Corse 2020136457, 9782020136457

Elle semble proche. Elle est lointaine. Plus près de l’Italie que de la France. On la croit maritime, joviale, irréducti

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French Pages 152 [160] Year 1993

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Table of contents :
CORSE
ISBN 2-02-013645-7
Un rêve paradoxal
Une histoire sous influence
Une île à la dérive
Itinéraires de Corse
La Corse des côtes
La Corse intérieure
Annexes
Les églises romanes
Le baroque corse
Les cérémonies de la semaine sainte
Magie
Fêtes, foires et festivals
La langue corse
Musique et musiciens corses
Discographie
Filmographie
Gastronomie
La route des vins
Hébergement
La mer
La montagne
Chronologie
Bibliographie
Index
Table
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Corse
 2020136457, 9782020136457

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CORSE Antoine Perruchot

Inédit

POINTS PLANÈTE

SEUIL

EN COUVERTURE :

p. 1 : photo M. Isy-Schwart © The Image Bank p. 4 : montagnard corse sur son mulet © Boyer-Viollet

ISBN 2-02-013645-7

© Éditions du Seuil, avril 1993 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quel­ que procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

CORSE

Antoine Perruchot POINTS PLANÈTE SEUIL

Le golfe de Porto. Vous n’y échapperez pas...

Un rêve paradoxal

La Corse est une île. Évidence parfois oubliée du conti­ nental qui tente d’élucider d’apparentes incohérences ou de mystérieux blocages. L’île, c’est l’espace limité, perçu tantôt comme une protection, tantôt comme un enfermement. C’est la mer qui vient battre ses rivages et sur laquelle on bute où que l’on porte ses pas : «Nous devrions fuir les îles, elles portent malheur», affirment les héros d’Angelo Rinaldi dans La Maison des Atlan­ tes ; « nous devrions les fuir avant qu’elles ne nous aient complètement englués ». C’est aussi le lieu d’une immo­ bilité souhaitée, d’un espace-temps qui semble s’étirer, lui aussi, à l’infini : parenthèse de loisirs pour qui y vient en touriste ; de souvenirs pour le Corse qui l’a quittée pour vivre loin de ses contraintes. C’est encore le rêve et souvent la réalité d’un système clos, d’un repliement fœtal, d’une identité qui sécrète ses valeurs et ses tabous, et se définit davantage « contre » l’extérieur que par rap­ port à elle-même. La Corse est un paradoxe. On la croit maritime, elle est en fait montagnarde et paysanne ; on lui attribue une jovialité méridionale, alors qu’elle est renfermée et se complaît dans le drame ; elle semble frondeuse et irré­ ductible, mais n’aspire au fond qu’à la légitimité et à la rigueur gestionnaire. Ses habitants cultivent ces para­ doxes et aiment à renvoyer d’eux-mêmes une image ainsi troublée qui interdit le jugement à l’emporte-pièce et les opinions tranchées. On peut donc tout à la fois profiter du tourisme et s’emporter véhémentement contre les nuisances qu’il entraîne, condamner les attentats et affirmer qu’ils n’ont pas toujours été inutiles, vilipender l’État et réclamer de lui plus d’autorité. La Corse est un rêve. Un lieu de beauté intense, où la 5

violence des hommes répond à celle des paysages, où de somptueux couchers de soleil préludent à des nuits moites, où la fraîcheur des cascades et des ruisseaux apaise la morsure du soleil-lion. C’est, tout chauvinisme bu, la plus belle des îles méditerranéennes ; elle offre des paysages sans pareils, mais se rétracte dès que l’on tente de l’approcher, telles ces sensitives rencontrées le long des sentiers. Rêve, elle l’est pour ceux qui l’ont quittée, ceux qui désirent la connaître ; elle peut aussi être le cau­ chemar de celui qui la découvre avec rigidité et préju­ gés, qui refuse de se laisser entraîner par une pensée et une culture différentes des siennes. Elle peut tout don­ ner, mais aussi gronder et blesser. On la chérit ou on la hait ; jamais elle ne laisse insensible.

Pascal Paoli, u babbu di a patria, héros fondateur de la Corse moderne.

Une histoire sous influence

La violence de l’histoire La Corse est terre de passages et d’invasions, tout comme la Sicile. Leonardo Sciascia rappelle qu’« une île au cœur de la Méditerranée, cette mer où s’est déroulée, pendant des siècles, toute l’histoire du monde, ne peut être autre chose qu’une terre de conquêtes et de dévas­ tation » (La Sicile comme métaphore). Au fil de l’his­ toire, s’y sont succédé les Phéniciens, les Étrusques, les Grecs, les Romains, les Sarrasins, les Pisans, les Fran­ çais, les Génois et les Anglais, pour ne citer que les principaux. La Corse appartient en réalité à l’aire d’influence ita­ lienne ; pendant des siècles, elle est restée sous la domi­ nation de Pise, puis de Gênes, dont l’administration s’est étiolée jusqu’au xviiie siècle, époque de profonds boule­ versements. Dès 1730, les Corses se révoltent une nou­ velle fois contre la puissance protectrice, qui fait appel aux troupes de l’Empereur pour mater la rébellion. Six ans plus tard, un aventurier messin d’origine westphalienne, Théodore de Neuhoff, se fait élire roi de Corse au couvent d’Alesani, mais, paralysé par les intrigues et les conflits entre familles, il doit s’enfuir quelques mois après, en novembre 1738. A la demande de Gênes, la France intervient alors et envoie un corps expédition­ naire sous la direction du comte de Boissieux. C’était compter sans la volonté d’indépendance des Corses ; en 1755, Pascal Paoli canalise les tentatives qui surgissent çà et là, et réussit à faire naître la nation corse, au grand étonnement de l’intelligentsia internationale : Frédéric de Prusse admire ce « protecteur de sa patrie » et Jean-Jacques Rousseau rédige un « Projet de Consti­ tution pour la Corse ». La capitale est installée à Corte,

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1793. La famille Bonaparte, opposée à la politique menée par Pascal Paoli, fuit la Corse.

où l’Imprimerie nationale publie le manifeste du nou­ veau régime : la Giustificazione della rivoluzione di Corsica. Cette indépendance chèrement acquise ne dure que quelques années et se heurte à la double opposition du parti français et du parti génois, qui n’ont pas totalement désarmé. Cette courte période a toutefois été depuis éle­ vée au rang de mythe quasi fondateur de la société actuelle. La Corse est achetée à Gênes par Louis XV en 1768 ; un an plus tard, menées par le comte de Vaux, les troupes françaises défont les partisans de Paoli à Ponte Novu. Ce dernier s’enfuit en Angleterre, où il suscite, à la faveur des tourmentes de la Révolution française, la création d’un éphémère Royaume anglo-corse (févrierjuin 1794). Entre-temps, l’île est devenue « partie inté­ grante de la nation française » par décret du 30 novem­ bre 1789, mais ne sera véritablement francisée qu’un siècle plus tard. Napoléon, empereur dont la geste nourrit toujours la vie politique ajaccienne, au point que la municipalité actuelle s’y réclame du Comité central bonapartiste, aura d’autres chiens à fouetter que de venir dans son île natale, même si, de loin, il s’en occupe de manière sou­ vent tatillonne. De son administration, il reste un arrêté pris à Ajaccio le 21 prairial an IX (1801) par AndréFrançois Miot, conseiller d’Etat, administrateur des départements du Golo et du Liamone, et un décret impé­ rial de 1811. Ces textes, qui avaient déjà comme objec­ tif de favoriser le développement économique de l’île, l’exemptent partiellement des taxes indirectes. Il n’en subsiste que des cigarettes vendues aux deux tiers de leur prix continental, et certaines réductions de TVA appelées à disparaître. Fiscalité qui, selon la gauche et les nationalistes, a jusqu’ici favorisé la consommation et non la production. Napoléon III se souciera davantage que son oncle du développement de l’île. On lui doit la mise en place d’un réseau routier désenclavant la plupart des micro-régions, et le projet (réalisé par la IIIe République) d’un chemin 9

de fer à voie métrique surnommé aujourd’hui le «TGV corse », entendez le Train à Grandes Vibrations. C’était l’époque où la Corse était encore tiraillée entre ses racines culturelles italiennes et ses liens politiques à la France, où l’on étudiait à l’université de Pise pour en­ suite servir l’Empereur. Il faudra le massacre de la Pre­ mière Guerre mondiale pour qu’à l’ancrage politique s’ajoute l’ancrage culturel, pour que la diglossie corse, jusque-là dominée par l’italien, passe sous le contrôle du français. Puis vint le long endormissement du début de ce siècle, le progressif abandon des activités traditionnelles, le délaissement de la terre et l’exil des Corses vers le continent, les colonies, parfois même le Nouveau Monde où l’on rêvait de faire fortune. Ils ont été des milliers à tenter ainsi leur chance au Venezuela ou à Porto Rico où existe toujours une importante diaspora de Cap-Corsins ; ils se plaisent à venir, quand ils le peuvent, se ressourcer sur le sol de leurs aïeux, dans ces grandes maisons bor­ dant orgueilleusement la route du Cap au nord de Bas­ tia, témoignages de leur réussite outre-mer. Les années trente sont celles du fascisme italien et de l’irrédentisme qui, soufflé par Mussolini, rencontre une revendication identitaire naissante. La Seconde Guerre mondiale, la chute du fascisme et la libération de l’île en 1943 grâce aux réseaux de résistance gaulliste et com­ muniste éteignent momentanément les velléités corsistes en renforçant les liens avec la France. Pourtant, dans les années soixante, avec le choc de la décolonisation, le complet effondrement de la société traditionnelle et des structures qui, tant bien que mal, avaient survécu jusquelà, le désir croissant et parfois contraint de « vivre et tra­ vailler au pays », la Corse fait à nouveau entendre sa voix, dénonce le gâchis perpétué de façon plus ou moins consciente par l’État central et avance des exigences qui furent d’abord économiques - on reparlait de dévelop­ pement - avant d’être politiques, sous la poussée des jeunes mouvements régionalistes, puis autonomistes et enfin nationalistes. Avec toutefois un changement, et de

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taille, dans cette résurgence de revendications inva­ riantes dans l’histoire corse : l’apparition, en mai 1976, d’un mouvement paramilitaire clandestin qui, depuis lors, ponctue régulièrement de ses actions l’actualité : le FLNC (Fronte di liberazione naziunale corsu), dit « exFLNC » depuis sa « dissolution » le 5 janvier 1983. Quoi que l’on en pense, même si, comme la grande majorité des Corses, on désapprouve les méthodes employées par les clandestins et la finalité de leur action, force est de reconnaître que le FLNC a été, de­ puis quinze ans, un élément constitutif de la vie poli­ tique corse, des relations tumultueuses entre l’île et le continent, voire même des rapports entre Corses. Qu’il soit farouchement combattu par les autorités ou accepté comme un interlocuteur possible, tantôt terroriste aveu­ gle, tantôt Robin des bois frondeur, mis à genoux par la répression ou ébranlé par les dissensions internes, « u Fronte » souffle le chaud et le froid sur la vie publique et privée, divise les familles, les villages, la société dans son ensemble et trace des lignes de partage là où on ne les attendait pas. Des blindés de la gendarmerie dépêchés par Michel Poniatowski contre les retranchés d’Aleria en 1975 à la politique menée par Michel Rocard et Pierre Joxe en passant par les manœuvres de Gaston Defferre en 1983, les réponses du gouvernement ont oscillé entre la volonté de dialogue, la totale incompréhension et le machiavélisme angélique. Les années quatre-vingt auront été marquées à la fois par des périodes d’espoir, d’avancées, d’échanges, mais aussi par des affaires dou­ teuses (comme la disparition de Guy Orsoni en 1983 ou l’affaire dite «des nationalistes de Balagne » en 1984), par des assassinats ignominieux revendiqués par le FLNC (tel celui de deux ouvriers tunisiens à Ajaccio en 1986), par la prolifération du grand banditisme, au point que certains élus parlent de « situation pré-mafieuse » et par l’apparition, en Corse comme ailleurs, de la toxico­ manie, plaie supplémentaire pour une communauté qui avait déjà fort à faire avec d’autres démons.

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Histoire de familles La femme corse n’atteint la plénitude sociale que lorsqu’elle est à la fois épouse et mère : épouse mater­ nante et mère protectrice. Mais ce pouvoir doit demeu­ rer secret ; à son mari, elle confisque en grande partie l’organisation domestique, mais laisse en compensation les attributs extérieurs de la puissance. Jusqu’à son mariage, toutefois, elle est un être sous tutelle morale, plus ou moins efficacement surveillée par un membre quelconque de la parentèle ou du voisinage. La vision populaire de la Corse et de ses habitants ne fait pas dans le détail, et si les aventures d’Astérix en Corse relèvent de la caricature voulue, certains des traits dépeints cor­ respondent pourtant à une réalité toujours vive. Ainsi, à l’automne 1987, à Bastia, milieu urbain, un adolescent s’emporte violemment contre des amis qui prétendent l’avoir aperçu en compagnie de sa sœur aux fêtes de la Santa di u Niolu, foire traditionnelle aux aspects parfois rudes ; une sœur, tout comme l’épouse de César, doit être au-dessus de tout soupçon d’encanaillement... Les fils sont, eux, surprotégés par les parents qui s’émeuvent devant la personnalité de celui qui n’est encore que le masciettu, le petit mâle ; mais ils ont les plus grandes difficultés à structurer leur personnalité ; ils sont, en effet, plus les petits-fils de leur grand-père paternel, le patriarche, que les fils d’un père dont ils sen­ tent la faiblesse, voire l’inconsistance. Eux-mêmes ne peuvent acquérir le pouvoir qu’à la mort de leur propre père, c’est-à-dire en général trop tard. Infantilisé par sa mère, puis par son épouse, le Corse a du mal à évaluer la règle du jeu, à reconnaître l’autorité, à subir la loi. C’est ainsi que les psychiatres qui travaillent en Corse analysent le développement, au cours de ces vingt der­ nières années, de la délinquance et de la violence, fûtelle politique : « Le déclin de la puissance sociale du groupe familial [est] manifeste en Corse ; il ne pouvait en être autrement dans le passage de la société tradi­ tionnelle à la société de type industriel. Parallèlement, l’autorité paternelle (directe ou indirecte) se trouve 12

défaillante, contradictoire, affolée. Dès lors, les tensions qui se résolvaient dans le cercle familial [...] se repor­ tent dans le champ social et politique. Il y a émergence des problèmes du groupe familial au sein de la société. Le sujet, pour résoudre sa problématique personnelle, ne peut que s’adresser au champ social, sous forme, notam­ ment, d’affrontements politiques ou de délinquance. En agissant ainsi, il s’adresse au symbolique du père, à la Loi » (Nicolas Secondi et Jean-Pierre Santoni, in « Cor­ se, l’île-paradoxe »). Faute de repères et de structures qui indiquent cette loi, l’identification est de plus en plus difficile ; il faut se raccrocher aux apparences de l’autorité, de la puissance et de la virilité, et avoir recours aux symboles. Les armes, par exemple. Il est peu de familles qui n’en dé­ tiennent au moins une, ne serait-ce qu’un fusil de chasse ; la plupart des jeunes rêvent de posséder une arme de poing qui, glissée dans la ceinture, procure une mâle et trompeuse assurance ; le butin des cambriolages effectués l’hiver dans les maisons fermées des villages de l’intérieur se limite souvent aux engins, modernes ou anciens, qui y sont négligemment conservés. La tradition est là pour renforcer ce qui est devenu la réplique ana­ chronique d’une nécessité jadis vitale. Aux soirs d’élec­ tion, la coutume veut que les partisans de l’élu saluent leur victoire par des salves répétées, tirées si possible sous les fenêtres de l’adversaire, lequel panse ses plaies derrière les persiennes closes. Cela se termine parfois mal : au soir des municipales de 1988, un homme, venu de Lons-le-Saunier pour voter à Ajaccio, est mort vic­ time d’une balle perdue. Voitures et motos font également d’excellents substi­ tuts. Au-delà de l’impérieuse nécessité d’être motorisé dans cette île mal desservie, les véhicules sont aussi un moyen de s’affirmer et d’afficher une réussite de façade. Combien de pensions de grands-parents servent à payer les traites d’une 205 GTi ou du dernier modèle de Ka­ wasaki... Ultime avatar de cet engouement : la mode des véhicules tout-terrain, grâce auxquels on peut aller fri-

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mer sur le sable des plages ou les sentiers de montagne. Les écologistes corses, si prompts à dénoncer - à juste titre - les possibles conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, ne font guère entendre leurs voix pour s’éle­ ver contre cette autre atteinte à l’environnement. L’argent, enfin, vis-à-vis duquel les Corses entretien­ nent un rapport souvent immature. L’argent étalé et dépensé de façon ostentatoire, l’argent facile, donc mé­ prisé, car il provient pour les deux tiers non pas d’une activité rémunérée, mais des transferts sociaux (retraites, pensions d’invalidité, subventions et primes...), l’argent sale enfin, puisque les multiples attaques à main armée commises à plus ou moins grande échelle de façon presque quotidienne dans l’île rapportent, bon an mal an, 10 millions de francs. Cette relation perverse à l’argent se manifeste de plusieurs manières. Tout d’abord par une générosité rarement mise en défaut, même si son expres­ sion est parfois dévoyée. Essayez donc de régler une tournée de pastis dans un bar où vous retrouvez des amis ! Avant même que vous n’ayez pu esquisser le moindre geste, l’un d’entre eux vous aura devancé, sor­ tant de sa poche une liasse de billets d’autant plus impressionnante que ses revenus sont infimes. Avezvous, entrant dans un restaurant, discrètement salué quelque homme public installé à une autre table ? Au moment de l’addition, le serveur vous glissera : «C’est fait. M. X a réglé... » On peut lire dans cette attitude une forme exsangue du traditionnel devoir d’hospitalité, tou­ jours invoqué alors que les conditions sociales qui en exi­ geaient jadis le strict respect ont disparu. Mais on re­ trouve aussi cette générosité dans la réponse spontanée et toujours impressionnante que les Corses fournissent aux appels humanitaires. Lors de chaque Téléthon, à l’issue de chaque opération parrainée par les médias (révolution roumaine, catastrophes naturelles, appels aux dons pour aller faire opérer aux Etats-Unis un enfant déficient, etc.), et, de manière encore plus éclatante, à l’occasion du drame du stade de Furiani, en juin 1992, les Corses se distinguent par la largesse de leurs contributions.

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Ils se signalent également par les sommes qu’ils inves­ tissent dans les jeux de hasard. En 1985, les fonds enga­ gés au PMU représentaient en Corse 902 francs par an et par habitant, contre 469 francs en moyenne nationale; et depuis des années, l’île se classe dans le peloton de tête des régions qui contribuent le plus aux bénéfices de France-Loto. 11 n’y a pas si longtemps, chaque fête de village offrait, en vertu d’une tolérance difficilement excusable, un stand de boule ou de roulette. Ces casinos forains disparaissent de plus en plus ; seules les dernières grandes foires traditionnelles les acceptent encore, comme celle de la Santa di u Niolu, à Casamaccioli, dans les premiers jours de septembre. Mais des parties de cartes privées, de celles où plusieurs dizaines de mil­ liers de francs peuvent changer de mains au poker, se déroulent discrètement dans les villages. Les joueurs impénitents sont même prêts, pour plus de discrétion, à dédommager d’un ou deux billets de 500 francs qui­ conque accepte d’en organiser une chez lui. Il serait injuste de faire supporter à la seule désagré­ gation de la structure familiale traditionnelle l’actuel état de déliquescence de la société corse. La nature des rap­ ports qui la lient depuis des siècles au politique y a sa part de responsabilité. Voilà des générations que la loi est ressentie comme une contrainte étrangère, référence certes, mais référence lointaine, référence contournable pour peu que l’on s’adresse à l’un des multiples inter­ médiaires que les pouvoirs ont suscités. Veut-on obtenir une pension de veuve de guerre, d’invalide civil, un per­ mis de construire quelque peu limite? Il suffit de s’adresser au maire, au conseiller général ou au député dont la présence ou les relais au sein des instances concernées sauront emporter une décision favorable, alors même que le dossier aurait dû, en toute légalité, être rejeté. Comble de l’absurde et de la dépendance : on en arrive à estimer que même les droits les plus élé­ mentaires ne seront reconnus que si l’on passe par le canal obligé d’un élu. Car, donnant-donnant : tout ser­ vice rendu assure en retour les suffrages de la famille

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reconnaissante. Pendant des décennies, ce type de rap­ ports entre administrés et élus a bénéficié de l’indul­ gence aveugle d’un pouvoir central imprévoyant, pour qui la paix sociale valait bien quelques passe-droits, infi­ niment moins coûteux qu’une réelle politique de déve­ loppement. Tous ces éléments dessinent les contraintes dans les­ quelles tentent de s’épanouir les individus. Tentent seu­ lement, car l’individu, en Corse, n’existe pas. Chacun est défini essentiellement par son village, son lignage, ses alliances, sans considération pour ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’est son histoire. Il n’est pas innocent que deux Corses qui se rencontrent cherchent immédiatement à situer l’autre, à démêler les filiations, pour essayer, à la limite de l’absurde, de découvrir une impossible parenté, une alliance qui souvent n’est qu’illusoire. C’est que cette organisation sociale de la communauté impli­ que le manichéisme : on est ami ou ennemi, pour ou contre, jamais extérieur et neutre. Faute d’autres repères, le Corse n’a comme moyen d’être lui-même, de témoi­ gner de son existence, que de s’opposer à un adversaire. Dans cette société profondément égalitaire, il est moins important d’acquérir du pouvoir que d’affirmer ses droits face aux autres. C’est là l’une des conséquences du moteur principal de l’âme corse, l’invidia. L’invidia, l’envie, est, selon Francis Pomponi, un « invariant culturel ». L’envie, c’est la jalousie qui vous étreint devant la réussite de l’autre et vous pousse à détruire ce qui lui procure du plaisir. Mais, en corollaire, l’invidia pousse à susciter la jalousie de l’autre. Tant qu’à vivre avec, autant être celui qui la provoque plutôt que celui qui la subit. On a décrit l’arrogance, la fierté des Corses : il ne s’agit que d’une tentation permanente de nivellement par le haut qui catalyse les tensions exis­ tant au sein du groupe. Aujourd’hui, ce schéma est, lui aussi, dévoyé par les tentations consommatrices. Ainsi la sbaccata, provocation qui jadis était affirmation de la valeur personnelle, devient pure ostentation : exhibition d’une parure qui vise à écraser l’autre, accumulation de

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bijoux voyants tant chez les hommes que chez les femmes, dépenses somptuaires parfois au détriment du simple nécessaire. En fin de compte, mieux vaut faire savoir combien a coûté tel objet que de prendre du plai­ sir à en jouir. Mais cette attitude a ses limites, qui sont celles des richesses potentielles de la communauté. Cette compéti­ tion permanente devient vite sans issue. Tout se passe comme si, dans cet espace fini qu’est une île, les vertus et les biens étaient, eux aussi, en quantité finie ; tout accroissement de l’être ou de l’avoir d’un de ses membres contribuerait à l’appauvrissement de l’ensem­ ble de la communauté. Avec cette conséquence, relevée par Anne Meistersheim, que l’envie, ou du moins sa répression, refrène l’esprit d’entreprise. «La société tra­ ditionnelle tend à se reproduire à l’identique, et c’est à l’extérieur de sa propre société que l’individu va devoir chercher un terrain sur lequel il pourra enfin donner libre cours à son besoin de créer et d’entreprendre » (« L’en­ vie, la mort», in «Corse, l’île-paradoxe »). Autrement dit, cette envie est une des causes de l’émigration. Pour réussir, pour s’exprimer pleinement, sans pour autant susciter de tensions à l’intérieur du groupe, l’individu doit s’expatrier. Il serait abusif de voir dans ce trait la seule raison de l’émigration des Corses. La pauvreté de la terre et les luttes incessantes y furent pour beaucoup au fil des siècles. Fernand Braudel note déjà qu’à l’époque qu’il étudie, celle de Philippe II, « toutes les îles sont expor­ tatrices d’hommes », et que, parmi celles-ci, la Corse est « l’île des émigrants par excellence ; trop riche en hommes, eu égard à ses ressources, celle-ci essaime dans toutes les directions, et il n’y a sans doute pas un évé­ nement méditerranéen où un Corse ne se trouve mêlé ». Mais aujourd’hui, dans une situation de relatif bien-être financier, ce ne sont plus guère ces raisons économiques qui poussent à fuir, mais bien la pression sociale. Dans une île où les quelque 250 000 habitants sont tous « parents ou alliés », comme le répète Pierre Pasquini, 17

député-maire de L’Ile-Rousse, le brin de folie, la déme­ sure propres à la création ne sont pas tolérés ; ils mettent en péril l’équilibre social, et la communauté pèse de tout son poids pour faire rentrer le déviant dans les rangs, ou pour l’exclure. Des exemples? Ils abondent dans le domaine artis­ tique. Même s’ils sont pléthore, ces dernières années, à avoir tenté l’aventure corse, bon nombre d’entre eux ne veulent voir dans leur île qu’un ancrage. Ils désirent y revenir parfois, mais exister ailleurs, tel Angelo Rinaldi, qui ne supporte plus de vivre «dans cette île où des inconnus vous tutoient ». En politique, on peut citer Émile Arrighi de Casanova. Économiste distingué, ancien directeur général de la Chambre de commerce de Paris, président de la section des économies régionales au Conseil économique et social, souhaitant participer au développement institutionnel de l’île, il s’est fait élire à l’Assemblée de Corse en 1986 sous l’étendard barriste. La classe politique locale a vite eu raison de lui, incon­ testable rival en puissance puisqu’il n’appartenait pas au système, et l’a renvoyé à ses charges nationales. Ces exemples sont emblématiques, mais la presse quoti­ dienne régionale pullule d’événements qui confortent cette thèse ; il est tout de même peu d’autres régions où la concurrence normale entre entrepreneurs se règle à coups de plasticages et où la préfecture de police, dans ses statistiques annuelles, fait très sérieusement la répar­ tition entre les attentats « politiques » et les « autres ».

Une île à la dérive

Politique et pulitichella La pulitichella est un terme de dérision qui recouvre la notion continentale de «politique politicienne ». Ici comme là, on subit et dénonce les mêmes maux ; néan­ moins, une grande partie de la problématique corse relève d’une fracture entre la communauté insulaire et la société française dans son ensemble. L’une et l’autre entité ont des concepts communs, une histoire en partie commune, mais chacune a sa propre vie, sa propre his­ toire et des schémas qui souvent suscitent l’incompré­ hension et la défiance. Historiquement, la société corse est patriarcale, comme le sont toutes les sociétés méditerranéennes, à fortiori insulaires : la figure du patriarche, détenteur d’une autorité incontestée, permettait à l’individu de se structurer par rapport à ses proches, sa famille, son clan, par rapport enfin à la société tout entière et à la loi. Aujourd’hui, la communauté corse est en crise. Une crise dont les racines plongent au lendemain de la Pre­ mière Guerre mondiale, mais dont les effets ont été mas­ qués jusqu’au début des années soixante. A l’heure des bilans, le conflit qui avait embrasé l’Europe avait laissé la Corse exsangue. Plus de 30 000 jeunes Corses avaient disparu sur les champs de bataille de la Marne ou de la Meuse, alors que l’île comptait à peine 230 000 habi­ tants, dont 95 000 hommes actifs. Partout ailleurs, une nouvelle société naissait sur les ruines encore fumantes d’un monde finissant ; la Corse, elle, s’enfonça dans une période de déclin. Il n’y avait plus de bras pour assurer le développement, voire la simple survie d’une écono­ mie agropastorale condamnée par le modernisme, mais aussi par un système fiscal imbécile qui détaxait l’im-

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portation des marchandises et pénalisait l ’exportation sur le continent des produits corses. Ce fut le temps des veuves de guerre et des serviteurs de l’État. L’administration et l’armée offraient dans les colonies de l’Empire français des emplois stables et rémunérateurs ; les Corses s’en emparèrent, renouant ainsi avec une habitude que déjà, en 1795, sir Gilbert Elliot, vice-roi de l’éphémère Royaume anglo-corse, stigmatisait dans un rapport à George III : « Pas un ber­ ger qui ne se reconnaisse comme négligé s’il n’a pas le commandement d’un bataillon. Malheureusement, le pays ne connaît aucune industrie, et on ne connaît pas d’autre moyen d’arriver à la fortune que celui d’obtenir une place quelconque dans une carrière civile ou mili­ taire. Comme il nous est impossible de salarier toute une nation ou même une forte partie de cette nation, nous sommes obligés, à notre grand désavantage, de mécon­ tenter toute la masse des habitants. » Ces débouchés se tarirent au début des années soixan­ te, avec la décolonisation. A la même époque, les Corses virent arriver dans la plaine orientale 18 000 pieds-noirs chassés par l’indépendance algérienne. Détenteurs d’un savoir-faire que les Corses n’avaient pas ou avaient perdu - il n’y avait alors pas de lycée agricole dans l’île - et favorisés par un système de prêts bonifiés auxquels les Corses n’avaient pas accès, ils importèrent également leur main-d’œuvre et leurs pratiques agricoles. Entre 1958 et 1973, le vignoble corse passe de 5 000 à 30 000 hectares. Du choc de deux cultures voisines, mais diffé­ rentes, naquirent les heurts qui culminèrent en août 1975 avec les événements d’Aleria. La famille, le village, la communauté Autrefois communauté pauvre de bergers et de paysans, la Corse subsistait grâce à l’étroite cohésion qui liait ses habitants. La terre et ses hommes formaient un tout qui s’articulait autour d’une unité de base : le village. Aujourd’hui encore, le village, u paese, est le lieu de références et d’enracinement de tout Corse, fût-il exilé

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Intérieur : les armes de chasse sont là. mais c’est le domaine de l’épouse.

depuis plusieurs générations. Lorsque deux d’entre eux se rencontrent, leur première question est : « De quel vil­ lage es-tu ? » Quant aux insulaires urbanisés, ceux du lit­ toral, ils «remontent» chaque week-end «au village», où ils sont, bien sûr, électeurs. Les communes étaient jadis regroupées en pieve, dont plusieurs composaient une province. Dans ce paysage de montagnes aux innombrables vallées qui communiquent avec peine, cette unité constituait un univers à elle seule, avec ses règles, sa solidarité, ses alliances, ses querelles et ses haines. Solidarité renforcée encore dans le nord de l’île, Terre du commun où prévalait une sorte de socia­ lisme communautaire : les bêtes appartenant à différentes familles étaient sous la garde d’un ou plusieurs bergers; ceux-ci faisaient paître les troupeaux sur les terres com­ munales qui, dans la plupart des cas, s’étageaient de la mer à la montagne, perpendiculairement à la côte, en une disposition qui perdure de nos jours. D’autres par­ celles étaient provisoirement attribuées à tel ou tel qui devait les cultiver, d’où des querelles entre bergers et cultivateurs ! Enfin chacun avait le droit de planter des arbres sur les terrains communaux, arbres dont ils avaient l’entière propriété. De même, outre les fours pri­ vés, chaque village avait un ou plusieurs fours banaux, dont l’entretien revenait par roulement à chaque famille utilisatrice, et autour duquel, comme à la fontaine ou au lavoir, se retrouvaient les femmes. Cette cohésion dans une unité autonome n’empêchait certes pas les oppositions au sein de la communauté, voire de la famille. En effet, comme l’a montré José Gil, les rivalités politiques affectaient chaque segment de la vie publique : la famille, le village, la pieve, voire la Corse tout entière. Chaque faction se réconciliait avec l’autre en cas d’agression de la part d’un segment iden­ tique : la famille faisait bloc contre une autre, le village contre un village voisin. Et la Corse contre l’envahisseur.

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Le bouleversement des années soixante Le début des années soixante marque un tournant dans ce système. Disparaît alors un type d’organisation sociale qui, même s’il n’était plus que l’ombre de luimême, avait réussi tant bien que mal à se perpétuer jusque-là : la société agropastorale, fossilisée, est bruta­ lement supplantée par un modèle postindustriel fondé sur le développement de la consommation de biens ou de services, sans que la région ait connu l’étape inter­ médiaire de l’industrialisation. Ce bouleversement frappe de plein fouet une commu­ nauté anémiée. En 1959, la Corse ne compte plus que 160 000 habitants, contre 280 000 à la fin du xixe siè­ cle. De surcroît, ils ne sont ni jeunes ni actifs : les plus de soixante ans représentent 22,4 % de la population. La IVe République avait, sur sa fin, essayé de lancer un programme de développement de l’île, avec, en 1957, un plan d’action régional. Deux sociétés d’économie mixte avaient auparavant été créées : la SOMIVAC (Société de mise en valeur de la Corse), dont le rôle était de réaliser une série d’équipements hydrauliques et de valoriser 20 000 hectares de terres dans la plaine orientale, désor­ mais débarrassée de la malaria, et la SETCO, chargée d’encourager le tourisme et de construire 3 000 cham­ bres d’hôtel. Les événements de 1958 viennent bouscu­ ler ces programmes ; le général de Gaulle, plébiscité à plusieurs reprises par les Corses, a une tout autre idée de l’avenir de la région. Entre 1959 et 1961, il propose suc­ cessivement deux mesures qui occasionnent une levée de boucliers : la fermeture définitive du chemin de fer, et l’installation à l’Argentella, au sud de la baie de Calvi, d’un centre d’expérimentation nucléaire. C’est le tollé. Les protestataires se regroupent en un Comité de Ponte Novu, mais l’issue est plus heureuse que celle de la ba­ taille qui, en 1769, vit s’affronter dans ce village sur le Golo les partisans de Pascal Paoli et les troupes du comte de Vaux ; ces deux projets ne verront jamais le jour. Au cours de la décennie suivante, la Corse voit défer­ ler sur elle une masse de capitaux attirés par cette terre

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encore vierge. Dans la plaine orientale, les rapatriés, aidés par les industries agroalimentaires, mettent en œuvre un type d’agriculture quasi industriel, fondé prin­ cipalement sur l’exploitation intensive de la vigne. Le développement de cette zone lèse les éleveurs corses, dépossédés de leurs terres de pacage ( jusque-là indivises et collectives, celles-ci sont loties, raccordées - en prin­ cipe - à un réseau d’irrigation et remises à disposition par la SOMIVAC), tandis que les petits viticulteurs, dont le mode d’exploitation traditionnel n’est plus rentable, sont poussés à la chaptalisation par les « pinardiers». De leur côté, accompagnant l’avènement de la société des loisirs, les investisseurs institutionnels pressentent que le littoral corse est un gisement d’autant plus attrayant qu’il est inexploité. Les villages de vacances et les hôtels plus ou moins adaptés à cette nouvelle demande fleuriront le long des mille kilomètres de côtes corses, pour le plus grand bénéfice des entreprises de bâtiment. En quelques années, la Corse change de visage et voit soudain croître un secteur agricole moderne mais sans articulation avec le reste de l’économie et en complète rupture avec le séculaire couplage plaine-montagne. Dans le même temps, l’expansion du secteur tertiaire urbain accélère le dépeuplement de l’intérieur et pro­ voque une circulation de capitaux disproportionnée par rapport au niveau de production. Et surtout, les Corses se sentent en grande partie exclus d’un boom décidé sans eux, souvent à leur détriment, et qui bouscule leurs habitudes : les carrières vers lesquelles on pousse les enfants sont celles de la fonction publique, pour la sécu­ rité, ou les professions libérales, quand on le peut, pour le prestige et le pouvoir. Enfin, cette impression d’assis­ ter en spectateurs à un développement qui ne les concerne pas est accentuée par l’arrivée massive d’allo­ gènes : des rapatriés et les Maghrébins qui les ont accompagnés dans leur exil, mais aussi des continen­ taux. Au total, on estime que 17 000 personnes ont ainsi débarqué dans l’île entre 1957 et 1965, soit plus de 10% de la population totale. 24

Les pieds-noirs développent la vigne en plaine orientale. L’entreprise bastiaise Femenia construit alors des machines à vendanger.

La résurgence du nationalisme Les projets gouvernementaux pour la Corse ne manquent pas. En 1971, on propose un schéma d’aménagement de la Corse. Au programme : développement touristique, avec un objectif de 2 millions de visiteurs annuels à l’horizon 1985, mais aussi poursuite du repeuplement de l’île par l’installation de non-Corses. Anne-Cécile et Dominique Antoni estiment que, par ces choix, le gou­ vernement « libère les forces de contestation, parmi les­ quelles les autonomistes qui vont combattre cette poli­ tique de “déménagement du peuple corse” ». Ceux-ci se regroupent alors majoritairement au sein de l’Action régionaliste corse (ARC) des frères Edmond et Max Simeoni, fondée en 1967 par des dissidents du Front régionaliste corse (FRC), trop tiers-mondiste à leurs yeux. L’ARC, à ses débuts, ne réclamait qu’une mise à parité économique entre l’île et le continent. Mais les mouvements sociaux de 1973 vont précipiter les choses. Déclenché au cours de l’hiver précédent par les écologistes (ils s’insurgent contre le déversement de boues rouges toxiques au large du cap Corse par la firme italienne Montedison), « ce mouvement coalise de nom­ breuses couches de la population contre l’Etat. Il reçoit un renfort inattendu : la jeunesse exilée. Ce problème de pollution, compliqué à régler au plan international, élar­ git au-delà de l’île la sensibilité au thème de “l’autodé­ fense d’un peuple en danger" par la faute d’un Etat apparemment impuissant » (Wanda Dressler-Holohan, in « Corse, l’île-paradoxe »). L’ARC et le FRC publient le premier texte réclamant pour l’île un statut d’autonomie interne, c’est-à-dire un transfert de compétences permet­ tant à une assemblée élue de délibérer sur tous sujets, hormis la défense nationale et les affaires étrangères. Un événement va accentuer ce mouvement. Les régionalistes, qui assistaient avec impuissance à la mort de la viticulture traditionnelle, enrageaient de voir la chaptali­ sation, pourtant interdite, pratiquée à outrance dans les exploitations de la plaine orientale. L’ARC décide alors le 21 août 1975 d’aller à Aleria occuper la cave De26

peille, au centre du scandale. En l’absence du président Giscard d’Estaing et du Premier ministre Jacques Chirac, en vacances l’un au Gabon, l’autre en Corrèze, c’est Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, qui assure l’intérim. Optant pour la manière forte, il fait envoyer à Bastia des blindés de gendarmerie chargés de déloger les occupants de la cave. Le 22, c’est l’offensive et le drame : deux gendarmes sont tués. « Les responsables de l’ARC ont donc réussi dans leur entreprise criminelle en faisant couler le sang en Corse », fulmine le ministre de l’Intérieur, pendant que Jacques Chirac dénonce « les actes de subversion criminelle et meurtrière qui mettent en cause l’unité nationale ». Le 27, à l’issue d’un Conseil des ministres consacré à la Corse, l’ARC est dissoute et, le soir même, des renforts de gendarmerie débarquent à Bastia. C’est immédiatement l’affrontement. Jusqu’à 4 heures du matin, des tirs opposent les forces de l’ordre et des militants postés sur les toits. Bilan : un mort parmi les CRS, et seize blessés. Pour Pierre Dottelonde, la gestion de l’affaire d’Aleria par le gouvernement « eut pour conséquence de faire de la “question corse” un enjeu de dimension nationale et, dans l’île, de faciliter l’émergence d’un courant nationa­ liste plus radical, personnifié par les indépendantistes clandestins du FLNC ». Dans le courant de 1976 appa­ raît en effet pour la première fois la signature de ce groupe armé qui déclare avoir pour objectifs de « stop­ per le processus de liquidation du peuple corse et [d’]arracher l’autodétermination à l’État français ». La fin de la décennie sera marquée par une surenchère constante entre un nationalisme très minoritaire, mais déterminé à obtenir par tous moyens des réformes poli­ tiques, et un pouvoir central, efficacement relayé par les clans, qui ne voit dans ces revendications qu’un risque d’atteinte à l’unité nationale. Aux attentats perpétrés et revendiqués par le FLNC répondent ceux organisés par le groupe FRANCIA (Front d’action national contre l’indépendance et l’autonomie), une officine barbouzarde qui vise les militants nationalistes.

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Cette stratégie culminera en 1980 avec l’affaire Bastelica-Fesch. Apprenant qu’une action violente se prépa­ rait contre l’un des leurs, les autonomistes passent à l’action le 6 janvier ; à Bastelica, ils s’emparent de trois personnes, dont le chef opérationnel de FRANCIA, le commandant Bertolini. Le village est assiégé par les forces de police, onze personnes sont arrêtées, mais trois jours plus tard, une partie du commando réussit à s’échapper en emmenant ses prisonniers et se réfugie à Ajaccio, dans l’hôtel Fesch. Dans la nuit du 9 au 10, de violents combats entraînent la mort de deux civils et d’un CRS ; le 11, le commando se rend et trente-six autonomistes sont emmenés à Paris pour y être inculpés par la Cour de sûreté de l’État. Comme après Aleria en 1975, la situation semble tota­ lement bloquée. D’un côté, le gouvernement prône tou­ jours le développement économique de l’île, mais refuse toute prise en compte de revendications politiques et stigmatise avec une vigueur accrue les « menées sépara­ tistes » : recevant quelques mois plus tard les élus insu­ laires, Valéry Giscard d’Estaing précise bien que « l’approche spécifique de certains problèmes liés à l’in­ sularité ne saurait conduire à des modifications institu­ tionnelles débouchant sur un statut particulier». De l’autre, la gauche défile au coude à coude avec les auto­ nomistes le 16 janvier à Ajaccio où 25 000 personnes, soit 10% de la population, réclament une «solution politique au problème corse » et une amnistie générale. Le septennat finissant n’est en effet guère tendre pour les autonomistes ; alors qu’en novembre 1980 l’armurier Alain Olliel (l’un des hommes de Pierre Bertolini arrêté à la suite de l’affaire Bastelica-Fesch) est mis en liberté conditionnelle, des dizaines de nationalistes attendent en prison de comparaître devant la Cour de sûreté de l’État.

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Les socialistes et les nationalistes Le 10 mai 1981, le « peuple de gauche » fête sa victoire place de la Bastille ; de même, dans les rues de Bastia, jusqu’aux petites heures du matin, les voitures pavoisées du drapeau à tête de Maure saluent les espoirs que cette élection suscite. Ils sont fondés : François Mitterrand avait déjà, dans ses 110 propositions, promis un statut particulier pour la Corse et, en avril, à la veille de la visite dans l’île du candidat, le FLNC avait annoncé une trêve des attentats. Lorsque la gauche arrive au pouvoir en 1981, elle a donc dans ses cartons un projet de réforme institution­ nelle que les socialistes corses avaient élaboré en 1975 ; Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur et de la Décen­ tralisation, est chargé du dossier. Le texte est adopté le 5 février 1982 malgré l’opposition de la droite et du MRG et, dans la foulée, une loi d’amnistie est votée et tous les prisonniers politiques sont libérés ; en août, les électeurs se rendent aux urnes et envoient au Grand Hôtel d’Ajac­ cio les premiers conseillers régionaux. Hélas ! cette Assemblée de Corse manque d’expérience, de pouvoirs et de moyens ; elle fait rapidement la preuve de ses blo­ cages et de son impuissance ; dès l’automne, les atten­ tats reprennent. Pendant six ans, la Corse vit avec la violence. Il n’est pas de matin où la presse n’annonce quelque action des clandestins, plus ou moins spectaculaire, plus ou moins justifiée. Les gouvernements vont à l’aveuglette et alter­ nent dialogue et répression. Au fil des mois, les affaires se multiplient : disparition jamais élucidée d’un militant nationaliste, Guy Orsoni, en 1983 ; affaire dite « des nationalistes de Balagne » en 1984. On nomme le commissaire Broussard préfet de police à Ajaccio : il tente en vain de faire la preuve que nationalistes et grand banditisme font cause et caisse communes. Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur de 1986 à 1988, jure de «terroriser les terroristes» : il ne réussit qu’à braquer les uns et les autres, à exacerber le combat entre les ultras de la Corse française et républi29

caine et ceux de la Cuncolta naziunalista qui fédère, aux côtés des autonomistes de l’UPC (Union du peuple corse), les nationalismes les plus divers. Au soir de sa visite en Corse, le Dr Lafay, un vétérinaire de Corte plu­ sieurs fois cible d’attentats, est assassiné devant les stu­ dios de FR3 à Ajaccio. Le FLNC accentue alors sa pression. Du nord au sud de l’île, il ne se passe guère de journée sans pétard déposé devant une porte, mitraillages de façades de gen­ darmeries, plasticages de villas ou actions de plus grande envergure, comme celles menées contre des vil­ lages de vacances ou encore la destruction totale par un commando de clandestins de l’hôtel des impôts de Bas­ tia en février 1987. Ce même mois, dans un communi­ qué à la presse, le FLNC revendique 106 attentats ! Par­ fois, il y a des morts ; l’île subit alors un électrochoc qui la tétanise, sans pour autant apporter de solutions. C’est néanmoins une mort, une de plus, qui va faire basculer l’opinion. Le 15 novembre 1987, une opération de com­ mando contre une ferme au sud de Bastia tourne au tra­ gique. Un des membres du groupe de clandestins, JeanBaptiste Acquaviva, vingt ans, est abattu au cours de l’attaque. Depuis plusieurs mois, le portrait de ce jeune homme et de quelques autres figurait sur les appels à témoins placardés dans tous les lieux publics par le ministère de l’Intérieur. Membre opérationnel et proba­ blement un des dirigeants du FLNC, il faisait partie d’un commando traqué par toutes les polices de l’île. Mais c’était aussi le neveu d’Edmond Simeoni, silencieux depuis quelques années. Quelques semaines après les obsèques de Jean-Baptiste, au cimetière de L’Ile-Rousse, le leader nationaliste prend la parole pour prêcher la réconciliation et le dialogue. Ses propos surprennent et soulèvent le scepticisme; mais au lendemain de l’élection présidentielle, le FLNC annonce une trêve des attentats qui sera plus ou moins respectée. Au cours de l’été 1988, le dialogue s’engage. Dans les villages repeuplés pour une trop courte saison, les places publiques redeviennent des forums où les

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Lors de chaque crise, la place Saint-Nicolas, à Bastia, s’embrase ; forces de l’ordre et nationalistes s’affrontent.

diverses tendances politiques s’écoutent et tentent de se comprendre. On y voit des gens à la personnalité aussi éloignée que Max Simeoni et le colonel Villanova, lea­ der cassant du Rassemblement pour la Corse française, devenir soudain attentifs aux propos de l’autre. La trêve des attentats aidant, les Corses, tout étonnés d’euxmêmes et de leur audace, se retrouvent de singuliers points de convergence. Ils sentaient bien, confusément, que les thèses nationalistes avaient, au sein de leur com­ munauté, plus d’audience que n’en exprimaient les urnes. Ils auraient bien, du moins certains d’entre eux, voté aussi pour ces gamins qui, souvent, avaient le mérite de dénoncer les véritables maux dont souffre l’île. Mais il y avait la violence. Et ça, les Corses, légalistes même s’ils sont frondeurs, ça, les Corses ne l’accep­ taient pas. Les anathèmes laissés au vestiaire, tous les problèmes sont passés au crible, du sous-développement chronique aux fraudes électorales, fiscales et sociales. Même une partie de la droite se laisse séduire : ainsi, pour Pierre Pasquini, député-maire RPR de L’IleRousse, « tout est négociable, sauf la violence et l’indé­ pendance ». Les socialistes revenus au pouvoir saisissent cette occasion : Pierre Joxe entame des consultations discrètes avec ceux qui acceptent de réfléchir avec lui. Malgré les derniers soubresauts d’une révolte qui touche les limites de son action, les fils sont renoués et, peu à peu, la nécessité d’une réforme institutionnelle s’impose. Ultime crise avant cette étape : celle qui secoue l’île au printemps 1989. Des grèves générales, qui témoignent du désarroi que vivent la plupart des catégories sociales insulaires, fonctionnaires, commerçants et employés, obligent les uns et les autres à se situer et à affirmer leurs revendications. Deux ans plus tard, en mai 1991, après maints colloques et d’innombrables discussions souvent passionnées, le Parlement adopte un nouveau statut pour la Corse ; l’île devient alors une collectivité territoriale d’un genre inédit jusque-là. Les élections régionales de mars 1992 parachèvent cette nouvelle

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construction, qui suscite de multiples scissions au sein de la famille nationaliste, et jusque dans les rangs du FLNC : il y a aujourd’hui un FLNC dit «canal habi­ tuel », qui joue le jeu, dit renoncer à l’« impôt révolu­ tionnaire » et, globalement, respecte la trêve, face au « canal historique », qui entend maintenir la pression par l’action violente, car, pour ces ultras, la politique gou­ vernementale n’est que poudre aux yeux. Des partis et des clans Le clan... Pour ceux qui en participent, c’est un mythe; en revanche, modernistes et nationalistes y voient la cause de tous les maux dont souffre l’île. C’est avant tout la méthode qu’ont élaborée les Corses pour norma­ liser leur rapport à la puissance protectrice. De ce fait social est née la classe politique insulaire et sa division encore récente en partitu et contra-partitu (parti et contre-parti). La Corse connaissait jadis deux systèmes politiques. L’un, féodal, régnait dans le Sud, Terre des seigneurs; l’autre, fondé sur une gestion communautaire des sols, pratiqué dans l’En-deçà-des-Monts, c’était la Terre du commun. Lorsque Pise, puis Gênes et la France imposè­ rent leur loi à l’île, la société éprouva le besoin d’ins­ taurer un système tampon qui « adapte le pouvoir étran­ ger à la réalité sociale et culturelle insulaire » (José Gil). Ainsi naquirent ces intermédiaires entre un pouvoir étranger et lointain et une société archaïque et aux diverses structures. Ces relais devinrent vite indispen­ sables : à l’État central, ils permettaient la gestion plus «en douceur» d’une région frondeuse ; aux Corses, ils assuraient, par leurs relations, la possibilité d’emplois, d’intercessions ou de recommandations. Très dialecti­ quement, il n’y a pas un, mais deux clans, qui, au fil des siècles, portèrent diverses étiquettes parce qu’ils se ral­ liaient à différents protecteurs : parti français/parti génois, paolistes/bonapartistes, gavinistes/landristes, au­ jourd’hui MRG/RPR, encore que ces termes ne recou­ vrent pas la même réalité que sur le continent.

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Les élus du clan tirent leur légitimité de l’onction élec­ torale. Celle-ci leur est acquise de façon quasi hérédi­ taire pour les chefs : ainsi Paul Giacobbi, président de l’Association des maires de Haute-Corse et conseiller régional, est le fils de François, sénateur et longtemps président du Conseil général de Haute-Corse, et petit-fils de Paul, ancien ministre de la IIIe République ; Camille de Rocca-Serra, conseiller général de Porto-Vecchio, est le fils de Jean-Paul, député-maire de cette ville et prési­ dent de l’Assemblée de Corse ; Émile Zuccarelli, député MRG de Haute-Corse et ministre du gouvernement Bérégovoy, a succédé à son père Jean à la mairie de Bastia, etc. Seule la ville d’Ajaccio semblait faire exception à cette règle, le populisme bonapartiste n’étant guère com­ patible avec le népotisme. Mais cette anomalie est en voie de disparition avec l’élection au Conseil général de Dominique Ornano, fils du sénateur-maire Charles Ornano, et l’élection au poste de premier adjoint de la ville du Dr Marc Marcangeli, son neveu. Les villages n’échappent pas à cette pratique : fin mars 1989, les élus de Feliceto (Haute-Corse) ont décidé d’organiser une élection municipale partielle pour que le fils du maire défunt, qui n’était pas conseiller municipal, puisse lui succéder... La fidélité de l’électorat est assurée par le clientélis­ me. Les suffrages sont acquis par les requêtes satisfaites et les liens personnels entretenus avec les électeurs. Jean-Paul de Rocca-Serra, surnommé au faîte de sa car­ rière « le renard argenté », aime ainsi à raconter com­ ment, débutant son parcours politique à l’orée des années cinquante, il interrompait une promenade à che­ val dans la montagne pour aller à pied rendre visite à la femme d’un berger qui venait d’accoucher ; il est aujour­ d’hui capable, à la veille d’un scrutin, de dresser, sur un coin de table, la liste de tous les villages de sa circons­ cription avec, en regard, ses scores probables et ceux de ses adversaires. Quant aux sessions des Assemblées régionale ou départementales, elles sont régulièrement 34

suspendues le temps d’un enterrement auquel la plupart des conseillers se font un devoir d’assister. Entre chaque consultation électorale, l’intervention­ nisme sévit de façon chronique. Début 1983, le juge Michel Hubert, dans la revue Justice, accusait : « La loi est détournée au profit du clan, le droit passant pour une faveur, l’obligation pour un service rendu. » Depuis, la situation n’a guère changé, puisque, dans le rapport Prada publié en septembre 1989 à l’issue d’un grave conflit social, Pierre Cabanes, chargé des travaux d’une table ronde sur la fonction publique, se demandait « quelle autorité réelle peut avoir un fonctionnaire dont on sait, ou dont on dit, qu’il doit tout à des interventions, vis-à-vis tant de ses subordonnés que des usagers du ser­ vice. Comment peut-il dire non, là où la loi impose cette réponse ?... ». Jadis, l’allégeance à un clan était la condition presque absolue pour obtenir de la puissance publique un emploi à l’abri des vicissitudes du temps, une pension qui per­ mît de subsister. Angelo Rinaldi, qui dépeint avec féro­ cité à longueur de romans les mœurs de son île natale, a relevé «l’attitude du politicien, lequel, où qu’il se trouve, mû par la force de l’entraînement, serre toutes les mains avec la même chaleur et affiche constamment un air badin afin de décourager son interlocuteur, quéman­ deur en puissance, de lui exposer ses préoccupations » (La Maison des Atlantes). En ce sens, la figure la plus symbolique qui soit dans le paysage corse est celle du maire, u sgiò merru, à qui la présence du contra-partitu rappelle qu’il doit justifier son élection et préparer la suivante. On lui demande de bien représenter le village et de servir ses intérêts, et de procurer - du moins jusqu’à un passé récent - des emplois dans l’administration. L’exil massif des Corses de l’intérieur augmente, au moment des choix politiques, le poids d’une communauté qui ne retrouve plus le vil­ lage que pour la parenthèse des vacances, et influe sur la gestion communale, en opposition parfois avec les quelques résidents permanents ; le maire lui-même est

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L’été, les villages revivent ; les vieux partagent leur banquette de pierre avec les jeunes revenus pour les vacances.

souvent un fils exilé, qui a réussi «sur le continent». D’où ces « bourgs pourris », qui ne comptent que quelques dizaines d’habitants permanents, mais une cen­ taine d’électeurs, et n’existent plus physiquement que le temps d’un scrutin, le temps de reconduire un pouvoir qui s’autogénère. Ainsi, le canton de Bustanico, dans la Castagniccia, qui avait, avant la refonte des listes élec­ torales de 1991, 3 700 électeurs pour 1 700 habitants. Parti et contre-parti se livrent une guerre acharnée, mais sont capables de faire front commun face à un dan­ ger extérieur, comme en 1982, puis en 1991, où le RPR et le MRG s’opposèrent de toute leur force à l’adoption des textes fixant le statut de l’île, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale ; ceux-ci promulgués, ils se coulèrent vite dans le moule et tirèrent tout le profit qu’ils purent des nouvelles institutions. Ce schéma tend aujourd’hui à se diluer ; les élus locaux, depuis les lois de décentralisation, sont devenus plus décideurs que simples gestionnaires ou interces­ seurs, et la dernière mouture du statut particulier de l’île, adopté en mai 1991, a secoué les habitudes. En obli­ geant à une refonte des listes électorales dans le but de mettre fin à la pratique des « bourgs pourris », mais plus encore en scindant une classe politique jusque-là immo­ biliste en deux familles farouchement antagonistes, Pierre Joxe, initiateur du texte, a profondément modifié la vie politique insulaire. Il y a désormais les « moder­ nistes », ceux qui se réjouissent de la nouvelle donne institutionnelle, parmi lesquels une fraction des nationa­ listes, et les autres, qui, essentiellement conservateurs, voient avec inquiétude le pouvoir leur échapper. Les grands perdants sont les Corses de la diaspora qui, comme le dénoncent le RPR et le MRG, voient ainsi tranché le dernier lien qui les rattachait au village de leurs origines : l’inscription sur les listes électorales. Les élections régionales de mars 1992 ont marqué les limites de ce bouleversement en renvoyant paradoxale­ ment au Grand Hôtel d’Ajaccio une majorité qui s’était opposée au nouveau statut ; mais cette majorité doit 37

compter avec les quelque 25 % de voix qui se sont, à cette occasion, portées sur les candidats de l’une ou l’autre famille nationaliste. Depuis, la scène politique corse est plus brouillée que jamais, d’autant qu’une fois encore l’État alterne les moments de sollicitude et les épisodes de désintérêt. La tentation mafieuse Le milieu corse fait partie des clichés de la littérature policière. C’était aussi une réalité avant et après la Seconde Guerre mondiale à Paris, ce l’est toujours en partie à Marseille. La Corse était alors pour les caïds un refuge, un havre où l’on venait se mettre au vert, mais aussi un réservoir de main-d’œuvre : on obligeait une famille alliée à la sienne en appelant à ses côtés le petit qui devenait porte-flingue ou croupier dans un établisse­ ment de jeux. L’île était alors territoire neutre, sanctuaire d’autant plus respecté qu’il était impossible, étant donné son sous-développement, d’en faire un terrain d’action. On y venait passer des vacances, sous les yeux éperdus de tendresse d’une mère qui clamait la réussite de son fils, « industriel à Paris » ; le temps de la retraite venu, on s’y faisait élire maire, parfois conseiller général ou régional, pour ajouter sur le tard la respectabilité à la considération qu’engendre la réussite financière à l’exté­ rieur. L’augmentation de la circulation des capitaux en Corse à partir des années soixante et le déclin simultané de ce milieu corse ont modifié la nature de cette méta-société. Une nouvelle génération de malfrats a, elle aussi, éprouvé le désir de « vivre et travailler au pays ». Après avoir fait leurs classes au sein, dit-on, du gang des pos­ tiches qui a défrayé la chronique au début des années quatre-vingt, ceux-ci ont fait de la Corse le domaine quasi exclusif de leurs activités, constituant peu à peu la bande dite « de la Brise de Mer ». Elle tenait son nom d’un bar désormais fermé qui, sur le Vieux-Port de Bas­ tia, lui servait de base et a connu ses moments de gloire de 1983 à 1986. Le gouvernement, alors obnubilé par la

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lutte contre le FLNC, mobilise l’essentiel des forces de police dans ce but. Les jeunes truands ont donc le champ quasiment libre. Modernes, ils sont conscients que le seul travail de cueillette, c’est-à-dire les hold-up ou les rackets, ne suffit pas à s’assurer de confortables et solides revenus ; mieux vaut investir, en commençant par ce qui est le plus à leur portée : la vie nocturne. La bagarre pour le contrôle du Castel, une boîte de nuit de Penta-Folelli, au sud de Bastia, durera deux ans, de sep­ tembre 1981 à novembre 1983, laissant une quinzaine de victimes sur le bitume. Le procès de ceux que l’on soup­ çonnait d’être à l’origine de toute l’affaire se déroulera (pour plus de sérénité !) devant les assises de Dijon, en juin 1985. Devant des jurés bourguignons ébahis, les principaux témoins, dont un policier, ont soudain perdu la mémoire ; les trois accusés sont acquittés. Assurée d’une quasi-impunité, la bande n’hésite plus à afficher sa réussite dans les rues de Bastia ; les voitures de sport se vendent comme des petits pains : Ferrari et autres Porsche immaculées paradent à l’heure du Casanis sur les contre-allées de la place Saint-Nicolas. Dans ce petit village qu’est la capitale de la Haute-Corse, cha­ cun conserve au fond un peu de tendresse pour ces jeunes dont certains appartiennent aux meilleures familles de la ville ; leurs frères sont banquiers ou avo­ cats, leur père notaire ou inspecteur des impôts. Peu à peu, ils prennent par la menace ou l’intimidation le contrôle de la plupart des grandes boîtes de nuit : l’Apocalypse à Bastia, le Challenger à L’Ile-Rousse, le Byblos à Calvi, le Midnight dans la plaine orientale, avec des incursions en Corse-du-Sud, sur le golfe d’Ajac­ cio. Autour d’eux gravite toute une nébuleuse d’« obli­ gés » qui commencent à leur conférer une aura de res­ pectabilité ; il y a là des commerçants dont les affaires vacillantes ont été remises à flot par une avance de tré­ sorerie bienvenue, des avocats qui prodiguent leurs conseils et jouent de toutes les ficelles de procédure pour obtenir, lorsqu’un homme de la bande tombe, que son cas soit évoqué devant les assises et non devant un 39

simple tribunal correctionnel (un jury populaire est tel­ lement plus facile à émouvoir, tellement plus sensible aux pressions). Il y a aussi des hommes politiques à qui l’on assure une élection et qui savent renvoyer l’ascenseur ; ainsi, lorsque l’Apocalypse est fermée par décision adminis­ trative, tout son personnel est réembauché par un entre­ preneur de travaux publics. Ce qui provoquera au cours de l’été 1986 un début de dépression nerveuse au direc­ teur de l’agence bastiaise de la Banque de France : à la suite des hold-up dont son établissement a été l’objet, la direction centrale le somme de faire effectuer des tra­ vaux de renforcement de la sécurité. Le pauvre homme ne dort plus, n’osant pas lancer l’appel d’offres, de crainte que les plans du nouveau dispositif ne tombent immédiatement entre les mains des truands. Face à cette montée en puissance et aux blocages aux­ quels elles se heurtent, les autorités judiciaires tentent d’employer une méthode naguère fort efficace avec Al Capone aux États-Unis ou encore, plus près de nous, avec Gaëtan Zampa à Marseille : le contrôle fiscal. En 1984, on décide d’envoyer à Bastia une brigade finan­ cière pour y éplucher les comptes des établissements suspects. L’opération, remise de semaine en semaine, fut finalement annulée par une Chancellerie indécise, harce­ lée de pressions contradictoires et peu sûre du soutien qu’elle trouverait sur place. Il fallut une campagne de presse à laquelle participè­ rent dans le courant de l’été 1986 les principaux quoti­ diens et hebdomadaires nationaux pour que les yeux se décillent et que les risques encourus apparaissent. Cam­ pagne d’ailleurs fort mal perçue par une société qui a horreur que les journalistes continentaux viennent four­ rer leur nez dans les affaires de famille. Ne dit-on pas dans l’île : « Affari di Casa, un si ne dice » (on ne parle pas de ce qui se passe à la maison)... Le Nouvel Obser­ vateur mit le feu aux poudres ; Patrick Loriot y dénon­ çait « la complicité de cette société qui a toujours pré­ féré le banditisme à la culture et pour qui lire un livre est

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déjà une forme d’homosexualité ». Que n’avait-il osé affirmer! Cette phrase fut l’occasion d’une immense polémique à laquelle participèrent hommes politiques, magistrats et avocats, querelle qui permit d’évacuer le propos même de l’article. Seule la fédération de Corsedu-Sud du Parti communiste eut le courage de s’élever contre cette manière de se voiler la face : « L’occasion était belle pour certains de jouer les sentinelles ombra­ geuses de l’honneur corse, comme si cet honneur était davantage atteint par les outrances d’un journaliste obs­ cur que par les sanglants agissements quotidiens de la Mafia. Ceux qui se drapent ces jours-ci de vertu outra­ gée, aussi bien que ceux - encore plus nombreux et plus haut placés - qui se taisent ne pourront pas cacher long­ temps qu’ils ne veulent rien faire contre elle. » 11 y eut bien un débat public organisé à la fin d’octobre 1986 sur ce thème par le Conseil général de HauteCorse, à l’initiative de Vincent Carlotti, le maire socia­ liste d’Aleria. Mais il tourna court, car le président Gia­ cobbi préférait mobiliser les énergies en direction de la lutte contre les séparatistes et leurs attentats. Les élus enterrèrent donc le dossier en affirmant que « la paix civile ne se divise pas » et en assurant les pouvoirs publics de leur soutien dans la lutte contre « le terro­ risme et le banditisme, qui sont indissociables et se nourrissent l’un de l’autre ». Au vu des résultats obtenus dans le combat contre le terrorisme, on pouvait dormir tranquille. Cette réunion, il faut le dire, tombait fort mal pour ces élus ; l’un d’entre eux, la semaine précédente, avait été surpris en pleine tentative de corruption de juré par le premier président de la cour d’appel. Ce dernier, depuis des mois, pestait contre les difficultés rencontrées pour former un jury d’assises ; bien souvent, les certificats médicaux pleuvent, l’audience doit être reportée et des policiers envoyés au domicile de citoyens absents pour les traîner de force vers une tâche qu’ils répugnent à accomplir. Aussi le président Serny se frotte-t-il les mains lorsqu’il surprend Jean-Luc Chiappini, maire de 41

Letia, glisser à l’un des jurés avant l’audience : « Je vous fais confiance pour les trois accusés ; venez me voir à l’Assemblée de Corse si vous avez besoin de quelque chose... » Le maire trop bien intentionné est immédiate­ ment arrêté et incarcéré ; il sera plus tard condamné et déchu de ses droits civiques. Malgré cette répugnance de la société à balayer devant sa porte, le vent tourne pour la Brise de Mer. Au début du mois d’août, deux de ses membres sont arrêtés en fla­ grant délit alors qu’ils viennent de réaliser un hold-up avec prise d’otages à l’agence du Crédit agricole de Macinaggio, au bout du cap Corse ; butin : 600 000 francs. Quelques semaines plus tard, une commission rogatoire est lancée pour association de malfaiteurs ; l’enquête financière avortée en 1984 est relancée, avec plus de succès cette fois : l’un des acquittés de Dijon est arrêté pour abus de biens sociaux, en même temps que le gérant du bar qu’il contrôle place Saint-Nicolas. Les deux hommes seront condamnés en mars 1987. Le gérant du Challenger à L’Ile-Rousse, quant à lui, reçoit un avertissement du percepteur local pour non-paiement des taxes communales. Pris d’un coup de sang, il envoie un coup de tête assorti de menaces de mort au fonction­ naire : cela lui vaudra de passer quelques mois derrière les barreaux de la prison Sainte-Claire de Bastia. Le 9 septembre 1987 enfin, un autre des « Dijonnais » est interpellé près de Nîmes ; dans sa voiture, tout l’attirail du casseur : quatre pistolets, quatre revolvers, un pisto­ let-mitrailleur, 350 cartouches, des cagoules, des bas de femme, des gants. On lui impute l’attaque d’un fourgon de transports de fonds quelques jours auparavant sur l’aéroport de Toulouse-Blagnac ; butin : 25 millions de francs. A la suite de tous ces revers, la Brise de Mer est deve­ nue beaucoup moins voyante. Parce que les sommes engrangées au fil d’une décennie ont en partie été blan­ chies dans des activités parfaitement légales (bars et éta­ blissements nocturnes, mais aussi commerces et tou­ risme) qui maintenant tournent et fournissent des

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rentrées transparentes et avouables. Mais aussi parce que, face à la pression que la pègre locale faisait peser, les banques et les entreprises de transport de fonds ont été contraintes d’adopter des procédures de sécurité inouïes jusque-là. Mais cette baisse d’activité de la bande «pionnière» n’a pas pour autant assaini la situation. L’exemple des caïds a fait des émules. Dans l’ombre des grands et bénéficiant du climat de violence qu’entretenaient les actions du FLNC, la petite délinquance a proliféré. Pour une région aussi peu peuplée, les statistiques policières sont effarantes : en moyenne, 184 hold-up par an entre 1984 et 1990. Les agressions ont chuté en zone urbaine, mais se sont multipliées dans le monde rural, où les vic­ times sont les modestes commerçants ou les bureaux de poste de campagne. Le climat délétère qu’engendre ce mélange de délin­ quance au quotidien et d’actions violentes revendiquées par les clandestins est propice aux règlements de comptes privés de toute nature ; ainsi, lors de l’audience solennelle de rentrée, au début de janvier 1990, le pro­ cureur général de la cour d’appel de Bastia, Jean-Pierre Monestié, soulignait que, sur 222 attentats de toutes sortes commis en 1989 par explosif, par incendie ou par arme à feu, 129 étaient imputables au banditisme ; en clair, aux rivalités d’ordre personnel ou commercial. L’été 1992 fut, selon le magazine Kyrn, un «été de sang et de rapine» (numéro d’octobre 1992) : les holdup y ont augmenté de 30% par rapport à l’année précé­ dente, avec des butins allant de quelques centaines de francs arrachés à des commerçants à une somme de 7 millions de francs dérobée dans la soute d’un avion d’Air Inter à l’aéroport de Bastia par un commando arrivé en hélicoptère. Mais aussi les règlements de comptes : quarante morts violentes dans l’île pour cette même année, soit un taux d’assassinats cinq fois plus élevé que la moyenne nationale. Le thème de la Corse victime de l’emprise de la Mafia revient régulièrement dans la presse régionale ou nationale. L’échéance de 43

1993 suscite des craintes que pourtant rien, jusqu’ici, ne justifie concrètement. Le milieu corse est trop morcelé pour que l’on puisse envisager une organisation crimi­ nelle cohérente à l’échelle de l’île, et aucune enquête sérieuse n’a prouvé l’implantation en Corse de la « pieu­ vre » italienne. Les enquêtes menées notamment au sujet des investissements italiens effectués sur l’île de Cavallo ont toutes conclu à la « propreté » des capitaux en cause. Reste que le terrain est propice à une criminalisation croissante. Comme le note Erich Inciyan en conclusion d’une enquête publiée dans Le Monde du 3 octobre 1992, « si mafia il y a, [...] elle sera donc corse. Authen­ tiquement corse. Constat qui n’est pas sans conséquence politique. Même la presse nationaliste rappelle avec inquiétude le précédent sicilien, où la mafia sut tirer pro­ fit de l’adoption du statut qui, en 1948, transforma la Sicile en région autonome ».

Les problèmes de la drogue Si le milieu corse traditionnel s’est de tout temps inté­ ressé à la drogue, il avait également préservé l’île des retombées de ses activités, peu enclin à empoisonner ses compatriotes. Là aussi, la Corse était un havre. C’était même l’endroit où l’on envoyait les petits se refaire bon gré mal gré une santé, à l’abri de toute tentation, lors­ qu’ils avaient sur le continent goûté aux poisons défen­ dus. Paradoxalement, ce fut là une des causes, parmi tant d’autres, de l’arrivée de la drogue dans un monde corse tellement malmené qu’elle y fit immédiatement des ravages. Ce qui n’était au début des années quatre-vingt qu’un épiphénomène, à tel point que certains se réjouis­ saient déjà que la Corse fût épargnée, prit au fil des ans une ampleur inquiétante. En 1986, on estimait qu’il y avait environ 500 vrais toxicomanes dans l’île. Ce chiffre n’était pas extravagant pour la France, mais don­ nait le vertige à l’île qui ne reconnaissait plus ses enfants. Un minimum de prévoyance eût peut-être permis de faire l’économie de cette situation. Tous les indices prou44

vaient en effet que la Corse ne pouvait échapper à ce problème qui a affecté tout l’Occident : société malade et à la dérive, chômage particulièrement inquiétant chez les jeunes, absence d’avenir dans une situation en per­ manence obérée par l’actualité. Mais il était plus facile de se boucher les yeux et les oreilles et d’affirmer que la famille corse était suffisamment solide pour résister à ces attaques. L’extrême étroitesse de la communauté fit au contraire que l’on chercha, avec la dernière énergie, à nier l’évidence, pour ne pas perdre la face. Combien de décès dus à une overdose, ou bien encore à un sida que l’on faisait, en cachette, soigner à Paris, ont été officiel­ lement drapés de respectabilité et transformés en « mort accidentelle » ou en « disparition des suites d’une longue maladie » ! Les toxicos en sont réduits à se cacher un peu plus pour tenter de trouver l’anonymat, et donc à s’enfoncer un peu plus. La Corse-du-Sud réagit plus rapidement ; les psy­ chiatres y mirent en place dès 1984 des structures d’accueil. En revanche, à la suite de rivalités médicales et administratives, Bastia, qui était plus touchée, devra attendre 1987 pour que les premiers centres publics soient créés. Entre-temps, les nationalistes avaient décidé de mobiliser l’énergie de leurs militants sur ce thème ; ce sera la campagne « No à a droga », relayée sur le terrain par la CGNC (Cunsulta di a ghjuventù naziunalista corsa — Consulte de la jeunesse nationaliste corse, la consulte étant en Corse une assemblée de citoyens) et l’ALC (Associa di i liceani corsi - Asso­ ciation des lycéens corses). Les murs des lycées se cou­ vrent peu à peu du slogan bombé en lettres rouges ; des réunions sont organisées à Corte et dans d’autres villes, où les associations sont conviées à venir débattre de la question. Fin octobre 1985, le FLNC menace : «Nous nous en prendrons aux dealers et aux lieux publics où se consomme et se vend la drogue ; si nos avertissements ne sont pas pris en considération, les propriétaires de ces lieux devront s’apprêter à assumer toutes les consé­ quences de ce refus. » Cette campagne permet, dans un 45

premier temps, à la famille nationaliste de se ressouder autour d’un mot d’ordre porteur et de regagner l’avan­ tage perdu à la suite des actions menées les mois précé­ dents contre les fonctionnaires «français». Le 14 dé­ cembre, l’UPC et le MCA (Mouvement corse pour l’autodétermination) défilent au coude à coude dans les rues de Porto-Vecchio pour dénoncer le « fléau im­ monde ». Personne, dans l’île, ne trouve rien à redire à cette opération ; c’est presque l’unanimité, à tel point que même le Front national applaudit. Les actes suivent ; en deux mois, cinq bars sont victimes d’attentats ou de tentatives d’attentat : deux à Bastia, deux à Ajaccio, un à Porto-Vecchio. Le 14 janvier 1986, la voiture d’un ouvrier boulanger marocain saute en pleine nuit à Calenzana, près de Calvi ; parmi les décombres, des tracts, signés FLNC, disant «non à la drogue». Outre qu’il devenait quelque peu gênant de voir les clandestins se mêler de faire la justice à la place d’un Etat jugé défaillant, le fait que les bars visés appartiennent à des Maghrébins ou soient fréquentés par eux faisait planer sur le tableau une ombre plutôt pesante. Le pire restait pourtant à venir. Le 2 janvier 1986, deux ouvriers tunisiens sont abat­ tus à l’arme de chasse chez eux, rue des Trois-Marie, dans un de ces taudis qu’abritent encore les immeubles délabrés du vieil Ajaccio. Les enquêteurs n’ont aucune piste. Crime raciste, dans une île où les ouvriers immi­ grés sont en effet tout juste tolérés ? Le préfet de police, Georges Bastelica, n’y croit pas. Règlement de comp­ tes? Les deux hommes sont parfaitement inconnus des services de police. L’enquête s’enlise lorsque, le 13 jan­ vier, parvient dans les rédactions un communiqué qui fait l’effet d’une bombe : le FLNC revendique ce double meurtre et prétend que l’une des deux victimes «faisait rentrer tous les mois des quantités importantes de haschich et d’héroïne qu’il faisait revendre par un réseau de dealers qu’il contrôlait ». Conscients de l’ampleur des réactions qu’ils allaient susciter, les clandestins précisent que cette action n’a rien de raciste : «Ce n’est pas de 46

notre faute si, parmi les filières d’approvisionnement de drogue à des fins de vente et de consommation en Corse, les filières marocaines et tunisiennes jouent un rôle très important. » Précaution inutile : c’est immédiatement le tollé. Oh, pas dans la rue où le Corse moyen se dit qu’après tout, ça ne fait jamais que deux Arabacci, deux sales Arabes de moins. Pas non plus à droite, où l’on se tait : les élec­ tions approchent, le Front national a fait un tabac aux européennes de juin 1984 (17,52% en Corse-du-Sud) et ce n’est vraiment pas le moment de prendre son électo­ rat à rebrousse-poil ! L’UPC, empêtrée dans sa politique d’union avec le MCA, bredouille des explications confuses et alambiquées qui témoignent plus de son inconfort que d’une réelle analyse politique... Seuls les partis de gauche, PS et PC, s’insurgent, suivis par les syndicats, les groupuscules gauchisants et le collectif antiraciste Ava Basta (« Maintenant, ça suffit ! »). Mais la condamnation la plus vive, la plus amère aussi, vient de la frange progressiste des nationalistes qui, prêts à de nécessaires compromis, se trouvent cette fois face à un acte qu’ils ne peuvent en aucun cas cautionner. Cette justice expéditive, digne des escadrons de la mort sudaméricains, donne du combat qu’ils soutiennent et par­ fois partagent une image qui leur est insupportable. Au nom de quel idéal, de quel projet, peut-on devenir à la fois accusateur, juge et bourreau ? Le nationalisme corse serait-il lui aussi tombé dans le piège qui guette tout nationalisme, celui de la dérive droitière, du repli frileux, égoïste et pervers autour d’une identité à préserver coûte que coûte? Rageurs, certains ajoutent que, tant qu’à vouloir s’ériger en justiciers, autant s’en prendre au milieu corse, et non pas à deux pauvres hères vivant les yeux baissés et dont rien n’indique qu’ils aient jamais fait autre chose que de revendre quelques barrettes de haschich. Mais voilà, au fil de son histoire, jamais le FLNC n’a voulu ou pu s’opposer au banditisme. Peut-être parce qu’il sait que s’en prendre à ses compatriotes, c’est

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mettre le doigt dans un terrifiant engrenage qui peut mener à la guerre civile ; mais surtout, parce que ses marges ne sont pas très nettes. A cette occasion, le pré­ fet de police Georges Bastelica rappelait que « le FLNC n’est pas une organisation de gangsters, mais |qu’]il pourrait en son sein y avoir des gangsters qui en profi­ tent pour faire leurs propres affaires, quitte à ternir l’image que certains politiques voudraient lui donner». Cette campagne antidrogue était en fait une façade destinée à ressouder sur un thème unanimiste des mili­ tants qui s’essoufflaient et à masquer le grand vide idéo­ logique dont le mouvement était atteint depuis de nom­ breux mois. Les proches élections législatives et régionales allaient, on le sentait déjà, ramener la droite au pouvoir, avec son corollaire : l’affrontement ; il était donc urgent, dans cette perspective, de serrer les bou­ lons. L’opération fut un fiasco total ; le slogan « No à a droga » fut vite enterré et on laissa dorénavant les auto­ rités sanitaires et policières s’occuper du problème. Cette même politique fut pourtant remise en œuvre dès 1990 par les dissidents du FLNC « canal historique » (les plus radicaux), avec campagnes de distribution de tracts par des commandos en cagoule à la sortie des lycées ou dans le train Bastia-Ajaccio. A l’automne 1992, après un été fertile en règlements de comptes de tous ordres, les « historiques » revendiquèrent une nouvelle fois à demimot certains de ces assassinats, au nom toujours de la lutte contre la drogue : quelques victimes avaient, en effet, été condamnées pour le rôle qu’elles avaient joué dans les réseaux de la « French Connection ». On pourrait donc craindre que la position centrale de la Corse en Méditerranée ne la transforme en plaque tournante du trafic international, voire même que des laboratoires clandestins n’y soient installés à l’abri du maquis. Craintes infondées à ce jour. Il y eut bien, au début des années quatre-vingt, un laboratoire découvert dans la région de Propriano avant même sa mise en ser­ vice. De même, en 1988, fut démantelée une filière qui utilisait la Corse comme tremplin de rebond d’un trafic 48

en provenance du Liban. Ce furent les seules alertes un peu chaudes. La Corse n’est aujourd’hui en ce triste domaine que la réplique de n’importe quelle province française plutôt calme, avec ses petits trafiquants, plus « fourmis » que gros bonnets, revendant surtout pour assurer leur consommation personnelle et se fournissant à Nice ou Marseille. Les importantes saisies que réali­ sent régulièrement les services des douanes sont à cha­ que fois effectuées sur des navires qui, ayant fait leurs emplettes au Maroc ou au Liban, se font contrôler lors de leur passage dans les eaux corses alors qu’ils font route vers l’Italie ou la Côte d’Azur. La police demeure malgré tout vigilante : une brigade anti-stups a été créée en 1989 ; elle travaille en étroite relation avec la brigade économique et financière du SRPJ, fait de gros efforts de prévention et s’attache à combattre les vieux démons en affirmant haut et fort «qu’il n’y a, parmi les Maghré­ bins, ni plus de consommateurs ni plus de fournisseurs que dans la population locale» (Kyrn, novembre 1989). La Corse à la croisée des chemins Cette formule revient régulièrement dans toutes les bouches, sous toutes les plumes. Il semble, en fait, que jamais cette île n’eut le sentiment d’un avenir serein, et que chaque époque lui propose à la fois des raisons d’espérer mais autant de sujets d’angoisse et de crainte. Ballottée entre ses propres contradictions et les sautes d’humeur de l’État, la Corse en permanence se cherche, sans véritablement trouver d’appui qui l’aide dans sa quête d’identité. Les statuts divers dont la République l’a dotée ne seront jamais que des coquilles vides tant qu’ils ne seront pas accompagnés des signes tangibles et concrets que doit lancer un État qui sait ce qu’il veut. De plus en plus pré­ vaut le sentiment que l’île est un lieu de non-droit, où l’interventionnisme et les intérêts particuliers l’empor­ tent sur l’intérêt général et les règles de droit. Pour une ordonnance de démolition prise par la justice à l’encon­ tre d’une construction illicite, comme ce fut le cas pour

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un port privé aménagé sans autorisation sur l’îlot de Cavallo, combien d’exemples d’illégalités, de passe-droits, de laissez-faire ?... Peut-être pas beaucoup plus qu’ailleurs, mais dans une île où, encore une fois, tous se connaissent et où tout se sait, pour un peuple qui perd ses repères, cela est particulièrement grave. Et les Corses, légitimistes autant que réfractaires à l’autorité, de s’insurger : «Ou l’Etat installe en préfecture des Saint-Just qui feront subir les rigueurs de la loi à d’autres qu’aux nationalistes, ou il s’en va» (Ghjurnale di a Messagera, juillet 1992).

Itinéraires de Corse

Il n’y a pas de saison pour découvrir la Corse ; chacune a son charme. Néanmoins, le plein été, époque du tou­ risme triomphant, n’est pas forcément la plus agréable, sauf si l’on recherche par-dessus tout la chaleur, parfois caniculaire. Mais ce plaisir se paie : il faut en contrepar­ tie subir l’encombrement des plages et des routes, l’aga­ cement des Corses qui supportent mal de voir arriver en l’espace de deux mois un bon million de visiteurs, quelque bienvenus fussent-ils financièrement, et l’inadap­ tation des infrastructures à une telle poussée de popula­ tion. Certes, il vaut mieux éviter l’hiver, surtout février et mars, mois pluvieux, gris, frais sur le littoral et même froids dans l’intérieur. Les Corses eux-mêmes ne s’y trompent pas : c’est la période choisie par la plupart des commerçants pour prendre leurs vacances ; de nombreu­ ses boutiques et la plupart des hôtels sont alors fermés. Mais dès les alentours de Pâques, l’île redevient d’au­ tant plus accueillante que les touristes sont rares. Durant cette féerie du printemps, le maquis se couvre de milliers de fleurs, se pare des fruits rouges des arbousiers, embaume le ciste et le myrte, au grand délice des pro­ meneurs qui peuvent flâner sur les routes de l’île, aller à la découverte, se laisser porter par les chemins et leur intuition, rencontrer et écouter les gens, parcourir les montagnes et musarder dans les villes. C’est la saison de tous les loisirs, les sportifs pouvant passer la matinée à ski sur les pistes du Val-d’Ese et l’après-midi en planche à voile dans le golfe d’Ajaccio ; de quoi faire des envieux auprès de ceux qui ne jouissent pas d’un tel climat. L’automne est également des plus agréable ; passé la mi-août, le gros des vacanciers envolé, la Corse rede-

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vient elle-même, baignée dans la lumière dorée des ultimes jours de l’été, offrant des paysages où tous les tons d’ocre, de rouge et de brun se répondent. Les orages d’août, fidèles au rendez-vous, violents et passa­ gers, ont tempéré les chaleurs accablantes et reverdi le bord des chemins ; les figues éclatent, gorgées de miel, les raisins sont mûrs pour les vendanges et les troupeaux vont bientôt redescendre des alpages. La Corse, hébétée par l’agitation estivale, renaît et s’ébroue, soulagée d’avoir retrouvé sa quiétude un moment sacrifiée. Il faut alors savoir profiter de cette nouvelle disponibilité, jouir du temps que l’on prend, de la rosée et de la fraîcheur matinales qui exhalent les odeurs, des couchants assagis qui atténuent les contrastes et des éclairages obliques qui accentuent les ombres. Il n’est guère aisé de décrire la Corse, ses paysages et ses beautés : on frôle constamment l’hyperbole et le dithyrambe. Même en se modérant, chacun vous taxe d’exagération. Et pourtant, on reste en deçà de la vérité. Car, une fois encore, la Corse étonne, surprend : elle agace ou émerveille, séduit ou irrite ; jamais elle ne laisse indifférent. L’émerveillement est au détour de chaque virage ; en à peine quelques tours de roue, on passe du paysage marin au site alpin, aux plages infinies de la côte orientale succèdent la châtaigneraie touffue de la Castagniccia et la somptuosité de ses églises baroques. Des forêts de pins laricio de Vizzavona ou de Bavella, on descend vers la côte déchiquetée et grani­ tique du golfe de Porto-Vecchio ; mais voici qu’appa­ raissent bientôt les blanches et hautes falaises de Bonifacio. En un rien de temps, la lumière, le climat même, bas­ culent. Une chaîne de hautes montagnes, dominée par le monte Cinto (2 710 mètres), traverse l’île de Calvi à Porto-Vecchio, délimitant ainsi le Pumonte et le Cismonte, la Corse de l’En-deçà-des-Monts et celle de l’Au-delà-des-Monts. Cette majestueuse barrière entrave autant la progression des nuages que celle des hommes. Ainsi, on peut grimper un col dans le plus épais brouil54

lard, lequel se déchire au sommet sur un soleil resplen­ dissant. Ou encore progresser au-dessus des nuages noyant les vallées et avoir ainsi l’illusion de longer un immense lac agité par une tempête ouatée. Sauf après un violent orage, ces paysages sont en général estompés par une légère brume due, l’été, à la chaleur, l’hiver aux intempéries. Seules quelques rares journées d’automne ou de printemps offrent un ciel d’une parfaite limpidité. Des plus hauts sommets de l’île, ou encore d’avion, la vue est alors somptueuse, sans autres limites que l’horizon. Tout semble si proche que l’on pense pouvoir toucher du doigt les contrées voisines, comme si Ton était dans un monde soudain rétréci. Mais c’est lorsqu’on l’aborde par mer, si possible au petit matin, que la Corse se révèle dans toute sa splen­ deur. La fraîcheur de la nuit a sublimé les senteurs du maquis : romarins, cistes et myrtes, marjolaines et térébinthes, nepita (menthe pouillot) et mucchju (immor­ telle) mêlent leurs arômes. Ce bouquet d’odeurs incom­ parable faisait dire à Napoléon, du fond de son exil, qu’il reconnaîtrait son île les yeux fermés. Ce n’est pas une image née de la nostalgie : avant même de distin­ guer les côtes ou les sommets de l’île, on en perçoit les parfums, portés par la brise de terre. Petit à petit, les brumes s’effacent, les reliefs commencent à se détacher sur fond d’aube naissante, les feux des ports s’éteignent tandis que leurs murailles se révèlent. Bientôt, le bateau accoste dans la ville qui s’éveille. Le voyage peut com­ mencer.

Calvi, préside génois ceint de murailles imprenables. En l’assiégeant, lord Nelson perdit un œil.

La Corse des côtes

La Balagne Ce port, ce pourrait être Calvi, dont la citadelle aux hautes murailles domine les quais. Ville d’antique his­ toire, qui s’enorgueillit de sa devise : «Civitas semper fidelis », toujours fidèle à Gênes à qui elle dut sa gloire et sa fortune. Autre sujet de fierté, beaucoup plus contro­ versé : Calvi aurait vu naître Christophe Colomb. Une armada d’historiens locaux accumule depuis des décen­ nies les indices improbables étayant cette affirmation, d’autant plus aisée à soutenir que Gênes est incapable d’aligner les preuves irréfutables d’une naissance en ses propres murs. Anecdote : c’est en assiégeant Calvi en 1794 que le capitaine de vaisseau Nelson perdit son œil... La citadelle et ses murailles imposantes abritent la vieille ville et ses maisons blotties les unes contre les autres, le palais des gouverneurs, devenu caserne Sampiero, et l’ancienne cathédrale Saint-Jean-Baptiste ; re­ construite à la fin du xvie siècle, c’est une des belles églises baroques de Corse, au fronton triangulaire et à l’intérieur élégant et lumineux, sous une coupole octo­ gonale surplombant les loges dont les grillages dissimu­ laient jadis les épouses de notables. A deux pas, l’ex-palais épiscopal, qui est désormais un des hauts lieux de la vie nocturne locale grâce à Tao, un Tcherkesse du Caucase qui, mettant fin aux errances de son exil, y fonda en 1930 une auberge transformée tour à tour en discothèque, restaurant et piano-bar dont les fenêtres plongent en à-pic sur le port. C’est aujourd’hui le point d’attache du chanteur Jacques Higelin, fait récemment citoyen d’honneur de la ville. Plus bas, la marine (ici, on ne dit jamais marina), ses 57

somptueux yachts qui, l’été, se pressent dans le port de plaisance, ses palmiers, ses restaurants, ses cafés entre lesquels déambulent les légionnaires ; ils viennent, le soir tombant, du proche camp Raffali, base du 2e régiment étranger de parachutistes, auréolé des gloires de Camerone, de Kolwesi, du Tchad et du Liban. Le sable chaud n’est pas loin : c’est l’immense plage qui borde le golfe sur toute sa longueur, jusqu’au pied de Lumio, village belvédère au-dessus de la mer, lui-même dominé par une ligne de crête et le monte Padro, couronné de neiges quasi éternelles. Adossé à cette barrière, au fond de la plaine tout entière consacrée à la vigne, le village agri­ cole de Calenzana, l’une des plus grandes communes de France, d’où rayonnent les sentiers de randonnée vers la forêt de Bonifato ou Cargese ainsi que le GR 20 qui tra­ verse la Corse jusqu’à Conca, près de Porto-Vecchio. A une vingtaine de kilomètres de Calvi, L’Ile-Rousse, sa rivale de toujours. Certes, la ville génoise est sans conteste bien antérieure, mais c’est justement sa fidélité inébranlable à Gênes qui, en 1758, poussa Pascal Paoli à fonder un port en Balagne afin de rompre le blocus auquel la jeune nation indépendante était alors soumise. La rivalité se perpétue aujourd’hui : à Calvi la sous-pré fecture, un collège, l’aéroport, la Légion ; à L’Ile-Rousse le tribunal, le lycée, les banques et les commerces ; la cité paoline est en effet le véritable centre économique de la région, contrairement à sa voisine qui sommeille dix mois par an. C’est aussi le lieu d’un tourisme plus familial, plus ancien également : en 1929 y fut construit le premier palace de l’île, avec golf et casino, l’imposant Napoléon-Bonaparte, haute bâtisse ocre-rouge flanquée de tourelles d’angle, lourd joyau de la place Paoli ombra­ gée de platanes, autour de laquelle se serre la ville. Calvi et L’Ile-Rousse, cousines et rivales, sont les capitales de la Balagne, micro-région à l’identité propre, ceinte d’une barrière de hautes montagnes. Jadis grenier de la Corse, plantée d’agrumiers et d’oliviers, parsemée de franghji, de moulins bâtis le long des rivières qui ont fourni jusqu’à la moitié des besoins français en huile 58

Belgodère, un des villages de la corniche de Balagne, au-dessus de la vallée du Regino.

d’olive, mais victime elle aussi de la désertification, de l’abandon des terres et des incendies, elle porte en sa chair les témoignages de l’activité industrieuse des siècles passés. Pas un coteau, pas un flanc de montagne où ne s’aperçoivent les vestiges des murets soutenant les terrasses ou le cercle parfait d’une aghja, l’aire où l’on battait le blé. Sur une cinquantaine de kilomètres, de Calvi aux portes du désert des Agriates, les paysages expriment une douceur calme et majestueuse : plages (presque) mi­ raculeusement préservées, baignées d’une eau limpide si enviée des Italiens, plaines côtières où la culture des oli­ viers et des plantes fourragères relève davantage aujour­ d’hui de la protection du paysage que de l’agriculture autrefois si florissante. Et puis, tout proche, le piémont et ses villages accrochés à flanc de coteau : Belgodère, orgueilleusement juché sur son éperon rocheux au-dessus de la vallée du Regino ; Occhiatana, Costa, Ville-diParaso avec ses cèdres et ses pins parasols, Speluncato, qui semble issu du rocher auquel il s’agrippe, Feliceto et ses moulins, Muro et ses maisons à arcades, Cateri, Aregno et son église polychrome. Corbara au charme pres­ que andalou. Sant’Antonino, réputé plus vieux village de Corse, avec son dédale d’escaliers et de passages voûtés, nid d’aigle qui scrute toute la région, Pigna et sa Casa musicale, à la fois auberge et conservatoire des traditions musicales populaires, Santa-Reparata et Monticello, qui dominent L’Ile-Rousse, tous ces hameaux jadis pros­ pères, aujourd’hui quasi abandonnés onze mois sur douze, apparemment semblables avec leurs hautes mai­ sons blotties autour d’une église baroque dont certaines abritent des trésors, mais recelant chacun une part d’his­ toire et cultivant leurs différences, voire leurs rivalités.

De Calvi à Piana De Saint-Florent, à la racine occidentale du cap Corse, jusqu’à Ajaccio, la route suit presque toujours le bord de mer. Etroite et sinueuse, elle épouse les moindres an­ fractuosités de la côte ; à peine pense-t-on en avoir fini 60

qu’au détour d’un promontoire apparaît une autre vallée qu’il faut à nouveau contourner. La nature y est sauvage et nue, toute cette région ayant été abandonnée, à l’exception du village de Galeria, à l’embouchure du Fango, et de quelques hameaux - Tuvarelli, Manso et Montestremu, qui ferme la route en cul-de-sac - dissé­ minés le long du fleuve où se sont sédentarisés les ber­ gers du Niolu dont c’étaient les terrains traditionnels de pâturage hivernal. Un peu plus au sud, les ruines indus­ trielles de l’Argentella, ancienne mine de plomb argen­ tifère désaffectée depuis des lustres, dont les bâtiments édifiés en 1872 et les cuves de granite témoignent de rêves avortés, tout comme, à quelques kilomètres de là, les vestiges du pavillon de chasse que s’était fait bâtir le prince Bonaparte en 1852 : pans de murs dressés sur une colline couronnée de palmiers et de pins, ils semblent attendre qui les fera revivre. Pour qui redouterait cette route de corniche, certes pit­ toresque, mais, en été, d’autant plus éprouvante qu’elle est saturée de caravanes et autocars de tourisme bien en peine de se croiser, il existe une alternative délicieuse. En effet, longer cette côte en bateau est probablement l’une des plus belles promenades que l’on puisse faire, grâce aux services réguliers de vedettes partant de Calvi ou de L’Ile-Rousse. L’excursion permet de contempler calmement ce que l’on distingue à peine de la route : de merveilleuses criques bordées de plages de sable doré enchâssées dans des dentelles de porphyre rouge ; des eaux limpides qui passent du bleu des mers du Sud au turquoise et au violet profond, des à-pics étourdissants où la montagne semble se précipiter dans la mer, à moins qu’au contraire elle n’en surgisse avec une impé­ tuosité suffocante. Plus loin, on double la pointe de Scandola et son îlot de Gargalu, fleuron du Parc naturel régional corse, site classé par l’Unesco ; c’est là une profusion de basaltes de toutes teintes, du rouge vif au vert foncé, de granites déchiquetés et creusés de tafoni, ces cavités évidées par le vent et les embruns, de porphyres rubescents aux

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aiguilles acérées. La palette de ces roches chahutées ré­ pond au vert sombre du maquis touffu tapissant la pres­ qu’île et au cobalt de la mer, en une symphonie de cou­ leurs rarement égalée. Puis on arrive au golfe de Girolata, havre de paix, hélas ! parfois surencombré de bateaux, bien qu’il soit interdit d’y mouiller plus d’une journée. Un hameau de pêcheurs, inaccessible par la route, s’y love au pied d’un fortin génois à la pointe d’un éperon. Faut-il regretter que l’affluence, triste contrepartie de cette beauté, ait depuis longtemps reconverti les pêcheurs en gargotiers ? Doublant le cap Seninu, gigantesque promontoire rouge, on pénètre dans le célébrissime golfe de Porto, dont la tour qui contrôle la plage et l’embouchure de la rivière est cernée de mille hôtels, restaurants et com­ merces servant, l’été, de repoussoir à la somptuosité du paysage. Un cirque de montagnes abruptes, chaotiques, enveloppées des senteurs d’eucalyptus, fait un écrin à ce qui demeure un des hauts lieux du tourisme insulaire. Mais c’est encore hors saison qu’il faut voir Porto, petit hameau infiniment plus connu que le village d’Ota auquel il est rattaché, pour en goûter tout à la fois la splendeur et l’isolement total. Si l’on n’est pas encore saturé de beauté, il suffit de pousser légèrement au sud pour se perdre dans les calanches de Piana, où jaillissent à 300 mètres au-dessus de la mer ces rochers « étranges, torturés, courbés, rou­ gis par le temps, sanglants sous les derniers feux du cré­ puscule, et prenant toutes les formes comme un peuple fantastique de contes féeriques, pétrifié par quelque pou­ voir surnaturel ». Mieux valait laisser à Maupassant, qui les admira en 1880, le soin de la description, publiée dans les colonnes du Gaulois. De Piana à Ajaccio Celui de Porto est le premier des quatre grands golfes qui échancrent la côte occidentale de la Corse ; du nord au sud lui succèdent ceux de Sagone, d’Ajaccio et du Valinco. 62

Autour de Piana, les rochers des calanches. « peuple fantastique de contes féeriques » (Maupassant).

Au-delà du Capu Rossu, qui marque l’entrée du second, la côte se déploie de manière à peine moins spectaculaire. La plage d’Arone, accessible depuis Piana, s’adosse au monte Ravu que la route contourne. Quel­ ques criques plus loin, on parvient à Cargese, la ville grecque où l’on se nomme encore Stephanopoli, Dragacci ou Papadacci. Les lointains descendants rappellent l’odyssée de leurs ancêtres fuyant les Turcs pour s’ins­ taller à la fin du xviie siècle à Paomia. Ils n’y sont guère dépaysés : ils viennent du Magne, l’ancienne Laconie, dans le Péloponnèse, « une des provinces les plus atta­ chantes de la Grèce, avec ses clans, sa passion de la liberté poussée jusqu’au fanatisme, son irrédentisme et l’originalité de ses coutumes» (Françoise Arvanitis, Sites et Images). Chassés par les bergers dépossédés de leurs terres, ils se réfugient à Ajaccio avant que le comte de Marbeuf ne leur attribue Cargese à la fin du XVIIIe siècle. Une plage proche fut le théâtre d’une aventure plus récente : c’est là que le 14 décembre 1942, le sousmarin Casabianca, qui avait échappé au sabordage de la flotte française dans le port de Toulon, accomplit sa pre­ mière mission pour établir la liaison entre Alger et la résistance naissante de l’île. Entre la petite anse de Sagone et celle plus profonde de la Liscia, passe la vallée du Liamone, un des trois « grands » fleuves corses avec le Golo et le Tavignano, connu pour avoir, sous la Révolution, donné son nom au département de l’actuelle Corse-du-Sud. Cette vallée est surplombée au nord par le canton des Deux-Sorru, dont le chef-lieu, Vico, fut le siège épiscopal du diocèse de Sagone ; le couvent de Saint-François témoigne de sa grandeur passée. Non loin, Guagno-les-Bains, et ses deux sources toujours salutaires aux rhumatisants, rénovée et dotée d’un superbe hôtel trois étoiles en 1991. Au sud du Liamone, la Cinarca, région cernée de crêtes escar­ pées ; leurs seigneurs, au Moyen Age, se taillèrent un vaste domaine allant de leur berceau. Sari-d’Orcino, jus­ qu’à Bonifacio. 64

Ajaccio et sa région Lovée dans un repli de la côte, sur la rive nord du plus grand golfe de Corse, Ajaccio, capitale administrative de l’île, grande rivale de Bastia, fut fondée en 1492 par Gênes sur le lieu d’établissements plus anciens. Beau titre de gloire auquel elle préfère le rôle de gardienne vigilante de la geste napoléonienne. C’est une cité nonchalante, au climat doux et constant, où il fait bon flâner le long des plages ou des boule­ vards, malgré une circulation chaotique, et dont la dis­ position en étages, sur un cirque plutôt évasé, symbolise l’apparente insouciance. La basse ville, autour de la cita­ delle, aux ruelles étroites et parfois sinueuses, s’oppose aux édifices modernes conquis sans apparent dessein global sur les hauteurs, dont la verticalité insolente semble incongrue dans ce paysage aux lignes plutôt douces. Ville tertiaire, où les commerces, les services et les administrations l’emportent sur toute autre activité, elle est aussi ville du paraître, de l’extériorité, des cafés dont certains sont des monuments de la vie locale : lieux de rendez-vous, de conciliabules, où l’on élabore des straté­ gies politiques - chaque parti a son café attitré -, où l’on monte des coups, où l’on refait le monde, lieux enfin où l’on exhibe et mesure son envergure sociale. Pour les visiteurs, à tort, c’est souvent une ville de simple passage, à l’arrivée ou au départ. On jette à peine un œil distrait aux nombreux musées : A Bandera, consa­ cré à l’histoire militaire corse, le Capitello, musée privé de l’histoire de la ville, mais surtout le musée Fesch. Demi-frère de Letizia, la mère de l’Empereur, le cardinal Fesch avait, durant la Révolution, mis sa vocation en sourdine pour suivre son neveu dans ses campagnes d’Italie, comme commissaire aux armées. Amateur d’art, il en profite pour débuter à peu de frais ce qui devien­ dra au fil des ans une fabuleuse collection de presque 16 000 tableaux. Aux alentours de 1830, il fait cons­ truire à Ajaccio un palais destiné à les abriter. Si son projet de fonder un institut d’art avorte, il reste aujour65

d’hui le musée qui porte son nom, rénové à grands frais et rouvert en 1990. C’est l’une des plus belles pinaco­ thèques françaises de primitifs italiens : Botticelli ou Giovanni Bellini, mais aussi des œuvres des xviie et xviiie siècles, dont la Léda de Véronèse ou L’Homme au gant de Titien. Jouxtant le palais Fesch, la Chapelle impériale abrite les cendres de la plupart des membres de la famille. On ne saurait non plus manquer la maison Bonaparte, où le futur empereur naquit et passa ses années de jeu­ nesse, maison qui fut restaurée, agrandie et remeublée par Letizia dès 1798, puis offerte à l’État par ses des­ cendants au début de ce siècle. Enfin, sur la place du Diamant récemment réaménagée (officiellement baptisée place du Général-de-Gaulle...), un rigide monument à la gloire de Napoléon et de ses frères, inauguré en 1865 sur des plans de Viollet-le-Duc, justifie parfaitement son irrévérencieux surnom : « l’encrier ». La toponymie ajaccienne participe aussi du rite impé­ rial : cours Napoléon, boulevard du Roi-Jérôme, rue du Roi-de-Rome, avenue du Premier-Consul, avenue Impé­ ratrice-Eugénie, chaque membre de la famille sacrée a sa voie. Chacun pavoise aussi dans les boutiques de souve­ nirs sous la forme de statuettes en maillechort, d’effigies au fond des assiettes ou cendriers de porcelaine. Mais le culte ne se réduit pas qu’à la vulgaire commercialisation d’objets. Dès la chute du Second Empire se crée un Parti bonapartiste qui, en ses divers avatars et à quelques courtes éclipses près, tient depuis lors la mairie. Sur les hauteurs de la ville, le château de la Punta fut sérieusement endommagé par un incendie au début des années quatre-vingt ; mais la vue que l’on a depuis ses terrasses sur la baie et les montagnes alentour est admi­ rable. Cette copie conforme d’une des ailes des Tuileries est le témoignage revanchard de la lutte inexpiable qui opposa les familles Bonaparte et Pozzo di Borgo. CharlesAndré, contemporain de l’Empereur, fut le second de Paoli, avant d’être nommé syndic de la Corse sous la Convention, puis président du Conseil d’État du Royau-

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La place Foch, que chacun appelle place des Palmiers, centre de la vie sociale ajaccienne.

me anglo-corse ; sous le Premier Empire, il mit toute son énergie au service des adversaires de Napoléon, suggé­ rant à Bernadotte de s’allier à la Russie. Conseiller privé du tsar Alexandre Ier, dont il fut l’ambassadeur à Paris sous la Restauration, on lui doit probablement le main­ tien de la Corse dans le giron français lors du Congrès de Vienne. L’opposition des deux familles ne cessa point avec la chute de l’Empereur et finit même par revêtir un caractère maladif : ses héritiers se firent ainsi construire à la fin du xixe siècle le château de la Punta avec des pierres récupérées au moment de la démolition des Tui­ leries, après la chute de Napoléon III... La ville se situe donc sur la rive nord du golfe, ver­ rouillée par la pointe de la Parata et l’archipel des San­ guinaires, au bout d’une route bordée de résidences, hôtels et villas ; au-delà, une route en cul-de-sac mène à la superbe plage de Capo di Feno. A la sortie d’Ajaccio, la chapelle des Grecs rappelle le séjour forcé que firent dans la capitale du Sud les émigrés du Péloponnèse chassés de Paomia avant de retourner à Cargese. La rive sud du golfe est celle qui a connu le plus grand développement au cours des années quatre-vingtdix. Le hameau de Porticcio s’est métamorphosé en véri­ table station balnéaire. Son institut de thalassothérapie et les plages qui se succèdent (Agosta, Isolella, Castagna) offrent une vue sans obstacles sur le site d’Ajaccio. Au-delà de l’aéroport, le fond du golfe est occupé par la plaine de Peri où coule la Gravona. Arrière-pays ajaccien, terre d’agriculture et d’élevage, elle est couronnée d’une série de villages : Ucciani et son pont qui enjambe la rivière, Vero et ses maisons de granite gris, SarrolaCarcopino où le granite est rose, Valle-di-Mezzana qui s’égrène en hameaux successifs au milieu des vignes; tous deviennent peu à peu des banlieues de la capitale régionale.

Le Sartenais « La plus corse des villes corses », dit-on de Sartène depuis que Prosper Mérimée inventa ce slogan. Domi-

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nant le golfe du Valinco et la ville de Propriano, haut lieu de la protohistoire et de la féodalité corses, elle contemple, de ses austères demeures de granite blanc, les processions pénitentes du Catenacciu. Elle fut fondée, pense-t-on, par le même groupe qui colonisa la Sardaigne, des émigrés venus de Sardes, en Asie Mineure, ancêtres des Étrusques. La ville actuelle fut établie par les Génois au xvie siècle pour y abriter les descendants des seigneurs déchus de la Rocca qui, au Moyen Age, contrôlaient toute la région, du col de Saint-Georges à Bonifacio, et dont le château voisin de Baraci fut assiégé et détruit par les mêmes Génois. Vin­ rent les rejoindre les habitants de la vallée de l’Ortolo, chassés par les constantes incursions barbaresques. Ces derniers ne cessèrent pas pour autant leurs expéditions : en 1583, le bey d’Alger assiège la ville et emmène 400 Sartenais en esclavage. Pendant la «révolution corse» (1728-1768), la ville, fidèle à Gênes, est maintes fois assaillie par les insurgés. C’est à Sartène qu’en 1763 se tient la consulta qui consacre la victoire de Pascal Paoli. Mais, en 1769, après Ponte-Novu, les grands propriétaires terriens pren­ nent le parti de la France. Cajolés et anoblis par la monarchie, ces Signori se scindent au XIXe siècle en deux clans déchirés par une sanglante vendetta. Les vieilles familles du quartier Sant’Anna, conduites par les seigneurs de Rocca-Serra, bourboniens, s’affrontent au quartier libéral du Borgo, mené par les familles Pietri et Ortoli. Leur antagonisme culmine à partir des journées de 1830. Quatre ans plus tard, le gouverneur de l’île par­ vient à leur faire signer un traité de paix. Sartène se réveille lentement d’un long endormisse­ ment. L’essor de la viticulture et la création d’une zone d’activités artisanales à ses pieds lui ont assuré depuis les années soixante-dix un développement certain. Elle n’en est que plus orgueilleusement dressée sur son piton rocheux, le Pitraghiu, témoin d’une fierté ancestrale. Autour de la place principale, Piazza Porta, où se trouve le vieux palais des lieutenants génois (aujourd’hui la

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Sartène. N’oubliez pas l’échauguette !...

mairie), les antiques maisons de granite, aux hautes façades et aux ouvertures étroites, les venelles sinueuses enjambées d’arcs-boutants, les rares vestiges des rem­ parts qui jadis ceignaient la cité (dont la fameuse échauguette), disent assez la grandeur et l’austérité de la ville. Aux alentours, c’est la vallée du Rizzanese qui scande l’histoire de cette micro-région. Si l’on remonte vers le nord-est, on entre dans l’Alta Rocca, terre des anciens seigneurs de la Rocca. Le premier de la lignée. Guglielmo, originaire de la Cinarca, se tailla à la fin du xiie siè­ cle un domaine dans le Sartenais où il fit construire le château de Castelnovo. à Baraci. Après le massacre de ses parents par les Génois, son fils. Sinucello, dit Giudice (le Juge), fait ses études à Pise, puis revient en Corse où, jouant les uns contre les autres, il réussit peu à peu à recevoir l’hommage des principaux seigneurs de l’île. En 1264, à l’issue d’une assemblée qui se tient à Mariana, il est proclamé comte et seigneur de la Corse à qui il impose une justice impartiale ; attaqué par les Génois et Pisans coalisés contre lui, trahi par les siens, il est incarcéré à Gênes en 1299, où il meurt en 1307. aveugle et presque centenaire, dans un cachot de la pri­ son de Malapaga. Un siècle plus tard, un de ses descen­ dants. Vincentello d’Istria, se fait aussi nommer comte et vice-roi de Corse. Allié aux rois d’Aragon, il contrôle la plus grande partie de l’île de 1420 à 1434. Mais le rapt d’une jeune fille de Biguglia, où il avait installé son administration, cristallise l’opposition contre lui. Il est décapité à Gênes devant le palais des Doges. A Sainte-Lucie-de-Tallano, le couvent de saint Fran­ çois est édifié en 1492 par un autre descendant de Giudice, Rinuccio. Sur le mur latéral de l’église, une plaque du xvie siècle rappelle que « Questo monasterio de Sancto Francesco han facto fare lo magnifico Signore Rinuccio di la Rocha, filins quondam Judice, pro sua devozione. Anno Domini MCCCCLXXXXII, Die V madii » (Ce monastère de saint François a été fondé par le Magnifique Seigneur Rinuccio della Rocca, fils du défunt Giudice, en témoignage de sa dévotion. Le 5 mai

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1492). Dernier des grands seigneurs du Sud, Rinuccio tenta sans succès de soulever l’île contre les Génois, qui tenaient la vallée du bas Rizzanese ; il fut tué au matin du 12 avril 1511 à proximité de la tour de Roccapina par une patrouille de soldats génois et de membres de sa famille en vendetta contre lui. De Sartène, il faut prendre plein sud, en direction de Tizzano pour aller saluer les vestiges mégalithiques. C’est d’abord le splendide dolmen de Funtanaccia, appelé également Stazzona del Diavolo, la Forge du Diable, déjà repéré par Mérimée lors de son inspection en 1839 ; à proximité, l’alignement des Stantari, vingtcinq menhirs disposés dans l’axe du dolmen. Non loin, les alignements de Rinaghju et de Pagliaghju, près de 260 pierres dressées, dont certaines sculptées. Cet ensemble, le plus important de la Méditerranée, est depuis toujours réinterprété par les Corses qui y voient tantôt les restes d’un palais depuis longtemps oublié, tantôt un « cimetière des Turcs », tantôt le témoignage de la vengeance divine, tels u Frate e a Suora, le Frère et la Sœur, deux menhirs à quelques kilomètres de Sartène, qui seraient la pétrification d’une jeune fille et d’un moine séducteur. Plus au nord, dans la vallée du Taravo, Filitosa est un site protohistorique capital (fin du IIIe millénaire-moitié du IIe). Découvert en 1946 par le propriétaire des lieux, Charles-Antoine Cesari, il est fouillé depuis 1954 par un archéologue du CNRS, Roger Grosjean. Filitosa, qui n’a sans doute pas encore livré toutes ses richesses, ras­ semble la moitié des statues-menhirs corses et offre le témoignage unique d’un art qui, selon Roger Grosjean, a, « pour la première fois en Europe occidentale, créé et façonné de grandes statues à l’image de l’homme, avec une recherche indéniable de naturalisme et de réalisme, à une époque où l’art en était encore au schématisme et au symbolisme ; certaines de ces œuvres préfigurent, de nombreux siècles à l’avance, la statuaire archaïque clas­ sique ». Sur place, un musée, géré et entretenu par la même

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famille Cesari, permet de mesurer l’évolution de cet art statuaire qui culmine avec la statue Filitosa IX, proba­ blement la plus achevée et la plus expressive de la haute époque mégalithique. Aux pieds de Sartène, vers le couchant, s’étale le golfe du Valinco, le dernier de la côte occidentale, au fond duquel se love Propriano. Ville de création récente (un siècle environ), elle sert de débouché maritime à Sar­ tène, grâce à son port de commerce, et vit principale­ ment du tourisme, développé sur les deux rives du golfe, de Porto-Pollo au nord, niché dans les figuiers et les oli­ viers, à la pointe de Campomoro au sud, dont la tour dis­ paraît au milieu des eucalyptus. Entre ces deux limites, s’étend un imposant domaine touristique, qui compte aujourd’hui quelque 23 000 lits et fait la richesse de la ville. A Propriano, ainsi qu’à Bonifacio, subsistent les derniers pêcheurs de corail, héritiers d’une tradition séculaire répandue jadis sur toutes les rives de la Médi­ terranée occidentale et qui, aujourd’hui encore, s’affron­ tent épisodiquement à leurs concurrents sardes. Bonifacio et le grand Sud Plus au sud, le vent et l’érosion ont taillé dans le granite rose le Lion de Roccapina qui, couché sur son éperon rocheux, surveille la tour génoise (au pied de laquelle fut assassiné Rinuccio della Rocca), le golfe, ainsi que la plage, où malheureusement la pression touristique esti­ vale met en danger le bois de genévriers qui la prolonge. Progressivement, le paysage change, les reliefs se font plus doux ; la route longe la baie de Figari, puis l’étang et le golfe de Ventilegne, heureusement épargnés : les Corses ont lutté d’arrache-pied contre un de ces projets gigantesques élaborés dans les années soixante-dix qui comptait faire de cette zone un imposant site touristique de 60 000 lits. Brusquement, on quitte la Corse granitique pour plon­ ger dans une sorte d’aberration calcaire. C’est l’arrièrepays de Bonifacio, ultime éperon des défenses génoises, citadelle inexpugnable juchée sur sa falaise d’où la Sar73

daigne semble encore plus proche, contemplant un im­ probable et liquide désert des Tartares. Victor Bérard, traducteur et exégète d’Homère, a cru reconnaître en ce site la patrie des Lestrygons, géants qui mettent en pièces la flotte d’Ulysse et de ses compa­ gnons, au chant X de l’Odyssée : « Nous entrons dans ce port bien connu des marins : une double falaise, à pic et sans coupure, se dresse tout autour, et deux caps allon­ gés, qui se font vis-à-vis au-devant de l’entrée, en étran­ glent la bouche. » La tradition affirme que la ville fut fondée au milieu du ixe siècle par Boniface II, marquis de Toscane, qui en fit une base pour lancer des expéditions contre les Sar­ rasins. Pisane aux xie et xiie siècles, elle fut conquise par Gênes qui l’utilisa comme place forte d’où elle tenait en respect les seigneurs turbulents du Sud. Assiégée par Alphonse d’Aragon en 1420, elle résiste pendant cinq mois et ne communique alors avec l’extérieur que par un escalier de 187 marches taillées dans la roche entre la citadelle et la mer, escalier dit « du roi d’Aragon ». Assiégée à nouveau en 1553 par Sampiero Corso, sou­ tenu par les Français et la flotte turque de Dragut, la cité capitule au bout de trois mois, victime d’une trahison. Mais Gênes récupère son préside grâce au traité du Cateau-Cambrésis et reconstruit la citadelle rasée par les Turcs ; c’est celle que nous voyons aujourd’hui, encore si impressionnante avec ses silos qui permettaient d’engranger 5 000 quintaux de blé, sa vaste citerne publique de 650 mètres cubes sous la loggia de la cathé­ drale Sainte-Marie-Majeure, ses maisons hautes et étroites, aux escaliers vertigineux, toutes reliées par de faux arcs-boutants qui sont en réalité des canalisations conduisant les eaux de pluie à la citerne. Dans le quar­ tier du Fondaco se trouve une des rares églises gothiques de Corse, édifiée au xiiie siècle, l’église Saint-Domi­ nique. à l’élégant clocher à huit pans et à la nef en croi­ sée d’ogives. Isolée sur son piton, séparée du reste de l’île par une sorte de couronne calcaire déserte, Bonifacio a toujours 74

Bonifacio, « une double falaise, à pic et sans coupure »...

farouchement cultivé son particularisme, dont témoigne un dialecte composite où se mêlent éléments corses, sardes et ligures, dialecte qu’ils sont seuls à pratiquer et à comprendre. Pour le reste des Corses, les Bonifaciens sont d’ailleurs à moitié sardes, ce qui est en partie vrai puisque les deux îles, distantes d’à peine quinze kilo­ mètres, ont toujours entretenu des rapports qui allaient au-delà du bienveillant voisinage : le rivage d’en face a toujours servi de refuge à ceux que la justice ou une vendetta locale poussaient à s’enfuir... Aujourd’hui, trois villes se juxtaposent : la ville pisane (la citadelle), la ville génoise (autour des remparts) et la marine, presque exclusivement dévouée au culte du tou­ risme, avec ses bars, ses restaurants à langoustes, ses boutiques de souvenirs douteux et les billetteries des vedettes qui proposent des excursions jusqu’aux grottes marines au débouché du fjord. Les Bouches de Bonifacio forment un goulet qui connaît un intense trafic maritime, d’autant plus dange­ reux que le vent y souffle souvent avec violence et que ces parages sont semés d’un nombre inquiétant d’îlots, corses ou sardes. Parmi eux, les îles Lavezzi, immorta­ lisées par Alphonse Daudet qui conta dans ses Lettres de mon moulin l’agonie de la Sémillante, frégate qui se fra­ cassa sur les récifs en 1855 alors qu’elle transportait des troupes vers la Crimée : 773 soldats et hommes d’équi­ page périrent dans le naufrage. Une pyramide commé­ more ce drame sur l’une des îles, classées réserve natu­ relle, la France et l’Italie étant en effet tombées d’accord pour faire des Bouches de Bonifacio une vaste réserve marine, sanctuaire des dauphins menacés. Autre île célèbre, celle de Cavallo, jadis pâturage prin­ tanier des vaches et brebis qui s’engraissaient sur pré salé. Jean Castel voulut en faire dans les années soixante un paradis pour les heureux élus qui se bousculaient dans son établissement nocturne ; le projet a réussi, mais continue à défrayer régulièrement la chronique : tantôt c’est l’héritier du trône italien impliqué dans la mort d’un jeune touriste allemand un peu trop bruyant, tantôt

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un dynamique PDG construisant sans permis un port privé pour son yacht et qui se voit condamné par la jus­ tice à le raser et à tout remettre en état ; scandales aux­ quels s’ajoutent les perpétuelles insinuations des natio­ nalistes, persuadés que les capitaux de la société fermière sont d’origine douteuse, au grand agacement des Bonifaciens que ce havre de richesse fournit abon­ damment en emplois... A cet éden sulfureux on peut préférer la Sardaigne, si proche que l’on entend ses coqs chanter, si accessible par les navettes qui permettent un rapide aller-retour. En quittant Bonifacio par l’est, on pénètre dans la région de Sperone, la plus méridionale du territoire fran­ çais (sur le parallèle de Rome) : à proximité de l’embar­ cadère pour Cavallo, s’égrènent de superbes villas à l’architecture audacieuse, nichées dans la verdure et les replis des collines, dans lesquelles les stars de la poli­ tique, du sport automobile, de la télévision, de la publi­ cité ou du monde des affaires passent des vacances pai­ sibles à l’abri de la foule estivale. Si l’on prend par le nord, en direction de Porto-Vec­ chio, le golfe de Sant’Amanza s’offre avec ses plages entrecoupées de roches. C’en est fini du calcaire : la côte est basse, parsemée de rochers rouges en forme de « rognons », de dunes ombragées de pins parasols : belle introduction à Porto-Vecchio et à son admirable golfe échancré qui s’enfonce loin dans les terres, ce qui en fait un des mouillages les plus sûrs de l’île. Enserrée dans ses murailles elles-mêmes enchâssées dans une rocaille de porphyre, Porto-Vecchio est une ancienne cité, dont la fondation fut difficile en raison de la malaria qui sévissait de façon endémique dans cette zone marécageuse. Les premiers essais d’établissement, au début du xvie siècle, échouent : tous les colons, recru­ tés de gré ou de force, sont décimés par les fièvres. Des villes se créent, disparaissent, renaissent quelques décen­ nies plus tard sur les ruines des précédentes : vaines ambitions. Il faut attendre le xixe siècle et la transfor­ mation des marais en salins pour que l’entreprise 77

devienne viable et même rentable : Porto-Vecchio, désor­ mais «cité du sel », exploite en outre les 15 000 hectares de forêt de chênes-lièges qui l’entourent, avant de se consacrer au tourisme vers 1960. Une activité qui n’oublie pas la dimension culturelle : la ville est le siège de la Cinémathèque régionale corse, riche d’une impo­ sante collection de films ayant en commun soit d’avoir la Corse pour sujet, soit d’avoir été tournés dans l’île, soit encore d’être interprétés par des acteurs corses. Chaque année, en juillet, le festival Cinémaffiches met son fonds à l’honneur. Tout au long des berges du golfe, les plages se succè­ dent, qui invitent toutes au nonchaloir : Cala Rossa, San Cipriano ou encore Palombaggia, face aux îles Cerbicales, autre réserve naturelle. Leur charme, source de succès, pose des problèmes permanents dus à une urba­ nisation parfois mal contrôlée mais aussi aux nuisances plus saisonnières d’un camping sauvage que l’on ne sait comment endiguer. Au nord, peu après la Trinité, une route monte sur la gauche en direction d’un des plus impressionnants com­ plexes torréens élevés à l’âge de bronze, celui du castellu d’Araghju dont la lecture permet de comprendre sans peine comment fonctionnaient ces forteresses, ces torre, tours proches des nuraghe sardes ou des talayot baléares. A partir du milieu du IIe millénaire, en effet, la civilisation mégalithique, qui a laissé en Corse maints menhirs et dolmens, est repoussée par une autre, celle des Shardanes, ou Torréens, qui avaient affronté la flotte de Ramsès III en 1190 avant J.-C., et apportent dans l’île leurs techniques de construction d’appareillage cyclopéen. La plaine orientale Que dire de la plaine orientale, plaine alluviale assainie par les Américains à l’issue de la Seconde Guerre mon­ diale? Elle s’étend sur une soixantaine de kilomètres, de Solenzara à Campoloro, et constitue encore la principale zone agricole, bien que la vigne en ait presque disparu.

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Elle y avait été massivement introduite par l’imposante colonie de pieds-noirs venus s’installer dans cette région au moment de l’indépendance de l’Algérie ; mais ce pro­ cessus, en détruisant l’équilibre économique de toute l’île, suscita plus de tension que d’émulation. Aujour­ d’hui, sa principale ressource est la clémentine ; avec un peu plus de 30 000 tonnes par an, la Corse en est le second producteur européen, derrière l’Espagne. Depuis le début des années quatre-vingt, on y cultive aussi le kiwi, à raison de 15 000 tonnes annuelles de ce fruit, mais cette activité nécessite de lourds investissements, notamment des hangars réfrigérés : seuls les pionniers de cette aventure en vivent confortablement : l’effondre­ ment des cours de ce qui n’est plus un produit exotique a découragé les autres. Cette étroite plaine n’offre guère d’intérêt touristique, hormis sa bande de plage ininterrompue, paradis des camps de vacances qui s’y succèdent de façon quasi continue. Le long du rivage, de part et d’autre d’Aleria, dans les deux étangs de Diana et d’Urbino, on élève encore des huîtres et des moules, comme déjà à l’époque romaine. Aleria est à elle seule un résumé de l’histoire de la Méditerranée. En 565 avant J.-C., les Phocéens y créent un comptoir ; chassés vingt ans plus tard par les Étrus­ ques et les Puniques coalisés, ils s’enfuient pour fonder Massalia, la future Marseille, tandis qu’Alalia commerce désormais pour les Grecs, Étrusques et Carthaginois. En 259 avant J.-C., Alalia, devenue Aleria, est prise d’assaut par les Romains qui en font la capitale de leur colonie corse. Sylla y établit des vétérans, Auguste la transforme en base navale, grâce à un port militaire dans l’étang de Diana et un port de commerce à l’embouchure du Tavignano : la ville prospère et compte à son apogée 20 000 habitants. Son déclin se produit au Ve siècle de notre ère, avec le début des invasions vandales. D’innombrables objets furent découverts lors des fouilles entreprises à partir de 1920. Exposés au musée Jérôme-Carcopino dans le fort de Matra, construction 79

génoise qui domine la ville actuelle, leur diversité témoigne, s’il en était besoin, de l’importance de ce car­ refour des civilisations depuis l’Antiquité. Bastia A quelques encablures de l’Italie, face aux îles de l’ar­ chipel toscan (Elbe, Capraia, Montecristo, Pianosa...), Bastia, tête de pont génoise, a toujours été marquée par un provincialisme industrieux, une austérité contredite par la beauté des églises baroques et une douceur de vivre inégalée. Idéalement située à l’articulation de la plaine orientale et du Cap, c’est l’éternelle et souvent triomphante rivale d’Ajaccio. Mais indépendamment des aléas de la fortune, c’est un élément, à priori futile, qui les différencie profondément : l’une est ville du cou­ chant, l’autre, du levant : cela joue sur la lumière, sur les hommes, leurs habitudes et leur manière de vivre. Ici, on flânera volontiers sur le cours Napoléon illuminé par les derniers feux du soleil ; là, c’est à l’aube naissante qu’il convient d’aller saluer la place Saint-Nicolas ou les venelles de la Citadelle. Ajaccio est vespérale et noc­ turne, Bastia est matinale et diurne. A la fin du XIVe siècle, les Génois, conscients de la fai­ blesse du vieux fort de Biguglia d’où les gouverneurs administraient alors la ville, décidèrent de fonder une nouvelle bastille plus au nord, autour d’une crique qui offrait un magnifique abri naturel. A l’inverse des pré­ sides tels que Calvi ou Bonifacio, Bastia est ouverte aux Corses, qui participent à la gestion urbaine. Vivant de l’intense commerce qui se fait avec le continent, c’est au xviie siècle la cité la plus peuplée et la plus prospère. Aujourd’hui, c’est encore le poumon économique de l’île, avec son arrière-pays industriel qui se déploie tout au long de la plaine méridionale de la Marana. C’est là que sont concentrées les plus importantes entreprises de bâtiment, d’agroalimentaire et d’industrie légère. C’est aussi le principal port corse (le quatrième port français), dont les quais, de juin à septembre, voient se succéder, en une noria ininterrompue, les car-ferries venus de la

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Le Vieux-Port de Bastia, entre Terra-Vecchia et Terra-Nova.

Côte d’Azur, mais surtout d’Italie. La plupart des tou­ ristes qui débarquent dans l’île le font à Bastia, mais, au grand dam des édiles locaux, se contentent de la traver­ ser, ignorant les richesses qu’elle offre. Il faut pourtant, si l’on veut tenter de la comprendre, flâner dans les rues étroites de la vieille ville ou de la Citadelle pour lire son histoire, grimper sur les hauteurs pour saisir la symphonie de ses toits en lauzes gris-vert, musarder un soir de libecciu, ce vent violent qui souffle du sud, sur la jetée du Dragon qui ferme le Vieux-Port, ou encore saisir le rythme de sa respiration en se faisant la proie consentante de ses inextricables embouteillages. Dans Terra-Vecchia, le long de l’actuel port de com­ merce, la place Saint-Nicolas, bordée de cafés, est le centre social de la ville. C’est là que l’on se rencontre, que l’on se fait admirer, que l’on régale des derniers putachji (ragots) nés le matin sur la place du Marché. Derrière commencent les venelles de la vieille ville, qui enchâssent trois magnifiques églises datant du début du XVIIe siècle : les chapelles Saint-Roch et de l’Immaculée Conception, avec leurs murs tapissés de soieries damas­ sées, et l’église Saint-Jean-Baptiste, dont la façade s’élève au-dessus des toits et semble, par-dessus l’anse du Vieux-Port, narguer Terra-Nova, la Citadelle. Son entrée latérale donne sur la place de l’Hôtel-de-Ville et le marché, jadis haut lieu de la vie locale et de ses tra­ ditions populaires, où ne subsistent plus que quelques témoins âgés de sa vitalité passée. Entre Terra-Vecchia et Terra-Nova se déploie le VieuxPort, anse profonde dans laquelle se jettent les murailles de la citadelle, aujourd’hui port de pêche et accessoire­ ment de plaisance. Les navigateurs se consolent du médiocre mouillage en jouissant du joli spectacle de ses maisons en saillie aux façades multicolores qui s’étagent sur ses pentes. S’y côtoient la misère décrépie et le clin­ quant des restaurations douteuses, le pavoisement du linge aux fenêtres, sans lequel Bastia ne serait pas une véritable cité méditerranéenne, et la discrétion et l’élé­ gance un peu raide de l’ensemble construit en 1957 par

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Fernand Pouillon au fond de la baie, pour remplacer les immeubles meurtris par les combats de la Libération. La Citadelle, la bastille, autrement dit Bastia, domine cette anse, étreinte par d’épais remparts constamment renforcés au fil des siècles. Serti dans ces murailles, l’ex-palais des Gouverneurs, où se décida longtemps le sort de la Corse, abrite désormais le Musée d’ethnogra­ phie ; sur ses flancs, à proximité de l’ancien couvent des Clarisses, aujourd’hui prison Sainte-Claire, les amateurs de baroque ne manqueront pas l’église Sainte-Marie et surtout la chapelle Sainte-Croix, au décor rococo de stucs dorés et de lambris bleu pastel. Mais c’est encore une fois en musardant parmi les vieilles demeures de la citadelle, dont quelques-unes sont, malgré les louables efforts de certains, dans un scandaleux état de délabre­ ment, que l’on peut le mieux s’imprégner de l’atmo­ sphère particulière de Bastia, et comprendre, simplement en observant les toutes proches îles de l’archipel toscan, le rôle de place forte inexpugnable qu’elle a longtemps pu tenir.

Le cap Corse A la sortie nord de la ville commence le cap Corse, pro­ montoire montagneux d’une quarantaine de kilomètres, large au plus d’une douzaine, dont les pics s’élèvent jusqu’à 1 307 mètres (monte Stellu). Ce doigt de terre, entre mers Méditerranée et Tyrrhénienne, les Corses frondeurs l’imaginent fiché dans le fondement d’un continent avec lequel ils ont toujours entretenu des rap­ ports passionnels et souvent tendus. Le Cap est pays de vents, pays de marins en une île plus volontiers tournée vers l’intérieur, pays d’aventu­ riers partis courir fortune aux Antilles ou en Amérique latine. A leur retour, ils se faisaient élever de somp­ tueuses demeures, signes extérieurs de réussite qui tran­ chent avec l’architecture traditionnelle. Sur le versant oriental, les villages sont pour la plupart établis en piémont, dans les multiples vallées qui des­ cendent des crêtes perpendiculairement à la côte ; au

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débouché de ces vallées, les marines : hier, petits ports de pêche qui ne disposaient souvent que d’une cale et quelques hangars, elles sont aujourd’hui dotées de l’équipement touristique habituel. A l’ouest, où le relief est davantage escarpé, les villages plus directement exposés sont généralement accrochés au flanc des pentes qui plongent dans la mer. Partout, en cette Corse schis­ teuse, triomphent les toitures de lauzes. Naguère concur­ rencées par les trop avantageuses tuiles mécaniques, les séculaires teghje sont aujourd’hui autoritairement impo­ sées pour toute nouvelle construction ou réhabilitation. Et partout, d’une côte à l’autre, d’innombrables tours de guet rappellent la menace constante que les envahisseurs faisaient peser sur ces communautés de pêcheurs : tours d’Erbalunga et de Castellare, tours de l’Osse, de Meria, d’Albo, de Barrettali, de Nonza ; enfin ruines de la tour de Santa-Maria-Chjapella, au-delà de la terre, déjà sur une île de l’île et qui, à moitié mangée par les flots, oppose toujours ses créneaux brèche-dent aux impro­ bables visiteurs. J’allais oublier la « tour de Sénèque », au col de Santa-Lucia, près de Luri, où une légende ana­ chronique veut qu’ait résidé le philosophe stoïcien en son exil corse. Chacun de ces villages a ses charmes : Erbalunga, dont le pied des maisons baigne dans l’eau, est le ber­ ceau de la famille Valéry, armateurs qui mirent en ser­ vice dès 1840 les premiers vapeurs entre la Corse et le continent, Paul Valéry, né à Sète en 1871, étant un petitneveu des fondateurs. Pietracorbara, qui se souvient d’Ampuglia, son aïeule gréco-romaine engloutie sous les flots. Macinaggio, jadis un des plus importants ports de commerce du Cap ; c’est dans ce qui n’est plus aujour­ d’hui qu’un banal port de plaisance que l’impératrice Eugénie fit escale au retour de l’inauguration du canal de Suez. Rogliano, qui fut au xviie siècle l’important fief de la famille Da Mare en son château de San Columbanu. Centuri et son hameau de Cannelle, avec ses escaliers pavés et ses passages voûtés. Nonza enfin, qui couronne orgueilleusement sa falaise noire, lieu de la légendaire

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A Nonza, comme dans toute la Corse schisteuse, les teghje d’ardoise s’imposent.

La plage de l’Ostriconi, à l’entrée du désert des Agriates. Rarement encombrée, car difficile d’accès.

geste de Jacques Casella, paoliste qui, en 1768, tint tête seul à plusieurs centaines de soldats français ; le comte de Marbeuf, admiratif, lui rendit les honneurs. Le Nebbio et Saint-Florent Au-dessous de Farinole (ou Feringule, en corse...) se termine le Cap qui, en son versant occidental, s’épanouit alors en un superbe cirque, baigné par l’Aliso. Pascal Paoli l’avait surnommé A Conca d’Oro en hommage à sa fertilité. De cet ex-évêché du Nebbio, il ne reste que la cathédrale, la ville ayant été supplantée par Saint-Flo­ rent, créé par les Génois en 1440. Depuis la destruction de ses remparts, la citadelle circulaire ne surveille plus qu’un port de plaisance fort prisé, la foule des prome­ neurs et, non loin, les estivants qui bronzent sur la belle plage entre mer et embouchure du fleuve. Saint-Florent est au centre d’un des plus anciens et célèbres vignobles corses, classé pour la majeure partie en appellation contrôlée Patrimonio. Les vignes s’éta­ gent sur les coteaux, le long de la route du col de Teghime qui permet de rejoindre Bastia, route où s’affrontè­ rent, au début du mois d’octobre 1943, les troupes du général Giraud et les Allemands qui quittaient la Corse. Non loin de là, Murato et son église San-Michele, Murato qui résonne d’un souvenir particulier dans l’his­ toire de la Corse puisque c’est dans ce village que Pas­ cal Paoli avait installé A Zecca, son Hôtel des monnaies. S’il vous faut redescendre sur Bastia, autant emprunter le défilé du Lancone, étroite et impressionnante gorge taillée avec impétuosité par le Bevinco, avant qu’il ne s’assagisse pour aller se jeter dans l’étang de Biguglia. A l’ouest de Saint-Florent, enfin, débute, sitôt passé le pont sur l’Aliso, ce que l’on appelle improprement le « désert des Agriates ». Cette vaste étendue désolée et inhabitée qui sépare le Nebbio de la Balagne était jadis une importante région d’élevage ; progressivement aban­ donnée, gagnée par le maquis impénétrable, son seul axe est une route en piteux état, bien qu’elle traverse des paysages d’une rudesse et d’une beauté grandioses. Sa 87

côte (qu’il est impossible de découvrir autrement que par mer, tant sont rares les pistes) fut un temps convoitée par des entrepreneurs avides d’y fonder des villages de vacances. Le manque d’eau, entre autres, les ayant fait renoncer à ce projet, c’est le Conservatoire du littoral qui devint propriétaire d’une grande partie des terres et reboisa ce désert tout au long des années quatre-vingt. Un gros effort qui partit en fumée dans le gigantesque et terrifiant incendie qui le ravagea au cours de l’été 1992.

La Corse intérieure

Corte et la dépression centrale Capitale historique de la Corse, profondément impré­ gnée du souvenir des années d’indépendance et de la saga paoline, siège de la jeune université, où se côtoient le plus grand renfermement et l’esprit d’une nécessaire ouverture sur le monde méditerranéen, Corte tente de négocier avec harmonie son avenir tout en cultivant son passé. Située au-dessus d’une large vallée, au confluent de nombreux torrents qui viennent avec impétuosité mêler leurs eaux à celles du Tavignano et de la Restonica, dominée par une citadelle bâtie à la pointe d’un piton rocheux, cent mètres au-dessus du fleuve, et qui semble fendre d’une proue résolue les aléas de l’histoire, Corte attire aujourd’hui un nombre grandissant de visiteurs, plus séduits par la rudesse des montagnes corses que par la langueur de ses plages. La ville étant de dimensions modestes, beaucoup raillèrent le projet, élaboré en 1975, d’y implanter une université. A tort. Outre que mieux valait mécontenter Bastia et Ajaccio que d’attiser leur traditionnelle rivalité, le choix renouait avec un souvenir vivace dans l’incons­ cient collectif : celui de l’université paoline, fondée en 1765. Le pari n’est certes pas encore gagné, tant s’en faut. Bien que l’université ait ouvert ses portes en 1981, Corte reste une humble et discrète sous-préfecture, sans l’animation d’une ville universitaire : les étudiants euxmêmes préfèrent, du moins pour ceux qui le peuvent, continuer à résider ailleurs et n’y venir que pour quel­ ques cours. Reste que c’est à l’université que Corte doit sa survie et la restauration de son patrimoine architectural et his-

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torique : la Citadelle et le Palazzu naziunale ont été sau­ vés de l’oubli et de la ruine, et l’ouverture, au sein de la Citadelle, du musée de la Corse devrait aider la ville, qui abrite déjà le Fonds régional d’art contemporain, à deve­ nir un des pôles culturels de l’île. L’université ellemême semble avoir trouvé sa vocation ; au-delà d’études classiques (lettres et droit), elle abrite l’IDIM (Institut de développement des îles méditerranéennes) ou le CRC (Centre de recherches corses). Enfin, le CRITT (Centre de recherche, d’innovation et de transfert de technolo­ gies), sorte de foyer d’application de la recherche scien­ tifique favorisant, notamment dans le domaine agroali­ mentaire, la création et le soutien de petites unités de production (activités industrielles de pointe ou dévelop­ pement rationnel de ressources traditionnelles comme le miel ou les plantes aromatiques). Les alentours de Corte sont un rêve pour les amoureux de la montagne. Par les gorges de la Restonica, ils gagne­ ront, via les bergeries des Grotelle, les lacs de Melo et de Capitello ; par celles du Tavignano, jadis voie natu­ relle de transhumance des bergers du Niolu, ils contour­ neront le lac de Nino avant d’atteindre le col de Vergio. Ces deux vallées sont toutefois des zones fragiles, et leur fréquentation croissante amène les responsables du Parc naturel régional corse à envisager leur fermeture. A une dizaine de kilomètres au nord de Corte, la Scala di Santa Regina traverse cette région du Niolu puis, audelà, des forêts de Valdo Niello et d’Aïtone, dévale vers Porto et la côte occidentale. Cette Scala di Santa Regina construite au XIXe siècle, en dessous du chemin tradi­ tionnel que l’on aperçoit toujours, s’enfonce entre deux murailles de pierres entre lesquelles, plus bas, coule le Golo. Passé Calacuccia et son barrage hydroélectrique, s’ouvre cette vaste dépression, qui fut de tous temps le royaume des bergers. Grâce à la transhumance, les Niolins ont essaimé partout en Haute-Corse : l’hiver les voyait descendre tantôt dans le Filosorma (c’est-à-dire au-dessus de Galeria), tantôt en Balagne et même jusque dans les Agriates. Région de mœurs rudes et parfois aus-

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Dans les ruelles de la vieille ville de Carte.

tères, le Niolu est cependant animée chaque début sep­ tembre par l’une des plus importantes foires agricoles de l’île. A Santa di u Niolu offre en effet aux bergers l’occasion de se retrouver et perpétue les plus anciennes formes d’expression musicale : paghjelle et autres chjami e rispondi se mêlent aux jurons de ceux qui ont perdu au jeu... Au sud de Corte, la route part à l’assaut de la mon­ tagne. Conquise sur la pente, elle contrôle l’immense cirque du Venacais dans lequel la vue se perd ; la végé­ tation se modifie imperceptiblement au profit des coni­ fères. Au détour d’un des innombrables lacets apparaît le pont qui, de son arche unique, enjambe la vallée du Vecchio. En courbe, il est surmonté, près de cent mètres au-dessus du lit du torrent, par le viaduc du chemin de fer, construit par Gustave Eiffel. Avec ses virages abrupts, ses pentes vertigineuses, c’est la route la plus importante de l’île, celle qui relie Bastia à Ajaccio, par des villages aux rues étroites, où parfois poids lourds et autocars ont du mal à se croiser. Passé Venaco, Vivario, Tattone, on parvient brutale­ ment sous une haie de platanes incongrue au milieu des pins, qui mène au col de Vizzavona. Là, s’amorce la des­ cente sur Ajaccio.

Castagniccia et Casinca Surplombant la côte orientale, encerclée par le Golo et le Tavignano, isolée du reste de la Corse, la Castagnic­ cia fut pourtant le berceau d’une des plus belles figures de son histoire, Pascal Paoli, qui y recruta ses meilleurs partisans. Mais la Castagniccia, comme son nom l’indique, fut aussi et surtout la terre d’élection du châtaignier ; sans ses fruits, la Corse aurait sans doute mille fois succombé à la disette. Leur implantation, favorisée, voire même imposée par Gênes, apporta à cette région une richesse sans pareille, dont témoigne encore aujourd’hui la splen­ deur des édifices baroques. Hélas ! la Castagniccia, peutêtre plus que toute autre micro-région, a connu un inexo92

La Castagniccia, si verte, jadis si riche, aujourd’hui semi-déserte...

rable dépeuplement. La châtaigneraie, dont on ne récol­ tait plus les fruits, fut saccagée par des coupes irréflé­ chies destinées à recueillir les extraits tannants de l’écorce des arbres. Les rescapés furent ravagés, faute de soins, par les parasites (dont la redoutable maladie de l’encre). Depuis 1980, on tente de sauver ce qui peut l’être encore ; pour qui, peut-on se demander, lorsque l’on contemple ce désert et ces villages moribonds... Perdus dans ce puzzle gigantesque de micro-vallées intriquées les unes dans les autres, où les routes ombra­ gées serpentent au milieu d’amas de schiste vert, au détour d’un virage apparaissent des hameaux-belvédères aux toits de teghje ou en bardeaux de châtaignier. C’est dans l’un de ces villages, Morosaglia (ou Merusaglia), que naquit en 1725 Pascal Paoli, fils de Hya­ cinthe qui, triumvir en 1735, devient l’année suivante grand maréchal et ministre du roi Théodore. Le règne de cet aventurier ayant échoué, la famille Paoli s’enfuit à Naples. En 1755, formé à l’esprit des Lumières. Pascal revient en Corse, héros d’une vivante épopée qui, aujourd’hui encore, retentit dans toutes les têtes. Une consulte l’élit « général de la nation corse » ; au fil des ans, il doit s’imposer aux autres chefs locaux, partisans de Gênes ou de la France, mais finit par l’emporter en 1763. Pendant quelques années, le pouvoir génois n’étant plus qu’une fiction diplomatique, l’île vit sous son gou­ vernement et la Constitution qu’il a édictée, régime qui, selon Fernand Ettori, « serait plutôt une dictature de salut public tempérée par l’influence des notables». Mais cette expérience dure peu : en 1768, le traité de Versailles fait passer l’île sous l’autorité de la France. Les troupes de Pascal Paoli, victorieuses à Borgo, sont finalement écrasées en 1769 à Ponte-Novu. à une quin­ zaine de kilomètres de Morosaglia, où un monument commémore l’événement. Paoli s’exile à Londres où il meurt : une plaque signale encore dans la cathédrale de Westminster l’endroit où il fut enterré. Ses cendres 94

furent transférées en Corse en 1889 ; à Morosaglia, un musée rassemble les souvenirs de son gouvernement. Non loin de là, le village de La Porta, capitale de la région, honore la mémoire de la famille Sebastiani : Horace, maréchal et ministre des Affaires étrangères de Louis-Philippe, ainsi que son frère Tiburce, général et pair de France, tous deux députés de l’île dont ils domi­ nent le jeu politique. Les habitations se serrent autour de l’église Saint-Jean-Baptiste, chef-d’œuvre rococo avec son fronton percé d’un oculus ovale et son campanile détaché, aux cinq étages coiffés d’un dôme hexagonal. Bien que ce soit sans doute la plus célèbre des églises baroques de Corse, elle ne devrait pas éclipser la splen­ dide église de la Vierge-du-Mont-Carmel à Quercitello, avec sa façade nerveuse en pierres apparentes couronnée d’un fronton triangulaire, ou encore l’église Saint-Pierreet-Saint-Paul de Piedicroce, avec son campanile hexago­ nal. Piedicroce, naguère si opulente, se meurt, au-dessus de la source d’Orezza. Au XIXe siècle, on venait de Grande-Bretagne pour prendre ses eaux ferrugineuses, et les familles bourgeoises de l’île passaient des saisons rafraîchissantes dans l’hôtel thermal ; aujourd’hui tout est à l’abandon, comme est en ruine le couvent SaintFrançois d’Orezza, détruit en 1943 par les Allemands. C’est pourtant là qu’en 1731 des théologiens avaient légitimé la révolte contre Gênes ; là qu’en 1735 le père de Pascal Paoli avait réuni une consulte pour signifier la rupture des liens avec la république ligure ; là qu’en 1790 — dit-on... - Pascal Paoli aurait rencontré Bona­ parte. Là ne subsistent que des murs effondrés, mangés par le lierre. Plus près de la mer, entre la plaine orientale et la plaine de la Marana, la Casinca reste l’un des plus flo­ rissants jardins maraîchers de la Corse. Mais c’est aussi un lieu d’histoire et de culture. Entourée de châtaigniers et d’oliviers, la petite ville de Vescovato, qui fut pendant trois siècles le siège de l’évêché de Mariana, s’enor­ gueillit de la belle église Saint-Martin qui fut jadis pro­ cathédrale, et se flatte d’avoir vu naître Monteggiani, 95

Ceccaldi et Filippini, chroniqueurs des xve et XVIe siè­ cles ; Sampiero Corso y réunit encore en 1557 une consulte pour proclamer le rattachement de la Corse au royaume de France.

Le centre sud Quatre vallées parallèles, qui communiquent avec diffi­ culté, entaillent la Corse-du-Sud : celles de la Gravona et du Prunelli, qui se jettent dans le golfe d’Ajaccio, et celles du Taravo et du Rizzanese, débouchant sur celui du Valinco. Elles sont dominées par un imposant massif montagneux, où culminent au nord le monte d’Oro (2 389 mètres) et le monte Renoso (2 352 mètres), au sud l’Incudine (2 134 mètres) qui surplombe les aiguil­ les de Bavella ; sur le versant oriental de cette chaîne, la région du Fium’Orbo et la vallée de la Solenzara. Par la route qui mène de Vizzavona vers Ajaccio, on longe la première de ces vallées mais on peut, soit à la sortie de Bocognano, soit encore un peu plus bas, en tra­ versant le village de Tavera, obliquer en direction de Bastelica par une route qui nécessite un véhicule robuste. La descente est périlleuse, mais superbe depuis le col de Scalella jusqu’à ce village qui vit naître Sam­ piero Corso ; une statue sur la place de l’église perpétue le souvenir du « plus corse des Corses, Sampiero, héros fameux parmi les innombrables héros que l’amour de la patrie [...] a nourris dans ces montagnes et ces tor­ rents », comme le signale la plaque apposée sur la mai­ son où, dit-on, il naquit en 1498. Très jeune, il entre à Florence dans les rangs des Bandes noires du duc Jean de Médicis ; remarqué par le cardinal du Bellay, il arrive à Paris et se met au service de François Ier, qui le nomme colonel général du Régiment corse. C’est à lui que l’on doit la première intervention française dans les affaires insulaires : en 1553, le maréchal de Thermes, soutenu par la flotte ottomane conduite par Dragut, l’emporte sur une coalition hispano-ligure menée par l’amiral génois Andrea Doria. Mais tout est remis en question en 1559, lors du traité du Cateau-Cambrésis qui

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rend la Corse à ses maîtres. Sampiero ne désarme pas et entretient des foyers d’insurrection contre Gênes ; il est assassiné en 1567 : ses beaux-frères lui vouaient une haine inexpiable depuis qu’il avait étranglé son épouse, Vanina d’Ornano, soupçonnée de trahison à la cause qu’il soutenait. Un drame qui inspira au compositeur corse Henri Tomasi l’un de ses plus célèbres opéras. Bastelica est aujourd’hui un village très vivant. Re­ nommé pour sa charcuterie, il pratique en toutes saisons un tourisme intelligent : refuge prisé des familles ajacciennes qui, l’été, viennent y fuir la foule et la chaleur, il connaît l’hiver une plaisante animation grâce à la proche station de ski du Val-d’Ese. C’est, de plus, le point de départ de nombreuses randonnées en montagne, certaines relativement aisées, d’autres plus ardues, comme l’excursion au monte Renoso qui nécessite 7 à 8 heures de marche. Quittant Bastelica, on redescend sur Ajaccio le long du Prunelli qui s’engouffre dans des gorges escarpées avant que ses eaux ne soient calmées par la retenue de Tolla, que l’on contourne par le nord pour gagner - via les vil­ lages de Tolla et d’Ocana - Bastelicaccia, faubourg d’Ajaccio. La vallée suivante est celle du Taravo ; on y accède depuis le col de Saint-Georges (où une source particu­ lièrement pure fournit depuis 1981 la Corse en eau de table), sur la route Ajaccio-Propriano. A Sainte-MarieSiché, où naquit la jeune épouse de Sampiero, Vanina d’Ornano, on peut encore voir la maison de son enfance, ainsi que celle, en ruine, que son époux fit édifier. Remontant le cours de la rivière, on atteint Zicavo, gros bourg de montagne bâti de granite gris ; pour dégager les blocs imposants qui donnent aux murs une épaisseur protectrice, on exposait jadis la roche à d’immenses feux, avant de la refroidir brusquement en l’aspergeant d’eau pour la faire éclater. De Zicavo, divers itinéraires permettent d’entreprendre l’ascension de l’Incudine, qui doit son nom (l’enclume) à la forme caractéristique d’un rocher situé près du sommet ; on peut également effec-

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tuer de nombreuses randonnées sur le plateau voisin du Coscione, traditionnelle zone d’alpage, aujourd’hui vouée au ski de fond. Des fouilles, entreprises en 1984, ont dégagé, sur le territoire de la commune, le site de Palaja et Trutoli, éperon aménagé en abri au IIe millé­ naire avant J.-C. Par le col de la Vaccia, on atteint ensuite l’Alta Rocca et Aullène, dominé par les ruines du château édifié au xiiie siècle par Giudice della Rocca. De là, deux itiné­ raires sont offerts pour rejoindre Propriano : soit par le col de Saint-Eustache, en traversant une forêt de pins laricio puis de chênes verts, soit en suivant le cours du Rizzanese, ce qui permet, en arrivant sous Sartène, d’admirer le pont Spin’a Cavallu, le « dos de cheval » : construit au XIIIe siècle par les Pisans, il franchit la rivière de son unique arche, élégante et fine, pavée de larges dalles de granite. Dernière possibilité : faire le tour des villages de l’Alta Rocca : Serra-di-Scopamène, Sorbollano, Quenza et son église romane. Zonza, où Mohammed V, sultan déposé du Maroc, passa, en com­ pagnie de son fils Hassan (l’actuel monarque), un hiver d’exil d’octobre 1952 à avril 1953 avant d’être transféré sous les cieux plus cléments de L’Ile-Rousse ; SanGavino-di-Carbini et enfin Levie (ou Livia), d’où la légende veut que soit issue la famille du pape Sixte Quint. On y a créé un intéressant musée archéologique où sont conservés les restes de la « Dame de Bonifacio », squelette prénéolithique daté du VIIe millénaire avant J.-C., ainsi que les objets provenant des fouilles pratiquées sur le plateau voisin. Sur ce Pianu di Livia on trouve en effet deux des plus impressionnants sites tor­ réens de l’île. Le castellu di Cucuruzzu est une forteresse de l’âge de bronze (environ 2 500 ans avant J.-C.) éri­ gée sur une butte fortifiée d’un rempart de pierres appa­ reillées, au sommet de laquelle s’élève un monument cyclopéen (probablement cultuel) adossé au rocher et coiffé d’une voûte en encorbellement. Des fouilles furent entreprises en 1959 par l’archéologue Roger Grosjean qui découvrit sur ce plateau une bonne dizaine 98

d’autres complexes de cette même civilisation torréenne ; parmi eux, celui de Capula, au pied duquel veille la statue-menhir dite «du Paladin», ornée d’une épée. Non loin de Levie, il serait dommage de manquer le village de Carbini, qui s’enorgueillit d’une des plus belles églises romanes de la Corse-du-Sud ; édifiée au XIIe siècle, elle est d’architecture classique, avec son unique nef et son abside en cul-de-four ; mais ses parois extérieures sont ornées d’arcatures reposant sur des modillons tous différents. Elle est flanquée d’un campa­ nile qui fut restauré au xixe siècle à l’instigation de Prosper Mérimée ; il comporte aujourd’hui trois étages de baies géminées (la tradition veut qu’il en ait jadis compté sept), et se termine, bizarrement, par un toit pyramidal, au lieu de l’habituelle tour crénelée toscane. Carbini fut le berceau, au début du xive siècle, des Giovannali, ces hérétiques qui, dans la lignée du catharisme, prônaient l’égalité et le partage. Excommuniés par le pape en 1355, pourchassés dans toute l’île, ils trouvent refuge au couvent d’Alesani avant d’être férocement exterminés. C’est enfin de Zonza qu’il faut partir pour rejoindre l’autre versant de l’île. En quelques kilomètres, on gagne le col de Bavella où s’offre un des panoramas les plus somptueux de l’île : paysage de roches granitiques déchiquetées, de murailles rouges taillées en dents de scie, parsemées de pins tordus par les vents impétueux qui s’engouffrent entre les parois ; dans le lointain, le sommet de l’Incudine et, de l’autre côté, rehaussé par ce cadre minéral, le bleu de la mer... La route, sinueuse à souhait, descend en une quaran­ taine de kilomètres jusqu’à Solenzara, d’où il convient de remonter la côte orientale jusqu’à Casamozza afin d’atteindre le Fium’Orbo. En chemin, après le village de Vix, les ruines du château de Covasina, construit au xie siècle sur les restes d’un oppidum romain, dominent la plaine. Le Fium’Orbo, naguère terre de bandits, est une région où les villages-belvédères (Prunelli-di99

Fium’Orbo et son église fortifiée, Isolaccio et SanGavino-di-Fium’Orbo, Pietrapola déjà renommée dans l’Antiquité pour ses sources sulfureuses) s’accrochent aux flancs d’une montagne parcourue par d’innom­ brables torrents. Traversant Poggio-di-Nazza, on s’engage dans l’impressionnant défilé de l’Inzecca, taillé dans la serpentine verte par le Fium’Orbo, pour rejoindre Ghisoni ; contrairement à la plupart des villages corses, celui-ci est niché au fond d’une vallée tapissée de pins, à l’ombre des deux pointes du Christe Eleison et du Kyrie Eleison. Deux possibilités s’offrent alors : soit ral­ lier Zicavo par le col de Verde et la forêt de SaintAntoine, soit, par le col de Sorba, s’en retourner vers Vivario et la route Ajaccio-Bastia.

Annexes

Mariana. Abside de l’église de la Canonica, dont les pierres dorées jouent avec la lumière.

Les églises romanes Entre le VIIe et le XIIe siècle, quelque 3 000 édifices religieux furent élevés en Corse ; lorsque Prosper Mérimée, inspecteur des Monuments historiques, publia en 1840 ses Notes d’un voyage en Corse, il en recensait encore quelques centaines. L’incurie, l’abandon dû au dépeuplement en ont réduit le nom­ bre à quelques dizaines, la plupart en piteux état, comme l’église Saint-Jean-de-Bisogène, à Grossa, près de Sartène, transformée en grange autour de laquelle paissent les bœufs. Elles témoignent pourtant de ce que fut le préroman et le roman en Corse, art dit « pisan », puisqu’il coïncide ici avec la période où cette république continentale faisait régner sur l’île une paix inconnue depuis l’époque de l’Empire romain. Évo­ quant cette « pax pisana » trois siècles plus tard, le chroniqueur Giovanni della Grossa rend hommage au «gouvernement des Pisans [qui] se fit universellement chérir : [...] on bâtit ces belles églises qui sont aujourd’hui les plus anciennes, des ponts superbes et beaucoup d’autres édifices d’une architecture remarquable et d’un art singulier dont quelques-uns subsistent encore ». Cathédrales ou simples églises piévanes, souvent complétées d’un baptistère, dans lesquelles le clergé rendait la justice au nom du pape, elles répondent toutes au même modèle archi­ tectural : de dimensions modestes, elles n’offrent en général qu’une nef unique, close à l’est par une abside en cul-de-four, une couverture de teghje (lauzes de schiste) et d’étroites fenê­ tres meurtrières. Les murs sont d’abord de pierres éclatées, puis, la technique évoluant, de pierres taillées ajustées à joints vifs. Elles sont concentrées dans la Corse de l’En-deçà-desMonts, en Balagne (Cateri, Aregno, Lumio, Montemaggiore), dans la région de Bastia ou dans le Cap (Lucciana, Saint-Flo­ rent. Murato. Brando, Sisco), ou dans la Castagniccia ou la Casinca (Cambia, Sermano, Altiani. Pietra-di-Verde, Castello-

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di-Rostino, San-Giovanni-di-Moriani, Castellare-di-Casinca). Dans l’Au-delà-des-Monts, au sud, il faut aller à Figari, ou encore dans les vallées du Rizzanese ou du Taravo, à Quenza. Carbini, Poggio-di-Tallano, Santa-Maria-Figaniella ou MocaCroce. Faute de les décrire toutes, nous rendrons un bref hom­ mage aux plus justement célèbres. La Canonica

L’église Santa-Maria-Assunta, dite « Canonica » (église des chanoines), est l’ancienne cathédrale de Mariana, ville romaine établie en hommage à Marius près de l’actuelle Lucciana, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bastia. Fondée, comme la plupart des églises d’alors, sur les restes d’un baptistère paléochrétien, elle fut consacrée en 1119. Avec ses 35 mètres de longueur, c’est la plus grande des basiliques de cette époque ; ses trois nefs, son abside dont les arcatures légères reposent sur de fins pilastres, et son revêtement de calcschiste. sorte de marbre doré qui produit de discrets effets de poly­ chromie, respirent l’harmonie et la sobriété. Un serein équilibre trouve son aboutissement dans sa façade dépouillée : deux seuls pilastres et une porte dont le tympan en plein cintre est sculpté d’une frise d’animaux. A Lucciana, on peut encore admirer les vestiges de la basi­ lique primitive datant du ive siècle, avec son baptistère et ses mosaïques, et l’église San-Parteo toute proche, avec son élé­ gante abside dont certaines colonnes de granite proviennent de l’ancienne cité romaine. Malheureusement, les proportions de l’édifice ont été massacrées par une restauration imbécile dans les années soixante. La cathédrale du Nebbio

A Saint-Florent, la cathédrale Santa-Maria, siège de l’évêché du Nebbio, a un bel air de famille avec la Canonica, quoi­ qu’elle soit plus tardive (vers 1130). Bâtie de calcaire blanc, son ornementation est plus recher­ chée : la façade à deux étages est rythmée par des pilastres qui soutiennent des arcatures, arcatures que l’on retrouve sous les rampants du toit de chaque côté ainsi que sur la façade orien­ tale, où elles enserrent une abside à colonnettes engagées. A l’intérieur, les chapiteaux des colonnes ou piliers qui séparent les nefs sont sculptés en « coquille » d’angle, ultime stylisation des volutes ioniques.

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Église San Michele, à Murato, symphonie en vert et blanc.

La Porta, en Castagniccia ; vue des plus belles églises baroques de l’île.

San-Michele di Murato

C’est l’une des plus étonnantes églises romanes corses, d’abord en raison de sa franche polychromie due à l’emploi de pierres blanches et vert sombre disposées en alternance. Ensuite, grâce à son porche qui supporte un campanile, hélas ! surélevé et modifié au xixe siècle. Les arcatures qui ornent la façade, tout comme celles qui soutiennent les rempants du toit, reposent sur des modillons sculptés dont chaque motif est différent. Église de la Trinité, à Aregno

On trouve ici une polychromie plus subtile, jouant sur l’ocre, le rose ou le gris-vert des pierres. Différemment ouvrées, les quatre principales arcatures de la façade abritaient jadis des bols de céramique polychrome. Sur les chapiteaux comme sur les modillons, l’ornementation est ici particulièrement riche : personnages religieux ou laïcs, animaux réels ou chimériques, motifs végétaux ou géométriques, le répertoire est infini. A ce trésor de pierre répondent à l’intérieur deux fresques du xve siècle, Les Quatre Docteurs de l’Église et Saint Michel terrassant le dragon.

Le baroque corse A la clôture du concile de Trente, en 1563, la Corse est ex­ sangue, épuisée par les conflits et les invasions, ses églises rui­ nées par les combats franco-génois et les pillages barbaresques. Les évêques ont alors à cœur de restaurer une foi vacillante ainsi que les édifices où elle s’exprime : pendant plus de deux siècles, on va construire dans toute l’île près de trois cents églises, cathédrales, paroissiales ou conventuelles. Il fallut d’abord parer au plus pressé, relever des cathédrales effondrées, comme celle d’Ajaccio, rasée en 1554 par le maré­ chal de Thermes parce qu’elle empiétait sur le tracé de la cita­ delle qu’il édifiait ; celle de Calvi, soufflée en 1567 par l’explosion d’une poudrière adjacente. D’autres furent créées, comme celle de Cervione, où l’évêque d’Aleria décide d’éta­ blir sa résidence ; à Bastia, enfin, la cathédrale Sainte-Marie, devenue trop exiguë, fut démolie pour faire place à un nouvel édifice. Ces bâtiments, conçus à la fin du xvie ou au début du xviie siècle, présentent tous les mêmes caractéristiques : insé­ rés au cœur des villes, au milieu de venelles étroites, leurs

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lignes sont sobres, leurs façades dépouillées, surmontées d’un simple fronton triangulaire, leur ornementation presque austère. Le mouvement va ensuite s’accentuer, au fil du xviie siècle. Il ne s’agit plus seulement de doter les présides ou les évêchés, mais d’assurer la reconquête spirituelle de toute l’île, à la faveur de la paix relative qui s’instaure, et de faire triompher la Contre-Réforme dont l’évêque d’Aleria, saint Alexandre Sauli, est le héraut dans l’île. Les architectes affluent, venus de Gênes, mais aussi de Milan et surtout de Rome ; ils font des émules à qui ils inculquent un art plus exubérant, plus inven­ tif, où les courbes l’emportent sur l’austérité des lignes droites, où, selon la richesse des paroisses, se multiplient volutes, mou­ lures et corniches. C’est l’En-deçà-des-Monts qui bénéficie le plus des largesses ecclésiastiques : il n’est guère de village où l’église, quelque modeste qu’elle puisse être de proportions, voire même de conception, n’offre malgré tout une façade recherchée, percée de larges ouvertures, ornée de portes sculp­ tées, rythmée de niches destinées à recevoir des statues, sur­ montée d’un campanile abritant trois ou quatre cloches. Le plus bel exemple de cette période est sans doute, en pleine Castagniccia alors riche et peuplée, l’église Saint-Pierre-elSaint-Paul de Piedicroce. édifiée à la fin du siècle. Puis vint le xviiie siècle et son ostentation rococo, dont le maître fut l’architecte milanais Domenico Baina, à qui l’on doit l’église Saint-Biaise de Calenzana ainsi que celle de La Porta, une des plus achevées de cette période et qui, par ses volumes, rappelle le baroque jésuite d’Amérique latine. Alors, dans les villes, les murs se revêtent de fresques et de tentures de velours ou de soieries damassées, comme dans les chapelles Saint-Roch et de l’Immaculée-Conception, à Bastia, à moins encore qu’ils ne soient parés de stucs et de décors pastel, comme dans la chapelle Sainte-Croix, à Bastia toujours. La plupart de ces églises, dans la mesure de leurs moyens, attachent une grande importance à l’aménagement intérieur: marbre polychrome (ou stuc pour les moins fortunées), colonnes torsadées, autels surmontés de tabernacles spectacu­ laires aux frontons rompus ; les murs et les chapelles latérales sont ornés de tableaux, originaux ou copies venus d’Italie, les chœurs dotés de stalles sculptées souvent avec recherche. Enfin, ultime touche à ce raffinement : les orgues, extraordi­ naires instruments fabriqués pour la plupart en Corse sur le modèle qui prévalait alors dans la péninsule, petits orgues

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baroques des églises de campagne, buffets imposants des édi­ fices urbains, laissés longtemps - pour la plupart d’entre eux dans l’abandon le plus scandaleux. Leur recensement est aujourd’hui effectué ; un certain nombre ont été restaurés, sur lesquels des concerts sont régulièrement donnés, notamment en l’église de La Porta, où l’instrument, exécuté au xviie siècle dans le cap Corse, est l’un des plus justement renommés pour sa sonorité.

Les cérémonies de la semaine sainte La Corse est longtemps restée profondément religieuse ; elle l’est encore, d’une pratique rendue de plus en plus difficile et personnelle par la désertification des communes de l’intérieur. Un seul curé, venu de la ville, dessert de multiples villages dont les églises et chapelles, pisanes ou baroques, tombent sou­ vent en décrépitude. Seules les fêtes carillonnées, celle du saint protecteur de la paroisse, ou la fête par excellence, celle de Pâques, sont l’objet de grandes cérémonies. La célébration de la Passion du Christ et sa Résurrection sont l’occasion de faire revivre d’anciens rituels, communs à tout le bassin méditerra­ néen, tels qu’ils se déroulent encore dans certaines villes ita­ liennes, ou dans le sud de l’Espagne. Des processions plus ou moins élaborées, plus ou moins spectaculaires, sont organisées par des confréries jadis puissantes et riches, aujourd’hui réduites à l’état de vestige d’un passé dont les valeurs n’ont plus cours. Elles étaient naguère le lieu de la solidarité, de l’entraide matérielle et morale, d’un esprit communautaire qui structurait la société. Elles ne sont plus désormais que survi­ vances de traditions pétrifiées, mémoire d’une piété dont les manifestations ne correspondent plus aux structures de notre temps. Pour « folklorisées » qu’elles soient en grande partie devenues, ces cérémonies sont toujours émouvantes, ne seraitce que par ce qu’elles racontent d’anciennes histoires et des légendes qui s’y attachent. Le Catenacciu de Sartène

Parmi les plus impressionnantes de ces cérémonies, celle de Sartène. Au soir du Vendredi saint, un pénitent, le Catenacciu (l’enchaîné), vêtu et encagoulé de rouge, traverse la ville, les chevilles entravées par de lourdes chaînes, une croix de bois

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La procession du Vendredi saint au pied des murailles de Bonifacio.

pesant sur ses épaules. Un autre pénitent, tout de blanc vêtu, l’assiste dans son calvaire, comme Simon de Cyrène aida Jésus, le soutenant lorsqu’il trébuche. Les deux hommes sont suivis par des pénitents noirs, portant le corps du Christ dans son linceul, et par toute la population de la ville, qui chante Perdonno, mio Dio.

Personne ne sait qui se dissimule sous les cagoules, sauf l’archiprêtre de la ville. C’étaient autrefois des bandits de grands chemins qui, pendant les semaines qui précèdent la cérémonie, faisaient retraite au couvent des Franciscains. De nos jours, la liste des candidats est encore longue : ceux qui souhaitent subir cette épreuve postulent des années à l’avance. Cette cérémonie est tellement inscrite dans l’histoire que s’y greffent diverses légendes. Ainsi, raconte Dorothy Carrington, « il y a bien longtemps, un moine et une religieuse de Sartène tombèrent amoureux l’un de l’autre. Le soir du Vendredi saint, tandis que toute la population suivait la procession annuelle des pénitents, ils s’échappèrent clandestinement pour se rejoindre en un lieu où ils s’étaient donné rendez-vous, dans la vallée du Rizzanese. Mais avant d’avoir pu se livrer à leurs coupables amours, ils furent changés en pierre. On peut encore les voir, sous forme d’une paire de menhirs, debout sur le bord du chemin » (La Corse). Christos anesti à Cargese

A Cargese, sur la côte ouest, entre Ajaccio et Calvi, c’est une autre tradition qui survit, celle des Grecs venus du Péloponnèse s’installer dans cette région à la fin du xviie siècle, pour fuir les Turcs qui venaient de prendre Candie. Catholiques, ils apportaient avec eux leur rite grec, ce qui n’alla pas sans mal avec les autorités religieuses de l’époque. Aujourd’hui encore, les deux églises, grecque et latine, se font face, de part et d’autre du village, chacune sur un promontoire qui domine la mer. L’église grecque abrite de nombreuses icônes, dont l’Epithaphios, une descente de Croix du xie siècle ; elle est protégée toute l’année par une châsse dont elle ne sort que pour être exposée aux fidèles le jour du Vendredi saint. Dans la chapelle grecque, débute à minuit, le samedi, la liturgie des Ténèbres. Les fidèles allument un à un leur cierge au cierge pascal, à « cette lumière qui ne jamais s’éteint », puis débute l’office de l’Ouverture des portes. Le célébrant demande : « Qui est ce roi? » ; de l’extérieur, on lui répond :

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« Celui qui a vaincu la mort. » Le rite s’achève sur la liturgie de saint Jean Chrysostome : « Venez tous, la table est prête, même ceux de la dernière heure seront reçus. » Enfin, le lundi de Pâques, l’icône de la Vierge, entourée de saint Spiridon et de saint Nicolas de Myre, est conduite jusqu’au carrefour Saint-Jean d’où l’archimandrite bénit les campagnes. Les hommes du village suivent la procession en tirant des salves de leurs fusils. Cerche et Granitule

Toute la Corse connaît des cérémonies semblables. A Calvi, par exemple, les confréries de Saint-Érasme et de SaintAntoine-Abbé organisent sur le port et dans la citadelle, le soir du Vendredi saint, la procession de la Granitula : derrière la Croix suivie d’une statue de la Vierge en pleurs et en habits de deuil, le cortège des fidèles s’enroule sur lui-même et se déroule quatre fois au son du Miserere. A Erbalunga, dans le cap Corse, le jeudi, au cours des cérémonies des cerche, les confréries vont à A cerca di U Signore (à la recherche du Sei­ gneur) en brandissant les pulezzule, des rameaux de palmes savamment tressés : le vendredi, a lieu également une Granitida. A Bonifacio, lors de la procession des Châsses, les sept confréries de la ville portent en grande solennité les casci. énormes groupes sculptés pesant plus d’une tonne. Citons encore la Granitula et procession du Christ mort à Corte, l’Incatenatu de Bisinchi, la sortie du Christ noir à Bastia, etc. A Merendella

A tout cela, il faut ajouter une cérémonie plus familiale, plus profane, celle de la Merendella du lundi de Pâques, piquenique traditionnel à la plage, en montagne, voire dans un champ près du village. Pas question de rester à l’intérieur des maisons ; la renaissance du Christ signifie aussi la mort de l’hiver. Faites comme les Corses : profitez à plein du glorieux réveil de la nature, goûtez les saveurs de ces agneaux à peine sevrés, grillés à la braise avec quelques gousses d’ail, savou­ rez les oursins frais pêchés, accompagnés d’un vin blanc sec du Cap...

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Magie Le catholicisme profond qui fut celui des Corses pendant des siècles (en ce domaine aussi, les choses ont bien changé ces dernières décennies) n’a jamais pu extirper de mystérieuses croyances venues du fond des âges, de l’époque mégalithique, dit-on. Ainsi le dogme de la Résurrection n’a-t-il jamais su effacer la peur non pas de la mort, mais des morts, ces morts malveillants, jaloux des vivants, dont il faut se protéger et cal­ mer la vindicte pour éviter qu’ils ne viennent s’emparer de votre âme. Les multiples rites qui, aujourd’hui encore, entou­ rent les défunts, relèvent plus de la crainte qu’ils inspirent que des honneurs qu’il convient de leur rendre. Il ne saurait être question de porter un proche en terre sans l’avoir longuement veillé, en compagnie du voisinage ; naguère, on improvisait sur sa dépouille des voceri, mélopées rappelant ses vertus. La veille de la Toussaint, des mets et du vin sont disposés sur les tables des maisons, les fenêtres sont ornées de bougies qui se consument toute la nuit, tandis que les tombes, fleuries de gerbes de chrysanthèmes, sont illuminées de cierges et de lam­ pes à huile jusqu’à l’aube. Il faut aussi se méfier des mazzeri, ces gens qui ont été mal baptisés : d’un mot oublié, d’une phrase inversée au cours de la cérémonie, ils ont gardé une tache indélébile. Ils annoncent la mort, parfois même la provoquent. La nuit, tandis que leur corps sommeille, leur âme s’en va battre le maquis ; ce « dou­ ble » somnambule tue le premier animal rencontré et, se pen­ chant vers lui, reconnaît un membre de sa famille, quelqu’un du village ; la personne ainsi « reconnue » mourra dans l’année, à moins que le mazzeru n’accepte de mourir à sa place, ou qu’un rite ne détourne cette mort annoncée. Mazzeri et streghe (sorcières) sont en voie de disparition, mais on peut toujours être la victime du mauvais œil. Le mal’occhju est jeté par quelqu’un, allez donc savoir qui, puisque celui qui le lance n’en est même pas conscient. C’est un regard d’envie, un désir non formulé qui fait que soudain vous êtes innuchjatu. Les meilleurs moyens de s’en protéger? Faire le signe des cornes, ou porter un morceau de corail, ou encore accueillir tout compliment ou toute louange d’une for­ mule où l’on rend grâces à Dieu. Si toutes ces précautions n’ont pas suffi, il faut aller voir la signatora (il y en a dans chaque village, dans chaque bâtiment des banlieues moder-

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nes) : elle posera sur la tête de l’innuchjatu une assiette blanche remplie d’eau dans laquelle, tout en marmonnant des prières et des incantations magiques apprises dans le plus grand secret au cours de la nuit de Noël, elle fera tomber quelques gouttes d’huile. Le rite est répété jusqu’à ce que l’huile s’étale sur l’eau en un cercle parfait : le maléfice est alors déjoué et sa victime délivrée. C’est bien davantage qu’un rite ancestral dont on pourrait sourire ; il est étonnant de voir avec quelle facilité, quel natu­ rel les Corses y ont recours, quelle que soit la rationalité qu’ils professent par ailleurs. Dans cette démarche entre, certes, pour beaucoup, le désir de perpétuer une tradition liée aux souvenirs d’enfance ; mais peut-être plus. Et si c’était tout bonnement le moyen autoch­ tone d’atteindre l’apaisement que d’autres recherchent dans le yoga ou certaines mancies?...

Fêtes, foires et festivals Cérémonies religieuses 18 MARS : Fête de la Madunuccia, Notre-Dame de la Miséri­ corde, patronne d’Ajaccio depuis qu’elle la sauva d’une épi­

démie de peste en 1656. Messe et procession. semaine sainte : Processions et célébrations particulières à

Bonifacio, Calvi, Borgo, Cargese. Corte, Erbalunga, SanMartino-di-Lota, Bastia et Sartène. 2 JUIN : Fête de saint Erasme, patron des pêcheurs ; procession et bénédiction des barques à Ajaccio, Bastia et Calvi. 24 JUIN : Fête de saint Jean-Baptiste, patron de Bastia. 5 AOÛT : Pèlerinage de Notre-Dame des Neiges, dans la forêt de Bavella, à 10 kilomètres de Zonza. 15 AOÛT : Cérémonies de l’Assomption, célébrée dans toute l’île qui est placée depuis des siècles sous le patronage de la Vierge : l’hymne national corse est le Dio vi salvi, Regina (Que Dieu vous sauve, ô reine des cieux...). 8 septembre : Pèlerinage annuel à Notre-Dame

de Lavasina,

au nord de Bastia ; célébration, à Casamaccioli, de la Santa di u Niolu, et fête de Notre-Dame à Bonifacio.

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Manifestations sportives avril : Canoë-kayak international : Compétitions organisées

sur les rivières des deux départements, elles réunissent des kayakistes de haut niveau. Informations au 05 22 73 81. mai : Tour de Corse automobile : Epreuve célébrissime qui se déroule chaque année la première semaine du mois. Seule épreuve du championnat du monde des rallyes à se pratiquer entièrement sur l’asphalte des routes corses. Informations au 95 23 15 01. juin : Corsica bike : Epreuve qui réunit compétiteurs de haut niveau et amateurs sur un parcours qui permet de traverser la Corse en VTT (vélo tout-terrain). Informations au 95 78 41 95 et, à Paris, au 60 68 98 81. JUILLET : Mediterranean trophy : Course-croisière ouverte aux croiseurs hauturiers, elle se déroule entre Corse, Sardaigne et île d’Elbe. Informations au 95 21 07 79. AOÛT : Ronde terre corse : Rallye automobile sur terre organisé par l’ASA bastiaise (Association sportive automobile) et la Squadra Porto-Vecchio. Compte pour le championnat de France des rallyes sur terre. Informations au 95 31 19 41. Foires agricoles fin février : A Tumbera, on tue le cochon. Foire à la charcu­

terie à Renno (95 2 6 65 35). DÉBUT mai : U Scontru di i pastori, rencontre des bergers et foire aux fromages à Renno (95 26 65 35). MI-MAI : Fiera di a Gravona, foire agropastorale de la Gravona à Pont-d’Ucciani (95 52 83 77). fin mai : Foire aux fromages de Francardo (95 47 44 70). FIN MAI : Foire du Fium’Orbo, à Prunelli-di-Fium’Orbo (95 56 24 13). début juillet : Fiera di u vinu, foire aux vins de Luri, dans le cap Corse (95 35 00 15). mi-juillet : Foire de Cilaccia, au col de Cilaccia, au-dessus de Propriano (95 74 62 47). fin juillet : Fiera di l’alivu, foire de l’olivier et de l’huile d’olive à Cassano, en Balagne (95 62 72 88). début août : A Bocca di u pratu, foire de Quercitellu, carre­ four des anciens chemins muletiers en Castagniccia (95 39 20 07). MI-AOÛT : Fiera di San Roccu, foire de la Saint-Roch à Renno (95 54 44 44).

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début septembre : A Santa di u Niolu, foire de Casamaccioli

dans le Niolu (95 48 03 34). début DÉCEMBRE : Fiera di a castagne, foire de la châtaigne à

Bocognano (95 27 43 20). Foires commerciales fin août, à Bastia. début septembre, à L’Ile-Rousse.

Fêtes et manifestations culturelles février : Rencontres des polyphonies sacrées à Corte, la pre­

mière semaine. Les groupes corses confrontent leur tradition à celle de groupes venus d’autres pays de la Méditerranée. avril. Festival de musique classique de Lozari, organisé au Village Vacances Famille la dernière semaine. Réservation dans les agences VVF ou encore à Paris (60 81 60 60) et Lyon (78 95 76 76). juin : Festival Télébédéciné d’Ajaccio. Rencontres entre la télé­ vision, le cinéma et la bande dessinée. Informations au 95 51 02 58 ou au 95 21 50 90. Concours vidéo photos de la ville de Bastia, ouvert aux seuls amateurs. Expositions et projections de films vidéo. Infor­ mations au 95 32 23 63. Festival de jazz à Calvi, au cours de la deuxième quinzaine du mois. De nombreux artistes se produisent pendant une semaine en différents lieux de la ville : cafés-concerts, spec­ tacles nocturnes et animation assurée. Informations au 95 65 23 57 ou au 95 65 02 57. Relève des gouverneurs à Bastia, cérémonie reprise dans les traditions du XVIIe siècle, à laquelle participe la population en costumes d’époque. Le nouveau gouverneur, accueilli dans le Vieux-Port, rejoint le palais des Gouverneurs où s’effectue la passation de pouvoirs. Informations au Service culturel de la ville de Bastia, 95 32 2 3 63. JUILLET : Festival de danse de Bastia, la première semaine. Stages et spectacles avec les écoles régionales et des troupes invitées. Informations au 95 32 23 63. Cinémaffiches à Porto-Vecchio, la seconde quinzaine. Festi­ val qui met en valeur les liens entre le cinéma et les arts plastiques, et fait honneur au fonds de la cinémathèque régionale. Informations au 95 70 35 02. Nuits de la guitare à Patrimonio. Musique classique, jazz et

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variétés dans le cadre du théâtre de verdure. Informations au 95 37 05 78. Festival de musique folklorique «Jacques Luciani » à Corte. la seconde quinzaine du mois. Des groupes venus en voisins ou de plus loin témoignent de leurs traditions dans le cadre de la citadelle. AOÛT : Citadella in festa à Calvi, qui se veut à cette occasion carrefour des cultures méditerranéennes. Expositions, concerts, spectacles dans les rues de la vieille ville. Chaque année, un pays est à l’honneur. Informations au 95 65 02 57. Fêtes napoléoniennes à Ajaccio, à l’occasion de l’anniver­ saire de la naissance de l’Empereur, le 15 août. Défilés, parades et un gigantesque spectacle pyrotechnique en soirée dans le golfe. Informations au 95 21 50 90. Superbe feu d’artifice également le 15 août à Calvi. Embra­ sement spectaculaire de la citadelle et de ses murailles, feux de Bengale le long de la plage et concert de cornes de brume des navires au mouillage... septembre : Les Voix de la Méditerranée à Bonifacio, le pre mier week-end. Rencontres entre artistes venus des bords du mare nostrum.

Informations au 95 73 10 72 ou au 95 73 03 48. Rencontres européennes de plongée sous-marine à Ajaccio

au cours de la deuxième semaine du mois. Films, exposi­ tions et colloques sur tous les aspects du monde sous-marin. Informations au 95 25 12 58 ou au 95 21 50 90. Rencontres polyphoniques à Calvi, au cours de la seconde quinzaine du mois. Spectacles dans la citadelle. Informations au 95 65 23 57. Festival de musique rock de Bastia. Groupes locaux et invi­ tés. Informations au 95 32 23 63. octobre : Festival du film des cultures méditerranéennes à Bastia, la seconde quinzaine. Ce festival, créé en 1982. décerne son «Olivier d’or» à une production récente ; les courts métrages insulaires sont également à l’honneur. Chaque année, hommage rendu à un pays et à une person­ nalité. Informations au 95 32 08 32 ou au 95 32 08 86. Festival di lu ventu, festival du vent à Calvi, la dernière semaine. Scientifiques, sportifs et artistes célèbrent la réalité et la mythologie des vents. Informations au 95 65 05 87. Décembre : Musicales de Bastia, la première semaine, avec un programme de qualité dans les domaines de la musique clas-

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sique, du jazz, de la chanson et même de la danse et du théâtre. Informations au 95 31 25 14.

La langue corse Naguère, les Corses « patoisaient », disait-on ; jusqu’à la fin des années cinquante, il était fort mal vu de parler corse, idiome réservé aux bergers et aux paysans. Il a fallu le sursaut identitaire des années soixante-dix pour que les pouvoirs publics accordent au corse le statut de langue régionale prévu par la loi Deixonne de 1951 ; désormais, au prix d’efforts et de combats toujours répétés, le corse est enseigné (aux seuls élèves, toutefois, qui en font la demande) de la maternelle à l’université, où son étude est actuellement sanctionnée par un CAPES. Bien que les élites corses aient toujours pratiqué la langue de la puissance dominante (latin, puis toscan - et ses variantes génoises -, français enfin à compter de la moitié du XIXe siè­ cle), ces langues, si elles ont eu une influence certaine sur l’idiome local, n’ont jamais réussi à le faire disparaître. Le corse est un parler roman qui a subi sa propre évolution et s’est transmis oralement au fil des siècles. Le premier texte imprimé fut U sirinatu di Scappinu, poème satirique inclus dans la Dionomachia que l’écrivain bastiais Salvatore Viale édite à Paris en 1823. Viale, magistrat formé en Italie, fut le principal ani­ mateur de la vie intellectuelle insulaire au XIXe siècle ; son des­ cendant, Paul-Michel Villa, raconte magnifiquement ce que furent ses combats pour la littérature populaire de tradition orale dans son roman La Maison des Viale. Depuis cette date, les textes se sont multipliés, les publica­ tions régionales et les médias audiovisuels qui se sont déve­ loppés depuis 1980 (France 3-Corse, RCFM, Radio Corse Frequenza Mora, station de Radio-France, sans compter les radios commerciales privées) pratiquent tous un bilinguisme qui cor­ respond à une attente de la population. Mais cette langue est toujours source de polémique. Si l’orthographe en est désormais fixée (ce ne fut pas sans mal!...), les querelles lexicales se poursuivent (nécessité de créer des néologismes pour enrichir le vocabulaire d’une société agropastorale), querelles aggravées par la coexistence de deux aires linguistiques relativement différenciées. Grossiè-

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renient, il existe deux corses, celui du Sud et celui du Nord, que séparent des variations morphologiques (les « ll » du Nord, bellu cavallu, deviennent « dd » au Sud, beddu cavaddu) ou sémantiques (classiquement, on oppose les régions où le chien se dit cane à celles où il s’appelle ghjacaru). Tout cela n’empêche pas les Corses de se comprendre entre eux, et l’on peut sans grand risque affirmer que cette langue, à l’agonie au milieu de ce siècle, est dorénavant sauvée. Il n’en est pour preuve que d’entendre, dans les rues de Bastia ou des villages de la plaine orientale, les enfants de Maghrébins l’utiliser dans leurs jeux et leurs discussions, avec une facilité et un naturel que doivent parfois leur envier les Corses à l’âge mûr...

Musique et musiciens corses Dans le même temps que la langue, moribonde, se relevait, la musique et le chant corses connaissaient, eux aussi, un renou­ veau. Durant des décennies, Tino Rossi et ses succédanés avaient accaparé l’attention et répandu dans tout le pays leur vision de la Corse : univers artificiel et quelque peu frelaté, où de sirupeuses mélodies d’inspiration vaguement napolitaine portaient des textes vantant une île imaginaire. Sentiments d’opérette et décors de carton-pâte. Les chansons tradition­ nelles étaient elles aussi passées au crible réducteur d’une conception folklorique des choses ; guitares et mandolines rou­ coulaient des serments d’amour et les jeunes filles écrasaient des larmes factices tandis que leur bien-aimé voguait vers le couchant. Le patrimoine musical était pourtant riche, mais menacé d’oubli. Ce fut l’honneur de quelques chanteurs, comme Charles Rocchi, ou d’ethno-musicologues, tel Félix Quilicci, de s’attacher à enregistrer une tradition orale où la musique était souvent le simple support de la poésie improvisée. A chaque sexe, ses genres musicaux. Les femmes chantaient la vie, l’amour et la mort : nanne (berceuses), complaintes pleurant l’absence ou la trahison de l’aimé, mais aussi voceri, ces poignantes lamentations rappelant les vertus du disparu. Ces mélopées touchaient au tragique lorsque l’honneur de ce dernier, victime d’un meurtre, devait être lavé par ses proches : c’est la voceratrice qui les y poussait alors, multipliant exhor­ tations et provocations, exhalant sa soif de vengeance dans un paroxysme de douleur et de passion. Aux hommes étaient

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réservés les chants traitant des affaires publiques : lamenti de prisonniers, poèmes satiriques, chjami e rispondi qui étaient de véritables joutes improvisées où deux chanteurs se répondaient de couplet en couplet jusqu’à épuisement de l’inspiration, lorsque l’un d’entre eux restait coi devant une ultime et perfide attaque, à la plus grande joie de l’assistance. A eux également les sérénades portées aux belles, à eux enfin l’art noble par excellence, celui de la polyphonie, des paghjelle, où trois voix — a secunda, u bassu, a terza - se fondent en ricuccate, venues du fond des temps, fioritures autour des notes qui sont à la musique ce que les enluminures étaient aux manuscrits, et qui signent l’indéniable appartenance de cette musique à l’ensemble culturel méditerranéen. Trois hommes au coude à coude, une main posée sur l’oreille ; le baryton entonne une strophe, ténor et basse se joignent à lui, en une harmonie modale où nos oreilles faites à la tonalité ne perçoivent au début que frottements et modulations inusitées. Mais de l’ensemble se dégage une émotion à laquelle personne ne peut rester insensible. Avec, là encore, la résurgence de la revendication identitaire dans les années soixante-dix, cette musique traditionnelle en voie de disparition connaît un renouveau. Les groupes qui se créent alors rompent avec la veine folklorique exploitée jusque-là et reviennent aux sources, les bouleversent un peu comme E Duie Patrizie, deux femmes qui se mêlent de chan­ ter ce qui jusqu’ici ne les concernait pas, ou encore Tavagna qui, dès 1984, se frotte à d’autres traditions en enregistrant avec le saxophoniste de jazz André Jaume. Tout cela ne va pas sans heurts : la plupart de ces groupes (Canta u Populu Corsu, I Muvrini, E Voce di u Cumune, A Filetta) se situent claire­ ment dans la mouvance nationaliste, ce que nombre de Corses ne leur pardonnent pas. Les paroles de certaines de leurs chan­ sons appellent ouvertement à la lutte contre l’État français ou font l’apologie des actions du FLNC. Au cours des étés 1985 et 1986, on assiste à de véritables épreuves de force, certains maires interdisant les concerts organisés sur le territoire de leur commune. Au fil des ans, les uns se sont assagis, les autres ont compris qu’ils menaient un combat d’arrière-garde ; aujour­ d’hui, chacun reconnaît la valeur de ces œuvres et le renouveau qu’elles ont entraîné. Derniers avatars de cette veine : les Nou­ velles Polyphonies corses, qui ont entrepris de régénérer la tra­ dition en pratiquant l’ouverture et la rencontre, et dont les

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I Donni Insulani ; dans l’église Sainte-Croix de Bastia, bousculant la tradition, elles chantent des polyphonies.

polyphonies, hérésie suprême, sont conçues pour voix mixtes ; ou encore I Donni Isulani, ces « femmes insulaires » qui rom­ pent avec un tabou séculaire en interprétant des polyphonies. La musique classique, trop savante pour cette société rurale, n’a jamais touché que les élites, avec cependant une exception notable pour l’art lyrique, toujours populaire à Bastia, suivant en cela une tradition fort italienne. Le théâtre municipal, inau­ guré en 1878 (endommagé pendant la Seconde Guerre mon­ diale, il n’a rouvert ses portes qu’en 1983), y sert de cadre à des productions venues d’Italie. Les voix corses sont belles, et certaines se font un nom hors de l’île : César Vezzani et Gas­ ton Micheletti dans les années vingt, José Luccioni et Martha Angelici à la génération suivante, Tibère Raffali aujourd’hui font honneur au chant corse sur les scènes nationales et inter­ nationales. N’oublions pas les compositeurs : Henri Tomasi (1901­ 1971), qui vit actuellement son purgatoire, est né à Marseille de parents corses, mais passa de longs mois de son enfance dans l’île ; il y puise une grande partie de son inspiration. « Les impressions poétiques qui m’ont marqué à cette époque ont laissé des empreintes persistantes », écrivait-il. « Or, les demiteintes n’existent pas là-bas. Il n’y a que de la pleine lumière et des ombres profondes. » Ses premières œuvres portent la trace des traditions musicales de l’île (Variations sur un thème corse, 1925 ; Chants de Cyrnos, créés en 1931 par Martha Angelici ; Vocero, poème symphonique, 1932). Mais c’est sur­ tout dans le domaine lyrique qu’il est marqué de cette empreinte : Sampiero Corso (créé en 1956 au festival de Bor­ deaux) fait une grande place au vocero et à la moresca, antique danse en armes qui symbolise la victoire des Corses sur les envahisseurs maures : enfin Miguel Mañara ou le Don Juan mystique, musique de scène composée en 1935 et remaniée par la suite en drame lyrique, retrace l’histoire de ce fils de Calvais, descendant des seigneurs de Cinarca, né à Séville en 1627 et qui vécut une vie digne des héros de Tirso de Molina et de Molière avant de consacrer la fin de ses jours à soulager la misère de ses contemporains.

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Discographie La liste de disques proposée ici n’a nullement vocation à être exhaustive. Pour chaque groupe, seuls un ou deux titres ont été retenus, parmi les plus significatifs de leur production, ou en raison de l’intérêt historique qu’ils présentent. Sauf indication contraire, ces disques sont tous produits par la société RICORDU, Sornagnone. 20129 Bastelicaccia.

Canta

u populu corsu : Concert au Théâtre

de la Ville. - Ci

he dinù.

pratu di a memoria. - Cuntrasti e ricuccate. - Canti sacri. CINQUl SO : Polyphonies (FNAC Musique). ANTOINE CIOSI : Ciosi chante les frères Vincenti. Diana DI L’ALBA : Diana di l’Alba. A filetta : A u visu di tanti (Kalliste) - Ab eternu (Saravah). • PETRU GUELFUCCI : Isula - Corsica. I muvrini : Annu di vulta (prod. Muvrini). - E più belle, com­ pilation (prod. Muvrini). - A voce rivulta (Island). LES nouvelles POLYPHONIES CORSES : Les Nouvelles Polypho­ nies corses (Polygram). JEAN-PAUL POLETTI : Stonde, stonde. - Un filu di melodie. PATRIZIA poli : Zarra (Polygram). I SURGHJENTI : Sotta u turchinu. TAVAGNA : Piazza di Luna, avec André Jaume (CELP-Harmonia Mundi) - A cappella (Silex-Auvidis). ZIA devotta : Falzi cunsigli. I CHJAMI AGHJALESI : L’altu

En ce qui concerne enfin la musique d’Henri Tomasi, à signaler un disque compact, le seul récemment édité, qui reprend son drame lyrique, Don Juan de Mañara, et son ora­ torio, Le Triomphe de Jeanne (Éd. Forlane).

Filmographie La Corse est restée longtemps absente de la création cinéma­ tographique ; au mieux, des équipes de tournage (Bunuel, Gance, Preminger) venaient y travailler, mais les Corses res­ taient étrangers à ces productions qui ne faisaient que passer, attirées par les paysages qu’offre l’île, comme l’avait fait, dès 1898. G. A. Smith avec The Corsican Brothers.

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Au début des années soixante-dix, de premières tentatives se font jour, sous l’impulsion d’artistes passionnés, tels Domini­ que Degli Esposti, Dominique Tognotti ou encore Noëlle Vincensini qui, en 1981, crée une association. Sinemassoci ; cette structure, qui s’est vu deux ans plus tard confier, par le Centre national du cinéma, la gestion d’un atelier régional installé à Ajaccio, aide les jeunes auteurs à réaliser leurs projets. C’est peut-être grâce à cette impulsion que, dans les années quatre-vingt, un réel mouvement de création se dessine. MarieJeanne Tomasi, Dominique Tiberi, Gérard Leca sont parmi les noms qui, aujourd’hui, émergent d’une production où les re­ cherches plastiques tiennent une grande part. La Cinémathèque régionale, installée à Porto-Vecchio, est le gardien de la mémoire cinématographique de la Corse, elle ras­ semble tous les films qui, d’une manière ou d’une autre, ont rapport à l’île. Enfin, le Festival du film des cultures méditer­ ranéennes, qui se déroule chaque année à Bastia, fait une large place à la production insulaire. Parmi les œuvres les plus significatives, on peut noter : Brusgiature (Brûlures), de Dominique Degli Esposti, 1973,

16 mm. Stridura, d’Ange Leccia, 1978, 16 mm. La Lézarde, de Gérard Leca, 1987, 16 mm. Dolce Vendetta, de Marie-Jeanne Tomasi, 1988. 35 mm. Bleu nuit, de Simon Luciani, 1988, 16 mm. La Bouteille de gaz, d’Henri Graziani, 1989, 35 mm. Soleil de novembre, de Dominique Tiberi, 1990, 35 mm. In fine, d’Alexandre Périgot, 1990, 35 mm. Entre ciel et mer, de Gabriel Le Bomin, 1990, 35 mm. De l’autre côté du miroir, de Dume Maestratti, 1990, 35 mm.

Signalons, enfin, l’excellente série de cassettes réalisées par France 3-Corse, disponibles avenue Noël-Franchini, 20090 Ajaccio (tél. 95 22 04 56) : Corsica. La Transhumance. Ciel, la Corse. Les Lacs de montagne en Corse. Demain, on plonge. Le SECB. L’épopée bastiaise de 1978. Les Guerres de Corse, 1939-1945. La Corse et la Révolution, 1789-1989.

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Les Eglises romanes et les fresques d’églises. I Muvrini in giru (Tournée des Muvrini). La Légende des frères Vincenti (auteurs compositeurs). Un chant d’existences.

Gastronomie Le coût de la vie est en Corse élevé ; chaque année, les indices calculés par l’INSEE montrent que cette région pauvre, dont les habitants sont pourtant plutôt à l’aise, est parmi celles où le panier de la ménagère revient le plus cher. Abandonnez donc toute illusion : il est fort improbable de dénicher un restaurant abordable. Dans les villes du moins, où le moindre bistro pré­ sente des additions qui, partout ailleurs, seraient considérées comme une incitation à l’émeute ; elles mettent en général un désagréable point final à un repas des plus banals, à base de pizze cartonneuses, de charcuteries insipides ou de poissons surgelés sur les côtes de la Manche, à moins encore que la carte ne témoigne d’une prétention insupportable, fille bour­ souflée d’une « nouvelle cuisine » mal comprise. Il est heureu­ sement des exceptions, hélas ! souvent onéreuses. Le Dauphin à Bastia, l’île de Beauté à Calvi, l’Amore Piattu à Ajaccio, la Caravelle à Bonifacio, le restaurant de l’hôtel Cala Rossa à Porto-Vecchio sont quelques exemples, non exhaustifs, de tables où l’inventivité se marie au respect des traditions culi­ naires de l’île et à l’authenticité des produits. Il est conseillé de se laisser guider par les numéros que, chaque année, le maga­ zine Gault et Millau consacre à la Corse, où encore à votre guide gastronomique favori, auquel on peut ajouter certaines publications régionales, mises à jour annuellement, et dispo­ nibles dans les kiosques. Très banalement, c’est encore dans les villages de l’intérieur que vous aurez les meilleures surprises ; ici ou là, de modestes auberges sans prétention perpétuent les recettes ancestrales et proposent, l’hiver surtout, des repas roboratifs élaborés à par­ tir des produits de la chasse ou de la pêche et offrent d’hon­ nêtes et plantureux exemples de la cuisine corse. Là aussi, fiezvous à votre guide, mais plus encore aux conseils des habitants qui pourront vous diriger judicieusement. La cuisine corse est rustique, fondée, comme toute cuisine de terroir, sur l’utilisation des produits locaux dont les saveurs

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sont relevées par les multiples herbes et épices qui foisonnent dans le maquis ; méditerranéenne, elle utilise abondamment la tomate, l’huile d’olive et le fromage, notamment le brocciu, préparation à base de petit-lait dont l’élaboration est soumise à des règles strictes : on ne le trouve frais que de décembre à juillet ; en dehors de cette période, il est fabriqué à partir de lait en poudre et vendu sous le nom de « brousse ». Les soupes constituaient jadis la base des repas familiaux : minestra aux haricots rouges et au lard fumé, longuement mijotée, dans laquelle on ajoute une poignée de pâtes pour l’épaissir encore, soupe d’herbes, bouillons de pigeon ou de merles, azziminu, sorte de bouillabaisse à base de poissons de roche et de langouste ou encore soupe de truites telle qu’on la prépare toujours dans la vallée de la Restonica. De sa longue histoire italienne, la cuisine corse a conservé le goût des pâtes (lasagne, canelloni ou ravioli farcis à la viande ou au brocciu, macaroni accompagnant les plats en sauce), celui des légumes farcis d’un mélange de brocciu et d’herbes (aubergines, courgettes ou tomates), ou encore des poissons également farcis. Les viandes sont volontiers préparées en ragoût ou en daube (tianu ou stufatu), notamment le gibier et particulièrement le sanglier, seigneur du maquis, dont la chasse reste la passion des villageois. En ce pays d’élevage, le mouton est toujours fort prisé ; l’agneau de Pâques est simplement grillé à la broche ou légèrement sauté (a la stretta), accompagné de pulenta de châtaigne. Le rituel cabri de Noël est préparé de la même manière. Les Corses ne sont guère pêcheurs : cette activité demeure encore aujourd’hui presque entièrement artisanale ; les petits pointus que l’on voit dans les ports ne couvrent que 20% de la consommation totale et réservent leurs produits à une clien­ tèle assurée : restaurants, hôtels et quelques poissonniers. Les poissons de roche corses sont extrêmement savoureux ; rou­ gets, sars, dentis, pageots ou loups simplement grillés au feu de bois ; sardines et anchois conservés au sel ou en escabèche (in scabecciu) : mulets dont les œufs, salés et séchés, puis enveloppés d’une fine pellicule de cire, sont vendus à Bastia sous le nom de putaraca. Cette poutargue est utilisée pour assaisonner des pâtes, ou encore dégustée en fines tranches à l’apéritif. Pendant longtemps, l’île a importé de la morue séchée, souvent de mauvaise qualité ; d’où un dicton mépri-

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sant : baccalà per Corsica, de la morue pour la Corse. Et pour­ tant, servie, notamment le jour du Vendredi saint, frite avec des gousses d’ail et nappée d’un léger coulis de tomates, c’est un délice. Les rivières et étangs abondent en truites et anguilles. Ne pas manquer non plus les huîtres et moules des étangs de Diana et d’Urbino. L’un des fleurons de la gastronomie corse est sa charcuterie, jadis familiale, aujourd’hui artisanale ; il faut toutefois se mon­ trer vigilant : certaines entreprises en effet n’hésitent pas à importer de la viande pour la traiter sur place, alors même que la principale vertu de ces produits réside dans le fait que les porcs, vivant dans l’île en semi-liberté, ont une nourriture variée qui confère à leur chair une saveur sans égale. Naguère en décembre, on tuait le cochon au cours d’une fête, a tumbera, à laquelle chacun participait pour fabriquer les prizutti (jambons), mais aussi le lonzu, la coppa (filet et faux-filet), la salsiccia (saucisse) et le figatellu (saucisse de foie), que l’on faisait ensuite sécher et fumer. Tous ces produits régnent en maîtres sur les cartes des restaurants ; il n’en est aucun qui ne propose son assiette de charcuterie corse, de qualité variable. On peut encore trouver sur certains étals de marché, en saison, des tranches de ghjalaticciu, estomac de porc farci d’un mélange de viandes et d’herbes marinées dans du vin, puis bouilli. Un régal. Plus simplement, une modeste collation prise dans une auberge peut être une véritable fête lorsque arrive sur la table une omelette à la menthe, au brocciu, ou aux oursins, des sturzapretti (boulettes de blettes ou d’épinards et de brocciu, gra­ tinées dans un jus de ragoût), un chausson feuilleté aux blettes ou un ragoût de fèves fraîches suivi d’un morceau de fromage, chèvre ou brebis. Ces fromages ont parfois mauvaise réputation : ils peuvent en effet être parfois... puissants, lorsqu’ils ont été affinés avec patience pendant plusieurs mois et que des pensionnaires s’y sont logés. Dans le Sud, on continue d’ailleurs à s’en régaler sous cette forme. Mais de plus en plus, pour le confort des palais et des odorats sensibles, ces fromages sont vendus plus frais et donc moins agressifs. On en propose de diverses sortes, dont la préparation et la présentation varient avec chaque micro-région : pâtes fleuries vendues sous différentes appella­ tions, pâtes cuites des tommes, ce qui est un peu une nou­ veauté, fort plaisante au demeurant, et bien sûr le brocciu

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Sur le marché de Bastia, quelques vieilles femmes proposent toujours des fromages.

omniprésent. Là encore, les productions artisanales sont les plus savoureuses ; à chacun de choisir celle qui rencontre ses goûts. Les desserts sont nombreux : fiadone, tarte aux œufs et au brocciu relevé d’un zeste de citron ; falculelli, petites galettes de préparation identique, mais cuites au four sur une feuille de châtaignier ; fritelle (beignets) de toutes sortes : de farine de châtaigne, de riz (panzarotti bastiais), au brocciu ; oreillettes (ciambelle ou frappe) ou encore biscuits à l’huile et au vin (cuggiole), aromatisés à l’anis ou aux amandes (canistrelli); fougasses aux fruits secs (pan dei morti de Bonifacio), sans oublier les fruits confits, tel le cédrat (alimea), qui ne se fait plus que dans le Cap, ou encore le miel, d’excellente qualité.

La route des vins Comme dans tout pays méditerranéen, la viticulture est une tradition séculaire en Corse. Ce sont les Grecs qui, au VIe siè­ cle avant J.-C., apprirent aux Corses à soigner la vigne et à en tirer du vin. Beaucoup plus tard, au XVIIe siècle. Gênes déve­ loppa cette activité qui demeura florissante jusqu’au début de ce siècle. A cette époque, 20 000 hectares de vigne donnaient, dans le Cap, en Balagne, dans les régions d’Ajaccio et de Sartène, des vins fort réputés. Le phylloxera détruisit la plus grande partie du vignoble, le dépérissement de l’économie corse fit le reste : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il reste à peine 5 000 hectares de vigne dans l’île, pas même de quoi répondre à la demande locale. La renaissance du vignoble est récente. Avec tout d’abord les pieds-noirs qui, au début des années soixante, créent de toutes pièces un nouveau vignoble à gros rendement dans la plaine orientale. 25 000 hectares sont ainsi plantés, mais on n’en tire qu’un vin de consommation courante, peu valorisant, guère adapté aux habitudes, la vinaccia. La politique d’aide euro­ péenne à l’assainissement du vignoble, depuis 1976, a enfin permis de reconstituer une production de qualité : 25 000 hec­ tares de vigne médiocre ont été arrachés, tandis que les cépages ont été améliorés dans les zones traditionnelles. Aujourd’hui, le vignoble corse couvre environ 10 000 hec­ tares, dont 1 700 en AOC, appellation d’origine contrôlée. Dans ces dernières, demeurent majoritaires les anciens cépages

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corses, indigènes ou adaptés. Ainsi le vermentino, ou malvoi­ sie de Corse. C’est de ce cépage, né en Crête et qui a essaimé dans tout le bassin méditerranéen au fil des siècles, que pro­ viennent tous les vins blancs. Pour les vins rouges, régnent en maîtres sur les terres de Patrimonio, mais aussi en plaine orien­ tale et dans le Sud, le niellucciu, apparenté au san giovese quic en Toscane, produit le chianti, et sur les terres granitiques de Balagne, d’Ajaccio et de Sartène, le sciacarello. Quelles que soient les qualités de ces cépages, il est nécessaire de leur adjoindre les produits d’autres familles, surtout dans les aires de production de vins de table. Ainsi, on trouve également soit des cépages acclimatés depuis longtemps, tels le cinsault, le carignan ou le grenache, soit des cépages d’introduction plus récente, tels le merlot, le cabernet, le chardonnay ou le syrah. L’AOC repose sur une centaine de producteurs, répartis en sept grandes zones, dont deux régions de crus. Patrimonio : la région de la Conca d’Oru est dépositaire d’une histoire et d’une tradition largement reconnues. 250 hectares en petites parcelles au-dessus du golfe de Saint-Florent, et des vins parmi les plus nobles de Corse, après une période difficile dans les années soixante. La production d’Ajaccio a été classée en 1971 ; occupant 700 hectares, dont 220 d’AOC, elle donne des rosés charnus, des rouges fruités et des blancs de grande tenue. Ensuite, cinq AOC-Village. Dans le Cap, subsistent quelques minuscules vestiges d’une activité extrêmement florissante au XVIIIe siècle. Peu de rouges ou de rosés, mais des blancs parmi les meilleurs de l’île, à la fois rares et précieux, ainsi que d’admirables muscats. Calvi, dont l’appellation recouvre les vins de Balagne, avec des rouges charnus et amples et des blancs aussi harmonieux que les paysages de cette région. A Sartène sont encore cultivés des cépages traditionnels spéci­ fiques, comme le montanacciu ou le barbirossa. C’est la région des rouges amples et souples, très typés et puissants. Figari, dans l’extrême sud de l’île, est le plus méridional des vignobles français. Très peu de pluie, beaucoup de vent et donc un élevage difficile, mais d’excellente qualité. Enfin, à Porto-Vecchio, quelques producteurs, forts de compétences œnologiques indéniables et animés d’une passion sans égale, produisent, grâce à des associations hardies, des rouges de garde parmi les meilleurs de l’île. Enfin, une appellation AOC régionale «Vin de Corse»

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regroupe essentiellement ce qui reste de vignobles dans la plaine orientale ainsi que dans le centre de l’île, autour de Ponte-Leccia où sont encore exploitées quelques vignes an­ ciennes. Un certain nombre de « routes des Vins » balisées vous mè­ neront de cave en cave, où vous pourrez faire votre choix. La plupart de ces producteurs sont également présents soit aux foires d’Ajaccio et de Bastia, soit à la foire aux vins de Luri, dans le Cap, soit encore dans les différentes foires agricoles qui se tiennent régulièrement dans les micro-régions. On ne saurait passer sous silence l’eau-de-vie, marc puissant, parfois aromatisé d’une branche de myrte, que chaque viticul­ teur continue d’élaborer de manière plus ou moins officielle. Il n’est pas une maison en Corse qui n’en ait en réserve pour honorer le visiteur. Mais il y a aussi toutes les liqueurs, à base de myrte ou de cédrat, les vins d’orange, de pêche, de cerise. Et bien sûr, le respectable Cap Corse, vin cuit, spécialité depuis la fin du siècle dernier de la maison Mattei qui, au temps de la splendeur de l’empire colonial, distribuait ses vins et spiri­ tueux sur tous les continents où l’on retrouvait des Corses, de l’Indochine à l’Amérique du Sud. Il n’est pas toujours aisé de trouver un bon vin corse sur les rayonnages des grandes surfaces continentales qui ne s’appro­ visionnent généralement qu’en vins de pays débités en grandes quantités et vendus à bas prix. En région parisienne, quelques commerces offrent une honnête sélection. Certaines associa­ tions professionnelles, telle Uva Corse, vous fourniront une liste d’adresses de producteurs et de détaillants dans la France entière (Uva Corse - Jacques Bianchetti, Pisciatellu, 20166 Porticcio. Tél. 95 25 19 61).

Hébergement La Corse dispose d’environ 12 000 chambres d’hôtel, 25 000 emplacements de : camping. 5 000 lits en résidences de tou­ risme et 10 000 en villages de vacances, sans compter les mul­ tiples gîtes ruraux ou autres formes d’hébergement semi-privé. La qualité diffère beaucoup, du palace quatre étoiles à l’auberge de campagne, du village en préfabriqué rassemblant des centaines de bungalows le long d’une plage de la plaine orientale au studio ou petit appartement aménagé par des par-

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ticuliers dans un coin de leur maison familiale au sein d’un vil­ lage. Pour faire son choix parmi toutes ces possibilités, la dé­ marche la plus simple consiste, assez tôt dans l’année, à prendre contact avec le Comité régional du tourisme, qui édite des plaquettes fort bien faites, ou encore avec les syndicats d’initiative de la ville sur laquelle vous avez porté votre dévolu. On peut aussi s’adresser à quelques «chaînes» qui regroupent des auberges ou des gîtes ayant en commun une quelconque spécificité. COMITÉ RÉGIONAL DU TOURISME CORSE

17, boulevard du Roi-Jérôme 20000 Ajaccio Tél. 95 21 56 56. FÉDÉRATION RÉGIONALE DES OFFICES DE TOURISME ET SYNDICATS D’INITIATIVE

1, place Foch - BP 21 20176 Ajaccio Cedex Tél. 95 21 40 87 / 95 21 53 39. RELAIS RÉGIONAL DES GITES RURAUX

24, boulevard Paoli 20090 Ajaccio Tél. 95 20 51 34. GIE CORSICA HOTELS

« Les Flots Bleus » - Agosta Plage 20166 Porticcio Tél. 95 25 49 57. GIE ÉTAPES HOTELIERES

M. Jean Pagni 20230 Venaco Tél. 95 47 00 22. GIE ILOTEL

Route de Pineto 20290 Lucciana Tél. 95 36 12 09. CASA toia (Groupement d’auberges de campagne) 20, cours Général-Leclerc 20000 Ajaccio Tél. 95 51 07 29 / 95 21 67 87.

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FÉDÉRATION REGIONALE DE L’HOTELLERIE DE PLEIN AIR

Camping « U Prunelli » - Pont de Pisciatellu 20166 Porticcio Tel. 95 25 19 23.

La mer La Corse est un lieu de croisière privilégié des navigateurs, à voile ou à moteur. Le relief spectaculaire de la Corse crée cependant des conditions météorologiques particulières ; les côtes sont soumises à des sautes de vent imprévisibles, en force et en direction ; il faut parfois s’éloigner à plusieurs milles pour trouver un vent régulier et bien établi, d’ailleurs souvent moins fort qu’à proximité de la terre. En outre, la plu­ part des mouillages ne sont pas sûrs en toutes conditions ; dans certains, il faut constamment se tenir prêt à appareiller, car des vents violents peuvent se lever en un quart d’heure. Les skip­ pers prudents pourront consulter les bulletins de la météorolo­ gie marine, affichés deux fois par jour dans la plupart des ports ou la consulter 24 heures sur 24 sur répondeur automatique au 95 20 12 21. Ces précautions prises, les équipages pourront jouir d’un plaisir sans mélange ; sa situation rend en effet la Corse aisé­ ment accessible même à ceux qui sont peu expérimentés ; de la Côte d’Azur, on atteint Calvi ou Saint-Florent en une petite navigation (100 milles) : depuis la Corse, s’offrent maintes possibilités d’excursions, notamment vers l’archipel toscan : Capraia n’est qu’à 15 milles de Macinaggio ; de Bastia, on rejoint Elbe en une trentaine de milles. Montecristo en une quarantaine. Au sud, les Bouches de Bonifacio sont souvent agitées, mais rapides à traverser : la Sardaigne est à 6 milles, les îles Lavezzi à 3... Naviguer le long des côtes corses est le seul moyen d’en découvrir les innombrables criques, souvent inaccessibles de la terre ferme, sinon au prix d’une longue et pénible marche dans le maquis. Même si le développement du nautisme de plai­ sance a multiplié les ports et notablement augmenté la fré­ quentation de ces parages, c’est l’assurance d’une tranquillité sans pareille ; sauf pendant la première quinzaine d’août (qui n’est d’ailleurs pas forcément la meilleure période de naviga­ tion), il est toujours aisé de trouver des places dans les ports

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ou encore des mouillages parfaitement solitaires. Et quiconque a eu l’immense bonheur de croiser entre la Punta Palazzo et l’île de Gargalo avant d’aborder l’anse de Girolata se souvien­ dra à jamais d’un des plus beaux spectacles que la nature peut lui offrir sur cette terre. Les côtes corses sont aussi l’occasion de faire de superbes plongées dans des sites extrêmement variés, au sein d’eaux d’une exceptionnelle limpidité (40 mètres de visibilité en moyenne). La plupart des ports sont parfaitement équipés : clubs de plongée, stations de gonflage, boutiques d’accastillage pour le matériel. Pour tous renseignements sur les sites et les côtes : A. CO. MO. SO. MA., quai de la Citadelle, 20000 Ajaccio. Tél. : 95 25 08 18 et 95 25 12 58. Les ports de plaisance

Ces ports sont indiqués dans l’ordre où ils se suivent sur la côte à partir de Calvi, le plus facilement accessible par une naviga­ tion d’une centaine de milles au départ de la Côte d’Azur, grâce à la radio-balise et au puissant feu de la Revelata. CALVI

350 places, dont 180 réservées au passage, très encombré l’été (franchise de 2 heures). Tirant d’eau : 1.50 à 3 mètres. Accès facile sauf par vent de S-SW. Eau, électricité et carburant à quai. Slips, cale de carénage et élévateur 50 tonnes. Capitainerie : 95 65 10 60. Accueil 7 h 30-20 h. Mouillage possible en rade, mais fond médiocre par vent de SW. Filer beaucoup de chaîne. CARGESE

Petit port de pêche et de plaisance, très encombré en saison : 17 places seulement. A ne fréquenter que par beau temps, fort ressac par mistral. Ravitaillement, essence seulement à 100 mètres. SAGONE

Petit port de pêche, mouillage en rade pour plaisance. Abri peu sûr, découvert au SW. Eau et carburant à quai, ravitaillement. Camion-grue de 4 tonnes.

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AJACCIO : PORT TINO ROSSI (ANCIEN PORT DE LA CITADELLE)

260 places, dont 80 réservées au passage. Tirant d’eau : 2,50 à 7 mètres. Sanitaires, eau, électricité, carburant et avitaillement. 4 grues de 20 à 40 tonnes. Météo : 95 21 05 81. Capitainerie : 95 51 21 80. VHF Canal 9. Accueil 8 h-20 h. AJACCIO : PORT DE L’AMIRAUTÉ

803 places, dont 120 pour le passage. Tirant d’eau : 2.50 mètres. Sanitaires, eau, électricité, carburant et avitaillement. Élévateur de 50 tonnes et grues de 40 et 20 tonnes. Bureau du port : 95 22 31 98. VHF Canal 9. Accueil 8 h-20 h. PROPRIANO

260 places, 160 pour le passage (franchise de 2 heures). Tirant d’eau : 3,50 à 6 mètres. Sanitaires, eau, électricité et carburant. Grue de 12 tonnes au port de commerce. Capitainerie : 95 76 10 40. VHF Canal 9. Accueil 6 h-20 h. TIZZANO

Petit port de pêche au fond d’une crique profonde. Abri sûr, sauf par fort vent de SW. Eau et téléphone, ravitaillement par camionnette. BONIFACIO

Port extrêmement bien abrité au fond de son fjord. Manœuvre délicate par fort vent de SW à NW. Tirant d’eau : 2,50 mètres. 450 places, dont 200 pour le passage. Eau, électricité, carburant et avitaillement. Grue de 30 tonnes. Cale de halage. Bureau du port : 95 73 10 07. PORTO-VECCHIO

Port situé au fond du golfe. Nombreux mouillages sûrs dans la baie. Accès par un chenal de 50 mètres de large au 242°. 420 places, dont 100 pour le passage (franchise de 3 heures). Tirant d’eau : 1 à 4 mètres.

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Eau, électricité, sanitaire, carburant et avitaillement. Grues 10 et 30 tonnes. Slips. Cale de carénage. Capitainerie : 95 70 17 93. VHF Canal 9. Accueil 8 h-21 h. SOLENZARA

Port de plaisance, 350 places, dont 150 pour le passage. Accès difficile par fort vent de SE. Abrité tous temps. Tirant d’eau : 2 mètres. Eau, électricité, sanitaires, carburant et avitaillement. Élévateur 25 tonnes. 2 slips. Capitainerie : 95 57 46 42. VHF Canal 9. Accueil 7 h-20 h. CAMPOLORO (TAVERNA)

Port artificiel, 464 places, dont 120 pour le passage (fran­ chise de 2 heures). Accès facile, sauf fort vent de NE. Abrité, sauf E à NE. Tirant d’eau : 1 à 4 mètres. Eau, électricité, sanitaires, carburant et avitaillement. Élévateur 50 tonnes. Slip. Cale de carénage. Capitainerie : 95 38 04 50. VHF Canal 9. Accueil 7 h-22 h. BASTIA : VIEUX-PORT

Port de pêche et de plaisance pittoresque, mais encombré. 100 places, dont 50 sur bouées. Mouillage sur ancre possible le long de la jetée du Dragon. Bureau du port : 95 31 31 12. Accueil 8 h-20 h. BASTIA : PORT DE TOGA

415 places, dont 150 pour le passage. Tirant d’eau : 2.20 à 4 mètres. Eau, électricité, sanitaires, carburant et commerces. Slip. Grue de 17 tonnes. Capitainerie : 95 32 79 79. VHF Canal 9. Accueil 8 h-22 h. ERBALUNGA

Petit port de pêche ouvert à l’E. 10 places, faible tirant d’eau. SISCO

Petit port pour petites unités. Mouillage en baie pour la plai­ sance. Eau douce à quai. Plan incliné et grue de 8 tonnes. MACINAGGIO

Très bon abri près du Cap. Accès facile sauf vents E-SE. 500 places, dont 250 pour le passage. Tirant d’eau : 1.60 mètre.

1.36

Le port de L’Ile-Rousse ; mouillage peu sûr, mais le cirque des montagnes de Balagne est là...

Eau, électricité, sanitaires, carburants et avitaillement. Élévateur de 15 tonnes et grue de 3 tonnes. Slip. Bureau du port : 95 35 42 57. VHF Canal 9. Accueil 6 h-21 h. SAINT-FLORENT

680 places, dont 80 réservées au passage. Tirant d’eau : 2,50 mètres. Eau, électricité, carburant et avitaillement. Slip, carénage, élévateur 23 tonnes et grues de 12 et 15 tonnes. Capitainerie : 95 37 00 79. VHF Canal 9. L’ILE-ROUSSE

Port de commerce, jetée réservée en priorité aux ferries. Une prise d’eau sur le quai. Mouillage aisé, mais peu sûr par vents d’E-NE. Bureau du port : 95 60 00 68. MARINE DE SANT’AMBROGGIO

Port privé 200 places, très abrité. Accès difficile par fort vent de NE. Eau, électricité, carburant et commerces. Camion-grue possible de 10 tonnes. Capitainerie : 95 60 70 88. Les mouillages

A côté de tous ces ports, plus ou moins grands, plus ou moins bien équipés, existent une quantité de mouillages parfois loin de tout, mais remarquables par la beauté des paysages ou la limpidité de l’eau. Les petits ports de pêche du Cap, par exemple, sont en général blottis au pied des villages dont les murs sont baignés par les flots. Il ne faut pas en attendre une protection, mais ils peuvent être l’occasion d’une brève escale pour se ravitailler ou simplement flâner dans les ruelles. Plus généralement, avec ses quelque 1000 kilomètres de côtes, la Corse permet tous les types de navigation locale : et c’est bien le diable si, même en plein mois d’août, on ne réus­ sit pas à trouver la petite crique où passer une journée de soli­ tude absolue. Certaines sont plus fréquentées que d’autres, sans doute ; attention : il est notamment interdit de rester au mouillage plus de 24 heures en certains endroits, classés réserve naturelle, comme la baie de Girolata ou les îles Lavezzi.

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Hivernage

Il est possible, si l’on compte naviguer plusieurs saisons de suite dans ces parages, de laisser son bateau dans un des ports corses qui assurent des services d’hivernage, à flot ou à terre. Cette possibilité est ouverte à Ajaccio. Bastia, Bonifacio, Calvi, L’Ile-Rousse, Macinaggio, Porto-Vecchio, Propriano, Saint-Florent et Sant’Ambroggio. Pour des renseignements plus précis, reportez-vous à l’édi­ tion annuelle de l’Annuaire du nautisme, fascicule « Corse ».

La montagne Depuis quelques années, les visiteurs se sont rendu compte que la Corse n’avait pas que ses côtes à leur offrir. Le balisage du GR 20 encouragea une nouvelle forme de tourisme, qui permet de traverser l’île à pied, de Calvi à Porto-Vecchio, le long de l’arête montagneuse qui sépare l’En-deçà de l’Au-delà-desMonts. Une collection de topoguides édités par le Parc naturel régional facilite le repérage le long des multiples itinéraires ouverts aux marcheurs. Petit à petit se sont développées de nombreuses activités qui, en toute saison, favorisent la décou­ verte de la Corse sous un jour inhabituel : ski alpin ou de fond, randonnées, courses en montagne ou canoë-kayak. Ski

La Corse comporte actuellement quatre petits stades de neige, qui ne peuvent certes en rien rivaliser avec les stations alpines ou pyrénéennes. Mais quel plaisir de pouvoir, début mars, skier le matin à Bastelicaccia, puis descendre passer l’après-midi sur une planche à voile dans le golfe d’Ajaccio... Ces stations sont toutes situées entre 1 500 et 2 000 mètres d’altitude ; selon les années et l’enneigement, elles sont ouvertes de la mi-janvier à la fin mars. ASCO

Stade de 1 500 à I 800 mètres. 3 remontées mécaniques, 3 pistes pour débutants et bons skieurs. Tél. 95 47 84 12. BASTELICA

Stade du Val-d’Ese, de 1 600 à 1 950 mètres. 3 remontées mécaniques, 4 pistes faciles. Tél. 95 28 70 71.

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GHISONI

Stade d’E Capanelle, de 1 580 à 1 750 mètres. 3 remontées mécaniques, 5 pistes faciles. Tél. 95 57 61 28. COL DE VERGIO

Stade du Castellaccio, de 1 400 à 1 600 mètres. 5 remontées mécaniques, pistes faciles. Tél. 95 48 00 01. Ski de fond

La Corse a également suivi l’engouement pour le ski de fond, d’autant que sa situation méridionale se prête plus à cette acti­ vité qu’au ski alpin. EVISA

Paesolu d’Aïtone. Tél. 95 26 20 09. QUENZA

Plateau du Coscione ; pistes de 4 et 15 kilomètres. Tél. 95 78 64 79 et 95 78 63 39. ZICAVO

Plateau du Coscione. Tél. 95 24 40 05. BASTELICA

Plateau d’Ese ; au pied du stade alpin, nombreuses pistes de fond balisées. Tél. 95 28 70 69. Courses en montagne

Hiver comme été, un certain nombre d’associations organisent des randonnées, qui vont de la simple promenade de quelques jours en montagne à de véritables courses hivernales, en esca­ lade ou à ski, pour sportifs accomplis. Le GR 20 permet toutes ccs variations : bordé de lacs d’alti­ tude dans lesquels plongent des névés, ce chemin de grande randonnée fort fréquenté en été se transforme l’hiver en un parcours de ski de montagne de huit jours, réserve aux sportifs physiquement et techniquement entraînés. A distance régulière, une douzaine de refuges, gardés de juin à octobre, assurent des étapes reposantes d’une vingtaine de places. Renseignements : PARC NATUREL RÉGIONAL DE LA CORSE

I

Rue Fiorella - BP 417 - 20184 Ajaccio Cedex Tél. 96 21 56 54. MUNTAGNOLI CORSI (centre de montagne et de loisirs) 20122 Quenza - Tél. 95 78 64 05.

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MUNTAGNA CORSA IN LIBERTÀ

2. avenue de la Grande-Armée - 20000 Ajaccio Tel. 95 20 53 14. move (escalade, parapente et randonnées) 20214 Calenzana - Tél. 95 62 70 03. Canoë-kayak

Sport d’introduction relativement récente, le canoë-kayak est appelé à se développer dans les années à venir. D’ores et déjà, un certain nombre de cours d’eau sont répertoriés et balisés ; des compétitions de niveau international sont organisées chaque année. Durant les vacances de Pâques, les routes du centre sont parcourues par d’innombrables minibus, venus d’Allemagne, canoë sur le toit, preuve que nos voisins recon­ naissent l’agrément que procurent les sites corses. Renseignements :

Suaralta Vecchia 20129 Bastelicaccia - Tél. 95 22 73 81.

COMITÉ RÉGIONAL CORSE de kayak

Filitosa XIII qui, depuis quatre mille ans, veille sur les vivants.

Chronologie Avant Jésus-Christ 5000 Civilisation néolithique, dont témoignent les nombreux

dolmens et menhirs ainsi que les vestiges trouvés dans les fouilles : haches, outils tranchants, pointes de flè­ ches, etc. 3000 à 1500 Civilisation mégalithique. C’est l’époque des menhirs façonnés, puis anthropomorphes, comme à Filitosa. Ier millénaire Civilisation torréenne. Comme en Sardaigne voisine, riche de nombreux nurraghi et villages forti­ fiés, les Corses élèvent de grands édifices circulaires (les torre), dont on pense qu’ils avaient une vocation funéraire. 565 Arrivée des Phocéens dans la région de l’étang de Diana ; ils fondent Alalia (future Aleria) en 540. 536 Victoire d’une flotte étrusco-carthaginoise devant Ale­ ria ; les Phocéens quittent la Corse et s’en vont fonder Marseille. 260 Les Romains assiègent Aleria, alors occupée par les Carthaginois. Débuts de la romanisation de l’île en 238. Les heurts se multiplient entre les occupants et les Corses. La conquête est définitivement achevée en 163. avec la victoire de Scipion Nasica. à la tête de la dixième expédition. 94 Fondation de la ville de Mariana, au sud de Factuelle Bastia. Après Jésus-Christ 6 La Corse devient province autonome. Ier s. Débuts de l’évangélisation de la Corse. Sainte Dévote,

patronne de l’île (et de Monaco), est suppliciée à Ale­ ria en 303. La Corse vit alors pendant quelques siècles dans l’orbite de l’Empire romain et connaît probable­ ment sa plus longue période de paix et de prospérité relative. VIIIe s. Début des incursions sarrasines. Venus d’Espagne ou d’Afrique, les Sarrasins pillent les côtes où ils installent des bases permanentes pour leurs expéditions en Méditerranée. Ils sont combattus par les armées de Louis le Pieux, notamment par le marquis de Toscane, Bonifa-

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cio, qui, dit-on, fonde en 830 la ville qui porte son nom. Épopée légendaire d’Ugo Colonna qui aurait libéré l’île du joug sarrasin et en serait devenu maître, avant que ses descendants ne se la partagent. 1077 Le pape Grégoire VII confie l’administration de l’île à son légat, évêque de Pise. Luttes sanglantes entre les féodaux corses. Sur le continent, Pise et Gênes se dis­ putent le contrôle de la Corse. 1133 Innocent II partage la Corse en deux et confie les évê­ chés du Sud (Ajaccio, Aleria et Sagone) à l’archevêché de Pise, ceux du Nord (Accia, Mariana et le Nebbio) à celui de Gênes. 1195 Gênes s’empare définitivement de Bonifacio, puis fonde Calvi en 1268 et évince Pise à la suite de la bataille de la Meloria, en 1284. 1296 Le pape Boniface VIII remet l’île entre les mains du roi d’Aragon, lequel ne pourra jamais exercer véritable­ ment son pouvoir. XIVe s. Génois et Aragonais se disputent l’île, les seigneurs locaux prenant le parti tantôt des uns, tantôt des autres, au gré de leurs propres oppositions. La malaria s’ins­ talle dans les plaines et les vallées ; elle ne disparaîtra qu’en 1945, lorsque les Américains aspergeront les étangs de DDT. 1453 La gestion de la Corse est affermée à une compagnie financière génoise, la banque de Saint-Georges. 1553 En guerre contre Charles Quint, Henri II, le roi de France, envoie des troupes en Corse, avec l’aide du colonel général des Gardes corses, Sampiero Corso, alors à son service en Piémont. Mais, au traité du Cateau-Cambrésis (1559), Henri II abandonne la Corse à Philippe II, fils de Charles Quint. Sampiero puis son fils Alphonse d’Ornano poursuivent le combat pour une Corse française. Ils échouent. Sampiero meurt en 1567. Pendant un siècle et demi. Gênes peut jouir d’une rela­ tive tranquillité. Les prétentions de ses voisins sur la Corse se sont éteintes. Dans l’île, le calme a succédé aux multiples querelles locales. Son administration se veut juste et équitable, mais ne fait qu’augmenter au fil des ans le ressentiment des insulaires contre une puis­ sance qui les a toujours écrasés. Après de multiples incidents, la révolte éclate.

144

1729 Début de la « guerre de quarante ans », qui se terminera

par le contrôle définitif de la France, en 1768. Tout dé­ bute lorsque les habitants de Bustanico prennent fait et cause pour un vieux paysan insolvable. Leur soulève­ ment se propage rapidement au point que, deux ans plus tard, Gênes fait appel aux troupes impériales de Char­ les VI. En 1736, un aventurier allemand, Théodore de Neuhoff, né à Metz, se fait proclamer roi des Corses. 1738 A l’appel de Gênes, les Français débarquent en Corse, sous les ordres du général comte de Boissieux. Mais c’est seulement pour rétablir l’ordre, et non pour s’emparer de l’île, comme l’espéraient les Corses. Ils se retirent trois ans plus tard mais reviennent en 1748 pour tout à la fois préserver les intérêts génois et s’assurer le soutien de la population. Le marquis de Cursay, qui dirigeait cette mission, finit par indisposer Gênes, qui obtient son rappel en 1753. 1755 Pascal Paoli est élu général en chef par les Corses. Il dote l’île d’une Constitution inspirée des principes de Montesquieu et crée une université à Corte. Deux ans plus tard, Gênes ne contrôle plus que les citadelles en bord de mer. 1764 Le comte de Marbeuf débarque. 11 tente, en vain, de négocier avec Paoli, qui défend l’indépendance de l’île. Quatre ans plus tard, Gênes cède « provisoirement » tous ses droits à la France. 8 mai 1769 A Ponte-Novu, les troupes de Paoli sont écrasées par celles du comte de Vaux. Paoli quitte la Corse pour l’Angleterre deux mois plus tard. 15 août 1769 Naissance à Ajaccio de Napoléon Bonaparte. 30 nov. 1789 L’Assemblée nationale décrète que «l’île de Corse fait partie de l’Empire français : ses habitants doi­ vent être régis par la même Constitution que les autres Français ». 1794-1796 George III d’Angleterre est proclamé roi de Corse par une consulte réunie à Corte. Sir Gilbert Eliott est nommé vice-roi. Menacés par l’armée d’Italie que mène le général Bonaparte, les Britanniques se retirent sous la protection de la flotte de Nelson. Les Français repren­ nent pied en Corse. Premier et Second Empire L’histoire de la Corse se confond avec celle des Bonaparte qui, oncle comme neveu, y

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1923

1942

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1991

prêtent une particulière attention. Napoléon III surtout sera l’artisan d’un début de développement économique de l’île. Mais les conséquences financières des guerres de 1870 puis de 1914-1918 éloigneront vite la Corse des préoccupations des gouvernements. Le fascisme italien revendique la Corse, partie de la nation italienne. Les mouvements irrédentistes qui ten­ tent alors de se faire entendre n’ont guère d’audience. Une escadre italienne débarque à Bastia. L’île est occu­ pée par 80 000 Italiens et 12 000 Allemands. La résis­ tance s’organise avec ses héros, tel Fred Scamaroni. envoyé du général de Gaulle. Des déportations sont ordonnées. Dès décembre, le sous-marin Casablanca assure la liaison avec Alger. A la suite de la capitulation italienne, en septembre 1943, les troupes restées sur place combattent les Allemands aux côtés des troupes alliées. Le 25, de très violents combats ont lieu au col de Teghime. Bastia et la Corse sont libérés le 4 octobre. L’indépendance proche de l’Algérie amène en Corse un grand nombre de pieds-noirs, en grande partie d’ascen­ dance corse. L’agriculture connaît un renouveau, notam­ ment dans la plaine orientale, mais ce développement non partagé crée des rancœurs. Premiers attentats signés du Front de libération natio­ nale de la Corse, FLNC. Statut particulier de la Corse, statut Defferre, voté par l’Assemblée nationale. Après une période de trêve, et face à l’impuissance de l’Assemblée de Corse, les attentats reprennent. Refonte du statut de l’île, qui devient une « collectivité territoriale » dotée d’une Assemblée et d’un « Conseil exécutif » de six membres placés à la tête des offices et agences régionaux. Comme en 1982, ce sont les adver­ saires de ce nouveau statut qui sont majoritaires au sein de ces instances.

Bibliographie Histoire, géographie

Françoise ARVANITIS. Sites et images. Voyageurs français en Grèce au XVIIIe siècle, Athènes, Éd. Olkos, 1982. Ange-Laurent BINDI (sous la direction de), La Corse-autour. Identités. Enjeux en Europe et en Méditerranée. L’Harmat­ tan, 1992. Fernand BRAUDEL, La Méditerranée et le monde méditerra­ néen à l’époque de Philippe II. 2 vol., Armand Colin. 6e éd.. 1985. J.-P. DELORS et S. MURACCIOLE, Corse. La poudrière, A. Moreau. 1978. Pierre DOTTELONDE, Corse. La métamorphose. Levie, Éd. Albiana, s.d. Pascal MARCHETTI, Une mémoire pour la Corse. Flamma­ rion, 1980. R.-J. POMMEREUL, Histoire de l’isle de Corse. 1779. Facsimilé, Nîmes. Éd. Lacour, 1990. Francis POMPONI, Histoire de la Corse, Hachette, 1979. Francis POMPONI (sous la direction de). Mémorial des Corses, 6 vol., Bastia, Éd. du Mémorial. 1981-1982. Charles SANTONI. Au cœur des débats de l’Assemblée de Corse, Ajaccio, Éd. La Marge, 1984. Paul SILVANI, La Corse des années ardentes, Albatros, 1976 ; La Corse des révolutions. Ajaccio, Éd. La Marge, 1989. Edmond SIMEONI, Le Piège d’Aleria, J.-C. Lattès, 1976. Société

Anne-Cécile et Dominique ANTONI, « La Corse face à ellemême ». Revue des études, décembre 1982. Paul ARRIGHI, La Vie quotidienne en Corse au xviiie siècle, Hachette. 1970. Dorothy CARRINGTON, La Corse, Arthaud, 1980. Gabriel-Xavier CULIOLI. Le Complexe corse, Gallimard, 1990. Thierry DESJARDINS. La Corse à la dérive, Plon. 1977.

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Dominique FERNANDEZ. Mère Méditerranée, Grasset, 1979. FLNC, A populu fattu, bisognu à marchjà, éd. clandestine. 1982. FRC (Front régionaliste corse). Main basse sur une île, Jérôme Martineau, 1971. José GIL, La Corse entre liberté et terreur, La Différence, 1984. Anne MEISTERSHEIM, Territoire et insularité. Le cas de la Corse, Publisud, 1991. Antoine OTTAVI, Des Corses à part entière. Éd. du Seuil, 1979. Francis POMPONI, « A la recherche d’un “invariant” histo­ rique : la structure clanique dans la société corse », Pieve e Paesi, Marseille, CNRS, 1978. Georges RAVIS-GIORDANI, Bergers corses. Les communau­ tés villageoises du Niolu, Aix-en-Provence. Édisud, 1983; « La Femme corse. Images et réalités », Pieve e Paesi, Mar­ seille, CNRS, 1983. Petru ROSSI, Isula sola, Bastia, Éd. du Ribombu, 1986. Alexandre SANGUINETTI, Lettre ouverte à mes compatriotes corses, Albin Michel, 1980. Leonardo SCIASCIA, La Sicile comme métaphore. Stock, 1979. Marie SUSINI, La Renfermée, la Corse (photographies de Chris Marker), Éd. du Seuil, 1981. Xavier VERSINI, La Vie quotidienne en Corse à l’époque de Mérimée, Hachette, 1979. La Corse. Encyclopédie régionale, ouvrage collectif. Bonneton, 1979. « La Corse, l’île-paradoxe », numéro collectif, revue Peuples méditerranéens, n° 38-39, 1987. La Corse, une affaire de famille, ouvrage collectif, Marseille, Éd. du Quai/Jeanne Laffite, 1984. L’Ile miroir, Actes d’un colloque du Centre d’études corses, Ajaccio, Éd. La Marge, 1989.

148

Romans

Pierre BENOIT, Les Agriates. Albin Michel, 1950. Prince R. BONAPARTE, Une promenade en Corse, Marseille, Laffite Reprints, 1982. Jérôme CAM1LLY. L’Ombre de l’île, Arles, Actes Sud, 1990. Gabriel-Xavier CULIOLI, La Terre des Seigneurs, Lieu com­ mun. 1986. Alphonse DAUDET. Lettres de mon moulin, Gallimard, coll. «Folio», 1984. Guy de MAUPASSANT. Chroniques insulaires, Bastia, Marzocchi, 1987. Prosper MÉRIMÉE, Colomba & Matteo Falcone, Le Livre de poche ; Notes d’un voyage en Corse, Paris. Adam Biro, 1989. Angelo RINALDI, La Loge du gouverneur. Denoël, 1969 ; La Maison des Atlantes, Denoël, 1971 ; L’Éducation de l’oubli. Denoël, 1974 ; Les Dames de France. Gallimard. 1977 ; La Dernière Fête de l’Empire. Gallimard, 1980 ; Les Jardins du consulat. Gallimard, 1984 ; Les Roses de Pline, Gallimard, 1987 : Les Confessions dans la colline, Gallimard, 1990. Marie SUSINI, L’Ile sans rivage, Éd. du Seuil, 1989. Paul-Michel VILLA. La Maison des Viale, Presses de la Renaissance, 1985. Françoise XENAKIS. Moi, j’aime pas la mer, Balland, 1988. Hyacinthe YVIA-CROCE, Anthologie des écrivains corses, Ajaccio, Cyrnos et Méditerranée, 1988. Guides

Michel FABRIKANT. Guide des montagnes corses, Grenoble, Éd. Didier Richard. 1982. Geneviève MORACCHINI-MAZEL, Corse romane, SaintLéger-Vauban. Éd. du Zodiaque, 1972. Jean NOARO, Le Voyageur de Corse, Hachette, 1967. Georges RAVIS-GIORDANI, Guide de la Corse, La Manufacture, 1991. Corse, «Guide Bleu», Hachette, 1990.

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L’Art et la nature des 360 communes corses, Nathan, 1985. La Corse du Sud, « Guides des départements », Poitiers, Pro­

jets Éditions, 1989. Guide de la Corse mystérieuse, Tchou, coll. « Les Guides

noirs», 1968. GR 20, topoguide du sentier de la Corse. Comité national des

sentiers de grande randonnée. Rééditions régulières. Annuaire du nautisme, fascicule « Corse », Éd. de Chabassol,

réédition annuelle.

Index

Cet index des noms de lieux propose les deux graphies actuelle­ ment en vigueur en Corse : celle dite « toscane », utilisée par l’administration pendant plus de deux siècles, et celle correspon­ dant à la toponymie corse, de plus en plus employée et autorisée par une résolution de l’Assemblée de Corse adoptée en 1985. Agosta : 68. Agriates : 60, 87. 90. Ajaccio (Ajacciu) : 28. 29. 39, 46. 65. 107. 114, 116, 117, 124. 125. 129. 130. 131. 135. Aleria : 11.20. 27, 28,41.79. 108. Alesani (Alisgiani) : 7. 99. Alla Rocca : 69, 98. Aregno (Aregnu) : 60. 103, 107. Argentella : 23. 61. Asco (Ascu) : 139. Aullène (Auddè) : 98.

Balagne (Balagna) : 11,29, 57. 58,87,90, 103, 115, 129. 130. Baraci : 69. Bastelica : 28, 96, 97, 139, 140. Bastelicaccia : 97. Bastia : 27, 39, 80, 103, 107, 108, 112. 114. 116, 117, 122. 124, 125, 126, 131, 133, 136. Bavella : 54, 96, 99. Belgodère (Belgudè) : 60. Biguglia : 69, 80. 87. Bisinchi : 112. Bocognano (Bocugnanu) : 96, 116. Bonifacio (Bunifaziu) : 54. 64, 69,73.80,98. 112. 114, 117. 125. 129. 133. 135. Borgo (U Borgu) : 94. 114. Calacuccia : 90. Calenzana (Calinzana) : 58. 108. Calvi : 39, 54, 57, 61,80, 107,

112. 114, 116, 117, 125. 130. 133. 134, 139. Campoloro (Campuloru) : 78, 136. Campomoro (Campu Moru) : 73. cap Corse (Capi Corsu) : 60. 83. 109. 112. 115. 131. cap Senino (Capu Seninu) : 62. Capitello (Capitellu) : 90. Capo di Feno (Capu di Fenu) : 68. Capula : 99. Carbini : 99, 104. Cargese (Carghjese) : 58, 64. 68. 111, 114, 134. Casamaccioli (Casamacciuli) : 15. 114, 116. Casinca : 92. 95. 103. Castagna : 68. Castagniccia : 37, 54. 92, 103. 108, 115. castellu d’Arahgju : 78. castellu di Cucuruzzu : 98. Cateri (Catteri) : 60. 103. Cavallo (Cavaddu) : 44, 50, 76. 77. Centuri : 84. Cervione (Cervioni) : 107. chapelle des Grecs : 68. château de la Punta : 66. Christe Eleison : 100. Cinarca : 64. 69. 122. col de la Vaccia : 98. col de Saint-Eustache : 98. col de Saint-Georges : 69. 97.

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col de Scalella : 96. col de Sorba : 100. col de Teghime : 87. col de Verde : 100. col de Vergio : 90. 140. Conca d’Oro (d’Oru) : 87. 130. Corbara (Curbara) : 60. Corte (Corti) : 9. 45. 89. 90. 92, 112, 114, 116. Coscione (Cuscione) : 98. 140. Costa : 60. Covasina : 99. défilé du Lancone : 87.

Erbalunga (Erbalonga) : 84. 112, 114. 136. Evisa : 140. Feliceto (Felicetu) : 34. 60. Figari : 73. 104, 130. Filitosa : 72. Fium’Orbo (Fiumorbu) : 69. 99. 100. 115. Francardo (Francardu) : 115. forêt de Bonifato (Bonifatu) : 58. forêt de Saint-Antoine : 100. forêt de Valdo-Nicllo : 90. Francardo (Francardu ) : 115. Furiani : 14. Galeria : 61, 90. Gargalo (Gargalu) : 61, 134. Ghisoni : 100, 140. Girolata (Ghjirulata) : 62, 134, 138. golfe du Valinco (Valincu) : 69. 73. golfe de Ventilegne : 73. Gravona : 68, 96. 115. Guagno-les-Bains (Guagnu) : 64.

îles Cerbicales : 78. île d’Elbe : 80. 115. 133. îles Lavezzi : 76. 133. 138. îles Sanguinaires (I Sanguinari) : 68.

152

Incudine (Ancudine) : 96. 97. 99. Inzecca : 100. Isolella : 68. Kyrie Eleison : 100.

lac de Capitello (Capitellu) : 90. lacdeMelo(Melu) : 90. La Porta (A Porta) : 95. 108, 109. Lavasina : 114. Levie (Livia) : 98. 99. L’Ile-Rousse (L’Isula Rossa) : 30 39.42,58.60,61,98, 116, 138. Lozari : 116. Lucciana : 103, 104. Lumio(Lumiu) : 58. 103. Luri : 84. 115. 131. Macinaggio (Macinaghju) : 42. 84. 133. 136. Mariana : 69. 95. 104. monte Cinto (monte Cintu) : 54. monte d’Oro (monte d’Oru) : 96. monte Padro (monte Patru) : 58. monte Renoso (monte Rinosu) : 96. Monticello (Monticellu) : 60. Morosaglia (Merusaglia) : 94. 95. Murato (Muratu) : 87. 103. 107. Muro (Muru) : 60.

Nebbio (Nebbiu) : 87. 104. Niolo (Niolu) : 61.90. 92. 114, 116. Nonza : 84. Ocana : 97. Occhiatana (Ochjatana) : 60. Orezza : 95. Palaja et Trutoli : 98. Paomia : 64. 68.

Patrimonio (Patrimoniu) : 87, 116. 130. Piana : 62. 64. Pianu di Livia : 98. Piedicroce (Pedicroce) : 95, 108. Pietracorbara (Petracorbara) : 84. Pietrapola (Petrapola) : 100. Pigna : 60. plaine orientale : 20. 23, 24, 27, 39, 78,95. 129, 131. Porticcio (Purticciu) : 68. Porto (Portu) : 62. Porto-Vecchio (Porti Vechju) : 46.54. 58,77.78, 116. 124, 125, 130. 135. 139. Propriano (Prupià) : 48. 69. 73, 98, 115. 135. Prunelli di Fium’Orbo (Prunelli di Fiumorbu) : 99.

Quenza : 98. 104. 140. Quercitello (Quarcitellu) : 95. 115.

Renno (Renu) : 115. Restonica : 89, 90. Rizzanese : 69. 72, 96. 98. 104. Roccapina : 72, 73. Rogliano (Ruglianu) : 84. Sagone : 62, 64. 134. Saint-Florent (San Fiurenzu) : 60. 87. 103. 104. 130. 133. 138. San-Gavino-di-Carbini (San Gavinu di Carbini) : 98, 100. San-Gavino-di-Fium’Orbo (San Gavinu di Fiumorbu) : 100. San-Martino-di-Lota (San Martinu di Lota) : 114. Sant’Amanza : 77. Sant’Ambroggio (Sant’Ambroghju) : 138. Sant’Antonino (Sant’Antuninu) : 60.

Sainte-Lucie-de-Tallano (Santa Lucia di Tallà) : 71. Sainte-Marie-Siché (Santa Maria Siché) : 97. Santa Reparata (Santa Riparata di Balagna) : 60. Sardaigne : 69. 73. 77. 115. 133. Sarrola-Carcopino (Sarrola Carcupinu) : 68. Sartène (Sartè) : 68. 69, 72. 73, 98, 109. 111. 114. 129. 130. Scala di Santa Regina : 90. Scandola (Scandula) : 61. Serra-di-Scopamène : 98. Sisco (Siscu) : 103. Solenzara (Sulinzara) : 78, 96. 99. 136. Sorbollano (Sorbulà) : 98. Speluncato (Speluncatu) : 60. Sperone : 77. Spin’a Cavallu : 98.

Taravo (Taravu) : 72, 96, 97. 104. Tattone : 92. Taverna : 136. Tavignano (Tavignanu) : 64. 79, 89. 90. 92. Tizzano (Tizzanu) : 72, 135. Tolla:97. Ucciani : 68. 115.

Val d’Ese : 53. 97. 139. Valle -di Mezzana : 68. Venaco (Venacu) : 92. Vero (Veru) : 68. Vescovato (U Viscuvatu) : 95. Vico (Vicu) : 64. Ville-di-Paraso (E Ville di Parasu) : 60. Vivario (Vivariu) : 92. 100. Vizzavona : 54. 92. 96.

Zicavo (Zicavu) : 97. 100. 140. Zonza : 98. 99.

Table

Un rêve paradoxal Une histoire sous influence La violence de l’histoire, 7. - Histoire de familles, 12. Une île à la dérive Politique et pulitichella, 19. - La famille, le village, la communauté, 20. - Le bouleversement des années soixante. 23. - La résurgence du nationalisme, 26. Les socialistes et les nationalistes, 29. - Des partis et des clans, 33. - La tentation mafieuse, 38. - Les pro­ blèmes de la drogue, 44. - La Corse à la croisée des chemins, 49. Itinéraires

de

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19

Corse

La Corse des côtes La Balagne, 57. - De Calvi à Piana, 60. - De Piana à Ajaccio, 62. - Ajaccio et sa région, 65. - Le Sartenais, 68. - Bonifacio et le grand Sud, 73. - La plaine orientale, 78. - Bastia, 80. - Le cap Corse, 83. - Le Nebbio et Saint-Florent, 87. La Corse intérieure Corte et la dépression centrale, 89. - Castagniccia et Casinca, 92. - Le centre sud. 96.

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Annexes

Les églises romanes La Canonica, 104. — La cathédrale du Nebbio. 104. - San-Michele di Murato, 107. - Église de la Trinité, à Aregno, 107. Le baroque corse Les cérémonies de la semaine sainte

103

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Le Catenacciu de Sartène, 109. - Christos anesti à Cargese, 111.- Cerche et Granitule. 112. - A Merendella. 112. Magie Fêtes, foires et festivals Cérémonies religieuses, 114. - Manifestations spor­ tives, 115. - Foires agricoles, 115. —Foires commer­ ciales. 116. - Fêtes et manifestations culturelles, 116. La langue corse Musique et musiciens corses Discographie Filmographie Gastronomie La route des vins Hébergement La mer Les ports de plaisance. 134. - Les mouillages. 138. -Hivernage, 139. La montagne Ski, 139. - Ski de fond. 140. - Courses en montagne. 140. - Canoë-kayak, 141. Chronologie Bibliographie Histoire, géographie. 147. - Société. 147. - Romans, 149. - Guides, 149. Index

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Crédits photos Bruno Barbey/Magnum : 75. 137. - Bulloz : 8. - Collection Vio­ let : 36. - LL Violet : 6. - Explorer : C. Boisvieux 81 : F. Hache 106 : F. Jalin 70. 105 : J.-M. Labat 63. 102 : P. Leroux 4. - Chris Marker : 21. - Rapho : 56 ; Ted H. Funk9l ; Sarramon 93. 128; R. Tholy 142. - Rita Saglia : 121. -Sygma : 31 ; Jean Guichard 25. — P. Tetrel : 86. - Top : H.-A. Segalen 59 ; Tripelon-Jarry 67. 85. 110.

COMPOSITION : ATELIER PAO, SEUIL ACHEVÉ D’IMPRIMER PAR MAME IMPRIMEURS, À TOURS D.L. AVRIL 1993. N° 13645 (2 98 1 3)

POINTS

CORSE Elle semble proche. Elle est lointaine. Plus près de l’Italie que de la France. On la croit maritime, joviale, irréductible, frondeuse. Elle se sent surtout montagnarde, réservée, éprise de rigueur. Au milieu des eaux, elle est entre deux réalités. Et en plein rêve. Ses propres rêves et ceux des autres qui ont façonné ses paysages et son histoire. Avant d’arpenter le maquis odorant, de prendre la mer, de découvrir ses chapelles romanes et ses églises baroques, de savourer des sardines farcies au brocciu, d’entreprendre la grande randonnée par les crêtes, d’explorer son musée des primitifs italiens, de suivre la piste des sangliers, de faire de la plongée sous-marine dans ses calanques, de débusquer ses menhirs et ses dolmens, de pique-niquer sous les châtai­ gniers, mieux vaut comprendre les paradoxes de cette île mystérieuse.

CORSE

Antoine Perruchot, journaliste à France-Culture.