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German, English, French Pages 544 [548] Year 2017
Beiträge zur Dialogforschung
Band 15
Herausgegeben von Franz Hundsnurscher und Edda Weigand
Dialoganalyse V Referate der 5. Arbeitstagung Paris 1994
Dialogue Analysis V Proceedings of the 5th Conference Paris 1994 Herausgegeben von Etienne Pietri unter Mitarbeit von Danielle Laroche-Bouvy und Sorin Stati
Max Niemeyer Verlag Tübingen 1997
Die Deutsche Bibliothek - CIP-Einheitsaufnahme
Dialoganalyse : Referate der ... Arbeitstagung = Dialogue analysis. - Tübingen : Niemeyer. NE: Dialogue analysis 5. Paris 1994. - 1997 (Beiträge zur Dialogforschung ; Bd. 15) NE: GT ISBN 3-484-75015-4
ISSN 0940-5992
© Max Niemeyer Verlag GmbH & Co. KG, Tübingen 1997 Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany. Druck: Weihert-Druck GmbH, Darmstadt Buchbinder: Industriebuchbinderei Hugo Nädele, Nehren
Inhaltsverzeichnis / Table of Contents / Sommaire
Vorwort / Preface / Préface
IX
Plenarvortrag / Plenary Session / Session plénière Claude Hagège L'humain au centre de l'interaction verbale
.3
Franz Hundsnurscher Characterising Speech
.9
Sektion I / Section I Allgemeine und strukturelle Aspekte - Theorie und Methodologie General and Structural Aspects - Theory and Methodology Aspects généraux et structuraux -Théorie et méthodologie Valérie Brunetière et Christiane Doizy Du non verbal dans les interactions trielles à partir de séquences consensuelles et polémiques de films de fiction
23
Patrick Charaudeau Y a-t-il un sujet de l'interlocution ?
37
Gerd Fritz Remarks on the history of dialogue forms
47
Blanche-Noëlle Grunig Dialogue et mémoire
57
Christian Hudelot De quelques problèmes posés par l'évaluation des conduites dialogiques
65
Martine Kamoouh Insertion du texte écrit dans l'interaction orale entre adulte et enfant. Quels critères d'analyse ?
77
Wolf-Andreas Liebert Zum Zusammenspiel von Hintergrundwissen, kognitiven Metaphernmodellen und verbaler Interaktion bei virologischen Forschungsgruppen
89
Giuseppe Mininni La séduisante hyperdialogicité de la communication médiatique
97
Etienne Piétri La linguistique contrastive et le dialogue
105
Mike Reynolds Radio Disc-Jockey Talk: an illustration of 'Genre Analysis'
113
vi
Johannes Schwitalla Verbale Machtdemonstrationen
125
Gillette Staudacher-Valliamee Le dialogue créole réunionnais. Communication verbale et non verbale
135
Robert Vion Une approche inter-énonciative de l'interaction verbale
145
Edda Weigand Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
155
Eva Lia Wyss Übersetzung oder Adaptation ? Zur "Übersetzung" von TV-Spots im Schweizer Fernsehen mit besonderer Berücksichtigung von Dialogsequenzen
175
Sektion II / Section II Fallstudien und Musterbeschreibungen Cases Studies und Dialogic-Patterns Etudes de cas et patrons dialogiques Yong-Ik Bak Das Unterweisungsgespràch zwischen Konfuzius und seinen Schulern
189
Maria Causa D'une langue à l'autre : variables communicatives et interactionnelles en classe de langue étrangère. L'exemple de l'italien langue étrangère en France
201
Francine Cicurel La dynamique interactionnelle dans le dialogue didactique
213
Françoise Claquin & Anne Croll La co-construction thématique dans un dialogue télévisuel
225
Svetla Cmejrikovâ Dialogue - Consensus - Differentiation. The case of a Dialogue on Russia and Europe
237
J.-M. Odéric Delefosse Interaction verbale dans le réapprentissage de l'écrit
245
Jana Hoffmannovâ Linguistics, style, and dialogue analysis
257
Guilhermina Jorge Les locutions métalinguistques à l'oral
263
Anne Lefebvre Heu / l'objectif de notre rencontre heu /
271
vii
Matthias Marschall La voix de l'autre. Discours rapporté ou discours attribué ?
275
Mary-Annick Morel Corrélation entre forme syntaxique et intonative de la question et forme de la réponse
285
Christiane Morinet Interaction verbale à contre temps
297
Aija-Leena Nurminen La référence personnelle en finnois et en français : deux systèmes opposés ?
305
Véronique Paturaut "Allô, bonjour..." Les activités d'ouverture des conversations téléphoniques
315
Rudolf Reinelt & Ichiro Marni The Applicability of verbal interaction Analysis for "less-discoursive" societies
323
Frédérique Sitri La transformation de l'objet de discours dans des interactions verbales de négociation
331
Milena Srpovd Approche contrastive dans l'apprentissage des langues et des cultures
341
Dusanka Tocanac L'expression du perfectif et de l'imperfectif. - Une approche contrastive des verbes serbocroate et français -
351
Sektion III /Section III Dialog in der Literatur Dialogue in Literature Le dialogue dans la littérature Angela Biancofiore Le dialogisme dans l'oeuvre d'Adonis
363
Régine Borderie Dialogue et récit. Marivaux, Les Serments Indiscrets (acte II, se. 10)
371
Andreea Ghita Pragmatic Aspects of silence
377
Anna M. Orlandini Les emplois de la négation dans les dialogues de Plaute et Térence
389
viii Sektion IV / Section IV Soziale und psychologische Aspekte - Sprachstörungen Social and Psychological Aspects - Speech Disorders Aspects sociaux et psychologiques - Troubles de l'énonciation Béatrice Cahour Motivation cognitive des dialogues coopératifs
401
Florence Casolari Les interactions transactionnelles à la poste
415
Silvana Contento & Stefania Stame Deixis verbale et non verbale dans la construction de l'espace interpersonnel A propos du syndrome bédoin
427
Sonia Gerolimich Discours politique ou dialogue ?
435
Gudrun Held La politesse de la requête dans l'interaction verbale - analyse contrastive d'un phénomène sociopragmatique
445
Claudia Krück, Elisabeth Heine, Nils Lürmann, Ulrich Rabenschlag & Michael Schecker Kommunikative Parameter psychopathologischer Prozesse
459
Olga Müllerovâ Cooperation and conflict in dialogue. On Material of Czech TV publicism
469
Henry Niedzielski Manipulative Techniques in the Language of Propaganda
477
Liana Pop D'un type de dialogue non coopératif
487
Heike Rettig, Lydia Kiefer, Carlo Michael Sommer & Carl F. Grauman Verwendung von perspektivrelevanten Persuasionsstrategien in Diskussionen um die Ausländerimmigration
497
Margrit Schreier The relevance of Topicalityfor the description of Unfairness in argumentative Communication
507
Maria-CécClia De Souza e Silva Une histoire sans fin : la réunion de travail
519
Franc Wagner, Matthias Huerkamp, Mark Galliker & C.-F. Graumann Implizite sprachliche Diskriminierung aus linguistischer Sicht
529
Préface
Le Vème Congrès de l'Association Internationale pour l'Analyse du Dialogue (International Association for Dialogue Analysis : I.A.D.A.), organisé en collaboration avec le Centre de Recherche en Linguistique Constrastive (C.R.E.L.I.C.), Formation de Recherche de l'Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III) a eu lieu à Paris sous les auspices de l'Université de la Sorbonne Nouvelle. L'organisation en avait été confiée à Danielle Laroche-Bouvy, professeur à Paris III, et à Etienne Piétri, maître de conférence à Paris III, lors de l'Assemblée Générale de l'I.A.D.A. à Bologne (Italie) en 1993. Après les messages de bienvenue adressés aux participants, respectivement par Etienne Piétri, responsable du C.R.E.L.I.C. et Sorin Stati, président de l'I.A.D.A., Suzy Halimi, président de l'Université de la Sorbonne Nouvelle, ouvrit le Congrès en soulignant l'importance et l'actualité du thème choisi, à savoir les "Nouvelles Perspectives dans l'Analyse de l'Interaction Verbale". La première demi-journée se déroula sous la forme d'une séance plénière consacrée aux interventions de John Sinclair, professeur à l'Université de Birmingham (Angleterre), Claude Hagège, professeur au Collège de France. Les travaux se poursuivirent en 4 sections consacrées respectivement aux problèmes généraux de théories et de méthodologies de l'interaction verbale, aux analyses des discours spécifiques, aux dialogues littéraires et aux aspects sociaux et psychologiques des dialogues. Le Congrès se termina par une Table Ronde, animée par John Sinclair, entouré notamment de Andreea Ghita (Bucarest, Roumanie), Adriana Gorascu (Burarest, Roumanie), Jacek Fisiak (Poznan, Pologne), Jana Hoffmanovâ (Prague, République Tchèque), Mike Reynolds (Sheffield, Angleterre), Angelika Thiele-Becker (Ittingen, Suisse). Les participants soulignèrent la nature interdisciplinaire des recherches récentes dans l'analyse des interactions verbales et mirent en évidence les nombreuses perspectives de recherches révélées par les travaux du Congrès. Les organisateurs tiennent à remercier les organismes qui contribuèrent au financement de la réalisation de ces rencontres d'universitaires de nombreux pays : Le Ministère des Affaires Etrangères, Le Centre National de la Recherche Scientifique, L'Université de la Sorbonne Nouvelle, ainsi que les organismes qui y apportèrent leur précieux concours : L'Institut Finlandais, Le Centre d'Etudes et de Recherches Universitaires sur le Langage. Paris, Janvier 1995 Etienne Piétri
Plenarvortrag Plenary Session Session plénière
Claude Hagège
L'humain au centre de l'interaction verbale
Au cours de cet exposé, je prendrai la notion d'interaction verbale dans une acception plus large que celle qui est la sienne dans la littérature dite internactioniste. Il ne sera donc pas, ou du moins pas directement, question ici des règles qui commandent l'enchaînement des tours de parole, ni des règles d'organisation des interventions et des échanges. Ainsi, mon propos n'est pas ici d'étudier la fabrication du contenu d'un texte comme ensemble d'événements survenant dans le cadre d'un dialogue entre deux ou plusieurs partenaires, dialogue ne signifiant pas, malgré la fausse étymologie qu'on lui attribue, qu'il y ait deux partenaires seulement. Ne privilégiant pas l'étude du texte comme contenu interactionnel, je n'articulerai pas davantage mon propos sur l'autre niveau que distinguent du précédent, notamment, Bateson et l'Ecole de Palo-Alto, à savoir le niveau de la relation que les énoncés instituent, sur le plan social, affectif ou actif, entre les interactants. Je ne retiendrai donc pas exclusivement les domaines que la tradition interactionniste traite comme centraux dans l'étude du niveau relationnel et dont certains sont étudiés par Goffman, à savoir les termes d'adresses, les formules de politesse, les honorifiques. En effet, par interaction verbale, j'entends ici, ou propose d'entendre, l'ensemble des procédés et des stratégies formelles que les locuteurs-auditeurs humains construisent au cours de l'évolution des langues - ma conception, par conséquent, est ici surtout morphogénétique - et qui ont pour intention et pour effet d'utiliser ces langues dans la communication. Si je parle de l'humain comme étant au centre (d'où le titre que j'ai proposé) de l'interaction verbale ainsi définie, c'est dans la mesure où ces procédés et ces stratégies me paraissent porter la signature humaine, c'est-à-dire la signature d'une action humaine de construction. En effet, si on est attentif à cette caractérisation, alors on voit ce qu'elle implique dans le cadre des débats qui agitent aujourd'hui la recherche en linguistique. D'une part, c'est ici une linguistique des langues qui est retenue comme préalable à une linguistique du langage. En d'autres termes, je mets ici l'accent sur la structure des langues, plutôt que sur l'aptitude à les acquérir, qui est inscrite au code génétique de l'espèce et conditionnerait, du fait de l'existence d'une grammaire universelle (universal grammar), l'apprentissage des grammaires particulières. D'autre part et par voie de conséquence, ce n'est pas un modèle cognitif qui est ici retenu, c'est-à-dire un modèle d'étude des structures de connaissance du cerveau humain, telles que les illustrent les modules de la même grammaire universelle au sens chomskyien contemporain, modules comme la contrainte de la sous-jacence, la théorie du liage et quelques autres. Selon ce modèle, les langues ne sont pas du tout conçues comme servant à, ou pouvant fonctionner pour,
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Claude Hagège
la communication, puisque qu'au contraire, les considérations fonctionnelles y sont explicitement rejetées. A l'inverse de cette proposition, je considère que même s'il y a quelque légitimité à garder sa distance vis-à-vis des formulations téléologiques, à fortiori téléonomiques, qui feraient dire que l'interaction verbale est le but de l'exercice de la parole, l'interaction verbale apparaît comme le cadre permettant de rendre compte de phénomènes caractéristiques de la fabrication des langues par les hommes, ici désignés comme CL, constructeurs de langues. Par conséquent et enfin, je n'oppose pas ici synchronie et diachronie, pas plus que je n'oppose langues comme système et langues comme activité. Le lieu géométrique où s'associent deux par deux les termes de ces polarités, c'est l'humain, l'humain précisément situé au centre de l'interaction verbale. Pour faire apparaître cette place de l'humain, je procéderai en deux étapes. A la première, je proposerai un modèle descriptif et explicatif de la morphogenèse linguistique. A la seconde étape, j'essayerai de montrer comment les systèmes d'instruments formels de l'énonciation s'articulent sur l'humain. Premièrement, ce que je propose d'appeler le cycle morphonogénétique. Le tableau 1 montre de quelle façon on peut essayer de l'articuler. La facilité de production implique que l'on réduise le nombre, la longueur, la difficulté d'articulation des unités et des groupes à produire, à la fois du point de vue phonétique et du point de vue grammatical, d'où des phénomènes très variés, tels que l'élimination des voyelles atones, la fusion de mots adjacents en un seul ensemble, la cliticisation d'éléments à l'origine indépendants, les assimilations de sons, les mélanges de voyelles ou de tons dans les langues à tons, les réductions de groupes consonantiques, la condensation de syntagmes en composés etc... TABLEAU 1
facilité de production recherche d'expressivité
facilité de perception intégrité matérielle
Cette réduction continue est un procès qui peut devenir, à la limite, un obstacle à la facilité ou commodité de perception. En effet, les changements variés qu'entraîne cette situation finissent par brouiller les frontières entre les morphèmes, par rendre obscures les relations entre les propositions. D'autre part, la recherche de l'expressivité, que j'ai mise ici en bas de la seconde ligne horizontale du schéma, conduit au renouvellement des expressions usées (il faudrait presque dire usagées). Mais les nouvelles formes, à leur tour, précisément parce qu'elles deviennent la norme établie, sont progressivement gelées, et ce processus de figement a pour
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L'humain au centre de l'interaction verbale
effet qu'elles perdent leur motivation. Le signal de ce changement, qui les rend de moins en moins transparentes, c'est la réduction ou l'élimination de nombreux éléments, ce que je désigne ici, à l'extrémité droite de la seconde ligne horizontale, comme la perte de l'intégrité matérielle. A une étape ultérieure, les formes figées finissent par retrouver une remotivation expressive et par conséquent, le cycle est en mesure de repartir. Le phénomène, ainsi, n'est pas unilinéaire, encore moins parabolique, mais véritablement cyclique. Voilà comment il me semble que l'on peut tenter d'interpréter la communication, cadre théorique général, qui a probablement aussi une certaine efficacité pratique. Les exemples qui suivent sont destinés à illustrer, sur quelques points particuliers, ce genre de situation. Lorsque l'on remotive de manière expressive en français contemporain (notamment parlé par les semi-lettrés) le quant à, le pour ou le comme du français classique en un au niveau de même quand il n'y a pas l'ombre d'un niveau nulle part, il est clair que l'on recherche une remotivation d'expression des relateurs prépositionnels qui paraissent usés. En allemand, de même, le bei + datif est remplacé par im Zuge + génitif, le Vor + datif par im vorfeld + génitif, d'où les exemples que je propose im zuge der Regierungsumbildung
("lors du changement de
gouvernement") ou im vorfeld des Kongresses ("devant le congrès"). Un autre exemple est celui du hongrois, dans lequel on voit les post-positions superessive et causale -n et le miatt, souvent remplacées par de nouveaux syntagmes. Ainsi, au lieu de N+ j i et de N + miatt. on trouve N + ter-é-n (domaine - Poss - dans) "dans le domaine de " et N + ok-a-n (cause-Poss - dans) "à cause de". Une autre illustration de l'hypostase est l'hypostase lituanienne. Les spécialistes appellent hypostase, le fait que dans une langue traditionnellement fusionnelle comme le lituanien, on agglutine, l'exemple de l'estonien probablement (langue voisine et agglutinante) des cas qui viennent enrichir le paradigme. En effet, sur la base de l'accusatif, du génitif et du locatif, on ajoute des suffixes qui donnent respectivement l'illatif, l'allatif et l'adessif. Cela ne fait pas moins de 9 cas en lituanien littéraire (et dans certains dialectes), une des langues, au moins d'Europe, les plus riches en nombre de cas parmi les langues flexionnelles. Un autre exemple de remotivation montre que la morphologie reste en retrait par rapport à l'évolution de la syntaxe proprement dite. On ne peut absolument pas dire "vous - casser - sa -piperez" pas plus que he kicks - the bucketed ; on dit vous casserez votre pipe et the kicked the bucket.. Ici se confirme ce fait que les expressions idiomatiques sont un des plus grands obstacles à l'analyse linguistique. Wallace Chafe, en 1968 écrivait un article au titre révélateur : "Idiomaticity as an anomaly in the Chomskyan paradigm". Ce qui, à une étape du cycle motivation-démotivation- remotivation, est le figement des structures a pour pendant, à une autre étape, le renouvellement expressif. Un exemple français de ce que je propose d'appeler "principe de dérive aoristique", me semble assez révélateur. Tout le monde sait qu'en français moderne et contemporain parlé (mais non en français écrit), l'aoriste narratif est à peu près absent - certains disent même qu'il a totalement
Claude Hagège
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disparu. Il est vrai que l'on ne dit plus guère "Je fus au cinéma hier et le film me plut", ni même au passé lointain, "Je me plus à voir l'an dernier (ou il y a deux ans) Tous les matins du Monde (ou tel autre film)". On ne dit plus cela, on emploie le parfait ou passé-composé. Par conséquent, "il répara la voiture", qui est un aoriste au sens strict du mot, c'est-à-dire, un narratif pur, sans effets subjectifs et retombées personnelles, est ici remplacé par un parfait : "Il a réparé la voiture", qui, de même que tout parfait, est une forme expressive caractéristique en français, comme dans les langues romanes en général (l'italien, le portugais, l'occitan, le roumain, l'espagnol, le catalan), c'est la présence d'un auxiliaire emprunté aux verbes les plus productifs, c'est-à-dire "être" et "avoir", selon les langues. "Il a réparé la voiture", au stade roman, était vraiment un énoncé de possession : "il a la voiture en tant que réparée", et avait par conséquent vraiment, plus encore qu'aujourd'hui, son sens résultatif. Il me semble que c'est typiquement là un renouvellement expressif. Seulement le parfait résultatif se fige à son tour, dans la mesure où il prend en charge, non seulement ses propres valeurs de remotivation expressive, mais aussi des valeurs aoristiques, puisqu'aujourd'hui en français parlé, il n'y a plus d'aoriste ; ainsi "il a réparé", tout en continuant d'être expressif, est devenu aussi un aoriste et par conséquent, est en train de dériver lui aussi (d'où le terme que je propose de dérive aoristique) vers un emploi spécifiquement narratif. Un autre cas de renouvellement expressif est l'exemple arabe de la négation. En arabe archaïque, on a lam yafÇal : "il n'a pas fait" (une négation + faire) qui avait, autant qu'on peut le reconstituer, à la fois un sens aoriste et un sens parfait. En arabe coranique, en arabe classique, on a mâfaÇflla, le parfait proprement dit et lam yafÇ/al continue à exister, c'est l'aoriste. Ici, nous voyons en effet une répartition des deux valeurs ; le mâ avec une négation mâ différente de lam devant yafcal est suivi de faÇflla, qui est une forme expressive, car c'est un ancien participe, c'està-dire une forme d'origine nominale, autant que peuvent la reconstituer les sémitisants. Par conséquent, en arabe comme dans d'autres langues, on remotive à travers des formes expressives qui sont des formes nominales. En moyen-arabe, nous avons seulement la forme mâ faÇala qui se maintient et qui élimine, en faisant ce que fait aujourd'hui le passé-composé français, l'opposition entre les deux car elle prend en charge à la fois l'aoriste et le parfait. En arabe littéraire moderne, arabe écrit, le cycle se referme sous la forme lam yafÇal qui prend en charge elle aussi à la fois les valeurs aoristiques purement narratives et non subjectives et les valeurs perfectives tout-à-fait subjectives et résultatives. Voilà donc comment je propose de concevoir ce que j'ai appelé le cycle morphogénétique. Si j'en traite dans le cadre de l'interaction verbale, c'est parce que, au-delà des effets de réaction pragmatique, l'interaction verbale est à considérer comme ce à quoi l'on peut imputer la morphogénèse elle-même. Et ainsi, j'en viens à ce que que je suggère d'appeler le système de l'antropophore ; je proposais naguère de parler d'égophore et à la faveur de bonnes critiques, j'ai transformé égophore en anthropophore car égo n'est pas nécessairement la source et
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L'humain au centre de l'interaction verbale
l'aboutissement de tout, bien qu'il ait une place éminente. Ce qui m'intéresse, c'est de construire un système descriptif et peut-être même, s'il n'est pas trop démesuré de le faire, un peu explicatif. TABLEAU 2 : Système de l'anthropophore extenseurs ostenseurs
Endophoriques
Exophoriques chorophoriques chronophoriques
- anaphoriques - cataphoriques, incluant diaphoriques, c'est-à-dire isophoriques / anisophoriques - autophoriques - médiaphoriques, englobant les lagophoriques
J'ai proposé, comme le montre le tableau 2, un système dans lequel presque tout se termine en -phore, par souci de cohérence terminologique : -phore signifie "qui renvoie à". Les chorophoriques renvoient à l'espace, les chronophoriques renvoient au temps ; il s'agit évidemment des morphèmes ou pour certains, des lexèmes, adverbiaux et déictiques, qui ont une incidence spatiotemporelle. On ne voit pas qu'une langue puisse exister sans faire référence aux cadres de l'expérience que sont l'espace et le temps, l'un relativement dominable par l'homme et par les moyens de transport qu'il invente, l'autre en principe, non dominable et en tout cas, ne pouvant être parcouru en sens opposé. Apparaissent dans cette même colonne, les exophoriques qui renvoient à ce qui est en dehors du discours, à savoir l'ensemble des éléments de langues, morphèmes pour la plupart, quelques uns lexématiques, en inventaire plus ouvert ou moins clos, qui recouvrent le domaine général de la déixis. Vient ensuite le domaine de l'endophore, qui concerne le discours proprement dit, non plus la relation à l'espace ou au temps, non plus la relation à ce qui est en dehors du discours comme les exophoriques, mais la relation interne, les renvois que se font d'une place à l'autre du discours, de l'énoncé, des termes les uns aux autres. Sur anaphorique, il y a une littérature abondante. Sur les cataphoriques, j'ai décidé d'insérer dans ce tableau ce que j'appelle les diaphoriques, que je distingue encore en isophoriques et anisophoriques avec le souci d'intégrer de nombreuses langues. On cite souvent les langues yuma de Californie, ou les langues de Nouvelle Guinée, dans lesquelles un élément d'une suite verbale VI, V2, éventuellement V3 et V4 etc. contient l'indication de la personne qui va être celle (l'argument sujet ou même quelquefois l'argument patient ou objet) du verbe suivant, du V2 et même du V3. Selon que la personne est la même entre VI et V2, ou qu'elle n'est pas la même, ces diaphoriques seront appelés "isophoriques" dans le 1er cas et "anisophoriques", dans le second cas. J'appelle "autophoriques", les éléments qui sont appelés traditionnellement les pronoms réfléchis, pronoms personnels et possessifs ou adjectifs. Quant aux logophoriques - j'ai inventé le mot, en 1974. Aujourd'hui, le mot est utilisé en un sens différent de celui que je lui attribuais. Pour moi, "logophorique" correspond à ce qu'on
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Claude Hagège
appelle, dans les études classiques, "les réfléchis du discours indirect" : le sujet ou éventuellement le possessif dans la proposition subordonnée d'un verbe "dire", ou "penser", ou, "avoir le sentiment que", ou "craindre que", etc., est le même que celui de ce verbe "dire" ou "penser". C'est un cas de logophorèse, parce que cela renvoie au discours de celui qui produit le verbe principal. Ces logophoriques sont, à mes yeux, très importants puisque ce sont eux qui, dans la relation interpersonnelle, introduisent un signal destiné à dire "Voici ce que moi je dis que dit celui qui peut être Ego ou tel autre si ce n'est pas moi qui dis "je". C'est ou ce n'est pas le même que le référent personnel du verbe introductif du prédicat principal. Récemment, j'ai proposé d'appeler "médiaphoriques" ce qu'on appelle généralement les marques de testimonial, les marques du témoin ou du non-témoin. Il est important de faire savoir à l'interlocuteur si l'on prend en charge ce que l'on dit ou si, au contraire, on l'impute à quelqu'un d'autre car on n'en a pas été le témoin, ni visuel, ni auditif, ni par ouï dire ou en avoir lu quelque chose. Beaucoup de langues le marquent de façon précise morphologiquement, d'autres le suggèrent, le français le paradigmatise dans le conditionnel, que la presse utilise beaucoup : "M. Untel aurait dit que le criminel serait en voie de s'enfuir", l'allemand a ses formes de conditionnel, d'autres langues comme le turc, avec son mis/mus utilisent des suffixes spéciaux. Dans certaines langues, on ne peut pas asserter quelque chose sans l'imputer à quelqu'un ou dire qu'on en prend soi-même la responsabilité. C'est une façon de mettre à distance quand il y a lieu. Je dirai pour conclure, qu'à mes yeux, cette façon de traiter le phénomène de la morphogénèse, a l'utilité de donner une place primordiale à la signature humaine dans l'évolution des formes. Il me semble que c'est une partie intégrante de l'étude de l'interaction verbale que de montrer, comme je l'ai tenté ici, qu'elle est un des moteurs de l'évolution même du tissu des langues.
Franz Hundsnurscher
Characterising Speech 1. The controversial issue 2. The roots of the controversy 3. Working out the comparison 4. The Use of Language 5. Words versus Speech Acts 6. The concept of well-formedness 7. The units of conversation and the problem of internal structure 8. Two different approaches to internal structure 9. Extending the units-and-rules approach Bibliography
1. The controversial issue One of the fundamental distinctions in linguistics is that between Language und Speech (cf. langue/parole; Sprache/Rede), and this distinction has, since F. de Saussure's 'Cours de linguistique générale' (1916), been used to delimit the field of linguistics proper. In its strict application to linguistic phenomena, the demarcation line has, for a long time, separated the level of words (units of Language) from the level of sentences (phenomena of Speech). It has become a tradition to draw such lines and declare certain phenomena as lying outside the methodological boundaries which in the course of time become by and by included and even attain central position; syntax is just an example to this point. With the Chomskyan turn in linguistics a new line seems to have established itself, that between linguistic competence and performance, with sentence-formation on the side of competence and conversation on the side of performance. On top of it, it has been argued by Taylor and Cameron (1987) that as far as conversation is concerned linguists should abandon what Taylor and Cameron called the "units and rules approach" because it seems misguided when applied to conversation: "Many of the behaviourial patterns for which conversational analysts have tried to provide rule-governed explanations, could be more simply explained without rules" (Taylor/Cameron 1987, 160). There may be problems, to be sure, in applying the units and rules i.e. the grammatical approach to conversation - and it would be very peculiar indeed if an approach which has been developed on one linguistic level could be literally and without serious modifications be applied to a different level; why not rather assume that applications so far have been misconceived and concentraie on
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Franz Hundsnurscher
correcting them before letting oneself be discouraged too easily in the face of long-term reliable experience, and this for the very reason Taylor/Cameron (1987, 160) present as counterargument: "Undoubtedly, one of the main reasons for the persistence of the rules and units approach is that it is an imitation of the approach perceived as being highly successful in general linguistics." How true! So here we go. I will try to show that it might still be worthwhile to have a second look at the methodological parallelism between the principles of sentence formation and the conducting of a conversation.
2. The roots of the controversy Among those who made explicit use of the word/sentence distinction in the philosophy of language is Gilbert Ryle (1961, 224): "Words, constructions, etc. are the atoms of a Language; sentences are the units of Speech. Words, constructions, etc., are what we have to learn in mastering a language, sentences are what we produce when we say things". In his discussion of the misconceptions arising out of Ryle's distinction, G.J. Warnock (1971) points out several aspects of the problem that are of special interest when applied to the relation between words and sentence on one hand and speech act (unit) and conversation (rulegoverned stretch of behaviour) on the other. It seems rather plausible that Ryle viewed the relation of words to sentencens as a difference of category. As sentences, for a number of reasons, (- to give only one: Learning a language is a matter of acquiring words, constructions, etc., not a matter of learning a list of sentences -) do not fit into the Language category, they must then, according to Ryle, be put into the Speech category, with the characterisation that they are "sayings of things". Prominent among Ryle's category-distinctions is the distinction between dispositions and occurrences (or episodes) (cf. Ryle 1949, chapter V). As an example of a dispositional statement, Ryle does in fact put forward a statement about language-mastering (Ryle 1949, 119): "To say that this sleeper [!] knows French, is to say that if, for example, he is ever addressed in French, or shown any French newspaper, he responds pertinently in French, acts appropriately or translates it correctly into his own tongue." Knowing a Language, then, disposes us to utter sentences that, viewed from this angle, are in fact episodes, phenomena of Speech. Modern linguistics, in particular N. Chomsky's theory of language, has made it quite clear that, far from learning a list of sentences, the mastery of a language does indeed consist in the ability to "construct and construe" (Warnock 1971, 274) all and only the (well-formed) sentences of a language; the construction process, based on the 'formative units' and on the rules of sentence formation, belongs to linguistic competence altogether. This would seem to decide the category problem in favour of the Language side for sentences, too.
Characterising Speech
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There are, however, still the Speech side aspects of the problem: saying things is not so much a matter of pronouncing individual words, but a matter of uttering sentences (- i.e. syntactically organised words -). It is here that the speech act concept enters the scene. There is no longer any point in opposing words to sentences and putting sentences in a category apart from words - it is not sentences, but acts of uttering that matter on the Speech side. The difference in construction complexity between words on one side and sentences on the other side is an interesting problem in itself, but it does after Chomsky have no longer any direct bearing on the Language/Speech distinction, because the single unit (word) and organised figure (sentence) both belong to Language.
3. Working out the comparison In a Chomskyan perspective there are remarkable parallels between the word/sentence distinction of old and the new speech act/conversation distinction. Once the categorial difference between sentences and speech acts has been grasped (sentences as types of word-constructions, speech acts as types of utterances), it might be revealing to imagine speech acts as construction units with regard to conversations, just as words can be seen as the construction units for sentences. The point of comparison between words and speech acts is, of course, not their categorial status, but their relational status: they can enter into superordinate constructions - words to form sentences with, speech acts to conduct conversations with. There are different types of word classes - nouns, verbs, adjectives, adverbs, conjunctions, modal particles, interjections etc. In accordance with their syntactic and semantic characteristics they will occupy different positions in a sentence and play a different role with respect to its function as a whole. The same applies to speech acts; there are different types of them and there are compatibility relations between them that regulate their succession and their pertinancy. Just as different words go to make up different sentences, and different sentences go to make up different texts, so, in certain respects, different speech acts go to make up different sequences and these in turn different conversations. It should be clear that these parallels are to be strictly seen in a heuristic perspective. The question, whether this comparison will be sound and firm enough to yield any useful methodological results, is open to discussion. What is in fact implied by this comparison is the conviction that the units-and-rules-approach that has proved itself extremely useful in syntax, above all in generative transformational grammar, if applied properly, will be of some descriptive and explanatory value for various phenomena of speech, be it casual remarks or long-drawn conversations.
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That sentences are not to be equated with speech acts seems trivial enough, but it seems necessary at times to make explicit what the relation between them actually is. (cf. Hundsnurscher 1993). Although most of the examples for speech acts are given in sentence form, the perfomance of a speech act is not bound to sentence form - it may be single word utterances (e.g. Fire!, Thanks, Get out!, What next?). Sentences are a special type of utterance forms - the ones that best agree with the well-formedness intuitions of the speakers. As ingredients of a speech act, sentences or any appropriate utterance form at that, play the role of conventional devices to be used by the speaker in order to bring about certain effects, illocutionary and perlocutionary ones, under appropriate circumstances. There are, as Searle has shown conclusively, rules that govern the use of the linguistic device (word or sentence) in communication. Seen under the perspective of their function in speech acts, sentences are organised in sets of functionally equivalent utterance forms - as functional paraphrases of each other. E.g. if I give someone a piece of advice, I may formulate different sentences to bring this about: Take these aspirins. You better take those aspirins. If I were you I would try those aspirins. There is nothing as good as aspirins in this case. Why not try those aspirins? Aspirins, what else? What you need is some aspirins, and so on. This goes to show that a speech act can be performed with different utterance forms; there is no determinism in the choice of an individual utterance form. Sentence stands to speech act, to use an example of Warnock's, in a relation as a bat to a home drive.
4. The Use of Language As it stands, the categorial difference between Language and Speech can be explained by introducing the term 'use' into the discussion, as has been done in Ordinary Language Philosophy for some time. There are, of course, as in the case of 'meaning', several uses of the word 'use' in English. The way words are used in composing sentences is different from the way sentences are used in making statements, in giving out warnings, or in asking questions. The difference presumably lies in the functional range implied: the use of words (normally) does not exceed the syntactic and semantic contribution to sentence-formation; the 'use of sentences' is connected with the communicative purpose of the speech act in question. It is exactly the abstention of generative transformational grammar from explicating the purposes of sentence-production that makes it a comparatively barren theory of communication and of human thinking. Why should
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we be so proud of our capacity for the production of well-formed sentences? What do we need them for? Sentence-production surely is not an aim in itself. The difference between 'use of a word' and 'use of a sentence' is also reflected in the context of understanding. We normally do not say I do not understand this word, but rather I do not know this word and vice versa: We normally do not say I do not know this sentence, but rather I do not understand this sentence. All this, to my mind, goes to show that words, phrases and sentences are just the proper linguistic devices used in conversation. There may, in conversation, isolated words be uttered and understood as appropriate contributions to the conversation (E.g. When will you be back? Tomorrow. - Alone? - No. - With whom? - My girlfriend.). The concept of use, makes it possible to characterise Speech as Language-in-Use.
5. Words versus Speech Acts There seems to be one aspect of the mastery of language where the parallel between conversational structure (composed of speech acts) and sentence structure (composed of words) apparently breaks down. The (orthodox) speech act theory, developed by Austin and Searle, allows only for five global illocutionary types, and although there is a limited number of word classes ("Parts of Speech"), the sentences of a language usually show a certain regular distribution of classes of words in a sentence: Each well-formed sentence is supposed to contain at least one verb, together with one or two nouns as parts of noun phrases and the other word classes thrown in at appropriate places. Shall we say then, that a conversation is made up of e.g. at least one representative speech act and an appropriate number of others to make up a "well-formed" piece of conversation? Can the concept of well-formedness be in any way applied to conversational structure? Here the respective status of word and speech act on one hand and sentence and conversation on the other have to be made explicit in order to get things straight. Speech acts as illocutionary acts and as units of conversation are, of course, as different in nature as can be from words as lexical units and units of sentence formation. Both, however, stand in relation to the central feature of mastery of a language, namely the "creative aspect of language use" (Chomsky 1966, 3): "The essential difference between man and animal shows itself most clearly in the human language, especially in the ability of man, to formulate new statements that express new thoughts and adjust themselves to new situations." Chomsky does not attribute creativity to Language, but relates it to language use, i.e. to Speech. It is in Speech that creativity manifests itself, not in linguistic structure. This is most peculiar, considering the fact that nearly all efforts in linguistic research go into the description and explanation of Language and comparatinaly little into the exploration of Speech.
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6. The concept of well-formedness There are three main aspects of well-formedness with regard to sentences apart from morphological congruency: - the proper linear arrangement of words or the positions of words in a string - the syntactic and semantic compatibility of words - the completion of a sentence or the necessary lexical completeness in a string There seem to be similar requirements on the side of conversation notwithstanding fundamental differences in nature. A certain type of linear arrangement has been observed by discourse analysts of the Birmingham school (Sinclair/Coulthard) and of the Geneva school (Roulet/Moeschler/Egner) who refer to exchange patterns of a triadic type as building blocks of discourse structure. In conversation analysis some of the most conspicuous types of adjacency pairs exhibit linear structure with fixed positions in the sequence, as Wunderlich and Henne/ Rehbock pointed out: question/answer-pairs, compliment/acknowledgement, etc. As to compatibility of speech acts it may well be the case that a question can be countered by a question, (e.g. Will you lend me your bicycle? What do you need it for?) but it would be thought of as unusual if an information question were followed up by an concession (e.g. Which is the nearest way to the station? - You are quite right.). To be sure, the order of speech acts in a conversation is governed by different principles from those of word order, and there seem to be different types of affinity among speech acts. It is considered as part of the competence of a speaker to be able to tell a complete sentence from an unfinished one. How can we explain this fact? There may be intuitions about the completeness of conversations, but they have, to my knowledge, never been investigated. It seems reasonable to suppose that intuitions of this kind are part of our communicative competence and will in most cases depend on the type of conversation in question. Quite a number of metalinguistic remarks bear witness of this fact: We have been interrupted, We had to postpone final decision, We did not come to a conclusion, We did not reach agreement, We had to leave o f f , The discussion turned out to lead nowhere etc. The prominence of the concept of well-formedness in syntax derives from the fact that syntactic structure belongs to the expression level (Ausdrucksseite) which, as a prerequisite device for smooth communication, relies heavily on linguistic norms. The central interest in communication is, it seems plausible to suppose, obtaining communicative success: being understood and reaching one's goal of action. Flaws in the expression form tend to impede the course of conversation and to distract attention from the main task of achieving mutual understandig and conducting the conversation to a goal. The well-formedness of sentences can be seen as a guarantee for the technical perfection of talk, and this allows full concentration on what is at stake in the communication at hand. Conversations on the other hand seem to be drifting from
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topic to topic and, in a number of cases, to be open-ended. This apparent formlessness - so most linguists seem to think - will not lend itself to a formal determination by manifest features of wellformed-ness like those of grammar. Two remarks are in order here: - As long as "conversation" is taken to be mainly small talk in lessure ambiente, this seems plausible in a way, but then the question may be allowed why this type of communication should be thought of as the prototype of language use. - There is ample evidence that the major part of our professional life is made up of serious interchange with other persons and that the results of conversations in form of agreements, transactions, information, guidance, instruction, etc. are eagerly aimed at and appreciated.
7. The units of conversation and the problem of internal structure In order to characterize well-formedness on the level of conversation it is essential to get things straight with respect to the units of description and analysis and to the nature of the internal structure of speech communication. There is an empirical approach to conversation analysis that concentrates on authentic pieces of conversation - one could consider it as a preoccupation with conversational surface structure - and this approach stresses turn-taking as the dominating feature of conversation; the units of conversation structure could thus be seen in the individual speaker's contribution to the conversation, i.e. the respective turns of speaker and next speaker. "Turn" as a unit of conversation recommends itself by its observable demarcation criteria; it can be counted and measured and allows on the basis of empirical statistics certain correlations to sociological and psychological parameters such as dominance relations between the speakers. Such findings will go into characterizing the speech situation and the roles of speakers in a sociological perspective. It is, however, not easy to attribute specific communicative functions to the formal unit 'turn'. In order to understand what goes on in a conversation it is necessary to assess the specific communication value of the speakers' contributions. This brings the speech act int focus as a more promising candidate for a unit of analysis. As 'turns' are of varying duration (extension), a turn will be found to consist of one or more speech acts. The identification and delimitation of a speech act on the basis of the recorded utterance forms (within a stretch of authentic conversation) can in cases be a somewhat complicated matter, but normally a speech act can be correlated to a distinct utterance form, ranging from single words (Yes, No; So what? Not again\) to full sentences (I saw the accident; What time is it?) and even more complex syntactic structures (Destroy the enemy aircraft carrier! This is an order.). There offers itself a simple concept of conversational structure as a concatenation of turns consisting of single or strings of speech acts. But this will only give a linear pattern picture, and not an impression of the internal functional structure that goes beyond an 'and-then' relation
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between the units. It is obvious that Taylor/Cameron have approaches of this type in mind, and they are right in their criticism there. They are also right in pointing out, that a Searle format speech act concept cannot cope with the problem of connected discourse ("This means it is essential to go beyond the work of philosophers like Searle, who do not deal with connected discourse". Taylor/Cameron 1987, 61). We have to ask what lends communicative coherence to the individual contributions and what gets conversation going. The single, isolated speech act, it would seem, is a rather undetermined part of conversation just as a single, isolated word is an undetermined part of a sentence. In order to raise them to the status of 'functional constituent' the relations between 'unit' and 'whole' have to be made explicit. Speech acts as parts of a conversation have to be viewed and assessed under a dialogic perspective: A speech act as a form of linguistic action is goal-oriented in the twofold way mentioned above: to be understood and to yield a result. The first goal can be achieved by observing the linguistic conventions of the language in question (cf. Searle's essential rule: producing and issuing the proper utterance form in a speech situation); attaining the second goal is a matter of luck, because it is not in toto determinable by the speaker's intention itself, but depends on the cooperation of the partner in communication. Although the partner's reaction may not coincide with the speaker's expectation, the partner's reaction is nevertheless bound to lead to at least partial success. For instance: If Speaker One utters a directive and meets with a refusal, he will have scored in one respect: he has been understood by Speaker Two, and yet in another respect: insofar as he now knows what Speaker Two thinks of the matter. This seems to be the common denominator of all speech acts: to find out the partner's inclinations towards the speaker's communicated goal. And this might well be the basis of the common communicative interest of the participants that keeps conversation going: finding out what the other person thinks of diverse matters and what he or she thinks of our opinions, expectations and feelings on those matters. To return to the analytic problem: There is a dialogical affinity between the speech acts of Speaker One and Speaker Two in a conversation that determines the succession of speech acts. A stretch of conversation can be said to be well-formed if the communicative goals of the speakers are attained. The internal structure of a conversation is determined by the orientation of the speech act contributions towards the communicative goal in focus.
8. Two different approaches to internal structure If it makes sense to consider conversations as coherent strings of goal-oriented speech acts there is still the problem of giving an overall characterisation of how and on what principles conversations are being conducted and what kind of analytical and descriptive approach will yield the best results.
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There is one approach, commonly referred to as the 'communication dynamics' approach, (cf. Fritz 1994, 181). Among its basic assumptions we find the concept of an initial speech act that opens up a range of possible reactions which in their turn open up another set of possible reactions to each of the possible reactions to the initial move. A stretch of conversation could (in an idealized form) be reconstructed as a sort stringing process of mutual speech acts chosen out of a set of reactive alternatives by the respective speakers according to strategic considerations. Each speaker will have to assess the conversational possibilities before him in order to make his choice and by this choice guiding his partner towards reactions bearing in some appropriate direction. A conversation then, can be seen, as it were, as a groping from reactive decision to reactive decision with some strategic concept in mind how to get on. Another approach, which I dub the 'dialogue grammar' approach and of which I think it merits some preference, will take the first approach as a starting point and give it contour by taking a definite communicative goal for the conversation into consideration. In orientating themselves by certain communicative goals the speakers involved in a conversation follow a pattern of moves conducive to goal achievement. The principles of well-formedness on this level can be derived from the requirements of goal-attainment, the structures that comply to these requirements and are made explicit in linguistic description, I am inclined to call 'patterns of well-formed dialogue'. They are the structures that underly authentic stretches of dialogue, (cf. Hundsnurscher 1986) The knowledge that goes into the "constructing and construing" of these patterns is the main part of our communicative competence. The principles of 'purposeful dialogues' (cf. R. Power 1979) can be extended to other forms of conversation as well. The speakers involved in a conversation will normally know in what type of conversation they are involved and how to go on in bringing it to a successful conclusion. This implies that there are conventional patterns of dialogue, for instance planning talks, counseling talks, instruction talks, sales talks, bargaining talks, negotiating talks, conversion talks, disciplinary talks and so on. Although there may be variations from one case to another, it seems reasonable to postulate that there are conventional patterns for each of these types of talk, and they can be shown to have an internal structure that links certain moves in a systematic way to a specific communicative goal, such as working out a definite plan for operation, giving conducive advice, bringing someone to knowing or mastering certain things, getting someone to buy a certain thing or letting someone have a certain thing, coming to an agreement, getting someone to see things differently, getting someone to attend to his duties and so on. There may be situations when we are not quite sure how to operate in communication so we will have to consider our action step by step, but in everyday life we find ourselves in a variety of standard situations where we can be rather sure that, in order to achieve communicative success we will have to follow certain patterns in conversation. Communicative competence, that human mental faculty that allows us to engage in meaningful and successful conversation -,
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is also in command of different levels of organisation. There seem to be short-range principles that are accounted for in the "communication dynamics" approach and long-range principles that are accounted for in the "dialogue grammar" approach that relies on goal-oriented dialogue patterns. They both can be well taken care of within a unit-and-rules methodology.
9. Extending the units-and-rules approach It is here that I think Chomsky's methodological remarks come fully into their right; one has only to adopt them to the new subject matter of dialogues instead of sentences: Let me quote some of Chomsky's statements which he made about 30 years ago, and try to transform them into methodological principles for dialogue analysis. Chomsky writes: "The central fact to which any significant linguistic theory must address itself is this: a native speaker can produce a new sentence of his language on the appropriate occasion, and other speakers can understand it immediately, though it is equally new to them" (Chomsky 1964, 7). After the pragmatic turn in linguistics it seems pretty clear that people are not sentence-producing machines, but actors in various language games. The task for the dialogue analyst, if he thinks it worth-while to adhere to Chomsky's methodological principles, would be to make explicit the relations between speech act ('utterance') and (well-formed) sentence and to make explicit and give an explanation for the internal structure of communicative interaction in the form of speech act sequences just as Generative Transformational Grammar accounts for the internal organisation of sentences. "On the basis of a limited experience with the data of speech, each normal human has developed for himself a thorough competence in his native language. This competence can be represented, to an as yet undetermined extent, as a system of rules that we can call the grammar of his language" (Chomsky 1964, 8f.). I do not see any reason why Chomsky's concept of "a thorough competence in his native language" which he refers to as "the grammar of his language" could not be extended to "communicative competence", although I am well aware of the fact that in Chomsky's concept of language there is a close, almost exclusive connection between grammar and "rules for the production of well-formed sentences", but there is also Wittgenstein's broad use of the term 'grammar', so thinking of grammar as the overall "system of rules" that constitutes communicative competence is, I think, legitimate. The same applies to the term 'rule' - there can be no doubt that there are different kinds of rules in a 'grammar' and Chomsky's rules for the production of well-formed sentences are different from Searle's rules for the non-defective performance of a speech act. So as far as people are capable of transacting a bargaining talk, an argumentation or an instruction talk and so on and are well aware of what they are doing, they have an intrinsic knowledge of how to go about in those transactions, which I think amounts to following certain rules, yet to be worked out. One might be inclined to think of communicative competence as encompassing all the
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relevant language games, describable as dialogue types, that are common in a language society in order to fulfill all the communicative tasks that go into being a full member of that community. There is, of course, an evolutionary component involved. Mastering all the relevant dialogue types current in a community with equal mastery would be too strict a measure for communicative competence; some people are more versed in playing certain games than others. But the same goes for the mastery of well-formed sentences, as Chomsky himself points out: "Knowledge of one's language is not reflected directly in linguistic habits and dispositions, and it is clear that speakers of the same language or dialect may differ enormously in dipositions to verbal response, depending on personality, beliefs and countless other extra-linguistic factors". The actual use of language obviously involves a complex interplay of many factors of the most disparate sort, of which the grammatical processes constitute only one. It seems natural to suppose that the study of actual linguistic performance can be seriously pursued only to the extent that we have a good understanding of the generative grammars that are acquired by the learner and put to use by the speaker hearer. The classical Saussurean assumption of the logical priority of the study of langue (and, we may add, the generative grammars that describe it) seems quite inescapable." (Chomsky 1964, 10f.). When talking of dialogue grammar I wish to refer to exactly this "logical priority". As I understand it, the methodological discussion in the last thirty years in linguistics has constantly turned around this point: what is hiding behind this "complex interplay of many factors of the most disparate sort of which the grammatical processes constitute only one"? What other factors are there? I think they are exactly those factors that have to be taken into consideration when moving from a syntax-based grammar of language to a speech act-and-dialogue-based grammar of communication. I do not wich to make Chosmky into a fore-runner of dialogue grammar, his domain is formal syntax and not communication. What I, by quoting Chomsky, wanted show do are three things: First: I want to attract attention to the fact that in order to do dialogue analysis one has to be well aware of the language concepts and the methodological principles of structuralism and generative transformational grammar, but one has to go beyond them and take the pragmatic turn: Language Use as human action in the form of speech acts and dialogues is to be seem as the building up of ordered underlying structures according to rules. Second: Although there is a great break between viewing language as system and structur pure on one hand and taking aspects of language use into consideration on the other hand, there is no rupture in our linguistic tradition: the same methodological principles hold, there is consistency and continuity, and dialogue analysis ought not to be a deviation from linguistic tradition (as Taylor/Cameron suggest) but a new step in the main direction of linguistic progress. Third: Especially in the writings of Chomsky and in the working out of the concepts of generative transformational grammar a high standard of methodological discussion has been reached in grammar methodology. When we look at semantics and at pragmatics one cannot
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avoid the impression that methodological confusion reigns and that communication among linguists is very difficult; there are great divergences of concept as to the nature of their subject matter and the goals of linguistic research regarding conversation. The empirically-oriented and text-based approaches to conversation analysis are still at great variance with the dialogue-type-oriented reconstructive approaches. One of the most urgent tasks for dialogue analysis as a new discipline is to try and conciliate these approaches.
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Frankfurt a. M.
Sektion / Section I Allgemeine und strukturelle Aspekte Theorie und Methodologie General and Structural Aspects Theory and Methodology Aspects généraux et structuraux Théorie et méthodologie
Valérie Brunetière & Christiane Doizy
Du non verbal dans les interactions trielles à partir de séquences consensuelles et polémiques de films de fiction
1. 2.
Remarques préalables Méthodologie 2.1 Point de vue 2.2 Corpus 2.3 Grilles descriptives 3. Résultats de l'analyse du corpus 3.1 Le jeu de la relation triangulaire 3.1.1 Les figures spatiales 3.1.2 Le jeu des regards 3.2 Le regard alternatif 3.3 L'ambivalence non verbale et la fonction de métonymisation 3.4 Les rythmes 3.5 Le mimétisme 3.5.1 Le mimétisme agonal 3.5.2 Le mimétisme consensuel 3.5.3 Le mimétisme conciliateur 3.5.4 L'embrayage mimétique / la fonction de médiation 4. Conclusion Notes Bibliographie
1. Remarques préalables Nous avons intitulé notre communication : "Du non verbal dans les interactions trielles à partir de séquences consensuelles et polémiques de films de fiction". Des aspects linguistiques, il ne sera pas question ici. Sans doute cette communication est-elle d'ailleurs un peu décalée eu égard aux deux critères énoncés dans le titre de ce colloque, à savoir celui de la nouveauté, et celui du verbal. Car c'est du non verbal essentiellement dont nous traiterons, plus précisément dit du Gestuel ou kinésique. Nous ferons état dans un premier point de la méthodologie, du choix du corpus, en particulier. Un deuxième volet présentera les résultats de l'analyse de ce corpus. Enfin, un troisième volet développera quelques perspectives et hypothèses.
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Valérie Brunetière & Christiane Doizy
2. Méthodologie 2.1 Point de vue Tout d'abord, des considérations sur le point de vue que nous tenons et qui peut s'énoncer synthétiquement de la façon suivante : immanent, stratifié, et formel.
Le point de vue de
l'immanence implique en premier lieu sur le plan méthodologique une stratification, qui s'opère à trois niveaux : Le premier est celui des comportements des locuteurs qui sont décrits séparément ; une lecture intra-locutive est donc possible. Une autre étape de stratification est celle qui dissocie
le verbal du non verbal :
pratiquement, cela signifie la description, d'abord de l'image sans le son, puis seulement alors, du son sans l'image, ceci afin de limiter les projections de la strate linguistique, plus symbolique, sur la strate non verbale. Enfin, troisième étape, les diverses articulations non verbales sont, en quelque sorte, microstratifiées : distances, postures, regards, gestes, mimiques. Le point de vue de l'immanence implique également sur le plan méthodologique une description
formelle
: on entre par les signifiants, plutôt que par des signifiés d'ordre
communicationnel, psychologique, sémantique, etc. Ne sont menées ni micro-analyse en termes de muscles (cf. Ekman 1984 dans Cosnier et Brossard), ni macro-analyse trop psychologisante (cf. Cyrulnik 1988) ; ni phonétique ou sémantique gestuelles. L'objectif est plutôt de mettre au jour les éléments non verbaux d'une phonologie, d'une syntaxe, et/ou d'une axiologie non verbale. Programme bien ambitieux que nous n'avons pas réalisé bien sûr, mais qui est en tout cas l'objectif épistémologique que nous nous donnons. Les comportements non verbaux sont en effet à traiter comme des traits ou des indices (cf. Anne-Marie Houdebine 1990) dont la pertinence doit être constamment interrogée : des signifiants ou même des proto-signifiants (Joël Uzé) dont le signifié est à rechercher, car il ne va pas de soi. Sans doute le signifié non verbal se construit-il le plus souvent en configuration, c'est à dire par la présence simultanée de plusieurs signifiants, selon une spécificité que Frey (1984 dans Cosnier et Brossard) appelle "complexité gestuelle". L'interprétation ne doit donc pas être faite a priori mais a posteriori. D'où la mise au jour préalable des signifiants à tenir. C'est tout l'enjeu d'une étude des comportements non verbaux, lorsqu'elle ne s'attache pas à décrire les gestes, postures, mimiques, regards et distances, en tant que signes pleins déjà constitués dans une culture, mais lorsqu'elle se donne un autre objectif : celui de considérer le non verbal comme accueillant les indices de l'interaction,
en l'occurrence ceux des interactions
consensuelles ou polémiques, comme nous le présentons maintenant.
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Du non verbal dans les interactions trielles à partir de séquences de films de fiction
2.2 Corpus Le corpus est constitué de séquences filmiques de type fictionnel,
avec comme critère de
pertinence la présence d'une interaction trielle (soit A B C), plutôt qu'une interaction duelle, afin d'examiner le rôle du tiers dans l'interaction, de questionner son éventuelle mobilité (pas uniquement dans le sens spatial du terme comme nous le verrons). Comme critère de pertinence également des tonalités interactionnelles ont été choisies : consensuelles et polémiques. Le choix du corpus fictionnel est dû aux trois raisons suivantes : tout d'abord, un travail similaire a été réalisé au cours de deux années sur un corpus que l'on pourrait dire "en temps réel", à savoir un corpus de débats télévisés, ce qui a donné lieu à un ouvrage collectif. 1 Une envie d'aller voir ailleurs s'est donc fait jour, pour ma part du moins. Ensuite, comme je travaillais personnellement sur la notion d'Imaginaire Gestuel, et avais constitué des corpus que l'on peut dire de "représentations" ou "d'attitudes" non verbales, un corpus filmique fictionnel me paraissait pouvoir s'intégrer à cet objectif de recherche. Des strates, des niveaux d'analyse sont certainement liés à l'objet construit qu'est ce corpus filmique : strate narrative, esthétique, sociologique, strates d'énonciation filmique, etc. telles que la recherche de Christian Metz les met au jour, et dont il ne sera pas question, du moins pour le moment. C'est enfin pour une raison méthodologique que ce corpus a été choisi : Barthes présupposait que l'étude d'un système sémiologique avait plus de chance de mettre au jour une méthodologie adéquate si son objet était publicitaire, c'est à dire s'il était "intentionnellement mis en scène". 2 L'hypothèse est la même ici : les comportements non verbaux mis en scène nous rendront compte plus finement des messages de l'interaction car ces derniers sont pour ainsi dire surmarqués,
et par là, la
méthodologie pourra se modéliser d'autant mieux, y compris pour des corpus "en temps réel". En outre, on pourrait arguer que la gestualité de ce corpus fictionnel, n'est pas, elle, fictionnelle : elle se constitue bien sur la base de la gestualité quotidienne, culturellement codée, et ne semble pas aberrante mais vraisemblable ; en clair, toutes les séquences choisies pourraient bien être des séquences filmées en temps réel, même si l'argument filmique est parfois invraisemblable.
Les sept séquences filmiques sont donc extraites de : Nikita, de Luc Besson, avec une séquence consensuelle, mais possédant une micro-séquence conflictuelle qui sera résolue, La tentation d'Isabelle, de Jacques Doillon, avec une séquence conflictuelle, sans résolution c'est le cas également de La rose pourpre du Caire, de Woody Allen, La guerre des roses, avec une séquence consensuelle, Un dimanche à la campagne, de Bertrand Tavernier : une séquence conflictuelle et une séquence consensuelle,
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Play Time, de Tati, avec une séquence qui commence par un conflit et qui s'achève dans le consensuel.
2.3 Grilles descriptives Notre objectif était de permettre une lecture aisée des intrastrates proxémique, gestuelle et visuelle. Surtout, de mettre en relation ces strates, pour analyser le jeu interstrate : tours de parole/tours de regards/gestualité. Notre objectif était donc d'analyser, grâce à un outil simple de type empirico-déductif, les interactions de ces strates dans l'interlocution, les interactions de "l'architecture du jeu discursif" (selon l'expression de Sinclair Foward 3 ) ; "Le concept méthodologique descriptif vaut pour son pouvoir opératoire" d'après Charaudeau4 ; c'est dans cette perspective heuristique que nous nous sommes placées. On peut voir que les grilles sont des tableaux à triple entrée : une forme est attribuée à chaque locuteur : triangle, cercle, carré : l'étude intralocutoire est donc possible, ainsi que l'étude interlocutoire, puisque les locuteurs sont visualisés sur la même grille. Sur l'ordonnée, une temporalité non verbale qui ne rend pas compte de la durée effective en temps réel. A chaque case correspond une unité non verbale, en temps synchronique. Le critère fondamental n'est pas le temps, mais la succession, le changement : à chaque changement non verbal, quel qu'il soit : distances, postures, gestes, mimiques, regards, correspond un changement de case. En abscisse, les interlocuteurs visibles, et les parleurs ou parleuses du point de vue verbal sont inscrits. Ensuite, toujours en abscisse, les indices non verbaux sont stratifiés selon les strates qui viennent d'être énoncées, soit proxémique, postures, regards, mimiques, gestes, avec des indices plutôt de type macro-analytique, éthologiques, susceptibles d'aménagement, de nuances, pour chaque séquence, comme /s'éloigner/, /s'approcher/, etc. et d'autres nettement microanalytiques,
comme les mouvements posturaux codés sur les trois axes spatiaux, rotation,
penchaison, inclinaison. Outre le fait que les trois locuteurs sont présents sur la même grille, ce qui permet déjà, on l'a dit, une étude interlocutoire, quelques uns de ces indices font état d'un double statut : d'une part le cercle code l'émetteur de l'indice non verbal, d'autre part le coeur inscrit son destinataire. Ce qui nous permet de tenir le double enjeu : à savoir, l'enjeu systémique et immanent et l'enjeu interactionnel
grâce à ce que nous avons appelé les sulfures
interactionnelles, si l'on veut poétiser un peu le métalangage.
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3. Résultats de l'analyse du corpus Nous présentons maintenant quelques résultats de l'analyse de ce corpus de sept séquences filmiques, avec toutes les précautions qu'il faut avoir dans le cas d'un corpus aussi restreint : ces résultats ont davantage pour vocation de dessiner des pistes hypothétiques, ultérieurement exploitables cette fois sur un corpus plus conséquent, que de donner des assertions interprétatives. Nous mettons en évidence le jeu de la triangulation, par les places et les regards, la succession des tours de parole et des tours de regards, la congruence, ou mimétisme entre les interlocuteurs. L'objectif sous-jacent à notre premier critère qui est l'interaction trielle, et non pas duelle, est bien évidemment de cerner le rôle du tiers dans une interaction. Quel est-il ce tiers ? Car sa mobilité statutaire ne fait aucun doute : ce peut être le tiers narratif, celui qui fait les frais d'un non savoir, ou d'un quiproquo, le tiers chronologique, celui qui arrive le dernier sur la scène filmique, le tiers spatial, celui que la plus grande distance sépare des deux autres. Ou encore, le tiers verbal, celui qui possède le moins de temps de parole, le tiers énonciatif, celui qui entre dans le discours des deux autres sur le mode du il ou du elle, enfin le tiers gestuel, celui qui est le plus statique. Sans doute faudrait-il même ajouter un tiers visuel, à savoir celui que l'on voit le moins à l'écran, si l'on était dans l'optique d'une étude des interactions filmiques, en terme de capitaux visuels, ou de temps de parole, ou encore de tours de parole. Tous ces tiers ne se superposent pas, et l'on pourrait envisager une typologie à leur sujet. Le tiers est donc mobile, mais nous avons cherché à le fixer, dans un premier temps, selon une perspective actancielle : le tiers est ce médiateur potentiellement susceptible de résoudre le conflit, lorsqu'il y en a un, ou celui qui fait office de relais entre le questionnant et le répondant, dans les séquences consensuelles. Les résultats qui suivent s'orientent donc selon l'optique plus précise de cerner les territoires non verbaux des acteurs de l'interaction trielle. Kerbrat-Orrechioni (1987), reprenant Pike 5 , parlerait de ces "taxèmes", qui permettent le repérage des positions "haute" et "basse", selon Flahaut (1978) ; nous ajouterons, pour notre étude la position "médiane", celle du médiateur. Les formes ont été codées de la façon suivante dans la grille : cercle pour le questionnant, carré pour le répondant, triangle pour le personnage médiateur.
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3.1 Le jeu de la relation triangulaire 3.1.1 Les figures spatiales Tout d'abord évoquons les figures spatiales, selon ce qu'on a appelé une posturo-proxémique : les personnages en se déplaçant, se rapprochant, s'éloignant, se reculant, etc. forment des configurations spatiales typiques. Par exemple, le triangle, qui en étant équilatéral, donne des places égales à chacun, ou le triangle isocèle, c'est-à-dire deux sur une ligne, et un troisième rapporté, non encore intégré, ou encore un triangle avec un angle très fortement aigu, mettant côte à côte deux personnages, tandis que le troisième est très éloigné ; les trois personnages peuvent être encore sur une ligne, avec des variations de distances entre chaque "duo" : toutes ces figures dessinent les places interactionnelles : A+B+C en distances égales, ou A et B en distance proche et éloignés de C, etc. Un constat par rapport à cette triangulation posturo-proxémique : une triangulation proxime équilatérale n'est pas obligatoirement le signe qu'un conflit est résolu. Il semblerait qu'une des modalités spatiales possibles pour le conflit soit le rapprochement,
pouvant aller jusqu'au
contact, du moins dans les premiers temps du conflit, ce qui oblige les personnages à se reculer pour adopter une distance personnelle, selon la terminologie de Hall (1966), plus acceptable. Les issues conflictuelles réactualisent cette distance très proche. A contrario, il semble que les issues consensuelles aient pour effet d'ouvrir le triangle : entre autres stratégies, la focalisation sur un objet externe permet de passer à une étape ultérieure non négligeable : à savoir celle de passer à la résolution du conflit, en laissant une place à la médiation.
3.1.2 Le jeu des regards Trois possibilités sont actualisables : La réciprocité des regards entre deux interlocuteurs qui dessine une figure que l'on pourrait appeler 2+1. L'auto-centration,
au cours de laquelle aucun regard réciproque n'est échangé. Les trois
regards sont intériorisés, ou centrés sur un objet qui peut être différent. L'auto-centration dessine une figure que l'on peut appeler 1+1+1. Le circuit fermé
: chacun regarde un interlocuteur qui ne le regarde pas. La figure
triangulaire ainsi formée par le fil des regards donne du 1 x lx 1. Il n'y a donc pas de feed-back visuel.
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3.2 Le regard alternatif La langue française nous propose diverses modalités pour qui regarde : fixer du regard, poser son regard, jeter un regard ; autrement dit, l'éventail des regards va de la permanence qui permet de captiver l'autre, à la fuite, interprétable encore comme un regard de biais. Le regard posé est à la fois pesé et alternatif.
Ce regard intermédiaire (entre la fuite et la fixation) semble être
précisément celui dont témoignent les personnages médiateurs du corpus : le regard du médiateur alterne de façon quasi équitable en temps et en durée, de l'un à l'autre locuteur, que ce soit le questionnant ou le répondant. Le médiateur-tiers dessine alors sa place dans la triangulation : il cherche dans la dyade verbale qui s'actualise, à se faire un territoire, et ce, en regardant tout autant celui qui est engagé dans la parole que celui qui est engagé dans l'écoute. Peu de dimensions corporelles sont sollicitées pour ce tiers muet verbalement, seul le regard est actif
et joue un rôle qui reste à définir plus pr_Ncisément : embrayeur, prédicat, déictique
légitimant, etc.
3.3 L'ambivalence non verbale et la fonction de métonymisation Une autre série de résultats peut être effectivement regroupée sous cette rubrique qui examine ce qui se passe sur le plan non verbal lorsque le médiateur a la parole. L'analyse de plusieurs séquences nous fait entrevoir que cette alternance
sur le plan du
regard, qui vient d'être repérée en situation d'écoute, s'exprime alors avec d'autres dimensions corporelles, en situation de parole. Par exemple une double orientation simultanément réalisée : l'orientation du regard vers l'un des locuteurs et l'orientation de la tête vers l'autre est ainsi une possibilité non verbale pour le médiateur d'inclure les deux interlocuteurs , lorsque nous sommes dans le cas d'un triangle, avec le médiateur à la pointe, c'est à dire face aux deux autres. Ou encore, selon un processus
métonymique,
sorte de transfert corporel, les inclinaisons
contraires du buste et de la tête, le regard étant orienté dans la même direction que le buste, l'orientation de la tête fait alors office d'indice adressé à l'autre locuteur. La situation du tiersmédiateur semble donc particulièrement mobiliser cette "complexité gestuelle" dont parle Frey (1984 dans Cosnier et Brossard) et qui permet de produire des messages bivalents, comme le souligne Corraze (1992). Les signifiants mobilisés sont à ce titre de l'ordre indiciel
:
l'inclinaison posturale (tête et buste), l'orientation distribuée du regard, sont des indices constitutifs de ce que l'on pourrait appeler une
infra-communication.
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3.4 Les rythmes Il apparaît que la séquence parlée est une architecture qui a sa rythmique propre. Le rythme est donné par un marqueur visuel ou gestuel. Prenons l'exemple d'une conversation consensuelle. Les tours de parole entre les trois interlocuteurs sont précédés d'une rupture dans les échanges visuels. Cette rupture se repère par un marqueur visuel qui revient régulièrement avant que la phrase prosodique vocale ne soit terminée. La grille utilisée montre facilement que : A parle à B, il y a échanges visuels entre A et B, B jette un regard à l'extérieur, vers C, B va ensuite répondre à A (et non pas parler à C comme on aurait pu le penser). Le repérage chronologique sur la grille permet de voir l'antériorité du tour de regard sur le tour de parole. Un autre exemple dans une séquence agonale : B parle à A, puis à C, revient vers A, puis vers C, en une succession parfaite. Le jeu des regards montre qu'il y a échange entre B et A, tandis que C regarde A ; mais avant de changer d'interlocuteur, B jette un regard soit vers C, soit vers un objet (occasion de la discorde). Les situations conflictuelle et consensuelle ne se distinguent en rien du point de vue de la distribution des tours de regard et des tours de parole. Dans les deux cas, on assiste à une séquence semblablement rythmée par des indices annonciateurs des changements. Sorte de "préparation au changement", qui n'est jamais brutal. On peut maintenant regarder de plus près la position du tiers. Ces marqueurs sont des taxèmes. La prise de parole se fait après un regard furtif vers le tiers. Comme si le tiers, exclu momentanément de la parole, était intégré par le regard dans le triangle conversationnel, même s'il n'en profite pas pour parler. Le tour de regard n'est donc pas nécessairement sollicitation à parler. Il appara"t que c'est le locuteur "en position basse" qui regarde le tiers exclu, et qui pourra même initier, déclencher, les tours de regards, comme on en verra un exemple précis plus loin, avec Play Time.
3.5 Le mimétisme Un aspect a été particulièrement mis en évidence après analyse : ce que certains chercheurs, comme Scheflen (cf. 1992 dans Corraze), ont appelé la congruence dans l'interaction, et que nous déclinons ici sous le terme de "mimétisme" dû à Grice. 6
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Du non verbal dans les interactions trielles à partir de séquences de films de fiction
3.5.1 Le mimétisme agonal Le mimétisme agonal, tout d'abord : soit A et B en conflit, et C, tiers écarté mais néanmoins présent non verbalement. C'est volontairement que l'on rassemble ici ces deux notions, qui sont souvent opposées : car il semble bien qu'un mimétisme existe de façon non négligeable dans les interactions conflictuelles, qui posent donc les acteurs dans une relation agonale. Cela remettrait peut-être en question, au moins partiellement, l'interprétation psychologique qui est faite parfois et selon laquelle le taux de congruence (ou mimétisme) peut être corrélé au degré consensuel d'une interaction : plus le consensus s'exprimerait, plus on se renverrait, en miroir, les signes non verbaux de l'autre. Outre le constat tout-venant qu'un mimétisme peut parfois être le signe d'une pathologie non moins grave (voir Zelig, de Woody Allen) qu'une absence totale de mimétisme (de type autistique), il semblerait que les comportements mimétiques puissent rendre compte parfois de l'incapacité à sortir d'une tonalité conflictuelle. Ainsi au cours d'une séquence d'interaction conflictuelle, pendant laquelle le tiers médiateur est écarté, verbalement du moins, (car il reste actif au niveau de son regard, alternatif, comme on l'a vu précédemment), on voit le déroulé suivant : Le questionnant et le répondant passent par une première phase de mimétisme différé : les changements posturaux tels que mains sur les hanches, ou jointes, les auto-déictiques, les supinations, et surtout le comportement posturo-proxémique de se retourner vers le tiers médiateur, sont produits avec un rythme qui reste à étudier plus finement, mais qui montre tout de même que les indices se suivent dans un temps très court, de l'ordre d'une demi à deux secondes. A remarquer que c'est principalement le questionnant qui va initier les changements, le répondant étant alors dans la position de mimétisme. Une seconde phase survient, au cours de laquelle le mimétisme
sera synchronisé
: se
détourner de l'autre, faire une moue, produire un regard out, sans destinataire, puis mettre ses mains aux hanches, produire des auto-déictiques, puis des déictiques vers le tiers, etc. Au coeur de la polémique donc, on peut observer cette congruence maximalement synchronique. Une troisième phase, au cours de laquelle une "rupture de contrat de communication", selon la terminologie de Patrick Charaudeau (1991 dans La télévision), est amorcée : on retrouve un mimétisme différé, à savoir le répondant produit le premier un comportement de rupture : il se détourne de son interlocuteur, produit un regard bien codé culturellement de type lever les yeux au ciel, suivi par un comportement auto-centré, mettre son visage dans ses mains ; c'est le questionnant cette fois qui se retrouve dans la position mimétique : il va, immédiatement après, renforcer cette voie de rupture communicationnelle, en levant les bras au ciel (où l'on peut voir là encore la fonction métonymique à l'oeuvre : des /yeux au ciel/ on passe à l'amplification gestuelle /bras au ciel/) puis en se retournant et s'éloignant du répondant.
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3.5.2 Le mimétisme consensuel Quant au mimétisme consensuel, et non plus agonal, actualisé par A et B qui donnent une image consensuelle d'eux-mêmes au médiateur C, il sélectionnerait une dimension spécifique du mimétisme, à savoir la synchronicité.
En effet, la posturation proche, voire le contact, et
l'échange simultané des regards sont actualisés. La synchronicité est, semble-t-il, le critère déterminant et subsumant, à savoir que le différé dans les comportements n'appara"t pas. Les personnages sollicitent ainsi, par diverses stratégies d'accroché, la production de comportements synchroniques : par exemple, un personnage (Marco dans Nikita)
sollicite, en insistant
posturalement et par le regard, sa compagne de tourner ses yeux vers lui ; ce qu'elle va faire d'ailleurs, avec le sourire en plus.
3.5.3 Le mimétisme conciliateur Pour le mimétisme conciliateur, c'est à dire quand A et B veulent se concilier les bonnes grâces de C, le critère serait autre : C'est la dimension cette fois du mimétisme direct qui semble devoir être activée de façon déterminante ; dans le cas de personnes cherchant à réparer une erreur par exemple, on observe : La déstructuration
des postures
inclusives
(cf. Scheflen 1992 dans Corraze) selon un
triangle équilatéral, à savoir l'angle de chaque corps par rapport aux deux autres n'est plus à 45° ; les deux "réparateurs" sont côte-à-côte et se positionnent de face par rapport au troisième. Un comportement
en mimétisme direct : par exemple, ils vont produire un déictique, une
supination ou une inclinaison du corps, vers le troisième en utilisant leur bras droit tous les deux (Play Time).
3.5.4 L'embrayage mimétique / la fonction de médiation Enfin, une dernière rubrique met au jour ce que l'on a appelé l'embrayage mimétique, en lien avec la fonction
de médiation.
La première notion indique qu'il s'agit d'un mimétisme en
différé, particulièrement analysé dans une micro-séquence (5 secondes) de Play Time et dont voici la trame narrative, pour que ce qui suit soit plus clairement transmis : le questionnantattaquant (le directeur) apostrophe le répondant-attaqué (Tati), et le médiateur (le vendeur) arrive sur la scène. Notons que Tati voit le médiateur avant le directeur, d'où un premier regard bref vers le médiateur, ainsi qu'une réorientation posturale qui actualise une inclusion
: l'attaqué
prépare la place du médiateur, qui s'intègre et par là transforme l'espace duel en espace triel. Le
Du non verbal dans les interactions trielles à partir de séquences de films de fiction
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rythme complexe des regards et leur fonction d'embrayage ont fait l'objet d'un éthogramme précis, tandis que sur le plan verbal, aucun changement ne survient : le directeur parle toujours. Chaque ligne correspond non pas à une durée, mais à un changement. Chaque case doublement entourée marque qui est à l'origine du changement. Les flèches qui partent de certaines cases indiquent le comportement mimétique induits. Les échanges de regards sont repérés sur les triangles. A remarquer, la triangulation des regards qui commencent par une relation fermée au début de cette interaction à tonalité conflictuelle : cette triangulation actualise en effet une circulation à sens unique (circuit fermé) des regards et neutralise les convergences (A et B vers C) et les échanges duels (A vers B, B vers A). Ce triangle fermé laisse place ensuite à une série de triangulations ouvertes, qui voient émerger des convergences et des échanges. Enfin, une triangulation défaite surgit, complètement ouverte, en l'occurrence focalisée sur un objet extérieur et non sur les interactants, ce qui va précisément laisser une place à la médiation du troisième, du tiers-médiateur. C'est le repérage
qualitatif
des changements qui nous permet de préciser cette notion
d'embrayage mimétique : Tati est l'initiateur des changements. Les changements de regards du médiateur (le vendeur) semblent ainsi pré réglés, préfigurés, ou encore embrayés par ceux de Tati. Le regard du médiateur est effectivement de type alternatif, comme on l'a fait repérer précédemment, mais ces alternances sont d'abord effectuées par Tati, qui anticipe nombre de changements. On pourrait alors faire l'hypothèse suivante : cette stratégie d'embrayage mimétique ne serait-elle pas une demande insue de défense de la part de Tati vis-à-vis de ce médiateur ? A savoir qu'il existerait un mimétisme
à l'envers, produit par l'attaqué, et qui
"montrerait" (avec guillemets car nous sommes sur le terrain de l'infra-communication,
que l'on
pourrait dire inconsciente ou insue) au médiateur ce qu'il a à faire pour qu'il puisse avoir sa place dans l'interaction.
4. Conclusion En conclusion, nous pouvons dire que tous les événements conversationnels donnent lieu à d'incessantes "négociations à trois" explicites et implicites ; cette dimension trielle semble activer, de façon déterminante, la fonction illocutoire du non verbal. Par ailleurs, la distinction consensuel-irénique / conflictuel-agonal ne semble pas pertinente du point de vue de certains registres non verbaux, concernant le rythme des tours parole/regard, ainsi que la congruence, ou mimétisme. Enfin, la notion d'embrayage, liée à la fonction de médiation semble être une piste intéressante à exploiter.
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En ce qui concerne les hypothèses, il nous faut rappeler que l'étude ce corpus fictionnel a comme premier objectif, par ces surmarquages gestuels, d'ouvrir des pistes qui pourront être exploitées dans des corpus que l'on peut dire "en temps réel". Corrélativement, l'hypothèse suivante est lancée : si les gestes-signes, ou emblèmes comme les appellent Ekman (1980 dans Aspects), commencent d'être aujourd'hui répertoriés selon leurs diversités culturelles, les gestesindices sont en revanche peut-être un peu laissés pour compte dans cette perspective interculturelle, même si les travaux de certains chercheurs, Frey entre autres, que nous avons cité à plusieurs reprises, témoignent d'une avancée dans ce domaine des gestes indices, ou infracommunicatifs, ces synchronisateurs dont parle Cosnier (1982) et dont il reste à définir la frontière avec ce qu'il appelle les extra-communicatifs. Qu'en serait-il alors de cette gestualité indicielle et de ses rapports avec la gestualité symbolique (les quasi-linguistiques de Cosnier) que l'on sait codée par les cultures ? Est-elle dépendante de cette dernière ? Est-elle essentiellement situationnelle ? Ou bien transculturelle dans ses modalités ? Par exemple, existet-il un mimétisme agonal partout ? Une triangulation ouverte des regards ? Ou certaines cultures fonctionnent-elles davantage, à trois, avec une triangulation fermée ? Une autre perspective peut être explorée, dont nous n'avons pas donné d'éléments ici, et qui concerne l'interaction entre verbal, particulièrement la strate énonciative, et non verbal. En effet, une étude des traces énonciatives pronominales ainsi que des prénoms peut être intéressante à mener ultérieurement : l'une des pistes concerne l'utilisation de la référence il/elle pour le tiers en position d'objet de discours des deux autres et le fait que cet objet de discours puisse être ou non l'objet des regards, par exemple, comme processus d'intégration, à différents degrés, du tiers. L'opposition prénom/pronom dans l'utilisation d'une nomination peut donc donner lieu à une recherche ultérieure : il semblerait, mais ceci doit être vérifié dans d'autres corpus, que les femmes ont un emploi préférentiel pour le prénom, qu'il soit en position de tu ou de il, tandis que les hommes pronominalisent davantage, lorsque le tiers est en position de il/elle. Ceci avec peut-être une typologie des regards à affiner, dans des corpus toujours filmiques, afin qu'une dimension représentationnelle, en lien avec la variable sexuelle, puisse être dégagée. Nous serions alors davantage sur le terrain de la signification non verbale, qui n'est pas celui de la communication non verbale, et dans le cadre d'une sémiologie Gestuelle, plus que dans celui de l'analyse conversationnelle des interactions. Enfin, comme autre terrain exploitable, le rôle du tiers dans une interaction trielle, et le postulat qu'à trois, ce n'est pas comme à deux. Un travail pourrait donc consister d'une part à explorer plus finement les typologies de tiers possibles, et par exemple donner lieu à une exploitation sémio-psychanalytique, et d'autre part à interroger les schémas de communication actuels, qui ne semblent pas donner de place au tiers, dans l'interaction ; ces schémas sont conçus de façon binaire, même lorsqu'ils sont circulaires 7 ; on fait précisément comme si à trois, c'était comme à
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deux, et cette simplification épistémologique est peut-être à questionner : que transforme la prise en compte du tiers dans les typologies communicationnelles ? Simple déplacement ou redondance ? ou nécessité d'une refonte théorique ?
Notes 1. Voir bibliographie. Le travail de plusieurs groupes - Visuel (G. Lochard et J.-C. Soulages), verbal (P. Charaudeau et A. Croll), gestuel (A-M. Houdebine et V. Brunetière), intonation (D. Laroche-Bouvy) et réception (C. Chabrol et Y. Gormati) - s'est dans un premier temps effectué séparément, de façon intra-strate. Ensuite seulement, un travail inter-strates a été mené. 2. Barthes, R., "Rhétorique de l'image", dans Communications 4, Paris, Seuil, 1964. La critique doit être faite cependant de cette notion d'intentionalité que l'on doit remettre un tant soit peu en question si l'on veut intégrer la notion d'inconscient, d'insu, à l'analyse sémiologique. 3. An analysis of discourse, Oxford, 1975. 4. Patrick Charaudeau, Langage et discours. Éléments de sémio-linguistique, Paris, Hachette, 1983, 175 p. 5. Pike, A.-L., Language : in relation to a unify theory of the structure of human behavior, 1960. 6. Grice, H.-P., "Logic and conversation, Syntax and sémantics : speech acts", Cole P., Morgan J. (eds), New York, Academic Press, p. 41-58, article traduit dans Communications, 30, p.57-72, 1979. 7. Comme celui présenté par l'école de Palo Alto, voir dans bibliographie, La nouvelle communication.
Bibliographie 1.
Cosnier, J., Coulon, J., Berrendonner, A., Orecchioni, C., Les voies du langage. Communications verbales gestuelles et animales, Paris, Bordas, 1982, 329 p. 2. La communication non verbale, sous la dir. de J. Cosnier et A. Brossard, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1984, 244 p. Voir particulièrement l'article de Frey, S., Hirsbrunner, H.-P., Florin, A-M., Daw, W. et Crawford, R. : "Analyse intégrée du Comportement non Verbal et Verbal dans le Domaine de la Communication", ainsi que l'article de Ekman, P. et Friesen V. : "La mesure des mouvements faciaux". 3. Ethologie des communications humaines. Aide-mémoire méthodologique, sous la dir. de R. Pléty, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, 206 p. 4. Kerbrat-Orrechioni, C. et Cosnier, J., Décrire la conversation, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1987, 394 p. 5. Corraze, J., Les communications non verbales, Paris, Puf le psychologue, Ire éd. 1980, 4e éd. mise à jour, 1992, 252 p. 6. Le visage sens et contresens, coord, par B. Cyrulnik, Paris, Eshel, 1988, 181 p. 7. Flahaut, F., La parole intermédiaire, Seuil, 1978. 8. Hall, E.-T., The hidden dimension, New York, 1966, éd. française, La dimension cachée, Paris, Seuil, 1971, 254 p. 9. Houdebine, A.-M., "La communication gestuelle. Étude sémiologique", dans L'interaction communicative, sous la dir. d'H. Parret et A. Berrendonner, Berne, Frankfurt, Peter Lang, 1990, 20 p. 10. Bateson, G., Birdwhistell, R., Goffman, E„ Hall, E.-T., Jackson, D., Scheflen, A., Sigman, A., Watzlawick, P., La nouvelle communication, textes recueillis et présentés par Y. Winkin, Paris, Seuil, 1980, 372 p. 11. La télévision. Les débats culturels "Apostrophes", sous la dir. de P. Charaudeau, Paris, Didier érudition, 1991, 388 p. Voir les articles de A.-M. Houdebine : "La mise en scène gestuelle" et "Du Gestuel", ainsi que les articles de V. Brunetière : "La construction du rituel : l'espace et le temps d'un geste", "La dynamique des échanges gestuels", "L'interstrate : le point de vue du gestuel" et "Les outils d'analyse du gestuel". 12. Aspects of non verbal communication, sous la dir. de W. von Raffler-Engel, Lisse, Swets and Zeitlinger B.-V., 1980, 379 p. Voir particulièrement l'article de P. Ekman, "Three classes of non verbal behavior".
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Y a-t-il un sujet de l'interlocution ? 1. De l'existence d'un sujet du discours 2. Les caractéristiques du sujet de l'interlocution 3. L'espace de locution 4. L'espace de relation 5. L'espace de thématisation 6. Conclusion Notes
1. De l'existence d'un sujet du discours La question du sujet en sciences du langage est une question complexe, à un double titre. D'une part parce qu'il est difficilement concevable de traiter cette question sans tenir compte des autres domaines des sciences humaines et sociales dans lesquelles cette notion est centrale, d'autre part parce que, à l'intérieur des sciences du langage, il existe des points de vue théoriques différents dont les uns ignorent le concept même de sujet et d'autres en proposent des définitions radicalement opposées. Pour ce qui concerne le champ des sciences humaines et sociales on peut rappeler rapidement, sans les discuter ici, trois grandes problématiques. L'une issue de la philosophie cartésienne : le sujet est le "cogito", c'est-à-dire l'être se posant comme "être pensant", et non seulement se posant ainsi mais se faisant exister à travers celui-ci : «cogito ergo sum». L'autre issue de la philosophie contemporaine, plus particulièrement de la philosophie phénoménologique, qui pose que la naissance du sujet se fait parallèlement à la naissance de la "conscience de soi" laquelle résulte d'une double interaction entre le Moi et l'autrui, l'être individuel et l'être collectif : la conscience de soi est consubstantielle de la conscience
d'autrui.
On peut dire que c'est dans cette même problématique que le sujet, être essentiellement social, sera défini d'après ce qui le légitime socialement et le fait du même coup représentant de valeurs collectives qui seront appelées selon les cas "idéologies", "représentations", "habitus" ou "capital". Enfin, une problématique issue de la réflexion psychanalytique (de Freud à Lacan), dans laquelle le sujet — alors sujet de l'inconscient — n'existe que comme émergeance, dans ce qui
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se fracture, se lézarde, dans l'apparente homogénéité et cohérence du discours, autrement dit affleure dans les ratés du manifeste (les lapsus). Pour ce qui concerne le champ des sciences du langage, on rappellera, tout aussi rapidement, qu'il est deux façons de poser le problème du sujet : L'une pose la "transcendance" du sujet ou, ce qui revient au même, son absence. La langue, qu'elle soit objet constitué en structures (structuralisme) ou machine à générer des phrases (générativisme), existe comme si l'émetteur et le récepteur, le locuteur et l'interlocuteur, l'écrivant et le lisant étaient les mêmes, faisaient symétriquement les mêmes opérations. Structuralisme et générativisme ont donc en commun ce postulat que la langue est construiteproduite par un locuteur-auditeur qui est un, donc sujet unique, idéal, donc absent : le sujet ici c'est la langue elle-même. L'autre façon de poser le problème du sujet, en sciences du langage, est plus complexe. Celle-ci ne considère plus la langue et ses systèmes, mais le discours comme mise en œuvre d'un enjeu de sens dépendant d'une situation et se construisant en relation avec l'autre du langage. Cependant, ici deux grandes tendances se font jour : — l'une, interne au langage, qui cherche à décrire comment s'instaure cette relation entre locuteur et auditeur à l'intérieur même de la mise en œuvre du discours. C'est la problématique, si bien définie par Benveniste, de la "subjectivité" et — faudrait-il ajouter — de 1' "intersubjectivité" dans le langage qui a donné lieu aux différentes théories linguistiques et pragmatiques de l'énonciation ; — l'autre tendance, plus centrifuge, qui cherche à articuler les productions discursives avec les valeurs sociales dont elles témoignent, via un énonciateur qui n'est plus individuel mais collectif, sociologique, voire idéologique. On est là dans une problématique "sociolinguistique" dont on sait qu'elle peut être théorisée différemment selon l'identité que l'on donne à cet être collectif (voir M. Pêcheux, M. Foucault, la sociolinguistique nord-américaine, P. Bourdieu, etc.). Dès lors, en Analyse du discours se pose le problème de la nature d'un sujet du discours, que je propose de poser en ces termes, à la suite d'une remarque de R. Barthes 1 : le sujet du discours est-il un ça ou un je ? Sans nier l'hypothèse que tout sujet parlant serait porteur d'inconscient et, en même temps, témoin (plus ou moins conscient) de valeurs collectives du groupe social auquel il appartient (réellement ou imaginairement), on peut défendre cette autre hypothèse qui veut que la mise en discours se fasse à travers un processus d'individuation
dont énonciateur et destinataire sont les
agents. Ce processus d'individuation consiste à construire du sens à travers des actes de discours, à l'intérieur d'un échange (que celui-ci soit interlocutif ou monolocutif). Dès lors peuvent être déterminés plusieurs types de sujets à des niveaux différents :
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Y a-t-il un sujet de l'interlocution ?
— un sujet parlant et un sujet recevant-interprétant
dans la mesure où peuvent être distingués
deux types d'action dans lesquels sont engagés les partenaires d'un acte de langage, chacun ayant un rôle propre et devant réaliser des opérations propres : le sujet parlant est engagé dans un processus onomasiologique de mise en œuvre d'une intentionnalité, le sujet recevant est engagé dans un processus sémasiologique de décryptage pour comprendre et interpréter. — un sujet, être agissant, et un sujet, être de parole, dans la mesure ou les sujets parlant et interprétant peuvent être dédoublés au nom d'une double identité, externe d'acteur social et interne d'acteur langagier, les deux aspects de cette identité intervenant dans la construction du sens (les performatifs, évidemment, mais aussi tous les autres actes de langage). — en continuant à descendre dans la spécification des situations d'échange langagier, il reste à se demander si l'on peut considérer qu'il existe des caractéristiques propres au sujet de l'interlocution
par opposition à un autre que l'on appellera le sujet de la monolocution,
et si
chacun de ces sujets peut à son tour être typifié d'après son comportement langagier selon la situation d'échange dans laquelle il est engagé. Mon propos est de montrer que le sujet de l'interlocution a des caractéristiques comportementales qui lui sont propres, c'est-à-dire différentes de celles du sujet de la monolocution.
2. Les caractéristiques du sujet de l'interlocution En m'appuyant sur une précédente communication 2 qui concernait plus particulièrement l'interlocution et en en généralisant les définitions, je propose de considérer que tout sujet, lorsqu'il veut parler, doit résoudre trois problèmes : — comment entrer en parole, c'est-à-dire fonder son acte de langage en intention vis-à-vis de l'autre ? — comment se positionner par rapport à l'autre, et quel type de relation établir avec celui-ci ? — comment organiser etproblématiser
le contenu de ce qu'il va dire?
Ceci détermine trois "espaces d'insertion du sujet" que l'on peut appeler : espace de locution, espace de relation et espace de
thématisation-problématisation.
Je me propose d'examiner les caractéristiques propres au sujet engagé dans un acte interlocutif lorsqu'il s'insère dans chacun de ces espaces, et ce en contraste avec celles du sujet engagé dans un acte monolocutif.
Patrick Charaudeau
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TABLEAU
Sujet du discours Sujet-interlocution
Sujet-monolocution
excluant
incluant
Espace de locution
justification externe (dispositif)
\
interne (auto-ratification)
incluant
/excluant
justification présupposée (contact motivé)
incluant
Espace de relation dans zone d'influence régulation (assimilation/rejet
Espace de thématisation
émergeant
co-orientation ponctuelle et réactive
exposition (régulation par simulation) organisant
orientation continue et hiérarchisée
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Y a-t-il un sujet de l'interlocution ?
3. L'espace de locution En général Parler c'est toujours parler à un autre, donc dans une relation. La conséquence est que parler, c'est : -) initier un espace de parole dans lequel se trouvent impliqués les deux partenaires de l'acte de langage (sujet parlant/sujet recevant) qui sont, dès lors, en contact l'un avec l'autre. On dira que le sujet parlant est Y initiateur de l'espace de locution. -) se poser comme je dans cet espace de parole, c'est à dire signifier que ce qui est énoncé est la propriété d'un ego (Benveniste 3 ). Le sujet parlant est ici principe et origine du discours produit. -) inclure l'autre dans cet espace de parole, c'est-à-dire signifier que ce qui est énoncé le concerne, que ce qui est énoncé est énoncé ainsi parce que c'est à lui qu'il est adressé et non à un autre. L'autre est donc obligatoirement impliqué par le sujet parlant. On dira que le sujet parlant est un interpellateur. On voit que parler, c'est à la fois : prendre possession de la parole et entrer en contact avec l'autre en l'incluant mais en lui imposant momentanément cet espace. D'où le problème, pour tout sujet parlant, de sa légitimité
: comment justifier son droit à
cette possession (appropriation par l'ego qui exclut le tu) et à cette imposition (dans laquelle le tu est inclus) ? Réponse : — par l'institutionnel
qui, dans une situation de communication donnée, donne au sujet statut
pour parler (pour "être parlant"), statut qui doit être reconnu par les autres (Ex : situation de conférence, situation de classe, etc.) ; — par la ritualisation des pratiques sociales qui justifie de façon conventionnelle certains types de rapports (Ex : envoi de cartes postales, présentations dans des réunions non officielles, rencontres de rue, conversations amicales, etc.) ; — par l'auto-justification
de son intervention qui est à la mesure de l'enjeu de l'échange et qui
explique pourquoi on parle et on implique l'autre (Ex : lettre de revendication, «si vous permettez je voudrais ajouter..», « vous oubliez que ...», «à cela il faudrait ajouter que ...», etc.).
Patrick Charaudeau
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Dans l'interlocution Le sujet parlant n'est pas nécessairement l'initiateur de l'espace de locution. Souvent, il doit s'insérer dans un espace déjà existant, où d'autres ont un droit plus ou moins égal à la parole, ce qui crée une situation de présences exclusives les unes des autres (imposant une régie du "ne pas parler en même temps"). Donc dans une interlocution l'espace de locution n'appartient à aucun des partenaires de l'échange, mais en même temps chaque fois que l'un d'eux s'y insère il se l'approprie comme je en en désapropriant l'autre de façon radicale (même si c'est momentanément). Dans la monolocution rien de tel, puisque le sujet parlant, initiateur de l'espace de locution, n'ôte la parole à personne (s'il faut prendre connaissance de plusieurs écrits, ils seront consultés successivement, et il y sera répondu successivement ; en situation de conférence on attend la fin, pour poser des questions). Ici, le sujet parlant est "contactant", et donc "incluant", l'autre, et du même coup la justification se trouve être présupposée. Le sujet de l'interlocution, en revanche, est un ôteur de parole («ôte-toi de là que j ' m ' y mette») qui brise (momentanément) la coexistence des participants, et qui exclut physiquement l'autre. On dira que le sujet de l'interlocution est un sujet excluant l'autre. Dès lors, pour que cette exclusion soit supportable et que la co-existence des partenaires soit possible, il faudra des moyens discursifs forts pour justifier le «j'arrive» et le «je vous exclue». Ces moyens de justification sont de deux ordres : — externe à l'acte de langage, par le statut et la distribution des rôles qui sont prévus dans le dispositif d'échange (Ex : débat et toute situation d'échange organisée) — interne à l'acte de langage, par des marques d'énonciation qui sont destinées à préparer, excuser et motiver la prise de parole
(auto-ratification)4.
Ex. : «Oui, d'accord, mais...», «C'est-à-dire que...», «Voilà pourquoi...», «Moi, je crois que...». Pour étudier cet espace de locution nous avons défini des outils d'analyse qui nous permettent de décrire les "modes de prises de parole" et les "modes de passage" de la parole 5 .
4. L'espace de relation En général Dans l'espace de parole initié par le sujet parlant, l'autre, avons-nous dit, s'y trouve impliqué, par définition, comme sujet adressé. Mais cette fois, il s'agit du type de relation qui s'établit entre le je et le tu du point de vue de l'influence que le sujet parlant peut avoir sur l'autre de
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Y a-t-il un sujet de l'interlocution ?
façon à l'amener sur son territoire de pensée (assimilation) ou au contraire pour l'en écarter (différenciation-rejet).
Dans l'interlocution L'autre, l'interlocuteur, peut de par sa présence physique et son droit à prendre à son tour possession de la parole, résister ou jouer son propre jeu dans le rapport d'influence, l'acceptant, le refusant ou le déplaçant. Il s'instaure donc entre les interlocuteurs des rapports de domination/soumission, de hiérarchisation, d'attaque/contre-attaque ou de connivence, bref une lutte discursive pour la conduite des échanges qui consiste à assimiler l'autre ou à l'exclure. Dans la monolocution,
l'autre n'est pas présent physiquement et ne peut interagir dans le
même temps d'énonciation. La lutte discursive, toujours possible ne pourra se faire que par simulation (anticiper ou imaginer les réactions-objections de l'autre), ou dans la
succession
(échange de lettres ou de déclarations dans lesquelles les arguments de l'autre sont systématiquement repris) 6 . On dira que le sujet de l'interlocution ne peut être qu'un sujet incluant/excluant,
c'est-à-dire
régulant les mouvements d'assimilation/rejet de l'autre, alors que le sujet de la monolocution est un sujet qui inclut l'autre en exposant son jeu d'influence. Le sujet de l'interlocution est condamné à réguler l'échange in situ, en passant soit par l'organisation énonciative
7
, soit par l'organisation du contenu thématique de son discours.
Pour étudier cet espace de relation interlocutive nous avons défini des outils qui permettent de décrire les "modes d'intervention" et les "enchaînements thématiques" 8 .
5. L'espace de thématisation En général L'espace de thématisation est, à l'intérieur de l'espace de parole, le lieu ou est traité et organisé un univers thématique ("ce à propos de quoi on parle"). Ce traitement consiste à problématiser cet univers en : —choisissant
une identité discursive : décrivant
argumentant (si on argumente).
(si on décrit), narrant
(si on raconte),
Patrick Charaudeau
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—se positionnant par rapport à un système de valeurs auquel on adhère (Pour), que l'on rejette (Contre), que l'on discute (Pondération). —apportant la preuve qui doit valider la prise de position.
Dans l'interlocution Cet espace de thématisation,
soit pré-existe à l'intervention du sujet parlant qui doit donc s'y
insérer ("Intervention réactive"), soit est introduit par le sujet parlant, mais immédiatement modifié, transformé, défiguré par les interventions des autres. Le sujet parlant n'en a donc pas la maîtrise, et il ne peut faire les opérations précédentes que de façon partielle, au coup par coup, toujours en fonction de ce qu'ont été les interventions précédentes, et bien souvent sans pouvoir aller jusqu'au bout de sa prise de parole. Dans la monolocution, au contraire, le sujet est relativement maître de l'espace de thématisation. Il l'introduit, il l'impose à l'autre, et il le développe à sa façon en faisant les opérations précédentes selon son propre projet d'organisation. Il peut mener celui-ci à son terme, sans tenir compte des réactions de l'autre, à moins qu'il les imagine et décide de les intégrer (dans ce cas on a encore affaire à une "simulation" comme dans le dialogue socratique). On dira donc que le sujet de l'interlocution est un sujet émergeant. Il ne se constitue que dans une émergence, et contribue ainsi à l'organisation thématique de l'ensemble des échanges. Il intervient dans cette organisation de façon ponctuelle et réactive, et du même coup l'univers thématique construit par les échanges se développe de façon brisée, éclatée, le sujet de l'interlocution ne peut que contribuer à une co-orientation de l'organisation thématique, en apportant points de vue, arguments, exemples, à moins qu'il ne cherche à introduire un nouveau thème. Pour étudier cet espace de thématisation il nous reste à proposer des outils permettant de procéder à l'analyse discursive des "modes de raisonnement" et des "types d'arguments" 9 .
6. Conclusion En guise de conclusion, je voudrais tirer quelques conséquences de ces observations : 1.
Dans le processus d'individuation
place pour un sujet de l'interlocution
du sujet auquel je faisais allusion au début, il y a bien (locuteur/interlocuteur) dans la mesure où, pour s'instituer
Y a-t-il un sujet de l'interlocution ?
en sujet du discours, il est amené à faire des opérations
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différentes
de celles du sujet de la
monolocution. 2.
La prise en compte des propriétés qui caractérisent le sujet de l'interlocution ou de la
monolocution est un préalable à l'étude des figures spécifiques du sujet dans tel ou tel texte. Parce que la signification d'un énoncé ne peut être la même selon qu'il s'inscrit dans un texte dialogique ou monologique. Autrement dit on ne peut rien dire, du point de vue du discours, sur un énoncé considéré hors de la situation locutive d'emploi. 3.
Les caractéristiques propres à un sujet de l'interlocution nous montrent que si l'on peut
défendre l'idée qu'il existe une grammaire du parlé, c'est au titre de la situation
d'interlocution
et non du seul facteur d'oralité. C'est parce que les énoncés sont construits par un sujet qui se trouve en situation d'avoir à se justifier, à réguler et à émerger, qu'ils ont une forme et une syntaxe particulières et différentes de celles que produit le sujet en situation de monolocution. C'est pourquoi il est possible de produire, à l'oral, un texte ayant des caractéristiques de la construction monolocutive (conférence), et à l'écrit un texte ayant des caractéristiques de la construction interlocutive (lettre familière). A moins que l'on mélange constamment les deux comme le font les médias de la radio et de la télévision, et comme je le fais moi-même, ici, dans cette situation de communication, en lisant ce papier.
Notes 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.
Rappelons que R. Barthes opposait le «ça parle» d'un texte sans auteur au «je parle» d ' u n texte à auteur, in revue Communications n°19, Paris Le Seuil, 1979. Au colloque de Lagrasse, Le dialogue : "Les espaces de parole dans la situation d ' i n t e r l o c u t i o n " . A paraître dans les Actes. Problèmes de linguistique générale, tome 1, Paris, Gallimard. Ceci constitue la justification de nos outils d'analyse pour décrire les types de "prise de parole" et les "modes de passage", voir rapport C N R S sur l'étude des Talk show. Voir les travaux du C A D : La télévision. Les débats culturels. "Apostrophes". Didier Erudition, Paris 1992, et L'étude d'un genre télévisuel : le "talk show", rapport scientifique pour le CNRS-Communication, non publié. Voir la polémique entre Vargas Llosa et Régis Debray dans les Libération des 19 octobre, 3 novembre, 2 et 3 décembre 1993, à propos de 1'"exception culturelle". D a n s ce rapport d ' i n f l u e n c e se trouve l'ordre et la d e m a n d e c o m m e intégration coercitive de l ' a u t r e et imposition d ' u n e soumission, même si celle de la demande est moins abrupte. Voir les travaux du C A D cités en note 5. Outils esquissés dans notre Grammaire du sens et de l'expression, Hachette, Paris 1992.
Gerd Fritz
Remarks on the history of dialogue forms
1. Introduction 2. Aspects of dialogues and types of change 3. The evolution of dialogue forms in institutional contexts 4. Functional explanation of historical developments 5. The problem of historical sources References
1.
Introduction
In recent years we have witnessed a remarkable increase of activity in the field of historical pragmatics. Individual articles on this topic have been appearing for the last 15 years or so, and recently also collections of articles have appeared or are about to appear (cf. Bax 1981, v. Polenz 1981, Schlieben-Lange 1983, Lebsanft 1988, Fritz 1994b; Sitta 1980, Busse 1991, Jucker (to appear), just to mention a few titles). So it looks as if the efforts in this field of research were really gaining momentum. This is a very encouraging development, because the historical aspect of language use is an important topic in its own right and also because historical studies are an excellent testing ground for existing theories of language use. As dialogue analysis is the centre of pragmatics, historical dialogue analysis should become the centre of historical pragmatics. Now historical dialogue analysis can proceed in different directions, of which I shall only mention three: (i) One type of activity consists in analysing individual historical texts in order to show the pragmatic structure of dialogues represented in these texts. This has been done for several literary texts (e.g. Weigand 1988 on the "Nibelungenlied"). (ii) The second type of activity is the comparison of earlier dialogue forms with later dialogue forms, e.g. the comparison of procedures of proof in Germanic legal practice and in later Roman law. Or the comparison of the practice of swearing in Switzerland in the 16th century and today (cf. Lotscher 1981). This type of contrastive historical analysis is a natural extension of contrastive pragmatics which has also been an active concern in the last few years (cf. Oleksy 1989). (iii) The third and most comprehensive approach is the study of the evolution of dialogue forms. This approach is still in its infancy, and the main objective of the present paper is to give an outline of some of the questions involved in research on the evolution of dialogue forms.
Gerd Fritz
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I shall at this point take for granted that there are such things as dialogue forms or types of dialogue or genres of dialogue, as some people might prefer to call them. Some authors seem to doubt that there are conventional patterns of this kind at all. Anyway, in our everyday language we use expressions like interview, debate, or quarrel to refer to stretches of dialogue which are characterized by certain features, including certain types of speech act sequences like question and answer, argument and counterargument, insult and retort. Similar descriptive expressions can also be found in earlier stages of many languages. Some examples will be given later on in the paper. So obviously members of a community of speakers recognize this kind of pragmatic structure as a reality of their communicative lives. But certainly different types of dialogue differ as to the way in which they are organized, that is to say whether they are tightly or loosely organized, conventionalized or even standardized in their utterance forms. Now it could precisely be one of the aims of historical studies in dialogue forms to increase our awareness of different degrees of conventionalization and standardization, and in doing so to improve the quality of our present dialogue theories. If we compare the field of historical pragmatics to, say, historical syntax or historical semantics we find that researchers are still reluctant to address general and systematic questions like the following: — What types of change are there? — Are there types of dialogues or aspects of dialogues that are more prone to change than others? — How does the overall repertoire of dialogue forms in a given society develop over time? — How does the diffusion of innovations work in the case of dialogue forms? — What counts as an explanation of a change of dialogue form? — Are there universals of dialogue? If the evolution of dialogue forms is to become a serious field of enquiry, future research will have to venture upon these systematic topics.
2. Aspects of dialogues and types of change In order to take a first step towards a systematic treatment of changes of dialogue forms we can make use of some of the results that have been reached in the theory of dialogue (cf. Fritz 1994a). We shall assume that each dialogue form is characterized by a specific manifestation of basic aspects of organization, and that dialogue forms may change in each of these aspects. Therefore the basic framework for the description and classification of types of change will consist in a system of elementary aspects of dialogue forms and their interaction. These basic aspects of dialogue organization include the following items: — patterns of speech act sequencing (including the choice of alternative strategies),
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Remarks on the history of dialogue forms
— turn-taking conventions, — topics and topical networks, — characteristic utterance forms, — relevant conversational maxims. In order to illustrate this system of aspects of dialogue forms I shall give a few examples of how dialogue forms may change with respect to these organizing principles: (i) My first example is a fictional example, as we have no records for this particular innovation. At an early stage in the development of human communicative practice people learnt to reply to accusations by counteraccusations. One could hear one speaker complaining: You have taken away my arrow. And the other one would respond by saying: You have taken away my. arrow. And this exchange would invariably lead to a fight. Now one day a clever person tried to evade this build-up of conflict by saying something like: I am a fool,
I thought this was my arrow,
I didn't mean to take away yours. This reaction thoroughly surprised his opponent, discouraging the latter from taking up a stone and beating our friend. Our clever person had invented or rather hit upon a new type of speech act, namely APOLOGIZING, which he repeated once in a while and which other members of his tribe later copied. Together with the original pattern of accusation this speech act constitutes a new type of sequence which is socially useful as it helps to avoid unnecessary fights. Sequences of this type have been described by Goffman under the heading of "remedial interchanges" (Goffman 1971; cf. also Fritz/Hundsnurscher 1975). Now this brief story is a simple case of what has been called a "rational reconstruction" (UllmannMargalit 1978, 276f.) or "conjectural history" (Strecker 1987, 13). The point of such a reconstruction is to show how a new pattern could have evolved. It can profitably be used to clarify the structure of a type of change and to analyse the function of an innovation. Obviously our story would have to be much more complicated to be convincing, but for the moment it might suffice to indicate the basic type of story that would serve explanatory purposes. In historical times for which we have records, the invention of completely new speech act patterns seems to be rather rare. By the time written documents were produced, all the basic patterns known to us today already seem to have been in practice. What is obviously much more frequent is the adaptation of existing basic patterns to specific purposes. I shall return to this point later. (ii) The second example shows how a new dialogue type could be developed by emphasizing one particular type of strategy. At a certain point in planning communications people usually make a suggestion and this suggestion will then be clarified, discussed and evaluated. And after this lengthy procedure the next suggestion will be made and will be dealt with in the same fashion. This strategy is very useful if you want to find out the pros and cons of a certain course of action. But it has one big disadvantage. It prevents a quick survey of available suggestions
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and may thereby cause the loss of particularly helpful suggestions. In order to increase the efficiency of the explorative phase of planning talks American managers in the 1930s developed a particular strategy which expressly excluded the discussion of suggestions and encouraged the collection of as many suggestions as possible. This strategy later became a distinct dialogue form and was called brainstorming. (iii) As for turn-taking, we can frequently observe that special conventions for turn-taking hold within institutions. A case in point is turn-taking in examinations where the rules are much more restrictive than in everyday non-institutional question/answer-sequences. An historical analysis would have to show how such special conventions could have evolved in certain contexts. (iv) Another type of change is the introduction and diffusion of new topics for conversation. It is obvious that many kinds of discourse rely on the existence of certain topics, e.g. in religious discourse. Often it is new concepts that provide new topics and sometimes even completely new forms of dialogue. Without the concept of sin there could probably be no dialogue form of confession. And without the concept of the subconscious there could probably be no psychoanalytical dialogue. In the 19th century, the discovery (or invention) of the concept of the subconscious was the basis for a new type of scientific explanatory discourse and this topic was later diffused to non-scientific contexts so as to constitute an everyday pattern of explanation for psychological problems (cf. Porksen 1986, 150ff.). (v) The next aspect of dialogue forms on my list is utterance form. As the historical change of utterance forms is well-documented in the different branches of historical linguistics, I shall not dwell on this aspect. (vi) The last examples I shall give of aspects of change concern conversational maxims or principles. Whereas philosophers tend to view basic conversational maxims as universally valid, historians of dialogue forms tend to be impressed by the fact that many specific maxims and their modes of application are not historically invariable and therefore not universally valid at all. For example, the principle of comprehensibility, which can be considered a very basic principle, is applied in completely different ways in courtly conversations of the 17th century and in present-day small talk. Courtly conversation often required a high degree of indirectness, and therefore suggesting and deciphering hidden meaning was all-pervasive (cf. Schmolders 1986, 29). So, at least at surface level, comprehensibility did not have priority in this type of conversation. It is even less prevalent in many forms of religious discourse, where the laymen often don't even understand the language in which the discourse is conducted. Another example is the maxim of politeness. Its general status and the linguistic means of applying the maxim are quite obviously subject to change. One case in point is the history of
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forms of address. In the German language, for example, there was only one pronoun of address used in the early middle ages, namely Du. By the end of the 17th century there is a system of four different pronouns of address which are employed according to fairly subtle social rules (du, ihr, er, sie (plur.)). In the 19th century this system is gradually reduced to the binary system we know in German today (Du and Sie; cf. Metcalf 1938). Another case of change in the system of politeness is the changing attitude towards the use of compliments in the course of the 18th century. Whereas during the 17th century polite people throughout Europe insisted on long and frequent compliments, this practice was increasingly criticized in the course of the 18th century. For Germany, this has been convincingly shown by Beetz in his book on early modern politeness (Beetz 1990). It is also rewarding to compare this description of the early modern practice of compliment exchanges with descriptions of different types of present-day compliments and compliment responses (e.g. Herbert 1989). Principles guiding individual types of speech acts are also historically variable, and we often find conflicting principles stemming from different traditions. Examples are the principles for self-praise and for asking questions. For Germanic knights it was obviously perfectly acceptable to indulge in self-praise, whereas Christian principles of humility strictly forbade self-praise. Today the Christian tradition seems to prevail. As for question-asking, there is evidence in 12th century German epic texts of rules of etiquette that forbid asking too many questions. Contemporaneous didactic texts, however, give young persons the advice to ask questions freely in order to overcome their ignorance. This dilemma of principles could be considered a universal communicative problem, but quite obviously different solutions to the problem evolved in different cultures. The list of examples of specific historical maxims could be extended indefinitely. Probably the history of conversational maxims is one of the most fruitful topics of historical pragmatics. And, of course, there is a wealth of sources for information on conversation maxims, from personal letters and novels to conduct books and other forms of instructional literature. As a final remark on the topic of aspects of dialogue forms, I should like to remind the reader of the fact that different aspects of a dialogue form are interconnected. Therefore changes in one aspect may lead to changes in another, for instance a tightening of rules of politeness may lead to the adoption of new polite forms of utterance for directives or for addressing people and so on.
3. The evolution of dialogue forms in institutional contexts After presenting the basic tools for the analysis of types of change, I shall now proceed to the description of more complicated tasks. We could for instance analyse the ways in which basic dialogue forms change when they get embedded into institutional contexts.
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To give an example, basic question/answer-sequences develop quite specific properties when they become part of institutional communications, like in news interviews, in examinations, in doctors' visits or in police interrogations. This is partly a matter of the specific institutional roles of interviewers, of examiners, of doctors and policemen. But it is also a matter of the choice of admissible topics and appropriate linguistic forms. Similarly with asking for advice and giving advice. This kind of dialogue will usually be restricted to certain topics if it is conducted within some kind of professional setting. So the professionalization of advice-giving is reflected in the structure of the respective dialogues. Some institutions seem to produce specific forms of dialogue by means of the combination (or competition) of basic types of dialogue. Political discussions broadcast on television tend to merge with political advertising, which leads to a remarkable mixture of elements of rational argumentation on the one hand and strategies of one-upmanship on the other (cf. Holly et al. 1986). Incidentally, the impact of new media on forms of dialogue - for instance on forms of teaching - is an intriguing historical development which we can witness today. In all these cases the types of change are determined by the particular conditions and purposes of the respective institution. In a way, all this is rather obvious. However, these facts have not yet been adequately represented in an evolutionary perspective. This perspective is also the background for a distinction of different kinds of global trends in the history of dialogue forms. In many cases institutional forms of dialogue are standardized in comparison with their noninstitutional counterparts. Such a standardization concerns all kinds of aspects, including restrictions of topical content, restrictions in the rules of turn-taking, and fixed utterance forms. Utterance forms are, for example, often standardized in legal contexts. In the middle ages the use of appropriate expressions in legal procedure was formalized to such an extent that normal people often had to hire professional speakers who made sure that no mistakes or even speech errors were made, which would have invalidatet the whole procedure. Standardization is a trend of evolution that can readily be observed in modern societies as well. The same can be said for diversification which goes hand in hand with the specialization of professions and institutions and with the advent of new media. Other types of trend worth mentioning are the civilization of norms and principles and the secularization of topics.
4. Functional explanation of historical developments So far I have dealt with the description of changes of dialogue forms. I shall now wind up this paper with a few short remarks on the explanation of changes in dialogue forms. I shall for the moment accept the position that one should aim at so-called functional explanations, if possible. The objective of a functional explanation (of an innovation) is to show that a (new) form of dialogue is a (new) solution to a recurrent communicative problem. For example, the dialogue
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form of bargaining could be shown to be a solution for the problem of finding an adequate price for goods for which there is no value fixed in advance. An interesting candidate for a functional explanation is the exchange of ritual insults. This type of dialogue is known in different present-day cultures and is also represented in earlier historical periods. A well-known description of this practice was given by Labov in his classical paper on ritual insults (Labov 1972). In this paper he describes the patterns and the social significance of exchanges of this kind which are practiced by boys living in the black ghettos of New York. The following is an example of such an exchange (Labov 1972, 161): (1) David: Boot:
Your father got brick teeth. Your father got teeth growin' out his behind.
The basic insight of Labovs analysis is the following: Ritual insults are no real insults. Whereas real insults lead to fights, ritual insults are a means of giving vent to aggressions without having to resort to actual fighting. Similar patterns of verbal duels can be found in different societies today but also in early medieval societies in different European countries. The following Old Norse example (taken from the "Harbardsljod") shows how two speakers - in fact two gods in disguise - playfully provoke each other by casting doubt on each other's social status (cf. Bax 1991, 205): (2)
Thor:
Hverr er sa sveinn sveinna, er stendr fyr sundit handan?
HSrbard (Odin ):
Hverr er sa karl karla, er kallar um vaginn?
(Who is this youngster standing beyond the sound?) (Who is this common man shouting across the sea?) These ancient dialogue patterns were obviously so well-established that they deserved special descriptive expressions. The following are some of the original Germanic names for forms of verbal duels: (3)
Old Norse:
Anglo-Saxon:
hvot
"provocation"
senna
"verbal duel"
gylpcwide, gylpspraec
Middle English: Middle High German:
flyting gelpf
"boasting speech" "quarrel", "verbal contest"
"boasting", "challenge"
During the early medieval period two related dialogue patterns of this kind seem to have coexisted: One consisted of boasts and mutual insults which functioned as a challenge and thereby prepared an actual fight. The other one was more like a contest of ritual insults functioning as a substitute for fighting. Interesting information on these dialogue types is available in articles by Bax and in Hughes' book on swearing (Hughes 1991, under the heading of flyting). Now it looks as if the challenge pattern was the original archaic dialogue form and the pattern of
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Gerd Fritz
ritual insults was a later invention. If so, it might be an interesting task for a historian of dialogue forms to attempt a functional explanation and to show how the later form could have developed from the earlier one and what functional advantage the later form provided in some contexts. This is certainly not a simple task, and I shall not attempt such an explanation here, but probably Labovs analysis of ritual insults would provide a useful point of reference for a functional explanation of these dialogue forms.
5. The problem of historical sources At this point sceptics tend to object that there are no adequate sources for a systematic history of dialogue forms as it is proposed in this paper. Now, there is of course no denying the fact, that as soon as we have to rely on written sources, i.e. dramatic representations of dialogues, narratives of dialogues, descriptions of dialogue forms, or normative statements as to how dialogues should be conducted, we are at least one step removed from actual dialogues as data. And the further we go into the distant past the less numerous even this kind of data becomes. This is no doubt a problem one has to take seriously, but it is not as hopeless as one might think. In the first place, there is a vast amount of research on literary history, social history, ethnology, the history of philosophy etc., from which relevant secondary information can be drawn and which leads to sources of the kind mentioned before. Secondly, there are many sources of this kind which have not yet been systematically used under this particular perspective (cf. Gloning 1993). It is a wellknown phenomenon that a well-defined programme may open one's eyes for the location of useful sources. (Of course there always remain the problems of interpretation we usually have with texts from the distant past.) And finally, there is an important lesson to be learned from the various fields of historical linguistics: There is no reason why historical research should be confined to the distant past. Historical changes of dialogue forms are going on around us in our presence where access to adequate sources is much easier. So why should a systematic history of dialogue forms not start with present-day developments?
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der
Remarks on the history of dialogue forms
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Blanche-Noëlle Grunig
Dialogue et mémoire 1. La mémoire nécessaire comme préalable à une interaction verbale 2. La mémoire nécessaire en cours d'interaction. Coconstruction d'imaginaire 3. La trace mémorielle que l'on garde d'une interaction verbale. Reformatage Références bibliographiques
Ce thème s'inscrit dans l'une des préoccupations que j'ai actuellement (non sans prémisses dans Grunig (1985)) de dégager la pertinence de facteurs mémoriels pour le linguiste. Je parlerai ici uniquement de facteurs mémoriels intervenant pour le dialogue. Je considérerai successivement : la mémoire nécessaire comme préalable à une interaction verbale, la mémoire nécessaire en cours d'interaction verbale, en dégageant le cas particulier de la coconstruction d'imaginaire, puis la mémoire qui intervient après l'interaction verbale. C'est-àdire la mémoire conservant le souvenir d'une interaction verbale. Je parlerai là tout particulièrement de ce que j'appellerai "reformatage".
1. La mémoire nécessaire comme préalable à une interaction verbale Il est évident qu'une interaction verbale est dans la dépendance de la qualité et de la quantité du savoir, de l'expérience et des pratiques préalables partagées par les interactants, autrement dit de ce que deux stocks mémorisés ont en commun préalablement à l'interaction considérée. On peut même certainement attribuer certaines caractérisations aux dialogues en fonction de cette qualité/quantité de partage : L'un des cas extrêmes serait celui de personnes radicalement inconnues l'une à l'autre et d'infiniment faible communauté dans leurs appartenances. Cette situation serait évidemment immédiatement assortie de travaux d'approche identificatoires tendant à exhiber le fond commun existant peut-être, quand même. Ou tendant à le construire "artificiellement". L'autre cas extrême, repérable le plus souvent dans sa forme linguistique même, serait celui d'une communauté de savoir, d'opinion et de vécu telle que presque tout irait sans dire. Plus précisément : les énoncés fourmilleraient de noms propres (en particuliers de prénoms), de déictiques, de descriptions définies (la voisine d'en dessous, le nouveau thésard de Paul, le collier de perles de ta mère, etc...), d'inférences non explicitées, de phrases inachevées, etc. Le
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Blanche-Noëlle Grunig
silence en co-présence serait supportable, et peut-être même bienvenu. Tout ceci est très clair et je n'y insiste pas. Je considère plutôt ce qui vaut plus particulièrement, outre évidemment ce savoir partagé, en cours d'interaction.
2. La mémoire nécessaire en cours d'interaction. Coconstruction d'imaginaire Je pense là à la mémoire qui va rendre connexes, enchaînés, liés, les énoncés verbaux d'une interaction. Joueront bien entendu simultanément le souvenir qu'a le locuteur de ses propres paroles et celui qu'il a des paroles d'en face. Pour la mémoire du locuteur concernant ses propres paroles, plusieurs phénomènes sont importants. Il y a par exemple la rupture de l'enchaînement interne à une intervention du locuteur. Ainsi la mémoire fait défaut lorsque le locuteur s'arrête sur un (1) Qu'est-ce que je disais déjà ? Ou, pire sans doute pour l'interaction, lorsque l'enchaînement est rompu dans l'ordre de la combinatoire réglée (rupture syntaxique, rupture thématique) et pourtant associé à une émission continuée de signifiants. On peut aussi s'intéresser à la mémoire que garde, ou ne garde pas, le locuteur, du rôle qu'il entend, ou entendait, assigner à ses paroles dans l'interaction. Elle fait défaut quand on entend : (2) Mais pourquoi je disais cela déjà ? (3) Mais je ne sais pas si je réponds à ta question. (4) Qu 'est-ce que tu me demandais, au juste ? Elle fait défaut aussi lorsque s'est engagée sans fin prévisible une digression (éventuellement à étages et enchâssements) sans présence à l'esprit de la piste initialement engagée. En ce qui concerne non plus la mémoire des propres paroles du locuteur mais plutôt celle des paroles d'en face, elle est évidemment indispensable à l'enchaînement pertinent des énoncés de l'interaction. Notons toutefois qu'on peut relativement facilement sauver les apparences en établissant une connexité à fondement très superficiel : On sait que dans une réplique à une intervention d'en face on peut prendre comme point d'appui, "scope", "domaine" d'application de la réplique, soit la totalité de l'intervention (enchaînée même peut-être sur d'autres qui l'ont précédée), soit un fragment plus ou moins grand de cette intervention. A la limite, pour sauver les apparences, et c'est là que je veux en venir, on peut ne prendre en compte que le dernier mot de l'intervention, en s'y appuyant, en particulier par répétition semblable à un écho. Il apparaît toutefois beaucoup plus difficile de ne
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prendre appui que sur un mot (ou petit fragment) dans l'intervention d'en face, s'il n'est pas le dernier. Le propos métalinguistique doit être alors plus accusé, en explicitant le fragment : (5) Tu parlais tout à l'heure d'Arthur. A ce propos je peux dire que... Au-delà de ces quelques remarques générales et, somme toute, fort triviales, je voudrais tenter l'évocation d'un cas très particulier d'interaction (qui aura, du point de vue de la mémoire, en cours de processus, une propriété remarquable, me permettant de lui reconnaître comme une structure à "Etats Finis"). Il s'agit de ce que j'appellerai "coconstruction d'imaginaire". Je m'explique. On sait, on sait à peu près, ce qu'est la fiction, la construction d'univers imaginaires, avec d'ailleurs différents stades de distanciation possibles par rapport à l'univers WO que l'on prétend réel et quotidien. Mais s'est-on suffisamment interrogé sur ce que pourrait être une coconstruction d'imaginaire par des interactants ? : deux locuteurs x et y (deux pour simplifier) seraient à l'oeuvre pour construire ensemble un univers fictionnel. Dans un premier instant de réflexion j'ai cru n'en avoir jamais observé. Puis des cas d'interaction me sont revenus à l'esprit qui peuvent sans doute bien être considérés comme des coconstructions de fiction : Je pense ainsi au cas particulier de coconstructions opérées par des enfants réunis (qu'on les y ait ou non incités par une instruction magistrale). Soit par exemple : (6) Enfant (a) : Et puis le lapin est arrivé, (7) Enfant (b) : Et puis il est rentré dans sa maison, (8) Enfant (a) : Et puis l'arbre est tombé. Etc... La construction se développe et s'enfle dans la passion ludique... Je pense aussi à une forme de complicité d'un auditeur ou compère, à l'écoute du récit d'un conteur dont il relance l'activité créatrice : (9) Alors raconte encore. (10) Et puis après ? (11) Oh ça alors et qu 'est ce qu 'il est devenu ? Le cas est, là encore, particulier parce que l'un des deux interactants n'est pas pleinement coconstructeur. Mais il y a des cas de réelles coconstructions. Ainsi deux locuteurs (Loc) adultes peuvent codélirer dans l'imaginaire, relativement au futur : (12) Loc (a) : Et puis on ramassera des coquillages, (13) Loc (b) : Et on cueillera des ananas, (14) Loc (a) : Et on péchera des baracudas, Ou plus altruiste et plus grandiose : (15) Loc (a) : Tous les hommes vivronts d'amour, (16) Loc (b) \ Il n'y aura plus de misère,
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Blanche-Noëlle Grunig
(17) Loc (a) : Il sera interdit d'interdire, etc... Il y a aussi le scénario de fiction que deux coauteurs tentent ensemble de mettre en place. Il y a encore par exemple (portant alors sur le passé), des coconstructions de mensonge, de rapports falsifiés. Il s'agit là en particulier qu'aucun locuteur "ne se coupe" (ne se contredise luimême), non plus que les deux, entre eux : (18) Loc (a) : On est sorti à 8 h, (19) Loc (b) : La voisine était à sa fenêtre, (20) Loc (a) : Octave avait téléphoné juste avant, etc... Pourquoi cette coconstruction d'imaginaire, qui, incontestablement, existe, apparaît-elle néanmoins rare et difficile ? Il me semble qu'il y a à cela au moins les deux raisons suivantes (qui ont à voir avec la mémoire) : La fiction de l'ordre du verbal, par définition, n'existe que par le dire et n'est pas copie d'une expérience, récit d'un vécu. Il n'y a donc pas, de la part des deux locuteurs qui seraient en activité de coconstruction fictionnelle, de contrôle et repérage possibles dans un factuel objectif qu'ils auraient l'un et l'autre vécu. Pour se repérer, pour enchaîner, pour éviter un taux excessif d'absurde, le seul donné est le dit et donc la mémoire du déjà-dit. C'est vrai pour le conteur seul, et cela peut-être difficile. Mais cela est encore plus difficile pour deux coconteurs, deux coconstructeurs : chacun doit avoir gardé trace la plus exacte possible de ce qu'il a dit lui-même et de ce que l'autre a dit. Et il n'y a aucune raison pour que ces deux modes de mémorisation soient homogènes et que les traces des deux aient la même netteté. Je signale maintenant une seconde difficulté qui m'apparaît spécifique de la coconstruction d'imaginaire. Quand on construit une fiction (d'ordre verbal) on met en place un monde, mais on ne refait pas le monde dans sa totalité. On explicite des éléments de la construction mais aussi on s'appuie implicitement sur une part d'inaltéré. Ainsi, par exemple, si l'on dit dans une fiction La clé était sur la porte (ou même Peter Pan a pris la clé sur la porte), on ne précise pas (pas nécessairement en tout cas, le système lexical et le knowledge général aidant), que cette clé était introduite dans une serrure. Remarquons alors que pour une coconstruction de fiction, il faut partager ces implicites systématisés. Cela advient en mémoire et il peut y avoir déphasage des deux locuteurs. Mais il y a plus complexe, à mon sens : Accompagnant le dit, il n'y a pas que de l'implicite présupposé par le système. Il y a aussi des fixations opérées par le locuteur, des remplissages individuels. Ainsi, supposons que le premier locuteur coconstructeur dans sa fiction dise, (21) Adèle était partie se promener tôt afin de voir les pêcheurs s'installer pour la journée. Il accompagne selon toute vraisemblance ce dit d'un choix mental entre fleuve, torrent, ou mer pour le contexte du pêcheur, et, qui plus est, ce choix "pensé" est certainement accompagné
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d'une image mentale de l'ordre de l'iconique, du visuel. En outre, il apercevra peut-être les pêcheurs avec petits pliants, parasols, ou paniers. Tout ceci, verbal et iconique, est potentiellement là pour un travail verbal ultérieur (par exemple pour des anaphores). Mais le coconstructeur n'en a pas connaissance. Il pourra donc y avoir difficulté de collaboration, lorsque, fort de sa première construction, le premier locuteur continuera, en usant de définis : (22) Les mouettes tournaient autour du parasol. Pour me résumer (et sans pouvoir prendre ici des exemples plus complexes) je dirai : c'est à cause des qualités différentes de l'implicite (mémorisé donc par l'un et non par l'autre des deux locuteurs) que la coconstruction d'imaginaire est difficile. La coconstruction fictionnelle (verbale) devrait donc bien se caractériser par un déroulement plus saccadé, moins lié, plus hétéroclite, que la construction fictionnelle "monogérée". Cette coconstruction d'imaginaire me semble en règle générale (cf.en particulier les exemples (6) à (17) ci-dessus) avoir une dynamique avec prise d'appui à seulement un cran, pas à pas. On voudrait dire qu'elle est à "États Finis" : (23) x dit a (24) y raccroche b à a (25) x raccroche c à b L'accumulation se fait pas à pas : (26) Des coquillages. (27) Et puis des ananas. (28) Et puis des baracudas. La mémoire de tout le passé du dit n'est pas nécessairement mise en oeuvre. La structure présente bien des égards des propriétés du happening !
3. La trace mémorielle que l'on garde d'une interaction verbale. Reformatage Il m'apparaît qu'elle a des propriétés assez remarquables si on la compare, par exemple, à la trace que l'on peut garder d'un récit (lu ou entendu). Dans l'un et l'autre cas, récit et interaction, il y aura ce que je propose d'appeller "reformatage". Dans le sens suivant : en règle générale lorsque l'on perçoit des énoncés enchaînés et qu'on les enregistre en mémoire, très vite (au bout d'une très brève écoute, au bout en tout cas d'une certaine longueur, c'est elle qui importe) on accompage la trace de l'entendu d'une transformation de sa structure. C'est ce que j'appelle le reformatage. Dans le cas du récit tout d'abord (et l'on verra ensuite la différence avec le cas de l'interaction), je peux dire qu'il se constitue à partir des traces mémorielles du verbal enregistré,
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et de son interprétation, ce que j'appellerai des masses mnésiques, qui n'ont plus la dimension du mot ou de la phrase et sont reliées entre elles par des relations non syntaxiques. Les masses mnésiques ainsi secondairement constituées par reformatage peuvent par exemple être reliées par des relations spatiales : on a construit, à partir du récit, des représentations où la forêt est là, le village ici, la route entre eux, la bergerie proche, le pont en soubassement (notons que l'intervention auprès de ces masses mnésiques de représentations de l'ordre du visuel, de l'imagerie mentale, est bien probable). Simultanément, d'autres masses peuvent aussi se constituer, reliées entre elles par exemple par des relations causales ou temporelles. Elles se présentent alors souvent comme des événements : (29) Ascension, puis Fatigue, puis Chute, puis Blessure. Les relations entre masses peuvent certainement être autres encore dans le cas du récit, et il y aurait beaucoup à reprendre, dans cette nouvelle perspective, des analyses structurales des années 70. Mais ce que l'on peut déjà souligner ici est que l'enregistrement/interprétation du verbal lu ou entendu, d'abord inscrit linéairement en unités isomorphes aux unités linguistiques (dont les plus petites d'entre-elles), s'est ensuite, très vite d'ailleurs, transformé en ces masses mnésiques inscrites sur de multiples registres, autrement structurées. La coexistence des différents registres (dont, fragmentairement au moins, le registre linéaire initial) constitue une polystructuration d'une grande complexité. On peut prendre la mesure de la variété des registres (des "pertinences") lors d'expériences de rappel
(recall). Tantôt par exemple ce rappel
privilégiera le spatial, tantôt l'événementiel, tantôt autre chose encore. Ceci étant d'ailleurs dans une certaine dépendance de l'injonction à laquelle répond le rappel. Qu'en est-il maintenant du reformatage dans le cas du souvenir gardé non plus d'un récit mais d'une interaction verbale ? Le reformatage existe là aussi incontestablement et des expériences de rappel sont relativement faciles à faire pour s'en convaincre. Mais selon quelles modalités existe-t-il ? Modalités qui peuvent le différencier du reformatage de trace de récits. Une différence en tout cas est patente et d'ailleurs facilement explicable : La macrostructure résultant du reformatage s'organisera le plus souvent autour des actants de l'interaction : des sources locutoires. Mais, attention, ne seront pas nécessairement retenus tous les interactants effectifs, et encore moins tous les contenus de leurs dires. On verra plutôt la mémoire opérer une sélection de pôles majeurs dans l'interaction, focalisant sur un certain nombre de locuteurs pour lesquels - du point de vue, bien entendu, de celui qui maintenant se remémore - il s'est passé quelque chose de pertinent. Il en résulte donc souvent un effacement d'un certain nombre des participants. Parfois même un échange A-B ne sera plus retenu que comme une prise de parole par A seul. Le réseau interlocutoire se trouvera simplifié, "élagué". Seuls certains locuteurs émergeront (je souligne en passant que la notion
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d'émergence à laquelle j'attache un grand prix pour la prise en compte d'une "troisième" dimension sur laquelle se projettent nombre de fait langagiers (cf. Grunig, 1991), est particulièrement efficiente lorsqu'il s'agit de traces mémorielles au relief inégal). Aux traces de locuteurs qui émergent dans la mémoire, il y a affectation de traces de paroles, et de traces des contenus de leurs dires, interprétés et mémorisés tant bien que mal par celui qui procède maintenant au rappel. Ces contenus ne sont évidemment plus littéraux mais bien plutôt soumis au reformatage. En particulier, il n'y a absolument pas respect des séparations entre interventions : on pourra mémoriellement attribuer globalement, cumulativement, à Paul ce qu'il a, de fait, dit dans deux interventions séparées. Il ne faudrait toutefois pas penser que l'ensemble d'opérations qui associe locuteurs émergents et contenus mémorisés est simple et unidirectionnel. On a en effet, dans le travail de recherche (recall/rappel) mémoriel, un va et vient entre la détermination des locuteurs émergents et celle des contenus retenus. Etant donné un locuteur on peut en effet s'interroger certes sur ce qu'il a bien pu dire dans une certaine conversation ou débat : (30) Et Pierre, qu 'est-ce qu 'il a dit dans tout cela ? La variable est alors le contenu verbal. Mais on est tout aussi souvent amené à se demander : (31) Qui déjà a dit cela dans le débat ? La variable est le locuteur. Ce type d'affectation est particulièrement intéressant du point de vue linguistique et énonciatif : la trace mémorielle des signifiants et de leur interprétation a pâli et l'on cherche à assigner cette trace à un locuteur sur le fondement des indices qu'elle véhicule à ce sujet. Ainsi on pensera : "Tel propos énoncé ne peut provenir que d'un locuteur ayant telle et telle propriété générale (âge, savoir, profession, opinions,...)" ou "Tel propos énoncé ne peut venir de par son poids argumentatif que d'un locuteur ayant un certain rôle à tenir dans le débat (accusateur, avocat, rapporteur, etc...)" ou "Tel propos, à fonction conclusive, n'a pu venir que d'un locuteur qui a parlé en fin d'interaction (et donc ce ne peut-être Paul, qui, lui, a très tôt quitté la salle)". Ou, tout aussi concret, et en l'occurrence attaché à la qualité d'une voix émettrice ou de sa localisation : "Tel propos émis timidement venait du coin droit de la salle". On sait depuis longtemps (et j ' y ai particulièrement insisté dans Grunig (1985)) que l'interprétation, faite par un individu, d'un énoncé est fonction, en particulier, du locuteur de l'énoncé. Autrement dit encore la connaissance du locuteur guide vers une valeur de l'énoncé. Dans le processus d'affectation ici considéré la dépendance est en quelque sorte inversée : la connaissance de l'énoncé (ou de ses traces) guide vers une valeur pour la variable locuteur. Ajoutons que la dynamique peut être encore un peu plus complexe : ainsi au temps t on a une trace T de l'interprétation d'un énoncé E ; immédiatement après le travail de recherche, au temps t+1, on assigne cette trace T à un locuteur L ; et immédiatement après cette assignation, à
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Blanche-Noëlle Grunig
un temps t + 2, on peut construire éventuellement une nouvelle trace d'interprétation T2, amendée du fait même de la connaissance de l'identité, entre temps établie, du locuteur. Il est clair, soulignons le, que les établissements d'identité peuvent être erronés : on attribuera parfois à Monsieur X ce qui a de fait été émis par Monsieur Y. Dernière remarque : je viens de dire que lorsqu'il s'agissait de mémorisation d'interaction (et non de récit monogéré) le reformatage se structurait préférentiellement en liaison avec les sources locutoires. Il faut bien noter toutefois un cas particulier limite : celui où a disparu mémoriellement toute trace de sources locutoires. Dans ce cas la mémoire ne retient que les traces des contenus des dires ou des résidus de ces traces. C'est le cas extrême. Le plus souvent il reste au moins, fort peu précise mais néanmoins instructive, la trace de ce qu'il y a eu quelqu'un pour dire. On sait que le fait relaté n'a pas été vécu, constaté directement, par la personne même qui maintenant se remémore. Je n'aurai pas d'autre conclusion que mon commencement : n'oublions pas la pertinence de la mémoire pour le linguiste. Dans différents domaines (cf. par exemple aussi Grunig (1993)) et, singulièrement, dans le cas du dialogue. Notre propos ici.
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Christian Hudelot
De quelques problèmes posés par l'évaluation des conduites dialogiques 1. 2.
Évaluation et complexité Evolution et évaluation: deux malentendus à dissiper 2.1 Non linéarité du développement... 2.2 ... et compétence dialogique 3. Facteurs de variation 4. Hétérogénéité du dialogue 5. Un exemple de dialogue adulte enfant 6. Bonheur dialogique Notes Références
Je voudrais profiter de l'occasion offerte par ce colloque pour tenter de revenir sur une question qui m'avait paru naguère une des pierres d'achoppement de certaines démarches socio- ou psycholinguistiques, je veux parler de la notion de complexité syntaxique 1 .
1. Évaluation et complexité Cette question demeure d'actualité, à une époque où existe une sorte de demande sociale, didactique et/ou pédagogique de ce type d'intervention (comment évaluer une conduite complexe) et où se multiplient les ouvrages qui portent sur "la compétence communicative" ou sur son évolution (et pas seulement sur la genèse de sa mise en place). Tant que l'on se situe dans le cadre de l'opposition langue / parole, la constitution d'une science linguistique autonome permet de construire un objet quasiment homogène dont il est relativement simple de mesurer la complexité, par exemple en terme d'accroissement du nombre des unités, ou des chaînes d'unités 2 , d'intégration des constituants, de multiplication des transformations ou à l'aide de calculs plus ou moins savants qui mettent en relation tout ou partie de ces éléments. Avec les progrès des diverses grammaires, on peut même espérer l'application d'autres critères. Un problème demeure, qui n'échappera à personne : dans la mesure où il n'existe pas de correspondance bi-univoque entre forme linguistique et élaboration d'un contenu, les résultats chiffrés ainsi constitués n'expliquent rien, ou si l'on préfère restent opaques, mystérieux ou sans
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grande portée explicative, tant qu'ils ne sont pas mis en relation avec des faits qui leurs sont en tout état de cause étrangers. L'affaire se complique si, au lieu de mettre au centre exclusif de l'analyse la seule grammaire (le plus souvent réduite à la syntaxe) on entend prendre en compte la diversité des niveaux traditionnels de l'analyse linguistique ; faisant alors intervenir pareillement morphologie, lexique et discours. La notion de complexité n'est plus dans ces conditions une mesure homogène mais une notion qui, au demeurant, répond à une logique de l'hétérogène. Faut-il, de ce point de vue rappeler que les diverses tentatives d'établir la réalité psychologique des transformations de la grammaire générative n'ont servi au mieux qu'à montrer que le locuteur ou l'auditeur ne produisent pas naturellement des négations ou des constructions passives indépendamment des conditions d'emploi 3 , par exemple, de la négation ou des formes passives. Certes, on peut isoler un objet comme la syntaxe, mais force est de constater que ce niveau, pour utile qu'il soit à l'analyse, ne constitue ni un nécessaire niveau de fonctionnement, ni non plus un niveau réel au sens ou les règles de la grammaire seraient ce que le sujet met en oeuvre pour produire ou comprendre un énoncé. Si je prends par exemple le cas de la structure infinitive, l'étude de son développement chez le jeune enfant nous montre que l'infinitif apparaît d'abord dans des conditions sémantiques et discursives privilégiées. On note d'abord un sémantisme prospectif de la volition ou du désir, avec des verbes comme vouloir ou aller. On peut parler d'affinité lexico-grammaticale, au sens où c'est, semble-t-il, le cadre lexical qui privilégie l'acquisition. Pour le dire autrement, alors que les grammaires des linguistes comme celles des pédagogues vont le plus souvent des structures générales aux cas particuliers, le petit enfant part au contraire des cas particuliers pour aller, au mieux vers la généralisation, éventuellement vers les structures. En outre, on notera avec Oléron (1979, p. 197) que les énoncés présentant ces infinitifs servent moins à décrire un objet ou une relation de l'enfant à l'objet qu'à demander ou réagir à l'action ou aux propos d'autrui. Après tout je veux aussi parce tu me l'interdis, faut faire parce que tu cesses ton activité. Autrement dit ces acquisitions se font dans et par le circuit de la communication. Pour en revenir à l'objet qui nous occupe, la conversation, la question de la complexité s'obscurcit certainement davantage encore lorsqu'on passe d'une linguistique de la langue 4 à une linguistique de la relation du message à son objet et aux discours antécédents et subséquents. En effet, sauf à limiter la conversation 5 à un certain nombre de procédures répondant à des maximes à finalité homogène (gestion des tours de parole, des thèmes, des actes de langage) l'étude des conduites dialogiques répond moins à une étude des structures du dialogue qu'à celle des effets de la mise en mots 6 par des interlocuteurs multiples. De la multiplicité même des interlocuteurs surgit nécessairement la première difficulté, dans la mesure où l'analyste est conduit à évaluer non pas la seule capacité d'un interlocuteur isolé mais bel et bien un dialogue effectif considéré dans son intégralité. Les savoir-faire des
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interlocuteurs, l'objet même du discours, l'existence ou non d'enjeux pratiques affectifs ou cognitifs sont alors des caractéristiques de première importance. Que serait dans ces conditions un dialogue complexe ? Mais peut-être ne viendrait-il à personne l'idée d'affirmer que plus un dialogue est complexe, meilleurs il est. Encore que ... Même si certains seraient plutôt enclins à valoriser le laconisme.
2. Évolution et évaluation : deux malentendus à dissiper Quelques précisions d'abord, il est certain que l'opération d'évaluation n'a pas nécessairement le même sens en fonction des types de dialogues auxquels on l'applique. Par exemple, dans des dialogues finalisés comme le sont par exemple une réservation sur le Minitel, l'achat d'un ticket au guichet ou la prise d'un rendez-vous chez le docteur, il y a bien un critère externe d'échec ou de réussite, peut-être même des critères internes d'économie voire de bonne formulation. On aura soin toutefois de noter qu'il n'en va plus nécessairement de même quand le dialogue renvoie non à une tâche fermée, dont on connaît ou dont on peut anticiper le résultat, mais quand on à affaire à une activité ouverte, comme le sont par exemple une conversation, un récit, une explication ou toute autre tâche sans finalité externe. S'agissant plus singulièrement du discours enfantin, il me semble que l'on doive se garder avant tout de deux tendances dominantes : celle qui consiste à se donner le dialogue de l'adulte comme mesure du dialogue enfantin, et, corrélativement, celle qui consiste à mesurer une éventuelle compétence dialogique.
2.1 Non linéarité du développement... Une première naïveté serait sans doute de croire que l'on sait ce qu'est «la» conduite dialogiques ou conversationnelle de l'adulte maîtrisant la communication et qu'il suffit alors de se demander comment l'enfant ou l'apprenant d'une langue seconde accède à cette compétence ou à cette expertise. Ce serait oublier que le dialogue, en tant qu'objet abstrait, sous quelle que forme qu'on le présente est, au moins pour l'enfant, un point d'arrivée, et non pas un objet donné d'emblée. Ceux qui, dans la lignée de Bruner se sont préoccupé de son émergence ont au contraire insisté sur le passage de l'adaptation du partenaire à l'interaction, de l'interaction à la communication, et de la communication au langage (Bruner, 1983, 1987 ; Deleau, 1990). Sans doute peut-on difficilement échapper à l'idée d'un développement de l'enfant qui accède à des conduites de plus en plus proches de celles de l'adulte. Toutefois, comme le souligne Jacqueline Nadel au sujet de l'imitation, on ne peut pas non plus retenir uniquement ce
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qui va être le plus important pour l'évolution ultérieure. Certes l'enfant est porteur de son avenir, mais aussi de ce qui, pour le moment «lui sert à vivre» (Nadel, 1986). ce qui revient à dire que les conduites actuelles de l'enfant peuvent présenter une efficacité qui leur est propre. N'en
déplaise aux amateurs de communication
référentielle, on ne
rendrait
qu'imparfaitement compte des conduites dialogiques enfantines, à vouloir ne considérer que la seule capacité des enfants à transmettre l'information permettant de discriminer des objets similaires ou décrire des parcours, (cf. les premiers travaux de J. Beaudichon 1982). Nombre de dialogues ne répondent pas nécessairement à une activité pratique au résultat mesurable, et les échanges verbaux peuvent se déclencher à l'occasion d'autres enjeux, pour de vrai ou pour de faux, pour demander, décrire, expliquer, raconter, s'opposer, ... Mais il n'y a pas de raison, nous y reviendrons, que cette liste ne soit pas elle-même ouverte.
2.2 ... et compétence dialogique Qu'on puisse décrire nombre de dialogues en terme de règles ne signifie ni que celui qui converse les applique effectivement, ni non plus que celui qui les utilise a dû en prendre conscience ou les apprendre. Par exemple, je lis, dans l'ouvrage de Jocelyne Gérard-Naef, "Savoir parler, savoir dire, savoir communiquer", dans la très sérieuse collection Actualités pédagogiques et psychologiques codirigée par J.-P. Bronckart et P. Mounoud : «Pour qu'un individu puisse parler et communiquer avec autrui, il fait appel à deux types de connaissances langagières bien distinctes : d'une part ses connaissances linguistiques formelles et, d'autre part, ses connaissances communicatives.» Cette première dichotomie, encore qu'assez généralement acceptée, n'est pas sans poser quelques problèmes. L'étude de l'acquisition du langage par l'enfant (et peut-être aussi par l'alloglotte) devrait nous conduire à plus de nuances. Certes, comme le notait déjà Vygotski (1985), les racines génétiques de la communication et de la pensée sont-elles distinctes ; il ajoutait toutefois que les processus se rejoignent dans la genèse du langage. Autrement dit, le fait même que la langue se développe dans l'exercice de la communication devrait certainement nous conduire à une position moins tranchée. Mais c'est surtout la seconde partie du paragraphe qui me paraît contestable. «Le premier type de connaissances relève de la compétence linguistique que nous définirons comme l'ensemble des règles qui régissent la bonne forme des énoncés de la langue. Le deuxième type de connaissances relève de la compétence communicative, c'est-à-dire l'ensemble des règles qui régissent l'utilisation de la langue. » Disons le clairement, si cette façon de présenter les choses était juste, alors l'évaluation des compétences discursives et linguistiques serait, du moins en théorie sinon dans ses modalités
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pratiques, une chose relativement simple qui pourrait, en dernière analyse, correspondre au nombre des règles que le locuteur est capable d'appliquer. L'existence de telles régularités est un fait qu'il n'est pas question de contester. Et grande est alors la tentation de les hypostasier sous forme de règles auxquelles obéiraient nécessairement ceux qui produisent ou comprennent des énoncés. Malheureusement, et l'existence d'une syntaxe pure, et surtout le fait qu'elle obéisse à des règles au sens fort du terme, est rien moins qu'évident7. En va-t-il autrement dans le cadre de l'étude du dialogue. Incontestablement, on peut là encore mettre en évidence un grand nombre de régularités dont on peut rendre compte de façon plus ou moins formalisée. Ces formulations sont sans doute légitimes lorsqu'elles permettent par exemple d'établir des typologies, des comparaisons, entre cultures, ou entre situations d'échanges dans lesquelles on n'applique pas tout à fait les mêmes «règles». Mais, quand bien même existerait une grammaire textuelle comparable à la «grammaire de phrase» elle ne rendrait compte que d'une petite partie de ce que font les interlocuteurs lorsqu'ils dialoguent. De fait, on voit difficilement ce que serait la compétence communicative qui servirait de norme, dans la mesure où ladite "compétence" n'est pas nécessairement la chose la mieux partagée parmi les hommes. On ne reviendra pas sur le fait que nous ne sommes pas toujours, de façon réversible, émetteur et récepteur des mêmes types de messages (poétiques, scientifiques, politiques), sans compter que nous pouvons, à certains degrés, être discursivement créatifs dans certains domaines et au mieux reformulateurs de discours dans d'autres. Sans parler du fait que nous n'avons pas tous la même expérience des objets possibles du discours ; et si, sur certains objets nous pouvons avoir des positions relativement interchangeables -peut-être pour parler de phonologie- il n'en va plus nécessairement de même s'il s'agit de parler de l'avortement (selon que vous êtes un homme, un femme, un médecin, un législateur, etc.) voire même de la conversation ou encore de l'ordination des femmes. Il y a sans doute des procédures propres à l'ensemble des conduites dialogiques, il peut même y avoir des normes qui l'emportent dans tel ou tel sous groupe (la famille, l'école, les réunions politiques ou syndicales, ...), mais qui peuvent, en certaines occasions, entrer en conflit (cf. l'ensemble du où, quand, à qui et comment adresser la parole en premier ou seulement répondre, l'exercice du silence, ...). 8 Surtout, on voit mal ce que serait, au sens fort du terme une compétence communicative, définie par exemple comme la capacité d'interagir verbalement dans tous et rien que les types d'interactions permises ou appropriées dans une situation donnée. D'abord parce qu'on peut se demander si les actes conversationnels sont en nombre finis 9 , ensuite parce que les normes peuvent varier d'un type d'activité à l'autre. Sur ce point, on renvoie, par exemple, à ce que note C. Kerbrat-Orecchioni de la différence des vendeuses de
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grands magasins qui remercient les acheteurs et des vendeuses de billets de la RATP qui ne le font pas (1991)
3. Facteurs de variation On a donc affaire à un certain nombre de facteurs de variation. Pour rester dans le domaine de la pédagogie, sinon du langage de l'enfant, on retiendra : - Le nombre et la qualité des participants : adultes, pairs, connus ou inconnus, autres enfants plus jeunes ou plus âgés, - les contenus et les enjeux, tant il n'est pas toujours aisé de dissocier les deux, - les situations et leur caractère routinier, habituel ou inattendu. Mais ces facteurs ne déterminent pas nécessairement le dialogue. La logique dialogique ne s'inscrit pas nécessairement dans une logique de la causalité. a) D'abord parce que ces facteurs interfèrent. Par exemple, on ne peut pas considérer que l'on puisse maintenir «toutes choses égales par ailleurs», selon la formule chère à la science expérimentale, lorsqu'on change d'interlocuteur. On n'aborde pas nécessairement les mêmes contenus avec n'importe quel interlocuteur, on ne partage pas nécessairement les mêmes savoirs avec tout le monde, on ne partage pas les mêmes affects, la même connivence,.... b) Ce qui nous renvoie par ailleurs à d'autres facteurs indirects : - les organisations de discours habituelles dans la classe ; - la projection sur la situation actuelle de discours venus d'ailleurs : quand par exemple une discussion entre enfants procède sur le mode de l'interview inspiré des médias. On retrouve ici la question du dialogisme et des mélanges de genre au sens bakhtinien ; - le cours même de la conversation peut réserver quelques surprises et produire des résultats inattendus. On songe en particulier à l'efficacité de l'erreur ou de tel autre type de codage. 1 0 Ce qui nous renvoie au fait que le message en position seconde présente des caractéristiques différentes du message en position première. Ne serait-ce que parce que mon erreur n'est pas pour moi productrice des mêmes rectifications, explications, démonstrations, argumentations que pour autrui.
4. Hétérogénéité du dialogue Une autre raison pour laquelle il est délicat d'évaluer un dialogue est que nous ne disposons pas de critères univoques. Le dialogue, en tant que forme dominante de l'échange verbal reste, à moins de le limiter à des aspects de pure forme, un phénomène éminemment hétérogène. On
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pourra au mieux en signaler différents aspects, présenter ici d'avantage sous forme de liste que d'un exposé linéaire. 1) Fortement et faiblement codé. Une première hétérogénéité de l'objet tient au fait que tout n'est pas pareillement normé dans la langue. La distinction 11 entre ce qui relève du fortement codé (difficilement paraphrasable intra-linguistiquement) et du faiblement codé s'applique ici plus encore que dans d'autres domaines de la mise en mots. Ainsi, on ne peut pas nécessairement prévoir comment un dialogue va se dérouler tant au niveau des macro séquences, comme le sont par exemple ouverture et fermeture, qu'au niveau micro-séquentiel. On trouverait par exemple de grandes différences entre le dialogue familial et le dialogue didactique. Même si ce sont des cas extrêmes. 2) Structures ? Même si, par une saine réaction à l'égard des modèles purement syntagmatiques de dialogues fondés sur la notion de dépendance conditionnelle (A => B ) 1 2 on doit bien reconnaître que les échanges s'inscrivent dans des organisations plus globales, force est toutefois de reconnaître que : a) le nombre des niveaux qu'on doit prendre en compte n'est pas donné une fois pour toute échange - macro-échanges - séquences - dialogue ; b) que les limites ne sont pas toujours décidables, - d'une part parce qu'une même forme comme bien ou alors par exemple, peut servir de limite d'échange, de séquence ou de transaction ; - mais aussi parce que ces limites peuvent varier selon les critères, ou du moins du point de vue adopté. Il n'est pas donc certain que l'on puisse, comme le prétendront certains, ramener l'analyse du dialogue à l'inventaire des types d'interventions et de leur compatibilité combinatoire. On peut par ailleurs se demander s'il s'agit là d'un objet vraiment intéressant. 3) Hétérogénéité du dialogue. Car le dialogue est également un objet hétérogène par l'ensemble des types de savoir faire (à distinguer des savoirs explicitables) qu'il met en jeu. Sans aucunement prétendre à l'exhaustivité, on peut du moins évoquer, parmi les plus fréquemment cités ; a) La gestion des tours de parole dans le discours : Elle a été étudiée principalement dans la lignée des travaux de Sacks, Schegloff et Jefferson, par les tenant de l'analyse conversationnelle. b) Chez le tout jeune enfant, on a surtout insisté sur la synchronie interactancielle : synchronisation, contingence du message, réponse et initiation. c) La signification partagée a été particulièrement mise en évidence par J.-S. Bruner et ses collaborateurs.
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d) La gestion d'un thème commun. Ici, on ne peut pas ne pas faire référence à l'un des pionniers du domaine, Tatiana Slama-Cazacu (1977a, 1977b). e) L'adaptation à l'interlocuteur. C'est un point crucial, encore faudrait-il distinguer ce qui relève de l'adaptation en terme de capacité à répondre à n'importe quel interlocuteur et pas seulement à un interlocuteur privilégié, et ce qui relève de «l'image» de l'interlocuteur, dans ses compétences, ses savoirs, ses attentes, etc. f) Gestion des actes de discours. On a pu en effet insister sur le fait que l'enfant accomplit avant tout des- actes de langage et que sa capacité communicatif peut se mesurer au nombre des actes qu'il est susceptible d'accomplir, ou à la variété des formes langagières que ces actes revêtent. On aura garde de se souvenir toutefois que le locuteur est rarement en situation de n'accomplir qu'un seul acte à la fois 13 . Faut-il alors multiplier le nombre de compétences, (dont on ne sait pas nécessairement ensuite quelles liens elles entretiennent entre elles : additif, multiplicatif, intégratif, ou que saisje encore) d'autant, mais j'en reviens alors à la première partie de mon intervention, qu'il faudrait également prendre en compte g) Les moyens mis en oeuvre : formes linguistiques, en insistant sur la présence ou l'absence de marque de relations interdiscursives, les degrés d'implicite,... Cette liste, on en a bien conscience pourrait être alongée, mais surtout exemplifiée.
5. Un exemple de dialogue adulte enfant Dialogue entre Manuel (3;7) et Sylvie, sa mère 1 4 : Maman ! Hein ! Quand on est mort, on bouge plus ? Ben non L'ambulance elle vient me chercher ? Oui, mais pas toujours, ça dépend comment on meurt Mais quand je sera à l'hôpital, je serai mort ? Ben non, on meurt pas à l'hôpital ; l'hôpital c'est pour les gens qui sont malades. Tu te souviens quand j'étais à l'hôpital, j'avais juste mal à la jambe, tu venais me voir tous les jours, c'était pas grave. Pourquoi t'avais mal à la jambe ? Parce que je suis tombée au ski, tu sais bien ! Pourquoi t'es tombée ?
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Parce qu'il y avait une grande pente et j'ai pas pu m'arrêter Maman ! Quoi ! C'est quoi une grande pente ? Une grande pente, c'est quand ça descend très très vite. C'est pour ça que je suis tombée, ça descendait très très vite et j'ai pas su m'arrêter, alors je suis tombée Tu voulais t'arrêter ? Ben oui, parce que j'allais trop vite T'as pas pu, Ben non parce que y avait [...]
Il n'est pas nécessaire de citer d'avantage. De toute évidence, ce dialogue qui est dominé par la récurrence de séquences questions réponses initiées par l'enfant présente clairement deux moments bien distincts. Ces moments se caractérisent bien évidemment par les thèmes abordés : la mort ; un accident de ski. Ils se caractérisent pareillement par les modes d'enchaînement qui les organisent. En un premier temps, le thème de la mort progresse autant par des enchaînements de soi à soi quand on est mort, on bouge plus - l'ambulance elle vient me chercher - Quand je sera à l'hôpital, je serai mort ? que par les enchaînements sur l'autre. Tout aussi remarquable est le fait que, dans cette premier séquence, les enchaînements s'opèrent par continuité de champ, indépendamment de toute reprise strictement lexicale. On voit qu'il n'en ira plus de même dans un second temps largement dominé par une continuité procédant sur le mode reprise + demande d'explication. On peut tout aussi bien dire que dans la première partie du dialogue, il se passe quelque chose, tant au niveau de l'élaboration des contenus que dans la gestion des affectes. Au contraire, dans la second partie les places des interlocuteurs restent figées, prévisibles : il ne se passe rien.
6. Bonheur dialogique Dans quelle mesure peut-on parler de bonheur dialogique (et a contrario de malheur). Remarquons d'abord qu'en choisissant ce terme on a délibérément écarté deux autres termes a priori synonymes ; succès et échec. La raison en est que le succès ou l'échec renvoient le plus souvent à un résultat attendu, se mesurant de ce fait à l'aune d'une réponse, d'une action, d'un résultat déjà là, ou inférable par la situation. Parler de demi succès ou de demi échec ne change rien. Au mieux peut-on mesurer la vitesse à laquelle on a atteint le succès, ou combien laborieux a été l'échec.
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Si donc on a choisi la notion de bonheur, c'est au contraire pour noter que ce qui est produit n'était pas joué d'avance, que la mise en mots ne vient pas simplement habiller ce que MerleauPonty nomme «une pensée déjà mure» (1968, p.22). J'emprunte la notion à Antoine Auchlin. Son argumentation pourrait se résumer comme suit. La dimension affective est une des grandes oubliées de l'analyse du discours, tant dans l'objet d'analyse que dans la démarche du descripteur. La notion ne s'identifie donc pas au "bonheur" austinien, mais, similairement à la notion de grammaticalité, elle conduirait non plus à observer «du discours» mais du discours «heureux» ou du «discours malheureux». La critique de Auchlin porte par ailleurs sur une vision «homéostatique du dialogue» qui repose sur la nécessité de préserver son territoire. De fait, cette contrainte de la face n'est en rien une règle constitutive de tout dialogue. «A suivre Schlieben-Lange» poursuit Auchlin «ce serait toute une dimension créatrice et jubilatoire de l'expérience de l'échange de parole qui ferait défaut aux tenants de cette conception. «Par la synthèse qui s'opère dans le «parler ensemble» se constitue quelque chose de neuf (...) que ce soit la production d'une opinion, (...) que se soit par l'expérience de la subjectivité comme identité objectivable (...) que ce soit l'extase de la réunion de deux identités le temps du dialogue. Le nouveau, le résultat du dialogue, peut aussi bien être une «méta» expérience du dialogue comme possibilité de la synthèse, de la compréhension, etc.» (Schlieben-Lange, 1983, 143-144). Cette «participation émotionnelle» des personnes au discours nous conduit à prendre alors acte de leur existence, et à noter comment les choix interlocutifs conduisent «à conduire le discours vers l'intérêt plutôt que vers l'ennui, vers la parole-événement plutôt que vers la parole répétitive, vers la vie plutôt que vers la mort» (Auchlin, ibid., 322). Enfin, une comparaison avec la notion de grammaticalité telle qu'elle s'est développée au sein de la grammaire générative stipule qu'à l'instar des jugements de grammaticalité, les jugements de bonheur discursif relèvent de l'intuition syncrétique. Le jugement de malheur ou de bonheur ne nous livre pas ses causes, et c'est bien ses raisons qu'il convient de rechercher. Au terme de cet exposé, j'ai conscience de n'avoir qu'effleurer la problématique ouverte par la notion d'évaluation du dialogue. Je ne pensais pas de toute façon en venir à bout en si peu de temps. Du reste, elle ne peut se faire sans une réflexion plus conséquente sur une typologie des dialogues et de leurs effets, une relecture critique des analystes du dialogue et des définitions qu'ils se donnent de ce que sont les conduites dialogiques. Surtout, personne ne peut prétendre aujourd'hui disposer d'une position de survol à partir de laquelle il pourrait dire voici ce qui mérite d'être étudié, ce qui peut être négliger. Le lecteur sera sans doute déçu de ne pas avoir trouver dans ces quelques pages ni modèle ni recette d'une mesure de l'intérêt d'un dialogue. Du moins pourra-t-il, s'il souhaite poursuivre le dialogue se poser la question d'une façon un peu moins naïve que je ne l'ai faite ici.
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Notes 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.
10. 11. 12. 13. 14.
En particulier Hudelot 1981. Est-il besoin de rappeler la faveur dont jouit encore aujourd'hui chez nombre de psycholinguistes développementaux la notion de M.L.U. (longueur moyenne des énoncés). A moins d'un entraînement acquis, par exemple en milieu scolaire, ou d'un savoir acquis de toute façon postérieurement à la mise en oeuvre des constructions en cause. Définie sans doute trop rapidement comme mise en évidence des systématiques paradigmatiques et syntagmatiques. En dépit des paradigmes qui tentent de s'imposer ici ou là, je considérerais que dialogue conversation comme deux synonymes possible d'échange verbal.. A la suite de Frédéric François, on parlera de mise en mots lorsque les faits de langue sont considérés dans leur double relation à l'objet du discours et à la façon dont s'indique la place des interlocuteurs (François, à paraître) Faute de place, ou peut-être de temps pour développer davantage ce point, je renverrais le lecteur à un article de Frédéric François 1991. On trouve d'excellentes remarques sur ce point dans C. Bachmann, J. Lindenfeld et J. Simonin 1981 ou dans C. Kerbrat-Orecchioni 1991, qui constitue présentement une inépuisable source de réflexions et d'informations. Sur ce point, on renvoie à ce que dit Wittgenstein de l'infinitude des jeux de langage. «Mais combien de sortes de phrases existe-t-il ? L'affirmation, l'interrogation, le commandement peut-être ? — Il en est d'innombrables sortes ; il est d'innombrables et diverses sortes d'utilisation de tout ce que nous nommons "signes", "mots", "phrases". Et cette diversité, cette multiplicité n'est rien de stable, ni de donné une fois pour toutes ; mais de nouveaux types de langage, de nouveaux jeux de langage naissent, pourrions nous dire, tandis que d'autres vieillissent et tombent en oubli. (Nous trouverions une image approximative de ceci dans les changements des mathématiques)». L. Wittgenstein 1961, p. 125. On renvoit sur ce point à Frédéric François 1989, pages 135 et suivantes. introduite par Frédéric François 1976. Sur ce point on ne peut que renvoyer à l'excellente démonstration de Kerbrat-Orecchioni 1989. Pour une discussion je me permets de renvoyer à Hudelot 1989. Corpus enregistré et noté par Sylvie Abadi que je remercie sincèrement.
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suivi de Investigations
philosophiques,
traduit de
Martine Karnoouh
Insertion du texte écrit dans l'interaction orale entre adulte et enfant. Quels critères d'analyse ? 1. 2. 3. 4.
Livre pour enfant et acquisition du langage Insertion du texte écrit dans le dialogue entre adulte et enfant Problèmes des marques des relations énonciatives Insertion du texte écrit dans l'interaction orale entre adulte et enfant, et contraintes pour l'écriture de livres pour enfants Références bibliographiques
1. Livre pour enfant et acquisition du langage Quels critères convient-il de retenir pour élaborer une approche des textes écrits insérés dans des interactions orales entre adulte et enfant au cours de l'acquisition du langage ? L'étude particulière exposée ici concerne la période de l'acquisition où le langage de l'enfant se développe vers la maîtrise du fonctionnement syntaxique de la langue et où l'enfant n'a pas encore acquis une maîtrise personnelle de l'écriture et de la lecture, bien qu'il puisse accéder à certains écrits par la médiation de l'adulte. L'un des premiers écrits auxquels l'enfant a ainsi accès est le livre illustré, dont la production s'est accrue de manière spectaculaire dans les pays dits développés au cours de ce siècle (Haviland 1966-1977), jusqu'à comprendre des livres pour enfants « depuis la naissance ». Le rôle du livre illustré dans le développement de l'imaginaire est largement étudié, en particulier à la faveur d'une réflexion sur les thèmes et sur l'impact de l'image. Cependant son rôle dans le développement du langage de l'enfant, s'il semble généralement admis, fait beaucoup moins l'objet d'analyses précises. Déterminer les critères d'analyse susceptibles de rendre compte des interactions entre énoncés oraux de l'adulte, énoncés oraux de l'enfant et texte écrit, suppose que soient précisées les circonstances interactives de l'utilisation du livre illustré et les objectifs particuliers visés par l'adulte. Etant donné la nature diverse des éléments en jeu, et leur implication dans une relation énonciative destinée à évoluer avec le temps, on verra émerger des critères assez divers mais complémentaires. A la faveur de la reconnaissance de l'influence de la verbalisation des adultes sur révolution du langage des enfants, et d'une préoccupation accentuée pour leur avenir de lecteur, les études du langage de l'enfant portant sur des interactions langagières entre adulte et enfant avec des livres se sont développées. Cependant les approches sont fort variées. Le livre est souvent pris pour un support « allant de soi » dans les interactions avec les jeunes enfants, sans
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que sa nature, ni les objectifs, les modalités de son insertion dans le dialogue ou les critères de sélection soient explicités. Le texte lui-même, s'il y en a un, ne fait pas toujours l'objet d'une analyse. Il peut être lu ou raconté. Parfois le texte est ignoré et seules les illustrations servent de support au dialogue. Une telle diversité d'approche rend difficile la comparaison entre les données recueillies et les conclusions fort disparates des différentes études publiées, qui portent d'ailleurs sur des aspects particuliers de recherches plus générales. Certaines recherches sur la cohérence narrative chez l'enfant s'appuient sur des histoires en images, sans texte (Bamberg 1987, 1991, Silva 1991). La narration de l'enfant, guidée ou non par des narrations orales d'adultes intervenant selon des modalités très diverses, n'est pas confrontée à des critères particuliers concernant l'écrit. Même lorsque le livre comporte un texte, ce dernier n'intervient pas toujours dans les échanges entre adultes et enfants observés (Snow/Goldfield 1983). Les études prenant le texte en compte sont elles aussi diverses. Un ou plusieurs textes pour le même livre, même s'il en possède déjà un, peuvent être fabriqués par les expérimentateurs (Pemberton/Watkins 1987, après Baker/Nelson 1984). Il y a souvent confusion entre « lecture » et commentaire dialogué des illustrations. La description des textes est généralement sommaire : « simple, écrit en gros caractères », « beaucoup de mots par page, plus de texte que d'images » (Sorsby/Martlew 1991). Lorsque les relations entre oral et écrit sont prises en compte (Dart 1992) il n'est pas précisé au cours de quels types d'interactions les livres sont devenus familiers à l'enfant. L'utilisation du livre pour enfants dans la recherche sur le langage de l'enfant semble donc précéder une réflexion linguistique sur le livre lui-même et sur son impact sur le langage de l'enfant. L'approche exposée ici porte sur un type particulier d'interaction langagière entre l'adulte et l'enfant avec le livre, dont les objectifs ont été définis à la lumière d'une réflexion théorique sur l'acquisition du langage et sur les rapports entre oral et écrit, dans le cadre du Centre de Recherche sur l'Acquisition du Langage Oral et Ecrit de Paris III. Elle s'appuie, entre autres, sur les travaux fondateurs de L. Lentin (1971, 1973 et 1975) qui démontrent le rôle primordial du fonctionnement syntaxique d'une part et de l'interaction adulte-enfant d'autre part dans la mise en fonctionnement du langage, deux facteurs systématiquement et simultanément pris en compte dans la méthodologie d'analyse employée pour évaluer l'évolution du langage de l'enfant. Il faut saluer la convergence des études sur l'acquisition de la langue maternelle et des études sur l'acquisition d'une langue étrangère quant à l'indispensable prise en compte de l'interaction entre apprenant et appreneur. S'inspirant d'un retour à Vygostsky à travers Bruner et les notions de « format », d'étayage et de Language Acquisition
Support System, les
chercheurs travaillant sur l'acquisition d'une langue seconde proposent celle de Séquences Potentiellement Acquisitionnelles (de Pietro/Matthey/Py 1989), ou celle de Second Acquisition
Language
Support System (Dausendschôn-Gay et Krafft 1990). En abordant l'analyse des
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phénomènes de production, reprise immédiate ou différée, reformulation, répétition, par l'un et l'autre locuteur (Vasseur 1990, Pujol-Berché 1993), ils rejoignent dans leur domaine la notion de « schèmes sémantico-syntaxiques créateurs » proposée par Lentin dès 1971 pour rendre compte des processus dynamiques en jeu entre l'adulte et l'enfant dans la mise en fonctionnement du langage (voir Lentin 1988). La démarche du Centre de Recherche sur l'Acquisition du Langage Oral et Ecrit de Paris III, associe ces principes de base à une réflexion sur l'écriture et la lecture envisagées comme activités langagières prolongeant le fonctionnement d'acquisition. Afin d'éviter une opposition infructueuse entre oral et écrit, la langue est définie comme un système unique de variantes énonciatives orales et écrites se recoupant partiellement. Certaines variantes, formées de phrases complètes aux constructions syntaxiques diverses, dépouillées de traces d'un fonctionnement oral ancré dans le dialogue, fonctionnent aussi bien à l'écrit qu'à l'oral. La maîtrise par l'enfant de telles variantes, en plus de tout autre fonctionnement de communication, est considérée comme déterminante pour son accès à la maîtrise de l'écrit. A la différence de recherches plus spécifiquement centrées sur l'oral (Morel 1991) ou sur l'écrit (Catach 1988), cette hypothèse d'un fonctionnement fondamentalement commun à l'oral et à l'écrit rencontre celle des recherches sur le français parlé (Blanche-Benveniste/Jeanjean 1987) et celle de chercheurs anglo-saxons sur l'accès à l'écrit ou literacy
(Olson/Torrance/
Hildyard 1985), sur le degré de connivence qu'implique un échange, oral comme écrit (Nystrand 1982), sur les phénomènes de décontextualisation, ou plutôt de recontextualisation, de l'écrit en fonction du degré d'implication que l'énonciateur requiert de son interlocuteur (Tannen 1985). La lecture de livres illustrés par l'adulte à l'enfant a été abondamment mise en avant comme temps d'initiation indispensable à la maîtrise orale de la narration et à l'écrit, contre tout apprentissage systématique précoce de la lecture (en France : Lentin 1977, Chiland 1979 ; parmi les anglo-saxons, Smith 1971, Meek/Warlow/Barton 1977, Rosen 1984). Wells (1986) fait reposer son observation longitudinale d'enfants depuis les débuts du langage jusque vers dix ans, sur l'importance de la narration, ou « story
». Toutefois, dans son approche de la recréation
partagée d'une histoire par un enfant et sa mère, il n'évalue pas la part d'autonomie langagière de l'enfant. R. Diatkine (1984) va plus loin en soulignant l'importance, pour la formation du statut de lecteur, de la prise en charge de la narration par l'enfant lui-même après lecture ou narration par l'adulte. Partant de préoccupations similaires, Lentin et son équipe ont prolongé de telles recherches en essayant d'évaluer l'impact du texte écrit sur le langage de l'enfant essentiellement d'un point de vue syntaxique ainsi que le degré d'autonomie langagière atteint par l'enfant. Des études ont été menées conjointement sur la transmission du texte par l'adulte lisant ou racontant, et sur les caractéristiques du texte plus ou moins favorables à ce type d'interaction (Lentin 1977, 1983, Lentin/Bonnel 1985, Chambaz 1988).
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2. Insertion du texte écrit dans le dialogue entre adulte et enfant Dans certaines conditions, la lecture de livres à un enfant qui ne sait pas encore lire peut lui permettre d'acquérir et de développer une intuition des fonctions et du fonctionnement de l'écrit comme distincts de certains aspects de l'oral ; elle permet, avec l'expérience, la prise de conscience de l'existence de l'écrit. En plus d'un enrichissement lexical, le texte du livre, dans son rapport à l'illustration, peut apporter à l'enfant un fonctionnement syntaxique susceptible à la fois d'étayer l'élaboration de son langage et de l'initier insensiblement aux phénomènes de cohésion textuelle. Au-delà des lectures de l'adulte, la narration faite par l'enfant lui-même, avec une aide adaptée de l'adulte, qui s'efface peu à peu, est un puissant facteur d'accès à une verbalisation orale autonome présentant déjà certains caractères de l'écrit, et déterminante pour la maîtrise de l'écriture et de la lecture. Ces différentes facettes de l'impact du livre sur le langage de l'enfant impliquent une approche qui doit comporter elle aussi de multiples facettes, de manière à évaluer l'adaptation du texte à tous les effets qui en sont attendus. La nécessité d'une verbalisation médiatrice de l'adulte pour l'enfant non lecteur dont le fonctionnement langagier n'est pas encore autonome entraîne une insertion du texte écrit dans des énoncés oraux, dont la nature dépend des caractéristiques linguistiques et énonciatives du texte. Lu, oralisé tel quel par l'adulte, avec ou non mention explicite de cette modalité, le texte écrit engendre une rupture momentanée du dialogue. Raconté, verbalisé sous forme de variantes par l'adulte, voire commenté par les deux interlocuteurs, en fonction des capacités du moment de l'enfant, le texte est intégré au dialogue, y perdant ainsi de son intégrité. Ainsi lors des reprises par l'adulte d'énoncés de l'enfant, Ch. 5 ans 10 mois, racontant pour la première fois une histoire lue auparavant par l'adulte. Texte lu : Dans l'herbe il cueille trois pâquerettes et un bouton d'or. (Petit Ours Brun se promène) Ch - i(l) rama(sse) les fleurs A - Oui. Il cueille des fleurs. (Corpus de Vertalier-Karnoouh, 1992). Après lecture du texte tel quel, ayant constaté que ni sa précision lexicale ni sa longueur ne sont à la portée de cet enfant-là, l'adulte s'attache à lui fournir un fonctionnement sémantique adéquat, tout en restant au plus près de son énoncé : il reprend à la fois des éléments du texte et des éléments de l'énoncé de l'enfant, sans reprendre le groupe circonstanciel, les énoncés de l'enfant ne comportant pas plus de trois éléments principaux dans l'ensemble de ce premier récit. Il n'y a pas de règles prédéfinies ni systématiques pour cette interaction, la seule visée de l'adulte étant d'adapter ses interventions langagières (et non métalangières) aux capacités de l'enfant. L'observation d'interactions en diachronie montre que les énoncés de l'adulte non
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seulement varient en fonction des énoncés de chaque enfant mais s'adaptent à leur évolution dans le temps. Une expérimentation avec des livres tout venant, sans autre critère que l'âge approximatif du destinataire et la présence au moins apparente d'une histoire, a permis de relever, au cours d'interactions entre adultes et enfants, des phénomènes indiquant une adaptation très variable des textes à un langage en voie d'acquisition. Nous avons analysé en priorité les phénomènes qui touchent aux exigences posées par l'approche générale de l'évolution du langage de l'enfant et de son accès à l'écrit : les caractéristiques énonciatives du texte qui interfèrent avec la narration et les catégories syntaxiques (phrases simples ou complexes). D'autres phénomènes, corrélés, font l'objet d'études particulières, tels le recours à la deixis ou aux relations anaphoriques dans une situation de narration à partir des illustrations, la cohérence de l'emploi des temps, ou encore l'organisation temporelle ou causale des événements au moyen de constructions syntaxiques complexes ou d'éléments (adverbes, conjonctions de coordination) appelés « connecteurs » par certains (Fayol 1986). Une approche à quatre faces tente de rendre compte de l'insertion du texte écrit dans cette situation énonciative particulière. Nous évoquerons brièvement trois de ces aspects : références au texte écrit, sa permanence, et son organisation syntaxique, pour nous attarder plus longuement sur le problème des relations énonciatives, qui nous a paru le plus problématique pour l'insertion d'un écrit dans l'oral. Quand l'adulte lit le texte écrit, l'enfant prend peu à peu conscience de l'existence de cet écrit, particulièrement si l'adulte fait explicitement référence à la présence de repères matériels dans la page et à son activité de lecteur : « Si tu mets ta main là, j e ne peux pas lire ce qui est écrit ». L a permanence et l'identité du texte écrit qui, contrairement à l'histoire racontée, ne varie pas, sont très subtiles à appréhender pour l'enfant car intonation et débit varient d'un adulte à l'autre, mais aussi chez le même adulte. L'enfant ne perçoit pas d'emblée qu'il s'agit du même texte. La récurrence des mêmes énoncés aux mêmes moments de l'histoire, avec l'intonation particulière de la lecture, permet à l'enfant de saisir peu à peu ces caractéristiques de l'écrit. A travers les relectures, l'enfant acquiert aussi une expérience du fonctionnement du texte écrit : son organisation dans le temps, sa cohérence interne, et tout particulièrement la rupture avec la relation énonciative que lui, enfant, entretient avec l'adulte. Ce n'est q u ' à la faveur d'explicitations de l'adulte et d'expériences répétées que l'enfant cesse d'intervenir dans la lecture de l'adulte comme s'il s'agissait d'une parole à lui adressée, et construit ainsi sa capacité d'appréhender l'histoire comme un tout avec un début et une fin, un tout retrouvable et répétable, qu'il pourra s'approprier à son tour, d'abord en le racontant, plus tard en le lisant. Un autre aspect de notre approche consiste à apprécier les caractéristiques syntaxiques du texte propres à étayer le processus d'évolution du langage de l'enfant vers la maîtrise de variantes énonciatives syntaxiquement structurées. Les textes sont analysés en fonction de la
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méthodologie d'analyse du langage de l'enfant en catégories syntaxiques d'énoncés (phrases simples, phrases simples multiples, phrases complexes et « essais » de constructions comportant des introducteurs de complexité). D'après notre expérimentation, les textes qui ne comportent que des phrases simples juxtaposées, n'offrant pas de stimulation de mise en relation syntaxique complexe, entraînent une réduction des possibilités langagières de l'enfant. Au contraire lorsqu'un texte comporte des phrases complexes relativement adaptées aux capacités de l'enfant, même si l'enfant ne maîtrise pas encore un fonctionnement syntaxique complexe, il reprend les éléments articulés de manière complexe dans le texte en énonçant des phrases simples juxtaposées ou coordonnées qui témoignent de son intuition d'une mise en relation. Par exemple Ch., au cours de récits d'un même livre, après lecture par l'adulte : Texte (séquence 5): Il trouve un petit bâton pour taper dans l'eau. Corpus 1 (Ch, 5 ans 10 mois) Ch - [ . . . ] il a t(r)ouvé un bâton A - Oui. Ch - i(l) tape dans l'eau A - Oui. Il trouve un petit bâton pour taper dans l'eau. Ch - mm (approbateur) Immédiatement après ce premier récit, où l'adulte a accepté les énoncés en phrases simples de Ch. et redonné le texte avec sa mise en relation complexe, approuvée par l'enfant, Ch. a volontairement raconté l'histoire à nouveau, en énonçant une phrase complexe : Corpus 1, 2e récit : Ch - i(I) voit un bâton pour taper l'eau A - Oui. Il trouve un petit bâton pour taper dans l'eau. Une telle reprise immédiate d'une construction contenue dans le livre n'en garantit pas la maîtrise autonome par l'enfant. Lors de son troisième récit, une semaine plus tard, Ch. a énoncé à nouveau une construction en phrases simples multiples. Ce n'est que lors de son quatrième récit, à une semaine de distance encore, que Ch. verbalise la phrase complexe de manière entièrement autonome cette fois. Plus intéressant encore, l'enfant s'est peu à peu approprié la construction « pour + verbe à l'infinitif » pour verbaliser, à bon escient et de manière autonome, d'autres séquences du livre qui ne la contenaient pas : Corpus 5 (Ch, 6 ans 1 mois) Séquence 2 (Texte : D'abord, il ramasse un joli caillou rond.) Ch - [...] i(l) ramène un caillou rrrond pour mettre dans son panier,, nier Séquence 3 Ch - rama/ il cueille des fleurs/ A - Oui.
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Ch - pour mettre dans son panier Séquence 5 Ch - i/i(l) voit un bâton pour taper dans l'eau Lorsque l'enfant commence à maîtriser un fonctionnement complexe, il s'approprie, non pas le texte tel quel, mais ses articulations syntaxiques, pour verbaliser à sa manière des mises en relation. Parfois ses énoncés contiennent des « essais » de certains introducteurs de complexité contenus dans le texte et qu'il ne maîtrise pas encore mais dont il commence à pressentir le fonctionnement (voir Monsel 1991, Kamoouh 1986,1988, Vertalier-Karnoouh 1992).
3. Problème des marques des relations énonciatives L'aspect le plus problématique de notre approche concerne la gestion des marques énonciatives dans l'ensemble des productions de chacun des acteurs de cette interaction : adulte, enfant, livre illustré. Certaines composantes énonciatives du texte sont susceptibles d'interférer avec la relation d'énonciation à l'oeuvre entre l'adulte et l'enfant. L'enfant pour qui cette expérience est nouvelle n'a pas encore conscience de l'existence d'un texte écrit. De même qu'il prend la lecture du texte pour un discours de l'adulte s'adressant à lui, il identifie toute voix émanant du texte, celle du narrateur ou d'un personnage, à celle de son interlocuteur. Les textes des livres pour enfants en français, reflètent une tendance générale à nier la distanciation de l'écrit pour faire affleurer dans la narration un discours adressé à l'enfant. Si le narrateur n'apparaît pas toujours explicitement comme « je », il intervient de manière subtile dans des formulations appréciatives dont l'enfant ne peut pas discerner l'origine. Le trouble de l'enfant n'est d'ailleurs pas toujours décelable par l'adulte dans la mesure où l'enfant n'a pas toujours les moyens langagiers d'interroger explicitement son interlocuteur. Ce n'est qu'avec une certaine extension de son expérience du récit oralisé que l'enfant se révèle très sensible aux phénomènes trahissant une rupture avec la neutralité de la narration, par exemple : Texte : C'était amusant de laisser pendre ses pieds. (Kifédébuldanlo) H (5 ans) - Qui dit ça ? La réaction de J., 4 ans 5 mois, avec un livre qu'il connaît pourtant déjà bien et qu'il choisit lui-même, illustre la persistance de l'ambiguïté créée par l'insertion dans le dialogue d'un discours direct dont ni l'énonciateur ni le destinataire ne sont nommés. A la fin de la narration faite en commun par l'adulte et l'enfant, J. réénonce à sa manière le titre de l'histoire : « Ours va au lit », puis il exprime son inquiétude en entendant l'adulte énoncer le titre du livre : Allez, maintenant au lit ! A noter que le titre original Bedtime for Bear, ne fait pas intervenir des relations énonciatives : J 50 - C'est Ours,, va au lit A 54 - Oui. C'est le titre : Allez, maintenant au lit !
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J 51 - maintenant au lit,
, tu dis pas à moi ça ?
A 55 - Hein ? (interloquée) J 52 - c'est vrai tu dis pas à moi ? A 56 - Non j(e) dis pas à toi. J(e) dis pas à toi « Allez, au lit ! ». C'est l'histoire du livre qui dit ça. J 53 - ouais (guère rassuré) (Corpus de C. Thiéry, ILPGA-Paris III, 1993-94) C'est seulement peu à peu que s'instaure la distance entre la relation des deux locuteurs et la narration assumée par l'un d'eux. Ainsi les textes où pointe la présence d'un narrateur non identifié, s'adressant soit à l'enfant, soit à un personnage, paraissent mal adaptés à une insertion dans l'interaction entre l'adulte et l'enfant. Ils sont pourtant extrêmement nombreux dans la littérature enfantine (voir Vertalier-Karnoouh 1992, chapitre 4). Par exemple, Un bébé pour Claire semble au début fait d'une narration à la troisième personne sans intrusion d'un narrateur (à part le terme d'adresse « Mama(n?) » quasiment constant dans les livres pour enfants, et source de confusion) : Page 1 : Mama doit partir. Elle va avoir un bébé. Claire et Nounours ne peuvent pas venir avec elle. A la page 3, la narration cède la place à une adresse à un personnage dont la source n'est pas apparente : Page 3 : Ne sois pas triste, petit Nounours, Claire et Tante Adèle vont s'occuper de toi aujourd'hui. Puis on revient à une narration à énonciateur partiellement effacé (des marques de modalité sont présentes) : Page 4 : D'abord il faut baigner Nounours. A l'avant-dernière page, apparaît une question rhétorique à laquelle il est partiellement répondu à la page suivante, mais qui peut être prise pour une adresse au lecteur : Page 9 : [...] Mais où sont donc la maman et le papa de Claire ? La narration à la première personne assumée par un personnage, très fréquente dans les livres pour enfants, est aussi inadaptée dans la mesure où elle suscite une confusion dans l'esprit de l'enfant qui entend (fort surpris) l'adulte lui parler comme s'il était un enfant de quatre ans : « Aujourd'hui j'ai joué avec mes pinceaux », voire comme s'il était un animal : « Moi, je suis Minet et voici Delphine avec son beau vélo rouge ». Lorsque l'enfant et l'adulte parlent de l'histoire, ils évoquent nécessairement le personnage à la troisième personne et la verbalisation de l'enfant n'est alors pas soutenue par ce texte à la première personne. Par ailleurs, le discours rapporté d'un locuteur interne au récit, non identifié antérieurement, est source de confusion pour l'enfant, voire pour l'adulte. Or dans la situation d'interaction orale avec un enfant non lecteur ce phénomène discursif d'inclusion d'un discours dans un autre doit être distinct non pour l'oeil mais pour l'oreille. Dans le contexte de l'interaction adulte-enfant, l'identification préalable du locuteur est une dérogation obligatoire à son identification littéraire
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par le moyen d'incises dictales dont la forme exclusivement écrite, avec inversion du sujet et du verbe, étrangère à l'expérience langagière du petit enfant, lui est totalement inaccessible. En outre la position de ces incises au sein du discours direct, ou à la fin, ne permet pas l'identification des locuteurs à l'oral, particulièrement lorsque deux répliques au discours direct se font suite : les paroles du second locuteur peuvent être prises pour la suite du discours du premier. Exemple : La rentrée à l'école « Je vais juste faire un petit tour dans les magasins » dit Maman. « Venez toutes les deux » dit la maîtresse. « On va faire semblant d'être des animaux. » Parfois un seul des locuteurs d'un dialogue est identifié. Par exemple, dans le même livre : « Ne sois pas timide ! Il y a de nouveaux petits amis » dit Maman. « Je crois bien que ça ne me plaît pas. » Autre source d'ambiguïté : l'identification des personnages allocutaires par la mention de leur nom dans le discours qui leur est adressé, sans que le locuteur en soit précisé. En effet ce nom est souvent pris par les enfants pour celui du locuteur lui-même, par exemple J. (4 ans 11 mois) au cours de la lecture d'Ernest et Célestine ont perdu Siméon : Texte lu par l'adulte : J'ai une idée, Célestine... (C'est l'ours, Ernest, qui parle) J - qu'est-ce qu'elle va faire ? Cette interprétation est confirmée dans la narration de l'enfant par la suite : J - elle dit tiens j'ai une idée Lorsqu'on observe les dialogues entre adulte et enfant racontant un livre illustré, on est amené à la constatation paradoxale que les marques énonciatives (autres que les références à l'illustration) sont moins présentes dans les échanges oraux que dans les textes écrits. Le caractère implicite de ces phénomènes et leur difficulté pour l'enfant sont soulignés a contrario par la manière dont les enfants essaient de construire eux-mêmes leur narration à partir des lectures faites par l'adulte. On rencontre une tendance générale à la narration à la troisième personne avec narrateur effacé, une identification explicite des locuteurs par un nom ou un pronom, et souvent des essais de discours indirect, ainsi C., 5 ans 5 mois, racontant pour la première fois Ernest et Célestine ont perdu Siméon : Texte p. 6 : Tu viens, Siméon ? Nous allons nous promener. C - et là elle dit papa tu viens on va nous promener Texte p. 18 : C'est Siméon que je veux ! (sur l'illustration de la page suivante, Célestine remet les jouets dans leurs boîtes) C - elle les remet,, elle dit que je veux pas Si le texte comprend des constructions au discours indirect, ou si l'adulte en introduit dans ses commentaires, l'enfant s'en saisit, comme de toute autre construction lui permettant de structurer syntaxiquement son discours.
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Les différentes configurations des rapports entre narrateur et narrataires, et entre allocuteurs et allocutaires internes à la narration observés dans la littérature enfantine en français, confrontées aux recherches en narratologie de Genette (1969, 1972, 1983) font apparaître des phénomènes souvent plus complexes que ceux que l'on rencontre dans la littérature en général. Il est souhaitable que ces constatations suscitent une réflexion sur l'adaptation de tels ouvrages aux très jeunes enfants visés par l'édition, qui n'ont encore ni la maîtrise du langage ni une longue expérience de l'écrit.
4. Insertion du texte écrit dans l'interaction orale entre adulte et enfant, et contraintes pour l'écriture de livres pour enfants Le livre pour enfant peut être un précieux support d'interaction langagière, dans la mesure où il apporte un contexte commun à l'enfant et à l'adulte et permet de réduire les difficultés d'intercompréhension qui surgissent lorsque l'adulte et l'enfant évoquent verbalement des expériences non partagées, ou lorsque l'enfant est difficilement intelligible (voir MinostMousset 1989) mais les difficultés rencontrées par les enfants, dans la compréhension comme dans la narration, suggèrent que certaines caractéristiques des textes peuvent contrecarrer une interaction entre adulte et enfant orientée vers la maîtrise du langage et la construction d'une intuition du fonctionnement de l'écrit, en particulier des phénomènes de décontextualisation. Les ouvrages les plus favorables à ce type d'interaction sont des ouvrages de fiction comportant un texte à structure narrative à narrateur effacé, présentant des qualités de cohésion, d'explicitation et d'articulation syntaxique, par opposition particulièrement à des ouvrages présentant des séries de scènes juxtaposées, ou des récits à la première personne ou encore des textes tout en dialogues. En outre il est nécessaire que, sans en être dépendant, ce texte soit accompagné d'illustrations complémentaires, telles que l'enfant puisse prendre appui sur elles lorsqu'il décide de prendre en charge à son tour la narration de l'histoire. En tout état de cause, pour essayer d'appréhender l'appropriation par l'enfant du fonctionnement de l'écrit il est indispensable de prendre en compte la manière dont l'enfant y est introduit par les adultes, la conception du langage qui est implicitement agie dans les interactions langagières entre adulte et enfant à propos d'écrits, ainsi que la nature des écrits qui y sont impliqués.
Références bibliographiques Baker, N.-D./Nelson, K.-E. (1984), "Recasting and related conversational techniques for triggering syntactic advances by young children". In : First Language, 5,3-22. Bamberg, M. (1987), The Acquisition of Narratives : Learning to Use Language, Berlin, de Gruyter and Co. Bamberg, M./Damrad-Frye R. (1991), "On the ability to provide evaluative comments : further explorations of children's narrative compétences". In : Journal of Child Language, 18,689-710.
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Wolf-Andreas Liebert
Zum Zusammenspiel von Hintergrundwissen, kognitiven Metaphernmodellen und verbaler Interaktion bei virologischen Forschungsgruppen Einführung: das TLMSF-Projekt1 1.1 Ziele 1.2 Datengrundlage des TLMSF-Projekts 2 Eingrenzung der Fragestellung und der Datengrundlage 3. Methode 4. Ergebnisse 5. Schlußfolgerungen Anmerkungen Literatur 1.
1. Einführung: das TLMSF-Projekt 1.1 Ziele Im TLMSF-Projekt ("Das Theoriesprachliche Lexikon der Metaphern-Modelle als Sprachreflexionsmittel im Forschungsprozeß") wurden virologische Forschungsgruppen, die am Deutschen Krebsforschungszentrum über das Aidsvirus HIV forschen, untersucht. Den theoretischen Hintergrund des Projekts bilden die Kognitive Linguistik (Lakoff 1987, Langacker 1990) und das Analoge Denken und Problemlösen (Gentner / Jeziorski 1993, Hesse 1991). Das Projekt hatte zum Ziel, am Beispiel der virologischen Aidsforschung Möglichkeiten aufzuzeigen, inwieweit durch Nachdenken über die eigenen, unbewußten Metaphernmodelle Innovationen im Forschungsprozeß angestoßen werden können. Dabei wurde ein spezielles interaktives Medium, ein Hypermedialexikon, konstruiert, das es den Benutzern, hier eben dieser Gruppe von vier HIV-Forscherteams, erlauben sollte, in ihrer eigenen Vorstellungswelt zu "navigieren" und neue Metaphern zu entdecken (Liebert 1994b).
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1.2 Datengrundlage des TLMSF-Projekts Im Rahmen dieses Projekts wurde ein umfangreiches, multimediales Korpus erhoben, das aus fünf Teilkorpora besteht, von denen hier drei angeführt werden sollen: Vortragskorpus (VK) VK besteht aus Aufnahmen von 10 Meetings (anwesend: 20-25 Personen, wöchentlicher Turnus, 90 Minuten, 2 Vortragende jeweils mit Diskussion), Medium: Video und Tonband. Diskussionskorpus (DK) DK besteht aus der Aufzeichnung einer angeleiteten Gruppendiskussion (ca. 60 Min.), Medium: Video. Interviewkorpus (IK 1-4) IK 1-4 bestehen aus 11 Einzelinterviews (je ca. 75 Minuten), Medium: Tonband. Teile der Korpora sind transkribiert (entsprechend den Richtlinien des SFB 245; vgl. GutfleischRieck et al. 1989).
2. Eingrenzung der Fragestellung und der Datengrundlage Eine Teilfragestellung des TLMSF-Projekts betrifft das Zusammenspiel von Hintergrundwissen, kognitiven Metaphernmodellen und verbaler Interaktion in einem spezifischen Sinne, nämlich ob metaphorische Vorstellungskomplexe grundlegender, impliziter virologischer und molekularbiologischer Konzepte in der fachlichen Interaktion von Virologen wirksam sind. Diese eingegrenzte Fragestellung soll nun anhand der Korpora VK und IK 1-4 im weiteren das Thema sein.
3. Methode In der Diskussion um die verbale Interaktion wird dem Hintergrundwissen immer eine große Rolle eingeräumt. Es wird aber selten der Versuch unternommen, das Hintergrundwissen für spezifische Gruppen auch zu erheben. Das Hintergrundwissen stellt methodisch ein besonderes Problem dar, da es bei Aufzeichnungen verbaler Interaktion nicht direkt beobachtbar oder ableitbar ist. Es müssen deshalb spezielle Verfahren für seine Gewinnung erdacht werden. Es soll dafür zunächst eine Vorstellung für die Genese von Hintergrundwissen entwickelt werden, die die Findung eines solchen geeigneten Verfahrens erleichtert.
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Für die Genese von Hintergrundwissen von Virologen soll von folgendem Modell ausgegangen werden: In der Regel werden die ersten fachspezifischen Grundlagenkonzepte wie Zelle etc. während der schulischen Sozialisation eingeführt und gefestigt. Im Verlauf der akademischen Sozialisation werden schließlich allgemeine naturwissenschaftliche Verfahren erlernt und immer mehr allgemeine Fragen und Konzepte ausdifferenziert und selbstverständlich, d. h vorausgesetzt und deshalb nicht mehr explizit besprochen. So stehen am Beginn des akademischen Studiums noch allgemeine Konzepte wie Virus, Retrovirus oder Immunsystem, die aber im Verlauf der akademischen Sozialisation immer mehr vorausgesetzt werden, d. h. in den Hintergrund treten und damit zum Hintergrundwissen werden. Dies hat Konsequenzen für eine Methode der Erhebung von Hintergrundwissen: Da Hintergrundwissen nach dem skizzierten Sozialisationsmodell in pragmatischen Situationen erworben wurde, muß es auch in Anlehnung an diese Sozialisationsstufen wieder abgefragt werden. Eine Interviewfrage an einen Virologen "Was ist eine Zelle?" ist wie eine Ohrfeige, wenn sie von einem anderen Virologen gestellt wird 2 - oder sie löst eine Revolution in der Wissenschaft aus, nämlich eine grundsätzliche Neubestimmung des Konzepts der Zelle. Genau das zeichnet die Virologen ja als Virologen aus, daß dieses Wissen vorausgesetzt werden kann. Wird diese Frage dagegen von einem anderen als einem Virologen gestellt, kann ein Virologe in der Regel ohne Probleme antworten, indem er . einerseits das Vorwissen des Adressaten berücksichtigt und . andererseits sein Hintergrundwissen aktiviert. Welche Methode kann nun für die Erhebung von Hintergrundwissen und Metaphernmodellen angesetzt werden? Im TLMSF-Projekt wurde der Bereich des Hintergrundwissens zunächst eingeschränkt auf die Infektion der menschlichen Zelle mit HIV und die damit involvierten Konzepte. Als Grundlage für die Interviewfragen wurde zunächst das kognitive Modell eines Infektionsszenario entwickelt. Dabei besteht ein Szenario-Modell nach Lakoff (1987) grundsätzlich aus - Beteiligten oder Akteuren mit spezifischen Eigenschaften und Zielen und - einem typischen Interaktionsverlauf der Beteiligten. In den Interviews sollten die spezifischen Komponenten dieses Szenarios und deren Interaktion erfragt werden. Zuerst wurden also Fragen nach den Beteiligten, Zelle, Immunsystem und HIV, gestellt.
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Dabei wurde nach den Beteiligten auf unterschiedlicher taxonomischer Höhe gefragt: Für den Akteur HIV: Was ist ein Virus und wie funktioniert es? Was ist ein Retrovirus und wie funktioniert es? Was ist HIV und wie funktioniert es? Für die Akteure menschliche Zelle und Immunsystem: Was ist die menschliche Zelle und wie funktioniert sie? Was sind die Zielzellen von HIV und wie funktionieren sie? Was ist das menschliche Immunsystem und wie funktioniert es? Danach wurden Fragen nach der Interaktion der Beteiligten gestellt, also der Interaktion ZelleImmunsystem-HIV. Für die Interaktion Zelle-Immunsystem-HIV: Wie läuft so eine HIV-Infektion ganz allgemein ab? Dabei mußte folgendes Problem gelöst werden. Nach dem Relevanzprinzip würden sich die Virologen bei diesen allgemeinen Fragen zwar Adressaten vorstellen. Es ist aber zunächst unkontrollierbar, welche Adressaten sie sich vorstellen, und ob sich verschiedenen Virologen die gleichen Adressaten vorstellen. Deshalb wurden entsprechend der vorher eingeführten Sozialisationsstufen sogenannte "imaginäre Adressaten" eingeführt: Eingeführt wurde ein Adressat mit maximalen fachlichen Kenntnissen (Wissenschaftsjournalist mit allen Kenntnissen in Biologie, Chemie, aber ohne spezifische virologische Kenntnisse) und ein Adressat mit minimalen fachlichen Kenntnissen (Vorschulkind zwischen 5 und 7 Jahren). Es wurde also zunächst gefragt: Stellen sie sich einen Wissenschaftsjournalisten mit allen Kenntnissen in Biologie, Chemie, aber ohne spezifische virologische Kenntnisse vor. Der fragt Sie "Was ist eine Zelle?" Was antworten Sie diesem Wissenschaftsjournalisten? Danach wurde gefragt: Stellen Sie sich nun ein kleines Kind im Vorschulalter von etwa 5, 6, 7 Jahren vor. Dieses Kind fragt Sie "Was ist eigentlich die menschliche Zelle?" Was antworten Sie diesem Kind?
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Dies wurde für die verschiedenen anderen Akteure (Virus etc.) und deren Interaktion (Infektionsvorgang) in gleicher Weise gefragt.
4. Ergebnisse Als Ergebnis läßt sich festhalten: Werden Virologen gebeten, ihre zentrale Konzepte der Molekularbiologie für unterschiedliche Adressaten zu formulieren, zeigt sich folgendes Phänomen: Nimmt die Fachlichkeit der Adressaten ab, so werden nicht neue Metaphernmodelle zur Erklärung herangezogen, vielmehr werden terminologisierte Metaphern wie Baustein, Programm, Transport, Kommunikation, die in der fachlichen Kommunikation ständig verwendet werden, . wiederaufgenommen, . konkretisiert (d.h. taxonomisch degrediert) und . analog weitergeführt. Dies soll beispielhaft an einem Sprecher und einem Metaphemmodell (Zelle = programmierbare Einheit) gezeigt werden. Sprecher IP 11, Adressat: Fachkollege (Vortragskorpus VK) "(•••) hochstrukturierten Elementes, nämlich des Zinkfingers verändert worden ist. Ein Defekt in der entweder Aktivierung der proteolytischen Spaltung, es kann sein, daß das 'n unterschiedliches Programm abläuft oder einfach die Umlagerung, die zur Maturation notwendig ist, findet nicht in der erforderlichen (?...) statt (Husten) (...)" Sprecher IP 11, Adressat: Wissenschaftsjournalist (Interviewkopora IK 1-3) "(•••) Faktoren, der, glaub' ich, fast jedes Virus letztlich definiert, ist der Schritt, daß es die Funktion erfüllt und da gibt es hunderttausend verschiedene Wege, wie das funktionieren kann, die Replikationsstrategie einer Zelle so umzuprogrammieren, daß die Zelle vergißt sich selbst zu replizieren und stattdessen das Virus repliziert. Das heißt, es gibt Wege und Mechanismen die dazu führen, daß die normale zelluläre Transkription, also die Synthese von RNA (...)" "(—) mehr gemacht wird. Egal wie, alle Viren haben gemeinsam, daß sie in irgendeiner Form eine zelluläre Strategie zur Vermehrung von Nukleinsäuren und Proteinen auf dieser Basis umprogrammieren und die Effizienz auf die Seite des Virus verschieben. Und das ist vielleicht
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schon das Zentrale, was 'n Virus wirklich auszeichnet. Und das is' ja auch irgendwo logisch, wenn ich mir überlege, daß ein Virus eben ein obligater Parasit ist. Es hat keinen eigenen (...)" "(...) Replikationsapparat, also muß es (räuspert sich) Schritte und Mechanismen kennen, um den zellulären Replikationsapparat so umzuprogrammieren, daß er nur noch das Virus replizieren kann. Und der letzte Schritt ist, es muß irgendwie wieder 'rauskommen. Solang es als solche Information in der Zelle 'rumhängt, äh bringt es nichts, es muß auch wieder 'rauskommen um (...)" "(...) beginnen. Also mit anderen Worten, ganz kurz, in in drei Stichpunkten zusammengefaßt, ein Virus ist obligat abhängig davon, daß es die Replikationsmaschine der Zelle auf seine eigene Vermehrung umprogrammiert und das tun alle Viren, wobei sie sehr sehr verschiedene Mechanismen(räuspert sich) * beinhalten, es muß einen Weg finden aus der Zelle 'rauszukommen und es muß eine extrazelluläre Überlebens- wenn man so will, form entwickelt (...)" Sprecher IP 11, Adressat: Vorschulkind (IK 3) "(...) Weil * der Fußball im Inneren etwas hat äh was der Zelle, ja wie wenn der Papa zuviel getrunken hat (lachen), das Vergessene einflößt und stattdessen dazu führt, daß es Fußbälle machen soll. Das is' ein Teil des Virus, des Fußballs, daß es in die Zelle hineingeht, ähm und ähm ihre/ihr Programm ändert. Kinder kennen ja inzwischen auch Computer und deswegen wissen sie sehr wohl, daß man Computerviren haben kann, die dazu führen, daß der Papa den Computer nich' mehr starten kann und fürchterlich flucht, der Kleine ihn aber wohl noch starten kann, weil er nämlich das Virusscanprogramm kennt (lachen). * Und genau so funktioniert das auch, dieses Virus, das im Computer dazu führt, daß er nicht mehr starten kann oder nicht mehr ähm (...)" Während also unter Fachkollegen abstrakt von "Programm" bzw. "Ablaufen eines Programms" gesprochen wird, finden sich bei der Explikation für die weniger fachlichen Adressaten konkretere Fassungen dieser Konzepte wieder, wobei die abstrakten Ausdrücke auch für die weniger fachlichen Adressaten wieder aufgegriffen werden: So kommt der abstrakten Vorstellung eines Programms bzw. des Ablaufen eines Programms ein singulärer Status in der Interaktion zwischen Fachkollegen zu. Für den Adressat "Wissenschaftsjournalisten" wird die abstrakte Vorstellung "Programm" zwar ebenfalls angeführt, nun finden sich aber auch konkretere Vorstellungen. Für den Adressat 'Wissenschaftsjournalist' ist "umprogrammieren" Teil eines konkreteren Szenarios, da nun auf der Ebene des Herkunftsbereichs auch weitere Objekte der Programme genannt werden ("Maschine", "Apparat").
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Kognitiven Metaphernmodellen und verbaler Interaktion
Beim Adressat 'Vorschulkind' wird immer noch von "Programm" gesprochen, nun aber eingebettet in die quasi-narrative Schilderung einer ganz konkreten Vorstellung. "Maschine", und "Apparat" werden dabei weiter konkretisiert in ein alltägliches Vater-Sohn-Szenario "Starten eines Computers" mit dem Spezialfall: "Blockierung durch einen Computervirus und Lösung durch das Virusscanprogramm". Das gleiche Phänomen findet sich im selben Transkript dieses Sprechers, als auch in den Transkripten der anderen Sprecher für andere Modelle, darunter die folgenden:
Terminologisierte Metapher
Konkretisierendes Metaphernmodell
Schlüssel-Schloß
Haus mit Türen, Fenstern, Zimmern, Dietrich
Zellkommunikation
Fax, Telefon, Briefe, Telegramm
Transport von Proteinen
Lkw, Schiffe, Brieftransport
5. Schlußfolgerungen Wurden terminologisierte Metaphern sowohl auf der Ebene des Sprachsystems als auch in der verbalen Interaktion bisher als relativ rigide Gebilde angesehen, so zeichnen die vorliegenden Analysen ein anderes Bild. Terminologisierte Metaphern sind nur bedingt als fest anzusehen. Sie stellen äußerst produktive Analogiemuster für Neubildungen vor allem in der Explikation für Fachfremde dar. Diese sprachlichen Gebilde sind also viel eher als Metaphern, denn als Termini zu charakterisieren. Deshalb habe ich diese spezifische Form von Metaphern auch "Protometaphern" genannt (Liebert 1994a), ein Ausdruck, der stärker den metaphorischen Charakter und die Motivierbarkeit betont, als der Ausdruck "terminologisierte Metapher". Das Hintergrundwissen ist also ein komplexer, von Protometaphern durchzogener Wissensbestand, das, wenn es für fachfremde Adressaten explizit gemacht wird, durch an diese Protometaphern anschließende Metaphernmodelle konkretisierend ausgebaut wird. Die Metaphernmodelle der Theoriesprache und der explizierenden Vermittlungssprache sind also keine getrennten Denkmodelle, sondern formen über die taxonomische Degression einen auf der metaphorischen Ebene kohärenten Übergang. In der Theorie Idealisierter Kognitiver Modelle wird die Entstehung des abstrakten Denkens verstanden als Prozeß, der von vorbegrifflichen Erfahrungsmustern
und
Basisebenenkonzepten ausgeht und über die Denkoperationen Metapher und Metonymie zu abstrakten Denkmodellen führt (Lakoff 1987, vgl. auch Liebert 1992). Wenn Virologen nun konkretisierende Metaphernstrategien benutzen, um Grundkonzepte des Hintergrundwissens an fachfremde Adressaten zu vermitteln, so läßt sich, umgekehrt betrachtet, eine weitergehende These aufstellen: Terminologisierte Metaphern, die in der verbalen Interaktion unter Fachkollegen ständig verwendet werden, sind das Ergebnis eines während der schulischen und
Wolf-Andreas Liebert
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akademischen Sozialisation ablaufenden Abstraktionsprozesses, an dessen Anfang konkrete Metaphernmodelle der Basisebene stehen.
Anmerkungen 1. Das T L M S F - P r o j e k t wird von der Deutschen F o r s c h u n g s g e m e i n s c h a f t im Rahmen des Postdoktorandenprogramms unter Li 560/1-1 gefördert. 2. Möglich wäre es auch, diese Frage als geniale Grundsatzfrage zu betrachten. Beide Interpretationen dieser Frage setzen aber gerade das fraglos Gegebene voraus, das vom Hintergrund in den Vordergrund gerückt wird.
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Things. What Categories
beim
analogen
Reveal About the
Mind.
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Die Metapherntheorie der Kognitiven Linguistik ist vor allem in der interdisziplinären Zusammenarbeit mit Sozialwissenschaften entstanden. In der mittlerweile klassischen Arbeit "Metaphors we live by" haben Lakoff und Johnson (1980) gezeigt, wie durch die alltagsspachliche Analyse ein zusammenhängendes System von Metaphernbereichen und -konzepten sichtbar wird, das eindeutige Schwerpunkte der Wirklichkeitswahrnehmung vorgibt (sog. "highlighting and hiding"). In den neueren Arbeiten wurde die Metapherntheorie wesentlich erweitert. Johnsons Theorie der Bildschemata (1987) bietet ein reichhaltiges Inventar an Analysekonstrukten auf einer sehr abstrakten Ebene, auf die sich unterschiedliche instantiierte Metaphern beziehen lassen. Lakoff hat die Bildschemata als Idealisierte Kognitive Modelle in seine IKM-Theorie (1987) integriert. Diese Theorie bietet die Möglichkeit die metaphorische Projektion als Projektion von IKMs. d. h. ganzer Szenarien, radialer Kategorien etc. zu analysieren. In der KI-Forschung wurde in jüngster Zeit von James Martin aus der Wilensky-Gruppe auch ein formales Modell der kognitiv-linguistischen Metapherntheorie vorgelegt (Martin 1990). Für das beantragte Projekt sind aber die Beziehungen zur Kognitionspsychologie und zur Wissenssoziologie (Gergen 1990) und Theorien zur Metapher in Interaktion (Huelzer-Vogt 1991) interessanter. Zusammen mit Verfahren der kognitiven Linguistik können nämlich nicht nur einzelsprachbezogene Netzwerke von Metaphernbereichen entwickelt werden (vgl. Liebert 1992), sondern es können auch metaphorische Netzwerke einzelner sozialer Gruppen analysiert werden (für Wissenschaftsgruppen vgl. Liebert (1994b), für Verwaltungsangestellte vgl. Lakoff (1993), für den Bereich der Informatik vgl. Mambrey / Tepper (1992)).
Giuseppe Mininni
La séduisante hyperdialogicité de la communication médiatique 1. 2.
Introduction : l'importance du "talk-show" Communication hyperdialogique ou dialogue simulé ? 2.1. Le discours comme sujet montré 2.2. Le dialogue exhibé 3. Une étude de cas : le "Maurizio Costanzo Show" 3.1. Le diatexte du "MCS " 3.2. Le pouvoir (à, mais surtout) sur l'interlocution 4. Conclusion Notes Bibliographie
1.Introduction : l'importance du "talk-show" Le débat sur les modifications cognitives et interactionnelles apportées par la télévision a envisagé les effets de ce "système textuel fermé ou ouvert" dans le cadre d'une "anthropologie esthétique" (Thorburn 1988). Mais il y a aussi la conscience que l'esthétique possible à l'époque de la culture de masse a une évidente orientation éthique (Maffesoli 1990) et politique (Wolton 1990). En effet, la condition humaine est ménacée par deux périls inhérents à la "vidéosphère": l'extrême hétérodirection des individus et la redondance du monde extérieur (Baudrillard 1989). Si la forme de la vie contemporaine est donnée par le flux des images qui se poursuivent à l'écran, l'homme risque d'être exproprié de son intimité (projet, passion, volonté) et surtout tous les événements qui n'arrivent pas à l'écran sont jugés socialement superflus. A mon avis, tout cela passe à travers le talk-show, un genre discursif conforme à la complexité de la communication médiatique actuelle, même si on est d'accord avec Toison (1991, 198) lorsqu'il fait ressortir opportunément le caractère "apocalyptique" de l'opinion suivant laquelle "quelques talk-shows sont le symptôme du collapse total de l'épistème Occidentale". Et pourtant, les jeux de l'interlocution télévisée nous offrent le phénomène ambigu de la défense de la communication, car en donnant la parole à l'écran, il faut aussi bien protéger la communication qu'éviter son "tautisme" (Sfez 1988). Mon argumentation c'est que le "style de programmation" de la parole à l'écran (tel qu'il opère évidemment dans le talk-show) vise à légitimer le geste socio-culturel de nous entretenir comme invités à une scène d'interlocution régie plus par le pouvoir que par la solidarité1.
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Giuseppe Mininni
2. Communication hyperdialogique ou dialogue simulé ? On peut considérer le "talk-show" comme forme de la communication médiatique (Mininni 1989). De plus il s'agit d'un événement communicatif polylogique où s'entremêlent d'une façon caractéristique les contrats (Ghiglione 1984) possibles dans la rencontre interpersonnelle et ceux (toujours virtuels) de l'interaction médiatique. Mais, tout séduisant qu'il est, le talk-showman est bien loin d'amorcer une communication hyperdialogique, c'est-à-dire une relation visant à exalter toutes les potentialités humaines de compréhension réciproque.
2.1 Le discours comme sujet montré Le talk-show puise sa prétention hyperdialogique à l'entrecroisement de deux contrats: la "spectacularisation" de la construction médiatique et le "débat". Ce terme porte sur la nature dialectique du dialogue en soi, de sorte que "parler" c'est implicitement "discuter" (et donc "agir", "lutter", etc.). Cependant, on peut se demander si l'émergence de la différence (épistémique, déontique, etc.) dans le discours est la condition nécessaire (même si pas suffisante) pour l'établissement d'un contrat de "talk-show". Bref, est-ce-que la "condition de félicité" du rituel inhérent au "talk-show" postule un regime de production du sens inspiré à mettre au clair les ruptures énonciatives plutôt qu'à les "ouater" ou bien à les nuancer en les cachant dans une vue d'ensemble ? Le point de vue diatextuel 2 (Mininni 1992) nous permet de pénétrer dans la structure du genre "talk-show" comme un discours dont l'enjeu est le plaisir de l'agir interprétatif et l'on gagne en tirant profit, d'une façon presque paroxystique, de la dynamique entre les principes de la coopération et de la compétition. Dans l'univers des discours du talk-show, la procédure de contractualisation pousse les participants à simuler 3 le dialogue en alternant les voix, en rapprochant les thèmes et en mélangeant les genres, bref en mettant à profit toutes les nuances interlocutoires d'une situation donnée potentiellement communicative. Bien sûr, le talk-show est un genre discursif "batard" (Charaudeau 1983, 138), parce qu'on y poursuit une stratégie d'amalgame entre les buts du débat et de l'entretien. Mais la prominence de la fonction jouissante réduit la portée d'information et la charge critique du talk-show. Cet univers de discours ne peut accepter que jusqu'à un certain point la construction des monde de référence socialement tourmentés pour les soumettre à une discussion effective. Lorsque les projets de parole "informer" et "discuter" (par une comparaison d'opinions en tant que telles) l'emportent sur le plaisir de "parler" et d"'écouter", nous sommes en présence d'un talk-show dégénéré. Le talk-show tire ses contraintes de genre discursif polycontractuel surtout du bouleversement rendu possible grâce au court-circuit sémiotique produit par le fait que le
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metteur en scène est sur la scène. Ainsi le sujet de l'énonciation est toujours montré : l'animateur est celui qui peut exhiber les raisons de son être comme celui qui parle d'une façon propre. Il peut suspendre la dialectique entre identité et alterité, car il est toujours le même et l'autre en se croyant le représentant du public et visant à contrôler toutes les techniques du "parler commun" (Rossi-Landi 1961). N'étant joué que par de pures masques énonciatives, le "talk-show" porte au paroxysme le statut conflictuel de la communication médiatique, qui exige toute une économie socio-cognitive de négociations entre monologisme et dialogisme (Ghiglione 1990).
2.2 Le dialogue exhibé Le succès de ce genre discursif est attribuable aussi à l'intention de réaliser une psychothérapie de masse: les invités qui se pressent dans les studios (radio) télévisuels pour "apparaître en tant qu'énonciateurs" sont disposés à donner leur voix et leur histoire communicative pour permettre la manifestation de 1' "inconscient collectif. Si l'art, la littérature et la science expriment (au niveau de la haute culture) le sens produit et pas encore réconnu par une communauté, quelques scénarios de la communication massmédiatique (dont le talk-show est d'une certaine façon le prototype) visent aussi à satisfaire les besoins de rendre transparent leur propre vécu aux praticiens de la basse culture. La pertinence de cette distinction traditionnelle dans les études médiatiques concerne ici le taux de dialogisme. La haute culture prend sa forme dans des "discours" qui ont d'habitude une manifestation apparemment monologique et une structure profonde bien dialoguée, parce que les gens y parviennent en discutant les canons esthétiques ou les procédures scientifiques. Par contre, la culture médiatique préfère se réaliser dans quelques formes expressives à la surface dialoguée, mais qui sont marquées en profondeur par le monologisme, parce qu'elles sont inspirées vers l'homologation de l'identité. C'est ce qui arrive au dialogue lorsqu'il est capturé dans les cadres du jeu langagier visant au spectacle, comme dans le cas prototypique du talkshow. Le trait le plus saillant du talk-show consiste dans le fait que la spectacularisation de la parole s'enracine dans la dégénération monologique du dialogisme. On n'exhibe les raisons des autres que pour exhalter la figure énonciative de l'animateur qui s'est autoproclamé - e t il finit de plus en plus par être reconnu comme— porte-parole de l'opinion commune et de la sensibilité collective. C'est ce qui se passe au "talk-show" par antonomase en Italie (Veltroni 1992).
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3. Une étude de cas : le "Maurizio Costanzo Show" Le "Maurizio Costanzo Show" (MCS) est présent dans le palimpseste télévisuel italien depuis treize ans. D'abord hebdomadaire et ensuite quasi quotidien, ce talk-show a une grande audience. Bien sûr, une description soigneuse au niveau ethnométhodologique mettrait au point ses modalités de simulation de la conversation audiovisuelle (Bettetini 1989).
3.1 Le diatexte du "MCS" L'intuition lumineuse de Maurizio Costanzo (MC) consiste à mettre sur la scène la spectacularisation virtuelle que n'importe quelle personne (ou thème, ou problème) porte en elle et à conjuguer les nouvelles potentialités de l'instrument télévisuel avec les possibilités sémiotiques du théâtre. Puisque ce lieu clos et maîtrisable a pour vocation de métaphoriser la dynamique de reconstruction du monde extérieur, il peut s'assurer de la "théâtralisation" de la parole. La formule inventée par MC — faire Salon dans un Théâtre pour l'Ecran de télévision — fournit aussi bien la clé du succès de cette émission que les bases de ses scénarios argumentatifs et de son style énonciatif. En effet: 1) Dans un salon on ne peut que converser. Non seulement l'atmosphère est relâchée, mais c'est le flux de la vie qui est presque interrompu ; c'est pourquoi la parole occupe une scène devenue interlocutive et se constitue en objet de factualisation et de plaisir. On ne parle (presque) que pour le plaisir de le faire ou bien le pouvoir à l'interlocution. 2) Quoique le monde social soit presque suspendu ou en déhors du salon, on peut le saisir dans sa totalité: dans un salon on peut presque parler de toute chose, car la conversation ne tolère aucune restriction thématique. 3) Si l'on fait salon sur la scène, la conversation redouble sa valeur performative, parce qu'elle se propose comme représentation de la représentation du monde de la vie. En effet, ce que l'on dit ne vise pas seulement l'accord de l'allocuteur, mais aussi l'approbation du public. C'est pour cette raison que le monde de la vie mis sur scène par la conversation peut engager les interlocuteurs dans plusieurs types de contrats jusqu'à remplir le vide des bavardages par des rôles dramatiques et à gagner un rôle politique. 4) L'oeuvre verbale du salon, dramatisée sur la scène, est diffusée par le médium télévisuel pour un public de masse (quoique segmenté ou parcellisé). L'outil "parole", dans la forme dialoguée du polylogue, est assujetti par le régime de production du sens qui est fonctionnel à la culture totale (et totalitaire) de la télévision. Lorsque le contrat de communication est régi par le "voir parler", les prétentions de validité que l'on peut avancer sont réglées par le principe
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souverain de l'image. Dans le salon télématique l'interlocution est liée aussi à la pragmatique de l'image de soi que les intralocuteurs ont, de celle qu'ils offrent et se voient attribuer. Bref, le charme du MCS c'est dans la capacité de créer une atmosphère familiale pour exhiber une interlocution domestiquée. On est invité à l'énonciation de MC, on est "hôte" de sa parole. On est tout à fait conscient que la relation de réciprocité dans l'interaction va être suspendue d'une façon programmatique, et pourtant le jeu interlocutoire marche à la satisfaction générale! Les effets politiques visés par le "MCS" sont multiples, car parfois ce "spectacle de paroles" se borne à mettre en scène quelques aspects de la vie humaine (comme les sentiments, les maladies, les rapports parents-fils etc.), tandis que d'autres fois il y a une prise en charge de quelque thème particulier, lié d'une façon plus ou moins évidente, à la discussion politique du jour (la dette publique, les réformes des institutions, les infiltrations de la Mafia dans les partis, etc.). Il va de soi que dans ces cas-là le spectaculaire du dire provient d'une façon transparente de la maximisation de l'aspect polémique, tandis qu'en mettant sur la scène la représentation de la vie quotidienne on vise à "contenir" les différences au dessous du seuil du contraste et du désaccord. Probablement le contrat de communication du "talk-show" réalise "les jeux du cirque plus la démocratie" en obéissant à deux principes de rhétorique générale: Variatio delectat et Oppositio delectat! Si le spectacle4 puise à la polyphonie de la parole, c'est l'interlocution qui contrôle le pouvoir; au contraire, si le "show" vient du sang symbolique du débat, c'est le pouvoir qui anéantit l'interlocution.
3.2 Le pouvoir (à, mais surtout) sur l'interlocution Etant (reconnu comme) un Deus Discursivus, MC peut exercer son pouvoir sur l'interlocution de plusieurs façons. Tout d'abord il impose un "métacontrat" qui consiste dans l'acceptation par les invités de cette assertion (implicite): "C'est moi qui (te) donne la parole" ou "C'est moi celui qui rend présentable ton histoire". Cet accord de base génère trois types de clauses qui prescrivent autant d'engagements, suivant ces commandements: 1) "Dis ce que je considère propre", 2) "Dis ce que je t'autorise à dire" et 3) "Dis ce que je veux savoir". Ces pactes d'interlocution configurent la structure énonciative du MCS de telle façon que quelques séquences sont adaptées au but de l'"évasion", d'autres à celui de l'"approfondissement" et d'autres encore au but de la "mise en question". Le spectacle de la parole naît du bouleversement des conditions, car on assiste souvent au paradoxe de voir la communication "ménacée" lorsque les personnes sur la scène sont libres de bavarder, tandis que la communication paraît "sure" lorsque les invités sont engagés à traiter un problème. C'est l'animateur à jouer le rôle de garant du contrat de communication chaque fois en cours de validation. Bien sûr, ses différentes relations avec les invités lui permettent des diverses stratégies d' "argumentation impériale", comme l'on peut le voir dans les échanges suivants:
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14 MC: 15 16 17 18 19
Sabatin.: MC: Sabatin.: MC: Sabatin.:
604 MC: 605 606 607 608 609
Einaudi: MC: Einaudi: MC: Einaudi:
Al de classe eh ? mais y a-t-il le camarade le le voisin de pupitre + qui est ? eh ? hum + no il n'a pas pu venir ah! il n'a pas voulu venir il n'a pas pu venir no + il n'a pas voulu venir + eh bien! ah je ne sais pas. A2 nous devons à vous la qualité de notre culture (...) vous êtes au seuil de 80 ans ( * * * incomprensible) pardon? hum + c'est que je suis troublé par tous ces discours que l'on a fait ah bien! la vie est faite d'un tas de discours si différents je suis troublé par cet affaire de la drogue...
Al illustre un type d'échange où l'animateur manifeste un exercice de pouvoir absolu sur l'interlocution: lorsqu'il domine aussi l'image énonciative de son "hôte" (ici un garçon de 15 ans avec des prétentions d'écriture), il peut décider un conflit d'interprétations, à la satisfaction générale, sans coup ferir, sans faire aucun effort argumentatif. A2 est aussi un exemple d'interlocution dominée, mais ici le conflit tout juste ébauché est accommodé par un argument (quoique implicite). Mais même quand il doit négocier son pouvoir de régler la marche du discours avec le plan énonciatif de son interlocuteur (un éditeur si vénérable), il peut se permettre de changer les règles du jeu en jouant. En effet, il déplace l'axe argumentatif du niveau existentiel (où les sujets et leurs discours peuvent être troublés) au niveau essentiel (où les sujets et leurs discours vivent tous heureusement compatibles), sans fournir aucune base de justification.
4. Conclusion Si le talk-show agit comme miroir médiatique qui donne une image de la démocratie dans sa réalisation actuelle (Charaudeau et Ghiglione 1993), le MCS rend cette idée claire comme le jour. Il s'agit d'un formidable "opérateur d'hégémonie" (à la Gramsci), car cette émission est fonctionnelle à l'interprétation "joyeuse et railleuse" de la démocratie en Italie, qui va permettre le "berlusconisme". Lorsque l'image télévisée s'approprie la parole, la démocratie n'est possible que sous forme réduite comme association de sujets dominants. Tous les thèmes peuvent être débattus, on peut faire des dénoncés, on peut présenter des demandes, la chronique politique peut s'entremêler à la critique sociale, on peut faire la passerelle des coutumes et même faire briller des idéals, mais toujours dans l'esprit du "génie italique". D'une part, (même dans la cuisine) les italiens aiment apaiser les contrastes en renvoyant les décisions et accueillir les
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objections en ingurgitant les diversités. De l'autre, la "comédie de l'art" a besoin d'un "Grand Marionettiste" et, donc, la maison langagière à laquelle on accède dans le MCS a son maître. Comme dans un restaurant espagnol, les invités portent leurs plats qu'ils vont présenter dans le sens établi par le maître. Le talk-showman agit comme l'araignée de la cognition sociale: cet animal discursif n'est pas seulement le symbole de la patience et de la ruse, mais il représente aussi l'autonomie prévoyante et l'insatiabilité de tout pouvoir.
Notes 1.
L'importance évidente de cette situation d'énonciation pour la psychologie sociale est alimentée par la stupeur philosophique face du fait que beaucoup de personnes (qui ont d'habitude une formation supérieure) puissent être engagées dans une "scène d'interlocution" régie d'une façon manifeste par le principe du pouvoir ("C'est moi qui vous donne la parole"), en trouvant tout ça satisfaisant, voire agréable. 2. Pour aborder la complexité des dynamiques de sens activées dans le talk-show, il nous faut un appareil conceptuel transdisciplinaire (Davis et Puckett 1992), qui toutefois a son noyau dur au carrefour entre la sémiotique, la psychologie (sociale) et l'analyse critique du discours (Van Dijk 1993). Ce croisement contribue à dessiner pour la science de l'homme un nouveau paradigme capable de pluraliser ses formes d'intelligibilité, d'exhiber l'origine socio-culturelle de ses "constructions", en mettant en évidence aussi bien la dialectique interne au sujet épistémique que le cadre contextuel de n'importe quelle production de sens (Edwards et Potter 1992). Ces exigences, qui ont marqué les lignes de recherche traditionnellement ancrées à la pensée phénoménologique, herméneutique et humaniste, reçoivent une justification systématique par le "constructionnisme social" (Gergen 1991). Dans ce cadre la notion de "diatexte" rend compte de l'ancrage du sujet situationnel - a u s s i bien individuel que social, et donc l'organisation culturelle, idéologique, etc. (Mey 1991)- dans les "univers de discours". 3. L'idée régulatrice de la "réalité" des dialogues trace le contour d'une situation communicative fondée sur un modèle triadique, c'est-à-dire lorsque pas seulement deux "univers de croyances" sont activés, mais ce jeu coconstructif va impliquer "M, un modèle de realité public" (Berrendonner 1990, 15). Dans le dialogue simulé la construction du monde de référence perd (presque) toute sa valeur performative en doublant sa valeur représentative. En effet, le réel est re-présenté dans sa forme représentée. Chaque fois que l'interaction tend à mettre entre parenthèses M (ou à diminuer son importance) en fermant son potentiel d'action discursive dans un arrangement duologique ou bien polylogique, on passe au régime du dialogue virtuel, qui est ouvert aux chances de la fiction ou de la vertu. Le monologue intérieur qui nous fait tergiverser au moment de prendre une décision (consciente) c'est un dialogue virtuel vertueux. Le polylogue extérieur mis en scène dans un talk-show c'est un dialogue virtuel qui est souvent vicié par le monologisme. La logique de la simulation appliquée au dialogue entraîne qu'il y a s i m u l t a n é m e n t une exhaltation et un effacement des traits structuraux de l'interaction linguistique. Le dialogue simulé est un "hyperdialogue" et en même temps un monologue. En effet, puisqu'il s'agit d'exhiber le dialogue, la conversation est marquée par une organisation nécessairement autoréférentielle. Lorsque le dialogue entre sur la scène où il fait étalage de soi, l'énonciation met en évidence, par des indicateurs explicites, ses prétentions dialogiques. C'est pourquoi le talk-show est porté à privilégier la pluralité des voix, la marche erratique des thèmes et une réglementation assez rigide des tours de parole. Le dialogue simulé est obligé à faire ressortir la forme de la dialogicité pour pouvoir cacher, sous cette surface, l'essentielle monologicité de ce qui y a lieu. Ce qui rend inauthentique le dialogue exhibé par un talk-show c'est l'annulation de deux conditions: la "constante et nécessaire référence au réel" et la "relation interlocutive, qui doit vivre dans le signe de la pleine réciprocité" (Jacques 1992, 25). Dans n'importe quel dialogue simulé, l'orientation au "monde réel" est réduite, "comme si" ce dont on parle fut "filtré" par la structure même de le dire en présence de l'autre. L'action discursive est "suspendue". De plus, on ne peut plus définir proprement dialogique la situation d'énonciation où la relation de pleine réciprocité n'est pas en vigueur. Les conversations évidemment asymmétriques sont des dialogues simulés, car les interactants sont définis comme interlocuteurs par le fait qu'ils s'attribuent (d'une façon consensuelle ou non) des droits différents de contrôle sur la construction du sens. 4. Mais où est le spectacle ? Le spectacle est dans la parole qui s'attache à une image. L'iconisation du discours est gagnante, parce que le double mouvement circulaire —l'homme qui devient parole et la parole qui se fait chair (quoique iconique)- est très séduisant. Lorsqu'on parle pour le plaisir de le faire, on est responsable quand même d'un phénomène "admirable": l'interlocution capturée par la scène (et son metteur).
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? Une analyse
immanente.
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La linguistique contrastive et le dialogue 1. 2. 3. 4.
Objet commun de recherche Une conception du dialogue Pourquoi une analyse contrastive ? Méthodes contrastives et dialogue 4.1 Une approche expérimentale 4.2 La juxtaposition 4.3 Une proposition d'analyse 5. Le dialogue comme levier d'analyse Notes
1. Objet commun de recherche La définition de l'objet d'études d'une discipline constitue un présupposé qui semble si ce n'est tomber dans l'oubli tout au moins s'élargir pour inclure d'autres objets ou à l'inverse se rétrécir au point de devenir ésotérique. L'explication réside dans la complexité de l'objet, dans la possibilité de l'approcher suivant ces diverses facettes et dans le nécessaire appel à des disciplines connexes, à des méthodologies nouvelles ainsi que dans la volonté de justifier son intérêt par des applications dans d'autres domaines. Les théories linguistiques et notamment le structuralisme ont ainsi essaimé dans d'autres disciplines jusques y compris l'architecture. Est-il besoin de nommer les mathématiques et leur nouvel outil, l'ordinateur, dont il est de plus en plus diffìcile d'ignorer les pouvoirs. L'Analyse Contrastive et l'Analyse du discours ne pourront échapper à ce dilemme. La question est de savoir comment dans ce va-et-vient inhérent à toute science, ces deux disciplines pourront oeuvrer ensemble ou tout au moins s'entraider, car l'une met en évidence les paramètres de la communication dans une situation donnée dans les langues et l'autre confronte les dits paramètres entre les langues. En d'autres termes, elles sont de prime abord chacune pourvoyeuse pour l'autre de matériaux de recherche.
2. Une conception du dialogue L'Analyse du discours prend pour unité les faits linguistiques groupant une suite de phrases ou d'énoncés et elle englobe ainsi une unité plus vaste et plus délicate à délimiter que la traditionnelle phrase. Elle atteint en fait tout le processus de la communication. Parmi les types
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de discours soumis à son analyse, nous retiendrons la conversation courante ou quotidienne et plus précisément une de ses formes artificielles, le dialogue, restreint en outre à la vocation pédagogique. Nous espérons que, ce faisant, nous ne nous écartons pas trop de l'acception retenue dans ce colloque. Notre incertitude se fonde sur les diverses acceptions recensées dans les dictionnaires spécialisés et dans certains ouvrages d'Essais. Ainsi, le Dictionnaire de didactique des langues de R. Galisson et D. Coste1 définit le dialogue soit comme un "... échange spontané de questions et de réponses entre le maître et les élèves." (p. 149), soit comme un " échange de questions et de réponses entre personnages en situation. Rédigé par l'auteur d'une méthode... il privilégie la fonction fondamentale de communication du langage parlé à imiter" (p. 150). Or, dans "La conversation quotidienne" de D. André-Laroche Bouvy 2 , l'auteur spécifie : "Le terme dialogue enfin est utilisé par la didactique des langues étrangères. Dans ce domaine également, il s'agit d'une fabrication, d'un artefact coincé entre des limitations de tous ordres, artifice pédagogique sans rapport avec un dialogue littéraire ou théâtral, ni à plus forte raison avec la conversation, "(p. 10) (N.D.L.R. Souligné par le rédacteur) Il va de soit que nous nous sommes demandé quelle attitude choisir. En fait, il est vrai que la réalité est toujours tronquée dans le milieu artificiel de l'enseignement, et qu'il s'agit d'une mise en garde plus que d'une interdiction. Comment, en effet apprendre aux apprenants à se couper la conversation, à multiplier les effets de la fonction phatique. Néanmoins, si des analyses aussi détaillées que celles de D. André-Laroche Bouvy décrivent les règles de la conversation, il est possible de s'en inspirer pour construire des dialogues imitatifs de la conversation en langue étrangère. Sans entrer dans une polémique, nous nous contenterons de rappeler que les exercices structuraux ont d'abord été admis comme une méthode révolutionnaire puis tortionnaire quand leur systématisation à outrance a sclérosé la créativité des apprenants. Nous en déduirons que le dialogue est une technique d'enseignement utile qui pourrait s'exercer sous forme de micro-dialogues, c'est-à-dire en forme de "paires de répliques" (André-Laroche Bouvy) afin de préserver la créativité et surtout le caractère "agonal" (André-Laroche Bouvy) de ce type de communication. Quoiqu'il en soit et bien que la conversation ne soit pas un sujet figurant dans les matières à enseigner dans la langue maternelle, son utilisation dans les cours de langues étrangères est une pratique courante et bénéfique pour préparer à la conversation. Toutefois, la conversation étant un échange interactif, les différences entre langues risquent d'être plus marquées ce qui suggère que la transposition doive être prudente et sous-tendue par une analyse contrastive précise afin d'éviter les déboires.
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3. Pourquoi une Analyse Contrastive ? Le recours à l'Analyse Contrastive que nous préférons dénommer Linguistique Contrastive pour bien distinguer ses finalités, construction de méthodes d'enseignement à opposer à étude linguistique de deux langues, nous semble d'une telle évidence pour fournir des matériaux adéquats aux pédagogues pour leurs constructions de séquences de dialogues que nous hésitons à entamer une justification. Néanmoins, les critiques ayant souvent réduit les résultats contrastifs à de quasi superflus ouvrages de consultation qu'il nous paraît préférable de préciser ses objectifs. Les recherches contrastives n'ont ni la vocation, ni même la prétention d'aboutir à une méthode d'enseignement, ce qui ne saurait signifier que leurs études ne puissent être de quelque utilité dans ce domaine, notamment quand il s'agit de la conversation quotidienne. En effet, comme nous l'avons déjà souligné, la conversation représente un modèle de la communication, objet d'étude de la linguistique. Les recherches contrastives recourent à la traduction, plus exactement aux traductions, non comme objet de leurs études mais pour s'assurer de la comparabilité des éléments à contraster. Cette approche ne constitue pas une finalité de l'analyse, mais une simple étape, sans que cela préjuge de son utilité pour les traducteurs. Une fois admis que les recherches contrastives ne sont ni une méthode d'enseignement, ni une technique de traduction, elles redeviennent ce qu'elles auraient toujours dû être à savoir une méthode de comparaison, utile et peut être même nécessaire aux domaines cités, mais surtout à la linguistique générale. C'est en ce sens que nous soumettons à votre perspicacité quelques-unes des techniques qui pourraient choisir comme unité de recherches les séquences de conversation ou "paires de répliques".
4. Méthodes contrastives et dialogue 4.1 Une approche expérimentale L'A.C. a trop accentuée, par vocation ou par besoin de justification, les différences entre les langues au détriment des similitudes, causes de difficultés d'extension. Loin de lui être bénéfique cette prépondérance accordée aux différences, auxquelles devaient correspondre des difficultés d'apprentissage, l'a desservie au point qu'elle fut délaissée pour laisser place à, paradoxalement, l'Analyse d'Erreurs. Le paradoxe réside dans le remplacement d'une soi-disant étude des difficultés, causes d'erreurs, par une étude systématique des erreurs. Certes, ce revirement s'accompagne d'un changement de principe, la recherche des différences linguistiques est remplacée par une étude psycholinguistique des erreurs des apprenants révélatrice de leur
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comportement d'apprentissage. Une étude des langues, l'A.C., est remplacée par une étude de la parole ou performance. L'analyse des faits observables, des données linguistiques ou corpus est une des approches classiques de la linguistique ; il reste à l'utiliser en contrastive. Un des façons consiste à observer le comportement des bilingues. En effet, au lieu de rechercher les erreurs des apprenants, pourquoi ne pas recenser les moyens qu'ils utilisent pour s'adapter tout à tour à chacune des deux langues. Nous n'avons pas, à ma connaissance, d'études démontrant qu'ils se comportent exactement comme des unilingues dans chacune des communautés. Nous suspectons certaines conduites de contournement de difficultés ou d'adaptation, comparables à celles utilisées par les autochtones pour éviter les difficultés de leur langue. Ainsi, les français évitent de conjuguer certains verbes du troisième groupe, tels que "résoudre ou absoudre" en les remplaçant par des synonymes ou en les incluant dans des tournures infinitives. S'il était vérifié que les bilingues se comportent exactement comme les unilingues, nous aurions une certitude, la thèse précédente est erronée et un corpus digne d'analyse car il émanerait d'un bilingue Ce corpus servirait à une Analyse des Succès puisqu'il attesterait des équivalences reconnues pertinentes dans les deux langues et en outre émises par un même individu. En fait, ce que nous proposons est une double enquête, menée en parallèle dans chacune des langues, sur des conversations/dialogues mis en oeuvre par des individus bilingues et/ou unilingues, avant leur mise en corrélation Trop souvent les analystes recourent aux résultats obtenus par d'autres disciplines qu'ils valident ensuite par la comparabilité, c'est-à-dire la traduction. Nous proposons de procéder à une double analyse avant d'entamer le rapprochement des données. Cette démarche a déjà obtenu des résultats en phonétique et en phonologie, notamment dans les travaux de Veijo V. Vihanta 3 . Cette méthode de comparaison des faits de parole par l'observation ouvre un vaste champ d'investigation et de recensement des paramètres structurant la conversation, exploitables ensuite dans la mise en oeuvre pédagogique de dialogues. Cependant, si elle présente l'avantage de l'unicité de la théorie descriptive, elle implique l'inconvénient de devoir mener de front deux études descriptives avant même toute comparaison, ce qui expliquerait d'une certaine manière le recours à des méthodes classiques.
4.2 La juxtaposition La méthode répandue depuis la publication de l'ouvrage fondamental de l'A.C, celui de C.C. F r i e s 4 , la juxtaposition, en dépit de ces nombreux détracteurs, fournit des matériaux linguistiques encore exploités par les didacticiens des langues étrangères. Il faut préciser que tout théoricien qui justifie son modèle par la confrontation d'exemples puisés dans diverses langues applique en fait le principe contrastif de la juxtaposition. C'est une des raisons qui nous
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ont amené à prétendre que la linguistique contrastive constituait le banc d'essai des théories linguistiques. En ce qui concerne la conversation / dialogue, il faut choisir deux descriptions des règles de la conversation, prises dans une même école de pensée linguistique, et procéder à la juxtaposition des règles afin de mettre en relief les similitudes et les divergences. L'ouvrage cité de D. Laroche Bouvy (supra) décrit les règles de la conversation du français, il nous faut trouver un ouvrage suivant la même théorie décrivant la conversation italienne, afin d'en comparer l'existence et l'extension dans chaque langue. C'est là que réside le problème primordial de cette approche, car nous ne pouvons assurer qu'un tel ouvrage existe et qu'il suive une théorie similaire. Le contrastiviste se voit alors contraint d'effectuer la description adéquate ce qui le détourne de son objectif. Certes, l'Essai de D. Laroche Bouvy peut servir de modèle descriptif pour l'italien, mais cette autre forme de juxtaposition, la transposition, n'est pas sans inconvénient. Elle suppose que les règles en question sont universelles, alors qu'un des objectifs était de le démontrer. En d'autres termes, elle confronte la puissance des règles descriptives avant de s'assurer de leur valeur intrinsèque. Il est vrai que la grammaire latine a longtemps servi de modèle descriptif aux langues européennes et même à certaines autres et a contribué au développement des recherches linguistiques. Néanmoins, bien que cette approche soit fructueuse, nous lui préférerons une analyse tentant de préserver l'authenticité de chaque langue.
4.3 Une proposition d'analyse Les techniques évoquées recourent implicitement ou explicitement, au travers du choix des descriptions choisies ou en les construisant, à des principes descriptifs définis par une certaine théorie linguistique, plutôt qu'a des techniques d'analyse des langues. En d'autres termes, les contrastivistes utilisent, par exemple, les définitions des parties du discours de la théorie choisie pour décrire, tour à tour, les langues à contraster, au lieu d'analyser les langues pour en découvrir les parties du discours. Cette approche est fondée sur le principe fondamental de l'A.C., énoncé par C.C. Fries, à savoir celui de la comparaison des descriptions des langues, que nous souhaiterions remplacer par un principe de double analyse des langues, ainsi au lieu de comparer les résultats descriptifs, les grammaires contrastives établiraient des équivalences entre des analyses. L'A.C. ne serait plus une grammaire des erreurs ou des difficultés de passage d'une langue à l'autre, mais tout au contraire une grammaire des succès, c'est-à-dire des conditions du passage des énoncés de L 1 à L 2. La nouvelle démarche proposée consiste à appliquer le principe de la juxtaposition de l'A.C. classique non plus aux descriptions des langues, mais aux analyses des langues. Le principe fondamental de toute théorie d'analyse des langues étant la commutation, laquelle d'ailleurs peut
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être utilisée sous différentes formes, nous proposons d'effectuer une juxtaposition des commutations afin de comparer les conditions de choix d'un élément linguistique par rapport aux autres et d'établir les équivalences conditionnelles du passage de L 1 à L 2. Certes, l'élément linguistique de départ de la commutation en L 1 sera traduit en élément de départ de la commutation en L 2, mais les variations de formes, entraînées par le principe même de l'analyse, minimiseront le choix de cette première traduction, puisqu'elle n'en sera plus qu'une parmi les autres. Le reproche majeur qui peut être émis à rencontre de cette approche réside dans le fait que la somme de travail requise paraît bien plus conséquente que la simple juxtaposition de deux descriptions, à tel enseigne que certains ont même avancé le terme d'utopie pour qualifier cette proposition. Cependant, il est aisé de répondre que si cette démarche est utopique, alors la linguistique l'est tout autant, puisqu'il ne s'agit que d'appliquer conjointement les techniques linguistiques à deux langues et d'établir les conditions d'équivalences, c'est-à-dire une Grammaire des Succès. Cette grammaire des Succès pour s'appliquer à la conversation en vue de la construction de dialogue doit choisir des énoncés conversationnels dans les langues à contraster et les soumettre à la double commutation-analyse. Le choix de "paires de répliques" comme point de départ d'une suite servira d'une part à multiplier les "paires de répliques" pouvant commuter avec elles pour traduire le même sens, mais suivant des significations et des stratégies de communication adaptées aux situations et aux intentions ou modalités du discours. Ces variations se traduisent, par principe linguistique, par des variations de formes qu'il faut recenser. Cette construction de variations formelles suivant une même micro-conversation n'a d'utilité que si les conditions entraînant les choix sont notés pour chacun d'eux. L'élément de départ servira ensuite dans sa version dans l'autre langue de point de recherche pour l'édification d'une série de formes avec leurs conditions de choix. La recherche contrastive consiste alors à partir des équivalences de conditions de choix pour déterminer les formes se correspondant. Nous devons rappeler que dans toute communication, il existe des mécanismes qui autorisent la régulation des échanges. La communication n'étant qu'une succession d'approximations, il ne faut pas omettre le rôle du questionnement dans la conversation ; nous entendons le questionnement pour parfaire la compréhension du message et non celui portant sur des informations sur le thème engagé. En outre, trop souvent la recherche de la correspondance parfaite ne tient pas compte du phénomène de la compensation. Or, dans toute discussion, l'interlocuteur compense par sa connaissance du langage ou du thème conversationnel ou du participant, surtout quand il est identifié comme non-natif, les imprécisions du locuteur.
La linguistique contrastive et le dialogue
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5. Le dialogue comme levier d'analyse La conversation représente un parfait test des réussites ou des échecs dans la communication et il constitue une base d'observations et de renseignements précieux pour le contrastiviste qui souhaite non pas seulement comparer des corpus ou rechercher de possibles interférences, mais bien ce qui se dit et comment cela se dit dans chacune des langues à contraster. Effet, les thèmes de conversation ne sont pas nécessairement les mêmes, pensons aux tabous, le déroulement de la conversation ne suit pas nécessairement le même déroulement, les langues de spécialités, les charnières ne se situent pas au même endroit, les exemples de D. Laroche-Bouvy en sont une vivante démonstration. En d'autres termes, les fonctions du langage ne sont pas nécessairement les mêmes aux mêmes endroits dans les choix successifs du déroulement d'une conversation. Ce type d'études devient un parfait levier pour déterminer les adéquats, c'est-à-dire les correspondances, non pas de mots ou de phrases ou mêmes d'énoncés, mais bien d'expression, de tournure, de forme utilisée pour traduire non seulement l'idée mais aussi les raisons du choix de cette expression plutôt que d'une autre par le locuteur. Imagine-t-on que Le "bonjour, comment, ça va. Ça va, merci et toi", doive se traduire dans toutes les langues par les mêmes idées. Je me suis laissé dire que, dans certaines régions de Chine, il était plutôt de tradition de demander si l'on avait bien mangé ? Pour moi, c'est ainsi qu'il faut envisager une étude des adéquats entre deux communautés. Cette approche, comme toute nouveauté méthodologique, devra subir l'épreuve du temps et des chercheurs pour s'améliorer, peut-être même se transformer, avant de figurer au rang des procédés de recherche au même titre que la commutation pour la linguistique. Ce retard pourrait aussi s'attribuer au fait que les théories linguistiques n'ont pas encore systématisé la description des conditions de choix des formes véhiculant des messages synonymes Or, pour partir des conditions de choix des formes pour établir les adéquats leur connaissance est un pré-requis, à moins qu'il faille y voir une technique pour les atteindre. La linguistique contrastive dépasserait son rôle de mise à l'épreuve de théories linguistiques pour devenir un outil de construction de ces théories, un levier pour la recherche.
Notes 1. Galisson, R., et D. Coste, Dictionnaire de didactique des langues, Paris, Hachette, 1976, 612 p. 2. André-Laroche Bouvy, La conversation quotidienne, Paris, Didier, 196 p. 3. Vihanta, V., "Les voyelles toniques du français et leur réalisation et perception par les étudiants finnophones", Studia Philologica Jyvaskylàensia 12 Jyvaslylà, 1978 4. "La durée des sons en français et en finnois", Actes du 3' Colloque franco-finlandais de linguistique contrastive, Helsinski, Université de Helsinski, 1987, pp. 5-24.
Mike Reynolds
Radio Disc-Jockey Talk: an illustration of 'Genre Analysis'
Summary This paper illustrates the working of genre as a high-order framing concept in discourse, through examination of an excerpt taken from radio phone-in programme in Sheffield, U.K. The discussion centres on how participant relationships are mangaged through talk in an electronic medium, where the interactants are 'strangers' to each other. This involves examination of what Goffman (1981) calls 'footing', and also the power-relation played out in the genre, which in turn relates to the ideological dimension in genre. The contrast between the performance of the roles of disc-jockey and of radio phone-in caller is brought out. How phonological features (e.g in changes of 'footing') and lexis contribute to the pragmatics of the discourse is demonstrated.
One of the reasons why it is worth looking at the discourse of radio phone-in programmes is that they are so common and popular. They form a, largely banal, but quantitatively significant part of the background of very many people's daily lives. In presenting an example from this genre, via the excerpt that you have a transcript of, and which you will hear played in a moment, I wish to concentrate upon the participant structure in the genre, on how the participants are performing and positioning themselves, on what sort of relationship is being formed and maintained; and , more generally, on the notion of audience in the genre. Further, through such a 'case study' analysis, I want to examine the concept of genre itself and how it is a useful device in discourse analysis, particularly of a 'critical' kind. Genre analysis can focus, as appropriate at any level of linguistic analysis. In this example I shall include some analysis of phonology and lexis - at what Fairclough (1989) calls the level of 'description' - but will do so in order to get at what is going on in pragmatic, discoursal terms, at Fairclough's interpretive and explanatory levels. This will involve looking at the 'intertextuality' (Kristeva) of the discourse, and at genre as a carrier of ideology in discourse. This will also involve, therefore, some examination of genre as the working out of a power relation between the participants. I realize that I have started a number of hares there, and I hope that some of them at least will have run their course before I come to a halt.
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Mike Reynolds
The transcribed excerpt that you have comes from a regular music, chat and phone-in programme, broadcast daily on weekdays on my local station, Radio Sheffield - the Mick Lunney Show. It is a typical low-budget local radio programme, a staple of the local radio airwaves. Descriptively, this is an entertainment genre, a hybrid of music and speech. Like many genres, as Hymes pointed out many years ago, it is recognized by an everyday, non-technical term: a 'show'. As part of the show - and again, a typical feature of the genre - there is a quiz. Part of the value of this device is that it enables listeners to participate by phoning in with their guesses. At the beginning of the excerpt we hear the clue to the quiz, namely: Ain't no pleasing this cowboy (line 6) The excerpt falls into two halves: the first (lines 1 to 28) is apparently a 'monologue', at least in the sense that it consists of a single turn by one speaker (Mick Lunney), uninterrupted; that is, until a flashing light in the studio indicates someone wishes to talk to him: a semiotic signal that there is a caller on the line. During this turn, the DJ presenter (Mick Lunney), first talks about the quiz - called 'Lunney's location', after the presenter and concerned with identifying places in Sheffield - now worth "thirteen pounds on Monday", gives the clue, and then gives a 'news' item, about an aspect of police recruit training. Half way through the excerpt (see line 29 of the transcript): Oh I think th- oh I've seen something flashing Lunney receives a call from a listener (Barbara), who supplies him with the answer to the quiz. (The answer is the name of a Sheffield suburb - Darnall). The second half is taken up with the 'dialogue', between Mick Lunney and the caller, Barbara (lines 30 to 61). During this phase, we get Lunney's reaction to being given the right answer so early in his (2 to 3 hour) show - a reaction I shall examine in some detail later - and the excerpt ends, as it began, with another song: the music takes over from the speech. This in outline is a single 'episode' from the show. Now, let me look at the participant structure in more detail. We must note right away that the terms 'monologue and 'dialogue' that I have just now used beg the question. The participant structure in the radio phone-in programme is a complex one that lies at the heart of the genre, which is , in a Bakhtinian sense, essentially dialogic. The creation and maintenance of a relationship between particiapnts is a major business of the genre. Let me note, too, the technological nature of the genre, which furnishes two important and yet almost contradictory aspects: its immediacy and at the same time, its remoteness. This is radio, with a 'mass audience', unseen by and unknown to the presenter. It is easy to switch on, and as easy to switch off. The relationship is asymmetric in a number of ways, one of which is an asymmetry of familiarity. The DJ does not know the audience in any direct sense, whilst they, in a sense, do know him. At least they know his voice, and perhaps his verbal mannerisms. They have - we may presume, in many cases - been listeners to the Mick Lunney Show for some time.
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Although there is a potential tension between familiarity and remoteness, the overall tone is one of friendliness: the style is - to use Martin Joos' term - 'casual'. We can see this in a number of the lexical choices; for instance 'miffed' and the idiomatic 'quick out of the blocks' (in lines 4 and 8 respectively); the mild - and therefore perfectly acceptable - expletive 'cor blimey' in line 15; stick around and the colloquial syntax of 'it's gone all quiet' in line 56. This casual tone is reciprocated by Barbara, lexically, in line 39, when she uses a colloquial metaphor about the weather: It's throwing it down with rain and in the casual first name form in which she first addresses the DJ, calling him 'Mick'. The depth and strength of this friendliness I shall comment upon later. A fundamental feature of the participant relationship is that the speaker- hearer relationship is not a simple dyadic one. Goffman, and following him, Levinson (1988) were the first to show how the binary speaker-hearer/self-other
structure is too simple to account for much discourse.
This is certainly the case with the radio phone-in genre, where in addition to the omnipresent presenter/unseen audience relationship, there is also at regular intervals the presenter/caller relationship. Furthermore, it is not a question of one relationship taking over and alternating with the other, in a linear manner. They become embedded. We cannot forget that the caller is at the same time a member of that audience. In a very obvious sense, indeed, this illustrates what Goffman said, "Broadcasters are under pressure to style their talk as though it were addressed to a single listener." (Goffman 1981:138) although this is as true of the apparently 'monologic' first half as it is of the second. We see this dual nature at a number of points, and in a number of ways. For instance, after Barbara has given the right answer, there are a number of occasions in which awareness of both types of 'recipient' (Levinson 1988) is made manifest. Look at lines 51 to 53: Stay on the line please Barbara Dar.nall! You're absolutely right
Congratulations
The first and third lines here are addressed, unequivocally, to Barbara. In between, however, in saying "Darnall", and so forcefully, Lunney is addressing the wider audience, whilst in the midst of addressing Barbara. , in order to announce the correct answer to the quiz. (She, of course, remains a member of the wider audience). The shift in 'target' audience (and change in footing) is signalled by the intonational shift, through a pitch raising. It is at least ambiguous here whether, in Levinson's (1988) terms, the 'addressee' and the 'target' are one and the same.] Lines 55 to 57 show the same thing. You can scream out of happiness if you like which is addressed to Barbara, while the following line It's gone all quiet, y'see. I wonder if she-
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is addressed to the audience 'out there', before a return to the caller as addressee: have you fallen over Barbara? So, although the audience is unseen, the discourse can be characterized as a simulation of face-to-face interaction. Another important indicator of this is the use of the first and second person pronouns - the 'addressor' and 'addressee' pronouns (/ and you) respectively, and the linguistic representation of the sociological categories of 'self and 'other'. (Levinson, in the article I have referred to, 'relegates' the other category pronominally to 'third person', but I think that this distinction refers to a subdivision in the 'other' category, between interlocutor presence (you) and absence (he/she/it/they)).
The presenter uses both first and second pronouns in two
senses; according to whom he is addressing. Lunney uses I on four occasions, but only once with Barbara as both 'target' and 'addressee': (line 59) I'll be with you in just a moment On the other three occasions, it serves to build up the face-to face simulation with the audience (as we could see with line 56 - "I wonder if she..) and in the pivotal line 28: I think...I've seen something flashing where the first person pronoun usage helps keep the unseen audience 'in the picture' (if I may say that!). It enables them to know what is going on, from the presenter's perspective, that is. You is used in a similarly contrastive manner, to address the caller, and the audience (as we can see in the lines just quoted), and also in the use of imperative forms. In line 3 Think of cowboys'
expressions...
in which Lunney is addressing the audience, and line 59, addressed to Barbara, where he tells her: stick around The ambivalent participant relationship is, of course, an aspect of discoursal
intertextuality,
in the sense developed by Julia Kristeva. Here the notion of intertextuality can be usefully investigated through the employment of Goffman's concept of 'footing' (Goffman 1981). By this term, Goffman refers to a "[PJarticipant's alignment, or set, or stance, or posture, or projected self..." (Goffman 1981: 128) The choice of such dramaturgical terms as these is particularly appropriate to the analysis of the radio phone-in genre, where the sense of the giving of a performance is the defining characteristic of the DJ presenter's role. In just the first half of this short extract, the presenter changes footing no less than eleven times. I shall not list all these , but concentrate instead on two such changes. First, there is the spontaneous impersonation, of another radio/TV personality (Denis Norden) which begins in line 9 If you're one of those people
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Lunney then interrupts himself, to do a self-conscious 'double-take' of himself ; this is 'self (ego) juxtaposed and, indeed, overlaid with an 'other' (alter). Then, in line 12, he selfconsciously - and negatively - evaluates his own performance. It's good that wasn't it no terrible pathetic shut up The second example comes a few seconds later, during the 'news' item about Ladybird Books. These are, as Lunney tells us, designed for children, yet here they are being recommended for the professional training of police cadets (which is precisely what makes this 'news' in the first place!). Lunney ends the topic by another impersonation; this time assuming a child-like lisping pronunciation.. line 26
explaining things vewi vewi simply for dem
This is a caricature, of course- but the fact that it is so, deliberately, highlights this as a conscious performance. The impersonation carries over fractionally into the following phrase, in which Lunney closes down the topic. These and the other, frequent changes of 'footing' are a defining feature of the genre as entertainment, with a concomitant sense of a public performance, 'before' an audience in the theatrical (rather than in a congregational or academic) sense. And of the performance as a selfconscious artefact, in which the performer is intimately aware of his unseen and unknown recipients, but 'ratified participants' (in Goffman's terminology) as addressees and targets, [ratherneither - as Goffman and Levinson would have it - 'overhearers', nor 'eavesdroppers']. The complex relationship between discourse producer and the discourse produced is signalled generally by the changes of footing. In many cases, these changes are signalled intonationally by pitch changes (marked by arrows in the transcript). Examples are the impersonations already mentioned, one more of which is heard immediately after the Denis Norden impersonation. Lunney here puts words, as it were, into any member of the audience's mouth. but if you (= member of the audience, listener) are one of those people who think T "cor blimey aren't the police looking younger 'n young-ler (lines 14 and 15), in which the impersonated quotation is marked by an upward pitch movement, and a return to 'normal' voice is signalled by a lowering of pitch. The pattern, then, is a pitch rise indicates a propositional distancing-cum-interpersonal-cajoling move, whilst its opposite indicates the assumption of a less markedly performing persona: again, the self-consciousness of the studio performance that Lunney is putting on is evident. Another feature of the producer-recipient relationship on the radio phone-in show is its fragility. This is partly as a result of the remoteness already referred to, and partly as a result of its fleeting nature. To this extent, it is also a false one: the friendliness is hollow. Let us look at how this might be.
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One place to look is at the greeting tokens exchanged between Lunney and his caller, Barbara. We see that both an informal and a formal greeting is used. When the signal that there is a caller appears - the flashing light - Lunney greets this with: Good afternoon hello
(line 29)
that is, with both a formal and an informal greeting. Then, he returns Barbara's informal greeting with one of his own, but the remoteness is evident in his request for the caller's name, line 33:
who's this?
He ends this greeting sequence with a form for formal introductions (though said in a breezy fashion): Good afternoon Barbara We may note that Barbara is consistently at this point informal, in her greeting and in her use of Lunney's first name at first mention (line 30) - another, though dissonant sign of the asymmetry of acquaintance mentioned earlier. The mixture of conventions - the informality of friends and peers, with the formality of strangers, seen in the greeting tokens and the use of first names - is strongly reinforced a little later, in the presenter's reaction to hearing the right answer. The relevant section is lines 46 to 54.1 will deal with it line by line. Lunney's response to Barbara's tentative try-at-an-answer: Is it Damall? said with rising intonation, is followed by a hearable pause (1.2 seconds), and a turn-repeat ML:
Is it Darnall?
this time said with falling intonation. The combination of pause and turn repeat with its intonational variation is a classic example of a repair initiation, or - perhaps better here -an indication of some 'trouble' in the discourse (Schegloff, Sacks & Jefferson 1977). The trouble, of course, is that Barbara, the first caller, has supplied the right answer: the quiz can no longer feature as a (presumably) planned part of the day's programme. That this is a trouble is confirmed by Lunney's ironic form of congratulation, in line 50: Thanks for calling an' spoiling my day However, just as noteworthy is the work that Lunney does to recover from the irony, which is equally interpretable as a faux pas in the circumstances, and perceivable by the caller as bad manners towards his temporary audio-guest, or sour grapes, or both. First, he chuckles, which perhaps indicates a recognition of what he has just done. It is anyway by no means necessarily a sign of fun, and much more likely an indication of tension. After this he congratulates Barbara again; in fact twice (Congratulations - a formal token, once more, and Well done, a more informal one: lines 53 and 54, respectively). Before leaving this section, the oddness of one more line needs comment, line 55. You can scream out of happiness if you like First, why should Lunney presuppose that a request had been made, to which this utterance grants a permission? Second, why should the permission be couched in the hyperbolic terms that
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it is? After all, the prize is only £13! And third, consequently, why should Lunney imagine that his caller might have fallen over? Is it with shock, at winning, or at so successful a guess? Or is the shock in fact his, not hers, as he is imputing? At any rate, there is a touch of the bizarre about the discourse, which reinforces, at one level, the sense that a trouble has occurred, and at another, deeper, level, that the relationship is a fragile and rather false one. The fragility and fleetingness of the relationship is further evidenced by Lunney's exhortations to Barbara, to stay in touch. Stay on the line (please) Barbara
(lines 51 and 53)
and stick around The technological character of the contact contains its own paradox. Just as the telephone is an instrument that makes long-distance - voice-to-voice, at least, if not face-to-face - contact possible, at the touch of a few buttons, at the same time the contact can be immediately terminated: simply by hanging up. That that should happen prematurely on a phone-in programme has, of course, to be prevented. I have already said how changes in 'footing' are to be seen as an aspect of the intertextuality of the genre. Another aspect is the reflexive nature of this media genre. By this I mean the way that one media - here radio - draws upon another - the press - for its source of information. The 'news' item is taken from the press, and one of the sources of that story (Miranda Burton, of Ladybird Books) is directly quoted. We have already looked at the change of footing involved in doing that quote, which I would like to suggest has a double function: it not only contributes to creating the fake friendliness of presenter with audience, it also serves to distance the presenter from commitment to the truth value of the information he is presenting: in Levinsonian terms (Levinson 1988) once more, it creates a gap, on the producer's side, between 'source' (Miranda Burton, via the Today newspaper) and 'speaker' - self. This brings me to the matter of genre. As I have called this talk "an illustration of genre analysis", I must say what I am taking 'genre' to be, and also, more basically, what role it plays in this kind of discourse. But, even more important than these points, I want to ask: what kind of analytic concept it is - descriptive only, or explanatory as well? Let me begin with Bakhtin's definition of genre , since it seeks to establish the concept as fundamental in the understanding of discourse. "Every particular utterance is assuredly individual, but each sphere of language use develops its own relatively stable types of utterances, and that is what we call discursive genres." (Bakhtin 1952/3, quoted in Todorov 1984: 82) Allied to Bakhtin's interest in genre was his perception of all discourse as dialogic. I hope that I have been able to demonstrate the dialogic nature of this extract, in both its halves. Genre, I wish to argue, acts as both key and cage for discourse, both its production and its understanding.
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In other words, it is both an enabling and a constraining reality for discourse. Genres are discursive forms evolved to meet the communicative needs of a culture over time. As such, they are carriers for the ideology (or ideologies) of a cultures. As 'cage', they constrain how a producer may express him/herself, and, to a lesser extent (I feel) what may be said. As 'key', a knowledge of specific genres enables a producer to communicate effectively [via those genres], whilst allowing scope to bend and develop the genre through the use of its resources. In the present example, genre acts as a 'key' in the sense of providing the constitutive frame which enables the participants to 'go on': to perform, basically, indeed, to talk. How is this so? First, this is mass entertainment, via a medium which will probably not have the full attention of its listeners. That this is so was recognized many years ago, when there was a radio programme called 'Music While You Work'. This illustrates my point. For this reason, the show aims for variety (mixing music and speech genres, literally simultaneously, as we could hear at the beginning and end of the extract) and, within its spoken mode, mixing news with chat, the less and the more obviously dialogical discourse. A further indication of the desire to 'hold' a mass audience may be seen in the way that the broadcasting company chooses non-serious topics for its 'news' items. Second, as I have shown, the participant structure in the event is an essential component of the shape of the discourse, in terms of its turn-structure, with its switch from the longer first turn (where Lunney speaks alone) to the more conversational turn-taking of the second half. Third, the combination of topics and relationships between participants show the power relation at work. At this point, we can usefully examine how, and how 'well', as it were, the speaking participants, Mick and Barbara, perform their roles. Initially, we might suppose that the powerful participant in the interaction is the presenter. He presents, that is, the topics, though it is not he who chooses them - another obviously intertextual element here, too, in the separation of announcer and source of information. The presenter presents only what he is given to present. And as we have seen there is a multiple separation in that the ultimate source (Miranda Burton) is herself filtered through a newspaper and by the programme producer, in collaboration with the presenter. As the DJ/presenter, Lunney controls the interaction with Barbara, at least insofar as he asks the questions, (we might recall here the powerful position of teachers and lawyers as questioners, and the concomitantly less powerful role in such circumstances of the answerers). He shows his power in the event, too, through his professionalism, something that comes with practice, that is his familiarity in the genre. The fluency of the changes in footing is evidence of this, though whether this is in fact evidence of 'genre competence' may be being questioned by some of you by now! I am thinking of Lunney's reactions to the real-life information that Barbara supplies about where she lives (Ecclesfield) ML: Oh Barbara thee: place to be and what the weather is like there.
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ML: Who cares about the rain, etc. (lines 40 to 45). where the hyberbole, as literally untruthful language, betrays an insincerity on its user's part. On further examination, the contrast between the down-to earth-caller and the hyperbolic presenter leads me to question where the power lies, and demonstrates very clearly how the power relation in discourse is a dynamic. Barbara may be confined to answering, but her answers are devastating: short, relevant, honest - and off-putting to the fantasy world being spun in the studio. And in one respect, at least, Barbara has and shows real power: she has the right answer, though at the wrong time (for Lunney). The inexperienced broadcaster - Barbara - who, we would expect not to know how to 'go on' in the genre with the fluency of the professional broadcaster, gives finally the paradoxical impression of being much calmer than the presenter. She is, of course, the 'straight man', the Hardy to Lunney's Laurel, but she plays her role with an assurance that is missing from his. So, finally, can one explain this distortion in the power relation? The explanation lies, I would suggest in an examination of the ideological dimension. What are the underlying values of the genre, the ideology that the genre embodies. The answer, of course, lies in the discourse itself. There are two elements. First, let us look at lines 35 and 36. B: Ecclesfield ML: Oh Barbara. Thee: place to be: Ecclesfield is an economically comfortable suburb, on the interface of an industrial city with the countryside outside it. It is, therefore, an ideologically desirable residential area, and indeed it is exactly so described in Mick Lunney's words. It is "thee place to be". Barbara's response to this ambiguously stated opinion (the change of footing indicates a possible insincerity in the remark) leads into the second element. Her rejection of his opinion leads him to make a reflexive comment on the genre itself ML: Who cares about the rain When you've got programmes like this? In so saying, and with his following remark ("Sunshine, bursting out of your
tweeters"
(line 42) he highlights the purpose of the genre itself, and that is as entertainment in the day-byday life of the community. Since Roman days, at least, the power of entertainment as a means of control has been known. The happiness, however, we have noted, is forced, manufactured in the technological studio. It is a self-contained, hermetic world, the ersatz nature of which the presenter is self-consciously aware. In this sense, genre acts as 'cage': Lunney does not quite believe in what he is doing, yet has to do it in the conventional recognizable manner. For Barbara, the restriction is precisely not knowing quite what to do. Into this not-quite-real world, the outsider Barbara -without whom the radio phone-in genre collapses - has almost rudely interrupted. If realism, that is, is to be regarded as rude, in a make-believe world.
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References Erving Goffman (1981): Forms of Talk. Oxford, Basil Blackwell. Martin Joos (1967): The Five Clocks. New York, Harcourt Brace & World (Harbinger Book edition) Stephen C. Levinson (1988): 'Putting Linguistics on a Proper Footing: Explorations in Goffman's Concepts of Participation'. In: Paul Drew & Anthony Wotton (eds.): Erving Goffman: Exploring the Interaction Order. Cambridge, Polity Press, (pages 161-227) Emmanuel Schegloff, Gail Jefferson & Harvey Sacks (1977): 'The preference for self-correction of repairs in conversation'. Language 53: 361-82. Tzvetan Todorov (1984): Mikhail Bakhtin: the Dialogical Principle, (translated by Wlad Godzich). Manchester, Manchester University Press.
Appendix Data Extract GENRE ANALYSIS RADIO DJ TALK Extract from THE MICK LUNNEY SHOW (Radio Sheffield) Mick Lunney: (music) Thirteen pounds on Monda:y for Lunnev's location . (music) Think of cowboys' expressions sometimes when they're a little bit miffed (4.0) (music) Singer on disc: I can never love again ML: 'Aint no pleasing this cowboy T that's the clue
(music)
5
Thirteen pounds on Monday it looks like being then unless you're T rea::llv quick out of the blocks (2.0) (music) If you're one of those people called ( ) sound a bit like Denis Norden there didn't I really?
10
"If you're . one of those . m-m-m- people" h-h It's good that wasn't it no terrible pathetic shut up but if you a s one of those people who think T "Cor blimey aren't the police looking younger 'n youngler these days T if you're one of those people well there could be a very good reason y'see . Ladybird Books designed for eight-year-olds are being used to teach rookie police officers (0.7)
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It's true 'coz it's in Today newspaper page seven .
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just next to the waspie:s a d . But the T ¿ties are more to do with ca:rs or computers thun how to catch burglars you see? Ladybird executive . Miranda Burton . say:s (1.0)
police cadets quite often use How it Works - the Motor Car
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it explains things vewi vewi simply for dem so there you are Oh I think th- oh I've seen something flashing good afternoon hello Caller:
Hello Mick ?
ML:
Hello there are you calling for the quiz?
Caller:
Yes please
ML:
And who's this?
Caller:
Barbara
ML:
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Good afternoon Barbara
35
Where're you calling from Barbara? Barbara:
Ecclesfield
ML:
T Oh Barbara . Thee: place to i>£i
B:
It isn't it's throwing it down with rain
ML:
We:ll who cares about the T rain
40
when you've got programmes like this? Sunshine . bursting out of your tweeters (chuckles)
B: ML:
Hey -I a likely story Whaddyou reckon Barbara?
B:
Is it Darnall?
ML:
Is it Darnall?
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(pause) (1.2) B:
Yeah
ML:
Yes congratulations (0.6) (music) Thanks for calling an' spoiling my day
{music)
(chuckles) Stay on the line please Barbara TBacnall! 1 You're absolutely right t Congratulations. I Stay on the line Barbara T Well done
50
Mike Reynolds
124
(1.4)
(music)
You can scream out of happiness if you like (1.5)
55
(music)
1 It's gone all quiet y'see . I wonder if shehave you fallen over Barbara? B:
No I haven't
ML:
Oh that's good [ stick around I'll be with you in just a moment [ No I haven't
B: ML:
pen poi:sed
(music)
Transcription notes
[
[ = overlapping speech; e.g ...good.
[ Stick around. [ no I haven't
:: = sound-stretching; e.g. rea::lly "rookie =emphasised syllable (underlined) (...) = untranscribable word) (0.7) = pause, with length between brackets; e.g. /ths. of a second) . ( = period) = hearable pause, less than 0.5 seconds T = pitch raised 1 = pitch lowered Darnall; Ecclesfield = suburbs of Sheffield. Mick Lunney (ML): radio DJ/ presenter (Radio Sheffield) Barbara (B): a phone-in caller
60
Johannes Schwitalla
Verbale Machtdemonstrationen 1. Das Thema 2. Die Definition der Situation 3. Das Ausspielen professionellen Wissens 4. Die Wahl einer inferioren Sprachvariante 5. Nachäffen 6. Das Nicht-Einhalten von Einleitungsbedingungen für Sprechakte 7. Schluß: Überlegungen zur Bewertung Transkriptionszeichen Literatur
1. Das Thema Es scheint, daß in den letzten Jahren dem Thema 'Macht und Dominanz in Gesprächen' mehr Aufmerksakeit gewidmet wird. Wir haben einen Forschungsüberblick über Macht und Dominanzphänomene in der Sozial- und Sprachpsychologie und in der Sprachwissenschaft (Thimm/Kruse 1991), mehrere Monographien zu diesem Thema in bestimmten Kommunikatiosbereichen, z.B. in der Arzt-Praxis (Coupland et al. 1993), in der Universität (Kuhn 1992), bei Job-Interviews (Roberts et al. 1992), in der privaten Kommunikation (Thimm 1990). Dabei wurden anfangs mehr die zähl- und meßbaren Eigenschaften der Rede untersucht wie Dauer der Äußerungen, Variantenwechsel, Unterbrechungen und Unterbrechensversuche, während man sich in den letzten Jahren und verstärkt von der linguistischen Seite (Sandig 1983; Thimm 1990) auch mehr dem sprechhandelnden Charakter und seiner interaktiven Verarbeitung zugewendet hat. In diesem Referat möchte ich dazu einige weitere Beobachtungen mitteilen, mich dabei aber ganz auf Gespräche in institutionellen oder beruflichen Kommunikationsbereichen beschränken. Denn hier stellen sich Fragen der Machtdemonstration in einem verschärften Maße.
2. Die Definition der Situation Statushöhere bezeichnen die Gespräche, von deren Verlauf viel für die Zukunft des oder der Instiutionsfremden abhängt, gerne mit einem verniedlichenden Ausdruck. In einem der Jobinterviews, das Roberts et al. untersuchen, sagt die Interviewerin: Good morning Mr. Abdul [...] I'd just like a little chat with you about the sort of work you've done (Roberts et al. 1993, 5).
126
Johannes Schwitalla
Und in einer Vernehmung, auf die ich noch zurückkomme, sagt der Beamte, nachdem ihm der vernommene Jugendliche vorgeworfen hat, er habe ihn bedroht, es sei nichts als eine
lockere
Unterhaltung, was sie geführt hätten. Mit den Nomina chat und lockere Unterhaltung werden Interaktionsformen des privaten Verkehrs aufgerufen, die mit der Art der Interaktion, die tatsächlich stattfindet, nichts zu tun haben. Auch mehrmalige Aufforderungen, sich zu entspannen (all I want you to do is just relax a bit [...] so just relax, just take it nice and easy, Roberts et al. 1993,44), sollten den Adressaten in höchste Alarmstufe versetzen.
3. Das Ausspielen professionellen Wissens Eine Weise, dem Institutionsfremden deutlich zu machen, wer Herr des Verfahrens ist, ist ihm oder ihr klarzumachen, daß er oder sie das berufliche Wissen nicht hat, das hier und jetzt gefordert ist. Dies kann sehr sachlich und freundlich-belehrend geschehen, aber auch mit deutlich deklassierenden Hinweisen auf den Status des Uneingeweihten und Fremdlings. Der Beginn von Dürrenmatts Komödie "Romulus der Große" ist dafür ein schönes Beispiel: Spurius Titus Mamma stürmt in den Kaiserpalast und ruft: Hallo! Der 1. Kammerdiener, Pyramus weist ihn zurecht: Ruhe, junger Mann! Achilles, 2. Kammerdiener: Wer sind Sie denn? Spurius: Spurius Titus Mamma, Präfekt der Reiterei. Pyramus: Was wollen Sie denn? Spurius: Ich muß den Kaiser sprechen. Achilles: Angemeldet? Spurius: Keine Zeit für Formalitäten. Ich bringe schlimme Nachricht aus Pavia. Und nach ein paar weiteren Wortwechseln gibt Pyramus folgenden Rat: Begeben Sie sich zum Oberhofmeister,
schreiben Sie sich in die Liste der angekommenen
beim Innenminister
um eine Bewilligung
Personen ein, suchen Sie
nach, dem Hofe eine wichtige Nachricht zu über-
bringen, und Sie werden Ihre Botschaft dem Kaiser vielleicht sogar persönlich
im Laufe der
nächsten Tage melden dürfen (Dürrenmatt 1985, 13-15). In dem Korpus von Schlichtungsgesprächen im Institut für deutsche Sprache kann man mehrfach beobachten, wie Schlichter versuchen, mit der Demonstration von Fachwissen die Streitparteien auf eine Einigung hinzulenken. In einem Fall ist es so, daß der Schlichter eine längere Aufklärung über die juristischen Folgen einer Gegenbeleidigung dazu benützt, einer Klägerin, die sich gegen die anvisierte Einigung sperrt, klarzumachen, daß es zu ihren Gunsten sei, wenn sie der Einigung zustimmt, gleichzeitig aber auch dazu, den Wissensabstand zwischen ihr und ihm deutlich zu machen. Zuerst fordert er sie auf, ihm gut zuzuhören (jetz here se mol
127
Verbale Machtdemonstrationen
gut zu), wechselt dann in die Standardsprache, um seiner Rede mehr Gewicht zu verleihen: wenn se jetzt zum gerischt gehe, um die frau Kraft anzuzeigen)
und belehrt sie dann mit den
Fachwörtern der Institution Justiz: (nach dem strafgesetz; da sagt eben die
rechtssprechung).
Wenn Institutionsfremde sich einer solchen Belehrung nicht beugen wollen, dann wird die bislang implizit bleibende Differenz zwischen Fach- und Alltagswissen explizit gemacht und der Anspruch auf ein institutionsgerechtes Verhalten durchgesetzt. In einem Gespräch bei der Ausländerbehörde macht die Beamtin einer Besucherin unmißverständlich klar, daß sie, und nicht die Besucherin, weiß, wie institutionsspezifische Begriffe definiert sind. Aber mit dem Durchsetzen der eigenen Definition geht auch ein Machtanspruch bezüglich des interaktiven Verhaltens einher (Transkriptionszeichen im Anhang): BE: eine a"nmeldung heißt ja nicht=ne ei"gene BE: woh'nung habm sondern des heißt ja BE: KL: (...) mie"tvertrach
nein des heißt=s au"ch nicht
BE: eben des heißt wenn sie irgendwo wohnen ega"l wo" BE: sie wohnen daß sie sich dort a"nmelden des=s BE: me"ldepflicht in der Bundesrepublik KL:
ja" dss weiß ja das heißt/
BE: ich e bißl genau' er wie sie KL:
PRUSTET
ja" *3* ja
In dem Augenblick, in dem die Klientin beginnt, ihr eigenes Wissen zu explizieren, unterbricht sie die Beamtin und setzt ihr eigenes Wissen durch. Die danach folgende Pause ist sehr lang. Da die Klientin nicht das Wort ergreift, fällt die Verantwortung für die lange Pause an die Vorrednerin zurück und diese benützt ihr Nicht-weiter-Sprechen dazu, die Nachdrücklichkeit ihrer Warnung zu erhöhen. Die Klientin gibt aber dennoch ein minimales Zeichen des Protestes, wenn auch nur nonverbal durch ein Prusten. Es soll wohl heißen: 'Ich habe die Warnung verstanden, finde sie unangebracht, verzichte aber auf eine Auseinandersetzung um diesen Punkt'.
4. Die Wahl einer inferioren Sprachvariante Um den sozialen Abstand zu Menschen, die man auf niedrigerem sozialen Status einschätzt, deutlichzumachen, genügt es, eine Form des Substandards zu wählen. Dies impliziert manchmal, nicht immer, eine Reduktion des Adressaten auf die soziale Kategorie, die für die Substandardvarianten angemessen ist. Solche können sein: Babytalk gegenüber alten Menschen, ein
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Johannes Schwitalla
Dialekt z.B. von einem Städter zu jemandem, der auf dem Land wohnt, Foreigner Talk oder eine Form von Pidgin gegenüber Ausländern. Zu diesem Thema gibt es schon einige soziolinguistische Arbeiten (z.B. Hinnenkamp 1987). Am ausführlichsten hat sich wohl Howard Giles mit der Frage beschäftigt, von welchem Punkt an eine spezifische Anpassung an die Sprachvariante des Adressaten zu einer Anbiederung oder einer Herablassung, einem 'talking down', wird. Eine Überanpassung, z.B. ein Wechseln zur Sprachvariante des Adressaten und langsames Sprechen u n d
die Anpassung
des Inhalts der Rede an das
vermutete
Fassungsvermögen des Adressaten wird als überheblich, anbiedernd oder herablassend verstanden (Giles/Smith 1979, 53f.). In dem 1952 erschienen Buch des Psychiaters Frantz Fanon, "Peau noire, masques blancs", wird die Angewohnheit vieler Franzosen, Schwarzen gegenüber das petit nègre zu sprechen - für Deutsche würde Entsprechendes Ausländern gegenüber gelten - als eine paternalistische Haltung beschrieben, die auf der Ansicht basiert: "le noir n'est qu'un enfant" und außerdem wenig intelligent; deshalb sei es angemessen, ihn zu duzen und mit simplen Sätzen anzureden, z.B. beim Arztbesuch: Les médecins des salles de consultation le savent. Vingt malades européens se succèdent: "Aseyez-vous, monsier ... Pourquoi venez-vous? ... De quoi souffrez-vous? - Arrive un nègre ou un Arabe: "Assieds-toi, mon brave ... Qu'est-ce que tu as? ...Où as-tu mal?" Quand ce n'est pas: "Quoi toi y en a?" (Fanon 1952,44). Fanon resümiert: "parler petit-nègre, c'est exprimer cette idée: 'Toi, reste où tu es'" (Fanon 1952, 46).
5. Nachäffen Eine besonders hinterhältige Form der Entwertung dessen, was jemand sagt, ist das Nachäffen. Der oder die Institutionsfremde sagt etwas - und bekommt die eigene Rede verzerrt widergespiegelt. Der Institutionenvertreter geht gar nicht darauf ein, was sein Klient gesagt hat, sondern lenkt die Aufmerksamkeit auf die Redeweise, sei das nun mehr die Wortwahl oder mehr die prosodische Form. Als Beispiel für eine imitierende Wiederholung gebe ich eine Äußerung eines Angestellten bei einem Sozialamt wieder, zu dem ein arbeitsloser Ausländer kommt, der aus seinem Obdachlosenheim hinausgeworfen wurde. Dieser Ausländer spricht tatsächlich undeutlich, nuschend, sodaß er stellenweise schwer zu verstehen ist. Aber gleich die erste Antwort auf die Frage des Angestellten bekommt er zurückgespiegelt. Der Angestellte eröffnete das Gespräch mit der Frage: herr Algeri, jetz sin se rausgeflogen aus dem Obdachlosenheim, wat war denn da
129
Verbale Machtdemonstrationen
lo:s? und der Ausländer antwortete mit hoher Stimme, zwar nuschelnd, aber gut verständlich: weiß isch nix. Der Angestellte wiederholt sofort danach, noch überlappend zur weiteren Rede des Ausländers in nachahmender Intonation und Artikulation: sischer weiß isch nix, gar nix. Damit werden die Äußerungen des Ausländers, zumindest an dieser Stelle, nicht ernst genommen; der Angestellte fokussiert die nicht-normalen Eigenschaften der Rede, gerade das, was den Sprecher zu einem Nichtdeutschen macht. Von Harald Bürger, Zürich, habe ich ein Tonband von einer Radio-Quizsendung bekommen. Der Moderator fragt nach der Bezeichnung des medizinischen Narkosemittels, das vor 150 Jahren erfunden wurde. Es lautet "Äther". Den ersten Anrufer konfrontiert er nun immer wieder mit nachmachenden oder stellvertretenden Äußerungen, die besonders auffällig den Abstand zwischen ihm als Wissenden und den Anrufern als Nichtwissenden bzw. mit der Aufgabe Belasteten markieren: MO: herr: * Bertram König\ welcher sto"ff war des den MO: Crawford Long da zur Operation benutzte\ AN:
hm:" ** hm
MO: äh"nlisch\ äh"nlisch\ AN: vielleicht Chloroform/ ** MO: AN: ähnlich [...]
in jedem guten krimi kommt=s vo"r
MO: eigentlich * wenn er gu"t is und der regisseur MO: Chemiker oder sowas * äh: he AN:
äh ich würd ihnen tja:
MO: so gern weiterhelfen äh: AN: hm *2* ein rauschgift/
nei:"n
MO: nei"n noch eine möglichkeit äh: AN: (kein) rauschgift\ klingt MO : AN: so ähnlich wie Chloroform
nö kürzer * kürzer äh ** hm
Gleich die erste Reaktion des Anrufers, ein pausenmarkierendes hm, wiederholt der Moderator gedehnt und mit einem Akzent; er verstärkt also den Pausenfüller - und da er keine Funktion als Redeplanungspause für den Moderator haben kann, ist seine kommunikative Bedeutung nichts anderes als den Anrufer auf seine mißliche Situation des Überlegen-müssens aufmerksam zu machen. Die erste evaluierende Antwort des Moderators auf den ersten Lösungsversuch des Anrufers lautet: äh"nlisch,
äh"nlisch,
mit deutlich
hörbarem /sch/-Laut
standardsprachlichen palatalen /ch/-Lauts, den der Anrufer im Wort vielleicht
statt
des
auch so
gesprochen hatte. Das klingt, als ob der Moderator den Anrufer mit einer dialektalen Sprecheigenschaft ausstatten wollte, also ein Fall der sozialen Definition des Adressaten durch eine
130
Johannes Schwitalla
Substandardvariante. Das Eigenartige dabei ist, daß der Anrufer, bei der Wiederholung des Wortes ähnlich, sich auf die Rückverlegung des Frikativs einläßt, wenn auch mit einer Kompromißbildung, nämlich einem alveolaren Ich/. Danach spielt der Moderator mit dem Pausenfüller äh, der einerseits als Hinweis auf den Anfangslaut des Lösungsworts Äther verstanden werden kann, vor allem, weil der Hinweis ich würd ihnen ja so gern weiterhelfen am Anfang und am Ende von einem äh eingerahmt wird, aber andererseits haben die Äh-s eine gleichbleibende Intonation, keine steigende, was ein sehr deutlicher Hinweis für den Hörer gewesen wäre, diesen Laut aufzugreifen und damit etwas zu machen. So versteht der Hörer die Äh-s wahrscheinlich nur als stellvertretend für ihn gesprochene Pausenfüller und damit als Herablassung. Der Hörer läßt sich diesmal aber nicht zu einer ähnlichen Äußerung verführen: er produziert Formen wie hm, tja, die zwar dieselbe Funktion haben wie äh, aber doch eine Distanz zum Moderator markieren. Auch bei der nachfolgenden Raterin, die die richtige Antwort auf Anhieb liefert, macht er sich durch nachahmendes Sprechen lustig: MO: tag frau Scheider: AN: guten ta:g/
wie hei"ßt denn dieser
MO: sto"ff\ äther/ und sie sind kra"nkenschwester/ AN: äther/
MO: und wissen AN:
des dahernei:n ich bin kei"ne krankenschwestr\
Die Antwortwiederholung des Moderators äther/ wiederholt in übersteigerter Weise den Tonanstieg, mit dem die Ratende ihre Antwort versehen hatte mit dem Sinn, eine probeweise Antwort zu geben, die einer Bestätigung bedarf. Der Moderator wiederholt danach den Tonanstieg bei und sie sind krankenschwester/,
wodurch er ihre Antwort gleich auf doppelte Weise
entwertet: einmal durch die imitierende Intonation und zweitens inhaltlich, indem er ihr Wissen als ein professionelles demaskieren will, wodurch die Anruferin es bei diesem Quiz leicht hat, die richtige Antwort zu finden. Die Anruferin widerspricht aber sofort und direkt; und sie benutzt mit der fallenden Intonation auch eine intonatorische Kontrastform zur Rede des Moderators. Implizit verteidigt sie dadurch ihren Status als nichtprivilegierte Mitraterin.
6. Das Nicht-Einhalten von Einleitungsbedingungen für Sprechakte Eine letzte hier zu besprechende Klasse herabwürdigenden sprachlichen Verhaltens möchte ich unter der Bezeichnung "Die Verletzung von Einleitungsbedingungen (preparatory rules nach John Searle) von Sprechakten" zusammenfassen. Bei Fragehandlungen sind das z.B. Frageakte,
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Verbale Machtdemonstrationen
die vollzogen werden, obwohl es offensichtlich ist, daß der Fragende schon weiß, was er fragt, oder wenn der Gefragte nicht wissen kann, was er gefragt wird. Einen krassen Fall schildert Eugen Kogon aus dem KZ Buchenwald: Die Lagerinsassen mußten oft stundenlang, und ohne zu wissen warum, vor bestimmten Holztafeln warten, bis sie zu irgendeinem Dienst, einer Strafe oder nur einem Verwaltungsakt gerufen wurden: "[...] jeder war den Schikanen der sich dort immer herumtreibenden SS-Leute ausgesetzt. Mit Vorliebe fragten sie die Bestellten nach dem Grund ihres Wartens, den natürlich keiner angeben konnte. Infolgedessen war es nicht möglich, daß die Antwort, wie immer sie ausfiel, befriedigte. In solchen Fällen wurde dem Gedächtnis des 'Verstockten' entsprechend 'nachgeholfen'" (Kogon 1974, 81f.). Als eine eher lustig gemeinte, für den Adressaten aber wohl kaum so wahrgenommene Variante des Fragens trotz offensichtlich fehlendem Anlaß möchte ich eine Befragungssequenz aus einer Vernehmung zitieren, in der ein Polizeibeamter einen Jugendlichen aus der Drogenszene nach seinen Personalien fragt. Die ersten Fragen lauten noch ganz normal, der Beamte fragt nach Personalien, die er aus dem Paß des beschuldigten Jugendlichen hat: du heißt Schrauber- bist auch=n gebo"rener Schrauber ja *2,5* vorname nu"r Erik ne/ [...] du bist am dreizehnten elften siebzisch in Winterstädt geboren ne *13* deutscher/. Aber dann kommt eine schon nicht mehr ganz ernst gemeinte Frage, weil der Beamte etwas fragt, was offensichtlich ist: BE: deutscher/ *2,5* JU:
und männlisch ne/ ja\
a\ *3*
BE: n akademischen grad has=e ne"t/ du bist kein BE: JU: do"ktor kein profe"ssor-
ne
kein do"ktor Schraubet
Kann man die Bestätigungsfrage und männlisch ne? noch als einen Versuch der Auflockerung der Atmosphäre verstehen, so macht die pure Expansion der Fragen nach akademischen Graden eines 22-jährigen Jugendlichen mit Sonderschulabschluß, der nicht lesen kann - und alles das weiß der Beamte - dem Adressaten seine inferiore soziale Stellung überdeutlich. Der Jugendliche reagiert auf die erste Frage (n akademischen grad has-e ne"t) gar nicht, auf die Reformulierung du bist kein do"ktor kein profe"ssor nur mit einem kurzen ne und auf die zweite Reformulierung wieder nicht - er verweigert sich dem Spiel. Etwas später versucht es der Beamte noch einmal: ehrenämter/
* schützenkönisch-
schöffe- nix ne/ o: nit\ aber der Jugendliche verweigert sich
auch hier; er gibt keine Antwort. Kurz nach diesem Ausschnitt, als der Beamte wieder eine ironische Bestätigung eines negativen biographischen Details gibt, solidarisiert er sich aber mit dem Jugendlichen, eine Solidarisierung allerdings, die im Raum des Ironischen bleibt und bei der der Jugendliche (und der externe Beobachter) sich fragen kann, wie ernst sie gemeint ist:
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Johannes Schwitalla BE: hast=n beruf gelernt JU:
macht doch nix isch o"=net\ nö\
*2*
BE: polizi"st is kein beruf\ (...\)*12,5* JU: ja si"scher
Im weiteren Verlauf fällt der Beamte in ein ironisches Sprechen, das natürlich von seiner Position aus eine ganz andere Qualität hat, als wenn man sich privat von gleich zu gleich unterhält (z.B. isch bin rischdisch erschüttert die weit is schlescht). Allein in dieser ungefähr halbstündigen Vernehmung ließen sich eine ganze Reihe von dominazdemonstrierenden Mitteln ablesen, auf die ich aber nicht mehr eingehen kann: •
asymmetrische pronominale Anrede,
•
Sprechen der beiden Beamten über den Beschuldigten unter Verwendung derber Lexik (er hat nur no nisch kapiert, dat dat um sein arsch geht), auch in direkter Adressierung mit einer deklassierenden Anrede (da habm wir nix von ob du feife disch hier hinsetzt oder nisch, dat geht nur um dei"n arsch, kapier dat endlisch mal), das Drohen mit Machtbefugnissen (hör ma weißt=e dat dat davon abhängt
von
meinem gutdünken [...] ob du überhaupt nach hause gehs?), abqualifizierende Kommentare (das=s quatsch), das Nicht-Einehen auf berechtigte Wünsche des Vernommenen (JU: isch habe mein rescht mein anwalt anzurufen, jetz möscht ihn den gerne anrufen * jetz auf der stelle möscht isch. BE: wat möscht=e dem denn sajen?). Erst im Zusammenhang dieser machtdemonstrierenden Mittel kann so etwas wie eine Strategie beschrieben werden und erst im Zusammenspiel der mal mehr submissiven, mal mehr widerständigen Verhaltensweisen des Institutionsfremden der Prozeß der Aushandlung von Machtund Gegenmacht oder Unterwerfung.
7. Schluß: Überlegungen zur Bewertung Eine andere Frage ist, wie einzelne Formen der Machtausübung, bezogen auf Kommunikationssituationen und Beteiligtenkonstellationen, bewertet weden sollen. Ich glaube nicht, daß einzelne sprachliche Formen, die kontextlos (oder unter den sehr generellen Bedingungen der Kommunikation unter Fremden in einem öffentlichen Raum) als 'unhöflich' oder sogar 'brutal' empfunden werden, dies unter allen Umständen jeglicher Beteiligtenkonstellation sein müssen. Es gibt Gruppen (männliche Jugendliche, Studenten), die sich als sprachliches Spiel der Ingroup-Kommunikation einen groben Ton mit beleidigenden Ausdrücken angewöhnen, und manchmal kann ein solcher grober Ton sogar als Solidaritätsangebot verstanden werden, wenn
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Verbale Machtdemonstrationen
ein Gruppenexterner ihn verwendet. In einem Mannheimer Jugendhaus konnte ich beobachten, wie ein aus der Arbeiterschicht stammender Sozialpädagoge, der zu den Arbeiterjugendlichen im gleichen Dialekt und auch annäherungsweise in ihrem direkten und aggressiven Stil sprach (geh runner do, du chaot; du depp), akzeptiert wurde, während diejenigen Sozialpädagogen, welche studiert hatten, mit den Jugendlichen Standarddeutsch sprachen und sich nicht auf das "Niveau" ihrer groben Ausdrucksweise "herabließen", auch aufgrund dieser sprachlichen Distanzmarkierungen abgelehnt wurden. Es kann sich also die auf den ersten Blick paradoxe Situation ergeben, daß Wörter und Formulierungen, die in Bezug auf lexikalische Alternativen als grob, vulgär, drastisch und unästhetischen empfunden werden, auf der Beziehungsebene gerade als ein Angebot der Nähe und Solidarität gelten können (Sornig 1990).
Transkriptionszeichen / steigende Intonation \ fallende Intonation - gleichbleibende Intonation " Akzent Dehnung das simultan gesprochen = Verschleifung * kurze Pause ** mittlere Pause *2* lange Pause, Dauer in Sekunden (das is) vermuteter Wortlaut (...) unverständlich KOMMENTAR IN GROSSBUCHSTABEN
Literatur Dürrenmatt, Friedrich (1985), Romulus der Große. Zürich. Fanon, Frantz (1952), Peau noire, masques blancs. Paris. Giles, Howard; Smith, Philip (1979), "Accomodation theory: Optimal levels of convergence". In: Howard Giles; Robert N. St Clair (eds.): Language and social psychology. Oxford, 45-65. Hinnenkamp, Volker (1987), "Foreigner talk, code-switching and the concept of trouble". In: K. Knappe et al. (eds.): Analyzing intercultural communication. Berlin, 137-180 Kogon, Eugen (1974), Der SS-Staat. Das System der Konzentrationslager.
München (1. Aufl. 1948).
Kuhn, Elisabeth (1992), Gender and authority. Classroom diplomacy at German and American Universities. Tübingen. Roberts, Celia; Evelyn Davies; Tom Jupp (1992), Language and discrimination. London, New York. Sandig, Barbara (1983), "Zwei Gruppen von Gesprächsstilen. Ichzentrierter versus duzentrierter Partnerbezug". In\ Dies. (Hg.): Stilistik. Bd II: Gesprächsstile. (= Germ. Linguistik 5-6/81). Hildesheim etc., 149-222. Sornig, Karl (1990), "Umgangssprache: Zwischen Standardnorm und Intim-Variante". In: International Journal of Society and Language 83, 83-103. Thimm, Caja (1990), Dominanz und Sprache. Wiesbaden. Thimm, Caja; Lenelies Kruse (1991), Dominanz, Macht und Status als Elemente sprachlicher Interaktion. Ein Literatur bericht. Bericht Nr. 39 des SFB 245 "Sprechen und Sprachverstehen im sozialen Kontext. Heidelberg, Mannheim.
Gillette Staudacher-Valliamee
Le dialogue créole réunionnais. Communication verbale et non verbale 1. 2.
Introduction au dialogue créole réunionnais Le terrain des formes dialogiques 2.1 Traces écrites et les langues orales en contact 2.2 Les critères d'évaluation dialogique 2.3 L'enracinement dans l'insularité partagée 3. Les procédés de la dimension dialogale 3.1 Débuts de phrases, amorces de dialogue 3.2 L'emploi des formes verbales 3.3 Signifiances et créativité linguistique 4. Dialogue et fonctions communicatives 4.1 Fonction compensatoire des unités non-verbales 4.2 Fonction ludique des sirandanes ou devinettes 4.3 Fonction expressive du dialogue chanté 5. Conclusion Notes Bibliographie
1. Introduction au dialogue créole réunionnais Le titre choisi pour cette contribution correspond à une double tentative: justifier l'appréhension du dialogue créole en tant que genre à tradition orale, montrer que les différentes formes de dialogue susceptibles d'être repérées par le linguiste de terrain sont autant d'illustrations d'un type dialogal réunionnais. Ce dernier se caractérise comme un ensemble motivé de traits et de structures linguistiques forgés pour répondre à des fonctions de communication variées. Cellesci semblent dictées par les règles d'un système de langue et de représentations obéissant à une vision du monde ancrée dans la réalité spatio-temporelle insulaire. Les signes de son fonctionnement sont inscrits dans la langue, dans ses procédés grammaticaux, constructions iconiques, dans les zones de pertinence prosodique dont la langue fait usage pour communiquer, interagir, dire les interdits et les apories de la société créolophone. En tant qu'objet d'étude sociohistorique ce créole à base lexicale française rappelle que c'est bien aux contraintes du jeu verbal et non verbal que l'homme de paroles créolophone (cf. Hagège 1986) doit la construction d'une langue comme d'un espace de communication partagé. Si les parents porteurs de langues et de cultures différentes n'avaient pas transmis aux enfants, sur plusieurs générations, la langue de leurs ancêtres, si maîtres et esclaves, contremaîtres et colons n'avaient pas vécu l'expérience
Gillette Staudacher-Valliamee
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linguistique et culturelle de la société d'habitation (cf. Staudacher-Valliamee 1992), certains créoles n'auraient peut-être pas vu le jour. Les premiers habitants originaires de Madagascar, de France, d'Inde, de la côte orientale de l'Afrique ont mis en commun, dès le début du peuplement, leurs divers apports linguistiques (français, malgache, indo-portugais, langues dravidiennes du dix-septième siècle) pour construire un instrument de communication dont la base réunit en grande partie les modifications de l'outil lexical français. Les devinettes ou kossa in soi à La Réunion (sirandane à l'île Maurice et aux Seychelles, zédmo à Rodrigues, ankamantatra malgache, adivinhaçoes
en
en portugais) constituent un fonds primitif de jeux de mots et de
constructions dialogales propres à ces sociétés créoles de L'Océan Indien (cf. Gamaleya 1974, Chaudenson et alii 1980, Barat/Robert 1992, Bavoux 1993). Pour décrire le dialogue, on commencera par présenter la collecte et le dépouillement des données dans lesquelles sont imbriquées les différentes formes dialogiques avant de décrire comment la dimension dialógale ou communicative s'exprime dans des traits et structures linguistiques. On rappelera enfin les fonctions assumées par le dialogue, moteur de la créativité linguistique créole. Cette conception du dialogue ouvre sur les mécanismes linguistiques de la communication verbale et non verbale.
2. Le terrain des formes dialogiques Différents corpus sont à la base de cette description des formes dialogiques. Ils présentent toutefois des caractéristiques communes. En effet, ils sont tous issus de la tradition orale constitutive de leur fonctionnement réel dans la communauté linguistique. Aussi, le linguiste de terrain enregistrant plusieurs sortes de dialogues, ne met pas sur le même plan les diverses formes qu'ils peuvent adopter suivant les contraintes s'exerçant sur l'activité langagière. Dans le cadre socio-historique déterminant sa productivité et sa réceptivité, le dialogue créolophone s'apparente à un miroir à deux faces. Une face exposée était, dès le début du peuplement (1663), tributaire des règles juridiques. Ces dernières ont manifestement alourdi l'échange dialogal entre la population créolophone native et les instances administratives. Les premières tentatives de mise en écriture portent les traces des altérations subies par les dialogues anciens, car les instances administratives notant les entretiens, utilisaient spontanément l'alphabet et les expressions linguistiques familières à l'oreille d'un auditeur francophone (cf. Chaudenson 1981). Il est bien établi que ce mode de réceptivité a conditionné en diachronie la dynamique dans laquelle le contact de langues a été appréhendé et représenté pour ce créole. Une face indigène se révèle dans les témoignages recueillis par des hommes de lettres (cf. Héry 1828, Vinson 1882, Volcy-Focard 1884 dans Chaudenson 1981). L'émergence de traces écrites du dialogue dans la dynamique des structures sociales s'avère lente, partielle et progressive. Elle montre les difficultés d'appropriation du droit au dialogue en même temps qu'elle en souligne l'historicité.
Le dialogue créole réunionnais
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2.1 Traces écrites et les langues orales en contact La recherche de formes dialogiques anciennes conduit l'enquêteur au dépouillement de documents d'archives. Pour la période de la Compagnie des Indes (1665-1767) correspondant à celle de la pidginisation des langues du peuplement, les traces écrites de dialogue au sens d'entretien libre entre au moins deux interlocuteurs créolophones sont, pour l'instant et sous bénéfice d'inventaire, inexistantes. Cependant le Rapport que le R.P. Caulier remit en 1772 à l'Archevêque de Paris, décrit avec précision en quoi la diversité des langues attestées dans la concession constituait un obstacle à la communication, rendant difficile le dialogue ou l'échange verbal entre les indigènes et les missionnaires francophones. Les Archives répertoriées pour le dix-huitième siècle (cf. Lougnon 1956) attestent des déclarations de vols, plaintes et requêtes. On y relève quelques structures propres au dialogue juridique reproduisant trois discours: les propos de l'esclave sont rapportés, en son absence, par son propriétaire devant un greffier qui en prend note. 1 Les vestiges du créole de l'époque sont plus rares (cf. Chaudenson 1981). C'est au dix-neuvième siècle qu'on voit apparaître les premières répliques à structure dialógale. Elles sont unilatérales en cela que chaque interlocuteur est seul dans sa langue. Dans l'exemple recueilli par Vinson (1882) et repris par Schuchardt (1883), un planteur blanc s'adressait en français à son cuisinier qui répondait en créole. 2 Vinson l'identifia comme un spécimen du français créole d'un Noir mozambique (cf. Chaudenson 1981). Une analyse des régies d'échange dialogal retient un type particulier de bilinguisme, la difficulté d'identification des langues en présence et un filtrage particulier de l'oralité par l'écriture. La situation de communication pour sa part éclaire le décalage entre dialogue juridique et celui de la vie quotidienne. Dans le second, les sources du comique et la valeur théâtrale du dialogue bourbonnais sont marquées par le contact de langues.
2.2 Les critères d'évaluation dialogique La relative rareté de dialogues écrits restitués dans leur intégralité pose la question des critères de l'évaluation dialogique, du bien-fondé théorique de l'opposition entre structures dialogales et narratives appliquée aux corpus créoles. Le descripteur s'en tient alors à certains paramètres dont l'aspect réducteur présentent néanmoins l'avantage de fournir quelques critères définitoires du dialogue. Sur la base du nombre, de la présence et de l'absence des actants, de l'orientation et de la destination du propos, on peut entendre par dialogue un entretien entre deux participants au minimum et en répertorier plusieurs sous-groupes. Dans ce cadre méthodologique, on traitera les dialogues entre animaux. Les exemples abondent dans les fables créoles que Héry a dédiées en 1828 aux dames de Bourbon.
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Si le dialogue s'applique aux paroles qu'échangent les personnages d'une pièce de théâtre, à la manière dont l'auteur fait parler ses personnages, on intégrera les histoires créoles de Daniel Vabois (1988) ainsi que les sketchs oraux de Thierry Jardinot (1990, 1992). Pour camper le décor, les conteurs modernes entreprennent une mise en langue comme une mise en scène des actes de communication. Ces dialogues modernes à caractère exclusivement oral sont les composantes d'ensembles plus complexes que sont les discours et récits reproduits en public. Ils émanent d'individu faisant fonction de conteur et d'imitateur. Un autre type de dialogue, proche du récit de vie, se trouve dans les entretiens oraux spontanés menés par l'auteur de ces lignes au cours d'enquêtes réalisées sur le terrain (cf. Staudacher-Valliamee 1989, 1991, 1992, 1993a, 1993b, 1994). Ils peuvent servir à évaluer le degré d'authenticité des formes et structures observées en dialogues écrits normés et littéraires.
2.3 L'enracinement dans l'insularité partagée Le point commun à tous les dialogues considérés tient dans le fait bien connu que l'interaction verbale ne fonctionne que dans l'espace d'une langue, d'une culture, de référents partagés par les actants en présence. L'analyse met en évidence leur enracinement dans la géographie et l'histoire sociale de la communication. On peut le vérifier de manière contrastive à la manière dont Héry a transposé les fables de La Fontaine en créole de l'époque. Le Renard et la Cigogne deviennent le Chien et l'Aigrette. Les animaux créolisés revêtent les habits sociaux de l'esclave et du maître. Alors que chez La Fontaine Compère Renard se mit un jour en frais. Et retint à dîner commère la Cigogne, on voit comment Héry utilise sa conscience des systèmes phonologiques (absence de l'opposition /i/ ~ /y/ et de la consonne chuintante en créole de Bourbon) pour créer le jeu polysémique (Lucien, Noir de François Magallon ou Le chien noir de François Magallon).3 C'est la couleur locale que l'auteur choisit de peindre et puise à cet effet dans un fonds lexical commun, bien fossilisé dans la flore, la faune et le vocabulaire culinaire. Ces strates sont difficilement traduisibles, car elles réactivent les étymons indiens, indo-portugais (rougail, kary, brèd). A la morale de La Fontaine Trompeurs, c'est pour vous que j'écris. Attendez vous à la pareille
correspond en créole la
réplique de l'aigrette Vous donn à moi manioc, moi rendre à vous batate. Tu m'as donné du manioc, je te rends des patates douces. Pour marquer l'ancrage culturel et spatio-temporel du dialogue, Héry introduit les fables à l'aide de toponymes.4 Ces repères fonctionnent comme des supports de compréhension dans la communication. Ils valent en tant que données constitutives de l'expérience vécue et conditionnent en tant que telles la perception du monde extérieur par les actants. En créole contemporain (cf. J'ai parti en France, Jardinot, 1992) sont mise en scène les formes du français régional utilisées par un locuteur créolphone natif. En tant que traces linguistiques, la variété des
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Le dialogue créole réunionnais
usages ainsi que les compléments de lieu et de temps sont immédiatement réperés par le linguiste, mais le système de la langue dispose d'autres procédés.
3. Les procédés de la dimension dialogale L'observation du fonctionnement de la langue dans l'espace dialogal fait ressortir tous les procédés, constructions et latitudes combinatoires auxquels le système recourt pour répondre aux besoins de la communication. Le lecteur trouvera une définition de l'homme dialogal dans les travaux de C. Hagège rappelant que l'homme est par nature dialogal. Le dialogue est pris au sens large d'interlocution, l'espèce humaine....
comme toute interaction linguistique en face à face, définitoire de
En tout état de cause, c'est la construction
solidaire
d'un sens qui
caractérise l'activité des partenaires (cf. Hagège 1986, 312 ff.).
3.1 Débuts de phrases, amorces de dialogue L'analyse des techniques d'amorce dialogale révèle l'utilisation de traits linguistiques précis. Les dialogues écrits et oraux usent fréquemment du fait que ce créole ne soit pas un idiome à servitude subjectale (cf. Ramassamy 1985, Staudacher-Valliamee 1993 b). Une fois indiquée la fonction sujet, celle-ci n'est pas répétée dans les phrases suivantes. On note chez Héry La commenç dit. La 'rpond (cf. Chaudenson 1981). Cette source d'économie s'exprime aussi dans l'emploi des particules énonciatives placées en tête de phrases pour ouvrir le dialogue. Plutôt rares dans les corpus écrits, les particules sont très nombreuses à l'oral. Elles attestent une structure mono- ou dissyllabique (in, ssa, menm', zafèr, la, oté, mounwâr, mârmay, èkssa, astèr, talèr, soman, mafiy, assé). Dans le discours, elles se réalisent selon plusieurs schémas prosodiques possibles dont les valeurs pertinentes leur confèrent différentes significations. Les unités considérées changent de classe et de sens. 5 Les exemples analysés confirment que c'est dans la phrase orale marquée par les pertinences prosodiques (mise en valeur accentuelle par allongement vocalique, plus grande énergie articulatoire en syllabe finale et initiale, utilisations variées de la courbe intonative, distribution de la pause) que les significations se construisent.
3.2 L'emploi des formes verbales Certaines formes verbales sont d'un emploi fréquent en structure dialogale. Leurs occurrences témoignent de la polysémie des verbes concernés (koné, di, gètt, vèy). En dimension dialogale, ils ne fonctionnent pas uniquement comme verbes pleins, mais aussi comme locutions verbales
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signifiant selon leur structure prosodique, l'interrogation rhétorique, l'injonction, l'exclamation, modalités privilégiées du dialogue (zot i koné! "vous savez!", mi di aou! "crois-moi!", gètt ssa! "allons bon!", vèy ssa! "voyons voir!"). L'interaction dialogale monopolise aussi les formes verbales qui dans certains dialogues (cf. Drapeau La Réunion, Vabois 1988) se dupliquent pour signifier le caractère ralenti ou détendu de l'activité exprimée par le verbe (Li ralral' son touss, kasskass lablag'.
"Il se fume sa cigarette, n'en finit pas de plaisanter"). Les verbes se
métaphorisent pour exprimer les sentiments et décrire les comportements des interlocuteurs. Le conte oral (cf. Passe conseil, Vabois 1988) reproduit les images bien connues (lèv an karab, lév an gèp, bèss an fourmi, ariv an zoumâr kwi). Pour marquer le doute, la colère, la réprobation, le système prosodique dispose d'un nombre quantitativement limité de phrases mélodiques fonctionnant sans mot, scandées par les seules variations de l'intonation, le geste vocal. Dans Langaz Bourbon, D.Vabois (1988) construit une histoire entière avec les différentes structures prosodiques de "hm...". Les mêmes techniques linguistiques sont exploitées pour les unités (in, assé aou don, aie) dans Commérage téléphone de Jardinot (1992). Ces procédés introduisent certes le style direct dans la structure narrative du conte oral, mais ils sont bien grammaticalisés dans le système de la langue où des schèmes prosodiques servent à marquer l'exclamation (pyéddbwa i mankk anou! "Que d'arbres!") ou alors l'interdiction (la, ou ékripa ryen ou la! "je t'interdis de prendre des notes").
3.3 Signifiances et créativité linguistique La prise en compte de la relation d'interlocution met en évidence le recours à des images, comparaisons et métaphores construites à partir d'unités lexicales pertinentisées par les structures prosodiques. On a affaire à des procédés de constructions iconiques qui reposent sur la synthématisation (linètt boukané "lunettes solaires", linètt fèrblan "lunettes Ray-ban", linètt lokiboutèy "verres de correction"). Dans les sketchs de Jardinot (1992), ils sont au service de la moquerie et de la critique de moeurs (tèt pyoss, zanblon nwâr). Elles acquièrent une valeur dramatique (ou tragi-comique) née de toutes les signifiances rattachées aux situations nouvelles et insolites pou le bons sens populaire réunionnais. Elles sont sources de dialogue comme l'illustrent les thèmes choisis dans les sketchs de Jardinot (ex: embouteillage à Saint-Denis, popularité d'une émission télévisée comme Santa Barbara, le voyage en avion, le séjour en France). Le personnage favori des contes et sketchs reste le locuteur créolophone unilingue. Pour ce dernier, ce qui se dit, se dit en créole ou ne se dit pas (planteur de canne, le chômeur créolophone en exil à Paris). Sa vision du monde est conditionnée par les images visuo-spatiales insulaires auxquelles il réfère pour se représenter le monde (cf. Ein gobe, Vabois 1988). Ces données sont véhiculées par la langue commune. Quand les conditions de partage ne sont pas respectées, l'intercompréhension, et avec elle, la communication disparaît. Le jeu
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dialogal repose sur la superposition ou l'emploi parallèle de deux langues (français et créole). Les effets de comique qui en résultent, sont des ressources dont les sketchs usent volontiers. Ils exploitent les situations où les langues s'échangent, mais ne se confondent pas (cf. Bateau la commune,
Vabois 1988). Que les actants évoluent à l'intérieur ou à l'extérieur du milieu
insulaire, l'absence d'intercompréhension est synonyme d'absence de communication entre locuteurs issus de milieux linguistiques et culturels différents. Le dialogue
présente des
dysfonctionnements quand il prend l'allure d'interrogatoire entre un supérieur hiérarchique (ex: adjudant non créolophone en fonction à La Réunion) et un locuteur créolophone unilingue appelé sous le drapeau et ne maîtrisant pas la langue de son interlocuteur. La langue dispose d'un fonds de formes et de structures dialogales primitives servant à réguler les réalités sociohistoriques implicite.
4. Dialogue et fonctions communicatives Les différentes relations d'interlocution dans lesquelles évolue
la dynamique dialógale
s'inscrivent dans la société multiculturelle et multilinguale insulaire. En élargissant le dialogue au plurilogue et en prenant comme fil conducteur la relation d'interlocution, activité motrice de structuration linguistique, le linguiste étend sa description synchronique aux strates fossilisées du système que représentent les sirandanes ou devinettes (cf. Gamaleya 1974), proverbes (cf. Honoré 1993) et certaines complaintes
d'esclaves connus sous le terme de maloya
(cf. Granmoun Lélé 1994). Ces corpus intéressent directement toute analyse du dialogue réunionnais, car leur étude rejoint celle de la motivation interlocutoire toujours présente derrière les jeux de mots, jeux de société créole. Les points communs à ces trois types de corpus sont leur caractère relativement ancien, leur caractère métonymique, leur
trait de vivacité
linguistique et culturelle. L'activité dialógale prend la valeur de monologue intérieur comme le confirme l'emploi de certaines structures grammaticales et lexicales.
4.1 Fonction compensatoire des unités non-verbales Pour se faire une idée plus précise de l'existence d'unités non-verbales, on peut référer aux données implicites nécessaires au décodage des proverbes réunionnais (cf. Honoré 1993). Elles ne sont pas de nature monématique, mais elles sont présupposées dans les structures dialogales qui sans elles ne feraient plus sens. Le dialogue prend de fait une valeur de monologue, car il réfère à un actant en son absence et le propos ne lui est pas directement destiné. Là, comme dans les fables de Héry, ce sont les animaux ou encore les objets qui servent d'exutoire. 6 L'inventaire doit intégrer toutes les locutions figées dont la constitution réfère aux réalités de
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l'esclavage, à la période où la langue devait dire sans nommmer, sans se faire comprendre de façon littérale (lo tan Granbwa "le temps de l'esclavage". Ti ass i koup grobwa. "Petite hache coupe le gros bois". Sakk i donn' larou, i râl pa sarètt. "Les conseilleurs ne sont pas les payeurs"). D'autres emplois métaphoriques en contexte et en situation montrent comment la phrase-métaphore intégrée en structure parataxique sert à désigner et décrire, sans les nommer, des actants, objets et situations, insolites pour le créolophone unilingue: les médecins du régiment sont bann' boug' espèss grangran linz blan ekk lo flèss karotssou i pandi danri kolé la. Le caporal de l'armée que l'on ne nomme pas directement répondra aussi à une convocation métaphorique réduisant son corps à l'allure d'une canne à pêche arborant une moustache couleur kaki et un petit bout de toile sur son vêtement in spèss tigolètt lapèss moustass kaki èkk ennti morsso latwal si son linz. Ces exemples participent des structures énonciatives et grammaticales et résultent des latitudes combinatoires du système de la langue. On rangera parmi elles certaines phrases intonatives fonctionnant seules, sans texte (cf. Langaz Bourbon, Vabois, 1988).
4.2 Fonction ludique des sirandanes ou devinettes Une fonction ludique du dialogue s'exprime dans le recueil de jeux de mots, jeux de pensées et d'images, devinettes évoquées en introduction. Le dictionnaire illustré de La Réunion (cf. Barat/Robert 1992) rappelle que ce jeu consite à faire trouver par l'auditoire le nom d'un objet (in soz) à partir d'une phrase rituellement codée. A Maurice, la formule d'ouverture de la question est sirandanel
La formule d'ouverture de la réponse est sanpèk! C'est l'équivalent du
réunionnais kossa in soz, forme linguistique proche du portugais quai é a coisa, quai é la (cf. Barbosa 1967) et du malgache inona ary izany (cf. Bavoux 1993). Par les sirandanes, la société créolophone indigène a repensé le monde en renommant, selon ses réprésentations spécifiques les réalités du corps, les objets de leur quotidien, les animaux familiers, les plantes, arbres, fruits ainsi que les éléments de la nature. La nature insulaire y est souvent anthropomorphisée (langouti granpapa lé plin lotrou? Le pagne de grand-père est plein de trous? Le ciel étoilé. Nana lo bra, na poin la zanm', li mars? A des bras, n'a pas de jambes, elle avance? La rivière). L'analyse des structures linguistiques montre comment pour nommer un objet désigné par un item lexical, le créole primitif aligne une, deux phrases, parfois même un petit poème de plusieurs vers. 7
Le dialogue créole réunionnais
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4.3 Fonction expressive du dialogue chanté Des dialogues d'un genre différent sont attestés dans les chants et danses traditionnels historiquement rattachés à l'esclavage et au culte des ancêtres. Les formes modernes et anciennes sont connues à la Réunion sous le terme de maloya. Dans le maloya traditionnel le dialogue chanté se présente comme un échange entre le soliste et le choeur qui prolonge la phrase du chanteur ou lui répond. Dans des textes comme Namouniman et Konndion Nielpou (Granmoun Lélé (1994)), ils s'expriment dans un créole où survivent des expressions malgaches et tamoules créolisées. Dans d'autres exemples (cf. Gauvin 1987), le dialogue devient complainte, monologue intérieur et critique sociale implicite. 8
5. Conclusion L'approche d'un créole à travers la problématique dialogale rappelle, pour la compléter et l'exemplifier, l'importance du contact de langues et de la transculturalité dans les stratégies de communication. Un des apports du laboratoire créole à la linguistique contrastive tient peut-être dans cette technique de dialogue où chaque interlocuteur reçoit la langue de l'autre sans la produire, mais en y répondant. Cette forme particulière de compétence bilingue attire l'attention du descripteur sur le rôle du non-verbal dans la régulation de la communication. La diversité des corpus considérés fait ressortir la fonction de la prosodie dont les structures servent à rééquilibrer l'économie imposée par le système linguistique pour les constructions iconiques et les mécanismes du changement linguistique. Les sirandanes (devinettes) et les textes de maloya traditionnel offrent de bonnes preuves socio-historiques que l'espace dialogal réunionnais présente un intérêt tout particulier pour une observation de l'unité et de la diversité créole en synchronie dynamique.
Notes 1) Déclaration de Mademoiselle G., au sujet de son Noir blessé à mort par le nommé Jean, esclave du Sr. A. C. "Ce fait anous demandé au dit Antoine, Caffre de Nation, âgé d'environ vingt deux ans, après serment par lui fait de nous dire la vérité. Il nous aurait répondu que étant hier à sept heure du soir ou environ à l'habitation de sa maîtresse, assise devant la porte d'une case...". Saint-Pierre, 17 août 1737. C' 2322. Archives Départementales de la Réunion. 2) Extrait du dialogue entre le planteur et son cuisinier. "Dis-moi, Chariot, depuis quand les chapons n'ont-ils qu'une cuisse? - Si pas, moussié; çapon-là p'tête li malade. - Malde ou non, il devait avoir ses deux jambes. Bébête-là, moussié, li en vé a moi; la casse son patte, ça pou faire gagne a moi li fouet", (cf. Chaudenson 1981, 55ff.). 3) Li cien noir d'François Magallon. La té prié commèr'zaigrett. Pou vient manzer rougail cevrette, kary volaille et brèd cresson (cf. Chaudenson 1981, 14). 4) Au Bras-Sec, dans l'plis haut d'Brilé. A proç fricé Ma-Véronique (La cigale et la fourmi. La fourmi ensemb'li grélé. cf. Chaudenson 1981, 22). Saint' Sizann' çez Bonhonm' Zozet. L'avait ein vié-vié bourriquet (L'âne et le petit chien, cf. Chaudenson 1981, 23). La vaç mon voisin Nicolas. Dans n'haut d'Bitor (vous pé bien croire). (La laitière
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et le pot au lait. cf. Chaudenson 1981, 24). Moi tir ein cont' pays Bourbon. En bas d'rempart d'ia Possession. (La tortue et les deux canards, cf. Chaudenson 1981, 29). 5) La aster, i fé assiz anou sou pyé tamarin. Et voilà qu'on nous fait asseoir sous un tamari. Talèr, mi di aou, nana si tan kalité lakouyoniss. Un peu plus, je vous dis, il y a une telle variété de bêtises que.... Soman, na ën nafèr mi konpran pa mwën. Mais, il y a quelque chose que je ne comprends pas, moi!. Mé soman, bon dyé, la fé solèy pou toul'moun'! Mais, voilà! le problème , c'est que Dieu n'a pas fait le soleil pour une seule personne! Oté, mounwâr, èkk ssa, boug'la, té fay! Et en plus de ça, mes amis, cet homme était malingre. Oté, èkk ssa, boug' la, ou koné son pli gran kontanteman kossa i lé ou? Eh! en plus! le type! vous savez quel était son plus grand plaisir? (Vabois, Drapeau La Réunion 1988). 6) Léskargo i koné brèd, kabri i kone son zèrb. Les malins ne s'attaquent pas aux rusés, kat ti fourmi y râl in gro kankrela. L'union fait la force, kaka milé, manzé zwazo. Rien n'est sans valeur (cf. Honoré 1993). 7) Exemples: mon bèrso mon sapo, mon sapo, mon tonbo? Mon berceau, mon chapeau, mon chapeau, mon tombeau? l'escargot. Anou dé sèr, po in wi, po in non, ni sépar? Nous sommes deux soeurs; pour un oui, pour un non, nous nous séparons? Les lèvres. 8) Aa somin Gran Bwa, sa lé long'. Aa, tipa, tipa, na rivé. Na inmti fanm' anba laba. Na in gro boss desi son do. Zamé li domann' in soulazeman, ma sèr. Le chemin de Grand Bois est bien long. Petit pas, petit pas, nous y arriverons. Il y a une femme là-bas, au loin. Jamais elle ne demande qu'on la soulage, ma soeur (cf Gauvin, 1987).
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Une approche inter-énonciative de l'interaction verbale
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Linguistique et Sciences humaines La linguistique de l'énonciation Enonciation et interaction 3.1. Enonciation et espace interactif 3.1.1. Définir la relation et les types d'interaction mobilisés 3.1.2. Définir les tâches cognitivo-discursives 3.1.3. La dimension intersubjective 3.2. Mise en scène énonciative et dynamisme interactif 4. Conclusion Bibliographie
1. Linguistique et Sciences humaines S'agissant d'un objet fondamentalement pluridisciplinaire, la linguistique est amenée à adopter, vis-à-vis de l'interaction verbale, des attitudes apparemment paradoxales. Elle se doit, bien sûr, d'être informée des problématiques, concepts et analyses mis en oeuvre par les diverses sciences humaines lorsqu'elles abordent cette question. Une certaine coordination paraît incontournable : il serait aberrant, qu'après l'Ecole sociologique de Chicago, la psychanalyse, la psychologie du développement, l'éthnométhodologie ou les apports philosophiques de F. Jacques et de J. Habermas, la linguistique développe sa spécificité à partir de conceptions dépassées de la communication, comme celle qui met en scène un sujet conscient, volontaire, autonome et pleinement responsable de ses paroles. Une bonne perception de l'environnement scientifique et l'existence de convergences avec certains courants constituent des conditions minimales pour aborder linguistiquement le domaine de l'interaction verbale. Mais, paradoxalement, l'intérêt que présente la possibilité de coordonner des savoirs n'a de sens que si la linguistique est capable d'assumer sans faiblesse un point de vue qui fonde sa spécificité. A moins de concevoir l'objet de la discipline comme totalement autonome, certaines problématiques de l'interaction ne semblent pas compatibles avec les approches des autres disciplines. Il s'agit d'analyses qui perpétuent, d'une manière ou d'une autre, le principe saussurien d'immanence. Lorsque la description des formes linguistiques se referme sur ellemême, au point de mettre en oeuvre une analyse structurelle interne, le linguiste construit une grammaire discursive qui laisse bien peu de place aux acteurs, à la coordination des actions, aux stratégies communicatives. Réduire l'interaction au point de n'y voir qu'un tissu textuel conduit à
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l'isolement de la discipline et à la quasi impossibilité d'accéder, dans un second temps, à une connaissance des fonctionnements langagiers. La linguistique doit donc renoncer à toute approche uniquement descriptive et adopter une attitude résolument fonctionnelle. A ce titre, il nous semble que l'apparition des approches énonciatives constistue l'une des mutations majeures de la linguistique contemporaine. Une linguistique de l'énonciation ne s'intéresse pas aux formes linguistiques pour elles-mêmes mais en tant que manifestations de l'activité des sujets. Appréhender l'objet de la linguistique en termes d'activités langagières réintroduit la dimension des acteurs et devrait faciliter les convergences avec d'autres sciences humaines tout en assumant sans faiblesse l'apport spécifique des sciences du langage à la connaissance de l'interaction verbale.
2. La linguistique de l'énonciation Les conceptions initiales de l'énonciation, centrées sur le sujet parlant (sujet générique classique), ne se prêtaient pas une lecture interactive, à moins de concevoir l'interaction comme la coordination d'actions individuelles et autonomes. Aujourd'hui, pour la plupart des auteurs, l'énonciateur cesse d'être au centre de l'énonciation, comme celui qui mobiliserait pour lui-même l'appareil de la langue par un acte individuel d'appropriation. Il n'est plus le maître absolu de la structuration des rôles interlocutifs (l'axe Je-Tu ) ni des structurations spatiales (à partir de l'ici ) et temporelles (par rapport au maintenant ). De même, il n'est pas seul à l'origine des actes qu'il produit, des places qu'il occupe et des significations qu'il contribue à mettre en circulation. A l'idée d'un sujet autonome se substitue celle d'un sujet constamment co-acteur ; aux notions dénonciateur et de destinataire se substitue celle de co-énonciateurs. Du même coup, les activités des sujets deviennent des co-activités, des actions conjointes. Une telle conception de l'énonciation permet de coordonner la linguistique de l'énonciation avec les apports de l'Ecole de Palo Alto, de la sociologie américaine (Mead, Goffman, Garfinkel), de la psychologie de Vygostsky, Bruner ou de la philosophie (Jacques, Habermas). On parlera ici d'approche interénonciative pour référer à cette version de l'énonciation qui rompt avec la conception classique du sujet. Mais cette approche inter-énonciative va plus loin. L'abandon de la conception naïve d'un sujet substantiel, homogène, conscient et volontaire a également conduit les linguistes à développer, dans le prolongement du dialogisme de Bakhtine, une théorie polyphonique de l'énonciation. L'adaptation au co-énonciateur a comme corollaire que le partenaire parle à travers moi quand je parle. Mais au-delà du partenaire interactif, on admet volontiers aujourd'hui que "ça parle" quand le locuteur parle. Il y a donc dans la parole de chaque locuteur une mise en scène de sources énonciatives et, en tout cas, sous l'unicité trompeuse de cette parole, une hétérogénéité d'instances énonciatives.
Une approche inter-énonciative de l'interaction verbale
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3. Enonciation et interaction Depuis l'Ecole de Palo Alto, la communication se laisse analyser en contenus et relations. Avec l'interactionnisme symbolique de Goffman nous savons que, même dans les situations les plus institutionnalisées, ce sont les sujets qui, par leurs activités et leurs comportements, définissent les situations dans lesquelles ils communiquent. Les sujets ne peuvent espérer donner du sens aux messages qu'ils échangent qu'en donnant d'abord du sens à leur rencontre, c'est-à-dire en la rattachant à un ou plusieurs types d'interactions. En même temps qu'ils sont conduits à mettre leurs comportements en relation avec les types d'interaction qu'ils actualisent (c'est ici que l'on comprend l'importance des rituels), les sujets doivent définir les places d'où ils parlent et donc le type de relation qu'ils construisent. Enfin, ils doivent signaler les tâches communicatives qu'ils accomplissent et, par exemple, négocier, au sein de l'interaction, la gestion de formes largement monologales comme l'argumentation, la narration, la description ou l'explication.
3.1 Enonciation et espace interactif Nous avons proposé (Vion 1992) le concept d'espace interactif pour rendre compte de la relation interlocutive. Le message primitif de l'énonciation portait sur le fait que le sujet parlant était inscrit dans son propre message. On dira aujourd'hui que, non seulement les co-énonciateurs sont inscrits dans les messages qu'ils échangent, mais que chacun d'eux initie une image de la relation interlocutive qui se négocie entre-eux. Nous postulons l'existence d'une correspondance entre la présence des interlocuteurs à l'intérieur des énoncés qu'ils produisent et les notions de face, place, rapport de places,
relation.
Plus précisément, ces phénomènes pourraient avoir une double entrée : a) une entrée de nature psychosociologique : la face étant l'image sociale, la portion d'identité sociale à partir de laquelle on communique ; le rapport de places pouvant être appréhendé en termes "institutionnel" / "non institutionnel", "symétrie" / "complémentarité"... b) une entrée linguistique par l'analyse des traces, en postulant, comme C. KerbratOrecchioni, que les traces énonciatives ne s'arrêtent pas à la seule dimension verbale. Nous avons, par ailleurs, émis l'hypothèse que l'espace interactif construit entre deux sujets était complexe et pouvait être appréhendé en termes de pluralité de rapports de places. Dans toute prestation communicative il y a, au moins, un rapport de places relativement institutionnalisé correspondant à la mise en oeuvre d'un rôle social (un "soi") et un rapport de places intersubjectif correspondant à la manière dont les acteurs (les "je") jouent et personnalisent ces rôles. L'acteur ne saurait donc communiquer sans investir un rôle et, curieusement, ce rôle n'est crédible que dans la mesure où, par ses prestations, le sujet manifeste
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qu'il le maîtrise, le "tient à distance". Le rôle et l'acteur se crédibilisent réciproquement dans un jeu paradoxal de sorte que les dimensions institutionnelles et intersubjectives s'influencent réciproquement. Outre les places institutionnelles (et l'on peut parler à plus d'un titre : professeur et père de famille, par exemple), qui semblent être antérieures à l'interaction, et la manière personnalisée de jouer les rôles qui leur correspondent, nous avons les places occasionnelles (et les rôles qui leur correspondent) qu'occupent les sujets en fonction de la dynamique interne de l'échange. Ainsi, suite à un échange conversationnel l'un des sujets peut se retrouver dans la situation d'expert à qui le partenaire demande des informations particulières. Ces rôles d'expert occasionnel, de confident, de bouffon, etc., que Charaudeau (1994) appelaient rôles langagiers n'ont pas la même type d'institutionnalité que les précédents et sont davantage liés à la nature intersubjective de l'échange.
3.1.1 Définir la relation et les types d'interaction mobilisés Le rapport de places dominant de l'espace interactif correspond donc aux rôles sociaux mis en oeuvre et contribue à définir les types d'interaction dans lesquels les sujets s'engagent. A ce titre, la prise en compte des activités langagières doit d'abord permettre d'analyser s'il y a acceptation conjointe des places ou si l'un des actants refuse la place où il se trouve "convoqué". Ainsi à une question, comme Pourrais-tu nous parler de... ?, qui initie une relation complémentaire de type entretien, le sujet interpelé peut refuser la place d'informateur qu'on lui propose avec une réplique comme et si on parlait plutôt des vacances, lui permettant d'initier un rapport de places symétrique de nature conversationnelle. L'acceptation, le refus ou la modification du rapport de places initié par le partenaire se fait généralement de manière implicite, même si l'on peut avoir des réponses du type : Tu ne vas pas me faire le coup de l'interview
ou Je n'ai pas envie de
discuter de ça maintenant. La relation interactive et les types d'interaction mobilisés dépendent donc directement des activités discursives manifestées par les sujets. Dans la mesure où ils donnent par leur activité langagière des définitions de la situation dans laquelle ils s'engagent, les sujets "décrivent", sans le savoir, les cadres sociaux de leur rencontre ainsi que la relation qu'ils contractent.
3.1.2 Définir les tâches cognitivo-discursives Dans leur définition de la situation, les sujets sont conduits à "décrire" les tâches cognitivodiscursives qu'ils accomplissent. Tout comme ils émettent des signaux de disjonction (du type : à propos
ou pendant que j'y pense) lorsqu'ils changent de thème, les sujets signalent par leurs
activités langagières les tâches qu'ils sont en train d'accomplir et les modifications qui affectent
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la situation. Ainsi, un sujet engagé dans une conversation, qu'il a contribué à mettre en place par des comportements et activités langagières, est conduit à confirmer en permanence les types d'interaction et de relation mobilisés. Tout changement doit être visible et signalé de sorte que si l'un d'entre eux souhaite, par exemple, effectuer une narration, il devra produire des codages comme : ah tiens pendant que j'y pense, tu sais pas ce qui m'est arrivé l'autre jour ? ou encore, oh ! tu connais pas la dernière ?, par lesquels il marque à la fois un changement intervenant dans la situation et une offre de modifier les rapports interpersonnels afin d'effectuer son récit. Passer d'une structure dialogale à la conduite d'un récit en interaction implique, en effet, une modification du système de places en vigueur. Après une relative symétrie, mise en oeuvre par la conversation, le récit induit un rapport de places complémentaire, narrateur vs narrataire, au sein duquel l'un des sujets devra se contenter de produire des signaux d'écoute, des reprises en échos, des exclamations, des reformulations en forme de commentaire, autant d'activités langagières qui ne constituent pas, à proprement parler, une véritable prise de parole. Le narrateur, par contre, à partir du moment où son offre de récit a été acceptée, même à contre-coeur, se trouve autorisé à mettre en oeuvre des développements discursifs relativement conséquents. Ce statut de conteur lui sera reconnu jusqu'à ce que l'un des sujets initie, avec l'accord de son partenaire, une nouvelle définition de la situation. Généralement c'est le conteur qui, par la répétition de la chute, le déplacement du récit vers le commentaire ou par l'interpellation du partenaire initie une nouvelle définition de la situation autorisant ce dernier à un autre type d'investissement discursif. Ces traces énonciatives, par lesquelles les sujets négocient en permanence la situation et ce qu'ils y font, relèvent largement de ces savoir faire non conscients que les sujets mettent en oeuvre lorsqu'ils communiquent.
3.1.3 La dimension intersubjective L'énonciation avait trouvé un terrain d'élection avec l'analyse de la subjectivité au sein des productions langagières. Dans ces conditions, une approche inter-énonciative semble particulièrement adaptée à la prise en compte du rapport de places intersubjectif établi entre les sujets. C'est à ce niveau que se jouent, les modes d'investissement des rôles, qu'ils soient ou non "institutionnalisés", ainsi que les divers types de stratégies comme la recherche de l'avantage ou du consensus, l'amadouage, la séduction, l'investissement minimal, etc. S'il est théoriquement souhaitable de distinguer, au sein de l'espace interactif, un rapport de places dominant et un rapport de places dominé plus intersubjectif, il serait naïf de penser que telle activité langagière pourrait n'intervenir qu'à l'un de ces niveaux. En fait, tel choix lexical, pittoresque ou mesuré, telle reformulation des propos du partenaire, telle modalisation pourront tout aussi bien concerner la mise en place de la relation, la définition des types d'interactions, les tâches discursives que la relation intersubjective. Remarquons au passage que les distinctions de
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type institutionnel / non institutionnel, symétrie / complémentarité ou institutionnel / intersubjectif ne doivent pas être appréhendées de manière dichotomique : nous savons qu'une interaction peut être à la fois symétrique et complémentaire, selon les rapports de places constitutifs de l'espace interactif ; de même, au-delà de l'aspect "technique" des concepts, tout est institutionnel et intersubjectif dans le langage et l'interaction verbale. Si le positionnement exige de prendre en compte la globalité de l'espace interactif, il est en revanche du plus haut intérêt d'examiner les apparentes contradictions qui ne manquent généralement pas de surgir entre les rapports de places qui le constituent. Ainsi, il arrive fréquemment que les acteurs soient amenés à "corriger", au niveau intersubjectif, ce que leurs rapports institutionnels impliquent d'inégalité. Les stratégies de positionnement
pourraient alors
être appréhendées en faisant apparaître le jeu complexe entre ces rapports. Dans la mesure où, en dernière analyse, tout se joue dans l'intersubjectivité, ce rapport subalterne constitue le lieu privilégié de la mise en oeuvre des stratégies du sujet. Dans un entretien entre une patiente et une enquêtrice appartenant au corps médical, nous avions fait apparaître (Maury-Rouan & Vion 1993) que les stratégies de la patiente, Mylène, se dessinaient dès ce niveau intersubjectif. Souffrant de migraines, Mylène, invitée à verbaliser sa souffrance, structure son
récit en fonction d'une thèse : il s'agit de malaises d'ordre
psychosomatique. Etant, de son métier, chercheur dans le domaine médical (à l'INSERM), Mylène, qui va devoir négocier cette thèse avec une représentante du corps médical, joue dans un rapport de places dominant par lequel elle reconnaît la complémentarité des positions (corps médical vs malade) et accepte d'occuper la "position basse" du malade. Ayant, pour se convaincre, besoin de convaincre sa partenaire, et sachant la propension de "l'université" à vouloir toujours trouver des causes organiques, Mylène va organiser son récit argumentatif en s'accaparant, sans nécessairement le vouloir ou le savoir, du savoir médical. Elle va donc "corriger" au niveau intersubjectif ce que la relation institutionnelle a d'inégalitaire quant au savoir médical. En s'appuyant sur des diagnostics antérieurs et les diverses analyses qu'elle a subies, elle va, avec une certaine modestie quand même, risquer un diagnostic quant à l'origine de ses migraines. En dépit de son travail argumentatif, Mylène se heurte à une fin de nonrecevoir : Pourquoi psychosomatique
c'est pas parce qu'on ne connaît pas la cause (rire) que
forcément il faut dire qu'il y en a pas. Elle va donc devoir poursuivre son travail persuasif. Pour cela, elle conforte sa partenaire dans un rapport de places spécialiste vs non spécialiste et en lui donnant plus de considération et en avouant, par exemple, son ignorance de certains termes savants, comme le défilé thoraco-brachial. Mais, dans le même temps, elle va s'efforcer de jouer davantage au niveau du rapport intersubjectif en recourant à des stratégies de recherche de complicité et d'amadouage. Par ses choix lexicaux (volume, pour parler de son poids, folichon, etc), par de petits rires de complicité, par des modulations lui permettant de prendre plus de distance par rapport à ses arguments, Mylène parvient à initier une relation interpersonnelle faite de connivence qui conduit sa partenaire à donner un tour plus conversationnel à l'entretien. De
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sorte que lorsque Mylène renouvelle, avec beaucoup de précautions (jeu sur l'intensité de la voix, rires de connivence, modalisations, silences, implicitation de liens de causalité...), la verbalisation de sa thèse celle-ci n'est alors plus repoussée. La mise en oeuvre de stratégies d'amadouage et de connivence, caractérise la manière dont la relation institutionnelle est finalement gérée par les acteurs. Ainsi, lorsqu'à la fin de l'entretien, l'enquêtrice propose à Mylène de parler de son travail de chercheur, elle initie un nouvel entretien dans lequel c'est Mylène qui, cette fois joue le rôle de l'expert. Reconnaissante envers sa partenaire de ne pas avoir abusé de sa position dans l'entretien qui vient de s'achever, Mylène va accepter ce nouveau rapport de places tout en s'efforçant, sur le plan intersubjectif, de minimiser cette "domination". Elle va donc moduler son propos de nombreuses particules d'hésitation, modaliser avec des simplement, entrecroiser des termes lexicaux savants avec des formes syntaxiques familières comme c'est très biologie moléculaire
ou au point de vue chromosomes.
La dimension
intersubjective permet ainsi d'analyser, au-delà de la distinction institutionnel / intersubjectif, les stratégies des sujets à partir de la prise en compte de leurs activités. Bien plus, son jeu sur le plan intersubjectif a des répercussions immédiates au niveau de sa place institutionnelle : Mylène se positionne moins en malade qu'en "membre" de l'institution médicale.
3.2 Mise en scène énonciative et dynamisme interactif L'analyse des interactions verbales ne saurait se limiter à la prise en compte de "rencontres" in situ. Les sujets amenés à contracter une interaction particulière ne peuvent coordonner leur action qu'en considérant cette situation comme étant comparable à d'autres déjà rencontrées. Il nous paraît nécessaire d'abandonner l'idée que l'interaction constituerait une unité maximale autonome, à l'exemple de ce que fit la linguistique avec la phrase. D'une part, une interaction verbale ne constitue, le plus souvent, qu'un épisode d'une histoire interactionnelle amenant le sujet à rencontrer un partenaire à maintes reprises. Cette notion d'histoire interactionnelle est d'ailleurs une manière de prendre en compte la dimension sociale et culturelle de la communication. D'autre part, lorsque deux sujets échangent des propos ils ne sont pas seuls à parler et, compte tenu de ce que nous disions de la nature du sujet, ils ne peuvent communiquer entre eux que parce qu'ils communiquent avec d'autres. C'est ainsi que chaque sujet va procéder à une mise en scène énonciative par laquelle il construit un ensemble d'énonciateurs correspondant aux opinions qu'il met en scène et avec lesquelles, en parlant à son partenaire, il dialogue. Une approche culturelle de l'interaction nous oblige à abandonner la conception, somme toute triviale, de la communication comme simple relation entre sujets et conduit alors vers une prise en compte des dimensions dialogique et polyphonique de l'énonciation.
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Il nous faut nous arrêter un instant sur cette mise en scène énonciative, d'autant que jusqu'ici, le dialogisme et la polyphonie ont plutôt été appréhendés comme des dispositifs théoriques sophistiqués mais sans grande efficacité au niveau de l'analyse. La notion de mise en scène utilisée par Goffman devrait pouvoir être prolongée et approfondie par la linguistique en utilisant la notion de mise en scène énonciative. Cette dernière est d'ailleurs potentiellement disponible dès Ducrot 1984 : « Le locuteur, responsable de l'énoncé, donne existence, au moyen de celui-ci, à des énonciateurs dont il organise les points de vue et les attitudes. Et sa position propre peut se manifester soit parce qu'il s'assimile à tel ou tel des énonciateurs, en le prenant pour représentant (l'énonciateur est alors actualisé), soit simplement parce qu'il a choisi de les faire apparaître et que leur apparition reste significative, même s'il ne s'assimile pas à eux. » (Ducrot 1984, 205). Lorsque le locuteur construit des énonciateurs qui tendent à lui correspondre, il peut recourir à des modes différenciés de mise en scène, allant du discours personnalisé avec déictiques personnels au "discours historique" qui prétend gommer toute origine énonciative, en passant par diverses situations polyphoniques où il s'identifie à un énonciateur collectif plus ou moins déterminé. Le locuteur est également conduit à construire un énonciateur correspondant à son partenaire interactif. Il s'agit de tous les cas de reprises ou de reformulations diaphoniques des propos de ce partenaire qui se trouve ainsi positionné comme source énonciative. Enfin, le locuteur est amené à construire des sources, distinctes de lui comme de son partenaire, correspondant à des opinions mises en scène. Si l'origine de ces opinions est identifiée et que le locuteur souhaite le faire savoir, sa mise en scène utilisera le discours rapporté. Dans le cas d'opinions dont il ne connaît pas l'origine ou lorsqu'il ne souhaite pas la mentionner, il aura recours à des énonciateurs non identifiés. Pour chacune des sources mises en scène, le locuteur peut, entre les énonciateurs construits et les propos qu'il leur prête, établir des relations de divers ordres mettant en oeuvre des modalisations (mode d'inscription des énoncés dans des mondes), des modulations (distance au contenu), des évaluations, des gloses méta-énonciatives, etc. Cette mise en scène fait apparaître que la voix de celui qui parle est rarement une voix isolée. En même temps qu'il s'exprime le sujet met en scène d'autres sources. Il y a donc comme un dialogue entre des voix qui peuvent se structurer de diverses manières : - soit le locuteur subordonne sa voix à celle(s) d'autres sources énonciatives, identifiées ou non ; - soit sa voix domine un arrière-fond d'opinions d'origine plus ou moins diffuse ; - soit, encore, les diverses voix parlent en même temps sans qu'il soit possible d'établir entre elles un quelconque rapport hiérarchique.
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Et même lorsque le locuteur se construit une position d'énonciateur donnant l'impression de parler seul, il s'agit encore d'un cas particulier de mise en scène et non d'une parole réellement autonome. Dans ce cas, le locuteur se construit une position dominante, faisant comme si son opinion n'avait d'autre origine que lui-même. Un autre aspect particulièrement important à souligner concerne les modifications de la mise en scène énonciative de chacun des sujets. La structuration des sources peut dans certains cas être stable et se maintenir telle quelle, un certain temps. Mais, nous avons constaté, y compris dans des écrits monologués (Vion 1994), que, par une sorte de "respiration énonciative", le sujet modifiait constamment sa mise en scène, fondant sa voix parmi des opinions émises, parfois jusqu'à s'effacer devant elles, et récupérant périodiquement une voix dominante par rapport à ces opinions. C'est un peu comme si le dialogue avec un partenaire impliquait, pour chacun des sujets, de dialoguer avec des opinions par une sorte de jeu de cache-cache dans lequel le locuteur se fond, se confond et se détache de manière périodique. Dans la mesure où les acteurs coordonnent leur action, la prise en compte de cette respiration, qui affecte la mise en scène énonciative de chacun, devrait permettre de développer une approche dynamique des fonctionnements interactifs. Il arrive également que ce jeu d'opinions concerne le sujet et son partenaire interactif. Dans ces conditions, le locuteur est fréquemment amené à se contredire (contradiction dialogique) : Tu n'as peut-être pas fermé l'oeil de la nuit mais en tout cas qu'est-ce que tu as ronflé. Dans cet exemple, la première partie met en scène deux opinions (deux énonciateurs) dont l'une, celle du partenaire, domine, alors que la seconde permet au locuteur de se positionner en tant qu'énonciateur unique. De même, les phénomènes de figuration, par lesquels le sujet s'efface devant la nécessité de donner de la considération au partenaire avant de pouvoir mieux assumer son opinion, conduisait à noter l'existence de contradiction dialogique : le sujet ne pouvait développer un point de vue "personnel" qu'après avoir donné des marques d'un accord consensuel, au moins partiel. L'existence de ces actes paradoxaux peut être traduite en termes de respiration énonciative affectant la mise en scène des sources. Ainsi, les mouvements interactifs peuvent être analysés en des termes énonciatifs qui permettent au linguiste de développer sa discipline en même temps qu'il donne aux concepts développés par d'autres disciplines une plus grande légitimité fondée sur une analyse minutieuse.
4. Conclusion Toute notre attitude a consisté à postuler l'existence de relations entre les mouvements énonciatifs et les mouvements interactifs. La principale difficulté provient de la différence de "calibrage" de ces phénomènes : les analyses interactives sont plutôt d'ordre macro-analytique
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alors que les analyses énonciatives sont plutôt orientées vers la prise en compte de phénomènes micro-analytiques (modalisation, modulation, gloses, nature des sources). Pour éviter l'atomisation des analyses inter-énonciatives, il semble utile, comme nous l'avons envisagé plus haut, d'utiliser des concepts à double lecture comme rapport de places, espace interactif, stratégie. Le travail du linguiste sera alors d'asseoir ces concepts avec des analyses pointues. Certes, pour passer de telle recatégorisation lexicale, telle modalisation, telle reformulation, telle modulation, telle alternance dans la hiérarchie des sources à la prise en compte de stratégies de positionnement, il conviendra de remarquer que la mise en oeuvre d'une stratégie n'a que fort peu de chances de mobiliser une seule activité. Dans ces conditions c'est l'existence d'un réseau de convergences des analyses qui pourrait diminuer les risques d'interprétations abusives. S'il parvient à tenir ce pari de l'analyse inter-énonciative, le linguiste pourra saisir le dynamisme de l'interaction dès le frémissement et le niveau pulsionnel des micro-activités. Il permettra à la discipline de ne pas en rester à un niveau d'interprétation des formes langagières mais d'effectuer des observations et des analyses mobilisant un appareil conceptuel conséquent.
Bibliographie Authier-Revuz J. (1984), "Hétérogénéité(s) énonciative(s)", in: Langages n° 73, 98-111. Authier-Revuz J. (1990), "La non-coïncidence interlocutive et ses reflets méta-énonciatifs", in: Berrendonner & Parret (1990), L'interaction communicative, Peter Lang, 173-194. Bakhtine M. (1977), Le marxisme et la philosophie du langage, Ed. de Minuit. Charaudeau P. (1994), "Rôles sociaux et rôles langagiers", in: Modèles de l'interaction verbale, Actes du Colloque Interaction d'Aix-en-Provence, Septembre 1991, Publications de l'université de Provence. Ducrot O. (1984), "Esquisse d'une théorie polyphonique de l'énonciation", in: Le dire et le dit, Editions de Minuit, 171-233. Jacques F. (1979), Dialogiques, PUF Jacques F. (1983), "La mise en communauté de l'énonciation", in: Langages n°70, 47-71. Kerbrat-Orecchioni C. (1991), "Hétérogénéité énonciative et conversation", in: H. Parret (éd. 1991), 121-138. Maury-Rouan C. & Vion R. (1993), Raconter sa souffrance. Gestion interactive de la tension narrative, communication au Colloque sur le récit oral, Montpellier Juin 1993, à paraître dans les Actes du colloque. Parret H. (éd.) (1991), Le sens et ses hétérogénéités, Editions du CNRS, collection Sciences du langage. Vion R. (1992), La communication verbale. Analyse des interactions, Hachette Supérieur. Vion R. (1994), Sens, interactivité et dialogisme, Communication à la Journée d'Etudes en Hommage à Denise François-Geiger, Février 1994, Université Paris V, à paraître dans les Actes.
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Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung? 1. 2.
Text versus Handlungsspiel Übersetzen als Paraphrasieren 2.1. Äußerungen als Paraphrasen 2.2. Äußerungsteile als Paraphrasen/Synonyme 3. Der Text als Teil des Handlungsspiels 3.1. Verstehen der Ausgangsäußerung 3.2. Wahl der angemessenen Zieläußerung 4. Bauprinzipien der Äußerungsform im Sprachvergleich 4.1. Sprachspezifische Konstruktionen 4.2. Freies und idiomatisches Verfahren 4.3. Von der Willkür der Ausdrücke 5: Übersetzen als Aushandeln 5.1. Zwischen Treue zur Ausgangssprache und Wohlgeformtheit der Zielsprache 5.2. Die semantische Struktur als heuristische Struktur 5.3. Beispiele für unnötige "Untreue" 6. Grenzen des Übersetzens Literatur
1. Text versus Handlungsspiel Wie in vielen Fällen, so gibt uns auch bei unserem Thema Übersetzung die Alltagssprache einen ersten Einstieg in die Problematik. Wir sprechen von einer "richtigen" Übersetzung, von einer "guten" Übersetzung, einer "schönen" und "treuen" Übersetzung. Im Spannungsfeld dieser Adjektive, denke ich, wird sich erweisen, was eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung macht. Von den vielen Aspekten, die hier anzusprechen wären, kann ich nur einige wenige behandeln. Dabei will ich den Aspekt, der mir der wichtigste scheint, in den Vordergrund stellen und an Beispielen der Übersetzung aus dem Französischen ins Deutsche veranschaulichen. Dieser Aspekt, auf den Punkt gebracht, kann in folgender Maxime formuliert werden: Gegenstand der Übersetzung ist nicht der Text, sondern das Handlungsspiel. Die Bezugswissenschaft für eine Theorie der Übersetzung ist somit nicht, wie die moderne Übersetzungswissenschaft annimmt, die Textlinguistik — ich verweise nur auf Coseriu (1981a, 28), nach dem "die Übersetzungstheorie eigentlich eine Sektion der Textlinguistik sein müßte" —; sondern eine Theorie der Übersetzung ist auf der Basis einer Theorie sprachlichen Handelns zu begründen (vgl. zu einem ersten Ansatz z.B. Wilss 1981).
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2. Übersetzen als Paraphrasieren Diejenigen unter uns, die in der Schule Latein gelernt haben, werden sich vielleicht erinnern, welche Mühe es bedeutete, eine schwierige lateinische Periode in die Muttersprache zu übertragen. Dabei haben wir uns als Schüler dieser Mühe meist nur zur Hälfte unterzogen. Wir haben versucht zu verstehen, was lateinisch ausgedrückt war, und haben dies dann, ungeachtet der Form in der Muttersprache, möglichst getreu in Konstruktion und Wortwahl übersetzt. Wir waren bestrebt, keinen "Fehler" zu machen, wollten eine "richtige" Übersetzung liefern, wobei sich die "Richtigkeit" offenbar in erster Linie auf das Verstehen des fremdsprachlichen Inhalts, weniger auf die Konventionen des muttersprachlichen Ausdrucks bezog. Dabei haben wir den Text als sprachliche, selbständige Einheit für sich betrachtet, die es in eine andere Sprache zu übertragen galt, wobei wir uns dieses Übertragen offenbar als feste, eben "richtige" Zuordnung vorgestellt haben. Auch die Systemlinguistik des Strukturalismus geht von der Annahme einer solchen festen Zuordnung von Ausdruck und Inhalt der Zeichen aus. Gäbe es eine "richtige" Übersetzung, so hätte der Übersetzer nur den Ausdruck der einen Sprache durch einen bedeutungsgleichen Ausdruck der anderen Sprache auszutauschen. Wie wir alle wissen, hat dieses Bild mit der Realität des Sprachgebrauchs nichts zu tun hat. Die Realität des Sprachgebrauchs ist nicht gekennzeichnet durch feste Zuordnung, sondern durch das Prinzip der konventionellen Wahl. An diesem Prinzip orientiert sich auch der Prozeß des Fremdsprachenlernens. Auf einer ersten Stufe, der Stufe des "Überlebens" im fremden Land, verfügt der Ausländer — wenn überhaupt — nur über minimale Wahlmöglichkeiten. Er ist schon froh, wenn er den kommunikativen Zweck, den er im Auge hat, wenigstens auf eine Art und Weise ausdrücken kann. Im Lauf der Erweiterung seiner fremdsprachlichen Kompetenz lernt er andere Möglichkeiten hinzu. Er kann dann, z.B. am Telefon, nicht nur unter Mißachtung von Höflichkeitsgesichtspunkten sagen: (1)
Je veux parier avec Jean.,
sondern er kann sich schon situationsangemessener ausdrücken, etwa mit: (2)
Je voudrais parier avec Jean.
(3)
Pourrais-je parier avec Jean?
(4)
Est-ce que je pourrais parier avec Jean?
und lernt irgendwann auch noch (5)
Puis-je parier avec Jean?
hinzu. Wir haben also im Sprachgebrauch, dem eigentlichen Gegenstand einer Theorie sprachlichen Handelns, gegenüber dem Übersetzen einen unschätzbaren Vorteil. Es stehen uns nicht nur verschiedene Ausdrücke, verschiedene Äußerungsformen für einen bestimmten kommunikativen Inhalt zur Wahl, sondern wir können auch auf der Ebene des Inhalts, der kommunika-
Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
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tiven Zwecke, ein wenig die Gewichte verschieben. Ein Ausländer kann im Sprachgebrauch das, was er sagen will, inhaltlich nach Maßgabe seiner Ausdrucksmöglichkeiten ein wenig verändern, ohne daß der kommunikative Zweck im ganzen beeinträchtigt wird. Im Unterschied dazu gibt die Übersetzung den Inhalt genau vor. Zum Kriterium der Situationsangemessenheit des Ausdrucks kommt hier noch das entscheidende Kriterium der Bedeutungsgleichheit hinzu, das Übersetzen als Form des Paraphrasierens in einer anderen Sprache charakterisiert. Eine konsistente Theorie des Übersetzens ist somit nur auf der Basis einer Theorie der Paraphrase möglich. Eine solche Bestimmung des Übersetzens als Paraphrasieren kommt dem gleich, was Coseriu (1981a, 46) "ein allgemeines Übersetzungsideal" genannt hat. Im Unterschied zu Coseriu, für den ein solches Übersetzungsideal eine "contradictio in adiecto" ist, bin ich der Überzeugung, daß Übersetzen in der Tat dem Ideal des Paraphrasierens folgen sollte, wobei der Ausgangstext die Richtschnur bildet. Nach Govaert (1971, 425) "ils n'ont pas à créer les formes, mais à les reproduire". Ist der Ausgangstext für Experten bestimmt, so sollte dies auch die Übersetzung sein. Eine Bearbeitung des Ausgangstexts für Laien betrachte ich nicht mehr als bloße Übersetzung, sofern die Bearbeitung in den Text eingreift und nicht nur als Kommentar dem Text beigegeben wird. Im Unterschied dazu spricht Coseriu von verschiedenen Übersetzungen eines Textes in Abhängigkeit vom Adressaten, vom Zweck und von der geschichtlichen Situation. Faktoren, die im ursprünglichen Handlungsspiel in der historischen Situation präsent waren, sollten jedoch meiner Auffassung nach auch bei der Übersetzung vorausgesetzt oder nur als Kommentar mitgeliefert werden. Sofern sie im Text selbst expliziert werden, handelt es sich um eine Bearbeitung des Textes und nicht nur um eine Übersetzung. Das Handlungsspiel, in dem der Ausgangstext steht, gibt uns auch den Rahmen für die Übersetzung. Damit stellt sich uns die Aufgabe, eine Theorie der Paraphrase auf der Basis des Handlungsspiels zu begründen. Das Prinzip der Bedeutungsgleichheit ist nach meiner Auffassung eines der zentralen Prinzipien, die es ermöglichen, daß wir uns im Sprachgebrauch verständigen können, in der Muttersprache wie in der Fremdsprache. Doch müssen wir uns Klarheit darüber verschaffen, was dieses Prinzip eigentlich bedeutet. Wenn wir bedenken, was bereits de Saussure gelehrt hat, daß es weder den Ausdruck für sich, noch den Inhalt für sich gibt, sondern daß wir Ausdruck und Inhalt nur in der gegenseitigen Zuordnung erfassen können, so folgt daraus, daß es völlige Bedeutungsgleichheit, Bedeutungsidentität verschiedener Ausdrücke wohl nicht geben kann. Es kann sich nur um "équivalence in différence" handeln, wie Roman Jakobson (1981, 191) "das Kardinalproblem der Sprache und die Kernfrage der Linguistik" nannte. Doch wo liegen die Grenzen der Paraphrasebeziehung? Wann ist eine Äußerung noch als Paraphrase der Ausgangsäußerung zu werten, wann nicht mehr? Wo oder wie läßt sich überhaupt Bedeutungsgleichheit, Bedeutungsäquivalenz messen, da es ja Bedeutung an sich, als Objekt nicht gibt? Auch Wittgensteins bekanntes Diktum (1968, I 43), die Bedeutung sei der Gebrauch, hilft hier in dieser einfachen Gleichsetzung nicht weiter. Wie soll man vom Gebrauch
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der einen Sprache zum Gebrauch der anderen finden, ohne auf das Bezug zu nehmen, wozu die Ausdrücke gebraucht werden? Bedeutung ist daher m.E. nicht mit dem Gebrauch gleichzusetzen, sondern als das zu fassen, wozu die Ausdrücke gebraucht werden. Die Bedeutung einer ganzen Äußerung in diesem Sinn ist somit das, wozu sie verwendet werden kann, ihr kommunikativer Zweck oder ihre Handlungsfunktion. Handungsfunktionen gibt es nicht für sich, sie sind immer auf einen Weltausschnitt, auf eine Proposition, bezogen. Wir können z.B. nicht nur BITTEN, sondern wir bitten um etwas, z.B. daß uns ein Freund ein Buch ausleiht. Das heißt, die Handlungsfunktion der Bitte ist auf einen Weltausschnitt bezogen, in dem prädiziert wird, nämlich, daß es sich um den Vorgang des Ausleihens handelt, und in dem referiert wird, in unserem Fall auf Personen, den Sprecher und den Kommunikationspartner, und auf einen Gegenstand. Zum kommunikativen Zweck im engeren Sinn, nämlich zur Handlungsfunktion, kommen die propositionalen Funktionen des Referierens und Prädizierens hinzu. Kommunikative Funktionen wie die Handlungsfunktion des BITTENs können wir immer nur mit ganzen Äußerungen vollziehen. Betrachten wir daher zunächst die Paraphrasebeziehung zwischen ganzen Äußerungen.
2.1 Äußerungen als Paraphrasen Das Prinzip der Bedeutungsgleichheit oder das Paraphraseprinzip ist für unsere natürlichen Sprachen deshalb so wichtig, weil es uns erlaubt, die ungeheure Vielfalt der Ausdrucksmöglichkeiten auf einer ersten Stufe zu gliedern, in den Griff zu bekommen. Für die verschiedenen Handlungsfunktionen, die in einer Sprechakttaxonomie funktional definiert sind (vgl. Weigand 1989), haben wir in den Einzelsprachen immer verschiedene Äußerungsmöglichkeiten zur Verfügung, so für unseren Sprechakt des BITTENs im Deutschen: (6)
Leih mir bitte das Buch!
(7)
Könntest du mir das Buch leihen?
(8)
Würdest du mir das Buch leihen?
(9)
Würde es dir etwas ausmachen, mir das Buch zu leihen?
(10)
Es wäre mir eine Hilfe, wenn du mir das Buch leihen könntest.
oder im Französischen: (11)
Prête-moi le livre, s'il te plaît !
(12)
Pourrais-tu me prêter le livre ?
(13)
Me prêterais-tu le livre ?
(14)
Ça serait un problème pour toi de me prêter le livre ?
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Tu me renderais un grand service de me prêter le livre.
Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
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Die Mengen der Äußerungsvarianten ließen sich leicht erweitern, und wir stehen vor der Frage, wo die Grenze der Paraphrasebeziehung anzusetzen ist. Soviel zumindest, denke ich, wird bei einem Vergleich der Äußerungen sogleich klar, daß die Menge der kommunikativ äquivalenten Äußerungen noch nicht das Kriterium für eine gute Übersetzung liefern kann. So würden wir kaum die deutsche Äußerung (6) Leih mir bitte das Buch! mit der französischen Äußerung (15) Tu me renderais un grand service de me prêter le livre, übersetzen wollen. Der kommunikative Zweck der BITTE, und das heißt das Kriterium, das die Äußerungen zu Varianten eines Sprechakts zusammenschließt, ist offenbar als Kriterium der Bedeutungsgleichheit für eine Übersetzung noch zu grob. Für eine gute Übersetzung müssen wir die Grenze der Paraphrasebeziehung enger ziehen. Erst durch weitere Differenzierung des Zwecks und der Situation gelingt es uns, eine Einzeläußerung aus der Menge der sog. kommunikativ äquivalenten Äußerungen in ihrer Spezifität zu fassen (vgl. Weigand 1992), und um eine Einzeläußerung geht es, wenn wir übersetzen. So unterscheidet sich Äußerung (15) von Äußerung (6) funktional dadurch, daß mit (15) Tu me renderais un grand service de me prêter le livre, nicht direkt in den Handlungsspielraum des anderen eingegriffen wird. Diese funktionale Nuance des indirekten Sprechens eignet sich besonders für Situationen mit einem Kommunikationspartner, dem gegenüber wir eine gewisse Distanz oder Respekt empfinden. Erst diese weitere funktionale Differenzierung einer Einzeläußerung hinsichtlich ihrer situativen Adäquatheit gibt uns den Maßstab für eine gute Übersetzung. Auch dieser Maßstab beruht auf Konventionen der Einzelsprachen, die den Einsatz unserer kommunikativen Mittel regeln. Kommunikative Mittel sind nun nicht allein sprachliche Mittel, hinzu kommen situativ-visuelle und kognitive Mittel wie Einschätzungen und Wertzuweisungen. Das Ineinandergreifen dieser unterschiedlichen Mittel ist in den verschiedenen Sprachen unterschiedlich geregelt. Wir können also nicht davon ausgehen, daß die gleichen funktionalen und situativen Differenzierungen immer mit gleichen sprachlichen Strukturen ausgedrückt werden. So können wir z.B. im Französischen Futurformen mit direktiver, imperativischer Funktion verwenden: (16)
Tu resteras jusqu'à ce que ton travail soit terminé !
(17)
Tu viendras !,
während im Deutschen dafür Präsens üblich ist: (18) (19)
Du bleibst! Du kommst her!
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Edda Weigand
2.2 Äußerungsteile als Paraphrasen/Synonyme Während wir auf der Ebene ganzer Äußerungen von der Menge kommunikativ äquivalenter Varianten oder Paraphrasen sprechen, bezeichnen wir die Relation der Bedeutungsgleichheit auf der Ebene von Äußerungsteilen meist als Synonymie. Für die Segmentierung von Äußerungen beziehen wir uns auf ihren kommunikativen Zweck (vgl. Weigand 1994). Wie sollen wir Äußerungsteile, für die Synonymie anzunehmen ist, abgrenzen? Für den Vorgang des Leihens haben wir z.B. im Französischen zwei Ausdrücke, je nachdem, welche Richtung man in den Blick nimmt: Wir können prädizieren, daß es sich um den leihweisen Austausch eines Objekts vom Kommunikationspartner zum Sprecher hin handelt, also um den Vorgang des emprunter, oder wir können prädizieren, daß das Objekt vom Sprecher zum Kommunikationspartner hin ausgetauscht wird, also ein Vorgang des prêter stattfindet. Im Deutschen jedoch haben wir ein Verbum, leihen bzw. ausleihen, dessen Verwendung in der einen oder anderen Richtung noch nicht mit dem bloßen Verbausdruck allein geregelt ist, sondern von unterschiedlichen syntaktischen Konstruktionen, von unterschiedlichen Valenzmöglichkeiten abhängt: (20)
jemandem etwas (aus)leihen — etwas von jemandem (aus)leihen
Wir sehen hier deutlich, daß Wörter nicht für sich als Einzelwörter zu betrachten sind, sondern daß sie bereits ihre Konstruktionen und Verwendungsweisen mitbringen, und mit diesen Verwendungsweisen auch ihre Bedeutung. Dazu gehört auch, daß sie vielfach bereits festlegen, mit welchen anderen Wörtern sie kombiniert werden können. Es kann daher keine Synonymie von Einzelwörtern geben, sondern nur von Äußerungsteilen oder Phrasen. Wie bei ganzen Äußerungen ist auch bei Äußerungsteilen die Bedeutung als das zu fassen, wozu die Ausdrücke verwendet werden. Äußerungen werden für kommunikative Zwecke verwendet, Äußerungsteile für prädizierende und referierende Funktionen. Die Besonderheit einer einzelnen Verwendung läßt sich auch hier erst erkennen, wenn man die Menge quasi-synonymer Ausdrucksweisen überblickt. So haben wir z.B. im Französischen und Deutschen eine Reihe verschiedener Ausdrücke, die alle prädizieren, daß jemand ÄRGERLICH WIRD: ÄRGERLICH WERDEN (21.1) Jean se fâche.
(22.1) Hans wird ärgerlich.
(21.2) Jean se met en colère.
(22.2) Hans fängt an, sich zu ärgern.
(21.3) Jean devient fou de rage.
(22.3) Hans packt der Ärger.
(21.4) La colère s'empare de Jean.
(22.4) Hans überkommt der Ärger.
Ein guter Übersetzer wird nicht Wort für Wort übersetzen. Die Wortartzugehörigkeit ist kein Kriterium quasi-synonymer Beziehungen. So können wir weder (22.1) Hans wird ärgerlich. noch (22.2) Hans fängt an, sich zu ärgern, wörtlich übertragen:
W a s macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
(23.1 )
* Jean devient fâché.
(23.2)
*Jean commence à se fâcher.
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Ein guter Übersetzer kennt die Verwendungsweisen der Wörter und kann sich dabei nicht auf die semantische Beschreibung von Einzelwörtern stützen. Nach Wittgenstein (1968,1 340) 'kann man nicht erraten, wie ein Wort funktioniert. Man muß seine Verwendung anschauen und daraus lernen.' Einzelwörter z.B. im Rahmen eines Wortfeldes semantisch zu beschreiben, ist eine Sache, eine andere Sache aber, ihre Verwendung und damit die Konventionen des Sprachgebrauchs zu kennen. Mit kognitiv-begrifflichen Einteilungen oder "Dimensionen" (Geckeier 1971a und 1971b) lassen sich Begriffsfelder strukturieren, die natürlich bis zu einem gewissen Grad in unseren Sprachen gespiegelt sind und in einem Wortfeld mit lexikalischen Einheiten benannt werden können. Doch ist zu fragen, ob unsere Denkoperationen, die dem Begriffsfeld zugrunde liegen, auch Prinzipien der Sprachverwendung sind. Wenn wir also kognitiv in polaren Oppositionen vorgehen und z.B. neben gut die Oppositionen schlecht und böse, neben alt jung und neu unterscheiden, so folgt daraus noch nicht, daß polare Operationen dieser Art ein generelles Strukturprinzip unserer Sprachverwendung sind. Womit sollten wir z.B. ärgerlich
kontrastieren? Wir können begriffliche Unterscheidungen mit Einzelwörtern
"benennen", etwa derart: (24)
Wir sprechen von "ärgerlich"/nennen es "ärgerlich", wenn ...
Mit solchen Benennungen reflektieren wir kognitive Konzepte. Die Verwendungsweisen von ärgerlich werden damit aber nicht erfaßt. Im Rahmen eines Beschreibungsmodells des Sprachgebrauchs kann man auch nicht davon ausgehen, daß Einzelwörter "benennen". "Benennen", "identifizieren" ist Funktion einer ganzen Äußerung, wie z.B. von (24). Einzelwörter haben Funktion nur als Teil von Äußerungen und als solche, soweit es sich um Einheiten der lexikalischen Semantik handelt, prädizierende Funktion (vgl. Weigand 1993b).
3. Der Text als Teil des Handlungsspiels Wir handeln im Sprachgebrauch nicht allein mit unseren sprachlichen Mitteln, sondern setzen ebenso visuelle Mittel und unsere kognitiven Fähigkeiten ein. Eine Äußerung ist somit nie nur als sprachliches Objekt zu verstehen. Wir kommunizieren, um uns zu verständigen, und stehen dabei nicht der Welt gegenüber, sondern immer schon als Menschen in der Welt. Aus der Situation den Text als bloß sprachliches Objekt zu abstrahieren, wird einem handlungsorientierten Verständnis unseres Sprachgebrauchs nicht gerecht. Die erste Aufgabe beim Übersetzen ist es daher, daß wir versuchen, in die Welt des Ausgangstextes einzudringen und den Text als Teil des Handlungsspiels zu verstehen. Das Handlungsspiel ist keine bloß sprachliche, sondern letztlich eine kulturelle Einheit. Erst im Rahmen des Handlungsspiels können wir verstehen,
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Edda Weigand
w o z u Ä u ß e r u n g e n u n d Ä u ß e r u n g s t e i l e v e r w e n d e t w e r d e n . N a c h d i e s e m e r s t e n Schritt d e s m ö g l i c h s t v o l l s t ä n d i g e n V e r s t e h e n s m u ß der Ü b e r s e t z e r in der Z i e l s p r a c h e g e e i g n e t e A u s drucksmöglichkeiten auswählen, die z u m gleichen kommunikativen Z w e c k verwendet werden können.
3.1 V e r s t e h e n der A u s g a n g s ä u ß e r u n g
B e t r a c h t e n w i r auf d i e s e r h a n d l u n g s t h e o r e t i s c h e n B a s i s e i n k o n k r e t e s Ü b e r s e t z u n g s b e i s p i e l g e nauer. A u s d e m B a n d "Französische Meistererzählungen" d e s D e u t s c h e n T a s c h e n b u c h V e r l a g s h a b e i c h e i n e n A b s c h n i t t aus Prosper M e r i m e e s Erzählung "Mateo F a l c o n e " a u s g e w ä h l t ( 1 9 8 3 , 226f.): (25) L'adjudant et sa troupe se donnaient au diable ; déjà ils regardaient sérieusement du côté de la plaine comme disposés à s'en retourner par où ils étaient venus, quand leur chef, convaincu que les menaces ne produiraient aucune impression sur le fils de Falcone, voulut faire un dernier effort et tenter le pouvoir des caresses et des présents. «Petit cousin, dit-il, tu me parais un gaillard bien éveillé ! Tu iras loin. Mais tu joues un vilain jeu avec moi ; et si je ne craignais de faire de la peine à mon cousin Mateo, le diable m'emporte ! je t'emmènerais avec moi. -Bah ! - Mais quand mon cousin sera revenu, je lui conterai l'affaire, et pour ta peine d'avoir menti il te donnera le fouet jusqu'au sang. - Savoir ? - Tu verras... mais, tiens... sois brave garçon, et je te donnerai quelque chose. - Moi, mon cousin, je vous donnerai un avis, c'est que si vous tardez davantage, le Gianetto sera dans le maquis, et alors il faudra plus d'un luron comme vous pour aller l'y chercher.» L'adjudant tira de sa poche une montre d'argent qui valait bien dix écus ; et, remarquant que les yeux du petit Fortunato étincelaient en la regardant, il lui dit en tenant la montre suspendue au bout de sa chaîne d'acier.
Der Leutnant und seine Mannschaft gaben sich geschlagen ; schon schauten sie allen Ernstes in die Ebene hinab, als wären sie bereit, wieder dorthin zu gehen, woher sie gekommen waren ; da wollte der Vorgesetzte, nun überzeugt, daß Drohungen keinen Eindruck auf den Sohn von Falcone machten, einen letzten Anlauf nehmen und versuchen, was Schmeicheleien und Geschenke vermöchten. «Kleiner Vetter», sagte er, «du bist ja ein recht waches Bürschlein ! Du wirst es weit bringen. Aber mit mir spielst du ein übles Spiel, und wenn ich nicht Sorge hätte, meinem Vetter Matteo damit wehzutun, würde ich dich, hol's der Teufel, mitnehmen.» «Bah !» «Aber wenn mein Vetter wieder da ist, erzähl ich ihm diese Geschichte, und zur Strafe, daß du gelogen hast, peitscht er dich bis aufs Blut.» «Wirklich ?» «Du wirst schon sehn ... aber, wart mal ... sei ein guter Junge, ich will dir etwas geben..» «Und ich will Euch etwas sagen, lieber Vetter, nämlich: Wenn Ihr noch länger zögert, ist dieser Gianetto im Maquis, und dann ist mehr als ein Schlaukopf von Eurer Sorte nötig, um ihn dort aufzutreiben.» Der Leutnant zog eine silberne Uhr aus der Tasche, die gute zehn Taler wert war. Er sah, wie die Augen des kleinen Fortunato aufblitzten, als er sie betrachtete ; da ließ er die Uhr an ihrer Stahlkette baumeln und sagte:
W o r a u f e s m i r a n k o m m t , ist d i e unterstrichene Ä u ß e r u n g in der z w e i t e n H ä l f t e d e s T e x t a u s schnitts: (25)
m a i s , tiens ... s o i s brave garcon, et j e te donnerai q u e l q u e c h o s e . aber, wart m a l . . . sei e i n guter Junge, ich w i l l dir e t w a s g e b e n .
Fast, aber e b e n nur fast, k ö n n t e m a n mit d i e s e r Ü b e r s e t z u n g z u f r i e d e n sein. Z w e i s c h e i n b a r e K l e i n i g k e i t e n s i n d nicht g e n a u übersetzt: Futur wird mit wollen
w i e d e r g e g e b e n , u n d das et ist
Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
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weggelassen. Diese zwei nicht beachteten "Kleinigkeiten" signalisieren, daß der Text für sich als bloß sprachliches Objekt übersetzt wurde, wobei der kommunikative Zweck der Äußerung — das Entscheidende des Handlungsspiels — nicht verstanden wurde. Dabei gibt Mérimée selbst im vorausgehenden Text den entscheidenden Hinweis, den ich wiederum unterstrichen habe: (25)
quand leur chef, convaincu que les menaces ne produiraient aucune impression sur le fils de Falcone, voulut faire un dernier effort et tenter le pouvoir des caresses et des présents.
Das heißt, wir haben offenbar zwei Möglichkeiten, bei einem anderen etwas zu erreichen: einmal les menaces, DROHUNGEN, und zum anderen le pouvoir des caresses et des présents, das was man in einer Theorie kommunikativer Zwecke ein ANGEBOT nennt. Zunächst hatte der Leutnant versucht, durch Drohungen von dem Jungen herauszubekommen, wo der Bandit sich versteckt hielt; nun versucht er es über ein Angebot. Betrachten wir dazu noch einmal unsere zentrale Äußerung: (25)
mais, tiens ... sois brave garçon, et je te donnerai quelque chose.
Während im Französischen die Handlungsfunktion des ANBIETENs klar durch et und Futur ausgedrückt ist, geht sie in der deutschen Übersetzung verloren. Das wichtige Wörtchen et wird unterschlagen. Setzen wir es auch im Deutschen ein und verwenden ebenso wie im Französischen Futur, so kommt auch im Deutschen die Handlungsfunktion des Anbietens klar zum Ausdruck: (26)
aber warte ... sei ein guter Junge, und ich werde dir etwas geben.
Wir haben hier ein gutes Beispiel dafür, daß aus Nachlässigkeit und geringfügiger Untreue gegenüber dem Original ein entscheidender Fehler entstehen kann: Der Übersetzer hat den kommunikativen Zweck, das, wozu die Äußerung verwendet wurde, nicht erkannt. Gut ist dieses Beispiel auch deshalb, weil es zeigt, wie die Bedeutung oft an kleinen Wörtchen hängt. So wie Angebote durch dieses et/und ausgedrückt werden — im Kontext der ganzen Äußerung natürlich —, so hängen Drohungen, les menaces, an dem Wörtchen ou/oder. Auch dazu gibt der Text ein Beispiel, einige Seiten vorher (S. 220): (27)
... cache-moi, ou je te tue. ... versteck mich, oder ich bringe dich um. Angebote wie Drohungen kündigen konditional eine Handlung an, für den Fall, daß der
Kommunikationspartner etwas tut oder sich auf eine bestimmte Weise verhält. Der entscheidende Unterschied ist, daß Angebote eine Handlung ankündigen, die für den Kommunikationspartner positiv ist, während Drohungen etwas ankündigen, das für den Kommunikationspartner nicht erwünscht sein kann:
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(28)
Edda Weigand
ANGEBOT
ich werde x tun, wenn du y tust x ist positiv für den KP
DROHUNG
ich werde x tun, wenn du y tust x ist negativ für den KP
Davon — und hier nur am Rande gesagt — muß man noch einmal nichtkonditionale Angebote wie (29)
Darf es noch ein Brötchen sein?
sowie die nichtkonditionalen Handlungen des Versprechens und Warnens unterscheiden (vgl. Weigand 1989). Der kommunikative Zweck der beiden Handlungen ANBIETEN versus DROHEN wird somit auf der Äußerungsseite einmal durch et, einmal durch ou unterschieden. Erst indem der Übersetzer den Text als Teil des Handlungsspiels versteht, vermag er auch die kommunikative Funktion der Äußerungen zu erkennen.
3.2 Wahl der angemessenen Zieläußerung Für den ersten Schritt des Verstehens muß sich der Übersetzer an dem orientieren, was ihm vorgegeben ist, und es sollte ihm alles vorgegeben sein, die Sprache und der kulturelle, historische Kontext, in dem die Einzeläußerung steht. Für den zweiten Schritt, die angemessene Äußerung in der Zielsprache auszuwählen, muß er selbst diese Einzeläußerung im Rahmen seiner kommunikativen Kompetenz suchen und finden. Auch diese Aufgabe wollen wir nun an einem Übersetzungsbeispiel aus der Erzählung von Mérimée genauer betrachten (S. 218): (30)
Il s'approcha de Fortunate et lui dit: "Tu es le fils de Mateo Falcone?" "Oui." Er kam auf Fortunate zu und sagte zu ihm: "Bist du der Sohn von Matteo Falcone?" "Ja." Wir haben hier mit der ersten Äußerung des Gesprächs eine Fragehandlung, die im Fran-
zösischen allein durch die Intonation ausgedrückt ist, im Deutschen dagegen finden wir in der Übersetzung Inversion. Nun gibt es im Deutschen wie im Französischen verschiedene Möglichkeiten, Fragehandlungen auszudrücken, in direkter Form einmal durch die Intonation, einmal durch Inversion und im Französischen auch durch die Umschreibung mit est-ce que:
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Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
(31.1)
Tu es le fils de M.F. ?
(31.4) Du bist der Sohn von M.F.?
(31.2)
Es-tu le fils de M.F. ? FRAGEHANDLUNG
(31.5) Bist du der Sohn von M.F.?
(31.3)
Est-ce que tu es ... ?
Man könnte nun der Ansicht sein, daß sich diese verschiedenen Äußerungsvarianten funktional kaum unterscheiden und daher die französische Variante (31.1) durch die deutsche Variante (31.5) übersetzt werden kann. Sölls Untersuchung (1971) der direkten Satzfrage im Übersetzungsvergleich stützt sich vor allem auf die Frequenz der Varianten und belegt, daß die Realisierung allein über die Intonation Tu es le fils de Mateo Falcone? im Französischen sehr beliebt ist und häufig vorkommt. Von diesem Unterschied in der Frequenz abgesehen, kann diese Variante jedoch auch feine funktionale Nuancen zum Ausdruck bringen, die die Äußerungsvariante mit Inversion Bist du der Sohn von Matteo Falcone? nicht beinhaltet. Für das Deutsche und wohl auch für das Französische stellt die Äußerungsvariante mit Inversion eine Äußerungsform dar, die die Fragehandlung klar, ohne zusätzliche Nebentöne zum Ausdruck bringt. Der Sprecher will hier in der Tat wissen, ob der andere der Sohn von Matteo Falcone ist. Die Variante jedoch, bei der die Fragehandlung allein durch die Intonation ausgedrückt wird, zeichnet sich dadurch aus, daß die Frage vergewissernde Funktion erhalten kann. Eigentlich weiß der Sprecher oder nimmt an, daß der andere der Sohn von Matteo Falcone ist, und er fragt, um sich dessen zu vergewissern. Dies entspricht auch der Situation in der Erzählung von Mérimée. Der Sprecher, "le bandit", kennt die Gegend und weiß, daß das Haus, vor dem er den Jungen antrifft, Matteo Falcone gehört. Also sagt er ihm auf den Kopf zu: Tu es le fils de Mateo Falcone?,
jedoch mit fragendem Ton, um sich zu vergewissern. Diese funktionale
Differenzierung der Äußerungsvarianten für eine Fragehandlung wird jedoch in der Übersetzung nicht beachtet. Hier wird direkt und ernsthaft gefragt, ob der andere der Sohn von Matteo Falcone ist. Auch hier könnte man sagen, daß der Übersetzer ausschließlich sprachlich und grammatisch vorgegangen ist unter der Annahme, daß kein funktionaler Unterschied zwischen den Varianten besteht. Den situativ-visuellen Ausdruck, daß der Junge vor dem Haus seines Vaters steht, hat er nicht erkannt. Somit bleibt ihm auch das Handlungsspiel zwischen dem Jungen und dem Banditen mit seinen funktionalen Nuancen verschlossen. In einer guten Übersetzung wird nicht nur der sprachliche Text übersetzt, sondern der Text als Teil des Handlungsspiels. Der Text an sich ist nichts, erst zusammen mit situativen und kognitiven Mitteln erhält er Funktion im Handlungsspiel (vgl. Weigand 1993a). Auch Coseriu (1981a, 31) betont, daß die Texte "nicht mit sprachlichen Mitteln allein erzeugt" werden, sondern "auch mit Hilfe von außersprachlichen Mitteln". Dennoch können auch so verstandene Texte nicht die Einheit der Beschreibung sein. Es handelt sich bei Texten nicht "um eine autonome Ebene des Sprachlichen" (Coseriu 1981b, 35), sondern erst das Handlungsspiel als kulturelle Einheit, das die Kommunikationsteilnehmer und ihre kommunikativen Zwecke ein-
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schließt, kann kleinste, für sich kommunikativ autonome Einheit sein und die Grenze für die Paraphrasebeziehung zwischen verschiedenen Äußerungsvarianten festlegen.
4. Bauprinzipien der Äußerungsform im Sprachvergleich Betrachten wir nun, nach dieser grundsätzlichen Klärung der Zusammenhänge beim Übersetzen wie generell beim Sprachgebrauch, einige Prinzipien genauer, die den Bau, die Struktur der Äußerungsform in den verschiedenen Sprachen determinieren und die beim Übersetzen in ihrer Verschiedenheit von Sprache zu Sprache beachtet werden müssen.
4.1 Sprachspezifische Konstruktionen Der einfachste Fall, der beim Übersetzen wohl kaum Schwierigkeiten bereitet, liegt dann vor, wenn beide Sprachen für den gleichen Inhalt deutlich verschiedene Konstruktionen verwenden, wenn man also ganz offensichtlich an eine Grenze stößt bei dem Versuch, die Konstruktion der Ausgangssprache in die Zielsprache zu übertragen. Beispiele dafür bilden die Partizipialkonstruktionen und der Gebrauch des Gerundiums im Französischen, für die es im Deutschen keine Entsprechung gibt.
4.2 Freies und idiomatisches Verfahren Vielleicht etwas schwieriger ist es schon zu erkennen, ob man eine Äußerung Teil für Teil übersetzen kann oder ob man für die ganze Äußerung eine andere Äußerung der Zielsprache in holistischem oder idiomatischem Verfahren einsetzen muß. Das komponentielle Prinzip, das sich an Äußerungsteilen orientiert, ist gültig, wann immer die sog. wörtliche Bedeutung eine Rolle spielt, also beispielsweise in direkten Sprechakten: (32)
Je voudrais parier avec Jean.
(33)
Ich möchte mit Jean sprechen. Das idiomatische Verfahren dagegen ist gültig, wenn erst der ganzen Äußerung ein kom-
munikativer Zweck zugeordnet werden kann, der sich nicht aus den Einzelteilen ableiten läßt. So müssen wir z.B. Grußformeln in den verschiedenen Sprachen als ganze kennen und können sie vielfach nicht wörtlich oder komponentiell übersetzen. Während wir z.B. im Deutschen einen Brief beenden mit der schlichten Formel
167
Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
(34)
Mit freundlichen Grüßen,
verwenden wir in offiziellen Briefen des Französischen dafür weit stilbewußtere Formeln, z.B. (35)
Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
Ein anderes typisches Beispiel für das idiomatische Verfahren sind Redewendungen, die man in jeder Sprache kennen muß und nicht Wort für Wort übersetzen kann: (36)
Revenons ä nos moutons! —Zurück zur Sache!
(37)
sauter du coq ä l'äne — vom Hölzchen aufs Stöckchen kommen
(38)
couper les cheveux en quatre — Haarspalterei treiben
Gewisse Anspielungen, die sich im Einzelfall an die wörtliche Bedeutung knüpfen mögen, gehen hier in der Übersetzung notgedrungen verloren (vgl. dazu ein schönes Beispiel bei Koller 1981, 371). Zwischen dem komponentiellen und dem idiomatischen Verfahren gibt es alle Abstufungen, die sich besonders bei den Verwendungsweisen lexikalischer Ausdrücke zeigen und vielfach erst beim Sprachvergleich deutlich werden. So können wir z.B. das deutsche und französische (39)
ein Beispiel geben, donner un exemple
im Italienischen nicht wörtlich übersetzen, sondern müssen das Verbum fare/machen
verwen-
den: (40)
fare un esempio.
Das Komplizierte im Sprachvergleich ergibt sich gerade daraus, daß die Reichweite der freien Kombinierbarkeit, also des komponentiellen Verfahrens, in den einzelnen Sprachen unterschiedlich und nicht regelhaft vorhersagbar ist.
4.3 Von der Willkür der Ausdrücke Diesen gewissen Grad an Willkür in der Verwendung unserer Ausdrücke finden wir nicht nur im lexikalischen Bereich, sondern auch bei grammatischen Ausdrücken und bei einem anderen fundamentalen Bedeutungstyp, dem Typ der referentiellen Funktion (vgl. Weigand 1993b, 265). Beispiele dazu liefert uns Wandruszkas Buch "Sprachen. Vergleichbar und unvergleichlich" in Fülle. Sie machen deutlich, daß die verschiedenen Typen des Referierens aufs Ganze gesehen als funktionale, übereinzelsprachliche Typen zu verstehen und nicht direkt auf die einzelsprachliche Semantik der Artikelwörter zurückzuführen sind. Auch in artikellosen Sprachen haben wir die Möglichkeit, auf einen Gegenstand definit, indefinit oder generisch zu referieren. Der Ausdruck dieser funktionalen Konzepte geschieht von Sprache zu Sprache unterschiedlich, wobei deutlich
Edda Weigand
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wird, daß die Artikelwörter vielfach zusätzlicher Ausdruck für etwas sind, das auch anders, vor allem situativ-visuell und durch den Kontext, ausgedrückt ist. Ich möchte hier nur auf ein einziges berühmtes Übersetzungsbeispiel näher eingehen. Der Titel des Romans von Stendhal (41)
Le rouge et le noir
wird bekanntlich im Deutschen mit (42)
Rot und schwarz
übersetzt. Handelt es sich hier um eine funktional identische Übersetzung oder um eine freie, schöne Übersetzung? Weinrichs Bemerkung in seiner Textgrammatik der französischen Sprache (1982, 282), daß der französische Artikel hier anaphorische Funktion habe, die ins Leere stoße, schreibt wiederum der einzelsprachlichen Artikelverwendung eine regelhafte Semantik zu, die ihr m.E. keineswegs immer zukommt. Fiele dann in der deutschen Version diese anaphorische Funktion weg, und haben Überschriften nicht eigentlich primär kataphorische Funktion als Vorausverweis auf den Text? Während das Italienische wie das Französische verfährt und z.B. für eine politische Diskussionssendung den Titel II rosso e il nero gewählt hat, lassen sich Farbbezeichnungen im Deutschen anscheinend nicht substantivieren. Im Französischen könnte der Titel jedoch auch Rouge et noir heißen. Warum also hat Stendhal Le rouge et le noir gewählt und damit aus den Adjektiven Substantive gemacht, die stärker Symbolcharakter haben und etwas Bestimmtes bezeichnen? Im Deutschen dagegen bleibt Rot und schwarz offener, eben stärker adjektivisch prädizierend als substantivisch referierend. Dennoch ist Le rouge et le noir gerade mit Rot und schwarz sowohl den deutschen Konventionen entsprechend wie auch besonders schön übersetzt.
5. Übersetzen als Aushandeln 5.1 Zwischen Treue zur Ausgangssprache und Wohlgeformtheit der Zielsprache Fragen dieser Art führen uns zum Kernproblem des Übersetzens. Übersetzen stellt eine Form des Paraphrasierens dar. Gutes Übersetzen aber beginnt erst auf der Basis des Paraphrasierens als Entscheidung für eine bestimmte Variante. Diese Entscheidung setzt mitunter einen schwierigen Prozeß des Aushandelns voraus, des Aushandelns zwischen der Treue zur Ausgangssprache und der Wohlgeformtheit und Schönheit des Ausdrucks in der Zielsprache. Bedeutungsgleichheit verschiedener Ausdrücke gibt es nicht, so wie es Bedeutung für sich als Objekt nicht gibt. Verschiedene Ausdrücke bringen auch eine Bedeutungsnuancierung mit sich.
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Bedeutungsgleichheit bleibt daher ein Ziel des Übersetzens, das nie völlig eingeholt werden kann.
5.2 Die semantische Struktur als heuristische Struktur Manche Beispiele, die im Grunde nicht zu übersetzen sind, machen dies besonders deutlich. So können wir im Französischen wie Italienischen die Verben jeter, buttare via auch auf Flüssigkeiten beziehen: (43)
Jette l'eau! — Butta via l'acqua!
Im Deutschen jedoch führte dies zu der unmöglichen Übersetzung (44)
* Wirf das Wasser weg!
Wir müssen hier andere Verben verwenden, sogar verschiedene, die keineswegs synonym sind: (45)
Gieße das Wasser ab!
und (46)
Schütte das Wasser weg! Ähnlich zeigen folgende Beispiele, daß die Ausdrücke der verschiedenen Sprachen nicht
das gleiche ausdrücken: (47)
soweit der Blick reicht
(48)
ä perte de vue
(49) (50)
fin
dove potevo spingere lo sguardo as far as the eye can see
Vor allem'das italienische spingere lo sguardo/*den Blick schieben ist im Grunde unübersetzbar. Die routinemäßigen Ausdrucksweisen der verschiedenen Sprachen kommen einander nur soweit nahe, wie es die Konventionen der Einzelsprachen zulassen. Was wir als Repräsentation der Bedeutung, als semantische Struktur bezeichnen, auf der die erstrebte Bedeutungsgleichheit zu finden sein soll, kann daher nichts anderes als eine heuristische Struktur sein, irgendwo auf der Mitte zwischen den verschiedenen Sprachen, eine Struktur, die ungefähr das angibt, wozu wir unsere Ausdrücke verwenden. Coseriu (1981a, 31) nennt diese Struktur übereinzelsprachlich und hebt hervor, daß zwar die einzelsprachlichen Ausdrücke unterschiedliche einzelsprachliche "Bedeutung" haben, aber dennoch in der Übersetzung alle das Gleiche "bezeichnen". Eine solche Annahme, daß der "übersetzte" Inhalt auf der Ebene der Bezeichnung der gleiche sei, kann ich nur in approximativem Sinn verstehen oder eben, wie vermutlich Coseriu selbst, als programmatische Aussage, deren Inhalt durch das Modell bestimmt ist.
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In einem handlungstheoretischen Modell jedoch ist die Handlung des Übersetzens wohl als deklarative Handlung zu betrachten, die mit dem pragmatischen Anspruch auftritt, mit der Übersetzung eine anderssprachige Paraphrase geliefert zu haben. Daß es sich hier in der Tat um einen pragmatischen Anspruch handelt, zeigen besonders deutlich die Stellen des "Umbruchs", an denen die Sprache nach Gipper (1966, 26) in eine "Zwangslage" gerät. Man könnte auch erwägen, Übersetzen als Redewiedergabe in einer anderen Sprache zu beschreiben; doch wird dabei übersehen, daß direkte, indirekte und übersetzerische Redewiedergabe unterschiedliche Muster darstellen, deren kommunikativer Zweck oder pragmatischer Anspruch erst noch eigens zu bestimmen wäre und von Fall zu Fall durchaus verschieden ist (vgl. Weigand 1989, 285ff.).
5.3 Beispiele für unnötige "Untreue" Ein Übersetzer befindet sich also häufig in einem gewissen Konflikt, den George Bernard Shaw auf seine Weise in Worte gefaßt hat: "Frauen sind wie Übersetzungen: die schönen sind nicht treu, die treuen sind nicht schön." Den gleichen Konflikt bringt auch das italienische Epigramm "Traduttore traditore." zum Ausdruck. Als Lösung für diesen Konflikt, denke ich, sollten wir das ansehen, was ich eine gute Übersetzung genannt habe, eine Übersetzung, die zwischen beidem, dem schönen und dem wahren oder treuen Wort vermittelt. In diesem Zusammenhang möchte ich nun eine Reihe von Beispielen bringen, wiederum aus der Übersetzung der Erzählung von Mérimée, die m.E. zeigen, daß auch gute Übersetzer mitunter unnötig und unachtsam gegen die gebotene Übersetzungstreue verstoßen. Hier sollte die alte Maxime, die wir schon als Schüler kannten, Leitlinie sein: "So treu wie möglich, so frei wie nötig." Solange es keinen Grund gibt, von der Konstruktion der Ausgangssprache abzuweichen, sollten wir ihr auch treu bleiben. So ist z.B. m.E. nicht ersichtlich, warum wir (S. 220f.) (51.1)
Cache-moi, car je ne puis aller plus loin,
nicht wörtlich übersetzen sollten: (51.2)
Versteck mich, denn ich kann nicht weiter.
Die Übersetzung jedoch läßt die Konjunktion denn weg: (51.3)
Versteck mich, ich kann nicht mehr weiter.
Ebenso läßt sich (S. 220f.) (52.1)
Cache-moi vite
sehr gut mit (52.2)
Versteck mich schnell
übertragen. Dagegen lesen wir in der Übersetzung (52.3)
Los, versteck mich.
Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
(53.1)
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mais il n'en eut pas le temps (S. 240f.)
läßt sich zutreffend und wörtlich mit (53.2)
aber er hatte dazu keine Zeit mehr
übersetzen. Es besteht kein Grund (53.3)
aber es war keine Zeit mehr
zu übersetzen. (54.1)
et se mit hors d'atteinte (S. 220f.)
hat im Französischen einen ingressiven Aspekt, den wir durchaus mit (54.2)
und er brachte sich außer Reichweite
übersetzen können. Statt dessen lesen wir (54.3)
und er war außer Reichweite.
Zugegeben, es handelt sich hier um Kleinigkeiten, die den Inhalt kaum verfälschen. Auch mag man einer sog. literarischen Übersetzung einen besonderen Spielraum mit weiterreichenden Freiheiten einräumen. Dennoch sollte sich m.E. ein Übersetzer nur als zweite Stimme des Autors verstehen und versuchen, nicht unnötig eigene Töne hereinzubringen. Dazu gehört auch, daß er den Stil des Ausgangstexts soweit wie möglich bewahrt. In der Erzählung von Mérimée fällt z.B. die äußerste Kargheit und Geradlinigkeit der Ausdrucksweise auf, die den Charakter und die Handlungsweise der Hauptperson widerspiegelt. Dies sollte auch die Übersetzung beachten und nicht unnötig Füllwörter verwenden, wie z.B. in (S. 220f. und 228f.): (55)
Tu n'es pas le fils de Mateo Falcone! Du kannst nicht der Sohn von Matteo Falcone sein!
(56)
Dis-moi seulement où est Gianetto ... Du brauchst mir doch nur zu sagen, wo Gianetto steckt...
Der lapidare, harte Stil des Originals geht auf diese Weise verloren.
6. Grenzen des Übersetzens Dieser Gesichtspunkt, daß wir in der Übersetzung manchmal nicht nur den Autor, sondern eben auch — und unnötigerweise — den Übersetzer vernehmen, führt uns an einen Punkt, mit dem ich meine Ausführungen schließen möchte: an die Grenzen des Übersetzens. Dem Übersetzen sind m.E. zweierlei Grenzen gesetzt: einmal da, wo die einzelsprachliche Form selbst zum Inhalt wird, und d.h. im poetischen Sprachgebrauch. Gedichte lassen sich im Grunde nicht übersetzen. Die einzelsprachliche Form selbst trägt einen Teil der Bedeutung, der beim Übersetzen notwendigerweise zerstört wird. Dies zeigt sich sehr schön an dem eben zitierten italienischen Epigramm traduttore
— traditore,
das im Grunde nicht übersetzt werden kann, da die
Edda Weigand
172
Klangähnlichkeit nicht nur ein oberflächlicher Gesichtspunkt ist. Im Französischen und im Englischen läßt sich ein Teil davon erhalten: (57)
traducteur — traître
(58)
translater — traitor,
im Deutschen jedoch stirbt dieses Sprichwort: (59)
Übersetzer — Verräter. Die andere Grenze des Übersetzens wird m.E. dann erreicht, wenn der Übersetzer eine ei-
gene stilistische und auch inhaltliche, expressive Qualität hereinbringt, wenn er selbst kreativ nachschafft, was der Autor bereits auf andere Weise gesagt hat. Die Stimme des Übersetzers präsentiert sich in diesem Fall nicht nur als zweite Stimme des Autors, sondern es tritt ein eigener Sprecher hervor, der eigene kommunikative Ziele zum Ausdruck bringen will. Wir befinden uns dann nicht mehr nur in einem untergeordneten dialogischen Zwischenspiel zwischen Autor und Übersetzer, in dem Formulierungsfragen geklärt werden, sondern in einem neuen dialogischen Handlungsspiel. Dann in der Tat wird aus dem "traduttore" ein "traditore" des Ausgangstexts. Allerdings will der "traduttore" in diesem Fall wohl auch nicht nur "traduttore" sein. Im Unterschied zur guten Übersetzung, dem Thema meines Vortrags, steht ihm das Ziel der schönen Übersetzung vor Augen, für die eigene, freiere Beziehungen zum Ausgangstext erlaubt sind. "Ein gutes Wort ist nicht immer schön, ein schönes Wort ist nicht immer aufrichtig", wie ein japanisches Sprichwort sagt. Eine gute Übersetzung muß nicht immer schön sein, aber sie sollte wohlgeformt und aufrichtig sein. Eine schöne Übersetzung muß in erster Linie der Schönheit der Form genügen, auch wenn sie dafür nicht immer aufrichtig sein kann. Was allerdings als schöne Form zählen kann, liegt letztlich im Auge des Betrachters.
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Was macht eine Übersetzung zu einer guten Übersetzung?
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Eva Lia Wyss
Übersetzung oder Adaptation? Zur "Übersetzung" von TV-Spots im Schweizer Fernsehen mit besonderer Berücksichtigung von Dialogsequenzen. 1. 2. 3.
Übersetzen - Übersetzen von Werbung Der TV-Spot als Text Übersetzung von TV-Spots 3.1 Mediensituation und Sprachsituation in der Schweiz 3.2 Zwei Begrüssungssequenzen 4. Typologie der TV-Spots in bezug auf die Übersetzung 5. Übersetzung vs. Adaptation als Gegenüberstellung der intertextuellen Bezüge Anmerkungen Literatur
1. Übersetzen - Übersetzen von Werbung In neuerer Literatur wird Übersetzung von Texten nicht mehr als blosse Umkodierung von Syntagmen dargestellt. Der Ausgangstext gilt vielmehr als Gestalt, der durch seine Eingebettetheit in eine Situation innerhalb eines kulturellen Rahmens festgelegt ist und der durch ebendiese Neugestaltung bzw. durch kulturellen Transfer als Text und als Teil der Zielkultur angesehen werden muss (vgl. Snell-Hornby, 13 u. Vermeer, 36). Die vagen Begriffe "Gestalt" und "Neugestaltung" weisen auf eine allgemeine Bezeichnungsschwierigkeit in übersetzungstheoretischer Literatur hin, die m.E. dadurch entsteht, dass einerseits Ausgangs- und Zieltext in eben dem (künstlichen 1 )
Übersetzungszusammenhang (als Überführung des Ausgangstextes in einen
Zieltext) gesehen werden sollen, gleichzeitig aber auf die Autonomie und Vernetztheit der einzelnen Texte (als Ergebnis) in je ihrem kulturellen Kontext (und damit auf eine Unabhängigkeit in bezug auf die Übersetzung) hingewiesen wird. Die Verschränkung von Übersetzungsprodufcfions- und Ttxtergebnisebene
ergibt eine Verschränkung und Vermischung
von Perspektiven und muss daher aus methodischen Gründen (vgl. unten, Übersetzung vs. Adaptation) auseinandergehalten werden. Neben der Tatsache der Vernetztheit der Texte in ihrem jeweiligen kulturellen Zusammenhang besteht auch mehrheitlich Einigkeit darüber, dass die Translation abhängig ist vom Zweck des Translats, der u.a. determiniert ist durch die Funktion des übersetzten Textes im Ensemble der Zielkultur. Für Werbetexte leistet Reiss eine Zweck- bzw. Funktionsbestimmung
Eva Lia Wyss
176
und damit auch eine texttypologische Einordnung: sie subsumiert den (gedruckten) Werbetext unter den operativen Texttyp 2 . Diesen bestimmt sie als appellbetont und empfängerausgerichtet. 3 Für seine Übersetzung postuliert sie generell Intentionsadäquatheit und spezifiziert terminologisch für Werbetexte - Boivineau folgend -, "am geeignetsten scheint es, den Terminus "adaptierende" Methode zu wählen, insofern als bei diesem Texttyp Adaptationen von der Funktion des Textes her geboten sind." Adaptation ist nach Boivineau "travail par lequel un traducteur transforme un texte publicitaire en langue étrangère en une production analogue qu'il estimera apte à remplir auprès des consommateurs de sa langue la fonction à laquelle le texte original était destiné." (Boivineau, zit. nach Reiss, 93.) Diese Definition konzentriert sich in erster Linie auf die kommunikative Funktion des Textes und benennt folgerichtig das Aptum (als rhetorische Funktion) und den Appell (als kommunikationswissenschaftliche Funktion) als qualitative Bestimmungen. Es bleibt jedoch die Frage offen, wie diese Qualitäten im einzelnen Text realisiert sind. Etwas näher an die Realisierungsebene gelangt Snell-Hornby (1986) mit der Frage nach der übersetzungsbezogenen Spezifik der sogenannten Werbesprache. 4 Sie ordnet das Übersetzen von Werbetexten dem "gemeinsprachliches Übersetzen" bei. Im Gegensatz jedoch zu fachsprachlichem und literarischem Übersetzen hebt sie u.a. die Wichtigkeit phonologischer Effekte für Werbetexte hervor. 5 Hier fehlt - wie oft in einschlägigen Publikationen - die m.E. wichtigen, der Übersetzung von Werbetexten eigenen Aspekte wie die Orientierung und die
zielsprachliche
Unterhaltungsfunktion..
Obschon in oben erwähnter Literatur Texte allgemein und Werbetexte im speziellen interessieren, vermisst man eine ausführliche Darstellung 6 der Unterschiede von Printwerbung und Werbung in elektronischen Medien. Tatsächlich können verschiedene, insbesondere funktionale Bestimmungen als allgemeingültig angesehen werden. Trotzdem ist es unerlässlich, bei genauerer Betrachtung, die verschiedenen Werbetext-Typen in ihrer Verschiedenheit zu zeigen.
2. Der TV-Spot als Text Als Text handelt es sich bei einem Werbetext um: "alle zeichenhaften Entitäten, die ein Sender bzw. Anbieter (...) mitteilt." (Fritz, 82) 7 . Als Weiterführung bildet in einem pragmatisch orientierten Zusammenhang die Bestimmung der Textsorte TV-Spot einen ersten Schritt.8 Textsorte "TV-Spot": Ein TV-Spot ist ein am Fernsehen ausserhalb des regulären Fernsehprogramms - die Sendezeit von Spots ist im Programmheft nicht vermerkt - ausgestrahlter filmischer Werbetext. Er unterscheidet sich von anderen Filmen dadurch, dass er in der Regel sehr kurz ist (20-30 sec.), dass er
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Übersetzung oder Adaptation? Zur "Übersetzung" von TV-Spots
aus deutlich voneinander abgegrenzten Teilen9 besteht, die teils von filmischer (mit bewegtem Bild) teils von printmedialer (mit unbewegtem Bild) Gestaltung geprägt sind. Diese Teile können einerseits dramatisiert (d) oder auch nicht dramatisiert (nd) sein. Spotteile bzw.sequenzen 10 sind z.B.: Szene/Situation (d), Anrede (d/nd), (Slogan/)Claim/Jingle (d/nd), Kommentar (nd), Produktstandbild (nd), Signetstandbild (nd). Medienspezifisch ist die Indirektheit der Kommunikation, die Einwegkommunikation 11 , die Verwendung von verbalem und nonverbalem Code, auditivem und visuellem Kanal. Verwendung für Codes und Kanäle (mit den zugehörigen Phänomenen im Spot):
auditiv visuell
verbal gesprochene Sprache (voice over, Gespräch, Ansprache, etc.) Liedtext geschriebene Sprache (inserts)
nonverbal Geräusche Musik nicht-ikonisches, bewegtes und stehendes Bild (Formen und Farben, Schnittechnik; div. Codes) Mimik, Gestik, Proxemik der Akteure
Eine dritte Dimension, die in der Aufstellung nicht berücksichtigt werden konnte, ist die unterschiedlich starke Konventionalisiertheit der Codes. Während geschriebene und gesprochene Sprache als konventionalisiert zu bezeichnen sind, gilt dies nicht in demselben Masse für nonverbale Informationen 12 , Bild- und Musikelemente. Den Werbespot als informativ-persuasiv zu bezeichnen und dabei den Appellcharakter hervorzuheben, wird dem Phänomen nicht gerecht. Zur persuasiven Textfunktion der TV-Spots ist die Unterhaltungsfunktion als zentrale pragmatische Funktion beizufügen. Das zunehmende Unterhalten-Wollen, die Ästhetisierung der Spots hängt technologisch mit dem Fortschritt in der Videotechnik (zunehmend einfacher Montage und Collage, zunehmende Möglichkeit der Computeranimation), produktionsbedingt mit der zunehmenden Spezialisierung und Professionalisierung der Werberinnen und nicht zuletzt - rezeptionsorientiert - mit der Erwartungshaltung der Rezipientlnnen zusammen.
3. Übersetzung von TV-Spots Ein grosser Teil der am Schweizer Fernsehen beworbenen Produkte werden in drei Sprachen für drei der vier Sprachregionen - ausgestrahlt: in deutscher 13 französischer und italienischer Sprache.
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3.1 Mediensituation und Sprachsituation in der Schweiz Die Schweizer Medienlandschaft ist seit langem geprägt von einer mit Belgien vergleichbaren europäischen Fernsehvielfalt. 14 Seit geraumer Zeit schon sind die Sender aus den Nachbarländern zu empfangen. Neben Lokal- und Privatsendern, die über Kabelnetz oder Satellitenschüssel empfangen werden, besteht eine nicht marginale öffentlich-rechtliche Sendeanstalt (SRG = Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft), die Rundfunk und Fernsehen unterhält, darunter das öffentlich-rechtliche Schweizer Fernsehen (SF). Das Schweizer Fernsehen umfasst drei Sender: SF DRS (Schweizer Fernsehen für die deutsche und rätoromanische Schweiz, TSR (Télévision Suisse Romande) und TSI (Televisione Svizzera Italiana). Für die "rätoromanisch"-sprechende 15 Bevölkerung sind einige (wenige) Sendegefässe im deutschsprachigen Sender reserviert. 16 Die Bevölkerung in der Schweiz setzt sich zusammen aus 63,7% deutschsprachigen, 19,2% französischsprachigen, 7,6% italienischsprachigen, 0,6% romanischsprachigen und 8,9% anderssprachigen (Volkszählung 1990). Der Vergleich dieser Zahlen mit dem Ausgabevolumen fürs Werbefernsehen (1990) ergibt eine interessante Entsprechung: ca. 72% der Gelder fliessen in deutschsprachige, 24% in französischsprachige und 4% in italienischsprachige Spots. Daraus ergeben sich die Übersetzungsrichtungen: in erster Linie wird vom Deutschen ins Französische und Italienische übersetzt, an zweiter Stelle folgt die Übersetzung aus dem Französischen und an dritter Stelle aus dem Italienischen. 17 In bezug auf die Übersetzung von TV-Spots fällt im Schweizer Fernsehen 18 auf, dass zwei Tendenzen zu beobachten sind. Man könnte auch von zwei Polen sprechen: erstens gibt es Spots, die auf allen Kanälen in der gleichen Fassung ausgestrahlt werden, die also nicht übersetzt werden, und auf der andern Seite stehen Spots, deren Bild- und Textebene "übersetzt" wird. Es handelt sich hier um eine pluricodale
Übersetzung. Zwischen standardisierter und
pluricodaler Übersetzung von Spots streuen sich eine Reihe von Übersetzungstypen, und es fragt sich nun, nach welchen Kriterien Übersetzung von Adaptation zu unterscheiden ist. Soll, wie Reiss es vorschlägt, in jedem Fall - weil Übersetzung von Werbetexten immer adaptierend ist von Adaptation gesprochen werden, oder ist das Kriterium der "Übersetzung" des Bildes massgebend? Zur Illustration der Problematik sollen die folgenden Beispiele dienen.
3.2 Zwei Begrüssungssequenzen Neben allgemein werbetextspezifisch interessanten Übersetzungsphänomenen wie Slogans, Produktenamen, sind im speziellen in Spots textsortentypische Eigenarten beobachtbar: die Übersetzung von Gesprächssequenzen und der Namen der Spotakteure. Speziell für die Schweiz interessiert auch die Übersetzung der Schweizer Mundart ins Französische. 19 Am Beispiel zweier
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Übersetzung oder Adaptation? Zur "Übersetzung" von TV-Spots
Begrüssungssequenzen zeige ich, wie unterschiedlich die Übersetzung von TV-Spots realisiert ist. Es stellt sich damit die Frage, a) wie die Begrüssung (als Gesprächssequenz), b) wie Namen und c) wie die Mundart übersetzt werden.
1. Toyota Tier-Spot III: Hier handelt es sich um einen Spot, in welchem verschiedenen Tieren Stimmen unterlegt sind. Die Tiere sprechen miteinander über eine neue Serie Toyota-Autos. Übersetzt wird nur die Tonspur, der auditive Kanal. Auf Bild- und Geräuscheebene wird bei der Übersetzung nichts verändert. (Vgl. Bild 1)
Bild 1 NONVERBAL Hörnchen mit hochgestelltem Körper leise Geräusche von Tieren (Typ Urwald) Nasenaffe (hält sich Hand ans Ohr)
VERBAL auditiv dt. Hörnchen (ruft): He, Heiri (Standard: He, Heinrich)
VERBAL auditiv frz. Hörnchen (ruft): Hé, Albert
Nasenaffe: Hö Hörnchen: du + mir sind scho wider am Fernseh! (Standard: du, wir sind schon wieder am Fernsehen!)
Nasenaffe: eh Hörnchen: t'as vu, on passe de nouveau à la télé!
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Eva Lia Wyss
a) Begriissung: Das joviale "He" wird im frz. als "Hé" wörtlich wiedergegeben. Diesem Kontaktwort folgt die namentliche Anrede; einmal heisst der Affe Heiri, dann Albert. Eine weitere Auffälligkeit ist die Wiedergabe der direkten Anrede ("du") im Deutschen durch eine indirekte Anrede im Französischen (t'as vu), das von der Lippenstellung des Hörnchens beeinflusst ist, die eine phonologische Gleichheit fordert (Lippensynchronverfahren). b) Namen: Auffallend ist dabei das Verändern der Namen. Aus Heiri (eine Kurzform von Heinrich) wird Albert. Hier scheint es sich auf den ersten Blick um eine willkürliche Setzung. Beide Namen sind gewöhnliche Schweizer Namen, mit eher ländlichem Charakter und auch etwas veraltet. Das "Hé Albert" ist interessanterweise intertextuell mit einer Kindersendung des TSR, den "Babibouchettes" 20 (zwei Puppen, die eine heisst Albert, unterhalten sich) verknüpft. Dieselbe Stimme der Sendung macht hier im Spot dieselbe Äusserung "Hé Albert". Es handelt sich bei der ganzen Äusserung demnach um ein Zitat auf phonetischer und verbaler Ebene, ein "déjà entendu". c) Übersetzung der Mundart: Das unmarkierte Zürichdeutsch (vgl. Christen, 87) wird in ebenso unmarkiertem Französisch wiedergegeben.
2. Bancomat In der deutschsprachigen Version tritt ein bekannter Bankier auf. Er ist korrekt gekleidet und trägt eine sportliche Brille. Die Szene spielt an einem Bancomaten in Zürich. Man hört Tramund andere Strassengeräusche. Der zweite Mann (Herr Fluri) ist salopper gekleidet als der Bankier,in Freizeitkleidung. Sie sprechen beide ein gemässigtes Zürichdeutsch. (Vgl. Bild 2)
Mann: Jä grüezi Herr Hasefratz Hasenfratz: Ah, grüezi + Herr + Fluri. Fluri: Müend sie au ihri Bankgschäft am Bancomat erledige? Bild 2
Übersetzung oder Adaptation? Zur "Übersetzung" von TV-Spots
181
Die im französischsprachigen Sender ausgestrahlte Version, spielt an einem bedeutend ruhigeren Ort (kein Strassenlärm), ebenfalls in einer Bancomathalle. Der Bankier ist ebenfalls älterer Mann in kariertem Jackett, rundlich. Der Kunde, ein jüngerer Mann, trägt eine hellbraune Wildlederjacke, ein kariertes Hemd (offen), darunter sichtbar ein weisses T-Shirt. (Vgl. Bild 3)
Mann: Aahh, les banquiers utilisent aussi le bancomat pour retirer d'I'argent. Bankier: Bonjour. Mann: Bonjour. Bild 3 a) Begrüssung: Die Begrüssungssequenzen unterscheiden sich deutlich auf Bild- und Textebene voneinander. Die eigentliche Begrüssung unterliegt jedoch einer andern Reihenfolge von Kontakt- und Grusswort. Der jüngere Mann redet den Bankier in der deutschen Fassung mit Namen an. Und - erstaunlicherweise - kennt der Bankier den Namen des Mannes und begrüsst diesen mit kleinem Zögern namentlich. Der Kunde in der französischen "Version" spricht erst mit ironischer Reverenz den Bankier an und ein wenig spöttelnd den Bankier an. Erst in einem zweiten Schritt folgt ein gegenseitiges "Bonjour". b) Namen: Da es sich bei den Bankiers um reale Personen handelt, ist evident, dass die Namen hier benennen und deshalb keine Übersetzung stattfinden kann. Während der deutschschweizerische Bankier gleich zu Beginn mit Namen angesprochen wird, erfahren wir den Namen des Bankiers aus der Romandie mittels Insert. Der Kunde Fluri - ein geläufiger, unmarkierter Name erhält in der französischsprachigen Version ein namenloses Pendant. c) Übersetzung der Mundart: Im Deutschschweizer Spot wird ein gemässigtes Zürichdeutsch gesprochen. In der französischen Version ist die Sprache ohne dialektale Markierung. Hier kann gar nicht mehr eigentlich von Übersetzung gesprochen werden. Auf mehreren Ebenen wird das Ensemble der Codes übertragen. Die visuellen Codes, verbal und nonverbal; die auditi-
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ven Codes, verbal wie nonverbal sind adaptiert. Die Veränderung der visuellen Codes bringt eine Veränderung der verbalen mit sich. In diesem Fall scheint es mir angemessen, von Adaptation zu sprechen.21Der explizit namentliche Begrüssung, steht einer lockeren ironischen Bemerkung mit anschliessendem Grusswort ohne Namensnennung gegenüber. Es stehen sich als Inszenierungen hier zwei differente Gesprächsstile gegenüber. Neben der Anpassung des Bildes findet die sprachliche Adaptation in erster Linie auf der Ebene der sprachlichen Register statt. Einem eher nüchtern-sachlichen Stil steht in der frz. Version eine
ironisch-humorvolle
Begrüssung gegenüber.
4. Typologie der TV-Spots in bezug auf die Übersetzung Neben der Adaptation, als Text-und-Bild-Übersetzung, ist ein Spektrum von verschiedenen Graden der Übersetzung zu beobachten. Zusammenfassend können fünf Typen unterschieden werden. a) Keine Übersetzung: Die Spots werden auf allen drei Kanälen in derselben Fassung gezeigt. (= standardisierte Spots) b) Teilübersetzung: Nur visuell-verbale Codes sind übersetzt. Die Verfahren sind Untertitelung oder Neugestaltung der Standbilder. c) Übersetzung: Gesprochene und geschriebene Sprache sind übersetzt. Ein übliches Verfahren ist die Synchronisation und - wenn vorhanden - die Neugestaltung der Standbilder. d) Teiladaptation: Neben den verbalen (visuell und auditiv) Codes ist auch die bildlich Komponente partiell verändert. e) Adaptation: Neben den verbalen sind auch die nonverbalen Komponenten vollumfänglich neu.
5. Übersetzung vs. Adaptation als Gegenüberstellung der intertextuellen Bezüge Neben der Bildkomponente als spotspezifisches Kriterium für die Unterscheidung von Übersetzung und Adaptation, gibt es eine weitere Möglichkeit, diese Phänomene auseinanderzuhalten: die Unterscheidung nach den Arten intertextueller Relation.
Übersetzung oder Adaptation? Zur "Übersetzung" von TV-Spots
183
Die Unterscheidung wird klar auf der Ebene der Texte als Produkte22 Ein Erkenntnisgewinn und eine Verdeutlichung stellt sich ein, wenn die intertextuellen Relationen nach Grad, Ort und Intensität (vgl. Pfister, 17) verglichen werden. Bei der Übersetzung sehen wir eine andere Gewichtung der intertextuellen Relationen als bei der Adaptation. Durch den Übersetzungsvorgang verursacht, besteht eine starke intertextuelle Relation zwischen Ausgangstext und Zieltext. Bei der Adaptation hingegen findet man eine starke intertextuelle Relation zwischen Text-1 und Kultur-1 bzw. Text-2 und Kultur-2, während keine übersetzungsdeterminierte Intertextualität auszumachen ist. Die intertextuellen Phänomene (Registerwahl, intermediale Bezüge, Ablauf der Begrüssungssequenzen, vgl. oben, Bancomat-Spot), die einerseits auf verbaler aber auch auf nonverbaler Ebene festzuhalten sind, werden so zum Kriterium der Unterscheidung von Übersetzung und Adaptation in bezug auf Werbetexte. Zwar finden sich einzelne der oben genannten Phänomene in einzelnen Textsorten (z.B. die Übersetzung von Namen in Witzen, Märchen, Filmen), doch offensichtlich zeigen TV-Spots ein Ensemble von Phänomenen, die in anderen Textsorten nicht in dieser Art vorkommen. Die Frage nach dem Was und dem Wie des Übersetzens von TV-Spots würde auch bei einer Ausdehnung auf den europäischen Raum mit Sicherheit interessante Resultate ergeben. Sozusagen als Nebenprodukt, denke ich, werden Aussagen über kulturspezifisches (Gesprächs-) Verhalten, kulturspezifische Codes möglich, die durchaus als Konkretisierung kultureller Unterschiede angesehen werden müssen.
Anmerkungen 1.
Die Nebeneinanderstellung von Ausgangs- und Zieltext ist einzig in wissenschaftlichem und übersetzungspraktischen Zusammenhang, nicht aber in alltäglichen Sprach- bzw. Sprechsituationen von Belang. 2. Neben informativem und expressivem Texttyp bestimmt Reiss den operativen Texttyp (worunter neben der Werbung auch Propagandatexte und missionarische Texte fallen). Ausserdem gehören sie dem audio-medialen Texttyp an, d.h. die sprachliche Gestaltung ist nach Reiss determiniert durch die Eigenschaften des Mediums und den möglichen Kodes. 3. Generell nennt sie dies auch verhaltensorientiert. Dabei werde primär die Willenssphäre angesprochen. 4. Etwas unkritisch bezeichnet sie die Werbesprache als Sondersprache. 5. Der Slogan "unanständig gut" (ch.dt. unanständig guet) wird im französischsprachigen Spot nicht als "indécemment bon" oder "inconvenamment bon", wie die korrektere Übersetzung lauten müsste, sondern als "un goût irrésistible" wiedergegeben. Drei Nasale sind schwierig auszusprechen und nicht wohlklingend. 6. Am Rande spricht Reiss einen neben dem operativen Texttyp stehenden audio-medialen Texttyp (die TVSpots) an, dessen sprachliche Gestaltung sie als durch die Eigenschaften des Mediums und den möglichen Kodes determiniert sieht. (S. 23 u. 129) 7. Fritz folgt hier Kallmeyer (1980) und Heinemann/Viehweger (1991). 8. In linguistischer Literatur habe ich bisher noch keine "Definition" gefunden, was damit zusammenhängt, dass die Textsorte nicht nur verbal sondern auch nonverbale Codes verwendet und in publizistischen Lexika und Handbüchern wird hinsichtlich der Sprache und der Kodes nur rudimentär eine Darstellung geboten. 9. Die Deutlichkeit der Unterteilung ist nicht allein durch die schnellen Schnitte, sondern in erster Linie durch die verschiedenartigen Gestaltungsmittel (bewegt, unbewegt, dramatisiert, nicht dramatisiert) der Sequenzen verursacht. 10. Hier folge ich im wesentlichen den Ausführungen von Christen (1985). 11. Im Gegensatz zu den im Fernsehen üblichen Überwindungsversuchen der kommunikativen "Einbahnstrasse" durch Zuschauerbeteiligung als Saal-Publikum, als Anruferinnen, etc. sind dieselben Phänomene in Spots Inszenierungen und als fernsehspezifische intertextuelle, evtl. ironisierende Bezüge anzusehen.
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12. Die hier als distinkt vorgenommene Unterteilung in verbale und nonverbale Codes ist vor allem in Spots mit Gesprächssequenzen in dieser Klarheit nicht durchführbar. So bieten hier Gesprächswörter und nicht klar in Zeichen umzusetzende lautliche Äusserungen Probleme. 13. Deutsch heisst für den Schweizer Sprachgebrauch, dass in mündlichen Situationen Mundart und in schriftlichen Standardsprache verwendet wird. Das Prinzip der medialen Diglossie gilt nicht für die elektronischen Medien. (Vgl. Burger 1990, S. 236ff.) In den TV-Spots liegt der Fall etwas anders: die Mundartverwendung lässt sich generell mit der Dichotomie "Unterhaltung/Emotion - Information" verbinden. Je unterhaltender/emotionaler ein Spotteil, desto höher ist die Wahrscheinlichkeit, dass Dialekt gesprochen wird. (Vgl. Burger, S. 239 und Christen, S. 107.) Die Sprachen und Sprachformen in TV-Spots widerspiegeln in etwa das, was für die Deutschschweizer Sprachsituation i. allg. gilt. Die mediale Diglossie ist mit leichter Einschränkung auch in Spots zu beobachten: in schriftlicher Sprache wird immer Standard und in mündlicher Sprache oft Mundart verwendet. Werbespots sind zu einem grossen Teil in Standardsprache gehalten. (Vgl. Christen, S. 29ff.) Es zeigen sich heute - 13 Jahre später - Tendenzen (in der Phraseologie), die auf einen Zuwachs der Mundart hinweisen (vgl. Hemmi, im Druck). 14. Mit Kabel sind in Zürich zur Zeit die folgenden Sender aus Europa (und den USA) zu empfangen: Deutschsprachige: ARD, ZDF, SW3, BR3 (aus Deutschland); ORF1, ORF2 (aus Österreich); RTL, SAT1 (Private); 3Sat (Kooperation BRD, A, CH), EUROSPORT (auch in Englisch). Französischsprachige: TF1, France 2, France 3, TV5 (aus Frankreich). Italienischsprachige: RAIUNO (aus Italien). Spanischsprachige: TVE internacional (aus Spanien). Englischsprachige: MTV, Super (NBC), CNN und EUROSPORT. 15. Rätoromanisch ist hier Sammelbegriff für die im Kanton Graubünden gesprochenen Idiome (Sursilvan, Sutsilvan, Surmiran, Putèr, Vallader; Friaulisch, Ladinisch). 16. Die Parallelität zwischen Amtssprachen (bzw. Landessprachen) und Sendern ist gesetzlich geregelt. 17. Die Spots werden fürs Schweizer Fernsehen teils aus dem Englischen, teils aus dem Standarddeutschen übersetzt. 18. Für die Analyse der Übersetzung von TV-Spots steht mir ein Korpus von 130 Spots (jeweils in italienischer, französischer und deutscher Version) zur Verfügung, die 1993 am Schweizer Fernsehen ausgestrahlt wurden. Ich beschränke mich bei dieser Untersuchung auf Spots die im Schweizer Fernsehen ausgestrahlt werden, kann mir aber vorstellen, dass eine Ausdehnung der Untersuchung auf den europäischen (auch im binnendeutschen) Raum (oder gar weltweit) sehr interessante Resultate in bezug auf die Übersetzung ergibt. 19. In dieser Darstellung beschränke ich mich auf die Übersetzungsrichtung Deutsch-Französisch. 20. Diesen Hinweis verdanke ich dem Übersetzer dieses Spots, Pascal Salamin, Zürich. 21. Eine Definition, die sich auf den Prozess der Planung und Produktion von Werbetexten stützt, die also eine eher praktische Perspektive ins Zentrum setzt, liefert die Werberin Grüber (1989): "Adapter ne signifie pas réinventer. L'adaptation n'est ni une traduction ni une nouvelle création. Il ne s'agit pas de réinventer le message publicitaire. Les adaptateurs-rédacteurs s'attachent avant tout à rendre le concept de base avec toute sa force d'impact, en respectant l'argumentation et la vérité du produit. Ils s'adressent au même groupe-cible sur le même ton, mais sans jamais perdre de vue les caractéristiques du nouveau marché, tout en restant le plus près possible du texte original." (zit. nach Payer, S. 80) 22. Auf der Ebene der Produktion ist die Übersetzung allgemein festgehalten als: (kultureller) Transfer des Ausgangstextes in einen Zieltext, ohne Veränderungen vorzunehmen, die von der Sprache her nicht aufgedrängt wären. Als Adaptation könnte man von einem Werbekonzept ausgehend das Herstellen eines Text1 für einen bestimmten Kulturraum (Kultur-1) und eines weiteren Text-2 für einen neuen Kulturraum (Kultur 2).
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Kommunikation.
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Übersetzung oder Adaptation? Zur "Übersetzung" von TV-Spots Fritz, Thomas (1994): Die Botschaft der Markenartikel. Probleme der Semiotik 15)
185
Vertextungsstrategien
in der Werbung. Tübingen (=
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Analyse
von
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in das funktionale
in Europa als Symptom
neuer
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Snell-Hornby, Mary (1986): "Übersetzen - Sprache - Kultur". In: Snell-Hornby (1986), 9-29. Snell-Hornby, Mary (Hg.; 1986b): Übersetzungswissenschaft. Sowinski, B. (1979): Werbeanzeigen und Werbesendungen.
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Formen,
Sektion / Section II Fallstudien und Musterbeschreibungen Cases Studies und Dialogic-Patterns Etudes de cas et patrons dialogiques
Yong-Ik Bäk
Das Unterweisungsgespräch zwischen Konfuzius und seinen Schülern 0. 1. 2.
Einleitung Grundzüge der Beschreibung des Handlungsmusters 'Unterweisungsgespräch' Die gesamte Zugkonstellation des SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT Sequenzmusters 3. Analyse des SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmusters in UNTERWEISUNGS-GESPRÄCHEN von Konfuzius 4. Abschließende Bemerkungen Anmerkungen Literatur
0. Einleitung In diesem Referat geht es um eine exemplarische Analyse authentischer Gesprächstexte 1 eines bestimmten Gesprächstyps, nämlich UNTERWEISUNGSGESPRÄCHE zwischen Konfuzius und seinen Schülern. Hier wird vor allem ein Sequenzmuster, das SCHÜLERFRAGELEHRERANTWORT-Sequenzmuster, das in den UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN von Konfuzius häufig vorkommt, analysiert. Dabei werden die Untersuchungsergebnisse mit dem rekonstruierten
idealen,
als
UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN
angenommenen Muster verglichen 2 .
Für
diese
Untersuchung
zugrundeliegend
gehe
ich
von
der
Musterbeschreibung des UNTERWEISUNGSGESPRÄCHS aus, die ich im Rahmen meiner Dissertation (Bäk 1993) vorgelegt habe. In dieser Untersuchung versuche ich zunächst, festzustellen, ob das rekonstruierte Sprechhandlungssequenzmuster, die SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-SEQUENZ, universell ist. Hierfür wird vor allem überprüft, ob das ideale Handlungsmuster auch in Unterweisungen, die sich in der älteren Zeit stattgefunden haben, wiederzufinden ist. Ein Zweck dieser Arbeit besteht also darin, die Annahme des universellen Charakters des Handlungmusters zu verifizieren und damit auch letztlich die Tauglichkeit und Tragfähigkeit der Theorie und der Methode der Dialoggrammatik insgesamt zu erproben. Ein anderes Ziel, das ich mit der vorliegenden Arbeit verfolge, besteht darin, herauszufinden, wie das rekonstruierte Handlungsmuster
als Instrumentarium
für die Beschreibung
und
Zustandekommens authentischer Gesprächstexte angewendet werden kann.
Erklärung
des
Yong-Ik Bäk
190
1. Grundzüge der Beschreibung des Handlungsmusters 1 Unterweisungsgespräch' Das UNTERWEISUNGSGESPRÄCH ist eine komplexe Handlung. Der übergeordnete Zweck des UNTERWEISUNGSGESPRÄCHS, der in der Behebung eines Wissens-, Könnens- oder Verstehensdefizits besteht, wird erst durch das Zusammenwirken verschiedener Teilzwecke erreicht, die von dem übergeordneten Zweck des UNTERWEISUNGSGEPRÄCHS intentional abhängig sind (vgl. Weigand, 1989). Als funktionale Phasen 3 des UNTERWEISUNGSGESPRÄCHS, die die konstitutiven Bestandteile des UNTERWEISUNGSGEPRÄCHS darstellen und in denen die einzelnen Teilzweke erreicht werden, sind die folgenden Phasen anzusetzen:
KOMMUNIKATIVES
VORFELD,
REKAPITULATIONSPHASE,
THEMENBEHANDLUNGSPHASE, ANKÜNDIGUNGSPHASE und DISZIPLINIERUNGSPHASE. Auf sie kann ich hier nicht näher eingehen. Bei der Analyse komplexer Gespräche erweist es sich als charakteristisch, daß der Hauptzweck zwar das Wichtigste, nicht aber der zentrale Gegenstand der Analyse ist. Er fungiert vielmehr lediglich als Ausgangspunkt der Beschreibung komplexer Gespräche, insbesondere der Einteilung der funktionalen Phasen (vgl. Hundsnurscher 1986, 39). Ähnlich wie der Hauptzweck fungieren auch die einzelnen Teilzweke als Orientierungspunkte für die Einordnung und die Beschreibung einzelner Sprechhandlungssequenzen. Die Eigenschaften und die jeweilige Funktion der Sprechhandlungssequenzen können nämlich durch die Erfassung des jeweiligen Teilzwecks und unter dessen Berücksichtigung genau eingeordnet und angemessen beschrieben werden. Der Vollzug von Sprechhandlungssequenzen dient der Erreichung eines Teilzwecks (bzw. des Zwecks einer funktionalen Phase) eines komplexen Gesprächs. Daher kann man sagen, daß die Sprechhandlungssequenzen die Mittel für die Erreichung des Teilzwecks sind. Je nach der gewählten didaktischen Methode und nach dem Unterrichtsfach können verschiedene Sprechhandlungssequenzmuster, die durch unterschiedliche Sprechakte wie ANWEISUNG, INFORMIEREN, FRAGE usw. initiiert werden können, für die Zwekerreichung der funktionalen Phasen des UNTERWEISUNGSGESPRÄCHS ausgeführt werden. Ein solches Sprechhandlungsmuster ist die FRAGE-ANTWORT-SEQUENZ.Sie spielt neben anderen eine sehr wichtige Rolle für die Vermittlung von Wissen, Können und Verstehen. Dieses Sequenzmuster wird je nachdem, ob es der Lehrer oder der Schüler initiiert, wiederum in das SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmuster
und
das
LEHRERFRAGE-
SCHÜLERANTWORT-Sequenzmuster unterteilt. In dieser Arbeit wird jenes Sequenzmuster anhand von UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN von Konfuzius exemplarisch analysiert und beschrieben. Vor der empirischen Untersuchung der realisierten Texte soll die ideale Zugkonstellation des SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmusters rekonstruiert werden.
191
Das Unterweisungsgespräch zwischen Konfuzius und seinen Schülern
2. Die gesamte Zugkonstellation des SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORTSequenzmusters Nach dem Vollzug einer FRAGE des Schülers hat der Lehrer grundsätzlich vier unterschiedliche reaktive
Handlungsmöglichkeiten,
Wissenspräsentation
enthält,
die
nämlich
die
LEHRERANTWORT,
NICHT-ANTWORT,
die
die
WEITERGABE
eine DER
SCHÜLERFRAGE in Form einer LEHRERFRAGE und die NACHFRAGE. Wenn der Lehrer auf die SCHÜLERFRAGE eingeht und einen positiven Bescheid, also eine ANTWORT gibt, dann bestehen grundsätzlich drei reaktive Handlungsmöglichkeiten für die Schüler im dritten Zug. Sie können nämlich kundgeben, daß sie die ANTWORT des Lehrers verstanden haben (SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE) oder nicht (SCHÜLER-NICHTVERSTÄNDNISKUNDGABE). Die Schüler können unter Umständen die ANTWORT auch zurückweisen. Eine ZURÜCKWEISUNG der LEHRERANTWORT durch die Schüler kommt vor, wenn der Lehrer den v point' der SCHÜLERFRAGE nicht verstanden und deshalb eine inadäquate ANTWORT
gegeben hat, oder wenn die Schüler mit der
gegebenen
LEHRERANTWORT nicht einverstanden sind. Wenn die Schüler nach der LEHRERANTWORT eine VERSTÄNDNISKUNDGABE ausführen, dann ist damit die betreffende SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenz abgeschlossen. Dieser abgeschlossenen Sequenz kann dann eine neue Sequenz wie FORTFÜHRUNG, EXPLIKATION oder WIEDERHOLUNG folgen. Diese sind Bezeichnungen für die Funktion einer Sprechhandlungssequenz
in bezug auf die
vorangehende
Sprechhandlungssequenz, während SCHÜLERFRAGE, LEHRERANTWORT, SCHÜLERVERSTÄNDNISKUNDGABE usw. die Funktion eines Zugs bezeichnen. Die Funktion einer neuen Sequenz besteht darin, die Diskursgegenstände bzw. die Themen der beiden aufeinanderfolgenden Sequenzen aufeinander zu beziehen. In der FORTFÜHRUNG wird ein neuer Diskursgegenstand thematisiert und behandelt. Die Relation zwischen der FORTFÜHRUNG und der vorangehenden Sequenz besteht also auf der übergeordneten thematischen Ebene einer Phase oder einer Unterrichtseinheit. Im Vergleich zur FORTFÜHRUNG bleibt das Thema bzw. der Diskursgegenstand in der EXPLIKATION und der WIEDERHOLUNG immer noch daselbe wie in der vorangehenden Sequenz. In der EXPLIKATION geht es mehr oder weniger um eine Aspekterweiterung bzw. -Vermehrung desselben Diskursgegenstands. DerZweck der WIEDERHOLUNG ist die Festigung oder die Veranschaulichung des erarbeiteten Diskursgegenstands, indem man das Ganze wiederholt oder zusammenfaßt oder auf den Kernpunkt des Diskursgegenstands hinweist. Es handelt sich wie gesagt um die abgeschlossene Sprechhandlungssequenz, wenn eine SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE nach einer LEHRERANTWORT vorliegt. Dagegen ist der Zweck der SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenz noch nicht erfüllt, wenn
Yong-Ik Bäk
192
nach
der
LEHRERANTWORT
eine
Sprechhandlung
wie
SCHÜLER-NICHT-
VERSTÄNDNISKUNDGABE, ZURÜCKWEISUNG, NICHT-ANTWORT, WEITERGABE DER SCHÜLERFRAGE oder NACHFRAGE ausgeführt wird. Um eine solche offene Sprechhandlungssequenz abzuschließen, ist eine weitere Sprechhandlungssequenz notwendig, die je nach der ihr vorangehenden Sprechhandlung jeweils eine unterschiedliche Funktion ausübt. Die verschiedenen Sprechhandlungssequenzen, die für die Erreichung des noch nicht erfüllten Zwecks ausgeführt werden können, und deren Funktion wird unten kurz skizziert werden. Wenn eine SCHÜLER-NICHT-VERSTÄNDNISKUNDGABE vorliegt, dann kann eine REPARATURSEQUENZ eingeleitet werden. Der Begriff REPARATUR ist eine Erweiterung des Terminus KORREKTUR, unter dem im allgemeinen das Berichtigen eines Fehlers verstanden wird. Dagegen verweist der Terminus REPARATUR darauf, daß auch andere Störungsquellen (wie z.B. Mißverständnisse, Ausdrucks- und Verständigungsschwierigkeiten) in prinzipiell gleicher Weise behoben werden (vgl. Rost 1989, 150). Kurz gesagt, wird eine REPARATURSEQUENZ immer dann eingeleitet, wenn eine Kommunikationsstörung eintritt. Wenn ein Schüler die ANTWORT des Lehrers zurückweist, können seitens des Lehrers zwei unterschiedliche Sprechhandlungssequenzen vorkommen, nämlich KORREKTUR und ARGUMENTATION. Eine KORREKTURSEQUENZ liegt dann vor, wenn der Lehrer die Falschheit bzw. die Unangemessenheit seiner ANTWORT einsieht und eine Berichtigung bzw. eine Verbesserung derseben unternimmt. Dagegen kann die auf die ZURÜCKWEISUNG folgende Sequenz als ARGUMENTATION bezeichnet werden, wenn der Lehrer auf der Richtigkeit bzw. Angemessenheit seiner ANTWORT beharrt und sie entsprechend begründet. Ebenso unerfüllt wie bei der ZURÜCKWEISUNG der LEHRERANTWORT durch einen Schüler bleibt der Zweck einer SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenz, wenn der Lehrer im zweiten Zug auf die SCHÜLERFRAGE nicht antworten kann, weil der Lehrer über die erfragte Information nicht verfügt (NICHT-ANTWORT). In diesem Fall kann der Lehrer die SCHÜLERFRAGE übergehen, um seine Inkompetenz zu verbergen, oder diesen Mangel offen zugeben und z.B. versprechen, nach der von dem Schüler gewünschten Information zu forschen. Die dritte reaktive Handlungsmöglichkeit des Lehrers im zweiten Zug ist die WEITERGABE DER SCHÜLERFRAGE in Form einer LEHRERFRAGE. Die WEITERGABE DER SCHÜLERFRAGE kann sich an die anderen Schüler oder an den Schüler richten, der die FRAGE gestellt hat, damit die Schüler versuchen, das Wissen selbst zu erarbeiten. Die Folgehandlungen nach der LEHRERFRAGE als reaktiver Handlung auf die SCHÜLERFRAGE sind ANTWORT, NICHT-ANTWORT und NACHFRAGE der Schüler, auf die hier nicht näher eingegangen werden kann. Nach
der
NACHFRAGE
des
Lehrers,
die
für
die
SCHÜLERFRAGE-
LEHRERANTWORT-Sequenz nicht konstitutiv ist, wird die SCHÜLERFRAGE wiederholt.
193
Das Unterweisungsgespräch zwischen Konfuzius und seinen Schülern
Die
Gesamtheit
der
möglichen
Zugkonstellationen
des
SCHÜLERFRAGE-
LEHRERANTWORT-Sequenzmusters kann zusammenfassend wie folgt dargestellt werden. 1- Zug
2. Zug
3. Zug - FORTFÜHRUNG
SCHULER-VERSTAND- j NISKUNDGABE
• EXPLIKATION
WIEDERHOLUNG
LEHRERANTWORT f (Wissensreprässntation)
SCHÜLER-NICHT-VERS TÄNDNISKUNDG ABE
• REPARATUR
'KORREKTUR ZURÜCKWEISUNG der LEHRERANTWORT ' ARGUMENTATION
'NICHT-ANTWORT SCHULERFRAGE !
WEITERGABE DER SCHULERFRAGE (LEHRERFRAGE)
NACHFRAGE"
Wiederholung der SCHÜLERFRAGE
(Abb. 1) Mögliche Zugkonstellationen des SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmusters
3. Analyse des SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmusters in UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN von Konfuzius Nach der obigen Darstellung der gesamten Zugkonstellationen der SCHÜLERFRAGELEHRERANTWORT-Sequenz kann man insgesamt neun Zug- und Sequenzkombinationen feststellen. Nun soll ermittelt werden, ob diese Zug- und Sequenzmuster auch in den oben angesprochenen UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN zwischen Konfuzius und seinen Schülern vorkommen und wie sie dort realisiert sind.
194 1)
Yong-Ik Bäk SCHÜLERFRAGE - LEHRERANTWORT - SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE {FORTFÜHRUNG}
(Beispieldialog l) 4 S 5 : (1) Was ist Menschlichkeit? L:
(2) Wenn du hinausgehst, dann tu so, als ob du großen Gästen begegnest! Setze das Volk so
ein, als ob du große Opfer empfängst! Was du dir selbst nicht wünschst, füge anderen nicht zu! Dann gibt es keinen Groll im Lande, und dann gibt es keinen Groll in der Familie. S:
(3) Ich bin zwar nicht tüchtig genug, aber ich wünsche mir, diesen Worten gerecht zu
werden. (S. 217f.) (Beispieldialog 2) S:
(1) Was ist Menschlichkeit?
L:
(2) Das ist Menschenliebe.
S:
(3) Was ist Weisheit?
L:
(4) Wissen über den Menschen. (S. 232f.)
Im Beispieldialog 1 ist die SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE in (3) explizit ausgeführt. Da dieser Dialog mit dem dritten Zug beendet ist, weiß man nicht, welche Sequenz ihm folgt. Der Beispieldialog 2 besteht aus zwei SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzen, nämlich (1) - (2) und (3) -(4). Die zweite Sequenz kann als FORTFÜHRUNG in bezug auf die vorangehende Sequenz bezeichnet werden, da das Thema der zweiten Sequenz ("Weisheit") mit dem Thema der ersten Sequenz ("Menschlichkeit") nicht direkt zusammenhängt. Im Gegensatz zu dem Beispieldialog 1 ist die SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE nur implizit vollzogen. Die implizite Ausführung der SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE kann man daraus erschließen,
daß der Schüler direkt eine weitere FRAGE
(3) nach
der
LEHRERANTWORT (2) anschließt. Dies ist in der Regel erst dann möglich, wenn der Schüler die LEHRERANTWORT verstanden hat bzw. mit der LEHRERANTWORT einverstanden ist. Die implizite Ausführung der SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE kommt auch in anderen Dialogen der UNTERWEISUNGSGESPRÄCHE von Konfuzius häufig vor.
2)
SCHÜLERFRAGE - LEHRERANTWORT - SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE {EXPLIKATION}
(Beispieldialog 3) S:
(1) Was ist Menschlichkeit?
195
Das Unterweisungsgespräch zwischen Konfuzius und seinen Schülern
L:
(2) Wenn man sich selbst beherrscht, dann kehrt man zur Sittlichkeit zurück. Eben das ist
das Praktizieren der Menschlichkeit. Wenn sich alle jeden Tag selbst beherrschen und damit zur Sittlichkeit zurückkehren, dann kehrt die ganze Welt zur Menschlichkeit zurück. Das Praktizieren der Menschlichkeit beruht auf einem selbst, aber nicht auf anderen. S:
(3) Was sind die Einzelheiten davon?
L:
(4) Sieh dir nicht an, was der Sittlichkeit nicht entspricht! Hör dir nicht an, was der
Sittlichkeit nicht entspricht! Sprich nicht aus, was der Sitte nicht entspricht! Laß dich nicht davon beeinflussen, was der Sitte nicht entspricht! S:
(5) Ich bin zwar nicht tüchtig genug, aber ich wünsche mir, diesen Worten gerecht zu
werden. (S. 215) Der Beispieldialog 3 konstituiert sich aus zwei Sequenzen, nämlich (1) - (2) und (3) - (5). Die Funktion der zweiten Sequenz, die durch eine SCHÜLERFRAGE eingeleitet wird, ist in bezug auf die erste Sequenz als EXPLIKATION anzusehen, weil in den beiden Sequenzen derselbe Diskursgegenstand thematisiert und dieser in der zweiten Sequenz näher erörtert wird.
3)
SCHÜLERFRAGE - LEHRERANTWORT - SCHÜLER-VERSTÄNDNISKUNDGABE {WIEDERHOLUNG}
(Beispieldialog 4) S1:
(1) Was ist kindliche Pietät?
L:
(2) Nicht-Abweichen.
L:
(3) S1 fragte mich nach der kindlichen Pietät. Auf diese Frage habe ich
(Als S2 Konfuzius nach Hause fuhr, sagte Konfuzius S2.) "Nicht-Abweichen" geantwortet. S2: (4) Was bedeutet das? L:
(5) Man soll den Eltern mit Sittlichkeit dienen, solange sie leben. Wenn die Eltern gestorben
sind, soll man sie mit Sittlichkeit beerdigen und ihnen mit Sittlichkeit Opfer geben. (S. 53) Die erste Sequenz des Beispieldialogs bilden eine SCHÜLERFRAGE (1) und eine LEHRERANTWORT
(2).
LEHRERINFORMATION
Die
zweite
Sequenz
besteht
dagegen
aus
(3), einer NACHFRAGE eines Schülers (4) und
einer einer
ERKLÄRUNG des Lehrers (5). Die zweite Sequenz, deren Funktion innerhalb der Sequenzenkombination als WIEDERHOLUNG zu der ersten angesehen werden kann, wird deshalb erforderlich, weil Konfuzius nicht sicher ist, ob Schüler 1 seine ANTWORT wirklich verstanden hat, obwohl er auf die ANTWORT von Konfuzius durch eine implizite
196
Yong-Ik Bäk
SCHÜLERVERSTÄNDNISKUNDGABE reagiert hat. Daher initiiert Konfuzius eine neue Sequenz, in der er dieselbe ANTWORT wiederholend an einen anderen Schüler richtet.
4)
SCHÜLERFRAGE - LEHRERANTWORT - SCHÜLER-NICHT-VERSTÄNDNIS KUNDGABE - {REPARATUR}
(Beispieldialog 5) Sl: L:
(1) Was ist Weisheit? (2) Wissen über den Menschen.
S1: (3) Das verstehe ich nicht. L:
(4) Man erhebt die Geraden und gibt alle Krummen auf. Dadurch kann man die Krummen
gerade machen. Sl: (5) Als ich den Meister getroffen habe, habe ich ihn nach der Weisheit gefragt. Da antwortete er: "Man erhebt die Geraden und gibt alle Krummen auf. Dadurch kann man die Krummen gerade machen." Was bedeutet das? S2: 6) Wie inhaltsreich ist dieses Wort! Als Sün die Welt beherrschte und aus der Menge wählte, erhob er Goyo. Dadurch blieben die Nicht-Menschlichen fern. Als Tang über die Welt herrschte und aus der Menge wählte, erhob er YinYi. Dadurch blieben die Nicht-Menschlichen fern. (S. 232f.) Nach der SCHÜLERFRAGE (1) und der LEHRERANTWORT (2) führt der Schüler 1 die SCHÜLER-NICHT-VERSTÄNDNISKUNDGABE
(3)
aus.
Dadurch
wird
eine
REPARATURSEQUENZ durch eine ERKLÄRUNG des Lehrers (4) eingeleitet. Der Schüler 1 hat die LEHRERANTWORT offenbar immer noch nicht verstanden, was durch eine FRAGE in (5) impliziert ausgedrückt ist. Man kann in diesem Fall von einer nicht-abgeschlossenen Sprechhandlungssequenz sprechen, denn der kommunikative Zweck der SCHÜLERFRAGELEHRERANTWORT-Sequenz besteht unter anderem in der Behebung des Wissensdefizits bei dem Schüler. Der Zweck aber ist in der Sprechhandlungssequenz (1) - (4) eben nicht erreicht. Der offenen Sprechhandlungssequenz folgt eine FRAGE-ANTWORT-Sequenz, in der sich Schüler 1 an einen anderen Schüler (Schüler 2) wendet und diesen in (5) nach dem Sinn der LEHRERERKLÄRUNG (4) fragt. Daraufhin gibt ihm Schüler 2 in (6) eine ERKLÄRUNG. Die Funktion der Sprechhandlungssequenz (4) - (6) kann insgesamt als eine REPARATUR in bezug auf die Sprechhandlungssequenz (1) - (3) charakterisiert werden.
Das Unterweisungsgespräch zwischen Konfuzius und seinen Schülern
5)
197
SCHÜLERFRAGE - LEHRERANTWORT - ZURÜCKWEISUNG der LEHRERANTWORT - {KORREKTUR}
Kein Beispiel für diese Zug- und Sequenzkombination
kommt in den
gesamten
UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN zwischen Konfuzius und seinen Schülern vor.
6)
SCHÜLERFRAGE - LEHRERANTWORT - ZURÜCKWEISUNG der LEHRERANTWORT - {ARGUMENTATION}
(Beispieldialog 6) S:
(1) Der König von Wei wartet auf Euch. Nach Eurem Rat will er Politik machen. Was wollt
Ihr bei der Durchführung der Politik in den Vordergurnd stellen? L:
2) Man muß den Namen bestimmt korrekt machen.
S:
(3) Ob das richtig ist? Es ist abwegig von Euch! Wie wollt Ihr den Namen korrekt machen?
L:
(4) Du bist aber unkultiviert! Der edle Mensch tut bei dem, worüber er nicht weiß,
gewöhnlich so, als ob er eine Lücke hätte. Wenn der Name nicht korrekt ist, dann ist das Wort nicht passend. Wenn das Wort nicht passend ist, dann wird die Sache nicht vollendet. Wenn die Sache nicht vollendet wird, dann werden die Sittlichkeit und die Musik nicht befördert. Wenn die Sittlichkeit und die Musik nicht befördert werden, dann wird die Strafe nicht treffend. Wenn es so ist, dann weiß das Volk nicht, wohin es seine Hände und Beine legen soll. Daher soll der edle Mensch das aussprechen, was er benennt. Was man ausgesprochen hat, soll man ausführen. Der edle Mensch hat nichts, bei dem er seine Rede leichtfertig halten kann. (S. 237f.) Nach der SCHÜLERFRAGE in (1) und der LEHRERANTWORT (2) gibt der Schüler Kofuzius zu erkennen, daß er mit der LEHRERANTWORT nicht einverstanden ist und sie daher zurückweist (3). Daraufhin besteht der Lehrer auf der Angemessenheit seiner ANTWORT und begründet sie in (4), so daß hier von einer ARGUMENTATIONSSEQUENZ gesprochen werden kann, die aus den Sprechhandlungen in (4) besteht.
7)
SCHÜLERFRAGE - NICHT-ANTWORT
(Beispieldialog 7) S:
(1) Was bedeutet die Rede von Ze?
L:
(2) Ich weiß es nicht. Wer seine Rede versteht, weiß über die Welt wie dies (Konfuzius
zeigt dabei seine Handfäche). (S. 70f.)
Yong-Ik Bäk
198
Der Lehrer gibt dem Schüler zu erkennen, daß er nicht in der Lage ist, diesem die gewünschte Information zu geben. Nach der NICHT-ANTWORT (2) wird die Sequenz abgebrochen.
8)
SCHÜLERFRAGE - WEITERGABE der SCHÜLERFRAGE (LEHRERFRAGE)
Dieses Sequenzmuster liegt in den gesamten UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN zwischen Konfuzius und seinen Schülern nicht vor.
9)
SCHÜLERFRAGE - NACHFRAGE - Wiederholung der SCHÜLERFRAGE
(Beispieldialog 8) S:
(1) Was sind die Bedingungen dafür, ein edler Mensch geworden zu sein?
L:
(2) Was bedeutet dieser Zustand für dich?
S:
(3) Der edle Mensch hört bestimmt seinen Ruf in seinem Land oder auch in seiner Familie.
L:
(4) Das ist Ruf, aber kein Zustand eines edlen Menschen. Was denjenigen anbelangt, der ein
edler Mensch geworden ist, seine Qualität ist geradlinig und er liebt die Gerechtigkeit. Der kontrolliert seine Rede und beobachtet den Gesichtsausdruck. (S. 230f.) Der Beispieldialog 8 zeigt eine interessante Sequenzkombination, nämlich eine Kombination aus der Sequenz, die aus der SCHÜLERFRAGE (1) und der LEHRERANTWORT (4) konstituiert ist, und aus der Sequenz, die aus der NACHFRAGE (2) und der ANTWORT (3) besteht. Die letzte Sequenz, also eine REPARATURSEQUENZ, ist in die erste Sequenz eingeschoben, um die vorliegende Kommunikationsstörung zu beseitigen und dadurch das anfangs aufgestellten Kommunikationsziel zu erreichen.
4. Abschließende Bemerkungen In dieser Arbeit wurde das
SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmuster
rekonstruiert, das in dem UNTER WEISUNGSGESPRÄCH oft gebraucht wird. Ausgehend von diesem rekonstruierten Sequenzmuster wurden die UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN von Konfuzius exemplarisch untersucht. Bei dieser Untersuchung konnte man feststellen, daß das rekonstruierte
SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmuster
auch
den
UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN von Konfuzius zugrunde liegt. Aufgrund dessen kann der universelle Charakter des SCHÜLERFRAGE-LEHRERANTWORT-Sequenzmusters weiter-
199
Das Unterweisungsgespräch zwischen Konfuzius und seinen Schülern
hin angenommen werden. Diese Tatbestände bestätigen und stützen die Theorie und die Methode der Dialoggrammatik. Die Art und Weise sowie die Häufigkeit usw. der Verwendung des Sequenzmusters, d.h. die konkrete Verwirklichung des Sequenzmusters, können aber je nach den Gebrauchsbedingungen und
der
kommunikativen
Strategie
variieren.
Wenn
die
SCHÜLERFRAGE-
LEHRERANTWORT-Sequenz in der UNTERWEISUNGEN anders als ideales Sequenzmuster realisiert sind, kann dieses als Instrumentarium eingesetzt werden, die Gründe dafür zu interpretieren. In dieser Arbeit wurde nur ein Sequenzmuster in den UNTERWEISUNGSGESPRÄCHEN von Konfuzius untersucht. Die Erforschung von anderen Sequenzmustern, die durch Sprechhandlungen wie ANWEISUNG, INFORMATION usw. initiiert werden können, und auch von anderen sprachlichen Realisierungsformen der Unterweisungen von Konfuzius bleibt als Aufgabe bestehen. Durch eine solche Untersuchung kann dann auch die Typologie der Textsorten ermittelt werden, mittels derer die Unterweisungen von Konfuzius vollzogen worden sind.
Anmerkungen 1.
2.
3.
4. 5. 6.
Für die Analyse der Unterweisungsgespräche wird LUnyu (hier : Koreanische Ausgabe, Juhi 1983) als Quellentext herangezogen, in dem Schüler von Konfuzius einzelne Gespräche dokumentiert haben, die zwischen Konfuzius und damaligen Prominenten oder seinen Schülern oder unter Schülern von Konfuzius stattgefunden haben. Später, nach dem Tod von Konfuzius, haben die Schüler die dokumentierten Gespräche gesammelt, erörtert, ob die einzelnen Gespräche richtig sein können, und nur die als richtig angenommenen Gespräche zusammengestellt. Insofern ist es nicht ganz unproblematisch, hier von authentischen Texten zu sprechen. Dieses Vorgehen entspricht im wesentlichen der zweiten, der empirisch-deskriptiven Phase der Gesprächsanalyse im Sinne von Hundsnurscher (vgl. 1986, 41f.), der drei Phasen der Gesprächsanalyse voneinander unterscheidet, nämlich die heuristisch-methodische, die empirisch-deskriptive und die theoretischexplanative Phase. Unter "funktionale Phase" verstehe ich anders als Franke (vgl. 1990, 91 und 165), für den eine abgeschlossene Sprechhandlungssequenz gleich eine funktionale Phase zu sein scheint, einen Teil komplexer Gespräche, in dem eine oder mehrere abgeschlossene Sprechhandlungssequenz(en) von den Sprechern zur Erreichung eines Teilziels ausgeführt werden. Mit anderen Worten ist als eine funktionale Phase ein Abschnitt eines komplexen Gesprächs anzusehen, in dem ggf. mehrere Sequenzen ausgeführt werden (müssen), die in bezug auf die Erreichung eines Teilzwecks des komplexen Gesprächs miteinander funktional zusammenhängen. Übersetzung ins Deutsche von mir. S steht hier nicht für 'Sprecher', sonder für 'Schüler'; L steht für 'Lehrer'. In diesem Zusammenhang ist eine Einteilung des UNTERRICHTSGESPRÄCHS von Redder (vgl. 1984, 139f.) interessant. Sie unterscheidet darin zwischen Hauptdiskurs und Paralleldiskurs. Im Hauptdiskurs werden die Sprechhandlungen für das Erreichen des institutionellen Zwecks der Schule, "Vermittlung von Wissen, Können und Verstehen", vollzogen. Die Paralleldiskurse sind solche Sprechhandlungen, die zum Hauptdiskurs parallel laufen. Sie werden weiter in Begleitdiskurs und Nebendiskurs gegliedert. Zum Begleitdiskurs gehören Äußerungen von Schülern, die zwar nicht in den "offiziellen" Unterrichtsdiskurs fallen, sich aber dennoch auf das besprochene Thema beziehen. Dagegen sind Nebendiskurse z.B. Schwätzen oder Briefchenschreiben von Schülern, die sich nicht auf das Thema des Hauptdiskurses beziehen und dabei den Hauptdiskurs stören. In diesem Siene kan die Sprechhandlungssequenz (5) - (6) als Begeitdiskurs charakterisiert werden.
Yong-Ik Bäk
200
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Pragmatik der Modalverben
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Eine linguistische
am Beispiel Untersuchung
eines zu
Weigand, Edda (1989), "Grundzüge des Handlungsspiels Unterweisen". In: Edda Weigand/Franz Hundsnurscher: Dialoganalyse II. Referate der 2. Arbeitstagung Bochum 1988. Bd. 1. Tübingen:Niemeyer. S. 257-271.
Maria Causa
D'une langue à l'autre : variables communicatives et interactionnelles en classe de langue étrangère L'exemple de l'italien langue étrangère en France
1. 2. 3.
Introduction Le contexte alloglotte L'analyse du corpus 3.1. Préliminaires 3.2. Stratégie routinière 3.3. Stratégie compensatoire 3.4. Stratégie rassurante 3.5. Stratégie spontanée 3.6. Stratégie à valeur taxémique 4. Conclusion Notes Références bibliographiques
1. Introduction Les stratégies communicatives et interactionnelles adoptées par l'enseignant en classe de langue étrangère varient selon les objectifs d'apprentissage, les publics, les contraintes institutionnelles et, naturellement, selon les différents contextes d'enseignement/apprentissage. Nous proposons ici l'analyse d'une de ces stratégie : l'utilisation de la langue maternelle (LM) du public par un enseignant natif de la langue-cible (LC) dans un contexte alloglotte (cf. L. Dabène, 1994 : 37), à savoir Y alternance codique (ou code switching). Notre perspective, qui caractérise essentiellement la situation d'enseignement/apprentissage considérée, se veut donc nouvelle par rapport à la plupart des études qui y ont été consacrées et qui appartiennent essentiellement au domaine de l'acquisition d'une langue étrangère en milieu naturel. Notre hypothèse est que chez l'enseignant le recours à la LM de son public n'est pas seulement une stratégie de simplification et/ou de facilitation, mais aussi une stratégie interactionnelle, qui dépasse parfois le cadre strictement didactique et qui se situe ainsi parmi les stratégies communicatives. Par conséquent, notre analyse ne donne ni statistiques, ni pourcentages sur l'emploi de la LM du public en classe, ni, non plus, une taxinomie des différents modes d'insertion de celle-ci dans le discours pédagogique1- Notre but est plutôt d'esquisser une typologie des fonctions que cet emploi peut avoir chez l'enseignant, en
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élargissant les rares analyses qui, à notre connaissance, ont été tentées jusqu'à présent 2 et, peutêtre, en y apportant des précisions. Pour cela, nous nous appuyons, d'une part, sur les travaux menés dans le domaine de la linguistique interactionniste, notamment sur les travaux de C. Kerbrat-Orecchioni et, plus particulièrement pour la classe de langue, sur ceux de F. Cicurel. D'autre part, pour un bon nombre de notions telles que le bilinguisme, l'alternance codique et l'exolinguisme, nous faisons référence aux travaux de B. Py, R. Porquier et G. Liidi (voir bibliographie).
2. Le contexte alloglotte Avant d'aborder l'analyse du corpus, revenons à la définition du contexte alloglotte. Apprendre/Enseigner une langue étrangère dans un pays autre que celui où elle est utilisée peut correspondre à deux situations possibles : 1. L'enseignant (E) et les apprenants (A) partagent la même langue maternelle. Cela signifie : une compétence plus ou moins suffisante de l'enseignant en LC, -
un travail contrastif sur la base d'une LM commune,
-
un certain nombre de connaissances communes, donc partagées,
-
une prise en compte de la part de l'E des difficultés que les A rencontreront lors de
l'apprentisssage de la LC. En effet, "il a vécu lui-même l'expérience de l'apprentisssage de la langue qu'il enseigne" (cf. L. Dabène, 1990 : 13). 2. L'enseignant et les apprenants ne partagent pas la même LM (dans notre cas des enseignants italiens qui enseignent l'italien à un public de francophones en France). Ce deuxième cas de figure se caractérise par les traits suivants : -
en général, le bilinguisme 3 de l'E,
-
un travail contrastif sur la base de la LM des A,
-
la construction d'un "terrain commun" qui n'existait pas avant,
-
la possibilité pour l'E de "s'appuyer sur des pratiques intuitives pour fixer la norme et
déterminer 'jusqu'où l'on peut aller trop loin' [...]" dans la langue qu'il enseigne (cf. L. Dabène, 1990: 13). Le deuxième cas évoqué (là où l'enseignant ne partage pas la même LM de son public) semble être beaucoup plus compliqué, et cela pour plusieurs raisons : •
Tout d'abord, la situation linguistique. Dans un contexte précis comme le nôtre, nous nous
retrouvons face à des traces d'exolinguisme (cf. G. Liidi, 1993) chez les apprenants et des traces de bilinguisme (idem) chez l'enseignant. Celles-ci dénotent, d'une part, un manque de maîtrise en LC et, d'autre part, une bonne compétence de la langue parlée dans le pays où l'enseignant
Variables communicatives et interactionnelles en classe de langue étrangère
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enseigne. C'est ce qui constitue, nous semble-t-il, une différence primordiale avec la situation dans laquelle l'enseignant partage la même langue que ses apprenants {cf. D. Denudom, 1992 : 89). De manière générale, nous parlerons donc de stratégie de substitution chez l'apprenant {cf. P. Bange, 1992 : 62) et plutôt d'alternance codique chez l'enseignant. Il est évident que ces deux emplois différents de la langue parlée dans le pays répondent dans la classe à un besoin principalement d'ordre pragmatique. •
Ensuite, la situation de communication.
Deux locuteurs ayant deux langues différentes se
trouvent en face à face et doivent essayer de négocier non seulement les contenus, mais avant tout la forme de leurs messages. Bien entendu, cela est repérable pendant les premières rencontres entre l'enseignant et les étudiants, c'est-à-dire quand les interlocuteurs ne se connaissent pas suffisamment, et surtout en début d'apprentissage quand les apprenants ont des moyens linguistiques fort limités. •
Enfin, la situation interactionnelle. L'enseignant a une langue et une culture différentes de
celles de son public, il y a donc une asymétrie linguistique qui est "généralement prolongée par des asymétries dans les règles de l'interaction et les conventions culturelles" {cf. B. Py, 1990: 83). Ces facteurs créent alors un déséquilibre4
beaucoup plus complexe que le déséquilibre
inhérent à toute autre situation d'enseignement/apprentissage. Ce déséquilibre nous semble, par conséquent, être constitutif de la situation d'enseignement/apprentissage d'une LE en contexte alloglotte avec un enseignant natif.
3. Analyse du corpus5 3.1 Préliminaires D'une manière globale, on pourrait dire que les enseignants de langue étrangère connaissant la langue maternelle de leur public se divisent en deux grandes catégories : ceux qui y ont recours de façon systématique et ceux qui l'utilisent de façon extrêmement rare. Après une analyse plus attentive des données empiriques, il devient évident que ce type de généralisation ne nous fait pas beaucoup avancer et qu'il faut alors chercher quelques indices plus significatifs par rapport à d'autres paramètres tels que le niveau du public, l'Institution dans laquelle ont lieu les cours, la formation des enseignants... Le critère qui nous a amenée aux choix définitifs des paramètres à utiliser pour la récolte des données a été celui de l'homogénéité. Pour obtenir un corpus homogène, donc analysable, nous avons considéré comme opératoires les paramètres suivants : -
un public de francophones ayant le même niveau linguistique en langue-cible (débutants-
débutants avancés),
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-
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des enseignants ayant une connaissance suffisante dans la langue du pays d'accueil (le
français), -
un type d'institution dispensant un enseignement que l'on pourrait qualifier de non formel et
permettant, par conséquent, une relation pédagogique enseignant/étudiants moins figée et plus souple, à savoir une école de langue. La partie du corpus que nous présentons ici est constituée de transcriptions de cours d'italien langue étrangère donnés par quatre enseignants à des adultes de même niveau, enregistrés au Centre de Langue et Culture Italienne de Paris. L'analyse du corpus nous a permis de déceler cinq emplois différents du français en classe de langue. Son emploi semble appartenir à cinq stratégies différentes que nous avons classées par ordre décroissant de "conscientisation" : stratégie routinière, stratégie
compensatoire,
stratégie rassurante, stratégie spontanée, stratégie à valeur taxémique. Bien entendu, cette catégorisation n'a qu'une valeur méthodologique étant donné que le recours à la LM du public peut être une réponse simultanée à plusieurs besoins et que cet emploi peut recouvrir, par conséquent, plusieurs stratégies à la fois.
3.2 Stratégie Routinière L'enseignant utilise le français parce qu'il le trouve utile pour faciliter l'apprentissage de la LC, pour éviter des complexifications gênantes et pour simplifier l'interaction. Cette stratégie vient donc principalement de la méthodologie choisie et utilisée par l'enseignant. (1) 1 A l : si ce l'ho + *je l'ai sur moi* ? 2E : [il] + *avec moi* eh ? in italiano questo é un rafforzativo perché lo é troppo debole *trop faible on ne l'entend pas et vous vous dites ce l'ho pour renforcer la phrase moi je + c'est une convention que je dis sur moi pour vous faire comprendre mais la réalité c'est pour renforcer pour faire MIEUX comprendre* d'accordo ? quindi bisogna avere * il faut avoir* questa abitudine mmh ? (2) E : allora vediamo + adesso cerchiamo eh ? *je vous redis pour ceux qui sont arrivés : plus tard on va faire: on va faire une révision de tout ce qu'on a fait eh ? parce que comme il y a la grève et il y a il y a pas tellement de monde je préfère tout revoir mais on va quand même voir quelque chose de nouveau + euh on va faire le le présent de l'indicatif on va reprendre plusieurs fois comme ça vous c commencez quand même à parler à faire des phrases* io tu lui noi voi loro d'accordo ? (alors + maintenant essayons eh ? ... je tu il nous vous ils d'accord ?)
Dans les deux exemples, le passage de l'italien au français se produit dans des moments particuliers du déroulement de l'interaction pédagogique. En (1), la commutation des deux codes est utilisée par l'enseignant pour une explication d'origine métalinguistique d'une expression assez figée en langue-cible .et qu'il serait trop compliqué de formuler en italien. Dans cet
Variables communicatives et interactionnelles en classe de langue étrangère
exemple, l'enseignant
205
n'évalue pas seulement le niveau linguistique de ses étudiants, il
sélectionne surtout les éléments de Vinput linguistique. Il semble, en effet, que l'enseignant passe souvent au français quand le cours est détourné vers un sujet qu'il estime encore trop prématuré d'aborder. En (2), l'enseignant passe au français pour "ceux qui sont arrivés plus tard" et aussi pour annoncer le plan du cours. C'est une séquence que l'on pourrait qualifier de "latérale" dans laquelle on ne parle pas de l'objet d'apprentissage, mais de la façon dont va se dérouler le cours.
3.3 Stratégie compensatoire Dans ces cas, l'enseignant emploie le français dans les moments inconfortables comme ultime (ou presque) remède. (3) 1 Al : non comprendo uomo ragno (Je ne comprends pas uomo ragno)
2E : uomo ragno mmh il ragno é un insetto eh ? che fa
Apprenant
>
Groupe = A+A+A
Par ailleurs la question se pose de savoir comment les apprenants entendent les interventions des autres apprenants. Que constitue la parole d'un apprenant pour un autre ? Existe-t-elle ? N'estelle pas plutôt une interaction entre l'apprenant répondant au professeur ? Et on assisterait alors à une série entrecroisée où chaque élève n'est en interaction qu'avec l'enseignant. Cependant lorsqu'on observe le contenu des tours de parole des apprenants on s'aperçoit qu'en fait la progression de leurs discours tient compte de ce qui a été dit précédemment, y compris par leurs pairs (même s'il n'y a pas manifestation explicite que quelque chose a été entendu, voir les signes d^validation interlocutoire décrits par Kerbrat-Orecchionil992). L'extrait suivant montre
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Francine Cicurel
un exemple de co-construction du dialogue. Brigitte, Jeanine et Térésa arrivent ensemble à donner une réponse adéquate. P Welf P Térésa P Brigitte Jeanine Térésa P
donc ce...celui à qui on marche sur les pieds d'habitude quelle est sa personnalité ? tranquille, calme... tranquille calme/ il est toujours calme/ il est calme si... on ne marche pas sur les pieds ? si on ne?... marche... lui dérange pas on ne lui marche pas sur les pieds ? voilà ! et quand on lui marche sur les pieds qu'est-ce-qui se passe ?
Nous touchons ici un aspect tout à fait sensible de l'apprentissage en dialogue. Si chaque participant semble être tourné davantage vers le locuteur savant (corporellement
et
interactionnellement) il se construit cependant un discours tissé collectivement dont on ne peut comprendre la cohérence que parce qu'on tient compte de chaque tour de parole.
• Une parole en écho Comme dans toute instance conversationnelle chaque participant est à la fois responsable de son propre dire et engagé dans et par le dire des autres. Caractérisant le dialogue didactique et le différenciant largement de la conversation ordinaire est l'ampleur du phénomène de la reprise ou de la répétition. En classe sont répétés : . la correction du professeur, . un énoncé du discours d'origine (exercice ou dialogue enregistré), . un énoncé fautif ou juste de l'élève, . sa propre parole ( pour permettre une meilleures compréhension), de telle sorte que l'on peut parler d'un phénomène d'écho. On observe ci-après l'écho reprenant l'expression c'est plutôt Prof Voix magnéto Plus élèves Prof Voix magnéto Térésa Plus él Prof
difficile.
on écoute la dernière personne ce que j'en pense? c'est plutôt difficile ce que j'en pense oui vous me demandez ce que j'en pense/ alors ce que j'en pense (elle passe la réplique) c'est plutôt difficile c'est plus que difficile c'est plutôt difficile plutôt/ c'est plutôt difficile/ pourquoi elle dit ça ?
Le phénomène de l'écho appelle la réflexion. D'un côté il permet l'apprentissage. Tout interactant de la classe participe ou entend cet écho d'une parole d'apprentissage mais d'un autre côté il confirme à l'apprenant qu'il n'est que l'un des "récepteurs" de l'explication. Revenons à la distinction que fait Ehlich entre l'interaction parent-enfant dans laquelle l'enfant est sûr que c'est
La dynamique interactionnelle dans le dialogue didactique
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à lui que l'on explique et l'interaction en classe où il y a comme une neutralisation de l'interaction de personne à personne au profit d'une interaction du professeur avec un groupe qui risque d'effacer l'interaction de personne à personne. Comment en effet s'adresser à un groupe alors que ses membres requierent des types d'interventions pédagogiques, des procédures diverses ? Peut-on encore parler d'une possibilité pour l'apprenant de manifester son individualité dans l'interaction ?
3. Les traces d'une interaction d'apprentissage effective Si on porte attention aux interventions des apprenants, on s'aperçoit que de fait, au sein même du collectif, se manifestent des occasions pour les participants à manifester des avancées personnelles dans le dialogue. • L'étudiant peut toujours poser des questions, certes pas n'importe lesquelles, mais il peut faire des demandes d'information complémentaires sur le code ou la gestion de l'activité. Il peut aussi effectuer des demandes de confirmations ( est-ce bien cela ? a-t-il bien compris ?) • En suivant sur une transcription la succession des tours de parole d'un apprenant, on découvre qu'il essaye parfois de produire ou redire un mot nouveau - à retardement - alors même que le thème de l'interaction collective porte déjà sur un autre point. Ce qui indique que dans le dialogue collectif il existe des zones montrant que l'apprentissage reste un processus cognitif en partie personnel • On observe également ce qu'on peut nommer "la défense du territoire d'apprentissage" d'un apprenant qui peut se manifester de plusieurs manières, dont voici deux exemples : - l'apprenant veille à la cohérence de ce qui lui est proposé et vérifie s'il n'y a pas contradiction entre une règle énoncée et un usage comme on le voit dans l'exemple ci-après. Le professeur vient de dire qu'il y a ellipse du i dans s'il en raison de la rencontre de deux voyelles et l'élève se heurtant à l'énoncé si on. poteste : "Mais madame c'est o c'est pas une voyelle o ?" On voit que l'étudiant surveille la qualité de la "marchandise pédagogique". - d'un autre côté il défend sa "face"( au sens où Goffman l'entend) contre l'agression d'une correction qui peut lui sembler injustifiée (voir extrait en 1.4.). L'apprenant veut bien être corrigé à condition qu'on lui ait donné les possibilités d'émettre un énoncé correct et si tel point du programme n'a pas été traité, il n'accepte pas d'être corrigé pour quelque chose qu'il n'est pas supposé connaître.
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Francine Cicurel
• On observe aussi l'émergence de la personne
sous l'apprenant se manifestant dans des
interventions qui n'ont pas pour finalité première un objectif de type didactique. L'apprenant (et l'enseignant aussi) fait un commentaire le plus souvent humoristique comme pour faire éclater une interaction trop rigide. David
( à propos des Français) je trouve qu'ils parlent très doucement, je ne peux pas entendre bien qu'est-ce qu'ils disent P ah bon Rosa peut-être parce que tu es très haut (grands éclats de rire) P petite rectification/très grand hein très grand on ne dit pas très haut pour quelqu'un Rosa ah on ne dit pas... pour les bâtiments Rosa se réfère à une donnée du monde réel (la taille de David) et l'intègre dans le processus didactique. Cette rencontre entre les deux mondes (le réel et le fictif didactique) provoque comme bien souvent le rire des participants. • Le phénomène de "retopicalisation" On sait que l'apprenant peut rarement introduire le thème (ou topic) dans l'interaction didactique, c'est un attribut professoral, mais il arrive qu'il s'arrange pour avoir cependant une influence sur l'avancée thématique des échanges. Ainsi à partir d'une "couverture thématique" il peut prélever l'un des éléments et le développer, modifiant ainsi le développement de l'interaction. P Fabienne P
avez-vous vu les petits poissons rouges? est-ce que parmi vous, une a des poissons rouges à la maison ? oui ils meurent ils meurent ? pourquoi pas ? ils meurent très vite ?
Le thème étant la description des poissons, l'enseignant est surpris que l'étudiante Fabienne réponde à la question posée (reprenant
le topic des poissons rouges) mais dévie le
topic"description" au profit de celui de la "survie" des poissons rouges en milieu aquarium. C'est ce qu'on peut appeler une "retopicalisation". La réaction à ce genre de phénomène de déviation du thème initial va différer selon les situations ou la personnalité des enseignants : soit il estime que cette initiative pour co-piloter l'interaction est intéressante pour l'apprentissage, soit il coupera court estimant que c'est une digression néfaste et qu'il faut revenir au plus vite à l'objectif qu'il s'est fixé.
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La dynamique interactionnelle dans le dialogue didactique
Conclusion L e d i a l o g u e d i d a c t i q u e se construit dans cette t e n s i o n entre un d i s c o u r s p l a n i f i é , un cadre préf o r m a t é , v o u l u par l ' e n s e i g n a n t et u n s e c o n d n i v e a u d i s c u r s i f , c e l u i d u d i a l o g u e e f f e c t i f qui é c h a p p e e n partie a u x p r o t a g o n i s t e s e u x - m ê m e s et auquel l'observateur a a c c è s . D a n s u n cadre rigide, f i n a l i s é , balisé par d e s o b j e c t i f s prioritaires liés aux e x i g e n c e s du cadre c o m m u n i c a t i f , les é c h a n g e s s e c o n s t r u i s e n t n é a n m o i n s e n f o n c t i o n d e f a c t e u r s très d i v e r s i f i é s
permettant
l ' é m e r g e n c e d'une interaction p l u s libre. Et c'est c e t t e d i s t o r s i o n , c e t t e f ê l u r e entre d i a l o g u e prétendu et d i a l o g u e e f f e c t i f , cet écart par rapport à u n e parole p l a n i f i é e , l'éclat o u l'éclatement d ' u n e p a r o l e f r a î c h e qui m e paraît c o n s t i t u e r l'un d e s i n t é r ê t s d e l'étude d e s
discours
d'enseignement.
Notes 1. J'ai moi-même montré à plusieurs occasions de quelle manière on peut observer un rituel et une prévisibilité du déroulement des échanges en classe (voir Dabène et autres 1990). 2. Précisons que la critique de la gestion autoritaire de la parole en classe doit être nuancée car il revient au professeur de faire participer tous les élèves à l'interaction, y compris ceux qui ne prennent pas spontanément la parole. 3. Mon corpus est constitué de transcriptions de classes de français langue étrangère en France et à l'étranger.
Bibliographie Allwright , D. et Bailey, K.M., (1991), Focus on the Language Cambridge, New York.
Classroom,
Cambridge University Press,
Berrendonner A., (1986), "Discours normatif vs discours didactique" dans Etudes de linguistique appliquée n°61, Didier Erudition, Paris. Cicurel F. (1993 ), "A la recherche de l'équilibre interactionnel" Actes du VIII 0 colloque de la FIPF, Lausanne 1992, dans Dialogues et cultures n°37, Québec. Dabène L., Cicurel, F., Lauga-Hamid, M.-C, Foerser, C. (1990), Variations et rituels en classe de langue, CrédifHatier, Paris. Dijk, T.-A. van (1980), "Les textes de l'enfermement : vers une sociologie critique du texte" Colloque sur l'enfermement, Maison Descartes, doc ronéot., Amsterdam. Ehlich K. (1980), " Schulischer Diskurs als Dialog ? dans Schröder/Steger ( 1981 ) Dialogforschung, des KIDS (Kommunikation in der Schule), Shwann. Kerbrat-Orecchioni, C. ( 1990 et 1992), Les interactions verbales, Armand Colin, Paris, Tomes I et 2. Kramsch, C. (1984), Interaction et discours dans la classe de langue, Crédif-Hatier, Paris. Vion , R. (1992 ), La communication verbale, Hachette Sup, Paris.
Jahrbuch 1980
Françoise Claquin & Anne Croll
La co-construction thématique dans un dialogue télévisuel 1.
Introduction 1.1 La notion de thème 1.2 La co-construction thématique dans le débat télévisé 2. Quel est l'enjeu de notre démarche ? 3. Un exemple d'analyse et son évaluation 3.1 Une tentative de codage 3.2 Présentation et analyse des résultats 3.3 Evaluation 4. Conclusion Notes Bibliographie Annexes
1. Introduction 1.1 La notion de thème Des notions éprouvées : La notion de thème en linguistique a été qualifiée de "carrefour de malentendus" 1 . Nous revenons ici rapidement sur cette notion pour examiner les différences de conception lorsqu'il s'agit d'analyse linguistique, d'analyse de discours ou d'analyse des conversations. Dans le cadre de l'analyse linguistique, ce sont de micro-analyses qui sont proposées, situées au niveau de la phrase et renvoyant à la problématique thème-prédicat, thème-rhème, topicfocus.... Le vocabulaire est instable mais ce qui est proposé est un travail de dissociation des différentes informations contenues dans un énoncé et une tentative de hiérarchisation de ces informations, telles que les a formulées le locuteur, en information ancienne-information nouvelle ou information de premier plan-information d'arrière plan. La notion de thème dans l'analyse des discours littéraires a ceci de différent qu'elle relève de la macro-analyse des textes. Dans une tradition rhétorique fort ancienne, le thème est un lieu synthétique autour duquel prennent sens les éléments d'un discours, autour duquel ils s'articulent et sont mémorisés. On les appelle "lieu" ou "topoï". Dans l'écriture littéraire, le thème construit par le texte relève d'une tradition, d'une mémoire culturelle par rapport auxquelles l'auteur se situe : le topos est un lieu commun entre le producteur et le récepteur. Le thème se trouve donc au carrefour de deux pratiques de nature cognitive, mémorielle : c'est un objet de discours absent
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Françoise Claquin & Anne Croll
comme tel dans le texte mais sur lequel le producteur effectue son travail d'inventio ; c'est un lieu de discours que le lecteur s'efforce de reconstituer pour que sa lecture éclatée prenne sens. La reconnaissance du thème suppose une connivence de savoirs. A ce titre, n'oublions pas qu'il existe un exercice scolaire inévitable et indémodable dont les consignes bien connues sont : "recherchez les idées du texte". Les notions à'isotopie et de mot »/développées par la théorie sémiotique ont relayé cette approche sémantique des textes en nous donnant une méthode de reconstitution (les traits sémantiques récurrents) d'un thème invisible à l'oeil nu. Dans la perpective textuelle, pas de thème sans une mémoire culturelle globale, sans une mémoire textuelle locale, qui permettent au récepteur d'articuler ce que dit un texte à des topics. Un travail en cours de développement : Pour ce qui est de l'étude des dialogues, le thème fait l'objet d'un travail en cours de développement. Dénommé généralement topic, c'est un "construit" dialogique qui ne peut être que le résultat d'une double participation, d'un accord minimal sur le motif de la conversation, ce à propos de quoi on parle. Ainsi Michel De Fornel (1986) sur les conversations téléphoniques et Berthoud & Mondada (1991 & 1992) ont-ils proposé des analyses micro-thématiques sur le travail discursif effectué par les interlocuteurs pour amener un thème, pour accepter de le traiter ensemble. Par exemple, on trouve chez De Fornel une analyse de la conversation téléphonique qui illustre l'importance des "thèmes obligés", ceux qui doivent être traités rituellement avant que l'on puisse annoncer le motif réel de la conversation. Les questions posées par ces analyses sont celles de l'articulation entre 1) la séquentialisation linéaire de la conversation et le développement du thème : le travail parfois laborieux de mise en place du thème, puis le jeu parfois aléatoire de surgissement et de disparition des thèmes, 2) la capacité à créer un objet de dicours commun partagé entre les interlocuteurs et 3) la concurrence qui existe entre la discussion thématique et d'autres dimensions de la conversation : d'autres fils à tisser comme la convivialité assurée par les échanges de politesse, la maîtrise de l'action en cours assurée par des échanges de gestion, des références au contexte matériel, des demandes d'action, etc. 1.2 Le travail que nous présentons porte sur la co-construction thématique dans le débat télévisé Examinons d'abord les caractéristiques générales de ce genre médiatique : Noël Nel (1990) en a fait l'analyse historique et sémiologique et, pour ce qui nous concerne, nous avons proposé une analyse globale d'Apostrophes (1991) dans le cadre du CAD (centre d'Analyse du Discours). Le débat médiatique peut être défini comme un échange de paroles représenté par l'image et le son, pour un public absent, géré par un animateur. La visée de ces programmations est connue : le média doit faire en sorte d'obtenir de l'audience en proposant un débat qui intéresse le public. Le but qui légitime socialement ce genre de programme, son but reconnu est d'informer et de mettre
La co-construction thématique dans un dialogue télévisuel
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en confrontation des opinions ou des informations parfois contradictoires sur un thème donné afin de permettre au public de se forger une opinion personnelle à partir de la confrontation des informations qui lui sont fournies. Le thème est généralement formulé (défini par voie de titrage et d'annonces diverses) de façon plus ou moins précise. Il existe un genre plus spécifique que nous étudions dans le cadre du CAD : le "talk-show" (dont on trouve l'analyse dans notre rapport CNRS, 1993). L'émission aujourd'hui disparue de Christophe Dechavanne, Ciel mon Mardi !, est un exemple du genre. Notre travail porte sur une séquence particulière, séquence de débat classique, organisée et gérée par un animateur. Cette séquence insérée dans l'émission est autonome : elle porte sur un thème précis, le thème des sectes. Ciel mon Mardi ! offre deux caractéristiques particulières par rapport aux débats classiques : essentiellement la division de l'émission en séquences distinctes et l'articulation de la dimension de discussion à celle de spectacle. Une telle émission, dans le champ des médias français, est dénommée "talk-show". Cette dimension de spectacle, outre les intermèdes et séquences qui sont hors débat et constituent des divertissements, est marquée par la présence d'un public sur scène, qui entraîne la constitution de deux espaces nettement séparés, comme au théâtre, l'espace qu'est la scène qu'on regarde (où les personnages jouent le jeu de la parole) et celui où se trouve, le public qui regarde cette même scène. Il y a donc ces deux marques essentielles de la représentationspectacle : la rampe, présente quelle que soit la disposition scénique choisie ; et l'existence d'un événement qui, bien qu'enregistré et pouvant être revu à l'infini, n'a eu lieu qu'une seule fois. D'autre part, rires, sifflets, applaudissements, renforcent cette dimension spectaculaire qui entre en concurrence avec la première : la discussion. Un autre aspect de cette émission disparue était sa notoriété, sa grande écoute, la célébrité qu'elle avait acquise grâce aux "faits d'armes" qui s'y sont déroulés (de l'insulte, au pugilat en passant par la sortie de plateau ou l'interruption du spectacle). Le spectateur attend de cette discussion une "dramatisation" qui en fasse un divertissement et non plus seulement un acte de réflexion et d'information, un programme purement didactique.
2. Quel est l'enjeu de notre démarche ? Notre démarche est signifiée par les deux mots-clefs du titre de notre intervention et elle pose deux questions : - Une question de linguistique théorique : qu'est-ce que la co-construction thématique et, inversement, la non-co-construction thématique dans une conversation ? - Une question de linguistique appliquée : peut-on se donner des critères d'observation de nature langagière permettant d'évaluer la valeur réelle d'échange d'une discussion à thème imposé ?
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Pour évaluer le travail thématique réalisé dans une discussion, nous proposons trois critères : précisons que par rapport à la notion de topic qui désigne généralement ce dont on parle, ce qui fait l'objet d'une référence linguistique, ce qui est généralement nommé et se transforme au cours de la conversation, le thème est pour nous un horizon de discours, non formulé, présent en mémoire de manière plus ou moins forte, un lieu plus ou moins commun, plus ou moins instable entre les interlocuteurs. Il peut arriver qu'entre les topics évoqués par un locuteur et ceux qui sont évoqués par un autre locuteur, l'écart soit si grand qu'il devienne impossible de créer entre eux une "liaison thématique". - La liaison thématique est donc précisément notre premier critère pour évaluer le degré de cohésion d'un échange. On examine l'articulation sémantique des topics abordés - définis comme information donnée dans l'énoncé - afin de voir s'ils opèrent ou non des liaisons thématiques. La question est de savoir s'il n'y a que des topics ou s'il y a aussi du thème. Les topics ont-ils une pertinence thématique commune ? Y-a-t-il une articulation des sous-thèmes entre eux de façon à former un macro-thème ? Ou bien l'articulation est-elle inexistante, ou aléatoire, désordonnée ? Sur quel mode se fait cette articulation inter-thématique ? (Se fait-elle par association, narration, argumentation ?) Le deuxième critère utilisé pour évaluer le travail thématique dans un dialogue peut se formuler dans cette question : - Est-ce du Dialogue ou seulement une succession de Discours ? Y-a-t-il un réel partage des connaissances effectué entre les interlocuteurs ? Y-a-il juxtaposition de discours individuels ou intégration des informations apportées de L1 à L2 ? L'interlocuteur est-il en mesure de proposer des informations en retour qui ont du sens par rapport à celles apportées par L1 ? La question est de savoir s'il y a une réelle réciprocité qui puisse prendre le nom d'échange dans le sens anthropologique que lui donnait Marcel Mauss 2 en formulant sa triade fondatrice de tout échange social, "donner-recevoir-rendre un équivalent de ce qui a été donné". Les locuteurs sont-ils réellement en mesure d'établir des transferts d'objets de connaissance ou ne peuvent-ils que juxtaposer des discours monologiques où l'articulation de base de l'échange dialogique (apport informatif / réception informative / commentaire informatif) ne se réalise pas ? Ce qui est dit par L1 est-il réapproprié par L2 qui rend à son tour quelque chose à la place de ce qu'il a reçu ? Notre dernier critère d'évaluation du travail thématique est la question de : - La co-construction : peut-on constater à l'intérieur d'un thème co-construit l'existence d'un devenir thématique, peut-on parler d'une transformation, d'une production nées du partage des discours ? Y-a-t-il co-construction à l'intérieur du thème : transformation par enrichissement, rectification, déplacement, changement de point de vue par les interlocuteur tout au long de la
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durée de la conversation, de manière à ce qu'on puisse dire qu'ils ont construit un discours commun nouveau, né de leur collaboration ?
3. Un exemple d'analyse et son évaluation 3.1 Une tentative de codage Le travail d'observation sur la structuration thématique de Ciel mon mardi ! peut se faire autour de trois notions clé : - Le thème : quand un "domaine de savoir est constitué en objet de transaction verbale", il devient le thème d'un échange langagier
3
. Les énoncés se construisent au sein de cet espace
sémantique, constitué par la question "de quoi parle-t-on ?" Etre "traité" au cours d'un échange, voilà le propre du thème. - L'intervention : il s'agit d'une contribution thématico-interactive à l'intérieur d'un échange. Les différents types d'interventions se distinguent par rapport au rôle qu'elles jouent dans la construction thématique et par la position du sujet par rapport au thème de l'échange. Parmi les différents types possibles, nous ne retenons ici que les interventions directrices qui, par définition, introduisent un ou plusieurs nouveaux thèmes. - L'échange : il représente l'unité de découpage et d'organisation thématico-interlocutive supérieure à l'intervention. Un échange est un "regroupement d'interventions autour d'un thème de parole à l'initiative d'un locuteur" 4Le thème se caractérise par son instabilité, sa propension aux métamorphoses, d'autant qu'il n'est généralement pas formulé. Dès lors, l'identification d'un thème n'exige pas forcément une précision extrême de l'échange dans lequel il prend place. Pour effectuer notre codage, nous avons cherché des "mots-clé" ou "mots-thème". Nous avons alors dressé un tableau descriptif des échanges en notant la durée de chaque échange en nombre de prises de parole ainsi que l'identité du participant "initiateur de l'échange", responsable de l'idée directrice qui inaugure un nouvel échange.
3.2 Présentation et analyse des résultats Nous proposons de visualiser la structure thématique de l'émission grâce à une courbe tracée suivant un axe vertical des thèmes et un axe horizontal de la succession des échanges (voir schéma 1 en annexe).
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A la lecture du tableau descriptif des échanges, nous pouvons, nous semble-t-il, opérer un regroupement des échanges autour de quatre notions qui correspondent aussi à des types de discours : celle de débat-discussion, de récit-témoignage, de confrontation-conflit et d'échanges hors-sujet. En effet, sur 124 échanges déterminés, - 41 correspondent à un débat autour de notions générales : groupe 1 - 33 correspondent à la narration d'un témoignage : groupe 2 - 1 2 correspondent à des scènes de confrontation ouverte : groupe 3 - 38 échanges hors-sujet : groupe 4. La parole d'opinion ou de persuasion du groupe 1 s'oppose à la parole de la vérité légitimée par le vécu du groupe 2. L'attribution d'un échange au groupe 1 ou au groupe 2 repose donc sur des marques formelles et stylistiques. Nous avons classé dans le groupe 3 les échanges qui manifestent une parole de jugement polémique. Dès l'apparition du conflit entre les participants, il n'y a plus véritablement ni discussion ni témoignage, mais une série d'attaques personnelles et de répliques de défense qui ruinent toute tentative de développement du thème en cours. Tout passage de la courbe sous l'axe des abscisses correspond donc soit à un échange conflictuel, soit à un échange hors-sujet. - La liaison thématique Le schéma illustre parfaitement l'impossibilité de constituer un macro-thème : nous en avançons trois preuves. Au sein du premier groupe, caractérisé par la discussion-débat, nous observons une diversité extrême des thèmes traités dans les échanges : si = secte et enfants
11 échanges
s2 = secte et justice
11 échanges
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s4 = secte et peur
5 échanges
s5 = secte et définition 4 échanges s6 = secte et liberté
2 échanges
Pourtant, les organisateurs de l'émission avaient annoncé comme thématique : "Les enfants et les sectes". Nous appelons "macro-thème" l'univers de discours qui constitue l'objet du débat. Au regard du titre du talk-show étudié ( Education sectuelle ), l'on s'attend à ce que le macrothème développé soit : les enfants et les sectes. Or, la prééminence de ce thème si (secte et enfants), intégré seulement dans le groupe 1 n'est flagrante ni par le nombre d'échanges ni par leur durée en nombre de prises de parole. Le thème s2 (secte et justice) rassemble autant d'échanges que si. Le thème s3 (secte et argent) fait également recette.
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Le thème annoncé (secte et enfants) n'est pas traité non plus dans le groupe "récittémoignage", bien que ce type d'échanges occupe une partie importante de l'émission. Il s'agit en effet de témoignages d'adultes, principalement sur leurs propres expériences dans les sectes : tl=témoignages sur Le Grand Logis (18 échanges) t2=témoignages sur la secte de Raël (14 échanges ) t3=témoignages sur les austériens (1 échange) Nous observons l'existence et l'importance des échanges non directement liés au macrothème : "les sectes". Le 4ème groupe rassemble les échanges qui ne traitent aucun des thèmes mis au jour précédemment. Trois types d'échanges-hors sujet se dessinent: - les 10 échanges de présentation des participants : hsp - les 7 échanges de gestion des thèmes où l'animateur invite un participant à s'exprimer sur l'un des thèmes des groupes 1 ou 2 : hst -les 21 échanges de digression qui illustrent un glissement conversationnel : hsd Citons pour exemple des échanges E19 et E21 qui développent 61 prises de parole sur le SIDA et 41 prises de parole sur la croix gammée. Ce schéma illustre la difficulté des sous-thèmes à s'imposer et à se maintenir dans la séquentialisation linéaire de la conversation pour former un véritable macro-thème. Si macrothème il y a, ce n'est certainement pas celui annoncé mais plutôt : "Quelques aspects des sectes ?". La liaison thématique est inexistante et on a, à l'inverse, une extrême variation, une hachure thématique. - Dialogue ou discours ? On constate aussi sur le schéma, l'échec des participants à se créer un objet de discours commun. A ce titre, le rôle joué par l'animateur n'est pas neutre. De façon générale, il est l'initiateur des thèmes. D assure le passage d'un thème à l'autre par le biais de questions posées aux invités, il les dirige sur les divers aspects propres aux sectes mais pas spécifiquement sur le macro-thème annoncé. Dechavanne assure aussi la clôture des thèmes traités par le passage parfois brusque à un autre thème. Ce n'est donc pas lui qui maintient la cohérence du discours commun ; il est même à l'origine de l'absence de discours commun. Notons aussi que l'animateur n'a pas le monopole de la gestion des thèmes. En effet, 64 échanges sont initiés par un participant autre que l'animateur : on a donc affaire à une gestion distribuée, assurée par quelques fortes personnalités qui tentent d'imposer leurs propres thèmes. Ceci contribue à l'éclatement du dialogue en discours individuels. Pourtant, il est quasiment impossible d'établir des liens précis entre les thèmes et les invités. Il semble donc que l'émission se caractérise par l'échec du partage de l'objet de discours entre les participants : on assiste à une juxtaposition de discours individuels hétéroclites, sans véritable
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échange dialogique. Les nombreux sous-thèmes, qui surgissent ponctuellement et disparaissent tout aussi vite correspondent à une atomisation du discours. Le nombre important d'échanges conflictuels et hors-sujet montre aussi que la discussion ne s'établit jamais véritablement. - La co-construction La caractéristique essentielle de l'émission étudiée tient dans l'extrême éparpillement des échanges qui traitent du même thème. Nous ne constatons une certaine continuité thématique que lors des moments qui correspondent en fait à des séquences spécifiquement centrées sur un invité (Ex : E67 à 70 pour T l , E95 à E99 pour M. Paragat). C'est donc d'une continuité personnologique qu'il s'agit. L'enchaînement thématique réalisé entre les échanges E23 et E36 constitue à cet égard une exception remarquable, sans doute le seul véritable moment de débat de l'émission. Les thèmes principaux (secte et enfants, secte et justice, secte et argent) jalonnent l'émission et tendent à revenir cycliquement. La multiplicité et la fréquence des changements de thèmes empêchent toute progression argumentative et il semble bien qu'aucun thème ne soit véritablement "traité" malgré (ou peut-être à cause de) la variété des intervenants. Nous constatons l'extrême fréquence des enchaînements entre un thème du groupe 1 (notionnel) et un thème du groupe 2 (vécu), comme si tout élément de débat se devait d'être aussitôt étayé par un récit -témoignage. Difficile ensuite pour un autre invité de compléter, de transformer l'objet de connaissance, puisque tout témoignage se clôt sur lui-même. Dans ces conditions, on doit reconnaître que le macro-thème éclate en une multitude de sousthèmes dont aucun n'est vraiment assumé par les protagonistes : il n'y a pas de production commune née du partage des discours, pas de transformation par enrichissement mutuel. La coconstruction appelée par le genre "débat" laisse place à une vaste entreprise de déconstruction à laquelle contribuent tous les invités et l'animateur.
3.3 Evaluation Ces observations sur la structuration thématique et l'échec de la co-construction nous permettent de proposer quelques interprétations. - Ciel mon mardi ! ne témoigne pas d'un véritable itinéraire thématique En effet,nous avons pu observer que l'enchaînement des thèmes se fait plus sur le mode de la syncope que sur celui du phrasé. Il n'y a de réelle continuité ni dans les discussions ni dans les témoignages. Le macro-thème annoncé (secte et enfants) apparaît plus comme un prétexte, déterminant dans le choix des invités et dans la teneur des premiers échanges, que comme un
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véritable sujet à traiter. La récurrence et la durée des thèmes sont annulées par leur éparpillement. Dès lors se pose le problème du genre auquel appartient "Ciel Mon Mardi" : débat, conversation, confrontation ? - L'animateur de Ciel mon mardi ! est un facteur actif de la déconstruction Dechavanne est à l'origine de la rupture des échanges, du manque de cohérence dans le développement des thèmes. Il semble qu'il veille à ce qu'aucune discussion ne se noue véritablement. Il organise un vaste mouvement de rapprochement d'opinions diverses mais aucune n'est réellement débattue. Il provoque et alimente les confrontations entre les différents invités. Il organise le non-débat, gère la brisure du rythme, assure une parcellisation extrême et joue un rôle en partie clownesque qui crée une distance spectaculaire par rapport à la discussion. - Le sens de Ciel mon mardi !
ne se construit pas dans l'interlocution
mais dans la
spectacularisation de la parole Ciel mon mardi ! est une scène de joutes verbales. Dans ce cadre, chaque intervenant doit s'efforcer de se poser comme sujet locuteur en prenant le plus souvent la parole ou en s'individualisant par la teneur de ses propos. La lutte pour la parole qui s'instaure entre les participants empêche la sérénité du débat et l'escalade verbale initiatrice de conflit s'avère un moyen, particulièrement efficace, pour monopoliser l'antenne. La dramatisation
s'impose
comme la dimension privilégiée de cette discussion, bien supérieure à sa réalisation thématique. Le principe de ce genre de conversation est donc moins thématique qu'interactionnel. Tout se passe comme si la spectacularisation de la parole remplaçait la gestion du polémique, comme si la déconstruction était plus télégénique que la co-construction.
4. Conclusion Pour terminer, nous proposons de comparer notre travail avec celui de l'équipe du Cercle d'analyse du Discours de L'université Libre de Barcelone. Le schéma 2 en annexe, établi suivant la même méthode que la nôtre, résume la structuration thématique d'un talk-show appelé La Vida en un Xip, consacré aux patrouilles de défense urbaines. Nous constatons une séparation tranchée entre la première partie de l'émission, caractérisée par la discussion-débat, et la deuxième, caractérisée par la prédominance des témoignages. Remarquons aussi que le groupe 3 n'a pas de véritable existence puisqu'il n'a pas de conflit ouvert mais seulement quelques frictions. Il apparaît que le macro-thème M (pour ou contre les patrouilles urbaines) glisse rapidement vers deux sous-thèmes principaux dans les échanges du groupe 1 et que ces deux sous-thèmes vont être présents pendant tout le débat, se relayant l'un l'autre : la responsabilité des institutions publiques (s2) et la drogue, causes et conséquences (s4).
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Les deux sous-thèmes vedettes, par leur récurrence et leur complémentarité, tendent à pallier le non traitement du macro-thème et participent activement à une co-construction qui vise moins à une conclusion stable sur le macro-thème qu'au traitement de différents aspects du problème. Les thèmes sont liés, traités, ils font l'objet d'un discours commun. De notre étude, on peut conclure que la confrontation des opinions et des témoignages n'est pas, en soi, un échange mais une simple juxtaposition de discours individuels. S'il n'y a pas de réelle co-construction thématique, c'est à dire, à partir d'apports informatifs mutuels une articulation des discours, un partage des informations marquées par leur reconnaissance/intégration mutuelle, une progression de la connaissance grâce à de réels mouvements topicaux (avec enrichissement, déplacement, rectification...) internes au thème qui peut être ainsi maintenu et développé dans la durée, si ces trois conditions ne sont pas réalisées, nous dirons alors qu'il n'y a pas d'échange. L'effet dramatique est assuré -notamment par d'autres moyens- mais l'effet didactique, cher à une vision démocratique du débat, n'est que pure illusion.
Notes 1. M. Galmiche, "Au carrefour des malentendus : le thème." in Xinformation grammaticale, n° 54, juin 1992, pp 310. 2. M. Mauss, "Essai sur le don, forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques", 1923, in Sociologie et Anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1993. 3. P. Charaudeau et A.Croll, "Les outils de l'analyse verbale" in La télévision - Les débats culturels : "Apostrophes", Paris, Didier Erudition, 1991, p. 243. 4. A. Croll, "La dynamique des échanges" in La télévision - Les débats culturels : "Apostrophes", Paris, Didier Erudition, 1991, p. 69.
Bibliographie Berthoud, A.-C, Mondada, L. (1991). "Stratégies et marques d'introduction et de réintroduction d'un objet dans la conversation", in: 700 ans de contacts linguistiques en Suisse, Bulletin CILA, 54, Neuchâtel. Berthoud, A.-C, Mondada, L. (1992). "Modes d'introduction et de négociation du topic dans l'interaction verbale", à paraître dans les Actes du Premier Colloque International d'Aix-en-Provence : L'Analyse des Interactions, 12-14 septembre 1991, La Baume les Aix, Publications de l'Université de Provence, Aix en Provence. Chaffe, W.-L. (1976). "Giveness, contrastiveness, defineteness, subjects, topics and point of view", in: Li, C.-N. (ed). Subject and Topic. New York : Academic Press. 25-56. Charaudeau, P. (éd.) (1991). Apostrophes, Les débats culturels à la télévision. Paris : Didier-Erudition. Charaudeau, P., Ghiglione, R. et alii (1993). Le Talk-Show : un mythe de la démocratie ? Une analyse immanente. CNRS. Programme Sciences de la Communication. Croll, A. (1992)."L'interview et le débat à la radio et à la télévision". Médiascope, 1:29-34. CRDP de Versailles. Fornel (de), M. (1987). "Remarques sur l'organisation thématique et les séquences d'action dans la conversation". Lexique, 5:15-36. Li, C.-N. (éd) (1976). Subject and Topic. New York : Academic Press. Mininni, G. (1989). "La Parole Vaporeuse". In: Connexions, 53 :130-142. Nel, N„ (1990). U débat télévisé. Paris : Armand Colin.
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Dialogue - Consensus - Differentiation. The case of a Dialogue on Russia and Europe 1. 2. 3. 4. 5.
Dialogue in posttotalitarian countries Dialogue and consensus in postmodern philosophy A radio debate Interactive communication management The topic and its differentiation - An example: the topic of the avant-garde 6. Consensus References
1. Dialogue in posttotalitarian countries Numerous types of round table discussions as well as private face-to-face and eye-to-eye interviews, all of them in manifold manifestations, witness the fact that the genre of dialogue is enjoying a boom in posttotalitarian countries and their mass medias. The genre of dialogue that has been cultivated for decades in other European countries is now finding its shape in the east. Not only is the dialogue developing newer and newer strikingly open techniques, but its reception is undergoing important changes as well. While before the listener of radio debates or the viewer of TV programmes was accustomed to find one definite and undoubted truth, he is now exposed to differing points of view and varying attitudes. Instead of the word truth, which used to be so frequent in the previous regime and its ideology, the viewer or listener now comes across other expressions: negotiation, intersubjectivity, agreement, consensus etc. Necessarily we have to remind ourselves, that the fall of totalitarian systems opened the Central and Eastern European countries to the thoughts of postmodern philosophers which reflect the state of affairs in liberal societies (Derrida 1967, 1984, Lyotard 1979, 1983, Rorty 1989 etc.). The emphasis on freedom coincides with the emphasis on differentiation manifested in a dialogue. Let me use the several pages I have at my disposal to discuss the notion of consensus and to illustrate it with an example of a radio debate. What is consensus?
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2. Dialogue and consensus in postmodern philosophy According to Jiirgen Habermas, truth is not a quality which adheres to some statements and not to others, but it is a matter of consensus which results from a discourse led by free and rational people. It is the final stage of a discourse that has not been subject to power. According to Habermas there are no other criteria than rational argumentation that may influence consensus. Habermas thus introduces a picture of an ideal speech situation which is free of any pressure. From this perspective, current speech events should be judged. François Lyotard (1979, 1986) refutes Habermas' idea of seeking for an universal consensus reached in a discourse. There are two reasons why he rejects this idea. First, he does not share Habermas' assumption that all people will agree on the same rules which would embrace all the language games carried on in a society. Lyotard is convinced that the rules valid in the cases of different language games are heterogeneous. Second, Lyotard does not agree with Habermas in recognizing consensus as the final purpose of a dialogue. According to Lyotard, consensus is only a stage in a discussion. It cultivates our sensitivity towards differences and strengthens our disposition to tolerate incomparable ideas and to put up with inconsistencies. The challenge of the postmodern period we are now experiencing consists in the revealing of and the free manifestation of differences and diversities and in coexistence with them as with something inherently present in both language and society.
3. A radio debate Lyotard's view became the prism of my analysis of a debate I taped from the Czech radio (November 1994). The reason I became so interested in it lies in its serious and cooperative, though not easy going and nonconfrontational character. It was a Symposium of four experts discussing the topic "Russia, its mystery and its enigma". The debate referred to an article written by Boris Grays (1989), a Russian philosopher living in Germany. His article bears the polemic title "Russia as Subconsciousness of the West" and the participants of the debate were asked to voice their opinions regarding the topic. What was their background knowledge? All of the participants were acquainted with Groys article. Besides that, all of them, being specialists in Russian studies, knew the context, i.e. the discourse on Russia and Europe that has been continuously carried on in various branches of science and philosophy concerning the urgent need to solve the enigma of Russia, to understand the secret of its exclusiveness and to define its ties to Western Europe. The discourse on the questions of Russian identity, self-definition and its image for Europe is constantly developed thanks to philosophical as well as sociological and political disputes, and is enriched thanks to
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numerous literary treatments of the topic. As all the participants were inclined, though not exclusively, toward literary studies, literary contexts were especially referred to in numerous variations and in historical as well as in present-day perspectives. A debate can be seen as a highly organized and rational cooperative interaction with high communicative responsiveness. Its interactive communication management includes turn management, sequencing and feedback (Allwood, Nivre and Ahlsén 1992).
4. Interactive communication management Turn management concerns the mechanisms which communicators use for the distribution of the right to occupy the sender role in communication. As can be seen from the diagram A, the Symposium was lead by a moderator. She was very modest and behaved in a very tactful and inconspicuous way. The debate was governed by the inner logic of the topic and its development. The moderator introduced the topic and at first asked the speakers their opinions. Later on the speakers occupied their roles following the threads of their thoughts and did so in an absolutely disciplined way. Each speaker took nearly the same number of turns and occupied nearly the same amount of time. Even the moderator managed to get a chance from time to time to emphasize some of the statements and to comment on the direction of the debate, expressing her satisfaction (e.g. I appreciate the course of the debate). She followed the debate offering her own suggestions (/ would like to remind the listeners of Dostoevski's statement that "Beauty will save the world"), formulating questions (Will it be art that will save the world?) and expressing her preferations (/ would prefer if the debate followed the direction outlined in the previous contribution), etc. Diagram A: Turn management 0
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As for sequencing, which concerns the mechanisms, whereby a dialogue is structured, we can say that due to the high degree of considerateness and cooperativeness of the participants the debate was well-balanced. No question remained without an answer. Though the participants were not always able to answer the moderator's question in an appropriate or exhaustive way,
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they tried to. They did not e.g. feel very much like answering the question Which authors of Russian literature might be of the greatest interest for European readers?, finding it too general and insinuating. Nevertheless, they tried to answer, though with comments, on a variety of interests, personal, temporal etc. Generally, the speakers, at least overtly, followed the topics suggested by the moderator. However, as a rule, they primarily followed each others' argumentation and commented on each other's statements, continuously developing the topic by mutual interaction, throughout the dialogue. The feedback mechanism is, at least in a schematic way, recorded in the diagram B. As it was a polylogue, the diagram is quite complex. It primarily registers the overtly expressed suggestions and comments on each other's contributions, and much remains hidden. The highest degree of feedback featured the contributions of the speaker 1 and the speaker 4 who were in the tightest relation (of a professor and his assistant). The topic being passed through the polylogue was continuously elaborated, differentiated and completed. Diagram B: Sequencing and feedback 0
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It has been suggested in linguistic literature on dialogue (Clark and Wilkes-Gibbs 1986, Clark and Schaufer 1989) that the appropriate metaphor for dialogue is the musical concert, where the musicians together produce a coherent output. We could also apply Bachtin's notion of polyphony (Bachtin 1973, 1979). In our case, we observe that each participant in the orchestra made the most of his or her instrument, and each resorted to his or her own register to take over the melody and to vary the theme.
5. The topic and its differentiation The range of the voices was wide enough to represent both serious and humorous tones of the topic of Russian self-reflection. The latter was illustrated in the debate by an aphorism written by the Russian poet ¿aadajev, who formulated in a few lines the humorous, sceptical and even nihilistic aspects of Russian self-reflection. It says: "Do you know what an idea is good for in
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France? - To be pronounced. In England? - To be performed. In Germany? - To be thought over. In Russia? - It is good for nothing. And do you know why?" The main tenor of the debate seems to be the desire to refrain from simplifying answers like that of Caadajev, to think of alternative questions and to refrain from any kind of generalizations. The differentiating approach of the speakers reminds us of Derrida's idea of deconstruction as an unceasing postponing of a final resolution, continuous text segmentation, described in the concept of differance, which does not allow for a concluding interpretation (Derrida 1984: 417). The scheme of the items discussed in the debate shows numerous splits and derivations from the main topic (Dane_ 1974), its continuous segmentation. First, the title of the Groys' article is treated against the background of a general discourse on Russia and Europe, which can be summed up as Russia as a mystery and enigma, or, more precisely, using the terms of the philosophy of consciousness and subconsciousness, Russia as a symptom, a cipher to be solved. The question is treated both from the point of view of Russia and Europe. Within the Russian context, the question has many literary reminiscences, which are discussed and evaluated. As for European perspective, a question is asked, whether an assumption of Russia as a subconsciousness of the West is a genuine philosophical problem, or it is rather an evaluative statement and even the pragmatic effect of such a statement is weighed. Various historical roots are also surveyed to enlighten the question of why Russia so persistently observes itself, why Europe observes Russia as somebody standing aside and what is Europe like from this perspective?
The argumentation structure: Russia as a mystery and enigma Russian discourse on Russia Russian identity in self-reflection
European discourse on Russia Russia as subconsciousness of the West
A symptom, a cipher to be solved Russian identity in self-reflection ^as a literary topic Caadajev, Radiscev Gogol as a source of Russian soul
Russian identity as a philosophical problem subconsciousness as a source of correctives of western thought
Philosophical approach evaluative, rather than transparent philosophical problem West - consciousness?
pragmatic approach a discourse on Russia should result in a pragmatic
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instruction
Russia - subconsciousness? Myth of Russia usefulness of the myth directing an activity myth as a challenge
a danger of the myth of one's nation imposed on other nations
Russia as the country of myths history of Russia as a source of numerous myths Moscow as Third Rome separation from Europe as a consequence of Tartar yoke Russia observes itself
Russia as a bystanding witness to European development Russia observes Europe Europe observes Russia
- An example: the topic of the avant-garde The main tenor of the argumentation, which I am calling differentiation, may be illustrated by the part of the debate that concerned the Russian avant-garde. Its characteristic feature - an attempt to adapt reality to an aesthetic project and to programme life as a work of art - was judged both from the historical point of view of a romantic model of life based on aesthetic principles and from contemporary criticism which accuses the avant-garde of principles of violence following from its excessive aspirations (cf: its conception of the world as a game, a toy which can be taken apart into pieces as well as constructed,
as one of the speakers
formulates the problem). These aspirations are treated both in their enchanting and fascinating manifestations and in their doubtful consequences (in some fashionable criticism, the avant-garde is considered nearly a hot-bed of totalitarian regimes). Thus the question of a pact between the avant-garde and power appears, being treated again from the point of view of biography of the avant-garde and the effects of its ideas. Finally, an attempt is made in the following course of the debate to differentiate avant-garde art on the one hand from its programmes and manifestos on the other. The final statement that the opposition, either fascinating
and liberating or terrible and
destructive, is too universalistic to comprehend the reality refers to François Lyotard's comments on metanarrative discourse and to his appeal to tolerate the incomparable. It is possible, says one of the speakers, to bear in mind various alternative views of the avant-garde and not to fall into journalistic simplifications saying that everything started by avant-garde art has ended in the prison Gulag.
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The argumentation structure: Messianism of the Russian avantgarde Avant-garde as an attempt to adapt reality to an aesthetic project pact with power the moment stressed in present-day criticism
an attempt to find an absolute sense Kazimir MaleviÎ as an Old Testament Prophet Art as salvation romantic model of life based on aesthetic principles Wagner's Gesamtkunstwerk
avant-garde idea of the world as a game, a toy which may be taken into pieces and composed as a hot-bed of further regimes
avant-garde works of art elements of liberation
avant-garde programmes elements of violence
The Russian avant-garde as an attempt which cannot be ascribed either positive or negative values The opposition: either fascinating and liberating or terrible and destructive is too universalistic Avoidance of metanarrative discourse (François Lyotard) and aspiration at one-sided judgement
6. Consensus Did the contributors reach a final consensus? All of them shared comparable background knowledge and used developed techniques of argumentation. They did reach a consensus, however, it was rather the consensus in Lyotard's sense. It was the consensus which refines our sensitivity toward differences. There was a question mark standing at the end of their debate. The Czech writer Karel Hvizdala, the author of numerous books of dialogues, such as Dialogue with Vâclav Havel, Vâclav Klaus, Vâclav Belohradsky, Josef Skvorecky and many others states in his confession: "The 21st century will probably be a period of no simple instruction and no leading discourse. The only thing we can do is to cultivate questions and to make them more precise through other questions. Of your splitted consciousness you can construct a picture of reality, having a readable structure. You will multiply the view of the world, however, you will not provide a reader with a simple answer, what the world is like."
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Svetla Cmejrkovâ
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Cambridge
J.-M. Odéric Delefosse
Interaction verbale dans le réapprentissage de l'écrit 1.
Éléments d'analyse du contexte situationnel 1.1 Cadre spatio-temporel 1.2 Objectifs 1.3 Participants 1.4 Accès au contexte de l'interaction 1.5 Aspects matériels 2. Analyse centrée sur la réalisation des objectifs 2.1 Les objectifs médiateurs (03) 2.2 Les objectifs didactiques (02) 2.3 Objectifs particuliers de l'interaction GDF5 (01') 3. Réalisation de l'objectif global (01) : aspects cognitifs 3.1 Les préalables 3.2 La dictée au formateur 3.3 La production autonome d'écrits Bibliographie Annexe 1 : Conventions de transcription de la dictée au formateur Annexe 2 : Présentation synoptique des textes produits
Un professeur de français propose à un adolescent de sa classe de l'aider à rédiger la lettre qu'il a l'intention d'écrire à son père vivant à l'étranger. L'adolescent ne maîtrise pas les aspects formels de la production d'écrit et le laisser seul devant sa feuille le maintiendrait dans son échec. Le professeur va donc lui servir de médiateur en écrivant sous sa dictée. Après une demi-heure de transaction, la lettre dactylographiée pourra être recopiée et expédiée par l'élève. On appellera "dictée au formateur" cette pratique pédagogique qui permet à un apprenant novice ou malhabile de faire, provisoirement, l'économie de certaines contraintes formelles de la production d'écrit. Le formateur interagit avec l'apprenant pour l'aider à transformer ses verbalisations orales en phrases normées pouvant être reconnues comme de l'écrit. La dictée au formateur prolonge ainsi la "dictée à l'adulte" proposée pour l'apprentissage premier (cf. Lentin et al., 1977) et figurant depuis peu dans les Instructions Officielles (1986). La question est de pouvoir rendre compte du travail opéré afin d'éclairer la problématique linguistique du passage de l'oral à l'écrit mais aussi d'évaluer la pratique langagière qui le soustend. Le corpus recueilli sera analysé selon la perspective interactionniste (cf. Kerbrat-Qrecchioni, 1990 ; Vion, 1992). Ce début de formalisation des processus effectifs à l'oeuvre dans cette interaction caractéristique qu'est une dictée au formateur portera essentiellement sur la réalisation des objectifs et des négociations linguistiques qu'elle impose au formateur.
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1. Éléments d'analyse du contexte situationnel 1.1 Cadre spatio-temporel L'interaction se déroule dans une école privée spécialisée du centre de Paris et plus précisément dans une petite salle attenante à la salle des professeurs, un peu bruyante mais relativement isolée du reste de l'établissement. Le formateur et l'apprenant se tiennent à l'angle d'une grande table ; derrière eux, une machine à écrire électrique et une photocopieuse. La séance analysée a lieu un soir de classe, le 27 novembre, après les cours à 17h. et dure 32 minutes ; c'est la cinquième séance de dictée au formateur. Formateur et apprenant se connaissent puisque l'un est le professeur de français de l'autre depuis la précédente année scolaire ; un travail de dictée au formateur collective avait déjà été entrepris avec l'ensemble de la classe de 6° l'année précédente. Le début des séances a été précédé de plusieurs entretiens dont un avec la mère ; au cours de ces échanges ont été établies les modalités du travail et sa durée (quelques mois à raison de deux fois par semaine).
1.2 Objectifs Dans le cadre d'une relation d'aide individualisée (forme de tutorat), l'objectif annoncé par le formateur apparaît fortement finalisé : la maîtrise de l'écrit par l'apprenant et par suite, ses progrès scolaires. Cette finalisation oriente les stratégies du formateur qui a fortement envie que l'apprenant réussisse (injonctions et sollicitations sont nombreuses et variées), au risque de ne pas l'entendre ou de lui couper la parole s'il s'écarte du thème central. L'analyse des échanges montre cependant que cet objectif global ne peut se réaliser que par le maintien d'une relation de confiance (encouragements, gratification, minoration des exigences...). L'apprenant est volontaire, ayant accepté ce travail individualisé, il participe régulièrement aux séances : il a compris qu'il avait besoin d'être aidé pour réapprendre à écrire selon les standards scolaires ; il a conscience aussi que ce travail est différent des séances d'orthophonie ou de psychothérapie qu'il a déjà suivies. Cependant on s'aperçoit qu'il résiste à la pression du formateur, car un deuxième objectif substitutif se profile par moments : parler de lui et/ou de sa famille. Actualisation pour cette séance (GDA5) : Pour le formateur, la finalité de cette séance particulière consiste en la rédaction d'une lettre que l'apprenant pourra envoyer à son père : il relance en début de séance ce projet déjà évoqué.
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Cet objectif final implique : . qu'il maintienne chez l'apprenant un minimum de bonne volonté pour qu'il participe à la démarche qui lui est proposée (fonction de facilitation); . qu'il obtienne de l'apprenant suffisamment d'informations pour constituer l'objet d'une lettre et qu'il l'aide à les verbaliser de manière écrivable (fonction d'étayage); . qu'il discrimine dans ces verbalisations ce qui peut correspondre au type d'écrit visé et que les propositions de l'apprenant, après éventuel traitement, corresponde à de l'écrit normé et en tous cas adapté à son destinataire et à sa fonction de lettre (fonction de référence). Pour l'apprenant, il y a accord sur l'objectif global de cette séance puisque c'est lui qui a émis l'idée d'écrire une lettre à son père ; mais apparemment, il n'était pas prêt à écrire une longue lettre, cet effort l'ennuie, il n'aime pas parler de lui, a peu d'idées et doit être fortement sollicité pour aller jusqu'au bout. Il accepte cependant cette pression du formateur et collabore avec une assez bonne volonté.
1.3 Participants : Il n'y a pas d'autre participant que les deux acteurs Le formateur est un homme d'une quarantaine passée, français d'origine et de langue ; professeur de français dans l'établissement spécialisé de l'apprenant, il y jouit d'une bonne Tableau 1 - FINALISATION DE L'INTERACTION APPRENANT
FORMATEUR Ol
OBJECTIF GLO BAL DE LA DEMARCHE
Ol '
Aider l'apprenant à produire des écrits Réussir sa scolarité diversifiés Produire des écrits scolaires Réussir sa scolarité OBJECTIF DE L'INTERACTION GDF5
02
Aider l'apprenant à écrire une lettre à Ecrire une lettre à son père + Parler au formateur de lui et de sa famille son père OBJECTIFS DIDACTIQUES Susciter des verbalisations écrivables Évaluer les énoncés Proposer des transformations Ecrire ce qui est normé
03 Stimuler l'apprenant Maintenir sa coopération
Produire des informations
Verbaliser les reformulations Dicter au formateur OBJECTIFS MEDIATEURS Respecter son contrat
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réputation, tant auprès des élèves que de la direction qui encourage sa pédagogie adaptée et notamment ces soutiens individuels ; particulièrement motivé par son travail, il est convaincu que le type d'aide qu'il propose à l'apprenant est efficace ; il a une certaine sympathie pour l'apprenant qui lui semble motivé. L'apprenant est un garçon de treize ans, trois mois et vingt-sept jours ; selon sa mère, il est de constitution fragile, se fatigue très vite, manque de volonté , se laisse facilement influencer mais communique cependant assez bien. Sa mère est de langue et d'origine françaises, son père est de langue et d'origine espagnoles mais francophone ; tous deux décorateurs, ils sont divorcés depuis qu'il a huit ans et ont refait chacun leur vie : le père en Espagne, la mère à Paris ; l'apprenant a donc des demi-frères et soeurs en Espagne et depuis deux ans une demi-soeur à Paris. Après des classes maternelles apparemment sans problème, le CP se passe mal : il est terrorisé par ses camarades mais aurait appris à lire ; l'année suivante, il se traîne à l'école, accumule les retards sans cependant redoubler de classe, il ne sera pas admis en 6° dans le circuit classique et sa mère l'inscrit dans l'Établissement spécialisé où il suit la classe de 6° ; au moment de l'interaction, il est en classe de 5°, il passera en 4° l'année suivante et poursuivra sa scolarité. A huit ans, sa mère lui a fait suivre trente séances de rééducation orthophonique, puis une psychothérapie durant un an ; il est accepté ensuite dans un service hospitalier où on lui propose une nouvelle rééducation orthophonique. Il manifeste une certaine admiration pour son professeur et se rend aux séances avec le sourire, même si, en cours de travail, il manifeste parfois un peu de lassitude.
1.4 Accès au contexte de l'interaction Quel est, pour chaque acteur, le degré d'accès aux données du contexte particulier à cette interaction ? Le formateur ne sait pas à l'avance ce que l'apprenant veut écrire à son père, il devra donc le solliciter assez souvent (15 occurrences) ; par ailleurs, cette séance relativement intime (l'apprenant fait entrer le formateur dans sa vie familiale) va renforcer les liens entre les deux interactants, avec un recentrage de la part du formateur, et peut-être une certaine gêne de l'un ou de l'autre. L'apprenant semble centré sur son objectif en début de séance, mais bientôt, il cède devant la difficulté qui n'est pas que langagière. Après avoir fait un rappel en ouverture de la séance (FI F2) sur les modalités générales du travail, le formateur doit lui repréciser les consignes en faisant référence au souhait formulé par l'apprenant d'écrire à son père (F3 - F7), ces consignes seront rappelées onze fois au cours de la séance.
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1.5 Aspects matériels L'ensemble de l'interaction est enregistré sur un magnétophone portatif, comme pour les séances précédentes ; la version C du texte (cf. Annexe 2) est dactylographiée par le formateur sur une machine à écrire électrique.
2. Analyse centrée sur la réalisation des objectifs Tous les éléments de ce contexte succinctement décrits interfèrent à des degrés divers dans le déroulement de l'interaction. Prenons quelques exemples significatifs dans une séquence particulièrement riche sur le plan des transformations linguistiques. Cette cinquième séquence advient alors que la dictée au formateur est bien amorcée. La place manquant pour la transcription intégrale de l'interaction, j'ai reporté en un tableau synoptique (Annexe 2) les interventions dictées par l'apprenant au formateur. Apparaissent donc les trois versions du texte (A/B/C) entre lesquelles ont eu lieu les transactions orales, les reprises de la conversation et les relectures. (Les conventions de transcription utilisées sont explicitées en Annexe 1). L'extrait de corpus ci-après, transcription intégrale de ce qui a été verbalisé, dure 48 secondes. Cette séquence se subdivise en quatre échanges comprenant de deux à quatre interventions chacun (cf. Roulet 1981). CORPUS GDF5 F = Formateur A = Apprenant nF = 86 nA = 81 (...)
A31- ((le nom du magnétoscope^ que c'est pas tous les mêmes cassettes parce que des
fois leurs magnétoscopes c'est pas les mêmes que nous F32- oui::, .comment tu veux lui dire ? il faut/il faut peut-être lui rappeler qu'il t'en a parlé au téléphone A32- oui F33- j.e.youdr.9js.s.a.Y.oix.le.ao.ro.du.magaé.tQscQpe./ A33- ((et le nom des cassettes aussill F34- fit.ls.n9n).des.ç3ssettes, / Séquence 5 Éch. 51
A34- ((et qu'il téléphone pour le dire»
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F35- alo:rs, je. voudrais. savoir, le. nom .du. magnétoscope, el. le. .uom .des. cassettes, .e.t .le .nom. des cassettes, .point, ,on s'arrête là et ensuite,
,tu lui demandes donc ?
A35- eh ben:: ((qu'il me téléphone pour savoir sill Éch. 52 F36- je peux pas écrire qu.'il. me. téléphone, , tu lui écris A36- ((je voudrais que tu me téléphones(.ï) Éch. 53 F37- oui:: ? ' A37- et:: j(e) sais pas F38- dans quel but ? je. Youdr.ai^.que.tu.me.té.lé.p.ho.une.s,/ A38- ((pour dire qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a peint comme tableaux^ Éch. 54 F39- pour me dire ce: : F40- comme, tableaux A40- oui (...)
J'analyserai à l'échelle de cette séquence, l'adéquation entre les objectifs analysés (tableau 1) et les indicateurs linguistiques qui sont la trace de leur réalisation.
2.1 Les objectifs médiateurs (03) S'agissant de l'aspect relationnel, ils permettent que se réalisent les autres objectifs. Ils maintiennent la tension, sans laquelle l'apprenant pourrait se décourager et abandonner. Ils s'expriment essentiellement par les aspects non verbaux des échanges (regard, sourire, intonation...). Mais ils s'appuient également sur l'histoire interactionnelle qui unit les deux acteurs. En effet, la rédaction de cette lettre, avec les compétences qu'elle suppose ne peut aboutir que parce qu'il y a eu préalablement d'autres interactions qui ont satisfait aux objectifs de l'un et de l'autre. D'une manière plus précise, le formateur intervient à plusieurs reprises pour encourager et recentrer : - F35 : Après avoir relu le texte produit lors des précédents échanges, le formateur verbalise la ponctuation et la commente : point, ,on s'arrête là. Comme la sollicitation : et ensuite ne semble pas suffire pour inciter l'apprenant à poursuivre la dictée de la lettre, le formateur le replace dans sa situation dénonciation par une interrogation : tu lui demandes donc ?
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- Échange 53 : Le formateur encourage et sollicite la suite de la verbalisation : oui:: ?. Comme l'apprenant semble en panne : et:: j(e) sais pas, il utilise deux procédures : une question qui reprend l'amorce de A35 : pour savoir si, et une relecture de A36 avec allongement de la dernière syllabe et un ton suspensif (noté : J).
2.2 Les objectifs didactiques (02) Ils sont ainsi dénommés parce qu'ils permettent le travail fondamental de transformation des éléments linguistiques. Le formateur n'écrit que ce qui est verbalisé par l'apprenant et qui répond aux normes de l'écrit ainsi qu'aux contraintes textuelles ; il doit donc intervenir dès que la verbalisation orale de l'apprenant n'est pas acceptable par rapport à l'écrit rédigé. En voici quelques cas : - en A34 et A35, l'apprenant a changé de niveau dénonciation passant du tu interlocutoire (attendu dans cette lettre à son père et utilisé précédemment) au il du récit ; il abandonne en quelque sorte, dans sa verbalisation du moins, son projet d'écrire (de parler) à son père pour s'adresser directement au formateur, renvoyant son père dans ce il sans coréférence ; - en F36, le formateur manifeste sa fonction de référent de la norme : je peux pas écrire
et
rappelle la situation dénonciation dans laquelle doit se placer l'apprenant : tu lui écris. - l'énoncé A38, l'apprenant revient à la troisième personne : ...il fait..., de plus, la tournure interrogative : qu'est-ce que n'est pas recevable à l'écrit, du moins le formateur le juge-t-il ainsi. Pour favoriser une autocorrection, le formateur reformule partiellement en amorçant simplement la structure syntaxique de l'interrogative indirecte que l'apprenant complète en A39. - en A37, l'apprenant est en panne vraisemblablement sur le plan de la production d'information. Le formateur ne lui souffle pas ce qu'il peut pressentir mais le recentre par rapport à son propos dans quel but ? et pour le relancer, il lui relit son dernier énoncé mais avec un ton suspensif qui permet à l'apprenant de se replacer en situation dénonciation et de compléter l'énoncé.
2.3 Objectifs particuliers de l'interaction GDF5 (01') Cet objectif particulier commun est atteint puisque la lettre est effectivement rédigée. Cependant, au cours de la séance, le formateur aura dû négocier avec un certain nombre d'échappatoires de l'apprenant qui sortait du cadre en parlant, par exemple, de sa petite (demi) soeur ; un autre exemple figure dans la quatrième séquence (A31) lorsque l'apprenant reprend le ton de la conversation (avec ses marques implicites : c'est, leurs, nous) pour faire un commentaire à l'attention du formateur.
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3. Réalisation de l'objectif global (01) : aspects cognitifs On peut examiner maintenant comment une telle interaction aide effectivement l'apprenant à produire de l'écrit. Précisons tout d'abord qu'il n'est pas question, au cours de cette pratique de réapprentissage de l'écrit de maintenir plus que nécessaire l'apprenant dans cet état de dépendance vis-à-vis des compétences du formateur qui écrit à sa place. Dès que possible, il sera proposé à l'apprenant de reprendre la plume et, dans une démarche interactive équivalente, à partir de transactions verbales, de lui proposer d'écrire lui-même l'énoncé préalablement oralisé selon les contraintes de l'écrit. Pour ce faire, le formateur guide les essais de l'apprenant en recherchant ce qu'il ne sait pas encore écrire ou qui serait agrammatical en puisant dans les textes déjà écrits en dictée, constituant ainsi progressivement un fichier personnel (cf. Uzé, 1989, 127-138). Si on se réfère aux travaux récents des psycholinguistes cognitivistes (cf. Bronckart, 1985 ; Fayol, 1985,1990 ; Gombert, 1989), l'échec dans la production d'écrit est lié à la complexité et à la condensation dans un même temps d'une tâche qui consiste essentiellement à : - mobiliser des informations orientées vers une finalité et un destinataire (souvent virtuel) ; - sélectionner un schéma d'organisation adapté à la typologie du texte envisagé ; - mettre en texte ces informations en se conformant aux règles syntaxiques et orthographiques. Cette tâche se complique encore du fait que la situation d'énonciation habituelle de la production d'écrit est de type monologai et par définition non interactive. La démarche dont j'ai donné quelques éléments d'analyse cherche à pallier ces inconvénients en disjoignant ces opérations complexes et en les planifiant dans le temps. Les procédures interactionnelles mises en oeuvre dans cette production d'écrit 'assistée' s'inscrivent en trois étapes nécessaires et indissociables.
3.1 Les préalables Le formateur doit conduire l'apprenant à maîtriser en situation de communication orale, un système plurivariant conduisant à l'énonciation de variantes écrivables. L'exposition à des écrits variés et nombreux, la médiatisation de ces textes par la reformulation et la diversité des expériences autour d'écrits fonctionnels ayant du sens pour l'apprenant doit permettre le développement de l'intuition des fonctions et des contraintes formelles spécifiques de l'écrit.
Interaction verbale dans le réapprentissage de l'écrit
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3.2 La dictée au formateur Elle permet de faire l'économie, pour un temps, de ce qui constitue l'obstacle majeur à la production d'écrit, en renvoyant en fin de parcours la maîtrise des contraintes formelles de l'écrit (orthographe, graphie, généralisation des régularités grammaticales). Elle s'inscrit dans une production d'écrits signifiants dont l'apprenant contrôle la conceptualisation et l'agencement. Les transactions interactionnelles se concentrent donc essentiellement sur les traitements linguistiques nécessaires pour que la production oralede l'apprenant écrite par le formateur soit recevable. En un mot, le formateur réintroduit la dimension interactionnelle propre aux échanges oraux, autorisant ainsi le ré-apprentissage de l'écrit.
3.3 La production autonome d'écrits Elle est facilitée par les étapes préalables qui ont permis à l'apprenant : - de comprendre par son expérience les principales fonctions de l'écrit ; - d'expérimenter la relation entre le savoir parler et le savoir écrire ; - d'avoir intégré les marques spécifiques de l'écrit après avoir travaillé sur sa propre verbalisation pour la rendre écrivable ; - d'avoir participé directement à l'écriture et à la lecture de son parler. En termes d'opérations cognitives : - par l'oralisation en interaction, il aura bien amorcé la maîtrise de l'élaboration conceptuelle du contenu ; - il aura appris à s'autocorriger, grâce aux feed-backs correcteurs et aux nombreuses relectures ; - la mise en texte aura été bien avancée par la sélection des items lexicaux et le contrôle des structures syntaxiques canoniques. (Re)devenir producteur d'écrit autonome, nécessite d'être accompagné au cours d'une dernière étape afin de : - retrouver dans ses textes déjà produits ce qu'il lui manque pour écrire (orthographier) ce qu'il ne connaît pas encore ; - généraliser ce qu'il a déjà expérimenté ; - formaliser les analogies et les différences tant sur le plan morphologique que syntaxique.
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Par rapport aux standards scolaires, il pourra maîtriser des activités telles que l'analyse grammaticale, les exercices d'orthographe et les rédactions pour lesquelles finalité et destinataire sont bien souvent virtuels.
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Interaction verbale dans le réapprentissage de l'écrit
Annexe 1 Conventions de transcription de la dictée au formateur 1.
Le formateur (F) écrit sous la dictée de l'apprenant (A): . de façon continue : soulignage en continu F : j'espère que vous allez bien . de façon discontinue : intervalle de trois espaces F : j'espère que vous allez bien
2.
Le F relit ou redit ce qui a été dicté par l'A: . soulignage en pointillé F : i'espçrç. que. YÇ»j& .&11.Ç.?. bien
3.
Le F relit ce qui a été dicté pour inciter l'A à poursuivre la dictée (ton suspensif): . l'énoncé est terminé par une virgule suivie d'une barre oblique F : ¿'espère.que.vous.aUe.?.bien/
4.
L'A passe de la conversation courante à la dictée: . double parenthèse au début et à la fin de la partie dictée, avec espacement des éléments selon le débit de la dictée A : (( i'espère que vous allez bien))
5.
Ton conclusif de l'A terminant un énoncé dicté: . point entouré d'une parenthèse : (.)
6. Entre parenthèse et en italique : ce qui est indéchiffrable (ind.) situation (rires) 7.
Allongement vocalique : : ou ::
8.
Entre parenthèses : éléments non prononcés
9.
Espaces entre virgules : pause F. alo:rs, ,je voudrais(...)
10.
Rupture dans l'énonciation : / F. (...) il faut/il faut peut-être(...) A : et:: j(e) sais pas
et des éléments de la
A : je voudrais que tu me télépho::nes A : et:: j(e) sais pas
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durée. Par contre, les actions situées dans les points initial et final sont bornées : A/
/B
L'exemple cité pour le serbocroate ci-dessous illustre les valeurs aspectuelles : l'action est imperfective si elle couvre un espace non limité, l'action est perfective si elle est bornée. Cette qualité que l'action acquiert de sa position se manifeste sur le plan morphologique. Les verbes perfectifs poteteti et doleteti n'ayant pas de présent de l'indicatif ne peuvent pas être mis dans le même ordre que le verbe leteti et vice versa, cependant qu'en français rien n'empêche que les verbes équivalents entrent dans le paradigme du présent et qu'ils se maintiennent tous dans l'espace de la durée. Ptica poleti
Ptica leti
Ptica doleti...
L'oiseau vole
L'oiseau se pose
A< L'oiseau s'envole
>B L'oiseau s'envole L'oiseau se pose
Contrairement à l'état de choses en français où les phases du procès sont toutes les trois au présent de l'indicatif, le serbocroate explicite différentes phases d'un procès avec des lexèmes déterminés de l'aspect. Alors que le présent de l'indicatif n'est appliqué que pour dire le procès
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L'expression du perfectif et de l'imperfectif
en développement, donc illimité, les procès perfectifs marquant les points initial et final, sont à la forme du présent relatif des verbes perfectifs communiquant l'achèvement. L'action présentée comme achevée dans le système d'aspect ne rend pas compte des différences imposées par la fraction du temps en trois périodes ; elle reste pareille pour chaque période parce qu'elle est achevée dans sa présentation - même, et comme telle, elle figure dans tout intervale : Ondodjei
uze knjigu
>
¡lest venu
et il a pris le livre
Kad on dodje uzece knjigu
>
Quand il sera venu
Ako on dodje uzece knjigu .
>
S'il vient il prendra le livre
, il prendra le livre
5. Analyse contrastive
Notre objectif, qui est la transposition des contenus des verbes à aspect (verbes serbocroates) en un système à temps (celui du français), se poursuit en un examen des textes respectivement français et serbocroates. Dans l'analyse présente nous partons du texte français8 pour y définir les fonctions des formes verbales que nous allons observer ensuite dans le texte homologue serbocroate^ : Et sans la moindre pudeur, il racontait sortir de la famille:
des faits intimes qui n 'auraient pas dû
qu'un jour, son fils l'avait frappé avec sa prore canne.
Bien
sûr, il omettait de dire qu'il était ivre mort et que je lui avais donné un coup de canne
sur le dos alors qu'il brutalisait ma mère, qu'il la piquait avec la pointe
de sa canne. Mais ce qui m'irrita, le plus c'étaient ses mimiques (Kis, trad.153)
ferrée
inscrire, propisati—>proscrire; prepisati —> prescrire sont de même sens ; cependant comme les verbes du système serbocroate sont marqués et ceux du système français non marqués d'aspect, l'adaptation est nécessaire au niveau syntaxique. 3.
Pour trouver le sens correspendant en français, le verbe perfectif secondaire serbocroate se
laisse modifier la forme, les modifications étant à plusieurs niveaux : a.
- les préverbes incohatifs, zaplakati, potrcati se transposent en français avec les
paraphrases se mettre à, commencer à qui précèdent les verbes simples de sens fondamental : se mettre à pleurer, commencer à courir. Il en est de même avec des terminatifs : otpevati, ispisati où les périphrases françaises jouent le rôle de marqueurs aspectuels. Dire qu'il s'agit ici de couvrir le sens des perfectifs secondaires par les verbes de sens primaire modifiés au moyens des périphrases. b.
- le sens du verbe perfectif secondaire se laisse transposer en français en faisant un
détour lexical: ispustiti —> laisser échapper ; pregristi—> couper en morceau avec les dents ; pogledati se — > échanger des regards. Ces derniers cas sont ceux qui réduisent la capacité de l'activité langagière des locuteurs non natifs, donc, ce sont des cas qui délimitent l'expression des pensées et leurs transpositions du serbocroate en français et vice versa. Parmi eux s'inscrit aussi l'exemple donné au commencement de notre exposé qui, relevé dans notre pratique d'enseignement aux étudiants, a mérité et suscité toute notre attention.
Notes 1. On appelle du nom aspect la catégorie de la durée. Nos temps du français expriment le moment ou une action s'est accomplie, s'accomplit ou s'accomplira ; ils ne tiennent pas compte de la durée de l'accomplissement (Vendryes, Le Langage, p. 117) 2. A. Belic, O jezickoj prirodi ijezickom razvitku, I, Beograd, 1941. 3. J. Lyons, Linguistique générale, Larousse, ps 233 et 241. 4. Cf. A. BeliÊ, Slovenski injunktiv u vezi sa postankom slovenskog glagolskog vida. Glas, 148, 1932. N. van Wijk, Sur l'origine des aspects du verbe slave, Revue d'Etudes slaves, 9, 1929. 5. Belic, Slovenski injunktiv... 6. La notion à laquelle il faut attribuer une valeur modale, non temporelle. 7. A savoir, un présent imperfectif, un présent futur perfectif, un futur périphrastique et un parfait.
L'expression du perfectif et de l'imperfectif 8.
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Comme nous nous adressons en l'occurrence au public francophone, cette méthode inverse nous semble pouvoir faciliter au départ l'approche du problème ; néanmoins, notre recherche contrastive se fonde sur l'état en serbocroate. Comme nous nous adressons en l'occurrence au public francophone, cette méthode inverse nous semble pouvoir faciliter au départ l'approche du problème ; néanmoins, notre recherche contrastive se fonde sur l'état en serbocroate. 9. Pour le corpus, il s'agit du roman de Danilo Kis, Basta, pepeo, Beograd, Prosveta, 1965, traduit en français par Jean Descat, Jardin, cendre, Paris, Gallimard, 1971. 10. A. Belic, O jezickoj prirodi..., 3o2 sqq ; il s'agit de l'enseignement sur les universaux qui sont issus des conditions communes à la création linguistique. 11. Série perfectifs/imperfectifs: pasti/padati, kupiti/kupovati, sesti/sedeti, preci/prelaziti, doci/dolaziti, stici/stizati, pustiti/pustati, leci/lezati, uzeti/uzimati.
Sektion / Section III Dialog in der Literatur Dialogue in Literature Le dialogue dans la littérature
Angela Biancofiore
Le dialogisme dans l'oeuvre d'Adonis 0. Introduction 1. Le Dialogisme au coeur de la poésie lyrique 2. Dialogue typographique 3. Dialogisme de l'essai Bibliographie
0. Introduction L'oeuvre d'un écrivain et son rapport particulier à l'histoire peuvent contribuer fortement à la compréhension du mot "dialogue", en illustrant ses fonctions spécifiques au niveau linguistique et idéologique à l'intérieur d'un texte littéraire. Adonis, poète libanais d'origine syrienne, a vécu longtemps à Beyrouth, ville-creuset où les civilisations, les races et les cultes se cotoient, parfois dangereusement et de manière sanglante. Ici, l'absence d'un véritable dialogue ne fait qu'alimenter la réflexion sur les
possibilités
d'existence de ce dialogue. Par conséquent l'exigence de dialogue devient un thème obsédant dans l'oeuvre de ce poète. Idéalement un dialogue s'esquisse entre Chrétienté et Islam, entre la ville et le désert, entre Orient et Occident, entre citadins et bédouins. Sur la problématique complexe du dialogue culturel se fonde l'oeuvre d'Adonis: son dialogisme se traduit dans les formes de la poésie lyrique, où prend forme une sorte de dramatisation des voix : cette mise en scène produit ainsi une épique du quotidien, en situant la légende au coeur de l'histoire, dans l'acte quotidien, dans la chronique d'un massacre. A Beyrouth, comme à Paris, où il vit depuis 1986, la voix du poète interroge, se mesure avec une réalité mouvante et opaque, dans l'effort continue d'être toujours "avec le sentiment, là où le monde se renouvelle" (Pasolini 1956).
1. Le Dialogisme au coeur de la poésie lyrique Le long poème intitulé Chronique des branches est caractérisé par une sorte de théâtralisation de la parole poétique. En effet il a été représenté comme une pièce de théâtre par une équipe d'acteurs en 1993 à l'Institut du Monde arabe. Le poème est inauguré par la voix de l'autre :
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Angela Biancofiore
"Tu as dit : mon visage est navire, mon corps une île, et l'eau, organes désirants. Tu as dit : Ta poitrine est une vague, nuit qui déferle sous mes seins" (Adonis 1991 b, p.29). La parole du Je se fait entendre après ces prémisses, en cherchant à garder le contact avec l'interlocuteur. Le poème est dans ce contact, et se termine sur la question réitérée concernant ce contact : "Me suivras-tu ? Mon corps est mon chemin" (ibid., p. 33). Le corps est au centre du dialogue, et les questions relèvent de l'invocation de la continuité entre les corps, le dialogue développe ici essentiellement la fonction phatique. Dans la première partie du poème intitulé Le Pain (ibid., 41), la voix de l'autre est celle de l'autorité qui oriente le dialogue : "- As-tu mangé ? - Non. - As-tu fait tes adieux ? - Non. - As-tu contredit ta voix lorsqu'elle a ouvert sa blessure et qu'elle a crié ? - Non." Les questions concernent un devoir à accomplir : il faut se nourrir, faire les adieux, effacer les contradictions. C'est la loi qui parle dans ces questions, la loi des conventions humaines, la loi qui est à la base de la vie de la collectivité. Il n'y a pas de blessure admise. La voix de l'autorité exige un sujet sans failles. La voix qui répond négativement est celle du poète, et sa parole se manifeste d'emblée comme droit du refus. Les réponses monosyllabiques (la simple négation "non") dévoilent une parole poétique exigiie, décharnée, très proche du silence. Le poète semble privilégier le discours direct. Il introduit les mots du peuplier, autre personnage de la Chronique des branches, en mettant l'accent sur le dire, qui semble prévaloir sur le dit : "Il dit, je l'ai entendu dire : "Le pain et moi - deux signes. Tout chant est messager de l'eau, Un hennissement lointain. Le pain et moi - un seul sang" (Le Pain, ibid., 45). Plus que les mots c'est la phonè qui compte ici, la poésie se souvient, par le truchement du dialogue, de sa primitive essence qui est dans la pureté du son et dans la vibration de la voix : "Il dit, je l'ai entendu dire...". Dans le poème Miroir du chemin, chronique des branches le dialogue s'instaure tout d'abord au niveau typographique du texte : l'italique marque le statut d'une voix différente, il indique la séparation entre le mode de l'invocation et celui de la narration tout court :
Le dialogisme dans l'oeuvre d'Adonis
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O temps de la pluie accorde-nous tes bienfaits et invente pour le arbres... Soudain, entre la nature et moi ont surgi un langage et des lettres (ibid., p.53) L'alternance du style typographique normal et de l'italique désigne une autre différence, celle entre le "nous" et le "ils" : Nous avancions... Nos pas étaient de blé. Nous avancions... ...ceux qui voient le chemin tel un chant dont la source est dans leurs pas... Nous nous sommes rencontrés èntre la nuque du chemin et sa croupe. ...ceux qui surgissent des forteresses d'assaut, étendent leur domination jusqu'aux confins de l'étrange dans les prémices du végétal... Nous nous sommes inclinés...(ibid., p. 61-63) Ce croisement de points de vue engendre le caractère polyphonique du texte. Il y a rencontre de deux énonciations, deux positions de sens. Le "nous" et le "ils", la voix chorale et celle du narrateur, le "nous" du passé (passé composé ou imparfait) cède rythmiquement la place à 1' "ils" du présent. Une autre voix surgit au coeur du poème: la voix du soleil entre en scène comme le témoignage de la continuité de la légende. Le soleil parle de Nadir le noir, à plusieurs reprises. "Nadir le Noir est comme l'éternité paysan de l'Euphrate" (ibid., p. 97) A travers la voix du personnage "soleil", le poète célèbre l'espace choral de la tradition orale : Et jour après jour, après le sommeil, le soleil me raconte: J'ai écouté leurs légendes, nous avons pétri le pain et nous avons mangé (ibid., p. 107). La question angoissante et obsédante dans le poème concerne le lieu de provenance, l'origine : "d'où viens-tu ? (ibid., p. 85, cf. p. 87 et 89), "Comment es-tu venu ?". C'est par rapport à ce
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Angela Biancofiore
questionnement que se structure la parole du poète. La poésie se pose donc c o m m e réponse et c o m m e exigence de réponse, elle exige une nouvelle position de sens. Le dialogisme apparaît ainsi c o m m e le moteur de la création poétique puisque le texte ne surgit que de la rencontre et de la mise en scène des voix différentes. D e u x p o è m e s intitulés "Dialogue" ( A d o n i s 1991 a) illustrent p a r a d o x a l e m e n t
deux
situations profondément non-dialogiques : "Où étais-tu? Quelle lumière pleure sous tes cils? Je n'ai pas répondu. Je n'avais plus de mots". (Mihyar le Damascène, ibid., p. 46 et cf. Adonis 1983, p. 62).
Etrangement, c'est un moi quasi-aphasique qui parle, qui dit "je" dans le texte, qui d é n o n c e l'absence de mots... Le dialogue révèle ici une impossibilité, celle de l'écriture toujours menacée par le silence : N e trouvant pas d'étoile sous le brouillard de l'encre J'avais déchiré les feuilles.(.).
L'autre p o è m e intitulé Dialogue (Le théâtre et les miroirs, ibid., p. 78), est modulé sur l'impératif négatif ("Ne dis pas que mon amour était bague"). Le dialogue des voix peut également assumer l'aspect d'une situation exceptionnelle : dans le poème Mon corps est mon pays, seulement par un rite initiatique on peut acceder à la dimension du dialogue: Tu m'as posé une question ? Meurs d'abord ou flambe telle une blessure, descends dans mes cendres et demande... (ibid., p. 87) Dans le p o è m e le dialogue s'établit entre le moi du poète et Mihyar, personnage légendaire, d i a l o g u e entre le présent et le passé, entre m y t h o l o g i e p e r s o n n e l l e et universelle, entre individuel et choral, entre éphémère et éternel. Le pouvoir de questionnement est en jeu ; nous lisons entre guillemets : "Accompagne-le, étoile des questions, enseigne-lui l'ouragan et la chute vers le haut..." (ibid., p. 88).
Le pouvoir de questionnement - "étoile des questions" - devient pouvoir de mise en cause et de renversement des valeurs. La plupart des questions qui brisent le rythme presque épique du texte portent sur la définition de l'identité de l'autre : "Qui es-tu ?" (ibid., p. 87 et 88). D e même, on pourrait lire l'interrogation sur le pays de l'autre c o m m e une question sur son identité : "Tu m e demandes quel est mon pays ? / Mon corps est mon pays" (ibid.).
Corps et
pays coincident puisque le Je ne vit que dans l'errance et ne trouve son pays que dans la
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Le d i a l o g i s m e dans l'oeuvre d'Adonis
séparation. Le tissu dialogique du texte s'enrichit par l'introduction de guillemets qui font penser à une voix autre à l'intérieur du texte. Dialogue foudroyant, chronique d'un massacre et intimidation, voici l'écriture qui prend possession de l'espace : On a découvert des gens dans de sacs: le premier
sans tête
le deuxième
sans mains ni langue
le troisième
étranglé
et les autres sans noms - es-tu devenu fou ?
prière
de ne jamais parler de cela. (Journal de Beyrouth 1985, Adonis 1991 a, p. 132) Pourquoi le dialogue vire inexorablement au non-dialogue, à l'imposition du silence ? Le climat de terreur vécu impose l'autocensure dans ce texte, le moindre mot déplacé pourrait coûter la vie.
2. Dialogue typographique Le dialogue typographique du long poème Ismaël intervient entre une partie du texte en caractères normaux et une autre, aux marges de la page, avec un corps réduit. Les échanges dialogiques entre le texte principal et celui qui se développe sur les marges de la page comportent des questionnements, des renvois, une véritable dramatisation, même au niveau visuel, du texte poétique. La parole migre ainsi du territoire du texte fermé, clos, achevé, vers les marges, son caractère dialogique interrompt la fiction de l'achèvement du texte. Je fraternisais avec le Fou Pour pénétrer l'eclipse, rencontrer L'ultime fleur, qu'elle soit le commencement de ce que je dis
...Je dirais qu'lsmaël est une vallée de pierre, j e dirai qu'lsmaël est une argile fendillée, craquelée. Je dirais qu'lsmaël est artifice d'artisan. Et j e dis que Hagar n'est pas émigrcc.
Angela Biancofiore
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Quels sont les procédés de dialogisation du texte au niveau typographique ? 1) Les parenthèses ; 2) les citations, l'introduction de guillemets ; 3) le changement de style et de corps typographique ; 4) la disposition du texte à l'intérieur de la page. La fonction du texte aux marges, par rapport au texte principal est celle de fournir des précisions, (explications, ajouts), comme si le texte principal était insuffisant à véhiculer la voix du poète. Dans le poème intitulé Ismaël le texte dans les marges représente aussi le rôle du mythe à travers l'évocation des personnages de Hagar, Abraham et Ismaël. Le texte dans les marges a une autre fonction fondamentale, c'est le lieu du questionnement, c'est l'espace où les contradictions se mettent à nu, où s'esquisse le clivage entre les fils de Mohammed et les fils de Jésus, entre les citadins et les bédouins, entre la ville et le désert.
3. Dialogisme de l'essai Le dialogisme de l'oeuvre chez Adonis correspond à une exigence qui va au-delà des règles formelles de composition : son dernier recueil d'essais, La prière et l'épée. Essais sur la culture arabe ( Mercure de France, Paris, 1993), ainsi que les deux articles publiés dans la revue Athanor (4, 1993) constituent une étape importante dans le développement du dialogue entre l'Occident et l'Orient, entre l'Europe et les pays arabes. Le dialogue alors n'est pas seulement "le moteur de la poïésis", mais il peut aussi bien inaugurer la fin de l'intégrisme et du dogmatisme, dont les victimes sont déjà trop nombreuses aujourd'hui. Pour "résidant en terre de poésie", Adonis prend position contre les formes du pouvoir, contre l'effacement de l'autre, contre le non-dialogue entre Orient et Occident. Le cheminement créatif devient l'une des formes majeure de la manifestation de l'humain : le véritable dialogue entre Orient et Occident pourra commencer lorsque la démocratie occidentale ne sera plus "démocratie sauvage" et toute sa politique ne visera plus l'imposition d'un modèle économique planétaire. L'Orient, de son côté, devra abandonner la voie de la dictature déshumanisante, enracinée dans les formes du fanatisme religieux ou ethnique, dans l'objectif de réaliser une véritable indépendance économique de l'Occident et de respecter les droits de l'être humain. Pour le dialogue à venir, il n'y aura plus qu'à franchir "les seuils de la prière et de l'épée".
Bibliographie Adonis (1982), Le livre de la migration, Paris, Luneau-Ascot, trad. de Martine Faideau, préface de Salah Stétié. Adonis (1983), Chants de Mihyar le Damascène, Paris, Sindbad, trad. d'Anne Wade Minkowski, poème préface de Guillevic. Adonis (1984), Les résonances, les origines, Paris, Nulle Part, trad. de Chawki Abdelamir et Serge Sautreau.
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Le dialogisme dans l'oeuvre d'Adonis Adonis (1985), Introduction à la poétique Minkowski, avant propos d'Yves Bonnefoy.
arabe, Paris, Sindbad,
trad, de Bassam Tahhan et Anne Wade
Adonis (1986), Tombeau pour New York, Paris, Sindbad, trad. d'Anne Wade Minkowski. Adonis (1988 a), Le théâtre et les miroirs, Paris, Le verbe et l'empreinte, trad. d'Anne Wade Minkowski. Adonis (1988 b), Désert, Journal du siège de Beyrouth, Luzarches, Les cahiers de Royaumont, trad. d'André Velter et l'auteur. Adonis (1989), Cheminement du désir dans la géographie de la matière, d'Anne Wade Minkowski.
Lausanne, Pierre Alain Pingoud, trad.
Adonis (1989 a), T'hiliot, (Commencements), poèmes trad, de l'arabe en hébreu par Nairn Araydi, préface de Maati Kâbbal, Tel Aviv, Ed. Levant. Adonis (1990), Le temps les villes, Paris, Mercure de France/Unesco, trad. d'Anne Wade Minkowski et Jacques Berque. Adonis (1991 a), Mémoire du vent, Paris, Gallimard, 1991, Préface et choix d'André Velter, trad, de Chawki Abdelamir, Claude Esteban, Serge Sautreau, André Velter, Anne Wade Minkowski, revues par l'auteur. Adonis (1991 b), Chronique des branches, Paris, La Différence, 1991, trad. d'Anne Wade Minkowski, préface de Jacques Lacarrière. Adonis (1991 c), Célébrations, Paris, La Différence, trad. d'Anne Wade Minkowski. Adonis (1992), Le temps des poètes, "Détours d'écriture". Adonis, (1993 a), La prière et l'épée. Essai sur la culture arabe, Paris, Mercure de France. Adonis (1993 b ) , Ce qui est étranger, ce qui est familier, suivi de La langue de l'exil, Athanor 4, Migrations. Adonis; Natan Zach, (1993), Poesie, Roma, Ed. Quasar, trad, de Filippo Bettini et Roberto Piperno, notes de Pino Blasone et Charlotte Wardi. Biancofiore, A. (1991), L'opera e il metodo, Milella, Lecce. Biancofiore, A. (1993), Adonis et le texte du monde, Athanor 4. Pasolini, P.P. (1956), Passione e ideologia, Milano, Garzanti, 1960. Stétié, S. (1982), "Situation d'Adonis", in : Adonis (1982).
Régine Borderie
Dialogue et récit. Marivaux, Les Serments Indiscrets
(Acte II, se. 10)
1. 2.
Préliminaires Le récit de Damis et ses ressources dialogiques 2.1 L'exemplum 2.2 Les vertus dialogiques de l'analogie 2.3 L'échec argumentatif et ses ressources dialogiques 3. Dialogue et récit Notes Bibliographie
1. Préliminaires Je me propose, à partir d'un extrait des Serments Indiscrets
de Marivaux, d'explorer les rapports
entre dialogue et récit. Le choix du corpus, très restreint de façon à garder toute sa précision à l'analyse, correspond à un choix de genre. En effet, la forme narrative semble a priori contraire aux principes du théâtre. De fait, le récit suppose une représentation verbale de l'action, et non plus une mise en scène directe comme le voudrait le genre; d'autre part et surtout, il suppose un énonciateur généralement unique qui prend et garde la parole pour exposer une histoire : le dialogue théâtral s'en trouve suspendu. 1 Or, dans l'extrait choisi, Damis fait à Lucile un récit, qui engendre le dialogue et même en constitue le ressort. Comment ? Telle sera ma première question. A partir des réponses proposées, je tâcherai d'élargir mon propos et de montrer que ce passage exhibe les potentialités narratives de tout récit. Précisons la situation de la scène avant d'aller plus loin. Damis et Lucile, amoureux l'un de l'autre, sont liés par les serments "indiscrets" qu'ils se sont prêtés : ils se sont promis de tout faire pour ne pas se marier, et de ne pas se parler d'amour. Damis, pour dénouer leur situation, pour la détendre dirait Weinrich (1964) 2 , a recours à un petit récit.
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Régine Borderie
2. Le récit de Damis et ses ressources dialogiques C'est du statut de ce récit que viennent ses ressources dialogiques : il s'agit d'un exemplum.
2.1 L'exemplum L'exemplum est une catégorie rhétorique ; il désigne un argument par analogie, qui n'a pas nécessairement une dimension narrative comme ici. 3 C'est une forme d'induction : le raisonnement va du particulier au particulier, et non du général au particulier, commme dans la déduction. L'exemplum part d'un constat : x et y ont en commun la propriété p; or, poursuit-il, y a la propriété p'; donc x a aussi la propriété p'. Ainsi, le raisonnement implicite de Damis est le suivant : les personnages de mon récit se trouvent dans la même situation que vous et moi ; or, voilà ce qui leur est arrivé, ou voilà ce qu'ils ont fait ; donc (mais la conclusion n'est pas exprimée dans le dialogue) il nous arrive ou nous devons faire la même chose. Les conclusions de l'exemplum concernent à la fois le présent des personnages (par exemple : le jeune homme se trouve dans la même situation que Damis ; or "il aima" ; donc, Damis aime...) et le futur (Lucile et la jeune femme sont dans la même situation ; or, celle-ci a révélé d'abord ses sentiments; donc, à Lucile de se dévoiler la première). 4 Je voudrais montrer que l'exemplum s'avère décisif pour le dialogue parce qu'il repose sur une analogie, et parce que sa fonction d'argument est remise en cause.
2.2 Les vertus dialogiques de l'analogie L'analogie est immédiate. En effet, le personnage introduit son histoire par le biais d'une comparaison, qui se maintient tout au long de la scène ("se sont trouvés dans le même cas que vous et moi...", "même résolution...", "comme je vous disais tout à l'heure" : comparaisons d'égalité ; "beaucoup moins que vous": comparaison d'infériorité ; "la dame en question n'en jugea pas comme vous" : négation de la ressemblance). Et c'est d'abord cela qui est déterminant pour le dialogue : la comparaison donne au récit un intérêt brûlant, puisqu'il offre aux interlocuteurs, notamment à Lucile, une image de la situation nouée qu'ils sont en train de vivre. Le récit ainsi présenté suscite : - des anticipations et des questions de la part de Lucile, curieuse d'en savoir plus sur l'histoire de ces personnages qui ressemble tant à la sienne ! (ex. : "C'est-à-dire qu'il y manqua", "Vous m'allez dire qu'il parla ?") ;
Dialogue et récit : Marivaux, Les Serments
Indiscrets
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- des commentaires sous forme d'allusion à ce que vivent Damis et Lucile (ex. "cela n'est pas rare" est inspiré à Lucile par le comportement de 1' "ami", mais surtout par l'attitude de Damis, comparant de 1' "ami", dans la scène VIII) ; sous forme de compliment indirect (ex. Damis loue la jeune fille de l'histoire, et, par la comparaison qui avantage Lucile, adresse à celleci un éloge plus fort encore : "La dame en question était très aimable...") ; - une substitution de narrateur : Lucile accorde tant d'intérêt au récit qu'elle prend le relais de Damis, et joue le rôle des personnages de l'histoire, du jeune homme par le biais du discours direct (c'est dire à une femme : "Déshonore-toi...") et de la jeune fille ("J'oublierais le français, moi, s'il fallait dire...").
2.3 L'échec argumentatif de l'exemplum et ses ressources dialogiques Toutefois, pour que l'analogie féconde le dialogue, il faut que la fonction argumentative de l'exemplum reste masquée . En témoignent les précautions de Damis, pleines de mauvaise foi ("je fais un récit, souvenez-vous en", "Je vous raconte ceci dans la bonne foi et sans aucun dessein" etc.), et les réponses de Lucile ("Je le sais", "Je n'en imagine pas davantage"). Ce voilement de la fonction argumentative est désastreux du point de vue rhétorique, puisque les personnages ne dépassent pas la deuxième étape du raisonnement et jamais ne tirent les conclusions qui s'imposent, mais fécond du point de vue dialogique. En effet, ce n'est pas seulement par prudence que Lucile refuse de tirer les conclusions qui s'imposent ; plus gravement, elle se met à discuter passionnément de la valeur des personnages, soit des causes psychologiques et morales de leurs actes ("Votre ami était un impertinent..."; "quel lâche abus ..."). En d'autres termes, elle remet en question l'exemplarité du récit, donc sa valeur d'argument et la possibilité d'en tirer une conclusion pertinente sur ce qu'il est utile ou bon de faire... Or, paradoxalement, cette remise en question de l'exemplum alimente le dialogue, puisqu'en exprimant un désaccord sur les causes du comportement des jeunes gens, Lucile entraîne Damis dans une discussion :"mais votre ami était un impertinent..., "la dame en question n'en jugea pas commme vous..." ; "Ah! c'est encore pis...", "Prenez garde..." ; "Ah! n'achevez pas...". Mais la contestation de Lucile est si forte au bout du compte ("Non, je permets qu'on le rende...") que Damis renonce à son récit, et met e n j e u directement son interlocutrice - ce qui entraîne la fin de l'échange verbal. La rupture de celui-ci du fait du renoncement à l'exemplum prouve, a contrario, sa nécessité pour le dialogue.
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3. Dialogue et récit Au terme de cette analyse, la question que je me pose est la suivante : ce petit passage n'exhibe-til pas les potentialités dialogiques de tout récit ? Je ne pense pas aux vertus de l'analogie, occasionnelle, mais à la remise en cause de l'exemplarité des personnages et des actions racontées, qui se traduit par un débat sur les causes. Tout récit ne prête-t-il pas le flanc à pareille discussion ? Mon hypothèse est la suivante : pour qu'il y ait récit, il faut que le narrateur au moins exprime l'enchaînement des faits dans le temps, alors qu'il peut se contenter de donner à comprendre
les causes.En d'autres termes, je répartirais selon les plans de l'expression et de la
compréhension les éléments de la formulation latine des "rouages" du récit : post hoc (expression), ergo propter hoc (compréhension). 5 Au narrateur d'exprimer la dimension chronologique, et au narrataire d'inférer la dimension logique, si elle n'est pas exprimée. Et c'est dans cette répartition des "tâches" que je vois une ouverture du récit vers le dialogue. J'en veux pour preuve notre texte. Si l'on cherche les séquences essentielles à la constitution du récit, on peut éliminer les passages consacrés à l'exposé des causes, alors que les segments consacrés à l'expression de l'enchaînement des faits dans le temps sont indispensables et énoncés par Damis. Le noyau narratif est constitué par : "Il n'y a pas plus de six mois ...", "il les tint...", "il aima...", "il n'eut garde...", "ce fut de lui dire...", "il en agit plus noblement...". Quant à la recherche des causes, c'est au fond Lucile, la narrataire, qui l'entreprend ("mais votre ami était un impertinent ...."). Damis n' a fait que l'esquisser ("à cause de la parole donnée"). Plus encore, l'ordre des causes me paraît toujours susceptible d'être discuté pour une raison fondamentale : il n'est qu'un ordre de l'esprit, pour l'esprit, infiniment sujet à la reconstruction. Ainsi, il donne ici matière à une discussion dont la fin est imposée par la jeune fille ("Ah ! n'achevez point !"), mais qui pourrait se prolonger : "j'ai pitié d'elle" suggère que Lucile comprend "faiblesse" là où Damis entend "intuition et sympathie"... La dimension causale, qui ne paraît pas nécessaire sur le plan de l'expression, mais qui au moins doit être comprise et peut toujours se discuter, constituerait donc le point de fuite vers le dialogue de tout récit.
Notes 1. 2. 3.
En fait, l'insertion de la narration est prévue par la dramaturgie classique, notamment pour donner aux spectateurs les connaissances que l'action sur scène n'apporte pas ; ou encore à titre "d'ornement". Notre récit ne relève d'aucun de ces cas puisqu'il sert, quant à lui, d'argument. Voir D'Aubignac (1715). Voir Weinrich (1964), chap. I et II. Sur l'exemplum voir notamment la Rhétorique d'Alistóte, livre premier, chap.II.
Dialogue et récit : Marivaux, Les Serments 4.
5.
Indiscrets
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Dans le chapitre III du livre premier de la Rhétorique, Aristote précise que le genre délibératif s'occupe du futur, de l'utile et du nuisible, alors que le judiciaire traite du passé, du juste et de l'injuste, et l'épidictique du présent, du beau et du déshonnête. Les travaux de Piaget étayent notre point de vue. En effet, dans un article écrit en collaboration avec E. Margairaz (1925), il travaille sur l'acquisition de la dimension narrative. Or si les auteurs montrent qu'elle suppose la maîtrise de la causalité, ce qui semble contredire notre point de vue en donnant la primeur au logique sur le chronologique, on voit qu'ils le corroborent au contraire dans la mesure où ils indiquent qu'ils ne s'intéressent pas à la capacité qu'aurait l'enfant de raconter des histoires, mais à son aptitude à les comprendre. Le test est le suivant : on propose à l'enfant deux images qui correspondent au début et à la fin d'une histoire. Par exemple, on a d'abord "un garçon qui lève son bâton sur un chien" puis "le garçon a son pantalon déchiré et pleure" (p.212). On dit explicitement à l'enfant que la première image correspond à une étape antérieure à l'étape représentée par la deuxième image. Voilà donc remplis les critères minimaux de la narration au niveau de l'expression : l'avant se détache de l'après. C'est simplement au niveau de la compréhension qu'intervient la causalité : pour que l'enfant saisisse qu'il s'agit d'une narration, il faut qu'il sache reconstituer l'enchaînement de cause à effet.
Bibliographie Aristote, Rhétorique, Les Belles Lettres, Paris. D'Aubignac (1715), La pratique du théâtre, tome premier, livre IV, chap.III "Des narrations", éd.J.F.Bernard, Amsterdam. E. Margairaz et J.Piaget (1925), "La structure des récits et l'interprétation des images de Dawid chez l'enfant" in Archives de psychologie, tome XIX, Librairie Kundig, Genève. H.Weinrich (1964, et 1973 pour la trad. française), Le Temps, Seuil, Paris, chap.II.
Andreea Ghita
Pragmatic Aspects of silence 1. 2. 3.
Silence and "the disturbed dialogue" The postmodern view on silence and "negative" pragmatics The pragmatic definitions of silence 3.1 Silence within the turn-taking system 3.2 Silence as a strategic move 3.3 The "metalinguistic" intolerance to silence 3.4 The abusive call for silence 3.5 The exhuberant silence 4. Conclusions Note References
1. Silence and "the disturbed dialogue" Not long ago, I had a look at the titles of the papers submitted in the 4th International Pragmatics Conference. The list included subjects like: conflict talks, improvisation, lying, pretending, miscommunication, dispreffered utterances, breakdowns, pragmatic failures, inadaptability, troubles, verbal abuse, repetition and ellipsis, tentativeness, disattending disorders in interaction. I think there is a tendency among linguists, especially dealing with pragmatics, to elucidate and describe the obscure or "weak" aspects of verbal communication. All of these "negative" subjects, that I would like to call "postmodern" subjects in the analysis of language, are very far from any ideal model of conversation. We've got the image of a rather "disturbed" or "muddled" dialogue "that we encounter in everyday life, with its ups and downs, its random, unpredictable shifts, a dialogue which is hampered by a radical disagreement both over its aim and over the means which may obtain this aim." (Petit 1985,431) This is the starting point of my paper: to reveal a relationship between "negative" pragmatics and the postmodern mentality we are culturally indulging in. The traditional academic pragmatics would consider the subjects mentioned above to be the unsafe periphery of communication and, consequently, of scientific description. A great deal of attention has been paid so far to the use of language in verbal interactions, restrictively investigating its constitution, its systematic rules, principles and conventions governing verbal exchanges. (Dascal 1985, 415) But our dialogical experiences are not so smooth as they were supposed to be. All "powerful" approaches of linguistic communication should also account for
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the fact that in our everyday use of language many of the "normal" rules and conventions are followed loosely and sometimes not at all, even if expected. It is no longer accepted to view dialogue as a transparent, unproblematic phenomenon, displaying all too fluent utterances. Informal spontaneous conversation is characterised by a very high proportion of "errors", involving normal non-fluency phenomena of all kinds and a substantial amount of overlapping or simultaneous speech, randomness of subject matter, misunderstandings of intentions and illocutionary force, opposition of goals. Taking into account the "residuals" of verbal communication does not dismiss the whole idea of understanding and cooperation. Although it deviates from the ideal model, getting nearer to a kind of "vitiated conversation" (Petit 1985,427), communication is still possible.
2. The postmodern view on silence and "negative" pragmatics Nowadays, in postmodern criticism and literary theory, there is a grand flourish of negativized rhetoric: we hear of discontinuity, disruption, dislocation, decentring, indeterminacy and antitotalization. (Hutcheon 1988, 3) Unlike the logocentric tradition, which sought some absolute source or guarantee of meaning to centre and stabilize the ambiguities of signification (The Concise Oxford Dictionary of Literary Terms, see deconstruction), the postmodern view rejects the humanistic principles as order, meaning, control, regularity. There is a need to question and demystify the ideal models and, contrastively, to reveal the traumatic vulnerability of words. Language in use is inherently untrustworthy, equivocal, betraying its promise of imediacy in communication, exploding the constrained conceptual framework of a mechanical and perfect dialogue. In the light of postmodern mentality, the linguist will focus in his analyses upon the breaches and infractions of language use, upon contradictions, ambiguities, vacuities, nonfluencies. Apparently, this is a radical contesting of meaning and communication itself. Paradoxically, the analyst will try everything to demonstrate that even the "marginal" and the "ex-centric" elements of language can get a new significance. The postmodern experiment is meant to re-evaluate the periphery of language. From this point of view silence seems to be a postmodern subject in the analysis of verbal interactions. We must first note the physicality of silence: we can perceive it as an externally measurable event, namely as a break in the acoustic signal. The interaction chronography has researched the temporal parameters of silence (including its frequency and duration). I am not interested here to review in a consolidated fashion the heterogenous studies that have attempted to tackle various aspects of non-fluency measurement. Silence is conventionally understood as a disturbance phenomenon with a negative import, probably because its abstention from speech, from articulateness (but not from action, as we'll
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see). Silence marks a surface anomaly of conversation (Stubbs 1988, 174); the turn-taking mechanism is momentarily disrupted and it can quickly lead to a breakdown in communication if a repair does not come up. Starting from the acoustic contour of a conversation, we must admit that, when silence occurs, it produces a disjointed effect which does not reflect the general (expected, wished for) auditory impression of smoothness and regularity. Silences mark the resistance to established order of elements involved in conversation. Speakers, for instance, are not always able to place talk with precision, by coming in at just the right moment with their turn in a conversation. Lack of conversational touch probably marks lack of convergence and orientation between speakers (Stubbs 1988, 178) Within the pragmatic framework, which is more permissive and highly contextualized in interpretation, we do not expect to come across any negative meaning of silence. Leech (1991, 137ff) has studied both the polite and impolite implications of silence in conversation. "Being silent at the wrong time" may affect the preliminary goal of communication: socializing through conversational cooperation: "If one has been engaged in conversation by someone else, silence is a sign of opting out of a social engagement to observe the interpersonal rhetorical principles and is hence in many circumstances a form of impoliteness."(Leech 1991, 140) Leech has also argued for an additional maxim of politeness - the metalinguistic Phatic Maxim. He has used the word silence in what he calls the negative formulation of this maxim: "Avoid silence" as opposed to the positive form "Keep talking". In order to extend the common ground of agreement and experience shared by the participants, silence should be eventually avoided and necessarily filled in conversation with trivial, stock subjects or with uninformative, noncontroversial statements. When taken over into a pragmatic approach, as an action-based model of language, silence might be considered as dialogically oriented. A pragmatic analysis of silence is required to recover its negative interpretations. This analysis is focussed on the idea that, although silence is abstention from speech, it is not abstention from action. In the postmodern studies there is a change of polarity when approaching silence - from the negative meaning to a kind of hyper-positive one. This radical shift is due to the sceptical postmodern view on language. Mutism or silence represents the failure to speak or to trust in speech (Hartmanl981, 134), because language goes through devaluation. Speechlessness can rescue speech, transcending it. Silence, as textual repression, is a negative symptom of capitulation, of censorship against the official discourses, routinized and exhausted. Conversation itself, as an excess of words, is rejected, because it conveys duplicity, ambiguity, manipulation, lying, frustration, confusion. Silence reasserts itself as a reserved awareness of words. (Hartman 1981, 130) Silence is more positively re-evaluated if we take into account the fact that it can lead to the forbidden subtext of the mind, silently uncoverring the hidden desires that cannot be articulated
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(Green & Kahn 1991, 26f). Feminist criticism considers silence to be a stubborn reaction to the language of phallocentrism: "the open potential of women's silence over the theoretical rattle of men" (Green & Kahn 1991, 99), which ignores private meaning, being unable to express it. This view is considered very similar to the postmodern rejection of nomination: "The important things are beyond words, but are still intensely real, indeed more real, because they are not articulated, or named" (Hutcheon 1988, 183).
3. The pragmatic definitions of silence Some of the approaches mentioned before also state the communicative function of silence, but in a very restricted way. Garman (Psycholinguistics 1990) thinks that besides the physiological and cognitive function, silence has a communicative function, too. "Silence inserts certain breaks purely for the purpose of chunking the speechstream in helpful ways for the listener" (Garman 1990, 117). This function is probably called "communicative" because it is defined as a listeneroriented device in conversation. Pragmatics considers silence to be an expression of interactivity (Verschueren 1991, 1:137), even a non-verbal act (Oxford International Encyclopedia of Linguistics 1992, 3:108) occurring in sequence with the verbal side of an utterance. "Even when the audience does not seem to do anything, it is in fact doing something: the audience is co-author. Thus for example, even silence can be a very interactive form of behaviour" (Verschueren 1991, 1:138). Silence is a purely pragmatic subject. It is meaningless apart from its interpretation which is found in people and from action among people. In order to understand or to activate its interpersonal value it needs people's ability to contextualize this kind of negative information (dead spaces) during conversations (within the preceding and following sequences of conversation). Only conversational partners can decide on the particular meaning of silence in a siruated discourse. Levinson (1983, 321ff), quoting Sacks, Schegloff & Jefferson's work (1978), analyses silence and other different kinds of absences of speech within the framework of the turn-taking system in conversations. Due to this organizational system, on the one hand, it is possible to assign the absence of any verbal activity to some particular participant as his turn (Levinson 1983, 321). On the other hand, what is more remarkable is that silence is significant, although it has no features of its own: "All the different significance attributed to it must have their sources in the structural expectations engendered by the surrounding talk. So sequential expectations are not only capable of making something out of nothing, but also of constructing many different kinds of significance out of sheer absence of talk." (Levinson 1983, 329) If we re-read this in Gricean terms, silence violates the conversational expectations of speakers (at least Quantity and Manner Maxim), thus triggering an implicature generating
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process. Silence can be viewed as a radicalized indirectness of communication. Participants to the conversation can draw relevant inferences just exploiting the misfit between the conversational demand (Dascal 1985, 462) and what is not said (not between the conversational demand and what is literally said - which is the common situation). While conversational analysis defines silence as a structural and at the same time a significant infraction - one party does not cooperate at maintaining the ABABAB... sequence in turn-taking - the politeness theory (Brown & Levinson 1978) tries to legitimate silence and to motivate it as a manipulative rhetorical attempt. Silence is mentioned as an OFF record strategy of Negative Politeness: Be incomplete, use ellipsis (Brown & Levinson 1978, 232) and is meant to attenuate the effects of some face threatening acts: "By leaving an FTA half done, speaker can leave the implicature hanging in the air." (Brown & Levinson 1978, 232)
3.1 Silence within the turn-taking system As conversational analysts suggest, it is wothwhile studying silence within the turn-taking system, especially when the turns are tightly organized in adjancency pairs (a speaker addresses a recipient with the first part of the pair and must receive immediate response - this is the second part of the pair). Silence may occur within the transition from current speaker to next, as a DELAY; or INSTEAD of the second turn. It may also occur WITHIN the speaker's turn. After a S's question, the H's answer is expected. Silence as a second turn may be assigned different significances. Silence may be processed as "there's a problem" with the S: (1) "Speak up, Grandma", the woman said. "What's your name? We must have your history, you know. Have you been here before?" Old Phoenix did not speak. "Are you deaf?" cried the attendant. (Welty, E. - A Worn Path) or there is a problem in the way S formulated the question. The speaker may as well consider thar the question is non-sensical and consequently non-answerable: (2) Truscott: Do you still believe you're Christ, my Lord? (No reply). Are you God? (No reply). Come, sir, are you the God of Love? (Barnes, P. - The Rulling Class) Silence may be pragmatically processed as a NO: (3) Joyce - (...) There was a lad joined up with me. Pink. Young George Pink. He used to pipe up. And he used to read. Any of you read? Silence. Bad habit. (4) "Listen", Gino says, "listen". He talks out of the corner of his mouth. "Who wants to make money?" he lowers his voice to a hoarse whisper, "lot of money, big money". No one answers him. (Price, D. - Another Evening Out)
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When a question remains unanswered and the speaker still needs that answer and he is in a position to wait, he might offer a metalinguistic repair to the turn-taking: (5) "What is your answer, Bartleby" said I after waiting a considerable time for a reply, during which his countenance remained immorable, only there was the faintest conceivable tremor of the white attenuated mouth. "At present I prefer to give up no answer" he said, and retired into his hermitage. (Melville - Bartleby the Scrivener) If the listener says nothing - being silent - the speaker may elicit himself again as speaker in order not to disturb the rhythm of conversation. He seems to simulate the A B A B A B . . . sequence asking for further details: (6) "Then why haven't you?" he asked.(...) She didn't at first answer, which in turn made him go on. "You know something I don't." (James,H. - The Beast In the Jungle) Silence as a return to a question may also mean conspiratorial answer: (7) "What would you rather I kissed?" She smiled and did not reply. (Gavin, E . E . - The Cockroach) After a strong assessment of a truth or opinion, silence means agreement or even reinforcement of the S's statement: (8) "Come on, now. I bet you was smoking at my age, tell the truth." I didn't say anything but the truth was on my face, and he laughed. "Sure. And I bet that ain't all you was doing." (Baldwin, J. - Sonny's Blues) After a S's assessment - meaning self-denigration - silence may also mean agreement, but conflictual, as in this particular case the S needs a rhetorical disagreement: (9) "Oh, I suppose she's been telling you that I am a selfish brute". Clare was silent, and Tuttin's irritation rose. "Selfish - spoiled - a mummy's boy!" (Cary, J. - Period Peace) Silence may occur after a rhetorical statement formulated in the form of a question: it gives recognition to the truth suggested: (10) Jimmy - Alive? Alive you say? What's alive about a person that reads books and looks at paintings and listens to classical music? (There is a silence at this, as though the question answers itself - reluctantly) (Wesker, A. - Roots) When the statement expresses S's negative opinion towards the H, silence suggests helpless disagreement or may be a preface to following explicit disagreement (11) "In fact it's an obscene thought. Quite horrible. I can't think what made you suggest anything so tasteless". There was silence. The expression on Johnson's and his daughter's face
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were serious. "It's no joke, Mr. Healey. I tell you little Jimmy's coated in tabacco leaf. Think about that one." (Holmes, R.C. - Roll your own) All the examples prove that we can pragmatically attribute paradoxical, contradictory significance to silence, processing it when it occurs in a turn-constructional unit as a second.
3.2 Silence as a strategic move I have already mentioned another pragmatic approach of silence, namely as a strategic move during conversation. A speaker may be in a position to manipulate the talk (or his partner in the dialogue) occassionally disrupting the conversational flow by moments of silence within his own turn. Silence may also be an element included in the mechanism of conversational repair. For the speaker, silence is the resting point which allows him to reflect on the ongoing conversation and consequently to make adequate decisions concerning optimal understanding. After a silence the speaker may bring a self-initiated repair, sensing a possible misunderstanding on the part of the hearer: (12) "I think I know where to find him" the woman said. "Only...you'd have to make it worth my trouble like. I mean, I've left my friend an everything"... She stopped, realising that Christie was not taking in what she said. "Money, dear" she said, with a kind of coarse delicacy. (Barston, S. The Search For Tommy F.) The speaker may use a rhetorical silence, almost provoked, in order to test rhe H's involvement in the conversation. He forces the H to initiate a repair and to give the needed conversational support: (13) "All I mean is: there is Popeye, oblivious of the contempt which he has earned; is he also an oblivious cuckhold, and if so does that make him now anobject for pity, or a figure of fun, or does it perhaps - ?" She broke off, sensing that Sebastian was about to interrupt. He held back his protest at so much analytic speculation, silenced by a sudden resolution of his dilemma.(...) With an easy smile he nodded towards her. "Go on, does it perhaps - ?" and he stretched out his legs again alongside hers. (Gavin, E.E. - The Cockroach) The speaker may step outside the conversation, jumping out of his own turn just in the middle of it, in a staged silence: (14) "They usually have a couple of them on every table. Just in case" He paused, smiling mysteriously through Sam. Sam watched him, waiting but Carp kept on smiling and didn't say anything. Finally Sam said, "In case of what?" Carp stopped smiling and stared at him blankly,
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as though he hadn't seen him before. "I beg your pardon?" "Don't give yourself airs", Sam grumbled. I say, in case o f what?" (Rumaker, M. - The Pipe) The speaker can gain added emphasis to the things he tells the H or even to his priviledged status as storyteller. In the example above, the S seems to play a j o k e on the H. After the silence he simulates loss o f memory. He wants the H to express his interest explicitly for the story. This is an artificial suspense brought about in the narrative; that is why the S is finally sanctioned by his listener's open protest. Silence may be an opportunity for the S to manipulate topic management, without bringing any loss to the conversation. A new topic is inserted after a silence, as the previous seems to be an emotional burden to the speaker. This might appear a deviant move aimed at shifting the topic. The listener may understand its strategic import or not; so he might take the conversation back again: (15) "Last year my wife died and I was left to bring up our three children. For six months one of them was in hospital, with a badly injured leg". He paused, before going on. "There is hardly any work here, in Tanmarg." (Gordon, G. - Three Resolutions T o One Kashmiri Encounter) The S typically uses silence as a break between the exhausted topic or old sequence and the new sequence; after the momentary silence, the S initiates a new topic using a question: (16) "Henry," she asked, "could we have wine at dinner?" "Sure we could. Say! That will be fine." She was silent for a while; then she said, "Henry, at those prize fights, do the men hurt each other very much?" (Steinbeck, J. - The Chrysanthemus) In (16) she jointly binds the patner to the new topic, by imposing on him the structural, if not social obligation of producing a relevant answer. Silence may be a preface to a F T A inevitably done by the S. I f the S's words damages the H's face, S uses a short silence to moderate a painful truth. The S also brings a repair for his artificial pause, re-starting the statement: (17) "He said he'd often seen your son about the town and he knew..." The sergeant stopped and grimaced. "He knew that Christie wasn't quite right in the head." (Barston, S. - The Search For Tommy Flynn) In order to protect the H, S may use silence repressing shocking words or opinions. He violates the Quantity Maxim for the sake of rhetorical protection of his partner in the conversation: ( 1 8 ) " ( . . . ) but I can't have any feelings about it. If i did, how could I - ?" He stops. About to make a black j o k e and say "dissect it" he realised htat he would outrage and not simply horrify even to pretend that such a practice was part of his work. (Kilner, G. - Manikin)
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The speaker may also protect himself using silence within his own turn. During a silence left open for the H, the S may invite his partner to read in the silence and to go on, taking the trouble of the implied meaning: ( 1 9 ) " ( . . . ) W e have been a race o f honest men and good Christians since the days of the martyrs; and shall I be the first of the name o f Brown that ever took his path and kept -" "Such company, thou would say", observed the elder person, interpreting his pause. (Hawthorne, N. - Young Goodman Brown) In ( 1 9 ) the speaker abusively involves the H this time, making him responsible for his own opinion, incompletely uttered. In order to be successfully continued, S has to insert silence at a point where the content of his message is predictable.
3.3 The "metalinguistic" intolerance to silence Another interesting pragmatic aspect o f silence is the fact that it is sometimes metalinguistically stated or repaired by the participants involved in the conversation. People usually reject silence and express a symptomatic intolerance to its negativity, although we interpreters may bring motivations or explanations for the reasonable use o f silence: (20) "Speak up, Grandma" (...) "Are you deaf?" "I said, how is the boy?" (Welty - A Worn Path) ( 2 1 ) "Mother, I am talking to you!" "Talk! Come on mother, talk!" She looks startled and speechless. (Wesker - Roots) (22) "Look at you. All o f you. You can't say anything. You can't even help your own flesh and blood (...) Give me words of comfort! Talk to me - for God's sake, someone talk to me." (Wesker) (23) She stares around speechlessly at everyone. "Well, what's the matter wi' you gal?" (Wesker - Roots) (24) "Is it not so? Will you not speak? Answer!" (Melville, H. - Bartleby the Scrivener) (25) Then, as Mary did not reply, he exploded "Snap to it. You are being slow on purpose". Mary sais nothing and Nelson added, as though to himself. (Gamett) Silence needs this kind o f metalinguistic repair when it marks an inevitable breakdown in conversation. Participants attempt to restore mutual understanding, re-committing themselves to the continuing course o f conversation.
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3.4 The abusive call for silence Another extreme interpretation o f silence, opposed to its avoidance, is the urgent call or command for silence, dealing with situations when S and H are acting at cross-purposes. The participant who aims at imposing silence is not necessarily the most powerful, controlling speaker. He might as well urge for silence when he is in a vulnerable position in front o f his partner: (26) "Shut up you two" Sam said "spin it out Billy" (...) "Shut your flap, Ruby. W e know you ain't capable" Carp said. "Hey, Bil can we listen" (Rumaker, M. - The Pipe) (27) "He is really very nice." "Oh, shut up" Macomber almost shouted. (Hemingway, E. - The Short Happy Life of Francis Macomber) ( 2 8 ) "Kenny", Frank said, "you talk too much"
"Okay", Kenny said, "I won't say a word"
(Wolff) (29) A:"Now 'oo's startin' it?" B : "You are" A: "I ain' said a word" (Bond, E. - Saved) (30) A : " Y e r come too much at it!" (...) B:"Shut up" A:"Thass right" B : " I tol' yer t' shut up!" A:"Go on!" B : "Or I'll bloody well shut yer up!" (Bond, E. - Saved) (31) A: Then I order you to hear me out. B : That we will, sir. A: In silence. (Hale, J. - Spithead) As we can see in the examples above, people usually make use of an explicit device to impose silence: " S H U T UP" or "DON'T S A Y A W O R D " . W e must note that these imperatives can be interpreted both on a literal and a non-literal level. They literally urge for a violent break in uttering words. Since the conversation is emotionally overloaded, this literal silence is not generally possible. In fact, on a pragmatic level, "Shut up" means "give up acting like this", "change your action against me". One of the participants cannot stand the conflict any longer and consequently tries to put an end to the conversation itself or just to a sequence of it. In order to clear away a verbal conflict, the easiest way out is to say nothing. I call this Abusive silence, since one o f the participants is artificially and sometimes violently deprived o f his right to speak.
3.5 The exhuberant silence Let me now come back to the starting point of my paper. I have engaged myself in a sort of postmodern appproach to silence, trying to reframe the subject and to bring both theoretical and analytical compensations for the ex-centric, periphereal character of silence. Now I am coming to a final postmodern conclusion. Silence is not only significant, it is also more powerful than words themselves, which are only bureaucratically safe. Silence can be a corrective to the shortcomings or limits o f verbal communication: it can mark breaks in experience o f linguistic communication, but at the same time it can express what cannot be verbalized. Since, on the one
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hand, there are limits of what we can accomplish with our words and, on the other hand, language itself is exhausted and devaluated in its many uses and abuses, as the postmodern critics say, silence is a new way of talking. Silence is meant to express what is beyond the words, making things more real just because they are not articulated: (32) She waited once again, always with her cold sweet eyes on him. "It's never too late". She had, with her gliding step, diminished the distance between them, and she stood nearer to him, a minute, as if still charged with the unspoken. Her movement might have been for some finer emphasis on what she was once hesitating and deciding to say . (James,H. - The Beast In the Jungle) (33) "What's worrying you, Jack?" He laughed again. "I'm not worrying, girl; I'm only thinking of Yellow Sky". She flushed in comprehension. A sense of mutual guilt invaded their minds and developed a finer tenderness. They looked at each other with eyes softly aglow. (Crane,S. - The Bride Comes to Yellow Sky)
4. Conclusions So far I have been talking about momentary silences that can take the form of no reply or interruption in tha actual onset of a conversational turn. The analysed fragments of literary dialogues which instantiate the phenomena lead us to conclude that there are many discrepancies in the interpretation of silence; there is no conventional understanding of this kind of nonfluency. Silence displays a paradoxical, contradictory nature: it may express agreement or disagreement; it may be protective or aggressive. People seem to generally reject it, but sometimes they call for it; it can smooth out a conflict or it can bring about a breakdown, a failure during the conversation. Since silence is open to limitless contextualized interpretations, we cannot decide upon a definite meaning of silence in use. Even the fact that in interpretation it can be taken to extremes, changing its pollarity, shows that silence is primarily interactive. Its significance, contextually exploited out of nothing, needs to be negotiated or pragmatically processed between the participants to the conversation. Silence also expresses the tendency to economize a verbal exchange as much as possible, leaving significance radically implicit. Silence can no longer be viewed as a marginal, periphereal non-fluency.
Note In my paper I have practised an analysis using fragments of literary dialogues where silence occurs and is commented upon by the narrator or the dramatist. Since i had no access to
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e m p i r i c a l data, s u c h as actual r e c o r d i n g s o f c o n v e r s a t i o n s in E n g l i s h , I had to c o n t e n t m y s e l f w i t h this k i n d o f material. N o matter h o w m a n y distinctions w e c a n draw b e t w e e n natural and literary d i a l o g u e s , they still operate o n the s a m e pragmatic d i m e n s i o n s and p r i n c i p l e s to create interactive i n v o l v e m e n t . F o r the literary e x a m p l e s q u o t e d in m y paper, I u s e d a n t h o l o g i e s o f British and A m e r i c a n Literature. See: Landmarks o f M o d e r n British D r a m a - P l a y s o f the S i x t i e s ( 1 9 8 5 ) , L o n d o n ; T h e Short Story - 2 5 M a s t e r p i e c e s ( 1 9 7 9 ) , N e w York; T h e Short Story - F i c t i o n in T r a n s i t i o n ( 1 9 6 9 ) , N e w York; T h e Story and Its Writer - A n Introduction to Short F i c t i o n (1991), Boston
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Anna M. Orlandini
Les emplois de la négation dans les dialogues de Plaute et Térence 1. 2.
Objet de recherche : la négation dans les questions Les questions orientées à force illocutoire dérivée assertive 2.1 Les questions rhétoriques 2.2 Questions à statut particulier : les "questions dubitatives" Notes Bibliographie
1. Objet de recherche : la négation dans les questions Statistiquement les énoncés où la négation apparaît plus fréquemment dans le dialogue sont les questions (en particulier les "interronégatives" (cf. Boriilo 1979 et Callebaut 1991)). Ce sont donc les questions que nous allons interroger plus en détail, dans le but de reconnaître les différentes forces illocutoires de ces types d'énoncés, en distinguant les véritables questions (à force illocutoire interrogative), les questions à force illocutoire dérivée, comme les questions rhétoriques (à force illocutoire assertive), et les requêtes (à force illocutoire jussive) (cf. Lyons 1977 et Palmer 1986). L'impact de la négation sur les questions consiste à transformer une question positive (neutre pour ce qui concerne la réponse) dans une question orientée (Q CONFIRM-OUI ou Q CONFIRM-NON). Nous ne rencontrerons donc pas dans notre corpus des Q négatives totales qui soient neutres pour ce qui concerne la réponse (comme le sont les véritables Yes-No Questions).
2. Les questions orientées à force illocutoire dérivée assertive Nous examinerons d'abord les interronégatives Q CONFIRM-OUI. Dans ces questions la négation agit, selon la définition de Callebaut (1991, 69), comme "marqueur d'une orientation argumentative". Cette négation, à la différence de la négation logique qui est véridictoire, n'agit pas sur le contenu propositionnel de l'énoncé, elle n'est pas primaire, mais liée à l'interrogation de manière qu'elle ne peut pas survivre en dehors. Le latin connaît bien cet emploi, nous en donnerons comme exemple :
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(1) Plaut. Capt .139s. HE.: Ne fie. ERG.: Egone ilium non fleam? egon non defleam/talem adulescentem? (HE.: "Ne pleure pas". ERG.:"Moi ne pas le pleurer ? Ne pas déplorer la perte d'un si bon jeune homme ?", trad. Les Belles Lettres) Ici non fleam? non defleam? représentent des subjonctifs délibératifs, où l'interrogation, réalisée par une négation (non) qui n'est pas véridictoire, véhicule une orientation positive de la part du locuteur, sous forme d'une légitimation de son agir (fleo, "j'ai bien raison de pleurer"). Le contexte met à jour la nature métalinguistique de cette négation : le locuteur met en cause, en reprenant les mêmes mots, l'invitation à ne pas pleurer de son interlocuteur (Ne fie). La négation non représente ici un marqueur indispensable d'orientation positive. Le français connaît aussi des interronégatives à orientation Q CONFIRM-NON, alors qu'en latin cet emploi est plus rare, en effet cette langue présente des marqueurs interrogatifs spécifiques de l'orientation négative : an
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et num. La particule interrogative an joue un rôle
contrastif très marqué. La force discursive de cette particule consiste à souligner un vif étonnement, au point que les interrogatives où elle apparaît sont souvent proches des exclamatives. Comme le signale Bolkestein (1991, 398) an implique une cohésion avec le texte qui précède, en l'employant au début de la phrase le locuteur veut remettre en cause une assertion précédente ; 2 il s'agit donc encore d'une reprise métalinguistique, comme on peut voir dans : (2) Plaut. Bacch. 1162 PH.: Quid multa? ego amo NI.: An amas? (Philoxène: "Enfin, j'aime." Nicobule: "Tu aimes, toi ?", trad. Les Belles Lettres) Une semblable situation, dans laquelle an a la même valeur de cohésion textuelle apportant une orientation contrastive négative, peut être envisagée dans : (3) Plaut. A s in. 837 DE.: Credam istuc, si esse te hilarum videro. AR.: An tu (esse) me tristem putas? (Déménète: "Je t'en croirai, si je te vois gai" Argyrippe: "Tu crois donc que je suis triste ?", trad. Les Belles Lettres) En revanche le tour an non dans une interrogation à force argumentative sert à orienter positivement la question (Q CONFIRM - OUI). Dans ce cas encore non apparaît comme marqueur indispensable d'orientation positive: (4) Ter. Andr. 621 PA.: An non dixi esse hoc futurum? (Pamphile: "Ne l'ai-je pas dit, que cela arriverait ?", trad. Les Belles Lettres) L'autre moyen classique par lequel on introduit en latin une question négativement orientée (une Q CONFIRM-NON), est particule interrogative num. Il faut pourtant distinguer les emplois rhétoriques de cette particule (l'autre particule de l'interrogation orientée est nonne, qui véhicule une Q CONFIRM-OUI) et les emplois de cette même particule num dans les ainsi-nommées
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"non-open yes-no questions" (Lyons 1977, 768) ou les "questions dubitatives" (ou "vérificatives").
2.1 Les questions rhétoriques Plusieurs éléments caractérisent une véritable question rhétorique; dans l'ordre : a) le déficit cognitif du locuteur est fictif, par conséquence ; b) une question rhétorique n'est pas une demande d'information, elle peut être envisagée comme une demande de confirmation, dont la formule plus attendue est le silence d'assentiment de la part du destinataire. La question rhétorique n'appelle donc pas de réponse, elle la suggère déjà par sa formulation même. En tout cas, la réponse ne peut que coïncider avec les présupposés logiques de la question, n'ajoutant rien au pouvoir cognitif du départ. Une réponse contrastive, allant contre les présupposés de la question, serait considérée comme fort gênante, en ce qu'elle invaliderait le but argumentatif du locuteur, qui est celui de persuader, d'imposer des conclusions ; c) la situation discursive dans laquelle les questions rhétoriques se réalisent ne se présente pas comme un véritable dialogue avec échange3 informatif entre deux partenaires (il s'agit le plus souvent d'à parte, ou de contextes de forme dialógale, mais ayant un fonctionnement monologal, cf. Roulet et al. 1987) ; d) le contexte est fortement emphatisé : le locuteur, même lorsqu'il s'adresse à un allocutaire réel, le fait pour exprimer son étonnement, son indignation, sa surprise, etc., jamais pour en avoir une réponse ; e) la force illocutoire de base d'une question rhétorique est assertive (cf. Orlandini 1980). Dans les termes de l'analyse de Kerbrat-Orecchioni (1986, 89), il s'agit d'un "trope illocutoire", puisque la valeur dérivée (assertive) s'impose sur la valeur primitive (interrogative) ; Dans leur étude du pouvoir argumentatif de l'interrogation, Anscombre et Ducrot (1981) ont identifié des conditions pragmatiques différentes pour les "questions rhétoriques polyphoniques" (susceptibles d'être aussi bien positives que négatives) et les rhétoriques non-polyphoniques à orientation négative (qu'ils appellent "rhétoriques simples"). Nous enquêterons une autre dissymétrie, relevant d'un mécanisme illocutoire différent, entre les questions rhétoriques (positives et négatives) et les "questions dubitatives" (ayant une orientation négative). L'examen des textes de Plaute et de Térence nous fournit plusieurs cas d'emploi rhétorique sûr ; de cette façon nous reconnaissons une rhétorique exprimant les croyances positives du locuteur (à haut dégré de probabilité) dans : (5) Plaut. Amph. 403 ss. SO.: Non4 sum ego servus Amphitruonis Sosia? / Nonne hac noctu nostra navis (hue) ex portu Pérsico / venir, quae me advexit? nonne me hue erus misit meus? /
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Nonne ego nunc sto ante aedes nostras? non mihi est lanterna in manu? / non loquor? non vigilo? nonne hic homo me pugnis contudit? (Sosie: "Ne suis-je pas Sosie, esclave d'Amphitryon ? Notre vaisseau ne m'a-t-il pas conduit ici, cette nuit, depuis le port Persique ? Mon maître ne m'a-t-il pas envoyé ici ? Ne suis-je pas ici debout devant notre maison ? N'ai-je pas une lanterne à la main ? Ne parlè-je pas ? Ne suis-je pas éveillé ? Cet autre ne m'a-t-il pas tout à l'heure labouré de coups de poing ?", trad. Les Belles Lettres) Dans ce contexte nous voyons à l'oeuvre les paramètres identifiés: il s'agit d'un monologue de l'esclave Sosie, qui ne souffre d'aucun déficit cognitif réel, mais qui, bouleversé par l'apparition de son double (c'est-à-dire Mercure), veut se rassurer sur l'objectivité concrète de ce qui lui arrive (Nonne et non signalent les croyances fort positivement orientées, ou plutôt des certitudes qu'il ne voudrait même pas remettre en cause). En revanche, une orientation négative (à haut dégré de probabilité négative) dans la présentation de l'état des choses de la part du locuteur, est réalisée grâce à num dans : (6) Plaut. Men. 565 PE: Num mentior? (Labrosse: "Suis-je un menteur ?", trad. Les Belles Lettres) (7) Plaut. Men. 627 ME: Num te appello? (Ménechme I : "Est-ce à toi que je m'adresse ?", trad. Les Belles Lettres) (8) Plaut. Mil. 291 SC: Num tibi lippus videor? (Scélédrus : "Est-ce que je te semble avoir les yeux bouchés ?", trad. P. Grimai) La situation dialogale est souvent déterminante pour repérer la véritable nature d'une question: la même particule enclitique -ne peut introduire une vraie Q, à force illocutoire interrogative, (dans le dialogue) ou bien un Q rhétorique, à force illocutoire assertive, (hors dialogue), comme on peut voir en comparant: (9) Ter. Ad. 638 MI.: Tune has pepulisti fores? porte ?", trad. Les Belles Lettres)
(" Micion : "C'est toi qui as frappé là à la
qui est une demande d'information réelle, portant sur un élément spécifié, isolé par -ne (tune) et qui entraîne une réponse positive ou négative concernant ce "posé" ("Oui, c'était moi", "Non, ce n'était pas moi") et : (10)a. Plaut. Bacch. 623 MN.: Sumne ego homo miser? (Mnésiloque : "Quelle misère !", trad. Les Belles Lettres) b. Plaut. Most. 362 TR. Sed ego, sumne infelix, qui non curro curriculo domum? (Tranion: "Mais moi, ne suis-je pas un infortuné, de ne pas courir au plus vite jusqu'à la maison ?", trad. P.Grimal) où il s'agit d'une Q rhétorique proche d'une proposition exclamative, portant sur la proposition entière, ayant orientation positive, réalisée dans un monologue et nuancée par une forte emphase, qui demande une confirmation le plus souvent tacite.5
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2.2. Questions à statut particulier : les "questions dubitatives" La même particule interrogative num peut apparaître en latin dans des contextes que nous pouvons rapprocher des interrogatives du français à orientation Q CONFIRM-NON (alors que nonne semble être réservée aux cas plus sûrs d'interrogation rhétorique positive à force illocutoire assertive). Dans son excellente étude sur l'interrogation en latin classique, Hoff (1979, 93) signale que num possède la particularité d'exprimer "une possibilité invraisemblable". Cet oxymore au grand pouvoir explicatif, synthétise fort bien les deux moments discursifs entraînés par cette particule. D'abord le jugement d' "invraisemblance" formulé par le locuteur, autrement dit, son adhésion orientée (il juge qu'il est fort possible que non p), d'où ses attentes négatives. D'ailleurs, il existe la possibilité de soumettre ce contenu à l'interrogation, autrement dit d'enquêter si ce fait, jugé "invraisemblable", peut effectivement se réaliser. Si le contexte apporte des confirmations qui font prévaloir le premier moment, num introduit une question rhétorique; en revanche, si le contexte laisse ouvert le doute,6 num introduit une "question dubitative".7 Les "questions dubitatives" (que nous assimilons, quant à leur interprétation pragmatique, aux "non-open yes-no questions", cf. Lyons 1977, 768)8 diffèrent des véritables interrogatives, en ce qu'elles ne sont pas tout à fait "ignoratives" (ce terme a été employé par Donaldson 1980), elles diffèrent aussi des questions rhétoriques en ce qu'elles, tout en étant des questions orientées, peuvent admettre une réponse contrastive à l'orientation véhiculée. En réalisant une question dubitative le locuteur qualifie son adhésion (ses croyances, ses attentes) face à la vérité du contenu propositionnel de l'énoncé et il se pose la question de savoir si la proposition entière sur laquelle porte l'interrogation est vraie ou fausse. Pour les "questions dubitatives" les paramètres sont, à notre avis, différents de ceux que nous avons identifiés pour les Q rhétoriques: a) les "questions dubitatives" possèdent, en tant que questions orientées, une certaine valeur argumentative, mais, à la différence des questions rhétoriques, elles n'imposent pas de conclusions ; b) le déficit cognitif est variable, parfois tendant vers zéro, mais ne coïncidant pas avec le degré zéro; autrement dit, il n'est pas fictif, ce qui fait que : c) une éventuelle réponse contrastive est admise (alors qu'elle est exclue pour les véritables questions rhétoriques) ; en outre le silence de l'allocutaire n'est pas admis (ce qui, en revanche, était demandé comme preuve d'assentiment dans le cas des questions rhétoriques) ; d) l'échange informatif se réalise dans une véritable situation de dialogue ; e) le contexte peut manquer d'emphase ; f) la force illocutoire est double: le "commitment" du locuteur porte sur le composant "it-isso" (Lyons 1977), donc sur la force illocutoire assertive de l'énoncé. Pourtant, le locuteur "joue" aussi, au niveau de l'énonciation son incertitude, d'où la force plus ou moins faiblement
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interrogative de la question (en rapport avec le degré du déficit cognitif). L'interrogation porte sur la proposition entière, à propos de laquelle le locuteur demande à son allocutaire une réponse confirmant ses croyances. Ces questions se situent donc entre les questions rhétoriques et les vraies questions.9 Le locuteur n'est pas sûr de l'assertabilité du contenu propositionnel de son énoncé, d'où la raison illocutoire de l'acte interrogatif. Lorqu'il emploie num, non (Q CONFIRM NON), il manifeste ses croyances ou ses attentes négatives, mais plus nuancées et incertaines qu'elles ne l'étaient dans le cas d'une Q rhétorique, introduite elle aussi par num (la preuve est qu'elles peuvent être démenties par une réponse polémique de l'allocutaire). Comme Callebaut (1991) le signale à propos des interronégatives Q CONFIRM-NON du français, ces questions ont une nature vérificative; en général, elles anticipent sur une réponse négative, tel est le cas de: (11) Plaut. Merc. 215 CHA.: Num esse amicam suspicari visus est? AC.: Non visus est. (Charinus : "A-t-il en l'air de se douter qu'elle fût ma maîtresse ?" Acanthion: "Non, pas du tout.", trad. Les Belles Lettres) Dans ce contexte le locuteur Charinus craint que son père n'ait appris quelque chose à propos de lui et de sa maîtresse (il "souhaite que non p", cf. Orlandini 1993), sa question n'est pas posée de façon emphatique et la réponse négative de l'esclave Acanthio, a pour effet de le rassurer. La même situation qui relève d'un espoir du locuteur, peut être envisagée dans : (12) Plaut. Merc. 173 CHA.: obsecro, num navis periit? AC.: Salvast navis, ne time. (Charinus: "Je t'en supplie: est-ce que mon vaisseau a péri ?" Acanthion: "Le vaisseau est sauf; sois sans crainte", trad. Les Belles Lettres) où la réponse d'Acanthio invite de façon explice Charinus à cesser de craindre (ne time Encore une anticipation d'une réponse négative, mais qui cette fois-ci viendra, après une pause d'attente, de la part du même locuteur, dans : (13) Ter. Eun. 549 CH.: Numquis hic est? Nemo est (Chéréa : "Y a-t-il là quelqu'un ? Personne" trad. Les Belles Lettres, trad.it. :"C'è nessuno qui ? Nessuno) De la même manière, la "locution usitée pour prendre poliment congé" (cf. A. Ernout à Plaut. Amph. 544): numquid vis?; numquid aliud? (Plaut. Amph. 259) (it.: "Vuoi altro ?" fr. "Veux-tu quelque chose d'autre ?"), préfigure une réponse négative (c'est-à-dire qu'en effet l'interlocuteur ne veut plus rien d'autre),10 comme c'est le cas de : (14) Plaut. Poen. 801 CO.: Numquid me? AG.: Apscedas (Collybiscus: "Tu n'as pas besoin de moi?" Agorastoclès: "Retire-toi", trad. Les Belles Lettres) La réponse d'Agorastoclès ("Retire-toi") à la demande de Collybiscus confirme que la formule de congé a été employée de façon pertinente. Pourtant, comme nous le disions, une réponse
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contrastive est tout aussi acceptable, (cela est, à notre avis, ce qui fait le spécifique des questions dubitatives), comme il arrive dans : (15) Plaut. Amph. 544IU.: Numquid vis? AL.: Etiam: ut actutum advenias (Jupiter : "Tu ne veux plus rien ?" Alcmène : "Si, que tu reviennes au plus tôt", trad. Les Belles Lettres) où la réponse positive d'Alcmène, qui interprète la locution à la lettre, va dans le sens opposé à l'orientation de la question. 11 Etiam
du texte latin et "Si" de la traduction française sont des
réponses fortement polémiques. Dans le cas de l'ex. (13), ainsi que dans les ex. (14) et (15), le contexte joue un rôle décisif pour engendrer l'implication négative de la part du locuteur. Dans ( 13) il s'agit d'un lieu apparemment vide, alors que, pour ce qui concerne la formule de politesse de (14) et (15), l'implication relève de la disposition à s'en aller du requérant (cf. Bodelot, 1987). La négation non peut aussi introduire une "question dubitative" : (16)Plaut. Cas. 1007 LY.: Non irata's? CLE.: Non sum irata (Lysidame : "Tu n'est plus fâchée ?" Cléostrate: "Non", trad. Les Belles Lettres) Si l'on rapproche non introduisant une Q rhétorique (illum non defleam?, ex. (1), non loquor?, non vigilo?, ex.(5)) et non introduisant une question dubitative (ex. (16)), on peut vérifier que dans le premier cas non ne véhicule pas une négation sémantique, il agit en marqueur discursif d'argumentation, alors que dans le deuxième cas, non fait partie de la proposition sur laquelle porte l'interrogation. Dans la Q rhétorique, qui est emphatique, non oriente positivement la réponse (Q CONFIRM-OUI), dans la question dubitative, sans emphase, la présence d'une négation sémantique produit comme effet d'orienter négativement la réponse (Q CONFIRM-NON). Le locuteur de la première question (la question rhétorique) ne veut pas être démenti, alors que, dans la question dubitative, le locuteur, tout en souhaitant obtenir une confirmation négative, accepterait aussi une réponse allant dans le sens contraire de l'orientation. Il faut donc distinguer dans l'interrogation totale en latin deux non différents. Le premier, qui n'apparaît que dans les questions rhétoriques et qui connaît un emploi surtout émotionnel, dépourvu de valeur sémantique négative, sert fréquemment à exprimer une nuance d'indignation polémique. Le deuxième, c'est-à-dire le non à valeur sémantique négative pleine, qui nie le prédicat et qui admet théoriquement deux réponses possibles, apparaît dans les questions dubitatives. De la comparaison entre Q rhétoriques et une question dubitative, nous croyons pouvoir déduire ce schéma récapitulatif : A) Une Q CONFIRM-OUI est, en général, une Q rhétorique (cf. Borillo 1979). En latin une telle question peut être introduite par non, nonne, -ne. Elle a une force illocutoire assertive. Le degré d'adhésion du locuteur face à la vérité du contenu propositionnel de l'énoncé est le même
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que celui véhiculé, dans un énoncé à force assertive, par l'adverbe modalisateur profecto ("certainement"). B) Une Q CONFIRM-NON peut être une Q rhétorique ou bien une "question dubitative". En latin une telle Q rhétorique peut être introduite par num ou an (jamais par non). En revanche, une "question dubitative" peut être introduite par non, num. Elle possède une force illocutoire assertive, mais au niveau de l'énonciation, la force illocutoire interrogative est aussi jouée par le locuteur. Le degré du "commitment" du locuteur à la vérité du contenu propositionnel de l'énoncé peut, dans les cas des questions dubitatives, être comparé à celui véhiculé, dans un énoncé à force assertive, par l'adverbe modalisateur fartasse ("peut-être).
Notes 1.
Selon Ernout-Thomas (1964, 158) "An marque un doute, parfois très fort, et dans ce cas s'applique, comme num à une idée qu'on repousse". 2. Plus généralement, selon Hoff (1979, 110): "An sert en quelque sorte à coordonner à l'énoncé précédent une interrogation qui en est déduite". 3. Pour ce qui concerne la notion d' "exchange", cf. Sinclair & Coulthard (1975). 4. Selon Hoff (1979), non dans l'interrogation totale, présente un argument qui s'oppose au contexte précédent, ce qui le différencie de nonne , qui argumente dans le sens du contexte précédent. Si cela est vrai pour un contexte d'attaque polémique tel que Plaut. Capt. 139s. (l'ex. (1)), cette distinction nous semble pourtant difficile à appliquer à l'ex. (5), un passage tout aussi polémique. Dans ce cas, seul le premier emploi de non semble s'opposer au contexte précédent, alors que, dans les interrogations qui suivent, non et nonne alternent en série, ayant tous le même but argumentatif (à savoir, Sosie veut se rassurer sur sa propre identité). 5. Parfois, même dans le dialogue, -ne peut avoir la valeur de nonne , introduisant donc une question rhétorique Q CONFIRM OUI. Dans ce cas, le locuteur a des certitudes (il sait que p est vraie). La question a une intonation quasi-exclamative et n'admet pas de réponse contrastive, cf: i) Plaut. Bacch .561 s. MN. Misine ego ad te ex Epheso epistulam/ super arnica, ut mihi invenires? PI Fateor factum, et repperi (Mnésiloque: "Ne t'avais-je pas écrit d'Ephèse de me retrouver ma maîtresse ?" Pistoclère: "Oui, et c'est ce que j'ai fait", trad. Les Belles Lettres) ii) Plaut. Trin. 124-127 ME. Emistin de adolescente has aedes -quid taces?- / ubi nunc tute habitas? CA. Emi atque argentum dedi, / minas quadraginta, adulescenti ipsi in manum. ME. Dedistin argentum? CA. Factum, nequefacti piget. (Mégaronide: "N'as-tu pas acheté au jeune homme cette maison - tu gardes le silence? - dont tu fais maintenant ta propre habitation ?" Calliclès: "Je l'ai acheté, et j'ai remis l'argent, quarante mines, au jeune homme en mains propres" Mégaronide: "Tu as remis l'argent ?" Calliclès: "Parfaitement, et je ne le regrette pas", trad. Les Belles Lettres). En revanche, -ne ayant la valeur de num est plus rare en Plaute et Térence. 6. Dans le lexique Plautien de Lodge (p. 135), les emplois de la particule num , dans ces contextes, sont ainsi glosés: 'num' ad resposum negativum non spectare videtur, quaerentis est, ut certiorfiat. Cette interprétation tout en étant en accord avec la nature vérificative des questions que nous classons comme "dubitatives", ne souligne pas, à notre avis, le fait que le locut eur a des croyances orientées négativement. 7. Le terme "dubitative" est issu de Palmer (1986, 31) qui appelle "dubitative particles" les particules latines nonne, num, -ne. On aurait pu choisir d'appeler ces questions: "questions vérificatives" (par référence aux "checking tags" de Lyons (1977, 764)). Pourtant, en latin, ces questions ne sont pas syntaxiquement structurées comme des chevilles; en outre, on a préféré souligner, de cette façon, le doute orienté, qui, a notre avis, qualifie ces questions par rapport aux simples demandes d'information (non orientées) et aussi par rapport aux questions rhétoriques (ces dernières exprimant des certitudes). 8. En exemple d'une "non-open yes-no question" Lyons (1977, 768) propose: "The door is open, isn't it?", qui est une "checking tag" et qui peut être interprétée en attribuant au locuteur l'attitude : "I think that 'The door is open' is true: but I concede your right to say that it is not true". 9. En effet, comme le signale Kerbrat-Orecchioni (1986,90), "entre la vraie question ("Est-ce que P ou non P") et la vraie fausse question (fonctionnant en tous points comme une assertion), se rencontrent toutes sortes de questions "orientées", sollicitant avec plus ou moins d'insistence tel ou tel type de réponse".
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10. Généralement la réponse était: Valeas "Porte-toi bien" (cf. A. Ernout à Plaut. Amph. 544). 11. Num suivi d'une réponse positive est d'ailleurs fréquent en latin archaïque (cf. Shackleton-Bailey 1953). Chez Plaute, nous signalons d'autres cas d'interprétation littérale, cf. aussi : i) Plaut. Mil. 1086 MI. Numquid vis? PY. Ne magis sim pulcher quam sum (Milphidippa: "tu désires encore quelque chose ?" Pyrgopolinice: "Ne pas être plus beau que je ne suis", trad. P. Grimai) ; ii) Plaut. Mil. 1195 PL. Numquid aliud? PA. Haec ut memineris (Pleusiclès: "Rien d'autre ?" Palestrion: "Que tu n'oublies pas ce que je t'ai dit", trad. P.Grimal).
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en latin classique. Thèse de doctorat de 3ème cycle.
Kerbrat-Orecchioni, C. (1986), L'implicite, Paris, Ed. A. Colin. Lyons, J. (1977), Semantics, Cambridge, University Press. Orlandini A.-M. (1980), "Unius figurae crudelis eventus or on rhetorical questions", dans G. Calboli (ed.) Papers on Grammar I, Bologna, Clueb 1980,103-140. Orlandini, A.-M. (1993), Phénomènes de polarisation dans certaines complétives en latin, communication présentée au Vllème Colloque International de Linguistique Latine, Jérusalem 19-23 avril 1993. Palmer, F.-R. (1986), Mood and Modality, Cambridge, Cambridge University Press. Roulet, E. et al. (1987), L'articulation du discours en français contemporain, Bern, Peter Lang. Shackleton-Bailey, D.-R. (1953), Num in direct questions: a rule restated, Classical Quarterly 47,120-125. Sinclair, J.-M. & R.-M. Coulthard (1975), Towards an Analysis of Discourse, Oxford, University Press.
Sektion / Section IV Soziale und psychologische Aspekte - Sprachstörungen Social and Psychological Aspects - Speech Disorders Aspects sociaux et psychologiques Troubles de l'énonciation
Béatrice Cahour
Motivation cognitive des dialogues coopératifs
1. 2.
Dialogues coopératifs et cognition sociale Niveaux de motivation des dialogues : des buts cognitifs aux buts communicationnels 2.1. Des buts cognitifs généraux 2.2. Des buts cognitifs spécifiques (ou liés à la tâche) 2.3. Des buts communicationnels 3. Buts cognitifs et initiative du dialogue 3.1. Critère 1 : actes de langage et dépendance à l'autre 3.2. Critère 2 : changements de thèmes 3.3. Critère 3 : les buts cognitifs spécifiques à la tâche 3.4. Remarque sur la négociation de l'initiative 4. Conclusion Bibliographie
1. Dialogues coopératifs et cognition sociale Par dialogues "coopératifs", nous entendons des dialogues qui sont finalisés par une tâche, ce qui les distingue des conversations qui, si elles sont également finalisées, ne le sont pas par une tâche spécifiée mais peut-être par exemple par un plaisir à communiquer, ou par des contraintes sociales comme la convivialité de règle avec ses pairs. Ces dialogues "orientés-tâche" sont des interactions où les interlocuteurs ont à réaliser une tâche particulière ensemble, "co-opèrent", "oeuvrent ensemble", sans pour autant qu'ils partagent précisément le même but : "une action coopérative ne présuppose pas l'identité mais l'interdépendance des buts (dont l'identité n'est qu'un cas particulier). Chacun a son but mais chacun ne peut atteindre son but que si l'autre atteint le sien" (Bange 1992, 122). Vion (1992) parle dans ce sens de la "finalité interne" des conversations qui sont centrées sur la qualité du contact et de la "finalité externe" des dialogues de consultation, de vente, de travail, et débats qui sont eux orientés vers des actions, gains symboliques ou recherches de connaissances. Les dialogues coopératifs diffèrent donc des conversations de par cette tâche, cet "ouvrage" ("opus") à réaliser ensemble, qui entraîne d'ailleurs les interlocuteurs sur la voie de l'accord, de la négociation, du compromis ; ils se différencient à ce niveau de certains débats, où l'objectif majeur est la confrontation de points de vues sans pour autant avoir pour nécessaire aboutissement un quelconque accord (voir les débats politiques notamment, où l'esprit est davantage à la compétition et mise en valeur personnelle qu'à la recherche d'un compromis).
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Il reste à souligner cependant deux points qui nuancent les propos précédents : d'une part, la recherche d'accord, qui est une caractéristique essentielle de ces dialogues finalisés par une tâche commune, n'élimine pas pour autant le conflit et le désaccord ponctuels, qui engendrent alors un processus de négociation ; d'autre part, il est souvent délicat de catégoriser une interaction dans son ensemble comme relevant de la conversation plutôt que du dialogue coopératif, du débat ou d'un autre genre, car l'alternance des genres à l'intérieur d'une même interaction peut être forte : je peux ainsi parler de la pluie et du beau temps avec mon voisin puis passer à la recherche d'une solution à un problème commun de copropriété, de même que lors de dialogues de travail les parenthèses concernant des sujets extra-professionnels sont heureusement loin d'être exclues. Notre approche de ces dialogues coopératifs est d'orientation cognitive même si l'on peut reprocher aux sciences cognitives d'avoir trop isolé l'individu et son système de traitement de l'information. Ce cadre trop étroit est cependant en train de s'ouvrir et l'on voit naître de nouvelles perspectives s'intéressant à la "cognition sociale" ou "cognition située" (Resnick 1991), pour lesquelles le sujet pensant et le social qui l'inclue sont indissociablement intriqués et interagissent l'un sur l'autre ; Vion relève clairement cette interactivité et circularité entre ces deux pôles qu'on ne peut séparer : "Il convient de souligner que les sciences humaines semblent désormais travailler avec un sujet social, ou avec un individu socialisé, et n'opèrent donc plus à partir du sujet "psychologique" individuel. L'interaction constitue dès lors une dimension permanente de l'humain de sorte qu'un individu, une institution, une communauté, une culture, s'élaborent à travers une interactivité incessante qui, sans s'y limiter, implique l'ordre du langage" (1992, 19) Nous apercevons pour notre part deux aspects de cette circularité entre cognition et environnement social : • D'une part, l'acquisition des connaissances s'opère dans un contexte culturel déterminé, en interaction avec des êtres socialisés qui transmettent un héritage culturel important. Les connaissances et croyances, la vision du monde et les modes de pensée et d'action s'élaborent pour une large part au contact de ces autres individus marqués socialement ; Le fonctionnement cognitif (les représentations et les traitements) est donc déterminé socialement, il dépend d'une mémoire collective et ne se construit pas en dehors de son temps et de son lieu. Bruner (1983, 1991) a toujours défendu cette intégration du développement cognitif individuel dans son contexte culturel, notamment en réinsérant l'acquisition du langage dans son cadre social, contrairement à Piaget. Ce point nous amène naturellement à souligner l'importance des savoirs supposés partagés dans le processus de co-construction du sens lors d'un dialogue. Les travaux de Clark et de ses collègues montrent l'importance de ce qu'ils appellent le "common ground" dans l'établissement de la référence dans le dialogue (Clark & Shaefer 1989, Clark & Brennan 1991).
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• D'autre part, le contexte social immédiat fait partie intégrante de l'activité cognitive en cours, et l'on rejoint là l'idée soutenue par les tenants de la cognition située selon lesquels chaque acte cognitif est une réponse spécifique à un ensemble spécifique de circonstances, même s'il faut selon nous rester vigilant à ce que cela ne mène pas à l'effacement du sujet au profit démesuré de son milieu. Le contexte du dialogue est une notion qui nous semble essentielle et nous l'avons défini
(Cahour & Karsenty, à paraître) comme étant un ensemble de
représentations mentales qui sont construites de façon dynamique par les interlocuteurs au cours d'une interaction, à partir de la situation externe qu'ils perçoivent et à partir de leurs connaissances, croyances et autres caractéristiques émotives et sociales. Ces représentations sont sélectionnées en fonction de leur pertinence pour gérer le dialogue, c'est-à-dire pour interpréter ce que l'autre dit ou anticiper ce qu'il va comprendre de ce que l'on dit. Ces représentations mentales concernent la mémoire du dialogue et de la tâche, la situation spatio-temporelle, et la situation psycho-sociale, cette dernière incluant la représentation de l'interlocuteur (Cahour 1991, Cahour & Falzon 1991, Cahour 1992) et la représentation des rapports et enjeux sociaux. On a montré (Cahour & Karsenty, à paraître) comment l'illusion globale et courante de partager un même contexte avec l'interlocuteur, de penser avoir donc une image concordante de la situation en dehors de ce qui est explicitement communiqué verbalement, peut expliquer de nombreux dysfonctionnements de la communication. Cette définition du contexte de la communication est inspirée de Sperber & Wilson (1989) qui définissent le contexte comme étant "une construction psychologique, un sous-ensemble des hypothèses de l'auditeur sur le monde [...] Un contexte ne contient pas seulement de l'information sur l'environnement physique immédiat ou sur les énoncés précédents : des prévisions, des hypothèses scientifiques, des croyances religieuses, des souvenirs, des préjugés culturels, des suppositions sur l'état mental du locuteur sont susceptibles de jouer un rôle dans l'interprétation." (p.31). Le dialogue est un lieu où l'intrication du social et de l'individuel est évidente et elle est bien mise en évidence par Clark & Schaefer (1989) qui comparent un échange dialogué (ou plus précisément ce qu'ils appellent une "contribution") à l'activité que font deux personnes en train de se serrer la main; il décrivent cet acte comme étant constitué de : - L' acte collectif de A et B + L'acte individuel de A participatif de l'acte collectif (et non autonome) + L'acte individuel de B participatif de l'acte collectif. Chaque acte collectif est réalisé par des actes participatifs qui n'existent que comme partie de celui-ci, le dialogue étant une activité hautement coordonnée où le locuteur cherche à savoir si l'autre a entendu, compris et accepté, et où l'autre indique, verbalement ou pas, s'il est d'accord.
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C'est dans ce courant de la cognition sociale que l'on peut espérer trouver un cadre théorique satisfaisant lorsqu'on cherche à préciser les activités mentales des interlocuteurs engagés dans l'événement social qu'est un dialogue.
2. Niveaux de motivation des dialogues : des buts cognitifs aux buts communicationnels Dans une approche dynamique des dialogues, une question qu'on se pose alors est : qu'est-ce qui motive la communication, pourquoi tel interlocuteur choisit de produire tel ou tel acte de langage plutôt que tel autre ? Dans les dialogues orientés-tâche (ou coopératifs) qui nous intéressent ici, c'est la réalisation à plusieurs de la tâche en question. C'est avant tout pour ça qu'on est là, c'est pour ça qu'on communique. On cherchera donc à montrer comment les buts communicationnels peuvent être subordonnés à des buts cognitifs de réalisation commune d'une tâche ou à des buts plus généraux de compréhension ou d'action sur le monde. On distinguera en effet trois niveaux de motivations qui s'imbriquent : les buts cognitifs généraux, les buts cognitifs spécifiques et les buts communicationnels.
2.1 Des buts cognitifs généraux Nous en distinguons deux types : • Comprendre / apprendre, acquérir de nouvelles connaissances sur le monde, moi, autrui. C'est sur cette motivation cognitive que Sperber & Wilson s'arrêtent : "Il semble que la cognition humaine vise à améliorer la connaissance que l'individu a du monde" (1989, 78). Il s'agit d'un mouvement du monde vers moi, de l'adaptation de moi au monde par l'intégration de ce qui peut s'y passer. • Agir sur / transformer le monde et autrui ; le mouvement est alors de moi vers le monde et d'une recherche de transformation de l'extérieur, et non de mes propres croyances. "Les processus cognitifs sont faits de représentations et de traitements. Pour ce qui concerne l'information symbolique, les représentations sont des connaissances et des interprétations, les traitements sont des inférences et des jugements, orientés vers des activités de compréhension ou vers des décisions d'action" (souligné par nous, Richard & al 1990, 11) ; Richard distingue six fonctions des activités mentales que nous regrouperons en trois catégories: - pour comprendre : conserver les connaissances et croyances et construire de nouvelles connaissances ; - pour agir : élaborer des décisions d'actions et réguler/contrôler l'activité;
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- à la fois pour comprendre et pour agir : produire des inférences et construire des représentations transitoires. Bange (1992) souligne la limite de Sperber & Wilson qui ne considèrent la cognition que comme visant à l'adaptation de l'individu au monde et négligent ce versant essentiel de l'action. On peut retrouver aussi ces deux points essentiels dans les derniers écrits de Bruner (1991) quand il défend une "psychologie culturelle" qui se doit d'étudier la construction de la signification (le comprendre ?) et l'action située socialement (l'agir ?). D'une part, "le concept fondamental de la psychologie est la signification, ainsi que les processus et les transactions qui concourent à sa construction" (Bruner 1991, 47) et, d'autre part, "une psychologie culturelle ne s'intéresse pas au comportement mais à l'action, sa contrepartie fondée sur l'intentionalité ou, plus précisément, à l'action située" (Bruner 1991, 34). Lors de dialogues coopératifs, ces buts généraux sont à définir en termes plus interactifs puisqu'il s'agit à la fois de comprendre et d'agir ensemble sur un état du monde existant, de façon coordonnée. Les interlocuteurs ont alors à "co-opérer" pour trouver des solutions conjointement, et pour ce faire il leur faut gérer des problèmes d'inter-compréhension. Karsenty (1994) a montré l'importance du contexte pour la gestion de l'intercompréhension dans des dialogues de conception. La compréhension se situe ici à deux niveaux: comprendre ensemble le problème posé (niveau du problème ou de la tâche) et se comprendre mutuellement (niveau de la communication). Bange distingue l'aspect instrumental (ou finalisé) de l'action qui renvoie à la réalisation d'une fin poursuivie comme la résolution d'un problème, et à l'aspect relationnel (ou rituel ou cérémoniel) consistant à préserver les faces et faciliter la coopération. Les buts cognitifs se situent au niveau de l'aspect instrumental. On peut se demander si ces deux buts cognitifs généraux, comprendre et agir, se retrouvent dans les conversations non-finalisées par une tâche; il semble que, si l'on ne retrouve pas la compréhension et l'action portant sur un problème commun, on retrouve la recherche de la compréhension/connaissance de l'autre et l'action sur l'autre, sans doute plus accentuée que lors des dialogues coopératifs où la tâche accapare une partie de l'attention des interlocuteurs ; les relations sociales et identitaires sont des buts très prégnants des conversations. Elles sont certes également importantes dans les dialogues coopératifs et l'on a pu constater comment des experts au cours de dialogues de consultation élaborent une représentation de leur interlocuteur (Cahour 1991).
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2.2 Des buts cognitifs spécifiques (ou liés à la tâche) Les buts plus spécifiquement liés à la tâche en cours sont de niveaux d'abstraction variables: des buts de haut niveau qui correspondent au type de tâche (résoudre un problème de diagnostic, de conception, trouver un renseignement, etc) à des buts de niveau inférieur, plus précis et correspondant à des sous-tâches (connaître les données du problème, trouver une solution, évaluer les propositions, etc). Les dialogues coopératifs possèdent une certaine structure, mais ce degré de structuration est très variable d'une situation à l'autre, selon le type de problème traité et selon les interactants. Nous ne sommes pas aussi optimiste que Bange (1992) quant à la possibilité de décrire la structuration hiérarchique-séquentielle d'une interaction guidée par le but à atteindre. D'une part, parce que tous les types de problèmes ne sont pas représentables hiérarchiquement, les tâches de conception semblent notamment correspondre davantage à de la gestion de contraintes qu'à une planification hiérachique de buts (Darses 1994) ; même dans les cas de tâches plus structurées tel que le diagnostic ou la recherche d'information, l'interaction entre plusieurs participants a tendance à déstructurer le cours de l'activité. C'est pourquoi on a généralement des difficultés pour trouver des phases claires de la tâche, de type I o Ils établissent les données du pb, 2° Ils cherchent les solutions, 3° Ils évaluent les différentes solutions... Plutôt qu'un plan d'actions hiérarchique, les interlocuteurs auraient à l'esprit des contraintes ou un plan qu'ils vont suivre de façon opportuniste, des rôles pour solutionner le problème, mais constamment négociables. D'autre part, parce que les interactants vont influer sur le degré de structuration de l'interaction, selon que leurs rôles sont plus ou moins symétriques ou complémentaires. Ainsi, dans les dialogues où la compétence des deux interlocuteurs est très inégale (l'interaction tuteurapprenant par exemple) les rôles sont souvent plus figés, plus stéréotypés et l'interaction s'en trouve avoir une structure plus régulière (quoique la personne moins compétente puisse très bien poser des questions et dévier ainsi le cours du dialogue tel que contrôlé par l'expert). Par contre lorsque les deux interlocuteurs sont de compétence comparable, la structure de l'interaction et de la résolution du problème est plus fluctuante, plus imprévisible, parce qu'ils négocient sans cesse les rôles (on peut ici imaginer deux chercheurs écrivant un article ensemble...). Bange dit très bien ce "caractère à la fois schématique et émergent de l'interaction: un schéma la sous-tend, la guide vers son but comme dans un chenal en restreignant le champ des possibles. Mais le seul schéma ne peut rendre compte du déroulement : la conversation fait des embardées, certains de ses éléments n'appartiennent qu'à cette situation et à ces individus. Le schéma ne fixe que des contraintes dans le cadre desquelles les partenaires agissent en tant que personnes singulières" (1992, 167)
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2.3 Des buts communicationnels Les buts communicationnels, qui se traduisent notamment par le choix de tel ou tel acte de langage, peuvent découler : - des buts cognitifs : agir ensemble, comprendre le problème et se comprendre, ou connaître les données du problème, construire une solution, évaluer les propositions... c'est-à-dire l'aspect instrumental ou finalisé de la communication selon Bange. Une demande d'information peut ainsi être motivée par l'intégration aux connaissances ou croyances (s'il manque une justification pour évaluer le bien-fondé d'une proposition ou une information pour résoudre un aspect du problème) ou par une action (s'il manque un prérequis pour réaliser la tâche); l'assertion d'une information peut être motivée en retour par la compréhension du problème ou par l'action. - de l'aspect relationnel / rituel au sens de Goffman qui met en jeu les images sociales de chacun et qui complète le tableau cognitif présenté ici. Je vais ainsi par exemple prier l'autre d'évaluer ma proposition pour le conforter dans son rôle de pair, ou critiquer ses propositions pour me mettre en position haute. On notera que la gestion de l'intercompréhension se situe quelque part "entre" ou "au-delà de" l'aspect instrumental et l'aspect relationnel, même si on tendrait à la considérer davantage comme le moyen incontournable de réaliser ensemble une tâche, et par là comme un processus finalisé par la tâche plus que par la relation. Mais il n'y a pas non plus respect de l'image de l'autre sans souci de le comprendre, et l'on aperçoit là combien ces deux types de visées (cognitive d'une part et relationelle/sociale de l'autre) sont une fois de plus indivisibles (surtout lors d'une situation d'interaction où les deux sont si étroitement imbriqués), et qu'elles concourent davantage à un va-et-vient constant de l'une à l'autre. On trouve peu de théorie concernant ce qui motive les actes de langage dans les modèles conversationnels où soit la structure hiérarchique des conversations est dégagée a posteriori, lorsqu'on dispose d'une visée d'ensemble des dialogues, soit les réactions sont analysées au regard de ce qui les précède. Sperber & Wilson (1989), qui ont une approche plus cognitive de la communication, considèrent eux que c'est le principe de pertinence, défini relativement aux effets contextuels et aux efforts engendrés pour l'interprétation (une information est d'autant plus pertinente qu'elle engendre plus d'effets et moins d'effort quand on cherche à l'interpréter), qui est à la base de la communication. Cette définition de la pertinence nous semble cependant orientée vers l'interpréteur du discours plus que vers ce qui peut motiver le producteur du discours. Or il nous semble intéressant de mettre en évidence également ce qui motive le producteur et la façon dont ses associations d'intentions ou d'idées sont liées : - soit à la structure du problème traité, - soit aux connaissances générales des interlocuteurs (les scripts et schémas qu'ils ont stockés en mémoire à long terme et qui peuvent aussi bien concerner des rituels sociaux que des objets du monde),
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- soit à leur structure affective personnelle (susceptibilités, intérêts...) ; mais on sort là de la sphère cognitive pour rentrer dans une sphère affective qui est, au même titre que la sphère du social, sans doute trop arbitrairement séparée du fonctionnement cognitif. Pour en rester aux buts cognitifs qui motivent les actes de langage, nous illustrerons ce phénomène par l'exemple suivant: il s'agit d'un dialogue téléphonique d'aide au diagnostic d'une station d'épuration de l'eau entre un expert se trouvant dans un centre de recherche et un responsable de station d'épuration qui l'appelle, parce qu'il a un problème sur sa station ; l'extrait commence au 45ème tour de parole du dialogue (Le corpus est présenté dans Cahour & Darses 1993). 45 appelant - est-ce qu'elles crèvent [les néocardiasJ si je les mets en aérobie ? parce que j'ai presque envie de les mettre en aérobie hein 46 expert - comment tu vas faire pour les mettre en aérobie ? Al appelant - laisser les turbines toute une nuit 48 expert - oh non, elles vont pas être en aérobie, elles vont être en surface, oh non ça suffira pas, et puis tu vas flinguer le reste hein, non non fais pas ça. On a ici l'exemple d'un acte de langage (une demande d'information complémentaire en 46) qui est motivé par un but cognitif d'évaluation de la solution proposée par l'appelant (mettre les néocardias en aérobie en 45), évaluation demandée directement par l'appelant ("est-ce qu'elles crèvent si je...") ; l'expert doit connaître le moyen de mise en oeuvre imaginé par l'appelant (47) pour pouvoir évaluer sa proposition, ce qu'il fait en 48 "oh non non c'est tout faux". La demande d'information en 46 est bien motivée par un sous-but lié au problème (connaître le moyen), luimême motivé par le but d'évaluer la solution suggérée par l'appelant, ce but étant commun aux deux interlocuteurs puisque c'est l'appelant qui l'exprime en premier. Or ce but d'évaluer si mettre les néocardias en aérobie est une bonne idée contribue au but commun que poursuivent ensemble les deux interlocuteurs, à savoir trouver une solution au problème rencontré par le responsable de station.
3. Buts cognitifs et initiative du dialogue Nous souhaitons maintenant illustrer l'importance des buts cognitifs dans les dialogues orientéstâche à travers la notion d'initiative. La répartition de l'initiative dans le dialogue est un phénomène qui nous intéresse dans la mesure où il permet de rendre compte d'une certaine dynamique de l'interaction et des rôles coopératifs qui sont attribués, conquis ou négociés au cours des situations de travail collectif. Mais comment définir et repérer dans le dialogue la répartition de l'initiative? la question n'est pas simple et nous prendrons comme point de départ la réflexion de Kerbrat-Orecchioni sur la notion de taxème (ou place interactionnelle), qu'elle
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définit comme étant des "faits sémiotiques (...) à considérer à la fois comme des indicateurs de place (...) et des donneurs de place". Ils font que les interlocuteurs se trouvent en "position" plus ou moins haute pendant l'interaction par rapport à l'autre interlocuteur. Kerbrat-Orecchioni (1987, 1988) a recensé des taxèmes verbaux se localisant au niveau de : - La forme de l'interaction : le fait d'imposer sa langue, le style de l'échange, ses règles... - La structuration de l'interaction : l'organisation des tours de parole, soit qui parle le plus ?, qui interrompt ?, qui ouvre et clôt les séquences ? - Le contenu sémantique : qui choisit les thèmes et le lexique ?; qui s'oppose ou se rallie ? - Le contenu pragmatique : un acte de langage qui constitue une menace pour la face du destinataire est indice de position haute, tandis qu'un acte de langage qui menace la face du producteur est indice de position basse. Nous verrons comment, en plus de tous ces indices, d'autres sont liés aux buts cognitifs liés à la tâche. Ils sont de l'ordre de la sémantique de la tâche et déterminent aussi les places interactionnelles, du moins dans un dialogue coopératif. Nous retiendrons pour l'instant deux critères parmi ceux de Kerbrat-Orecchioni, que nous reformulons : actes de langage et dépendance à l'autre, et changements de thèmes.
3.1 Critère 1 : actes de langage et dépendance à l'autre Un acte de langage dénote une prise d'initiative plus ou moins grande selon qu'il est plus ou moins menaçant pour chacun des interlocuteurs. Nous pouvons expliquer la menace introduite par la dépendance engendrée par l'acte de langage par rapport aux connaissances, intentions et jugements de l'autre; une question (ou demande d'information), même si elle contraint l'autre à répondre, sera selon cette définition plus menaçante qu'une assertion (ou information), car elle indique une dépendance aux connaissances et jugements de l'autre qui n'existe pas dans l'assertion. De la même façon un directif mettant l'autre en position de dépendre de notre intention véhicule davantage d'initiative que l'assertion.
3.2 Critère 2 : changements de thèmes L'introduction d'un nouveau thème révèle une prise d'initiative, l'interlocuteur se permettant de changer l'objet de la discussion. La délimitation d'un nouveau thème est certes problématique, vu que dans un dialogue rien n'est jamais sans aucun rapport (surtout dans un dialogue orientétâche) et qu'un thème dit nouveau est en fait toujours plus ou moins déterminé par ce qui précède. On considérera ici qu'un échange, lorsqu'il est enchâssé, n'introduit pas de nouveau thème, tandis qu'il en introduit s'il n'est pas enchâssé. Si cela ne fait que déplacer le problème de
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la limite du changement de thème à la limite de l'enchâssement, on peut quand même définir plus aisément des types d'échanges enchâssés; on en distinguera deux : - Les demandes de clarification, c'est-à-dire des demandes d'information enchâssées, qui peuvent être des demandes de développement, de précision, d'évaluation, etc, portant sur un point présenté antérieurement dans le dialogue. On distingue les demandes de confirmation, les questions fermées et les questions ouvertes, les dernières impliquant une dépendance aux connaissances de l'interlocuteur supérieure aux précédentes car contraignant moins sa réponse et lui laissant plus de possibilités ouvertes. - Les commentaires, c'est-à-dire des informations enchâssées, qui peuvent correspondre soit à des évaluations négatives indiquant un désaccord ou des corrections, soit à des évaluations mitigées de type "oui mais...", soit à des évaluations positives, développements, précisions. Si l'on conserve le critère de dépendance par rapport aux connaissances et jugement de l'autre, on peut dire que les évaluations négatives feront généralement preuve de davantage d'initiative que les évaluations mitigées et que les évaluations positives (quoique l'évaluation positive puisse indiquer une très forte initiative lorsque les rôles sociaux ne la prévoient pas, si par exemple un subalterne se permet de féliciter son supérieur). Je peux décrire mes échanges dans les termes suivants: l'interlocuteur a généralement une initiative décroissante quand il initie un échange de type: - Directif + action - Information (+ régulateur) - Demande d'information + réponse demande de confirmation > question fermée > question ouverte - Commentaire (= information enchâssée) commentaire négatif > mitigé > positif - Demande de clarification (= demande d'information enchâssée) NB: Pour ce qui est des actes de langage indirects, l'initiative dépend à la fois de celle que s'autorise le locuteur et de celle que l'interlocuteur veut bien accepter. Il faut là prendre en compte dans l'échange aussi bien l'acte produit que la réaction de l'interlocuteur à cet acte. Si je dis "peux-tu éteindre la radio ?" et que l'on me répond "oui je pourrais" sans pour autant bouger, ma prise d'initiative est largement remise en cause. Dans tous les cas on a donc la réaction de l'interlocuteur qui indique l'acceptation ou le rejet de l'initiative prise. Cette catégorisation reste bien sûr trop figée et de nombreux autres indices peuvent la modifier. Kerbrat-Orecchioni (1988) souligne bien cette complexité, ce foisonnement des indices taxémiques et le fait que la valeur taxémique d'un acte de langage varie en fonction du contexte. Il est donc très délicat de trouver une hiérarchie systématique des types d'échanges. Notre propos ici n'est pas tant de trouver une définition et des indices définitifs de l'initiative, mais de mettre en évidence comment, en analysant des dialogues coopératifs, on est confronté à l'insuffisance de ces critères et à la nécessité de prendre aussi en compte pour définir l'initiative de l'interaction un troisième critère: les buts cognitifs.
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3.3 Critère 3 : les buts cognitifs spécifiques à la tâche On verra à partir d'un exemple comment, pour repérer l'initiative dans le dialogue, il faut prendre en compte également les buts cognitifs spécifiques, liés à la tâche ou au problème à résoudre. La catégorisation des types d'échanges selon les deux premiers critères doit également intégrer le fait que ces échanges portent sur : - une connaissance du domaine, - ou un élément de solution, - ou les données du problème, - ou une information concernant le dialogue, - etc. En effet, l'initiative prise par celui qui pose une question est moindre s'il s'agit d'une question sur la solution que s'il s'agit d'une question sur les données du problème, car elle attribue un niveau de compétence supérieur à l'interlocuteur. Trouver une solution est le fait d'un expert, ce qui n'est pas le cas de connaître les données d'une situation. De même, expliquer un objet du domaine en question requiert un niveau de compétence supérieur que donner une information concernant la gestion du dialogue. Les deux exemples suivants illustrent cette importance des buts cognitifs dans les dialogues coopératifs. Extrait 1 Il s'agit de dialogues d'aide à la conception de réseaux informatiques réalisés par l'intermédiaire d'ordinateurs entre un expert et des personnes de compétence variable ; ce sont donc des dialogues écrits et l'expert est là pour aider les "clients" à concevoir leur réseau (détails du corpus dans Cahour 1991). 12 expert : Avez-vous déjà une première idée de solution pour le réseau à réaliser? 13 "client" : Je pensais avoir un (ou plusieurs) segments de cable coaxial pour, utiliser un ou plusieurs segments de cable coaxial, pour faire un réseau Ethernet 14 expert : Avez-vous une idée du type de cable coax à utiliser; où pourrait-on l'installer? 15 "client" : A priori, le cable fin pourrait convenir, mais il faudrait au moins deux segments compte tenu de la taille du bâtiment. Par contre, si on utilise le cable standard, un seul segment serait suffisant 16 expert : Vous avez raison, disons qu'il faudrait même trois segments thin ethernet. Où placeriez-vous les cables, car ceci peut avoir de l'importance quant au choix du médium?
demande d'info, ouverte (sur solution) réponse (sur solution) 2 demandes de clarification (sur solution) réponse (sur solution) commentaire positif/mitigé + demande de clarification avec justification (sur solution)
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Dans cet extrait, l'expert pose des questions ou des demandes de clarification et le "client" répond, lui apportant les informations dont il manque. L'expert prend donc l'initiative de questionner mais s'en remet en même temps dans une certaine mesure aux connaissances et jugements de son interlocuteur. En 16 il reprend un rôle plus traditionnellement dévolu à un expert en évaluant la proposition du client et en la rectifiant '"il faudrait même trois segments...". Comparons maintenant cet extrait avec l'extrait suivant. Extrait 2 Tiré du même corpus que l'exemple présenté au §2.3, il s'agit d'un dialogue téléphonique d'aide au diagnostic d'une station d'épuration de l'eau entre un expert se trouvant dans un centre de recherche et un responsable de station d'épuration (Corpus présenté dans Cahour & Darses 1993). : en DCO , 749. En sulfate, 753. En cyanure, 0, 020 6 appelant milligramme/litre. L'embêtant, c'est l'azote : c'est pour ça que j'appelle, c'est 360mg/l. Et le truc que je connais pas, je sais pas ce que c'est, indice phénol 21. Alors qd tu penses que ma seconde question va considérer les mousses de mon bassin d'aération/ 7 expert : Alors attends, ça, c'est de l'eau de puits qu'ils veulent te renvoyer dans le réseau ? 8 appelant : c'est de l'eau qui a été polluée par des décharges et ils veulent me l'envoyer à la station 9 expert : Tu as le débit ? 10 appelant : y a 300 m3, mais je leur ai dit que je les prendrai deux camions par deux camions et si jamais ça pouvait se faire, ce serait un ou deux, donc de 10 à 20 m3 par jour, pas plus, et au total, ça fera 300 m3 11 expert : Bon, t'as regardé au niveau charge ce que ça donnait ?
Informations (sur données du problème)
demande de clarification (sur données) réponse (sur données) demande de clarification (sur données) réponse
demande d'info, (sur données)
A partir de l'intervention 7, l'expert pose des questions et le client répond; on retrouve donc la même structure que dans l'extrait précédent; la répartition de l'initiative semble, pour ce qui est des deux premiers critères définis ci-dessus, assez similaire. Cependant une différence notable apparaît lorsqu'on regarde ce qui ce passe dans ces deux extraits au niveau du problème posé. Certes dans les deux cas l'expert pose des questions et son interlocuteurs lui répond mais les rôles sont pourtant bien différenciés car dans l'extrait 1 l'expert questionne sur la solution, dotant ainsi l'autre de la capacité à solutionner son problème, tandis que dans l'extrait 2 il questionne sur les données du problème, dotant l'autre de la capacité déjà plus abordable par tout un chacun à établir un constat de la situation: moins de compétence est requise pour recueillir et transmettre les données d'un problème que le résoudre. Ce qui distingue ces deux extraits de dialogues au niveau de la répartition de l'initiative c'est bien que les buts cognitifs liés à la tâche ne sont pas les mêmes: dans un cas les interlocuteurs cherchent à dégager une solution au problème et dans l'autre ils cherchent à établir les données du problème, or ces différents buts
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n'ont pas le même statut dans la résolution du problème et par rapport à l'expertise qu'ils impliquent. 3.4 Remarque sur la négociation de l'initiative La répartition de l'initiative est complexe à repérer, et les exemples donnés précédemment nous semblent trop simples pour donner une vision exacte de la complexité du phénomène. C'est pourquoi nous terminerons par un extrait qui met bien en valeur cette idée que l'initiative ne fait pas que "se prendre" ou "se donner" mais est bien un lieu de négociation constant. Extrait 3 Même corpus que l'extrait 2. 19 appelant : et ça, je peux les monter en digestion? ...(silence)... question à 1000 balles là.... 20 expert : monter en digestion?... pouf j'en sais rien... sur le flottateur? ... 21 appelant : le faire passer sur le flottateur quoi 22 expert: : ouais dans le flottateur...bof c'est à essayer, j'sais pas , ça va pas faire grand chose hein ; si t'es emmerdé vaut mieux faire ça ouais...ça va pas ... il est costaud ton digesteur quand même, c'est pas parce que tu vas y mettre 10 mètres cubes de boue q u e -
Voilà un exemple où l'appelant demande à l'expert des informations sur la validité d'une solution (donc offre à l'expert la place de celui qui sait); mais l'expert semble hésiter beaucoup à prendre cette place ("pouf j'en sais rien...bof, c'est à essayer, j'sais pas"). On voit bien ici comment effectivement les places se négocient constamment entre les deux interlocuteurs et qu'il ne s'agit pas simplement de donner l'initiative à l'autre pour qu'il la prenne ou de se l'approprier pour que l'autre accepte cette prise de contrôle de l'interaction. L'initiative se négocie, elle est distribuée par les deux interlocuteurs simultanément.
4. Conclusion Un intérêt pour les questions de cognition sociale qui sont en jeu dans les dialogues coopératifs nous a amené à constater que les buts communicationnels sont fréquemment motivés par des buts cognitifs spécifiques à la tâche en cours, et, au-delà, par des buts cognitifs généraux tels que comprendre le monde et agir sur le monde. L'étude de la répartition de l'initiative dans le dialogue montre également comment les buts spécifiques à la tâche doivent être pris en considération pour définir qui a le contrôle du dialogue. A partir de ces notions de buts cognitifs et d'initiative du dialogue, on aimerait pouvoir développer la notion de rôles coopératifs dans des situations de travail collectif, un peu dans le
Béatrice Cahour
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sens de Darses & Falzon (1992).quand ils cherchent à préciser les processus de coopération dans les dialogues d'assistance, mais en se focalisant plus sur le fonctionnement de l'interaction que sur le processus de résolution du problème.
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Florence Casolari
Les interactions transactionnelles à la poste
De l'impersonnel à l'interpersonnel 1. Les cas à dominante coopérative 1. 1 Aboutis "chaleureux" 1.2 Aboutis "impersonnels" 2. Les cas à dominante compétitive 2. 1 Aboutis 2. 2 Non-aboutis par défaillance de la poste 2. 3 Non-aboutis pour illégitimité de la requête Conclusion Bibliographie
Les transactions ou "interactions de service", utilitaires, institutionnelles, fortement ritualisées, ont souvent été décrites comme impersonnelles, peu impliquantes, puisque se déroulant entre deux acteurs dont l'un est payé pour recevoir les demandes de l'autre (cf. De Salens 1988). Leur contrat de parole -constitué par l'ensemble des contraintes codifiant les pratiques sociolangagières, Charaudeau 1983-, limité, notamment par la sous-catégorisation des guichets, de caractère fermé, marque jusqu'aux formes de prise de contact et de politesse, parfois unilatérales, qui y émergent. Les thèmes qui y sont abordés, non privés, imposés, en ferait d'autre part un échange ou le système de places est prédéterminé et restreint, les interactants se tenant à leurs places uniques et respectives d'employé/clients dont on traite les cas de façon égale. Les participants ne s'y rencontreraient pas, le papier ou les renseignements se substituant à l'idée de "participation" et la rencontre ayant plus d'effets "automatiques" que communicatifs et liés à la rétroaction (cf. De Salens 1988). Notre but a été d'observer si cette conception se vérifie en situation naturelle en appliquant la typologie et la démarche analytique de Vion (1992) à un corpus enregistré, en observation participante et à l'insu de la clientèle, de 280 transactions (de 1 à 13 mn), aux guichets de colis et CCP du bureau de poste d'un quartier populaire Aixois (le second de la ville en importance). Notre démarche consiste à établir une typologie des cas possibles dans cette situation, en décrivant et analysant les composantes, les unités structurelles, le type de relation propre à chacun d'eux, puisqu'on peut souligner à la suite de Vion (1992, 134) que si la transaction est une interaction complémentaire, se développant à partir d'un rapport de places "inégalitaire" avec une position "haute" corrélée à une "basse": "... c'est avec la transaction que la complémentarité des places peut le moins facilement s'exprimer."
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Si l'employé renvoi son interlocuteur à la place corrélative de client, on peut effectivement noter dans notre corpus une grande variabilité de ces positions haute/basse et nous nous efforcerons donc de définir, dans un premier temps, le système de places initial, décisif puisqu'il permet à l'interactant de construire sa réponse et de définir conjointement la relation ultérieure, si rien ne s'oppose à ce qu'elle se modifie par la suite. Nous tenterons également de définir, au travers des activités discursives des différents protagonistes, les stratégies qu'ils mettent en oeuvre pour parvenir à leurs fins, surdéterminées par le contrat de parole mais leur laissant cependant une marge de manoeuvre, comme le souligne Charaudeau (1984).
De l'impersonnel à l'interpersonnel Les nombreux cas payants (170) de notre corpus, côtoient cependant un nombre important de cas "gratuits" (110), inhabituels dans ce cadre, hormis pour une partie des justificatifs d'état-civil obligatoires délivrés par la mairie. L'identité est d'ailleurs primordiale dans ce type d'interaction, le courrier étant un élément privé, impliquant, donc protégé au niveau juridique. Recevoir un courrier est un droit fondamental consacré par sa gratuité et empreint d'une charge sociale et affective non négligeable. Tout manquement à ce droit est mal vécu et donne lieu à des réclamations (C: vous avez donné un recommandé qui m'était destiné à mon ex-mari alors EUH:::! I(L) Y A UN PROBLEME LA::!). On peut dégager de ces transactions une forme standard ou canonique en cinq moments :
demande
1. Question ou salutations du guichetier 2. Salutation de l'usager et/ou demande de service 3. Déclaration du prix, demande de pièce ou question visant à la clarification de la 4. Échange d'argent et/ou d'objet 5. remerciements, clôture.
L'employé y occupe la plupart du temps de parole en initiant le début et la fin de l'interaction (OUI7/ALORS::!) et en posant quelques questions si tout se passe bien. En cas de problème, c'est le client qui monopolise par contre le temps de parole pour expliciter son cas, parfois sollicité par l'employé. Cette structure peut comprendre les questions relevées par Grosjean (1991) dans les prestations de service du métro parisien, soit des questions, liées à la fonction vente et visant à la clarification de la demande de l'usager ("vous l'envoyez en ordinaire ou en colissimo ?"), liées à la fonction information et relatives au prix ou a une démarche à suivre ("je met l'adresse au dos ?") ou au malentendu (comment ? quoi ?), ou encore, à la fonction de contrôle, c'est-à-dire à la vérification du "travail" de l'autre, toujours menaçante pour la face (E: 7 francs C: 7 francs ? E: non six vingt C: ça dépassait les 100 grammes ? E: oui Oh::/oui c'est:/ C: non non ça va+
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c'est pas grave E: elle fait 92 grammes C: normalement ça devrait être 4 francs alors! E: NON 4 francs c'est jusqu'à 5 0 C: Ah oui d'accord al/ça va/ Merci=au revoir). Cette forme standard varie si les cas sont aboutis et le service rendu (86%), ou non-aboutis ( 1 4 % ) , mais aussi en fonction de l'orientation dominante coopérative ou compétitive qui en découle et dans laquelle se déroule la transaction, avec une graduation de l'amical au conflictuel via l'impersonnel, soit cinq types de cas, dans une dominante coopérative (53%), les cas aboutis "chaleureux" (29 cas) et impersonnels (121), dans une dominante compétitive ( 4 7 % ) , les cas aboutis avec difficulté (91), non-aboutis par défaillance de la poste (28) ou pour "illégitimité" de la requête du client (14). Leur structure de communication est souvent plus large que le vis-à-vis client/employé, le public en constituant le troisième partenaire dans une grande variété de séquences interactives ( notamment trilogues ou polylogues) entre clients et employés autres que ceux en interface directe pour la transaction. Toutes nos transactions se passent au moins devant des témoins silencieux (employés ou clients), mais pouvant modifier positivement ou négativement les dispositions psychologiques des interlocuteurs et conditionner la variante du discours utilisé (cf. Andre-Larochebouvy
1984). L e médiateur, empêchant deux interlocuteurs
antagonistes
d'engager un conflit ouvert, y est souvent présent, le tertius Gaudens, faisant tourner à son avantage les dissensions entre les deux autres, ou le provocateur, attisant le conflit, n'intervenant évidemment pas, puisque cela équivaudrait à retarder l'issue de la transaction. Au niveau structurel, diverses unités traversent tous ces cas, des échanges minimaux, par exemple, fragments interactifs rudimentaires constituant une interaction ultra-brève (Vion 1992, 165) délimités a une ou deux interventions (plus grande unité monologuale de l'interaction) d'un des deux protagonistes, du type stimulus-réponse. Ils peuvent être dominants, non-connectés à la transaction en cours et consister en courtes salutations entre un employé et un client se connaissant mais non destinés à être en interface pour la transaction (ex: E: AH! bonjour Monsieur Ramirez + ça va ? C: oui merci E: et votre dame ? C: ça va ça va merci !), ou dominés, c'est-à-dire subordonnés à la transaction, en cas d'interruption d'une transaction par un autre client pour des préliminaires (C: j e peux avoir un formulaire pour un recommandé s'il-vous-plaît ? C: Voilà -ou action non-verbalisée-), ou de demande de renseignement préalable à la transaction qui va s'effectuer (C: pour les timbres + i(l) faut attendre là ? E: oui). En l'absence de l'employé, parti chercher un paquet, le client peut également interpeller un autre employé en cas de nécessité (C: j e peux avoir un autre imprimé s'il-vous-plaît ? j'avais mis le prénom avant le nom! faut l(e) faire! ) et plusieurs employés peuvent aussi participer à la transaction pour de brefs épisodes explicatifs ou redondants avec ceux de l'employé initial (E2: non non non! on peut pas le prendre), de même que de courts échanges collaboratifs peuvent se dérouler entre clients (C2: Monsieur! vous avez oublié votre monnaie !).
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Des séquences latérales dominées, unités fonctionnelles, subordonnées au cadre de la transaction, permettant de résoudre un problème (ajustements, explications complémentaires, cf. Vion 1992, 150) sont également fréquentes dans tous les cas. Elles sont constituées de demande de renseignements ou de divers commentaires entre clients ou employés (non c'est chiant pasque ça s'arrête pas tu sais!) ou de séquences explicatives (non pacque des fois i(las) disent "quizont" reçus une enveloppe vide tu sais! alors si on l'envoie comme ça!...). Toutes ces unités, ne se déroulent jamais avec un interlocuteur improbable (inconnu qui a toutes les chances de le rester), mais plutôt, d'après les quatre types dégagés par AndreLarochebouvy (1984), pour les employés, entre interlocuteurs légitimes (collègues de travail, relations, clients) ou autorisés (receveur, investi de fonctions sociales reconnues), et pour les clients, entre interlocuteurs de plein droit (proche accompagnant le client), légitimes (employé en interface pour la transaction), ou autorisés (un/des autre(s) client(s) de la file d'attente ou employé(s), a qui on adresse exceptionnellement la parole). Comme le rappelle Goffman (1987), le fait que les interlocuteurs soient "ratifiés" par les participants, tenus de s'engager dans la conversation où ils ont une place officielle, ou "nonratifiés", auditeurs involontaires dont la politesse exige qu'ils coopèrent, influe de manière importante sur les statuts participationnels des interlocuteurs. Au vue de notre corpus, des témoins initialement "non-ratifiés" semblent cependant
susceptibles de le devenir et nous
essayerons de définir de quelle(s) manière(s).
1. Les cas à dominante coopérative Si dans toutes nos transactions on retrouve la forme standard décrite plus haut, il peut cependant s'y greffer d'autres événements conversationnels qui lui sont plus ou moins extérieurs et il peut s'y passer autre chose. Au niveau structurel, c'est, par exemple, uniquement dans la dominante coopérative, qu'on va relever des modules de conversation. Ils correspondent, selon la définition de Vion (1992, 150), à un des types recensés dans la typologie usuelle (conversation, débat, etc...) mais sont subordonnés au rapport de place dominant établi sur un autre type, qui est ici celui de la transaction. Certaines séquences parallèles dominantes, échanges non-minimaux à unité thématique, extérieures à la transaction et pouvant mettre en présence plus de deux intervenants, peuvent aussi se retrouver enchâssés dans ces cas sous forme d'apartés, de bribes de récits ou de conversations entre clients ou entre employés, leur but n'étant plus alors l'aboutissement de la transaction. Ces modules, entre clients et employés se connaissant et parlant d'événements nonconnectés sur la transaction, et séquences parallèles dominantes, entre employés ou clients,
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disparaissent totalement des cas à dominante compétitive ou toutes les énergies sont monopolisées pour gérer un problème.
1.1 Aboutis "chaleureux" Dans ces cas, le cadre "froid" de la transaction peut être remis en question une première fois. Ils sont appuyés sur des stratégies séductrices, basés sur la recherche de connivence, l'aspect ludique, quelques remarques humoristiques servant de "lubrifiant" à la transaction, mais aussi de brefs échanges du type: "C: au revoir bon week-end E: Merci vous aussi!", apparemment incongrus à l'issue d'une transaction classique. Ils sont initiés de façon à peu prés égale par le client (14 cas) ou l'employé (15 cas), mais émergent surtout quand les interactants ne sont pas du même sexe (59%), plus facilement engagés par un client face à une employée ou un employé face à une cliente. L'unique cas initié par une cliente déclarant à un employé suite à une transaction conflictuelle pour cause de rupture de stock d'annuaires : "c'est pour ça et je voudrais un botin aussi!...", fera éclater de rire les autres employées mais ne suscitera qu'une réponse hésitante et gênée de l'employé: "AH::! ça s(e) continu!", rappelant l'exemple de Victor relaté par Charaudeau (1983, 37) qui met en évidence les complexes processus de production et interprétation inter-sexuels et subjectifs. On y trouve des échanges minimaux dominés, marquant une certaine complicité suite à un événement qui vient de se passer et servant au client à initier la transaction, un refus ardemment argumenté de délivrer un recommandé par exemple, ou l'employé soulignant la nécessité de la présence de "Mr ET Mme", verra le client suivant amorcer sa requête par un jovial : "ET OUI! la différence entre le OU et le ET!", suscitant leurs rires conjoints, mais ils peuvent également être initiés par l'employé justifiant une erreur dans sa démarche : " on devrait pas travailler le sam(e)di!". Les séquences parallèles dominantes qui y émergent peuvent être des récits spontanés entre employés, fréquents et toujours de type ludique dans la dominante coopérative, mais aussi des polylogues conversationnels, pouvant être favorisés par l'absence de clients aux heures creuses (E: Ah c'est comme ça les cartes PME ? je peux voir ? E2: "tian" avait jamais vu ? E: et non= elles sont pas mal ...). Des séquences dominées peuvent également se dérouler entre l'employé et d'autres clients, en présence du client initial (C: elle marche pas la photocopieuse+j'ai mis une pièce+elle marche pas! E: attendez! j'appelle quelqu'un+Geneviève la photocopieuse elle marche plus! E2: vous pourriez enlever la prise s'il-vous-plaît+vous pourriez la débrancher ?). Le système des places y est spécifique, les protagonistes s'y interpellant en tant qu'individus investissant la transaction de façon interpersonnelle même si ils ne sont pas impliqués dans la gestion d'un problème ou d'une difficulté pour faire aboutir celle-ci.
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1.2 Aboutis "impersonnels" Ces cas se caractérisent sans aucun doute par l'investissement minimum que notre description initiale pouvait nous laisser envisager. Ils sont "froids", épousent la forme canonique décrite plus haut avec une absence quasi-générale des salutations d'ouverture, parfois même de l'oralisation de la requête, absente dans la plupart des cas concernant le guichet des CCP, les bulletins à disposition au comptoir permettant au client d'indiquer l'opération qu'il compte effectuer. Ici, l'échange verbal se réduit donc tout au plus à quelques questions ou indications de l'employé (vous signez-là s'il-vous-plaît/vous avez une procuration?) ou le plus fréquemment uniquement a un "merci, au revoir" plus ou moins articulé. Au niveau du système des places initial, c'est bien en tant que sujets génériques, impersonnels et parlant au nom de leur position générale respective, que les interactants communiquent. Si l'impersonnalité de la transaction, peut favoriser une dissymétrie nonvexatoire ou le client occupe la position basse face a celui qui détient le service-pouvoir (cf. Vion 1992), l'employé fonctionnaire, immunisé contre le chômage, marque parfois aussi un comportement très dominant vis-à-vis des demandeurs à la défaveur de son rôle de serviteur des administrés comme le souligne De Salins (1988). Ce détournement des rôles, favorisé par la vitre de protection et l'abaissement des clients en appelant à son savoir, se trouve ici surtout marqué dans les transactions avec des maghrébins, bien que les employés n'en soit pas pour autant moins serviables, avec des jeunes et une fois avec un mongolien léger ou un client "suspecté" d'être "une fille" par une employée. Cette position de l'employé peut parfois être négociée ou remise en question de façon plus ou moins vive (E: C'est un A là ? C: cironique et sec> vous me donnez pas 10 pour l'écriture alors ?). Si les cas impersonnels sont relativement nombreux, ils ne représentent toutefois qu'environ la moitié des cas aboutis (50, 20 %) et 43, 20 % du corpus total, et contiennent une communication élargie des plus impliquées qui souligne que nous ne sommes plus dans la conception que l'on s'en faisait. Des apartés entre clients ou entre employés et de nombreuses séquences dominantes et parallèles de conversation entre "comparses", qui traduisent une partielle indifférence entre employés/ clients, y prolifèrent de façon caractéristique. Entre employés en l'absence ou la présence du client, on peut passer de la recette (foie gras) à la chanson satyrique (Evolys-produit de la postefait la peau lisse), mais si les séquences ludiques "contaminent" parfois la relation aux clients, elles peuvent aussi traduire le total désinvestissement du guichetier traitant la clientèle de façon mécanique et secondaire. Pour De Salens(1988), cela peut engendrer une réaction négative du client "ignoré", le même phénomène pouvant se produire en cas de conversation entre usagers. Entre le client et quelqu'un l'accompagnant ou un client connu de la file, en la présence ou l'absence de l'employé, elles sont également fréquentes, une conversation entamée à la faveur de
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l'attente se développant, ou commencée avant l'arrivée à la poste, se continuant. Elles restent cependant plus impersonnelles et superficielles, étant "suspendues" à la transaction pour laquelle les clients, plus impliqués que les employés, se sont déplacés et à laquelle ils souhaitent se soustraire au plus tôt. Les séquences dominées par le cadre de la transaction, se déroulent surtout entre le client et quelqu'un l'accompagnant avec qui il forme un groupe dont les membres, perçus comme bénéficiant d'une protection mutuelle (cf Goffman 1973, T.2, 34). Même si l'accompagnant ne copartícipe pas, il peut avoir une importance notable et il est intéressant de noter que les clients accompagnés de notre corpus sont tous représentatifs de catégories sociales "fragilisées". Ce sont surtout les adolescents, les personnes âgées, les maghrébins ou les femmes qui viennent avec quelqu'un, que ce soit leurs enfants, parfois adultes ou ami(e)s, les couples ou hommes avec enfants restant exceptionnels. Ces apartés, en l'absence de l'employé consistent généralement en de courts échanges de soupirs ou de plaintes parfois humoristiques ( deux jeunes filles: ALLEZ:: j'ai pas qu(e) ça à faire::! ), mais lorsqu'elles se déroulent en présence de l'employé, elles peuvent avoir des visées indirectes et dénoter, par exemple, une protection par anticipation d'une éventuelle mise en danger de la face ( C: