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Fondation van der Burch au Château d’écaussinnes-Lalaing
Le
château, autour et alentours (xive - xvie siècles) Paysage, parc, jardin et domaine
Sous la direction de Jean-M arie Cauchies
et Jacqueline
Guisset
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Les participants au colloque dans la cour du château fort d’Écaussinnes-Lalaing.
Illustration de couverture : Écuries du château de Rivau (Indre-et-Loire), après 1550, vue générale. © William Curtis Rolf, 2008, all rights reserved. Au dos : château de Chillon (Suisse), vue aérienne. © Cornaro photo, Montreux.
All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior permission of the publisher. © 2008, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. D/2008/0095/82 Isbn 978-2-503-52440-5 Printed in the E.U. on acid-free paper
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Actes du colloque international organisé au Château fort d’Écaussinnes-Lalaing les 18, 19 et 20 mai 2006
Avec le concours financier de la « Fondation pour la protection du patrimoine culturel, historique et artisanal » (Lausanne)
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R emerciements
Le mois de mai 2006, particulièrement venteux, a vu, une nouvelle fois, des envahisseurs prendre leurs quartiers au château fort d’Écaussinnes-Lalaing. Les organisateurs et les participants du premier colloque, en 2003, avaient gardé un souvenir ému de la qualité de l’accueil reçu. Tous ne songeaient qu’à revenir. Pour une partie d’entre eux, c’est chose faite. D’autres ont découvert le privilège d’un colloque chaleureux, organisé dans une forteresse où l’épaisseur des murs protège les débats, où la vie quasiment « cloîtrée » favorise les échanges intellectuels et amicaux. Une fois de plus le comte et la comtesse Robert d’Ursel ont soutenu notre initiative et nous ont accueillis dans ce château dont ils assument toutes les responsabilités, mais aussi dans leur vie privée en nous accordant une généreuse hospitalité. Ainsi sont-ils toujours « au four et au moulin » et disponibles à chaque instant pour nous permettre de travailler dans des conditions optimales. D’aucuns se souviendront de petits déjeuners animés et drôles ! Partager le plaisir de la recherche dans cette atmosphère est un véritable luxe, apprécié par chacun ! Qu’ils en soient, tous deux, plus que chaleureusement remerciés ! Cette fois encore, la comtesse Charles-Albert de Lichtervelde et sa fille ont permis à une partie des orateurs étrangers de trouver, au château d’Écaussinnes-d’Enghien, un accueil tout aussi familial. Et après une visite de ce beau château de « la Follie », pilotée par Myriam CheynsCondé, l’ensemble des participants partagea un moment charmant au cours d’une sympathique réception. Que la comtesse Charles-Albert de Lichtervelde et sa fille trouvent ici l’expression de notre reconnaissance. Gageons que le troisième opus, prévu pour le mois de mai 2009, bénéficiera lui aussi de ces conditions exceptionnelles !
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Table
des
M atières
Avant-propos Jean-Marie Cauchies
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A. TYPOLOGIE Le Château et son environnement géologique, l’exploitation des carrières dans les douves rocheuses Frans Doperé 15 Topographie et habitats fortifiés en Bourgogne du Nord : implantation, orientation et surveillance Hervé Mouillebouche, Laure Saligny 29 Les braies. Un dispositif défensif méconnu de l’architecture militaire dans les Etats de Savoie Daniel de Raemy 57 Une Renaissance de l’art des jardins antique ? L’imitation des modèles perses, grecs et romains dans l’aménagement des jardins des châteaux des anciens Pays-Bas au XVe siècle Odile De Bruyn 73 Les écuries des châteaux français à la Renaissance Pascal Liévaux 89 La vitalité de l’habitat seigneurial secondaire en Hainaut. Quelques exemples. Michel de Waha, Clémence Mathieu,Vincent Vandenberg 103 B. ÉTUDES DE CAS Paysages et réserve cynégétique d’un lieu de pouvoir. Hesdin (Artois) à la fin du Moyen Âge François Duceppe-Lamarre D’Hesdin au Quesnoy : jardins et parcs des châteaux de plaisance Alain Salamagne L’eau, la terre, la pierre. L’environnement d’une « maison forte » à Naast (Hainaut – XIVe-XVIe siècle) Monique Maillard-Luypaert Binche, où l’archéologie plante le décor d’un château médiéval, d’un palais Renaissance et de leurs jardins Didier Dehon Mariemont à l’époque de Marie de Hongrie (1545-1554) : l’environnement paysager d’un domaine princier de campagne Yves Quairiaux
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table des matières
Le domaine La Fontaine à Clausen/Luxembourg : une « resplendissante féerie entre de sombres rocs et d’austères forêts » Marc Schoellen C. FLEURS, FRUITS ET CHANTS Mille fleurs, l’image de la nature dans la tapisserie du XVe siècle Jacqueline Guisset Le jardin dans le château. Imaginaire et réalité du verger de Pomone dans une série de tapisseries bruxelloises Cecilia Paredes Les volières dans les jardins d’après Pierre de Crescens et dans la poésie française des XIVe et XVe siècles Fleur Vigneron
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223 237 253
Conclusions Bertrand Schnerb
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Crédit Photographique
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JEAN-MARIE CAUCHIES Membre de l’Académie royale de Belgique Président de la Fondation van der Burch AVANT-PROPOS
Lorsqu’un fait se produit pour la première fois, on dit volontiers que c’est « un événement ». Lorsqu’il se reproduit avec une certaine régularité, on dit alors que c’est « une habitude ». Le deuxième colloque mis sur pied par la Fondation van der Burch en son château fort d’Écaussinnes-Lalaing s’est enraciné dans les terres intermédiaires entre le pays de l’événement et celui de l’habitude. Lieu habité, lieu de patrimoine et de culture de haut niveau, lieu de conservation et de visite de collections riches et variées, le château fort d’Écaussinnes-Lalaing se veut aussi lieu de recherche et de communication de savoirs scientifiques. Le (premier) colloque de mai 2003 s’intitulait Du métier des armes à la vie de cour, de la forteresse au château de séjour: familles et demeures aux XIVe-XVIe siècles1. Le Professeur Philippe Contamine, de l’Institut de France, dressa le bilan de ce qui avait été dit – beaucoup –, mais aussi de ce qui resterait à faire – plus encore... Il regretta « que l’environnement paysager du château... n’ait été que trop parcimonieusement évoqué »2. La suggestion a eu le sort heureux du bon grain : elle a germé. Le thème d’un nouveau colloque se dessinait ainsi. C’est derechef « à cheval » sur ce qu’il est convenu d’appeler le bas Moyen Âge et la Renaissance que l’on a travaillé. En sortant des châteaux, dont souvent le XVIe siècle voit structurer l’environnement, autour de préoccupations dont n’est notamment pas absente une recherche axiale caractéristique, du moins dans les grands ensembles. Mais sans négliger les châteaux eux-mêmes, cela va de soi. On rappellera qu’il sont d’abord des chantiers, et pas seulement lors de leur phase de construction. Des matériaux collectés au dehors, dans les parages si possible, doivent y être amenés: bois, pierre, tuiles... Les châteaux sont aussi des lieux de pouvoir, à plusieurs échelons s’entend, royal, princier, seigneurial. Leurs éléments de défense doivent permettre d’abriter et de résister, mais le commandement qui s’y exerce conditionne aussi la vie des alen1 Actes publiés sous ce titre, sous la direction de J.-M. Cauchies et J. Guisset, Turnhout, Brepols, 2005, 258 p. 2 Conclusion, op. cit., p. 256.
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tours, par la mainmise nécessaire sur le territoire environnant. Simultanément, au dehors comme au dedans, les aménagements introduits vont servir une propagande et permettre d’étaler le prestige associé au pouvoir. Nos châteaux sont encore, tout simplement, des espaces de vie et de culture, au sens le plus large, et les parages en témoignent tout particulièrement quand ils résonnent du son des cors de chasse ou des aboiements des meutes entretenues par les maîtres des lieux. À travers les activités qui y trouvent place, vont se dévoiler des présences humaines, celles de princes, d’une noblesse très étagée, de petits féodaux, certains même à peine nobles. L’environnement, c’est la verdure des parcs, jardins et bois, l’eau des étangs, des viviers ou des fontaines, le sol des allées et des chemins. Ce sont aussi des bâtiments d’exploitation, qu’évoque alors le mot « domaine ». Composantes utilitaires et décoratives voisinent. D’une part, on épinglera les écuries, de nobles dépendances s’il en est, à l’instar des animaux qu’elles abritent, ou bien les potagers, pour l’approvisionnement de la table des châtelains. Puis il y a les jardins dits de plaisance, les parcs rehaussés parfois de ce qu’on dénommera des « divertissements », les volières, les enclos zoologiques ou autres parcs à gibier... Là vont apparaître au grand jour des modèles, d’inspiration antique ou mythologique par exemple, selon les goûts du temps. L’environnement étudié dans les pages qu’on va lire sera celui de toutes sortes de demeures, robustes forteresses de type très médiéval encore, châteaux-palais renaissants, maisons dites fortes ou -tours, sites fossoyés. Il en est que l’on verra survivre, traversant siècles et modes, le nouveau y englobant l’ancien. Le long terme dans lequel seront replacés certains cas fera ressortir des évolutions tant soit peu paradoxales. Si, au commencement du château, il y a forcément la carrière, un château peut à son tour, victime de destructions ou de démolitions, finir ses jours... en carrière, où chacun se servira en matériaux et emportera, qui sait, une part de l’âme d’un domaine! Au seuil de ce volume, ses éditeurs scientifiques, ma collègue et complice Jacqueline Guisset et moi-même, ont plaisir à exprimer leur reconnaissance envers tous ceux qui ont accepté de se joindre activement à eux, en particulier au Professeur Bertrand Schnerb, de l’Université Charles de Gaulle - Lille III, toujours disponible à l’appel de ses amis, qui a spontanément accepté de prendre en charge les conclusions du colloque. La Fondation pour la protection du patrimoine culturel, historique et artisanal (Lausanne) a bien voulu, comme en 2003, contribuer au financement de nos travaux et de leurs actes. Ceux-ci sont publiés, une fois encore, par les Editions Brepols, un partenaire à la hauteur. 10
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avant-propos
Durant ces journées écaussinnoises, nous avons, pour reprendre une expression lue sous la plume d’un des participants, «tourné autour du château». Nos sens y sont demeurés en éveil, en compagnie des intervenants successifs : la vue bien sûr, au spectacle des édifices et de la nature, mais aussi l’ouïe, pour le chant des oiseaux, l’odorat, pour les senteurs des jardins fleuris, le goût, pour la cueillette dans le verger de Pomone, le toucher enfin, pour la douceur de l’herbe tendre ou la rudesse des pierres saillantes. Bonne promenade dans notre livre!
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A. TYPOLOGIE
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FRANS DOPERÉ Docteur en Sciences, Chercheur indépendant en architecture médiévale Avec la collaboration de PIERRE-HUGUES TILMANT Licencié en Archéologie-Histoire de l’Art, Archéologue responsable du site de Poilvache le château et son environnement géologique, l’exploitation des carrières dans les douves rocheuses
L’architecture rurale, et au sein de celle-ci les maçonneries ordinaires en particulier, sont généralement le reflet direct du sous-sol géologique local1. Ceci n’est pas étonnant puisque les matériaux pierreux locaux ont ce grand avantage économique d’être disponibles à courte distance du chantier et que les frais de transport sont de ce fait quasiment nuls. Cette constatation est assurément valable pour les châteaux-forts construits sur les falaises de la région mosane, où le socle rocheux luimême livra le plus souvent la matière première pour les maçonneries, par l’ouverture de petites carrières locales (Samson), par le creusement des fossés (Château-Thierry, Écaussinnes-Lalaing, Franchimont, Logne et Poilvache) ou simplement par l’aplanissement ou le creusement du substrat rocheux (Logne et Montaigle). D’autres types de matériaux pierreux d’origine plus éloignée furent réservés pour certains détails architecturaux tels les encadrements des portes et des fenêtres ou les cheminées. L’utilisation de ces matériaux étrangers aux sites devint de plus en plus fréquente à des époques plus récentes et atteint aujourd’hui des proportions sans commune mesure par la globalisation du commerce des matériaux pierreux 2.
1
R. dreesen, M. Dusar et F. Doperé, Atlas natuursteen in Limburgse monumenten, Geologie, Beschrijving, Herkomst en gebruik, Genk, 2001, p. 219-33 et 265-67.
2
S. De Jonghe, H. Gehot, L. F. Genicot, Ph. Weber et F. Tourneur, Pierres à bâtir traditionnelles de la Wallonie, Jambes-Louvain-la-Neuve, 1996, p. 71-75 ; R. dreesen, M. Dusar et F. Doperé, loc. cit.
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L’aspect et la qualité des maçonneries d’un château-fort sont étroitement liés à la qualité des pierres disponibles dans le sous-sol. Les maçonneries ordinaires du château de Franchimont furent édifiées avec des plaquettes de grès du Famennien (psammites du Condroz) non taillées extraites du fossé3. La falaise dolomitisée du château de Montaigle avec les assises en position verticale facilite l’érosion et la fracturation du calcaire. Cela explique la présence des maçonneries en petit appareil irrégulier. Les maçonneries ordinaires du château d’Écaussinnes-Lalaing furent construites en plaquettes de calcaire stratifié de la formation de Lalaing4. Le petit granit fut réservé pour les angles, les baies harpées et les cheminées, et cela à partir du XIIIe siècle5. Les pierres des maçonneries en calcaire en moyen ou grand appareil de Château-Thierry, de Logne et de Poilvache furent pour une bonne partie extraites des fossés creusés dans le socle rocheux6. Il est donc utile de s’interroger sur les possibilités de localiser les carrières qui ont fourni ces matériaux de construction et surtout de savoir si les traces d’extraction de l’époque médiévale ont survécu jusqu’à nos jours. Un des problèmes majeurs rencontrés au cours de ces recherches est lié au fait que ces traces disparurent en grande partie, d’une part à la suite de la continuité des travaux d’extraction au même endroit et d’autre part en raison du comblement progressif des anciens sites d’extraction abandonnés. Par ailleurs, certaines roches se prêtent mal à la conservation des traces d’exploitation. Le grès dans lequel furent creusés les fossés du château de Franchimont ne peut conserver de telles traces en raison de la fracturation facile de ce matériau. L’érosion et surtout la fracturation naturelle du calcaire du substrat rocheux du château de Montaigle expliquent probablement aussi pourquoi aucune trace d’extraction n’est décelable aujourd’hui. Le calcaire stratifié dans les fossés du château d’Écaussinnes-Lalaing ne permet pas de conserver des traces de l’extraction des plaquettes; les traces de l’utilisation du pic toujours visibles sur la contre-escarpe est ne sont pas le résultat de l’exploitation en carrière des bancs de roche mais plutôt du façonnage final de la forme 3 F. Tourneur, Les matériaux pierreux du château de Franchimont, dans P. Hoffsummer, Le château de Franchimont (Carnet du Patrimoine, 21), 1997, p. 20-22. 4 M. Hennebert et B. Eggermont, Braine-leComte – Feluy, notice explicative (Carte géologique de Wallonie, 39/5-6), Namur, 2002, p. 26-27. 5 F. Doperé, Le château d’Ecaussinnes-Lalaing, Histoire architecturale du château médiéval du XIIIe au XVIIe siècle, Les techniques de taille sur le Petit Granit et les signes des maîtres de carrière, dans
Actes du XIVe Colloque International de Glyptographie de Chambord, 2005, p. 231-90. 6 F. Doperé et P.-H. Tilmant, La pierre de construction sur les chantiers médiévaux. De l’extraction dans les carrières jusqu’à la mise en œuvre dans les maçonneries. Le témoignage des traces d’outils, dans Actes du VIIe Congrès de l’Association des Cercles francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique et du LIVe Congrès de la Fédération des Cercles d’Archéologie et d’Histoire de Belgique vol. 1, 2007, p. 374-387.
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1. Forteresse de Poilvache (Yvoir), Plan général.
du fossé après son creusement7. Les traces d’extraction dans les carrières de petit granit à peu de distance du château ont probablement disparu en raison de l’exploitation continue à partir du XVIe siècle jusqu’à la première moitié du XXe siècle8. Par contre, les fouilles des fossés des sites de Poilvache, de Logne et de Château-Thierry ont permis, pour la première fois en Belgique, d’aborder vraiment les techniques d’extraction des pierres de construction dans des carrières d’époque médiévale. L’extraction dans les fossés de sites fortifiés médiévaux La forteresse de Poilvache (Yvoir) fut le premier site castral en Belgique où fut possible l’identification des traces d’extraction de pierres dans les bancs de calcaire du fossé (fig. 1). Ce dernier a été fouillé en 2000-2001 par le Service de l’Archéologie du Ministère de la Région wallonne en province de Namur. D’après le contexte historique, c’est très probablement dans le premier quart du XIIIe siècle que débuta la construction du site. En effet, un traité fut conclu à Dinant en juillet 1199, mettant provisoirement fin au conflit qu’avait provoqué la rocambolesque succession du comte Henri l’Aveugle. Cet acte entraîna un partage des territoires namurois et Poilvache fut très probablement 7
F. Doperé, op. cit.
8 L. Baguet, Historique des carrières d’Écaussinnes, dans Annales du Cercle Archéologique du Canton de Soignies, XXXI, 1985.
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2. Forteresse de Poilvache (Yvoir), Vue générale du fossé est vers le nord montrant le pendage des assises et les fronts d’extraction.
construit pour la défense de ceux d’entre eux obtenus alors par les Luxembourgeois. L’étude dendrochronologique réalisée sur un des boulins retrouvés dans la courtine nord de la partie « ville » du site fournit comme date d’abattage les années 1216-12269. La plus ancienne mention connue de la forteresse date de 1228 et un premier siège est attesté en 1238. Le site connaîtra un important développement au cours de la deuxième moitié du XIIIe siècle et sera rattaché dans le courant du XIVe siècle au comté de Namur. En 1421, ce dernier est acquis par Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Dès 1429, la forteresse est remise en état de soutenir un siège. Elle sera malgré tout attaquée en 1430 par le princeévêque de Liège et ses alliés qui procéderont ensuite à son démantèlement. La forteresse sera dès lors abandonnée10. Le fossé précédant l’entrée fut creusé dans les bancs de calcaire Viséen devant la courtine est de la partie « château » (fig. 2). Le pendage des bancs suit l’orientation ouest-est, ce qui fait que l’escarpe est généra9
P. Hoffsummer, Quelques réflexions à propos des possibilités d’analyses dendrochronologiques de châteaux de pierre du sud-est de la Belgique, dans Le bois dans le château de pierre au Moyen Âge, Actes du colloque de Lons-le-Saunier (23-25 octobre
1997), Besançon, Presses Universitaires FrancComtoises, 2003, p. 279-80. 10 J.-L. Antoine, Yvoir, Houx. Poilvache, dans M.-H. Corbiau (coord.), Le patrimoine archéologique de Wallonie, Namur, 1997, p. 505-506.
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3. Emboîture pour coin en fer dans le fossé est de la forteresse de Poilvache. Il s’agit en réalité de la moitié de l’emboîture d’origine après l’enlèvement du bloc de pierre. Les stries obliques sont des traces laissées par le pic ou le mortaisoir au moment du creusement de l’emboîture.
lement formée par la pente naturelle de ces bancs. Comme les autres, la tour du Nord sera construite postérieurement à l’édification des courtines est et nord, en empiétant sur l’escarpe. Cette disposition est à l’origine de la taille oblique d’une faible partie des blocs de la première assise de la tour11. La contre-escarpe est par contre quasiment verticale et fut réalisée d’abord par l’extraction des bancs de pierre et ensuite par une taille de finition au pic dont les traces demeurent visibles sur la paroi verticale. Les fronts d’extraction des bancs de l’escarpe en forme de « marches » furent finalement émoussés au pic afin de rendre l’accès vers les courtines plus difficile. Des emboîtures destinées au placement de coins en fer pour la fissuration contrôlée des bancs de pierre furent retrouvées en contrebas de la courtine est dans les bancs de l’escarpe (fig. 3). Elles ont une forme trapézoïdale et leurs dimensions moyennes sont les suivantes : largeur à la limite supérieure du banc à exploiter : 17,4 cm ; largeur opposée en profondeur : 11,1 cm ; profondeur : 13,5 cm. La plupart de ces demiemboîtures sont disposées verticalement sur le bord des fronts d’extraction abandonnés. Deux seulement se trouvent en position horizontale et furent creusées pour détacher le banc au-dessus. Sur la paroi intérieure de plusieurs d’entre elles sont conservées les stries obliques du pic ou du mortaisoir utilisé pour leur creusement. Dans la paroi verticale de la contre-escarpe furent conservées une dizaine d’emboîtures verticales. Il
11
P.-H. Tilmant, Observations sur les techniques de construction en usage à la forteresse de Poilvache
(Yvoir) (Nr.), dans Archaeologia Mediaevalis, 29, 2006, p. 172-177.
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4. Forteresse de Poilvache (Yvoir), Vue de l’emplacement des « trous de pieux » dans le fossé est près de la Tour du Luxembourg.
est remarquable de noter qu’à une exception près, la plupart des emboîtures sont très espacées et souvent isolées, ceci en contraste avec les séries d’emboîtures très serrées des carrières romaines dans la région de Nîmes (France)12. Les traces d’extraction conservées aujourd’hui ne représentent probablement plus la vraie activité de carrière, mais plutôt le tout dernier façonnage du fossé pour lui rendre sa forme définitive après les travaux d’extraction proprement dits. Les nombreuses fissures naturelles dans les bancs expliquent probablement aussi pourquoi le nombre d’emboîtures put rester limité. Le fait que ces emboîtures se retrouvent également sur les faces normalement invisibles des pierres taillées prouve en tout cas que le creusement du fossé a été réellement mis à profit pour en extraire en même temps les grandes pierres mises en œuvre notamment dans les parements des tours. D’autres faits prouvent l’exploitation directe des bancs de calcaire du site pour la construction des maçonneries. C’est notamment la présence de chert noir à la surface de plusieurs blocs parementés. Cette concrétion siliceuse est en effet observable en plusieurs endroits dans le grand fossé, adhérant à la roche naturelle. Par ailleurs,
12
J.-C. Bessac et M. Vacca-Goutouli, La carrière romaine de l’Estel près du Pont du Gard, dans
Gallia, 59, 2002, p. 11-28; J.-C. Bessac, Les carrières du Bois des Lens (Gard), ibid., p. 29-51.
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5. Forteresse de Logne, Plan général (Dessin P. Hoffsummer, A. Hoffsummer-Bosson, et B. Wéry, 1987).
sur le flanc nord de la partie « château » du site, la roche apparaît tapissée en surface de fossiles dont on retrouve des exemplaires sur certains blocs employés en élévation. C’est notamment le cas au niveau de l’une des pièces accolées à la courtine septentrionale. Des « trous de pieux », en réalité des enfoncements peu profonds dans les bancs de la roche, furent découverts sur les bancs obliques près de la Tour du Luxembourg (fig. 4). Leur répartition ne semble pas pouvoir correspondre à l’emplacement d’éventuelles constructions temporaires en bois liées au creusement du fossé. Les vestiges du château de Logne (Vieuxville)13 datant du XIIe siècle consistent en une construction de plan plus ou moins trapézoïdale et en une grande cave rectangulaire creusée dans le rocher à l’extrémité sud-est du plateau (fig. 5). Au XIIIe ou au XIVe siècle un long palais rectangulaire fut construit à l’emplacement de la courtine sud-ouest du château précédent. Dans le dernier quart du XVe siècle le château fut adapté à l’artillerie par l’adjonction de tours semi-circulaires, d’une caponnière et d’une casemate dans le fossé, ainsi que d’une vaste barbacane sur la contre-escarpe nord-ouest en face de l’entrée. Le château est situé 13 P. Hoffsummer, A. Hoffsummer-Bosson, et B. Wéry, Naissance, transformations et abandon de trois places-fortes des environs de Liège:
Chèvremont, Franchimont et Logne, dans Château Gaillard, XIII, 1987, p. 63-80.
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6. Forteresse de Logne. a. Vue générale de la carrière dans le fossé vers l’est, au nord du pont. b. Détail d’une emboîture horizontale ratée.
sur le sommet d’un anticlinal de calcaire dont les plissements suivent l’axe sud-est / nord-ouest. Les bancs sont quasiment verticaux en dessous de la barbacane nord-ouest mais, suite à une faille dans le fossé, ils sont subhorizontaux avec un léger pendage vers le sud-est sous le corps principal du château. Les fossés furent creusés entre la façade nord-ouest de ce dernier et la barbacane, provoquant la destruction partielle d’une grotte dont la présence avait probablement facilité le travail de creusement en cet endroit. La morphologie détaillée des rochers subsistants montre qu’une activité de carrière importante y a eu lieu. Des données importantes quant à la méthodologie de l’extraction des pierres ont pu être récoltées sur le rocher supportant la casemate près de l’angle nord du corps principal du château (fig. 6). Sur le bord de la « marche » du rocher conduisant vers le fossé nord-est se trouvent trois énormes emboîtures trapézoïdales verticales (voir le tableau ci-dessous : emboîtures n° 1-3). 22
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Emboîture n° :
1 (verticale)
2 (verticale)
3 (verticale)
4 (horizontale)
5 (verticale)
6 (verticale)
7 (verticale)
Longueur en surface (cm)
48 ( ?)
45
?
16
37,5
6,5
36 ( ?)
Longueur en profondeur (cm)
32 ( ?)
39
62
13
32,5
6,5
36 ( ?)
Profondeur (cm)
30,5
27,0
?
14
16
?
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Ces emboîtures sont d’ailleurs à l’origine de la « marche » actuelle. Une quatrième emboîture à droite des trois premières fut taillée horizontalement à l’emplacement précis d’un stylolithe (joint de dissolution dans la roche, d’origine naturelle) dans le banc de calcaire. Le carrier essaya donc apparemment d’extraire un bloc en frappant sur un seul coin en fer, en espérant que la ligne plus faible du stylolithe allait lâcher sur une longueur suffisante. Cette opération échoua et provoqua par contre l’éclatement de la « marche » à cet endroit. Plus haut sur le rocher supportant la casemate se trouve une autre grande emboîture verticale (n° 5) et un peu plus bas une plus petite (n° 6). Les trois premières emboîtures précitées aboutirent au détachement correct de la pierre. Dans le cas des trois autres le clivage du banc fut imparfait, laissant intact le fond des cavités. Cela permit des observations plus détaillées quant à l’outil utilisé pour leur creusement. Dans le creux de l’emboîture n° 5 se trouvent des traits d’une longueur de 1 cm orientés perpendiculairement aux parois intérieures. Ces traces et la largeur totale en profondeur (2 cm) indiquent que l’emboîture fut creusée avec un mortaisoir dont le tranchant avait une largeur de 1 cm. Sur la surface de la « marche » mentionnée plus haut se trouve un tracé linéaire de 2 cm de large taillé avec le même outil (fig. 7). Il s’agit d’un tracé superficiel probablement destiné à guider le creusement d’une autre emboîture non réalisée permettant d’extraire d’autres pierres du même banc. L’absence apparente de logique dans la distribu7. Forteresse de Logne, Amorces du tion des emboîtures semble indiquer que les creusement d’une emboîture non réatraces conservées n’appartiennent plus à l’ex- lisée. Traces du mortaisoir. traction de pierres proprement dite, mais plutôt 23
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au façonnage du fossé et de l’escarpe en particulier. Sur le site on peut voir aussi deux pierres détachées présentant des emboîtures. L’une d’entre elles fut utilisée comme linteau au dessus de l’ouverture carrée de l’évacuation des latrines du palais du XIIIe ou du XIVe siècle. De façon étonnante, les deux emboîtures se trouvent sur la face visible des pierres. Une troisième emboîture se trouve sur un bloc isolé qui ne fut apparemment jamais taillé ni même utilisé. Ces trois cavités présentent des dimensions particulièrement régulières, ce qui semble indiquer que seules les emboîtures de ce type permettaient l’exploitation du rocher en vue de la taille des pierres (voir le tableau ci-dessous). Demi-emboîture sur des pierres isolées
1 (verticale) (latrine)
2 (verticale) (latrine)
3 (verticale) (bloc brut)
Longueur en surface (cm)
7,5
7,0
9
Longueur en profondeur (cm)
6,5
6,5
6,5
Profondeur (cm)
11
11
11,5
Par contre, les emboîtures de beaucoup plus grandes dimensions citées dans le premier tableau n’étaient très probablement destinées qu’à permettre le façonnage de l’escarpe. Cela fut d’ailleurs confirmé par la présence d’emboîtures de dimensions similaires dans les parois des caves creusées dans le rocher dans la moitié sud-est du château du XIIe siècle ( ? ). D’autres galeries d’origines karstiques se trouvent dans le socle rocheux supportant le château. Elles relient les flancs nord-ouest, nordest et sud-ouest. Les maçonneries associées à ces galeries naturelles prouvent que le maître d’œuvre du château a su mettre à profit ces galeries dans la circulation générale du château. Il s’agit là d’un phénomène rare dans l’architecture castrale de nos régions. Mentionné pour la première fois en 1260, le site de ChâteauThierry (Dinant) n’a pas encore fait l’objet d’une étude chronologique précise. Le site semble néanmoins contenir les restes d’une tour carrée près de l’entrée, des caves probablement sous la grande salle, des tours circulaires du XIIIe siècle, des tours et des chambres du XVIe siècle. Le fossé creusé près de l’entrée dans la dolomie d’âge Viséen permet d’observer les traces de l’extraction de bancs de pierre successifs. Avant l’extraction des blocs de chaque banc les limites des blocs furent déterminées par le creusement de tranchées étroites à l’aide de l’escoude, un genre de pic à deux petits tranchants14. Les parties inférieures de certaines 24
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8. Parois du fossé de Château-Thierry devant l’entrée. a. Les bandes horizontales indiquent les niveaux d’extraction successifs des blocs de pierre. b. Les stries obliques sont des traces laissées par l’escoude lors du creusement des tranchées entre les blocs futurs.
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tranchées subsistent dans le fond du fossé du château. Les parois du fossé légèrement obliques montrent les empreintes des bancs extraits successifs (fig. 8). Les stries obliques sur la paroi sont le résultat du creusement des tranchées étroites à l’escoude. L’extraction dans des carrières souterraines : l’exemple de la carrière des Grands Malades à Beez (Namur)15 Au XIVe siècle les comptes de l’hospice des Grands Malades témoignèrent de la gestion de « falises en herbatte » dont l’institution était le propriétaire16. Ce n’est qu’en 1516 qu’apparaît la première mention de la carrière des Grands Malades. Malheureusement, peu d’information nous éclaire sur le fonctionnement de son exploitation, ou sur la date exacte des traces d’extraction visibles aujourd’hui. Pourtant, toujours d’après les textes, l’extraction et la commercialisation de pierre ainsi que de marbre noir restèrent deux des activités économiques des plus importantes de la ville de Namur depuis le Moyen Âge jusqu’au début du XXe siècle17. L’extraction des bancs fut réalisée de manière à ménager de larges piliers à distances plus ou moins régulières pour soutenir le plafond rocheux des salles ainsi creusées. Il s’agit donc en grande partie d’une exploitation à piliers tournés, plus rarement en galerie. Les traces liées à l’extraction de la pierre et du marbre noir sont multiples sur les piliers et les parois rocheuses des trois salles souterraines. Ainsi plusieurs emboîtures trapézoïdales témoignent de l’extraction de blocs de pierre. Les emboîtures alignées furent toujours taillées à la surface du banc à extraire, au niveau du joint de stratification. Ensuite des coins en fer furent chassés en même temps dans ces creux pour aboutir au détachement du bloc18. Finalement, la paroi rocheuse fut rectifiée au pic afin d’attaquer le banc inférieur au même endroit. Cette action se marque par de nombreux sillons obliques sur la paroi du rocher. L’éclatement irrégulier de ce dernier est dû aux intervalles variables et assez grands ménagés entre
14 J.-C. Bessac, L’archéologie de la pierre de taille, dans A. Ferdière (éd.), La construction en pierre (Collection “Archéologiques”), Paris, 1999, p. 9-52. 15 C. Robinet et F. Doperé, Namur-Beez, la carrière souterraine des « Grands Malades », dans Chronique de l’Archéologie Wallonne, 12, 2004, p. 236-39.
16 J. Borgnet, Les Grands-Malades, dans Annales de la Société Archéologique de Namur, I, 1849, p. 381-452. 17 E. Groessens, Le calcaire de Meuse, un matériau belge exporté depuis les Romains, dans 126 e congrès du CTHS, 4e colloque Carrières et constructions, Toulouse, 2001. 18 J.-C. Bessac, L’archéologie de la pierre de taille, op. cit.
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les emboîtures. La carrière des Grands Malades est un cas rare, en dehors d’un contexte castral, de conservation des traces de l’extraction des blocs de calcaire. Malheureusement, il n’est pour le moment pas encore possible de dater ces traces avec précision. Il faut remarquer ici que le système de l’extraction avec des emboîtures et des coins en fer ne fut pas d’usage dans toutes les carrières. Les gisements de petit granit du Bocq, visibles dans les grandes carrières de Spontin, se présentent comme des assises bien délimitées d’une part par des joints de stratification et d’autre part par des fissures plus ou moins verticales. Ces lignes de faiblesse naturelles facilitèrent évidemment l’extraction et déterminèrent en même temps les dimensions finales des blocs taillés. Conclusions L’extraction dans les carrières médiévales ne fut pas tellement différente des techniques déjà employées depuis l’Antiquité. Les blocs à extraire furent d’abord délimités par des tranchées étroites creusées à l’escoude. L’extraction proprement dite et le clivage des gros blocs furent réalisés par le creusement d’emboîtures dans lesquelles furent calés des coins en fer alignés. Le nombre d’emboîtures sur une même ligne fut cependant très limité, ce qui provoqua plus d’une fois des clivages aléatoires qui durent être corrigés par un travail de rectification supplémentaire au pic. Le nombre généralement limité des emboîtures trouve probablement aussi une explication dans la fréquence relativement élevée de fissures naturelles dans les rochers calcaires. La rareté des carrières ayant conservé des traces d’extraction anciennes élève les fossés de Poilvache, de Logne et de Château-Thierry au niveau des témoins archéologiques exceptionnels. La même appréciation vaut d’ailleurs aussi pour la carrière des Grands Malades. Il est donc hautement souhaitable de mettre sur pied un vaste programme de recherche archéologique et historique comprenant d’une part un inventaire des carrières anciennes basé sur les sources historiques et sur des prospections de terrain et d’autre part une exploration systématique des parties supérieures des carrières abandonnées et en activité afin d’identifier les traces d’extraction anciennes éventuelles.
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Hervé Mouillebouche Université de Bourgogne, UMR 5594 Laure Saligny Pôle géomatique et cartographie, MSH Dijon, UMS 2739 Topographie et habitats fortifiés en Bourgogne du Nord : implantation, orientation et surveillance
Quels sont les sites privilégiés d’implantation de l’habitat fortifié ? Intuitivement, on pense aux sites escarpés de hauteur, qui permettent de surveiller les horizons et de dominer les attaquants. Mais les châteaux s’installent également près des cours d’eau, pour bénéficier de la défense d’un fossé inondé. Enfin, d’autres bâtiments ont été bâtis à flanc, voire en pied de coteau, dans des situations qui semblent peu favorables d’un point de vue militaire. Ce choix a pu être dicté par des contraintes agronomiques, ou simplement esthétiques. Enfin, on devine que nombre de bâtisseurs de châteaux et de maisons fortes n’ont guère eu le choix du terrain et se sont installés là où ils avaient des droits et des terres. Les progrès réalisés ces dernières années en géomatique permettent de dépasser ces intuitions pour réaliser une véritable approche quantitative et vérifier l’importance et l’évolution de chacun des facteurs qui entrent en jeu dans le choix de l’emplacement d’un habitat fortifié. Les techniques, que nous avons testées et mises en œuvre pour cette étude, sont le résultat d’un travail interdisciplinaire entre d’une part une géomaticienne de formation archéologue spécialisée dans les systèmes d’information géographique, d’autre part un historien médiéviste castellologue, particulièrement attiré par le traitement informatique des données quantitatives. Le résultat s’exprime parfois à travers des diagrammes complexes, qu’on n’a guère l’habitude de rencontrer dans les études d’architecture médiévale. Nous développerons notre propos en trois temps. Tout d’abord, nous présenterons notre méthodologie et nos outils, ce qui permettra de cerner précisément la pertinence et les limites de notre étude. Nous présenterons ensuite une étude des versants et de l’ensoleillement des sites fortifiés. Enfin, nous essaierons de mesurer l’importance du potentiel de surveillance dans le choix des sites. 29
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1. Méthodologie : base de données et système d’information géographique (S.I.G.) Notre étude a été réalisée grâce à l’utilisation de requêtes spatiales entre une base de données historique comprenant 674 sites repérés dans l’espace et dans le temps, et un modèle numérique de terrain (M.N.T.) 1.1. La base de données La base de données utilisée est issue du développement de celle qui avait été élaborée pour l’étude et l’édition de l’ouvrage : Les maisons fortes en Bourgogne du Nord1. Fondamentalement, il s’agit d’un inventaire historique de l’habitat fortifié du département de la Côte-d’Or. Inventaire historique et non pas archéologique, car il prend en compte tous les sites existant et ayant existé et non pas seulement ceux qui ont laissé des vestiges. De même, nous avons essayé de définir notre corpus en fonction des catégories médiévales et de la perception ancienne de l’habitat fortifié. Les maisons aristocratiques appelées « mottes » et qui font l’objet de transactions sans autorisation féodale spéciale ne sont pas considérées au Moyen Âge comme des sites fortifiés. En revanche, les églises équipées de baies dans l’étage de comble sont régulièrement considérées comme des « forts moustiers » dans les cherches de feux. Un document d’archives mentionnant un habitat fortifié ( fort maison, forteresse…) constitue presque toujours une preuve de l’existence de cet habitat, y compris en l’absence de vestiges. En revanche, des vestiges sans attestation d’archives sont plus difficiles à identifier : un site fossoyé, une trace de fossé sur un cadastre ou une photographie aérienne doivent être interprétés par analogie avec d’autres sites connus. Pour les sites conservés en élévation, nous n’avons tenu compte que de ceux qui possédaient des éléments de défense active : baies-créneaux, archères ou canonnières. Nous n’avons donc pas inclus dans l’inventaire les nombreux manoirs de la fin du Moyen Âge munis d’une simple tourelle d’escalier. Enfin, il a fallu trancher entre habitat individuel et habitat collectif. Nous avons exclu de l’inventaire les fortifications urbaines et les défenses villageoises. En revanche, nous avons gardé les castra du haut Moyen Âge, qui s’assimilent plutôt à des réduits défensifs qu’à des villes fortes. Actuellement, l’inventaire comprend 674 sites, dont 615 sont situés avec précision. 260 sites présentent encore des vestiges architecturaux et 1
H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du nord, du XIIIe au XVIe s., Dijon, 2002 (base de données sur cédérom). On
pourra s’y reporter pour trouver la situation, la description et l’historique de toutes les forteresses citées dans le présent article.
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140 ne sont plus que des vestiges de terre. La recherche a été réalisée en croisant les recherches bibliographiques, les sources d’archives, l’étude des cadastres et des photographies aériennes. Une vérification systématique sur le terrain a permis d’éliminer de très nombreux doublons ou sites fantômes, qui hantaient la bibliographie bourguignonne depuis parfois plusieurs siècles. Le résultat semble assez fiable : très peu de sites fortifiés conséquents, érigés entre le Xe et le XVIe siècles, ont pu échapper à notre enquête. Nous disposons donc d’un corpus suffisamment large pour risquer une étude statistique, et suffisamment précis pour penser qu’il reflète l’état des fortifications au cours du Moyen Âge. D’un point de vue chronologique, nous avons tenu compte de toutes les forteresses susceptibles d’avoir connu une période d’activité entre 900 et 1640 environ, ce qui exclut vers le haut quelques oppida mérovingiens et vers le bas les derniers forts à bastion. Chaque site est caractérisé par un terminus ante quem et un terminus post quem. La première date correspond souvent à la date d’apparition dans les archives, qui peut suivre de plusieurs années, voire dizaines d’années, la date d’apparition réelle. Nous nous sommes interdit, sauf à de rares exceptions, de corriger ces datations par une étude des modénatures et de l’appareil. Pour fournir des résultats fiables, ces méthodes exigent une étude fine de chaque site, ce qu’il n’était pas possible de réaliser à une grande échelle. Pour être exploitable, la base a été subdivisée par une typologie comptant 5 types et 27 sous-types2. Encore une fois, ces types ne sont pas d’ordre archéologique (motte tronconique, plate-forme carrée, château à tour maîtresse…) mais ils reposent autant que faire se peut sur des catégories médiévales (maison fossoyée, maison forte, château…). Le type est déterminé par la morphologie des sites, mais aussi et surtout par la terminologie des sources. Une étude approfondie de la lexicographie montre en effet qu’il y a une certaine cohérence entre les termes employés d’une part, la morphologie et l’importance du site d’autre part. Or, à l’usage, il est rapidement apparu qu’à un site particulier ne correspond pas un type unique, mais une succession de types : la maison forte
2 Type Forme primitive de terre, sous-types : motte castrale, motte forte, enceinte de terre, enceinte à renflement. Type Fortification mineure, sous-types : motte plane, grange fossoyée, maison fossoyée, ferme fortifiée, manoir à tourelles. Type Maison forte, sous-types : maison forte à plate-forme, maison forte de relief, tour forte, château
et maison forte, hôtel urbain fortifié. Type Église, sous-types : église fortifiée, église à enceinte, prieuré fortifié, abbaye fortifiée. Type Forme moderne, sous-types : motte moderne, demeure somptuaire. Type Château, sous-types : castrum, château fort de relief, château fort de plaine.
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d’Aiserey a été une simple maison fossoyée de 1288 à 1350 ; elle est désertée et devient donc une plate-forme vide (motte plane) pendant près d’un siècle. On y édifie enfin une maison forte vers 1458, qui est encore défendable à la fin du XVIIIe siècle. Pour tenir compte de ces mutations internes à chaque site, nous avons donc utilisé le concept d’« état de site », qui permet d’étudier des phénomènes à l’intérieur d’un corpus de sites homogènes. La base de données présente donc un corpus exhaustif de sites classés par types homogènes, et repérés précisément dans le temps et dans l’espace. 1.2. Le système d’information géographique (S.I.G.) M. Didier définit le S.I.G. comme un « ensemble de données repérées dans l’espace, structuré de façon à pouvoir en extraire commodément des synthèses utiles à la décision. »3 Un S.I.G. est donc une application informatique permettant d’acquérir, de gérer, d’analyser et de restituer toute information spatialisée à la surface de la terre.4 Il se compose ainsi d’un logiciel, dans notre cas ArcGis (©ESRI) et de données géoréférencées sous formes de couches thématiques, pour cette étude, les données historiques et la topographie. Celle-ci, pour son exploitation dans le S.I.G., est représentée par un modèle numérique de terrain ou M.N.T. (BD Alti, ©IGN, résolution de 50 m). Le M.N.T est une image raster composée de pixels dont la valeur est l’altitude de l’espace qu’il décrit. 1.3. Le terrain Pour rendre plus accessible l’étude qui va suivre, notamment aux yeux des lecteurs qui ne seraient pas familiarisés avec la région étudiée, il est nécessaire de dresser rapidement le cadre géographique de la Bourgogne du nord (fig. 1). Le département de la Côte-d’Or, dessiné à la Révolution, reprend les quatre anciens bailliages du nord du duché de Bourgogne : la Montagne au nord (autour de Châtillon et de la montagne de Vix), 3
M. Didier, Utilité et valeur de l’information géographique, éd. Economica, 1990. 4 Sur le S.I.G., voir également : C. Collet, S.I.G. en mode image, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1992 ; J. Denègre et F. Salgé, Les systèmes d’informa-
tion géographique, Que sais-je ?, Paris, PUF, 2003 ; D. Wheatley et M. Gillings, Spatial technology and archaeology. The archaeological applications of G.I.S., London, Taylor and Francis, 2002.
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l’Auxois à l’ouest (autour d’Alésia et du Mont-Auxois), le Dijonnais à l’est et le Beaunois au sud. Le tiers sud-est du département s’étend sur la vallée de la Saône, fossé d’effondrement humide et fertile, traversé par de grands axes de passage nord-sud. Le nord du département est occupé par le plateau calcaire dit de Langres. C’est un pays boisé et peu peuplé, sillonné de quelques rares vallées, notamment la dépression de Châtillon au nord et la vallée de la Seine, qui prend sa source au centre du département et coule vers le nord. Vers le sud, le plateau est en- 1. Répartition des sites (674) sur fond de carte altitaillé par un réseau hydrographi- métrique. que coulant vers le bassin parisien. Sources géographiques : BD Alti. Les calcaires durs du jurassique supérieur laissent peu à peu la place aux marnes du lias, qui apparaissent tout d’abord au fond des vallées encaissées du haut Auxois, puis entre les monts de l’Auxois. C’est un pays de prairies et d’élevage, peuplé de gros villages et traversé par plusieurs routes qui relient le bassin parisien au sillon rhodanien. À l’extrême sud-ouest apparaissent les terrains primaires du Morvan, qui furent autrefois des terres riches. Les reliefs ont plus d’ampleur et l’habitat dispersé s’égaille dans des vallées encaissées et difficilement accessibles. Aujourd’hui, Dijon fait figure de mégalopole régionale, au milieu d’un désert rural. Mais au Moyen Âge, la carte de l’urbanisme était moins contrastée. La capitale des ducs, qui ne devint évêché qu’au XVIIe siècle, ne se distinguait pas trop des autres bourgs régionaux : Beaune, Semur, Saulieu, Montbard et Châtillon.
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2. Étude de la localisation et de l’implantation des sites 2.1. L’influence des traités d’agronomie Intuitivement, chacun peut comprendre que l’emplacement d’un bâtiment est tributaire des caractéristiques topographiques du terrain. Les pentes trop raides sont répulsives ; on recherche les coteaux bien exposés ; pour la défense, on privilégie les sites de hauteur. Historiquement, ces considérations ont été théorisées très tôt, notamment par les architectes et les agronomes antiques. Vitruve, au premier livre de son traité d’architecture, préconise de bâtir les villes sur les hauteurs, loin des brouillards et de l’air malsain des marais. « Car il y aurait à craindre qu’un lieu dans lequel, au matin, le vent pousserait sur ses habitants les vapeurs que le soleil en se levant aurait attirées de l’haleine infecte et venimeuse des animaux qui s’engendrent dans les marécages ne fut malsain et dangereux ».5 L’architecte du Ier siècle avant notre ère, en se fondant sur la théorie des humeurs, conseille également d’éviter les lieux où soufflent les vents chauds (livre I, ch. 4) et de ne pas tracer les rues des villes dans l’axe du vent dominant (livre I, ch. 6). Quatre siècles plus tard, l’agronome Palladius explique comment bâtir une villa : « Quant à l’exposition du domaine qu’il s’agit de choisir, elle doit être la suivante : dans les régions froides, il doit être exposé à l’est ou au midi, pour éviter qu’il ne soit glacé de froidure, ce qui se produirait si ces deux expositions lui étaient fermées par l’obstacle de quelque montagne, puisque le soleil ne touche jamais les versants nord et ne parvient que l’après midi sur les versants occidentaux. Dans les régions chaudes, en revanche, l’exposition au nord doit plutôt être recherchée. Elle est la meilleure, aussi bien pour le rendement du domaine que pour l’agrément et la salubrité. »6 Ces théories, ainsi que celles de Varon et de Columelle, sont connues au Moyen Âge grâce à Pierre de Crescent. Cet agronome italien rédige son Liber ruralium commodorum à Bologne entre 1304 et 13097. Cet ouvrage a connu un succès remarquable, puisqu’on en connaît 122 ma-
5 Vitruve, De l’Architecture, livre 1. Texte établi et traduit par Ph. Fleury, Paris, les Belles Lettres, 1990 ; Pour la traduction ancienne : Cl. Perrault, Les dix livres d’architecture de Vitruve, corrigez et traduits nouvellement en françois, avec notes et figure, Paris, 1673, Rééd. Bibliothèque de l’image, 1995.
6 Palladius, Traité d’agriculture. Texte établi, traduit et commenté par R. Martin, Paris, les Belles Lettres, 1976, 2 vol., Ici : livre 1, ch. 7. 7 Petrus de Crescentiis, Ruralia commoda ; das Wissen des Vollkommenen Landwirts um 1300, Heidelberg, Universitätsverlag C. Winter, 1995.
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nuscrits latins8. La première traduction française a été commandée par Charles V en 1373. Le texte est connu en Bourgogne dès le début du XVe siècle. En effet, Antoine de Bourgogne, fils naturel de Philippe le Bon, en possédait un exemplaire9. Et un franciscain du couvent de Dijon, frère Nicole, en commença une traduction dont le manuscrit est conservé à la bibliothèque municipale de cette ville10. Pierre de Crescent préconise d’entourer la maison de maître de fossés en eau et, si elle est bâtie en pays de montagne, de la jucher sur une hauteur inaccessible11. Elle ne doit pas être bâtie dans une plaine inondable, mais sur une hauteur, et si possible au pied d’un coteau boisé12. Surtout, il faut l’orienter à l’est, afin que l’air de la maison soit purifié par les rayons du soleil levant13. Il est dès lors tentant de mesurer l’impact des idées des physiocrates sur les vestiges d’habitats seigneuriaux. Un premier essai avait été tenté en 1974 dans un article très novateur d’Élisabeth DesvauxMarteville14. Nous nous sommes également essayé à cet exercice dans notre travail sur les maisons fortes bourguignonnes15. Dans les deux cas, et faute d’un outil adéquat pour mener une analyse précise de tous les paramètres de la topographie, l’exercice fut plus empirique que scientifique. L’archéologue de terrain peut toujours trouver quelques cas de bâtiments fortifiés qui illustrent le discours de Pierre de Crescent, et l’on 8 J.-L. Gaulin, Pietro de’Crescenzi et l’agronomie en Italie (XIIe-XIVe s.), Thèse de doctorat de l’Université de Paris I, dactyl., 1989-1990. 9 Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 5064. 10 Le livre des biens et des prouffiz qui peuvent advenir de cultiver les terres, lequel fut compilé par maistre Pierre de Crescente, de la cité de Boulongne, et translaté de latin en français, l’an de grace 1413, par frere Nicole, de l’ordre des freres precheurs du couvent de Dijon, Bibliothèque municipale de Dijon, ms. 453, microfilm 153. 11 Liber I-6, 1 et 2 « Si vero est ab aliis domibus in loco solitario segregatus, convenientibus foveis, ripis et sepibus undique cingendus est propter oppositas rationes. Quod si est in plano siquidem nimis depresso, per totam curiam terra cumulanda est aliunde translata, ne in ipsam curiam ingressus pateat aquis fluentibus aliunde et pluviae in eam cadentes inde possint facile derivari. Si vero in montibus fuerit, ubi foveis aquosis muniri non potest, eligatur locus, cui nisi per ordinatum introitum sit asper ascensus, ut, quae fossarum circuitu muniri non potest, severitate rupis et altitudine muniatur »., Petrus de Crescentiis, éd. 1995, p. 43.
12 Liber I-5, 1 et 2. : « Dandam operam, ut potissimum sub radice montis silvestris villam ponat, ubi pastiones sunt laxae ac ubi venti saluberrimi flabunt. Quae posita est ad exortos aequinoctiales, aptissima, quod aestate habet umbram, hieme solem. Si cogaris prope flumen aedificare, curandum, ne adversus eam ponas »., Ibid., p. 41. 13 Liber I-4, 10 et 11 : « Civitas, quae ab oriente est aperta et in oppositione posita, est sani et boni aeris ; sol enim in principio diei super eam elevatur et aerem eius clarificat. […] In civitate, quae ab occidente est discoperta et est ab oriente coperta, non venit ad eam sol nisi tarde, et illico cum venit ad ipsam, incipit elongari ab ea, quia non ei appropinquando incedit. Non ergo eius subtiliat aerem neque exsiccat, sed dimittit ipsum humidum grossum. Et si ventos ei mittit, mittit eos ab occidente et in nocte »., Ibid., p. 39-40. 14 É. Desvaux-Marteville, Les manoirs du Perche : d’une image littéraire à la réalité archéologique, dans Archéologie Médiévale, t. III-IV, 1973-1974, Caen, 1974, p. 365-392. 15 H. Mouillebouche, op. cit., p. 374-380.
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2. Évolution de l’altitude, de l’exposition et de la pente du lieu de construction des sites fortifiés (554 sites).
peut toujours supposer que cette ressemblance témoigne d’une influence. Mais l’importance du phénomène est laissée à l’appréhension de l’intuition et, souvent, du préjugé. En revanche, en croisant spatialement un inventaire exhaustif sur un modèle numérique de terrain, on peut obtenir des statistiques précises, et donc quantifier cette influence. Encore une fois, l’histoire quantitative évite d’ériger l’exemple en règle et de confondre l’arbre avec la forêt qu’il cache. 2.2. Évolution des types de sites occupés Sur les 615 bâtiments situés avec précision, 554 ont un terminus ante quem connu au moins au siècle près, ce qui permet de calculer, siècle par siècle, la moyenne des altitudes, des orientations et des pentes des terrains occupés par les habitats fortifiés. Le diagramme obtenu (fig. 2) doit encore être critiqué en fonction du nombre de cas par siècle. Du VIe au Xe siècle, les effectifs (moins de 20) sont insuffisants pour que le résultat soit significatif. La courbe ne peut être interprétée qu’entre le XIe et le XVIe siècles (entre 24 et 180 individus). Les trois courbes descendent du XIIe au XIVe siècle, se stabilisent au XVe et remontent au XVIe siècle.
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Notons encore que la courbe des expositions doit être utilisée avec prudence. En effet, elle fait la moyenne de directions d’expositions exprimées en degrés. Or, les données angulaires ne sont pas des suites linéaires, mais cycliques. La « moyenne » de deux sites orientés au nord, à 359° et à 1°, serait une orientation plein sud de 180° ! Nous verrons plus loin comment corriger ces données pour les rendre exploitables. Les altitudes moyennes d’implantation sont de 326 m au XIIe siècle, 301 m au XIIIe siècle, 292 m au XIVe siècle, 296 m au XVe siècle et 330 m au XVIe siècle. Les valeurs élevées du XIIe siècle correspondent d’une part à la recherche de sites élevés pour les premiers châteaux forts, d’autre part à la plus grande concentration de ces premiers châteaux dans la partie la plus haute du département, c’est-à-dire la moitié nord-ouest (fig. 1). Aux XIIIe et XIVe siècles, l’altitude diminue : les meilleurs sites sont déjà occupés, mais surtout, on bâtit plutôt des maisons fortes, et celles-ci n’ont pas les mêmes exigences stratégiques que les châteaux. Ces maisons fortes sont d’ailleurs nombreuses dans la plaine de la Saône, au sud-est de la Côte-d’Or. Enfin, au XVIe siècle, l’altitude moyenne augmente. C’est le résultat d’une reprise des constructions dans l’Auxois et dans le Morvan, mais c’est aussi souvent un choix délibéré de revenir à des formes et à des situations archaïques, quitte à s’éloigner des centres de peuplements anciens16. La courbe des moyennes des pentes suit la même tendance que celle des altitudes. En effet, en Bourgogne, les terrains situés à moins de 200 m sont les terrains de la plaine de la Saône, pratiquement plats, alors que les sites bâtis à plus de 300 m sont situés sur le plateau calcaire aux profondes vallées, ou dans les monts de l’Auxois et du Morvan, dans des paysages aux pentes plus marquées. Néanmoins, avec des moyennes de pentes de 4 à 7 %, on peut dire que l’habitat fortifié est rarement bâti sur des pentes importantes. Le critère le plus représentatif, celui de l’altitude, peut être analysé plus finement, en regardant la variation d’altitude à l’intérieur de chaque type de site (fig. 3). Les types « églises fortes » et « formes modernes », trop peu nombreux, n’ont pas été représentés. Le type « forme primitive de terre », qui regroupe les enceintes et les mottes, présente une courbe ascendante assez peu significative, puisque ces sites sont peu nombreux et mal datés. L’intérêt du diagramme réside donc dans les « ciseaux » 16
H. Mouillebouche, Permanences et ruptures dans le monde rural : l’apport de la castellologie, dans Permanences et ruptures dans le monde rural, du Moyen Âge à l’époque moderne ; 12e colloque de
l’association bourguignonne des sociétés savantes, Dijon, Saint-Christophe-en-Brionnais, 2002, p. 51-66.
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3. Évolution de l’altitude des sites en fonction de leur type.
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4. Orientation architecturale des sites fortifiés. Histogramme radial en barres : fréquences de direction d’ouverture. Valeurs cumulées par intervalles de 10° (premier diagramme) et 45° (diagrammes suivants). 38
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entre la courbe descendante des châteaux et la courbe ascendante des maisons fortes. La position des châteaux répond à une logique stratégique de contrôle des voies et des villes. Les derniers châteaux forts du Moyen Âge, comme les fameuses forteresses de Dijon, Beaune et Auxonne, sont bâtis dans la plaine. Les maisons fortes, en revanche, poursuivent une logique de représentation et de discours archaïsants. Les seigneurs bâtisseurs de la fin du Moyen Âge n’installent pas leur demeure près du village. Le lien d’entraide réciproque qui unissait le seigneur et les villageois est totalement obsolète. Libéré de cette contrainte, le nouveau seigneur peut réaliser son rêve de châtelain en érigeant sa maison forte « sur le roc », notamment pour voir et être vu. 2.3. Orientation architecturale des sites fortifiés17 En général, un bâtiment fortifié a un sens, c’est-à-dire une façade antérieure et une façade postérieure. La façade antérieure est marquée par la porte principale. Quand le bâtiment est détruit, on peut repérer cette façade par le chemin d’accès ou par une levée qui coupe le fossé au droit de la porte. Cette orientation architecturale subit assez peu de contraintes. En effet, nos bâtiments fortifiés sont très rarement élevés en milieu urbain. Aussi, leur orientation n’est pas déterminée par le parcellaire ou par l’orientation de la voirie. En général, le bâtisseur est donc libre d’orienter la façade de sa maison comme il l’entend. Or, cette orientation n’est pas aléatoire ; elle peut correspondre à un impératif stratégique (faire face à l’ennemi), un message social (se tourner vers le village ou s’en détourner), ou un souci de confort et d’hygiène (s’ouvrir aux rayons bénéfiques du soleil levant). En superposant toutes les directions des sites conservés (fig. 4 en haut), on obtient un « radar » irrégulier, qui reflète assez bien les soucis des bâtisseurs bourguignons. Les sites se ferment résolument au nordouest et à la bise, le terrible vent froid et humide qui mortifiait la Bourgogne avant le réchauffement climatique. Le radar des moyennes mobiles, vaguement cruciforme, témoigne d’une préférence pour les points cardinaux : l’est et le sud tout d’abord, puis, presque à égalité, l’ouest et le nord.
17 Cette étude avait déjà été largement ébauchée dans H. Mouillebouche, Les maisons fortes…, p. 378-380.
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On peut ensuite essayer de dégager des tendances chronologiques de ces orientations architecturales (fig. 4 en bas)18. De 1200 à 1359, les orientations vers l’est et le sud dominent. Il s’agit d’une période de paix et de croissance, et les maisons s’orientent vers le soleil. De 1360 à 1477, la Bourgogne est affectée par la guerre de Cent Ans puis par les guerres franco-bourguignonnes. L’orientation des forteresses devient moins importante et le radar des orientations est plus régulier. Néanmoins, on continue de se fermer à la bise, qu’on craint plus que les Anglais. À partir du XVe siècle en revanche, les bâtiments se tournent résolument vers l’est : on peut donc y voir une influence de Pierre de Crescent, ou du moins un regain d’intérêt pour la théorie des humeurs et pour la salubrité de l’air. Cette « orientation » très marquée s’accompagne d’ailleurs de baies plus larges et plus nombreuses. 2.4. Orientation topographique des sites fortifiés L’importation de la base de données sur un modèle numérique de terrain permet de faire le même type de requêtes en s’intéressant non plus à l’orientation architecturale, mais à l’exposition des pentes sur lesquelles sont bâtis les sites fortifiés. Empiriquement, nous avons constaté que les pentes inférieures à 4 % pouvaient être considérées comme des terrains plats, et donc que leur exposition n’était pas un critère significatif pour le choix d’implantation. Ce seuil permet de retenir 476 sites fortifiés bâtis sur des terrains en pente ou à proximité d’un coteau. Le cumul de ces versants (fig. 5 en haut) fait apparaître une nette préférence pour les orientations nord-nord-est et sud-sud-ouest. Cette tendance est en fait une simple conséquence de la topographie bourguignonne. Même si le plus célèbre des versants, la « Côte-d’Or », est orienté au sud-est, la plupart des axes hydrographiques — et par conséquent des vallées — sont orientés perpendiculairement à cette côte. La tendance nord-est - sud-ouest du radar des sites fortifiés est donc en partie une conséquence de la topographie de la Bourgogne du nord. L’évolution du choix des versants (fig. 5 en bas) est en revanche plus significative. Au XIIIe siècle, le radar (calculé sur 187 sites) présente une nette dissymétrie au profit du sud. Les seigneurs bâtisseurs pensent à leur confort et, dans la mesure du possible, installent leur forteresse
18
Le corpus des sites a été divisé en trois ensembles chronologiques. Un plus grand nombre d’ensembles conduirait à travailler sur des corpus trop petits et statistiquement inexploitables. Les bornes chronologiques des ensem-
bles ont été choisies par tâtonnement, pour obtenir des formes bien différenciées, mais aussi dans le souci de trouver des césures historiques significatives.
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5. Exposition topographique des sites fortifiés. Histogramme radial en barres : fréquences des expositions. Orientation des versants de plus de 4 % mesurée sur 360° pour 419 sites. Valeurs cumulées par intervalles de 10° (premier diagramme) et 45° (diagrammes suivants).
sur un coteau bien ensoleillé. Pendant la guerre de Cent Ans, la tendance nord-est - sud-ouest s’exaspère. La cartographie des sites montre en effet que, durant cette période, les forteresses sont plus nombreuses dans l’Auxois et la Montagne, dans les vallées ouvertes vers l’Île-de-France. Dans ces vallées, on choisit indifféremment l’adret ou l’ubac. Face au danger, seule la valeur défensive du site est prise en compte. Le danger passé, on construit peu et surtout en terrain plat. Curieusement, les versants sud attirent peu, mais les expositions au soleil levant et couchant retrouvent quelques suffrages. Pour mesurer le caractère attractif ou répulsif des versants, nous avons procédé à un calcul d’écart à l’indépendance pour chaque période. Ce calcul consiste à rechercher le nombre théorique de sites pour chacune des 41
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6. Exposition topographique des sites fortifiés. Tableau de l’écart à l’indépendance calculé pour 476 sites datés et localisés.
zones d’exposition en fonction de sa superficie19. Il s’agit par ce calcul de prendre en compte le biais engendré par l’importance ou non d’une orientation par rapport à une autre dans une région donnée. Le tableau fig. 6 synthétise le résultat sous forme graphique : plus l’écart est positif, plus la différence entre le nombre de sites attendu et 19 Soit, x r, l’effectif réel de sites pour une exposition, si, la superficie d’une exposition et st, la superficie totale de la zone d’étude. On calcule x t, l’effectif théorique de sites pour chaque exposition : x t = (x r X si) / st
Puis on calcule e, l’écart à l’indépendance pour chacune des catégories prédéfinies (une période et une exposition) par la différence entre x r, la valeur réelle et x t, la valeur théorique : e = xr - xt M. Béguin, D. Pumain, La représentation des données géographiques. Statistique et Cartographie, Cursus, Colin, Paris, 1994.
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7. Exposition topographique des sites fortifiés. Histogramme radial de l’écart à l’indépendance, calculé pour 419 sites bâtis sur des versants de plus de 4°.
le nombre de sites réel est importante : l’exposition est donc attractive. Inversement, un écart négatif montre qu’il y a moins de sites qu’attendu, l’exposition est alors considérée comme répulsive. La figure 7 montre ces oscillations autour d’un axe « zéro » sur un diagramme circulaire, qui permet d’apprécier la différence entre les expositions effectives (fig. 5) et les expositions relatives (fig. 7). On voit que la crainte des versants exposés à la bise et la recherche des versants sud-ouest est sensible avant le milieu du XIVe siècle. Après cette date, alors même que les idées des physiocrates se répandent, toute préférence dans le choix des versants devient quasiment imperceptible. 2.5. L’orientation des sites et les traités d’agronomie En superposant maintenant la direction architecturale et l’orientation du terrain, on peut avoir une image plus nuancée de l’influence 43
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8. Orientation architecturale et exposition. Histogramme radial en barres : fréquences de direction d’ouverture. Orientation des versants de plus de 4 % mesurée sur 360° pour 419 sites. Valeurs cumulées par intervalles de 10°.
des physiocrates (fig. 8). De manière générale, les châteaux sont tournés vers l’est, comme le préconisent les traités d’agriculture et d’architecture antiques, mais ils sont souvent installés sur un coteau orienté au sudouest, ce qui est plutôt dû aux contraintes locales. Avant la guerre de Cent Ans, l’ensoleillement est un critère important dans la construction. On cherche les versants sud et l’on ouvre les bâtiments au sud ou à l’est. Pendant les siècles de crise, on construit beaucoup, partout, sans trop se soucier de l’orientation. Quand arrivent la paix et les premiers traités d’agronomie, on retrouve le réflexe d’ouvrir le pont-levis et de larges fenêtres vers l’est. Mais rares sont les seigneurs bâtisseurs qui, un Pierre de Crescent d’une main et une boussole de l’autre, ont pris la peine d’acquérir un domaine au pied d’un coteau boisé orienté vers les rayons bénéfiques du soleil devant.
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Le soleil, l’eau et le vent sont donc parfois pris en considération au moment de bâtir la forteresse, mais le critère principal reste les qualités défensives du site, avec notamment les possibilités de voir et d’être vu. 3. Stratégie de surveillance 3.1. Méthodologie Les systèmes d’information géographique permettent de calculer et de visualiser l’ensemble du territoire visible à partir d’un point donné grâce à l’utilisation d’un M.N.T. À partir d’un calcul de voisinage entre chacune des cellules ou pixels composant le M.N.T., on produit en sortie une grille de visibilité (pour un ou plusieurs sites donnés) dont les cellules ont pour valeur un nombre correspondant au nombre de sites ayant une visibilité sur la surface représentée par ces cellules. Par exemple, un pixel de valeur 2 signifie que 2 sites observent la portion de territoire représentée par ce pixel. Par ailleurs, il est possible de soustraire les grilles afin d’obtenir une évolution entre 2 périodes. Précisons que ces calculs de visibilité ne prennent pas en compte la végétation, ni les bâtiments. De plus, dans la présente étude, les châteaux ont été réduits à un simple point, en général le point central du site. Or, il est évident que pour certains sites, la visibilité change considérablement quand on se déplace de quelques mètres à l’intérieur du château. 3.2. Évolution de la surveillance dans l’Auxois et le haut Auxois L’étude des aires de surveillance a été menée sur un carré test de 50 km de côté, découpé entre les collines humides de l’Auxois au sudouest et les plateaux arides de la Montagne au nord-est (fig. 1 et 9). Ce carré, richement doté en châteaux et maisons fortes, est traversé par le ruisseau de la Seine qui coule vers le nord, les torrents de l’Oze, l’Ozerain et la Brenne qui creusent de profondes vallées encaissées autour de la butte d’Alise-Sainte-Reine, l’Armançon et le Serein qui ouvrent de larges vallées entre la Bourgogne et l’Île-de-France, vallées qu’empruntent aujourd’hui le canal de Bourgogne, l’autoroute A6 et la ligne TGV. Au XIe siècle (fig. 9), les châteaux sont encore rares. Il s’agit d’anciens oppida carolingiens, comme Flavigny, Grignon, Thil, ou de mottes castrales telles que Rougemont ou Gissey-le-Vieil. La vallée de 45
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9. Carte des surveillances potentielles au XIe siècle. Sources géographiques : BD Alti.
l’Armançon est déjà particulièrement bien surveillée, sous la vigilance des châteaux de Thil et de Saint-Beury au nord, de Mont-Saint-Jean et de Pouilly au sud. Les 19 sites présents sur la carte surveillent en moyenne un secteur de 30 km 2 (fig. 11). Cette moyenne est plus élevée que toutes celles des siècles suivants. Le calcul des aires surveillées prouve donc que le critère de surveillance est très important pour ces premiers châteaux : les meilleurs points de vue sont occupés dès le début du Moyen Âge. Le réseau de surveillance se renforce aux XIIe et XIIIe siècles avec les châteaux neufs et les maisons fortes (fig. 10). Mais les progrès sont encore plus nets aux XIVe et XVe siècles, grâce aux nouvelles forteresses bâties lors de la guerre de Cent Ans. La superficie moyenne surveillée par chaque site, en revanche, ne cesse de diminuer (fig. 11). Elle est de 24 km 2 au XIIe siècle, 13 km 2 au XIIIe siècle, 9,5 km 2 au XIVe siècle et 8 km 2 au XVe siècle. L’écart croissant entre des sites de plus en plus nombreux et un territoire surveillé par chaque site de plus en plus faible est d’une part la conséquence de la loi des rendements décroissants : les meilleurs sites de surveillance ont été occupés en premier ; d’autre part une conséquence de la multiplication des maisons fortes. Les châteaux de la fin du Moyen Âge ne cherchent plus à voir et à être vus de loin, 46
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10. Cartes des surveillances potentielles aux XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles. Sources géographiques : BD Alti.
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Nombre de sites Superficie surveillée totale (dizaines de km 2) Moyenne de la superficie surveillée par site (km 2/site)
XIe s. XIIe s. XIIIe s. XIVe s. XVe s.
11. Évolution des superficies potentiellement surveillées du XIe au XVe siècle. 47
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mais plutôt à bloquer des passages et à surveiller et protéger les lieux de peuplement. Le développement de la surveillance ne se fait pas dans le sens d’une couverture de plus en plus homogène, mais au contraire au profit des régions déjà surveillées. Ce déséquilibre croissant a une cause mécanique et une cause humaine. Mécaniquement, les terrains dominés par des hauteurs naturelles sont de plus en plus surveillés : les vallées de l’Armançon et du Serein sont larges, plates et entourées de coteaux et de buttes très élevées. Toute construction supplémentaire ajoute au taux de surveillance. En revanche, au nord-est, le bailliage de la Montagne est un plateau calcaire aride, entrecoupé d’étroites vallées. Aucun relief ne domine le plateau et les sites fortifiés eux-mêmes sont plutôt construits en fond de vallée, près de l’eau. Aussi, sur nos cartes, le plateau apparaît-il comme une région peu surveillée. Mais les déséquilibres ont aussi une cause humaine : le plateau est dominé par la puissante abbaye de Saint-Seine, qui est parvenue à interdire toute construction militaire à proximité de ses terres. En revanche, l’Auxois est aux mains de plusieurs châtelains rivaux, qui encouragent la prolifération de maisons fortes. Les points de plus forte concentration de surveillance s’expliquent aussi par le besoin de surveillance réciproque : on ne construit pas une nouvelle forteresse dans les déserts sans surveillance, mais plutôt près des carrefours très convoités, pour surveiller et contrer les forteresses rivales : omni enim habenti dabitur, et abundabit… Les cartes de surveillance font apparaître une curieuse anomalie dans la vallée de l’Ozerain. Alors que les vallées de l’Oze et de la Brenne, qui lui sont parallèles, se couvrent peu à peu de maisons fortes qui surveillent étroitement ces axes de passage, la vallée de l’Ozerain, tout au long du Moyen Âge, forme une tache sombre sur la carte de la surveillance : aucun château ne vient surveiller ce qui se passe dans cette riante vallée. La raison en est double. Tout d’abord, cette vallée se termine au sud-est en cul-de-sac, et c’est une voie de communication beaucoup moins praticable que les deux vallées voisines. (Aujourd’hui encore, la vallée de l’Oze est traversée par le chemin de fer, celle de la Brenne par la route nationale, mais il faut un GPS pour se sortir de la vallée de l’Ozerain 20). Ensuite, cette vallée est bloquée, au nord-ouest, 20
Cette vallée a vécu très longtemps coupée du monde. Jusque dans les années soixante, aucune route ne la reliait aux autres vallées, et le patois s’y est maintenu plus longtemps qu’ailleurs. Saint-Mesmin a été équipé en eau
courante communale en 1973 et, à l’heure d’écrire cet article, la vallée de l’Ozerain n’est toujours pas couverte par les réseaux de téléphonie mobile.
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12. Évolution des aires potentiellement surveillées entre le XIVe et le XVe siècle. Sources géographiques : BD Alti.
par la puissante citadelle de Flavigny, et les moines de Saint-Pierre de Flavigny régnaient en maître dans cette vallée, arrière-pays de leur abbaye21. La couverture de la surveillance ne bénéficie pas d’une croissance continue : en effet, la somme des aires surveillées diminue légèrement entre le XIVe et le XVe siècles (fig. 11). Pour expliquer ce phénomène, il suffit de créer une carte différentielle par soustraction des grilles de visibilité de chaque période (fig. 12). On constate que le territoire perdu provient d’un site de la haute vallée de la Brenne : Gissey-le-Vieil. En effet, ce site, perché sur un éperon dominant la rive sud de la Brenne, jouit d’un point de vue stratégiquement intéressant. Pourtant, il semble abandonné dès 1366 et il est remplacé au XVe siècle par une maison forte
21
Du nord au sud, la vallée est occupée par les villages de Hauteroche, Écorsaint, Jailly-lesMoulins, Villeberny et Villy-en-Auxois. Les moines de Flavigny avaient le patronage sur ces cinq paroisses et la justice sur les trois premiè-
res. Villeberny avait un seigneur indépendant, qui n’a pu fortifier sa maison qu’au XVIe siècle ; Abbé Cl. Courtépée, Description générale et particulière du duché de Bourgogne, 7 tomes, Dijon, 1775-1788 ; 2e éd. : 4 tomes, Dijon, 1847.
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bâtie près du village, au pied de l’éperon 22. Cette nouvelle situation présente peu d’intérêt stratégique, mais elle répond en tout point aux conseils de Pierre de Crescent. 3.3. Stratégie de surveillance par type de site On peut enfin essayer de savoir si la qualité de surveillance varie en fonction des types de site. Pour cela, nous avons généré des cartes de surveillance par type à l’échelle de la Côte-d’Or (fig. 13 et 14). Les châteaux (fig. 13) sont remarquablement placés, puisqu’ils surveillent la basse vallée de l’Ouche, c’est-à-dire la voie entre Dijon et Dole (A), la haute vallée de l’Ouche (B) et la vallée de la Brenne (C). Cette cartographie est presque superposable avec celle des autoroutes actuelles. La carte de la surveillance des maisons fortes (fig. 14) est caractérisée par une très forte densité de surveillance de la côte vinicole, au sud de Dijon, puisque certains points ont une liaison optique potentielle avec près de 50 sites. La raison de cette densité n’est pas stratégique, mais simplement naturelle. La côte est visible de tous les points de la plaine de la Saône. Or, comme les maisons fortes sont nombreuses dans cette plaine, mathématiquement, elles sont également nombreuses à pouvoir admirer la côte. Cette forte densité ne se retrouve pas sur la carte des tours fortes. En effet, elles-ci sont moins nombreuses et elles sont plutôt situées sur le plateau et dans les vallées de l’Auxois. La carte des formes primitives de terre offre un aspect opposé à celui des tours fortes. Les mottes et les enceintes sont plus nombreuses dans la plaine. Celles qui ont été élevées dans la montagne ont une faible capacité de surveillance. Enfin, la carte des églises fortifiées représente un point de comparaison intéressant. En effet, une église forte, en général, n’est pas une forteresse à vocation religieuse, mais une église qui a été fortifiée, et qui l’a souvent été a posteriori. Par conséquent, sa situation ne semble pas répondre à une stratégie de surveillance et de visibilité, mais plutôt d’occupation et de sanctification de l’espace. Or, on s’aperçoit que les églises fortifiées ont des aires de surveillance très importantes. Il y a quelques cas particuliers, comme la collégiale de Thil-en-Auxois, bâtie à côté du château du même nom, et qui jouit, par contamination, d’un point de vue exceptionnel. On pourrait aussi penser que les églises qui ont été fortifiées sont précisément celles qui avaient une situation stratégique intéressante. Mais cette interprétation ne tient pas si l’on consi22
1366 : Archives départementales de la Côted’Or, B 10513 ; 1451 : ibid., B 11516.
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13. Carte des surveillances potentielles des châteaux (120 sites) Sources géographiques : BD Alti.
dère que la décision de fortifier l’église était généralement prise au niveau local 23. Reste une dernière hypothèse : la carte reflète plus un souci d’être vu que de voir. La place — inamovible et généralement ancienne — de l’église n’est pas choisie dans un but utilitariste de proximité avec les paroissiens, mais plutôt en fonction de sa visibilité. L’église sert à marquer et à christianiser le paysage24. On pourrait sans doute reprendre et affiner cette question avec une étude topographique précise de tous les lieux de culte… On peut enfin comparer d’un point de vue purement quantitatif les surfaces surveillées par chaque type de site (fig. 15). Sans surprise, on voit que les châteaux se taillent la part du lion, en surveillant 3700 km 2, alors que les maisons fortes à plate-forme, beaucoup plus nombreuses, totalisent seulement 2810 km 2. La surprise vient plutôt du ratio surface/
23 J.-P. Meuret, Les églises fortifiées de la Thiérache,
Vervins, 1977 ; J. Mourier, Ph. Pagnotta, Les églises fortifiées de la Meuse, Verdun, 1993 ; Chr. Cognard, Les églises fortifiées de Bourgogne du sud. Maîtrise d’archéologie médiévale sous la direction de D. Russo, Dijon, 2004.
24
Sur cette question, voir notamment M. Fixot, É. Zadora-Rio (dir.), L’environnement des églises et la topographie religieuse dans les campagnes médiévales, Paris, 1994.
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14. Cartes des surveillances potentielles des maisons fortes à plate-forme (174 sites), des tours fortes (68 sites), des formes primitives de terre (50 sites) et des églises fortifiées (50 sites). Sources géographiques : BD Alti.
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15. Stratégie de surveillance par type de site (Abscisse : nombre de sites ; ordonnée : moyenne de l’aire surveillée par type de site ; diamètre proportionnel à la superficie totale surveillée, indiquée au centre en km 2).
site très élevé des églises fortifiées (43 km 2 par site)25 et surtout des formes primitives de terre (50 km 2 par site). Nous venons de voir que la bonne qualité paysagère des églises fortifiées vient peut-être d’un souci de visibilité des églises en général. La qualité de surveillance des mottes et des enceintes, en revanche, est une découverte. En effet, ces édifices sont rarement situés sur des sites de sommet. On les trouve en plaine ou en vallée, et leur fort potentiel de surveillance tend à montrer que les sites d’implantation ont été choisis, assez régulièrement, dans une problématique de surveillance de l’espace. Ainsi, ces formes primitives de terre, en général, n’ont pas été élevées pour contrôler un défrichement, un peuplement ou une exploitation locale, mais plutôt des axes, des territoires, voire d’autres sites. Cette caractéristique pourrait faire penser que bien souvent, les mottes et les enceintes ont été, à l’origine, des fortifications de guerre, élevées dans un but essentiellement stratégique.
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Cette donnée est en fait corrigée par la suppression de la collégiale de Thil, qui fausse les
moyennes à cause de sa situation de collégiale castrale et son point de vue exceptionnel.
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4. Conclusion Notre étude, très novatrice dans la forme, pourrait apparaître bien timide dans ses conclusions. C’est que les chiffres sont ingrats. On aurait pu faire de brillantes démonstrations en vérifiant les hypothèses les plus hardies avec des exemples bien sélectionnés et habilement présentés. Mais l’informatique se prête mal à ce genre de rhétorique. La loi des grands nombres pousse toujours les moyennes vers le centre, les causes naturelles se superposent aux phénomènes historiques et les décalages significatifs ne sont pas toujours spectaculaires. Aussi, l’historien, au moment de conclure, doit-il rester particulièrement prudent. Les écrits agronomiques de la Renaissance ont-ils eu un impact sur l’organisation spatiale de l’habitat aristocratique fortifié ? Certes, il y a de beaux exemples (Entre-Deux-Mont, Gissey-le-Vieil…) de manoirs bâtis au XVe siècle au pied d’un coteau boisé exposé au sud. Mais, statistiquement, sur 102 sites bâtis au XVe siècle, il n’est pas extraordinaire d’en trouver quelques-uns dans la situation recherchée. En revanche, la moyenne de toutes les expositions est irrécusable : les nouveaux habitats s’installent où ils peuvent, sans trop se soucier de l’ensoleillement de la terrasse. Seule, l’orientation du bâtiment, c’est-à-dire de la porte et des fenêtres, semble rechercher un ensoleillement plus important, du moins quand la paix le permet. La stratégie de surveillance est, elle aussi, une contrainte parmi d’autres. Les premiers châteaux s’installent plutôt sur les hauteurs, mais il faut noter également que les plus beaux points de vue (Mont-Affrique, Signal de Mâlain, montagne de Bar) ne sont pas occupés au Moyen Âge. Les seigneurs bâtisseurs ne cherchent pas à voir le plus possible ou le plus loin possible (à quoi cela servirait-il sans instruments optiques d’observation ?) mais tout au plus à surveiller telle voie ou tel bourg. Les maisons fortes s’installent près de l’eau, et ne voient guère plus loin que le bout de leurs fossés. Les tours fortes, dont le dernier étage arbore fièrement des baies-créneaux censées abriter des guetteurs, sont généralement bien mal placées. Les guetteurs n’avaient pas besoin d’un regard d’aigle pour scruter un horizon souvent fermé sur trois ou quatre côtés par les versants de la vallée. En revanche, les mottes et les enceintes, qui sont souvent abandonnées très tôt au Moyen Âge, semblent avoir été installées dans des circonstances de crise — guerre, attaque, tension politique, siège — pour des garnisons actives qui devaient savoir assez tôt d’où venait le danger. On aurait pu prolonger cette étude en multipliant les critères de recherche. On pourrait par exemple essayer de voir si les châteaux qui 54
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topographie et habitats fortifiés en bourgogne du nord
ont un droit de guet ou une tour de guet, ont une plus grande aire de surveillance. Cette aire pourrait être étudiée d’un point de vue qualitatif, notamment en essayant de quantifier le nombre de feux surveillés, et non seulement la superficie. Cette première étude ouvre donc un assez large champ de recherche, que nous nous sommes ici contentés d’effleurer.
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Daniel de Raemy Service des Biens culturels du canton de Fribourg (Suisse), Inventaire des Monuments d’Art et d’Histoire Les
braies. Un dispositif défensif méconnu de l’architecture militaire dans les Etats de Savoie
1. Contexte général, définition Nous sommes un peu avant 1260, dans l’ancien Pays de Vaud et ses régions limitrophes, soit l’actuel canton de Vaud, le sud du canton de Fribourg et le Bas-Valais en aval de Sion. Ces contrées tombent progressivement sous l’influence de la maison de Savoie par la politique de conquête menée par Pierre de Savoie dès les années 1230. Celle-ci recourt notamment à la création de villes nouvelles dotées de franchises destinées à attirer la population et évidemment, à la construction de châteaux résidentiels bien défendus. Ces derniers adoptent de nouveaux principes constructifs et défensifs régis par la notion de flanquement systématique1. Cela implique l’édification de forteresses aux dispositions compactes tendant vers un plan géométrique simple aux angles renforcés de tours saillantes, connu sous le terme de « carré savoyard ». Ces édifices, bien adaptés aux sites de plaine, offrant peu de protections naturelles, doivent se doter d’importantes défenses périphériques disposées concentriquement2, de fossés bien sûr, mais aussi d’une première enceinte basse, connue sous le terme de braies, lesquelles emmaillotent littéralement le château résidence. Les sites où l’eau a joué un rôle défensif important (Wasserburg), naturellement ou artificiellement insulaires, ont favorisé l’apparition des braies. C’est le cas à Yverdon, ville installée à l’extrémité sud du lac de Neuchâtel, sur un cordon littoral alluvionnaire créé conjointement par l’apport de sable et graviers d’une rivière, la Thièle, et le reflux provoqué par les vagues du lac, très fréquentes, puisque celui-ci est disposé dans l’axe d’un vent de haute pression dominant, la bise. On examinera ensuite les sites de Rolle, de Morges, de La Tour-de-Peilz et de Chillon, tous quatre sur la rive droite 1
D. de Raemy, Châteaux, donjons et grandes tours dans les Etats de Savoie (1230-1330). Un modèle : le château d’Yverdon, Lausanne, 2004.
2 Cette notion de concentricité est importante,
car elle permet de différencier la braie de la simple barbacane protégeant la zone de l’entrée, ou de tout autre type de défense avancée, sur les sites de montagne notamment.
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du lac Léman, traversé de part en part par les eaux du Rhône. On retournera au pied du Jura avec les sites au relief plus marqué de Grandson et de Champvent, près d’Yverdon. Si ces châteaux nous sont parvenus presque intacts, les braies ont souvent disparu ou été transformées en simples murs de jardin ou de terrasse. La présente communication va s’ingénier à les suggérer et indiquer leur incidence sur la périphérie ainsi protégée du château. 2. Présentation de quelques cas 2.1.Yverdon Les premières braies connues de notre corpus apparaissent simultanément à la construction du château défendant le flanc oriental de la ville neuve d’Yverdon, commencé en 1258 sous les ordres de Pierre de Savoie. Elles sont citées en 1261 dans la comptabilité savoyarde3. Il s’agit de protéger l’édifice non seulement de l’ennemi, mais également de la sape provoquée par les cours de la Thièle, rivière qui constitue par ailleurs une excellente défense naturelle. Elles s’étendent sur les côtés est et sud du château, là où l’enceinte de la ville ne peut le protéger (fig. 1). Leur tracé, bien connu par des plans anciens de 1686 et 1737, a été confirmé par divers fragments mis au jour. Les sources comptables en rapportent les multiples réparations et permettent ainsi d’en saisir l’aspect général. Comme le château lui-même, elles étaient bâties sur une fondation formée de pilotis plantés les uns contre les autres. Leur base, souvent sapée par les eaux, est non seulement reconstituée en sousœuvre, mais consolidée en 1371 par un «charmur», un empierrement horizontal large de 2 m environ4. En 1391, les braies orientales, du côté du faubourg de la Plaine apparu vers 1300, sont encore doublées par une palissade en fortes planches de chêne que l’on fiche en terre au moyen d’un «mouton» et qui sont tenues l’une à l’autre par des chevilles de fer5. Le mur lui-même, épais de 1,4 m en fondation, présente un talus extérieur qui l’amincit à 1 m environ. Sa hauteur, en tout cas lorsqu’il est reconstruit en 1497, est de 6,50 m environ; au sud, son couronnement est équipé sans doute d’un chemin de ronde muni d’un parapet crénelé qu’il s’agit de réparer cette année-là en même temps qu’on y perce une seconde canonnière, doublant celle qui existe déjà dans l’angle à l’ex3
Archivio di Stato di Torino (AST), Sezioni Riunite (SR), inventario (i.) 69, foglio (f.) 5, mazzo (m.) 1, rotolo (rot.) 2, compte (c.) de Pierre Mainier, magister operum, 1261-62: Pro taschia exterioris doete faciende de petra dura…
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AST, SR, i. 70, f. 205, m. 3, compte de la châtellenie (cc.) d’Yverdon, 10.03.137107.05.1372. 5 AST, SR, i. 70, f. 205, m. 6, cc. Yverdon, 03.04.1391-15.12.1391.
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1. Maquette du château d’Yverdon montrant l’état au début du XVe siècle, Collections du Musée d’Yverdon et région.
trémité sud-est6. Il n’est jamais fait mention de tours de flanquement, en particulier à l’extrémité sud de ces braies. On parle seulement d’angle ou de coin (quadro, cornu). Le visiteur aujourd’hui est souvent surpris par l’ampleur des baies ouvertes dans les courtines, soit la grande verrière à remplage de la chapelle ou la série de 8 fenêtres à croisée éclairant l’aula à l’origine. C’est justement la protection des braies, maintenant disparues, qui en a autorisé le percement. Leur déficience affaiblit considérablement les défenses du château. Ainsi, au début de 1408, leur écroulement partiel contraint le châtelain à payer une garde spéciale pendant 22 jours, en période de tension avec les Bernois et les Fribourgeois7. En 1497, le maître des œuvres du duc de Savoie, le charpentier Mermet Bonvespres, chargé d’effacer les dommages causés par les guerres de Bourgogne, en explicite encore leur importance, lorsqu’il charge le maître maçon 6
AST, SR, i. 70, f. 205, m. 25, cc. Yverdon, 1497: In una canoneria lapidum tallie in panteria muri… a magna turre usque ad canoneriam existentem in quadro dictarum bracharum… facta reficiendo ipsum murum et imbochiando murum an-
tiquum brachiarum iuxta magnam turrim et reparando crenellos dicti muri, 9 fl. pp. 7 B. de Cérenville, C. Gilliard, Moudon sous le régime savoyard, Lausanne, 1929, p. 197.
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d’Orbe, Pierre Badaz, de les reconstruire : «parce que la brèche permet un accès plus facile et qu’on ne peut se tenir en sécurité dans le château»8. Côté ville, ces travaux touchent également les murs de contrescarpe des fossés qui jouent aussi le rôle de braies, car le fossé, très peu profond, voire presque au même niveau que la place de dégagement adjacente, est en fait une zone de circulation défensive périphérique, soit des lices. Les lices ne sont jamais explicitement évoquées dans les sources, car elles sont incluses dans l’existence de braies. Il s’agit de l’espace de circulation situé entre les courtines du château et les murs de braies; il est destiné avant tout aux défenseurs qui peuvent circuler rapidement et bien protégés sur le pourtour de l’édifice. Relevons encore qu’à Yverdon, les lices sont interrompues par les tours ; elles ne contournent pas ces dernières si l’on fait abstraction de celle qui est à l’intérieur de la ville. Le passage de l’une à l’autre se fait par des poternes percées dans les courtines donnant dans des celliers ou des cours basses fonctionnant comme une gaine, disposée sous l’étage résidentiel des corps de logis, définie par les courtines et par les murs soutenant la cour intérieure surélevée. En temps de paix les lices d’Yverdon sont partiellement cultivées en jardin potager et abritent des petits édifices de basse-cour. Au sud, elles sont même aménagées en jardin d’agrément. 2.2. Rolle Le château de Rolle, édifié vers 1264 à l’initiative des seigneurs de Mont certainement, adopte le plan d’un losange irrégulier 9. Il a épousé étroitement la configuration du site qui, comme à Yverdon, est une butte d’alluvions fluvio-lacustres formée par le lac et le delta des rivières de Famolens et du Flon; l’édifice est de vastes proportions puisque son plus grand côté, d’une tour semi-circulaire à l’autre, mesure près de 60 m, alors que les petites faces, aboutissant à la grande tour «ovalée», comptent environ 45 m (fig. 2). L’enceinte définie par les courtines et les tours abritait sans doute non seulement une résidence seigneuriale (donjon) mais probablement un bourg portuaire, débouché sur le lac pour les seigneurs de Mont, maîtres de l’arrière pays, sur les pentes du Jura. Les dispositions médiévales sont bien difficiles à suggérer car les transformations des XVe et XVIe siècles ont été très importantes. Les sources écrites n’apportent que peu de choses puisqu’aucun compte de châtellenie ou de seigneurie n’a été conservé. 8
AST, SR, i. 70, f. 205, m. 25, cc. Yverdon, 1497: Quod dictus murus disruptus eo quod per foramen ibidem eventum ex diruptione dicti muri patet facilius accessus ad dictum castrum nec posset aliquid secure teneri in dicto castro.
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D. de Raemy, Châteaux, donjons et grandes tours …, Lausanne, 2004, p. 227-233.
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2. Château de Rolle, vers 1264. En traits noirs, structures existantes ou constatées par les fouilles archéologiques et le plan cadastral de 1779. En traitillés, structures supposées ; leur extension dans le lac n’est pas connue (Archéotech SA, Epalinges, dessin des braies : D. de Raemy).
Les investigations archéologiques conduites en 1984 ont mis en évidence l’existence de braies massives, puisqu’elles sont fondées à plus de 5 m de profondeur et qu’elles ont là 3 m d’épaisseur : outre leur rôle défensif, elles protégeaient également le site du château de l’érosion provoquée par l’eau des fossés, en partie artificiels et dont la largeur avoisinait les 25 m. Quelques indices laissent croire que ces braies se prolongeaient en direction du lac de chaque côté du château, interdisant l’approche latérale. Les plans anciens montrent encore un ouvrage flanquant cette enceinte du côté de Genève, de plan grosso modo semblable à celui des tours secondaires du château10. Ces braies auraient contenu des lices formant digues et s’appuyant contre un mur plus élevé, partant de chacune des deux tours secondaires en direction du lac11. Avec la 10
Archives communales de Rolle, plan de 1779, fol. 3-4, non coté. 11 Hypothèse avancée par F. Christe, O. Feihl (Archéotech SA), Château de Rolle, aile nord,
analyse archéologique préliminaire, Lausanne, 1983, rapp. dactyl. déposé au Service des bâtiments de l’Etat de Vaud, p. 9.
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3. Le château de Morges en 1696, selon Hans Jacob von Diesbach, vue de l’ouest, avec ses braies et ses tours quadrangulaires des années 1380, renforçant le front méridional, hors des murs de la ville, Archives de l’État de Berne.
longue courtine brisée du château, ces deux murs auraient constitué l’enceinte proprement dite du port. L’existence de ceux-ci expliquerait de façon convaincante l’implantation pour le moins curieuse des tours par rapport aux dispositions actuelles de l’édifice, ne pouvant commander les courtines, côté lac. Face au lac, les courtines montrent encore les traces d’une porte basse en arc brisé pour les bateaux qui accédaient directement à des celliers inondés. Cet accès direct par le lac aurait été abandonné dès le début du XIVe siècle lorsque les corps de logis sont transformés. La zone située au pied de la courtine a alors dû être exondée et a dès lors formé une lice avec la construction de nouvelles braies du côté du lac. Avec ces travaux, les lices, à la différence d’Yverdon, sont devenues continues sur tout le pourtour du château ; elles contournaient les tours de flanquement. 2.3. Morges Le château de Morges présente un plan très proche de celui d’Yverdon, même s’il est plus petit (37 m x 38 m env.). Il a été édifié dès 1286 par Louis de Savoie, seigneur de Vaud, frère du comte Amédée V 62
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de Savoie. S’il est au bord du lac, il en est toutefois moins proche que le château de Rolle. Il n’y avait en principe pas d’accès direct de ce côté. Nous sommes mal renseignés sur les étapes de la construction de l’édifice car la comptabilité de Louis de Savoie a malheureusement disparu. Il faut attendre 1359, lorsqu’il revient dans le domaine direct des Savoie, pour être précisément renseigné par les sources écrites. Ces documents attestent l’existence de braies qui font le pourtour complet du château et définissent ainsi des lices non interrompues par les tours. Ce dispositif a certainement été conçu avec le projet initial. Comme à Yverdon, les fondations de cette enceinte extérieure étaient protégées par des « charmurs » contenus par une palissade de pieux. Sur les flancs ouest et sud, cette palissade définissait l’escarpe d’un fossé humide alimenté par une dérivation des eaux de la Morges. Du côté de la ville, ce fossé était sec : une situation assez semblable à celle d’Yverdon. A la différence de ce dernier, Morges était un lieu de séjour privilégié de la cour comtale. C’est sans doute ce qui explique qu’à la fin du XIVe siècle, en des temps perturbés par la guerre de cent ans et les « grandes compagnies », ces braies aient été considérablement renforcées et flanquées de tours quadrangulaires à l’ouest, soit sur le côté opposé à la ville fondée et fermée en même temps que le château (fig. 3). Il est intéressant de relever que les lices méridionales étaient aménagées en jardin d’agrément que l’on pouvait apprécier depuis une loggia appuyée contre la courtine sud en 1436. On y accédait par une poterne percée dans la tour sud-ouest, formant retrait par rapport à la camera domini voisine12. Quant à elles, les lices orientales du côté du lac dans l’angle nord-est abritaient le corps de logis des cuisines édifiées à l’extérieur de l’enceinte principale du château13. 2.4. La Tour-de-Peilz En 1250, Philippe de la Tour vend à Pierre de Savoie ses droits sur La Tour-de-Peilz14. D’autres acquisitions dans la région permettent à ce dernier d’étendre son hégémonie et d’installer un châtelain qui occupe sans doute le château des La Tour, juché sur un promontoire rocheux analogue à Chillon sur la rive du lac. Par rapport au château de Chillon, site verrou à l’entrée du Vieux-Chablais (Bas-Valais actuel et versant nord du col du Saint-Bernard), La Tour-de-Peilz était une position avancée face à Vevey et sur la route de Châtel-Saint-Denis en direction 12
D. de Raemy, Châteaux, donjons et grandes tours …, Lausanne, 2004, p. 184. 13 P. Bissegger, Les Monuments d’art et d’histoire du canton de Vaud, V, Morges, Bâle, 1998, p. 72
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D. de Raemy, Un château peut en cacher un autre. Le château de La Tour-de-Peilz, histoire et architecture, Lausanne, octobre 1983. Mémoire de licence de l’Université de Lausanne déposé à la Bibliothèque cantonale et universitaire.
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4. Château de La Tour-de-Peilz. Reconstitution de l’état médiéval des braies et des fossés. En traits épais : structure médiévales antérieures à 1310, existantes ou attestées (en traits continus), supposées par les textes (en traitillés). En traits fins : structures reconstruites après 1476 dans le secteur de la grande tour (Atelier d’archéologie Médiévale SA, Moudon – D. de Raemy).
de Fribourg. Le château qu’occupe Pierre de Savoie est ponctué par une grande tour quadrangulaire romane, citée déjà en 117515, disparue en 1750, séparée par un fossé d’un grand corps de logis résidentiel de 23 m x 11 m, sans doute édifié peu avant l’arrivée de Pierre (fig. 4), directement accessible dans ses parties basses par les bateaux au travers d’une porte en plein cintre dont il subsiste quelques claveaux. S’il fallait suggérer l’aspect original de cet accès direct par les bateaux, tant ici qu’à Rolle, on peut évoquer la grange d’eau ou « batelière » cistercienne du XIIe siècle à Hautecombe en Savoie au bord du lac du Bourget, laquelle montre encore ce dispositif. On ne connaît pas le système défensif de ce château primitif car il disparaît dans l’agrandissement considérable qu’entreprend dès 1282 le 15 C. Roth (éd.), Cartulaire du chapitre de NotreDame de Lausanne, Lausanne, 1948, n° 646, p. 524 : De campo ante turrem…
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successeur de Pierre, le comte Philippe de Savoie qui octroie des franchises aux habitants du bourg. Celui-ci sera doté d’une enceinte. Simultanément, le château voit ses courtines étendues et ponctuées par deux tours semi-circulaires achevées avant 1288 puisque cette année-là on les munit de hourds. Du côté de la ville, un vaste fossé est creusé, agrandissant sans doute une faille naturelle ; ses murs de contrescarpe sont dressés durant le printemps-été 1291. Comme à Rolle, ce fossé humide entoure complètement le château, petite île dans le lac. Le fossé ne s’étend pas jusqu’au pied des courtines mais est limité du côté du château par un mur de braies qui se prolongeait sans doute dans le lac de chaque côté du château afin de protéger l’accès aux celliers. Ces braies se présentent tout d’abord sous la forme d’une palissade provisoire en bois dont les derniers pieux sont plantés en 128916. Son remplacement par un mur en maçonnerie n’est pas explicitement attesté car cette transformation est intégrée dans la comptabilité aux dépenses consacrées en 1294 à la réalisation de l’enceinte doublée de braies (brayas) de la ville adjacente. Elles sont en tout cas bien attestées en 1297 lorsqu’on aplanit les lices qu’elles contiennent sur le front nord du château17. En 1301-1302, les lices orientales sont surélevées, probablement au niveau qui doit correspondre à la base des trois archères percées dans la courtine et dominaient ainsi l’installation portuaire voisine qui a pris place dans le fossé18. Grâce à la comptabilité conservée, nous sommes renseignés sur l’abandon de l’accès direct au lac et la création des lices de ce côté, lesquelles se rattachent à celles déjà existantes, au pied de la tour nordouest, bouclant ainsi le circuit autour du château (fig. 5). En 1296 en effet, la porte lacustre est condamnée puisqu’on décide d’exonder définitivement le cellier en surélevant son sol19. L’année suivante, une digue est façonnée et les maçons Jean Pitet et Girod de Vevey sont chargés de construire 40 toises de mur. Il s’agit assurément des nouvelles braies du côté du lac. Entre ce mur et la courtine du château, le terrain est ensuite surélevé par un tout-venant et de la terre20. En 1298, il faut déjà réparer
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AST, SR, i. 69, f. 169, m. 1, rot. 3, cc. Tour de Vevey, 17.4.1301-7.4.1302: In factura palicii a porta castri usque ad turrim supra saxum [tour sudest] et fusta ad idem, 27 s 6 d laus. 17 AST, SR, i. 69, f. 169, m. 1, rot. 2, cc. Tour de Vevey, 18.3.1298-18.3.1299 : In stipendiis 160 operariorum quasi per unam diem operantium ad removendam terram inter muros et brayas, a tornella de Saxo [tour sud-est] usque ad cameram domini… 18 AST, SR, i. 69, f. 169, m. 1, rot. 2, cc. Tour de Vevey, 18.3.1297-18.3.1298 : Petro Girardi pro
gleria et terra ponenda inter curtinas et braias a parte Villenove et pro platea adplanenda, 4 £ 12 s laus. 19 On apporte de la terre propter aquam lacus que intrabat in cellario in estate (AST, SR, i. 69, f. 169, m. 1, rot. 1, cc. Tour de Vevey, 1295-1296). 20 AST, SR, i. 69, f. 169, m. 1, rot. 2, cc. Tour de Vevey, 18.3.1297-18.3.1298 : Pro bastimento facto a parte lacus 35 £ laus ; item Johanni Pitet, Giroudo de Viviaco, lathomis, pro 40 teysis muri facti super dictum bastimentum et calce… et in 6 navatis grossorum lapidum positorum ante bastimentum, 21
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5. Château de La Tour-de-Peilz, front occidental sur le lac. Au fond, les restes de la grosse tour quadrangulaire. État en 2007.
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des brèches causées par les vagues et protéger les braies entourant la grande tour quadrangulaire au moyen de 12 navées de grosses pierres21. La dernière étape autour de la grande tour qui permet de boucler le circuit autour du château en établissant la liaison avec les lices orientales est menée en 1301-1302. Ces travaux signifient la disparition du fossé qui isolait la grande tour du reste de l’édifice. A l’intérieur des courtines, le mur d’escarpe du fossé est surélevé pour créer une galerie d’accès à la grande tour, laquelle est flanquée d’un nouveau corps de logis sur une plate-forme surélevée de 5-6 m environ par rapport à la cour du château. Cet ensemble, en liaison directe avec le grand corps de logis de l’aula par les seuls chemins de ronde, devait servir de refuge seigneurial. En temps normal, il abrite la résidence du châtelain et les cuisines. On ne connaît pas les dispositions originales des braies côté lac, car le quai actuel, qui a par ailleurs comblé le fossé sud-ouest du côté du lac a été reconstruit sans doute avec les matériaux de démolition de la grande tour et sans cesse entretenu après 1750. Peut-être faut-il imaginer des lices moins larges car leur utilisation comme jardin, potager ou d’agrément, n’est jamais attestée au Moyen Âge. Si nous avons insisté sur la présentation de ce cas de La Tour-de-Peilz, c’est qu’il met bien en évidence l’adaptation d’une forteresse romane aux règles du flanquement systématique avec la construction des tours circulaires sur le front septentrional tourné vers la ville ainsi que l’approfondissement des défenses avec l’aménagement de braies, nouvelle enceinte concentrique basse qui protège la zone des lices. 2.5. Chillon. Ce château (fig. 6) a été considérablement agrandi par les comtes de Savoie dès le milieu du XIIIe siècle. La taille restreinte du rocher, véritable île dans le lac, a limité l’aménagement de lices et de braies puisque les corps de logis eux-mêmes ont occupé sa périphérie, en particulier du côté du lac. Vers la terre, la forteresse romane et sa grande tour quadrangulaire ont été protégées par une seconde enceinte qui a été accrochée vers 1180 sur la pente du rocher, auparavant recouverte d’un glacis défensif maçonné22. Vers 1230, l’enceinte intérieure est su£ 14 s laus ; item… Martino Avinaz pro 77 navatis positis inter dictum bastimentum et castrum, arena, minutis lapidibus et terra positis ibidem, 72 s laus. 21 Pour la première fois les sources utilisent le terme de braies. AST, SR, i. 69, f. 169, m. 1, rot. 2, cc. Tour de Vevey, 18.3.1298-18.3.1299 : In uno foramine quod fecit in muro bracarum inundatio lacus et in muro dictarum bracharum embochi-
ando, et calce ad idem, 18 s laus ; in 12 navatis grossorum lapidum aportatis et positis ante bastimentum bracharum turris. 22 Pour le développement et la chronologie de ce château, outre les travaux pionniers d’A. Naef, voir en dernier lieu D. de Raemy et alii, La chapelle du château de Chillon, Cahiers d’archéologie romande n° 79, Lausanne, 1999.
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6. Château de Chillon, vue aérienne.
rélevée pour commander la seconde et le glacis est comblé pour créer une longue cour plane qui pourrait être alors considérée comme une lice. L’enceinte basse a alors été renforcée de trois fortes tours semi-circulaires. Ces dernières, comme l’enceinte, ont été surélevées en 1260, passant ainsi de la braie à la courtine. Cela a eu pour effet d’intégrer la cour allongée au château résidentiel ; on constate le même phénomène avec la cour d’entrée qui abritait à l’origine une partie du bourg - maintenant complètement disparu - au pied de la première enceinte. Le considérable élargissement du fossé (recul de la contrescarpe)23, en 1261-1262, a encore contribué à l’assimilation de la seconde enceinte au donjon comtal ainsi étendu, dont l’individualité, la masse et la compacité n’en ont gagné que plus d’effet. 2.6. Grandson Certains châteaux édifiés entre 1230 et 1330, ayant adopté les règles du flanquement systématique, se sont également installés en sites plus escarpés. Des défenses périphériques concentriques ont également pu se développer, à l’instar des deux cas que nous retenons ici, Grandson et Champvent.
23 AST, SR, i. 69, f. 5, m. 1, rot. 2, c. Pierre Mainier, 01.05.1261-04.03.1262: Item in stipendiis magistri Arnaudi fossatoris circa opus fossati de Chillon… 73£ 14s 1d ob. Arnaud et ses coéqui-
piers étaient payés 12 deniers par jour. La somme dépensée représente près de 1500 jours de travail.
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7. Château de Grandson. État vers 1300-1320. Proposition de reconstitution (Andrew B. Richards).
La silhouette puissante du château de Grandson est due aux travaux entrepris dès 1277 sous Othon 1er de Grandson qui agrandit considérablement la forteresse romane de ses ancêtres installée sur une étroite levée morainique située au bord du lac de Neuchâtel. Les courtines élancées et étalées au maximum pour permettre aux corps de logis de se déployer, régulièrement flanquées de tours semi-circulaires dont une a disparu au nord, ont nécessité une consolidation du substrat morainique qui a été littéralement corseté par de très fortes murailles (4 m d’épaisseur en certains endroits) qui ont procuré ainsi au château un socle spectaculaire (fig. 7). Ces braies ont été couronnées par des parapets crénelés à l’instar du fragment subsistant, appuyé contre la tour orientale et se terminant à l’origine dans le lac, ponctué par une tourelle. La zone périphérique ainsi protégée a donc joué le rôle de lices, très déployées du côté du lac où elles ont reçu un jardin d’agrément. Là, le mur de braie a été renforcé par 10 puissants contreforts.
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8. Château de Champvent, reconstitution du front oriental de l’entrée. État au début du XVe siècle (Daniel de Raemy).
2.7. Champvent Contrairement à celui de Grandson, le château de Champvent est une création entièrement nouvelle des années 1295-1300. Il adopte les dispositions classiques du « carré savoyard ». Le château a pris place dans l’angle méridional d’un petit plateau molassique dominant la plaine de l’Orbe, sur les contreforts du Jura. Deux de ses côtés sont protégés par la pente naturelle, alors qu’il a fallu creuser d’importants fossés sur les deux autres pour isoler le château du bourg voisin, progressivement abandonné depuis le XVIe siècle pour devenir le parc du château à partir des années 1730. L’édifice apparaît maintenant enfoui dans la végétation et ses défenses périphériques ont disparu avec les importants terrassements et comblements effectués au XVIIIe siècle et dans les années 1820 pour l’aménagement des jardins d’agrément qui s’étendent maintenant jusqu’au pied des courtines. Il n’est donc pas facile de se faire une idée précise des défenses périphériques qui pourraient être retrouvées grâce à des fouilles archéologiques. Les apports documentaires, textuels et iconographiques, ainsi que ce qui est actuellement observable, permettent de proposer en attendant la reconstitution suivante : des braies, à parapet crénelé sans doute, entouraient le château sur ses quatre côtés (fig. 8) ; elles se situaient sur 70
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deux niveaux. D’une part, des braies hautes protégeaient les deux côtés amont est et nord du château du côté de l’ancien bourg ; elles dominaient un large fossé sec fermé à l’est et à l’ouest par un mur s’appuyant contre le château et formant ensuite l’enceinte du bourg. D’autre part, une enceinte située beaucoup plus bas sur les flancs ouest et sud, formant malgré tout une terrasse très dominante dans la pente bordant le château. Les premières définissaient d’amples lices sur lesquelles avaient peut-être pris place au nord les cuisines du château, et à l’est, du côté de l’entrée, un grenier et le bâtiment du tribunal, simple couvert charpenté où le seigneur exerçait la justice. De ce côté, les braies ont été renforcées par une tour-porte, peut-être dans les années 1370 déjà. L’accès à ces lices supérieures se faisait sans doute par des poternes ouvertes dans les parois latérales de la tour-porte, alors qu’une poterne dans le cellier ouest permettait de se rendre sur les terrasses inférieures par l’intermédiaire d’un escalier. D’après le plan cadastral de 1752, ces dernières s’interrompaient au pied des tours secondaires est et ouest. 3. Conclusions Dans les quelques cas présentés ici, les braies n’ont pas seulement assuré la défense de l’édifice, mais également la consolidation périphérique du terrain sur lequel était construit le château, en prévenant son effondrement, notamment par la sape des cours d’eau avoisinants. Elles apparaissent dans nos régions avec la construction du château d’Yverdon dès 1258 où œuvre le jeune architecte Jacques de Saint-Georges24. Faute de sites qui s’y prêtaient vraiment et surtout faute de moyens financiers suffisants, les châteaux de nos régions n’ont pu se doter dès l’origine de braies et de lices vraiment homogénéisées, faisant sans interruption le pourtour complet du château si l’on fait exception peut-être du château de Saint-Georges d’Espéranche, construit par ce même Jacques de SaintGeorges dès 1269 dans le Viennois savoyard pour le comte Philippe de Savoie ; il n’en reste là malheureusement plus rien de visible. Quelques indices sur le terrain ainsi qu’un plan du XVIIIe siècle incitent à en supposer l’existence ; comme c’est attesté à Morges et comme on le suppose à Champvent, l’une de ces lices aurait abrité les cuisines. Il est difficile de trouver des antécédents à nos braies, car la grande architecture militaire française « philipienne » qui a largement inspiré
24 Sur la carrière de Jacques de Saint-Georges, voir D. de Raemy, Châteaux, donjons et grandes tours …, passim et en particulier, p. 285-315.
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les « carrés savoyards » ne la met pas en œuvre. Les braies complètes les plus précoces, également liées à la présence de l’eau, se trouvent en Angleterre, conçues par l’architecte Robert Berverley, au château de Caerphilly (dès 1268, simultanément à celles du château de St-Georges d’Espéranche) et à la tour de Londres (dès 1275)25. Durant sa carrière anglaise, Jacques de Saint-Georges a sûrement été en contact avec Robert de Beverley qui l’aurait influencé dans ses réalisations galloises. Les châteaux de Harlech (1283-1289) et surtout de Beaumaris (dès 1295) sont dotés de braies spectaculaires, estompées dans le premier cas, très bien conservées dans le second où elles se déploient sur plus de 400 m, flanquées de 12 tours semi-circulaires. Les lices et les braies ne sont finalement qu’une conséquence des règles du flanquement systématique dans la défense, lesquelles impliquent non plus une succession d’enceintes sur le seul chemin d’accès à la place forte à défendre (barbacanes, portes), mais leur concentricité s’appliquant à toute la périphérie du château résidentiel ou de la ville dans le cas des fortifications urbaines (par exemple Carcassonne, 2e enceinte de la fin du XIIIe siècle). Si les braies restent encore rares à la fin du XIIIe siècle et au début du siècle suivant ; elles se généraliseront pas la suite, en particulier avec le développement de l’artillerie : les lices deviennent des fausses braies, soit des plate-formes surélevées artificiellement, plus hautes souvent que les cours intérieures des édifices qu’elles protègent. La fortification de terre des XVIe –XVIIIe siècles ne sera finalement que le développement sophistiqué et en profondeur de cette ceinture périphérique qui fait son apparition vers 1250-1260.
25
N. Coldstream, Architects, Advisers and design at Edward I’s Castles in Wales, dans Architectural history, Journal of the Society of architectural historians, 46, 2003, p. 19-36. Signalons encore dans l’actuelle république tchèque le
château quadrangulaire de Pisek daté de la seconde moitié du XIIIe siècle, au bord de l’Otava, un affluent de la Moldau, doté également de braies (Th. Durdik et alii, Castrum Bene 6 Exkursionsführer, Prague-Pisek, 1998).
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ODILE DE BRUYN Docteur en Histoire Une R enaissance de l’art des jardins antique ? L’imitation des modèles perses, grecs et romains dans l’aménagement des jardins de châteaux des anciens Pays-Bas au xv e siècle
À partir de quand les descriptions de jardin chez les auteurs grecs et romains de l’Antiquité ont-elles été connues dans les anciens PaysBas? Et dans quelle mesure cette connaissance a-t-elle eu des répercussions sur l’art des jardins dans cette région d’Europe à l’« automne du Moyen Âge » et au printemps de la Renaissance? Telles sont les questions qui seront traitées dans cet article. L’analyse des bibliothèques princières fournit un éclairage appréciable sur ces sujets. Le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, grand-père de Philippe le Bon, était bibliophile et sa « librairie » comptait plusieurs traductions françaises d’auteurs classiques. Philippe le Hardi eut au surplus l’occasion de frayer avec d’autres lettrés, parmi lesquels le duc Louis II de Bourbon, beau-frère de Charles V, roi de France. Louis de Bourbon commanda en 1405 à Laurent de Premierfait une traduction française du De senectute de Cicéron1. Isabelle de Portugal, la troisième femme de Philippe le Bon, qu’il épousa en 1430, était issue d’un milieu très cultivé. L’un de ses frères, Pierre, duc de Coïmbre (mort en 1449), était féru de lettres classiques, entretenait des contacts avec les humanistes italiens et se fit traduire le De senectute en portugais. En 1440, le scribe Toussaint de Chevemont (ou Chenemont) réalisa pour Philippe le Bon une transcription du même essai cicéronien, dans sa langue originale. L’inventaire après décès de la « librairie » de ce dernier, établi vers 1467, mentionne quatre manuscrits contenant le De senectute, l’un dans sa version originale 1
E. Pellegrin, Note sur deux manuscrits enluminés contenant le De senectute de Cicéron avec la traduction française de Laurent de Premierfait, dans Scriptorium, t. 12, 1958, p. 276-80 ; C. Bozzolo, Introduction à la vie et à l’œuvre d’un humaniste, dans Un traducteur et un humaniste de l’époque de Charles VI. Laurent de Premierfait. Études réunies par C. Bozzolo, Paris, 2004, p. 22 (Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Textes et documents d’histoire médiévale, 4) ; R.C. Famiglietti,
Laurent de Premierfait : The Career of a Humanist in Early Fifteenth-Century Paris, dans Un traducteur et un humaniste de l’époque de Charles VI …, p. 41 ; A.D. Hedeman, Making the Past present in Laurent de Premierfait’s Translation of De senectute, dans Excavating the Medieval Image. Manuscripts, Artists, Audiences : Essays in Honor of Sandra Hindman, éd. par D.S. Areford et N.A. Rowe, Hants, 2004, p. 59-60.
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1. Loyset Liédet, Alexandre tuant un lion, 1470, Paris, Bibliothèque nationale de France, ms Fr. 22.547, f° 186.
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latine et les trois autres dans la traduction de Laurent de Premierfait. La date d’acquisition de ces manuscrits par Philippe le Bon est difficile à établir. Celui qui est conservé à la Bibliothèque royale de Belgique2 a été exécuté vers 14503. Si l’editio princeps du De la vieillesse de Cicéron date de 14674, cet essai était largement diffusé et connu par des manuscrits dans les milieux aristocratiques et les cours princières européens depuis le début du XVe siècle. Philippe le Bon semblait apprécier tout particulièrement cette œuvre, si l’on en juge par le nombre de manuscrits qu’il en possédait. Pour écrire son essai, Cicéron a fait des emprunts à différents ouvrages qui ne traitaient pas spécialement de la vieillesse. Il s’est notamment inspiré d’un livre qu’il avait traduit dans sa jeunesse5, l’économique de Xénophon, dans lequel l’historien grec expose les principes fondamentaux de la gestion d’un domaine rural. Dans un passage de cette œuvre, le philosophe athénien Socrate, dont Xénophon fut un disciple, raconte que Cyrus le Jeune, satrape de Lydie et fils du roi de Perse Darius II, permit au général spartiate Lysandre, auquel il avait apporté son soutien contre Athènes pendant la guerre du Péloponnèse et qui était venu l’en remercier au nom de la ligue péloponnésienne, de visiter son parc de Sardes, capitale de la Lydie6. Cet épisode eut lieu en 407 avant J.-C. Voici la transposition qu’a donnée Cicéron de cette anecdote, qu’il insère dans le cadre d’une discussion ayant pour thème l’agriculture comme activité propice à une personne âgée7 :
2
ms 11.127.
3 G. Doutrepont, La littérature française à la cour
des ducs de Bourgogne, Paris, 1909, p. XVI, 121-23, 126, 129-30 (Bibliothèque du XVe siècle, VIII) ; La librairie de Philippe le Bon. Exposition organisée à l’occasion du 500 e anniversaire de la mort du duc. Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles, 1967, p. 144 ; C. C. Willard, Isabel of Portugal, Patroness of Humanism ?, dans Miscellanea di studi e ricerche sul Quattrocento francese, a cura di F. Simone, Turin, 1967, p. 528 ; D. GalletGuerne, Vasque de Lucène et la Cyropédie à la cour de Bourgogne (1470). Le traité de Xénophon mis en français d’après la version latine du Pogge. Étude. Édition des Livres I et V, Genève, 1974, p. 10, 15 ; M. Sommé, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne. Une femme au pouvoir au XVe siècle,
Villeneuve d’Ascq, 1998, p. 22-23 ; C. Blondeau, Les intentions d’une œuvre (Faits et gestes d’Alexandre le Grand de Vasque de Lucène) et sa réception par Charles le Téméraire, dans Revue du Nord, t. 83, n° 342, 2001, p. 732-38. 4 H. Jones, Printing the Classical Text, Utrecht, 2004, p. 18, 25 (Bibliotheca Humanistica & Reformatorica, LXII). 5 Il ne subsiste aujourd’hui que quelques fragments de cette traduction. 6 Xénophon, économique, IV, 18-25. 7 Cicéron. Caton l’Ancien (De la vieillesse), texte établi et traduit par P. Wuilleumier, Paris, 1940, p. 47-51 (C.U.F.) ; S. B. Pomeroy, Xenophon Œconomicus. A Social and Historical Commentary. With a new English Translation, Oxford, 1994, p. 69-70, 251-52.
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2. Loyset Liédet, Diane avec de jeunes vierges, 1460, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, ms 9392, f° 26v.
« Les livres de Xénophon sont très utiles pour bien des choses ; lisez-les attentivement, je vous prie, comme vous le faites déjà8. Que de louanges il décerne à l’agriculture dans le livre relatif à l’administration du patrimoine, intitulé l’économique ! Pour vous montrer que rien à ses yeux n’est plus digne d’un roi que le soin de la culture9, Socrate, dans ce livre, raconte à Critobule que Cyrus le Jeune, roi de Perse, éminent par son génie et la gloire de son règne10, reçut à Sardes Lysandre de 8
C’est Caton l’Ancien qui parle ici. Et affin que vous entendez la somme dudit livre que fist le philozophe xenophon. Sachez quil dit que a puissance & a estat Royal il nest chose si digne ne sy avenant [qui convient] comme est lestude & le mestier de cultiver les terres. Nous citons le texte de la traduction de Laurent de Premierfait d’après une édition qui en fut donnée en 1506 par Antoine Vérard : livre de tulles de vieillesse. translate de latin en francoys (par Laurent de premierfait). & imprime nouvellement a paris. Nous n’avons malheureusement pas pu consulter la seule édition critique de ce texte, réalisée par Stefania Marzano dans le cadre du mémoire de maîtrise qu’elle a présenté en 2002 à l’Université McGill (Montréal). La publication de ce travail est prévue pour juin 2008.
9
10
Cicéron commet ici une erreur : Cyrus le Jeune ne fut jamais roi de Perse. À la mort de son père, il voulut détrôner son frère aîné Artaxerxès et leva une armée de mercenaires grecs, dont fit partie Xénophon. Mais la tentative échoua et Cyrus fut tué à la bataille de Cunaxa, près de Babylone, en 401. Par la bouche de Socrate, Xénophon dit à son propos que « s’il avait vécu, [il] aurait fait (…) un souverain excellent » (économique, IV, 18), ce qui peut prêter à confusion ; de plus, dans les deux paragraphes précédant l’allusion à Cyrus le Jeune, et sans qu’aucune transition soit établie, Xénophon parle du roi Cyrus le Grand, fondateur de l’empire perse. Tout semble être fait pour que le lecteur assimile Cyrus le Jeune à Cyrus le Grand. Cf. S. B. Pomeroy, Xenophon Œconomicus…, p. 248-50.
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3. Loyset Liédet, Phébé dans la forêt, 1460, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, ms 9392, f° 13v.
Lacédémone, homme de très grand mérite, qui lui apporta des présents au nom de ses alliés ; entre autres attentions aimables à l’égard de Lysandre, le roi lui montra un parc planté avec soin11 ; Lysandre admira la hauteur des arbres, l’ordonnance des quinconces12, le sol assoupli et nettoyé, les suaves parfums qui s’exhalaient des fleurs, et déclara qu’il était confondu par le soin et aussi par l’habileté de l’homme qui avait tracé et disposé ce parc13 ; et Cyrus répondit : “Eh bien ! c’est moi qui ai tracé tout cela ; les alignements sont mon œuvre, la disposition aussi ; beaucoup de ces arbres ont même été plantés de ma main”14 »15. Que faut-il retenir de ce texte ? En premier lieu, que l’aménagement et l’entretien d’un parc n’étaient pas considérés, dans l’Antiquité, 11
Or dit Socrates que cestuy Roy Cyrus fut moult begnin [bienveillant] & commun [affable] envers ledit Lisander & le receupt humainement & liberalement en son hostel Royal gracieusement. Et lui monstra ung beau champ environne de murs diligemment cultive & complante darbres. 12 (…) la longueur des arbres & (…) leurs droictes renges en quoy ilz estoient plantez a cinq piedz lune loing de lautre. La traduction de Laurent de Premierfait n’a pas retenu l’idée de quinconce exprimée dans le texte latin : derectos in quincuncem ordines.
13 (…) la diligence & estude de celluy qui lavoit laboure (…) la subtilite & art de celluy qui avoit compasse & ordonne par mesure les arbres de ce vergier. 14 (…) le Roy cirus respondit a lisander. Certes distil moymesmes ay ordonne & mesure toutes les choses de ce vergier. Jay compasse les renges plusieurs aussi de ces arbres que tu vois icy sont plantez & antez de ma main. 15 Cicéron, De senectute, 59. Traduction de P. Wuilleumier.
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comme indignes d’un roi, tout au contraire ; ensuite, que les parcs royaux perses étaient de grande taille et étaient entourés d’une clôture : le texte latin parle de consæptum agrum, ce qui signifie « champ enclos » avant de désigner un parc16 ; enfin, que les plantations étaient ordonnées en ligne droite et en quinconce : le mot ordines, qui veut dire « rangs, lignes » et s’applique autant à des soldats qu’à des arbres, est utilisé à deux reprises. Xénophon, que Cicéron suit ici de près, parle, quant à lui, de stichoi, mot désignant des rangées d’arbres ou de soldats17. De même qu’il est le maître de ses armées, le roi de Perse domine la nature. L’ordonnancement de son jardin est une métaphore de sa puissance militaire. L’anecdote racontée par Xénophon et reprise par Cicéron semble avoir frappé les imaginations dans les milieux humanistes de la première moitié du XVe siècle et les cours princières proches de ces milieux. En effet, l’humaniste florentin le Pogge (Francesco Poggio Bracciolini) écrivit ces mots, dans une lettre du 11 novembre 1442 adressée à Côme de Médicis, où il fait l’éloge des bienfaits du travail de la terre et de la vie à la campagne : « Cyrus, le fameux roi des Perses18 célébré par Xénophon, se vantait d’avoir planté son jardin de ses propres mains et d’en avoir aligné les arbres »19. À l’époque où il écrivit ces lignes, le Pogge entreprit, à la demande du cardinal Tommaso Parentucelli, futur pape Nicolas V, une traduction latine de la Cyropédie de Xénophon. Une copie de cette traduction, qui fut achevée en 1447, parvint à la cour de Bourgogne, à la faveur des échanges qui s’établirent, dès avant le milieu du XVe siècle, entre les humanistes italiens et les Bourguignons20. C’est ce manuscrit qui allait servir de base à la traduction française de la Cyropédie que réaliserait en 1470, à la demande de Charles le Téméraire auquel il était
16
Laurent de Premierfait emploie l’expression de « champ environne de murs » ou de « vergier ». Ce dernier mot, dérivé du viridarium latin, avait au Moyen Âge une acception plus large que celle du « verger » actuel. 17 Xénophon, économique, IV, 21 ; cf. S. B. Pomeroy, Xenophon Œconomicus…, p. 252. 18 le Pogge commet la même erreur que Cicéron, ce que n’a pas manqué de lui reprocher son rival, l’humaniste Lorenzo Valla (Antidotum I, III, 323 ; cf. Lorenzo Valla. Antidotum primum. La prima apologia contro Poggio Bracciolini, a cura di A. Wesseling, Assen, 1978, p. 238-39).
19
Cité par D. Gallet-Guerne, Vasque de Lucène…, p. 62. Pour le texte original latin de ce passage, voir Poggio Bracciolini. Lettere, t. II, a cura di H. Harth, Florence, 1984, X, 9, p. 409 (= éd. Tonelli, VIII, 34, p. 259) : Cyrus, Persarum rex ille a Xenophonte celebratus, gloriari solitus est ortum suis manibus consertum et arbores in ordinem positas. 20 On ne connaît ni la date exacte ni le canal par lequel ce manuscrit est arrivé à la cour de Bourgogne. Voir D. Gallet-Guerne, Vasque de Lucène…, p. 57-67, 98-102 ; Lorenzo Valla. Antidotum primum…, p. 18-21.
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attaché en qualité de conseiller, le Portugais Vasque de Lucène, attiré à la cour de Bourgogne par sa compatriote Isabelle de Portugal, à l’époque de sa retraite au château de La Motte-au-Bois21. Dans la Cyropédie ou Éducation de Cyrus, roman historique sur la vie et le caractère de Cyrus le Grand de même que portrait du roi idéal, il est aussi question des parcs perses22. Xénophon souligne ici le caractère de réserve de chasse de ces propriétés, auxquelles il donne le nom de paradeisoi. Le terme paradeisos est une forme grécisée du mot avestique pairidaeza – signifiant « enclos » et composé de pairi « autour » et de daeza « mur » –23 et a été traduit à juste titre, au départ de l’ortus du Pogge, par « parc » dans la version de Vasque de Lucène24. Avant d’effectuer sa traduction de la Cyropédie, ce dernier avait déjà à son actif une autre traduction française d’œuvre classique : il s’agit de l’Histoire d’Alexandre de Quinte-Curce, composée entre 1461 et 1468 à la demande d’Isabelle de Portugal et dédiée à Charles le Téméraire25. Comme Xénophon, Quinte-Curce fait allusion aux parcs perses : « En ces contrées, le faste barbare se traduit essentiellement par les magnifiques fauves, qu’on enferme en bandes dans des parcs et des terrains boisés de vaste étendue. Pour cela, l’on choisit de vastes forêts, que parent des sources nombreuses, aux eaux éternelles ; ces parcs sont
21
G. Doutrepont, La littérature française…, p. 131, 179, 184-85 ; C. C. Willard, Isabel of Portugal…, p. 540 ; D. Gallet-Guerne, Vasque de Lucène…, p. 3-54 ; P. Cockshaw, Les manuscrits de Charles de Bourgogne et de ses proches, dans Charles le Téméraire. Exposition organisée à l’occasion du cinquième centenaire de sa mort. Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles, 1977, p. 6-9, 85-87 ; La librairie des ducs de Bourgogne. Manuscrits conservés à la Bibliothèque royale de Belgique, t. I, éd. par B. Bousmanne et C. Van Hoorebeeck, Turnhout, 2000, p. 37-39. 22 Xénophon, Cyropédie, I, 3, 14 ; I, 4, 5 et 11 ; VIII, 1, 38 ; VIII, 6, 12. 23 S. B. Pomeroy, Xenophon Œconomicus…, p. 247-48 ; L. L’Allier, Le domaine de Scillonte : Xénophon et l’exemple perse, dans Phœnix, t. 52, 1998, p. 1 ; art. Paradis, dans Dictionnaire historique de la langue française, sous la dir. de A. Rey, Paris, 2006, p. 2560-61. 24 Voir D. Gallet-Guerne, Vasque de Lucène…, p. 110-11 ; cf. art. Parc, dans Dictionnaire historique de la langue française, p. 2567. Citons l’un ou l’autre extrait de la traduction, dans l’édi-
tion qu’en a donnée Danielle Gallet-Guerne (p. 196, 198) : (…) il [Cyrus] auroit licence de povoir tirer aux bestes encloses en son parc [le parc d’Astyage, grand-père de Cyrus, à Ecbatane]. (I, f° 31) ; Souverainement aymoit le deduit [divertissement] de la chasse et tyroit de l’arc ou d’un dart contre aucunes bestes encloses en ung parc. Et quant celles y faillyrent, Astiages pensoit d’i faire autres enfermer pour l’amour de Cirus. (I, f° 36-37). 25 R. Bossuat, Vasque de Lucène, traducteur de Quinte-Curce (1468), dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance. Travaux & Documents, t. 8, 1946, p. 197-245 ; P. Cockshaw, Les manuscrits de Charles de Bourgogne…, p. 6-9 ; M. Debae, La bibliothèque de Marguerite d’Autriche. Essai de reconstitution d’après l’inventaire de 1523-1524, Louvain-Paris, 1995, p. 231-36 ; S. McKendrick, The History of Alexander the Great. An Illuminated Manuscript of Vasco da Lucena’s French Translation of the Ancient Text by Quintus Curtius Rufus, Los Angeles, 1996, p. 13-28 ; M. Sommé, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne…, p. 458-59.
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4. Loyset Liédet, Polyphème écrasant Acis et Galatée, qui se sauvent dans la mer, 1460, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, ms 9392, f° 62v.
entourés de murs, et des tours y comportent des abris pour les chasseurs »26. En 328, lors de sa conquête des satrapies nord-orientales de l’empire perse, Alexandre, qui se considérait comme le successeur des Achéménides après la mort de Darius III (330) et l’exécution de l’usurpateur Bessos (329), pénétra avec son armée dans un parc situé à proximité de Maracande (aujourd’hui Samarkand), capitale de la Sogdiane : il y tua un lion, considéré dans l’Orient ancien comme le roi des animaux, et y abattit « quatre mille bêtes sauvages », apparaissant ainsi comme le maître du monde animal 27. En pénétrant dans ce parc, le conquérant s’emparait d’une prérogative royale28. Cette scène est repré26 Quinte-Curce, VIII, I, 11-12 ; cf. VII, II, 22 ; Quinte-Curce, Histoires, t. I, texte établi et traduit par H. Bardon, Paris, 1947 (C.U.F.). Voici le texte de la traduction de Vasque de Lucène tel qu’il figure au f° 186 du manuscrit Fr. 22.547 de la Bibliothèque nationale de France : En ces marches ny a point plus grans signes de la barbarine magnificence que garennes [domaines de chasse réservée] a bestes sauvaiges enfermees en bois et en grans parcz. Car ilz eslisent grans forestz a ce fere plaisans par eaues de pluseurs vives fontaines [sources]. Le boys est tout ferme de murs.
Et ont dedens pluseurs tours pour recevoir les veneurs et les chassans. Aucune édition critique n’existe à ce jour de cette traduction. 27 Quinte-Curce, VIII, I, 13-19. 28 Sur les parcs et les chasses perses, voir P. Grimal, Les jardins romains à la fin de la République et aux deux premiers siècles de l’Empire. Essai sur le naturalisme romain, Paris, 1943, p. 86-90 (B.E.F.A.R., 155) ; P. Briant, Chasses royales macédoniennes et chasses royales perses : le thème de la chasse au lion sur « la chasse de Vergina », dans Dialogues d’histoire ancienne, t. 17, 1, 1991,
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sentée sur une miniature attribuée à Loyset Liédet - l’un des miniaturistes les plus sollicités de la cour de Bourgogne - ornant l’exemplaire de l’Histoire d’Alexandre exécuté entre 1468 et 1470 pour Charles le Téméraire29. Il est intéressant de remarquer que l’illustration est en parfaite concordance avec le texte : le parc est entouré d’un mur ponctué de tours ; il est traversé par un cours d’eau et se présente sous l’aspect d’un espace boisé à l’intérieur duquel vivent des animaux sauvages d’espèces différentes (lion, cerf, daim, sanglier, …) ; au premier plan, Alexandre tue un lion, tandis qu’à l’arrière-plan, des chasseurs accompagnés de chiens poursuivent d’autres bêtes du parc. Chrystèle Blondeau a observé qu’en dépit d’une forte cohérence esthétique, il existait, sur le plan iconographique, une césure très nette entre le manuscrit de l’Histoire d’Alexandre destiné au dernier duc de Bourgogne de la maison Valois et les copies ayant appartenu à des membres de la cour : alors que l’illustration de l’exemplaire ducal manifeste une réelle volonté, de la part des enlumineurs de l’atelier de Liédet, de coller au récit de Quinte-Curce tel que traduit par Vasque de Lucène, les programmes d’illustration élaborés dans les autres manuscrits témoignent, quant à eux, d’une lecture standardisée de la source textuelle. L’intérêt de Charles le Téméraire pour l’histoire et la littérature antiques, et la connaissance qu’il en avait, n’étaient donc pas superficiels. Par le De senectute de Cicéron, l’Histoire d’Alexandre de QuinteCurce et la Cyropédie de Xénophon, écrits qui étaient peu connus au Moyen Âge et ne furent révélés que par les humanistes italiens30, les ducs de Bourgogne étaient à même de se faire une idée assez exacte de ce qu’avaient été les jardins des rois et des satrapes de l’empire perse, tant dans leur structure et composition que dans l’idéologie qui leur était sous-jacente. Dans quelle mesure les Bourguignons se sont-ils inspirés de ces descriptions et ont-ils cherché à imiter les modèles perses dans les parcs et jardins qu’ils ont aménagés ou réaménagés à proximité de leurs résidences ? p. 217-22 ; Id., Histoire de l’empire perse. De Cyrus à Alexandre, Paris, 1996, p. 98-99, 213-16, 242-50, 922, 937-38, 940-41 ; C. Tuplin, Achæmenid Studies, Stuttgart, 1996, p. 80-131 (Historia-Einzelschriften, 99) ; M. E. Subtelny, Le monde est un jardin. Aspects de l’histoire culturelle de l’Iran médiéval, Paris, 2002, p. 69, 101-104 (Cahiers de Studia Iranica, 28). 29 BNF, ms Fr. 22.547, f ° 186. Cf. A.-M. Legaré, Loyset Liédet : un nouveau manuscrit enluminé, dans Revue de l’Art, t. 126, fasc. 4, 1999, p. 36, 46 ; C. Blondeau, Les intentions d’une
œuvre…, p. 739-49 ; Id., Imiter le prince ? La diffusion des « Faits et gestes d’Alexandre » de Vasque de Lucène à la cour de Bourgogne, dans Hofkultur in Frankreich und Europa im Spätmittelalter / La culture de cour en France et en Europe à la fin du Moyen Âge, sous la dir. de C. Freigang et J.-C. Schmitt, Berlin, 2005, p. 186, 195-96, 202 (Passagen / Passages, 11). 30 R. Bossuat, Vasque de Lucène…, p. 197-202 ; S. B. Pomeroy, Xenophon Œconomicus…, p. 73-75.
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Dans un article de 1950 qui a conservé en partie son actualité31, Marguerite Charageat montre que les miniatures ornant le manuscrit, conservé à la Bibliothèque royale de Belgique32, de l’épître d’Othéa de Christine de Pisan remaniée par Jean Miélot, traducteur et compilateur au service de Philippe le Bon, constituent un document de premier ordre permettant de se faire une idée sur ce que fut, si pas dans ses moindres détails, au moins dans son allure générale, le parc d’Hesdin tel que réaménagé à partir de 1432 par le duc de Bourgogne sur les bases d’une réalisation du XIe siècle agrandie à la fin du XIIIe siècle par le comte Robert II d’Artois33. Les miniatures, qui datent de 1460 et sont attribuées à Loyset Liédet 34, montrent que coexistaient à Hesdin deux types de jardin bien distincts. Tout d’abord, une série de petits jardins clos typiquement médiévaux, situés à proximité des bâtiments et constitués d’un préau (pelouse fleurie) et de banquettes de terre herbue formées d’une assise de brique ou d’un clayonnage circulaire entourant un arbre. Des espaces de ce genre, qui appartiennent, d’après Marguerite Charageat, à la « conception plus ancienne » du domaine, figurent par exemple sur les enluminures représentant La discrétion35, Junon, déesse de la richesse36 et Pâris et son amie37. Ensuite, on trouve un parc de grandes dimensions, ceint d’un mur et servant de réserve de chasse ; il est représenté notamment sur les miniatures Diane avec de jeunes vierges38, Diane chasseresse39, Phébé dans la forêt40 et Orphée charmant les bêtes sauvages aux accents de sa lyre41. Sur la première de ces quatre enluminures, on voit, à l’avant-plan, un préau entouré d’une clôture en bois et, à l’arrière-plan, le parc avec, selon Marguerite Charageat, une « vue du mur d’enceinte (…) commandé par un porche-colombier ». Les deux dernières d’entre elles comptent, l’une un chameau, l’autre un lion. Si, dès sa création au XIe siècle, le parc d’Hesdin fut conçu comme une vaste étendue boisée,
31 M. Charageat, Le parc d’Hesdin. Création monumentale du XIIIe siècle. Ses origines arabes. Son influence sur les miniatures de l’épître d’Othéa, dans Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1950, p. 102-106. 32 ms 9392. 33 Danielle Queruel, bien que partageant les vues de Marguerite Charageat, se montre toutefois plus prudente (Le jardin d’Hesdin et les jardins de la cour de Bourgogne, dans Le jardin médiéval (colloque, concert et exposition). Les cahiers de l’abbaye de Saint-Arnoult, n° 3, mai-septembre 1988, p. 112, 117, n. 17). 34 A. Schoysman, Les deux manuscrits du remaniement de l’Épître Othea de Christine de Pizan
par Jean Miélot, dans Le moyen français, t. 51-52-53, 2002-2003, p. 507-508. 35 f° 54v ; J. Van den Gheyn, Christine de Pisan. Épître d’Othéa, déesse de la prudence, à Hector, chef des Troyens. Reproduction des 100 miniatures du manuscrit 9392 de Jean Miélot, Bruxelles, 1913, pl. 51. 36 f° 52v ; pl. 49. 37 f° 78v ; pl. 75. 38 f° 26v ; pl. 23. 39 f° 66v ; pl. 63. 40 f° 13v ; pl. 10. Phébé est la sœur de Phébus (Apollon, le soleil) : elle correspond donc à Diane et à la lune. 41 f° 70v ; pl. 67.
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peuplée de gibier et entourée de murs42, la restauration de Philippe le Bon semble y avoir introduit au moins un élément nouveau : l’idée de « parc paysager », c’est-à-dire d’espace planté d’arbres agencés selon un ordre et un programme prédéfinis43 ; les enluminures Polyphème écrasant Acis et Galatée, qui se sauvent dans la mer44, Cupidon apportant des fleurs à un chevalier et à une dame45, Pyrame et Thisbé46 et Mort d’Ajax47 sont significatives à cet égard. Il faut noter la présence d’une lionne sur la figure de Pyrame et Thisbé ; tandis que, sur Mort d’Ajax, les arbres sont alignés de la même façon que les soldats. Il est tentant d’établir un lien entre ces images et la description du parc de Cyrus le Jeune à Sardes donnée par Cicéron à la suite de Xénophon : on trouve en effet sur certaines représentations des alignements d’arbres qui, tels les ordines mentionnés par l’orateur romain, évoquent des rangs de soldats. À partir du De senectute qu’il connaissait bien, il est possible et même probable que Philippe le Bon ait conçu le nouveau parc d’Hesdin à l’image des parcs royaux perses. Sur les miniatures de l’épître d’Othéa, on a également pu relever la présence d’un chameau et de deux lions. Si ces animaux y ont été placés pour les besoins du récit mythologique, il n’est toutefois pas à exclure qu’ils soient aussi le reflet de la réalité. Le parc du Coudenberg à Bruxelles comportait une ménagerie dans laquelle Philippe le Bon fit introduire un lion en 1444 et Charles le Téméraire une lionne en 146948. Les ménageries étaient à la mode dans les résidences royales et princières de la fin du Moyen Âge, comme celles de Charles V ou de René
42 M. Charageat, Le parc d’Hesdin…, p. 94-98 ;
M. Brunet, Le parc d’attraction des ducs de Bourgogne à Hesdin, dans Gazette des Beaux-Arts, t. 78, n° 1235, 1971, p. 332-35 ; D. Queruel, Le jardin d’Hesdin…, p. 104-11 ; F. DuceppeLamarre, Le parc à gibier d’Hesdin. Mises au point et nouvelles orientations de recherches, dans Revue du Nord, t. 83, n° 343, 2001, p. 175-77 ; Id., Chasse et pâturage dans les forêts du Nord de la France. Pour une archéologie du paysage sylvestre (XIe-XVIe siècles), Paris, 2006, p. 171-81, 287-93. 43 M. Charageat, Le parc d’Hesdin…, p. 104-105 ; P. Grimal, L’art des jardins, 2e éd., Paris, 1964, p. 62-63 (Que sais-je ?, 618). 44 f° 62v ; pl. 59. 45 f° 50v ; pl. 47. 46 f° 41v ; pl. 38.
47
f° 97v ; pl. 93. A. Smolar-Meynart, L’ancien palais. Des origines à Charles Quint, dans Le palais de Bruxelles. Huit siècles d’art et d’histoire, Bruxelles, 1991, p. 40. à Hesdin, Philippe le Hardi ajouta un chameau à la ménagerie existante ; cf. C. Beck, P. Beck et F. Duceppe-Lamarre, Les parcs et jardins des résidences des ducs de Bourgogne au XIVe siècle. Réalités et représentations, dans « Aux marches du palais ». Qu’est-ce qu’un palais médiéval ? Données historiques et archéologiques. Actes du VIIe Congrès international d’archéologie médiévale, Le Mans-Mayenne, 9-11 septembre 1999, sous la dir. de A. Renoux, Le Mans, 2001, p. 109-110 ; F. Duceppe-Lamarre, Chasse et pâturage dans les forêts du Nord de la France…, p. 109-12, 298. 48
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5. Loyset Liédet, Pyrame et Thisbé, 1460, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, ms 9392, f° 41v.
d’Anjou, souverains cultivés et lettrés49. Dans le cas des ducs de Bourgogne, il se peut que la lecture d’ouvrages tels que la Cyropédie de Xénophon ou l’Histoire d’Alexandre de Quinte-Curce ait favorisé leur goût pour les animaux exotiques. Le parc perse comprenait des plantes et des animaux provenant de tous les pays soumis et était ainsi une représentation microcosmique de la variété écologique, végétale et animale de l’espace impérial. À défaut de pouvoir, comme les rois de Perse, chasser des bêtes de toutes les espèces - en particulier le lion - dans leurs domaines, les Bourguignons ont reconstitué artificiellement dans leurs ménageries la diversité du règne animal, qui était une métaphore de l’étendue de leur pouvoir. Il est intéressant de remarquer que c’est l’année qui a suivi celle de l’achèvement par Vasque de Lucène de la traduction de l’Histoire d’Alexandre de Quinte-Curce que Charles le Téméraire, pour qui Alexandre constituait un modèle50, a fait ajouter une lionne dans la ménagerie du palais du Coudenberg.
49 É. Antoine, « Des choses qui peuvent être faites pour la délectation […] des cours et vergers », dans Sur la terre comme au ciel. Jardins d’Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 142-43 ; M. Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, 2004, p. 49-50. 50 C. Blondeau, Les intentions d’une œuvre…, p. 749-52 ; Id., Arthur et Alexandre le Grand sous
le principat de Philippe le Bon : les témoins d’un imaginaire en mutation, dans Le héros bourguignon : histoire et épopée. Rencontres d’EdimbourgGlasgow (28 septembre au 1er octobre 2000), Neuchâtel, 2001, p. 235-39 (Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (XIVe-XVIe s.), 41).
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Plusieurs éléments - alignements d’arbres, présence d’animaux d’espèces variées et rares - permettent donc d’établir des rapprochements entre les parcs des ducs de Bourgogne et ceux des rois de Perse. Aux dires du chroniqueur du duc de Bourgogne, Georges Chastellain, il y avait dans le parc d’Hesdin « une maison (…) que le duc [Philippe le Bon] avoit fait faire propre pour luy, qui se tournoit sur quatre roues vers tous endroits du ciel où on vouloit »51. C’est dans ce pavillon que le duc organisa, le 3 octobre 1463, un festin pour les ambassadeurs d’édouard IV d’Angleterre. Dans sa Vie de Néron52 , le biographe romain Suétone décrit la domus aurea que l’empereur se fit aménager après l’incendie qui avait ravagé la ville de Rome en 64 après J.-C. : « (…) la demeure était si vaste qu’elle renfermait des portiques à trois rangs de colonnes, longs de mille pas53, un lac semblable à une mer, entouré d’édifices formant comme des villes, et par surcroît une étendue de campagne, où se voyaient à la fois des cultures, des vignobles, des pâturages et des forêts, contenant une multitude d’animaux domestiques et sauvages de tout genre ; dans le reste de l’édifice, tout était couvert de dorures, rehaussé de pierres précieuses et de coquillages à perles ; le plafond des salles à manger était fait de tablettes d’ivoire mobiles et percées de trous, afin que l’on pût répandre d’en haut sur les convives soit des fleurs soit des parfums ; la principale des salles à manger était ronde et tournait continuellement sur elle-même, le jour et la nuit, comme le monde (…) »54.
51
Œuvres de Georges Chastellain publiées par M. le baron Kervyn de Lettenhove, t. IV, Chronique 1461-1464, Bruxelles, 1864, Livre VI, Seconde partie, Chapitre XXXIII, p. 381. 52 Suétone, Vie de Néron, XXXI. 53 1480 mètres. 54 Traduction (légèrement remaniée) de H. Ailloud, Suétone. Vies des douze Césars. ClaudeNéron, Paris, 1996 (Classiques en poche, 5). Sur la domus aurea, voir P. Grimal, Les jardins romains…, p. 368-73 ; Y. Perrin, La domus aurea et l’idéologie néronienne, dans Le système palatial en Orient, en Grèce et à Rome. Actes du Colloque de Strasbourg 19-22 juin 1985, éd. par E. Levy, Strasbourg, 1987, p. 365-75 (Université des Sciences humaines de Strasbourg. Travaux du Centre de Recherche sur le Proche-Orient et la Grèce anti-
ques, 9) ; J.-L. Voisin, Exoriente Sole (Suétone, Ner. 6). D’Alexandrie à la Domus aurea, dans L’urbs. Espace urbain et histoire (Ier siècle av. J.-C.IIIe siècle ap. J.-C.). Actes du colloque international organisé par le Centre national de la recherche scientifique et l’école française de Rome (Rome, 8-12 mai 1985), Rome, 1987, p. 515-19 (Collection de l’école française de Rome, 98) ; J. Fabre-Serris, Mythologie et littérature à Rome. La réécriture des mythes aux I ers siècles avant et après J.-C., Lausanne, 1998, p. 140-44 ; E. M. Moormann, « Vivere come un uomo ». L’uso dello spazio nella domus aurea, dans Horti romani. Atti del Convegno Internazionale Roma, 4-6 maggio 1995, a cura di M. Cima, E. La Rocca, Rome, 1998, p. 359-60 (Bullettino della Commissione Archeologica Comunale di Roma. Supplementi, 6).
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6. Loyset Liédet, Mort d’Ajax, 1460, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, ms 9392, f° 97v.
La superficie du domaine néronien atteignait environ 80 hectares. Le parc était composé d’un lac à l’image de la mer, d’édifices qui figuraient des villes ; la nature y était présente sous toutes ses formes, sauvage comme mise en valeur ; les grands modes de son exploitation économique, champs cultivés, pâturages et vignes, étaient représentés. C’est incontestablement dans un microcosme que Néron avait choisi de vivre : l’empereur était le maître de l’univers. Le palais et ses salles à manger exprimaient la même idée. Si l’editio princeps des Vies des douze Césars de Suétone date seulement de 147055 et si le biographe romain n’était présent dans la « librairie » de Philippe le Bon qu’au travers de compilations et remaniements d’œuvres antiques, comme les Histoires romaines de Jean Mansel, achevées en 1454 pour le compte du duc de Bourgogne56, il n’est toutefois pas impossible que celui-ci ait eu accès à un manuscrit de l’ouvrage suétonien par l’intermédiaire des compilateurs actifs à Hesdin. Il est dès lors tentant d’émettre l’hypothèse que c’est la salle à manger tournante de Néron qui a servi de modèle à la maison sur roues du parc d’Hesdin57.
55
H. Jones, Printing the Classical Text, p. 30. G. Doutrepont, La littérature française…, p. 137-38. L’exemplaire ayant appartenu à Philippe le Bon se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris (ms 5087). 56
57
Anne Van Buren-Hagopian qualifie la maison sur roues d’Hesdin de « salle à manger roulante » plutôt que tournante (La roulotte de Philippe le Bon, dans Liber amicorum. Études historiques offertes à Pierre Bougard. Mémoires de la
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L’idée sous-jacente à chacune de ces réalisations est à coup sûr la même : le souverain, qu’il soit empereur romain ou duc de Bourgogne, est l’axe de l’univers, son pouvoir revêt une dimension cosmique et son jardin comme son palais sont un microcosme, une image réduite du monde sur lequel il entend régner. Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de noter que le plafond et les lambris de la fameuse « galerie aux engins » qui courait du château jusqu’au jardin d’Hesdin furent exécutés par Colard le Voleur, le maître d’œuvres de la restauration commandée par Philippe le Bon en 1432, à la façon d’un ciel « tout d’azur et semé de grans estoilles dorées », selon les mots des livres de comptes58. Concluons. Il paraît indéniable que les ducs de Bourgogne connaissaient certains textes de l’Antiquité classique relatifs à l’art des jardins et qu’ils s’en sont inspirés dans l’aménagement des parcs de leurs résidences, faisant ainsi de ceux-ci des instruments de propagande idéologique. Toutefois, ayant vécu à une époque où l’imprimerie en était à ses balbutiements et où la plupart des textes classiques n’avaient pas encore fait l’objet d’une editio princeps, leur connaissance de l’art des jardins antique est restée fragmentaire, essentiellement basée sur les descriptions fournies par quelques manuscrits, généralement en langue vernaculaire. Il faudra attendre l’époque de Charles Quint, marquée par la diffusion des œuvres de Xénophon dans leur langue originale - l’editio princeps date de 151659 - et par la connaissance d’autres auteurs importants du point de vue de l’art des jardins, comme Vitruve, Pline l’Ancien et Pline le Jeune, pour que la Renaissance en ce domaine connaisse son plein épanouissement dans les Pays-Bas.
Commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, t. 25 et Revue du Nord, hors série, collection Histoire, n° 3, 1987, p. 115-22). Si les comptes du bailliage d’Hesdin pour l’année 1463 parlent d’une « galerie de plaisance », « laquelle gallerie se mayne et conduist sur roes », il est, nous semble-t-il, réducteur d’envisager le petit bâtiment comme une simple « roulotte » que l’on pouvait déplacer d’un endroit à l’autre du parc, afin de « faire face à de nouvelles perspectives sur les jardins ». Le texte de Chastellain invite à penser que le pavillon était également équipé d’un mécanisme lui permettant de tourner sur lui-même.
58
L. de Laborde, Les ducs de Bourgogne. Études sur les lettres, les arts et l’industrie pendant le XVe siècle, seconde partie, t. 1, Preuves, Paris, 1849, p. 271 ; M. Charageat, Le parc d’Hesdin…, p. 96-97 ; M. Brunet, Le parc d’attraction des ducs de Bourgogne à Hesdin, p. 336 ; D. Queruel, Le jardin d’Hesdin…, p. 113. 59 D. R. Morrison, Bibliography of Editions, Translations, and Commentary on Xenophon’s Socratic Writings. 1600-Present, Pittsburgh, 1988, p. 21-24 ; S. B. Pomeroy, Xenophon Œconomicus…, p. 94.
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Pascal Liévaux Direction de l’architecture et du patrimoine du Ministère de la Culture, Paris Les écuries des R enaissance
châteaux français à la
Introduction On a aujourd’hui quelque peu perdu le souvenir de la place éminente qu’occupa longtemps le cheval dans notre société. Jusqu’au début du siècle dernier, il accompagna l’homme dans la plupart de ses entreprises, utilisé pour le transport des biens et des personnes, l’agriculture, la guerre, la chasse et les exercices. Ces deux dernières activités, réservées à l’élite, étaient le plus souvent pratiquées dans le cadre des grands domaines ruraux où elles donnèrent naissance à des aménagements spécifiques : parcs de chasse sillonnés d’allées cavalières, carrières, manèges découverts et couverts pour les exercices équestres1. Les chevaux les plus onéreux, objets de prestige et d’ostentation, étaient un marqueur fort de l’identité aristocratique et leur présence en nombre signalait l’importance sociale du propriétaire des lieux. Aussi leur logement était-il généralement implanté à proximité de celui des châtelains et fit-il l’objet, à partir de la Renaissance, d’une véritable réflexion architecturale à l’origine des nombreux développements que connut ensuite l’architecture équestre. En dépit de la place qu’elles occupent dans l’histoire de l’architecture castrale, les écuries ont été largement passées sous silence par les spécialistes, qui se focalisèrent longtemps sur le château avant de s’intéresser aux jardins et, plus récemment, aux communs2, considérant enfin la grande demeure rurale dans sa globalité3. Pourtant, les écuries, édifices « semi-nobles » conciliant utilité et beauté, confort et représenta1 Les manèges prirent une importance particu-
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lière à partir de la fin du siècle, après que quelques seigneurs français eussent importé d’Italie les principes de l’art académique que des académies équestres, créées à Paris comme en province, répandirent rapidement. La plus célèbre d’entre elles fut fondée à Paris par Antoine de Pluvinel en 1594 et placée sous la protection du roi Henri IV.
2
C. Morin, Communs des châteaux et maisons de campagne en Île-de-France au XVIIIe siècle, thèse, Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, sous la dir. de D. Rabreau. 3 P. Liévaux, Les écuries des châteaux français, Paris, MONUM/Editions du Patrimoine, 2005.
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tion, furent durant quatre siècles le commun privilégié de la plupart des châteaux, occupant le second rang après le logis dans la hiérarchie des bâtiments. Beaucoup se situent au plus haut niveau d’excellence de l’architecture de la civilisation cavalière dont elles reflètent l’art de vivre. Pour un architecte, l’écurie de château est l’occasion, plus que tout autre projet, de faire la preuve de sa capacité à surmonter les contraintes d’un programme où les exigences les plus triviales ne doivent en aucun cas nuire à la noblesse du résultat. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la Renaissance marque une rupture : les écuries deviennent « un moyen de l’esthétisation générale des lieux, des objets, des manières de la vie aristocratique qui, à partir des cours, transforme le chevalier médiéval en gentilhomme, le prince féodal en monarque »4. Au plan architectural, ce qui change est la volonté qui apparaît progressivement au cours du XVIe siècle de donner aux écuries une valeur esthétique et de les mettre en rapport avec le logis à la mise en scène duquel elles vont de plus en plus contribuer. Si le corpus des écuries du XVIe siècle conservées est hélas assez limité, il permet cependant, complété par des sources plus abondantes que pour la période médiévale dont les installations équestres sont encore très mal connues, de reconstituer l’histoire de cette évolution. 1. Modernisation et ordonnancement de l’architecture équestre Bien entendu, les châteaux du Moyen Âge disposaient d’installations équestres intra- et extra-muros qui permettaient de loger quelques chevaux à proximité immédiate, de les préserver du froid et de la chaleur excessive, de contrôler leur reproduction, de séparer les poulains et les pouliches des étalons pour qu’ils ne se battent pas, d’assurer l’alimentation et la bonne hygiène de chacun. L’histoire de ces bâtiments est encore obscure mais un type d’aménagement semble déjà dominer : lorsque les chevaux ne sont pas abrités dans l’épaisseur même de l’enceinte castrale, l’écurie se présente le plus souvent sous la forme d’un bâtiment rectangulaire appelé « estable », qui ne se distingue des autres communs entourant la basse-cour que par son important volume et sa mise en œuvre généralement plus soignée. Les rares représentations connues de ces écuries médiévales sont tardives mais riches d’informations. Un exemplaire du Livre des merveilles conservé à la Bibliothèque nationale de France (fig. 1) montre un bâtiment maçonné couvert en chaume et animé d’un avant-corps muni d’une cheminée, marquant
4
D. Roche, ibid. p. 13.
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les écuries des châteaux français à la renaissance
1. Marchands de chevaux arabes, vers 1410-1412, peinture sur parchemin, dans Marco Polo, Le Devisement du monde. Le livre des merveilles, f° 92, Paris, BnF.
peut-être la présence d’un logement de palefrenier. Des ouvertures percées dans le mur et dans le toit assurent la ventilation des écuries et du fenil où est conservé le précieux fourrage indispensable à l’alimentation des chevaux. On aperçoit ces derniers à travers la porte ouverte dans le mur pignon. Ils sont attachés à une mangeoire en bois surmontée d’un râtelier courant le long d’un mur aveugle. Dehors, un cavalier s’exerce dans un espace clos formant une sorte de paddock. Un autre document, extrait d’un exemplaire du célèbre traité d’agronomie de Pierre de Crescens, conservé à Orléans5, donne plus de détails sur le système de contention tandis qu’une baie géminée marque une certaine recherche architecturale. Les écuries conservées de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle comme celles des châteaux de La Motte-Glain (Loire-Atlantique) ou du Parc-Soubise (Vendée) ont pour la plupart une allure et des dispositions proches de ces bâtiments médiévaux. Elles se singularisent, parmi toutes les constructions implantées aux abords du château, par leur masse imposante, par leur implantation parfois isolée et, pour les 5 P. de Crescens, Opus ruralium commodorum, peinture sur parchemin, 1521, f ° CXIII, Orléans, Bibliothèque municipale.
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plus luxueuses, par la voûte en berceau qui couvre le rez-de-chaussée réservé aux chevaux. D’une mise en œuvre toujours coûteuse, surtout lorsqu’il est appareillé, le voûtement pèse sur les murs gouttereaux qui doivent être renforcés comme au château de Brézé (Maine-et-Loire) mais donne à l’espace intérieur de l’écurie une vraie monumentalité. La voûte est généralement animée par les pénétrations des ouvertures et peut être agrémentée d’un discret décor sculpté comme au château du Rivau (Indre-et-Loire) où des cartouches d’un dessin tout bellifontain marquent l’intersection des doubleaux et de la lierne qui structurent l’ample berceau. Ce type de couvrement aide en outre à maintenir une température constante, douce en été, fraîche en hiver, favorable au confort des chevaux. Il isole enfin hermétiquement l’écurie du fenil qui la surmonte, mieux que ne le ferait un simple plancher, empêchant notamment les exhalaisons des animaux de gâter le fourrage. De même que dans la demeure de nouveaux aménagements, des distributions mieux entendues améliorent progressivement le confort des habitants, les installations et la distribution intérieure des écuries connaissent des progrès. Curieusement, les traités d’hippiatrie publiés au cours du XVIe siècle ne se font guère l’écho de cette évolution, n’évoquant pas ou fortuitement la question du logement des chevaux. Jean Tacquet est, à notre connaissance, le premier à y consacrer un chapitre entier, dans son Philippica 6, publié en 1614, à l’extrême fin de la période que nous envisageons ici. Cet ouvrage donne une idée très précise de ce à quoi pouvaient ressembler, en France, les écuries les plus modernes de la fin de la Renaissance. Ce qu’il préconise pour les aménagements intérieurs est dans l’ensemble conforme à ce que l’on peut constater dans la pratique à travers les bâtiments subsistants7 et les documents anciens. Les écuries, dont le plan dessine presque toujours un long rectangle, sont de deux types : simples ou doubles. Dans les premières, de loin les plus nombreuses, les chevaux sont disposés sur un rang, face à l’un des murs gouttereaux, tandis que dans les secondes, qui ont la préférence de Jean Tacquet, ils sont disposés sur deux rangs, le plus souvent croupe à croupe, face à chacun des deux longs murs, plus rarement de part et d’autre de l’axe médian de l’espace intérieur divisé en deux nefs par une cloison basse sur laquelle sont accrochés les mangeoires et les râteliers. Dans tous les cas de figure, ces derniers courent le long des parois, sans 6 J. Tacquet, Philippica ou Haras de chevaux, Anvers, R. Bruneau, 1614, p. 149-162. 7 À notre connaissance, aucun château français n’a conservé d’installation antérieure à la se-
conde moitié du XVIIe siècle, sinon sous la forme de vestiges d’une lecture souvent difficile.
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discontinuer. Généralement en bois, ils peuvent, dans les écuries les plus luxueuses, être intégrés à un lambris d’appui comme c’était, semble-t-il, le cas aux écuries des Tuileries construites dans les années 1560 par Philibert Delorme8. Les mangeoires sont posées sur des consoles de bois, de brique ou de pierre appelées racinaux 9, dont l’écartement peut déterminer l’espace laissé à chaque animal. Elles sont le plus souvent constituées d’un assemblage de planches (généralement du chêne) formant un réceptacle dont l’intérieur est souvent recouvert de tôle (plus rarement de cuivre), pour des raisons de salubrité et de solidité. Les mangeoires de pierre, matériau beaucoup plus onéreux, résistent mieux à l’usage et peuvent en outre faire office d’abreuvoir. Les râteliers, eux aussi en chêne, ressemblent à de longues échelles disposées horizontalement, dont les barreaux ou roulons sont en bois tourné et peuvent pivoter sur eux-mêmes de manière à ne pas blesser les lèvres des animaux et à faciliter la consommation du foin ainsi retenu à bonne hauteur. Tacquet recommande en outre de mettre en place un système de distribution automatique du fourrage, fort ingénieux, dont l’origine est sans doute italienne10. Il consiste tout d’abord, dans le fenil, à stocker le foin entre deux cloisons basses, ce qui libère deux passages latéraux depuis lesquels les valets d’écurie peuvent garnir directement les râteliers situés au niveau inférieur par l’intermédiaire de gaines d’alimentation pratiquées dans l’épaisseur du mur. Grâce à cet aménagement, « un bien petit garson peut donner en une demie heure de temps la provision de foin pour vingt-quatre heures à une bien grande estable de juments »11. Le système de contention dominant est le barrage qui consiste à séparer les chevaux par l’intermédiaire de longues barres de bois accrochées à des anneaux fixés dans la mangeoire et suspendues à l’arrière à des lanières en cuir ou à des chaînes accrochées au plafond, ou encore, dans le meilleur des cas, à des poteaux fichés dans le sol et sommés d’un élément d’amortissement, le plus souvent en forme de boule. Tacquet recommande d’octroyer à chaque cheval un espace de plus d’un mètre soixante de large, et même de deux mètres pour les juments, ce qui est particulièrement généreux12. En France, ce système de contention, souple et économique, eut longtemps la faveur des écuyers tandis que les 8
Du dessin de Philibert Delorme, les écuries des Tuileries, achevées en 1566, étaient conçues pour abriter une quarantaine de chevaux. Elles passèrent longtemps pour les plus modernes du royaume, tant par leur architecture que par leurs aménagements intérieurs. 9 Les racinaux sont des « morceaux de bois soutenant de distance en distance la mangeoire » (F. A. P. de Garsault, Le nouveau parfait maréchal…, Paris, chez Despilly, 1741, p. 94.
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Un dessin du Manuscrit B de Léonard de Vinci, datant de la fin des années 1480 et conservé à l’Institut de France, en donne une illustration. 11 J. Tacquet, op. cit., p. 155. 12 Aux écuries royales des Tuileries, construites par Philibert Delorme et considérées en leur temps comme particulièrement confortables, les chevaux ne disposaient que d’un mètre quarante de large.
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cloisons de stalles, qui forment des séparations beaucoup plus efficaces, ne se généralisèrent que tardivement, au cours du XIXe siècle. Pour le sol, Tacquet préconise le traitement différencié des espaces de stabulation et de circulation. Sous les animaux, il est couvert de brique, douce au sabot délicat des chevaux, et légèrement incliné de manière à faciliter l’évacuation des flux. Ces derniers se déversent dans des rigoles qui séparent l’emplacement des chevaux du passage que l’on pave « de pierres vives de campagne, des moindres & rondes »13. Tacquet couvre son écurie d’un plafond de bois bien ajusté, disposé à quatre mètres de hauteur, car, de son point de vue, « il n’est nullement bon de la terrasser, cimenter ou voulter de pierre par le haut, causant par cela humidité, principalement l’hiver »14. Jacques Androuet Du Cerceau, dans son Livre d’architecture de 1582, propose pour sa part un compromis entre le plancher et la voûte qui consiste à couvrir l’écurie de « quelques solives de dix à douze poulces (30 à 36 cm), & les mettre à trois pieds près l’un de l’autre (90 cm), & voulter les entredeux de brique, en manière d’un petit arc courbé, pour ce qui est communément les estables à chevaux sont sujettes au feu »15. Pour les écuries d’importance, les considérations esthétiques primant toute autre, nous avons pu constater que les voûtes eurent le plus souvent la faveur des concepteurs et des commanditaires. C’est une réalisation royale, aujourd’hui disparue, conçue à l’usage de François Ier, qui manifeste le plus clairement cette volonté nouvelle de rationaliser le service des écuries. Il s’agit du bâtiment du « chenil », construit près de l’entrée du château de Fontainebleau par Gilles Le Breton, de 1530 à 1535 (fig. 2). Alors que plusieurs écuries plus ou moins improvisées et dispersées en périphérie de la demeure du souverain abritaient les chevaux nécessaires à la Cour, on eut l’idée de loger chevaux et chiens destinés à la chasse dans un même bâtiment dessiné tout spécialement à cet effet. On y avait regroupé et disposé dans une parfaite régularité tous les services de la vénerie, art véritablement national dont la pratique faisait, aux yeux du roi, le principal intérêt des séjours bellifontains. De part et d’autre d’un pavillon d’entrée qui marquait l’axe de cet exceptionnel édifice et contenait à l’étage une chapelle, deux écuries doubles pouvaient accueillir de cinquante à soixante chevaux cependant qu’une douzaine de loges abritaient les meutes de chiens courants près desquelles on avait disposé les chambres des valets qui leur étaient atta13
J. Tacquet, op. cit., p. 154. Ibid. 15 J. Androuet du cercerau, Livre d’architecture… auquel sont contenues diverses ordonnances de plans et élévations de bastiments pour Seigneurs, 14
Gentilhommes et autres qui voudront bastir aux champs : mesmes en aucuns d’iceux sont desseignez les basses courts avec leurs commodités particulières…, Paris, impr. Pour J. Androuet Du Cerceau, 1582, f° 18 r.
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chés. Au-dessus, régnaient des appartements destinés au grand veneur de France, personnage considérable, ainsi qu’aux officiers, piqueurs et valets assurant le service de la vénerie16. On était à ce point conscient du caractère exceptionnel de cet ensemble architectural que l’on ne dédaignait pas de le faire visiter aux visiteurs étrangers qui venaient quelquefois s’y changer avant d’être reçus par le roi. Il jouissait d’une certaine renommée, au point que, deux ans seulement après son achèvement, Henri VIII d’Angleterre, grand rival de François Ier, ordonnait la construction des écuries royales du palais d’Hampton Court sur un même plan rectangulaire17. Si ce 2. A. Francini, cartographe et M. Asinius, graveur, type d’écuries, refermées sur elles- Portrait de la maison royale de Fontaine Belleau, plan mêmes et implantées à bonne dis- cavalier, 1614, Paris, BnF. tance de la demeure, connaît une grande fortune outre-Manche, il n’en est pas de même en France où les installations équestres d’importance s’inscrivent de préférence dans de grandes compositions ouvertes et sont visuellement liées au château. 2. Les écuries et le château Avant de s’intégrer à de telles compositions axées, la plupart des écuries étaient implantées en périphérie de la basse-cour, souvent à proximité immédiate de l’entrée du château, pour d’évidentes raisons de commodité. De nombreux exemples en témoignent, tant parmi les aménagements conservés que dans les traités, tout particulièrement les projets de maisons aux champs gravés par Du Cerceau18. C’est ainsi qu’à Montargis (Loiret), Renée de France, fille de Louis XII, fit édifier vers
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Vielleville, 1822, t. I, p. 369, (année 1551), cité par M. Chatenet, La cour de France au XVIe siècle. Vie sociale et architecture, Paris, Picard, 2002, p. 88-100.
17 G. Worsley, The British stable, Londres, Yale
University Press, 2004, p. 21. J. Androuet du cerceau, op. cit.
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3. Château de Montargis, Jacques Androuet du Cerceau, Les plus excellents bâtiments de France…, Paris, 1576-1579, Paris, BnF.
1560 trois corps de bâtiment parallèles à usage d’écuries, disposés perpendiculairement à la courtine de l’ancienne forteresse, sur laquelle ils prenaient jour, à gauche du châtelet d’entrée (fig. 3). On retrouve ailleurs la même implantation comme, par exemple, au château de Mortiercrolles (Mayenne) où les écuries construites à la fin du XVe siècle occupent ce même emplacement mais s’inscrivent dans la continuité des autres constructions. Cependant, la hiérarchisation des espaces est ici plus marquée, la basse-cour étant séparée de la cour d’honneur par un mur audessus duquel émergent les lucarnes monumentales des écuries, visibles depuis l’étage noble du logis, dispositif que l’on retrouve au château des Cars (Haute-Vienne) dont les écuries sont construites autour de 1515-1520. Lorsque la basse-cour est rejetée sur le côté du château, comme à Bury (Indre-et-Loire), les écuries ne se distinguent généralement guère des autres communs. Certaines dialoguent cependant avec le château du fait de leur proximité et de leur monumentalité. C’est le cas à VilleneuveLembron où la volonté de mettre en valeur le logement des chevaux, isolé et disposé en pendant au logis seigneurial, s’exprime aussi à l’intérieur par un exceptionnel décor, peint à la fin du siècle sur la voûte en 96
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4. Écuries du château de Villeneuve-Lembron (Puyde-Dôme), vue intérieure.
berceau qui couvre le logement des animaux (fig. 4). Nous avons retrouvé d’autres traces de telles représentations, toutes sur le thème du cheval et de ses différents usages, au château des Cars ou encore à Creuilly (Calvados). Il est certain que la plupart ont disparu, rongées par le salpêtre ou recouvertes par des badigeons. Dans l’attente d’autres découvertes, il est difficile d’évaluer l’importance de cette mode décorative dont l’origine est certainement à chercher du côté de l’Italie. On prit aussi progressivement l’habitude d’enrichir les façades d’un décor extérieur, généralement sculpté, propre à annoncer clairement la fonction des bâtiments. C’est ainsi que les élévations des écuries royales des Tuileries se signalaient par une abondante sculpture équestre et héraldique, organisée autour d’un grand et beau cheval en haut-relief, œuvre du célèbre Ponce Jacquiot19. D’autres exemples, certes moins prestigieux, marquent l’émergence d’un décor propre à annoncer la fonction de ces bâtiments désormais clairement différenciés des étables abritant les animaux d’un rang inférieur. Il consiste souvent en un cheval, généralement 19
C’est « une écurie où il tient quarante chevaux d’un seul côté ; de la clé des croisées de ses greniers sortent des têtes de chevaux ; audessus de la porte est élevée une figure de cheval qui n’a plus de tête, et même à qui on a rompu les pieds et les jambes ; ouvrage cepen-
dant de maître Ponce, l’un des meilleurs sculpteurs du siècle passé qui soit venu d’Italie en France », H. Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, Paris, C. Moette, 1724, 3 vol., t. II, p. 59.
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5. Écuries du manoir de Barneville (Manche), v. 1580.
sculpté en bas-relief et disposé audessus de l’entrée comme au manoir de Barneville20 (Manche) (f ig. 5). Au château de Brézé (Maine-et-Loire), il est accompagné d’une inscription en latin qui témoigne de la culture humaniste du propriétaire des lieux. Son propos justifie le luxe quelque peu ostentatoire de la construction par l’évocation des nombreux mérites d’un animal si utile et si proche de l’homme21. Au Rivau, plusieurs inscriptions latines célébraient le cheval à l’intérieur même de l’édifice. Peintes sur les parois des écuries, elles ont presque totalement disparu.
Cette attention nouvelle portée à l’architecture et au décor des écuries constitue une étape importante du développement de l’architecture équestre dans le contexte castral mais il faut attendre le milieu du siècle pour que s’affirme un rapport clairement articulé avec la demeure dans lequel le logement des chevaux contribue au premier chef à la mise en valeur de celui des maîtres. Les châteaux de Fleury-en-Bière, près de Fontainebleau et du Rivau, en Touraine, en présentent les deux plus beaux exemples conservés. A partir des années 1530, les grandes basses-cours s’étaient progressivement imposées comme manifestes de pouvoir, d’abord sur les chantiers royaux 22 puis dans quelques grandes demeures tel le château de Champigny-sur-Veude23, voisin du Rivau (fig. 6). Mais à VillersCotterêts, à Fontainebleau24 ou à Saint-Germain, les écuries sont relé20 Ecuries construites vers 1580 pour Léobin du Saussey. 21 Cette inscription peut être ainsi traduite : « Ne t’étonne pas si c’est pour des chevaux que nous avons élevé cette demeure. Parmi les quadrupèdes, on considère le cheval comme le premier parce qu’il porte l’homme et qu’en même temps il l’aime admirablement. Il lui obéit et lui est utile par sa propriété médicale. Percé de coups, il enlève son maître du milieu de l’armée, si bien qu’il lui sauve la vie mais
perd la sienne par amour. C’est pourquoi celui qui aime ce qui est utile ou ce qui est ami, s’il a du sens, considérera toujours les chevaux comme précieux ». 22 M. Chatenet, op. cit. 23 Pour Louis II de Bourbon. 24 Transformée à partir de 1550 en cour d’honneur par l’érection d’un nouveau logis royal, elle fut le cadre privilégié des joutes et des carrousels royaux.
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guées à l’extérieur de ces espaces de représentation bordés de communs moins bruyants et moins salissants. Très inspirée de l’exemple bellifontain tout proche, l’avantcour du château de Fleury-enBière est en revanche pour moitié consacrée au service des écuries qui occupent son flanc droit. La construction en fut entreprise en 1550, pour le compte de Cosme Clausse, familier d’Henri II, dont il était notaire et secrétaire (fig. 7). Cet habile personnage avait aménagé ce domaine bordant la forêt de Fontainebleau afin que le souverain puisse y faire halte, équipant la demeure d’une cour assez vaste pour accueillir le roi et les courtisans qui l’accompagnaient à la chasse, ainsi que d’écuries pouvant abriter les chevaux de cette brillante compagnie. Cependant, si le logement des chevaux se distingue par un voûtement de brique au dessin particulièrement élégant, rien n’annonce sa présence de l’extérieur, les élévations brique et pierre de la cour, dont le dessin est attribué à Pierre Lescot, formant un ensemble parfaitement régulier.
6. Écuries du château du Rivau (Indre-et-Loire), après 1550, vue générale.
Il en va de même à Noyen, près de Provins, où les écuries occupent toute l’aile gauche d’une vaste avant-cour. Très remanié en 7. Château de Fleury-en-Bière (Seine-et-Marne), 1899, cet ensemble dont le dessin att. Pierre Lescot, avant-cour, 1550. et le décor évoquent aussi l’art de Pierre Lescot fut réalisé pour un autre proche d’Henri II, François de Carnavalet, écuyer du roi. Il dessine, comme à Fleury, un espace d’apparat et un accès spectaculaire à la demeure, annoncé à l’extérieur par un portail monumental en fort bossage qui axait fermement la composition. 99
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A notre connaissance, l’idée de disposer les vastes écuries désormais indispensables à toute grande demeure au cœur de la partie la plus noble du programme architectural revient à Léonard de Vinci. Dans le projet qu’il esquissa en 1517 pour François Ier à Romorantin, le nouveau château royal, de plan rectangulaire, est précédé d’une avant-cour en U formée de deux écuries doubles disposées de part et d’autre de l’entrée. C’est le parti retenu et imparfaitement mis en œuvre à la fin des années 1550 pour Gabriel de Beauvau au château du Rivau sous la forme d’une construction en L aux élévations raffinées, animées de forts bossages et articulées par une tour d’escalier sur trompe à la stéréotomie savante. Le plan comme les élévations évoquent irrésistiblement l’art de Philibert Delorme qui, en 1554, donne une même disposition en L aux écuries d’Henri II au palais des Tournelles et la répète quelques années plus tard aux Tuileries. Les écuries du Rivau dessinent le côté gauche d’une esplanade rectangulaire dont, comme à Fleury-en-Bière et à Noyen (Seine-et-Marne), des constructions symétriques, abritant d’autres communs, et un grand portail axial devaient très certainement achever de régulariser le tracé. Elles esquissent une vaste avant-cour par laquelle on accède désormais à la demeure médiévale du XVe siècle dont l’emprise est ainsi fortement amplifiée et l’aspect modernisé. Conclusion On voit donc qu’au milieu du siècle, à Fleury-en-Bière, à Noyen et au Rivau, les communs sont désormais intégrés à une ample composition conçue pour mettre en valeur le logis et conférer à l’ensemble castral une monumentalité accrue. Les écuries, dignes d’occuper le second rang dans la hiérarchie des constructions, y jouent un rôle essentiel qui ne se dément pas au siècle suivant, bien au contraire. C’est ainsi que dans les années 1630, à Richelieu, à quelques kilomètres du Rivau, Jacques Lemercier amplifie ce parti en organisant le cheminement vers la demeure du cardinal de Richelieu, aujourd’hui disparue, à travers une succession de cours axées sur l’entrée du logis (fig. 8). Les bâtiments destinés au cheval et à ses différents usages (écuries, remises à voitures25, manège26, logement pour la domesticité) sont symboliquement implan-
25
Le développement que connaît au cours du XVIIe siècle l’usage des voitures, autrefois réservées au transport des femmes et des malades, rend indispensable la présence des remises proches des écuries, assez vastes et nombreuses pour abriter ces objets de haut luxe. Lire à ce sujet J.-L. Libourel, Voitures hippomobiles.
Vocabulaire typologique et technique. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Paris, Éditions du patrimoine, 2005. 26 Le pavillon du manège s’inscrivait au centre de l’aile droite de cette cour dont il est le seul élément conservé.
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8. Jean Marot, Veüe et perspective générale du château de Richelieu, ou de sa Basse-cour, de son Anti-cour, de sa cour et de ses aisles, Corps de logis et Pavillons, estampe, s. d., Paris, BnF.
tés entre la basse-cour et la cour d’honneur. Exactement à la même époque, François Mansart met en œuvre au château normand de Balleroy (Calvados) une composition axiale tout aussi spectaculaire dans laquelle la cour précédant la cour d’honneur est bordée de deux longues ailes d’écuries disposées en miroir. Mais c’est évidemment à Versailles que les palais équestres construits face au château par Jules Hardouin-Mansart à partir de 1679 pour abriter la Grande et la Petite Écurie portent le dialogue entre la demeure et les écuries à son niveau d’expressivité et d’efficacité le plus élevé. Le logement des chevaux, dont la fonction est clairement annoncée par un brillant décor sculpté, contribue au plus haut point à la glorification de la personne royale. Il exprime avec éclat la puissance politique et militaire du monarque de droit divin et donne à la présence des chevaux, face aux appartements privés du roi, une portée éminemment symbolique.
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Michel de WAHA, Clémence MATHIEU, Vincent VANDENBERG Université Libre de Bruxelles* La
vitalité de l’habitat seigneurial secondaire en H ainaut. Quelques exemples.
Ces quelques pages présentent de manière succincte un projet de recherche développé à l’Université Libre de Bruxelles et qui cherche à pister l’habitat dit seigneurial dans ses rapports avec les structures d’encadrement de la production et des populations, mais aussi à souligner comment cet habitat exprime les formes de représentation sociale, spécialement dans les couches les plus modestes du milieu seigneurial, et comment évoluent ou se maintiennent ces schémas de représentation et d’ostentation. Les curtes et leurs liens réels ou supposés avec les premières fortifications, mais aussi le maintien, la disparition ou l’apparition de nouveaux habitats privilégiés au cours des siècles retiennent l’attention. Le château d’Écaussinnes-Lalaing1 occupe dans ce projet une place particulière, puisque le mémoire de Philippe Sosnowska 2 et l’analyse des techniques de taille des pierres par Fr. Doperé3 incitent à s’interroger sur la notion même de château dans nos régions, à l’époque bourguignonne. Le noyau du XIVe siècle, un donjon-porche complété par un mur d’enceinte sans chemin de ronde ni élément de défense active tel qu’archère ne possédait qu’une valeur militaire réduite. Le développement de l’ensemble, sous les Lalaing puis les Croÿ, affirme davantage l’appareil militaire qu’il n’en renforce l’efficacité : il n’y a pas de chemin de ronde, la défense demeure parcellisée, incomplète. Solre* Vincent Vandenberg est aspirant du F.N.R.S. 1
Les localisations suivent le cadre administratif résultant de la « fusion » des communes de 1977. Écaussinnes-Lalaing : ancienne commune, aujourd’hui partie d’Écaussinnes, Hainaut, Soignies ; Le Patrimoine monumental de la Belgique, Wallonie, 231, Hainaut, Arrondissement de Soignies, Liège, 1997, p. 229-236, (cité Patrimoine monumental). 2 Ph. Sosnowska, Un château en Hainaut, Écaussinnes-Lalaing, Mémoire de licence, Bruxelles, U.L.B., 2002 (dir. M. de Waha) ;
Id., Écaussinnes-Lalaing : les métamorphoses du château au XVIe siècle, dans J.-M. Cauchies, J. Guisset (éds.), Du métier des armes à la vie de cour, de la forteresse au château de séjour : familles et demeures aux XIVe-XVIe siècles, Actes du colloque international organisé au Château fort d’Écaussinnes-Lalaing les 22, 23 et 24 mai 2003, Turnhout, 2005, p. 79-92. 3 F. Doperé, Le château et son environnement géologique, l’exploitation des carrières dans les douves rocheuses, article de ce volume.
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sur-Sambre, propriété des Carondelet à la même époque, présente les mêmes caractéristiques4. Le point de départ de l’étude repose sur l’établissement de la ou des typologie(s) des habitats telles qu’elles apparaissent et des désignations anciennes et de l’analyse archéologique et architecturale de ceux-ci5. Dans les dénombrements hainuyers, le nombre de « châteaux » est assez faible. Soit ils remontent à la fin du XIIe siècle au plus tard et relèvent de quelques rares familles, soit ils apparaissent plus tard et sont liés à quelques familles occupant des fonctions importantes dans l’administration du comté. Malheureusement, en Hainaut, la couche de ces châteaux antérieure à l’état XVe siècle est fort mal conservée. Les dénombrements (à partir de 1410) utilisent les termes de château, motte, tour, motte et entrepresure, maison et entrepresure, maison et yestre, yestre. Le terme de maison forte est extrêmement rare pour ne pas dire inexistant. Cette terminologie nous paraît hautement symbolique et significative. La terminologie latine, plus ancienne, n’utilise jamais le terme motta ou atrium (yestre). Les implantations désignées par le terme de « motte » correspondent non à ce que nous appelons une motte, mais bien à des sites fossoyés, qui n’ont pas la même étendue qu’une véritable motte et moins encore sa valeur défensive. La « motte » de La Hamaide6, implantation d’une famille de « petite » noblesse mais parente de quelques grandes familles hainuyères, est ainsi un site fossoyé entouré de ce que l’on désignera davantage comme une mare que comme un véritable fossé. Elle se développera par l’adjonction d’une modeste tour et d’une enceinte de faible épaisseur aux tours cornières plus symboliques que réellement militaires. A la fin du XIIe siècle, c’est également par un stagnum, une mare que se caractérise le site du villicus de Saintes7. Ne seraient les mentions dans les sources, puis plus tard dans les dénombrements, que l’on ne verrait pas la différence entre ce genre d’implantation et les traces de manses avec leur chef-lieu d’exploitation repérées par
4 Solre-sur-Sambre ancienne commune, partie
d’Erquelinnes : Hainaut, Thuin, Merbes-leChâteau ; Patrimoine monumental, 101 (1983), p. 360-367 ; M. de WAHA, Châteaux hainuyers des XIVe-XVIe siècles,, dans J.-M. Cauchies, J. Guisset, Du métier…, p. 55-64. 5 Pour les bases de la méthode : M. de Waha, Fortifications et sites fossoyés dans le nord du comté de Hainaut. Aspects archéologiques, historiques et monumentaux, thèse, Bruxelles, U.L.B., 1983 ;
Id., Habitats « seigneuriaux » et paysage dans le Hainaut médiéval, dans M. Bur (éd.), La maison forte au Moyen Âge. Table ronde Nancy-Pont-àMousson, 31 mai-3 juin 1984, Paris, CNRS, 1986, p. 95-111. 6 La Hamaide : ancienne commune, partie d’Ellezelles, Hainaut, Ath, Flobecq. 7 Saintes : ancienne commune, partie de Tubize, Brabant, Nivelles.
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Philippe Mignot dans les Ardennes8, ou certaines fermes importantes mentionnées dans les sources puis cartographiées dès les XVIe et XVIIe siècles et qui se présentent également comme des sites fossoyés. On a donc appelé motte une structure qui ne répondait pas vraiment à la définition de la motte et on l’a fait à un moment où la motte ne représentait plus une fortification moderne et efficace, mais illustrait on ne peut mieux l’ancienneté et la respectabilité d’une implantation seigneuriale. C’est la même démarche intellectuelle qui poussera à établir à Enghien une « motte de Brabant » chargée de symboliser les devoirs féodaux des seigneurs d’Enghien envers les ducs. Le terme curtis n’apparaît que rarement dans le vocabulaire latin et n’est pas utilisé dans le vocabulaire français comme terme premier d’une description : maison et court, ou si d’aventure il l’était, on lui accole immédiatement la précision court et maison. La notion de résidence spécifique, dégagée des bâtiments d’exploitation, s’impose, mais sans référence à la fortification. Cette résidence spécifique ne suffit peut-être pas à différencier ces sites de grandes fermes, notamment de grandes fermes d’abbaye, dont certaines possèdent dès la fin du Moyen Âge des bâtiments résidentiels spécifiques. L’élément de sélection ne se trouve pas dans la typologie de l’habitat mais dans le statut de ceux-ci, symbolisé par leur inscription dans les registres féodaux, inscription qui crée ou consacre un lien particulier entre leurs détenteurs, qui ne sont d’ailleurs pas toujours des « nobles », et le prince. Nous connaissons relativement bien l’ensemble des familles aristocratiques hainuyères du XIIe siècle. Rares sont celles qui possèdent un château. Parmi celles qui n’en ont pas, se trouvent des lignages importants, comme les Roisin étudiés par Daniel Dereck, les Lens ou même les Silly avant qu’ils ne prennent le nom de Trazegnies, éponyme de leur fortification, ou encore la famille de La Longueville. Silly et La Longueville sont sièges de pairies hainuyères. Pour les Roisin, Daniel Dereck a bien montré que les miracles qui mettent en scène le « sire » de Roisin se déroulent dans son domicile, qui n’est pas qualifié de château, de donjon ou de tour 9. Au milieu et à la fin du XIIe siècle, quelques documents donnent des renseignements sur ce qui deviendra le château de Boussu10. Gossuin de Mons, puis Béatrice de Rumigny refusent de plier devant les exigences des moines de Saint-Ghislain : ils revendi8
Ph. Mignot, D. Henrotay, L’habitat rural médiéval au sud de la Meuse de la fouille au bâti conservé, dans The rural house from the migration period to the oldest still standing buildings, Ruralia, IV 2001, Prague, 2002, p. 339-346.
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AASS., Octobre, IV, p. 1031 -1032 A. Boussu : ancienne et actuelle commune, Hainaut, Mons, ch.l. ct.
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quent terres et droits, mais ont fait élever aussi une capella à l’intérieur de leur curtis et entendent en faire assurer le service au mépris des droits paroissiaux détenus par l’abbaye. L’implantation « nobiliaire » plutôt que seigneuriale est appelée curtis et non pas d’un terme de fortification. Ce qui distingue l’implantation, outre des éléments que nous ne percevons pas dans le texte, c’est l’équipement religieux que se réserve la dame11. Il a ainsi été possible de reconstituer le semis des implantations « féodales » plutôt que seigneuriales dans le comté de Hainaut au Moyen Âge. Mais il importe d’aller plus loin aujourd’hui et de ne pas se limiter à la transformation parfois prestigieuse de certains châteaux en résidences fastueuses, comme Boussu construit par Jacques du Broeucq ou comme Chimay dont les Albums de Croÿ et les fouilles nous dévoilent l’aspect. Nous avions déjà perçu, dans notre thèse, un mouvement de rajeunissement des habitats dits secondaires au XVIe siècle. Aujourd’hui, les premières analyses de notre projet montrent que comme dans la Lorraine de Gérard Giuliato12 ou la Bourgogne d’Hervé Mouillebouche13 et d’autres régions françaises, notamment la Savoie14, le mouvement ne se limite pas à un renouvellement, mais se marque aussi par la création de nouveaux habitats qui adoptent des formes traditionnelles parce que porteuses de sens et plus précisément parce que manifestant cette notion de durée qui justifie. Dans des pays déjà conservateurs sur le plan de l’architecture, cela donne des bâtiments que l’on qualifierait d’archaïsants si précisément cette fidélité à la tradition n’était pas le but recherché. L’éclairage sacrifie toutefois à un désir certain de confort. La fortification de ces structures paraît dérisoire : à nouveau l’efficacité importe moins que l’affirmation d’un « statut » militaire que révèlent par ailleurs pleinement les pierres tombales des propriétaires modernisant certes le costume, mais maintenant la tradition de la représentation en armure. Les deux exemples qui suivent nous paraissent particulièrement significatifs de ces tendances.
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M. de Waha, Fortifications, t. II, p. 635 avec sources. 12 G. Giuliato, Habitats seigneuriaux et défenses collectives en Lorraine médiévale et Habiter une maison forte en Lorraine (XIVe- XVIe siècle). Le « petit château des Armoises » à Richardmenil, Thèse d’habilitation, Université de Nancy II, 2006.
13 H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du nord au XIIIe siècle, Dijon, 2002. 14 E. Sirot, Noble et forte maison. L’habitat seigneurial dans les campagnes médiévales du milieu du XIIe siècle au début du XVIe siècle, Paris, 2007 (Espaces médiévaux).
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La tour Vignou à Attre-Mévergnies (Hainaut) au XVIe siècle : une « tour de chevalier » en marge de la typologie wallonne habituelle ? Le parc romantique du château d’Attre15, à quelques kilomètres d’Ath, recèle entre autres curiosités les ruines d’une tour baptisée « Tour Vignou ». Cette appellation trouve sa source dans une légende locale qui relate comment Vignou, personnage tout à la fois ermite et brigand, attirait les malheureux passants dans l’obscurité des ruines afin de les assassiner et de brûler leurs corps. Entre légende criminelle, origine normande fantaisiste et inclusion en tant qu’élément ludique dans un parc aux côtés d’un « Rocher », d’un pseudo-temple antique et d’un chalet suisse, cet édifice n’avait jusqu’ici jamais bénéficié de la moindre étude un tant soit peu poussée (épousant ainsi pour l’essentiel le sort du château d’Attre lui-même). La lacune fut partiellement comblée au travers d’un mémoire de licence en Histoire de l’Art et Archéologie défendu en 2006 à l’Université Libre de Bruxelles16. Bien qu’inclus dans le parc d’Attre, la tour ainsi que le « Hameau » tout proche, centre d’exploitation agricole lui aussi en ruines, se trouvent administrativement situés sur le territoire du village voisin de Mévergnies, le tout étant actuellement regroupé au sein de la commune de Brugelette. Une première approche de la documentation historique disponible a permis de déterminer, avec un degré de certitude assez élevé, que la Tour Vignou était à l’origine la tour d’une seigneurie située à Mévergnies, et qu’elle fut seulement intégrée tardivement au parc d’Attre après plusieurs siècles d’un voisinage facilité par la présence d’un seigneur commun aux deux seigneuries. En recoupant les informations transmises par divers documents, il a également été possible de dater la construction de la tour dans le dernier quart du XVe siècle. C’est à la lumière de ces quelques éléments qu’il faut apprécier les données fournies par l’étude des vestiges observables et les confronter au reste des « tours de chevaliers » situées au sud comme au nord de la frontière linguistique. Le site s’avère, à son échelle, assez spectaculaire. La tour est visiblement établie sur un socle rocheux dont elle épouse la forme apparemment carrée, et la base de l’édifice se trouve encore près de deux
15 Attre et Mévergnies : anciennes communes, parties de Brugelette, Hainaut, Ath, Chièvres ; Patrimoine monumental, 132 (1988), p. 521.
16
V. Vandenberg, Les tours médiévales en Hainaut : le cas d’Attre-Mévergnies, Mémoire de licence, Bruxelles, U.L.B., 2005 (dir. M. de Waha).
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mètres au-dessus du fond du fossé. Ce dernier, qui fait approximativement sept mètres de large, devait à l’origine posséder, en plan, la forme d’une pointe de lance, mais la présence de grandes quantités de remblais lui donne à l’heure actuelle une forme presque carrée. La pente extérieure du fossé se présente encore en partie comme une paroi verticale mesurant par endroits six mètres de hauteur et précédée d’une petite levée de terre, même si des glissements de terrain et des remblais ont quelque peu altéré cet aspect. Le tout est entièrement taillé dans la roche locale, un calcaire, qui affleure à cet endroit. L’apparence du site évoque sans équivoque celui des carrières anciennes encore visibles dans la région proche, avec ces parois tout à fait verticales, si ce n’est que dans le cas qui nous occupe le creusement a été planifié pour épargner un socle parallélépipédique en son centre. Les observations concernant la tour elle-même sont grandement tributaires de l’état actuel d’un site entièrement envahi par la végétation et peuplé d’arbres qui ont causé des dégâts appréciables aux structures. Deux grands pans de murs subsistent sur cinq à six mètres de hauteur pour déterminer deux des faces de la tour sur la presque totalité de leur longueur. L’édifice devait occuper une surface au sol d’une centaine de mètres carrés et posséder des murs d’environ deux mètres d’épaisseur. Les structures subsistantes sont bâties pour l’essentiel en moellons de calcaire avec utilisation de briques au sein même de la maçonnerie, mais l’un des murs semble bien être bâti entièrement en briques à partir de ce qui doit être le second niveau de la tour. Cette utilisation massive de briques pour construire les parties hautes de la tour, pourtant confirmée par la présentation de la tour dans les gouaches des Albums de Croÿ, semble distinguer l’édifice de la majeure partie de ses équivalents wallons étudiés récemment dans un volume de synthèse. Cette apparente singularité se retrouve également dans l’appartenance chronologique du bâtiment à la fin du xve siècle, quand les susdits équivalents sont en général considérés bien plus anciens, à la différence d’ailleurs de ce qui semble apparaître au nord de la frontière linguistique. De singularités, il en est tout particulièrement question lorsque l’on porte son attention sur la nature des quelques éléments subsistants de l’édifice. Vu la présence du socle rocheux, ne sont probablement conservés que l’élévation du premier niveau de la tour et l’amorce de son second niveau. De maigres indices évoquent la présence d’une voûte pour couvrir ce premier niveau, ce qui serait relativement traditionnel dans ce type d’édifice, tout comme d’ailleurs l’épaisseur des murs à la base. Ce qui est bien moins banal, c’est la multiplication des ouvertures pratiquées dans les murs du premier niveau, et notamment dans les angles. Les deux angles de la tour plus ou moins conservés sont tous 108
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deux ouverts à leur base, l’un d’entre eux accueillant même une sorte de couloir voûté poursuivi à l’intérieur de la tour par un muret et débouchant à l’extérieur sur le fossé. Qu’il s’agisse d’une latrine ou plus vraisemblablement d’une sorte de poterne, la présence de ce genre d’aménagement dans ce type d’édifice semble relativement inédite. Chacune des deux faces encore conservées accueille en outre une baie supplémentaire en son centre. Cette accumulation d’ouvertures va tout à fait à l’encontre de la logique d’opacité qui préside habituellement à l’aménagement du premier niveau des tours d’habitation seigneuriales. Au vu de ces quelques observations et de la typologie généralement admise en ce qui concerne les tours d’habitations seigneuriales du Moyen Âge, il serait légitime de mettre en doute « l’authenticité » de l’édifice et d’y voir une « fabrique » romantique. Pourtant, l’ancienneté de la tour est bien attestée et sa présence en son emplacement actuel bien assurée avant même l’établissement du parc romantique d’Attre. L’opportunité est donc réelle, au travers de ce cas et d’autres qui apparaissent de-ci de-là, d’éclairer d’un jour nouveau le phénomène des tours seigneuriales tardives dans nos régions. D’autant plus que, si le site est privé, il bénéficie d’un intérêt soutenu de la part de ses propriétaires. On ne pourrait donc que voir d’un bon œil une poursuite des investigations sur le terrain, comprenant des fouilles qui pourraient inclure le « Hameau » déjà évoqué, ancienne basse-cour à l’abandon dont l’état actuel date en grande partie du milieu du xviie siècle. La maison-tour de Lompret : évolution d’un habitat seigneurial17 Cette première étude archéologique de l’habitat privilégié de Lompret18, dont la principale partie subsistante actuellement est une maison-tour, a permis de retracer une partie de son développement architectural et d’en dégager l’évolution typologique. Cette analyse nous a amenés à définir archéologiquement et chronologiquement la vision que l’on avait de cet ancien « château » disparu et de sa « tour » ou maison-tour. Lompret tire son nom (de longo prato, le long pré) de sa situation dans une vallée assez large dont la majeure partie est cultivée en prairie. 17
Cl. Mathieu, Lompret, archéologie et restauration d’un habitat « seigneurial », Mémoire de licence, Bruxelles, U.L.B., 2005 (dir. M. de Waha).
18
Lompret : ancienne commune, partie de Chimay, Hainaut, Thuin, ch.l. ct. ; Patrimoine monumental, 101 (1983), p. 290-293.
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Lompret se situe au sein de la Calestienne, faisant la transition entre le massif ardennais au sud et la bande de la Fagne au nord. Le village est traversé par la rivière de l’Eau Blanche, qui prend sa source au sud de Seloignes et se dirige le long de la bande calcaire de la Calestienne vers l’est pour rejoindre l’Eau Noire, pour former ensuite le Viroin et se jeter dans la Meuse à Vireux en France. L’habitat seigneurial de Lompret est implanté dans un méandre encaissé de l’Eau Blanche, tandis que le « village » se développe de part et d’autre de la rivière, au nord et à l’ouest du domaine seigneurial. Situé en plaine, il est dominé à l’est par un éperon rocheux, ou se trouve le lieu-dit du Franc-Bois. Au nord et au sud, le village est encore dominé par deux plateaux. Celui-ci est donc encaissé dans un fond de vallée. La structure principale de l’habitat privilégié (considérée comme une « tour »), qui est l’objet ce cette étude, occupe l’extrémité sud-ouest d’un affleurement rocheux en légère élévation par rapport au terrain environnant. Le terrain autour de l’édifice descend à l’ouest et à l’est en pente douce jusqu’à la rivière. A l’est, une route longe la « tour » et ses bâtiments adjacents et vient séparer en deux ce qui constituait auparavant un seul domaine. En effet, de l’autre côté de la route, se trouve un bâtiment en ruine flanqué d’une tourelle ronde, qui était une ferme auparavant. Au niveau historique, le pays de Viroin est caractérisé par de profonds remaniements sur le plan politique et seigneurial pendant le haut Moyen Âge19. Dès 1100, Couvin et les huit domaines qui l’entouraient, dont faisaient partie Aublain et son satellite de Lompret, constituaient administrativement et politiquement une «châtellenie » de la principauté épiscopale de Liège20. Dans le courant du XIIe siècle, la châtellenie de Couvin perdit Lompret, qui fut absorbé par les seigneurs de Chimay21. Au niveau religieux, il semble qu’une chapelle « castrale » modeste ait existé à Lompret à partir de 160222. A cette époque, on désignera « castrale » toute chapelle annexée à un habitat seigneurial. Mais cela n’implique aucunement la présence d’un château défensif. Lompret n’étant pas cité dans les pouillés, il est pratiquement certain qu’il n’y a pas eu de lieu de culte à Lompret au Moyen Âge. Une chapelle parois19 G. Despy, C. Billen, Le peuplement rural dans
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la région de Couvin pendant le Haut Moyen Âge, dans Au Pays des Rièzes et des Sarts, n° spécial II (1980), p. 11-19. 20 Ibid., p. 19.
22 E. de Moreau., Histoire de l’Église en Belgique.
Ibid., p. 25.
Tome complémentaire, Bruxelles, 1948, p. 280281.
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siale fut érigée par Pierre Jacquier, propriétaire de l’habitat seigneurial de Lompret, avant sa mort en 171423. Lompret resta une chapelle annexe d’Aublain jusqu’au Concordat de 1802, date après laquelle elle fut érigée en paroisse. L’église actuelle, de style néogothique et dédiée à saint Nicolas, a été construite en 1879. Les dénombrements24 ne font pas mention d’un habitat privilégié à Lompret avant le XVe siècle, ce qui laisse penser qu’il n’existait pas d’habitat seigneurial en cet endroit avant cette période. Le premier seigneur connu est Jean de Salles dit de Lompret (1390-1445), suivi de son fils également nommé, qui vendit le bien en 1451 à Jean de Bouzanton. Lompret devint la propriété de la famille de Landas25 aux XVIe et XVIIe siècles, suite au mariage de Robert de Landas avec Jeanne de Bouzanton. La seigneurie devint ensuite propriété de Pierre Jacquier26, maître de forge à Rance par suite d’un déshéritement fait en sa faveur par Antoine-Ignace de Landas. La maison-tour, constituée des structures A et B, étant le seul témoin restant de l’ancien habitat privilégié de Lompret (hormis le bâtiment de ferme en ruine), c’est sur elle que s’est concentrée l’analyse archéologique, dans le but de retracer ses phases d’évolution et d’en comprendre la typologie. L’élévation externe de la tour, qualifiée de structure A, mesure 14,50 m. de long, 7,70 m. de large et 10,92 m. de haut. Au sud-ouest, le bâtiment se prolonge en une structure plus petite, appelée structure B, dont l’élévation externe mesure 5,20 m. de long, 3,78 m. de large, et 10,92 m. de haut à la jonction avec la structure A. Une annexe (servant actuellement d’habitation pour les propriétaires) jouxte la structure A au sud-est, ayant été ajoutée dans le courant du XIXe siècle. A la structure A est également accolé au nord un corps d’habitation aujourd’hui transformé en hôtel, et à la place desquels se situaient auparavant les bâtiments de l’habitat seigneurial.
23 A. Soupart, Histoire du doyenné de Chimay et de ses paroisses, Cerfontaine, éd. Auguste Soupart, 2003, p. 70. 24 A. Scufflaire, Les fiefs directs des comtes de Hainaut de 1349 à 1504 : essai d’inventaire statistique et géographique, Bruxelles, Archives Générales du Royaume, 1978, vol. 5, p. 624625.
25Th. Bernier, Notice sur le village de Lompret, dans Documents et Rapports de la Société archéologique et paléontologique de Charleroi, t. 7 (1885), p. 370-371. 26 G. Ducarme, Le dernier seigneur de Lompret et sa famille. Le chevalier Emmanuel Joseph Nicolas de Jacquier, dans Publication de la Société d’histoire régionale de Rance, t. 1 (1995), p. 83-103.
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Il nous a été possible de constater, suite à l’analyse archéologique, que le premier complexe, dont les restes sont encore visibles dans la partie inférieure des murs est, ouest et nord de la maison-tour, était limité à un quadrilatère de 185,42 m 2 au moins, ceint d’un mur de clôture dans lequel se trouvait un bâtiment orienté avec ses longs côtés à l’ouest et à l’est. Si le premier bâtiment ne nous est pas connu, nous savons en tout cas qu’il était de plan barlong, forme que les archéologues considèrent traditionnellement comme davantage résidentielle que la tour carrée ou plus trapue27. Cet habitat, à la défense rudimentaire, témoignait d’un traditionalisme certain. Ce premier complexe ne comprenait pas de tours d’angle, ni de chemin de ronde, vu la faible épaisseur des murs (0,75 m. en moyenne), qui ne peuvent être qualifiés de courtine mais de simples murs de clôture. Il s’agit d’une défense essentiellement passive opposant la masse et la hauteur des murs à l’assaillant. Dans la logique de cette défense passive de fermeture, les murs sont peu ouverts : ils sont percés de petites baies très insuffisantes pour éclairer les pièces, des baies qui, dans la pure tradition médiévale28, se situent en hauteur avec un rez-de-chaussée presque aveugle. Ceci montre que l’ensemble ne devait faire face qu’à des coups de main de brigands ou de rôdeurs. C’est pourquoi, plutôt que de maison forte, il faudrait parler ici de « maison fermée » : il s’agit d’un habitat à dimension symbolique, dont le but est de faire signe au sein du village et des campagnes. Par la suite, l’ensemble connut une modification d’orientation de la maison-tour originelle, ses longs côtés étant désormais situés au sud et au nord. Il semble que c’est un phénomène fréquent au sein de la petite noblesse aux XVIe et XVIIe siècles, notamment en Bourgogne. Notons que Lompret témoigne d’un traditionalisme certain, puisque la première phase de l’habitat n’est pas antérieure au début du XVIe siècle. Le complexe connut également une extension plus importante (visible sur la carte de Ferraris), s’étendant alors jusqu’à l’église actuelle, avec deux tours carrées aux angles nord-ouest et sud-ouest des bâtiments résidentiels, typiques d’une certaine architecture des châteaux de plaisance des XVIIe et XVIIIe siècles. Il est vain de chercher davantage de précision en l’absence de tout vestige. Cet ensemble résidentiel se complétait, au-delà de la clôture du premier complexe, par une ferme, dé27 M. Bur, Le château, Turnhout, Brepols, 1999
(Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fasc. 79), p. 88-104.
28
L.-F. Genicot, Les tours d’habitation seigneuriales au Moyen Âge en Wallonie. Analyse archéologique d’une typologie, Namur, Division du Patrimoine (Etudes et Documents, Monuments et Sites, n° 9), 2002, p. 77-199.
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fendue aux angles nord-est et sud-est par deux tours rondes pourvues de meurtrières (dont une est encore visible). Ce domaine ne peut donc pas être défini comme étant un château mais bien comme un châteauferme, et la « tour » comme une maison haute plutôt que comme une tour. Cet habitat est celui d’une petite noblesse se démarquant socialement et architecturalement par rapport à la communauté villageoise. Même si ses éléments de défense sont presque inexistants, juste bons à décourager quelques bandes armées, par ses matériaux, son plan, sa clôture et sa hauteur, ce domaine s’affirme et s’impose dans le paysage et dans les environs. Il s’agit donc essentiellement d’un habitat à dimension symbolique. C’est à partir de cette phase que des fenêtres à croisée sont insérées dans la maison-tour, fournissant plus de lumière à l’intérieur du bâtiment, et donc plus de confort. Par après, ce complexe évolue peu (quelques éléments de modernisation avec l’éclaircissement du bâtiment par de grandes fenêtres à croisée, bien qu’elles aient été réalisées en majorité avec des pierres de remploi), vraisemblablement en fonction des événements militaires qui perturbent nos régions jusqu’au traité d’Utrecht (1713-1715), mais aussi en fonction d’un certain traditionalisme architectural propre à des régions comme celle de Chimay, assez éloignée des grands centres politiques, économiques et culturels des anciens Pays-Bas. Il est probable que certains travaux menés au château de Chimay ont dû inspirer des modifications à Lompret, mais la mauvaise connaissance de l’histoire de l’architecture du château de Chimay ne permet pas d’aller actuellement plus loin dans cette voie. Le déménagement des propriétaires au XIXe siècle amène la dégradation du bien : des « locaux » le rachètent et lui donnent des usages qui n’ont plus rien de « privilégié », lui enlevant toute apparence de distinction sociale : dès le début du XXe siècle, l’ancienne habitation seigneuriale est étable et logement pour les ouvriers de ferme, pas pour les propriétaires de l’exploitation. L’habitat seigneurial de Lompret semble donc être l’apanage d’une petite noblesse locale se faisant construire un type d’habitat privilégié, se situant chronologiquement et typologiquement entre la grande architecture castrale des XIIIe et XIVe siècles et l’architecture de plaisance typique de la Renaissance. Ce type d’habitat, à cheval sur le bas Moyen Âge et les Temps Modernes, est encore peu étudié, en Belgique mais également de façon générale. Nous sommes, entre autres avec cette étude, à la base de la découverte d’un phénomène important qui voit se développer une série de petits domaines seigneuriaux qui sont le fait de seigneurs locaux. L’étude de ce type d’habitat en Belgique serait l’objet 113
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d’une analyse postérieure. Nous ne citerons que quelques exemples qui nous ont paru intéressants, d’un même type et d’une période aussi tardive que celle de Lompret : Montbliart, Virelles, Forges, Macon, Monceau-Imbrechies sont autant de petits domaines clôturés pour la plupart mais non efficaces d’un point de vue défensif. Quant à la maisontour sujet de cette étude, elle peut difficilement être qualifiée de tour, car elle se différencie de l’image défensive et austère que l’on a d’une tour en général. Si nous comparons le bâtiment de Lompret avec les tours d’habitation déjà étudiées dans le sud de la Belgique29, nous constatons d’importantes différences de typologie, probablement dues au fait que la plupart se sont développées aux XIVe et XVe siècles, contrairement à la maison seigneuriale de Lompret qui est plus tardive. Pour qualifier ce bâtiment, nous pouvons donc parler de « maison haute ». Nous avons ainsi pu assister à la création et au transfert d’habitats « privilégiés ». Si Attre reprend la forme de la tour la plus traditionnelle, l’usage de la brique pour une grande partie de l’élévation, que l’on trouve également à la Tour des Champs à Braine-le-Château, par exemple, porte la marque de son temps. Lompret mais aussi Cour-sur-Heure30 témoignent de leur fidélité à un type résidentiel plus « allongé », dont Cour trouvait le modèle dans le château de Thy tout proche. Et Lompret et Cour n’ouvrent encore que timidement les baies en façade : les fenêtres à croisée se limitent aux étages de Lompret avant, enfin, de percer toute la façade principale. Cour use de fenêtres à traverse, puis au XVIIe siècle éclaire enfin généreusement la façade est du bâtiment. Hautement symboliques nous paraissent être les titres seigneuriaux qui dans les trois cas sont associés à ces bâtiments : à Attre et à Lompret leurs détenteurs sont des « administrateurs » de seigneuries plus importantes qui s’installent dans ce monde « seigneurial ». Cour abrite une branche cadette d’une famille importante et lui donne ainsi l’assise foncière qu’elle n’aurait pu avoir dans sa région d’origine. Lompret et Cour, où le cas est bien documenté par un dossier d’archives, voient le hobereau s’intéresser à développer à proximité immédiate de sa demeure un lieu de culte, qualifié de chapelle castrale, d’église ou de quarte-chapelle, mais un lieu où l’on puisse entendre la messe sans guère se déplacer et se faire enterrer dans ses terres. Cette pratique n’est autre que celle qui a fondé autrefois les mémoires princières et seigneuriales, celles par exemple des comtes de Hainaut transformant Sainte-Waudru en nécropole familiale, celles de la famille aristocratique implantée à Chimay et où se dresse 29
L.-F. Genicot., op. cit., p. 77-199.
30 Cour-sur-Heure : ancienne commune, partie
de Ham-sur-Heure-Nalinnes, Hainaut, Thuin ; Patrimoine monumental, 102 (1983), p. 492-494 ;
nous anticipons ainsi sur les conclusions du mémoire que doit défendre prochainement J. Regniers.
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d’abord une collégiale funéraire. Cette permanence dans les comportements ne peut manquer d’être soulignée, mais plus encore faut-il attirer l’attention sur l’extraordinaire vitalité de cette petite noblesse, sur son renouvellement et sur son impact sur le paysage et la vie quotidienne de nos terroirs.
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B. ÉTUDES DE CAS
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Fig. 1 : Les 1. Carte deprincipaux situation. espaces forestiers du nord de la France du Moyen Âge à aujourd’hui.
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FRANCOIS DUCEPPE-LAMARRE Université de Lille III Paysages et réserve cynégétique d’un lieu pouvoir. H esdin (A rtois) à la fin du Moyen Âge
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On s’est longtemps intéressé au château avant de se préoccuper de son environnement. Pourtant, les deux vont de pair. Travaillant sur la résidence princière d’Hesdin (fig. 1)1 dans le temps long, je mène une étude sur un lieu médiéval de pouvoir et de culture de ses origines à sa destruction. Je réfléchis comment un lieu tel que la résidence princière d’Hesdin structure l’environnement. S’il est vrai que l’environnement du château répond à une multiplicité d’usages aristocratiques, la chasse en fournit une clef de lecture importante. Cette présentation constitue un état non définitif de mes travaux, que je limiterai chronologiquement ici aux derniers siècles du Moyen Âge. 1. Chercher autour et alentours du château… Tout d’abord, je rappellerai quelques jalons historiographiques relatifs au château et à son environnement. Tourner autour du château, ce qui est le sujet de ce colloque, implique de réfléchir à la situation globale de la recherche castrale. Les châteaux, comme les cathédrales, font partie des monuments phares du paysage de la recherche médiévale et bénéficient ainsi d’un intérêt scientifique marqué depuis le XIXe siècle à l’échelle européenne2. Plus près de nous dans le temps, les études castrales voient naître une série de revues comme Château-Gaillard dans les années 1970, alors que des revues comme Archéologie médiévale consacrent des pages au sujet3.
1
Une résidence lovée dans la vallée de la Canche qui serpente dans le comté d’Artois (actuel département français du Pas-deCalais). 2 L’émergence des nationalismes et du romantisme ainsi que leur affirmation ne sont guère étrangers à l’intérêt porté aux realia du Moyen
Âge comme source de réinterprétation identitaire. 3 Soit sous forme d’articles de fond ou encore à partir d’une rubrique répertoriant les activités de la recherche archéologique en castellologie.
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Il y a donc là une historiographie qui s’est mise en place. Qu’en est-il de sa dimension environnementale ? Georges Bertrand écrivait que « la majorité des historiens reste indifférente à ces problèmes [environnementaux] et comme aveugle devant les informations écologiques, il est vrai disparates et difficiles à interpréter, que contiennent les documents d’archives »4. Depuis ce lucide état des lieux du géographe en 1975, quelques études pionnières tentent de tisser un lien entre le milieu physique et des ensembles monumentaux. C’est le cas, par exemple, de Roland Bechmann entre forêt et cathédrale ou de Jacques Le Maho entre parc et château5. Ces cas restent cependant isolés jusqu’à la naissance des « rencontres du château de Commarque ». Ces rencontres, qui ont lieu dans le Bordelais, s’intéressent à la trilogie du château, de la chasse et de la forêt6. La perspective de l’habitat castral et de son environnement forestier est clairement mise en avant par le biais de l’activité cynégétique au sein de colloques qui permettent la réunion d’un public d’historiens préoccupés désormais d’environnement ou au moins par un milieu. Pour les autres, il faudra attendre le troisième millénaire... Le pas est franchi, encore une fois dans le Bordelais d’ailleurs, avec le colloque « Le château et la nature » organisé en 20027 et par celui d’Écaussinnes-Lalaing qui nous réunit en Belgique cette fois. Sommes-nous à un tournant et en quoi ? Nous assistons à une inflexion de la recherche pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il convient de rappeler que la question environnementale, dans une perspective globale et en relation avec l’habitat castral est prise en compte pour la première fois. Lors de la phase précédente, la recherche était centrée sur le lieu de pouvoir et une partie des communicants traitaient de l’appendice du milieu8. En outre, l’historien de l’environnement propose des 4
G. Duby et A. Wallon (dir.), Histoire de la France rurale, t. 1, Des origines à 1340, Paris, Seuil, 1975, p. 38. 5 R. Bechmann, L’architecture gothique : une expression des conditions du milieu, dans Pour la Science, n°4, 1978. La démarche peut servir, dans une certaine mesure, de base de réflexion pour le sujet forêt et château. J. Le Maho, Parcs et courtils, observations sur l’environnement des châteaux de terre et de bois en Pays de Caux aux XIeXIIe siècles, dans Actes du 105e Congrès national des sociétés savantes (Caen, 1980), Archéologie, Paris, p. 171-181. 6 Par exemple, la participation de R. Delort avec Quels animaux les seigneurs chassaient-ils dans les forêts à la fin du Moyen Âge ?, dans Le château, la chasse et la forêt, Bordeaux, 1990, p. 165-171.
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A.-M. Cocula et M. Combet (textes réunis par), Le château et la nature, actes des rencontres d’archéologie et d’histoire en Périgord, Bordeaux, 2005. 8 Ce qui était déjà une ouverture épistémologique par rapport à la phase où on ne s’occupait que du bâtiment lui-même. Le colloque de l’ouverture fut le VIIe congrès international d’archéologie médiévale de 1999 intitulé « Aux marches du palais » Qu’est-ce qu’un palais médiéval ?, Le Mans-Mayenne, 2001, sous la direction scientifique d’A. Renoux. J’y souligne à titre d’exemple de l’ouverture environnementale de la définition des palais et châteaux, l’article de C. Beck, P. Beck et F. Duceppe- Lamarre, Les parcs et jardins des résidences des ducs de Bourgogne au XIVe siècle. Réalités et représentations, p. 97-111.
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pistes générales mais aussi particulières au site d’étude. Parmi ces pistes générales, qui reposent sur un questionnement renouvelé des sources à sa disposition, je soulignerai les trois notions suivantes : le territoire, le paysage et l’écosystème. Mais avant d’aborder puis de mettre en application ces notions à la croisée des interactions entre les sociétés et les milieux, je vais d’abord décortiquer les sources comme on nous le montre à l’école… 2. …en faisant l’école des sources buissonnières… Quelles sources utiliser ? Quelles spécificités ? Puisque le travail sur Hesdin est en cours et qu’il existe un florilège de sources mobilisables pour une telle recherche, je me concentrerai tout d’abord sur un type particulier de source écrite : les sources financières. Ce, pour plusieurs raisons. D’abord ces sources sont des témoins écrits de la gestion du domaine comtal puis ducal qui sont le reflet d’une administration. De plus, elles offrent l’avantage de la répétition et de la régularité. Et finalement, leur diversité est importante. Leur variété étant importante, j’effectue un tri qui rassemble quatre types de sources utilisées : ce sont les comptes de la recette générale, les comptes de bailliage, les comptes de travaux et les comptes des eaux et forêts. À partir de cette typologie je voudrais illustrer l’intérêt documentaire puis scientifique de l’ensemble d’Hesdin en le comparant aux autres ensembles du comté d’Artois9. Par exemple, si je compare le nombre de comptes de bailliage conservés pour Éperlecques, Fampoux et Hesdin10, il apparaît que ce dernier domine puisqu’il cumule plus de la moitié des sources encore consultables en archives. Et si je passe du nombre à son étalement dans le temps, on remarque une concentration pour Éperlecques entre les années 1290 et les années 1370 alors que celle de Fampoux va principalement des années 1370 aux années 1470. De son
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Cela, grâce à l’inventaire précis fourni par R.-H. Bautier et J. Sornay, Les sources de l’histoire économique et sociale du moyen âge, vol. 2, Les principautés du Nord, Paris, CNRS Éditions, 1984. 10 Il est utile de rappeler que les pièces de comptes ne font pas partie de la démonstration, ce qui alourdirait grandement le décompte pour chacun des ensembles. De plus, Fampoux
constitue une prévôté « mobile », c’est-à-dire qu’elle passe hors de la famille comtale de Flandre en plus d’être souvent intégrée avec d’autres ensembles domaniaux comme le bailliage de Lens, les terres de Bucquoy ou plus souvent celles de Rémy. Autant d’éléments qu’il faudrait par la suite ajouter aux décomptes mais qui participent d’une autre démonstration.
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côté, le bailliage d’Hesdin est documenté plus précocement puisqu’il bénéficie de comptes dès la décennie 1280, mais aussi plus longtemps puisqu’il s’arrête dans la deuxième décennie du XVIIe siècle ! Un ensemble exceptionnel donc mais dont la quantité des comptes de bailliage varie de manière singulière d’une décennie à l’autre, faisant ressembler sa courbe à un stégosaure… J’ajouterai, toujours à titre d’évaluation provisoire, l’exemple des comptes de travaux. Ici encore j’ai extrait et transformé les données de ce type de source comptable pour le comté d’Artois à partir de l’ouvrage de Robert-Henri Bautier et Janine Sornay. Les comptes varient en nombre d’un site à l’autre allant d’un exemplaire à un peu plus d’une centaine pour un total de 235 sources (fig. 2). Il faut comprendre par là un lien de proportionnalité entre l’activité constructrice d’un site et son enregistrement financier. Mais ce n’est pas là le seul lien. En effet, nombre de sites possèdent aussi des comptes de travaux qui font partie des comptes de bailliage11. Il faut donc comprendre par là que cette évaluation met aussi en exergue le lien entre une pratique administrative qui voit l’autonomisation des comptes de travaux sur des sites au dynamisme constructif avéré mais dont les calculs représentent à la fois une réalité de classement des sources et une autre de conservation. Muni de ces précautions liminaires il est ensuite intéressant de regarder les proportions de comptes conservés sur chacun des sites d’Artois. La courbe de la figure 2 permet de distinguer trois catégories de sites : ceux qui possèdent 1 à 11 comptes, les plus nombreux et qui sont assimilables à un bruit de fond ; ceux qui décollent justement du fond de l’abscisse avec le binôme Arras et Bellemotte (37 documents) et finalement formant un pic majestueux, Hesdin avec ses 114 documents comptables, dont la représentation sous forme de camembert montre clairement que ce site correspond à la plus belle part de gâteau, soit 48,51% de ce type de sources ! Parmi ces sources buissonnières, les sources matérielles occupent une bonne place. Ce sont des éléments de paysage reliques ou fossiles dans le cas d’Hesdin. La matérialisation des limites du parc constitue un élément important de recherche. Des fragments du mur et des fossés sont les restes d’archéologie du paysage les plus parlants. La coupe de la figure 3 montre l’intérêt de ce type de source. Elle permet d’avoir un exemple de terrain des travaux que relatent les sources financières en confirmant le choix des matériaux et les méthodes constructives, en retrouvant précisément le tracé des limites et son insertion dans le paysage, en plus de fournir des séquences d’occupation et de destruction des lieux. 11
Ce sont les cas de La Buissière, Calais, Choques, Gosnay, Hesdin, Montgardin, La Montoire, Rihoult, Saint-Omer, soit la moitié
(9 sites sur 18). L’évaluation pourra donc être affinée en intégrant les comptes de travaux non autonomes.
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paysages et réserve cynégétique d’un lieu de pouvoir Nombre de comptes 11 37 7 8 9 4 2 1 2 10 7 114 1 3 7 1 7 4 235
Aire Arras et Bellemotte Avesnes-le-Comte Bapaume Béthune Beuvry La Buissière* Calais* Choques* Eperlecques Gosnay* Hesdin* Lens Montgardin* La Montoire* Rihoult* Saint-Omer* Tournehem total
Fréquence des comptes de travaux conservés par site 16 17 1415 13
18
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18.
1 2
3 4 5 6 7 98 10
12 11
Aire Arras et Bellemotte Avesnes-le-Comte Bapaume Béthune Beuvry La Buissière* Calais* Choques* Eperlecques Gosnay* Hesdin* Lens Montgardin* La Montoire* Rihoult* Saint-Omer* Tournehem
Fréquence des comptes de travaux conservés par site
Nombre de comptes
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60 40 20
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Sites
2. Analyse des comptes de travaux du domaine comtal d’Artois.
L’importance du nombre de niveaux archéologiques de cette coupe montre l’importance des phases d’activités humaines sur ce site qui se rapproche davantage d’un profil de site urbain qu’un site proprement rural. En définitive, les résultats comme les difficultés restent nombreux pour ce genre d’exercice. Il y a tout d’abord le croisement de sources de natures différentes qui doit être rappelé. En outre, les difficultés des décomptes des sources comptables demeurent multiples. Vu la variabilité du nombre de comptes couvrant une année, la dispersion des sources (selon des logiques de succession ou administratives), le cas des copies doit être souligné en plus de celui beaucoup plus important des pertes. Qui plus est, la mise en forme des données, donc les calculs et les analyses génèrent aussi leurs propres distorsions. Toutefois, la moisson d’information nourrit abondamment la recherche puisque ce sont là des ensembles documentaires textuels et matériels riches. À partir d’eux, le site d’Hesdin se démarque sur trois plans. Il apparaît tout d’abord comme un ensemble dominant dans sa variété et sa quantité de sources disponibles. Il montre ensuite qu’il est un ensemble à la longévité exceptionnelle et finalement qu’il possède une « personnalité » comptable et matérielle forte. 123
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3. …pour un vaste territoire de chasse… La notion de territoire est capitale dans la structuration de l’espace autour du château. Elle fait partie intégrante du système seigneurial étant donné qu’elle correspond au pouvoir de la noblesse sur la terre. C’est donc bien ce thème qui fait naître la problématique : comment l’aristocratie s’approprie-t-elle l’espace ? Je vais d’abord rappeler la genèse du territoire de chasse d’Hesdin avant d’en dégager ses caractéristiques spatiales et matérielles pour terminer avec les grains de sable de cette belle mécanique. Il se trouve que la genèse de cette réserve cynégétique pose problème. Ce qui se traduit par une historiographie divisée en plusieurs courants quant à son origine. Un premier courant propose la fin du XIIIe siècle. Il se fonde sur les documents comptables de la Série A conservés aux Archives départementales du Pas-de-Calais, qui attestent d’une phase de construction du parc d’Hesdin par le comte Robert II d’Artois12. Un deuxième courant suggère une date bien plus haute, le milieu du XIe siècle, en prenant comme source une chronique qui narre la naissance d’un parc et d’un château construits par le comte Baudouin VI de Flandre à Hesdin13. Le troisième courant historiographique, doté des plus récents travaux, introduit quant à lui une fourchette chronologique s’étendant entre le milieu du XIe et le milieu du XIIIe siècle14. Pourquoi ces distinctions ? Parce qu’il est difficile de trancher sans solliciter de manière critique la diversité documentaire. Le premier courant n’ayant pas mis à contribution les sources des cartulaires ou des chroni12 M. Charageat, Le parc d’Hesdin. Création monumentale du XIIIe siècle. Ses origines arabes. Son influence sur les miniatures de l’épître d’Othéa, dans Bulletin de la Société de l’Histoire de l’art français, t. , 1950, p. 94-106 ; G. Dilly, D. Piton, C. Trepagne et alii dans Du château de Grigny au siège d’Hesdin, Berck-sur-Mer, publ. par le Centre de recherches archéologiques et de diffusion culturelle, n°10 de « Nord-Ouest archéologie », 1999 ; A. Van Buren-Hagiopan, Un jardin d’amour de Philippe le Bon au parc de Hesdin. Le rôle de Van Eyck dans une commande ducale, dans Revue du Louvre, n°3, 1985, p. 185-192 ; A. Van Nieuwenhuysen, Les Finances du duc de Bourgogne Philippe le Hardi (1384-1404) : économie et politique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1984. 13 M. Brunet, Le parc d’attraction des ducs de Bourgogne à Hesdin, dans Gazette des Beaux-Arts,
t. LXXVIII, 1971, p. 331-342 ; B. Danvin, Vicissitudes, heur et malheur du Vieil-Hesdin, Saint-Pol-sur-Ternoise, 2 vol., 1866 ; J. Lion, Description de l’ancienne ville de Hédin, Amiens, 1905. 14 B. Delmaire, Thérouanne et Hesdin : deux destructions (1553), une reconstruction, dans Destruction et reconstruction de villes, du Moyen Âge à nos jours. Actes du 18e Colloque international, Spa, 10-12 septembre 1996, Bruxelles, Crédit communal, 1999, p. 127-153; F. DuceppeLamarre, Le parc à gibier d’Hesdin. Mises au point et nouvelles orientations de recherches, dans Revue du Nord – Archéologie de la Picardie et du Nord de la France, t. LXXXIII, n°343, 2002, p. 175-184 ; à cet infléchissement des travaux des dernières années s’est jointe également Anne van BurenHagopian. Il y a désormais une unité des chercheurs universitaires sur la question.
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ques en était réduit à proposer une datation récente. Quant au deuxième courant, il ne repose que sur une source écrite dont la fiabilité reste à valider par d’autres sources écrites et/ou par les sources matérielles dont l’étude ne fait que débuter. Le troisième courant possède le mérite d’introduire le doute dans ce qui ne repose, il faut bien le dire, sur aucune certitude. Un autre problème de taille : les caractéristiques spatiales de ce territoire restent difficiles à évaluer. Une chose est sûre cependant, c’est l’importance de sa superficie dont la partie centrale tourne autour de 900 hectares15. Cependant, le tracé demeure pour une bonne part inconnu malgré des campagnes de prospections extensives qui permirent de retrouver des vestiges des murs du parc grâce à l’analyse des données provenant des textes et des cartes. S’ajoute une difficulté supplémentaire, les évolutions d’emprise, qu’elles soient de la part du parc qui connaît des agrandissements, des destructions et des réfections durant ses siècles d’activités, ou encore de la part de l’occupation du sol par les communes ou les infrastructures de transport une fois que le parc n’est plus en activité. Heureusement, la composition de ce territoire cynégétique émerge à la lecture de la pluralité des sources16. Ce n’est pas un modèle centre/périphérie bien qu’il possède un massif forestier comme à Mormal. Ce n’est pas non plus un modèle composé de garennes isolées sur le terrain bien qu’il en possède également comme à Mofflaines. En fait, il comprend les éléments qui précèdent en les juxtaposant à un élément supplémentaire, un parc doté d’une muraille et d’un fossé périphérique. Par cette composition qui additionne les espaces de chasse mais aussi d’élevage, apparaît un modèle de réserve complète en Artois. Ce modèle, il faut y insister, jouit d’une réalité matérielle par sa clôture qui sert de marqueur à trois égards17. C’est un marqueur territorial puisque d’une part il est une affirmation de pouvoir qui peut
15 Ce qui correspond au parc lui-même, qui est
à mettre en relation avec la superficie de l’actuelle commune du Parcq. Voir F. DuceppeLamarre, Le parc à gibier d’Hesdin…, op. cit. 16 La typologie qui suit est reprise dans F. Duceppe-Lamarre, Chasse et pâturage dans les forêts du nord de la France. Pour une archéologie du paysage sylvestre (XI e -XVI e siècles), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 190-193, 295.
17
Présentation dans F. Duceppe-Lamarre, Une économie de l’imaginaire à l’œuvre. Le cas de la réserve cynégétique d’Hesdin (Artois, XIIIe-XVe siècles), dans A. Corvol-Dessert (dir.), Les forêts d’Occident du Moyen Âge à nos jours, 24e Journées internationales d’histoire de Flaran, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2004, p. 39-55.
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également être contestée et d’autre part il concrétise une réserve d’espace dont les portes sont gardées par des agents. La clôture représente aussi un marqueur socio-juridique en isolant par des fossés et de hauts murs le prince et sa cour des autres habitants, en plus d’avoir un caractère symbolique puisque chacun reconnaît son aspect visuel (épaisseur, couleurs des matériaux, décoration) qui constitue une barrière pour l’œil. S’ajoute une dimension de marqueur économique de cette clôture par le choix des matières premières, qu’elles soient géologiques ou ligneuses, en plus des coûts des travaux d’érection ou d’entretien. Clore des centaines d’hectares par plusieurs kilomètres de linéaire de clôture n’est certes pas à la portée de tout un chacun… Il se trouve que l’histoire sociale et spatiale de cette réserve est elle aussi tout sauf linéaire et qu’à ce titre elle nécessite des études plus approfondies18. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur les années 1290 du règne de Robert II d’Artois puis entre 1315 et 1321 alors que Mahaut d’Artois prend sa suite. À son retour de Sicile le comte décide d’agrandir son parc d’Hesdin et d’ériger de nouveaux murs. Il procède alors à des achats et/ou des échanges de terres et de droits avec ses voisins les habitants des villages vicinaux, les religieux réguliers et séculiers et bien sûr les nobles locaux. Tout se passe sans problèmes particuliers d’après les sources écrites. La donne change radicalement avec la comtesse qui, elle, n’agrandit pas le parc. Les contestations apparaissent d’abord à l’encontre des nouvelles garennes, ces espaces d’élevage de lapins qui se diffusent au XIVe siècle en Artois après une apparition au siècle précédent19. La contestation gagne ensuite également
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Ce que professent les chercheurs à partir des publications suivantes : C. Beck et M. Casset, Résidences et environnement : les parcs en France du Nord (XIIIe-XVe siècles), dans A.-M. Cocula, et M. Combet (textes réunis par), Le château et la nature, op. cit., p. 117-133 ; F. DuceppeLamarre, Une réserve particulière, les parcs à gibier, dans A. Corvol-Dessert (textes réunis et présentés par), Forêts et Réserves cynégétiques et biologiques, Cahier d’études Environnement, Forêt et Société, XVI e -XX e siècle, Paris, IHMCCN RS, n°13, 2002, p. 11-16, 75-76. Spécialement pour le cas d’Hesdin, le paragraphe qui suit s’inspire de F. Duceppe-Lamarre, Le complexe palatial d’Hesdin et la structuration de l’environnement (nord de la France, XIII e-XIVe siècles), dans Centre, Région, Périphérie, 3e Congrès international de l’Archéologie médié-
vale et post-médiévale, « Medieval Europe Basel 2002 », Hertingen (Suisse), 2002, vol. 2, p. 96-101. 19 Pour une synthèse à partir des restes osseux de lapins centrée à l’échelle de la France, voir C. Callou, De la garenne au clapier : étude archéozoologique du lapin en Europe occidentale, Mémoires du Muséum national d’Histoire naturelle, n°189, Paris, 2003. Pour une perspective d’archéologie du paysage croisant les données matérielles et écrites, voir F. DuceppeLamarre, La fonction cynégétique des espaces boisés médiévaux à travers l’exemple des cervidés et lagomorphes du Nord-Pas-de-Calais (XIe-XVe siècles), dans Anthropozoologica, Paris, MNHNCNRS Ed., 1998, n°28, p. 35-43 et du même auteur Chasse et pâturage dans les forêts du nord de la France…, op. cit.
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le sujet des anciennes garennes et d’après les textes la clôture du parc d’Hesdin est attaquée par les bourgeois d’Hesdin ainsi que par les nobles d’Artois. Voilà une des faces, moins connue il est vrai, des querelles dynastiques de la maison d’Artois qui se répercute dans la topographie sociale et la ségrégation spatiale à partir du thème des réserves cynégétiques médiévales. 4. …aux allures de paysage d’exception… Après en avoir vu l’enveloppe, si je puis dire, à quoi peut bien ressembler ce vaste espace approprié par l’aristocratie ? Son paysage se compose d’une diversité consommée de milieux peu ou prou modifiés par l’homme au sein desquels les éléments d’architecture ne manquent pas ni en contrepartie les infrastructures d’entretien 20. Parmi les milieux présents dans le parc il faut citer une pluralité de milieux boisés qui vont du bois aux vignes en passant par le verger. Les milieux ouverts sont aussi présents sous forme de prés ou de champs. Les jardins, dont une « maison Dédalus », font partie des milieux mixtes qui empruntent aux milieux ouverts comme aux milieux fermés tout en étant des créations culturelles bien que leur portrait soit pour la recherche encore en cours. S’y ajoutent aussi des milieux humides avec une rivière, la Ternoise, affluent de la Canche, des zones de marais et de vivier. Un si vaste espace comprend de nombreux éléments d’architecture mais qui sont impossibles à voir puisque le premier de ces éléments, la clôture, empêche leur visualisation ! Cette interface comprend donc, d’après les résultats des prospections de surface, un mur dont les fondations et l’élévation sont inférieures à un mètre d’épaisseur, composées de moellons de craie et de rognons de silex liés par un mortier (fig. 3). Ce mur, dont la hauteur reste inconnue, donne une bande blanche teintée de reflets gris dans le paysage avec parfois des secteurs démolis mais remplacés temporairement par des pieux de bois en plus d’ouvertures, les portes qui sont dotées de grilles. Selon les variations de la microtopographie, c’est-à-dire là où cela est nécessaire, un fossé se couche à ses pieds. Dans un tel écrin, l’inventaire ne peut être que splendide ou exceptionnel. On y trouve donc quelques habitats, un manoir dit du
20 Inventaires dans A. Van Buren-Hagopian, Reality and Literary Romance in the Park of Hesdin, dans Medieval Gardens, Washington, Dumbar-
ton Oaks, 1986, p. 117-134 et F. Duceppe-Lamarre, Le parc à gibier d’Hesdin…, op. cit.
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3. Coupe de la muraille du parc d’Hesdin.
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marais, une « maison roulante », des pavillons et loges, un jeu de paume, une « gayolle » avec ou sans automates, des automates, un cadran solaire et des fontaines ! Pour tout cela, il faut un ensemble de structures d’entretien conséquent. D’où la présence d’un haras, d’une grange, d’un parc à cervidés, d’une volière, d’une héronnière, d’une ou de garennes selon les époques, d’infrastructures hydrauliques, d’une voirie, de ponts et de fours à chaux en plus de carrières. En effet, les prospections permettent de reconnaître un certain nombre de carrières à proximité des murailles du parc ou relevant du domaine seigneurial 21 qui furent certainement mises à contribution lors des phases constructives ou d’entretien du parc et des autres bâtiments des comtes puis des ducs. Toutefois, si les sources comptables et les prospections extensives permettent de dresser un inventaire paysager, sous forme d’une enclave cynégétique et dédiée aussi à l’otium au milieu des productions paysannes voisines, il n’est pas encore possible d’en étudier la répartition dans l’espace et leur agencement dans l’état des recherches actuelles. 5. …doté d’un écosystème tronqué ou enrichi ? Des espaces modifiés aux paysages créés, que devient l’écosystème de la résidence princière d’Hesdin ? Il faut cette fois se tourner vers ce qui bouge - les hommes et les animaux - et voir comment tout cela circule. En d’autres mots, quels sont les acteurs et leurs relations22 ? Il n’existe pas encore de recherches sur le personnel des parcs à gibier. Voici donc un portrait limité dans le temps puisqu’il correspond à la description d’un compte de bailliage de l’Ascension 1301. En ce tout début du XIVe siècle, le parc d’Hesdin comprend, vu la diversité des milieux et l’importance donnée à la faune, un garde des eaux, un garde du marais et un autre pour les hérons en plus d’un portier. À ces quatre hommes, il faut ajouter trois maîtres chiens, deux veneurs et deux sergents des bois qui servent vraisemblablement dans le parc et aussi à
21
Démonstration dans F. Duceppe-Lamarre, Une économie de l’imaginaire à l’œuvre…, op. cit. et également, mais avec un corpus d’illustrations plus riche, dans Chasse et pâturage dans les forêts du nord de la France…, op. cit.
22
Cette sous-partie s’inspire largement des résultats présentés dans F. Duceppe-Lamarre, Chasse et pâturage dans les forêts du nord de la France…
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l’extérieur. Donc le bailli de ce compte, Robert du Plaissié, a quatre à onze hommes disponibles en tout et pour tout23. Or, quels sont les animaux que ces hommes ont à gérer ? Certains sont favorisés puisqu’ils sont logés et nourris comme la faune de la ménagerie qui comprend des castor, chat sauvage, loup, ours, porc sanglier, buffle, chameau et oiseaux de volière auxquels s’ajoutent les bêtes élevées en semi-liberté comme les cerf, daim, sanglier, lapin, cygne, héron et paon, en plus des très nombreux auxiliaires de chasse : autour, faucon, épervier, gerfaut, cheval, chiens à lapins, à renards, à loups, à porcins, à loutres, à perdrix, chiens braque, lévrier, mâtin et furets et des poissons tels les brochet, brême, carpe, tanche et anguille. D’autres sont défavorisés parce que ni logés ni nourris ils sont en plus chassés et/ou piégés comme le lièvre et la perdrix alors que certains indésirables sont éliminés plus ou moins systématiquement comme la buse, l’« aigle », la belette, la fouine, le chat sauvage, la loutre, le renard et le loup. Le blaireau, lui, laisse le chasseur davantage indifférent. Le bestiaire se compose donc d’un fort contingent d’animaux autochtones dont certains sont déjà à cette époque en recul, et dont les auxiliaires cynégétiques ont la part belle. À noter également que la faune allochtone provient autant des régions nordiques que méditerranéennes et que ce cortège d’animaux couvre l’ensemble des biotopes (milieux ouverts, fermés, humides à eaux stagnantes ou courantes) mais pas l’ensemble des groupes animaux puisque les insectes, les reptiles, les gastéropodes sont par exemple absents. De fait, quels sont les types de relations entre l’homme et l’animal d’après les données de la comptabilité à partir d’un dépouillement des comptes de bailliage entre 1300 et 1315 ? 5747 lapins, soit 383,1 par année sont capturés, puis ce sont les chapons et les poules avec respectivement 1425,5 et 39 soit une moyenne annuelle de 97,6 pour les volailles, arrivent ensuite les buses et les « aigles » (28 et 142 individus) ce qui fait 11,4 captures par an pour ces prédateurs aériens qui sont suivis par les loutres, belettes, loups et blaireaux (14, 6, 11 et 4) soit 2,3 prédateurs et omnivores terrestres tués par année de cette séquence et finalement 19 falconidés et 4 asturidés pour une moyenne de 1,6 oiseau de volière capturé (mais non tué !) chaque année entre 1300 et 1315. Ce sont donc les animaux d’élevage (lapins et basse cour) qui dominent très largement devant tous les autres puisqu’ils constituent 96,93% des résultats chiffrés ! Marginaux, les prédateurs, qualifiés d’indésirables, à poils et à plumes viennent ensuite avec 2,76%, ce qui ne laisse que 0,31% à la volière cynégétique. 23 Archives départementales du Pas-de-Calais,
A1664, rouleau de compte complet du bailliage d’Hesdin de l’Ascension 1301.
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Mais comment comprendre ces chiffres ? Il apparaît évident que la réserve d’Hesdin est un « centre de production » mais aussi de prélèvement animal, d’où l’expression de territoire d’élevage et de chasse. Concernant les captures d’animaux indésirables on constate des résultats irréguliers pour la buse, le blaireau et la belette. Les prix pour les captures des buses et des belettes sont peu élevés alors que les captures de blaireaux représentent un besoin ponctuel en peaux pour les automates24. Cela explique leur disparition de la comptabilité après 1306 et non pas leur extinction locale. À l’opposé, d’autres indésirables font leur apparition de manière plus fréquente entre 1300 et 1315. C’est le cas du renard, du loup, de la loutre et de l’« aigle ». Détail curieux, les captures de renards ne sont pas recensées par la comptabilité contrairement aux chiens à renards qui peuvent être jusqu’à une douzaine. Le loup fait l’objet de plusieurs campagnes de chasse mais ce sont la loutre et l’« aigle » qui sont chassés quasiment chaque année, la palme des captures revenant au rapace. Il est clair que ces animaux, qui sont tous des prédateurs cette fois, sont considérés comme des nuisibles par les hommes, ce qui n’exclut pas une activité cynégétique également valorisante. Mais dans l’un ou l’autre cas il faut des données descriptives ou numériques qui précisent le type de relations sur ce territoire d’élevage et de chasse. Il existe justement une catégorie de données qui permet de constater l’existence d’animaux favorisés par les hommes à Hesdin : l’alimentation. Les frais de nourriture et le type de nourriture par animal ou groupe d’animaux figure précisément dans les très nombreuses et diverses dépenses de fonctionnement du bailliage. On peut donc lire que le castor est nourri comme l’ours de pain, le porc sanglier et des oiseaux sont alimentés de blé, de jeunes furets reçoivent du lait, un autre groupe d’oiseaux dont la nature n’est pas précisée se contente de chènevis, alors que les cerfs mangent des vesces et les hérons se repaissent de « peuture » qui est sans doute composée d’alevins. Bref, le régime alimentaire est varié en fonction des animaux à concurrence d’une demidouzaine de types différents. De plus, lorsque l’on s’attarde aux montants globaux, une hiérarchie se dessine en faveur des cerfs qui coûtent plus 24 Une utilisation singulière qui est développée
dans l’article suivant : F. Duceppe-Lamarre, Éliminer les indésirables à Hesdin (Artois, XIIIeXVe siècles), dans Forêts et Faune, Cahier d’études Environnement, Forêt et Société, XVIe-XXe siècle, Paris, IHMC-CNRS, n°12, 2002, p. 5-10, 87-88. Sur les automates d’Hesdin, voir ID. Le parc à gibier d’Hesdin…, op. cit. et ID. Une fête champêtre à la cour de Bourgogne, dans L’art à la cour de Bourgogne. Le mécénat de Philippe le Hardi
et de Jean sans Peur (1364-1419), Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2004, p. 162-163 en plus de la partie consacrée aux automates de l’intéressant mémoire de maîtrise d’A.-E. Cléty, Les machines extraordinaires d’Hesdin aux X IV e et XVe siècles, dans Sucellus – Dossiers archéologiques, historiques et culturels du Nord - Pas-de-Calais, n°44, 1997, p. 21-36.
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de 11 livres et des hérons à un peu plus de 30 livres ! À eux deux près de 85% du budget des frais de nourriture est consommé. Il est donc possible, pour la première fois d’ailleurs depuis la fin de cette résidence, de proposer un modèle d’écosystème sous forme de schéma général grâce au potentiel de description des sources comptables. En effet ces sources qui suivent une logique de prélèvement sont, pour les animaux recensés, les plus précises et souvent les plus complètes des sources disponibles pour les sciences historiques. Le premier schéma (fig. 4 partie gauche) montre un écosystème avec ses cinq niveaux de végétation et d’animaux, les caractéristiques du milieu physique et les relations entre ces différents éléments. C’est un modèle théorique reposant sur des observations naturalistes sans étude historique. Le second schéma (fig. 4 partie droite) rend compte des études d’histoire de l’environnement menées à partir du territoire d’élevage et de chasse d’Hesdin entre 1300 et 1315. Les relations avec les caractéristiques du milieu physique demeurent identiques. On y voit surtout les modifications apportées par les hommes de la fin du Moyen Âge étant donné que l’étagement de la végétation et de la faune comprend désormais trois niveaux avec des flux inégaux en plus d’une mise à l’écart de certains niveaux de faune et de végétation dont on vise parfois l’extinction. Toutefois, il faut également remarquer que certaines formes de vie animales sont également introduites et/ou protégées dès cette époque dans ce type de territoire aristocratique qui enrichissent ainsi l’écosystème. Par voie de conséquence, cet écosystème se distingue d’une part du modèle théorique présenté précédemment et d’autre part de l’écosystème périphérique du monde rural environnant. L’analyse externe de la documentation comptable, singulièrement abondante, permet de justifier l’intérêt historique pour les résidences princières, telle celle d’Hesdin. L’analyse interne croisée cette fois avec les données matérielles de l’archéologie extensive permet d’entrevoir la richesse des relations entre un lieu de pouvoir et son environnement tout en retraçant des paysages et des écosystèmes hérités et résolument variés pour un territoire complexe à géométrie variable. Pour autant, on peut se demander pour la suite des recherches si les paysages et la réserve cynégétique de ce lieu de pouvoir et de culture sont exceptionnels (en soi ou par ses sources) ou s’ils relèvent au contraire de la banalisation, certes aristocratique mais banalisation tout de même, des derniers siècles du Moyen Âge. Et à partir de cette interrogation générale, la question qui se pose désormais est : que font les ducs de Bourgogne de cet ensemble hérité ?
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Fig. 5 : Représentation théorique de l’écosystème forestier de plaine de climat tempéré du nord de la France (ill.: F. Masse).
4. Écosystèmes théorique et anthropisé du territoire forestier d’Hesdin (ill. F. Masse).
Fig. 30 : Représentation synthétique de l’anthropisation de l’écosystème forestier de plaine de climat tempéré du nord de la France (ill. : F. Masse).
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ALAIN SALAMAGNE Centre d’Études supérieures de la Renaissance, Tours D’H esdin
au Quesnoy : jardins et parcs des châteaux de plaisance
As fenestres de marbres s’apoient en riant. Li rois vit le chastel de grant aaisement De la dolce clere eve qui cort ravinement Et des grans praeries par devers orient1... Les études consacrées aux jardins et parc du château d’Hesdin créés par le comte Robert II d’Artois vers 1302 - un parc il est vrai extraordinaire qui renfermait un haras, des bêtes d’élevage (taureaux, bœufs), des volières - ont laissé dans l’ombre les aménagements des autres résidences seigneuriales, entre autres celles du comté de Hainaut 2. Si les « ouvrages de joyeuseté et de plaisance » d’Hesdin, comme la galerie de jeux et de farces ou encore la maison de Dédale3, resteront un unicum, néanmoins l’ouverture du château vers son environnement naturel, jardins, parcs et bois, est une caractéristique qui remonte bien au Moyen Âge. Nous voudrions ici évoquer en particulier l’histoire du parc du Gard de la résidence comtale du Quesnoy (Hainaut), château fondé vers 1150-60 par le comte de Hainaut Baudouin IV mais profondément transformé dans la seconde moitié du XIVe siècle sous la dynastie des Bavière. C’est en 1345 que Marguerite II d’Avesnes, comtesse de Hainaut, de Hollande et de Zélande (1345-1356) succéda à son frère Guillaume II d’Avesnes (1337-1345) ; elle épousa en 1324 l’empereur Louis IV de 1 Renaut de Montauban, éd. critique du manuscrit Douce, par J. Thomas, Genève, 1989, p. 240, v. 4325-4328. 2 L’histoire du Gard n’a été antérieurement abordée que par D. Mathieu dans une série de travaux restés manuscrits, Le destin d’un grand parc : le Gard du Quesnoy, 1950, ms. déposé aux Archives départementales du Nord, sous la cote 15 J 47. Voir aussi A. Salamagne, Le château et les fortifications de la ville du Quesnoy du XIIe siècle à nos jours, mémoire de Maîtrise, Université de Lille III, 1978, p. 25 et sq.
3
A. Van Buren-Hagopian, Medieval gardens. Reality and Litterary Romance in the Park of Hesdin, dans Medieval gardens, Washington, D.C., Dumberton Research Library and Collection Trustees for Har vard Universit y, 1986, p. 115-134; W. Paravicini, Die Residenzen der Herzöge von Burgund, 1363-1477, dans H. Patze et W. Paravicini, Fürstliche Residenzen im Spätmittelalterlichen Europa, Sigmaringen, 1991, p. 219-220.
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Wittelsbach, duc de Bavière (v. 1286-1347), empereur du Saint-Empire de 1314 à 1347. À sa mort en 1356 le Hainaut passa donc dans cette Maison et y resta jusqu’en 1428. De leur union naquit Guillaume de Wittelsbach (né à Francfort en 1330, mort au Quesnoy en 1388), duc de Bavière-Straubing de 1347 à 1388, comte de Hollande, de Zélande de 1354 à 1388 et de Hainaut (Guillaume III) de 1356 à 13884. Mais du fait de sa folie en 1358 la réalité du pouvoir était passée entre les mains de son frère, le duc Albert de Bavière, né en 1336, comte de Hainaut et Hollande de 1388 à 1404. Le Quesnoy devint sous les Bavière une des grandes résidences seigneuriales, fréquentée par une noblesse internationale. Ainsi de l’empereur Charles IV de Luxembourg (1316-1378), roi des Romains (1346-1378) et empereur du Saint Empire (1355-1378), qui lors de son voyage vers Charles V à Paris s’arrêta au Quesnoy à la fin de l’année 13775. Isabeau de Bavière y séjourna avant son mariage avec Charles VI. La création du Gard au XIIe siècle par les comtes de Hainaut Le château du Quesnoy eut dès ses origines une triple vocation, château fort appuyant la défense de la ville, demeure résidentielle dans le cadre du paysage verdoyant de l’est du comté, plus riche et varié que le relief de la vallée de l’Escaut ou des larges plaines à blé du Cambrésis6, enfin, à proximité de la forêt giboyeuse de Mormal, centre d’exploitation d’un riche domaine. La création du parc ou du Gard est peut-être contemporaine de celle de la ville neuve du Quesnoy. En tout cas le chroniqueur Gislebert de Mons mentionne le petit bois dit le Gars qui se trouvait devant la ville du Quesnoy7, même s’il apparaît vraisemblable que les aménagements en aient été alors limités. Création en tout cas indissociable de la mise en valeur de la vaste forêt de Mormal, où le comte de Hainaut
4
Biographie Nationale, Académie royale de Belgique, vol. 8, Bruxelles, 1885. 5 P. d’Orgemont, Chronique de Charles V (1364-1380), éd. Clermont-Ferrand, 2003, p. 103. 6 G. Sivery, Structures agraires et vie rurale dans le Hainaut à la fin du Moyen Âge, Presses Universitaires de Lille, 1977, p. 73 et sq. Du même, La variété des paysages ruraux dans le Hainaut à la
fin du Moyen Âge, Mémoires de la Société archéologique et historique de l’arrondissement d’Avesnes, XXVI, 1977, p. 15-48. 7 La chronique de Gislebert de Mons, éd. L. Vanderkindere, nv. éd., Bruxelles, 1904, p. 172 : in nemore parvo quod Gars dicebatur ; il n’existe aucune raison comme l’a fait l’éditeur de transformer Gars en Gais.
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fonda plusieurs centres d’exploitation domaniale. Ainsi de la « maison de le motte dou Loskignot » (Locquignol, 9 km au sud-est du Quesnoy), manoir entouré de fossés, de viviers et dont la chapelle était à la collation de l’abbé du Saint-Sépulcre de Cambrai8. Mais le trait le plus remarquable de cette mise en valeur du territoire consista dans une politique d’aménagement hydraulique dont nous allons souligner les caractéristiques principales. Les eaux capturées dans la forêt de Mormal (fig. 1) étaient conduites par des canaux jusqu’aux fossés et viviers créés autour de la ville, viviers attestés dès le XIIIe siècle dans les cartulaires des comtes de Hainaut : « Si a li cuens au Qaisnoit sen castel et se basse court et ses viviers »9. En forêt de Mormal les eaux vives de quatre ruisseaux formaient l’étang d’Ecaillon (« le vivier d’Escaillon », 1265) limité par la digue de la chaussée de Bavay au Cateau et à Vermand-Saint-Quentin, ancienne voie romaine, sous laquelle elles passaient à hauteur du « Pont as vacques ». Un ingénieur précisait, dans un rapport de 1783, que du « Pont as vacques » et durant les 500 premiers mètres, le canal était creusé dans les terres jusqu’à 20 pieds de profondeur10, avant de gagner à l’air libre le Quesnoy. Ce canal recevait de surcroît 1000 mètres après le « Pont as vacques » un courant secondaire, ou « rieu », qui formait le « vivier de le Claièle »11 et « le petit vivier deseure » (1265). à proximité du Quesnoy, les eaux du vivier d’Aulnoy (« le vivier d’Onoiles, 1265 »)12 étaient retenues par la digue du grand chemin de Landrecies. Par le rieu d’Onnoilles, elles gagnaient ensuite les fossés de la ville (fig. 2) pour alimenter les viviers du Gard (« vivier d’entor le castel », 1265), puis après avoir longé le jardin de plaisance et la basse-
8
D. Mathieu, Dans la forêt de Mormal, le Locquignol vers le XIVe siècle, Mémoires de la Société archéologique et historique de l’arrondissement d’Avesnes, XXVI, 1977, p. 261 et sq. ; il était localisé sur le site de l’église actuelle. 9 L. Devillers, Cartulaire des Comtes de Hainaut de l’avènement de Guillaume II à la mort de Jacqueline de Bavière, 1337-1436, t. VI, Bruxelles, 1896, p. 178. 10 Archives du Génie de Vincennes, art. 8, carton 1, 43, 1783, Mémoires sur les eaux nécessaires au Quesnoy. L’assèchement de l’étang d’Ecaillon fut réalisé en 1779.
11
Archives départementales du Nord, B 8984, f° 93 r° : « le vivier condist de la clayelle entre le maison d’Onnoilles et le bosquet de Fontenelles », 1462. 12 Ibid., f° 82 r° : le vivier d’Onnoilles est situé « au loing la cauchie a l’encontre du Gard dudit Quesnoy qui est chemin allant dicelle ville a Landrechies, laquelle cauchie fait escluze dudit vivier », ibid., f° 87 v° et sq. : le « pré, condist le relay du vivier d’Onnoilles » est situé « joingnant ce vivier et depent dicelui aulez deriere le maison d’Onoilles ».
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1. Plan d’ensemble de la ville du Quesnoy et de ses environs au Moyen Âge. Reconstitution de l’auteur (fonds de carte IGN).
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Porte de Ruesnes
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1-2 jardins aux légumes 3 jardins fruitiers 4 jardins aux fraisiers et herbes médicinales 5 jardins de plaisance 6 vignobles 7 la maison de la pescherie 8 maison ou ermitage 9 traierie 10 moulin alchimique
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2. Plan d’ensemble du parc du Gard avant le XVIe siècle. Reconstitution de l’auteur.
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cour du château13, inondaient les viviers Saint-Martin dits «as becques »14, c’est-à-dire aux brochets. Elles en ressortaient par le « rieu aux Anges » qui alimentait par une canalisation en bois sept « fosses pour y mettre en garde poisson d’eaue douce », fosses fermées d’un mur de brique15, puis se jetaient dans le vivier de la Maladrerie16. Un petit vivier se trouvait aussi à l’intérieur du Parc, près de la Fontaine le Comte ; d’autres sont encore mentionnés dans les cartulaires des comtes de Hainaut, une vingtaine donc au total existaient autour du Quesnoy17, certains ayant pu être asséchés dès le début du XVe siècle. Surveillés et exploités par un maître pêcheur et ses sergents au XIVe siècle18, leur exploitation était au XVe siècle affermée, le duc de Bourgogne percevant les revenus sous forme de loyer. Des écluses permettaient de contrôler le niveau d’eau de ces viviers et éventuellement de les assécher complètement19, pour en pêcher carpes (« fourssieres »), anguilles (« botroelles »), anteneaux (poissons de moins d’un an), saumons ou brochets (becqueteaux). Le Gard Les éléments constitutifs de ce domaine et les caractéristiques de l’environnement du château nous sont mieux connus grâce aux travaux de la seconde moitié du XIVe siècle réalisés à partir de 1370 par le duc Albert de Bavière20. Le Gard était un parc, à la fois réserve cynégétique et lieu d’ébattement, qui s’étendait au sud du château sur 400 hectares. Il était déli13 Ibid., f° 82 v° : le « vivier joingnant et estant du long lez aives de ses hostel, jardins de plaisance et bassecourt dudit Quesnoy faisant fortification a ycelles places et villes » était encore utilisé par les brasseurs et les foulons ; « le vivier condist du Gard est scitué ou Gard dudit Quesnoy joingnant du long les hostel, gardins de plaisance et bassecourt de mondit seigneur ». 14 Ibid., « le vivier condist aux becques au dehors et tout prés de la porte Saint Martin audit Quesnoy entre icelle porte et le porte Valenciennoise ». 15 Ibid., f° 87 : « Monseigneur a lez le fontaine a Moelly assez prés de la bonne maison de saint Laddre hors la porte Valenciennoise dudit Quesnoy VII fosses ordonnées et apropriées pour y mettre en garde poisson d’eaue douce et en chacune dicelles fosses deschent eaue du Rieu venant du vivier aux becques et ce par buzes de bois assizes en terre (…). Et sont en-
closes lesdits fossés et les voyes et terrées dicelles de murs de bricques et y a une seulle huisserie ». 16 Ibid., f° 93 r° : « le vivier condist de le Maladrie entre le maison de Saint Laddre hors le porte Valenciennoize dudit Quesnoy et le bosquet de Thilloit » avait une superficie d’environ douze mencaudées. 17 Ibid., f° 82 r°: « Mondit seigneur a environ sa ditte ville du Quesnoy XVII viviers ». 18 J. Thomas, Les revenus domaniaux des comtes de Hainaut dans la châtellenie du Quesnoy de 1353 à 1420, mémoire de Maîtrise, Université de Lille III, 1950, p. 25-26. 19 Archives départementales du Nord, B 9008, 1354, f° 15 v° : « les escluses des viviers de la clayelle », etc. 20 Grâce à la conservation des comptes du domaine de la châtellenie à partir de 1365.
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mité par une enceinte, longue de près de 5 km, constituée de murs de grès et de brique depuis l’Hôtel de le Sauch jusqu’au rieu du vivier d’Onnoilles, par des fossés en eau et des pieux de chêne de ce rieu vers Fauroeulx : elle était percée de trois portes charretières, dites portes de Ruesne, Ravenchière et du Buteau21. La restauration des murs du parc fut conduite à partir de 1375 : les murs qui avaient une hauteur voisine de 3 m furent remontés en brique sur un soubassement de grès et couronnés par un chaperon de pierre de grès22, restauration continuée en 137923 qui s’achevait en 138124. On construisait par contre en 1382 un nouveau mur de brique de 2,40 m de hauteur sur 51 m de longueur entre le jardin et le puisoir du Gard 25, c’est-à-dire un mur isolant le jardin du parc. La fermeture du parc nous indique assez sa nature : Pierre de Crescens (Pietro di Crescenzi, 1233-1321) dans son Opus ruralium commodorum, le premier traité d’agriculture écrit depuis l’Antiquité, souligne que la réserve de chasse doit être entourée d’un mur de pierre pour abriter diverses espèces animales, lièvres, lapins, chevreuils et autres « bestes sauvages qui ne sont pas de proye » (proie)26.
21 On a donné une superficie de 940 hectares et un périmètre de 13 km au parc d’Hesdin, mais ces dimensions sont peu assurées. 22 Ibid., B 9020, 1375-76, non fol. : « A Pierrart Haynnau et a ses compagnons machons marchander a yaus a criz et a rabais par le Recheveur de Haynnau et maistre Jehan Frasniel de deffaire les murs dou Gard a res de tiere. Et puis refaire les dis murs en haut le sommé de 10 pies et demy parmi le comble desquiels 10 pies et demy on a hauchier de gries 3 tas endeseure terre aules viers les camps et le remanant avoir fait de brike sur l’eppes que le murs a et tout en capprener de gries. Si fisent li dessus dit marché d’ouvrage en l’estet l’an LXXV, mil cent et 1 quarteron de mur, rechupt par feur ledit Recheveur a 12 £, 10 s. dou cent montent, 140 £, 12 s., 6 d. A Jaquemart Hunaut et a ses compagnons machons pour 3 pies doudit ouvrage faire oudit estet l’an LXXV au fuer dessus dit monte, 13 £, 18 s. ». 23 Par les maçons Adam Kochin et Hanekin de Tournai.
24 Ibid., B 9023, 1379-80, f° 15 r° : 804 pieds de « machenerie de brikes, de querelin » au Gard pour un marché de 76 £, 15 s. Ibid., B 9024, 1380-81, f° 8 r° : 841 pieds de murs du Gard soit 35 £, 6 d. dont ils reçoivent 14 £, 11 s., 8 d. Ibid., B 9026, 1381, f° 10 v° : rétribués de 40 £, 18 s., 6 d. plus 10 s. 25 Ibid., B 9030, 1382, f° 4 r° : « As dessus dis machons pour faire I muret de bricque mouvant dou gardin et alant jusqu’au puisoir dou Gard de 8 piels de hault deseure tiere, de bricque et demie d’espais tenant 171 pies mesuret par maistre Jehan Bailliu et rechupt par ledit maistre Thumas Ladart par le fuer de 9 £ le cent sont 15 £, 7 s., 6 d. frans franchois pour 23 s. valent le francq pour 25 s., 16 £, 14 s., 3 d. ». 26 Cit. par D. Alexandre-Bidon, Vrais ou faux ? L’apport de l’iconographie à l’étude des châteaux médiévaux, dans J.-M. Poisson (dir.), Le château médiéval, forteresse habitée (XIe-XVIe s.). Archéologie et histoire : perspectives de la recherche en Rhône-Alpes, DAF, 1992, p. 47.
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Le château et les jardins le comte Qualifiés dans la première moitié du XIVe siècle de « gardin me dame » (la comtesse Marguerite de Hainaut), et par la suite de « gardin le comte »27, les jardins étaient situés à l’extérieur et au sud du château dont ils étaient séparés par les fossés. Il semble bien que jusqu’aux années 1350-80 ils n’aient été fermés, côté château, que par un simple mur, ailleurs et vers le Gard par des palissades28. La contrescarpe des fossés du château était plantée d’une haie vive qui faisait fermeture du jardin de ce côté29. On accédait au jardin directement du château par une passerelle franchissant les fossés30, passerelle dont la construction était antérieure aux années 1365 car elle n’est pas documentée dans les comptes postérieurs, qui conduisait à une porte dite porte du jardin le comte31. De cette entrée on pouvait gagner plusieurs « courtils » séparés par des palissades percées de portes ou « huis »32. On y trouvait successivement : - le jardin (courtil) « a porée », c’est-à-dire à légumes, situé contre les fossés du château et où l’on cultivait entre autres les « collés » (choux)33 ; - le courtil « ortillerech », « as ortuils », pour les pois et les fèves34, qui était entouré de haies (« soifs »)35. Chaque printemps on achetait pour le « courtil ortillerech » diverses semences d’oignons (« ougnelette »), 27
Ibid., B 9011, 1366-67, non fol. Ibid., B 9008, 1354, f° 7 v° : mention du « noef pauffich » au jardin depuis le vivier du Gard « jusque au mur de pierre qui est a rue », d’un « vies mur » qu’on franchissait par un huis ; ibid., B 9032, 1383-84, f° 42 r° ; ibid., B 9008, 1354, f° 16 r° : « Faire les paufis parmi les fossés dou castiel mouvant dou dit gardin alant jusques as murs dou castiel entours les courtuils as joutes et as ortuils et faire pauffis entour les ahaus des poix et des feves dou dit gardin ». 29 Ibid., B 9027, 1381, f° 18 r° : « A Jehan de Sicault pour 400 demy de soips faire oudit gardin autour dou courtil as porées et sour les fossés dou castiel en venant jusques a le porte doudit gardin, marcandet a lui en tasque present Willaume de Bieaudegnies a 6 s. dou cent montent, 27 s. » ; « refaire le paufich alant parmi les fossés dou castiel ». Ibid., B 9032, 1383-84, f° 46 r°. 30 Ibid., B 9024, 1380-81, f° 10 v° : en 1380, alors qu’on restaurait les murs du château de28
puis le jardin le comte où le chantier s’était installé, on récupéra des pierres tombées « des dis vies murs entre le pont qui est ou gardin le conte et l’autre pont dou castial » ; « le pont par ou on va dou dit castial ou gardin le conte » ; ibid., B 9025, 1380-81, f° 12 r°. 31 Ibid., B 9008, 1354, f° 16 r°: « le porte et les huis dou gardin me dame ». 32 Ibid., B 9008, 1354, f° 4 r°, f° 16 r°: taille de 540 « peulx, estakes et pierches de vingnes » pour le jardin, « pour 1700 et demi de peuls taillier en ledite fouée » utilisés en partie pour « faire I paufich ou gardin me dame ». 33 Ibid., B 9031, 1382, f° 4 r°. 34 Ibid., B 9008, 1354, f° 16 r° ; B 9027, f° 16 v° : « le courtil a hahaule estant ou dit gardin », « faire pauffis entour les ahaus des poix et des feves dou dit gardin » ; B 9025, 1380-81, f° 12 r° : « rayme pour ramer pois ». 35 Ibid., B 9027, 1381, f° 16 v°.
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poireaux (« gros poret », « menues poret »), persil (« persin »), bette ou blette (« biettes »), sariette, hysope, choux pommés (« gros cabus »), laitues, bourrache, fenouil (« feneule »), « blancq olle », choux (« grant colais », « colles »), « herbes de blanqs ioutes »36 ; - le jardin fruitier planté de poiriers, pommiers ; un autre planté de pruniers, cerisiers et poiriers37. Une maison couverte de chaume38 y était construite, « maison, chambres hault et bas, celier, estables, court et courelle condit Claix Cromb »39 dont la porte était précédée d’une « loge » ou galerie40. L’entretien courant des courtils était assuré par une main d’œuvre féminine si ce n’est les grosses tâches confiées à des manœuvres 41. Plus à l’est se trouvaient « le jardin et les préaux condist de plaisance », préaux ou parterres de gazon (pratellum, petit pré) qui enserraient souvent des massifs floraux, entourés de leurs palissades et de leurs haies42. L’un d’entre eux enfermait une tour, percée de plusieurs portes, dont le sommet était couvert d’une terrée et de plaques de gazon43. Il s’agissait en fait d’une glacière où, l’été, on pouvait trouver pour se désaltérer des boissons fraîches44. Une « traierie » permettait encore de s’exercer au tir des « grans arbalestres » : il s’agissait d’un champ de tir complètement clos à l’extrémité duquel se trouvaient deux buttes de tir. Enfin vers le faubourg Fauroeulx, « une chevauchoire ordonnée de haults et gros chesnes » - une allée bordée d’arbres - conduisait à une maison « a soy retraire ou a 2 chambrettes et au dessoubz une bove vossée et pavée de briques »45, sorte d’ermitage où l’on pouvait s’isoler à l’abri des bosquets d’arbres.
36 Ibid., B 9014, 1369-70, f° 7 r° ; B 9027, 1381, f° 16 v° ; B 9018, 1374-75 ; B 9019, 1375-76, non fol. ; B 9027, 1381, f° 16 v°. 37 Ibid., B 8984, f° 110 et sq. : « jardin a pronniers, cherisiers et porees ». 38 Ibid., B 9028, 1381-82, f° 27 v° : couverture d’ « esteule », « sour les ayunes (édifices) monseigneur ou gardin le conte, sour le porte dou gardin le conte… ». 39 Ibid., B 8984, f° 110 ; Flory de Belmarine était « commis a l’entretenement des jardins, butés et préaux ». Le propriétaire du lieu profitait des fruits de ce jardin, contre l’entretien des jardins et préaux, des butées et de la clôture de la trairie. 40 Ibid., B 9032, 1383-84, f° 46 r° : « relatter et
replacquier (…) en le maison et cambre doudit gardin et en le loge deseure le porte ». 41 Ibid., B 9032, 1383-84, f° 47 r°. Voir Pièces Justificatives. 42 Ibid., 9022, 1378-79, f° 15 r°. 43 Ibid., B 9008, 1354, f° 16 r° : « Le tour ou gardin ou li praiauls est », « les huis de le tour au prayel », « pour faire I pauffich a l’entrée de le tour dou gardin ». 44 Ibid., B 9024, 1380-81, f° 9 r° : « A Janquement Vitoul, Doyen et Noel ses compaignons, refiestir le couverture de le tour ou on met le glace ou gardin le conte ». 45 Ibid., B 8984, f° 111 v°. La « traierie » était close « de verghes mises a fachon de trailles a charios ».
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D’autres allées conduisaient aux vignobles situés à l’extérieur des murs du jardin46. Ces vignobles devaient avoir une certaine importance : en 1381-82 leur entretien nécessita 23000 « menues verghes », 2000 grosses verghes, 1500 perches, 3500 pieux (« pels »)47, ce qui correspond assurément à plusieurs milliers de pieds. On sait qu’au Louvre 1750 pieds de vignes furent plantés de chaque côté des treilles et pavillons du jardin48. Près des vignobles se trouvait le jardin aux herbes médicinales (hysope, bourrache..) et aux fraisiers49. C’est à partir du début du XIVe siècle que la fraise, venue d’Orient, commença à être cultivée et à devenir un élément constitutif du jardin seigneurial : quelques années plus tôt, en 1369, le jardinier du roi Charles V, Jean Dudoy, avait planté pas moins de 12000 fraisiers dans les jardins du Louvre à Paris50. Le Parc Des fenêtres méridionales des chambres seigneuriales se découvraient des vues étendues sur ces jardins et au-delà sur le parc, auquel on accédait soit par la porte dite du Gard ou de la basse-cour - qualifiée encore au XVIe siècle « porte du parcq » ou « porte de le bassecourt pardedens le parcq »51 -, soit par les jardins. Le Parc était d’abord constitué d’un bois découpé en quinze tailles (tailles du Gard, taille aux pierres Bayart 52 , taille devers le porte Ravechier, taille du préau Notre Dame, etc.) par des allées, tailles pro46
Ibid., B 9008, 1354, f° 17 r° : « Pour IC de latte de chierisier mis au remettre sus les vingnes sour une estanture de kesne » ; ibid., B 9019, 1375-76, non fol. : « le voie venans dou castiel es vignobles », « planer les voyes es vignobles dehors les murs » ; ibid., B 9025, 1380-81, f° 12 r° ; ibid., B 9027, 1381, f° 19 r° : « es vingnobles dehors les murs contre l’iretage Jehan Gayant et ossi contre les ayuwes Monseigneur » ; ibid., B 9031, 1382, f° 4 r° : « faire une voie noeve entre les vingnes et le vivier dou Gard » ; « les voies es vignobles dehoers les murs autour des prayaus » ; « pour ouvrer ou gardin le conte tant au sarcler les vigniobles dehors les murs, planer voyes… » ; ibid., B 9032, 1383, f° 46 v°. 47 Ibid., B 9028, 1381-82, f° 18 r° - r° 19. 48 Le Roux de lincy, Comptes des dépenses faites par Charles V dans le château du Louvre des années 1364 à 1368, dans Revue archéologique, 8, 1851-52, p. 769 : « Item pour avoir planté d’un costé et
d’autre desdites treilles et pavillons XVIIc et demy de chez de vigne ». 49 Archives départementales du Nord, B 9022, 1378-79, f° 15 r° : « les frasiers, ysoppe et aultrez yerbes estans es vignobles dehors les murs doudit gardin » ; ibid., B 9027, 1381, f° 16 v° : « frasiers des vignobles dehors les murs » ; ibid., B 9027, f° 16 r° : les fraziers me dame desoubz les murs es vignobles et ou courtil ortillerech ». 50 Le Roux de Lincy, Comptes des dépenses, op. cit., p. 769-770. 51 Archives départementales du Nord., B 10162, 1461-62 : des charpentiers refont le pont « estant sour le dodasne par ou on entre au parcq, lequel estoit la pluspart fondu et cheu audit vivier ». 52 La Cense du Parc ou de la pierre Bayard, mentionnée en 1698 (Archives du Génie de Vincennes, art. 8, carton 1, n° 5), existe toujours.
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tégées des intrusions des animaux par des palissades de pieux renforcés de lattes. Pour leur garde un sergent relevait du bailli des bois. Le Parc enfermait, outre des moulins (« huisines ») à blé et huile fournissant les ressources nécessaires à l’hôtel, de nombreux édifices. - Les bâtiments du haras ; leur origine serait due à Jeanne de Flandre (1205-1244), qui séjourna au Quesnoy le temps de la captivité de son mari Ferrand de Portugal53 et aurait restauré le château en 1236 ; en tout cas son second mari, Thomas de Savoie, qu’elle épousa en 1237, fit venir différentes bêtes pour peupler le parc. En 1462 le duc de Bourgogne entretenait 36 juments et poulains et de 300 à 400 daims54. On dénombrait alors trois écuries : « Item trois estables, la premiere qui est la plus grand servant a mettre les jumens dilec, la seconde leurs poulaings de lait, et l’autre les poulains en point de dompter et aprivoisier. Et tout tenant est la maison, cambres, fournich, edifices et courtil de la garde et commis au poursoing dudit haras »55. Tout à côté existait « une grant pasture enclose de pelz de chesne en laquelle on met des poulaings et jumens dilec »56. Ces bêtes - comme les 14 vaches appartenant aux officiers qui y paissaient - se nourrissaient d’avril en octobre sur les pâtures du Parc, mais des réserves de foins étaient entassées dans trois granges pour leur subsistance hivernale57: - « une grange a mettre et entasser les garbées des grains des terrages que mondit seigneur a ou terroir de sa ditte ville du Quesnoy, foings, waings58 et aultres garnisons necessaires a son haras dudit Gard »59 ; - deux granges de bois couvertes de chaume, qui avaient 18 m (60 pieds) de longueur sur 4,80 m (16 pieds) de largeur avec des râteliers doubles, une d’entre elles étant située près des prés Cailleau, l’autre à la taille de la Héronnerie ou était stocké le foin pour la nourriture d’hiver des juments, poulains ou daims60.
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J. Gennevoise, Monographie de la ville de Le Quesnoy, dans Bulletin de la Société d’Études de la Province de Cambrai, 1932, p. 9. ; I. Lebeau et A.-J. Michaux, Recueil de notices sur l’arrondissement d’Avesnes, Avesnes, 1859, p. 87. 54 Archives départementales du Nord, B 8984, f° 108 r° : « Item pour le temps present des erbes dudit Gard se entretiennent et gouvernent par chacun an ou temps d’esté XXXVI que jumens, poutrelles et poulaings, de IIIc a IIIIc daings ». 55 Ibid., B 8984, f° 109 v° ; ibid., B 10157, 1457, f° 4 v° : la grange des juments du Gard avait
un pan de mur orienté vers l’Ostel de le Sauch. 56 Ibid., B 8984, f° 109 r°. 57 J. Birrell-Hilton, La chasse et la forêt en Angleterre médiévale, dans Le château et la chasse en forêt, Les cahiers de Commarque, 1990, p. 71-72, a souligné que leur alimentation pouvait poser problème l’hiver. 58 Regains. 59 Archives départementales du Nord, B 8984, f° 109 v°. 60 Ibid., B 10162, 1461-62, f° 112 r°.
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- À côté de ce dernier édifice existait une briqueterie, qui fournissait les chantiers comtaux dès la seconde moitié du XIVe siècle : « Item aupres de ladite grange a ung four et huisine de bricque a faire bricques et a lemur (?) terre bonne et souffissant a ce faire et laquelle huisine, mesmement la place de entour ou l’en prent terre a faire bricques, est presentement enclos de pelz de chesne »61. - La « maison et courtil de la pescherie » exploitait les ressources des viviers entourant la ville, « maison, edifices, courrelle et courtil condist de la pescherie et 12 fosses a mettre poissons d’eaue douche » en 146262. - Un hôtel particulier - l’Hôtel de le Sauch construit par Guillaume de le Sauch sur une pièce de terre donnée en 1325 par le comte Guillaume Ier le Bon63 -, qui était entouré d’un fossé inondé par les eaux du Gard. Il se trouvait à proximité du moulin à blé banal « scitué en ladite ville du Quesnoy et ce en une grosse tour vossée de pierre dure lez l’ostel condist de le Sauch »64. Le propriétaire de l’hôtel avait le droit de faire paître 6 vaches au Gard. - Enfin près du rieu venant du « vivier d’Onnoilles », Philippe de Montmorency, seigneur de Croisilles, chevalier de Lille, fit encore construire en 1451, « assez pres desdits jardins et preaux joingnant a ung rieu portant eaue venant du vivier d’onnoilles au vivier dudit Gard », un bâtiment de bois couvert de tuiles abritant un creuset alchimique avec « grans soufflés, une roelz et autres hostieux » pour fondre certaines matières prises dans les environs du Quesnoy, « desquelles entendoit et estoit adverty que yssir en devoit or » ! Mais évidemment l’expérience échoua et l’édifice fut bientôt abandonné65. Conclusion Le Gard du Quesnoy s’apparentait par ses caractéristiques, mais avec des particularités, aux autres parcs fermés - ainsi dans le duché de Bourgogne à celui d’Aisey66, clos, comme celui de Villaines, d’une enceinte de sept kilomètres qui enfermait 275 hectares -, parcs qui constituaient des réserves de gibier ou des centres d’élevage et où des
61
63 L. Devillers, Monuments pour servir à l’histoire
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des Provinces de Namur, de Hainaut et de Luxembourg, III, Bruxelles, 1874, p. 408. 64 Archives départementales du Nord, B 8984, f° 113. 65 Ibid., B 8984, f° 110 v° et 111 r°. 66 Aisey-sur-Seine, à 70 km au nord-ouest de Dijon.
Ibid., B 8984, f° 109 v°-110 r°. Ibid., B 9008, 1354, f° 7 v° : « ouvraiges fais a peskeries me dame » ; ibid., B 9025, 1380-81, f ° 11 r° : elles étaient closes de « verges et ployons » ou haies d’osier ; ibid., B 9027, 1381, f° 14 v° : Jehan, le tuilier du Quesnoy, refait « le four et l’aistre de le peskerie ».
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édifices abritaient les équipages de vénerie, mais qui furent avec l’avènement de Philippe le Hardi en 1363 délaissés, si ce n’est celui d’Aisey. La proximité d’une forêt giboyeuse constitua une des raisons fortes de leur localisation en relation avec un château, tant dans les pays germaniques, ainsi la maison de Kaiserslautern créée par Frédéric Barberousse vers 1170 dans la forêt de Lutra en Palatinat avec viviers, ménagerie et parc aux cerfs67, que dans les châteaux royaux anglais ou français, châteaux du bois de Vincennes, que Philippe Auguste (1180-1223), au témoignage de Rigord, transforma de simple refuge en manoir et fit enclore d’une haute muraille, ou de Compiègne à proximité de la forêt du même nom. Le comte de Hainaut créa au XIIe siècle au Quesnoy un centre de vie économique pour s’assurer le contrôle et l’exploitation régulière des réserves forestières de la forêt de Mormal ; en captant et en drainant les sources et les cours d’eau, il créa un réseau dense de viviers domaniaux qui fournissaient les cuisines de l’Hôtel comtal, en particulier durant le Carême, et grâce à leurs écluses procuraient la force motrice indispensable aux moulins à blé ou huile ou permettaient d’abreuver les centaines de bêtes du Parc. Se trouvaient alors réunies les conditions d’environnement favorites d’une grande résidence, permettant entre autres la pratique de la chasse, manifestation symbolique de la puissance seigneuriale68. On a même remarqué, à propos du parc d’Aisey devenu un parc à daims à la fin du XIVe siècle, que l’animal était considéré non plus comme un but de chasse mais comme « un auxiliaire emblématique de l’état de haute noblesse »69. Le développement du parc du Quesnoy fut plus précoce que celui du château du Coudenberg à Bruxelles créé vers les années 1320, à proximité de la forêt voisine de Soignes70, réserve de chasse ducale depuis le début du XIIIe siècle, mais dont la superficie était encore limitée
67 J. Gardelles, Les palais dans l’Europe occidentale chrétienne du Xe au XIIe siècle, dans Cahiers de civilisation médiévale, 2, 1976, p. 118. 68 J. Birrell-Hilton, La chasse et la forêt…, op. cit., p. 73-74. Avec la consommation de viande de gros gibier. 69 C. Beck, P. Beck, F. Duceppe-Lamarre, Les parcs et jardins des résidences des ducs de Bourgogne au XIVe siècle. Réalités et représentations, dans A. Renoux (dir.), Aux marches du Palais. Qu’est-ce qu’un palais médiéval ?, Actes du VIIe
Congrès international d’Archéologie médiévale. Le Mans - Mayenne 9-11 septembre 1999, Université du Maine, 2001, p. 101-103. 70 A. Smolar-Meynart, L’installation de la cour de Philippe le Bon et des institutions de gouvernement à Bruxelles : une capitale en devenir, dans Rogier Van der Weyden, Catalogue Musée communal de Bruxelles, Maison du Roi, Bruxelles, 1979, p. 15-16 ; W. Paravicini, Die Residenzen der Herzöge von Burgund, 1363-1477, op. cit., p. 243.
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à cinq hectares environ. Dans la seconde moitié du XIVe siècle on aménagea une garenne peuplée de cerfs et de daims, un jardin clos dit de la Feuillée ou Labyrinthe : parc de plaisance, verger et vignoble y coexistaient également, mais son accroissement ne sera réalisé qu’à partir des années 143071. Si Krista De Jonge a cherché dans le parc de Mariemont (Hainaut), en particulier dans la juxtaposition des grands et petits jardins, des influences françaises et italiennes72, il faut bien avouer qu’il restait par ses caractéristiques d’ensemble fidèle73 à une tradition médiévale antérieure. Le palais renaissant de Marie de Hongrie y était entouré d’un « jardin a jolietez » où l’on avait construit une maison avec un fourneau où le jardinier préparait les essences extraites des fleurs du jardin, et du grand jardin pavé de briques, établi en déclivité. D’autres enclos étaient plantés de fleurs, d’arbrisseaux et côtoyaient des jardins potagers et fruitiers, des vignobles… Le parc enfermait encore autour des métairies et des viviers, des troupeaux d’élevage, moutons et porcs, du gibier. Dès la fin du XIVe siècle au moins, le Quesnoy est un château fait pour la plaisance où - comme ceux de Mehun-sur-Yèvre74 ou d’Hesdin, possessions des ducs de Berry ou de Bourgogne -, le prince peut se retirer entre deux campagnes militaires ou négociations diplomatiques pour y organiser des chasses et des fêtes, des joutes en particulier. Au Quesnoy, les « courtils as joutes » ou « jouterech » (1354), entourés de palissades, se trouvaient entre les jardins et la contrescarpe des fossés du château75 ; des chambres comtales on pouvait donc suivre le spectacle des combats chevaleresques comme plus tard le roi Charles V depuis la porte méridionale du Louvre. Ces jardins, pour être plus proches, étaient au Quesnoy directement accessibles par une passerelle franchissant les fossés du vieux châ-
71
A. Smolar-Meynart, L’installation de la cour de Philippe le Bon…, op. cit., p. 19. 72 K. De Jonge, Les grands jardins princiers des anciens Pays-Bas : Bruxelles et Mariemont aux XVIe et XVIIe siècles, dans L. Baudoux-Rousseau et C. Giry-Deloison (Etudes réunies par), Le jardin dans les anciens Pays-Bas, Arras, 2002, p. 33. 73 A la seule exception du décor d’une fontaine en pierre d’Ecaussinnes, avec médaille de Cérès en pierre blanche d’Avesnes, oeuvre de Jacques du Brœucq ; R. Wellens, Le domaine de Mariemont au XVI e siècle (1546-1598), dans
Annales du Cercle archéologique de Mons, vol. 64, 1962, p. 78-172, ici p. 110-112. 74 Département du Cher, à 15 km au nord-ouest de Bourges. 75 Archives départementales du Nord, B 9008, 1354, f° 16 r° : « Faire les paufis parmi les fossés dou castiel mouvant dou dit gardin alant jusques as murs dou castiel entours les courtuils as joutes ; on fait une « porte a I huis a l’entrée dou gardin pour entrer ou courtil jouterech au les devers le ville ». On joutait encore près du vivier de la Clayelle ou au château (mai 1380) ; ibid., B 9023, 1379-80, f° 30 v°.
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teau médiéval. De même au Louvre réaménagé par Charles V à partir de 1365 deux passerelles faisaient communiquer les corps de logis royaux nord et ouest avec les jardins. La miniature des Très Riches Heures du duc de Berry représentant le château du Clain à Poitiers, reconstruit par le duc Jean de Berry entre 1383 et 1385 (mais les travaux furent probablement continués après cette date) représente le long de la rivière du Clain une poterne fermée d’un pont-levis qui permettait par une même passerelle de bois de franchir la rivière ; à Mehun-sur-Yèvre en 1408 le duc fit relier le château par un pont à « l’hostel de Bon Repos » et aux jardins de plaisance, jardins agrémentés de berceaux de bois et d’osier, d’un pavillon en 137176. Cette idée d’une relation directe du château et des jardins sera reprise à la Renaissance : à Azay-le-Rideau77 (1519) un couloir ménagé dans le corps de bâtiment de l’aile droite donne ainsi par l’intermédiaire d’un pont de charpente sur les jardins ; au château royal de Saint-Germain-en-Laye, sous François ier, deux ponts de charpente mettaient en relation les chambres royales, par le biais d’escaliers à vis, avec le parc, un troisième pont directement la cour et le parc78. Dans le même temps les murs des chambres se couvraient de tapisseries (des verdures représentant des paysages verdoyants, des scènes de chasse...) et s’ouvraient vers l’extérieur par de larges fenêtres à croisée, établissant des relations nouvelles entre la demeure noble et son environnement79. Ainsi, au sud du château, les comtes de Hainaut créèrent un paysage artificiel parcouru de viviers et de cours d’eau, aux allées d’arbres ordonnées, qui conduisaient aux sous-bois et aux fontaines tandis que, plus près de la demeure, les enclos de plaisance du jardin, aux parterres de verdure entourant des pavillons destinés au repos ou aux repas champêtres, accueillaient de leurs senteurs parfumées les promeneurs. Au-delà des murs du jardin s’ébattaient dans le parc animaux domestiques ou sauvages, ou plus proches encore dans la basse-cour, des oiseaux de proie, faucons et éperviers et même, au temps des ducs de Bourgogne, des lions. Ainsi, comme Girart de Roussillon de la fenêtre de son palais, le prince contemplait l’étendue de ses terres, de ses viviers et de ses bois, dans un monde de nature recréé par lequel le lien était rétabli avec 76
F. Lehoux, Jean de France, duc de Berri : sa vie, son action politique (1340-1416), Paris, 4 vol., vol. I, 1966, p. 242-243 ; Ph. Bon, Les jardins du duc de Berry et les préaux de Mehun-sur-Yèvre, dans P.-G. Girault (Etudes réunies et publiées par), Flore et jardins : usages, savoirs et représentations du monde végétal au Moyen Âge, Paris, Le Léopard d’Or, 1997, p. 39-50. 77 Département d’Indre-et-Loire.
M. Chatenet, La cour de France au XVIe siècle. Vie sociale et Architecture, Paris, 2002, p. 156 et sq. 79 On verra, sur cette ouverture du paysage au XVIe siècle, J. Guillaume (Etudes réunies par) Architecture, jardin, paysage. L’environnement du château et de la villa aux XVIe-XVIIe siècles. Actes du colloque de Tours 1992, Paris, 1999, 312 p. 78
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l’image du « paradisus » de l’Orient ancien, où se manifestait la domination sur la flore et la faune du roi « cosmocrator »80. Pièces Justificatives Travaux réalisés aux jardins du château du Quesnoy Archives départementales du Nord B 9025, 1380, 1er août-15 février 1381, f° 12 r°. A Adam dou Gard, marcant de le haye de Haourdel, pour pluisieurs estoffes prises a lui en le dicte haye pour rappariller le gardin le conte au march l’an LXXIX. C’est assavoir pour 46 milliers de menues verghes pour les vingnes a 40 s. le millier sont 34 £. Pour 1 millier demy de grosses verghes a 60 s. le millier sont 4 £, 10 s. Pour 500 de piercés a 55 s. le cent sont 13 £, 15 s. Pour 1800 de peils a 16 s le cent sont 14 £, 8 s. Pour 70 estakes de vingne a 18 d. le piece sont 105 s. Pour demi cent de rayme81 pour ramer pois ou dit gardin en l’estet l’an IIIIXX, 16 s. Somme de ces parties rabatues par le recheveur au paiement que lidis Adans dult de ledite taille au Noël de cest compte, 72 £, 4 s. blancs valent tournois, 77 £, 17 s., 10 d. A Marghe Sortette et a se fille pour sarcler ou dit gardin en le deraine sepmeine de septembre par 2 jours a 3 s., 4 d. le jour pour les 2, montent par ce terme 6 s., 8 d. A Emellet Payenne pour oteil faire a adoe en ce lieu et a ce fuer, 4 s., 4 d. Et a Maighils Kokellette pour oteil a doet et pour ce terme, 4 s., 4 d. C’est en toute somme par le coustenge et estoffes dou dessus dit gardin, 78 £, 11 s., 3 d. B 9027, 15 février -15 août 1381, f° 16 v°. Parties pour pluseurs communs ouvrages fais ou gardin le conte tant pour iceli fouwir, asselcher, sarcler et nettyer par plusieurs ouvriers et ouvrierez comme pour les vingnes relever toutes sus, pour plusieurs prayals relevés et fais noes oudit gardin, pour faire noeves soifs82 et noefs paufis83 oudit gardin dont les parties s’ensuiwent. Et premiers
80 A. Labbé, Le château et ses territoires de chasse dans la chanson de geste de Girart de Roussillon, dans Le château et la chasse en forêt, Les cahiers de Commarque, 1990, p. 242-245.
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Branchages. Haies. 83 Palissades. 82
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A Jehan Esconnet demorant au Quesnoit pour fouwir84 le courtil a hanaule estant oudit gardin au march l’an IIII XX, marcandet a lui en tasque, 23 s., 6 d. t. A Maignon Kokelette pour sarcler, deffouwir et replanter les frasiers, ysoppe et aultrez yerbes estans es vignobles dehors les murs doudit gardin et ossi planter pois ou courtil ortillerech par le terme de 7 iours demy en le seconde et tierche sepmaine de march. Si qu’il apparait par taille faite contre luy par Willaume de Biaudegnies, warde doudit gardin a 20 d. le jour sont, 12 s., 9 d. A Marghe Dorcette pour otel faire adont ce terme et audit fuer montent, 12 s., 9 d. A Ysabiel Haironne pour otel faire adont oudit terme par 8 jours demy audit fuer et par taille faite par le dit Willaume montent, 14 s., 5 d. A Gille le Goudaillier pour manouvrer oudit gardin avoecq le dit Willaume de Biaudegnies despuis l’entrée de march l’an IIIIXX jusques a le moyenne de may ensuiwant par le terme de 44 jours 2 demis, si qu’il apparaît par taille fait contre li par Willaume a 2 s., 6 d. le jour montent, 113 s., 4 d. A Nicaise Gervais manouvrier pour faire pluseurs soifs ou gardin autour dou courtil ortillerech par 7 jours en le daraine sepmaine d’avril et en le premiere sepmaine de may a 2 s., 6 d. le jour, montent 17 s., 6 d. t. 17 r° A le mere Jehan de Tournay pour sarcler les sailliers85 doudit gardin, les fraziers me dame desoubz les murs es vignobles et ou courtil ortillerech par le tierme de 4 jours et demy en le premiere sepmaine de may a 20 d le jour, montent, 7 s., 8 d. A Jehan Lalart manouvrier pour manouvrer ens ou gardin devant dit, despuis l’entrée de march jusques a l’hyssue de may ensuiwant, a replanter sailliers et faire soifs autour et ossi faire pauffis et ouvrer es vignobles avoec Willame de Bieudegniez, au retaillier et reloyer (vingnes ajoutés dans l’intervalle) et edefyer plusieurs prayaus, le prayel no demisiel86 et le praiaul desous le taillerie monseigneur87 et en pluseurs autres leus aval le gardin par l’espasse de 58 jours demy par taille faite contre lui par le dit Willame a 3 s., 4 d. le jour montent, 9 £, 15 s., 7 d. A luy pour le fachon de 1200 pies de soifs qu’il a faittes et ouvrées ens es vignobles pour retenir les terréez et autour de pluseurs prayaus marchandet a lui au tasque present ledit Willame selonck le mainement des 84
Bêcher. Parcelles de terre. 86 Marguerite de Bavière, fille du duc Aubert de Bavière. 85
87 Le duc de Bavière, Aubert. Ces deux préaux se trouvaient à l’intérieur de l’enceinte du château.
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terres. Se deut avoir de cascun cent tant de petites comme de grandes 4 s., monte le somme de 48 s. A Colart Lescohier et Willaume son fil pour une livre demie d’ougnelette, 12 s. Pour une livre et demie de gros poret, 12 s. Pour demie livre de menues poret, 2 s., 6 d. Pour 6 livres de persin a 4 s. le livre, 24 s. Pour 8 livres de biettes a 3 s le livre sont 24 s. Pour une livre de sariette, 12 s. Pour demie livre de ysoppe, 8 s. Pour demie livre de gros cabus, 4 s. (rajouté dans l’intervalle). Pour demie livre de colles, 18 d. Pour 1 quartron de laitues, 3 s. Pour 5 livres de bouraches a 2 s. le livre sont 10 s. Pour demie livre de feneule, 18 d. Pour demie livre de blancq olle, 18 d. Somme de ces parties de semenches prises pour le dit gardin, 116 s. A Jehane de Tournay et Jehane de Biaudegnies et a leurs ayuwes pour le courtil ortillerech dudit gardin sarcler et retenir net touttes fois qu’il besongna de le premiere queillison88, marchander a elles en tasque, present Willaume de Biaudegnies en 1 franc de 25 s. t. 17 v° A Nicaise Gervais manouvrier pour ouvrer oudit gardin avoec Willame de Biaudegnies a faire soifs, plusieurs voies, eswisier peils et verghes pour renclore, taillier wazons pour les prayaus refaire, faire une voie noeve entre les vingnes et le vivier dou Gard qui onques n’y avoit estet faite et pluseurs autres manoevres faire ou dit gardin ensi que lidis Willame lui a ensengniet et commandet par le terme de 18 jours. Si qu’il apparoit par taille faite contre le dit Willame ou mois de may l’an IIIIXX et I au fuer de 2 s., 6 d. le jour montent, 45 s. t. A Gille le Goudalier pour manouvrer oudit gardin avoec ledit Willame despuis le moyenne de may jusques au dimence VIIe jour de juillé ensuiwant a otel faire que lidis Nicaises par le terme de 36 jours. Si qu’il apparoit par taille audit fuer, montent 4 £, 10 s. A Ysabiel Haurinne pour sarcler oudit gardin ou courtil as porees et es vignobles dehoers les murs par le terme de 10 jours 2 demis environ l’entrée dou mois de juing et le moyenne de jullé ensuiwant, rapportet par ledit Willame a 20 d. le jour sont, 18 s., 10 d. A dame Katherine le Michaude pour otel faire le terme et audit fuer, 18 s., 10 d. A Ysabiel le Moneresse pour otel faire adont par tel terme et audit fuer, 18 s., 10 d. A Maignon Kokelette pour otel faire en ce terme par 9 jours 2 demis et audit fuer montent, 17 s., 10 d. A Ysabiel Hayronne pour sarcler et fouwir ou dit gardin ou courtil as porees, planer et faire bielles les voies es vignobles dehoers les murs, 88
Récolte.
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autour des prayaus et ailleurs par le terme de 13 jours despuis le moyenne de jullé jusqu’au VIIIe jour d’aoust ensuiwant rapportet par taille faite par Willamme de Biaudegnies a 2 s., 6 d. le jour montent, 32 s., 6 d. A Ysabielle Monneresse et Maignon Kokelette pour otel faire oudit lieu par le terme de 14 jours oudit terme a 2 s., 6 d. le jour cascune montent, 70 s. t. Somme de ces parties, 44 £, 17 s., 8 d. t. 18 r° Parties pour uvrages fais ou gardin le conte tant as vingnes comme en aultre manier. Et pour estoffes accattées ou terme de cest compte dont les parties. Et premiers A Adam dou Gart marchant de le haye de Haourdiel pour vingt-trois milliers de menues verghes pour les vingnes doudit gardin a 40 s. blans le millier, sont 46 £ blans. Pour deux milliers de grosses verghes, 6 £. Pour un millier et demy de pierches a 60 s. le cent sont 28 £, 17 s., 6 d. Pour trois milliers et cinq cens de pels a 16 s. le cent sont 28 £. Pour 48 pierches et estakes de vingne a 18 d. le piece sont 72 s. Et pour un cent de longhe raime pour les pois doudit gardin escanchener, 32 s. C’est en somme de ces parties rabatues par le recheveur de Haynnau audit marchant au paiement qu’il eubt a monseigneur pour cause de le ditte taille au Noël de cest compte, 114 £, 18 d. blans, valent tournois 122 £, 4 s. A Ysabiau Hayronne pour sarcler oudit gardin ou courtil as porees et planer89 le voie venans dou castiel es vignobles et autres plusieurs coses ensi que Willammes de Biaudignies li a commandet par 5 jours demy despuis le XVe iour d’aoust l’an IIIIXX et I iusques au XXVe iour doudit mois par taille faire contre le dit Willamme a 2 s. le iour, sont 13 s., 2 d. A Ysabiel le Monneresse pour otel faire adont ce terme et audit fuer, 13 s., 2 d. A Maignon Kokelette pour otel faire, 13 s., 2 d. A ledite Ysabiel Haironne pour sarcler oudit gardin ou courtil ortillerech, sarcler, ramonner et nettyer les vignobles dehors les murs, planer voies, porter hors ordure et autres coses faire ensi que lidis Willamme de Biaudegnies li commandoit par le terme de douze jours et deus demis despuis le dit vingt cinquieme iour d’aoust jusquez au iour de Toussains ensuiwans ensi par taille faite contre li par le dit Willamme a 20 d le iour, sont 22 s., 2 d.
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Aplanir.
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A Ysabiel le Monnneresse pour otel faire en ce terme par otant de jours audit fuer sont, 22 s., 2 d. A Jehan de Suraut et Willamme seu frere pour 700 demy de soips faire es vignobles dehors les murs de 4 pies de haut, marcander ayaus en tasque present Willamme de Biaudegnies ou mois d’octembre l’an IIIIXX et I au fuer de 5 s. dou cent sont 37 s., 6 d. 18 v° A Jehan de Tournay pour fouwir le courtil ortillerech doudit gardin au march l’an IIIIXX et I marcandet a lui en tasque par le dit Jehan de Goy ensi, 28 s. A Ysabiel le Monneresse pour planter les avant, pois ou courtil ortillerech doudit gardin et les frasiers des vignobles dehors les murs, sarcler et nettyer par le tierme de 6 jours ou mois de march l’an IIIIXX et I. Si qu’il apparoit par taille a 20 d. le iour sont 10 s. A Ysabiel de Pantignies pour otel faire avoec le dite Ysabiel Haironne par le terme de 2 jours oudit mois de march audit fuer, 4 s. A Jehan de Sicault pour 400 demy de soips faire oudit gardin autour dou courtil as porées et sour les fossés dou castiel en venant jusques a le porte doudit gardin, marcandet a lui en tasque présent Willaume de Biaudegnies a 6 s. dou cent, montent 27 s. Audit Jehan pour manouvrer oudit gardin et es vignobles dehors les murs tant a faire cars90 appertenans as vignes, aidier a relever les vingnes, retaillier et reloyer, et autres plusieurs coses faire avoec le dit Willamme de Biaudegnies par le terme de 13 jours oudit mois a 4 s.le jour, sont 52 s. A Ysiabel de Pantignies pour sarcler le courtil as porees doudit gardin et les vingnobles dehors les murs, planer voies, nettyer les rosiers es dis vingnobles et autres hierbes par le terme de 12 jours ou mois de may l’an IIIIX et II a 20 d. le jour, sont 20 s. A Ysabiel le Monneresse pour otel faire adont le terme de 10 jours au dit foer sont 16 s., 8 d. A Agnies le Monneresse pour otel faire ou lieu dessus dis par le terme de 12 jours au dit fuer, sont 20 s. A Jehenne de Biaudegnies pour otel faire a dont oudit terme et audit fuer, 20 s. A Agnies de Siraut pour otel fair par ce terme et audit fuer, sont 20 s A Gille Payenne pour otel faire adont au tierme devant dit et au dit fuer, sont 20 s
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Quart, tenure de vigne soumise au régime du quatrième muid, selon Godefroy.
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A Hanette de le Tainture pour oteil faire par le tierme de 11 iours audit fuer, sont 18 s, 4 d. A Ysabiel de Paintignies pour sarcler ou dit gardin, ou courtil as porees, es vingnobles dehors les murs et ailleurs par 4 jours 2 demis en le premiere sepmaine de juing audit fuer sont 8 s., 10 d. t. 19 r° A Gille Payenne pour oteil faire adont par trois jours demy audit fuer ou dit terme, 6 s., 1 d. A Ysabiau le Monneresse pour oteil faire adont oudit lieu par quatre jours deux demis audit fuer sont, 8 s. A Jehane de Biaudegnies pour otel faire adont pour quatre jours demy audit foer, 7 s. A Jehan de Sirault pour faire oudit gardin a l’entrée de le porte I paufich de pels d’ausne et pour otel es vingnobles dehors les murs contre l’iretage Jehan Gayant et ossi contre les ayuwes Monseigneur par 9 jours demy ou mois de may l’an IIIIXX et 2 a 4 sous le jour sont, 38 s., 8 d. A Ysabiel le Monneresse pour planer les voyes es vignobles dehors les murs, nettyer et ramonner en ce lieu, sarcler ou courtil as porees et en pluisseurs autres liux dou dit gardin ouvret par le terme de 8 jours deus demys en le premiere et seconde sepmaine d’aoust a 2 s., 6 d. le jour, sont 23 s., 4 d. A Agnies de Sirault pour otel faire adont avoec le dite Ysabiel par otel terme audit fuer, sont 23 s., 4 d. A Ysabiau de Pantignies pour otel faire par ledit terme audit fuer, sont 23 s., 4 d. Semenches pour le dit gardin A Jehan de Namur demorant a Valenchiennes pour 4 livres de bourraches, 16 s. Pour une livre de blanque oliettes91, 2 s., 6 d. Pour une livre de ongnelete, 6 s. Pour une livre de gros poret, 12 s. Pour 7 livres de persin, 21 s. Pour 7 livres de biettes, 17 s., 6 d. Pour une livre de colles, 4 s. Pour demye livre de blanques jouttez, 2 s., 6 d. Pour 3 onches de sariette, 7 s., 6 d. Pour 3 onches d’isoppe, 7 s., 6 d. Pour une onche de laytuwes, 2 s., 6 d. Et pour une onche de gros cabus, 5 s. Somme de ces semenches, 104 livres. Somme de ces parties payés pour cause doudit gardin ou terme dessus dit, 153 livres, 8 s., 4 d.
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Olivette, sorte de pavot qui donne une huile comestible.
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MONIQUE MAILLARD-LUYPAERT Chercheur associé aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles L’eau, la terre, la pierre. L’environnement d’une « maison forte » à Naast (H ainaut – xiv e -xvi e siècle)
Le texte qui suit pourrait avoir comme incipit : « Au commencement était l’eau »... Naast1, « pays des sources, des fontaines », est un petit village hainuyer, proche d’Écaussinnes, qui doit son existence à l’eau 2 . D’innombrables sources alimentent les petits ruisseaux qui serpentent à travers la campagne. Ces ruisselets font grossir la Senne, la rivière qui prend naissance sur le territoire du village avant d’aller traverser Soignies. Naast, c’est une communauté rurale dont la prospérité ancienne doit largement à ses riches terres de culture, à ses prés, à ses bois. Naast, c’est aussi, entre Écaussinnes et Soignies, le pays de la pierre bleue. Une pierre dont l’exploitation commence bien au-delà des limites chronologiques de cette étude, mais qui, néanmoins, a été utilisée dans la construction de l’habitation des seigneurs du lieu. L’eau, la terre, la pierre. Trois éléments qui ont façonné le paysage naastois dès l’époque médiévale3. Le Cercle royal d’histoire et d’archéologie du canton de Soignies a déjà mené à Naast trois campagnes de fouilles, sur le site de la « Ferme du Donjon ». Si notre travail doit une partie de sa raison d’être aux efforts déployés par une petite équipe d’archéologues amateurs et aux résultats que ceux-ci ont engrangés, elle est aussi largement redevable à deux archéologues professionnels qui ont mis leur compétence, leur savoir-faire et leur enthousiasme au service de notre association4. Sans 1
Naast : Belgique, province de Hainaut, arrondissement, canton et commune de Soignies. 2 L’importance de l’eau à Naast a été soulignée pour la première fois par le Docteur FRANCOIS, Naast, dans Annales du Cercle archéologique du canton de Soignies (ACACS), t. 6, 1931, p. 103-122 (surtout p. 103-105). 3 La présente étude s’appuie, pour l’essentiel, sur une partie de l’article de fond que nous
avons publié sous le titre Ombre et lumière sur le site de la « Cense du Donjon » à Naast (XIIe-XXe siècle). A propos d’une enquête en cours, dans Annales du Cercle royal d’histoire et d’archéologie du canton de Soignies (ACRHACS), t. 37, 2004, p. 49-100. Nous renvoyons le lecteur à la bibliog raphie de la p. 51, note 3. 4 Trois campagnes de fouilles ont été menées par le Cercle en 1998, 1999 et 2001 sous la direction de Jean-Pol Van Den Abeele. Voir J.-P.
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oublier, et c’est fondamental, la contribution d’archéologues médiévistes, qui a nourri notre réflexion et aidé à la formulation d’hypothèses parfois audacieuses : Luc-Francis Genicot pour les tours d’habitation seigneuriales en Wallonie, Hervé Mouillebouche pour les maisons fortes du nord de la Bourgogne5. Quels types de sources permettent d’approfondir la connaissance du site de Naast, d’en éclairer les origines et d’en découvrir les transformations successives ? Quels enseignements peut-on extraire de ces sources ? Quelles conclusions peut-on, provisoirement, en tirer ? Les sources d’abord. Brièvement6. On dispose de sources matérielles, c’est-à-dire de vestiges archéologiques, essentiellement des structures en pierre, vues du sol et du ciel, et un matériel céramique partiellement analysé en laboratoire. Aucune source figurée, digne de ce nom, avant la deuxième moitié du XVIIIe siècle ! Les sources écrites, par contre, sont plus nombreuses, particulièrement les comptes du domaine comtal de Braine-le-Comte pour les XVe-XVIe siècles7. Un « va-et-vient continuel »8 entre le terrain, le cadastre et les archives a permis de tracer les grandes lignes de l’histoire du site et des constructions qui l’ont peuplé, d’esquisser les premiers contours du paysage et d’appréhender le cadre de vie des habitants. La tâche en fut malaisée, le site actuel étant le résultat d’une profonde et rapide trans-
Van Den Abeele, Cercle royal d’Histoire et d’Archéologie du canton de Soignies. Activités archéologiques de ces 10 dernières années, dans Vie archéologique. Bulletin de la Fédération des Archéologues de Wallonie, n° 57-58, 2002, p. 99-102. Les deux premières campagnes ont bénéficié de la compétence de Pierre-Mary Vêche (Centre de recherches d’archéologie nationale, Louvainla-Neuve). Le matériel céramique découvert lors de la troisième campagne a été analysé au CRAN par Sophie Challe, qui a publié ses résultats sous le titre La « Cense du Donjon » à Naast (Soignies). Etude du matériel céramique. Fouille 2004, dans ACRHACS, t. 38, 2006, p. 195-211. 5 L. F. Genicot, R. Spede et Ph. Weber, Les tours d’habitation seigneuriales du Moyen Âge en Wallonie. Analyse archéologique d’une typologie, dir. L. F. Genicot, Namur, Ministère de la Région wallonne, Division du Patrimoine, 2002 ; H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du Nord du XIIIe au XVIe siècle,
Dijon, Editions universitaires de Dijon, 2002. Le lecteur pourra également se référer aux contributions de L. F. Genicot, A propos de l’immobilisme formel des tours seigneuriales au bas Moyen Âge, dans Du métier des armes à la vie de cour, de la forteresse au château de séjour : familles et demeures aux XIVe-XVIe siècles. Actes du colloque international d’Écaussinnes-Lalaing (22-24 mai 2003), dir. J.-M. Cauchies et J. Guisset, 2005, p. 4-16, et H. Mouillebouche dans le présent volume. 6 Une communication plus détaillée sur ce thème aura lieu lors d’un colloque organisé en 2008 par Hannonia. Centre d’information et de contact des cercles d’histoire, d’archéologie et de folklore du Hainaut. 7 M. Maillard-Luypaert, Ombre et lumière, p. 55-57, notes 19-24. 8 Nous devons cette expression à H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du Nord, p. 48.
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1. État du site en été 1998. A l’avant-plan, les peupliers bordant le ruisseau des Grands Viviers.
formation qui a commencé avec l’apparition du chemin de fer et qui s’est achevée avec la construction, sur l’ancienne douve, de petites maisons ouvrières. Où était située la « Ferme du Donjon » ou « Cense du Donjon » de Naast ? Dans l’angle formé par l’assiette de l’ancienne voie ferrée (l’actuelle rue du Chemin de fer), qui conduisait de Soignies à Houdeng en passant par Le Roeulx, et la route menant de Naast à Écaussinnes. Deux cents mètres à peine séparent ce lieu de l’église paroissiale SaintMartin. Le relief y est accidenté. Il forme clairement une « bosse » aplatie (fig. 1)9. La photographie aérienne révèle quatre « curiosités » : un « angle droit » formé par des structures en pierre affleurantes, la trace d’un fossé marqué par une végétation spécifique, une petite dépression circulaire visible dans le relief au sommet de la « bosse », enfin, une « ligne » droite, celle du cadastre actuel, qui borne les jardins de trois maisons (fig. 2). Le sol, très limoneux, est humide en permanence. L’hiver, le fossé est même légèrement inondé (fig. 3). Jadis, celui-ci était alimenté par le ruisseau des Grands Viviers, qui serpente aujourd’hui entre deux rangées de peupliers et se jette dans la Senne à proximité. Le site a conservé, sur son versant méridional seulement, son caractère
9
Deux photographies du site ont été publiées dans L. F. Genicot, R. Spede et Ph. Weber,
Les tours d’habitation seigneuriales..., p. 69, fig. 52, p. 103, fig. 110.
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2. Photographie aérienne (Archives du Cercle royal d’histoire et d’archéologie du canton de Soignies).
3. État du site en hiver 2004. Les grands peupliers projettent leur ombre sur le relief accidenté de la haute cour.
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champêtre et ses aspects bucoliques. Si le promeneur peut y découvrir, depuis la rue du Chemin de fer, deux des trois éléments caractéristiques du lieu – l’eau et la terre –, il doit cependant se trouver sur le relief pour y constater le présence du troisième : la pierre. Le site de la « Ferme du Donjon » est, selon toute vraisemblance, l’endroit où vécurent, jusqu’au XIVe siècle, les seigneurs de Naast. Cette famille éponyme, constituée de chevaliers, émerge vers le milieu du XIIe siècle10 et s’affirme progressivement dans l’aristocratie hainuyère. La première demeure est mentionnée en 1189, sous le nom de curtis, dans une charte de l’abbaye de Saint-Feuillien du Roeulx. Si la curtis est le centre du domaine seigneurial, l’enclos résidentiel situé au cœur de l’exploitation agricole, rien ne prouve, cependant, qu’à la fin du XIIe siècle, la résidence familiale se trouvait déjà à l’endroit dont il est question ici. Au fil du temps, le besoin d’assurer la sécurité, d’affirmer son autorité sur le « pays » environnant et d’installer un pouvoir de contrôle au carrefour des grands chemins qui relient Soignies à Écaussinnes et au Roeulx par Mignault, et Mons à Braine-le-Comte par Thieusies, ce besoin a sans doute justifié l’élévation, au coeur du domaine, d’un talus artificiel sur lequel fut édifiée, puis fortifiée, la résidence désormais définitive du maître des lieux. Les sondages et les prospections de surface ont révélé deux composantes essentielles de l’environnement : le fossé et le mur d’enceinte. La plate-forme supportant la haute cour était protégée par le fossé en eau, alimenté par le ruisseau des Grands Viviers. La terre extraite pour creuser ce fossé a sans doute été rejetée contre la tour d’habitation afin de l’emmoter. A l’endroit où il a été mis au jour pour la première fois, en 1998, le mur d’enceinte est orienté Nord-Est-Sud-Ouest et NordOuest-Sud-Est. Il forme un angle droit (fig. 4). Large d’1,70 m à la base et d’1,15 m dans sa partie supérieure, il est constitué de pierres calcaires dégrossies, liées au mortier, qui, sans doute, provenaient de Mignault ou d’Écaussinnes. La construction est assurément tardive. L’appareillage
10
Un Guillaume de Naast (Willelmus de Naste, Willames de Naste) est cité comme témoin dans la charte-loi de Soignies de 1142 : M. de Waha, Du « pagus » de Brabant au comté de Hainaut. Eléments pour servir à l’histoire de la construction de la principauté, dans ACACS, t. 36, 1998, p. 95 ; J. Nazet (†), Réédition de la charte latine et de sa traduction romane, dans Ibid., p. 199 ; J. Nazet (†) et J.-M. Cauchies, Soignies, dans Chartes-lois en Hainaut XIIe-XIVe siècle. Edition
et traduction, dir. J.-M. Cauchies et F. Thomas, Mons, Hannonia, 2005, p. 480 (Analectes d’histoire du Hainaut, 9). Un chevalier, Henri, seigneur de Naast, apparaît dans les sources entre 1170 et 1197. Il fait partie de l’entourage de Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut. Seigneur foncier, il possède aussi sur ses terres le ban, c’est-à-dire le commandement, la police et la justice : E. Matthieu, Les seigneurs de Naast, dans ACACS, t. 4, 1907, p. 9 .
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pourrait remonter au XVe siècle, voire peut-être déjà au XIVe. Le mur est soigneusement assis sur le sol en place, lui-même formé de sable alluvionnaire, à une profondeur d’1,83 m. Il présente deux ressauts sur sa face extérieure, mais force est de constater qu’il n’est pas très élevé. Le niveau de l’eau n’arrivait probablement pas jusqu’à la muraille, sauf sans doute à hauteur de l’angle droit dégagé par les fouilles.
4. Angle sud du mur d’enceinte, XIVe siècle ?
L’analyse en laboratoire du matériel céramique, exhumé au pied du mur d’enceinte à une profondeur d’ 1,05 m, a prouvé que le site était déjà habité au XIIIe siècle. C’est en effet de cette époque que date l’essentiel des terres cuites grises et rouges extraites du fossé. La plupart des objets présentent les concrétions typiques d’un fond de latrine, ou du moins d’une fosse où se déversaient également les déchets de cuisine11.
Il faut attendre la première moitié du XIVe siècle pour voir apparaître dans les textes la « maison » ou « ostel » du seigneur de Naast12. L’inventaire après décès des biens meubles de Godefroid de Naast, établi en 1337, nous apprend que la famille mène grand train. Nappes et draps, tapis et couvertures, lingerie en quantité impressionnante, vaisselle précieuse et pièces d’ameublement composent son ordinaire13.
11
P.-M. Veche, Soignies (Naast). « La Ferme du Donjon ». Etude du matériel céramique de la première campagne de fouilles, 1999, étude inédite. 12 E. Matthieu, Les seigneurs de Naast, p. 60, 62, 64, 70. 13 L’énumération des richesses seigneuriales laisse pantois : douze kiulte, un kevech, quatre sarge, deux couvretoir, cinq pièces de tapis, une couvreture de blanket, huit coussins, deux paires
de linchius que boins que mais, dix aulnes de grosse nappe, une longue nappe de lie, une autre nappe, quatre otelle, deux aulnes de nappe, quatre petites covailetes, deux covaille, cinq pots de cuivre, quatre pots, quatre payelle, une petite payelle d’auwe, deux blans caudrons, un caudron noir, un ront bachin, trois bachin barbierech, trois orchius, trois grands platiel d’estain, une tailete d’estain, trente-quatre escuyelles et quatre saus-
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L’exploitation possède un important cheptel et du matériel agricole14. Naast n’est pourtant qu’une facette du luxe aristocratique et de l’opulence de la maison, l’essentiel des richesses se trouvant à Mons, dans l’hôtel que le seigneur de Naast, au faîte de sa gloire chevaleresque, a fait édifier15. Hélas, après 1340, le climat se gâte entre le seigneur éponyme et le comte de Hainaut. En toile de fond, le conflit franco-anglais. Godefroid de Naast, fils du précédent, est privé de ses possessions par Guillaume II. Le décès, vers 1360, de la veuve du dernier seigneur éponyme marque la fin d’une époque. La seigneurie principale de Naast entre désormais dans le domaine comtal hainuyer. Elle est placée sous la juridiction du châtelain de Braine-le-Comte, qui envoie un intendant occuper la « maison »16. En 1377, celle-ci échoit à Jean de Bavière, le fils cadet du comte de Hainaut Aubert de Bavière, qui reçoit de ses parents « le ville, terre, seignourie, revenues, apartenanches de Naste »17. La transition entre le site militaire et résidentiel des origines et le site purement agricole de l’époque moderne s’opère lentement au cours du XVe siècle. En 1425, le propriétaire est à présent Philippe le Bon, neveu de l’élu de Liège Jean de Bavière18. Un grand chantier s’ouvre en 1436 sous la responsabilité d’un « maître charpentier de Hainaut », à serons d’estain, vingt-six pos d’estain que tres cherins que petis, trois candelers de plonch et un de cuivre, un mortier, un keuvinel, un trepier, une paire de grans keuvinaus, deux noeves tauvles parmi les hestaus, un grant leson, trois tauvles vieses, un buffet, trois caudière, quatre sayauls fierés, un keuvinel et un trepier, deux coffres de soumier, un escring (E. Matthieu, Les seigneurs de Naast, p. 60-62). 14 Il comprenait d’une part trois buef, un tor, trente-et-une vaches, quatre veaux, six jumens, une jouene poutre, un cheval, vingt-deux pourchiaus, cinq truyes, vingt-deux pourchelés et, d’autre part, deux cars fierés, trois yercules, trois binoirs et tout autre harnas de kierve, plusieurs bures et froumages, une pieres de lin, un godet d’argent pesant trois onches et demie et trois estrelins, un godet de piere bordet d’argent, neuf muis d’avainne, auxquels il faut ajouter un varlet (E. Matthieu, Les seigneurs de Naast, p. 62-64). 15 E. Matthieu, Les seigneurs de Naast, p. 42-59. Autre témoignage de cette aisance : le contrat passé devant les échevins de Mons par Laurent le Sellier pour la confection d’un char com-
mandé par la dame de Naast : L. Devillers, Le passé artistique de la ville de Mons, Paris, 1886, p. 101-03. Le seigneur de Naast possédait aussi une bibliothèque : Ch. Rousselle, Les livres du Sire de Naast, dans Annales du Cercle archéologique de Mons, t. 12, 1875, p. 524 ; A. Van Galen, Li inventores de romans et de livres. Etude de la composition de la bibliothèque de Godefroid de Naste (1357), Université catholique de Louvain, 2002, mémoire inédit. 16 E. Matthieu, Les seigneurs de Naast, p. 25-28, p. 73, n° 15 ; M. Maillard-Luypaert, Ombre et lumière, p. 53-54. 17 J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast (1424/1432 et 1505/1519) : histoire locale et « grande politique », dans Hainaut et Tournaisis. Regards sur dix siècles d’histoire. Recueil dédié à la mémoire de Jacques Nazet, dir. C. Billen, J.-M. Duvosquel et A. Vanrie, p. 222 (Archives et Bibliothèques de Belgique, n° spécial 58 ; Publications extraordinaires de la Société royale d’histoire et d’archéologie de Tournai, 8). 18 J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast, p. 223-226.
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l’intérieur et à l’entour de la demeure seigneuriale. Les comptes mentionnent des travaux « a le maison et pont de le maison de monseigneur le ducq de Bourgogne en le ville de Naste ». On achève une chambre, on aménage des portes et des fenêtres, on dresse des parois, on construit un four et des « loges ». Et surtout, on jette un pont au-dessus des fossés de la « maison », un pont de 60 pieds de long19. Des gens de guerre venus de Nivelles, de Bruxelles, mais aussi du royaume de France, sèment la désolation à Naast en 1488 et 1489, laissant le site seigneurial en triste état20. La demeure naastoise est qualifiée de « cense » dans les archives de la Chambre des comptes en 1490-1491, puis elle est appelée « hostel du donjon » en 1499 pour la toute première fois21. En 1500, le châtelain de Braine-le-Comte se plaint de l’inertie du nouveau maître du lieu, Philippe de Habsbourg, dit le Beau, archiduc d’Autriche et héritier des Pays-Bas bourguignons, donc du comté de Hainaut : « La maison va à perdition et ruine tant à défaut des murailles qui vont chéant en fossé et autrement et meme que toutes les cheminées qui sont de bois et plaquées de terre ne valent guère… le tout pourrait brûler… »22. L’incendie tant redouté à la fin du XVe siècle se produisit-il ? La campagne de fouilles de l’été 1999 a permis l’exhumation de plusieurs pièces de bois calcinées – fragments d’une charpente ? – dans une couche appartenant à un horizon d’abandon et de destruction du site primitif et, mêlées à ces morceaux de bois brûlé, de céramiques datées des XIVe et XVe siècles. Quoi qu’il en soit, le donjon fait encore l’objet, au début du XVIe siècle, de soins attentifs. Son nouveau propriétaire est Gilles de
19
Archives départementales du Nord à Lille (ADN), Cumulus 16158 (compte des terres de Bavière, 1er octobre 1435 - 20 mai 1436), fol. 29v-31r ; Archives de l’Etat à Mons (AEM), Trésorerie des chartes des comtes de Hainaut, recueil 84, n° 22 (attestation de dépenses du 2 juin 1436). Nous devons ces références à l’obligeance de Monsieur Jean-Marie Cauchies. 20 J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast, p. 239-240 et note 56. 21 Dans le censier, dit « cartulaire », daté de février 1499, dressé à Naast et déposé (en avril 1500) à la Chambre des Comptes de Lille. S’inspirant d’un modèle plus ancien, ce document a été « renouvelé » en l’ hôtel du donjon de Naast : J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast, p. 235-236, note 47 ; du même auteur, Un terrier
de Naast (Soignies) de 1499 : histoire rurale et onomastique, dans Bulletin de la Commission Royale de Toponymie et de Dialectologie, t. 73, 2001, p. 139-83 : les notices numérotées 59 et 61 (p. 162-63) font état respectivement du « vivier du donjon de mondit seigneur le comte » et du « vivier dudit donjon » ; également, du même, Hommes, terres, bâtisses et chemins à Naast à la fin du XVe siècle, dans ACRHACS, t. 37, 2004, p. 129-148. 22 Selon le compte du domaine de Braine-leComte (pour Naast), daté de 1500 : Archives Générales du Royaume à Bruxelles (AGR), Chambres des Comptes, n°10390. Ce compte est cité par L. Destrait, Le donjon de Naast, dans ACACS, t. 6, 1931, p. 35-36.
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Bouzanton. Celui-ci a acheté la seigneurie principale de Naast en 150523. Dans un rapport qu’il rédige à l’époque, le receveur général de Hainaut décrit « la maison que l’on appelle le donjon, qui est assez moyen édiffice, ou peult avoir deux chambres en hault, avec les fosséz tant alentour d’icelle [que] de la basse court »24. L’imprécision du texte n’empêche pas d’entrevoir la coexistence, en ces lieux, de deux populations socialement et économiquement distinctes : celle qui occupe la haute cour, la résidence seigneuriale et ses annexes, et celle qui, vouée à des tâches plus humbles, travaille dans la basse cour. En 1509, le nouveau seigneur de Naast fait lui aussi appel à un maître charpentier afin d’effectuer quelques réparations, notamment au pont de bois devant la porte ainsi qu’aux annexes de la « basse court ». Le « pont du donjon » a toujours 60 pieds de long. Il en a aussi 12 à 14 de large. Ces dimensions correspondent à la largeur moyenne du fossé qui entoure ce genre de maison, soit 10 à 15 mètres. Trois bâtiments composent la « basse court » : la grange, la bergerie et l’étable. Leurs fondations sont renforcées. La grange, qui possède deux portes, reçoit une nouvelle couverture de tuiles, un nouveau « placage » et un nouveau « lattage ». Pour ce travail, le chevalier Gilles de Bouzanton puise dans les réserves forestières du « bois de Naast »25. Bouzanton décède entre 1515 et avril 1519. Peu de temps après, la maison de Naast fait brièvement retour au domaine comtal hainuyer, puis elle est engagée par Charles Quint, en 1519, au seigneur du Roeulx, Ferry de Croÿ26. Le « dénombrement des feux et des cheminées de tous les villages du comté de Hainaut » mentionne, pour les années 1540-1541, l’édifice appelé à Naast la « maison du seigneur », qui possède trois cheminées27. Au milieu du XVIe siècle, le « donjon » est habité par un censier, un fermier. Elle est désormais la « cense du Donjon à Nast (…) ou il y a maison manable, fosséz, basse court, grainge, estables, jardin et houblonniere, contenant en tout demy bonnier, tenant audit chemin
23
Les circonstances de cet achat ont été exposées par J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast, p. 227-244. 24 J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast, p. 237. 25 J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast, p. 242-243 et notes 66 et 68, rend compte du procès verbal de visite du maître charpentier en juin 1509 et d’un compte de dépenses des ouvrages accomplis à la « basse court ». Pour
connaître les détails techniques, voir AGR, Trésor de Flandre, 1e série, n° 273, pièces 10 et 11. 26 J.-M. Cauchies, Seigneurs et seigneurie à Naast, p. 244. Sur l’engagère de 1519 : AGR, Trésor de Flandre, 1e série, n° 287. 27 M. A. Arnould, Les dénombrement de foyers dans le comté de Hainaut, Bruxelles, 1956, p. 181, 577 et note y (Commission Royale d’Histoire).
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allant dudit Naste a Braine (…) » 28. Devant la porte du « donjon » se trouvent des pâturages, parmi lesquels « la pasture du Castegnier », sur laquelle est édifié un « coulombier », un colombier29. La tour d’habitation seigneuriale est donc environnée de bâtiments utilitaires. Mais que savons-nous réellement de leur nombre, de leurs dimensions, de leur disposition ? Si les textes fournissent une terminologie relativement précise, les sources figurées, par contre, font défaut. Sauf pour les XVIIIe et XIXe siècles. Il est dès lors impossible de les ignorer. Ne comptons guère sur la Carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens, dite « Carte de Ferraris », établie aux environs de 1770, dont on sait combien elle peut avoir malmené la topographie. Les bâtiments de la cense y sont dessinés de façon très imprécise : on en dénombre cinq. On y distingue aussi un fossé à deux bras. Néanmoins, la carte de Ferraris permet de situer le site fossoyé dans la topographie générale du village. Le chemin qui relie Soignies à Écaussinnes et à Mignault apparaît en contrescarpe30. C’est surtout au XIXe siècle que la figuration fait un pas de géant et ce grâce, d’abord, au « cadastre napoléonien » établi en 1809. Le « tableau d’assemblage » de la Commune de Naast (22 août 1809) révèle la morphologie du site avec une précision déjà bien plus fine31. Le ruisseau des Grands Viviers marque la limite orientale. La haute cour, la basse cour et leurs constructions respectives se détachent clairement des zones non habitées. La basse cour ne se situe pas dans l’axe Nord-Est-SudOuest de la haute cour, mais elle est inclinée vers l’Ouest selon un angle approximatif de 45 degrés. La haute cour a l’allure générale d’une plateforme quadrangulaire (fig. 5).
28
L.-P. Gachard, Inventaire des archives des Chambres des Comptes, précédé d’une notice historique sur les anciennes institutions, t. 2, Bruxelles, 1845, p. 211-12, note 1 (année 1556) ; AGR, Chambres des Comptes, n° 45509/[2], fol. 46v. Le document auquel il est fait ici référence est un « cartulaire des cens, rentes, heritaiges et revenues de la ville et terre de Naste » : J.-M. Cauchies, Un terrier de Naast (Soignies) de 1499, p. 140 et note 4. AGR, Chambres des Comptes, n°45509/[2], fol.45v-46r. 29 AGR, Chambres des Comptes, n° 45509/[2], fol. 45v. Le droit de colombier est « une prérogative que les seigneurs revendiquent durant
l’Ancien Régime et qu’ils afficheront à l’entrée de leurs exploitations agricoles » : L. F. Genicot, R. Spede et Ph. Weber, Les tours d’habitation seigneuriales, p. 211. 30 Carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens levée à l’initiative du comte de Ferraris, t. 6, carte Le Roeulx, 64, (1), Bruxelles, Pro Civitate (Crédit communal de Belgique), 1965. L. Daels et A. Verhoeve, Les déformations topographiques de la carte de Ferraris, dans Bulletin de la Société d’études géographiques, t. 23, 1963, p. 301-310. 31 AEM, Archives communales, n° 140, section B, 1e partie (consultable sur microfilm : PC 140 1 451).
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5. Tableau d’assemblage de la Commune de Naast (1809). Section B, Archives de l’État à Mons.
Le cadastre primitif achevé en 1834 après l’indépendance de la Belgique offre enfin une vue claire et précise de la « Cense du Donjon »32. Comme, bien sûr, l’atlas cadastral parcellaire de la Belgique, dressé par le géomètre Popp, où la parcellisation du site correspond en tous points à celle du cadastre primitif en question. Ce plan mérite amplement qu’on s’y attarde. Le fossé encercle cinq bâtiments dont les contours sont parfaitement dessinés : dans la haute cour, le corps de l’ancien logis seigneurial et un bâtiment annexe ; dans la basse cour, trois autres bâtiments (fig. 6). L’examen attentif de la haute cour et de l’ancien logis seigneurial vaut le détour : les lignes du cadastre qui séparent, au Sud, les parcelles 251 et 253 et, au Nord, les parcelles 251 et 252 sont presque parallèles. Si l’on prolonge la deuxième ligne pour la relier ensuite à la première le long du petit bras du fossé, on obtient le quadrilatère de la plate-forme, c’est-à-dire la haute cour. C’est vraisemblablement ici, à proximité immédiate du fond du petit avant-bras du fossé, qu’on passait de la basse cour à la haute cour et que se situait l’entrée vers le logis, dont la façade principale était favorablement exposée au soleil, vers le Sud-Ouest, à l’abri des vents du Nord et d’Est. Privilège ou frustration ? Les archives du Cercle royal d’histoire et d’archéologie du canton de Soignies conservent un document assez 32 Consultable (mais interdit de reproduction) au Ministère des Finances, Administration du Cadastre, de l’Enregistrement et des Domaines, à Mons. Sur le cadastre primitif de la Belgique,
voir J.-P. Challe, Le cadastre primitif et son utilisation, dans Bulletin trimestriel du Crédit Communal de Belgique, t. 27, 1973, n° 105, p. 149-164.
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6. Extrait de l’atlas cadastral parcellaire de la Belgique (Popp). Commune de Naast. Section B.
fabuleux, malheureusement unique en son genre : une photographie du corps de logis de la « Ferme du Donjon », prise depuis la voie ferrée, vraisemblablement vers 188533. La grande bâtisse semble y attendre sa fin prochaine (fig. 7). Sur la gauche, on reconnaît un bâtiment annexe, long et bas. Plus loin, une rangée de grands peupliers borde la rive droite du ruisseau des Grands Viviers. A droite du corps de logis, on remarque deux constructions : la première est un bâtiment de la basse cour, de forme rectangulaire sur le « plan Popp »; le second, absent du plan Popp, est une petite construction curieuse, ornée d’une cheminée, elle-même surmontée d’un cylindre. Le « donjon » montre sa face arrière, orientée Nord-Nord-Est, celle qui donne sur le coude du fossé. L’hypothèse de 33 Voir M. Maillard-Luypaert, Le « donjon »
retrouvé de Naast, dans Cercle royal d’histoire et
d’archéologie du canton de Soignies. Bulletin de contact, n° 230, avril 2002, p. 23-24.
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7. « Naast. Donjon », Archives du Cercle royal d’histoire et d’archéologie du canton de Soignies. Papiers Léon Destrait.
chronologie avancée est la suivante34 : la partie arrière-gauche du bâtiment constituerait l’habitat primitif, de plan rectangulaire, avec deux pièces ; viendraient ensuite l’avant et l’arrière-droit. Les deux annexes sont beaucoup plus récentes. Deux cheminées sont visibles sur la partie haute du corps de logis, signes de la présence de la cuisine, de la salle de séjour et de l’ancienne chambre seigneuriale. On voit au passage la différence de niveau de toiture à droite de la deuxième cheminée. Les « saignées » visibles sur la droite de la toiture principale pourraient être les traces de deux autres cheminées. La partie primitive du corps de logis est garnie d’une corniche redentée, couronnant un mur gouttereau. Les matériaux utilisés pour la bâtisse sont majoritairement la brique, pour les murs, et la pierre bleue, notamment autour des fenêtres. L’ensemble comprend trois niveaux superposés, dont deux seulement sont visibles. Deux étages sont planchéifiés. Les deux fenêtres au centre de la photographie sont surmontées d’une troisième ouverture, dans le même alignement : cette disposition rappelle les « tours » médiévales.
34
Nous remercions ici notre collègue JeanLouis Vanden Eynde, archéologue et archi-
tecte, pour l’analyse qu’il a bien voulu faire du document.
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Si les campagnes de fouilles successives n’ont pas encore permis de retrouver les fondations du corps de logis de la « cense », elles ont néanmoins levé un coin du voile sur le bâtiment annexe, de forme étroite et allongée, qui figure à gauche sur la photographie. Un pan de mur appartenant à cette annexe et s’appuyant sur le mur d’enceinte primitif a été dégagé en 1998 (fig. 8). Ce mur est orienté Nord-Est-Sud-Ouest35. Il présente un appareillage typique du début du XVIIe siècle, mais il n’est pas exclu qu’il soit plus ancien : pierres calcaires équarries, bien appareillées, liées au mortier comme celles du mur d’enceinte. Situé sur la plate-forme et contigu au corps de logis, le bâtiment en question ne pouvait être destiné à contenir le gros bétail. Sa situation dans la haute cour, à proximité immédiate 8. Pan de mur appartenant à l’annexe du corps de de la tour d’habitation, le destinait logis de la Ferme, dégagé en 1998. selon toute vraisemblance à accueillir ce que le seigneur avait de plus précieux, à savoir ses chevaux et probablement aussi son blé. Il pourrait donc s’agir des écuries et, ce qui n’est pas incompatible, du logement des domestiques ou des valets de ferme36. En contrebas, des couches du fossé contenaient un matériel céramique datable du XVe au XVIIe siècle. La construction d’une ligne de chemin de fer passant par Naast, le développement industriel du village et l’accroissement démographique qui s’ensuivit, ont signé la fin de la « Ferme du Donjon ». Les démolitions successives du site à partir des années 1890 et la modification d’envergure du plan cadastral ont produit un ensemble de documents riche d’informations. Tel est le cas, par exemple, du plan d’un projet d’amélioration
35
Ce mur a été fouillé jusqu’à une profondeur de 2,50 m sans que l’on ait pu atteindre le sol en place.
36 H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du Nord, p. 405.
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du chemin vers Écaussinnes et Mignault, dressé en 1908 à l’aide du plan cadastral antérieur aux corrections des dernières années du XIXe siècle37. Saisissante superposition des deux « visages » du site, l’ancien et le nouveau ! A front de rue, le fossé, asséché et comblé, sert d’assise aux nouvelles constructions, dont les façades, parfaitement alignées, dessinent une légère courbure. L’ancien corps de logis de la ferme est « coupé » en deux par la ligne du nouveau parcellaire. On se fait ainsi une idée plus précise de la situation des bâtiments et de l’emplacement de leurs fondations. La confrontation entre les documents d’archives, le cadastre et le « terrain » nous conduisent à la conclusion que la défunte « Ferme du Donjon » constituait bien le cœur de l’ancienne seigneurie principale du village de Naast. On se trouve ici en présence d’un site fossoyé et fortifié, soit « une zone occupée par des bâtiments et entourée (éventuellement en partie) par un large fossé »38. Le fossé avait une largeur moyenne de 10 mètres et une relative profondeur. Un seul bras à l’origine, un deuxième sans doute à la fin du moyen âge ou au début de l’époque moderne39. Le mur d’enceinte était de dimensions modestes. Il protégeait la haute cour assise sur une butte artificielle, une plateforme arasée, seul signe aujourd’hui visible au sol. Cette plate-forme supportait la demeure primitive des seigneurs de Naast depuis le XIIIe siècle au moins. Nous sommes en face du processus de l’emmaisonnement : une famille d’origine chevaleresque a constitué une seigneurie rentable et a fini par disposer de la « haute, moyenne et basse justice »40 ; ses représentants mâles ont pris le titre de « dominus » ; profitant du renouveau économique du XIIIe siècle, ils ont transformé leur première demeure en une maison fortifiée et plus « confortable ». Leur niveau de vie s’est considérablement élevé, mais curieusement, plutôt que de transformer leur maison en petit « château », ils ont choisi d’investir à Mons, capitale du comté, dans l’aménagement d’un bel « hôtel ».
37
Soignies, Archives communales, Naast : « Commune de Naast. Projet d’amélioration en pavage des chemins n° 1, 2 et 3. Extrait de l’atlas. Vu et approuvé par le conseil communal, en séance à Naast, le 25 avril 1908 ». Ce plan a été publié dans M. Maillard-Luypaert, Ombre et lumière, p. 91, fig. 4. 38 Définition donnée par Frans Verhaeghe, cité par J. Bourgeois, Les sites fossoyés médiévaux
à Comines-Warneton : I. Houthem, dans Mémoires de la Société d’histoire de Comines-Warneton et de la région, t. 26, 1996, p. 37. 39 H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du Nord, p. 195. 40 M. Bur, Le château, Turnhout, 1999, p. 94-95 (Typologie des sources du moyen âge occidental, 79) .
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Les lacunes de notre documentation pour les XIIIe-XIVe siècles nous privent d’informations sur les espaces habités et occupés. De l’épaisseur des murs des différents bâtiments, de la distribution et de la dimension des lieux de vie et de travail, de la répartition entre les lieux privés et les lieux publics, des moyens de circulation entre les uns et les autres, de l’ouverture sur l’extérieur, des commodités de l’existence pendant l’époque médiévale, nous ignorons encore tout, faute de nouvelles prospections sur le terrain. Dans l’état actuel de nos connaissances, et avec toute la prudence que requiert pareille conclusion, nous pensons pouvoir ranger la demeure naastoise dans la catégorie des « maisons fortes »41. Les principaux éléments constitutifs – recherche de sécurité et exigence de confort – s’y trouvent : situation à la périphérie du village, endroit humide alimenté par un ruisseau42, fossé relativement large et profond, mur d’enceinte « léger » mais capable de dissuader de petites bandes armées, habitat de taille réduite pour une famille « restreinte » 43, basse cour susceptible d’abriter la population locale, ensoleillement et lumière. Bref, une maison solidement fortifiée, où la pierre a trouvé droit de cité sans doute dès le XIVe siècle ; des abords constellés de bâtiments, de grasses terres d’exploitation, de verts pâturages. Un environnement doté d’arbres et d’eaux. Le centre d’une seigneurie comme il en existait de nombreuses dans nos régions, mais que le monde moderne a impitoyablement condamnée à disparaître. Vu du ciel, il en demeure fort heureusement quelque chose de palpable44…
41 A. Debord, Aristocratie et pouvoir. Le rôle du château dans la France médiévale, Paris, 2000, p. 165 (Espaces Médiévaux). 42 H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du Nord, p. 376. 43 H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du Nord, p. 147. Voir également, sur
les questions de terminologie, les considérations de L. F. Genicot, R. Spede et Ph. Weber, Les tours d’habitation seigneuriales, p. 19-21. 44 Je remercie vivement Monsieur Yannick Coutiez et Monsieur Laurent Honnoré pour leur précieuse collaboration.
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DIDIER DEHON Archéologue – Attaché au Ministère de la Région wallonne Binche,
où l’archéologie plante le décor d’un château médiéval , d’un palais R enaissance et de leurs jardins
Lorsqu’en 1120, Yolande de Gueldre, comtesse de Hainaut, donne à Binche accès au rang de ville neuve, il est clair que nous ne sommes pas en présence d’un territoire créé de toute pièce. Cette aire est déjà habitée. D’ailleurs, une mention relatant un état d’avant 1124, nous indique l’existence d’une église à Binche. Cette ville acquiert son indépendance religieuse, avant 1152, en devenant le siège d’un doyenné. Ce qui la conduit à être la localité la plus importante des alentours. Elle est donc, au XIIe siècle, un centre économique (avec son marché), administratif et religieux. L’intra-muros est un grenier à blé car l’entièreté de la production céréalière y est mise à l’abri. De là, découle une importante concentration de gens d’armes en ses murs qui place ainsi Binche en position prépondérante dans le système défensif du comté de Hainaut. Binche voit aussi siéger en ses murs l’un des premiers baillis du Hainaut. Si on revient à ce grenier si bien fourni, on constate qu’il permet très facilement de subvenir aux besoins d’une cour réunie à Binche, d’accueillir de hautes personnalités et d’organiser des fêtes. Baudouin V réside à certains moments à Binche, notamment pour les fêtes de Noël. Ce qui semble indiquer que cette résidence comtale est apte à accueillir la cour et ce dans un cadre prestigieux. Cette ville est aussi à ce moment au centre d’un nœud routier. On peut donc dire que Binche, tenue pour une petite ville, a constitué un nid de prospérité tout à fait remarquable dans l’histoire urbaine du Hainaut. C’est également au XIIe siècle, sous le comte Baudouin IV, que la cité se voit dotée d’une enceinte. Elle est déjà édifiée en pierres, complétée de levées de terre et d’ouvrages en bois. Ce premier état utilise - précocement pour le comté - la pierre. Elle utilise à ce moment exclusivement la roche locale, un grès schisteux, comme appareil. Le niveau fini de ce premier état est moins élevé. Il s’accompagnait d’éléments rapportés en bois, tels des hourds dont des trous d’ancrage de poutres supports ont été retrouvés. La partie primitive du rempart s’érige sur un 173
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éperon rocheux ceinturé par la rivière dénommée Samme et se compose des tronçons situés dans la partie sud de la ville. Cette petite enceinte se refermait au fond de la Grand-Place, par une porte dénommée NotreDame. Au XIVe siècle, la fortification est agrandie et s’étend vers le Nord. Cette grande enceinte remanie le vieux tracé. Elle s’érige toujours en moellons extraits de la roche locale mais en plus de grès de Bray et de calcaires. Son circuit s’enrichit des tronçons dits de « Saint Ursmer », de « Bon Secours » et de la « Pépinière ». La majeure partie de cette extension pose ses fondations non plus sur le socle rocheux mais sur des terrains instables voirs marécageux. Le développement de la grande enceinte se fait sur un peu plus de 2 km. Et ce qui est unique pour la Belgique, c’est qu’elle a conservé son aspect médiéval presque dans son intégralité. La muraille n’a perdu que ses portes qui étaient quasi toutes du type « tour-porte », c’est-à-dire que la porte était ménagée dans la tour. Il manque aussi cinq de ses tours et 300 m de tracé. Contrairement à la petite enceinte où les lignes de tir se cantonnent sur la partie haute du rempart, la grande enceinte est pourvue de deux niveaux défensifs. Il s’agit, d’une part, d’un crénelage, au niveau du chemin de ronde. D’autre part, au niveau inférieur pour la plupart de ses tours et certaines de ses courtines, on dispose d’archères. A la fin du XIVe siècle, les maîtres-maçons comtaux Thomas Ladart et Noël Camp d’Avaine apportent des modernisations à l’enceinte. Au XVe siècle, le système antérieur de tir défensif doit être complètement adapté pour résister à une nouvelle arme : l’arme à feu. On transforme des archères en archères-canonnières, on aménage des canonnières dans le rempart, on épaissit des murs devenus trop minces pour qu’ils puissent tenir le choc des armes à feu. À propos de l’évolution de la morphologie des tours, on voit que la petite enceinte semble dotée de « tourelles peu saillantes ». Ensuite au XIVe siècle, lors de l’agrandissement, on est en présence de tours plus rapprochées, semi-circulaires, pourvues déjà pour certaines de deux niveaux défensifs. Cela contrairement à ce que l’on pensait avant la fouille archéologique. Presque tout l’ensemble des 30 tours de l’enceinte de Binche est donc erronément rangé dans la catégorie des « tours pleines ». De plus, leur aspect défensif n’est pas limité à un seul niveau placé au sommet de la tour. Cette interprétation antérieure à cette campagne récente de fouilles archéologiques est à mettre en relation avec les nombreuses réfections modernes qui ont colmaté les percements du niveau défensif inférieur. 174
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À partir de la seconde moitié du XIVe siècle et au début du XVe, la conception des tours est différente. Elles sont plus importantes. On a de grosses tours fortement saillantes. Et leurs niveaux de tirs sont adaptés aux armes à feu. Au XVIe siècle, les progrès de l’artillerie mettent à mal, à plusieurs reprises, le tronçon du parc communal : l’éperon rocheux est peu impressionnant et l’autre versant bien proche. En témoignent de nombreux impacts de boulets de canons colmatés à l’aide de briques ou de pierres de remploi et même des vestiges de décor architectural. Les siècles suivants clôturent le rôle de place de guerre de Binche. Cette fortification fit l’objet d’un chantier archéologique mené par la Région Wallonne en préalable à la restauration des remparts de la Ville de Binche dans le cadre de l’Objectif 1. La fouille archéologique du rempart ceinturant la zone supposée des châteaux montra très vite que ceux-ci étaient partie intégrante du circuit de l’enceinte. On décida en conséquence et en complément de l’objectif premier, de fouiller la dite zone. Cette analyse complémentaire, nous a livré des vestiges d’une importance insoupçonnée des « châteaux » de la cité. Le premier est un lieu de séjour fort apprécié des comtes de Hainaut. Celui-ci dégagé par la fouille récente montre qu’il s’est suffi à lui-même sur le plan défensif, il existait antérieurement à l’extension des murailles. Cette architecture médiévale présente un plan rectangulaire et prend appui sur le versant de l’éperon rocheux. En saillie, s’ajoute à cette structure une tour polygonale dont l’extrémité voit ses fondations se placer au niveau d’un méandre de la rivière. Cet ensemble est creusé à même la roche et contre celle-ci, on a monté un parement en moellons de grès. Nous sommes en présence d’un ensemble composé d’une grande salle (aula), d’une chambre (camera) et d’une chapelle (capella). L’élément rectangulaire est divisé en deux parties principales inégales. La plus grande possède le niveau le plus bas avec deux caves superposées. La plus profonde était divisée en deux vaisseaux par un mur longitudinal avec passages latéraux et voûtés en pierre. Le niveau de cave supérieur voyait son sol poser sur les voûtes de la première. Au-dessus, nous avons un entresol qui était également couvert de deux voûtes longitudinales en pierre. Cet espace voit son mur de façade extérieure percé de fenêtres. Nous devons être ici en présence d’une grande salle probablement « moins officielle » car enterrée sur l’un des grands côtés. Elle a un accès direct avec la tour en saillie. La petite partie de ce rectangle n’a qu’un seul niveau. Elle communique avec la salle d’apparat « moins officielle ». Elle possède aussi le départ de l’escalier monumental qui descend jusqu’au niveau de cave le plus profond. La tour en saillie voit 175
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son extrémité en forme d’abside et possède au niveau le plus bas les restes d’une meurtrière. Cette avancée devait porter la chapelle castrale. La grande salle « moins officielle » devait être surmontée d’un deuxième niveau – une grande salle officielle émergeant du sol -, et la petite partie d’un second niveau également comportant probablement la chambre. Le tout devait être coiffé d’une terrasse sommitale militaire. On se rattache à la tradition des « tours maîtresses ou donjons rectangulaires » dont un des points de départ pourrait être le « grand bâtiment » de Doué-la-Fontaine, daté du Xe siècle et localisé dans la vallée de la Loire. L’exemple binchois se démarque de cette tradition et s’insère dans « un courant différent, extériorisant la chapelle comme tour hémicylindrique flanquant le rectangle de la tour maîtresse, formant une tour à abside». Le précurseur de ce courant différent serait la tour maîtresse normande d’Ivry-la-Bataille, datée du début du XIe siècle. Courant qui s’exprimera ensuite en Angleterre au XIe siècle, et en Ile-de-France à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle. Ces derniers exemples d’Ile-de-France pourraient avoir servi de modèle pour la « tour maîtresse » de Binche. Ils nous permettraient de dater la résidence de Binche du XIIe siècle. Autre élément abondant dans ce sens : la chapelle castrale, dédiée à saint Servais, n’est pas édifiée avant 1147-1150 car on inhume encore le fils aîné de Baudouin IV dans l’église paroissiale de Binche. Et la date de fondation de la chapelle castrale serait à situer vers 1170. Tout ceci conduit donc à dater la construction de cette « tour maîtresse » de Binche de la seconde moitié du XIIe siècle. On constate ainsi que cette « tour maîtresse » fort appréciée des comtes de Hainaut, appartient à la famille des ensembles prestigieux normands et anglo-normands des XIe et XIIe siècles, à grande salle, chambre et chapelle. Ces ensembles combinent ainsi défense, résidence, ostentation et symbolisme. À cette résidence comtale, on se doit d’ajouter une basse-cour avec ses composantes. Son état des XIVe et XVe siècles nous est connu et on y trouve divers bâtiments tels que des écuries, des étables, des granges (à céréales notamment), un moulin à cheval et un vivier qui s’étale aux pieds du rempart Saint-Georges entre le pont-digue, la Grosse tour et la tour Saint-Georges. Avec en plus un marché et une église paroissiale, nous avons un tout s’inscrivant dans l’entité du bourg castral. Pour Binche, cette église se nomme Moustier Sainte-Marie. On peut voir que dans plusieurs régions de France, l’église est souvent toute proche du château, mais elle n’est pas comprise dans le 176
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périmètre castral où parfois on trouve aussi une chapelle. L’église, dans ce cas, est antérieure au château. Ce qui s’illustre parfaitement dans l’exemple de Binche. Au XIVe siècle, lorsque les travaux d’extension de l’enceinte dite du « parc communal » ont été entrepris, ce château a été englobé dans ce « quadrilatère » formé par les nouvelles courtines. On voit donc que l’on a gagné des espaces nouveaux. Des bâtiments supplémentaires sont ainsi venus s’ajouter. Leurs fondations prennent place dans le fossé primitif. En même temps, on remonte considérablement le niveau de ce nouvel espace de plus ou moins 7 m. A côté de ces nouvelles constructions, nous avons une zone dégagée où devait se trouver un « jardin médiéval » dont nous parlent les textes. Et finalement au XVIe siècle, elle est incorporée dans le fameux palais Renaissance commandé à l’architecte Jacques Du Brœucq par Marie de Hongrie, sœur de Charles Quint et régente des Pays-Bas. Cet architecte, à l’opposé de ce que l’on pensait, n’a pas fait table rase du château primitif mais au contraire s’en est servi comme appui pour sa construction. Pratiquement tous les éléments médiévaux découverts servaient donc de « caves » au palais Renaissance dont nous n’avons plus en élévation que de maigres traces comme les cuisines par exemple. On peut localiser, parfois de manière assez précise sur le plan terrier, les principales pièces de cet édifice. Cette restitution est réalisable grâce aux nombreuses données livrées par l’étude des comptes du XVIe siècle et notamment des mesures en pied du Hainaut pour les différents éléments composant ce palais Renaissance. Les mesures fournies collent bien avec la réalité du terrain. Voyons ces éléments : - La grande tour dite montée à cheval permettait d’accéder aux étages du palais. Contrairement à la représentation fournie par les albums de Croÿ, celle-ci n’est pas de forme ronde mais carrée, comme l’indiquent d’ailleurs les comptes. Ses côtés sont d’environ 13,3 m, l’épaisseur de ses murs de 2,9 m. Sa hauteur devait culminer à 16,2 m. Elle renfermait une cage d’escalier dont les fondations ont été retrouvées. - La cour à galeries ou grande cour Dans la cour fut installée la lice lors des « Triomphes de Binche », en 1549. On a trouvé les fondations d’un portique courant le long des 177
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quatre côtés de la cour et distribuant les ailes du palais. Les comptes font mention de 13 arcades pour le portique sud devant le riche logis. Audessus de celui-ci, au premier étage, se trouvait une galerie fermée. - La salette se localisait à l’arrière de la grande salle, s’étendant sur toute la largeur de cette dernière comme l’indiquent les descriptions des fêtes de 1549. Celle du rez-de-chaussée servait, en 1549, au prince Philippe, celle du premier à Charles Quint et celle du deuxième étage à Marie de Hongrie. - La chapelle reprend le plan de la chapelle castrale du XIIe siècle. On remonte les niveaux de sols à l’aide de remblais constitués de terres incorporant les restes des anciens revêtements de sols médiévaux. Sa hauteur correspondait à deux niveaux du palais. Des éléments de son chœur ont été réutilisés dans l’église du Très Saint-Sacrement à Binche. - La grande salle reprend le plan de la résidence médiévale du point de vue de l’aula et de la cuisine qui la jouxtait. La salle basse est ainsi positionnée au rez-de-chaussée par rapport au côté de la cour à galeries et en entresol par rapport au jardin sis sur l’ancien emplacement de celui de l’époque médiévale. Une deuxième salle se trouvait au premier étage ; elle montait jusqu’au comble. - A l’étage du corps de logis conservé du XVe siècle, se trouvaient les appartements de Marguerite d’York (habités par Eléonore de France en 1549) ainsi qu’une cuisine au rez-de-chaussée. - Une première basse cour se situe devant les cuisines. - Une seconde basse cour se place à côté de l’extension des cuisines et à l’arrière de la cour à galeries. - Le jardin nouveau est un jardin à parterres. Lors des aménagements de ce palais, afin d’installer ce nouveau jardin, on démonte une portion de l’enceinte médiévale en connexion avec la porte du Posty. Et avec ces matériaux récupérés, on remonte plus en avant une nouvelle muraille permettant ainsi de pouvoir aligner parfaitement ce nouveau jardin Renaissance par rapport au plan d’ensemble du palais. - Le jardin sis à l’emplacement de celui de l’époque médiévale devait disposer, en son centre, d’un bassin en marbre de Rance dont des vestiges de l’alimentation en eau ont été mis au jour. 178
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On remarque que c’est sur des restes médiévaux remarquables que Jacques Du Broeucq développe ce palais renommé de Binche mais dont l’existence fut des plus éphémères. En effet, une série d’évènements conduisirent très vite à sa disparition. Le premier se déroule en 1554 lorsque Henri II et son armée envahissent le Hainaut et assiègent notamment la fortification binchoise. Cela n’endommagera que faiblement le palais. Le second événement est plus tragique car il donne le coup de grâce au palais qui ne s’en relèvera pas : c’est le siège des troupes françaises menées en 1578 par le Duc d’Alençon. Et ceci est confirmé par l’étude du matériel archéologique découvert. Finalement au XVIIIe siècle, la Ville décida de transformer les ruines des châteaux en carrière de pierres. Après cette dernière « utilisation » des édifices, il resta quelques lambeaux d’élévation qui furent nivelés et les dépressions comblées avec les déchets de l’exploitation de la carrière pour aboutir au XIXe siècle à un parc arboré. Conclusion Au XIIe siècle, le comté de Hainaut voit en la petite cité de Binche un centre économique, administratif, religieux et stratégique important. Ce qui conduit les comtes de Hainaut à la protéger d’une enceinte. Enceinte qui s’agrandit au XIVe siècle, s’adapte ensuite à l’évolution de la poliorcétique et finalement perd son rôle de place de guerre au XVIIe siècle. Cette fortification au tracé conservé de manière unique pour la Belgique est remise à l’honneur suite à des campagnes de fouilles archéologiques et une restauration d’envergure. Plusieurs événements importants, après le rôle actif, qui va du XIIe au XVIIe siècle, de la fortification binchoise, assurent la pérennité du caractère médiéval de celle-ci. Le premier survient au début du XVIIIe siècle. Un projet de bastionnement de la muraille est abandonné. Il aurait fortement altéré son aspect médiéval. Le second relève du XIXe siècle. Les autorités communales autorisent des particuliers à enclaver la majeure partie des remparts et, ayant besoin de pavés de voirie, se bornent à n’arracher que le parement du rempart de la « Pépinière ». Enfin, le troisième se déroule à la fin du XXe siècle. On engage à Binche une vaste campagne de restauration de l’enceinte avec le concours de la Communauté Européenne et de la Région Wallonne, dans le cadre du programme Objectif 1. Cette restauration, à la différence des précédentes, s’appuie sur des critères scientifiques fournis par une fouille archéologique d’envergure, menée en préalable aux travaux. 179
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Ces fouilles archéologiques d’envergure ont produit des découvertes importantes, mais surtout elles ont modifié très fortement le projet de restauration établi par l’architecte. Fait qui se reproduisit sur la majorité des tronçons de remparts. Etant donné la rapidité de l’établissement du projet initial par l’architecte afin de ne pas rater l’opportunité de l’Objectif 1, il était clair pour celui-ci qu’une évolution de son projet était obligatoire. Mais de manière aussi radicale, il ne l’avait pas imaginé. Il dut dès lors faire preuve d’une grande souplesse car pour la première fois ce sont les découvertes archéologiques qui ont conditionné le déroulement du chantier de restauration. Le planning du projet initial fut donc très vite abandonné afin de pouvoir répondre aux exigences archéologiques et aux délais de la restauration. La décision de laisser visible le résultat des fouilles, de les mettre en valeur, fut prise conjointement par toutes les parties en fonction de leur intérêt didactique, de leur lisibilité, des possibilités de leur mise en valeur et enfin de l’impact financier. Préalablement à cette discussion avait toujours lieu une rencontre entre l’archéologue et l’historienne d’art du chantier afin de bien cerner leur attente, leurs exigences et de déterminer une position commune. Même si parfois cette position fut prise dans l’urgence suite à la petitesse du délai existant entre la fin d’un tronçon fouillé et le début de sa restauration due à la date butoir de l’Objectif 1. Cette collaboration permit d’indiquer à l’auteur de projet et à l’entreprise chargée de la restauration, les directions à suivre pour une restauration en symbiose avec l’histoire de la fortification. La philosophie ici prônée dans le respect de la charte de Venise, ne nous met plus en présence d’une restauration à la Viollet-le-Duc. Nous sommes donc bien loin d’une vision romantique du Moyen Âge, projetée dans la réalité. Dés lors, il est évident que la restauration s’arrête là où il n’y a plus d’éléments archéologiques valables. Donc, cette étude archéologique préalable à la restauration nous a permis d’appréhender l’histoire de l’utilisation active de cette fortification ainsi que l’évolution des techniques de construction et de défense. Nous sommes en présence d’un patrimoine à l’état de conservation sans parallèle en Wallonie. Bibliographie Billen C., Binche et sa campagne : des relations économiques exemplaires (XIIe-XIIIe siècle),dans Villes et campagnes au Moyen Âge, Mélanges Georges Despy, Liège, 1991, p. 87-109. 180
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Debord A., L’église, le château et l’organisation de l’espace dans l’ouest de la France, Xe-XIVe siècles, dans L’église et le château, Xe-XVIIIe siècle, 1988, p. 26-44. Decaëns J., Les origines du donjon rectangulaire, dans L’architecture normande au Moyen Âge : actes du colloque de Cerisy-la-Salle (28 septembre-2 octobre 1994), Presses universitaires de Caen, Caen, 1997, p. 181-95. Dehon D., Binche : vue d’ensemble sur la fouille de sa fortification et de ses châteaux, Sixième congrès de l’Association des cercles francophones d’histoire et d’archéologie de Belgique. LIIIe congrès de la Fédération des cercles d’archéologie et d’histoire de Belgique. Congrès de Mons (24-27 août 2000), Mons, 2002, t. II, p. 123-29. Dehon D., Binche, sa fortification et ses châteaux, dans Les Cahiers de l’Urbanisme, 44, Liège, 2003, p. 36-46. Dehon D., Binche et ses châteaux, dans Château Gaillard XXI, Maynooth (2002), Publications du CRAHM, Caen, 2004, p. 37-43. Dehon D., Fouilles archéologiques du palais de Binche, dans Jacques Du Broeucq de Mons (1505-1584), Maître artiste de l’Empereur Charles Quint, 2005, p.87-93. Glotz S., Les origines de la ville de Binche, dans Mémoires et publications de la Société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut, 75, 1961, p. 2-51. Lejeune Th., Histoire de la Ville de Binche, Bruxelles, 1887. Mesqui J., La tour maîtresse du donjon de Loches, dans Deux donjons construits autour de l’an mil en Touraine. Langeais et Loches, Société française d’archéologie, Paris, 1998, p. 65-126. Pitte D., Le château d’Ivry (Eure), dans La Normandie vers l’an Mil : études et documents, Société de l’histoire de Normandie, Rouen, 2000, p. 77-83. Renn D., Norman Castles in Britain, Londres, 1968. de Waha M., Fortifications et sites fossoyés dans le nord du comté de Hainaut. Aspects archéologiques, historiques et monumentaux, thèse, Université Libre de Bruxelles, 1983, 5 vol., CV-. 2202 p. de Waha M., Jurion F., Du « bourg » à la ville : les premières enceintes du Hainaut, dans Autour de la ville en Hainaut : mélanges d’archéologie et d’histoire urbaines offerts à Jean Dugnoille et à René Sansen à l’occasion du 75e anniversaire du Cercle royal d’histoire et d’archéologie d’Ath. Etudes et documents du Cercle royal d’histoire et d’archéologie d’Ath, 1986, 7 , p. 89-160.
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1. Montage de photographies aériennes de l’enceinte avec en superposition son plan et celui des châteaux. 182
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2. Plan de la petite enceinte et de la résidence comtale primitive.
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3. Vue aérienne de la résidence comtale primitive incorporée dans la nouvelle muraille du XIVe siècle et le palais Renaissance de Marie de Hongrie.
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4. Vue aérienne des éléments du palais dégagés après la fouille archéologique, la restauration du rempart et l’évocation du jardin « nouveau » de style Renaissance.
5. Vue aériene des cuisines et de la chapelle du palais, dégagées suite à la fouille archéologique. 185
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BINCHE / PARC COMMUNAL Palais XVIe siècle.
6. Plan des structures découvertes en fouilles, avec indication des espaces du palais.
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BINCHE / PARC COMMUNAL Plan d’ensemble du rempart, du château et du palais.
7. Plan des structures découvertes en fouilles, avec indications chronologiques.
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1. Dessin à la plume de Jean-Michel Cels, 1844. Musée royal de Mariemont, Inv. X. 4293. Cette œuvre est inspirée d’une toile de Denys Van Alsloot, l’un des peintres attitrés des Archiducs, réalisée en 1620. La tour centrale a été érigée du temps de Marie de Hongrie. Les jardins à damiers de style Renaissance s’étalent en contrebas. Ils remontent à la même époque. Comme autres témoignages contemporains, on distingue à gauche la longue drève menant à la chaussée Brunehaut et la ferme de La Malaise. A droite se trouvent les viviers.
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YVES QUAIRIAUX Musée royal de Mariemont M ariemont à l’époque de M arie de Hongrie (1545-1554) : l’environnement paysager d’un domaine princier de campagne
Comme on le sait, Marie de Hongrie, gouvernante générale des Pays-Bas, est à l’origine du domaine royal de Mariemont en Hainaut qui se perpétue aujourd’hui sous la forme des musée et parc du même nom. Souhaitant récompenser sa sœur pour l’excellence de son administration, l’empereur Charles Quint lui cède le bénéfice viager de la terre et prévôté de Binche par lettres d’avril 1545. C’est dans cette ville qui deviendra l’une de ses résidences ordinaires qu’elle se fait construire un palais sur des plans de l’architecte et sculpteur montois Jacques Du Brœucq. Cet édifice, fameux dans l’histoire de l’architecture, a fait l’objet de nombreuses études, dont la plus récente signée par Didier Dehon figure dans le présent recueil. Dès 1546, Marie de Hongrie décide de se faire aménager un domaine propice à l’exercice de la chasse. Le choix de Morlanwelz se justifie pour diverses raisons. Ce terroir, dont elle est partiellement la propriétaire, est riche en bois giboyeux et cours d’eau, dont la Haine et divers affluents. Le lieu est idéalement situé par rapport à Binche, à peine distant de 10 kilomètres, et facilement accessible grâce à l’ancienne chaussée romaine de Bavay à Cologne, souvent dénommée « chaussée Brunehault » ou « haute chaussée ». Marie de Hongrie confie à J. Du Brœucq le soin d’y ériger un pavillon de chasse. Celui-ci sera construit à mi-pente d’un coteau dominant la vallée de la Haine, entouré de bois au nord vers le village de La Hestre, à l’est vers l’abbaye cistercienne de l’Olive1 et au sud-est vers Morlanwelz. Cette situation éminente explique le terme de Mariemont pour désigner ce domaine de campagne. La localisation du château lui permettait d’être protégé de la bise soufflant du nord tout en assurant à ses hôtes une vue étendue sur la plaine s’étendant en contrebas2. Cet avantage est bien illustré par les tableaux de Jean Breughel de Velours et Denis Van
1
Il était une fois, il y a 750 ans….Une abbaye : l’Olive, s.l. [Morlanwelz], 1984. 2 Voir la description du domaine de Mariemont en 1615 par Philippe de Hurges, magistrat tournaisien, relatant le voyage qu’il fit pour se ren-
dre à Liège et Maastricht. Extrait publié dans Description de la ville de Mons et de ses environs en 1615, dans Annales du Cercle archéologique de Mons, 11, 1873, p. 256.
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Alsloot 3 qui représentent le domaine. Krista De Jonge et son équipe ont mené une enquête de longue haleine qui a permis une restitution complète de l’architecture et de l’aménagement intérieur. Nous n’y revenons pas, mais soulignons cependant que le pavillon de Mariemont, de proportion modeste, certes, n’était pas la tour rustique d’inspiration médiévale souvent décrite. L’imprégnation Renaissance ne fait aucun doute et l’influence de Chambord, dont J. Du Brœucq a peut-être connu les plans, se marquait nettement dans l’aménagement d’une terrasse ponctuée de cheminées4. Il faut aussi insister sur le caractère novateur des jardins de Mariemont où « pour la première fois dans les Pays-Bas méridionaux, on peut parler d’une architecture de jardins »5. Concrètement le château se présentait comme un logis d’un volume de forme presque cubique, d’environ 19 mètres sur 17 mètres de côté et d’une hauteur de 14 mètres, couronné d’un toit-terrasse remplacé par Du Brœucq en 1567 par un double toit en bâtière. Le tout était agrémenté d’une tourelle où se déroulait un escalier en colimaçon. L’édifice s’élevait au centre d’un bassin de 33 mètres sur 35 mètres de côtés. L’aménagement de ce plan d’eau fut un véritable exploit technique si l’on considère l’implantation du bâtiment à mi-pente d’un coteau. Sur le plan chronologique, les travaux commencèrent le 2 mai 1546, mais ce ne fut qu’en février 1547 que les fondations proprement dites furent ouvertes. Si les comptes de la construction sont assez bien fournis et autorisent une étude détaillée de l’entreprise, travail réalisé de manière scrupuleuse par Robert Wellens6, l’iconographie d’époque est extrêmement lacunaire et ne permet pas de se faire une idée précise de l’environnement : jardins, vignobles, viviers, fermes, allées bordées d’arbres,… Pour le XVIe siècle, on ne dispose que d’une seule représentation. Il
3 Sur l’abondante iconographie de Mariemont dans l’œuvre de Jean Breughel l’ancien dit de Velours, voir K. Ertz, Jan Breughel der ältere (1601-1678). Die Gemälde mit kritischem Œuvre katalog, Cologne, 1979, p. 157-163. Sur son fils et son évocation de Mariemont, K. Ertz, Jan Breughel the younger (1601-1678). The painting with œuvre catalogue, vol. 1, Freren, 1984, p. 262 et Y. Quairiaux, « Noli me tangere » de Jan Breughel dit le Jeune et Hendrik Van Baelen, dans Cahiers de Mariemont, 31, 2003, p. 158-161. Sur le tableau de Denis Van Alsloot représentant Mariemont, le château, les jardins et le paysage environnant en 1620, on consultera les nombreuses publications de K. De Jonge sur le sujet.
4 J. Guillaume, Chambord, Extrait du Dossier technique n° 2 de Monuments historiques, 1983, n.p. L’exemple de Fontainebleau a aussi influencé l’architecte montois, voir K. De Jonge, Les jardins de Jacques Du Brœucq et de Jacques Hollebecque à Binche, Mariemont et Boussu, dans Felipe II. El rey intimo. Jardìn y naturaleza en el siglo XVI, Aranjuez, 1998, p. 206. 5 K. De Jonge, L’environnement des châteaux dans les Pays-Bas méridionaux au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, dans Architecture, jardin, paysage. L’environnement du château et de la villa aux XVe et XVIe siècle, Paris, 1999, p. 192. 6 R. Wellens, Le domaine de Mariemont au XVIe siècle (1546-1598), dans Annales du cercle archéologique de Mons, 64, 1960, p. 79-184.
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s’agit d’un extrait d’un plan figuratif, provenant des anciennes archives judiciaires du Hainaut, relatif à un procès concernant des arbres abattus dans la seigneurie d’Epinois7. Il montre dans le coin supérieur gauche le profil, assez sommaire, mais exact dans ses grandes lignes, du château de Mariemont. Il faut aussi signaler une gouache d’un des albums de Croÿ achevé en 16018. Elle représente le castel tel qu’il était avant les transformations entreprises par les archiducs Albert et Isabelle. Cette représentation est décevante : les proportions du bâti sont fausses et le bassin enserrant le château apparaît comme circulaire alors que son plan est quadrangulaire. La vue du village de Morlanwelz reproduite dans le même album ne vaut guère mieux 9. Comme dans la précédente on n’y voit apparaître aucune trace des jardins, pourtant bien présents à l’époque. Quant aux vestiges matériels du premier château, ils se réduisent à peu de choses, essentiellement des pierres de récupération retrouvées dans les ruines du corps central et de l’aile des écuries de la nouvelle résidence de Charles de Lorraine édifiée au même emplacement à partir de 175410. Pour décrire le domaine, il faut s’appuyer à la fois sur les comptes déjà analysés, mais également sur l’iconographie ultérieure, assez abondante. Si les représentations du XVIIe siècle furent régulièrement sollicitées pour éclairer les renseignements extraits des archives comptables du XVIe siècle, les ressources archivistiques et cartographiques du XVIIIe siècle ainsi que les investigations sur le terrain ne firent pas l’objet de la même attention. Elles permettent cependant d’élucider plusieurs toponymes cités dans les comptes du XVIe siècle et demeurés obscurs. Plus important surtout, l’examen de ces sources contribue à replacer la gestion cynégétique et forestière du domaine dans la durée (XVIe-XVIIIe siècle) et d’expliquer les mutations d’un paysage. La constitution du domaine Marie de Hongrie possédait en propre 400 hectares, essentiellement boisés, qui constituent le cœur de son domaine de chasse. Elle l’agrandira en acquérant plus de 81 hectares de champs et prairies ap-
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Archives de l’État à Mons, Cartes et plans, n° 23. 8 Albums de Croÿ, t. X, Comté de Hainaut VII, 1991, pl. 28. 9 Ibid., pl. 26. 10 Voir à titre d’exemple deux pierres portant la marque d’Antoine Hanicq. Ce maître de
carrière de Feluy-Arquennes, décédé en 1580, se vit conf ier d’importantes commandes comme celle de la fourniture de pierres bleues pour la construction de l’hôtel de ville d’Anvers. Voir Y. Quairiaux, Mariemont et le commerce de la pierre au XVIIIe siècle, dans Cahiers de Mariemont, 18-19, 1987-1988 [1991], p. 6-19.
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partenant à 33 propriétaires différents, annexant aussi 18 maisons abritant 16 familles. Les premiers achats remontent au 3 juillet 1546 et se clôturent le 14 septembre 1549 par l’acquisition d’une maison et de ses dépendances d’une superficie de 70 ares 14 centiares. Ces acquisitions se déroulent essentiellement au cours de l’année 1546. Elles visent d’abord à permettre l’aménagement de jardins et de pâturages à proximité du nouveau château. Ces terrains se trouvaient à l’emplacement d’un lieudit dénommé « Les Agaises »11 où sont expropriés des maisons, jardins, prés et chemins12. Au temps de Marie, la superficie du domaine atteint 483 hectares. Elle passe à 548 hectares sous les Archiducs pour doubler à l’époque de Charles de Lorraine. La plus importante des acquisitions est celle de la ferme de La Malaise, située au sud-ouest du château, appartenant à un ancien mayeur de Morlanwelz, Jehan Le Foulon13. Elle était limitée d’un côté par la Haine qui reçoit, venant des hauteurs du nord, le « rieu Esclavon » et le « ry de l’Olive » alimentant les douves entourant les bâtiments et le grand potager. Une drève, allée bordée d’arbres, joint la ferme à la place de Morlanwelz. La Malaise servira de résidence au surintendant du domaine royal14. C’est aussi l’un des éléments majeurs du vaste complexe agricole de Mariemont complété par des métairies périphériques et la « nouvelle cense de Mariemont », qui devait remplacer au même endroit l’ancienne ferme des Agaises située entre La Malaise et le château. Cette construction fut décidée sur les conseils de Jacques Du Brœucq lors d’un entretien avec la gouvernante le 18 mai 155015. Cet ensemble d’une grande ampleur n’était pas encore terminé lorsque les troupes françaises d’Henri II saccagèrent le do-
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En prévision des plantations on livre du fumier en abondance « pour les jardins aux agaises ». Bruxelles, Archives générales du Royaume, Chambres des Comptes (cité AGR, CC), n° 27304. 12 Cette expropriation provoquera l’arrêt de l’extraction charbonnière sur le site des Agaises. Elle avait commencé, à tout le moins, en 1375. Voir AGR, CC, n° 8768 et n° 8899. Signalons aussi qu’une ordonnance prise par Charles Quint le 7 décembre 1553 interdit toute extraction « afin que les allées et conduits des mines quÿ se font pardessoulz terres pour trouver les vaines de carbonnaige ne soient cause de la ruyne et degast d’une partie des bois et des chemins ». 13 Cette propriété s’étendait sur une superficie de 7 hectares 1 are 47 centiares au prix de 190
livres payables à 2 termes. AGR, CC, n° 27303 et n° 27304. 14 Elle le restera jusqu’en 1762, lorsque Pierre Gamond, surintendant du domaine royal de Mariemont et capitaine du château et parc de Tervueren, déménage pour s’installer dans la belle demeure du directeur de la station thermale de Mariemont décédé le 31 janvier 1762. Cette station avait été créée par l’archiduchesse Marie-Élisabeth d’Autriche, gouvernante générale des Pays-Bas. 15 Il est intéressant de constater qu’en 1556 J. Du Brœucq fera l’acquisition d’une propriété proche située au bord de la Haine. Voir Ed. Roland, Coup d’œil sur Morlanwelz au milieu du XVIe siècle, dans Bulletin de la Société royale paléontologique et archéologique de l’arrondissement judiciaire de Charleroi, 1948-1949, p. 133.
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maine16. Contrairement à La Malaise qui fut relativement épargnée17, la nouvelle cense ne survécut pas à cette furie destructrice18. L’élevage de bétail et les cultures potagères et fruitières sont d’importance et destinés en priorité au ravitaillement de la table princière à Mariemont comme à Binche19. R. Wellens utilise l’expression de « complexe fermier » pour désigner le domaine de campagne de Mariemont. C’est certes l’une de ses fonctions essentielles. Le bétail y était abondant au point que sa divagation vers les propriétés riveraines entraînait des réclamations dont les archives du domaine de Binche conservent les traces. A contrario, les employés du domaine se plaignent de l’attitude des habitants de Morlanwelz qui font paître leurs animaux dans les propriétés royales. Les tableaux de D. Van Alsloot et de Breughel de Velours nous montrent des troupeaux de bovidés paissant dans les vastes prairies aménagées sur les coteaux et sur les rives de la Haine ainsi que des abris en bois. Il ne devait pas en être autrement à l’époque de Marie de Hongrie. Les veaux, vaches et taureaux étaient achetés aux foires de Wavre et à Binche20. On trouve aussi une bergerie à Mariemont21 et un parc réservé aux chèvres. Le tout était confié aux bons soins de deux bergers gagés. On sait qu’en 1547, le troupeau de moutons et brebis se montait à 198 têtes22. Quant aux porcs et truies, ils étaient achetés à Plancenoit, en Brabant, et à Morlanwelz. Les poulaillers sont également bien fournis avec leurs paons, poules, coqs, dindes et dindons généralement achetés en Flandre. L’ancien donjon du vieux château seigneurial
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Certains éléments étaient cependant terminés, ce que l’on appelle dans les comptes la première partie de la cense, comme la brasserie et la bouteillerie qui fonctionnaient. On peut considérer que le vaste quadrilatère des communs construit entre 1606 et 1608 sur des plans de Coberger, et utilisés jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, remplissaient les fonctions assignées à la nouvelle cense : logement des serviteurs, brasserie, grange, écuries, étables, chenils, celliers, etc. 17 B. Federinov, La campagne du roi de France Henri II dans le comté de Hainaut en 1554, Mons, 2006, p. 231. 18 On ne retrouve aucune indication dans les comptes d’une éventuelle restauration. De même la comptabilité du domaine à l’époque des Archiducs ne fait pas mention d’une ferme située aux Agaises. Elle est également absente de l’iconographie et de la cartographie du XVIIe siècle. Voir R. Wellens, op. cit., p. 125.
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Nous n’avons pu vérifier si, comme à l’époque des Archiducs, Mariemont fournit une partie de l’approvisionnement des cuisines du palais de Bruxelles. Du temps d’Albert et Isabelle, lorsque ceux-ci résident à Bruxelles, un « manœuvrier » y est envoyé chaque semaine pour apporter des flacons d’eau de la fontaine Saint-Pierre, ainsi que des fruits et légumes, du gibier et du poisson. Sur l’histoire du domaine à l’époque des Archiducs, voir J. De Meester, Le domaine de Mariemont sous Albert et Isabelle (1598-1621), dans Annales du cercle archéologique de Mons, 71, 1983, p. 181-282. 20 AGR, CC, n° 27303-27304. 21 Probablement installée dans le complexe de la nouvelle cense en construction. Par la suite, elle sera transportée à La Malaise. 22 On en fait venir de Bruxelles dès 1546. AGR, CC, n° 27304.
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de Morlanwelz abrite un colombier23. Un autre est prévu dans la nouvelle cense. Comme tout domaine de campagne, Mariemont possède ses vergers, potagers et même ses vignobles. Cette tradition se poursuivra tout au long de l’Ancien Régime. Les potagers se trouvent répartis en divers lieux. Selon R. Wellens, les légumes ne déparent pas le grand jardin où ils côtoient les parterres de fleurs rares. Un grand potager, toujours bien visible sur le tableau de Van Alsloot, se trouve à La Malaise. D’autres cultures maraîchères ont sans doute été installées au lieu-dit Les Agaises. Les légumes qui y poussent n’offrent rien de remarquable dans nos régions : légumes à porée (poireaux, cresson, épinards, blettes, salade, …), oignons, ails, navets, choux, radis, concombres, fèves, pois,… Ainsi qu’une grande variété de plantes condimentaires : thym, basilic, romarin, céleri (à l’époque rangé dans cette catégorie), …24. Sans oublier les plantes médicinales. Si le XVIe siècle voit l’essor de légumes nouveaux, c’est surtout au XVIIe siècle que leur vogue se développera. A cet égard, la différence entre la composition des potagers de Marie de Hongrie et des Archiducs est flagrante. Dans ces derniers se rencontrent des légumes tels que l’asperge et l’artichaut dont la mode avait été lancée à la cour de France par Catherine de Médicis et qui sont absents des comptes de la maison de Marie de Hongrie. Les vergers occupent probablement le même emplacement qu’à l’époque des Archiducs et sont disposés en contrebas du jardin d’apparat, bien exposés au sud, de part et d’autre de l’allée menant à la « haute chaussée » et à La Malaise. D’autres arbrisseaux sont aussi plantés en haies le long des parterres du jardin. D’après les comptes, on peut identifier parmi les espèces fruitières plusieurs centaines de pommiers, poiriers et châtaigniers, ainsi que des noyers, des abricotiers, des cerisiers, des cognassiers, des néfliers, des figuiers, des « pommiers paradis », des poiriers bergamote, des mûriers, des pruniers, des pêchers, des framboisiers, des groseilliers25. Les plants sont d’origines diverses et viennent de la région, mais aussi d’Alost, d’Overijse, de Malines26, de Liedekerke, de Bruxelles, de Bruges, d’Ath, de Masnuy-Saint-Pierre, de Chièvres, de Baileux, de
23 On y installe dès 1548 des couples de pigeons provenant de Mons, Nivelles, Saint-Vaast, Thieu, Trivières et Morlanwelz. 24 D’après les comptes, voir AGR, CC, n° 27303-27310. 25 Généralement ces espèces ne sont pas précisées lorsque les plants, une majorité semblet-il, proviennent des propriétés royales du
domaine de Binche. C’est le cas en novembre 1546-janvier 1547, où l’on déplante haies et arbrisseaux pour les replanter à Mariemont. AGR, CC, n° 27304. 26 Nous lisons dans les comptes de 1547 que deux hommes de Malines ont été payés pour avoir « planté des arbres au jardin ». AGR, CC, n° 27304.
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Louvain, de Turnhout, de Mons, de Naast, de Louvignies, de Valenciennes, de Braine-le-Château, de Hal et de Lembecq. Le plus grand nombre de plantations se déroulent en 1546-1547. A l’époque d’Albert et Isabelle, elles reprendront en grand et commencent dès 1598 avec 300 arbres fruitiers commandés à Liège et débarqués à Labuissière sur la Sambre. On s’approvisionne aussi en arbres provenant de Paris et conduits à Mariemont via Valenciennes et Binche27. D’Havré viennent, « pour faire haies aux jardins », 250 pommiers, 150 poiriers, 100 cerisiers, 36 abricotiers, 2 amandiers, 4500 « coings » [cognassiers ?], 1400 petits pommiers de paradis, 1600 petits cerisiers, 120 pruniers ainsi que 1500 néfliers enlevés des bois de Baudour28. À l’époque de Marie de Hongrie, on compte aussi trois vignobles, un à La Malaise, un autre vers l’Olive et un troisième vers les fossés du jardin. Le premier vignoble est labouré en janvier 1547 et planté l’année même29. Seul le vignoble situé près de La Malaise subsistera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime30. Les plants de vigne sont livrés par Simon Ducarme, de Valenciennes. Mais nous en ignorons les terroirs d’origine31. Physionomie générale des jardins L’aménagement du domaine de Mariemont répond à différents critères : esthétique, cynégétique et forestier. Une attention particulière est réservée aux jardins qui jouxtent le pavillon de chasse. Leur composition s’apparente à celle de la Warande à Bruxelles avec ses parterres de fleurs, « feuillée » ou labyrinthe, potager, verger, vignoble 32 . Mais contrairement à la Warande, tous ces éléments furent ordonnés et mis en relation avec le logis grâce aux grands axes constitués par les drèves qui parcourent le domaine. À proximité de la maison de plaisance s’étalaient le « jardin à jolietez », jardin clos d’intimité, et le « grand jardin » ou jardin d’apparat 33. Le « jardin à jolietez » se trouvait à l’ouest en contrebas à droite de l’axe d’entrée. Il était enclos de murs et d’une haie
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Une partie de ces arbres sont destinés à Binche. AGR, CC, n° 8957. 28 AGR, CC, n° 8957. 29 AGR, CC, n° 27304. 30 À l’époque de Charles de Lorraine, il s’étend sur une superficie d’un hectare et est emmuraillé.
31 Sauf pour une livraison de vignes provenant d’Ay, haut lieu du vignoble champenois. AGR, CC, n° 27303. 32 K. De Jonge, L’environnement…, op. cit., p. 189-191. 33 Sur l’ordonnance de ces jardins et leur composition florale, voir K. De Jonge, Les jardins de Jacques Du Brœucq …, op. cit., p. 198-206.
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d’aubépine et garni à l’intérieur de parterres à fleurs et fruits rares34 dessinés avec des romarins. Le jardin d’apparat se présentait sous la forme d’une succession de terrasses pavées de briques probablement disposées autour d’un escalier monumental et de deux « voyes » perpendiculaires l’une à l’autre et se croisant au centre, où se trouvait une fontaine monumentale en pierres d’Écaussines sculptées par J. Du Brœucq. Les parterres en damiers étaient plantés en haies vives, comme le long de certaines drèves, faites de figuiers, lauriers et probablement de cornouillers et genêts d’Espagne. Si le rôle majeur, dans la conception de ces jardins, revient à J. Du Brœucq, il put compter pour leur réalisation sur une équipe où l’on trouvait des Français et un Italien, sans doute acquis aux idées nouvelles. À leur tête, Jacques Hollebecque qui officiera plus tard à Aranjuez au service de Philippe II35. Cette collaboration explique la réussite et le caractère novateur des jardins de Mariemont intégrant de manière harmonieuse le bâti et son environnement paysager : ce sont les axes de l’architecture du château qui déterminent ceux des jardins. Les travaux furent menés avec une remarquable célérité et il fallut recruter des renforts d’ouvriers jardiniers « étant des Flandres dalentour d’Alost »36. Fontaines et viviers Le modernisme de Mariemont se marque aussi par son réseau hydraulique. L’exploitation rationnelle de la configuration du terrain et de ses ressources aquifères fut à ce point réussie qu’elle fonctionna sans discontinuer de manière efficace jusqu’au saccage de juin 1794 37. L’essentiel des eaux alimentant les jardins et le château provient de sources situées en hauteur dans les bois de Mariemont. Les comptes citent les fontaines de « Saint-Pierre », du « Chesne » et de l’« Espée ». Leur localisation précise est possible grâce aux plans du domaine élaborés au XVIIIe siècle38 et aux vestiges qui en subsistent. La fontaine Saint34 L’intérêt de Marie de Hongrie pour la botanique était bien connu. Et l’on comprend que le célèbre botaniste flamand Rembert Dodonée lui ait dédié son Cruide Boek. 35 D’après une déclaration datée de 1561, aujourd’hui conservée à l’Archivo general de Simancas, nous pouvons identifier les principaux jardiniers d’Aranjuez. Quatre sont, comme J. Hollebecque, originaires de Tournai ou de sa région. Trois viennent de Bruxelles et un de Malines. Voir A. Postma, Een zuidnederlandse hovenier in Spanje. Over Filips II, Jehan
Holbecq en een nieuw tuinkunst, dans Tuinkunst. Nederlands Jaarboek voor de Geschiedenis van Tuin en Landschapsarchitectuur, 1, 1995, p. 12. 36 AGR, CC, n° 27304. 37 Non sans subir d’importantes restaurations, à l’époque des Archiducs, sous la direction de leur architecte Pierre Le Poivre, et sous le gouvernement de Marie-Élisabeth d’Autriche. 38 Voir un plan crayonné daté de 1726. AGR, Ouvrages de la cour, n° 354, document daté du 22 juin 1726 et le « Plan des fosses d’Haine Saint-Pierre-La Hestre établi en 1773 », AGR,
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2. Vue actuelle de l’un des réservoirs de la fontaine Saint-Pierre. La source dite de Saint-Pierre alimentait 3 réservoirs. Deux furent démolis à la suite de l’exploitation charbonnière du site entre 1808 et 1811. Ils servaient à l’approvisionnement en eau des douves du château et de la fontaine monumentale de l’avant-cour. Aménagée à l’époque de Marie de Hongrie, la fontaine Saint-Pierre fut restaurée par les Archiducs et servit tout au long de l’Ancien Régime.
Pierre se trouvait au nord-est du château, à 200 mètres en contrebas de la drève actuelle menant à l’entrée du parc de Mariemont. La carte de Braeckman établie en 1743 montre clairement trois murailles fermant les réservoirs alimentés par les sources39. L’un de ces réservoirs est toujours visible et porte la marque du maître de carrière Nicolas Derideau de Feluy40. Des conduits (« buses ») en troncs de bois41 évidés aboutis les
Cartes et plans manuscrits, n° 1846. Ce plan est reproduit dans Ph. Moureaux, Les comptes d’une société charbonnière à la fin de l’Ancien Régime, Bruxelles, Commission royale d’histoire, 1969, p. 220-221. 39 « Carte topographique de la maison royalle de Mariemont », Paris, Archives nationale de France, N II, Jemappes, 2. Il s’agit en réalité de trois sources. Celle de Saint-Pierre située en contrebas de la chapelle du même nom et des deux sources dites de « Havette » ou « Havet » et « à Le Saulch » établies à peu de distance en surplomb au nordest. Voir ea. AGR, Ouvrages de la cour, n° 354, document daté du 22 juin 1726.
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Nicolas Derideau, maître de carrière à Feluy, y décède en 1652. On retrouve sa marque en divers lieux. Parmi les édifices remarquables auxquels il collabore, citons l’église SaintJacques à Anvers et la chapelle du parc du château de Gaasbeek. Sans oublier les agrandissements du château de Mariemont et l’hôtel de ville d’Ath, deux constructions dues à Wenceslas Coberger. 41 Ceux-ci seraient en aulne et d’un diamètre de 5 à 6 pouces. AGR, Ouvrages de la cour, n° 354, document daté du 22 juin 1726.
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uns aux autres grâce à un cerclage de plomb amènent les eaux vers leur destination. Celles de la fontaine Saint-Pierre sont déversées dans le bassin ceinturant le château et alimentent la grande fontaine de la cour. Les conduites réunies de l’épée et du chêne42 passent d’abord par un bassin avant de parvenir aux jardins et à leurs fontaines. Du XVIe siècle au XVIIIe siècle ce réseau sera inspecté chaque année par des spécialistes, « plombiers » et « fontainiers » provenant de Bruxelles43, Mons et Binche. Au total ce ne sont pas moins de 7 fontaines qui étaient dispersées dans le parc et les jardins. Cette abondance fait l’admiration d’un visiteur étranger qui, décrivant Mariemont, écrit que « c’est un lieu dont le séjour est très agréable, soit en la beauté des bastiments, ou en la fécondité des eaux, que l’art tient toujours en réserve, pour les departir également à un grand nombre de fontaines, où il fait admirer le chef-d’œuvre de son industrie »44. Juan Calvette de Estrella, chroniqueur des fameuses fêtes de 1549, s’émerveille, avec quelque emphase : « …ce ne sont partout que frais ombrages, parterres fleuris, fontaines limpides, entourés d’une ceinture d’étangs et de beaux et grands bois qui encadrent une perspective étendue de plaines verdoyantes et de bosquets odoriférants, où l’on voit bondir des troupeaux de cerfs… »45. La profusion des eaux sera mise à profit pour le plaisir des hôtes du domaine qui s’adonnent à la pêche. Il existe, il est vrai, une véritable tradition de pisciculture à Morlanwelz, bien antérieure à l’arrivée de Marie de Hongrie46. Depuis longtemps y étaient implantés quatre grands étangs appartenant au seigneur et servant à l’élevage de carpes vendues à la halle de Binche. Il faut aussi ajouter les viviers annexés à l’abbaye de l’Olive et représentés de manière sommaire et incomplète sur l’une des
42 Elles se trouvaient à l’est, au-dessus du bois de l’Olive, entre l’abbaye de l’Olive et le prieuré de Montaigu créé à l’époque et avec l’appui des archiducs Albert et Isabelle. Voir V. Wastelain, Le prieuré de Montaigu, dans Cahiers de Mariemont, 27, 1996 [1999], p. 27-63. Ces deux fontaines auraient un débit plus important que celles de Saint-Pierre et Havette. AGR, Ouvrages de la cour, n° 354, document daté du 22 juin 1726. 43 Comme par exemple « Maître Nagel » ou « Nagles », « conducteur des fontaines demeurant à Bruxelles », qui inspecte l’installation des conduits aux fontaines en 1546. C’est sans doute lui qui surveille leur installation. AGR, CC, n° 27304. A Mariemont un serviteur était
spécialement affecté à l’entretien courant des fontaines. AGR, CC, n° 27310. 44 I. Puget de la Serre, Histoire curieuse de tout ce qui s’est passé à l’entrée de la reyne mère du roy très chrétien dans les villes des Pays-Bas, Anvers, 1632, réédition, Amsterdam, 1848, p. 17. Il s’agit d’un témoignage contemporain des dernières années du gouvernement d’Isabelle, mais qui peut s’appliquer à l’époque de sa grande tante Marie, puisque le jeu des fontaines et jets d’eau n’a guère subi de modification au XVIIe siècle. 45 J. Ch. Calvette de Estrella, Le très-heureux voyage fait par très-haut et très-puissant prince don Philippe…, traduit de l’espagnol par J. Petit, t. 3, Bruxelles, 1876, p. 136-137. 46 Ed. Roland, op. cit., p. 142.
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gouaches d’un album de Croÿ47. On en trouve d’autres dans certaines portions de la Haine, à La Malaise et au lieu-dit Le Polichêne. Marie de Hongrie fera combler les quatre étangs de Morlanwelz qui avaient été intégrés au domaine48. En même temps, elle fit creuser quatre grands viviers de forme quadrangulaire situés à la limite sud-ouest du domaine et suivant le même axe nord-sud que celui des jardins. Bien visibles sur le tableau de Van Alsloot (1620) et celui de Breughel de Velours (1612)49, nous les voyons tels qu’ils étaient après la restauration entreprise par les archiducs Albert et Isabelle. Laissés dans un état de semi-abandon par la suite, ils furent redessinés et réduits à l’époque de la gouvernante Marie-Élisabeth d’Autriche50. Marie de Hongrie utilise également les douves du château qui sont empoissonnées en truites51. Ailleurs les viviers sont approvisionnés en d’autres espèces traditionnelles : carpes, brochets, brèmes, goujons, loches, écrevisses52. La pêche se déroulait aussi dans la Haine, où les truites abondent, et dans les ruisseaux du parc. Il semblerait que, comme ce sera le cas sous les Archiducs, on place des grilles à l’endroit de la clôture où passent les conduits d’évacuation des eaux pour retenir les poissons à l’intérieur du parc. Plus tard, à l’époque de Charles de Lorraine, cette activité halieutique se déroule essentiellement aux retenues d’eau sur la Haine, comme celle de la forge.
47 Albums de Croÿ, t. IV, Comté de Hainaut VII,
1986, pl. 36. J. Bolly, J.-B. Lefèvre, D. Misonne, Monastères bénédictins et cisterciens dans les albums de Croÿ (1596-1611), Bruxelles, 1990, p. 408-411. Le nombre de ces viviers alimentés par le ruisseau de l’Olive fluctue de 3 à 4. Après l’incendie et l’abandon de l’abbaye en 1794, ces viviers seront convertis en pâturages, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Voir J. Muller, Note pour servir à l’histoire foncière du domaine de Mariemont au XIX e siècle, dans Bulletin de la Société royale paléontologique et archéologique de l’arrondissement judiciaire de Charleroi, 1952, p. 17-25. 48 AGR, CC, n° 8910. 49 Jean Breughel de Velours, Vue de Mariemont depuis le sud, 1612, Musée des Beaux-Arts de Dijon. Ce tableau connut une histoire mouvementée. Il devait se trouver à Mariemont, lorsque Louis XIV (propriétaire des lieux de 1668 à 1678, il y vint en 1670 et 1675) s’en empara pour l’emmener à Versailles et l’exposer dans le bâtiment des petites écuries. Au XVIIIe siècle, il est transporté au palais du Louvre. Après
la révolution et la confiscation des collections royales, on l’attribue au musée de Dijon récemment créé. Nos remerciements à madame Clément, conservatrice au château-musée de Versailles pour ses renseignements. 50 Marie-Élisabeth d’Autriche, gouvernante générale des Pays-Bas de 1725 à 1741, affectionnait les séjours champêtres à Mariemont où elle décédera. La chasse et la pêche étaient ses activités de prédilection. Voir Y. Quairiaux, Charles de Lorraine à Mariemont. Le domaine royal de Mariemont au temps des gouverneurs autrichiens, Europalia Autriche, Musée royal de Mariemont, 1987, p. 29-30. 51 Elles proviennent de Namur et de la Haine. Quant aux fossés de La Malaise, ils sont approvisionnés en carpes. 52 Le principal fournisseur est un pisciculteur de Mons du nom d’Oudart de Bray. Il livre aussi du matériel de pêche (éperviers, épuisettes et nasses). Les poissons capturés sont vendus à un poissonnier de Binche ou consommés à la table princière.
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La chasse La chasse est l’une des grandes passions de la gouvernante et aucun de ses biographes ne l’ignore53. C’est aussi la vocation première de Mariemont. Il est cependant malaisé d’établir la chronologie de ses villégiatures dans sa campagne hainuyère. Malgré la présence d’appartements princiers, il ne semble pas que Marie y ait souvent habité. Elle résidait plutôt dans son palais de Binche et venait surtout à Mariemont pour la chasse et les repas plus ou moins champêtres qui y étaient servis. Mariemont jouait vraiment le rôle dévolu à un rendez-vous de chasse. Mme Kerkhoff a esquissé, dans la limite des sources consultées, la chronologie des lieux de résidence de la gouvernante aux Pays-Bas54. Son premier séjour à Binche occupe tout le mois de janvier 1547 et au-delà. Elle y revient en juin, juillet et août de la même année et, de manière irrégulière, jusqu’en 1551. Mariemont n’est cité que 4 fois en septembre et décembre 1549 ; août 1550 ; avril 1551. On s’accorde cependant à reconnaître que c’est à Binche et Mariemont, véritables créations de Marie de Hongrie, que celle-ci préférait séjourner55. Contrairement aux sources des XVIIe et surtout XVIIIe siècles, il n’est guère possible de détailler les activités cynégétiques qui se déroulent à l’époque de notre gouvernante. Ch. Niedermann pense qu’il est peu probable, vu l’exiguïté du terroir de Mariemont, que l’on y ait pratiqué la chasse à courre56. De fait, R. Wellens, analyste attentif des comptes du domaine de Binche, n’a pas retrouvé d’indications selon lesquelles des équipages de vénerie y auraient été entretenus57. Il faut cependant remarquer que la formulation parfois sibylline de ces documents comptables ne permet pas de l’exclure. De plus, à l’époque de Charles de 53
Voir Ch. Niedermann, Marie de Hongrie et la chasse, à paraître dans les actes du colloque Marie de Hongrie. Politique et culture sous la Renaissance aux Pays-Bas, Musée royal de Mariemont, 2005 et J. Kerkhoff, Maria van Hongarije en haar hof. 1505-1558, Amsterdam, 2005, p. 163-175. 54 J. Kerkhoff, op. cit., p. 333-356. 55 « Het was in de omgeving van Binche en Mariemont waar Maria zich het best thuis voelde », J. Kerkhoff et alii., Maria van Hongarije. 1505-1558. Koningin tussen keizers en kunstenaars, Utrecht, 1993, p. 163. 56 L’on ne peut comparer les forêts de Soignes et de Mormal, en Hainaut, qui dépassent largement les 10 000 hectares, aux modestes bois de Mariemont occupant une superficie inférieure à 500 hectares. Il faut cependant relever que la chasse s’exerçait bien au-delà des limites
du parc pour s’étendre aux plaines et bois environnants relevant du domaine de Binche. De manière plus concrète, ce territoire de chasse couvrait approximativement la superficie d’un quadrilatère de plus de 14 km de long sur plus de 8 km de large. Voir Goblet d’Alviella, Histoire des bois et forêts de Belgique, t. 2, Bruxelles, 1927, p. 244-245. 57 À l’époque des Archiducs, la vénerie du Hainaut était présente à Mariemont. Il est vrai que les communs construits par W. Coberger hébergeaient un chenil et de vastes écuries. S’il faut en croire Ph. de Hurges, la forêt de Mariemont « abonde en toute sorte de gibier, nommément en sangliers, cerfs et chevreulx ; l’on y voit partou des sentes et des chemins tirez en ligne droite, pour y courir les bestes à cheval et en carrosse… », Description…, op. cit., p. 638.
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Lorraine la chasse à courre y était à l’honneur et ceci dans un paysage qui n’avait pas subi de transformations profondes depuis le XVIe siècle58. Le cerf, gibier royal par excellence, se maintient difficilement à Mariemont où le massif forestier ne fournit pas de retraites suffisantes pour les cervidés. La clôture assez lâche du domaine favorise leur fuite vers les bois plus accueillants de Soignies59, de Nivelles, de Braine-le-Comte et du sud de Binche. Les gardes du domaine étaient alors requis pour les retrouver et les rabattre vers le parc. Cerfs, sangliers et biches pâtissent d’un prédateur tenace : le loup. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, ils séviront dans la région et chaque année des primes sont versées aux gardes qui réussissent à en abattre60. On avait aussi amené de Binche dans les diverses métairies des lévriers utilisés pour la traque des loups61. Ces lévriers accompagnaient également les gardes pour ramener les cerfs échappés vers le domaine62. On s’en préoccupe d’autant plus que ce gibier provoque de gros dégâts aux agriculteurs riverains63. Toujours est-il que l’insuffisance de la reproduction des cerfs et biches oblige à en acheter, généralement à Ath et Groenendael, pour les relâcher dans le domaine. On en capture également dans les bois de Naast, de Gongnies et du Roeulx pour les mêmes raisons64. Les Archiducs procéderont différemment en aménageant, dès 1600-1601, un « petit parc dans le grand » du côté du village de La Hestre afin d’enfermer pour les élever un certain nombre de cerfs et biches65. Ils veillent aussi à la provende du gibier en multipliant les mangeoires pourvues en blé, épeautre, escourgeon, orge et froment. Sans oublier les fourrages, ce qui était déjà le cas à l’époque de Marie de Hongrie. Le gibier trouvait des garennes naturelles pour s’y cacher et s’y reproduire66, notamment grâce aux vastes bruyères qui s’étendaient entre Chapelle-lezHerlaimont et Morlanwelz67. Marie de Hongrie fait aménager un élevage 58
Y. Quairiaux, Charles de Lorraine…, op. cit., p. 68-71. 59 Le 30 septembre 1777, lors d’une chasse à courre, Charles de Lorraine poursuit un cerf qui lui échappe dans les environs de Soignies. 60 Dans son rapport au Conseil des Finances en 1756, le bailli des bois s’inquiète de la prolifération des loups qui, depuis un an, ont « dévoré dans le parc même, 10 à 12 cerfs, plus de 40 biches et la moitié autant de faons » : AGR, Conseil des Finances, n° 1780. 61 AGR, CC, n° 27304. 62 C’est une scène de ce genre que l’on voit représentée dans la gouache de l’album de Croÿ consacrée à Bellecourt. Voir Albums de Croÿ, t. X, Comté de Hainaut VII, 1991, pl. 27. 63 C’était régulièrement le cas dans la terre de Bellecourt appartenant à l’abbaye de l’Olive.
Voir A. Harou, La commune de Bellecourt, dans Bulletin de la Société royale belge de Géographie, t. 11, 1887, p. 317. La situation ne semble pas s’être améliorée à l’époque des Archiducs, bien que la clôture ait été entièrement refaite. J. De Meester a retrouvé la trace d’une plainte d’un laboureur de Bellecourt au sujet des dégâts commis par les cerfs et biches en 1618 : J. De Meester, op. cit., p. 248. 64 AGR, CC, n° 27304. 65 Ce qui ne les empêche pas d’en acheter quelques-uns pour repeupler les chasses. AGR, CC, n° 8959. 66 Sur l’abondance de ces refuges, voir Ph. de Hurges, op. cit., p. 638. 67 En 1605, les archiducs Albert et Isabelle aménageront une nouvelle garenne pour servir d’abri aux lièvres et lapins. AGR, CC, n° 27316.
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à faisans, au-dessus duquel des filets sont tendus pour les empêcher de s’envoler et pour les protéger contre les corbeaux. Cette faisanderie installée à proximité de la ferme de La Malaise sera reconstruite et agrandie par Charles de Lorraine. Hormis la chasse à courre, tous les types de chasse semblent avoir été pratiqués à Mariemont : chasse au faucon, au mousquet, à l’arbalète, etc. Si l’on se réfère au témoignage de l’infante Isabelle, la chasse à Mariemont devait être assez « sportive » en raison de l’épaisseur des fourrés, qui obligeaient, non sans risque, à s’approcher au plus près du gibier68. Cette situation prévalait encore plus à l’époque de Marie de Hongrie, en raison du petit nombre d’allées cavalières. Il faut aussi signaler une « annexe » du domaine de chasse de Mariemont : la héronnière installée au bois d’Huberbus à Trivières69. Elle y fut aménagée à partir de 1546 par des charpentiers qui y reproduisirent la héronnière de Tervueren. La gouvernante s’y livrait au plaisir de la chasse au vol où les faucons attaquaient les hérons. Après son départ des Pays-Bas la héronnière ne fut plus entretenue. Afin de pouvoir y exercer au mieux le plaisir de la chasse, il fallut apporter quelques aménagements indispensables aux bois de Mariemont peu accessibles aux équipages de chasse, même à pied. Tout en préservant les sentes naturelles, on perça quelques grandes drèves, parfois tracées dans la perspective de l’architecture du château. Elles étaient bordées de noyers, châtaigniers, peupliers et de haies vives. Les sources disponibles ne permettent pas d’en connaître le nombre exact et la configuration. Il est cependant certain qu’existait une allée rectiligne bordée de peupliers reliant le château au village de Morlanwelz. Une autre, plus longue (bordée de noyers et de châtaigniers ?), se dirigeait vers la chaussée Brunehault menant à Binche et donnait accès au passage à la ferme de La Malaise. Elle existe encore partiellement de nos jours. Une autre, appelée plus tard la « grande drève », s’ouvrait dans l’axe nord de l’entrée du château, puis gravissait le « mont de Marie », ensuite longeait la limite nord-est du domaine qui correspond assez exactement à l’actuelle drève de Mariemont avant de rejoindre l’ancien chemin de Binche à Nivelles70.
68
A. Rodriguez Villa, Correspondencia de la infanta archiduqueza Isabel Clara Eugenia con el duque de Lerma y otros personajes, Madrid, 1906, p. 191, 219-223. 69 La héronnière consiste en une haute tour où sont aménagés des nichoirs. Les hérons qui s’y installent sont sédentarisés grâce à la nourriture (abats et poissons) qui leur est régulièrement délivrée. Voir Ed. Roland, Une héronnière au bois « Huberbus » (Trivières) 1546-1554, dans
Bulletin de la Société royale paléontologique et archéologique de l’arrondissement judiciaire de Charleroi, 1951, p. 49-58. 70 Egalement connu dans l’ancienne toponymie locale, jusqu’au XIXe siècle, comme le « sentier de Mariemont à Nivelles ». Voir la carte (s.d., milieu du XIXe siècle) insérée dans l’ouvrage de C. Dawant, Petit historique sur Arquennes, s.l. [Arquennes], s.d. Il s’agit en fait de l’ancienne voie utilisée par les gouverneurs
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Il paraît probable qu’une allée traversait le parc d’ouest en est vers le site du futur prieuré de Montaigu71. Pour le reste, on ne peut que formuler des supputations hasardeuses. La situation changera à l’époque des Archiducs avec l’apparition de neuf nouvelles drèves72. On comprend dès lors Philipe de Hurges, chroniqueur de cette époque, qui écrit que « l’on y veoid partout des sentes et des chemins tirez en lignes droites… »73. On ne sait pas non plus grand-chose de la gestion forestière du domaine. Les chênes y dominent. On s’en sert en abondance pour la construction du château, tandis qu’au XVIIIe siècle les ressources locales ne suffiront plus. Même, si les comptes attestent la plantation de « chesneaux » (jeunes chênes), de hêtres, d’aulnes et de peupliers, deux espèces qui conviennent particulièrement pour les fonds humides des bois, cette gestion ne se distingue pas par son dynamisme et s’opère de manière empirique. Le phénomène n’est pas particulier à Mariemont. Il faudra attendre la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour que la sylviculture s’impose en tant que science et conduise les gestionnaires du domaine à une gestion rationnelle de l’espace, tant sur le plan forestier que cynégétique74. L’aspect général du parc de chasse de Mariemont à l’époque de Marie de Hongrie est encore celui d’une nature demeurée relativement agreste. Les Archiducs vont considérablement modifier ce paysage en y plantant et en y perçant de nouvelles drèves, créant une réserve à gibier, multipliant les mangeoires, les abreuvoirs, les constructions diverses : pavillons, chapelle, glacière… Ils n’hésitent pas à entreprendre d’importants travaux de terrassements, arasant des crêtes et comblant des creux. Ce mouvement s’amplifiera à l’époque de Charles de Lorraine où le parc riche en fabriques offre à la fois les attraits d’un bois de belle futaie quadrillé d’un réseau serré d’allées rectilignes et ceux d’un jardin enchanté bien éloigné des bois sauvages que parcourait Marie de Hongrie.
qui se rendaient de Bruxelles à Mariemont. Ce chemin, dont il subsiste quelques fragments, sera abandonné après la mise en service de la chaussée de Nivelles à Binche au milieu du XVIIIe siècle. 71 Il faudra attendre Charles de Lorraine pour qu’en 1758-1759 soit tracé le chemin de SaintPierre qui mène de La Hestre au nord à Morlanwelz au sud en traversant tout le domaine. 72 J. De Meester, op. cit., p. 198 et 212. Elles sont partiellement visibles sur les tableaux de Breughel et de Van Alsloot et sur un plan manuscrit anonyme du XVIIe siècle (Archives de
l’Etat à Mons, Cartes et Plans, n° 58) ainsi que sur le plan de Braeckman. 73 Ph. de Hurges, op. cit., p. 638. 74 Sur la gestion du domaine de Mariemont au XVIIIe siècle, voir Y. Quairiaux, Le parc et les jardins de Mariemont sous l’Ancien Régime, dans Y. Quairiaux, R. Platiau et R. Bouillez, Mariemont côté jardins, Musée royal de Mariemont, 2005, p. 21-38. On consultera également A. Chahou, Les bois du domaine dans le Hainaut au XVIIIe siècle (1730-1780) : le domaine de Binche, dans Etudes sur le XVIIIe siècle. Parcs, jardins et forêts au XVIIIe siècle, Bruxelles, 1997, p. 79-109.
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1. Vue panoramique du château et des jardins « La Fontaine » à Clausen, Luxembourg. Dessin à l’encre brune, lavis et rehauts d’aquarelle, fin du XVIe siècle, attrib. à Tobie Verhaeght (1561-1631), 28,9 x 41,2 cm, Luxembourg, Musée national d’Histoire et d’Art, inv. 1984-194.
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MARC SCHOELLEN Responsable du patrimoine paysager au Service des Sites et Monuments, Luxembourg Le domaine « La Fontaine » à Clausen / Luxembourg : « une resplendissante féerie entre de sombres rocs et d’austères forêts »
Chargés par le roi Philippe III d’Espagne du gouvernement des Pays-Bas, les Archiducs Albert et Isabelle quittaient Barcelone le 17 juin 1599. Au bout d’un voyage éprouvant qui les mena de Milan à Colmar, puis à Nancy, les Archiducs arrivèrent au duché de Luxembourg le 20 août 1599. C’est là qu’ils furent accueillis par le comte Pierre-Ernest de Mansfeld (1517-1604), alors gouverneur et capitaine général du duché de Luxembourg et du comté de Chiny. Le vaillant octogénaire qui n’avait cessé de servir les intérêts de la couronne espagnole depuis 1545 détenait alors depuis plus d’un demi-siècle un rôle politique et militaire considérable. Il avait même occupé à titre intérimaire depuis la mort d’Alexandre Farnèse († 1593) le poste de gouverneur général des Pays-Bas. Après les solennités accoutumées de la « Joyeuse Entrée » le couple princier, logeant au château de Luxembourg, « très vieux et peu habitable » selon les notes de voyage de l’Archiduchesse Isabelle, fut invité à jeter un coup d’œil sur la demeure privée de Mansfeld à Clausen le dimanche après-midi du 22 août 15991. On ne peut que spéculer sur les réactions des Archiducs à la vue du château et des jardins, appelés « La Fontaine », dont on découvrait à l’approche par la descente de Clausen, à proximité du monastère ruiné d’Altmunster, toute la richesse et la complexité du lieu. Un dessin au lavis de la fin du XVIe siècle (fig. 1), attribué à Tobias Verhaeght2, permet d’imaginer l’effet que dut produire cet étrange spec1
J. Mersch, L’Infante Isabelle, 1566-1633, Princesse Souveraine des Pays-Bas, Duchesse de Luxembourg, dans Biographie Nationale du Pays de Luxembourg, fasc. XIV, 1966, p. 419-424. 2 La vue panoramique du château et des jardins « La Fontaine » à Clausen est attri-
buée, sur la base de caractéristiques stylistiques, à Tobie Verhaeght (1561-1631). Il s’agit d’un dessin à l’encre brune, lavis et rehauts d’aquarelle (H 28,9 cm, L 41,2 cm), Musée national d’Histoire et d’Art Luxembourg, n° inv. 1984-194. Le dessin a probablement servi à la réalisation de la 205
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tacle architectural d’un palais et d’un jardin, scintillant de dorures aux épis de toiture, de vitres, de miroirs d’eau et de jets d’eau multiples. L’agencement spatial géométrique et le caractère artificiel et précieux des ornements se trouvait rehaussé par le rude contraste des parapets de rochers hérissés des forêts du parc à gibier. À la fin de la visite une collation fut servie dans la feuillée de hêtres, près de la fontaine de Flore. Le passage d’Albert et d’Isabelle à Clausen en 1599 peut être interprété à la fois comme un ultime adieu à une époque révolue et peutêtre aussi comme une source d’inspiration pour des réalisations artistiques à la Cour de Bruxelles du début du XVIIe siècle. Toujours est-il qu’une observatrice de l’époque (Geneviève de Bost-Moulin, lettre à T. de Clairvaux, 22 août 1599) a apostrophé Clausen comme une « resplendissante féerie entre de sombres rocs et d’austères forêts » 3, en hommage au génie du lieu. La genèse du domaine « La Fontaine », créé à partir de 1563, n’est pas entièrement connue. Pourtant l’étude cartographique du site et les récentes fouilles archéologiques d’une partie des jardins ont permis de corroborer des informations connues à travers des documents écrits et de nuancer certaines hypothèses anciennes. Afin de comprendre bien l’inscription du domaine dans la topographie réelle, il convient d’abord de définir la nature exacte, la fonction des bâtiments et des aménagements paysagers de Mansfeld. Il s’agit tout d’abord d’une « maison de plaisance »4, à caractère privé, qui se trouvait à l’extérieur de l’enceinte fortifiée de la ville.
gravure presque identique éditée par Georg Braun et Franz Hogenberg dans le cinquième tome de l’Atlas des villes du monde (Civitates Orbis Terrarum) en 1598. 3 Le contraste entre les édifices et les jardins d’une part, et le paysage naturel, rude et sauvage, du parc à gibier d’autre part, a suscité ce commentaire pertinent ; N. Thill, Auf der Suche nach Mansfeld-Spuren (2) Ein Wappen als Wegweiser, dans Lëtzebuerger Journal, Politik, Finanzen a Gesellschaft, 58 (2006) 025, 4-5 févr., p. 26. Le choix des mots est probablement tributaire de la littérature pastorale et chevaleresque du XVIe siècle.
4 Lors d’une première visite à Clausen le 21 septembre 1598, l’Archiduc Albert qualifiait les édifices de Clausen de « maison de plaisance que l’on appelle la Fontaine » dans son carnet de voyage ; F. Lascombes, Chronik der Stadt Luxemburg. 1444-1684, Luxembourg, 1976, p. 423-424. Malgré l’aspect visiblement monumental des édifices de Clausen, le titre de « palais » ou de « château » semble avoir été évité même par le comte de Mansfeld qui les qualifiait de « nouveau bâtiment et maison à la fontaine » dans son testament du 20 décembre 1602, transmis au Conseil provincial de Luxembourg le 4 avril 1604.
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En revanche, cette résidence privée était placée dans un rapport visuel direct avec la ville haute. De fait, le palais du gouverneur dans la ville haute, dont la construction nouvelle remonte à l’année 15665 possédait une vue « à vol d’oiseau » sur l’ensemble des jardins et de la résidence La Fontaine. Ainsi, on pouvait bien apercevoir un « axe du pouvoir » qui reliait le siège officiel du gouverneur avec sa villégiature privée. Reprenant le binôme classique « otium-negotium », le comte Mansfeld pouvait y faire une démonstration éclatante d’un lieu du pouvoir à deux faces, celui des loisirs de l’esprit et du corps et celui de l’exercice des affaires politiques et militaires. En effet ce lieu, de toute apparence conçu pour la retraite privée, multipliait l’iconographie politique tant dans les jardins que dans la maison. L’inscription votive apposée au-dessus du portail de l’édifice d’entrée spécifiait d’ailleurs que le domaine La Fontaine était dédié à la gloire de Dieu, du Roi et de Mansfeld lui-même, en quête d’un lieu de repos pour sa vieillesse après tant de travail6. Le thème du « beatus ille qui procul negotiis… » était bien à la base des modèles italiens et modernes de la « villa suburbana » : La Fontaine de Clausen faisait idéalement partie de cette typologie. Le domaine de Clausen, tout en produisant une rupture dans le tissu existant des structures permanentes du paysage (relief, cours d’eau) et des éléments contingents (routes, divisions parcellaires, bâtiments existants) résultant de la présence humaine à cet endroit de l’époque néolithique au Moyen Âge, s’inscrivait paradoxalement dans la continuité historique du lieu. Le nom même de « Clausen » que le nouveau domaine « La Fontaine » ne pouvait entièrement rayer de la mémoire collective se rattachait à la fondation d’un ermitage (« Cluse ») ou petit monastère de recluses, dédié à sainte Marguerite vers 1300. L’initiative serait due à 5 L’actuel palais de la Justice, dont la façade du côté de la ville-haute a été remaniée en style néo-Renaissance par l’architecte Charles Arendt à la fin du XIXe siècle, remonte au XVIe siècle en tant que palais du gouverneur. 6 En 1590, le comte de Mansfeld fit apposer une longue inscription latine au-dessus du portail d’entrée du premier édifice d’entrée (ou châtelet) qui précisa qu’« après avoir taillé ces rochers et aplani la vallée,
il (Mansfeld) a voué à Dieu tout-puissant, à son seigneur le Roi auxquels il adresse ses remerciements immortels et infinis, ainsi qu’à la tranquillité de sa vieillesse, objet de sa prière, ces fontaines et ces édifices » : Bibliothèque royale Albert Ier de Belgique, Bruxelles, Ms. 7146 (traduction des Historiae Luxemburgensis Antiquariae Disquisitiones de J.-G. Wiltheim, S. J. , par O. Scholer). 207
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Marguerite de Brabant, l’épouse de Henri (VII) de Luxembourg7. La « cluse » était située à proximité d’une source sacrée, dite de SainteMarguerite, notamment réputée pour ses vertus fébrifuges8. Le rattachement à cette tradition locale et populaire autour d’une source sacrée par le choix du nom « La Fontaine » s’opérait peut-être de manière assez inconsciente. L’allusion était probablement plus directe à la fameuse maison de plaisance du cardinal Granvelle près de Bruxelles, même si l’allusion ne portait que sur le nom. Les noms évocateurs de « Fontainebleau » et « Hellbrunn » prouvent d’ailleurs que la dédicace d’un domaine à une fontaine était monnaie courante à l’époque de la Renaissance. L’eau en tant qu’élément fédérateur du site de Clausen sera traitée plus amplement dans le présent article. Le domaine de Mansfeld à Clausen s’inscrivait partiellement dans le parc à gibier médiéval des comtes puis ducs de Luxembourg. Cet enclos à gibier, appelé « vivarium ferarum » sur le plan de Thomas Mameranus de 1561 (« Charta Lucemburgi in plano »), était établi sur le flanc septentrional du château de Luxembourg, sur la rive gauche du ruisseau de l’Alzette9. Un pont-passerelle, appelé dès le XVe siècle « dirgarden bruck », c’est-à-dire le pont du parc à gibier, permettait d’accéder à la rive droite de l’Alzette. Quant à l’étendue de cette partie du parc qui communiquait alors avec l’immense forêt domaniale du Grunewald, il n’existe pas d’indication précise. Au moins sait-on grâce à des textes des XIVe et XVe siècles qu’il y avait une maison de gardien avec une porte d’entrée derrière la chapelle Sainte-Marguerite (« port mit dem wachthus hinder S. Margaretenkirch ») et une fontaine dite du « parc à gibier » (1491: « durre garten born » ; 1499: « bronnen ahn durren garten »). À proximité du parc à gibier il y avait également déjà en 1561 (plan de Thomas Mameranus) une « domus canina », c’est-à-dire un chenil qui porte jusqu’à nos jours le nom luxembourgeois de « Hondshaus », c’est-à-dire la « maison du chien »10. À l’époque de Mansfeld, le parc à gibier était sans doute encore repérable et présent dans la mémoire locale. À cet égard, il convient de souligner que le parc à gibier qui apparaît dans les documents vers 1300 7
J. Reuter, In den Strassen von Clausen, dans Centenaire de la Fanfare Gr.-D. de Clausen 1851/1951, Luxembourg, 1951, p. 57-59. 8 J. Dumont, Sources sacrées dans le Luxembourg, dans Annuaire 1952. Institut Grand-Ducal. Section de Linguistique, de Folklore et de Toponymie, Luxembourg, 1952, p. 199.
9 M. Watelet, Luxembourg, ville obsidionale.
Cartographie et ingénierie européennes d’une place forte du XVI e au XIX e siècle, Luxembourg, 1998, p. 36-37. 10 M. Schoellen, Le parc à gibier et les jardins «La Fontaine» à Clausen, dans Hémecht. Revue d’Histoire Luxembourgeoise, 56 (2004) 4, p. 389-391.
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avait été restauré partiellement à l’époque bourguignonne. Le 27 avril 1455, un tournoi y fut donné en l’honneur du mariage de Jean de Croÿ avec Jacqueline de Saint-Pol (branche cadette de la maison de Luxembourg, arrangé en hâte pour des raisons politiques par le duc de Bourgogne11. De même l’année suivante, le 31 mars 1456, un tournoi y eut lieu à nouveau. À cette fin quatre-vingts charretées de sable, extraites au pied du «Clausenerbierg», furent amenées pour la préparation de la piste. La tribune et le dais, couverts de bardeaux en bois, étaient richement décorés de draps et de tapis12. Il va de soi que les fastueux tournois bourguignons à proximité du château de Luxembourg avaient une portée politique indéniable pour la légitimation du pouvoir des nouveaux maîtres du lieu. Cette dimension symbolique forte ne pouvait guère échapper à un homme du pouvoir comme Mansfeld, appelé à représenter le pouvoir souverain à Luxembourg. Avant la construction des jardins et de la maison de plaisance « La Fontaine » à partir de 1563, il y avait à côté du parc à gibier et de l’établissement de recluses un quartier « extra muros » à Clausen. Grâce aux dénombrements de feux, constitués de manière irrégulière entre 1528 et 1562, le nombre de ménages qui variait entre 8 et 29 « feux » est connu pour la première moitié du XVIe siècle 13. Le plan de Deventer, probablement dessiné vers 1555 sur la base d’un arpentage précis de la ville14, confirme la présence d’une petite agglomération de maisons, ainsi que d’une chapelle, dédiée à saint Nicolas, au lieu-même des futurs jardins et maison de plaisance de Mansfeld. Les récentes fouilles archéologiques, entreprises depuis 2004 dans les vestiges des jardins, ont permis de révéler la présence d’un dense pâté de maisons, datant en partie du XVe siècle, qui avaient été rasées après 1563 pour faire place à la construction des jardins (notamment du labyrinthe et du verger autour de la fontaine de Vénus). Si le comte de Mansfeld avait bien réussi à condamner la mémoire de ce quartier de ville, il en avait néanmoins retenu l’orientation et la
11
F. Lascombes, Chronik der Stadt Luxemburg. 1444-1684, Luxembourg, 1976, p. 62. 12 F. Lascombes, op. cit., p. 64. 13 Le nombre des unités imposables («feux») variait fortement entre 1528 et 1564, notamment à cause des incursions militaires françaises de 1544/45 et des destructions substantielles dans le quartier « extra mu-
ros » de Clausen: 28 avril 1528, 8 feux ; 6 janvier 1541, 29 feux ; février 1552, 13 feux ; août 1562, 19 feux (v. F. Lascombes, op. cit., p. 266, 288, 332, 354). 14 M. Watelet, Luxembourg, ville obsidionale, op. cit., p. 38-39. M. Watelet reporte la date du plan de Jacob Roelofs van Deventer aux environs de 1560/1563. 209
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subdivision plus ou moins orthogonale pour ses propres constructions qui s’étaient même partiellement appuyées sur les soubassements anciens. Ce fait permet d’expliquer aussi les irrégularités architecturales et géométriques au niveau du tracé d’implantation des façades du côté des jardins d’agrément. Avant les aménagements de Mansfeld, le réseau des chemins et des routes parcourant le site était particulièrement dense. Le plan de Deventer fait état d’un chemin longeant parallèlement la rive droite de l’Alzette reliant le quartier du Grund au quartier du Pfaffenthal en passant par Clausen. Par ailleurs, on aperçoit la présence de deux chemins, de part et d’autre des falaises du Pletzerbierg, montant en direction du Grunewald. Ces chemins, d’un intérêt vital pour la communication des quartiers de la ville basse entre eux et de l’accès vers la chaussée de Trèves sur le plateau furent peu à peu repris par Mansfeld, incorporés au domaine et interceptés à la circulation ordinaire vers la fin du XVIe siècle. Mansfeld semble avoir eu connaissance de la présence d’une voie romaine sur le plateau du Kirchberg, à proximité de l’enclos de son parc à gibier. Cet ouvrage, appelé « Kiem » en luxembourgeois (du latin tardif: « camminus » = chemin), fut d’ailleurs directement relié au domaine « La Fontaine » grâce à un chemin d’accès d’une centaine de mètres à la porte, dite « porta Carolina » du parc à gibier. Ainsi Mansfeld, un grand collectionneur d’antiquités, pouvait physiquement enraciner son domaine dans une tradition antique et opérer, pour ainsi dire, un transfert de prestige et de légitimation du pouvoir. La présentation sommaire des strates d’occupation du lieu avant l’intervention de Mansfeld a permis de repérer une voie romaine, un parc à gibier médiéval, un établissement de recluses et un quartier « extra muros » de la ville de Luxembourg. Les incursions des troupes françaises dans le duché de Luxembourg en 1543, avaient particulièrement affecté le vieux château de Luxembourg et le monastère bénédictin du plateau Altmunster, ainsi que le quartier de Clausen. Cette situation de semi-ruine permit à Mansfeld de procéder plus facilement à l’acquisition des terrains nécessaires pour la construction de son domaine. L’étude des négociations nécessaires pour l’achat et la location des terres n’a pas été faite en détail jusqu’à présent. Toujours est-il que l’abbé de Munster ne céda à Mansfeld des terres – une ferme, deux viviers, des jardins et des prés – sous la forme d’un bail emphytéotique que l’année suivant le début des travaux de construction (1563), le 15 décembre 1564. Le rattachement de 100 jour210
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naux de terre du côté de Weimershof, appartenant au couvent du SaintEsprit, au domaine de Mansfeld s’opérait en 1572, avec la promesse d’un dédommagement ultérieur de la part du comte 15. Le gouverneur fut parfois peu scrupuleux et opéra même des transactions à caractère frauduleux16 pour arriver à ses fins. En revanche, il prit soin de reloger les habitants du quartier de Clausen dans le quartier du Grund (actuelle rue de la tour Jacob) et procéda à la construction de l’hôpital de Sainte-Marguerite, vers 1598/99, en compensation à la destruction du petit monastère de recluses à Clausen. Les contraintes matérielles de la construction de la maison de plaisance et des jardins, s’échelonnant sur presque trois décennies, sont peu connues à travers les documents écrits de l’époque. Si une idée de base semble avoir existé dès 1563, des hésitations et des remaniements ont sans doute eu lieu en cours de construction. Cette constatation a pu être faite grâce aux fouilles archéologiques au niveau des bassins de Neptune, de Vénus et de Saint-Pierre qui ont tous subi au moins une phase de transformation ultérieure du vivant de Mansfeld. En 1590, une inscription en lettres dorées sur un fond de marbre noir apposée au-dessus du grand portail de l’édifice d’entrée du domaine, faisait le résumé programmatique de cette vaste entreprise de transformation d’un site. Transcrite au début du XVIIe siècle par le père jésuite Jean-Guillaume Wiltheim, elle faisait ressortir, sous un jour héroïque, les travaux d’ingénierie nécessaires à tailler les rochers, à terrasser le terrain et à capter les sources. La longue énumération des hauts faits politiques et militaires de la carrière de Mansfeld culminait avec l’évocation rapportée plus haut17. En retravaillant la masse rude et difforme des rochers, Mansfeld faisait la démonstration d’un geste civilisateur et fondateur. Conformément à la fiction de ce discours esthétique, il pouvait faire intervenir le binôme « art » et « nature » si essentiel pour l’appréciation d’un ouvrage à l’époque de la Renaissance. 15
F. Lascombes, Chronik der Stadt Luxembourg, op. cit, p. 359, 370. 16 J. Reuter, Die Dominikaner in Luxemburg, dans Hémecht, 20 (1968) 1, p. 28-29. Le comte de Mansfeld avait acheté le jardin du monastère dominicain ruiné au prix de 600 écus, alors que le père provincial n‘avait pas
donné d‘autorisation à cette transaction. Cette fraude, découverte en 1602, donna lieu à un litige qui dura jusqu‘en 1635, date de la rétrocession du jardin aux Dominicains. 17 V. note 6. 211
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Là aussi, une inscription sculptée et dorée au-dessus de la porte d’accès des palais au jardin rendait autrefois hommage au génie du lieu et à l’ingéniosité de son créateur: « Si en te tenant ici, comme au théâtre, tu contemples la Nature et l’Art qui rivalisent de beauté, tu jugeras que ni à l’une ni à l’autre ne manque rien de ce qui lui est propre »18. Le visiteur, apostrophé à plusieurs reprises par des inscriptions à caractère monitoire, se trouvait partout confronté à la présence du propriétaire, dont les devises, armoiries et monogrammes lui rappelaient l’identité et la valeur. À tire d’exemple, il convient de citer l’importante fontaine murale, dédiée à l’épouse défunte du comte, Marie de Montmorency, dont l’inscription votive, en lettres dorées, prenait valeur d’une véritable « lex hortorum »19 : « Qui que tu sois qui t’approches d’ici, si la chaleur ou la soif t’accablent, évite ici en toute tranquillité la chaleur, penche-toi et étanche ta soif, puise l’eau de ta main, baigne ton visage, mais ne trouble pas l’eau de ton pied ni ne la souille de ton corps nu, car PierreErnest comte de Mansfeld a consacré cette onde tranquille au repos des mânes de son épouse bien-aimée et il l’a appelée FONTAINE DE MARIE d’après le nom de Marie. Comme témoins de son amour éternel il a ordonné d’arracher les eaux cachées sous un vaste rocher, de les entourer de pierre vive et de les faire couler éternellement »20. Conçue comme un nymphée à l’antique, cette fontaine conservait le caractère sacré que lui avait déjà conféré la vénération populaire au Moyen Âge sous le vocable de « source de Sainte-Marguerite », à tel point que des historiens parlaient par abus de langage, ou simple confusion, de la «fontaine de Sainte-Marie »21. L’eau en tant que thème fédérateur du domaine « La Fontaine » constituait le fil de narration de toutes les parties du jardin. Captée en plusieurs endroits au pied des falaises du « Pletzebierg » (littéralement : la montagne du palais), elle fut distribuée à travers l’ensemble des trois terrasses du jardin afin de multiplier les effets artificiels de l’art hydrau18
Traduction des Historiae Luxemburgensis Antiquariae Disquisitiones , citées note 6. 19 D. R. Coffin, Gardens and Gardening in Papal Rome, Princeton (N. J.), 1991, p. 245-247. 20 L’inscription, transcrite par JeanGuillaume Wiltheim vers 1630, a été traduite du latin en français par O. Scholer.
21
Eustache Wiltheim, le frère du Jésuite Jean-Guillaume, mentionne la fontaine du jardin sous le vocable de « SainteMarie » vers 1640. Il la place à proximité immédiate de la fontaine SainteMarguerite. V. O. Scholer, « Du vor des Wassers f ließendem Gesicht, marmorne Maske… » Die Steckbriefe der MansfeldBrunnen 2. Teil, dans Hémecht, 48 (1996) 4, p. 499.
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lique. Selon Jean-Guillaume Wiltheim, les « châteaux d’eau équipés de roues et de machines hydrauliques » existaient également à l’intérieur du parc à gibier22 . Grâce aux fouilles archéologiques des tuyaux en plomb, en terre cuite, des buses en bois de chêne, des canalisations, des réservoirs d’eau souterrains ont pu être étudiés à l’intérieur même du labyrinthe, du verger, de la grotte et de l’hypèthre de Neptune. L’eau avait une fonction utilitaire au niveau de la laverie et de la maison des bains situées au jardin. Il en était de même pour la fontaine publique installée près de l’hôpital Sainte-Marguerite. Quant au grand étang, de forme irrégulière et au petit étang rectangulaire, on peut admettre qu’ils servaient à la promenade en barque et à la pêche. En revanche, toutes les autres fontaines avaient surtout une valeur ornementale. Elles mettaient en scène un sujet iconographique précis et se présentaient sous formes de sculptures élaborées (ex. saint Pierre, Vénus, Bacchus, Neptune, Flore…) (fig. 2). Le ruisseau de l’Alzette qui formait avant 1563 un méandre généreux au pied du rocher du Bock (site de l’ancien château de Luxembourg) fut canalisé le long du jardin de Mansfeld. Afin d’empêcher les inondations d’envahir le jardin, une longue jetée, ou digue, surélevée et plantée d’une allée de tilleuls, fut construite. L’ouvrage qui existe jusqu’à nos jours comme chaussée publique était d’une facture qui pouvait à bien des égards être comparée à des ouvrages de la Flandre. En déplaçant le lit d’origine de l’Alzette, Mansfeld pouvait gagner du terrain pour l’aménagement des jardins. Il fit même un usage astucieux de sections de l’ancien lit de l’Alzette en l’intégrant dans les nouvelles pièces d’eau, à savoir le grand étang, le petit étang, une partie du bassin de SaintPierre et probablement aussi l’étang carré de l’île de la volière 23. Il semble que la canalisation des jardins et des bâtiments s’était déroulée en deux phases, ce qui expliquerait bien la désignation de « vieux palais » et de « nouveau palais » pour les deux corps de bâtiments juxtaposés à l’époque de Mansfeld.
22
Ces réservoirs d’eau et ces machines hydrauliques ont probablement existé dans la vallée de Neudorf.
23 Lors des fouilles récentes du bassin de Saint-Pierre (2006), le tracé d’origine du lit de l’Alzette a pu être proprement localisé.
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2. Photographie (2006) de la fontaine de Vénus, du verger. Fouilles archéologiques.
La création du parc à gibier semble bien remonter à la dernière phase de construction, après 1590. À cet égard, le déplacement de la chaussée de Trèves, de la vallée de Neudorf vers les hauteurs du Fetschenhof à partir de 1590 est un indice précis pour la création du parc à gibier, qui n’avait pas seulement créé un obstacle au réseau des chemins existants, mais aussi une rupture de fait dans l’ancien tissu des limites paroissiales et des limites de juridiction de la ville de Luxembourg24. Par ailleurs, l’inventaire des biens meubles, dressé immédiatement après
24 La Carte particulière des limittes et Separations des jurisdictions de la Ville de Luxembourg avec le prevôté de ce nom et autres Seigneurs depuis Clausen jusqu’à Hollerich
réalisée par N. Jamez en 1772 montre exactement ces modifications de limite au niveau du parc à gibier. Luxembourg, Archives Nationales, A-LIX-19.
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3. Plan du parc à gibier. « Carte topographique et d’Arpentage du Parc de Mansfeld, avec tous les Biens fonds qui en dependent, Levé en L’an 1778 ». Arpenteur juré Charles Ferdinand Vesque, 48 x 115 cm, Archives nationales Luxembourg, A-LIX-28.
la mort de Mansfeld (1604), relève pour l’une des portes d’entrée du parc, la porte Octavienne, que les plafonds des pièces du pavillon d’entrée n’étaient pas encore achevés en 1604. Le tracé exact du parc à gibier est bien connu à travers les cartes militaires de la ville et forteresse de Luxembourg des XVIIe et XVIIIe siècles. La «carte topographique et d’arpentage du Parc de Mansfeld», levée par l’arpenteur juré CharlesFerdinand Vesque en 1778 (fig. 3), constitue un document de toute première qualité, tant du point de vue de la localisation exacte de tous les murs et de toutes les constructions que du point de vue du réseau des chemins à l’intérieur du parc et des indications bien spécifiques de la végétation du lieu au XVIIIe siècle25. Bien que le jésuite Jean-Guillaume Wiltheim mentionnât avec précision la longueur de la puissante muraille, haute de 3 à 3,6 mètres, de l’enclos du «theriotrophium», à savoir près de 5 kilomètres, il n’indiquait rien au sujet de la composition végétale du parc, ni au sujet des animaux qui y étaient enfermés. Il s’agissait probablement d’une réserve d’animaux sauvages, nourris à grands frais dans les nombreuses « étables » mentionnées par Wiltheim 26. La topographie très accidentée du
25
Luxembourg, Archives Nationales, A-LIX-28. 26 Un lieu-dit actuel, la « Hirzekrepp », littéralement la « crèche aux cerfs » en
luxembourgeois, indique probablement un tel point de fourrage dans l’ancien parc à gibier. 215
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parc grâce aux collines bordées de falaises en grès et la forme allongée du parc en direction de la vallée de Neudorf se prêtaient probablement mal à la chasse. Vu à partir des jardins et de la maison de plaisance, le parc à gibier dominait l’ensemble des hauteurs qui enveloppaient la vallée de Clausen par un amphithéâtre de rochers hérissés d’arbres sauvages. De fait, on peut constater que le tracé de la muraille renfermait surtout des terrains incultes et stériles, alors que les plateaux de Weimershof et Fetschenhof étaient déjà bien défrichés au XVIe siècle et exploités de manière agricole. Gravissant la colline à partir de l’édifice d’entrée (actuelle brasserie Mansfeld), la muraille longeait les falaises du plateau du Fetschenhof, descendait dans la vallée de Neudorf (à proximité de l’ancienne brasserie Funck), remontait au plateau et se poursuivait par un retour d’angle en direction du Weimershof. De là, elle se prolongeait en direction du plateau du Fort Thungen en descendant à pic dans la vallée pour rejoindre le « Hondshaus », c’est-à-dire le chenil. À l’image de l’ensemble des édifices du domaine, les portes d’entrée au parc à gibier avaient, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, un caractère architectural et ornemental prononcé. Conçues comme des pavillons de jardin, offrant les commodités nécessaires au logement (chambre, garde-robe, cuisine, salle de banquet) et de réception, les portes avaient une monumentalité, relevée par le fait que chacune portait le nom d’un membre de la famille Mansfeld. Ainsi la porte Caroline, juchée sur les hauteurs du Weimershof, la porte Octavienne, érigée en face près du Fetschenhof et la porte Saint-Pierre, occupant le fond de vallée à Neudorf, rappelaient le souvenir de Pierre-Ernest de Mansfeld et de ses deux fils Charles (1545-1595) et Octavien (1562-1591). Les portes dédiées à leurs héros éponymes étaient dotées à l’intérieur de peintures, illustrant le thème de la chasse aux cerfs, aux sangliers, aux lions, aux léopards, aux buffles, aux taureaux, aux ours, mais aussi les épisodes mythologiques (ex. Diane et Calisto dans la forêt, ruse du cheval de Troie…). Les décorations évoquant à la fois le souvenir des chasses de Maximilien Ier, les chasses à caractère exotique et des réminiscences antiques prouvent bien que Mansfeld avait conçu son parc à gibier comme une démonstration de son pouvoir personnel qui figurait dans une illustre lignée de héros et princes antiques et modernes. La typologie des portes d’entrée, conçues comme des pavillons de plaisance, est assez hétéroclite. Les édifices d’enceinte du parc à gibier de Maximilien II à Neugebäude près de Vienne étaient de conception assez semblable à ceux de La Fontaine. 216
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Une vue panoramique du domaine « La Fontaine » de Clausen, datant vraisemblablement de la fin du XVIe siècle27, permet de comparer et de compléter la description du lieu, due à la plume du jésuite Jean-Guillaume Wiltheim du début du XVIIe siècle, et les récentes découvertes archéologiques. Au-delà de cette valeur documentaire le dessin à l’encre brune, lavis et rehauts d’aquarelle, attribué à Tobias Verhaeght (1561-1631), nous permet de découvrir, à partir de l’angle de vue choisi par l’artiste, la manière dont un contemporain de Mansfeld comprenait et représentait le lieu de manière idéale. Autrement dit, il s’agit à la fois d’une vue et d’une vision d’un lieu réel. Dans le contexte luxembourgeois, c’est la première représentation d’un paysage en tant que tel. L’emploi de la perspective, quoique appliquée ici sans rigueur absolue, y est aussi un fait nouveau. La position fictive de l’artiste, ou de l’observateur, est placée à mi-hauteur entre le vieux château de Luxembourg et le plateau d’Altmunster, probablement dans la nouvelle descente de Clausen, aménagée par Mansfeld pour le transport des matériaux de construction de son domaine 28. Le cadrage de la scène qui se présente au spectateur de manière frontale comme au théâtre est fait de manière à montrer tous les édifices du «palais» et des jardins, à l’exception du grand étang et de l’hôpital Saint-Marguerite, construit seulement vers 1600. Le vieux logis, ou « palais » selon Jean-Guillaume Wiltheim, surplombant de sa haute terrasse le labyrinthe du jardin, occupe le centre de la composition. Grâce aux lignes de perspective qui convergent vers le centre du dessin, l’œil est insensiblement guidé vers les armoiries de Mansfeld décorées du collier de la toison d’or. Trois plans successifs suggèrent une idée de profondeur, de distance et de contraste marqués. L’avant-plan, dessiné d’un trait de plume libre et nerveux, développe une scène à caractère rural qui nie la proximité immédiate d’une ville : les personnages, tels un bouvier, les pro-
27
V. note 2. Ce point de vue privilégié qui met en relation la maison de plaisance du gouverneur avec l’ancien haut lieu du pouvoir, le château des comtes de Luxembourg, n’a probablement pas été choisi fortuitement. 28
Lors de leur descente vers Clausen le 22 août 1599, les Archiducs Albert et Isabelle devaient nécessairement passer par cet endroit précis et observer toute l’étendue de l’architecture et des jardins à partir de là. 217
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meneurs animent le paysage caractérisé par un moulin vétuste établi près des berges irrégulières de l’Alzette. La digression anecdotique de l’avant-plan sert d’élément « repoussoir » à l’agencement géométrique des jardins et du palais. La jetée, ou digue, construite à la manière d’un ouvrage militaire et servant d’allée de tilleuls, sert de ligne de séparation et de transition entre les deux plans. Quant au jardin, subdivisé successivement en trois niveaux, ou terrasses, on constate que chaque unité s’intègre dans une structure orthogonale d’ensemble. Le labyrinthe, avec le bassin central de Saint-Pierre, est flanqué à gauche par un jardin potager avec des fontaines aux croisements des allées et à droite par le verger de Vénus, planté en quinconce autour d’une fontaine quadrilobée centrale. Parallèlement à cette terrasse, le niveau inférieur est dominé par le petit étang, flanqué à gauche par un jardin de fleurs et à droite par un pré à sécher le linge. Les « jardins suspendus », établis sur une terrasse élevée contre le vieux et le nouveau logis du palais, sont à peine visibles sur le dessin. Toutefois la fontaine, dotée d’un orgue hydraulique, ainsi que les berceaux de verdure architecturés peuvent être décelés. En revanche, les jardins derrière la maison des bains – l’île de la volière et la feuillée de hêtres autour de la fontaine de Flore – sont à moitié cachés par l’édifice monumental. Le troisième plan du dessin, faisant figure d’arrière-plan sauvage derrière le corps de bâtiment du château souligne, par un effet de contraste saisissant, l’aspect rude et naturel de l’environnement. Cependant l’artiste a omis d’y signaler la présence du parc à gibier. Ce qui est souvent une licence artistique de faire figurer un paysage imaginaire de rochers à la manière de Patenier, de Savery ou de Momper dans l’arrière-fond d’un tableau, est à Clausen une description topographique d’une rare exactitude. L’étude du site de Clausen a permis de montrer que le domaine de Mansfeld, qui n’a eu qu’une existence éphémère, s’inscrivait dans un tissu déjà existant. La réorganisation spatiale du site à l’époque de la Renaissance avait surimposé une trame géométrique qui reste apparente 218
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jusqu’à nos jours dans le parcellaire actuel du quartier de Clausen. Les éléments naturels du site – la forêt et les falaises de grès – donnent l’impression que Clausen émerge pour ainsi dire du massif forestier du Grünewald. Cette impression faisait partie, à l’époque de Mansfeld, de la mise en scène spectaculaire du domaine « La Fontaine ».
4. Luxembourg. Faubourg de Clausen (carte postale éditée par le Grand Bazar Champagne, Luxembourg-Gare, vers 1900). Vue plongeante prise à partir du plateau du Fort Thungen sur le site de l’ancien palais et des jardins de Mansfeld à Clausen ; l’église (construite en 1865, architecte Ch. Arendt) occupe l’espace entre l’ancien labyrinthe et le jardin potager du XVIe siècle.
5. Luxembourg. Clausen et Parc Mansfeld (carte postale éditée par O. Schleich Nachf., Dresden, vers 1900). Vue frontale sur le site des anciens jardins ; la terrasse derrière l’église et les jardins à droite de l’église sont des vestiges des « jardins suspendus », du labyrinthe et du verger du XVIe siècle. 219
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1. Tapisserie de Mille fleurs : scène allégorique, un enfant présentant une aiguière et une éponge ( ?) à une femme peignant ses cheveux, une autre femme s’évente, un singe se peigne en se regardant dans un miroir, 1er tiers du XVIe siècle, Paris, Musée du Louvre, inv. OA11335.
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JACQUELINE GUISSET Docteur en Philosophie et Lettres Mille
fleurs, l’image de la nature dans la tapisserie du xv e siècle
Considérées comme un genre à part entière, les tapisseries de millefleurs témoignent de recherches plastiques tant dans le réalisme de la représentation que dans l’interprétation de l’espace tissé. Ces œuvres, au charme si particulier, offraient à la noblesse un décor de jardins imaginaires qui recèle souvent des messages à haute portée symbolique et esthétique. Le petit nombre de pièces conservées permet d’analyser les préoccupations des liciers et des commanditaires. L’Apocalypse d’Angers, datée de la fin du XIVe siècle, aborde déjà une problématique de la représentation de la nature. Certaines des scènes de cette grande tenture présentent des fonds unis, d’autres des fonds bleus ou rouges parsemés de motifs géométriques ou floraux. L’alternance colorée des fonds correspond à une pratique courante dans les enluminures et le vitrail du moyen âge et n’est pas particulièrement symbolique dans la tapisserie. Les différentes scènes se déroulent en plein air. Parfois on rencontre de véritables paysages, de l’architecture d’inspiration contemporaine telles que villes et châteaux forts, toujours représentés selon les normes des recherches perspectives de l’époque. Il n’est donc pas question ici, et ce pour longtemps encore dans la tapisserie, de l’étude de la perspective centrale ou mathématique. Toujours, il faut prendre en compte les dimensions non négligeables des tapisseries. L’Apocalypse d’Angers mesure encore à l’heure actuelle 4,50 m de haut sur 103 de long. Art monumental médiéval par exemple, nommé fort à propos par Guy Delmarcel la « fresque mobile du Nord » par opposition aux véritables fresques du sud des Alpes, l’art de la lice s’étend le plus souvent sur des surfaces considérables. Qu’elles soient prévues pour occuper les entrecolonnements des églises ou les murs des châteaux, leur hauteur reste toujours impressionnante. Cet aspect est extrêmement important car on ne pourra envisager la représentation en terme de perspective qu’au XVIe siècle, en tenant toujours compte des dimensions de l’œuvre par rapport au spectateur réel, in situ, et non face à des reproductions.
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Les scènes de l’Apocalypse d’Angers se développent sur deux niveaux en hauteur. La profondeur de champ est rendue par des jeux de terrasses ou des zones colorées où le végétal joue un rôle certain. Quelques touffes d’herbe, quelques fleurs, pas toujours identifiables, voisinent avec des arbres divers. On constate que les arbres ne sont jamais proportionnés tant par rapport aux personnages qu’aux lieux montrés ou même aux autres éléments naturels. Ce point n’est guère particulier à cette tenture et se retrouve dans la plupart des enluminures de l’époque. Il persistera tout au long du XVe siècle, voire au delà. Tous les végétaux, issus du sol, sont présentés à plat sur un espace partiellement ou totalement rabattu. Dans certains cas, les jeux de hachures, caractéristiques du tissage de la tapisserie - ils assurent la solidité mais aussi la subtilité et le modelé dans les changements de couleurs - complètent une vision herbacée. Les motifs des fonds ou des ciels appartiennent à une autre catégorie d’image. Parmi les différentes interprétations, fort nombreuses, on peut relever l’idée que les grandes surfaces unies étaient préjudiciables à la solidité des tapisseries ou que ces motifs avaient été inventés et ajoutés par les liciers eux-mêmes pour éviter un certain ennui, voire la monotonie dans leur travail. Cependant, l’introduction de dessins et de changements de couleurs ralentit toujours le tissage et entraîne donc un coût supplémentaire. Il semble donc peu probable d’attribuer cette adjonction aux liciers eux-mêmes. Sans doute, faut-il l’intégrer dans la conception générale des surfaces colorées à cette époque. En effet, on retrouve ce même parti pris ornemental dans un grand nombre de vitraux et dans certaines enluminures, où les fonds et ciels se présentent également dans une alternance colorée de rouge et de bleu. Les feuilles ou fleurs sont toujours conçues de façon irréaliste par la forme et la couleur, isolées ou reliées par des arabesques qui évoquent les rinceaux de l’antiquité. Michel Pastoureau rappelle que l’image médiévale fonctionne par superposition et par jeux de texture, de densité, de luminosité et de matière1. On peut considérer que dans l’Apocalypse d’Angers, les ciels relèvent de la catégorie du « semé », soit un uni densifié et valorisé. Si le « semé exprime presque toujours quelque chose de solennel, de majestueux, voire de sacré »2, on comprend tout de suite mieux le sens donné à cette conception céleste car l’œuvre appartient d’évidence à ces trois catégories. Le ciel ne fonctionne, en aucun cas, comme un ciel réel.
1
M. Pastoureau, L’étoffe du diable Une histoire des rayures et des tissus rayés, Paris, 1991, p. 38-47.
2
Ibid., p. 39.
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Cette tenture exceptionnelle montre donc d’emblée deux niveaux de représentation de la nature – celui des fonds ou du plan limitant l’espace et celui du paysage. Ces deux aspects se retrouveront dans les tapisseries ultérieures, enrichis d’une intention héraldique, et permettront d’aborder autrement la nature dans les millefleurs. Nobles dans une roseraie, datée vers 1450 et conservée au Metropolitan Museum of Arts de New York, offre une intéressante transition vers les millefleurs. Cette tapisserie intéressante ne subsiste, hélas ! qu’à l’état de fragment. Elle devait appartenir au décor complet d’une chambre. Le tissage comprenant de nombreux fils de métal (or et argent) suggère un commanditaire fortuné. Si la robe de la dame ne s’étalait aussi largement, l’espace serait perçu comme un plan unique, accentué par les bandes colorées verticales, blanches, rouges et bleues sur lesquelles se détachent des rosiers. Primitivement, ce bleu semble avoir été vert car les teintures vertes supportent assez mal l’exposition aux ultraviolets et souvent la verdure des tapisseries s’est fondue dans des harmonies bleutées. Ces couleurs, de même que le rosier, peuvent renvoyer au roi Charles VII, dont c’étaient les emblèmes. Les fonds rayés ou l’alternance de tissus de couleurs et de motifs différents jouent un rôle dans le décor intérieur, le plus souvent associés à une évocation héraldique. On en trouve des illustrations notamment sous le pinceau parisien du Maître de la Cité des Dames dans la page de dédicace des Œuvres de Christine de Pisan3. Dans le cas de la tapisserie, la présence de la rose, outre un éventuel aspect héraldique, véhicule une forte valeur symbolique d’amour et de beauté, très courante au moyen âge. Dans d’autres circonstances, la rose sera associée également à la Vierge, et parfois à des tissus rayés, comme dans le drap de majesté que l’on trouve derrière Marie dans le retable de la Vierge de Strängnäss III. De plus, on constate dans les représentations de jardins que les rosiers sont cultivés le long d’un treillage formant parfois tonnelle et donc structurés à la verticale. La représentation du rosier, comme des autres plantes, ne doit pas correspondre à un réalisme strict, mais son évocation se précise toujours par les tiges sinueuses, le feuillage ou les épines, elles aussi chargées de symbole. La tapisserie des Nobles dans une roseraie constitue donc un cas intéressant tant sur le plan de la conception de l’image d’éléments de nature que sur celui de la sémantique. Le cas du Don du cœur (fig. 2) est assez particulier et étonnamment moderne. On comprend à quel point les artistes du XXe siècle, Lurçat
3
Maître de la Cité des Dames, Paris, 1410-1411, fol. 3r° : Christine de Pisan offre son
manuscrit à Isabeau de Bavière, épouse du roi Charles VI, Londres, British Library, Ms Harley 4431.
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2. L’offrande du cœur, tapisserie, vers 1400-1410, Paris, Musée du Louvre, inv. OA3131.
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en tête, l’ont trouvé captivant. La transition entre l’espace de l’avant-plan et le fond se fait en souplesse, grâce à la zone herbée, au ruisseau, aux animaux qui évoquent aussi une sorte de jardin d’Eden pour situer une vision de l’amour idéal. Un fond sombre entoure le terre-plein fleuri et l’on remarque que quelques touffes de plantes ont échappé à l’espace conventionnel et commencent à migrer vers les lieux inoccupés. Outre les tapisseries historiées ou à personnages, la fin du moyen âge verra la multiplication d’un genre à part entière, celui des Verdures héraldiques. La plus ancienne conservée semble être la tapisserie aux Armes des familles Beaufort, Turenne et Comminges datée de la fin du XIVe et conservée par fragments à New York, Glasgow et Amsterdam. La tapisserie est un art de luxe, coûteux et donc ostentatoire. Il faut prendre en compte la laine, les pigments, les fils de métal - or et argent -, les heures de travail et les divers intervenants. Le délai entre la commande et la réception intervient également dans la préciosité de ces tissus. Les tapisseries héraldiques occupent des surfaces considérables. L’ensemble commandé par Philippe le Bon à Jean de Haze et payé en 1466 comprenait six pièces auxquelles il faut encore ajouter une garniture de banc et une garniture de dressoir4. Le fragment conservé au Musée historique de Berne mesure encore 3,06 m de haut sur 7,05 de long (fils d’or et d’argent). Il faudrait lui ajouter environ un mètre en hauteur, le tout à multiplier par six ! Là encore, l’enluminure apporte un éclairage informatif. Souvent, les pièces de réception sont tendues de tissus héraldiques, de même que certaines parois d’églises ou de cathédrales. L’inventaire des biens de Philippe le Bon, établi en 1430, mentionnait déjà une tapisserie « de fil d’Arras, à plusieurs herbages et fleurettes, ouvré au mylieu de deux personnages, assavoir d’un chevalier et d’une dame, et de six personnages d’enfants » dans les angles5. Les témoignages illustrés de la vie quotidienne ou officielle de Philippe le Bon ne manquent pas. Hélas ! aucun ne montre précisément ces tapisseries. Or on sait qu’elles participaient aux différents décors officiels. Sans quoi, il serait impensable d’accepter que Charles le Téméraire les ait emmenées dans ses bagages lors du siège de Nancy en 1477… pour les y perdre ! Quelles que soient les salles de châteaux qui devaient les accueillir, l’ensemble devait être extrêmement impressionnant. L’environnement d’herbages et de fleurettes pouvait même se montrer quelque peu étouffant. Pour la plupart des auteurs, les plantes ont une fonction symbolique
G. Delmarcel, La tapisserie flamande du XVe au XVIIIe siècle, Paris, 1999, p. 34. 4
5
G. Delmarcel, ibid., p. 40.
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qui nous échappe aujourd’hui. D’aucuns font allusion à une vision du jardin d’Eden. Aucun texte ne s’intéresse au mode de représentation de ces plantes. Le fond est uniformément sombre et ne comporte que peu d’herbes en tant que telles. Chaque touffe de plante, bien isolée, présente une floraison abondante. Quelques remarques s’imposent. Toutes les plantes sont en fleurs simultanément, alors que leurs périodes de floraison varient sur l’année. Dans certains cas, par exemple celui du pissenlit ou du fraisier particulièrement fréquents dans les millefleurs, on distingue plusieurs états de la plante : boutons, fleurs, fruits. A d’autres époques, les allusions sont aisées : début, apogée et fin de la vie. Ajoutons à cela que Benoit-Meschin signale la connotation religieuse de certaines variétés : « l’amertume de la douleur de la Passion » pour le pissenlit et la « droiture » pour le fraisier. Il reste cependant un point non négligeable à étudier : l’aspect strictement esthétique et la démarche spatiale. Chacune de ces plantes est tissée avec une base de feuillage rabattue, étoilée et quasiment symétrique. Les feuilles s’étagent en plusieurs plans passant d’un jaune à un bleu assez léger. Rappelons que le vert est à cette époque difficile à fixer dans la teinture des laines et qu’il a tendance à pâlir plus que le rouge par exemple. Lorsque l’on regarde des verdures d’Audenarde du XVIIe siècle, elles dégagent une impression bleutée et non verte. Au XVe siècle, on se servait du contraste des tons chauds et froids et du mélange optique des couleurs pour provoquer une illusion verte par juxtaposition de jaune et de bleu. Certaines plantes adoptent également volontiers des allures d’arabesque pour conquérir de l’espace. Toutes sont proposées en avant-plan et confirment justement la planéité de ce magnifique décor floral. Dans La Légende de la Sainte Croix, datée vers 1450, mesurant 4,30 m sur 11,20 et conservée au Museo de los Tapices de la Seo à Saragosse, le même principe a été adopté pour un avant-plan sur lequel viennent ensuite se détacher des personnages. Les plantes sont isolées, plaquées sur le fond et bénéficient de prolongements tentaculaires en arabesques et volutes, totalement irréalistes. Pour la commodité du spectacle et de la situation, les arbres se voient considérablement réduits dans leurs proportions. Un peu plus tardive, Le furetage - vers 1460-70, mesurant 3,05 m sur 3,63 et conservée au M.H. de Young Memorial Museum de San Francisco - offre une solution intermédiaire. Un avant-plan fleuri dans le même esprit stabilise les personnages qui peuvent ensuite évoluer dans un espace plus unitaire aménagé grâce à la présence d’arbustes, puis d’arbres relativement cohérents. Quelques arabesques encore et l’on observe quelques plantes bouchant les « trous » entre les figures. 228
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3. Tenture de la Dame à la Licorne : Le Goût, tapisserie, entre 1484 et 1500, carton parisien, tissage : Pays-Bas du Sud, Paris, Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, inv. Cl.10831.
Ces recherches conduisent évidemment à la très célèbre tenture de La Dame à la Licorne. Six pièces perçues par le public comme l’emblème parfait de la tapisserie médiévale et par la plupart des spécialistes comme l’exemple type des millefleurs (fig. 3). À y regarder de plus près, on retrouve le fond rouge et la terrasse bleue, dans l’alternance classique des tons de l’époque. Le ciel n’étant point rouge, il s’agit bien de dématérialiser l’espace du fond, en opposition avec l’hortus conclusus où évolue la dame. Un regard plus attentif sur le fond rouge nous montre des branches fleuries se terminant par un arrondi qui les « pose » et non des plantes entières. La comparaison avec les fonds fleuris de l’Apocalypse d’Angers prouve que le processus est identique, même si le tissage a acquis une plus grande finesse et un réalisme bien perceptible. Ces grands espaces rouges sont également habités par des animaux. Lapins, chiens, renards, chèvres, moutons, hors de la sphère héraldique particulière à cette tenture, parsèment ces fonds où ils rencontrent des faisans, perdrix, 229
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pies, hérons. Animaux terrestres et animaux célestes, aisément identifiables, même si les proportions respectives ne sont guère respectées. L’ensemble ne peut donc fonctionner comme une illusion de ciel, mais propose une vaste étendue décorative sur le thème de la nature, de sa richesse et de sa diversité en n’omettant pas de préciser que l’allusion au jardin d’Eden reste toujours présente dans la lecture de l’époque. Tout autre est la conception des terrasses bleues. Délimitées par une petite clôture, elles suggèrent un véritable plan perspectif où évoluent les personnages. Cette fois, on distingue une zone bleue tempérée de vert. On ne peut se limiter à reprendre l’alternance chromatique médiévale. La couleur sombre des terrasses, bleu-noir dite « paonacée », forme un contraste de teinte froide par rapport à la chaleur du rouge des fonds. Cette opposition contribue à la création d’un espace plus réel, pénétrant la surface rouge, par le simple jeu optique de l’effet des couleurs. Grâce aux hachures, l’illusion de l’herbe se confirme, notamment par la répétition de groupes de trois, quatre ou cinq « brins » d’herbe. Voici le « pré fleuri », étendue gazonnée où poussent des plantes fleuries pour le plus grand bonheur pictural. Violettes, muguet, bellis ou pâquerettes, fraisiers, narcisses, œillets, giroflées envahissent ces espaces avec naturel et créent une véritable illusion perspective. Contrairement à leurs sœurs des fonds rouges, car certaines espèces sont identiques, sur les terrasses, elles sont toujours proposées en plantes complètes, où les hampes florales jaillissent correctement du feuillage. Outre la vision édénique et la richesse, elles jouent un rôle primordial dans la conception de la troisième dimension. La juxtaposition des plantes, les vides qui les séparent, les touffes d’herbe provoquent dans l’œil du spectateur un espace enveloppant que l’on retrouve dans la peinture contemporaine où elles occupent souvent l’avant-plan pour les mêmes raisons de conquête spatiale. Quelques surprises toutefois dans cette tenture, si belle et séduisante qu’on en oublie les incohérences purement plastiques. Les dimensions des arbres y sont fantaisistes. Parfois le tronc de l’un passe devant puis derrière le tronc de l’autre. Sans doute faut-il se souvenir que les cartonniers utilisaient des éléments à répétitions qu’ils faisaient coulisser à volonté en fonction des dimensions requises. Un peu plus tardive puisque datée de 1495-1505, La chasse à la Licorne du Metropolitan Museum de New York joue sur deux types de représentation d’espaces naturels. Dans les sept pièces qui constituent la tenture et sans revenir sur le sens symbolique général attribué à cet ensemble, à savoir une allégorie de la Passion, on peut distinguer les scènes ou parties du récit inspirées par la pratique réelle de la chasse. Activité importante de la vie des seigneurs, elle appelait sans doute à une représentation plus fidèle des lieux, où l’on rencontre des châteaux parfois 230
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insérés dans des enceintes urbaines, des paysages largement ouverts sur le lointain qui, à la partie haute des tapisseries, témoigne de changements d’ordre esthétique. Au centre des mêmes scènes, rivières et fontaines créent également un cadre naturaliste où les fleurs abondent mais qui diffère sensiblement de ce qu’il est convenu d’appeler millefleurs. Deux pièces de la tenture, Le départ pour la chasse et La Licorne captive, échappent à ce sens nouveau de l’espace. Cette dernière marque sans hésiter l’apogée du genre. Le départ pour la chasse oscille entre deux recherches. Toute la partie gauche se présente comme un fond de millefleurs sur lequel sont plaqués les divers personnages. Pour accréditer le lieu de la chasse, la forêt, une succession d’arbres tissés en perspective, malgré des proportions irréalistes par rapport aux humains s’ouvre sur la droite et entraîne le regard dans l’illusion d’un sous-bois au sol abondamment fleuri. La Licorne captive reste le chef-d’œuvre par excellence ! Le naturalisme des plantes déconcerte. Parfaitement reconnaissables pour la plupart d’entre elles puisque plus de cent espèces ont été identifiées, bien plantées dans le sol parmi de petites herbes folles, toutes les variétés partent à l’assaut d’un espace unitaire, à peine rompu par la clôture où la licorne se trouve enchaînée au grenadier. L’ombre et la lumière jouent dans les feuilles, parfois un manque d’espace contraint à recourber une feuille avec naturel, à d’autres endroits des tiges se prolongent en belles arabesques terminales pour combler les vides. Tout semble juste, le port général de la plante, la façon dont la tige florale émerge, les proportions relatives, les couleurs. Cependant, l’œil pris dans cet espace particulièrement touffu reste attiré par le statut spécial accordé à quelques végétaux. Un lys surmonté d’une libellule, un chardon-marie bien isolé, trois plants d’iris accolés et assez majestueux, un autre d’œillet butiné par un papillon poussent devant l’enclos, tandis qu’une orchidée se détache sur le flanc de la licorne. Intégrées dans le foisonnement général, ces plantes véhiculent un haut pouvoir symbolique relié à l’iconographie choisie pour cette tenture. Bientôt, le champ de millefleurs ne devient plus qu’un élément de situation. Les scènes historiées dominent et ne recourent aux fonds de fleurs que comme environnement ou occupation de l’espace. Les vendanges et le pressurage du raisin, datée du début du XVIe siècle6, montre déjà plus de sécheresse dans le dessin. On constate une diminution du nombre de variété dans les espèces tissées et leur parti pris de remplis6
Paris, Musée national du Moyen Âge, 246 x 495 cm.
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sage. Le rouge et le blanc dominent parmi les fleurs pour structurer l’espace en hauteur. Les tapisseries constituent également une production courante où la qualité des dessins s’amenuise. Les cartons, trop souvent réutilisés ou aux éléments interchangeables, représentent un appauvrissement du style et de l’image. Les nombreuses querelles de protectionnisme n’ont pas épargné le domaine de la tapisserie. Si le premier créateur doit être un peintre, connaissant les particularités du métier certes, il doit se montrer capable de suivre ou d’innover. La collaboration et l’influence de Van der Weyden et des autres Primitifs flamands se sont révélées essentielles. L’augmentation de la production va pousser les cartonniers, chargés de transposer le modèle réduit à grandeur d’exécution, voire les liciers eux-mêmes à dessiner ou créer de véritables cartons, ou plus souvent encore à tisser à l’infini les mêmes motifs en ajoutant les figures sans les personnaliser. Les tapisseries correspondent de plus en plus à des stéréotypes peu intéressants. La dispute entre les tisserands et les peintres culmina en 1476, ces derniers accusant les tisserands de faire travailler des compagnons étrangers à leur corporation. Les liciers purent conserver la liberté d’imaginer la flore et la faune « des buissons, des arbres, des frondaisons et de l’herbe, des oiseaux et des animaux servant à leurs verdures » et de compléter les parties manquantes à leurs patrons « au charbon, à la craie ou à la plume » et non au pinceau et ceci pour leur usage personnel7. Le malaise créé permettra de relancer une production de haute qualité esthétique. Mais le genre millefleurs entre en crise et devra se trouver une nouvelle logique. En effet, la tenture de La Vie seigneuriale 8 présente un dessin assez sec pour les figures. Les plis des vêtements se brisent assez durement et manquent de fluidité dans l’occupation de l’espace. Si les arbres commencent à prendre une dimension plus proportionnée à l’environnement, mais pas aux personnages, on constate que les fleurs ont subitement grandi de manière démesurée et incohérente. Il s’agit bien de remplir les fonds par cette verdure somme toute bien pratique. Parfois le même feuillage sert pour des fleurs différentes. La structure géométrique des plantes devient systématique. Certaines inflorescences se transforment en des jeux de carrés superposés parfois illisibles. Il ne faut guère incriminer la finesse du tissage, le nombre de fils de chaîne au centimètre étant rigoureusement identique pour La Dame à la Licorne et La Vie seigneuriale.
7
G. Delmarcel, op. cit., p. 45-47.
8
Paris, Musée national du Moyen Âge, début XVIe siècle.
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4. Tapisserie de Mille fleurs, fleurs schématisées, Paris, Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, inv. Cl.22570B.
Le genre semble menacé. Cependant les fleurs et plantes resteront toujours présentes dans les tapisseries de nos régions, dites flamandes. Le début du XVIe siècle consacre diverses recherches en faveur de l’application aux tapisseries d’un espace unitaire et perspectif au détriment de l’étagement des personnages. Avant d’atteindre aux chefs-d’œuvre – Les Actes des Apôtres commandées à Bruxelles par Léon X d’après des cartons de Raphaël – d’autres tapisseries présentent à nouveau des végétaux à l’avant-plan pour dégager de l’espace ou structurer les divers plans en profondeur. Le départ de l’enfant prodigue 9 montre une bande gazonnée parsemée de fleurs et d’arbres minuscules qui ondule et forme terre-plein devant la sortie du château, mais que l’on retrouve aussi pour ponctuer l’une ou l’autre « coulisse » spatiale. Le traitement des plantes présente de nombreuses similitudes avec celui de La Vie seigneuriale mais avec plus de raffinement. Au début du XVIe siècle, les millefleurs se cantonnent dans une production héraldique que l’on serait tenté de qualifier « à bon marché ». En effet, parmi les exemples conservés, on rencontre des pièces particulièrement maladroites. Le Musée national du Moyen Âge à Paris conserve deux fragments de tapisseries de ce genre10 (fig . 4). Le dessin est de piètre qualité, le traitement des couleurs rudimentaires et une observation assez élémentaire permet de compter le séquençage des motifs. On sait que les liciers devaient utiliser des cartons découpés en carrés et répétés en fonction de la surface à tisser. Si nécessaire et selon les commandes, cette production courante pouvait s’enrichir de blasons, voire de quelques animaux pour la rendre plus attrayante.
9
Paris, Musée national du Moyen Âge, vers 1520, 360 x 662 cm.
10
F. Joubert, La tapisserie médiévale, Musée national du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 188-189.
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Enfin, il semble que Bruges se soit fait une spécialité des verdures ou millefleurs armoriées au début du XVIe siècle. Même s’il s’agit d’œuvres de qualité et de dimensions impressionnantes, ces tapisseries prouvent que le genre millefleurs ne correspond plus à un engagement plastique ou philosophique. La Verdure aux armes de Paolo Giovio 11, aujourd’hui à dominante bleue, se concentre sur un semis de fleurs rouges et blanches et parfois bleues. Si l’on y reconnaît quelques espèces présentes auparavant – bellis, œillets, physallis très schématisés, on assiste à une sorte d’uniformisation de la taille des plantes comme si l’on se trouvait en présence d’une recherche globale de trompe-l’œil ponctuée de quelques animaux qui lui assurent une certaine crédibilité. Par contre, la trouée accueillant le blason crée une profondeur spatiale par l’alternance des couleurs plus que par le réalisme du dessin. L’identification botanique semble moins passionnante mais révèlerait des lacunes ou des interprétations plus strictement décoratives ! L’ensemble des touffes de plantes crée un espace plane, sans véritable recherche de profondeur, un peu comme si l’illusion végétale servait à la fois de prétexte et de sujet. Paul Philippot, parlant de la peinture de la fin du XVe siècle, ne dit-il pas qu’elle « accuse un appauvrissement considérable de l’illusion spatiale de profondeur » due à une rupture avec le réalisme des fondateurs qui s’accompagne souvent d’une valorisation décorative du plan pictural. Il ajoute que l’on perçoit une « prise de conscience de l’image comme image » à l’origine du phénomène des copies. Appliquée à la tapisserie de millefleurs, cette idée prouve à souhait que la répétition du motif devient le but en soi. « Cette fois, la valorisation de l’image comme telle fait saisir en elle non plus l’idée, l’archétype, mais telle formulation particulière qui, dès lors, mérite d’être reproduite pour elle-même »12. Sans doute est-il vain de chercher dans ces tapisseries l’élément symbolique, toujours facile à convoquer lorsqu’il s’agit de tenter la compréhension de l’œuvre en terme de contenu, alors que nous nous trouvons de fait devant une image. La comparaison visuelle a permis de suivre la quête vers le réalisme et la différenciation, la recherche d’un herbier tissé pour dire la profondeur et l’importance de la nature qui s’étiole petit à petit au profit d’une dominante décorative. Est-ce à dire que l’histoire se termine mal ? Bien au contraire. Les « Verdures » sont appelées à un avenir glorieux. Les XVIe et XVIIe siècles lui offriront des possibilités insoupçon-
11
Vaduz, coll. du prince de Lichtenstein, 1543-1552, laine et soie, 5 fils de chaîne au cm, 214 x 535 cm. 12 P. Philippot, La fin du XVe siècle et les origines
d’une nouvelle conception de l’image dans la peinture des Pays-Bas, dans Paul Philippot Pénétrer l’art Restaurer l’œuvre Une vision humaniste, Courtrai, 1990, p. 91-94.
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nées. Etrangement, elles procureront une illusion de réalisme renforcé. Les plantes, surdimensionnées, encadreront des blasons, tel celui de Charles Quint13. Quant au naturalisme, il trouvera un terrain d’expression parfait dans les bordures, comme si la richesse de la terre et de ses produits pouvait s’y épanouir sans vergogne et surtout sans la justification du symbolisme. Qu’étaient-ce donc que les millefleurs ? Jardin réel ? Certes non ! Paradis rêvé ? Peut-être ! Tout y était illusoire : l’abondance, les rencontres animalières, le fantastique de la licorne ou sa pureté, l’envie de s’y perdre ou de s’interroger sur une nature parfaite et toujours fleurie, l’espace clos dans la touffeur végétale, et dans l’ombre des grandes salles de châteaux, le murmure des animaux et des plantes qui poussent… Cette vision de la nature ne correspond pas aux véritables jardins de l’époque et ne se voulait donc ni un trompe-l’œil, ni la substitution d’une nature absente, ni même une façon de supprimer la cloison entre l’intérieur et l’extérieur. Cette démarche connaîtra de grandes heures dans les ateliers bruxellois du XVIe siècle. Bibliographie M. Brusatin, Histoire des couleurs, Paris, 1986. A. S. Cavallo, The Unicorn Tapestries at the Metropolitan Museum of Art, New York, 1998. G. Delmarcel et E. Duverger, Bruges et la tapisserie, Bruges-Mouscron, 1987. M. Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, 2004.
13 Les armes de Charles Quint, Bruxelles, atelier
de Guillaume de Pannemaker, entre 1530-1555, Amsterdam, Rijksmuseum.
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CECILIA PAREDES Direction des Monuments et Sites, Bruxelles Le jardin dans le château. Imaginaire et réalité du verger
de Pomone dans une série de tapisseries bruxelloises1
Peu avant 1550, à l’époque où l’on assiste dans les Pays-Bas méridionaux aux premiers développements d’une architecture de jardin, une nouvelle forme de paysage voit le jour au cœur même du château. Il s’agit de jardins à édifices et perspectives, finement tissés de laine, d’or et de soie. Les tapisseries de Vertumne et Pomone, réalisées à Bruxelles vers 1545, constituent les premières et les plus spectaculaires compositions du genre dont la fortune est assurée au cours des XVIe et XVIIe siècles2. Ces chefs-d’œuvre sont conçus dans les ateliers bruxellois, dont celui du très réputé Willem de Pannemaker, d’après les cartons réalisés probablement par plusieurs artistes. Les œuvres portent l’empreinte stylistique de l’atelier de Pieter Coecke et de Léonard Thiry3. A l’époque, du fait de la réputation de ses tapissiers, la capitale du Brabant vit une période d’apogée, subissant un afflux de commandes en provenance des grandes cours européennes, qui génèrent une circulation de projets et de modèles conçus par des artistes étrangers. Ces circonstances appellent l’art de la tapisserie à jouer un rôle de premier plan dans la diffusion des thèmes et des formes de la Renaissance italienne. À partir de 1530, ces textiles d’apparat se distinguent en outre par l’accueil enthousiaste qu’ils réservent aux thèmes mythologiques. Les divinités antiques rejoignent 1
Cette contribution est développée sur la base de ma thèse de doctorat, cf. C. Paredes, Vertumne et Pomone, une fable et son décor dans quatre tapisseries tissées d’or. Thèse présentée en vue de l’obtention du doctorat en Philosophie et Lettres à l’Université Libre de Bruxelles, 2005. 2 Au sujet des tapisseries à architectures et perspectives, cf. C. Paredes, Vredeman de Vries and Tapestry Design , dans P. Lombaerde (éd.), Hans Vredeman de Vries and the Artes Mechanicae Revisited, Architectura Moderna 3, Brepols, 2005, p. 167-189. En ce qui concerne les rééditions de la série de Vertumne et Pomone, cf. A. Van de
Kerkhove, Brussels Vertumnus en Pomona-legwerk uit het begin van de XVIIe eeuw, dans Gentse Bijdragen tot de Kunstgeschiedenis en de Oudheidkunde, XXII, 1969-1972, p. 151-181. 3 De notre point de vue, la marque des deux personnalités artistiques dans les compositions trouve une explication dans l’hypothèse d’une collaboration entre ateliers. Pour l’attribution à L. Thiry, cf. N. Dacos, Léonard Thiry de Belges, peintre excellent. De Fontainebleau à Bruxelles, dans Gazette des Beaux-Arts, juillet-août, 1996, p. 22-36.
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1. Vertumne transformé en soldat, 360 x 470 cm, sixième tapisserie de la série de Vertumne et Pomone, Vienne, Kunsthistorisches Museum.
toujours plus nombreuses, dans les collections de tapisseries royales ou princières, les héros des romans de chevalerie, les allégories profanes ainsi que les figures de l’Ancien et du Nouveau Testament4. C’est dans ce contexte5 qu’il faut situer les décors qui nous occupent ici. 4 Dans les inventaires des collections princières, les tapisseries à sujet mythologique se situent en troisième position après les verdures et les pièces inspirées par la littérature courtoise. Si les sujets sont, pour la plupart, issus des Métamorphoses d’Ovide, les programmes iconographiques très élaborés des tentures de la préRenaissance résultent de la compilation de sources variées issues de la tradition iconographique et littéraire. L’importance des sujets mythologiques mentionnés dans les inventaires
royaux a été soulignée à plusieurs reprises par Guy Delmarcel, cf. G. Delmarcel, Le roi Philippe II d’Espagne et la tapisserie. L’Inventaire de Madrid de 1598, dans Gazette des Beaux-Arts, octobre 1999, p. 153-178. 5 Pour une synthèse récente et détaillée sur la production de tapisseries bruxelloises dans la première partie du XVe siècle, voir T. Campbell (éd.), Tapestry in the Renaissance: Art and Magnificence, cat. d’exposition, New York, Metropolitan Museum of Art, 2002, p. 424-428.
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2. Vertumne transformé en pêcheur, 360 x 455 cm, septième tapisserie de la série de Vertumne et Pomone, Vienne, Kunsthistorisches Museum.
Les tapisseries illustrent une histoire tirée des Métamorphoses d’Ovide6. La fable raconte comment Vertumne, le dieu des saisons, parvint à approcher et à séduire Pomone, déesse des vergers : celle-ci vivait retirée dans ses domaines et se maintenait à l’écart de tous ses prétendants, préférant s’adonner à son art : la récolte de ses vergers. Pour approcher celle qu’il aime, le dieu des saisons va faire usage de son pouvoir de métamorphose, qui surpasse encore celui des autres dieux. Vertumne, sous le couvert de déguisements divers, emprunte alors plusieurs identités liées pour la plupart au travail de la moisson et des récoltes. Il apparaît successivement en moissonneur, faucheur, laboureur, émondeur, jardinier (fig. 6), en soldat (fig. 1) et en pêcheur (fig. 2). Finalement, le dieu parvient à plaider la cause de son amour, sous les
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Ovide, Métamorphoses, livre XIV, 623-771.
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3. Vertumne transformé en vieille femme, 360 x 600 cm, huitième tapisserie de la série de Vertumne et Pomone, Vienne, Kunsthistorisches Museum.
traits d’une vieille femme (fig. 3). Vertumne recouvre alors sa propre apparence et gagne le cœur de Pomone. Un nouvel environnement de pierre et de verdures encadre chacune des apparitions de Vertumne. De compositions en compositions, architectures, sculptures, ornement et végétaux se succèdent harmonieusement les uns aux autres, sans jamais donner l’impression de répétition. Nous proposons ici une mise en contexte de ces fresques de verdures dans leur environnement architectural et paysager, ainsi que dans leur environnement culturel. Au côté des jardins réels, ces jardins textiles, qui figuraient au même titre que les bijoux parmi les pièces les plus précieuses des collections princières, projettent un éclairage complémentaire sur la culture de jardin dans les milieux de cour. L’analyse de ces lieux imaginaires et paradisiaques conçus par des artistes et des humanistes pour de puissants et riches commanditaires témoigne de l’existence d’un jardin comme représentation du monde au sein des résidences princières, la situation des œuvres au sein du château conférant à ces images des significations particulières. 240
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Le jardin dans le château Plusieurs séries de Vertumne et Pomone figuraient dans la collection de tapisseries constituées par les premiers Habsbourgs. On en connaît quatre exemplaires tissés d’or, encore conservés à ce jour7. Chaque série déclinait la fable de manière à peu près identique, en neuf épisodes, et formait chacune une frise d’environ 4,30 m de haut sur 30 à 40 m de long8. Malgré leur envergure, les œuvres tapissent indifféremment les salles d’apparat comme les chambres qui composaient les appartements princiers9. À la Renaissance, les décors monumentaux s’accommodent aussi bien des anciens palais bourguignons que des nouvelles résidences princières. L’une des séries de Vertumne et Pomone, acquise en 1549 par Marie de Hongrie, fut déployée la même année au château de Binche, à l’occasion du passage de Philippe II et de Charles Quint. De fait, il est possible de tenter au moins une restitution de l’installation de ces jardins textiles dans leur environnement bâti en se basant sur les documents iconographiques et les descriptions littéraires associées aux festivités. Le récit le plus détaillé est dû à Calvete de Estrella, un gentilhomme espagnol de la suite de Philippe II. Il est relaté dans un ouvrage publié en espagnol par Martin Nautius à Anvers en 155210. L’auteur décrit les tapisseries qu’il admira dans la salette attenante à la grande salle située au
7
Trois séries incomplètes sont conservées dans la collection royale d’Espagne ; pour une présentation des œuvres, cf. P. Junquera de Vega et C. Herrero Carretero, Catálogo de tapices del Patrimonio Nacional, I, Siglo XVI, Madrid, 1986, p. 304-333. Le quatrième exemplaire se trouvait conservé dans son intégralité au Kunsthistorisches Museum de Vienne, avant qu’une pièce ne soit vendue à la Fondation Gulbenkian de Lisbonne, cf. L. Baldass (von), Die Wiener Gobelinsammlung, 3 vols., Vienne, 1920, II, nos 145-154. 8 Ce sont là des dimensions habituelles pour les œuvres de cette époque. La hauteur des pièces oscille en général entre 3 et 5 mètres mais les séries les plus grandes peuvent atteindre 80 m de long. C’est le cas par exemple pour la série des Honneurs. G. Delmarcel, Los Honores, tapisseries flamandes pour Charles Quint, Gand, 2000. 9 Les tapisseries à la différence des fresques ne sont pas conçues, à quelques exceptions près,
pour des lieux ou des salles spécifiques. Au sujet de l’organisation intérieure des résidences princières, cf. K. De Jonge, Le palais de Charles Quint à Bruxelles : ses dispositions intérieures au XVe et XVIe siècle et le cérémonial de Bourgogne. Architecture et vie sociale à la Renaissance, dans Actes du colloque tenu à Tours du 6 au 10 juin 1988, De Architectura, collection fondée par André Chastel et Jean Guillaume, Paris, 1994, p. 107-125. 10 J. C. Calvete de Estrella, El felicissimo viaje del muy alto y poderoso Principe Phelippe, Hijo del Emperador Don Carlos Quinto Maximo, desde sus tierras de la Baxa Alemana con la descripcion de todos los estados de Brabante y Flandes escrito en quatro libros, Anvers, 1552, livre III, fos 184-184v°. La salle retient également l’attention de Vicente Alvarez, grand pannetier de Philippe II. V. Alvarez, Relation du beau voyage que fit aux Pays-Bas, en 1548, le Prince Philippe d’Espagne, traduit par M. T. Dovillée, Bruxelles, 1964, p. 91-92.
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4. Simulation par ordinateur de l’aspect d’une salle de 7 x 15 m et d’environ 5 m de haut, tendue des tapisseries de Vertumne et Pomone (P. Lambert).
premier étage du château11. Le chroniqueur rapporte que la salette ou l’antichambre des appartements de l’empereur, comportait des portes, des fenêtres et des décors en menuiserie de belle qualité. Outre les tapisseries, la salle accueillait aussi une estrade recouverte d’un dais brodé de soie d’or et d’argent comme dans la grande salle. Il faut donc imaginer une pièce d’environ quinze mètres sur sept, dont les murs étaient recouverts sur presque cinq mètres de haut d’un panorama ininterrompu de jardin. Etant donné les dimensions de la série, fort peu inférieures à celles de la salle, force est de constater que le décor de verdure devait masquer une partie des ouvertures, comme le montrent souvent des gravures de l’époque12. On en déduit qu’à coup sûr le cadre du château 11
Cette grande salle est représentée dans une célèbre aquarelle anonyme conservée à la Bibliothèque royale (Anonyme, Intérieur du château de Binche, la grande salle, dessin aquarellé, 39,8 x 37,9 cm, Bruxelles, Bibliothèque royale, Cabinet des estampes, F. 12930). À la lecture du récit du gentilhomme, on comprend que la porte située à droite de l’estrade donnait accès à la chambre en question. 12 La salle s’élevait au 1er étage du château de Binche sur un plan rectangulaire d’environ 50 pieds sur 26, suivant les indications données par
les chroniqueurs et les comptes, et confirmées par les fouilles archéologiques récentes. Ce qui porte son périmètre à environ 45 m ou (50 m suivant que le pied est calculé à 30 cm ou à 33 cm). Grâce aux inscriptions latines, j’ai pu identifier l’une des séries des collections de Madrid (la série 16) comme la série exposée à l’occasion des festivités de Binche. Suivant les inventaires, la longueur totale de la série de tapisseries exposée dans la salette atteignait 38 m et était donc à peine inférieure au périmètre de la salle.
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s’est effacé entièrement au profit du rideau de verdure, comme l’évoque cette simulation de l’image du jardin que devait offrir la tenture dans une salle de dimensions comparables (fig. 4)13. Dans la chambre « où dînait l’empereur», c. à. d. la salle où se déroulaient les repas en public, le visiteur était projeté au cœur d’un foisonnant jardin d’intérieur, constitué lui-même de plusieurs jardins. Il devenait ainsi lui-même partie de cet univers mythologique14. Les jardins de Pomone et le jardin autour du château La série présente dans sa version complète neuf décors. À chaque transformation de Vertumne correspond une métamorphose du jardin et de ses ornements. L’architecture, rythmée par des figures de caryatides et de termes, domine l’ordonnancement du décor de pierre et de verdure dans toutes compositions. Les jardins à l’avant-plan sont toujours traités à la manière d’une galerie couverte ou non couverte, située devant un arc monumental ou entre deux portiques tripartites (fig. 5). Quatre tapisseries présentent ces monuments de jardin ouverts sur des espaces dégagés, agrémentés de portails, treillages, galeries et autres cabinets de verdures. Cinq autres pièces situent les scènes à l’intérieur d’un décor de pierre plus dense, élaboré sur un plan plus complexe et habillé de végétation. Les formes architecturales dans les jardins de Pomone font d’une manière générale écho aux aménagements de l’époque. Dans la première partie du XVIe siècle, de nombreuses résidences princières des Pays-Bas méridionaux étaient dotées d’un jardin d’agrément. Ce goût pour les jardins, pour la proximité de la nature, était également partagé par la haute bourgeoisie marchande15. Le jardin, nettement séparé de l’entité
13 Je remercie Philippe Lambert pour la simulation sur Autocad. 14 Ce dispositif est inspiré par les décorations murales sur le thème du jardin, réalisées dans la décade antérieure en Italie, en particulier dans la région de Ferrare et de Mantoue, bien qu’il n’en reproduise pas l’unité visuelle. À la Renaissance, une transposition de modèles s’opère de fresques à tapisseries, cf. C. Paredes, Du jardin de Vénus au jardin de Pomone, dans Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art, LXVIII, 1999, p. 75-112.
15
À l’époque fleurissaient dans les environs d’Anvers les premières « ville rustice » édifiées par les notables. R. Baetens, Culture and Power: Italian and local influences on the villa rustica in the Antwerp region (16 th-18th century), dans Antwerp Design Sciences Cahiers, 5-6 (décembre), Anvers, 2001, p. 20-29. Voir aussi, pour un panorama européen, Les Maisons des Champs dans l’Europe de la Renaissance. Actes des Premières Rencontres d’architecture européenne. Château de Maisons 10-13 juin 2003. Études réunies par Monique Châtenet, Paris, 2006.
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portiques
me Pomone
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Fig. Fig. 5. Quelques 5. Quelques exemples exemples dede portiques portiques 1- 1-Vertumne Vertumne moissonneur moissonneur 2- 2-Vertumne Vertumne émondeur émondeur 3- 3-Vertumne Vertumne jardinier jardinier 4- 4-Vertumne Vertumne pêcheur pêcheur 5- 5-Vertumne Vertumne en en vieille vieille femme femme 6- 6-L’union L’union de de Vertumne Vertumne et Pomone et Pomone 1
Fig.5.5.Quelques Quelquesexemples exemplesde deportiques portiques Fig. 1-12-23-34-45-56-6-
Vertumnemoissonneur moissonneur Vertumne Vertumneémondeur émondeur Vertumne Vertumnejardinier jardinier Vertumne Vertumnepêcheur pêcheur Vertumne Vertumneen envieille vieillefemme femme Vertumne L’unionde deVertumne VertumneetetPomone Pomone L’union 1 1
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5. Croquis des architectures de jardins créées à l’avant-plan des compositions (C. Paredes) 244
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habitable quelle que soit la résidence, conserve l’aspect de l’hortus conclusus médiéval dans sa forme extérieure et dans ses composantes. Parmi celles-ci, la galerie à pergola et les tonnelles sont les formes qui en structurent le plus souvent l’espace. Des lieux étranges y sont aménagés, inspirés par les mythologies ou la littérature courtoise : des îles-jardins, des labyrinthes flottants, des monts Parnasse (ou buttes plantées d’arbres), ces lieux étant parfois agrémentés de fontaines et de sculptures. Sous Charles Quint et Marie de Hongrie, les jardins de la cour reçoivent de nouveaux aménagements au goût du jour. Des parterres historiés et des fontaines décorées de sculptures agrémentaient les jardins du château de Binche tandis que le parc de la Warande, qui entourait le palais de Bruxelles, renfermait des espaces plus propices à l’agrément comme la « Feuillée », dotée d’une fontaine de Vénus et de pavillons de plaisance. Vers 1540, on y trouvait aussi un pavillon en bois sculpté qui figure dans une tapisserie des Chasses de Maximilien. Au moment où naissent les jardins de Pomone, Marie de Hongrie procédait sous la supervision de Jacques Dubrœucq à l’aménagement de l’environnement paysager de son domaine de chasse situé à Mariemont, près de Binche. Les formes du verger de Pomone se distinguent des créations que l’on voit fleurir aux Pays-Bas16 sous plusieurs aspects. Premièrement, du point de vue de leur ordonnancement. Les jardins représentés à l’arrière des architectures ne semblent pas soumis, comme cela semble être le cas dans les aménagements contemporains, à des axes de composition très stricts. On y relève d’autre part l’absence de formes au goût du jour. Aucune des compositions tissées ne fait apparaître de jeux de relief, comme par exemple de terrasses, comme c’est souvent le cas autour des châteaux. On n’y trouve ni labyrinthes, ni monts Parnasse comme dans les jardins de la Warande à Bruxelles, ni grottes comme à Fontainebleau ou à Binche. On peut remarquer aussi que l’eau, est, somme toute, très peu présente dans ces jardins. Soit elle coule libre dans les jardins sous la forme de ruisseau, soit elle est prisonnière de bassins. Une seule composition fait apparaître une fontaine comme élément ordonnateur du jardin. L’usage de l’ordre anthropomorphe -les caryatides et les termes
16
Pour une synthèse sur les aménagements de jardin aux Pays-Bas, cf. K. De Jonge, L’environnement des châteaux dans les Pays-Bas méridionaux au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, dans Architecture, jardin et paysage. L’environnement du château et de la villa aux XVe et XVIe siècles. Actes du colloque tenu à Tours du 1er au 4 juin 1992. Etudes réunies par Jean Guillaume, Paris, 1999, p. 185-206. Voir aussi Gärten und
Höfe der Rubenszeit im Spiegel der Malerfamilie Brueghel und der Künstler um Peter Paul Rubens, U. Härting (éd.), Hamm, Gustav-LübckeMuseum, 2000. Il faut aussi remarquer qu’à l’inverse d’autres tapisseries, telles que les Chasses de Maximilien par exemple, les tentures de Vertumne et Pomone, ne proposent pas de citation architecturale ou paysagère spécifique.
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qui puisent à de multiples influences-, s’écarte de celui en cours dans les jardins de l’époque aux Pays-Bas comme dans les jardins d’antiques romains17. Les jardins de Pomone témoignent encore d’un usage assez libre d’un vocabulaire renaissant comme le révèlent les chapiteaux corinthiens que l’on découvre dans les feuillages, ou les impressionnants alignements de colonnades doriques dans la tapisserie de Vertumne émondeur. Par contre, l’ordre rustique mis en œuvre, après Fontainebleau, à Boussu et à Binche, suivant l’enseignement de Serlio, n’a pas rencontré l’intérêt du créateur des jardins de Pomone. Les jardins se démarquent des créations existantes par l’extraordinaire présence des architectures et des ornements comme en attestent les quatre compositions illustrées ici (fig.1, 2, 3 et 6). Le décor de Vertumne pêcheur (fig. 2), l’un des plus remarquables, se signale aussi par son exotisme. L’effet général des ornements des arcs n’est pas sans rappeler les accents particuliers de l’architecture arabe, fort présente en Espagne, notamment à Grenade dans le palais de l’Alhambra qui avait accueilli l’empereur Charles Quint et Isabelle de Portugal au lendemain de leurs noces18. Dans les tapisseries, les architectures dépassent en audace et en invention les plus riches créations contemporaines et se font d’avantage l’écho des descriptions littéraires de jardins les plus récentes. Le jardin de Pomone échappe au texte d’Ovide qui reste à peu près muet sur le décor de l’histoire. Il en est de même pour les autres sources classiques, comme l’Elégie de Properce consacré à la figure de Vertumne19, et même dans le bref commentaire accordé à Pomone par Pline l’ancien 20. C’est la tradition littéraire de la pré-Renaissance qui dote Pomone d’un jardin élaboré. L’idée de rendre Pomone maîtresse de verger aussi luxu-
17
À notre connaissance, en ce qui concerne la première moitié du XVIe siècle, seul le tableau peint par Lambert Sustris en 1548 montre des sculptures dans l’architecture d’un portail de verdure au sein d’un jardin. À Rome, les plus anciennes réalisations architecturales du genre sont la nymphée de la villa Giulia (visitée par Barbaro en 1554) et la façade de la loggia du casino de Pie IV, dessinées par Pirro Ligorio, autrefois architecte du cardinal de Ferrare. Au sujet des ornements sculptés, voir aussi C. Paredes, Termes et caryatides dans la tenture de Vertumne et Pomone, dans Annales d’histoire de l’art et d’archéologie. Université Libre de Bruxelles, 18, 1996, p. 45-62.
18 En particulier, il faut comparer ce décor à celui du patio de las doncellas. Chaunu rapporte plusieurs anecdotes sur le séjour de Charles Quint à Grenade en 1526, qui trahissent l’enchantement du couple impérial pour la ville, son palais et ses jardins (cf. P. Chaunu et M. Escamilla, Charles Quint, Paris, Fayard, 2000, p. 693-697). 19 Properce, Elégies, texte établi et traduit par D. Paganelli, Paris, 1929. 20 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, trad. par E. Littré, Paris, 1851.
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riant se manifeste pour la première fois dans un texte de Boccace, l’Ameto ou Commedia della ninfe Fiorentina (1478). Ces textes abondent surtout en descriptions végétales qui se confondent en descriptions mythologiques21. Bien que le jardin de Pomone n’échappe pas au renouveau iconographique qui gagne les jardins à cette époque, ses spectaculaires décors coïncident davantage avec l’éclosion du jardin « architectural » littéraire tel qu’il se manifeste dans un ouvrage majeur, l’Hypnerotomachia Poliphili ou le Discours du songe de Poliphile22. Véritable somme philosophique qui conjugue des thèmes issus de la tradition littéraire, réinterprétés à la faveur d’une lecture de l’Antiquité que redécouvre la Renaissance, l’ouvrage projette sur le jardin de Pomone un nouvel éclairage scientifique imprégné des idées humanistes du temps. L’ouvrage de Colonna, dans sa version française, doit être retenu comme nous l’avons montré ailleurs comme une source directe à laquelle puise l’architecte des jardins de Pomone23. Toutefois, si la substance des jardins de Cythère apparaît distillée dans les décors des tapisseries, l’expression formelle de ces derniers est celle d’un décor maniériste. En effet, l’analyse détaillée du système de représentation, schématisée dans notre esquisse des décors dépouillés de leur habillage végétal (fig. 5), permet d’y reconnaître un dispositif scénographique caractéristique qui combine une disposition en frise avec la constitution d’un proscénium dans lequel évoluent les personnages devant un Frons scenae 24. La forme et la typologie de ces constructions apparentent les décors à des théâtres25. Parmi la variété de décors représentés, de trois typologies, trois formes architecturales ty-
21
Boccace 1963, p. 91-105. Au XVIe siècle, l’œuvre est connue par des manuscrits et des imprimés dont la plus ancienne édition date de 1478. C. Paredes, Du jardin de Vénus au jardin de Pomone, op. cit. 22 Cet ouvrage, plus exactement sa traduction française préparée par Jean Martin augmentée d’illustrations, parue à Paris chez Kerver en 1546 (F. Colonna, Discours du Songe de Poliphile déduisant comme amour le combat à l’occasion de Polia, traduction de l’Hypnerotomachia Poliphili de l’italien au français par Jean Martin, Paris, [Kerver], 1546, présenté par Gilles Polizzi, Paris, 1994) a laissé des traces dans les jardins de soie, de laine, d’or et d’argent qui composent le décor de la fable de Vertumne et Pomone. 23 C. Paredes, Du jardin de Vénus au jardin de Pomone, op. cit.
24 Pour une analyse de l’évolution de ce dispositif scénographique au cours du XVIe siècle, cf. D. Rosand, Théâtre et Structure dans l’art de Paolo Véronèse , dans ID. (éd.) Peindre à Venise au XVIe siècle. Titien, Véronèse, Tintoret, trad. de l’américain par Fabienne Pasquet et Daniel Arasse (édition originale : Painting in Venice : Titian, Veronese, Tintoretto, Yale University Press, 1982), Paris, 1993. 25 Dans l’imaginaire du XVIe siècle, le mot théâtre désigne concrètement quelque chose que l’on regarde, un spectacle qui implique une forme de contemplation. Sur la définition du mot théâtre, il faut se reporter aux dictionnaires de la langue française au XVIe siècle comme par exemple à Huguet 1967, p. 236-237. Le sens du mot théâtre ainsi que ses métaphores à l’époque, sont discutés dans A. Blair, The Theater of Nature. Jean Bodin and Renaissance Science, Princeton, 1997, p. 153 n. 2, p. 153-179.
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6. Vertumne transformé en jardinier, 425 x 500 cm, cinquième tapisserie de la série de Vertumne et Pomone, Lisbonne, Fondation Gulbenkian.
Identification des espèces dans la composition de Vertumne jardinier : 1. Prunus sp. (cerisier) ; 2. Malus sp. (pommier) ; 3. Ficus carica (figuier) ; 4. Pyrus sp. (poirier) ; 5. Prunus (prunier à fruits bleus) ; 6. Citrus medica (citron) ; 7. Chèvrefeuille ou clématite ; 8. Olea europea (olivier) ; 9. Quercus sp. (chêne), 10. Lychnis chalcedonica (croix de malte) ; 11. Alyssum saxatile ? (fleurs blanches) ; 12. Viola sp. (violette), 13. Polygonum bistorta ; 14. Anemona sylvestris ? (anémone des bois) ; 15. Vinca major (pervenche).
piques des décors éphémères, la façade théâtrale, l’arche triomphale ainsi que le portique et le baldaquin, mis à l’honneur dans les tapisseries, sont également les composantes fondamentales des scénographies des spectacles urbains26. C’est en réalité un théâtre de verdure, démultiplié, qui est donné comme décor à la fable et comme scène aux multiples transformations de Vertumne.
26
G. R. Kernodle, From Art to Theatre. Form and Convention in The Renaissance, Chicago, 1943.
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La flore et le verger Seul l’art de la tapisserie pouvait offrir à la déesse des vergers un jardin aussi spectaculaire. Son image est portée par une longue tradition de représentation des jardins et de la flore qui voit s’épanouir à l’époque médiévale la tradition des verdures. Cette appellation désigne dans les anciens inventaires plusieurs catégories de tapisseries, couvrant par exemple le genre des mille-fleurs, dont le fond caractéristique figure de manière abstraite un pré fleuri d’une grande variété d’espèces végétales27. Ce genre s’est développé vers 1450 et a perduré jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle. Dès la fin du XVe siècle, le monde végétal agrémente aussi les compositions figuratives monumentales. Les fleurs et arbustes envahissent les espaces laissés libres par les figures et les décors, s’installant de manière durable dans les bordures. L’analyse de la représentation de la flore dans les tapisseries de Vertumne et Pomone révèle en premier lieu une grande variété des espèces figurées28. L’étude botanique des fleurs et des fruits représentés dans les tapisseries est en cours mais à titre d’exemple nous présentons ici les résultats de l’analyse de la composition de Vertumne jardinier où mon collègue Eric Demelene, a pu identifier une série de plantes, grâce à la précision du rendu des fruits, des fleurs, jusque dans le foliaire des espèces végétales (fig. 6). Si les textes classiques ne mentionnent d’aucune façon le jardin de Pomone, ils se rencontrent néanmoins sur un point : ils reconnaissent à la déesse des vergers et des récoltes un talent particulier pour la culture des arbres et la reproduction des espèces. Pomone, suivant les vers d’Ovide, excelle dans l’art de cultiver, « ce qu’elle aime ce ne sont ni les champs ni les rivières, mais les champs et les rameaux chargés de fruits abondants. Sa main ne porte point de javelot mais une serpette recourbée, qu’elle emploie tantôt à émonder la végétation luxuriante et à contenir l’élan des pousses vaga27 Les mille-fleurs sont à leur tour intégrés comme fond dans des verdures plus complexes, accueillant des représentations figurées de type héraldique, allégorique, sacré ou profane. Dans les anciens inventaires, les verdures constituaient le plus souvent le groupe de pièces le plus important au sein d’une collection. Celui-ci comprenait un éventail assez large de pièces : des verdures, des verdures avec animaux ou avec figures humaines, diverses scènes dans des jardins ou des paysages sylvestres. Les verdures se distinguent par un réalisme
étonnant dans la représentation des espèces végétales. 28 À l’exception des mille-fleurs, peu de tapisseries ont retenu l’intérêt des botanistes. On peut cependant citer, pour les tapisseries figuratives, les travaux de P. Bosqued Lacambra, Flora y vegetación en los tapices de La Seo, Saragosse, 1989; et Aproximación a la flora y la vegetación en los tapices de Bruselas del siglo XVI del Patrimonio Nacional, dans Actas del congreso Felipe II, El Rey intimo : Jardin y naturaleza en el siglo XVI, Aranjuez, 1998, p. 77-102.
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bondes, tantôt à fendre l’écorce où elle greffe un bourgeon étranger, que nourrira une sève nouvelle» 29. Sur ce point, l’image dépasse le texte car les compositions se démarquent surtout par l’incroyable recherche de mise en scène des végétaux qui témoigne d’un réel talent de jardinier.
7. Vertumne transformé en jardinier, détail.
La végétation est partout, dans toutes les tapisseries. Tour à tour les pergolas sont envahies par des vignes, des rosiers grimpants, du chèvrefeuille, du jasmin. Même les plants de courges, dans Vertumne déguisé en vieille femme (fig. 3), et les plants de haricots dans Vertumne soldat (fig. 1 et fig. 8), grimpent à l’assaut des frondaisons mélangeant leurs fruits aux plantes ornementales qui jaillissent des vases posés sur les caryatides.
Pour mieux apprécier la valeur et la variété des espèces représentées il faut se remémorer que la création des jardins de Pomone survient au moment de la mise en place des premiers jardins botaniques en Flandre et dans toute l’Europe. L’adaptation et l’acclimatation des nombreuses espèces ramenées des explorations de la fin du siècle précédent est tentée et expérimentée dans des jardins privés d’un nouveau genre, par des riches bourgeois apothicaires et botanistes, férus d’horticulture30. À l’époque, de nombreuses espèces d’arbres fruitiers et de plantes sont découvertes et importées. On peut citer, parmi d’autres, le jujubier, la tomate, le dragonnier, le citronnier, le maïs, ainsi que la courge, le potiron et les plants de haricots31. On constate donc qu’à côté des espèces courantes, comme les pruniers ou les pommiers, des plantes plus rares sont exposées dans le verger de Pomone à la manière d’une collection.
29
Ovide, Métamorphoses, livre XIV, 625. C. De Groote, Fleurs, fruits et légumes, une histoire du jardin de l’Antiquité à nos jours, Tournai, 1999, p. 86-95. 30
31 P. Delwiche, Du potager de survie au jardin solidaire. Approche sociologique et historique, Namur, 2006, p. 194-220.
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Les talents de la déesse à dompter la croissance des arbres et des plantes sont encore illustrés par plusieurs détails dans les compositions. On remarque les cerisiers palissés dans Vertumne jardinier, les plantations en quinconce, parterres d’herbes aromatiques, et même une greffe de citronnier réussie sur un pommier au centre de la composition de Vertumne jardinier (fig. 6 et fig. 7). Cette brève présentation du jardin de Pomone se définit comme une contribution des tapisseries à l’étude de l’imaginaire des jardins à la Renaissance. À côté des jardins réels, le jardin de Pomone, qui trouve sa place au sein du château, peut être perçu comme un jardin d’avant-garde, qui prolonge les acquis d’un imaginaire médiéval, essentiellement littéraire, lors de sa rencontre avec l’art italien. Le dé- 8. Vertumne transformé en soldat, détail. cor fixe un nouvel univers mythologique, qui à son tour se nourrit des plus récentes découvertes tant en matière botanique que d’expériences menées dans le champ de l’architecture. Dans le cadre du château, le verger de Pomone apparaît comme un jardin d’Eden, un paradis mythologique, la promesse d’un âge d’or sous le gouvernement de celui ou celle qui règne sur les jardins.
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FLEUR VIGNERON Université Stendhal-Grenoble 3 Les volières dans les jardins d’après Pierre de Crescens et dans la poésie française des xiv e et xv e siècles
Les rois et les grands seigneurs de la fin du Moyen Âge ont eu à cœur d’installer des volières dans leurs jardins. Les oiseaux font partie de l’environnement du château. Les comptes nous le prouvent et le Liber ruralium commodorum de Pietro de’ Crescenzi nous apporte quelques renseignements sur cette réalité. Par ailleurs, la littérature n’a de cesse d’évoquer le chant des oiseaux dans les passages décrivant les alentours d’une demeure seigneuriale au printemps. Mais ce qui est frappant, c’est la différence d’approche entre ces différentes sources : la poésie d’une part et les comptes, les textes techniques d’autre part. Les divergences peuvent nous en apprendre beaucoup sur la perception qu’a l’homme médiéval de son environnement. On pourra ainsi comprendre les représentations mentales qui motivent l’installation des volières et envisager la raison de leur emplacement par rapport au bâtiment d’habitation. 1. Les textes techniques et les comptes : à la recherche de la réalité L’Italien Pietro de’ Crescenzi, dit Pierre de Crescens en français, est l’auteur d’un traité d’agriculture, le Liber ruralium commodorum, écrit entre 1305 et 1309. L’ouvrage a connu un grand succès et a été traduit en français en 1373 sous le titre de Livre des prouffitz champestres et ruraulx. Ce texte est composé de douze livres, dont le huitième est consacré aux jardins d’agrément. Le chapitre 3 du livre VIII nous renseigne sur les volières dans les jardins des rois et des grands seigneurs1 : « Si dy que vergier plaisant et delectable doit estre faict, composé et ordonné en la maniere qui s’ensuit. On eslira ung lieu plain […] et que ce lieu soit de vingt journaulx ou de plus, selon la volonté du seigneur, 1 Pierre de Crescens, Le Livre des prouffitz champestres et ruraulx, Paris, Vérard, 1486, f° 146 r-146 v.
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et que il soit seint de haulx murs bien a plain et que l’en y plante, en la partie par devers galerne, ung bois de divers arbres où les bestes sauvages se retrairont ; et par devers midy, on fera ung palais moult beau où le roy et la royne ou aultre seigneur ou dame demourront […]. Et sur aucuns arbres prés du palais, on fera grans gaites comme maisons, qui auront tect et parois de fil d’archal bien lié et tres espés, ou il y aura faisans, perdriz, roucignolz, melles, lynotes, chardonnereulx, tarins, serins et telz oiseaulx plaisans et bien chantans ». Ce passage n’a pas de source précisément identifiée, c’est une contribution originale de l’auteur. Pierre de Crescens évoque à la fois des faisans, des perdrix et des passereaux. Notre propos se concentrera sur ces derniers, afin de ne pas multiplier les problématiques et pour mettre l’accent sur un point fondamental de l’environnement paysager du château encore trop peu étudié. Rappelons que de nos jours, les scientifiques emploient un système de classification qui a été défini au XVIIIe siècle par Carl von Linné. Ce dernier a défini des ordres, chaque ordre réunit plusieurs familles, ces familles regroupent des genres dans lesquels on distingue des espèces. Les passereaux constituent un ordre. De la même façon que nous, modernes, l’homme médiéval semble considérer les passereaux comme un ensemble d’oiseaux, un groupe cohérent, ce qui transparaît dans l’idée que ce sont des oiseaux qui chantent, comme l’écrit Pierre de Crescens dans la citation donnée ci-dessus. L’expression petits oiseaux qu’on trouve dans les comptes des rois de France révèle aussi une perception globale2. D’après l’ornithologue Marcel Legendre, chardonnerets et tarins « nichent facilement en volière » et les linottes sont « très faciles à apprivoiser »3. Cet auteur écrit encore que le rossignol « s’est reproduit en grande volière » et que les merles de roches, du genre monticola, « s’adaptent très vite à la vie captive »4. Ce type d’élevage ne pose donc pas trop de problèmes. Les mots employés par Pierre de Crescens existent toujours en français moderne, il n’y a donc pas de difficultés de vocabulaire concernant la désignation des divers oiseaux. Dans les comptes de Louis XI,
2 Comptes de l’hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècles, éd. M. L. Douët d’Arcq, Paris, Renouard, 1865, p. 390.
3
M. Legendre, Oiseaux de cage, aquarelles et dessins de L. Delapchier, Paris, N. Boubée et Cie, 1952, respectivement p. 83 et 86. 4 Ibid., respectivement p. 145 et 148.
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du 1er octobre 1480 au 30 septembre 1481, on retrouve les serins5, chardonnerets et linottes, auxquels s’ajoutent des verdiers et des pinsons pour la volière du château de Plessis-lez-Tours6. Un point reste à préciser concernant les serins. Il existe le serin cini, serinus serinus, qui habite le sud de l’Europe. Il faut mentionner aussi le serin des Canaries, serinus canarius, originaire des Canaries7. Ces îles, découvertes en 1402 par le Normand Jean de Béthencourt, passèrent sous la domination espagnole en 1477. Au XVe siècle, cet oiseau a été importé en Europe. Peut-être le traducteur de Pietro de’ Crescenzi pense-t-il aux serins des Canaries quand il mentionne les serins. Ce qui pourrait le confirmer est le fait que les serins ne sont pas mentionnés dans toutes les versions du texte de Pietro de’ Crescenzi. Dans l’édition récente du texte en latin, ils n’y figurent pas. On en déduit que les serins ont été ajoutés par rapport au texte original du début du XIVe siècle8. Ils apparaissent dans la version française de l’incunable de 1486, mais justement, à cette date, les serins des Canaries étaient connus, ce qui n’était pas le cas au XIVe siècle. Un autre fait vient soutenir l’idée que, sous le terme de serin, le moyen français désigne des canaris. Il s’agit de la date d’attestation tardive du substantif : 1478 selon le Trésor de la Langue Française, alors que les autres noms d’oiseaux sont déjà attestés depuis le milieu du XIVe siècle au moins9. Une attestation tardive pour une espèce découverte tardivement. Le moyen français dispose de plusieurs substantifs pour désigner la volière. Le nom féminin volière est attesté à la fin du XIVe siècle10. Il existe un synonyme de la même famille, le nom masculin volier, attesté en 147811, qui a disparu en français moderne. Il convient de relever également le substantif féminin oiselerie attesté en 1336 au sens de « volière »12. On trouve aussi le substantif féminin cage, terme moins spécifique, mais qui peut être synonyme de volière, volier et oiselerie.
5 Comptes de l’hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 387. 6 Ibid., p. 390. 7 M. Legendre, Oiseaux de cage, op. cit., p. 85 sur le serin cini, p. 42-43 sur le serin des Canaries. 8 Petrus de Crescentiis (Pier de’ Crescenzi), Ruralia commoda, éd. W. Richter et R. RichterBergmeier, Heidelberg, C. Winter, vol. 4, 2002, livre VIII, ch. 3. 9 Le Trésor de la Langue Française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (1789-1960), dir. P. Imbs, Paris, CNRS, 1971-1994, 16 vol., ar-
ticle « Serin ». Parmi les autres oiseaux qui nous intéressent, seul le terme chardonneret est attesté tardivement : ibid., article « Chardonneret » : attesté en 1479, mais d’autres dérivés de chardon sont attestés bien avant pour désigner cet oiseau, comme chardonnerel par exemple. 10 Ibid., article « Volière ». 11 Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. Rey, Paris, Le Robert, 1992, 2 vol., article « Voler ». 12 Le Trésor de la Langue Française, op. cit., article « Oisellerie ».
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On comprend que la taille de la volière est importante dans le texte de Pierre de Crescens grâce à l’adjectif grand et à la comparaison « comme maisons ». L’adjectif grand est ce qui, dans des documents comme les comptes, peut fournir un indice pour penser qu’il s’agit sans doute d’une volière de jardin et non d’une cage à l’intérieur du château. Ainsi dans les comptes de Louis XI est-il régulièrement question de cages pour mettre des oiseaux, sans autres précisions, on ne peut donc rien en tirer pour l’étude de l’aménagement des jardins. En revanche, dans le compte concernant la période du 1er octobre 1480 au 30 septembre 1481, on relève l’expression « la grant caige du Plesseiz du Parc ». L’adjectif grand est peut-être un signe indiquant qu’il s’agit d’une cage à l’extérieur du bâtiment. De plus, vu le nombre d’oiseaux achetés dans cet extrait du compte de Louis XI, on peut penser qu’il est question d’une volière de jardin. En effet, il est d’abord mentionné un achat de quarante-six serins et cent vingt-et-un autres petits oiseaux pour cette « grant caige », puis est noté le prix d’une commande de trois cent quarante petits oiseaux, toujours pour « la grant caige »13. Dans ses recherches, Ernest de Ganay évoque des volières installées à l’extérieur au Plessis-lez-Tours en écrivant que « des paons, des oiseaux de toute sorte – dont Louis XI raffolait – animaient les cours et les viviers ou étangs, en liberté ou dans des volières »14. Quand Louis XI veut des serins pour l’intérieur du château et que le texte le précise explicitement, la quantité n’est pas du tout la même. Ainsi apprend-on, dans le compte concernant la période du 1er octobre 1478 au 30 septembre 1479, qu’il en achète douze « pour mettre en sa chambre du Plessis du Parc »15. Le texte de Pierre de Crescens nous renseigne sur la construction de ces volières. Elles ont un toit et des parois « de fil d’archal bien lié et tres espés », l’archal désignant le « laiton ». Pierre de Crescens précise bien que le grillage doit être assez serré. Dans le texte, le grillage englobe quelques arbres et il semble qu’il puisse y avoir plusieurs volières. L’ossature de la volière peut être une charpente de bois, comme on le voit dans les comptes royaux du 1er octobre 1480 au 30 septembre 1481, où Louis XI paie un menuisier « pour boys et façon de deux grandes caiges ou voliers »16. Les comptes nous apprennent aussi que le fil de fer peut remplacer le laiton pour confectionner le grillage, mais sans préciser s’il s’agit de cage d’extérieur ou d’intérieur17. On peut donner un 13 Comptes de l’hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 387 et 390. 14 E. de Ganay, Les Jardins de France et leur décor, Paris, Larousse, 1949, p. 21.
15 Comptes de l’hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 352. 16 Ibid., p. 391. 17 Ibid., p. 356.
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exemple plus précis de la construction d’une volière grâce à la description qu’un pèlerin allemand, Hans von Waltheym, a faite du jardin du roi René à Aix-en-Provence en 1474. Il y avait une volière dans ce jardin et Hans von Waltheym lui attribue une hauteur d’une dizaine de mètres. Il précise que des arbres bas ont été plantés à l’intérieur de la cage qui est faite « en haut et sur les quatre côtés de fils de cuivre en sorte que l’on puisse voir à travers »18. Cette fois-ci, c’est le cuivre qui est utilisé pour le grillage. Pierre de Crescens indique une superficie de vingt journaux ou plus, entourée de murs, pour constituer un espace paysager destiné aux rois et aux grands seigneurs, ce qu’il appelle un vergier 19. Le journal est la surface labourée par un homme en une journée20. Au nord-ouest de cet endroit ainsi défini, il imagine un bois et au sud, un palais dans lequel le seigneur pourra loger. Le terme jardin apparaît à propos du palais. La volière se trouve dans le jardin et Pierre de Crescens précise qu’elle doit être près du palais. Par rapport à ce grand ensemble, on peut retenir que la volière se situe à proximité du lieu d’habitation du seigneur. Ce schéma se retrouve, bien qu’à une échelle plus réduite, au château d’Angers. Le tissu urbain ne laisse pas la possibilité au domaine de s’étendre. Mais, en 1471, au temps de René d’Anjou, on sait qu’il y avait une volière sous la galerie de l’habitation seigneuriale, en bordure du jardin. Dans cet espace plus restreint que ce qu’imagine Pierre de Crescens, le choix d’emplacement de la volière est bien le jardin et dans une proximité totale avec la maison royale21. Par comparaison, l’endroit réservé aux lions est beaucoup plus loin du logis, en dehors du jardin, et même au-delà de l’enceinte du château22.
18 N. Coulet, Jardin et jardiniers du roi René à Aix, dans Annales du Midi, t. 102, n° 189-190, janvier-juin 1990, p. 278. 19 On comprend que le nom verger est bien loin de désigner simplement un « lieu planté d’arbres fruitiers », comme le laisse malheureusement penser le dictionnaire de F. Godefroy à l’article « Vergier » (F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IX e au XVe siècle, Paris-Genève, Slatkine, 1881-1902, 10 vol.). 20 Ibid., article « Journal » : « Mesure de terre qu’une charrue pouvait labourer en un jour, quantité très variable suivant la résistance du sol. Cette étendue de terre, généralement assez
arbitraire, pouvait valoir trente-quatre ares treize centiares environ, dans le pays chartrain, d’après M. Guérard (Prolég. du Polypt. d’Irminon, t. I, p. 171). » 21 Extraits des comptes et mémoriaux du roi René pour servir à l’histoire des arts du XVe siècle, éd. A. Lecoy de La Marche, Paris, Picard, 1873, p. 42, n° 143. Il est aussi question d’une « grant caige estans ou jardin » et contenant de « petiz oayseaux », ibid., p. 31-32, n° 98. 22 La Ménagerie du roi René. Livret publié à l’occasion de l’exposition organisée par le Muséum d’histoire naturelle et le château d’Angers, du 19 mai au 31 octobre 2000, p. 10.
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On peut prendre un autre exemple qui suit bien le schéma donné par Pierre de Crescens. Il s’agit d’un palais en ville. En 1448, René d’Anjou crée un grand espace paysager à Aix-en-Provence, à l’est des remparts, le palais des comtes de Provence étant situé le long du rempart est de la ville. Dans ce lieu, on trouvait plusieurs maisons dont la plus grande était réservée au roi René. Le pèlerin allemand Hans von Waltheym, qui a laissé une description de l’endroit en 1474, précise que chaque bâtiment a son propre jardin. Le jardin de la demeure du duc d’Anjou occupait un quadrilatère entre les actuelles rues Lacépède, des Bretons, de la Fontaine d’argent et du Louvre. Hans von Waltheym nous apprend que dans son jardin, à côté du logis royal, René d’Anjou avait une volière avec des oiseaux chanteurs23. C’est donc exactement le schéma d’aménagement de Pierre de Crescens qu’on retrouve à Aix-enProvence. Placer la volière près de l’habitation seigneuriale est peut-être révélateur du sentiment qui unit l’homme médiéval à ces passereaux. Les comptes de Louis XI pour la période du 1er octobre 1480 au 30 septembre 1481 nous donnent un indice dans cette commande passée à un oiseleur : « cent seize serins et vingt-huit autres petits oiseaulx privez »24. L’adjectif privé au sens de « familier, apprivoisé » nous révèle que ces oiseaux n’entrent pas dans la catégorie des animaux sauvages. Le seigneur entretient un rapport de familiarité avec eux, ce qui n’est pas le cas pour tous les animaux qui peuplent l’environnement du château. Dans cette optique, il est intéressant de noter comment Pierre de Crescens présente les autres bêtes qui sont susceptibles de vivre dans le vergier, cet espace vert entouré de murs25 : « Il y aura aussi lievres, connins, cerfs, chevreux et telles bestes sauvages qui ne sont pas de proie ». Pierre de Crescens a l’air de penser que le seigneur n’aura pas de rapport privilégié avec les animaux qu’il énumère dans cette phrase. Ils vont animer le paysage, peupler le bois, mais ce sont des bêtes dont la vie se déroulera entièrement en dehors des activités de l’homme, sans que ce dernier cherche un contact particulier avec eux. Plus encore que le sentiment de familiarité, un autre facteur pourrait intervenir dans le choix de l’emplacement de la volière. Pourtant, ni Pierre de Crescens ni les comptes ne nous apprennent rien à ce sujet, c’est du côté de la
23 N. Coulet, Jardin et jardiniers du roi René à Aix,
op. cit., p. 275-78.
24 Comptes de l’hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 391. 25 Op. cit., VIII, 3, f° 146 v.
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littérature qu’il faut enquêter. De façon plus générale, les œuvres littéraires sont de nature à nous révéler pourquoi l’homme médiéval s’intéresse aux volières. 2. La poésie : l’idéal littéraire On sait que les oiseaux constituent un élément très courant dans l’évocation poétique du printemps. La tradition rhétorique ordonne l’évocation vernale autour des cinq sens et fait de l’oiseau et de son chant le représentant de l’ouïe. Traditionnellement, dans la littérature, le chant des oiseaux a une valeur d’appel, il incite à sortir, à être gai, à aimer. Enfin, rappelons que le chant des oiseaux est extrêmement valorisé sous la plume des poètes26. C’est bien une qualité de chant que semblent rechercher les propriétaires de volières. En effet, d’après le Livre des prouffitz champestres et ruraulx et les renseignements fournis par les comptes, parmi les passereaux, sont retenus des oiseaux qui chantent bien. D’ailleurs, Pierre de Crescens recommande explicitement de choisir des oiseaux « bien chantans », dans la première citation donnée. L’ornithologue Marcel Legendre écrit que les merles sont d’« excellents chanteurs »27. Les serins des Canaries sont extrêmement appréciés pour leur chant. On sait que l’oiseau qui a la faveur des poètes, vu le nombre de mentions, est le rossignol 28. Or, il est nommé en premier chez Pierre de Crescens. Ce dernier est peut-être sous l’influence d’un modèle littéraire, mais il est avéré que cet oiseau chante très bien. L’adjectif plaisant utilisé par Pierre de Crescens en coordination avec l’expression « bien chantans » n’exclut pas un plaisir de la vue. On pense notamment au chardonneret qui est un très bel oiseau, si vivement coloré grâce à son plumage jaune, rouge, blanc et noir. Mais la beauté visuelle ne semble pas l’emporter, la clé du goût médiéval pour les oiseaux réside bien dans le chant, Pierre de Crescens le suggère et la littérature l’affirme haut et fort. La laideur de certains oiseaux se voit ainsi compensée s’ils sont de bons chanteurs, comme c’est le cas pour le merle noir, selon plusieurs bestiaires29. 26
Sur tous ces points, voir F. Vigneron, Les Saisons dans la poésie française des XIVe et XVe siècles, Paris, Champion, 2002, p. 254-60 et 302-04. 27 Op. cit., p. 135. 28 F. Vigneron, Les Saisons dans la poésie française des XIVe et XVe siècles, op. cit. p. 261-64.
29
Par exemple : Richard de Fournival, Li Bestiaires d’Amours di maistre Richart de Fornival e li Response du Bestiaire, éd. C. Segre, MilanoNapoli, Riccardo Ricciardi Editore, 1957, p. 33.
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Ce jugement sur la qualité du chant de ces oiseaux est moderne mais vaut aussi pour le Moyen Âge. Nous en avons des témoignages. Par exemple, dans les Étymologies, Isidore de Séville juge le chant du merle « très mélodieux »30. Une des deux étymologies qu’il propose se rapporte d’ailleurs au chant : « Merula antiquitus medula uocabatur, eo quod modulet »31. Richard de Fournival signale également le chant mélodieux du merle dans le Bestiaire d’Amour 32 . Les différentes espèces mentionnées dans les comptes et dans le texte de Pierre de Crescens apparaissent parfois dans la littérature. Dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, on trouve notamment le rossignol, le chardonneret et le merle33. Eustache Deschamps évoque entre autres le rossignol et le tarin au lai 334. Il s’agit toujours de louer le chant de ces oiseaux dans ces occurrences. L’anthropomorphisme dont fait preuve la poésie française des et XVe siècles à l’égard des passereaux est sans doute un signe de cette relation privilégiée qu’entretient l’homme médiéval avec ces oiseaux 35. On les a vus qualifiés de « petits oiseaulx privez » dans les comptes de Louis XI36. Plus profondément, Jean-Marie Fritz rappelle la théorie selon laquelle le chant des hommes est, à l’origine, une imitation du ramage des oiseaux ; d’autre part, il cite toutes sortes de textes évoquant des passereaux possédant une véritable science musicale37. C’est un fait que les poètes n’hésitent pas à présenter les passereaux comme des humains et surtout pour évoquer leur chant, car le vocabulaire poétique emprunte alors à la musique des hommes38. Dans le même temps, des compositeurs créent divers chants d’oiseaux 39. Trois domaines sont étroitement imbriqués : les chants des oiseaux au printemps, les compositions musicales qui rendent ces chants et les descriptions poétiques qui empruntent au lexique musical de l’époque pour évoquer ces XIVe
30 Isidore de Séville, étymologies, livre XII, Des animaux, éd. et trad. J. André, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p. 224-25. 31 Ibid., p. 276-77. Traduction de J. André : « Merula (merle) se disait autrefois medula pour ses modulations (modulet) ». 32 Richard de Fournival, Li Bestiaires d’Amours, op. cit., p. 33. 33 Guillaume de Lorris, Le Roman de la Rose, éd. A. Strubel, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, 1992, v. 645-56, p. 72-74. 34 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. du marquis de Queux de Saint-Hilaire, puis de G. Raynaud à partir du vol. 7, Paris, Firmin
Didot, 1878-1904, vol. 2, pièce n° 306, lai 3, v. 9-12. 35 F. Vigneron, Les Saisons dans la poésie française des XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 338-342. 36 Comptes de l’hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 391. 37 J.-M. Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge. Le versant épistémologique, Paris, Champion, 2000, p. 219-21. 38 F. Vigneron, Les Saisons dans la poésie française des XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 447-464. 39 Le Guide de la musique du Moyen Âge, dir. F. Ferrand, Paris, Fayard, 1999, cite des virelais qui imitent le chant des oiseaux dans l’article « Virelai », p. 561.
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chants. Non seulement la littérature, mais aussi la musique célèbrent le chant des oiseaux et l’on peut comprendre alors l’envie d’installer des volières rassemblant les meilleurs chanteurs, afin de profiter de leurs dons musicaux. Mais un fait remarquable surgit : la littérature ne connaît pas les volières. Toutes les louanges poétiques à propos du chant des oiseaux restent vagues quant à la condition de ces passériformes. Tout se passe comme s’il s’agissait d’oiseaux en liberté. On pourrait d’ailleurs imaginer que, dans les jardins des châteaux, on se contente d’attirer des passereaux, notamment par de la nourriture, sans les enfermer. Mais le Livre des prouffitz champestres et ruraulx n’en dit rien. Nous avons d’un côté un texte technique qui évoque des volières et de l’autre, la littérature qui semble considérer que les oiseaux sont forcément libres d’aller et venir. Le meilleur exemple est la ballade 61 d’Eustache Deschamps qui décrit le petit château de Beauté. L’éditeur Gaston Raynaud explique que ce bâtiment, « fondé par Charles V, avait été ainsi nommé par Charles VI, dauphin »40. Eustache Deschamps étant au service du roi, on peut penser qu’il connaissait le lieu. Voici les deux premières strophes de la ballade 6141 : « Sur tous les lieux plaisans et agreables Que l’en pourroit en ce monde trouver, Edifiez de manoirs convenables, Gais et jolis, pour vivre et demourer Joieusement, puis devant tous prouver Que c’est a la fin du bois De Vincennes, que fist faire li Roys Charles – que Dieux doint paix, joie et santé !– Son filz ainsné, daulphin de Viennois, Donna le nom a ce lieu de Beauté.
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Et c’est bien drois, car moult est delectables ; L’en y oit bien le rossignol chanter ; Marne l’ensaint, les haulz bois profitables Du noble parc puet l’en veoir branler, Courre les dains et les connins aller
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40 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, op. cit., vol. 11, p. 46, note 1. 41 Ibid., vol. 1. Pour une analyse plus générale de cette ballade, voir F. Vigneron, Paysages de
5
France chez Eustache Deschamps, p. 30-39 in : Le Génie du lieu. Des paysages en littérature, dir. A. Bouloumié et I. Trivisani-Moreau, préface de M. Tournier, Paris, Imago, 2005.
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En pasture mainte fois, Des oiselez oir les douces voix, En la saison et ou printemps d’esté, Ou gentil may, qui est si noble mois : Donna le nom a ce lieu de Beauté ».
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Comme dans les innombrables passages littéraires que nous évoquions, Eustache Deschamps mentionne le chant des oiseaux dont le caractère plaisant à l’ouïe est rendu par l’adjectif doux au vers 17. Le terme clé voix est à la rime, donc mis en relief, le rythme du décasyllabe met en valeur aussi le verbe oïr qui, dans le vers, termine la première partie de six syllabes. Enfin, au début de ce vers, l’allitération en [z] fait résonner le nom oiselez. Le lieu est très agréable, dit le poète au vers 11, et il est révélateur que la première raison donnée de ce caractère plaisant soit le chant des oiseaux, précisément des rossignols, au vers 12. Le verbe chanter est à la rime, position importante. L’adverbe bien termine la première partie du décasyllabe, qui comprend quatre syllabes, il attire de ce fait l’attention du lecteur et signale que ce chant est parfaitement perceptible. Le poète sait mettre en valeur les mots significatifs. Ce poème est d’autant plus intéressant pour notre sujet qu’il décrit un lieu réel. Nous avons la possibilité de confronter la littérature aux données des historiens. Or, si Eustache Deschamps évoque précisément les rossignols, ce n’est peut-être pas un hasard. En effet, les travaux de Gustave Loisel nous apprennent justement que Charles V avait des rossignols en cage dans le jardin du petit château de Beauté42. Le poète mentionne les rossignols, mais pas la volière. Par ailleurs, on retrouve le schéma d’organisation de l’espace de Pierre de Crescens. Le château de Vincennes est pourvu d’un environnement qui comprend un bois et un endroit où Charles V fait construire le petit château de Beauté qui est doté d’un jardin dans lequel se trouve une volière. Il ne nous manque qu’une précision : savoir si la cage des rossignols était installée près du bâtiment. Si les descriptions littéraires de l’environnement du château restent muettes à propos des volières, c’est que les oiseaux sont fortement liés à la façon dont l’homme médiéval se représente un lieu idéal. Ce dernier correspond à la codification littéraire du locus amoenus et à la notion de paradis perdu ou à venir, le jardin d’Eden ou le séjour de l’au-
42 G. Loisel, Histoire des ménageries de l’Antiquité
à nos jours, t. I, Antiquité, Moyen Âge, Renaissance,
Paris, Henri Laurens et Octave Doin et fils, 1912, p. 171.
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delà, les deux se confondant43. Dans la tradition rhétorique du locus amoenus, on énumère des oiseaux, mais il n’est pas question de volière, il s’agit d’un lieu naturel, qui ne connaît pas l’architecture et donc qui ignore les volières. S’il faut citer une saison dans la description, le poète évoquera le printemps, comme dans le modèle que propose Matthieu de Vendôme dans son Ars versificatoria44. La notion de printemps contribue à associer le locus amoenus et l’idée du paradis. En effet, on sait que les hommes du Moyen Âge imaginent le paradis comme un lieu soumis à un printemps éternel45. Les poètes sont parfois explicites, comme dans le Roman de la Rose, où Guillaume de Lorris décrit le jardin de Déduit au printemps en affirmant avoir l’impression d’être au paradis46. Mais même sans référence expresse au paradis, l’idée est toujours sous-jacente dans les descriptions littéraires. Le Moyen Âge imagine le paradis comme un monde où tout n’est que paix et où les animaux vivent en liberté et en bonne intelligence entre eux et avec les hommes47. Ces représentations mentales interdisent aux poètes d’enfermer les oiseaux. La littérature se tait sur l’existence des volières, mais nous révèle du même coup leur importance dans la réalité. Le seigneur propriétaire d’un jardin souhaite s’assurer de façon absolue le chant des oiseaux, indispensable pour faire de ce lieu un locus amoenus qui accède même à la notion de paradis. Avoir une volière est un moyen infaillible d’y parvenir. Dans le même temps, bien sûr, la notion de paradis est quelque peu pervertie, puisque les oiseaux ne sont pas là du fait de leur propre volonté. La réalité de la volière triche avec l’idéal paradisiaque, ce sont les arrangements du réel avec le rêve. Mais il est intéressant de constater que ce qui l’emporte dans ce compromis est de s’approprier le chant des oiseaux plutôt que de privilégier une liberté de mouvement. On comprend aussi que dans l’aménagement paysager, on recherche la maîtrise de la nature, on ne s’en remet pas au bon vouloir des oiseaux qui viendraient volontairement peupler le jardin. C’est, semblet-il, une différence entre les jardins des grands seigneurs et les jardins plus modestes, car Pierre de Crescens ne propose pas de mettre des vo-
43 J. Delumeau, Que reste-t-il du paradis ?, Paris,
Fayard, 2000, p. 112-13. 44 Matthieu de Vendôme, Ars versificatoria, § 111, p. 148-49, dans E. Faral, Les Arts poétiques du XIIe et du XIIIe siècle. Recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris, Champion, 1924.
45 J. Delumeau, Une histoire du paradis, t. I, Le Jardin des délices, Paris, Fayard, 1992, p. 13, 15, 17, 23-27. 46 Op. cit., v. 635-42. 47 J. Delumeau, Une histoire du paradis, t. I, Le Jardin des délices, op. cit., p. 14-16.
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lières dans les jardins des petites gens ni dans ceux des personnes de moyenne condition. La volière constitue aussi un signe de richesse et de pouvoir. L’art du jardin atteint son comble en somme avec des installations comme les volières et cela exige des moyens financiers en conséquence. Étant donné l’extrême valorisation du chant des oiseaux, on peut penser que lorsque Pierre de Crescens conseille de placer la volière près de la résidence du seigneur, c’est pour qu’il puisse entendre leur chant sans même sortir. Il ne s’agirait pas seulement de vouloir garder près de soi des animaux perçus comme familiers, comme nous l’avons dit d’abord. Cette idée a déjà été exprimée, dans un article, par Mary Whiteley qui précise qu’au château d’Angers, la volière sous la galerie est près de la chambre à coucher de René d’Anjou48. En fait, la proximité de la cage est somme toute relative, car les deux pièces de l’appartement du roi René ne donnent pas directement sur le jardin : elles communiquent avec la galerie dont les fenêtres ouvrent sur le jardin. Malgré tout, les oiseaux se trouvent suffisamment proches pour pourvoir être entendus en laissant les portes et les fenêtres ouvertes49. En tout cas, l’idée de Mary Whiteley nous semble intéressante dans la mesure où elle nous paraît faire écho à un passage de la Prison amoureuse de Jean Froissart. Le poète raconte qu’il reçoit un courrier d’un ami contenant le récit d’un songe. Le rêve a lieu au printemps 1371. Voici le début, c’est l’ami du poète qui raconte50 : « En celi tamps [au printemps 1371], un jour ja vi Q’un soir je m’estoie couciés […] En une cambre belle et cointe, […] Et avoie, pour mieuls joïr De l’air et les oisiaus oïr, 48 M. Whiteley, Relationship between Garden, Park and Princely Residence in Medieval France, p. 98-99 in : Architecture, Jardin, Paysage. L’environnement du château et de la villa aux XVe et XVIe siècles. Actes du colloque tenu à Tours du 1er au 4 juin 1992, éd. J. Guillaume, Paris, Picard, 1999. 49 Il se peut aussi que la volière ait été installée sous la galerie le long de la salle du conseil, où probablement dînait René d’Anjou. Cette seconde galerie n’existe plus, elle longeait également le jardin, ce qui ne change rien au fait que
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les fenêtres des deux pièces de l’appartement du roi René donnent sur la cour au sud et non sur le jardin au nord. Sur les constructions au château d’Angers, voir J. Mallet, La « construction » au château royal (XIII e -XVI e siècles), p. 113-24 in : La Construction en Anjou au Moyen Âge. Actes de la table ronde d’Angers des 29 et 30 mars 1996, éd. D. Prigent et N.-Y. Tonnerre, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1998. 50 Jean Froissart, La Prison amoureuse, éd. A. Fourrier, Paris, Klincksieck, 1974, p. 115-16.
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Sus les gardins une huisserie Ouverte, et pour le lecerie Seulement que de l’air haper Qui se venoit illuec fraper Parmi une delie tente De vermel cendal, belle et gente. En cel estat, sans moi mouvoir Fui un grant tamps le nuit, pour voir, Tenant le cief sus l’orillier Pour mieuls entendre et orillier Les douls oiselés que j’ooie, Car endormir ne me pooie : Tant estoie plains de leur glore Que mi oel ne pooient clore ».
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Le narrateur ne précise pas s’il est dans un cadre urbain ou campagnard, s’il est dans un château fort ou dans un palais situé dans un grand espace paysager protégé de murs. Néanmoins, le détail de la situation est intéressant. La chambre où dort le personnage donne sur le jardin et le protagoniste laisse la fenêtre ouverte pour entendre le chant des oiseaux. On relève la rime signifiante joïr/oïr et la rime équivoque oriller/oriller, qui attire l’attention par sa richesse. Le narrateur insiste encore avec le doublet « entendre et oriller ». Si profiter du chant des oiseaux depuis sa chambre est un tel plaisir pour l’homme médiéval, on comprend bien qu’il faille installer les volières de préférence près de l’habitation du seigneur. Idéal littéraire et réalité se rejoignent. L’attention que la littérature accorde au chant des oiseaux est très riche d’enseignement sur l’appréhension du jardin dans les textes médiévaux. Ce phénomène peut surprendre le lecteur moderne, car cela signifie que le jardin est autant un objet sonore que visuel. Il nous semble que l’homme moderne qui pense au concept de jardin l’envisage d’emblée et surtout par le sens de la vue. En revanche, on comprend bien que dans la littérature médiévale, les phénomènes auditifs du jardin tiennent une place extrêmement importante presque à égalité avec la vue. Cette dernière est forcément impliquée par le fait qu’il s’agit de descriptions. Par définition, la technique littéraire de la description fait appel à la vue, alors que la référence aux autres sens n’est pas requise dès le départ. Il y a une raison théorique à mettre en avant l’ouïe par rapport au goût, au toucher ou à l’odorat. Il faut en effet rappeler la pensée de la philosophie médiévale sur les cinq sens. La question de la supériorité d’un sens sur les autres est l’objet d’un débat au Moyen Âge entre ceux 265
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qui optent pour la vue et ceux qui choisissent l’ouïe. La réflexion balance entre ces deux sens. En tout cas, la vue et l’ouïe sont toujours distinguées au premier rang, devant les autres sens. Il y a donc une raison d’ordre intellectuel à favoriser l’ouïe dans la description des jardins51. Cette approche auditive du jardin nous paraît d’autant plus importante que presque tous les critiques littéraires oublient complètement d’étudier les textes sous l’angle des évocations sonores. Or cela fausse totalement la perception du jardin médiéval. La valorisation philosophique de l’ouïe influence sans doute la littérature et cela ne peut que conforter le grand seigneur dans l’envie d’installer une volière dans son jardin. L’environnement du château est autant auditif que visuel. On ne met pas assez l’accent sur l’importance des sons qui entourent l’homme médiéval. Ce dernier est attentif à la qualité auditive de l’environnement paysager du château. En outre, le jardin d’un château de grand seigneur est un jardin habité par des oiseaux et toutes sortes d’animaux, ce n’est pas le jardin purement végétal que les modernes ont peut-être tendance à imaginer. La poésie évoquant l’environnement paysager ne vise pas à décrire objectivement mais à rendre une sensation, une expérience de cet environnement et à cet égard, il est révélateur que les impressions auditives y tiennent une place si importante. Du point de vue de l’ouïe, l’environnement du château et le château lui-même tendent à être aménagés de la même façon, puisque les grands seigneurs avaient des cages à oiseaux aussi à l’intérieur ; on peut y voir un désir peut-être de faire entrer l’environnement naturel à l’intérieur du château.
51
Sur l’importance de l’ouïe dans la poésie, voir F. Vigneron, Les Saisons dans la poésie française des XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 473-75. Sur le débat philosophique à propos de la pré-
cellence de la vue ou de l’ouïe, voir J.-M. Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge. Le versant épistémologique, Paris, Champion, 2000, ch. 1, « L’ouïe, second sens ? », p. 19-55.
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À l’issue de trois journées de travail, il faut féliciter les organisateurs d’avoir su concevoir un colloque dont il convient de souligner la grande cohérence. On doit aussi reconnaître leur esprit de suite. En effet, après avoir mis sur pied une première rencontre, dans le site impressionnant et si puissamment évocateur, du château d’ÉcaussinnesLalaing, au cours de laquelle le château fut envisagé de l’intérieur, à travers ses fonctions militaire et résidentielle, voici qu’ils nous ont invités, comme l’a bien dit l’un des intervenants, à « tourner autour du château » pour en étudier la situation, le site, et les abords. L’idée était bonne puisqu’elle nous rappelle que le château ne saurait être étudié hors de son cadre physique et naturel. En effet, le château de la fin du Moyen Âge et du début de l’Époque moderne n’était pas une sorte de Walhall, flottant dans les nuées et simplement relié à la terre par un arc-en-ciel éphémère. Il plongeait ses fondations dans le sol, il était enraciné dans le terroir qu’il dominait. Il était bâti au cœur d’un espace qu’il concourait à structurer. Il était inséparable de toute une série d’« appartenances et dépendances », que les actes de donation ou les dénombrements féodaux énumèrent toujours complaisamment : « fours, moulins, rivières, étangs, viviers et autres eaux, forêts, bois, garennes, aulnaies et pâturages, terres, vignes, prés, saulaies, jardins, cours et courtils ». Les liens entre ces dépendances et le château ont, depuis longtemps, intéressé les spécialistes. La relation château/forêt est, sans doute, l’une des premières à avoir attiré l’attention des chercheurs. Gabriel Fournier, par exemple, dans un article paru en 1990 dans les Cahiers de Commarque, a mis l’accent sur les liens entre châteaux et défrichements, sur la place de la forêt dans l’économie domaniale, sur la « domestication » progressive de l’espace forestier et sa transformation en réserve cynégétique. La relation château/jardin a également été abordée, traitée et approfondie. Jean Mesqui, dans son ouvrage Châteaux et enceintes de la France médiévale, paru en 1993, souligne « la relation biunivoque qui exista entre les éléments bâtis de la résidence, et les jardins ». À propos de mentions relevées dans la littérature médiévale, il y constate « la 267
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symbiose entre la résidence et les jardins » et affirme que les sources littéraires montrent que « la noblesse a un besoin manifeste de disposer, en complément de la résidence, d’un espace naturel construit, faute duquel elle ne peut trouver d’équilibre ». Il n’est guère aujourd’hui de monographies de château qui ne prennent en compte la question des jardins et des « espaces naturels construits », pour reprendre la formule de Jean Mesqui : c’est ainsi, par exemple, que l’étude collective dirigée par Patrice Beck portant sur la Vie de cour en Bourgogne à la fin du Moyen Âge, consacrée au château de Germolles, réserve une place à l’environnement de cette résidence ducale bourguignonne qui comprenait non seulement des jardins et vergers plantés de cerisiers, de fraisiers, de framboisiers, de rosiers, de lys, de lavande, de sauge et d’oseille, un potager où poussaient poireaux et choux rouges, mais aussi un clos de vignes et une exploitation agricole modèle avec un cheptel bovin et ovin sélectionné. Les jardins de plaisance d’autres châteaux domaniaux de Bourgogne, comme ceux de Rouvres et d’Aisey, ont même fait l’objet de travaux particuliers. La « structuration de l’environnement » autour des résidences castrales est devenue un thème indissociable de l’étude plus générale du château. On ne peut définir celui-ci, sans décrire celle-là. Dans le volume dirigé par Annie Renoux, joliment intitulé Aux marches du palais et plus sérieusement sous-titré Qu’est-ce qu’un palais médiéval ? (publié en 2001), un article cosigné par François Duceppe-Lamarre, Patrice Beck et Corinne Beck traitait du sujet suivant : « Les parcs et jardins des résidences des ducs de Bourgogne au XIVe siècle. Réalités et représentations ». Les auteurs y soulignaient combien l’environnement avait été modelé par et pour le château et écrivaient notamment avec bonheur : « La cour ducale est créatrice de paysages. En aménageant les abords de ses résidences, elle montre sa maîtrise de la nature, végétale et animale, domestique et sauvage ». La présence des châteaux implique en effet une modification substantielle de ses environs immédiats. Le sujet de ces présentes rencontres n’est donc pas vierge ; toutefois ce colloque a le grand mérite d’être, sinon le premier, du moins l’un des premiers à traiter de façon spécifique, sous forme d’approche pluridisciplinaire, la question des abords et de l’environnement des châteaux. Il faut en premier lieu, en effet, souligner l’intérêt de cette pluridisciplinarité. Dix-huit chercheurs, historiens, historiens d’art, archéologues, architectes, historiens de la littérature, spécialistes du paysage, ont apporté chacun, si je puis m’exprimer ainsi, leur pierre à l’édifice. La différence des angles de vue et des méthodes ne peut qu’enrichir une réflexion qui embrasse un sujet multiforme. 268
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Leurs dix-huit contributions se sont inscrites dans un cadre chronologique très cohérent : l’essentiel de la réflexion menée durant ces trois journées de travail a porté sur la situation des XIVe, XVe et XVIe siècles, même si certains orateurs nous ont fait remonter le temps jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles et que d’autres nous ont fait « descendre » jusqu’au XVIIe siècle. Il apparaît clairement que l’aménagement des espaces autour des châteaux a connu dans les deux derniers siècles du Moyen Âge et le premier siècle de l’Époque moderne, une évolution qui a concerné les formes, les fonctions, les conceptions, les représentations. Le cadre géographique (ou géopolitique) était assez ramassé. Les anciens Pays-Bas bourguignons et habsbourgeois y étaient à l’honneur : pour les études de cas, le Hainaut, c’est normal, s’y est taillé la part du lion, avec l’évocation du Quesnoy, de Valenciennes, de Naast, de Mariemont, de Binche, alors que l’Artois n’était représenté que par un cas, mais quel cas, il est vrai ! : celui, bien fameux, d’Hesdin et de son parc. En dehors des « pays de par-deçà », les « pays de par-delà Champagne », pour parler comme Olivier de La Marche (c’est-à-dire la Bourgogne) ont été évoqués par Hervé Mouillebouche, tandis que le duché de Savoie, dont nous a entretenus Daniel de Raemy, et le duché de Bretagne, évoqué par Gérard Danet1 à travers le cas des domaines du maréchal Jean IV de Rieux, fournissaient d’excellentes références pour une démarche comparative à l’échelle d’un ensemble territorial auquel il ne manquait que quelques exemples italiens pour élargir l’horizon (à ceux qui donnent beaucoup on demande beaucoup). En tout état de cause, la première question posée par ce riche ensemble de communications est celle des sources et, en bonne méthode, c’est toujours par là qu’il faut commencer. Par déformation professionnelle, et aussi peut-être par goût, je commencerai volontiers par citer les sources d’archives, et notamment les sources comptables. François Duceppe-Lamarre a indiqué que la comptabilité laissée par l’administration financière des ducs de Bourgogne constitue une source essentielle pour ceux qui veulent travailler sur Hesdin. Alain Salamagne a fait une remarque identique à propos du château du Quesnoy. Yves Quairiaux nous a également montré l’intérêt des sources comptables pour connaître l’environnement de Mariemont. De même Gérard Danet n’a pas manqué de souligner que son étude des jardins et parcs à gibier des châteaux de Jean IV de Rieux était tributaire d’une comptabilité seigneuriale exceptionnellement bien conservée.
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Gérard Danet (Doctorant, Université de Tours), Les jardins et parcs de chasse de Jean IV de
Rieux en Bretagne d’après les comptes de châtellenies, 1460-1518, non publié.
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La catégorie des sources écrites se prolonge avec les descriptions de châteaux et les développements contenus dans des traités théoriques d’architecture, dont la période dite de la « Renaissance » voit l’éclosion. Odile De Bruyn a attiré notre attention sur l’exploitation qui peut être faite des œuvres littéraires classiques (le De senectute, la Cyropédie, l’Histoire d’Alexandre) pour retracer la genèse et la diffusion de nouveaux modèles de jardins. Fleur Vigneron nous a montré comment la mise en œuvre de traités comme le célèbre Liber ruralium commodorum (alias Rustican) de Pierre de Crescens, ainsi que des œuvres poétiques de Jean Froissart et d’Eustache Deschamps, pouvait s’avérer utile et fructueuse. Les actes de la pratique, aveux et dénombrements féodaux, actes de donation, actes de vente, permettent de connaître les étapes de la constitution d’un domaine ainsi que ses éléments et ses aménagements. Par ailleurs, pour l’étude d’un tel sujet, on ne saurait naturellement sousestimer le rôle de l’archéologie, qu’elle soit archéologie du bâti ou archéologie du paysage, et même, Frans Doperé l’a montré de façon très convaincante, de la géologie. C’est aux fouilles archéologiques que l’on doit la redécouverte du château de Binche et du complexe palatial édifié pour Marie de Hongrie. C’est également par des fouilles que certains éléments du château du Coudenberg 2 nous sont désormais mieux connus, de même, plus modestement, que la maison forte de Naast. Les enquêtes de terrain (où la toponymie et la microtoponymie jouent leur rôle), comme nous l’a rappelé Hervé Mouillebouche, se doublent d’un travail approfondi de topographie et de cartographie qui fournit des instruments de travail de première importance pour l’étude de sites où les vestiges sont bien souvent difficiles à saisir. Enfin, il est essentiel de recourir aux ressources de l’iconographie. Les miniatures, peintures, gravures et estampes offrent un matériau précieux, même s’il pose des problèmes de méthode et d’interprétations propres que les spécialistes connaissent bien. Par ailleurs, Cécilia Paredes et Jacqueline Guisset ont su nous montrer tout l’intérêt des représentations portées par les tapisseries. La chasse, les jardins, les plaisirs champêtres étaient des thèmes privilégiés de la tapisserie de la fin du Moyen Âge et du début de l’Époque moderne. Les liens étroits qui les unissaient aux résidences aristocratiques y apparaissent en pleine lumière, puisqu’on les voit, autour du château, formant et animant son cadre, et dans le château, constituant une partie de son décor mural. On observe là un
2 Stéphane Demeter (Collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles), Les aménagements paysagers d’un site castral urbain : le cas
du château du Coudenberg à Bruxelles jusqu’à l’époque bourguignonne, non publié.
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jeu subtil entre l’intérieur et l’extérieur qui a été parfaitement mis en évidence. L’éventail très large des sources, leur combinaison quasi systématique, renforcent le caractère nécessairement pluridisciplinaire de l’approche du sujet. Le fait est, par ailleurs, induit par la nature composite des abords du château. Car les communications présentées tout au long de ces trois journées nous ont permis de mieux définir les éléments constitutifs de ces abords et d’en mieux comprendre l’évolution générale et la nature ; ils appartiennent à des univers variés : humain, architectural, aquatique, végétal, animal. L’environnement du château est d’abord humain. L’espace castral ne peut exister et perdurer que s’il est animé par des hommes qui en prennent soin et en assurent la gestion. Plusieurs communications ont mentionné l’existence d’un personnel spécialisé et hiérarchisé d’agents domaniaux chargés de la gestion des eaux, des forêts, des jardins, des animaux. Frans Doperé a, pour sa part, rappelé que les maîtres maçons et les carriers, ainsi que les marchands de pierres et d’autres matériaux jouaient un rôle essentiel pour la construction, l’entretien, la réparation et la transformation du château et de son espace. Ceux-ci sont un chantier permanent. Il faut, non loin du site, trouver les pierres, la chaux, le sable, pour la maçonnerie, le bois pour les charpentes, les ardoises, les tuiles pour la couverture. L’espace castral est donc lié à des lieux d’extraction, de production, de commercialisation de ces matériaux. Il convient, du reste, d’insister sur le fait que les travaux qui ne concernaient pas la construction elle-même, mais les aménagements périphériques, pouvaient être également considérables : terrassement, arasement, assèchement, drainage, aménagement de voirie, boisement ou reboisement, construction de clôtures sur un très vaste périmètre, etc. Toutefois, il faut se garder des généralisations. Lorsqu’on parle d’aménagements et de travaux, il faut raisonner en termes d’échelles de valeur : tous les commanditaires ne sont pas égaux. Leur hiérarchie reflète celle de la noblesse. Les ducs de Bourgogne, les princes et les princesses de la Maison de Habsbourg, Mansfeld, Jean IV de Rieux disposaient de moyens que des représentants de strates nobles moins prestigieuses n’avaient pas. Il y a une gradation des moyens financiers, des ambitions, des possibilités spatiales dont il faut tenir compte. Il faut aussi méditer sur la question du choix du site, dont Hervé Mouillebouche nous a entretenus : l’exposition au soleil, la protection contre les vents dominants, l’altitude, la présence de l’eau, la proximité d’un massif forestier ou d’une ville sont des éléments essentiels dans la 271
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détermination de ce choix. De ce point de vue, on ne peut que relever l’importance de la relation ville/château. Dans des cas comme ceux de Binche, de Valenciennes, du Quesnoy, de Bruxelles, on constate que la ville est un élément majeur de l’environnement castral. Avec la ville, le château trouve un centre religieux, économique, administratif, éventuellement culturel, une bonne desserte routière, des ressources humaines, financières et matérielles. Ceci étant posé, prenons le château comme point central et efforçons-nous de décrire son environnement par cercles concentriques. Outre une enceinte du type des braies, déterminant éventuellement un espace de circulation, un jardin ou même quelques annexes, comme l’a rappelé Daniel de Raemy, on trouve d’abord les fossés. Ils ont originellement un rôle défensif et aussi une fonction de délimitation matérielle d’un site, le « site fossoyé » cher aux archéologues ; ils peuvent aussi, lorsqu’ils sont creusés dans la roche, servir de carrière pour la construction des murs. Enfin, lorsqu’ils sont en eau, ils peuvent devenir viviers. L’aspect esthétique des fossés, avec pont dormant et pont levant, n’est certainement pas non plus à négliger et est à relier aux nombreuses utilisations de l’élément aquatique. L’eau, comme nous avons pu le voir à de nombreuses reprises au cours de ces journées, est essentielle dans l’environnement castral. Lorsqu’elle n’est pas naturellement présente, il faut l’amener par des travaux d’adduction, souvent lourds, comme au Quesnoy. En tout état de cause, sa présence est multiforme : outre les fossés, on trouve éventuellement une rivière et des étangs naturels mais aussi, de plus en plus souvent, des aménagements hydrauliques : des étangs artificiels, des viviers, des canaux, des fontaines, puis, plus tard, des pièces d’eau et des jets d’eau. Cette présence de l’eau est d’abord fonctionnelle, liée à des impératifs d’approvisionnement, de défense, de pisciculture, mais elle est de plus en plus aussi associée à des activités de plaisance : la promenade, les jeux aquatiques, les recherches esthétiques avec, par exemple, des effets de miroir. Nous savons qu’à l’instar de Mariemont, la Petite Venise, dont nous a parlé Krista De Jonge3, certains châteaux gagnèrent en prestige grâce à ces aménagements hydrauliques. L’eau est aussi indissociablement liée aux jardins. Cet élément constitutif de l’espace est anciennement attesté et est étroitement uni au château en tant que résidence. Là encore, l’aspect fonctionnel est sans
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Pays-Bas. Les grands modèles du monde habsbourgeois au XVIe siècle, non publié.
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doute à l’origine du jardin castral : celui-ci est d’abord potager ou verger. Mais il devient vite, également, un espace de détente, de plaisance, de promenade. Toute une littérature développe ce thème : comment ne pas citer ce « verger qui estoit tres delectable et tres bel, plain de roses et de fleurs de lys et de plusieurs aultres delys » que décrivit Evrart de Trémaugon dans le prologue du Songe du Vergier ? A n’en pas douter ce verger allégorique, le « jardin des lys » qui était l’une des images du royaume de France, renvoyait aussi à un jardin de résidence royale bien réel. Le jardin est lieu de détente, de conversation, de rencontres et « d’esbattement ». De plus en plus élaboré, avec parfois un labyrinthe végétal (une Maison Daedalus), comme à Hesdin ou à Rouvres, il est créé, conçu et aménagé pour le plaisir de l’âme et du corps, pour flatter la vue, l’odorat et l’ouïe. On serait tenté de poser la question de savoir si, comme dans les domaines de Jean IV de Rieux, il s’agit d’un lieu féminin par excellence ou d’un lieu destiné au couple. Le jardin est un élément végétal essentiel, mais pas unique. Le parc tient aussi son rôle en tant qu’élément multifonctionnel où se rencontrent le végétal, l’animal et l’aquatique. Il est un espace construit et aménagé ; c’est un exemple de « sauvagerie domestiquée », un espace clos ou la nature est maîtrisée et contrôlée. Les espèces végétales et animales y sont sélectionnées. Le gibier y fait l’objet d’un élevage. L’exploitation du bois et l’activité cynégétique elles-mêmes y sont puissamment réglementées – on ne saurait oublier, sous l’œil de Jean-Marie Cauchies, que l’espace castral est aussi un espace juridique. Le parc à gibier implique, et pas seulement au château de Lapalisse, la présence de l’élément animal. Dans l’environnement du château, cette présence est, elle aussi, multiforme. On y trouve des animaux domestiques et d’abord ceux qui sont inséparables du genre de vie nobiliaire, à commencer par les chiens (de compagnie ou de chasse) – la présence canine emplissant, du reste, une partie de l’espace sonore, tous ceux qui savent ce qu’est un chenil pour chiens de meute comprendront. Les chevaux occupent une place de plus en plus importante et imposante, comme Pascal Liévaux l’a rappelé. Les oiseaux de chasse et de compagnie ont également une place spécifique et nous avons vu, grâce à Fleur Vigneron, que les volières (à l’instar de la célèbre « gayole » du château d’Hesdin) jouaient un rôle non négligeable dans la conception générale d’une résidence aristocratique. Là encore l’espace sonore est occupé, mais cette fois de manière moins sauvage et plus construite que dans le cas des chiens (quoique les grands chasseurs considèrent l’aboiement des chiens de meute comme une musique douce à l’oreille : Gace de La 273
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Buigne dans son Roman des déduits des chiens et des oiseaux, n’affirmait-il pas que c’était une musique plus belle que les chœurs de la SainteChapelle de Paris ?). Le chant des oiseaux participe à la construction d’un lieu de détente et de distractions qui peut être complété par la présence d’une ménagerie où des animaux étranges, exotiques, confèrent au lieu une valeur particulière. La ménagerie, en effet, est un objet de curiosité, un élément de prestige et, sans doute aussi, une représentation microcosmique dont la signification est en partie politique. Quoi qu’il en soit, la présence animale a un incontestable impact sur la morphologie de l’espace bâti. Le château s’élève au cœur d’un complexe constitué de dépendances dont certaines prennent place dans la cour. Les premières sont fonctionnelles et vouées à l’activité agricole : on trouve des bâtiments d’exploitation, granges et celliers, des bouveries, bergeries, moulins, colombiers. Les écuries connaissent une grande promotion, passant du statut d’étables à celui de bâtiments de prestige, intégrés au complexe architectural des communs. Tous ces éléments se combinent pour former un paysage. Ce paysage est bien « un enjeu » puisqu’il est l’image d’un genre de vie, le « vivre noblement », d’un ordre et d’un pouvoir dont le château est une représentation achevée. Le paysage subit des opérations successives : il est d’abord aménagé, modifié, pour être finalement créé. Un plan d’ensemble apparaît progressivement. L’évolution conduit à l’adoption d’une architecture savante pour l’espace bâti, les parcs, les jardins, les équipements hydrauliques et cette architecture fait une place de plus en plus grande à la géométrie, à la symétrie, au plan axial et à la perspective. La question de la vue, d’abord liée à des considérations militaires, stratégiques, évolue également vers une recherche liée à des préoccupations esthétiques. À Ancenis, la « Chambre verte de Madame » avait une vue sur les jardins, tandis que le belvédère de Mariemont et les grandes allées dégagées du parc servaient à une « mise en scène de la chasse ». Pour conclure, il est aisé de relier ce deuxième colloque au premier du genre : lors des premières rencontres, l’accent a été mis sur l’évolution du château dont la fonctionnalité fut d’abord militaire avant de devenir essentiellement résidentielle. Une évolution fonctionnelle comparable est sensible lorsque l’on étudie les abords et les alentours. Les impératifs militaires et économiques y ont progressivement été associés à une fonctionnalité nouvelle, de plus en plus tournée vers la résidence, la plaisance et l’otium. Comme l’a souligné Fleur Vigneron, l’aménagement de l’espace autour du château a tendu alors vers un idéal : créer un petit paradis terrestre pour le maître et les siens. Un auteur, jouant sur le nom d’Hesdin (Heden, sive Paradisus) a exprimé la même 274
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conclusions
idée. Il n’est pas trop hardi d’affirmer que les organisateurs de ce deuxième colloque du château d’Écaussinnes-Lalaing ont atteint, pour nous, sur le plan intellectuel, ce même idéal : remercions Jean-Marie Cauchies et Jacqueline Guisset de nous avoir, pour le temps de ces rencontres, « mis en Paradis ».
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Crédit Photographique Le château d’Ecaussinnes-Lalaing,Vincent Everarts de Velp, p. 12, 102, 116, 134, 156, 220, 236, 252. Archives de l’État de Berne, p. 62. Archives de l’État à Mons, p. 167. Archives nationales, Luxembourg, p. 215. Bibliothèque nationale de France, Paris, p. 74, 91, 95, 96, 101. Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles, p. 76, 77, 80, 84, 86, 219. Cornaro photo, Montreux, p. 68. D. de Raemy, p. 66. F. Doperé, p. 22, 23, 25. F. Doperé et P. H. Tilmant, p. 19. G. d’Ursel, p. IV. Fibbi-Aeppli, Grandson, p. 59. Fondation Gulbenkian, Lisbonne, ph. De Wit-Maes, p. 248. IGN, PGC-MSH Dijon, p. 33, 46, 47, 49, 51, 52. Kunsthistorisches Museum,Vienne, p. 238, 239, 240. M. Maillard-Luypaert, p. 159, 160 (bas), 162, 170. A. Meurant, 1998, p. 160 (haut). Musée national d’Histoire et d’Art, Luxembourg, p. 204. MRW. G. Focant, p. 184, 185. MRW. Infographie : P.-Ph. Sartieaux, p. 182, 183. MRW. Infographie : D. Dehon, P.-Ph. Sartieaux, p. 186, 187. Musée royal de Mariemont, p. 188. C. Paredes, p. 250, 251. Photo RMN/M. Beck-Coppola, p. 226. Photo RMN/G. Blot/Christian Jean, p. 229. Photo RMN/G. Blot, p. 222. Photo RMN/F. Raux, p. 233. Y. Quairiaux, p. 197. W. Curtis Rolf, 2004, p. 97, 98, 99. M. Schoellen, p. 214. P. H. Tilmant, p. 18, 20. C.Vilain – MRW – Dpat, p. 17. 277
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