 1 457 a 1 4) . Absent des définitions stoïciennes du verbe (Diog . La. VII 5 8 ) , il n ' en a pas moins retenu l ' attention des philosophes du Portique qui ont élaboré une nomenclature raffinée des paradigmes temporels-aspectuels du grec : c' est c ette terminologie qui, en partie remodelée et simplifiée, a fourni aux grammairiens leur métalangage en la matière : 'présent' (enest6s), imparfait (paratatik6s, litt. 'extensif ), 'parfait' (parakeimenos, litt. 'adjacent ' ), 'plus-que p arfait ' (hupersuntélikos, litt. 'sur-perfectif' ) , ' futur' (méllon ) , ' aoriste ' (a6ristos, litt. 'indéfini ' )38. La théorie des temps verbaux occupait sans nul doute une place importante dans le traité Du verbe d ' A . ; dans la S. , où elle ne donne pas lieu à exposition synthétique, on entrevoit par places les questions qu' elle soulevait : valeur temporelle-aspectuelle des paradigmes (III , §§ 2 1 , 1 00, 1 02 , 1 40), problèmes de congruence (ib id. ; III, § § 2 9 , 1 3 1 , 1 37- 1 46 ) , interférences entre temps et mode (III, § § 98-99, 1 0 1 - 1 02, 1 4 1 - 1 46). Les modalités d ' énonciation (asserti ve, jussive, précative, interrogative, etc.), dont le bon usage avait déj à attiré l ' attention d ' un sophiste comme Protagoras (Ar., Poét. 1 456 b 1 5), font l ' objet à partir d' Aristote (i. e. ), puis chez les Stoïciens (Diog. La. VII 66), d ' un recensement méthodique dont l ' objectif principal est de dessiner rigoureusement, par différenciation, les contours de la proposition assertive : logos apophantik6s aristotélicien, axioma stoïcien. C ' est dans le cadre d ' une telle réflexion, que nous dirions pragmatique, que s' enracine
3 8 . Le document de base en matière de nomenclature stoïcienne des temps verbaux est une scholie à la Technè, due au grammairien byzantin Stéphano s (GG I 3 , p. 250.26) . Sur ce
texte qui a fait couler beaucoup d ' encre. on pourra lire Pohlenz ( 1 93 9 : 1 77), Lohmann ( 1 9 5 3 : 1 8 5 ). Barwick ! 1 95 7 : 5 3 ) . Pin borg ( 1 975 : 92-94 [qui résume les trois précédents et propose sa propre lecture] ) . Hiersche ( 1 9 7 7 ), Caujolle-Zaslawsky ( 1 98 5 ) , Lallot ( 1 985 et 1 989: 1 7 1 ss. ). B errettoni I l 989a el b).
INTRODUCfiON
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l ' étude, morphologique et sémantique, des modes verbaux telle que nous la voyons développée au livre lli de la Syntaxe d'A. ( § § 55- 1 46). Comme J ' a noté Benveniste ( 1 95 8 : 57ss.), quatre des dix catégories d ' Aristote renvoient à des catégories verbales, dont troi s relèvent de la 'diathèse' , entendue comme disposition (diathesis) de l' actant sujet par rapport au verbe. Ce sont : l ' agir (poieîn), illustré par les verbes actifs ' c oupe, brûle ' , qui ren ;roie à l ' actif ; l e pâtir (paskhein) , illustré par les verbes passifs 'est coupé, est brûlé ' , qui renvoie au passif, et la postu re, désignée et illustrée p ar des verbes media tantum (keîsthai 'être dans une position ' , anakeitai ' est étendu ' , kdthëtai 'est assi s ' }, qui renvoie au moyen39 ( Cat. 2 a 3). Aristote , cependant, ne donne pas de développement linguistique à J ' intuition dont témoigne le regroupement de ces trois catégories. C ' est, ici encore, aux Stoïciens (Diog. La. VII 64-65 ) que revient le mérite , dans le ' lieu ' consacré aux signifiés, d ' avoir distingué entre quatre types de prédicats spécifiés par leur diathèse : prédicats transitifs-actifs , dits 'droits ' (ortha), prédicats transitifs passifs, dits 'renversés' (huptia), prédicats intransitifs, dits 'neutres ' (oudétera), et prédicats réfléchis, dits ' antipassifs' (antipeponthota) . Les grammairiens tireront parti de ces distinctions sémantiques et s' efforceront de les mettre en rapport avec la morphologie, moins différenciée, de la voix verbale : on peut voir dans la Syntaxe d'A. (III , §§ 1 47- 157) que la tâche n ' était pas facile, et que la diathèse moyenne en particulier n ' a pas reçu chez lui un traitement vraiment satisfaisant40. 1 .2.4.6. La détermination Même sommaire et incomplet4 ' , le recensement qui précède met bien en lumière tout ce que la grammaire technique doit à la réflexion philosophique sur le langage : il est peu de notions et de termes gramm a ticaux dont on ne puisse retracer l ' ascendance dans les grands textes platoniciens, aristotéliciens, ou dans les témoignages que nous possédons sur la théorie dialectique des Stoïciens. D ' autant plus remarquable est l ' absence, dans ce que nous pouvons ressaisir de cette tradition, du terme et du concept de personne (prosôpon) - au sens de catégorie morpho-sémantique verbo-pronominale : bien que les trois 'personnes ' grammaticales apparaissent comme aussi bien intégrées à la théorie alexandrine, dès ses débuts42 , que les accidents du cas, du nombre, du genre, etc . , on ne 39 . Sur la valeur de la diathèse dite 'moyenne' (mésë) par les anciens, on se reportera à l ' article fondamental de Benveniste ( 1 950). Si la relation de la ' posture' au moyen est moins immédiatement évidente que celles de l ' agir et du pâtir à l ' actif et au passif, la forme et la valeur des trois verbes que choisit Aristote pour la désigner et l ' illustrer ne laissent guère de doute sur l ' intuition qui l'a conduit à instituer cette catégorie. On peut même admirer, en contraste avec la médiocrité de la description du moyen par les grammairiens (cf. Rijksbaron 1 986), le bonheur avec lequel le S tagirite a su sélectionner des exemples particulièrement représentatifs de ce que Benveniste appelle, avec bonheur lui aussi, la 'diathèse interne' . 40. Les commentateurs d e l a Technè, très dépendants d ' A . comme o n sait, n ' ont pas fait mieux que le Maître : cf. Rijksbaron ( 1 986). Lallot ( 1 989: 1 66s. ) . 4 1 . Je me s u i s volontairement limité, i ntroduisant à un traité de syntaxe, à un inventaire rapide des entités de 'première articul ation ' . Si je m ' étais i ntéressé aux niveaux asémantiques du phonème et de la syllabe, il serait apparu que. dans ce domaine où les philosophes sont encore pour nous des témoins précieux du passé pré- alexandrin de la grammaire, ils étaient eux-mêmes l argement dépendants des musiciens et des métriciens (cf. . entre autres, Ar., Poét. 1456 b 34) . 42. Les trois personnes sont définies dans la Technè attribuée à Denys le Thrace (p . 5 1 ,4 U = chap. 1 3 , 1 7/2 1 L). Dans l ' hypothèse où l ' ouvrage serait tardif. on invoquera le témoignage des plus anciens papyrus grammaticaux. comme le Pap. Yale 1 . 25 (= 1 Wouters. 1 er s . de
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DE LA CONSTRUCI10N
trouve rien qui les annonce directement dans les textes antérieurs. Peut-on supposer que les professeurs de l' époque classique parlaient déjà de ' personnes' pour décrire les pronoms 'je ' et 'tu' et les formes de la flexion verbale, et que l ' absence de témoignage sur cet usage est à mettre au compte du hasard ? Quoi qu' il en soit de cette petite énigme historique, une chose est certaine : l e s philosophes, notamment stoïciens, ont certainement précédé les grammairiens dans l eur réflexion sur les procédés linguistiques de l a détermination . Brunschwig ( 1 984) a bien mis en lumière avec quel soin les dialecticiens du Portique avaient analysé la contribution respective du nom commun, du nom propre (dont ils faisaient deux parties du discours différentes, ce qui n' est évidemment pas sans signification), des pronoms et de l ' article à la détermination du groupe nominal. On sait par ailleurs (A., P. 6 ,30) q u ' ils avaient rangé dans une même classe, subdivisée en définis (hôrisména ) et indéfinis (aoristodë), les pronoms( -adjectifs) démonstratifs et 1 ' article des grammairiens. C ' est manifestement dans la continuité de leur réflexion, même si c ' est pour en contester les conclusions, qu'A. s ' attache à montrer, notamment dans le Pronom et aux livres 1 et II de la Syntaxe , comment la troisième personne s' oppose aux deux premières par une indétermination constitutive (e. g. S. 1, § 17), et comment, par le double jeu de la déixis et de l ' anaphore, pronoms et article opèrent la détermination des troisièmes personnes (e.g. S. II, §§ 1 3 et 1 7 ; l, § 1 1 2). Le grammairien n' est pas moins intéressé que le dialecticien par la question de savoir comment on indique avec le maximum de précision de qui ou de quoi on parle. 1 .2.4.7 . La phrase complexe ll est notoire que la théorie de la phrase complexe remonte à la logique stoïcienne, qui distinguait des 'jugements simples' (axiomata haplâ) les 'jugements non simples' (axiomata oukh haplâ), ces derniers comprenant, à en croire le résumé de Dioclès de Magnésie qu'exploite Diogène Laërce (VII 7 1 73) : l e jugement ' connecté ' (s unëmméno n ) , de type s i p, q ; le jugement ' subconnecté' (parasunëmménon), de type puisque p, q ; le jugement couplé (sumpeplegménon), de type p et q; le jugement 'disj oint' (diezeugménon), de type p ou q ; le jugement ' causal ' (aitiodes), de type parce que p, q; le jugement 'explicitant le plus ' (diasaphoûn tb mâllon), type plutôt p que q, et le jugement 'explicitant le moins ' (diasaphoûn tb hetton), type moins p que q. Les logiciens du Portique avaient décrit le matériel conjonctif qui permettait de joindre deux jugements simples pour en faire un j ugement complexe de 1' un ou 1' autre type. et ils s ' étaient attachés à préciser à quelles conditions de vérité étaient soumis ces assemblages conj oints43 . Ce qui nous reste du traité Des conjonctions, montre combien la tradition grammaticale, apollonienne en particulier, était restée tributaire de cette approche logique des phrases complexes : même si, au début de son ouvrage, A. a des mots durs pour les Stoïciens ' dont la doctrine transmise n ' est pas trop utile pour le traitement méthodique qui est celui de la grammaire' (hOn hë paradosis ouk agan khreiodës pros ten eis grammatiken sunteinousan technologian ), le contenu de son traité montre bien que l ' originalité revendi quée par le grammairien ré side plus dans l ' analyse
n . ère), où la personne est manifestement un accident familier ( cf. 1. 29 et les restitutions Il. 12 et 22) . On peut en dire autant des scholies A de 1 ' 1/iade, dont la matière et sans doute en grande panie la lettre remontent à Aristarque.
43 . Sur ce sujet, voir. outre le texte de Diog. La . . lac. cir. , Brunschwig ( 1 97 8 ) .
INTRODUCDON
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philologique des formes des conjonctions que dans une approche syntaxique inédite des phrases complexes. 1 .2.4 . 8 . La syntaxe des signifiés On manquerait un aspect capital de la dépendance de la grammaire alexandrine, et singulièrement apollonienne, par rapport à la philosophie du langage, et singulièrement stoïcienne, si l ' on se contentait, comme je viens de le faire, d' énumérer des catégories et des termes métalinguistiques hérités, sans se demander dans quel projet d 'ensemble tout ce matériel trouvait sa signification et sa justification - et si une continuité est décelable entre philosophie et grarnmaire au niveau même de ce projet. Pareille question, qui au demeurant n ' est pas neuve, appelle indis cutablement une réponse nuancée. Il est incontestable, d ' un côté, que le pro gramme philologique dans lequel s ' inscrivent la constitution et le dévelop pement de la grammaire technique ne se confond pas avec le projet des dia lecticiens - et il est facile de montrer que les impératifs de l ' écrit, notamment sous leur aspect 'éditorial ' , orientent largement le choix des problématiques grammaticales : l' exemple le plus net qu' on en puisse citer est sans doute celui de la construction des prépositions, telle qu' elle est traitée au livre IV de la Syntaxe d'A., l ' objectif visé étant d' établir quand la préposition doit être soudée au mot suivant ( composition) et quand elle demeure un mot indépendant Uuxtaposition) - cela sans que jamais soit évoqué, fût-ce en passant, le problème syntaxique de la rection casuelle des prépositions44. Corrélativement à cette tyrannie de l ' écrit, il est peu douteux que la grammaire se soit tendanciellement distinguée de ses sources philosophiques par une attention accrue portée au détail de la morphologie, c ' est-à-dire par une prégnance particulière, chez les gramm airiens, de la théorie du signifiant. Cela dit, on se tromperait lourdement si, durcissant ce contraste, on donnait à croire que la grammaire se construit essentiellement en rupture avec le discours philosophique qui l ' a précédée et préparée. Des voix concordantes se sont élevées récemment pour montrer combien le projet syntaxique d ' un Apollonius était fondamentalement consonant avec l ' image qu ' on peut se faire de la théorie stoïcienne des signifiés. La difficulté en la matière tient au caractère fragmentaire et gravement lacunaire de notre information, et à la nécessité où l ' on se trouve de reconstruire par spéculation la démarche proprement linguistique du Portique ; mais les travaux décisifs de Frede ( 1 987 [ 1 977] et [ 1 97 8]), modèles de spéculation rigoureuse, ont permis de dégager des conclusions capitales : 1 ) il y avait, à proprement parler, une g ra m m a i r e stoïcienne ; 2) cette grammaire incluait une syntaxe dont l ' objet était l ' étude de la combinaison des lektd ; 3) c' est ce type de syntaxe , dominé par le concept de 'congruence des contenus de pensée" (katallëlotës ton noëton, S. l, § 2), qui sert de modèle à Apollonius. Blank ( 1 982), par une étude systématique de la démarche 'rationaliste' d'A., prolonge et illustre les vues de Frede en montrant tout ce que la démarche analogiste du maître alexandrin doit à la syntaxe des intelligibles inaugurée par le Portique . Ce sont là des acquis solides que des
44. La chose est d ' autant plus remarquable que l ' étude des constructions verbales (Ill,
§ § 1 5 8 - 1 90) montre qu'A. a une théorie sémantique des cas. La question de la rection prépositionnelle apparaît seulement, et alors comme une obligation canonique, dans les traités de syntaxe byzantins - sans doute en rappon avec la disparition progressive, dans la langue populaire, des oppositions casuelles dans les syntagmes prépositionnels.
28
D E L A CONSTRUCDON
études de détail , faites o u
à faire45, permettent (ou devraient permettre) de à eux seuls le dernier mot de la problématique
confirmer : s ' ils ne livrent pas
syntaxique d ' A .46, ils n ' en éclairent pas moins , de manière décisive, une composante théorique q u ' on ne saurait n églige r sans s ' exposer
à mal
comprendre certaines de ses analyses . On s ' égarerait cependant en insistant trop exclusivement sur l ' homogénéité entre la réflexion d ' A. et la tradition logique. Je donnerai ici la parole à Sluiter ( 1 990:40s.), qui me paraît formuler en termes particulièrement heureux ce qui fait l ' originalité de la position épistémologique d u grammairien alexandrin par rapport à ses sources philosophiques : The work of Apollonius (and, to a lesser extent, that of his son Herodian) illustrates a period in the history of g rammar in which the influence of philosophy and philology in parti cu l ar , should still not be underrated - it makes itself felt on nearly every page. However, it forms the background to their work, rather than its aim. Far from being a Stoic philosopher doing technical grammar as a sideline, Apollonius is a grammarian whose work is based on scientific principles which happen to be philosophical in origin. The exact philosophical drift of the concepts and ideas he employs, is alive no longer - not at !east to the grammarians - and it is certain! y not prod u ctive : The even tua! outcome of Apolloniu s' studies was not necessarily in accordance with Stoic tenets, even if the starting-points were.
La lecture de la Syntaxe - mais on en dirait tout autant, par exemple, du traité Des conjonctions - confrrmera à mainte repri s e la j u s tes s e de ce propos . Je ne m'y attarderai pas maintenant.
1 .2.4.9. Vices et venus, régularité (analogie) et irré gularité, fautes et figures Le dernier point sur lequel je souhaite attirer l ' attention ici est relatif à la notion de correction. Il est peu douteux que toute communauté linguistique a tendance à rég u le r l ' instrument de communication qu' est sa l angue - que cette régulation soit spontanée et diffuse ou q u ' elle prenne la forme officielle de prescriptions, d ' i nterdits, voire de sanctions. Dans la tradition grecque, on voit très tôt se manifester, sous différentes formes, le souci de la correction : Platon nous apprend (Euthyd. 277 e, Crat. 3 84 b) que le s ophiste Prodicos s ' était fait une spéci alité d ' éclairer ses contemporains sur l ' emploi (sémantiq uement) correct (orthotës) de s mots47 . Quant à Protagoras, nous savons par Ari s t o te qu' il s ' était avisé de re cti fi er le genre de certains noms (Réf soph. 173 b 17) et q u ' i l faisait grief à Homère d e s' adresser à la Muse à 1 ' impératif là où 1 ' optatif, mode de la prière, aurait mieux con v en u (Poét. 1 456 b 1 5) . Encore ne s ' agit-il là que d ' écarter des impropriétés (akurolog{a dans le vocabulaire technique ultérieur), 45 . Blank ( 1 993 : 723s.) relève cette orientation interprétative chez Camerer ( 1 965). II appelle de ses vœux (725) "a comprehensive stu d y of the important and difficult group of words
used by Apollonius to speak of the things meant by verbs : prâgmo., parémphasis. énnoia. diathesis. skhésis, enérgeia, paratasis, suntéleia, gegonos". On ne peut q ue l ' approuver, et saluer la parution, dans le même volume d'ANRW, de l ' étude philologique minutieuse de Van Ophuijsen portant notamment sur les quatre premiers de ces termes. 46. Si la �ammaire prolonge la philosophie du langage, elle le fait dans sa perspec tive propre. A cet égard, Baratin & Desbordes ( 1 98 1 : 60-62) signalent le poids d on t pèse la morphologie dans la dé marche du grammairien alexandri n. Donnet ( 1 96 7 : 3 8 ) avai t déjil montré - et dénoncé comme un han d i c ap 'néfaste' - combien la syntaxe alexandrine (et byzantine) restait tributaire d' une 'grammaire du mot' (cf. infra 2.5 . 1 . ). 47. Pour écouter la grande leçon sur le sujet, il fallait acquitter ( selon le Socrate du Craryle) le
droit d ' entrée exorbitant de cinquante drachmes. - Le Craryle lui-même est présenté comme un débat d on t l ' objet est la 'correction des noms ' , orthotës tôn onomaton (383 a ) .
INTRODUC!lON
29
mais on voit apparaître paral lèlement, dès le 5• siècle (Hérodote), une terminologie désignant les fautes de langue : barbarizein, soloikizein, qui s ' opposent au bon usage du grec, hellënizein. C' est encore chez les Stoïciens, semble-t-il, que ces termes reçoivent une définition précise et un statut dans le ' l ieu' sur le signifiant vocal (per i phones) : selon le résumé de Dioclès (Diog. La. VII 59), l ' hellënism6s, défini comme "expression impeccable au regard de l ' art et échappant aux hasards de l ' usage", est la première des 'qualités du langage ' (aretai l6gou) ; au contraire, barbarisme et solécisme en constituent les 'défauts' (kakiai), le premier défini comme "expression contraire à l ' usage des Grecs de renom", le second comme "énoncé construit de manière incongruente". Ainsi se trouve dressé le cadre dans lequel va se couler l ' activité normative des techniciens de la grammaire qui, dans l eurs tra ités sur la correction ( tékhna i peri hellënismoû), s ' emploieront à faire le tri entre le correct et l ' i ncorrect, v o ire à j u s tifier leur tri . Une telle perspective est incontestablement présente dans la Syntaxe d ' A. , dont l' auteur se flatte (1, § 60) de présenter une "recherche sur la congruence (qui) permettra de corriger les fautes de toute espèce (tà hoposdepote diapes6nta . . . katorthosei ) affectant la phrase"48. Il est temps de voir maintenant comment A. met en œuvre ce projet. 2. LA S YNTAXE D 'APOLLONIUS Je présenterai l ' ouvrage en trois temps. J ' en indiquerai d' abord le plan (2. 1 .), en marquant, mais sans encore les commenter, les subdivisions qui rn ' ont paru se dégager à la lecture49 . J ' esquisserai ensuite (2.2.) une réflexion sur la structure du traité. Enfin (2.3.), je tenterai de dégager les lignes directrices de la réflexion d ' A . sur la syntaxe. 2.1. Le plan de J 'ouvrage La notice de la Souda consacrée à A. signale un traité "Sur la construction des parties de la phrase, en GUatre livres". Il s' agit évidemment de l' ouvrage qui nous est parvenu, et que nos manuscrits intitulent soit Sur la construction (AL) , soit Sur la construction des parties de la phrase (B , ce dernier ms indiquant quïl y a quatre livres). S ' il n ' y a aucune raison de supposer que la Syn taxe ait pu comporter plus de quatre livres, et pas davantage que les livres I à III nous soient parvenus incomplets, on s' accorde en revanche à penser que ce que la tradition nous en a conservé ne représente qu' une partie du livre IV - j ' y reviendrai en son temps. 48. Sluiter ( 1 990:61) souligne avec rai son l ' originalité de la 'technologie' apollonienne par rapport aux grandes tâches traditionnelles de la gramma i œ - critique te x tu e ll e (diorthiis is), théo rie du bon u sage ( hellënismos). o rthog raphe - : tout en apportant des matériaux aux praticiens de ces dis c iplines . l ' œuvre d ' A . "functions on a differe n t leve!. . . A knowledge of the system of languo.ge on the leve/ of rhe meaning [ c ' es t moi qu i souligne] . as described by Apollonius. is necessary to justify the decisions one takes in any one of the e ther disciplines". 49. Po ur une synopsis plus complète de l ' ouvra ge , le lecteur peut se reporter au somma ire a naly tiq u e donné ci - ap rès (p. 8 8 ) , qui reflète la structure hiérarchisée du texte d ' A . Les subdivisions que j ' y propose - et que s i g n a lent, mais 'à p l at ' , sans les emboîtemen t s hiérarchiques. les sous-titres placés dans ma trad u ct i o n - coïncident souvent, mais pas touj ours. avec celles q u ' i ndiquent les mss en tête de chacun des livres. Elles peuvent également différer. par plac e, de celles qui apparaissent (en latin) en ti tre courant et dans les marges de r éditi o n Uhlig. J ' ai apporté un soin particulier à ce tr av ai l qui me parait relever. déjà. de 1 ' interprétation.
30
DE LA
CONSTRUCTION
2. 1 . 1 . Livre 1
Présenté, dans Je ms B, comme traitant "De la construction des articles", ce premier livre comporte en fait une première partie ( § § 1 - 36) - que j ' ai intitulée 'Prolégomènes' - dans laquelle A . présente e t j ustifie son proj et d ' écrire "sur la construction" ; ce texte recèle évidemment des éléments capitaux pour notre réflexion ci-après (2.2. et 2.3.). La suite du livre est effectivement consacrée à la construction des articles : d ' abord ( § § 37- 1 4 1 ) à celle de l ' article appelé 'prépositif - il s' agit de l' article défini ho (masc. ) 1 hë (fém.) 1 t6 (nt.) , le seul que possède le grec ancien -, puis, plus brièvement ( § § 142- 1 57), à celle de l ' article dit ' postpositif - qui n ' est autre, dans la terminologie moderne, que le pronom relatif hos 1 hi 1 ho. La section sur l ' article prépositif, après une introduction ( § § 37 -45 ) destinée à clarifier la valeur - fondamentalement anaphorique - d e cette partie de phraseso, examine analytiquement ses conditions d 'emploi, essentiellement en recensant les parties de phrase auxquelles il peut vs ne peut pas se préposer, et, dans le premier cas, ce qui commande son emploi vs son non-emploi ( § § 461 4 1 ). La construction du postpositif est étudiée ( § § 1 42- 157) par contraste avec celle du prépositi f : outre l' anaphore, le postpositif comporte un sème conjonctif qui induit l ' ajout d ' un nouveau verbe après l ' article ( § § 1 42- 1 47 ) ; c' est par rapport à ce verbe que se détermine le cas du postpositif ( §§ 148- 1 54 ). 2. 1 . 2. Livre Il
Comme le signalent les mss AL, le livre II traite "de la construction des pronoms " . Après une section générale ( § § 1 -27) dans laquelle sont recensés les traits spécifiques (fonctionnels, morphologiques, sémantiques) de la classe pronominale, A. examine une série de problèmes induits par ces spécificités. À la fonction de base de remplacement du nom se rattachent les problèmes de transposition (metalëpsis) de l ' article en pronom ( § § 28-39), puis l ' examen approfondi de la raison d' être des pronoms ( § § 40-47) et de leur fonction auprès des verbes ( § § 4 8-56). À la spécificité accentuelle des pronoms (personnels) primaires5I se rattache l ' étude détaillée des valeurs et des conditions d ' emploi de leurs formes respectivement orthotoniques et enclitiques ( § § 57 - 1 02). Certaines formes ambiguës de génitif pronominal ( § § 1 03- 1 32) et les formes composées des pronoms réfléchis (§§ 1 3 3 - 1 60) ont en commun d' appeler le raisonnement syntaxique au secours de la morphologie. L' analyse morpho-sémantique du paradigme défectif des dérivés pronominaux en -dapos , à valeur eth nique, i l lustre pour finir ( § § 1 6 1 - 1 70) une singularité de la
combinatoire pronominale.
2. 1 .3. Livre Ill
Consacré, pour sa plus grande partie ( §§ 54- 1 90), à l ' étude du verbe, le livre III débute par une trentaine de pages ( § § 1 -53) de réflexion sur les causes de l 'incongruence . C ' est la partie théorique par excellence de la Syntaxe ; A. y 50. Cette valeur, bien q u ' illustrée uniquement sur le prépositif, se révélera ( § 1 44) caractériser également le postpositif - raison de poids pour ranger ho et h6s dans la même panie de
phrase.
5 1 . 'Primaire· s' oppose à ' dérivé' (possessif) : les pronoms primaires sont les formes de types je, les déri vés les formes de type mon. 'Personnels' est entre parenthèses pour la raison exposée 1. n. 264.
INTRODUCTION
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accomplit la tâche à ses yeux la plus importante et l a plus originale du syntacticien qu'il se flatte d' être : dépasser la simple intuition et l ' accumulation irraisonnée d' exemples (parathesis) en formulant explicitement le ressort logique de la faute de syntaxe, ou solécisme, et en marquant les limites de cette forme d ' incorrection. En délimitant ainsi le domaine de la faute, A. éclaire a contra rio les réquisits de la c o n g ru e n c e , fondements de la correction syntaxique. L' étude du verbe met au premier plan deux de ses 'accidents' relevant de la diathesis 'disposition, diathèse' : - le mode (énklisis), qui exprime la ' diathèse de l ' âme' (diathesis tês psukhês) ; après la description de l ' infinitif comme mode 'zéro' , la catégorie du mode est étudiée dans ses quatre variétés pragmatico-sémantico-syntaxiques : indicatif, optatif, impératif, subjonctif (§§ 55- 146) ; - la diathèse tout court (diathesis), qui exprime la ' disposition ' des actants et singulièrement du premier d ' entre eux, marqué au cas direct - par rapport au procès ( § § 1 47- 1 57) ; la description de la diathèse transitive-active donne lieu à examen raisonné de la sémantique des cas obliques (accusatif, génitif, datif) en position adverbale ( § § 1 5 8- 1 90). 2. 1 . 4. Livre IV Le livre IV tel qu' il nous est parvenu - incomplet - traite de la construction
des prépositions52 , Après un préalable consacré au phénomène paradoxal de la préposition postposée ( ' anastrophe ' , §§ 4- 1 1 ) , A. passe en revue systématiquement la combinatoire des prépositions avec les différentes parties de phrase, en distinguant soigneusement, et si possible en justifiant, construction composée et construction j uxtaposée (§§ 1 2-78). Bien q u ' on n ' en ait pas de preuve formelle, on admet généralement que la partie perdue du livre IV traitait de la construction des deux autres parties de phrase invariables, adverbes et conjonctions. Considérant personnellement comme très vraisemblable qu'A. ait traité là des adverbes après les prépositions, j ' annexe à ma traduction du livre IV celle de la fin postiche du traité Des adverbes (p. 20 1 -2 1 0 Schneider), consacrée aux adverbes de lieusJ. 2.2. Le 'système' de la Syntaxe Le titre de cette section veut être un hommage à l ' ouvrage de Ludwig Lange, Das System der Syntax des Apollonios Dyskolos ( 1 852). Discrètement saluée par Uhlig qui la qualifie pourtant de "commentatio nitida" (p. vm, n. 2), la réflexion de Lange s' est imposée comme la référence pratiquement unique54 sur le délicat sujet de la logique inhérente au plan de la S. Largement d' accord
52. C ' est-à-dire, pour la langue grecque, de dix-huit mots mono- ou disyllabiques caractérisés par leur propriété commune de se préposer à toutes les parties de phrase en formant avec elles tantôt un (mol) composé (un seul accent), tantôt un (syntagme) juxtaposé (deux accents ) . 5 3 . S u r ce rattachement, proposé p ar O. Schneider ( 1 845), cf. ci-dessous 2.2.2.3.2. 54. Lange ( 1 8 5 2 : 2 ) cite deux ten tatives antérieures à la sienne : celle - parti elle - d'O. Schneider ( 1 845) "qui. pour démontrer l ' appartenance de la partie finale des Adverbes au li vre IV de la Sy n taxe , a dû examiner la question du plan de la Syn taxe", et celle - médiocre - de W . Frohne ( 1 844), notamment dans I ' Exkurs IV "De i nterna syntaxis condicione". [Malgré ce que les dates de publication donnent à croire, Frohne connaît et critique l ' article de Schneider.]
DE L A CONS'IRUCTION
32
moi-même avec le propos de Lange, j e n reprendrai ici les idées-forces , tout en les nuançant à l ' occasion. '
2.2. 1 . Le programme
Le plan de la S. se comprend par référence à la théorie des parties de la phrase telle qu' elle est exposée au début du livre 1 ( § § 1 2 -29), et plus précisément par rapport à la représentation hiérarchique qui place le couple nom-verbe au centre du dispositif syntaxique. Cette vue est si capitale au yeux d ' A. qu'il l ' illustre spécialement à la fin de son introduction ( § § 30- 35) sur l ' exemple des ' inquisitifs ' (peustikd, mots de type 'qui . ? ' , 'quand . . ? ' , etc., i ntroduisant une question partielle) : si ces mots se subdivisent en deux sous classes, nominale et adverbiale, c ' est parce qu'il y a deux domaines - et deux seulement - sur lesquels on éprouve le besoin de poser des questions, celui du nom et celui du verbe . Cette démonstration faite, A. peut boucler son introduction par ces mots ( § 36) : . .
.
Puisque toutes les autres parties de phrase se l aissent ramener à la construction du verbe et du nom (anagetai pros tën toû rhëmatos kai toû on6matos suntaxin) - au point de tirer de là leur dénomination même -, il faut examiner (déo n d i a l a b e în ) l ' emploi de chacune d ' e l l e s soit pour les accompagner (sumparalambanoménou), soit pour les remplacer (anthupagoménou) - cette dernière [aptitude] n' excluant pas celle d ' accompagnerss : par exemple, les pronoms peuvent remplacer les noms et les accompagner, ou encore les panicipes peuvent remplacer les verbes et les accompagner, et ainsi de suite pour les autres parties de phrase.
Le caractère programmatique de ce texte (cf. la formule "il faut examiner" et l ' entrée dans le vif du sujet qui suit immédiatement au § 37 "Prenons les articles . . . ") est confirmé par sa mise en parallèle avec Adverbes 1 2 1 ,4 : On montrera plus à fond dans le traité De la construction que les de phrase les plus fondamentales (thematikotera) sont les noms et les verbes, et que les autres se laissent ramener au bon fonctionnement de celles-là (pros ten touron eukhrëstian amigetai) - les articles au service des casuels ou assimilés (ptotika e hOs ptotika), les adverbes au service des verbes, et les prépositions au service des deux (c' est la rai son pour l aquelle elles sont seules sujettes à l ' anastrophe accentuelle, qui leur permet de se construire à la fois d ' une façon, j ' entends avec les noms, et de l ' autre, j ' entends avec les verbe s ) . On dira aussi q uand les pronoms s ' e mploient en place de noms, et, pour les conjonction s, lesquelles assurent de manière générale une liaison auprès du nom et du verbe, lesquelles ont un champ limité (tines en toi kath61ou sundesmoi sundéousin 6noma kai rhéma kai tines eisi merikoi).
Comme l ' a bien vu La nge (9ss . ) , ces deux textes qui se répondent (et dont l ' un est placé en un point s tr até g i q ue de la Syntaxe, tandis que l ' autre mentionne expressément le contenu projeté56 de cet ouvrage) sont les guides les plus s ûrs 55. Sur mon désaccord avec Lange dans l ' interprétation de ce passage. cf. la n. 1 08 ad !, § 36. 56. Les futurs dede{xetai 'on montrera ' , eireserai ' on dira· laissent entendre ici que l a Syntaxe est postérieure aux Adverbes. ce que confirment. dans la S. . les références aux A. par des verbes au passé (285.4 ; 3 3 3 . 1 5 ) . Mais d ' autres passages (A . 1 22, 1 1 : voir aussi 1 22 . 33 ) feraient conclure à la chronologie inverse. D' une manière générale. la chronologie relati ve des œuvres d ' A . pose un problème d é l i ca t et a été beaucoup disc utée : cf. Lange ( 1 8 5 2 : 1 2. n. 1 6 ) . Dronke ( ] 857:562s s . ) . M aas ( 1 9 1 2 : 1 4s . ) . Thierfelder ( 1 9 3 5 : 2 , n. 1 ) . B l a n k ( 1 99 3 : 7 1 0) s e rallie à l ' opinion majoritaire. défendue notamment p a r M aas. I. e . , selon laquelle la S . . manifestement œuvre de synthèse, est postéri eure. en tre autre s . aux monograph ies consacrées aux parties de phrase sur lesquelles elle fait fond. C ' es t aussi
INTRODUCfiON
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pour qui veut tenter d ' élucider la logique du plan décrit au point précédent. Ils font attendre que 1' étude des constructions soit organisée en fonction des ' domaines' 5 ï que sont respectivement ceux du nom et du verbe, et, dans ces domaines, en tenant compte des fonctions d ' accompagnement et de remplacement qui sont au fondement des aptitudes syntaxiques des diverses parties de phrase. 2.2.2. La mise en œuvre du programme
2.2.2. 1 . Livres 1 et II : le domaine du nom Comme un postulat - en fait plus ontologique que véritablement linguistique - dispose que, dans Je couple de base verbo-nominal q u ' est le noyau phrastique sujet + prédicatss, le nom a lui-même, dans sa fonction de sujet-agent, préséance sur le verbe (§ 1 6), on ne devra pas s' étonner que le domaine du nom soit étudié en premier : c' est en effet 1' objet des livres I ( § § 371 57) et II, consacrés, dans cet ordre, à l ' article, qui accompagne le nom, et au pronom, qui le remplaces9. Dans la partie principale du livre 1 (§§ 37- 1 4 1 ), après avoir établi que le signifié distinctif de l ' article (prép ositif) est J ' anaphore (§ § 43-44) , A. recense méthodiquement, partie de phrase par partie de phrase, les cas d ' emploi et de n on-emploi du prépositif en dégageant pour chacun d ' eux les paramètres sémantico-syntaxiques qui rendent compte de la répartition observée . Une variable fondamentale à cet égard se révèle être la présence vs absence dans la construction d ' un verbe de type copule, désigné en termes de ' verbe d ' existence ' ou ' d ' appel lation' (§§ 1 06, 1 07, 1 32, 1 36- 1 3 8 ) . - C ' est encore l ' anaphore qui rend compte de l ' emploi de l ' article postpositif ( le relatif), mais ce dernier se caractérise par un comportement syntaxique sui generis, dans la mesure où, recelant implicitement une conj onction ( § § 1 43- 1 44 ), il exige J ' introduction d ' un nouveau verbe par rapport auquel son cas se détermine ( § § 1 48- 1 54). La structure interne du livre II est moins nette que celle du précédent. Lange (25ss.) souligne qu' elle reflète la "nature bifide (zweischneidige Natur) du pronom", qui est à la fois représentant du nom et (à ce titre) constituant d ' une construction verbale : les §§ 1 à 47 traiteraient du premier aspect, et la suite, de fait introduite (§ 48) par la formule "Le moment est venu de parler de la construction du pronom avec les verbes", du second - les §§ 46-47 formant transition, dans la mesure où, montrant J ' incongruence d' une construction comme *Apollonios j 'écris (nom + verbe à la 1 e pers.), ils relèvent déjà de =
mon opinion. que me paraît solidement étayer. à elle seule. la première phrase de r ouvrage ( cf. Dronke, I.e. ) . 5 7 . J ' emprunte c e terme à Lambert ( 1 985: 1 26). 58. On verra plus loin (2.5 .3 .2.4.) que Je métalangage auquel j ' ai recours ici est étranger à A. M a i s les entités linguistiques qu'il envisage n'en sont pas moins celles que je dis : le noyau minimal tinthropos épesen '(un) homme chut' , auquel A. aboutit par réduction d ' u ne phrase présentant d ' autres constituants accessoires (p. 1 7, 1 4), n ' est pas J ' assemblage quelconque d ' un nom et d'un verbe, c ' est un syntagme sujet-prédicat. héri tier en ligne directe de ' ( ! ' ) homme apprend' de Platon (Soph . 262 c ) , de 'Philon se-pone-bien ' d ' Ari stote (en filigrane De int. 1 6 b l ss. et 1 7 s s . ) et du ' Socrate écrit' d e s Stoïciens (Diog. La. Vll 63). 5 9 . Invoquée au � 24 pour justifier. un peu artificiellement, le classement de J ' anicle avant le pronom dans la l iste des parties de phrase, la priorité de la fonction d' accompagnement sur celle de remplacement trouve ici une justification de meilleur aloi dans la mesure où le pronom est décrit comme remplaçant un nom accompagné de l 'article ( § 25).
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DE LA CONSTRUCDON
l ' étude de la construction nom-verbe. Quant à la deuxième partie du livre ( § § 48-fin), elle nous introduirait insensiblement, à propos de la construction pronominale prise comme cas particulier, à la problématique qui sera celle du livre III, centrée sur le verbe (sur l ' exploitation ' transitionnelle' de telle singularité de la syntaxe pronominale, voir l ' ouverture du livre III). Tout en reconnaissant la finesse des observations de Lange, je reste réservé sur la pertinence de l' articulation qu ' il propose du livre II. En particulier, je ne suis pas convaincu que la formule d' introduction du § 48 cité plus haut marque une articulation majeure du livref>O : si le problème de la construction des pronoms avec les verbes est bien au premier plan dans les § § 48-56, il n ' en va plus de même dans les §§ 57- 1 02, où la distribution orthotonèse vs enclise pronominale apparaît comme largement indépendante du contexte verbal. Même si les problèmes de syntaxe verbale retrouvent indiscutablement une pertinence chaque fois qu' il est question d ' interprétation réfléchie d ' un pronom ( § § 89- 1 60, passim), la structure d' ensemble du livre II ne me paraît pas fondamentalement dominée par l ' opposition que croit déceler Lange : j ' y vois pour ma part un enchaînement plus libre de thèmes plus nombreux, qu' il est sans doute artificiel de vouloir fédérer à tout prix sous une bipartition de base. Quelque position qu' on adopte sur cette question (et il me semble qu' il y a typiquement place ici pour une certaine latitude d ' interprétation), il n ' est pas sans intérêt d' observer que, de facto sinon e consilio, un certain parallélisme se dessine entre les deux premiers livres de la Syntaxe, dans la mesure où les faits examinés à propos de ce que nous appellerions le ' groupe nominal ' mettent progressivement en évidence la pertinence, pour leur étude, de constructions verbales (pour le livre I, je rappelle le paramètre que constitue la présence des verbes de type copule, et surtout la composante verbale de la syntaxe du postpositif). 2.2.2.2. Livre III : le verbe (personnes, modes, diathèses) L' étude du domaine du nom étant ainsi conduite et menée à bien dans les deux premiers li vres, le livre III, à bien des égards le cœur de la Syntaxe, peut traiter, "d ' un point de vue général, de la construction verbale" 6 I , qui en fait est nécessairement verbo-nominale6z. Cette étude est précédée ( § § 1 -53) de l ' exposé sur les causes de l 'incongruence, qu' on pourrait encore appeler ' théorie du solécisme' . En droit, cette réflexion théorique (sur laquelle j ' aurai à revenir ci après) aurait pu trouver pl ace plus tôt, le solécisme n ' étant pas limité à la syntaxe verbale. Sa place à cet endroit - rhétoriquement facilitée par l ' examen, formant transition avec le livre Il, des emplois multipersonnels du pronom
60. On ne saurait tirer aucun argument décisif de la pré s en ce de la form ule hexes rheréon, traduite 'le moment est venu de parler. . . ' . Attestée 10 fois dans la S., cette formule de transition peut introduire aussi bien des développements hiérarchiquement m ineurs et limités à quelques § § (1. § 94, § 1 3 1 ; Il, § 1 1 7 ; III, § 78 ; IV, § 56 [ voir la n . 1 36 ad loc . ] . § 64) que des sections hiérarchiquement majeures et éventuellement de grande ampleur (1, § 1 42 ; III, § 54, § 1 23). 6 1 . Peri res karholikes sunuixeiis tôn rhëmtiton . § 54 . Sur l ' i nterprétation de l ' adjectif ko.rholike dans cette formule. cf. ma note 1 2 1 ad loc. 62. Cf. Lange ( 1 852:34) : "(Par suntaxis tôn rhëmatiin ' construction des verbes' (§ 30 ; 296.3 )). A. n' entend pas la pure syntaxe du verbe, mais bien plutôt la présentation des constructions appartenant au dom ai ne des relations syntaxiques réciproques entre nom er verbe - vues maintenant sous un angle où le terme principal n' est plus le nom. auquel l ' autre se rattache (antigerm). ma is le verbe".
INTRODUCilON
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appositif autos ( § § 2-5)63 - solennise en quelque sorte symboliquement64 l ' étape essentielle de la démarche apollonienne que constitue l ' entrée dans l ' étude du verbe comme centre organisateur de relations diathétiques entre ses entours nominaux (ou pronominaux) , les 'p e rsonnes ' . Tel est en effet l ' angle d ' approche principal de la syntaxe verbale au livre III, tout entière centrée s ur deux seulement des huit accidents du verbe, le mode, exprimant la 'diathèse de l ' âme' , et la diathèse - deux accidents étroitement solidaires de la notion complexe, à la fois morphologique, énonciative et actancielle, de ' personne' ; a contrario, le peu d ' attention accordé par A. à l' accident du temps et aux faits syntaxiques q ui s' y rattachent me paraît bien corroborer le point que je soutiens ici, tant il est vrai que le temps verbal n ' entretient aucune relation intrinsèque avec la personne au sens large6s . La section finale du livre III, sur la construction des verbes avec les cas obliques, prolonge directement - et expressément : cf. § 1 5 8 - l ' étude des diathèses : elle n' est rien d ' autre q u ' une présentation raisonnée de la variation syntaxico-sémantique à laquelle donne lieu la relation transitive de base.
2.2.2.3. Le livre IV : construction des parties de phrase non fléchies Au début du livre IV (§ 1 ) , A. s ' exprime comme si l ' étude des constructions verbales était achevée, ce qui ne laisse pas d 'être paradoxal dans la mesure où la construction des adverbes n'a pas été abordée - on se souvient en effet que, dans le texte programmatique des A dve rbes ( 1 2 1 ,4) cité plus haut ( 2 . 2 . 1 . ) , la construction adverbale des adverbes était annoncée comme un objet d ' étude parallèle à la construction adnominale des articles. Le même texte mentionnait dans le même souffle la construction des prépositions, expressément caractérisée comme mixte, pour partie nominale et pour partie verbale. 2 .2.2.3. 1 . La partie transmise du livre IV : construction des prépositions Dans les faits, c ' est à cette syntaxe mixte des prép ositions qu' est consacrée la partie du livre IV qui nous est parvenue. La mixité en question se présente sous deux aspects . Le premier aspect, de type paradigmatique, tient à l ' aptitude qu ' ont les prépositions de former une construction aussi bien avec les verbes ( § § 32-49) q u ' avec les noms (§§ 1 2-3 1 ), ainsi du reste qu' avec toutes les autres parties de phrase , y compris la préposition elle-même ( § § 52-7 8 ; sur la construction préposition + conjonction, cf. la n. 169 du 1. IV). Le deuxième aspect, de type sy ntagmatique, est celui que laissait attendre le texte des 63. Cette brève mention d ' un problème de syntaxe pronominale au début du livre est évidemment responsable du titre, par ailleurs peu heureux. donné à ce livre dans le ms A "De la construction des pronoms et des autres parties de phrase". 64. Cette 'justification· pourra à bon droit paraître faible. Je préfère en faire J ' aveu plutôt que de me rallier sur ce point à l 'explication peu convaincante de Lange ( 1 852:27s.), selon qui : 1 ) placé au début du livre !, J ' exposé en question aurait trop allongé J ' introduction ; 2) le concept de congruence n ' était pas indispensable pour l ' étude du domaine nominal au même degré que pour celui de la construction verbo-nominale. Il est certes vrai q u ' aux §§ 1 3-34 et 4 8 - 5 3 . A. donne surtout des exemples de con structions verbales, mais : 1 ) puisque de toute façon il s' agit d' une prétérition, rien ne J 'empêchait de le faire plus tôt ; 2) en droit, la théorie de la congruence vaut pour l' ensemble des constructions, et il n ' y a aucune raison de tenir pour mineures ses applications au domaine nominal telles q u ' A . a les a déjà rencontrées dans les livres 1 ou II (voir le serment 'par les deux déesse s ' . 1. § 84 et III. § 28 : la question du composé pluriel heautoûs et de heruiélwtoi Il, § § 1 50- 1 60 et I II, § 3-7. 1 1 - 1 2 : quant au changement de genre ou de nombre dans 1 ' anaphore, étudié Ill, § 1 O. il n'a rien à voir avec la syntaxe verbale). 65 . Pour une meilleure appréciation du rôle que (ici indépendamment de Lange) je fais jouer à la ' personne' dans la logique impl icite du 1. I l l . on pourra se reporter, notamment. à mes notes 1 22 et 1 39.
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DE LA
CONSTRUCTION
Adverbes ; il s ' agit du phénomène morpho-syntaxique de l ' anastrophe ( § § 4- 1 1 ) , qui caractérise e n exclusivité les prépositions (disyllabiques) e t leur permet, grâce à une remontée de l ' accent de la finale sur l ' initiale, de signaler qu' elles se construisent 'à gauche' avec le nom qui les précède, et non, comme il serait plus naturel pour une pré-position, 'à droite' avec le verbe qui les suit ( § § 9- 1 0) . O n voit que, même s i la polarité verbe-nom n' est pas l ' unique perspective qui gouverne le livre IV, puisque la perspective paradi gmatique donne lieu à examen de toutes les parties de phrase66, elle n ' en tient pas moins une grande place dans la description de la syntaxe prépositionnelle. Cette constatation nous ramène à la question soulevée plus haut : pourquoi avoir abordé un domaine de syntaxe typiquement mixte sans avoir auparavant traité, dans le cadre de la syntaxe verbale, de la construction des adverbes ? Lange ( 1 852 : 37s.), invoque deux raisons pour expliquer cette singularité : 1 ) "d ' après l ' ordre (canonique des parties de phrase) , la préposition devait suivre le pronom qu'A. avait abandonné au début du livre III'' ; 2) il y a un enchaînement naturel entre syntaxe des cas obliques [fin du 1 . II I ] et syntaxe prépositionnelle [1. IV] . Cette seconde raison, à laquelle on aimerait donner une sorte de prépondérance dans la mesure où elle met en jeu une logique véritablement syntaxique, ne me paraît pas recevable : rien , ni dans l ' introduction-transition du 1 . IV ( § 1 ) , ni dans la problématique des constructions prépositionnelles qui domine l ' étude, ne donne à penser qu' A. ait une vision u nitaire de la complémentation verbale, selon laquelle on devrait trouver logique (passend) que l ' étude des prépositions "suive immédiatement celle de la rection casuelle" (sich an die Rection der Casus unmittelbar anschliesst). Et s ' il faut voir un argument dans la remarque selon laquelle l ' étude des prépositions, comme sumparalamban6mena du verbe, trouverait naturellement sa place après celle des cas (qui sont eux des paralamban6mena , cf. p. 36), cet argument tombe de lui-même si, comme je le crois (cf. I, n. 1 08), l ' oppo s i t i o n q u e Lange c o n struit e n tre p a ra l a m b a n e s t h a i et sumparalambanesthai est fictive. Du coup tombe aussi à plat la remarque, de toute façon médiocrement convaincante, selon l àq uelle, si A. avait traité des adverbes avant d' aborder les prépositions, "le verbe serait demeuré , comme dans la deuxième moitié du livre III, le (terme) principal auquel se rattache (le terme étudié) (das principale, pros ho anagetai). Or le début du livre IV montre qu'A. abandonne en fait ce point de vue . . . " On ne peut que rester rêveur devant cet argument de fait : la questi on n ' est-elle pas : pourquoi A. abandonne-t-il l' étude de la détermination immédiate du verbe ? Un premier élément de réponse à cette question est à chercher, selon moi. dans le projet du livre III. S ' il est vrai, comme je l ' ai suggéré, que la syntaxe verbale qui y est envisagée est une syntaxe des ' personnes' en rapport avec la diathesis du verbe, on n ' a pas lieu de s ' étonner que l ' adverbe, conçu comme 'adjectif du verbe' (l, § 27 ; cf. II, § 1 64 ) et nullement comme actant, ne soit pas pris en compte dans la démarche du livre Ill. Cela étant, le deuxième élément de réponse auquel chacun peut penser est le suivant : quand on a déjà traité du nom et de ses satellites (article, pro nom), qu ' on a mené à terme (aneplërosamen, 434, 1 ) l ' étude des constructions verbo-nominales, on a fait le tour de la syntaxe
66. Sans remettre en cause cette réserve. l ' étrange remarque du § 66 sur le mimétisme auquel est soumis l ' adverbe par rapport au verbe i ndique i ndirectement que cette polarité tend à 'diffuser' du noyau central du système vers ses parties secondaires.
INTRODUCTION
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des parties de phrase fléchies67, il reste donc à s' occuper des non fléchies - dans J ' ordre canonique : préposition, adverbe, conjonction. Le retour à la liste pour s' acquitter de ce qui reste, mentionné sans états d' âme par Portus68, constitue+ il un argument ' avouable' ? Face à cette question, la position de Lange ne me semble pas nette : d ' une part, nous avons vu plus haut qu' il ne dédaigne pas (37) de tirer argument de l ' ordre de la liste pour justifier qu' après le pronom, dont J ' étude se termine au début du livre Ill , la préposition soit abordée au livre IV mais d' autre part il commente comme suit (38, n. 70) la phrase de Portus (citée note 68) :
C ' est certes vrai extérieurement, mais on prête ai nsi à Apollonius un point de vue qui l ui est complètement indifférent. J' avoue être moins sûr que Lange de ce qui était indifférent à A., et je ne verrais pour ma pan rien de surprenant à ce qu'un grammairien qui a argumenté avec tant de conviction en faveur de l ' ordre canonique des parties de phrase au début de son traité (1, §§ 1 2-36) fasse fond, implicitement sinon mécaniquement, sur sa liste quand il doit choisir un nouveau thème à aborder. Encore ne faudrait-il pas accentuer exagérément l' aspect mécanique et irraisonné de la chose : si, prenant la liste par la fin, on tient compte 1 ) du caractère proprement marginal de la conjonction (cf. I, § 1 4 ; 1 7 ,5) - dont on admettra facilement q u ' il doive se traduire par un traitement à pan de sa construction -, 2) de la variété et de la singularité constructionnelles qui caractérisent les prépositions (associations avec toutes les parties de phrase, alternative composition 1 j uxtaposition , anastrophe) opposées à la relative uniformité de la syntaxe adverbiale, on ne trouvera, une fois de plus, rien d' incongru à ce que le syntacticien qui a fait le tour des parties de phrase fléchies "passe aux constructions des prépositions"69. Quoi qu ' il en soit des justifications, seulement conjecturales, de la thématique du livre IV, nous constatons, dans la partie qui nous en est parvenue, qu'A., après une brève introduction ( § § 1 -3 ) et l ' exposé sur l ' anastrophe dont j ' ai déjà parlé (§ § 4- 1 1 ) , traite méthodiquement, à propos des prépositions, d' un unique problème : quand - c' est-à-dire avec quelles parties de phrase, et éventuellement sous quelles conditions - leur construction avec le mot auquel elles sont préposées est-elle une composition, quand une juxtaposition. J ' ai déjà 67. C'est le lieu de noter (avec Lange 1 852: 1 5ss.) que le participe , hybride de nom et de verbe, ne fait pas l ' objet d · une étude séparée. Ses constructions nominales. notamment avec l ' article, sont étudiées en bonne place au livre 1 ( § § 1 1 0- 1 1 4 ; 1 36- 1 37 ) ; ses constructions verbales sont exécutées par une simple allusion au livre III ( § 1 90 ; voir aussi 1, § 1 4 1 ) ; son comportement, mixte, avec les prépositions est exposé au l i v re IV ( § § 5 05 2 ; cf. aus si § 1 3) . I l resson enfin de A. 1 22,33 que la construction des adverbes avec les participes était étudiée dans la Syntaxe ( parti e perdue du 1 . IV) : cette étude mettait en évidence que cene construction était la même qu' avec les verbes (cf. A. 1 2 1 ,2 : "l' adverbe (ne peut donner une phrase complète) sans verbe ou sans participe, ce dernier possédant potentiellement ce qui fait l ' identité du verbe (dunamei idloma ékhei to toû rhëmatos) - je ne veux pas dire par là que les participes expriment une pensée complète, mais que les adverbes se rapportent aux participes") . 6 8 . Dans l ' éd. de Syl burg ( 1 590:378) : I n superioribus libris docuit Apollonius de constructione partium orationis, quae inclinantur : consequens erat, ut de iis. quae non inclinantur, jam praecepta daret". Cf. Egger ( 1 854:20) : "le quatrième livre de la Syntaxe . . . devait comprendre la syntaxe des trois espèces de particules indéclinables". 69. En l ' absence d ' u n paradigme suffisamment fourni de formules de transition, il serait imprudent de spéculer sur l ' emploi de la forme métimen n ou s allons passer' dont nous avons ici l u n i q ue emploi chez A. Tout ce q u ' on peut (peut-être) en dire est q u ' elle a une all u re parfaitement banale et q u ' à ce titre elle conviendrait bien à quelq u ' un qui voudrait dire simplement q u i l va 'passer à la suite ' . "
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D E LA CONSTRUCTION
signalé (ci-dessus 1 .2.4.2.7 .) ce qu' une telle problémati q ue devait à la vocation ph ilologique , voire éditoriale, de la grammaire ; je reviendrai plus loin (2.4. 1 . ) sur ce qu' ell e nous ens eign e de la c o nc e p tion apollonienn e de la syntaxe . Auparavant, je dois encore dire quelques mots de la partie perdue du livre IV70. 2.2.2.3.2. La partie perdue du livre IV Divers renvois internes à 1' œuvre d ' A . donnent à penser que la Syntaxe abordait diverses questions sur lesquelles rien ne nous est parvenu. Plusieurs d' entre elles ont quelque chance d' avoir eu leur place7t dans le livre IV. C' est le cas pour : ( 1 ) la construc ti on du complément d' agent avec la préposition h up6 , annoncée 'dans l a suite' (en toîs hexts eirisetai) e n 405 , 1 2 ; (2) les règles préc ises de l ' anastro phe , promise s 'en leur heu' (katà tà déon ekthës6metha) en 442,7 ; (3) la démon stration , annoncée 'dans la suite' (en toîs hexts dedeixetai, 452,4), que les obliques de type peri-b6lou ont leur origi ne dans l a flexion d ' un composé ; (4) l' exposé, encore promis dans 'la s u ite ' (en toîs hexés eroûmen , 453 , 1 6), des diverses formules d ' association entre une préposition, un oblique et un verbe ; (5) last but not least, la co n stru ction des adverbes avec les verbes et les constructions, générales et particulières, des conjonctions, ann on cé e s 'dans la Syntaxe' (dedeixetai en toîs peri suntaxeôs) en A . 1 2 1 ,4ss . (texte cité supra 2.2. 1 .). À cette indication programmatique empruntée aux Adve rbes, il y a l ieu d ' associer, prises dans la Syntaxe même, 1 ) l ' annonce, en 285,4, d ' un examen à venir ' en son h eu ' (katà tà déon eiresetai) des questions de syntaxe adverbiale déj à abordés en A. 1 23 - 1 2572 ; 2) celle, en 1 7 1 , 1 0 et 1 9, d ' u n exposé qui sera fait ' en bonne place' (en tti epiballousëi taxei ekthës6metha), sur la construction des conjonctions de type dé ; 3) celle, en 2 8 8 ,3, des règle s présidant à la construction de la ' conjonction ' an avec les temps verbaux "qui feront l ' objet d' une démonstration plus complète dans la Syntaxe des conj onctions" (en têi sundesmikti suntaxei). 70. Je souligne en passant que, contrairement à une idée répand ue - cf. Egger ( 1 854:220) : "la syntaxe des adverbes, qui commence au chapitre X [de l ' éd . B ekker, soit Je § 56 Uhlig] . . . " ; Householder : titre courant du 1. IV "PREPOSITIONS ; ADVERBS" et, après le § 55 . "End of the Section on Prepositions" -, la ' syntaxe des adverbes ' . au sens que cette expression peut évoquer aux oreilles d ' un moderne, n 'est pas traitée dans la partie conservée du livre IV : je renvoie, pour la démonstration de ce point à Lange ( 40ss.) e t à ma note 1 36 ad III , § 56. 7 1 . Sous réserve. évidemment, que les renvois internes soient fU:! bles : rien ne nous garantit a priori que, quand A. nous annonce qu ' il parlera de telle question 'dans la suite ' , ou 'en son lieu ' , ou peut-être même quand il nous dit q u ' il en a déjà parlé ailleurs, il ait forcément toujours existé un texte où ladite question était traitée . . . S ' agissant de la fin 'perdue ' du 1. IV. il n ' est nullement exclu qu ' elle n ' ait j amais existé que dans la tête d ' A . : Buttmann, qui traite ce point avec beaucoup de circonspection, fait remarquer (XIIJ. n. 4) que le livre IV tel que nous l ' avons "die Syntax mit einem vollen Satz abschliesst, ohne dass Spuren eines unvollstandig gebl iebenen Textes. wie in den beiden Büchern de Coniunctionibus und de Pronominibus, vorhanden sind". Le lecteur gardera donc en tête que toutes les considérations qui suivent sur l a partie perdue du 1. IV font référence à un objet dont l ' existence effective à un moment donné du passé reste du domaine du possible - on pourra dire du probable si l ' on est plus optimiste, mais on ne saurait sans imprudence être plu s caté gorique que c ela. 72. Noter encore 285 , 1 1 , où la décision déclarée d ' écarter ' momentanément' (arti) l ' étude des conjonctions semble impliquer que cette étude viendra plus tard.
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INTRODUCTION
Que faire de tout cela ? Si l ' on admet que la Syntaxe est le dernier en date des ouvrages du corpus apollonien et qu il ne comportait pas plus de quatre livres, si d' autre part on croit qu ' A . tenait toujours ses promesses, on aura tendance à loger dans la partie perdue du livre IV tout ce qui vient d ' être énuméré C ' est, à des nuances près , l ' opinion la plus largement partagée, catégoriquement formulée par Egger ( l 854 : 20s.), admise par O. S c hn eider ( 1 845 :456), réargumentée par Lange ( 1 852:42) et adoptée à sa suite par R. S chneider (Comm. ad A. 1 2 1 , 1 1 ) . Uhlig est manifestement réservé sur le suj et : s ' il lui arri ve de renvoyer sans ambages 'à la partie perdue du livre IV' (ad 4 53 , 1 6), il assortit parfois ce renvoi d ' un prudent peut - être' (ad 405 , 1 2) ou d' une réserve expresse sur la fiabilité d une promesse (ad 285,5 : "si du moins il a tenu promesse") ; il suggère aussi à l ' occasion une autre localisation possible (ad 442,7 : traité Des prépositions13) ou recoun à une formule neutre (e.g. ad 452,4 : "l ' exposé de cette question est perdu"). Je me contente de soulever ces questions en passant, sans rien affirmer , cenes, sur ce qui ne peut que rester conjectural , mais au moins pour problématiser l ' idée reçue que le livre IV de la Syntaxe aurait traité, en quelque sone 'naturellement ' , des prépositions , des adverbes et des conjonctions14 . Je ne vois en revanche aucune raison de douter qu' i l ait traité des adverbes : cette partie de la syntaxe verbale, qui, nous l' avons vu, ne s intégrait pas au programme du livre III, devait néanmoins être étudiée. Il est donc plausible qu' une fois achevée l ' étude des prépositions7s , A. ait 'passé' à celle des adverbes. La question qui se pose ici est de savoir si les dernières pages (20 1 - 2 1 0 Schneider) données comme appartenant au traité Des adverbes dans le ms A doivent être tenues pour une partie égarée de cette étude. L ' idée q u ' il puisse en être ainsi est venue indépendamment à O. Schneider ( 1 845) et à Egger ( 1 852: 1 9ss.), et la démonstration qu' en a faite le premier a paru si convaincante '
.
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'
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7 3 . Le renvoi est formulé au futur : Uhlig admettait-il que le traité Des prépositions pût être postérieur à la Syntaxe ? 74. Je note encore l ' absence de référence à 1 7 1 , 1 0 dans l ' apparat ad 497, 1 1 , où Uhlig récapitule ce qui devait figurer dans la partie manquante du 1. IV . En revanche, il mentionne là 288.3 : il considère donc qu'il y avait dans le 1. IV une section sur la ' syntaxe des conjonctions' où étaient étudiées les combinaisons de tin avec les temps verbaux mais il s' agit là en vérité d ' un fonctionnement nettement adverbial de la 'conjonction tin' . S i l ' on hésitait à inclure l e traitement des conjonctions dans l a partie perdue d u livre IV, il serait tentant, plutôt que d' inventer gratuitement un cinquième l ivre de la Syntaxe dont il n ' est fait aucune mention dans la tradition, d' imaginer que la référence prospective de 1 7 1 , 1 0 et 1 9 fait signe tout simplement vers le traité Des conjonctions - qui devrait alors être postérieur à la Syntaxe. En soi, la chose n ' aurait rien d ' incongru : traitant par définition de syntaxe de la phrase complexe (cf. ce qui nous est effectivement parvenu des Conjonctions d ' A.), un traité des conjonctions n ' aurait-il pas sa place naturelle après une syntaxe consacrée aux sept autres panies de phrase ? Il semble cependant q u ' il faille renoncer à ce genre de rêve théorique : dans la Syntaxe, deux références explicites à deux passages nettement identifiables des Conjonctions (respectivement à 247,22ss. et 235,5 et 26) sont énoncées au passé : parestësamen ' nous avons montré' (379, 1 ) , ëkribosamen ' nous avons précisé' (457 ,9) ; cf. aussi le passé epedeixamen 'nous avons montré' ( 1 1 7 ,9). 7 5 . Lange ( 1 852 :42) souligne avec raison que nous ne sommes pas en état de préciser quelle pouvait être l ' étendue de la panie manquante de cette étude. Il ne dit pas si, selon lui, les 'promesses ' ( ! ), (3) et (4) recensées ci-dessus y étaient tenues, mais nous avons vu qu'il l ' affirme pour la deuxième : "jedenfalls . . . folgte die Erêinerung der prothéseis anastreph6mena i " .
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DE LA CONSTRUCTION
qu' elle a emporté d ' emblée l ' adhésion des meilleurs spécialistes76 et a acquis ainsi le statut d ' une certitude sur laquelle on ne revient pas. La démonstration d'O. Schneider, que je résumerai ici en quelques mots seulement, se déroule en deux temps . Dans un premier temps (446-455), l ' auteur met en évidence que les pages en question ne peuvent pas appartenir aux Adverbes : la raison décisive en est le nombre très élevé de répétitions des mêmes propos avant et après la césure de la p. 201 . S ans exemple par ailleurs à l ' intérieur d ' une même monographie d ' A . , ce type de reprise fait au contraire penser aux nombreux échos qu ' on peut observer, par exemple, entre le Pronom et le livre II de la Syntaxe . D' autre part, le déplacement du texte est comme signé par la récurrence en deux endroits (202,33 et 207,24) d ' un renvoi à un exposé donné ailleurs77, dans le traité . . . Des adverbes. Dans le deuxième temps (455-459) sont présentés les arguments qui permettent d ' établir que le site originel du texte déplacé était bien le livre IV de la Syntaxe. Ils sont de deux ordres. Il y a d ' abord ceux que je nommerai des arguments ' en creux' ; nous les connaissons déj à : ce sont les textes d ' A. indiquant, plus ou moins directement, que la Syntaxe, plausiblement au livre IV, faisait place à un exposé sur les adverbes. Viennent ensuite les arguments positifs, tirés du texte réputé déplacé lui-même ; ils se résument en un mot : dans ce texte, les adverbes de lieu sont exami nés dans Je cadre d ' une problématique typique de la Syntaxe (cf. notamment III, § § 1 3 , 1 7 , 27 7 8 ) - la problématique de la congruence (katallël6tës, cf. notamment *A. , § 1 7 )79.
I. e. , parle à so n propos d'un "luxe de preuves, qui ne laisse rien à désirer" ; Lange ( 1 852:42) : "le futur éditeur d' Apollonius devra in tégrer à la Synraxe comme une de ses parti es la panie finale des Adverbes, car la démonstration de Schneider qui en fait une panie du livre IV ne laisse selon moi place à aucun doute" . R. Sc hn e i der ( Comm. 209) : "0. S c h nei d er a démontré avec les arguments les plus solides que ce que nous lisons A . 20 1 , 1 -2 1 0,5 doit être attri bué au l i vre de la Syntaxe qui traitait de la c o n s truc ti o n des adverbe s " . Egenolff ( 1 87 8 : 844) : "dans la sectio n a ssi gnée avec raison par O . Schneider au livre IV de la Syntaxe". Uhlig (apparat ad S. 497 , 1 1 ) : "Le reste de ce qu ' A po ll o nius avait e xpo s é dans le livre IV de la Syntaxe est perdu, à l ' exception de l ' exposé sur les adverbes de lieu : en effet, O. Schneider a démontré que la fin du trai té Des adverbes, p. 20 1 -2 1 0, était une p arti e du livre IV de la Synraxe". H o u s eh o l der ( 1 98 1 : 2 5 3 ) donne comme un fait que "quelques pages du livre IV ont été transcrites dans le ms des Adverbes", e t il en donne la traduction en annexe sous le titre de 'Book IV a ' . Enfin B l ank ( 1 99 3 :7 1 1 ) affirme à son tour, en renvoyant à O. Schneider ( 1 84 5 ) , que "ce que la tradition p l ac e à la fin des Adverbes appartient en réal i té (aerually belongs ) au l ivre IV de la Syntaxe" . Si la vérité scientifique se mesure au consensus des savants , on devra considérer, après bie ntô t un siècle et demi de consensus, que 1' appartenance des dix dernières pages des Adverbes au livre IV de la Syntaxe est, en matière de philologie apollonienne, une des vérités les plus vraies qui soient.
76. Egger,
77. Le mot 'ailleurs ' ne figure pa s , mais la forme du renvoi "nous avons dit dans le traité Des adverbes" exclut q u ' i l puisse s ' agir d'un renvoi interne à une œuvre . La p eni nen ce de la référenc e est par ailleurs irréprochable : on n'a aucune pei ne à trouver, dans la partie authentique du traité, les passages auxquels il est fait allusion. 78. Blank ( 1 982:28) observe qu'en fac e de 6 exemples en tout de kattillëlos (lui-même ou mot de s a famille) dans les Scripta minora [ s oi t 290 pages dans l ' édition Bekker] - dont deux dans le texte qui nous occupe -, la Syntaxe [ 340 pages B ekker] en présente 1 0 1 à elle seule. 79. Les conditions matérielles d u dépla cem e nt supposé ne semblent pas faciles à établir. O . Schneider (454) a ri s q u é q ue l q u es suppositions à ce suj et ; Egger, I. e., en a proposé d ' au tre s , mais en précisant q u ' i l gardait 'des doutes assez grav e s ' sur ses hypo th èse s co di c olog i q u es . B uttmann, q ui pense que le passage, n ' ap par t ient ni aux Adverbes ni à la Syntaxe. m a i s sans doute "à l ' un des nombreux autres écrits d ' A .". avoue ( l 8 7 7 : XIV) que son dép l acement constitue à ses yeux
' une énigme · .
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INTRODUCTION
Incontestablement, l a démarche de S chneider est rigoureuse e t ses arguments bien choisis, et ce n ' est évidemment pas par hasard si sa thèse a connu le succès que j ' ai dit. Elle n ' a pourtant pas convaincu tout à fait tout le monde . Si la critique de Frohne ( 1 844), médiocrement argumentée, ne mérite pas q u ' on s ' y arrête (cf. Lange 1 852:2s.), les doutes exprimés par B uttmann ( 1 877 : IX-XV ) et, de nos jours, par Bécares Botas ( 1 987:58s.) - qui soulignent, entre autres choses, q ue le traitement syntaxique des adverbes de lieu dans la partie en cause n ' est pas ce q u ' on pourrait attendreso, et que par ailleurs nous avons une connaissance trop partielle de l ' œuvre d'A. pour pouvoir conclure avec certitude à la localisation précise d' une partie égarée - doivent au moins nous amener à prendre quelque recul par rapport à la doxa qui s ' est imposée, et à ne tenir les conclusions de Schneider que pour ce q u ' elles sont : des probabilités, probabilités fortes sans doute, mais probabilités tout de même. En tout cas, j ' ai trouvé le texte en question - tout entier occupé par une réflexion sur les trois ' relations locative s ' (inessive, allati ve, élative) et sur leur expression adverbiale - assez intéressant pour le traduire, moi aussi, en annexe au livre IVS I . Avec les considérations qui précèdent s ' achève l e deuxième temps de ma démarche de présentation de la Syntaxe . Je voudrais, dans un troisième temps, tenter de préciser en quoi consiste le projet épistémologique du grammairien qui aborde l ' étude des 'constructions' (suntaxeis), et faire entrevoir comment ce projet est mis en œuvre dans notre texte. 2.3. Théorie et discours syntaxiques 2.3. 1 . Le programme
Deux textes principaux nous présentent le projet d'A. : les ' Prolégomènes' du livre I (§§ 1 -36) et, au début du livre III, la section théorique consacrée aux 'causes de l ' incongruence' (§§ 1 -53). C' est à ces deux textes que je m' adresserai tour à tour, en complétant au besoin les indications qu' ils nous fournissent par l ' appel à d ' autres déclarations de principe dispersées dans la Syntaxe. Pour éviter d ' i nutiles redites, je me contenterai aussi souvent que possible de formulations concises, renvoyant à mes Notes le lecteur désireux de plus de détails. 2.3 . 1 . 1 . L ' étude des assemblages ; la complétude Dès les premiers mots de son ouvrage (l, § 1 ) A. caractérise la spécificité de son projet par opposition à ses travaux antérieurs : alors que ceux-ci consistaient à étudier, individuellement, des ' formes ' (phrma () , le nouvel ouvrage "portera sur la construction qui assemble ces formes pour aboutir à la congruence de la phrase complète". Tout est dit en ces quelques mots : ,
80. Malgré la pertinence des remarques de Schneider sur la problématique de la congruence, il faut avouer que les dix pa�;es sur les adverbes de lieu paraissent un peu diffuses pour un chapitre de syntaxe qu'on pourrait imaginer plus dense et synthétique. Même s ' i l est vrai aussi que tout n ' est pas idéalement dense et synthétique dans la Syntaxe, je trouve que B ultmann - qui compare ( XIIIs. ) le mode d ' exposition 'discursif' , 'dialectique ' , 'presque rhétorique' et volontiers polémique de ce traité à la manière 'plus sèche ' , faisant plus de place aux recensements lexicaux qu ' à des raisonnements déductifs tant soit peu passionnés, des monographies conservées - touche assez: juste quand il remarque que la fin de l ' Adverbe rappelle plutôt cette dernière manière que celle de la Symaxe. 8 1 . Pour faciliter les références et les homogénéiser avec celles que j ' utilise pour la S. , j " ai divisé le texte en paragraphes . Bien entendu. j ' indique aussi, dans le texte et dans la traduction . les pages er les lignes de l ' édition de R. SchneJder.
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DE LA CONSTRUCTION
la construction qui assemble' est la traduction analytique que je donne ici du mot grec suntaxis, mot usuel de la langue, qui, appliqué à des objets divers (entre autres à des soldats, mais aussi aux livres d' une bibliothèque), dénote un rassemblement (sun-) ordonné (-taxis) ; appliqué aux 'formes' linguistiques, on peut s ' attendre à ce que les produits d' une telle activité d' assemblage soient ce que la linguistique moderne appelle des ' syntagmes ' 82, d' étendue plus ou moins grande ; la construction est ordonnée à 'la congruence de la phrase complète' ( eis katallëlotëta toû autoteloûs logou ) Cette précision détermine quantitativement et q ualitativement le champ de l ' étude syntaxique. La phrase complète (autoteles logos) , héritière du lekton autotelés des Stoïciens, représente, dans 1' ensemble des assemblages de formes, la limite supérieure au-delà de laquelle le grammairien, en tant que tekhnikos, ne s ' aventure pas83. Congruence (katallëlotës) et complétude (autotéleia) sont, elles, des notions qualitatives . La première, sur laquelle j ' aurai à revenir ci-après (2. 3 . 1 .2.), fait référence à la convenance mutuelle des éléments de signifié associés dans une construction : c ' est ce qu ' indique clairement la formule de la fin du § 2, hë katallëlotës tôn noëtôn 'la congruence des contenus de pensée' . Cette notion, comme nous le verrons, a tendanciellement un caractère normatif : l ' étude syntaxique, en mettant au j our les ressorts de la congruence et en recensant les assemblages congruents qu' elle déclare 'acceptables ' (euparadektoi, euéphiktoi), circonscrit a contra rio la classe complémentaire des assemblages incongruents (akauillëloi) , q u ' elle réprouve comme ' in acceptabl es ' (ap a r d d e k t o i, anéphiktoi)R4. La complétude est une notion sémantique en bonne partie intuitive, qui en tout cas n' est pas définie chez A. Les Scholies à la Technè, commentant la définition de la phrase ( lo g os) comme ' exprimant une pensée complète' (didnoian autotelê dëloûsa), glosent le mot par teleian 'parfaite, achevée' (57,9 ; 355 ,24), ce qui en soi ne nous apprend pas grand chose. Il est cependant possible de 'faire parler' un peu cette glose : en la rapprochant du même adjectif, appliqué dans la Technè à une ponctuation, téleia stigm i 'point final ' . •
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82. Le mot grec suntagma, qui. confonnément à sa morphologie suffixale, désigne l e produit concret de l ' activité de suntaxis, est bien attesté dans divers champs sémantiques : il peut désigner, notamm e nt, une 'fonnation' militaire, l ' ensemble ordonné d ' articles q u ' est une ' constitution' . le tout organique qu' est un ouvrage rédigé, un traité 'composé' ( ainsi chez A. lui-même, P. 65 . 1 7 ; S. 78,4) - mais les grammairiens grecs ne l ' ont pas utilisé (sauf très récemment par réemprunt dans le cadre de l ' internationalisation du métalangage linguistique) pour désigner un ' syntagme' au sens de 'groupe de mots construit' (chez A., dans un seul exemple, A. 1 22 , 1 7 , tout à fait isolé et sans postérité, le mot se présente avec le sens, non de ' syntagme' , mais de ' ( mot en tant que) constituant d' une construction ' ) . Dans l ' usage standard d e la grammaire ancienne, c ' est l e mot suntaxis lu i - même qui, pouvant désigner un ensemble construit concret, se charge de la valeur qui aurait théoriquement pu être celle de suntagma ; on en trouve, chez A., des exemples par centaines. 83. Autrement dit, le logos comme 'texte ' , assemblage de longueur potentiellement illimitée (cf. Arist., Poét. 1 457 a 29, où 1'/liade est citée comme exemple de logos) , s ' il relève de la compétence du grammatikos-philologue (et sans doute aussi, en tout cas pour une classe de textes de prose, de celle du rhéteur). échappe à celle du tekh nikos. Il n ' y a pas de ' grammaire de texte ' . 8 4 . Ce partage, bien illustré p ar la comparaison explicite que fait A. entre s o n entreprise et celle des traités d ' o rth ographe (!, § 8), apparente la Syntaxe à la tradition nonnative des traités peri hellenismoû ' sur la langue grecque correcte, sur la correction linguistique' ; sur cette tradition. cf. S ieben born ( 1 976).
INTRODUCTION
43
Ce rapprochement serait lui-même décevant s ' il ne permettait de définir la complétude que par un critère graphique : un assemblage complet (autoteles ) est celui après lequel on met un point final (téleia). Pareil critère soulève en effet la question : mais quand met-on un point final ? Or, il se trouve qu ' à cette question un scholiaste de la Technè répond d ' une manière qui n ' est pas strictement circulaire : selon Stéphanos, on met un point final pour marquer une pause qui pourrait se prolonger indéfiniment ("une heure, deux heures, trois heures", nous dit-il, 1 7 8 , 1 8 ) . Il se pourrait donc que l ' assemblage complet soit celui dont 1' intonation finale, typiquement terminative, signale que son énonciateur le donne pour sémantiquement auto-suffisant (auto-teles). Ce n' est évidemment pas n ' importe quel énoncé qui peut être donné pour tel : typiquement, une question sans sa réponse ne le peut pas (à la différence de l 'ensemble question réponse, considéré comme un tout : cf. III, §§ 2 1 4 et 2 1 5 ) ; cette situation rappelle celle que cite Diogène Laërce (VII 63) pour illustrer les notions stoïciennes opposées de lekton complet (autotelés) vs incomplet, déficient (ellipés) : Sont incomplets ( les lektci) dont l ' énonciation (ekphorcin) est non achevée (anapcirtisron), comme grciphei 'écrit' - nous posons en effet la que s tion : qui ? Sont complets ceux dont l ' énonciation est achevée (apërtisménën), comme Sokrcitës grciphei 'Socrate écrit' .
Tout porte à penser, comme B lank ( 1 98 3 a) l ' a montré de manière très convaincante, que nous sommes ici à la source , non seulement du couple complet 1 incomplet appliqué aux contenus énoncés (lektti), mais aussi, indissolublement lié à lui dans la perspective stoïcienne, de son corrélat dans J ' ordre signifiant - vocal et graphique -, Je couple intonation ou ponctuation finale 1 non finaleB5. Si maintenant, pour ne pas rester trop longtemps dans le virtuel, nous cherchons quels sont, chez A., les énoncés à propos desquels est évoquée la question de la complétude, nous trouvons ceci : . m. § 8 : Aucun cas direct ne donne une (phrase) complète bien formée (sunistatai eis a u totéleian) sans un verbe, et un verbe qui ne réclame pas en plus un cas oblique : hoûtos peripateî [celui-ci marche] est complet (autoteiés) , mais non hoûtos blciptei [celui-ci nuit] , car il manque (leipei) celui à qui (on nuit).
La complétude apparaît nettement ici comme l' aboutissement d ' un processus de construction qui, partant d ' un cas direct, lui donne le complément nécessaire d ' un verbe, puis éventuellement donne à c e verbe, lorsqu' il est transitif, le complément nécessaire d ' un oblique. La nécessité dont je parle me paraît 8 5 . Telefa s tig më vs huposrigme selon Blank ( 1 983a:59). qui restitue, à l ' arrière-plan du système (confus) des trois ponctuations de la Technè (chap. 4) et du système ( sophistiqué) des huit ponctuations de Nicanor, un "two-fold system of punctuation" d ' origine stoïcienne. - Le terme ekp h o ra dans le texte de Diogène (c' est-à-dire dans le résumé de Dioclès de Magnésie) me paraît aller dans Je sens de 1 ' interprétation de Blank ; ce mot, qui signifie littéralement 'émission' , est fréquemment attesté, tant dans les fragments stoïciens q ue chez Apollonius. avec une nette connotation phonique. L ' ekpho ra est normalement une émission vocale envisagée dans sa matérialité de signifiant : son caractère achevé 1 non achevé doit se manifester dans des phénomènes d · in tonation et de ponctuation. Quant au participe apërtisménë, du verbe apartize in 'donner forme pleine, achevée' , qui qualifie ici l ' ekphorci, il est notable q u ' au chap. 4 de la Technè, il s ' applique à la pensée (dianoia). désignant en elle la qualité que la ponctuation a vocation à refléter : point final quand la pensée est ' complète ' . poi nt inférieur (hupostigme) quand elle n ' est 'pas encore complète ' .
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DE LA
CONSTRUcnON
reposer sur ce que j ' appellerai une 'déontologie de l ' information' . J' entends par là q u ' un locuteur qui énonce un cas direct, e.g. hoûtos ' celui-c i ' , s ' engage implicitement - mais réellement - à satisfaire la curiosité minimale légitime de son allocutaire qui va lui demander "eh bien, qu 'est-ce qu 'il fait ' celui-ci' ?" ; pareillement, si la réponse est blaptei 'il nuit' , c ' est à nouveau une curiosité minimale légitime qui s ' exprimera dans une nouvelle question à laquelle il faudra répondre "bon, mais à qui ' nuit celui-ci ' ?". J' insiste sur la notion de ' curiosité minimale légitime' que j ' introduis ici : ( l ) elle est légitime parce que des formes de langue telles qu ' un terme au nominatif ou un verbe transitif sont, dans le cadre d ' un usage communicationnel du langages6, porteuses d ' une ' liaison' (au sens chimique du terme) qui demande à être saturée : les questions prêtées ci-dessus à l' allocutaire ne font rien d' autre qu' expliciter cette demande inhérente aux formes qu'il entend ; (2) elle est minimale parce que bien d' autres questions sont possibles, portant sur des circonstances diverses ("quand, où, pourquoi, etc. ' celui-ci a-t-il nui à celui-là' ?") , mais que ces questions ne sont pas - ou en tout cas pas au même degré - appelées par le nominatif ou le verbe transitif. La distinction entre la s aturatio n minimale nécessaire et d ' autres formes, facultati v e s , de complémentation apparaît bien en III, § 1 55 , où un complément de lieu auprès d ' un verbe intransitif ' il vit dans le gymnase' est nettement distingué, du point de vue de la complétude, du complément d' objet d ' un transitif 'Tryphon nuit à X' : c ' est à ce dernier énoncé seulement, quand il est privé du terme à X, qu ' A . réserve le qualificatif d ' 'à moitié complet ' (hëmitelés, 402,9)87. n est vraisemblable, en dernier ressort, que la complétude de l ' énoncé verbo-nominal telle que nous venons de la dessiner renvoie, par-delà le discours, à une perception des états de choses extralinguistiques décrits par ce type d ' énoncé : un scénario minimal réduit à une action (prâxis, prâgma) avec son ou ses actants (prosopa). Si la réduction d ' une phrase par élimination de ses constituants facultatifs rencontre sa limite imprescriptible dans le noyau nom verbe (1, § 1 4) , c ' est sans doute, en dernière analyse, parce que le donné extralinguistique qu' une phrase a vocation à communiquer ne saurait se réduire à plus simple q u ' à une action (ou un état de chose) rapportée à son (ses) actant(s). o lll, § 1 1 9 : Il ne m ' échappe pas que la complétude (autotéleia) est un indice du vocatif (tekmerion klëtikës) ; prenons Hëlikon [Hélicon] tout seul : s ' il y a e l l i p se d ' un verbe, c ' est
un
cas direct, s ' il n ' en est rien, c ' est un vocatif.
Je renvoie à la n. 282 ad loc. pour l' exégèse de ce texte et l' origine stoïcienne de la théorie du vocatif autoteles . Je ne suis pas sûr que ce type de complétude ne soit pas un peu marginal par rapport à celui de la phrase verbo-nominale : le parallèle établi entre les constructions Nominatif + Verbe à l ' indicatif et V ocatif + Verbe à l ' impératif (e. g. III, § 1 1 8 ) ne suggère-t-il pas que 86. Cette précision vise à éliminer l 'usage des mots comme simple mention (phtisis, Ar. de int. 1 6 b 27) ou comme appellation (kl h is, An. Pr. 48 b 4 1 ), types d ' emploi q u i neutralisent toute dynamique syntaxique des formes. 87. Il ne serait pas incongru, pour justifier ce terme, de dire. en termes tesniériens, que, dans l 'énoncé Try•p hon nuit, le verbe nuit n ' a qu une valence sur deux de saturée. Nul doute qu'A., qui pour nous est l ' i nventeur et le seul utilisateur du sens grammatical d' hëmitelés (cf. la n. 369 ad loc. ), ait personnellement réfléchi, dans la lignée des Stoïciens. sur la complétude et sur ses degrés : voir à ce sujet, au 1 . Ill, les fines observations du § 1 5 6 et '
J ' analyse un peu laborieuse du §
1 88.
INTRODUCT10N
45
l ' autosuffisance du terme au vocatif n' est pas aussi totale que celle d ' une phrase verbo-nominale bien bouclée ? Quoi qu ' il en soit, prenons A. au mot, et donnons-lui acte du fait que, pour lui comme pour les logiciens du Portique, interpeller quelqu ' un en prononçant son nom au vocatif, c ' est accomplir un acte de langage complet en lui-même : à la différence du nominatif, le vocatif n ' est pas porteur de liaison syntaxique avec autre chose. Telle nous apparaît donc la ' phrase complète ' : dans l ' ordre des assemblages linguistiques successifs déjà évoqués dans le Cratyle (424 e-425 a, texte c ité supra 1 .2.4 .2.) et repris par A., S. I, § 2 - élément-lettre , syllabe, mot/contenu de pensée, phrase -, elle constitue pour le grammairien (en tant que tekhnikOs) l' assemblage de niveau supérieur ; en tant que premier assemblage dans l ' ordre ascendant qui présente, phono- graphiq uement (intonati on 1 ponctuation) et sémantiquement, un caractère de complétude, d' auto-suffisance, elle est l ' objet par excellence du syntacticienss . À cet objet s' applique encore, nous l ' avons vu, la notion de 'congruence' : de quoi s' agit-il au juste ? 2 .3 . 1 .2. La congruence (katallël6tës) Pas plus que la complétude, la congruence ne reçoit de définition chez A . S ans doute en bonne partie parce que l' adjectif kauillëlos, vraisemblablement déjà d ' un usage courant dans la littérature grammaticale préapollonienne (B lank 1 982:55-57), avait en plus une formation assez limpide : il se prêtait bien, étymologiquement, à désigner la convenance (kat- ) mutuelle (-allëlos) entre les éléments constitutifs d ' un ensemble. Or c' est justement de cela qu ' il s ' agit avec la congruence syntaxique . Mais il faut préciser de quelle nature est l a convenance e n question . Disons-le d' emblée, il ne s ' agit pas simplement d ' un ' accord ' au sens purement morpho-syntaxique du terme : récurrence de certaines m arques catégorielles (genre, nombre, cas, etc.) à l ' intérieur de groupes de mots soumis à un type déterminé de construction. Comme nous l ' avons vu plus haut, la congruence qui caractérise la phrase est, à la base, celle des ' c o ntenus de pensée ' (noëta). Une phrase bien construite (katà suntaxin) est fondamen talement un agencement cohérent de noëta, c' est-à-dire d' éléments de signifié lexicaux et catégorielss9. Cette cohérence impose par exemple, comme l ' avait déjà noté Platon (Soph. 262 a-d), que les constituants de la phrase soient pris dans différentes catégories dont le mélange est nécessaire à la bonne formation du tout - intuition originaire et fondamentale dont on retrouve l ' écho dans des 88. Objet par excellence en tant que construction douée de complétude. 1 ' assemblage de mots q u ' est la phrase complète est aussi un assemblage de groupes de mots non auto-suffisants, les ' constituants immédiats ' de Bloomfield. Ce niveau des assemblages de niveau sub phrastique n · est pas explicitement décrit. ni théorisé, par le grammairien ancien - ce qui ne l ' empêche pas , pratiquemem. de fractionner son étude de la phrase complète en s ' attardant sur la construction de tels groupes : la description donnée ci-dessus du plan de la Syntaxe d ' A . a bien montré que les deux premiers livres de cet ouvrage sont pour l ' essentiel consacrés à J ' étude du 'groupe nominal ' . 8 9 . C e point a bien été m i s e n évidence par Blank ( 1 982: 30ss. ) . Sluiter, commentant l a formule d e B lank (23) selon laquelle "Apollonius Dyscolus put semantic considerations at the very heart of his syntactical theory", s' exprime sur Je sujet de manière particulièrement heureuse ( 1 990:4 1 s . ) : "In fact, to Apollonius mi nd. this so-called ' syntacti cal ' theory would probably not differ i n any fundamental sense from a semantic theory, syntax being nothing more than the exterior representation of combined meanings. Although in practic e t h e result is a combination of words. i . e . combinations on t h e l eve! of expression. the explanation for these combinations is always sought on the leve! of meaning. syntax being a function of semantics. no more" . Tout le chap . II du livre de Sluiter (p. 39- 1 42 ) constitue une illustration très convaincante de ce propos.
46
DE LA
CONSTRUCTION
déclarations d ' A. comme S. 1, § 1 07 "deux verbes ne peuvent, à moins d ' être coordonnés, entrer dans la même construction" (cf. III, § 5 6 et n . 1 26), ou comme 1, § 152 : "depuis quand deux cas directs peuvent-ils former une phrase congruente ?". On reconnaît là, formulés négativement, les deux grands principes de structure phrastique auxquels je viens de faire allusion dans mon analyse de la notion de complétude : Je noyau minimal de la phrase comporte un nom et un verbe (cf. 1, § 14), la p hrase transitive exige un cas oblique en face du cas direct (cf. III, §§ l 59ss .). Mais les règles de congruence ne se limitent pas à cela : la section introductive du livre III en éclaire d' autres aspects. L' assemblage des contenus de pensée implique aussi qu' à l ' intérieur d ' une construction, les marques catégorielles renvoyant à un même référent soient cohérentes entre e1les, la bonne formation linguistique reflétant ainsi la consistance naturelle de la réalité extralinguistique. La congruence prend ici, dans le signifiant, la forme de l' accord, les marques d ' un même accident (tel nombre , te11e personne, tel genre ou tel cas, pour les marques flexionne11es) recevant la même distribution que les signifiés correspondants ( § § 1 4- 1 6) : accord en nombre, genre et cas entre les constituants du groupe nominal qui décrit un actant unique caractérisé notionnel!ement par la possession de propriétés catégorielles déterminées dans l ' ordre du nombre (singulier 1 duel 1 pluriel), du genre (masculin 1 féminin 1 neutre) et du cas (direct 1 tel ou tel oblique) ; accord en personne et nombre entre cas direct et verbe associé (coréférence de la marque verbale de personne-nombre avec le terme sujet, cf. Il, § 46) - ex. g raphousin (pl ur., 3e pers . ) hoi (pl ur. , masc . , nominatif) anthrôpoi (pl ur. , [masc. ] , nominatif, [3e pers.]90) 'les hommes écrivent' . Inversement, l ' absence de coréférentialité fixe la limite de la congruence accord. Ainsi, il y a indifférence à l' accord, par exemple en personne et nombre dans la phrase transitive, entre le bloc sujet-verbe et les constituants du terme objet (absence de coréférentialité entre terme sujet et terme objet). Dans toutous9 1 (plur., masc ., ace.) g u n ê (sing., fém., nominatif, [3e pers . ] ) hubrise (sing., 3e pers . ) ' une femme a insulté ceux-ci' (§ 1 6), le pronom toutous, désignant l ' autre 'personne ' , celle que la femme insulte, présente des marques catégorielles complètement indépendantes de celles du groupe sujet-verbe ; il échappe à la congruence-accord. Mais on prendra garde q u ' il n ' échappe pas pour autant à la congruence tout court : marqué comme accusatif, il entre dans Je schéma de transitivité signalé plus haut CAS DIRECT - VERBE - CAS OBLIQUE, et relève à ce titre d ' une autre forme de congruence92. Cet exemple nous conduit à poser la question d' une éventuelle tro is ième forme de congruence : les signifiés catégoriels 'pluriel' et ' masculin ' exprimés par la forme toutous relèvent-ils eux aussi d ' une forme de congruence ? Si oui, il 90. Les marques accordées sont en gras . Les accidents placés entre crochets appellent un mot
d ' expl icatio n . Les crochets signalent que ces accidents n ' ont pas de marq ue morphologique dans la forme considérée : anrhrôpoi n'est masculin q u ' en raison de son accord avec l ' article hoi ; il est de la 3• personne en tant que nom, parce que tous les noms sont de la 3• personne par fondation (cf. II, § 43). 9 1 . Les PETITES CAPITALES signalent les marques non accordées, au sens syntagmatique du terme. 92. La notion de 'congruence' couvre donc indistinctement les phénomènes qui relèvent de ce que la grammaire ultérieure appellera ' syntaxe de concordance' et ' syntaxe de régime ' (cf. la Grammaire générale et raisonnée d' Arnauld et Lancelot, chap. 24 ) . L' absence de terminologie différenciée pour décrire les deux ordres de phénomènes (déplorée entre autres par Egger 1 854:237. cf infra 2.5 . 1 . ) ne signifie nullement, comme on le voit, qu'A. n · ait pas. dans ce domaine. une vue claire du fonctionnement de la langue. .
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INTRODUCTION
ne peut s ' agir ici que d' une adéquation référentielle entre lesdits signifiés et certaines déterminations de l ' objet désigné (plusieurs personnes, de sexe masculin ou, au moins93, désignables par un nom masculin). La syntaxe est-elle comptable de cette congruence-là ? Cette question, évidemment cruciale pour la délimitation du champ syntaxique, avait dû être débattue contradictoirement par les grammairiens. L'exemple classique, cité par Sextus (Adv. gramm. § 2 1 0) et étudié par A. aux §§ 8- 1 0 du livre III, était celui de la faute de genre dans un déictique : dire, par exemple, 'celui-ci (hoûtos, masc .) m'a frappé' quand on a été frappé par une femme. À en croire Sextus, les uns y voyaient un barbarisme (faute de morphologie, hoûtos étant employé par erreur à la place du fém . hautë), d ' autres u n solécisme (selon une interprétation qui ne pouvait être que celle de l ' incongruence référentielle, la phrase ' celui-ci m ' a frappé' étant formellement irréprochable). La réponse d'A. est ici catégorique : 1' i nadéquation référentielle est extérieure à la syntaxe, qui ne connaît de congruence qu inte rn e à la phrase94• '
2 .3 . 1 .3 . Limites de la congruence morphologique : la ' coïncidence' (suném ptosis) La ' congruence des contenus de pensée' , en particulier des ' signifiés conjoints ' associés aux mots, qui définit la correction syntaxique, tend à se matérialiser, nous l ' avons vu, par la présence des marques morphologiques, en général flexionnelles, qui sont les signifiants distinctifs de tels signifiés. Dans une langue à morphologie flexionnelle riche comme le grec, cette s ituation est tellement typique qu' elle est donnée comme la norme par rapport à laquelle divers écarts sont recensés. Ces écarts sont de deux types : 1 ) les mots non fléchis sont indifférents à la congruence manifestée, dans d ' autres mots , par des marques flexionnelles (III, § § 1 7- 1 8) - mais ils restent soumis, le cas échéant, à la congruence sémantique entre leur propre signifié catégoriel (e.g. 'modalité impérative' exprimée par l ' adverbe age) et le signifié conjoint de la même catégorie attaché à une forme fléchie entrant dans la même construction (dans l ' exemple choisi, 'modalité impérative' du verbe) ( § § 1 9-2 1 ) ; 2) les mots fléchis à flexion défective (e. g. un nom de genre commun comme the6s, qui signifie à la fois 'dieu' et 'déesse' ) sont en quelque sorte 'dispensés ' de congruence morphologique pour les signifiés que leur flexion ne distingue pas (en l ' espèce, accord congruent de the6s, malgré sa forme de type masculin, avec un adjectif marqué comme féminin). Il s ' agit ici du large 93. Sur cene variante, cf. III, § 10 avec les nn. 29 et 30. 94. Je laisse aux spécialistes de la pensée stoïcienne le soin de nous dire si la position nette q u ' adopte ici A. le situe en continuité ou au contraire en rupture avec la 'linguistique' du Portique. - Pour ce qui est d'A. lui-même, il me semble qu'il se trouve parfois un peu à l ' étroit dans des principes aussi stricts : ainsi, quand, au 1. III, § 1 0, il prétend étendre au pronom anaphorique la latitude syntaxique reconnue 'lU déictique, il se trouve conduit à défendre une conception paradoxale de l ' anaphore (qu'il renie ailleurs : 1 46,5 ). D ' un autre côté, 1 ' interprétation par 1 'hyperbate de deux vers de l ' Odyssée en I, § I l montre bien qu'il accorde implicitement une pertinence à la réalité extralinguistique (en l ' occurrence à l ' ordre de succession des actions) pour la détermination de la normalité linguistique (cf. la n. 43 ad loc. ). - Quintilien, qui évoque le problème du solécisme limité à un seul mot en cas de discordance entre le dit et le geste (cum aliud uoce aliud nut u uel manu demonstratur, 1 V 36 - 38 ) , lui donne une solution mitigée qui correspond assez bien à la position 'assouplie ' d'A. : considérant que la déixis est J ' équivalent d ' un mot ( a l iquid quod uim alterius uocis obtineat), Quintilien ne voit pas d'objection à appeler solécisme le conflit entre mot prononcé et mot impliqué dans la déixis ; il se résume en disant que, selon lui, un solécisme peut résider "parfois dans un seul mot, jamais dans un mot seul" (aliquando in uno uerbo, nunquam in solo uerbo).
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D E L A CONSTRUCTION
phénomène de la 'coïncidence ' (sunémp tosis) - autrement dit du défaut de
différenciation formelle qui affecte soit systématiquement des parad igmes entiers (absence de marque de personne dans le participe, de distinction entre présent et imparfait dans le participe et l ' infinitif, etc . ), soit des formes isolées, et q u i lève, pour les formes en question, telle contrainte d ' accord sans que la congruence séman tiq ue en soit affectée (§§ 27-49). L ' existence, dans la morphologie du gre c , de telles limitations à l ' expression matérielle de la congruence conduit A. à établir le principe général sui vant (§ 22) : l ' emploi d ' une forme ne peut donner lieu à verdict d' incongruence que s ' il existe une forme mieux adaptée à cet emploi qui puisse lui être substituée . C ' est, exactement décrit dans un langage que le structuralisme ne désavouerait pas, le phénomène de neutralisation des valeurs en cas d' absence d' opposition formelle. Ainsi armé du concept de congruence et du pri ncipe de neutrali sation qui en limite la manifestation morphologique, le grammairien est-il suffisamment équipé pour étudier la syntaxe des énoncés ? Oui et non. 2.3 . 1 .4. Ordre et désordre : les clivages du logos En bon gramm airien alexandrin, A. conçoit son objet, le logos 'langage · ou p hrase ' , comme par essence ordonné et pénétré de rationalité. Faisant fond sur ce postulat à ses yeux imprescriptible, il s' attache à mettre en évidence à tous les niveaux de la langue la présence d ' un ordre (taxis), d ' une régularité (analogia, akolouthfa). La morphologie en particulier, donnant à observer, dans la flexion nominale et verbale, des séries de formes variant sur le même modèle (les paradigmes), confirme largement ces vues. Dans le domaine de la syntaxe, le principe de régularité prend la forme de la congruence des constructions telle que nous venons de l' esquisser (cf. I, § 60). Mais postuler la rationalité du logos ne dispense pas le grammairien, nous le savons, de faire face à un objet empirique, constitué en partie par son propre usage et celui de ses contemporains (sunhheia, khrêsis, tribe, b ios) , en partie par le corpus des textes de la tradition littéraire grecque (hë parddosis ton Hell e non ) Or, si cet objet, en tant qu ' il résulte de la mise en œuvre d ' un système linguistique relativement homogène, offre bien l ' image d ' un ensemble sous-tendu par des régularités remarquables, en tant, au contraire , qu ' il reflète une large diversité diachronique (presque un millénaire de tradition littéraire à l ' épo que d'A.) et géographique (dialectes), diversité elle-même soumise aux aléas de la transmission manuscrite (variantes, fautes, hypercorrections, etc. ) - à quoi il faut ajouter l ' instabilité inhérente à l ' usage courant, avec ses variétés d ' usages sociaux, de niveaux de langue, ses approximations, ses 'fautes ' , son mélange inextricable de conservations et d ' innovations, etc . - dans cette mesure, donc, l ' objet du grammairien alexandrin se présente aussi c o m m e émaillé d e bigarru res e t d' irré gularités (anomalia ) . Face à cette situation, deux attitudes s ' opposent95 . L ' une e s t celle d e l ' empirisme scepti que, dont l e s thèses sont exprimées avec une clarté e t une '
.
95 . L ' opposition en question n'est pas propre au domaine de la grammaire . On a souvent souligné que la divergence. qui va être décrite. entre rationalisme et empirisme. était aussi celle qui. mutatis mutandis. opposait les deux grandes tendances rivales de la méde cine grecque (cf. Galien. Sect. lntr. , fr. 18 Deich griiber; M ette 1 95 2 :45s s . ; M . Frede, lntroduc�ion à Galen. Three Treatises on the Nature of Science. I ndianapolis : Hackett. 1 98 5 ) . A cet égard, il n ' es t sûrement pas indifférent que J ' adversaire déclaré des grammairiens analogistes q u ' est Sextus Empiricus soit l u i - même un médec i n .
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INTRODUCTION
vigueur particulières par Sextus Empiricus dans son réquisitoire Contre les grammairiens. J e n extrais deux citations : Le critère du COITeCt et de l ' incorrect (toû te eû Jegoménou kai me kriterion ) sera non le raisonnement technique du grammairien (tekhnik6s tis kai grammatikos lo gos) , mais, hors technique, l ' observation sans prétention de l us ag e (h ë atekhnos kai apheles tes sunëtheias paraterësis). (§ 1 53 ) '
'
[Pour savoir c e q u i e s t d u bon grec] point n ' est besoin d e recourir à l ' analogie (ou khreia tes analogias), ce qu' il faut, c'est observer (paratëreseos) comment parle le grand nombre, ce qu'il admet comme du grec et ce qu'il rej e tte comme non grec. (§ 1 89) Sextus, de quelques décennies postérieur à A., connaissait-il son œuvre ? Je ne sais (il ne J e mentionne j amais nommément ), mais il connaissait bien, incontestablement, l a grammaire alexandri ne dans une version de type apollonien : à preuve qu' il suffit de prendre Je contre-pied radical de ce qu' écrit S extus pour retrouver les grands traits de la doctrine d ' A . Lisons simplement, pour nous en convaincre, quelques phrase de la Syntaxe (!, § 60) :
Certains penseront pouvoir re spec ter la construction [correcte) même sans prendre en compte la théorie (lagon). Ces gens-là se trouveront dans la même situation que ceux qui ne tiennent leur connaissance de la forme des mots que de l' usage routinier (ek tribes) , sans le renfort de la tradition [garan te ] de la grécité (paradosin ton Hellenon) e t de la régularité morphologique (analogias) à laquelle ces formes sont soumises. Il se passe alors ceci : s ' ils commettent une erreur sur une forme, l' incompétence q ui est la leur les rend incapables de la corriger (me dunasthai diorthoûn zo hamd rtëma) En fait, de même q u ' il est extrêmement utile de connaître la tradition de la grécité (tés katà ton hellënismàn pa rad6seos ) qui fournit la norme de correction tant de la lecture des poèmes que de l ' usage courant de la langue (katorthoûsa mèn zen ton poiëmaton andgnosin ten te anà kheîra homilian) et permet de discerner la valeur des mots chez les anciens, de même la présente recherche sur la congruence permettra de corriger les fautes de toute espèce affectant la phrase (hë prokeiménë zétësis tes .
,
katallë/6tëtos tà hoposdepote diapes6nta en 16goi katorth0sei)96.
Si le médecin-philosophe empiriste et le grammairien analogiste s ' accordent sur 1 ' opportunité de prendre un point de vue normatif sur la langue en distinguant entre correct et incorrect, grec et non grec, pour le reste tout les sépare. Alors que le premier ne reconnaît comme critère que J ' observation (pa ratùësis) de l ' usage du grand nombre, Je second, sans récuser le recours à l ' usage courant (cf. I, § 64 et n. 1 69) - entendons par là celui des locuteurs de la Koinè contemporaine, comme le dit bien J ' expression d ' A. hë anà kheîra homilia 'la conversation ordi naire ' 97 - en relativise considérablement J ' autorité . Dans la mesure où cet usage recèle des fautes qui ne se dénoncent pas d ' elles-mêmes à la simple observation, il y a lieu de le contrôler à partir d'un autre point de vue. Ce point de vue sera fourni en partie par un autre usage, celui de la tradition de la grécité. Il s ' agit en principe ici d ' un usage épuré, du 'bon usage ' des auteurs à qui on s ' accorde pour reconnaître une autorité en matière de 96. On comparera ce texte avec un autre. d ' orientation et de contenu très voisins. en Il, § 49. 97. Cf. la même expression, mais avec une détermi nation supplémentaire q u i accentue l ' aspect ' l angue de tout le monde ' . chez Sextus. Contre les gramm. § 64 : hai anà kheîra ton idiôton kai anepistëmônôn homiliai ' les conversations ordinaires des gens simples et non savants ' ; Sextus oppose cet usage à l ' usage littéraire. 'ce qui se dit chez les poètes et les prosateurs ' . dont Denys le Thrace fait l ' objet de la grammaire.
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DE LA CONSTRUCfJON
langue grecque . Cette nouvelle référence cependant, pour précieuse qu' elle soit, recèle elle-même des failles - de deux ordres. Il y a d' abord le fait q ue les textes, qui sont les témoins par excellence de la tradition, comportent des fautes - q u ' i l faut savoir corriger - et, d ' un manuscrit à l ' autre , des variantes graphiques - entre lesquelles il faut savoir choisir - : c' est sans doute à ce travail philologique de diorthosis qu'A. fait allusion quand il mentionne d ' un mot la 'lecture98 des poèmes ' et signale qu' elle a besoin d ' une norme qui la régule. L' autre faille, particulièrement sensible dans la langue poétique, tient à la place qu'y occupe, à tous les niveaux de la langue, le phénomène de la variation ; il ne s ' agit plus ici de variantes à éliminer, mais bien de formes peu ou prou équivalentes à enregistrer dans leur diversité, tout en maîtrisant cette diversité dans la description qu ' on en donne - autrement dit en rendant raison de la variation. C ' est ici qu' i ntervient de manière décisive , chez le grammairien, tout l ' appareil théorique et technique que récuse Sextus. À tout ce q ue ce dernier déclare inutile (ou khreia) - la mise en œuvre d ' un raisonnement relevant d ' un art grammatical (tekhnikos tis kai grammatikàs logos ; cf. atekhnos 'étrangère à l ' art ' pour qualifier l ' observation de l ' usage, réputée seule utile) et prenant la forme de l ' analogie (analogia) -, A. attribue une importance cruciale : logos ' théorie, raisonnement ' , analogia 'régularité (mise en évidence par le raisonnement sur les faits observés)' dans le domaine morphologique, zhësis tês katallëlotëtos 'recherche sur la congruence ' , forme que prend, dans le domaine des constructions, 1' établissement de 1' analogia. Le rôle de ces instruments et de ces démarches ' techniques ' est fondamentalement de permettre un filtrage qualitatif des données . L' opération de filtrage aboutit à une répartition des formes (morphologie) ou des constructions (syntaxe) en trois couches : une couche fondamentale, couche de référence dans la mesure où le logos y règne sans partage : c ' est le domaine des paradigmes réguliers et des constructions congruentes les premiers se présentant comme des séries paradigmatiques (suzugiai) soumises à une régularité sans faille (akolouthia), les secondes étant caractérisées par un enchaînement naturel (phusike akolouthia) de signifiés (paruphistamena) cohérents entre eux ( ' congruence ' ) . On a affaire là à la partie saine (hugies) par excellence de la l angue, où tout est exactement ce q u ' il doit être (déo n ) - les formes des mots et les constructions des syntagmes étant pleines (plerës) et entières (holoklëros), sans rien en moins, en trop ou en désordre (anelleipes), bref parfaites (ente/es) ; une couche de déchets , celle des formes et tours fautifs (hamartëmata), entachés de vices (kakia) d ' expression inacceptables (aparadektos, anéphikros) ; ce sont des formes ou des tours déficients (endees) sous quelque rapport, en tant qu' ils ne satisfont pas à la raison linguistique (alogos) . Éc arts en principe isolés, sortes de faux-pas (diapes6nta) ou de négligences (oligorëména) des locuteurs ou des scripteurs, elles ne peuvent attendre le salut que d ' un 'redressement' par correction (diorthàsis, katorthàsis) ; entre les couches extrêmes du parfaitement régulier et de l ' inacceptable trouve place , capitale pour le système, la couche des formes - morphologiques ou syntaxiques - altérées (peponth6ta) . Ce sont, au regard de 1' analogie •
-
•
•
98. Le mot andgnosis qu'emploie A. peut évoquer à la fois la 'prononciation impeccable' dont parle la Technè (définition de la lecture, chap. 2 ) et le travail préalable du grammairien qui a choisi entre plusieurs 'leçons' (andgnosis. anâg/IOsma ) ou corrigé des ' leçons fautives· (apanâgnosma).
INTRODUcnON
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morphologique ou de la congruence syntaxique, des formes déviantes, que rien ne distingue matériellement des fautes. mais qui sont soustraites à la réprobation sans appel qui pèse sur ces dernières . À défaut de différence matérielle entre les unes et les autres, on peut dire que les formes altérées - dans l ' ordre syntaxique, on les appelle 'figures' ( skh hnata ) - doivent le privilège dont elles jouissent (si on me permet la métaphore) à leur 'statut social ' . Donnons ici la parole à A. (S. III , § 34) :
[Quand nous sommes en présence d' emplois d ' un cas pour un autre] nous pouvons ou bien les accepter (paradekh6metha ) en y voyant des figures (katà ton skhëmâtôn logan) - lorsque de tels emplois apparaissent dans l ' usage courant d ' un dialecte (ethim6teron dialéktou) - ou bien les tenir pour inacceptables (aparadéktous) en y voyant des incongruences (katà ton toû akatallelou logan) . L' emploi d ' un cas là o ù la congruence e n appelle u n autre est une faute, e t peut être traité comme tel . Cependant, si cette substitution est reconnue, non comme un lapsus accidentel ou une négligence isolée, mais comme relevant d ' un usage ( étho s éthimon , sunhheia), notamment dia lectal, alors la déviance devient vari ation, la faute devient figure. Nous touchons ici, avec la mention de la variation dialectale, à ce que Wackemagel ( 1 876) a montré être la source même de la ' p athologie' linguistique . Je dois en dire ici quelques mots car la pathologie est une pièce essentielle du dispositif théorique de la grammaire alexandrine. ,
2.3 . 1 .5 . Analogie et pathologie Aucune langue naturelle, même saisie dans une synchronie très resserrée, n ' est parfaitement homogène - c ' est une banalité de le rappeler. Aussi, dans toute communauté l i nguistique , les sujets parlants engagés dans l a communication sont-ils habitués à composer avec toute espèce d e variation (phonétique, morphologique, lexicale, syntaxique). Les Grecs de l ' antiquité n ' ont pas échappé à cette règle universelle. Mais il y a plus. Il me semble que, dans le cas de la communauté hellénique, dès le seuil de l' histoire, la conscience de la variation, sous les espèces de la diversité dialectale, a été et est toujours restée particulièrement vive. Ce n' est pas le lieu de nous attarder sur ce fait, au demeurant bien connu, qu' un Grec de l ' Athènes classique sait que son parler particulier - 1' attique - appartient au rameau dialectal ionien, distinct des rameaux éolien et dorien ; il sait aussi que, dans les différentes cités de l ' Hellade et dans leurs colonies, on parle, sous des fom1es plus ou moins diversifiées, l ' un ou l ' autre des trois grands dialectes ; en règle générale, il comprend le parler des autres hellénophones (il n ' y avait pas d ' interprètes dans les négociations entre cités grecques) et, s ' il sait lire, il constate que certains textes, épigraphiques et littéraires, font place à la diversité dialectale (inscriptions bi-dialectales, coloration dorienne de la lyrique chorale et des parties lyriques de la tragédie, existence d' une poésie éolienne, etc. - pour ne pas parler de la bigarrure complexe de la langue homérique). Un Grec du 5• siècle qui voyage tant soit peu, pour commercer ou pour guerroyer, ou qui, restant dans sa cité, va au théâtre ou assiste aux récitals des aèdes est donc comme immergé dans le polydialectalisme, et par là conscient d ' un certain nombre de correspondances, de règles d ' équivalence, en tre des formes de référence, qui sont évidemment celles de son idiome, et les formes ressemblantes, mais un peu différentes, qui leur correspondent dans le parler d' une autre cité ou dans un chœur de tragédie. Ainsi un Athénien moyennement cultivé non seulement sait que ce qui se dit ' normalement' (c' est-à-dire à Athènes) hëmérli 'jour' se dit hëmérë chez les
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D E L A CONSTRUCll ON
Ioniens et haméra ou améra hors du domaine ionien-attique, mais il connaît aussi, au moins pratiquement, les règles qui rendent prévisibles, à partir de la forme attique, les formes du nom du jour dans les autres dialectes. Tel est, me semble-t-il, l ' arrière-plan historique et culturel dont la théorie de la 'pathologie' linguistique est comme le prolongement et la systématisation . L' intuition commune est que la langue grecque s ' organise autour d ' un noyau de normalité, sur lequel se greffent un certain nombre d 'anomalies réglées. C' est ce que la perception égocentrique99 de la variation dialectale donnait à constater au premier venu, et, depuis la dissertation de Wackernagel, De pathologiae veterum initiis ( 1 876), on ne doute guère que les grammairiens aient puisé dans l ' expérience dialectale l ' idée première de la pathologie. Mais pourquoi 'pathologie' ? Depuis des temps probablement imm é moriaux, les Grecs qui réfléchissaient sur les mots de leur langue, notamment pour y trouver quelque raison étymologique, s ' étaient permis de penser que, dans la durée, la forme matérielle des mots était exposée à s u b ir des accidents divers, ce qui pouvait se dire en grec, fort naturellement, à 1' aide du verbe patheîn. On sait qu' un tel point de vue est exprimé par le Socrate du Cratyle (4 14 c-d : modifiés dans leur forme au cours des temps, les noms primitifs sont ' enfouis ' ) , et que , quelques pages auparavant (393 b), le même S ocrate, évidemment déjà persuadé de l ' instabilité du signifiant, revendiquait tranquil lement pour celui qui a la science des noms une souveraine désinvolture face à la matérialité des mots :
il ne s'en laisse pas imposer si une lettre a été ajoutée, déplacée ou retranchée, ou même si c' est dans des lettres entièrement différentes que réside la valeur du nom (voir encore 399 a). Discrètement annoncée chez Platon ( Crat. 399 b) par Je parfait péponthen du verbe path eîn appliqué à un avatar du nom de l' ' homme ' t oo, la désignation désormais technique des altérations phonétiques affectant la forme des mots sans modifier leur sens apparaît chez Ari stote (Poét. I 460 b 1 2) : pathë t�s léxeos, et différentes formes en sont énumérées ( 1 457 b 3 ) : un nom peut être "allongé, écourté, modifié " t ot . L' objet de la pathologie est désormais identifié, nommé. En outre, Je contexte aristotélicien dans lequel il apparaît est loin d' être
99. Aristote a parfaitement vu et exprimé (Poét. 1 457 b 3ss.) que la notion d ' emprum (interdialectal entre autres) ne pouvait être que relative et s ubj ec ti ve : "J ' a ppelle 'courant' (kurion ) un nom qui appartient à l ' u s age de tout l e monde (hbi khrbntai hékasroi), et ' emprunt ' (gloua) c el u i qui appanient à un usage étranger (hOi héteroi), si bien qu ' un même nom peut évidemment être· à la foi s nom courant et emprunt, mais pas pour les mêmes personnes : ainsi sigunon, qui est courant pour les Chypriotes. est un emprunt pour nous". En prenant, l' espace d'un instant, le point de vue de Sirius. le philosophe esquisse
l ' image d ' une dialectologie dont le centre est partout. Mais on constate que, dans les faits. les grammairie ns grecs, comme 1 'homme de la rue pour qui son propre usage est la mesure de toutes choses, tiennent sur les dialectes, en règle gé n éral e . un discours d' orientation fondamentalement égocentrique.
l OO. Ce qui 'est arrivé' au nom de l ' homme, anthropos, c ' est que "de locution il est devenu nom", ek rhëmatos 6noma gégonen ; ce c h an g e me nt de statut s ' est accompagné de q uelques m o difi c a ti o n s phoné t i q u es , puisq u ' on est p a s sé de anathron hà 6pope à tinthropos . . . 1 0 l . On e ntrevoi t dans ces trois p artic ipe s - e t c · était déjà l e cas dans l a citation précéde n te du Cratyle - le souci de classement méthodique des altérations, qui aboutira. chez les gramm airi en s . au schéma q uad rip an it e addition -soustraction-substitutirm-transposirion . Sur l ' h i s to i re de ce schéma et les usages divers. notamment rhétoriques. auxquels il s ' e st prêté. voir Des bordes ( 1 983. avec le renvoi à Barwick 1 95 7 ) et A x ( ! 986b ).
INTRODUCI10N
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insignifiant : il n e s ' agit pas de dialectologie, mais d e poétique. Aristote présente les altérations des noms comme des latitudes, des licences que "nous accordons aux poètes" (dldomen gàr taûta toîs poiëtaîs). Le domaine d ' application de la pathologie, si, comme l ' a pensé Wackemagel, il faut le chercher au départ du côté de la variation dialectale, a maintenant reçu une extension notable : les poètes &ont censés avoir la liberté de manipuler les signifiants, de leur faire subir des altératio n s . On imagine facilement quel instrument la théorie p athologique ainsi comprise va pouvoir devenir aux mains des philologues et des techniciens de la gramm aire. Pour les grammairiens alexandrins, l ' existence d' une pathologie du langage est donc une donnée acquise to2 , et, au 2• siècle de notre ère, l ' appel aux ' altérations' phonétiques (pathë) a d éj à produit une masse cons idérable d ' explications rendant compte d' une foule de formes, 'irrationnelles ' à des titres divers . Comme on le voit au début de la Syntaxe (I, §§ 3-7 et 1 0- 1 1), A. fait fond en toute assurance et bonne conscience sur ce stock d' explications reçues. Ailleurs, nous le voyons procéder lui-même à l ' examen détaillé de formes réputées altérées : voir par ex. ll, § 74 (deî et khri), IV, § § 56-57 (eish6), §§ 74-
77 (aphno, exaiphnës). S ur de tels exemples nous pouvons nous faire une idée des règles auxquelles est soumise l ' explication par la pathologie . On constate ainsi - c ' est particulièrement net sur l ' exemple de aphnô 1 exaiphnës - que l ' appel aux altérations , loin de consister en manipulations arbitraires et ad hoc, tend au maximum à s ' appuyer sur des régularités. En d ' autres termes, la pathologie telle que la manie A . revient à régulariser J ' irrégularité en montrant, autant qu' il est possible, comment les altérations observées dans une forme 1 ) ne sont pas isolées, mais peuvent être illustrées de manière analogique sur des mots autres que ceux dont on est en train de traiter (e.g. khri vient de khrisi
phë de phës{) ; 2) tendent à former système entre elles (ce que prouve le couplage des mêmes altérations dans des mots différents, e.g. la disparition de I ' s fi nal et la modification de 1' accentuation à la fois dans aphno et dans ergatës, IV, § 77) ; 3 ) peuvent, dans certains cas au moins, donner naissance à des formes altérées qui échangent leur régularité première contre une autre régularité en s ' agrégeant à un nouveau paradigme (ai nsi tiphnô, qui a quitté le paradigme des adverbes en -os accentués sur la finale, entre dans celui des adverbes en -ô à finale atone, IV, § 76). comme
Quel rapport, doit-on maintenant se demander, la théorie pathologique entretient-elle avec la syntaxe ? Pour A . , un rapport d ' analogie rigoureuse : c ' est ce q u ' a pour but de prouver, au début du li vre 1 de la S . , le p arallèle systématique entre les différents niveaux d ' analyse de la langue (phonématique, syllabique, lexical , phrastique), tous
identiquement exposés aux différents types
102. S ' il est permis de tirer argument d'un silence, on suggérera que celui de Sextus, q ui ne dit pas un mot, ni sur ni contre la pathologie, dans le Contre les grammairiens, peut passer
pour une preuve particulièrement forte de l ' évidence que revêt aux yeux d ' un Grec (fût-il Sextus ! ) l ' existence d ' une pathologie de la langue. Notons en tout cas. pour nous en tenir à un seul exemple, q ue. mentionnant ( § 243) l étym ol o gie, bien dans le style 'cratylien ' . de lukhnos ' l ampe ' par luein to nukhos 'dissiper l' obscurité' , Sextus ne lui reproche nullement l ' arbitraire de la manipulation phonétique qu' elle suppose - il se contente de faire observer qu e si l ' étymologie est bien celle-là. elle ne fait que reculer le problème de l ' origine pui s qu il faudra se demander quelle est l ' étymologie de nukhos, et ainsi de suite jusq u ' à l ' i nfini. '
.
'
54
DE LA CONSTRUCTION
d ' altération : addition ( § 4), suppression ( § § 5-7), unification-dissociation ( §
10),
transposition ( § 1 1 ) . La fonction de ces prolégomènes est de fonder en droit, en prenant appui sur une pathologie phonétique tenue pour indiscutable, la légitimité d ' une théorie syntaxique analogiste dans laquelle la pathologie jouera, pour la description des constructions, un rôle régulateur identique à celui qui est le sien dans la description des formes . Selon l' heureuse formulation de Blank
( 1 982:45), seerningly disanalogous constructions should be explained as altered versions of more analogous syntax. T h e point of the procedure is to save the basic orderliness of syntax by showing that whatever appears disorderly can be derived in rationalfashion from the orderly. [les italiques sont de moi] Tel est donc le cadre théorique général dans lequel s' inscrit la réflexion syntaxique d ' A . : une recherche de la régularité à deux niveaux - celui d ' une 'logique de la langue' (logos) qui fonde des normes de congruence (tà déon toû
katallilou, 275,4) et détermine une forme de base des énoncés (tà déon tés suntdxeôs, 1 77 ,4 ; hë déousa suntaxis, 300,5 ; hë deousë akolouthia , 289,6 ; tà h exés, 1 09,8 etc . ; h o hugies logo s , 3 1 8 ,4 ; etc .), et celui de la ' pathologie' qui doit, par une théorie explicite des altérations (pathë), justifier rationnellement que des énoncés dont la forme s ' écarte de la forme de base soient néanmoins reconnus acceptables. Comme je l ' ai indiqué plus haut, la pathologie syntaxique va prendre la forme d ' une théorie des figures (skhbnata) . Transposé aux assemblages syntaxiques, le puissant modèle des altérations morphologiques par addition 1 soustraction 1 transposition 1 modification dont A. donne un aperçu au début de la S. va engendrer une série de figures homologues : - pléonasme ( aj out d ' un mot ou d ' un groupe de mots �émantiquement superflus, perissos, parélkôn : cf. I, § 4, etc l03 . ) ;
- ellipse (suppression d ' un m ot dont le signifié, néces saire à la bonne intelligence de l ' énoncé, demeure présent malgré l ' absence de signifiant : cf. I, §§ 5 , 42, etc . ) ; - hyperbate (altération de la séquence normale par déplacement d ' un mot : cf. II, § 59 , etc.) ; - hypallage ou énallage (substitution d ' une forme à une autre avec maintien du sens de la forme remplacée : cf. III , § 27, etc . ) . Armé d ' une telle panoplie, Je grammairien a peu d e chances de rencontrer un tour qui lui résiste. L ' instrument est même tellement puissant qu ' i l risque de permettre de tout justifier, y compris les fautes. Ce serait évidemment l ' échec d ' une théorie qui, comme nous l ' avons vu, prétend constituer, face à l ' instabilité et à la bigarrure de J ' usage, un étalon
(tà antiparapepëgménon, 52,9) permettant
de faire Je départ, non seulement entre formes normales et formes altérées, mais encore entre formes acceptables et fautes à corriger. Aussi bien la panoplie pathologique sera- t-elle soumise à des restrictions d' usage , l ' instrument trop puissant sera ' bridé ' . Mais d ' où viendra le principe du bridage ? Comment décidera-t-on, par exemple, qu' un cas peut légitimement, par énallage , prendre la place d ' un autre ? Et q uand considérera-t-on, au contraire, q u ' une telle s ubstitution constitue une faute ? Je ne sache pas q u ' A . réponde expressément à ces questions . Force nous est donc d ' observer sa prati que pour tenter de construire nous-mêmes la ré p onse. 1 03 . Je ne donne ici qu' une ou deux références. On trouvera les autres dans l ' Index technique
sous les rubriques appropriées.
INTRODUCflON
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La q uestion des énallages de cas se prête bien, me semble-t-il, à cette enquête. Les cas sont, en principe, des formes distinctives correspondant chacun à des positions t04 �yntaxiques déterminées et leur emploi hors de ces positions est cause d ' incongruence (cf. Ill, § 1 5 ) - ceci sous réserve, rappelons-le, que l ' opposition fonctionnelle ne soit pas neutralisée par une coïncidence formelle ( ibid. §§ 27-49). Il faut alors se demander (ce qui n'a guère été fait jusqu' ici, me semble-t-il) si les coïncidences formelles se produisent au hasard. L' examen approfondi de cette question m ' a conduit 1 05 à observer qu' en contrepoint à la notion fondamentale de distinctivité des cas, A. tient aussi un discours sur des affinités, des parentés l06 qui lient certains cas entre eux - notamme nt nominatif et vocatif (S. 370, 1 ; 444, 1 1 ), nominatif, vocatif et accusatif ( *A . 2 0 2 , 3 ) , nominatif e t accusatif (S. 2 3 , 3 ; 1 6 8 , 1 0 ; 249,5 ; P . 54,22), génitif e t datif (S. 42,3 ; *A. 202,4 ; P. 54,2 1 ; A. 173, 1 6). Or, j ' ai cru pouvoir montrer - je n ' en reprends pas la démonstration ici - que les affinités déclarées entre les cas étaient fondées sur un ensemble d' observations morphologiques et syntaxiques tendant à faire système entre elles, les écarts syntaxiques acceptés comme figures de substitution (énallage) étant tendanciellement ceux qui mettent en jeu des cas suscepti b l e s de coïncider morphologiquement (sumpîptein, s u némptôs is ) . Autrement dit, l ' affinité entre cas , se donnant à constater conjointement dans la morphologie (coïncidence) et dans la syntaxe (énallage), l ' incongruence et l ' arbitraire des substitutions entre cas ' apparentés ' s ' en trouvent tempérés - et c' est dans ce domaine des incongruences tempérées que se recrutent plus volontiers les figures : nominatiuus pro uocatiuo, uocatiuus pro nominatiuo, datiuus pro genetiuo. À ce type de rationalisation (partielle) de certains écarts syntaxiques favorisant leur promotion au statut de figures, il y a lieu d ' ajouter des données plus empiriques et non, ou moins, 'rationalisables ' . C' est ici qu' interviennent, de manière plus ou moins consciente et avouée, l ' autorité de la partidosis, sous son double aspect de tradition littéraire et grammaticale, et celle, non moins réelle, de l ' usage (kh rtsis, sunerheia , etc . ) . Je m' explique sur un exemple. S ' appuyant, selon toute probabilité inconsciemment, sur des données fréquen tielles (de l ' usage écrit, peut-être aussi d ' un usage oral soigné), le gramm airien dispose (1, § 57) que l ' expression normale (ti> déon) pour dire que les hommes se partagent en Grecs et en barbares est ton anthropôn (génitif partitif avec article) hoi mén eisi Héllenes hoi dè btirbaroi, litt. 'des hommes, les uns sont Grecs, les autres barbares ' . Cela étant, on constate qu' Homère , en deux passages, viole cette règle : en Od. 1 2.73, il met un nominatif en place du génitif requis ("les [pour 'des ' ] deux rochers, l ' un . . . , l ' autre . . . "), en Il. 1 6.3 1 7, il met un nominatif sans article en place du génitif avec article requis ("Nestorides [pour ' des Nestorides ' ] , l ' un . . . " ] . Nous sommes chez Homère, à qui on ne prêtera pas volontiers une faute (autorité littéraire) : première raison pour parler 1 04. 'Position ' , plutôt que 'fonction ' . Dans la lignée de Donnet ( 1 967), j ' ai soutenu (Lallot 1 994a: l 3 8s.) qu'on ne pouvait sans anachronisme prêter à A. le concept moderne de fonction syntaxique. En revanche, on trouve un ou deux emplois de topos, litt. 'lieu, place ' . où ce mot a incontestablement des connotations ' fonctionnelles' : cf. l, § 55 et n . 1 5 1 . L' expression 'position syntaxique', par son vague même. me semble constituer un équivalent assez heureux du 'topos ' apollonien. 1 05 . Lallot (à paraître) . 1 06 . J ' ai relevé, loc. c it. , le vocabulaire q u i sert à exprimer c e s notions : sungenés (S. 23,3 : 1 68. 1 0 : 249,5 ), sumpatheia (*A. 202,8), prospatheia ( *A. 202, 1 ) , oik.eioûn (P. 54,2 1 ), pour ne citer que les termes les plus caractéristiques.
56
DE L A CONSTRUCTION
de figure. La tradition grammaticale (autorité d' Aristarque derrière la scholie d ' Aristonicos ad Il. 1 6.3 1 7) parle effectivement de figure (skherna) et rétablit le tour normal avec article l 07 et génitif dans la paraphrase (citée n. 335 ad !, § 1 56). Enfin, le tour au nominatif - dit ' apposition partiti ve' , cf. K.-G. 1 ,286 - e s t largement attesté, e n prose comme e n vers : l ' usage lui-même vient donc lui apporter sa caution et interdit pratiquement d ' y voir une faute. Pour toutes ces raisons, toutes empiriques comme on voit, il y aura donc une figure nominatiuus pro genetiuo - indépendante de toute affinité entre les deux cas en cause. Mais ne lâchons pas si tôt le vers èe 1 ' lliade, qui, en plus de 1 ' énallage du cas, présente une ellipse de l ' article, trait particulièrement remarquable de ! "usage du Poète' (cf. I, §§ 6, 62-64). Parler d' e ll ips e de l ' article pour décrire cet usage implique (à nos y eux) un point de vue anachronique sur la langue homérique : c ' est seulement par référence à la syntaxe de l ' article dans la Koinè qu' on peut dire que l ' article 'manque' chez Homère. C ' est un peu, en moins caricatural, comme si l ' on disait que les langues slaves font l ' ellipse de l ' article. Mais on peut être indulgent pour de telles formulations : il suffit d'y voir une ' façon de parler' , donnant simplement à entendre qu'il y a moins d ' articles dans le texte homérique que dans sa paraphrase en Koinè . Laissant de côté cet aspect, somme toute secondaire, de la question, je voudrais mentionner le problème que soulève à mes yeux 1' extension de la figure homérique de l ' ellipse de l ' article. En tant q u ' elle relève de l ' habitude du Poète ( tà sunëthès, tà éthimon toû poiëtoû, 6,8 ; 1 07,9 ; tà Homërikàn éthos, 1 01 , 1 7 , etc . ) , elle est extrêmement fréquente - au point d' être chez lui, dirions-nous aujourd' hui, statistiquement la norme . On pourrait s ' attendre à ce que cette situation pose un problème au gramma irien. N'est-ce pas en effet lui (et non pas nous) qui écrit, au début du Pronom (1 20), pour critiquer le point de vue stoïcien selon lequel Homère emploie l' article en fonction de pronom : ,
Voici qui est plus grave que tout : [les Stoïciens) taxent le Poète d' une grave faiblesse (asthéneia) quand leur propre incompétence leur fait dire qu ' il emploie avec une telle fréquence (tosaûta) la figure 'article pour pronom ' ; car c'est un vice d ' expression de ne pas se servir des mots dans leur usage naturel (tà gàr me tais katà phusin léxesi kekhrêsthai kakia). En fait, ils ne se sont pas aperçus de l ' homophonie qui règne entre articles et pronoms. En confirmant de la manière la plus claire qu' une figure est, en son principe, un vice d' expression (kakia), e t en soulignant que, en raison même de cette nature vicieuse, l ' expression figurée ne saurait être trop fréquente dans un texte sans exposer son auteur au grief de 'faiblesse ' , ce passage ne nous oblige-t-il pas à nous demander comment A. pouvait s ' accommoder de la figure , si fréquente chez Homère, de l ' ellipse de l ' article ? Je ne connais pas de réponse satisfaisante à cette question. Le moins improbable me paraît être qu ' en fait A. accepte bien sans réserve les singularités de la langue homérique - usage parcimonieux de l ' article (décrit en termes d ' ellipse), emploi pronominal du thème ho 1 hë 1 t6 (l' article du grec postérieur) - indépendamment de leur fréquence ; s ' il s' avise, traitant du deuxième exemple, d ' en appeler à la fréquence pour refuser la figure ' article pour pronom ' , c ' est qu'il prétend réfuter ainsi l ' argument que les S toïciens tiraient d ' un tel emploi pour asseoir leur thèse d ' un regroupement des pronoms et des articles sous une seule partie de phrase ' article' (P. 5 , 1 3 et 2 1 ) . Or, tout porte à croire qu' il s ' agit là d ' un argument ad hoc, auquel A. recourt 1 07 . L ' article ton. qui manque ad /1. 1 6 .3 1 7, est rétabl i par Erbse ( 1 960:36 1 . n. 1 ) d ' aprè> la scholie A ad IL 3 . 2 1 1 .
INTRODUCTION
57
pour sauver, face à la tradition stoïcienne, le me rism6s canonique des grammairiens : on n ' a pas de peine à montrer q ue , hors d ' une situation polémique comme celle du début du Pronom , A. laisse de côté sa thèse artificielle de l ' homophonie et met en continuité emploi 'normal ' (adnominal) et emploi pronominal de l ' article, le passage de l ' un à l ' autre se faisant par métalepse (S. Il, § 28 : 1 47,7) lorsque le nom est ellipsé ( 1 49,2). Retenons de cette mise au point le statut quelque peu ambivalent des figures : en tant que vices d ' expression ne devant leur réhabilitation qu ' à l ' autorité de l ' usage particulier (dialectal, homérique, etc.) qui les atteste, elles apparaissent comme des phénomènes marginaux, ceci par rapport à l ' usage de référence - la Koinè, la prose -, qui les ignore. Mais inversement, le fait que toute fi gure repose nécessairement sur un usag e, qui, pour être particulier (dialectal, idiolectal, etc.), n'en suppose pas moins une certaine récurrence dans le corpus qui l ' atteste, conduit à accepter que la marginalité de la figure ne soit pas incompatible avec une certaine fréquence d' emploi 10S _ Ainsi l ' expression figurée, sous ses multiples formes, se trouve-t-elle comme ' apprivoisée' et intégrée à 1' image de la langue telle que le gramm airien l ' observe et la décrit. Cet octroi aux figures d' une sorte de 'droit de cité' dans la langue va avoir à son tour une conséquence capitale : la figure va trou_ver place dans l 'usage de référence lui-même, qui de ce fait va se trouver clivé. A deux reprises dans la S. , A. fait observer expressément, une fois pour 1' hyperbate (Il, § 77), une fois pour l ' ellipse (III, § 1 66), que ces figures se rencontrent non seulement chez les poètes, mais aussi dans l ' usage courant (lwtà tb sunëthes, 1 8 3 , 1 5 ) , dans les phrases usuelles (sunerheis l6goi, 4 1 3 , 1 4). C' est cette constatation qui fonde en dernier ressort la nécessité de la théorie, seule capable, en raison de sa rationalité interne et de sa compacité sans faille (hë toû l6gou sunékheia, 52,2), de mettre en évidence quelle est 1 ' expression de base naturelle (phusike akolouthfa, 1 77 , 1 1 ; cf. phusike parakolouthësis, 52,5) par rapport à laquelle se qualifient les écarts figurés : cf. 1, §§ 6 1 -62. L' omniprésence possible des figures crée pour le grammairien l ' obligation d' établir, pour chaque construction, quelle est sa forme 'naturelle ' , c ' est-à-dire en fait de décider de lui faire correspondre une forme réputée fondée en raison - pour pouvoir ensuite, le cas échéant, diagnosti quer par quels écarts l a construction effectivement attestée se différencie de cette forme 109.
1 08 . C ' est sans doute faute d ' avoir reconnu ce point que Zénodote a rétabli des articles dans
le texte d ' Homère pour le rapprocher, chaque fois que cela était possible, de la norme de la Koinè. Au contraire, Aristarque, plus sensible à l ' originalité de 1" usage homérique, non seulement ne rétablissait pas d ' articles contre la tradition, mais allait à l ' occasion jusqu ' à donner la préférence à u n e lecture s a n s article, m ê m e dans d e s c a s où la lettre du texte transmis paraissait suggérer sa présence. Sur la différence de pratique éditoriale entre les deux grands philologues alexandrins, cf. !, § 6.
1 09 . Householder ( 1 98 1 :4ss . ) a illustré de manière convaincante le parallélisme qu'on peut établir e ntre une telle démarche syntaxique et celle de l a grammaire générative transformationnelle, qu i pose pour chaque phrase une 'structure profonde' (cf. la phusikë akolouth(a d ' A . ) et des règles rendant compte de sa transformation en ' structure de surface ' (cf. les ' fi gures ' d ' A . ) . Une différence notable entre les deux théories est cependant que, chez A., il n ' y a pas de théori sation explicite des deux niveaux, et que l ' application 'transformationnelle' des figures n ' est invoquée qu'occasionnellement, dans des explications ad hoc, ce qui n ' encourage pas à parler à leur propos de ' règles' .
58
D E LA CONSTRUCDON
2.4. Les ressorts de la syntaxe apoUonienne Le moment est venu, après avoir ainsi esquissé le cadre théorique dans lequel doit s ' inscrire l ' étude des constructions, de préciser plus concrètement comment A aborde et conduit l ' étude des assemblages qui est l ' objet même du Peri suntdxeos. Mon propos, dans les lignes qui suivent, est d ' observer le technicien de la syntaxe au travail, c ' est-à-dire aux prises avec des énoncés, ou des segments d ' énoncés, et, par une démarche inductive à partir de cette observation, de dégager, par-delà les principes généraux explicites déjà repérés de la 'congruence des contenus de pensée' , ce que les procédures d ' analyse nous révèlent sur la nature de la suntaxis telle que se la représente A 2.4. 1 . Addition . . .
Une première image qui s' impose et se confirme au fil des pages est celle de la construction comme processus additif C ' est le point de vue le plus empirique, le moins théorique, sur la syntaxe : elle consiste à placer des mots les uns à côté des autres. Entre autres illustrations de ce point de vue (cf. par ex. II, § 94 et n.202; III , § 39 et n. 86), on peut citer comme le plus net l ' exemple de la construction des prépositions, traité, on le sait, de manière très mécaniste, dans l ' unique perspective du statut, univerbé ou non, d' une ' construction' à premier terme prépositionnel. Parmi les cas de figure examinés là, on trouve côte à côte, sans allusion aucune à une quelconque différence qualitative entre eux, d ' une part, celui de l' association étroite et sémantiquement motivée Prép. + Verbe (IV, § 1 5 ) et, d ' autre part, celui de la 'construction' des prépositions avec l ' article (§ 54), ou avec elles-mêmes (§ 55) - alors qu'il peut ne s' agir, dans ces derniers cas, que de phénomènes de pur voisinage syntagmatique : appliquée au français, l ' analyse d'A ferait conclure à une 'construction ' Prép. + Anicle dans à la campagne, à une 'construction' Prép. + Prép. dans sans préavis. J ' ai déjà signalé ( 1 .2.4.2.7 . ) que cette façon d ' aborder la syntaxe prépositionnelle était largement déterminée par la problématique de l ' écriture et de la division de la chaîne en mots. Il reste que la perspective ainsi adoptée trahit une conception très fruste de l ' assemblage syntaxique comme addition de mots, pris un à un : l ' idée que à la campagne doive s ' analyser syntaxiquement comme [à (la campagne)] n ' est pas évoquée. On ne s ' étonnera pas, dans ces conditions, que le vocabulaire descriptif d ' A. fasse une large place à des mots signifiant ' ajouter' , ' s ' ajouter' ou ' se voir ajouter' (caractérisés par le préverbe pros- : pros-did6na i , - tithéna i, -thesis ; p r o s-ginesthai, -iénai, -khoreîn, -keîsthai ; pros-lambdnein, - lëpsis). Les exemples sont nombreux, dans la S. , de constructions di verses décrites en termes d ' addition : une form e , une construction s' adjoignent l ' article (proslambdnei tà drthron, 23 ex. dans le seul 1 . 1), l ' article postpositif a besoin d ' un verbe qui s ' aj oute à lui (proslambdnein, prostithesthai, prosginesthai : voir une concentration remarquable de ces verbes en I, § 1 5 6 ), un verbe s ' ajoute (pr6skeitai, III, § 86 : 345 ,3) au nom (sujet), etc. De manière moins spécifiée, il est fait grand usage, notamment pour décrire la syntaxe de 1' article, de la notion de 'juxtaposition ' (para-tithénai, -thesis) : l ' article est 'placé à côté' du mot avec lequel il est construit. Inversement, mais cela revient au même pour le fond, on pourra parler de ' construction ' pour faire référence à une simple juxtaposition additive, compte non tenu des relations syntaxiques mises en jeu : cf. l, § 1 1 9 et n . 262. . selon un ordre naturel En étroit rapport avec cette conception linéaire et additive de la syntaxe, nous rencontrons la notion d' ordre (taxis) dans son sens syntagmatique le plus
2 . 4 . 2.
. .
59
!NTRODUCOON
trivial, à savoir la position des mots qui s ' ajoutent à d ' autres avant ou ap rès eux. D ' où un vocabulaire nettement technique de la pré- et de la post-position : pro- vs hupo-tassein, -taxis, -taktik6s à cette famille se rattache la désignation des deux variétés de l ' article, pré- et post-positif, ainsi que celle du subjonctif comme mode ' post-positif (hupotaktikf) -, pr6-thesis, -thetik6s - c ' est le nom même de la partie de phrase 'préposition ' , avec 1 ' adjectif dérivé - ; d ' où aussi un verbe comme epiphéresthai, qui désigne l ' adjonction d ' un nouvel élément à la suite d ' autre chose et renvoie à une représentation de la sûntaxis comme processus d' accrétion, d' allongement 'par la droite' d ' une chaîne préexistante (cf. les nn. 304 et 307 du l. I, 26 1 du l. II). On constate ainsi que la prise en compte de J ' ordre linéaire tient une grande place dans l ' analyse syntaxique d'A. Aussi bien le discours se construit-il selon une certaine dynamique ordonnée . La phrase transitive active, transposant linéairement la dynamique du scénario qu' elle décrit, place le verbe entre ( metaxù p îpton, 1 1 2,9 ; 148,3) l ' actant origine (à gauche) et l ' actant soumis à la diathèse (à droite) : cf. III, § 8 6 ; les éléments anaphoriques (articles pré- et postpositifs) et conjonctifs (conjonctions) reçoivent la place que leur assigne leur fonction de chaînage l l O ; l ' ordre naturel de priorité de la déixis sur l ' anaphore interdit que le pronom déictique soit précédé de l ' article, l ' ordre inverse étant lui justifié {1, § 93) ; les pronoms à un cas oblique se placent avant ou après le verbe selon qu ' ils sont orthotonés ou enclitiques (II, § 70) ; l ' ordre de succession du nom adjectif et du nom substantif, ainsi que la place de l ' article qui leur est associé, est en étroit rapport avec la dynamique prédicative de la phrase (I, §§ 1 35- 1 3 6) 1 1 1 . La construction de phrases complexes à l ' aide de conjonctions (ce sont les 'jugements non simples ' , axiomata oukh haplâ, des Stoïciens : cf. Diog. La. VII 7 l ss. ) met aussi en jeu l ' ordre linéaire des énoncés simples conjoints en énoncés complexes : la protase conditionnelle précède l ' apodose (si p, q, cf. S. II, § 77), dans la phrase causale l ' énoncé de la cause précède celui de l ' effet (parce que p, q, cf. C. 2 39, 1 2 ) . Il s ' agit clairement là d ' un ordre ' naturel' : la langue est censée mimer la démarche de la pensée, qui va de la condition au conditionné {II, § 77 et n. 1 60), de la cause à l ' effet. Il n' est pas j usqu ' à la phrase couplée (p et q) qui ne soit elle aussi soumise à un ordre naturel, celui des actions dont elle présente un récit enchaîné : cf. I, § I l et n. 43. Il va sans dire qu' il s ' agit, dans tous ces exemples, d ' un ordre théorique (ou 'profond ' , pour parler comme Householder), celui de la ' séquence nonnale' (tà hexis), qui peut toujours être altéré par transposition (méta thesis, huperkeîsthai), hyperbate (huper-bat6n, -bibdzesthai, -bibasm6s) : cf. I, § § l i e t 1 1 3 ; Il, § 70, n. 1 40, § 77 ( 1 83 , 1 5), § 99 (202,3) ; III , § 87 (345 ,20) ; IV § 14 (447 , 1 ) ; A. 1 25 , 1 9 . À côté de ces cas , nombreux, où l a pathologie, conformément à sa vocation (cf. sup ra 2 . 3 . 1 .4.), permet la récupération des formes déviantes, il y a aussi ceux où il faut prendre acte d ' une certaine souplesse de la langue elle-même : je vais l ' illustrer brièvement. -
,
l lO. Voir 1, § 1 44, le rapprochement explicite des fonctions d ' articulation et de conjonction. I l l . La place de l ' adjectif épithète avant le substantif, tenue pour ' naturelle ' (proegeîsthai thélei, A. 1 25,23 ; cf. , pour le possessif, S. 1 09, 1 7 - 1 9), ne fait l ' objet d ' aucune justification explicite. Cela ne l ' empêche pas d' être invoquée pour fonder le postulat selon lequel l ' adverbe. qui est au verbe ce que l ' adjectif est au substantif (cf. l, § 27 ) . précède normalement le verbe (A. loc. cir. ) .
60
DE LA CONSTRUCTION
2. 4.3. Cas d 'ordre inversé
Je me contenterai ici de donner deux exemples. 1) La conjonction causale gar 'en effet' , qui, à la différence de h6ti ' parce que ' , se place après le premier mot de la proposition à laquelle elle confère la valeur causale, entraîne cette proposition elle-même après celle qui énonce l 'effet (phOs esti, hëméra gtir esti 'il y a de la lumière, il fait en effet jour' . Selon A., il y a une relation de cause à effet entre les deux postpositions, celle de la conjonction et celle de la causale conjointe ( C. 239, l l ) :
gor ne se place pas en tête de phrase, mais en position seconde (en hupottixel) ; c'est pourquoi aussi (dià kai) il déplace en deuxième position les [énoncés des] causes qui étaient en tête avec les conjonctions [causales] prépositives
et tout se passe comme si le constat d ' une telle ' logique ' valait j ustification rationnelle de l ' énoncé de la cause. Touj ours est-il qu' il n ' y a pas ici de figure : à preuve que c' est l ' antéposition, attestée chez Homère, de l ' énoncé causal en gar qui est expliquée par une hyperbate ( C. 239,25). 2) La syntaxe des prépositions présente une singularité analogue (S. IV, § § 4- 1 1 ) : 'naturellement' préposées, comme leur nom l ' indique, on peut néanmoins trouver certaines d' entre elles postposées au mot avec lequel elles se construisent, et on constate alors qu' elles dép lacent leur accent de la finale sur l ' initiale - c' est le phénomène de l ' anastrophe. La conjonction des d e u x déplacements, celui d e l a préposition e t celui d e son accent, conduit A. à considérer que l ' anastrophe s'inscrit dans la logique de la langue : il en voit une preuve dans la 'prédisposition ' (cf. p roeuthetisménon 443 , 3 ) que constitue l ' accentuation constante des prépositions disyllabiques sur la finale, accentua tion qui permet à l' accent, en remontant vers la gauche, de faire signe vers le mot auquel se rattache la préposition postposée. Ici encore on est si loin d ' un phénomène pathologique que c ' est l ' a bsence d ' anastrophe pour certaines prépositions disyllabiques qui est considérée comme une 'anomalie ' (§ 1 1 fin). 2.4.4. L 'ordre 'nature l ' comme signe de la relation ll est donc clair, je pense, q u ' A . attache une importance toute particulière à
la linéarité des constructions. La raison en est q u ' à ses yeux l ' ordre linéaire obéit par principe, comme nous l ' avons constaté sur de nombreux exemples, à une sorte de naturalité sémiotique. Il y obéit d ' autant mieux qu ' on l ' invente ad hoc. Ce qui revient à dire que la notion apparemment réaliste d ' ordre linéaire est en fait un artefact métalinguistique : définir la position - théorique. canonique - d ' un mot par rapport à un autre , c ' est, pour A . , une fa ç on d ' indiquer qu' il entretient avec cet autre mot une certaine relation. Un exemple fera comprendre ce que je veux dire . Dans le traité Des conjonctions (235 , l l ss.), A. discute l ' opinion de Tryphon selon laquelle la conj onction causale h6ti peut "se construire (suntassesthai) avec des casuels et des non casuels", les ex emple s respectifs étant : 'parce que le soleil est au-dessus de la terre [hoti ho helios hupèr gen estin] , il fait jour' et 'parce que je-marche, je bouge ' [hoti peripatô, kinoûmai] . À ce traitement naïvement réaliste de la linéarité l l2 , A. oppose le point d e vue ' vr ai (alëthés) suivant : '
1 1 2 . Si Je témoignage d ' A . est digne de foi - et pourq uoi ne Je serait- il pas ? -, il nous montre que pour Tryphon, certainement Je plus savant des syntacticiens parmi les prédécesseurs d ' A . , le simple voisinage syntagmatique entre deux mots était la preuve indiscutable q u ' i l s formaient u n e ' construction ' . C ' est la notion la plus fruste de ' constructi o n ' qu' on puisse imaginer. A. a dû partir de là (et quelquefois en res t er là : cf. l ' exemple cité plus haut d e la
61
INTRODUcnON
l a conjonction h6ti s e rapporte seulement (monos phéretai epi) aux verbes à l ' indicatif, en sorte que les casuels ou autres mots entrant dans la construction (suntass6mena) so n t employés en hyperbate : h6ti kalos anaginosko [litt. 'parce que bien je-lis ' ) - l 'en chaînemen t normal (tà akolouthoûn) est h6ti anaginosko kalOs, h6ti estin helios hupèr gen [litt. ' parce qu' est le soleil au -des su s de la terre') Il n ' y a ici aucune raison de considérer que ce qui est déclaré par A . ' enchaînement normal ' correspond à u n ordre effectivement plus usuel q u e les tours dans lesquels la conj onction précède un casuel. L' akolouthia dont il est question ici n' est autre qu'un artefact destiné à manifester dans la linéarité que la conjonction va avec le verbe. Artefact, au demeurant, non exportable : il y a fort à parier qu ' en d ' autres contextes 1 ' ordre es tin helios hupèr gên serait jugé altéré, l ' enchaînement réputé normal étant alors helios estin hupèr gên (cf. III, § 86) ; quant à anaginosko ka lbs, confronté à ce qui est dit A. 1 25 , 1 6ss. de la place canonique de l ' adverbe avant l e verbe , c ' est une hyperbate . I I J . Autrement dit, si l ' on prend au pied de la lettre , comme des règles visant à régenter une syntagmatique effective, les décl arations relatives à la place ' normale' de la conj onction et à celle de l ' adverbe, on en déduira q u ' i l est impossible de dire en grec 'parce que je lis bien ' sans recourir à une hyperbate. On se doute que, dans cette perspective, il y aura beaucoup d' autres phrases qui n ' auront de réalisation possible que figurée - on peut même faire l ' hypothèse que, dans un corpus aléatoire de phrases attestées, celles qui présenteront un ordre entièrement normal seront sensiblement moins nombreuses que les phrases à hyperbate (cf. n. n . 140). . .
Un discours codé Nous retiendrons de tout cela que le discours apollonien sur 1 ' ordre normal des mots en construction est en partie un discours codé, l ' ordre en question faisant autant signe vers une relation syntaxique que vers une règle syntagmatique. La coexistence des deux perspectives non démêlées se reflète dans l ' ambiguïté de la notion centrale de s u n taxis, où cohab i tent une composante spatio-temporelle de linéarité et une composante sémantico syntaxique de relation entre constituants du discours . Elle se manifeste aussi , à 1 ' occasion, par des remarques qu' un moderne serait tenté de juger naïves : voir IV, § 9 "les adverbes s ' appliquent aux verbes même si plusieurs parties de phrase les en séparent" ; 1, § § 1 00- 1 02, la démonstration méthodique que dans ho em6s 'le mien ' 1' article ho ne se rapporte pas au noyau pronominal de 1 • pers. em- qui le suit immédiatement ; ou encore II, § 65 , la décision de voir une hyperbate dans la phrase coordonnée ka( m ' ephilësen 'et (il) me chérit ' , parce que l a conjonction kaf n ' y précède pas immédiatement le terme sur lequel porte la coordination. En fait, de telles déclarations cessent d'être choquantes pour peu qu o n les rapporte à la logique du projet qui les sous-tend, et dont j e trouve chez Beauzée une formulation particulièrement adéquate :
2. 4.5.
'
faire la construction d "une phrase, c ' est en arranger les mots dans l ' ordre que
l'on croit naturel, afin d ' en faciliter l ' intelligence . l l 4
préposition ' construi te " avec elle-même. IV. § 5 5 ) . mais il a su aussi aller plus loin dans l ' analyse.
1 1 3 . Cf. encore II. § 77. 1 1 4 . Nicolas Beauzée. Grammaire générale ( 1 76 7 ) . c i té p a r Chevalier ( ! 97 8 : 1 36 ) . Il n e m ' échapp e pas que le propos de B eauzé e s ' applique d ' autant mieux à la démarche
62
DE LA CONSTRUCTION
Il me semble qu'A. n' aurait pas hésité à reconnaître dans un tel propos l ' exacte description de sa propre démarche. 2.5. Les relations syntaxiques Ces précisions, qui permettent de resituer dans le contexte théorique qui en rend compte nombre d ' étrangetés du discours syntaxique d ' A., laissent entier, en revanche, le problème de la nature des relations qui s' établissent entre les constituants de la phrase : a-t-on tout dit de la théorie syntaxique d ' A. en décrivant comment, avec ou sans hyperbate, les mots qui se succèdent dans une phrase ' vont les uns avec les autres ' , ou 'se rapportent les uns aux autres' ? Ou bien peut-on qualifier davantage, dans quels termes et avec quel degré de précision, des types de relations syntaxiques qui seraient repérés et désignés de manière distinctive par A. ? La question posée là n ' est pas neuve. Elle a reçu jusqu ' ici des réponses contrastées. 2.5. 1. Donnet : Apollonius, un syntacticien prisonnier de la 'grammaire du m ot '
D'un côté, on a souligné l ' absence chez A. de notions-clés que l ' analyse syntaxique moderne tend à considérer comme des outils indispensables. Ainsi Egger ( 1 854:237) : Apo l lo ni u s, nous l' avons vu, ne sait pas d isti nguer par des termes précis le sujet et le régime d ' un verbe ; il lui faut de l o n gue s périphrase s pour expliquer J emploi des cas obliques au lieu du cas direct dans le voisinage d ' un verbe [Egg er cite ici Il, § 1 4 1 (236,8- 1 4) ; III, § 80 (342, 1 2- 1 5 ), et renvoie de manière plus vague aux §§ 8 3-87 du 1. III] . A u ss i ne trouve-t-on pas chez lui cette division, si élémen taire à nos yeux, de la s y ntaxe en deux sortes de règ les : les règles d' accord, et les règles de dépendance o u de régime. '
Dans la même perspective, Donnet ( 1 967 :38s.) dénonce les conséquences "néfastes pour l ' expression des relations grammaticales" de ce qu' il appelle "la grammaire du mot", caractéristique de toute la tradition alexandrine :
Denys d i stingue trente-et une espèces d' onomata, vingt-six espèces d' adverbes, etc . . . Ces analyses c ons tituen t un acq u i s posi tif pour la grammaire mais, pour traiter de syntaxe, il fallait franchir un second pas : il fal lai t dépasser les subdivisions basées sur la morphologie et la valeur du mot en soi, prendre conscience de la notion de jonction grammaticale [les italiques sont de moi) et, sur cette nouvelle base, présenter des classifications adaptées à l ' o bj et de la syntaxe : sujet, complément, attribut, etc . . . Cette révolution, cette découverte d ' une p ro b lématique nouvelle ne s ' est pas produite. Les grammairiens trai te nt de q u e s tions de syntaxe mais leurs réflexions, loin d ' être cen trée s sur la fonction grammaticale, sont dominées par des catégories qui rel èvent de la morphologie ou, en tout cas, de la description du mot pris isolément. Dans les pages qui suivent (40ss.), Donne! illustre son propos sur des exemples tirés d ' A. et de ses c ontinuateurs byzantins. Parmi les renvois à A. je signale en particulier : S. III, § § 80 et 1 89, avec l e commentaire : "Qu' Apollonius précise que le cas ré g i par le verbe e st identique. quels que soient le temps , le mode ou la personne, passe encore . Toutefois, il y a là une précision superflue où s ' entremêlent deux domaines différents, celui de la fonction de complément et celui de la description morphologique" (40).
descriptive d ' A . q u ï l est artificiellement détaché d ' un contexte épistémologique où la construction est distinguée de la s\'nra.xe.
INlll.ODUCTION
63
S. 1, § § 46, 1 07 , 1 09, 1 32 : "l ' ignorance de la problématique de la syntaxe ( . . . ) rend le grammairien incapable d' énoncer certaines règles générales. Ainsi, 1' omission de l ' article devant l ' attribut est un phénomène qui frappe Apollonius ; pourtant, il n ' énonce pas, comme telle, cette règle de syntaxe ; il en constate l ' application en étudiant différents types de mots. ( . . . ) Nous constatons donc une fragmentation des énoncés, qui est à 1' opposé de la synthèse, du regroupement basé sur la notion de fonction" (40s.). S. 1, § 1 25 : "quand Apollonius déclare que tis et p6teros sont suivis de 1 ' article dans des expressions telles que tis tôn hetairon, poteros tôn Aitinton, il a tort d' inclure ces remarques dans l' étude des pronoms tis et poteros ; ce sont simplement des applications de l ' emploi de l ' article avec le génitif partitif [étudiés § § 57-59]". S. l, § § 43 , 57-59, 62-64, 65-67 , 7 1 -72, 93, 95-98, 1 3 1 et, d ' autre part, §§ 1 07- 1 09 et 1 3 3 : "quand A. traite des usages propres à l ' article, il ne distingue pas les usages syntaxiques de ceux qui s ' expliquent par la valeur de 1' article comme tel . C ' est ainsi qu ' il justifie l ' emploi ou l ' omission de l ' article en invoquant, tantôt la nécessité de faire référence à une connaissance antérieure ou de souligner l ' unicité, tantôt la construction de la phrase avec ou sans verbe être" (42s.). S. ll, § § 1 06 ; 1 48 : exemples de formulations diverses pour tenter de décrire la fonction 'sujet' , diversité illustrant "la difficulté, sinon l ' impossibilité, d ' exprimer des relations gramm aticales élémentaires" (45 ). 2.5.2. Bécares Botas : Apollonius fonctionnaliste malgré lui
Diamétralement opposée à ce point de vue sévèrement cnuque et radicalement négatif, puisqu' il revient à dire qu'A. n ' a pas reconnu le niveau propre de la syntaxe, nous trouvons la thèse de Bécares Botas ( 1 987 :36ss.). Pour cet auteur, les négateurs d' une syntaxe apollonienne ont péché par "ignorance des textes originaux", par docilité à l ' égard d' opinions reçues qu' ils ne se donnaient pas la peine de contrôler (36), par "anachronisme" - il cite en exemple "le l ogicisme de S teinthal et, à l ' opposé, le générativisme de Householder" (37). Ce dernier reproche ne manque pas d' apparence : pour m ' en tenir aux exemples que je viens de donner, il est clair, chez Donnet comme chez Egger, qu' A. se voit essentiellement reprocher de ne pas faire de la syntaxe comme la font les modernes, cette dernière façon de faire étant tenue comme la meilleure , voire comme la seule, dans la mesure où seuls des concepts comme ceux de fonction, de concordance, de rection permettraient d' appréhender le syntaxique dans sa spécificité. Pour Bécares B otas, ce préjugé anachronique a empêché de reconnaître qu'il y avait bien chez A. une syntaxe, mais une syntaxe qui est d' une autre nature que celle qu'on lui fait grief d ' ignorer. Bécares Botas s' attelle donc à la tâche de décrire cette syntaxe apollonienne "procurando al menos la objetividad que emana de las propias palabras del autor". Après avoir souligné l ' importance du concept de congruence (katallël6tës, 'coherencia' ) appliqué à l ' objet par excellence de la syntaxe qu' est la phrase complète (autoteles logos, ' oraci6n perfecta' ), et précisé que cette congruence "se réalise au double niveau des contenus et de la forme" l l5 (38), il illustre son propos en traduisant III, § 22 (288 ,5-7) : 1 1 5 . Je n ' ai rien à redire à cette formule, mais je crois que B . B . rend son propos à peu près incompréhensible en traduisant, en Ill, § 1 0, hupoke(mena par 'contenus' : "la coherencia o incoherencia grammati cales no reside en los contenidos" . Comment rendre c ette
DE LA CONSTRUCTION
64
las palabras . . . distribuidas
en
pecu li are s [= idias
la frase s egun sus funciones
théseis], rechazan en vinud de la propria secuencia a aquellas q ue aparecen en la funci6n que no les corresponde [= ouk epibtillousan thésin]
et en commentant : los elementes formales de la palabra (idia th és is) determinan la secuencia adecuada (akolouthia) ; de la misma manera, el significado, o mejor, la funci6n (idia énnoia) de cada una determina la coherencia (katallël6tës) del conJUnto.
Je note ici la volonté marquée d ' introduire, tant dans la trad ucti on que dans le commentaire, le terme de jonction. Je note aussi que ce terme ne traduit pas dans les deux cas le même mot grec - thésis, litt. la 'place ' , la 'position ' , dans la traduction, énnoia 'notion' dans le commentaire - et q u ' u n peu plus bas (4 1 ) , c ' est le mot dunamis "et toutes ses variantes" ( ? ) q u i e s t donné comme l ' expression du "propre concept de fonction". Outre que toutes ces traductions me paraissent forcées , j ' ai peine à croire que, si A . avait opéré , comme le prétend Bécares B otas, avec un "propio concepto de funci6n", l ' expression du d i t c oncept aurait p assé par tant de signifiants divers. J ' en dirai tout autant des fonctions particulières, que, toujours selon Bécares Botas, A . "distingue très clairement" J J6 : c omment peut-il prétendre servir sa thèse en énumérant complaisamme nt (4 1 ) les "manières diverses dont s' expriment les (fonctions) de sujet-objet" - à savoir par les participes, respectivement actifs et passifs , de verbes 'agir' (energeîn, drân) ou ' disposer' (diatithénal), ou par le couple h upokefmenon-epigegenëménon {1, § 72, cf. ma note 1 8 1 ad loc. ) "et autres variantes" ? Quant à la suite, où il renvoie sans commentaire à III, § 1 7 8 pour accréditer l ' idée qu'A. disposait d ' un concept d "'objet indirect", propos élargi avec passablement de désinvolture par "un largo etcétera" et complété plus bas par l ' affirmation selon laquelle A. "a aussi en vue la notion de complément quand il parle des accompagnants du verbe (Il, § 1 49)"1 17, j e ne peux voir là q u ' une série d ' imprudentes extrapolations . Je m' interroge par ailleurs sur la cohérence du propos de Bécares Botas, qui déclare illégitime de cherc h e r chez A . les concepts théoriques de la syntaxe moderne (37, 48), mais s' évertue lui même à prouver qu' ils y sont (40ss. ) . 2.5.3. Essai d e repérage des relations syntaxiques
Je crois donc que Bécares Botas ne rend p as un bon service à l a philologie apollonienne en donnant du gram mairi e n alexandrin l ' image d ' un linguiste maîtrisant toute une batterie de concepts fonctionnalistes. En revanche, je salue vol ontiers dans son introduction l ' intention d écl arée de ne pas s ou mettre 1' œuvre d ' A . à une gril le de lecture anachronique que ce soit pour saluer en lui u n génial précurseur ou pour s ' affliger des lacunes de son appareil t héori q u e Revenant donc ici à la question posée plus haut sur le traitement ap o l l onien des -
.
décl aration comp atible avec l, § 2 "la oraci6n perfecta [se constituye) de la coherencia de los significados" ? Ou bien y a-t-il une différence, qui m échapperait entre les signifiés et les ' contenus ' ? En fait, les hupoke{mena ne sont pas des contenus, mais des ' référents ' , objets extralinguistiques d e l a déixis qui, à c e t i tre n ' ont rien à voir avec l a congruence intralinguistique ( cf. Ill, § 1 0). 1 1 6 . "Se diga lo que se diga. Apolonio tiene muy claras l as diversas funciones sintâcticas o semantico-sintâcticas" (40). Il me semble que se trahit ici di scrètement le coup de pouce exégétique qui permet à B . B . de soutenir la thèse ori ginale d ' un A. symacticien ' fonctionnaliste avant la lettre : ne laisse-t-il pas pl aner u n fl o u préjudiciable à l ' objecti v i té dont il se targue en coordonnant négligemment comme il le fait l e '
,
'
'
,
·
' syntaxiq ue' et l e ' s émantico-syntaxi q u e ' ?
1 1 7 . Je pen se que B . B . commet ici un contresens sur le texte d ' A . : v o i r ma
note
3 3 0 ad loc.
INTRODUCfiON
65
relations grammaticales, je voudrais tenter d' apporter des éléments de réponse autant que possible affranchis de préjugés épistémologiques anachroniques i i8 . 2.5.3 . 1 . Relation perçue e t relation nommée Je soulignerai d' abord qu' il n ' y a pas chez A., à ma connaissance, de terme qui puisse désigner de manière générique la notion de 'relation grammaticale' ; il n ' y en a pas non plus, corrélativement, pour désigner, en tant que tel, le 'terme' d' une relation. Ce que nous voyons fonctionner chez lui, c ' est tout un métalangage, à première vue pléthorique et peu spécifié dans ses applications, indiquant que tel mot présent dans une suntaxis n' est pas seulement à côté de tel autre (avant ou après), et plus largement en contexte avec plusieurs autres, mais encore qu'il 'va avec ' , ' se porte vers ' , ' s ' applique à ' , 'renvoie à' , etc. quelque autre élément de son environnement. Si on laisse de côté les cas où l ' élément en q uestion est un référent extralinguistique, il sera désigné soit de manière autonymique ( 'le peripateî' l 1 9), soit par le nom de la partie de phrase à laquelle i l appartient ( ' le verbe ' ou ' le verbe p eripateî' ), soit enfin par le terme générique de 'partie de phrase ' . Cette façon de s ' exprimer n ' est pas indifférente : elle met d ' emblée en évidence que les mots construits ensemble ont chacun , en tant qu' ils appartiennent à une classe déterminée, des virtualités syntaxiques spécifiques. En effet, les 'parties de phrase ' , mérë lOg ou, ne sont pas, comme les syllabes ou les phonèmes, le produit d ' une segmentation purement phonologique de la chaîne. Elles sont l ' aboutissement d ' une double opération de merismos : 1) partition de la phrase, chaîne porteuse d ' un sens complet, en ses éléments sémantiques minimaux, les 'mots ' (léxeis) I20 ; 2) distribution des mots en classes, sur critères formels (e.g. fléchi vs non fléchi), mais aussi sémantiques et fonctionnels i2I . Dès lors, décrire une construction, c ' est montrer comment les signifiés catégoriels se combinent pour former des ensembles sémantiquement cohérents et consistants - ou inversement faire apparaître en quoi consiste l ' incohérence, l ' inconsistance d ' une construction incorrecte. Nous rencontrons ici une notion capitale, celle de bonne formation . Je traduis ainsi les verbes composés kat hfstasthai ' s ' établir, prendre son assise' et sun-istasthai ' tenir [intrans . ] ensembl e, former u n tout consistant ' , avec les adjectifs verbaux sustat6s e t asustatos (ou akauistatos), resp. 'bien' e t 'mal formé' , à quoi je crois pouvoir
je suis convaincu qu ' une étude approfondie, encore à faire, du vocabulaire des relation s g ra m m a t i c a l e s chez A. est nécessaire pour autori ser des prises de position plus catégoriques que les miennes. ll me semble qu' une telle étude, que j ' appelle de mes vœux, pourrait utilement s ' inspirer, pour la méthode, du travail exemplaire de Van Ophuijsen ( 1 993). 1 1 9 Le genre de l ' article est dans ce cas le plus souvent celui du nom de la partie de phrase à laquelle appartient le terme cité ( 'la [préposition] dia ' , 'le [an. m. renvoyant à 6noma ' nom'] Aristarkhos ', etc .), ce qui ramène, par ellipse, au cas suivant : cf. 1, § 37. Il arri ve aussi, mais plus rarement. que l ' article neutre fasse fonction de déterminant indifférencié. 1 20. Je rappelle la définition du mot dans la Technè (chap. 1 2) : "la plus petite partie de la phrase construite". et le correctif qu'y apponent les scholiastes (e.g. Sch. Technè 56,22) : "(la plus petite partie) signifiant un contenu de pensée" - correctif nécessaire pour que le mot se distingue radicalement de la syllabe. 1 2 1 . A. affi rme ha utement, à mainte reprise, la priorité du signifié (dëloumenon, sêmainomenon) comme critère de merismos . mais il apparaît clairement que ce 'signifié' est en grande partie abstrait. catégoriel. et à ce titre se trouve associé indissolublement avec des fonctionnalités syntaxiques (cf. Lallot 1 988b: 1 9). Ce point est souligné à j uste titre par Bécares B otas ( ] 987 : 4 1 ). 1 1 8 . Je serai prudent dans ce qui suit - peut-être trop aux yeux de certains ; mais
.
66
DE LA CONSTRUCTION
ajouter, au moins dans certains de ses emplois, le verbe sunékhein 'tenir [trans.] ensemble, assurer la cohésion de' (cf. l, § 19 et n. 66). La bonne (ou la mauvaise) formation repose sur deux niveaux complémentaires de congruence (katallël6tës 'convenance mutuelle' ) : d ' abord celui de la convenance mutuelle dans l ' assemblage des parties de phrases en tant que telles, ensuite celui de la convenance de leurs accidents. Au premier niveau se rattachent les principes régissant, notamm ent, la constitution du noyau phrastique minimal - nom (ou pronom) + verbe : cf. 1, §§ 1 4- 1 5 - et de s on extension ' à droite ' en cas de transitivité (III, §§ 8 et 1 55 - 1 56), ou celle du groupe nominal (rôles respectifs de l ' article et du pronom : l, § § 94- 1 04 ; répétition de l ' article : I § § 13 3 - 1 35 ; construction sui generis de l ' article postpositif : I, §§ 1 43- 147), les constructions respectives de l ' adjectif et de l' adverbe (1, § § 5 3-56), la j uste construction des prépositions (IV, §§ 12-78 passim) . Du deuxième niveau relèvent les règles dont le principe général est exposé au début du livre III (§§ 1 3-49 passim) et dont les applications sont multiples : accord en nombre du verbe avec le terme au cas direct auquel il se rattache (III, §§ 10 et 50-53), accord du verbe à la 3• personne quand ce terme est un nom (l, § 1 9 ; II, § 46) et entorse à cette règle avec les verbes 'd' existence' (Il, § 47 ; III, § 43, etc.) ; juste distribution des trois cas obliques à droite du verbe transitif (III, § § 158- 190 passim), rattachement correct de l' accusatif dans les phrases comportant un infinitif (après khre ou deî ' il faut' : Ill, §§ 75-76, après boulomai 'je veux' : III, § 1 64), bon usage des formes pronominales orthotonées et enclitiques des pronoms (Il, § § 57- 1 02 passim), de leurs formes composées (scil. réfléchies) et interprétation correcte des tours homériques correspondants (Il, § § 1 03- 1 1 6), etc. Dans tout cela, ce sont bien évidemment des relations entre les termes qui sont examinées. La question qui se pose - posée ci-dessus et provisoirement laissée sans réponse - est celle du degré de spécificité, chez A . , dans l ' appréhension et de précision dans la désignation de ces relations. Comme je l ' ai noté ailleurs à propos de l' absence de repérage explicite des fonctions ' sujet' et 'prédicat' 1 2 2. les deux opérations ne doivent pas être confondues : si la seconde renvoie spécifiquement à la compétence métalinguistique du grammai rien, la première relève du domaine, aux frontières plus indécises, de l a 'conscience linguistique' , e t i l n' est pas évident que ce q u i n' est pas désigné d e manière stable e t distinctive n' est p as , au moins confusément, appréhendé. Cela dit - et je laisserai ainsi ouve ne la question de l ' intuition linguistique d'A. -, les mots sont tout ce qui nous reste de la pensée grammaticale du maître alexandrin, et c ' est leur témoignage qu' il nous faut analyser. La tâche est énorme : je ne compte pas moins d ' une soixantaine de verbes m , plus leurs dérivés nominaux, s' appliquant, d' une manière ou d ' une autre, aux relations des mots entre eux. J ' ai déjà dit plus haut qu'il y faudrait une étude spéciale. Je me contenterai ici de quelques indications générales. 1 22. Lallot 1 994c:46. 1 23 . Il serait fastidieux de les énumérer ici : le lecteur pourra se donner une idée du lexique en question en recensant, dans l ' Index technique français, les termes grecs figurant sous les entrées ACCOMPAGNER, ACCORDER (1) (S ' - ) , A J O U T , ALLER AVEC (1) , APPLIQUER (S'-), APPOSER ( !) , A R T I C U LER (S'-), A S S O C I E R (S ' - ) , C O N J O I N D R E , CONJONcnON, CON NECTI V E , CONSTRUcnON, CONSTRUIRE
(SE
-), COORDONNER, COPULATIVE. CORRÉLATIF, CORRESPONDRE,
DISJOINDRE, DISTANCE, ÉTENDRE ( S ' -
À),
PASSER
RATTACHER (SE - ) , RÉFÉR E R , RELATION, RÉPONDRE
(1 ) ,
(1), PENCHER, PORTER (SUR) ,
RELATION (ENTRER EN
RAPPORTER (SE -),
- ) , RELIER,
RENVOYER,
REPRENDRE, SUBCONNEcnVE, TERME (SERVIR DE -), TRANSITER, TRANSITION.
INTRODUCTION
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2.5.3.2. Vocabulaire des relations syntaxiques 2.5.3.2 . 1 . Un vocabulaire motivé Quelques observations formelles pour commencer. Nous avons affaire à un vocabulaire motivét24 : en très grande majorité, des verbes composés dont le premier terme, prépositionnel, indique des relations plus ou moins précisément spécifiées, et le terme verbal une notion, elle aussi, de type relationnel. Voici les faits les plus saillants : Prépositions (préverbées) : les deux plus fréquentes et les moins spécifiques sont pa ra- 'à côté de' (en particulier dans le composé le plus neutre paralambanein ' employer'), et sun- 'avec' (qui indique de manière vague que les mots ' vont ensemble' ) . Moins fréquentes sans pour autant être plus spécifiées, epi- ' sur' , pros- ' vers ' ou ' en plus ' , en- 'dans ' , marquent que des mots 's' appliquent ' , ' se rapportent' ou ' s ' ajoutent' à d' autres. Tendanciellement plus spécifique, ana- ' en remontant ' indique volontiers une ' référence ' , notamment de type anaphorique. Nous retrouverons plus loin des prépositions comme dia- et meta-, anti- , apo-, dont les valeurs se spécifient dans certaines associations avec des verbes définis. Verbes : les plus neutres sont ceux qui signifient 'être' (-eînai, -ginesthai), ' exister' ( -huparkhein), '(se) placer' ( -tithesthai, -tithénai, -keîsthai, -istasthai) . D ' autres indiquent un mouvement, une orientation vers : 'aller' (-iénai, -eltheîn, -kho r e î n , -trékhein ) , ' se porter' ( - p h é r e s t h a i), ' tendre vers ' ( - t e in e i n, -teinesthai). Plusieurs dénotent clairement l' idée de '(s') attacher, (se) relier, (s' ) imbriquer' : -artâsthai, -aptesthai, -deîn, -plékesthai. Tous ces verbes sont susceptibles d ' entrer en composition avec telle ou telle des prépositions mentionnées précédemment. Certains, et quelques autres non e ncore mentionnés, peuvent aussi s ' employer sans préverbe, éventuellement avec un complément prépositionnel : teinein (epi), khOreîn ( eis, ep{), ékhesthai ' tenir à, se rattacher à' . Les relations indiquées par la plupart de ces verbes sont en général faiblement spécifiées, d ' où des traductions, pratiquement interchangeables, par ' aller avec ' , 'se rapporter à' , ' se rattacher à' , etc., appliquées aux relations syntaxiques les plus diverses (Dans la traduction, le choix entre les différents termes plus ou moins synonymes est commandé au moins autant par les exigences de la phraséologie française que par une intention de raffinement sémantique.). Compte tenu de la haute fréquence de plusieurs de ces verbes, nous tenons là un premier indice qu ' A. ne s ' est pas spécialement attaché à distinguer des types de relations t25 . Dans plusieurs cas cependant, on observe une tendance nette à la spécialisation de certaines combinaisons préposition
1 24. Ce point est rien moins qu' anecdotique. Thierfelder ( 1 935 : 1 0), commentant le début du Pronom, où A. consacre six pages à une discussion critique des appellations (kleseis) qui ont été proposées pour cene partie de phrase, dégage bien ce que signifie pareille démarche (c'est moi qui souligne) : "Doch zeigt gerade diese Behandlung auch, wie man an die Wôrter der Fachsprache grundslitzlich die sehr berechtige Forderung stellte, daB sie das Wesen der Sache moglichst genau wiedergiiben ; insofern standen sie den Definitionen wirklich ziemlich nahe. Und so begreift sich leichter der erbitterte Streit, den Ap. um termini führen kan n : es ist für ibn in hôheren MaBe ein Streit um die Sache, ais es uns zunachst vorkomrnen mag". 1 25 . Il n' est peut-être pas déplacé de rapprocher sur ce point le discours syntaxique d ' A . de la phraséologie monotone de nos 'analyses grammaticales' de l ' école primaire, où le verbe ' se rapporter' était le verbe 'fonctionnel' par excellence. La différence avec A .. c ' est qu'il y a chez lui pléthore de verbes ' se rapporter' .
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préverbée + verbe. J ' énumère maintenant celles qui me paraissent le plus remarquables. 2.5.3.2.2. Relations interphrastiques : vocabulaire spécifique 1 ) Les liaisons conjonctives sont désignées à l ' aide d ' un vocabulaire technique hérité, rigoureusement spécialisé et stable. Le verbe générique est sundeîn 'conjoindre ' et le substantif correspondant sundesmos 'conjonction ' , nom d e l a huitème e t dernière partie de phrase ; le terme est e n usage depuis le 4e siècle (Rhét. à Alexandre 1434 b 1 3 ; Aristote, Rhét. 1 407 a 20, etc . ) . Son application à une classe de mots bien définie, ainsi que la classification des phrases conjointes, est l' œuvre des Stoïciens (cf. Diog. La. VII 7 1 -73). C ' est à ces derniers que remonte, via les grammairiens (cf. Technè, chap . 20 et les papyrus anciens, e. g. Pap. Yale 1. 25 n° 1 Wouters, I er s . de n. ère), la tradition terminologique à laquelle se rattache A. et qui distingue entre conjonctions ' connective ' , sunaptikos, ( ei ' si ' ) , qui articule le système conditionnel (sunëmménos logos, cf. S. I, § 1 0 ), ' subconnective ' , parasunaptikos, (epei 'puisque' ), qui articule l' ensemble inférentiel, ' subconnecté' (parasunëmménos logos, ib id. ), 'copulative' , sumplektikos l26 (kaf ' et' ), qui opère le couplage (sumploke) de l ' ensemble couplé (sumpeplegménos logos, ibid. ) ; cette dernière s ' oppose à la 'disjonctive ' , diazeuktikos (e ' ou' , cf. II, § 68). Tous ces termes sont strictement réservés à ces emplois, et on voit clairement par ce qui nous est parvenu du traité Des conjonctions qu ' A . , dans la continuité directe de la logique stoïcienne, prenait très au sérieux et traitait avec une grande maîtrise le domaine des relations interpropositionnelles. Il y en a aussi, çà et là, quelques indices dans la S. (v. 1, § 9 ; II, § 77 ; III , § 89) : il y en aurait beaucoup plus, à n ' en pas douter, si nous possédions la partie du livre IV qui devait traiter de la =
syntaxe conjonctive. 2) Assez proche de ce domaine, quoique d' extension et d ' importance plus réduites, est celui de la corrélation, défini comme le jeu réglé de formes spécialisées qui se 'répondent' d' une phrase à l ' autre (cf. notamment IV, § 3 1 ). Au vocabulaire de la liaison se substitue ici celui, tout aussi technique et univoque, de la correspondance : ant-apodidonai, -apodosis. On en rapprochera les désignations, moins constantes mais malgré tout assez unitaires, de l' anaphore, pour laquelle dominent, comme il a été dit plus haut, des composés en ana- : surtout ana-phérein, -phord, -phorikos, mais aussi ana-poleîn, -polësis, et, plus isolé et par ailleurs polysémique, ana-pémpein ( 1 1 9 , 14) ; cf. aussi ana lambanein (4 1 , 14).
2.5.3.2.3. Transitivité et réflexivité 3) Comparé à ce métalangage pour l' essentiel précis et stable concernant des relations de phrase à phrase, ou en tout cas à distance, le vocabulaire des relations intraphrastiques étroites apparaît plus flottant. On n ' en sera que plus sensible à la désignation assez spécifique d ' un noyau, ou peut-être mieux d ' un nœud relationnel, celui de la relation transitive. Le vocabulaire est ici celui du 'passage' : meta- b a fnein (S. 1 30,6), - ba s i s , - ba tiko s , -bibdzein ou, sans différence de sens appréciable, did -basis, - b a ti k o s , -bibdzein, -bibasmos, -bibastikos. La relation décrite est, à la base, celle qu' instaure un verbe transitif actif entre un actant origine, normalement au cas d irect, et un autre actant, marqué à un cas oblique (accusatif, génitif ou datif) . Ce schéma défi n it la 1 26. A . emploie aussi arhroisrik6s pour désigner spécifiquement la copulative addirive ' e t ' : cf. II. n. 1 1 3 .
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' diathèse' , ditithesis, du verbe actif, c' est-à-dire la 'disposition' (c' est le sens du mot diathesis) des actants, appelés 'personnes' (pr6sopa), en rappon avec leur mode de participation à l' action : activité (pure ou mitigée) du côté du cas direct, passivité (totale ou partielle i27 ) du côté de l ' oblique. B asiq uement, c ' est l ' activité (enérgeia) qui transite du cas direct au cas oblique. La phrase passive, qui résulte d ' une transformation morpho-syntaxique de la phrase active ainsi constituée (cf. III , �§ 148, 1 5 9) , décrit le même scénario sous forme inversée : le verbe à la forme passive assigne la passivité au cas direct et l ' activité à l ' oblique (en l ' espèce, le génitif accompagné de la préposition hup6). La notion concrète de transitivité, comme passage de l' activité d' une personne (active) à une autre (passive : allopathes), fournit à A. le cadre syntaxique de référence pour décrire, comme un cas particulier de transitivité à une seule personne, la relation réflexive (autopatheia) dans son expression pronominale : N; cnomin.) + V trans. + Pron. réfl.; cobl.J (cf. II, § 1 48). On notera au passage la fécondité de l ' intuition, au départ 'réaliste' , de la transitivité, qui, à la faveur d' opérations d ' abstraction, permet de décrire la phrase passive (transitivité inversée) et la construction pronominale réfléchie (transitivité bouclée). C ' est aussi par rapport à elle, en l ' occurrence par opposition à elle, qu' est identifiée la relation intransitive (adiabfbastos, III, §§ 1 62 : 409, 1 1 et 1 64 : 4 1 1 ,9s.) illustrée sur des verbes comme plouteîn 'être riche ' , zen ' vivre ' , etc., auxquels il suffit de se construire avec un cas direct pour fournir un énoncé complet i28 . 2.5.3 .2.4. Sujet et prédicat : absence de désignations spécifiques 4) Que nous soyons dans un schéma transitif (opposition direct-obliques) ou dans un schéma intransitif (cas direct sans oblique) , nous voyons se dessiner comme une position ' distinguée' celle du cas direct par rappon au verbe. Cette position et la fonction qui s ' y rattache, que désigne dans le métalangage moderne le terme de ' sujet grammatical ' , donnent-elles lieu, chez A . , à un examen particulier et à une dénomination spécifique ? Pour ce qui est de la dénomination, on peut répondre catégoriquement : non. Il n ' y a pas de mot chez A. qui puisse se traduire légitimement par 'sujet' : les mots en fonction de sujet sont désignés comme des 'cas directs ' , désignation qui s ' applique aussi bien à un nominatif en fonction de prédicat i 29 ; la fonction ' prédicat ' , souvent rencontrée par A. qui examine à mainte reprise la spécificité des constructions à verbe ' être ' ou ' s ' apppeler' (voir l ' Index technique français sous ÊTRE (CONSTRUCTION A VERBE - ), EXISTENCE), ne reçoit pas non plus chez lui de 1 27 . La distribution tranchée de la diathèse entre activité pure et passivité pure constitue le schéma de référence, représenté par la stru c ture N 1 (nomin. ) + Y trans. + N2 (ace.)· type Pierre frappe Pau l . Le recours aux autres cas obliques pour N2 permet de signifier linguistiquement des distributions di athétiques moins tranchées. c hac u n des deux actants participant à la fois, dans des proportions variables selon les actions décrites, à l ' activité et à la passivité ; voir Ill, §§ 1 5 8- 1 88. J'interprétation sémantique des différents cas ob l iques dans les constructions transitives, ainsi que mon analyse d' ensemble de cette partie de la S. (Lallot 1 994b). 128. Comme je l ' ai déjà signal� plus haut ( 1 .2.4.5). on n'a aucune peine à reconnaître dans ces analyses très fermes des relations diathétiques un reflet direct de la classification stoïcienne des prédicats en 'droits' (orcha) , 'renversés' (hU.pcia ) ; 'antipassifs ' (ami peponrh6ca) et ' n e utres ' (oudécera). 1 29 . Ceci ressort nettement de S. 1. § 46: voir sur cette question ma note 1 3 3 au passage signalé de la S. , et plus généralement l e dossier que j ' ai réuni dans Lallot ( 1 994c ) . Pour une étude d ' ensemble des heurs et malheurs du couple sujet-prédicat dans la tradition logico-grammaticale antique et médiévale. voir Pfister ( 1 976), Baratin ( 1 97 8 ) . ainsi que les contributions de F. lldefonse. M. B aratin. 1. Rosier dans Je même rec ueil que Lallot ( 1 994c).
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désignation distinctivet 30. Ce point établi - et qui évidemment constitue une donnée d' importance pour la caractérisation de la théorie syntaxique d ' A . -, il faut aussi noter qu'en maint passage de la S. , on voit A., évidemment conscient de la position distinguée du sujet (cf. Il, § 1 03 et n. 223), s ' évertuer à y faire référence en recourant à une terminologie plus ou moins distinctive. Ce qui frappe alors, c' est la variété des expressions utilisées et, pour la plupart, leur faible spécificité : on aura un bon aperçu de la question en observant en quels termes A. décrit, au livre l, la syntaxe casuelle du relatif ( § § 1 48- 154 : voir en particulier 148- 1 49, avec la n. 3 1 6, et 152, avec la n. 324), et, au livre II, tout ce qui touche les pronoms réfléchis (notamment § § 1 03- 1 1 6). On verra là qu' à côté de la fonction sémantique d' agentivité, bien venue pour caractériser le sujet d ' une phrase transitive active, A. met aussi en évidence la liaison étroite qui s ' établit entre le cas direct et le verbe et que manifeste la sunodos toû rhematos, expression qui peut se traduire t3t par 'l' accord du verbe' , scil. avec son sujett 3 2 . C e dernier point d e vue, clairement morphosyntaxique, a l' avantage, e n laissant de côté l ' agentivité, de permettre l ' appréhension d ' une fonction ' suj et' indépendante de la diathèse (cf. II, n. 226). On a là confirmation qu'A. maîtrise bien la polarité cas direct-cas obliques - ce que nous savions déjà. En revanche, ce qu' il nous faut remarquer maintenant dans les textes où cette polarité est décrite, par exemple ill , § 14, c ' est qu' elle est pensée en termes de référence à des 'personnes' : Quand on compose une phrase, les parti es de phrase [spécifiées par des marques flexionnelles] se distribuent de façon à s ' assoc ier avec ce à q uo i elles peuvent se rapporter, par exemp le un pluriel avec un p l u rie l quand ils désignent La même personne : graphomen hemeîs [nous écri vons] , graphousin hoi a n thrôp oi [les hommes écrivent]. En effet, quand il y a transitivité personnelle, l ' i dentité de nombre ne sera absolument pas requise : on peut dire en effet tuptousi ton anthrôpon [ils-frappent l ' homme] aussi bien que tuptousi toùs an th ropous [ils frappent les hommes] .
Or il est trop évident qu' un pareil schéma, efficace pour penser la transitivité, est impuissant s ' il s ' agit de mettre en évidence une dissymétrie entre les positions nominales dans une phrase comme Cet homme s 'appelle Ajax, ou J 'appelle cet homme Ajax, dissymétrie que, de son côté, la morphologie ne trahit pas, les deux termes nominaux, en grec, étant ici au même cas . De fait, on constate qu'A. paraît indifférent à ladite dissymétrie : cf. l, § 46 et n . 1 33 . E n un sens, on l e notera, cette indifférenciation casuelle - l' absence dans la morphologie d ' un cas 'prédicatif qui s' opposerait formellement au cas sujet confirme la validité du schéma de référence aux 'personnes' pour une langue comme le grec . S ' il s ' agit d' énoncer la règle de construction du prédicat nominal , une formulation du type "on met au même cas, dans une même proposition, les casuels référant à la même personne" n ' est pas moins adéquate 1 30. Eu égard à leur passé aristotél icien, les mots de la famille de kategoreîn étaient en principe disponibles pour fournir une telle désignation ; mais l ' examen de leurs emplois chez A. ( 1 4 du verbe, dont 8 dans la S.. 4 du subst. kategorema, dont 3 dans la S. , plus 1 de katëgoria (A. 1 29.20)) donne J ' image d' une grande dispersion sémantique et fait conclure. pour ces mots. à une véritable dissolution de leur valeur technique ancienne : voir à ce sujet les nn. 1 42 et 241 du 1. !. 1 3 1 . Sauf en 447, 1 où la référence est tout autre. 1 32 . On en rapprochera le tour isolé, mais identiquement orienté. II, § 1 1 5 (2 1 5 , 1 0) : t à ktitekhen rhema sunaphés esrin toi g i 'le verbe kcirekhen est relié à ge' , pour dire que g e est le sujet de lduekhen.
INTRODUCTION
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que l a formulation qui nous est familière "l' attribut se met au même cas que le sujet" 133 . On pourrait donc songer à soutenir que, pour la description de la syntaxe grecque, la distinction entre des fonctions nominales 'sujet' et ' prédicat' ne sert à rien, qu ' il est donc vain de s' acharner à la trouver chez A., et plus vain encore, si on ne la trouve pas, de lui faire grief de l' avoir ignorée. B ien inspirée dans son principe, cette position polémique laisserait toutefois de côté une donnée syntaxique qui confère de la pertinence à la distinction fonctionnelle sujet vs prédicat pour le grec : la syntaxe de l ' article. En position prédicative - hormis le cas de phrase équative -, un casuel ne prend pas l ' article . A., qui ne manque pas une occasion de souligner la chose, le fait, comme le note Donnet ( 1 967 :40s., cité plus haut 2.5 . 1 .) de manière répétitive à propos de divers cas particuliers (1, § § 46, 1 07 , 1 09, 1 32), sans jamais proposer d ' explication unitaire (cf. ma note 234 ad I, § 1 06) . Il nous faut en prendre acte, tout en relevant par ailleurs des formulations qui montrent à l ' évidence qu ' A . avait bien perçu la structure sujet-prédicat (cf. I , § 72 e t n . 1 8 1 ), ainsi que le rapport entre prédication et absence d ' article : voir, au livre I, outre la note 234 déjà citée, les notes 237 et 24 1 . Cet exemple suffira ici pour donner une idée de la 'physionomie ' , à nos yeux parfois si singulière, de l ' analyse syntaxique d ' A . : faisant fond sur l ' analyse sémantico-fonctionnelle des valeurs portées par une morphologie flexionnelle riche (distribution du lexique en 'parties de phrase ' , inventaire systématique des signifiés de leurs ' accidents ' respectifs), cette analyse, comme l ' a bien vu Donnet, tend à privilégier les fonctions inscrites dans les formes, l ' exemple le plus net étant l ' opposition cas direct-cas obliques. En revanche, lorsque une fonction n' appelle pas une forme spéciale, comme c ' est le cas pour le prédicat nominal, le gramm airien ne lui accorde pas une attention suffisante pour aller jusqu ' à lui donner une dénomination univoque et stable, encore moins pour lui faire j ouer un rôle structurant dans la démarche descriptive. À l ' occasion, cette relative i ndifférence aux fonctions sans forme spécifique peut donner l ' impression qu'A. ne perçoit pas la différence entre position de sujet et position de prédicat (cf. II, § 47 et n. 89), ou entre relation de détermination et relation de prédication (cf. I, § 46 et n. 1 33 ; § 1 22 et n. 266). 2.5.3.2.5 . Une syntaxe des parties de phrase Plutôt que de nous risquer, bien imprudemment, à lui dénier cette compétence, contentons-nous de constater que son discours syntaxique se présente fondamentalement comme la description d' une combinatoire de formes au service d ' un assemblage de signifiés. Le lexique et la morphologie flexionnelle fournissent un répertoire de signes porteurs de signifiés riches et complexes ; le locuteur puise dans ce répertoire pour composer par juxtaposition une suntaxis, assemblage de signifiés congruents entre eux et adéq uats à la situation à décrire. Lorsque l ' opération est réalisée selon les règles, katà to déon , c ' e st-à-dire présente la bonne forme à la bonne place compte tenu du message à transmettre , la phrase est bien formée, sustat6s, et donc 1 33 . On pourra cenes m' objecter que l a première formulation est plus gross ière que la deuxième, dans la mesure où elle ne s' applique vraiment bien qu ' aux phrases équatives du type X est le Pape, tandis que dans des prédications d ' appanenance comme X est facteur ou X est blanc, la notion d' identité de ' personne ' entre sujet et prédicat relève d ' u ne logique un peu lâche. Soit, mais pourquoi s ' en offusquer ? Ne peut-on, d' une pan, l aisser le raffinement logique aux logiciens, et. d ' autre pan, pour assurer le bon fonctionnement de la règle linguistique, observant que, dans les phrases considérées, le facteur et le blanc sont indi ssociables du référent X. décider d ' assimiler cette indissociabilité à une identité ?
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compréhensible, sunetos, par le récepteur. Celui-ci trouve, dans la chaîne qu' il entend ou qu ' il lit, 1 ' assemblage de signifiés lexicaux et grammaticaux ( 'signifiés conjoints ' ) qui lui permet de 'remonter' sans encombre à la situation de référence - identification précise des actants ( ' personnes' ) grâce à la dénotati on qualitative ( noms, participes) et à la détermination référentielle, déictique ou anaphorique (articles et pronoms), identification qualitative des actions et de leur situation dans le temps (verbes, participes, adverbes), repérage de la diathèse, ou position des actants dans le scénario actanciel (voix verbale, cas nominaux et pronominaux), éventuellement des déterminations spatiales (prépositions, adverbes) - et d ' identifier la modalité de l ' énoncé (modes verbaux, adverbes, conjonctions). Peut-être aura-t-on reconnu, dans cette énumération récapitulati ve, la démarche même de la Syntaxe : livre I consacré aux articles , livre II aux pronoms, livre III aux verbes, livre IV aux prépositions (et, selon toute vraisemblance, aux adverbes et aux conj onctionsl34 ). L ' organisation même de l ' ouvrage témoigne en faveur de notre anal yse : la sy ntaxe d ' A . est fondamentalement une syntaxe des parties de phrasem . Q u i l y ait là une sone de 'fixation' d'A. me paraît confirmé par certaines de ses prises de positions en matière de phrase complexe - je terminerai par là ces réflexions sur sa doctrine syntaxique. '
2.5.3 .2.6. Syntaxe des phrases complexes J ' ai signalé plus haut ( 1 .2.4.7 .) tout ce qu'A. devait aux Stoïciens en matière d' analyse des phrases complexes . S i cette dette se traduit positivement, chez le grammairien, par l ' attention systématique qu' il prête, dans J ' étude des phrases complexes recensées par le Portique, aux questions d ' ordre (akolouthia, taxis ) et de vérité t 3 6, elle se trahit aussi, négativement, par la d i fficulté qu' éprouve A. à appréhender comme des ensembles propositionnels des structures auxquelles les logiciens ne s ' étaient pas intéressés. J' en donnerai deux exemples, tous deux relatifs à des propositions que nous appelons complétives. 1 ) Complétives conjonctives. Le grec connaît, après un certain nombre de verbes (verbes déclaratifs, verbes de perception, etc . ), des complétives conjonctives, notamment introduites par la conjonction hoti 'que ' . Il me paraît significatif qu' A. ne rencontre ces constructions que par hasard, à 1 ' occasion du traitement des causales, qui peuvent aussi être introduites par h6ti, cette fois au sens de 'parce que' . On le voit bien en C. 235 , 20ss . , où a) un exemple de complétive, ékousa hoti philoponoiës (optatif) 'j ' ai entendu dire que tu étais ardent au travail ' , est donné en passant, sans mention de sa spécificité sémantique par rapport aux causales, simplement pour illustrer la possibilité de 1 34. Je m ' en suis tenu. dans cette récapitu l ation, à la syntaxe de la phrase simple, à un seul verbe. Si la conjonction s'y trouve mentionnée (à propos de la modalité : cf. III. § § 21 et 1 24- 1 26), cette mention n ' épuise évidemment pas ses emplois la conjonction étant l ' instrument par excellence de construction des phrases complexes (cf. 1, § 14 et n . 56). 1 35. Je préfère cette expression à celle de ' syntaxe du mot' qu emplo i e Donnet. B ien mieux ,
'
que la notion, linguistiquement mal définie, de 'mot ' , celle de ' partie de phrase' implique. comme je l ' ai souligné. que l ' élément de base de la phrase, en tant q u issu de sa parririon , est d' emblée porteur de fonctionnalités qui orientent sa construction et en font tout le contrairt: d ' un matériau inerte : faite de 'parties de phrase ' , la phrase n ' est pas un tas. ni une collection, c est bien un assemblage. au sens technique que prend ce terme dans les arts mettant en jeu une activité de construction . 1 36. Voir, par exemple, le traitement des c au s ales C. 234. 1 3ss. ; dans la S !, § 9 et n. 36, Ill, '
'
,
§ 89
..
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construire hOti avec l ' optatif ; b) la construction complétive h6ti to méli gluku esti, proph 'que Je miel soit doux , c' est évident' est rangée sous Je chef d ' un emploi ' confirmatif de h6ti, emploi dont il apparaît par ailleurs (S. III , § 89 ; IV, § 26) qu' A. ne l ' envisage pas comme réellement conj onctif : h6ti 'confirmatif ne semble pas jouer un rôle différent de celui que remplit l ' adverbe nai 'oui' auprès d ' un verbe dont il 'confirme la modalité indicative ' , II, § 5 2 ; Ill , § 93. 2) Proposition infinitive. Ce type de complétive est bien attesté en grec avec des verbes de type ' falloir' , ' vouloir' , les verbes 'dire ' , etc. Il peut se décrire comme issu de la transformation d' une proposition libre dont le sujet est au nominatif et le verbe à un mode personnel en une proposition dépendante dont Je sujet est à l ' accusatif et Je verbe à l ' infinitif. A. lui-même donne des exemples de cette transformation : voir S. III, § 86, où la phrase légousi ton ouranon periékhein t�n g�n. litt. ' on dit Je ciel (ace.) envelopper (inf. ) la terre' est dite ' provenir de ' (cf. ex hoû genesetai, 345,8) periékhei ho ouranos t�n g�n 'le ciel (nornin.) enveloppe la terre' . Cependant - et c ' est ici Je point que je veux mettre en évidence - A . , dans les passages où il prend explicitement position sur l ' analyse syntaxique de l ' accusatif qui est pour nous Je sujet de l ' infinitive, refuse de Je mettre en rapport avec l ' infinitif et préfère en faire l ' objet transitif du verbe supérieur : voir III, § § 7 8-79 et 1 6 1 - 1 64 . En rejetant J ' analyse (sans doute proposée par d ' autres, cf. note 1 86 ad III, § 78) de deî emè akouein 'il me faut écouter' en deî - (emè - akouein) 'il faut (moi-écouter) ' au profit de deî emè - akouein 'fait défaut-à moi-écouter' , A. marque nettement sa préférence pour une syntaxe des parties de phrase (schéma transitif de base N l(nomin . ) - V N2(cas obi.)• ici sous forme hyperbatique V - N2 - N 1 ) et sa répugnance à admettre q u ' un groupe sujet-prédicat puisse, transformé à l ' infinitif, former le terme unique d ' une construction deî - Pinr. Il y aurait encore beaucoup à dire sur la théorie syntaxique d ' A . , mais le dire ici serait alourdir à l ' excès une introduction déjà longue. Je laisse donc au lecteur de la traduction et des notes le soin de découvrir lui-même comment s ' organise la démarche analytique du maître alexandrin. - J'en viens pour finir à mon travail de traducteur. 3. TRADUIRE LA SYNTAXE 3.1. Le texte grec 3. 1 . 1 . Histoire m
L ' éditeur moderne qui souhaite établir un texte aussi autorisé que possible de la S. est tributaire d' une tradition plurieUe constituée par : 1 7 manuscrits recensés par Uhlig ( 1 9 1 0: XXIII-LI), qui s ' étagent entre le 1 1 e- 1 2e et le 1 6e siècles ; 5 éditions imprimées , datées respecti vement de 1 495 (Venise, editio princeps par Alde Manuce), 1 5 1 5 (Florence, édition Juntine due à E. Bonini) 1 3 B , 1 590 (Francfort, édition critique et annotée par F. Sylburg accompagnée de la •
•
1 37. Les indications fournies ici sont fondées sur les pp. IX-LV de l ' introduction de l ' édition de G. Uhlig ( 1 9 1 0), dont je m ' efforce de condenser la substance. Je tiens compte également de 1 " apport de publications plus récentes - et des avis éclairés q ue rn' a généreusement prodigués Philippe Hoffmann. 1 38 . Selon Egger ( 1 854:5), l ' édition, partielle (livre 1), de J. Cheradamus (Saint-Denis, 1 535) reproduit le texte de la Juntine.
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traduction latine de la S. par F. Portus), 1 8 1 7 (Berlin, l. B ekker) , 1 9 1 0 (Leipzig, G . Uhlig) ; la tradition indirecte, dont la pièce maîtresse est constituée par les nombreux passages des livres XVII et XVIII des Institutions grammaticales dans lesquels Priscien suit de très près le texte d' A. I39 Les éléments constitutifs de cette tradition sont, comme toujours, de valeur inégale. En ce qui concerne les manuscrits, en raison des relations généti ques qui existent entre eux, les spécialistes s ' accordent à penser que quatre ou cinq tout au plus peuvent légitimement retenir l ' attention de l ' éditeur soucieux de remonter au texte de l ' archétype de la tradition. À cet égard, on reconnaît depuis B ekker une autorité éminente au plus ancien d ' entre eux, le Paris. gr. 254 8 ( A fin 1 1 • ou début 1 2• siècle) . C ' est à vrai dire le seul point d ' accord sans réserve entre les savants. Le stemma établi par Uhlig (p. XLII), qui met en évidence le bien-fondé d' une prise en considération, en plus de A , des mss Laur. LX, 26 ( L , 1 4• siècle), Paris. gr. 2549 ( C, fin 1 3• ou déb. 14• s . ) , Paris. gr. 2547 ( B , achevé e n décembre 1493) a été contesté p ar Maas ( 1 9 1 1 a, 1 9 1 2). Ce dernier pense que A est en fait l ' archétypei40 et en déduit logiquement que LCB n' ont de valeur que pour la partie du texte qui manque dans A (p. 25 ,4-9 1 ,6 Uhlig) . Le bref article de Maas ( 1 9 1 1 a, repris pour l ' essentiel 1 9 1 2:79) laissant malgré tout planer quelques doutes, et appelant un réexamen de la tradition qui n ' a toujours pas été fait (notamme nt pour établir les relations dans le groupe LCB ), j ' adopte, dans mes Notes critiques, une position prudente : pour tout lieu variant faisant l ' objet d' une note, je mentionne la leçon de chacun des quatre mss A, L, C et B comportant le passage concerné. J' indique donc, dans le tableau qui suit, la partie du texte couverte par chacun de ces quatre témoins (pages et lignes de l ' éd . Uhlig, seules les grandes lacunes sont prises en compte) : •
=
,
=
=
=
( fin l 4 I )Il A : -[lac. 25,6-9 1 ,6] L : -------- [ lac. 1 9 1 ,4 246,3 ] ----- [ lac . 3 1 8 ,7-fin ] C : ----- [ lac. 1 9 1 ,4-246,3 ] ------ [ lac. 478 , 1 0 -fin ] -
B:
lac. 1 9 1 .4-246,3
lac. 478 , 1 0-fin
Les éditions valent par la qualité de leurs sources manuscrites, par la capacité des éditeurs à y distinguer le bon grain de l ' ivraie, à l ' occasion par les corrections qu' ils apportent à un texte jugé corrompu. 1 39 . Cf. Matthias ( 1 8 8 7 ) , Luscher ( 1 9 1 2) . Froehde ( 1 895 ) . M aas ( 1 9 1 2 : 8 e t ! Os.) met
toutefois en garde contre une attitude trop peu critique à l ' égard du témoignage de Priscien : outre que l ' auteur des Institutions g rammaticales se permettait çà e t là des interpolations personnelles (e. g. 1 ,5), le texte q u ' i l lisait souffrait déjà par endroits des mêmes corruptions que notre meilleur manuscrit (e. g. 430,5 ) . - Quant aux témoignages de Chœroboscos et des scholies à la Technè (en particulier celles d ' H éliodore), précieux pour reconstituer la doctrine d ' A . (cf. Lallot 1 98 9 : 3 3 ) , ils se révèlent de peu de secours pour restituer la lettre de la S. 1 40. Sans doute copié directement, pour le texte de la S. , sur un modèle hellénistique ( 1 9 1 2:9), et heureusement corrigé, en maint passage fautif, par une deuxième main (A2 ou A3 de Uhlig), selon Maas ( 1 9 1 2:7) contemporaine de la première (A l ) , d' après un autre modèle. Les corrections de cette deuxième main sont antérieures à L, qui les adopte quasiment toutes. Dans mes Notes critiques au texte grec , j ' appelle "Aac" la première main, e t "Apc" la deuxième. 1 4 1 . 'Fin' doit s ' entendre ici dans un sens purement factuel : c ' est le terme qu' assigne à la S. notre ms le plus complet. Mais nous avons vu (ci-dessus 2.2.2 . 3 . 2 . ) que le livre IV tel que ce ms nous le livre est certainement incomplet.
INTRODUCTION
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Il n ' entre pas dans mon propos de décrire par le menu 1' état de nos manuscrits : je renvoie sur ce point au travail de Uhlig (p. XXIII-LI). J'y ajoute seulement une remarque, à propos du ms A. Les désignations laudatives de 'praestantisssimus liber' , ' optimus codex' q u ' Uhlig lui applique (XXIII ) doivent s' entendre au sens relatif du superlatif : pour être le plus complet, le plus ancien - et à ce titre le plus précieux - de nos mss, ce Parisinus n ' en comporte pas moins de nombreuses fautes (Uhlig, p. XXXIII) , des lacunes, une accentuation irrégulière (et dont il est souvent difficile, quand elle est notée, de discerner si elle remonte à la première ou à une seconde main), des grattages 142 avec des corrections plus ou moins heureuses de la première ou d' une deuxième main, des passages peu lisibles, tous défauts que le recours aux autres mss, bien souvent, ne permet pas de pallier de manière satisfaisante (surtout si, comme le pense Maas, A est à l ' origine de l ' ensemble de la tradition). Je crois donc utile, pour tempérer l ' optimisme injustifié que pourraient inspirer au lecteur les superlatifs de Uhlig, de citer ces mots de Maas ( 1 9 1 2 : 14) :
. . . der krause Stil des Apollonios und der schlech te Zusrand unserer Überlieferung machen an unziihligen Srellen eine befriedigende Uisung, ja sel b st eine Lokalisierung der Korruptel unmbglich [les italiques sont de moi]. Je place sous le signe d ' un tel jugement les notes, assez nombeuses, où je prends la précaution de signaler que j ' interprète un texte conjectural : il ne s ' agit en aucun cas d' une dérobade, encore moins d' une coquetterie rhétorique. Face à une telle situation, que nous apportent les éditions de la S. ? La première édition importante est celle de Sylburg ( 1 590) : héritière des travaux philologiques dus à S ophianos, Ellebode, Dudith et Portus, elle se laisse comparer, pour l ' extension du texte et pour la qualité des observations critiques, à celles que produisit plus tard l ' érudition des 1 9• et 20• siècles l43. Les éditions de Bekker et de Uhlig se recommandent à leur tour par une exploitation plus judicieuse de la tradition manuscrite - avec notamment la priorité accordée au ms A et par la compétence philologique hors de pair de ces deux savants . Fondée sur celle de Bekker dont elle rappelle systématiquement les choix dans J ' apparat critique, l ' édition de Uhlig s ' en distingue notamment : 1 ) par une attitude plus critique à l ' égard des lectiones faciliores du Parisinus 254 7 (B) 144 et, corrél ati vement, par une tolérance plus grande envers les lectiones -
1 42. La lecture de la leçon grattée ("A•c sous une rature" dans mes notes critiques) m ' a souvent paru hasardeuse. J ' ai toutefois régulièrement signalé (A•< ) les leçons assignées à A 1 avant correction par Uhlig (d' après la lecture du ms par J. Guttentag), mais en les faisant suivre d ' un "(?)" chaque fois que je n ' ai pas cru pouvoir les garantir moi-même. 1 43 . Au cours d'un an de travail commun (à Padoue, mars 1562-mars 1 563), M. Sophianos ( t 1 566) et N. Ellebode ( t 1 577) ont enrichi de nombreuses notes critiques et de conjectures personnelles le texte d' une Aldine de la Bibliothtque Ambrosienne à Milan (S.Q. 1 . VII 1 = rn* chez Uhlig), dont ils ont par ailleurs comblé les deux grandes lacunes ( 1 9 1 .4-246,3 et 478 , 1 0-fin) à partir d'un apograpbe du ms A. II apparaît aussi que les deux savants disposaient, pour leur révision de l ' Aldine, d'un ms 'très proche de B' (Uhlig, p. XLIX, 1 5 ) . Ainsi rn*, pour partie imprimé, pour partie manuscrit, est le premier livre qui contienne tout ce que nous connaissons aujourd 'hui du texte de la S. Sophianos et Ellebode remirent chacun une copie de l'Aldine ainsi retouchée respectivement à F. Portus (t 1 58 1 ) et à A . Dudith ( t 1 5 89). Ces derniers enrichirent à leur tour de leurs observations critiques le livre qu' ils avaient reçu, et Portus traduisit le texte en latin. L'édition de Sylburg repose sur les exemplaires de Dudith et de Portus. 1 44. Tout porte à penser que le Paris. gr. 2547 a eu pour modèle un manuscrit dont le texte avait été revu et 'poli' par le grammairien Constantin Lascaris ( 1 434- 1 5 0 1 ).
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DE L A CONSTRUCfJON
difficiliores du Parisinus 2548 (A) 1 45 ; 2) par une exigence plus marquée de cohérence l ogique du texte qui conduit l ' éditeur à proposer des conjectures nouvelles - qu' elles soient de son cru ou s ' inspirent des travaux critiqu es consacrés à Apollonius par les philologues du J 9e siècle : G. Dronke ( 1 854 ), E. Egger ( 1 854), R. Skrzeczka ( 1 847, 1 85 3 ) , G. F. Schoemann ( 1 860), R. Schneider ( 1 864, 1 867 , 1 869 , 1 874, 1 878, 1 88 3 , 1 902, 1 904) 146 . Dans l ' ensemble, on ne peut qu' être impressionné par la qualité des choix critiques du savant allemand, et l ' on ne s ' étonnera guère que les deux traducteurs récents de la S. , Householder ( 1 9 8 1 ) et Bécares B otas ( 1 987 ), déclarent ne s ' être écartés que très rarement du texte de Uhlig i47, ce qui montre assez l ' autorité dont jouit son édition. Pour ma part, tout en proclamant mon admiration pour le travail colossal de Uh l ig auquel le mien doit tant, j e relativiserai, comme je le faisais à l ' instant pour la tradition manuscrite, l ' impression de perfection qui peut se dégager de son ouvrage. Je le ferai à nouveau en citant Maas ( 1 9 1 2 : 14) : Das Gesamturteil über die Ausgabe der Syntax muB lauten, daB sie über Bekkers Text und Al. Bunmann s erkUirende Übersetzung weit hinausgekommen ise, aber n ichts AbschliefJendes leistet [les italiques sont de moi]. Ce jugement balancé, que je reprendrai volontiers à mon compte, explique à la fois que, comme les autres traducteurs récents, je prenne largement appui sur l ' édition de Uhlig, et que cependant, plus souvent qu' eux, je pren ne mes distances par rapport à un texte qui reste à mes yeux problématique sur bien des points.
1 45 . Tolérance argumen tée
en note, dans tous les cas délicats, par l'appel à de s parallèles pris
dans l'ensemble de l 'œuvre transmise d'Apollonius et par l ' expl i cati on des constructions diffic iles. On peut certes avoir des réserves sur la pertinence de cenains parallèles et sur la plausibilité de certaines explications, mais il e st incontestable à m es yeux que, d a n s
l' ensemble, les très nombreuses remarques de cette nature qu'on trouve réparties entre ) ' ADNOTATJO EXEGETICA et l' ADNOTATIO CRITICA d e J ' édi ti on Ub J i g constituent une contribution inestimable au déchiffrement du texte d' Apollonius. Sur les idiosyncrasies de la langue de notre grammi ri en, la dissertation de R. Schneider, Tracta/us de Apollonii consuetudine (GG TI 3, p. 1 4 1 - 1 6 1 ) es t égaleme nt très précieuse. 1 46. Uhlig a également pu consulter les exemplaires de J ' édition B ekker annotés par K. Lehrs , G. F. Schoemann. L. Lange, P. Egenolff. ainsi que deux fascicules cri t i q u es de L. Kayser . Il reconnaît enfin une dette, à vrai dire fon mince, envers B uttman n ( 1 877), q u ' i l présente plus volontiers comme un repou sso ir q u e c o mm e u n i nsp i rateu r. ( Je n e m ' expliq ue pas l ' extrême sévérité de Uhlig, p. LXXIVs., pour Buttmann. Maas ( 1 9 1 2 : 1 0) p arle à ce propos de 'mépris' (V erach tung) et n ' es t visiblement pas fâché de m ettr e . à propos de deux passages (490.6 ; 49 1 ,8 ) Uhlig dans son tort vis-à-vis de B ultmann. Bien que je ne suive pas Buttmann-Maas dans l'interprétation du second passage, je souscris volontiers au jugement de Maas sur la traduction de B uttrnann "plus maltraitée que cela ne s'imposait dans J'Introduction [de Uh l i g]" : "Das B uch hat �eine Verdienste, wenn a u c h mehr durch seine Fragen ais durch seine Antworten".) 147. Householder ( 1 98 1 : 1 ) : "This translation is made, in the main, from Uhlig ' s text. with about seven or eight minor changes, mostly (a) wbere I have preferred a re ad i n g which Uhlig kept in his apparatus, (b) where I have sim p l y omitted a bracketed passage. (c) where I h a ve given the text of a quotation in a form closer to the ac c epted text of the poet be i ng quoted (pro vided . of course, Apollonius' point is not affected in the change)." Béc ares Botas ( 1 987:65) : "Sigo casi siempre el texto de Uhlig, salvo unas pocas lecciones distintas, que suelen estar ya en el apparato cr lti c o , no por el placer de la conjetura, sino porque estân mas de acuerdo con mi version . " (Suit une liste de 17 passages où B . B . choisit de traduire u n autre texte que celui de Uhlig ; i l s' agit dan s pl us de l a moitié des c as d'un retour au texte transmis, très rarem en t d ' une conjecture personnelle.)
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INTRODUCfiON
3. 1 . 2. Le texte et les notes critiques du présent ouvrage
Le texte que je mets ici à la disposition des lecteurs ne repose pas sur la relecture exhaustive des mss et ne prétend donc nullement constituer une nouvelle édition savante de la Syntaxe, qui remplacerait celle de Uhlig. Il s ' agit d'un texte grec revu d 'après l 'édition critique de Uhlig la révision ayant consisté, pour partie à faire d' autres choix critiques que lui dans la tradition, pour p artie à placer dans le texte même des conjectures qui paraissaient indispensables à Uhlig, mais qu' un protocole éditorial aujourd ' hui désuet lui laissait Je loisir de ne mentionner que dans son apparat. Me conformant pour ma part aux usages de notre temps, sauf cas désespérés signalés par des cruces (t), je donne à lire un texte que je tiens pour intelligible et dont ma traduction veut être une interprétation aussi fidèle que possibJe 14S . Cela dit, nul n ' ignore que la critique textuelle n ' est pas une science exacte, et nul ne nie que 1 ' exercice de cet art difficile fasse place à une part non négligeable de subjectivité. Le lecteur pourra juger cas par cas du caractère plus ou moins bien fondé de mes propres choix : il va sans dire qu' à mes yeux mêmes, les solutions que j ' adopte ne se distinguent qu ' en termes de degré de probabilité de celles des éditeurs antérieurs que je rejette. Il n ' y a donc pas de doctrine générale dont je puisse faire état ici pour justifier les écarts q u ' on observera entre mon texte et celui de Uhlig : il n ' y a, pratiquement, que des cas p articuliers. Tout au plus pui s-je signaler tout de même , pour nuancer légèrement ce propos , q ue j ' ai tendance à adopter une attitude peu interventionniste pour ce qui touche l ' emploi de certaines particules : le cas le plus typique est celui de yoûv , agglomérat très polysémique de )'E et de o ù v (cf. Schneider, Tract. 1 55 ,5), que je préfère, avec B ekker, garder partout tel que nous le transmettent les manuscrits (à l ' exception de B, qui ne connaît que ' y oùv), plutôt que de le corriger, comme le fait Uhlig en quelques passages, en -y' oùv ( 1 3 8 , 1 1 [apparat] ; 1 5 1 , 1 ; 242,3 ; 252, 1 ; 307, 1 ; 3 1 3 ,3 ; 3 3 1 ,3 ) ; il ne me paraît pas plus artificiel de prêter un peu plus, si nécessaire, à la flexibilité sémantique de yoûv que de supposer qu'A. distinguait sémantiq uement des homophones y ' oùv et yoûv . De même, pas plus que Maas ( 1 9 1 2 : 1 0) qui parle à ce propos de ' gr arnmatische Pedanterie' , je ne vois le bien-fondé des corrections introduites ou adoptées par Uhlig de où v en yoûv (46,5 ; 297 ,5) ou de yoûv en oùv ( 1 69, 1 5 ; 43 1 ,8). Mais ce sont là de petites choses . Pratiquement, les notes critiques placées sous Je texte grec , constituent un apparat allégé qui donne au lecteur des indications différentielles, à savoir : 1 ) Pour la partie du texte présente dans le ms A, ne donnent en principe lieu à une note critique que les écarts du texte édité par rapport à ce ms t 49 ; j ' indique alors, outre l ' origine de la leçon ou de la conjecture retenue, les leçons des autres témoins disponibles du groupe LCB . Lorsque deux états de A sont lisibles (avant et après correction), je signale les leçons concurrentes si elles me paraissent toutes les deux mériter notre attention ; 2) Pour les parties du texte manquant dans A, les notes critiques signalent -
1 48 . Je reviendrai plus loin sur les pri ncipes qui ont guidé la traduc tion, et sur la
c omplémentarité entre traduction et notes .
1 49 . Pour éviter de multiplier les notes sans intérêt. j ' ai décidé de négliger les nombreuses
fautes de A qui peuvent indiscutablement être tenues pour des fautes d ' orthographe. typiquement : confusion fréquente de o et de w [mais j · ai signalé l es flottements TO (pour Té.) 1 TW (pour T