Naissance d'une pédagogie populaire - historique de l'école moderne (Pédagogie Freinet)


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French Pages 359 [361] Year 1968

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Table of contents :
DESTIN DE LA PEDAGOGIE FREINET................................. 11
1. BAR-SUR-LOUP (1920-1928) ................................................ 15
Une classe comme tant d’autres ............................................ 17
2.
UN OUTIL QUI ORIENTE UNE PEDAGOGIE :
L’IMPRIMERIE...................................................................... 31
Naissance d’une technique pédagogique ............................... 36
Le premier disciple ................................................................ 41
Matérialisme scolaire . . . ....................................................... 44
Voyage en U.R.S.S................................................................. 46
Nouveaux adeptes .................................................................. 47
A l’école de Gutenberg........................................................... 48
La liaison avec les adhérents ................................................. 52
Enfin une visite attendue......................................................... 54
L’esprit de l’équipe................................................................. 57
Le premier congrès. Tours (1927) ......................................... 63
Echanges interscolaires (France) ........................................... 64
Le deuxième congrès de l’imprimerie à l’Ecole (Paris) ......... 69
3. SAINT-PAUL (1928-1929)...................................................... 71
Difficultés scolaires ............................................................... 71
Elargissement de l’horizon .................................................... 76
Un outil décisif: l’imprimerie ............................................... 87
Pédagogie coopérative ........................................................... 90
Naissance du fichier scolaire . ............................................... 94
Le congrès de Besançon (1928) ............................................ 99
4. SAINT-PAUL (1929-1930).................................................... 100
Congrès de Marseille (1930) ................................................ 122

5. SAINT-PAUL (1930-1931) ................................................... 123
Congrès de Limoges (1931) ................................................ 136
6. SAINT-PAUL (1931-1932) ................................................... 137
Le Congrès International d’Education Nouvelle de Nice 162
Mais une nuit....................................................................... 171
Voici Pâques.......................................................................... 189
Une réunion pathétique de parents d’élèves ......................... 189
7. 1933-1934 ............................................................................... 201
A l’étranger .......................................................................... 203
A pied d’oeuvre encore ! ....................................................... 204
A la recherche de la vérité pédagogique .............................. 205
L’action auprès des parents .................................................. 212
Pédagogie coopérative ..................................................... ... 214
L’Educateur prolétarièn .................................................... 218
Congrès de Montpellier (1934) ........................................... 221
8. VENCE (1934-1935) .............................................................. 223
Lier l’école au milieu ..................................................... 223
Pédagogie coopérative .................................................... 227
9. VENCE (1935-1936-1937) ................................................... 234
Le front de l’enfance ........................................................... 234
L’Education Nouvelle doit être un mouvement de
masse ............................................................................ 242
Les relations de la C.E.L. avec les syndicats...................... 242
Liaison de la C.E.L. avec le monde du travail.................... 250
Relations de la C.E.L. et du groupe français d’Education
Nouvelle ...................................................... .......254
Pour un nouveau plan d’études français . ............................ 257
Vers la réforme de l’enseignement ...................................... 265
Pour un nouveau C.E.P......................................................... 267
L’influence de la C.E.L. à l’étranger .................................... 272
10. VERS UN NOUVEAU PLAN D’ETUDES FRANÇAIS
...................................................................................... 276
Ampleur du mouvement C.E.L............................................. 276
Premiers délégués départementaux ...................................... 287
Encore des projets ................................................................ 287
Libre expression de l’enfant ................................................ 305
11. CONGRES DE GRENOBLE (AVRIL 1939) ................. 310
Le dictionnaire C.E.L.......................................................... 317
Pédagogie-psychologie ......................................................... 320
Freinet-Decroly .................................................................... 325
L’école au service de l’idéal démocratique .......................... 332
12. A L’EPREUVE DE LA GUERRE (1939-1945) ... ............. 336
Le camp de concentration .................................................... 339
La guerre .............................................................................. 341
La C.E.L. en veilleuse ......................................................... 343
Le mûrissement psychologique ........................................... 343
A la Libération ..................................................................... 347
Les difficultés recommencent ............................................. 350
Un grand mouvement de masse ........................................... 351
L’Ecole Moderne Française ................................................. 353
Les pionniers continuent ...................................................... 356
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Naissance d'une pédagogie populaire - historique de l'école moderne (Pédagogie Freinet)

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élise Freinet naissance d’une pédagogie populaire (méthodes freinet)

“textes à l’appui”

FRANÇOIS MASPERO

Sur la page 1 de couverture Célestin Freinet (Photo Jean Marquis)

« textes à l’appui » série pédagogique dirigée par Fernand Oury et Aida Vasquez

naissance d’une pédagogie populaire

élise freinet

naissance d’une pédagogie populaire historique de l’école moderne (pédagogie freinet)

FRANÇOIS MASPERO 1, place paul-painlevé, Ve PARIS 1968

© Librairie François Maspero. Tous droits réservés : Ecole Moderne Française - Cannes.

Ce livre est le livre des faits, des actes authentiques d’une équipe d’instituteurs de la base, organisés en francs-tireurs, en marge de l’orthodoxie enseignante et œuvrant à contre-courant, souvent clandestinement, pour la rénovation de l’école du peuple. Dans les dures réalités des inégalités sociales et des incom­ préhensions, tout ce qui fut gagné le fut de haute lutte, parmi les risques et les périls qui inévitablement sont le lot de tous les novateurs. Il ne s’agit, en apparence, que de la mise au point d’une pédagogie élémentaire pour les classes élémentaires d’une école vouée inexorablement à son destin primaire. Mais, à y regarder de près, ce terme d'élémentaire porte avec lui la solidité des éléments premiers, ceux dont on peut dire qu’ils sont des évé­ nements, matière initiale des constructions à venir. A la fin d’une longue marche poursuivie sans défaillance pen­ dant près d’un demi-siècle, il est dans le cours des choses que le chef de cordée prenne la parole une dernière fois pour faire le point de la grande aventure. Pour en retracer la ligne du passé et en pressentir la trajectoire d’avenir dans le complexe de l’his­ toire du peuple. Pour redire la nécessité de prendre au sérieux les travaux des chercheurs qui poussent leurs investigations dans les terrains vagues d’une nature encore si partiellement explorée. Alors qu’aucun esprit encyclopédique ne serait capable de dominer la totalité de la science, des bricoleurs d’idées peuvent, sur le tas, ouvrir les voies de nouvelles sciences qui, en apprenant à penser de façon libre, tiennent en elles les promesses d’une révolution philosophique. C’est là le sens des quelques pages écrites par Freinet comme une sorte de testament spirituel, peu de temps avant de passer le flambeau à ceux qui en sont dignes. Elise Freinet.

Destin de la pédagogie Freinet C'est, évidemment, un destin hors série. Pour la première fois dans l'histoire de la pédagogie, ce sont les usagers eux-mêmes, les instituteurs en l'occurrence, qui ont pris en mains l'amélioration de leurs considérations de travail, et qui ont osé, en conséquence, à la lumière de leur propre expérience, reconsidérer leurs méthodes et techniques d'éduca­ tion. Il en est résulté des initiatives qui ont révolutionné les conceptions courantes en pédagogie et en psychologie, et c'est cela que les attardés du passé ne peuvent concevoir. Après un long mûrissement, fruit de plus de quarante années d'expériences, nos techniques sont aujourd’hui invoquées partout où l'on considère objectivement la situation difficile de la péda­ gogie contemporaine, et la nécessité urgente de rattraper un re­ tard qui risque de compromettre à jamais l’éducation démocrati­ que. Notre obstination à défendre l'esprit libérateur de nos techni­ ques et à condamner du même coup l’abêtissement de la scolasti­ que a aujourd’hui ouvert une brèche. Le problème est posé officieusement hors de l’école, et même officiellement dans les diverses instances pédagogiques, de la prédominance des éléments culturels par les acquisitions techniques. Or, ces idées ne sont pas nées — elles ne pouvaient pas naî­ tre — de spéculations théoriques sur les données stériles d’un passé condamné. Elles ont pris corps parce que, les premiers dans la pédagogie mondiale, nous avons apporté les outils et les techniques qui permettent des formes nouvelles de travail mieux adaptées à notre milieu : un progrès technique est aujourd’hui possible dans la masse des écoles. Nous n’avons, hélas t que fort peu d’appui dans le dévelop­ pement de notre action.

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naissance d’une pédagogie populaire

Pour des raisons diverses qu’il ne serait pas inutile d’analyser, notre expérience se développe dans une période de vide pédago­ gique national et international surprenant. Il y a trente ans seu­ lement, notre pédagogie, si elle avait pris forme, aurait pu se confronter à celle d’une quinzaine de grands psychologues et pédagogues qui étaient l’honneur et la promesse d’une époque. Decroly et ses centres d’intérêt, Maria Montessori et ses inno­ vations pour la première enfance, Cousinet et son travail de grou­ pes, Ferrière et son Ecole Active, Pierre Bovet, Claparède et Dottrens de l’Ecole de Genève, Miss Pankurst et Washburne aux U.S.A., sans oublier John Dewey, le théoricien d’une concep­ tion nouvelle de l’école, Wallon, Piaget, Dalcroze, Freud, Paul Gheel, avec le prodigieux cortège des grands penseurs qui, à l'époque, suivaient de près nos travaux de mise en marche : Ro­ main Rolland, Barbusse, Jean-Richard Bloch, Gandhi, Gorki, Tagore... Comment et pourquoi ce feu dévorant qui nous encourageait et nous nourrissait s'est-il subitement évanoui, et la théorie psy­ chologique et pédagogique vidée de l'esprit de ces prestigieux chercheurs ? Faut-il voir là le fait, peut-être, que les nouvelles générations se sont rendu compte qu’il était vain de suivre les voies du passé, alors que rien ne dessinait encore les voies de l'avenir ? Et serait-ce parce qu’elle s’est attaquée au problème éducatif dans son ensemble, et par un biais nouveau, selon des données non encore entrevues, que la Pédagogie Freinet seule, dans les perspectives actuelles, porte les espoirs du renouveau ? C'est incontestablement parce que nous sommes partis de la base et que nous avons achoppé à tous les obstacles d'une rude et laborieuse pratique scolaire, que nous pouvons aller aujour­ d'hui vers une pédagogie de masse en offrant une façon nouvelle de l'aborder. Aucun de nos pionniers n’est parti, au début, avec une classe bien équipée qu’il se serait évertué à mettre au pas nouveau, en contre-pied absolu avec ce que nous avions condamné jusqu'alors. Non. Nous avons démarré dans la misère de nos classes, avec des directeurs et des collègues qui nous tenaient souvent pour fous et illuminés quand ils nous voyaient brûler ostensiblement tout ce qu’ils adoraient, avec des inspecteurs qui se demandaient toujours — et un peu avec raison, reconnaissons-le — s'ils avaient le droit de nous laisser faire « nos folies » dans nos clas­ ses publiques, avec des parents qui n’avaient pas même idée que l’école puisse être critiquée et améliorée, et qui tenaient pour suspectes toutes nos nouveautés. C’est dire que, par la force des choses, nous n’avons pu insé­ rer nos créations dans l’école que prudemment, progressivement, en compensant les dangers possibles par un apport personnel sup­

destin de la pédagogie freinet

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plémentaire, qui constitue l'aspect vraiment héroïque de l’entre­ prise. Nous partions sur des idées simples, avec un outillage encore rudimentaire : imprimerie donnant place d’honneur à un texte libre qui n’était d’abord que texte libre, correspondance qui a pris tout de suite une ouverture nouvelle, parce qu’elle fut approu­ vée par tous, fichiers auto-correctifs que nous fabriquions nousmêmes, dessins libres sur des bouts de papier, gravure sur du carton mouillé... C’est ainsi que, par un lent tâtonnement expéri­ mental qui n’a jamais compromis ni l’école ni les succès aux exa­ mens, nous sommes parvenus à la construction complexe d’au­ jourd’hui qui est, en fait, la matérialisation même d’une rénova­ tion de l’enseignement. Mais la rénovation scolaire suppose une reconsidération en pro­ fondeur de la pédagogie, un changement radical dans les techni­ ques de travail et de vie, un recyclage, pour employer un mot devenu à la mode, sans lequel la réforme scolaire restera velléité et illusion. Il ne saurait s'agir, en effet, d’un simple recyclage technique. S’il suffisait de changer de manuel ou de reconsidérer la forme des leçons, l’opposition des maîtres pourrait n'être que formelle et passagère. Mais c’est toute la conception de l’apprentissage qu’il nous faut changer. Tout est à reconsidérer. Des idées très anciennes et solidement assises dans la tradition et dans les livres qui font autorité, sont désormais ébranlées. L’exemple hardi des mathématiques modernes doit nous encourager dans notre effort iconoclaste. Mais il y faut des ouvriers à l'esprit libre, capables de s'attaquer à ce qui est pour faire naître ce qui doit être et qui sera. Ces esprits libres, nous les trouverons dans ce monde du travail dans lequel notre école publique est plongée, chez les intellec­ tuels, les artistes, les techniciens des entreprises. Pour les jus­ tifications qui s’imposent, il faut que nous ayons à côté de nous des psychologues, des professeurs aux divers degrés, prêts à étu­ dier psychologiquement et pédagogiquement les problèmes nou­ veaux qu’ont fait surgir nos techniques : celui de la création dans tous les domaines, de l’invention permanente et, partant, de l’exaltation de l’imagination, celui des processus d’apprentissage pour lesquels nous présentons notre théorie du Tâtonnement expé­ rimental; ceux de la place de l'enfant et de l’adolescent dans la société nouvelle et donc à l’école; du rôle possible des techniques audio-visuelles dans le cadre d’une pédagogie efficiente, l'inci­ dence des films, de la T.V., de l'art sous toutes ses formes. Nous avons l’avantage de présenter une théorie psychologique et pédagogique cohérente, fondée sur une expérience aujourd’hui concluante. Il faut que les plus clairvoyants parmi les éducateurs, les étudiants et les parents d’élèves, prennent conscience de l’im­

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passe où se meurt l’école, et de la possibilité d’en sortir par une action à la mesure de notre époque dynamique. Il faut, coûte que coûte, rompre le total silence que la presse, les revues, les livres font autour des problème d’éducation, pourtant si vitaux. Quel bien est plus précieux que l’avenir de l'enfant ? Célestin Freinet.

1 Bar-sur-Loup (1920-1928) Le 1er janvier 1920, Freinet était nommé instituteur adjoint dans une école à deux classes, à Bar-sur-Loup (Alpes-Maritimes). Il était, plus que tout autre, l’humble débutant dans la carrière enseignante; sa cantine d’officier de la guerre 14-18 l’accompa­ gnait aux bagages, et l’accompagnait aussi cette lassitude sans espoir qui est le lot des grands blessés de guerre voués au repos et à la mort lente. D’hôpital en hôpital il avait traîné quatre ans dans une déce­ vante convalescence. — Pour vous, jeune homme, la chaise-longue au bord des pins ! C’est contre cette irrémédiable prescription qu’il avait voulu s’insurger dans un sursaut d’énergie : fuir l’immobilité, le déses­ poir, la solitude ! Travailler ! Etre l’artisan du métier qu’il avait choisi : instituteur. A Bar-sur-Loup, il venait se mettre à l’épreuve.

La salle de classe où Freinet entre pour la première fois est la classe traditionnelle des écoles publiques : bancs-pupitres dis­ posés par rangées, estrade pour le maître, porte-manteaux fixés au mur, tableau noir à chevalet... Les fenêtres donnant sur la place rustique du vieux château, près d’une fontaine chantante, à l’ombre d’un grand platane, sont situées si haut qu’elles défient la curiosité des enfants. Le long des murs gris, quelques cartes de France, des tableaux muraux de système métrique, d’exercices de lecture et dans un coin un boulier délavé, seule attraction de ce mobilier poussiéreux et de tradition.

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Ce qui impressionne le plus Freinet, c’est la présence effective des enfants, gamins de cinq à huit ans, à la fois disparates et sem­ blables, faisant corps comme un troupeau docile où passent des remous, puis se disloquant, épars dans des individualités mysté­ rieuses. Il a comme une sorte de crainte pudique à les approcher, car jamais jusqu’ici il n’a pris contact avec une classe. Arraché à l’Ecole Normale après la fin de la deuxième année, par l’ordre de mobilisation, il n’a pas eu l’initiation pédagogique de l’Ecole annexe ou des classes de ville que reçoivent à l’ordinaire les élè­ ves-maîtres de troisième année. A défaut d’expérience ou de doc­ trine pédagogique, il apporte simplement ce respect profond de l’enfant, et aussi ce flair du berger, cet instinct qui suppute et qui jauge les unités et le troupeau et qui est la lente réminiscence de sa vie de petit pâtre provençal. C’est avec ces seules richesses qu’il devra devenir un éduca­ teur, et c’est avec les manques d’une santé diminuée qu’il devra courir les risques des inévitables échecs. Son Directeur, heureusement, comprend tout de suite ses sou­ cis et son embarras, et c’est très spontanément qu’il lui apporte chaque jour l’appui de son amicale expérience et de sa paternelle collaboration. Très brave homme, au demeurant, ce Directeur était le type de l’instituteur-paysan d’autrefois, se partageant avec une égale conscience entre ses champs et son école, soucieux au même degré du rendement des uns et de l’autre. Dès que l’aver­ tissait l’horloge, au clocher du village, il abandonnait sa pioche ou son âne, sortait précipitamment de sa poche son faux-col et sa cravate qu’il ajustait consciencieusement comme les signes essentiels de sa majesté éducative. Grave, il venait donner son coup de sifflet, faisait ranger les élèves des deux classes, et c’était la rentrée, ordonnée, silencieuse, sans caractère militaire poussé à l’excès mais qui donnait néanmoins l’impression de l’indispen­ sable autorité du Maître. Pour remplir au mieux son métier d’instituteur, cet homme honnête et sans prétention ne se posait d’ailleurs aucun grave pro­ blème de technique ou de méthodes. Il avait les méthodes, ou plutôt les procédés courants, qui lui permettaient de mener avec succès la majorité des élèves au certificat d’études, et c’était là pour lui la preuve suffisante de l’efficience de son enseignement. Il connaissait d’ailleurs, et se faisait un devoir de les enseigner à Freinet, tous les trucs, petits et grands, qui réussissent à l’école pour la discipline et le travail, et qui donnent avec les parents la tranquillité et la paix. Par ailleurs, il savait aussi avec assez de bonheur, et sans servilité, amadouer l’inspecteur, satisfaire ses habitudes, flatter un tantinet ses manies, et garder avec lui des rapports marqués de correction et de déférence sans excès de pla­ titude. Aux heures de récréation, dans les allées et venues au milieu du flot bruyant des enfants déchaînés, il se faisait un devoir

bar-sur-loup (1920-1928)

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de parler de son expérience à son nouvel adjoint, pensant ainsi, sans arrière-pensée, faciliter la tâche à ce jeune débutant, malade par surcroît, dont les résistances physiques très limitées mena­ çaient à chaque instant de trahir la bonne volonté. Et pour l’en­ courager humainement, avec ce besoin méridional de faire du rire le meilleur argument des démonstrations, il racontait avec verve les innombrables faits-divers qui avaient çà et là marqué sa carrière déjà longue. — Oh ! vous savez, il ne faut pas croire que les Inspecteurs se rendent toujours compte du niveau de nos élèves et de nos efforts à nous. Je me rappelle une inspection qui m’avait particu­ lièrement touché. A vrai dire, elle m’aurait bien un peu décou­ ragé si par ailleurs elle ne m’avait donné l’occasion d’une bonne partie de rire : j’avais à peu près votre âge et j’étais dans votre classe, où, comme vous, je faisais ce que je pouvais... Un jour l’inspecteur arrive : j’avais une leçon de choses sur le papier. Je me démène comme un diable, fais toucher du papier, du carton, je le froisse, je le fais brûler..., enfin, quoi, je «rupine», et mes élèves boivent mes paroles. Mais la leçon finie, l’inspecteur remarque deux écoliers dont les yeux vagues disent assez que la leçon est le moindre de leurs soucis : — Toi, là-bas : est-ce que c’est lourd, le papier ? — Euh ! euh ! euh !... répond en riant l’interrogé, d’un air narquois. Il était tombé sur Joseph, l’idiot du village. — Alors, toi, là, qui fais le malin ! Est-ce que ça brûle, le papier ? — La grosse campano fa boum ! (La grosse cloche fait boum !) C’était cette fois un benêt, le sonneur de cloches, qui avait la parole... Et voilà comment l’inspecteur, mesurant la classe à la bêtise de ces deux simples d’esprit, conclut à mon insuffisance péda­ gogique... Mais cela était, bien sûr, une histoire d’inspecteur d’il y a plus de cinquante ans... Une classe comme tant d’autres... — Vé ! le maître, comme il est blanc ! Un grand blessé du poumon s’accommode mal de l’air confiné d’une classe de trente-cinq élèves, de ses odeurs de remugle indéfinissables qui sont le lent poison de nos écoles prolétariennes, des poussières denses et ténues montées des chaussures boueu­ ses, du parquet mal balayé, du vent s’engouffrant dans le couloir de l’école. Parler quelques minutes dans cette atmosphère viciée devenait pour le malade une fatigue extrême; c’était à bref délai la menace de paralysie thoracique et de syncope. Bon gré, mal

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gré, il fallait se rendre, aller heurter du doigt la porte d’en face, signal convenu qui signifiait au Directeur que son adjoint était dans l’obligation de suspendre ses cours pour reprendre haleine. Puis c’était l’immobilité de mort sur le divan, et la désespérance quotidienne de l’être jeune qui voulait vivre... — Ne vous entêtez pas ainsi, disait le bon docteur du bourg. Prenez votre 100 % et retournez dans votre village, tranquille, dans le calme et le repos. Vous savez bien que vous ne tiendrez pas à ce sacré métier... Il s’entêta. Et parce que toutes les joies de la robuste jeunesse lui étaient interdites, il s’ingénia à trouver en lui des raisons de vivre : au lieu de se disperser en surface, il alla beaucoup plus loin dans la compréhension des choses et cette immobilité inexo­ rable l’orienta vers un cheminement de la pensée, vers une ma­ nière exigeante de s’emparer de la réalité, de la dissocier et de la reconstruire, sous l’angle de ce robuste bon sens paysan qui était jusqu’ici sa seule richesse intellectuelle. Ses dispositions d’esprit tout naturellement l’orientaient vers la pensée marxiste : il lit Marx, Lénine et, dominé par le dynamisme d’une pensée de mouvement, en lui s’éveillera peu à peu une initiative endiablée qui, plus tard, suscitera les enthousiasmes et aussi les méfiances qui sont le lot de tous les novateurs. Cet enfant qui est devant le jeune instituteur, ce n’est pas seulement l’élève qui doit apprendre à lire; c’est le fils du pay­ san et de la blanchisseuse, c’est l’enfant des champs et du ruis­ seau, c’est le sauvageon de la lointaine bastide, l’enfant poète et penseur qui ne se recrée que dans ses solitudes. Et parce que, sous chaque visage, l’éducateur qui s’ignore met une âme et un décor, tout naturellement il arrive à donner son véritable prix à la personnalité enfantine, à en faire l’objet de ses soins intellec­ tuels et de son affection... Là était le chemin du salut, la planche de sauvetage qui devait faire de l’épreuve de Bar-sur-Loup, mal­ gré la maladie et l’ignorance pédagogique du maître, une réussite. Sur son carnet de bord qui a remplacé le journal de guerre, Freinet note au jour le jour les remarques originales de ses ga­ mins, les mots d’enfants chargés de poésie, les gestes expressifs, les actes spontanés, tout ce qui dans un comportement d’enfant a la valeur instinctive des mécanismes adaptés. Sur la page d’en face sont transcrites les observations qui traduisent les ratés, les échecs, les ruptures d’équilibre, toutes les discordances qui se concrétisent dans la nervosité de l’enfant. Et dans cette alter­ nance du positif et du négatif il parvient à se faire une notion assez juste de l’unité des personnalités. Sur un plan plus sen­ sible et littéraire, Freinet éprouve du plaisir à camper les silhouet­ tes de ses élèves et en feuilletant le cahier jauni où Chaque élève avait sa page, il est facile aujourd’hui de se faire une idée ima­ gée et précise de la classe qui lui était confiée.

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Il y a là quelques élèves modèles, propres et ordonnés, atten­ tifs et appliqués, qui constituent l’élément d’ordre et d’équilibre de la communauté scolaire. Curieux et avides devant toute nou­ veauté, déjà ils ont compris avant que se termine une explication et, sans effort, comme en se jouant, leur esprit enregistre toute connaissance qui passe à leur portée. La moyenne anonyme et consistante des enfants à mi-chemin de l’intelligence et de l’inertie intellectuelle occupe l’essentiel de l’effectif : visages figés ou instables, chevelure à la diable, vêtements hétéroclites, et par-dessus cette turbulence vestimen­ taire et verbale, des esprits tour à tour fuyants ou curieux, cher­ cheurs de chicanes et de batailles. Reste la plus désespérante partie : les déficients caractérisés et les anormaux qui à cinq ou six exemplaires posent dans la classe, quotidiennement, d’insolubles problèmes. Evoquons-les au pas­ sage, d’après les portraits qu’en a tracés leur maître, car plus que tous les autres élèves, ils seront l’objet des attentions vigilantes de l’éducateur et, partant, à l’origine du renouveau pédagogique qui peu à peu s’installera dans la petite école de Bar-sur-Loup. Joseph, l’ami des bêtes, réfractaire sans recours à ce minimum de culture à laquelle on prétend l’initier, ne vit qu’avec ses chats, ses chiens et selon la saison avec les escargots, les hannetons et les cigales dont ses poches sont remplies. Vêtu d’une mau­ vaise chemise, d’un informe pantalon serré à la taille par une ficelle, pieds nus l’été, chaussé l’hiver de savates ramassées quelque part, ce petit Murillo domine la classe d’un prestige spon­ tané et tout naturel. Quand il regarde de ses yeux de braise, si persuasive est sa vérité qu’il s’impose d’emblée comme un petit Drac lançant ses sortilèges. Honoré, le lilliputien, arrive lentement le matin, traînant ses lourds souliers mal lacés, tout engoncé dans un pardessus trop grand qui remonte jusqu’à ses oreilles, et dont les amples manches dépassent l’extrémité de ses petites mains. Il ne parvient jamais à se dépêtrer de cet amas d’étoffe vaguement retenu autour de son corps gracile, lui donnant l’allure un peu drôlette d’un petit singe de foire. On ne pourra jamais savoir si cette apathie qui le domine et qui chaque fois le fait arriver en retard, qui l’enchaîne à son banc alors que déjà les autres évoluent vers la sortie, est le signe manifeste d’une déficience de son petit organisme souf­ freteux, ou simplement l’encombrement permanent de son invrai­ semblable manteau. Faroppa, au regard hallucinant dans un visage chaviré, arrive le matin de sa lointaine campagne, affolé d'avance par l’idée d’être en retard. La moindre question le plonge dans une agi­ tation telle qu’il lui est impossible d’articuler quelques mots compréhensibles dans un bredouillement sans suite. Les deux petits rétameurs, noirs de visages et de vêtements,

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indécrottables sous leur poussière de charbon, font un couple indissoluble. Main dans la main, épaule contre épaule, ils subis­ sent en bloc les disciplines de l’école, si bien que, s’adressant à l’un, on voit l’autre réagir dans les mêmes limites d’une pensée commune. Une seule chose les domine : le désir des grands voya­ ges sur les routes, dans la roulotte, au pas de la mule. Ils ne sont ici que par pure forme de présence, et quand leur esprit s’éveille c’est par la simple association d’idées qui déjà les pro­ jette en imagination dans la belle aventure ambulante du réta­ meur. Et c’est dans ce rêve nécessaire comme une nourriture que naîtra quelques années plus tard l’un des tout premiers nu­ méros de nos « Enfantines » : « Les deux petits rétameurs ». Mansuy, le solitaire, est certainement le plus pitoyable de tous ces anormaux légers. Dominé par son instabilité inquiète et sus­ ceptible, handicapé par une myopie de taupe, il a la sensation étrange d’être entouré de malveillance et de provocations et, à propos de tout et de rien, il part en avant, ongles tendus, fonçant sur l’adversaire. Il arrive chaque jour portant un petit panier dans lequel ballottent un méchant croûton de pain, quelques olives, un brin d’oignon, pour le repas de midi. — Mangia cebo ! (mange oignon !) lui crient les taquins, qu’astu mangé aujourd’hui ? Lui, fou de rage, se précipite sur les insulteurs de sa misère, griffes recourbées, dents serrées, prêt à mordre... Mais il arrive quelquefois, ô miracle ! que tout seul, accroché à son clou, le petit panier se gonfle de richesses... Et, à midi, aux yeux de tous, Mansuy déplie avec délicatesse et ostentation le chocolat fourré, le biscuit gaufré ou la part de fromage, sertis dans ce beau papier d’étain qu’il étale soigneusement en effaçant les plis et range comme une relique dans ses méchants livres ourlés d’oreilles cras­ seuses. C’est parce qu’ils étaient ainsi humains, attachants jusque dans leurs faiblesses, que les enfants de Bar-sur-Loup posaient à leur maître scrupuleux, par leur seule présence, la grave question de leur actualité et de leur avenir. A leur contact, à même les condi­ tions poignantes de la pauvreté prolétarienne, se profilèrent les premières responsabilités d’un éducateur du peuple. Tous les problèmes que posait cette petite classe de village sont les mêmes que se posent dans la majorité des écoles françai­ ses nos jeunes instituteurs d’aujourd’hui et qui conditionnent de façon majeure toute la pédagogie des écoles publiques. Peut-être Freinet aurait-il mieux subi la déplorable emprise de la défec­ tueuse installation scolaire et de la pauvreté, peut-être se seraitil accommodé, pour la dominer, tant bien que mal, des procédés traditionnels vantés par son Directeur, si n’entrait en jeu la grave question d’une santé compromise. Il se trouvait dans l’impérieuse nécessité de chercher d’autres solutions, valables pour son cas,

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et valables aussi pour ces personnalités dont il apprenait chaque jour à connaître les particularités respectives. Tout naturellement il essaya, sans ambition, sans parti-pris, d’adapter un enseigne­ ment dépouillé de formalisme à ses possibilités physiques mesu­ rées et aux réactions de ses jeunes élèves. Au jour le jour il improvisa, comparant son comportement au comportement même des enfants. Il s’aperçut sans peine, par exemple, que les leçons tradition­ nelles que par impossibilité respiratoire il ne pouvait faire conve­ nablement, fatiguaient tout autant les enfants que lui-même. Quand il rangeait sur son bureau le matériel qu’il avait préparé pour une quelconque leçon de choses, les enfants se tenaient attentifs et curieux, dans l’attente d’une sorte d’exhibition de prestidigitateur. Mais, dès que les explications commençaient, qu’il fallait imposer le silence et mener de front l’exposé de la leçon et la discipline, l’effort était tel que le maître malade devait capituler, comme capitulait la curiosité mal satisfaite de ses élè­ ves déçus. Mais que faire dans une classe, si l’on est dans l’impossibilité de faire des leçons ? On ne peut du matin au soir lire dans le syllabaire, copier un modèle et écrire des chiffres sur un cahier. D’ailleurs les enfants sont rebelles à ces activités d’immobilité physique et mentale, et pour finir c’est l’énervement qui s’em­ pare d’eux et l’impatience qui gagne le maître. Chaque jour, l’expérience conduit Freinet à la même conclu­ sion : l’enseignement donné sous la forme traditionnelle qui exige de l’enfant une attitude passive et amorphe est un échec. Certes, Freinet fait dans cet échec la large part de ses faiblesses d’édu­ cateur. Il sait que si sa voix était forte et bien timbrée, son regard assuré, sa prestance physique imposante, le dynamisme de l’être sain aurait Chance de dominer la situation. Mais dominer la situa­ tion ce n’est pas résoudre le problème éducatif. Là, tout près de lui, dans la salle d’en face, son directeur fait front à l’indocilité des enfants par des éclats de voix, des coups de règle sur la table, des lignes à écrire, des verbes à copier, et quelquefois par l’ex­ pulsion violente de quelque indésirable dans le couloir... Mais, pour autant, l’échec ne devient point succès. Poser le problème, en sentir les difficultés, pressentir les don­ nées qui en font la complication, ce n’est pas forcément trouver la solution idéale. Ce rôle de camarade-éducateur que Freinet a choisi ne se concilie pas toujours avec les exigences des program­ mes et la rigueur des horaires. Après les moments de détente amicale, inévitablement, il faut se raidir, dominer le troupeau, aller vers l’obligation scolaire chaque fois décevante pour tous. Très épuisé physiquement, et devant les difficultés presque insurmontables qui surgissent quotidiennement, Freinet décide de préparer l’inspection primaire. Ce faisant, il occupera son esprit

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et mènera une existence moins sédentaire tout en vivant près des enfants qu’il a appris à aimer. Il s’enquiert du programme et pour la première fois il prend contact avec la pensée de ceux qui ont dominé la pédagogie au cours des siècles. Jusqu’ici il soupçonnait à peine Rabelais, Montaigne, Pesta­ lozzi, Rousseau, que son départ précipité de l’Ecole normale ne lui avait pas permis d’approcher. Il retrouve dans ces pionniers une solidité, une vigueur, qui contrastent étrangement avec la psychologie intellectualiste et abstraite des auteurs qui figurent au programme d’inspection, et il est décidé à avaler comme une purge les traités de Spencer, William James, Wundt, Ribot; mais c’est avec un réel plaisir qu’il s’attarde en compagnie de Gargan­ tua et Pantagruel, et surtout de ce grand bonhomme de Pesta­ lozzi dont les audaces le dominent. Ce qui va s’améliorant, ce sont ses rapports avec ses élèves, sur le plan scolaire. Sachant qu’il désertera un jour cette petite classe, il s’attache semble-t-il davantage à eux, les regardant vivre de près, s’ingéniant à être indulgent, attentif aux désirs de cha­ cun, soucieux avant tout de comprendre, d’aider. Il trouve à cette attitude spontanée des joies quotidiennes qui rendent supportable sa vie de malade et l’orientent de plus en plus vers la compréhen­ sion profonde de l’enfant. Il a moins de scrupules aussi à ne pas respecter l’horaire, à ne pas suivre pas à pas le programme et, petit à petit, hors des sentiers battus, il adopte un comportement nouveau en face des problèmes pédagogiques que lui pose la vie pratique de sa classe.

C’est Joseph, l’ami des bêtes, qui entraîne résolument Freinet vers une reconsidération permanente du problème pédagogique. La récréation finie, au coup de sifflet du directeur, les deux clas­ ses se sont mises en rangs pour la rentrée et tandis que la co­ lonne s’ébranle, Joseph, en queue de peloton, s’esquive des rangs, et précipitamment vient s’agenouiller devant les remparts. Son regard avide scrute les vieilles pierres. Déjà le directeur a disparu dans le couloir. Intrigué, Freinet observe Joseph qui, avec des gestes religieux, lève les bras contre le mur, à la hau­ teur de ses yeux. — Joseph ! Pas de réponse. Notre servant officie... — Joseph ! Alors l’enfant tourne vers le maître son visage préoccupé et d’un geste hâtif qui est à la fois un ordre impératif de silence et d’attente, il signifie : — Chut ! allons, je viens, je vais venir ! Rentre, je te suis.

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Si profonde est la tension d’esprit du gamin que d’emblée Frei­ net comprend le langage de cette petite main impatiente et, sans se retourner, il entre dans la classe. — M’sieur ! il manque Joseph. — M’sieur ! Il s’est échappé. Avant, il s’échappait toujours. Mais la porte s’est ouverte et, radieux, Joseph apparaît, reni­ flant un bon coup comme après une victoire. — M’sieur, c’est que dans le trou il y a une petite chenille qui a des plumes... petite, petite, comme ça (il donne la mesure sur son doigt) et elle est bleue, m’sieur... «J’y ai» donné à manger... La leçon de lecture commence et tandis que la baguette du maî­ tre désigne les syllables sur le tableau mural, Joseph, les yeux tournés vers la fenêtre, continue à veiller sur sa petite chenille qui a des plumes et une si belle couleur bleue... La chenille de Joseph n’est qu’un fait pris parmi des centaines de faits qui démontrent à Freinet la nécessité de prendre en consi­ dération l’intérêt de l’enfant et d’intégrer cet intérêt dans l’en­ seignement, pour éviter sans cesse cette désintégration de la pensée enfantine qui est la plaie de l’école traditionnelle. Chaque événement qui dénote ces manques d’une pédagogie sans fonde­ ment psychologique est désormais analysé de près par Freinet et tant bien que mal, avec les moyens du bord, il essaie d’éviter ces heurts violents qui opposent l’élève au maître. Lancé sur cette voie de la recherche et de la critique, il aperçoit désormais les tares et la malfaisance des techniques d’autorité et il adopte, pour une bonne fois, une attitude de doute constructif dont on va voir la lente évolution. L’emploi du temps prévoyait au début de la classe l’éternelle leçon de morale. Freinet se rendit compte de l’inutilité des prê­ ches que sa gorge malade et sa maladresse oratoire rendaient à peine supportables aux enfants les plus dociles. Il cessa les leçons de morale. Mais le matin, il inspecta plus soigneusement les enfants à leur arrivée; au cœur de la journée, il remarqua mieux les discordances créées par le comportement irrationnel des ner­ veux, des instables, des malpropres, des coléreux, des voleurs, des égoïstes et, à l’appui de faits sociaux suscités dans la vie de la classe, il en vint à remplacer la leçon de morale par la simple formule de suggestion dont la vogue alors des expériences de Coué lui avait révélé les possibles vertus. Durant toute une semaine, une phrase suggestive, suceptible d’influencer le comportement des enfants, était inscrite au tableau : Je sais obéissant et respectueux avec mes parents. Je suis toujours poli avec mes camarades. Je prête volontiers mes affaires aux autres. Je salue tout le monde dans la rue. Etc...

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Chaque élève lisait la phrase à haute voix et ceux qui savaient écrire l’inscrivaient sur leur cahier. Pour le calcul qui suivait la leçon de morale, Freinet essaya bien tous les procédés concrets qui ne sont pas d’invention récente et qui relèvent plus de l’exercice sensoriel que de l’initia­ tion au sens des nombres. Mais il se rendit compte à quel point ces procédés, pourtant à la portée des enfants, restaient à l’écart de la vie. Ce n’est pour ainsi dire qu'accidentellement qu’il com­ mença à accrocher vraiment les notions de calcul à l’intérêt vivant de ses élèves, quand il commença les « promenades ». Avec cette désinvolture propre aux audacieux, Freinet avait en effet pris la décision d'emmener chaque après-midi ses gamins dans la nature. Le premier instant de surprise passé, son direc­ teur s’accommoda de la chose, tout comme s’en accommodaient les parents, avec cette arrière-pensée, toutefois, que c’était là un moyen remarquable de perdre son temps et, qui plus est, d’orien­ ter les enfants vers des habitudes de paresse. Il n’en était heureusement rien. La promenade, c’était le moment de la journée le plus attendu par les enfants. Elle se faisait l’après-midi, quand déjà l’effort de la matinée avait entamé la résistance du maître malade et des élè­ ves les plus instables. Chaque enfant prenait son crayon, son ardoise, et la petite troupe s’en allait dans les environs immé­ diats de l’école, le long du sentier serpentant sous les oliviers, vers le calme du cimetière, dans la colline ou là-haut, sur le tertre fleuri qui dominait le village. Freinet restait attentif à toutes les remarques des enfants plus par curiosité humaine que par souci pédagogique et en fin de compte il était facile de voir que tout le monde tirait de cette sor­ tie en plein air, sous le beau ciel du midi, une impression d’eu­ phorie qui disposait à la confiance et ouvrait la compréhension. — M’sieur, disait Lulu, là-bas, je vois ma mère dans mon champ ! — Où ? Où ? — Là-bas ! Tu vois, là-bas ! — Explique bien, Lulu, disait le maître; explique, pour que nous la voyions, nous aussi. — Regarde, là-bas : tu vois la route ? Tu vois le contour du pont ? Eh bien, monte le petit chemin : tu vois le grand chêne ? Et bé ! c’est un peu plus loin de ce côté. Quelle leçon d’élocution vaudrait cet exercice si naturellement éclos dans l’aventure intime de l’enfant qui regarde dans la direc­ tion de sa maison ? — M’sieur, on est monté haut, ici ! — On est plus haut que le château ? Et des comparaisons s'ensuivaient des évaluations de distances,

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de mesures, des notions de longueurs, et voilà le point de départ d’une excellente leçon de calcul donnée à même la vie. Cependant ce n’était là encore qu’une intuition obscure qui n’arrivait point à percer dans le champ clair de la compréhension pour susciter un changement total dans la pratique scolaire. Ren­ tré en classe, il fallait, bon gré, mal gré, retrouver les rangées de bancs qui maintenaient les enfants prisonniers, les immobili­ saient dans leur corps comme dans leur pensée. Et il fallait re­ trouver, à la même heure, la leçon de lecture aussi ennuyeuse pour le maître que pour les élèves. 11 y avait, accrochés aux murs, une série de tableaux gradués, méthode Boscher, dont il reste certainement encore des fossiles dans nombre de classes actuelles. Les enfants venaient par groupe d’abord, puis indivi­ duellement, lire la portion de leçon qui faisait suite à celle de la veille. Bien que la preuve soit faite du manque d’intérêt d’un tel procédé archaïque, force était d’utiliser tant bien que mal le maté­ riel existant, faute d’en connaître d’autre. Le petit groupe de bons élèves se tiraient toujours au mieux de l’épreuve, suivant la ba­ guette sans perte d’attention, entraînant derrière eux, dans la lec­ ture collective, la masse amorphe des hésitants capables tout juste d’accrocher leur voix aux syllabes prononcées, d’en prolonger la sonorité dans des intonations qui ne laissaient aucune illusion sur leur savoir. Heureusement que Lulu et Pierrot étaient là pour porter secours, avec une louable persévérance, aux ignorants invétérés résignés d’avance à l’échec dans les contrôles que le maître leur imposait par acquit de conscience. Nos deux estamas1 s’appuyaient fraternellement l’un sur l’autre dans un mouvement de tangage comme on franchit le passage difficile d’un gué, à contre-courant. Mansuy ouvrait tout grand ses yeux de taupe sans qu’on puisse jamais arriver à savoir laquelle était la plus défail­ lante, de sa vue ou de son attention. Quant à Joseph, il lisait, mains dans les poches, l’air absent, avec la belle désinvolture de celui qui n’est pas là et qui n’a pas de compte à rendre. — Joseph ! allons regarde : papa a ri. - Tata a raté le rôti... C’était dans les poches de Joseph que se jouait la grande aven­ ture. Sur ses doigts il sentait courir les insectes dont il avait fait provision au cours de la promenade, et la méthode Boscher avait beau étaler ses inutiles tentations sur le carton jauni de ses tableaux, d’avance elle devait s’avouer vaincue par le chatouillis des petites pattes des hannetons ou des bêtes à Bon Dieu. Clémenti, lui, avait trouvé le moyen de faire passer le temps par de brusques interventions qui faisaient croire de sa part à une apparente attention et risquaient de donner le change : — La pou le a pi co ré la... M'sieur, qu'est-ce que c’est picoréla ? 1. Estama : rétameur

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Pour finir, c’était le maître qui se trouvait pris au piège par ces satanés tableaux Boscher, et d’avance il devait avouer son incapacité à redonner un sens à des phrases stupides dont les en­ fants ne percevaient jamais que les syllabes chantantes psalmo­ diées comme une litanie d’église. Pour les grands qui déjà savaient lire, l’exercice de lecture n’en demandait pas moins une continuelle tension d’esprit. Les bons élèves ouvraient leur livre à la page qui suivait la dernière leçon, en donnaient le numéro de pagination, aidaient un cama­ rade inexpérimenté, et quand tout le monde était prêt à l’attaque, sur un ordre du maître, l’orchestre s’ébranlait sur des timbres divers dans un unisson plus que relatif, brûlant les haltes des points et virgules, indifférent au sens des phrases comme à celui des mots les plus courants dont on ne reconnaissait plus les visa­ ges... Pour la lecture individuelle, alors que la majorité des élèves devaient suivre mot à mot le lecteur plus ou moins brillant qui venait d’être désigné, le contrôle était vraiment épuisant. A cha­ que instant il fallait rappeler à l’ordre les indisciplinés qui si faci­ lement se laissaient emporter sur la pente glissante de l’évasion. — Albert, suis ! Jeannot, regarde ton livre ! Louison, conti­ nue... Un cheval passait dans la rue, agitait ses grelots, et Georges le suivait en pensée. La mère d’Honoré discutait à voix haute à la fontaine, pendant que s’emplissait son seau. Le marchand de vin frappait sur ses tonneaux... La classe était vers le cheval qui s’éloignait, vers l’eau qui glougloutait, vers le marchand de vin rajustant sa futaille. Désemparé et impuissant, s’usant dans une tension nerveuse continuelle, Freinet sentait très bien qu’il fallait coûte que coûte trouver une technique nouvelle d’apprentissage de la lecture, plus près de l’intérêt vital des enfants. Et plus que jamais il était sur la voie de la recherche.

Que faire ? Se tourner vers le passé, chercher dans l’ancien ce qui est positif, progressif, et qui pourrait orienter le nouveau, ressaisir la chaîne des grandes idées qu’aux diverses époques de l’Histoire des novateurs ont profilé vers l’avenir. Il lit et relit, en les annotant, Rabelais, Montaigne, Rousseau, qui lui donnent comme une sorte de vertige en face du décalage monstrueux et permanent entre la théorie idéale et la pratique réelle d’un pauvre instituteur d’école déshéritée. Pestalozzi lui redonne confiance. Lui aussi se colletait avec la réalité et sa vie de lutteur passionné autant que son attachement à l’enfant pauvre étaient un exemple passionnant pour un jeune homme solitaire maintenu sur l’horizon étroit d’une salle de classe; et pour la

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première fois Freinet comprenait toute l’ampleur du beau mot d’éducation qui, dépassant la scolastique, affronte le problème pé­ dagogique dans toute sa complexité pédagogique, matérielle, phi­ losophique, sociale et politique. C’est à ce moment, où son goût déjà pour le métier d’enseigner s’affirme, que Freinet lit les pédagogues modernes de l’institut J.-J. Rousseau de Genève, inscrits au programme de son examen. Une personnalité va avoir sur son orientation pédagogique une influence décisive : celle de Ferrière. Le beau livre de Ferrière, « l’Ecole active », trop peu lu au­ jourd’hui bien qu’il ne soit pas dépassé, faisait pour ainsi dire le point de ce qu’on commençait à appeler « l’éducation nouvelle» et, outre sa grande richesse pédagogique, ce livre neuf orientait le lecteur vers des ouvrages à consulter pour approfondir les diver­ ses branches d’activités, ouvrant ainsi devant Freinet le néophyte tout un vaste horizon à explorer. A travers les pages de « L’Ecole active », le petit instituteur, jusqu’ici désemparé, sentait vivre ses propres intuitions; il entre­ voyait des pratiques médites susceptibles de faciliter sa tâche. Sa solitude amère en était tout à coup illuminée d’espoir. En souvenir de cet appui moral, Freinet ne manquera jamais par la suite, au cours de sa carrière, de rendre hommage au génial initiateur qui fut, à cette période inquiète de sa vie, à l’écart de toute mysti­ que, un père spirituel, un guide. En 1923, Freinet fut invité, pendant les vacances, par un de ses correspondants allemands à Altona, près de Hambourg. Il profita de cette occasion pour prendre contact avec l’essentiel de la pédagogie allemande et visiter quelques-unes des célèbres éco­ les de Hambourg où, à la fin de la guerre de 1914, on avait essayé de réaliser le mythe de l’école anarchiste intégrale sans autorité du maître, sans règle ni sanction. Ces écoles, bien que très confortablement installées, n’apportèrent rien de positif pour aider le jeune maître à résoudre les problèmes que lui posaient sa petite école de village et, au-delà, l’école publique. L’examen du professorat de lettres valut à Freinet, à la rentrée d’octobre, d’être détaché comme professeur à l’Ecole supérieure de Brignoles. Il se rendit à Brignoles, s’entretint avec le directeur de l’éta­ blissement, et reprit le soir même le train pour Bar-sur-Loup. Il retrouva sa classe, ses petits élèves, l’atmosphère accueillante de ce village sympathique qui devint son village. Au contact des enfants, dans ses rapports avec eux de franche et simple camaraderie, il avait définitivement compris qu’il lui faudrait chercher dans la vie même des enfants les éléments nou­ veaux de son travail pédagogique, s’appuyer sur leurs intérêts profonds pour satisfaire ce besoin d’activité dont Ferrière avait dit si magistralement la nouveauté dans son « Ecole active ».

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Il alla d’abord chercher dans la vie du village, autour de l’écoie, les éléments de base de cette nouvelle éducation. Il em­ mena ses élèves chez le tisserand qui fort obligeamment mit tout son savoir à la disposition de la jeune troupe curieuse. Pour entre­ tenir l’intérêt que cette visite avait suscité, il essaya de réaliser dans la classe un petit métier à tisser, fort rudimentaire, qui enchanta les enfants. On tissa même une ceinture pour les deux « estamas » qui n’en perdirent pas moins leurs culottes, et les enfants sentirent que devant eux s’élargissait l’horizon de l’école. Pour parachever cette victoire, Freinet fit une poésie enfantine sur le tisserand et la lut aux gamins : Sur son métier, le tisserand a ourdi les fils patiemment... Ce fut un vrai succès, et c’est depuis ce jour-là que les petits élèves comprirent enfin à quoi servaient les poèmes et décidèrent d’en apprendre. Il y eut ainsi toute une ronde des métiers mise en poèmes au retour de chaque visite aux artisans du village. On alla chez le menuisier, chez le forgeron, chez le boulanger, chez le potier, chez le parfumeur et très souvent, dans l’après-midi, à l’heure où maître et élèves se laissaient gagner par la torpeur et l’ennui, Freinet partait avec ses élèves par les sentiers qui rayonnent autour du vieux village et, à même la nature et les aspects changeants des horizons, il faisait la plus vivante des leçons de géographie, de calcul ou de botanique. L’Ecole s’était ouverte sur la Vie. On ne réalise pas bien aujourd’hui, où les enquêtes scolaires sont devenues réalité courante, tout ce qu’apportaient de ferment révolutionnaire les innovations du petit instituteur de Bar-surLoup. L’Inspecteur primaire, mis au courant, laissa faire tout d’abord, sans approuver ouvertement, et au moment où il com­ mençait à s’inquiéter quelque peu des pratiques systématiques de son subordonné, les instructions ministérielles de 1923, si libé­ rales, si délibérément axées sur l’Ecole active, vinrent donner raison à l’audacieux instituteur de Bar-sur-Loup. Au retour des promenades, Freinet écrivait au tableau un petit compte-rendu très simple de la sortie. Les enfants le lisaient, le copiaient sur leur cahier, l’illustraient, et il était visible que ces travaux les passionnaient et que, en déduction, l’écriture, la lec­ ture en bénéficiaient, comme la discipline et l’atmosphère de la classe. Quel accueil était réservé à ces pratiques scolaires au-delà de la classe ? Le plus étonné était sans doute le directeur qui voyait se généraliser et s’amplifier des techniques qui ne cadraient plus du tout avec les habitudes de sa classe à lui ! Il conseilla la pru­ dence à son adjoint, par crainte de réactions possibles dans le village, mais les parents d’élèves acceptèrent très bien ces inno-

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rations, car très souvent ils interrogeaient le jeune instituteur à ce sujet, se rassurant assez facilement aux explications du maître. Il faut dire aussi que Freinet s’est intégré peu à peu dans l’atmosphère du village. Il a noué des relations avec les parents d’élèves et, au cours des enquêtes de sa classe, il a pris contact avec les artisans divers, les producteurs, et c’est avec un intérêt profond qu’il étudie pour lui-même les déterminants économiques qui conditionnent la vie sociale provençale. Il fait, en collabora­ tion avec un ami, une étude approfondie de l’industrie florale de la région de Grasse et qui paraît dans « Clarté », la jeune revue d’avant-garde de Barbusse. Il écrit pour lui-même une étude sui­ vie sur les persistances des techniques moyennâgeuses en régime capitaliste sur ce coin de Provence. Et à l’appui de ces contra­ dictions, de ces décalages économiques, l’anachronisme de sa petite école lui apparaît lumineusement. Dès cet instant, ses acti­ vités sont doubles : inventer dans sa classe des formes modernes d’enseignement et dans le milieu local susciter à l’appui des don­ nées économiques les aspects nouveaux de la coopération. Il trouva un noyau de personnes assez dévouées pour s’em­ ployer avec lui à la création d’une grande coopérative de consom­ mation et de vente de produits locaux dont il fut l’animateur et le trésorier. La coopérative avait son siège sur la grande place du village, et Freinet partageait ainsi son temps entre sa classe et cette œuvre commune qui prenait peu à peu une étonnante exten­ sion. Cette réussite lui valut la sympathie des petites gens, et la considération de toute la population de ce petit bourg provençal, qui gardera son souvenir et lui prouvera sa reconnaissance quand l’incompréhension et la malveillance se ligueront contre lui. Le grand souci de Freinet restait évidemment sa classe. Certes, les méthodes actives qui l’avaient conduit à l’usage quotidien des sorties dans la nature et dans le village portaient leurs fruits. Mais il se créait ainsi une sorte de décalage progressif entre les leçons surgies de la vie et celles, toutes formelles, qui se donnaient en classe et qu’imposaient inéluctablement les programmes. Le déca­ lage se sentait mieux encore pour la lecture, entre l’intérêt des enfants pour les textes qu’ils avaient vécus et créés et leur indif­ férence à l’égard des tableaux Boscher et de leur livre de lec­ ture. Le texte au tableau parlait du lézard que Georges venait intrépidement d’attraper sous sa casquette et qui était là, main­ tenant, dans le bocal posé sur la table. Le tableau Boscher parlait de phrases incompréhensibles et, à la page du jour, le livre offrait l’énigme d’une quelconque histoire qui, même écrite par un grand maître, n’était pas de sitôt comprise par les demi-illettrés qui la lisaient en ânonnant. Non, le problème de la lecture n’était pas résolu; un cycle était pressenti par le maître, mais sa courbe ne se profilait point en­ core dans le Champ des expériences quotidiennes.

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En fin d’année scolaire (1924), l’un des premiers Congrès de la Ligue Internationale pour l’Education Nouvelle se tient à Mon­ treux. Freinet s’arrange pour réunir l’argent nécessaire au voyage et à un court séjour en Suisse. Il se rend à Montreux, heureux d’avance d’y entendre Ferrière, Claparède et Bovet. Il est pas­ sionnément intéressé par tout ce qu’il voit et entend. Il pénètre mieux ce principe d’éducation nouvelle soucieux de donner à l’en­ fant un rôle actif dans sa propre éducation. Mais à chacune des affirmations et des perspectives que les pédagogues de Genève imposent à son esprit, il est d’avance découragé. Il se rend compte qu’il y a une éducation nouvelle relativement facile, appli­ cable pour les écoles possédant le matériel éducatif, l’installation scolaire permettant l’activité de l’enfant et l’individualisation de l’enseignement. Mais pour l’école de Bar-sur-Loup le problème est tout autre. L’image de sa petite classe dénudée et poussié­ reuse s’impose à lui et lui serre le cœur. C’est au Congrès de Montreux que Freinet rencontre Cousinet venu rendre compte de ses premières tentatives de travail par équipes. Déjà, à Bar-sur-Loup, Freinet avait eu l’idée de donner à quelques élèves de petits travaux manuels collectifs et bien que l’initiative Cousinet lui paraisse un peu trop systématisée, il pense s’en servir, et surtout l’utiliser comme argument valable pour apaiser les craintes excessives de son directeur. Un autre avantage de sa venue en Suisse est le contact vivifiant de la forte personnalité de Coué, ce vulgarisateur de la sugges­ tion pratique employée comme cure physique et morale. Si per­ suasif, si simple est le praticien, que dès cet instant Freinet adopte une attitude nouvelle en face de la maladie; il tente d’affirmer sa santé de façon plus positive, ce qui l’aide à remonter la pente, à se livrer sans arrière-pensée à cette passion de travail qui fut le refuge d’une jeunesse prématurément marquée. Sa tristesse et sa solitude dans ce Congrès où de grands édu­ cateurs affirment déjà tant de victoires en face de ses hésitations ont au moins l’avantage de le rejeter farouchement vers ce maté­ rialisme scolaire qui reste son plus noble souci, et de l’orienter définitivement vers la recherche de techniques éducatives qui est le programme essentiel de notre actuelle C.E.L. (Coopérative de l'enseignement laïc). Il prend conscience plus encore de la dépen­ dance étroite de l’école et du milieu, et combien la société condi­ tionne l’école et l’enseignement. Il n’y a pas de pédagogie sans que soient remplies les condi­ tions économiques favorables permettant l’expérience et la recher­ che. Il n’y a pas d’éducation idéale, il n’y a que des éducations de classes.

2 Un outil qui oriente une pédagogie : l’imprimerie A la rentrée d’octobre, après le repos et la méditation des va­ cances, Freinet reprend sa classe avec un réel enthousiasme. Les enfants sont là, devant lui, affectueux et spontanés, avides de poursuivre la belle aventure scolaire qui les projette vers l’inces­ sante nouveauté. — M’sieur, lui dit Lulu, quand vous « étez » pas là, on vous « pensait »... Et c’était, sous la forme la plus naïve, le plus bel éloge, peutêtre, que l’élève puisse adresser au Maître pour lui signifier ce besoin d’une présence qui est appui de l’intelligence et du cœur. Tout de suite, la classe reprend son entrain et avec une exi­ geante attention, pas à pas, Freinet essaie de confronter ce que l’on pourrait appeler avec un peu de prétention la pédagogie de Bar-sur-Loup avec la pédagogie de Genève... L’écart de l’une à l’autre est considérable ! Entrent en ligne de compte, pour expli­ quer cet écart, les insuffisances d’un maître inexpérimenté et dont la culture pédagogique reste assez mince, bien sûr; mais surtout les différences sociales et humaines qui séparent le milieu pau­ vre du milieu aisé. Et à tout prendre, en profondeur, cet écart n’apparaît pas à Freinet comme une infériorité manifeste à l’adresse de sa petite classe de village et de son maître. S’il saisit les manques du milieu scolaire de Bar-sur-Loup, il pres­ sent aussi les risques des expériences de Genève poussées en pointe sur un plan intellectuel, dans une atmosphère de labora­ toire, courant le danger permanent de se couper du milieu social. Il veut, lui, rester dans ce milieu social, faire corps avec le village, les paysans, avec toute la classe travailleuse à laquelle

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l’école publique a lié son sort. Alors, résolument, il restera le « primaire » au sens originel du mot ; il restera l'artisan des fondations, des assises de base sur lesquelles s’élèveront les constructions à venir. Et c’est à cause de cette fidélité au « pri­ maire », à cause de son refus instinctif d’un intellectualisme auto­ cratique, coupé du réel, que Freinet se situera pour toute sa vie à ce niveau de « l’instituteur moyen » qui a toutes ses sollicitu­ des et qui est l’expression même des multitudes avec lesquelles, qu’on le veuille ou non, se joue la partie. C’est désormais avec ces notions pour ainsi dire préconçues de «moyenne», de «masse», que Freinet aborde le problème de sa classe. Au lieu de consacrer ses soins les meilleurs à la plante rare qu’est l’enfant doué, pour exalter en lui le prodige, il prêtera une attention pour ainsi dire générale à tous les élèves sans exception, sans différences d’intelligence, de caractère, de milieu. Il s’ingéniera pour trouver, coûte que coûte, des techni­ ques pédagogiques valables pour tous, quelles que soient les dif­ férences individuelles de rendement. Ces techniques valables, immanquablement, devront s’asseoir sur la ligne d’intérêt géné­ ral de la classe. Résolument, il part à la recherche de cette ligne d’intérêt, il part vers la vie.

Les enfants sont là, en groupe compact, front contre front, penchés avec une attention passionnée sur le bureau de Joseph. Que se passe-t-il ? Curieux, le maître s’approche. Joseph a levé vers lui son visage confiant : — M’sieur, regardez mes bêtes ! Et le maître regarde. Un spectacle inattendu s’offre à ses yeux : une course d’es­ cargots ! Les champions ont été rangés au bas du pupitre, et c’est maintenant l’enjeu : — Je parie pour le gris ! — Je parie pour le marron ! — C’est le gris-vert qui gagnera, tu vas voir ! — Vé, vé, c’est le gris-noir ! Attente silencieuse, égarements des compétiteurs dans des zig­ zags lents et capricieux et enfin... c’est le triomphe du gris-vert. — Ça y est ! C’est le gris-vert ! C’est le gris-vert ! La classe entière est vibrante de vie, des mains se tendent, veulent se saisir des bêtes... Mais, jalousement, Joseph récupère sa ménagerie, la range dans une boîte. Déjà, le maître est au tableau. — Eh bien ! écrivons au tableau la course d’escargots. Animation générale :

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— Oh ! m’sieur ! comme c’est beau ! On dirait une poésie ! Les enfants lisent le texte, le copient, mais ce n’est là malgré tout qu’un instant fugitif dans la classe : le tableau effacé, la page du cahier retournée, il ne restera plus de trace tangible d’un événement vécu, qui si profondément s’est inscrit dans l’âme de l’enfant. Il faut trouver un moyen de lier, sans solution de continuité, la pensée de l’enfant au texte définitif. Il cherche, retourne ses idées, se replonge dans la vie de la classe, pressent, tout près de lui, du nouveau... Brusquement, il pense à la page imprimée... Là est la solution : la page impeccable, nette, qui garde en elle pérennité et majesté... Il s’en va à Grasse, dans les ateliers des imprimeurs, prend contact avec les typos. Il voit de près la composition typographi­ que, où les lettres maniées une à une lui ouvrent bien des horizons... Sans nul doute, là est la solution. Les typos sourient : — Mais non, vous ne pourrez jamais rien faire avec les gos­ ses ! Ils vous perdront toutes les lettres, ils les chiperont... Vous en serez pour votre argent. Le hasard fait parfois bien les choses : en feuilletant une revue, Freinet voit, en réclame, l’annonce de la presse Cinup : il écrit, et c’est la découverte de l’outil qui centrera la « pédagogie de Bar-surLoup » et, au-delà, qui suscitera, d’année en année, tout un mouvement pédagogique populaire. Pendant quelques jours, notre novateur est dans l’attente anxieuse du colis Cinup. Enfin, il arrive! La presse! des compos­ teurs ! une toute petite police ! On devine l’émerveillement des enfants ! — Oh ! des lettres ! — Vé, vé, des O, des A... — Oh ! des P. ! — Vois le 3, le 4, le 5... On range les caractères dans la casse et, tout de suite, c’est la composition du premier texte. Oh ! certes, tout ne va pas tout seul ! Les mains du maître ne sont guère plus habiles que celles des enfants... Les caractères glissent entre les doigts, les compos­ teurs se renversent... Mais, à force de bonne volonté, le bloc est mis sur la presse... Encrage, tirage... et voici la première feuille imprimée ! On se la passe religieusement. Longuement, le maître l’examine, les yeux embués de larmes. A vrai dire, les premiers imprimés n’étaient pas bien fameux. On ne pouvait guère composer que quatre à cinq lignes, et l’im­ pression restait assez capricieuse. Malgré leur indulgence pour leurs propres œuvres, les nouveaux protes devaient se rendre à l’évidence : ce n’était point là le bel imprimé attendu. Les enfants, eux, se contentaient à bon compte : — Oh ! m’sieur ! regardez, comme c’est bien ! ça se lit tout ! Freinet comprenait d’ailleurs d’où venaient les défectuosités de 3

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l’impression. Manquait le papier de qualité qui aurait fait valoir la lettre. Ayant épuisé toutes ses ressources, engagé même ses mandats à venir, il ne pouvait songer à acheter du papier nou­ veau. Quant à en demander à la mairie, il n’y fallait pas songer : certes, le maire était sympathique, humain, dévoué à la cause laïque; mais déjà il avait fait un effort pour l’installation d’éta­ gères, pour de menus bricolages, et sans nul doute il n’allait pas pousser le gaspillage des deniers jusqu’à favoriser jusqu’au bout les lubies d’un pêcheur d’ombres... Les vieux cahiers avaient livré toutes leurs feuilles vierges. Les copies de préparation au professorat s’étaient rendues, une à une... C’était vraiment la crise. Incidemment mis au courant, le secrétaire de mairie eut une idée géniale : — Et les bulletins de vote, ça ne ferait pas ? J’en ai tout un stock, des dernières élections législatives... Va pour les bulletins de vote ! Le papier était ainsi tout coupé. On imprimait au verso... Quand les enfants recevaient leur imprimé, vite ils regardaient au dos : — M’sieur ! moi j’ veux pas le nom de « çui-là », mon papa il a pas voté pour lui ! Les bulletins de vote épuisés, on se rabattit sur les carnets usagés de la Coopérative Baroise. Le papier était grisâtre, et par transparence des chiffres et des anotations d’achat apparaissaient. — Oh ! moi, disait Joseph, aujourd’hui j’ai acheté du cho­ colat et du fromage... Je vais me régaler... La vie rentrait à flot dans la petite classe avec l’émotion des enfants, les bulletins de vote, l’évocation tentante des rayons bien garnis de la Coopérative, et le rêve sans fin de l’enfant inassouvi. Quand par hasard le directeur venait aux nouvelles et qu’il regardait avec une petite moue de commisération les imprimés en train de sécher sur un vieux banc, toute la classe avait une sorte de malaise. — On dirait que ça ne donne pas bien, disait-il. — Aujourd’hui, non, disait un malin; mais hier oui; alors, que c’était beau ! Hélas, trop longtemps hier ressembla à aujourd’hui; mais peu à peu, en calculant minutieusement toutes les données en jeu : l’assemblage régulier des caractères, la valeur de la pression et l’encrage, le mauvais papier voulut bien remplir son office : on obtint des imprimés lisibles, et même, quelquefois, bien venus. Un jour qu’il se rendait à Nice à une réunion syndicale, Frei­ net fit un choix de ses meilleures pages et les emporta dans sa poche, comme un paysan qui aurait cueilli les premiers fruits de l’arbre nouveau qu’il avait planté plein d’espoir. Il se souvient encore aujourd’hui de cette arrière-boutique dans laquelle, à la descente du train, quelques camarades s’étaient réunis, pour se

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réchauffer un instant avant la réunion. Freinet jugea l’instant favorable pour montrer ses essais. Les copains étaient sympathi­ ques, en petit nombre et sans préméditation... C’était une bonne occasion d’éviter la grande assemblée qui allait suivre et de ne point risquer la critique ironique et aussi le reproche de faire perdre du temps pour des futilités. Timidement, il sortit ses chefs-d’œuvre, essaya d’en expliquer la réalité et la valeur pédagogique. Mais déjà des mains avaient retourné les feuillets, et c’est sur les bulletins de vote que l’on fit de l’esprit et des jeux de mots. Charitable, une institutrice fit semblant de lire les petits textes avec attention, puis, levant les yeux avec une expression de pitié : — Mon pauvre Freinet, vous ne ferez jamais rien de pratique! Les autres, déjà, savouraient leur café...

Mais quelqu’un comprit Freinet : Barbusse, cette noble figure de militant et d'artiste qui domina de son prestige tout cet aprèsguerre 14-18. Déjà, dans sa revue « Clarté », il avait accueilli des articles pédagogiques et sociaux de Freinet, et sans la moin­ dre réticence il lui fixa un rendez-vous dans sa villa du Trayas. C’était au temps où le grand écrivain venait de faire paraître en deux volumes cette fresque prestigieuse de l’humanité que sont « Les Enchaînements ». On devine avec quelle appréhension l’instituteur, conscient de la minceur de son bagage primaire, allait prendre contact avec le grand artiste. Barbusse l’écouta avec cette concentration qui lui était parti­ culière. Il feuilleta longuement le modeste livret imprimé par les petits élèves de Bar-sur-Loup. — Oui, maintenant, tout doit venir d’en bas... Et sans hésitation, une fois encore, il mit les colonnes de « Clarté » à la disposition de Freinet. Nous reviendrons sous peu sur le contenu des articles parus dans « Clarté » ; disons simple­ ment combien l’appréciation de Barbusse fut un lumineux encou­ ragement pour l’humble pionnier pédagogue. Plus que jamais, l’expérience de Bar-sur-Loup fut menée avec Méthode et profondeur, car plus que jamais Freinet est persuadé Maintenant, selon le mot de Barbusse, que la véritable pédagogie populaire, comme la véritable psychologie, « doit venir d’en bas ». Et, pour être tout à fait au niveau de l’enfant, pour vivre sa pensée et vibrer avec sa propre émotion, Freinet fait un acte qui restera un symbole : il enlève l’estrade qui lui donnait un inutile prestige, et pose son bureau à même le sol, contre les tables de ses gamins.

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— M’sieur, lui dit Pierrot, maintenant vous êtes un petit maî­ tre ! — Non, dit Freinet, je suis simplement un élève, comme vous. Les économies faites pendant les vacances permettent à Freinet d’acheter dans une petite imprimerie de Grasse un stock de pa­ pier, format 10,5 x 13,5. Une véritable affaire ! Lui qui, d’or­ dinaire, ne peut porter un paquet, trouve les forces d’emporter ses richesses jusqu’à la gare du train et triomphalement il dépose sa précieuse charge sur le bureau de la classe. Joie délirante des enfants ! Désormais, les imprimés sont meilleurs. Le papier blanc joue mieux. Encore quelques recherches pour arriver à l’idée du per­ forateur qui permettra de réunir les feuillets par un cordonnet. Des tâtonnements aussi pour aboutir à la reliure à l’aide de deux vis à boulons, et l’on a le « Livre de Vie » qu’avec beaucoup d’àpropos les gosses appelleront le « livre de vis »... Il est bien émouvant à feuilleter, ce petit livre de Bar-surLoup, qui contient déjà en promesse le plus puissant mouvement pédagogique de tous les temps, sorti de la grande masse des tra­ vailleurs laïcs. Citons au hasard quelques textes : « Honoré a un joli petit chat gris et blanc. Il le couche avec lui dans son lit. Le matin le petit chat le réveille en lui léchant la figure. Le maître a dit : — Ce soir, vous aurez congé jusqu’à l’an prochain, et Roger s’est mis à pleurer à chaudes larmes. — Pourquoi pleures-tu Roger ? — M’sieur, dit Janot, parce qu’il voudrait que l’école dure toujours. Il a peur qu’on ne la fasse plus. Moi, dit Lulu, le père Noël m’apportera une boîte de couleurs; à démenti, une carabine; à Georges, une paire de souliers. Joseph, lui, dit que le père Noël c’est des blagues... »

Naissance d’une technique pédagogique. Avant de poursuivre le déroulement des faits chronologiques qui ont progressivement affirmé et installé le mouvement pédago­ gique centré par l’imprimerie à l’Ecole, il est croyons-nous né­ cessaire de nous arrêter plus en profondeur sur l’esprit et la portée de ce début d’expérience dans l’école de Bar-sur-Loup.

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L’originalité de Freinet, ce n’était pas simplement de donner à l’enfant son rôle actif dans la classe, de le faire devenir élément agissant dans l’acquisition des techniques scolaires-, d’autres avant lui avaient dit cela, et les « méthodes nouvelles » mises en hon­ neur en Angleterre et à Genève avaient avant lui affirmé cette nécessité de l’Ecole active dont Ferrière avait démontré si magis­ tralement toute la valeur. Parti seul à la recherche d’une méthode susceptible de permettre au malade qu’il était de faire sa classe sans préjudice pour les enfants et pour lui-même, Freinet avait abouti tout naturellement, au contact de la vie, à la découverte de l’Ecole active. Non pas une école active plus ou moins mys­ tique, où le rôle de l’enfant « agissant » apparaissait comme un dogme et pouvait justifier toutes les idéologies, y compris les plus réactionnaires, mais simplement une école vivante, continuation naturelle de la vie de famille, du village, du milieu. Freinet a l’intuition de tous les avantages de cette position de choix de l’école de Bar-sur-Loup. , Si les expériences de Genève suscitent chez lui des acquiesce­ ments en tant que techniques, elles l’inclinent aussi à une cer­ taine défiance intellectuelle, et le conduisent inévitablement à àne sorte de redressement du problème éducatif. 5 Comment cela ? Parce que la simple découverte d’une technique neuve, l’Im­ primerie à l’Ecole, a changé tout à coup le sens et la portée de n pédagogie de sa classe... » L’imprimerie ne fut pas seulement un moyen de rendre l’ennnt agissant au sens musculaire et intellectuel du mot par oppo­ sition à l’immobilité statique imposée par l’école traditionnelle; plie ne fut pas non plus une simple occasion de raviver l’intérêt Bolaire des enfants pour telle ou telle discipline du programme. le fut beaucoup plus : elle ouvrit devant Freinet la personnalité psychologique et humaine de l’enfant dans son devenir, et en Raison permanente avec le milieu. Dès cet instant, Freinet tourna résolument le dos à toute la psychologie traditionnelle artificielle Ct Spiritualiste qui s’appuie sur les entités imaginaires des facul­ tés de l’âme, et il s’orienta vers la conception d’une pédagogie qîunité et de dynamisme liant l’enfant au milieu social. Le texte ||bre n’est pas un simple document syntaxique : il est surtout une Manière de test psychologique et social; par lui, on comprend Faction du milieu sur l’enfant et, réciproquement, l’action de l’enfant sur le milieu. Si le milieu est défavorable, l’être en subit tes effets nocifs et son efficience en est menacée. Rien ne se fera de profond, de définitif, en faveur de l’éducation, tant que la société restera marâtre pour la majorité de ses enfants. Désormais, résolument, Freinet affirme, dans son activité, ses responsabilités sociales et pédagogiques, qui ne sont les unes et tes autres que deux aspects du même problème : la rénovation de la société.

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A Bar-sur-Loup, il parachève son mouvement coopératif qui aboutit à l’installation d’une épicerie, d’une boucherie, d’une boulangerie, et dans son village natal il oriente les habitants vers une modernisation élargie, visant à faciliter tous les faits écono­ miques sous l’angle de la coopération : transactions diverses, construction de routes, électrification, loisirs, — il a toute une série de projets qu’il met en chantier à chacune de ses visites, aux vacances. Au point de vue syndical, il devient secrétaire pédagogique du syndicat et, nationalement, il amorce une large campagne pour la rénovation scolaire. Dans sa classe, il porte l’accent sur le matérialisme scolaire qui restera le souci de toute sa vie. Certes, il ne peut pas chan­ ger du jour au lendemain les conditions matérielles déplorables de la classe : il est pauvre ; le budget alloué à la caisse des éco­ les est insignifiant; mais du moins il ne partira pas à l’aveuglette, la tête dans les nuages, le cœur gonflé d’un idéalisme platonique qui se voile la face devant les difficultés insurmontables. Il part de ce qui est. Ce qui est, c’est la richesse de l’âme enfantine, chargée de joie et d’élans. Ce qui est, c’est la pauvreté du milieu scolaire et social. Et c’est aussi l’esprit rétrograde qui fait de l’école du peuple une institution moyennâgeuse. Dans l’état actuel des choses, l’effort pédagogique du maître doit tendre, dans la mesure du possible, à soustraire l’enfant à l’emprise d’un dogma­ tisme scolaire qui a vécu, le rendre conscient de sa propre force et, partant, faire de lui un acteur de son avenir dans la grande action collective. Il amplifie la vie de l’enfant par des techniques qui donnent à la personnalité enfantine un sentiment de puissance, et toutes les fois qu’il le peut il appelle à son secours les bonnes forces du milieu favorable : nature généreuse, artisanat, influence des per­ sonnalités attachantes. Et au contact des faits, déjà, il a le pres­ sentiment de cet enchevêtrement de forces qui se nouent au point de rencontre de l’individuel et du social, et qui sera le contenu de ses livres « L’Education du Travail » et « Essai de Psycho­ logie sensible », écrits vingt ans plus tard. Par les racines qu’elle plonge dans le milieu social, l’école, tout naturellement, à l’aide du texte libre, délimite ses centres d’in­ térêts et se forge un programme qui est le programme même de la vie des travailleurs. C’est ce que Freinet précise dans ses premiers articles parus dans Clarté et dont nous citerons quel­ ques passages : « Cette technique renouvelée est toute à découvrir. Mais ce sera le triomphe de l'école active et sur mesure dont la réalisation dans les classes primaires a semblé si longtemps utopique. Mais cette vie, pourra-t-on encore objecter, est-elle susceptible de donner à l'enfant les connaissances qu'on attend de l'école ? Et si la vie, — la vie totale, s’entend, et non la vie limitée et fermée de l'école actuelle — si la vie ne peut pas donner l’édu­

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cation et l’instruction, par quels procédés sophistiques peut-on raisonnablement les obtenir ? Un fait m’a frappé d'ailleurs. Lorsque je parcours la série des titres des deux cents pages de notre Livre de Vie (deux premiers trimestres) je constate que la répartition des sujets est à peu près Celle que préconisent les partisans des centres d'intérêt. Voici l'automne avec ses fruits, les champignons, le vent, les conscrits aussi... Puis l'hiver avec l’étude des divers moyens de se garantir du froid. Le printemps, si riche d'impressions, avec les fortes pluies, la grêle, les éboulements, mais les premières fleurs, les batailles de fleurs, les cirques richement décorés; avec aussi son cortège de grippes qui, périodiquement, hélas, vident presque nos classes. Et je constate avec satisfaction et humilité que ces répartitions selon l’intérêt dominant des enfants, répartitions qui n'ont rien moins demandé que le génie d’un Decroly, cette répartition s’est faite tout naturellement dans ma classe vivante, où je n'ai imposé aucun sujet, me contentant d'écouter, de diriger la conversation, de synthétiser et de mettre en ordre, et en français, les idées de mes élèves. Je ne dirai pas prétentieusement que, par cette technique de l’imprimerie, j’ai rejoint Decroly. C’est lui qui, par un long dé­ tour, a ramené la science pédagogique à son point de départ : le bon sens et la vie. » Devant l’éloquence des faits qui dégagent si clairement la por­ tée de la pensée enfantine comme élément de formation de la personnalité, Freinet met les instituteurs en garde contre la malfaisance d’une pensée adulte imposée du dehors et dominant Arbitrairement l’enfant. Il résume sa pensée dans une formule lapidaire qui lui valut critiques et sarcasmes : PLUS DE MA­ NUELS SCOLAIRES, et dont il développe le contenu profond dans un article de Clarté qui serait tout entier à citer tant il de­ meure actuel : « Les manuels sont un moyen d’abrutissement. Ils servent, bassement parfois, les programmes officiels. Quelques-uns les aggravent même, par je ne sais quelle folie de bourrage à ou­ trance. Mais rarement des manuels sont faits pour l’enfant. Ils déclarent faciliter, ordonner le travail du maître : ils se vantent de suivre pas à pas... les programmes. Mais l’enfant suivra, s'il peut. Ce n'est pas de lui qu'on s’est occupé. C’est pourquoi les manuels préparent la plupart du temps l’as­ servissement de l'enfant à l'adulte et plus spécialement à la classe qui, par les programmes et les crédits, dispose de l'enseignement. Il y a bien quelques pédagogues ingénus qui se basent au contraire sur les désirs et les besoins de l'enfant pour arriver à une conception moins orthodoxe de l’enseignement. Mais on tolère à peine leurs manuels. En tous cas les maisons d’édition bien

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pensantes ne daignent pas s’en charger et seuls connaissent les grands tirages les manuels les plus pernicieux. Même les manuels seraient-ils bons, il y aurait tout intérêt à en réduire le plus possible l’emploi. Car le manuel, surtout em­ ployé dès l’enfance, contribue à inculquer l’idolâtrie de l’écriture imprimée. Le livre est bientôt un monde à part, quelque chose d’un peu divin, dont on hésite toujours à contester les assertions. « C’est dans le livre... » Tandis qu’il serait désirable justement d’enseigner que le livre n’est qu’une pensée sujette à l’erreur, et qu’on doit pouvoir contredire comme on contredit quelqu'un qui parle. Les manuels tuent ainsi tout sens critique; et c’est probable­ ment à eux que nous devons ces générations de demi-illettrés qui croient, mot pour mot, tout ce que contient leur journal. Et s’il en est ainsi, la guerre aux manuels est vraiment nécessaire. Mais les manuels asservissent aussi les maîtres. Ils les habi­ tuent à distribuer uniformément, durant des années, la matière incluse, sans se soucier si l'enfant peu l’assimiler. La néfaste routine s’empare de l’éducateur. Qu'importent toutes les aspirations enfantines puisque dans ces centaines de pages en texte serré gît tout l’idéal, la matière suf­ fisante pour réussir aux examens ! Il faut absolument que les éducateurs se libèrent de cette dis­ tribution mécanique pour s’attacher tout particulièrement à l’édu­ cation de l’enfant... » Freinet s’attache particulièrement à montrer la malfaisance du premier manuel scolaire, le syllabaire qui, par le morcellement artificiel de la forme, détruit la pensée et désintègre l’unité de la personnalité. Les articles parus dans L’Ecole Emancipée contiennent déjà en germes toute la conception pédagogique d’« unité » que Freinet a développée par la suite en s’appuyant sur le « texte libre », lecture globale idéale. Cette unité de la pensée de l’enfant, c’est pour Freinet la base de toute éducation. A observer l’enfant comme individu agissant, il en vient à cette constatation que la personnalité psychologique tout comme l’organisme défend son intégrité coûte que coûte; d’où la nécessité de découvrir l’intérêt profond de chaque indi­ vidu et de suivre cet intérêt, de le nourrir pour lui conserver appétit et vigueur, et de le diriger pour qu’il soit bénéfique, comme devient bénéfique pour l’arbre la branche maîtresse que le jardinier avisé a exaltée. Progressivement, au contact de l’ex­ périence quotidienne, Freinet fait du simple bon sens l’outil le plus précieux du pédagogue et, tout seul, il partira dans une direc­ tion opposée à l’empirique pédagogie et à la non moins empirique psychologie venues d’en haut, de sommités intellectuelles de la classe au pouvoir.

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Le premier disciple. En fin d’année 1924, Freinet rendit compte des résultats favo­ rables de son expérience dans l’Ecole Emancipée qui était alors une revue non officielle de la vaillante Fédération de l’Enseignement. Quelques camarades intéressés demandent à consulter les journaux scolaires de Bar-sur-Loup. Ils les renvoient avec regret et leur réponse peut se résumer par ces quelques lignes écrites par l’un d’eux : « Jamais mes enfants n'ont été aussi intéressés par aucune lec­ ture... Ils buvaient du lait... Moi aussi je veux sortir de l'ornière et avoir mon Livre de Vie. » Parmi ces camarades se trouve notre ami Daniel alors insti­ tuteur à Trégunc (Finistère). Il écrit à Freinet, lui faisant part de son désir d’acheter l’imprimerie et de travailler avec ses enfants comme on travaille à Bar-sur-Loup. Avec la joie que l’on devine, Freinet fait le nécessaire pour que Daniel reçoive au plus tôt et dans les meilleures conditions un matériel minimum d’imprimerie et du papier, de façon que le premier échange interscolaire par l’imprimerie à l’Ecole puisse tout de suite démarrer en octobre. Il sentait qu’il était à l’aube de vastes perspectives, et son impatience était grande de voir arriver la rentrée. Daniel était certainement la personnalité la mieux choisie pour un correspondant des débuts, et son intuition pédagogique, la spontanéité de sa nature, sa calme simplicité firent que, tout de suite, l’école de Trégunc entra tout naturellement dans le jeu. Chaque élève de Bar-sur-Loup a un petit correspondant à Trégunc. Tous les deux jours, les élèves de Bar-sur-Loup envoient les deux textes libres imprimés recto et verso de la page à leurs correspondants de Trégunc, et réciproquement. La poste, qui n’avait jamais vu une correspondance de ce genre, laisse passer ces envois au tarif des imprimés et en fin d’année les frais d’échanges s’élèvent à... trois francs ! Il est vrai que nous étions au temps où les gens économes et les petits instituteurs pauvres savaient que pour « faire un franc, il faut vraiment vingt sous ! ». Que raconte-t-on dans ces imprimés adressés à l’autre bout de la France ? Une chose est d’abord à remarquer : c’est que le souci d’in­ former les correspondants entre comme élément majeur dans la vie de la classe : — Il faut leur dire ce qu’on mange à Bar-sur-Loup ! — ... comment on travaille dans les champs. — ... ce qu’on récolte, ce qu’on fabrique. — ... quels arbres poussent, quelles fleurs. — ... quelles bêtes vivent. — ... comment on s’amuse, les fêtes, les coutumes.

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Et c’est toute la Provence qui s’exprime dans ces petits impri­ més de quelques lignes, la Provence, ses paysages d’oliviers et d’orangers, ses jardins en terrasses, son ciel bleu, sa végétation généreuse, son soleil, ses chants de cigales et ce parfum de thym et d’ail qui toujours accompagne la tradition dans ses aspects gas­ tronomiques ou champêtres. Mais à travers les détails géographi­ ques et historiques vivants, c’est aussi l’âme des petits proven­ çaux qui s’exprime et s’imprime, car chaque personnalité marque de son sceau le document qu’elle transmet. La vie de la classe, l’aventure personnelle, ne perdent pas leurs droits, et en feuille­ tant le livre de Bar-sur-Loup pendant cette première année d’échanges interscolaires, on retrouve dans les textes ce cachet individuel qui en fait tout le prix. Sur le feuillet daté du 22 novembre 1925, par exemple, on parle aux correspondants de la cueillette des olives : « Georges a aidé ses parents à cueillir les olives. Son père était monté sur l'olivier et il gaulait les olives. Sa mère et lui triaient celles qui tombaient sur le drap. Il y en avait beaucoup de belles. Georges les prenait pour les mettre à saler avec du thym dans une « toupine ». Mais au recto de la feuille, la vie de l’enfant reprend ses droits et court sa propre aventure : « Hier soir, à quatre heures et demie, nous avons fait un joli cirque. Joseph avait trouvé un petit chat abandonné. Alors nous lui avons fait faire la gymnastique sur des roseaux. Pour le récom­ penser, on lui a donné du pain avec de la peau de saucisson. » Et, parce que la vie personnelle a ses exigences et que le désir de connaître est, chez l’enfant, invincible, nous trouvons çà et là les simples questions sur le grand devenir des choses. « Lulu regarde les têtards dans le bocal et dit : — Monsieur, je ne sais pas très bien si les têtards ont des ongles à leurs pieds... On prend la loupe et on regarde les têtards : il y en a qui n’ont point de pattes, point de pieds; d’autres ont des pattes, mais ils n’ont pas d’ongles au bout de leurs petits doigts. — Pourquoi les têtards n’ont pas d'ongles ?... Et aussi : pour­ quoi les grenouilles n’ont pas de queue ? » Les textes de Trégunc ouvrent vraiment des horizons nouveaux. Ce petit village de pêcheurs familiarise les enfants avec la mer. La mer, on la voit au loin de Bar-sur-Loup, mais elle reste la grande étendue plate, la nappe bleue sur laquelle glissent les ba­ teaux que l’on aperçoit minuscules comme des jouets; presque chaque jour, à Trégunc, on évoque l’Océan qui dispense la vie; on se familiarise avec les bateaux, les voiliers, les barques; on s'initie à la pêche, aux divers poissons, au goémon, aux algues,

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et Ton est pris dans cette atmosphère de combat et d’incertitude Angoissante qui domine là-bas toutes les familles de marins : LE GOELAND « J'étais sur la grève avec Henri. Un goéland chassait. Tout à coup, il est tombé dans l’eau, vite, comme une pierre. Il a plongé. Il a repris son vol. Il tenait un poisson dans son bec. Mais il a laissé tomber le poisson dans la mer. Dœuf a essayé de le repren­ dre, mais il était parti au fond. »

« Ce matin mon père disait : — Aujourd'hui, je ne retrouverai pas mes casiers. Le vent a soufflé cette nuit. Mon père avait posé ses casiers contre la côte, les vagues les avaient déplacés et entraînés. »

« Le Gall a trouvé une casquette sur la grève, en pêchant le goémon. On lit dans sa casquette : « Prett Guivarch - Pont Labbé ». Elle est décolorée; elle sent la mer. Mais Le Gall aime bien sa casquette quand même. » Les petits élèves de Bar-sur-Loup sentent toutes ces réalités passionnantes, poétiques et amères à la fois, et rattachement qui en résulte pour le petit correspondant breton que l’on a choisi en est rendu plus poignant encore. Si bien que les lettres s’ajoutent tout naturellement aux imprimés et que l’échange des colis s’ensuit de manière aussi naturelle, enchantant de plus en plus les élèves de Bar-sur-Loup comme ceux de Trégunc. De Provence, on envoie des fleurs, des fruits, de la fleur d’oranger, des par­ fums, des feuilles d’arbustes, des fossiles, des cartes postales, de la fougasse, de la pissaladière, et chaque jeune Barois apporte quantité de ces petits riens où l’enfant met tout son cœur : photos, vieilles images, figurines de catalogues, rubans, dentelles, petites serrines, vieux jouets dont on se défait avec regret. De Trégunc, en reçoit des échantillons de végétation, des photos de bateaux; on apprend le nom des voiliers : « Cherche Partout », « Monte là-dessus », « Sainte Anne », « Mouette », « Reine des Anges », « Hardi les gars » et aussi : « Dendei » (Allons-y), « Ober mad a losked Avared » (Bien faire et laisser dire), « Kenavo » (Adieu) que les gamins prononcent avec une ferveur votive. De temps en temps arrivent d’immenses crêpes, fines, diapha­ nes, que l’on déploie avec précaution comme une dentelle. Méti­

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culeusement, on les partage et on les mange ainsi qu’un pain bénit. On en emporte même d’infimes parts pour le petit frère ou la petite sœur, la maman ou la grand-mère. A Trégunc, c’est le même recueillement à l’arrivée des envois de Bar-sur-Loup, et c’est avec dévotion que l’on déguste les fougassettes ou la pissaladière du midi. De nombreuses lettres personnelles s’ajoutent aux colis, et l’on parle de Young, de Pen-Coât, comme d’amis présents aux actes essentiels de la vie. Aujourd’hui que tout le monde revendique la correspondance interscolaire, il serait fort utile de publier le petit livre que Frei­ net avait en projet à l'aube de cette importante initiative. Il fau­ drait pouvoir redire par écrit la joie folle des petits écoliers de Bar-sur-Loup à la réception de leur premier colis ! C’était un événement presque surnaturel qui suscitait un tel élan de vie, une telle activité irradiante, que le maître lui-même en était bou­ leversé. Et à trente ans de distance, évoquant ces heures décisi­ ves, on comprend l’émotion qui se cachait sous cette simple phrase transcrite, sans commentaire, sur une page du journal de bord : « 28 Octobre 24 : Maintenant, nous ne sommes plus seuls ! » Matérialisme scolaire. Une école où l’enfant est dans la nécessité d’évoluer librement doit répondre à certaines exigences d’installation pratique qui évite le désordre et la dispersion. Freinet rêve (rêver ne coûte rien...) de tables mobiles, de chai­ ses pliantes, de bibliothèques enfantines, de vitrines, d’aqua­ riums, de métier à tisser et de petits ateliers débouchant dans la salle commune, sans portes, dans lesquels les élèves pourraient s’installer à leur gré. Mais le rêve est loin de la réalité; alors, tout simplement, il dispose au mieux des vieilles tables-pupitres, se procure de vieux bancs, pose des étagères, modernise son vieux placard mais, à son grand regret, il ne peut abaisser les hautes fenêtres de prison pour les mettre à la hauteur de l’enfant. Dans cette organisation nouvelle de l’école, les tout petits pa­ raissent un peu sacrifiés. L’école n’a rien du jardin d’enfants, et l’imprimerie avec composition en corps 12 n’est à vrai dire pas très bien à leur portée. Les imprimés corps 12, tels qu’on les réa­ lise à Bar-sur-Loup comme à Trégunc, sont trop compacts et ne mettent pas suffisamment en évidence le mot et la lettre. Il est indispensable de trouver des caractères plus gros, plus lourds, plus maniables, qui intéressent la main de l’enfant en même temps que son esprit et qui permettent la composition sans hésitation ni erreur. Freinet pense alors aux gros alphabets de bois du maté­ riel Montessori ; mais ce matériel, surtout sensoriel, ne peut convenir à l’impression des petites phrases enfantines. Il cherche, s’enquiert auprès d’imprimeurs régionaux et finalement insiste

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auprès de Cinup qui lui trouve une police 36 qui reçoit son agré­ ment. Les composteurs corps 36 sont fabriqués spécialement; ils coûtent très cher à l’époque, et c’est un peu une manière de folie; mais qu’importe ? On s’arrangera avec la fin de mois... La joie des tout petits est grande à la réception de la belle police neuve dont chaque caractère est un petit cube brillant, maniable, avec lequel on joue sans risque de le perdre dans la rainure du parquet. Mais comment imprimer ? La Presse Cinup est trop fragile pour adapter sur le volet le bloc de gros caractères. Freinet cher­ cha longtemps une solution au problème. Il la trouva enfin. Bien qu’il ne fût pas spécialement bricoleur, il fit des plans, prit la scie, la hache, quelques clous pour monter une sorte de socle avec deux taquets entre lesquels il rangea ses composteurs interlignés et serrés par un système de taquets en biseaux d’une grande simplicité. Pour imprimer ? Il se procura un gros rouleau en gélatine de longueur voulue et par simple pression, en passant le rouleau sur la feuille préalablement posée sur les composteurs encrés, il obtint une impression presque parfaite. Chaque jour il y eut donc, dans la petite classe de Bar-sur-Loup, deux imprimés : l’un en corps 12 pour les élèves de 7 à 9 ans, l’autre en corps 36 pour les élèves de 5 à 7 ans. Freinet s’attacha tout spécialement à l’expérience d’imprimerie avec les tout petits. Et c’est tout de suite qu’il résume dans ses notes personnelles les avantages d’une technique qui conduit à l’apprentissage de la lecture naturelle sans effort, par la pensée de l’enfant. Certes déjà, au cours de l’année précédente, il avait dénoncé le syllabaire et dit son influence désagrégatrice sur l’es­ prit de l’enfant; mais ici, alors que la pensée enfantine se limi­ tait à une phrase courte quotidiennement imprimée, il constata avec beaucoup plus d’évidence le bien-fondé de ses intuitives re­ cherches. Le long du mur de la classe, il disposait, en une sorte de frise, les imprimés illustrés par les enfants et globalement il les faisait lire à ses petits imprimeurs. Les caractères 36 avaient été introduits dans la vie de la classe en janvier et, fin juillet, la majorité des petits élèves savaient lire d’une manière globale tous les textes qu’ils avaient imprimés; trois ou quatre savaient les lire analytiquement aussi. Evidem­ ment, ces constatations valaient une reconsidération plus profonde de l’apprentissage de la lecture, et il faut attendre deux années encore pour que Freinet puisse faire paraître dans une mise au point de sa technique «L’Imprimerie à l’Ecole», l’essentiel de cet aspect nouveau de la lecture globale par la méthode naturelle. Il manque dans cette petite classe si bruissante d’activité un quelque chose d’artistique, qui complète l’atmosphère poétique qu’éveillent çà et là le spectacle des beaux paysages que le maître fait admirer à ses élèves et les poèmes qu’il improvise pour

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eux, C’est alors qu’il pense à des soirées récréatives qui plus spécialement parleraient à l’imagination des enfants. Il ne faut pas songer à un quelconque théâtre scolaire; point musicien, ne chantant pas, trop fatigué pour faire des répétitions de saynètes, Freinet se rabat sur cette distraction de tout repos : le cinéma. La mairie consent des crédits pour l’achat d’un Pathé-Baby, et un photographe de Grasse consent à louer des films récréatifs et éducatifs. Dès lors, le travail scolaire s’entrecoupe, à bon escient, de petits instants de détente qui allègent la tâche du maî­ tre malade, tout en donnant à l’enfant une occasion de dépasser un instant le réel, de voguer dans le ciel déployé de la fantaisie. Voyage en U.R.S.S. A la fin de l’année scolaire 1925, Freinet se rend en voyage d’études pédagogiques en U.R.S.S. avec la première délégation d’Occident invitée par les syndicats du pays de la Révolution so­ cialiste. Très fatigué physiquement, il part malgré les conseils alar­ mants de son docteur. Il sent le besoin de s’appuyer sur du neuf, de l’inédit, et de tourner définitivement le dos à la pédagogie sta­ tique qui en France garde si jalousement ses prérogatives. Il assiste au préalable à un Congrès national des Instituteurs, à Paris où, bien entendu, il n’a pas l’occasion de parler en séance de ses expériences. Il file sur Bruxelles où se tient un Congrès de l’internationale de l’Enseignement et, en dépit des tracas que lui cause un accident de santé, il se décide à partir pour ce grand voyage vers l’Est. La délégation comprend quelques Français, un Luxembourgeois, un Belge, une Italienne, un Portugais, des Alle­ mands. Voyage par train jusqu’à Stettin, embarquement par ba­ teau, mer déchaînée, malaises, épuisement... Mais, à Léningrad, accueil enthousiaste des syndicats russes, visites dont la déléga­ tion fixe l’itinéraire de manière à avoir une vue d’ensemble de la pédagogie russe. Freinet s’en va vers Moscou, et de Moscou à Saratov et Stalingrad. Dans ce dénuement des premières années constructives de la Révolution, dans cette pauvreté qui lui rappelle de façon si sai­ sissante sa pauvreté de Bar-sur-Loup, il se retrouve. Cet élan qui anime si profondément les pédagogues soviétiques est son pain à lui et sa seule richesse. Il a plaisir à pouvoir parler longue­ ment de sa technique de l’imprimerie à l’école et des perspectives qu’elle ouvre devant lui. Kroupskaïa, qui est alors ministre de l’Education nationale, reçoit la délégation au Kremlin et, dans une entrevue d’une cordialité spontanée, tout en mangeant des pommes offertes avec simplicité, les délégués écoutent de la bou­ che de Kroupskaïa les réalisations pédagogiques en cours et les créations à venir. Ce qui les frappe dans la parole du ministre, si

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humble devant l’immense tâche, c’est ce souci permanent de l’enfant, l’effacement de l’éducateur devant lui, l’ambition d’ou­ vrir des perspectives nouvelles à ses initiatives. Dans une petite brochure, Un mois avec les enfants russes, Freinet relatera ses impressions sur les écoles soviétiques qu’il a visitées et ses contacts avec les pédagogues russes. Il rentre précipitamment en France, remonte dans son village pour voir où en est l’installation électrique mise en chantier de­ puis quelques mois. Il a créé là-haut un syndicat communal et maçons, ouvriers électriciens, paysans, apportent leur part de be­ sogne ; la source qui dévale vers le moulin a été captée ; la petite usine électrique a vu le jour; et bientôt le courant apportera la lumière dans chaque foyer... Cette entente solide des travailleurs pour une œuvre commune le réconforte. Et c’est le retour à Barsur-Loup dans l’impatience de la rentrée. Nouveaux adeptes. Un adepte nouveau est venu s’adjoindre aux deux premiers imprimeurs : Primas, de Villeurbanne; c’est avec sa classe que Freinet va faire correspondre la sienne, tout en laissant ses élè­ ves continuer individuellement leur correspondance avec leurs Btiis de Trégunc. Un échange mensuel se poursuit d’ailleurs avec Daniel. La correspondance avec Villeurbanne n’apporte pas à vrai dire, l’enthousiasme et la vie qu’avaient suscité les échanges avec Trégunc. Les écoles de ville ont une atmosphère différente des écoles de villages. Une classe intégrée à tout un ensemble de classes dans le même local-caserne, sous l’autorité parfois un peu ombra­ geuse d’un directeur, n’a pas la spontanéité de l’école qui s’ouvre librement sur l’intimité d’un village. Les élèves semblent plus impersonnels, dominés déjà par ces évasions que sont le cinéma, les sorties, la rue et ses distractions de faits divers. Néanmoins, la curiosité des enfants s’éveille de part et d’autre. les élèves de Villeurbanne sont surpris par la vie du village et réciproquement. Freinet rend compte des avantages de cet échange dans l’Ecole Emancipée de juillet 1926 et, en conclusion, il écrit : « Nous avons eu cette année dans nos deux Livres de Vie (Ville urbane - Bar-sur-Loup), trois mille lignes de texte, ce qui équivaut à un bon livre de lecture de deux cents pages environ. Mais je mesure ainsi la quantité; la qualité des textes, et surtout du travail, reste pour nous incomparable, parce que nos imprimés sont vécus et sentis, et donc pleinement compris. » Chemin faisant, Freinet sent la nécessité de perfectionner son matériel. La presse Cinup n’est pas suffisamment pratique. Il

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faudrait que les composteurs soient posés sur un socle et non sur le volet de presse. La pression du volet, d’autre part, n’est pas uniforme et inévitablement ses imperfections influent sur la page imprimée. C’est chez le menuisier que Freinet s’en va expliquer les défauts de la Cinup et les avantages qu’il espère donner à sa nouvelle presse. Mais la presse n’avance pas, et toujours le coup de rabot, la cheville ou la charnière ne remplissent pas leur office. Freinet reprend sa presse, retourne bricoler chez lui, revient à l’atelier, explique encore, et dans ces multiples allées et venues une presse voit le jour... On abandonne la Cinup. Cette fois, les enfants peuvent très facilement imprimer tout seuls, et la presse Freinet n° 2 est installée sur un vieux banc en attendant qu’elle montre elle aussi les défauts de sa fabrica­ tion... Entre-temps, ce sont les corps 36 qu’il faut ranger de façon plus rationnelle, de manière à ce que les petits élèves puissent composer plus commodément. La bonne volonté du vieux menuisier une fois encore seconde l’intuition du maître : la casse pour corps 36 est réalisée à son tour. On l’installe sur une table-pupitre, calée au bas par un solide taquet, près du banc où sont fixées les presses, et ce petit coin de salle, avec un peu d’imagination, évoque l’atelier d’impri­ merie... Petit à petit, l’idée de l’imprimerie à l’école fait son chemin. Des camarades de plus en plus nombreux écrivent à Freinet pour lui demander des renseignements. Alziary, à Bras (Var), est dé­ voré de curiosité, mais trop pauvre est sa bourse... Il attendra encore. Van Meer, directeur d’école à Bruxelles, se décide. Désormais, chaque mois, le journal scolaire de Bar-sur-Loup passera la fron­ tière, et d’imaginer ce voyage international les petits imprimeurs éprouvent une sorte de fierté que Pierrot exprime ainsi : Nous, on va jusqu’en Belgique. A l’école de Gutenberg. C’est en mars 1926 que je viens travailler avec Freinet à Barsur-Loup. C’est le printemps. La petite classe est bourdonnante d’activité, comme une ruche. Tout un laboratoire biologique est installé, à la va comme je te pose, sur le bureau, les tables inoc­ cupées, et même par terre, dans des recoins plus ou moins sûrs : têtards, escargots, limaces, insectes innombrables, chenilles et papillons, consentent à mener une existence assez précaire sous la haute direction de Joseph. Il approvisionne de son mieux ce

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Minuscule Jardin des Plantes où les créatures prisonnières en sont réduites à manger ce que l’intuition du gardien propose : pétales de roses et de fleurs d’oranger, corolles sauvages choisies avec discernement dans le milieu où folâtrait l’insecte, légumes frais des plates-bandes, eau de ruisseau, ou même, — comble d’atten­ tion ! — gouttes de rosée apportées avec d’infinies précautions dans le cœur vierge d’une feuille. Le rayon « vannerie » occupe un secteur assez hirsute où le raphia emmêle sa sauvage chevelure aux brins d’osier et de jonc, et les escabeaux empaillés, les paniers et les nattes en chantier, se bousculent dans un tel pêle-mêle que chacun risque d’y per­ dre sa fibre ou son brin... La bibliothèque a des tendances nettement ambulantes et, pour être à la portée de tous, les livres descendent des étagères et s’installent selon le bon plaisir des enfants, sur un pupitre, sur un banc, une chaise et dans la majorité des cas sur la table du maître, ce magicien de la culture qui arrive tout seul à ce tour de force d’entendre cinq questions à la fois et de répondre à chacune d’elles... Les vieux tableaux Boscher sont, eux, quelque peu malmenés dans l’aventure et leur entassement négligé dans un coin dit assez le mépris dans lequel à présent on les tient... Le rayon imprimerie, par contre, se taille la part d’honneur : rouleaux, presses, casses, papiers, occupent deux grands bancs et débordent même sur le parquet dans des limites d’ailleurs très précises et indiquées à la craie... Ici est l’autel... A vrai dire, toutes ces richesses font un peu bric-à-brac; mais par-dessus ce beau désordre plane un inextinguible enthousiasme... D’abord interdite, je me sens peu à peu pénétrer d’une grande humilité devant cette ivresse d’activité, indifférente au décor, et si chaude, si ardente, qu’elle atteint une manière de grandeur virginale. Avec des gestes précautionneux, j’évolue autour des vraies richesses, attentive à en respecter l’instinctive puissance de rayonnement. Et ce n’est que beaucoup plus tard, par de timides mouvements d’approche, que j’arriverai à installer à l’insu des enfants et de leur maître, un minimum d’ordre et d’harmonie au milieu de cette magnifique pagaïe. Les enfants s’enthousiasmèrent tout de suite pour le dessin à grande échelle. Ils ne dessinaient jusqu’ici que sur un papier de format demi-fiche qui était le seul papier dont ils disposaient. Quand ils eurent à leur portée du papier Canson qui à cette époque n’était pas très cher, des pastels bon marché, de l’aquarelle, ce fut pour eux une véritable révélation. Hélas! notre pauvreté mit une limite à cette fureur du dessin. Il fallut, faute d’argent, se rabattre sur des papiers d’occasion, des feuilles de journaux cédés par les typos de Grasse. Les résultats n’étaient pas toujours remarquables, mais la part du pauvre n’est-elle pas faite surtout du rêve qui heureusement domine les déceptions ?

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Sans qu’on sache bien comment, l’expérience de Bar-sur-Loup était peu à peu connue, çà et là. Les visiteurs de passage venaient frapper à la porte de la petite classe et s’enquérir de la nouveauté d’une méthode qui paraissait lourde de promesses. Tant et si bien qu’un beau jour, dans le grand journal de la haute bourgeoisie, Le Temps (numéro du 4 Juillet 1926) un article, du reste compré­ hensif, parut en première page. Il vaut, je crois, la peine d’être en partie reproduit : A L’ECOLE DE GUTENBERG « Pendant que les spécialistes de la pédagogie dissertent sur les meilleures méthodes d'enseignement applicables à l'école mo­ derne, un modeste instituteur de village, M. Freinet, qui répand actuellement sur les enfants d'un hameau des Alpes-Maritimes les bienfaits de la science, vient de prendre une initiative personnelle dont les résultats semblent fort heureux. La méthode qu’il inau­ gure ne saurait laisser indifférent le monde du journalisme parce qu'elle consacre officiellement la noblesse et l'éloquence de notre technique quotidienne. Ce psychologue a remarqué, en effet, qu’un enfant ressent une impression forte et durable lorsqu'il voit sa pensée imprimée. Il y a là des transmutations de valeur et, si l’on peut dire, une transfiguration que connaissent bien les écri­ vains et qui permet assurément à un maître intelligent d’exercer sur la volonté de l'enfant une action extrêmement énergique. Cet instituteur a donc acheté une presse à main qui ne repré­ sente pas une dépense bien considérable. Il n’a plus d’autres frais à prévoir que ceux représentés par l’encre, le papier, et la refonte annuelle des caractères. Il invite ses élèves à raconter et à écrire ce qui les intéresse. Puis, lorsqu’on a coordonné les meilleurs de ces récits, on leur fait les honneurs de la « composition » et de l’impression. Les pages ainsi obtenues sont lues par toute la classe et tout spécialement par ceux qui y ont collaboré, avec une avidité extraordinaire. Il y a là une observation très juste. L’imprimerie confère à un mot une dignité dont les enfants doivent ressentir profondément le prestige. Couler sa pensée dans du métal, c’est lui assurer une apparence flatteuse de solidité et de pérennité. C’est un geste qui a la beauté de celui du sculpteur ou du graveur de médailles. Cha­ que caractère mobile est un petit socle qui supporte la statue d’une lettre. Dans le composteur on prépare la glorification d’un mot et l'apothéose d’une phrase. ... Travailler pour l’imprimerie constitue une opération de l’in­ telligence très différente de celle qui consiste à noircir un cahier scolaire. On choisit ses mots avec infiniment plus de soin et de respect lorsqu'on songe qu’ils vont recevoir les honneurs de la composition, revêtir l’uniforme des régiments de Gutenberg et défiler à la parade dans un ordre impeccable sous les yeux atten­ tifs et émerveillés de la foule des lecteurs. Pédagogiquement

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d'ailleurs, la méthode doit être excellente. Former ses mots en « levant la lettre » est une façon objective d'apprendre l'orthogra­ phe dont l’efficacité ne doit pas être douteuse... ... L'instituteur des Alpes-Maritimes a utilisé fort ingénieuse­ ment tous ces secrets mouvements de notre instinct. Il obtient, paraît-il, d'excellents résultats pratiques, et recueille chaque an­ née de la main de ses jeunes imprimeurs un « livre de vie » du plus haut intérêt. Etendant son action, il échange ce livre contre un travail analogue exécuté dans les mêmes conditions par des écoliers du Rhône. Quel journaliste refuserait de saluer avec sym­ pathie une initiative qui rend hommage à ce qu’il y a de plus mystérieux, de plus troublant, et de plus fort, dans la technique quotidienne dont il se sert pour saturer l'air que nous respirons de particules de sensibilité et d'intelligence ? » Le journal réactionnaire de la région, L'Eclaireur de Nice, ne voulut pas demeurer en reste et, dès la parution de l’article du Temps, un journaliste vint à l’information à Bar-sur-Loup. Dans son numéro du 6 juillet 1926 paraît un long reportage avec photo. A titre d’indication, nous citerons de même les dernières lignes que le journaliste G. Davin de Champclos écrivit en conclusion de son article. Cela a ici quelque importance car quelques années plus tard, lors de l’affaire de Saint-Paul, nous aurons l’occasion de retrouver dans T Eclaireur de Nice des articles quotidiens sur Freinet, mais spécialisés cette fois dans la diffamation et la calom­ nie les plus basses. « ... Je prends congé de cet homme d'initiative et d'audace, auquel « Le Temps » a consacré récemment une chronique élogeuse. L’Eclaireur se devait à lui-même de faire connaître, à son tour, cet enfant des Alpes-Maritimes, qui a eu une belle idée et l'a courageusement réalisée... » Le branle-bas était donné dans la presse. Les uns après les autres, les divers journaux de France donnent des communications plus ou moins fantaisistes sur l’introduction de l’imprimerie à l'école dans le nouveau processus de l’Ecole française. Et jusqu’en Italie le Corrière della Sera ergote sur les initiatives du petit instituteur de Bar-sur-Loup. Ces faits donnent une idée de l'étonnante influence qu’ont les journaux à grand tirage comme Le Temps et aussi des aptitudes de suiveurs qu’ont la majorité de nos quotidiens. En l’occurrence, le Petit Niçois fait exception à la règle des louanges et, par réaction contre son rival L'Eclaireur de Nice, il prend ouvertement Freinet à partie. A titre de curiosité, voici un passage significatif : «... L'enseignement et l'art sont deux choses bien différentes qui vont rarement ensemble. Tant que les enfants sont restés éloignés de l'art, ils se sont contentés de l’école; mais quand ils sau-

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ront que, fermant le syllabaire, ils auront le droit de laisser la grammaire et de conquérir quand même l’immortalité, ils délais­ seront les programmes, les horaires, le travail, et ne cultiveront plus que la petite plante de vanité; et c’est vous, M. Freinet, qui l’aurez semée. Quel remords ! » Occasion magnifique pour le petit instituteur d’échanger ses premières passes avec la gent journalistique : « Je voudrais surtout contribuer à développer davantage le bon sens des fils des travailleurs. J’espère que, devenus grands, mes élèves se rappelleront ce que sont les feuilles imprimées : de vul­ gaires pensées humaines, hélas ! bien sujettes à l’erreur. Et de même qu’ils critiquent aujourd’hui leurs modestes imprimés, je souhaite qu’ils sachent lire et critiquer, plus tard, les journaux qu’on leur offrira. » Ce qui n’empêchera pas Le Petit Niçois de défendre chaude­ ment Freinet lors de l’histoire de Saint-Paul... La liaison avec les adhérents. C’est durant le printemps 1926 que Freinet fait le point de ses deux années d’expérience dans un petit livre : « L’Imprimerie à l’Ecole ». Ma présence a au moins l’avantage de susciter des cri­ tiques, d’aider à la précision des pensées et d’alléger le trop lourd travail qui déjà domine la vie de Freinet. En attendant que son modeste traitement qui est l’unique res­ source de notre petit ménage lui permette de faire des économies pour l’édition de ce premier livre, il fait circuler son manuscrit parmi ses adhérents. Car il a maintenant de nouveaux adhérents, dont nous allons lire sous peu la liste. Inlassablement, il travaille pour cette grande idée qui l’anime, écrivant quotidiennement de longues lettres à ceux qui l’interrogent, accrochant leur intérêt, les retenant, malgré la pauvreté de sa documentation, car il n’y a à l’époque que de petits textes imprimés à montrer, souvent bien imparfaits et qui ne peuvent séduire que par le langage qu’ils parlent. Le soir, tardivement, il rédige des circulaires pour les cama­ rades, visant à créer cette union permanente des artisans d’une même œuvre. Il est des circulaires tapées à la machine, d’autres tirées à la pâte à polycopier. Il est significatif, croyons-nous, de lire la première de ces cir­ culaires de Freinet, car déjà s’y manifestent ses soucis perma­ nents d’établir des techniques basées sur les réalités du milieu et orientant la pédagogie par des moyens pratiques vers une compréhension sociale et psychologique de l’enfant.

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PREMIERE LETTRE CIRCULAIRE Le 27 juillet 1926 « Le nombre des écoles travaillant avec l'imprimerie va tou­ jours en augmentant. Nous étions deux seulement l'an dernier. Nous serons six au moins en octobre prochain. Pour l’expérimentation d'une technique à ses débuts, une col­ laboration constante de tous est absolument indispensable. Nous mettons en commun nos remarques, nos trouvailles, nos déboires, ou nos erreurs aussi, afin de nous aider mutuellement. Je vous prie de m’écrire longuement, soit pour demander, soit pour don­ ner des renseignements. Je ferai mon possible pour que chacun de vous profite de ces correspondances. L'organisation de l’échange d’imprimés entre écoles doit être notre permière préoccupation. Nous avons prévu : 1°) Un échange journalier entre deux écoles d'un niveau à peu près identique. 2°) Un échange mensuel, automatique, entre toutes les écoles travaillant avec l’imprimerie. L'échange journalier entre deux écoles est le plus délicat. Il faut, autant que possible, que les deux classes se comprennent parfaitement et que, en même temps, elles se complètent. C-est pourquoi je ne puis pas, arbitrairement, décréter que telle école échangera ses imprimés avec telle autre. Afin d’établir ces com­ munications dans les meilleures conditions possibles, je vous de­ mande de me donner sans faute, et très complètement, les rensei­ gnements suivants : — Quel est le niveau de votre classe ? C.P. et E., C.E., C.M., C.S., etc..., en précisant au besoin. — Quelle est la structure de la classe ? Combien de divisions ? Quelles divisions imprimeront principalement ? — Description sommaire du milieu — ville ou viUage, paysan ou ouvrier, — industries locales, etc... — Parmi les écoles mentionnées ci-dessous, dites celles que vous voudriez choisir comme correspondantes. L'échange journalier ne peut guère se faire qu'en France; coût : 0 fr., 20. Les envois à l’Etranger coûtent 0 fr., 25 1. Il faut que nous soyons prêts pour octobre. Je compte sur votre réponse. 1. La liste des écoles possédant une imprimerie était la suivante : Freinet, Bar-sur-Loup (A.-M.). — Mlle Ripert, Beni-Saf (Oran). — Van Meer, Bruxelles. — Bordes, Saint-Aubin-de-Lanquais (Dordogne). — Daniel, Trégunc (Finistère). — Primas, Villeurbanne (Rhône), auxquels s’ajouteront avant octobre : Alquier, Vias (Hérault). — Alziary, Bras (Var). — M. Ad. Ferrière, Ge­ nève, et quelques autres.

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P.S. — Dans une prochaine lettre, je vous entretiendrai du choix et de la fourniture du papier, ainsi que d’un mode pratique de reliure des feuilles imprimées. Je viens de terminer le compte-rendu général de notre expé­ rience d'imprimerie à l’école. En attendant que le livre soit édité, je communique à nos collaborateurs une copie de mon travail. Je vous prie de le garder le moins possible afin que le roulement soit assez rapide (cinq à six jours doivent suffire)2. Je prie mes collègues de donner autant que possible leur adresse de vacances au collègue qui doit leur envoyer le manuscrit. » Enfin une visite attendue. C’est en cette fin d’année que l’école de Bar-sur-Loup reçoit les premiers visiteurs vraiment curieux de l’expérience qui se me­ nait dans la petite classe. Un soir de printemps, Freinet s’en va attendre à Pré-du-Lac, à la descente du tram, Alziary et Pascal qui viennent passer au crible de leur esprit critique les techniques de l’Imprimerie à l’Ecole. On discute longuement en attendant, le lendemain, l’heure H de la rentrée... Inutile de dire que l’atmosphère de l’école déso­ riente quelque peu nos visiteurs, façonnés par les méthodes tra­ ditionnelles, et habitués à ce contrôle incessant de l’acquisition des connaissances par l’enfant. Les allées et venues des élèves dans la classe, leur façon spon­ tanée de parler, de questionner, de critiquer, et cette pagaïe apparente non encore complètement dissipée, surprennent énor­ mément les deux visiteurs, et les déroutent. Alziary, qui n’est encore qu’un tout jeune homme, tout près de la spontanéité enfan­ tine, se laisse gagner peu à peu; il sent le naturel et la richesse de toutes ces activités enfantines allant tout droit vers la compré­ hension et la découverte selon leur propre élan. Bientôt, il est conquis. Mais Pascal se tient sur ses gardes. La hâtive leçon de grammaire faite en quelques remarques sur le texte du jour finit par le décevoir tout à fait. Il a fait lui, dans sa classe, tout un système d’enseignement didactique de la grammaire avec figures géométriques en cartons colorés où les substantifs, les verbes, les 2. Voici l’ordre de la circulation: M. René Daniel, à Trégunc (Finistère). — M. Primas, 124, cours E.-Zola, Villeurbanne (Rhône). — Mme H. Alquier, à Vias (Hérault). — M. P. Bordes, à Saint-Aubin-de-Lanquais (Dordo­ gne). — Mlle Ripert, à Beni-Saf (Oran). — M. Alziary, à Bras (Var). — M. R. Van Meer, Directeur de l’école moyenne, rue de la Prospérité, à Bru­ xelles. — M. Ad. Ferrière, Directeur du Bureau International des Ecoles Nouvelles, 10, Chemin Peschier, Champel, Genève. — C. Freinet, Bar-surLoup.

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compléments et tous ces infimes vocables qui participent aux par­ ties du discours ont leur rôle à jouer... Tout élève sorti de son école à lui, Pascal, fait figure d’érudit, comparé à... Freinet, dont la désinvolture à manier une chasse aux mots, une conjugaison, une remarque orthographique quelconque en quelques minutes, le gêne visiblement. C’est chez lui une manière de déception, qu’il ne surmontera pas, bien que par ailleurs il soit obligé de reconnaître que l’attitude nouvelle des enfants et leur soif inex­ tinguible de savoir est à l’origine d’une orientation nouvelle de la pédagogie vers des voies plus rationnelles et plus humaines. Et tandis qu'Alziary calcule déjà le moyen d’équiper au plus tôt sa petite classe de Bras, Pascal avoue ne pas pouvoir se décider à abandonner aussi allègrement les délices de l’apprentissage de la grammaire, qui lui vaut tant de discrètes joies et de succès. A la rentrée, il faut ajouter à la liste des imprimeurs trois nouveaux adhérents, ainsi que l’indique le Bulletin n° 2 de no­ vembre 1926, bulletin tapé, comme toujours, à la machine « Mignon » 8 : Les échanges interscolaires commencent à fonctionner. La comptabilité relate ce fait inouï : notre avoir se monte à Francs 34 x 2 = 68. Pour encourager les timorés, cette séduisante proposition : A mesure que les fonds le permettront, chaque adhérent se verra attribuer une action de 25 fr. Les nouveaux acheteurs de la presse bénéficieront de cette même action. Les collègues qui dé­ sireront adhérer à notre Coopérative sans acheter la presse de­ vront verser effectivement la somme de 25 fr. De nombreuses circulaires tapées à la machine unissent cha­ que semaine Freinet à ses collaborateurs; inlassablement, elles mettent au point les détails pratiques, les considérations techni­ ques, les prescriptions administratives (déclaration de journaux scolaires, affranchissements postaux, etc...) et mettent en relief les initiatives de chacun. Ce vaillant petit groupe d’instituteurs limité par la pauvreté et l’isolement, va de l’avant, méticuleuse­ ment, patiemment, dans son travail de fourmi. Et tout revient à la fourmilière. Bordes (Saint-Aubin de Lanquais) se propose de faire l’édition de quelques petits livres illustrés. Jayot (Sailly, Ardennes) annonce un recueil de poésies. Freinet a mis en chan­ tier un conte illutré (circulaire de novembre 1926) et la propa­ gande est si bien menée qu’en janvier 1927 il faut compter sept nouveaux adhérents 4. 3. Regard, à Champagnole (Jura). — Bouchard, à Lyon (6e). — Jayot, à Sailly (Ardennes). 4. Alziary, Bras (Var). — Mme Lagier-Bruno, Saint-Martin-de-Queyrières (H.-A.). — Wullens, Lourches (Nord). — Regad, Pontarlier (Jura). — Hoff­ mann, Bouxières-sous-Froidmont (M.-et-M.). — Leroux, La Neuvillette (Sarthe). — Mme Audureau, Pellegrue (Gironde). — Ferrière, Genève.

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En mars, en voici deux autres encore 5. Le Bulletin du 2 janvier 1927 note triomphalement : L’avoir de notre Coopérative est à ce jour de 150 fr. M. Pathé (intellectuel très sympathique à notre mouvement) m’a promis quatre actions, soit 100 fr. C’est en janvier aussi que paraît L’Imprimerie à l’Ecole, que M. Ferrary a bien voulu éditer à ses riques et périls. Il faut noter ici le dévouement de ce petit artisan pour la cause Freinet, tout à fait à l’origine de l’expérience de l’imprimerie à l’Ecole. Par un simple hasard, il avait vendu à Freinet sa presse Cinup, mais tout de suite il avait compris l’intérêt profond d’une telle initia­ tive, non par simple souci commercial, car il connaissait la pau­ vreté de ses clients, mais parce que réellement il pressentait la valeur d’une telle expérience et le désintéressement profond de l’humble instituteur qui en était le protagoniste. Aussi, sans hési­ ter, il avait couru le risque de l’édition du premier livre de Frei­ net. Il n'avait pas tort ; car tout de suite des échos s’éveillent un peu partout. Freinet écrit dans sa circulaire de février 1927 : « A ce jour plus de cent camarades français et étrangers m’ont demandé des renseignements. Il semble donc que mon livre de­ vrait avoir un certain succès de vente. Je vous demande d’y contribuer de votre mieux, parce que : 1°) Il est nécessaire que M. Ferrary rentre dans ses fonds, lui qui n’a pas hésité à éditer à ses frais un livre refusé par les mai­ sons d’éditions; 2°) Ce sera une bonne propagande pour notre mouvement; 3°) Il peut être pour notre Coopérative une source de revenus. En effet M. Ferrary accordera une commission de 40 % aux dépositaires, soit 2 fr., 80 par exemplaire. Je crois qu’à ce compte chacun de vous serait encore dédommagé de sa peine en versant à la Coopé 20 % par exemplaire. Pour ma part, j’abandonnerai à notre caisse la remise sur les livres que je pourrai vendre. Même remise aux syndicats, libraires ou organisations diverses. Je vous prie donc de demander sans tarder un certain nombre d’exemplaires en dépôt (payables après vente seulement, dans ce cas la remise n’est que de 33 %) de faire dans vos bulletins syn­ dicaux un peu de propagande pour cette vente. (Prière de commu­ niquer les extraits.) Donner à M. Ferrary des adresses de dépo­ sitaires. Continuez à faire passer les commandes d’imprimerie par la Coopé. » Calculs de pauvres comptant sou à sou et qui domineront l'œu­ vre entière de la C.E.L... La C.E.L., ce fut toujours, au cours 5 5. Ballon, à Pont-de-Ruan (I.-et-L.). — Barel, à Menton (A.-M.).

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de notre vie familiale, comme une sorte de génie exigeant, hantant nos esprits et notre maison, prenant insidieusement la meilleure place dans nos tendresses et nos pensées, nous menant inexora­ blement dans les zones inexplorées que l’initiative de Freinet se mettait en devoir de défricher à grands coups de sape, dans une sorte d’exaltation qui nous engageait corps et âme. L’esprit de l’équipe. Ce qui frappe à la lecture de toutes ces circulaires, échelonnées pendant l’année scolaire 1926-1927, c’est le dynamisme étonnant de ce petit groupe d’éducateurs d’avant-garde, mettant sans cesse en commun leurs efforts, se répartissant les tâches, cherchant au­ tour d’eux des possibilités nouvelles d’exalter leur élan, leur foi : Bordes apprend à graver le plomb pour faire des clichés d’illus­ tration; Leroux invente des clichés en carton collés sur socle de bois et bricole pour permettre aux camarades habiles de fabriquer eux-mêmes une partie de matériel ; Bouchard étudie la question des caractères pour divers cours et des rouleaux, et découvre un duplicateur bon marché. Alziary a pris en mains la charge des correspondances interscolaires qui restera sa spécialité pendant la majeure partie de l’histoire de la C.E.L. Freinet s’attache plus particulièrement à asseoir l’activité pédagogique sur ce matéria­ lisme scolaire qui démarre si favorablement. Sans cesse il fait le point, attentif aux critiques des camarades, et c’est ainsi que dans la circulaire du 15 mars 1927 il écrit à propos des échanges : « Le nombre d'écoles travaillant à l'imprimerie s'accroît de mois en mois 6. J'avais cru un instant que nous pourrions durer jusqu'en août à échanger ainsi tous nos imprimés. Alziary me signale les incon­ vénients de ce système. Je suis aujourd'hui de son avis. Il nous faut trouver une organisation suffisamment souple pour sauvegar­ der à la fois, et les intérêts de chaque classe, et la solidité de notre collaboration et les besoins de notre groupe. » Suit une réorganisation des échanges permettant de lier plus intimement les écoles par affinités pour ainsi dire économiques et sociales. Une fois encore, les écoles de Bar-sur-Loup et de Trégunc échangent leurs imprimés. L’année 1924-1925 avait soudé de so­ lides amitiés. L’année 1926-1927 les ressoudera mieux encore; et, à nouveau, les imprimés, les lettres, les colis, s’en iront vers la Bretagne ! 6. Il faut ajouter à la liste : Fernand Cattier, Dir. de l’E.N. de Mirecourt (Vosges). — Subra, à Antras (Ariège). — Spinelli, à Menton (A.-M.).

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La Gerbe, co-revue d’enfants, à peine venue dans le champ de nos pensées, se matérialisa brusquement en réalisation effective. Déjà des ordres sont donnés aux camarades et, en esprit, notre revue enfantine est présente. « La Gerbe ! Tel sera notre titre. Dans les diverses suggestions de camarades, on sentait ces idées : coopération, union, profit pé­ dagogique. La Gerbe me paraît condenser tout cela... A ce jour j’ai reçu sept collaborations qui m’ont toutes enchanté. Nous som­ mes certainement quelques-uns à avoir commis des erreurs. Nousmêmes nous avons voulu faire tenir en deux pages un texte trop long. La présentation en souffre beaucoup. Il nous faudra mieux aérer nos textes par des dessins divers. (Circulaire du 12 mars.) » Le 15 mars, une autre circulaire dans laquelle on retrouve les mêmes soucis pratiques et pédagogiques se termine par ces lignes réconfortantes : « La vie du groupe est très intense en ce moment. J’espère avoir sous peu un Duplic avec lequel j’organiserai la liaison de façon plus régulière et plus convenable. Car il nous faut pour octobre une organisation solide. Il y aura alors pour chacun la part de peine dans l’œuvre commune. Nous sommes pauvres. Mais avec l’enthousiasme, nous devons nous passer de la sollicitude des grands. » Cette phrase faisait allusion à des propositions qu’une Maison d’édition de matériel scolaire avait faites à Freinet par voie plus ou moins détournée. Mais au lieu de choisir le chemin facile qui conduit aux honneurs et à la fortune, Freinet s’enfonçait résolu­ ment dans les soucis d’argent qui domineront sa vie entière. Ne pas boire, ne pas fumer, ne pas sortir, ne pas se soucier de toi­ lette, rester indifférent aux tentations des beaux mobiliers, du bibelot de prix, sont d’excellents moyens pour faire des écono­ mies. Si bien qu’en quelques mois, nous pouvions, avec un seul traitement, payer la grande presse Duplic et acquérir par surcroît la caméra Pathé-Baby, troquée contre notre bel appareil photo­ graphique et un supplément d’argent à la portée de notre mo­ deste bourse. Nous faisions très souvent le voyage de Bar-sur-Loup à Grasse pour avoir le plaisir de marcher, de discuter, de faire des projets, contents d’économiser ainsi quelques francs qui s’évanouissaient en menus achats utiles dans les librairies ou les boutiques de Grasse. C’est ainsi que nous achetâmes tout un matériel de bri­ colage pour perfectionner notre installation scolaire, et cette éton­ nante perforeuse de bourrelier, des œillets de cuir, des rivets, qui nous permirent de relier de façon originale les premiers numéros de notre Gerbe. A vrai dire, cette première Gerbe, qui enchanta si totalement Freinet, ne laissa pas de me décevoir : certes, on maniait la per­

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foreuse avec entrain, on frappait joyeusement sur l’enclumette pour enfoncer les rivets, mais le poignet finissait par se fatiguer et la déception grandissait de n’avoir pas réalisé la belle brochure attendue. Freinet, lui, comme toujours, passait sur les détails incorrects, et c’est avec son enthousiasme coutumier qu’il rendait compte dans le Bulletin du 4 avril 1924 de cette « relative » réussite... « Malgré les conditions rudimentaires de collaboration à ce pre­ mier n°, La Gerbe a été un succès. Le papier était mauvais, de forme et d'aspect disparates; il a fallu tout recouper. Mais l’en­ thousiasme et l’ingéniosité des collaborateurs compensent ces imperfections. Ce premier numéro a été tellement bien accueilli par les élèves qu’un tirage double aurait à peine suffi. » Et suivait un long développement montrant les avantages incon­ testables de La Gerbe, outil de perfectionnement pédagogique, trait d’union des imprimeurs, organe précieux de propagande. Et de fait, dès les numéros suivants, La Gerbe devint ce qu’elle était encore trente ans plus tard : le journal d’enfants le plus attendu, le plus lu, le mieux compris des petits lecteurs de nos classes. La parution du livre L'Imprimerie à l’Ecole suscita à l’époque un redoublement d’intérêt pour les techniques Freinet. On est surpris de lire dans ce même Bulletin (4 avril 1927) la liste impressionnante des journaux pédagogiques, sociaux ou politiques, qui prirent en considération les expériences de ce petit groupe d’éducateurs primaires7. Les temps sont bien changés depuis ! Alors que les techniques Freinet animent aujourd’hui des milliers et des milliers d’écoles, la conspiration du silence des revues pédagogiques tente de reje­ ter au néant des réalisations qui sont l’honneur de l’école fran­ çaise. En mai 1927, nouvelles adhésions, françaises et internatio­ nales 8. 7. Progrès civique (Paul Allard), L’Impartial Français, L’Ecole émancipée n° 24, Pour l’Ere Nouvelle, mars (A. Ferrière), La Révolution Prolétarienne (B. Giauffret), L’Œuvre Sociale, Besançon (Hérard), Revue de l’Enseignement, L’Enseignement Public - Nouvelle Education, avril (Mme Gueritte), Le Petit Niçois (Issautier), Les Humbles, janvier (Wullens), L’idée Libre, avril (Lorulot), L’Etoile Belge, 19e Bull, pédag. de la cir. de Corté (Vidal J.), Bulletins Syndicaux, Finistère (Daniel), Action Syndicaliste P.O. (Combeau), L’action corporative du S.O. (Bordes), Bulletin du S.N. de M. et M. (Hoffmann), Notre Arme (A.M.) (Aicard), Bureau International d’Education (Genève), La voie d’Education, Karkov, Nos de Nov. et Déc., Feuilles d’Avis de Neuchâ­ tel (A. Ferrière), El Magistero Taraconense (Espagne) (H. Cassassas), El Idéal de Granada (G. Martin), El electricitas (M. Cluet), El Magisterio Espagnol, numéros des 4, 13 et 25 janvier (Cluet). 8. Voirin, à Chémery-sur-Bar (Ardennes). — Lallemand, à Linchamps (Ar­ dennes). — Guillou, à Saint-Hilaire la Gravelle (L.-et-G.). — Manuel Cluet, à Madrid (Espagne). — Berberat, à Bienne (Suisse). — Meyhoffer, à Ge­ nève (Suisse).

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Et jusqu’au Tonkin : Courtoux, inspecteur des écoles du ThaiNguyën (Tonkin). La situation financière s’améliore, semble-t-il, puisqu’après un bilan minutieux il reste à l’actif 291 fr. 65 ! D’où provient cet avoir en caisse ? Tout d’abord des largesses de Cinup qui consent 10 % de ré­ duction à tout acheteur de matériel adhérent à la C.E.L. L’adhé­ rent, généreux, reverse spontanément à la C.E.L. cette remise obtenue grâce à l’œuvre commune. C’est ainsi que l’on peut lire très souvent, au cours des relevés de trésorerie, des indications comme celles-ci : Jayot : 28 fr. 30 — Regad : 34 fr. 05 — Hoffmann : 39 fr. — Barel : 34 fr. 90, etc... Quel bel exemple à méditer pour nos adhérents d’aujourd’hui, d’autant plus exi­ geants qu’ils sont plus tardivement venus à nous et qu’ils profitent au maximum de l’œuvre patiente que les anciens ont, bien avant eux, édifiée avec tout leur dévouement et toute leur foi. Une comptabilité particulière est tenue pour « la Gerbe ». Deux exemplaires gratuits sont attribués à chaque collaborateur. Les autres exemplaires sont livrés à 0 fr. 50. Suit le détail des dépenses, des souscriptions, des recettes de vente et la conclu­ sion comme toujours est optimiste : « Notre revue est ainsi parfaitement viable. A partir de ce jour donc, je passe la comptabilité. C’est la coopérative scolaire de Sailly (Ardennes) qui assurera la trésorerie. » Toute cette fin d’année 1927 fut prodigieuse d’activité pour l’Imprimerie à l’Ecole. Les tâches sont réparties entre les meil­ leures volontés. Leroux s’occupe de la fourniture du papier aussi bien pour les journaux scolaires que pour « la Gerbe » et par surcroît c’est lui qui tire les circulaires au duplicateur, car « à l’usage » le Duplic s’avère impropre à remplir ses fonctions, la composition étant fort longue et l’impression assez capricieuse. On calcule méticuleusement, à quelques centimes près, pour l'envoi de ces circulaires considérées comme suppléments de bul­ letins ou de journaux scolaires déclarés. Daniel prend la trésore­ rie. Dejon s’occupe des composteurs, Bordes des rouleaux et plus tard des presses, Coutelle des outils de bricolage. S. Garmy des reliures et, dans la circulaire n° 6, Leroux donne un schéma de construction de petit duplicateur avec cadre en ardoise naturelle, d’un prix fort modique, qui remplit fort bien son office. Freinet continue à bricoler avec ses presses. La presse Freinet n° 2 a montré à l’usage ses défauts, il faut passer à la n° 3... Allées et venues de l’école à l’atelier du menuisier et enfin, une fois encore, le chant de victoire : « Ma nouvelle presse est au point : j’en suis tout à fait satis­ fait. Un enfant de sept ans a pu imprimer avec toute la page du sommaire de La Gerbe. Je prépare les indications que je commu­ niquerai sous peu. Le presse me revient à 10 francs... Je vais

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faire tirer un petit opuscule de quatre pages où. j'expliquerai le moyen de la fabriquer. » Mais restait une grave question à résoudre : après trois ans d’activité, la Coopérative n’était pas encore administrativement constituée... Au fur et à mesure que s’élargissait le nombre des coopérateurs, l’organisation légale devenait une urgente néces­ sité. Hélas ! les formalités administratives exigent des fonds et c’est là la raison de ce regrettable retard qui menace de coûter plus cher encore. On lit dans la circulaire n° 6 : « Il faudra tout de même penser à la constitution légale de notre coopérative. C’est assez délicat. J’hésite à cause des huit ou neuf cents francs que coûte cette constitution. » Le nombre exige l’organisation matérielle aussi; il faut prévoir le stockage du matériel de base : presses, rouleaux, composteurs, papier, pour ne désigner que l’indispensable, et c’est bien là le plus grand tourment de celui qui assurera une telle responsabilité commerciale sans avances de fonds... « ... C'est pourquoi je vous convie tous à une grande enquête dont je tâcherai de publier les résultats. Mais il est nécessaire que chacun réponde. Je présente à cet effet un questionnaire qui n’est nullement limitatif, A vous de dire tout ce que vous croyez utile aux autres. A. — L’organisation technique de l’imprimerie dans votre classe : Comment avez-vous disposé le matériel ? A quelle heure les élèves composent-ils de préférence ? (Avez-vous un emploi du temps fixe pour cela ?) Quand impriment-ils ? Quand posent-ils ensuite leurs caractères ? Combien à l’impression ? Comment avez-vous organisé ce service ? Vous servez-vous de la presse Cinup ? Dans quel sens avezvous modifié l'emploi de la presse (voir mode d'emploi indiqué dans ma brochure) ? Quelles améliorations vous sembleraient les plus urgentes ? Quels sont les principaux ennuis que vous avez eus avec ce matériel ? Comment pourrait-on y remédier ? (ne pas signaler les ennuis du début qui proviennent de l’inexpérience du tnaître). Quelle a été la dépense approximative pour l’année, et quelle est votre prévision pour l'année à venir ? B. — Grosseur des caractères : Quel est le corps de caractère qui vous paraît le meilleur pour votre classe ? corps 12, 9, ou intermédiaire 10 ? Quels inconvénients ou avantages voyez-vous au corps que vous employez actuellement ? Pensez-vous que deux feux de police vous seraient utiles ? C. — L'imprimerie dans ses rapports avec le travail scolaire : a) Suivez-vous seulement l’intérêt dominant de la classe, selon le travail et les saisons, ou bien adoptez-vous des centres d'intérêt établis d’avance ? Comment procéder ? Quels résultats sem­ blent obtenus ?

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b) Comment lier l’enseignement à l’imprimerie ? Notamment : quel parti tirer des imprimés journaliers ou bi-mensuels reçus par échange ? Qu’en faire après la lecture ? Quelle est l’utilisation possible ? Peut-on supprimer des manuels ? Lesquels ? Com­ ment ? c) Comment relier les imprimés ? Quel est le format le plus pratique ? d) Quelle a été l’appréciation de votre I.P., de votre directeur, de la population ? D. — Avantages et inconvénients de l’imprimerie à l’école . Votre opinion, vos suggestions sur La Gerbe et notre Bulletin. »

(Circulaire de mai 1927.)

La circulaire n° 8 devient un peu plus alarmante quant aux soucis d’argent. Il faut vraiment que ça n’aille pas très bien pour que Freinet fasse un appel aussi direct : « Toutes ces commandes en gros, ces provisions de matériel, nécessitent des avances. Vous les avez promises d’enthousiasme. Nous avons donc marché carrément, persuadés que vous verseriez votre part à notre premier appel... » La circulaire n° 9 prouve que les craintes ne sont pas totale­ ment dissipées : «Nous espérons que chacun a réglé ses dettes à fayot... Je vous en prie, ne chargez pas notre trésorerie qui marche avec tant de peine en cette période de début... » Les événements devaient malheureusement montrer que les années à venir, économiquement parlant, ressembleraient trop fidèlement à celles du début, et nous faire faire cette inévitable constatation : en régime capitaliste, une organisation qui ne se soumet pas aux exigences d’une plus-value excessive n’est pas commercialement viable, sans le dévouement financier et moral de ceux qui l’animent. C’est à vrai dire ces réalités économiques, si lourdes à supporter, qui mettent sur notre œuvre cette tache d’ombre qui jamais ne se dissipe. Les dettes allaient s’accumulant sur notre petit ménage et ma demande de poste dans les Alpes-Maritimes était restée sans effet. Heureusement, je décrocherai le premier prix Gustave Doré en mai 1927. La vie, à nouveau, élargit ses horizons... Par surcroît de chance, un paysan complaisant mit à notre disposition sa pro­ priété à moitié abandonnée où abondaient des fruits agréablement échelonnés au cours de l’été. Nous fîmes là la meilleure des cures de fruits, dînant le soir sous les arbres lourds de cerises, de nèfles, de pommes, de poires et de figues. Nous étions, après cette expérience, sur le chemin de la réforme alimentaire qui de­ vait redonner, au grand blessé sans espoir, la santé.

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Le premier Congrès Tours (1927). En fin d’année parut notre premier extrait de La Gerbe : « Histoire d’un petit garçon dans la montagne ». Ce fut vraiment pour nous une grande joie. Nous en emportâmes tout un stock à notre premier Congrès de l’imprimerie à l’Ecole, à Tours, les pre­ miers jours d’août, où se tenait à ce moment-là le Congrès annuel de la Fédération de l’Enseignement, auquel Freinet participait comme secrétaire syndical des Alpes-Maritimes. Manuel Cluet venu de Madrid par autorisation spéciale de Primo de Rivera y assistait. Ce premier Congrès eut en réalité une importance considérable pour le mouvement de l’Imprimerie à l’Ecole. C’était vraiment la première fois que Freinet prenait un contact aussi large et pro­ fond avec ses adhérents qu’il ne connaissait pour la plupart que par correspondance. Minutieusement, on mit au point toutes les questions concer­ nant le matériel (presses, composteurs, caractères, papiers, re­ liure, illustrations diverses). Mais surtout Freinet eut le plaisir de préciser, de dégager l’esprit dans lequel devaient être utilisées les techniques de l’imprimerie à l’Ecole. Il mit en garde ses ca­ marades, comme il le fit régulièrement à tous les Congrès, contre un emploi trop formel de l’imprimerie. L’Imprimerie à l’Ecole ne doit pas servir l’ancienne méthode par l’impression de textes d’adultes, de résumés scolaires; elle est l’outil de libération de la pensée enfantine; et déjà Freinet posait les exigences du texte libre. Il met en garde surtout les éducateurs des cours supérieurs, des écoles professionnelles, des E.P.S. contre l’usage de l’im­ primerie asservie à un régime scolaire retardataire incapable de régénérer l’esprit de la classe. « Nous espérons que la voie montrée par nos écoles primaires élémentaires qui vivent, écrivent et lisent dans la joie influencera les écoles formalistes et les aidera à faire triompher la vie sans laquelle il ne saurait y avoir d’éducation vraie. » Et, pour cette raison, il s’attache encore plus à faciliter les échanges interscolaires. Le soir du 7 août 1927, à Tours, Freinet présenta aux impri­ meurs un petit film Pathé-Baby représentant les élèves de Barsur-Loup au travail. Tout cela intéressa prodigieusement les ca­ marades. Il fut décidé que des films semblables pourraient être tournés par les divers camarades et que Boyau, chargé de la « Cinémathèque Coopérative » (qui vit le jour, en fait, à ce pre­ mier Congrès), essaierait d’en faire les copies.

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Echanges interscolaires (France). Déjà la liste des adhérents de l’Imprimerie à l’Ecole était quel­ que peu imposante * 9. « Les correspondances scolaires » préoccupaient énormément Freinet car il se rendait compte que c’était des relations de classe à classe que dépendait en grande partie la cohésion du mouve­ ment. Quand deux classes correspondantes se reliaient l’une à l’autre par des échanges réguliers, bien établis, suscitant l’enthou­ siasme, l’enrichissement était inévitable. Ainsi nous retrouvons dans nos archives les très nombreuses lettres écrites spécialement pour les couples d’écoles appelées à correspondre10. Relevons un passage à l’adresse de celui qui fut le premier adhérent : « Mme Faure, vous aurez en Daniel un correspondant de choix. Je l’aurais moi-même égoïstement gardé pour ma classe cette an­ née encore. Daniel sait que nous nous sommes séparés pour l’in­ térêt du mouvement... Il vous sera donc un guide constant... C’est avec un vrai chagrin que mes élèves et moi avons abandonné Trégunc. Et l’après-midi du premier jour de classe a été consa9. France : Freinet, à Bar-sur-Loup (A.-M.). — Primas, 124, cours E.-Zola, Villeurbanne (Rhône). — R. Daniel, à Trégunc-Saint-Philibert (Finistère). — Bordes, Saint-Aubin-de-Lanquais (Dordogne). — Alziary, Bras (Var). — Mme Lagier-Bruno, Saint-Martin-de-Queyrières (H.-A.). — Jayot, Sailly-parCarignan (Ardennes). — Bouchard, 83, rue Bossuet, Lyon. — Hoffmann, à Bouxières-sur-Froidmond, par Pont-à-Mousson (Moselle). — M. Wullens, à Somain (Nord). — Leroux, à Neuvillette-en-Chamie (Sarthe). — Ballon, à Pont-de-Ruan (Indre-et-Loire). — Barel, rue Longue, Menton (A.-M.). — Claudin, dir. école annexe à l’E.N., Mirecourt (Vosges). — Spinelli, Ecole de la Condamine, Menton (A.-M.). — Subra, à Antras, par Sentein (Ariège). — Voirin, à Chémery-sur-Bar (Ardennes). — R. Lallemand, à Linchamps, par Les Hautes-Rivières (Ardennes). — Aicard, Le Cannet-Four à Chaux (A.-M.). — Coutelle, Cheminée-en-Charnie (Sarthe). — Brunet, à Suris (Charente). — Delanoue, à Châteaurenault (Indre-et-Loire). — R. Boyau, à Camblanes (Gi­ ronde). — Paul George, Les Charbonniers, par Saint-Maurice-sous-Moselle (Vosges). — Chéry, à Désertines (Allier). — Pichot, à Lutz-en-Dunois, par Châteaudun (E.-et-L.). — Mme Pichot, à Lutz-en-Dunois, par Châteaudun (E.-et-L.). — M. Noé, à Pollestres (Pyrénées-Orientales). — Chochon, Do­ maine de l’Etoile, Nice (A.-M.). — Faure, à Corbelin (Isère). — Mme Faure, à Corbelin (Isère). — Mme Garmy, à Sentenac, par Vicdessos (Ariège). — Dunand, à Praz-sur-Arly (Haute-Savoie). — Le Treis, à Daoulas (Finistère. — Mme Audureau, à Pellegrue (Gironde). Belgique : R. Van Meer, dir. d’école, rue Prospérité, Bruxelles. — Havaux, professeur 4e degré, Pâturages (Hainaut). — Wouters, 40, avenue des Cèdres, Anvers. Espagne : Manuel J. Cluet, Apartato 961, Madrid. Suisse : Alb. Berberat, stand 76, à Brienne. Tunisie : Magnan, Place de la Gare, Sousse (Tunisie). 10. R. Lallemand, à Linchamps (Ardennes) et Mme Lagier-Bruno, SainteMarguerite (Hautes-Alpes) ; Delanoue, à Châteaurenault (Indre-et-Loire) et Paul Georges, Les Charbonniers (Vosges); Boyau, à Camblanes (Gironde), et Wullens, à Somain (Nord); Daniel, à Trégunc (Finistère), et Mme Faure, à Corbelin (Isère).

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cré à écrire à nos amis bretons. J’ai du remords d’avoir coupé ainsi ces amitiés naissantes... Pour toi, Daniel, tu connais suf­ fisamment les Faure... Et tu sais qu'ici nous ne vous oublions pas... » On sent, à lire ces lignes, combien comptait pour Freinet cette correspondance interscolaire, reprise pour la deuxième année et qui symbolisait l’œuvre toute entière, dans la spontanéité et l’idéale confiance qui avaient définitivement unis les premiers collaborateurs. Avant de partir en vacances, la circulaire de fin d’année de­ mandait aux adhérents de faire le point sur leur expérience, d’en noter les réussites, les insuccès, de préciser les inconvénients du matériel, de toujours formuler les critiques qui peuvent hâter le développement des techniques diverses. Tous les camarades ré­ pondirent abondamment à cette circulaire, et Freinet note dans le bulletin imprimé cette fois par la petite imprimerie de Foiano, à Grasse : « Les rapports sont tellement intéressants qu'il faudrait les citer tous, et longuement. Nous ne pouvons qu’en résumer l’es­ sentiel. Nous demandons en même temps aux camarades de condenser, dans des articles pour le bulletin, les observations qu'ils ont pu faire, leurs trouvailles originales, des exemples aussi de la façon dont ils emploient l'imprimerie dans leur classe. Com­ mencez immédiatement l’envoi d’articles semblables. » Ainsi est abordée, résolument, cette véritable collaboration pé­ dagogique qui devait donner à notre mouvement son ampleur et son efficience. Jusqu’ici, on s’était occupé plus spécialement des réalités les plus urgentes : le matérialisme scolaire, la fabrication des outils, leur mise en train. Maintenant, devant les perspectives nouvelles que laissait entrevoir l’utilisation des techniques sûres, on pouvait sonder l’expérience, en dégager l’esprit, la valeur psychologique et sociale. Nous relèverons dans ce premier bulletin soucieux d’être un bulletin vraiment pédagogique, un passage du rapport de notre fidèle Alziary, l’un des pionniers les plus ardents, comme les plus compréhensifs, de notre mouvement : «... Dans les petites classes, ces textes composés en commun devraient être les plus nombreux. Bien souvent plusieurs enfants parlent à la fois. Avant que le doigt se lève, le cri part; ce sont de véritables cris quand on a trouvé quelque chose de bien ! Peu soucieux de silence à ce moment, je travaille vraiment. Je cher­ che à saisir la composition du morceau, le sens de l’intérêt; car mes auditeurs se dépensent tous à la fois, dans un premier élan. Ensuite, toujours chez eux, je glane l’expression. Pendant que j’écris, la conversation continue.

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Elle tombe néanmoins à certains moments. Mes questions la font rebondir. Je les pose avec une idée, je l'abandonne le plus souvent pour suivre celle de la pensée enfantine. Au fur et à mesure que j’écris, je relis à haute voix pour juger de l'effet sur l’oreille. Et certains, sensibles à l'harmonie, propo­ sent des modifications. Nous relisons le tout, encore quelques retouches. C’est le plus beau moment de ma journée de classe... » A partir d’octobre 27, les bulletins mensuels, tapés à la ma­ chine, tirés à la polycopie ou au Duplic, sont définitivement rem­ placés par un bulletin imprimé à Grasse, et intitulé L’Imprimerie à l’Ecole, bulletin mensuel de la Coopérative d’Entr’aide, l’Im­ primerie à l’Ecole. Et ce titre contenait bien tout ce que Freinet y avait inclus de dévouement réciproque, de travail et de foi. Dans cette petite revue de huit pages, où inlassablement la plus grande place est réservée à la perfection des techniques, Freinet a à cœur de sauvegarder toujours l’esprit du mouvement insépa­ rable de son adaptation incessante au milieu. Moderniser et « motiver » notre enseignement. « L’avantage essentiel de l’Imprimerie à l’Ecole n’est pas comme d’aucuns pourraient le croire l’originalité du travail ma­ nuel qu’elle nécessite ; la composition, l’encrage, le tirage, le nettoyage, le reclassement même des caractères, tâches qui sont toujours réclamées comme des faveurs; ce ne sont pas non plus les grandes qualités d’ordre, d’application, de propreté qu’elle impose aux élèves et sur lesquelles nous reviendrons. L’apport vraiment gros de conséquences que notre technique offre à la pédagogie, c’est la possibilité de moderniser notre enseignement, en utilisant à l’école des moyens de communication entre les indi­ vidus que la civilisation met actuellement à notre portée. Il faut supprimer tout ce qu’il y a de conventionnel, de mort, dans le travail scolaire actuel, et former les citoyens de la société nou­ velle. » Freinet redoute l’isolement du mouvement de l’Imprimerie à l’Ecole, qui est avant tout un mouvement provincial que Paris toujours aura tendance à sous-estimer. Il fait son possible pour intégrer au mieux la C.E.L. au syndicalisme et ce sera l’un de ses soucis majeurs au cours de sa longue expérience. Secrétaire syndical des Alpes-Maritimes, il engage ses camarades à mener la lutte pour que toujours, au sein du syndicat, les revendications de l’école du peuple soient posées en même temps que les reven­ dications de l’instituteur du peuple. Dans un rayon plus strictement pédagogique, il lie la C.E.L. au mouvement d’Education Nouvelle; il la fait adhérer au Groupe Français dont il est un des animateurs depuis le Congrès de Mon­ treux. Un Congrès international a lieu à Paris en 27 : Freinet y expose son matériel, les journaux scolaires, La Gerbe-, et il invite

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ses adhérents à y participer pour que soit posé le problème de la rénovation de l’école laïque. Des efforts sérieux, des sacrifices pécuniaires, sont consentis pour entretenir la cohésion du mouvement, par La Gerbe. Ré­ gulièrement, dans les bulletins mensuels, paraissent des conseils, des directives, concernant la parution de La Gerbe et sa diffusion. D’avril 27 à décembre 27, son succès est si grand qu’il faut envisager la publication de deux séries, la première éditée par Daniel, la seconde par Alziary et le bulletin de décembre 27 précise : « La Gerbe est l’œuvre et la propriété des écoles travaillant à l'imprimerie qui y collaborent librement, la gèrent elles-mêmes et à leur seul bénéfice, assument toutes les tâches de composition, d’impression, d'illustration, de reliure, de propagande et de vente. Afin d'obtenir un format rigoureusement uniforme, le papier né­ cessaire est fourni gratuitement par l'administration de La Gerbe. » Et, dans des conditions financières, on le devine, très précaires, l’entr’aide est un geste si naturel qu’une souscription est lancée pour l’achat d’un matériel d’imprimerie à l’orphelinat ouvrier de l’Avenir Social, que dirige avec tant de dévouement Jeanne Fannonel. Nous nous sommes attardés un peu longuement sur ces pre­ mières années de mise en train de la Coopérative de l'Enseigne­ ment Laïc pour en préciser les faits authentiques qui décidèrent de sa formation et en même temps pour en dégager l’esprit de profonde collaboration, de dévouements mutuels à la belle cause de l’éducation populaire. L’année scolaire 27-28, qui fut notre dernière année passée à Bar-sur-Loup, fut vraiment une année décisive pour la formation de la C.E.L. et sa centralisation à Barsur-Loup. Le rêve de Freinet, tout d’abord, avait été de distri­ buer les responsabilités entre camarades, de manière que chacun pût s’occuper d’un rayon bien défini, en même temps de créer des dépôts régionaux qui auraient facilité l’approvisionnement et la propagande. Malheureusement, à la pratique, ces projets s’avé­ rèrent irréalisables. En effet, l’approvisionnement des divers arti­ cles nécessitait une masse de fonds assez impressionnante. Or il n’y avait pas de fonds de roulement et les bénéfices, minimes, étaient engloutis par la marche courante des affaires et les édi­ tions. Les conditions d’approvisionnement local, d’ailleurs, n’étaient pas toujours favorables. Si Leroux avait pu fournir le papier à tous les adhérents dans les meilleures conditions, Bordes, par exemple, n’avait pu obtenir des prix assez bas pour la presse; cette presse en bois que Freinet avait réalisée pour 10 francs avec l’aide du menuisier : « Après une période difficile au cours de laquelle Bordes (SaintAubin) s'est dépensé sans compter, nos presses sont actuellement

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fabriquées par un excellent ébéniste qui nous livre un matériel parfait. Malheureusement, cette presse seule nous revient à 50 fr., prix auquel il faut ajouter le rouleau presseur. J'ai indiqué 75 fr. pour la presse complète et à ce compte la Coopérative ne fait guère qu’échanger son argent... » Comment oser demander aux camarades de risquer chaque mois d’endosser des dettes après avoir passé son temps au ser­ vice de la Coopérative ? Le plus simple était encore que les plus gros risques fussent à la charge de celui qui portait la respon­ sabilité de la mise en train de l’entreprise. Aussi bien, quatre années d’expériences avaient déjà familiarisé Freinet avec les det­ tes diverses, et son désir de créer lui faisait minimiser les charges qui pour d’autres eussent paru énormes. C’est ainsi que tout vint atterrir à Bar-sur-Loup : presses, composteurs, rouleaux, etc. et que bon gré mal gré je fis l’ap­ prentissage du métier d’expéditionnaire. La mairie de Bar-surLoup avait mis à notre disposition une salle bien éclairée qui devait être mon atelier. Mais peu à peu le chevalet fut réduit à une portion congrue, bousculé par le matériel C.E.L. qui prit ses aises et imposa ses exigences. A Pâques 1928, Freinet fut désigné par l’internationale de l’Enseignement comme délégué au Congrès pédagogique interna­ tional de Leipzig. Son voyage gratuit nous décidera à partir tous les deux. Par circulaire, Freinet avait engagé les adhérents à lui envoyer des documents pour l’exposition et nous partîmes fort chargés de presses, de composteurs, de rouleaux, d’éditions diver­ ses, de journaux scolaires et de beaux dessins d’enfants. Ecrasé par l’important matériel allemand fabriqué par les trusts spécialisés dans le matériel scolaire — crayons, couleurs, plumes, etc. — notre stand n’occupait qu’un tout petit recoin sans impor­ tance. Mais, justement parce qu’il était modeste, il attira la curio­ sité des visiteurs et, bien que les presses de Bar-sur-Loup ne payent pas de mine, elles firent des envieux; nous dûmes les céder, en Allemagne, à des camarades que nos techniques avaient séduits. Ainsi se formèrent nos premiers adhérents allemands. La Gerbe unique devint tout de suite trop volumineuse ; il fallut faire deux Gerbes, puis trois et, en fin de mois, au cours de cette année 1927-28, on obtint vraiment un choix de textes d’enfants remarquables. Au premier extrait de La Gerbe : Histoire d’un petit garçon dans la montagne, succéda : Les deux petits réta­ meurs. Au retour d’une randonnée qui les avaient remplis de rêve, nos « estamas » avaient improvisé ce récit, flottant entre la réalité et la fantaisie et qui avait prodigieusement intéressé la classe. En fin d’année scolaire, « Récréation » l’extrait de La Gerbe n° 3, vit le jour à ton tour, et désormais la littérature enfantine suscitée par les techniques de l’Imprimerie à l’Ecole fut assez

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riche pour alimenter, à intervalles il est vrai encore incertains, cette édition originale entre toutes que nous avons appelée « En­ fantines ». Le deuxième congrès de l’imprimerie à l’Ecole (Paris). Le deuxième Congrès de l’imprimerie à l’Ecole eut lieu à Paris le 4 août 1928, à la Bellevilloise, rue Boyer. En voici l’ordre du jour : — Compte-rendu des travaux de l’année (Freinet). — Rapport financier (Daniel). — Rapport financier de La Gerbe (Jayot). — Fusion avec la Coopérative de Cinéma. — Démonstration pratique avec le matériel d’imprimerie. — Les échanges interscolaires. — Le bulletin. — Divers. Au cours du Congrès de l’Enseignement, exposition perma­ nente de travaux et de matériel, démonstrations pratiques. Une trentaine de camarades suivirent le Congrès de Paris. Au milieu de l’atmosphère enthousiasmante qui est celle de tous nos Congrès, des décisions très importantes sont prises, qui mettront désormais la Coopérative en face de dures responsabilités : 1. — Après examen approfondi du matériel (presses, rouleaux, caractères, papier, etc.), il est décidé qu’un seul dépôt centrali­ sera les fournitures diverses en attendant la possibilité de faire des dépôts par régions. Freinet en sera le responsable. 2. — La Cinémathèque, la Radio, l’imprimerie, fusionnent dans une coopérative unique, par raison d’économie, de propa­ gande, d’unité pédagogique. 3. — Un bulletin mensuel de 32 pages assurera la propagande, groupera les critiques, les conseils, mettra au point matériel et techniques, étudiera les divers conseils pédagogiques que posent les différentes techniques. Le titre en sera : L’Imprimerie à l'Ecole, le Cinéma, la Radio et les techniques nouvelles d'éduca­ tion populaire (revue pédotechnique mensuelle, organe de la Coo­ pérative de l'Enseignement Laïc). 4. — La Gerbe est réorganisée : six équipes travaillant simultanément assurent chacune un numéro. Les adhérents sont libres de participer à plusieurs équipes. Les textes de La Gerbe doivent être inédits. 5. — Un extrait de La Gerbe paraîtra chaque mois.

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6. — Une nouvelle réglementation des échanges interscolaires est envisagée en relations avec La Gerbe. 7. — La Coopérative de l’Enseignement Laïc travaille en liai­ son constante avec les syndicats de l’Enseignement dans lesquels elle s’intégre. Et dans l’enthousiasme fraternel de la dernière séance, ce fut pour chaque adhérent l’engagement de faire tout son possible pour que vive, grandisse et s’enrichisse l’œuvre commune dont l’ampleur devenait de mois en mois une réalité concrète. Ainsi se terminait la dernière année scolaire que Freinet devait passer à Bar-sur-Loup. Sept ans s’étaient écoulés depuis son arri­ vée dans ce petit village où, dans le désarroi physique et moral, il avait pris contact avec la dure tâche d’éducateur primaire. Cinq ans s’étaient écoulés depuis la naissance de l’imprimerie qui, jour après jour, l’avait amené à cette radieuse découverte de l’enfant dont sa vie entière sera illuminée. Il était arrivé seul, sans appui ; l’horizon allait se rétrécissant devant lui. Maintenant, il pouvait écrire dans le dernier bulletin de juillet adressé à ses camarades : « Nous dépasserons certainement en octobre la centaine d’adhé­ rents. » Mais cette centaine d’adhérents qui étaient la preuve d’une victoire remportée sur soi-même, sur le conformisme et la passi­ vité, le mettaient dans l’obligation de quitter Bar-sur-Loup. Pour faire face aux nécessités financières de l’entreprise, il était indis­ pensable que je reprenne mon poste d’institutrice que j’avais cru pouvoir abandonner. Bar-sur-Loup n’avait pas de poste libre en perspective. Il fallait aller là où je pourrais gagner ma vie, tout en apportant ma contribution d’éducatrice à l’œuvre commune. Et ce fut le départ, l’adieu aux enfants, à la petite école, à ces lieux familiers chargés de tant de souvenirs...

3 Saint-Paul (1928-1929) Difficultés scolaires. Quand nous étions venus visiter Saint-Paul quelque temps avant que Freinet fasse sa demande de changement pour ce poste, nous avions été séduits tout de suite par l’originalité de ce vil­ lage d’apparence médiévale, ceinturé de remparts, dominant du haut de son coteau les pentes couvertes de vignes, les champs de roses, les orangers, les oliviers d’argent et, aux confins de l’horizon, les lointains adoucis vers la mer. L’intimité des vieil­ les pierres, les ruelles vétustes, les fontaines antiques s’entêtent à demeurer le fidèle décor aux vieilles paysannes provençales à Vaste jupon et à chapeau de paille, évoluant silencieusement et graves sur la tresse dure de l’espadrille. L’école était une vieille bâtisse encastrée dans le pâté de maisons tassé comme un mortier autour de la haute église. Une toute petite courette qu’une treille vigilante tenait l’été sous l’ombre généreuse de son feuillage, une salle donnant sur la ruelle par deux de ses fenêtres, un préau minuscule, c’était là désormais le domaine de l’imprimerie à l’Ecole. Notre modeste mobilier était à peine déchargé que déjà Freinet était dans la classe. Mélancolique, il méditait devant sa désolante pauvreté : de vieilles tables branlantes, un plancher disjoint où des lattes manquaient, un vieux bureau sur une estrade, une bibliothèque charançonnée, des carreaux brisés, tel est l’appoint immédiat que la municipalité de Saint-Paul offre aux méthodes nouvelles... Il y a pis : sous le préau, une humidité douteuse filtre sous une porte, dégageant une odeur assez caractérisée pour qu’on ne puisse douter de ses origines... Même en fin de vacan­ ces, les W.-C. n’ont pas été vidés...

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— Ce n’est pas tellement emballant, dit Freinet, mais je vais tout de suite voir le Maire. Il faut aller très loin chercher M. le Maire, dont la villa boit à plaisir le soleil et l’air pur, dans le Saint-Paul des riches. — La classe délabrée ? dit M. le Maire. Mais, mon pauvre monsieur, c’est ainsi que sont toutes les écoles, dans nos hum­ bles villages ! Blanchir ? Je le veux bien. Remplacer les lattes manquantes du plancher ? Ça, ce sera plus difficile ! Les cabi­ nets ? C’est toute une histoire ! La fosse est trop petite et le haut n’en est pas étanche. Que voulez-vous qu’on fasse ? Si vous croyez que c’est commode ! Des étagères ? Vous voulez des éta­ gères? Mais c’est une folie. Nous sommes pauvres, très pauvres! Nous n’avons pas de crédits ! Une table pour l’imprimerie ? Vous dites : une table ? Oh ! alors, ça, vraiment, ça me dépasse !... Mon cher monsieur, je ne suis pas instituteur, mais je vais vous dire mon opinion : ici, voyez-vous, vous n’aurez guère que des fils de pauvres bougres, fils de métayers pour la plupart, et qui n’ont pas besoin d’avoir des lettres, ni d’en imprimer. Lire, écrire, compter, ce sera déjà une rude tâche pour vous. Entre nous, votre prédécesseur les a bien négligés et ce qu’il vous fau­ dra surtout, c’est de la poigne ! Ne vous embarrassez pas de tant de complications ! Vous n’en aurez pas pour longtemps pour comprendre ce que sont les parfaits galopins. Tenez-les ferme, je vous le répète, voilà le plus grand service que vous pouvez leur rendre ! Les parfaits galopins en effet ne sont pas en deçà du jugement de M. le Maire. Il faut, pour commencer, pas mal de ruse et d’entêtement pour les entraîner à participer à l’installation pre­ mière de la salle de classe qu’un maçon a mal blanchie, et qu’une femme de ménage a fort mal nettoyée. Tout de suite, ce sont les chicanes, les bousculades, les gestes de menace et cette atmos­ phère discordante où le jugement sensé n’arrive jamais à avoir sa place. Je m’inquiète pour la gorge fragile de Freinet qui aura tant à se fatiguer pour rétablir l’ordre et supporter ce nuage de poussière qui monte sans cesse d’un plancher bosselé qu’on n’ar­ rive jamais à balayer convenablement. Mais, heureusement, l’âme de l’enfant n’est jamais totalement désespérante et comme dans toute classe on distingue vite les éléments dociles, curieux en profondeur, tel que Lulu, Eugène Ruiz, Audoly, André; les turbulents mitigés de bonne volonté comme Jeannot, Thomas, Pellegrin, Bechetti; et les invétérés chambardeurs dont Lagorio est le remarquable prototype. Cette tache d’encre, là, contre le mur, au-dessus de la chaire du maî­ tre, et que le badigeonnage de chaux n’a point entièrement effa­ cée ? C’est l’œuvre de Lagorio, un jour qu’il avait juré de faire un exploit et que, par bravade, son encrier avait voltigé par-des­ sus la tête du maître. Les bancs entaillés, les carreaux cassés, la vieille chaise branlante ? Preuves irréfutables de bagarres per­

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manentes qui justifiaient assez l’excessive prudence d’un vieil instituteur fermant à double tour la classe et le portail pendant les interclasses. Mais, tout de suite, Freinet veut effacer les traces suggestives de ce récent passé, si récent qu’il empiète encore trop avanta­ geusement sur le présent et risque de le dominer. Pour amadouer Lagorio j’ai, en quelques coups de crayon, croqué sa frimousse bohémienne et c’est à lui que je demande de m’aider à fixer au mur, juste à l’endroit de la tache indélébile, le fusain qui cha­ touille si agréablement son amour-propre. Tant bien que mal, on répare la chaise, on consolide les tables, et tous les enfants se passionnent pour ce travail de bricolage qui diffère tellement des habituels exercices scolaires. La plus grande joie leur vient de la confection d’une table pour l’imprimerie. On a fait raboter quatre solides pieds de chêne au menuisier du village et, à l’aide de longs clous, on les fixe au socle de l’estrade, à grands coups de marteau retentissants. La belle table ! On peut aisément s’y asseoir ou, pour épater la galerie, y faire l’arbre droit et mar­ cher sur les mains... — Mais non, voyons, nous ne prendrions pas autant de peine pour vous faire faire les saltimbanques. L’arbre droit, vous le ferez dehors; la table, c’est pour l’imprimerie. — L’imprimerie ?... La classe entière en reste suffoquée. On se presse autour du maître qui déballe précautionneusement « sa marchandise»... — Vé... Vé... des lettres... Oh ! m !..., y’a le o ! y’a le i... — Pour qui c’est, m’sieur ? — C’est pour toute la classe. C’est à chacun de vous; c’est à Jeannot, à Castelli, à Pellegrin, à Lagorio et c’est aussi à moi qui travaille avec vous. L’apparition d’un matériel scolaire nouveau et placé résolument sous la responsabilité des enfants les déconcerte un instant, puis flatte leur fierté. Il suscite chez eux peu à peu une certaine pru­ dence à en user et, partant, un respect qui lentement s’installe en chacun d’eux. On ne constate pas, comme je le redoutais tant d’abord, la disparition des caractères d’imprimerie dans les po­ ches des voleurs invétérés, ou leur envol par la fenêtre, en pluie rageuse, quand la composition s’avère trop difficile. Non ; au contraire, au cours du balayage de la classe, on se baisse pour ramasser les lettres tombées et l’on entend, de la bouche même de Lagorio : — Quel est cet abruti qui a laissé tomber un M majuscule ? ça, alors ! Le premier texte imprimé dit assez l’inexpérience des enfants à s’exprimer, à faire participer l’impression de leur personnalité intime.

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NOTRE VILLAGE « Le village de Saint-Paul se trouve entre Cagnes et Vence. Il est à trois kilomètres de la mer à vol d’oiseau et à huit kilomètres par la route. Le tramway passe à Saint-Paul. Un autocar fait le service Saint-Paul - Nice deux fois par jour. Il met une heure pour aller à Nice. Tous. » Mais la correspondance interscolaire, tout de suite amorcée, donna une motivation au texte libre et situa l’imprimerie au cœur même de la vie de la classe qui peu à peu se déploya dans une certaine ligne d’ordre qui parfois frôlait l’harmonie. Ce n’était pourtant pas là encore l’idéal. Il fallut, il faut l’avouer, des semaines et des semaines pour arriver à créer, jour après jour, avec une vigilance de tous les instants, l’atmosphère de détente et de confiance indispensable à la bonne marche d’une école centrée sur la vie même de l’en­ fant. Les heures de classe, bien que souvent pénibles à cause de cette habitude constante de dispersion des esprits, devinrent assez vite fort encourageantes et, certains jours même, quand un intérêt majeur hypnotisait toutes les attentions, on put s’aban­ donner à un sentiment de complète réussite. Malheureusement, les heures d’interclasse vinrent étrangement compliquer la situation. Pour remettre les enfants en confiance, Freinet avait laissé l’école et le portail ouverts. Les petits mé­ tayers éloignés du village et qui apportaient leur repas pouvaient ainsi s’installer commodément sous le recoin abrité qui servait de préau, pour manger leur maigre dîner sur une longue table improvisée. Les élèves du village pouvaient de même entrer libre­ ment avant l’heure et venir en classe terminer un travail ou para­ chever un détail quelconque qui avait retenu leur intérêt. En principe, chacun s’engageait à ce minimum de retenue et de dis­ cipline qui empêchait «les histoires». Mais la promesse était au-dessus des instincts violents de ces gamins turbulents toujours prêts à proférer l’injure, à s’emporter, à se déchaîner dans des colères légendaires. Quand nous rentrions, vers une heure, de notre promenade quotidienne, il y avait continuellement des coups donnés, des batailles se terminant en plaies et bosses, dents cas­ sées et même oreilles décollées... Fermer les portes, rejeter les enfants à la rue, n’était pas une solution, sermonner ne servirait à rien. On ne solutionne pas par des mots des différends dans lesquels l’enfant engage toute l’ardeur de ses instincts combatifs. Tout de suite, comme l’on pouvait avec les moyens du bord, on tâchait de solutionner rapidement les faits violents, et, derechef, d’enchaîner les enfants à un intérêt collectif, un travail en commun dont la réussite créerait inévitablement cette solidarité indispensable à la vie communautaire.

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Plus étaient grandes les victoires remportées par un ensei­ gnement humain faisant à l’individu la part généreuse tout en l’incorporant à la communauté, plus se solutionnaient facilement les heurts survenus entre métayers et citadins. Français et Ita­ liens, riches et pauvres, — car c’était en fait des oppositions sociales violentes que naissaient les conflits. Il fallait vraiment toute l’intuition du maître et une méticuleuse observation des menus faits survenus dans la vie de l’école, pour arriver à cons­ tituer les équipes de travail dans lesquelles, prudemment, on associait les individualités rivales. Ce faisant, la victoire resta à l’école, qui devint progressivement le foyer vivant, le centre de vie indissoluble que les événements devaient si tragiquement mettre à l’épreuve. D’une manière générale, ces débuts à Saint-Paul furent parti­ culièrement pénibles. Des lenteurs inadmissibles étaient apportées au blanchissement de notre appartement, et faute de pouvoir dé­ baller le matériel coopératif nous avions un mal énorme à faire démarrer les expéditions que les nombreuses commandes reçues chaque jour rendaient urgentes. La C.E.L. ce fut, pendant des semaines, des caisses ouvertes le long des escaliers, une à cha­ que marche, posées dans un équilibre plus ou moins relatif. Je puisais dans l’une ou dans l’autre, emportant des articles divers sur la table de la cuisine où je faisais moi-même les expéditions. Les adresses de L’Educateur, de La Gerbe, des Enfantines, la mise sous bandes des revues grignotaient petit à petit tout mon temps. Freinet, lui, avait comme à l’ordinaire le crâne bourré de projets. Sa puissance étonnante de travail lui permettait d’allonger les journées selon les nécessités du moment. Levé à quatre heu­ res du matin (ce qui resta toujours l’habitude de sa vie), couché à onze heures du soir, il faisait face sans jamais faillir à tout ce que sa volonté endiablée avait mis en chantier la veille. Il souffrait à peine de la précarité de ces temps de transition, s’adap­ tait au désordre, radieux toujours de sa fin de journée, prêt à l’attaque pour le lendemain. Sa santé ? Il n’y pensait même pas. Il montait parfois l’escalier comme un vieillard, s’appuyant de tout son poids à la rampe, mais quand il s’asseyait devant son bureau, c’était le grand démarrage, les bouchées doubles ou qua­ druples qui abattaient la besogne dans un élan forcené... Il finit par s’installer au fond d’un couloir, dans une pièce indépendante, le bureau pour lui idéal, où les étagères pliaient sous le poids des paperasses, où les classeurs multiples se livraient bataille sur la large planche qui courait le long des murs, et il s’en donnait à cœur joie de faire cliqueter l’« Underwood » sur son mauvais bu­ reau calé tant bien que mal et sur lequel s’éparpillaient les lettres et circulaires qui constituaient, avec les paquets que je confec­ tionnais moi-même, un courrier déjà bien volumineux. Restait à trouver chaque jour l’argent nécessaire à l’expédition. En ce début d’année scolaire la caisse de la Coopé était vide. L’argent que nous aurions pu économiser pendant les vacances

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avait été englouti par notre déménagement. Contrairement à notre espoir de me voir enfin nommée à l’école de filles, la vieille insti­ tutrice malade ne prit pas sa retraite, ce qui ne nous empêcha pas de trouver en elle une agréable et dévouée amie, et qui le resta dans les moments les plus difficiles de notre vie à SaintPaul. Quoi qu’il en fût, malgré les complications de ces débuts, la première année de Saint-Paul fut une année magnifique pour les destinées de la Coopérative. Le Congrès de Paris, à l'atmosphère si fraternelle et si enthou­ siaste, avait redonné un élan nouveau à nos adhérents qui y avaient participé. Rentrés chez eux, ils eurent à cœur d’apporter une collaboration plus fidèle, plus généreuse, à l’œuvre com­ mune. Ils suivirent avec plus de profondeur, semble-t-il, et avec une attention plus aiguisée, la vie même de leur classe et par ailleurs ils s’ingéniaient à perfectionner les techniques dans leur rendement et dans leur esprit, comme en témoignent tout au long de l’année les bulletins de l’imprimerie à l’Ecole. Et Freinet avait raison, au bout de quelques mois de cette intense collaboration, de prévoir un enrichissement progressif de la revue, où chacun aurait son mot à dire : « C’est surtout parce que cette expérience de l’imprimerie à l'Ecole ne pouvait être l’œuvre d’un seul, parce qu'elle ne peut s'affirmer que par l’entr’aide et la coopération, que ce bulletin sera l'âme de nos techniques, l’élément essentiel de leur amélio­ ration et de leur succès. » En cette fin d’année 1928 paraît le livre Plus de manuels. Freinet y précisait sa technique de travail sans manuels scolaires et par l’adaptation de l’enseignement à la nature de l’enfant. Toutes les précisions que donnait Plus de Manuels ont été repri­ ses et développées dans les livres ultérieurs de Freinet. Elargissement de l’horizon. Le Congrès de Paris dont nous avons parlé avait mis en train un audacieux programme dans lequel étaient déjà incluses toutes les activités à venir de la C.E.L. et qui dépassait, dans l’esprit de Freinet, la conception de simples techniques. Dès le début, nous l’avons vu, Freinet avait pressenti l’excel­ lence de l’imprimerie à l’Ecole, outil merveilleux de libération de la pensée enfantine, outil aussi de liaison permanente de l’enfant au milieu. Mais, à présent que cet outil remarquable est entre les mains des praticiens, comment vont-ils l’employer ? L’outil, comme la machine, n’a de valeur que par l’emploi qu’on en fait. Tout comme le capitaliste fait servir la machine à l’oppression des masses, une pédagogie à courte vue ne peut faire servir l’im­

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primerie qu’à perpétrer des pratiques obscurantistes, qu’à faire durer l’ancien au lieu de faire surgir le nouveau. C’est pourquoi, tout de suite, il va préciser cette relativité de la valeur de l’outil et mettre en garde ses adhérents contre le risque de devenir de simples mécaniciens d’une machine qui se présente pourtant comme idéale. Dans le numéro d’octobre 1928 de l'Imprimerie à l'Ecole il tient tout d’abord à préciser les différences essentielles entre les « techniques » et la « méthode » : les « techniques » sont la base de l’acquisition, les moyens les plus efficients pour appréhender le monde ; la « méthode » est l’art de les utiliser en vue d’une plus grande libération de l’homme, vers une science complète du monde. Sentant combien notre formation de maîtres « primaires » est insuffisante pour accéder à la méthode et ouvrir devant nous les perspectives de la « science », Freinet avait à Paris délimité pour ainsi dire le rayon d’activité de la Coopérative de l'Ensei­ gnement Laïc. De la pratique naîtra une plus vaste compréhen­ sion de la méthode. C’est ainsi qu’il précisait, dans ce premier numéro d’octobre 1928 : « En disant que notre revue sera pédotechnique, nous nous sommes donc tracé une tâche précise, dont l'importance n’échap­ pera à personne. Pour l’imprimerie à l’Ecole, recherche du matériel approprié aux divers cours, conseils techniques sur le travail à l’imprimerie, directives pour l’utilisation de cette technique dans les classes; organisation des échanges interscolaires, édition de livres de tra­ vail pour les maîtres et pour les élèves, etc... Si par moments, et pour cette tranche seulement, nous dépas­ sons les limites technologiques que nous nous sommes données pour aborder l’esquisse d’une méthode, ce sera seulement en attendant que les revues pédagogiques existantes, convaincues de la valeur de notre technique, aient entrepris cette recherche qui est de leur ressort... Pour le cinéma : notre programme apparaît de lui-même : don­ ner sur les appareils de projection une documentation vaste et précise; publier les renseignements techniques de tous ordres qui peuvent aider les éducateurs à acquérir les appareils les plus recommandables; opérer pour les films une sélection pédagogique sévère et aider si possible à l’édition de bons films d’enseigne­ ment; fixer dans les détails les modalités d’utilisation du cinéma dans l’éducation, étudier les problèmes administratifs et législatifs posés par l’évolution de cette technique; entreprendre pour la ra­ dio encore trop inemployée dans nos écoles des recherches sem­ blables pour aider les maîtres novateurs. LES TECHNIQUES EDUCATIVES: Nous ne saurions réduire notre activité à l’étude de ces trois techniques. Nous apporterons sur les diverses techniques éducatives modernes une documen­ tation la plus complète possible.

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Il va sans dire que notre travail sera résolument international. La pédagogie actuelle ne peut plus connaître de frontières et nous nous emploierons à baisser les obstacles que les langues dressent entre les éducateurs du peuple... » En opposant, un peu arbitrairement peut-être, ces notions de « techniques » et de « méthodes » qui n’étaient certainement dans sa pensée à lui qu’à un état encore intuitif, Freinet espérait sus­ citer des remous, comme la pierre jetée dans la mare, et faire naître dans le monde pédagogique une sorte de discussion géné­ rale qui aurait permis à la C.E.L. de se situer publiquement et sur le plan intellectuel et sur le plan social. Mais la mare garda son immobilité et son indifférence... Freinet, alors, revient à la charge. Il se sent à l’aube d’un commencement. Il a fait, lui, dans la solitude, sur le plan péda­ gogique et social, une expérience concluante à laquelle il veut coûte que coûte conserver sa vigueur et son « unité ». Il sait la valeur première de la « technique », mais il sait aussi la néces­ sité impérieuse de l’orientation nouvelle de cette technique vers le grand devenir social en genèse, vers l’efficience, vers la science, vers l'Art, et c’est cela la méthode. Nous citerons la presque totalité de cette prise de position qui nous paraît essentielle désormais parce qu’elle est l’orientation même de la pédagogie de Freinet. Elle est parue dans le numéro de décembre 1928 de L'Imprimerie à l’Ecole sous le titre : « Vers une méthode d’Education nouvelle pour les écoles populaires » : « Ce grand mot de méthode a été tellement galvaudé par tous les faiseurs de manuels de toutes sortes qu'il nous est difficile, aujourd’hui, de lui donner le sens précis et complet que nous lui voudrions en éducation. Qui dit méthode dit système d'éducation basé sur des éléments sûrs, prouvés scientifiquement et coordonnés d'une façon absolu­ ment logique. Or, la science pédagogique en est encore à ses balbutiements et nulle méthode aujourd’hui existante ne peut s'en réclamer. Seule l’Eglise qui dédaigne la science et s’appuie inébranlable­ ment — croit-elle — sur la révélation et la croyance, a sa mé­ thode d'éducation, éprouvée par des siècles d'emploi, avec ses procédés, ses techniques presque immuables malgré les décou­ vertes : méthodes qui ne cherchent d’ailleurs pas la libération de l'individu, mais seulement sa résignation à l'ordre établi, son asservissement toujours plus grand à ses maîtres. Hors cet essai relativement logique, il n’y a pas encore eu pour la pédagogie populaire de véritable méthode d'éducation. Dès ses débuts, notre école nationale laïque a idolâtré l'Instruc­ tion; elle a pensé qu’enseigner les premiers éléments de la lec­ ture, de l’écriture, des sciences, devait contribuer à l'élévation maximum des citoyens. Condorcet ne parlait-il pas de tableaux

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synoptiques par lesquels les élèves pourraient parcourir une véritable encyclopédie et être en mesure de parler à tort et à travers et de faire un article de journal ou un discours au Parlement sur des matières qu'ils connaissent mal ? « De nos jours, comme au temps de Fontenelle, la société do« minante exige qu’on la mette en possession d'une science « complète du monde qui lui permette d’avoir une opinion sur « toute chose sans avoir besoin de traverser une instruction spé« ciale... S'inspirer de la philosophie du XVIIIe siècle, former des « esprits éclairés, nous savons ce que cela signifie : c’est vul« gariser les connaissances de manière à mettre les jeunes répu« blicains en état de tenir une place honorable dans une société « constituée suivant les conceptions de l’Ancien Régime; c’est « vouloir que la démocratie se modèle sur la noblesse disparue; « c’est placer les nouveaux maîtres au rang mondain qu’occu« paient leurs prédécesseurs. (G. Sorel : Les illusions du Pro­ « grès.) « Mais, ajoute Sorel, un grand changement se produira dans « le monde, le jour où le prolétariat aura acquis, comme l’a acquis « la bourgeoisie après la Révolution, le sentiment qu'il est capa« ble de penser d’après ses propres conditions de vie. » La vulgarisation scientifique, l'Illustration, sont encore à la base de notre système éducatif. L’éducation est reléguée au se­ cond plan et elle ne s’en évadera pas sans mal. (Conformément à cette conception du rôle de l’école, on s’est appliqué à créer des méthodes d'instruction ; méthodes pour l’ap­ prentissage de la langue, de la composition, du calcul, de l’écri­ ture, de l’histoire, etc... Chaque branche avait sa méthode. Mais ce mot de méthode n’était-il pas lui-même usurpé, et avait-on le droit d'appeler méthodes des procédés qui ne s'appuyaient sur aucun élément certain, et que d’autres procédés venaient d’ail­ leurs chaque année détrôner et parfois ridiculiser ? Non pas que nous croyions à l’impossibilité de créer une méthode scientifique pour l’apprentissage de la lecture par exemple. Mais cela ne peut être que pour un très lointain avenir, lorsque la pédagogie aura révélé tous les secrets du dynamisme enfantin. Jusqu’à ce jour, toutes les tentatives, même les plus hardies, sont caduques. Elles peuvent, de plus, être nuisibles si, comme cela se produit trop souvent aujourd’hui, des procédés basés sur une fausse science abêtissent l’enfant au lieu de contribuer à sa véritable éducation. Cela nous montre la nécessité d’avoir un plan directeur, une méthode d'éducation qui montrera pour les divers procédés d’ins­ truction et d’éducation, qu'on nommait à tort méthodes et que nous appellerons techniques, la route à suivre si nous ne voû­ tons plus gaspiller nos efforts. L'instruction du peuple n’est donc plus notre seul souci. Elle a, avec trop d’éclat, montré qu'elle n’est trop souvent que ruine de l’âme. Elle n’a pas rendu l’homme meilleur et nous a privés sou­

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vent des trésors de bon sens et d'originalité que nous révélaient des peuples ignorants. « L'école, dit F. V. dans le numéro de novembre de l'Ensei­ gnement public, a plus et mieux à faire que de transmettre le savoir. Ce qui est grand, ce n’est pas le savoir; ce n’est pas même la découverte ; c’est la recherche. L’esprit n’est pas un grenier qu’on remplit, mais une flamme qu’on alimente; il n’est pas la connaissance possédée, la science apprise et assimilée, mais une activité toujours en éveil qui, sans répit, se pose des pro­ blèmes nouveaux, invente, combine, organise les faits suivant les rapports non encore aperçus. » Le bon sens des Rabelais, Montaigne, Rousseau, Pestalozzi, est en train de reprendre ses droits. Pour s’éduquer, il ne suffit pas que l'enfant ingurgite toutes les matières qu’on lui présente d'une façon plus ou moins tentante : il faut qu’il agisse par luimême; qu'il crée. Il faut aussi, surtout, qu’il vive véritablement dans un milieu normal et non qu’il s’endorme dans nos modernes « geôles de jeunesse captive ». Vivre, vivre le plus intensément possible, n'est-ce pas là, en définitive, le but de tous nos efforts ? Et développer au maximum les possibilités d'y parvenir ne devraitil pas être la tâche essentielle de l’école ? La notion d’Ecole Active, dont M. Ad. Ferrière a été l’ardent initiateur, ne nous satisfait plus totalement. Je sais que M. Fer­ rière donne lui-même à ce mot son acception totale d'éducation nouvelle. Mais, pour la clarté des positions, il nous faut préciser les termes. La notion d'activité peut conditionner nos techniques. Même comprise dans son sens le plus large, elle n’implique pas le changement d'orientation de l’école que nous préconisons. Le mot d'Education nous semble d'ailleurs suffisant. Dans l'ancienne école, en effet, l’instituteur instruit, parfois même prétend éduquer ses élèves. Nous disons : c’est l’enfant lui-même qui doit s’éduquer, s'élever, avec le concours des adul­ tes. Nous déplaçons l'axe éducatif : le centre de l’école n'est plus le maître, mais l’enfant. Nous n’avons pas à rechercher les com­ modités du maître, ni ses préférences : la vie de l’enfant, ses besoins, ses possibilités, sont à la base de notre méthode d'édu­ cation populaire. Cela, une méthode ? Une simple direction idéologique ! Nous ne prétendons pas pouvoir établir dès ce jour ce qui sera plus tard la méthode. Mais nous appuyant sur les enseignements de nos meilleurs pédagogues, nous pouvons dire au moins : voilà des fondements certains pour une éducation libératrice de la classe travailleuse. Comment parviendrons-nous à suivre cette ligne méthodique avec le maximum de profit ? Là réside tout le problème réaliste que nous nous proposons d’étudier dans toute sa complexité : organisation matérielle et sociale de l’école, rythme du travail scolaire, modalités de l’épanouissement des enfants, etc... Nous

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ne parlerons nullement de méthodes en cela, mais seulement de techniques éducatives. Nous voulons, par cette appellation nou­ velle, montrer d’abord que les diverses solutions que nous appor­ terons à ces problèmes ne sont rien par elle-mêmes, sans l’esprit de la méthode qu’elle doivent servir; et aussi que ces procédés, si nouveaux et si bien étudiés soient-ils sont, eux, à notre mesure, c’est-à-dire incomplets, sujets à changements fréquents, à perfec­ tionnements incessants pour une marche assurée vers un idéal éducatif... » Et parce qu’il a, un peu imprudemment peut-être pour certains esprits, ouvert l’horizon vers le renouveau, tout de suite, Freinet redevient pratique, serre de près la réalité, rejoint cette école du peuple qui est notre laboratoire vivant, notre beau chantier de travail. «... Notre groupe est avant tout un groupe coopératif d'institu­ teurs primaires. Non pas que nous nous croyions présomptueuse­ ment les seuls capables de réaliser quelque chose de pratiquement utile à l’école populaire. Mais nous pensons, et l’expérience nous l’a démontré maintes fois, que seuls des maîtres qui sont placés d pied d’oeuvre, qui se battent chaque jour, chaque minute, avec l’angoissante réalité, sont à même de distinguer les efforts édu­ catifs qui leur conviennent parfaitement. La libération de l’école populaire viendra d’abord de l’action intelligente et vigoureuse des instituteurs populaires eux-mêmes. Nous ne voudrions nullement faire injure aux inspecteurs pri­ maires, aux professeurs de l’enseignement moyen et supérieur qui suivent notre effort avec sympathie. Ils reconnaîtront d’eux-mê­ mes que, la plupart du temps, chaque échelon qu’ils gravissent dans la hiérarchie les éloigne professionnellement de l’école du peuple et qu’il leur est parfois difficile, pour ne pas dire impos­ sible, de se renseigner d’une façon certaine sur les améliorations pratiques que nous valent leurs idées généreuses. C’est forcément avec le même scepticisme que les instituteurs examinent les réalisations obtenues par les pionniers de l’éducation nouvelle contemporaine dans des écoles spéciales, dont nous ne réaliserons pas de sitôt chez nous les conditions anormalement favorables. Cela ne signifie pas non plus que nous dédaignions les recher­ ches des philosophes, des psychologues, des pédagpgues qui, dans une autre sphère sociale, travaillent loyalement pour le progrès éducatif. Nous n’ignorons pas tout ce que nous leur devons et nous ne craindrons pas de faire appel à leur compétence. Mais l’école po­ pulaire a grand besoin de dire ses espoirs et, à la lumière des événements passés, d’essayer de se constituer une vie saine et naturelle, au risque de scandaliser les pédagogues professionnels 9

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au service des tenants de l'obscurantisme ou de tous les marchands qui s’engraissent outrageusement des aspirations du peuple. Deux conceptions opposées du problème éducatif se partagent actuellement l'activité scolaire et pédagogique. Tandis que les novateurs — tels Ferrière, Tobler, Gheeb, et un grand nombre de pédagogues suisses ou allemands — poursuivent la réalisation dans la société actuelle de l’école idéale, abstraite du monde dont ils sentent la profonde influence destructive, les représentants divers de l’éducation officielle se vantent au contraire de rester dans la prosaïque réalité. Pour eux, la vie sociale, le régime sco­ laire, les programmes, etc... sont des cadres à l'intérieur desquels nous devons nous contenter d’aménager notre enseignement. Ils professent que les éducateurs doivent se cantonner dans leur tâche scolaire. Et effectivement, la plupart de nos journaux péda­ gogiques s'appliquent seulement à cette tâche sans idéal : faire la classe qui vous est attribuée en vous abstenant de tout ce qui pourrait nuire à la neutralité ou porter ombrage au pouvoir. Il y a cependant entre ces deux conceptions une position pos­ sible, nette, loyale, précise, qui, nous le savons, ne sera pas louée par nos maîtres et que nous croyons cependant seule digne d'édu­ cateurs : Nous entrevoyons, certes, l’école idéale; nous savons notam­ ment qu'une éducation libératrice doit être avant tout une ascen­ sion libre et créatrice. Mais nous travaillons aussi bien dans la plus dure des réalités : nous avons devant nous des enfants qui auraient souvent plus besoin de pain ou de vêtements que de gavage intellectuel; les conditions matérielles sont presque tou­ jours déplorables ; enfin la vie anormale et amorale qui nous entoure contrarie fatalement nos efforts. Il est donc de notre devoir de montrer, de prouver, de crier, que l’éducation que nous voudrions donner, telle qu'elle est dé­ finie d’ailleurs par nos meilleurs pédagogues, présuppose la réa­ lisation de certaines conditions matérielles et sociales sans les­ quelles notre effort restera voué à l’impuissance. C’est pourquoi nous sommes dans la nécessité de placer dans la vie sociale tous les problèmes pédagogiques que nous exami­ nons et d'étudier, en même temps que les réalisations pédagogi­ ques, les problèmes matériels et sociaux qui conditionnent ces réalisations... » On comprend sans peine qu’une vue aussi large du complexe d ’« Education » domine les simples techniques pédagogiques qui devaient se concrétiser quelque quinze ans plus tard dans les mouvements trop tardivement venus, et trop scolastiquement spé­ cialisés, des « méthodes actives ». Aussi quand, après la Libéra­ tion, Freinet tentera de réagir un peu violemment contre ces étroitesses pédagogiques, seuls le comprendront ses vieux cama­ rades, les Alziary, les Faure, les Lagier-Bruno, Pichot, Boyau,

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Lallemand, ... ceux qui font la vieille garde des pionniers appor­ tant le premier ciment à la construction de l’édifice C.E.L... Mais cette interaction interne des « techniques » et des « mé­ thodes » finit par ébranler le monde pédagogique et par susciter des réactions qu’il est, croyons-nous, utile de préciser. C’est tout d’abord M. Duthil, professeur d’Ecole normale à Nancy, qui donne son adhésion morale au groupe de l’imprimerie à l’Ecole. Freinet publie en leader (février 1929), la longue lettre que Duthil lui adresse, et qui est comme une sorte de reconsidération des valeurs de la pédagogie en tant que science et sur le plan international. On se rendra compte de la probité intellectuelle de M. Duthil par ce début de lettre : « Je n’ai pas voulu répondre à votre lettre sans avoir relu l’imprimerie à l’Ecole, lu Plus de manuels scolaires, et parcouru à nouveau la collection de votre revue. Maintenant je crois avoir bien compris vos intentions et je m’empresse d’ajouter que je suis des vôtres. Voici pourquoi : Pour moi, l’axiome qui domine toute la pédagogie est le sui­ vant ; il faut partir de l'enfant et fonder toute notre pédagogie sur ses besoins et sa mentalité. C'est un beau renversement des valeurs et vous l’acceptez sans arrière-pensée. Il en résulte que suivre la marche inverse, c'est-à-dire prendre pour point de départ nos idées d’adultes pour finalement faire des infants à notre image, est un contresens psychologique qui, for­ cément, doit aboutir à l’abêtissement de l’enfant, voire à un désé­ quilibre mental provoqué par une contrainte excessive et un abus d'exercices trop exclusivement intellectuels. Ici encore, je me rencontre avec vous. „ Bien entendu, d'autres éducateurs semblent avoir compris ces vérités et l’école active, les écoles nouvelles, sont le produit de cette révolution — le mot n’est pas trop fort. Seulement, trop souvent, ces essais s’arrêtent à mi-chemin, car ils manquent de ces deux bases solides : la connaissance de l’enfant et la création de techniques. Ici encore, nous sommes en plein accord : vous fondez tout votre enseignement sur les besoins de l’enfant et vous avez éla­ boré une technique remarquable . l’imprimerie à l’Ecole. Pourtant, avouons-le, quand vous parlez des besoins de l’enfant force vous est de procéder empiriquement ou d’emprunter à la méthode Decroly ses centres d’intérêts; pourquoi ? Parce que la mentalité de l’enfant vous est encore fort mal connue et que les travaux de Piaget commencent seulement à défricher le terrain. Ici je vous signale comme tout à fait remarquable le livre de Vermeylen : Psychologie de l’enfant et de l'adolescent. En le tenant pour guide et en consultant d’excellentes monographies sur les instincts, il sera possible de fonder notre enseignement sur les besoins réels des enfants aux divers âges.

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Donner satisfaction à leurs besoins, les éduquer, tel est le rôle de l’école : vous le dites fort bien : « mettre les élèves en mesure de satisfaire leurs besoins en leur fournissant tous les éléments qui contribueront à leur instruction et à leur élévation. » C'est ici qu’apparaît la nécessité d’inventer des techniques appropriées. Votre distinction entre technique et méthode me pa­ raît essentielle. Les techniques, ce sont les procédés découverts pour satisfaire aux besoins multiples de l’enfant : il y a donc un grand nombre possible de techniques; c’est aussi pourquoi l’on désigne souvent par ce même terme l’écriture, le calcul, la lec­ ture, véritables techniques permettant à l’enfant de s’exprimer et de communiquer sa pensée. Quant aux méthodes, il faut comprendre par là la mise en œuvre optima des techniques découvertes. Si nous sommes ici bien d’accord, voilà le terrain singulière­ ment déblayé. Résumons ; Comme base : la connaissance de l'enfant; Comme but : la satisfaction et l’éducation des besoins de l’en­ fant; Comme moyen : des techniques harmonieusement situées dans le cadre des méthodes... » . « La méthode ? Vous êtes en train de l’élaborer, et votre livre Plus de manuels en fait foi. » Et, très généreusement, celui qui devait être le premier intel­ lectuel s’intégrant spontanément à la C.E.L. terminait par ces mots : «... Quant à moi, je m’offre à vous documenter, voire à colla­ borer si vous me le demandez. Cette longue lettre n’avait pour but que de vous faire apercevoir la longue route où. vous vous êtes engagés et le long de laquelle il y a du travail pour toutes les bonnes volontés. » Moins favorables aux idées de Freinet seront, on s’en doute, les faiseurs de manuels et les pontifes des revues pédagogiques; çà et là, ils égratignent les néophytes et prêchent la « simplicité pédagogique » (P. Gay, Manuel général) ou exaltent « la valeur du maître, la foi » (Besseiges, Collaboration pédagogique). Dans le mouvement d’éducation nouvelle à retardement, les inventeurs de méthodes se défendent à leur tour. M. Cousinet dé­ fend sa méthode avec quelque âpreté. Nous reparlerons de la prise de positions, ample et humaine, du grand éducateur que fut Decroly. Et parce que çà et là les malveillants ou les incom­ préhensifs avaient quelque peu sous-estimé l’imprimerie à l’Ecole en la rabaissant au niveau d’un simple moyen scolastique, Freinet défend son bien, avec l’entousiasme que l’on devine. Ses réponses aux critiques deviennent si actuelles que nous allons en souligner les essentiels passages :

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LE SENS NOUVEAU DE NOS RECHERCHES « Nous croyions avoir suffisamment défini, dans nos publica­ tions, la voie nouvelle où nous nous sommes engagés. Mais pour­ rons-nous jamais être entendus par des contradicteurs qu'aveugle leur fausse science et qui s’évertuent à démontrer, à grand renfort d'affirmations théoriques, que notre expérience, dont on ne peut nier l'intérêt, n'est pas à la mesure de nos écoles publiques; que nos solutions tiennent de l’idéal — ou de l’erreur — mais ne peuvent nullement s’appliquer à la généralité de nos classes ? Comme si l’usage qui est fait de l’imprimerie chaque jour, dans cent écoles, et les résultats obtenus n’étaient pas plus probants que les arguties de critiques mal renseignés. Au risque de nous répéter, nous allons donc essayer de pré­ ciser à nouveau notre conception, et de situer notre réalisation dans le mouvement pédagogique actuel. Quand nous avons lancé l’idée de l’imprimerie à l'Ecole, deux courants contraires ont failli nous emporter. A l’extrême gauche du mouvement pédagogique, les partisans d'une théorie anarchiste de l’éducation ont cru à la possibilité de parvenir, par notre technique, à l'école de leurs rêves, dans laquelle les élèves, dégagés de toute oppression, négligeant tout acquis antérieur, composant et imprimant eux-mêmes leurs livres sans contrôle adulte, réaliseraient la véritable éducation libre et personnelle. Nous reconnaissons certes que le spectacle d'enfants s’élevant eux-mêmes, en dehors de toute contrainte, ne manque­ rait pas de nous apporter des indications psychologiques et péda­ gogiques précieuses. Nous pourrions voir là une expérience péda­ gogique peut-être utile. Mais nous tenons cette tendance comme contraire aux nécessités actuelles de la pédagogie populaire. Si nous avons condamné l'isolement dans lequel fonctionne l’école, ce n’est pas pour chercher maintenant une organisation chiméri­ que, davantage encore abstraite du monde et de la civilisation. Quelles que soient les entraves que la société capitaliste met aux essais de rénovation de l’éducation populaire, nous nous em­ ploierons à mêler, plus que jamais, l’école au peuple afin de dépouiller l’éducation de tout ce qu’elle a eu, jusqu'à ce jour, de mystiquement aristocratique pour en faire la puissante prépara­ tion à la vie prolétarienne. Nous ne négligerons pour cela rien de ce que la civilisation a mis matériellement à notre portée. Mais nous nous réservons le droit de faire du matériel et des livres scolaires un usage plus conforme aux principes d'élévation, de libération et de vie que nous croyons devoir mettre à la base de nos recherches. Les pédagogues professionnels auraient aimé au contraire nous voir faire de l’imprimerie un emploi sagement scolastique, qui n’aurait bousculé ni les traditions ni les méthodes familières.

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Faire imprimer les résumés de leçons, les tableaux synoptiques, les éléments essentiels du bourrage était, à leur avis, l'utilisation optimum de l’imprimerie à l’Ecole. Les plus hardis auraient voulu faire imprimer par leurs élèves un choix de textes (adultes) pour la lecture et le travail, réalisant eux-mêmes le manuel scolaire presque idéal. Nous avons toujours repoussé semblables techniques de travail. Nous qui haïssons et condamnons le bourrage, n’allions pas don­ ner à l’école un moyen de plus d’asservissement. Aussi avonsnous mis maintes fois nos correspondants en garde contre un emploi formaliste et mort de l'imprimerie à l’Ecole. Quelques critiques qui négligent trop complètement les prin­ cipes de vie de notre travail nous conseillent encore : Pourquoi faire imprimer, sans ordre ni méthode, des textes d’enfants ? Le profit serait bien plus important si vous faisiez imprimer des mots types, des phrases choisies, des textes modèles... Nous pourrions certes le faire. D’autres avant nous, — Paul Robin l’avait signalé — ont noté que la composition typographique est un excellent exercice manuel, qu'elle aide considérablement à l’action orthographique, aiguille le goût, etc... toutes considé­ rations spécifiquement scolaires aptes peut-être à ébahir des pédagogues, mais qui laisseraient nos élèves indifférents. Pour ceux-ci, le travail à l'imprimerie en vue de la composition de mots ou de textes qui n’ont pas su les émouvoir resterait, comme tout travail scolaire, une occupation dont la nouveauté enchante un instant, qui plaît ensuite par l'activité qu’elle nécessite, mais ne tarde cependant pas à revêtir, comme les autres occupations sco­ laires, un caractère d'inutile obligation absolument contraire à nos principes éducatifs. L'expérience l’a montré : les élèves se lassent très vite de l’impression des textes qui ne les touchent pas profondément. Qui continuerait dans cette voie étriquerait considérablement la portée éducative et humaine de notre expérience et ravalerait notre ma­ tériel au rang de toutes les inventions imaginées par les pédago­ gues pour « escamoter » l’intérêt et le travail de l’enfant. Et l’éducateur ne trouverait dans cette voie que mécomptes et désillusions. L’Imprimerie à l’Ecole a un fondement psychologique et péda­ gogique autrement sûr et permanent : l’expression et la vie en­ fantines. L'enfant se lasse-t-il d’extérioriser, par le langage, tout son être intime ? Se lasse-t-il davantage de s’exprimer par le dessin lorsqu’il peut le faire librement ? Il en est de même pour l’expression manuscrite. Mais il ne peut y avoir expression sans interlocuteurs plus ou moins imagi­ naires. Et c’est parce que, à l’ancienne école, la rédaction n’était destinée qu'à la correction ou à la censure par le maître, parce qu’elle restait un devoir scolaire, qu’elle ne pouvait être un moyen d'expression.

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L’enfant écrit maintenant pour être lu — par l’éducateur et par ses camarades — pour être imprimé enfin, pour que son texte, ainsi pérennisé, soit senti de même par les correspondants proches et éloignés qui le liront. Et, en fait, nous avons obtenu la même spontanéité, le même débordement de vie qui se manifestent dans les libres activités enfantines. D’autres signes, absolument certains, nous montrent que nous avons, du même coup, fait pénétrer l'école dans le cadre de la vie de l’enfant, étendant et approfondissant cette vie, appor­ tant dans l’éducation spontanée et individuelle, familiale et sco­ laire, une harmonieuse unité : unité qui nous vaut sans doute l’ardeur au travail, l’activité, la curiosité, le désir d’enrichisse­ ment et d’élévation que nous avons constatés dans nos classes. Nous pouvons maintenant toucher, à l’école, l’âme de l’enfant: nous avons en mains le puissant levier qui nous permettra d’ex­ périmenter et de préciser une méthode active et vivante d’éduca­ tion. On comprendra qu’en cherchant les techniques adéquates nous nous gardions farouchement de retomber dans le formalisme scolaire, afin que ne s’émousse le puissant enthousiasme des maî­ tres et des élèves partis à la conquête d'une nouvelle vie. »

Un outil décisif : l’imprimerie. En mai 1929, pour parfaire cette liaison permanente d’une théorie nouvelle et de la pratique scolaire, liaison qui restera son plus grand souci, Freinet développe cette conception : un outil peut à lui seul faire reconsidérer toute la science pédagogique; l’imprimerie est à la base d’un comportement et d’une orientation nouveaux de l’enfant et de l’éducateur, donc de toute la péda­ gogie. UNE TECHNIQUE NOUVELLE DE TRAVAIL SCOLAIRE « L’Imprimerie à l’Ecole est certes un grand progrès, nous a-t-on dit encore, mais nous ne pouvons la considérer comme une panacée universelle. Les éducateurs qui formulent cette critique inconsistante ont sans doute l’excuse de n’avoir pas étudié d’assez près nos tra­ vaux : ils auraient vu que nous avons insisté bien souvent sur la nécessité de ne pas considérer l’Imprimerie à l’Ecole comme une méthode, mais de ne voir en elle qu’une technique de travail libre créateur, au service d’une véritable éducation prolétarienne. Cette innovation apporte cependant des possibilités nouvelles spécifiques par lesquelles elle marquera sans doute la pédagogie.

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Les meilleurs éducateurs contemporains nous prônaient l'activité libre enfantine et l’expression intime de la personnalité; les rela­ tions d’expériences où on avait fait à l'enfant une plus grande confiance ne manquaient pas d'être enthousiasmantes. Hélas ! pour des raisons multiples, matérielles, individuelles et sociales, nos classes populaires, pauvres, surchargées, paralysées par la hantise des programmes et des examens, ne pouvaient nullement s’engager dans la voie nouvelle. L’Imprimerie à l'Ecole a fait tomber dans le domaine de la pratique quotidienne l'expression libre et l’activité créatrice de nos élèves. Par l’expérience, plus efficace que les raisonnements prétendus scientifiques, elle a ou­ vert des horizons nouveaux à une pédagogie basée sur les intérêts véritables, générateurs de vie et de travail. Elle a, du coup, comme nous le signalions dans notre dernier article, rétabli l’unité de la pensée, de l’activité et de la vie enfantines; elle a intégré l’école dans le processus normal d'évolution individuelle et sociale des élèves. Ces considérations sont, pour nous, essentielles et fondamen­ tales. L'enfant qui sent un but à son travail et qui peut se donner tout entier à une activité non plus scolaire mais simplement sociale et humaine, cet enfant sent que se libère en lui un besoin puis­ sant d’agir, de chercher, de créer. Nous avons constaté, émer­ veillés, que les élèves ainsi tonifiés et renouvelés fournissaient librement un travail bien supérieur, qualitativement et quantita­ tivement aussi, à celui qu’exigeaient les vieilles méthodes oppres­ sives. Et toutes les classes qui ont introduit l’imprimerie à l’Ecole ont apprécié ce persistant enthousiasme des élèves, non seulement pour les disciplines directement motivées par l’imprimerie, mais pour toute l’activité scolaire en général. On objectait volontiers, aux initiateurs qui offraient en exem­ ple des expériences concluantes, qu’un tel appétit scolaire ne pou­ vait venir que d'un rayonnement particulier de l’éducateur. Or, les résultats que nous signalons ont été obtenus dans toutes les écoles travaillant à l’imprimerie, quelles que soient les aptitudes particulières du maître. Il a suffi que celui-ci ait assez d'humilité et d’humanité pour « descendre de sa chaire, quitter le cothurne du style radoteur et savant... » et se mettre tout entier au service des enfants. Si, comme nous le prouvons, l’élève qui peut enfin travailler dans le sens de sa personnalité n’a plus besoin d’être grondé ni stimulé pour fournir un travail consciencieux, c’est toute la vieille conception scolaire qui s’écroule. L’enfant semblait, par nature, fainéant, tricheur, menteur, hostile à tout effort. Il fallait, pour parvenir aux fins éducatives demandées par les règlements, tour à tour obliger, récompenser, punir, attirer par le jeu, la nouveauté, les trompeuses images — tous procédés qui ont suffisamment montré leur impuissance à

saint-paul (1928-1929) résoudre définitivement les complexes problemes de l'inteérêt scolaire. Voici le renouveau : l'enfant a soif de vie et d'activité. Nous utilisons cette aspiration en mettant à sa disposition çes « instruments » d'instruction et d'éducation que nous croyons utiles à son élévation et en travaillant à la réalisation des conditions matérielles et sociales qui la permettront. C'est certes là une conception originale du milieu éducatif, comme une technique de travail totalement différente des procé­ dés actuellement en usage, technique qui ne saurait s'accommoder des vieux outils et notamment des manuels scolaires, symbole de la pédagogie oppressive. Nous reprendrons d’autre part l'étude de la conception maté­ rielle et sociale du nouveau milieu scolaire. Nous donnerons seu­ lement aujourd’hui un aperçu de notre technique de travail dans l'école sans manuel scolaire. Nous n'allons plus chercher dans les livres ni dans les pro­ grammes la base essentielle de notre effort éducatif. Toute péda­ gogie est faussée qui ne s'appuie pas, d'abord, sur l’éduqué, sur ses besoins, ses sentiments et ses aspirations les plus intimes. Nous scruterons donc l’âme de l'enfant et nous avons, pour y par­ venir, une technique qui s’est révélée suffisamment opérante : la rédaction libre, l'imprimerie à l’Ecole et la correspondance inter­ scolaire. Cette expression spontanée sera tout à la fois un épa­ nouissement des personnalités et une occasion scolaire d'acquérir, d'amplifier et de préciser les diverses acquisitions : langue, grammaire, vocabulaire, sciences, histoire, géographie, morale, en greffant logiquement sur l’intérêt enfantin ainsi extériorisé des disciplines prévues au programme. Ici se manifeste crûment l’orientation nouvelle de notre péda­ gogie : avec le manuel scolaire, c’est le livre qui crée, toujours artificiellement, l’intérêt. Nous disons que c'est là une grave erreur : le livre ne doit servir à l’école qu'à satisfaire et appro­ fondir l’intérêt de l’enfant. Nous avons permis à cet intérêt de se manifester pleinement: comment l’exploiterons-nous pour nos fins éducatives ? Il est nécessaire que les diverses études entreprises répondent et s'adaptent à l'activité enfantine au lieu de demander à celle-ci de se plier à l’ordre scolaire. Or, il n'existe rien à ce jour qui ménage de telles possibilités, savoir trouver spontanément, dans le matériel scolaire, les lectures spéciales, les guides pour acti­ vités intellectuelle et manuelle qui permettront à l’enfant de s'épanouir tout au long du jour, dans le sens de ses besoins. Nous avons bien groupé dans notre bibliothèque les livres de travail que nous avons pu nous procurer. Hélas ! les manuels scolaires sont, pour l'instant, les seuls à notre portée mais ils ont perdu, dtt moins, leur caractère spécifique de manuel et n'ont pour nom que le défaut de manquer de souplesse technique et de ne pas répondre totalement aux nécessités nouvelles.

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Il faudra susciter l'édition — ou l’entreprendre nous-mêmes — des éléments de travail adaptés à nos besoins. Le fichier scolaire, dont nous avons lancé l'idée et que nous essaierons peut-être de réaliser, sera notre principal outil : mo­ derne, extensible et perfectible à souhait, il nous permettra de mettre entre les mains des élèves, au moment voulu, les docu­ ments divers — littérature, sciences, géographie, histoire, etc... — qui répondent à l’intérêt dominant. Ce fichier devra être complété aussi par une bibliothèque de travail, composée de livres divers conçus sur un plan nouveau et qui restent encore tous à réaliser. Malgré cette absence presque complète d’un matériel scolaire adapté à notre technique nouvelle, nous obtenons depuis quatre ans, dans des classes difficiles — mais sans manuel — des résul­ tats nettement encourageants. L’expérience que nous menons cette année dans une classe à trois cours préparant au C.E.P. et où, par le seul appétit d’acti­ vité que nous avons suscité, il nous a été possible de mener en quelques mois, à un niveau normal, 35 élèves scandaleusement retardés, nous montre avec certitude la supériorité technique de notre conception scolaire. Mais nous savons aussi que la majorité des instituteurs ne s’en­ gageront sur la nouvelle voie que le jour où le matériel éducatif sera définitivement adapté. C'est pourquoi, sans négliger la di­ rection pédagogique et idéologique de notre mouvement, nous nous attachons tout spécialement aux réalisations matérielles qui le conditionnent. » Pédagogie coopérative. Dans cette C.E.L. qui déjà s’affirme avec tant d’autorité dans le monde pédagogique, règne une activité collective, fraternelle, qui va enrichissant de semaine en semaine le bien commun x. 1. Voici la liste des adhérents imprimeurs au 1er octobre 28 : Allier : M. Chéry, à Désertines. M. Virmaux, à Châtillon, par Noyant-d'Allier. — Alpes-Maritimes : M. C. Freinet, à Saint-Paul. M. Aicard, Le Cannet-Four à Chaux. Mme Aicard, Le Cannet-Four à Chaux. M. Spinelli, Menton. M. Barel, Menton. Mlle Monnod, aux Commettes, par Tourrettes-sur-Loup. — Ardennes : M. Jayot, à Sailly, par Carignan. M. Voirin, à Chèmery-surBar. — Ariège : M. Subra, à Antras, par Sentein. Mme Garmy, à Suc, par Vicdessos. — Basses-Alpes : M. Maurel, à Valensole. Mme Burle, à Alle­ magne. — Basses-Pyrénées : M. le Directeur de l’Ecole Normale de Lescar. M. R. Lallemand, Maison des Petits, à Lescar. — Cantal : Mme Lavergne, Le Claux. — Charente : M. Brunet, à Suris. — Charente-Inférieure : M. Bernard, Saint-Savinien. M. Girard, prév. de Lannelongue, par Saint-Trojanles-Bains. M. Fragnaud, à Saint-Mandé, par Aulnay-de-Saintonge. — Dor­ dogne : M. Delbos, à Lembras. M. Lavaud, à Saint-André-le-Double, par Saint-Vincent-de-Cubzac. Mme Baylet, à Marsaneix, par Saint-Pierre-deChignac. — Eure-et-Loir : M Pichot, à Lutz-en-Dunois. Mme Pichot, à

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Nous voudrions avoir beaucoup plus de place pour raconter comment tous les adhérents dispersés dans les villages de France, ou au loin à l’étranger, s’ingénient à apporter leur obole cons­ tructive à la maison commune. C’est d’abord la perfection conti­ nuelle des outils de base : à la suite de recherches patientes qui demandent, on le devine, d’incessants tâtonnements et mises au point, des frais inévitables, des pertes de temps, deux presses nouvelles voient le jour, presses « automatiques », s’il vous plaît, et belles à l’œil : la presse Dunand et la presse Pagès; saluons-les au passage; car, comme tout matériel de la C.E.L., elles seront à leur tour révisibles... Bordes (Lot-et-Garonne) s’occupe des rouleaux encreurs et en assure la fabrication. Ri­ vière (Vienne) est spécialisé dans la fourniture des casses. Pichot (Eure-et-Loir), dans une série d’articles, étudie le mobilier scolaire et c’est, tout au long de l’année, les petits trucs, les bricolages, que les plus ingénieux proposent aux camarades. Procédés d’illustration : Roulin (Sarthe), Bouscarrut (Gironde), Gourdin (Ardennes) : Comment faire des imprimés sans taches ? Comment contrôler les composteurs dans un miroir ? etc... Mais Lutz-en-Dunois. — Finistère : M. Daniel, à Trégunc. M. Le Treis, à Daoulas. Mme Comec, à Daoulas. M. Caruel, à Landrévarsec, par Briec. M. L’Haridon, à Beuzec-Conq. — Gard : M. Rousson, à Masdieu-Laval, par la Grand’Combe. — Gironde : M. Boyau, à Cambiales. Mme Boyau, à Camblanes. M. Carayon, à Saint-Jean-d’ïllac. M. Boussinot, à Auros. M. Lavit, à Mios-Lilet. Mlle Bouscarrut, à Saint-Aubin-de-Médoc. M. Gorce, à Margaux-Médoc. Mme Audureau à Pellegrue. — Hautes-Alpes : Mme LagierBruno, à Prelles. Mme Lagier-Bruno, à Saint-Martin-de-Queyrières. — HauteSavoie : M. Baritel, à Scionzier. M. Dunand, à Pratz-sur-Arly. — Indreet-Loire : M. Ballon, à Pont-de-Ruan. M. Delanoue, à Ballan-Miré. M. Bieret, à Beaumont-la-Ronce. — Isère : M. Faure, à Corbelin. Mme Faure, à Corbelin. M. H. Guillard, à Satolas-et-Bonce, par La Verpillère. — LoireInférieure : M. Guilloux, directeur école plein air Château-d’Aux, par La Montagne. — Loiret : M. Gauthier, à Solterre. — Lot-et-Garonne : M. Bor­ des, à Ségalas, par Lauzun. — Marne : M. Schouler, Petit Bétheny, Reims. — Meurthe-et-Moselle : M. Hoffmann, à Bouxières-sous-Froidmond, par Pont-à-Mousson. — Nord : M. Wullens, à Sornain. — Oise : Mlle VenitGinet, à Lormeteaux. — Pyrénées-Orientales : M. Michel Noé, à Pollestres. M. Pagès, à Prats-de-Mollo. — Rhône : M. Bouchard, Lyon. Mme Forest, Grandis. Mlle Mathieu, Grandis. Mme Bouchard, Lyon (3«). Mme Jeanne BaUanche, Francheville-le-Haut. M. Rochat, Vénissieux. — Sarthe : M. Le­ roux, Neuvillette-en-Chamie. Mme Leroux, Neuvillette-en-Chamie. M. Rou­ lin, Chevillé. — Seine-Inférieure : M. Vittecoq, Bourville. M. Briard, SaintLéger-du-Bourg-Denis. M. Leroux, Le Havre. — Seine-et-Oise : M. J. Fannonnel, La Vifiette-aux-Aulnes. M. Philipson, à Dampierre. — Var : M. Alziary, à Bras. — Vienne : M. Rivière, Ouzilly. — Vosges : M. le Directeur Ecole annexe Ecole Normale, Mirecourt. M. P. Georges, Les Charbonniers. — ETRANGER : Angleterre : M. H. Satay, Bournemouth, Hants. — Bel­ gique : M. Van Derveken, Bruxelles. M. Havaux, Pâturages (Hainaut). M. A. wouters, Anvers. M. Lebbe, à Souture-Saint-Germain (Brabant). Mme Hamaïde, Ecole Decroly, Uccle-Bruxelles. — Espagne : M. M. Cluet, Madrid. M. Jésus Sanz Poch, Profesor, Escuela Normal de Maestros, Lérida. M. An­ tonio Garcia-Martin, Chito Granada. — Maroc : M. Perron, Ecole profes­ sionnelle de Tanger. — Pologne : M. Jerzy Woznicki, Porcz. Odolany. — République Argentine : Mlle Champeau, Mendoza. — Tunisie : M. Magnan, Sousse. M. Meunier, Ecole Casquet, Sfax.

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au-delà de ce matérialisme manuel, c’est sans cesse la contribution de tous au perfectionnement des techniques d’enseignement et une porte ouverte sur l’horizon intellectuel qui domine la péda­ gogie. Dans une série d’articles, Mme Lagier-Bruno (HautesAlpes) rend compte de son expérience pour l’apprentissage de la lecture avec l’imprimerie et, sous un angle attachant de vie sen­ sible et subtile, complète les données de Freinet à Bar-sur-Loup. Pour les camarades observateurs, le « texte libre » apparaît comme le générateur permanent des centres d’intérêts échelonnés au cours des saisons, si riches, si complets, qu’ils dépassent les programmes et conduisent à un tour d’horizon de toutes les connaissances que l’on mettra à la disposition de l’enfant. C’est ce qu’indiquent A. et R. Faure (Isère) après un an d’expérience avec l’imprimerie. Jusqu’ici ils ont travaillé avec les centres d’in­ térêt de Decroly. Dans l’« Ecole vivante », parue dans l’« Ecole émancipée », ils avaient fait une adaptation de la méthode Decroly à des classes primaires. Le texte libre vient changer leurs concep­ tions : pour le maître qui doit « tout savoir », il est nécessaire d’avoir une classification, une ordonnance de connaissances et là c’est à Decroly que nous nous adressons. Mais l’enfant, lui, n’a rien de préconçu : « La vie ne comporte pas de classification rigoureuse. » A la faveur du texte libre, sans contrainte, l’édu­ cateur élargira l’horizon de l’enfant, comme l’élargiront les cor­ respondances interscolaires. Mais des camarades sont partis beaucoup trop étourdiment de cette notion des centres d’intérêts et ont ainsi jugulé la vie de l’enfant et travaillé pour ainsi dire à contre-cœur. C’est le cas de Caruel (Finistère) qui a voulu imposer à La Gerbe des centres d’intérêts un peu trop sytématiques. Gauthier (Loiret) lui en fait la critique : « Ce qui fait le charme de La Gerbe, n’est-ce pas cette liberté d’inspiration, cette spontanéité qui ne sera jamais égalée si nous en imposons, si peu que ce soit, le sujet ? » Cette grave question de La Gerbe est très souvent à l’ordre du jour. Il y a maintenant douze équipes qui collaborent par pai­ res. Chaque mois Freinet donne les précisions nécessaires pour les collaborations, le tirage, la reliure. Et au-delà de La Gerbe, les « Extraits de La Gerbe » commencent à devenir en fait peu à peu étrangers à La Gerbe pour exprimer des inspirations plus profondes, plus axées sur une unité d’aspiration. Les échanges interscolaires ont toute la sollicitude de Frei­ net. C’est lui, pour l’instant, qui organise les équipes parce que mieux que tout autre il connaît les caractéristiques des écoles diverses. Déjà en novembre 1928 il y a quatorze équipes de huit correspondants. La connaissance personnelle de l’enfant, en dehors de l’aspect subjectif que reflète le texte libre, est aussi un élément nouveau à incorporer à une pédagogie neuve. C’est pourquoi M. Duthil amorce la question des tests qu’il expose avec une clarté, une simplicité, qui ne souffrent pas de coins obscurs :

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« Qu'est-ce qu’un test ? C’est une épreuve objective qui doit avoir pour résultat de mettre en relief une aptitude ou un niveau d’instruction, en donnant à ces mots leur sens le plus large. Ce qui caractérise ces épreuves, c’est leur mode d’élaboration, leur emploi, leur mode de correction et leur utilisation. » En fait, le test, contrôle objectif qui permet — selon du moins les exposés de ses défenseurs — de déceler les « connaissances » et les « aptitudes » de l’enfant, n’a pas de succès auprès de nos camarades. Nulle réaction profonde, nul désir de suivre la voie qui pourtant, selon Duthil, doit arriver à une « individualisation » de l’enseignement et non à la « standardisation » qui en est l’an­ tipode. Pourquoi cette indifférence ? C’est je crois que les tests, même les plus naturels, les mieux liés à l’activité enfantine, n’ont point acquis encore cette subtilité qui leur permettrait de devenir facteur intégrant de la personnalité. Qui dit « test » dit « contrôle » ; or le contrôle est une barrière qui s’oppose au flot du courant. Le test idéal doit laisser passer le courant, être lié au facteur essentiel de « temps », tout en étant le témoignage d’un instant de la personnalité avec ces caractéristiques de « dy­ namisme » et d’« unité ». Il est indispensable que nos éducateurs prennent contact avec les grands mouvements pédagogiques de France et de l’étranger; c’est pourquoi Freinet fit toujours son possible pour que le groupe de l’imprimerie à l’Ecole collabore aux revues syndicales et au mouvement d’Education Nouvelle; il adhère au Groupe français dès ses débuts à Bar-sur-Loup et participe à tous les Congrès; en 29, c’est Pichot et Leroux qui représentent la C.E.L. au Congrès de Paris. « Bonnes journées pour l’imprimerie » disent nos camarades. « Notre stand était bien placé et l’affluence a été constante. Les visiteurs marquaient un grand étonnement et souvent une grande incompréhension. De nombreux directeurs d’Ecoles Normales, inspecteurs primaires et instituteurs s’y sont particulièrement inté­ ressés et se sont promis d’avoir sous peu aussi leur imprimerie. Les directeurs de la Nouvelle Education sont d’ailleurs très sym­ pathiques à notre mouvement et M. Cousinet appréciait briève­ ment nos travaux en disant fièrement à M. l’inspecteur du HautRhin : « C’est très bien. J'en ai trois dans ma circonscription... » Dans chaque numéro de L’Imprimerie à l'Ecole, sous la rubri­ que « les journaux et les revues », Freinet et quelques camarades font un rapide tour d’horizon des incidents pédagogiques natio­ naux et la « Documentation internationale », par le truchement de l’Espéranto, permet à Boubou de prendre connaissance de la pédagogie étrangère pour en voir les innovations, les particu­ larités, et la confronter avec notre pédagogie populaire. Des expositions de matériel sont faites dans les grandes villes de France par nos adhérents et à nouveau ce sont des adhésions

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nombreuses parmi lesquelles Poujet (Marne), Pichon (Finis­ tère), Gourdin (Ardennes), Masson (Loire-Inférieure), Lallement (Marne). Deux rubriques nouvelles sont amplement alimentées dans tous les numéros de L’Imprimerie à l’Ecole : ce sont celles du « Ciné­ ma » et de la « Radio », techniques neuves à l’époque et qui suscitent dans les écoles rurales un intérêt inouï. O. et R. Boyau seront pendant des années les animateurs de la « cinémathèque » créée à Angers. Inlassablement, ils exposent les détails techni­ ques du cinéma à l’école et, au-delà, les avantages, les riches­ ses du cinéma éducatif. Ils mettent au point des catalogues de films en location d’une ampleur remarquable. Ils composent méti­ culeusement des soirées récréatives; ils organisent surtout dans la France entière une location de films à la semaine qui est une réussite. Que de temps passé sur ces petites bobines qui vont porter jusque dans les écoles rurales les plus reculées un instant de distraction et de joie ! Il en est de même du rayon Radio tenu tour à tour par Lavit et Maradène (Gironde) qui, avec une inlassable patience, appren­ nent la construction de postes et peu à peu envisagent une concep­ tion neuve et hardie de la Radio scolaire. Naissance du fichier scolaire. Il est croyons-nous utile, en fin de cette première année à Saint-Paul, de faire le point de l’expérience de Freinet dans cette classe qui brusquement lui pose des problèmes nouveaux suscités par des conditions nouvelles. Il y avait à Bar-sur-Loup une école homogène, nécessitant pour la majorité des élèves des disciplines identiques. Il y a ici des élèves de divers degrés; les uns sortant à peine de l’enfantine, ânonnant dans le syllabaire et les autres s’échelonnant jusqu’au cours moyen où se prépare le C.E.P. Ces réalités posent à la fois au malade et à l’instituteur bien des difficultés à résoudre. Quand, au début de son expérience, par réaction contre la vieille pédagogie oppressive, Freinet avait lancé cette sorte d’ana­ thème « Plus de manuels scolaires », il ne voyait encore que le côté pour ainsi dire théorique de la question. Le voici mis au pied du mur... face à face avec la pratique. Les manuels que les enfants de Saint-Paul avaient entre les mains étaient, semble-t-il, parmi les pires : leur savoir étriqué, dogmatique, partial, présenté sous la forme la plus scolastique avait certainement, à l’insu d’un vieux maître, apporté sa part de malfaisance à l'atmosphère intenable de cette école de « chambardeurs ». Inutile donc de les conserver en tant que livres indi­ viduels; quelques spécimens rangés sur une étagère suffiront amplement pour dépanner les élèves ou le maître dans les cas

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difficiles. Car, il faut l’avouer, ce maître qui part en bataille contre le passé est loin d’être un érudit. Les connaissances bien minimes qu’il a pu acquérir tant au C.C. que pendant deux an­ nées de l’Ecole Normale ne sont guère encombrantes et, comble de fâcheux contretemps, elles ont même été dispersées par les méditations profondes qu’ont suscitées les épreuves de la guerre, et par cette construction héroïque d’une personnalité maintenant tout entière axée vers l’action. Heureusement, la vie est un champ fertile où sans cesse nais­ sent des richesses et des enseignements. Il n’est que de savoir s’en saisir. Le texte libre est une occasion pour cela remarquable. Il dégage à lui seul les centres d’intérêt les plus éloquents et conduit tout droit à cette connaissance du milieu que parachèvent les enquêtes locales, et qui est la base, le fondement du savoir de l’enfant « social ». Mais, au-delà de ce savoir et s’intégrant à lui, se profile la somme de connaissances dont l’ampleur dépasse tout programme scolaire. Ce sont ces connaissances qu’il faut proposer à l’enfant au moment favorable pour le faire accéder sans effort du savoir du milieu au savoir intellectuel en général. Cette nécessité pose des exigences : 10 Il faut que sans cesse soit mise à la disposition des enfants une somme de documents leur permettant de faire leur glane au moment favorable; 2° Il faut que cette documentation soit assez souple pour per­ mettre un enseignement individualisé, car inévitablement les élè­ ves ont des intérêts divers à exploiter. Au cours de nos promenades, nous réfléchissons longuement à ces deux aspects du problème et faute de le résoudre nous organisons au mieux la bibliothèque de l’école dont deux rayons sont spécialement destinés aux livres, aux manuels, aux revues documentaires. Mais le livre n’est pas pour l’enfant un outil idéal : il est trop riche, trop complexe, difficile à compulser, difficile à comprendre; il fait perdre du temps et désoriente l’enfant. Il faut trouver le document « simple », le document « mobile », et c’est la nais­ sance de la « fiche » documentaire et l’origine du « fichier sco­ laire ». C’est en février 29, après plusieurs mois de tâtonne­ ments, que paraît le premier article de Freinet : « Le fichier scolaire coopératif ». « A techniques nouvelles de travail, outils nouveaux. Et sans outils adaptés à ses fins, toute technique nouvelle est impuis­ sante à pénétrer dans les écoles du peuple. De même que l'imprimerie à l'Ecole ne s’est répandue effec­ tivement dans les classes pauvres qu'après la fabrication et la mise en vente par notre coopérative d’un matériel approprié; de même que la vulgarisation du cinéma comme outil d'enseignement est subordonnée à la production d'appareils de projection et de

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films bien adaptés à nos besoins; de même le travail libre des élèves dans l’école sans manuels ne sera généralisé que le jour où nous aurons mis à la disposition des éducateurs un matériel de documentation et de travail répondant aux nécessités actuelles de l’activité scolaire. ... Qui de vous, en examinant les nombreuses lectures parse­ mées dans les livres et les revues pédagogiques, n’a fait ce rêve : « Ah ! si nous pouvions, au moment où nous en avons besoin, au moment où les élèves les liraient avec profit, avoir sous la main un choix important de ces lectures, les conditions seraient consi­ dérablement améliorées ! » Ce rêve, nous pouvons aujourd’hui le réaliser. Les lectures recueillies et choisies en collaboration seraient imprimées, au recto seulement des feuilles (format 13,5 x 19 sans doute) en caractères bien lisibles, illustrées si possible et prêtes à être collées sur carton rigide que nous fournirions à bas prix. Chacune des pages ainsi obtenues constituerait une fiche de travail que nous classerions selon un système pratique à étudier. Les maîtres consciencieux n’essaient-ils pas en effet de se cons­ tituer des recueils de textes, de lectures, de dictées, de problè­ mes ? Quelques camarades ont même réalisé, comme nous, en découpant çà et là, un fichier de fortune. Nous vous offrons un fichier méthodique et qui sera une réalisation irréprochable, que vous pourrez mettre à la disposition des élèves ou garder pour votre préparation de classe personnelle, un outil extraordinaire­ ment souple, permanent, appelé à de multiples usages. Sommes-nous en mesure de réaliser ce fichier ? Pédagogiquement, cela ne fait aucun doute. L’intérêt des tra­ vaux publiés par plusieurs de nos camarades nous est une garantie que nous aurons certainement un des meilleurs choix et des plus riches qui puissent être réalisés actuellement en France. Commercialement aussi, nous devons réussir. D’un premier calcul auquel nous nous sommes livrés, il résulterait que nous pourrions sortir ces fiches à O fr., 05 au maximum. (Il va sans dire que cette édition étant faite par la Coopérative, les sous­ cripteurs bénéficieraient, le cas échéant, des conditions les meil­ leures que nous pourrions obtenir.) Nous mettons donc en souscription à ce jour les 500 premières fiches au prix de 25 francs, livrables à un rythme que nous déci­ derons en commun, mais en tous cas au cours de l’année à venir. » C’est du « Palais Mondial » de Bruxelles que parviennent à Freinet les premiers échos de son article et c’est Paul Otlet, l'une des sommités qui président au récolement du matériel didac­ tique international, qui fait comprendre au novateur l’ampleur des richesses du Palais Mondial de Bruxelles. Il serait trop long (bien que fort intéressant) de citer ici les détails que donne P. Otlet sur la documentation internationale

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et qui, par la Bibliothèque, le Musée, l’Encyclopédie documen­ taire, l’Atlas, le Film, le Catalogue, permet la consultation des plus grandes richesses du monde grâce à la classification déci­ male universelle. L’idée du « Fichier scolaire » proposé par Frei­ net enthousiasme P. Otlet. « Ce fichier est une idée magnifique et d’une utilité considéra­ ble. Il devrait pouvoir s’intégrer dans le système qui vient d’être décrit. Ce système a besoin de contributions telles que le fichier et celui-ci puiserait une force considérable dans le fait d’être lui-même intégré dans le système. Pour cela il suffirait que cha­ que document de ce fichier constitue une fiche autonome et ré­ ponde à ces trois conditions : format 21 x 27, date, auteur, nu­ mérotage, mention des sources d’origine... ...Le fichier scolaire coopératif avancera dans cette direction. Le tout répond à ces trois besoins compléter le matériel scolaire forcément limité par une documentation collective illimitée; rendre possible l’individualisation de l’enseignement par la création d’un matériel auto-éducatif pour toutes les matières enseignées, don­ ner à tout éducateur un moyen coopératif d’apporter sa contri­ bution à l’oeuvre commune sans devoir recourir à l’impression coûteuse des livres. » Il faudra de nombreuses années d’essais, de discussions, de mises au point incessantes, pour que le « Fichier Scolaire Coo­ pératif » devienne vraiment l’œuvre commune à laquelle Faure, Gauthier, Guet et surtout Lallemand, qui en sera le véritable parrain, auront attaché leur nom. VERS UNE ETAPE NOUVELLE « Technologiquement, nous avons franchi aujourd’hui la pre­ mière étape. Qu’on le veuille ou non, en pénétrant dans la classe, l’impri­ merie régénère et transforme nos pratiques éducatives. C'est pourquoi l’étude de l’adaptation pédagogique de notre technique doit être, plus encore que par le passé, liée à tout le problème d'organisation du travail scolaire, problème dont nous avons, en cours d'année, montré quelques solutions possibles. Cette étude suppose donc un élargissement, un approfondisse­ ment de nos expériences et de notre documentation. Il ne s'agit plus pour nous de considérer seulement l'aide que l’imprimerie peut apporter par exemple à l’étude du français. Nos expériences antérieures nous ont montré la nécessité de ne pas séparer l'introduction de l'imprimerie de la recherche de techni­ ques nouvelles de travail, en rapport avec nos possibilités actuelles. Nous avons précisé, dans le numéro 18, l’importance nouvelle que nous accordions aux techniques. L'éducation doit, selon nous, 7

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être élévation de l’individu, avec l’aide du milieu ambiant et de l’adulte. Notre rôle se limite à la recherche et à la mise à la portée des enfants des instruments de travail indispensables. C’est à cette recherche que nous devons plus spécialement nous consa­ crer. 1) Comment l’enfant doit-il être élevé, habillé, logé, nourri, etc... pour qu'il puisse se développer harmonieusement et au maximum ? C’est toute la question de la base sociale de l’éducation, inti­ mement liée avec les problèmes économiques, politiques et syndi­ caux qui ne sauraient nous laisser indifférents. 2) Que doit être l’installation de la classe ? Question urgente, beaucoup trop négligée dans la presse péda­ gogique, que Pichot a amorcée dans notre bulletin et pour laquelle nous réunirons une abondante documentation. Comment mettre à la portée des élèves les instruments de travail pour : a) Le travail manuel; b) Le travail intellectuel et social; c) Le travail artistique. » Un questionnaire de fin d’année, ample, nourri de leur prati­ que d’idéologie prolétarienne et humaine était en cette fin d’an­ née adressé à tous nos adhérents, et c’est avec une joie non dissimulée que Freinet écrivait en juillet 29 : « Nous étions il y a un an une cinquantaine d'adhérents, nous voilà 150 à ce jour et en cette fin d’année les adhésions s’an­ noncent si nombreuses que nous serons peut-être près de 200 quand paraîtront ces lignes. » Mais entre ces adhérents qui, si spontanément, se rassemblent autour de Freinet, qu’il n’y ait pas d’arrière-pensée quant à l’orientation de la C.E.L. : « Quelques camarades se sont étonnés de ne voir dans notre bulletin l'expression d’aucune idéologie sociale ou syndicaliste. En effet, notre silence à cet égard ressemblerait fort à ce souci de neutralité que nous critiquons dans la Nouvelle Education et la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle. Mais nous n’avons pas prétendu et ne prétendrons pas faire de notre coopérative ni de notre groupe une association nouvelle, ayant ses destinées propres, ses moyens d’action et ses buts. Persuadés que nous sommes que l'éducation ne peut rien sans l’appui vigoureux des organisations syndicales et ouvrières, na­ tionales ou internationales, nous avons déclaré que nous nous considérons seulement comme un organisme d’études pédagogi­ ques et que nous laisserions à nos syndicats, à nos fédérations, à

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nos associations diverses de défense corporative et idéologique, le soin de faire aboutir nos revendications. Nous ne craindrons pas, dans cette revue, de chercher les causes véritables de la misère de l’ecole populaire en régime capi­ taliste, nous montrerons les voies possibles de libération scolaire. A nos adhérents à lutter ensuite, comme il l’entendront, sur le plan politique et social et au sein de leurs groupements, pour que puissent un jour se réaliser les rêves généreux des pédagogues. » Telle demeure la position actuelle de la C.E.L. Le Congrès de Besançon (1929). Le Congrès annuel de la C.E.L. eut lieu à Besançon les 3 et 4 août 1929. Le Conseil d’Administration (Boyau, Gorce, Caps, Bouscarrut, Freinet) s’occupe comme à l’ordinaire du rapport moral, des comptes rendus financiers, de la gestion des revues, du rapport de la Commission de contrôle, etc. Comme l’on s’en doute le sujet brûlant reste les difficultés financières d’une entreprise qui sans mouvements de fonds ne peut faire face à la montée en flèche de ses effectifs. Il est parlé longuement de l’affiliation de la C.E.L. à la Fédération des Coo­ pératives pour ouverture d’un crédit à la Banque des Coopéra­ tives. Mais c’est là le leit-motiv de tous les Congrès. Dans les discussions, les rubriques : Imprimerie, Matériel, Gerbe, Extraits de La Gerbe, Papier, Radio, Cinéma, sont mises en question. Un nouveau sujet apparaît .- le « Fichier ». Il passionne les adhé­ rents qui y ont sérieusement réfléchi. Nous verrons plus loin quelles considérations nécessaires ce nouvel outil imposera aux camarades. Dans l’enthousiasme, c’est la séparation, et des perspectives nouvelles de travail s’ouvrent pour tous. En conclusion de cette année de travail qui réalisa pour nous tous un si gros effort, une si totale confiance en l’avenir et qui définitivement situait la C.E.L. dans le monde pédagogique et social, Freinet se faisait un plaisir de citer ces belles paroles de M. Rosset, directeur de l’Enseignement Primaire : « Votre rôle à vous, éducateurs nouveaux, c'est de déblayer les voies et d'indiquer la route à suivre à l’enseignement officiel. Nous voulons faire confiance à ceux qui essaient de rénover nos anciennes méthodes, parce qu’ils réussiront. Ne réussiraient-ils pas, d’ailleurs, à effectuer une transformation complète, qu’ils nous obligeraient cependant à progresser malgré nous et à chan­ ger l’esprit même de notre enseignement. »

4 Saint-Paul (1929-1930) A chaque début d’année, Freinet trouve prétexte à se réjouir. Les mois qui s’ouvrent devant lui sont toujours riches de pro­ messes d’expériences, d’enseignements, et c’est sous le signe de l’optimisme habituel que débute son leader du 1er octobre 1929 : « Les diverses recherches technologiques que nous avons entre­ prises sont à ce point passionnantes, elles nous découvrent à chaque pas des perspectives de travail si originales et si fertiles en enseignements, que l'activité de notre groupe décuple chaque année, donnant raison à la témérité — pourtant consciente — de nos entreprises les plus hardies. » Freinet n’a que l’embarras du choix pour saisir au passage l’un de ces problèmes essentiels qui surgissent dans la vie quotidienne de nos écoles publiques, pour leur chercher, à l’épreuve de l’ex­ périence, une solution que les conditions économiques et sociales rendront, hélas ! plus ou moins relatives. Si quelqu’un se fait des illusions sur la portée d’une pédagogie « pure » et « idéale », ce n’est certes pas lui, qui, rejeté au cœur même de son SaintPaul des pauvres, dans son école-taudis, doit se colleter sans cesse avec le matérialisme décevant de l’école du peuple. « J'avais hier 45 élèves entassés dans une classe construite pour 27 et qui ne possède que 41 places; comme il est impossible de loger un banc de plus, quatre élèves ont été contraints de se promener dans la classe bondée où l'air était complètement irres­ pirable. Nous n'avons pas même pu nous détendre aux récréa­ tions parce qu’il pleuvait et que le préau est plus petit encore que la classe... Notre situation n'est hélas pas exceptionnelle !

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Qu’on ne croie pas que, dans ces conditions, nous puissions montrer aux visiteurs et décrire à nos lecteurs la classe idéale, rénovée par les techniques que nous recommandons. Nous sommes dominés par le régime économique qui nous dédaigne et nous écrase. Nous ne pouvons qu'indiquer à nos ca­ marades comment nous avons aménagé notre activité pour obtenir de notre travail tout à la fois un rendement plus conforme aux intérêts des jeunes prolétaires et les fondements essentiels de la nouvelle orientation pédagogique. Activité motivée, disons-nous: plus de sanctions spécifiquement scolaires. Nous ne nous hasarderions pas à recommander ces pratiques si nous ne les appliquions avec succès depuis plus d'un an. Nous savons qu'elles vont surprendre; que pédagogues et inspecteurs trouveront de multiples raisons pour condamner une technique qui est tellement à l'opposé des procédés habituels de verbalisme et de gavage. Nous saurons d’ailleurs, en temps voulu, répondre à leurs objections, persuadés que nous sommes d'être suivis sur cette voie par tous les instituteurs qui, dans leur classe, cher­ chent une solution aux multiples problèmes d'organisation et de travail scolaire. Actuellement et sauf pendant les périodes de révision durant lesquelles l'instituteur se contente d'indiquer les textes à revoir et les résumés à réciter, les heures de classe sont presque exclu­ sivement occupées par la récitation des leçons précédentes et l'exposé des leçons du jour : leçon de morale ou d'instruction civique, leçon de calcul, leçon de grammaire, leçon de vocabu­ laire, leçon de sciences, leçon de dessin, leçon d’histoire et de géographie, etc... Les inconvénients ? Tous les instituteurs les connaissent; ou­ tre que cette suite ininterrompue de leçons demande aux maîtres une dépense physique qui leur est souvent fatale, le bénéfice qui en est retiré par les élèves est loin d'être satisfaisant : ceux-ci sont, en effet, plus actifs que réceptifs; ils s’éduquent cent fois mieux — et avec combien plus d’assurance et de solidité! — lors­ qu’ils cherchent par eux-mêmes, lorsqu’ils manipulent, construi­ sent, réfléchissent ! Nous savons bien qu’on recommande de réduire au minimum les leçons purement verbales et de s’orienter vers un enseigne­ ment plus illustré et plus actif. Mais, dans la pratique, étant donné les programmes trop encyclopédiques et trop conçus sur les prin­ cipes de la vieille école, étant donné aussi la misère matérielle de nos écoles et la surcharge anormale des classes, il est souvent impossible de faire autre chose de sérieux que cet enseignement verbal. ... Supprimons les leçons faites par le maître; ne faisons plus apprendre par cœur aucune leçon ni aucun résumé, trouvons d’autres éléments générateurs d’effort et d'activité. Nous ren­ drons du coup l’école plus saine et plus moralisatrice, nous rap­

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procherons les élèves de leurs éducateurs pour la tâche seule désirable en définitive de l’éducation... » Plus de manuels ! Plus de leçons ! Voilà évidemment de quoi vraiment effrayer ceux qui sans cesse ont besoin de barrières et de garde-fous pour se raccrocher. La pratique les rassurera, car c’est tout de suite, par les exemples des diverses disciplines, que Freinet les invite à entrer dans le bain, Je bain salutaire de la vie. Plus de leçons de morale ! Mais la formule suggestive, les exi­ gences d’un comportement social qui nécessite ce don de soi, ces infinies vertus qui fleurissent dans une communauté intelligente et harmonieuse. Plus de leçons de grammaire, mais la pratique éclairée, vivante, du texte libre, la grammaire vécue, intégrée à la syntaxe vivante qu’est la pensée de l’enfant. Plus de leçons de calcul, mais l’arithmétique courante que pose la vie sociale et familiale. Plus de leçons de sciences, mais l’observation, la mesure des faits de la nature dans toute leur ampleur. Et progressivement tous les efforts de la C.E.L. viseront à arriver à ces grandes simplifications d’un enseignement qui, forgeant les techniques libératrices, soustrait l’enfant à l’oppression d’une pédagogie d’arbitraire autorité. Ce mode nouveau d’envisager le problème éducatif retentit inévitablement sur le comportement de l’élève et du maître, et d’une organisation nouvelle de la classe naît une discipline neuve et pour ainsi dire organique. « Il faut d’abord, pensons-nous, donner au mot « discipline » un sens nouveau. Ou plutôt, ce mot, avec son acception courante, devrait disparaître de notre vocabulaire pédagogique. En effet l’enfant à qui on offre des activités répondant à ses besoins physiques et psychiques est toujours discipliné, c’est-àdire qu'il n’a pas besoin de règle ni d’obligations extérieures pour travailler ou pour se plier à la loi de l'effort collectif. Nous pou­ vons affirmer que si nous étions en mesure de donner à nos élè­ ves la possibilité de travailler selon leurs besoins et leurs goûts, nous pourrions avoir à intervenir pour organiser le travail et l’ac­ tivité de notre communauté, mais tous les problèmes ordinaires de la discipline scolaire n’auraient plus de raison d’être. L’introduction de l’imprimerie dans nos classes nous laisse deviner tout ce qui pourrait être réalisé dans ce sens. La discipline traditionnelle nécessitait le contrôle strict de « devoirs ». Et voilà que nous avons su motiver notre enseigne­ ment à tel point que, spontanément, nos élèves écrivent, avec une application incroyable, plus de rédactions que n’en comportent les programmes... Les manuels indiquaient en détail comment obtenir l’attention des enfants pendant la lecture, et nos élèves

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lisent avec sérieux et curiosité les livres de leurs correspondants... Obligation encore pour leur enseigner les formes arides d’une grammaire sans vie, alors que tout s’éclaire à la lumière de la nécessité scolaire et sociale. S’il n’y a pas dans la classe une libre activité à la base même de toute l’organisation, alors une discipline spéciale est néces­ saire, tant pour contraindre l'enfant aux besognes non désirées que pour refouler ses activités inemployées qui cherchent à tout prix à se réaliser. Et il est faux de croire que cette discipline puisse être libérale ou consentie. Même si, sous la suggestion des adultes, elle est établie par les élèves eux-mêmes, elle n’en reste pas moins une discipline oppressive de l’action réciproque des éducateurs et des éduqués. Le problème de la discipline nous paraît se poser de la manière suivante : l’enfant qui participe à une activité qui le passionne se discipline automatiquement. Notre vraie besogne consiste à per­ mettre à nos élèves toutes les activités éducatives qui satisfont leur personnalité, à étudier attentivement la technique de ces activités, laquelle suppose une discipline motivée par le but à atteindre. Le seul critérium sera alors, non pas : ces enfants sontils sages, obéissants, tranquilles, mais : travaillent-ils avec enthousiasme et entrain ? Cette libre activité n’est malheureusement possible que dans certaines conditions favorables d’installation et d’organisation. Les classes trop nombreuses, dans des locaux trop exigus, ne peuvent, en aucune façon, s’accommoder des nouvelles techniques de tra­ vail. Les classes populaires sont, hélas ! de par leur conception et leur constitution, des écoles assises, où chaque élève a sa place assise, mais où les groupes ne peuvent librement circuler sans bruit et sans danger préjudiciables à l'ensemble de la classe. C’est pourquoi nous avons placé le matérialisme scolaire à la base des revendications de l'école populaire. Un autre état de fait, qui nécessite presque toujours l'établis­ sement d’une discipline sévère, est l’obligation où nous sommes dans nos classes d’enseigner à nos élèves des éléments de connais­ sance nullement en rapport avec l’esprit de l'enfant : et je pense tout particulièrement au calcul mercantile et à l’histoire officielle. Tant que les examens ne seront pas transformés dans leur nature même, l'école souffrira d'enseigner des mots au lieu de former et de développer les esprits. Malgré ces difficultés, qu’avons-nous pu réaliser dans notre classe, vers la voie que nous venons de définir ? Quel compromis avons-nous trouvé pour amorcer dans notre régime si peu sou­ cieux de l’éducation du peuple, des réalisations qui ne sauraient se réaliser sans un gros effort pécuniaire en faveur de nos écoles ? Dans quelle mesure nos collègues peuvent-ils nous suivre ? » Toutes ces réalités exigent évidemment une compréhension nouvelle du maître, indispensable à l’éclosion de cette atmos-

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phère favorable qui délivre la confiance et l’élan. Soyons hum­ bles : « Ne craignons pas d’avouer notre ignorance, en mettant notre supériorité moins dans une telle ornementation de notre mémoire que dans notre aptitude à utiliser, pour notre élévation, tous les matériaux dont nous disposons. Nous donnerons ainsi à nos élèves la notion précieuse d’une éducation non plus statique, scolastique et morte, mais laborieuse et active, tendant, par nos efforts inces­ sants, à la libération physique, intellectuelle et morale des indi­ vidus. Ne craignez rien pour votre autorité véritable. Il y aura peutêtre dans votre classe moins d'apparente soumission ou de passive docilité. Mais vous sentirez autour de vous une ambiance nou­ velle, un naturel et un encourageant entrain qui vous donneront certainement chaud au cœur et seront peut-être capables de vous réconcilier avec l’activité scolaire. SOYONS HUMAINS ... Que de fois encore agissons-nous en classe avec une révol­ tante inhumanité ! Vous vous mettez en colère parce que, en se dressant, un élève a fait un bruit excessif, et vous oubliez que vous causez un grondement autrement formidable chaque fois que vous repous­ sez votre chaise ou descendez de votre trône !... Mais vous êtes le maître ! Il vous arrive de temps en temps de jeter un regard par la fenêtre et de vous pencher même quelquefois pour parler à un passant; pourquoi pas ? Mais si un enfant se dresse sur son banc pour en faire autant, vous êtes impitoyable. Et avez-vous songé à l'injustice, combien fréquente pourtant, du maître qui reproche à un élève sa mauvaise écriture et qui griffonne lui-même sur les cahiers quelques appréciations illi­ sibles ? Nous savons bien que la pédagogie demande au maître une tenue irréprochable. Mais n’a-t-elle pas pour ainsi dire codifié tous les moyens inhumains dont l’instituteur dispose pour assurer sa jalouse autorité ? Nous ne discuterons pas ici le paradoxe de Rousseau sur la bonté originelle de l'homme. Mais un fait nous apparaît cepen­ dant certain : les enfants ne sont au moins pas pire que les adul­ tes. Ils ont en tous cas encore intacts leur ardeur créatrice, leur enthousiasme et leur foi en la vie, puissants leviers sur lesquels peut — et doit — s’appuyer utilement notre action éducative. Non, les enfants ne sont pas pires que leurs maîtres. S'ils nous paraissent souvent moqueurs, cruels, impitoyables, c'est aussi que la situation d'infériorité où les met notre autorité les pousse

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à la défense et que leurs réactions regrettables sont souvent notre œuvre. Supprimons l'oppression. Si nous ne pouvons faire mieux, agis­ sons du moins avec les enfants comme nous le ferions avec des adultes : portons-leur le même respect et la même indulgence. Allons plus loin, si possible : soyons, avec nos élèves, d'une extrême confiance et d'une juste humanité. N'attribuons jamais à leurs fautes ou leurs faiblesses je ne sais quelle perverse mali­ gnité, mais plutôt à la nature humaine et souvent aussi à l'in­ fluence sociale et familiale. Faisons fréquemment notre mea culpa : cela nous vaudra de grands avantages personnels et péda­ gogiques. A BAS L’HYPOCRISIE La confiance engendre la confiance et la sincérité. L'état d'in­ fériorité et de subordination dans lequel au contraire l'école réduit l'enfant ne saurait que pousser celui-ci à la défense de ses droits, de son activité et de sa vie par la désobéissance, la ruse et l'hypocrisie. Toutes les leçons de morale du monde ne sauraient changer cet état de fait. Il est humain que l'enfant pour lequel jouer et courir sont un besoin organique ait recours à toutes sortes de ruses — jusqu’au mensonge — pour échapper à la punition menaçante. De là découlent toutes les formes centenaires de l'entraide scolaire clandestine : copie de devoir, secours par gestes, leçons « souf­ flées», etc... et aussi cette déplorable habitude de voir dans le travail scolaire ou extra-scolaire non pas l’effort d'enrichissement et de libération des individus, mais seulement quel minimum d’efforts peut soustraire l'élève à la punition ou le faire triompher dans cette émulation immorale qui est la loi de l'école. Un seul remède : couper le mal à sa racine, supprimer les causes de cette immoralité et de cette hypocrisie, changer la na­ ture même de cette école ! VERS L’ECOLE MORALE DU TRAVAIL Absorbée par ses besognes de surveillance et de contrôle : dis­ tribution de devoirs et de leçons, récitation de leçons, corrections de multiples exercices pour lesquels on n’a pas su mobiliser tout l'intérêt et l'application spontanés des élèves, le temps manque à l'école pour les tâches vivantes et créatrices qui seraient sa raison d’être. Nous nous appliquerons davantage à organiser en classe le travail actif des élèves qu’à prévoir un contrôle méfiant et injuste. Nous ferons en tous cas passer ce contrôle au second plan de nos préoccupations, l’essentiel étant pour nous l’organisation de l'acti­ vité et de l’effort.

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Le besoin de travail des élèves, leur désir inné de s’élever que nous avons su ménager et utiliser nous paraissent suffire, dans presque tous les cas, à la préparation d’une discipline nouvelle, humaine et morale. » C’est se répéter que de redire encore que le problème actuel le plus urgent est l’amélioration de nos diverses techniques pour aider les éduca­ teurs à s'intéresser à leur besogne, en même temps que nous contribuerons à donner à la pédagogie populaire des assises plus larges et plus solides, devrions-nous pour cela briser l'horizon étroit d’une pédagogie timide qui redoute, pour elle et le régime qu’elle soutient, toutes les manifestations de la vie. Et c’est à cet immense travail que s’attellent, pour l’année en cours, tous les adhérents de la C.E.L. auxquels viennent s’ajou­ ter en ce début d’octobre les bonnes volontés qui se sont laissé gagner à la belle cause de l’éducation populaire 1. Le « Fichier Scolaire Coopératif » est, pour ainsi dire, l’en­ fant nouveau de cette année 1929-1930 et c’est sur lui plus spé­ cialement que se pencheront les esprits les plus audacieux comme aussi les meilleures bonnes volontés, car il y a du travail sur la planche. Avant le Congrès de Besançon, alors qu’il était encore pour ainsi dire livré à ses propres initiatives, on sentait chez Freinet comme une sorte d’attente. Certes, nous étions persuadés l’un et l’autre, surtout après la longue lettre de Paul Otlet, que là était un aspect les plus nécessaires de l’école sans manuels; mais manquait encore la pratique qui consacre l'utilité indéniable de la technique. « On s’étonne peut-être, écrivait Freinet en juillet, que nous ne précisions pas avec plus d'application l’usage possible du fichier. C'est qu’il en est de cet outil comme de l’imprimerie : il serait dangereux d’en délimiter par avance l’emploi. Seule l’expérience, avec ses erreurs et ses succès, nous mon­ trera la voie véritable. Dans notre esprit cependant, le fichier est d’abord un outil de travail en commun : placées dans des classeurs spéciaux, les fiches 1. Voici de nouvelles adhésions : Jean Mons, instituteur à Saint-Aulaire (Corrèze). — Roger, à Wattignies-L’Arbrisseau (Nord). — Servière, à Marval (Haute-Vienne . — Bertoix, à Saint-Gérand-de-Vaux (Allier). — Estorges, à Sidi-Mabrouk, Constantine (Algérie). — Rosay, directeur école garçons à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie). — AUouis, Le Puiset par Janville (E.-et-L.). L’Anthoën, Saint-Pierre-de-Plesguen (I.-et-V.). Mme Crapet, directrice, Ostricourt (Nord). — Mlle Pradal, à Gras (Ardèche). — Cotnbot, à Lannéanou (Finistère). — Louis Charra, Le Prat (Haute-Loire). — Desma­ ris, Comaranche-en-Bugey (Ain). — Delhermet, Sainte-Eugénie-de-Villeneuve (Haute-Loire). — Lagier-Bruno, Saint-Martin-de-Queyrières (Hautes-Alpes).

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seront utilisées par les élèves au fur et à mesure des besoins et le plus possible librement. Elles sont destinées à amplifier les travaux nés spontanément de l'intérêt vivant des enfants. Voici notamment l'usage que je voudrais en faire dans ma classe (35 élèves de 7 à 14 ans) : Le texte choisi ce matin et imprimé est le serpent. Il passionne les élèves qui éprouvent le besoin de se renseigner à ce sujet, de s'instruire. Mais nous n'avons pas le temps de répondre à toutes les questions; nous n’avons ni la mémoire suffisante, ni la compé­ tence pour le faire avec talent. Nous nous en référerons donc au fichier et, grâce à un classement pratique, nous isolons immédia­ tement 10, 20, 30 textes se rapportant aux serpents; littérature : quelques belles pages de grand écrivain; sciences : description à l'aide de gravures de plusieurs variétés de serpents; géographie : les serpents dans les diverses régions du monde; histoire : remè­ des pratiqués autrefois contre les morsures de serpents, etc... Je lirai peut-être à la classe attentive une ou deux de ces lec­ tures parmi les plus passionnantes. Àu moment du travail libre, ou à la suite de leur devoir commun, les élèves lisent les fiches qui les intéressent et consignent sur leur cahier d'observations le résultat de leur lecture. Peut-être pourrons-nous même mettre à la disposition des grands élèves des fiches à un sou l'une, qui enrichiront le cahier d’observations, ayant lui-même l'allure d’un fichier personnel. Pour les élèves plus jeunes, le travail de documentation se ferait de préférence par groupes. On devine quelles formidables possibilités de travail nous vau­ drait la réalisation de ce projet. On fait souvent à l'école nouvelle le grief de sacrifier trop complètement l'instruction à l’éducation et c'est certes un danger à éviter. L'emploi du fichier apporterait certainement dans nos classes — surtout celles à plusieurs cours — une documentation directement utilisable, dont nous soupçon­ nons à peine la richesse... ... Voir dans ce numéro deux spécimens de fiches, l'une sur papier ordinaire, l’autre sur carton fort. Elles ont malheureuse­ ment été pliées pour les besoins de l'expédition. Il va sans dire que les fiches ultérieurement éditées seront soigneusement expé­ diées. Des spécimens de fiches sont mis gratuitement à la disposition des camarades qui en désirent pour recueillir des souscriptions. » Au Congrès de Besançon, les camarades ont donc une idée précise de ce que sont les fiches et du rôle du fichier. De la discussion, de la confrontation fertile des idées diverses, des cri­ tiques, des objections, devait sortir tout de suite un travail positif qui s’exprime tout entier dans l’article de Freinet paru en octo­ bre 1929 :

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« Dès nos premiers articles, Vidée du fichier a enthousiasmé nos camarades. Bien qu’aucune propagande spéciale ne soit venue amplifier celle de notre bulletin, les souscriptions sont arrivées nombreuses; les offres de collaboration aussi. Des dizaines de lettres nous ont permis d'éclairer les débats du Congrès de Besan­ çon qui a pu ainsi prendre les décisions qui s'imposaient. Après l'examen des diverses solutions préconisées, le Congrès a décidé ; que les fiches auraient le format demi-commercial exclusive­ ment; que nous ferions un tirage sur papier ordinaire et un tirage sur carton fort, selon les modèles joints à notre bulletin de juillet; que les prix seraient ceux précédemment fixés : 25 francs pour une série sur papier et 50 francs pour la série sur carton; que nous éditerions, en 1929-1930, une première série de 500 fiches, tout en préparant plusieurs séries pour les années à venir; que nous nous attaquerions de front aux diverses activités sco­ laires pour bien montrer que nous ne faisons que jeter les bases d’une œuvre imposante, en constant devenir. Placé en face de divers projets de classification des fiches, rejetant comme surannée la simple classification par disciplines principales, le Congrès a décidé de grouper les fiches sous les 4 rubriques suivantes : 1°) L’activité enfantine : le tout petit enfant, les jeux, l’affec­ tion, la maladie, frères et sœurs, les voyages, l'enfance malheu­ reuse, le travail des enfants, etc... 2°) La nature, les phénomènes physiques et naturels, l’homme, les bêtes, les plantes ; 3°) Gens d’ailleurs et d’autrefois : Histoire, Géographie phy­ sique, politique et économique, etc... 4°) Documents destinés à accompagner les projections cinéma­ tographiques, auditions de phonographes, etc... Nous pensons ajouter plus tard un chapitre plus spécialement consacré aux reproductions de dessins ou images diverses pouvant être utilisés dans nos classes (sciences, histoire, géographie, etc. Que les camarades qui trouveraient incomplète cette classifi­ cation ne s'émeuvent pas. Elle n’a rien d’absolument définitif et est d'abord une classification pour la préparation des séries et l'édition. Les numéros correspondants seront indiqués en haut et à gauche des fiches. Le coin droit restera libre pour le numérotage spécial, qui pourra se faire aussi par gommettes de couleur, nu­ mérotage susceptible de varier selon les classes ou selon les re­ groupements que permet l’extrême souplesse du fichier. Nous

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étudierons dans les prochains articles le classement rationnel et pratique de notre fichier. Nous recommandons, pour l'instant, de laisser en blanc le côté droit pour la classification spéciale qui ne s'impose pas encore. Pour chacune des rubriques ci-dessus, des équipes Collecteurs de textes ont été désignées par le Congrès. Ce sont : I. — Mlle Ballanche, à Francheville-le-Haut (Rhône); A. et R. Faure, à Corbelin (Isère); II. — Mme Boyau, à Camblanes (Gironde); Cazanave, à Chazelles-sur-Lavieu (Loire); III. — Alziary, à Tourves (Var); Jacquet, à Tabanac (Gironde); IV. — Gauthier, à Solterre (Loiret); Mme et M. Pichot, à Lutzen-Dunois (E.-et-L.). Il nous faut, de plus, constituer autour de ces collecteurs res­ ponsables des équipes solides et nombreuses de collaborateurs fai­ sant les recherches nécessaires, revoyant les textes retenus par les collecteurs et participant au travail dont l'édition définitive sera l'aboutissement. Nous savons certes que ces équipes se réuniront difficilement. Mais nous nous attaquons à une œuvre de longue haleine, pour laquelle nous prévoyons des mois de préparation. Une partie de la besogne pourra se faire par lettres et circulaires. Nous prions donc tous les camarades qui s'intéressent à ce travail de nous faire connaître à quelles équipes ils peuvent colla­ borer (ils peuvent même se mettre en relation directement avec ces équipes). Cherchez des textes pour fiches, collez-les sur une feuille de papier de cahier en écrivant au recto seulement et adressez-les directement aux collecteurs désignés, en inscrivant vos nom et adresse au dos des fiches. Celles-ci vous seront retour­ nées si elles ne sont pas utilisées. Nous étudierons plus tard l’organisation des équipes de contrôle. Conformément aux décisions du Congrès, nous entreprendrons donc cette année la publication d'une première série de 500 fiches, livrables par tranches de 50 fiches tous les mois, à raison de 10 fiches de chacun des chapitres sus-indiqués. Les collec­ teurs publieront ultérieurement le plan selon lequel seront éditées les 100 fiches de leur ressort. Il est certain que ces 500 fiches ne suffiront pas à rendre cette année les services que nous attendons du fichier riche et varié tel que nous le réaliserons l'an prochain. Nous avons pensé cepen­ dant que c'est à pied d’œuvre qu’on voit le mieux les possibilités et les difficultés de nos entreprises. Même si nous commettons quelques erreurs, nous aurons ouvert la marche. Nous sommes persuadés que des centaines de camarades se joindront à nous. Intensifiez la propagande pour le fichier !

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Demandez-nous des spécimens et recueillez des souscriptions. Nous aboutirons. » Ces lignes font comprendre le sens collectif de cette œuvre immense qui alla s’enrichissant, se modifiant dans son esprit et sa forme, et qui reste l’un des aspects de la plus généreuse et de la plus intellectuelle des collaborations. C’est Rousson (Masdieu-Laval, Gard) qui prend la responsa­ bilité générale de la réalisation pratique du Fichier. C’est lui qui reçoit la totalité des textes proposés et qui les répartit ensuite entre les collecteurs. Dans une série d’articles, Freinet expose longuement la classification décimale universelle qui lui paraît la plus conforme aux nécessités actuelles de la documentation. « Choisir les documents de notre fichier, les éditer et les ré­ pandre dans nos classes est certainement la tâche essentielle. Elle serait incomplète si nous n'utilisions un classement méthodique et simple permettant aux maîtres et aux élèves de trouver instan­ tanément, et d’une façon certaine, parmi les milliers de docu­ ments, les fiches désirées... » A l’aide d’exemples, il fait comprendre l’essentiel de ce qui est concentré actuellement dans la « Brochure d’Education popu­ laire » Pour tout classer que Lallemand devait mettre au point, méticuleusement, avec cette patiente sollicitude de bénédictin qui est sa marque. Mais tout d’abord Lallemand n’est pas enthou­ siasmé par la classification décimale. Il propose une classification avec des gommettes de couleurs, plus séduisante pour l’enfant. C’est cette idée que reprend Klass Storm, jeune Hollandais venu à Saint-Paul étudier les techniques C.E.L. La première série de cinquante fiches paraît au début de l’an­ née. Elle reçoit un accueil excellent et çà et là quelques critiques sans gravité, visant surtout l’impression trop compacte de cer­ tains textes. Des illustrations sont demandées. Mais, au point de vue commercial, surgissent les premiers sou­ cis exprimés par Freinet en janvier 1930 et qui se résument ainsi : « Ce qui est onéreux, c’est surtout la composition et la mise en page des textes. Si le tirage est important, les fiches sont moins chères, mais on court le risque du stockage, dangereux si la pro­ duction est insuffisante. Si l’on fait un court tirage, les fiches reviennent évidemment plus cher et le stock est insuffisant. La manutention augmente sérieusement le prix de revient car la clas­ sification demande un long travail... » En fait, le Fichier scolaire ne fut jamais une excellente affaire commerciale et son édition, immanquablement, devait handicaper la situation commerciale de la C.E.L. tout au long des années qui suivent. Mais si puissant est l’avenir pédagogique de cette entreprise que jamais l’on ne s’attardera trop aux graves risques de sa ren-

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tabilité, et c’est toujours sans hésitation que Freinet encourut les dures responsabilités financières qui compliquèrent tellement no­ tre vie. A l’épreuve, c’est la classification décimale qui l’emporte car, outre qu’elle est la plus pratique, elle a l’avantage de relier le F.S.C. à la vaste documentation internationale. L’un des écueils du Fichier est l’amoncellement de documents plus ou moins authentiques ou significatifs. Il'est donc indispen­ sable d’avoir l’opinion de compétences suffisamment initiées et documentées pour aider les collecteurs à faire un tri judicieux. C’est ainsi que Freinet entre en relations avec Carlier qui res­ tera l’aide avisé dont l’immense documentation nous mettra à l’abri des erreurs historiques et du document mal choisi. Carlier est le créateur de l’« Office de Documentation Historique et Archéologique n, qui possède à l’époque 80.000 documents plus spécialement consacrés à l’Histoire sous sa conception la plus large (archéologie, folklore, géographie humaine, histoire des arts, des lettres, des sciences, de l’industrie, des doctrines, des religions, etc...). Malheureusement, la propagande en faveur du F.S.C. fut tou­ jours nettement insuffisante : la majorité des instituteurs n’ont point encore su moderniser suffisamment leur classe, s’intégrer à cet esprit de mobilité et d’universalité pour comprendre que la fiche est l’élément idéal d’une documentation reliée au grand sa­ voir du monde. Au début du lancement du Fichier, les souscrip­ tions arrivèrent avec une lenteur désespérante et, faute de ren­ trées de fonds, il ne fut possible d’éditer que 112 fiches, chiffre beaucoup trop insuffisant pour une réalisation qui s’avérait nécessaire. Et pourtant, quelles complications inimaginables cette édition minime devait apporter à notre existence dans la vieille école de Saint-Paul ! L’édition des fiches fut faite dans les Hautes-Alpes. De volu­ mineux colis arrivaient mois après mois à la petite gare des trams. Il fallait trouver un charreton pour convoyer la marchandise. Les enfants s’y attelaient joyeusement et tiraient de toutes leurs forces dans les ruelles où chaque fois l’on risquait l’accident. Bien entendu, Freinet devait être toujours présent aux transports et tirer lui aussi sur les brancards ou pousser à la roue quand elle me­ naçait de céder à la sollicitation de la pente. Le plus compliqué était encore le déballage de la précieuse marchandise : les galetas étaient bondés par le matériel en dépôt et il fallut s’arranger sur les escaliers, heureusement très larges, qui conduisaient à la soupente éclairée par le vitrage de la toiture. La classification des fiches était une corvée terrible. Nous avions à ce moment-là à la maison une cousine venue pour m’aider au ménage et aux soins à donner à notre bébé. Elle me donnait de temps en temps la main pour faire les colis et nous nous arrangions l’une et l’autre pour que toujours tout le travail de la coopé soit à jour.

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Terrible travail que la classification des fiches ! Pendant des heures, il faut tourner autour d’une table, saisir prestement au passage, d’un geste d’automate précis, une fiche sur chaque pa­ quet, former ainsi, fiche à fiche, les séries, et c’est autour de soi un empilement inouï de petits paquets divers qu'il faudra un à un rattacher à une même famille décimale... La salle à manger, les couloirs, les escaliers, donnaient l’im­ pression d’une papeterie en déménagement. En décembre, les cinquante premières fiches furent classées, empaquetées, livrées, et on pensa avec terreur aux cinquante nouvelles qui allaient venir d’un jour à l’autre compliquer de façon inquiétante la situation de nos locaux exigus. « Nous sommes enthousiastes et certains d’aboutir, disait Frei­ net, Le Fichier Scolaire Coopératif sera votre œuvre et une belle œuvre. » Pour nous, c’était comme l’incarnation d’un mauvais esprit exigeant qui menaçait, jour après jour, de dévorer notre bon vouloir. Fin janvier, quand les fiches débordèrent jusque sur le balcon, il fallut bien se soucier de trouver un local pour les abriter. On dénicha, dans la ruelle qui monte vers l’école, une maison aban­ donnée qui nous fut louée pour pas grand-chose et que Klaas Storm se mit en devoir d’installer. On peut dire que c’est grâce à Klaas que la C.E.L. put faire face à cette grande entreprise du fichier et qu’elle put continuer cette ascension progressive qui allait s’accentuant chaque mois. Klaas installa lui-même les innombrables étagères du nouveau local où les séries, méthodiquement, prenaient place. Peu à peu la maison retrouva son « espace vital », et une atmosphère sup­ portable. Nous nous contentions d’aller donner un bon coup de main au moment de la classification qu’une organisation mieux comprise rendait tout de même moins pénible. Mais tout au long des années, j’ai dû toujours me considérer comme la responsable de cet exercice de classement auquel nous avons associé toutes les bonnes volontés possibles y compris celles de nos enfants de l’école Freinet, pour les lasser toutes, une à une... Je resterai, moi, fidèle au Fichier, mais par simple devoir cornélien... Klaas eut à la C.E.L. un nouveau divertissement : la Ronéo. Il fut tout d’abord emballé par cette belle machine neuve qui per­ mettait enfin de tirer la circulaire aux adhérents dans des condi­ tions convenables. Mais par la suite que de complications avec les réglages, les ressorts, les vis, tout ce qui constitue le refus de la machine à tourner rond ! Il faut vraiment vivre les épreuves des usagers quotidiens de cet ingrat matériel de base de la C.E.L., de cette installation tou­ jours précaire, pour comprendre de quels actes d’héroïsme silen­ cieux est faite la mise en train d’une entreprise insuffisamment

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équipée. L’histoire de la C.E.L. c’est aussi ce côté décevant qui brise les élans, ruine la confiance des humbles ouvriers de la manutention. Comme toujours, au cours de l’année 1929-1930 se poursuivait l’amélioration des techniques éducatives. Les locaux et le maté­ riel scolaire occupent une bonne partie des rubriques. Le Congrès de Besançon avait d’ailleurs décidé que cette question serait plus spécialement étudiée au cours de l’année et un questionnaire avait été établi : LES LOCAUX SCOLAIRES : « Comment conçoit-on, chez vous, les locaux scolaires à la ville et à la campagne, pour les classes enfantines et maternelles et pour les classes élémentaires (jusqu'à 14 ans) ? Architecture, éclairage, aération. Installations sanitaires et de propreté. Dépendances : ateliers de travail libre, de travail manuel, salle de fêtes, etc... Les jardins, la cour, les terrains de jeux. LE MATERIEL SCOLAIRE : Pupitres et bancs : Quelles sont les dispositions prises ou à prendre pour qu'ils répondent à ces besoins de l'éducation nou­ velle : confort, adaptation à la taille des élèves et aux divers tra­ vaux scolaires (écriture, travail manuel, travail par groupe, tra­ vail libre, etc...) légèreté, maniabilité, modicité du prix de re­ vient ? Pupitres et bancs transportables pour classes en plein air. Matériel d'exposition de travaux et de classement. Conception et disposition des étagères, des armoires, des biblio­ thèques, des tableaux noirs, etc... (Fournir si possible des plans, photographies, prospectus de fabricants, prix, etc...) Nous serons heureux de signaler les initiatives des maisons d'éditions spécialisées dans la fabrication du matériel nouveau. Nous faire connaître également les opinions de pédagogues, de médecins, d’écrivains. (Donner les références. ) » Mais, à vrai dire, il y eut peu d’échos à cet appel. Ce que voit le nouvel adhérent, c’est d’abord l’esprit, l’aspect plus spécia­ lement pédagogique de la rénovation scolaire. Ce n’est que la pratique qui lui fera comprendre la nécessité d’une base techni­ que évoluée. C’est R. Lallemand qui le premier amorce le pro­ blème. Dans un article intitulé : « Techniques, matériel didac­ tique et outils manuels », il explique les motivations qui suscitent ces trois aspects du matériel scolaire et en précise l’esprit :

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« La technique, dit-il, est toujours le meilleur « outil » de l’en­ seignement; elle constitue en effet l'outil de travail avec lequel l’enfant se livre à une activité complète dans un but concret immédiat; l'intérêt se confond avec l'activité elle-même... » « ... Le simple matériel didactique ne vise qu’une connaissance à la fois; il a simplement pour but : apprendre... Les outils ma­ nuels permettent la confection d’objets favorables au développe­ ment de la vie sociale. » (Juin 30.) C’est encore une fois la « presse » qui incite l’invention des camarades : Faure a trouvé en la personne de Billon, mécanicien de Corbelin, père d’un élève, une compréhension vraiment éton­ nante des exigences d’une véritable presse scolaire. La première presse automatique Billon voit le jour et est lancée sur le marché. De leur côté Alziary et Plan se taillent une renommée de brico­ leurs de mérite en perfectionnant la presse Freinet sur laquelle ils adaptent un système de pression dont ils donnent croquis et détails. Passons rapidement sur les petites techniques courantes : fabrication de clichés métal (Plan, Var - Benoît, Lozère), reliures, etc... pour en venir à deux techniques nouvelles : le « Nardigraphe » et les disques. Plan et Alziary avaient été pendant un certain temps respon­ sables des couvertures de La Gerbe. Ils avaient donc cherché des embellissements, des procédés de reproduction à grand tirage, et tout naturellement ils avaient fait connaissance avec le « Nardigraphe », appareil de reproduction par sensibilisation d’une pla­ que de verre, fabriqué à Toulon par Nardi. Longuement, Plan en décrit le maniement, en montre les avantages dans un article intitulé « A côté de l’imprimerie » et c’est la mise en vente dé­ sormais de cet appareil nouveau, moins cher que l’imprimerie et que peuvent acheter des écoles pauvres qui, ainsi, vont peu à peu s’intégrer au mouvement en attendant d’acheter l’outil idéal : l’imprimerie. Freinet qui ignore tout de la musique et ne sait pas chanter a toujours déploré beaucoup cette insuffisance qui le met dans l’impossibilité de susciter chez ses élèves les joies de la musi­ que et du chant, spontanées et naturelles chez l’homme, autant que la parole et le geste. Les auditions de T.S.F. lui apparaissent pour les enfants, et pour lui-même, assez compliquées, touffues et surtout non adaptées à l’enseignement et aux programmes sco­ laires et, qui plus est, les émissions de radio sont fugitives et ne permettent pas la répétition indispensable pour apprendre des chants intéressants. « ... Le disque, au contraire, est patient; le même morceau, le même passage, peuvent être repris un nombre indéfini de fois, démontrés, analysés. Il existe par ailleurs, dès maintenant, en Allemagne, un choix considérable de disques destinés à l’ensei­ gnement. Les plus récents ont été enregistrés électriquement et

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atteignent presque à la perfection. Ici, ni bruits parasites, ni interruptions intempestives : mieux stylé et plus complaisant, le phonographe se prête à infiniment plus d’applications que le poste de T.S.F. » A Saint-Paul, par l’intermédiaire d’un ami, Freinet se procure quantité de ces petits disques bon marché, enregistrés dans des écoles allemandes et qui, bien qu’incompréhensibles aux enfants, font leur joie... Il achète donc un phonographe et écrit à Henri Poulaille qu’il connaît depuis Bar-sur-Loup. Avec empressement, Poulaille se met à sa disposition et rédige lui-même un long article pour la revue •. LE DISQUE A L’ECOLE « Trop peu d'instituteurs ont compris quel outil de travail mer­ veilleux leur serait le phono s’ils le voulaient implanter à l'école. Pas plus que le Pathé-Baby, le Pathé-Rural ou le Photoscope, le phono ne serait un jouet entre les mains du maître, et l’élève apprendrait que le disque n'est pas (comme chez lui cela existe trop souvent) un prétexte à gigoter. Il comprendrait qu’il est une fenêtre ouverte sur le monde, un moyen de connaissance, un guide. Grâce au phono dans la classe, que de leçons fatigantes pour le professeur et les gamins qu'il a pour tâche d’éduquer deviendraient moins lassantes et plus profitables parce que récréa­ tives. Leçons d'histoire naturelle (chants d’oiseaux, cris d’ani­ maux, bruits de vent, pluie, orage, etc...); leçons de géographie, documentation par le disque (musique chinoise, chant russe, créole, maoris, arabe, suisse, allemand, etc...)-, leçons de musi­ que (études de thèmes musicaux, exemples d'œuvres, etc...). Pour le chant tout est à faire, car à part quelques rondes enfan­ tines mises à la portée de l'enfant... la plupart des chants qui Sauraient servir sont dits avec tant de cabotinage qu’il est impos­ sible de ne pas les rejeter, — disques de diction pour les leçons littéraires et de récitation, etc... » Tout de suite c’est le démarrage de la discothèque pour laquelle Poulaille donne un catalogue de début comprenant des disques de bruits, d’atmosphère, de chants d’oiseaux, de gymnastique, de fables, de diction, chants, vieilles chansons, enseignement... Tout cela spécialement choisi par Poulaille. La «Discothèque», créée en esprit, verra le jour dans les mois à venir.

Freinet avait dit : une seule technique peut modifier tout à coup toute la conception pédagogique et son orientation. L’Imprimerie est de ces techniques-là. Il était sûr lui-même de la

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vérité de cette affirmation, mais ses adhérents n’en étaient pas tout d’abord convaincus. Pour la plupart, ils essayaient de ne pas rompre avec les pratiques scolaires qu’ils employaient jusqu’ici et c’est trop souvent, pour certaines écoles, 1 ’« ancien » qui domi­ nait le « nouveau ». Ce n’était d’ailleurs là qu’une attitude de début, car peu à peu ils se laissaient emporter par le dynamisme que les outils nouveaux imposaient à la classe et la nouveauté surgissait toute seule. Pendant cette année 29-30, cet état de choses se manifeste plus spécialement pour l’enseignement de la Géographie. Granier (Isère), Rossat-Mignot (Haute-Savoie), Guillard (Isère) font une série de rapports fort intéressants au point de vue de l’ensei­ gnement de la géographie et Granier, surtout, à la faveur des conférences pédagogiques où cette question est au programme, développe longuement son point de vue et situe sa technique personnelle : « Je prends résolument pour base la géographie locale. Dans leur journal, nos petits correspondants ont écrit qu'ils désiraient connaître notre région. Nous l’étudions donc pour mieux la leur dépeindre. ...D'autant plus qu’à la fierté (bien naturelle) d’étudier son pays pour le présenter ensuite à des étrangers va se mêler l’attrait des promenades. Nous grimpons les coteaux, nous parcourons la campagne, nous causons de choses que nous avons sous les yeux et sur lesquelles chacun a quelque histoire à raconter. Quelle joie pour tous l Nous prenons des notes et, de retour en classe, le compte rendu de la promenade est composé librement, soit individuelle­ ment, soit par groupes. Le compte rendu : pour le maître, c’est le résumé de la leçon; mais pour les élèves : c’est une « lettre » à des camarades lointains. Ainsi c’est sans contrainte et je peux dire d’une commune volonté, que nous étudions la géographie locale et les notions de géographie générale. » Et progressivement, suivant l’intérêt des enfants, voici à quel­ les grandes classifications aboutit la libre observation : 1. - Le relief local (comment il s’est formé ; influence du relief sur la faune, la flore, la vie humaine). 2. - Hydrographie locale (travail des eaux; l’eau dans la na­ ture). 3. - Le Plan cadastral, la carte d’Etat-Major (tracés simples sur terrains; lecture de la carte d’Etat-Major; cartes murales; sphère terrestre). 4. - L’érosion (glaciaire, fluviale; nivellement; sol végétal).

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5. - Le sol local (terrains; roches, influence du sol, du sous-sol sur les végétaux). 6. - Mouvements apparents du soleil, les astres (mouvements de la terre; jour, nuit, années, saisons; exposition, etc.). 7. - Le climat local (obs. météorologiques; climat et latitude, longitude, mer, altitude, exposition; influence du climat sur la vie végétale, animale, humaine). 8. - Les richesses du pays (leur rapport avec les conditions géo­ graphiques locales). Grâce à la correspondance scolaire, c’est en même temps, et vue sous les mêmes aspects, l’étude de la Haute-Provence, dont l’école de Valensole (Basses-Alpes) fournit les éléments de base. Pendant des pages, Granier précise les détails, les caractéristi­ ques d’un enseignement vraiment enthousiasmant de la géogra­ phie, sans oublier l’apport du film géographique, de la photoscopie et, bien entendu, des premiers éléments du Fichier scolaire. On comprend combien de telles précisions sont intéressantes pouf les camarades qui ont à résoudre les mêmes problèmes et l’on com­ prend aussi comment, assez tôt, se dessinent des groupes de tra­ vail spécialisés pour telle ou telle discipline d’enseignement. C’est ainsi que certains s’attachent à l’histoire, au calcul, à la gram­ maire, et d’autres à la connaissance de l’enfant. A. et R. Faure sont de ces derniers. Le texte libre leur découvre vraiment l’âme de leurs élèves et le retentissement sur eux des conditions familia­ les et sociales. Il s’attachent à étudier des cas, longuement, pa­ tiemment, et c’est ainsi une série de documents d’une valeur humaine insoupçonnable. Ces soucis de recherche générale, de connaissance des élèves, d’atmosphère humaine et intelligente, Freinet les résume sous une forme de bon sens et d’exigeante humanité qui est son rationalisme à lui. A ce titre, son leader de juin 1930 vaut la peine d’être cité tout entier, car il porte en genèse toute la pensée pédagogique de Freinet que concré­ tiseront, quinze ans plus tard, ses ouvrages l’Education du Travail et Essai de psychologie sensible. « Nous nous sommes tellement appliqués cette année au perfectionnement matériel et pédagogique de notre technique, que nous en avons négligé presque complètement l’étude dé l'aspect pour ainsi dire psychologique et philosophique de l’imprimerie à l’Ecole. Nous aurions voulu commencer un examen sérieux et méthodique des centaines de journaux scolaires que nous recevions et qui constituent des documents uniques dans la pédagogie mon­ diale. Les nécessités matérielles ne l’ont pas permis. Nous avons préféré nous consacrer aux tâches que nous considérons comme essentielles : la mise au point du matériel de documentation et le perfectionnement pédagogique de notre technique.

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Nous voudrions seulement marquer ici que nous ne perdons pas de vue l'importance psychologique et pédagogique de notre activité nouvelle ni les perspectives immenses qui s'ouvrent de­ vant nous. Nous ne reviendrons pas sur les avantages scolaires — non négligeables cependant — de l'Imprimerie à l’Ecole : entrain au travail, activité physique et intellectuelle, acquisition de l'ortho­ graphe, apprentissage non plus théorique mais pratique de la composition et de la lecture, exercice du goût, éveil d'une saine et utile curiosité, etc. Nous voudrions remonter plus haut, à l’élé­ ment psychique et psychologique que nous avons réussi à effectuer et qui influence véritablement, d'une façon parfois décisive, l’éducation de nos enfants. HARMONIE DE LA VIE, UNITE ET LOGIQUE DU TRAVAIL Notre civilisation, si tragiquement destructrice de personnali­ tés, a, sur les individus, une action de désintégration constante. L'activité individuelle et sociale y est rarement en harmonie avec les besoins ou les capacités des travailleurs. Il n’y a pas conju­ gaison d'efforts tendant à améliorer l’homme tant dans son travail que dans sa vie intellectuelle et morale. Au contraire, l’action des forces sociales se juxtapose aux individus, agissant du dehors, sans jamais les faire vibrer profondément et intimement. L’orien­ tation mercantile de la littérature et du cinéma montre notamment combien se creuse chaque jour davantage le fossé entre l’activité individuelle d’une part, et les rudiments d’éducation qui sont offerts aux travailleurs — entre le travail et les forces diverses qui devraient apprendre à vivre et à penser et ne savent bientôt plus que distraire, c'est-à-dire véritablement tirer l’esprit hors de l’action féconde. Le mal est encore plus grand en ce qui concerne l’éducation et la vie des enfants en régime capitaliste. Dans l’immense ma­ jorité des cas, l’enfant est contraint d’avoir deux vies, si ce n’est trois même : la vie véritable et complète dans la rue ou aux champs, avec la nature même, la première et véritable éducatrice; la vie dans la famille où l’autorité du père censure souvent et ré­ frène à l’excès toutes les manifestations d’activité; et enfin, la vie à l’école. Nous n’exagérons pas : s’il n’y avait pas les récréations, s’il n’y avait, même sous l’autorité des maîtres les plus jaloux de leur domination, possibilité d’échapper aux prescriptions d’une péda­ gogie ridiculement prétentieuse, il y aurait divorce complet entre l’Ecole et la Vie. Et qu'on ne proteste pas que la pédagogie, que les manuels et les livres ont fait de grands progrès au cours de ce siècle. Oui, éducateurs, méthodes et manuels essayent d’aller chercher dans

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la vie des enfants des sujets d'intérêt, des appâts pour les beso­ gnes rebutantes auxquelles l’école croit qu’il est nécessaire d’as­ treindre les élèves tout au long du jour. On a pensé qu’il était possible, qu’il était facile d’escamoter l’attention de l’enfant en flattant passagèrement ses désirs, en éta­ blissant un pont fragile et éphémère entre l’Ecole et la Vie. Mais on ne pouvait obtenir ainsi que cette attention de deuxième zone dont parle Dewey, sans résoudre jamais la question essentielle de l’harmonisation de la vie et de l'éducation. L’Ecole ne doit pas aller chercher dans la vie les éléments de sa justification : c’est là affirmer sa tare originelle, savoir : qu’elle ne permet pas à l’enfant de vivre et de s’élever en son sein. Elle doit prendre les enfants tels qu’ils sont, partir de leurs besoins, de leurs intérêts véritables, — même s’ils sont parfois en contradiction avec les habitudes sociales ou les idées des édu­ cateurs — mettre à leur disposition les techniques appropriées et les outils adaptés à ces techniques, afin de laisser librement s'am­ plifier, s’élargir, s’approfondir et se préciser la vie dans toute son intégrité et son originalité. Qu'une telle pédagogie soit possible et pratiquement réalisable, l’expérience nous en a absolument persuadé. Si nous n’avons pu, au cours de l’année, développer avec assez de précision les pos­ sibilités nouvelles de travail, du moins sommes-nous heureux de voir nos camarades se joindre de plus en plus nombreux à nous et aiguiller leur activité vers cette éducation libératrice qui ne sera d’ailleurs effectivement réalisée que le jour où, dans une société libératrice, nous aurons mis au point le matériel de travail né­ cessaire. La place importante accordée au jeu nous paraît être à elle seule la preuve éclatante de l’impuissance de la pédagogie actuelle. Nous ne saurions certes nous élever contre le jeu, besoin orga­ nique des enfants, mais nous pensons que se résoudre à employer le jeu à l'école comme procédé pédagogique d’acquisition, c’est tout simplement affirmer qu'on n’a pas su donner au travail joyeux et voulu la place qu’il mérite. Lorsque le travail est non plus une obligation servile, mais une libération, il cesse d’être une fatigue psychique, et il est monstrueux de le vouloir remplacer par un jeu... Désormais, les enfants que nous élevons sentent dans leur vie une implacable unité. La rue, le champ, seront aux portes de l'école et l'école continuera l’éducation si étonnamment commen­ cée. Bien mieux, en enrichissant l'individu, en lui donnant de nouvelles possibilités d’activités, l’école embellira et élèvera la vie des champs, de l'usine et de la rue. Ce sera tout à la fois une intégration précieuse et l'assurance que l’école sera défini­ tivement assise sur quelque chose d'inébranlable.

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UNITE ET HARMONIE DANS LE TRAVAIL AUSSI A l'activité libre et empiriquement motivée de l'enfant non soumis aux éducateurs, l'école substituait une gymnastique spé­ ciale, toute cérébrale, imposée d'ailleurs par un appareil impla­ cablement autoritaire et oppressif. En tout cas, non seulement la vie, mais les techniques de travail scolaire, étaient en constante opposition avec celles du jeu ou de l’activité familiale. Or on n’ignore pas la vaine fatigue qui résulte de l’obligation où l’on est de faire un travail contraire à nos habitudes, selon des rythmes et des procédés différents. « Le divorce entre le tra­ vail et la vie des hommes est un des grands drames de notre épo­ que », dit Wells. Et ce divorce était certainement une des causes dominantes de l’impuissance de l’école traditionnelle. Nous avons réalisé dans une large mesure l'unité souhaitable. L’enfant écrit comme il raconte une histoire à un camarade, comme le pâtre chante en ramenant ses bêtes au crépuscule. Il apprend à lire comme il apprend à parler, parce que nous avons fait de ce travail une nécessité organique de notre activité sco­ laire. Les disciplines d'instruction elles-mêmes, débarrassées de toute coercition, s'acquittèrent par la seule et naturelle satis­ faction de la saine curiosité que nous avons su ménager, de ce besoin inné chez l'enfant de connaître, de voir, de chercher, pour enrichir sans cesse sa personnalité. Une telle harmonisation du travail et de la vie devait avoir une importance considérable pour le développement psychologique et psychique des enfants. Et, effectivement, tous les instituteurs qui ont employé notre technique ont noté un précieux épanouissement de la vie dans leur classe, qui va de pair avec l'accroissement du sens social et moral, bref avec la véritable éducation. Et nous ne manquons pas de noter combien l’éducateur béné­ ficie largement de cette régénération. Il cesse d’être le fonction­ naire commis à une besogne spéciale de bourrage scolaire pour devenir tout à la fois l'excitateur et le régulateur de la vie. Il va, au milieu des enfants ses amis, parlant et riant comme eux. Des cinquantaines d'attestations pourraient, outre notre propre expé­ rience, montrer à quel point le travail à l’imprimerie est, pour l’éducateur, une revivification. Nous aurions voulu redire avec précision l'aide que notre tech­ nique apporte pour la connaissance des élèves, — sujet plusieurs fois effleuré dans cette revue et qui mériterait plus que quelques rapides articles. Il suffit d’ailleurs de feuilleter nos journaux sco­ laires — et nous en avons à ce jour une importante collection de plus de deux cents titres, — pour sentir qu’une époque est révo­ lue. Ce n’est plus la prose officielle, adulte ni pédagogique, c’est l'âme de l’enfant, c’est tout un charme neuf, confiant et intrépide, qui s’impose à nous. Les éducateurs apprennent enfin à parler, à

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comprendre et à aimer la langue de l'enfant. C'est pour nous le plus heureux signe que nous sommes sur le seuil d'une nouvelle pédagogie, la seule digne de ce nom, sur le seuil d'une pédagogie libératrice. Cette compréhension sensible de l’enfant, dispensée seulement, en profondeur, à l’humilité de l’adulte, une institutrice en magni­ fiait la réalité : Marie-Louise Lagier-Bruno, ma sœur, institutrice à Prelles (Hautes-Alpes). Dans sa classe, chaque phrase d’en­ fant prononcée, chaque geste ébauché,' sont un commencement. Tout naturellement surgissent les êtres et les choses transposés dans ce domaine fait d’images définitives; ainsi sont nés ces petits chefs-d’œuvre qui restent la gloire de nos Enfantines : « Le petit garçon dans la montagne», «François le petit berger», «Le Tienne » et « Le petit chat qui ne voulait pas mourir ». Ce petit chat souffreteux qu’une main brutale a jeté à la rivière c’est, image après image, l’enrichissement naturel de toute la pitié du monde. L’on ne cesse d’en être en émoi, à cet émouvant lieu de rencontre où la pensée de la maîtresse se joint à celle de l’enfant. Elle est là, au milieu d’eux, prête à saisir l’envers ou l’endroit des choses dites, l’étroitesse du détail ou l’ampleur vaste du rêve. Et c’est parce que les enfants sont ainsi dépouillés et libres qu’elle devient, à leur contact, impersonnelle et simple, toute engagée dans les douces servitudes du troupeau. Cette alternance de lumière qu’elle répand autour d’elle comme le regard d’une lampe, et de la pénombre où elle se tient en attente, c’est le legs qu’elle nous a laissé. Après elle, nous rechercherons, de ce côté de l’écran que la Mort abaissa devant l’immensité du vide, la part du Maître et la part de l’Enfant.

En décembre 1929, une exposition internationale a lieu à Liège. Par circulaire, le ministre de l’éducation nationale demande aux inspecteurs d’académie de faire connaître les initiatives et les réa­ lisations des écoles publiques, pour le bon renom de la pédagogie française. Freinet fait régulièrement b ses chefs hiérarchiques le service de ses revues et de son journal scolaire. Mais Saint-Paul de Vence est certainement inconnu de l’Académie. Freinet, secré­ taire syndical, n’apprend l’existence de la circulaire ministérielle qu’après la fin du Congrès de Liège... Tant dans le bulletin syn­ dical que dans L'Imprimerie à l'Ecole, il proteste alors avec l’énergie impatiente de celui qui se tient dans l’attente d’offrir ses richesses au monde. Les contretemps fâcheux n’empêchent pas le mouvement de l’imprimerie à l’Ecole de se développer; déjà il gagne quelques Ecoles Normales (Allier, Pyrénées-Orientales, Voges) et à l’étranger après la Belgique, la Suisse, l’Allemagne; un groupe

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est créé au Portugal sous l’action vigilante de Lemos qui vient de traduire L’Imprimerie à l’Ecole. En France, nos adhérents commencent çà et là des démons­ trations à Perpignan, à Prats-de-Mollo ; Combot fait une causerie publique avec le concours du groupe de la Nouvelle Education sur le thème : « Apprentissage de la lecture par l’Imprimerie à l’Ecole » qui obtient un réel succès. A Pâques, lors de l’assem­ blée générale des Syndicats de l’Enseignement Drôme-Ardèche, Boissel fait de même une exposition à La Voulte ; à Nîmes, c’est Rousson qui parle et expose. Démonstrations aussi dans l'Allier, la Loire, l’Isère, les Vosges. Pichot assiste au Congrès de la Nouvelle Education à Pau et dans le compte rendu qu’il en fait ressortent ces différences de classe qui séparent l’école publique des écoles expérimentales plus favorisées financièrement. Congrès de Marseille (1930). Le Congrès de l’imprimerie à l’Ecole se tient à Marseille les 2 et 3 Août 1930. Il ressemble à tous les Congrès C.E.L. : l’enthousiasme n’y manque pas, le travail est passionnant, mais l’édition du Fichier y pose un grave problème financier. Les sous­ criptions n’ont pas été suffisantes : elles ne s’élèvent qu’à 15.000 francs et il en faut 40.000 pour payer l’édition prévue... Nous avions, nous, dans des conditions particulièrement pénibles, couru le risque de dettes qui nous donnaient de graves inquiétu­ des. Je n’avais pas été nommée à Saint-Paul au cours de cette deuxième année et les postes voisins m’avaient été refusés. « Pensez à renouveler vos abonnements avant octobre », écrivait Freinet fin juillet, « vous savez que le démarrage est toujours pénible et personnellement je ne puis aller au-delà des sacrifices consentis. »

5 Saint-Paul (1930-1931) Comme le timonier qui s’est embarqué en haute mer fait le point de son bateau, essayons de situer la pédagogie de la C.E.L. sur l’océan mouvant des réalités sociales de ces sept années de travail. Freinet a découvert dans l’imprimerie un outil majeur qui lui a permis de révolutionner toute sa pratique scolaire, de rejeter les vieilles formes oppressives pour s’attacher aux aspects nou­ veaux surgis de la pratique du « Texte libre ». Ces aspects nouveaux, il les a résumés dans des phrases lapidaires et sugges­ tives : Plus de manuels scolaires ! Plus de leçons ! et, expérimentalement, ils se sont concrétisés dans le « Fichier scolaire coopératif ». C’est là, dans son ensemble, une nouvelle technique de travail scolaire par l’« Imprimerie à l’Ecole ». Mais, à l’usage, dans la pratique quotidienne de la classe, à mêmes les faits, d’autres faits surgissent et tout naturellement on aboutit à ce « complexe d’éducation » qui est l’enchevêtre­ ment de réalités psychologiques éducatives, sociales, dont l’édu­ cateur doit tirer parti pour arriver à l’efficience de la personnalité enfantine. Cette efficience de la personnalité, elle se construit grâce à la « technique » éducative, c’est-à-dire par le maniement des meilleurs outils éducatifs. Le problème le plus urgent pour l’éducateur est donc : cherchons les meilleurs outils éducatifs dont l’enfant puisse se saisir pour monter vers un devenir meil­ leur, et utilisons ces outils selon une