Les Techniques Freinet de L'École Moderne [4me ed.]


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French Pages 144 [155] Year 1969

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Table of contents :
SOMMAIRE
Introduction : Nécessité et urgence d’une pédagogie moderne .............................................................................................. 5
I.
A TEMPS NOUVEAUX, PÉDAGOGIE NOUVELLE.
Les Techniques Freinet de l’Ecole Moderne..................................... 9
Comment se pose le problème ........................................................ 12
Les débuts de nos techniques .......................................................... 15
L’Imprimerie à l’école .................................................................... 18
Naissance du texte libre .................................................................. 21
Correspondance interscolaire motivée .................................. 23
La pédagogie de l’explication superflue.......................................... 25
Une méthode naturelle d’éducation................................................. 30
Des techniques de travail ................................................................ 34
Un esprit Freinet ............................................................................. 38
II.
La pratique des techniques Freinet.
Physionomie d’une classe Freinet .................................................. 41
Ne pas couper l’école de la vie........................................................ 44
L’entrée en classe ........................................................................... 47
Texte libre ....................................................................................... 51
La part du maître ............................................................................. 52
L’enfant raconte-t-il n’importe quoi ?............................................. 55
Choix du texte.................................................................................. 57
L’organisation matérielle de l’école................................................ 60
Un ordre nouveau basé sur les plans de travail .... 65
III.
D’une classe a l’autre.
A l’Ecole Maternelle ...................................................................... 71
Section enfantine, cours préparatoire et élémentaire....................... 79
Dans une école géminée de village ................................................. 84
Dans une classe de ville................................................................... 90
Dans une école mixte....................................................................... 97
Comment débuter avec les Techniques Freinet .... 100
Deux témoignages ......................................................................... 107
IV.
Les méthodes naturelles de l’Ecole Moderne.
Méthode naturelle de calcul .......................................................... 117
Méthode naturelle de l’enseignement des Sciences ..................... 126
Méthode naturelle de l’enseignement de l’Histoire ..................... 127
Examens et brevets ........................................................................ 129
Les outils et les techniques de l’individualisation .......................... 134
Bandes enseignantes et programmations ...................................... 136
Référence aux Instructions Officielles .......................................... 140
V. Contre la sclérose des Techniques Freinet........................ 142
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CÉLESTIN FREINET

LES TECHNIQUES FREINET DE L'ÉCOLE MODERNE

COLLECTION BOURRELIER LIBRAIRIE ARMAND COLIN 103, boulevard Saint-Michel, Paris-5e 1969 4e édition

DU MÊME AUTEUR



AUX ÉDITIONS OPHRYS (GAP, HAUTES-ALPES) :

— L’Imprimerie à l’Ecole (1934). — Images du Maquis (poèmes) (1947). •

AUX ÉDITIONS ROSSIGNOL (MONTMORILLON, VIENNE) :

— L’Ecole Moderne Française (1957). •

AUX ÉDITIONS DE LA TABLE RONDE (PARIS) I

— Les Enfants Poètes (1954). — Vous avez un enfant (en collaboration avec Elise Freinet, préface du docteur A. Berge) (1962). •

AUX

suisse)

ÉDITIONS

DELACHAUX

ET

NIESTLÉ

(NEUCHATEL,

:

— Les dits de Mathieu (1959). — L’Education du travail (1960). — Essai de psychologie sensible (1966). — La Méthode naturelle (1968). •

AUX ÉDITIONS DE L’ÉCOLE MODERNE (CANNES, ALPESMARITIMES) :

Dans plusieurs collections publiées par la Coopérative de l’Enseignement Laïc (C.E.L.), C. Freinet a publié une série de brochures ou d’ouvrages sur les diffé­ rentes techniques de la pédagogie Freinet. •

OUVRAGE SUR C. FREINET :

— Elise Freinet : Naissance d’une pédagogie popu­ laire (création de la pédagogie Freinet ; naissance et développement du mouvement de l’Ecole Mo­ derne) (Editions de l’Ecole Moderne, Cannes). © Librairie Armand Colin, 1964.

SOMMAIRE

Introduction : Nécessité et urgence d’une pédagogie moderne ............ .................................................................................. 5 I. A TEMPS NOUVEAUX, PÉDAGOGIE NOUVELLE. Les Techniques Freinet de l’Ecole Moderne.............................. ....... 9 Comment se pose le problème ........................................................ 12 Les débuts de nos techniques .......................................................... 15 L’Imprimerie à l’école .................................................................... 18 Naissance du texte libre .................................................................. 21 Correspondance interscolaire motivée .................................. 23 La pédagogie de l’explication superflue.......................................... 25 Une méthode naturelle d’éducation................................................. 30 Des techniques de travail ................................................................ 34 Un esprit Freinet ............................................................................. 38 II. La pratique des techniques Freinet. Physionomie d’une classe Freinet .................................................. 41 Ne pas couper l’école de la vie........................................................ 44 L’entrée en classe ........................................................................... 47 Texte libre ....................................................................................... 51 La part du maître ............................................................................. 52 L’enfant raconte-t-il n’importe quoi ?............................................. 55 Choix du texte.................................................................................. 57 L’organisation matérielle de l’école................................................ 60 Un ordre nouveau basé sur les plans de travail .... 65 III. D’une classe a l’autre. A l’Ecole Maternelle ...................................................................... 71 Section enfantine, cours préparatoire et élémentaire....................... 79 Dans une école géminée de village ................................................. 84 Dans une classe de ville................................................................... 90 Dans une école mixte....................................................................... 97 Comment débuter avec les Techniques Freinet .... 100 Deux témoignages ......................................................................... 107 IV. Les méthodes naturelles de l’Ecole Moderne. Méthode naturelle de calcul .......................................................... 117 Méthode naturelle de l’enseignement des Sciences ..................... 126 Méthode naturelle de l’enseignement de l’Histoire ..................... 127 Examens et brevets ........................................................................ 129 Les outils et les techniques de l’individualisation .......................... 134 Bandes enseignantes et programmations ...................................... 136 Référence aux Instructions Officielles .......................................... 140 V. Contre la sclérose des Techniques Freinet........................ 142

Introduction NÉCESSITÉ ET URGENCE D’UNE PÉDAGOGIE MODERNE

Il fut un temps, jusqu'au début du siècle, où l'évolu­ tion sociale et technique ne se faisait qu'au rythme des générations. Les parents et les éducateurs pouvaient pré­ parer leurs enfants à leur existence avec la presque cer­ titude qu’ils auraient à faire face aux divers problèmes qu'ils avaient rencontrés eux-mêmes et plus ou moins bien résolus. Les instituteurs savaient aussi, d'avance, ce dont auraient plus tard besoin leurs élèves. Ils n'avaient pas à envisager de changement de techniques et de pédago­ gie au cours de leur exercice. Ce qu'ils avaient appris à l’Ecole normale était encore valable à la veille de leur retraite, et enseigné avec les mêmes livres et les mêmes méthodes. Ainsi était le paysan qui n'envisageait aucun change­ ment de culture, ni d'équipement ; et ce n'est que très lentement qu'il introduisait dans ses habitudes quelques outils nouveaux laborieusement expérimentés. Ses fils, à leur tour, porteraient le fumier, soigneraient les arbres, manieraient la faucille ou la pioche comme il l'avait fait lui-même, et les bêtes suivraient les mêmes sentiers. Nous ne discuterons pas ici la question de savoir si cette stabilité était en tout point bénéfique ou si elle n’était pas le signe, au contraire, du piétinement dont les effets n'étaient perceptibles que d’un siècle à l’autre. Que nous le voulions ou non, cette évolution s’est accélérée à un rythme parfois hallucinant. Vous restez quatre ans

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sans revoir votre village ou votre quartier, et, à votre retour, des maisons ont été construites, des rues élargies, des arbres centenaires abattus, des routes nouvelles tra­ cées et goudronnées; vous ne retrouvez plus le charme paisible et familier de naguère : des moteurs ronflent, des mines éclatent, des autos et des camions troublent désor­ mais l'atmosphère de ces lieux jadis tranquilles et repo­ sants. Les enfants eux-mêmes ne sont plus ce que vous étiez à leur âge. Ils n’ont plus, ni les mêmes soucis, ni les mêmes intérêts, ni le même caractère : eux aussi se modernisent à grande allure et leur comportement en est modifié. Le passé a changé de visage. Si vous essayez aujourd’hui de parler à ces enfants, ou à ces jeunes si résolus, vous êtes surpris de voir qu’ils n’entendent plus vos propos de la même oreille que les jeunes d’il y a dix ans, qu’ils se désintéressent de votre expérience per­ sonnelle; et vous avez le sentiment d’un très rapide vieil­ lissement. Au début du siècle, ce que nous racontaient les vieux grands-pères qui avaient fait la guerre de 70 et vu les premières autos, était à peine différent de ce que nous vivions. Maintenant, à quarante ans, vous êtes déjà la vieille génération pour les adolescents qui montent vers la vie. Ils ne sentent plus comme vous, s’intéressent à d’autres aspects du progrès et réagissent selon des prin­ cipes qui vous surprennent et que vous admettez difficile­ ment. Nous sommes à une époque où les autos d’il y a dix ans sont des vieux tacots, où un avion de quelques années est un vieux coucou, et quiconque ne vit pas avec le téléphone et la TV, est déjà rejeté dans le monde qui meurt. Tel est le drame que nous vivons : En d’autres temps, la pédagogie de 1900 serait en­ core pleinement valable. Par la force des choses, elle est refoulée aujourd’hui vers la préhistoire. Ne vous étonnez pas si, sur le plan scolaire, les enfants ne s’intéressent pas à vos textes appris par cœur, à vos exercices, à vos explications, à vos modes de discipline et de vie qui da­ tent de leur préhistoire. Quand ils quitteront votre classe 1900, ils enfourcheront leur vélo, ils conduiront peut-être déjà autos et tracteurs; ils discuteront de problèmes qui

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vous étaient naguère inconnus. Et surtout, les moyens audio-visuels d’information les feront vivre dans un monde qui n’a aucune commune, mesure avec la vieille école où vous vous obstinez à les retenir. Vous dites alors : les enfants d’aujourd’hui ne s'in­ téressent plus à l’école, ils croient tout connaître et ne savent pas même lire correctement. Ne parlons pas de ! orthographe qui est désastreuse et des acquisitions sco­ laires toujours insuffisantes. Il y a un problème de l’école. Et vous avez raison : les enfants d'aujourd’hui ne réa­ gissent pas comme les enfants d’il y a vingt ans et même d’il y a dix ans. Le travail scolaire ne les intéresse pas parce qu’il ne s’inscrit plus dans leur monde. Alors, inconsciemment, ils ne vous donnent que la portion mi­ nime de leur intérêt et de leur vie, tout le reste étant réservé pour ce quils considèrent, eux, comme vraie cul­ ture et joie de vivre. Comment résoudre ce drame ? Vous pouvez certes essayer l’autorité inconditionnelle qui s’accompagne toujours de la manière forte. Elle ne vous mènera pas loin, parce qu’elle ne va pas dans le sens de la vie, et qu’à la longue, c’est toujours la vie qui triomphe. Vous pouvez vous lamenter et vous plaindre, lancer des imprécations contre les enfants d’aujourd’hui qui ne savent plus ni écouter, ni obéir, qui n’ont plus le respect et la crainte de la retenue... La litanie est longue, mais les faits sont là... Il faut trouver autre chose. Lorsqu’un artisan ou un industriel a un atelier qui fonctionne mal, avec des machines démodées, qui grincent et peinent, il ne s’en prend pas aux machines, il n’essaie pas de les forcer à tourner. Il ne les invective pas, sachant bien que cela ne servirait à rien. Il s’applique à moder­ niser son atelier afin d’être en mesure de répondre aux besoins de sa clientèle. Tout alors rentrera dans l’ordre et l’atelier aura du rendement. Nous pouvons nous aussi essayer de moderniser les outils de l’Ecole, d’en améliorer les techniques, pour changer progressivement les rapports entre l’Ecole et la Vie, entre les enfants et les maîtres, de façon à adapter

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ou à réadapter l'Ecole au milieu, pour un meilleur ren­ dement de nos efforts communs. C’est cette modernisation que nous avons entreprise il y a quarante ans déjà, et qui se poursuit dans des mil­ liers de classes de France et de l’étranger, parce qu’elle vise à répondre aux besoins urgents et impérieux de nos élèves dans leur milieu moderne.

I

A temps nouveaux pédagogie nouvelle

LES TECHNIQUES FREINET DE L’ÉCOLE MODERNE

Nous n’aurons pas la prétention de dire que notre pédagogie vient à son heure, mais, plus simplement, qu’elle marque un tournant dans les soucis éducatifs. En face des problèmes suscités par la démocratisation de l’ensei­ gnement et les nécessités de rendement, les solutions théoriques de naguère sont aujourd’hui dépassées. L’ère de la technique est ouverte pour l’enseignement, comme elle l’est depuis longtemps pour tous les autres aspects de l'activité humaine. Nous avons connu des périodes, entre les deux guer­ res notamment, où les méthodes pédagogiques semblaient partir concuremment à l’assaut des problèmes que posaient les ébranlements profonds d’un monde en devenir. Mme Montessori affirmait sa royauté; la méthode Decroly introduisait dans les circuits éducatifs les éléments insoup­ çonnés du globalisme; à Genève, une équipe de savants comme on n’en connaîtra peut-être plus jamais d’aussi dynamiques, orientait et activait les recherches avec Pierre Bovet, Claparède, Ad. Ferrière, Alice Descœudres et les seuls survivants actuels : Robert Dottrens et Jean Piagct. En Amérique, le Plan Dalton apportait aux étudiants une technique qui a été peut-être trop délaissée. Washbume innovait pratiquement. Les Allemands à Hambourg tentaient une expérience totale de self-govemment, vite abandonnée. Vienne restait un moment à l’avant-garde, avec l’U.R.S.S. qui expérimentait audacieusement dans un contexte social enthousiasmant. Et brusquement, tout semble s’être évanoui : la mé­ thode Montessori, trop figée dans ses normes soi-disant

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scientifiques, esclave d’un matériel immuable, ne réponi plus aux impératifs de notre siècle; Decroly a été trahi par tous ceux qui, en Belgique comme en France, ont scolastisé la méthode globale dont la caricature est aujour­ d’hui dénoncée comme un danger public; l’Ecole de Ge­ nève s’est disloquée. La disparition d’Ad. Ferrière, et aussi la détérioration à Genève d’un climat social désor­ mais peu propice aux nouveautés, rendent le travail diffi­ cile aux derniers survivants de pédagogues éprouvés. Les U.S.A. ont exagéré et perverti les tendances libérales de l’Education nouvelle qui apparaissent parfois comme un danger éducatif et moral. L’Education allemande est dé­ saxée. Seule l’U.R.S.S. continue sa marche en avant avec une doctrine sociale qui ne semble pas être parvenue, à ce jour, à promouvoir un processus éducatif original, mais qui cependant apporte une élévation du niveau de culture de la masse. C’est dans ce vide pédagogique, où essaient de se survivre une Ecole nouvelle contestée et des méthodes ac­ tives, objet de bien des malentendus, que la « Pédagogie Freinet » de l’Ecole moderne apparaît aujourd’hui, non seulement en France, mais dans le monde, comme une for­ mule pédagogique d’avenir, avec des pratiques cohérentes, un esprit harmonisateur enthousiasmant, des fondements psychologiques, philosophiques et sociaux qui touchent, pour les rénover, aux bases mêmes de l’Ecole du Peu­ ple, avec des équipes de chercheurs enfin, et d’expérimen­ tateurs dont le dynamisme est garant du succès. Plus encore qu’en 1920 ou en 1930, une pédagogie moderne doit s’adapter aux changements qui ont boule­ versé la vie des peuples, aux incessantes mutations susci­ tées par la naissance de l’ère atomique, par la brusque extension d’une démocratisation désormais irréversible. En France notamment, une réforme, lente à s’ébran­ ler, n’en pose pas moins aujourd’hui des problèmes iné­ luctables, pour lesquels psychologues, pédagogues, ani­ mateurs sociaux, cherchent en vain des solutions. La « Pédagogie Freinet » de l’Ecole Moderne a la prétention d’apporter les réponses indispensables, et pas seulement des réponses théoriques toujours faciles, mais surtout la preuve que les théories généreuses des grands pédagogues peuvent aujourd’hui devenir réalité, qu’elles le sont déjà dans des milliers d’écoles où elles ont affirmé

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leurs bienfaits et que donc un feu vert est désormais déblo­ qué sur les voies encore cahotiques de l’avenir. Que sont ces techniques Freinet ? Comment ont-elles pris naissance ? Qui les anime ? Quelles forces lui valent une telle audience, gage des succès à venir ? C’est ce que nous voudrions exposer brièvement dans cette étude qui se présente comme une sorte de synthèse, les lecteurs intéressés pouvant toujours se documenter dans les livres et revues de Freinet et de ses collabora­ teurs (1).

(1) Voir page 2.

COMMENT SE POSE LE PROBLEME

Pour nous, instituteurs primaires, la pédagogie, c’est la science de la conduite d’une classe en vue d’une ins­ truction et d’une éducation optimales des enfants qui la composent. C’est du moins la définition de bon sens que nous en donnons en fonction de notre propre expérience. La solution de ce problème dépend certes des ouvriers qui ont la charge de le résoudre. Si ceux-ci sont suffi­ samment intuitifs et sensibles; s’ils ont équilibre, maîtrise et autorité, ils peuvent exceptionnellement, sans apprentis­ sage spécial, sans techniques ni matériel, et pour ainsi dire par une méthode à eux, parvenir à des résultats très satisfaisants et parfois même exceptionnels, tel Maka­ renko. Pendant longtemps, les progrès en pédagogie ont été stoppés parce que, à la base comme au sommet, on prétendait que la pédagogie est un don, et que quiconque aime les enfants et sait se faire respecter a des chances de réussir en pédagogie. Ce qui n’est pas totalement faux. Seulement, le nombre d’éducateurs qui possèdent ces qualités idéales et dont nous n’avons pas à nous préoc­ cuper, est extrêmement réduit. Il ne nous appartient pas d’en augmenter le nombre; et comme il faut malgré tout des éducateurs, force nous est de chercher et de trouver des solutions au moins approchées, qui permettront, aux instituteurs et professeurs de bonne volonté, de faire une honnête besogne, même s’ils n’ont pas au départ les qualités exceptionnelles des maîtres d’élite. Nous laisse­ rons donc de côté la solution idéale, dont nous ne nions ni l’importance ni la portée, pour répondre plus particu­ lièrement à l’attente inquiète des ouvriers de la base dési­ reux d’approcher au moins de la perfection de leurs maî­ tres. Nous prétendons d’ailleurs, par ce détour, donner aux éducateurs l’amour de leur métier, donc l’amour des enfants. Ils retrouveront du même coup la sensibilité, l’équilibre, la maîtrise et l’autorité, facteurs essentiels de l’efficience et de la réussite. Ce faisant, nous nous distinguons des mouvements pedagogiques qui nous ont précédés : c’est sans doute

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la première fois dans l’histoire de la pédagogie qu’une action de rénovation part ainsi radicalement de la base : Mme Montessori et Decroly étaient médecins ; les psy­ chologues suisses étaient avant tout des penseurs ; Dewey était philosophe. Ils avaient senti, souvent avec génie, l’urgence des options nouvelles que le monde allait nous imposer; ils semaient au vent le bon grain d’une éduca­ tion libérée. Mais ce n’étaient pas eux qui grattaient la terre où allait germer la semence, ni qui avaient mission de buter et d’arroser les jeunes plants, en les accompa­ gnant avec sollicitude jusqu’à la fructification. Ils lais­ saient obligatoirement ce soin aux techniciens de la base qui, faute d’organisation, d’outils et de techniques, ne parvenaient pas à traduire leurs rêves en réalité. C’est ce qui explique que les meilleures méthodes ne soient pas parvenues jusqu’à ce jour à remuer en profondeur la masse des écoles, et que persiste toujours le décalage ancestral entre les idées généreuses des uns et l’impuissance technique des autres.

* ** Comment se pose le problème pédagogique à l'insti­ tuteur qui, sans autre bagage que sa mince culture tradi­ tionnelle et sa bonne volonté, se trouve aux prises avec les trente ou quarante élèves de sa classe? J’ai été et je reste un de ces instituteurs, et c’est pourquoi me sont familières les données pour lesquelles j’ai si longtemps cherché une réponse valable. Quand nous nous rencontrions, mes camarades et moi, au temps de notre jeunesse, au cours des Conféren­ ces Pédagogiques, des Certificats d’Etudes, et des réu­ nions syndicales, nous nous inquiétions certes des aléas de notre métier. Nous le faisions comme autrefois les paysans et les artisans se transmettaient, presque clandestinement, les tours de mains, avec une sorte de pudeur à divulguer leurs faiblesses; comme les ouvriers et les paysans d’avant l’organisation syndicale se plaignaient entre eux, avec plus ou moins de véhémence et d’humour, mais sans oser situer et extérioriser des problèmes que leurs maîtres d’alors jugeaient volontiers mineurs, égoïstes ou révolu­ tionnaires. Les outils de travail — les manuels scolaires

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plus spécialement — étaient établis en dehors de nous, par des auteurs qui, la plupart du temps, ne faisaient plus classe, selon des programmes établis par les direc­ tions et les ministères, et qui ne répondaient qu’accidentellement aux propres besoins de la masse. A la base, nous n’avions pas voix au chapitre. Nous attendions humblement que d’autres parlent et décident pour nous, comme, avant les organisations syndicales, les ouvriers déléguaient la défense de leurs intérêts à ceux qui, contremaîtres et chefs d’entreprises, avaient le temps et l’instruction nécessaires pour s’occuper, croyait-on, des intérêts des travailleurs (1). Nous en étions là. Les syndicats eux-mêmes ne pla­ çaient pas — et ne placent pas encore — les revendica­ tions pédagogiques au centre de leurs préoccupations. Ils n’avaient pas encore compris que la libération pédagogi­ que sera l’oeuvre des éducateurs eux-mêmes, ou ne sera pas. C’est parce que nous avons été nombreux à compren­ dre cela qu’il existe aujourd’hui, en France et dans le monde, à côté des organisations politiques et syndicales, une sorte de troisième force qui est la conjonction des édu­ cateurs — qui sont souvent, par ailleurs, d’actifs et cons­ ciencieux militants syndicalistes et politiques — engagés dans la recherche d’une pédagogie digne de notre époque de démocratisation et de progrès.

(1) « Les essais sont décidés par des hommes qui enseignaient bien, mais qui n’enseignent plus; en partie par d’autres qui ensei­ gnaient mal et qui, par cette raison même, ont choisi d’administrer; en partie par les hommes des bureaux qui n’ont jamais enseigné, qui n’en seraient point capables et que je me permets d’appeler les illettrés de l’instruction publique. Ceux-là sont des sergents-majors en quelque sorte, qui savent un peu de droit routinier et qui admi­ nistreraient aussi bien, ou aussi mal, les bateaux, les écluses, les théâtres, le pain de troupe ou le mobilier national. « ... Et tout est bien sur le papier. « Une administration centrale a-t-elle jamais cherché autre chose ? Qu’il s’agisse du Théâtre français, d’un hospice, d’une pis­ cine, d’une prison ou d’une école, ne s’agit-il pas toujours d’ancien­ neté, d’avancement, de titre de faveurs, de solliciteurs, de crédits, d’économies, d’horaires ? » (Alain, Propos sur l'Education. P.U.F.).

LES DÉBUTS DE NOS TECHNIQUES

Pourquoi et comment me suis-je trouvé à l'origine de ce mouvement ? Je me garderai bien de m’attribuer un talent spécial qui aurait pu me prédestiner à ce rôle de chef de file. Il s’en est fallu d’ailleurs de fort peu que, tout comme la masse de mes collègues, je me contente de la paisible routine qui conduit à la retraite sans trop d’efforts et de soucis. Quand je suis revenu de la Grande Guerre, en 1920, je n’étais qu’un « glorieux blessé » du poumon, affaibli, essoufflé, incapable de parler en classe plus de quelques minutes. Malgré ma respiration compromise, j’au­ rais pu peut-être, avec une autre pédagogie, accomplir normalement un métier que j’aimais. Mais faire des leçons à des enfants qui n’écoutent pas et ne comprennent pas — leurs yeux vagues le disent avec une suffisante élo­ quence —, s’interrompre à tout instant pour rappeler à l’ordre les rêveurs et les indisciplinés par les apostrophes traditionnelles : — Veux-tu écouter! — N’as-tu pas fini de claquer tes pieds contre les traverses du banc ? — Répète ce que j’ai dit... C'était là peine perdue dans l’atmosphère confinée d’une classe qui avait raison de mes possibilités physiolo­ giques. Comme le noyé qui ne veut pas sombrer, il fal­ lait bien que je trouve un moyen pour surnager. C’était pour moi une question de vie ou de mort. Si j’avais eu, comme tant de mes collègues, le souffle suffisamment solide pour dominer de la voix et du geste la passivité de mes élèves, je me serais persuadé que ma technique restait malgré tout acceptable. J’aurais continué à user ma salive, outil n° 1 de ce que nous appelons l’école traditionnelle, en conséquence de quoi j’aurais, très tôt, fini mes expériences. 11 y a donc, à l’origine de mes recherches, la néces­ sité où je me suis trouvé d’améliorer mes conditions de travail pour une efficacité si possible accrue. Et il y a

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eu aussi une obstination insensée à honorer un métier que j’aimais et que j’avais choisi. Une autre caractéristique de mon esprit ou de mes tendances m’a poussé hors des sentiers battus : un besoin comme physiologique et moral d’adhérer à une classe so­ ciale et plus encore à la corporation enseignante reflétant massivement les données d’un milieu dont j’étais partie intégrante. Mon problème se posait de lui-même : trouver le moyen de travailler mieux sans m’isoler de mes collè­ gues. Quand j’eus découvert l’imprimerie à l’Ecole, j’au­ rais pu, comme on procède volontiers aujourd’hui, faire breveter mon innovation, faire breveter ensuite, comme Mme Montessori, un matériel qui aurait été à la base de la nouvelle méthode. Mais, ce faisant, je me serais écarté, dès l’origine, de la masse des éducateurs dont je n’aurais plus été qu’exceptionnellement l’expression. J’ai pris tout de suite une autre direction : au lieu de garder le secret sur cette découverte, je l’ai versée délibérément dans le creuset coopératif. Nous n’étions en­ core que quelques pionniers, parmi lesquels Ad. Ferrière, quand je constituais déjà une coopérative avec circulaires, bulletin, corevue de textes d’enfants : La Gerbe, échanges de documents, organisation de correspondances intersco­ laires, premières rencontres à l’occasion des Congrès de la vaillante Fédération de l’Enseignement. Nous avions déjà rompu le cercle de l’individualisme stérile. Nous avions jeté les bases de notre mouvement pédagogique coopératif. Mais revenons-en aux débuts de ma vie enseignante : il fallait donc que je cherche, hors de la scolastique, dont s’accommodait tant bien que mal la masse de mes collè­ gues, une solution nouvelle, une technique de travail qui soit à la mesure de mes possibilités réduites. Je fis alors comme tous les chercheurs. J’adoptai ce même processus de tâtonnement expérimental que nous placerons par la suite au centre de notre comportement pédagogique et de nos techniques de vie. Je lus Montai­ gne et Rousseau, et plus tard Pestalozzi, avec qui je me sentais une étonnante parenté. Ferrière, avec son Ecole active et la Pratique de l’Ecole active, orienta mes essais. Je visitai les écoles communautaires d’Altona et de Ham­ bourg. Un voyage en U.R.S.S., en 1925, me plaça au

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centre d’une fermentation quelque peu hallucinante d’ex­ périences et de réalisations. En 1923, je participai au con­ grès de Montreux, de la Ligue internationale pour l’Education nouvelle où se côtoyaient les grands maîtres de l’époque, de Ferrière à Pierre Bovet, de Claparède à Cousinet et à Coué. Mais quand je retournai seul dans ma classe, en oc­ tobre suivant, sans soutien et sans l’appui moral des pen­ seurs que j’admirais, je me sentais désespéré : aucune des théories lues et entendues ne pouvait être transposée dans mon école de village. Les seules réalisations valables étaient celles de certaines écoles nouvelles d’Allemagne ou de Suisse, qui, avec un nombre réduit d’élèves et une profusion d’éducateurs de choix, fonctionnaient dans des conditions qui n’avaient rien de comparable à celles que je devais subir. Force m’était de revenir tant bien que mal aux outils et aux techniques traditionnels, de faire des leçons que nul ne comprenait, de faire lire des textes qui, même s’ils étaient simples, ne signifiaient rien dans le devenir éducatif des enfants. C’était, en lecture, la méthode Boscher — en usage encore, à peine modernisée, dans bien des classes — avec son : Papa a ri — Nana a mangé du rata... C’étaient, en calcul, les nombres appris mécaniquement avec ou sans bûchettes, et, pour toutes les disciplines à enseigner, c’était la leçon de rabâchage qui lassait très vite les enfants autant que moi-même. Il me fallait, dans ce climat épuisant, me démener, pour essayer, tel un clown sans talent, de retenir un ins­ tant, artificiellement, l’attention fugitive de mes élèves. Les collègues me conseillaient la patience : Tu t'habitueras... Il faut prendre une certaine routine, même un peu somnolente, si tu veux vivre ! Et l’inspecteur ne savait que me vanter les succès étonnants de Mme ou de M. X : Si vous voyiez leur classe I Ce qui n’était qu’une façon déguisée de me faire sentir mon incompétence professionnelle.

L’IMPRIMERIE A L’ÉCOLE

Une éclaircie pratique et technique dans ce ciel déses­ pérément scolastique : les instituteurs qui militaient dans la Fédération de l’Enseignement essayaient alors, en avantgarde, de faire pénétrer un peu de vie dans leur enseigne­ ment. Des expériences de « classes-promenades » avaient été faites. Le mot était évidemment mal choisi, les parents jugeant que les enfants ne vont pas à l’école pour se pro­ mener, et l’inspecteur n’ayant nulle envie de partir à tra­ vers champs pour retrouver ses ouailles. La classe-promenade fut pour moi la planche de salut. Au lieu de somnoler devant un tableau de lecture, à la ren­ trée de la classe de l’après-midi, nous partions dans les champs qui bordaient le village. Nous nous arrêtions en traversant les rues pour admirer le forgeron, le menuisier ou le tisserand dont les gestes méthodiques et sûrs nous don­ naient envie de les imiter. Nous observions la campagne aux diverses saisons, quand l’hiver les grands draps étaient étalés sous les oliviers pour recevoir les olives gaulées, ou quand les fleurs d’oranger épanouies au printemps sem­ blaient s’offrir à la cueillette. Nous n’examinions plus scolairement autour de nous la fleur ou l’insecte, la pierre ou le ruisseau. Nous les sentions avec tout notre être, non pas seulement objectivement, mais avec toute notre naturelle sensibilité. Et nous ramenions nos richesses : des fossiles, des chatons de noisetier, de l’argile ou un oiseau mort... Il était normal que, dans cette atmosphère nouvelle, dans ce climat non scolaire, nous accédions spontanément à des formes de rapports qui n’étaient plus celles, trop con­ ventionnelles, de l’école. Nous nous parlions, nous nous com­ muniquions, sur un ton familier, les cléments de culture qui nous étaient naturels et dont nous tirions tous, maître et élèves, un profit évident. Quand nous retournions en classe, nous écrivions au tableau le compte rendu de la « pro­ menade ». Mais ce n’était là encore qu’un coin lumineux enfoncé provisoirement dans le mur de la scolastique. La vie s’ar­ rêtait à cette première étape. Faute d’outils nouveaux et de techniques adéquates, je n’avais d’autres ressources,

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pour enseigner la lecture d’un texte imprimé, que de dire sur un ton résigné : — Maintenant, prenez votre livre de lecture page 38 : la Gourmandise (ou toute autre page également étrangère à l'intérêt des enfants et du maître). Et, pendant que nous liftions « La Gourmandise », nous avions encore dans la tête, vivaces et parlantes, les images de la promenade. Les mots eux-mêmes s’habillaient en fonction des minutes exal­ tantes que nous avions vécues. Il y avait divorce total, et inévitable, entre la vie et l’école. Le travail auquel nous étions ainsi contraints perdait de ce fait tous les avantages du travail vivant pour devenir une tâche fastidieuse et sans portée.

Enfin un outil qui change les données pédagogiques de la classe : l’imprimerie Je me disais alors : — Si je pouvais, par un matériel d’imprimerie adapté à ma classe, traduire le texte vivant, expression de la « pro­ menade », en page scolaire remplaçant les pages du manuel, nous retrouverions, pour la lecture imprimée, le même in­ térêt profond et fonctionnel que pour la préparation du texte lui-même. C’était simple et logique, si simple que je m’éton­ nais même que nul n’ait pu y penser avant moi. J’essayai alors de réaliser mon rêve. Je trouvai heu­ reusement, chez un vieil artisan imprirmeur, un petit matériel d’imprimerie avec composteurs spéciaux et presse en bois qui devait, en principe, permettre l’impression de nos textes. Én réalité, nous parvenions difficilement à imprimer 5, 6, 7 lignes, de quoi garnir les feuilles 10,5 x 13,5 que nous employions alors. Je ne m’attendais pas, à ce moment-là, à ce que les élèves puissent se passionner longtemps sur un travail dont je mesurais tout à la fois la complexité et la minutie. J’étais tellement habitué au travail qu’on impose et qui exige l’effort, que je n’imaginais pas que puisse exister effec­ tivement une autre forme d’activité plus allégée et plus agréable.

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Je me trompais. Les élèves se passionnèrent pour la composition et l’imprimerie, ce qui n’était pourtant pas simple avec notre matériel encore rudimentaire. Ils étaient pris au jeu, non seulement parce que le classement des ca­ ractères dans les composteurs pouvait être prenant, mais surtout parce que nous avions retrouvé un processus normal et naturel de la culture : l’observation, la pensée, l’expression naturelle devenaient texte parfait. Ce texte avait été coulé dans le métal, puis imprimé. Et tous les spectateurs, l’auteur au tout premier chef, sentaient à la sortie de l’imprimé comme une émotion, au spectacle du texte magnifié qui prenait désormais valeur de témoignage. C’était la première découverte de base qui allait per­ mettre de reconsidérer progressivement tout notre ensei­ gnement. Nous avions rétabli un circuit naturel obstrué par la scolastique. La pensée et la vie de l’enfant pouvaient désormais devenir éléments majeurs de la culture.

NAISSANCE DU TEXTE LIBRE

Ma trouvaille — mais elle est si naturelle et tellement de bon sens — a été, à ce stade, de me persuader que, quoi qu’on en dise, l’enfant était capable de produire ainsi des textes valables, dignes d’influencer notre scolastique. Or, rien à l’époque ne m’encourageait dans cette voie. Quand je montrais naïvement les premiers textes d’enfants sortis de notre presse, si simples et si innocents, mes camarades m’objectaient : — A quoi bon ? Il y a bien assez de beaux textes d'adultes dans nos manuels, autrement intéressants et utiles que ces balbutiements !... — D'ailleurs, me disaient d’autres camarades, que veux-tu tirer d’original d’enfants qui sont si totalement à court d’idées quand nous leur donnons une rédaction à faire ? Ils sont là, bouche bée et crayon levé. Il nous faut pour en tirer quelque chose de présentable, non seule­ ment leur préparer ou suggérer des idées, mais parfois même leur donner un canevas » si ce n’est l’amorce des phrases qu’ils ont peine à compléter... Les Instructions officielles ne disent-elles pas : « L’exer­ cice de composition française apparaît au Cours élémen­ taire, mais il n’y apparaît que timidement. Il ne saurait être question de faire composer à des enfants de sept ans de véritables rédactions. Nous ne leur demandons pas même un paragraphe. Nous ne leur demandons que de petites phrases... L’enfant ne peut rédiger que lorsqu’il possède non seulement une assez riche collection d’idées, mais une assez riche collection d’expressions... Que l’enfant apprenne d’abord à exprimer une idée, c’est-à-dire à assembler les éléments d’une proposition, à écrire correctement une phrase simple. Si, au terme du Cours élémentaire, il est rompu à cet exercice, il n’aura pas perdu son temps. » Au Cours moyen, il apprendra à combiner des phrases. Moins exigeant à cet égard que l’ancien plan d’études, le nouveau conseille aux instituteurs de borner l’effort des enfants de dix ans à la construction d’un paragraphe. Après avoir imaginé quelques phrases sur un paragraphe déterminé, les grouper logiquement en un développement d’une dou­

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zaine ou d’une quinzaine de lignes, voilà tout ce qu’on demande à ces enfants. Tel était, dans l’enseignement, l’état d’esprit unanime vers 1925. On n’avait jamais vu un texte libre et nul ne croyait la chose possible. Il nous a fallu, à force de témérai­ res expériences, montrer et prouver que l’impossible pou­ vait devenir étonnante réalité. Il faut se rappeler ce climat de pessimisme scolas­ tique d'il y a quarante ans, pour mesurer le chemin par­ couru, du moins par une portion sans cesse croissante des éducateurs, car nombreux sont encore ceux qui en sont restés à 1925 et qui, en toute bonne foi, vous accuseront d’écrire vous-mêmes les textes de vos élèves. C’est bien à regret que nous voyons, aujourd’hui encore, les pays ré­ cemment promus à l’indépendance, bâtir leur système édu­ catif, non point sur la riche expression libre, mais sur des textes d’auteurs de manuels scolaires périmés. Les choses ont malgré tout évolué et cela, on nous permettra de le dire, grâce à nos productions et à nos exem­ ples. Le Texte Libre, presque unanimement recommandé aujourd’hui — même s’il n’est pas toujours judicieusement pratiqué — n’en consacre pas moins officiellement cette aptitude de l’enfant à penser et à s’exprimer, et à passer lui aussi d’un état de mineur mental et affectif, à la digni­ té d’un être capable de construire expérimentalement sa personnalité et d’orienter son destin. J’avais d’emblée, par intuition et bon sens, fait con­ fiance aux enfants et j’avais eu raison. Si, au départ, je leur avais demandé d’imprimer des textes d’adultes étran­ gers à leur propre vie, ils se seraient bien vite lassés de la nouveauté que je leur offrais, comme ils se lassent du beau manuel tout neuf que nous leur donnons en octobre. Et notre expérience aurait, dès son départ, avorté peutêtre définitivement. J’avais jeté la graine. J’ai aidé à son éclosion pour démontrer que le besoin de création et d’expression est une de ces idées-forces sur lesquelles peut se bâtir un renouveau pédagogique incomparable. L’avenir allait nous donner raison.

CORRESPONDANCE INTERSCOLAIRE MOTIVÉE

Je sentais pourtant que, malgré les premiers suc­ cès de l’imprimerie à l’Ecole dans ma classe de Barsur-Loup, la boucle n’était pas encore totalement bou­ clée. Ces textes produits dans nos classes étaient bien lus dans le village, appréciés d’ordinaire par les parents, mais ce n’était pas encore suffisant. Nos enfants voulaient et méritaient une plus large audience. A cet effet, je commençai la correspondance inter­ scolaire. Dès 1926, mon ami Daniel, de Saint-Philibert-de-Trégunc (Finistère) achetait notre matériel et, spontanément, s’engageait à son tour dans l’expression libre. Une correspondance s’amorçait dont le total succès est à l’origine du développement croissant des correspon­ dances interscolaires, avec ou sans journal scolaire, et des voyages-échanges qui en sont l’heureux complément. Nous tirions de chaque texte vingt-cinq feuilles supplémen­ taires que nous envoyions tous les deux jours à SaintPhilibert, et nous recevions en échange, avec la même régularité, les vingt-cinq imprimés de leur classe. Ainsi s’est déroulée pendant deux ans, entre deux classes extrê­ mement pauvres, une correspondance interscolaire qui, pour son coup d’essai, était un coup de maître rarement dépassé depuis. Nous vivions désormais la vie de nos petits cama­ rades de Trégunc. Nous les suivions en pensée dans leur chasse aux taupes ou leurs pêches miraculeuses, car la mer était venue jusqu’à nous et nous tremblions avec eux les jours de tempête. Nous leur racontions, nous, la cueillette de la fleur d’oranger et des olives, les fêtes de Carnaval, la fabrication des parfums, et notre Pro­ vence tout entière s’en allait ainsi vers Trégunc. Et un jour, grand événement, arriva le premier colis, tel que le décrit L'Ecole buissonnière dans l’une des sé­ quences les plus émouvantes du film. Il contenait, outre les algues et les coquillages, tout un paquet de crêpes délicieuses. Nous en avons mangé, nous en avons fait

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goûter à la première classe et chaque élève est parti à midi avec une part minutieusement établie à l’intention des parents. Inutile de dire le succès et l’enthousiasme suscités par ce prestigieux colis. Car la réaction des pa­ rents ne s’est pas fait attendre. Il faut leur envoyer un colis, vous autres aussi... des oranges, des kakis, des olives, des fougaces. Et le colis pour Trégunc se pré­ parait dans la fièvre. Une vie nouvelle pénétrait dans nos classes. Nous avions rétabli le circuit : le texte libre devenait page de vie, qui était communiquée aux parents et transmise aux correspondants. Nous avions là la puissante motivation qui allait aiguillonner l’expression libre chez nos élèves. Il est des usagers actuels du texte libre qui se plai­ gnent parfois encore d’être à court de textes. S’il en est ainsi, c’est sans doute que leur texte libre n’est pas motivé comme il devrait l’être par le journal scolaire et la cor­ respondance interscolaire. Sans ces appuis naturels, l’en­ fant a l’impression de faire un travail gratuit qui lui rappelle les rédactions scolaires. Le charme n’y est plus. L’enfant n’éprouve pas le besoin d’écrire. Mais que fonctionnent journal et correspondance, et, comme dans la famille, l’enfant ne se lassera jamais de raconter les éléments de sa vie, et non seulement de sa vie extérieure, mais aussi de toute cette pensée profonde que l’école n’effleure jamais et qui n’en est pas moins, on le sait mieux aujourd’hui, le moteur profond du com­ portement. Nous atteignions ainsi, d’emblée, aux fondements sûrs et définitifs de notre pédagogie. Par le rétablis­ sement des circuits de vie, par la motivation permanente du travail, nous dépassions désormais la scolastique pour parvenir à une autre forme, idéale, d’activité qui enrichit et rééquilibre, et prépare ainsi la vraie culture. Ce qui caractérise en effet la scolastique, c’est l’obli­ gation qui est faite aux élèves, par les règlements, les manuels scolaires et le maître, de produire un travail qui n’a en général pas d’assise dans la vie des individus, et donc, ni ne les touche, ni ne les influence en profon­ deur. Ce travail n’est pas fonctionnel. Il est prévu par les adultes en raison de leur culture d’adultes, et c’est sys­ tématiquement qu’on prétend l’isoler de toute vie dans la crainte d’une perte de temps et de manque de sérieux.

LA PÉDAGOGIE DE L’EXPLICATION SUPERFLUE

L’ennemi n° 1 de la régénération de notre école, c’est l’explication à outrance, la leçon permanente dans laquelle la voix du maître est l’outil majeur de la vie enseignante. L’expérimentation est lente et capricieuse; elle de­ mande outillage et installation; l’observation elle-même suppose attention et persévérance. L’école a trouvé un raccourci qu’elle a cru efficace : l’instituteur expliquera. S’il n’expliquait que lorsque les enfants eux-mêmes ma­ nifestent leur inquiétude devant les problèmes de la vie, il n’y aurait rien à redire. Mais l’explication, devançant expérimentation et observation, est devenue la fonction majeure de l’éducateur. Cette patience d’atelier, dit Alain, on ne la trouve point dans nos classes, peut-être parce que le maître s’ad­ mire lui-même parlant; peut-être parce que toute sa car­ rière dépend de ce talent qu’il montre à parler longtemps tout seul; vraisemblablement aussi de ce que renseigne­ ment a pour fin de distinguer quelques sujets d’élite, qui arrivent d’eux-mêmes à singer et à inventer. L’explication devient bien vite verbiage et le ver­ biage supplée en classe au raisonnement et à l’action; il les supprime et les remplace, au risque de laisser s’atro­ phier les qualités dont ils sont l’émanation. Selon cette pratique, ce n’est pas l’expression qui primera en fran­ çais, mais l’explication, les leçons de grammaire et de vocabulaire, comme si on imposait à l’enfant qui fait les premiers pas toute une série de règles et d’interdits préa­ lables : Attention, ne bouge pas.,, tu risquerais de compro­ mettre les premières acquisitions... Je vais t’expliquer d’abord comment on parle ou comment on marche... Après, mais après seulement, tu feras tes premières armes... Il faut connaître avant de s’essayer à marcher... L’enfant, victime de telles pratiques, n’apprendrait jamais à parler et resterait muet si la maman avait l’idée contre nature de procéder ainsi, si elle avait la pensée saugrenue d’imposer à son enfant l’étude des lois soi-

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disant scientifiques du langage, avant de le laisser tâton­ ner et gazouiller tout son saoul, à la conquête naturelle et sûre du langage. C’est ce processus scolastique contre nature que nous devons dénoncer, et ce sera notre préoccupation essen­ tielle et délicate, car le pédagogue croit déchoir s’il ne place sa fausse science à l'origine de toute connaissance dont l’enfant doit devenir maître; s’il accepte de suivre la nature, les événements, au lieu de prétendre les rem­ placer. Dans toutes les matières à enseigner incluses dans un programme dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas intégré à la vie, dans toutes les disciplines, calcul, sciences, histoire, géographie, morale, c’est la le­ çon du manuel, reprise et commentée par le maître, qui supplée à l’expérience de l’enfant, à sa vision des choses. La leçon faite, automatiquement surgissent les exer­ cices qui doivent confirmer les règles expliquées, alors qu’il aurait été si facile de mettre à la disposition des enfants le matériel et la documentation leur permet­ tant d’arriver par eux-mêmes à la connaissance, en dehors de tout « baratin ». Nous ne disons pas qu’une leçon bien faite, avec toutes les règles de l’Art, soit forcément inopérante. Il y a, dans tout effectif scolaire, une proportion d’élèves particulièrement doués, avec lesquels l’école traditionnelle a des réussites : intelligents, nantis d’une excellente mé­ moire, aimant le travail, de tels enfants tiennent sans peine la tête de la classe. Ils réussissent avec toute méthode pédagogique, même la plus retardataire. Mais ils réussiraient incontestablement mieux encore si leur était offerte une pédagogie pour enfants sur-doués ne se souciant pas uniquement de rendement intellectuel mais d’acquisitions humaines, artistiques, ne visant pas exclu­ sivement la préparation aux examens mais une manière de science de vivre en liaison permanente avec leur milieu et leur époque. C’est au-delà du cinquième élève, tête de classe, que la leçon, employée comme technique enseignante, de­ vient inopérante. Les enfants qui n’ont pas cette tendance intellectuelle, qui n’acceptent pas sans mal l’explication abstraite, sont réfractaires à la scolastique prodiguée du haut de la chaire. 90, 95 % des élèves subissent l’ensei­

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gnement livresque avec effort, perte de temps et d’éner­ gie. C’est pour ces 90 % d’écoliers que nous avons cherché des solutions susceptibles de faire éclore en eux des aptitudes qui préfigurent et honorent l’homme qu'ils seront demain. La technique actuelle, l’organisation syndicale et po­ litique, le marché du travail, demandent aux adolescents un certain nombre de qualités qui dépassent et débordent l’acquis scolaire traditionnel et dont notre pédagogie du premier degré doit se préoccuper au même titre que la réussite des élèves bien doués. Et là, tout reste à faire. C’est dans ce domaine que nous avons innové, en vue surtout d’un rendement de masse. Dans un article paru dans l’hebdomadaire L’Express du 2 août 1962, on rend compte d’un Congrès international d'orientation professionnelle, qui s’est tenu à Cachan (Seine) et au cours duquel des psychologues ont examiné le problème de l’orientation des élèves dans une société « mobile » « où il n’y a plus de métiers ». En voici la conclusion : « En gros, le travail urgent est celui-ci : obtenir une formation générale d’un degré élevé qui forme plus com­ plètement la personnalité et la rend prête à plusieurs tâches, et non à une seule, et d’autre part débloquer la méfiance des jeunes (et de leurs parents) envers la mobi­ lité du travail, parce qu’aucun doute n’est plus permis : ou l’on bougera, ou Von restera en plan, sans travail. Nous avons surtout étudié le premier point : l’orien­ tation vers plusieurs métiers à la fois. Cela conduit à une technique d’orientation nouvelle : donner plus d’im­ portance aux « intérêts » qu’aux « capacités ». La capacité, c’est, par exemple, une connaissance acquise, un diplôme, une expérience technique donnée. Les « intérêts », c’est plus diffus, plus secret, plus dif­ ficile à tester, mais, si vous voulez, c’est ce qui déter­ mine le plaisir qu’un homme trouve à faire son travail. Pour orienter un jeune homme vers la mobilité du travail, nous pouvons déjà — premier stade — l’orienter vers un choix, un éventail de travaux différents, qui vont sans doute se présenter à lui dans les années à venir, et pour cela, nous essayons de découvrir quels sont ses différents intérêts.

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... Ce que nous avons pu observer jusqu'à ce jour, c’est que les intérêts ne changent plus, passé un certain âge. Les intérêts se forment dans l'enfance, à l’âge de l’école primaire et de la famille... Si nous voulons que les hommes de demain ne soient pas handicapés dans la mobilité du travail, il faut deux choses : d’abord que, dès l’enseignement primaire, les enfants se voient offrir la possibilité de développer, sans difficultés, le plus d’intérêts possible. Or, actuellement, ils n’ont à l’école qu’une formation de technique littéraire, aussi bien pour apprendre l'orthographe que le calcul... » Or, il apparaît de plus en plus que la société actuelle, si elle se glorifie à bon droit de ces « éléments » qu’elle considère comme exceptionnels, ne saurait négliger l’infi­ nie variété des autres formes d’intelligence et d’aptitudes, beaucoup plus répandues, et qu’il suffit de cultiver pour donner certaines aptitudes à la masse des élèves que l’école risque de décourager, mais qui n’en seront pas moins les hommes de demain. Si les éducateurs prenaient conscience du peu de ren­ dement de leur enseignement, ils verraient eux aussi la nécessité de modifier, de redresser leur technique de tra­ vail comme le paysan, pourtant attaché à la faux ances­ trale, l’abandonne le jour où il a la possibilité d’acquérir une faucheuse mécanique. Si les instituteurs gardent ainsi leurs vieux outils c’est, d’une part, qu’ils leur supposent encore une efficacité majeure et, d’autre part, qu’on ne leur a pas encore offert des techniques et des outils de remplacement plus pratiques et plus faciles. Ils sont en effet victimes d’une double illusion. Ils enseigneraient aussi bien, en classe, par des « leçons », comment on apprend à monter à bicyclette. Les élèves seraient, comme il se doit, bras croisés, écoutant les savan­ tes explications du maître. Si celui-ci avait quelque peu modernisé son enseignement, il dessinerait au tableau noir des croquis parlants qui aideraient à la compréhension, ou mieux, il amènerait dans la classe un vélo d’étude, qu’on ne pourrait évidemment pas faire rouler, mais qu’on placerait prudemment sur cale pour que les enfants puissent comprendre le fonctionnement et le rôle des péda­ les, des freins et du guidon. — Quand vous connaîtrez bien le vélo, si vous avez

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écouté mes explications et étudié vos leçons, alors vous saurez rouler... Un jour donc, toutes notions acquises, l’instituteur attaquerait la deuxième phase de l’apprentissage et place­ rait le vélo entre les mains de ses élèves. Si par miracle tous ces enfants roulaient à la perfec­ tion, le maître y verrait le triomphe de la scolastique, et s’en féliciterait. Mais il négligerait ainsi l’apport décisif de la vie, car le succès, en vérité, viendrait d’ailleurs : de l’expérience personnelle de l’enfant qui, après la classe, enfourchant un vélo disponible, s’élance dans la descente, tombe, se relève et recommence inlassablement jusqu’à ce que, par tâtonnement, il ait acquis la maîtrise et la technique de l’équilibre. C’est peut-être un bien, d’ailleurs, que la leçon tra­ ditionnelle soit inefficace, car certaines connaissances théo­ riques risqueraient de compromettre le processus souve­ rain du tâtonnement expérimental qui est : ajustement, recherche, progression. Cette loi générale, l’éducateur en néglige trop sou­ vent le caractère impérieux en raison de sa simplicité et de son évidence. C’est pourtant en marchant qu’on ap­ prend à marcher; en parlant qu’on apprend à parler; en forgeant qu’on devient forgeron. Si la scolastique peut parfois faire illusion, c’est à cause justement de l’in­ fluence du milieu qui, par une méthode naturelle, pallie les insuffisances fonctionnelles de l’école. L’intelligence manuelle, artistique, scientifique, ne se cultive point par l’usage des seules idées, mais par la création, le travail et l’expérience. Une nouvelle forme d’école s’impose.

UNE MÉTHODE NATURELLE D’ÉDUCATION

Armé de ces remarques de simple bon sens, chemin faisant, dans les difficulés de la pratique scolaire de ma petite école de Bar-sur-Loup (A.-M.), j’accédais à deux découvertes qui allaient être à la base d’une pédagogie dont je sentais l’urgence. Dans l’apprentissage de la lecture surtout, j’étais ex­ cédé par les exercices de syllabation, seule méthode qui me semblait alors possible et dont l’aspect rationnel, pro­ gressif en apparence, me satisfaisait sur le plan théorique. Quoi de plus normal en effet, que de partir de l’élément simple, la lettre, qui, combinée à d’autres lettres forme les syllabes, les mots, lesquels, ajustés à d’autres mots, forment les phrases ? Le processus semblait inattaquable. Je m’y conformais donc au détriment de ma patience, de ma fatigue et de l’attention inégale des enfants. Rara ira — Riri a ri Le vin bouillonne dans la futaille L’andouille grille sur le feu qui pétille... Il était manifeste que les enfants ne comprenaient rien à ces phrases-calembours qu’ils enfilaient les unes après les autres, sans égard pour les signes de ponctua­ tion dont il aurait été impossible de définir les rôles. J’étais gêné de ne pouvoir faire sentir à ces enfants, si bêtement soumis à une syllabation sans contenu valable à leurs yeux, le sens de ces mots et de ces phrases. Mais y avait-il là quelque chose à comprendre ? Les élèves les plus futés, ceux qui n’acceptaient pas la passivité tant physique qu’intellectuelle, s’arrêtaient très souvent pour poser des questions inattendues qui me faisaient sentir, mieux qu’une critique fondée, toute la malfaisance d’un tel exercice de lecture. la pou le a pi co ré la (salade) — M’sieur qu’est-ce que ça veut dire picoréla ? Il était évident qu’aucun de mes élèves ne cherchait

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à aller plus loin qu’une syllabation mécanique, pour eux

ans intérêt. L’un comptait ses billes dans sa poche ; l’autre boutonnait et déboutonnait son gilet; quelques-uns, épaule contre épaule, mimaient la barque sur l’eau et Joseph, le plus intrépide de tous, se baissait furtivement à cha­ que instant : des hannetons s’échappaient de sa poche per­ cée; ils étaient ramassés d’une main preste et, tant bien que mal, l’enfant fautif, tout rouge d’émotion, rattrapait le flot des vocables jetés au vent par ses camarades les plus cons­

ciencieux. an-dou-ille ... feu-ille ... gre-nou-ille... gar-gou-ille ... fri-pou-ille... Une telle pratique était pour moi, comme pour mes élèves, d’un ennui mortel. Il fallait trouver autre chose. Mes succès avec l’imprimerie m’orientaient, heureu­ sement, vers de nouvelles recherches. Malgré l’indigence de ma bourse d’instituteur débutant, je m’attachais à per­ fectionner et à enrichir mon petit atelier d’imprimerie. J'achetai une police de gros caractères, corps 36, pour les petits. Le menuisier me fabriqua une casse rudimen­ taire et j’essayai au cours préparatoire ce qui m’avait réussi au cours élémentaire : composer et imprimer les petits événements de la vie de chaque jour. Tout de suite, le monde joyeux de l’enfance entra dans la classe, imposa ses valeurs sensibles et claires, ses inattendus, ses espérances : Louis est monté sur sa mule Il était content Il criait : Hue! Et la mule trottait. Paul, ce matin, a ramassé les olives tombées sur les draps. J’ai rêvé que j’étais un géant. Je faisais peur à tout le monde. Je ne visais pas à une quelconque gradation dans la rédaction de ces textes. Leur écriture, leur complexité orthographique suivaient la vie. Le texte était composé, puis

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imprimé. Il s’ajoutait alors au Livre de vie (dont nous verrons la genèse et la nature), et continuait la frise d’imprimés amorcée tout au long des murs de la classe. Mais mes enfants apprendraient-ils à lire par ce pro­ cédé? Je me le demandais certes avec quelque inquié­ tude. Je pensais pour me tranquilliser, d’une part, instinc­ tivement, qu’un travail intéressant ne pouvait que lais­ ser des traces, et, d’autre part, la pédagogie de Decroly notamment, était en train de révéler la portée du globa­ lisme. Je constatais que mes enfants lisaient fort bien, à quelques jours d’intervalle, le texte imprimé, globalement, comme jadis la vieille femme illettrée dans sa petite bou­ tique lisait globalement les noms des mois et des jours qu’elle reclassait sans risque d’erreur dans son calendrier mobile. Mes recherches allaient dans le sens de cette réalité nouvelle; l’expérience vécue, longuement renouve­ lée et répétée, confirmait mon intuition. Une méthode naturelle de lecture était née, qui supprimait le b - a ba et qui, comme l’apprentissage du langage par l’enfant, partait exclusivement de la vie, de l’expression de cette vie qui, ici, dans la classe, se fixait, par l’imprimerie, en textes nets et définitifs. La correspondance, même à ce degré, allait complé­ ter la méthode (1). Et je faisais du même coup une autre découverte. De toute évidence, avant l’emploi de l’imprimerie, mes élèves ne s’intéressaient jamais profondément à la classe. J’avais bien essayé quelques-uns des procédés dont on vantait les mérites dans les classes nouvelles. Nous avions ramassé de l’argile et réalisé des modelages plus ou moins artistiques; dans un coin de la classe, un métier à tisser rudimentaire, de notre fabrication, nous permettait un semblant de résultat. Nous tressions des joncs et faisions des paniers, nous nous essayions au moulage d’in­ sectes et de plantes, etc. Tout cela rendait l’école moins austère, mais restait pour ainsi dire en marge de notre véritable vie. Or, c’est cette vie qui importait et qu’il nous fallait retrouver. Ce sont les enfants qui, inlassable­ ment, dans les activités d’une classe où chacun peut en (1) Méthode naturelle de Lecture, Ed. de l’Ecole Moderne, Cannes (Collection Bibliothèque de l’Ecole Moderne).

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toute liberté rester soi-même, la proposent, la dictent, l'imposent. C’est Joseph qui étale sur la table les richesses dont ses poches étaient bourrées; c’est Paul qui a eu du mal à faire repartir son chat qui le suivait jusqu’à l’école; Louis, le petit rétameur, veut raconter sa tournée à Pégomas; ce sont les aventures de la famille, des champs ou de l’usine, et toute cette vie informulée qui agite nos bam­ bins et qui se traduit par des gestes, des cris, des dessins, de l’angoisse, des rires ou des pleurs. Vie multiple et d’une variété infinie, que nous avions désormais la possibilité d’atteindre, de faire éclore, d’expli­ citer et d’exploiter. Si même nos techniques n’avaient eu que cette seule vertu de permettre ce jaillissement vivant, cette joie de vivre, elles n’en auraient pas moins marqué la pédagogie d'une virtualité, d’un élan dont nos succès croissants di­ ront par la suite tous les jours la fécondité et la ferveur.

Freinet : Les Techniques. — 2

DES TECHNIQUES DE TRAVAIL

On nous excusera pour ce long préambule qui fami­ liarisera le lecteur avec la genèse et les principes essen­ tiels d’une pédagogie qui n’est pas sortie toute armée d’une conception théorique de l’éducation, mais qui est le résul­ tat, redisons-le, d’un long tâtonnement expérimental qui s’est poursuivi au long des années. Cette pédagogie, nous n’en avons point fixé les con­ tours une fois pour toutes; nous ne l’avons pas érigée en méthode dont il faudrait suivre les règles et les prescrip­ tions; nous l’avons découverte et promue, en praticiens conséquents et conscients, qui, ayant reconnu les tares gra­ ves des pratiques éducatives traditionnelles, leur ont, coopérativement, cherché des remèdes. Le chantier était ouvert. Il s’agissait avant tout d’entrer dans la pratique du travail scolaire. Nous n’avons pas renouvelé l’erreur de ces agrono­ mes officiels qui, au début du siècle, parcouraient les cam­ pagnes pour prôner aux paysans les vertus des nouvelles conceptions culturales. Ils parlaient bien, certes, mais ils oubliaient d’agir, de faire la démonstration de la valeur patente des techniques proposées. D’où refus et scepticisme des masses villageoises. Mais un jour, un illuminé a, sans rien dire, amené au village un tracteur encore rudimen­ taire qui prétendait remplacer la vieille charrue traînée par des bœufs. Un demi-fou! disait-on. Comme s’il était possible de se passer de l’araire qui a fait vivre tant de générations paysannes! Pourtant, de loin, les curieux, sans avoir l’air d’y accorder une quelconque importance, consi­ déraient le sillon. On discuta de l’aventure à la veillée et, au printemps, on regarda le blé pousser. Comme il était droit et dru, on commença à s’enquérir des conditions d’a­ chat et de fonctionnement de la mécanique nouvelle. Et c’est ainsi qu’un deuxième original imita l’illuminé. Du coup, l’événement apparut déjà comme moins téméraire. Les vieux restaient naturellement hostiles : Mener mes bœufs, ça me convient, mais me fier à cette machine pétara­ dante qui marche quand elle veut et que je ne saurai jamais conduire, non ! Les jeunes, par contre, ouvrirent

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l'œil. Ils vinrent essayer la machine, tracer quelques sil­ lons et ils s’en retournèrent convaincus : ça rendait! Toute théorie préalable était superflue, seul comptait le besoin ressenti par tous d’améliorer les conditions de travail pour un meilleur rendement. Les premières machi­ nes, encore imparfaites, allaient se perfectionnant avec la participation efficace des usagers eux-mêmes. Après le trac­ teur, le jeune paysan mis en goût acheta la faucheuse, puis la remorque pour le transport du foin, la semeuse, puis la moissonneuse. Il vendit alors les bœufs qui deve­ naient inutiles et changea l’étable en garage. Et du coup, sans aucun discours moral ou social, les conditions de vie elles-mêmes se trouvaient modifiées : le paysan gagna mieux sa vie avec moins de fatigue; il redressa l’échine et leva la tête. Juché sur sa machine, il prit l’air triomphant de l’homme qui est en train de se rendre maître de la nature autour de lui et qui trouve loisirs et temps de réfléchir à son destin, de siffler et de chanter aussi. Certes, la machine n’apporte pas automatiquement au paysan la libération dont il rêve. Elle lui procure du moins les conditions de base de cette libération. A lui de faire ensuite les efforts collectifs et personnels qui lui permettront de faire servir machine et technique à la culture, à ses profits, à l’amélioration de la condition pay­ sanne. Nous sommes partis, dans notre humble école de village, sur des données expérimentales analogues. Nous avons mis au point outils et techniques nouveaux. L’épreuve est décisive ; ou bien ces outils et ces techniques permet­ tent meilleur travail, plus grand rendement et sécurité et, automatiquement, sans propagande ni publicité spéciale, ils pénétreront dans les classes et y transformeront le climat et la vie; ou bien ils échouent, et la tradition se perpétuera. C’est parce que nos outils et nos techniques permet­ tent effectivement du meilleur travail, que leur succès est assuré. Aucune théorie hostile, aucune réglementation arbi­ traire, aucune interdiction ne sauraient empêcher une évo­ lution irréversible. On peut certes l’entraver et la perver­ tir en retardant ainsi le progrès. On peut l’aider et l’ac­ célérer, si la société elle-même prend conscience de la nécessité d’une modernisation de sa production et de sa culture. Il n’y a qu’une chose qui peut gêner et compromet­

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tre cette évolution : le manque de préparation des ouvriers à l’emploi de ces outils dans le cadre d’une technique sou­ haitable. Il ne suffit pas, en effet, de laisser faire. Le paysan ne tirera rien de ses machines s’il est brusquement livré à ses propres moyens en face de la nouveauté. Il a été habitué à soigner et à conduire des bœufs, au rythme des bœufs. La machine le déroute et l’effraie et cela se com­ prend. Mais, soucieux d’un bon départ, il ira prendre des leçons chez ceux qui, déjà équipés, ont su tirer avantages du nouvel outil. Le vendeur intéressé se mettra d’ailleurs à sa disposition pour une initiation au moins rudimentaire. Et, ce qui est mieux, des stages seront organisés par les services agricoles pour la pratique régulière des techniques modernes. Les progrès agricoles en seront accélérés. Nous souffrons plus encore que les paysans de ces difficultés d’initiation, parce que notre métier est le plus délicat et le plus difficile des métiers. Nous ne remuons pas la terre muette, mais la matière vivante avec laquelle nous ne pouvons pas nous permettre malfaçons et échecs. Le processus n’en restera pas moins identique. On a regardé avec scepticisme les premiers « illuminés » donner la parole aux enfants, manœuvrer la presse et sortir leur journal. Et puis, les plus audacieux ou ceux qui se trou­ vaient dans les conditions les plus favorables ont été « accro­ chés » à leur tour, et si la nouveauté leur paraissait ren­ table, ils l’introduisaient dans leurs classes. Mais beaucoup hésitaient, non sans raison. Ils voulaient être sûrs de ne pas faire fausse manœuvre. Ils voulaient voir par eux-mêmes, expérimenter, essayer. Pour les décider, il faudrait évidemment, si on juge l’expérience intéressante, envoyer sur place, auprès des indécis, un technicien itinérant qui éviterait aux novices les erreurs décourageantes, organiser stages et cours, en un mot donner sécurité et confiance. Ce sont là des démarches qui ne sont pas de toute faci­ lité car il faudrait aussi modifier la structure et l’organisation des classes pour que ces techniques, reconnues comme bénéfiques, puissent être généralisées, pour le progrès cons­ tant de l’éducation. C’est pourtant ce que nous avons tenté de faire. C’est précisément pour faciliter la marche de ce progrès que nous parlons, pour notre pédagogie,

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de « Techniques Freinet » et non de « Méthode Freinet ». La méthode, c’est un ensemble définitivement monté par son initiateur, qu’il faut prendre tel qu’il est, l’auteur seul ayant autorité pour en modifier les données. La mé­ thode Montessori en est un prototype. Elle est encore aujourd’hui ce qu’elle était en 1930, et c’est pourquoi elle est dépassée. Nous n’avons jamais eu la prétention de fixer un tel cadre, au contraire. Nous offrons aux éducateurs en dif­ ficulté dans leurs classes, des outils et des techniques longuement expérimentés qui sont susceptibles de leur faciliter le travail pédagogique. Nous leur disons : voilà ce que nous faisons avec ces outils, selon ces techniques, voilà ce que nous obtenons, voilà ce qui ne va pas encore, voici ce qui nous enchante. Peut-être ferez-vous mieux, auquel cas nous serons très heureux de bénéficier à notre tour de votre expérience. Les Techniques Freinet ne sont pas en 1965 ce qu’elles étaient en 1940 parce que de nouveaux outils et de nou­ velles techniques sont venus enrichir et faciliter notre travail. Elles ne seront pas en 1970 ce qu’elles sont aujourd’hui, si nous sommes en mesure de continuer, en­ semble, les progrès techniques indispensables. L’Ecole moderne n’est ni une chapelle, ni un club plus ou moins fermé, mais un chantier d’où il sortira ce que tous ensemble nous y construirons.

UN ESPRIT FREINET

Mais, nous dira-t-on peut-être, la pédagogie ne saturait se réduire à l’emploi plus ou moins justifié ou inconsidéré des outils, et les Techniques Freinet n’auraient certaine­ ment pas l’audience nationale et internationale dont elles bénéficient, si elles n’étaient que cela. Oui, il y a un esprit des Techniques Freinet, et nous le considérons comme essentiel. Mais cet esprit de­ vrait naître comme automatiquement de l’emploi de nos outils, si nous n’étions pas déformés au point de les employer à contresens. C’est une chose qui ne risque pas d’advenir au paysan non subjugué par sa technique. Il n’ira pas mettre sa faucheuse en marche dans un blé en herbe, ni lancer le tracteur dans le champ de blé mûr... L’emploi de la machine se fait conformément à l’expérience et au bon sens. Ce qui complique pour nous la question, c’est que les méfaits de la scolastique ont annihilé chez les éducateurs cette intuition directrice qui leur éviterait les erreurs. De ce fait, une initiation préalable est nécessaire pour éviter les déviations regrettables au cours d’une rééducation diffi­ cile dont on nous laisse pour l’instant la responsabilité. Une chose est du moins certaine : en changeant les techniques de travail, nous modifions automatiquement les conditions de vie scolaires et parascolaires; nous créons un nouveau climat; nous améliorons les rapports entre les enfants et le milieu, entre enfants et maîtres. Et c’est peut-être l’aide la plus efficace que nous apportons au progrès de l’éducation et de la culture. Les éducateurs restent cependant inquiets au moment d’entreprendre un changement qui modifie et leur état d’es­ prit et la pratique scolaire. Ils ont trop entendu dire que nous préconisons une totale liberté plus ou moins synonyme d’anarchie et ils se demandent s’ils vont, en nous sui­ vant, maintenir dans leur classe la nécessaire discipline. Rassurons nos collègues. Nous connaissons comme eux la nécessité d’une atmosphère d’ordre et d’équi­ libre et nous ne recommandons jamais des pratiques qui, en incitant au désordre et à l’anarchie, risqueraient

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de compromettre l’harmonie qui doit régner dans une classe digne de ce nom. Ce n’est pas nous qui avons lancé des mots d’ordre suspects de liberté inconditionnelle des enfants. La responsabilité en revient à des théoriciens sans enfants ou à des éducateurs exceptionnels, placés dans des conditions particulièrement favorables de travail et d'effectifs. Nous avons toujours eu des classes officiel­ les difficiles, avec toutes les limitations et les opposi­ tions que leur nature d’écoles publiques comporte. Nous avons eu longtemps contre nous les règlements et l’Administration, parfois même les parents, dominés par la han­ tise des examens. C’est dans ce complexe délicat que nous avons prudemment innové, non sur des principes mais sur les réalités de nos conditions de travail. Nous sommes donc partisans d’une discipline scolaire et de l’autorité du maître, sans lesquels il ne saurait y avoir ni instruction, ni éducation. Mais quelle forme d’autorité et de discipline nous re­ commandons, comment nous pouvons y parvenir, c’est ce qu’il faut préciser. Disons — en attendant les explications techniques qui suivront — que la vraie discipline ne s’institue pas du dehors, selon une règle préétablie, avec son cortège d’in­ terdits et de sanctions. Elle est la conséquence naturelle d’une bonne organisation du travail coopératif et du climat moral de la classe. L’expérience nous a montré que lors­ que la classe est bien structurée, quand les enfants ont tous, individuellement ou en groupe, un travail intéressant qui s’inscrit dans le cadre de la vie de la classe, nous parvenons à l’harmonie presque idéale. Il n’y a de désordre que lorsqu’il y a faille dans l’organisation du travail, lors­ que l’enfant n’est pas accroché par une activité qui répond à ses désirs et ses possibilités. C’est un des avantages majeurs de nos techniques de régler définitivement le pro­ blème de la discipline scolaire, en créant un milieu émi­ nemment éducatif et humain. Nous en marquerons l’évi­ dence au cours des pages qui suivent. Je conclurai cette trop longue introduction par une sorte de justification des principes qui y sont inclus : ces principes en effet ne sont pas restés de simples principes-

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pensées. Ils se sont changés en actes favorables à la grande masse des éducateurs devenus progressivement militants d’une pédagogie rénovée. C’est pour donner tout son bon sens à cette pédagogie que je m’étais orienté, dès le début, vers le travail coo­ pératif. Les quarante ans qui se sont écoulés depuis nos humbles essais de Bar-sur-Loup, ont vu éclore, sans nul doute, une des plus vivaces parmi les entreprises éducati­ ves de notre siècle — non pas tant par le chiffre des affaires traitées dans des conditions qui étaient toujours un défi aux plus élémentaires notions commerciales, mais surtout par la multiplicité des activités coopératives que nous avons animées : équipes de correspondance interscolaire; organisation du travail pédagogique permanent; création de l’école Freinet, école expérimentale de no­ tre mouvement pédagogique; cinq mille journaux scolaires paraissant régulièrement en France et à l’étranger; réalisation de la Gerbe, corevue d’enfants, et de la première revue d’Art enfantin; revues pédagogiques où se poursuivent les discussions coopératives; éditions diverses; expérimentation et production des outils nouveaux qui pénétreront bientôt dans toutes les écoles. Elise Freinet a raconté l’aventure de cette audacieuse et humble épopée collective, dans son livre : Naissance d’une pédagogie populaire » (Ed. de l’école moderne) (1) que nous recommandons à nos lecteurs car il est le livre des bonnes volontés et de l’action patiente, dans les don­ nées de la vie scolaire.

(1) Le présent livre n’entre pas dans tous les détails de nos techniques. Il vise d’abord, et surtout, à répondre aux questions que se posent et que nous posent les éducateurs et les parents, inquiets de la détérioration accélérée de la fonction éducative. Nous avons insisté un peu longuement sur l’origine de nos techniques, pour en faire comprendre les fondements et l’originalité.

II

La pratique des techniques Freinet

PHYSIONOMIE D’UNE CLASSE FREINET

Quelle est, en définitive, la physionomie d’une classe Freinet ? Comment s’y organisent la vie et le travail ? Avec quels outils et selon quelles techniques ? Les classes traditionnelles, axées sur des règlements Uniformes et une pratique scolaire dictée par le milieu scolaire et par la tradition, se ressemblent toutes, dans la disposition des bancs, la présence de la chaire, la tenue des cahiers, la pratique et le contenu des devoirs et des leçons, prévus d’avance par les programmes, les circulai­ res et les manuels scolaires qui les compliquent et les aggravent. La part du maître, et celle de l’enfant aussi, y sont réduites, ce qui ne veut pas dire cependant que dans ces données limitatives de l’initiative, un bon maître ne puisse faire une classe intéressante : il est des dons per­ sonnels qui auront raison des difficultés et limiteront d’au­ tant les dégâts d’une pédagogie péjorative. Cependant, c'est là l’exception. L’originalité des conceptions pédagogiques que j’avais faites miennes à Bar-sur-Loup, ce n’était pas simplement de donner à l’enfant un rôle actif dans la classe, de le faire devenir élément agissant dans l’acquisition des tech­ niques scolaires. D’autres avant moi avaient dit cela et les méthodes nouvelles mises en honneur en Angleterre et à Genève avaient bien avant moi affirmé cette nécessité de l’Ecole Active dont Adolphe Ferrière avait démontré magistralement toute la valeur. Parti seul à la recherche d'une méthode intégrée à la vie, j’avais abouti tout naturel­ lement à la découverte de l’Ecole Active. Non pas une Ecole Ative plus ou moins mystique, où le rôle de l’en­ fant agissant apparaissait comme un dogme et pouvait jus­

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tifier toutes les idéologies y compris les plus réactionnai­ res. Mais simplement j’avais abouti à une école vivante, continuation naturelle de la vie de la famille, du village, du milieu. C’est cette vie-là que je retrouve dans toutes nos écoles modernes. Les classes Freinet se ressemblent toutes dans leur fondement, dans leur allure générale et dans leur esprit. Mais, parce que fondées sur la vie de l’enfant dans son milieu, elles sont nécessairement diverses, selon ces milieux et ces enfants; différentes selon les âges, les saisons, l’as­ pect du pays, l’originalité des cultures et des travaux, avec tout à la fois cette part d’individuel et d’universel qui devrait être aujourd’hui une marque de culture et de civilisation. Elles sont comme de beaux jardins qui puisent dans un sol riche la même sève mais où s’épanouissent selon leur nature et leur fonction les légumes utiles, les arbres généreux et les fleurs de poésie et de beauté, aussi nécessaires parfois que les nourritures fondamentales. Parce qu’elle n’a pas cette base sûre dans la nature et la vie, l’école traditionnelle a institué pour chaque cas une pédagogie différente : il y a une pédagogie des écoles maternelles qui est étudiée comme si elle était autonome, nullement liée aux obligations scolaires des classes sui­ vantes et étudiée dans les revues spécialisées et dans les Congrès. Il y a une pédagogie des C.P., des C.E. et une des C.M. Il y a la pédagogie des Maisons d’enfants, des classes de perfectionnement et d’arriérés, et, évidemment, une pédagogie des C.E. G., du 2e degré et de l’éducation permanente. Tant et si bien qu’il faut, pour chaque catégorie péda­ gogique, une formation particulière des maîtres ayant des outils adéquats, et subissant des stages pour éducateurs. La spécialisation est à la mode. Elle est une nécessité de la science devenue si vaste que l’esprit, même le plus ouvert, ne peut en voir l’ensemble et doit se résigner à une vision de détail. C’est ainsi qu’il n’y a plus, comme autrefois, un médecin mais un cardiologue, un phtisiologue, un spé­ cialiste des nerfs, du foie, de l’estomac et des reins. L’édu­ cation a, elle aussi, des spécialistes qui se hiérarchisent afin de hiérarchiser les étapes scolaires, et qui voient chacun l’individu sous un angle spécial et agissent sur lui selon les règles de leur spécialité. Ainsi est brisé ce lien de continuité des existences qui

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fait que l’enfant d’hier était inclus dans l’enfant d’aujour­ d’hui qui se prolongera lui-même dans l’enfant de demain. C’est du point de vue psychologique une erreur grave et c’est aussi une erreur de méthode de ne considérer que des instants de la vie séparés les uns des autres, enfer­ més dans un conditionnement arbitraire. Une méthode, si elle est bonne, doit être valable dans toutes les classes et en tous lieux. N’auront à varier que certaines pratiques liées aux comportements des en­ fants selon les degrés, et aux nécessités scolaires. L’expression libre, la motivation du travail par le journal et es échanges, la création et l’expérimentation, les plans de travail et les brevets, l’entraide et la coopération sont va­ lables aussi bien à la maternelle qu’au deuxième degré, avec les retardés aussi bien qu’au C.E.G. C’est comme une pratique culturale qui a fait ses preuves sous tous les Climats, et qui n’en doit pas moins s’adapter au milieu, à la nature du terrain, au temps, et aussi aux récoltes qu’on prépare et qu’on espère. C’est ce fonds de valeurs communes, mises à profit par une technique générale, que nous allons tâcher de met­ tre en évidence. Nous redescendrons ensuite de ces généralités aux adaptations qui en sont faites, en donnant des exemples de travail chez les maternelles, dans les C.P. et C.E., au C.M. et en F.E. Nous montrerons les jardiniers à l’œuvre dans ce fonds commun à travailler pour faire s’épa­ nouir les plants et les fleurs, mûrir les fruits savoureux qui auront gardé leurs caractéristiques de terroir d’une part, de variété et de perfection d’autre part. Nous ne formons pas un homme préfabriqué, mais des hommes vivants et dynamiques.

NE PAS COUPER L’ÉCOLE DE LA VIE

Très souvent, au cours de mon travail pédagogique, l’école de mon enfance s’impose à mon souvenir. Nous arrivions par les rues et par les chemins, ivres de grand air, nourris de travaux qui avaient pour nous un sens profond, liés à notre vie présente et à venir, de jeux naturels et de chants d’oiseaux. Les soucis ? Ils nous sui­ vaient rarement. L’enfant en liberté au milieu de ses cama­ rades n’est jamais soucieux, sauf s’il est malade ou si des problèmes insurmontables le dominent. La vie l’accapare et le pousse en avant avec un optimisme confiant et pro­ metteur. Nous approchions de l’école. Les idées ne nous man­ quaient pas certes, et originales; les langues allaient bon train, avec subtilité et humour; les initiatives foisonnaient, bonnes ou mauvaises. Et puis, brusquement, la cloche son­ nait; elle produisait immédiatement comme un vide en notre être. La vie s’arrêtait là, l’école commençait : un monde nouveau, totalement différent de celui que nous vivions, avec d’autres règles, d’autres obligations, d’au­ tres intérêts, ou, ce qui est plus grave, une absence par­ fois dramatique d’intérêt. Nous comptions une dernière fois les billes dans nos poches, nous cachions une belle amonite découverte en chemin et que nous retrouverions à la sortie; il nous fallait chasser le chien qui nous avait suivis et qui était tout surpris de nous voir devenus anonymes dans les rangs et disparaître dans ce lieu retiré du monde dont toute vie était bannie. La porte se refermait. On disait autrefois la prière. On chante aujourd’hui, ce qui est moins austère mais n’empêche pas qu’un monde se soit fermé, et que s’impose un milieu qui ne nous est pas familier, qui ne se préoccupe pas de nous être fami­ lier, parce qu’il prétend nous donner des « richesses » que nous ne soupçonnons pas, et que nous ne saurions trouver ailleurs : l’instruction et la science. Dans certaines classes, on a peut-être atténué cette coupure entre la vie et l’école, par une mise en train qui est effectivement un progrès, mais qui n’est qu’exception­ nelle; elle ne s’inscrit pas dans le cadre de la classe

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qui reprendra bien vite ses droits en imposant ses techni­ ques particulières : les leçons et les devoirs, avec comme outils principaux les manuels scolaires. Or, la tare essentielle de la leçon, c’est d’être admi­ nistrée par le maître qui sait, ou prétend savoir, à des élèves qui sont censés tout ignorer. Il ne viendrait à l’idée de personne de penser que l’enfant, avec ses expé­ riences propres et ses connaissances diverses et diffuses, a lui aussi à renseigner le maître. Il y a là une erreur péda­ gogique, que d’aucuns pourront pallier par une ingénio­ sité qui leur est personnelle, mais qui n’en marque pas moins puissamment tous les systèmes scolaires. Nous ajou­ terons d’ailleurs que nul — maîtres ou enfants — n’aime être considéré comme ignorant; tout être humain veut con­ naître et progresser, mais par des voies plus efficaces et qui lui sont personnelles. Le manuel scolaire a cette autre tare supplémentaire qu’il fixe noir sur blanc, et pour toutes les régions, ce que les enfants doivent apprendre ou faire. Il apporte la science froide — même si on essaie de la réchauffer arti­ ficiellement par des procédés dont seuls les éducateurs sont dupes —, impersonnelle, anonyme. Elle s’adresse non à l’homme enfant, mais à l’écolier qui est déjà comme un être désincarné, qui ne réagit plus en enfant, mais en écolier. Quel que soit l’intérêt des textes présentés ou des exercices proposés, il n’en reste pas moins qu’ils ne sont qu’accidentellement accrochés à l’être intime, et qu’ils font de ce fait barrage à la vie dont nous disons la nécessité éducative. Et nous préciserons enfin, pour éviter tous ma­ lentendus, que notre anathème vise non pas les livres, dont nous ne dirons jamais assez les vertus, mais les livres à usage de Manuels Scolaires pour l’étude et le travail scolaire, « digests » sans horizon, spécialement écrits compte tenu des programmes et des examens. Nous ne disons pas d’ailleurs que le manuel scolaire pris en lui-même soit forcément condamnable et mal fait. Il est aujour­ d’hui des manuels bien présentés, de lecture agréable et dont le contenu est offert sous une forme parfois même attrayante. Ce qui est critiquable, c’est l’usage qu’on en fait. C’est l’obligation de ne proposer à l’élève, à cha­ que élève, que cette unique part congrue, contenue dans les mêmes pages, dispensée sous la même forme, alors

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que les aptitudes personnelles, l’intelligence, la compré­ hension des enfants sont si diverses et si nuancées. Prenons ces mêmes manuels. Au lieu de munir les élèves de trente livres semblables pour chaque discipline, plaçons ces livres — à exemplaire unique — et d’autres encore, dans notre bibliothèque de Travail, de façon à avoir une plus ample documentation présentée sous un esprit différent et changeons la technique d’emploi des livres. Ce sera plus rationnel et plus profitable. Associons le manuel à toute la documentation que nous pourrons mettre à la disposition de l’enfant et le manuel remplira son rôle humain et pédagogique.

L’ENTRÉE EN CLASSE

C’est la vie que nous allons retrouver et cette retrou­ vaille sera l’événement décisif de notre pédagogie. Les premiers contacts seront non de formalisme et de crainte, mais de naturelle camaraderie. L’instituteur est là, l’enfant oubliera peut-être de le saluer. Il a mieux à lui offrir. Il a dans son sous-main un texte rédigé la veille, un poème ou un dessin, ou bien il porte religieusement dans une boîte entrouverte un gros nid aggloméré de chenilles processionnaires dont il a exa­ miné la marche dans la forêt. Peut-être sa poche est-elle lourde de fossiles ou grouillante de hannetons. Il a d’ailleurs très souvent des nouvelles importantes à donner et qui ne peuvent pas attendre parce qu’elles sont la vie. On entre en classe, sans aucun de ces préparatifs paramilitaires de mise en rang et de marche au sifflet, car on a hâte de commencer le travail, tellement la jour­ née est prometteuse. C’est la vie qui entre en classe avec les enfants, pour y être enrichie et magnifiée. Peut-être, si les circonstances y prédisposent et si le talent du maître peut y pourvoir, aurons-nous une courte conversation morale qui vise à une sorte de prise de cons­ cience individuelle et sociale. Mais la vraie morale ne sera pas là. C’est le processus lui-même de notre travail commun et de notre vie qui porte en lui son enseignement moral, intuitif et explicite. Dix minutes ensuite de mise en train collective : les responsables vérifient que tous les élèves disposent des outils indispensables, et que tout est en place pour le tra­ vail. Nous avons placé devant chaque élève une feuille 21 X 27 pour le dessin libre que chacun exécute à son rythme pendant que deux ou trois élèves, désignés à tour de rôle, viennent lire à leurs camarades un texte soigneu­ sement préparé la veille, ce qui constitue pour eux un excellent exercice de lecture motivée et une occasion de culture pour toute la classe silencieuse. Nous apportons en commun à ce premier travail un certain nombre d’amé­ nagements. Mais comme il se peut que, malgré le soin que l’élève apporte à lire, ses camarades ne soient pas suffi­

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samment intéressés pour rester immobiles, et que nous ne voulons pas leur faire, d’autorité, croiser les bras, nous les laissons libres de choisir une activité silencieuse — dessin, recherche de documents, rédaction d’un texte d’actualité — ce qui ne les empêche pas d’écouter et de lever une tête attentive dès que le texte les intéresse. Ne vous récriez pas trop contre une telle pratique. Elle sévit dans les conférences pédagogiques où les ins­ tituteurs trop passifs ne s’arrêtent pas de griffonner sur leur sous-main, quittes eux aussi à s’arrêter pour écouter quand le sujet traité concerne leurs soucis majeurs. Nous avons constaté en effet que l’enfant, comme l’adulte, peut fort bien dessiner et écouter. Ecouter distrai­ tement direz-vous, peut-être, mais du moins sous cette forme subconsciente dont les psychanalystes ont révélé la portée. De plus, le dessin matinal est un excellent exercice car il est libération intime et entraînement à l’expression graphique selon des normes absolument personnelles. Quand la lecture est finie, nous examinons tous en­ semble les dessins réalisés et nous choisissons, ensemble, les deux meilleurs qui seront placés dans le Livre de Vie de la classe dont nous allons parler, ou qui seront même gravés sur lino pour tirage à l’imprimerie, ou sur stencil pour tirage au limographe. Il faut également considérer cette lecture matinale sous un aspect particulier. Il ne s’agit pas de placer l’en­ fant devant ses camarades pour faire la preuve qu’il sait lire ou qu’il ne sait pas lire et, dans ce cas, l’affliger en conséquence d’une mauvaise note — pratique essentielle­ ment scolastique. L’enfant doit au contraire réussir. A nous de l’y aider : — en le conseillant la veille pour le choix d’un texte à sa mesure, en utilisant pour cela les nombreux manuels scolaires de lecture que nous avons dans notre bibliothèque de travail (1) et qui conviennent fort bien à cet usage. (1) Il y a dans toutes les classes ou dans toutes les écoles, une Bibliothèque de lecture avec notamment romans, albums et livres pour enfants. Nous conseillons à nos lecteurs de constituer en plus dans leur classe une Bibliothèque de travail comportant tous les livres que nous jugeons aptes à aider au travail de leurs élèves : manuels scolaires, livres documentaires de diverses collections et surtout notre collection Bibliothèque de travail qui, avec ses supplé­ ments, compte aujourd’hui plus de sept cent cinquante brochures illustrées du plus grand intérêt.

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— en l’aidant ou en le faisant aider par un camarade plus expert, à comprendre le texte choisi. — en nous tenant à ses côtés pendant la lecture, pour le soutenir discrètement, lui souffler les mots difficiles, veil­ ler à ce que ses camarades ne fassent pas de bruit si l’imperfection technique ne les encourage pas à écouter. Et si l’enfant peine trop, nous prendrons tout simplement le livre en mains pour continuer ou terminer la lecture, afin qu’il n’y ait pas total sentiment d’échec... On fera mieux une autre fois. Ce souci de réussite, on le retrouvera d’ailleurs, comme une toile de fond, tout au long de ces pages, pour la pratique de toutes nos techniques. Il est exacte­ ment à l’opposé de toutes les méthodes traditionnelles pour lesquelles toute faute doit être sanctionnée parfois jusqu’à l’humiliation, seuls étant dignes de réussir les élèves particulièrement doués, qui en tirent d’ailleurs avan­ tage et vanité. Le maître semble alors n’avoir comme principal rôle que de constater les échecs et les infractions, et les répri­ mer pour que l’individu se corrige et s’améliore. Rien n’est plus déplorable, pédagogiquement. C’est ce que démontre notre théorie du tâtonnement expérimental qui est à la base de toute notre pédagogie (1) : l’acte réussi, comme l’eau qui trouve enfin une faille libératrice, laisse une trace qui appelle automatiquement la répétition de l’acte; l’échec constitue au contraire un barrage psychique qui, comme le fil électrique autour du pâturage, décourage d’avance tou­ tes les initiatives nouvelles similaires. Ne laissez jamais échouer vos enfants; faites-les réussir, en les aidant s’il le faut par une généreuse part du maître. Rendez-les fiers de leurs œuvres. Vous les mènerez ainsi au bout du monde. Ce parti pris de réussite ne signifie nullement que nous soyons persuadés, comme Rousseau, de la bonté originelle de l’homme. Nous savons seulement qu’on n’amé­ liore jamais l’individu en l’abaissant moralement et psy­ chiquement au spectacle de ses faiblesses et de ses échecs, mais en l’encourageant toujours à mieux faire, en orga(1) C. Freinet, Essai de psychologie sensible, Editions Delachaux et Niestlé.

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nisant autour de lui le travail et la vie, en tablant sur ses possibilités, seraient-elles les plus modestes. Dans les petites classes — maternelles et enfantines — si la lecture individuelle n’est pas encore possible, nous donnerons par contre une place primordiale au dessin qui est défoulement psychique et expression. Le dessin rem­ placera même souvent, à ces degrés, le texte libre oral : quand les enfants ont dessiné, la maîtresse passe à côté d’eux et se fait raconter les dessins exécutés. Elle ins­ crit même sur la feuille les éléments essentiels du récit. Non pas que l’enfant nous révèle toujours exactement ce qu’il a voulu exprimer. A l’origine, il ne s’aventure jamais avec un parti pris décisif : je vais dessiner telle chose! Il exprime sa vie, souvent brumeuse et chaotique, où les élé­ ments se chevauchent et l’explication a posteriori qu’il donne n’est, la plupart du temps, qu’une expression psy­ chanalytique qui affleure par le dessin et qui continue son chemin. L’essentiel pour nous, c’est que l’enfant, au lieu d’être réprimé et refoulé par les règles inhumaines de l’école, puisse s’exprimer et se libérer (1). Ainsi s’amorce une technique désormais classique : le texte libre.

(1) On pourra lire à ce sujet notre livre : Méthode naturelle de dessin et nos genèses : Genèse de l’homme, Genèse des oiseaux, Genèse des autos, Genèse des maisons, Genèse des chevaux, aux1 Editions de l’Ecole Moderne.

TEXTE LIBRE Un texte libre, c’est, comme son nom l’indique, un texte que l’enfant écrit librement, quand il a envie de l’é­ crire, et selon le thème qui l’inspire. Il ne saurait donc être question d’imposer un sujet ni même de prévoir un plan destiné à ce qui deviendrait alors comme une sorte d’exer­ cice de texte libre, et qui ne serait en définitive qu’une rédaction à sujet libre. Mais si l’enfant, dira-t-on, n’a aucun sujet à traiter, s’il ne sait pas quoi dire et n’a donc aucune envie d’écrire, il faut bien trouver un moyen scolaire, plus ou moins coer­ citif, pour l’y contraindre ? On retourne toujours ainsi à la scolastique. Il ne suffit donc pas de laisser l’enfant libre d’écrire, il faut lui donner l’envie, le besoin de s’exprimer. Et c’est pourquoi le vrai texte libre ne peut naître et éclore que dans le nouveau climat de libre activité de l’Ecole mo­ derne. Si le texte libre — oral ou écrit — est naturel et spontané avec des enfants non encore marqués par les pra­ tiques scolaires d’immobilisme, il n’en est malheureusement pas de même avec ceux qui sont déformés par les méthodes traditionnelles scolastiques. De tels élèves n’ont effective­ ment pas d’idées, ou plutôt celles qu’ils ont à foison, comme tous les enfants, ne parviennent pas à franchir les interdits de l’école. Ils en sont réduits aux clichés habituels d’une langue impersonnelle et narrative. Même avec l’imprimerie, même avec les correspondants, il y a une « réacclimata­ tion » à faire. Il faut que l’enfant devienne sensible aux motivations que nous lui apportons, qu’il comprenne que ce qu’il a à dire importe désormais à sa vie, à la vie de la communauté, au sein de laquelle il doit dès à présent jouer un rôle d’homme. Cette prise de conscience qui inclut en elle des don­ nées individuelles et collectives ne saurait s’acquérir par des explications, si éloquentes soient-elles. C’est l’expé­ rience de la vie qui, là encore, sera décisive. Trop souvent, hélas! ce n’est ni à l’expérience ni à la vie qu’on a recours, mais à la tradition. La scolastisation de nos techniques reste le plus grave des dan­ gers. Changer les procédés de travail reste toujours la chose la plus difficile.

LA PART DU MAITRE

Un certain nombre de collègues, encore non dégagés de l’esprit de l’école traditionnelle, ont l’habitude de « ra­ masser » chaque jour, pour correction, les textes libres, comme ils ramassent devoirs et rédactions. Ce sont eux qui, le lendemain, décident quels sont les bons textes, et quels sont ceux qui mériteraient l’imprimerie. C’est là, à peine déguisée, la vieille pratique du contrôle par l’au­ torité du maître avec les abus de cette autorité qui, si facilement, glisse vers le despotisme ou la tyrannie. Rien n’est plus déplorable. Réfléchissez à ce que deviendraient vos rapports avec votre propre enfant si sans cesse votre jugement venait contrecarrer le sien, si vous le rabrouiez à tout instant pour l’imperfection de son langage ou le né­ gligé de sa présentation. Il revient d’une sortie enthou­ siasmante et il calcule déjà, en secret, ce qu’il devra dire en arrivant à la maison pour vous faire participer à sa joie. Il en oubliera bien sûr toute formule de politesse. Ce n’est pas là pour lui l’essentiel. Il rentrera sans frapper et d’un trait, dans l’enchantement qui le secoue, il racontera les événements majeurs de la journée, en un français éclatant de vie, mais, évidemment, assez peu acadé­ mique. Si, rabattant cet enthousiasme, vous grondez : — D’abord, sois poli. Ressors et tu frapperas... Mainte­ nant attends qu’on t’autorise à parler et choisis tes mots !... L’enfant obéira mais il aura compris : à l’avenir il ne vous dira que ce qu’il sait être à votre convenance. Il calculera sa présentation, choisira son langage pour que rien ne choque et n’attire de votre part reproches et com­ mentaires désobligeants et il restera secret, refermé sur lui-même. Il en est de même à l’école. Si vous trouvez trop à redire à l’enfant parce qu’il a mal écrit, sur un papier maculé, qu’il n’a pas revu ses phrases, choisi ses mots, si, pour finir, vous mettez une note qui, d’un coup, ra­ baisse son enthousiasme, le charme est rompu. Avec de telles pratiques vous aurez peut-être des rédactions sco­ laires appliquées; vous n’aurez pas de textes libres. Cela ne veut pas dire d’ailleurs, que vous deviez lais-

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ser l’enfant libre d’écrire n’importe quoi et n’importe com­ ment. Tout élève sait très bien qu’un travail bâclé n’ap­ pellera pas les suffrages de ses camarades. Nous avons d’ailleurs, à notre portée, des moyens qui sauvegardent tout à la fois la liberté d’expression de l’enfant et les progrès nécessaires à une forme et à un contenu d’ex­ pression de plus en plus difficile. Il va de soi que la con­ duite à tenir dépend de l’âge des élèves et du degré at­ teint dans l’acquisition des techniques d’expression. Avec les débutants, nous sommes satisfaits quand ils peuvent mettre bout à bout un certain nombre de lettres qui prennent un sens puisque nous les comprenons. Par exemple ceci : jié jsi a léa la pomnad jié vu un ouaso (Je suis allé à la promenade. J’ai vu un oiseau.) Il faut bien nous garder de décourager le jeune au­ teur en lui reprochant : — Illisible! Apprends à écrire avant de vouloir faire un texte!... Mais au contraire : — C’est très bien! Tu vois, j’ai compris. Tu sais écrire maintenant. Continue et tu feras des textes comme les grands. Ces progrès, l’enfant les fera immanquablement, par tâtonnement expérimental, par l’usage que nous allons opé­ rer de ces premiers écrits. Il progressera plus vite encore si nous avons la possibilité de nous asseoir à côté de lui de temps en temps, pour l’aider dans ses textes, comme sa maman l’a aidé pour l’acquisition de ses premiers mots. Et, de semaine en semaine, l’expression écrite de la pen­ sée deviendra pour le débutant un travail de plus en plus agréable et profitable. Avec des élèves plus âgés, nous ferons comprendre que le premier jet d’un texte peut être repris pour être perfectionné et rendu ainsi plus présentable. Contrairement à ce qui se pratique à l’école tradi­ tionnelle, il n’est pas interdit du tout à l’enfant de se faire aider : par un élève plus âgé, par une grande sœur ou par le maître. On dira peut-être « mais l’enfant s’ha­ bituera ainsi à ne rien faire et vous arriverez au résultat

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opposé à celui que vous attendiez ». C’est comme si la maman se mettait en peine et craignait que son enfant marche toujours à quatre pattes parce que d’instinct elle le prend par la main pour lui faire faire les premiers pas, ou qu’il prononce toujours les mêmes mots en petit nègre parce qu’elle amorce avec lui, de très bonne heure, une conversation affectueuse. L’enfant chez qui on a ainsi préservé le besoin inné de grandir et de monter, utilise toutes les aides qui s’of­ frent à lui. Mais il n’accepte pas les béquilles et les re­ jette dès qu’il se sent assez fort pour s’en passer.

L’ENFANT RACONTE-T-IL N’IMPORTE QUOI?

Il y a certes, dans la vie de l’enfant, des événements fortuits qui l’étonnent, le troublent, l’émeuvent ou l’enchan­ tent, et qu’il éprouve comme un brûlant besoin de racon­ ter à ses camarades ou aux adultes : la naissance d’un petit chien, une partie de pêche, une belle excursion, un jeu familier. Mais il n’y a pas tous les jours de tels évé­ nements. Comment l’enfant comblera-t-il les vides ? Ra­ contera-t-il n’importe quoi, ou n’aura-t-il effectivement plus rien à dire ? Cela serait si notre technique de travail n’était in­ corporée et imbriquée dans la vie elle-même de l’enfant, dans son milieu. Par nos techniques, en effet, nous pros­ pectons en permanence ce milieu, et pas seulement arti­ ficiellement, par besoin scolaire, mais pour honorer les pos­ sibilités montantes de la personnalité enfantine, pour sa­ tisfaire aussi aux demandes des lecteurs de notre journal et aux questions de nos correspondants. C’est à une véri­ table étude du milieu que nous nous livrons en perma­ nence, étude vivante, sans aucun dogmatisme, à même la vie. Pour satisfaire à nos enquêtes, pour répondre à nos camarades, l’élève de chez nous devra prospecter autour de lui, interroger les parents, les vieux du village et du quartier, s’enquérir sur les données du milieu économi­ que, examiner les vieilles pierres, ressusciter les coutu­ mes, mieux connaître les montagnes, les rivières et les cultures, étudier les insectes et les animaux, etc. Dès que le complexe est déclenché, une infinité de pistes s’ouvrent à notre curiosité et à notre action; les sujets de textes abondent dans tous les domaines, il n’y a vraiment que l’embarras du choix. On commence à regarder et à raconter ce qui se passe autour de soi. Et puis un jour, on ferme les yeux, on écoute les bruits de la forêt toute proche, le chant des oiseaux, le crissement des cigales, le hullulement de la chouette. On s’essaye à saisir au passage le flot plus

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ou moins conscient des idées et des sentiments, et le poème éclôt. Il est l’extériorisation de ce qui est en l’enfant, de ce qui l’agite d’émotion, le fait rire ou pleurer, peuple ses songes et lui procure des sensations inexprimables, mais qui sont pourtant ce qu’il sent en lui de plus pré­ cieux et d’irremplaçable. A cette profondeur, le texte li­ bre est tout à la fois confession, éclosion, explosion et thérapeutique. Voilà, en bref, un aperçu des richesses que vous ap­ portera le texte libre dès que vous aurez ouvert les van­ nes et rétabli les circuits.

CHOIX DU TEXTE

Normalement, vous aurez tous les jours, dans votre classe, de 7 à 12 textes libres. Si vous ne parvenez pas à ce rythme, c’est qu’il y a quelque chose qui ne fonc­ tionne pas bien dans votre technique d’emploi, c’est que vos élèves ne sont pas encore intégrés à l’atmosphère de sympathie et de travail de la classe. Il faudra, en consé­ quence, repenser les problèmes de base qui, sur le plan individuel et social, lient l’école à son milieu. Mais abordons l’exploitation du texte libre : Un élève, désigné d’avance, passe au tableau et ins­ crit la liste des textes présentés, avec le nom de leur auteur. Alors commence le moment psychologique où s’en­ trechoquent les récits, où s’affrontent les idées, où chaque lecteur prend conscience de la valeur des autres textes avec lesquels il entre en compétition. L’auteur lit de son mieux naturellement, car il tient à mettre en valeur sa propre production. Il lui arrive de corriger à la lecture une phrase qu’il sent boiteuse et incomplète. S’il hésite devant un mot illisible, ce sera pour lui une bonne leçon : il comprendra que la correction de l’écriture n’est pas à dédaigner et qu’un texte bien écrit est nécessaire­ ment mieux lu qu’un texte gribouillé et indéchiffrable. Il sera parfois regrettable qu’une déficience de lec­ ture, conséquence d’une mauvaise préparation ou d’une écriture déplorable, handicape irrémédiablement des tex­ tes qui peuvent avoir une réelle valeur humaine ou docu­ mentaire. Dans ce cas, le maître alors intervient. Il lit lui-même le texte afin qu’on puisse vraiment juger sur pièce authentique. Les textes lus, il s’agit de savoir lequel aura les honneurs de l’imprimerie. Seulement, attention! l’innovation essentielle de nos techniques, c’est que ce choix ne doit pas être fait par les enfants eux-mêmes, mais par la communauté, dont le maî­ tre est participant. Il se peut justement, que ce choix ne donne pas satisfaction au maître : les enfants ont décidé selon leur optique à eux, leur optique de vies d’enfants; vous avez tendance, vous adulte, à juger en fonction de

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considérations scolaires : tel texte non choisi aurait fait pourtant un si splendide centre d’intérêt, pour lequel les documents abondent; un autre aurait amorcé une enquête profitable dans le milieu local géographique ou économi­ que. Le texte élu ne permettra qu’une exploitation péda­ gogique très restreinte... A votre point de vue, il y a maldonne. Mais ce texte non pédagogique a d’autres pouvoirs : il apporte la vie, l’audience des enfants, l’élan et l’enthou­ siasme. Laissons aller, tout le reste suivra. Mais, direz-vous, comment opérer ce choix si l’opi­ nion du maître n’est plus prépondérante ? Il n’y a évi­ demment qu’un moyen : le vote démocratique avec majorité absolue au premier tour, majorité relative au second tour, le maître prenant part au vote au même titre que ses élèves. On vote donc une première fois. Mais la majorité absolue n’est obtenue que dans certains cas très nets, quand le texte produit catalyse pour ainsi dire les sen­ timents et les émotions de la masse des élèves. La plu­ part du temps les voix sont plus ou moins disséminées. Alors, on élimine du vote au second tour les textes qui n’ont pas eu de résonance et on n’opère le choix qu’entre les textes qui ont suscité un minimum d’intérêt. Le choix sera alors circonscrit. Si, même à ce second tour, la majo­ rité est indécise, on revotera pour choisir entre les deux textes en balance. Aucun formalisme dans cette pratique du vote. Il ne s’agit pas d’imiter les adultes, mais de trouver le moyen le plus simple pour que le texte adopté soit celui qui a le plus de chance d’intéresser en profondeur l’ensemble des élèves, donc le plus utile au point de vue formatif et culturel. Le texte est donc désigné : nous le relisons pour en apprécier l’ensemble avant de passer à la mise au point collective. Nous pourrions prendre le texte tel qu’il est, en nous contentant de le transcrire au tableau, après une correction orthographique et syntaxique élémentaire. Cer­ tains collègues s’y sont essayés prétendant mieux respec­ ter ainsi la spontanéité enfantine. Nous croyons que c’est une erreur, car pour originale que soit la personnalité de l’enfant, elle reste élémentaire, globale, alors que tout natu­ rellement la culture l’appelle. Cette montée vers la culture,

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sous sa forme humaine ou scientifique, se fait tout sponta­ nément. L’essentiel est que l’enfant ait à la base le senti­ ment de ses propres richesses, bien à lui, à la portée sans cesse de son élan. La part du maître, c’est de sentir cet élan, d’aider plus ou moins intuitivement parfois, plus ou moins objectivement dans certains cas, à libérer les émo­ tions, les connaissances encore prisonnières. C’est comme un raffinage nécessaire dont nous donnerons des exemples dans la partie pratique de cet ouvrage. Pour nous résumer nous dirons : le texte libre n’a de valeur qu’autant qu’il est document authentique, qu’autant qu’il est socialisé, qu’autant qu’il est prétexte et ar­ gument d’un enrichissement vers la culture et la connais­ sance.

L’ORGANISATION MATÉRIELLE DE L’ÉCOLE

Le problème du rendement, en matière d’enseignement, est lié à celui de l’équipement scolaire. La modernisation de cet équipement commande donc, dans une certaine mesure, toute amélioration du rendement de notre système éducatif. Mais, moderniser l’équipement scolaire ce n’est pas seulement acquérir un matériel nouveau. De même, pour moderniser l’enseignement, il ne suffit pas d’essayer de faire participer davantage les élèves à l’ensemble des le­ çons et exercices, ni même d’organiser des coopératives, d’éditer un journal et de pratiquer la correspondance interscolaire. Ce faisant, nous n’aurions progressé qu’en surface si rien ne devait être changé dans la conception même d’une école où le maître resterait le Deux ex ma­ china sans lequel rien ne saurait fonctionner. II faut un changement profond dans les fondements pédagogiques, psychologiques et humains de l’enseigne­ ment pour arriver à une nouvelle organisation et à un nou­ vel esprit de la classe. Pour faire la preuve qu’un changement dans l’orga­ nisation et l’esprit de la classe est toujours possible, je ne saurais mieux faire que de rappeler mes premières inno­ vations de Bar-sur-Loup, alors que déjà, dans mon école, l’emploi de l’imprimerie nous avait fait sentir, aux enfants et à moi-même, la nécessité d’un changement radical dans nos activités scolaires. C’est Elise Freinet qui, dans Naissance d’une péda­ gogie populaire, retrace ce point de départ d’une rénova­ tion nécessaire qu’exige un outil nouveau : « Une école où l’enfant est dans la nécessité d’évo­ luer librement doit répondre à certaines exigences d’ins­ tallation pratique qui évite le désordre et la dispersion. « Freinet rêve (rêver ne coûte rien...) de tables mo­ biles, de chaises pliantes, de bibliothèques enfantines, de vitrines, d’aquariums, de métiers à tisser, et de petits ate-

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liers débouchant dans la salle commune, sans portes, dans lesquels les élèves pourraient s’installer à leur gré. Mais le rêve est loin de la réalité. « Alors, tout simplement, pour être tout à fait au niveau de l’enfant, pour vivre sa pensée et vibrer avec sa propre émotion, Freinet fait un acte qui restera un sym­ bole : il enlève l’estrade qui lui donnait un inutile pres­ tige et pose son bureau à même le sol, contre les tables de ses gamins. L’estrade ? Avec quatre pieds solides il en fait une table robuste pour l’installation du matériel d’imprimerie. En-dessous, il fixera une étagère destinée à recevoir papiers et imprimés : et voilà l’atelier d’imprime­ rie. Il dispose au mieux des vieilles tables-pupitres, sacri­ fie les plus vétustes qu’il transforme en tables d’exposi­ tion avec dessus horizontal; il se procure de vieux bancs, pose des étagères au mur, modernise son vieux placard, mais, à son grand regret, il ne peut abaisser les hautes fenêtres de prison pour les mettre à la hauteur de l’en­ fant. « La classe a maintenant un aspect nouveau : on y respire mieux, on y travaille avec plus de facilité et d’en­ train. Il manque cependant dans cette petite classe si bruis­ sante d’activité un quelque chose d’artistique qui vienne compléter l’atmosphère poétique qu’éveille çà et là le spec­ tacle des beaux paysages que le maître fait admirer à ses élèves au cours des promenades et qui continue cette réa­ lité sensible incluse dans les poèmes que le jeune éducateur improvise pour les enfants. « Il ne faut pas songer à un quelconque théâtre sco­ laire. Point musicien, ne chantant pas, trop fatigué pour faire improviser des saynettes, Freinet se rabat sur cette distraction de tout repos, le cinéma. « La mairie consent des crédits pour l’achat d’un Pathé-Baby et un photographe de Grasse offre les films récréatifs et éducatifs pour une location très modeste. Dès lors, le travail scolaire s’entrecoupe, à bon escient, de petits instants de détente qui allègent la tâche du maître tout en donnant à l’enfant une occasion d’évasion et de rêve, car rêver est toujours utile. L’achat de disques vient compléter l’ambiance de culture et le dessin libre, très tôt instauré, donne à cette petite classe une originalité qui contraste avec la classe du directeur où l’autorité de l’a­

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dulte et la passivité de l’enfant apparaissent comme un ana­ chronisme flagrant (1). » Les choses sont aujourd’hui plus simples, les inno­ vations moins héroïques car nous avons forgé, au long des années, grâce à la coopération de nombreux camara­ des, des outils aptes à remplir les fonctions pour lesquelles ils ont été créés, aptes aussi à augmenter le rendement dans les diverses disciplines et à alléger les soucis du maître (2). Entrons donc dans le détail de l’outillage de l’école moderne : il n’est pas tombé du ciel, il n’est pas venu atterrir dans nos classes de pionniers par simple mode pédagogique; il s’est imposé lui-même, ainsi que nous l’a­ vons vu, dans l’équipement d’une classe rénovée : un ou­ til en appelle un autre, d’un meilleur rendement. Ainsi, jour après jour, s’affirme la cohésion d’une pédagogie de l’expérience dominée par la recherche et le doute cons­ tructeur, comme une chaîne que chaque nouveau maillon consolide. Car inlassablement, aujourd’hui comme hier, nos ou­ tils sont mis à l’épreuve, dans notre Ecole Freinet expé­ rimentale, d’abord, puis dans les classes de nos camara­ des les plus curieux et les plus audacieux. Et c’est à la suite de cette expérimentation que nos techniques sont adoptées ou rejetées des circuits scolaires comme inopé­ rantes ou factices. L’imprimerie à l’école, par ses résonances scolaires, sociales, humaines, a appelé tout naturellement la corres­ pondance interscolaire, lien logique entre les milieux dif­ férents qui s’interpénétrent et s’expriment par l’imprimé, les enquêtes, les reportages, l’histoire, la géographie, le calcul, le folklore, toutes disciplines qui changent de visage dans des pratiques scolaires rénovées. La richesse des documents glanés dans les enquêtes, celle appelée par l’exploitation toute naturelle des centres d’intérêt, imposaient une documentation mobile, toujours à portée de la main, d’où la mise en train des fichiers scolaires divers, appelés à s’enrichir sans cesse. D’où bien (1) Elise Freinet, Naissance d’une Pédagogie Populaire, Edition de l’Ecole Moderne, Cannes (A.-M.). (2) Voir catalogue Ecole Moderne, Cannes (A.-M.).

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sür la proscription des manuels scolaires en tant que ma­ nuels, mais dont le contenu, sélectionné, choisi, découpé, recollé sur fiches, devenait élément favorable de fichiers allant s’enrichissant. D’où les B.T. (Bibliothèque de tra­ vail), véritable encyclopédie enfantine, de caractère scien­ tifique et culturel, qui reste l’un des éléments les plus dé­ monstratifs d’un esprit nouveau dans les perspectives d’un modernisme qui s’impose à un rythme accéléré. La relative indépendance de l’enfant vis-à-vis du maî­ tre entraîne un travail individualisé dont le texte libre reste la forme essentielle et auquel les fichiers autocor­ rectifs apportent un outil nouveau en mettant à la portée de l’enfant l’acquisition des mécanismes de base selon une gradation naturelle et grâce à un entraînement systématique. Les fichiers autocorrectifs de calcul et de grammaire libèrent le maître et les enfants des répéti­ tions stériles de la scolastique. Ce matériel, qui n’est pas bien encombrant, exige cependant un minimum de place. Faute de quoi le rende­ ment risque d’être inférieur à ce qu’on peut légitimement attendre. Aujourd’hui, hélas! peut-être plus encore qu’à l’époque de nos premières innovations, le problème des espaces vacants à l’intérieur des classes se pose avec acuité. Certes, l’outillage, de mieux en mieux adapté à l’ac­ tivité des enfants, aurait un rendement maximum dans des salles de classe spécialement agencées pour les rece­ voir. Nous avons mis au point plusieurs projets dans ce sens que nous avons soumis en vain à la toute-puissance des architectes scolaires! En attendant que nos vœux aient été exaucés, dites-vous bien que dans toute classe où sont remplies les conditions d’hygiène exigées par la loi (lumière, air, cubage, mobilier moderne) l’installation d’une école moderne est possible. Avec aisance et à pro­ pos, l’initiative du maître supplée aux insuffisances des espaces libres et donne à la classe une physionomie pro­ pre à l’utilisation des outils que nous proposons (1). Et c’est ainsi qu’on voit surgir tout au long des murs, dans les coins, dans le couloir si nécessaire, les divers ateliers (im­ primerie, limographe, gravure, peinture, poterie, docu­ mentation diverse, etc.), qui sollicitent les initiatives, ap(1) Voir les pages de la partie pratique.

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pellent les activités précisées chaque matin par le maître au moment de la répartition du travail pour la journée. Nos meilleures écoles modernes, celles qui ont ap­ porté à notre mouvement les expériences les plus riches et les plus authentiques, ont été et sont encore d’humbles écoles de village construites selon des plans qui ont plus d’un demi-siècle. C’est dire que l’un des avantages les plus appréciables des Techniques Freinet, c’est justement la facilité de leur emploi dans un local qui n’exige aucune installation préalable coûteuse à inscrire sur les budgets communaux. On peut dire que les Techniques Freinet sont main­ tenant à la portée du budget d’une coopérative scolaire bien gérée et que leur facture en serait aisément couverte par les crédits Barangé, si toutefois ces crédits tombaient dans la tirelire de la classe au lieu de servir de complé­ ment de financement à la construction scolaire. Le seul véritable obstacle à la modernisation de l’é­ cole dans son outillage, sa pratique pédagogique et son esprit, c’est incontestablement la surcharge des effectifs scolaires. Que faire dans une classe de 35, 40, 50 élèves ? Que faire dans une salle de maternelle de 80 élèves ins­ crits, serait-elle la mieux équipée et la plus commodément construite ? Aucune méthode n’est dans ces conditions réel­ lement « productive », et la scolastique la plus autori­ taire est appelée à rendre les armes. La seule tactique pos­ sible est d’empêcher les dégâts les plus cuisants, par tous les moyens improvisés ou qui déjà ont fait leur preuve. Inlassablement, notre mouvement d’Ecole moderne a mené campagne pour un allègement des effectifs scolai­ res. C’est en 1955-1956 que nous lançions le mot d’ordre : 25 élèves par classe, repris aujourd’hui par tous les orga­ nismes soucieux de l’avenir de l’école publique. Notre Congrès d’Aix-en-Provence, en avril 1956, en avait fait le sujet de ses débats, et notre campagne de revendication auprès de l’Administration, des syndicats et des Associa­ tions de parents d’élèves a fini par gagner l’opinion pu­ blique. « 25 élèves par classe », c’est maintenant le mot d’ordre d’une continuelle campagne des membres de l’en­ seignement et des associations de parents d’élèves.

UN ORDRE NOUVEAU BASÉ SUR LES PLANS DE TRAVAIL

L’Ecole traditionnelle a ses plans de travail dé­ finis de l’extérieur, et souvent de Paris, par les ma­ nuels scolaires, les programmes et les horaires. L’ins­ tituteur établit la veille dans son journal de classe le déroulement heure par heure, dix minutes par dix minutes, de tous les travaux du lendemain. C’est une solution. Elle a pour elle d’imposer à l’école une technique minutieuse, qui se prétend par­ fois même établie scientifiquement, qui donne bonne conscience aux instituteurs et à leurs chefs, et aux pa­ rents aussi. Il n’y a qu’un ennui : cet arrangement du dehors convient-ils aux enfants ? Le travail se fait-il ainsi dans de bonnes conditions ? Le rendement est-il valable ? Dans leur souci de fonder toute l’activité des élè­ ves sur leurs besoins, leurs intérêts et leur vie, un certain nombre d’éducateurs ont supprimé horaires et programmes. Ils ont laissé trotter leurs enfants devant eux. S’ils avaient suffisamment de possibilités, de talent et de génie pour les suivre en les aidant à se réaliser ou en les devançant parfois, ce serait la for­ mule de l’école idéale, telle que nous la souhaitons tous. Mais les génies sont rares. Dans la réalité de nos classes, nous peinons tous à organiser le travail vivant de nos élèves. Des outils nouveaux, des tech­ niques sont à trouver, à expérimenter, à mettre au point. Ce sont ces techniques et ces outils que nous nous appliquons plus spécialement à faire connaître et à mettre à la portée de tous les éducateurs. Au lieu de fixer d’avance, autoritairement, le travail scolaire des enfants, nous allons le préparer le lundi, tous en­ semble, avec nos plans de travail. Pour faire comprendre le sens et la portée d’une organisation préalable, dépendante des programmes, entrons dans le jeu d’une classe qui, dès la rentrée d’octobre, va travailler selon des plans de travail préé65 Freinet : Les Techniques. — 3

tablis. Il s’agit de la classe de notre camarade Nadeau à Azur (Landes).

Comment j’organise le travail dans ma classe Il est, je crois, nécessaire, avant de parler de cette organisation du travail, de présenter ma classe en ce dé­ but d’année scolaire. J’ai 22 élèves : 12 C.M. 1 et 2 et 10 C.F.E. Milieu très rural, Azur a 337 habitants. Les outils de travail : collection de B.T., fichier scolaire coopératif, fiches-guides, fichiers autocorrectifs, collections de vues his­ toriques et géographiques, bibliothèque de textes d’au­ teurs, boîtes électriques, filicoupeurs, pyrograveurs, etc. Les tables sont disposées afin que tous les outils soient très accessibles. Cette énumération peut paraître fastidieuse, mais il est inutile de proposer à l’enfant un plan de travail si l’on ne met pas à sa disposition les outils et la documen­ tation qui lui sont nécessaires. Aujourd’hui, lundi 6 octobre, nous avons vraiment commencé à travailler. Pendant les trois premiers jours, nous nous sommes installés; nous avons tout rangé, tout revu, tout classé : les B.T., les fichiers. Le Bureau de la Coopérative est élu, les responsabilités distribuées, les tables luisent, les outils sont prêts, tout est en ordre. Sa­ medi déjà, nous avons tenté un premier texte libre, mais il y a eu dans la journée des temps morts; ça ne tournait pas rond et j’ai eu le bonheur d’entendre mes grands ré­ clamer leur plan de travail. Il est tellement entré dans la vie de la classe qu’il est devenu un besoin. Sans lui, ils ne savent pas combler les vides. Je dis « le » plan de travail, mais en réalité il y en a de quatre sortes : — le plan général; — les plans annuels; — les plans hebdomadaires; — le plan quotidien. Les deux premiers, ce sont les guides que j’ai éta­ blis avant le début de la classe et auxquels nous nous reporterons à chaque instant, en particulier lorsque nous établirons nos plans hebdomadaires et journaliers. Ces deux derniers sont les outils véritables que nous établissons coopérativement.

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LE PLAN GÉNÉRAL

Ce plan est en quelque sorte la nomenclature de ce que Freinet appelle les « activités fonctionnelles » de l’en­ fant, nées du travail qu’il accomplit ou voit accomplir. Il ne s’agit pas de recenser des centres d’intérêt qui grou­ pent les connaissances à faire acquérir, mais les actions que l’enfant évoquera dans ses textes ou qui seront à la base des questions qu’il posera. Ainsi l’automne, pour l’enfant, ce n’est pas ce que l’on a coutume d’évoquer : la chute des feuilles, le temps qui se rafraîchit, les beaux jours qui s’éloignent, etc. L’au­ tomne avant tout pour lui, c’est le terrain pour la chasse aux alouettes, qu’il faut monter et où il passera ses jeudis, à l’affût; les feuilles qu’il ratisse et fait brûler; le maïs qu’il ramasse; les champignons qu’il cueille, etc. Autant d’actions qui, en cette saison, le passionnent. L’intérêt né, il faudra trouver rapidement la docu­ mentation nécessaire à son exploitation. D’où l’impor­ tance de ce plan général qui permet, sans perte de temps, de se procurer les B.T., fiches, gravures, etc. Pour l’établir, je me suis fortement inspiré des modèles donnés par Freinet, que j’ai adaptés, augmentés de tout ce qui est particulier à notre région. En face de chacune des questions de ce plan général se trouve le numéro correspondant de la classification dé­ cimale qui nous renvoie à un fichier spécial où sont clas­ sées diverses sortes de fiches : — fiches plan d’exploitation montrant les diverses pos­ sibilités qu’offre le sujet : enquêtes, travaux manuels; — fiches récapitulatives où sont portés les documents que nous possédons sur la question; — fiches pour la chasse aux mots; — fiches-guides pour certains complexes d’intérêt et leur exploitation en histoire, géographie et sciences. — fiches préparation pour les leçons magistrales car, il faut bien le dire, j’en fais encore quelques-unes! Tout cela, encore une fois, préparé et classé afin de saisir au vol l’intérêt de l’enfant et de pouvoir l’ali­ menter sans perte de temps; tout cela, hélas, encore bien incomplet ou mal adapté à ses besoins réels. 67

Ce fichier est, à mon point de vue, extrêmement important. En plus de l’économie de temps, il permet de corriger les erreurs commises lors d’une précédente exploi­ tation, d’orienter différemment le travail de l’enfant lors­ que revient le même complexe d’intérêt. C’est un travail de longue haleine toujours incomplet, toujours imparfait, toujours remanié, mais qui devient vite indispensable. LES PLANS ANNUELS

A côté de ce plan général, j’ai mes plans annuels. Ceux-ci sont tout simplement le relevé de tout ce que nous devons avoir vu obligatoirement à la fin de l’année en calcul, grammaire, histoire, géographie, sciences, etc. En quelque sorte, les programmes. J’ai pour cela un cahier dont j’ai divisé les pages en cases, chacune de ces cases étant réservée à une question du programme. Ceci est donc une sorte de répartition annuelle, mais l’or­ dre dans lequel sont inscrites ces questions n’a rien de strict. Sauf en histoire, où j’avance suivant l’ordre chro­ nologique, dans toutes les autres matières, je respecte avant tout l’intérêt de l’enfant. Ainsi cette année, en calcul, nous avons commencé très traditionnellement au C.M. 2 et en C.F.E. par les grands nombres, les quatre opérations. Comme nous n’a­ vions pas encore démarré en calcul vivant nous n’avions rien de mieux à faire. Mais à la réception du premier courrier de nos correspondants, nous avons décidé de leur faire le plan de notre classe. Il a bien fallu apprendre ou revoir comment utiliser les échelles; cela terminé et puis­ que déjà ils nous parlaient de notre projet de voyageéchange, nous avons pris les indicateurs et, en ce mo­ ment, nous sommes plongés dans les nombres complexes, les mesures de distances. Peut-être ensuite parlerons-nous des vitesses... Tout cela nous mène aux quatre coins du programme. On sent tout de suite la nécessité d’un guide. Com­ ment nous y retrouver ? Comment, ensuite, en cours d’an­ née, savoir exactement où nous en sommes ? Au fur et à mesure qu’une question a été traitée, je noircis la case correspondante de mon plan annuel et je date. Je la noircis plus ou moins suivant que je la juge 68

plus ou moins bien acquise par mes élèves. Chaque fois que je serai amené à en reparler, je noircirai une autre partie de la case et je daterai. Lorsque je consulte mon plan, je sais exactement et très rapidement ce qu’il me reste à voir, ce qui est encore mal acquis et je puis donc diriger mes efforts en conséquence. Ce plan me sert donc de guide et... de conscience, car il me rappelle à cha­ que instant que, malgré tout, j’ai des programmes à sui­ vre. Mes élèves, et plus particulièrement les candidats au C.E.P. prennent copie de ces plans et, comme moi, en noir­ cissent les cases. Ils y tiennent particulièrement et savent me faire remarquer : « Mais, monsieur, on a encore tout ça à voir... » Ces plans nous sont encore fort utiles le lundi ma­ tin, lorsque nous établissons nos plans hebdomadaires : souvent nous avons amplement de quoi travailler, mais parfois aussi nous manquons d'ouvrage. Qu’allons-nous faire ? Après l’agenda où sont notées toutes les questions qui sont restées en suspens faute de documentation, nous consultons les plans annuels et nous puisons dans les cases restées blanches.

III

D’une classe à l’autre

Après ces généralités nécessaires, entrons dans la pratique pédagogique des techniques Freinet, en donnant des exemples précis de classes fonctionnant selon les nor­ mes favorables ou défavorables à la mise à l’épreuve de notre pédagogie d’Ecole moderne. Nous entrerons ainsi dans les aspects divers de la pratique scolaire que nous préconisons et nous en sentirons d’emblée la portée édu­ cative. Il nous suffit pour cette démonstration de puiser dans les collections de notre revue L’Educateur, organe de travail, de critique, de mise à l’épreuve inlassable de nos outils, de nos méthodes.

A L’ÉCOLE MATERNELLE

Nous donnons ici, en exemple de réussite, la petite école de Saint-Cado (Morbihan) qui pendant quelque dix ans a eu le privilège de conserver la même éducatrice passionnée par son métier, riche d’expé­ rience éducative.

A l’Ecole maternelle de Saint-Cado Avant la rentrée. J’attends 25 petits de 2 à 6 ans. Le local est prêt. Les murs sont lavés, le plancher ciré, les tables propres. Il faut les peindre. 71

Les tables. Les petites tables et chaises individuelles sont groupées face au tableau pour le travail collectif du matin. — 10 d’un côté pour les 5 à 6 ans (grands). — 10 de l’autre pour les moyens (4 à 5 ans). — Les bébés se contentent des deux tables collecti­ ves au fond de la classe. — Les armoires, étagères, tables' d’ateliers perma­ nents sont tout autour, le long des murs. Les ateliers permanents. Le bureau de la maîtresse est dans un coin pour gagner de la place. On y trouve le pot de fleurs, les crayons, stylos à bille, crayons de cou­ leur, ciseaux, couteau, des chemises pour recevoir le travail de choix en dessin libre. La table d’imprimerie est solide, à la hauteur des coudes. Sur la table, la presse est fixée avec des vis. La casse est relevée à 45° au moins. Sous la table, une grande étagère de la surface de la table qui recevra : — les composteurs, les bois interlignes, les encres, les chiffons, la brosse, le flacon d’essence en matière plastique, le tout à ranger dans des petites boîtes en carton. — la plaque à encrer; — le paquet de journaux pour le séchage des feuilles; — les rouleaux. Il faut visser un piton fermé au bout du manche et suspendre à une planchette sous la table. Si on peut, il faut préférer des tiroirs à l’étagère. Sinon, on installera des rideaux en nylon pour cacher. (La pâte Arma pour les mains est prévue au lavabo.) L’atelier de peinture est constitué par une table longue au fond de la classe. Huit enfants y peuvent tra­ vailler en même temps. Elle est protégée par une jolie toile cirée ou par du gerflex. Le matériel de peinture. Une caisse à croisillons avec ses 20 pots de yaourt, 20 pinceaux gros et moyens, les sachets de poudre, un pichet pour l’eau claire, la cuvette et l’éponge. Des papiers de différents formats : 1/4 et 1/2 feuilles canson pour commencer, et le bloc d’échantillons de tapisseries. Sous la table, 1 ou 2 étagères pour matériel et papiers. La table d’expériences. On y trouve la balance et les poids; l’aquarium et le vivarium. 11 reste la place pour

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exposer ce qui vient du dehors et le colis des corres­ pondants. Le castelet est dans un coin. Des fils de nylon sont tendus autour de la classe, contre les murs : — sous le tableau pour le texte de lecture; — sur un mur, à la portée des enfants qui y épin­ glent leurs travaux journaliers, achevés ou à terminer; — sur un autre mur, pour l’exposition des travaux à la fin de la semaine. Le mur du fond de la classe reste très beau, avec quelques chefs-d’œuvre des années précédentes. A l’entrée, le calendrier éphéméride et le panneau qui recevra les numéros. Les tables rondes des bébés servent pour le mode­ lage, le découpage et le dessin libre. Pour le modelage : de la pâte à modeler d’une seule couleur (beige) et de l’ar­ gile humide dans une soupière. Les autres ateliers. Pour le travail aux ateliers sup­ plémentaires de l’après-midi, on a groupé, avant deux heu­ res, les tables individuelles : — encre de Chine au pinceau; — craie d’art; — crayons de couleur; — marionnettes ou marottes. Pour le rangement. J’ai deux armoires : une pour le matériel préparé, une autre pour classer à mesure les travaux. On peut avoir des étagères, mais assez larges. Le matériel préparé comprend : papier blanc de tous formats pour dessins libres (circulaires, factures, bulletins de vote, papier duplicateur)... — un cahier à dessin non ligné destiné à l’écriture des textes libres; — un cahier de calcul pour les grands; — du papier pour l’imprimerie; — les livres de vie (grands seulement). Pour l’encre de Chine, j’ai du papier à affiches peu coûteux, un 1/2 litre d’encre de Chine et 4 flacons moyens vides. Pour le découpage, les ciseaux à bout arrondi sont tous dans une boîte. J’ai 8 petits pots de colle et la réserve de colle, les papiers de couleur, les chutes de papier et cartons d’imprimerie. 73

Pour la craie d’art, la boîte normale, le papier à grain blanc et couleur. Pour les beaux dessins, un bloc de papier à lettres blanc et 4 très bons crayons de couleur (rouge, noir, bleu, vert). Voilà pour commencer. L’armoire vide et les dossiers. Où ranger les premiers travaux? Comme je n’ai pas de casiers individuels, je range tout très soigneusement dans l’armoire, et tout dans les dossiers. J’ai vidé une armoire de tout son fatras de tampons caoutchouc, jeux éducatifs, vieilles choses... C’est toujours difficile de se séparer de tout, mais il faut une armoire complètement vide (je ne m’y suis décidée qu’au bout de deux ans). Il faut préparer de nombreux dossiers. Voilà pour démarrer. Je suis tranquille, à l’aise. On va pouvoir travailler. Les enfants qui vont arriver seront eux aussi à l’aise dès le premier jour.

La correspondance interscolaire à Saint-Cado Dans la même petite école maternelle de SaintCado, assistons à l’arrivée d’un colis, événement émou­ vant de la correspondance entre écoles. Matinée de travail ordinaire, motivée cependant pour le calcul, la lecture, l’écriture, l’imprimerie, par l’arrivée à l’école de dix coquilles Saint-Jacques apportées par Ma­ rie-José : les coquilles Saint-Jacques étaient vivantes dans le panier de papa. Marie-José. A 2 heures arrive Suzette : — Mon père dit qu’il y a un colis à Belz pour les petits enfants de l’école maternelle de Saint-Cado. On y pensait depuis 8 jours. On file à Belz le cher­ cher, à 5 heures seulement. Encore un peu de place dans la voiture pour le colis, un colis énorme de Haybes (Ar­ dennes), le premier de l’année, venu par la gare, tout re­ couvert de dessins. 75

Les enfants le traînent de leur mieux en classe, tous autour, ou devant ou derrière : au colis... au colis... Même intonation que pour les berniques, les arai­ gnées, passant par nos petits chemins, pour être vendues. Ils le déficellent tous ensemble, fiévreux, heureux. Tant de choses! friandises, peintures, des bateaux, des soleils, un magnifique coussin de jute jaune, décoré de bateaux, pour la chaise de la dame. On se partage le nougat. On expose le travail, on range le tout sur la petite table du coin cuisine, garnie en vrai cette fois. Très vite, on fait le plan du colis ré­ ponse. Il faut remplir la grande boîte. On a en caisse les 5 F de cotisations pour l’expédition. Dans le colis on mettra : des friandises, bien sûr ; des coquillages de la côte : palourdes, berniques, huîtres, bigorneaux, régados; des coquillages jaunes pour colliers; des coquilles Saint-Jacques; des grandes moules des côtes d’Irlande; du vieux filet; des lièges; du goémon; des petites fleurs de jardin, nos dernières; des camélias; le mimosa sera peut-être fleuri; quelques-unes de nos grandes peintures réussies en novembre par les grands, et puis tout le travail de l’après-midi. C’est-à-dire : 1. A la peinture : les grands décident de se mettre ensemble pour parler de Saint-Cado. Prennent forme : la chapelle, les petites maisons, les pots de fleurs, les ba­ teaux, la mer. 2. L’album des coquilles Saint-Jacques par MarieJosé. Elle racontera simplement par le dessin l’histoire de son papa qui les a pêchées au chalut sur les côtes d’Irlande. Caty veut bien l’aider. Toutes deux veulent faire des monotypes. Elles installent seules leur matériel : cha­ cune sa plaque de verre, une rouge et une bleue; chacune 76

sa plaque à encrer, son rouleau (en bleu et rouge avec très peu d’encre). Je leur laisse de belles feuilles blanches. Elles racon­ teront ensuite. 3. L’album des étoiles de mer dansant sur la mer d’Angleterre, par Robert. Celui-ci ne s’arrête plus de danser, avec ou sans musique, dans tous les coins, à tous les moments, depuis que nous montons le jeu dramatique de Noël. Il va poursuivre son idée, et tout raconter aux correspondants, sur plusieurs feuilles, des grandes vertes, des grandes roses, à l’encre de Chine, au pinceau ou au morceau de bois taillé. 4. Le quai de Saint-Cado, par trois autres qui veu­ lent dessiner aux crayons de couleur : six belles feuilles blanches, les crayons les meilleurs, bien taillés. Ils font très vite, très bien. 5. Ceux qui restent me demandent des papiers de cou­ leur pour leurs bateaux, toujours leurs bateaux, sous tous les temps, sur toutes les mers. On pourra tout réunir, ceux d’aujourd’hui et de demain, ceux d’avant, avec tous leurs jolis noms et un peu de leur histoire à chacun. Avant de ranger, et pendant le travail des enfants, j’ai pu noter directement sur les six feuilles dessinées, au stylo à bille noir, le texte simple de l’histoire des coquilles : 1. Dix coquilles Saint-Jacques J’ai amenées ce matin à l’école. 2. Papa est arrivé hier soir Avec son panier à la maison. 3. Le voilà en pêche sur les côtes d’Irlande dans son bateau le « N.-D. de Bethléem ». 4. Dans son filet Il a pris dix coquilles Saint-Jacques. 5. Vivantes dans le panier de papa toutes roses parmi les poissons gris elles ne voulaient pas que je les touche. 6. Papa les a préparées au four, c’était bon. Marie-José (4 ans) et Caty. 77

Je note encore le texte du quai de Saint-Cado, ina­ chevé, à poursuivre, demain, dans le même atelier. Suzette, en attendant que sa peinture sèche, termine l’illus­ tration de son album : Mémé Louise a perdu son coq. A 4 heures : Avant de danser, rangement des diffé­ rents travaux en cours. A 5 heures : Partage du colis. Mardi 3 décembre : A 2 heures : Au colis!... Au colis!... Ils arrivent, entourés de lièges magnifiques, aux gris bleutés, rongés par le sel de la mer. Le pépé de Sylvie arrive aussi, il en a dans un sac. Marie-Rose nous amène tous les coquillages que l’on peut pêcher à la côte. Les mamans disent qu’il faudrait quand même joindre quelques friandises. De 2 à 4 heures : Grande course aux ateliers de tra­ vail. Tout se termine : les peintures, les bateaux, le quai de Saint-Cado, la pêche aux ormeaux, les huit couvertures des albums sur bristol blanc, sur papier rose, sur papier jaune, illustrées à la peinture en gris et jaune, à l’encre ou aux crayons de couleur, la nouvelle idée de Ro­ bert : « Le petit cheval des arbres aux cheveux bleus. » Et puis, chaque grand raconte sa peinture : Robert, seul, toute son histoire d’étoile de mer, jolie, légère, que nous saurons retenir pour le jeu dramatique de Noël. Il reste à mettre en page ces deux albums (dessins repassés à l’envers au fer chaud, recollés sur une feuille de papier blanc, le texte écrit en regard ou sous chaque dessin). On exposera le colis demain matin. Les mamans pourront tout voir à midi. Il s’en ira jeudi. Hortense Robic.

SECTION ENFANTINE, COURS PRÉPARATOIRE ET ÉLÉMENTAIRE

Dans un village du Jura, où exerce un ménage d’instituteurs à deux classes géminées, voici comment Mme Belperron organise sa classe comprenant S.E. C.P. C.E. 30 élèves! J’ai 30 élèves! 30 petits êtres différents, à qui il faut faire la classe, 30 élèves qui voudraient m’ac­ caparer tous à la fois, 30 élèves qui veulent leur part de mon amitié, de ma compréhension, 30 élèves de 5 à 8 ans. Quelle maman arriverait à se tirer d’affaire et sans faire de jaloux, sans aucune aide ? C’est pourtant ce tour de force que nous devons réaliser dans nos classes. 30 élèves, pour moi, c’est beaucoup! Dans la me­ sure de mes moyens, je veux que, dans ma classe, ils se développent sans heurt, qu’ils franchissent toutes les étapes des divers apprentissages à leur propre rythme et qu’ils s’habituent à cette vie communautaire qui est le début de la vie en société des hommes et des femmes qu’ils seront demain. — N’est-ce pas, madame, que Michèle n’a pas le droit de faire ça puisque ça m’embête ? me disait un jour Yves. Bien sûr, Yves, tu as droit au calme, pour travail­ ler, aussi. Pour arriver à cette paix, à cette tranquillité indispensables pour faire du bon travail, voici comment je me suis organisée : J’ai partagé mon effectif en deux groupes : 1er groupe, C.E.; 2e groupe, C.P., S.E. L’un travaille seul, pendant que je m’occupe de l’autre, et les activités artistiques étant intégrées à toutes les autres activités qu’elles complètent, les enfants ne sont jamais inoccupés. Si je sais doser mon temps de part et d’autre, j’entends rarement ces pieds qui remuent et ce bruit exaspérant qui part on ne sait d’où, qui s’amplifie petit à petit et qui devient si vite fatigant pour le maître comme pour l’élève, ce bruit qui veut dire que le travail donné est fini et que les enfants n’ont plus rien à faire ou qu’ils ne savent pas s’occu­ per seuls. 79

Voici donc l’emploi du temps de chaque lundi : Mon premier groupe, les élèves du C.E. écrivent sur un cahier spécial leur texte libre et l’illustrent. Ils utilisent la moitié de la page. Cela occupe les enfants une demi-heure, demi-heure qu’ils consacrent à une recher­ che personnelle en français et en dessin, deux recherches souvent différentes, car il est très rare que l’illustration corresponde au texte et, si cela arrive, c’est tout à fait fortuitement ou bien ce n’est pas toujours une réussite, car l’enfant suit son propre rythme pour chaque activité. Ses tâtonnements sont parfois plus longs dans un appren­ tissage que dans un autre. Aussi le cahier comprend-il toute une série d’illustrations à peu près identiques : pe­ tites filles, oiseaux, sous des textes très différents. Mais l’important est que l’enfant s’exprime librement et que la page ainsi conçue ne perde rien de sa valeur et de sa qua­ lité artistique. Le texte est chose vécue, l’illustration est imagination, travail décoratif. Le soir, sur la moitié de chaque page qui m’est ré­ servée, je recopie chaque texte, toutes les deux lignes, sans fautes d’orthographe et en français correct. Le mardi matin, chaque enfant retrouve son cahier, recopie sur la ligne intercalaire son texte revu et cor­ rigé, puis il le lit et le relit, tout en portant son attention sur la graphie correcte des mots, tant et si bien qu’il le sait bientôt par cœur et peut le reproduire de mémoire. C’est ce qu’il fait sur son « cahier du jour » (dictée d’un nouveau genre, sans le secours d’un « dicteur »). Je donne quelques conseils pour les dessins « celui-ci conviendra pour un tapis, celui-là fera une très belle pein­ ture, cet autre une belle décoration d’assiette » car toutes ces activités artistiques ont droit de cité dans ma classe, mieux même, y occupent la première place. Je reviens au lundi matin. Pendant que mon C.E. écrit et dessine, je suis avec mon deuxième groupe qui, lui, apprendra à lire par la méthode naturelle chère à Frei­ net. Chaque enfant me raconte sa petite histoire, les bavards ont appris à se limiter, car les seize enfants de ce groupe doivent pouvoir, l’un après l’autre, parler. D’ailleurs, les camarades sont heureux d’écouter ces histoires. Nous corrigeons oralement les mauvaises tournures, le patois, 80

et quand chacun a parlé de ses jeux et de ses occupations, de sa petite vie, nous choisissons parmi ces textes celui qui aura les honneurs de l’imprimerie. Je l’écris au tableau sous cette forme Hier mon papa a fait deux silos de betteraves Marie-Hélène. Nous comptons les lignes et un élève va chercher le nombre de composteurs nécessaires. Puis j’encadre les mots silos et betteraves et j’écris en rouge s et b, deux let­ tres que ma S.E. apprendra aujourd’hui : s comme silo b comme betterave Puis, nous relisons plusieurs fois le texte, nous repas­ sons en rouge les lettres, les sons connus. Ensuite, les petits de la S.E. s’entraînent à faire des s et des b puis ils vont chercher de petites feuilles de papier blanc mises à leur portée, sur lesquelles ils pourront dessiner librement. Ils rangeront ces petites feuilles dans un classeur et nous les agraferons par dizaines. Que de fois, certains jours, faudra-t-il compter pour savoir si l’on peut avoir sa dizaine agrafée. Le C.P., lui, copie sur le « Livre de Vie » le texte écrit au tableau et, bien entendu, l’illustre à la plume et au crayon de couleur, dessin et écriture étant intimement liés. Durant le même temps, à tour de rôle, ils vont composer une ligne de texte. Mon deuxième groupe étant occupé, je reviens à mon premier; chaque élève vient lire son texte; nous choi­ sissons le plus intéressant que nous mettons au point sui­ vant une technique maintenant universellement connue, Puis, ce texte est copié et illustré sur le Livre de Vie pen­ dant que l’un après l’autre les élèves le lisent. C’est très fastidieux d’entendre lire toujours la même chose, sans rien faire soi-même; comme cela, écriture et lecture vont ensemble et tout se passe dans le calme. 81

Voici maintenant l’emploi du temps pour le mardi : Pendant que mon premier groupe C.E. recopie son texte fait le lundi et l’étudie en vue de la dictée, je suis avec mon deuxième groupe qui fait son texte libre écrit et illustré, sur sa demi-page de cahier. Moi, assise à mon bureau, j’attends que le premier fini m’apporte son cahier. J’écris alors son histoire qu’il me « lit » lui-même (je ne peux encore la lire moi-même en ce début d’année, sauf sur quelques cahiers des élèves du C.P.) et l’enfant va la recopier. Je suis, pas à pas, ces premiers griffonnages, puis les premiers essais d’écriture, puis j’aperçois les pre­ mières lettres qui se glissent dans le graffiti puis, un beau jour, l’élève, radieux, m’apporte son cahier et, cons­ cient d’avoir enfin trouvé la clé de l’énigme de la lecture, anxieux tout de même, attend que je la lise moi-même! C’est une minute très émouvante pour moi. Cet enfant sait lire et je suis heureuse, autant que lui. Alors les progrès sont rapides pour celui-là à partir de ce moment, bien qu’il ne puisse encore déchiffrer un texte inconnu; il sait s’exprimer désormais par l’écriture, c’est ce qui compte pour lui. Il règne dans la classe une atmosphère de confiance et d’amitié qui évite tout cri, tout énervement qui nuise au comportement de l’enfant, ce qui est important. L’enfant est occupé suivant ses besoins, il aime écrire, il aime lire ; la meilleure preuve, c’est qu’au cours des récréations, la classe recommence et bien souvent, je m’édu­ que en les voyant me parodier. Que de dessins, allez-vous dire ? Mais écrire et dessi­ ner ne partent-ils pas d’un même besoin de s’exprimer et n’est-ce pas préférable aux innombrables copies qui occupent les enfants, sans aucun but éducatif ? Tant de coloriages usent les crayons, chaque table a sa boîte et c’est le fait du maître que de tailler, chaque soir, tous ces crayons. Il y a d’autres occupations libres dans ma classe en plus du dessin; la lecture d’abord et les soins aux poupées : poupées que j’ai faites avec des morceaux d’étoffe de la grandeur d’un mouchoir; fait du maître encore, ce travail supplémentaire, mais ces poupées ne coûtent rien et les petits doigts malhabiles de mes « cinq ans » savent les habiller en fixant robes, manteaux et tabliers à l’aide 82

d’anneaux élastiques. Elles servent quelquefois de marion­ nettes. Il y a aussi, pour l’instant, les tapis brodés à la laine blanche sur de la toile de jute de couleur et rehaussés de points de décoration parfois très fantaisistes. Notons aussi la peinture libre, activité possible malgré l’effectif, pourvu que tout soit minutieusement prévu et que deux élèves, choisis parmi les plus habiles aident à la distribution du matériel. Enfin, les contes inventés et joués par les enfants. Nous vivons pleinement nos six heures de classe, et nous sommes heureux, élèves et maîtresse. La jalousie, l’envie, le ressentiment, les haines cachées et tenaces, tout ce que l’école traditionnelle baptise émulation, n’ont pas cours dans ma classe, car les notes et les classements y sont inconnus et l’on a autre chose à faire que de passer son temps à comparer, à consigner en chiffres les qualités et les défauts, les déficiences et les réussites, plus ou moins dues au hasard, des uns et des autres. Nous vivons, nous nous aidons mutuellement, nous admirons sou­ vent et, bien sûr, nous réprimandons quelquefois. Non, je ne fais pas de classement. Avez-vous essayé de classer des objets différents de formes, de couleurs, de valeur artisti­ que ? Je compare mes enfants à ces objets ; aussi, j’ai le plaisir de les voir s’entraider. L’autre jour, Michèle m’ap­ porte un superbe dessin, que je ne reconnais pas pour être le sien. « C’est Edith qui m’a montré à le faire », me dit-elle. Edith elle, a compris comment on faisait les addi­ tions à retenues, lorsque sa voisine le lui eut expliqué... bien mieux que moi. Je n’hésite pas à donner aux enfants de longues récréa­ tions les jours de soleil, à leur apprendre à se moucher. J’in­ terdis absolument les bonbons. Il n’y a que des pommes et des oranges dans leurs petites poches. Si une journée de vent, annonciatrice de pluie, les énerve trop, nous n’essayons pas de poursuivre un travail qui ne rendra pas, nous chantons, nous jouons la comédie. Mais, pour conduire une classe de trente élèves, il faut une excellente santé. Ce que je fais maintenant, je ne suis pas sûre de pouvoir le continuer et je n’ai pas tou­ jours pu le faire. Il ne faudrait pas trente élèves, c’est un maximum, c’est absolument la limite à ne pas dépasser.

DANS UNE ÉCOLE GÉMINÉE DE VILLAGE

C’est au village, dans un milieu local naturel et riche d’activités liées au renouvellement des saisons, c’est dans un groupe scolaire aux classes géminées que les techniques Freinet ont un rendement maximum. J. et L. Bourdarias, instituteurs à Moustoulat de Monceaux-sur-Dordogne (Corrèze), nous donnent ici, sous une forme schématique, l’organisation méticuleuse de leur classe adaptée à 100 % au renouveau pédagogi­ que obtenu par l’emploi des Techniques Freinet, dans une classe C.M.-F.E.

Plan de classe Commentaires du plan LA CLASSE

1. Une large estrade d’où le bureau du maître a dis­ paru pour donner plus de solennité aux réunions de la coopérative, pour servir de scène au théâtre libre, monter le castelet du théâtre de marionnettes. Matériel fourni par le C.E.L. (1) B.E.N.P. (2) sur tous les sujets. 2. Tableaux muraux verts à volets bien à portée des enfants pour qu’ils puissent, dans la mesure du possible, y rédiger eux-mêmes leurs textes libres, résumés d’enquê­ tes, etc. Collection B.E.M. (3) (n° 3 le texte libre). 2 bis. Panneau d’affichage de la Coopérative où les élèves inscrivent librement leurs opinions (je critiqueje félicite... j’ai réalisé...). Au-dessous, une boîte à ques(1) Coopérative de l’Enseignement Laïc, à Cannes. (2) Brochures techniques éditées par la C.E.L., et qui sont en cours de réimpression sous forme de « Dossiers » spécialisés. (3) Bibliothèque de l’Ecole Moderne (Edit. C.E.L., Cannes).

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tions pouvant recevoir toutes les questions que les élèves posent à la classe, à la coopérative, au maître. 2 ter. Panneau d’affichage des plans de travail annuels, des plans individuels, des plannings de niveau. Plans de travail individuels. B.E.M. n" 15. 3. Bureau du maître (avec machine à écrire si pos­ sible pour rédaction claire des plans-guides distribués aux enfants et des documents à polycopier).

4. Tables individuelles avec chaises permettant le tra­ vail individuel tranquille et un regroupement facile pour le travail en équipe. 5. Panneaux d’affichage spécialisés : histoire, géo­ graphie, sciences, correspondants (documents tirés du fi­ chier, ou envoyés par les correspondants, événements d’actualité relatés dans les publications diverses). Il est bon de prévoir des étagères qui recevront les chefs-d’œuvre, les maquettes diverses. Collection S.B.T. (1) (maquettes). 6. Table des fichiers autocorrectifs. Fichiers autocorrectifs (cahiers pour les petits). 7. Tables d’expériences de calcul et d’observations qui ont besoin d’être permanentes. B.E.M. nos 13-14, enseignement du calcul. Boîtes ensei­ gnantes. 8. Table d’exposition des travaux de la classe (tra­ vaux de la semaine, chefs-d’œuvre, albums prêts à être expé­ diés aux correspondants...). 9. Table d’exposition des envois des correspondants (journaux, colis de produits, etc.). Fiches de demandes de correspondants (nationaux et internationaux.) 10. Fichier documentaire (B.T. (2), documents classés par centres d’intérêt). Dans certaines classes, on trouve plus pratique de disposer les 600 B.T. dans une bibliothèque spéciale, soit armoire, soit étagères. Le tout classé sous reliures spécia­ les très pratiques. — Brochures de la Bibliothèque de Travail. — Dictionnaire et brochure pour le classement ration­ nel de toute documentation. — Boîtes-classeurs avec dossiers suspendus. — Fiches documentaires et plans-guides. 11. Bibliothèque (dictionnaires, encyclopédies diverses, ouvrages scolaires, bibliothèque récréative). Fournitures scolaires. — Albums d’enfants. — Classeurs individuels.

(1) Supplément à la Bibliothèque de Travail (Edit. C.E.L., Cannes). (2) Bibliothèque de Travail (Edit. C.E.L., Cannes).

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— Ortho-dico et dictionnaire pour les petits. — Livrets de lecture naturelle. L’ATELIER

1. Atelier d’imprimerie et polycopie. — Table de composition. — Table de tirage. — Imprimerie. — Linogravure. — Limographe. 2. Atelier audio-visuel (radio-T.V., électrophone, ma­ gnétophone, projecteur fixe et animé, collections diverses de films et bandes magnétiques, de disques). — Magnétophone. — Electrophone. — B.T. sonore (vues fixes avec disques et livrets!. — Magnétothèque C.E.L. 3. Atelier électrique (filicoupeur, matériel divers de montage, boîtes d’expériences). — Filicoupeur. — Boîtes d’expériences électriques. — S.B.T. de découpages (maquettes diverses). 4. Atelier d’art (peintures C.E.L., céramique, tapis­ series, papiers pour album et peintures, etc.). — Peintures en poudre C.E.L. — Cours de dessin. — Art enfantin (Revue d’art). — Fours à céramique. 5. Atelier de sciences (matériel d’expériences, aqua­ rium, vivarium, collections diverses). — Boîtes d’expériences. — S.B.T. d’expériences. — Matériel de montage. 6. Atelier menuiserie-serrurerie pour les garçons (établis-outillage divers). Atelier couture-cuisine pour les filles (fourneau, ma­ chine à coudre).

Emploi du temps Les classes à « examens » sont certainement plus sensibilisées que les classes de petits à la nécessité d’une 87

organisation du travail assez stricte; mais que de diffi­ cultés : — concilier le nombre des élèves et la surface tou­ jours trop réduite des salles de classe; — concilier le souffle de liberté et de travail qui est le propre de notre pédagogie et les obligations de program­ mes souvent trop encyclopédiques... Je pense qu’il est nécessaire, après avoir organisé judicieusement la partie matérielle de sa classe, de penser à un emploi du temps — assez souple, pour permettre à chaque enfant de travailler à son rythme et selon son tempérament propre; — assez sévère, pour arriver à bout des programmes tout en se préparant « sans trop y penser » aux examens traditionnels. L’emploi du temps que nous utilisons obéit aux gran­ des lignes suivantes : — trois jours et demi de travail proprement dit (lundi, mardi, mercredi, vendredi matin); — une demi-journée de récapitulations du travail fait (vendredi soir); — une demi-journée de contrôles traditionnels (samedi matin); — une demi-journée d’organisation coopérative et de finition du travail (samedi soir). Remarques : Pour plus de commodité dans l’organi­ sation des comptes rendus du soir et tant que les enfants ne sont pas très entraînés à notre façon de travailler, il est bon de décider que toute la classe fera un travail d’his­ toire, de géographie, de sciences pendant l’après-midi du lundi, du mardi ou du mercredi. Beaucoup d’instituteurs tombent trop souvent dans l’erreur, en débutant, d’exiger des enfants travaillant en équipes une trop grande quantité de travaux en histoire, géographie, sciences... ce qui a pour conséquence d’allon­ ger démesurément les comptes rendus du soir. Soyons très modestes, et nous arriverons à finir le « programme » même en choisissant librement les sujets d’étude. Rien ne nous empêche d’ailleurs en fin d’année de faire quelques petits exposés magistraux pour combler les lacunes. Ces 88

exposés ont leur place tous les vendredis après-midi, tout au long de l’année. Une fois que l’horaire de l’emploi du temps a été adopté coopérativement, que son rythme est connu de tous, il faut savoir s’y tenir scrupuleusement. Une classe de grands l’accepte volontiers sans préjudice pour l’esprit coopératif de la classe (cela, bien sûr, ne serait pas vrai avec une classe de « petits » jusqu’au C.E. 2).

DANS UNE CLASSE DE VILLE

Communication de M. Beruti, à Saint-Etienne

Dans ce groupe scolaire où je travaille depuis cinq ans, j’ai eu à m’occuper successivement du C.P., du C.E., du C.M. 1, du C.M. 2, et me voici maintenant chargé de cette fameuse classe de F.E.P. avec le Certificat au bout de l’année. J’ai tellement entendu parler de ces classes de F.E.P. de villes! Pensez donc, il n’y reste que les élèves qui n’ont pu rentrer ni en sixième, ni en commerciale, ni en technique, ni au centre d’apprentissage... « On n’en tire rien! » Au lieu d’être pessimiste, je me suis dit : « Tu ne risques pas de faire plus mal que les autres, et si tu réussis à les intéresser, à leur faire aimer la classe, à travailler seul, face à une fiche, pourquoi ne se compor­ teraient-ils pas aussi bien que les autres le jour du C.E.P ? » Après le Conseil des Maîtres de juin, j’étudiais donc pro­ grammes et emploi du temps de ma future classe. J’ai de la chance cette année : plusieurs disciplines peuvent s’in­ tégrer dans la correspondance interscolaire : Géographie : généralités sur la France, étude de huit régions et du département. Sciences : météorologie. L’homme. Français : lettres, télégrammes, rapports, commandes... Calcul : problèmes de la vie courante. GEOGRAPHIE

Dès juin, je prends contact avec des collègues et me crée, outre l’équipe du service de la correspondance interscolaire à la C.E.L., une équipe de gars décidés à m’aider dans mon expérience de géographie vivante. Je réunis le conseil de la coopérative de l’année sco­ laire (je résume la discussion) : Voici la carte de nos correspondants de cette année. (L’intérêt est déjà né.) Nous allons étudier la région qu’ha­ bite chacun d’eux, nous leur présenterons la nôtre (le pro­ 90

gramme ne précise-t-il pas « étude plus approfondie de votre région ? ») Voici huit chemises pour classer les docu­ ments pendant la période des recherches. Vous constituerez vous-mêmes vos équipes de trois ou quatre. Le point de départ dans mes calculs doit être la réception du journal scolaire d’octobre qui provoquera une lettre à la classe de chacune des huit régions, la recherche des B.T., des Amis-Coop (1). Mais l’enthousiasme a été tel que les équipes sont déjà constituées et la lettre est en cours de rédaction... Un magnétophone prêté par le Centre de Documentation pédagogique arrive à point; nous échangerons des bandes parlées, nous enregistrerons les con­ férences, conclusion logique de l’enquête. Audition des ban­ des et tableaux réalisés sur chaque région donneront lieu à un concours en fin d’année scolaire, en présence des parents. Et comme notre correspondant régulier est à l’autre bout de « notre » long département, dans une région agri­ cole toute différente de notre région industrielle, vous voyez bien que nous connaîtrons tout le programme. J’en profite pour souligner qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un corres­ pondant très loin, pourvu que le milieu soit différent. SCIENCES

Les travaux des anciens — la lecture des journaux de l’an dernier — le « fait de la semaine » affiché sur tableau spécial (en l’occurrence « la tempête à Marseille ») ont déjà suscité un puissant intérêt en faveur du relevé des températures, des pressions, des hauteurs d’eau, etc. Il faut donc installer une station météo sur la terrasse toute neuve dont vient d’être doté notre préau. Une lettre part demain pour la classe rurale de Saint-Laurent-la-Conche (à 40 km) où les élèves de Mlle Coquard ont une sta­ tion modèle. Pour se servir des appareils, il faut les bien connaître... Un élève a aussi proposé de relever, chaque soir à la télévision, les températures à 13 heures, chez nos correspondants de Bretagne, du midi méditerranéen, de chez nous. Le graphique est commencé depuis le 1" octo(1) Revue éditée par l’Office Central de la Coopération à l’Ecole, 13, rue Férou, Paris-6e.

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bre. En fin de mois, nous comparerons, nous calculerons les moyennes, nous conclurons... Mais n’est-ce pas du calcul vivant ? Et pour l’étude du corps de l’homme, également au programme ? Les élèves travailleront par fiches, du type de celles publiées dans la revue L’Educateur (1). Mais chaque année, j’ai un texte sur un accident en ville, au match (fracture, entorse, piqûre à tel joueur dont un mus­ cle est froissé... Un de mes élèves est rentré avec un bras cassé). J’en profite alors, car les questions fusent, pour une bonne « leçon de révision » sur les muscles, les os... Voici même qu’un papa d’élève est rentré à l’hôpital pour silicose... Hélas! la ville est trop riche en exemples sur la « santé de l’homme »! FRANÇAIS

Texte libre et correspondance fournissent tous les élé­ ments d’une bonne formation. Comment les collègues peu­ vent-ils faire rédiger ces lettres qui sont des simulacres de lettres dans un cours de F.E.P. traditionnel ? Nous choisissons les textes deux fois par semaine seulement. Jusqu’à ce jour, il y a eu abondance de textes car les souvenirs de vacances sont encore vivaces, mais si les élèves sont dotés d’un petit carnet et d’un crayon pour noter sur le vif, il y en aura autant que les années précédentes. Mes élèves savent que tous ces textes vont servir à quelque chose, et cela est capital. Bien sûr, il y a le texte choisi par les camarades, il est en quelque sorte magnifié, d’où sentiment de la réussite chez les gars « qui n’ont jamais rien réussi avant »; mais les autres textes sont envoyés au correspondant, ils sont tapés par l’auteur sur la machine-du-fond-de-la-classe pour enrichir le fichier. (Ta­ per à la machine, c’est un travail noble, c’est une nou­ velle preuve que l’on peut réussir : le maître nous confie une machine...) Quand écrivons-nous les textes? La ville a pris en charge une heure d’études chaque soir, nous avons des (1) L'Educateur, Cannes, Revue du mouvement de l’Ecole Moderne.

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heures d’ateliers divers (dessin, imprimerie...). Le lundi surtout, les élèves viennent riches de « tranches de vie » à raconter. Ce lundi matin, redouté des maîtres de la ville! N’y a-t-il pas eu la veille : cinéma, télévision, réunions familiales enfumées... ? Comment « accrocher » l’intérêt des enfants ? Nous avons conseils de Coopé (à l’emploi du temps, j’ai marqué : « morale en action ») puis 1/2 heure de travaux libres. C’est le moment où l’on peut écrire son texte. Nos élèves de la ville doivent pouvoir l’écrire en classe. J’ai vu, en effet, des élèves désespérés car on ne leur avait pas laissé un bout de table à la maison ou bien parce que la télévision fonction­ nait... Quand choisissons-nous les textes? Le lundi aprèsmidi et le mercredi après-midi, quand j’ai des stagiaires en particulier. Au début de la journée, ce serait tellement mieux, mais les élèves-maîtres après le choix et la mise au net aiment pouvoir discuter du texte avec moi, le repenser, prévoir l’exploitation pédagogique qui s’impose pour le lendemain. Qui prétendra qu’à l’Ecole moderne, on va à l’aventure ? Et puis, pour le texte, je procède comme tous les col­ lègues. Certains textes ne se prêtent à aucune exploitation, ils sont beaux, c’est tout; d’autres nous obligent à une morale, à du calcul, à de l’histoire, etc. Voici un exemple récent : Texte choisi : baignade dans la Loire avec traversée du fleuve, malgré la défense maternelle. Deux exploita­ tions « viennent toutes seules » morale et... écoutons cet élève : — Mais il est donc bien large le fleuve à cet endroit ? Quelle est sa largeur ? Et sa profondeur ? Et puis d’autres : — Certains jours, c’est bien pire parce que la Loire monte en une demi-heure, s’il pleut là-haut dans la mon­ tagne. — Pourquoi en une demi-heure ? — Depuis combien de temps coule-t-elle ? Combien de kilomètres a-t-elle parcouru ? — Je l’ai vue, sa source! — Combien lui reste-t-il à parcourir ? — Et nos correspondants de Saint-Martin, à combien de kilomètres sont-ils de la Loire ? Il faut leur écrire. 93

— Tant qu’à faire, alors, il n’y a qu’à l’étudier com­ plètement. Ce n’est pas moi qui ai claironné cette sentence. Et voici constituée une équipe de quatre qui va faire une enquête et nous aurons une conférence sur la Loire. Après que les élèves aient annoncé : « Moi, j’ai tra­ versé le Rhône », « Moi, la Garonne... », je suggère : — Constituons une équipe par fleuve, faites vos en­ quêtes. N’ai-je pas un peu forcé la main ? En tout cas, mes élèves s’y sont prêtés de bon cœur. CALCUL

Et le calcul vivant pénètre dans notre classe malgré nous. Ainsi, à la suite de ce même texte, des élèves auront à réaliser un graphique du volume des eaux à cha­ que mois de l’année. Mais écoutons encore ; — Souvent, papa ne sait pas où nous emmener le dimanche. Combien y a-t-il de kilomètres de Saint-Etienne à la Loire ? Je vais lui calculer le prix de la promenade. — Et moi, pour y aller en car, en train ? — Attention, il y a des billets de « week-end » ! Il y a eu de même le voyage de 120 kilomètres chez les correspondants. Et la coopé! Il est interdit d’avoir de l’argent à l’école, dit le règlement (plusieurs vols dans les écoles stéphanoises) et les coopérateurs voudraient voir l’argent... L’idée jaillit : faisons comme les chèques pos­ taux : le trésorier s’imprime un carnet de chèques copié sur celui du maître, le maître gardera les fonds, mais chaque quinzaine le trésorier tirera un chèque des recet­ tes et un des dépenses. Ainsi, nous nous rôderons à l’em­ ploi des chèques postaux (c’est du programme). Et puis, il y a eu l’installation de l’aquarium réclamé en conseil de coopé, car nous voulons que notre classe soit l’endroit où l’on est bien (c’est important en ville, en attendant la Maison de l’Enfant par quartier...). Nous avons évalué sa capacité au coup d’œil : 81... 121... — 301! dit le maître. Exclamations étonnées. Nous allons dans la cour avec litre en étain et dm3. Nous comparons, nous mesurons. Comment le maître le savait-il ? Quelles mesures avait-il 94

faites sur les arêtes ? Et si nous en fabriquions un autre ? Quelle surface de verre ? Quelle longueur de cornières ? Quelle surface de base en tôle ? Quel prix de revient ? HISTOIRE

Puisant dans les archives locales, nous partirons de faits locaux (cahiers de doléances, noms de rues...) pour connaître ce qui se passait à Paris. Le ton a été bien donné, car j’ai dû expliquer l’origine du département créé après la lutte des armées républicaines (avec un contin­ gent stéphanois) contre les armées royalistes de Lyon. En punition, le département du Rhône-et-Loire fut coupé en deux départements. Mais tout cela nécessite un climat spécial, et depuis un mois, je vois les plus réticents changer d’attitude. Quelques anecdotes : 1. Deuxième conseil de classe : — Les grands de quatorze ans, ils ont dit qu’ils s’en foutaient de la coopé... Silence gêné... (et moi qui les croyais déjà acquis à l’idée...). Explosion d’un grand, de celui qui « a l’air au-dessus de ça » : — Non, on s’en fout pas, mais ceux de votre classe de l’an dernier, ils jouent aux caïds, ils ont fait de la pro­ pagande électorale pour être élus au bureau, nous on n’a presque pas eu de voix! Quelle indignation dans le ton! Je reconnais publique­ ment ma faute : j’ai fait procéder à des élections trop tôt; mes élèves ne se connaissent pas assez. Décision : nou­ velles élections le 16 octobre car la pression électorale a été reconnue. Belle leçon d’instruction civique! 2. La première lettre aux correspondants réguliers doit partir : il y a des textes sur les voyages de vacan­ ces : Cannes, les Pyrénées, le Gerbier-des-Joncs, la Suisse! Je conseille d’y joindre des photographies, des cartes postales... J’attends le lendemain. Deux ou trois anciens, rôdés aux techniques, apportent pour les camarades deux ou trois cartes. C’est assez maigre! Le maître également a apporté une moisson de cartes et les distribue. C’est la 95

part du maître! Je surprends des regards étonnés. J’en­ tends chez « un de ceux qui sont si durs » : — Ben alors, il nous a donné de ses cartes, c’est chic... 3. Un dernier fait : mes élèves ne veulent plus sortir en récréation, ils restent pour travailler librement. Et pour­ tant, notre cour a été aménagée pendant les vacances et c’est une des plus vastes de la ville. Et c’est ainsi que mes élèves emportent à signer, cha­ que semaine, leur « cahier de vie », leur « plan de tra­ vail » et le graphique de leurs fautes en dictée. Les deux dictées par semaine sont des textes d’auteurs, parfois d’en­ fants, sur le même sujet que le texte libre. J’ai voulu con­ vaincre les enfants que la dictée n’était qu’un contrôle qui amènerait à la lettre sans faute, il s’agit d’une véritable prise de conscience : si vous éliminez les fautes d’accord, vous réduirez le nombre de fautes de moitié. Et je note en face de chaque dictée le nombre total de fautes et le nombre de fautes d’accord. Nous réalisons les deux graphiques et je note déjà les progrès. J’invite les élèves à faire, seuls, le même graphique pour les fautes de lettres au brouillon. Mais si les maîtres et les élèves de F.E.P. étaient délivrés de l’obsession des cinq fautes dans la dictée du C.E.P.!...

DANS UNE ECOLE MIXTE

Dans une classe mixte, les techniques Freinet sont-elles susceptibles d’apporter les éléments nouveaux favorables à l’organisation pédagogique ? M. Deléam (Ardennes), praticien spécialiste, pour­ rait-on dire, des écoles mixtes, nous fait part de ses projets au seuil d’une rentrée scolaire : LA CLASSE

Celle que je quitte : Brienne-sur-Aisne (Ardennes) classe mixte (C.M. 1, C.M. 2, C.F.E.), vingt-deux élèves (fils d’ouvriers agricoles) entraînés depuis dix ans aux techni­ ques Freinet. Celle que je prends : Le Chatelet-sur-Retourne (Arden­ nes). Classe mixte (C.E. 2, C.M. 1, C.F. 2). Non équi­ pée, seulement un électrophone, un établi et un projecteur vues fixes, trente-huit élèves (fils de paysans, d’employés de la S.N.C.F. et d’ouvriers d’usine) négligés depuis un an faute de maître. Le matériel : Je ne peux pas compter sur l’allocation scolaire pour équiper ma classe. Mon prédécesseur a com­ mandé pour cette année des tables et des chaises. Il est déjà prévu, pour l’an prochain, la réfection du préau. Mais j’apporte mon matériel personnel : — une presse à rouleau 21 X 27; — un filicoupeur; — des outils de linogravure; — une collection de B.T. et d’Enfantines; — des fiches documentaires (F.S.C. (1) enrichi en dix ans); — des fiches autocorrectives; Je vais compléter en achetant : — des polices pour renouveler mes caractères; (1) Fichier scolaire coopératif (Cannes).

97 Freinet : les Techniques. — 4

— un limographe ordinaire; — des couleurs en poudre C.E.L.; — du papier, de l’encre et du lino. Les abonnements à notre journal scolaire et le bénéfice d’une fête prochaine me permettront de payer rapidement ces achats. L’ENSEIGNEMENT

Vais-je passer immédiatement aux Techniques Frei­ net ? Non, sans doute, mon petit monde ignore tout de la méthode et la classe est nombreuse. D’autre part, ma collègue de la petite classe n’a jamais approfondi les méthodes nouvelles faute d’encouragement et il est dif­ ficile dans une école à plusieurs classes d’appliquer seul les Techniques Freinet. Mais nous nous entendrons parfai­ tement quand elle aura vu tout le bien qu’elle peut en tirer pour ses petits. Et ma classe va lui imprimer, lui fabriquer ou lui prêter ce matériel. Naturellement, nous ferons un journal scolaire. Je ne conçois plus l’école sans cela. Nous aurons donc besoin de textes libres que nous exploiterons d’abord en français; c’est plus facile et beaucoup plus passionnant que de tra­ vailler sur un texte de manuel. Par la suite, insensiblement, l’exploitation deviendra plus complète. Et l’illustration des textes nous conduira au dessin libre et à la linogravure. Le journal m’obligera encore à pratiquer la correspon­ dance interscolaire collective et individuelle. J’écris donc immédiatement au service de correspondance interscolaire de la C.E.L. Si, au début, je ne puis me libérer de faire des « le­ çons » de sciences, d’histoire et de géographie, je m’ap­ puierai sur mon abondante documentation que je ferai étu­ dier par mes élèves à l’aide de plans-guides et j’arriverai ainsi à la présentation de documents et même à la con­ férence d’enfants. La suppression des devoirs du soir sera peut-être difficilement comprise, à l’origine, par les parents ? Mais, pour compenser, n’y a-t-il pas les fiches auto-correctives, le texte libre à rédiger (ce qui ne doit jamais devenir une obligation), l’enquête à mener, le lino à terminer ? Il y aura des fonds à gérer, ce qui conduira à la création d’une coopérative scolaire avec l’organisation 98

qu’elle suppose : bureau élu, responsabilités, équipes de travail, journal mural... LES PARENTS

Peut-on bien enseigner aux enfants sans être en relation constante avec les parents ? La réponse, vous la connais­ sez. Dès le début, je vais donc les réunir pour les aver­ tir des « petites » transformations que je compte apporter dans la vie scolaire et la collaboration que j’attends. Assez souvent, je les reverrai — tous les mois, par exem­ ple -— au cours d’une petite soirée meublée d’une séance de projection, d’une audition de pipeaux, d’une exposition ou d’une présentation de disques, pour discuter des résul­ tats obtenus et des améliorations à apporter. L’HISTOIRE

Pour terminer, parlons de l’histoire, puisque c’est l’en­ seignement le plus délicat et celui qui s’est le moins mo­ dernisé. Pour répondre à toutes les questions et savoir tirer parti de toutes les découvertes, il faut être averti. Dans ce but, reportez-vous au Guide de la « Recherche histori­ que », édité par la C.E.L. Je me familiarise d’abord avec la carte d’état-major, le plan cadastral, les noms des lieux-dits... J’étudie la disposition des champs, les lisières de bois, le cours des rivières, les vieux chemins, la ligne de chemin de fer... Je remarque les vieilles maisons, les monuments, le mou­ lin, l’usine, l’église... Je parle souvent avec les habitants du passé de leur village, des coutumes, des trouvailles, du château démoli... Je me mets en contact avec le maire et le secrétaire de mairie pour avoir accès à la mai­ rie et compulser les archives communales. Je vois le conservateur du musée de Rethel (distance 12 km) pour les visites à venir. J’écris à l’archiviste départemental pour lui demander l’inventaire des documents intéressant ma nouvelle résidence. Et, avec l’appoint des plans-guides et des S.B.T., je vais pouvoir faire un cours moderne d’histoire.

COMMENT DÉBUTER AVEC LES TECHNIQUES FREINET

Ces exemples, nous dira-t-on, laissent supposer que les éducateurs sont déjà habiles dans le maniement des Techniques Freinet et leur judicieux emploi dans des clas­ ses où le maître, non seulement domine la situation, mais encore sait créer un climat de confiance et d’initiative, toutes causes qui garantissent un excellent rendement. Qu’en est-il du débutant ? Qu’en est-il du maître, qui, ayant des réussites par les méthodes traditionnelles, se met en tête d’appliquer dans sa classe les méthodes que vous préconisez ? N’y a-t-il pas risque d’échecs, décou­ ragement, recul au lieu de l’amélioration escomptée ? Toute modification dans les outils, l’esprit et la méthode en pédagogie, est, en effet, un événement gros de consé­ quences. Le passage de la pratique scolaire traditionnelle basée sur l’autorité du maître à la pratique de l’Ecole Mo­ derne axée sur la libre expression enfantine est cependant toujours possible pour l’instituteur qui a senti le besoin d’un renouveau pédagogique. Il y faut simplement réflexion, doigté et prudence, c’est pourquoi nous répéterons ici les conseils que nous donnons à tous les débutants. Nous don­ nerons ensuite des exemples authentiques de cette recon­ sidération pédagogique par l’emploi des techniques Frei­ net (1).

Quelques conseils aux débutants En principe, on ne peut pas pratiquer nos techniques sans les outils indispensables, pas plus qu’on ne saurait fabriquer des casseroles si on n’a pas l’outillage voulu. C’est logique et simple. J’entends dire parfois : — Le matériel n’est pas tout; l’essentiel, c’est l’es­ prit; et vous pouvez introduire dans votre classe l’esprit Ecole Moderne sans outils ni techniques. Méfiez-vous! Toute notre pédagogie est à base d’outils et de tech(1) C. Freinet, Moderniser l’Ecole, B.E.M., Cannes.

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niques. Ce sont eux qui modifient l’atmosphère de votre classe, donc votre propre comportement, et rendent pos­ sible cet esprit de libération et de formation qui est la raison d’être de nos innovations. Car il va sans dire que ce matériel et ces techniques doivent être employés pour un certain but et dans un certain esprit qui sont ceux que nous avons définis : former des individus cultivés et riches de possibilités. De toute façon, étant donné le caractère spécial du matériau que nous avons à travailler, pour éviter toutes fausses manœuvres dans les changements à intervenir, nous vous conseillons d’être prudents. Selon notre formule : vous ne vous abandonnerez pas des mains avant de tou­ cher des pieds. — L’école du village et de bourg est la plus favo­ rable à cette modernisation : l’école à deux classes, tenue par un ménage, est l’école idéale. — L’école à classe unique est aussi favorable malgré les difficultés de son fonctionnement. Nous dirons même que seules nos techniques permettent de faire travailler simultanément, dans un même local, des enfants de tous âges avec un maximum d’efficience. — Plus va croissant le nombre de classes, plus se complique la situation pour deux raisons essentielles : à) Dans cette période transitoire du moins, la coexis­ tence dans un groupe de maîtres école traditionnelle et de maîtres école Moderne est toujours délicate. b) Elle est délicate surtout parce que les enfants chan­ geant de classe toutes les années ou tous les deux ans, changent donc de maître et de méthode. Le maître n’a pas le temps d’habituer ses élèves au travail nouveau et l’élève risque même d’être désaxé par ces mutations. Nous nous sommes beaucoup préoccupés de cet état de fait. En attendant qu’une majorité de maîtres dans cha­ que école pratique nos techniques, nous demandons qu’il ne soit pas construit désormais d’écoles de plus de six classes, ou que les écoles à gros effectif soient réorganisées sur la base du travail d’équipes avec cinq ou six maîtres suivant leurs élèves. Cette réorganisation technique de l’école — primaire et secondaire — est essentielle à la modernisation souhai­ table. 101

— Nos techniques rendent à plein tout de suite dans les classes où la notion de bourrage a été abandonnée au profit de la formation des individus et de la culture : classes maternelles et enfantines, rendement à 100 % ; classes de perfectionnement, internat, déficients, etc. à 100 %; C. P. et C. E.., 80 à 100 %. Avec ces classes, vous pouvez vous engager carré­ ment, vous n’aurez aucun ennui. — Il y a évidemment un peu plus de précautions à prendre dans les C.M. et les F.E. où les programmes, les horaires et les examens compliquent les choses, sur­ tout tant que parents et maîtres seront persuadés qu’à ces degrés les connaissances priment tout, aux dépens même de la formation. Les résultats y sont excellents aussi, mais plus longs à généraliser, surtout si on ne garde ces enfants qu’un ou deux ans. — La surcharge des classes. C’est le sabotage de l’éducation. Avec quarante ou cinquante élèves, aucune mé­ thode n’est valable. L’instituteur se défend avec des pisaller. Nos techniques ne sauraient qu’y être sabotées aussi, sauf dans des écoles à deux classes où des résultats pourraient cependant être atteints. Si votre classe est surchargée, soyez prudents. Si vous n’avez que trente ou vingt-cinq élèves, chiffre considéré comme normal par l’administration elle-même, il ne faut pas tarder davantage dans la voie de la modernisation. — Les locaux trop petits. Il y a juste la place pour loger les enfants assis, avec impossibilité d’installer le moindre outil et de permettre le déplacement éventuel ou le regroupement des élèves pour certains travaux. Ces locaux peuvent être acceptables dans les écoles à classe unique ou à deux classes de village, là où, pour certaines activités (composition et tirage à l’imprimerie, peinture, travaux de groupes), les enfants peuvent s’installer dans un couloir ou dans une salle contiguë désaffectée (ce qui arrive assez souvent). — L’absence de crédits. Elle est regrettable certes, mais la modernisation peut cependant être commencée par une sorte d’autofinancement, dans les villages surtout. Quand 102

les parents apprécieront le travail (journal, expositions, fê­ tes, etc.), les crédits viendront. — Les programmes et les horaires. Ils ne sont pas un obstacle, nos techniques fonctionnant parfaitement dans le cadre légal. Il suffit éventuellement de rebaptiser nos tra­ vaux et de prévoir leur place dans l’horaire. — L’opposition des parents. Ne bousculez pas les pa­ rents si vous sentez que le milieu est difficile. Opérez gra­ duellement. S’ils sentent que leurs enfants se passionnent pour leur travail, s’ils en sont enthousiasmés, alors ils vous aideront à vous moderniser. Quelques-unes de nos réalisations sont plus spécia­ lement recommandées pour susciter l’intérêt des parents : — l’édition d’un journal scolaire; — la bande magnétique. Que la maman entende son enfant parler ou chanter au magnétophone et elle sera con­ quise. Prenez contact avec les parents, surtout dans les villages. Réunissez-les. Organisez à leur intention des expositions de vos travaux au cours desquelles ils voient leurs enfants composer, peindre, dessiner, tenir une réu­ nion de coopérative, faire une conférence. — L’opposition des inspecteurs. Tout dépend évidem­ ment des inspecteurs. Si le vôtre connaît nos techniques, s’il les a pratiquées lui-même (nombreux sont nos cama­ rades devenus inspecteurs), s’il s’intéresse à la pédagogie, s’il est artiste, il vous encouragera et vous soutiendra. Vous pourrez alors vous engager carrément. Il saura dépasser l’inspection de forme pour être sensible à la vraie valeur de votre travail. Le danger est évidemment qu’une classe moderne ou en cours de modernisation soit visitée par un inspecteur école traditionnelle (cette appellation n’a d’ailleurs ici rien de malveillant. C’est la constatation d’un fait). Ce sera un peu alors comme si on faisait inspecter une usine moderni­ sée par un contrôleur qui n’aurait été initié qu’aux artisanats. Vous risquez de graves incompréhensions et nous vous conseillons la prudence. Dans ce cas, au lieu de mettre en valeur les dif­ férences spécifiques entre votre école modernisée et les autres, montrez au contraire leur identité : — Veillez à l’ordre (nos techniques ne s’accommodent 103

pas de pagaille. Il faut arriver à une discipline de tra­ vail, mais pour cela, il faut que le travail nouveau imprè­ gne votre classe); — Respectez un horaire qui doit être même affiché. Le texte libre, la mise au point du texte, la composition, la chasse aux mots, la grammaire seront baptisés : fran­ çais, rédaction, vocabulaire et grammaire. — surtout veillez à votre cahier de préparation qui peut n’être fait, comme nous le recommandons qu’a pos­ teriori. Vous notez au jour le jour les grandes lignes pour lesquelles vous préparez les documents et le matériel. Vous entrerez dans le détail à même le travail : — cahier de préparation; — horaires affichés; — plans de travail affichés; — cahiers bien présentés, si possible sur feuilles mo­ biles; — fichier dûment classé; — belles peintures ornant la classe; — poteries ou travaux d’art. — tableaux des enquêtes menées; — table musée avec l’apport des enfants. Alors, l’inspecteur sentira que la classe travaille. Il ne manquera pas de noter les résultats. Vous serez satis­ faits. Mais notre pédagogie a la prétention d’être plus simple que la pédagogie traditionnelle parce qu’elle est naturelle, c’est-à-dire qu’elle est basée sur des principes et des comportements de bon sens que comprend et admet quiconque possède ce bon sens. Ce qui complique l’usage de nos techniques par les éducateurs, c’est qu’ils les abordent avec des conceptions et un esprit hérités de l’école traditionnelle, c’est-à-dire qu’ils les prennent souvent à rebours pour se plaindre ensuite qu’elles ne rendent pas. Le seul fait de faire confiance à l’enfant, de l’aider au lieu de le commander, de le soupçonner et de le punir suppose une révolution dans le comportement des éducateurs, révolution à laquelle cer­ tains maîtres trop enfoncés dans la méthode tradition­ nelle ne parviennent plus à s’adapter. Les jeunes euxmêmes peinent parfois à se rééduquer, surtout s’ils sont passés par l’Ecole normale où on leur a insufflé magis­ tralement l’esprit école traditionnelle auquel ils font per­ 104

sonnellement confiance, et cela se conçoit. Alors, ils appor­ tent en toute bonne foi à l’école moderne les pratiques de l’école traditionnelle, les seules qu’ils connaissent. Nous n’entrerons pas davantage ici dans le détail de nos buts pédagogiques. Nous avons voulu surtout vous faire sentir la nécessité de cette modernisation et vous en indiquer les éléments de base. Si nous y avons réussi, au moins partiellement, ma foi, vous ferez à votre tour votre tâtonnement expérimental qui vous permettra de dominer nos techniques bien mieux que nos meilleurs écrits. — Mais ce tâtonnement expérimental ne jouera que si vous avez la possibilité de confronter vos essais avec les réussites de ceux qui sont engagés dans les mêmes voies. Ne restez donc pas dans votre île. Adhérez à nos groupes départementaux, participez à leur activité, assis­ tez à leurs séances de travail et à leurs stages. Lisez nos livres et nos périodiques, pratiquez la correspondance interscolaire, intégrez-vous dans une équipe de cahiers de roulement, inscrivez-vous dans les commissions de travail de l’I.C.E.M. (1).

Une journée de classe Voici cependant un aperçu synthétique du travail d’une classe école moderne, avec ses techniques aujourd’hui fixées et définies, que vous pouvez adopter sans crainte ni danger. La classe commence chez nous avant l’entrée. Les enfants arrivent avec leur « glane ». Pour les uns, c’est un texte rédigé et qu’ils sont impatients de lire à leurs camarades; pour les autres, c’est un insecte ou un fossile trouvés en route; pour d’autres, des observations qui vont servir de base pour le travail de sciences ou d’histoire. Nous prenons déjà contact avec toutes ces promesses. C’est notre façon à nous, souvent, de nous saluer. Puis chant, suivi, peut-être, selon l’occasion, d’obser­ vations morales ou d’indications civiques (articles de journal, événements locaux, etc.) : dix minutes. Ensuite lecture : deux élèves ont soigneusement préparé leur texte qu’ils viennent lire à leurs camarades. Pendant ce temps, ceux-ci dessinent librement sur les feuilles qui leur ont été distribuées par les responsables. (1) Institut Coopératif de l’Ecole Moderne à Cannes.

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On choisit rapidement les deux meilleurs dessins qui seront collés sur le livre de vie de la classe (au total : dix minutes). Nous passons alors à l’exercice quotidien ou pres­ que : le texte libre. Vous pouvez si nécessaire inscrire sur votre horaire : français, suivi de grammaire et de chasse aux mots (vocabulaire). Composition et tirage. La matinée sera terminée. S’il reste un peu de temps libre, le consacrer au plan de travail. L’après-midi : une heure de travail libre selon le plan de travail : maquettes d’histoire, expériences scientifiques, préparation des conférences, calcul sur fiches. Une heure de comptes rendus : les enfants vien­ nent exposer le travail qu’ils ont fait selon leur plan, en histoire, géographie et sciences. L’instituteur complète. C’est la leçon a posteriori, qui vient après la recherche et l’expérimentation des enfants. Dernière heure : conférences. Il vous suffira d’organiser votre horaire sur ce schéma général qui permet tout à la fois un bon travail collectif et l’indispensable travail individuel, l’activité sous la direc­ tion du maître, et l’activité spécifique des enfants, au cours de laquelle le maître se contente d’aider techniquement et de conseiller. Cette organisation vous permettra très facilement : — d’éditer un journal imprimé ou limographié; — de pratiquer la correspondance; — d’organiser la classe-atelier avec le minimum d’ou­ tils indispensables : imprimerie, limographe, couleurs pour dessins, gravure, filicoupeur, boîtes de travail, balances, boîtes d’insectes, bocaux d’observation, etc. — de travailler avec les plans de travail; — d'afficher le lundi le journal mural sur lequel les enfants écrivent librement tout ce qu’ils ont à dire et qu’on lit le samedi soir en réunion de la coopérative (quatre rubri­ ques : « Nous critiquons — Nous félicitons — Nous vou­ drions — Nous avons réalisé. » Cette formule nouvelle d’école sera, nous en sommes certains, la solution de demain.

DEUX TÉMOIGNAGES

Comment j’ai débuté Mais toute chose vient en son temps. C’est le maî­ tre qui, en toute connaissance des conditions particuliè­ res à sa classe, décidera de l’opportunité des innovations. Donnons ici deux exemples où la prudence est maîtresse de sûreté. Quelques initiatives fragmentaires : Dans un CP au 3e trimestre je faisais dessiner ou écrire librement les élèves, je faisais expliquer ou lire à chacun son travail. Je mettais les textes au tableau, mais nous n’en tirions qu’un profit partiel. Dans un CE2 j’ai réalisé un album sur les événements de l’année, mais là encore aucun moyen de reproduire les textes pour tous. En classe unique (16 élèves). J’avais un duplicateur à alcool, je voulais faire un journal scolaire mais j’avais du mal à obtenir des textes car je ne pratiquais pas le texte libre et mes suggestions éveillaient peu d’échos. Enfin, nous avons sorti deux journaux et réalisé laborieusement quelques petits albums. A l’occasion d’une séance de projection de films docu­ mentaires, nous avons fait une exposition avec des docu­ ments sur le Japon, le Canada, la vigne en France et dans le monde. Nous avions réalisé une belle salle. Mais toutes ces tentatives étaient exceptionnelles, hors du travail habituel : elles demandaient aux enfants aussi bien qu’à moi un effort disproportionné et peu rationnel car nous devions abandonner tout horaire et nous n’étions pas organisés matériellement et pédagogiquement pour cette façon de travailler. C’est alors que j’eus la chance de faire un stage d’école moderne à Bois-d’Oingt, dans le Rhône. Là je trouvai la confirmation que j’étais un peu en mar­ che déjà et pourtant je compris aussi tout ce qui m’avait manqué du point de vue matériel et technique. Les camarades déjà expérimentés me donnèrent les 107

clefs de cet enseignement que je cherchais en m’éclairant sur la pratique du texte libre, du journal scolaire, de la corres­ pondance, de l’organisation de la classe, avec les outils adaptés : imprimerie, linogravure, filicoupeur, Bibliothèque de Travail. J’avais déjà fait équiper ma classe des indispensables mesures du système métrique.

APRES LE STAGE : J’achetai (sur les fonds Barangé) l’imprimerie et quel­ ques collections de coffrets BT. Je n’avais pas de table pour les ateliers : je descendis du grenier les vieux bureaux pour faire des tréteaux, je posai dessus un grand plateau qui servait de scène pour la fête de Noël. J’achetai avec la coopérative (cotisations mensuelles, fête de Noël) de ces outils si simples et utiles qui constituaient cependant un événement : étau, pinces, tenailles, scies, pointes, petit matériel électrique : piles, ampoules ; le fichier calcul FE, et des cahiers autocorrectifs. Je m’embarquai avec un emploi du temps simple mais peu précis : français, calcul le matin. L’après-midi ateliers, gymnastique et réunion coopérative, chacun apportant son travail de la journée : lectures préparées, textes imprimés, dessins, albums commentés, documentation ou réalisation d’après les BT, une fois par semaine le journal mural. Le matériel cité ne fut pas introduit dans ma classe dès la rentrée mais progressivement ; d’autre part j’en étais au stade expérimental pour l’utilisation en classe des outils nouveaux. Voici comment je fis une alliance provisoire entre l’ancien et le nouveau : FRANÇAIS : Texte libre. Je fixai un jour commun à tous les élèves, le lundi matin. SE et CP dessinaient ainsi que le CEI. Les CE2 et FE écrivaient. Je passais vers les petits, les interrogeant sur le dessin qu’ils faisaient ou allaient faire, je leur écrivais quelques mots, j’aidais aussi les CEI à rédiger leurs phrases. CE2 et FE lisaient leurs textes, votaient pour choisir celui qui devait être inscrit au tableau. Pendant qu’ils le copiaient et le corrigeaient euxmêmes, j’écrivais au tableau aussi, les phrases et les mots du CP-CE (je dispose de 6 m² de talbeau noir avec volets 108

mobiles). Puis, tandis que CP et CE recopiaient leurs phrases, finissaient les dessins, je terminais la correction avec les grands. Le temps du français, le mardi et le mercredi, était réservé à la correspondance, à l’imprimerie, à la correction individuelle des textes non choisis. Le vendredi et le samedi nous faisions des albums, des comptes rendus d’expérience, d’observation. Je pris l’habitude d’utiliser à tout moment de la jour­ née le tableau noir pour donner des avis d’ordre pratique immédiat. Exemples : Donnez vos livres de vie. Yves a bien imprimé. Brigitte as-tu apporté l’annuaire ? La casse n’est pas en ordre. C’était là une motivation permanente pour l’effort de lecture. Les enfants suivirent l’exemple, écrivant eux aussi librement au tableau. Qui a perdu un crayon ? Le réclamer à Solange. Il faut acheter une savonnette. C’était l’orthographe en action. Les mots difficiles étaient systématiquement placés dans le répertoire d’orthographe. La conjugaison : nous la faisions suivant les difficultés effectivement rencontrées en plaçant le verbe dans les tableaux de conjugaison. Exemple : Infinitif manger apprendre

Tableau : Indicatif temps simples : Imparfait Présent je mange je mangeais tu apprenais j’apprends Futur Passé simple je mangeai je mangerai tu appris tu apprendras

Chaque colonne est large d’une demi-page ; nous collons bout à bout les pages nécessaires et nous obtenons un ta­ bleau pliant très apprécié des élèves ; il se trouve à la fin du cahier répertoire. Les élèves qui aiment la nouveauté sont très sensibles 109

au format inhabituel, ceux qui ont une préférence pour les sentiers battus trouvent leur compte dans ces colonnes bien nettes. En grammaire, pour l’initiation aux leçons fondamen­ tales, nous faisons de même des listes de noms, adjectifs, etc., rencontrés dans nos textes. Une phrase simple, un ou deux exemples des textes vivants expliquent ce qui ne peut être contenu dans ces tableaux. Peu sûre de moi au départ, j’avais laissé aux élèves les livres de grammaire. Ils aimaient les feuilleter et assez souvent l’un ou l’autre, tout heureux, venait me mon­ trer un chapitre correspondant à ce que nous avions expliqué et d’eux-mêmes ils faisaient quelques phrases d’exercices... En FE, bien sûr nous nous entraînions aux dictéesquestions et rédaction avec sujet imposé. CALCUL Je ne me suis pas beaucoup éloignée des méthodes traditionnelles en dehors des fiches et cahiers autocorrectifs, de la réalisation d’une maquette en carton de l’école, de mesures, pesées effectivement réalisées par les élèves, de l’utilisation libre du matériel Istrex, des tampons, de la tenue des comptes de la coopérative qui ont aéré notre travail. Nous avons souvent fait appel au manuel en tâchant de lier plus ou moins artificiellement les leçons à la vie de la classe. LA CORRESPONDANCE Elle a tenu une grande place, donné du dynamisme à la classe autant par ce que nous préparions pour nos corres­ pondants que par ce qu’ils nous envoyaient : nous avons eu du mal au départ à grouper deux par deux nos élèves, nous avons échangé une lettre de chaque élève et des albums tous les quinze jours. Parfois ces exigences paraissaient un peu lourdes et pourtant quand une lettre manquait c’était un petit drame (parfois fièrement caché par la victime), quelques jours de retard et c’était toute la classe, y compris la maîtresse, qui guettait le facteur et ressentait la déception ou la joie. Nos pays étaient assez semblables — trop peut-être — ; la 110

correspondance nous a aidés à prendre conscience de l’exis­ tence originale de notre école, de notre pays, aussi bien que de l’école et du pays de nos correspondants. Nous recevions des journaux d’autres écoles ; nous leur avons donné de l’importance seulement au 3' trimestre, quand la classe a vécu avec assez d’aisance dans toutes ces nouveautés. Cette année, après un deuxième stage et l’expérience de l’an dernier aidant, nous sommes partis plus rapidement dès la rentrée. Nous avons des plans de travail pour les grands qui sont ainsi plus indépendants ; les ateliers sont mieux orga­ nisés : sur de petites tables, nous avons un limographe plus rapide que l’imprimerie pour les textes longs, bien pratique pour l’illustration. Nos placards ont été pourvus de casiers, nous avons des étagères sous les fenêtres. Pour le calcul, nous avons les bandes enseignantes. Nos correspondants sont dans un pays bien différent des Alpes : la Vendée. Notre année scolaire s’annonce bien. Jeanne Laurent, Marcieu (Isère).

Comment je suis passé des méthodes traditionnelles aux méthodes modernes d’enseignement à la Réunion Quand je suis arrivé à Tévelave (La Réunion), il y a quelques années, l’école était une baraque en bois, délabrée, couverte de tôle, qui abritait deux classes séparées par une demi-cloison selon la disposition classique de la majorité des écoles réunionnaises de l’époque. Je fais les cours moyens et de fin d’études : quarante élèves prisonniers de leurs bancs. Pas de place, pas d’armoire, pas d’étagère. Matériel : Néant. Crédits et possibilités de crédits : il ne faut pas y compter. Mais... gros avantage : Je suis directeur! FAIRE DE LA PLACE

Ce n’est pas facile, mais j’y arrive... On y arrive toujours! L’estrade ? Dehors sous le préau. Mon bureau ? 111

Contre un mur, dans un coin, en attendant, dans quelques semaines, de le mettre au milieu des autres tables. Les tables ? Je les dispose en long ou en large de telle sorte qu’aucun élève ne soit plus coincé et puisse circuler librement, ce qui est, à mon avis, l’essentiel. Pas trop de dégâts. Quant à la correcte visibilité des tableaux, cela peut aller... Il faut, je crois, commencer par cette révolution : le mobilier. Freinet en a très justement souligné l’importance. Et puis, cela vous « engage », car il faut ensuite justifier votre révolution envers vous-même, envers les élèves et envers ce personnage redoutable qu’est l’inspecteur. LE TEXTE LIBRE

C’est par là que je vais commencer, et c’est par là, je crois, qu’il faut commencer. J’avance très prudemment et je ne bouleverse guère l’emploi du temps classique. Je me contente d’y introduire simplement, les lundis et vendredis, une heure de « texte libre » et les mardis et samedis une heure d’ < exploitation pédagogique du texte libre de la veille ». Mon exploitation, ce n’est encore que de la grammaire, de la conjugaison, de l’analyse, du vocabulaire, mais à propos du texte libre de la veille. Je situe cette « exploita­ tion » le lendemain de la mise au point du texte, et non aus­ sitôt après, pour avoir le temps de préparer très sérieuse­ ment mes leçons de français à partir du texte libre choisi. Je fais donc des préparations et des leçons « comme tout le monde » et je suis en règle... avec ma conscience! Bien entendu, nous abordons également, dès la rentrée, le dessin et la peinture libres et je laisse mes élèves s’inspirer très largement, au début, des illustrations publiées dans La Gerbe. Là, aucune difficulté... LE CALCUL VIVANT

Trois mois plus tard, j’essaie de moderniser un peu mon enseignement du calcul jusque-là demeuré très clas­ sique. Mais... toujours avec précaution! J’ai une heure de calcul par jour. Pendant la pre­ mière demi-heure je fais une leçon dans le style traditionnel. Puis nous travaillons aux fichiers auto-correctifs que j’ai fabriqués moi-même en repiquant tout simplement divers 112

exercices et problèmes dans différents manuels et, sur d’au­ tres fiches, les réponses et les solutions prises dans les « Livres du Maître » correspondants. Naturellement, toutes les fois que c’est possible j’ai localisé l’exercice ou le problème. Mes fiches remportent un grand succès; on en prend en dehors des heures de calcul, et, grâce à elles, il n’y a plus, dans ma classe, de « temps mort » ; c’est plutôt le temps qui commence à manquer! J’essaie alors la technique du « problème libre » auquel nous commençons à travailler deux heures par semaine pendant les cinq heures de « travail libre » que j’introduis dans mon emploi du temps (que l’on peut aujourd’hui appe­ ler devoirs pour répondre à l’arrêté du 23 novembre 1956). Nos premiers problèmes : Michel voudrait savoir si son père n’aurait pas intérêt à planter du géranium au lieu de cannes et le père de Christian aimerait que l’on calcule pour lui à combien reviendrait la réfection complète de la toiture en tôle de sa case... L’élève lit son problème. J’en fais, parfois, une seconde lecture. Les lectures achevées, on discute. 1o Le problème est-il possible ? C’est aux élèves de le découvrir. S’il est établi qu’il manque une donnée essen­ tielle, le problème est renvoyé à son auteur qui le complé­ tera pour une séance ultérieure. Si le problème est reconnu réalisable, on le soumet alors à un second examen. 2° Le problème est-il vrai? C’est-à-dire n’est-il pas fantaisiste ? N’est-il pas bâti sur des chiffres faux ? Si la majorité en doute, le problème est renvoyé à son auteur pour vérification. Si le problème est reconnu vrai, il ne reste plus qu’à lui donner sa forme définitive : 3° Le problème est-il correctement rédigé? C’est un exercice de français, de clarté et de précision. Je relis la pre­ mière phrase du problème : on la commente, on la corrige. Je l’écris alors au tableau sous sa forme définitive. Même processus pour les phrases suivantes. Quand le problème figure sous sa forme définitive, il ne reste plus qu’à le résoudre, après, s’il en est besoin, la leçon d’arithmétique correspondante. Car il m’arrive, bien souvent, d’être obligé de bousculer la progression et d’improviser des leçons de calcul. Quand c’est impossible, nous classons le problème pour le repren­ dre plus tard. J’ai constaté cependant que la leçon, faite alors 113

dans le but de résoudre un problème libre, même impro­ visée, même imparfaite, était infiniment plus efficiente que n’importe quelle leçon non motivée parfaitement mise au point, parce que tout simplement sans doute elle répon­ dait dans ce cas à un besoin, à une nécessité, qu’elle n’était plus en somme une « leçon » mais une réponse. LES CONFÉRENCES

Nous recevons enfin notre premier matériel de la C.E.L. Une vingtaine de « Bibliothèques de Travail ». Chacune est un sujet valable de conférence, et nous décidons, en assemblée générale de la Coopérative, d’élargir notre expérience d’école moderne aux conférences d’élèves. J’encarte dans les B.T. toute la documentation complé­ mentaire qu’il m’est possible de trouver sur les sujets qu’elles traitent. Au début pourtant il y a peu de volontaires et je dois avouer que la part du maître dans la préparation des Conférences est d’environ 90 % ! Mais cela ne va pas durer, c’est si simple. Deux mois plus tard, tout le monde veut faire sa conférence et beaucoup me préparent, presque seuls, d’excellentes conférences qui durent de vingt à trente minutes! Chaque conférence est suivie d’un débat toujours intéressant. Elle est recopiée et illustrée par son auteur sur un album et servira de documentation aux générations futures d’écoliers... HISTOIRE, GÉOGRAPHIE, SCIENCES

Je n’ai fait encore aucun essai de ce côté-là et je continue à faire des leçons qui ne me donnent pas satisfac­ tion. Je décide d’essayer les « fiches-guides ». Je remets, le lundi matin, à toutes les équipes, des questionnaires d’Histoire, de Géographie et de Sciences (avec, pour les Sciences, l’indication très précise des expériences à faire, le cas échéant, que je rédige moi-même, comme j’avais fabri­ qué mon propre fichier autocorrectif de calcul. Chaque équipe commence par où elle veut et à l’intérieur de l’équipe on se répartit le travail, chacun effectuant les recherches pour deux ou trois questions seulement sur les huit ou dix que compte au total la fiche-guide. Mes ques­ tions sont rédigées de telle sorte que lorsqu’on a répondu à l’ensemble on a une vue complète de la leçon à étudier. Au début, pour chaque question, je donne même la réfé­ 114

rence du livre qui renferme la réponse, voire le numéro de la page et quelquefois l’indication du paragraphe. Je n’ai jamais craint, quand j’expérimentais une technique nouvelle, d’aller très loin dans l’aide apportée à l’enfant. J’évitais ainsi les pertes de temps si décourageantes et une fois la nou­ velle méthode de travail comprise je réduisais, progressive­ ment, cette importante « part du maître » du début. Je retouche en conséquence de cette nouvelle expé­ rience mon emploi du temps : je n’ai plus une heure d’histoire, une heure de géographie, deux heures de sciences, j’ai quatre heures qui s’intitulent toutes les quatre : « histoire, géographie et sciences, travail en équipes ». Une heure est réservée sur ce nombre, la der­ nière, à la mise au point collective des réponses aux questionnaires : on complète ou on rectifie ses recherches s’il y a lieu (l’heure est en général insuffisante mais nous achevons notre mise au point pendant les heures de « devoirs »). Bien entendu, je ne suis pas forcément l’ordre des manuels et j’essaie de choisir les problèmes à étudier en fonction soit des textes libres, ce qui n’est pas toujours facile pour le débutant que je suis, soit de l’actualité, ce qui l’est bien davantage, l’essentiel étant de toujours lier nos activités à la vie. J’ai affiché les titres de toutes les questions qui doivent obligatoirement être vues dans l’année (je l’intitule « programme minimum » car nous allons souvent plus loin et même hors du programme) et je coche au fur et à mesure les questions étudiées. Le système n’est pas mauvais : les enfants s’intéressent à ces travaux et les résultats sont meilleurs qu’avant, ce qui compte pour les inspecteurs qui ne sont, dans leur immense majorité, ni pour ni contre les méthodes modernes mais qui sont (et passionnément) pour les résultats... L’IMPRIMERIE

Le secrétaire départemental de l’O.C.C.E. (1) nous prête une imprimerie toute neuve! C’est maintenant, vraiment, que notre classe va prendre une allure « moderne », que nous allons pouvoir aller de l’avant sans hésitations, rodés que nous sommes déjà par nos essais antérieurs. Nous décidons, bien sûr, d’éditer un journal que nous appelons La Moque, du nom d’une petite source du (1) Office Central de la Coopération à l’Ecole.

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Tévelave. Les textes libres affluent et les problèmes libres également, car les plus intéressants seront publiés. Et je mets en route la correspondance interscolaire avec des écoles qui impriment : j’ai attendu jusque là car je n’ai guère confiance dans les échanges interscolaires qui ne sont pas basés essentiellement sur l’échange du journal. Mais il nous faut, pour faire un véritable journal, autre chose que des textes et des problèmes libres. Nous commençons donc par mettre sur pied un « service météorologique » et une « rédaction sportive »... Et je cloue sur les vieux murs de l’école une pancarte toute neuve, toute fraîche de peinture : « Ecole nouvelle du Tévelave ». Si nous n’y sommes pas encore tout à fait, nous n’en sommes plus bien loin. CONCLUSION

Voilà comment, peu à peu, et à partir de rien, nous sommes passés des méthodes traditionnelles aux méthodes modernes d’enseignement. Qu’on ne s’y trompe pas : cha­ cune de nos expériences nouvelles a coûté beaucoup de travail, a demandé beaucoup de réflexion et de préparation, a soulevé beaucoup de problèmes. Mais c’est la règle du début en toute chose. Notre progression ne vaut évidemment qu’à titre indicatif. Il n’y a pas un aspect unique de l’école moderne, il y en a autant que des milieux différents, autant que de personnalités d’instituteurs. Et il ne peut y avoir non plus, je pense, un aspect uni­ que de passage progressif des méthodes traditionnelles aux méthodes modernes. C’est à chacun, je crois, de trouver sa voie selon son tempérament, selon ses propres talents, selon ses forces et ses faiblesses, selon le milieu enfin dans lequel il se trouve : bâtiments, matériel, crédits, collègues, inspecteur, familles, etc... Il y a donc d’autres façons de faire, d’autres moyens d’aborder la transition, tout aussi valables. Le mérite de notre progression, si elle en présente un, c’est d’offrir, je crois pouvoir l’affirmer, le maximum de sécurité à ceux qui débutent avec rien dans les Techniques Freinet, ce qui est bien, je crois, la préoccupation essentielle et légitime de tous les débutants. M. Le Guen.

IV

Les méthodes naturelles de l’Ecole Moderne

Comme le prouvent les exemples que nous citons longuement dans les pages qui suivent, les outils mo­ dernes apportent une vision nouvelle du rendement et des perspectives de la classe. Ce sont, au premier chef, toutes les disciplines scolaires : calcul, français, histoire, géographie, sciences, dessin, etc., qui bénéficient d’une pratique scolaire délibérément ouverte sur la vie, et qui suscite chez les élèves et chez le maître initiative et curiorité. Nous parlerons ici de quelques aspects de ce pro­ blème de rajeunissement et d’expansion du contenu résolu par une technique adéquate sous la forme de méthodes naturelles que j’ai hâtivement signalées dans la partie générale de ce livre.

MÉTHODE NATURELLE DE CALCUL

Nous n’entrerons pas ici dans les considérations géné­ rales relatives à l’enseignement du calcul, et que nous avons exposées par ailleurs, visant à dissocier les méca­ nismes de la compréhension intelligente du calcul (1). Nous les résumerons hâtivement : 1º L’essentiel dans l’enseignement du calcul doit être (1) C. Freinet, L'Enseignement du Calcul, B.E.M., Cannes (A.-M.).

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avant tout la culture du sens mathématique à même la vie (Méthode naturelle de calcul). 2° L’acquisition des mécanismes des diverses opérations est pour ainsi dire secondaire au siècle des I.B.M. et peut se faire par tous procédés dont on trouvera des démons­ trations dans les manuels de calcul. Nous proposons, nous, nos fichiers auto-correctifs de calcul, rapides, souples, at­ trayants. LE CALCUL VIVANT La scolastique présente aux enfants des règles, des principes, des lois qui sont comme préétablis, sûrs et définitifs et qui exigent des exercices d’ajustement et des répétitions. La méthode naturelle rétablit les processus normaux d’expérience et de découverte. Donnons quelques exemples typiques de la grande gé­ néralité de Vexpérience calcul dans diverses classes.

Mme Berteloot, Ecole maternelle Vieux-Calonne à Liévin Comme les autres activités, le calcul s’inscrit dans le cycle des activités journalières de l’enfant, dans son rythme de vie. Il est d’abord chanson : bien souvent, il m’arrive de les entendre répéter sur un air monocorde : 1, 3, 5, 6, 4... ou 1, 1, 2, 1, 1, 2, en manipulant leurs objets familiers. Je vois souvent mes enfants s’extasier à propos de « beau­ coup ». Beaucoup, beaucoup, beaucoup a pour eux valeur d’incarnation magique; quand l’enfant grandit, « beaucoup » devient des millions, des millions! On se pose des questions avec dans les yeux déjà la présence du plaisir que causera la réponse. — Y en a combien, madame ? — Beaucoup, beaucoup? — Des millions, des millions ? On vit d’abord le calcul. Sans danger pour leur progression mathématique, leur suite rigoureuse, les nombres sortent de l’ombre à 118

la lumière d’un événement marquant la vie d’un enfant ou de la classe : — les dessins sur les tabliers neufs; — les sept tas de terre apportés dans le jardin : six d’argile noire, un d’argile jaune; — les trois feuilles restées sur le peuplier; — les sept couleurs de l’arc-en-ciel; — la petite basse-cour de Sylvère : un coq, deux pou­ les, trois poussins, etc. C’est le calendrier qui assure la trame des nombres. A partir de dix, on écrit dizaine en rouge, mais très vite, on se libère de la couleur. Le premier matériel naturel de l’enfant, ce sont ses doigts : 5 et 5. Les enfants semblent posséder 10 très vite et cette année, on m’a dit : « 9 c’est 10 moins 1 > avant de dire : « C’est 5 et 4. » Il n’y a, chez nous et au C. P., pas de leçon spéciale de la dizaine qui a l’air de causer tant d’ennuis dans certaines classes. La suite 10, 20, 30, 40, s’acquiert tout au long de l’année.

Ecole maternelle de Fontaine-les-Grès (Aube) Occasions quotidiennes; l’exploitation de ces occasions varie. Ainsi, elle est : — détaillée et collective au début de l’année; — plus rapide ensuite, mais toujours collective; — limitée enfin à une équipe ou à un élève qui en rendent compte à tous (brevets de calcul); — nombre d’élèves : dans chaque rangée, chaque équipe, présents et absents; — feuilles d’éphémérides : nombre de jours du mois, jours de classe, jours de congé; — feuilles à imprimer : pour nous, pour les corres­ pondants, pour les journaux mensuels; — craies restantes dans la boîte; — images de collections (étiquettes de fromages, etc.). Sans y penser... nous comptons occasionnellement des quantités discontinues : pièces apportées pour la Coopé, cônes de bonneterie, buvards, photos, pots de fleurs, timbres, etc. Nous étudions les nombres ordinaux : 119

— en désignant les éphémérides; — en numérotant les pages de notre livre de vie et du livre des correspondants. Nous évaluons : 1) des sommes : — cotisations pour la Coopé (chaque élève; total); — prpduit d’une quête, de la vente de timbres; — frais d’envoi d’un paquet, d’une lettre, d’imprimés; — achat de son, graines, paille (élevage); friandises pour colis, etc. 2) des longueurs : graines qui lèvent, envergure d’un oiseau, doigts, pattes; les dimensions de la classe (compa­ raison avec celle des correspondants), nos tailles, etc. 3) des poids : qui est le plus lourd ? colis de lettres, im­ primés, notre lapin grossit, etc. 4) des contenances : des gouttes (compte-gouttes), des cuil­ lerées, des verres, bols, bouteilles... un litre, etc. 5) le temps : une minute, une heure, temps de la récréa­ tion, d’un travail, d’une promenade...

Mlle Gérard (Classe de perfectionnement dans un quartier populaire) Les histoires chiffrées partent, au début, surtout sur les commissions. Chaque matin, chaque soir, dans ce monde où les mères travaillent, ce sont les enfants qui font les commissions. Ensuite apparaissent d’autres intérêts : — entretien de la maison; — les heures de travail et les salaires; — les maladies et la Sécurité sociale; — Comment s’offrir un poste de télévision, une moby­ lette, une auto ? — Les économies pour les vacances, les voyages, etc. Mais c’est surtout la pratique régulière de la cuisine, intégrée une fois par quinzaine à la classe, qui nous a obligées à aborder des questions plus difficiles. En prépa­ rant ces repas avec ces enfants handicapées mentales, en déjeunant avec elles, c’est tout un monde nouveau qui se révélait à moi. C’est là que je voyais leur manque de jugement et de raisonnement, leur maladresse, mais aussi 120

leur débrouillardise et leur intuition qui peu à peu resur­ gissaient. — Comment lire et appliquer une recette ? — Comment couper 50 g de beurre dans un paquet de 250 g ? — Comment emplir une casserole à demi ? — Comment évaluer une pincée de sel, 30 g de sucre ? — Comment prendre un quart de litre de lait, remplir un moule aux deux tiers ? — Comment laisser cuire pendant 10 mn ou 3/4 d’heure ? — Comment partager les radis pour 7 ou 8 ou 9 convives ? — Comment partager la tarte ? — « Comme tu fais de grosses épluchures à ta pomme », dit Micheline, et de là, Micheline pèse pomme non épluchée, puis épluchure pour établir le rapport; — Comment savoir les quantités de matières premières à acheter, à conserver ? — Comment acheter, en gros, au détail ? — Va-t-on manger des fraises à Noël, des tomates en février, des haricots secs en juin ? Toutes sortes de questions nous sont posées, que nous résolvons sur-le-champ ou que nous approfondissons les jours suivants. J’ai constaté que ces travaux concrets, utilitaires, en­ traînaient ces enfants, pourtant handicapés, beaucoup plus loin que je ne le prévoyais, sur le chemin de l’abstraction. Et puis, c’est si bon de déjeuner d’un repas que l’on vient de préparer!

G. Beruti (C.M.-F.E.) nous communique des occasions spécifiques au milieu urbain de ses élèves 1o Le problème du logement et du garage dans la grande ville : Un texte : « J’ai été chez Philippe, comme il est bien logé! » — Mon déménagement. — Papa refait chambres et cuisine.

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Que de calculs outre les problèmes classiques sur tapis­ serie et peinture ! — Pourquoi le fait-il lui ? A quel moment ? Son béné­ fice ? Comparons avec le plâtrier ? Son salaire ? Les éco­ nomies pour faire ces réparations ? La construction d’un appartement : vaut-il mieux louer aux H.L.M. ou faire construire ? 2° L’envoi en colonie de vacances : Prix total — Allocation vacances — Bourses — Part du salaire — La location d’un logement à la campagne — La maison familiale. 3º L’automobile : — Comment l’acheter? Problème du garage. Vaut-il mieux la louer sans chauffeur ? Le budget de l’automo­ biliste. 4° La maladie et les assurances : Pourquoi faut-il s’assurer ? Avantages apportés par la Sécurité sociale (mutuelles, etc.). 5° Les transports dans la ville : — Prix d’une carte de tram, d’un abonnement men­ suel, % du salaire — Choix de l’usine et du logement — Etude des transports : nombre de voyageurs transportés, heures de pointe, kilomètres parcourus — Vitesse maxi­ mum des transports, etc. Le calcul devenu vivant s’intégre tout naturellement à la vie de toute la classe et participe même à la correspon­ dance interscolaire. Il arrive très souvent que des élèves in­ ventent des problèmes pour les soumettre à leurs correspon­ dants ou que, tout simplement, ils leur proposent un problème difficile qu’ils ont eu plaisir à réussir.

Le calcul-correspondance L’école de Pitoa (Cameroun) et l’école de Saint-Benoît (Vienne) avaient instauré le calcul-correspondance au cours d’une année et cela à la satisfaction de tous, maîtres et élèves. Cette technique s’était imposée tout naturellement ainsi que M. Lagrave, instituteur à Pitoa, l’écrivait à M. Barthot, instituteur à Saint-Benoît. L’échange de lettres, journaux, enquêtes, brochures et colis permettait déjà, de part et d’autre, une interpréta­ 122

tion fructueuse, mais Lagrave pensait à juste titre que nos enfants devaient se mêler plus intimement à la vie réelle de leurs correspondants. « Je vous fais parvenir des textes-problèmes. Voici comment nous procédons. Chaque mercredi et samedi soir, un volontaire décide d’écrire un texte-problème sur un tableau réservé. Le jeudi et le dimanche, il entre en classe, accompagné de deux camarades qu’il a choisis. Il écrit son texte; ses camarades l’aident à mettre au net et à corriger. Le lundi et le vendredi matin, nous trouvons donc sur le tableau un problème, mais un problème tiré de la vie de l’enfant, concret, réel. Les élèves se groupent devant ce texte et le lisent en silence. Quand ils Font compris, ils retournent individuellement à leur place et commencent à chercher les réponses. Pour nous, ce procédé a plusieurs avantages : il cons­ titue une lecture silencieuse; la réponse juste me certifie que le texte a été compris. Comprendre le texte et trou­ ver la réponse est une marque réelle d’intelligence. Ce pro­ cédé introduit un calcul vivant et concret. Ce n’est pas encore le calcul motivé, mais il plaît à l’enfant puisqu’il répond à son désir de production. En faisant le problème, chaque correspondant apprend en même temps les détails sur la vie de son camarade; solutionnant ses propres problèmes, il participe en quelque sorte à sa vie. C’est un excellent moyen de faire connais­ sance. Ces problèmes à résoudre nous ont appris que l’enfant africain est livré souvent à sa seule initiative et obligé de se débattre avec les difficultés de la vie bien plus tôt que l’enfant blanc. On apprend aussi qu’aucune tendance à la thésaurisation ne vient le déformer. Il travaille, confec­ tionne et vend au fur et à mesure de ses besoins et participe très jeune à la vie de la communauté. » LES FICHIERS AUTO-CORRECTIFS Les fichiers autocorrectifs représentent une sations maîtresses des Techniques Freinet. Ils la disposition de l’enfant des exercices destinés sition des mécanismes en calcul (opérations, 123

des réali­ mettent à à l’acqui­ problèmes,

exercices sur les nombres complexes et géométrie), ortho­ graphe et conjugaison, dans les différents cours. Leur ori­ ginalité réside dans le fait qu’ils permettent à chaque enfant de travailler à son propre rythme, sans être bous­ culé ni freiné par le niveau de ses camarades. Ils se présentent sous la forme : 1º De fiches-demandes dans lesquelles sont posées les opérations à effectuer, ou les problèmes à résoudre, ou les accords orthographiques à appliquer. 2º Des fiches-réponses à ces demandes permettant à l’enfant de corriger lui-même les exercices proposés. 3° De fiches-tests conservées par le maître, qui don­ nent à celui-ci le moyen de contrôler les acquisitions des élèves au fur et à mesure que ceux-ci avancent dans les difficultés. 4° De fiches-corrections donnant un travail supplémen­ taire aux élèves qui auraient oublié une notion lorsqu’ils font une fiche-test. Toutes explications sont données sur l’emploi des fi­ chiers dans les notices jointes à chacun d’eux. Un plan général du fichier permet de voir à quelle notion corres­ pond chaque fiche et vice versa, en même temps que la graduation des exercices. Si bien qu’il est possible de voir « où en est l’élève » et aussi de « placer » à son niveau un élève retardataire ou nouvellement arrivé. Des plans individuels (un par élève) permettent de suivre le travail déjà fait par chaque élève. Ces fiches sont imprimées sur carton léger, de cou­ leurs différentes suivant qu’il s’agit de fiches-demandes, réponses, tests ou corrections. Dans la plupart des cas, ces fiches sont de format 10,5 X 13,5 cm, sauf pour les fichiers d’orthographe d’accord C.M. et F.E. et de géomé­ trie pour lesquels, étant donnée la longueur des textes, il a fallu adopter le format double 13,5 X 21. Il faut en général un fichier par dix élèves, ce nombre étant toutefois fonction de l’organisation de la classe (1). (1) Liste des fichiers réalisés (classes primaires) : Additions-sous­ tractions (580 fiches). — Multiplications-divisions, lte série (218 D, 218 R). Multiplications-divisions, 2e série (182D-182R). — Nom­ bres complexes (56D-56R) grand format. — Géométrie (86D-86 5tests) grand format. — Problèmes cours élémentaire (129 D-129 R). — Problèmes cours moyen 1re année (168 D-168 R). — Problèmes

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LES CAHIERS AUTO-CORRECTIFS Le cahier de calcul autocorrectif personnel permet à l’élève d’avoir une vue d’ensemble sur les opérations qui le rendent maître des mécanismes indispensables aux opéra­ tions diverses : ils sont livrés sous la forme de livrets de trente-deux pages avec fiches de travail, livrets de résul­ tats et tests de contrôle (l). cours moyen 2e année (196D-196R). — Problèmes classe fin d'études (210D-210R). (1) Liste des cahiers auto-correctifs (classes primaires) : Nº 1 : Table d’addition C.P. — N° 2 : Table de soustraction C.P. — Nº 3 : Additions-soustractions (0-100) C.P.-C.E. 1. — N° 4 : Table de multiplications-divisions C.P.-C.E. 1. — Nº 5 : Additions-sous­ tractions (100 à 1000) C.E. — N" 6 : Multiplications-divions par 1 chiffre C.E. — N° 7 : Multiplications-divisions par 2 chiffres C.E. 2-C.M. 1. — N° 8 : Additions-soustractions C.E. 2-C.M. 1. — N° 9 : Divisions par 1 et 2 chiffres C.M. — N" 10 : Longues multi­ plications et divisions C.M. Lycées et collèges : Nº 1 : Classe de 5e : Arithmétique litté­ rale et préparation à l’algèbre. — Nº 2 : Classe de 4e et 3e : Arith­ métique (rapports et proportions. Nombres premiers. Racine carrée. Radicaux). — N° 3 : Classe de 4e : Algèbre (calcul algébrique). — N° 4 : Classe de 4e et 3e : Algèbre (décomposition en produits de facteurs. Fractions rationnelles. Equation du 1er degré à une inconnue). — Nº 5 : Classe de 3e : (Equation du 1er degré à deux inconnues. Inéquations. Fonctions. Equation du 2e degré).

MÉTHODE NATURELLE DE L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES

C’est dans les C.P. et C.E. non encore dominés par les impératifs des programmes et des examens qu’une mé­ thode naturelle de l’enseignement des sciences a vu le jour, de façon toute spontanée, sans que les maîtres aient lu Emile. Nous renvoyons nos lecteurs à la brochure de la Biblio­ thèque de l’Ecole moderne : L’Enseignement des Scien­ ces (1). Divers problèmes y sont posés : 1o Peut-on laisser l’enfant observer et expérimenter li­ brement ? 2° Les enfants et adolescents possèdent-ils l’esprit, le sens scientifique ? 3" L’enfant doit-il refaire toute la gamme des expérien­ ces qui ont conduit l’Humanité à l’ère industrielle et ato­ mique ? 4° Y a-t-il gradation ou totale liberté dans le choix des observations et expériences ? 5° Doit-il y avoir un plan de recherche ? 6° Acquisition et esprit scientifique sont-ils antinomi­ ques ? 7° Imagination, intuition, invention sont-elles de mise ? 8° La liaison de l’étude des sciences avec la vie ne retarde-t-elle pas une certaine aptitude à l’abstraction qui hausse l’esprit aux synthèses, aux généralités, aux lois ? Nous ne saurions quitter ce chapitre sans proposer comme démonstration méticuleuse, ordonnée, scientifique, la lecture de la B. T. barbacane (2) (histoire d’un grillon) réalisée par les élèves de C.P. et C.E. de l’école de Buzetsur-Baïse (L. et G.) sous la direction de M. Delbasty. La vision claire de l’enfant détrône ici la conscience de l’ento­ mologiste. (1) B.E.M., C.E.L., Cannes (A.-M.). (2) Barbacane, brochure Bibliothèque de Travail, nos 507-508509, Editions de l’Ecole Moderne, Cannes (A.-M.).

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MÉTHODE NATURELLE DE L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE

L’Histoire est une discipline pour laquelle rien n’a été fait de valable sur le plan pédagogique. Les manuels jettent, au vent de l’oubli, des noms, des dates que l’en­ fant ne saurait retenir ni comprendre et que le maître ne saurait expliquer sans une formation historique solide, sans l’acquisition d’un sens de l’histoire, toutes choses qui dépas­ sent le niveau de culture d’un jeune bachelier. Délaissant tous les manuels qui, dans leur condensé, sont toujours difficilement accessibles, nous avons mis de­ bout une technique de travail historique à base d’obser­ vation et de documentation, dans le milieu d’abord, ensuite par la recherche de documents, la construction de maquet­ tes, l’étude des textes, les films. Nos premiers travaux nous permettent déjà d’offrir aux éducateurs un cours d’histoire avec Plans-Guides com­ plété par une riche collection de brochures Bibliothèque de Travail. Pour faciliter le travail, nous avons découpé l’Histoire en « Moments historiques » essentiels, étant bien en­ tendu que des travaux de synthèse corrigent ce qu’auraient d’arbitraire ces moments et replacent chacun d’eux dans le complexe de la lente évolution historique. Voici la liste de ces moments pour la période allant de la préhistoire à 1789. (Nous avons regroupé ces mo­ ments pour faciliter les éditions dont nous allons parler.) 1. La préhistoire. 2. La civilisation égyptienne. La civilisation assyrienne et phénicienne. La civilisation chinoise et indoue. 3. La civilisation grecque. L’Empire romain. 4. La Gaule et le christianisme. Les invasions barbares. Les Francs et leurs descendants, Charlemagne. 5. Le Moyen Age. Les Normands. 127

La Féodalité. 6. Puissance de l’Eglise et Croisades. Naissance de la bourgeoisie, les Communes. 7. Les grandes inventions. Les grandes découvertes. La Renaissance. 8. La France au XVIe siècle. La Réforme. Le siècle de Louis XIV. 9. La France à la veille de la Révolution. Pour chacun de ces grands groupes de moments his­ toriques, il sera publié, outre les B.T. déjà existantes et celles qui sortiront encore : a) Une brochure S.B.T. de Plans-Guides détaillés avec toutes indications pour la documentation; b) Des S.B.T. textes d’auteurs, documents d’archives, chansons et danses folkloriques (nous pouvons publier au­ tant de ces brochures que le nécessitera notre documenta­ tion); c) Des pochettes d’histoire contenant pour chaque moment historique : — Des dessins de costumes, prêts à être reproduits pour découpage, — Des dessins d’outils, — Des dessins d’habitation, — Des maquettes simples et pratiques pour nos classes.

EXAMENS ET BREVETS

Dans la société actuelle, les examens sont indispen­ sables. Dès qu’on veut faire une sélection — pour l’entrée dans certaines écoles et ensuite pour certains emplois — il nous faut un moyen technique, autre que la fortune ou l’influence politique, pour déceler les qualifications et les aptitudes. Nous ajoutons que, pour ce qui concerne la France, les examens, même lorsqu’ils sont sans utilité pratique, sont considérés comme des références individuelles, au même titre que les décorations, les « parchemins » qui ont été de tous temps recherchés et encadrés, ou les médailles. Une organisation scolaire qui viserait à les supprimer ou à les réduire se heurterait à l’opposition unanime des parents. Ce sont là des réalités dont, pour l’instant du moins, nous devons tenir compte. Qu’y a-t-il de regrettable dans les examens ? Il faut reconnaître que la pratique des examens a été sérieusement rodée au cours de ce dernier demi-siècle. Les examens sont sérieux au maximum. Les fraudes y sont rendues difficiles, les corrections sont en général objec­ tives. Nous pourrions dire que les examens actuels con­ trôlent bien ce qu’ils visent à contrôler. Si nous examinons notre modeste Certificat d’Etudes, par exemple, nous pouvons savoir d’avance les candidats qui, sauf accidents, doivent être reçus; ce sont ceux qui font leurs problèmes justes (première condition); qui font peu de fautes à la dictée (deuxième condition); qui écrivent correctement (troisième condition beaucoup moins déterminante). Mais le grand et principal grief que nous faisons à cet examen, c’est qu’il est notoirement incomplet, qu’il contrôle seulement deux ou trois techniques comme si elles étaient pour tous les individus l’expression idéale de la culture en ce milieu du XXe siècle. Cela était peutêtre vrai au début du siècle. Mais aujourd’hui la vie est faite de bien d’autres éléments majeurs. La formation de 129 Freinet : Les Techniques. — 5

nos enfants est obligatoirement plus complexe qu’il y a cinquante ans, et certaines formes d’intelligence et de connaissances — parfois supérieures et déterminantes — sont totalement négligées au contrôle. Notre actuel Certificat d’Etudes ressemble au C.E.P. d’il y a cinquante ans. Il était peut-être valable il y a trente ans. Il ne l’est plus aujourd’hui parce que les conditions matérielles et techniques ont évolué à cent pour cent. Une révision, une modernisation de ces examens s’impose. Ce que nous disons de notre C.E.P. est certainement valable pour le baccalauréat et certains examens supérieurs. Ils mesurent, assez bien sans doute, un certain nombre d’acquisitions et d’aptitudes scolaires, cultivées par le bachotage, mais ces acquisitions et ces aptitudes sont souvent mineures dans la pratique de la vie. On mesure alors l’accessoire et on en néglige l’essentiel. Cette tare apparaîtrait avec évidence si on pouvait, par une enquête objective et scientifique, établir la liste des qualités et des aptitudes techniques, sociales, culturel­ les et humaines que réclame la société actuelle. Pour établir cette liste, il ne faudrait pas, bien sûr, s’adresser exclusivement à l’école et aux éducateurs, mais aux parents, aux administrateurs, aux organisateurs de sociétés diverses, aux employeurs. Nous ne pouvons pas assurer que nos élèves reçus au Certificat d’Etudes sont les meilleurs de la promotion. Ils sont sans doute les meilleurs pour le calcul, la dictée et la rédaction, mais ils ne sont pas toujours les plus aptes à faire carrière dans la vie — l’épreuve elle-même de la vie nous en apporte tous les jours la certitude. Il y a, incontestablement, des éléments majeurs que l’examen a négligés. L’examen n’est-il pas, de ce fait, en partie faux, injuste et dangereux ? Outre les dangers divers qui viennent des fausses orientations, décidées à partir des résultats aux examens, nous voyons, nous, un grave danger psychique, un danger humain, à la persistance de ces erreurs : les examens n’ap­ précient et ne jugent qu’une forme de connaissance, qu’une forme d’intelligence plus particulièrement scolaires. Celui qui ne les a pas et qui échoue à l’examen est, de ce seul fait, ravalé au rang des inintelligents et des incapables. Les échecs aux examens sont souvent, pour les enfants,

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des événements aux conséquences affectives et psychiques très graves. Des examens bien compris devraient déceler toutes les qualités et toutes les aptitudes, les aider toutes à s’affir­ mer, les inclure dans l’ensemble d’une culture harmonieuse au lieu de contraindre certaines d’entre elles à se développer en marge de cette culture, ce qui accentue ce hiatus regret­ table entre l’école et la vie que nous ne cessons de dénoncer. Sur quelles bases pourraient être établis pratiquement des examens qui répondraient aux besoins conjugués de l’école et de la société ? Nous avons, pendant longtemps, cherché la solution dans une forme nouvelle d’épreuves, par amélioration des pratiques existantes ou par le recours aux tests. Ni l’une ni l’autre de ces solutions n’aurait, en définitive, remédié aux inconvénients que nous avons dénoncés. C’est hors de l’école que nous sommes allés chercher des modèles possibles de formules à envisager, et notam­ ment chez les scouts, dont nous avons adapté le système complexe des « brevets ». Depuis près de dix ans, nous expérimentons à l’Ecole Freinet, à Vence, cette pratique des brevets. Les essais similaires réalisés dans d’autres écoles nous donnent l’as­ surance que nous sommes là sur une voie qui mérite aujourd’hui qu’on y accorde attention. De quoi s’agit-il ? Nous partons d’abord de quelques principes diffé­ rents : 1° Notre pédagogie doit s’orienter de plus en plus vers une pédagogie du travail. Il y aura donc lieu, de moins en moins, de considérer le verbiage théorique et les acquisitions abstraites. Munis d’outils et de techniques de travail, nous devons être en mesure de plus en plus de montrer le résultat de notre travail. 2º L’école de 1967 ne peut plus se contenter de mesurer les acquisitions techniques en calcul, orthographe et français. D’autres éléments de culture, pas strictement intellectuels, interviennent d’une façon majeure dans le comportement social des individus et dans leur mode de vie. En lisant la liste des brevets que nous avons prévus, on mesurera mieux la diversité des tendances et des aptitu­ des dont l’école doit désormais tenir de plus en plus compte.

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Liste des brevets obligatoires Ecrivain. Lecture. Bon langage. Historien. Géographe. Ingénieur de l’eau. Ingénieur de l’air. Ingénieur des végé­ taux. Collectionneur d’insectes. Ingénieur des minéraux. Maître du feu. Brevets accessoires Cueilleur. Fruitier. Grimpeur. Chasseur. Explorateur. Apiculteur. Eleveur. Constructeur. Cuisinier. Electricien. Chimiste. Secouriste. Artiste. Imprimeur. Graveur. Classeur. Voyageur. Acteur. Musicien. Chanteur. Potier. Menuisier, etc. Comment pratiquons-nous pour l’usage de ces brevets ? Nos enfants écrivent des textes et des poèmes, font des enquêtes, des recherches préhistoriques, historiques, scien­ tifiques, pratiquent la musique, le théâtre, impriment, mesu­ rent, gravent, jardinent, voyagent, etc. De bonne heure, dès novembre, ils pensent déjà à la production des œuvres et des chefs-d’œuvre qui seront présentés en fin d’année pour les brevets. A partir de Pâques, chaque élève choisit les brevets pour lesquels il désire concourir. La variété des choix mon­ tre bien que les enfants qui ont travaillé d’une façon non scolastique sont capables de se fixer des tâches qui répondent à leurs besoins, à leurs tendances ou à leurs aptitudes. Des normes ont été prévues. Nous les avons publiées dans un numéro de notre collection de « Brochures d’Education nouvelle populaire ». Lorsqu’un enfant croit satis­ faire à ces normes, il peut présenter son brevet. Des notes sont attribuées pour les divers éléments du travail et, en fin d’année, aux jours dits, une commission officielle examine les travaux et accorde les brevets. Au cours d’une séance solennelle accompagnée d’une exposition générale des travaux et en présence des parents, les brevets sont distribués. L’expérience conduite depuis plusieurs années dans de nombreuses écoles, montre : 1° Que les enfants sont enthousiasmés par les brevets 132

et que, pour en obtenir le maximum, ils sont capables de faire, dans les branches multiples, les plus grands efforts. 2° Qu’il n’y a pas d’échec. Les plus mauvais élèves ont au moins trois ou quatre brevets, même insignifiants. Leur honneur est sauf, celui des parents aussi. Et tout cela n’est pas à dédaigner. 3° Qu’il n’y a pas, pratiquement, de fraude possible car on juge pour ainsi dire sur pièces, sur le travail effectif des enfants. Certains tests pourraient peut-être d’ailleurs intervenir pour des mesures délicates. 4º Les risques d’erreurs sont d’autant moins grands et moins dangereux qu’on juge sur un plus grand nombre d’épreuves. Avec les trois épreuves du C.E.P., l’erreur sur une épreuve affecte le tiers de l’examen. Avec les brevets, l’erreur possible sur une épreuve ne touche que un quinzième ou un vingtième de l’examen. 5“ La pratique des brevets est surtout précieuse pour l’orientation des enfants. Cette pratique pourrait-elle effectivement être appli­ quée au C.E.P., à l’examen d’entrée en 6e et dans les divers examens du 2’ degré, y compris le baccalauréat? Notre expérience actuelle nous permet de répondre affirmativement. 1° Examen en 6e : Les brevets seraient ici tout particu­ lièrement précieux. Dans la période intermédiaire, ils pour­ raient être encore complétés par une ou deux courtes épreu­ ves qui départageraient les candidats, un peu comme on le fait dans les divers concours publicitaires. 2° Certificat d’études : Des essais pourraient être ten­ tés tout de suite dans quelques départements pilotes, des nonnes expérimentalement établies. Les candidats se pré­ senteraient au Centre avec leurs brevets. Une épreuve com­ plémentaire déciderait en dernier ressort. L’examen serait pour ainsi dire mixte : épreuves tra­ ditionnelles et brevets. Seraient admis à s’y présenter les candidats qui auraient un nombre (fixé d’avance) de brevets obligatoires et de brevets facultatifs. Les épreuves complémentaires seraient à étudier en fonction de la forme nouvelle de l’examen.

LES OUTILS ET LES TECHNIQUES DE L’INDIVIDUALISATION

Cette idée d’individualisation n’est pas nouvelle pour nous. Nos bandes programmées ont pris corps dans notre pédagogie parce que, tournant le dos aux vieilles pratiques scolastiques, nous nous sommes orientés depuis longtemps vers le travail individualisé, seul efficace. Nous avons rompu une première fois le vieux rythme traditionnel : leçons, devoirs, manuels scolaires, par la réalisation, il y a quarante ans, de la pratique du texte libre, que l’enfant produit lorsqu’il a quelque chose à dire et non à l’heure prévue pour l’exercice classique de rédaction (1). Nous avons poursuivi avec notre fichier documen­ taire (Fichier Scolaire Coopératif), et la classification déci­ male qui en rend l’usage pratique dans toutes les classes (2). Nous entreprenions ensuite notre grande série de bro­ chures Bibliothèque de Travail, programmées, qui est à ce jour une véritable encyclopédie pédagogique avec plus de 20 000 pages illustrées permettant des formes nouvelles de travail (3). Sur la même lancée, nous faisions un pas considérable avec nos fichiers autocorrectifs de calcul et de français (4) qui, bien avant les expériences américaines, préfiguraient une programmation dont la mode actuelle consacre le succès. Nous faisions en même temps nos premiers essais d’individualisation du travail avec nos fiches-guides d’his­ toire, de géographie et de sciences. Avec ces techniques et ces outils nouveaux, nous pou­ vions réaliser partiellement notre vieux mot d’ordre : plus de manuels scolaires ! Et, effectivement, un fort noyau d’éducateurs de notre mouvement accédaient à cette forme originale d’écoles sans manuels scolaires, avec textes libres ; (1) (2) (3) (4)

BEM n° 3 : Le texte libre, par C. Freinet. BEM n° 33-34 : Le fichier documentaire, par R. Belperron. Liste des nos parus à la CEL ; BP 282, 06-Cannes. Voir catalogue CEL : BP 282, 06-Cannes.

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comptes rendus et conférences, conformément au Plan de travail (1) qui tendait à devenir classique. Mais ces diverses techniques ne nous donnaient pas encore une totale satisfaction, non plus qu’une suffisante sécurité. Elles exigeaient encore du maître trop d’initiatives délicates, trop de préparations minutieuses pour lesquelles nous manquions souvent d’éléments de base. L’exploitation pédagogique des complexes d’intérêt aurait nécessité des directives documentaires et méthodiques que nous ne pou­ vions pas insérer d’avance dans un manuel scolaire forcé­ ment trop rigide. Pour ce qui concerne l’histoire, la géographie et les sciences, nous ne disposions encore que de données embryonnaires qui, dans la pratique, s’avéraient insuffisantes pour un enseignement scolaire de ces disciplines. Nous pouvions certes nous prévaloir d’essais intéres­ sants et probants mais qui étaient l’œuvre, dans la plupart des cas, de maîtres aux capacités et au dévouement excep­ tionnels. En fait, notre méthode naissante apparaissait comme une réalisation pédagogique de valeur mais qui ne pouvait pas, telle quelle, prétendre à la pédagogie de masse que nous affrontons maintenant. Et c’est parce qu’avec nos Bandes, qui complètent notre organisation, nous avons désormais l’équipement complet de nos ateliers de travail, que nous pouvons offrir à la masse des éducateurs une technique moderne bien au point, qui leur demandera un travail moins fasti­ dieux que la pratique des manuels, mais qui leur vaudra efficience et intérêt, et donc meilleur rendement.

(1) BEM nº 15 : Les plans de travail, par C. Freinet.

BANDES ENSEIGNANTES ET PROGRAMMATION

Machines à enseigner et programmation sont à l’ordre du jour. Encore une fois, nous n’avons pas voulu être en reste. Nous avons hardiment pris la tête du peloton et nous avons expérimentalement mis au point un système de boîtes enseignantes fonctionnant avec des bandes de notre créa­ tion, les premières en France et même dans le monde à affronter l’épreuve difficile de modernisation de notre ensei­ gnement dans la masse des écoles de tous degrés. Nous ne sommes pas partisans de la nouveauté pour la nouveauté, pas plus que nous ne sacrifions à la tradition. Nous œuvrons sans dogmatisme et sans a priori. Instituteurs travaillant dans nos classes, nous sommes sans cesse à la recherche de tout ce qui peut faciliter notre tâche en amélio­ rant le rendement technique et humain. Les machines à enseigner sont, que nous le voulions ou non, une des formes de l’enseignement de demain. Il ne s’agit pas de les bouder sous le prétexte que, dans leurs formes communes, elles présentent des tares qui nous effraient. Les machines dont on dit tant de mal ne peuvent-elles pas être aménagées pour nos classes ? L’enseignement pro­ grammé est-il à notre portée ? Sous quelle forme et dans quels buts ? J’ai déjà répondu à ces préoccupations dans mon livre : Bandes enseignantes et programmation. LA PROGRAMMATION La conception de la machine à enseigner n’est évidem­ ment pas indifférente. Nous dirons quelques-uns des avan­ tages de la nôtre. Mais ce qu’on met dans cette machine a plus d’importance encore. Vous pouvez avoir un appareil photographique de premier choix, avec des lentilles excel­ lentes et une mécanique parfaite, si vous ne placez dans cet

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appareil que des pellicules voilées ou de mauvaise qualité, les résultats resteront toujours insuffisants. D’abord, qu’est-ce que cette programmation? On dit volontiers qu’elle consiste à atomiser les diffi­ cultés, c’est-à-dire à les présenter en une suite de petites opérations qui font franchir pas à pas les escaliers de connaissance que les enfants ne peuvent pas aborder de front dans leur complexité. Nous comparons toujours la programmation à la pré­ paration d’une chaîne pour automatisation. On ne peut pas expliquer à la machine ce qu’elle doit faire. Il faut lui préparer une suite d’opérations simples dont l’ensemble mènera au résultat voulu. Il suffit qu’un contrôle auto­ matique assure l’exécution de chaque séquence, faute de quoi la chaîne ne pourrait pas continuer. Il y a en effet une programmation qui, à l’image de la chaîne, ne nécessite que quelques gestes simples, où l’intelligence n’a qu’une faible part. Elle donne de bons résultats pour l’apprentissage des divers mécanismes, ainsi que pour les travaux d’ateliers. Nous avons voulu aller plus loin, dans le sens d’une pro­ grammation plus intelligente que seul permet pour l’instant notre système de bandes. Voici comment nous les avons conçues ; nous avons : — des bandes programmées pour l’acquisition des mécanismes simples, plus spécialement en calcul ; — des bandes programmées pour complexes d’intérêt et notamment pour l’étude du milieu qui peut, grâce à cette technique, devenir vraiment le centre de tout notre travail scolaire ; — mais la meilleure utilisation de nos bandes sera encore nos bandes de travail pour les diverses disciplines : calcul vivant, histoire, géographie, sciences, observations, expériences, ateliers de calcul, etc. Les éducateurs n’avaient naguère à leur disposition que les manuels scolaires qui leur présentaient les obser­ vations et les expériences des autres, que les enfants devaient « apprendre » pour assimiler des connaissances. Nous avons pensé qu’à cette pédagogie scolastique de répétition nous devions substituer une pédagogie de recher­ ches et d’expériences qui, non seulement augmente les connaissances des élèves, mais les éduque en profondeur, pour leur faire acquérir une culture. Nous avions alors réalisé des fiches-guides qui « gui­

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daient » les enfants dans leurs recherches, dans leurs tra­ vaux et leurs expériences ; quelques-unes de ces fiches comportaient déjà une sorte de programmation assez poussée. Avec nos bandes, nous poussons plus avant cette pro­ grammation. En 25 ou 30 séquences la bande indique dans le détail des observations à faire sur des insectes ou des animaux, les modalités techniques et pratiques pour les expériences et les recherches. Les résultats s’avèrent à ce jour surprenants. CONSEILS pour l’usage des bandes éditées et la préparation des bandes-bis. Ce que nous avons dit ci-dessus vise à vous familiariser avec les outils de cette nouvelle technique. N’insistons pas pour la boîte. Elle est d’un maniement si simple et, pour­ rions-nous dire, si usuel, qu’un enfant de 6-7 ans la monte et la manœuvre sans difficulté. Les bandes elles-mêmes ont été réalisées par des équipes entraînées qui, profitant de notre longue expérience des fichiers autocorrectifs, vous présentent un matériel de choix, sinon parfait. Comment employer les bandes ? Nos bandes, comme nos fichiers autocorrectifs, ont cette qualité aujourd’hui essentielle de s’adapter à toutes les classes. Vous pouvez très bien, dans une classe fonctionnant encore selon les méthodes traditionnelles, introduire des fichiers ou des bandes qui vous apporteront simplement un moyen pratique de donner efficience à vos leçons. Si les fichiers sont parfois difficiles à utiliser dans les classes étroites et surchargées, hélas ! aujourd’hui si nombreuses, les bandes, matériel plus individuel, s’accommodent de toutes les installations. En somme les bandes remplaceront les exercices des manuels en calcul et en français. Seulement ce sont des exercices non scolastiques, plus naturels, que les enfants exécutent avec plaisir. Et la bande favorise l’application, l’ordre et le goût dans le travail, la conscience de la tâche bien exécutée, toutes choses qui sont précieuses dans les classes. Nous voyons très bien par exemple une classe homo­ gène de ville utiliser aussi les bandes de calcul. Quand la 138

leçon — calcul vivant ou leçon traditionnelle — sera ter­ minée, un temps plus ou moins long de travail individuel sur bandes sera réservé, au cours duquel chacun avance à son rythme, sur le sujet indiqué, sans difficulté majeure, sans bruit, dans une atmosphère de travail paisible qui est la caractéristique d’une bonne méthode pédagogique. Il en sera de même en français. Peu à peu, que nous le voulions ou non, si nous dési­ rons progresser, il nous faudra nous orienter vers la classeatelier pour les sciences notamment, où les observations et les expériences nécessitent une organisation adéquate, possible dans une classe ordinaire, même exiguë. Cette idée de classe-atelier est aujourd’hui admise et même recommandée par les Instructions ministérielles. Avec les bandes enseignantes vous pourrez y pourvoir avec un mini­ mum de transformations : table d’exposition de documents ; tables autour de la classe pour le travail scientifique et his­ torique ; table pour l’atelier de calcul, avec balances, poids, mesures diverses, etc. Les bandes régleront désormais ce travail d’atelier que vous pourrez prévoir tous les aprèsmidi. Pendant ces heures de travail au moins, vous romprez l’ordre scolastique. Les tables seront regroupées en tables de travail : observations, découpages, dessins, etc., indivi­ duels ou en équipes. Nous n’aurions recommandé naguère ces transfor­ mations qu’avec une extrême prudence car elles supposent une organisation très poussée du travail. Nous avons et nous aurons maintenant cette organisation grâce à nos ban­ des enseignantes. Vous pourrez donc les introduire progressivement dans vos classes. Vous en développerez l’emploi au fur et à mesure que l’enthousiasme des enfants pour cette nouvelle technique vous incitera à y adapter la nouvelle organisation de votre classe.

Voir : C. Freinet : Bandes enseignantes et programmation (Bibliothèque de l’Ecole moderne, Cannes). — C. Freinet : Bandes enseignantes (Dossier pédagogique de l’Ecole moderne n° 6, Can­ nes). — C. Freinet et M. Bertheloot : Travail individualisé et pro­ grammation (Bibliothèque de l’Ecole moderne, Cannes).

RÉFÉRENCE AUX INSTRUCTIONS OFFICIELLES

Nous avons la chance de bénéficier en France d’ins­ tructions officielles qui, loin d’être contraignantes et limi­ tatives, sont toujours ouvertes vers le bon sens, l’intel­ ligence et le progrès. Nous ne ferons exception que pour cette erreur que fut, il y a quelques années, la fameuse circulaire du « par cœur » unanimement désavouée d’ailleurs par l’Université française. Dès la parution des Instructions officielles de 1923, date à laquelle nous avions déjà commencé nous-mêmes nos expériences, nous nous référions à ce document qui se présentait alors comme une véritable charte de la pédago­ gie moderne. Nous sommes heureux de constater que se continue la tradition avec les Instructions officielles sur les Travaux scientifiques expérimentaux, et, tout récemment, sur les classes de transition, les classes terminales et enfin sur le dessin. N’est-il pas normal que nous cherchions dans ces ins­ tructions les justifications pour ainsi dire administratives de nos propres travaux, et que nous répondions à ceux qui voudraient nous contester le droit de ne pas nous plier à la tradition scolastique, que les instructions officielles ne se contentent pas de nous autoriser à faire mieux : elles nous en font une obligation. Il est pour le moins paradoxal que nous soyons en­ core assez souvent en butte à ceux-là même qui, devant faire respecter les règlements, y contreviennent réguliè­ rement. Nous savons bien que, en ce domaine, nous souf­ frons du décalage que nous avons maintes fois signalé entre une pédagogie théoriquement progressiste et une pra­ tique scolaire étrangement retardataire. Que, à tous les degrés, on s’accommode de ce déca­ lage est bien une des conséquences de notre époque. On ne se contente pas de s’en accommoder; on dresse une per­ manente barrière contre tous les essais de modernisation de notre enseignement. On procède, en tous lieux, comme si

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les I. O. n’existaient pas : on leur tire le cas échéant un coup de chapeau déférent et on s’en prend à ceux qui voudraient témérairement faire passer dans la pratique de leur classe les rêves généreux des pédagogues. Nous avons eu le courage et la ténacité de nous con­ former à la lettre et à l’esprit de ces I. O. On nous a souvent accueillis comme les hiérarchies religieuses ou politiques accueillent les fidèles trop zélés qui, bibles en mains, veulent montrer l’urgence de certains redresse­ ments. Mais nos réalisations sont aujourd’hui trop flagran­ tes pour qu’on continue à en masquer la portée. Une cer­ taine inquiétude semble gagner les milieux enseignants tra­ ditionnels : et si demain on les obligeait à suivre ces mêmes I. O. ? Si on les notait en fonction de leur respect des récentes circulaires ? S’ils devaient accepter ou même solliciter un certain « recyclage » qui est la condamna­ tion d’une tradition qui s’avère impuissante à affronter le présent et l’avenir ? C’est parce que nous sentons que souffle un vent nou­ veau qui nous est favorable que nous avons offert à nos adhérents, dans une brochure spéciale, de larges extraits des I. O. qu’ils ont avantage à mieux connaître, pour y puiser assurance et certitude. Chemin faisant, pour vous faciliter les recours utiles à ces documents officiels, nous avons mentionné d’une part les entorses que la pédagogie traditionnelle fait aux injonc­ tions ministérielles, et d’autre part comment, par nos techniques, nous sommes les plus fidèles traducteurs de ces mêmes Instructions. Et ce sera pour nous une raison de plus de continuer notre activité, qui porte aujourd’hui ses fruits, au sein de la plus large, de la plus ouverte et de la plus fraternelle des équipes de travail pédagogique dont puisse s’enorgueillir le monde contemporain.

V

Contre la sclérose des techniques Freinet

Nous ne sommes pas, on le sait, des fanatiques du tout ou rien. Nous ne pensons pas qu’on doive soit pra­ tiquer intégralement nos techniques soit continuer les mé­ thodes traditionnelles. Seuls, les théoriciens pourraient avoir une position aussi absolue; dans la pratique de nos classes, nous som­ mes tous, même à l’Ecole Freinet, loin de l’idéal entrevu. La vie a ses exigences, il nous faut bien souvent parer à ces exigences et trouver pour des situations exception­ nelles, des solutions hors séries que nous tâcherons d’adap­ ter au mieux de nos besoins et de nos difficultés. Si, par suite de la surcharge des classes, nous ne pou­ vons imprimer tous les jours, nous n’aurons notre texte libre qu’une ou deux fois par semaine. Si, par manque de matériel adéquat, il nous est techniquement impossible d’aborder en histoire les réalisations qui rendraient con­ crètes et intelligibles les questions étudiées, nous aurons peut-être encore recours aux manuels et à leurs résumés. Nous procédons en cela exactement comme la ménagère qui, à défaut de machine à laver, fait sa lessive à la main, et qui, faute de « butagaz » ou de cuisinière élec­ trique, allume encore un feu de bois ou de charbon. Elle ne peut pas se payer le luxe de dire : ou la machine à laver ou le linge sale; le « butagaz » ou pas de cuisine. Nous ne pouvons pas davantage décider : ou les Techniques Frei­ net ou aucune nourriture pédagogique. Mais cela peut conduire à deux situations également dangereuses : celle de la cuisinière qui, par crainte de la nouveauté et par peur du changement, est contre la ma­ chine à laver et le « butagaz » et qui s’acharne à justifier théoriquement son entêtement ; et celle de la personne qui attend que la mécanique soit parfaite et la méthode définitivement au point pour s’engager dans le mouvement. Il y a une troisième solution, qui n’est pas non plus

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sans danger, celle du moyen terme. « La machine à laver est encore trop chère et trop délicate à manœuvrer pour nos ménagères. Nous allons leur trouver une solution à leur mesure, entre les deux extrêmes. Nous mettrons au point une méthode à nous, moins réactionnaire que les méthodes traditionnelles, moins excessive que les solu­ tions d’avant-garde et qui n’en sera pas moins un progrès. » C’est la situation des éducateurs qui tentent d’adop­ ter le texte libre comme moyen terme, et les fichiers auto­ correctifs comme outils majeurs. Nous y voyons quelques risques sérieux. Nous admettons très bien qu’un instituteur, étant donné les conditions défectueuses de son travail, s’en tienne à un texte libre par semaine et qu’il ait recours encore à l’aide des manuels. Nous l’admettons, dis-je, s’il a cons­ cience que ce ne sont là que des pis-aller regrettables et s’il lutte avec nous pour conquérir les moyens de s’in­ tégrer plus activement dans notre mouvement. Nous ne serions plus d’accord avec lui s’il estimait que sa solution de demi-mesure peut s’inscrire parmi les conquêtes définitives de la pédagogie. Il s’égarerait et nous égarerait. Il serait de notre devoir de réagir contre ces erreurs et de montrer avec obstination le chemin de la libération, même si nous n’y avancions qu’à un rythme bien lent, avec, parfois, des pauses et des reculs regrettables. C’est la solution « ni chèvre-ni chou » que nous redou­ tons, car elle n’est pas étayée par de solides expériences, mais faite simplement de petites recettes. « Toutes les mé­ thodes ont du bon, », « toutes les tendances sont regretta­ bles », disent à l’envi les partisans de dangereuses com­ promissions n’aboutissant qu’à des solutions hybrides, et sans sève génératrice. Il ne s’agit pas ici de tendances, mais de principes fondamentaux. Nous avons à choisir, les jeunes ont à choisir entre la scolastique et la vie. Il ne faut pas leur laisser croire que les solutions se valent l’une et l’autre et que ce n’est, en somme, qu’affaire de tempérament. Notre pratique, étendue aujourd’hui à des dizaines de mil­ liers d’écoles, nous montre avec évidence la primauté de certaines solutions que nous devons recommander, la noci­ vité d’autres pratiques que nous devons condamner, même si nous y sommes parfois accidentellement contraints. Le progrès pédagogique est à ce prix.

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La scolastique a déjà sclérosé la méthode Decroly. Nous lutterons pour que cette même scolastique ne dépouille point nos techniques de l’enthousiasmante pro­ messe de vie qu’elles contiennent et sans laquelle il ne saurait y voir d’Ecole moderne efficace et humaine. Dans de nombreuses classes, les essais recommandés ne seront qu’un fragile rayon de soleil dans la brume de la scolastique. Mais nous veillerons à ce qu’ils soient un vrai rayon de soleil, une ouverture même timide sur une pédago­ gie dont nous ne cesserons de montrer la primauté et le succès. Il n’y a pas de péril à s’engager provisoirement dans des chemins détournés ou même des impasses, à condition que nous sachions qu’ils nous mèneront à la clairière attendue. Ce qui est grave, c’est de prendre des impasses pour les voies royales, car on est condamné alors à tourner en rond dans la forêt, ce qui vaut à qui­ conque y est condamné la plus triste des désespérances. ★ ★★ Puissent ces explications, ces exemples et ces conseils encourager les lecteurs à s’engager à leur tour dans la recherche théorique et pratique d’une pédagogie moderne qui permettra de former en l’enfant l’homme de demain, ouvrier actif et conscient d’une société de progrès, de liberté et de paix.

IMPRIMERIE AUBIN, 86-LIGUGÉ.

D. L., 1er trim. 1969. — Nº A. Colin, 4624. — Imprimeur, nº 4923. Imprimé en France.

ARMAND COLIN-BOURRELIER CAHIERS DE PÉDAGOGIE MODERNE Psychologie de l’enfant L’éducation affective et caractérielle de l’enfant La santé de l’enfant à l’école maternelle La santé physique de l’enfant et de l’adolescent Les écoles maternelles « Première étape » : l’école maternelle (3 volumes) « Les étapes scolaires » (3 volumes) L'éducation manuelle de 2 à 8 ans Méthodes de lecture Thèmes de vie (2 volumes) Vocabulaire et élocution L’observation des choses è l’école maternelle Les débuts du calcul Initiation musicale par le chant (enfants de 3 à 8 ans) Éducation du sens rythmique Jeux et mouvements avec accessoires pour l’éducation physique L’enseignement du français L’enseignement de l’arithmétique Les techniques audio-visuelles L'enseignement de l’anglais dans le premier cycle du second degré L’inadaptation scolaire et sociale et ses remèdes L'éducation des jeunes enfants (problèmes d'aujourd’hui) Le geste et le rythme (Rondes et Jeux dansés de la naissance à l'adolescence) Les enfants et les adolescents inadaptés et l’Éducation Nationale L'éducation physique des enfants de 3 à 7 ans Activités enfantines et fêtes à l’école Travail des mains et développement de l'enfant Eveil à l’expression plastique Vers l’apprentissage des mathématiques Les classes de transition L’histoire du C.E. à la classe de 3e

CARNETS DE PÉDAGOGIE PRATIQUE Programmes et Instructions commentés (Enseignement du 1er degré) Précis de pédagogie (Écoles primaires) Face aux enfants (Manuel de pédagogie pour les enseignants africains) Le certificat d’aptitude pédagogique Au pied du mur Enseigner, métier difficile Les tests é l’école L'écolier difficile (L'école et les défauts de l’enfant) Le temps d'apprendre à lire Initiation à l'emploi des moyens audio-visuels L’orthographe à l'école primaire Dictées pour l’école primaire Grammaire et analyse Le vocabulaire à l'école primaire L’apprentissage de la lecture Bêtes et plantes au fil des saisons A la découverte du pays de France Le dessin libre... et Joyeux La gymnastique à l’école maternelle Poésie et récitation Réflexions sur l'éducation des petits Les techniques Freinet de l’École moderne Jeux sur les ensembles avec les Jeunes enfants L'apprentissage de l'écriture La préparation de la classe L'expression orale à l'école primaire La lecture Éléments de psycho-pédagogie pratique Guide du débutant et A. B. C. de législation scolaire Le premier cycle des enseignements du second degré Le dessin, le maître et l’enfant Guide des pensions civiles

LIVRETS PÉDAGOGIQUES La dissertation au C.A.P. et au B.S. par R. GLOTON La pratique du cours préparatoire La pratique du cours élémentaire par A. FABIANI L’hygiène de l’école et de l’écolier par Dr OUILLON, M. ABBADIE La géographie au cours moyen par V. CHAGNY L’histoire au cours élémentaire par E. PERSONNE, A. ANDRAUD, G. MARC Le français au cours élémentaire Le français au cours moyen par A. FERRÉ Éducation du langage pour les enfants de 4 à 5 ans par M. ABBADIE Éducation du langage pour les enfants de 5 à 7 ans par M. ABBADIE, M. PICARD Tableaux muraux pour l’enseignement du français C.P. - C.E. 1 et 2 - C.M. 1 par M. PICARD L'initiation au calcul Écoles maternelles et section enfantine par M. ABBADIE Le calcul au cours préparatoire par A. CAMUSAT, S. CHATIGNOUX, G. DUPUIS Le calcul au cours élémentaire par A. ADAM, E. OCHSENBEIN, T. GOUZOU L’emploi du tableau noir par J. MACHARD L’éducation morale au C.P. et C.E. par L. FORTIER, A. B. VISTORKY

Notre désir d’aider les institutrices maternelles dans leur tâche délicate nous a conduits à compléter par deux collections pédagogiques l’ensemble des publications qu’elles ont l’habitude de trouver à notre catalogue.

COLLECTION THÈMES DE VIE Cette collection donne des relations d’expériences tentées dans les différentes sections de l'école maternelle et dans les cours prépara­ toires. A travers ces relations, les Institutrices peuvent se rendre compte des développements divers que prend un même thème.

201.

A l'ombre du toit

202. 203.

Plaisirs et fêtes (I)

Faisons connaissance avec... (1) 204.

205.

La vie des petits au fil des jours 206.

207.

Nos amies les bêtes

D’une saison à l'autre... (I) Automne - Hiver 208. 209.

Pas à pas avec les petits

211.

Du quartier à la ville

D'une saison à l’autre... (Il) Printemps - Eté 213.

214.

Le chant de l’eau

Plaisirs et fêtes (II) Carnaval

210.

212.

Joie des ailes

D'une ville à l'autre

Plaisirs et fêtes (III) Autour de la fête de Noël 215. 216.

En compagnie de Tistou Le retour des fleurs

COLLECTION ACTIVITÉ ET JOIE Cette collection s'adresse non seulement aux institutrices des écoles maternelles, mais aussi aux moniteurs et monitrices de colonies de vacances, aux animateurs et animatrices de centres aérés et de centres de loisirs. Chaque fascicule apporte des sug­ gestions, des renseignements précis à propos des activités à travers lesquelles l’enfant se construit, s'exprime, s'affirme, s'épanouit. Y trouvent place les techniques éducatives qu’il est intéressant d'introduire à l’école maternelle comme au centre de loisirs, et aussi les indications concernant le matériel qui permet et soutient la création enfantine et la continuité de l'effort.

401.

Activités d’expression

402.

Activités physiques

403. Activités de création 404. Activités graphiques 405.

Jeux anciens, jeux nouveaux, pour les petits 406. 407.

408.

Masques et costumes Comptines et formulettes

Réalisations enfantines (I). Avec le papier 409. Nous fêtons la Mi-Carême

410. Réalisations enfantines (II). Avec la corde armée et les têtes à décorer 411. Les marottes, technique de fabrication et d'animation. Jeux de mains 412.

Avec pinceaux et couleurs 413. Les mobiles 414. Fêtons Noël

415.

417.

Réalisations enfantines (III) Recherches décoratives 416. La Fête des Mères Jeux d'extérieur avec matériel pour enfants de 2 à 6 ans

ÉDUCATION PHYSIQUE PREMIER DEGRÉ D’ÉDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE par l’Amicale des anciens élèves de l’E.N.S.E.P. INITIATION AUX SPORTS COLLECTIFS par R. GRATEREAU PÉDAGOGIE SPORTIVE ET ATHLÉTISME par A. LEROY et J. VIVES RÉCRÉATION ET ÉDUCATION PHYSIQUE SPORTIVE Initiation (Tome I) par A. LISTELLO, P. CLERC, R. CRENN, E. SCHOEBEL ORIENTATION SPORTIVE (Récréation et éducation physique sportive, tome II) sous la direction de A. LISTELLO LES BASES PSYCHOLOGIQUES DE L’ÉDUCATION PHYSIQUE par E. LOISEL ENTRAINE-TOI Edition pour les garçons par J. DE RETTE LE TENNIS par H. COCHET, M. BAQUET, R. ANDRIVET, J. FEUILLET LE RUGBY Analyse technique et pédagogie par R. DELEPLACE L’ÉDUCATION PHYSIQUE DANS LES ÉCOLES RURALES (Afrique et Madagascar) par J. SCHNEIDER

POÉSIES - CONTES RONDE de Paul FORT PIN PON D’OR par A. GOT LA POÈMERAIE Poésies recueillies par A. GOT et Ch. VILDRAC BRINDILLES par J. et H. CHATEAU VOICI DES ROSES Récitations choisies par S. DEBRAT et F. SCAPULA MON BEAU SABOT DORÉ Poèmes de M. BERTIN ON RACONTE (3 tomes) par M. LERICHE HEURES ENCHANTÉES par M. LERICHE LA GRANDE BLEUE PIGEON VOLE LA LANTERNE MAGIQUE LA CAGE AUX GRILLONS LE VOLEUR D’ÉTINCELLES MÈRE POMME DE REINETTE MAISON BLANCHE LE MAT DE COCAGNE FLEURS DE SOLEIL 10 recueils de poèmes de Maurice CARÊME

REVUES PÉDAGOGIQUES L’ÉCOLE MATERNELLE FRANÇAISE Revue pour l’éducation des enfants de 2 à 7 ans Discussions pédagogiques, exercices pratiques illustrés pour les différentes sections et les cours préparatoires, informations admi­ nistratives, dossiers pédagogiques mensuels. - 8 pages de partie générale. - 16 pages de dossier pédagogique traitant d’un problème particulier. - 32 fiches d’activités, classées par section autour d'un même thème, imprimées en deux couleurs, une seule face, sur papier rigide. L’ÉCOLE ET LA VIE Revue pédagogique pour le premier degré Instrument de travail indispensable offrant aux enseignants les éléments de documentation et de culture dont ils ne cessent d’avoir besoin. - 32 pages de partie générale et de dossier pédagogique. - 64 fiches (recto seulement) de travaux scolaires établis selon une progression rigoureusement hebdomadaire. - Organisation de la classe prévue un mois à l’avance. THÈMES Revue pour les classes de transition Revue mensuelle de 48 pages, format 21 X 27, dont la moitié est consacrée à l'étude de la « classe par thèmes » : organisation de la classe, liaison des différentes disciplines, recherche de la docu­ mentation. L’autre moitié fournit 24 fiches de travail telles qu’elles doivent être données aux élèves pour l'exploitation du thème. - Chaque revue traite d’un thème différent. - Chaque sujet est l’occasion d'une étude géographique, historique d’un travail de français, d'exercices de calcul. Les dossiers élèves sont vendus séparément par jeu de 10 exem­ plaires d'un même thème. CONDITIONS ET NUMÉROS-SPÉCIMENS SUR DEMANDE

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lino. Chirat - St-Just-la-Pendue 3-69