L'architecture romaine: du début du IIIe siècle av. J.-C. à la fin du Haut-Empire, vol. 2, Maisons, palais, villas et tombeaux 9782708405332, 2708405330


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French Pages [528] Year 2001

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L'architecture romaine: du début du IIIe siècle av. J.-C. à la fin du Haut-Empire, vol. 2, Maisons, palais, villas et tombeaux
 9782708405332, 2708405330

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L’architecture

romaine

Tous regrettaient leursfamilles, leurs maisons : les pauvres, leurs cabanes enforme de ruche, avec des coquilles au seuil desportes, unfilet suspendu, et les patri­ ciens, leurs grandes salles emplies de ténèbres bleuâtres, quand, à l'heure la plus molle dujour, ils se reposaient, écoutant le bruit vague des rues mêlé au frémissement des feuilles qui s'agitaient dans leursjardins. Gustave Flaubert, Salammbô, IX.

La maison n 'était que comme un autre costume, moins étroit mais plus durable, que moulait en quelque sorte à sa ressemblance l'âme de l'individu avec les âmes plus vastes auxquelles elle participe. Et un ameublement appa­ raissait ainsi comme une sorte d'histoire où côte à côte l'in­ dividu, la profession, la classe avaient arrêté leur présence, fixé leur vie, exprimé leur rêve, déposé leur mémoire. Marcel Proust,Jean Santoni. L hôtel de Mme Desroches.

Ouvrage p u b lié avec le concours du Centre national du livre

Maquette : Odile Houis ISBN : 2-7084-0533-0 ISSN : 1264-1723 ©2001, Éditions A. et J Picard 82, rue Bonaparte, 75006 Paris

P ie r r e G

ros

L’architecture romaine du début du IIIe siècle av. J.-C. à la fin du Haut-Empire

2 Maisons, palais, villas et tombeaux

Les manuels d 'art et d 'a rchéologie antiques Collection dirigée par Gérard Nicolini

Ricard

Sommaire

Planches couleurs

6

4. L’habitat dans les province orientales

214

Introduction

17

5. Les palais im périaux de Rome

231

PREMIÈREPARTIE

L’habitat urbain Introduction Définitions préliminaires La domus selon Vitruve 1. Les derniers siècles républicains Rome et Italie

20 22 27

Terminologie et typologie 231 Les précédents hellénistiques et républicains 231 Le domaine augustéen du Palatin 233 Un intermède significatif : le « Palais du Promontoire » à Césarée de Palestine 241 L’évolution du palais, de Tibère à Claude 242 Les deux palais successifs de Néron 244 Le Palatin des Flaviens 252

30 DEUXIÈMEPARTIE

La préhistoire de la domus. Perspectives et problèmes 30 La grande domus des III'-II' siècles av. J.-C. en Italie 38 La grande domus de la fin de la République 60 Les domus de l’oligarchie sénatoriale à Rome 72 Domus moyennes d’Italie centrale etméridionale 77 L’habitat des classes moyennes et humbles à la fin de la République 82 2. Les deux premiers siècles de l’Empire Rome et Italie

Maisons de Gaule méridionale et des pays ibériques avant le début de l’Empire L’architecture domestique des classes dirigeantes aux Ier et IIe siècles : les origines et la diffusion de la « maison à péristyle » L’habitat des classes moyennes et laborieuses dans l’Occident romain

4

L’AKCHITECTURïTrT)MA>NE,

6. Terminologie, schémas historiques et typologie canonique

265

7. Le problème des origines

271

93

La domus au début de l’Empire. Tradition et nouveautés dans l’Italie du Ier siècle. L’exemple de l’Italie du Nord 93 L’émergence de nouvelles formes d’habitat dans les villes du Vésuve au I" siècle 102 Domus et insulae à Rome aux deux premiers siècles de notre ère 111 Densité et diversité de l’habitat de Rome à la fin du Haut-Empire : le témoignage de la FormaUrbis 118 Typologie de l’habitat collectif.L’exempled’Ostie 121 3. L’habitat dans les provincesoccidentales

La villa, structure de domination, de profit et de plaisance

136

8. Domaines de rendement à la fin de la République et au début de l’Empire 276 La villa de San Rocco à Francolise La villa de Settefinestre La villa de Lucus Feroniae

277 279 284

9. Villas de plaisance et résidences suburbaines à la fin de la République et au début de l’Empire 289 Les villas maritimes Les villas lacustres : l’exemple du lac de Garde

302 310

137

10. Villas du II* siècle en Italie

314

148

11. Les villas des provinces occidentales

322

196

Remarques préliminaires

322

La typologie et ses limites 324 Les modèles du développement de la villa provinciale : exemples d’évolutions chronologiques 340 12.

Les villas Impériales

350

Introduction Les julio-Claudiens Les Flaviens Les empereurs du IIe siècle

350 351 360 363

17. Les tombeaux-temples

444

18. Architecture funéraire romaine d’Asie Mineure

455

19. Architecture funéraire des provinces syriennes

462

Synthèses conclusives

TROISIÈMEPARTIE 20. Le corinthien romain

Les monuments funéraires Introduction

380

13. Les premiers tombeaux gentilices de la période médio-républicaine

384

14. L’essor du monumentum individuel

388

15. Les types de la fin de la République. Origine, évolution et diffusion provinciale Les autels funéraires Les tombeaux à édicule sur podium (Rome et Italie) Les monuments à édicule dans les provinces occidentales Les tombeaux en forme de tumulus et leurs dérivés Les pyramides Les exèdres et les scholae 16. L’inflexion de la fin du i" siècle ap. J.-C.

392 392 399 412 422 435 436 440

Qu’est-ce qu’un ordre ? Le chapiteau corinthien. Origine et définition Les débuts du corinthien à Rome et en Italie La fin de l’époque républicaine et le règne d’Auguste Italie et provinces entre la fin de la République et le début de l’Empire Le corinthien romain à la fin du Ier siècle ap. J.-C. Chapiteaux corinthiens du IIe siècle Les chapiteaux « asiatiques » de l’époque sévérienne Les corniches modillonnaires Les bases et les fûts Les proportions La variante « composite »

470 470 471 472 475 478 484 +86 491 491 495 496 499

21. Formation, compétences et mode d’action de l’architecte

504

Index

519

PI. I. L'atriumde la « Casa Sannitica » d'Herculanum. Cliché Centre Camille Jullian (CCJ) - CNRS.

6

PI. III. Le jardin et le tricliniumprincipal (à gauche) de la propriété immobilière (praedia) de Julia Felix à Pompéi. Cliché CCJ - CNRS.

PI. V. La « Casa a Graticcio »d'Herculanum : façade sur la rue partiellement reconstituée. Cliché CCJ - CNRS.

PI. VI Vue surplombante du «Caseggiato degli Aurighi »à Ostie. Cliché CCJ - CNRS

8

à Ostie. Clichés COI - CNRS.

9

PI. IX. Le premier péristyle (A) de la Maison dite du Buste en Argent àVaison-la-Romaine. Cliché CCJ - CNRS.

PI. X. Les habitations du quartier du théâtre àTimgad. Cliché CCJ - CNRS.

10

PI. XI. Vestiges de la VillaJovisà Capri.

77

PI. XII. Lentrée monumentale et l'entrée de service (àgauche) de la Villa HadrianaàTivoli. État du chantier en novembre 2000. Cliché G. Sauron.

PI. XIII. Le «Canope »de la Villa HadrianaàTivoli.

72

PI. XIV. Le «Théâtre Maritime »de la Villa HadrianaàTivoli.

13

PI. XV. Le Mausolée des Julii à Glanum. Cliché CCJ - CNRS.

PI. XVI. Détail de l'étage du quadrifrons au Mausolée des Julii de Glanum.

14

PI. XVIII. Le Mausolée de Mactar (Tunisie).

PI. XVII. Le Monument dit des Scipions àTarragone (Espagne).

15

‘I. XIX. Les chapiteaux du Mausolée de Mylasa (Turquie).

PI. XX. La tour d’Elahbêl à Palmyre (Syrie).

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Nous avons exposé, dans l’introduction géné­ rale placée en tête du premier volume, les raisons qui nous ont conduit à retenir une organisation fondée sur la typologie plutôt que sur la chrono­ logie. La succession de monographies juxtaposées présente, nous l’avons dit, les inconvénients et les avantages de toute parataxe. Elle tend à privilé­ gier les évolutions linéaires aux dépens des phénomènes complexes et des interconnexions, que des « coupes horizontales » à caractère synthétique auraient mieux mis en évidence. Mais la multiplicité des faits à maîtriser, la diver­ sité des monuments à classer excluaient d’emblée que l’on adoptât une ordonnance syntaxique, aussi séduisante qu’elle pût paraître : très difficile à mettre en œuvre, elle eût singulièrement compliqué la lecture d’un tel Manuel. Si nous voulions chercher une caution à ce choix, il serait facile quoiqu’imprudent d’invoquer l’exemple de Vitruve, qui justifia jadis la distribution livre par livre des différentes catégories d’édifices dans les sept premiers volumina de son traité (De architec­ tura, V, praef. 5) par un souci de clarté et de péda­ gogie : il fallait, disait-il, que le lecteur désireux de s’informer sur tel ou tel « genre » n’eût pas à se donner la peine de rassembler des indications éparses mais disposât d’un discours complet sous une seule rubrique. Le problème est que la finalité de Vitruve était normative quand la nôtre se veut historique. Nous ne saurions donc, sous prétexte de clarification, éliminer comme il le fait tout ce qui n’entrerait pas dans une définition préalable, d’apparence rigoureuse mais forcément réductrice ; nous ne pouvons pas davantage faire abstraction d’un certain nombre de données croisées, seules capables, dans la visée diachronique qui est la nôtre, d’expliquer tel ou tel épisode d’une histoire des formes, qu’il est impossible d’isoler de l’Histoire, au sens large où nous l’entendons aujourd’hui. Dans le premier volume, l’interdé­ pendance des composantes des centres urbains a entraîné la mise en place de fréquentes passe­ relles d’un chapitre à l’autre ; le lecteur était libre de les emprunter ou de les ignorer, mais nous ne pouvions en faire l’économie. Dans le présent volume, les choses se compliquent du fait que

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nous entrons dans ce qu’il est convenu d’appeler la « sphère du privé » ; son extension s’avère, dans le monde romain, à la fois plus large et plus restreinte que celle que nous lui reconnaissons dans nos sociétés, et les chevauchements sont fréquents, tant en ce qui concerne les formes que les fonctions, entre ce qui relève du domaine public et ce qui n’en relève pas, ou du moins n’en devrait pas relever à l’aune de nos conceptions juridiques actuelles. Telle est la raison pour laquelle le sous-titre de ce second volume ne présente pas avec celui du premier le parallélisme rigoureux que les lecteurs étaient en droit d’attendre. Certes une formule comme « les édifices privés > en tête du présent ouvrage aurait eu l’avantage de confirmer la partition traditionnelle entre les communia opera et les privata aedificia, pour reprendre les termes même de Vitruve (I, 3, 1). Mais les choses ne sont pas si simples et Vitruve lui-même démontre au fil de ses livres, et particulièrement dans le sixième consacré à l’habitat, que la séparation entre les deux secteurs n’est pas rigoureusement observée dans les faits, ou que du moins les clivages s’avèrent à l’examen beaucoup moins nets que les mots ne le donnent à entendre. Ils le sont d’autant moins ici que nous traitons aussi des palais impériaux, lesquels constituent par défini­ tion, pour une part importante de la surface qu’ils occupent, de véritables monuments publics. Nous avons donc cru préférable d’énumérer briève­ ment, en sous-titre, les principaux types d’édifices que nous nous proposons d’étudier. Parmi ceux-ci, il en est qui, bien que recensés dans les traités antiques, de Varron à Vitruve ou Columelle, sont difficilement identifiables sur le terrain, ou ont laissé des traces trop évanescentes pour être analysés d’une façon systématique, tels les établissements ruraux. Il en est d’autres qui, à l’inverse, ont fait l’objet de nombreuses observa­ tions de la part des archéologues ou des historiens de l’art, mais qui semblent être restés hors du champ de l’architecture proprement dite dans la pensée romaine, tels les tombeaux. Cette partielle absence de recouvrement entre nos catégories et celles des théoriciens ou praticiens de la période envisagée, qu’elle soit due aux hasards de la survi-

isrnRâbrfuinraoN 77

vance ou à des pétitions de principe, ne pose pas seulement un problème de taxinomie ; elle grève aussi dans une certaine mesure la légitimité de certains de nos chapitres. Un contemporain de Caton l’Ancien, de Cicéron ou de Marc Aurèle aurait-il, comme nous avons tendance à le faire sans même y penser, considéré comme procédant de la même activité, celle du bâtisseur au sens large du terme, la construction d’un théâtre, celle d’une maison urbaine ou celle d’un monument funéraire ? Il est permis d’en douter. De telles constatations nous incitent à mesurer une fois de plus le caractère inévitablement arbitraire de ce genre de synthèse ; sans nous décourager, elles peuvent contribuer à nous convaincre de mettre en œuvre des méthodes d’approche diversifiées : on ne saurait aborder avec les mêmes concepts, ni apprécier avec les mêmes critères des édifices qui de tout évidence n’appartiennent pas aux mêmes secteurs de l’activité créatrice. Cela dit, s’il est un domaine où les connais­ sances ont progressé au cours de ces dernières années, c’est bien celui de l’habitat, qui occupe le centre du présent volume : une sensibilité plus vive au cadre concret de l’existence, l’attention portée par les archéologues et les historiens aux structures les plus humbles et à tout ce qui a fait dans le passé la trame des jours ordinaires ont non seulement accru la documentation dispo­ nible, mais, plus encore, élargi les « topiques », c’est-à-dire les modes d’interrogation des vestiges. D’où de nombreuses questions, inédites il y a seulement un quart de siècle, auxquelles il faut apporter au moins des commencements de

inachevée par définition, et destinée à être partiel­ lement ou totalement défaite par les générations suivantes, qui auront, du moins il faut l’espérer, d’autres éléments à y intégrer ou d’autres raison­ nements à substituer aux nôtres, il est apparu indispensable de mêler quelques fils de trame aux nombreux fils de chitine que constituent les diffé­ rents chapitres. Deux annexes thématiques, regroupant et développant plusieurs séries de faits ou de pratiques antérieurement mais sporadique­ ment évoqués, tiendront lieu de conclusion géné­ rale. Elles traiteront respectivement du statut des architectes, du rôle des nombres dans les plans ou les schémas régulateurs et des grandes lignes de l’évolution formelle et sémantique des deux ordres « romains » par excellence que sont le corinthien et le composite. Ces éclairages succes­ sifs, balayant la masse des monuments étudiés dans les deux volumes, devraient permettre de dégager quelques-unes des constantes sociales, culturelles et esthétiques de ce qu’il est convenu d’appeler l’architecture romaine. Dans sa « Vie de Bramante », Vasari évoque la passion avec laquelle le grand architecte, lors de ses premiers séjours à Rome, allait d’un monu­ ment antique à l’autre, « solitaire et pensif » (« solitario e cogitativo »). Nous serons heureux si ce livre incite quelques-uns de nos lecteurs à suivre ses traces et à prendre le temps de regarder pour les mieux comprendre les édifices, ou du moins les fragments plus ou moins suggestifs qui en subsistent, partout où Rome a laissé son empreinte.

Enfin, pour donner plus de cohésion sinon de cohérence à cette tapisserie de Pénélope,

N.B. Les renvois au premier volume sont indiqués par le sigle AR I.

B I B L I O G R A P H I E B. Rawson, P. Weaver, édit., The Roman Family in lUily Status, Sentiment and Space, Oxford, 1977. P. Veyne, édit., Histoire de Ut vie privée. I, Paris, 198.5.

l’architecture romain e

S. Settis, édit., Civiltà dei Romani. Il rito e la vita privata, Rome, 1992.

A. Zaccaria Rugciu. Spazio privato e spazio pubblico nella cilla romana, Coll. EFR 210, Rome,

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L’habitat urbain

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I n tr o d u ctio n Lors de l’incursion gauloise dans la Rome du début du IVe siècle av. J.C ., en l’année 390, les pillards celtiques furent saisis de stupeur devant le spectacle offert par la ville. Dans un texte célèbre sur lequel ont peiné des générations d’apprentis latinistes, Tite-Live décrit ainsi la scène : « Trouvant clos les logis des plébéiens et grands ouverts les atriums des nobles, ils hésitaient presque davantage à envahir les maisons ouvertes que les autres, car ils n’éprouvaient rien de moins que de la vénération en voyant assis dans le vesti­ bule de leur demeure ces personnages que leur costume et leur aspect d’une grandeur plus qu’hu­ maine mais surtout la majesté de leurs traits et la gravité de leur expression rendaient pleinement semblables à des dieux » (5, 41, 7-8). On ne saurait concevoir meilleure introduc­ tion à l’étude de l’habitat romain. Tout est suggéré en effet dans ces quelques lignes, et d’abord qu’entre les maisons des classes moyennes ou humbles (les aedificia de la plebi) et celles des représentants de la noblesse (les aedes principum) la différence n’est pas de structure ou d’extension mais de nature : les premières ne sont que des refuges où l’on s’enferme pour la nuit ou, comme ici, en cas de danger ; elles comportent seulement des pièces à usage privé, les propria laça de Vitruve (VI, 5, 1). Les secondes ne sont pas uniquement des habitations au sens étroit du terme ; elles appartiennent partiellement sinon au domaine public, du moins à celui de la collecti­ vité, en ce que certaines de leurs composantes essentielles sont des communia laça, c’est-à-dire des espaces d’accueil où le peuple peut être admis sans invitation et où les maîtres donnent à voir par divers moyens la grandeur de leur famille au sens large (la gens). La demeure des puissants est donc aussi et peut-être d’abord le symbole d’un statut et l’instrument d’un pouvoir. A quoi s’ajoute la dimension sacrale dont Yatrium, terme utilisé par Tite-live pour désigner l’ensemble de la domus, est le siège principal mais non unique. La stratification typologique et fonctionnelle évoquée par ce texte et, pour la domus propre­ ment dite, l’ambiguïté des notions d’extérieur et

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l’habitat urbain

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d’intérieur, l’imbrication du public et du privé, du religieux et du profane démontrent à quel point manquerait son but toute démarche strictement descriptive ; elle ne resterait pas seulement à la surface des choses mais serait inapte à saisir le sens de phénomènes architecturaux dont la nature et l’évolution relèvent pour une large part du social et du politique. La terminologie confirme cette première appréciation. Les trois mots qui en latin désignent la maison renvoient à trois aires spécifiques de signification, dont aucune n’est proprement archi­ tecturale : aedes vient du grec aïèto (brûler), et s’applique donc en premier lieu au foyer, c’est-àdire à la pièce où l’on entretient le feu sacré ; on sait qu’au singulier ce terme désigne la maison d’un dieu, c’est-à-dire le temple ; c’est seulement au pluriel ou sous la forme du dérivé aedificium qu’il équivaut, avec la valeur d’un collectif, à notre notion de maison. Domus, quant à lui, ne vient pas du grec Sépra (construire) ou Sôpoç, 5ûpa comme le voulaient les étymologistes anciens au premier rang desquels Varron (De lingua latina V, 160), mais dérive d’une racine indo-européenne commune aux deux langues, qui évoque davantage la famille et le maître de maison que l’édifice lui-même ; le rapport entre domus et dominus était du reste senti par les latins, comme le prouvent plusieurs textes cicéroniens (par ex. De Officiis, I, 39, 139). Le dérivé domici­ lium n’a pas seulement, comme le français « domicile », un sens juridique et topographique, mais désigne vraiment l’habitation dans son acception concrète puisque Cicéron (par exemple, dans le Pro Sestio, 91) considère que la ville n’est pas autre chose qu’une agglomération de domicilia (domicilia coniuncta, quas urbes dicimus). La translittération du mot qui, en grec, est le plus souvent employé pour désigner la maison (oîicoç), œcus, est d’un usage assez restreint et n’ap­ paraît que tardivement dans le vocabulaire latin de la domus ; il appartient, nous le verrons, à la phase d’hellénisation de celle-ci et semble avoir été réservé dès ses premiers emplois (Vitruve, VI, 3, 8) aux pièces qui, tels les salons ou les salles de banquet, définissent dans les riches demeures les principaux espaces de réception (infra, p. 62 sq.).

Fig. 1. Fragment de relief conservé àAvezzano. Le cliché IDAI, 99-27571 est Museo délia Civiltà un paysage : derrière la

dans le suburbiumlé campagne proche de la ville, se répartissent les

Mais il n’est pas sans intérêt de relever que le mot grec oîxoç, avant d’avoir été transposé dans la langue savante de l’architecture domestique latine, appartenait à la même racine indoeuropéenne que le mot vicus, qui signifie bourg, quartier ou rue ; s’il s’applique dans la langue classique à la maison il sert aussi à désigner, chez Xénophon par exemple (Mémorables, II, 7, 6), la famille au sens large (incluant la domesticité) ; de surcroît, comme le latin aedes, il peut nommer l’habitat d’un dieu, c’est-à-dire, la salle principale d’un sanctuaire, voire, dans certaines inscriptions de Délos, un trésor ou un dépôt rattaché à un sanctuaire. C’est en fait parce que la nomencla­ ture technique latine s’est cherché dès la fin de la République des cautions helléniques que Vitmve établit une relation entre oîxoç-arozs, pièce princi­ pale de la maison grecque [De architectura, VI, 7, 2, 3, 4, S) et le salon (reçus) de la domus. En résumé, la religion, la famille et les rites sociaux sont les trois registres où se déploie le vocabulaire latin de la maison, quelle qu’en soit l’origine. Tant il est vrai que l’aspect matériel de l’habitat est peu impliqué dans sa définition et que les fonctions de la demeure prennent le pas sur ses formes, bien que les premières condition­ nent évidemment les secondes. Le seul terme qui relève de l’architecture et qui s’applique parfois, par métonymie, à la maison, est tectum (le toit), plus souvent d’ailleurs au pluriel (tecta) : la valeur affective du mot tend à réserver son emploi aux textes poétiques ou à certaines évocations non

techniques ; il est significatif que les nombreuses occurrences de tectum dans le De architectura de Vitruve s’appliquent toutes au toit et ne prennent jamais un sens métaphorique (fig. 1). Si nous passons maintenant à la définition spatiale de la maison urbaine, nous constatons qu’elle est plus rigoureuse ; le juridisme de la pensée romaine s’exprime là sous sa forme la plus claire : en tant qu’unité construite soumise à un régime différent de celui des espaces publics et des autres composantes de la trame monumen­ tale, la domus a dès l’origine présenté vis-à-vis de l’extérieur des éléments d’identification et des secteurs de transition dépourvus d’ambiguïté. Le mur périphérique du bloc d’habitat, qu’il soit individuel ou collectif, qu’il soit bordé de portiques ou présente une façade nue, définit à lui seul, le plus souvent sous une forme austère, l’ex­ tension et la limite de l’aire résidentielle. Les modalités du passage du sol public au sol « privé » sont assurées par deux structures bien définies, le vestibule et la porte. Le vestibulum est une notion souvent mal comprise, parce qu’elle a été rapidement utilisée, dans les textes antiques dès le début de l’Empire, pour désigner le corri­ dor d’entrée ou la grande pièce d’accueil ; il s’agit en fait, comme le rappelle Aulu-Gelle dans une notice que nous aurons l’occasion de lire dans le détail (Nuits Attiques, XVI, S, 3), d’une surface plus ou moins étendue située en avant du seuil lui-même, et éventuellement bordée par des murs qui se prolongent au-delà de la porte jusqu’au

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trottoir ; le vestibulum n’appartient donc pas à la maison, dont il n’est pas une partie constitutive ; il n’appartient pas davantage à la rue, par rapport à laquelle il est en retrait : c’est en quelque sorte un sas d’attente, une zone de transition qui n’existe évidemment qu’à proximité des grandes domus, mais dont la présence exprime bien la volonté de séparer la voie publique ouverte à tous, de la maison accessible d’abord, sinon exclusivement, à ses habitants. Quant à la porte, située au-delà du seuil, elle est à la fois orifice d’accès (ostium, dérivé de os, la bouche) et lieu de passage [janua, formé sur Janus) ; le sens de l’ou­ verture, pour les demeures qui longent directe­ ment le trottoir, mais aussi pour celles qui sont précédées d’un « vestibule », relève du même souci de distinction juridique entre l’espace externe et l’espace interne : sauf cas exception­ nels, réservés, nous disent Pline (HN, 36, 112) et Plutarque ( Vie de Publicola, 20) aux généraux vain­ queurs dont les maisons ont été construites aux frais de l’État, les battants de la porte ne pouvaient pivoter vers l’extérieur mais devaient toujours se rabattre vers l’intérieur afin d’éviter qu’un particulier pût occuper, même très tempo­ rairement, une partie, fût-elle minime, du sol public. Ces dispositions, et d’autres du même ordre dont nous aurons à parler, sont analogues à celles qui, à Athènes, réglaient la saillie des balcons, le déversement des eaux de pluie ou l’ouverture des fenêtres sur la rue (Aristote, Constitution des Athéniens, 50). On n’oubliera pas toutefois que la réflexion sur la maison en tant qu’objet bâti et cellule urbaine ne s’est vraiment développée, en milieu italique, qu’à une époque relativement tardive.

D é f in itio n s p r é lim in a ir e s Bien que cette première partie, consacrée à l’habitat urbain, englobe aussi des réalités très différentes de la domus classique, nous devons commencer par cerner les composantes princi­ pales de celle-ci, et plus particulièrement les éléments dont Vitruve fournit dans son traité une description détaillée, car c’est en fonction d’eux que nous pourrons cerner les types originels, suivre leurs transformations et évaluer les variantes chronologiques ou ethniques. Les termes autour desquels s’articule la définition de la domus doivent être, préalablement à toute analyse évolutive, clairement expliqués, non seulement dans le sens où les archéologues les emploient aujourd’hui, mais plus encore dans celui, chargé d’harmoniques diverses, que lui donnaient les Anciens. L’élément organisateur en est l’atrium, terme qui sert à désigner, dans le texte de Tite-Live cité

22

L’HABITAT URBAirç

plus haut, l’habitat des notables. Cette pièce d’un type particulier entre dans la catégorie plus géné­ rale des cours intérieures, les cava aedium, autour desquelles se répartissaient traditionnellement dans les plus anciennes demeures méditer­ ranéennes les salles d’habitation et les activités domestiques. Mais Yatrium, Vitruve se plaît à le souligner, est une notion étrangère aux Grecs (VI, 7, 1), et Varron (De lingua latina, V, 161) fait venir le mot d’un toponyme d’Étrurie padane, Atria (Adria), au prix de ces fausses étymologies dont il a le secret ; l’adjectif tuscanicum, qui désigne la forme la plus simple de Yatrium, semble toutefois confirmer une dérivation à partir de la tradition culturelle tyrrhénienne. En fait, si la théorie « étrusque » n’est pas à rejeter totalement, comme nous le verrons, elle a parfois, et naguère encore, été élevée au rang de seule filière possible, pour des raisons qui ne sont pas toutes scientifiques, et ne rendent pas compte de la complexité d’un phénomène, du reste moins ethnique que sociopolitique. Il est possible que dans certaines de ses versions les plus anciennes Yatrium ait été entière­ ment couvert, testudinatum pour reprendre la terminologie de Vitruve et de Varron ; l’aména­ gement d’une ouverture dans la toiture permet­ tant l’entrée de l’air, de la lumière et des eaux pluviales au cœur de la maison, peut avoir procédé d’une adaptation au modèle grec de la cour centrale dans le cadre d’une hellénisation précoce de l’habitat italique dans laquelle le relais étrusque a effectivement joué un rôle. Quoi qu’il en soit, Yatrium sous sa forme cano­ nique est une pièce dont la charpente est conçue de telle sorte qu’elle dégage une ouverture sommitale quadrangulaire ; si cette ouverture est située à la rencontre des quatre pans de la toiture en pente vers l’intérieur, elle porte le nom de compluvium (endroit où se rassemblent les eaux de pluie) et l’atrium est dit compluviatum : la char­ pente qui soutient le dispositif est composée de deux poutres horizontales franchissant la largeur de la pièce sur lesquelles ou entre lesquelles pren­ nent appui ou sont encastrées deux autres poutres ; ce sont les trabes interpensivae ou interpen­ siva, les « sablières suspendues » de Vitruve (VI, 3, 1) ; quatre pièces de bois obliques joignent les angles de l’orifice central au sommet des murs : ce sont les « poutres de noue » qui suivent l’angle rentrant à la rencontre des combles adjacents ; elles déterminent dans la toiture les arêtes situées au contact latéral de deux versants, qui portent en latin le nom de colliciae (fig. 2 et 3). Au compluvium du toit répond ordinairement au sol un impluvium ou bassin de recueillement des eaux, relié à une citerne (pl. I). C’est ce type d’atrium, dont la char­ pente n’est soutenue par aucun support intermé­ diaire, qui est dit toscan, tuscanicum. Lorsque, la surface de l’espace découvert s’amplifiant, en

relation avec l’élargissement de la pièce, on éprouve le besoin de soulager la charpente, ou bien lorsque, indépendamment de toute contrainte technique, on souhaite donner à cet espace central une dignité particulière, quatre colonnes peuvent être placées aux angles de Yimpluvium : l’atrium est dit alors tétrastyle ; les poutres ne couvrent plus sans relais la distance d’un mur à l’autre mais s’appuient sur les colonnes ; il n’existe plus dès lors d’interpensiva au sens propre du terme. Si, l’ouverture centrale s’élargissant encore, six colonnes ou davantage cantonnent le bassin et supportent la poutraison quadrangulaire, l'atrium est dit corinthien, Corin­ thium, ce qui témoigne du caractère grec ou hellé­ nisant de la composition. Et de fait celle-ci n’ap­ paraît guère avant le début du II' siècle av. J.-C. (fig- 4). Mais, à nous en tenir ici aux seules questions terminologiques et structurelles, la question se pose rapidement de savoir jusqu’à quelle limite

ces atria à colonnade méritent encore leur nom. Diverses synthèses et plusieurs dictionnaires, français particulièrement, donnent à entendre que Yatrium corinthien peut être assimilé à « une sorte de péristyle de type grec » dès lors que la surface centrale cernée par les supports libres atteint des dimensions relativement importantes. C’est mal poser, ou mal comprendre, le problème : Yatrium se définit en effet par une rela­ tion particulière entre l’espace libre et l’aire couverte ; d’une manière générale la seconde doit rester plus importante que le premier. En éléva­ tion Yatrium se caractérise par la hauteur des murs latéraux dont le sommet est forcément plus élevé que celui de l’ouverture centrale du toit ; cette particularité, jointe à la présence éventuelle de colonnes autour de Yimpluvium, lui donne l’allure d’une pièce solennelle quoiqu’en généra] assez sombre, à vocation centralisatrice. Sa situation, au cœur de la domus traditionnelle, et les ailes [alae) ou exèdres quadrangulaires latérales qui, sur

Fig. 2. Le dispositif de couverture d'un atriumclassique, avec la terminologie vitruvienne.

Fig. 3. Coupe sur atriumde la maison de M. Obellius Firmus à Pompéi.

HfflKWHCnON

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deux ou trois de ses côtés, en élargissent la super­ ficie couverte, pénétrant en quelque sorte dans les profondeurs de la maison, confèrent à cet espace, cruciforme en plan, une fonction structurante que ne peut avoir le péristyle. Vanon souligne du reste avec raison qu’il n’existe, malgré les appa­ rences, aucune parenté entre Yatrium et le péri­ style (De lingua latina, VIII, 29). Ce dernier, dont nous avons vu dans le premier volume de cette synthèse les applications dans le domaine public (peristylon, peristylum ou peristylium) est en effet une aire plus ou moins vaste longée sur ses quatre côtés par un portique périphérique dont le rôle est celui d’un déambulatoire et dont la surface est, en toute hypothèse, nettement plus réduite que celle de la zone découverte qu’il circonscrit Signalons enfin qu’il existe, selon Vitruve, une variante de Vatrium qui consiste à établir un toit en forme de tronc de pyramide pourvu de quatre versants trapézoïdaux réservant un espace hypèthre en son milieu : c’est Yatrium displuviatum dont les pans de la toiture ne sont plus en pente vers l’intérieur mais vers l’extérieur ; les arêtes formées par la rencontre latérale de ces pans ne sont plus des colliciae mais des deliciae ou deliquiae, c’est-à-dire des arêtiers de croupe (De architectura, VI, 3, 2) (fig. 5). Quelle était la fonction originelle de ce type de pièce si singulier ? Là encore les indications des textes antiques présentent quelque utilité, à condition qu’elles soient remises en situation. Fondées sur les jeux de l’étymologie approximative qui faisait les délices des grammairiens et des « antiquaires », elles suggèrent deux interprétations différentes mais pas forcément contradictoires : atrium vien­ drait de l’adjectif ater, qui signifie noir, ou plutôt noirci, ce qui s’expliquerait par la raison qu’on faisait initialement la cuisine en cet endroit et qu’on y prenait ses repas (voir par ex. Servius, Ad Aen. I, 726) ; la même couleur sombre des murs serait due cependant, selon d’autres sources, à la fumée des chandelles qui brûlaient autour des portraits des ancêtres, les imaginesfumosae, placés à proximité de Yimpluvium ou dans l’une de ses alae (Vitruve, VI, 3, 6 ; Sénèque, Ad Lucilium, 44, 5). Si l’on replace, comme l’a fait A. Zaccaria Ruggiu, la notice relative à la cuisine dans la série des textes sur les habitudes alimentaires des Romains, il apparait que celle-ci procède de la polémique contre le luxe, et relève donc d’une idéalisation abusive de la simplicité des mœurs d’autrefois (en l’occurrence des premiers temps républicains). Plus digne d’intérêt est en revanche la mention des galeries de portraits, originelle­ ment en terre cuite : leur présence dans Yatrium est bien attestée par l’archéologie et confirme l’importance de cette pièce, la première qu’on rencontrait au-delà du corridor d’entrée (les

L’HABITAT URBAIÿ

fauces) ; la connexion de ces imagines maiorum, qui matérialisent l’ancienneté de la famille et fondent les prétentions des propriétaires à la noblesse, avec l’aire centrale de l’atrium ou ses annexes immédiates, fournit la clé idéologique de ce dispositif, qui se doublait d’éléments sacralisants, tels l’autel des Pénates ou le petit sanctuaire des Lares. Dans ce contexte, la cérémonie matinale de la « salutation » des « clients », dans une société où les notables détenaient souvent les moyens de la survie économique d’une partie importante de la population, revêtait tout son En relation directe avec Yatrium, et générale­ ment placé sur l’axe de celui-ci, face à l’entrée, le tablinum ou tabulinum appartient également au noyau central de la domus ; il semble même qu’il ne se distingue de Yatrium qu’à une date relative­ ment tardive puisqu’avant Vitruve on ne le trouve pas mentionné : tout porte à penser que jusqu’à la Gn de la République il constituait, au même titre que les autres alae, une annexe immédiate de Yatrium. Quoi qu’il en soit cette salle ouverte sur toute sa largeur, sans porte ni cloison, tire son nom, selon une étymologie antique qui a, cette fois, toute chance d’être vraie (Festus, 490 L), des tabulae, c’est-à-dire des tablettes de bois enduites de cire où les propriétaires successifs de la domus enregistraient leurs activités publiques ou leurs transactions Rnancières ; c’était en somme la salle où se conservaient les archives de la famille. A ce titre elle faisait partie du secteur « public » de la domus et appartenait selon Vitruve (VI, 5, 1) aux aménagements caractéristiques de la demeure des nobiles ou de ceux qui, dans les colonies ou les municipes, avaient des responsabilités adminis­ tratives. La déGnition, qui a longtemps eu cours, du tablinum comme chambre nuptiale du dominus et de son épouse, ne repose pas, elle, sur des bases aussi solides ; la raison n’est pas l’absence appa­ rente d’intimité de cette pièce - la vie « privée », au sens où nous l’entendons dans nos sociétés bourgeoises occidentales, n’existe pas à Rome, ou du moins les barrières qui entourent les activités matrimoniales ou conjugales n’y sont pas du même ordre que les nôtres - mais simplement parce que l’espace du tablinum ne s’y prête pas : non seulement en effet il était ouvert, nous l’avons dit, sur Yatrium, mais aussi sur le jardin (hortus) qui occupait souvent la partie postérieure de la parcelle occupée par la maison ; on ne rencontre du reste dans les tablina archéologique­ ment identiGés aucune trace dans le dallage d’un espace réservé à un lit, comparable à celle qu’on observe dans les chambres à coucher ordinaires (cubicula). C’est en fait à la suite d’une assimilation abusive de l’organisation de l’espace dans les plus anciennes domus, à celle qui règne dans les tombes rupestres étrusques dites à atrium, où il

atrium testudinatum. A la diffé­ rence de Vatriumdispluviatum, il présente une couverture sans ouverture centrale. Pompéi, I, IV, 2

arrive effectivement que la tombe des époux soit placée dans une annexe axiale correspondant à une sorte de tablinum, que l’on a voulu situer le lectus genialis (le lit conjugal) à cet endroit ; une raison supplémentaire tient sans doute à ce qu’on a interprété, à tort semble-t-il, l’expression lectus ou torus adversus, rencontrée chez plusieurs auteurs (Tite-Live, Aulu-Gelle, Sénèque, par exemple) comme signiGant que le Ut en question faisait face au visiteur, sur l’axe de l’entrée (Gg. 6). Il est enGn un dernier terme dont il nous faut donner le sens, puisqu’il constitue dans les textes antiques, et chez Vitruve tout particulièrement, l’une des composantes essentielles de la maison traditionnelle, c’est celui de triclinium. Le mot est formé de l’adjectif numérique trois et de la trans­ littération du mot grec KUvq, qui désigne le Ut de table ; au sens propre, triclinium signiGe donc : Ut ou couche (de table) à trois places ; il a donné ensuite son nom à la pièce où ces Uts sont disposés, le plus souvent effectivement au nombre de trois eux aussi. En fait à Rome, et malgré la tradition étrusque hellénisée, bien attestée dès le VIe siècle av. J. C., sauf circons­ tances exceptionnelles, à caractère le plus souvent religieux et toujours dans un contexte pubUc, l’usage a longtemps prévalu de prendre ses repas

MFRQBUOnON

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Pompéi, d'après A. et M. DeVos, debout ou assis, soit dans Yatrium, soit dans l’une des pièces avoisinantes (Isidore de Séville, Étymo­ logies, XX, 11, 9). Les plus anciens témoignages relatifs à des repas domestiques impliquant des convives allongés ou accoudés sur des lits de table apparaissent à la fin du IIIe et au début du IIe siècle av. J.-C., dans des comédies de Plaute (Bacchides, Trinummus, Poenulus, Asinaria) ; encore n’y est-il question que de biclinium ou de convi­ vium. Quelques décennies plus tard l’expression lectos sternere (dresser des lits de table) se rencontre chez Térence (Héautontimoroumenos, Eunuque) ; si elle suggère une pratique du repas couché, elle dément l’existence de structures architecturales

l’habitat urbaijc

permanentes et laisse à penser que toute pièce de dimensions convenables pouvait à l’occasion servir de salle à manger. Il faut en réalité attendre le deuxième quart du II' siècle av.J.-C. pour que, conséquence des premières incursions de Rome dans les territoires de l’Orient grec, se diffuse l’usage de la cena (du repas vespéral prolongé fort avant dans la nuit) avec des convives allongés, dans des salles spécialement conçues à cet effet ; Tite-Live (39, 6, 7-9) suivi par Pline ( M , 33, 148 ; 34, 3 ; 37, 12) en fait remonter l’apparition à 187 av. J.-C., année du triomphe de Gn. Manlius Vulso sur les Galates. Les plus anciennes demeures pompéiennes n’ont effectivement

aucun espace formellement identifiable comme un triclinium. La tradition qui établit un lien entre l’irruption du luxe oriental (la luxuria Asiatica) à la suite des victoires en Asie Mineure et l’importa­ tion d’un type de banquet jusqu’ici inconnu en milieu italique semble donc devoir être retenue. De fait, nous le verrons, les triclinia se diffusent dans les maisons des villes du Vésuve au même moment que les péristyles. Très vite, ensuite, les grandes demeures se doteront de plusieurs tricli­ nia, d’abord à proximité des atria puis, de plus en plus, sur les péristyles, et orientés différemment pour des usages rythmés par les saisons. Vitruve reflète à sa manière cette intrusion relativement tardive et l’ambiguïté de la structure puisqu’il range d’abord les triclinia parmi les loca propria, réservés à un emploi strictement familial (VI, 5, 1) et les place de préférence près de Yatrium (VI, 3, 2) ; mais il compte ensuite ces mêmes salles à manger au nombre des pièces de réception ou salons tricliniaires qu’il appelle des ceci (VI, 3, 8). En fait, le texte de Macrobe relatant un repas « pontifical » offert dans sa propre domus par Lucullus à l’occasion de sa nomination au flaminat de Mars en 69 av. J.-C. confirme la nécessité de disposer, dans les grandes demeures urbaines, de plusieurs triclinia : trois salles accueillirent ce banquet, munies de lits d’ivoire (Saturnales, III, 13, 11-12). Comme nous le verrons en analysant les maisons de la fin de la République, la présence de ces salles ou salons réservés à la cena suppose un élargissement de la vie sociale en ce qu’elle permet l’accueil d’invités qui sont des pairs ; ces amici ne sont pas les clientes que l’on cantonne à l’espace de Yatrium, mais des gens avec lesquels on entretient une relation intellec­ tuelle ou mondaine : la disposition des triclinia, où les convives ne sont jamais éloignés les uns des autres et souvent se font face, permet la participa­ tion à des discussions collectives et n’empêche nullement que l’on observe les spectacles qui, éventuellement, se déroulent dans la pièce. On reconnaît en effet le triclinium à la tripartition du décor de son pavement et aux traces laissées le long des murs par l’encastrement des lits de tables disposés en U autour d’un espace central ; il arrive même, comme dans la « Casa dell’Efebo » à Pompéi, que certains de ces lits soient encore en place. A défaut, la situation de la pièce par rapport au péristyle et ses proportions (Vitruve en VI, 3, 8 veut que la longueur y soit le double de la largeur) permettent une identification au moins hypothétique ; on tiendra compte aussi du fait que ce type de salle, rangée par le théoricien latin dans la catégorie des conclavia, doit posséder une porte (qu’on peut fermer éventuellement à clé) et ne pas être ouverte sur toute sa largeur, comme une simple exèdre, une ala ou un tablinum.

La

domus selon

V itru ve

Il importe, pour fixer les idées, de rappeler enfin, avant d’en venir à l’étude historique, la nature de la maison italique considérée comme canonique par le théoricien latin. Entendonsnous : il ne s’agit pas d’en faire le modèle d’on ne sait quel habitat intemporel pour chercher ensuite à en retrouver à tout prix les composantes dans les vestiges archéologiques, mais de comprendre comment, dans un contexte précis, celui des dernières décennies républicaines, un architecte se représentait la domus. Vitruve est l’héritier d’une longue tradition, et il ne fournit donc nulle­ ment un état originel du type ; d’autre part les exigences du genre littéraire de son traité l’obli­ gent à définir en des formules figées des schémas dont nous verrons qu’ils ont toujours été d’une grande souplesse ; enfin, soucieux d’élever l’ar­ chitecture domestique de son temps au même niveau de dignité que celui atteint par l’habitat hellénistique, il multiplie les relations numé­ riques, fixe les proportions en plan et en élévation avec une rigueur rarement vérifiée dans les faits. Il n’en reste pas moins qu’il exprime, à sa façon, une manière d’idéal dont il serait imprudent de ne pas tenir compte en ce qu’il était sans doute par bien des aspects partagé par un certain nombre de ses contemporains. De toute façon nous devons à Vitruve - les pages qui précèdent le prouvent, et celles qui suivent le confirmeront - l’essentiel du vocabulaire de la maison, et des définitions structurelles historiquement perti­ nentes ; essayer de mettre en place les pièces du puzzle qu’il présente dans son livre VI revient simplement à regrouper pour mieux les comprendre les données multiples qu’il nous fournit. Curieusement il ne dit à aucun moment que les fauces, Yatrium et le tablinum sont sur un même axe ; mais la teneur de ses développements et la façon dont ils s’enchaînent (en VI, 3, 3-5 particu­ lièrement) obligent à postuler une telle axialité ; nous savons du reste que pour Vitruve il n’est d’architecture correcte, tant dans le domaine privé que dans le domaine public, qu’ordonnée selon un schéma linéaire rigoureusement défini. Dans le cas de la domus italique, particulièrement, les relations proportionnelles entre ses différents éléments ne se peuvent concevoir que dans une continuité longitudinale. Mais la seule compo­ sante qui soit explicitement présentée en situation axiale avec les pièces précédemment décrites est le péristyle (VI, 3, 7) ; encore précise-t-il seule­ ment qu’il doit être placé in transverso (perpendi­ culairement) par rapport à l’axe général de la domus, ce qui n’est pas, nous le verrons, sans poser quelques problèmes.

INTRODUCTION

Fig. 7. Plan de la domus vitruvienne, avec une hypothèse dimen-

Fig. 8. Coupe longitudinale sur la domusvitruvienne, d'après

La meilleure restitution de la domus vitru­ vienne, en plan comme en élévation, est celle de H. Knell (fig. 7 et 8). Mais on s’aperçoit, dès qu’on tente de transcrire graphiquement les normes du texte, qu’il est impossible, en un seul dessin, de les rassembler toutes. Les systèmes proportion­ nels de Yatrium, par exemple, comportent trois variantes qui sont sans doute, comme F. Coarelli l’a relevé, à mettre en relation avec les trois types, le toscan, le tétrastyle et le corinthien : la longueur et la largeur peuvent y être respective­ ment dans le rapport de 5/3, de 3/2 ou de 2/1 ; si

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l’habitat urbain,

l’on tient compte du fait que ces différentes rela­ tions induisent des modifications elles-mêmes modulables dans les dimensions et les propor­ tions des alae et du tablinum, il apparaît qu’au bout du compte le texte vitruvien propose pour la domus une combinatoire plus complexe que pour les temples périptères ou les théâtres. H. Knell a pu montrer qu’environ 100 cas de figures étaient possibles pour peu que l’on croise ces variantes théoriques en plan avec les cinq tranches dimen­ sionnelles prévues par le théoricien (de 30 à 100 pieds pour la longueur des atria), et qu’on tienne

compte des variations entraînées en hauteur par la dimension des colonnes, elles-mêmes tribu­ taires de la largeur de l’impluvium, etc. La « maison romaine » selon Vitruve se présente ainsi, dans un cadre assez étroitement défini, comme une sorte de jeu de construction aux modulations multiples. L’apparente rigueur des préceptes débouche, quand on a la malice ou la naïveté de vouloir les intégrer, sur un éventail de possibilités qui laissent ouvertes des solutions diversifiées. Contrairement, donc, à ce qui a été souvent écrit, la domus, telle que nous la présente le De architectura, s’apparente davantage à un système conceptuel qu’à une recette concrète. La seule constante de ces variantes est qu’elles semblent toutes conçues pour la classe dirigeante, celle qui a besoin, selon la formule de VI, 5, 1, d’atria, de tabulina, et de vestibules. Pour mesurer cependant la pertinence du schéma global de la

maison vitruvienne, en même temps que les raideurs ou les simplifications qu’elle introduit inévitablement, quelle que soit la variante rete­ nue, dans la disposition des pièces, il suffit de comparer les fig. 7 et 8 avec le plan et la coupe restitués de l’une des maisons pompéiennes les plus typiques dans sa cohérence planimétrique, celle de A. Trebius Valens. C’est aussi pour nous une façon de regrouper, au terme de ces remarques préliminaires, l’essentiel des défini­ tions présentées, sous une forme aisément déchif­ frable (fig. 9). Les pages qui précèdent ont constitué, dans l’architecture de ce premier chapitre, une manière de vestibulum. Il importe maintenant de quitter ce premier sas d’attente pour aborder dans sa complexité vivante, au-delà des schématisa­ tions théoriques, l’histoire de la maison romaine.

d'une domus «traditionnelle», la Pompéi, d’après J.-RAdam.

B I B L I O G R A P H I E Pour les définitions des différentes parties de la domus, R GlNOUVÈS, édit. Dictionnaire méthodique de l’architecture grecque et romaine, 111. Espaces archi­ tecturaux, bâtiments et ensembles, Rome, 19911, p. 152 sq.

Pour la domus selon Vitruve : H. Knell, Vitruos Architekturtheoric, Darmstadt, 1985, p. 145-165. A. Corso, édition commentée et illustrée du livre VI dans P. Gros, édit., Vitruvio. De Architectura,

L. Callebat, Vitruve. De l'architecture, livre VI, en

INTRODUCTION

Chapitre i. Les derniers siècles républicains. R om e et Italie

L a p r é h is to ir e d e la

domus.

P ersp e ctives e t p ro b lè m e s La maison à atrium, dont on sait aujourd’hui qu’elle ne représente qu’une tranche relativement étroite de l’éventail des types utilisés dans le monde romain, a longtemps été considérée comme l’habitat le plus représentatif de la période républicaine, en milieu italique. Si l’on discutait âprement de la question de ses origines,

Fig. 10. Le plan de la «Casa dei Chirurgo ». d'après A. Maiuri. Seules

L’HABITAT URBA/N

on s’accordait en général pour en faire une manière d’archétype, du moins pour les classes aisées de la population. Le texte théorique de Vitruve, centré sur la description des cava aedium et des atria (De architectura, VI, 3, 1-4), en raison de la clarté de sa classification et des nombreux témoignages archéologiques qui permettent d’en vérifier la pertinence, avait imposé une image canonique, du reste arbitrairement schématisée car les définitions vitruviennes peuvent être modulées en une infinité de variantes - dont la tyrannie a souvent orienté vers des formules rassurantes parce que répétitives la restitution des vestiges les plus anciens. Or les choses ne sont pas si simples ; ou du moins elles ne le sont plus depuis quelques décennies, du fait des recherches qui se sont développées, avec des exigences nouvelles, d’ordre stratigraphique en particulier, sur les niveaux d’occupation ou mieux, à la faveur de sondages partiels mais efficaces, sur les niveaux profonds de plusieurs maisons pompéiennes, du fait aussi de la découverte et de la publication, préliminaire ou définitive, de demeures complexes d’époque archaïque, à Rome et en Étrurie septentrionale ou padane. L’histoire, ou plus exactement la préhistoire de la domus et de son invariant spécifique (théorique) Yatrium se voient donc, tout à coup, singulière­ ment allongées vers le haut ; en dépit des limites chronologiques que nous nous sommes fixées, nous ne pouvons ignorer ces données nouvelles. Pour paraphraser le titre d’une étude récente, il importe de « repenser » la maison à atrium qui fait aujourd’hui l’objet, pour ce qui concerne sa genèse mais aussi sa signification, d’une série de révisions dont certaines sont déchirantes. Si nous essayons de conjuguer d’une part les problèmes liés à une certaine logique de l’organi­ sation spatiale, dont les constantes apparaissent depuis l’Étrurie des \T-v° siècles, et d’autre part

les aspects sociaux de l’habitat, depuis les rési­ dences de l’oligarchie romaine jusqu’aux demeu­ res plus modestes des villes italiennes, nous sommes en mesure de définir, à défaut d’une évolution précisément jalonnée, une commu­ nauté de formes et de structures qui confère à l'atrium, quand il apparaît, une fonction un peu différente de celle qu’on lui reconnaissait encore naguère. Même si le champ de la réflexion s’est consi­ dérablement élargi, l’habitat pompéien continue d’offrir un échantillon irremplaçable, dont il convient de partir. Certes les maisons de la période samnite, et particulièrement celles des IV'MlI“' siècles, restent peu ou mal connues. Mais les travaux de A. Maiuri, repris et développés par C. Chiaramonte Trere et A. Laidlaw, ont montré que les maisons à atrium considérées comme les plus anciennes de Pompéi, celles dites « del Chirurgo », « del Gallo », « di Trittolemo », ou « délia Calce », réparties dans les régions VI, VII et VIII, correspondaient déjà à une phase évoluée de la domus ; A. Maiuri a pu écrire, dans l’un de ses derniers ouvrages (1973), qu’elles cons­ tituaient moins un point de départ qu’un point d’arrivée. Effectivement, les sondages réalisés dans plusieurs d’entre elles, bien qu’encore incomplètement publiés, laissent entrevoir, dans l’espace occupé ensuite par Yatrium, des sols de terre battue caractéristiques des zones découver­ tes où n’a été relevée aucune trace d'impluvium : en revanche des canalisations qui traversent cet espace en diagonale semblent avoir recueilli l’eau qui ruisselait des toitures, ce qui autorise, au moins à titre d’hypothèse, à considérer que ces maisons s’ordonnaient initialement autour d’une cour, un peu à la façon de la maison grecque tradidonnelle (fig. 10). Mais on a aussi proposé de les doter d’un atrium testudinatum, pour les main­ tenir à tout prix dans une catégorie vitruvienne. A vrai dire le peu que nous savons de ces niveaux (voir fig. 11 le schéma des éléments superposés retrouvés lors d’un sondage dans la « Casa del Gallo ») ne permet pas toujours de trancher puisque la vasque de Yimpluvium, si elle existait, devait, en ces périodes hautes (fin v'-début IVe siècles av.J.-C.) être faite de terre cuite ; posée sur le sol, sans liaison maçonnée, elle pouvait être détruite ou récupérée : il paraît donc imprudent de conclure de son absence à celle d’un atrium à charpente complexe, pourvue d’un compluvium. Mais il faut aussi s’habituer à l’idée que même la présence d’un impluvium n’entraîne pas automati­ quement celle d’un atrium canonique : un bassin de recueillement des eaux pluviales peut exister au centre d’une cour vers lequel convergent les canalisations venues de la périphérie. En dépit du caractère encore inachevé des investigations, il est permis en effet d’affirmer que

dans une agglomération comme la Pompéi samnite, dépourvue d’aqueduc, l’approvisionne­ ment en eau de chaque unité d’habitation restait la préoccupation majeure ; les toitures de l’archi­ tecture domestique ne servaient pas seulement à protéger des intempéries, mais constituaient des surfaces de recueillement des eaux pluviales que l’on dirigeait, à travers gouttières et canalisations, vers des bassins, des citernes ou des réservoirs.

Gallo ». d'après A Maiuri.

Fig. 12. Plan des maisons l, XI. 12-15 de Pompéi, naguère considérées par A. Hoffmann comme pourvues d'un atrium testudinatum.

1.

LES DERNIERS ’SÏÈCtÉS RÉPUBLICAINS

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Fig. 13. Plans de maisons tardod'OIynthe (en haut), de Pergame I« palaisV ») (en bas à gauche) et

Une étude approfondie, conduite par S. C. Nappo, dans une série de maisons présen­ tées naguère par A. Hoffmann comme typiques des classes moyennes de Pompéi aux iiiMi' siècles, et considérées comme pourvues d’un atrium testudinatum, vient d’établir, à partir de l’observation des systèmes de drainage creusés dans les couches d’occupation, que l’espace central en question était entièrement découvert. Tout au plus peut-on postuler une légère avancée des toits des pièces adjacentes vers l’intérieur, autant pour assurer la protection des murs que pour augmenter la surface de ruissellement ; mais en aucun cas il n’est permis de restituer une char­ pente à compluvium, et encore moins un couvre-

L’HABITAT URBALCsL

ment complet de ce qui devait être simplement une cour plus ou moins étroite (fig. 12). Le modèle, si tant est qu’on puisse en définir un avec quelque vraisemblance, est à chercher, pour les plus anciennes demeures de l’époque samnite, dans la maison méditerranéenne clas­ sique à aùA.fi (cour). La conversion n’est pas mince, et n’a pas fini de faire grincer les dents de ceux qui, encore nombreux, restent attachés, pour des raisons de clarification culturelle et ethnique, à une distinction plus nette entre maison italique et maison grecque (fig. 13 et 14). C’est pourtant en gardant présente à l’esprit cette donnée primordiale de la cour comme élément organisateur initial que nous devons aujourd’hui

Fig. 14. Restitution de l'îlot de la

tenter de comprendre le fonctionnement d’un certain nombre d’autres domus de date archaïque ou médio-républicaine, qui ont longtemps passé, et passent encore souvent, pour des incunables de la maison à atrium. Si nous quittons Pompéi pour observer les rares maisons étrusques datables du Ve siècle av. J.-C., et donc antérieures à la conquête romaine, les difficultés d’interprétation sont encore accrues par les a priori idéologiques qui, depuis Patroni, et selon la formation et l’orientation des cher­ cheurs, grèvent l’approche archéologique de ces précieux vestiges. Pour certaines d’entre elles, on peut comprendre, en raison des données planimétriques, la tentation d’une lecture mécanique­ ment dictée par le schéma vitruvien : à Regae (Regisvilla), le port de Vulci, et à Marzabotto dans l’Étrurie padane, les plans suggérés par les données du terrain, trop ténues en toute hypo­ thèse pour orienter d’une façon décisive vers un type précis d’élévation, présentent effectivement un espace central cruciforme qui évoque en première analyse un atrium classique à alae (fig. 15). A Marzabotto plus particulièrement G. Colonna a étudié trois maisons dont deux possèdent un long corridor d’entrée, curieuses fauces hypertrophiées, auquel fait face, à l’autre extrémité, une pièce que sa forme et sa situation apparentent à un tablinum (fig. 16). Mais qu’en estil de l’espace central ? L’absence de toute trace

à'impluvia conduit E. De Albentiis à refuser l’idée d’une continuité entre ce type d’habitat et les maisons italiques des rv'-in' siècles av. J.-C. ; au contraire G. Colonna, relevant la présence de tuiles de rive taillées en angle voudrait conclure à l’existence d’une toiture à compluvium et définir ainsi un lien étroit avec les demeures pompéien­ nes les plus anciennes. Mais ces tuiles peuvent aussi bien s’appliquer aux pièces qui entourent la cour centrale, et elles ne suffisent pas à établir l’existence d’une véritable charpente d'atrium « toscan ». De fait, les traces de canalisations retrouvées au sol plaident plutôt en faveur d’une cour découverte, ce qui, nous venons de le voir, compte tenu de la date de ces maisons, les inscrit dans la série des antécédents des maisons pompéiennes de la première période samnite ; mais reste acquise la morphologie globale de leur plan, qui s’avère déjà très proche, dès ce début du V* siècle, de celle de la domus classique, même si, comme le relève justement E. De Albentiis, le corridor apparaît démesurément long. Dans un autre îlot de Marzabotto, les recherches conduites par une équipe française sous la direction de F.-H. Pairault-Massa ont isolé, pour la même période, des maisons d’apparence plus modeste qui se définissent aussi bien comme une série de corps de bâtiments disposés autour d’une cour que comme une demeure rigoureusement ordon­ née autour d’un atrium : l’architecte H. Broise a

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LES DERfOEM SifefeLES RÉPUBLICAINS

Fig. 15. Ilot de deux maisons avec atriumenT et tablinum, identifié à Regisvilla ou Regae, d'après G. Colonna.

L’HABITAT URBAIN

Fig. 17. Maison de l'ilot V. 3 de Marzabotto, d'après H. Broise et F.-H. Massa-Pairault. donc raison de laisser ouvertes les deux possibili­ tés, en dépit de la présence, bien attestée cette fois, de bassins en position plus ou moins centrale («S- 17). Peut-on aller plus loin dans la quête des anté­ cédents archéologiques ? Plusieurs découvertes récentes ont permis d’élargir les perspectives, même si, là encore, bien des questions demeurent ouvertes. A Rusellae (Roselle), au nord de Grossetto, dans l’Étrurie septentrionale côtière, les vestiges d’une maison viennent d’être restitués comme ceux d’une véritable domus à atrium par L. Donati. L’image suggestive qui en est proposée (fig- 18 et 19) aura sans aucun doute une place de choix dans toutes les histoires de l’architecture car elle présente l’un des plus anciens exemples de ce type d’habitat, la date retenue par les archéolo­ gues étant le VI' siècle av. J.-C. L’hypothèse appa­ raît cependant un peu hasardée si l’on observe que les pans convergents de la toiture du présumé compluvium devaient être supportés par des archi­

traves reposant sur des poteaux ; ceux-ci, à en juger par leurs trous d’ancrage, étaient répartis d’une façon anarchique eu égard aux exigences constructives ; à la fois trop nombreux (dix-sept) et mal disposés, il n’est pas exclu qu’ils aient appartenu, au moins pour certains d’entre eux, à des phases différentes ; les problèmes techniques soulevés par la mise en place d’une charpente complexe sur de tels éléments ne sont en tout cas, l’auteur en convient lui-même, pas tous résolus. Il est impossible d’exclure que le bassin se soit trouvé au centre d’une aire découverte, d’autant que le puits, très excentré, en relation avec la citerne sous-jacente à l’impluvium, donne à penser qu’on a voulu le placer sous un appentis comme si le reste de l’espace était à l’air libre. Quoi qu’il en soit, ce qui nuit à la cohérence et peut-être à la vraisemblance de certaines de ces restitutions, c’est, indépendamment des incertitu­ des de leurs vestiges peu explicites, l’absence de réflexion sur le statut des propriétaires ; l’une des

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LES DERNIERS SIECLES RÉPUBLICAINS

Fig. 18. Restitution des structures portantes de la maison de Rusellae, d’après L. Donati.

raisons pour lesquelles E. De Albentiis refuse toute continuité entre les maisons de Marzabotto et celles des villes du Vésuve tient au fait que les premières, dans la modeste « polis » de l’Emilie, appartenaient probablement à des classes subal­ ternes et ne pouvaient donc constituer des précé­ dents recevables des demeures de l’aristocratie tyrrhénienne. On a en effet souvent souligné, et avec raison, que la domus à atrium dans son déve­ loppement le plus complet, avec son organisation spatiale fondée sur Paxialité et les exigences de représentation de ses principales pièces, se conce­ vait seulement comme l’habitat d’une catégorie sociale où l’exaltation du pater familias ou du dominus jouait un rôle prédominant. Cette définition sociologique semble avoir trouvé son expression la plus éclatante dans les découvertes de l’équipe dirigée par A. Carandini sur la pente septentrionale du Palatin, à Rome, non loin du Forum et plus préci­ sément du site de l’antique résidence royale, la Regia. Elles ont apporté au dossier des origines de la domus aristocratique des éléments fondamen­ taux puisque ce secteur névralgique du centre de l’Urbs a de tout temps été réservé aux membres les plus influents de l’oligarchie sénatoriale. Or les vestiges mis au jour, pour lesquels nous dispo­ sons de rapports préliminaires, appartiennent, pour leur phase la plus ancienne, au dernier tiers du VIesiècle av. J.C ., période de l’émergence des nouvelles classes dirigeantes qui vont être les arti­ sans du passage de l’ère monarchique à l’ère républicaine. La maison la mieux conservée, ou du moins la plus « lisible », correspond au n° 6 de la fig. 20 ; sur son site s’élèvera à la fin de la République la grande domus de L. Licinius Crassus (voir infra, p. 74 sq.). Sans entrer dans le détail d’un plan complexe, dont certains secteurs doivent encore faire l’objet de vérifications, observons que cette maison, qui couvrait avec son hortus (fig. 21) une superficie de plus de 810 m2, était occupée sur toute sa profondeur, au-delà des courtes fauces (2), par un vaste espace cruciforme qui nous livre sans doute l’une des premières versions de Vatrium archaïque ; nettement différent des atria dits toscans selon la terminologie vitruvienne qui n’apparaissent en réalité - ou du moins dont nous ne trouvons une trace archéologique - qu’à partir du IVe siècle av. J.-C., il présente par rapport à ce qui passera ensuite pour le type canonique un certain nombre de particularités : la principale en est que sa partie antérieure (7), flanquée de gran­ des pièces d’habitation (8, 9, 10 et 11), s’appa­ rente, par sa relative étroitesse, à une sorte d'ala, qui répond à la salle du fond (15), assimilable à un tablinum ; les ailes latérales (13 et 18), d’inégale importance, complètent le schéma au centre duquel l’espace qui entoure le bassin de Vimplu-

vium s’avère assez modeste. Il ressort de cette planimétrie singulière, tout entière orientée vers la mise en scène de la puissance du maître, que Yatrium au sens large n’était pas une composante - fut-ce la principale - de la maison, mais se confondait en quelque sorte, par son extension et ses ramifications, avec la domus elle-même (fïg. 22). On comprend mieux, dans ces condi­ tions, le texte déjà cité de Tite-Live : les atria des puissants étaient leurs demeures, et ils siégeaient, soit dans l’aile antérieure, juste après le seuil d’en­ trée (assimilée par l’historien latin à un vestibu­ lum), soit dans le tablinum, comme de véritables statues cultuelles à la fois propriétaires et gardien­ nes d’une maison assimilée à un lieu sacré. Les rapprochements qui ont été faits avec les grandes tombes de l’Étrurie contemporaine à Tarquinia (tombes des Taureaux, des Lionnes, de la Chasse et de la Pêche) ou à Cerveteri (tombe des Lions peints, des Cinq sièges, des Reliefs, des Boucliers et des Sièges, etc.) sont d’autant plus pertinents qu’ils permettent non seulement de mieux comprendre l’organisation mais aussi d’imaginer avec vraisemblance l'ornementation de ce genre de demeure : la maison des morts dans l’Étrurie archaïque reproduisait, comme on sait, celle des vivants, et dans les cas retenus, les « habitants » de ces tombes appartenaient à des couches socia­ les dont le mode de vie et le souci d’affirmation étaient fort proches de ceux des classes dirigean­ tes de la dernière phase de la Rome des Tarquins ; il convient seulement de tenir compte des contraintes propres à l’architecture rupestre : ces magnifiques témoignages de l’architecture funé­ raire étrusque ne nous apprennent que peu de choses, par exemple, sur le mode de couverture et le système de la charpente des atria. Les grandes maisons aristocratiques de la pente septentrionale du Palatin subsisteront, avec des modifications de détail qui ne transforment pas fondamentalement leur assiette, jusqu’à l’in­ cendie de 210 av.J.-C., date après laquelle elles seront refaites en opus caementicium ; seuls quelques éléments des fondations initiales seront repris dans les constructions ultérieures. Nous comprenons dès lors un peu mieux comment s’est constitué le schéma de la domus à atrium et dans quelles conditions sociales et histo­ riques la maison à cour centrale a été adaptée aux exigences d’une classe puissante, tant dans l’Etrurie archaïque que dans la Rome de la dernière période royale ; nous entrevoyons aussi, par voie de conséquence, les raisons pour lesquelles ce schéma ne s’est imposé qu’inégalement et progressivement, selon les contextes juridiques des communautés et les potentialités politiques ou économiques des populations, dans lTtalie pénin­ sulaire du IVe au I" siècle av.J.-C. Plusieurs exem­ ples contrastés nous en donneront la preuve dans

Fig. 20. Plan des unités d'habitation au vi»siècle av. J.-C.. entre laVelia

Fig. 21. Plan de la domus n" 6 de la zone présentée à la fig. précé-

les chapitres suivants. Retenons pour l’instant, au terme de ce survol des données récentes qui permettent de préciser les étapes de la préhistoire de la domus, que le modèle en a d’abord été, pour des raisons obvies, essentiellement « urbain » au sens propre du terme (Urbs= Rome).

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LES DERNIERS SIÈCLES RÉPUBLICAINS

Fig. 22 Restitution hypothétique de Cela dit, on ne saurait admettre que toutes les maisons pourvues d’un atrium et d’un tablinum furent automatiquement l’instrument et le symbole d’un pouvoir réel ; il faudrait alors consi­ dérer que 40% des propriétaires pompéiens c’est la proportion des domus de ce type dans l’en­ semble des quartiers actuellement dégagés de la petite ville campanienne - étaient des notables qui accueillaient quotidiennement une clientèle plus ou moins nombreuse pour la cérémonie de la salutatio. Ce serait une hypothèse proche de l’absurde. Il convient de tenir compte de l’in­ fluence des classes dirigeantes sur la petite « bour­ geoisie », et donc des phénomènes d’imitation ; plus simplement il faut tenir compte, encore, des avantages pratiques présentés par une organisa­ tion de ce type, qui garantissait l’entrée de l’air et de la lumière ainsi que le recueillement des eaux pluviales en limitant au strict nécessaire l’ouver­ ture de la toiture aux intempéries. Et l’on a relevé depuis longtemps que Yatrium, censé servir aux rituels sociaux et à l’exaltation de l’ancienneté de la gins, était aussi le cœur de la domus vivante : les trouvailles faites par les fouilleurs dans un grand nombre &atria pompéiens prouvent qu’ils servaient entre autres au stockage, en particulier pour les marchandises de première nécessité, ce qui n’était pas incompatible avec les fonctions de représentation mais, il faut tout de même en convenir, ne les facilitait pas forcément. On notera enfin que la faculté de Yatrium et de ses annexes (alae et tablinum) à investir les parties latérales ou sociales de l’habitat, augmentait sa fonction distributive : ce nucléus entretenait une relation dynamique avec les pièces adjacentes où se déroulait l’essentiel des activités publiques ou

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privées de la maison (triclinia ou salles à manger ou de banquet ; cubicula ou chambres à coucher ; pièces de service comme la cuisine, petits aména­ gements thermaux ou latrines). Plus tard, à la fin de l’époque hellénistique, alors même que le cœur de la domus se déplacera vers le ou les péris­ tyles, Yatrium restera, dans beaucoup de demeu­ res, et pas seulement dans celles de l’aristocratie locale, une structure considérée désormais comme relevant de la plus ancienne tradition, et dont la signification culturelle redeviendra d’au­ tant plus appréciée qu’elle ne sera plus qu’un

L a g ra n d e

domus

d es m e-11e siècles a v .J .- C . en I ta lie Une célèbre inscription peinte sur la façade d’une boutique de Pompéi (CIL IV, 138), énumère ainsi les différentes habitations propo­ sées à la location dans 1’ilot (insula) d’Arriana Polliana : des boutiques à mezzanine (tabemae cum pergulis), des appartements de luxe (cenacula eques­ tria) et enfin des maisons [domus). Ce texte, et d’autres avec lui, définit la domus comme une maison, c’est-à-dire comme une construction autonome qui occupe à elle seule un espace bien circonscrit au sol. Cela dit la nodon de domus à Pompéi, c’est-à-dire dans une ville qui a cessé de vivre avant que se multiplient les immeubles loca­ tifs, recouvrait des réalités très différentes, qui allaient de l’immense résidence urbaine de plusieurs milliers de m2 au pavillon modeste de

quelques centaines de m2. Pour établir une typo­ logie de l’habitat italique des derniers siècles républicains, la méthode la plus efficace semble donc être celle qu’a adoptée F. Pesando dans un beau livre récemment publié qui consiste, en suivant le texte de Vitruve (De architectura, VI, 5), à classer les demeures selon les critères de la taille et du luxe, depuis celles des classes les plus riches jusqu’à celles des homines tenues, les « petites gens » des classes moyennes ou humbles. Cette stratification sociale permet de descendre par degrés des grandes résidences à atrium (simple ou double) et à péristyle(s) jusqu’aux unités réduites dont, selon Cicéron (Pro Murena, 71) les habitants ne peuvent inviter personne et n’ont, selon Vitruve (VI, 5, 1), que faire des pièces d’accueil ou de réception. Pompéi offre évidemment pour ce type d’analyse une base privilégiée, d’autant que la conservation exceptionnelle des décors peints, stuqués ou mosaïqués y permet souvent la restitution précise du cadre de vie. Mais d’autres sites de l’Italie centrale, municipes ou colonies, offrent pour la même période un intéressant éventail de domus. Toutefois, dans la perspective à laquelle nous essayons de nous tenir, cette classification hori­ zontale a pour inconvénient de gommer quelque peu les tranches chronologiques ; par exemple la présence d’un péristyle est certes un signe carac­ téristique de richesse ou du moins d’aisance, mais ce qui nous importe d’abord, c’est de déterminer, autant que faire se peut, le moment et les raisons de l’introduction du péristyle dans la domus tradi­ tionnelle. Cette transformation de la maison italique sous l’influence des modes de vie et des modèles édilitaires hellénistiques nous parait devoir être suivie avec quelque soin, car elle est à la fois la conséquence et le moteur de mutations profondes, qui affectent autant les mentalités que l’architecture. Nous n’ignorons pas que, ce faisant, nous devrons envisager d’abord, de façon préférentielle, les grandes domus ; nous retrouve­ rons donc ainsi, dans une certaine mesure, la clas­ sification de F. Pesando, mais sous une forme qui restera tout de même plus directement liée aux données temporelles. Cela dit, nous n'aurons pas la prétention, ou la naïveté, de restituer par là une évolution générale de la domus, car celle-ci n’est pas une entité unitaire qui se développe comme un organisme vivant au gré de phases successives et irréversibles ; nous pourrons tout au plus essayer de cemer la date et les conditions d’émer­ gence de quelques-uns des principaux types de l’habitation des catégories les plus favorisées, sans ignorer la coexistence de domus différentes dont l’histoire et les transformations peuvent suivre, pour une même période, des courbes très diver­ gentes. Pour autant nous ne négligerons pas une autre réalité, celle qu’on pourrait appeler la dyna­

mique de l’émulation, car il est clair que dans l’Italie romaine comme ailleurs les maisons des riches ont largement orienté les modifications, fussent-elles modestes, de l’habitat des classes moyennes. Dans la Pompéi samnite, la chronologie des vestiges qui peuvent encore être identifiés derrière les destructions, remaniements et réfec­ tions multiples dont l’habitat de la petite ville a pu faire l’objet jusqu’en 79 ap. J.-C. reste difficile à établir. L’une des maisons les plus représentatives et probablement la plus ancienne est sans conteste la « Casa dei Chirurgo », datable pour sa première implantation du IVe siècle av. J.-C (fig. 23). Elle offre déjà une version complète et, planimétriquement, élaborée, de la maison à atrium-alae-tablinum ordonnée selon un axe longi­ tudinal. Ce développement en profondeur, qui apparaît caractéristique des premières domus archéologiquement identifiables, n’est peut-être pas dû, comme le voulait A. Hoffmann, à la densité du tissu construit, puisqu’il semble bien, au vu des dernières recherches, que dans sa première phase la maison se trouvait presque isolée le long de la voie consulaire dans la sixième région ; en fait l’extension en longueur avec une façade relativement étroite apparaît comme une tendance générale de l’habitat des classes aisées, qui procède du souci d’ériger des barrières successives, entre la maison et l’environnement extérieur d’abord (d’où les murs massifs en grand appareil de calcaire du Samo, sur la façade et les longs côtés), mais aussi, sous une forme plus subtile, sur le cheminement intérieur du visiteur dont l’importance et le degré d’intimité avec le dominus se mesurent au niveau de pénétration auquel il est autorisé. On se souviendra du reste que dans les prescriptions vitruviennes relatives aux atria, le petit côté du rectangle est toujours tourné vers l’entrée. Lors de sa première phase la « casa dei Chirurgo » mesurait environ 15 m en façade pour 30 m en profondeur ; son corridor était alors divisé en deux, si l’on en croit le sondage réalisé à cet endroit par A. Maiuri, la partie antérieure, vers la rue, correspondant au vestibulum et celle de l’intérieur, derrière le seuil de l’entrée, aux fauces. Le grand atrium constituait évidemment le coeur de l’habitation ; de type « toscan », puisque dépourvu de tout support intermédiaire, il était bordé par deux séries de pièces d’une remarquable symétrie, deux chamb­ res (pièces 5 de la fig. 23) et une aile (9). Le tabli­ num (8) dans un premier temps ne devait pas donner directement accès au jardin (10), un couloir latéral (andron) étant intégré à la pièce adjacente. Il importe de s’arrêter un instant au tablinum, situé dans une position en quelque sorte straté­ gique, entre Yatrium et l’arrière de la domus (hortus

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LES DERNIERS SIÈCLES RÉPUBLICAINS

Fig. 23. Plan de la «Casa del Chirurgo »à Pompéi, dans sa phase la plus ancienne, d'après E. DeAlbentiis.

ou plus tard péristyle) : il sert non seulement aux fins de représentation que nous avons définies plus haut [supra, p. 25), mais assume également, on l’oublie souvent, une fonction de contrôle et de sécurité, puisque les personnes qui s’y trouvent ont vue à la fois sur la porte d’entrée et, par une fenêtre ou une porte ouverte dans son mur de fond, sur la partie postérieure du domaine. Quand on sait que la salutatio matinale s’accom­ pagnait de distributions d’argent ou de nourri­ ture, on comprend la présence de coffres (arcae) et de celliers dans la proximité immédiate de l’axe atrium-tablinum, mais aussi la trouvaille de nombreuses serrures et clés lors des fouilles des maisons pompéiennes, précisément au voisinage du tablinum. Cette salle, ouverte en exèdre sur la partie centrale de la demeure, et en général close seulement au moyen de simples tentures (à l’ex­ ception du cas bien connu de la maison dite du Tramezzo di legno à Herculaneum, où avait été montée une cloison amovible), constituait donc l’une des pièces les plus importantes du système : ce n’est pas un hasard si les tablina les plus remar­ quables par leur ampleur ou leur décoration ont été retrouvés dans les demeures des représentants des plus hautes familles pompéiennes, qu’elles appartiennent à l’aristocratie samnite comme la maison de M. Obelhus Firmus ou celle des « Noces d’Argent », ou à des personnages établis après la colonisation, mais qui ont occupé des postes importants dans l’administration locale, comme la maison de l’édile M. Lucretius Fronto. La pièce 7 était, comme son homologue située de l’autre côté du tablinum, un triclinium. Le jardin ou hortus s’ornait alors d’une seule rangée de supports qui déterminaient peut-être une pergola ; sa superficie, dans l’hypothèse de E. De Albentiis que nous reproduisons ici, semble avoir été plus importante que dans les phases ultérieuMalgré quelques incertitudes, ce plan initial de la « Casa del Chirurgo » représente véritable­ ment un cas d’école : par sa simplicité et sa régu­ larité, il définit en milieu samnite, sous une forme quasi idéale, le schéma de la domus italique avec la rigueur d’une épure. Mais ne nous y trompons pas : il s’agit, pour l’époque, d’un exemplaire de l’habitat typique des vieilles familles dont les prétentions gentilices et les habitudes patriarcales ordonnent l’espace et répartissent les pièces. Que Vatrium, dans une phase qui remonte sans doute assez haut dans le IV* siècle, n’ait été, comme nous l’avons rappelé, qu’une simple cour décou­ verte, avant de revêtir la forme que nous lui connaissons aujourd’hui avec son bassin central de calcaire, n’enlève rien à la signification de l’en­ semble, puisque l’axialité et l’organisation des cheminements y demeurent identiques. Plus tard, à l’époque tardo-républicaine, des annexes de

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L’HABITAT URBAIN

service seront ajoutées sur l’aile droite, à l’est, et un étage sera mis en place, en liaison avec une occupation partielle de Yhortus. Une autre maison, également dans la sixième région, celle dite de Salluste, permet d’avoir une idée encore plus complète de ces premières rési­ dences des notables pompéiens (fig. 24). Malheu­ reusement le débat sur la date de sa construction a pris ces derniers temps une ampleur d’autant plus irritante que la publication des sondages profonds se fait attendre : d’abord considérée comme une fondation de la fin du rv* ou du début du III* siècle, elle n’aurait été implantée, si l’on en croit la dernière publication de A. Laidlaw, que vers le milieu du il* siècle av. J.-C. Quoi qu’il en soit, nous retrouvons dans sa phase la plus ancienne exactement les mêmes caractères planimétriques que dans la « Casa del Chirurgo », à cela près que le jardin, qui occupe tout l’espace résiduel de la parcelle trapézoïdale, entoure sur trois côtés le corps de l’habitation ; on note aussi que quatre boutiques encadrent l’entrée ; compte tenu de leur parfaite intégration à la planimétrie de l’ilot, elles appartenaient sans doute au propriétaire de la domus, qui les louait ; la scan­ sion architecturale de la façade, par de grands pilastres en opus quadratum de tuf qui canton­ naient aussi bien les portes des boutiques que le portail de la maison témoigne du reste du carac­ tère unitaire de la conception. Mais ce qui rend la Maison dite de Salluste si précieuse, c’est qu’elle a conservé une part impor­ tante de son décor du Ier style, apparemment contemporain, sinon de peu postérieur à sa cons­ truction, si l’on admet du moins la datation relati­ vement basse de celle-ci. Articulée comme il se doit selon une logique structurelle qui, de bas en haut, superpose des panneaux peints représentant la base moulurée des murs, les orthostates, les assises à bossage et les corniches de stuc, cette ornementation joignait à la rigueur de son ordon­ nance un raffinement colorai qui entretenait entre les pièces de subtiles alternances chromatiques et guidait le regard du visiteur placé dans Yatrium vers la perspective axiale jusqu’au fond du tabli­ num ; de surcroît le premier cubiculum situé à droite, près de la cuisine, présente dans la partie supérieure de ses parois une sorte de loggia ionique stuquée en haut relief et surmontée d’un entablement dorique qui rappelle à s’y mépren­ dre certaines compositions des maisons hellénis­ tiques de Délos, et dont Pompéi offre peu d’autres exemples. Comme le souligne F. Pesando, cette recherche d’une monumentalité figurée jusque dans les pièces les plus intimes, en principe réser­ vées au repos, en dit long sur l’ostentation de la richesse déployée par les premiers propriétaires et sur l’image d’opulence que ce type de décor, emprunté à l’architecture publique, était censé

diffuser dans une demeure dont l’ampleur comme les structures restaient relativement modestes. Il est du reste un fait qui mérite d’être souligné : lorsqu’au début de l’époque impériale 1'hortus fut occupé par une série d’annexes de service à l’ouest et par un portique incomplet à l’est, l’établissement se transformant en une sorte d’auberge et l’une des boutiques en caupona, c’està-dire en restaurant, le propriétaire décida de maintenir en place le décor du Ier style, prenant même la peine de le faire copier, maladroitement, dans l’un des salons refaits pour l’occasion. Selon toute apparence les représentations mentales liées à cette ornementation austère, qui sont celles de la gravitas et du mos maiorum, constituaient encore, au cours du Ier siècle de notre ère, des valeurs auxquelles on jugeait bon de se référer, en dépit de l’évolution des modes décoratives. La même constatation aurait pu être faite par exem­ ple dans la « Casa Sannitica » d’Herculaneum où le décor du I" style est préservé dans les fauces ainsi que dans l’extraordinaire colonnade stuquée du registre supérieur des murs de l'atrium ou, à Pompéi, dans la maison de ce « nouveau riche » de l’époque impériale qu’est C. Julius Polybius, où F. Zevi a bien montré que le maintien des décors du Ier style auxquels on accordait une vertu véritablement anoblissante relevait du souci d’accumuler les signes du statut social. Ce langage de l’allusion, pour reprendre la terminologie de A. Wallace-Hadrill, tire à vrai dire sa puissance de ce que les monuments publics antérieurs à la colonisation conservèrent, telle la basilique judi­ ciaire de Pompéi, leur décor initial jusqu’à la cata­ strophe finale ; et A. Laidlaw a multiplié les exemples des cas où cette ornementation « struc­ turale » survivait également dans les monuments funéraires, bien après que sa vogue ait disparu dans l’architecture domestique. Nous tenons là l’une des manifestations les plus claires du pres­ tige rémanent de la domus italique sous sa forme la plus ancienne et de la tendance, qui n’est pas propre aux villes du Vésuve, à redonner aux traditions une vie et une signification qu’elles avaient depuis longtemps perdues. Le phéno­ mène, dont on commence à mesurer l’impor­ tance, brouille évidemment les séquences typolo­ giques, que les archéologues voudraient pouvoir restituer dans une perspective chronologique Rares sont en fait les maisons de Pompéi qui témoignent encore, dans leur état dernier, de cette rigoureuse organisation de la domus à atrium, tablinum et hortus. La diffusion de ce type dès la fin du rv* siècle et tout au long de la période répu­ blicaine a cependant été fort grande, même si les vestiges identifiables en demeurent, en Italie centrale, assez peu nombreux. Nous verrons plus bas le cas de Fregellae et de son quartier d’habita­

phases de la « Maison de Salluste »à Pompéi.

tions proche du forum, qui exprime l’emprise du modèle sur les colonies romaines. Pour retrouver dans les villes du Vésuve d’autres exemples signi­ ficatifs, et mesurer l’amplitude assez restreinte des variations auxquelles ce type était sujet, il convient de chercher, dans les grandes maisons qui ont atteint leur plus vaste extension aux II*-I" siècles av. J. C., la trace des premières phases. La plupart du temps, les résidences pourvues d’un ou plusieurs péristyles résultent de l’annexion progressive d’autres demeures ou d’espaces restés libres à l’intérieur du même îlot : ce processus d’amplification, caractéristique des deux derniers siècles républicains, n’empêche pas, dans plusieurs cas privilégiés, de circonscrire le noyau initial, dont la chronologie au moins relative peut être établie à partir de l’observation des tech-

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niques constructives, des décors pariétaux et des vestiges des sols les plus anciens. La « Casa del Labirinto », à laquelle V. M. Strocka vient de consacrer une étude précise, appartient à cette catégorie, bien que sa décoration du IIe style ait pu parfois la faire consi­ dérer comme une demeure typique du Ier siècle av. J.-C. En fait elle semble avoir présenté, dès le milieu du IIe siècle, et peut-être plus tôt, une disposition dont témoignent aussi d’autres maisons de la même époque, qui consiste en la juxtaposition de deux séquences parallèles à atrium et tablinum auxquelles ont fini par correspondre deux entrées distinctes (fig. 25 et 26). La séquence du sud-ouest possédait un atrium de type « toscan » bordé à l’ouest par des pièces que leurs cycles picturaux ultérieurs désignent comme des lieux d’accueil ou de repos. La séquence du sud-est est pourvue d’un atrium de type tétrastyle dont les chapiteaux corinthoitaliques comptent parmi les plus beaux exem­ plaires du genre. Cette introduction de colonnes libres dans un espace privé constitue en ellemême une sorte de manifeste : il s’agit de mont­ rer que l’espace en question transcende les contraintes de sa desdnation pratique et s’affirme comme prestigieuse. Ce n’est pas un hasard si cette même domus accueille ensuite, dans sa dernière phase républicaine, un « salon corin­ thien », l’un des rares que l’on puisse encore observer à Pompéi (infra, p. 64) : sa réceptivité précoce à l’hellénisation des formes ne devait pas se démentir (fig. 27). A l’époque où nous sommes, il n’est pas encore question du péristyle qui occu­ pera la partie nord de l’ilôt, ni de 1'acus Corinthius qui en constituera l’une des annexes les plus élaborées, mais avant ces ultimes développe­ ments la « Casa del Labirinto » apparaît déjà organisée sur le modèle théorique de certaines maisons contemporaines de Grèce ou d’Asie Mineure où l’espace habitable pouvait être en effet nettement divisé en deux unités autonomes, le quartier des femmes, plus précisément voué aux travaux domestiques, et celui des hommes, destiné aux réceptions. Dans le cas présent nous ne saurions postuler mécaniquement de telles fonctions ; mais la partition semble correspondre au souci de réserver aux hôtes une aile de la demeure conçue comme une petite maison (domuncula) : c’est celle de Vatrium secondaire de type « toscan », que V. M. Strocka assimile avec raison à des hospitalia. On notera qu’en l’occur­ rence la disposition longitudinale de la domus traditionnelle n’est pas, contrairement aux appa­ rences, contredite par une extension latérale, puisque la partie réservée au dominus et à sa famille, celle de l’atrium corinthien, répond plei­ nement aux normes du schéma axial ; mais en raison des exigences d’une vie sociale apparem­

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ment déjà développée, cette maison s’est dotée dès le début d’une aile d’accueil, réservée davan­ tage aux amici qu’aux clientes. Certes, les domus pourvues dans une phase ancienne de deux atria n’étaient pas toutes conçues sur le même modèle, et les raisons de la duplication de cette structure n’apparaissent pas toujours aussi clairement, d’autant que le plus souvent l’un des secteurs a été transformé, au cours de l’évolution ultérieure, en une zone domestique autour de laquelle se sont regroupés les divers services nécessaires à la vie de la famille (cuisine, thermes, etc.). Mais il vaut la peine de relever que, dans un contexte qui reste, par ses composantes, nettement italique, l’influence des schémas hellénistiques n’a pas manqué de se manifester sous une forme précoce, sans doute plus fonctionnelle que formelle, mais d’autant plus significative. On retrouve le même groupe parallèle d'atria, l’un « toscan », l’autre tétrastyle, dans les maisons d’Obellius Firmus (où le tétras­ tyle constitue le centre du quartier principal de la domus) et « du Faune » (où le tétrastyle apparaît, curieusement, en dépit de son caractère plus monumental, comme l’atrium secondaire). Dans la maison dite des Dioscures, un atrium corin­ thien, dont le compluvium était soutenu par 12 colonnes de tuf donnait à l’aire de représentation un aspect particulièrement monumental, cepen­ dant que le secteur privé de la domus s’organisait autour d’un atrium tétrastyle, remplacé à partir du début du I" siècle av. J.-C. par un vaste péristyle. Pour mesurer l’emprise des modèles hellénis­ tiques sur les dernières phases de la Pompéi samnite, l’observation de la « Casa dei Diadumeni », qui remonte pour l’essentiel à la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C., s’avère particulièrement efficace. Cette singulière demeure constitue en fait un cas limite, qui montre combien le schéma de la maison italique, formellement préservé, pouvait être dans son essence profondément modifié par l’intrusion d’éléments qui cette fois paraissent directement calqués sur l’architecture résidentielle grecque : elle s’ouvre sur le côté nord de la via dell’Abbondanza au moyen d’un podium, auquel on accédait par de petits escaliers (6 marches) latéraux ; cet isolement de la façade, du reste en retrait de près de 2 m par rapport à celle des autres édifices de l’îlot, rompt ostensiblement avec l’usage qui voulait au contraire que l’on accueillît le visiteur en disposant des bancs de part et d’autre de l’entrée et que le vestibulum fut presque de plain-pied avec le trottoir ; la solution adoptée ici, unique en son genre, s’apparente à celles qu’on observe entre autres dans l’habitat hellénistique de Thasos, récemment étudié par Y. Grandjean. Mais l’intérieur réservait d’autres surprises : un bref vestibule conduisait dans un

atrium corinthien de 17,70 m de long sur 12 m de large, dont Yimpluvium était entouré de seize colonnes doriques de tuf (six sur les longs côtés et quatre en largeur) (fig. 28). Même s’il est abusif de parler à son propos d’une sorte de péristyle, car la partie couverte reste plus importante que l’aire libre centrale, du reste inaccessible puisqu’occupée par la vasque, il est clair que cette forêt de colonnes, dont seule à Pompéi la « Casa dei Dioscuri », avec les douze supports de son complu­ vium, proposera une image comparable, contri­ bue à recréer l’atmosphère de certaines des demeures à vocation palatiale de l’Orient hellé­ nistique, telles qu’on les observe encore, par exemple, à Ptolémaïs ; de toute façon l’effet1

obtenu est bien différent de celui qu’on recherche dans les atria tétrastyles ou même corinthiens classiques (à 4 ou 6 colonnes) : le saut quantitatif entraîne un saut qualitatif qui fait sortir ce singu­ lier atrium de sa catégorie typologique (fïg. 29). D’autant que les alac s’ouvraient en exèdre au centre des longs côtés, derrière un diaphragme de deux colonnes in antis, et que le tablinum luimême, vu depuis l’entrée, semblait aussi pourvu d’une façade du même genre puisque les deux colonnes centrales du petit côté de Yimpluvium s’inscrivaient exactement, en perspective, dans l’espace de son ouverture. L’analogie implicite avec le péristyle est du reste encore confirmée par le fait que toute la partie postérieure de la maison

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est occupée par un grand jardin, comme, par exemple, dans la domus de Pansa, où Vhortus se passant, de seize colonnes. Le raffinement de la

conception a ie chapiteau*6 de la façade de6 la « Casa dei Capitelli fipraü », située non loin de

Lm^leTinffigènei11

(Kg^O)'. « Casa dei Diadumeni », l’hypothèse a été émise qu’elle aurait appartenu aux Epidii Rufi, qui prétendaient descendre du dieu du fleuve Sarno ; la tombe de M. Epidius Rufus, dans la nécropole

Fig. 27. Plan de situation des

Fig. 28. Plan de la «Casa dei

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Fig. 29. Vue de lacolonnade de l'atrium de la «Casa dei Diadumeni »dite aussi «Maison d'Epidius Rufus »; à droite, I’a/a orientale de \'atrium. Cliché DAI

de la porte de Stables, compte parmi les plus importantes de cette fin du IIe siècle. A vrai dire, dès le début de ce siècle, un phénomène avait commencé, qui devait modifier radicalement la domus italique, dans sa concep­ tion comme dans son usage, l’introduction du péristyle. Dans sa description de la maison romaine, Vitruve le présente comme une composante canonique et le situe derrière le tablinum (VI, 3, 7) ; rompant toutefois avec la répartition longitu­ dinale des éléments précédents, il le dispose in transverso, c’est-à-dire perpendiculairement à l’axe de l’atrium (fig. 7). Il est difficile de dire si ce parti correspond à une exigence purement théorique, visant à éviter à la domus un étirement excessif et à lui donner un plan plus ramassé, ou s’il s’agit de la normalisation d’une pratique fréquemment vérifiée encore à l’époque où l’auteur rédigeait son traité, c’est-à-dire le troisième quart du I" siècle av.J.-C. Tout au plus peut-on constater que des péristyles dans cette position se rencont­ rent dans l’architecture domestique des villes du

Vésuve, depuis les premiers exemples, datables du début du II* siècle av. J.-C. (« Casa del Fauno ») jusqu’aux constructions du milieu du Ier siècle ap. J.-C. (« Casa dei Vettii »). Quant aux proportions prônées par Vitruve, relativement compactes (rapport de 4/3 entre longueur et largeur) elles sont observables dans un certain nombre d’exemplaires de la fin du II* et du début du Ier siècle av.J.-C. Ce qui nous paraît important, indépendamment de ces données planimétriques ou proportionnelles dont il est malaisé d’évaluer la part d’arbitraire ou de convention, c’est que le théoricien latin ne conçoive pas que le péristyle puisse se substituer à l'atrium : la domus italique s’enrichit d’une structure que son nom même désigne comme grecque, mais elle ne disparait L’un des moyens de comprendre les modalités et la portée de ce processus est d’en observer le développement dans la plus vaste et à certains égards la plus exemplaire des demeures pompéiennes, la célèbre « Casa del Fauno ». Dans les premières décennies du IIe siècle av.

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n°^312729. ^

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J.-C. le propriétaire de cette maison s’approprie la totalité de l’îlot auquel elle appartenait : les cons­ tructions antérieures en sont détruites et il fait construire dans la continuité de la séquence atrium « toscan » - tablinum un péristyle qui prend la place de Vhortus originel, celui-ci se trouvant transféré dans le grand espace résiduel du nordest. Ce premier péristyle, qui deviendra le « petit péristyle » dans l’organisation ultérieure de la domus, est relié à Vatrium principal par une porte ouverte dans le triclinium ouest (n° 6) ; constitué de 28 colonnes ioniques en tuf de Nocera il présentait un entablement dorique conformé­ ment au goût pour le mélange des ordres qui s’af­ firme au même moment à Pompéi dans le quadriportique du temple d’Apollon (fig. 35). Avant d’aller plus loin dans l’analyse, il convient de réfléchir sur le sens de cette transfor­ mation, qui est aussi un choix culturel. Signe d’un enrichissement certain, qui se traduit sur le terrain

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par une suprématie sociale, le représentant de la noblesse samnite adopte ainsi pour agrandir sa demeure un type monumental d’origine grecque ; ce faisant, il exprime clairement que dans la Campanie de son temps la puissance économique et l’hellénisation de l’habitat vont de pair. Mais quelle structure hellénistique se trouve ici transposée ? On sait que dans les maisons grecques, dès la fin de l’époque classique, le péris­ tyle n’est le plus souvent que le développement de la pastas, le portique qui bordait sur un seul côté, ordinairement celui du nord, Yaulè, la coincentrale ; on en trouve de nombreux exemples à Olynthe, entre autres, et les palais des souverains macédoniens - celui de Vergina-Palatitsa, par exemple, restructuré au début du IIIe siècle par Antigone Gonatas - adoptent le même schéma Mais la comparaison avec l’habitat grec ne saurait être poussée au-delà d’une simple analogie formelle puisque le péristyle de la « Casa del Fauno » ne se trouve nullement au centre de la maison ; il n’en organise pas les circulations, et loin de constituer un lieu de convergence ou de dispersion, comme Vatrium traditionnel, il reste une unité séparée qui ne provoque pas le transfert des lieux de vie. Il suffit pour s’en convaincre de mettre en regard du plan de la « Maison du Faune » les trois états de l’évolution de la maison 33 de Priène, en Asie Mineure : du IVe siècle à la fin de l’époque hellénistique, si l’on suit les resti­ tutions de W. Hopfner et E. Schwandner, la cour se monumentalise ; elle devient progressivement un vrai péristyle, mais reste au cœur de la demeure : elle ne cesse en fait, tout en prenant de l’ampleur, de voir son importance fonctionnelle, voire stratégique, augmenter (fig. 31). Rien de tel dans la maison pompéienne où ce premier péris­ tyle n’est autre qu’un vaste promenoir, une ambu­ latio, autour d’un jardin animé de jeux d’eau ; ajouté mais non intégré au noyau initial de la domus, il en constitue une amplification non nécessaire. La seule pièce qui, à ce stade, ouvre sur le péristyle, est le salon quadrangulaire où fut retrouvée la fameuse mosaïque d’Alexandre ; sa position, et le fait qu’il présente en façade deux colonnes sur piédestal le désignent comme une exèdre, et plus précisément, J.-A. Dickmann l’a récemment souligné, comme une exèdre de gymnase (fig. 32). Vitruve (V, 11, 2) rappelle le lien organique qui s’établit traditionnellement entre les exèdres et les palestres ; lieux d’accueil et de repos, celles-là offrent un abri commode aux débats philosophiques ou rhétoriques, insé­ parables des activités physiques qui se déroulent dans celles-ci. Dans le même temps, des quadriportiques publics sont construits à Pompéi, tel celui du théâtre, qui revêt l’aspect d’un véritable gymnase. La position de l’exèdre du péristyle de la < Casa del Fauno » correspond en fait, de la

Fig. 31. Évolution comparée d'une et de la® Casa dei Fauno »à Pompéi. façon la plus exacte, à celle de 1’« éphébéion » du gymnase de Priène ou à celle de la grande exèdre centrale de celui de Délos. Malgré tout - et là réapparaît ce goût de l’axialité propre à la maison italique - l’exèdre en question est nettement décentrée par rapport au long côté nord du péristyle ; l’observation a été faite depuis longtemps et l’on s’est avisé que ce décalage avait pour but de maintenir un lien visuel entre le péristyle et l'atrium principal ; la paroi de fond du tablinum ayant été abattue et remplacée par une balustrade à la base d’une grande baie, le visiteur pouvait, dès le seuil de l’atrium, avoir vue sur l’exèdre ; la position de celle-ci a en fait été calculée en fonction de l’axe fauces - tablinum, dans une remarquable volonté

de mise en scène et d’exploitation des effets de perspective, qui prouve de surcroît combien restait prégnante la conception longitudinale de la répartition des composantes de l’habitat, en dépit de la position transversale du péristyle. A ce point de l’évolution de la « Maison du Faune », il apparaît que l’aristocratie italique veut conserver à l’atrium son rôle unificateur, préserver les valeurs idéologiques et les traditions qu’il impose en matière d’accueil et de représentation ; mais dans le même temps elle entend montrer que ces valeurs ne sont pas exclusives d’un mode de vie nouveau, plus élaboré ; celui-là même qui sera stigmatisé, dans la littérature de la fin de la République et du début de l’Empire, stupidement

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Fig. 32. Plans des gymnases de Priène (en haut) et de Délos (en bas).

accrochée à un moralisme de convention, comme un effet délétère de la luxuria Asiatica. Il n’en reste pas moins que le modèle hellé­ nistique, qui s’accompagne de la multiplication des signes nouveaux de la richesse (mosaïques, statuaire) aura pour résultat, à court terme, de transformer l’organisme unitaire de la maison à atrium en une structure complexe où les espaces domestiques se diversifient, non seulement du fait de leur spécialisation - toute l’aile orientale de ce premier péristyle de la « Casa dei Fauno », dont elle est séparée par un mur aveugle, est réservée

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aux services et aux appartements serviles - mais aussi du fait des degrés qui s’instaurent dans le système relationnel du dominus : le péristyle, dès cette phase, n’est accessible qu’aux amici avec lesquels on peut s’entretenir sur un pied d’égalité, les clientes ou les personnages d’un rang inférieur ne dépassant jamais le nucleus centré sur l'atrium. Entre la fin du IIesiècle et le début du Ier siècle av. J.-C. la « Maison du Faune » fut le théâtre d’une série de travaux de restructuration qui accrurent à un tel degré sa monumentalité et son luxe qu’aucune intervention ultérieure ne devait plus s’y produire jusqu’à la catastrophe finale, sauf dans le domaine de l’entretien ou de la répa­ ration. D’une part les trois pièces qui formaient au nord la limite de la domus italique à atrium « toscan » subirent dans leur orientation une rota­ tion de 180° et se transformèrent en exèdres ou en triclinia d’été, orientés désormais vers le premier péristyle. Cette transformation qui relègue le tablinum et ses annexes au rang de salles d’agré­ ment tournées vers la verdure d’un jardin circons­ crit de portiques marque véritablement la fin d’une époque ; elle se vérifie dans de nombreuses autres maisons aristocratiques au cours des mêmes décennies. Nous aurons à y revenir. D’autre part l’aire septentrionale de l'hortus fut aménagée en un immense quadriportique dont les colonnes, au nombre de 44, étaient faites de fragments de tuiles empilés, comme celles de la basilique judiciaire contemporaine. Ce second péristyle diffère sensiblement du précédent ; certes son éloignement du noyau initial de la maison semble en première analyse le désigner comme une annexe encore plus extérieure ; en réalité on assiste au transfert des activités de réception autour de ses portiques. Beaucoup de cérémonies sociales s’y déploient, au nombre desquelles il faut même compter la représentation de pièces de théâtre si l’on admet que Pexèdre centrale de son mur nord, munie d’un podium, ne servait pas seulement, comme on l’a cru long­ temps, de sacrarium où l’on exposait des groupes statuaires, mais fonctionnait en certaines occa­ sions comme une scaenaefions. Dès lors les péris­ tyles ont perdu leur caractère initial de palestres et tendent à devenir le nouveau foyer de vie de la domus. Cette évolution architecturale et cet élar­ gissement spatial témoignent d’un changement radical dans la conception et l’utilisation des structures habitables ; parler d’hellénisation ne rend compte en l’occurrence que d’une partie de la réalité ; il vaut mieux souligner que les comportements ancestraux, avec cette ouverture de la maison sur des espaces jusqu’ici étrangers à l’activité domestique, se trouvent irréversible­ ment modifiés. H. Lauter a rappelé dans une étude récente que les structures construites de cette domus attei-

« Palais des Colonnes »de Ptolémaïs en Cyrénaïque d'après

gnaient désormais la superficie de 2 940 m2, et qu’à cet égard elle soutenait avantageusement la comparaison avec les résidences aristocratiques ou palatiales de Pella ou du « Palais des Colonnes » de Ptolémaïs (fig. 33). On sait que ce dernier, daté à tort par S. Stucchi de l’époque impériale, a été réalisé dans les dernières décen­ nies du IIesiècle av.J.-C., ce qui le rend presque exactement contemporain de la « Casa del Fauno » dans sa dernière version ; on sait égale­ ment que ce « Palais », sans doute l’une des rési­ dences du gouverneur alexandrin, reproduit d’une façon assez frappante la répartition, décrite par Vitruve dans le chapitre qu’il consacre à la « maison grecque » (VI, 7), entre le quartier des hommes (Yandronitis), celui des femmes (le gynaiconitis) et les hospitia ou quartier réservé aux invi­ tés. Certes il ne saurait être question de chercher à retrouver dans un ensemble comme la « Maison du Faune » une division de cet ordre, qui ne correspond pas aux habitudes de vie des aristo­ craties italiques ; mais le modèle palatial hellénis­ tique, dans son extension et dans ses articulations principales, a joué un rôle indubitable et forte­ ment influencé l’évolution des grandes domus de la fin du II* siècle av.J.-C. On constate en parti­ culier que l’énorme quadriportique corinthien du « Palais des Colonnes », sur lequel s’ouvre au nord le gigantesque salon à ordre intérieur [acus œgyptius ; cf. infra, p. 64), qui constitue le cœur de Yandronitis, trouve un écho dans les deux péristy­ les de la domus pompéienne vers lesquels se tour­ nent irrésistiblement les salles à manger et les salons d’apparat. En fait, sur un autre registre, mais avec des moyens somme toute assez sembla­ bles, la bipartition de la « Casa del Fauno » répond en écho à celle du « Palais » de1

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Ptolémaïs : les pièces disposées autour de Yatrium principal (« toscan ») sont celles que le proprié­ taire réservait aux clientes ; les espaces où sont accueillis les amici se répartissent autour des deux péristyles ; la domesticité enfin (la familia) est cantonnée dans le secteur de Yatrium tétrastyle et le long de l’aile orientale du premier péristyle. Si chacun de ces quartiers de l’immense habitation est, pour des relisons de commodité évidente, accessible, quel que soit l’endroit où l’on se trouve, ils n’en restent pas moins rigoureusement distincts, selon un schéma de circulation qui s’inspire beaucoup, dans son esprit sinon dans ses modalités concrètes, de celui des palais hellénis­ tiques. Une étude approfondie du programme décoratif a du reste conduit F. Zevi à montrer que le ou les propriétaires, qui ont, nous l’avons dit, fait de la mosaïque de la victoire d’Alexandre le point de convergence optique de toute la maison, partageaient une idéologie proche de celle des Ptolémées, en particulier pour ce qui concerne la foi en Dionysos et étaient donc tout naturelle­ ment disposés à puiser leur inspiration architectu­ rale dans les créations alexandrines (fig. 34). Ce qui apparaît aussi en pleine lumière dans cette « Casa dei Fauno » de la seconde moitié du IIe siècle, c’est l’importance acquise désormais, dans les circuits internes et parmi les lieux de la convergence familiale ou mondaine, par les salles à manger, les triclinia. Nous avons déjà rencontré plusieurs fois ce type d’aménagement, dont les caractères essentiels ont été donnés dans les défi­ nitions préliminaires (supra, p. 25 sq.). Désormais il est clair que le triclinium, dont l’usage se répand à Rome et en Campanie dès le début du IIe siècle (on discute toujours sur la question de savoir s’il faut en faire remonter l’apparition aux années 180 ou aux années 160 av. J.-C.) et correspond à l’ha­ bitude de dîner « à la grecque », accoudé sur des « lits de tables » et non plus assis comme on le faisait auparavant, occupe dans la vie sociale de la classe dirigeante une place prépondérante. D’abord ouvert sur Yatrium, le triclinium est de plus en plus lié au péristyle, dont il constitue à la fois l’annexe principale et le point focal ; nous avons vu comment, dès la construction de la première cour à portique de cette « Maison du Faune », le triclinium occidental du premier noyau de la demeure s’était ouvert au nord, se transfor­ mant ainsi en une salle à manger d’été (fig. 35). A l’autre extrémité de ce premier péristyle, et en relation directe avec le second s’établissent, dans la phase de la fin du II' siècle av. J.-C., les deux triclinia (42 et 44 de la fig. 35) qui encadrent le fameux salon omé de la mosaïque d’Alexandre ; ils constituent de toute évidence les pièces d’ap­ parat et de réception les plus importantes de la domus. A ce stade final de son évolution, la « Casa dei Fauno » ne possède pas moins de quatre tricli­

Fauno »avec la numérotation des pièces et espaces.

nia, dont deux, les n° 34 et 35, ont conservé de somptueux pavements mosaïqués où Yemblema central représente (en 35) un échantillonnage étonnant d’animaux marins et (en 34) un démon ailé chevauchant un tigre ; mais il faut ajouter à ce nombre les salles à manger moins somptueuse­ ment ornées de la partie « privée » de la maison, organisée autour de Yatrium tétrastyle (7). Rien ne démontre mieux l’évolution des rites sociaux des riches pompéiens de la dernière période samnite que cette multiplication des triclinia orientés diversement en fonction de leur utilisa­ tion saisonnière ; si nous pouvions observer les demeures patriciennes de la période dite de la

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Fig. 36. Restitution du mur ouest Fauno », d'après A. Hoffmann. luxuria Asiatica dans la Rome du ii' siècle av. J.-C., nous ferions sans doute des constatations analo­ gues : le banquet vespéral entre amis procède de cette volonté, remarquablement mise en évidence par A. Zaccaria Ruggiu, d’appropriation de certains symboles de la vie publique et des céré­ monies sacrées, par les représentants de l’oligar­ chie sénatoriale ; l’affirmation du péristyle dans l’espace interne de la domus est inséparable de cette nouvelle mode, venue certes du monde grec, mais pleinement adaptée aux exigences de la vie romaine (iig. 36). On comprendra sans peine que nous ne nous serions pas aussi longtemps attardé sur cette « Maison du Faune » si elle n’avait été qu’excep­ tionnelle. En réalité, elle est représentative de cette classe de riches propriétaires samnites, à la fois romanisés au point d’écrire en latin le salut {hâve) de leur seuil, et très hellénisés, qui, prenant la tête de leurs concitoyens lors de la Guerre sociale, et ensuite contre Sylla, paieront cher leur engagement au moment de la déduction de la colonie pompéienne. Cette vaste domus palatiale répond aussi d’une façon exemplaire à la pres­ cription vitruvienne (VI, 5, 2), relative à l’habitat des responsables politiques : ils se doivent, dit le théoricien, de posséder des atria et des péristyles immenses (atria et peristylia amplissima) qui puis­ sent, comme des édifices publics, accueillir de grandes foules. Enfin et surtout cette maison, en raison même du caractère parfaitement accompli de sa construction et de la remarquable intégra­ tion de ses composantes, a servi de modèle, dans sa phase ultime, à de nombreuses autres résiden­ ces urbaines de la petite ville du Vésuve, sans toutefois que son extension et son luxe aient jamais été égalés. La Maison dite de Pansa, dans Vinsula d’Arriana Polliana, considérée comme l’exemple

L’HABITAT URBAIN

le plus typique de la demeure aristocratique romaine, présentait dès le dernier quart du IIe siècle av.J.-C. une ordonnance complète et rigou­ reusement axée, qui conduisait des fauces à Yatrium « toscan », au péristyle ionique (orienté longitudinalement) et au grand salon ouvert sur ce dernier ; le vaste jardin, acquis plus tard, ne lut pas transformé, comme dans la « Maison du Faune », en un second péristyle, mais l’esprit de la composition reste le même (fig. 37 et 38) ; en ce qui concerne les aménagements latéraux, le doute subsiste quant à leur appartenance à la domus, mais l’hypothèse de A. Maiuri selon laquelle la petite maison (entrée n° 9 de la fig. 38), organisée autour d’un atrium testudinatum aurait pu consti­ tuer 1’hospitium de la grande demeure adjacente a retrouvé récemment une part de sa crédibilité, en ce qu’elle correspond à une annexe bien attestée dans l’habitat hellénistique. L’étude métrologique de C. L. J. Peterse a d’autre part établi sur des bases assurées la cohérence proportionnelle de l’ensemble à partir de mesures en pieds osques, qui confirment la relative ancienneté de la conception et de la réalisation. De la même façon la « Maison du Labyrin­ the », dont nous avons examiné plus haut la première phase, se dote à la fin du II' siècle ou au début du I" d’un péristyle dorique presque carré, de 8 colonnes sur 9, qui entraîne une conversion, au sens propre, des triclinia encadrant le tablinum dans le secteur de Yatrium tétrastyle ; leur ouver­ ture sur le jardin portiqué, et la séquence des salons et triclinia qui bordent le côté opposé disent clairement que désormais c’est dans cet espace que se concentrent les signes les plus explicites de la richesse et du raffinement : comme le note F. Pesando, les propriétaires de ce type de maison paraissent dès lors plus soucieux d’étonner leurs amici, les membres de leur entou­ rage, que d’impressionner la foule des « clients » pour lesquels on se contente de l’aire moins pres­ tigieuse et déjà bien vieillie de Yatrium tétrastyle (fig. 4). Nous observerons de plus près infra, p. 64 le célèbre vécus corinthius qui constitue encore aujourd’hui pour les visiteurs de Pompéi l’un des vestiges les plus suggestifs. La profondeur de la mutation dans la hiérar­ chie des composantes apparaît sous sa forme la plus éloquente dans la « Casa dei Menandro » ; célèbre en raison du trésor d’argenterie qu’on y a découvert, elle a fait l’objet, exceptionnelle­ ment, d’une publication presque complète par les soins de A. Maiuri ; mais l’étude en a été reprise par une équipe anglaise dirigée par le regretté J. B. Ward Perkins, et R. Ling a fourni en 1983 un premier rapport de ces nouvelles fouilles (fig. 39). Conçue d’abord, dans sa phase initiale de la seconde moitié du IIIesiècle av. J.-C., comme une domus à atrium et hortus, elle s’est dotée au cours

du IIesiècle d’une colonnade dorique située dans la partie nord du jardin, lequel fut, au Ier siècle av. J.-C., transformé en un péristyle légèrement décalé par rapport à l’atrium. Dès le début de ce siècle Yala orientale de Yatrium avait été absorbée par un grand triclinium (12) qui s’ouvrit, très vite, comme son homologue situé de l’autre côté du tablinum (11), vers Vhortus; dans les années centrales du I" siècle, sur le côté occidental du péristyle, un petit établissement thermal fut arti­ culé autour d’un atriolum corinthien décoré de très belles fresques du IIe style. Dès lors la fonc­ tion de l’atrium semble se réduire à celle d’un vestibule monumental qui ne sert plus qu’à gagner la partie luxueuse de la maison. Le vérita­ ble quartier de représentation est centré sur le grand triclinium 18 (le plus vaste de Pompéi puis­ qu’il couvre 87,3 m2), gagné sur une domus voisine, et ouvert sur le portique oriental du péris­ tyle. Aucune composition ne reflète plus fidèle­ ment les exigences successives et partiellement contradictoires de l’aménagement de la maison aristocratique ; dans sa phase initiale, moins clai­ rement ordonnée que la « Casa dei Fauno » en raison de la pression d’un parcellaire plus dense, elle porte à leur plus haut degré les nouvelles formes de la vie sociale : il n’est pas exagéré de dire que le triclinium 18 et le péristyle dont il dépend reproduisent dans un tout autre contexte mais avec des moyens similaires la séquence du quadriportique et de Yœcus aegyptius du « Palais des Colonnes » de Ptolémaïs, dont nous rappe­ lions plus haut la signification pour l’architecture palatiale hellénistique. Un épisode d’apparence secondaire, mais dont la portée épistémologique autant qu’historique mérite d’être soulignée, est la querelle qui s’est développée autour des emprein­ tes de statuettes de cire retrouvées dans la cendre à l’intérieur de l’exèdre 25, à l’angle sud-ouest du péristyle : A. Maiuri a voulu y voir d’emblée les effigies des dieux Lares et les imagines maiorum ; E. Dwyer a refusé cette identification au nom du caractère inévitable de la situation des portraits d’ancêtres et des divinités protectrices du foyer autour de Vatrium, ou dans l’une de ses alae ; en fait c’est Maiuri qui était dans le vrai : le cœur de la maison s'est déplacé vers le péristyle où se trouve maintenant le petit sanctuaire familial, ce qui n’empêche pas - nouveau signe du conserva­ tisme formel dont ces classes sociales sont coutu­ mières - le maintien du petit laraire sous niche à fronton de l’angle nord-ouest de Yatrium (pl. II). Si l’on observe enfin que derrière le quartier de représentation se sont progressivement dévelop­ pés, comme dans une villa suburbaine, un habitat servile (ergastulum) et des pièces de service (35 à 43), ainsi qu’une petite maison autonome dont Yatrium (41) était accessible directement de l’exté­ rieur, et dont on admet avec vraisemblance

Fig. 37 Plan de la Maison dite de Pansa, dans I'insula d'Arriana Polliana.

1. i LES DmNI*RSÆIÈGLE5 .RÉPUBLICAINS

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qu’elle était réservée au régisseur (l’équivalent du villicus des domaines ruraux), on mesure l’am­ pleur de ce type d’habitat, qui revêt alors sa forme la plus complexe. Beaucoup d’autres maisons pompéiennes pourraient être analysées de la même façon ; celle

restituée de la «Casa del Menandro ». d'après A. et

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dite du Cithariste, par exemple, avec ses deux péristyles (17 et 32) construits en batterie, si l’on ose dire, derrière la domus à atrium, dès la fin du IIe siècle, manifeste l’importance acquise par le secteur d’apparat et de divertissement par rapport au quartier traditionnel réservé aux clientes, d’au-

Fig. 40. Plan de la «Casa de

tant que peu d’années après la déduction colo­ niale un troisième péristyle, appartenant à une autre maison, est ajouté aux précédents avec ses aménagements adjacents, multipliant ainsi les possibilités d’accueil de la résidence (fig. 40). Il est clair que le signe le plus patent de la puissance est dès lors concentré dans les jardins à quadriportique, et que le fait de les « collectionner » constitue l’un des moyens - le plus coûteux mais le plus efficace - de se situer dans l’échelle sociale. D’où le détournement, au sens propre du terme, des pièces de réception ou d’accueil, essentiellement les triclinia, initialement rattachés au noyau de Yatrium, vers ces « paradis » domes­ tiques (au sens grec de jrapàÜEiooç), qui offrent une ouverture sur un espace naturel aménagé en locus amoenus, en lieu de délassement et de repos. Nous en avons déjà observé plusieurs exemples ; beaucoup d’autres auraient pu être évoqués, dans la « Casa del Toro », dans celle dite de Salluste, ou dans celle dite des Noces d’Argent.

Cela dit, il serait dangereux de raisonner en termes mécaniques. Jusqu’à la fin de la période républicaine, sous des formes variables, Yatrium reste l’objet d’une sollicitude étonnante de la part des architectes et des décorateurs. La « Casa delle Nozze d’Argento », précisément, qu’on a voulu, à tort, dater de l’époque coloniale, remonte en fait à la fin du II' ou au début du Ier siècle av. J.-C. : les traces de son décor du I“ style, la typologie et le matériau de la vasque de son impluvium entre autres, interdisent une localisation chronologique postérieure à 80. Il n’en reste pas moins qu’à une époque tout de même relativement tardive, cette maison a été encore conçue autour d’un atrium (fig. 41). Celui-ci, tétrastyle, est même l’un des plus monumentaux de Pompéi : avec ses quatre colonnes corinthiennes en tuf de Nocera, hautes d’environ 7 m, il est, parmi ceux que nous avons conservés, l’un des rares à donner une idée assez précise de ce que pouvaient être les atria des grandes demeures de l’oligarchie de Rome, dont

1. i iLES/BERNiERS-SIÈOLES RÉPUBLICAINS

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nous parlerons infra, p. 72. Pour autant, ces alae gardent des proportions qui s’apparentent à celles des atria « toscans », ce qui tend à prouver chez le propriétaire ou son architecte le souci de respec­ ter la tradition la plus ancienne. On ne prend plus aujourd’hui qu’avec difficulté la mesure de la majesté d’une telle composition, car la hauteur

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des parois a conduit, à une date ultérieure, à abaisser le plafond des cubicula répartis autour de l’aire centrale pour ménager au-dessus un étage, d’où la disproportion des portes latérales par rapport à l’élévation du compluvium. Dans le même temps, fut édifié le péristyle en colonnes doriques de tuf, qui se déploie immé-

haut intérêt de savoir si la laige ouvertureP de

considérés dès'h f départ comme complémentai­ res. Toujours est-U que le péristyle offre une parti-

des colonnes plus hautes que celles des autres des pièces adjacentes ; seules les maisons dites « degli Amorini DoraÜ » et « dei Dioscuri » possè­ dent une structure de ce genre. L’adoption d’un tel raffinement, dont l’origine orientale ne fait

quadriportiques, publics ou privés, du même dant s’appuyer sur le fait que les représentants de la classe dirigeante de Pompéi, dans les décennies

de la Méditerranée, comme le prouvent diverses Ce qui nous paraît important en l’occurrence, c’est que les deux projets, celui de Vatrium et celui du péristyle, aient fait l’objet d’une élaboration également remarquable et que l'affectation d’heldu quadriportique, loin de briser le schéma de placer celle-ci sur le même plan que les nouvelles et prestigieuses structures héritées du monde

to. Casa dei CapitelliVfigurati,». Cliché DAI n° 311688.

tonnelles: parce qu’inaccessibles à la plupart des

compositions comme celle de la «Casa dei Capitelli figurati », parfaitement ordonnée autour d’un atrium «toscan» et d’un péristyle ionique (fig. 42) ; l’étude récente de M. Staub Gierow a quart du II' siècle av. J,C . (et non pas après la fonda^on^de^la colonie s y U a m e n ^ fr lis : «Casa délia Gemma ». daprès

Fig. 44. Plan de la «Casa dell'Atrio a mosaico », à Herculanum, d'après A. Wallace-Hadrill.

résidentielle aristocratique. A défaut de se signa­ ler par une extension ou un luxe particuliers, ce type de demeure attire volontiers l’attention par le décor de son entrée monumentale : cette maison doit son nom aux chapiteaux qui ornent les piédroits de la porte ; ils présentent sur leurs deux faces, vers la rue et vers le vestibule, des groupes d’inspiration dionysiaque (satyre et ménade ; couple allongé pour un banquet à caractère rituel), qui manifestent peut-être, comme le suggère P. Zänker, le plaisir de vivre à la mode orientale, dans un contexte cultuel plus ou moins nettement bachique (fig. 30). Mais d’au­ tres chapiteaux singuliers sont identifiables sur diverses maisons pompéiennes, celles dite de la « Caccia Antica », sans parler de la « Maison du Faune » ni de celle dite du Labyrinthe, que nous avons évoquées plus haut. Si nous quittons Pompéi pour examiner quelques-unes des grandes domus d’Herculanum (Herculaneum), nous constatons la même évolu­ tion, à ceci près que, d’une part, la classe aristo­ cratique y est moins richement représentée et que, d’autre part, les particularités de l’assiette urbaine entraînent des distorsions dans les implantations traditionnelles ; les maisons en

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position panoramique de 1’Insula IVqui exploitent le terrassement artificiel obtenu par l’intégration de la muraille, ou celles de 1’Insula orientalis I qui se répartissent sur deux niveaux le long de la pente naturelle ne peuvent pas se déployer selon un système axial. Mais les composantes, les contraintes et les exigences restent les mêmes (fig. 43). Le problème est que les exemples conservés de la période antérieure au municipe, c’est-à-dire au début du Ier siècle av.J.-C., s’avè­ rent encore plus rares qu’à Pompéi. Nous citerons seulement la < Casa delTAtrio a mosaico », où le noyau ancien, constitué d’un atrium et d’un tabli­ num (plus tard transformé en aecus, comme nous le verrons infra, p. 65) s’enrichit d’un viridarium à portiques avec en sous-œuvre, sur le long côté nord, un cryptoportique ; pour bénéficier de la vue dominante et, en raison aussi de la densité du parcellaire, ce second ensemble se déploie latéra­ lement : orienté sur l’axe transversal de l'atrium, il s’ouvre à l’ouest jusqu’à la grande loggia sur la mer, à laquelle le vaste salon rectangulaire situé dans le prolongement du jardin donne un accès direct. La. singularité d’une telle maison tient, nous l’avons dit, à son implantation ; tous les éléments y sont déjà réunis de la villa et la recher­ che de la vue lointaine, le prospectus, est caracté­ ristique d’une architecture domestique orientée presque exclusivement vers Yotium (le loisir de la résidence suburbaine) (fig. 44). Il serait assurément du plus haut intérêt de retrouver, hors des villes du Vésuve, des vestiges de domus de notables qui, pour la même époque (lIIe-IIe siècles av.J.-C.) nous permettent de pren­ dre la mesure de l’uniformisation de l’habitat et des formes de la représentation sociale en Italie centrale. L’absence de toute donnée exploitable à Rome se fait en ce domaine cruellement sentir, car ce que l’oligarchie sénatoriale de la période médio-républicaine avait conçu pour son propre usage devait, surtout à partir de l’irruption de la luxuria Asiatica (début du IIe siècle), dépasser de très loin ce que nous observons chez les domi nobi­ les (les dirigeants locaux) de Pompéi ou d’Herculanum : il faut en réalité attendre le début du Ier siècle av.J.-C. pour entrevoir, dans YUrbs, à partir de l’archéologie et, plus encore, des textes, ce que fut la maison de quelques personnages de premier plan. Pour la période antérieure, le IIe siècle, le type de la grande maison à atrium-péristyle est heureu­ sement représenté dans trois autres sites urbains qui ont fait l’objet de recherches plus ou moins récentes. Les parentés évidentes que ces domus présentent entre elles et avec les demeures contemporaines de Pompéi s’avèrent d’autant plus remarquables que les milieux sociaux et culturels où elles se sont implantées sont très différents les uns des autres.

Nous verrons (infra, p. 79) que la colonie de Cosa n’a livré à ce jour que des habitations d’une relative modestie. C’est pourtant dans le territoire contrôlé par Cosa, et plus précisément sur le site de la vieille métropole étrusque de Vulci, en prin­ cipe déchue, que nous trouvons, à la fin du IIe siècle, un étonnant échantillon de résidence aris­ tocratique, la « Casa del Criptoportico » (fig. 45) : orientée sud-nord, elle déploie, au-delà des tradi­ tionnelles fauces, un grand atrium privé & implu­ vium dont il est difficile de restituer l’élévation, un péristyle, dont l’axe principal est disposé trans­ versalement par rapport à celui de la domus, une vaste exèdre quadrangulaire ouverte sur deux faces et un portique dallé d’une belle mosaïque en tesselles blanches à insertion de pierres de couleur, qui donnait sur un viridarium ou un hortus. Ce plan très canonique s’enrichissait d’an­ nexes qui attestent la richesse du propriétaire : à côté du grand atrium, conçu pour recevoir un nombre important de « clients », et bordé sur son côté oriental par une série de pièces d’habitation, s’ouvrait à l’ouest un atrium plus petit, de type « toscan », autour duquel s’ordonnaient les servi­ ces ; dans l’angle nord-est du péristyle un escalier permettait de rejoindre aussi bien le niveau supé­ rieur de la domus, qui apparemment comportait un étage, au moins dans ce secteur, que le cryp­ toportique souterrain, creusé sous le portique du péristyle ; autour de cette structure en sous-œuvre se répartissaient encore des pièces de service et au moins une salle de séjour dont nous ne connaissons que l’état augustéen. Enfin, dernière particularité et non la moindre, cette « Casa del

Fig. 45. État actuel du plan de la «Casa del Criptoportico »à Vulci.

1.

LES DERNIERS SIÈCLES RÉPUBLICAINS

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Haut-Empire presque 2 800 m2 dans l’un des îlots Criptoportico » comportait dès sa première phase situés au sud-ouest du forum n’entre pas en ligne un petit ensemble thermal, luxueux si l’on en juge de compte, mais d’autres unités dont la superficie par les vestiges des mosaïques originelles qui oscille entre 1 500 et 1 700 m2, qui résultent ornent encore trois de ses pièces ; ordonné ration­ souvent de l’unification de deux maisons diffé­ nellement le long d’une cour située à l’extrémité nord-ouest du corps de la maison, il comprenait rentes, sont pour notre propos d’un grand inté­ rêt : certaines d’entre elles, qu’on peut raisonna­ un apodyterium aux niches rectangulaires qui blement dater de la fin du IIe siècle av. J.-C. offrait un accès direct à une séquence récemment étudiée par H. Broise et V. Jolivet : un tepidarium, présentent, avec la succession d’un atrium, de deux péristyles et parfois encore d’un hortus, une qui devait être détruit dans la seconde phase organisation et une extension proches de celles d’époque julio-claudienne ; un laconicum (salle de des domus patriciennes de Pompéi, comme la sudation) de plan quadrilobé, muni de banquettes « Casa del Labirinto » ou celle des « Capitelli de bois ; un caldarium à abside où l’on trouvait un figurati ». labrum et une baignoire collective. Des observa­ tions précises ont permis de montrer que le calda­ rium présentait à l’entrée un seuil bombé qui L a g ra n d e permettait la formation d’un pédiluve cependant que deux cupules invitaient le baigneur à s’es­ d e la f i n d e la R é p u b liq u e suyer les pieds au sortir de la salle. Une chau­ dière, qui a disparu, mais dont on sait, grâce aux Les bouleversements du début du I" siècle vestiges des canalisations, qu’elle se trouvait à (Guerre sociale, lutte entre Marius et Sylla) modi­ l’extérieur du caldarium, alimentait ce dernier en fient sensiblement la situation des notables eau chaude. Très peu de maisons pompéiennes locaux ; certains disparaissent, ou du moins possédaient en cette fin du IIe siècle av. J.-C. une perdent l’essentiel de leurs prérogatives, comme installation comparable ; ce complexe domes­ tique déjà parfaitement équipé témoigne, dans les anciennes familles de l’aristocratie samnite, une période qui manifestement ignore encore dépossédées à Pompéi de leur pouvoir tradition­ l’usage de l’hypocauste, d’un degré d’hellénisa­ nel, du fait de la colonisation ; dans le même tion des classes les plus riches de ce qui fut l’Étrutemps, à la suite de l’ample processus de la « municipalisation » qui affecte l’ensemble de rie méridionale plus élevé que dans bien des régions de l’Italie méridionale ; la présence du l’Italie péninsulaire, émergent de nouveaux diri­ laconicum, qui a conservé une grande part de sa geants. Mais dans tous les cas les rituels sociaux, qui avaient pour une large part imposé des belle mosaïque géométrique noire et blanche, en formes d’habitat spécifique, tendent à se modifier. fournit l’indice le plus éloquent (fig. 46). L’évolution engagée dans les domus aristocra­ Dans deux contextes coloniaux ont été identi­ tiques avec la construction des péristyles et le fiés pour la même période des domus du même transfert consécutif des lieux de vie et de repré­ type : à Alba Fucens, grâce aux travaux de J. Mertens et deJ.-Ch. Balty, une « villa urbana », sentation s’accélère, surtout dans les catégories sociales qui n’exercent plus les mêmes responsa­ en réalité grande maison urbaine, a été naguère bilités qu’auparavant ; mais de toute façon la publiée, qui déploie dans sa phase du IIesiècle av. J.-C. sur plus de 800 m2 une séquence atriumtendance à la multiplication des pièces où s’ex­ priment tous les prestiges d’un otium cultivé ou péristyle d’autant plus canonique que toutes les composantes en sont rigoureusement axées ; le raffiné s'amplifie, avec l’apparition de structures vestibule, flanqué de deux boutiques, s’ouvrait nouvelles en milieu italique, dont Vitruve nous fournit opportunément la description et la sur un podium accessible par un escalier de nomenclature. Au cours de ces mêmes décennies quatre degrés qui, certes, permettait de combler la petite dénivellation qui séparait l’extérieur de qui séparent la Guerre sociale de l’avènement d’Auguste se précisent d’autres exigences, qui l’intérieur, mais surtout avait l’avantage de rendre vont dans le sens de l’amélioration des secteurs perceptible, depuis la rue, la monumentalité de la résidentiels, avec en particulier la mise en place maison en l’isolant, comme la « Casa dei Diadumeni » de Pompéi ou encore la « Casa del d’ensembles thermaux privés plus développés Criptoportico » de Vulci, des autres habitations. A qu’auparavant, ainsi que l’aménagement de fontaines, euripes et bassins qui font des jardins Paestum les recherches de A. Lemaire et de des péristyles des lieux privilégiés du séjour et du R. Robert ont mis en évidence une typologie de délassement. Pour reprendre une expression de l’architecture domestique dont la chronologie P. Zänker, le « Wohngeschmack », c’est-à-dire le reste à affiner, mais qui permet déjà d’avoir une mode d’utilisation de la maison apparait désor­ idée précise de quelques vastes compositions ; mais inséparable, dans les demeures des riches. certes, pour la période qui nous occupe ici, la grande résidence qui finit par occuper sous le

domus

L’HABITAT URBAIN

des formes et des goûts diffusés par le développe­ ment concomitant de la villa suburbaine. Nous avons déjà, par anticipation, signalé plusieurs cas de « rotation » des triclinia qui, tradi­ tionnellement, donnaient sur l'atrium, vers le péristyle ou Vhortus ; ces conversions à 180° des ouvertures des salles situées de part et d’autre du tablinum sont caractéristiques des maisons qui ont été agrandies ou restructurées au cours du Ier siècle av.J.-C., et souvent dans la seconde moitié de ce siècle : à Pompéi la « Casa del Toro », celles dites du Ménandre, des Noces d’Argent, de Salluste, entre autres, présentent toutes des phénomènes de ce genre, qui ont pour consé­ quence de réduire Vatrium à un ample vestibule, qu’on se contente généralement de traverser pour gagner le péristyle et ses pièces adjacentes. D’une manière générale les peintures du IIe style, qui ouvrent la paroi pour y développer des perspecti­ ves architecturales derrière un premier plan forte­ ment inspiré des scénographies hellénistiques, ne témoignent pas seulement, surtout lorsqu’elles remplacent dans les atria et ses annexes les compositions du Ier style, de la volonté d’adhérer à une mode décorative nouvelle ; celle-ci n’est elle-même que l’expression plastique d’une conception du monde dont les harmoniques symboliques relèvent davantage de la spéculation philosophique et religieuse liée à certaines formes de Yotium que de la définition d’une puissance politique ou d’une assise sociale ; les portiques, édicules, tholoi qui animent ces panneaux souvent fort élaborés sont en général, même si la diffusion des cartons abâtardit quelquefois leur significa­ tion, une invitation à la réflexion ou au recueilleDeux exemples particulièrement démonstra­ tifs peuvent être ici rappelés : à Pompéi, la « Casa degli Amorini Dorati », qui conserve quelques traces d’une phase du II' siècle mais dont l’essen­ tiel des structures date de la fin de la République, avec de nombreuses réfections postérieures au séisme de 62 ap. J.-C., permet de mesurer la marginalisation autant spatiale que fonctionnelle de Yatrium (fig. 47) ; dans cette maison le centre, au sens propre du terme, est constitué par le jardin à péristyle sur lequel ouvre le vaste tricli­ nium encadré de deux cubiculi, selon le schéma du tablinum et de ses pièces adjacentes, mais dans un tout autre esprit ; cette salle à manger, qui est le point focal de la perspective très raffinée de l’un des plus beaux jardins pompéiens, possédait un fronton qui la désigne comme la pièce la plus solennelle de la domus ; elle était du reste en posi­ tion dominante puisqu’on ne pouvait y accéder depuis le portique (plus large à cet endroit que sur les autres côtés, le péristyle étant du type rhodien) qu’au moyen d’un petit escalier frontal. Par rapport à cet ensemble, Yatrium, dont la superficie

métrique de la «Casa degli Amorini Dorati ».

utile était plus restreinte que celle du triclinium en question, apparaît seulement comme le prolonge­ ment des fauces, dans une position décalée par rapport à l’axe principal de la demeure. Dans la « Casa dell’Atrio a Mosaico » à Herculanum que nous avons présentée supra, p. 58, l’axe nord-sud qui conduisait des fauces au tablinum selon le schéma le plus traditionnel entra vite en compétition avec l’axe est-ouest, qui conduisait de Yatrium au viridarium puis à la grande exèdre occidentale. Dans cette situation, la transformation du vieux tablinum dans les dernières décennies de la période républicaine en un salon de type égyptien (areas agyptius) s’avéra décisive : il ne s’agissait pas, comme le pensait A. Maiuri, d’ouvrir dans cette partie de la maison une salle à manger (triclinium) réservée à la famille, distincte de celle qui, à l’extrémité ouest du péristyle, était réservée aux hôtes, mais de

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LES DERNIERS SIÈCLES RÉPUBLICAINS

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créer plutôt comme le suggère A. WallaceHadrill, une stille de réception qui devait supplan­ ter Vatrium dans son rôle d’espace d’accueil ; Yatrium se réduit dès lors, cette fois encore, à une sorte de vestibule où s’effectuait la séparation des circuits entre ceux qui restaient cantonnés à la partie antérieure de la demeure et ceux auxquels on donnait accès au secteur plus intime mais aussi plus attrayant, réservé aux amici Une dernière étape sera franchie dans le déclassement de Yatrium en tant que pièce fonc­ tionnelle lorsqu’à partir de l’époque augustéenne la construction de l’aqueduc aura rendu inutile la citerne sous-jacente à Yimpluvium dans la plupart des grandes maisons pompéiennes : la vasque centrale, revêtue de marbres et parfois de mosaïques, deviendra dès lors, le plus souvent, le bassin d’une fontaine, traduisant ainsi la dispari­ tion de la valeur utilitaire de cette antique struc­ ture et l’intégrant à la série des espaces d’agré­ ment qui occupe une place croissante dans les demeures aristocratiques ou riches. Embléma­ tique de cette situation est la maison d’Obellius Firmus où Yatrium tétrastyle, conçu selon les normes les plus traditionnelles, malgré sa date relativement tardive (les chapiteaux corinthiens de ses colonnes, si l’on admet la chronologie de M. Cocco, ne sauraient être antérieurs aux années 90 av. J.-C.), est transformé à la fin du siècle en un lieu raffaîchi par des jeux d’eau (fig. 6) ; pour ce faire on réutilise en l’adaptant un mobilier lui aussi traditionnel qui, dans les atria des époques antérieures, contribuait à exprimer aux yeux des salutatores l’assise sociale du maitre de maison (le cartibulum ou table, en général de marbre, la base monopode, surmontée d’un satyre, et la tabula vasaria à quatre pieds, destinée à supporter des vases ou ustensiles divers) ; ces objets, que leurs fines ciselures et leur décor sculpté apparentent à la production détienne de la fin du IIeou du début du I" siècle av. J.-C. forment désormais, sur le rebord de Yimpluvium « recyclé », les composan­ tes ou le décor d’accompagnement d’une fontaine. Mais il est temps d’examiner de plus près les œci auxquels plusieurs allusions ont déjà été faites, ces salons ou salons tricliniaires selon des tradi­ tions qui du reste ne s’accordent pas toutes, et qui constituent sans aucun doute l’apport le plus spécifique du Ier siècle av. J.-C. aux domus des notables. Nous ne partageons pas en effet sur ce point l’avis de E. De Albentiis, qui considère que la plupart d’entre eux datent encore de la fin du II' siècle. Selon nous, l’absence d’aménagements de ce genre dans la « Casa dei Fauno », qui reste l’exemple le plus élaboré du « palais urbain » antérieur à la colonisation, à Pompéi, prouve qu’ils n’apparaissent vraiment qu’à partir des années 80 et dans les décennies suivantes ; du

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L’HABITAT URBAIN

reste la chronologie des modifications successives d’une maison comme celle des « Noces d’Argent », établie par V. M. Strocka, confirme que son fameux accus tétrastyle n’a pas pu être conçu dans une phase antérieure. Rappelons d’abord la liste qu’en donne Vitruve ; son texte de VI, 3,8-10 présente le triple avantage de rendre compte d’une situation évidemment contemporaine de l’époque au cours de laquelle il a compilé ses fiches (troisième quart du I“ siècle av. J.-C.), de préciser l’origine de ces éléments et enfin d’en fournir une nomenclature : « Les salons (ceci) corinthiens, tétrastyles, de même que ceux qu’on appelle égyptiens, doivent présenter entre leur largeur et leur longueur les relations définies plus haut pour les triclinia, mais un plus large espace doit y être ménagé en vue de l’insertion des colonnes. La différence entre les salons corinthiens et les salons égyptiens sera celle-ci : les corinthiens possèdent un seul ordre de colonnes internes, soit posées sur un podium, soit directement sur le sol et qui doivent suppor­ ter des architraves et des comiches, en bois ou en stuc ; en outre, en prenant appui sur les comiches, on établira des plafonds à caissons à profil semicirculaire. Dans les salons égyptiens en revanche, au-dessus des colonnes on trouvera des architra­ ves depuis lesquelles jusqu’aux murs périmétraux on lancera un réseau de poutres supportant un plancher et un pavement permettant la prome­ nade à l’air libre ; mais sur les architraves situées à l’aplomb des colonnes de l’ordre inférieur on en placera d’autres, plus petites d’un quart ; audessus de leurs architraves et entablements ces colonnes supporteront des plafonds à caissons, et entre ces colonnes de l’ordre supérieur seront ouvertes des fenêtres ; ainsi l’ensemble revêtira l’aspect d’un édifice basilical, et non pas d’un triclinium corinthien. On construit aussi des salons qui ne relèvent pas de la tradition italique et que les Grecs appellent cyzicéniens ; ils sont orientés vers le nord de telle façon qu’ils aient vue essen­ tiellement sur des aires verdoyantes, avec des portes à double battant en position axiale ; leur longueur et leur largeur leur permettent d’ac­ cueillir deux lits de table à trois places qui se font face en ménageant une circulation périphérique ; ils doivent posséder en outre à droite et à gauche des baies de fenêtres à double battant afin que tout en restant à l’abri les convives puissent voir la verdure ; leur hauteur vaut une fois et demie leur largeur ». Que signifie, d’abord, ce mot accus ? C’est évidemment une translittération du grec oîxoç, nous l’avons dit (supra p. 20), mot homérique qui désigne soit la maison toute entière, soit la pièce principale où se déroule la vie domestique ; plus tard, dans les textes ou inscriptions de la fin de l’époque classique ou des siècles hellénistiques, le

mot s’applique plus précisément à la salle de banquet Vitruve est tributaire de cette double tradition, puisque, lorsqu’il décrit la maison grecque, il désigne comme des ceci magni, de gran­ des salles, les pièces où les femmes travaillent la laine (VI, 7, 2), mais qu’il appelle aussi ad les salles de banquet du quartier des hommes (VI, 7, 4) ; c’est évidemment ce dernier sens qui est utilisé dans le passage que nous venons de traduire : la seule autre occurrence attestée du mot en latin (à l’exception d’une restitution plau­ sible mais non assurée dans le Satiricon de Pétrone, 38, 10 et d’une inscription, CIL, VI, 14959) se trouve chez Pline l’Ancien (HN, 36, 184), où il est question d’un type de pavement appelé asaraton acon, expression qui signifie litté­ ralement « salle à manger non balayée ». Le passage de I’oikoç à Yacus est caractéristique, en cette fin du I" siècle av. J.-C., du transfert des notions grecques de banquet convivial dans le domaine des salles de réception de la maison romaine. C’est la raison pour laquelle - indépen­ damment du fait que Vitruve emploie quelquefois acus au sens de triclinium -, nous n’établirons pas, contrairement à ce qui est proposé dans une étude récente, une distinction nette entre ces « salons » et les « salles à manger » d’apparat ou estivales des domus aristocratiques. L’origine gréco-orientale de ces ad ne tient pas seulement à leur nom (corinthiens ; égyp­ tiens, c’est-à-dire ptolémaïques ou alexandrins ; cyzicéniens, c’est-à-dire originaires de la ville de Cyzique en Asie Mineure) mais au fait qu’ils reproduisent, sous une forme et dans un contexte différents, la tradition de l’ctvSpàv, c’est-à-dire des salles à manger réservées exclusivement aux hommes et réparties autour des péristyles dans les secteurs de réception des maisons hellénistiques, les « andronitides ». Les prescriptions de Vitruve, en dépit de leur forme normative, sont en fait des descriptions, qui nous aident à comprendre et à nommer ces struc­ tures d’un nouveau genre dont l’analyse constitue l’un des fils rouges de la compréhension de l’hellénisation des moeurs, mais aussi de la spécificité de l’art de vivre italico-romain. Ces salons sont certes le plus souvent des triclinia, mais la présence des colonnades internes qui les caracté­ rise tous, sauf les cyàceni, leur confère sous des formes différentes une solennité particulière : l’in­ troduction de supports libres dans un espace clos, sans nécessité tectonique réelle (sauf pour les « salons égyptiens ») suscite toujours une impres­ sion d’ampleur et de richesse ; nous avons vu ce qu’il en était pour les atria lors des périodes précédentes. Mais le fait que ce type de volume s’élabore et se répande précisément pendant les décennies où fleurit le II' style de la peinture murale lui confère une valeur particulière : ce

sont des pièces où, en quelque sorte, les images si séduisantes d’une architecture feinte sont mises en scène, et inscrites dans la réalité ; la décoration pariétale de certains ad conforte du reste cette impression en prolongeant sur les parois les colonnades de la salle. Comme les triclinia, ce sont donc assurément des endroits où se cultivent des relations amicales plus étroites que celles dictées par les liens clientélaires ; mais plus remarquables que les simples salles à manger par leur décor, leur articulation interne et leurs rela­ tions modulaires, ils bénéficient en outre seconde caractéristique essentielle, mise en valeur par Vitruve pour les ad cy&ccni mais valable pour la plupart des cas - d’une situation privilégiée qui ménage aux convives une vue globale ou partielle, de préférence agréable (et flatteuse pour le propriétaire) ; ce prospectus utilise la perspective comme un mode d’appropriation de l’espace et favorise l’interpénétration de la nature domesti­ quée et de l’architecture. Les témoignages archéologiques de cette diffusion des ad sont à chercher presque exclusi­ vement dans les villes du Vésuve. Les plus fréquemment représentés sont les tétrastyles et les corinthiens, les seconds n’étant, comme dans la classification des atria, qu’une amplification des premiers, puisqu’au lieu de 4 colonnes intérieures ils en comptent davantage ; mais les uns et les autres, comme le suggère le texte de Vitruve, sont couverts, sur leur partie centrale circonscrite par les colonnes, au moyen d’une voûte en berceau, le plus souvent suspendue à une charpente de comble classique. C’est ce que prouve Yacus tétrastyle de la « Casa delle Nozze d’Argento », qui date de l’époque où toute la partie résiden­ tielle de cette maison, répartie autour du péris­ tyle, a subi une refonte complète : dans les dernières décennies du Ier siècle av. J.-C. sont ajoutés en effet, avec Yacus (4), les cubicula (x, y, z) et le triclinium (w) qui s’ouvrent sur son portique méridional (fig. 48). L’état de conservation de ce salon, qui a autorisé sa restauration complète, le rend particulièrement suggestif (fig. 49 et 51) : les quatre colonnes hexagonales de porphyre à grain fin, montées sur des piédestaux isolés (éventualité non envisagée par Vitruve), supportaient une voûte montée sur canistres, amplifiant l’effet illu­ sionniste de la décoration murale du IIe style. Décalé par rapport aux autres salles donnant sur le péristyle, cet acus procède de toute évidence d’une adjonction, qui témoigne d’autant mieux de l’importance accordée par le propriétaire à cette composition prestigieuse qu’il a fallu, pour la mettre en place, empiéter sur le terrain avoisi­ nant. Désormais, le péristyle sur lequel ouvrait seulement, dans la phase antérieure, le tablinum, et qui restait utilisé comme un simple hortus, devient le coeur vivant de la domus, et le salon

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tétrastyle constitue de toute évidence la pièce la plus gratifiante du nouveau dispositif. Les ceci corinthiens les plus remarquables sont, à Pompéi ceux de la « Casa dei Meleagro » et de la « Casa del Labirinto ». Ce dernier appartient à la restructuration de tout le secteur qui longe au nord le péristyle, fortement endommagé pendant l’assaut syllanien ; refait dans les années 70 av. J.-C., peut-être pour le compte de L. Sextilius, l’un des personnages principaux du nouveau personnel dirigeant, et qui apparaît en tant que quattuorvir sur la dédicace de l’autel du temple d’Apollon, ce secteur présente sous une forme anthologique tous les raffinements auxquels un « nouveau riche » pompéien pouvait prétendre s’il avait des disponibilités financières suffisantes. Là encore l’trcaj domine toute la séquence : enca­ dré par deux cubicula (42 et 46) où les thèmes décoraüfs (en particulier Yemblema de la mosaïque du n° 42) semblent orientés, selon l’interprétation la plus récente, vers l’autocélébraüon du dominus, il manifeste plus qu’aucune autre structure, par son emphase, l’importance accordée aux salles de réception : l’espace interne, animé par 10 colon­ nes, se définissait clairement comme un triclinium d’apparat, avec au centre l’aire réservée aux lits des banqueteurs et autour le circuit où évoluent les serviteurs, la circumitio de Vitruve (fig. 25 et 27). L’œeus corinthius de la « Casa del Meleagro » appartient quant à lui à une maison luxueuse qui date dans son état actuel du début de l’Empire et a conservé une décoration pariétale du IV ' style exceptionnellement riche ; là encore le salon (24) est orienté vers le jardin-péristyle ; situé entre deux salles (25 et 26), il comporte 12 colonnes intérieures, les deux qui se trouvent en façade étant enrichies chacune d’une demi-colonne servant à l’encadrement de la large ouverture. La subtilité de la dialectique entre l’intérieur et l’ex­ térieur y est encore plus sensible que dans les autres exemples et l’on atteint avec cet œcus la limite de l'élaboration du type (fig. 50 et 51). Plus rares semblent avoir été les ceci ergyptii Leur définition vitruvienne est pourtant passion­ nante, non seulement parce qu’elle en présente en quelque sorte une coupe parfaitement claire, mais aussi parce qu’elle en rappelle l’analogie avec les basiliques civiles. On sait le parti qui a été récemment tiré de ce texte pour la compréhen­ sion de la genèse de ces annexes couvertes du forum (AR I, p. 235-237). En ce qui concerne les maisons des responsables politiques ou des riches représentants de la classe dirigeante, la notice vitruvienne est à rapprocher de celle où il signale que les propriétaires ayant à gérer des magistra­ tures (honores magistratusque) se doivent de possé­ der, entre autres signes de leur statut, des biblio­ thèques, des pinacothèques et des basiliques qui n’aient rien à envier à des édifices publics (VI, 5,

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2). Seules évidemment les domus de l’oligarchie sénatoriale de Rome, si nous les connaissions mieux, auraient pu donner une idée de ce type d ’aménagement. Un exemple tout de même évocateur est celui de la « Casa delTAtrio a Mosaico » d’Herculanum, dont nous avons déjà fait mention : la restitution qu’en propose A. Maiuri n’a nulle raison d’être contestée (fig. 52) ; elle correspond presque exactement aux données du texte de Vitruve, à ceci près qu’à la place de l’ordre supérieur de la colonnade interne elle présente un mur continu, seulement ouvert p ar des baies quadrangulaires ; mais l’esprit reste analogue, et un promenoir à l’étage, au-dessus des « nefs latérales », quoique modeste, peut raison­ nablement être postulé. Sous une forme évidem­ ment restreinte, puisque la largeur totale de la salle n’atteint pas 8,50 m, 1'acus mérite son nom et constitue l’une des rares tentatives de transposi­ tion, à l’échelle municipale, d’une composition dont Y Urbs devait fournir des modèles étonnants, par leur ampleur aussi bien que par leur luxe. Il vaut la peine de souligner que cet oecus est le seul

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qui ne s’inscrive pas dans un ensemble résidentiel centré sur un péristyle : il ne s’agit pas en l’occur­ rence d’exalter les valeurs de 1'otium, comme dans une villa suburbaine, mais de donner des respon­ sabilités du maître de maison une idée d’autant plus haute que celles-ci, dans le contexte histo­ rique et régional d’Herculanum, ne devaient pas être exceptionnelles...

de l'œcus aegyptius établi dans d'Herculanum. d'après A. Maiuri.

Fig. 53. Interprétation contestable, des Masques »a Dêlos On notera de très hypothétiques viridaria

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En ce qui concerne les « salons à la mode de Cyzique », plusieurs mauvaises lectures, textuel­ les ou archéologiques, ont obscurci la question et rendu difficile leur identification. Il importe d’abord de comprendre que la description qu’en donne Vitruve dans le chapitre sur la maison romaine n’est qu’une adaptation de celle qu’il leur consacre dans le chapitre sur la maison grecque : en VI, 7, 3 il présente en effet les tricli­ nia cy&cena de cette dernière comme les salles de banquet du quartier des hommes, qu’il oppose aux triclinia cotidiana, plus ordinaires donc, du quartier des femmes ; comme les ad cygiceni de la maison romaine, ceux de la maison grecque doivent être orientés vers le nord. On tiendra d’autre part le plus grand compte de l’adjectif qui désigne comme leur lieu d’origine la ville de Cyzique ; nous savons que ce genre de précision doit être pris au sérieux chez Vitruve, depuis qu’il est avéré que l’épithète œgyptius appliquée à la catégorie précédente évoque une réalité histo­ rique, à savoir la composante ptolémai'que du patrimoine génétique du schéma basilical ; or Cyzique, qui est l’un des plus anciens établisse­ ments ioniens de la région de la Propontide, face à Pile de Proconnèse, est une ville étroitement liée aux Attalides dès l’époque de Philétairos ; c’est là que s’élevait le temple d’Apollonis, la mère de deux rois de Pergame, et la région était réputée pour le raffinement de ses productions, en parti­ culier ses parfums si l’on en croit Pline (HN, 13, 2). L’adjectif cygccnus contribue donc à renforcer l’idée d’une origine pergaménienne de ce type de salon tricliniaire, et de fait, dans sa version grecque, il se confond avec 1’« andron » principal des résidences princières tardo-classiques ou hellénistiques (celles de Macédoine à Vergina, par exemple, ou celle des Attalides à Pergame) ; comme les « andrones » du sanctuaire de Labraunda, il est doté de fenêtres latérales, et dans les palais en question, il s’ouvre par des portes de façade à double battant vers la partie septentrionale du quadriportique principal. A ce stade, il n’est nullement question d’un rapport avec des espaces verts aménagés, les viridaria du texte sur la maison romaine, et l’une des erreurs de la restitution de A. Rumpf, qui voulait que la « Maison des Masques » à Délos lut la traduction archéologique de la description vitruvienne de la maison grecque, tient au fait qu’il a tenu à immer­ ger son triclinium cygtccnum dans un jardin dont rien ne permet d’affirmer l’existence sur le terrain (fig. 53) ; G. Raeder et M. Kreeb ont du reste montré les faiblesses de cette tentative, qui a eu son heure de célébrité. Si l’on veut en réalité avoir une idée de ce qu’est le triclinium à la mode de Cyzique dans un contexte domestique hellé­ nistique, la « Maison à péristyle n° 1 » de Monte lato en Sicile fournit un candidat très vraisembla-

ble avec son aeus 16, largement ouvert sur la cour centrale et pourvu de fenêtres sur les côtés (fig. 54). La liaison avec un jardin, et les vues laté­ rales et frontales sur la verdure ne constituent donc pas une caractéristique première de ce type de salon, mais seulement une adjonction de Vitruve, qui, sachant l’importance des viridaria dans la domus de son temps, et soucieux comme toujours d'établir une continuité entre les tradi­ tions grecques et les traditions romaines, a fait de cette particularité un élément essentiel de sa défiCette mise au point ne résout pas tous les problèmes d’identification ; il faut convenir qu’elle peut contribuer à les compliquer, d’autant que l’absence de tout aménagement intérieur (colonnades ou autres) rend Yacus en question, à la différence des autres, faiblement spécifique. Seule en fait l’ampleur des ouvertures constitue le caractère dirimant, et à cet égard nous ne les fenêtres de part et d’autre de la porte axiale, sur le mur de façade ; le soin que prend Vitruve à indiquer que tous les convives ont vue sur l’exté­ rieur implique, comme le note justement R. Fôrtsch, que des baies soient ouvertes sur les côtés, comme du reste le suggère la filiation hellé­ nistique avec les « andrones ». Cela dit, la plupart des exemples archéologiques recensés jusqu’ici datent de l’époque impériale : nous les examine­ rons dans les villas des Ier et IIe siècles de notre ère. Mais il est possible d’en observer quelques interprétations déjà fort élaborées dans les maisons de la fin du Ier siècle av. J.-C. : la plus remarquable nous paraît se trouver à Herculanum dans la « Casa dei Cervi » où Yacus tricliniaire qui s’avance vers l’est dans le virida­ rium est muni de fenêtres latérales pour la partie de la pièce immergée dans la verdure ; la seule différence - et il faut reconnaître qu’elle est importante - tient au fait que ce salon est ouvert à chacune de ses extrémités, pour profiter aussi, vers l’ouest, de la vue sur la loggia du jardin (fig. 55). Mais le principe qui a présidé à sa loca­ lisation et à sa disposition est assez conforme à ce qu’exprime la notice vitruvienne. De fait, la volonté de créer un univers proche de la villa de plaisance à l’intérieur de la domus urbaine, qui est la caractéristique essentielle de l’habitat des clas­ ses aisées dès le Ier siècle av. J.-C. devait multi­ plier, sous des formes diverses, les pièces de réception où les hôtes bénéficiaient de points de vue sur une campagne aménagée, fut-elle réduite à un hortus de faibles dimensions ; d’où la fréquence de ces triclinia aestiva, ces salles à manger d’été, souvent ouvertes sur le nord, dans les maisons des villes du Vésuve à la fin de la République et au début de l’Empire : exemplaire à cet égard est le triclinium g de la « Casa del

Fig. 54. Plan de la « Maison à péristyle n°1 »de Monte lato en Sicile, d’après H. RIsler.

Fig. 55. Plan de la « Casa del

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Fig. 57. Reconstitution de lafaçade côté jardin de la «Casa del Moralista »,

Fig. 56. Pian de la «Casa del Moralista »à Pompéi, d'après Moralista» à Pompéi, récemment étudiée par P. Zänker (fig. 56 et 57). L’œcus cy&cenus, qui peutêtre n’a jamais porté ce nom ailleurs que dans le traité théorique de Vitruve, appartient à cette catégorie plus générale, dont il rassemble les exigences en une formule particulièrement bien adaptée à une finalité qui, encore une fois, n’est que seconde par rapport à ses origines. Le niveau supérieur de la « Casa de Fabius Rufus », fouillée au cours de ces deux dernières décennies, présente un œeus ouvert sur les cours qui le joux­ tent à l’est et à l’ouest ; s’il ne regardait résolu­ ment vers le sud, il pourrait entrer dans la série des « salons à la mode de Cyzique ». L’autre aménagement qui, au cours de la dernière période républicaine, progresse dans des proportions remarquables est celui des bains. Si nous n’avons guère évoqué cette partie de la domus pour la période précédente, c’est que, à l’exception notoire de la première phase de la « Casa del Criptoportico » de Vulci, nous n’avons que peu de témoignages en ce domaine avant le Ier siècle av. J.-C. et même, si l’on en juge par la décoration picturale des exemples les mieux attestés de Pompéi, avant la phase finale du II' style, c’est-à-dire les années 40-30 av. J.-C. Les bains domestiques d’Étrurie, dont on peut suivre l’évolution dans la colonie latine de Cosa entre le III* et le Ier siècle av. J.-C. sont pratiquement inexistants en termes de structure architecturale : les habitants semblent n’y avoir pratiqué le plus

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souvent que le bain par affusion d’eau chaude, sans éprouver le besoin d’installations particuliè­ res ; tout au plus s’agissait-il de lavationes au sens propre, c’est-à-dire de salles d’affusions, qui, dans les premiers temps, ne se distinguaient pas d’ailleurs de la cuisine ; dans les maisons de Cosa les plus développées de la fin du II* et du début du Ier siècle av. J.-C., comme celle de Quintus Fulvius et celle dite du Squelette, une division fonctionnelle apparaît entre culina et lavatio (fig. 58), mais cette dernière, reconnaissable au joint d’étanchéité de son béton de sol en tuileau, ne comporte, dans la « Casa dello Squelettro » par exemple, qu’une base circulaire de faible diamètre, qui peut avoir supporté un brasero ; seule une cloison légère la sépare de la cuisine. Les études relatives aux bains privés se sont surtout orientées vers les villas, et nous disposons donc de peu de publications, même pour la fin du I“ siècle av. J.-C., concernant cet aspect essentiel de la domus. Les plus anciennes installations balnéaires des maisons des villes du Vésuve, comme celle de la première phase de la « Casa di Obellius Firmus » à Pompéi, qui compte pourtant parmi les grandes et riches demeures de la période, se réduisent à peu de choses : dans la domus en question, deux petites pièces (on serait tenté de parler de réduits) 16 et 17, voisines de la cuisine 18, qui contiennent, sous une forme rudi­ mentaire, l’équipement d’un apodyterium et d’un caldarium, chauffés au moyen de braseros (fig. 59).

Fig. 58. Les blocs VD et V-VI D-E de Cosa, d’après F. E. Brown.

Trois ensembles balnéaires privés, de la fin du I" siècle av. J.C ., permettent de mesurer le chemin parcouru, en un domaine qui est évidem­ ment crucial pour le confort de l’habitat. Ils sont tous localisés à Pompéi. On relève dans cette ville, comme à Herculanum, une étonnante simultanéité entre le développement de ces instal­ lations et celui des grands salons de réception. Même s’il arrive que, pour des raisons de commodité, qui tiennent aux multiples usages du praefurnium, le balnéaire soit cantonné dans le quartier servile ou dans sa proximité immédiate, comme dans la « Casa del Labirinto » (fig. 25), la qualité de son décor et le perfectionnement de son système de chauffage suggèrent qu’il compte parmi les éléments les plus appréciés du confort de la maison ; d’un point de vue technique, la diffusion dès le début du Ier siècle av. J.-C. des suspensurae, c’est-à-dire des sols sur hypocauste (faits de tuiles plates le plus souvent, reposant sur des pilettes de briques entre lesquelles circule l’air chaud) qui assure une température élevée dans le caldarium et les salles avoisinantes, est contempo­ raine de celle des concamerationes, c’est-à-dire des voûtes (en berceau généralement pour cette période) qui assurent une bonne répartition de la chaleur. Beaucoup de ces balnéaires privés des villes du Vésuve souffriront du séisme de 62 et plusieurs d’entre eux ne seront pas remis en état au moment de la catastrophe finale. Dans la « Casa delle Nozze d’Argento », les remaniements qui ont affecté la partie résiden­ tielle au sud du péristyle sont contemporains de l’établissement d’une séquence thermale, un balneum complet, qui commence par un apodyte-

Fig. 59. Plan de la »Casa di Obellius Firmus » à Pompéi. rium (v), et se poursuit par un tepidarium (u) et un caldarium pourvu d’une petite exèdre pour un labrum (t), dont le cul de four est omé d’une pein­ ture représentant une coquille ; on notera que dès lors la salle chaude (caldarium) est équipée d’un hypocauste (suspensurae) et que ses murs parais­ sent avoir été revêtus (mais peut-être à une époque ultérieure) de tegulae mammatae (tuiles à tenons) assurant une circuladon de la vapeur à la surface des parois ; dans le petit jardin contigu (2) une piscine complétait l’ensemble (fig. 48). Il suffit, pour évaluer la modification de la tendance

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Fig. 60. Plan de la « Casa del Criptoportico »à Pompéi.

«Casa dal Criptoportico ». d'après A. et M. DeVos. depuis le II' siècle av.J.-C., de considérer l’espace occupé par ce balneum : il équivaut à celui du péristyle rhodien, ce qui prouve que le bain passe, aux yeux des habitants de cette domus, pour une installation essentielle dont la signification, pour l’expression de la richesse et de l’art de vivre, est désormais aussi importante que celle du ou des jardins entourés de portiques. Dans la « Casa del Criptoportico », lorsque, dans la seconde moitié du I" siècle av. J.-C., les portiques du jardin sont transformés en un grand cryptoportique, un établissement thermal est construit, que l’on rencontre à main gauche quand on est descendu par l’escalier à pente rapide qui conduit au niveau inférieur. Il présente

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une suite de salles, qui évoque, par sa richesse et la rigueur de son organisation, les thermes publics contemporains dits « en ligne » : le caldarium (h) à suspensurae et abside est couvert d’une voûte d’aréte en opus caementicium, qui constitue l’une des premières du genre ; cette salle bénéficie de la proximité du praefurnium et l’on devait donc pouvoir y obtenir à la demande des températures élevées ; suit le tepidarium (g), lui aussi sur hypo­ causte mais un peu plus éloigné de celui-ci que le caldarium : il conserve une partie des stucs qui ornaient sa voûte en berceau ; quant à \'apodyte­ rium (e) et au frigidarium (f) ils présentent encore, outre un tapis de sol mosaïqué presque intact, l’essentiel de leur décoration du II' style, qui permet de les dater avec une bonne approxima­ tion du troisième quart du I" siècle av. J.-C. (fig. 60 et 61). Si nous nous rendons pour finir dans la ♦ Casa del Menandro », nous y observons le bain privé le plus élaboré de cette période (fig. 39) ; il a fait l’objet d’une analyse complète de la part de R. Ling. Situé à l’ouest du grand péristyle, il s’or­ donne autour d’un petit atrium corinthien dont les colonnes entourent un minuscule impluvium inté­ gralement orné de mosaïques ; cette vasque a dû servir en fait de baignoire où l’on pouvait ou se tenir debout ou s’accroupir pour se doucher au sortir du circuit On accédait à celui-ci à travers un vestibule jusqu’à un tepidarium puis à un calda­ rium, l’un et l’autre voûtés ; la salle chaude, pour­ vue d’une abside pour labrum, a conservé sa mosaïque de sol à sujets marins et de nombreux fragments de peintures du II' style sont préservés dans les deux salles. A l’ouest une cour compara­ ble à celle de la « Casa delle Nozze d’Argento » présente une exèdre semi-circulaire qui, orientée vers le sud-est, a pu servir de solarium L’ensemble n’était pas seulement d’une élégance raffinée, mais aussi d’une réelle perfection technique, comme le prouve l’installation sous-jacente au caldarium : un four à coupole destiné à la cuisson du pain servait aussi, grâce aux cheminées qui le reliaient à l’hypocauste, au chauffage de la salle thermale. Un tel double emploi n’est pas unique en son genre à Pompéi, mais celui-ci compte assu­ rément parmi les plus précoces et les mieux conçus (fig. 62 et 63). A certains égards, de semblables aménage­ ments n’ont rien à envier aux établissements publics contemporains ou antérieurs, tels les « Thermes du forum » dans la même ville ; on y observe même des progrès sensibles par rapport à la pratique observée dans ces derniers puisque le tepidarium des balnéaires privés de Pompéi peut être pourvu d’un système de chauffage par le sol, comme dans la « Casa del Criptoportico », ce qui n’est en général pas le cas dans les bains publics au 1er siècle av.J.-C.

Fig. 62. Reconstitution, par R. Ling, du balnéaire de la «Casa del Menandro »: A. coupe nord-sud ;

Fig. 63. Détail du laconicumde la «Casa del Menandro », par R. Ling : A, restitution axonométrique de la charpente ; B, plan de la charpente ; C, axonométrie générale.

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L es

domus

d e l ’o lig a rc h ie sé n a to ria le à Rom e Si la confusion concertée entre espaces publics et espaces privés s’avère déjà fréquente dans les demeures aristocratiques de Campanie dès la seconde moitié du II' siècle av. J.-C., la « Casa dei Fauno » en offrant dans sa dernière phase l’illustration la plus éclatante, le phéno­ mène revêt à Rome des proportions extraordinai­ res ; l’archéologie ne nous permet plus, sauf sur un cas exceptionnel, d’en prendre la mesure, mais de nombreux textes nous aident à en saisir à la fois les modalités et les raisons. Ces textes datent tous du I" siècle av. J.-C., et plus précisé­ ment, pour la plupart d’entre eux, de la seconde moitié de ce siècle : c’est l’époque où la maison de l’oligarchie sénatoriale traduit de la façon la plus claire les nouvelles formes du pouvoir ; elle en exprime, dans son architecture et dans son décor, la puissance mais aussi la dégradation. En des termes relativement mesurés, au détour d’un chapitre où il entend dénoncer l’usage immodéré de la luxuria, Cicéron déclare [De Officiis, 139) : « De même que dans les autres domaines il ne faut pas tenir compte de soi seule­ ment, mais aussi des autres, de même en va-t-il dans la maison d’un homme en vue (in domo clari hominis) : il faut y recevoir des hôtes nombreux et y admettre une foule de gens et de concitoyens ; on doit donc y avoir le souci de l’espace (cura laxi­ tatis) ». Ce bien curieux altruisme, présenté à travers le prisme de la rhétorique, dissimule des réalités brutales dont l’orateur avait lui-même fait l’expérience : si l’on ne possède pas une habita­ tion luxueuse et fort vaste au cœur de Rome, et de préférence sur le Palatin, les chances d’accomplir une grande carrière politique sont faibles. Cicéron le rappelle du reste au paragraphe précé­ dent, à la faveur d’un exemple ancien qu’il juge positif [ibid, 138) : « Cn. Octavius (consul en 165 av. J.-C.) qui, le premier, devint consul dans sa famille, retira du prestige, à ce que nous avons appris, du fait qu’il avait fait édifier sur le Palatin une magnifique demeure pleine de dignité [prae­ claram et plenam dignitatis domum) : contemplée par la foule elle avait contribué à soutenir, pensait-on, la candidature de son propriétaire, un homme nouveau, au consulat». Effectivement, Cicéron, homme nouveau lui aussi et qui plus est provincial, avait fait l’emplette, après bien des difficultés, d’une résidence sur la colline des privi­ légiés, et il avait accompli la carrière que l’on sait. Vitruve, qui n’éprouve pas les mêmes scrupules à l’égard de l’ostentation et du luxe, quand il les juge nécessaires, s’exprime sur la question sans

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états d’âme, en bon « césarien » qu’il est ; il en parle avec d’autant plus de défrichement q u ’il n’appartient pas, évidemment, à la classe diri­ geante. Mais son texte est d’autant plus précieux qu’il est précis ; voici ce qu’il dit dans le passage célèbre du livre VI de son De architectura o ù il établit une sorte de typologie des habitations en fonction des situations sociales et des responsabi­ lités collectives (VI, 5, 2) : « Pour les représen­ tants de la nobilitas qui, par la gestion des honneurs et des magistratures, se doivent d ’être au service des citoyens, il importe de construire des vestibules élevés à caractère royal, des atria et des péristyles très vastes, des forêts et des p rom e­ nades d’une certaine ampleur qui soient en rapport avec ce qui convient à leur majesté ; ils doivent posséder en outre des bibliothèques, des pinacothèques et des basiliques dont la magnifi­ cence ne cédera en rien à celle des édifices publics, parce que c’est dans leurs demeures [in domibus eorum) que fréquemment se tiennent des délibérations publiques [publica consilia) et se rendent des arbitrages privés ». En fait les hommes auxquels pense ici Vitruve sont ceux qu’il désigne ailleurs (I, 2, 9) comme « les puis­ sants dont la pensée gouverne l’État », c’est-àdire, en termes clairs, les imperatores de cette fin de la République, dont Pompée et César étaient les plus représentatifs. Aucune notice ne présente sous un jour aussi cru la nécessité fonctionnelle du luxe privé, et l’impérieux besoin d’espace qui caractérise l’habitat de ces personnages. Elle reflète admirablement, jusque dans les termes, la personnalisation croissante et irréversible de la vie politique ; les carrières sont fondées désor­ mais, non plus sur le jeu normal des institutions, mais sur l’affirmation individuelle ; la dissolution de la logique jusqu’ici tant bien que mal préservée de l’équilibre des pouvoirs s’accompagne de l’émergence de personnalités qui se partagent sans scrupules les dépouilles de la puissance répu­ blicaine. Vitruve n’y songeait peut-être pas, mais un lecteur d’aujourd’hui ne peut pas ne pas voir dans les publica consilia une opération comme celle des accords de 60 av. J.-C. où Crassus, César et Pompée se sont, à titre privé, et bien évidem­ ment dans la résidence de l’un d’eux, réparti les pouvoirs et les richesses de l’État, donnant ainsi naissance à ce que l’on appellera le « Premier Triumvirat ». Moins de vingt ans plus tard, dans le climat tragique qui s’instaure à la suite de l’assas­ sinat de César, au moment même où le théoricien achève la compilation de ses fiches, un accord semblable, conclu dans les mêmes conditions, celui dit du «Second Triumvirat», scellera l’al­ liance fragile entre Octavien, Antoine et Lépide. Autant dire que les règles institutionnelles sont alors constamment bafouées et que la cohésion de la classe dirigeante n’est plus qu’un vain mot.

Jusqu’à une date toute récente, nous ne dispo­ sions, pour juger de la forme et de l’extension des grandes demeures de ces hommes qui rivali­ sent d’ostentation pour mieux affirmer leur pouvoir ou leur volonté de pouvoir, que de données textuelles. Celles-ci ont été encore réexa­ minées avec une efficacité exemplaire par J.-P. Guilhembet, dans une thèse actuellement sous presse. Notre propos n’est pas d’en établir la liste, avec tous les problèmes de topographie que pose la localisation relative des maisons de M. Fulvius Flaccus, de Crassus l’orateur, de Drusus, de M. Aemilius Scaurus, de Cicéron, de Clodius, etc., mais de tirer parti de quelques noti­ ces pour définir les caractéristiques les plus saillantes de ces domus des principes civitatis. La première paraît avoir été, aux yeux des contemporains, le luxe, qui se manifeste alors sous la forme particulière de l’emploi du marbre, et plus précisément de colonnes de marbre. Cette intrusion, nouvelle à l’époque, exprime de la façon la plus haute la confusion entretenue entre les édifices publics et les édifices privés. On se souvient des somptueux échafaudages mis en place par certains édiles particulièrement fastueux pour des théâtres temporaires dans la première moitié du Ier siècle av. J.-C. (AR I, p. 274275). Pline l’Ancien (HN, 17, 1-6 et 36, 5-7) et Asconius (In Scaur., 23, 45) rappellent qu’après le démontage de ces coûteuses compositions, les colonnes qui avaient omé les murs de scène, du moins quelques-unes d’entre elles, avaient été transportées dans les demeures palatines des magistrats qui les avaient achetées, en l’occur­ rence L. Licinius Crassus et M. Aemilius Scaurus, et plus précisément dans leurs atria, lesquels, pour le coup, devaient répondre à la définition vitruvienne (regalia alta). En ce qui concerne l’atrium de Scaurus, Pline précise même (HN, 36, 113-114) qu’elles étaient en marbre de Téos (marmor Luculleum) et hautes de 38 pieds, c’est-àdire à peu près 11,30 m ; leur transport avait cons­ titué une opération onéreuse et délicate, et leur poids avait même occasionné des dommages aux égouts de la ville. Plus tard Auguste ferait enlever ces colonnes de la maison de Scaurus pour en omer de nouveau un édifice de spectacle, le théâ­ tre de Marcellus. Au-delà de l’anecdote moralisa­ trice retenue par les auteurs anciens, l’itinéraire de ces objets architecturaux d’une taille inusitée (columnae insigni magnitudine) permet d’apprécier la valeur qui leur était conférée et les harmo­ niques qui en émanaient : dans leurs emplois successifs elles ont évidemment assumé la même fonction, celle de contribuer à l’expression plas­ tique du pouvoir, qu’il s’agisse de celui, abusive­ ment confisqué, de la nobilitas républicaine ou de celui, plus symbolique mais d’autant plus efficace, qui se déchiffrera sur la scène du premier théâtre

« en dur » du Principat. On notera de surcroît que leur localisation dans un atrium est particulière­ ment éloquente : pour ces hommes dont la brigue politique est la raison d’être, le système clientélaire est essentiel et la cérémonie traditionnelle de la salutatio matinale peut revêtir chez eux, autour de l’impluvium, une dimension sans commune mesure avec celle qui se pratiquait auparavant ; un personnage comme Clodius, leader des popu­ lares et agitateur professionnel, dont l’action sociale et politique a été réévaluée en termes posi­ tifs par le regretté J.-M. Flambard, finira par considérer que l’ensemble de la plèbe de Rome constituait sa clientèle : il devait être, dans ces conditions, en mesure d’accueillir quotidienne­ ment des milliers de personnes. La seconde, et à vrai dire la plus saillante des caractéristiques de la domus de l’oligarchie de la fin de la République et pas seulement du côté des factions « populai­ res » hostiles aux optimates, c’est-à-dire aux conservateurs - est donc l’extension, qui peut revêtir des proportions énormes. A vrai dire le fait n’est pas nouveau ; une évolution en ce sens s’était engagée dès le dernier quart du IIe siècle av. J.-C., comme le rappelle une remarque précieuse de Sénèque (De beneficiis, VI, 34, 1-2) : « C’est un vieil usage chez les rois et ceux qui veulent le paraître de diviser en classes tout un peuple d’amis ; et c’est un trait propre à l’orgueil de mettre à haut prix le droit de franchir ou même de toucher son seuil et, à titre d’hon­ neur, de nous autoriser à faire sentinelle plus près de l’entrée, à poser le pied avant d’autres à l’inté­ rieur de la maison, où vient ensuite une série de portes, pour fermer l’accès aux amis. Chez nous Gracchus puis Livius Drusus, les premiers de tous, établirent l’usage de séparer leur monde par groupes et de recevoir les uns en audience privée (in secretum), d’autres en petit comité (cum pluri­ bus), d’autres en masse (universos). Ils eurent donc, ces gens-là, des amis de première classe, ils eurent des amis de seconde classe, c’est-à-dire qu’ils n’eurent jamais de vrais amis ». Si l’on fait abstraction de la tonalité moralisante de la fin du passage, l’information historique contenue dans ce texte est de premier ordre : C. Gracchus et son concurrent Drusus auraient été les inventeurs en quelque sorte d’une sélection des salutatores, selon une pyramide hiérarchique ; une telle organisa­ tion ne s’explique que si l’ampleur de la clientèle s’était accrue dans des proportions gigantesques. Parlant du fils du Drusus dont il est question ici, le célèbre tribun de 91 av. J.-C., Sénèque rappelle dans un autre de ses dialogues (De brevitate vitae, VI, 1), qu’il déambulait sur le forum « avec des masses énormes venues pour l’escorter de toute l’Italie », une partie évidemment de sa clientèle qui n’était pas seulement urbaine, au sens local du terme, mais italique. Ce même personnage

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LES DERNIERS SIECLES RÉPUBLICAINS

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imposa à l’architecte qui lui proposait de lui cons­ truire une maison qui le mît à l’abri, par ses murs périphériques, des regards indiscrets, de réaliser au contraire une demeure non seulement ouverte à tous mais entièrement visible de l’extérieur, afin, précise-t-il, que chacun pût observer à tout moment ce qu’il faisait chez lui (Velleius Paterculus, II, 14, 1-2) ; cette affectation de « transparence démocratique » n’était que la conséquence de la confusion désormais vécue au quotidien par ce genre de personnage entre les lieux publics où se prenaient normalement les décisions politiques et la maison de l’oligarque où se traitaient les affaires publiques. Nous ne connaissons rien de cette « maison de verre » de Drusus, et c’est bien dommage. Mais nous disposons sur la maison de Clodius, pour revenir à lui, d’une série de renseignements qui ont été magistralement rassemblés et exploités dans une étude récente par F. Coarelli. Les phases de son extension par acquisitions successives des propriétés adjacentes n’ont en elles-mêmes rien de surprenant : c’est toujours comme cela que se constituent, nous en avons vu divers exemples dans les villes du Vésuve, les grandes résidences urbaines. Mais ici nous changeons d’échelle. La maison de la gens Claudia, l’une des familles patri­ ciennes les plus anciennes de Rome (Clodius, pour devenir plébéien, avait abandonné la diph­ tongue), s’élevait sur le Palatin, non loin du portique que G. Lutatius Catulus avait fait cons­ truire en 101 av. J.-C. à la suite de sa victoire sur les Cimbres, et elle était voisine de celle de Cicéron. Clodius fit d’abord l’achat d’une première demeure, adjacente à la sienne, celle de Q. Seius dont Cicéron prétend qu’on l’aurait empoisonné parce qu’il refusait de la vendre (De domo sua, 115) ; puis profitant de l’exil de l’orateur en 58, dont il avait été l’un des artisans les plus ardents, le même Clodius s’empara, par l’inter­ médiaire d’un prête-nom, de la maison de Cicéron lui-même ; enfin, dernier épisode mais non le moindre, il acheta peu de temps avant sa mort la fameuse domus de M. Aemilius Scaurus, en 52 av.J.-C. Il se trouve que nous savons par Pline (HN.\ 36, 103) le prix de la transaction : 14.800.000 sesterces ; c’est, autant que nous puis­ sions en juger, la somme la plus élevée jamais payée pour une maison à Rome : il suffit de rappeler pour mesurer son énormité que Cicéron, quelque dix ans plus tôt, avait acheté la sienne 3.500.000 sesterces, soit plus de quatre fois moins (alors que le prix du terrain, compte tenu de la proximité des deux habitations, était sensible­ ment le même). Que fit Clodius de cet ensemble d’un seul tenant désormais fort étendu ? Les discours prononcés par Cicéron à son retour d’exil pour rentier dans ses possessions, et parti­ culièrement le De domo sua, permettent d’en avoir

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une idée, à ceci près, toutefois, que la maison de Scaurus, non encore acquise par Clodius, n’est pas prise en considération dans les descriptions indignées de l’orateur : réservant à son usage personnel une grande partie du terrain occupé par les demeures de Seius et de Cicéron, il en fit détruire les bâtiments pour y établir une domus qui tenait davantage du palais hellénistique que de la villa (contrairement à ce qu’on a souvent écrit) et qui comportait entre autres un long portique et un immense péristyle. Quant au portique de Catulus, monument public, il y fit inscrire son nom et le transforma en un prome­ noir. Il n’est pas sans intérêt de constater que nous retrouvons ici quelques-unes des composantes jugées indispensables par Vitruve de la maison de la nobilitas, en particulier 1’ambulatio, la « prome­ nade », et qu’elles revêtaient, comme le souhaite le théoricien, compte tenu de leur origine et de la surface disponible, l’aspect de véritables édifices publics. Suprême perfidie, Clodius fit consacrer par son beau-frère, le pontife L. Pinarius Natta, le portique de Catulus dans sa nouvelle forme et une portion de la propriété de Cicéron qui le jouxtait à la Libertas, ce qui rendait en principe cette partie de ses possessions rigoureusement inaliénable. Il ne manquait à Clodius, apparemment, qu’un immense atrium : il l’obtint en achetant la maison de Scaurus dans les conditions que nous avons rappelées. Or cette domus Aemilii Scauri, si somptueuse (tam magnifica selon Asconius, In Scaur., 23), nous en connaissons aujourd’hui l’em­ placement exact, grâce aux recherches de l’équipe de A. Carandini ; elle-même déjà cons­ truite aux dépens de deux propriétés antérieures, celle du père du personnage et celle d’Octavius, adjacente, évoquée par Cicéron dans le texte que nous avons commenté au début de ce chapitre, elle occupait, en termes de topographie moderne, l’angle formé par l’antique via sacra et l’actuel clivus Palatinus, à proximité de l’arc de Titus, donc à la base du versant du Palatin, côté Forum ; elle était en fait voisine de la grande maison d’époque archaïque, plus tard occupée par L. Licinius Crassus, dont nous avons parlé plus haut (supra, p. 36). Autrement dit elle s’inscrivait dans le lot 5 du plan de la fig. 20 p. 37. Jadis partiellement explorée par G. Boni, cette zone fit récemment l’objet d’une fouille systématique : A. Carandini a pu montrer que les vestiges diver­ sement interprétés qui en subsistent appartien­ nent à un étage souterrain, constitué de cellules dont les parois sont en opus reticulatum et le sol en fragments d’éclats de travertin mêlés de terre battue ; ces cubicula rudimentaires mais nomb­ reux (une cinquantaine) constituaient le quartier servile de la maison, \'ergastulum ; ils formaient en même temps la base d’un très vaste atrium de

60 x 90 pieds (fig. 64). Partant de la dimension des colonnes de marbre qui y avaient été transportées et qui devaient se placer aux angles de l’impluvium pour définir un puissant atrium tétrastyle, et se fondant sur les proportions que Vitruve préconise entre la longueur, la largeur et la hauteur de ce genre de structure (VI, 3, 3-6), F. Coarelli a pu, avec une marge de probabilité plus que satisfaisante, proposer de Vatrium Scauri dans sa version monumentale - celle même dont héri­ tera Clodius - une restitution en plan et en éléva­ tion : il parvient ainsi, en ajoutant à l’atrium proprement dit, le tablinum, les alae, les cubicula latéraux, les faucts et les boutiques encadrant l’en­ trée, dont les dimensions sont évidemment en rapport avec le noyau central, à définir une aire d’environ 90 x 130 pieds, soit 26,5 x 38,5 m, correspondant à une surface de 1 020 m2 ; la superficie de l'atrium seul serait de l’ordre de 473 m2 ou plutôt de 541,50 m2 si l’on y adjoint le tablinum et les alae qui en font organiquement partie ; même en éliminant l’impluvium et les bases des colonnes, la surface utile, d’environ 430 m2, se révèle capable de contenir un maxi­ mum de 2 000 à 2 500 personnes (fig. 65). A titre de comparaison, rappelons que le plus grand atrium de Pompéi, celui de la « Casa delle Nozze d’Argento », couvre 144 m2 et n’offre pas, en dépit de la taille relativement grande de son tabli­ num, une superficie utile de plus de 240 m2 avec ce dernier et les alae. Sachant que Yatrium de Scaurus intégré à la domus Clodiana ne pouvait pas être le seul, et que les maisons précédemment annexées en comptaient déjà un ou davantage, on prend la mesure des capacités d’accueil de ce genre de palais urbain. Ainsi se constitue sous nos yeux, certes sous une forme hypothétique, mais, pour la première fois, au moins approximative­ ment quantifiable, une de ces compositions spéci­ fiques voulues par la nobilitas romaine de la fin de la République où se mêlent indissolublement les prestiges de la grandeur et du luxe. Ce n’est assu­ rément pas un hasard si les mensurations ainsi obtenues correspondent à la limite supérieure envisagée par Vitruve dans l’échelle des dimen­ sions théoriques des atria : le théoricien fait état ici de son expérience personnelle de technicien constamment mêlé, de par ses fonctions, au personnel dirigeant, et il n’est pas étonnant qu’il ait ainsi défini comme le cas de figure le plus extrême l'atrium qui devait passer, aux yeux de ses contemporains, pour le plus vaste de Rome. Si l’on se souvient qu’il fut réalisé dans les années 50 av. J.-C., c’est-à-dire à une époque où Yatrium, dans les grandes maisons pompéiennes de l’aristocratie locale, a perdu, en raison des nouvelles conditions créées par la déduction colo­ niale, l’essentiel de son sens, on comprend une fois de plus, à la faveur de cet exemple, unique

Fig. 65. Plan et coupe de Vatrium

î.

les üerB1EÂS5ië CLÈS.Répijbucains

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Fig. 66. Plan restitué de la maison récemment fouillée à Rome entre Palatinus, d'après E. Papi et

Fig. 67 Coupe transversale sur la même maison, d'après E. Papi et

L’HABITAT URBAIN.

mais tellement significatif, que l’analyse de la domus ne peut se concevoir selon un schéma formel arbitrairement plaqué sur la diversité des structures, quand celles-ci vivent et se transfor­ ment au gré des fonctions politiques et sociales auxquelles elles répondent, ou ne répondent plus. Nous ne savons rien de précis, malheureuse­ ment, de la domus que Cicéron, après son exil, put récupérer et faire reconstruire selon ses goûts au même emplacement, sur le Palatin. Ce qu’il en dit en janvier 45 av. J.-C. à l’un de ses correspon­ dants est cependant digne de considération : «J’ai ici une maison qui ne le cède à aucune de mes villas, et des loisirs plus étendus que dans le plus désert des déserts ! » [ad Fam, VI, 18, 5). Cicéron semble donc désormais en possession d’une demeure qui non seulement répond aux nécessi­ tés de la vie politique, par son emplacement et son ordonnance générale, mais intègre aussi les composantes d’une villa de plaisance, et satisfait aux exigences propres à Votium. Nous retrouvons ici, avec quelque avance chronologique, des aspects que nous relèverons à Pompéi lorsque le modèle de la villa, au début de l’Empire, modi­ fiera la conception et l’usage de la domus tradi­ tionnelle [infra, p. 102 sq). Une maison récem­ ment fouillée entre la domus Publica et le clivus Palatinus, bien que relativement modeste, donne une idée des nouvelles tendances qui s’affirment ainsi dans l’habitat aristocratique vers le milieu du Ier siècle av. J.-C. ; elle occupait environ 1 000 m2 au sol, auxquels il convient d’ajouter la superficie (inconnue) d’un premier étage et un quartier en sous-œuvre (hypogée) d’au moins 200 m2 destiné à abriter les services (fig. 66). Comme la surface constructible ne permettait pas le développement d’un édifice centré sur un vaste quadriportique, les pièces d’habitation furent réparties sur les côtés nord et ouest du jardin ; mais la structure la plus significative semble être ici la substruction qui compense la pente de la via sacra et autorise l’établissement d’une terrasse d’un seul tenant pour le secteur résidentiel : dans sa conception technique comme dans sa finalité, elle répond à la basis villae, à cette partie inférieure de nombreuses villas suburbaines qui donnent aux édifices qu’el­ les supportent un relief important dans le paysage et ouvrent aux habitants des vues panoramiques. Ici le panorama est urbain, mais il conforte le dominus dans sa situation prééminente : non seulement il voit au loin, mais il est vu de loin ; il est in conspectu prope totius urbis (« exposé à la vue de presque toute la ville ») pour reprendre une expression de Cicéron [De domo sua, 100) (fig. 67). Pour conclure sur cet aspect de la Rome de la fin de la République, deux textes donnent une idée de la surface des toitures des maisons de l’oli­ garchie sénatoriale : Dion Cassius (46, 31, 3) signale qu’en février 43 av. J.-C. les sénateurs

furent appelés, afin de soutenir l’effort de guerre, à donner 4 oboles pour chacune des tuiles de leur « habitation urbaine » ; un fragment de lettre de Cicéron (Beaujeu XIV = Weissenhoff 4 = Watt 5) évalue à 60 millions de sesterces le rendement de cet impôt. Même en révisant sévèrement à la baisse cette esdmation de toute évidence trop optimiste, et en tenant compte des incertitudes qui grèvent l’équivalence entre monnaie grecque et monnaie romaine à cette époque, l’ordre de grandeur ainsi suggéré reste important : les 600 sénateurs de la curie césarienne disposaient, dans les domus dont ils étaient propriétaires ou qu’ils louaient (la précision est de Dion Cassius), d’espa­ ces couverts qui dépassaient de toute façon, et très largement, le million de m2, soit 100 ha, ce qui implique une moyenne de près de 1 700 m2 par maison, à l’exclusion des aires libres des péristy­ les, promenades et jardins. Ces chiffres, qu’il faut accepter pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire très approximatifs, permettent malgré tout de prendre la mesure de l’espace occupé par les demeures de la nobilitas dans le tissu urbain à la veille du Rrincipat, surtout si l’on songe que ces résidences se concentraient dans quelques quartiers centraux, Palatin, Caelius, Esquilin et plus rare­ ment Champ de Mars.

Domus

m o ye n n es d ’I t a lie

ce n tra le e t m é r id io n a le Nous devons aux découvertes archéologiques de ces dernières décennies l’identification de diverses maisons dans des contextes coloniaux ou municipaux qui, de l’Étrurie au Samnium, ouvrent des perspectives nouvelles, sur les voies de la romanisation et sur le mode de constitution d’élites locales qui certes ne peuvent prétendre à la mise en place de palais urbains, mais contri­ buent efficacement à la diffusion de modèles d’ar­ chitecture domestique qui sont aussi des modèles culturels. Sur le site de la colonie latine de Fregellae, fondée en 328 av. J.-C. sur la rive gauche du Liri pour servir en quelque sorte de tête de pont à la pénétration romaine en territoire samnite, les fouilles dirigées depuis une quinzaine d’années par F. Coarelli ont mis au jour un quartier d'habi­ tation à proximité du forum. Il apparait que dès la fin du rv* siècle sans doute, et en tout cas dès le début du IIIe siècle s’établissent dans cette zone des domus qui reproduisent avec rigueur le plan de la maison romaine et italique tel qu’il s’était constitué à Rome, nous l’avons vu, à partir du VI* siècle av. J.-C. C’est, en l’état actuel des connaissances, le cas le plus précoce de repro­ duction du schéma canonique hors de 1'Urbs:

Fig. 68. Plan du quartier d'habita­ tion situé près du forumà Fregellae, d'après F Coarelli. occupant des superficies moyennes de 300 à 400 m2 ces domus, dont certaines ont pu être complètement dégagées, et dont tous les éléments architecturaux et décoratifs ont été soigneuse­ ment situés et recueillis en stratigraphie - ce qui, évidemment, autorise des observations chronolo­ giques et typologiques beaucoup plus assurées que celles qui ont pu être faites sur les niveaux les plus anciens de Pompéi - présentent toutes avec des variantes minimes une ordonnance axiale centrée sur un atrium de type « toscan » élargi par deux exèdres quadrangulaires, les alae, et, face à l’entrée, par le tablinum ; dans les ailes ont été en général retrouvées des traces de laraires : on conservait évidemment dans ces petits sanctuaires domestiques, en plus des effigies en cire ou en terre cuite des divinités protectrices du foyer, les imagines maiorum, c’est-à-dire les portraits des ancêtres. La présence fréquente d’un

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LES DERNIERS SIÈCIJïS F,ŸPITPIJCAINS

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longitudinale sur la «Casa dello Scheletro »à Cosa. d'après F E. Brown.

vestibulum, structure dont nous savons qu’elle désignait dès l’entrée la maison d’un notable, et d’un hortus derrière le tablinum témoigne de la relative aisance de ces domi nobiles qui tenaient du reste à confirmer au moyen d’un décor approprié leurs qualités et éventuellement leurs états de service (fig. 68). Il est vrai qu’en première analyse les modes de construction, surtout pour les maisons les plus anciennes, peuvent donner à penser que les propriétaires disposaient de peu de moyens (fondations en blocs de calcaire mêlés à de l’argile, socles d’argile damée sur base de frag­

L’HABITAT URBAIN

ments de tuiles, pisé pour le corps des murs) ; mais, outre que ces techniques se révèlent à l’exa­ men pleinement appropriées aux ressources natu­ relles et aux besoins locaux, l’ornementation inté­ rieure dément l’impression initiale de relative pauvreté ; on y observe en effet l’emploi de Vopus signinum autour de la vasque de Yimpluvium, le recours à des pavements d’argile mêlés de cend­ res qui peuvent être assimilés au pavimentum graecanicum attesté par ailleurs dans les premières phases de certaines grandes maisons pompéien­ nes, et des revêtements muraux à panneaux et

corniches stuquées qui s’apparentent aux meilleurs exemples campaniens du Ie' style. Dans les phases successives, des frises de terre cuite à sujets historiques relataient les hauts faits du propriétaire ou de ses ancêtres ; l’ouverture sommitale du compluvium était souvent revêtue de plaques de terre cuite surmontées de simac à antéfixes qui mettaient clairement en évidence le statut social du dominus, en ce coeur de la maison où se déroulait la cérémonie de la salutatio. Certes si l’on compare, pour la fin du IIIe et le IIe siècles, les condiüons dans lesquelles se déve­ loppe cet habitat de Fregellae, la plus puissante des colonies latines fondées par la Rome médio-républicaine, avec ce que nous avons observé à Pompéi, la distance demeure grande entre ces colons et les aristocrates campaniens : le fait que les maisons des premiers n’aient pas adopté le péristyle, en dépit de leur précoce réceptivité aux décors hellénistiques, témoigne assurément, par rapport aux riches Pompéiens qui, dans le même temps, se faisaient construire de vastes résidences, d’un certain retard culturel et économique. Mais il peut être aussi le signe de la solidarité de la classe dirigeante de Fregellae qui semble avoir voulu maintenir sa cohésion et veillé à éviter toute rupture interne par un étalage excessif de la puissance et de la richesse. Le fait que la colonie ait été détruite par la volonté de Rome en 125 av. J.-C. interrompt de toute façon l’évolution de cette architecture domestique d’une remarquable rigueur. L’adoption précoce de la domus à atrium sous sa forme traditionnelle ne se vérifie en revanche nullement dans une autre colonie latine, celle de Cosa, fondée en 273 av. J.-C. sur le territoire démi­ litarisé de l’antique métropole étrusque de Vulci. On n’y rencontre que peu de vestiges d’une archi­ tecture en dur avant le début du IIe siècle av. J.-C. et beaucoup de maisons de cette époque relèvent encore du modèle à atrium testudinatum, ou plus probablement à cour centrale. Seule la « Casa dello Scheletro », dont la première phase ne remonte pas au-delà du Ier siècle av. J.-C., a pu être interprétée par les fouilleurs américains comme une maison à atrium de type classique ; initialement dépourvue d’hortus, elle finit par acquérir un jardin aux dépens d’une habitation plus ancienne (fig. 69). L’atrium, ou du moins ce que les archéologues désignent comme tel, avait un pavement de signinum avec un impluvium en opus spicatum ; sur ses longs côtés se répartissaient pièces de service et pièces de séjour mais on note que seule l’aile de droite (par rapport à l’entrée) présente un développement normal, celle de gauche étant réduite ; quant au tablinum, ou ce qui en tient lieu, il est nettement décalé par rapport à l’axe des fauces En fait il apparaît à un examen attentif que le bloc d’habitation qui, en dehors de

l’Aortas, s’inscrit dans un carré presque parfait de 17,6 m de côté, était centré sur un espace non couvert, puisque l’état du sol met en évidence une « ligne de dégouttures » (drip-line) qui prouve que l’eau tombait directement du toit des pièces adjacentes, et exclut la présence d’un compluvium plus étroit dont l’ouverture aurait correspondu à celle du bassin au sol. Les éditeurs américains, bien conscients de cette situation, n’ont cepen­ dant pu se résoudre à imaginer un schéma diffé­ rent de celui de la maison « vitruvienne » ; ils soulignent l’étrangeté de l’absence d’une char­ pente d'atrium et proposent deux raisons acciden­ telles de cette situation : ou bien l’interruption inopinée de la construction due à un changement de programme, ou bien une attaque brutale de la ville lors de la Guerre sociale, qui aurait empêché l’achèvement de l’édifice. Aussi prennent-ils le parti de le restituer comme une vraie domus à atrium « toscan » pour rendre compte de ce qu’ils considèrent comme le véritable projet (fig. 70 et 71). Mais, comme le note justement A. WallaceHadrill, les revêtements de sol des pièces latérales suggèrent que la réalisation fut poussée très loin, et sans doute à son terme. L’habitation relève en fait du schéma à cour centrale. Indépendamment de son intérêt pour la typologie des maisons d’Italie centrale à la fin de la République, cette particularité tend à prouver que le rôle assumé par les plus aisés des colons de Cosa restait modeste, et qu’ils n’ont éprouvé que rarement, autant que nous en puissions juger, le besoin de se doter de structures d’accueil pour des cérémoniaux qui, compte tenu de leur propre situation sociale, n’avaient certainement pas lieu d’être. On doit certes s'interroger sur les raisons du contraste que nous venons de relever entre Fregellae et Cosa Sans entrer dans le détail d’une analyse historique qui sortirait de notre propos, nous pouvons tout de même souligner deux faits importants : la valeur stratégique et économique de la première colonie était plus grande que celle de la seconde ; d’autre part son peuplement était sans doute issu de catégories sociales non seule­ ment plus élevées, mais plus rompues à un mode de vie urbain et les responsabilités juridiques, administratives, et aussi militaires, qui furent confiées aux dirigeants de Fregellae impliquaient une domination plus affirmée. La vocation agri­ cole de Cosa et le rapide développement des villas rustiques de rendement sur son territoire ont suscité en revanche, assez rapidement, une stagnation dans le développement de la ville, dont témoignent aussi, après les phases d’implan­ tation des IIIe-IIe siècles, les monuments publics. Sur un autre terroir d’Étrurie méridionale, Volsinii (Bolsena), municipe dont la fondation est consécutive à la destruction en 264 av. J.-C. de la « Delphes étrusque » et au transfert de sa popula-

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LES DERNIERS SIÈCLES RÉEUBUCAINS

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Fig. 70. Bloc occidental de la même maison, selonV. J. Bruno et R.T Scott.

Fig. 71. Élévation restituée de la

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tion, a longtemps vécu d’une vie ralentie, caracté­ ristique du repli et de la prostration d’une communauté déplacée, qui avait été frappée dans ses forces vives. La création, dans le second quart du 11' siècle av. J.-C., de la via Cassia qui, traversant la ville du sud-ouest vers le nordest, devient, sur son tracé urbain, le decuma­ nus maximus, redonne, à un établissement jusqu’ici peu vertébré, un axe de déve­ loppement et une nouvelle activité. Les fouilles françaises ont dégagé sur l’une des terrasses du secteur sud-oriental de la ville une domus dont l’évolution, de la fin du II* siècle av. J.-C. au début de l’époque augustéenne, témoigne de la volonté, chez ses propriétaires succes­ sifs, de suivre, avec un inévitable déca­ lage chronologique et des moyens rela­ tivement limités, les modes qui s’affirment ailleurs. Dans sa première phase cette maison, qui ouvrait directe­ ment sur la rue, sans fauces, son seuil étant simplement abrité sous un petit porche, version minimale du prothyron, s’organisait autour d’un atrium dont la vasque et la margelle de la citerne occu­ paient le centre ; malgré les difficultés d’un terrain en forte dénivellation vers le sud, les ailes latérales présentaient un développement normal, et le grand rectangle du tablinum, bien axé, complé­ tait une composition déjà canonique, l’une des plus anciennes du genre que l’on connaisse en Italie centrale. La partie méridionale des pièces adjacentes n’a pu être étudiée, car elle avait été depuis long­ temps emportée par le ravinement, mais au nord une série de salles a été dégagée, dont un grand triclinium de plus de 40 m^ qui constituait à n’en pas douter, dès le IIesiècle av. J.-C., la pièce d’ap­ parat de la maison ; ouverte sur l’aile septentrio­ nale de l'atrium, elle occupait en largeur toute la longueur du tablinum. Au début du Ier siècle av.J.C., pour remédier au manque de luminosité des pièces de service du secteur septentrional, établi au pied d’un puissant soutènement en opus quadratum qui remontait aux premiers temps de l’aménagement du site, une cour fut aménagée qui devait constituer un atriolum secondaire. Mais c’est dans la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. que se développent les installations les plus signi­ ficatives ; sur un espace extrêmement réduit, gagné vers l’est sur un quartier particulièrement encombré qui comportait, entre autres, un petit sanctuaire, fut construit un nymphée, destiné de toute évidence à compenser l’absence de péris­ tyle ; il se composait d’une sorte de « cour fraî­ che » assez étroite (4,10 x 13,30 m) close sur deux de ses côtés, à l’est et au sud, par de hautes parois

d'après A. Balland et RGros. Relevé de G. Halber.

en opus caementicium creusées respectivement de 7 et 3 niches : dans l'angle sud-est, des candisations de plomb amenaient de l’eau, sous l’imposte des niches, qui se déversait, à travers des gargouilles à masque léonin en terre cuite, dans une vasque circulaire. Les autres niches ont dû abriter des statues dont aucune trace n’a été retrouvée. Une telle installation devait entraîner la conversion du triclinium qui désormais se tourne, si l’on peut dire, vers le nymphée, sur lequel il s’ouvre au moyen d’une grande baie dont l’emplacement a été calculé pour que les convives bénéficient de la meilleure vue sur les niches et les jeux d’eau ; la pièce qui le jouxtait au nord reçut à la même époque un remarquable dallage en opus sectile, dont nous n’avons retrouvé que la phase tardive, amplement et parfois maladroitement réparée : elle pouvait jouer accessoirement le rôle d’un petit œcus en liaison directe avec le triclinium, l’en­ semble (salle à manger, salon et nymphée) composant une sorte d’annexe de plaisance, surtout pendant la période estivale, qui enrichis­ sait singulièrement l’austère domus du siècle précédent (fig. 72 et 73). Du point de vue de l’histoire de Volsinii à la fin de la République, cette maison et ses ultimes aménagements, quelque peu « bricolés » mais somme toute efficaces, permettent d’apprécier, dans un contexte qui pouvait être aisé sans accé­ der à la richesse, les effets de l’émulation sociale ; ils témoignent de la sensibilité des habitants aux schémas architecturaux, et plus encore aux modes de vie diffusés par les exemples romains ou campaniens ; plus qu’aucune autre construc­ tion, la domas que nous venons de décrire, dans la phase finale de son installation (et non pas de sa vie, car les témoignages ne manquent pas, dans

Fig. 73. Perspective isométrique de la même maison au début du Ier siècle av. J.-C. par G. Halber.

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LES.DÊRNÎtÂS SiF-CUïS RÉPUBLICAINS

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les vestiges des mosaïques en particulier, de recharges ou transformation des IIe et IIIe siècles ap. J.-C.), fait preuve d’une assimilation désor­ mais complète de ce milieu ethnique d’Étrurie méridionale, qui chercha pendant si longtemps à garder sa spécificité.

L ’h a b it a t d es classes m oyenn es e t h u m b les à la f i n d e la R é p u b liq u e Dans sa typologie sociologique déjà citée, Vitruve indique sans ambages (VI, 5, 1) : « Quant à ceux dont la situation est celle de la moyenne des gens [his qui communi suntfortuna), ils n’ont nul besoin de vestibules, ni de tablina, ni d'atria magnifiques, puisqu’ils vont chez les autres pour leur rendre leurs devoirs, et non l’inverse ». Nous sommes évidemment beaucoup moins bien renseignés sur l’habitat de ces catégories sociales, non seulement parce que, par définition, il a laissé moins de traces, ou du moins parce que l’étude de ses vestiges est en général moins grati­ fiante, mais aussi parce qu’il est très difficile, dans une société dont nous n’avons pas conservé les archives écrites (l’équivalent, par exemple, des documents notariaux ou paroissiaux pour les périodes médiévale ou moderne), d’apprécier le degré de richesse ou de pauvreté de pans entiers de la population. Les données tirées de l’analyse planimétrique et du décor peuvent rarement, à elles seules, fournir des indications précises sur la situation réelle des habitants, sur leur degré de dépendance (propriétaires ou locataires), sur leurs ressources et l’origine de ces ressources. Quand on songe par exemple qu’aucune analyse sérieuse n’a encore été conduite sur l’habitat des colons syllaniens de Pompéi on mesure le désert non seulement archéologique mais conceptuel dans lequel nous évoluons dès que nous quittons les sommets de la société balisée par des ruines évocatrices et par des prosopographies textuelles ou épigraphiques. Quant à Vitruve, bien sûr, il nous abandonne lâchement : après avoir émis l’aphorisme définitif que nous rappelions en commençant, il se garde bien d’en préciser le contenu strictement négatif et revient au plus vite à la description des « belles » maisons. Et pourtant, la gamme des habitations de Pompéi ou d’Herculanum est très diversifiée et propose un vaste éventail de solutions au problème du logement, en fonction des disponi­ bilités financières des habitants, propriétaires ou locataires. L’ouvrage, qui reste fondamental, de H. Eschebach sur le développement urbain de Pompéi, permet d’avoir rapidement une vision globale de ces formules qu’il serait abusif de défi­

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L’HABITAT URBAIN

nir comme simplifiées (par rapport à la domus réputée traditionnelle) puisqu’elles sont en fait, à bien des égards, différentes. Mais les études, si nombreuses aujourd’hui, sur la maison campanienne en ont finalement retenu peu de choses, attentives qu’elles sont pour la plupart à relever les éléments d’identification sociale, de « status Symbol », qui ne peuvent apparaître que dans l’habitat des catégories dominantes. E t trop souvent nous sommes réduits à conduire un raisonnement par défaut, appréciant le degré plus ou moins bas de tel ou tel type d’habitat moyen ou populaire en fonction de ce qui est censé lui manquer ; le danger d’une telle démarche est évident : si nous devions, à partir de critères de ce genre, apprécier les « beaux » appartements bourgeois de Paris qui, lorsqu’ils datent du siècle dernier ou du début de celui-ci, sont dépourvus de salle de bain ou ont été, au mieux, dotés d’aménagements hydrauliques resserrés dans un placard, nous devrions ranger les dits apparte­ ments à un niveau inférieur à celui des HLM de banlieue, toujours équipées de « salles d’eau »... Et notre classification serait cruellement démentie par les barèmes du marché immobilier. Nos moyens d’évaluation du caractère plus ou moins « ordinaire », ou plus ou moins « popul­ aire » de l’habitat de cette période sont en fait périlleux parce que rarement calés sur une réalité sociale qui nous échappe en grande partie. Quelques exemples nous aideront à mesurer le danger : la « Casa Sannitica » d’Herculanum, dans l’état où elle a été retrouvée, ne possède qu’un atrium et un tablinum, sans péristyle ni hortus ; privée de pièces sur le côté méridional de Yatrium, elle possède un étage desservant plusieurs chambres ; il s’agit en réalité d’une ancienne riche maison du IIe siècle av. J.-C., dont subsistent la somptueuse décoration picturale du Ier style et de belles mosaïques dans le tablinum, entre autres ; cette domus n’est que l’élément rési­ duel d’un ensemble plus vaste, dont fut détaché vers le milieu du Ier siècle ap. J.-C., en raison de vicissitudes de fortune qui nous restent obscures, un jardin qui lui donnait sa véritable respiration (fig. 74 et pl. I). Beaucoup de ces demeures qui nous apparaissent embryonnaires ou incomplètes sont à vrai dire le résultat de restructurations ou redistributions du début de l’Empire, dont nous aurons à parler, mais qui n’entrent pas dans le propos de ce chapitre. Les antagonismes de classe, les changements de propriétaires, l’avidité d’un notable soucieux d’agrandir son domaine urbain sont autant de circonstances qui brouillent irrémédiablement les typologies, ou du moins les rendent si fluctuantes dans la durée qu’il est imprudent de faire fond sur des observations ponctuelles qui se révèlent souvent superficielles. Pour les mêmes raisons, on doit inversement aller

chercher dans certaines vastes domus pourvues de plusieurs entrées la trace d’habitations plus modestes qui ont été intégrées tardivement à une propriété aux articulations complexes : ainsi l’une des composantes de la « Casa dell’Efebo » à Pompéi, dont nous examinerons (infra, p. 106) le stade ultime, appartient à un type assez fréquem­ ment représenté dans les villes du Vésuve, qui est celui de la maison à fauces et atrium testudinatum ; munie d’un tablinum et d’une petite cour à l’ar­ rière, elle disposait d’un étage dont l’extension était facilitée par la couverture de Yatrium, mais qui, compte tenu des dimensions restreintes de l’emprise au sol, n’oflrait pas de grandes possibi­ lités d’accueil (fig. 75). L’absence d’atrium canonique et de péristyle n’est, enfin, pas toujours le signe d’une situation économique de dépendance ou d’un niveau social médiocre. Des maisons comme celles de Pinarius Cerialis ou d’Acceptus et d’Euhodia, en dépit de leur aspect plutôt modeste et en tout cas atypique, n’appartenaient pas à des gens mal lotis et encore moins à des couches défavorisées : dans la première (fig. 76), qui occupe moins de 275 m2 au sol et qui n’a pu développer qu’une cour modeste entourée sur deux de ses côtés par une brève colonnade, l’un des cubicula (a) possède l’une des fresques les plus belles du IVe style pompéien et l’un des salons (el) a livré une cassette remplie de pierres précieuses ou semiprécieuses dont l’état de finition était variable ; ce qui prouve que, du moins pendant la dernière phase, cette domus était occupée par un joaillier plutôt aisé. La seconde, en dépit de ses dimen­ sions encore plus réduites, s’ordonnait autour d’un petit hortus pourvu d’un triclinium d’été, ce

qui suppose un certain raffinement dans la vie familiale ou sociale. Il est cependant possible d’identifier à coup sûr des maisons qui furent conçues dès le départ pour ou par des gens modestes, et sont restées telles. Deux catégories ont été à ce jour identi­ fiées, dont il faut tenter d’évaluer la validité, aussi bien typologique que structurelle. La première est celle des maisons dont Yatrium est dépourvu de pièces sur les longs côtés. E. M. Evans leur a consacré une étude ; il a pu être calculé que sur un échantillon de 200 maisons pompéiennes un cinquième à peu près

Fig. 75. La «Casa dell'Efebo »à «Casa di Amandio o di Fabio »(à

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Fig. 76. Plan de la « Casa di Pinarius Cerialis ».

répondait à cette définition en ce qu’elles comp­ taient un nombre nul ou très restreint de pièces de séjour autour de l’aire centrale de Yatrium, qui en venait ainsi à occuper une grande partie de la surface du rez-de-chaussée. Beaucoup d’entre elles remontent au II' siècle av. J.-C. et plusieurs étaient munies d’un étage, où l’on doit raisonna­ blement situer le logement de la famille. Les exemples les plus nombreux en ont été relevés dans les régions V et IX de Pompéi, et presque toutes les unités d’habitation de l’ilot 16 de la région I appartiennent à cette catégorie. Pour autant ces maisons pouvaient être assez étendues et posséder un jardin : c’est le cas de la « Casa dei Ceii », dont Yatrium tétrastyle occupe certes toute la largeur, mais dont les annexes antérieures et postérieures, pourvues d’un étage, pouvaient accueillir dans des conditions relativement satis­ faisantes une famille assez nombreuse (fig. 77). Un cas particulier est celui de la « Casa délia Fullonica», à Herculanum (fig. 78) : privée de jardin, elle présente un plan allongé du fait de la succession de deux petits atria ; le premier, disposé transversalement, semble avoir été testu­ dinatum cependant que le second, du type « toscan », était dépourvu de pièces sur son long côté occidental ; la rareté des salles de séjour ou de repos ne témoigne pas en faveur d’une aisance très grande, même si des décors rémanents du I" style montrent que toute recherche n’en était pas bannie. Comme beaucoup de demeures populai­ res celle-ci fut transformée au Ier siècle ap. J.-C. en un atelier, au moins pour ce qui est de sa partie antérieure, en l’occurrence une fullonica, c’est-àdire une laverie-teinturerie. L’atrium transversal et couvert de cette dernière maison est comparable à celui qui carac­

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térise, selon A. Hoffmann, une série d’habitations caractéristiques d’une classe moyenne qui a certes la possibilité d’accéder à la propriété, mais qui ne peut s’offrir une domus canonique, dont e lle n ’au­ rait du reste rien à faire. Un groupe d e ces maisons de dimensions modestes, ordonnées de part et d’autre d’un espace disposé dans le sens de la largeur par rapport aux fauces et qui étaient pourvues d’un étage reproduisant le plan d u rezde-chaussée a été identifié par cet archéologue dans la région I de Pompéi (I, 11, 12-15) (fig. 12). Datées de la fin du IIe siècle av. J.-C., o u si l’on retient l’hypothèse de P. Zänker qui y verrait volontiers des maisons de la période coloniale, du premier quart du I" siècle av. J.-C., elles posent tout de même quelques problèmes, le plus im p o r­ tant étant celui de la couverture de leur espace central : nous avons dit plus haut (supra, p . 32) que S. C. Nappo avait pu démontrer qu’e n fait l’espace en question était découvert, ce qui limite singulièrement l’extension du niveau supérieur ; A. Zaccaria Ruggiu avait du reste déjà ém is de sérieuses réserves sur la validité de la restitution de A. Hoffmann, essentiellement fondées sur les proportions en plan du prétendu atrium testudina­ tum. Il reste que ces petites unités d’habitation disposées en batterie selon un schéma identique, et munies d’un hortus qui peut pourvoir aux besoins quotidiens d’une famille restreinte, auto­ risent, en dépit des incertitudes relatives à leur élévation, à définir pour la première fois une caté­ gorie qui semble obéir à une typologie spécifique. C’est, en soi, un petit événement épistémolo­ gique : il existerait donc à Pompéi un habitat populaire qui ne devrait rien, ni par excès ni par défaut, au type de la domus à atrium et relèverait d’une formule différente dont le caractère princi­ pal serait la présence d’une cour centrale. Si l’on descend encore dans l’échelle sociale on rencontre des maisons aux dimensions nette­ ment plus réduites puisqu’elles ne couvrent guère plus de 100 m2 ; observées jadis par J. Overbeck, et opportunément réexaminées par E. De Albentiis, elles sont situées pour certaines d’entre elles, d’une façon inattendue, au cœur du quartier le plus résidentiel de Pompéi, la région VI, ce qui a fait supposer à H. Eschebach qu’elles prove­ naient du démantèlement de domus de l’époque samnite. Il est difficile de démêler, au vu des maigres vestiges qui en subsistent, s’il s’agit vrai­ ment d’unités d’habitation ou de petits ateliers. On peut admettre toutefois que la maison VI, 2, 29, qui possédait une cuisine et une latrine, était une maison : une petite entrée couverte (1), donnait accès à un premier cubiculum (3) puis à deux pièces un peu moins étroites (4 et 6) ; un escalier (2) permettait de gagner l’étage cepen­ dant qu’un corridor (5) longeait tout le long côté. L’obscurité qui régnait sur l’ensemble, compte

Fig. 77. Restitution axonométrique D. Michel. tenu de l’absence de toute prise d’air ou de lumière, devait en rendre le séjour plutôt triste, même si l’on admet qu’en dehors de la porte d’entrée quelques fenêtres pouvaient être ouver­ tes dans les deux pièces les plus grandes qui avaient en principe vue sur l’élégant jardin contigu de la « Casa di Sallustio ». Il n’est pas impossible que le propriétaire (ou le locataire) de cette maison ait compté au nombre des clients de l’un des notables du même îlot ou d’un îlot voisin (fig. 79). On ne saurait oublier, enfin, les formes d’ha­ bitat qui n’ont laissé presque aucune trace, et qui abritaient un nombre important de personnes. Parmi celles-ci, la mezzanine établie dans les boutiques, la pergola, doit être prise en considéra­ tion ; elle servait de chambre à coucher aux escla­ ves, affranchis, ou même ingénus qui y tenaient commerce, pour le compte, en général, des propriétaires des domus dans les façades desquel­ les ces boutiques étaient encastrées. Ce mode de

Fig. 78. Plan de la «Casa délia Fullonica »à Herculanum, d'après

1. , LESBERNÎERSSIÈCLES RÉPUBLICAINS

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Fig. 79. Plan de la maisonVI, 2, 29 de Pompéi, è proximité de la Maison de Salluste, d'après J. Overbeck.

logement plus que sommaire, qui s’apparenterait plutôt, à nos yeux, à un campement, n’avait aucun caractère temporaire : il pouvait servir, et pour longtemps, à une famille entière. Le fils de boutiquier, dans la Rome des derniers siècles républicains, était, de par sa condition, natus in pergola ; c’était une des expressions par lesquelles on désignait les gens d’humble extraction, et qui, dans une société où les antécédents familiaux avaient tellement de poids, bourdonnait long­ temps comme un reproche ou une moquerie aux oreilles de ceux qui avaient vécu dans un de ces demi-étages, où seuls les enfants pouvaient se tenir debout. Mais pour avoir une idée plus claire de la façon dont la masse des gens sans ressources trou­ vait à se loger, il faut quitter Pompéi et venir à Rome. Certes, pour la période qui nous occupe ici, les témoignages archéologiques de l’habitat populaire sont pratiquement inexistants, et il est du reste admis, dans les visions diachroniques de l’Urbs qui sont le plus souvent proposées, que les immeubles de rapport à étages où s’accumulent des appartements plus ou moins exigus demeu­ rent inconnus de la trame urbaine avant l’époque impériale et même, si l’on en juge par l’exemple d’Ostie, avant le IIe siècle ap. J.-C. C’est une erreur que de nombreux indices permettent de corriger. Dès la fin du IIIe siècle av. J.-C., l’accu­ mulation d’une population de plus en plus dense sur un espace dont les possibilités d’extension restaient limitées par les moyens de circulation et de distribution de l’époque, avait créé à Rome une tendance à l’entassement vertical des loge­ ments. Deux textes nous donnent de la ville et des conditions dans lesquelles le problème de la surpopulation est, sinon résolu, du moins affronté, une image saisissante ; ils datent tous deux du Ier siècle av. J.-C. et présentent évidem­ ment l’aboutissement d’une évolution plutôt que le début d’un processus. Le premier se trouve dans un discours que Cicéron prononça en 63 av. J.-C. (De lege agraria, II, 96) : il y évoque les rues étroites de la capitale, où certains appartements

paraissent suspendus au-dessus du promeneur en de dangereux surplombs, à cause de la multipli­ cation des étages. Le second est une notice vitruvienne (De architectura, II, 8, 17), qui mérite une citation intégrale : « Vu l’importance de la Ville et l’extrême densité de la population, il est néces­ saire que l’on multiplie, en nombre incalculable (,innumerabiles), les appartements. Comme des immeubles à un seul rez-de-chaussée ne sauraient accueillir une telle masse d’habitants, force a été, eu égard à cette situation, de recourir à des cons­ tructions en hauteur (ad auxilium altitudinis aedifi­ ciorum). On élève donc ces bâtiments avec des piliers de pierre, une maçonnerie à parements de briques, des murs en moellons (pilis lapideis, struc­ turis testaceis, parietibus caementiciis) ; ils sont planchéifiés en de nombreux étages et offrent ainsi une distribution extrêmement utile en habita­ tions. Grâce donc à ces différents logements dont une quantité a été construite en hauteur, le peuple romain trouve, sans difficulté, d’excellentes habi­ tations dans l’enceinte de la Ville ». Cette présen­ tation optimiste, caractéristique d’un architecte professionnel qui ne se résout que difficilement à admettre les situations négatives, voire catastro­ phiques, que ses collègues ont contribué à créer que l’on songe à certains panégyriques, encore récemment rédigés par des praticiens ayant pignon sur rue, à propos des « immeublesbarres » construits dans les banlieues de nos villes au cours des années 60 - contredit en partie le jugement négatif de Cicéron. Mais elle ne saurait faire illusion : Vitruve présente une image idéale de l’immeuble de rapport, solidement établi sur des piliers de travertin et maçonné jusqu’à son sommet en opus caementicium -, il multiplie les termes techniques qui définissent les niveaux d’occupation supérieurs, la contignatio (solivage), la coaxatio (planchéiage), où se répartissent les appartements des étages (cenacula) ; mais le terme même de cenaculum, dont Varron (De lingua latina, V, 162) rappelle, en se fondant sur l’étymologie (le mot est effectivement de la même famille que cenare), qu’il a d’abord désigné l’endroit, dans la domus, où la famille prenait ses repas, la « salle à manger », avant de s’appliquer d’une manière indifférenciée à toutes les pièces situées à l’étage d’une maison, signifie clairement que les apparte­ ments en question sont constitués, au mieux, de deux ou trois pièces et plus souvent d’une seule. Et le théoricien ne parle pas des baraques en matériaux légers qui s’entassent fréquemment audessus des immeubles eux-mêmes, pour en augmenter la capacité d’accueil, et où l’incendie est prompt à se répandre. A vrai dire il évoque à mots couverts ce type d’installation sommaire et abusive lorsqu’il mentionne plus bas, parmi les techniques de construction, Yopus craticium qui consiste, comme

son nom l’indique, en un clayonnage (crates) fait d’une armature de pieux ou poteaux verticaux et horizontaux dont les intervalles sont remplis par de l’argile ou du torchis (clayonnage « hourdé ») ; il précise tout de suite qu’il souhaiterait que ce mode de construction n’eût jamais été inventé, tant il est vulnérable au feu (II, 8, 20). Les raisons de son emploi, énoncées dans le même passage, disent bien qu’au temps de Vitruve déjà existaient dans ou sur les immeubles de rapport des structu­ res de ce genre : ce sont la hâte, le manque d’ar­ gent et la recherche de l’allégement pour les cloi­ sonnements en porte-à-faux, trois facteurs qui, effectivement, conduisent à ces choix dangereux, dans un climat où la spéculation des uns et la pauvreté des autres conduisent à l’empilement des cenacula, ou de ce qui en tient lieu. Paradoxalement c’est Herculanum qui offre pour le Ier siècle av. J.-C. l’exemplaire le mieux conservé d’une maison de rapport construite inté­ gralement selon cette technique à la fois légère et économique (pl. V). Certes l’échelle en demeure modeste puisqu’elle ne comporte que deux niveaux, mais sa disposition, remarquablement lisible, donne une idée de la façon dont les appar­ tements se répartissaient : l’étage supérieur se prolonge au-dessus du trottoir en une sorte de balcon qui devra être étayé après le tremblement de terre de 62 par trois colonnes de briques. Trois entrées s’ouvraient sur le petit côté : celle du n° 13 conduit directement par un escalier à l’un des cenacula de l’étage ; celle du n° 14 donne accès à un couloir qui règne en formant un coude sur toute la longueur du rez-de-chaussée et dessert les unités d’habitation de ce niveau ; celle du n° 15 correspond à une boutique, elle-même dépen­ dante d’un appartement situé à l’arrière (fig. 80). L’ensemble recevait un peu d’air et de lumière grâce à une courette en position centrale : les appartements adjacents des deux niveaux s’ouv­ rent sur elle, par de larges fenêtres (fig. 81). Même si l’on a retrouvé dans les chambres du haut des panneaux peints (du IVe style, c’est-à-dire de la dernière phase de la vie de la cité), il faut admet­ tre que cette typologie édilitaire, réservée aux catégories les moins favorisées de la population, anticipe sur les insulae dont Rome et Ostie offri­ ront bientôt de nombreux exemples. Naples, à la même époque, devait déjà en posséder divers échantillons, et à la réflexion il apparaît que si un tel « immeuble » se rencontre à Herculanum et non pas à Pompéi, c’est parce que la petite ville consacrée à Héraclès était à bien des égards un faubourg de la grande Neapolis. En ce qui concerne Rome, sans tomber dans un pessimisme excessif, on peut raisonnablement considérer que la vision cicéronienne est plus proche de la réalité des quartiers populaires de Rome que celle de Vitruve, et l’on sait qu’environ

un quart de siècle après la publication du De archi­ tectura Auguste devra intervenir personnellement pour limiter pour des raisons de sécurité la hauteur des immeubles qui désormais ne devrait pas dépasser 70 pieds, soit environ 20 m ou l’équivalent de sept à huit niveaux (Strabon, V, 3, 7). De toute façon Rome vivait déjà depuis long­ temps, et avec des difficultés croissantes, le problème de la surpopulation ; le confinement dans les étages n’était pas, pour les classes les moins favorisées, un phénomène nouveau. TiteLive (21, 62, 3) rapporte qu’en 218 av. J.-C. un bœuf était monté au troisième niveau d’une habi­ tation du Forum Boarium ; ce « prodige », évidem­ ment tiré par l’historien des registres pontificaux, et donc réel, témoigne de la présence d’immeu­ bles, au sens moderne du terme, dès la fin du IIIe siècle av. J.-C. Pour la période suivante, un texte de Diodore de Sicile (30, 18, 2) relate les condi­ tions dans lesquelles Ptolémée VI Philométor, chassé d’Alexandrie par son frère, fut hébergé à Rome, où il s’était réfugié en 164 av. J.-C., par un peintre grec nommé Démétrios ; ce dernier ne put lui offrir un logis bien confortable étant donné que lui-même occupait, « en raison du prix élevé des maisons », un modeste appartement à bon marché dans les étages. En 144 av. J.-C., la cons­ truction de 1'Aqua Marcia, le plus grand aqueduc réalisé dans 1'Urbs, fut motivée par l’accroisse­ ment rapide de la population ; Frontin (De aquaecL, VII, 3) précisera qu’en raison de l’ur­ gence l’opération fut confiée exceptionnellement à un préteur. Et Cicéron mentionne (De Officiis, III, 65-66) l’obligation faite par le collège des augures, en 91 av. J.-C., à un propriétaire du nom de Centumalus, d’abattre la partie haute d’un des ses immeubles, qui gênait la prise des auspices depuis Yauguraculum de YArx. Mais ce qui doit être retenu du texte vitruvien, lequel demeure en toute hypothèse le plus précis dont nous disposions sur la question, c’est la terminologie des maçonneries utilisées dans ces immeubles à plusieurs étages et la définition corollaire des techniques mises en œuvre : ce n’est assurément pas un hasard si parmi les rares mentions positives que le théoricien fait de la structura caementicia et de l’emploi de la brique cuite en parement, figurent celles-ci, qui s’appli­ quent à la construction privée. Dans sa réévalua­ tion chronologique de l’évolution de Vopus caementidum F. Coarelli a souligné que dans les derniers siècles républicains les édifices publics, et particulièrement les temples, restaient majori­ tairement construits, dans YUrbs, en opus quadra­ tum. Il est clair - et le texte du De architectura en est un indice supplémentaire - que les nouvelles techniques de l’architecture moulée et de ses parements ont d’abord été massivement exploi­ tées pour les immeubles privés, auxquels elles

I ilÆS/PERNIER^ÈWlfWWÊÇVroUCAINS

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garantissaient la rapidité, et, pour les niveaux inférieurs au moins, la solidité. Mais Vitruve précise dans le même chapitre que les murs édifiés avec ce type de maçonnerie sont sujets à des lézardes ou à des fractures du fait de la hâte avec laquelle ils sont montés (II, 8, 7) ; les commentateurs ont souvent mis cette remarque sur le compte, soit du dénigrement systématique dont le théoricien se rendrait coupable à l’égard d’une pratique « moderne » de l’architecture, soit de la relative inexpérience des entrepreneurs ou des maçons de son temps face à des techniques d’élaboration encore récente. Ces deux observa­ tions font bon marché d’une autre réalité, qui, elle, est historiquement bien attestée, à savoir la spéculation ; Vitruve signale du reste (II, 8,8) que la jurisprudence de son époque stipulait qu’audelà de 80 ans ces constructions pouvaient être considérées comme caduques ou dangereuses. Ce qui nous manque pour apprécier en termes concrets les conditions de vie des locatai­ res dans les immeubles de rapport de la Rome de la fin de la République, ce sont des données chif­ frées permettant d’évaluer la place du loyer dans le budget des travailleurs manuels, par exemple. Quelques indications peuvent être toutefois rapprochées avec prudence : Cicéron laisse entendre que le salaire moyen journalier d’un

Fig. 80. Rez-de-chaussée (en haut) et étage de la «Casa a Graticcio »

ouvrier est de 3 sesterces (12 as) (Pro Roscio Comoedo, 28) et nous savons par ailleurs qu’un habitat « modeste » (mais que faut-il entendre par là ? ) se loue dans 1'Urbs pour environ 2 000 sesterces par an s’il est à l’étage et 3 000 s’il est au rez-de-chaussée (Plutarque, Sylla, I, 6 ; Suétone, Divus Julius, 38, 3) ; c’est-à-dire que les « petites gens » ne pouvaient prétendre qu’à des abris sommaires ou précaires, qui n’avaient rien à voir avec ce que nous entendons aujourd’hui par un « appartement ». En fait, dès le début du I" siècle av. J.-C . - et sans doute auparavant, mais les données nous font défaut - dans le climat troublé des guerres civiles où les destructions et les expropriations se multiplient, où la population continue d’augmen­ ter malgré la raréfaction des surfaces disponibles, où la précarité d’un grand nombre de bâtisses et l’absence ou l’insuffisance des dispositifs de sécurité transforment souvent le moindre sinistre en catastrophe, toutes les conditions sont réunies pour que se déploie une spéculation effrénée, qui fausse définitivement le jeu, au profit de ceux qui disposent d’argent frais. Si l’on en croit Plutarque (Crassus, 2, 5-6) Crassus était un maître dans le genre : il maintenait en état d’alerte permanente une petite armée de cinq cents esclaves, qui rebâ­ tissaient à peu de frais des immeubles de rapport.

Fig. 81. Restitution de la «Casa a A. Maiuri.

sur les terrains où s’étaient produits des incendies ou des écroulements, et que leur maître avait préalablement rachetés à bas pris. Un récit comme celui-ci nous aide à comprendre ce qu’a signifié la rapide diffusion de Vopus reticulatum dans les premières décennies du Ier siècle av. J.-C. : la mise au point d’un parement aux éléments standardisés qui pouvaient être fabri­ qués en grande série par une main-d’œuvre peu ou faiblement qualifiée, constituait évidemment un avantage considérable pour qui avait besoin de construire vite et avec un minimum d’artisans spécialisés. Alors que Yopus incertum requérait encore de la part des maçons une finition dans œuvre, avec de nombreuses retouches de détail pour que la mosaïque du parement fut aussi cohé­ rente que possible, le réticulé pouvait se monter « à la chaîne » en quelque sorte, avec une organi­ sation du travail rationnelle où chaque équipe travaillait indépendamment des autres. Tant il est vrai que dans le domaine du bâtiment, à Rome comme ailleurs, le facteur de l’évolution doit toujours être cherché dans la logique économique des modes de production - en l’occurrence, pour

les activités édilitaires de Crassus, dans l’exploita­ tion d’un personnel d’origine servile - plutôt que dans un hypothétique progrès technique ou esthéLe tableau plus général présenté par Strabon, dans un passage sans doute inspiré de YHistoire de Pompée de Posidonius, et qui s’applique donc encore à la première moitié du Ier siècle av. J.-C. (V, 3, 7) oblige à admettre que ce type d’activité n’avait d’exceptionnel, dans le cas de Crassus, que l’énormité des moyens mis en œuvre ; bien d’autres que lui s’y livraient avec profit puisque, dit le Géographe, « les ventes et les reventes d’im­ meubles se succèdent sans interruption et équiva­ lent en quelque manière à des effondrements volontaires, puisque les nouveaux acquéreurs démolissent les unes après les autres les maisons qu’ils achètent pour en reconstruire d’autres à leur place ». Une telle situation, où l’on imagine que les locataires se trouvent ballottés, au gré du marché, ou du bon vouloir des possédants, d’un immeuble à l’autre - ce sont les seules personnes dont il ne soit jamais question dans les textes n’offrait évidemment que des avantages pour les

1.

ILES DERNIERS SÎÈCIÆS RÉPUBLICAINS

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propriétaires des grands domaines, dans le Ladum ou en Étrurie, où les carrières de tuf, de pépérin ou de travertin pouvaient être intensé­ ment exploitées ; ces gens étaient d’ailleurs, en général, les mêmes que les spéculateurs immobi­ liers ! Aussi Strabon souligne-t-il dans le même passage que la Ville faisait aisément face aux immenses besoins en matériaux, bois et pierre, entraînés par les continuels « effondrements ou incendies » (des immeubles d’habitadon, cela va sans dire). Toutefois la demande semble s’être amplifiée dans de telles proportions que l’usage se répandit assez vite de réutiliser les éléments provenant des démolitions : Vitruve (II, 8, 19) recommande par exemple la récupération systé­ matique des tuiles usagées, plus sûres, affirme-t-il, que les tuiles neuves en ce qui concerne la résis­ tance aux intempéries. L’abandon de Rome par Pompée en 49 av. J.-C., la crainte de nouvelles déprédations ou confiscations de la part des Césariens, suscitent une chute verticale de la valeur des terrains et interrompent temporairement la rentrée d’un grand nombre de loyers, l’exode de certains loca­ taires encourageant les autres à observer, sans l’avis ni l’accord des propriétaires, une sorte de moratoire ; celui-ci du reste sera légalisé par César en 47 (Suétone, Divus Julius, 38, 3). Cette nouvelle péripétie ralentit sans les supprimer les pratiques spéculatives. L’attitude de Pomponius Atticus est pleine d’enseignements à cet égard : lui qui a investi quelques années auparavant d’énormes capitaux dans des immeubles de rapport à Rome n’apprécie guère cette subite perte d’argent (Cornelius Nepos, Atticus, XIV, 3) ; mais il va retrouver dès le mois de mars 49 le moyen de profiter de la situation, car la pénurie

du numéraire, dans une ville où toutes les trans­ actions semblent gelées (Cicéron, Ad Attic, IX, 9, 4), favorise ceux qui, comme lui, peuvent encore disposer de liquidités importantes : la baisse verti­ gineuse des prix de l’immobilier - dont il sait bien qu’elle n’est que passagère - lui permet d ’arron­ dir aux meilleures conditions ses possessions urbaines et suburbaines, et lui promet de jolis bénéfices lorsque tout sera rentré dans l’ordre. Il faudrait à vrai dire, pour comprendre les méca­ nismes financiers et les intérêts politiques inextri­ cablement mêlés qui régissent en ces années trou­ blées les profondes modifications subies par de nombreux quartiers de Rome investis depuis longtemps par l’habitat populaire, pouvoir suivre jour après jour la Correspondance de Cicéron ; mais cette lecture, pour passionnante qu’elle soit, nous obligerait à sortir quelque peu du cadre de nos réflexions architecturales. Retenons au moins du rappel trop rapide de ces épisodes qu’on ne saurait prétendre avoir une idée claire de la situa­ tion de l’immobilier dans une agglomération comme la Rome de la fin de la République sans acquérir une connaissance aussi précise que possible de ce qu’on appelle aujourd’hui en termes politiquement corrects la « conjoncture ». Il importe aussi de comprendre que l’autre consé­ quence d’un tel état de fait - la mieux documen­ tée par la tradition, sinon la plus importante du point de vue social - est l’accroissement expo­ nentiel du luxe des demeures de la nobilitas, ou du moins de ce qu’il en reste. Nous avons vu, au chapitre précédent, cet aspect de la question, et la façon dont certaines résidences du Palatin revê­ tent, pour reprendre une expression suggestive de Strabon (V, 2,5), l’allure de palais de rois persans.

B I B L I O G R A P H I E

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L’HABITAT URBAIN

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deux premiers siècles de l’Empire.

Chapitre 2. L e s

R om e et Italie

La

domus

a u d é b u t d e l ’E m p ir e . Tradition et nouveautés dans l ’Italie du I er siècle. L ’exemple de l ’Italie du Nord Les mutations introduites par le régime du Principat dans l’exercice et la répartition des pouvoirs au plus haut niveau, les transformations économiques qui s’amorcent dans le même temps, avec l’émergence des provinces hispa­ niques et de la Gaule Narbonnaise dans le jeu des échanges en Méditerranée occidentale consti­ tuent des phénomènes trop lointains ou trop lents pour provoquer un bouleversement rapide des élites italiennes. Ceux qui, à la fin de la République, étaient volontiers désignés par l’ex­ pression domi nobiles (les « nobles » chez eux) vont progressivement être qualifiés de « premiers » (proceres, primates, primores), et conserver l’essentiel de leurs prérogatives traditionnelles pour peu qu’ils aient pu sauver, dans la tourmente des guer­ res civiles, la base foncière de leur richesse. S’il est vrai que les troubles ont entraîné sporadique­ ment l'extinction ou le remplacement de certains représentants des anciennes classes dirigeantes à l’échelon local ou régional, les premiers Empereurs n’ont manifesté aucune volonté d’éli­ mination systématique. En Italie comme dans les provinces, Auguste et les Julio-Claudiens avaient trop besoin de ces relais afin d’assurer leur emprise territoriale pour se livrer en ce domaine à des actions violentes et prolongées. Qu’elles soient récentes ou qu’elles appartiennent à des familles anciennement implantées, les classes aisées des municipes et des colonies vont rapide­ ment tirer le meilleur parti, politique aussi bien qu’économique, de la nouvelle situation ; celle-ci,

du fait du rétablissement durable de la paix civile, et de l’élargissement des circuits commerciaux, ne pouvait effectivement que leur être favorable. D’autant que les lois locales et les mesures impé­ riales tendent à fixer, pour les carrières des nota­ bles, des règles strictes qui ne nuisent nullement à la continuité des « dynasties » : les inscriptions font état pour cette période d’élections de fils d’aristocrates qui bénéficient du prestige familial, cependant que les fils d’affranchis enrichis, obte­ nant ainsi des honneurs auxquels leurs pères n’avaient pas eu accès, entrent plus fréquemment dans les cursus municipaux. Il est évidemment difficile d’établir une rela­ tion directe entre ces phénomènes historiques et l’évolution de la domus en Italie. Dans la mesure même où aucune rupture sensible ne peut être, en général, enregistrée dans la vie des communautés urbaines, quel qu’en soit le statut, seules les chro­ nologies fondées sur les données de la fouille, les particularités du décor ou les techniques de cons­ truction autorisent à dater une domus plutôt du premier siècle impérial que du dernier siècle républicain. Et comme, de surcroît, les maisons intégralement dégagées et publiées demeurent pour cette période assez rares, hors des villes du Vésuve, nos critères d’appréciation s’avèrent faiblement opératoires ; ils interdisent toute tenta­ tive de généralisation qui serait, en l’état actuel Plusieurs cas cependant méritent un examen, en ce qu’ils permettent de comprendre comment s’amorce un processus de transformation, qui certes s’avère à la fois lent et non uniforme selon les terroirs, mais qui reste parfaitement décelable et va entraîner sur le long terme des conséquen­ ces irréversibles sur la conception et l’usage de la domus. Les exemples les plus dignes d’attention se trouvent réunis dans l’Italie du Nord, et plus précisément dans un arc qui joint la côte ligure à

2. Les d e u x p rem ie rs siA c les d e hIE m uri., R o m e e t I ta l ie

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en plan de la « Casa degll Affreschi » de Luni, d'après A. Frova et A. Zaccaria Ruggiu.

la côte nord de l’Adriatique ; la raison en est plus conjoncturelle qu’historique : ce sont là des régions où se sont développées au cours de ces dernières décennies des recherches nombreuses,

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L’habitat urbaiji

soit sur des sites permettant de larges dégage­ ments, comme à Luni ou Aquilée, soit dans le cadre d’une archéologie urbaine plus circonscrite dans le temps et dans l’espace mais non moins féconde, comme à Vérone. Le cas le plus clair sinon le plus significatif nous paraît être celui de la « Casa degli Affreschi » à Luni (Luna), colonie fondée au début du IIe siècle av. J.-C. sur la côte ligure au pied des Alpes Apuanes. Immédiatement au sud du forum fut construite, à une date indéterminée dans le I” siècle av. J.-C., mais probablement dans la première moitié de ce siècle, une domus dont la porte ouvrait sous le portique qui longeait à cet endroit un decumanus secondaire ; en cette phase initiale le corridor (fauces) conduisait canonique­ ment à un atrium qui, selon une formule que nous avons déjà rencontrée (supra, p. 82 sq.), ne comportait aucune pièce ou annexe latérale et ne s’élargissait pas, en outre, en alae\ seule une grande salle en position transversale faisait office de tablinum. Pour le reste, on dispose de peu d’in­ formations, sinon qu’un jardin assez ample occu­ pait tout le long côté ouest de la maison ; il est possible qu’il ait comporté dès cette époque un portique d’un type particulier sur trois de ses côtés, dont les colonnes étaient reliées entre elles par un mur diaphragme percé de fenêtres (fig. 82). Les choses commencent à devenir inté­ ressantes dans les années 40 ap. J.-C. : tout de suite après le règne de Tibère, la maison s’agran­ dit et se transforme. La première modification consiste en la subdivision en pièces de service de la surface de Vatrium d’époque républicaine et en la partition de l’aire de l’ancien hortus entre un jardin divisé en quatre parterres et un autre, à l’est, entouré de portiques du même type que les précédents mais séparé de son voisin occidental (fig. 83 et 84). Cette attention portée aux viridaria semble inséparable de la mise hors d’usage de l’ancien atrium ; nous pourrions en tirer une conclusion radicale sur la déshérence rapide des structures traditionnelles de représentation au profit des espaces d’agrément. Ce serait aller trop vite en besogne, car les recherches conduites par l’équipe de A. Frova ont montré qu’au même moment ou peu d’années plus tard, sous l’empla­ cement d’une petite place publique de date un peu plus récente, un nouvel atrium avait été cons­ truit, à l’extrémité nord-ouest de la domus : plus grand que le précédent (14 x 9,5 m au lieu de 11 x 8 m pour la structure tardo-républicaine), lui aussi de type « toscan », il possédait une vasque centrale d'impluvium revêtue autrefois de plaques de marbre ; une exèdre latérale qui possède le même type de dallage que Yatrium (petits éclats de marbre noyés dans un tapis blanchâtre avec des files parallèles de plaques marmoréennes d'origine italienne, grecque ou africaine) a pu être

identifiée comme son aile occidentale ; à ce stade de la construction, la grande pièce (n° 3 du plan, fig. 85) ouverte sur l’axe de l'atrium faisait évidemment fonction de tablinum ; mais celui-ci ouvrait déjà, par une baie qui semble avoir été symétrique de celle du côté ouest, vers le jardin situé à l’est sur lequel il avait vue à travers un portique de quatre colonnes. L’analyse conduite par A. Zaccaria Ruggiu permet de saisir dans la démarche apparemment déconcertante qui carac­ térise la seconde phase de cette domus une période de transition symptomatique des change­ ments qui sont à l’œuvre dans la façon d’utiliser la maison traditionnelle : pas plus le second que le premier atrium n’est pourvu d’une citerne avec margelle de puisage ; autant dire que la fonction utilitaire de l’un comme de l’autre est déjà bien restreinte ; il reste qu’on tient encore à disposer de ce genre de pièce même lorsque, pour des raisons de commodité, on doit en détruire la première version : au prix d’une extension de l’emprise au sol, et dans une situation tout à fait arbitraire du point de vue des schémas anciens puisque le nouvel atrium, loin de constituer le centre vivant de la domus, en est une annexe péri­ phérique, on se dote de nouveau d’une grande salle à impluvium qui semble du reste avoir été la pièce le plus luxueuse de la demeure. Mais en même temps on ne peut nier que le cœur de la maison n’est autre que le jardin ou plutôt les deux jardins, entourés de leur portique à diaphragme ; le portique devant le tablinum qu’on pourrait appeler rhodien s’il était plus franchement orienté au sud, témoigne de l’importance accordée au lien entre le tablinum lequel, sans doute dès cette époque, fonctionne au moins occasionnellement comme une salle à manger, et les aires de verdure. Rares sont les compositions qui présen­ tent autant d’ambiguïtés signifiantes. Quoi qu’il en soit cette phase est éphémère : dans les années 50-70 ap. J.-C. l’atrium du nordouest disparaît, pour permettre l’ouverture de la petite place publique mentionnée ci-dessus. Qu’il s’agisse d’une expropriation effectuée par les édiles - nous en avons un autre exemple à Velleia en Italie du Nord - ou d’une donation de la part du propriétaire de la domus - ce qui confirmerait le caractère artificiel de cette fantaisie « à l’an­ tique » qui n’aura finalement guère duré plus d’un quart de siècle et peut-être moins - le résultat est le même (fig. 86). Dans sa troisième et dernière phase, de la fin de l’époque julio-claudienne donc, la domus revêt son aspect définitif et les tropismes tendant à reproduire les structures des villas suburbaines, que nous avions déjà relevés dans plusieurs résidences tardo-républicaines, s’affirment sans ambages. Le groupe des pièces du nord-ouest, qui constituent désormais la limite de la maison dans ce secteur, assume pleinement

Fig. 84. Restitution idéale isomé­ trique de la môme domus, d’après A. Zaccaria Ruggiu.

sa fonction de triclinium d’été (pour la pièce du centre, l’ancien tablinum) et d’œrt, pour les pièces latérales ; les très beaux tapis de sol en opus sectile montrent l’importance acquise par ces salons ouverts au sud-est dont le séjour devait être fort apprécié ; remarquable est le décalage du motif du pavement par rapport à l’axe de la salle située à gauche du triclinium (quand on regarde depuis le jardin) : il est orienté d’une façon qui suggère que les meubles qui l’occupaient devaient pren­ dre aussi une position oblique afin que les personnes réunies dans cet cecus aient une vue directe sur le jardin lui-même et non pas sur le

IL L es deux premiers sjSciœsHfEra^PMŒJvRcniirEis Sta u e

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Fig. 85. Plan général des vestiges de la « Casa degli Affreschi », d'après A. Zaccaria Ruggiu.

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L’habitat urbain

retour occidental du triportique ; cette subtilité dit assez quel soin on apportait non seulement au décor mais surtout aux perspectives ; le prospectus et ses exigences propres dictent l’ordonnance de la pièce. II semble qu’on ait à la même époque doublé les possibilités d’accueil de ce secteur privilégié en établissant un étage au-dessus des pièces en question, le portique qui leur sert de façade se transformant alors au niveau supérieur en une loggia. Sur la face occidentale du jardin une chambre à coucher particulièrement confor­ table possédait sur une partie de sa surface un sol chauffé par hypocauste. Enfin à l’est le groupe compact de salles de service avec des aménage­ ments balnéaires, qui lui aussi comportait vrai­ semblablement un étage, s’achevait en un ensem­ ble de trois pièces, dont deux ont livré de somptueux pavements d'opus sectile-, celle de l’ouest (le n° 10 du plan, fig. 85) assumait le rôle d’un triclinium d’hiver avec vue sur un autre péris­ tyle qui n’a pu être complètement dégagé. Grâce à la précision des recherches des archéologues de Luni, nous disposons donc, pour ces premières décennies impériales, d’un exem­ plum qui reflète d’une façon dynamique et pleine­ ment démonstrative la façon dont les couches aisées de la population conçoivent désormais la domus. Un contre-exemple apparent - en réalité une confirmation - de cette tendance est fourni par la domus dite de Serraglio Albrizzi à Este (Ateste) au nord de l’Adige, en Vénétie centrale. Fouillée jadis par A. Callegari, elle vient de faire l’objet d’une étude approfondie de la part de G. Tosi qui a pu en préciser la chronologie et l’organisation. Mise en place au cours du règne d’Auguste, cette grande maison semble avoir subi peu de modifi­ cations jusqu’à la fin du II' siècle ; en tout cas la partie la plus représentative composée de la séquence vestibulum-fauces-atrium Tuscanicum-tablinum, orientée selon un axe sud-est/nord-ouest, est restée intacte pendant toute cette longue période. Cela dit, la logique structurelle d’un aménage­ ment aussi rigoureusement traditionnel s’inter­ rompt vite, puisqu’aucun hortus ni péristyle ne peut s’ouvrir sur son axe et que la maison se déve­ loppe vers le nord-est en s’ordonnant autour d’une cour et d’un jardin. A. Callegari a imaginé pour expliquer cette distorsion qu’il s’agissait, à l’origine, de deux maisons différentes, ce qui n’est pas exclu mais ne s’impose pas non plus comme une hypothèse obligatoire. Il est certain que les pièces de séjour les plus vastes et les plus appré­ ciées s’ouvrent, là encore, dans une seconde phase, sur le jardin ; cette fois, au lieu d’un portique intermédiaire nous rencontrons une « véranda » dont subsistent au sol trois belles mosaïques alignées sur une bande étroite (2,20 x 3,60 m) autour de laquelle n’a été retro­

Fig. 86. Troisième et dernière phase

uvée aucune trace de support architectural fixe ; peut-être s’agissait-il effectivement, comme l’a supposé le fouilleur, d’une sorte de zone intermé­ diaire entre ceci et viridarium, abritée par un vitrage soutenu au moyen d’une armature de bois. Toujours est-il que les cinq salons qui s’ali­ gnent derrière elle possédaient tous des mosaïques d’une grande qualité ; leurs seuils décorés de motifs très fins témoignent, comme le reste de leur décor, d’une recherche subtile : cet ensemble serait à situer dans le dernier quart du I" siècle. Très voisin, dans son esprit sinon dans le détail de son ordonnance, de la troisième phase de la maison de Luni, cet aménagement, qui compte parmi les plus suggestifs de la région vénète, témoigne de la richesse et du raffinement de ses propriétaires. Un important quartier servile se développait au nord de la cour, dans la proxi­ mité immédiate de l'atrium et du tablinum, ce qui confirme que si la permanence de ces derniers est due au conservatisme d’une famille qui tenait à montrer qu’elle habitait une maison ancienne, ou plus exactement « à l’ancienne », ils ne consti­ tuaient plus les lieux de séjour préférés des occu­ pants de cette domus, l’une des plus vastes d’Italie du nord, puisque la zone fouillée (qui n’en couvre pas la totalité) dépasse 1 300 m2 (fig. 87). Une troisième demeure, sise à Vérone, la maison dite de Piazza Nogara, dont la découverte et l’étude sont dues à G. Cavalieri Manasse, propose, sur une échelle plus réduite, une

B. L es deux premiers s i è c l e

ET .Italie

Fig. 87. Hypothèse de restitution de la domus de SerraglioAlbrizzi, d'après G. Penello et G. Tosi.

Fig. 88. Axonometrie restituée de la domus de Piazza Nogara àVérone, d'après G. Cavalieri Manasse.

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L’habitat urbain

conception analogue de l’habitat, à ceci près qu’il n’y est plus question d’atrium, soit sous une forme temporaire, soit sous une forme résiduelle, et que l’on y accède tout de suite, après avoir parcouru une pièce qui tient lieu de vestibulum, dans une cour centrale qui recevra ultérieurement une colonnade sur trois de ses côtés (fig. 88). L’absence de fauces, qui se vérifie aussi, nous le verrons, dans certaines maisons des villes du Vésuve au début de l’Empire, et dont D. Scagliarini Corlaità a étudié la fréquence dans l’habitat d’Émilie-Romagne, est indis­ solublement liée à la disparition de Yatrium comme élément organisateur de la domus. Dès l’entrée, en fait, se manifeste avec clarté le choix planimétrique, qui est aussi un choix de vie. D’abord centrée sur une cour avec des installations utilitaires, cette habitation de Vérone, dont l’implantation se situe dans le courant du Ier siècle, sans qu’on puisse préciser davantage en raison des difficultés de la fouille, a livré de remarquables fragments de sols mosaïqués, dans des pièces qui, au moins au II* siècle, devaient pour plusieurs d’en­ tre elles être assimilées à des triclinia ou à des ad ; il est possible qu’un étage ait permis d’agrandir les espaces couverts et abrité des cubicula et/ou les pièces réservées au logement des esclaves. La question qu’il est légitime de poser est celle de savoir si désormais ce genre de maison peut encore être

Fig. 89. Plan du cryptoportique de Vicenza, d'après M. Rigoni.

appelée une domus : sans doute pas au sens strict, puisque la domus italique ne se conçoit pas autre­ ment que construite autour d’un atrium, mais dans la mesure où, en milieu urbain, le mot domus sert essentiellement à désigner un type d’habitat individuel par opposition aux immeubles de rapport, on peut encore, sans commettre une erreur ou un anachronisme, lui donner ce nom. D’autres domus de Vénétie présentent une organi­ sation du même genre (à Altino, par exemple), mais on en rencontre aussi dans d’autres régions du nord et de l’est de l’Italie antique. Pour éclairer le problème de l’usage et de l’ex­ tension de la cour portiquée ou du péristyle, le

cryptoportique situé sous la cathédrale de Vicenza (Vicentia ou Vicetia) serait d’une grande utilité. Malheureusement le débat reste ouvert quant à son appartenance à un complexe privé ou public : constitué de trois bras (l’un de 29,50 m orienté sud-nord et deux de 27,35 m orientés estouest), il mesure 3 m de large et 2,85 m de haut ; 35 soupiraux en assurent l’éclairage (fig. 89) ; sa décoration, ou du moins ce qu’il en reste, permet de le définir comme un déambulatoire estival destiné à assurer ombre et fraîcheur aux prome­ neurs et non point comme un heu de stockage à finalité utilitaire puisqu’on y remarque encore des traces de revêtements de marbre et de corniches

% Les d e u x p rem ie rs s iè c le s .de i/E m pire. R om e e t I ta l ie

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Fig. 90. Plan de la maison de via Promis àAoste, d'après

de stuc avec un dallage de briques hexagonales. Plus grand qu’aucun des cryptoportiques domes­ tiques de Pompéi (celui de la « Casa del Criptoportico » lui cède quelques mètres en longueur et ne dépasse pas 2,5 m de largeur), il a récemment été, par G. Tosi et A. Moneti, attribué à une domus dont ne subsistent en surface que des vestiges peu suggestifs. Si tel devait être le cas, malgré les observations contradictoires de R. A. Staccioli, nous aurions, avec cette structure unique en son genre en Italie du Nord, la preuve

du développement de certaines domus à péristyle - puisque, bien évidemment, ce cryptoportique doit se concevoir comme la substruction d’un quadriportique de surface - qui n’auraient rien à envier aux compositions campaniennes les plus ambitieuses : comme dans les maisons de l’aristo­ cratie selon Vitruve, le péristyle de la demeure vicentine serait comparable à un édifice public. Cela dit, ce qui rend difficile une appréciation globale de l’évolution de la domus au début de l’Empire en ces contrées, c’est la rareté relative des plans complets. Et c’est dommage, car cette carence, qui commence à être comblée, nous l’avons vu, par les recherches intensives conduites aujourd’hui sur de nombreux sites, nous prive encore d’éléments de comparaison pour l’analyse de l’habitat des provinces occidentales : lorsqu’on évoque, pour comprendre la diffiision de tel ou tel type de maison en Transalpine (la province de Narbonnaise) et même dans les régions ibériques du nord-est, le « modèle italique », il est, histori­ quement et culturellement, plus efficace de songer à celui ou à ceux qui se sont diffusés dès le début de l’Empire en Ligurie, en Lombardie ou en Vénétie que dans les villes du Vésuve qui constituent trop souvent encore la référence prédominante sinon unique. Un point paraît acquis toutefois : même si des domus comme celles d’Este ou de Luni - et peut-être celle de Vado Ligure ( Vada Sabatia), jadis étudiée par N. Lamboglia et G. Grosso - paraissent fidèles, avec des variantes sensibles, au schéma atrium -

Fig. 92. Plan de la domus de S. Salvatore à Brescia, d'après C. Stella.

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L’habitat urbaiji

péristyle, il semble indéniable que les cours plus ou moins centrales à portiques périphériques y sont mieux représentées comme élément organi­ sateur de la maison que les atria au sens tradi­ tionnel du terme, et cela dès le 1er siècle, voire dans certains terroirs dès la fin de la République. Il y a là une réalité qui, voici quelques décennies, était encore difficile à admettre : c’est ainsi par exemple qu’une des maisons romaines de via Promis à Aoste (domus I), pourvue d’une cour qui devait recevoir dans une phase ultérieure une colonnade sur deux de ses côtés, a longtemps passé, sur la foi des premiers rapports, pour avoir remplacé une phase antérieure centrée sur un atrium, dont pourtant aucune trace ne se retrouve sur le terrain (fig. 90). La ville d’Aquilée parait à cet égard exemplaire : les travaux de L. Bertacchi et de M. Mirabella Roberti ont mis en évidence plusieurs domus de dimensions relativement importantes où la cour quadrangulaire centrale, agrémentée ou non de colonnes périphériques, constitue le noyau autour duquel s’ordonnent les pièces d’habitation ; là encore la volonté de se raccrocher au schéma traditionnel, où à ce qui est considéré comme tel, a parfois un peu obscurci la lecture de ces vestiges : la domus retrouvée sous la basilique (fig. 91) présente, du point de vue des axes et des circulations, une telle analogie avec le système fauces-atrium-tablinum que la pièce C, qui est sans doute un triclinium, a été présentée comme un tablinum et que la cour centrale, évidemment assimilable à un péristyle en raison du nombre de ses colonnes et plus encore du rapport entre les espaces couverts (portiques) et l’aire découverte, a été désignée comme un atrium. Nous aurons souvent à affronter ce genre de problème, surtout dans l’étude des maisons provinciales. Chacun aura compris qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de terminologie. Les synthèses récentes de D. Scagliarini Corlaità et de M. George permettent maintenant de faire utilement le point, grâce aux rapprochements qu’elles autorisent, sur ces differents types de plan dont certains, en première analyse, peuvent prêter assurément à confusion, ou du moins entretenir la perplexité. Une autre caractéristique, qui apparemment se dégage des données actuellement disponibles, consiste en ceci que la plupart des péristyles, du moins quand ils sont assez bien conservés pour qu’on puisse juger de leur aménagement, comportaient plus souvent des fontaines avec des bassins décoratifs que des structures de jardin proprement dites ; l’un des cas les plus remarqua­ bles est celui de la domus dite du Nymphée retrou­ vée sous l’église S. Salvatore à Brescia, et analysée en dernier lieu par C. Stella (fig. 92) ; le « nymphée » en question était du type à façade avec une exèdre curviligne centrale flanquée de

Fig. 93. Plan de l'œcus de la maison deVia Marsala (Valdonegal, d'après G. Tosi. deux niches plus petites ; devant cette construc­ tion s’étendait un lacus rectangulaire au centre d’une cour porüquée de 7 x 7 colonnes. D’autre part un grand nombre de triclinia et de pièces de réception diverses ont été identifiés dans ces demeures de l’Italie septentrionale ; leurs rela­ tions avec les autres composantes de la domus ne sont pas toujours claires en raison du caractère lacunaire des vestiges, mais il est intéressant de souligner que si beaucoup d’entre ces pièces s’ouvrent sur des péristyles, d’autres possèdent aussi des accès latéraux ou frontaux à partir de corridors, telle la domus de Beverara (Bologne, Bononia), dont M. Donderer a publié les mosaïques. Parmi ces aménagements, une place à part doit être réservée à l’œcus de la maison de via Marsala (Valdonega, Vérone), que G. Tosi et M. Donderer ont étudiée : il s’agit d’une pièce de près de 11 m de long sur 7 m de large animée sur trois de ses côtés par une colonnade interne de 12 supports ; elle s’ouvrait au sud vers un portique (de péristyle ? ) au moyen de trois larges baies ; on peut l’assimiler, comme l’a proposé encore récemment M. George dans sa synthèse, à un salon de type corinthien (fig. 93). Enfin, si des sols à suspensurae ont été fréquemment retrouvés, il s’avère souvent malaisé de démêler s’ils appar­ tiennent à des salles thermales chaudes ou seule­ ment à des salles de séjour ou de réception chauf­ fées ; il n’est même pas toujours facile de savoir si les structures en question proviennent de bains privés ou de thermes publics : les vestiges retrou­ vés à Ravenne sous l’église S. Severo proposent un bon exemple de ce genre d’incertitude. Au total, donc, il est loisible d’entrevoir, avec toutes les réserves imposées par l’aspect spora-

i . Les d e u x p re m ie rs s u s c u s d e

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dique des témoignages archéologiques, une tendance comparable à celle que nous observons dans les domus du Ier siècle de notre ère à Pompéi, à ceci près malgré tout que la dégradation du schéma traditionnel y semble plus rapide qu’en Campanie ; les conditions climatiques particuliè­ res expliquent aussi sans doute en partie les singu­ larités de la répartition des triclinia ou le nombre relativement important des salles chauffées. Mais ce qui semble compter, désormais, dans ces demeures réservées aux classes aisées, c’est le développement des espaces d’agrément et la recherche d’un certain raffinement, même si l’imitation des structures de la villa de plaisance n’y apparaît pas aussi évidente que dans les maisons des villes du Vésuve, que nous allons examiner maintenant.

L 'ém ergence d e n o u v elles fo r m e s d ’h a b ita t d a n s les v ille s d u V ésuve a u I er siècle Après les tensions persistantes qui avaient déchiré la classe dirigeante à la suite de la Guerre sociale et de la déduction de la colonie syllanienne à Pompéi, une nouvelle aristocratie s’est finalement mise en place. D’autre part, l’essor d’une région admirablement située, tant pour les profits agricoles que pour les échanges commer­ ciaux, entretient dans les premières décennies de l’Empire une aisance qui favorise le développe­ ment de nouvelles catégories sociales, et l’épigraphie, pompéienne en particulier, laisse entrevoir l’émergence d’une classe de parvenus qui s’amé­ nagent des demeures urbaines relativement luxueuses. Mais il importe de souligner que le temps des gigantesques domus du type de celle dite du Faune est révolu : ces niveaux de pouvoir et de richesse s’avèrent désormais inaccessibles. Ils le seront d’autant moins que le séisme de 62, qui avec dix-sept ans d’avance annonce l’issue tragique, entraîne dans les deux villes où il laisse des cicatrices profondes des mutations sociales non moins importantes. Les principaux représen­ tants des groupes privilégiés ont tendance à quit­ ter leurs demeures urbaines pour résider dans leurs somptueuses villas de l’arrière-pays, de la côte campanienne, ou même des environs immé­ diats de Rome. Beaucoup de domus aristocra­ tiques désertées par leurs propriétaires, vendues, louées ou loties, deviennent partiellement ou tota­ lement le siège d’activités artisanales ou commer­ ciales, cependant que se multiplient par la cons­ truction de planchéiages intermédiaires les appartements sommaires occupés par une popu­

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L’habitat urbain

lation besogneuse ; ménagés le plus souvent dans la hauteur des puissants murs d’encadrement des atria, mais aussi dans d’autres grandes pièces ou structures, triclinia, portiques de péristyles, etc., ces cenacula parasites, trop souvent détruits ou ignorés par les dégagements d’autrefois, gardent la trace d’une forme d’habitat qui s’apparente à celle de certains quartiers populaires de la Rome de la fin de la République, mais présente l’origi­ nalité de s’accrocher aux vestiges parfois déjà dégradés d’une splendeur révolue. Cela étant on ne saurait parler d’une décadence des villes du Vésuve au cours de leur dernière phase : jamais au contraire les activités de production n’y ont été aussi développées ; ce qui change, ce sont les modalités de l’occupation de l’espace urbain sous la pression d’une forme jusqu’ici inconnue de l’urgence sociale et économique : dans ces villes où beaucoup de logements sont devenus dange­ reux, les constructions encore debout doivent accueillir un nombre accru d’habitants, cepen­ dant que les nécessités de la vie quotidienne (production de biens de consommation immé­ diate) doivent être assurées dans des conditions plus précaires. Certes on construit encore de belles domus à l’époque julio-claudienne, comme l’atteste par exemple la « Casa del Bicentenario » à Herculanum ; Yopus reticulatum de ses murs en tuf jaune témoigne du soin apporté à son grosœuvre. Le plan adopté reste celui, très classique, des fauces, de Yatrium à alae et du tablinum ; dans l’aile droite étaient sans doute placés les portraits des ancêtres si l’on en juge par la belle fermeture en bois qui en barrait éventuellement l’accès ; un petit viridarium, cerné sur deux de ses côtés par un portique à colonnes et sur un troisième par une sorte de large couloir percé de grandes baies, offrait sa verdure et sa fraîcheur à un cecus orienté vers le nord-est. Mais, au-dessus de cette maison élégante, fut établi un étage en opus craticium qui, du fait même de la légèreté de ses cloisons, ne tenait pas compte de la disposition des pièces et des murs portants du rez-de-chaussée : on cons­ tate ici les exigences croissantes d’une pression démographique qui cependant ne semble pas avoir affecté l’ordonnance initiale inférieure (fig. 94). Cela n’empêche pas le développement de maisons en position panoramique disposées sur deux niveaux le long de la dénivellation qui longe YInsula orientalis, Pilot oriental d’Herculanum. La plus représentative est celle qui, construite à l’époque augustéenne, appartient à M. Nonius Balbus, l’un des personnages les plus en vue de la ville au début de l’Empire, qui avait fait une carrière à Rome. Le plan de sa domus, en partie conditionné par le terrain et par la recherche de la meilleure orientation vers la mer, est caracté-

Fig. 94. Plan et axonométrie resti­ tuée du rez-de-chaussée et des tabernae de la «Casa del Bicentenario» à Herculanum,

ristique d’une tendance, que nous avons déjà rele­ vée en Italie centrale ou septentrionale, et qui consiste à conserver formellement le schéma de Yatrium mais en le vidant de son sens : ainsi derrière un vestibule d’entrée disposé comme un petit portique dans le sens de la largeur s’ouvre un atrium qu’on hésite à classer dans la catégorie des corinthiens, dans la mesure où les colonnes qui en circonscrivent l’ouverture (dix au total) sont proches des murs périphériques ; elles évoquent en fait une manière de péristyle, et un péristyle très singulier, puisque les dites colonnes supportent les pièces du niveau supérieur, selon un schéma bien attesté à l’époque hellénistique dans les plus belles des maisons de Délos. Le péristyle proprement dit, orienté de façon à cons­ tituer une terrasse avec vue sur le littoral, était longé au sud par une série de grandes pièces en exèdre, dont Yacus 10 qui, en raison de sa posi­ tion, s’apparente à un salon à la mode de Cyzique. Une autre aile de cette maison - qui, dans l’état actuel de son dégagement, occupe 1 800 m2 - se déployait au-dessus des thermes privés le long du viridarium ; c’est dans le pavillon (diaeta) 17 que fut retrouvé le célèbre relief illus­ trant le mythe de Télèphe, fils d’Héraclès, héros éponyme d’Herculanum. La conception et le raffinement de cette demeure, qui se manifeste jusque dans les moindres détails, prouvent que toute une classe de la population, dont les intérêts et l’activité ont tendance à se déployer hors de la petite ville, considère désormais celle-ci comme un lieu de villégiature : une domus comme celle-ci, ou comme sa voisine, la « Casa délia Gemma », est plus proche d’une villa suburbaine que d’une résidence urbaine traditionnelle (fig. 43). Le fait est patent si l’on considère à Pompéi la maison faussement attribuée naguère à Loreius Tiburtinus, et dont P. Castrén a montré qu’elle fut celle de D. Octavius Quartio. Dans un livre récent P. Zänker la désigne comme une « Miniaturvilla », une villa en miniature : elle s’étend sur presque toute la longueur d’un îlot, et le jardin en pente occupe plus des deux tiers du terrain -, vu du jardin, le corps d’habitation se présente du reste exactement comme une villa, puisqu’il s’élève sur un puissant socle à propos duquel on a pu évoquer la basis villae dont parle Cicéron dans l’une de ses lettres à son frère (Ad Quint, fratr., III, 1, 3). Il s’agit en fait d’une ancienne maison à atrium d’époque samnite complètement remaniée : à l’époque de Néron, selon toute vraisemblance, le propriétaire a fait transformer le tablinum en un petit jardin entouré de colonnes sur lequel s’ouvre une série de pièces de dimensions diverses ; la plus importante est la salle h (fig. 95 et 96) qui a pu être identifiée comme un petit sanctuaire de la divinité égyp­ tienne Isis ; elle se trouve sur l’axe d’un canal arti-

ï. Les d e u x p re m ie rs

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Fig. 95. Plan de la «Casa di D. Octavius Quartio »à Pompéi.

Fig. 96. «Casa di D. Octavius Quartio »: vue en perspective resti­ tuée sur le jardin et le bloc d'habitat.

ficiel, parallèle à la rue (la via dell’Abbondanza) sur laquelle donne la maison ; l’autre grande salle est un œcus (f) construit au terme d’un autre canal, perpendiculaire au premier. Ces deux canaux qui se concevaient en fait comme des euripes, étaient bordés de pergolas de verdure et pouvaient à l’oc­ casion déborder en inondant la totalité du jardin, mimant ainsi les crues du Nil (fig. 97). L hortus luimême était richement planté d’arbres de différen­ tes essences et enrichi de statues et de fontaines.

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L’habitat urbain

On a supposé avec quelque apparence de raison que D. Octavius Quartio était un prêtre d ’Isis, dont le culte était fort populaire à Pompéi ; il suffit de se souvenir, pour mesurer son emprise sur le petit peuple, que le temple de cette déesse était, en 79, le seul édifice public endommagé par le séisme de 62 qui ait été restauré intégralement. Mais indépendamment des particularités imputa­ bles à la dévotion du propriétaire ou à sa fonction sacerdotale, il est clair que l’ensemble de la demeure est imprégné de l’atmosphère propre aux villas de plaisance où I’otium distingué du maître de maison ne saurait se développer qu’au sein d’une nature à la fois luxuriante et domesti­ quée. Mais ici nous sommes chez un parvenu, qui précisément n’a pas le moyen de s’offrir une villa véritable et en est réduit à en évoquer, en les réduisant à des dimensions qui en restreignent singulièrement l’usage, les composantes principa­ les à l’intérieur de sa maison ; comme eût dit Flaubert, par son goût du cossu, il révélait l’homme de basse extraction... En dépit des appa­ rences, nous sommes loin des péristyles des gran­ des demeures palatiales de la Pompéi du IIe siècle av. J.-C., où tout était organisé en fonction d’une vie sociale brillante et ritualisée, et où pénétraient seulement les amis rigoureusement sélectionnés. D’autres « villas en miniature » du même type, désignées par L. Richardson, Jr. comme des « Garden Houses » auraient pu être aussi bien évoquées ici, telles la « Casa dell’Ancora Nera » ou la « Casa di Apollo ». Une autre maison, la plus célèbre de Pompéi peut-être en raison de son cycle pictural, permet de mesurer la place prise par ces nouveaux riches dans la hiérarchie sociale, c’est celle dite des Vettii : vers le milieu du I" siècle, à l’époque de Claude, A. Vettius Restitutus et A. Vettius

Fig. 97. «Casa di D. Octavius Quartio »: vue prise de l'est le long de l'euripe supérieur. Cliché Conviva, issus de la classe des affranchis, puisque l’un deux avait occupé la charge de sévir augustal, réservée aux membres les plus fortunés de ce groupe (car il importait de contribuer financière­ ment aux liturgies du culte impérial) avaient acheté, grâce aux bénéfices réalisés par leur entreprise commerciale, une domus située au cœur du quartier le plus résidentiel, la région VI, à peu de distance de la « Casa dei Fauno » et de la « Casa del Labirinto ». Un des moyens de compenser le caractère plutôt récent de leur aisance était, pour ce genre de propriétaires, de

conserver à leur demeure certains de ses aspects traditionnels considérés comme les plus flatteurs : une « vieille » maison peut faire illusion sur l’an­ tiquité de la famille, malgré la tache indélébile de la naissance hors du monde privilégié des « ingé­ nus ». C’est la raison pour laquelle, sans doute, les deux atria furent maintenus en l’état (c et v) (fig. 98) ; mais le goût ne s’achète pas, ni la distinction : dès l’entrée, les fauces (b) ne laissaient guère de doute sur le niveau culturel des person­ nages qui avaient cru bon de sacrifier à l’usage de la peinture obscène pour conjurer le mauvais œil,

2. L es deux premiers s i p f f l ^ p ^ ^ n P ^ B P M r r a i t r A U E

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Fig, 98. «Casa dei Vettii »à

mais lui avaient donné une tonalité d’une particu­ lière vulgarité, puisque (tous les touristes, n’eussent-ils passé qu’une heure à Pompéi, s’en souviennent), on y voit Priape pesant son énorme phallus au moyen d’une balance dont l’autre plateau soutient un sac plein de pièces de monnaie. Cet exhibitionnisme de parvenus, à juste titre désigné comme un « status Symbol » involontairement négatif par plusieurs observa­ teurs récents, se confirmait ensuite dans l’atrium principal avec la mise en évidence de deux cof­ fres-forts métalliques : le jeu sur l’ambiguïté des signes et le détournement de leur fonction s’avère ici d’un cynisme (ou d’une ironie) étonnant, puisque ces objets qui, dans l’ancienne domus républicaine, servaient à conserver l’argent destiné aux distributions sportulaires de la saluta­ tion matinale, n’ont d’autre rôle ici que d’exhiber sous une forme triviale la richesse thésaurisée. Cela dit la maison s’organisait selon les règles les plus strictes de la belle résidence urbaine : le quartier servile était relégué alentour de Vatrium secondaire (v) laissé à l’état brut, si l’on peut dire, cependant que les pièces donnant sur Vatrium principal, ornées de quelques-uns des plus beaux exemples de la peinture du IV' style, s’apparen­ taient à des triclinia ou à des œci de luxe. Donnant sur le jardin (m) le grand aeus ouvert au sud (q) qui comportait les fameuses fresques des métiers, sur la prédelle située au-dessus du socle des murs, possède l’un des ensembles les plus accomplis de ce genre de peinture pour la période antérieure au séisme de 62. Sur le côté est de 1'hortus, deux salons méritent une mention particulière, le p et le n, qui se répondaient en quelque sorte aux

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L’habitat u rbaw

deux extrémités du long côté ; de toute évidence, avec leurs panneaux figurés au centre de chacune des parois, ils ont été conçus comme des pinaco­ thèques, dont on sait par le texte déjà cité de Vitruve (supra, p. 52) qu’elles comptent parmi les attributs obligés de la maison des responsables politiques ; à défaut de posséder de véritables < tableaux de chevalet », originaux grecs ou hellé­ nistiques, nos deux compères, qui pouvaient aussi être bien inspirés, ont fait peindre des épisodes du cycle thébain (le supplice de Dircé, le roi Penthée aux prises avec les Ménades) ou du cycle héracléen ; dans ce dernier, la représentation du jeune Hercule étranglant deux serpents sous les yeux épouvantés de sa mère Alcmène et d’Amphitryon qui s’efforce de mettre l’enfant hors de danger s’inspire directement, autant que nous en puis­ sions juger, d’une œuvre célèbre du peintre Zeuxis décrite comme un chef-d’œuvre (magnifi­ cus) par Pline l’Ancien (HN., 35, 63). Nous saisis­ sons là - en acte -, le sourd travail de l’émula­ tion : tout est mis en œuvre pour l’annexion des prestiges de la maison aristocratique, fut-ce à travers des simulacres. A cet égard une autre maison d’affranchi s’avère également riche d’enseignements, c’est celle dite de l’Éphèbe, qui dans l’état où nous l’a laissée la catastrophe de 79, est le fruit d’une restructuration due à un certain P. Cornélius Tages, que M. Deila Coite a pu appeler le Trimalcion pompéien, du nom du célèbre affran­ chi, richissime et inculte, mis en scène par Pétrone dans son Satiricon. Ce sont en fait quatre maisons contiguës qui ont été agglomérées pour constituer la propriété de ce négociant en vins dont le nom nous est conservé sur les tablettes du banquier Jucundus (fig. 99). Étant donné que, pour reprendre la formule de Vitruve, Tages n’avait que faire des atria, grands ou petits, il a réservé aux entrées de service (10 et 11) les deux - l’un testudinatum, l’autre Tuscanum - qui, au nord de son domaine urbain, provenaient de domus antérieurement indépendantes. Il accueillait ses invités à la troisième porte (12) qui permettait un accès direct au secteur d’apparat, c’est-à-dire le jardin et les salons qui l’entourent Sans entrer ici dans le détail d’une organisation un peu désor­ donnée parce que due à 1’« accrochage » de deux unités d’habitation qui n’avaient en commun qu’un voisinage de hasard, nous décrirons seule­ ment l’aménagement central de 1'hortus, qui n’est autre qu’un triclinium d’été : des socles de maçon­ nerie en plan incliné servaient de support aux lits de table, qui étaient protégés des ardeurs du soleil au moyen d’une pergola de verdure portée par un cadre de bois reposant sur quatre colonnes d’an­ gle ; en arrière, un édicule abritait une fontaine jadis omée de nymphes de bronze : l’eau y déva­ lait en escalier pour ruisseler dans un canal entre

les lits, ce qui donnait aux dîneurs (à condition qu’ils eussent tout de même un peu d’imagina­ tion...) l’impression d’être sur une île ou dans un bateau ; l’illusion était accrue par les peintures « nilotiques » qui revêtaient les socles des lits. Pour bien montrer que là se trouvait le cœur de la résidence où l’on exhibait la puissance écono­ mique du propriétaire, un éphèbe lampadophore de bronze, pièce unique en son genre (porteur d’une double série de supports de lampes en forme de rinceaux) s’élevait sur une base circu­ laire à proximité du triclinium, et dispensait ainsi par sa présence muette mais efficace de la lumière aux banquets nocturnes. Ces différents exemples prouvent que si l'on s’en tient à une évaluation formelle de l’habitat des classes riches au cours de cette dernière phase de Pompéi les plans peuvent paraître ne pas subir de changements profonds, alors qu’en réalité c’est la conception générale de la domus et son usage qui se modifient, et parfois radicalement. A cet égard les observations, par ailleurs pertinentes, de E. Dwyer, sur la permanence de l'atrium dans les maisons de la cité campanienne, et sur son impor­ tance rémanente jusqu’à la catastrophe finale doivent être nuancées, en ce qu’elles ne prennent pas suffisamment en considération la situation sociale des propriétaires, leur origine, et donc les rituels nouveaux qui ont tendance à se dévelop­ per dans ces structures d’apparence tradition­ nelle. Sur ce point les récentes analyses de K. Dunbabin ont apporté des correctifs utiles. Sans aller jusqu’à affirmer avec F. C. Schipper que désormais l'atrium est devenu un « corridor distingué » et que le véritable espace de réception est le péristyle, on peut admettre que, suivant en cela une tendance qui s’était déjà dessinée à la fin de la République, l'atrium, même s’il reste - ce qui n’est pas toujours le cas, nous venons de le voir - sur l’axe de cheminement privilégié, n’en est plus l’étape principale. Il apparait en outre de plus en plus nettement, à partir des premières décennies de l’Empire, que la possibilité offerte aux riches propriétaires pompéiens d’une eau désormais abondamment distribuée à la ville par un aqueduc suscite une modification profonde de l’usage et de la finalité des péristyles : ceux-ci se concevaient initialement, dans les grandes demeures des IIe et i" siècles av. J. C., comme des jardins où le dominus et ses amici pouvaient chemi­ ner en conversant ; dès lors, la place croissante occupée par les bassins et les jeux d’eau suggère que l’aire centrale du péristyle n’est plus faite pour qu’on s’y promène mais pour qu’on la regarde : d’où la disposition des fontaines, euripes, et autres locus en fonction des vues qu’on en peut avoir à partir des salons ou des triclinia ; d’où aussi la fermeture fréquente des entrecolonnements des portiques par les chancels, qui disent

Fig. 99. Plan de la «Casa dell'Efebo »à Pompéi, et restitution du tricliniumd'été au centre de Vhortus, d'après RSoprano. clairement la non accessibilité de cette aire. Le prestige acquis par l’eau courante sous toutes ses espèces est tel qu’après le séisme de 62, lorsque la plupart des canalisations seront hors d’usage, par rupture ou écrasement, on continuera de cons­ truire ou de reconstruire dans les péristyles des fontaines et des bassins, dont le fond sera peint ou mosaïqué en bleu pour donner l’illusion de la présence de l’élément aquatique, dans l’attente de sa réapparition peut-être. Cette pratique, à peine croyable, vient d’être mise en lumière à l’occa­ sion des fouilles conduites dans la Maison des Vestales par une équipe britannique. Après cela il nous faut, pour rendre compte des transformations que nous évoquions au début

2- L es deux prem iers siiniES=DE;t?ßMpim/RoMirETrlTAiJE

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Fig. 100. Plan de la dernière phase de la «Casa di Sallustio ». d'après J.-P Adam.

de ce chapitre, examiner ce que deviennent après le séisme de 62 les domus utilisées à des fins commerciales et artisanales. Nous citerons seule­ ment à ce propos la dernière phase de la « Casa di Sallustio », dont nous avons décrit plus haut la première période des III'-TI' siècles av. J.-C. [supra, p. 40) ; dans les dernières années de Pompéi elle fut partiellement annexée par une

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auberge (fig. 100), et le beau jardin qui l’entourait sur trois de ses côtés, déjà largement occupé lorsque la maison prit de l’ampleur à la fin de la République, se trouva réduit à un viridarium cantonné dans l’angle nord, où cependant subsista, étrangement, un triclinium d ’été (10) comparable à celui de la « Casa dell’Efebo ». Pour le reste, on y rencontrait dès l’entrée, à gauche des fauces, un cabaret (thermopolium) (2). des salles à manger (7) dont il semble que seule celle de l’est ait encore servi à des fins privées, des boutiques (B) dont l’une disposait seulement d’un logement en mezzanine (pergola) et l’autre avait accès à une ou peut-être deux pièces situées vers l’arrière, cependant qu’une boulangerie indépen­ dante (C) avait pris place dans l’angle ouest de l’ilot. Une telle imbrication de fonctions, qui suppose une cohabitation d’autant plus étroite et à certains égards compliquée qu’il faut imaginer en outre une série de chambres situées à l’étage, reflète concrètement ce que suggérait l’inscription citée plus haut (supra, p. 38) de 1’« Insula di Pansa » où le propriétaire déclarait vouloir louer les différentes parties de son domaine sous les formes différentes mais complémentaires de tabemae (boutiques), d’appartements situés à l’étage et présentés pour les besoins de la cause comme dignes d’un membre de l’ordre équestre (icenacula equestria) et enfin, au milieu de tout cela, de maisons (domus) ; le cas est d’autant plus signi­ ficatif que le possesseur de cet ensemble qu’on se proposait ainsi de diviser n’était autre que Cnaeus Alleius Nigidius Maius, qui fut duovir, c’est-à-dire membre du collège de deux dignitaires chargé de l’administration de la ville pendant l’année 55-56 ap. J.-C. et qui porta le titre envié de princeps colo­ niae (premier personnage de la colonie) ; sa richesse lui permettait d’offrir des spectacles dans l’amphithéâtre. Mais voilà, après 62, il ne souhai­ tait plus résider dans Pompéi et déléguait à l’un de ses esclaves le soin de jouer les agents immoII arrivait aussi que, dans le climat d’affairisme caractéristique de la période, un riche proprié­ taire jugeât opportun de louer une partie de sa maison. Le phénomène n’est certes pas nouveau, et la profonde étude de F. Pirson sur les « Mietwohnungen » des villes du Vésuve recense, pour la fin de l’époque hellénistique et plus encore à partir du début de l’époque impériale, un nombre et une diversité étonnants de cenacula, pergulae, tabemae, c’est-à-dire d’appartements, d’entresols et de boutiques mis en location par les propriétaires de domus ; les escaliers intérieurs ou extérieurs (parfois simples « échelles de meunier »), en relation avec des entrées plus ou moins indépendantes, témoignent d’une exploita­ tion précoce des niveaux supérieurs de l’habitat à des fins commerciales (fig. 101). Longtemps sous-

estimée dans ces petites villes qu’on se plaît à décrire comme endormies dans leur bien-être tranquille, les transactions immobilières n’ont pas attendu les bouleversements dus au séisme de 62, et Pirson nous permet aujourd’hui de les évaluer à leur juste niveau sur la longue durée. Toutefois, si la subdivision des grandes demeures ne date pas de ce qu’on appelle communément la « der­ nière phase édilitaire de Pompéi », il faut conve­ nir que les indices s’en multiplient dans les dernières décennies qui précèdent l’éruption de 79. Ainsi Julia Felix propose, dans une autre inscription célèbre de Pompéi, aujourd’hui au Musée de Naples (CIL, IV, 1136), la location d’un petit ensemble balnéaire dont elle vante l’élé­ gance et la distinction (veneriam et nongentum) : cette ancienne dépendance de sa domus ne manquera pas d’intéresser une clientèle aisée mais pas assez riche pour posséder un balneum privé, dans une ville où la plupart des thermes publics ont été rendus inutilisables par le trem­ blement de terre ; elle loue également des boutiques, des mezzanines et des appartements à l’étage (cenacula) tout en conservant pour son usage personnel et celui de sa famille la plus grande partie de sa demeure. Elle ne manquait pas d’argent puisque, dans le même temps, elle faisait construire un portique à pilastres cannelés de marbre et chapiteaux corinthisants (fig. 102) sur l’un des côtés de son jardin, mais cherchait seulement à tirer profit de la situation créée par le Un autre phénomène, qui concerne des caté­ gories sociales plus modestes, doit être enfin signalé, c’est, nous l’avons dit, l’investissement de certaines maisons individuelles par des entrepri­ ses artisanales ; il s’agit le plus souvent d’ateliers, de teintureries ou de boulangeries. L’une de ces dernières a été récemment étudiée par une équipe italienne qui vient de publier une mono­ graphie consacrée à deux îlots (3 et 4) de la sixième région de Pompéi, c’est la « Casa del Panettiere » (fig. 103). La domus dans laquelle elle a pris place après 62 était ancienne ; munie d’un atrium toscan qui devint après le séisme tétrastyle parce que sa charpente menaçait de s’effondrer (ce genre de réparation a été opéré dans plusieurs maisons), elle possédait aussi un hortus relative­ ment étendu (L). Il est intéressant de voir comment, sans bouleversement majeur de l’im­ plantation initiale, beaucoup de pièces ou d’espa­ ces ont été adaptés aux exigences de la fabrica­ tion du pain ; c’est en fait surtout la zone postérieure qui a été occupée car l’aire du jardin fut réservée aux meules ; leur disposition est curieuse puisque, trop proches les unes des autres, elles ne pouvaient tourner en même temps, mais cet inconvénient a sans doute été jugé moins grand que le blocage des circulations

Fig. 102. Chapiteau corinthisant du périsityle marmoréen de I'Insula de Julia Felix à Pompéi. Cliché DAI n° 26974.

entre les pièces adjacentes ; toujours est-il que le four à pain (J) fut installé dans l’ancien salon qui s’ouvrait au sud sur le jardin, cependant que l’éta­ ble pour les animaux de trait et pour les chevaux ou les ânes qui faisaient tourner les meules occu­ pait le salon opposé (M) : un abreuvoir (C) avait été adossé à l’un de ses murs ; quant au pistrinum proprement dit, l’atelier où l’on pétrissait la pâte, il avait trouvé place, assez logiquement, dans l’an­ cienne cuisine (N). On ne sait pas exactement à quoi servaient les pièces réparties autour de Yatrium, mais elles devaient fournir un logement au boulanger et à sa famille, qui tenait boutique dans les tabernae situées de part et d’autre de l’en­ trée. Il n’est pas exclu que des pièces en étage aient pu être utilisées pour le stockage du blé ou de la farine. Il va de soi que de tels détournements de fonc­ tion ne modifièrent pas seulement l’aspect exté­ rieur et intérieur des habitats, mais entretenaient dans les quartiers où ces opérations se multi-

2. Les DEUX PREMIERS ^föL^R^tfEMnKEk/fftOMITBri'lTAlIE

109

Fig 103. La » casa del Panettiere »à Pompéi, d'après F. Carocci et E. De Albemus

L’habitat urbain

pliaient une atmosphère toute différente de celle qui y régnait auparavant : Pompéi - et dans une moindre mesure Herculanum - étaient devenues, juste avant leur disparition, des petites cités indus­ trieuses où subsistaient assurément des îlots rési­ dentiels, mais en général moins vastes, moins unitaires et moins riches qu’au cours des deux siècles précédents. On y rencontrait même, dès avant le séisme de 62, des immeubles de rapport dont, certes, l’extension, l’élévation et surtout la complexité n’étaient pas comparables à celles que nous observons dans les îlots d’Ostie au siècle suivant (infra, p. 121 sq.), mais n’en témoignent pas moins, dans des contextes urbains en principe moins soumis à la pression démographique que 1'Urbs ou la ville portuaire, de l’évolution de la société. Nous avons déjà vu, à Herculanum, la « Casa a Graticcio » (supra, p. 87). C’est encore la petite ville campanienne, si proche de Naples, qui offre l’exemple le plus remarquable d’un immeuble de rapport au Ier siècle de notre ère. Dans ce qu’il est convenu d’appeler VInsula orientalis II un ensemble d’une grande cohérence structurelle témoigne de la diffusion des apparte­ ments à bon marché : il se présente sous la forme d’une vaste cour bordée sur ses côtés nord, ouest et sud d’un portique et longée à l’est, en raison de l’élévation du terrain, par un cryptoportique soutenant une terrasse ; il s’agit d’une palestre dont le bassin central, cruciforme, était omé d’une fontaine de bronze (fig. 104). Mais le long de sa face nord, entre le portique et le cardo V, s’aligne une série de boutiques (dont celle d’un gemmarius, joaillier) et d’officines, dont celle d’un boulanger (pistrinum) au-dessus desquelles s’éle­ vaient trois et peut-être quatre niveaux d'apparte­ ments. La proximité et presque l’imbrication (si les boutiques, ce dont nous pouvons difficilement juger aujourd’hui, s’ouvraient aussi, pour certai­ nes d’entre elles, vers la palestre) du public et du privé évoquent par anticipation les insulae à servi­ ces intégrés de l’Ostie de l’époque antonine. L’état de destruction des niveaux supérieurs, qui avaient apparemment beaucoup souffert lors du tremblement de terre, et qui n’étaient pas réparés, loin s’en faut, en 79, n’autorise pas une analyse précise des cenacula des étages, mais on peut, sans beaucoup s’avancer, imaginer qu’ils étaient assez sommaires (fig. 105). Prenons garde que cet ensemble d’Herculanum, et d’autres, moins suggestifs, de Pompéi, ne sauraient en aucun cas constituer des prototypes de l’habitat collectif et des immeubles à caractère spéculatif de Rome ou d’Ostie. Nous avons vu plus haut que ceux-ci étaient apparus dans l’Urbs dès le IIe siècle av. J.-C. et peut-être auparavant. Mais compte tenu des données archéologiques dont nous disposons, cette Insula orientalis I I cons-

titue l’un des premiers cas concrets de ce genre qu’il nous soit donné d’observer. Elle est le signe de phénomènes sociaux et économiques que nous ne pouvons qu’entrevoir : le développement des classes laborieuses dans ces villes campaniennes dont la valeur résidentielle s’amenuise au Ier siècle et dont les fonctions commerciales ne cessent de s’accroître ; la pression aussi, peut-être, des descendants des colons syllaniens dont certains, appauvris, deviennent dépendants des nouvelles classes dirigeantes ; la recherche enfin, de la part de la communauté urbaine et de ses responsables, de revenus nouveaux, car il n’est pas exclu que la ville d’Herculanum ait ellemême mis en location ces appartements et ces boutiques, de toute évidence conçus dans le même projet urbanistique que la palestre ellemême, pour subvenir plus aisément à l’entretien de celle-ci.

Domus

et

insulae à

R om e

a u x d e u x p r e m ie r s siècles d e n o tre ère Nous avons dit dans un chapitre précédent (supra, p. 87) avec quelle précocité s’étaient déve­ loppés à Rome l’habitat collectif et les immeubles de rapport. Il importe maintenant d’essayer de comprendre comment le tissu urbain de la grande ville a continué de se développer, et en particulier quelle peut être, dans 1’Urbs des Ier et II' siècles, la part respective des maisons, au sens traditionnel du terme, et des immeubles. Là encore un détour par les textes s’avère indispensable, pour deux raisons : d’abord parce qu’ils vont nous permettre de préciser une terminologie encore souvent mal définie ou mal fixée ; ensuite et surtout parce que leur témoignage est plus vivant que celui des vestiges archéologiques, malheureusement peu nombreux, du moins en ce qui concerne les édifi­ ces privés. Il est d’usage de recourir, pour décrire les deux types d’habitation les plus fréquentes de cette période, aux mots, considérés à bien des égards comme antithétiques, de domus et d’insula. Si le premier ne pose pas de problème, le second est pour le moins ambigu. Les grammairiens de la fin de la République et de l’époque augustéenne, au premier rang desquels Varron, rappellent que le terme dans son sens édilitaire dérive d’un emploi métaphorique de celui qui en latin signifie « île » : Vinsula est donc un édifice ou un groupe d’édifices qui sont délimités par une voie (ambitus) qui permet d’en faire le tour ; en ce sens le mot latin s’apparente, tant pour son origine que pour sa signification, au français « îlot » (voir par ex. Varron, De lingua Latina, V, 22 ; Paul Festus, 5 L ;

Fig. 105. Restitution de la façade cardoV, d'après J. E. Packer. 98 L). Cette acception technique, plus urbanis­ tique qu’architecturale, est encore celle de Vitruve : dans la notice du De architectura que nous avons longuement commentée (supra, p. 86) où il décrit l’habitat collectif des Romains, il ne recourt qu’aux mots habitationes ou aedificia, réser­ vant le terme insula aux îlots d’une ville ortho­ normée (I, 6, 8 ; II, 9, 16). Cependant Cicéron utilise déjà insula pour désigner des propriétés immobilières, et plus précisément des édifices qui peuvent être divisés en appartements et dont les revenus locatifs sont substantiels (Cicéron, Ad. Attic., XV, 17, 1 : merces insularum ; XVI, 1, 5 : ad fructum insularum, etc.). Le mot apparaît ici dans un contexte où l’on s’efforce de distinguer l’im­ meuble collectif de la maison gentilice, la domus qui par définition n’appartient qu’à un dominus, lequel y réside avec sa famille. Mais que veulent dire précisément Tacite (Annales, XV, 41, 1) et Suétone (Nero, 38, 5) lorsqu’ils rappellent que de nombreuses domus et insulae brûlèrent pendant les six jours et sept nuits où se déchaîna l’incendie de 64 ? Si l’on compare leurs textes avec celui, plus tardif, de YHistoire Auguste consacré à Antonin le Pieux (9), où il est dit que le feu détruisit sous cet Empereur en une seule fois 340 insulas vel domos, c’est-à-dire insulae ou domus, il est permis de se demander s’il existe bien encore une distinction claire entre les deux mots. En réalité beaucoup de documents textuels ou épigraphiques (dont l’ins-

ï» L es deux prem iers s r ë e iiW F P ^ ^ p iB E ^ p M ïé r a I talie

111

cription pompéienne du CIL, IV, 138, déjà citée, qui parle de Vinsula Arriana Polliana) laissent entendre aux I" et il* siècles que Vinsula est, selon les cas, soit un îlot (au sens de groupe d’édifices ou « pâté de maisons »), soit une propriété urbaine comportant diverses composantes que son possesseur peut diviser pour les louer ou les lotir à sa convenance. Cette double signification se résout en une seule dès lors que l’on admet que Vinsula est une réalité cadastrale, c’est-à-dire fiscale. Sur ce point les textes juridiques sont clairs (Ulpien, Digeste, XVII, 2, 5 2 ; Labeo, Digeste, XIX, 2, 58 ; Scaevola, Digeste, XXXIII, 7, 7, etc.) ; Yinsula est un édifice complexe mais formant à l’origine une propriété unique, divisible en sections de types différents qui peuvent être louées ou transmises par héritage. Les insulae constituent donc des blocs architecturalement unitaires, mais qui comportent des partes ou portiones dont l’extension, les fonctions et les desti­ nées peuvent être assez diverses. Des inscriptions de Rome fournissent des informations similaires [CIL VI, 10248 ; 29791), d’où il ressort que l’msula porte le nom de son propriétaire (insulae Alatianae -, insula Sertoriana), ou du moins du premier de ses propriétaires, la dénomination originelle lui restant ensuite attachée, même après l’aliénation du domaine immobilier en question, exactement comme dans le cas des fandi, les propriétés rurales. On conçoit dans ces condi­ tions que la notion de parcelle allotie et celle de propriété unique puissent dans certains cas se confondre. Il importe toutefois d’introduire, dans ces définitions qui semblent simples et finalement assez proches de celles que nous utilisons aujour­ d’hui, un correctif qui rend la réalité romaine irré­ ductible à toute autre : la propriété ne se divise à Rome qu’horizontalement et jamais en principe verticalement ; la formule des juristes définissant la possession foncière (usque ad sidera et usque ad Inferos : jusqu’aux astres et jusqu’aux Enfers) dit bien que le propriétaire d’un rez-de-chaussée l’est automatiquement aussi des étages qui le surmon­ tent ; on imagine sans peine que cette conception absolue de la propriété privée finira par poser aux juristes romains des problèmes insolubles, mais elle explique qu’un îlot, au sens urbanistique du terme (ce que les Italiens appellent un « caseggiato »), puisse comporter - et comporte le plus souvent - plusieurs insulae, selon un clivage qui est autant vertical qu’horizontal : d’où le grand nombre d’ouvertures sur la rue identifiables dans un même îlot et souvent dans un même immeu­ ble ; chacune correspond à une insula au sens juri­ dique du terme. Le même phénomène se constate encore aujourd’hui dans le centre historique de Naples, où la numérotation se fait par porte, et non par immeuble ou « palazzo », chacun de ceux-ci pouvant comporter cinq, six, voire davan­

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L’habitat urbain

tage de nos numéros. Et l’on comprend du même coup le soin avec lequel sont indiqués, sur le plan de marbre sévérien (infra, p. 118 sq.) les accès sur la rue et le nombre des niveaux superposés ; selon une hypothèse récente de L. Peidroni, les lignes horizontales qui, sur cette Forma Urbis marmoréenne, coupent les triangles (signes conventionnels mentionnant la présence d’un escalier) ne désignent pas, comme on le pensait jusqu’ici, des marches (ce qui, il faut en convenir, était difficile à croire, sauf à admettre des simpli­ fications arbitraires puisque le nombre des gradins apparaît en général nettement inférieur à la dizaine), mais des paliers, c’est-à-dire les étages situés au-dessus du rez-de-chaussée. L’indication est effectivement indispensable, dans un docu­ ment cadastral à finalité essentiellement fiscale comme le plan sévérien, puisqu’elle est la seule qui permette d’établir l’extension réelle, en éléva­ tion, d’une propriété urbaine, selon les conven­ tions en vigueur. Nous aurons à reparler de cette définition verticale de l’inrula en étudiant l’habitat d’Ostie au IIe siècle ; disons seulement qu’elle rend compte du fait que l’on dénombre, dans les quartiers actuellement dégagés de cette ville, 162 insutae pour 66 immeubles ou « caseggiati ». A Rome, les immeubles de rapport - que l’on peut donc appeler insulae, à condition d’avoir présentes à l’esprit les limites spatiales et juri­ diques de cette notion - continuèrent de se multi­ plier aux dépens des habitations familiales, pour les raisons économiques et démographiques que nous avons développées pour la fin de la République, et qui restent valables dans leurs grandes lignes pour la période qui nous occupe ici. Malgré les progrès de l’emploi de Yopus caementicium, et particulièrement le recours de plus en plus fréquent à Yopus mixtum, c’est-à-dire au réticulé encadré par des assises horizontales ou des angles de briques (technique qui se développe entre les Flaviens et l’époque d’Hadrien), les risques d’incendie demeurent grands, du fait de la superposition des planchers (tabulationes), de la légèreté des cloisons en opus craticium, de la fréquence des balcons de bois en saillie sur la rue, de la vulnérabilité des charpentes, etc. La préca­ rité des moyens de chauffage (braseros, le plus souvent), l’absence d’eau courante hors de certains points du rez-de-chaussée (dans le meilleur des cas) multiplient les occasions de « départs de feu ». Et le thème de l’embrasement des insulae est l’un de ceux qu’on rencontre sous une forme récurrente dans tous les développe­ ments, historiques, rhétoriques ou philoso­ phiques, qui font allusion aux conditions de la vie quotidienne dans l’Urbs ; il serait aussi inutile que fastidieux de citer tous les textes. Deux brefs passages de Sénèque suffisent à planter le décor, plutôt inquiétant, de cet habitat populaire, où

l’aspect délabré d'immeubles qui menacent ruine après plusieurs incendies est évoqué avec ce mélange de précision et de détachement qui caractérise l’attitude du philosophe dès qu’il parle d’un univers qui lui est étranger ; voici ce qu’il dit (De Im, III, 35, 5) pour stigmatiser la fausse déli­ catesse des raffinés : ♦ Ces yeux qui ne supportent qu’un marbre polychrome et poli de frais, qu’une table en bois veiné, qui ne veulent fouler chez eux que des matières plus précieuses que l’or, regar­ dent hors de chez eux, sans se troubler, des venel­ les chaotiques et houleuses, des passants pour la plupart sales, les murs des quartiers pauvres à demi rongés, lézardés, bossués » ; dans le De bene­ ficiis, VI, 15, 7, il rappelle ce que bien des gens doivent aux artisans ou charpentiers qui font en sorte que les immeubles ne s'écroulent pas : « Quel service ne nous rend pas celui qui, à notre logis prêt à choir, vient mettre un étai et, lorsque toute une maison de rapport (insula) est lézardée depuis le bas sait, par les secrets merveilleux de son art, la maintenir en l’air ? Pourtant, il est fixe et bien modeste le tarif qui correspond à ces travaux de soutènement ». On notera, dans ces dernières lignes, que Sénèque parle en proprié­ taire foncier, heureux finalement que quelques hommes aussi habiles que robustes lui évitent à peu de frais d’avoir à reconstruire un immeuble entier même si son sens moral et sa logique sont heurtés par la modicité du prix à payer. Mais nous sommes, dira-t-on, avant le grand incendie de 64, et donc à une époque antérieure à la mise en pratique des mesures imposées par Néron pour que les immeubles reconstruits soient moins vulnérables. Celles-ci ont-elles vraiment modifié la situation ? D’après le Pseudo-Sénèque (Epist. ad Paul, 11), le feu aurait détruit, pendant ces jour­ nées terribles, 132 domus et 4 000 insulae ; indé­ pendamment de l’énormité de ces chiffres, sur l’exactitude ou le caractère approximatif desquels il serait vain de gloser, ce qui nous paraît digne d’être retenu, c’est la disproportion entre le premier et le second ; une disproportion dont nous ne prenons la mesure qu’à partir du moment où nous comprenons, avec F. Coarelli, que le mot insula s’entend ici au sens d’ilôt, ce qui oblige à multiplier par quatre ou cinq le nombre des insu­ lae (au sens où nous l’avons défini plus haut) ; cela donne une idée de la prédominance écrasante de l’habitat collectif sur la maison individuelle dans les quartiers populeux de la Rome du Ier siècle. C’est d’ailleurs l’ampleur des destructions dont souffriront essentiellement les immeubles dans dix des quatre régions de la Ville (selon Tacite, Annales, XV, 40, 2) qui inspira à Néron l’idée d’un schéma urbanistique cohérent. Il s’agissait en fait, avec cette nova Urbs, comme l’a montré A. Balland, de rivaliser avec les entrepri­ ses d’Alexandre et de renouer avec les vastes

projets que César avait conçus pour Rome et qu’il n’avait pas eu le temps de mener à terme. Une série de réglementations précisait, avec un grand luxe de détails, si l’on en croit les notices de Tacite (XV, 43) et de Suétone (Nero, 16, 1), les normes de construction qui en principe devaient s’appliquer à la « nouvelle ville » : limitation de la hauteur des édifices, interdiction de l’emploi des poutres de bois pour les parties externes, usage systéma­ tique des tufs de Gabies et d’Albe réputés réfrac­ taires, mise en place de portiques régnant aussi bien devant les façades des domus que devant celles des insulae. A ces mesures d’ordre tech­ nique s’ajoutait un plan régulateur pour la voirie : rigoureux alignement des bâtiments en façade sur les rues, élargissement des artères principales, ouverture de places, le tout devant améliorer la résistance au feu des quartiers d’habitations et faciliter l’intervention des services compétents. Déjà Vitruve avait préconisé, trois quarts de siècle plus tôt, l’utilisation du mélèze (considéré alors comme inaccessible au feu) pour recouvrir la partie haute des îlots, sous l’avancée des toits (in subgrundiis circum insulas) ; ainsi, affirmait-il, les édifices ne courraient plus le risque que l’incendie se propageât de l’un à l’autre (II, 9, 16) : c’est bien la preuve que le plus grand danger résidait dans la contagion du feu, par proximité, qui pouvait embraser des régions entières de la ville. Mais sous la contrainte des faits cette « charte » néronienne de la sécurité ne connut qu’un commen­ cement de réalisation relativement modeste et ce que nous en savons laisse à penser que les tech­ niques utilisées, l'opus testaceum et Yopus mixtum, firent peu d’usage de ces tufs dont l’emploi n’était plus de mode depuis le début de l’Empire. Et, si l’on s’en tient à la tradition textuelle, il n’apparaît pas que les choses aient beaucoup changé après l’intermède néronien, quelles qu’aient été ses ambitions, puisque deux nouveaux incendies se propagèrent dans Y Urbs en 69 puis en 80. En plein cœur du IIe siècle, Aulu-Gelle (Nuits Attiques, XV, 1, 2-3) observe encore, au cours d’une promenade, un spectacle qui ne semble pas le surprendre outre-mesure : « Nous l’accompa­ gnions chez lui (il s’agit du rhéteur Antonius Julianus) quand en abordant la colline du Cispius (une des regiones directement impliquées dans le cataclysme de 64) nous apercevons un immeuble (insulam) dont le feu s’était emparé ; il était fait de nombreux étages serrés qui lui donnaient une grande hauteur, et déjà toutes les constructions voisines (propinqua omnia) brûlaient dans un immense incendie » ; et voici ce qu’inspire à l’un de ses compagnons ce fait divers dramatique : « Les revenus des propriétés urbaines sont grands, mais beaucoup plus grands et de loin sont les risques qu’elles font courir. S’il avait pu se trouver quelque remède pour que les maisons

% Les d eu x p rem ie rs s iè c le s - b £ iÆ m pire) (R o m e-et„Italie

(domus) ne brûlent pas aussi constamment à Rome, j ’aurais mis en vente, je vous l'assure, mes propriétés rurales et j’aurais acheté des biens en ville ». Cet investisseur cynique qui ne s’embar­ rasse pas de sentiments humanitaires nous révèle, mieux que les listes des incendies recensés par la chronique, le caractère en quelque sorte habituel sinon quotidien du phénomène, qui en dit long dans ces années 160 ap. J.-C. sur la persistante précarité de l’habitat populaire. Quelques vestiges permettent cependant de juger des travaux accomplis à la suite de la cata­ strophe de 64 : malgré la régularisation abusive du secteur oriental de la »ia sacra à l’extrémité du Forum qui, à la suite d’un surcreusement de la part des fouilleurs du XIXesiècle, a détruit tous les niveaux postaugustéens, il est possible d’obser­ ver, entre cette voie et la via Nova, une série de piles de fondation en opus caementicium, parfois identifiées à tort aux Horrea Margaritaria (les « Magasins des perles »), et qui en réalité garde la trace de plusieurs insulae, signalées d’ailleurs par les Catalogues des Régionnaires dans cette partie de la dixième région (Palatin). La tentation est grande, et sans doute fondée, d’y voir un échan­ tillon des édifices d’habitation « normalisés » construits dans le cadre de la nova Urbs projetée par Néron ; malheureusement l’état du site n’au­ torise aucune restitution assurée et l’on constate seulement que ces substructions rythmiques et rigoureusement ordonnées définissent un vaste îlot quadrangulaire qui s’est superposé à un quar­

Fig. 106. Caput Africae, Rome. Plan restitué d'une insula d'époque flavienne, d'après C. Pavolini.

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L’habitat urbain

tier de maisons de la fin de la République. Tout récemment, sur le Celio, la colline (Caelius) à proximité de laquelle est parti le feu selon Tacite (Annales, XV, 38, 2), une fouille de C. Pavolini a mis au jour le tronçon dallé d’une rue (vicus) dont les topographes anciens nous ont conservé le nom (vicus Capitis Africae) le long de laquelle, audessus des strates de l’incendie néronien, ont été retrouvés les niveaux d’occupation de trois insulae de l’époque flavienne (fig. 106) ; les conditions dans lesquelles s’est effectué le dégagement permettent une vue d’ensemble précise, et la restitution d’un plan : derrière un large trottoir couvert d’un portique se déploie sur une façade rigoureusement alignée une série de boutiques qui, avec leur pièce adjacente vers l’arrière (ouverte sur un vicus parallèle) occupaient tout le rez-de-chaussée ; un escalier, dont deux volées sont conservées, donnait accès aux étages, où se répartissaient sans aucun doute des apparte­ ments ; à l’extrémité nord du quartier une autre insula s’articulait autour d’un péristyle ; les sols mosaïqués de son vestibule et l’espace circonscrit par le quadriportique témoignent d’un luxe rela­ tif. Cet ensemble a évidemment subi par la suite de nombreux remaniements, mais il est remar­ quable qu’il ait conservé son ordonnance géomé­ trique ; l’essentiel des règles édictées par les équi­ pes néroniennes, particulièrement pour ce qui concerne la relation des bâtiments entre eux et avec la rue, s’y trouve mis en œuvre : outre l’aspect rectiligne des façades, déjà signalé, et leur

protection au moyen d’un portique, on note l’ab­ sence de murs mitoyens entre les deux blocs adja­ cents [insula 1 et insula 3) qui correspond à l’une des normes les plus strictes de la nouvelle régle­ mentation (Tacite, Annales, XV, 43,4 : « On inter­ dit les parois mitoyennes et imposa pour chaque construction une enceinte de murs particulière »). C’est à peu près tout ce dont nous disposons pour juger de l’évolution de l’habitat romain au Ier siècle. Pour le IIe siècle les éléments conservés sont un peu plus évocateurs. Plusieurs témoins archéologiques, répartis dans des secteurs diffé­ rents, méritent d’être retenus. Le premier, et chronologiquement le plus ancien, est le vaste quartier dégagé en 1955 par G. Gatti le long de l’antique via Lata/Flaminia, l’actuelle via del Corso. Il s’agit d’un groupe de trois ilôts inscrit dans une trame orthogonale puisque quatre rues perpendiculaires à l’axe nord-sud, disposées à égale distance, y ont été identifiées. L’ensemble, rem arquablem ent implanté, s’étend sur 220 m de longueur et 120 m de profondeur ; chaque îlot mesure 62,40 x 48,50 m. Ils semblent avoir été construits dans la seconde moitié du règne d’Hadrien si l’on en juge par les estampilles sur briques datées de 123, et chacune de ces trois unités édilitaires, conçue exactement sur le même modèle, était entourée d’un portique à arcades dont les piles en opus testaceum étaient animées dans leur partie centrale par des pilastres à bases et chapiteaux de traver­ tin (fig. 107). La partie la mieux conservée, qui s’étend sous l’actuelle Galerie Colonna, en face de la place du même nom, permet d’en compren­ dre l’organisation interne : le rez-de-chaussée était occupé presque entièrement par une série de douze boutiques dont certaines étaient pourvues d’une étroite salle à l’arrière ; l’espace central comportait sans aucun doute une ou plusieurs cours quadrangulaires ; les étages, auxquels on accédait par un escalier situé dans l’angle nord-est de Pilot, étaient occupés par des appartements dont il est malheureusement impossible d’appré­ cier l’étendue et l’organisation. Mais il est clair que cette composition du Champ de Mars, établie si l’on en croit le fouilleur sur un site vierge de toute occupation antérieure, a servi de modèle à de nombreux quartiers d’Ostie, et particulière­ ment aux constructions qui se répartiront, quelques décennies plus tard, le long du decuma­ nus maximus de cette ville. Il apparaît là encore, mais sur une échelle beaucoup plus vaste que précédemment, que même dans des quartiers où la pression du parcellaire reste faible, la concep­ tion qui prévaut désormais est celle de l’habitat collectif, en liaison avec des activités commercia­ les ou artisanales ; cela ne signifie pas que cet habitat soit pauvre ou exigu ; nous ne disposons d’aucun élément pour juger de l’extension des

Fig. 107 Rome. Édifice sous la galerie Colonna, le long de la via Lata, d'après G. Gatti. cenacula, mais, compte tenu de l’environnement urbanistique et du soin apporté à la construction, les appartements des niveaux supérieurs pouvaient être relativement bien conçus. Pour le seconde moitié du IIe siècle, Yinsula la mieux conservée est celle qui, appuyée sur la paroi rocheuse de la colline du Capitole, s’élève au pied de l’escalier de l’Aracoeli ; dégagée lors des travaux qui ont conduit à l’isolement du Campidoglio, dans les années 30 de ce siècle, cette structure est particulièrement évocatrice puisqu’elle a conservé, en plus du rez-de-chaussée et d’une mezzanine, trois étages et la trace d’un quatrième, qui n’était peut-être pas le dernier. Le niveau inférieur était occupé par une série de boutiques disposées autour d’une cour à

% Les d e u x p re m ie rs siè cles- d e l'Empire., Rom e e t I ta l ie

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Fig. 108. Uédifice situé au pied de l'escalier de l’Aracoeli à Rome, le long de la pente du Capitole, d'après I. Gismondi.

Fig. 109. Parai d‘insula intégrée à la tiburtine à Rome.

portiques ; au-dessus se multipliaient les loge­ ments locatifs, dont la surface et le confort dimi­ nuaient à mesure qu’on s’élevait ; en façade, un balcon sur consoles de briques marquait la tran­ sition entre le rez-de-chaussée et les étages réser­ vés à l’habitat ; ces derniers prenaient jour par des fenêtres rectangulaires (fig. 108). Un tel édifice appartient à une catégorie certainement très inférieure à celle des îlots du Champ de Mars décrits ci-dessus ; il s’agit d’un exemple typique et à ce titre précieux d’insula à caractère spéculatif, qui se définit par une occupation intensive : on a pu calculer qu’environ 380 personnes pouvaient s’entasser dans cet immeuble qui n’est qu’un « dortoir pour pauvres » où la ségrégation verti­ cale imposait sa loi d'airain, les plus démunis se regroupant dans les étages les plus élevés où les conditions de vie devenaient franchement précai­ res. On songe, devant cet immeuble, aux plaintes que Martial exhalait déjà, avec une ironie non exempte de tristesse ou d’exaspération, à propos de son modeste logis situé à un troisième étage fort élevé (Epigr., I, 117, v. 7 : et scalis habito tribus, sed altis) ou aux « deux cents marches » qu’est censé devoir gravir le pauvre parasite mis en scène par le même auteur pour rejoindre son galetas (cella) (Epigr., VII, 20, v. 20). Martial écri­ vait dans les toutes dernières années du Ier siècle, mais son expérience et ses observations valent évidemment pour une construction comme celleci, datée de l’époque antonine.

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L’ habitat urbaw

Deux autres édifices similaires peuvent être évoqués : dans la Muraille aurélienne, entre la cinquième et la sixième tour à partir de la Porte tiburtine (quand on chemine vers le sud-est) fut englobée la paroi d’une insula de 16 m de haut et de plus de 30 m de large ; ce qu’on en voit n’est peut-être que la façade interne (côté cour ou jardin), où s’ouvrent plusieurs rangées de fenêtres sous arc de décharge qui permettent de postuler l’existence d’au moins quatre niveaux ; les diffé­ rences de dimensions et de rythme des fenêtres suggèrent que les appartements qu’elles éclai­ raient n’étaient pas tous du même type, et selon la « règle » définie plus haut celles du dernier étage, petites, étroites et nombreuses, laissent à penser qu’elles appartiennent à des cellae constituées d’une pièce unique plutôt qu’à des cenacula. Quinze consoles de travertin soutenaient initiale­ ment un balcon de bois au-dessus du rez-dechaussée, selon un schéma analogue à celui de Yinsula de l’Aracoeli (fig. 109). Dans tous ces cas Y opus caementicium revêtu de briques règne presque sans partage, ce qui prouve que l’emploi de cette technique, déjà explicitement recom­ mandé par Vitruve pour les immeubles d ’habita­ tions des dernières décennies républicaines, n’a cessé de se répandre pour devenir, comme nous le constaterons à Ostie, général dans les îlots du IIe siècle. Enfin, sur le Celio (Caelius) sous l’église des Saints Jean et Paul et dans ses entours immédiats quatre unités d’habitation furent retrouvées, dont certaines avaient été insérées dans des construc­ tions médiévales qui en ont assuré la conservation partielle. Seules deux d’entre elles présentent encore des structures qui peuvent être interpré­ tées avec quelque vraisemblance : celle qui est partiellement enterrée sous l’extrémité nordouest de l’église a exploité la pente naturelle pour se répartir sur deux niveaux : des bains privés au rez-de-chaussée et des pièces d’habitation, dont certaines, de grandes dimensions, occupaient le ou les étages supérieurs ; il est impossible d’avoir une idée complète de cette maison, mais on peut affirmer qu’elle appartenait à une famille aisée et ne faisait pas partie des insulae locatives ; datée par les estampilles sur briques de l’époque d’Hadrien, elle témoigne de la persistance, dans certains quartiers privilégiés, de domus au sens économique et social du terme (fig. 110). Nous allons y revenir. La seconde unité en revanche, sur laquelle s’appuient la nef centrale et la nef latérale gauche de l’église, est une insula dont la façade, remaniée au Moyen Age, est englobée dans la paroi sud de l’édifice religieux : son rezde-chaussée présentait la particularité, par rapport aux immeubles du même genre observa­ bles à Rome, d’être rythmé par une série d’arca­ des qui n’étaient pas tributaires d’un portique

mais appartenaient à la structure elle-même ; celles-ci ouvraient sans doute sur des boutiques ; au-dessus deux étages sont encore visibles, mais l’élévation initiale devait être plus grande si l’on tient compte du fait que les parties hautes ont été abattues lors de la construction de l’église. L’ensemble de toute façon reste, pour son organi­ sation interne, difficile à interpréter, du moins en ce qui concerne sa phase initiale de la seconde moitié du IIesiècle, car de très importantes modi­ fications furent introduites dans l’immeuble et dans la cour qui le jouxte au nord vers le milieu du siècle suivant ; il n’est pas indifférent de noter que ces transformations radicales visaient à récu­ pérer tout ou partie de sa surface pour y établir une domus plutôt luxueuse, fl y a là un processus dont on savait qu’il avait affecté de nombreux quartiers d’Ostie au cours des IV* et V* siècles, mais dont on ignorait ou sous-estimait en général l’existence, surtout à une date aussi haute, dans la ville de Rome. Or il se trouve qu’un phénomène du même ordre vient d’ètre observé à peu de distance audelà de l’antique via Caelimontana (l’actuelle via di S. Stefano Rotondo), sur la crête du Celio. Il s’agit d’une véritable domus dont l’organisation et l’ex­ tension ont pu être précisées par des recherches récentes : occupant une superficie d’environ 1 300 m2 elle s’est constituée dans la seconde moitié du II* siècle par la fusion en une seule unité d’habitation de deux insulae à façade de boutiques, et de Yambitus qui les desservait (fig. 111). Elle porte aujourd’hui, dans la topogra­ phie romaine, le nom de Domus Gaudentii, du nom de son propriétaire le plus illustre, un séna­ teur de la fin du rv* et du début du v* siècles (Gaudentius), ami personnel du célèbre Q. Aurelius Symmachus, possesseur lui aussi d’une maison dans le même secteur. Ce qui nous retiendra, c’est évidemment la première phase de cette domus qui témoigne, avec plus d’un siècle d’avance par rapport à Ostie, de la récupération par les classes riches des endroits considérés comme les plus agréables dans les quartiers qui sont encore proches du centre historique, aux dépens des immeubles réservés à l’habitat collec­ tif dont les locataires, si tant est qu’on leur ait demandé leur avis, furent priés, à la suite de tran­ sactions entre propriétaires fonciers, d’aller trou­ ver ailleurs un autre logement ; ailleurs, c’est-àdire dans une zone plus éloignée, la ségrégation concentrique, caractéristique de nos métropoles modernes, se manifestant ici sous une forme précoce. Cette maison, donc, était centrée sur une cour (C) ornée d’une petite fontaine à jet d’eau ; sur cette cour ouvraient les pièces de séjour les mieux décorées, un tablinum (D) à opus sectile et, au-delà d’un petit portique (E) à arcades reposant sur des colonnes ioniques, un triclinium (F), iden-

Fig. 111. La Domus Gaudentii d Rome, d'après A. Gabucci et G. Spinola.

f- Les d e u x p re m ie rs siEcxes-de^iÆmwreT R o m l-u f I ta l ie

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tifiable à son tapis de mosaïque central. Cet ensemble réservé au dominus, à sa famille et à ses amis, était séparé de la séquence où le même maître de maison recevait ses ♦ clients » : ceux-ci étaient d’abord admis dans le grand vestibules (A) où des banquettes le long des murs les aidaient à patienter dans l’attente d’être accueillis dans la salle (B), dont 1'opus sectile de grand prix indiquait à qui l’eût encore ignoré la richesse du dominus ; après lui avoir rendu leurs devoirs, les clientes pouvaient s’éclipser, sans importuner les autres membres de la famille, par le corridor (H) qui débouchait sur une entrée secondaire, dans une rue parallèle à celle où donnait l’entrée princi­ pale. Vers l’est le quartier servile et les pièces de service comprenaient un petit lavoir-teinturerie (fullonica) (L), une latrine et divers cubicula ; on gagnait un étage aujourd’hui disparu par un long escalier à double volée. Nous trouvons là, au cœur du II' siècle, une maison dont l’ordonnance prouve la vitalité des rituels sociaux qui sont souvent considérés comme caractéristiques de la fin de la République, et par voie de conséquence la permanence des clivages qui les rendent possi­ bles. Certes les « classes dirigeantes » de cette époque n’ont plus le même pouvoir ni les mêmes prérogatives politiques que celles de la Rome des oligarques sénatoriaux, mais ils éprouvent toujours le besoin de disposer des mêmes éléments de domination sociale, à ceci près - et c’est une observation décisive pour la compré­ hension de l’évolution de la domus, de la « maison de maître » au sens propre - que Vatrium n’est plus jugé indispensable à l’expression de cette domination ; dès lors les salles d’apparat, les salons ou ceci de tout genre, relativement indiffé­ renciés, semblent pouvoir servir à tous les usages, domestiques, de plaisance ou de représentation ; seul le système des circulations internes maintient une hiérarchie dans les espaces et les chemine­ ments. Là encore Martial peut nous aider à comprendre le fonctionnement d’une telle maison - qui en toute hypothèse ne comptait certes pas parmi les plus belles ni les plus riches de la Rome du Haut-Empire : avec ce mélange d’obséquiosité et d’impertinence qui caractérise le poète espagnol, il s’adresse en ces termes à son protecteur (Epigr. I, 108, v. 1-6) : « Tu possèdes et puisse-t-elle durer et prospérer pendant de longues années - une demeure magnifique (pulchra domui), mais sise au-delà du Tibre ; tandis que mon appartement (cenacula) a vue sur les lauriers de la promenade d’Agrippa (la porticus Vipsanio, sur le Champ de Mars) et que mainte­ nant dans ce quartier je suis un vieil homme. C’est un vrai voyage, Gallus, que d’aller chez toi te porter mes salutations du matin : mais cela en vaut la peine, même si tu habitais plus loin ». Il est clair que la salutatio du client n’a plus la fonction

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L’ habitat urbain

électorale d’autrefois ; elle reste importante pour ceux dont la vie quotidienne dépend de la géné­ rosité d’un riche patron.

D e n s ité e t d iv e r s ité d e l ’h a b ita t d e R o m e à la f i n d u H a u t- E m p ir e : le témoignage de la

FormaUrbis

Le plan de marbre incisé sur 151 plaques à la demande de Septime Sévère, plus connu sous le nom de Forma Urbis Severiana, couvrait une surface de 235 m2 et présentait à une échelle approximative (1/246) l’état de la ville dans les premières années du IIIe siècle. On admet en fait qu’il fut réalisé entre 203 et 211 ap. J.-C. Affiché sur le mur de l’une des annexes du Templum Pacis (AR I, p. 216 sq.) il constitue un document irrem­ plaçable dont tous les enseignements n’ont pas été encore tirés bien que les premiers fragments en aient été recueillis dès 1562 par les soins de Giovanni Antonio Dosio. Certes son état actuel, consécutif à la destruction systématique des plaques pour la récupération du marbre, s’avère très lacunaire, et malgré les efforts séculaires des « antiquaires » et des archéologues, seul un dixième de sa superficie a pu être récupéré ; encore tous les morceaux ne sont-ils pas identifia­ bles. Mais tels qu’ils sont, ces éléments disconti­ nus entre lesquels les topographes parviennent à retrouver chaque année de nouveaux « collages », donnent de plusieurs quartiers de la ville une image d’une précision exceptionnelle. Malgré les approximations, erreurs d’angle et conventions graphiques plus ou moins réductrices qui sont inévitables dans un travail aussi complexe, compte tenu des moyens de l’époque, c’est au fond un véritable bilan cadastral et architectural qui nous est ainsi donné à déchiffrer ; sa lecture s’en révèle d’autant plus exaltante qu’elle nous permet de cheminer dans des secteurs entiers de YUrbs qui sont à jamais inaccessibles à l’investiga­ tion archéologique pour des raisons évidentes de continuité dans l’occupation des sols. Si l’on essaie de croiser les données planimétriques fournies par la Forma Urbis et les données numériques contenues dans les Catalogues des Régionnaires qui, pour une date plus tardive, contiennent des indications précises et dans une large mesure applicables, moyennant quelques aménagements, à la période antonine et sévérienne, plusieurs conclusions peuvent être avan­ cées quant au tissu urbain des quartiers d’habitaRappelons d’abord, pour justifier le recours aux Catalogues, que Rome ne semble pas s’être

sensiblement modifiée, dans son extension ou dans sa populadon, entre le début du III' siècle, date de la gravure du plan de marbre, et le début du IV' siècle, date de la rédaction du Curiosum et de la Notitia ; la construction de l’enceinte d’Aurélien dans les années 270 correspond en principe à une diminution de la plus grande Roma de la période antonine, seulement limitée par les continentia (sous-entendu tecta), c’est-à-dire les constantes excroissances de la Ville hors des limi­ tes théoriques de son pomerium ; certes le total de plus de 300 vici ou quartiers administratifs, obtenu par l’addition des chiffres proposés par les Catalogues pour chaque région (307 dans le Curiosum, 304 dans la Notitia) fait apparaître une augmentation des subdivisions territoriales par rapport aux 265 vici attestés pour le règne de Vespasien. Mais il est probable qu’une part importante de la différence s’explique par la créa­ tion de nouveaux secteurs à l’intérieur des anciens : par exemple la région X du Palatin comptait 6 vici sous Hadrien et 20 au IVe siècle, alors que, de toute évidence, elle n’a pu s’accroî­ tre ; si d’autres régions, comme la XIV' (Trastevere) se sont effectivement agrandies au cours de cette période, les données globales, compte tenu, là encore, de l’inévitable approxi­ mation des calculs, n’ont pas dü être notablement altérées. Quelles observations autorisent ces deux sour­ ces en ce qui concerne la répartition à la fois numérique et topographique de l’habitat entre les maisons individuelles et les insulae ? La perma­ nence de la domus, dont nous avons relevé les effets sur quelques sites archéologiques et que les textes confirment, est attestée par nos deux docu­ ments : les Catalogues proposent une estimation de 1 780 domus. Certes, dans l’ignorance où nous sommes des différentes catégories rangées sous ce vocable, qui semble s’appliquer à toute maison individuelle, par opposition aux immeubles divi­ sés en appartements, il serait imprudent de risquer la moindre statistique géographique, malgré les évaluations fournies regionatim ; les petites unités d’habitation alignées en batterie, que le Plan de marbre présente dans le secteur du vicus Patricius, sur le Viminal, par exemple, semblent bien reproduire le schéma de la domus à péristyle et peut-être même à atrium si l’on admet qu’à cette échelle le bassin de Yimpluvium ne peut être mentionné ; en tout cas leur disposition sur un axe longitudinal, la nature de certaines pièces qui par leur situation paraissent devoir être assi­ milées à un tablinum (sur l’axe des fauces) et à des triclinia (de l’autre côté du péristyle) les désignent comme des demeures réservées à une famille et ordonnées selon les normes les plus traditionnel­ les (fig. 112). Mais ces maisons n’occupent guère plus de 500 m2 au sol, ce qui les maintient dans

Fig. 112. «Batteries »de domus dans la zone du vicus Patricius, sur une catégorie assez modeste, et elles n’ont évidemment que peu de points communs (autres que purement formels) avec les palais urbains où résidaient des personnages comme L. Fabius Cilo, consul en 193 et 204 et plusieurs fois préfet de la Ville sous Septime Sévère. Aussi les calculs de densité, effectués naguère par L. Homo, doivent-ils être accueillis avec beaucoup de réserve. D’autant que les jardins et parcs publics réduisent singulièrement, dans certaines régions, les surfaces réservées à l’habitat : ainsi la relative rareté des domus d’un quartier populaire comme le Trastevere n’a-t-elle pas le même sens que celle que l’on observe dans certaines zones particuliè­ rement « aérées » du Champ de Mars. Paraît assurée toutefois la disparition progres­ sive de la grande domus, hors des collines péri­ phériques (Collis Hortulorum, Quirinal, Caelius, Aventin) où les gens fortunés ont de plus en plus tendance à se réfugier, chassés du centre aussi bien par la densité de l’habitat populaire que par l’extension des constructions publiques et palatia­ les. L’un des quartiers les plus remarquables à cet égard est celui de l’Aventin et de ses abords, où les privata Hadriani (la demeure de la famille des Aelii avant l’accession d’Hadrien au pouvoir), la

1 L es deux premiers siècles ,öe ^ E m pir e ., R o m e e t I talie

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Fig. 113. Une grande domus au sud-est du Portique de Livie, sur la Forma Urbis, d'après E. RodriguezAlmeida.

Fig. 114. Le secteur du Janicule sur la Forma Urbis, d'après E. Rodriguez

domus Glottis, située par E. Rodriguez Almeida sur la pente de la colline vers la vallis Murcia, celle d’Annia Cornificia Faustina, sœur de Marc Aurèle, ou celle de Celonia Fabia, sœur du préfet de la Ville mentionné ci-dessus, constituaient à n’en pas douter un ensemble de résidences de grand luxe qui devaient occuper des surfaces importantes. Dans les mêmes parages, de vastes maisons du II' siècle ont du reste été détruites pour faire place aux Thermes de Caracalla. Si la Forma Urbis ne nous a conservé aucun plan de ces demeures, elle présente cependant, dans des frag­ ments préservés et récemment remis en ordre par E. Rodriguez Almeida, des domus dont l’emprise au sol semble considérable : c’est le cas d’une maison à péristyle située dans la partie haute de Subure, au sud-est du Portique de Livie ; on y discerne un péristyle trapézoïdal de douze colon­ nes, avec des salons sur l’un de ses côtés, et un

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accès latéral à un espace triangulaire visiblement résiduel mais intégré à la maison ; toute la partie septentrionale manque, mais il semble que nous soyons en présence d’une domus qui pouvait atteindre les 1 000 m2 de superficie au sol. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’une maison préser­ vée au milieu d’un quartier assez anarchique de magasins et d’insulae où les îlots affectent rare­ ment une forme régulière, témoignant d’une lutte assez âpre pour l’occupation du terrain, ou s’il s’agit d’une domus installée tardivement dans un immeuble dont les espaces centraux ont été tant bien que mal adaptés à de nouvelles exigences résidentielles ; la présence de boutiques alignées le long du clivus pourrait appuyer cette seconde hypothèse (fig. 113). Il est du reste intéressant de relever qu’en dépit du caractère évidemment très populaire de ce quartier on observe, à l’est de la porticus Liviae sur le clivus Suburanus, une petite

place triangulaire où un îlot, barrant la rue, oblige celle-ci à se répartir en deux tronçons ; au pied de cet îlot sont figurés trois cercles qui évoquent plutôt, compte tenu du contexte, des fontaines que des autels ou des bases de statues : dans cet élément d’animation et de décor E, Rodriguez Almeida a reconnu le lacus Orphei mentionné par les textes ; l’utilité de cet aménagement est patente et constitue l’un des exemples les plus remarquables du progrès entraîné, même dans les secteurs les moins privilégiés, par l’abondance relative des eaux courantes. Les Catalogues des Régionnaires dénombrent à Rome 1 352 fontai­ nes publiques ; il n’en existait que 591 au temps de Frontin au Ier siècle. Au nord-ouest de ce carre­ four le quartier se régularise un peu : même si les insulae à étages demeurent fréquentes, on y remarque la présence d’un ensemble à double enceinte quadrangulaire encadrant une cour bordée de pilastres sur trois de ses côtés, séparée par un portique d’une sorte d’espace basilical à trois nefs et abside axiale où il faut sans doute reconnaître une schola, le siège d’un de ces collegia socio-professionnels qui constituaient l’armature collective des zones populaires de la Rome de cette époque (AR I, p. 376 sq.). Non moins significative nous paraît être la représentation du Janicule, dans le secteur surplombant le Trastevere : dans sa partie septen­ trionale la trame est assez régulière et les îlots quadrangulaires sont séparés par des rues qui se croisent à angle droit. Peu de domus y sont identi­ fiables, mais de nombreux ensembles, encadrés par des boutiques à arrière-boutique ou mezza­ nine s’organisent autour de cours centrales plus ou moins vastes. Nous trouvons ici un autre type de quartier populaire, sans doute de constitution plus récente, car nettement plus excentrique, où l’on a visiblement appliqué un plan préétabli d’occupation du sol ; plusieurs de ces îlots consti­ tuent peut-être des magasins (horrea) mais d’au­ tres, dont l’espace interne présente des divisions plus complexes et dont les signes triangulaires indiquant les escaliers suggèrent par leurs barres transversales un nombre d’étages allant de trois à cinq, sont typiques des insulae (fig. 114). On mesure, devant un plan comme celui-ci, la densité de ces quartiers d’habitation : sur un espace d’à peine 2 ha on ne compte pas moins de 25 porches ouvrant sur des escaliers. Le schéma est typique de cet urbanisme intensif du HautEmpire dont Ostie nous permet de comprendre l’efficacité. Mais derrière la rigueur de l’épure géométrique il faut imaginer l’animation ou plutôt la confusion que ne pouvait manquer d’en­ traîner l’entassement de cette population, ainsi que les nuisances de toutes sortes (auditives, olfac­ tives ...) générées par l’activité des boutiques et des ateliers omniprésents, par les charrois circu­

lant entre les horrea, etc. On songe à la formule de Martial (Epigr., XII, 57, v. 3-4) : « La méditation et le repos sont également interdits à Rome à qui n’est pas riche ».

T ypologie d e l ’h a b ita t co llectif. L'exemple d ’Ostie L’insula résidentielle d’Ostie qui apparaît au visiteur du site comme l’objet architectural le plus caractéristique et le plus récurrent de cette ville, et qui effectivement confère au paysage urbain son aspect si particulier constitue en réalité un type d’habitat dont la diffusion reste circonscrite dans l’espace et dans le temps, et dont l’existence même est liée à des conditions socio-écono­ miques, politiques et techniques très spécifiques. Circonscrite dans l’espace puisque, hors de Rome et de sa ville portuaire, Yinsula ne se retrou­ ve guère sur d’autres sites. Nous avons rappelé la précocité de son établissement dans la capitale de l’Empire. A Ostie, Yinsula est liée à un moment historique relativement bref puisque - et c’est en cela qu’elle est circonscrite dans le temps - elle apparait sous sa forme accomplie à la fin du règne de Trajan, dans les années 110-120 ap. J.-C. pour disparaître ou du moins tomber en déshérence vers le milieu du siècle suivant Le développe­ ment en élévation de l’architecture ne se conçoit en fait que si la pression démographique l’im­ pose, si les techniques de construction le permet­ tent, mais également, données plus rarement prises en considération mais décisives en l’occur­ rence, si les bailleurs de fonds de la classe sénato­ riale, qui gèrent entre autres les ateliers [figlinae) de fabrication de la brique, y trouvent leur compte et si le pouvoir central juge opportun la concentration d’une population laborieuse dans un espace restreint Ostie, site « sensible » par définition, en raison de son importance pour l’ap­ provisionnement de Rome, ne se développe pas comme une colonie ordinaire, au gré des aléas de son terroir, mais en fonction d’une volonté poli­ tique qui s’affirme avec force tout au long du L’intervention directe de l’Empereur s’était même manifestée auparavant puisque dès le règne de Domitien une opération de grande envergure qui semble avoir affecté la quasi tota­ lité du territoire de la ville avait consisté en une recharge du sol sur une hauteur de près d’1 m ; un tel travail, qui suppose des dispositions légales contraignantes, était évidemment lié à un plan de restructuration dont les traces ont été retrouvées en plusieurs points du site et particulièrement dans la région II, entre le decumanus maximus et le Tibre. Il s’agissait, autant qu’on en puisse juger,

XLLES deux premiers sièoues/ d e Æ m pîr e . iR o m ii etaïualie

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Fig. 115. Plan de la domus fulmi­ nata à Ostie, d'après J.-E. Packer. de consolider le terrain, essentiellement sablon­ neux, pour mieux assurer l’implantation d’édifi­ ces importants nécessitant des fondadons plus profondes. Mais c’est Trajan qui, dès le début de son règne, donna l’impulsion décisive avec l’amé­ nagement d’un port enfin adapté aux exigences du commerce et du ravitaillement de Rome ; en peu de temps Ostie supplanta Pouzzoles et l’afflux d’une population de matelots, de commerçants, de courtiers, d’employés et d’artisans de toutes sortes imposa le recours systématique au loge­ ment collectif. C’était, pour la ville portuaire, une nouveauté relative ; on a pu écrire qu’un voyageur venant de Pompéi ou d’Herculanum, encore dans les années 60 du Ier siècle, pouvait n’être nullement dépaysé par l’aspect d’Ostie, où effectivement des sondages ont mis en évidence les vestiges, sousjacents aux structures du IIe siècle, de maisons de type traditionnel. Mais des habitations d’un genre particulier, qui sont aujourd’hui considérées comme appartenant à des phases de transition vers I’insula, apparaissent toutefois dès le début de l’époque flavienne. Tel est le cas de la « domus fulminata » (fig. 11.5) : déjà construite en opus caementicium à revêtement de briques, elle présente un porche à colonnes et un long corridor d’entrée divisé en deux dans le sens de la largeur.

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L’habitat urbain

puisque sa moitié droite est occupée par un esca lier ; cette possibilité d’accéder à l’étage depuis la rue constitue déjà, en elle-même, une rupture avec la maison unifamiliale et suppose l’indépen­ dance des habitants du ou des niveaux supérieurs par rapport à ceux du rez-de-chaussée. Mais ce qui a surtout été retenu comme significatif du point de vue de l’évolution formelle, c’est le fait que l’édifice s’organise autour d’une cour entou­ rée de colonnes de briques (dont certaines sont doubles ou triples) ; la disparition de l'atrium est en effet remarquable en ce qu’elle ne relève pas seulement d’un manque d’espace, mais suppose un mode d’emploi de la maison qui n’est plus celui de l’ancienne domus ; le péristyle n’est cependant pas central puisqu’aucune pièce ne se développe derrière son portique postérieur. L’ensemble conservait des prétentions au confort et même, dans une certaine mesure, à la repré­ sentation sociale, puisque deux lits de table en maçonnerie (biclinium) et une vasque recouverte d’une mosaïque polychrome occupaient la partie découverte du péristyle et que des décors peints ou mosaïqués, plusieurs fois restaurés ou refaits jusqu’au n r siècle, agrémentaient la plupart des pièces du rez-de-chaussée. Datée de l’époque trajanienne en raison de ses murs en opus reticulatum, la « domus di Apuleio », quoique dotée d’un plan en L à cause des contraintes du terrain, est rangée elle aussi parmi les derniers exemples de la « maison de maitre » à Ostie : un petit péristyle bordé par 8 colonnes, qui pourrait être assimilé à un atrium corinthien si l’espace à ciel ouvert qu’il dégageait n’était nette­ ment plus large que la vasque centrale, facilite la circulation entre les deux ailes ; on relève là encore l’existence d’un étage accessible depuis la rue (fig. 116). Dans la même catégorie enfin on a voulu faire entrer la première phase de la « domus délia Fortuna Annonaria », qui ouvre sur un decumanus secondaire dans un quartier qui semble avoir eu dès la fin de la République vocation à accueillir les demeures des notables. Largement remaniée aux III' et IVe siècles, cette maison qui fut cons­ truite vers le milieu du II' siècle est un cas « attardé » de domus à péristyle ; les grands salons (C et F) qui ouvrent sur ce dernier témoignent d’une vie sociale qui se veut encore brillante ; au long des périodes suivantes, la richesse du décor et l’aménagement de salles chauffées (H par exemple) maintiendront la tradition de confort et de représentation (fig. 117). Ces différentes domus et surtout les deux premières laissent apparaître en réalité une profonde mutation dans la notion et dans l’usage de la maison individuelle, en ce que de toute évidence leur organisation autour d’une cour à portique ne se conçoit pas seulement en fonction

du rez-de-chaussée mais présente une utilité essentielle pour le ou les étages dont les apparte­ ments s’ordonnent sur son pourtour ; le péristyle ou ce que, par pesanteur, nous appelons ainsi, n’est plus cet espace ajouté qui permet de s’isoler et de jouir entre amis du calme d’un jardin ; c’est une source de lumière et en même temps un lieu de convergence et de dispersion dont la finalité s’avère bien différente de celle des compositions pompéiennes de la fin de la République. Et de fait la cour centrale va devenir, pour beaucoup d’insulae, quand le parcellaire le permet, le lieu autour duquel s’organise la vie individuelle, mais aussi la vie collective, dans ces îlots ou pâtés de maisons qui se multiplient sous le règne d’Hadrien. Il importe à ce point de notre itinéraire dans Ostie de rappeler l’importance de l’action de cet Empereur. Trois de ses interventions ont en effet profondément marqué la ville ; elles consistèrent en des planifications qui ont successivement affecté le quartier au nord du forum (années 119120) avec la création d’un grand complexe d’en­ trepôts et de magasins de stockage ; le sud-ouest de l’espace urbain avec la définition, en 128, d’une aire réservée à l’habitat des classes favori­ sées, d’où la création de l’ensemble immobilier dit des « Case a giardino », dont nous parlerons ensuite (infra, p. 132) ; enfin, à la fin du règne, la région II, déjà modifiée par Domitien, avec l’aménagement d’un quartier de services et d’ha­ bitat populaire. C’est à cette époque si féconde que remonte la mise au point, dans ses aspects monumentaux mais aussi fonctionnels, de Yinsula typique de l’urbanisme d’Ostie. Pour bien comprendre la filiation de celle-ci par rapport à la domus, et en même temps les ruptures que sa conception d’ensemble implique par rapport à cette dernière, il faut partir de 1’« Insula delle Muse », qui appartient au quadri­ latère défini en 128 pour Pilot des « Case a giar­ dino » (fig. 118 et 119). On s’aperçoit d’emblée que, contrairement à une idée reçue, 1'insula en tant qu’entité monumentale n’est pas forcément réservée aux catégories dépendantes de la popu­ lation : à l’emplacement du péristyle en position plus ou moins centrale des domus dites de transi­ tion, nous trouvons une cour quadrangulaire, qui est elle aussi entourée de colonnes, mais qui semble fonctionner, dans l’esprit des construc­ teurs comme dans celui des utilisateurs, à la façon d’un atrium d’autrefois, puisqu’on a pu avec quelque raison définir comme un tablinum la grande salle XV qui s’ouvre à l’ouest de la cour ; flanquée d’ailes étroites (XIV et XVI) cette salle, ouverte sur l’espace central à travers un écran de deux colonnes in antis supportant des arcades, avait pour le maître de maison beaucoup d’im­ portance et constituait à elle seule un indice de richesse sinon de pouvoir ; en face Yaecus V, flan­

Fig. 117. Plan de la « domus délia

qué de deux chambres, conserve le cycle pictural le plus étonnant de toutes les demeures d’Ostie, puisqu’il présente le fameux groupe d’Apollon et des neuf Muses. La salle X, au nord-ouest, identi­ fiée comme un triclinium, célèbre elle aussi pour ses fresques scandées par des pilastres et des colonnes en trompe-l’œil, complète cet ensemble du rez-de-chaussée qui, avec la cuisine et les cubi­ cula, n’a rien à envier aux maisons aristocratiques traditionnelles ; le premier étage, accessible par un escalier interne (XX) qu’on trouvait à main gauche en pénétrant dans le couloir d’entrée (I) était évidemment réservé aux logements de la domesticité et sans doute aussi à d’autres salles de service. Mais ce qui empêche d’assimiler ce type d’habitation à une domus un peu modifiée, c’est le fait qu’un autre escalier, situé dans l’angle ouest (XIII) et accessible, lui, directement de l’exté­ rieur, conduisait à d’autres niveaux divisés en appartements (cenacula) dont les loyers consti­ tuaient l’une des ressources de la famille du rezde-chaussée. La notion d’insula, au sens écono­ mique du terme que nous avons défini plus haut (supra, p. 112) est donc ici déjà pleinement assu­ mée. Les techniques de construction utilisées, brique (opus testaceum) pour les murs périmétraux

5. L es deux premiers si& cles- d r l’S m p ip j , R om f et I talie

123

Fig. 118. Plan de I'« Insula dalle Muse ». d’après B. M. Felletti Maj.

Fig. 119. Plan de la même

L’habitat urbain

et les colonnes de la cour, et opus mixtum pour les murs intérieurs, sont du reste celles qui s’appli­ quent déjà systématiquement aux îlots destinés à l’habitat collectif. Ceux-ci sont pour la plupart la conséquence des aménagements de l’époque d’Hadrien qui ont, certes, dégagé des espaces importants pour les très nécessaires structures de service liées à la fonction commerciale d’Ostie, mais aussi, nous l’avons dit, réservé des surfaces non négligeables pour un habitat de niveau moyen ou élevé ; dès lors les superficies constructibles dans le centre de la ville s’en sont trouvées réduites ; d’où la multi­ plication dès les années 120-130 de grands ensem­ bles pourvus d’étages. Les premières de ces insulae se définissent par l’insertion de structures à destination publique à l’intérieur des îlots d’habitation ; c’est même cette insertion qui en conditionne le plan au niveau inférieur et par voie de conséquence, compte tenu de la disposition des murs portants du rezde-chaussée, celui des étages. Définis comme appartenant au type I de la classification de J. E. Packer, ces édifices conservent donc une importance économique, qui se manifeste par l’ampleur des boutiques et des ateliers qui en occupent intégralement tout le premier niveau et parfois, par l’intermédiaire des mezzanines, tout ou partie du deuxième. Les deux plus remarqua­ bles sont le « Caseggiato dei Larario » et le « Caseggiato dei Thermopolium ». Le premier, construit entièrement en briques, ne comporte qu’une entrée étroite, entre deux séries de boutiques ouvertes sur la rue, qui débouche dans une cour sans portique qui n’est autre que l’espace central d’une sorte de marché entouré sur ses quatre côtés de tabernae dont 10 au moins ouvraient directement sur lui ; au centre, une vasque à caractère strictement utilitaire. Il va de soi que dans ces conditions la cour de l’immeuble était un espace public. Les mezzanines situées audessus des boutiques étaient accessibles par de petits escaliers internes à celles-ci, dont la base maçonnée est conservée ; elles servaient au loge­ ment des commerçants et artisans. Au-dessus, les étages (sans doute au nombre de 2) étaient divisés en appartements : on y accédait depuis la cour par un large escalier (19 de la fig. 120). Le « Caseggiato dei Thermopolium » est conçu selon les mêmes principes, même si son plan apparait moins compact en raison de son insertion dans le réseau viaire (ses deux façades donnent respecti­ vement sur la via di Diana et sur le decumanus maximus) ; construit lui aussi dans les années 120, il s’ordonnait autour de deux cours dont la surface était initialement à peu près équivalente ; ces cours, elles aussi accessibles au public, étaient entourées de boutiques, et, sur le long côté ouest, d'un grand atelier ouvert par trois portails vers

l’intérieur, dont les deux centraux ont conservé leur seuil de travertin. Au moins deux étages à cenacula surmontaient ce rez-de-chaussée qu’on peut imaginer sans peine particulièrement bruyant et animé (fig. 121). L’ambiguïté fonda­ mentale de ces constructions réside donc dans le fait que les boutiques, au lieu d’être orientées, comme dans la plupart des insulae qui subsistent à Rome, vers la rue, et de former ainsi un groupe annexe mais non intégré aux structures d’habita­ tion, sont tournées aussi, pour beaucoup d’entre elles, vers l’espace central, ce qui a pour consé­ quence de transformer celui-ci en un véritable macellum. Il n’en est que plus étonnant de relever, dans le « Caseggiato del Larario », la présence, au fond de la cour, d’un petit laraire (qui donne son nom à l’établissement) : il témoigne apparem­ ment de la volonté de rappeler tout de même par un signe clair la signification domestique, et donc privée, de cet ensemble, soulignant ainsi, à l’insu même sans doute des habitants, la difficulté de concilier les infrastructures collectives et les unités d’habitation. En réalité cette ambiguïté ne présentait pas que des inconvénients pour les locataires ; elle permettait aussi d’absorber des structures qui rendaient la vie un peu plus facile dans les loge­ ments de ces insulae, ou du moins lui apportaient un confort dont ne pouvaient bénéficier les appartements eux-mêmes en raison de leur exiguïté, et de l’absence d’une installation tech­ nique adéquate. Le complexe formé par le « Caseggiato dei Serapide » (daté des années 128138), le « Caseggiato degli Aurighi » (édifié à peine dix ans plus tard) et les thermes dits des Sept Sages en apporte la démonstration (fig. 122123 et pl. VI) : en dépit de l’échelonnement de la réalisation de l’ensemble, la complémentarité des plans et surtout la façon dont l’édifice thermal s’insère entre les deux îlots plaident en faveur d’un projet unitaire ; c’est une des raisons du reste pour lesquelles R. Mar dans une étude récente propose de dater la construction des thermes, non pas comme on l’admettait jusqu’ici du milieu du II* siècle, mais avant même celle du premier îlot. Quoi qu’il en soit, il apparaît que la cour à portique du « Caseggiato dei Serapide » (1) fonc­ tionne comme le véritable vestibule des thermes ; c’est peut-être pour cela que ses piliers de briques très élevés soutiennent des arcades qui montent jusqu’au plafond du premier étage : l’aspect « public » de la structure se trouve renforcé par cette solennité inhabituelle de l’encadrement architectural ; la plupart des pièces réparties autour de la cour semblent être des boutiques, les étages, au nombre de quatre et peut-être cinq selon I. Gismondi, étant occupés par des locatai­ res. Ce n’est pas exactement le cas de Pilot dit des Auriges puisque l’on identifie au moins un appar-

Fig. 120. Plan du «Caseggiato del Larario », d'après J. E. Packer.

Fig. 121. Plan du « Caseggiato del Thermopolium», d'après J. E. Packer.

L es deux prem iers siè R0WïëjèE8TocciDENTALES

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Fig. 198. Les maisons B (àgauche! et A (à droite! du quar­ tier Saint-Florent à Orange, d'après

développait vers le sud mais les constructions de ce secteur ont été largement lésées par la muraille du IVe siècle : on y discerne cependant un petit patio secondaire presque carré (8,70 x 8,10 m) dont le centre était lui aussi occupé par un bassin entouré de colonnes ; on gagnait par un couloir « en baïonnette », depuis le péristyle central, le quartier réservé apparemment à la famille du dominus. Mais l’originalité de cette demeure réside évidemment dans les jeux aquatiques qui animaient son viridarium principal : les six cais­ sons destinés aux plantations étaient littéralement posés sur un plan d’eau ; un euripe continu, qui court au pied de la colonnade, pénètre en effet à l’intérieur du bassin où il occupe les exèdres curvilignes découpant les bordures maçonnées des caissons ; la combinaison d’éléments courbes et rectilignes dans le dessin de ces derniers rappelle le mouvement baroque des scaenae fron­ tes, et R. Étienne a raison de rapprocher une telle composition de celle du Palais des Flaviens à Rome ou de la Villa Hadriana : à la différence des péristyles africains qui, à cet égard, restent en général plus hellénistiques, ce péristyle lusitanien révèle une réceptivité extraordinaire aux modèles « officiels », que l’architecte est parvenu à intégrer dans un schéma de domus extrêmement classique. Il s’agit à n’en pas douter d’un véritable modèle aulique, dont la présence, en cet extrême ouest de l’Empire, permet d’évaluer la puissance du mouvement d’émulation suscité par les créations de Rome, et dont la transposition mérite d’autant plus qu’on s’y arrête qu’elle n’a guère été repro­ duite dans les autres régions occidentales. Le

L’habitat urbain

même schéma semble avoir présidé à l’établisse­ ment de l’autre très grande maison, celle dite de Cantaber, qui ne devait pas couvrir moins de 3 200 m2 (péristyle central, avec triclinium en position axiale ; patio secondaire réservé à la vie « intime ») : on y retrouve, sous une forme simpli­ fiée, le même type de bassin au centre du quadriportique ; de toute évidence on a voulu copier la composition de la « Maison aux Jets d’Eau ». Si l’on ajoute que toutes ces demeures possédaient un répertoire de sols mosaïqués d’une qualité exceptionnelle (qui datent souvent d’une période plus tardive, IIIe ou début du IVe siècle), on mesure le degré de richesse, mais aussi le niveau de romanité atteint par cette nouvelle bourgeoisie de Lusitanie, dans ce qui fut longtemps un oppi­ dum celtique et ne devint un municipe, celui de Flavia Conimbriga, que par décision de Vespasien en 75-76 ; à la manière des Pompéiens qui, pendant la période de la luxuria Asiatica, rêvaient de se construire des « paradis orientaux », les clas­ ses dirigeantes de Conimbriga se sont édifié en somme des « jardins impériaux » : rarement il nous est donné de prendre conscience avec une telle clarté de la puissance de l’idéologie véhicu­ lée par l’architecture privée quand elle a pour finalité principale d’exprimer sous sa forme la plus haute l’appartenance à une communauté politique et culturelle. Hors des provinces africaines et hispaniques, la grande maison à péristyle reste la marque, au IIe et au début du IIIe siècle, des élites régionales, qu’elles soient anciennes ou de formation plus récente. Les échantillons dont nous disposons

tendent cependant à se raréfier à mesure que nous nous éloignons des rivages méditerranéens, non que ce « modèle » perde de son efficience au nord et à l’ouest, mais parce que les catégories aptes à l’adopter ou l’adapter y sont moins nombreuses ; la prospérité liée à la grande propriété ou au commerce n’a pas pris les mêmes proportions en Gaule Belgique qu’en Narbonnaise par exemple, et la promotion des élites y est demeurée plus sporadique : il suffit pour s’en convaincre de constater que les sénateurs issus des Trois Gaules ne représentent encore, à l’époque sévérienne, que quelques unités, toutes périodes confondues. Mais quoique plus rare, l’expression de la richesse y revêt les mêmes formes, et c’est cela qui nous paraît décisif. En Gaule Narbonnaise où nous avons déjà relevé, de Narbonne à Vaison, la précocité de l’aménagement de grandes demeures où les modèles italiques associés aux traditions hellénis­ tiques régionales ont tendu, pendant tout le premier siècle et encore au début du second, à développer des formules d’une grande variété, la prééminence du plan à péristyle s’impose rapide­ ment Les progrès de l’archéologie en milieu urbain ont permis l’identification, au cours de ces dernières décennies, d’un nombre important de domus dont certaines, par leur ampleur et leur richesse, n’ont rien à envier aux compositions les plus ambitieuses des provinces hispaniques. Mais l’intérêt des découvertes récentes est de montrer le caractère très ouvert du type, qui autorise la mise en place de maisons de dimensions moyen­ nes aussi bien que de résidences fort étendues ; là encore la notion de richesse est relative : une « belle maison » dans la colonie romaine d’Orange n’a pas la même surface ni le même raffinement qu’une grande demeure du quartier résidentiel de Vienne, Saint-Romain-en-Gal, sur la rive droite du Rhône. Dans le secteur de Saint-Florent à Orange (Arausio) les habitations qui se développent à l’époque flavienne se dotent tout au long du siècle suivant des signes distinctifs de la demeure du notable ; les travaux poursuivis sur ce site par J.-M. Mignon permettent de suivre leur évolution. La domus À, dont la parcelle restituée atteint 885 m2, et la domus B, dont la superficie globale (elle aussi restituée) n’est pas inférieure à 900 m2, résultent dans leur dernier état de l’occupation des lots voisins ; elles s’organisent l’une et l’autre autour d’une cour à portiques de plan carré ; la seconde présente, selon un schéma que nous avons observé à Italica, à une date plus tardive mais à une échelle plus ample, un bassin face à la pièce axiale - triclinium- dont l’ouverture est souli­ gnée dans le rythme de la colonnade nord du quadriportique par deux supports d’un diamètre plus important que les autres ; la présence dans

Fig. 199. La « Maison au Grand Péristyle »d'Aix-en-Provence,

Fig. 200. La Maison de l'Enclos M^Rouard.

3. L’habitat iDANS/nsQWôviNCESiociciDEMmLES

187

Fig. 201. Relevé de la mosaïque de la maison de la rue des Magnans à Aix-en-Provence, d'après H. Lavagne. Le pseudo-emb/ema représente le combat de Datés et Entelle.

ces maisons de salles chauffées astucieusement insérées dans l’aile résidentielle ainsi que de latri­ nes et de cuisines munies d’un système d’évacua­ tion des eaux usées témoigne de la qualité des équipements ; le décor des sols de mosaïque confirme l’impression d’un luxe discret mais effi­ cace. Il est dommage que l’état de conservation trop partiel de ces ensembles ne permette pas d’en mieux comprendre le fonctionnement (fig. 198). A Aix-en-Provence (Aquae Sextiae), les fouilles récentes ont ouvert des fenêtres sur un parcellaire qui était jusqu’ici bien opaque, et dans les quartiers nord de la ville romaine plusieurs unités d’habitation donnent une idée du dévelop­ pement de l’habitat : la « Maison au Grand Péristyle » dans leJardin de Grassi (fig. 199), celle de l’Enclos Milhaud ou celle de l’Enclos Reynaud

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(fig. 200), issue quant à elle de deux domus anté­ rieures, font preuve, parmi d’autres, d ’une tendance à dissocier les appartements ou les salles de réception, les uns et les autres regroupés dans l’aile nord de la parcelle, des cours, quadriportiques ou viridaria qui occupent plutôt le secteur méridional, apparemment réservé aux espaces d’agrément. Cette organisation, qui intègre imparfaitement le péristyle aux circulations inter­ nes, est compensée par la présence éventuelle de cours secondaires, comme dans le dernier état de la maison de l’Enclos Reynaud, qui atteint 1 592 m2 avec une surface utile couverte de près de 760 m2. Il est certain que beaucoup d’autres grandes domus existaient à Aix-en-Provence au II* siècle ; la qualité de certains pavements mosaï­ qués, comme celui de la maison de la rue des Magnans, dont H. Lavagne a souligné le carac­ tère novateur pour l’ensemble des régions de la vallée du Rhône, autorise à imaginer des demeu­ res particulièrement riches et raffinées (fig. 201) : dans le cas particulier, les dimensions du pave­ ment (8 x 4 m) et sa disposition, prévue pour que les convives sur leurs lits de table puissent avoir vue sur le pseudo-emblema, décentré à cet effet, permettent d’identifier un triclinium, qui devait ouvrir sur un péristyle. « Grandes dévoreuses d’espace » dans la trame urbaine, pour reprendre l’expression des auteurs de la récente synthèse sur l’habitat A’Aquae Sextiae, puisque plus d’une dépassait 1 500 m2 au sol et que certaines occu­ paient une superficie de 2 000 m2 environ, ces maisons ne se recommandaient certes pas par l’originalité de leurs plans, qui semblent avoir répondu à des schémas plutôt répétitifs, ni par la diversité de leur ornementation ; il apparaît par exemple qu’une fois mise au point la représenta­ tion du combat de Darès et Entelle, peu fréquente par ailleurs, qui reprend un épisode peu glorieux du chant V de VEnéide (v. 424-484), on s’est contenté de la reproduire avec quelques varian­ tes. Sans aller jusqu'à parler de « standar­ disation », on peut considérer cet habitat, par ailleurs luxueux et sans aucun doute coûteux, comme caractéristique de ces bourgeoisies aisées qui souhaitaient seulement rendre sensible leur accession à un certain niveau de pouvoir et de dignité sans rien faire par ailleurs qui pût les distinguer du groupe auquel elles étaient fières d’appartenir ; dès lors elles se contentent de recourir à des équipes régionales de techniciens dont le savoir-faire confirmé mais sans surprise leur garantit la possession des espaces obligés et des poncifs ornementaux qui sont autant de signes clairs, pour eux-mêmes et pour leurs pairs, de leur statut social. A Vienne, dans le quartier « intra muros » des Nymphéas, se maintient et se développe une très remarquable domus qui, dans sa phase du dernier

quart du IIe siècle, conserve un plan homogène où un atrium, à l’est, précède le corps principal de l’habitation centré sur un péristyle ; occupant une surface d’au moins 2 000 m2 elle possédait un étage auquel conduisaient deux escaliers. Nous avons là l’un des rares cas de rémanence du schéma italique complet en pleine période antonine (fig. 202) ; l’axialité de l’ordonnance géné­ rale est soulignée, à l’extrémité occidentale, par la position du grand triclinium. L’équipement hydraulique mérite d’être mentionné pour son caractère perfectionné : outre des latrines, la maison possédait un balnéaire complet composé des trois pièces canoniques, frigidarium, tepidarium et caldarium. Dans le quartier de la rive droite du fleuve, à Saint-Romain-en-Gal, de grandes maisons sont construites tout au long du IIe siècle. Mentionnons celle dite de Sucellus, où un péris­ tyle fort vaste, mais incomplet (trois branches), est longé sur ses côtés sud et ouest par deux corps de bâtiments ; on note là encore que malgré les contraintes du parcellaire le grand triclinium (8) est en situation dominante quoique partiellement désaxée (fig. 203). Dans la « Maison aux Colonnes », dont le premier état remonte au Ier siècle, la tendance à retrouver le schéma de la domus à péristyle s’affirme par la création d’un quadriportique avec un bassin en U dans la partie méridionale de la parcelle, et l’agrandissement des deux salles de réception principales (4 et 8 de la fig. 204). Dans la « Maison au Lion », qui se développe pour l’essentiel au IIe siècle, le grand péristyle du secteur nord (plus de 400 m2) rassem­ ble le long de son aile occidentale des espaces de réception particulièrement amples (salles 46 à 49 de la fig. 205) ; si la partie méridionale de la parcelle appartient à la même unité d’habitation, il faut considérer que la plupart des pièces de séjour et de service s’ordonnaient autour de la cour 22 ; il s’agirait alors d’une domus de plus de 2 000 m2. Une mention particulière doit être faite de la « Maison aux Cinq Mosaïques », qui a pris la place, dans les années 160-180, d’une domus antérieure à plan transversal, dont les pièces se répartissaient de part et d’autre d’un jardin central ; désormais, celui-ci est longé par des portiques au nord et à l’est, et l’aile sud est complètement remaniée pour accorder plus d’espace au grand triclinium ; les pièces de récep­ tion se répondent ainsi de part et d’autre de la cour, omée d’un vaste bassin en U revêtu de plaques de marbre. Caractéristique d’une maison aisée au cœur d’une trame dense qui empêche son extension, elle se développe un peu à la façon de la domus dite de la Fortune Annonaire à Ostie, selon l’observation pertinente des auteurs de sa publication. Elle appartient, en dépit de sa surface relativement réduite (481 m2), à la série des demeures riches de ce quartier viennois où la

Fig. 202. Plan de la « Maison de l'Atrium » dans le quartier des Nymphéas àVienne, d'après A. Le Bot-Helly.

Fig. 203. Pian de la « Maison de Sucellus »à Saint-Romain-en-Gal, place commence à être chèrement disputée : le nombre et la qualité des pavements qui ornent les deux pièces d’apparat, au sud, la salle de récep­ tion qui leur répond au nord ainsi que le portique qui sépare cette dernière de l’espace central, témoignent de la richesse et du goût de son propriétaire en ce troisième quart du IIe siècle.

3. L’h a b ita t iqanv fctSSWavweEtsi 0 0 9 !DEMWles

189

état de la « Maison aux Romain-en-Gal, d'après H. Savay-Guerraz et E Délavai

Fig. 205. La .. Maison au en-Gal. d'après H. Savay-

Le plan centré autour d’un jardin à péristyle pourvu d’un bassin d’agrément se retrouve par ailleurs dans d’autres sites de Narbonnaise où on ne l’attendrait pas, telle la capitale, modeste par son extension (30 ha), des Helvii, Alba (Alba, Ardèche) : dans le quartier dit Le Pinard s’établit au IIe siècle une maison (la domus A) que son ordonnance, la qualité de ses matériaux de cons­ truction et son ampleur (1 250 m2) autorisent à ranger parmi les demeures les plus représentati­ ves, pour la région, d’une classe de notables qui peut avoir été enrichie par la production et le commerce des vins (Pline mentionne en HN, 14, 43 un cm de bonne réputation provenant de ce terroir) ; on y observe là encore la reproduction d’un schéma retenu selon toute vraisemblance pour son efficacité à la fois scénographique et fonctionnelle, à savoir le bassin axial dont les aménagements principaux répondent à l’entrée de la pièce principale, en l’occurrence le tricli­ nium (n° 6 de la fig. 206). En Aquitaine comme en Narbonnaise la situa­ tion peut être très différente d’un chef-lieu de cité à un autre, mais lorsqu’une hange de la popula­ tion en a les moyens, elle se dote immanquable­ ment de ce type d’habitat. Malheureusement peu de grandes domus des II'-III' siècles ont reçu l’at­ tention qu’elles méritaient. Un cas exemplaire est celui de la « Maison des Bouquets », à Périgueux ( Vesunna Petrucoriorum) : intégralement remaniée au milieu du IIe siècle, à la suite de la mise en place du temple rond connu sous le nom de « Tour de Vésone » (AR I, p. 184), elle conquiert une surface de 4 200 m2 d’autant plus exorbitante que ce terrain se trouve au cœur de l’aggloméra­ tion antique ; suivant les plans d’une demeure antérieure mais en leur donnant une extension inusitée, elle se signalait par un péristyle grand comme un édifice public, une salle de réception de 90 m sur sa frange sud et des bains dans l’an­ gle sud-ouest (fig. 207). Dans le même centre urbain, une vaste demeure de 2 500 m2, datable de l’époque sévérienne, doit son nom actuel au bassin aux parois curvilignes qui occupait le centre de son quadriportique ; cette « Maison à l’impluvium polylobé » possédait un vaste tricli­ nium à abside de 130 m2, qui constitue l’un des plus anciens exemples d’un type de plan qui connaîtra par la suite une grande faveur (fig. 208). Du même genre que les précédentes semble avoir été la domus découverte en 1993 à ClermontFerrand (Augustonemetum Arvernorum) : construite au IIe siècle, elle couvrait au sol 2 200 m2 ; sa salle de réception principale de 80 m2 possédait un pavement de mosaïque polychrome qui date peut-être de l’époque sévérienne bien qu’aucun parallèle n’ait pu lui être trouvé. Le gigantisme de ces domus urbaines des capita civitatis de cette province annonce l’essor extraordinaire de la

richesse des notables qui se manifestera dès le début du IV* siècle en Novempopulanie et dans plusieurs villes de l’Aquitaine Seconde. La Gaule Belgique et la Germanie inférieure ont livré quelques-unes des plus vastes habita­ tions des provinces occidentales, dans des condi­ tions qui n’ont pas toujours permis une recon­ naissance précise de leurs plans et de leurs décors, mais qui témoignent de l’influence agis­ sante de modèles qui sont moins méditerranéens (comme on persiste à le dire) que sociologiques. Nous en ferons seulement une revue rapide car leurs vestiges sont souvent lacunaires, mais il importe de connaître ces prétendus « palais de gouverneurs », comme certaines de ces domus ont été parfois appelées, qui donnent une idée relati­ vement précise de la puissance des notables aux IIe et IIIe siècles dans des régions pourtant moins densément urbanisées que les provinces méridioLa seule modification imposée par les condi­ tions climatiques plus rigoureuses, qui n’a pas bouleversé la disposition générale des grandes demeures mais en a tout de même amélioré l’had'après R. Lauxerois et RAndré.

Fig. 207. La domus dite des Bouquets à Périgueux au cœur de la ville antique. Plan établi par le laboratoire de cartographie histo-

3. L’habitat oaims\ xms ERTDViiTOESfacttiinENTMiLEs

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Fig. 208. La «Maison à Vimpluvium polylobé »de Périgueux, d'après Ch. Durand et M. RRaynaud. bitabilité sinon le confort, tient dans la fréquence des salles chauffées, aussi bien dans les secteurs domestiques que dans les quartiers de réception : lors de son séjour dans Lutèce, vers le milieu du IVe siècle, Julien note que les locaux d’habitation bénéficient en général de « chaudières souterrai­ nes » (Misopogon, 7 = 341 c), et il apprécie à sa juste valeur cet aménagement pendant les hivers pluvieux. La remarque vaut évidemment pour les IIe et Ht* siècles et s’applique aussi bien à la Belgique qu’à la Lyonnaise. A Trêves (Augusta Treverorum), sous la partie occidentale des gigantesques « Thermes impé­ riaux », deux îlots ont été repérés, séparés par une voie d’orientation est-ouest ; celui du nord était, avant la construction de l’édifice thermal, occupé par une maison dont la première phase remonte à l’époque daudienne et qui atteint sa plus grande extension au IIe siècle : dotée dès la fin du Ier siècle d’une petite cour carrée dans sa partie occi­ dentale, qui fut ensuite transformée en jardin, elle comporte surtout, à l’est, une aire quadrangulaire dont seuls apparemment les côtés sud et ouest ont été bordés d’un portique ; s’il est impossible de définir les fonctions des multiples pièces qui se répartissent dans ces deux secteurs, la qualité des

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mosaïques recueillies sur le site, dont celle, fameuse, du cocher de course Polydus (qui date du milieu du III' siècle), dit clairement le luxe de ses aménagements ; la puissance de ses proprié­ taires successifs, et des derniers en particulier, est manifestée par la désinvolture avec laquelle ils finissent par empiéter sur le portique de la voie qui longe leur demeure au sud (fig. 209). A Metz, une domus en pierre a été identifiée dans le quar­ tier de l’Arsenal : sur 1 600 m2 environ elle s’or­ donne selon le schéma classique du péristyle central (qui semble n’avoir été portiqué que sur trois de ses côtés) et du triclinium ou salle de réception principale en position axiale ; seule concession aux rigueurs du climat, ce local était pourvu d’un chauffage par hypocauste. A Cologne, dans le quartier situé au sud de la cathé­ drale, ont été reconnus les vestiges de deux gran­ des maisons, qui semblent remonter pour leur phase initiale au milieu du I" siècle ap. J.-C. : l’une, de 1 400 m2, a conservé un plan axial à atrium tétrastyle, tablinum et péristyle transversal ; c’est assurément le témoin le plus septentrional de la maison « italique » sous sa forme la plus développée (fig. 210). L’autre, énorme, de 3 400 m2, présentait le schéma à péristyle classique avec un triclinium axial largement ouvert sur la coincentrale, devant lequel, selon l’ordonnance déjà observée en Espagne et en Narbonnaise, une fontaine animait de ses jeux d’eau la perspective offerte aux dîneurs ; l’aile de l’entrée, vers l’est, n’est plus aujourd’hui lisible car un horreum y a été établi au IVe siècle (fig. 211). Enfin à Amiens (Samorobriva Ambianorum), où les recherches récentes ont mis au jour des îlots occupés par des maisons de dimensions moyennes dont nous parlerons au chapitre suivant, une domus au plan un peu perturbé par la pression du parcellaire (fig. 212) présente elle aussi un quadriportique ainsi que des salles de séjour à hypocauste. Ayant appartenu successivement à la Gaule belgique puis à la Germanie supérieure, plusieurs capitales de cités et colonies de factuelle Suisse ont aussi possédé de grandes demeures, à partir de l’époque flavienne et surtout au cours du IIe siècle, dont l’installation est indissolublement liée à la généralisation de l’architecture maçon­ née. Les recensements de D. Paunier, en l’état actuel des connaissances, ne permettent pas de compter dans les vestiges urbains plus de 6 domus de 1 000 à 2 000 m2 de superficie, et plus de 5 entre 2 000 et 3 000 m2, concentrées pour la plupart à Avenches (Aventicum) et Augst (Augusta Rauricorum). A Avenches, la capitale des Helvètes, l’îlot 16 E, dans la proximité immédiate du forum, donc dans le secteur le plus recherché - et le plus cher - du centre-ville, une grande domus de 2 700 m2 est construite dans le courant du II' siècle, et sans doute assez tôt dans ce siècle, sur

vée sous les «Thermes impériaux »deTrêves, d'après

plusieurs unités d’habitations antérieures ; organi­ sée autour d’un péristyle central, dans une aire quadrangulaire qui englobe, comme toujours dans ces quartiers, des boutiques et au moins un débit de boissons chaudes, elle présente une rigueur dans son implantation et une unité dans son ordonnance générale qui plaident en faveur d’un projet unitaire (fig. 213). Seule en son genre dans la ville, elle revêtait assurément, en raison de sa situation, mais aussi du fait qu’elle était longée sur ses quatre faces par un portique qui lui confé­ rait la dignitas d’un véritable monument public, la valeur d’une sorte de réalisation idéale dans le domaine de la belle architecture domestique. Moins clairement organisé, l’ilot 13, toujours à Avenches, sur la frange de la trame urbaine, réunissait deux maisons du IIe siècle, établies elles

tyle de Cologne, d'après R. Brulet.

3. L’habitat dams, iæs , provin ces , occidentaux

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Fig. 211. Grande domus à péristyle du quartier nord-est de Cologne.

Fig. 212. Maison à péristyle dAmiens, d'après R. Brulet.

aussi sur des habitations de la phase précédente, et séparées par un ambitus ; elles atteignent respectivement des surfaces de 2 400 et de 2 700 m2, celle de l’ouest présentant, en plus de son péristyle, une vaste cour, plus grande que le quadriportique lui-même, traversée par un égout (fig. 214). L’îlot 30 d’Augst est occupé au II* siècle par une seule demeure, qui a pris la place de deux séries de cinq unités d’habitations en terre et en bois du début du Ier siècle, qu’avaient déjà supplantées à la fin du même siècle deux ou peutêtre trois maisons maçonnées : il est rare qu’on puisse évaluer avec autant de précision l’appro­ priation des secteurs du centre-ville par les bour­ geoisies locales, qui en délogent progressivement les habitants moins fortunés ; cette domus d’époque antonine mérite un examen attentif en ce qu’elle semble s’être organisée selon un axe transversal qui va de l’entrée (E) au triclinium (O) (64 m2 ; mosaïque aux gladiateurs) ; le péristyle quant à lui se déploie en longueur sur l’axe perpendiculaire, preuve que sa mise en place est liée à des acquisitions ultérieures ; on notera là encore la présence de plusieurs salles chauffées, dont un petit triclinium sur hypocauste (W) contigu au précédent (fig. 21S). Un autre « palais urbain », de constitution plus tardive semble-t-il (IIIe siècle ? ), se développe quant à lui sur deux îlots voisins 41 et 47 ; son ordonnance reste diffi­ cile à restituer, mais on peut évaluer son exten­ sion finale à 2 750 m2 : le pouvoir de la famille qui l’occupe alors se mesure au fait qu’elle n’a pas hésité, comme s’il s’agissait d’établir un édifice public, à submerger la rue qui séparait initiale­ ment les deux îlots. Si nous passons enfin en Bretagne insulaire (sud de l’Angleterre), il importe de souligner que l’apparition de la domus à péristyle y est encore plus tardive ; elle est liée à l’émergence d’une nouvelle classe de propriétaires qui, dans la seconde moitié du IIe siècle et plus encore au IIIe’ trouve désormais nécessaire d’affirmer sa préémi­ nence dans des contextes urbains stabilisés, à l’in­ térieur même des villes, que les élites locales avaient eu tendance jusqu’ici à délaisser au profit de leurs résidences de campagne. Les richesses accumulées et la romanisation croissante de la province rendent à la fois possible et nécessaire cet investissement, qui aboutit à la mise en place de maisons participant de la villa suburbaine et de la domus proprement dite, l’un et l’autre type se recouvrant d’ailleurs à cette époque, nous l’avons vu, sous de nombreux aspects : en même temps qu’évolue la maison urbaine en milieu britan­ nique, se modifie la valeur sémantique de la notion même de domus. A vrai dire le processus s’était déjà largement engagé, à partir des années 120 ap. J.-C., à la suite de la visite d’Hadrien, qui restaura la confiance et suscita dans beaucoup

d ’établissements urbains une nouvelle activité édilitaire ; ce que J. Wacher a appelé « The Hadrianic Stimulation » est particulièrement sensible dans la ville de Caerwent ( Venta Silurum) où des maisons du type 3 (selon la classification de D. Cottica) se construisent vers le milieu du siècle, la plus remarquable étant celle répertoriée sous le sigle IIIs (fig. 216) : elle forme un bloc quadrangulaire autour d’une cour à portiques pourvue d’une rigole périphérique destinée à recueillir l’eau des toits ; cette eau était dirigée vers les latrines situées en saillie derrière le mur sud. D’autres demeures du même genre ont été répertoriées, à Caerwent même (maison Ils avec un petit balnéaire à l’ouest et de nombreuses salles mosaïquées au nord ; maison Vils pourvue de deux très beaux tapis à'opus tessellatum dans son angle sud-ouest, etc.) ; à Saint-Albans (Verulamium) (maison III, 2); à Colchester (Camulodunum) (maisons 19 et 20) ; à Gloucester (Glevum) (maison au n° 13-17 de Berkeley Street, fig. 217). Il ne s’agit certes pas de demeures très vastes, puisque leur superficie oscille entre 600 et 800 m2, mais leur parenté ostensible avec l’archi­ tecture domestique contemporaine témoigne d’une réceptivité, d’autant plus intéressante qu’elle est nouvelle, à l’égard des modèles réputés Il n’est pas impossible que les officiers des légions aient joué un rôle dans la transmission de ce type de résidence articulée autour d’un espace central à portiques, moins du fait, comme on l’a parfois supposé, de la similitude formelle du schéma de base avec celui des habitations réser­ vées aux tribuns militaires, aux primipiles ou aux centurions des premières cohortes dans les camps traditionnels, qu’à travers l’exemple de certaines résidences urbaines conçues pour des vétérans : la riche maison retrouvée récemment à Londres (.Londinium) sur le site de Watling Court (édifice D), dont le propriétaire était un vétéran des trou­ pes auxiliaires, partiellement dégagée, appartien­ drait, selon l’interprétation de D. Perring et S. Roskams, à la catégorie des domus à péristyle ; si tel était le cas, elle compterait parmi les premiers exemplaires de ce type en Angleterre, puisque la phase où elle revêt cet aspect est circonscrite au premier quart du II* siècle. Quoi qu’il en soit le fait que des propriétaires, sans doute investis pour beaucoup d’entre eux de responsabilités à l’échelon colonial (comme à Camulodunum) ou municipal ( Verulamium), aient cru devoir reproduire ce modèle, en l’agrémen­ tant d’une riche ornementation (fresques, mosaïques, marbres importés) et de tous les raffi­ nements du confort urbain (thermes, latrines), constitue la preuve du prestige social revêtu par ce type d’habitat. Certes, comme en Gaule Belgique, ces domus d’Angleterre possèdent en

Fig. 213. Restitution en perspective de mot 16 E dAvenches.

Fig. 214. Lîlot 13 dAvencties,

Fig. 215. Les îlots 30 et 31 dAugst. d'après C. Clareboets et M. Schaub. On notera.

3. L’habitat pa n s les. BWWJKCES; OCCIDENTALES

195

Fig. 216. Caerwent. Axonométrie partielle de la maison Mis. d'après G. de la Bédoyère.

général plusieurs salles de séjour ou de réception chauffées par hypocauste ; certes des murs-écrans percés de fenêtres bouchent souvent les entrecolonnements des péristyles ; mais ces aménage­ ments ne modifient ni l’aspect ni le fonctionne­ ment de la demeure ; ils constituent des adaptations mineures - et combien nécessaires ! qui témoignent au contraire du souci d’en préser­ ver l’ordonnance générale, même sous des latitu­ des pour lesquelles elle n’avait pas été prévue. Gageons plutôt que ces « comforts » passaient pour des preuves supplémentaires de la romanitas du dominus.

L ’h a b ita t d es classes m o yen n es e t laborieu ses d a n s l ’O c cid en t ro m a in Si nous nous en tenions aux grandes demeu­ res, notre analyse de l’habitat urbain n’effleurerait qu’une frange de la réalité en donnant du cadre de la vie quotidienne une image trompeuse. Les logis ordinaires étaient en général beaucoup plus humbles et fort peu influencés par les schémas canoniques ou réputés tels ; nous l’avons déjà noté à propos de l’Italie, le modèle de la domus à atrium ou de la maison à péristyle, à quelque niveau de son évolution qu’on le saisisse, n’a

Fig 217. Gloucester. Plan des maisons 13-17 de Berkeley Strecet,

L’habitat urbaiij

guère eu d’incidences sur les formes de l’habitat des couches de la population, les plus nombreu­ ses évidemment, qui n’appartenaient ni à la caté­ gorie des riches ni à celle - souvent la même - des puissants. Dès lors que les rites sociaux impliqués par les fonctions électives, les « signes de statut » exprimant une assise économique, les exigences culturelles propres à une certaine élite disparais­ sent, les gens simples, soucieux de s’abriter et de gagner leur vie, n’envisagent plus leur demeure que sous les espèces de la fonctionnalité la plus quotidienne, ignorant toute idée d’émulation et avec elle toute recherche normative. Les classes moyennes n’ont ni le moyen, ni le souci de jouer le jeu de la représentation, et les classes pauvres s’accommodent à l’ordinaire de ce qu’elles trou­ vent, c’est-à-dire en général d’espaces exigus et sans confort Parmi les auteurs anciens, nul n’évoque, à quelques très rares exceptions près, ces maisons sans faste et souvent sordides : le pittoresque du logis misérable ou seulement incommode ne vaut que dans la Rome des poètes satiriques, celle de Juvénal ou de Martial. D'autant que fréquem­ ment l’habitat populaire se trouve plus ou moins étroitement mêlé à des établissements artisanaux ou commerciaux, lesquels, par nature, restent hors du champ de la tradition littéraire. Et qui se souciait des conditions de vie de la masse de la population quand celle-ci était composée de Gaulois, de Bretons, d’Ibères ou de Germains ? Quelques notations fugitives de Plutarque nous ouvrent cependant, au sens propre, les portes de quelques maisons ordinaires, de celles qui se rencontraient le plus souvent ; dans un traité rédigé au début du IIe siècle, à l’époque de Trajan, il les décrit « sans air, sans lumière, inhabitables l’hiver et insalubres » ; le mieux, dit-il, serait de les fuir (De curiositate, 515 b) ; et plus loin il cons­ tate que < la plupart du temps on n’aperçoit à l’in­ térieur des maisons qu’ustensiles de cuisine posés à terre, servantes assises, rien qui vaille la peine d’être vu ni qui soit agréable à voir » (521 a). Nous sommes loin des perspectives savamment ména­ gées depuis la rue à travers les fauces vers les portiques et les salons d’apparat... Même si, comme cela lui arrive, Plutarque se contente ici de ressasser quelques poncifs de la littérature tardo-classique ou hellénistique, même si, dans l’hypothèse la plus favorable, il nous livre une expérience contemporaine et parle ainsi de la réalité des provinces grecques, la valeur docu­ mentaire de ses observations pour les provinces de l’Occident romain n’en est pas diminuée : le propre de la demeure des humbles, c’est qu’elle est de tous les temps et de toutes les régions. Les archéologues se sont, nous l’avons dit, beaucoup intéressés à cet habitat modeste au cours du dernier quart de ce siècle ; le perfection­

nement des méthodes d’investigation et de conservation des structures fragiles a conduit, avec la multiplication des fouilles urbaines, à de nombreuses découvertes dont fort peu, malheu­ reusement, ont été à ce jour publiées. Elles ont surtout servi pour l’instant, du moins dans les milieux archéologiques français, à renforcer l’idée que l’emprise de Rome était moins pré­ gnante qu’on ne le pensait traditionnellement. Ch. Goudineau en a même déduit, au début des années 80, que le voisinage, dans les villes galloromaines du Haut-Empire, de types d’habitation aussi « incroyablement dissemblables » conférait à l’analyse architecturale « un aspect dérisoire » ; conclusion pour le moins déconcertante et quelque peu provocatrice, mais qui rappelle opportunément que toute étude formelle non ancrée dans une analyse sociologique serait vaine ; on peut simplement souligner que sans l’examen des vestiges architecturaux (comment les appeler autrement ? ), on voit mal sur quoi se fonderait l’approche sociologique elle-même, s’agissant de populations qui n’ont rien laissé derrière elles, sinon les traces de leur vie quoti­ dienne et de l’endroit où elle se déroulait. Si l’échantillon s’est singulièrement élargi, son exploitation s’avère donc plutôt malaisée. Avant d’en venir aux principaux cas identifiables, il nous parait nécessaire d’énoncer quelques obser­ vations générales, dont l’ignorance ou l’oubli fausserait l’appréciation d'une réalité de toute façon difficile à saisir. La première est que le recours à des matériaux périssables pour le grosoeuvre comme pour les cloisons (murs d’adobe, c’est-à-dire d’argile crue sur solins de moellons ou de galets ; clayonnages ; pans de torchis ; pans de bois) ne désigne pas obligatoirement un habitat sommaire : plusieurs exemples récemment obser­ vés à Paris ou à Lyon prouvent que des enduits peints de grande qualité revêtaient parfois des murs ou parois structurellement « pauvres », et que les demeures ainsi construites pouvaient entrer dans la catégorie des domus. Quand on sait que la fouille en profondeur des îlots d’habitation d’Augst et d’Avenches, dans l’est de la Gaule Belgique, a montré que plusieurs décennies après la fondation de ces villes et même, pour Augst, bien après la déduction de la colonie augustéenne, l’emploi du bois et de la terre restait de règle, les structures maçonnées n’y faisant leur apparition qu’entre les règnes de Néron et de Claude, c’est-à-dire autour du milieu du Ier siècle ap. J.-C., on comprend que les critères d’évalua­ tion d’une maison urbaine du début de l’Empire ne sauraient être les mêmes que ceux qui préva­ lent pour un monument public. Deuxième obser­ vation : les habitats populaires sont soumis dans la durée à des fluctuations nettement plus fréquentes et plus profondes que les grandes

3. L’habitat dans ,

CLS, occidentales

797

propriétés ; le propre des îlots densément occu­ pés est qu’ils évoluent rapidement, soit sous la pression de facteurs internes (enrichissement ou appauvrissement de tout ou partie de leurs occu­ pants), soit sous la pression de facteurs externes (destruction par un puissant propriétaire du voisi­ nage qui élargit son domaine immobilier, ou expropriation à des fins d’utilité publique) ; dans le parcellaire urbain, les quartiers populaires sont détruits ou modifiés plus facilement que les quar-

Fig. 218. La maison primitive du type Alphen-Ekeren (civitas de Tongres), d'après J. Slofstra.

tiers résidentiels ; le fait est de tous les temps et ne requiert pas de longues explications. La troi­ sième et dernière remarque générale tient en ceci que tout habitat médiocre évoluant dans un sens positif par l’amélioration de ses aménagements et l’augmentation de son emprise au sol tend à re­ trouver, qu’on le veuille ou non, des schémas éprouvés et s’efforce d’annexer à son profit au moins quelques composantes de la « belle » maison urbaine : il y a là un phénomène qui, nous allons le voir, donne à réfléchir sur le prétendu cloisonnement culturel des sociétés provinciales. Nous ne nous attarderons pas sur la maison Eï' 'ÂÉJ ttÉBUT DE L’EMPIRE

283

L a v illa d e

Fig. 309. Plan général de la villa de Lucus Feroniae, par M. Moretti et dispose de son têt pour allaiter ses petits (Econ. Rur., II, 4, 13 sj.) : les têts « individuels » (hardi) sont donc répartis autour d’une cour, sur un plan qui, A. Carandini le note avec raison, ressemble étrangement à celui des cellae des « familles » serviles autour de leur chors ; les nuisances, olfac­ tives et autres, de ce genre d’élevage expliquent son éloignement relatif de la pars urbana, et son confinement au-delà des logements d’esclaves. Enfin, rompant avec l’orientation orthogonale des autres constructions, un grenier entouré d’éta­ bles à chèvres ou à moutons, avec peut-être le logis d’un berger, complète les installations tech­ niques et témoigne de la diversification des acti­ vités. Il va sans dire que toutes ces annexes, qui en général ne laissent pas sur le terrain des traces très suggestives, n’ont pu être identifiées que grâce à une fouille extrêmement minutieuse et plus encore peut-être grâce à une connaissance approfondie, appuyée sur les textes (Varron et Columelle essendellement) du fonctionnement de ce genre d’exploitation. C’est ce qui élève Settefinestre au niveau d’un cas d’école exem­ plaire, mais beaucoup d’autres établissements présentaient assurément des installations du même ordre, qui n’ont pu être retrouvées ou n’ont pas fait l’objet de la même attention.

284

Lucus Feroniae

Avec la villa de Settefinestre nous avons examiné le cas d’un domaine de rendement qui, conçu dès le départ comme une villa rustica bien que pourvu d’un habitat remarquable, ne cesse de développer, dans une région essentiellement agri­ cole, ses structures de production ; tout en se dotant des raffinements d’une véritable villa suburbaine, cette propriété qui est restée aux mains de l’oligarchie sénatoriale, même si le recrutement de celle-ci s’est singulièrement élargi avec l’avènement de l’Empire, témoigne des ressources et des exigences d’une classe sociale qui tire de la terre les moyens de sa richesse et de son autoreprésentation. Avec la villa de Lucus Feroniae nous abordons un autre modèle de développement, d’autant plus digne d’attention que la phase de fondation est contemporaine de celle de Settefinestre et que, comme dans le cas précédent, et mieux encore, nous pouvons suivre à travers les textes et l’épigraphie l’évolution de la carrière de la famille possédante, les Volusii Saturnini. Fouillée au cours des années 60, cette villa, située à 20 km au nord de Rome, s’élevait à proximité de la petite ville de Lucus Feroniae, qui était surtout un gros marché alimentaire, comme il en existait plusieurs à proximité de 1'Urbs. Une partie impor­ tante des constructions a pu en être conservée et mise en valeur à peu de distance de la gare de péage de Rome-Nord sur l’autoroute. Surtout appréciés par les visiteurs pour leurs mosaïques, ces vestiges, dans l’état où ils ont été figés sur le terrain, ne permettent plus de comprendre les phases successives ; la descrip­ tion de l’ensemble proposée par les fouilleurs avait du reste contribué à gommer ces phases en se contentant d’une description formelle, comme toujours assez réductrice. Le plan global (6g. 309) et l’axonométrie restituée, quoique partielle (Hg. 310), appellent en fait une lecture plus dyna­ mique. Construite à la fin des années 50 av. J.-C. par Q. Volusius, cité fréquemment dans la Correspondance de Cicéron (Ad Attic., V, 11, 4 ; V, 21, 6 ; AdFam., V, 20, 3 ; V, 10,2), cette villa dans sa première version se concevait essentiellement comme suburbaine et comportait à l’origine peu d’aménagements rustiques. A l’époque en effet n’existaient ni la cour d’entrée (2) entourée de magasins et de granges (horreum), ni le quadriportique (33) et ses annexes périphériques ; la limite de la villa républicaine était marquée vers le nord par le portique d’entrée (8) ; de là on accédait par le corridor (10) au péristyle (11) qui dans la première phase n’avait qu’un pavement fait d’un béton de sol en opus signinum. Les pièces alentour du péristyle se répartissent au nord en apparte­ ments plus ou moins luxueux : le groupe 14a et

L a VILLA, STRUCIïJltt DE DOMilAXION, DE PROFIT ET DE PLAISANCE

14b qui initialement formait un grand triclinium est à mettre en relation avec la chambre à coucher 15, de même que la salle à manger 12 et le cubiculum 13 ; nous avons là sans doute l'habitat du dominus et de son épouse. Sur le côté sud du même péristyle des pièces plus petites composent apparemment un ensemble cohérent qui aurait pu servir d’appartement au reste de la famille (fig. 311). La partie orientale comportait les salles de réception dont l’exèdre (22) qui communiquait initialement avec le jardin à pergola (23). Comme dans la première phase de la villa de Settefinestre, mais sous une forme plus réduite car le domaine était évidemment moins important, on observe une promiscuité étonnante entre la pars urbana et les aménagements de service, puisque la pièce 29a-29b établie sur deux niveaux abritait un pres­ soir à vin avec un lacus, bassin, pour recueillir le moût (30). Quoi qu’il en soit on cherche en vain dans cet ensemble quelque chose qui s’apparente à un atrium, a moins qu’il n’ait occupé le secteur de la terrasse (27) et du portique occidental (28) ; supporté par un cryptoportique, il donnait accès à un hortus Originellement, donc, la villa était longée sur sa largeur, à l’est et à l’ouest, par des jardins qui, à cette époque, semblent avoir été surtout d’agrément. Entre les années 10 av. et 20 ap. J.-C., lorsque les propriétaires successifs sont Volusius Satumius, le fils du précédent, personnage consu­ laire de grand renom (il a géré le consulat en 12 av.J.-C.) et son propre fils L. Volusius, le consul de 3 ap. J.-C., se met en place le vaste quadriportique (33) qui ne présente aucun aménagement luxueux, à l’exception de la pièce (38) qui n’est autre qu’un laraire, et dont nous allons reparler. L’établissement de cette nouvelle structure, conçue pour former avec la villa antérieure un bloc unitaire, a nécessité d’importants travaux de nivellement, et le comblement d’une grande citerne. Le caractère exclusivement fonctionnel de ce quadriportique se déduit du fait qu’il ne comporte aucun élément de décor remarquable et que son architecture se révèle rustique dans tous les sens du terme : simples sols maçonnés, avec seulement quelques semis de tesselles blan­ ches dans Yopus signinum de quelques pièces ; colonnes d’ordre dorique à architrave de bois ; étage de bois accessible par des escaliers de bois, etc. Les fouilleurs ont interprété cet aménage­ ment comme le signe d’une décadence partielle de la villa ou du moins de la volonté, de la part de ses propriétaires, de passer du luxe au rendement. C’est historiquement peu vraisemblable quand on connaît l’importance politique des titulaires de cet établissement, et la fortune dont ils dispo­ saient : L. Volusius faisait partie de l’équipe diri­ geante d’Auguste ; mort en 20 ap. J.-C. il a eu droit (fait exceptionnel pour un personnage n’ap-

Fig. 310. Axonométrie restituée A. M. Sgubini Moretti. partenant pas à la famille impériale) à un vérita­ ble éloge funèbre de la part de Tacite (Annales, III, 30, 1), qui nous dit entre autres qu’il accumula les richesses qui sont à l’origine de la puissance énorme de sa famille ; les termes qu’il emploie (opum adcumulator) sont uniques dans l’œuvre de l’historien et nous incitent à le considérer comme un véritable magnat de la finance : nous savons par ailleurs que la famille acquiert tout au long du I" siècle ap. J.-C. de nombreuses propriétés urbai­ nes (Vinsula Volusiana entre autres) et le columba­ rium de cette gens fouillé au XIXe sur la via Appia a livré les noms de plusieurs centaines de person­ nes, affranchies ou esclaves, dont les spécialités (acteurs, chanteurs, bibliothécaires, pédagogues, jardiniers, etc.) disent assez le luxe dans lequel ces gens vivaient. Tout porte à penser, donc, que, le praedium Volusianum de Lucus Feroniae, loin de tomber en déshérence, s’était dans cette seconde phase considérablement agrandi ; Yhorreum de l’entrée indique qu’à la culture de la vigne, qui

8. DOàÆÂESvDE R&èfctEMENT A LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE! £jt !Ati MÖUT DE L’EMPIRE

285

Fig. 311. Plan partiel de la pars urbana de la même villa. Les pièces réparties autour du péristyle, d'après M. Moretti et A. M. Sgubini

semble avoir été prédominante sinon unique au cours de la période antérieure, s’est ajoutée sinon substituée celle, intensive, des céréales. Columelle, plus tard, parle d’un Volusius, présenté comme un personnage consulaire d’au­ trefois (?) qui avait pour principe d’établir sur ses terres des familles résidentes (Res rnsL, I, 7, 3) ; il s’agit probablement du même L. Volusius dont on a pu supposer de surcroît qu’il s’était vu attribuer officiellement une quote part dans le ravitaille­ ment de Rome, par le service administratif de PAnnone. Si nous revenons au quadriportique (33) nous observons qu’à l’exception de la pièce (35) qui est une latrine collective, de la pièce (34) qui est une cage d’escalier et de la pièce (37) qui contient des meules à grain, les autres locaux, d’une grande régularité dans leur austérité, peuvent être, selon l’hypothèse de A. Carandini, assimilés à des logements d’esclaves ; 26 cellules

de ce genre sont restituables sur le pourtour (sans compter celles de l’étage), ce qui ferait de cette cour le plus vaste aménagement destiné à la main-d’œuvre servile que l’archéologie nous ait livré : si telle doit-être sa destination, nous pouvons en déduire l’importance du domaine cultivable, à moins qu’il ne s’agisse là encore d’un « élevage », les deux fonctions ne s’excluant d’ailleurs nullement. L’intérêt de la pièce (38), sur l’axe du quadriportique, n’en serait alors que plus grand : elle comporte une banquette sur laquelle ont été retrouvés des fragments d’effigies, en marbre, des membres de la famille ; sur la face interne occidentale, encore en place, des inscrip­ tions (elogia) faisant l’éloge de L. Volusius Saturninus, le consul de 3 ap. J.-C. et de son fils Quintus, consul en 56, confirment qu’il s’agit en fait du laraire de la maison ; omé d’une extraor­ dinaire mosaïque de sol cernée par un méandre

L a VILLA, STRUCTURE JAt DOMflI^JJON, DE p r o f i t e t d e p la isa n c e

encadrant un champ circulaire, des cratères dans les angles liés par des guirlandes et sur le reste de la surface un décor d’écailles imbriquées, cet endroit était assurément l’un des plus beaux de la villa, même si de remarquables mosaïques d’époque julio-claudienne agrémentaient égale­ ment la plupart des pièces de la pars urbana (fig. 312). De toute évidence on a voulu faire de la stille (38) le lieu du culte gentilice, celui où se regroupent sous une forme épigraphique et plas­ tique toutes les gloires de la famille, qui fondent sa nobilitas : au coeur de l’aile réservée à la maind’œuvre servile, cette inclusion, qu’on peut juger indécente, constituait sans doute aux yeux des propriétaires une façon d’associer la familia, au sens de domesticité, à la gens. La famille des Volusii s’éteint à l’époque de Domitien (fin du I" siècle ap. J.-C.) et la villa entre alors dans les propriétés impériales. Malgré des phases qui peuvent être très diffé­ rentes même si elles sont synchroniques et des orientations qui, en fonction des terroirs et des intérêts familiaux, ne se recouvrent pas, ces destins de trois grandes villas de rendement nous enseignent quelques vérités globales dont l’appli­ cation pourrait être faite à d’autres domaines : d’une part, lorsque se développe la propriété, la partie résidentielle revêt un aspect de plus en plus « urbain » ; elle est le signe de la réussite de l’ex­ ploitation, et plusieurs éléments de la domus des notables y sont transposés, malgré la permanence des particularités de la résidence de campagne, qui sont pour l’essentiel la prédominance du péristyle et l’ouverture sur l’extérieur ; d’autre part l’extension des installations de travail ou de stockage des récoltes, celle des aires réservés aux esclaves et des cours autour desquelles sont rassemblés le cheptel ou les animaux de trait répond à une logique qui consiste, dans la mesure

du possible, à s’intégrer à l’établissement anté­ rieur en en suivant les orientations fondatrices. La recherche de l’unité fonctionnelle et structurelle apparaît comme l’une des constantes de ces villas, en dépit de la diversité de leurs installations et des sauts qualitatifs énormes - du salon d’apparat à la porcherie ! - qui les caractérisent Cela signifie que la villa d’exploitation est un édifice à part entière, dont toutes les composantes relèvent fina­ lement d’une unité profonde : en ce sens les recommandations de Varron, de Columelle et, plus encore, de Vitruve relatives à la disposition et à l’aménagement des bâtiments de la ferme ne procèdent pas de théories abstraites mais codi­ fient à l’usage des lecteurs qui veulent s’en infor­ mer la pratique observée par les propriétaires ou plutôt les régisseurs conscients de leurs devoirs et de leurs intérêts. La rigueur de l’utilisation des espaces s’avère en l’occurrence d’autant plus remarquable qu’elle se déploie dans un contexte où la liberté, voire l’anarchie pourraient être de mise en l’absence de toute contrainte extérieure. Tant il est vrai que la bonne gestion doit, pour ces riches Romains ou leurs hommes de confiance, pouvoir se lire sur le terrain ; sans aller jusqu’à affirmer que l’ordonnance correcte d’un suile était aussi importante pour eux que le luxe d’un œcus ou le charme d’une perspective, nous pouvons considérer sans grand risque d’erreur qu’elle faisait partie de ce dont un propriétaire tirait vanité quand il accomplissait avec ses amis le tour de son domaine. Ce genre de satisfaction était du même ordre que celle qui consistait à exhiber, quand on en avait les moyens, les versions les plus perfectionnées des pressoirs à vin ou à huile, comme l’ont montré, à propos des villas de Settefinestre et de Lucus Feroniae, des études tech­ niques très précises dans le détail desquelles nous

8. DorfAihi-s. de rsiI dsment a la fin de la R épublique 'tï'Âü'BÊBUT de l’E m pir e

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C. Ostenberg, « Luni and Villa Sambuco », dans Etruscan Cultun, Land and People, Malmö, 1960, p. 313 sq. M. G. Celuzza, E. Regou, « La Valle d’Oro nel territorio di Cosa », dans DdA, 1983, p. 3162. A. Carandini et alii, « Le ville dell’antico terri­ torio di Vulci », dans La romanizuKione dell’Etruria : il territorio di Vulci, Milan, 1985, p. 145-202. W. JOHANNOWSKY, « Appunü sullo sviluppo délia villa romana in Campania », dans Le ViUe romane deü’età imperiale, Naples, 1986, p. 7 sq.

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La villa de San Rocco

La villa de Lucus Feroniae

M. Aylwin Cotton, G. P. R Métraux, The San Rocco Villa at Francolise, BSR, 1985. La villa de Seite Finestre

M. Moretti, A. M. Sgubini Moretti, La villa dei Volusii a Lucus Feroniae, Rome, 1977. W. Eck, « Die Familie der Volusii Saturnini in neuen Inschriften aus Lucus Feroniae », dans Hermes, 100, 1972, p. 461-484. AA. W , I Volusii Saturnini. Materiali e problème 6, Rome, Bari, 1982.

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L a. VILLA, STR^^rllM p ç Pß^JIflATION, DE PROFIT CT DE PLAISAtfèlÉ

chapitre 9

Villas de plaisance et résidences suburbaines à la fin de la République et au début de l’Empire

Si l’on veut cerner les raisons et les conditions dans lesquelles s’est développée la villa de plai­ sance à partir du début du Ier siècle av. J.-C., et le rôle joué par l’aristocratie romaine dans ce phénomène étonnant, il faut se déplacer en Campanie et remonter au siècle précédent Lors des décennies qui suivent la seconde Guerre punique, Rome met à exécution le grand projet politique qui consiste à faire de la plaine du Voltume et des côtes du golfe de Naples une extension du territoire de VUrbs: Vager Campanus devient alors Vager publicus populi Romani, au moment même, et ce n’est pas un hasard, où Puteoli (Pouzzoles) devient le port principal par lequel transite le blé destiné à l’alimentation de la capitale ; il le restera jusqu’au début de l’Empire. La splendeur de la région, mais aussi l’extraordi­ naire fertilité de la plupart de ses terroirs expli­ quent ces choix, en dépit de la trahison de l’un des principaux centres urbains de Campanie, Capoue ; mais Capoue elle-même sera sauvée, comme l’explique Tite-Live (26, 6, 7 sq), parce que les terres agricoles qui l’entourent passent pour les meilleures d’Italie. A cet attrait écono­ mique s’ajoute bientôt celui des stations therma­ les : quand Cornelius Scipio Hispalus vient à Baiae, se soigner aux aquae Cumanae, en 178 av. J.C., il ouvre une longue tradition qui contribuera puissamment au prestige du littoral campanien. Ces préliminaires ne sont pas sans significa­ tion pour notre propos : ils prouvent que la Campanie n’a pas été choisie par un grand nombre de représentants des classes dirigeantes pour de simples raisons d’agrément ou seulement par un effet d’entraînement mondain. La richesse économique de la région et ses ressources agrico­ les ont pesé au moins autant que l’éclat et l’an­ cienneté de sa culture hellénique : la notion de villa de plaisance, imposée par les aménagements luxueux, le confort recherché des pièces de séjour

et le soin avec lequel ces résidences s’insèrent dans des paysages souvent idylliques, n’exclut nullement, dans beaucoup de cas, une activité de production qui peut être rentable ; si la plupart de ces villas n’ont guère livré de vestiges d’une pars rustica ou fructuaria de quelque importance, la raison en est qu’elles ont souvent été fouillées dans des conditions et/ou à une époque qui ne favorisaient pas le repérage de ces structures par définition modestes. En fait c’est Scipion l’Africain qui semble avoir, bien involontaire­ ment sans doute, donné le coup d’envoi de cette vogue de la résidence rurale ou suburbaine dans les Champs Phlégréens et autour du golfe de Naples, en choisissant pour retraite sa fameuse villa de Litemum (supra, p. 272) ; elle n’avait à vrai dire, si l’on en croit Sénèque, rien de particulière­ ment attrayant, et se trouvait de toute façon au centre d’une terre que le Premier Africain ne dédaignait pas de travailler de ses mains, selon l’image que nous a conservée la tradition. A son exemple, sa fille Cornelia vivra de longues années dans sa villa de Misène, dont tout donne à penser qu’elle s’élevait sur un domaine qui lui assurait des revenus, mais l’histoire, là encore, a seulement retenu que c’est là qu’elle confia l’édu­ cation de ses deux fils, Tiberius et Caius Gracchus, au philosophe grec Blossius de Cumes. Quoi qu’il en soit, le mouvement va se préci­ piter à partir de la fin du IIe siècle av. J.-C. : lors­ qu’un habile homme, du nom de C. Sergius Orata, peut-être originaire de Pouzzoles, a l’idée de commercialiser les huîtres d’élevage du lac Lucrin (Pline, HN, 9, 168) et de mettre au point des sols suspendus chauffés par la circulation de l’air chaud (Val. Max., IX, 1, 1 : pensilia balnea) il montre d’emblée tout le parti qu’on peut tirer de l’engouement des riches Romains pour la région, et lance au fond la spéculation qui, désormais, dans le domaine des produits de luxe comme

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dans celui de l’immobilier, va faire la fortune de ceux qui, comme lui, savent tirer parti de la situa­ tion ; car il est bien évident que ces deux « inno­ vations », sur la vraie nature desquelles on s’inter­ roge toujours d’ailleurs, ne s’adressaient pas aux autochtones mais aux nouveaux résidents, comme l’a opportunément souligné J. D’Arms. La spéculation, justement, ne tarde pas à faire monter le prix des constructions, parfois dans des proportions à peine croyables : selon Plutarque ( Vie de Marius, 34, 2), L. Licinius Lucullus aurait acheté pour dix millions de sesterces, à une Cornelia, qui n’est autre que la fille de Sylla, une villa du cap Misène qu’elle avait elle-même acquise pour seulement 300 000 sesterces ; sans doute la modicité du prix initial s’explique-t-elle par le fait que la dite villa, qui avait appartenu à Marius, tomba en la possession de Comelia dans les années 82-81 av. J.-C. au moment des proscriptions syllaniennes ; il reste que la somme payée par Lucullus, peu de temps après, apparaît sans commune mesure avec les tarifs pratiqués à la fin du siècle précédent. Au total, J. D’Arms ne recense pas moins de 44 villas ou demeures suburbaines, aménagées entre Cumes et Sorrente entre 75 et 31 av. J.-C. Encore s’en tient-il aux seuls témoignages épigra­ phiques et littéraires ; pour ces derniers nous sommes en grande partie tributaires de la Correspondance de Cicéron, qui lui-même, avec des moyens certes plus modestes que ceux d’un Lucullus, ne manque pas d’acheter et d’équiper à Pompéi, à Cumes, à Pouzzoles, ce qu’il appelle volontiers ses voluptuariae possessiones [Ad Attic., XII, 25, 1 ; XVI, 3, 4 ; XVI, 6, 2, etc.) ; ces rési­ dences cicéroniennes n’ont sans doute plus guère de rapport avec celle A'Arpinum, où il était né, et que son père avait pourtant remise au goût du jour vers 100 av. J.-C. [De legibus, II, 3), et elles peuvent présenter entre elles des aspects et des agréments fort différents : dans son Cumanum, à proximité de la station à la mode de Baiae, il retrouve l’atmosphère mondaine de Rome [ilia pusilla Roma, dit-il dans une lettre à Atticus, V, 2, 2) alors que dans son Pompeianum, ferme rénovée par ses soins en 60 av. J.-C., il cherche au contraire un refuge loin de la société urbaine. A l’époque d’Auguste, Strabon notera que la côte entre Misène et le sanctuaire d’Athéna (Punta Campanella) présente une telle densité de rési­ dences, de jardins et de plantations diverses, toutes contiguës, que le voyageur a l’impression de cheminer dans une véritable ville, étalée sur une grande distance (V, 4, 8). C’est en fonction de ces données qu’à partir de la fin du IIe siècle av. J.-C. et plus encore tout au long du siècle suivant la noblesse romaine, sénatoriale ou équestre, et les notables qui veulent l’imiter, rompent avec l’austère tradition cato-

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nienne qui voulait que l’habitation du dominus h la campagne occupât seulement une partie de la maison de ferme. Dès lors, et d’abord en Campanie mais bientôt dans toute l’Italie centrale, on se construit des villas dont une part importante est réservée à la pratique, savante ou luxueuse, mais toujours raffinée, de 1'otium, et dont on a pu dire qu’elles étaient des lieux de la culture et de l’esprit avant d’être des réalisations architecturales. Ce sont en tout cas des demeures où peuvent se résoudre ou du moins se concilier temporairement les contradictions entretenues par le jeu politique et les exigences électorales entre le respect ostensible des coutumes rigides héritées de la période médio-républicaine et la fascination pour la vie à la grecque dont les maî­ tres mots sont voluptas, luxuria, amœnitas. Et l’on comprend pourquoi le golfe de Naples, entendu au sens large, du cap Misène à Capri, et son arrière-pays immédiat, sont devenus le lieu de prédilection de cette quête effrénée : à la porte de Rome, il est possible de disposer d’une Grèce accueillante et familière ; là Sylla peut se prome­ ner en public vêtu « à la grecque » ; Virgile peut étudier l’épicurisme auprès de Philodème et de Siro ; Auguste, comme s’il était à Olympie, fonde les jeux Italici Romani Augusti isolimpici Entre l’agora napolitaine et les villas du suburbium chacun se crée son petit paradis hellénisé, s’en­ toure d’œuvres d’art, multiplie les citations plas­ tiques ou les références iconographiques à tel ou tel lieu mythique de la philosophie et de la reli­ gion grecques. C’est en ce sens que Cicéron parle, dans une lettre d’avril 59 av. J.-C., des « délices du golfe » [cratera illum delicatum : Ad Attic., II, 8, 2). Tous partis, toutes tendances confondues, l’en­ semble du Gotha de l’aristocratie romaine de la dernière période républicaine, Marius, Sylla, Pompée, César, Brutus, Cicéron, Hortensius, Lucullus, Varron, et tant d’autres personnages de second ou de troisième plan, se retrouvent dans une sorte d’unanimisme idéologique et culturel. Tous, les uns à côté des autres, se fréquentent, dans une sorte de confraternité du luxe, d’abord sur les collines, puis de plus en plus près de la mer et bientôt jusque dans la mer, grâce aux proprié­ tés de la fameuse pouzzolane, le pulvis Puteolanus, qui permet la prise rapide de l’opus caementicium sous l’eau (Vitruve, II, 6 et V, 12) et consent la construction de villas construites partiellement sur la mer selon une typologie et une technique spécifiques dont nous aurons à parler, le mai Baianum (Pline, Correspondance, IX, 7, 3). Bien sûr, en raison même de l’engouement dont elles sont l’objet, les villas de ce type consti­ tuent une valeur, une monnaie d’échange, un instrument de pouvoir aussi, pour lesquels on est capable de dépenser, nous l’avons dit, des sommes énormes, mais également de monter des

L a v i l l a , s t r u c i j j r e q e d o m in a tio n , d e p r o f i t e t d e p la isa n c e

opérations financières fructueuses. D’où le jeu des achats-ventes, des échanges, beaucoup plus fluide que celui des domus : la résidence de plaisance n’est pas le lieu où s’enracine une famille, c’est celui où elle donne à voir son aptitude à vivre d’une autre façon ; et si l’on en a les moyens, il ne faut pas hésiter à en changer ou à multiplier les exemplaires en sa possession, pour mieux mettre en valeur les différentes facettes de sa richesse et de sa culture, pour jouir aussi de climats et de paysages différents. A Pompée qui lui reprochait d’avoir conçu sa villa de Tusculum pour la seule saison chaude et qui craignait qu’elle ne fût inha­ bitable en hiver, Lucullus répondit, si l’on en croit Plutarque : « Ainsi tu penses que j ’ai moins d’in­ telligence que les grues et les cigognes, et que je ne sais pas, comme elles, changer de demeure au gré des saisons ?» (Vie de Lucullus, 39, 4-5). Cicéron, qui ne compte pas parmi les hommes les plus riches de son temps, loin s’en faut, finira par posséder plus de dix villae, réparties entre le Latium et la Campanie. Si les villas campaniennes ont été, à bien des égards, les prototypes ou les modèles, on note en fait, dans des régions comme celles de la côte méridionale du Latium, entre Gaète et Formies, ou celle des Monts Albains, avec en particulier le site de Tusculum, des concentrations analogues quoique moins denses, où les villas se développent selon des critères comparables. Quels sont les critères spécifiques de la demeure de plaisance ? Il n’est pas inutile de les définir en termes généraux avant d’en venir à l'analyse de quelques cas exemplaires. Ils tien­ nent tous en réalité en une formule : la villa de Yotium est un lieu de liberté et d’inventivité où les contraintes fonctionnelles ou de représentation sont moins lourdes qu’ailleurs et où chacun peut, et même doit - c’est une des règles du jeu donner autant que possible libre cours à son origi­ nalité, en fonction bien sûr de ses disponibilités financières, et à l’intérieur d’un cadre ou selon un code qui doivent être axiologiquement admis et culturellement accessibles, sinon l’opération perd évidemment tout intérêt. A la faveur de ces jeux et de ces recherches, les membres de l’oligarchie romaine, surtout à la fin de la République, consi­ déraient volontiers les questions d’architecture et de décor au nombre de leurs compétences personnelles ; c’est là un aspect de leur compor­ tement sur lequel G. Sauron a récemment insisté ; il suffit pour s’en convaincre de voir quel mal se donne Cicéron pour aménager l’Académie de sa villa de Tusculum, pour élever dans sa villa d’Arpinum un sanctuaire d’Amalthée, ou bien de mesurer le soin apporté par Varron à la concep­ tion et à la réalisation de la volière de sa villa de Casinum (Econ. Rur., III, 5, 9-27) : abondent dans ces textes les références érudites, les allusions

symboliques, les termes grecs, et tout un code de types monumentaux, d’images, de schémas déco­ ratifs qu’il serait imprudent de ravaler au niveau non signifiant de l'ornemental. Ce qui n’empêche pas qu’un personnage aussi avisé que Varron veille en même temps, avec un soin égal, à assu­ rer la rentabilité de ses villas ; l’exemple de Yavia­ rium, la volière de Casinum ci-dessus nommée, est caractéristique ; s’il la charge d’un réseau de signi­ fications cosmiques admirablement décrypté par G. Sauron, elle n’en constitue pas moins l’un des aménagements essentiels de la pastio villatica, en l’espèce l’élevage de volatiles de toutes sortes destinés à la consommation. On tiendra compte, dans ces conditions, d’un autre facteur décisif, souvent oublié quand on analyse tel ou tel édifice d’une façon monogra­ phique, c’est l’émulation qui règne entre les propriétaires, lesquels sont souvent des voisins : cette attitude de concurrence peut conduire à des surenchères dont nous ne mesurons pas toujours l’ampleur. Lorsqu’il aménage son Académie à Tusculum, Cicéron a évidemment en tête le gymna­ sium de la villa que Crassus possède dans le même endroit (De oratore, II, 9, 10) ; de même lorsqu’il érige YAmaltheum de sa villa A'Arpinum, il entend explicitement imiter un sanctuaire simi­ laire établi par Atticus dans sa villa de Buthrote en Épire (Ad Attic., I, 16, 15 et 18) ; quant à Varron, il ne manque pas de noter que sa volière de Casinum sera la troisième construite en Italie, après celle de M. Laenius Strabo à Blindes et celle de Lucullus à Tusculum. Dans la mesure où ces aménagements succes­ sifs se développent au gré d’innovations qui font école, et dont la diffusion, dans ces milieux fermés où chacun se connaît et se jalouse, est aussi rapide qu’éphémère, la chronologie apparaît, en principe, comme le critère essentiel de la classifi­ cation ; mais les rémanences sont nombreuses d’une période à l’autre, qui témoignent de l’im­ portance d’un schéma ou de son adéquation aux exigences, culturelles ou festives, de cette catégo­ rie sociale. Ce qui compte, là encore, pour la compréhension de la genèse et de l’évolution des formes, c’est moins le type individuel que le modèle de développement Située immédiatement au nord-ouest de Pompéi, tout près de l’enceinte, la « Villa des Mystères » offre une base de réflexion incontour­ nable, pour au moins trois raisons : d’abord à cause de son état de conservation exceptionnel ; ensuite parce qu’elle a fait l’objet d’une publica­ tion ancienne mais fort détaillée de la part de A. Maiuri ; enfin parce que, contrairement à ce qu’affirme une synthèse récente sur l’histoire architecturale de Pompéi, sa première phase ne date pas des années 60 av. J.-C. mais de la première moitié du II' siècle av. J.-C., circons-

DE LA RÉFUBLtQt® W ÀWtoÉBUT DE L’EMPIRE

tance qui la désigne comme la propriété d’une riche famille samnite, au moins à l’origine. Bien que la plupart des plans publiés mêlent les divers stades de son évolution, écrasant ainsi la perspec­ tive, cette villa permet de suivre les transforma­ tions d’un établissement suburbain de conception traditionnelle qui se met progressivement « au goût du jour » sans perdre sa compacité ni élargir sensiblement son assise. C’est là un phénomène que l’on n’observe plus dans les villas campaniennes de la nobilitas romaine. Cette résidence hors les murs, sans fonction rurale véritable, s’est voulue d’emblée villa et non domus (fig. 313) : on y accédait par un couloir voûté qui débouchait directement sur un péris­ tyle, lequel était lui-même axé sur un atrium toscan pourvu d’un tablinum ; le groupe atriumtablinum était cerné sur trois côtés par un portique en 11 qui donnait accès à un vaste déambulatoire, une promenade (ambulatio) découverte en surplomb sur le paysage avoisinant, avec vue sur la mer vers l’ouest et le sud. En fait cette area

pensilis, « suspendue » au-dessus d’une substruction en cryptoportique qui régnait à l’intérieur de la basis villae, tirait le meilleur parti de la situation et de l’orientation du bloc de l’habitat, conçu selon les techniques et le schéma observés déjà, nous l’avons dit, dans les villae rustiques des IVeIIIe siècles av. J.-C. du Latium (supra, p. 273). Si l’on se souvient d’autre part de la définition de la pars urbana de la villa selon Vitruve (VI, 5, 3), on ne peut qu’être happé de la concordance de ce plan, à péristyle antérieur et déambulatoire autour de Vatrium, avec les préceptes du théori­ cien. Nous avons là l’une des plus belles attesta­ tions archéologiques de la résidence de plaisance telle que les textes la décrivent pour les deux derniers siècles républicains : les « maisons de campagne » que Lucullus possédait à Tusculum étaient elles aussi pourvues de belvédères et de promenoirs largement ouverts sur l’extérieur (Plutarque, Vie de Lucullus, 39, 4) ; le choix d’une situation en légère élévation qui nécessite un rattrapage de niveau au moyen de structures partiellement enterrées ou adossées à la pente naturelle du terrain, ménageant ainsi une plate­ forme supérieure permettant des vues dégagées, est caractéristique de ce genre d’édifice. Dès ce premier état, plusieurs groupes d’« appartements » comportant chacun une chambre à coucher et un salon - salle à manger, orientés vers le nord et l’ouest (14, 15) ou vers le sud et l’ouest (3-4, 5) témoignent du prix que l’on attachait au prospectus à travers les colonnes du portique ; on relève aussi l’existence de couloirs, vers l’intérieur, improprement appelés fauces, et qui sont en réalité des andrones au sens latin (vitruvien en tout cas) du terme, puisqu’ils desservent deux parties bien distinctes du bloc d’habitation (Vitruve, VI, 7, 5) ; on note enfin qu’à ce stade l’arnïifR, sur lequel n’ouvrent pas moins de 13 portes, joue encore - ce qui est normal à cette date - un rôle important de lieu de passage et, si l’on peut dire, de centre de répartition. Dans l’autre moitié de la villa, le péristyle pourvu de 16 colonnes doriques distingue nettement l’aile nord-est, de représenta­ tion et d’accueil, avec un grand salon tricliniaire et un autre plus petit (26), lui-même intégré à une triporticus secondaire, de l’aile sud-est, de service, comprenant une grande cuisine sur cour « rus­ tique », un petit balneum et un atrium secondaire. L’ensemble apparaît donc d’une rare cohérence : soumise à un plan régulateur très concerté, cette villa du IIe siècle av. J.-C. ne comportait aucune structure ni espace liés au traitement ou à la conservation des produits de la terre. Au cours des années 60 av. J.-C. la « Villa des Mystères » connaît d’importantes modifications ; c’est à cette seconde phase que remonte la fastueuse décoration des sols et des murs, avec en particulier la fameuse « mégalographie » de la

L a VILLA, STRUaUÄE^UE dom I n-sh o n , de profit et de plaisancé

salle 5 (fig. 314) dont nous allons reparler. Du point de vue de la répartition des pièces le fait saillant est la multiplication du nombre des tricli­ nia, diversement orientés en fonction des saisons de leur utilisation, et en liaison avec des cubicula à double alcôve, pourvus d’une armoire dans l'an­ gle situé entre les deux lits (nos 4, 8, 11 et 16) ; ces chambres étaient précédées d’un procoeton, sorte d’antichambre qui assurait un filtrage prélimi­ naire ; de tels « appartements », qui constituaient autant d’unités autonomes pour des membres de la famille (des couples apparemment), présen­ taient donc un degré d’intimité (la « privacy », chère aux archéologues anglo-saxons) plus grand que les aménagements antérieurs : le passage de l’antichambre à la chambre puis à l’alcôve voûtée marquait une gradation dans l’isolement qu’on ne retrouve que dans la première phase, à peu près contemporaine, de la pars urbana de la villa de Settefinestre ou dans la « Villa dei Papiri » d’Herculanum. En fait, Pompéi est, à cette époque, depuis près de vingt ans déjà, une colo­ nie romaine, et il est impossible de savoir si la propriété a changé de mains : qu’elle soit encore en la possession d’un riche samnite ou qu’elle soit devenue celle d’un membre de l’oligarchie séna­ toriale ou de l’élite coloniale locale, elle se trouve dès lors au voisinage du Pompeianum de Cicéron, dans un contexte fortement romanisé. Il n’en est que plus intéressant de noter que le dominus ou plus probablement la domina jouait désormais un rôle éminent au sein d’un groupe dionysiaque. Comme l’a en effet démontré G. Sauron au terme d’une analyse magistrale des fresques de la pièce n° 5, et malgré une récente tentative pour les banaliser en les réduisant, au prix de contresens iconographiques patents, à une évocation (incongrue en toute hypothèse) de la nuit de noces de la propriétaire, les vingt-neuf personnages représentés en grandeur presque naturelle, disposés sur un podium, définissent une compénétration de la sphère des dieux et de celle des mortels : le dialogue muet qui s’établit d’une extrémité à l’autre de la pièce entre Sémélé et la domina tend à prouver que celle-ci prétendait suivre la voie conduisant à la divinisation ; l’im­ brication des scènes évoquant le mariage de la maîtresse de maison avec celles qui décrivent l’union mystique de Zeus et de Sémélé revêt dans cette perspective une signification limpide qui permet - et c’est en pareil cas le seul critère de la vérité - de rendre compte de tous les détails d’une iconologie particulièrement complexe. Une telle megalographia, au sens vitruvien du mot (VII, 5, 2), n’est en réalité que la transposition en pein­ ture de ces galeries de sculptures (signa, simulacra) qui animaient les parois de tout local à vocation plus ou moins religieuse ; à ce titre la fresque de la « Villa des Mystères » n’est pas en soi un

phénomène isolé dans le contexte pompéien de l’époque : il suffit d’évoquer le petit temple extra­ urbain de Sant’Abbondio, dont le fronton propose une image de Dionysos et d’Aphrodite, ou bien les chapiteaux du portail d’entrée de la « Casa dei Capitelli figurati », où un homme et son épouse participent à un banquet aux côtés d’un silène ivre (supra, p. 44 et fig. 30), pour comprendre que la mystique bachique, en dépit de l’interdit qui pesait sur la pratique des mystè­ res dionysiaques, restait vivante dans toute une classe de la population. Et pour notre propos il est essentiel de constater qu’au sein d’une demeure de ce genre, un grand salon, qui pouvait à l’occa­ sion accueillir des convives mais n’était pas un triclinium permanent, livrait aux visiteurs une sorte de manifeste religieux, dont les thèmes se retrouvaient du reste dans le cubiculum adjacent (n° 6) : la villa n’est pas la domus ; elle est un lieu où s’expriment avec plus de liberté qu’ailleurs les goûts et les convictions de ceux qui l’habitent. Nous en aurons d’autres preuves.

Fig. 314. Plan de la «Villa des Mystères »dans sa phase la plus développée. Les espaces résiduels du nord-est (57 à 59) sont posté­ rieurs au séisme de 62 ap. J.-C.

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Fig. 315. Schémas de situation du salon ou tricliniumabsidé en saillie sur le bloc d'habitation : àgauche restitution de la séquence de lavilla des Laurentes de Pline le Jeune ; àdroite la même séquence à la «Villa des Mystères ». d'après R. Fôrtsch.

Fig. 316. Axonométrie restituée de la maison de M. Fabius Rufus à Pompéi, d'après V. Kockel.

Le début de l’Empire, et plus précisément l'époque augustéenne, se signalent, dans cette « Villa des Mystères », par l’ouverture d’un vaste salon terminé par une large abside (1) en saillie sur la limite occidentale du bloc d’habitation, qui empiète sur le portique et \'ambulatio ; un autre acus absidé est aménagé au cours de cette même phase à l’emplacement du péristyle secondaire de l’ouest (25) : on relève dans chacune de ces deux pièces la présence de larges baies ouvertes sur l’extérieur qui permettent de jouir de perspectives charmantes à l’abri du soleil et des intempéries ; de tels aménagements évoquent par anticipation le triclinium de la villa des Laurentes de Pline le Jeune qui, en saillie sur le rivage, disposait de portes et de fenêtres embrassant « ce qu’on pour­ rait appeler trois mers » (quasi tria maria) (Correspondance, II, 17, 5) (fig. 315). A vrai dire ce type de salle dont les ouvertures découpent dans le paysage environnant des tableaux agréables par leur variété et le cadre rigoureusement défini qui les circonscrit n’est pas une structure propre aux villas : tout l’habitat, y compris les domus, quand il le peut, s’offre ce genre d’avantage dès le début de l’Empire ; plusieurs grandes maisons de Yinsula occidentalis de Pompéi, du fait de leur situa­ tion limitrophe et de leur surélévation, ont adopté des solutions similaires, la plus proche de notre exemple étant celle de la domus de M. Fabius Rufus (fig. 316). Pour en finir avec cette phase des premières décennies impériales à la « Villa des Mystères », il convient de souligner que désor­ mais six des ouvertures initiales de l’atrium sont condamnées, ce qui marginalise cette structure aux dépens des circuits latéraux qui desservent les « appartements ». La quatrième et dernière phase est celle qui suit le séisme de 62. Comme beaucoup de gran­ des domus dans Pompéi, la « Villa des Mystères » n’est plus alors la résidence d’un riche proprié­ taire et devient, apparemment, le centre d’un domaine agricole (fig. 314). D’où l’utilisation des espaces résiduels qui, à l’est, séparent l’habitation de la rue : les salles 52 à 56 peuvent avoir servi de logements pour les esclaves, cependant qu’à droite de la voie d’accès sont aménagés des étables et un grenier. Plus significatif encore : le grand salon tricliniaire de l’angle nord est divisé en deux salles où sont installés un pressoir à vin et un bassin pour la vinification (48, 49) ; à proxi­ mité, les nouveaux espaces 51 et 50 correspon­ dent aussi à des aménagements techniques. Un signe tangible de ce changement total de destina­ tion est fourni par la pièce 32, qui jouxte le couloir d’entrée : pourvue au début du règne de Néron d’une belle décoration pariétale du IV* style où l’on avait pris soin d’encastrer des « tableaux » appartenant à des phases plus anciennes, elle sert désormais de remise à outils :

L a VILLA, STRUCïÜÂE^iE DQ^fjAPON, DE PROFIT ET DE PLAISANCÉ

une traverse de bois accrochée à l’une des parois peintes permettait l’accrochage de pelles, bêches, marteaux et gros clous de fer, sans égard aucun pour les fresques. De même le balneum est mis hors d’usage et certaines de ses pièces (le laconi­ cum par exemple) transformées en celliers. Dans ces conditions la transformation du petit atrium secondaire, toscan à l’origine, en un tétrastyle ne peut être interprétée comme une recherche de monumentalité : plus simplement, comme cela est le cas dans de nombreuses maisons, les colon­ nes ici mises en place n’ont d’autre utilité que de soutenir une charpente fortement ébranlée par le tremblement de terre. Dès lors la oilla suburbana des origines, sans perdre totalement l’agrément d’une partie résidentielle de vastes dimensions, est manifestement entre les mains de propriétai­ res plus soucieux de rendement que de mondani­ tés ; cet ultime avatar ne reflète pas l’évolution générale des villas sous le Haut-Empire mais tient sans aucun doute à la situation nouvelle créée par le séisme dans cette région des villes du Vésuve. Quoi qu’il en soit la compacité qui caractérise le plan de la « Villa des Mystères » ne constitue pas, il s’en faut de beaucoup, la règle la plus souvent observée dans les villas suburbaines. L’un des meilleurs exemples de l’ouverture vers des espaces découverts qui, tout en restant étroi­ tement intégrés n’en prennent pas moins une extension importante est fourni par la « Villa de Diomède », distante seulement de la précédente de 200 m (fig. 317). Elle aussi s’est développée à partir d’un noyau initial datable du II' siècle av. J.-C., mais la construction de la route d’Herculanum vers le milieu du Ier siècle av. J.-C. a entraîné la destruction de toute la partie septen­ trionale du bloc d’habitation, réduisant en parti­ culier son atrium à un triangle résiduel coupé de l’axe de cheminement principal vers le péristyle. Il en résulte que dans son état initial le plan de cette villa ne répondait nullement à la « prescrip­ tion » vitruvienne plaçant le péristyle avant l'atrium, mais que la disposition relative de ces deux structures reproduisait celle de la domus. La plupart des pièces orientées vers le péristyle semblent avoir été, au vu de leurs dimensions assez modestes, des cubicula ; la plus remarquable de ces chambres est sans conteste celle qui, dispo­ sée en saillie sur la façade méridionale, présente un plan circulaire (14) avec trois baies permettant des vues diversifiées sur Stabies : là encore une antichambre (procoeton) pourvue elle-même d’un lit (celui du cubicularius) assure la tranquillité des occupants et augmente l’impression d’intimité. La similitude avec les aménagements de la deuxième et de la troisième phases de la « Villa des Mystères » est frappante ; on pourrait appliquer à la situation de ce cubiculum 14 la description que Cicéron fait du bonheur de son ami M. Marius,

Fig. 317. Plan de la « Villa de Diomède ». d’après A. Maiuri et R. Pane.

Fig. 318. Restitution du secteur du triclinium27 par A. Maiuri et R. Pane.

retiré dans une de ses villas campaniennes, loin des bousculades de la foule romaine, excitée par les jeux que Pompée a offerts en septembre 55 av. J.-C. pour l’inauguration de son théâtre : «Je ne doute pas que de cette chambre devant laquelle tu as fait percer et ouvrir largement pour la joie de tes yeux le rideau de verdure qui fait au-dessus de Stabies comme le fond d’une scène, tu n’aies, ces jours-ci, employé les heures du matin à de bonnes petites lectures » (Fam., VII, 1, 1). Dans l’angle sud-est, entre le péristyle et la route, a été inséré, sans doute dans les dernières décennies avant notre ère, un petit balnéaire avec une salle chaude à abside (21), à proximité de la cuisine

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(22) et d’un réservoir d’eau (23). Les pièces d’ap­ parat ou de réception sont elles aussi aménagées sur ce même niveau, mais orientées vers l’ouest et ouvertes sur le quadriportique disposé en contre­ bas ; c’est le cas du magnifique triclinium 27, disposant d’une triple baie sous fronton (fig. 318), qui bénéficie au premier plan d’une vue sur les jeux d’eau du jardin inférieur et de perspectives plus lointaines sur le paysage environnant. Ce quadriportique repose lui-même sur un cryptoportique qui permet le rattrapage de la pente naturelle et constitue le cadre autour duquel s’or­ donne la basis villae : il ne s’agit donc pas d’une annexe non structurelle mais d’une dépendance intégrée, qui autorise elle-même le développe­ ment de nombreux locaux de service ou de logeOn retiendra donc de l’ordonnance de cette « Villa de Diomède » le principe de l’exploitation des différences de niveau dans une composition qui garde toute sa rigueur en accroissant même les effets axiaux et l'attrait des perspectives loin­ taines ou rapprochées. Ainsi le triclinium d’été, simple espace sous pergola placé à l’extrémité occidentale du quadriportique, offrait aux dîneurs la fraîcheur du bassin adjacent et des vues « en contre-plongée » vers l’étage d’habitation, et particulièrement vers la façade sous fastigium du grand triclinium 27. Mais la recherche des espaces de délassement et le goût croissant pour les amples dégagements, qu’ils soient simplement visuels ou réellement praticables, entraîne dans beaucoup de cas l’écla­

Fig. 319. Plan de la villa de San Marco, d'après A. Barbet et alii.

tement de l’unité planimétrique et suscite à l’inté­ rieur des villas des axes divergents. Très compa­ rable, du point de vue de l’organisation du bloc résidentiel, à la villa que nous venons d ’examiner, celle dite de San Marco, sur le territoire de Stabies, illustre cette tendance (fig. 319) : au noyau initia] compact, centré sur un atrium tétrastyle (44) mais déjà pourvu d’un ensemble thermal important dans l’angle sud, datant du début du règne d’Auguste, vient s’ajouter vers l’ouest à l’époque claudienne un vaste jardin partiellement bordé de portiques dont l’extrémité prend appui sur la pente de la colline en une courbe interrom­ pue en son centre par un nymphée ; le but est évidemment, au mépris de la cohérence interne de la composition, de dégager une aire bénéfi­ ciant d’une vue élargie sur la côte et la mer. En fait ce jardin n’est autre, typologiquement, qu’une sorte de gymnase pourvu d’un bassin central (piscina) (15) et flanqué de deux ambulationes plan­ tées d’arbres dont A. Carandini relève qu’elles équivalent chacune à un demi-stade si on les parcourt dans les deux sens ; ombragée de plata­ nes, cette promenade constituait une dépendance directe de la grande salle, incomplètement déga­ gée, qui s’ouvre à son extrémité nord-ouest (16) ; elle-même était longée par deux appartements symétriques, des diaetae appartenant sans doute au dominus et à la domina, ce qui confirme le déplacement irréversible des principales compo­ santes résidentielles vers cette annexe, évidem­ ment ajoutée grâce à l’acquisition d’une parcelle voisine. Elle sera amplifiée par un autre péristyle, plus précisément une porticus triplex (1-2), sur laquelle ne s’aligne aucune salle de réception ou d’habitation, mais derrière laquelle s’ouvre un cryptoportique (7). Nous avons employé à dessin le terme de gymnase pour désigner la structure autour de laquelle s’ordonnaient manifestement les princi­ paux moments de la vie mondaine et des activités de représentation du propriétaire. Ce n’est pas une métaphore car nous savons que l'une des composantes essentielles de la villa de plaisance dès la fin de la République était précisément le gymnasium : les plus anciennes mentions du mot dans ce contexte sont à chercher dans les lettres que Cicéron adresse à Atticus entre novembre 68 et juillet 65 pour que ce dernier l’aide à rassem­ bler les objets destinés à orner son « Académie », c’est-à-dire le gymnase de sa villa de Tusculum (Ad. Attic. I, 6, 2 ; I, 9, 2 ; I, 10, 3 ; I, 4, 3 ; I, 1, 5). Le même Cicéron évoque ailleurs (De oratore, II, 9, 10) le gymnase que Crassus avait établi dans l’une de ses résidences, également à Tusculum : c’est là qu’il situe la docte conversation qui se développe sur la rhétorique entre lui-même et ses interlocu­ teurs. Il faut bien comprendre que ce type de « gymnase » n’est assurément pas réservé, comme

son homologue grec, aux exercices athlétiques de la jeunesse de la cité ; c’est un lieu de promenade plus ou moins luxueusement aménagé où le domi­ nus et ses amis peuvent goûter la fraîcheur et le calme d’une nature domestiquée circonscrite par des éléments architecturaux qui lui servent de cadre et en organisent les espaces. Ces allées ombragées bordées de portiques où l’on chemine en devisant de politique ou de philosophie, selon les goûts des visiteurs, correspondent exactement au xystum qui pour Vitruve est le cœur même de la palestre : après avoir décrit le portique double (xystus) où s’exercent par mauvais temps les jeunes athlètes, le théoricien évoque en effet « les promenades à ciel ouvert que les Grecs appellent des paradromidès et auxquelles nous donnons le nom de xystes (xysta), sur lesquelles les athlètes peuvent sortir l’hiver quand le temps est serein pour s’y livrer à des exercices. Ces xystes doivent comporter entre deux portiques des bosquets (silsae) ou des bouquets de platanes (platanones) ; c’est là que doivent se développer les ambulacres (ambulationes) pourvus d’emplace­ ments où l’on peut stationner revêtus d'opus Signi­ num» (V, 11, 4). En fait l’annexion du mot grec qui évoque pour tout Romain cultivé le lieu par excellence de la culture hellénique n’est pas un transfert abusif mais se fonde sur des analogies formelles et fonc­ tionnelles : le lien entre les activités proprement gymniques et les activités philosophiques était dès la fin de l’époque classique inscrit dans l’ordon­ nance des gymnases publics ; parfois du reste des conflits naissaient de cette promiscuité ; Diogène Laërce rapporte par exemple les disputes qui opposèrent le scholarque Carnéade et le gymnasiarque de l’époque, le volume excessif de la voix du chef de l’École platonicienne dérangeant le travail des éphèbes (IV, 63). Et Vitruve lui-même ne manque pas de prévoir, au bord des pistes de course de sa palestre, des exèdres semi-circulaires munies de bancs et suffisamment spacieuses, ditil, pour que les philosophes, les rhéteurs et tous ceux qui ont du goût pour les activités intellec­ tuelles puissent s’y retrouver et parler ensemble (V, 11, 2). Les riches représentants de la nobilitas, qui avaient tous parachevé leurs études à Athènes étaient souvent soucieux d’évoquer dans leurs villas le cadre prestigieux des écoles philoso­ phiques qui avaient leur préférence, et de ce point de vue l’attitude de Cicéron cherchant à compo­ ser dans sa villa de Tusculum un site qui rappelât, fut-ce symboliquement, l’Académie, c’est-à-dire le gymnase extra-urbain situé au-delà de la porte du Dipylon où Platon enseigna, n’est nullement exceptionnel. Mais il va de soi que la notion de gymnasium en tant que dépendance d’une villa de plaisance finit par désigner un type de jardin arboré dont les harmoniques culturelles, sans

jamais s’effacer complètement, pouvaient perdre de leur importance au profit des compositions de plus en plus savantes qui en occupèrent l’espace. Mais précisément cet espace clos, circonscrit de murs et de portiques, organisé pour le délasse­ ment et la déambulation tranquille, pouvait aussi, dans les versions les plus élaborées, s’assimiler à une sorte de « paradis » ou de « jardin des Bien­ heureux » : l’imaginaire collectif de l’Antiquité classique a toujours envisagé le lieu de séjour de ceux qui avaient mérité de vivre en paix après la mort, 1’Elysium, comme une prairie plantée d’ar­ bres féconds, parcourue de sources vives, où il est loisible de se livrer à des conversations savantes et d’observer des spectacles de danse ou de théâ­ tre ; le texte du dialogue Axiochos, attribué au Pseudo-Platon (371c), sur lequel G. Sauron a récemment attiré l’attention, fournit une descrip­ tion détaillée de cet endroit mythique, qui s’ac­ corde remarquablement avec ce que nous savons de certains « gymnases » des villas romaines. L’exemple le plus accompli en est sans aucun doute celui de la « Villa des Papyri » d’Herculanum ; fouillée au XVIIIe siècle elle s’étendait au nord-ouest de cette ville sur plus de 250 m ; célè­ bre pour les quelque 2 000 papyri qu’à livrés sa bibliothèque, presque tous en grec, parmi lesquels ont été retrouvées surtout, mais pas seulement, des œuvres de Philodème de Gadara, le philosophe épicurien lié à certains membres de l’aristocratie sénatoriale romaine de la fin de la République, elle possédait en effet un « gymnase » qui semble avoir constitué une adjonction consécutive à l’acquisition de deux et plus probablement trois domaines voisins. Là encore le noyau initial se recommande par sa cohérence organique ; il présente même une étonnante régularité puisqu’il s’inscrit dans un carré lui-même subdivisé en quatre carrés égaux (fig. 320) : les deux carrés orientaux étaient occu­ pés par les services (cour à portiques et édifice thermal) ; les deux carrés occidentaux conte­ naient respectivement le péristyle au nord et l’atrium au sud ; ce dernier, en seconde position par rapport à l’entrée et entouré sur trois de ses côtés par un portique avec vue sur la mer, répond assez exactement au schéma observé à la « Villa des Mystères ». A une date qu’il est difficile de préciser, mais qu’on peut situer autour du milieu du Ier siècle av.J.-C., ou dans le troisième quart de celui-ci, fut installée à l’ouest du péristyle une bibliothèque ordonnée autour d’une exèdre, laquelle ouvrait directement sur le vaste « gymnase », dont l’aménagement est sans doute contemporain. Il s’agit d’un quadriportique très allongé (95 x 35 m) dont le centre était occupé par un vaste bassin ; dans les ambulationes de ce gymnase ont été retrouvées la plupart des quelque 87 sculptures (statues ou hermès de

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Fig. 320. Plan de la «Villa dei Papiri »près d'Herculanum.

Fig, 321. Plan de la villa de Licenza. marbre ou de bronze) qui font aujourd’hui l’or­ gueil du Musée de Naples. G. Sauron, en souli­ gnant que les principales de ces oeuvres représen­ taient des héros de la politique et de la culture grecques de la fin du rv* siècle ou du début du III* siècle av. J.-C., qui correspondent à un « monde nié par Rome » et nostalgiquement reconstitué, a pu établir que ce « gymnase » n’était autre qu’une évocation du Jardin d’Épicure, lequel se voulait aussi le «Jardin des Bienheureux », c’est-à-dire de ceux qui avaient atteint, par la philosophie, à la sérénité complète. Il en a déduit avec raison que les auteurs de ce luxueux décor ne pouvaient être que Philodème de Gadara lui-même et son protecteur et ami, propriétaire de la villa, L. Calpurnius Piso Caesoninus, consul en 58 av. J.-C. L’identification de ce dernier comme concepteur de ce montage architectural et plas­

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tique hors du commun est en tout cas plus convaincante que celle qu’on a voulu lui substi­ tuer récemment, d’Appius Claudius Pulcher, parent de Lucullus, commanditaire des « Propylées intérieurs » d’Éleusis et consul en 38 av. J.-C. (hypothèse de M. R. Wojcik) ; on voit mal en effet ce personnage féru d’ésotérisme et des religions à mystères s’entourer d’autant de références épicuriennes, dont plusieurs portraits d’Épicure, et prolonger - détail qu’on oublie souvent - le « gymnase » en question au moyen d’une promenade conduisant à une tour-belvé­ dère isolée, véritable lieu de retraite d’où le sage peut enfin contempler l’agitation des flots, transposition transparente de l’idéal lucrétien du suave mari magno. Mais ce n’est là, dira-t-on, qu’une exception sans lendemain, dont on ne saurait faire sérieuse­ ment état pour esquisser une évolution de la villa de plaisance à la fin de la République et au début de l’Empire. Rien n’est moins sûr : tout récem­ ment on a pu établir une dépendance formelle assez étroite entre la « Villa des Papyri » et la « Villa d’Horace » près de Licenza en Sabine (fig. 321). Cette construction naguère fouillée par G. Lugli a fait l’objet d’analyses nouvelles, et son attribution au célèbre poète de Mécène est de moins en moins mise en doute ; l’appareil en réti­ culé de la plupart des structures conservées cadre bien avec la chronologie supposée, ainsi que les mosaïques en noir et blanc qui oment encore certaines de ses pièces. Le bloc d’habitat, au nord, axé sur la séquence péristyle-atrium, y est prolongé, mais cette fois dans une rigoureuse continuité planimétrique qui plaide en faveur d’une conception unitaire dès l’origine, par un vaste quadriportique dont l’ordonnance et la rela­ tion avec le quartier résidentiel rappellent indé­ niablement celles du « gymnase » du domaine des Pisons. B. Frischer a du reste montré que cette

L a v il l a , strucpüiw : d e noMiftATiON, d e p r o f i t e t d e p la is a n c ï

propriété de Sabine qu’Horace se plaît à décrire comme modeste (par ex. Épitres, I, 7) s’apparen­ tait davantage à un complexe luxueux qu’à une ferme sans prétention ; le fait qu’aucune œuvre d’art n’y ait été recueillie s’explique aisément par les pillages successifs auxquels le site, facile d’ac­ cès, a été exposé depuis son abandon. Un établissement assez comparable est celui de la villa dite de Voconius Pollio à Marino (Castrimoenium, sur la rive du lac d’Albano, au sud-est de Rome), qui, autant que permettent d’en juger les rares plans publiés, du reste incomplets par rapport à l’état des vestiges, comportait, sur trois terrasses, un corps central résidentiel articulé autour d'un péristyle (II de la iïg. 322) sur lequel donnait une exèdre (III) en communication avec un œcus (IV) ouvert sur un jardin ; au sud, le complexe thermal, pourvu d’une palestre (XVII), semble dater d’une période postérieure, comme celui de la villa d’Horace ; au nord, un très vaste péristyle-gymnasium s’étendait sur plus de 100 m, et doublait là aussi la surface occupée par l’habiOn notera cependant que le degré d’élabora­ tion des « gymnases » n’atteint presque jamais un niveau comparable à celui de la « Villa des Papyri ». Cela n’empêche pas la diversité des variantes et l’ampleur des adjonctions appelées par ce qui devient rapidement une annexe cano­ nique de tout domaine de plaisance un peu déve­ loppé. Un cas-limite est proposé par la « Villa di Arianna », au lieu-dit Collina di Varano, près de Stabies : là encore une implantation de type varronien et vitruvien, datée de la fin de la République, connaît une extension peu commune au cours du Ier siècle ap.J.-C. (fig. 323). L'imbrication de la pars rustica, centrée sur le péristyle (4) et de la pars urbana, organisée autour de Yatrium (11) témoignent du fait qu’initialement la villa se concevait d’abord comme le centre d’un domaine de production ; on note en particu­ lier l’importance de 1’ergastulum (5) à l’est du bloc résidentiel. Au début de l’Empire s’aménage un ensemble thermal remarquablement équipé disposant d’un caldarium (18), d’un laconicum (19) et d’un petit péristyle (8). Une première adjonc­ tion vers l’est, parallèlement à la côte et non plus perpendiculairement à elle, se répartit autour d’un viridarium (9) sur lequel donnent deux magnifiques triclinia (20 et 21j ; ce dernier, ouvert au nord et largement éclairé par des baies latéra­ les et postérieures qui ménagent des vues sur la verdure et sur les puits de lumière adjacents, répond exactement à la définition de 1'acus Cyzice­ nus dont nous avons dit (supra, p. 66 sq.) l’impor­ tance dans la domus des notables. L’ensemble ainsi constitué disposait déjà d’une terrasse dominant la plaine littorale et le rivage, qui aurait pu définir à elle seule une annexe suffisamment ample pour

Fig. 322. Plan de lavilla de Voconius Pollio ä Marino, d'après répondre aux désirs du propriétaire le plus exigeant. Mais apparemment il fallait que le domi­ nus pût exhiber un « gymnase », d’où l’annexion de l’énorme quadriportique 23 (environ 90 x 50 m) qui d’un seul coup double la surface occupée par la villa : le mimétisme avec la pales­ tre de tradition hellénistique s’avère ici, plus qu’ailleurs, recherché, sans que se développe aucune des structures internes qui d’ordinaire confèrent leur originalité à ces vastes espaces ; seule une exèdre (26), qui s’apparente par sa situation et sa place à un ephebeum (Vitruve, V, 11, 2), s’ouvre au milieu du long côté sud ; les aména­ gements du long côté opposé sont trop détruits pour qu’il soit possible d’en proposer une inter­ prétation. On aura noté que dans les exemples jusqu’ici recensés les amplifications propres à la villa de plaisance tardo-républicaine, dont le quadriportique-gymnase est la plus caractéristique, n’ont guère d’incidence sur l’ordonnance générale de l’édifice : si elles font éclater le noyau initial, elles n’entraînent aucune restructuration, ni en façade ni en profondeur, et l’apparence paratactique du complexe n’est compensée par aucune tentative unificatrice. Cet aspect un peu inorganique ne traduit pas seulement l’échelonnement chronolo­ gique des constructions, mais aussi une indiffé­ rence certaine à la restitution, fut-elle a posteriori, d’une cohérence à la fois scénographique et strucMais il est des villas qui, dès la fin de la République et plus encore au début du Principal, s’inspirant des grandes compositions publiques, profanes ou religieuses, s’organisent d’une façon à

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Fig. 323. Plan de la villa dite d'Arianna à Collina di Varano, la fois symétrique et axiale sans renoncer à aucune des annexes jugées désormais indispensa­ bles à l’équipement d’un domaine de plaisance. Ce sont évidemment celles dont les propriétaires sont les plus fortunés, et elles vont même, pour certaines des plus élaborées, servir de modèle aux réalisations des Empereurs du Ier siècle. Un indice ne trompe pas, qui révèle que la villa « idéale » est celle qui, désormais, non seule­ ment s’inscrit dans un paysage mais de surcroît l’embrasse et en devient la composante essen­ tielle : c’est l’évolution des représentations pein­ tes. R. Ling a remarquablement montré comment, dans les tableaux de la fin du IIe style, la villa constituait seulement un point d’appui dans une scène plus large où la vie agreste et ses aspects religieux étaient mis en scène ; les cons­ tructions esquissées alors ne sont encore, en dehors des sanctuaires rustiques ou des autels, que des fermes relativement modestes qui ponc­ tuent les différents plans de la fresque. Avec le IIIe style, et donc le changement d’ère et le début de

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l’Empire, la villa devient le centre du tableau ; elle s’impose comme le thème principal, et le déploiement de ses portiques latéraux, sur la façade ou plus souvent vers les jardins intérieurs, la désigne comme la structure organisatrice du milieu naturel. Des vestiges de Rome, d’Étrurie méridionale et de Campanie permettent de comprendre ce que suggèrent d’une façon souvent impression­ niste ces images dont la plupart, provenant de maisons pompéiennes, sont conservées au Musée de Naples. Certes les fouilles françaises, entrepri­ ses depuis 1983, dans les terrains appartenant à la Villa Médicis et au couvent de la Trinité des Monts sur le site présumé de la grande villa suburbaine de Lucullus à Rome (les horti Lucullani de la tradition), ont montré que la struc­ ture curviligne, abusivement restituée par Pino Ligorio comme un hémicycle, ne constituait pas la façade de la dite villa, mais seulement un puis­ sant mur de soutènement, à la courbure beau­ coup plus ouverte qu’on ne l’imaginait ; on ne

La VILLA, STRUCFCTREAE DOJtfjfoATION, DE p r o f i t e t d e p la isa n c e

saurait en tirer la conclusion, comme pensait pouvoir le faire F. Coarelli, que ces horti, étagés sur la pente du Pincio, avaient été conçus sur le modèle du sanctuaire de la Fortuna Primigenia à Praeneste ; il n’en reste pas moins que ces substrucüons impressionnantes, qui ont informé le terrain pendant toute l’antiquité, témoignent d’une volonté d’organisation rationnelle et de domina­ tion de l’espace qui laissent prévoir un ensemble rigoureusement organisé sur des terrasses axialement ordonnées. Près d’Anguillara Sabazia, sur les rives du lac de Bracciano, en Étrurie méridionale, une villa, qui semble encore dater des dernières décennies républicaines si l’on en juge par Vopus incertum de sa maçonnerie, a livré les vestiges imposants d’une façade curviligne dont il est impossible de dire si elle était celle même de la villa ou si elle donnait sur les jardins et promenades internes à celle-ci. Développée par symétrie sur une corde de quelque 87 m et terminée par des nymphées dont les parois à fenêtres prouvent qu’ils devaient servir à l’occasion de lieux de séjour ou de tricli­ nia d’été, cette structure scandée par des demicolonnes encadrant des arcades seulement percées de baies ne constituait pas en tout cas un simple soutènement aveugle ; elle devait compor­ ter un second niveau lui aussi rythmé par un ordre engagé. Derrière elle régnait un corridor de circulation qui desservait les nombreuses pièces réparties au nord et à l’ouest. L’état de leur conservation n’en permet aucune description assurée, sauf pour la salle de plan cruciforme qui s’ouvrait au centre de la courbe et qui, couverte d’une coupole centrale à voûtes d’arêtes, semble avoir abrité également un nymphée. Il est dommage qu’on ne puisse aller plus loin dans l’interprétation des données du terrain, car une telle composition, par sa maîtrise et son ampleur, laisse entrevoir une résidence de tout premier plan, dont les solutions ont dû faire école sur de nombreux autres sites (fig. 324). La villa dite de Poppée, récemment fouillée à Torre Annunziata, site présumé d’Oplontis, à 2,5 km au nord de Pompéi, n’a été que partielle­ ment dégagée, mais une restitution par symétrie, autorisée par le redoublement de certains éléments de part et d’autre d’un axe nord-sud, suggère un complexe extraordinaire dont les façades étirées projetant vers l’extérieur des bras portiqués encadrent des jardins (fig. 325). Si sa première implantation remonte au milieu du Ier siècle av.J.-C. puisqu’elle conserve des peintures analogues à celles de la villa de P. Fannius Synistor à Boscoreale, l’essentiel de ses aménage­ ments, et particulièrement le grand jardin septen­ trional et la grande piscine (38), datent de l’époque julio-claudienne (années 45-60 ap.J.-C). Des analyses iconographiques très précises des

Fig. 324 Plan partiel de la villa dAnguillara Sabazia.

Fig. 325. La villa dite de Poppée à TorreAnnunziata, d'après A. De Franciscis et A. Carandini. parois du II' style, dont certaines ont été restau­ rées à l’identique à l’époque de Claude, ont permis à G. Sauron d’émettre l’hypothèse selon laquelle cette villa fut à l’origine la propriété de M. Pupius Piso, prêteur en 44 av. J.-C. et de M. Crassus Frugi, son fils et héritier, consul en 14 av. J.-C. Mais cela n’exclut pas qu’ensuite la propriété soit passée dans l’énorme patrimoine que s’est constitué en Campanie la gens Poppaea, surtout à partir du consulat en 9 ap. J.-C. de C. Quintus Poppaeus Asiaticus, si l’on suit la

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démonstration de St. De Caro pour la période postérieure. Cette dernière donnée n’est pas sans importance, nous allons le voir. Telle qu’elle apparaît aujourd’hui, la villa peut se décrire ainsi : deux entrées opposées, l’une par le nord (1), l’autre par le sud (10), c’est-à-dire depuis le rivage, offraient des cheminements inverses sur un même axe. Si l’on part du sud, on rencontre d’abord le quartier d’habitation du dominus, c’est-à-dire le noyau le plus ancien, ordonné autour d’un atrium toscan (8), de part et d’autre duquel se répartissent triclinia, œci, cubi­ cula, dont certains ouvrent directement sur un péristyle (33) encadrant un viridarium à fontaine ; sur l’axe de celui-ci était placé le grand laraire (25) et dans son angle nord-est un petit balnéaire flanqué d’une latrine (31, 32), qui sera bientôt supplanté par un complexe thermal moins étroit et moins sommaire (pièces 18, 19, 20, à l’ouest de l’axe déterminé par l'atrium) lui-même centré sur un atriolum (17). Cette organisation compacte va être élargie, mais selon des axes qui en préservent la cohérence, par le grand jardin (4) qui occupe toute la largeur du bâtiment initial en s’étendant vers le nord sur une profondeur d’au moins 55 m. Tout le centre de ce jardin est occupé par des plates-bandes arborées qui délimitent des allées convergeant vers l’entrée septentrionale (1) ; ses portiques latéraux (seul celui de l’est a subsisté, c’est le n° 2 ; celui de l’ouest ne peut être que restitué) définissaient, dans la typologie des « gymnases », les « pistes » couvertes, cependant que les allées plus larges qui les longeaient (3), ombragées par des platanes, correspondaient aux bypaethroe ambulationes ou xysta décrits par Vitruve dans le passage déjà cité comme des promenades à l’air libre. Nous observons donc là l’intégration parfaite d’un gymnasium, qui constitue lui-même le centre autour duquel se développent ensuite d’au­ tres structures, mais selon un principe de symétrie qui confère à l’ensemble un équilibre parfait. On note en effet, en premier lieu, comment le quar­ tier de l’atrium est rattaché organiquement au grand jardin : sur son axe le salon (6), lui-même séparé des autres constructions situées au sud par un petit viridarium (7), s’ouvrait au moyen de trois baies sur le « gymnase », et plus précisément face à l’allée centrale de celui-ci ; véritable acus Cyzicenus, là encore, il assurait le passage entre le noyau initial et le nouvel espace, en prolongeant le cheminement axial esquissé par l'atrium. A cette amplification nord-sud correspondait un élargissement est-ouest, puisque la grande piscine 38 (d’au moins 70 m de long), dont la parèdre occidentale peut être postulée avec vraisem­ blance, permettait le déploiement d’une aile longeant le « gymnase » dont les pièces d’habita­ tion, cubicula et ceci, se révélaient particulièrement bien situées puisqu’ouvrant alternativement et

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parfois en même temps sur la piscina et sur le gymnasium ; à l’extrémité sud-ouest de la piscine, le pavillon (diaeta) pourvu d’une alcôve et dispo­ sant d’une terrasse individuelle si l’on peut dire (36), animée d’une fontaine, portait la marque du raffinement le plus exquis : dallé d'opus sectile de marbres précieux et les murs revêtus de panneaux de bois de grand prix, il offrait, par ses fenêtres, un splendide coup d’œil sur le bassin luimême et sur le programme statuaire du portique adjacent (39) ; celui-ci, constitué de sculptores (amazones, éphèbes, deux hermès de l’Héraclès de Sicyone, etc.) qui développaient explicitement le thème de la culture du gymnase confirme que ce dernier organisait désormais l’ensemble du domaine, non seulement structurellement mais thématiquement Si l’on ajoute que le secteur méridional était lui aussi, dans cette seconde phase, animé de jardins (11) bordés de portiques (12) qui, en épousant le mouvement de la cons­ truction, l’habillaient d’une façade monumentale qui donnait l’impression d’englober ou d’absor­ ber le paysage, on mesure le degré d’élaboration de cette villa au terme de la période julio-claudienne. L’utilisation de modèles déjà éprouvés et de codes parfaitement explicites, comme par exemple la forme et la position de la diaeta 35, qui reproduit le schéma des pavillons disposés symé­ triquement de part et d’autre du quadriportique de la « Villa di San Marco » (fig. 319) ou de celui qui s’ouvre sur l’axe du grand péristyle de la « Villa de Voconius Pollio » à Marino (fig. 322), n’empêche nullement l’inventivité dans la mise au point de solutions qui améliorent sans cesse l’ordonnance et la cohérence de l’ensemble : celles qui sont adoptées dans la phase julio-claudienne de la villa A'Oplontis trouvent - preuve éminente de leur valeur - des applications presque immédiates dans l’aile de l'Esquilin de la Domus Aurea ; l’hypothèse, qui s’appuie sur des analogies planimétriques (supra, p. 246 sq.), appa­ raît historiquement fort plausible si l’on admet, avec St. De Caro, que, devenue propriété de Poppaea Sabina, la trop fameuse épouse de Néron entre 62 et 65 ap. J.-C., elle servit de loge­ ment à l’empereur lui-méme en 64, lorsqu’il vint à Pompéi déposer une offrande dans le sanctuaire vénérien de cette ville : séduit par l’organisation des lieux, et sans doute plus encore par leur apti­ tude à embrasser la paysage, il a pu demander à ses architectes Severus et Celer de s’inspirer de ce modèle campanien.

L e s v illa s m a r itim e s Plusieurs villas, parmi celles que nous venons d’examiner, mériteraient la qualification de mari­ times si celle-ci s’appliquait à tout établissement

La VILLA, STRUCfORt^HE DQVlWION, DE PROFIT ET DE PLAISANCÊ

ayant vue sur la mer ou partiellement orienté en fonction du rivage ; et de fait la tendance s’est parfois affirmée d’appeler villae maritimae toutes les résidences de luxe réparties sur le littoral, particulièrement en Campanie. Il apparaît cepen­ dant, sans vouloir établir de classifications trop rigides ignorées des Anciens eux-mêmes, qu’on peut distinguer, par commodité, mais aussi en raison d’une différence de structure et de finalité, la villa « côtière » de la « villa maritime », cette dernière ayant la particularité essentielle d’occu­ per un promontoire et de comporter des cons­ tructions qui s’avancent dans la mer ; elle présente aussi souvent, par voie de conséquence, une spécificité dans le domaine de la production, qui consiste en la pratique d’une pastio villatica singulière, l’élevage de poissons dans des viviers. Le fait que, de toute façon, la mention des villae maritimae n’apparaisse pas dans la littérature latine avant le troisième quart du Ier siècle av. J .C ., et que Vitruve en ignore même la notion, tend à prouver que les Anciens, au moins dans un premier temps, ont voulu réserver cette appella­ tion aux résidences de plaisance - mais aussi de rendement - qui avaient avec la mer une relation directe, et pas seulement de voisinage : rares sont effectivement les établissements de ce type qui s’avèrent antérieurs au milieu du Ier siècle av.J.-C. A quoi s’ajoute le fait que le recours à Yopus caementicium à base de pouzzolane, cette pous­ sière volcanique dont Vitruve connaît les vertus même s’il ne la nomme pas explicitement (II, 6 ; V, 12, 2), indispensable à la bonne tenue des maçonneries subaquatiques, ne semble pas s’être répandu beaucoup plus tôt : les aménagements portuaires de Cumes, de Misène ou de Pouzzoles n’autorisent pas de datation antérieure à la fin de l’époque républicaine ou au début du règne d’Auguste. Même si des structures plus anciennes ont pu être repérées, comme la piscine immergée de la Villa Prato, au nord-ouest de Sperlonga {Latium), qui fut construite, selon X. Lafon, dans la seconde moitié du IIe siècle av.J.-C., rares sont les aménagements de ce type antérieurs à la Guerre sociale ; le même auteur a du reste montré au terme d’une étude des implantations du littoral tyrrhénien que le véritable essor des villas maritimes se situe dans la seconde moitié du I" siècle av.J.-C. Si l’on peut établir une conti­ nuité entre les villas côtières de la fin du IIe siècle, plus ou moins en retrait par rapport au rivage, et les véritables villae maritimae, celles-ci s’affirment dans un climat de développement économique et de recherche systématique de tous les raffine­ ments de la luxuria qui est caractéristique des clas­ ses dirigeantes italiques et particulièrement romaines des dernières décennies de la République.

6'Astura, d’après F. Piccarreta.

Si l’on cherche, hors des textes qui, tel le discours que Salluste prête à Catilina {Conjurat, de Catilina, 13, 1), ou telle la diatribe de Sénèque contre les résidences de son temps {Ad Lucilium, 51, 11), présentent la mode de ce type de villa sous un jour entièrement négatif et sans doute à bien des égards excessif, une définition « sereine » et donc relativement objective de la villa maritima, on peut lire la brève mention que Cicéron consacre à sa demeure d'Astura (Torre Astura, à quelques kilomètres au sud d’AnzioAntium) : « Cet endroit est charmant, il s’avance dans la mer et est visible à la fois d'Antium et de Circei» (AdAttic., XII, 9, 1 ; 14 mars 45 av.J.-C.). La chose est là, dans son évidence simple, à défaut du mot ; et il se trouve que le site de la villa cicéronienne a quelque chance d’être identifié avec les vestiges dont F. Piccarreta a donné le plan dans le fascicule de la Forma Italiae qui concerne cette région (fig. 326) : du corps princi-

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Fig. 327. Villa républicaine proche de Sperlonga. Évocation schéma­ tique de l'implantation et des volupal de la villa, situé sur le rivage, ne subsistent que des murs sporadiques, mais le pont-aqueduc, long d’environ 160 m, qui conduisait à un pavillon implanté dans la mer présente une maçonnerie en réticulé de tuf qui peut correspondre aux années 45-44 av. J.C ., date de l’acquisition du domaine par l’Orateur ; elle pourrait être aussi bien antérieure, structurellement, ce qui s’accor­ derait avec le fait que Cicéron n’est sans doute pas l’auteur de cette installation, qu’il a dû trouver déjà en place ; ce pont conduisait à une plate­ forme dont une salle à manger, véritable coenatio, occupait le centre ; sur les côtés sud, est et ouest une grande pêcherie compartimentée, qui proje­ tait un bassin en saillie sur la façade de la plate­ forme tournée vers le large, permettait un élevage important puisqu’elle n’occupait pas moins de 15 000 m2 ; de nombreuses canalisations joignaient les bassins les uns aux autres et les reliaient à la mer, assurant ainsi une circulation ou un renouvellement constants de l’eau salée. Il est évident que dans son état actuel cette cons­ truction est le résultat de nombreux remanie­ ments d’époque impériale, mais si les bassins existaient déjà, fût-ce sous une forme plus modeste, au moment où Cicéron devint le propriétaire de cette villa, il faudrait admettre qu’à la fin de sa vie il était entré lui aussi dans la catégorie des piscinarii dont il se moquait peu d’années auparavant (Ad Attic., I, 20, 3 ; II, 1, 7, etc.) : ces « amateurs de viviers », au premier rang desquels figurait Lucullus, constituaient un groupe restreint de nobiles qui prétendaient adop­ ter un train de vie « royal » en développant dans leurs villas maritimes une pisciculture intensive qui leur permettait, entre autres, de proposer à leurs hôtes, en abondance, des espèces rares ou

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particulièrement recherchées pour leur goût. Ce type d’élevage n’a rien à voir même si, dans le principe, il en découle, avec la pisciculture « extensive », déjà pratiquée du temps de Caton, qui consistait seulement à contrôler ou à réguler le passage périodique de bancs de poissons sur des côtes lagunaires ou dans des rivières côtières. Quoi qu’il en soit de ce type d’aménagement, qui ne connaîtra du reste qu’une période assez brève puisque les études les plus récentes mon­ trent que la mode des piscinae se tarit dès le milieu du Ier siècle ap. J. C., nous retiendrons de ce premier exemple, si lacunaire qu’il soit, que le caractère essentiel de la villa maritime réside dans cette volonté de prolonger l’habitat jusque dans la mer, ou a tout le moins de faire entrer la mer dans la demeure, sous une forme effective ou symbo­ lique. Deux exemples, d’époque républicaine, en fournissent la démonstration. Le premier est la villa dite de Tibère ou « délia rampa » sur le terri­ toire de Sperlonga ; il convient de ne pas la confondre avec la résidence impériale du même site, que nous examinons infra (p. 353 sq.). Encore insuffisamment explorée, elle est connue seule­ ment dans ses grandes lignes, mais on y discerne déjà les tendances qui régissent le développement d’une résidence de bord de mer entre la fin du IIe siècle et le Ier siècle av.J.-C. Les principales cons­ tructions, dont ne subsistent aujourd’hui que quelques tronçons de murs, se répartissaient sur des terrasses aménagées le long de la rive droite d’un petit fleuve côtier (fig. 327) ; un pavillon (diaeta), isolé sur l’autre rive, était accessible par un pont. Mais le propriétaire était bien conscient du fait que le voisinage de la mer offrait des possi­ bilités spécifiques de développement : c’est pour­ quoi, en dépit de la voie qui, construite au début du II' siècle av. J.-C. (la célèbre cia Flacca), doublait la via Appia en longeant le littoral entre Sperlonga et Formies, et séparait donc la villa elle-même du rivage, il résolut d’établir un lien direct entre celui-ci et sa résidence ; pour ce faire fut construite une rampe en opus incertum, qui, sur une longueur d’environ 50 m, franchissant la route au moyen d’un arc, permettait de rejoindre la plage ; vers l’ouest, un grand portique, long de près de 100 m, se déployait à partir de l’extrémité de cette rampe, assurant une promenade abritée le long des flots. Il ne semble pas que des viviers aient été aménagés par la même occasion : ce n’était apparemment pas encore la mode quand fut mise en place cette rampe d’accès à la mer ; en revanche de grands dolia retrouvés dans les parties hautes de la villa prouvent qu’elle était au centre d’un domaine agricole. On retiendra de ce complexe, qui reste, en dépit de son piètre état de conservation, l’un des plus étonnants pour cette période, la maîtrise des soutènements, dans une

L a VILLA, STRltf5fÜRE.DF DQÜTOATION, DE PROFIT ET DE PLAISAN0Ë

Fig. 328, Plan des structures infé­ rieures de la villa dite de Cicéron à Formies, d'après C. F. Giuliani. architecture domestique manifestement influen­ cée par les grandes réalisations contemporaines et particulièrement les sanctuaires à terrasse du Latium - et le goût pour les « vues » maritimes en faveur desquelles on est déjà capable de déployer beaucoup d’ingéniosité. Plus tardive, du moins pour sa phase d’im­ plantation, la villa dite de Cicéron à Formies présente elle aussi un intérêt éminent, en raison de la relative précocité mais plus encore de la spécificité des structures que la proximité de la mer y développe. Typique de ces propriétés qui s’étendent sur plusieurs terrasses mais dont le dispositif est conditionné par la présence de la mer, elle a été aménagée selon les goûts imposés par la mode récente des villae maritimae autour du milieu du Ier siècle av. J.-C. (fig. 328). Seules les structures de la villa inférieure ont pu être étudiées par G. Lugli puis par Cairoli F. Giuliani. Ce qui frappe au premier regard, c’est le déve­ loppement extraordinaire de l’établissement : il comportait à l’ouest, au-delà du petit port touris­ tique actuel de Caposele (qui était dans l’Antiquité le mouillage privé de la villa), un

ensemble de magasins (horrea) et de boutiques {tabernae) autour d’une cour centrale qui revêtait les dimensions et l’aspect d’un marché public. Quant aux vestiges conservés de l’habitat, ils s’ali­ gnent sur quelque 150 m plus à l’est, le long du rivage, et sont prolongés dans les hauts-fonds par d’importantes pêcheries qui s’avancent en mer sur plus de 60 m. L’orientation des pièces et les circulations dont elles sont tributaires prouvent qu’on ne pouvait y accéder que de la plage : les plus remarquables d’entre elles sont deux nymphées, un petit et un grand. Le premier a été dans un premier temps creusé dans la basis villae dont il ne constituait en somme qu’une niche aménagée ; à cette époque (IIe siècle av. J.-C. si l’on en juge par Yopus incertum de ses murs) il n’est qu’un élément extérieur à la villa proprement dite ; c’est seulement dans une seconde phase datable des années 50-40 av.J.-C. (adjonctions en opus quasi reticulatum) que, la façade de la demeure étant descendue au niveau de la plage, la fontaine sous sa voûte en berceau est pourvue d’un avant-corps rectangulaire dont il a pu être prouvé, malgré les restaurations indiscrètes dues

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aux Bourbons de Naples qui, au milieu du XIXe siècle, avaient établi là leur résidence d’été, qu’il était conçu comme un atrium tétrastyle (fig. 329 et 330). Cette structure, inattendue dans un tel contexte, a suscité quelque étonnement ; H. Lavagne a bien montré qu’elle répondait parfaitement à la tendance, propre aux villas maritimes, qui consiste à introduire jusqu’au cœur de l’habitat des éléments qui évoquent le monde marin : entre les piscinae et la grotte artificielle, l’atrium sert de transition ; la preuve en est que son décor est tout entier fait de coquillages et de fragments de pierres spongieuses [pumices et tofi) ; le rapprochement s’impose avec la description de la domus d’Achéloiis, dont Thésée, sur le chemin de Calydon à Athènes, accepte l’hospitalité : « Il entre dans un atrium construit avec des pierres ponces poreuses et du tuf non poli ; la terre humide y était couverte d’une mousse moelleuse ;

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le plafond était omé de caissons formés par des conques et des murex alternés » (Ovide, Métamorphoses, VIII, v. 562-564). Le grand nymphée, plus à l’est, semble avoir occupé l’un des axes les plus importants de la demeure : on y accédait par un long couloir [fauces) qui, partant lui aussi de la place, conduisait à un grand salon de plan basilical, sorte d’atnu corinthius pourvu d’une colonnade intérieure ; le nymphée propre­ ment dit occupait l’exèdre axiale, face à l’entrée. Cette relation à la fois fonctionnelle, esthé­ tique et, pourrait-on dire, thématique avec la mer se vérifierait sans doute souvent, si nous dispo­ sions de données archéologiques plus précises. Malheureusement les villas maritimes suffisam­ ment bien conservées pour qu’on en saisisse l’or­ donnance, et plus encore assez fouillées pour qu’on en puisse connaître les constructions sont extrêmement rares, tant sur le littoral tyrrhénien

L a villa , STRuqfOXE^pF. oçt&iJr^TiON, de profit et de plaisance

que sur la côte adriatique : les phases initiales de la villa de Varignano, dans le golfe de la Spezia et de celle de Barcola, non loin de Trieste, présen­ tent, autant qu’on en puisse juger, quelques analo­ gies (fig. 331 et 332), mais les plans qui en sont publiés et les descriptions qui en sont faites rendent toute appréciation des détails aléatoire. Il semble seulement que dans ces deux cas le noyau originel, qui peut remonter, à Varignano, à la fin du IIe siècle av. J.-C., ait comporté un atrium corinthien, très proche en cela du schéma de la domus ; ensuite, après divers aménagements, la séquence atrium-tablinum est transformée en un balnéaire et le quartier résidentiel déplacé sur les pentes orientales plus près de la mer, cependant qu’un bassin artificiel était creusé, véritable darse, de 36 x 39 m, aujourd’hui complètement enter­ rée, pour faciliter l’accostage des petites embarca­ tions ; A. Bertino n’a pas tort de désigner cette installation, qui porte encore le nom de « Darsena », comme une piscina navigabilis (Sénèque le rhéteur, Controv., V, 5) ; elle servait en même temps de lieu de confluence des eaux pluviales en provenance de l’immense cour établie au sud de l’ensemble, grâce à un canal de pierre dont la section quadrangulaire mesurait 40 cm de côté. Bien que plusieurs composantes de cette villa de la côte ligure nous échappent, tel le péristyle occupé par une maison moderne, on

Fig. 331. Plan schématique de lavilla deVarignano, d’après A. Bertino.

Fig. 332. Plan de lavilla de Barcola,

Fig. 333. Plan schématique de la Sorrente, d'après R. Fortsch. peut admettre que, répartie sur deux niveaux, elle a tendu, au long de son évolution, jusqu’à la fin du Ier siècle ap. J.-C. au moins, à orienter toujours davantage vers la mer des structures et des activi­ tés qui, au départ, n’étaient pas directement soumises à son tropisme. A Barcola, les trois phases identifiées par les archéologues témoi­ gnent d’un processus à peu près semblable ; on y observe le passage progressif du plan compact organisé autour d’une cour centrale vers une ordonnance à portique de façade orientée vers le rivage, avec au moins un pavillon d’angle, un grand portique semi-circulaire derrière lequel s’ouvre un grand salon axial ; l’habitat qui conti­ nue à se développer vers l’arrière, c'est-à-dire ici à l’est, se répartit autour d’un péristyle rectangu­ laire ; la transformation, sur ce site de

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l’Adriatique, semble avoir pris un peu moins d’un siècle, du troisième quart du Ier siècle av. J.-C. jusqu’aux années 40-50 de notre ère. Ces exemples, si lacunaires qu’ils soient en l’état actuel des connaissances, désignent tout de même assez clairement le sens de l’évolution de ces villas maritimes, que l’exploitation toujours plus savante des courbes de niveau et des points de vue qu’elles permettent, la volonté aussi de suivre le rivage au plus près et d’en exploiter toutes les ressources, tendent à déployer à la fois en profondeur et en largeur. L’un des traits les plus caractéristiques de ces riches demeures à partir de l’époque augustéenne et plus encore au long des deux premiers siècles de l’Empire est en effet qu’elles doivent contribuer, aux yeux de leurs propriétaires, par leur seule présence, à accroître le pittoresque ou le charme d’une côte, envisagée de plus en plus comme un spectacle qu’il faut aborder par la mer. Pline leJeune le dira clairement, à propos du rivage des environs d’Ostie pour les premières années du IIe siècle ap. J.-C. : « Le littoral est omé d’une façon aussi variée qu’agréable par la suite tantôt continue, tantôt interrompue des toits des villas » (Correspond., II, 17, 27). Mais dès l’époque de Cicéron, en Campanie, sur les côtes de l’Etrurie méridionale et dans certains secteurs du littoral de l’Adriatique, les visites que l’on se rend, entre voisins en villégiature, se font fréquemment en barque : l’orateur évoque avec plaisir ces petits cabotages lorsque, de ses villas de Pompéi, de Cumes ou de Pouzzoles, il allait voir ses amis Lucullus, Pompée ou Varron, qui résidaient à proximité (ex. Ad Attic., XIV, 20, 1). On voit bien, en fait, comment la villa du Cap de Sorrente (les célèbres « Bagni délia Regina Giovanna ») a été conçue pour l’accueil des embarcations et le cheminement des visiteurs (fig. 333) : les quartiers d’habitation, sur les niveaux les plus élevés (A), disposaient d’une vaste ambulatio, orientée vers l’ouest, qui prodi­ guait les perspectives les plus flatteuses sur le golfe. A mi-chemin entre les terrasses hautes et les quartiers inférieurs de la résidence, une grande citerne (C) à cinq compartiments communicants servait à la fois de réserve aquatique et de struc­ ture de soutènement ; mieux intégrée que la citerne de la villa de Varignano, isolée à l’ouest du complexe, elle constitue l’un des meilleurs exem­ ples de ces aménagements techniques indispensa­ bles, dans ces villas qui occupent souvent des sites de bout du monde. Au centre du promontoire, un bassin naturel aménagé, qu’un étroit goulet main­ tient en contact avec la mer ouverte, était pourvu d’un embarcadère à partir duquel les hôtes pouvaient, en suivant un sentier en pente assez raide, gagner les divers secteurs du domaine. En fait une sorte de pont, qui constituait l’extrados

L a villa , STRuqrfükfc-PE o o è t[ dation, de pro fit et de plaisancS j

d’une voûte en forme de cône, jetée au-dessus du goulet, permettait le passage à pied sec, et sans contourner le bassin par l’ouest, vers la partie septentrionale du promontoire qui constituait la véritable villa maritime ; celle-ci était organisée sur un plan quadrangulaire, dont le corps de logis occidental devait abriter les pièces les plus riches et les suites d’apparat les plus recherchées, mais il n’en subsiste que des éléments en sous-œuvre et des murs de soutènement. Longtemps attribuée, sans raison contraignante, à Pollius Felix, dont le poète aulique, Stace, a chanté la villa sorrentine [Silves, II, 2), elle remonte en réalité au début du Ier siècle de notre ère si l’on en juge par Yopus reti­ culatum de ses vestiges et compose assurément l’un des complexes les plus amples et les plus séduisants de cette côte, où se succèdent, de Stabies à la Punta délia Campanella, des résiden­ ces admirablement situées. Ces villas de promontoire, qui tirent parti à la fois d’une position dominante, parfois vertigi­ neuse, au-dessus des flots, et d’un contact direct avec la mer, étaient évidemment les plus appré­ ciées : elles trouvent avec les diverses résidences de Tibère dans l’île de Capri leur plein accom­ plissement (infra, p. 357 sq.). Mais d’autres établis­ sements privés prouvent que ces sites maritimes sont devenus dès le début de l’Empire des lieux seulement la fameuse villa de Vedius Pollio dans la zone de la Gaiola, immédiatement au nordouest de Naples, sur le site du Pausilippe (du grec 7tauoii.u7toç, « qui apaise les chagrins ») : on y observe les vestiges d’un théâtre et d’un « odéon » qui bénéficient du décor naturel de la mer, et montrent à l’évidence que Yotium, sous toutes ses formes, y compris celle de la représentation privée ou de la déclamation rhétorique ou poétique entre amis, trouve en ces endroits privi­ légiés son expression la plus accomplie (fig. 334). Quant à la villa de Ventotene à Pandataria, qui occupe sur cette île la Punta Eolo, elle exploite son extraordinaire position panoramique au moyen de belvédères semi-circulaires qui se succèdent de terrasse en terrasse ; une grande ambulatio transversale joint les deux extrémités du promontoire et conduit vers un balnéaire très développé, orienté vers le sud-ouest pour accueillir le soleil aux heures « thermales », c'està-dire de préférence en fin d’après-midi. Il n’est pas indifférent de noter que ces deux villas entrent rapidement, pendant le règne d’Auguste, dans le patrimoine impérial (fig. 335). A l’époque julio-claudienne, la vogue crois­ sante de ce type de résidence investit les rivages de l’Istrie : la « Villa di Val Catena » dans l’ile de Brioni Maggiore, dont les divers éléments s’arti­ culent autour de la baie orientale, comportait plusieurs quartiers ouverts sur des péristyles

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Fig. 336. Plan schématique des éléments de la villa dite di Val Catena, d'après R. Förtsch.

Fig. 339. Plan de la «Villa di Barbariga », par F.Fontana.

uvé surtout la porticus triplex d’un péristyle incom­ plet parce qu’ouvert en position panoramique sur la mer (fig. 338) ; la même disposition fut adoptée pour la « Villa di Barbariga » dans le voisinage de Pola, où il semble qu’on puisse discerner, en fonc­ tion de leur exposition, deux noyaux d’habitation distincts, l’un pour l’hiver et l’autre pour l’été (fig. 339).

(fig. 336 et 337) ; un complexe thermal pourvu d’une palestre en rendait le séjour particulière­ ment agréable ; établie sur le territoire de Pola, cette luxueuse résidence dotée de pêcheries, disposait aussi de pressoirs à huile et sans doute aussi à vin qui témoignent de la richesse du fondus sur lequel elle régnait. De la « Villa di Monte Collisi », dans File de Brioni Minore, on a retro-

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L e s v illa s lacu stres : l ’exemple du lac de Garde Il serait arbitraire d’isoler des villae maritimae proprement dites les villas aménagées sur les rives des grands lacs de l’Italie transpadane : le rapport avec le paysage y est fondamentalement le même et dans les deux séries c’est la recherche du meilleur point de vue sur le littoral qui oriente les principaux pavillons de la résidence. Pline le

LA VILLA, STRUQffÜîl&-OF. ri 0*l| NATION, DE PROFIT ET DE PLAISANCE!

Jeune, décrivant à son ami Voconius Romanus deux des villas qu’il possédait sur le lac de Côme, s’exprime en des termes qui ne laissent aucun doute sur le fait que les heureux possesseurs de ces demeures ne faisaient pas de différence avec leurs villas de la côte tyrrhénienne ou campanienne : « L’une, élevée sur les rochers à la manière de Baïes (more Baiano), a vue sur le lac ; l’autre, également à la manière de Baïes, borde le lac » (Correspond., IX, 7, 2). Ce n’est cependant pas le lac de Côme qui a livré les traces les plus importantes de ce type de villa ; les rivages du lac de Garde ont en revanche conservé de riches vestiges archéologiques qui, aujourd’hui bien étudiés, autorisent une approche concrète des édifices d’époque impériale. Les deux catégories suggérées par Pline y sont en effet amplement représentées, particulièrement sur le versant occidental : établies sur des terrasses qui descendent progressivement vers le lac, les villas de la Rocca di Manerba et de San Fermo appar­ tiennent au genre « tragique » de l’écrivain latin, c’est-à-dire qu’elles dominent les flots, montées sur des cothurnes (ibid) ; les villas de Sirmione, de via Antiche Mura, de Desenzano, de Toscolano, entre autres, se répartissent au contraire sur le rivage, correspondant ainsi au genre « comique », en ce qu’elles sont équipées seulement de brodequins. Plusieurs de ces édifi­ ces ont fait l’objet de recherches récentes ; si la villa de Desenzano del Garda, remarquablement fouillée, a été complètement restructurée entre la fin du règne de Constantin et le milieu du IV* siècle, et n’entre donc pas dans notre cadre chro­ nologique, celle de Sirmione, connue sous le nom de « Grotte di Catullo », nous intéresse directe­ ment. Elle compte en réalité parmi les structures les mieux conservées et les plus suggestives de ce genre d’établissement, et constitue, en dépit du fait qu’elle a servi de carrière de pierres pendant les siècles médiévaux, un exemple grandiose d’ar­ chitecture privée. De plan rectangulaire (167,5 x 105 m) avec des avant-corps sur ses petits côtés, la villa occu­ pait une surface globale de plus de deux hectares. Installée dans les premières décennies du Ier siècle ap. J.-C. (époque augusto-tibérienne) sur un édifice plus petit de la fin de la République dont les traces ont été repérées lors d’un sondage récent dans le secteur méridional, elle se caracté­ rise au premier regard par la rigueur de sa dispo­ sition axiale et son aspect centré (fig. 340). Pour autant elle n’était nullement introvertie, mais au contraire ouverte vers l’extérieur, et sur trois niveaux superposés. Pour obtenir en effet une superficie suffisante, il a fallu entailler la roche au sud et créer de puissantes substructions au nord, qui confèrent à l’édifice, vu de l’extérieur, la forme d’une construction appuyée pour une large

part, surtout sur le long côté ouest, sur une basis constituée d’arcades aveugles où s’ouvrent seule­ ment vers le haut les soupiraux éclairant chiche­ ment un cryptoportique (fig. 341). Comme toujours en pareil cas le niveau supérieur, c’est-àdire l’étage « noble » qui accueillait la résidence des maîtres, a beaucoup plus souffert que les niveaux inférieurs, et l’on ne peut l’imaginer qu’en plan ; encore plusieurs de ses composantes ne sont-elles restituées qu’en fonction d’une disposition qu’on suppose, avec raison, symé­ trique. L’entrée principale était au sud, mais d’au­ tres avaient été ménagées sur le côté occidental, qui consentaient un accès direct au corps de logis par les niveaux inférieurs, mais depuis la rive du lac. On gagnait la porte (53), à l’étage noble, après avoir traversé un petit vestibule, et l’on entrait immédiatement dans un vaste local qui correspondait à un atrium au sens large du terme (E) ; sur celui-ci ouvrait une salle axiale qui tenait lieu de tablinum (62) à partir de laquelle on pouvait gagner, à l’ouest, le secteur thermal et à l’est les pièces de séjour ; celles-ci étaient séparées de celui-là par une cour rectangulaire (N). L’interprétation des composantes de ces deux ensembles, qui appartiennent à la partie résiden­ tielle de la villa, reste délicate, en raison de leur état d’arasement et même, pour les vestiges de l’est, de leur quasi disparition : la prétendue piscine (90) est aujourd’hui considérée comme un tepidarium, en relation avec la salle chaude (95) et un laconicum (84) ; quant à la grande salle (88) du groupe oriental, on l’assimile avec raison à un triclinium ; ses 220 m2 et sa disposition en T trou­ vent un écho dans la salle correspondante (121) du secteur nord. La partie centrale est tout entière occupée par un immense péristyle- viridarium dont la surface atteint 4 000 m2 ; sa frange méri­ dionale est pavée d’un opus spicatum de briques (disposées en arêtes de poisson) : elle recouvre une salle souterraine (66) qui faisait fonction de citerne de recueillement des eaux pluviales. Le même type de revêtement de sol est utilisé pour les portiques panoramiques des côtés ouest et est ainsi que pour les promenades découvertes (iambulationes) qui les longent vers l’extérieur, autorisant de larges vues sur le lac et les monta­ gnes. A la différence de la loggia orientale (101) qui repose directement sur la roche naturelle, celle de l’ouest (104b) s’appuie sur un cryptopor­ tique à deux nefs (104a) dont les voûtes en berceau convergent vers des arcades supportées par des pilastres, sur l’axe longitudinal de cet espace en sous-œuvre. Long de 140 m ce crypto­ portique compte parmi les structures les plus imposantes que l’on puisse observer dans un contexte domestique : il est digne d’un édifice public ; quand on songe que seule la partie centrale de cette infrastructure s’appuyait sur le

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Fig. 342. Plan du niveau intermédiaire de la même villa avec localisation du crYPtoportique 104a et du couloir 139, par S. Kasprzysiak. en haut.

Sirmione, par S. Kasprzysiak.

sol naturel, la partie méridionale étant creusée dans la roche et la partie septentrionale soutenue elle-même par de puissantes substructions, on mesure la dimension véritablement monumentale de ce type d’aménagement. L’avant-corps du nord constituait lui-même un belvédère, supporté par une vaste salle subdivisée en deux secteurs par un mur-diaphragme (D et Dl) ; cette terrassebelvédère pouvait être couverte au moyen d’un velarium, si l’on en juge par la présence d’élé­ ments percés de trous circulaires, qui de toute évidence étaient destinés à recevoir des mâts, du type de ceux qu’on utilisait au sommet de la cavea des théâtres ou des amphithéâtres. Au niveau inférieur, le cryptoportique communiquait avec le couloir 139 qui, traversant la villa d’est en ouest, desservait tout le secteur septentrional (fig. 342). Ces « grotte di Catullo », conçues pour l’es­ sentiel d’un seul jet, à l’exception de la partie

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thermale, due à une réfection du II* siècle, occu­ pent une situation exceptionnelle dans l’architec­ ture résidentielle de l’Italie septentrionale : par ses dimensions, par la rigueur de son ordonnance et par l’ampleur des solutions structurelles mises en œuvre, une telle villa reste un cas isolé. Mais elle témoigne des investissements que de riches propriétaires (les Valerii, en l’occurrence, ou les Nonii) sont capables de consentir pour exploiter au mieux la situation de leur demeure de plai­ sance. Tel un grand navire ancré au point le plus « scénographique » du lac de Garde, l’or­ gueilleuse demeure - dont la plus grande partie de la décoration picturale et stuquée a disparu se donnait les moyens de dominer l’un des plus beaux paysages de lTtalie subalpine en se jouant du relief naturel et des difficultés d’implantation : Yamcenitas était à ce prix !

L a villa , structure de domination , de profit et de plaisance

Études générales sur la Campanie

Villa de Marino

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chapitre

io Villas du IIe siècle en Italie

Les mutations qui, dans l’Italie du Ier siècle, étaient déjà bien engagées, trouvent leur aboutis­ sement au siècle suivant : les pratiques culturales, profondément bouleversées par l’émergence et bientôt la prééminence d’autres zones producti­ ves, particulièrement pour le vin et l’huile dans les provinces occidentales, s’éloignent des princi­ pes énoncés à la fin de la République par Caton et Vairon ou même, vers les années 50 ap. J. C., par Columelle. Ce dernier voulait encore convaincre son lecteur que l’implantation d’un vignoble spécialisé pouvait être d’un bon rende­ ment. A la fin du Ier siècle et au deuxième siècle rares étaient apparemment les propriétaires fonciers qui croyaient à ces possibilités. Commence dès lors le règne des monocultures ou des élevages extensifs sur de vastes domaines, les latifundia ; et le corollaire de cette situation est l’absentéisme du dominus qui, italien ou provin­ cial, ne réside presque plus jamais sur ses terres, confiant leur exploitation, non plus seulement à un fermier (vilicus), personnage subalterne par définition, et qui devait rendre ponctuellement des comptes, mais à un procurator, véritable quasi dominus, selon l’expression de A. Carandini ; l’in­ troduction de ce personnage, qui n’est plus un simple exécutant, mais gère au nom et avec les pouvoirs du maître, entraîne, dans beaucoup de cas, une délégation irréversible de l’activité agri­ cole et détermine à moyen terme une crise de l’exploitation fondée sur le recours aux esclaves : la décadence et la chute de Settefinestre en sont la meilleure illustration. L’attitude de Pline le Jeune est à cet égard exemplaire. Ce riche représentant de la classe sénatoriale, originaire de Côme, avait investi tout son patrimoine, qui n’était pas mince, dans des biens-fonds ; propriétaire d'un nombre important de villas, il explique assez clairement à plusieurs de ses correspondants comment il conçoit la gestion de cette fortune ; si l’on en juge par la lettre III, 19, la plus précise, il se décharge de l’es­ sentiel des soucis de l’exploitation sur un inten­ dant assisté de surveillants (procurator et actores) et surtout - ce qui nous intéresse directement - il distingue entre deux catégories de propriétés

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rurales : celles qu’il convient d’entretenir pour qu’elles continuent à rapporter de l’argent (il s’agit seulement, comme nous dirions aujour­ d’hui, d’en assurer la maintenance : tantum tum) et celles qu’il entend habiter, et pour lesquelles il prévoit des aménagements de confort et de luxe (colere et ornare). Cette hiérarchie n’a certes pas pour résultat d’isoler les villae urbanae des villae rusticae, car les premières, à commencer par la villa de Toscane dont il fait une description prolixe (Correspond., V, 6), ne sont pas pour autant dépourvues de terres de culture ; elle rend cepen­ dant sensible le caractère de plus en plus admi­ nistratif de l’organisation de ces domaines fonciers, qui s’apparente à celle des propriétés impériales, où la bureaucratie règne en maîtresse depuis au moins l’époque de Domitien. Cela étant, le soin apporté à l’aménagement des villas de prédilection, celles que le dominus se réserve pour le repos et/ou la représentation sociale, n’en est que plus grand ; et lorsque le propriétaire en est, comme Pline, un lettré raffiné, le résultat s’avère d’autant plus remarquable que, sans vouloir usurper des pouvoirs ou des titres qui ne sont pas les siens, ce sénateur cultivé, grand ami de Trajan, connaît aussi les palais et villas qui font les délices de la famille régnante. Pline a livré, en des lettres célèbres, un tableau détaillé de deux de ses résidences préférées ; de nombreuses hypothèses graphiques ont été proposées à partir de ces textes, et il n’est pas dans notre intention d’en faire le recensement ni la critique ; comme aucune vérification archéolo­ gique n’est possible, dans l’ignorance où nous sommes de la localisation exacte de leurs vestiges - sauf peut-être pour la villa dite des Laurentes, retrouvé l’emplacement, mais qui reste à fouiller de toute façon - il est exclu qu’on puisse parvenir à une restitution exacte. Nous nous contenterons de relever, en nous appuyant sur les propositions que nous jugeons les plus raisonnables, les carac­ téristiques essentielles de ces deux villas, qui appartiennent à des catégories différentes et iden­ tifiables.

L a VILLA, STRUCyÖSL^tP DQitifcAriON, DE p r o f i t e t d e p la isa n c é

La « Villa des Laurentes » (Pline, Correspond., II, 17) est une résidence de bord de mer ; située au sud d’Ostie, non loin du oicus Augustanus Laurentium, elle n’a pas tous les caractères distinc­ tifs d’une villa maritima, mais tire le meilleur parti de sa situation sur le littoral tyrrhénien ; destinée au repos et à l’étude (otium), elle ne semble pas avoir été au centre d’un domaine de production puisque, Pline nous le dit lui-même, en dehors du poisson, toutes les denrées devaient être achetées à Ostie : les troupeaux fournisseurs de lait qui se regroupent le soir non loin de là ne semblent pas lui appartenir (II, 5, 28). Tout son prix, aux yeux de son propriétaire, vient de ce qu’il peut s’y rendre de Rome en fin de journée pour y passer la nuit Dans sa lettre, il insiste sur la façon dont les pavillons qui composent sa résidence s’inté­ grent au paysage, offrant les vues les plus variées et les plus agréables. Le schéma axial depuis l’en­ trée (qui comportait sans doute un vestibulum, bien que Pline n’en fasse pas mention) ne concerne, comme nous l’avons constaté dans d’autres cas, que la partie centrale de la résidence, laquelle appartient peut-être à un noyau initial antérieur : il se compose d’un atrium, d’une petite cour entourée d’un portique en forme de D (area), d’un cavaedium qui s’apparente à une cour quadrangulaire, elle aussi portiquée, la séquence s’achevant sur un triclinium dont Pline vante la beauté en soulignant qu’il est en saillie sur le rivage ; largement pourvue de fenêtres latérales cette salle à manger pouvait être, par gros temps, effleurée par les vagues. Vers le sud-est, un groupe de chambres (cubicula) se déploie, dont l’une, terminée par une alcôve en abside (in hapsida curvatum), « offre successivement au soleil toutes ses fenêtres » : sa situation serait particuliè­ rement favorable, d’autant qu’elle contient une bibliothèque, si elle ne se trouvait pas à proximité de l’aile réservée à l’habitat des esclaves et des affranchis. De l’autre côté, vers le nord-ouest, une autre série de chambres, dont une avec procoeton (antichambre), voisine avec un ensemble thermal centré sur une salle froide pourvue de deux baignoires circulaires (ou curvilignes) ; une piscine d’eau chaude et une aire réservée aux jeux de balle (sphaeristerium) complètent l’installa­ tion ; une tour (turris) s’élève à l’extrémité du complexe, au-delà des bains : elle comporte trois niveaux, dont une salle à manger au rez-de-chaussée et un cubiculum au deuxième étage ; elle a vue sur le jardin et sur l’allée destinée à la promenade en litière (gestatio). A partir de ce corps de logis se développe ensuite un cryptoportique aussi vaste, nous dit fièrement Pline, qu’un monument public (et l’on songe ici à la structure imposante de la villa de Sirmium, supra, p. 311) dont les soupiraux donnent d’un côté sur la mer, de l’autre sur le jardin ; une terrasse (xystus) contiguë, parsemée

10._VMJÔ !tfüJf* 'Siècle en I talie

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Fig. 344. Propositions de restitution Pline, par H. Winnefeld à gauctie, et par R. Fürtsch à droite.

de violettes, incite à la promenade. Au terme de ces prolongements entièrement conçus pour l’agrément du visiteur ou de l’hôte, un pavillon [diaeta), à l’abri des cris des esclaves et des gron­ dements de la mer, comporte une étuve (helioca­ minus), une chambre de repos et une chambre à coucher munie d’une salle de chauffe en sousœuvre (hypocauston) ; cette diaeta, dont l’éclaire­ ment solaire a été lui aussi soigneusement calculé, présente pour son propriétaire tous les avantages d'un appartement complet auxquels s’ajoutent ceux d’une retraite, dont on n’a pas de peine à comprendre qu’elle fait ses délices (amores mei). H. Winnefeld proposait jadis de séparer le corps principal et le cryptoportique conduisant au pavillon ci-dessus décrit (fïg. 343, en haut) ; E. Salza Prina Ricotti préfère aujourd’hui garder à l’ensemble un aspect compact (fig. 343, en bas). Il est difficile de trancher : disons seulement que dans le détail plusieurs propositions de l’archéo­ logue italienne semblent s’accorder plus exacte­ ment au texte, et que de surcroît ce parti global convient manifestement mieux à la situation de la villa, dont les éléments ne peuvent trop se disper­ ser en raison de la densité des établissements voisins. A quoi s’ajoute le fait que l’une des candi­ dates les plus sérieuses à l'identification avec la

résidence plinienne, la « Villa délia Palombara », parait conçue selon une formule comparable, pour autant que permettent d’en juger les vestiges lacunaires de son corps d’habitation et les trans­ formations qu’elle a subies entre l’époque d’Hadrien et celle d’Antonin le Pieux. Quoi qu’il en soit, on retiendra de cette résidence plinienne qu’elle se recommande manifestement par l’ex­ position de ses principales pièces de séjour, par les perspectives, tant vers la mer que vers l’ar­ rière-pays, que les nombreuses baies y ménagent et plus encore peut-être - signe caractéristique d’une époque où, déjà, le luxe suprême est le silence - par la distribution de petits apparte­ ments dont les aménagements autorisent à l’habi­ tant une autonomie d’autant plus prisée qu'elle est synonyme d’isolement. Ce qui reste du « gymnase » est une pelouse semée de violettes, et il n’y est même plus question &ambulatio (prome­ nade à pied) mais de gestatio (promenade en chaise à porteur ou en litière). Là encore, l’inté­ gration du xystus et de Yhortus sinon au corps prin­ cipal, du moins au bloc résidentiel parait d’autant plus vraisemblable que les tours mentionnées à chacune des extrémités du complexe peuvent ainsi se répondre symétriquement et assurer une meilleure cohésion monumentale à la villa.

L a villa , s ro u c jG H fe ^ Dcjtyifi/vjTON, de profit et de plaisance

L’autre domaine est celui de Toscane ; décrit dans la lettre V, 6, il semble avoir été surtout apprécié en été, car il se trouve dans la haute vallée du Tibre, dans les environs de Tifemum Tiberinum, l’actuelle Città di Castello. C’est une villa de mi-pente, établie pour l’essentiel sur une terrasse orientée au sud. Vue de l’extérieur, elle présentait, au dire de Pline, un portique de façade muni de pavillons latéraux, selon le type défini par les archéologues allemands comme celui de la « Flügelrisalitfassade », qui connaîtra au IIe siècle, et particulièrement dans les provinces occidenta­ les, une grande fortune (infra, p. 326 et 329) ; les pièces qui faisaient retour à angle droit aux extré­ mités de la porticus étaient respectivement un triclinium disposant de vastes baies latérales et une chambre à coucher agrémentée d’un bassin muni de fontaines qui, sous ses fenêtres, était censé « charmer à la fois les oreilles et les yeux ». L’effet d’une telle disposition était d’autant plus heureux que cette façade régulière et monumentale s’éle­ vait au sommet d’une pente légère, joliment arbo­ rée, dont les arbres, les haies et les buis taillés délimitaient de bas en haut un pré (pratum), une promenade (gestatio) et une terrasse (xystus) (fig. 344). Derrière le portique s’ouvraient deux espaces autour desquels se répartissaient les appartements : une petite cour (areola) ombragée de platanes et un atrium, dont Pline souligne le caractère un peu archaïque, mais auquel il accorde visiblement quelque prix (atrium etiam ex more veterum) ; il importe de montrer, de son point de vue, qu’une telle disposition, quoique tradi­ tionnelle, contribue au charme de la demeure. En fait il faut bien comprendre que l’élément qui constituait le véritable espace d’entrée et d’ac­ cueil de la villa était l’aire circonscrite {en partie virtuellement) par le portique de façade et ses avancées latérales : avec son jardin arboré entouré d’un mur (maceria), elle tenait lieu de péristyle, l’atrium se trouvant ainsi, selon les « normes » de la villa urbana vitruvienne, en posi­ tion de retrait par rapport à celui-ci, sur l’axe de progression du visiteur (fig. 345). Cette ordon­ nance qui se recommande par sa rigueur et sa monumentalité était prolongée vers l’ouest par un balnéaire qui reproduisait à une échelle réduite la disposition de la façade portiquée, une piscine d’eau froide s’ouvrant entre les deux pavillons latéraux, respectivement réservés à Yapodyterium (surmonté d’un sphaeristerium) et à la salle chaude. Les pavillons résidentiels quant à eux se déployaient au départ ou à l’extrémité de deux cryptoportiques et d’un portique sur l’extension desquels on peut parvenir à un accord, même si l’on discute toujours de leur orientation exacte ; ce qui compte ici, c’est la dispersion concertée des diaetae et la recherche, encore une fois, d’un isolement et d’une autonomie qui conviennent à

Fig. 345. Axonométrie restituée du

des exigences complémentaires de repos et de travail intellectuel : il est remarquable que le corps principal de la villa ne contienne que peu de chambres et de salles à manger, en comparai­ son des pavillons desservis par les cryptopor­ tiques (17, 19) et le portique (23). Cette ordon­ nance en réseau, qui suppose la disposition d’un vaste jardin, était en fait le comble du raffine­ ment ; elle était inséparable d’une décoration fort riche, sur laquelle Pline demeure discret, mais dont il laisse entrevoir la qualité : il parle par exemple de revêtements marmoréens jusqu’à hauteur d’appui, dans l’une des petites pièces donnant sur Yareola du corps central, surmontés de peintures représentant des branchages peuplés d’oiseaux (V, 6, 22), caractéristiques de ces pictu­ rae operis topiarii (Pline, HN, 16, 140) ou « repré­ sentations picturales de jardins », qui sont mises au point dès le début de l’Empire et dont les parois de la « Maison de Vénus » à Pompéi ou de la villa de Primaporta nous ont conservé d’admi­ rables exemplaires. Mais à vrai dire l’ensemble de la description plinienne apparaît conçu pour la mise en valeur de ce qui constituait à ses yeux la réalisation la plus prestigieuse de cette villa, à savoir son « hippodrome » (fig. 346) : nous mesu­ rons là l’importance revêtue par les structures qui mêlent indissolublement l’architecture et la nature, à partir de schémas monumentaux large­ ment réinterprétés pour les besoins de la cause et voués tout entiers à l’agrément des sens (le charme et le parfum des fleurs, la douceur du

10. VWitM flti1if® S iècle en I ta l ie

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Fig. 346. L'hippodrome de lavilla de Toscane reconstitué en plan par RGrimai.

gazon sous les pieds, la fraîcheur des eaux courantes...) ; il va sans dire que de telles compo­ sitions, qui supposaient entre autres des aména­ gements hydrauliques importants, étaient fort coûteuses, ne fut-ce que pour leur entretien, en dépit de leur aspect sobrement bucolique. L’« hippodrome » de la villa de Toscane est longé de platanes sur ses longs côtés - les arbres jouant ici le rôle des colonnes d’un portique - et d’ifs sur son hémicycle terminal ; les allées qui serpentent entre les buis taillés, les platanes nains et les arbres fruitiers convergent vers un lit de table à l’air libre, un stibadium de marbre blanc ombragé par une treille, elle-même supportée par quatre colonnes de marbre de l’Eubée (marmor Carystium) ; un système ingénieux suscite le jaillis­ sement de fontaines dès qu’on prend place sur ce lit : les tuyaux versent de l’eau dans un bassin qui reste plein sans déborder ; sur ce bassin viendront flotter les plats les plus légers, les autres étant déposés sur le rebord... Mise en scène à la fois puérile et luxueuse, qui ne manquait pas de susci­ ter, on peut l’imaginer sans grand risque d’erreur, l’admiration des heureux convives, et qui a donné lieu à de nombreuses restitutions graphiques de la part des architectes et des archéologues. On admettra toutefois que la description de Pline, particulièrement pour cette villa de Toscane, qui n’était autre que la pars urbana d’une propriété de rendement, reste très incomplète en ce qu’elle ne s’arrête qu’aux éléments résidentiels ou plaisants ; les itinéraires qu’elle suggère, à travers les galeries voûtées et à demi-souterraines (cryptoportiques) ou les portiques eux-mêmes, sont réservés à la circulation du dominus, de sa famille proche et de ses invités ; mais il faut supposer qu’ils étaient doublés par des couloirs de service. Pline le dit d’ailleurs en termes plus ou moins voilés lorsqu’il parle d’un escalier dont le

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circuit est peu visible (secretiore ambitu) (21 de la fig. 344) permettant aux serviteurs de porter les plats aux dîneurs du triclinium (20) ; en fait cet escalier devait se trouver dans le prolongement du cryptoportique 19, dont il est dit incidemment qu’il comportait deux niveaux, l’un à demisouterrain (subterraneae similis) et l’autre en posi­ tion élevée (in edito posita). Il faut donc compléter son épure par diverses pièces et circulations à caractère technique (les cuisines par exemple) et ne pas oublier les logements des esclaves, non plus que les espaces de traitement ou de stockage des produits de la ferme. Autant dire que les sché­ mas publiés, si ingénieux qu’ils soient, ne donnent qu’une image partielle d’un ensemble beaucoup plus dense et diversifié que le texte ne le donne à entendre. Il n’en reste pas moins que cette villa de Toscane, partiellement évoquée par son proprié­ taire, révèle l’importance, dès les toutes premiè­ res années du il' siècle, de ce qui, dans beaucoup de grandes résidences postérieures, deviendra l’un des poncifs du domaine de plaisance, à savoir l’éclatement des unités d’habitation, les diaetae, alentour d’un jardin. Ce dernier, qu’il prenne la forme conventionnelle d’un « gymnase » ou d’un « hippodrome », apparaît désormais non plus comme une annexe plus ou moins intégrée mais comme l’élément organique qui centralise les points de vue et les circulations, qui joue le rôle d’un paysage intérieur pleinement dominé, en fonction duquel se développe la composition. Dans un tel contexte une structure en partie nouvelle apparaît, promise à un bel avenir, le cryptoportique de liaison : longtemps la crypta ou la cryptoporticus n’avait eu qu’un rôle secondaire, définissant un ambulacre de service au niveau inférieur de la basis villae ou rattrapant une déni­ vellation sous un portique de surface ; les

L a villa , struciôr L ^ u ; dom A m io n , de profit et de plaisance

Sette Bassi, par L. Quilici.

données fournies par Pline sont de ce point de vue essentielles : dans sa villa de Toscane les cryp­ toportiques, qu’ils soient souterrains, à demienterrés ou au niveau du sol, ne sont plus vrai­ ment appelés par des nécessités techniques ; s’ils doivent leur nom au fait qu’ils n’ont pas de colon­ nade ouverte comme les portiques, mais sont seulement éclairés par des fenêtres ou des soupi­ raux, ils constituent dans tous les cas des galeries voûtées qui conduisent, à l’abri du soleil ou des intempéries, d’un appartement à un autre. Certes des « cryptoportiques de surface » avaient déjà été mis en place dans plusieurs résidences de la fin de la République et du premier siècle de l’Empire : à la « Villa dei Papiri » d’Herculanum ou à la « Villa di San Marco » de Stabies, par exemple, ils doublaient l’aile d’un péristyle de jardin. Mais ils ne répondaient pas aux mêmes nécessités que dans le domaine de Pline, où ils assurent au fond l’unité des structures d’habitat et de réception : ce qui était en germe dans la villa de Brioni ou dans la « Villa Magna » de Castelporziano revêt ici sa véritable dimension. Deux grandes villas des environs de Rome, incomplètement explorées et inégalement étu­ diées, permettent de comprendre dans quel sens va désormais évoluer la grande résidence suburLa première est celle dite des Sette Bassi, non loin de la via Latina ; il s’agit d’un des plus grands complexes suburbains du IIe siècle, dont les phases ont pu être restituées à partir de l’examen des estampilles sur briques. Le noyau initial s’éta­

Fig. 348. Villa des Sette Bassi :

blit, sur le territoire d’une ancienne villa rustique, entre 134 et 139 ap.J.-C., sous le règne d’Antonin le Pieux ; la deuxième intervention, dont on ne sait pas si elle appartient vraiment à une nouvelle phase ou constitue l’achèvement de la première, est de peu postérieure à 140 ; la troisième, elle aussi proche des précédentes, est achevée avant 150. Autant dire que si le projet n’est pas unitaire.

10.

ViLLAä'00' IPST ècle en I talie

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Fig. 349. Maquette de la villa des Sette Bassi. Cliché DAI 70.796.

il obéit à une logique dont la cohérence se renforce à mesure que la construction se déve­ loppe (fig. 347) : le groupe compact du nord-est fut d’abord mis en place (fig. 348) ; on y entrait directement de l’est dans un péristyle, dont seul le côté méridional était occupé par une séquence de bâtiments d’où n’émerge nul atrium, nulle cour en position plus ou moins centrale, mais dont la façade occidentale, tournée vers le jardin, était amplement percée de fenêtres ; un complexe thermal au sud recèle la seule pièce absidée de ce premier ensemble. Les groupes 2 et 3, de

l’angle nord, multiplient ensuite les pièces d’ap­ parat et de réception : la salle à grande exèdre du groupe 2 est significativement orientée elle aussi, non pas vers le paysage extérieur, mais vers le jardin. Pour compenser une dénivellation de plus de 5 m, à l’extrémité septentrionale de celui-ci, de puissantes substructions furent établies, en parti­ culier dans le groupe 3, qui repose en partie sur un cryptoportique et diverses pièces de service en sous-oeuvre. C’est lors de cette dernière période que fut définitivement aménagé l’immense hippo­ drome (4), long de quelque 320 m, qui occupe une terrasse de presque 2 ha 1/2 : longé au sud et à l’ouest par des corridors (Pline aurait dit, assu­ rément, des cryptoportiques) conduisant à des pavillons d’angle en forme de tours, il constituait à n’en pas douter la structure principale de la villa ; bien qu’on ne puisse restituer le détail de son ordonnance interne, il est probable que les pelouses, les espaces arborés et les bassins iquatiques y ménageaient des perspectives et des promenades qui faisaient tout l’agrément du complexe (fig. 349). La vüla des Quintilii sur la ia Appia qui doit son nom à l’une des plus importantes familles sénatoriales de l’époque intonine (les deux frères, consuls en 151, contemporains mais ennemis du fameux Hérode Atticus, furent tués sur l’ordre de

Fig. 350. Plan du complexe résiden­ tiel de laVilla des Quintilii. B : secteur privé ; C : basis villae ;

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La

h o t to n o N

, de profit et de plaisancét

Procula àTor Marancio, d'après Commode et leur domaine suburbain entra dès lors dans le patrimoine impérial), témoigne encore plus clairement de cette tendance (fig. 350). Bien qu’il soit difficile de démêler les constructions initiales (postérieures aux années 125-130 et donc appartenant à la période qui suit immédiatement la réalisation de la villa d’Hadrien à Tivoli) de celles qui paraissent impu­ tables à Commode, voire même, si l’on en juge par les particularités de l’appareil de certains de ses murs (un opus listatum composé d’assises hori­ zontales où alternent lits de briques et de blocs quadrangulaires) à la fin du IIIe siècle ap. J.-C. il apparait que les appartements (diaetae) y sont répartis alentour de deux jardins : l’un, à l’ouest, de plan rectangulaire (300 m de long), était dominé par un grand nymphée semi-circulaire qui animait la façade de la villa sur la via Appia ; alimenté par un aqueduc dont un tronçon aérien longe encore la limite orientale du jardin, ce nymphée fut ouvert sur la route au cours du IIIe

siècle. Dans l’angle nord, se déploie le groupe d’habitat le plus important : il comportait en particulier des salles thermales dont subsistent d’imposants vestiges ; près de celles-ci, un espace circulaire, qui peut-être ne fut jamais couvert, d’un diamètre interne de 36 m, évoque pour certains archéologues une composition inspirée du « théâtre maritime » de la Villa Hadriana (infra, p. 374). Vers le sud-est enfin s’étend un « hippo­ drome » (400 m de long pour une largeur oscillant entre 95 et 115 m), dont on a voulu faire une adjonction tardive, mais dont une première version, peut-être plus modeste, existait déjà lors de la phase initiale si l’on en juge par la disposi­ tion des appartements du groupe nord, qui parais­ sent orientés en fonction, déjà, de deux jardins disposés presque perpendiculairement l’un par rapport à l’autre. La dissolution des blocs d’habitat centrés sur un péristyle, tels qu’on les trouvait encore dans certaines villas du début du IIe siècle, comme celle de Numisia Procula, à Tor Marancio (fig. 351), trouve ici son point d’aboutissement. L’assujettissement de la partie centrale de la villa à une perspective axiale n’est plus de mise : seule compte désormais la situation des éléments rési­ dentiels par rapport aux jardins qui, eux-mêmes clos de murs et longés de portiques intérieurs, ne favorisent guère les vues lointaines. Bien qu’on ne puisse exclure que le paysage des Monts Albains ait en partie conditionné l’orientation des pièces du groupe nord, il n’a pas été déterminant - à la différence de ce qu’on observait dans beaucoup d’établissements antérieurs - pour la conception de l’ensemble. Dès lors l’architecture de ces grands établissements, influencée par les villas des Empereurs, de Domitien à Hadrien, s’oriente vers un système palatial aux articulations complexes mais clos sur lui-même, dont la villa de Porta Maggiore (Palatium Sessorianum) à Rome ou la résidence de Maxence sur la via Appia cons­ titueront, aux IIIe et IVe siècles, les exemples les plus évocateurs.

B I B L I O G R A P H I E

Synthèse

Villa dei Sette Bassi

Villa dei Quintilii

R. Förtsch, Archäologischer Kommentar en den Villcnhricfen desJüngeren Plinius, Mayence, 1993 (très riche dossier comparati!).

N. Lupu, « La villa dei Sette Bassi sulla via Latina », dans Ephemeris Dacoromana, VII, 1937, p. 117-188. L. Quiuci, La via Latina da Roma a Castel Savelli, Rome, 1978. F. Coarelli, Dintomi di Roma (Guide archeologiche Laterza), Rome, Bari, 1981, p. 148-154.

Th. Ashby, « La Villa dei Quintilii », dans Ausonia, IV, 1909, p. 44-88. F. Coarelli, Dintomi di Roma (op. cit.), p. 55-64. S. Bruni, « La villa dei Quintili « dans Via Appia. Suile ruine délia magntficenza antica, Rome, 1997, p. 65-73.

M), VILLAS TW 41e S1RÇLE-RN, ITALIE

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chapitre 11 L e s ViH aS

des provinces occidentales

R e m a r q u e s p r é lim in a ir e s L’habitat dispersé, lié à des activités agricoles, n’est certes pas, dans les vastes territoires de l’Ouest de l’Empire, une création de Rome. César avait observé chez divers peuples, de la Bretagne au Rhin, ce qu’il appelait des aedificia : le mot, très général, désigne apparemment des construc­ tions qui ne sont pas regroupées en villages (sauf en Bell Gaüic. III, 6, 4 où les aedificia composent un vicus), et s’applique à des corps de ferme ou à des bâtiments isolés (simples granges ou étables), où les paysans rassemblaient leurs biens (céréales ou cheptel) ; dans de nombreux cas le conquérant évoque ces constructions pour dire seulement qu’elles ont été brûlées (I, 5, 2 ; IV, 4, 7 ; IV, 19, 1 ; V, 35, 3 ; IV, 38, 3 ; VI, 6,1 ; VII, 14,4) ; mais parfois la description se fait plus précise et laisse imaginer des demeures aristocratiques, telle la résidence du chef Ambiorix (VI, 30, 3), sise au milieu des forêts, pour des raisons de sécurité mais aussi par goût de la fraîcheur, si du moins on en croit une remarque incidente de César. Ce dernier a fait en tout cas des constatations du même ordre lors de son incursion dans le sud de l’Angleterre, où il relève la présence de « très nombreux aedificia, en tout point semblables à ceux des Gaulois » (V, 12, 3). Pour la Péninsule ibérique, le simple énoncé des ressources agrico­ les par Strabon, qui recopie à cette occasion Posidonius ou Polybe, et la mention fréquente de populations réparties xarà xapaç (par ex. III, 4, 13), c’est-à-dire « en villages », suggère qu’un type d’habitat plus ou moins dispersé - car les villages en question pouvaient ne comporter que quelques fermes, surtout dans les régions monta­ gneuses - régnait en beaucoup d’endroits, parti­ culièrement dans les immenses terroirs de l’inté­ rieur. Pour l’Afrique d’avant la conquête, les tuguria Numidarum de Salluste (Bell.Jugurth., 75, 4) évoquent apparemment des réalités modestes, mais il est erroné de rendre le mot par la notion française de « tente », car il s’agit, le contexte l’in­

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dique clairement, de constructions faites au moins en partie de bois. Quoi qu’il en soit, si les auteurs latins n’em­ ploient pas le mot villa, ce n’est pas seulement pour éviter de donner un nom aux harmoniques plutôt flatteuses à des établissements qui restaient pour l’essentiel modestes, mais surtout parce qu’ils avaient le sentiment que le système d’ex­ ploitation du sol et de domination du territoire n’était pas le même que celui qu’ils pouvaient, en leur temps, c’est-à-dire à la fin de la République, observer en Italie. Contrairement en effet à ce qu’ont affirmé jadis M. d’Arbois de Jubainville puis A. Grenier, les aedificia gaulois ne correspon­ dent pas toujours à des villae : ils ne sont en réalité que rarement, sous une forme plus ou moins rustique, l’anticipation de celles-ci. La preuve en est qu’assez peu de cas de continuités locales entre un édifice de bois et de terre (une ferme « indigène ») de la période de l’indépendance et une construction « en dur » postérieure à la conquête ont été observés. Il en va de même pour la Bretagne insulaire (sud de l’Angleterre) où E. W. Black relève la persistance, après 43 ap. J.-C. (date de l’annexion par Claude) des aedificia mentionnés par César : mais ceux-ci, aux mains de petits exploitants locaux, finissent par dispa­ raître en laissant fort peu de traces, au profit des « villas romaines » qui se multiplient, surtout dans le Kent, le Surrey, le Sussex et le Hampshire, au IIe siècle et plus particulièrement dans les décen­ nies 150-180 ap. J.-C. Un décalage analogue a pu être noté dans les provinces de l’ancienne Gaule Chevelue où il faut attendre plus d’un siècle après Alésia pour que se produise une première florai­ son de l’habitat rural : rares sont en fait les villas dignes de ce nom antérieures au milieu du I" siècle ap. J.-C. Cette rupture chronologique montre à elle seule que le phénomène de la villa - qui n’est pas, bien évidemment, architectural, mais implique des mutations sociales et culturel­ les importantes - est étroitement lié au dévelop­ pement de la mainmise de Rome sur notre sol, à l’assimilation progressive des élites d’origine

L a villa , structure de domh I a u o n , de profit et de plaisance

terrienne et à une volonté d’utilisation rationnelle des terres. Celle-ci, quand on a la possibilité d’en observer les premières manifestations, apparaît liée à l’établissement des réseaux urbains ; c’est ce que prouve, à une date reladvement haute, la région d’Empuriès (Ampurias) dans ce qui deviendra la province de Tarraconnaise, où les premiers établissements agricoles qui ne soient pas destinés à la seule subsistance des populations locales surgissent à la fin du II' siècle av. J.-C., c’est-à-dire au moment de la fondation de la ville romaine : un témoin caractéristique des débuts de ce processus est le magasin d’amphores de l’Olivet d’en Pujols, à Viladamat (Gérone) (fig. 352). Nous venons d’employer, bien imprudem­ ment, une expression qui n’a pas fini de poser des problèmes : qu’est-ce, en milieu provincial, qu’une « villa digne de ce nom ? » Les difficultés de définition structurelle, économique et typolo­ gique, que nous avons entrevues dès l’origine pour l’habitat rural italique se trouvent ici multi­ pliées pour des raisons à la fois historiques et épis­ témologiques. Raisons historiques : l’émergence des villas suburbaines, où le secteur résidentiel est très développé, apparaît bien évidemment plus lente et plus rare dans la plupart de ces régions que dans le Latium, la Campanie ou même la Cisalpine ; la mise en œuvre des formes raffinées de Yotium, et leurs incidences sur la construction ou le décor n’y revêtent pas, du moins pour les périodes qui nous occupent, les mêmes aspects, et souvent nous sommes confrontés à des établisse­ ments que nous hésiterions, en Italie centrale ou septentrionale, à faire sortir du cadre de la simple ferme de rendement ou de stockage. En d’autres termes, le problème du seuil à partir duquel nous sommes habilités à parler de villas se pose en termes plus aigus, face à des bâtiments qui, dans de nombreux cas, semblent avoir composé les partes rusticae ou même seulement fructuariae d’en­ sembles où il est difficile, voire impossible, d’identifier des partes urbanae. Raisons épistémo­ logiques : la multiplication extraordinaire du nombre des établissements ruraux aujourd’hui repérés, grâce en particulier à la prospection aérienne (et l’on songe ici aux admirables travaux de R. Agache pour la Picardie et le Nord de la France), en proposant à notre réflexion une foule d’exemples inédits, a, comme il est normal, suscité des problèmes nouveaux. L’exemple a été suivi dans d’autres régions et, pour ne citer qu’un seul cas, nous rappellerons que le nombre des « villas » recensées dans le département du Cher à partir du début des années 80 s’est soudain trouvé multiplié par dix, du seul fait qu’on a recouru au même mode d’observation. Mais la photographie aérienne, qui a l’énorme avantage de fournir un plan souvent détaillé, avec toutes les

Fig. 352. Le magasin de l'OIivet M. Blech.

réparties parfois ne permet pas toujours de définir la destination des pièces ou des groupes de bâtiments, et surtout elle ne nous apprend jamais rien ni sur la chro­ nologie, ni sur les phases de la construction. La fouille en est le complément indispensable ; or celle-ci, en dépit d’une accélération sensible, reste encore trop rare ou trop incomplète pour fournir des échantillons exploitables. Même dans les secteurs où la recherche sur le terrain est la plus avancée (Picardie, Belgique, Rhénanie, Aquitaine, région lyonnaise ; en Espagne, Catalogne et Andalousie ; en GrandeBretagne, sud et sud-est de l’Angleterre), on doit manier avec la plus extrême prudence les premiers résultats relatifs à la densité d’occupa­ tion des campagnes et à la nature des établisse­ ments qui les quadrillent Le ratissage métho­ dique a permis, par exemple, d’établir la fréquence d’un site archéologique pour 180 ha dans les environs de Levroux dans l’Indre, d’un pour 137 ha dans la région d’Alet en Bretagne ou d’un pour 29 ha à Lion-en-Beauce. Mais ces données brutes, fondées sur une statistique de prospection, doivent être corrigées, comme l’a bien montré A. Ferdière, si l’on veut parler en termes de villas, c’est-à-dire d’unités d’exploita­ tion : à Lion-en-Beauce, par exemple, il faudrait, dans ce cas, procéder à un regroupement des sites, et l’on ne compterait en réalité qu’une villa pour une moyenne de 77 ha. D’autres procédures de calcul ont été utilisées à partir de certaines grandes villas dont les capacités de production, l’effectif de la main-d’œuvre peuvent être, avec une marge d’approximation évidemment impor­ tante, prudemment évalués : grâce aux données archéologiques (systèmes de bornage, monu­ ments funéraires, inscriptions), mais aussi à l’ana­ lyse des paysages, la superficie des domaines apparaît parfois en filigrane. Ainsi la villa de Chiragan, près de Martres-Tolosane en HauteGaronne, aurait régné sur une exploitation de

11.

LES WMiivôriiEerER©WNaES' ÛCeîOfiNTALES

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1 000 ha ; celle de Montmaurin, dans le même département, sur un domaine de 7 000 ha, qui comportait apparemment beaucoup de forêts ; celle des Domitii, dans les Bouches-du-Rhône, sur 600 à 800 ha ; celle de Tourmont, dans lejura, sur environ 2 000 ha, etc. Ces surfaces peuvent sembler énormes, comparées à celles des « gran­ des» exploitations contemporaines, mais leur existence est indirectement confirmée par les textes : l’agronome Columelle évoque par exem­ ple les riches propriétaires qui, de son temps (milieu du l" siècle ap. J.-C.), possédaient des régions entières. En fait nous saisissons le phéno­ mène de la villa au moment où, sur certains terroirs au moins, se développe la pratique des latifundia, dont nous avons parlé pour la même période - et surtout pour le IIe siècle - en Italie. La moyenne cependant restait très inférieure : il semble qu’on doive compter une villa pour 50 ha en Lorraine, par exemple, ce qui nous ramène à des horizons plus modestes. De toute façon, ne nous leurrons pas : il est toujours difficile et souvent impossible de rendre raison de la taille de telle ou telle exploitation, dans l’ignorance où nous sommes la plupart du temps de la nature de ses activités (type de culture, élevage extensif ou intensif), de la finalité essentielle de son implan­ tation (autarcie, cultures vivrières, monocultures), du contexte économique dans lequel elle se déve­ loppe, et qui peut du reste amplement varier d’une période à l’autre (économie de subsistance ou économie de marché). Les observations sur la fertilité des terroirs, la densité du réseau des villes ou l’importance des infrastructures (voies de communication en particulier) ne sont pas dépourvues de pertinence, mais peuvent souffrir, dans leur principe comme dans leurs méthodes, d’une vision trop moderniste des choses. Des données spécifiques au monde romain modifient singulièrement ces paramètres : ainsi la présence permanente des légions sur la frontière du Rhin peut contribuer à expliquer la multiplication des unités productives sur les terres céréalières du nord et du nord-est de la France, en dépit de la faiblesse ou de la rareté des agglomérations urbai­ nes de ces mêmes régions. De telles considérations, qui peuvent passer pour étrangères à notre propos, conditionnent à vrai due l’appréciation des compositions archi­ tecturales et nous aideront, sinon à comprendre vraiment, du moins à poser en termes un peu plus réalistes, la question de leur définition et de leur finalité.

L a ty p o lo g ie et ses lim ite s On devine sans peine que tout effort de classi­ fication, sur ces milliers d’édifices ruraux, est

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condamné à procéder, dans beaucoup de cas, d’une approche superficielle. Il s’avère cependant indispensable, non seulement pour mettre un peu d’ordre dans une diversité apparemment foison­ nante, et favoriser sa présentation pédagogique, mais aussi pour discerner les grandes tendances régionales. Nous commencerons donc par rappe­ ler les principaux types autour desquels s’ordon­ nent les établissements des provinces occidenta­ les ; dans la mesure où, nous allons le voir, les différences, d’une province à l’autre, sont plus chronologiques que formelles - c’est-à-dire que les mêmes types, avec des variantes peu signifian­ tes, s’y retrouvent finalement, mais avec des retards ou des anticipations - il serait un peu vain de proposer des études géographiques. Ce serait même, méthodologiquement, une faute, en ce que ce mode de présentation tendrait à gommer ce fait primordial déjà souligné, que la villa, sa formation et son extension, sont liées, du moins au sens où nous les entendons, à la conquête romaine et à son emprise. Au même titre que l’ur­ banisation, la création des villae dans les provin­ ces occidentales doit être envisagée comme un phénomène global, et non pas dans une illusoire spécificité régionale. Cela dit, la typologie est à manier avec prudence : les villas, et particulièrement les plus riches ou les plus importantes d’entre elles, sont en général, au stade où nous les appréhendons, le résultat de reconstructions ou adjonctions partiel­ les, et ce qui nous apparaît comme une composi­ tion concertée peut n’être qu’un conglomérat plus ou moins aléatoire saisi seulement dans sa phase finale ; dans une étude récente et fort suggestive, J. T. Smith insiste avec raison sur ces modes d’agrégation progressifs ; et dans son livre fonda­ teur, K. M. Swoboda n’avait pas manqué, déjà, de montrer que l’un des types essentiels de sa classi­ fication, la « Portikusvilla », regroupait en réalité une grande variété de plans, dont le seul point commun était effectivement de posséder un portique de façade, élément unificateur mais aussi trompeur, en ce qu’il dissimulait des ensembles qui pouvaient n’entretenir entre eux que des rela­ tions formelles et fonctionnelles assez lointaines. A quoi s’ajoute le fait que, trop souvent, les efforts de classification n’ont porté que sur la partie rési­ dentielle de la villa, ou du moins sur le bloc d’ha­ bitat le plus important, auquel, selon les périodes ou les régions, on a voulu donner le nom de « château », de « house », etc. La réflexion cependant a beaucoup évolué au cours de ces dernières années, et les travaux de R. Agache et E. Wightman pour la Gaule Belgique, de C. Ternes pour la Germanie, de A. Leday pour la Gaule centrale, de J. A. Richmond pour la Bretagne insulaire, de J. G. Gorges pour les provinces hispaniques, de

L a villa , struciU rè de do m j J a b o n , de profit et de plaisance

J. T. Smith pour l’ensemble des villas d’Occident, pour ne citer ici que les synthèses sans parler des nombreuses études monographiques, autorisent une vision plus nuancée de ces problèmes. Certaines publications anciennes, comme celle de F. Oelmann pour la région rhénane, restent d’au­ tre part dignes de considération. Un dernier mot avant de présenter les princi­ paux types identifiables, et la chronologie approximative de leur diffusion selon les régions : les seuls éléments appréciables, en toute hypo­ thèse, sont les plans. Beaucoup plus incertaines demeurent, quand elles sont tentées, les restitu­ tions en élévation. La situation est d’autant plus périlleuse de ce point de vue que les restitutions les plus audacieuses sont en général les plus séduisantes : ainsi l’hypothèse de H. Mylius pour la première phase de la villa de Blankenheim (étudiée infra, p. 340), reproduite dans les synthè­ ses de A. G. Mckay en 1975 et de J. B. Ward Perkins en 1981 s’avère en grande partie fantai­ siste si on la compare au plan de F. Oelmann. Et il arrive fréquemment que, pour conférer une monumentalité accrue à des établissements que tout désigne comme assez modestes, les auteurs de publications n’hésitent pas à « monter » des étages sur des structures qui de toute évidence, quand on les connaît, ne sont pas faites pour cela. Lorsque D. Nikolov prend le parti de confier la restitution de la villa de Chatalka en Bulgarie à des peintres ou graphistes de profession, il mani­ feste, à sa manière, l’incertitude profonde de tout essai de ce genre : comme le dit avec raison J. T. Smith, au moins en ce cas il n’y a pas trom­ perie sur la marchandise ; rien ne prouve d’ailleurs que les images ainsi obtenues soient nettement moins assurées que celles réalisées par certains spécialistes de l’archéologie et de l’archi­ tecture antiques. Si l’on voulait rendre compte formellement de l’apparente diversité planimétrique, il faudrait multiplier les types. En réalité il apparaît assez rapidement que les villas occidentales se répartis­ sent en deux grandes catégories, dont les varian­ tes sont nombreuses, mais dont les partis globaux manifestent une indéniable permanence : le plan compact, ordonné sur une cour, et le plan dit linéaire (du moins pour ce qui concerne le groupe d’habitat le plus important), qui se développe d’une façon plus ou moins symétrique de part et d’autre d’un axe, derrière une galerie de façade ; ces deux types abstraitement définis constituent les pôles autour desquels il est possible, sans trop forcer la réalité, de regrouper presque tous les exemples connus. On voit bien de quels schémas italiques dérivent ces deux rameaux de l’évolu­ tion : le premier est une version plus ou moins simplifiée de la villa à péristyle central, le second reprend sous une forme plus ou moins rustique la

tradition de la villa à portique. Il va de soi d’ailleurs que la coupure entre les deux grands types s’avère dans bien des cas moins nette qu’on ne le croit : nombreuses sont les villas à dévelop­ pement linéaire qui, par l’adjonction d’ailes laté­ rales délimitant une cour intérieure, évoluent vers la catégorie dite par les chercheurs anglo-saxons de la « courtyard house », laquelle tend vers le schéma centralisé à mesure que se multiplient les annexes latérales du corps central. On s’aperçoit inversement que bien des villas à cour ne dispo­ sent que d’un corps de bâtiment continu sur l’un des côtés de celle-ci, ce qui les apparente, d’un point de vue strictement architectural, à des villas à façade allongée. De ce fait nombreux sont les plans dits - faute de mieux - de transition, et l’on ne saurait sans imprudence établir des typologies cloisonnées. 11 reste que le plan linéaire au sens large du terme apparait plus fréquemment dans les provinces nordiques, où la façade à portique de la partie résidentielle, la pars urbana de la villa, passe volontiers pour le symbole même de l’habi­ tat rural ; c’est ce que prouvent les maquettes de pierre calcaire retrouvées au Titelberg au XIX' siècle (actuellement au Musée de Luxembourg) et en 1987 à Fontoy, au lieu-dit Moderwiese (fig. 353), qui représentent un corps de logis à galerie de façade soutenue par des poteaux de bois entre des pavillons d’angle sous fronton ; un étage est suggéré par de petites fenêtres ouvertes au-dessus des toitures de la façade, sous une

Fig. 354. Exemples de maisons rurales de plan basilical : Holstein à gauche, et Winkel-Seeb à droite, en Suisse. Échelle 1/1000«. D'après J. T Smith.

11. LES MJLLASrDESrïROVINGE^ OCCIDENTALES

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couverture à double pente revêtue non pas de tuiles mais de grandes dalles de pierres sciées. Pour les quelque 600 villas identifiées en Angleterre, J. Richmond a pu établir une classifi­ cation qui s’accorde dans ses grandes lignes avec celle de R. Agache. Caractéristique des provinces nordiques, elle montre clairement comment, là encore, les schémas méditerranéens ont fini par s’imposer, sans toutefois que se développe le modèle du péristyle comme espace centralisateur, sauf exception. Rappelons-en les principaux types, en prenant garde que nous définissons ainsi seulement la maison d’habitation du maître ou de son mandant (différent du vilicus, qui est son infé-

Fig. 356. Plans schématiques de deux villas de Bade-Würtemberg, Allemagne, d'après J. T. Smith.

Au niveau inférieur (qui n’est pas forcément le plus ancien) nous trouvons 1’« aisled house », ou maison de plan basilical, qui comporte, comme son nom l’indique, une nef centrale faisant fonc­

tion de grande salle longée par une rangée de piliers dans sa plus grande dimension, qui délimi­ tent des bas-côtés (fig. 354). Héritière de la maison-halle de l’Age du Fer, ce type de cons­ truction, largement attesté par l’archéologie et la prospection aérienne, semble, au cours du HautEmpire, plutôt réservé aux dépendances agricoles qu’aux parties résidentielles ; souvent isolée, ou située au milieu d’autres bâtiments plus petits, elle ne saurait constituer à elle seule une pars urbana ; tout au plus, quand elle se rencontre sur l’un des côtés de la cour de la ferme, peut-elle avoir servi de logement au vilicus. Le type le plus fréquent est en fait la villa à galerie de façade qui, dans sa version la plus élaborée, peut comporter des pavillons d’angle saillants : c’est la « Portikusvilla » des Allemands, la « (winged) corridor house » des Britanniques. Issue de la petite demeure à plan allongé (le « cottage house » des archéologues anglais), elle témoigne d’une recherche de monumentalité, même si elle est servie par des techniques et des matériaux modestes (la galerie de façade repose le plus souvent sur des supports de bois) et procède d’un souci réel de symétrie. Même s’il reste lointain, le modèle méditerranéen de la pars urbana ouverte sur le paysage et contribuant même à l’encadrer par l’avancée latérale des pavillons parait ainsi s’imposer ; cet habillage, même rustique, d’une unité d’habitation qui a vocation à dominer un terroir, manifeste une évolution des mentalités et peut-être aussi dans certains cas un changement de propriétaire. La continuité chronologique et/ou typolo­ gique avec la villa de plan basilical, ou du moins ce qu’on désigne ainsi par facilité ou pesanteur, est parfois attestée, particulièrement en Rhénanie où les villas de Mayen et de Stahl permettent de suivre la façon dont les grandes pièces qui consti­ tuaient initialement l’unique espace habitable (« das einzellige Hallenhaus » de F. Oelmann) se dote d’une galerie à pavillons latéraux qui peut être soutenue par des poteaux reposant sur le sol ou par des piliers appuyés sur un mur-bahut ; progressivement les annexes (petits balnéaires en particulier) s’établissent le long des murs en retour, derrière le ou les pavillons de façade (fig. 355) et les équipements se diversifient sans que pour autant la pièce principale se subdivise. D’autres exemples du même genre, à Bargen-imHegau, à Ludwigsburg-Pflugfelden, à Tiefenbach, à Saaraltdorf, entre autres, témoignent de la vita­ lité du schéma, qui concilie simplicité rustique et unité organique sans exiger de ses propriétaires des efforts démesurés (fig. 356). Mais les variantes de ce plan qui peut être plus ou moins ramassé selon l’étirement de la galerie et la largeur relative des espaces qui lui sont ratta­ chés s’avèrent nombreuses. Le « portique » de

L a villa , struckjre de domination , de profit et de plaisance

façade peut se rabattre sur l’un des côtés de l’ha­ bitation, sur les deux côtés, ou même l’entourer complètement : plusieurs cas de ce type ont été observés en Picardie. Les annexes (salles chaudes, cuisines, balnéaires), qui correspondent presque toujours à des adjonctions postérieures, plus ou moins rigoureusement reliées au corps principal, complètent éventuellement, au prix d’irrégulari­ tés de tracé, le noyau d’origine. Ces villas à gale­ rie de façade apparaissent dans le nord de la France dès la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. ; sur le territoire de la Suisse et de l’Angleterre on ne les rencontre guère avant la fin du Ier et le IIe siècles ap. J.-C. Le plus souvent, dans cette pars urbana en rectangle allongé, l’élé­ ment principal est une grande salle plus ou moins axiale de part et d’autre de laquelle se succèdent des pièces plus petites, dont il est malheureuse­ ment difficile de préciser les fonctions. Mais ce secteur résidentiel, ou du moins plus spécialement réservé à l’habitat du dominus, ne constitue souvent qu’une partie d’un ensemble qui peut être très développé : les grandes villas de la Gaule septentrionale s’ordonnent en fait le plus souvent autour d’une et même deux cours, rectangulaires ou trapézoïdales, qui témoignent, par les bâtiments qui les bordent, de l’importance de la pars rustica. Le plan-type d’une « grande villa » de Picardie, tel que H. Bernard l’a restitué à partir des recherches de R. Agache, comporte, derrière le corps de logis principal, une courjardin d’agrément limitée par un mur de clôture (maceria) qui peut comporter lui-même une tour au-dessus de l’entrée axiale, puis, au-delà, une longue cour de ferme autour de laquelle se répar­ tissent les habitations du oilicus, les logements des ouvriers permanents ou saisonniers, les granges, les étables, les fruitiers, les celliers, les pressoirs, etc. Les villas d’Estréessur-Noye (fig. 357), de W arfu sé e-A b an c o u rt (fig. 358), d’Athies, du Mesge (fig. 359), pour ne citer que quelques exemplaires caractérisschéma qui du reste se retrouve dans d’autres régions de la Gaule Belgique, comme le prouve la villa d’Anthée : fouillée à la fin du siècle dernier, elle a longtemps été considérée comme unique en son genre ; il est vrai que son corps de logis principal qui se

nord de la Gaule, par R. Agache

Fig. 358. La grande villa de Warfusée-Nord, restituée d'après les traces révélées par la photogra(Abancourt, Somme).

11. Les, WltLAS!MiÎTilR0YÏN|C£8 QtReiDpJMTALES

327

Fig. 359. Grande villa du Mesge, restituée en plan par R. Agache (Sommet

Fig. 360 Plan schématique du corps principal d'habitation (en haut) et de l'ensemble de lavilla d’Anthée (Belgique), avec les vingt pavillons disséminés autour de sa cour, d'après J. T. Smith.

déploie sur plus de 100 m de façade avec deux puissants pavillons latéraux vers l’est et deux édifices balnéaires en saillie à l’ouest compte, dans sa dernière version, parmi les plus complexes et, du point de vue de la hiérarchisa­ tion des espaces et de la multiplication des servi­ ces, les plus élaborés du genre (fig. 360) ; quand on sait qu’avec ses annexes et ses cours elle n’oc­ cupait pas moins de 20 ha, on peut imaginer l’étendue du domaine géré par son propriétaire. Mais pour ce qui est de l’organisation générale, une telle villa ne se distingue pas fondamentale­ ment des schémas ci-dessus présentés. En Angleterre quelques établissements eux aussi particulièrement riches répondent à une concep­ tion similaire : citons les villas d’Aylesford-Eccles (fig. 361) et de Sudeley-Spoonley Wood. Mais lorsque les structures résidentielles se développent encore, lorsque surtout, les unités d’habitation se diversifient et empiètent sur les côtés de la cour située derrière la « façade », la notion même de péristyle semble émerger : l’espace ainsi défini, cerné par des salles de séjour ou de réception qui ouvrent sur lui, joue finale­ ment, même quand aucune colonnade n’en souli­ gne encore la périphérie intérieure, un rôle simi­ laire à celui que, dans les domus urbaines, assume traditionnellement la cour à portiques. A VieuxRouen-sur-Bresle et à Sainte-Marguerite en SeineMaritime, à Saint-Ulrich en Moselle (la villa ne compte pas moins de 117 pièces !), à Haccourt en Belgique, à Fliessem (Odrang) en Allemagne, dans la dernière phase de la résidence rurale de Woodchester ou du « palais » de Fishboume {infra, p. 343) en Angleterre, on a pu parler, pour une partie au moins de l’établissement, celle qu’on tend à assigner naturellement à la pars urbana, d’un plan quasi méditerranéen (fig. 362 et 363). Non que, nous l’avons vu, la simple villa à portique ne soit pas, elle aussi, dans sa conception même, de tradition méditerranéenne, mais parce que la profondeur et la monumentalité de ces édifices complexes, de plan ramassé, évoquent irrésistiblement certaines villas suburbaines d’Italie. Tant il est vrai que, dans ce cas égale­ ment, le modèle italique représente ce vers quoi tend la « villa nordique » quand son dominus a les moyens d’en développer toutes les composantes. Ces cas-limites ne sont pas des exceptions typolo­ giques, comme on le dit encore souvent, mais l’aboutissement naturel même si tardif (car les versions développées de ces grandes demeures ne sont pas antérieures aux IIe et plus souvent III* siècles de notre ère) de filières de développement inévitablement orientées, comme celles de la domus des classes dirigeantes, par l’ordonnance centrée sur un péristyle. La villa de Nennig, située dans la haute vallée de la Moselle, entre Trêves et Metz (Rheinland-

L a villa, stru ctu rejje domination , de profit et de plaisance

Pfalz), permet de mesurer, quand la monumenta­ lité et l’extension du bâti permettent d’exploiter simultanément les potentialités de la « villa à portiques » et de la « villa à péristyle », la rapidité avec laquelle sont dépassés ou transfigurés les schémas de base. Le puissant édifice résidentiel, conçu pour l’essentiel à la fin du II' siècle présente l’avantage insigne de n’être pas isolé, mais d’avoir conservé quelques-unes de ses annexes principa­ les, dans un domaine que l’on devine fort vaste (fig. 364) : outre la pars urbana qui constitue à elle seule un véritable complexe palatial (1), on iden­ tifie en effet une ambulatio (2) de 250 m de long sur 8 m de large, un édifice thermal (3) situé à quelque 250 m de la demeure elle-même et une zone funéraire (4). Notons au passage que l’éloi­ gnement de l’établissement balnéaire, qui pour­ rait, dans une optique bourgeoise, passer pour incommode, était alors l’une des manifestations les plus ostensibles du luxe de la propriété et du status de son heureux possesseur : contrairement en effet à ce que recommandait Vitruve, qui souhaitait que les ablutions rustiques (lavatio rustica) pussent avoir lieu en toute simplicité dans l’aire de service, tout près de la cuisine (VI, 6, 1), il s’agit ici de montrer qu’on ne lésine pas sur le coût des adductions d’eau, qu’on a choisi le meilleur endroit (en particulier pour l’orientation des salles chaudes) et qu’on a tenu à libérer l’ha­ bitat des contraintes induites par ce genre d’ins­ tallation ; il s’agit aussi de donner à voir que le bain est une cérémonie importante de la vie sociale, pour laquelle on entend prendre son temps... Un aménagement analogue, mais à une échelle plus modeste, peut être observé à la villa de Thuy (Eure-et-Loir) et à celle de Wittlich (Rheinland-Pfalz) où les thermes, séparés du bloc résidentiel, sont accessibles par un portique. Pour en revenir à Nennig, on notera d’abord que la façade à portique, déployée sur 140 m, compor­ tait deux niveaux de colonnades ; flanquée de puissants pavillons latéraux dont la partie la plus proche du noyau central était assimilée à de véri­ tables tours, hautes de trois étages, cette façade à retours perpendiculaires se prolongeait latérale­ ment derrière des galeries qui définissaient une sorte de cour d’honneur (fig. 365). On entrait dans le corps principal par un escalier de 5 m de large qui donnait accès, au-delà d’un vestibule (T) à la pièce principale (U), très vaste salon qui a conservé sa fameuse mosaïque des gladiateurs (161 m2) ; situé en position axiale comme dans les « Portikusvillae » traditionnelles, cet œcus était agrémenté d’une fontaine. Mais - et c’est là que nos typologies trop schématiques se brouillent au nord-est de cette salle, et en raison même de sa profondeur, un péristyle de 14 colonnes se déployait sur l’axe duquel s’ouvrait un triclinium (N), exactement comme dans les grandes domus

Fig. 361. Pian schéma­ tique de la villa de Aylesford-Eccles (Kent,

du IIe siècle ; il bénéficiait même, comme ses homologues d’Afrique ou d’Espagne, du specta­ cle d’une fontaine semi-circulaire, face à sa baie centrale. De l’autre côté de Yœcus axial, on rencontrait un second péristyle, incomplet celuici, sur lequel donnait également un triclinium secondaire (e) ; les appartements de cette même partie sud-ouest s’organisaient autour d’une troi­ sième cour à portiques (y). Si l’on ajoute que cinq cages d’escalier conduisaient à un étage (fig. 366) on mesure la capacité d’accueil de cette demeure, l’une des plus élaborées, on l’aura compris, des régions non méditerranéennes de l’Empire. Cela dit, on admettra sans peine que le « cottage house » ou la villa à simple galerie de façade, éventuellement pourvue en profondeur d’une grande salle centrale comportant encore, rémanence typologique et nécessité technique, une ou deux rangées de colonnes intérieures selon le schéma décrit plus haut, règne pendant tout le Haut-Empire sur de nombreux terroirs de l’Angleterre méridionale et des pays belges et rhénans. Il en va de même dans l’ouest de la Gaule (Normandie, Bretagne), où les exploita­ tions manifestement modestes n’ont en général permis que des variations sans amplitude sur le thème de la maison allongée avec ou sans portique antérieur (aux exceptions évoquées cidessus de quelques sites de Seine-Maridme). Si l’on en juge par de récentes prospections, une région comme celle de la Côte-d’Or semble avoir présenté un nombre non négligeable de villas linéaires à portiques mais aussi d’établisse­ ments à plan carré, ramassé, à tours d’angle (mais

11. lÆS,WUW«®ïS-iR(tOVJNCES-OC(SiPKNTALES

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tution de sa façade méridionale, par pas toujours). Avant de parler de zone de transi­ tion, il faut tenir compte de la chronologie et des modalités de l’évolution de chaque demeure complexe, ce qui, en l’état actuel de la documen­ tation, reste difficile. Dans le sud de la France, la diversité typolo­ gique paraît encore plus grande. Ce qui, en première analyse, distingue en effet l’Aquitaine et, dans une moindre mesure, la Narbonnaise, de la Lyonnaise et de la Belgique, c’est une fréquence plus nette et une diffusion plus précoce de la villa à péristyle. Mais il convient de ne pas oublier les modalités du développement sur la longue durée : relativement peu nombreux sont

en fait les établissements dont nous connaissons les phases du Haut-Empire ; encore celles-ci sontelles rarement antérieures au IIe siècle et souvent nous ne percevons des grandes villas, particuliè­ rement dans le sud-ouest, que leurs versions tardi­ ves des IVe et Ve siècles. Si, autant que permettent d’en juger des fouilles hâtives ou incomplètement publiées, il semble possible de postuler dès le premier état de ce qui deviendra l’immense villa de Chiragan (Martres-Tolosane) ou de la villa de Montmaurin, qui datent l’un et l’autre du milieu ou de la seconde moitié du I" siècle, un péristyle et des thermes, ainsi que pour la villa contempo­ raine de Notre-Dame-d’Amour (Saintes-Mariesde-la-Mer), le schéma centré sur une cour à portiques n’apparait en général qu’assez tardive­ ment Mais alors il peut revêtir des formes remar­ quables, comme à la villa de Bapteste à Moncrabeau (Lot-et-Garonne) ou à la villa de Géou à Labastide d’Armagnac (Landes) (fig. 367) ; quelques établissements se signalent même dans cette vaste province par la présence de plusieurs cours intérieures à portiques : c’est le cas de la villa de Sorde-l’Abbaye (Landes) où un petit péristyle s’ajoute au grand, pour desservir les bains, et de la villa d’Augreilh à Saint-Sever (Landes), où l’on note la présence de deux péris­ tyles juxtaposés séparés par une grande construc­ tion à double abside ; ces deux péristyles, d’une surface sensiblement égale (environ 800 m2), ne semblent pas pour autant avoir donné lieu au développement d’un plan rigoureusement axial, seuls les thermes occupant une position domi­ nante à l’extrémité occidentale du complexe (fig. 368). Mais certaines grandes demeures d’Aquitaine conserveront, tout au long de leur existence, l’aspect étiré des villas à galerie de façade avec pavillons d’angle comme celle du Palat à Saint-Émilion (Gironde) (fig. 369) : elle présente une ordonnance axiale et symétrique qui se déploie sur près de 100 m et dont l’aspect monumental est accru par le grand bassin qui règne devant le portique et anime ce qu’on a coutume d’appeler, faute de mieux, la cour d’honneur ; ce n’est que l’esplanade d’accès ou d’accueil de la partie résidentielle de l’établisse­ ment. La villa de Nérac (Lot-et-Garonne), sur une terrasse dominant la rive droite de la Baïse, semble quant à elle avoir comporté plusieurs ailes ; celle de l’ouest, organisée autour d’une grande salle centrale de plan circulaire, à laquelle on accédait par un vestibule à deux colonnes libres, possédait deux vastes salles à abside de plan très allongé (fig. 370) ; le modèle de l’archi­ tecture officielle (salles de type basilical) est ici évident, et témoigne de la volonté, caractéristique des aristocraties de la fin du II' siècle, et plus encore du III' siècle, de transposer dans leurs rési­ dences suburbaines ou rurales les structures de

L a villa , structurejde do ^|N 4T io n , de profit et de plaisance

Fig. 363. Plan schématique du France) par M. Lutz. représentation et de pouvoir dont la ville était jusqu’ici la seule détentrice. Les caractères essen­ tiels de ces villas, ou du moins de leur pars urbana, en général très élaborée, sont en effet, à mesure que leurs structures se diversifient et s’enrichis­ sent, d’abord le développement inusité du secteur de l’entrée : à la « cour d’honneur » s’ajoutent les vestibules, dont certains se développent en enfi­ lade (il en existera trois dans la dernière version de la villa de Lalonquette dans les PyrénéesAdantiques, dont le dernier, de forme octogonale, ouvre directement sur le péristyle) ; de même, nous venons de le signaler, la villa de Nérac possède un vestibule quadrangulaire de près de 100 m2 dont les trois entrées sont scandées par des colonnes. Les salles de réception y acquièrent d’autre part une importance croissante, et c'est elles qui fourniront, aux IVe et V* siècles, les décors mosaïqués les plus riches, comme dans les villas de Lalonquette, de Plassac ou du Palat à Saint-Émilion. Enfin les thermes, signe évident du

Fig. 364. Plan de situation des 1 : corps de lapars urbana ; 2 : ambulatio ;

11. L es villas dès 1PRÔŸï NCès occidentales

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Fig. 366. Plan de l'étage de la villa de Nennig. par Mylius.

transfert irréversible des agréments urbains vers la résidence rurale, peuvent y prendre des proportions inusitées : ils atteignent 350 m2 à Barat-de-Vin, 290 m2 à Lalonquette ; leurs pièces principales, construites le plus souvent sur un axe linéaire, permettent le déroulement complet de la cérémonie du bain ; les salles de plan rectangu­ laire y restent fréquentes, comme le prouve par

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exemple le balnéaire de Las Hies (fig. 371), mais souvent s’y multiplient les formes non rectilignes, les structures triconques, même dans les établisse­ ments qui n’occupent qu’une superficie relative­ ment modeste, comme on peut le constater dans la villa de Séviac à Montréal du Gers : plusieurs fois réaménagés et complétés, ces petits thermes privés rassemblent au IV* siècle, dans une plani-

L a > q u ^^ ^ (ucfURE/D|: d ' ^ K ation , de pro fit et de plaisance

métrie remarquablement efficace, des pièces chauffées sur hypocaustes, des latrines, des pédiluves et des aires de service (fig. 372). La situation de la Péninsule ibérique est très comparable en ce domaine à celle de l’Aquitaine. Si une certaine diversité y règne, qui peut décou­ rager toute tentative de classification, on relève en réalité, là encore, deux grandes séries. D’une part la villa linéaire qui, selon les recensements les

plus récents, représente près de 40 % des plans observables : un portique tient lieu en général de façade, ménageant un abri aux promeneurs et donnant accès au vestibule ; mais il arrive aussi que la fonction essentielle de cette structure soit d’ouvrir la villa sur le paysage : ainsi, à Cabo de Palos (El Castillet, Murcia), sur le littoral méditer­ ranéen, la villa, construite sur une colline, déve­ loppe deux larges galeries panoramiques perpen-

Fig. 367 Plan schématique de la villa de Géou à Labastide d'Armagnac (Landesl (Laboratoire de Cartographie histo-

Fig. 368. Plan schématique de la villa d'Augreilh à Saint-Sever (Landes) (Laboratoire de Cartographie historique. Université Bordeaux III).

Fig. 369. La villa du Palat à SaintEmilion (Gironde) (Laboratoire de Cartographie historique. Université

11. L es lYWftàJS: ny.fi FRCvTNCTi? OCCIDENTALES

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Fig. 370. La villa de Néra. (Lot-et-Garonne) (Laboratoire de Cartographie historique.

Fig. 371. Le balnéaire de (IRAA- CNRS, Pau).

diculaires, légèrement plus basses que le corps central ; vers l’arrière, deux autres galeries, plus petites, forment des balcons d’agrément : les habitants de cette résidence, tout en bénéficiant de l’ensoleillement et des vues de la baie de Carthagène, peuvent aussi se protéger des trop fortes températures. Un exemple comparable est fourni, sur l’Océan, par la villa de Centrona (La Corogne) : le côté occidental du « portique » de façade se présente sous la forme d’un long mur-bahut de 60 cm sur lequel s’élèvent des piliers prismatiques de 1,20 m ; situés à 30 cm de distance ils définissent des vues abritées du vent et de la pluie vers le paysage maritime. En fait le schéma de la villa à portique de façade, souvent enrichie de pavillons d’angle plus ou moins déve­ loppés, est le type le plus fréquemment repré­ senté sur les mosaïques d’Espagne comme sur celles d’Afrique. Il apparaît en Galice dès la seconde moitié du Ier siècle et se diffuse surtout aux IIe et IIIe siècles. Les villas de Cuba (Monte de Outeiro, Beja), de Frades (Sâo Cucufate, Beja), de Puig de Cebolla (El Vilar, Valence), en fournis­ sent d’excellents exemples (fig. 373). Souvent datables dans leur état actuel du IVe siècle, ces établissements remontent pour beaucoup d’entre eux à la période antonine. Même si les villas à péristyle sont les mieux représentées dans la Péninsule, rarement cepen­ dant elles paraissent avoir été conçues d’emblée selon ce schéma et beaucoup résultent d’une évolution qui conduit, à la fin du IIe et au IIIe siècles, à la mise en valeur d’une pièce de récep­ tion en position avantageuse, triclinium, aeus ou exèdre. Caractéristiques de cette situation sont les villas dont le quadriportique central est trapézoï­ dal et non pas rectilinéaire, comme par exemple celle d’Albesa, El Romeral (Lérida) (fig. 374) ou celle dejumilla, Los Cipreses (Murcia) (fig. 375). De telles ruptures avec la norme sont en généra] le signe d’un effort pour régulariser une ordon­ nance qui auparavant s’était déployée d’une façon un peu anarchique. De fait, l’aménagement de la pars urbana autour d’un péristyle est surtout caractéristique de la fin du Ier et du début du IIe siècle. Toutefois on dispose d’exemples anciens, comme celui de la villa de Santa Colomba de Somoza (Leon), qui date pour sa première implantation de l’époque tibérienne. Mais on relève aussi de nombreux établissements dont le ou les péristyles affectent, comme en Aquitaine, une forme régulière qui plaide en faveur d’un projet unitaire et rigoureux : la villa de Dehesa de la Cocasa (Badajoz), présente dès la fin de la période flavienne un péristyle rectangulaire de 17 x 13 m (fig. 376) ; à la même époque ou quelques décennies plus tard (début du IIe siècle), l’établissement de Marbella (Rio Verde) possède une structure comparable (fig. 377). Il en va de

la villa de Séviac à Montréal-duGers (Lot-et-Garonne), par R. Monturet et H. Rivière (IRAACNRS. Pau).

Fig. 373. Plan schématique de la villa dePuig de Cebolla. El Vilar (Valence), d'après J.-G. Gorges.

11. L es VTliASJttES EROVJNCES OCCIDENTALES

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Fig. 374. Plan de lavilla d’Albesa, El Romeral (Lérida), d’après J.-G. Gorges.

Fig. 375. Plan de la villa de Jumilla. Los Clpreses (Murcia).

Fig 376. Villa de Dehesa de la Cocosa, d'après J.-G. Gorges.

même, à une date ultérieure, pour les villas de Rioseco de Soria, Los Quintanares (Soria) et de Fraga (Huesca) (fig. 378) qui témoignent éloquemment de la fréquence de ce type d’instal­ lation où l’on relève là encore l’importance des salles de réception, et l’extension des balnéaires. Il importe enfin de relever que certaines de ces villas compactes à péristyle plus ou moins central s’enrichissent, dans les provinces hispa­ niques, de cours portiquées secondaires, sortes de patios formant puits de lumière dont plusieurs peuvent être, sans abus, assimilés par leur forme et leur fonction à de véritables atria. Le cas le plus remarquable - mais nous en verrons d’autres (infra, p. 345 sq.) - est peut-être celui de la villa d’El Ruedo (Almedinilla, Cordoue), dont il a pu être montré que dans sa phase II, d’époque flavienne, elle s’ordonnait autour d’un péristyle dont les colonnes (corinthiennes ?) au nombre de 12, en pierre locale, étaient stuquées à l’imitation du marbre ; un grand triclinium, qui sera doté au IIIe siècle d’un stibadion avec vue sur un nymphée, selon le schéma décrit par Pline (iCorrespond., V, 6, 36-37), faisait face à l’entrée. Or celle-ci a pu être restituée dans la proximité d’un vestibulum conçu comme un atrium de 100 m2, qui semble du type toscan, et dont la présence

L a VILLA. STRUOIu RL-DF. DOMINATION, DE PROFIT ET DE PLAISANCE

Fig 377. Villa de Marbella (RioVerde), d'après J.-G. Gorges.

confère à cette unité d’habitation rurale un aspect extraordinairement urbain (fig. 379 et 380) : la séquence atrium-péristyle reproduit celle de la domus classique, en contradiction flagrante avec l’usage défini par Vitruve, que nous avons rappelé au début de cette section, selon lequel la pars urbana d’une villa inversait la situation rela­ tive du péristyle par rapport à Vatrium. Si l’hypo­ thèse de recomposition proposée par les derniers éditeurs doit être retenue, nous avons là un indice supplémentaire, et particulièrement démonstratif, de la pression des modèles italiques urbains, jusque sur la demeure rurale, dans la Bétique de la fin du Ier siècle. Mais à vrai dire la plupart de ces grandes villas hispaniques, dont on a beaucoup vanté, avec raison, l’extraordinaire richesse en mosaïques (avec, au rv* siècle, une prédilection particulière pour les thèmes tirés de l’épopée homérique comme le prouvent les somptueux « tapis » des triclinia ou des ad de la villa de Santa Cruz ou de celle de La Olmeda, Pedrosa de la Vega), doivent leurs phases les plus brillantes aux mêmes circonstances historiques que celles d’Aquitaine : dès le milieu du IIIe siècle les aristo­ craties régionales délaissent la ville, devenue peu sure et moins attrayante, pour concentrer leurs activités sociales au cœur de leurs domaines ; nous venons de citer la villa de Fraga, attribuée à Fortunatas : elle est caractéristique de cette

ïg. 378. Fraga (Huesca) : villa de Fortunatus. d'après J.-G. Gorges.

tendance, illustrée aussi par la villa de Centcelles (Tanagone). La tentation de l’autarcie, dans un univers qui tend à se cloisonner, et où la capitale même cesse d’attirer les membres provinciaux de l’oligarchie sénatoriale, explique ce transfert de la richesse et des modalités de son exhibition hors du contexte urbain ; d’autant que les ressources de la terre restent les seules assurées dans des régions qui, de surcroît, retrouvent à la même époque des prérogatives qui leur avaient été progressivement refusées au cours du HautEmpire : il est important de se souvenir que l’em­ pereur Probus (276-282) autorise de nouveau les Gaulois, les Espagnols, et même les Bretons, à posséder des vignes et à produire autant de vin qu’ils le souhaitent (Histoire Auguste, Probus, 18, 8), mettant ainsi fin aux restrictions imposées en ce domaine par ses prédécesseurs, et particulière­ ment par Domitien (Suétone, Domitianus, 7, 2). Lorsque la ville, pour de multiples raisons histo­ riques, politiques et culturelles, cesse de fournir aux notables le cadre et les satisfactions qu’ils s’es­ timaient en droit d’obtenir, les symboles de la souveraineté deviennent l’apanage de la villa, où l’on s’efforce de conserver ou de recréer, avec les facilités qu’offre un espace non mesuré, l’image et le modèle d’un ordre social dont le champ d’ac­ tion s’est dès lors déplacé à la campagne. Mais, bien évidemment, ces développements de la rési­ dence rurale, tellement séduisants par de multi­

li . Les

itoîyipcieh

oc cuéntales

337

Fig. 379. Restitution en élévation de lapars urbana de la villa d'EI Ruedo, par J.-L. Vaquerizo Gil.

Fig. 380. Vue en perspective à la pars urbanade la villa d'EI Ruedo. par J.-L. Vaquerizo Gil.

L a villa . struc Tüiö ^ä e d o m U ation , de profit et de plaisance

Fig. 382. La villa deTabarka, resti­ tuée d'après une mosaïque. Flypothèses de! Sarnowski, en haut, et de N. Duval, en bas.

Fig. 381. La villa du «seigneur Julius», restituée en éléva-

pies aspects, sortent des limites chronologiques que nous nous sommes fixées. A bien des égards, nous devons en convenir, la légitimité du cadre temporel auquel nous croyons devoir nous tenir, est mise à mal par cette analyse des villas provinciales : il nous interdit en effet presque toute incursion dans l’Afrique romaine, où les lacunes de nos connaissances archéologiques pourraient être utilement comblées par les nombreuses représentations de villas sur mosaïque, dont on connaît la précision et l’intérêt documentaire. Des études récentes, dues à T. Samowski et à N. Duval, ont établi la crédibilité de ces images et en ont proposé des restitutions graphiques suggestives (fig. 381 et 382). Nous ne saurions cependant nous y référer directement, car aucune n’est antérieure à la fin du IIIe siècle et la plupart datent des IVe et V* siècles ; elles évoquent donc une situation et des modes d’exploitation qui ne peuvent se compren­ dre que dans le contexte très spécifique de l’Antiquité tardive. Certes, la typologie dont elles relèvent - songeons par exemple au fameux domaine du Seigneur Julius, de Carthage - trou­ verait sans peine quelques antécédents sous le Haut-Empire ou même auparavant : si l’on s’en tient à l’enclos cantonné de tours, la villa de Scipion à Litemum, dont nous avons parlé (supra, p. 272) ou la villa de Settefinestre près de Cosa (supra, p. 279 sg.) peuvent constituer des précé­ dents remarquablement précoces ; quant aux façades à loggia et à portique, à la dissémination des bâtiments dans la cour quadrangulaire, à l’im­ portance volumétrique et plastique des thermes,

ce sont autant d’aspects qui, séparément ou collectivement, se retrouvent dans beaucoup d’établissements ruraux des provinces occidenta­ les. Mais pour ce qui concerne l’Afrique, plus précisément, l’extrême rareté des villas étudiées, malgré la densité des ruines recensées par prospection, rend presque impossible toute analyse de l’habitat non urbain sous le HautEmpire. Une exception brillante est apparemment constituée par la publication du castellum du Nador, près de Tipasa (Algérie). Il s’agit en fait, pour la période qui nous intéresse, d’un curieux ensemble fortifié dont l’inscription monumentale gravée au-dessus de la porte d’entrée désigne le propriétaire comme un membre de la gens Cincia, une famille bien représentée en Numidie et en Proconsulaire. Ce M. Cincius Hilarianus a donc fait construire au début du IIIe siècle, à l’emplace­ ment d’une ferme dont les vestiges les plus anciens remontent au I" siècle, un domaine que son aspect clos, avec sa porte flanquée de tours carrées et les tours d’angle circulaires de sa façade, ont longtemps fait passer pour une petite place-forte, abritant peut-être un campement militaire permanent, du type de ceux qui jalon­ nent à la même époque les frontières de l’Empire, le limes (fig. 383 et 384). L’analyse approfondie des structures qu’il abrite a permis d’identifier ce praedium (c’est ainsi que l’inscription désigne l’éta­ blissement) pour ce qu’il est, à savoir une ferme, très comparable, par son aspect extérieur, à celles, plus tardives, que nous présentent les mosaïques déjà mentionnées. Répartis autour de

11.

L es IVMJUB 8»gJTW«VlNC!Éir(WtClÛÈHTALES

339

la vaste cour (5), le four, la citerne, le grenier (horreum), les celliers à vin et à huile, le quartier des presses pour la vigne et les olives occupent l’essentiel de l’espace interne ; le secteur réservé à l’habitadon, réduit à l’angle nord-est (n°* 6 à 9), ne représente que 145 m2, soit moins de 1/8' de la superficie construite ; encore faut-il enlever de ce total plus de la moitié, occupée par la cour secon­ daire (6). De toute évidence, comme le souligne A. Carandini, seul un vilicus pouvait séjourner durablement dans ces trois ou quatre pièces exiguës et indifférenciées. Nous sommes donc en présence d’une « villa » sans pars urbana, du type de ces tunes attestées par la toponymie, et surtout fréquentes dans les parages du limes africain. Ph. Leveau a de fait montré que l’absence de quartier résidentiel était la règle dans les établissements ruraux de cette partie de l’Afrique, les propriétai­ res préférant habiter en ville ou dans leurs villae du littoral, cependant que les travailleurs libres, les coloni, vivaient d’ordinaire, du moins pendant les périodes pacifiques, dans les mapalia, cabanes de bois ou de briques crues, aux abords immé­ diats des domaines dont ils cultivaient la terre.

L e s m odèles d u d é v e lo p p e m e n t d e la v illa p r o v in c ia le . exemples d ’évolutions chronologiques

Fig. 383. Plan de la villa de M. Cincius Hilananus, d'après L. Anselmino.

Fig. 384. État actuel de l'en­ trée monumentale de la

Nous avons eu déjà l’occasion de souligner combien il était imprudent de choisir arbitraire­ ment une phase (la plus accomplie en général) pour définir l’emprise et suivre la genèse d’éta­ blissements qui ont souvent, au long d’une histoire fort longue, beaucoup changé d’aspect et de fonction. La difficulté, pour éviter cet écueil, est que nous disposons de peu d’exemples correc­ tement exploitables dans la diachronie. Quelques cas permettent cependant de définir des modèles de développement qui donnent une idée relative­ ment précise des tendances générales de l’évolu­ tion, quel que soit le terroir où elle s’effectue. Cette évolution est évidemment inséparable des modifications socio-culturelles de la situation des propriétaires successifs : ce sont elles qui non seulement la motivent mais, bien évidemment, lui confèrent un sens. Peu d’histoires se laissent déchiffrer avec autant de clarté que celle de la villa de Blankenheim (Eifel) : fouillée par des équipes allemandes au début de ce siècle, elle a révélé six phases différentes qui peuvent se réduire à trois moments essentiels. Dans un premier temps, qui se situe au cours de la seconde moitié du I" siècle, elle ne comporte - du moins pour ce qui concerne sa pars urbana, la seule reconnue qu’un large hall pourvu de deux ailes symétriques

Fig. 385. Plan de la phase I a de la villa de Blankenheim. F. Oelmann.

Fig. 386. Plan de la phase II b de la môme F. Oelmann.

Fig. 387. Plan de la phase III a de la môme F. Oelmann.

IL LESUmiMtS«Ä SIPHOWN^ßS^OCCIDENTALES

341

avec des pavillons latéraux (fig. 385) ; seule la salle centrale, fort vaste, était utilisée dans les grandes occasions ; les autres pièces, peu adap­ tées à des activités de représentation, semblent avoir répondu aux différentes nécessités de la vie familiale, et même pour plusieurs d’entre elles avoir servi à des activités agricoles ou artisanales. Ce qui caractérise en effet cette phase, en dépit d’un parti architectural cohérent et non dénué d’élégance (colonnade antérieure sur mur-bahut ; escalier axial flanqué d’escaliers latéraux ; surélé­ vation de la façade de la salle centrale, avec probablement un fronton), c’est la faible différen­ ciation des espaces habitables. Dans la deuxième phase, datable du IIe siècle sans autre précision, les pavillons en saillie sont détruits, et seul règne sur la façade un portique rectiligne ; cette appa­ rente simplification de l’aspect externe procède en réalité d’une recherche de monumentalité qui coïncide avec une meilleure organisation des espaces internes : les services sont placés hors du corps central et cantonnés dans des annexes gagnées sur la cour postérieure ; un ensemble balnéaire occupe l’angle sud-ouest (fig. 386). Dans la troisième phase, sans doute d’époque sévérienne, il est possible d’identifier dans la

succession des unités d’habitation trois apparte­ ments distincts, et le complexe thermal s’enrichit. Cette double tendance à la division sociale et au perfectionnement des équipements de luxe pour­ rait être suivie dans beaucoup d’autres établisse­ ments ruraux contemporains, si les diverses phases n’en étaient pas devenues illisibles (fig. 387). A Fliessem, au sud-ouest du même massif de l’Eifel, les conditions du développement, quoique répondant à des exigences analogues, revêtent des formes presque opposées : les phases se succèdent par intégrations et agrandissements successifs, mais rien n’est détruit de l’état initial. Celui-ci comportait un corps central orienté gros­ sièrement nord-sud, qui reliait deux ailes estouest, débordant largement de part et d’autre de l’axe perpendiculaire (fig. 362) ; ouvert à l’ouest, vers la cour de la villa rustica, celui-ci ne compor­ tait initialement que des colonnades relativement restreintes sur ses deux faces. Dans un second temps l’aile sud fut dotée d’une façade à galerie, bientôt pourvue de pavillons latéraux où se déve­ loppèrent les appartements résidentiels ; au nordest et au nord-ouest enfin, des pièces fort vastes prolongées par des loggias en arc de cercle outre-

Fig. 388. Plan de la villa deWoodchester, d'après G. Clarke.

L a villa , STRuqfORç-QF npwIriWiON, de profit et de plaisance

passé munies de colonnes achevèrent de donner à l’ensemble une solennité qui n’était nullement inscrite dans la première implantation, d’aspect et d’esprit plutôt modestes. A Woodchester, dans ce petit village du Gloucestershire, fameux pour la mosaïque d’Orphée qui a été dégagée à la fin du XVIIIe siècle dans le voisinage de son ancienne église (la plus grande œuvre de ce genre jamais retrouvée en Grande-Bretagne), une villa a fait l’objet de nombreuses investigations. Telle qu’elle se présente aujourd’hui, elle comporte trois cours, seule celle dite interne (inner courtyard) apparte­ nant à la pars urbana. Cet aspect très développé, qui apparente l’établissement à certaines grandes demeures rurales de Picardie ou d’Aquitaine, ne doit pas dissimuler qu’au départ, c’est-à-dire sans doute à la fin du 1er siècle, le bloc d’habitat se résumait à la seule séquence des pièces 25-30 (fig. 388) ; ce plan linéaire, apparemment dépourvu de tout enjolivement extérieur (galerie de façade par exemple), mêlait d’une façon assez indistincte les pièces à usage domestique et les espaces agricoles. Seule la deuxième phase, de la fin du IIe ou du début du IIIe siècles, vit l’ouver­ ture des cours centrale et externe : désormais, selon le processus ordinaire de la différenciation des structures, les salles 25-30 furent réservées à l’habitation du dominus et de sa famille, les instal­ lations agricoles et les logements des esclaves se répartissant le long des cours. La cour intérieure quant à elle n’a été mise en place que dans la première moitié du IVe siècle. Les salles du nord, de l’ouest et de l’est, qui s’ouvraient sur celle-ci, remplacèrent avantageusement l’habitat anté­ rieur ; l’arnu tricliniaire n° 1, auquel appartenait la célèbre mosaïque, présente, soulignons-le, des dimensions exceptionnelles : avec ses 15 m de côté, c’est la plus grande salle de l’architecture domestique en Grande-Bretagne ; elle ne peut être comparée de ce point de vue qu’à la pièce à la mosaïque de Vénus à Bignor (Sussex), au tricli­ nium de Chedworth (Gloucestershire) ou à la soidisant salle d’audience de Fishboume (près de Chichester) (fig. 389). Parmi les salles des villas continentales, seule la grande pièce axiale de Nennig, avec la mosaïque des gladiateurs, appro­ che de sa superficie sans pour autant l’atteindre (16 x 10 m). Les mêmes observations valent pour la villa de Lalonquette, au nord de Lescar, dans les Pyrénées-Adantiques : si elle rivalise, dans sa version tardive, avec les grandes villas à péristyle du sud-ouest de la France et de l’Espagne, elle reste très proche, dans ses deux premières phases, des types linéaires du nord-ouest de l’Europe. Les premières installations du Ier siècle se réduisent à un corps de bâtiment allongé (les salles XLII et XLIV de la fig. 390), avec une galerie de façade

Fig. 389. Plan de la phase 2 du «palais »de Fishboume, d'après B. Cunliffe. et des annexes disposées perpendiculairement, mais non reliées au bloc d’habitat ; on note toute­ fois dès ce stade la présence d’un balnéaire indé­ pendant pourvu de toutes les composantes tradi­ tionnelles (fig. 390). Au cours du IIe siècle, l’extension des surfaces habitables s’accompagne d’une régularisation des espaces : du sud-ouest au nord-est, on note la succession d’une cour agri­ cole et d’une cour partiellement entourée de portiques, laquelle constitue désormais le cœur de la pars urbana : on y accédait par la séquence des vestibules déjà évoquée (supra, p. 330 sq.) (fig. 391). Mais il faut attendre, là encore, le IVe siècle pour que s’ordonne enfin un véritable péristyle central autour duquel se multiplient les annexes résidentielles et techniques, avec un grand nombre de salles munies d’hypocaustes (fig. 392). Dans la villa de Montmaurin (HauteGaronne), en revanche, l’un des très rares établis­ sements de Gaule romaine dont la totalité ait été

11. L es MiniÆn^BTKtOWNCDrialCICIDBlNTALES

343

Fig. 390. Le premier état de lavilla de Lalonquette, par J. Lauffray et

Fig. 391. La même villa au il* siècle. Plan par J. Lauffray et J. Schreyeck.

Fig. 392. État dernier de la même villa (iv8-^ siècle). Plan par J. Lauffray et J. Schreyeck.

fouillée, avec un effort pour identifier les phases chronologiques (même si les interprétations proposées par l’auteur n’emportent pas toutes la conviction), force est de constater que dès le milieu du Ier siècle, date probable de son implan­ tation, un péristyle quadrangulaire ordonnait l’en­ semble de la pars urbana (fig. 393) : on entrait dans celle-ci après avoir traversé une grande cour réservée à l’exploitation du domaine ; apparem­ ment dépourvu de toute colonnade de façade, le bloc d’habitat présentait une rigoureuse axialité, depuis le vestibulum (3) jusqu’au triclinium (31). Bien que le détail des fonctions ait été peu expli­ cité ou mal compris, on peut admettre que la partie la plus intime de la villa se situait au-delà de la limite nord-est du quadrilatère refermé autour du portique (salles 76 à 87), avec des aménagements de confort (salles chauffées) non négligeables ; dans la cour du nord-ouest se déployaient sans doute les logements de la domesticité et du vilicus. Dès cette phase il est possible d’évaluer à une cinquantaine le nombre des pièces de la partie résidentielle, cependant que le secteur rural de la villa occupait une aire de 800 x 225 m. Au rv* siècle, au terme de son développement, et plus précisément à la suite de

L a VtUA,-«FRWCllJR£Pl| OtJOTTfPION, DE PROFrr e j de plais ANCE

deux campagnes de construction assez peu dis­ tantes l’une de l’autre, elle devient une résidence somptueuse à laquelle on accède par une vaste cour d’honneur en fer à cheval (fig. 394) de près de 60 m dans sa plus grande largeur ; cette struc­ ture singulière évoque par anticipation les ailes des portiques antérieurs des villas vénitiennes de la fin du XVI' siècle ; mais au-delà de ce rappro­ chement formel dépourvu de signification, on songera au goût des grands propriétaires de la fin de l’Antiquité en Aquitaine pour les éléments d’accueil curvilignes à l’entrée de leurs domaines (c’est le cas, par exemple, du premier « vestibule » du dernier état de la villa de Lalonquette). Dans sa dernière version la villa de Montmaurin s’organise toujours autour d’un grand péristyle, qui détermine l’axe de l’ensem­ ble de la composition. Celle-ci s’achève par un appartement centré sur une seconde cour inté­ rieure : en surélévation par rapport au reste, il apparait tout entier concerté pour ménager des vues en perspective à travers l’enfilade des salles et des portiques ; un petit jardin pourvu d’une abside en constitue l’élément terminal. Cette ordonnance, qui déploie sur plus de 120 m une suite de pièces et d’espaces rigoureusement alignée, relève assurément d’un parti architectural à la fois simple dans sa conception et recherché

dans le détail, qui procède d’un sens aigu de la représentation. Pour terminer cette revue rapide des différents modes de développement, nous envisagerons deux sites hispaniques, l’un en Espagne et l’autre au Portugal, qui présentent l’originalité d’avoir, à un moment donné de leur évolution, intégré un atrium. Nous avons déjà examiné le cas singulier de la villa d’El Ruedo. Ces deux exemples, analy­ sables sur la longue durée, peuvent aider à comprendre la signification de ce genre de struc­ ture, inattendue et de toute façon fort rare dans l’architecture des villas provinciales. A Torre Llauder (Matarô), au nord-est de Barcelone, a pu être exploré, et partiellement conservé, le secteur central d’une villa de taille moyenne construite entre 15 av. J.-C. et le chan­ gement d’ère sur l’emplacement d’un atelier d’amphores Pascual 1 et Dressel 2/4 dont trois fours ont été retrouvés. Les pièces de cette phase augustéenne étaient disposées symétriquement de part et d’autre d’une petite cour d’entrée (1 de la fig. 395) au sol en terre battue ; vers l’arrière ont été identifiés les vestiges d’un péristyle, et dans l’angle nord-ouest ceux d’un balnéaire ; une base de statue honorifique dédiée à un G. Marius Aemilianus fournit peut-être pour la fin du Ier siècle le nom de l’un des propriétaires. C’est à l’époque sévérienne que la villa connaît sa plus

11. L es

345

Fig. 394. Lavilla de Montmaurin dans sa dernière phase, par G. Fouet.

grande extension : des salles de réception pour­ vues de riches mosaïques (2, 5, 7 de la fig. 396) sont aménagées autour de l’espace (1) qui se transforme pour l’occasion en un atrium corin­ thien doté de six colonnes autour de Yimpluvium (fig. 396). Il est clair qu’à partir de ce moment le possesseur du domaine a voulu conférer à la pan urbana l’aspect d’une véritable domus : même si la situation de Yatrium au contact immédiat du seuil d’entrée n’est guère canonique et l’assimile à un vestibule, la succession a trium-péristyle, le second étant joint au premier par un long corridor recti­ ligne, véritable « andrem » au sens vitruvien du terme, exprime aux yeux du visiteur le degré d’assimilation auquel ce notable de Tarraconnaise estime être parvenu ; cette assimilation est évidemment inséparable d’une promotion écono­ mique dont les tapis mosaïqués des salons et des triclinia adjacents témoignent avec éclat. Il n’est pas indifférent de noter qu’au cours de la même phase s’achève l’aménagement du balnéaire qui comporte désormais un frigidarium dallé d’un opus sectile Ae marbre (14), un tepidarium (15), un calda­ rium (16), des latrines (20), une pièce de service (19) ouverte sur le praefurnium et, probablement, un apodyterium (13 ou 12). A Torre de Palma (Alto Alentejo), en Lusitanie, sur le territoire du Portugal, une équipe américaine a repris l’étude de l’une des plus vastes villas de la Péninsule ibérique, dont les structures résidentielles et agricoles se répartis­ sent sur plus de 2 ha (fig. 397). Dès la phase d’im­ plantation, à la fin du I" siècle, la pars urbana se présente comme une maison à atrium : elle ne comporte alors, outre les pièces réparties autour de cet élément qui fonctionne vraiment comme le cœur de l’habitat et auquel on accède par de véri­ tables fauces, qu’une cour située à l’est, apparem­ ment réservée à l’habitat servile et aux activités agricoles de production ou de stockage. Une seconde campagne de construction, vers le milieu du IIe siècle, aboutit à l’ouverture d’une grande cour à l’ouest, bordée à son extrémité occidentale d’installations rustiques spécialisées, tel un pres­ soir à huile ; dans la partie sud de ces nouveaux aménagements, une sorte A'horreum précédé d’un portique abritait peut-être aussi le logement du vilicus. Pour autant la première cour ne semble pas avoir perdu sa vocation agricole, puisque l’ha­ bitat du dominus se développe, lors d’une troi­ sième phase datable de la seconde moitié du IIIe siècle, sous la forme d’une domus à péristyle qui double la précédente à l’est. Au terme de son évolution, cette villa, qui de surcroît est dotée de deux balnéaires, l’un à l’extrémité orientale du complexe, en liaison avec la maison à péristyle, l’autre à l’ouest, au-delà des aménagements tech­ niques de la cour occidentale, revêt l’aspect, du moins pour sa pars urbana, d’une maison pourvue

L a villa , stru *j|rç*noN, de profit et de plaisancé

de tous les éléments requis par les nécessités de la vie sociale la plus brillante : l’hôte qui entrait par les fauces rencontrait d’abord, selon le schéma le plus traditionnel des demeures italiques, un groupe de pièces réparties autour d’un atrium corinthien pourvu de huit colonnes, puis un péris­ tyle orné d’un bassin central sur lequel ouvraient, en position axiale, des salles de récep­ tion, dont un grand aeus à annexes absidées qui s’apparentait à un espace triconque ; cette salle, caractéristique des triclinia à stibadium dont K. M. D. Dunbabin a montré qu’ils étaient carac­ téristiques des résidences de l’Empire tardif, ne semble pas avoir nui à la grande salle à manger quadrangulaire située sur le côté nord du péris­ tyle ; sa mosaïque de pavement présente des scènes diverses, dont un triomphe de Bacchus et Fig. 396. La phase sévérienne de la pars urbanade la même villa, par

Fig. 397. Plan général de lavilla de Torre de Palma, par S. Maloney et J. Haie.

11. L es M m ^FW ^m 0V lN W lB ltG lt?»rrA LES

347

Fig. 398. Lavilla deTorrox. El Faro (Mélagal, d'après J.-G. Gorges.

un groupe de Muses, qui cependant ne semblent pas dessiner au sol le plan traditionnel des tricli­ nia, dont l’aire périphérique est en principe réser­ vée aux lits de table. Quelles que soient les questions que suscite encore une telle villa pour le détail de son instal­ lation, il nous paraît essentiel que l’orientation définie par le premier habitat à atrium ait déter­ miné les axes du développement ultérieur, et particulièrement celui du groupe de pièces répar­ ties autour du péristyle : malgré le délai d’environ 150 ans qui sépare la première de la troisième phase, la cohérence du parti de la domus ne s’est pas démentie, preuve supplémentaire de la puis­ sance de celui-ci et du rôle qu’il a joué pendant des siècles, dans l’imaginaire des notables provin­ ciaux, tant en milieu urbain qu’en milieu rural. On notera cependant pour conclure cette réflexion que les villas à atrium restent peu nombreuses dans la Péninsule ibérique : outre celles que nous avons examinées, nous ne connaissons que l’établissement de Torrox, El Faro (Mâlaga) (fig. 398), de La Quintilia (Lorca, Murcia) et de Pisôes (Beja).

B I B L I O G R A P H I E

Synthèses régionales

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11. Les im tlA g BSTKc(VlÑttr(Wl«aiM3líTALES

349

chapitre 12

Les villas impériales

I n tr o d u ctio n Il peut paraître arbitraire de séparer les rési­ dences non urbaines construites pour les empe­ reurs, de la série des villae urbanae des deux premiers siècles de notre ère. Le changement d’échelle n’entraîne pas forcément un change­ ment de nature, et beaucoup d’études antérieures ont montré comment les aménagements de ces villas procédaient souvent des mêmes goûts et des mêmes modes que ceux des riches domaines contemporains. C’est un fait indéniable, et nous avons déjà relevé des concordances similaires, avec, selon les cas, des phénomènes d’anticipa­ tion ou de reproduction, dans l’analyse des palais urbains et des grandes domus. Mais la villa impé­ riale considérée dans son ensemble et non plus seulement dans le détail de ses composantes, indépendamment de certaines créations que leur ampleur, leur luxe ou leur audace rendent inac­ cessibles à des commanditaires non officiels, présente des caractères structurels singuliers : d’abord les exigences de la vie de cour, mais aussi de la sécurité apparaissent sans commune mesure avec celles de la plus importante des familiae particulières ; loger, nourrir, distraire un person­ nel de plus en plus nombreux, assurer la protec­ tion de l’empereur et de ses proches imposent des infrastructures et des installations beaucoup plus complexes que dans n’importe quelle résidence sénatoriale. Ce n’est d'ailleurs pas un hasard si les textes anciens recourent volontiers, pour évoquer les lieux de séjour non urbains des empereurs, au terme de praetorium : le mot désigne d’abord la tente du général et ses abords immédiats dans un camp légionnaire, puis la résidence du gouver­ neur dans une capitale provinciale ; c’est donc par abus de langage que les traducteurs rendent praetorium comme un équivalent de villa, ou tout au plus lui confèrent le sens de « maison de campagne », dans les passages où Suétone évoque les résidences non romaines d’Auguste (Divus Augustus, 72, 5), de Tibère (Tiberius, 39, 2, à propos de Sperlonga) ou de Caligula (Caligula, 37, 4). L’historien entend évidemment par là des sites hautement protégés où la garde prétorienne du

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Princeps avait des cantonnements, et où la villa proprement dite n’était que l’élément résidentiel d’un dispositif plus ample à forte tonalité mili­ taire. En second lieu, la villa impériale, qui semble avoir été d’abord, malgré tout, un séjour de retraite ou de délassement, même si sous étroite surveillance, devient dès la fin du I" siècle ap. J.-C. l’un des sièges d’où s’exerce effectivement le pouvoir , où la chancellerie et au moins certains services palatiaux trouvent le moyen de poursui­ vre leurs activités lorsque l’empereur y réside. La tendance se dessine à la villa de Castel Gandolfo où Domitien affirme progressivement que ce type de demeure n’est pas seulement, si tant est qu’il l’ait jamais été, un locus privatus, mais une institu­ tion du Principat. La situation sera, de ce point de vue, encore plus nette à la Villa Hadriana de Tivoli ÇTibur) où le système autarcique mis en place par l’empereur philhellène trouvera l’une de ses expressions les plus élaborées. C’est là une dimension qui a souvent été méconnue, et dont la prise en compte modifie sensiblement l’idée que nous sommes en mesure aujourd’hui d’avoir de ces édifices complexes. Enfin et surtout les villas impériales sont conçues comme des lieux haute­ ment symboliques : l’architecture et les program­ mes iconographiques auxquels elles servent d’écrin ne sont plus seulement porteurs de signes culturels ; les références à l’hellénisme, quand elles existent, ne visent pas, du moins pas seule­ ment, à accroître le prestige des bâtiments ou des espaces en manifestant la familiarité réelle ou supposée du propriétaire avec les écoles philoso­ phiques ou les grands sanctuaires grecs, comme ce fut si souvent le cas dans les villas des riches représentants de la nobilitas à la fin de la République. Il s’agit plutôt ici d’affirmer des prétentions dynastiques, d’évoquer des généalo­ gies mythiques et, dans les complexes les plus développés, d’exprimer une conception du pouvoir et l’image que les empereurs veulent éventuellement donner du monde qu’ils sont censés maîtriser. Cet aspect essentiel, et spéci­ fique, est évidemment l’une des conséquences et non des moindres de l’évolution de la villa impé-

W A » f S T R P . T F W if S h n o N , de profit et de . PIAISAUCE

Fig. 399. Planimétrie quadrillée de Porta, d'après C. Calci et

riale comme siège du gouvernement, mais nous constaterons qu’il est présent dès le début du Principat dans les résidences julio-claudiennes. Nous n’oublierons pas pour autant que notre jugement reste en grande partie conditionné par les hasards de la survivance : la Villa Hadriana est certes, en l’état actuel des connaissances, une merveille sans équivalent dans l’ensemble du monde antique mais son caractère apparemment unique serait sans doute à réévaluer si tant d’au­ tres établissements du même genre n’avaient pas disparu. Songeons seulement à la Villa Magna située sur les pentes des Monti Lepidi, entre Sgurgola et Segni (Latium), dont il ne reste rien : résidence des empereurs antonins, elle avait nécessité, si l’on en croit une inscription d’Anagni (Anagnia), la construction d’une voie d’accès parti­ culière, dont encore au début du IIIe siècle Septime Sévère, Caracalla et Geta assurent à leurs frais l’entretien (CIL, X, 5909) ; une lettre pitto­ resque du jeune Marc Aurèle à son maître Fronton (Epist. IV, 4) décrit le voyage de Rome à cette villa. Mais nous savons aussi grâce à Tacite (Annales, IV, 67, 5) que Tibère ne s’était pas fait construire moins de 12 villas énormes sur File de Capri, dont Juste-Lipse, au prix d’une correction minime du texte latin, considérait que chacune, à l’instar de la fameuse VillaJovis (villa de Jupiter) citée par Suétone (Tiberius, 65, 6) était dédiée à l’un des grands dieux du Panthéon. Même en faisant la part d’une tradiüon historiographique

défavorable à Tibère, il est certain que la rési­ dence de Santa Maria del Soccorso qu’on lui attri­ bue sur cette île n’était pas la seule dont il pût disposer. Et que dire du Palatium de Baies en Campanie où semble s’être développé sous les empereurs sévériens une somptueuse villa mari­ time dont des équipes d’archéologues italiens s’emploient à retrouver des vestiges, aujourd’hui sous-marins en raison des phénomènes de bradysisme qui affectent cette partie de la côte tyrrhé-

L e s J u lio -C la u d ie n s La villa ad Gallinas, au IXe mille de la via Flaminia au nord de Rome, près du site de Prima Porta, appartient à cette série de résidences dont les vestiges sont trop modestes pour en autoriser une vison d’ensemble ; et pourtant elle constitue une « tête de série » très significative. Certes les fouilles de 1863, pourtant fructueuses quant aux trouvailles d’oeuvres d’art, ont laissé peu de struc­ tures accessibles et les recherches qui ont été de nouveau entreprises sur le site à partir de 1982 ne permettent pas encore d’avoir une idée précise de son ordonnance (fig. 399). Mais le peu qu’on en déchiffre est important : nous avons là un exem­ ple rare d’une résidence suburbaine entrée très tôt dans le patrimoine impérial et aménagée selon des exigences de représentation tout à fait nouvel-

» CSs

Wtïm ©

^ riales

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Fig. 400. Le secteur de le même villa dégagé lors des fouilles de ces dernières décennies, d'après C. Calci et G. Messineo.

les. Cette villa joue en fait un rôle symbolique dans la naissance et la perpétuation du Principat puisqu’elle doit son nom au « miracle de la poule blanche », qui, selon Pline (HN., 15, 136) et d’au­ tres auteurs, annonça à Livia Drusilla, la future Livia Augusta, alors promise à Octavien le futur Auguste, un destin exceptionnel ; et plus tard, si l’on en croit Suétone (Galba, 1, 1-2), chaque empereur conserve l’habitude d’y planter un olivier après avoir été honoré du triomphe, l’ar­ bre dépérissant à l’approche de sa mort. Ces légendes n’ont d’autre intérêt que d’établir dès le début du Principat un lien étroit entre ce type de résidence et l’accession au pouvoir. Les substructions de cette villa, dont subsiste un angle muni de puissants contreforts au-dessus de la via Tiberina, témoignent de son appartenance à la série des résidences munies d’une basis, dont nous connaissons divers exemples à la fin de la République. Les fameuses peintures qu’on admire aujourd’hui au Palazzo Massimo de Rome, et qui offrent, avec la représentation d’un jardin luxuriant, le plus bel exemple de la déco­ ration pariétale du IIIe style (deux dernières décennies av. J.-C.), ont été détachées en 1951 d’une pièce voûtée en berceau partiellement creusée dans la roche, qui appartient au secteur sud-ouest de la villa. Les fouilles des années 80

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ont dégagé un autre ensemble qui paraît centré sur un vaste atrium (G de la fig. 400) ; mais d’une part il reste impossible de situer ce groupe de pièces dans une séquence cohérente, et d’autre part les techniques de maçonnerie ainsi que les mosaïques noires et blanches qui ornent certains sols suggèrent des phases d’aménagement diffé­ rentes, échelonnées entre le milieu du I" et le milieu du II' siècles ap. J.-C. L’attribution de cette résidence à la dynastie julio-claudienne et la durée de son occupation sont confirmées par des conduites de plomb estampillées au nom de Tibère et par une série de portraits impériaux dont le plus récent appartient à Septime Sévère. Mais on retiendra surtout qu’à proximité de la façade de la villa tournée vers le Tibre fut retrou­ vée en 1865 la fameuse effigie d’Auguste dite de Prima Porta, où le Princeps, cuirassé mais pieds nus, porte sur la poitrine une évocation de la resti­ tution des enseignes prises par les Parthes à Crassus ; cette opération, qui eut lieu en 20 av. J.-C., et dont la propagande augustéenne sut tirer un immense parti, n’est que l’une des composan­ tes d’un relief dont G. Samon a montré qu’il transposait la description virgilienne du bouclier d’Énée (Énéide, VIII, v. 625 sq.) ; quant au portrait lui-même, il emprunte au modèle polyclétéen du « Doryphore » la sérénité du visage et l’idéalisa-

L a villa, strucfü Rejîe domination , de profit et de plaisancï

Fig. 401. Proposition de reconstitu-

tion des formes (fig. 401). La présence d’une telle statue, qui reproduit sans doute fidèlement un original colossal, peut-être de bronze, témoigne de la précocité avec laquelle les signes sacralisés du nouveau pouvoir ont été intégrés aux programmes iconographiques des résidences offi­ cielles. Le lien entre l’effigie elle-même et la tradi­ tion relative aux lauriers plantés dans cette villa, postulé par E. Simon, donne à entendre que toutes les ressources de la légende et de l’art pouvaient être convoquées pour multiplier dans ces lieux « privés » les symboles les plus éclatants de la « légitimité » du nouveau pouvoir. La même observation vaut du reste, si l’on préfère mettre dans la main droite de cet Auguste une partie des enseignes {signa) récupérées sur les Parthes à la place du rameau de laurier, comme le propose P. Zänker : le lien de la villa avec le principal monument de la Rome augustéenne, le temple de Mars Ultor, construit précisément pour accueillir les signa recepta, serait dans ces conditions encore On ne saurait cependant attendre des villas d’Auguste une rupture radicale avec leurs homo­ logues de la fin de la République : si nous connaissions ses autres résidences, ostensible­ ment modestes selon Suétone {Divus Augustus, 72, 6 : praetoria modica), et particulièrement celle de Nola, près de Naples, où il mourut, nous pour­ rions nous en convaincre aisément. Il était dans la nature même du Princeps, et dans la forme de gouvernement qu’il avait élaborée, de s’inscrire au moins formellement dans la tradition italique ; ce que nous savons de sa domus du Palatin le confirme (supra, p. 238 sq). Les choses changent rapidement toutefois, et Tibère son successeur donne à ses villas une importance politique et idéologique que nul avant lui n’eüt imaginée : dès 19 et jusqu’en 26 ap. J.-C. il ne réside pas sur le Palatin mais, dit Tacite, dans l’arrière-pays ou sur le rivage (Annales, IV, 58, 5 : propinquo rure aut litore), c’est-à-dire, fréquemment, dans sa villa de Sperlonga ; ensuite et jusqu’à sa mort en 37 il gouverne depuis Capri (Suétone, Tiberius, 40 sq). La villa de Sperlonga est assurément l’ime des rares où l’on peut aujourd’hui prendre la mesure de la singularité des choix effectués par un commanditaire nourri de culture grecque mais aussi imbu de son pouvoir et soucieux de sa mise Décrivant la côte du Latium méridional entre Terracine et Gaète, Strabon parle des « immenses grottes » qui ont été aménagées en de vastes et somptueuses résidences (V, 3, 6). Ce que Suétone appelle par ailleurs le praetorium Speluncae, près de Terracine (Tiberius, 39), a été reconnu depuis longtemps comme la villa de Sperlonga de Tibère, où l’empereur faillit mourir écrasé sous les blocs qui s’étaient détachés de la paroi d’une

par E. Simon.

grotte - triclinium, dans laquelle il dinait avec de nombreux convives, en 26 ap. J.-C. A s’en tenir à ces premières indications, on pourrait se croire en présence de l’une de ces villas maritimes dont nous avons évoqué plus haut la fréquence sur le littoral tyrrhénien (supra, p. 302). De par sa posi­ tion, la résidence tibérienne de Sperlonga appar­ tient effectivement à cette série, mais elle se distingue de toutes les autres par sa conception globale. Propriété de la mère de l’empereur, qui la tenait probablement de son grand-père mater­ nel M. Aufidius Lurco, elle présente des vestiges datables du début du Ier siècle av. J.-C. ; mais dès qu’elle fut entrée dans le domaine impérial, elle subit des transformations radicales : le premier soin de Tibère fut de la doter, au nord, d’une caserne pour les soldats de sa garde ; ce qui est souvent décrit comme un ensemble de cubicula disposés autour d’un péristyle est en réalité, comme on l’a encore récemment montré B. Andreae, un cantonnement où l’on peut iden­ tifier du reste, sur toute la frange méridionale, une série d’écuries adossées au mur de fond d’un portique, et dont certaines ont conservé leurs mangeoires (fig. 402). Cet aménagement, dissi­ mulé à la vue du côté de la mer par une énorme porticus à deux nefs, désigne d’emblée ce praeto­ rium pour ce qu’il est, c’est-à-dire non point un simple lieu de villégiature, mais une résidence

1 2 /Lee vjlcasi impériales

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deTibère è Sperlonga sur le littoral, d'après B. Andreae. officielle du Princeps et de sa cour. Ensuite seule­ ment, vers la mer, commence la villa proprement dite et se développe ce que H. Lavagne appelle avec raison une « architecture de plaisance » extrêmement raffinée, dont nous ne saisissons malheureusement pas tous les éléments, car le domaine est loin d’avoir été fouillé ou même seulement repéré dans toute son extension. Parmi les constructions, portiques, pavillons, fontaines qui, selon les observations de F. Fasolo, se répartissaient le long de la mer en exploitant au mieux le relief naturel, les grottes semblent avoir occupé une position prépondérante ; sans nous arrêter au petit nymphée quadrangulaire qui s’ouvre à l’ex­ trémité orientale d’une ambulatio située au pied du portique déjà mentionné, nous nous rendrons tout de suite dans ce qui constitue, au contact du rivage, le noyau principal de la composition, à savoir le bassin quadrangulaire initialement

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rempli d’eau salée et les deux grottes (speluncae, auxquelles le site actuel de Sperlonga doit son nom) qui le prolongent vers le sud-est (fig. 403). Cet ensemble n’est pas une simple diaeta de jardin ; il constitue à n’en pas douter la cellule autour de laquelle s’ordonnent les points de vue, et que les autres constructions servent seulement Au centre du bassin s’élevait un pavillon dans le podium duquel s’ouvrent des niches voûtées, qui ont peut-être servi de nids pour des canards, selon la description que Varron donne de sa propre « volière ». Mais ce pavillon servait quant à lui de cœnatio ou salle à manger d’apparat, réser­ vée à la saison d’été : les convives, installés sur des lits disposés en U sur la plate-forme, avaient les yeux tournés non pas vers la mer, mais vers le bassin circulaire qui prolongeait celui au centre duquel ils se trouvaient, et au-delà vers la grotte

L a villa , stru ctu re de dom ination , de profit et de plaisance

principale (C, C 1, C2 de la fig. 403) ; ils avaient vue aussi vers la grotte secondaire (A, B de la fig. 403), ces deux cavités étant reliées en un mouvement proprement scénographique par le bassin circulaire qui les longe en façade. Cette organisation, uniquement vouée au plaisir des yeux, reléguait à la périphérie les inévitables viviers des villae maritimae : ils sont ici cantonnés dans l’anfractuosité H, hors des axes du prospectus. Ce qui nous intéresse plus particulièrement est le choix très concerté de la position de la cœnatio, îlot tricliniaire ancré à l’endroit exact d’où les dîneurs peuvent embrasser d’un seul regard le spectacle offert par les groupes statuaires situés dans les écoinçons et au centre du bassin circu­ laire, et surtout savamment répartis dans la grotte principale. Celle-ci, à la différence de la grotte secondaire enüèrement maçonnée sur ses parois internes, a conservé son aspect naturel, aucune correction ou construction humaine n’ayant modifié les caprices de ses anfractuosités ou aspé­ rités ; les rares éléments maçonnés restent dis­ crets : il s’agit d’escaliers placés de part et d’autre de l’entrée, et d’un vaste podium revêtu de pierre ponce (pumex) qui divise la cavité en deux espaces bien distincts. Nous parlions de spectacle ; si l’on doutait encore de la finalité d’une telle ordonnance, les cinq sièges confortables munis de dossiers qui, dès l’entrée de la piscine circulaire, sont creusés dans la roche, suffiraient à la confirmer. Ce sont là des lieux moins de repos que de contempla­ tion, aménagés eux aussi en fonction de la posi­ tion des sculptures. Celles-ci comptent parmi les œuvres les plus accomplies que nous ait livrées la fin de la période hellénistique ou les premières années de l’Empire. Sans entrer ici dans une description détaillée, et encore moins dans le débat extrêmement polémique relatif à la date et aux circonstances de leur réalisation, nous rappel­ lerons seulement que les deux groupes princi­ paux sont celui du centre du bassin circulaire et celui de la grotte C. Le premier représente l’épi­ sode du monstre Scylla attaquant le navire d’Ulysse ; cette composition saisissante, dont F. Coarelli a pu montrer la cohérence au terme d’une analyse éclairante, témoigne de l’interven­ tion du sculpteur au moment de la mise en place des statues sur l’îlot : pour que l’ensemble pût être appréhendé dans les meilleures conditions par les spectateurs situés à l’ouest, Scylla a été placée parallèlement à la coque du navire, contraire­ ment à ce qu’on observe sur les autres représen­ tations de cette légende (fig. 404). Le second groupe est celui de l’aveuglement de Polyphème par Ulysse et ses compagnons ; son ampleur, et sa situation à l’intérieur de la cavité naturelle dési­ gnent celle-ci comme 1’antrum Cyclopis, l’antre du Cyclope décrit au chant IX de l’Odyssée

Fig. 403. La « grotte deTibère »à Sperlonga, d'après B. Andreae. (fig. 405). La vision à la fois baroque et livresque de ces images colossales où tous les prestiges de l’art hellénistique parvenu à son plus haut degré d’expressivité sont ici mis en œuvre ne répond pas seulement à une passion - réelle chez Tibère - pour les sites et les épisodes de la vie d’Ulysse ; même si le poème rédigé par un certain Faustinus Felix, retrouvé sur une plaque de marbre à l’inté­ rieur de la grotte, établit un parallèle entre l’art de Virgile et celui du sculpteur, en donnant la palme à ce dernier, même si Sperlonga se trouve au

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Fig. 404. Hypothèse de reconstitu­ tion du groupe de la Scylla par B Andreae et B. Conticello.

terme desquelles il entend prouver que Tibère manifestait ainsi sa déférence à l’égard d’Ulysse, ancêtre supposé de la gens Claudia, on peut admettre, avec G. Sauron, que l’organisation de l’ensemble, autour d’un bassin circulaire couvert en coupole se prêtait à une lecture astrologique. C’est tout le complexe naturel, construit et sculpté, qui retrouverait ainsi son unité : derrière l’apparence des aventures d’Ulysse, T ib ère proposait à ceux de ses hôtes qui étaient dignes d’en être instruits, par un jeu subtil de signes et d’échos, une image de son propre destin, en homme qui, selon Suétone, « se moquait des dieux et de la religion, et était habité par la conviction que tout est régi par le fatum » (Tiberius, 69). Et ce qui compte pour notre propos, bien que la question de savoir si les groupes homériques de Sperlonga sont des originaux ou des copies ne puisse, en l’état actuel des données disponibles, être tranchée avec certitude, c’est qu'un site naturel aménagé, intégré à une compo­ sition très ambitieuse, ait servi de cadre à leur mise en scène, avec toutes les harmoniques savantes, mais aussi dynastiques qu’on peut leur prêter : la villa de Sperlonga, centrée sur cette extraordinaire « grotte », inscrit la démonstration, ou du moins la revendication d’un pouvoir légi­ time et cosmique dans l’écrin d’une nature maîtri­ sée où les mythes fondateurs se trouvent projetés hors du temps par leur insertion dans un contexte

Fig. 405. Restitution des groupes statuaires dans la grotte C, par B. Andreae et B. Conticello. cœur de l’itinéraire homérique, puisqu’on aper­ çoit du rivage le Circeo, siège de la magicienne Circé, et qu’un peu plus au sud sévissaient les redoutables Lestrygons, la signification de l’en­ semble ne s’épuise pas en termes exclusivement littéraires. Il ne fait aucun doute que cette « Odyssée de marbre » a aussi pour le maître des lieux une portée politique ou au moins symbo­ lique : même si l’on n’est pas disposé à suivre B. Andreae dans les méandres des hypothèses au

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La leçon ne sera pas oubliée. Plus explicite, et donc à certains égards moins savant parce que moins ésotérique, le nymphée au Polyphène de la villa de Claude à Baies, découvert et exploré à partir de 1981 par 7 m de fond au lieu-dit Punta Epitaffio, reprend le même discours. Initialement cette salle magnifique, de plan rectangulaire, dominée par une abside semi-circulaire suréle­ vée, était voûtée en berceau ; elle s’ouvrait au niveau de la mer, à l’étage inférieur de la rési­ dence impériale et l’on y accédait en barque par un canal. Version monumentalisée, et totalement construite, avec de somptueux placages marmo­ réens, de la grotte de Sperlonga, elle accueillait aussi les dîneurs (fig. 406). En son centre un bassin entouré des lits de table, les klinai, formait un triclinium classiquement disposé en U ; entre les murs périmétraux et le podium réservé aux convives régnait un canal où circulait l’eau proje­ tée par les statues faisant office de fontaines. Ces statues étaient l’ornement essentiel de cette ccenatio maritima ; elles lui conféraient sans aucun doute, aux yeux du souverain, sa valeur et son sens. L’immersion précoce, par bradysisme, de l’ensemble de la structure, a assuré sa conserva­ tion dans des conditions telles que le programme iconographique, en dépit de regrettables dispari­ tions, peut être reconstitué et, ce qui est plus rare,

La v i l l a , STRUciyrEK p ç d o m lU a o o n , d e p r o f i t e t d e p la isa n c e

pour l’essentiel remis en place. Dans l’abside, B. Andreae a reconnu, malgré l’absence du Cyclope, la scène odysséenne de l’aveuglement de Polyphénie et dans les niches des murs laté­ raux il a identifié les effigies d’Antonia Minor, la mère de Claude, munie du diadème qui la dési­ gne comme une Augusta, Octavie et Britannicus, les enfants nés de l’empereur et de Messaline ainsi que deux statues de Dionysos. La série devait être plus ample et la présence, postulée par le même archéologue, des membres disparus de la même famille, dont Livie, est probable. Ce qui nous parait digne d’être retenu ici, c’est que la salle d’apparat la plus richement ornée de cette villa maritime de Claude avait tout entière été conçue pour établir un lien directement déchif­ frable entre la généalogie réelle et les origines mythiques de la dynastie. Pour en revenir à Tibère, son autre grande résidence, la VillaJovis (ou Jouis), exprime avec la même efficacité mais sous une forme très diffé­ rente la conception que le successeur d’Auguste se faisait du pouvoir : sa position même, à l’extré­ mité orientale de l’île de Capri, en face de la péninsule de Sorrente, sur un promontoire battu par les vents qui domine la mer de plus de 300 m, suscite un sentiment de grandeur mais aussi d’iso­ lement. Le site offre un cadre idéal à la personna­ lité inquiétante de celui qui y passa, dans le stupre peut-être, si l’on en croit Suétone, dans une soli­ tude à la fois hautaine et craintive assurément, les dix dernières années de sa vie. Devenue à titre permanent, pendant toute la dernière partie du règne, le véritable siège de la cour mais aussi de l’administration, en dépit des contraintes extrê­ mes imposées par le relief et le climat - en parti­ culier pour ce qui concerne l’approvisionnement en eau - cette villa, dont nous ne connaissons qu’une partie, présente des structures uniques en leur genre. Les seules véritables fouilles effectuées sur le site en 1932-35 par A. Maiuri ne furent jamais publiées, mais l’étude vient d’en être reprise par l’équipe de Cl. Krause, qui prépare une monographie complète. Le seul plan dont nous disposions - celui qui est toujours publié - fait apparaître, en position centrale dans une ordonnance compacte, une énorme citerne quadrangulaire constituée de quatre réservoirs qui couvrent une superficie de 900 m2 (fig. 407 et pl. XI) ; leur profondeur, qui atteint plus de 13 m, suppose une capacité de stockage énorme ; mais si l’on observe que les enduits d’imperméabilisation ne remontent pas à plus de 5 m depuis le fond, il devient clair que la hauteur des murs de cette citerne a été en grande partie déterminée par leur fonction de substruction : ils soutiennent les niveaux d’occupation et les superstructures principales de la résidence. Dès lors le problème posé par ces vestiges à la fois

Fig. 406. Le nymphée de lavilla submergée de Punta Epitaffio, d'après B. Andreae. imposants et énigmatiques est double : c’est d’abord celui du plan, et ensuite, corollairement, celui des élévations restituables. Compte tenu des dénivellations qui cernent la plate-forme, particu­ lièrement au sud et à l’ouest, et qui sont rattrapées par un jeu complexe d’escaliers, de rampes et de paliers intermédiaires, il est difficile de savoir à quelle cote se situaient les constructions principa­ les, et comment se superposaient les étages sur les franges du noyau défini par le bloc des citernes. On admet que la « loggia impériale » doit être cherchée au nord, avec un accès direct à \'ambu­ latio qui suit à l’extrémité de l’édifice un axe estouest, qu’une vaste exèdre panoramique, munie de sept baies, s’ouvrait à l’est, que des thermes et des cuisines occupaient l’aile méridionale. Ainsi sommairement définie une telle organisation semble évoquer celle d’autres résidences pour­ vues également de structures panoramiques semicirculaires, telle la « Villa des Mystères » près de

12.

(UESWlUkAH IMPÉRIALES

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Fig. 407 Plan et coupe de la Villa Jovis deTibère à Capri.

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L a VILLA, STRUCTlKSfî p ç POMüfalJON, DE PROFIT ET DE PLAISANCE

Pompéi (supra, p. 294), la villa dite de la Famésine sur la rive droite du Tibre à Rome ou, à Pandataria, la villa de Punta Eolo (fig. 335) ; mais le plus souvent l’exèdre marque le terme de l’axe médian du corps principal. Ce n’est nullement le cas ici, où l’exèdre de la façade orientale constitue seulement une saillie sur le bloc quadrangulaire sans dominer aucune séquence axiale. Le plan, tel qu’il peut être restitué, est celui d’une villa centrée sur un portique - celui-ci occu­ pant l’espace des citernes. Mais il faut « projeter » cette ordonnance vers le haut : alors que les struc­ tures conservées ne dépassent guère 15 à 20 m en élévation, les espaces de vie et de représentation se situent à au moins 30 m au-dessus du niveau du sol rocheux environnant, que l’angle sud-ouest devait même dominer de 40 m. C’est ce que Cl. Krause appelle les niveaux 6 et 7, dont il propose une restitution très vraisemblable {fig. 408 et 409). L’aile nord semble avoir été réservée aux appartements privés de l’empereur ; ayant vue à la fois sur le golfe de Naples et sur le

quadriportique central, ils étaient desservis par une sorte de couloir transversal sous portique, véritable « pastas », elle-même ouverte sur l’aile la plus large du péristyle, qui mérite ainsi d’être appelé « rhodien » selon la définition vitruvienne la plus stricte (VI, 7, 3). L’aile orientale s’ordonne autour de Pexèdre, qui apparaît décentrée par rapport au péristyle. L’aile sud accueillait sans doute les bâtiments administratifs, avec une salle d’audience absidée, et plusieurs pièces qui pouvaient abriter les services de la chancellerie impériale ; on notera le large couloir, cette fois vers le nord, qui règne devant cette série de salles et donne accès à un autre groupe de pièces situées en retour sur l’aile ouest. L’essentiel de cette dernière, réduite au niveau supérieur à un portique assez étroit, était occupé par la superpo­ sition des cellae, pièces de dimensions réduites réparties sur au moins cinq étages, qui peuvent avoir joué le rôle A'hospitalia mais aussi, plus probablement, de logements pour les prétoriens (fig. 410).

U CSs fvtKLKHS e r i a l e s

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Fig. 410. Restitutions des coupes nord-sud, àtravers l'aile ouest (en haut! et

Fig. 411. Axonométrie restituée de la VillaJovis, par Cl. Krause.

Cette description suffit à montrer que la Villa Jovis ne correspond à aucun des schémas de la fin de la République ou du début de l’Empire ; sa compacité, son absence d’axialité, l’intégration en sous-œuvre des services et des espaces réservés à la domesticité, le fait, enfin, que les entrées en soient réparties dans les angles, avec des batteries d’escaliers dont la largeur est visiblement calculée en fonction de la nature - privée, semi-publique, etc. - des secteurs auxquels ils donnent accès, font de ce complexe un cas unique. Nous ne pensons pas qu’il soit opportun d’en chercher le modèle dans l’architecture palatiale macédonienne. Sa conception d’ensemble, particulièrement claire quand on en regarde une restitution axonométrique (fig. 411), relève d’un compromis qui vise à introduire dans la villa à péristyle les éléments fonctionnels d’un « palazzo govemativo », pour reprendre l’expression de Cl. Krause, tout en exploitant au mieux, ou plutôt en compensant les

inégalités d’un terrain particulièrement accidenté. Pline ne s’y était pas trompé, qui parlait de la « citadelle du souverain », principis arx, en évoquant la pointe orientale de l’île [HN, 3, 82).

L e s F la v ie n s Les seules villas importantes dont la tradition et l’archéologie aient conservé le souvenir sont celles que le dernier représentant de la dynastie a sinon fait construire, du moins aménagées selon ses propres exigences. Martial, dans plusieurs de ses épigrammes, et en particulier en XI, 7, v. 3-4, parle de VAlbanum et des Circeii de Domitien, sans entrer malheureusement dans aucun détail descriptif. Il s’agit de la résidence des Monts Albains, aujourd’hui située à Castel Gandolfo, et de la résidence du Lago di Paola, sur le promon­ toire du Circeo, non loin de Terracine.

L a VILLA, STRUCJjOREAE r>OJtfï|JATION, de pro fit ET DE PLAISANCÊ

La seconde, identifiée par G. Lugli en 1928, occupait un vaste territoire mais reste très mal connue dans ses articulations essentielles : il semble que seule la partie occidentale, qui jouis­ sait d’une vue sur le lac et sur le littoral, ait été réservée à l’habitat et au délassement, avec des thermes au sud et au nord une vaste piscine quadrangulaire à proximité de laquelle un petit théâtre a pu s’adosser à la colline. La partie orien­ tale comportait surtout de vastes citernes, qui donnent une idée des difficultés rencontrées, ici comme à Capri, pour l’approvisionnement en eau. Mais nous ne pouvons qu’imaginer, sans disposer de bases archéologiques certaines, les autres unités d’habitation ou de service, sans doute reliées par des ambulacres plus ou moins arborés revêtant la forme et la fonction de vérita­ bles « xystes ». La villa de Castel Gandolfo, presque entière­ ment occupée aujourd’hui par la résidence d’été des papes, se prête mieux à une lecture globale, et certains de ses vestiges comptent parmi les plus imposants d’Italie centrale. Les constructions se répartissaient sur trois terrasses étroites, longues d’environ 500 m (fig. 412 et 413). Là encore, et pour les mêmes raisons, le sommet de la colline était creusé de grandes citernes. Mais cette fois l’eau stockée était celle que convoyait l’aqueduc dit de Malafitto ; elle provenait des sources abon­ dantes qui jaillissent au sud-est du lac d’Albano. Il vaut la peine de signaler que le plus grand de ces réservoirs ne mesurait pas moins de 57,70 m de long sur près de 11 m de large : les besoins aqua­ tiques d’une telle résidence étaient énormes si l’on songe aux fontaines, piscines, thermes qui en constituaient l'agrément principal. Le quartier résidentiel, qui fut partiellement dégagé à la Renaissance, est aujourd’hui totalement recouvert par la végétation ; on devine seulement qu’il se disposait autour de deux péristyles ; une cage d’escalier encore visible prouve que les salles de réception ou d’habitation y occupaient plusieurs niveaux. Une large terrasse conduisait de ce secteur dit du « palazzo », qui domine un hippo­ drome sur la plate-forme inférieure, vers le quadriportique et le théâtre situés au nord-ouest ; cette terrasse était animée de nymphées en forme de niches creusées dans le mur de soutènement situé en amont. Le théâtre, quant à lui, admira­ blement décoré de marbres colorés africains et orientaux, avait la capacité d’accueil de celui d’une ville moyenne. H. von Hesberg a pu mon­ trer qu’il était prévu dès le début de l’aménage­ ment des terrasses, puisqu’il s’insère harmonieu­ sement dans les substructions, même si, à en juger par ses modénatures, il ne fut achevé que dans la toute dernière période du règne de Domitien. Indépendamment des fragments de son front de scène qui témoignent de la qualité de son ome-

Fig. 412. Plan schématique de localisation des principales structures de lavilla de Castel Gandolfo.

Fig. 413. Le théâtre et les édifices adjacents de la villa de Castel Gandolfo, d'après G. Lugli.

m EUS VIIÜSI IMFÉRIALES

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Fig. 414. Le grand cryptoportique de la villa de Castel Gandolfo. Cliché DAI 66.2371.

mentation, la structure la mieux conservée est le corridor voûté qui passe sous la cavea ; les panneaux stuqués qui revêtent encore une partie de ses parois représentent des pavillons en perspective, caractéristiques de la peinture du IV* style. Sans doute utilisé lors des jeux annuels des Quinquatries instaurés par Domitien, il devait La villa dans ces conditions s'apparente à une sorte de second palais officiel : de même que la domus Augustana du Palatin semble avoir été conçue pour accueillir des foules importantes, à la différence de la domus Aurea de Néron, certes voulue par un mégalomane, mais organisée comme un domaine privé, la résidence de Domitien à Castel Gandolfo assume les fonctions d’une institution publique. L’empereur y recevait du reste régulièrement les sénateurs et les ponti­ fes. Il y a là un fait nouveau et irréversible qui témoigne, en ce secteur comme en beaucoup d’autres, de l’importance du règne du dernier des Flaviens, si décrié par toute la tradition historio­ graphique. Le même changement d’échelle et de fonction se manifeste dans le cryptoportique sur la voûte duquel repose une partie de la terrasse principale (fig. 414) : il se déployait sur 350 m ; aujourd’hui seuls 120 m en sont praticables, mais sa largeur de 7, 45 m et sa hauteur, qui atteint 10 m au sommet de la voûte, suscitent une impression inoubliable. Dans le tronçon septentrional, les ouvertures en

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soupirail, très hautes et terminées en arc, rendent cet énorme couloir souterrain étonnamment lumineux. Sans aller, comme le veut H. Mielsch, jusqu'à voir dans ce cryptoportique un espace de représentation utilisé par l’empereur, on peut considérer que là encore l’aspect public l’emporte sur les exigences de la circulation interne : vérita­ ble via tecta, voie de circulation couverte, et non pas simple corridor de liaison entre les diaetae comme on en rencontre tant dans les villas ordi­ naires, il peut avoir servi d’entrée monumentale à la résidence, prolongeant le diverticule de la via Appia qui précisément y conduit. L’amplification d’une structure technique transforme celle-ci en un instrument de solennisation des accès et des circuits, selon une démarche spécifique de l’archi­ tecture romaine de cette époque ; la nouveauté tient ici au fait que le processus s’applique à une demeure « privée », et non pas à un ensemble urbain. Nous ne ferons ici qu’une mention du « Ninfeo Bergantino », magistralement étudié naguère par A. Balland, qui, bien que situé à envi­ ron 2 km du noyau de la villa, sur les bords du lac d’Albano, appartient sans doute à celle-ci, et constitue une version - la troisième chronologi­ quement - de 1’« Antre de Polyphème », où ont été retrouvés des fragments de statues plus gran­ des que nature et les vestiges d’une mosaïque de sol polychrome à sujets marins.

L a VILLA, STRUarnXEJDE DO it NATION, DE PROFIT ET DE PLAISANGî

L e s em p e re u rs d u i f siècle Pour se convaincre de l’ambiguïté du statut de la villa impériale au début du il* siècle, il suffit de lire la lettre 31 du sixième livre de la Correspon­ dance de Pline le Jeune, où celui-ci fait à l’un de ses amis la relation de son séjour sur le site de Centumcellae (Civitavecchia) dans la résidence d’été de Trajan. Bien qu’il parle de celle-ci comme d’un secessus, c’est-à-dire une retraite, et qu’il la désigne comme une villa pulcherrima en position dominante au-dessus de la mer où les soirées se passent en dîners fins, en spectacles ou en conversations mondaines, il énumère aussi les activités qu’y déploie l’empereur. On s’aperçoit que la notion même de villa de 1'otium est désor­ mais une fiction : Trajan y tient en fait ses assises judiciaires, et tranche des affaires qui sont toutes d’une extrême importance ; ce que Pline appelle les variae cognitiones, les procès variés qui se sont déroulés en ces lieux, aurait pu aussi bien avoir lieu au Palatin. La prérogative la plus haute du pouvoir, celle dont l’origine régalienne est la plus affirmée, s’exerce désormais en ces lieux dits de villégiature, qui doivent être aménagés en conséAussi ne saurait-on partager l'avis de H. Mielsch qui considère la fameuse Villa Hadriana de Tivoli [Tibur) comme un établisse­ ment réservé pour l’essentiel au repos et au diver­ tissement de l’empereur et de ses familiers. Certes les dimensions et l’extraordinaire variété des composantes de cette somptueuse résidence l’iso­ lent en première analyse, dans la série des villas impériales. Elle fut modelée par et pour une personnalité unique, celle de l’empereur philhellène ; les multiples reprises ou remords que l’on y a de tout temps observés, aussi bien dans le détail des structures que dans leur implantation, témoi­ gnent clairement de l’intervention personnelle et continue d’un maître d’œuvre qui était aussi le dominus au sens le plus plein du terme, et qui n’a pas cessé de vouloir enrichir ou améliorer une réalisation à laquelle il attachait de toute évidence beaucoup d’importance. La célèbre notice de l'Histoire Auguste ( Vita Hadriani, 26, 5), qui prétend en fournir une description globale, a souvent été mal comprise : « Il construisit à Tibur une villa extraordinaire : sur les différentes parties du domaine étaient inscrits les noms des provinces et des sites les plus célèbres ; y figuraient entre autres le Lycée, l’Académie, le Prytanée, le Canope, le Poecile et Tempé ; et, pour ne rien oublier, il y représenta même les Enfers ». Dans sa formulation à la fois sommaire et naïve, elle parait évoquer un micro­ cosme composite fait d’allusions plastiques, monumentales ou paysagères à des lieux ou à des

monuments grecs. A vrai dire elle propose seulecompilateur tardif, de pratiques attestées depuis longtemps dans les cercles hellénisés de la nobili­ tas. Nous ne sommes en présence ni d’un gigan­ tesque album de voyage destiné à garder vivant autour d’un souverain nostalgique le souvenir de ses visites sur les hauts lieux de l’hellénisme, ni d’une sorte de catalogue pittoresque de l’univers romanisé dont les principaux sites seraient évoqués par des symboles plus ou moins explici­ tes. Comme l’a noté depuis longtemps P. Grimai, Hadrien n’a fait en réalité que développer avec des moyens exceptionnels la tradition de 1'ars topiaria, de l’art des jardins, telle qu’elle s’était établie dès la fin de la République (supra, p. 296 sq). Il n’est pas jusqu’à la mention des Enfers, assénée à la fin de la notice de YHistoire Auguste comme le comble de la fantaisie, qui ne soit réductible à une réalité sinon fréquente, du moins antérieurement attestée. Hantés par l’image du Christ descendant aux Limbes, telle que Mantegna l’avait imaginée, les « Antiquai­ res », du XVI* au XVIII* siècles, et plus que tous les autres Pùto Ligorio, ont cherché les Enfers de la Villa Hadriana dans une grotte ou un antre conduisant à un souterrain naturel ou construit (cryptoportique), aussi humide qu’inquiétant. C’est oublier que les Enfers, dans l’imaginaire des Anciens, étaient aussi le lieu où les Bienheureux coulaient des jours paisibles sur des prairies toujours vertes ; peut-être les Enfers de la villa d’Hadrien n’étaient-ils qu’une graminea palaestra (Virgile, Énéide, VI, v. 642), une palestre gazonnée ornée de statues ou d’hermès qui en préci­ saient la signification. Mais bien évidemment, s’il s’inscrit dans une tradition déjà ancienne, Hadrien la transfigure, non seulement, comme on l’a dit, par l’ampleur de la réalisation, mais plus encore par l’unité profonde de la composition ; celle-ci s’impose en effet malgré la divergence des axes organisateurs et l’apparente diversité monumentale qui caracté­ risent au premier regard ce vaste complexe. Sur ces quelque 126 ha, Hadrien, ses architectes et ses ingénieurs ont créé un microcosme plus intellec­ tuel que géographique ; un démiurge qui s’efforce d’estomper les bigarrures ethniques et culturelles de l’Empire s’y est employé à donner de celui-ci une idée claire en l’unifiant sous le signe de l’uni­ versalité de la pensée grecque. Nous retrouvons là, en acte, l’un des projets principaux du règne (supra, AR I, à propos du temple de Vénus et Rome, p. 179 sq). La Villa Hadriana n’est donc pas une fantaisie colossale de potentat dilettante, une « folie » au sens du xvm* siècle. C’est une image de l’Empire parce qu’elle est aussi et d’abord un lieu de pouvoir : établie à 17 milles romains, c’est-à-dire

ffiVlÆS: VWPMt itWÜPÉIUALES

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Fig. 415. Plan de situation des prin­ cipales composantes de la Villa Hadriana, d'après H. Stierlin. à 28 km de la porta Esquilina de Rome, elle se trouve, et ce n’est pas un hasard, en-deçà de la limite imposée pour la résidence des sénateurs, c’est-à-dire un cercle de 20 milles de rayon autour de 1'Urbs. Et dans cette résidence, où il a passé davantage de temps, quand du moins il était en Italie, que dans le palais flavien du Palatin, Hadrien n’était pas en situation de repos ou de retrait : nous avons des indices épigraphiques importants du fait que bien des décisions poli­ tiques ont été prises dans la villa. Siège de la cour et de l’administration centrale, la villa Hadriam a été conçue comme le symbole du monde dominé par Rome, et comme le lieu, l’un des lieux, où s’exerce cette domination. Les seules innovations imputables à Hadrien sur le Palatin consistent en l’aménagement d’hypocaustes pour chauffer les principales pièces de réception : c’est la preuve indirecte qu’il considérait désormais le palais romain comme sa résidence d’hiver, et qu’il séjournait plus volontiers à la belle saison dans sa villa de Tivoli, laquelle accédait ainsi au statut de résidence officielle d’été. Il est difficile d’avoir une vision d’ensemble d’un tel complexe, qui se répartit du nord au sud sur plus de deux km, et où l’on ne discerne au premier regard aucun axe organisateur (fig. 415). Sur un site naturel délimité par deux vallées gros­ sièrement orientées nord-ouest/sud-est, distantes

l’une de l’autre d’environ 50 m au sud et de près d’1 km au nord, les édifices se sont disposés en fonction des opportunités offertes par le terrain ; mais il a fallu aussi tenir compte des vestiges d’une villa antérieure, dont les implantations, datées de la fin de la République, ont conditionné l’aménagement et l’orientation de l’un des prinripaux corps de bâtiments (fig. 416). De fait, quatre axes principaux peuvent être distingués : le premier conduit de la « Cour des bibliothèques » à la « Piazza d’Oro » (8 à 14 de la fig. 415) ; le second, constitué de deux alignements parallèles, va du Vivier à l’extrémité du « Pœcile » (17 à 11 de la fig. 415) ; le troisième, avec divers appendi­ ces latéraux, suit une ligne qui mène des « Petits thermes » au « Sérapéum » (20 à 25 de la fig. 415) ; le quatrième, qui correspond à la terrasse dite de l’Académie, conduit de la « Tour de Roquebrune » au « Temple de Jupiter » (26 à 28 de la fig. 415). En dépit de cette apparente disper­ sion, la cohérence globale est préservée grâce à des édifices-charnières qui infléchissent insensi­ blement les cheminements et permettent au visi­ teur de changer à la fois de direction et de perspective sans jamais rompre la continuité monumentale. Remarquables de ce point de vue sont la structure circulaire du « Théâtre maritime » (9 de la fig. 415) et la séquence dite du « Stade » (18 de la fig. 415). Cette savante ordon-

L a villa , structure de dcp^in ation , de pro fit et de plaisance

Fig. 416. Vue partielle de la sée par I. Gismondi. Cliché DAI 72.2547.

nance, qui tire le meilleur parti du somptueux paysage environnant, assure aux salles de repos ou de réception des orientations et des éclairements spécifiques ; conformément au goût de la classe dirigeante de l’époque, dont Pline le Jeune nous donne une idée précise dans les lettres où il décrit ses villas de Toscane et des Laurentes (Correspondance, V, 6 et II, 17) ces pièces bénéfi­ ciaient ainsi de conditions d’ensoleillement diffé­ rentes, qui les désignaient selon les cas comme des lieux de séjour matinaux ou vespéraux, esti­ vaux ou hivernaux. On mesure à ces observations la relative vanité des recherches qui se sont longtemps déve­ loppées sur les différentes « campagnes » de cons­ truction dont la villa garderait la trace ; certes, si les clivages postulés par H. Bloch à partir des séries d’estampilles sur briques retrouvées dans les vestiges ne sont plus considérés comme signi­ ficatifs, et si l’on ne retient aujourd’hui que deux phases au lieu des trois ou quatre naguère suppo­ sées, on ne peut nier que la réalisation de cet ensemble s’est étalée sur presque tout le règne d’Hadrien, avec de longues périodes de latence correspondant aux voyages de l’empereur itiné­ rant : la campagne initiale daterait des années 117125 et aurait peut-être même commencé quelque temps avant l’accession d’Hadrien au pouvoir ; la seconde, qui voit la construction de la « Piazza

d’Oro », des « Petits thermes », du « Canope », de « Sérapéum », de « l’Académie » et du théâtre, aurait occupé les années 125-133. Mais la conti­ nuité du projet global, indépendamment des modifications ou retouches que le maître à la fois inquiet et exigeant n’a cessé d’apporter à son oeuvre à mesure que, tel un long poème, elle se développait à la fois dans l’espace et dans le temps, est attestée par la rationalité du réseau souterrain qui irrigue, si l’on peut dire, la totalité de l’espace occupé par la villa. Celui-ci, analysé récemment par E. Salza Prina Ricotti, est unique en son genre par son ampleur et son organisation : même le complexe souterrain du Palatin, tel du moins qu’on le connaît, lui demeure très inférieur. Toutes les parties de la villa étaient accessibles par des voies piétonnes ou des voies charretières, elles-mêmes reliées à la voie Tiburtine qui venait de Rome. De cette voie, à la hauteur de la tholos de Vénus (2 de la fig. 415) se détachait un diverticule souter­ rain qui sur plus de 500 m conduisait vers la partie centrale de la villa et longeait à l’est la « Piazza d’Oro » pour rejoindre ensuite un grand trapèze de dispersion situé au sud-est de 1’« Académie » ; de là partaient d’autres chemine­ ments souterrains, vers les secteurs occidentaux du complexe ou vers l’extérieur. Là se trouvaient, creusées dans le rocher, des écuries pouvant

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Fig. 417. Plan schématique du Hadriana, d'après E. Salza Prina Ricotti et H. Stierlin.

Fig. 418. Restitution d’une écurie E. Salza Prina Ricotti et M. Boss.

accueillir plus d’une centaine de chevaux, ainsi que des remises pour les chars et les chariots (fig. 417 et 418). Ce système d’une extrême sophis­ tication, qui coexistait sans jamais interférer avec lui, avec les réseaux de cryptoportiques, c’est-àdire de promenades, ambulationes, abritées des ardeurs du soleil où les habitants et les invités de la villa pouvaient circuler ou deviser au frais, était exclusivement constitué de galeries de service : il assurait des liaisons rapides et discrètes qui, invi­ sibles de la surface, permettaient l’approvisionne­ ment des « résidents » sans susciter le moindre dérangement. Les centaines - peut être les milliers - de personnes chargées de faire fonc­ tionner cette immense machine aux exigences multiples, étaient logées pour la plupart dans le bâtiment semi-circulaire qui abritait sur au moins quatre niveaux superposés des « cellules » très simples, à l’extrémité orientale du « Poecile », en surplomb sur la vallée (les « Cento Camerelle) ; sauf les rares serviteurs qui faisaient partie de la suite rapprochée du souverain et des dignitaires

L a VILLA, STRUÇFtWE DE DOMINATION, de PROFIT ET DE PLAISANÇfr

de la cour, ces gens vivaient entre eux, sans même voir ou entrevoir les hôtes illustres dont ils assuraient la luxueuse existence. Le soin avec lequel était évité tout contact entre ces deux caté­ gories se manifeste dès l’entrée principale (fig. 419) : le petit personnel, qui venait des « Cento Camerelle » s’engouffrait tout de suite (en B) dans le réseau souterrain, cependant que les « officiels » accédaient en A dans un magni­ fique vestibule à partir duquel ils pouvaient gagner, au gré de leur fantaisie, toutes les parties de la villa. La discrimination sociale, qui revêt ici une forme verticale hautement symbolique - il y a ceux « du dessus » et ceux « du dessous » - se manifeste d’emblée, à l’instant même où chacun franchit le seuil de la résidence. Si l’on tente maintenant d’apprécier la nature et la destination de ses multiples composantes, il faut prendre garde aux réductions opérées par les classements typologiques : mises en série, les compositions les plus insolites ou les plus ambi­ tieuses échappent partiellement à la singularité hautaine que, par leur forme, leur luxe et leur décor, elles prétendaient exprimer. Considérons par exemple l’immense portique à murdiaphragme qui limite au nord le quadriportique aux petits côtés curvilignes construit autour d’un bassin (11 de la fig. 415 et fig. 420), où l’on a cru reconnaître, peut-être avec raison, la Stoa Poikilè d’Athènes, le « Portique peint » qui abritait au

nord de l’Agora les tableaux des plus grands pein­ tres classiques et hellénistiques : une inscription découverte au xvme siècle en révèle la nature exacte, comme vient de le démontrer F. Coarelli ; il s’agit d’une porticus triumphi, d’un portique

Fig. 419. Schéma de l'entrée princi­ pale de la Villa Hadriana, avec les souterrains (entrée B), d’après M. Boss et H. Mielsch. On sait en fait depuis peu que l'entrée offivoies parallèles se dirigeant vers un nymphée monumental (voir pl. XII).

Fig. 420. Le «Poecile »dans son

W- îffS IWHWrîM'NfRIALES

367

Fig. 421. Plan restitué du «Stade », par A. Hoffmann.

Fig. 422. Vue restituée de la salle nord du « Stade », par triomphal dont le modèle est à chercher dans les Jardins de Pompée du Champ de Mars qui entre­ tenaient un rapport étroit avec le parcours du cortège des généraux triomphateurs. De même le fameux « Stade » (18 de la fig. 415) est en réalité, comme l’ont prouvé les minutieuses observations de A. Hoffmann, un lieu aménagé pour les carna­ tiones, les banquets festifs ou solennels dans un cadre de jardins agrémentés de jets d’eau dont la

mode s’est imposée dès la fin du Ier siècle ap. J.-C. C’est un poncif dont nous connaissons d’autres exemples archéologiques et littéraires, au palais flavien du Paladn, dans la villa de Domitien, dans celle de Pline le Jeune en Toscane, etc. Le « Stade » de la Villa Hadriana était en fait entière­ ment occupé par des salons tricliniaires qui s’ap­ parentaient à des aci Corinthii ou à des ceci cy&ccni, tels que Vitruve les décrit déjà dans son livre VI (supra, p. 63 sq.), ordonnés de part et d’autre d’un espace central destiné à des spectacles de musique ou de danse, l’ensemble étant dominé par une grande fontaine en exèdre (fig. 421 et 422). Même le somptueux « Sérapéum », ou ce qu’on a pris l’habitude d’appeler ainsi, au terme du long canal bordé de colonnes corinthiennes supportant en alternance des entablements hori­ zontaux ou des arcades, le fameux « Canope », qui constitue la structure la plus spectaculaire de toute la villa, est d’abord, typologiquement et fonctionnellement, une salle à manger d’été munie d’un stibadium (lit de table curviligne cerné par les eaux courantes) ; conçu sur le modèle des grottes impériales et des antres naturels ou artifi­ ciels, dont l’exemple le plus prestigieux reste celui de Sperlonga, il servait lui aussi de conatio : c’était un « Grottes-triklinium », seulement plus vaste et plus complexe dans son ordonnance planimétrique que la plupart des précédents connus (fig. 423 et 424 et pl. XIII). Mais aucun de ces constats ne diminue la splendeur de la Villa Hadriana, ni même l’origina­ lité foncière de son projet. La pensée personnelle d’Hadrien, admirablement servie par des archi­ tectes et des techniciens de grand talent, est celle d’un concepteur à qui tout est permis sinon possi­ ble. Elle se laisse entrevoir encore à travers les caractères fondamentaux suivants : d’abord toutes les formules expérimentées dans le passé et

L a villa , strugtüre de domination , de pro fit et de plaisancct

toutes les potentialités offertes par les nouvelles techniques - celle de la voûte concrète en parti­ culier - s’y trouvent exprimées. La longue évolu­ tion des formes et du « design » monumental gréco-romains, depuis le temple dorique jusqu’aux salles thermales, de la colonnade à entablement droit jusqu’aux voûtements les plus audacieux, est retracée là avec un savoir-faire et un brio sans équivalent. Il ne s’agit pas, en tout cas pas seulement, d’une anthologie de collec­ tionneur, mais d’un catalogue raisonné dont la finalité est de manifester la profonde unité du

]&; cès villas , impériales

369

Fig. 425. Plan de la « Cour aux pilastres doriques ».

monde méditerranéen sous l’égide d’un pouvoir qui prétend assimiler toutes les expériences histo­ riques, et les doter d’une dynamique nouvelle pour l’exploration de nouveaux territoires. O n observe par exemple la combinaison de fins piliers cannelés et de voûtes en berceau qui, dans la « Cour aux pilastres doriques » (15 de la fig. 415 et fig. 425), témoigne d’une approche inédite du problème des structures portantes. Dans un autre ordre d’idées, l’intégration de la tholos d’Aphrodite, sans doute inspirée du fam eux temple de Cnide (2 de la fig. 415), à l’intérieur d’une exèdre à portique modifie radicalement, comme le souligne H. Stierlin, la valeur plastique du sanctuaire pour en faire l’élément central d’une composition « baroque ». Mais c’est la virtuosité des plans curvilignes, jointe à la légèreté des structures aériennes de leur couvrement, où les colonnes libres se substi­ tuent souvent aux murs, où les voûtes se plient, au sens propre du terme, à tous les caprices d ’un espace quasiment ondulatoire, qui constitue dans de nombreuses compositions de la villa un acquis irréversible dont la leçon ne sera plus oubliée, mais dont les applications ne seront jamais dépas-

LA VILLA, STRUCiyKl* DE DOMIèfiTION, DE PROFIT ET DE PLAISANCE

sées, même dans les créations les plus insolites d’un Borromini ou d’un Guarino Guarini. Les « courbes en S », qui naissent de la succession rythmique de tracés concaves et convexes, avaient déjà été adoptées dans les dessins des mosaïques, mais elles apparaissent ici, pour la première fois, mises en œuvre dans des structures architecturales. Nous en examinerons trois exem­ ples. Le premier est celui du pavillon situé à l’angle sud-est de la terrasse de 1’« Académie » (27 de la fig. 415 et fïg. 426 et 427). Il constituait une manière de belvédère, puisque placé sur l’un des points les plus hauts du site, au bord du versant abrupt de la terrasse occidentale. Son plan est complexe : sur un cercle de 26,5 m de diamètre (90 pieds) sont ouvertes quatre exèdres convexes vers l’intérieur, limitées par des colonnes libres, reliées entre elles par des couloirs eux aussi curvi­ lignes ; l’exèdre du nord-ouest, qui surplombait la terrasse, était munie d’une vasque ; l’exèdre opposée était limitée vers l’extérieur par une colonnade rectiligne au-delà de laquelle s’ouvrait une pièce rectangulaire ; de part et d’autre de l’axe médian du cercle générateur deux couples de salles absidées s’avançaient en saillie à l’exté­ rieur du corps du pavillon. Cette géométrie tour­ mentée mais rationnelle se caractérise d’abord par un jeu subtil entre les courbes et les contrecourbes, avec un refus constant des demi-cercles complets : sans doute considérait-on que la profondeur radicale de ceux-ci aurait nui à la légèreté de la composition. L’autre singularité est celle de la transparence : le jeu entre l’extérieur et l’intérieur s’y développe aux limites de la cohé­ rence structurelle (fig. 428). Mais le sommet, dans le genre, est atteint par les deux pavillons axiaux de la « Piazza d’Oro » (14 de la fig. 415). L’audace expérimentale atteint ici un degré que d’aucuns ont jugé excessif ; elle témoigne cependant de la puissance créatrice des praticiens engagés dans de telles opérations, et même si certaines solutions techniques ont pu être considérées comme des erreurs, il serait faux de voir là des fantaisies sans lendemain. Cette « Piazza d’Oro », qui doit son nom au grand nombre et à la qualité des groupes statuaires que les « Antiquaires » y ont recueillis dès la fin du XV* siècle, édifiée dans la dernière phase de la construction, à l’extrémité de la séquence monu­ mentale établie sur l’ancienne villa républicaine, se présente comme un grand péristyle de 61 x 51 m entouré d’un portique à deux nefs dont la colonnade intérieure présente des entraxes deux fois supérieurs à ceux des colonnes de façade ; l’alternance, pour leurs fûts, du cipollin et du granité vert égyptien, augmentait les effets de lumière et créait un espace intérieur particulière­ ment luxueux. Les éléments les plus extraordinai-

Fig. 428. Un autre exemple de

res de cette unité monumentale sont le vestibule du nord-ouest et le grand édifice curviligne du sud-est, qui se répondent à chacune des extrémi­ tés du péristyle. Le vestibule est, en plan, un octo­ gone régulier dont les axes transversaux sont dotés d’exèdres percées d’ouvertures et les axes diagonaux enrichis de niches curvilignes (fig. 429). Dans les angles internes, de frêles colonnes donnaient l’impression de soutenir la coupole, ou plus exactement de recevoir les pous­ sées transmises par les arêtes des pans concaves de celle-ci ; en fait la structure concrète se suffi­ sait à elle-même, comme le prouve le simple fait

soulignées par des diaphragmes de colonnes dilatent l'espace quadrangulaire central : la «salle aux trois fig. 415. Plan parW. L. MacDonald, H. Kahler. '

1$. (ÏÆS nYlfcLASrlMFÉRIALES

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Fig. 429. Plan de la « Piazza d'Oro »par W. L. MacDonald et

que la disparition des colonnettes n’a entraîné aucun désordre dans le couvrement, mais les arcatures formées par l’intersection des pans concaves avec les côtés verticaux de l’octogone entretenaient l’image d’une sorte de diadème architectonique simplement posé sur de fins supports, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Quant au complexe méridional, il constitue l’une des créations les plus déconcertantes de la villa : là encore le noyau générateur est un octogone, mais dont les côtés sont alternativement concaves et convexes ; sur le mur de fond un grand nymphée semi-circulaire dominait la perspective d’ensem­ ble, cependant que les côtés convexes de l’espace central donnaient accès à de petites cours autour desquelles se répartissaient les pièces de deux appartements symétriques. La question de la couverture de cet organisme si léger où les murs sont remplacés par des colonnes libres formant une sorte d’écran sinusoïdal transparent, a long­ temps divisé les archéologues : H. Kahler et E. Hansen supposaient une coupole en opus caementicium, ce qui paraît techniquement impos­ sible ; F. Rakob et C. F. Giuliani ont préféré resti­ tuer l’ensemble comme hypèthre ; c’est sans doute la solution qui s’impose, même si récem­

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ment A. Moneti a cru pouvoir imaginer une struc­ ture de bois dont, évidemment, nulle trace ne subsiste. Ce genre d’incertitude est à vrai dire récurrent dans l’analyse des édifices de la Villa Hadriana, et l’on comprend sans peine qu’il ne facilite pas leur identification fonctionnelle. Celle-ci dépend souvent en partie des a priori de chaque restituteur, et par exemple si l’on a voulu voir, contre toute vraisemblance, une véritable basilique munie d’un toit en lanterneau au-dessus de son aire centrale, dans la « Salle des pilastres doriques », qui est en réalité un espace cérémo­ niel à ciel ouvert (15 de la fig. 415), c’est qu’on souhaitait retrouver dans cette partie de la villa une séquence comparable à celle de la Domus Augustana du Palatin, avec « salle du trône » et basilique d’audience. Un autre exemple doulou­ reux suffira à souligner l’ignorance où nous sommes encore de la finalité d’un grand nombre de constructions : les fameuses « bibliothèques », la grecque et la latine, définies comme telles par Pirro Ligorio (5 et 6 de la fig. 415), ne répondent à aucune des contraintes du type (fig. 430) ; fautil y voir alors des salles à manger d’été en position haute, des atria monumentaux donnant accès aux

L a villa , structure de domination , de pro fit et de plaisance

Fig. 430. La «bibliothèque 72.2547.

quartiers privés de la villa, des tours servant de signal plastique à l’entrée de la résidence du maître ? Toutes ces hypothèses ont été avancées, sans argument décisif. Ce qui nous manque en réalité, pour appré­ cier à sa juste valeur le fascinant « désordre » de la villa, c’est la connaissance du système combi­ natoire dont il procède ; tant qu’on cherche à identifier des unités, on ne progresse guère dans la compréhension de l’ensemble. Pour l’iconogra­ phie et les programmes statuaires, la situation est différente : J. Raeder a pu montrer que le mélange parfois étonnant des styles, qui mêle originaux et copies, depuis la période « sévère » jusqu’au maniérisme hellénistique, est transcendé par la cohérence thématique ainsi que par les

harmoniques de la sémantique religieuse et cultu­ relle. Mais dans le domaine monumental nous restons démunis, bien qu’il soit assuré que cette esthétique du discontinu était sous-tendue par une logique complexe mais restituable, dont les principes organisateurs nous échappent encore pour l’essentiel. Seuls quelques sous-ensembles dont les caractères techniques ou fonctionnels parlent d’eux-mêmes échappent aux conjectures plus ou moins gratuites : ce sont bien évidem­ ment les trois édifices thermaux (13, 20 et 22 de la fig. 415), que nous avons mentionnés dans le volume précédent (AR I, p. 401 sq), mais aussi le quartier des hospitalia, réservé aux invités de marque (4 de la fig. 415 et 431). Ce dernier, cons­ titué de dix pièces se faisant face de part et d’au-

12..I.ES VHiAS IMPÉRIALES

373

tre d’un corridor, était conçu comme une sorte d’hôtellerie puisque chacune des pièces en ques­ tion, munie de trois alcôves, n’était autre qu’un cubiculum, une chambre à coucher ; à l’extrémité sud du corridor, une latrine collective et une grande salle axiale, peut-être identifiable à une chapelle du culte impérial, complétaient l’équipe­ ment de cette unité bien identifiable, dont les mosaïques de sol, animées d’élégants motifs végé­ taux en noir et blanc, sont célèbres. Un édifice du moins permet d’entrevoir les finalités et les modes d’élaboration de cette archi­ tecture à bien des égards atypique, c’est le prétendu « Théâtre Maritime » (9 de la fig. 415 et pl. XIV). Il a lui aussi donné lieu dans le passé à un nombre impressionnant d’interprétations, parfois extravagantes. Situé, nous l’avons dit, en position de charnière entre deux des séquences principales, il se caractérise d’emblée par son isolement structurel : entourée d’un haut mur

circulaire qui sert de limite externe à un portique annulaire couvert en berceau, cette construction se définissait comme une île puisqu’un canal circulaire séparait le portique du corps central ; on n’accédait à celui-ci, du moins à l’origine, que par deux petits ponts de bois amovibles qui, une fois rabattus le long de l’île, empêchaient toute circulation entre celle-ci et l’extérieur (fig. 432 et pl. XIV). M. Ueblacker a montré qu’il s’agissait en fait d’une villa en miniature, pourvue de tous les équipements nécessaires à un séjour de plus ou moins longue durée, ce qui la rendait théori­ quement autonome : on y pénétrait par un vesti­ bule concave, semblable à ceux que nous avons observés dans les maisons du quartier hadrianique d'Italica (supra, p. 180 sq) ; un péristyle aux parois curvilignes desservait sur l’axe de l’entrée une sorte de tablinum avec diverses pièces annexes (salles à manger ou salons) ; à l’ouest un petit balnéaire comportait apodyterium, frigida-

Fig. 431. Plan et hypothèses de restitution des hospitalia, par

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L a v i l la , s tr u c tu r e de do m in atio n, de p r o fit e t de plaisance

Hg. 432. Klan au « iheatre Maritime ». d'après M. Ueblacker.

rium, caldarium et latrines ; à l’est un groupe de salles englobait sans doute une bibliothèque. Le tout, organisé selon le jeu des courbes et contrecourbes qui définit, nous l’avons vu, les composi­ tions les plus sophistiquées de la villa, offrait, en garantissant l’isolement du dominus, des jeux de perspective étonnants, à travers de véritables « couloirs de transparence » (fig. 433 et 434). Il s’agit donc d’un lieu de séjour réservé, où

Hadrien semble avoir voulu, de temps à autre, comme Denys de Syracuse dans sa retraite d’Ortygie ou comme Auguste dans la « Syracuse » qu’il s’était ménagée au cœur de sa domus du Palatin (Suétone, Divus Augustus, 72, 4), vivre et méditer loin des tracas de la politique et de la cour, procul a negotiis. Mais pour autant on ne saurait réduire, comme le suggère M. Ueblacker, cette petite résidence à l’intérieur de la grande à

ï&XÉStV ttiA S IMPÉRIALES

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Fig. 433. Les vestiges du «Théâtre Msritime» vers 1930. ClichéAlinari (Giraudonl 6895. On note, en arrière-plan, le massif des «bibliothèques ».

Fig. 434. État actuel du « Théâtre Maritime». Cliché DAI 67.650.

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L a VILLA, STRUCTURR DE dom ination , de PROFIT ET DE PLAISANCE)

l’interprétation un peu alambiquée d’un quartier résidentiel d’une villa ordinaire : la forme circu­ laire confère à l’édifice une valeur singulière, et le rend irréductible à toute mise en série ; le fait, de surcroît, qu’il soit entouré d’eau - protection à vrai dire plus symbolique que réelle - établit un lien indéniable avec le palais platonicien de l’Atlantide, tel qu’on le trouve décrit dans le Critias (115b-117a) même si l’allusion formelle n’est accessible qu’à une élite cultivée. H. Herter avait dès 1953 suggéré ce rapprochement ; loin de lui ôter toute pertinence, les observations de M. Ueblacker, en dépit de leurs conclusions très prosaïques, ne peuvent que le renforcer, et l’idée mériterait d’être réexaminée, en particulier à la lumière de la thématique maritime et mytholo­ gique des frises figurées du portique périphérique, qui ont elles aussi fait l’objet d’une analyse Nous bornerons là notre incursion dans cette Villa Hadriana qui, à elle seule, constitue un véri­

table manuel d’architecture gréco-romaine, mais en même temps transcende les formes et les signi­ fications habituelles pour les intégrer dans un univers spécifique où les contraintes du pouvoir apparaissent elles-mêmes sublimées. Retenons qu’ici plus qu’en aucun autre cas, l’activité de l’ar­ chitecte - quelle que soit la part réelle d’Hadrien - est inséparable de sa formation culturelle ; en l’espèce nous trouvons à l’œuvre un ou des prati­ ciens de grande valeur qui n’ignorent rien des techniques de leur temps, mais ont été aussi formés à l’école de la pensée grecque. Comme le temple de Vénus et Rome, qui exprime l’une des formes les plus hautes de la transcendance, comme le Panthéon, qui se déchiffre au moyen des théorèmes d’Archimède et d’Euclide réinter­ prétés dans une perspective néo-pythagoricienne, la Villa Hadriana se lit comme un paysage intel­ lectuel. Ici moins qu’ailleurs la spéculation philo­ sophique ne saurait être séparée de la réalisation matérielle.

B I B L I O G R A P H I E

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Les monuments funéraires

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comme dans les constructions. Nous avons donc In tr o d u c tio n quelque peine à imaginer le soin que prenaient les riches Romains pour décider, le plus souvent Aucun secteur de l’architecture romaine n’est de leur vivant, de l’ordonnance et de l’ornem en­ moins réductible à une typologie que celui des tation de leur tombeau : de nombreux tém oi­ monuments funéraires. La variété des formules, gnages littéraires et épigraphiques prouvent que qui ont longtemps relevé de modes transitoires ou formes, volumes et décors en étaient définis avec de fantaisies individuelles, en l’absence de véri­ une précision pédantesque ; la nature des m até­ tables contraintes fonctionnelles ou techniques, riaux, la taille et la position des statues, le contenu semble devoir décourager tout effort de classifica­ de l’épitaphe, les bas-reliefs qui l’accompagnent, tion, et vouer un tel chapitre à une sorte d’errance rien n’était laissé au hasard. « Si rare, dira Pline le anthologique. Jeune, aristocrate « rangé » et nullement excen­ Les rites, incinération puis inhumation, n’ont trique, est la fidélité des amis, si assuré l’oubli des eu que de faibles incidences sur le choix des défiints, qu’il nous faut construire nos sépulcres édifices eux-mêmes, qui constituaient le plus de nos propres mains et nous rendre d’avance les souvent des superstructures sans relation orga­ devoirs des héritiers » (Correspondance, VI, 10, 5). nique avec la chambre sépulcrale. Quant à la Et les recommandations tâtillonnes que l’affran­ législation, qui s’est très tôt souciée de limiter le chi Trimalchion fait à son marbrier, dans le luxe des matériaux et l'ostentation de la richesse, roman de Pétrone, relèvent certes de l’ostentation depuis la loi des XII Tables (milieu du v* siècle ridicule d’un nouveau riche inculte, mais trou­ av. J.-C.) juqu’aux lois juliennes du début du vent, nous aurons l’occasion de le vérifier (infra, Principat, elle n’a jamais prétendu régenter les formes : nous en avons, parmi d’autres indices, p. 409), de multiples confirmations dans des monuments antérieurs ou contemporains une preuve patente dans le cas exemplaire de C. Cestius, qui s’était fait construire une pyramide (Satiricon, 71, 6-9). Les équipes de tailleurs de pierre, de sculp­ aux portes de Rome (infra, p. 435), et n’a nulle­ teurs, de peintres ou de stucateurs qui ment été inquiété par l’administration de travaillaient sur de tels chantiers, assurément plus l’époque ; ses héritiers ont dû seulement, sur modestes que ceux des monuments publics, injonction des édiles, renoncer à placer dans ce devaient donc faire l’objet d’une surveillance singulier tombeau les tapisseries précieuses qu’il s’était réservées de son vivant : avec le produit de constante et pointilleuse de la part de ceux qui les payaient ; et l’architecte, si du moins on jugeait leur vente, ils furent autorisés à lui élever des utile de faire appel à lui, n’intervenait, dans le statues (CIL, VI, 1375). meilleur des cas, que pour dire ce qui était Plus qu’en aucun autre domaine la singularité, pour celui qui avait les moyens de se l’offrir, a concrètement réalisable, et à quel prix, ou pour éventuellement proposer des solutions techniques constitué la valeur suprême. Hors de toute règle (utilisation optimale de la superficie achetée, de convenance, et dans les limites relativement larges concédées par la loi en matière d’emprise couvrement de la chambre sépulcrale ou des niches des statues, répartition des supports libres au sol et d’élévation, la recherche de l’insolite, la ou engagés dans une construction à plusieurs surenchère dans la variation sur tel ou tel thème, niveaux, etc.). Il devait intervenir aussi, dans le la mise en œuvre plastique et iconographique de messages explicites, ou au contraire cryptés, selon cas de complexes relativement développés, pour l’établissement du plan et l’organisation des diffé­ les périodes, les catégories sociales et les niveaux rents étages. Un exemple de ce type de travail culturels, ont guidé les propriétaires. Nous vivons en un temps où les rituels et les monuments liés à préliminaire, qui avait également une finalité cadastrale et fiscale, est fourni par la fameuse la mort sont, sauf exceptions rarissimes, codifiés plaque marmoréenne du Musée de Pérouse : la et tarifés de telle sorte qu’une discrétion, jugée de qualité de l’incision, mais aussi le nombre des bon aloi, règne en général dans les cérémonies

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L es MONUMENTSiTÜNÉRAIres

indications recélées par cette forma témoignent du soin apporté à la conception de cet enclos funé­ raire dont les propriétaires étaient des affranchis impériaux de l’époque julio-claudienne ; la partie droite présente le plan du monumentum, le tombeau proprement dit, à l’échelle 1/85 ; la partie gauche celui de la custodia, la maison du gardien, dont le rez-de-chaussée est dessiné au 1/140' et l’étage (le petit plan isolé au milieu des deux autres) au 1/230' (fig. 435). Il est clair que ce type de document a dû être établi avec l’aide d’une « agence » d’architectes spécialisés, du vivant même de l’un des futurs titulaires de l’édi­ fice funéraire ; sans doute était-il joint, sous la forme d’un dessin sur parchemin, à son testa­ ment. Les travaux ne commencèrent qu’après sa mort, guidés avec toute la précision souhaitable par ce schéma d’implantation qui ne laissait aucune marge à la fantaisie de l’entrepreneur. Mais de tels documents demeurent rares, et pas seulement en raison des hasards de la survi­ vance. Malgré leur aspect fréquemment monu­ mental, qui pouvait à l’occasion requérir le concours de praticiens compétents, les construc­ tions funéraires n’ont jamais vraiment compté, dans le monde romain, au nombre des tâches imputables aux architectes-ingénieurs. Vitruve ne leur accorde aucune place dans la typologie normative de son traité, et l’on comprend bien pourquoi : rebelles à toute règle, les tombeaux, relevant pour l’essentiel du bon vouloir de leur commanditaire, ne pouvaient entrer dans les cadres définis par le De architectura ; aussi le théo­ ricien n’évoque-t-il les monumenta qu’en passant, pour en relever, dans des développements qui ne les concernent pas, des caractères structurels qui ne leur sont nullement particuliers (II, 7, 4 ; II, 8, 3). Et si nous suivons à travers sa Correspondance les démarches accomplies par Cicéron pendant plusieurs mois de l’année 45 av. J.-C. auprès des architectes qui travaillent dans ses villas, Cluentius et Vettius Chrysippus, afin qu’ils lui trouvent un terrain convenable et dressent les plans du tombeau de sa fille, c’est sans doute, comme il le répète à son correspondant [Ad Atticum, XII, 18, 1 ; XII, 36, 1-2 ; XIII, 29, 2), parce qu’il entend faire bâtir pour honorer la mémoire de Tullia un fanum (sanctuaire) et non pas un sepulcrum. Mais indépendamment de cette diversité formelle, il est une constante qui au long des siècles de la fin de la République et du début de l’Empire contribue à définir le tombeau romain comme une catégorie monumentale qui, à défaut d’une typologie établie, présente une signification spécifique. Dans une analyse consacrée à l’épigraphie funéraire, E. Meyer a relevé cette diffé­ rence essentielle entre les épitaphes grecques et les épitaphes romaines : 80 % de celles-ci

Fig. 435. Plaque de marbre du Musée de Pérouse présentant le plan coté d'un enclos funéraire. comportent le nom de celui, parent, ami ou client, qui est l’auteur de la dédicace et qui en quelque sorte s’affirme comme le « commémorateur » du défunt ; les épitaphes grecques d’époque classique et hellénistique ignorent le plus souvent ce détail. Une telle observation nous permet de comprendre, mieux que toute autre considéra­ tion, que le tombeau est destiné d’abord à assurer la continuité entre les vivants et les morts. Un grand nombre de personnes étaient assurément condamnées à l’oubli le plus immé­ diat dans de pauvres sépultures anonymes : c’était le cas de la plupart des esclaves qui n’apparte­ naient pas à une grande familia, des indigents des villes, du prolétariat rural, etc. Mais l’ensemble de la documentation dont nous disposons, littéraire, juridique, épigraphique, prouve que ceux qui ont eu accès à la confection d’une épitaphe et à sa mise en place sur un support construit ou tout autre « marqueur » funéraire, en attendaient essentiellement qu’elle entretint leur souvenir, c’est-à-dire leur présence effective dans le monde Plus que d’autres peuples, les Romains furent en effet sensibles à la nécessité de « commémo­ rer » les défunts ; commémorer, c’est-à-dire se remémorer ensemble. Un tel acte était jugé indis­ pensable tout à la fois à la survie de la commu­ nauté (famille, groupe socio-professionnel, etc.) à laquelle appartenaient le ou les titulaires du tombeau, mais aussi à la seule survie post mortem à laquelle pussent prétendre les individus, dans une société qui ignora longtemps, officiellement du moins, les religions de salut personnel, à savoir

I ntroduction

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la présence dans la mémoire des hommes, fussent-ils de simples passants qui lisaient un nom sur une stèle. A ce titre le tombeau romain est moins la « dernière demeure » qu’un monument commémoratif. Certes il peut répondre à des objecdfs très différents ; au fil du temps les tendances générales, les pratiques cultuelles, les croyances ont évidemment évolué, et selon qu’il était tourné vers l’extérieur à des fins de repré­ sentation sociale ou refermé sur un espace réservé aux cérémonies familiales périodiques (les paren­ talia, par exemple), la conception et la réalisation du tombeau ont elles-mêmes beaucoup varié. Mais ce balancement entre l’extroversion et l’in­ troversion, qui reste sensible aux yeux de l’obser­ vateur averti le long des voies consulaires où s’ali­ gnent encore les vestiges de monuments répartis sur plusieurs siècles, cette double tentation, si caractéristique, de l’ostentation et du recueille­ ment, dont il nous faudra examiner les incidences sur les formes, ne changent rien au fait que le tombeau était toujours, au sens propre, un monu­ mentum. La définition de ce mot, le plus usuel, de Varron au Code théodosien, pour désigner l’édi­ fice funéraire, nous livre le seul « invariant spéci­ fique » du tombeau romain. La signification première de monimentum ou monumentum est effectivement « ce qui sert à aviser, à rappeler » (du verbe monere), et le terme s’est ensuite appli­ qué, comme le dit clairement Varron [De lingua latina, VI, 49) par métonymie à toutes les constructions commémoratives, et d’abord funé­ raires : « les « rappels » (monimenta) placés sur les tombeaux qui bordent les routes sont là pour rappeler aux passants qu’ils ont été des mortels et que ceux-là le sont aussi ». Si l’on veut savoir quels sont concrètement ces « rappels » qui ont très vite donné leur nom à l’ensemble du monu­ ment auquel ils appartiennent, deux textes, séparés par près de trois siècles, nous les détaillent, à peu près dans les mêmes termes. Le premier est une brève allusion de Vitruve aux monumenta qu’il a vus aux abords de Ferento, ville d’Étrurie méridionale, vers le milieu du Ier siècle av J.-C. : ces tombeaux, dit-il, présentent des statues, des sculptures, des fleurs et des feuilles d’acanthes finement ciselées (II, 7, 4) ; le théori­ cien désigne par là les effigies des défunts, les basreliefs et les colonnes, libres ou engagées, dont les chapiteaux corinthiens sont mentionnés par le biais des acanthes. Le second texte est dû au juriste Julius Paulus, actif au IIIe siècle ap. J.-C. : dans ses Sententiae ad filium (I, 21, 8), il parle lui aussi, au détour de l’une des rares prescriptions relatives au droit des tombeaux, « des statues, des pierres et des colonnes », auxquelles il ajoute les épitaphes. Il est digne d’intérêt de relever que les éléments qui définissent le tombeau sont précisé­

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L es monuments füt*éraires

ment ceux qui servent à l’identification et à l’exal­ tation du défunt ; toute dégradation d ’u n seul d’entre eux est assimilée à une violation d e sépul­ ture, c’est-à-dire à une atteinte à la personne même du mort. Il résulte de ces conceptions, et en particulier de cette permanente recherche du contact entre le tombeau et le monde des vivants, quelles qu’en soient les modalités, que les Romains o n t en général ignoré la nécropole, c’est-à-dire l’espace réservé aux morts : contrairement à ce qu’o n croit souvent, 1’« Isola sacra » près d’Ostie n’est pas une aire exclusivement cémétériale, mais u n e île artificielle traversée par le grand axe - véritable autoroute antique à voies séparées - qui reliait les ports (de Claude puis de Trajan) à la ville, e t sur laquelle ont été identifiés également des édifices commerciaux et des magasins. En fait dès l’inter­ diction des sépultures à l’intérieur des enceintes urbaines, même pour les familles patriciennes, c’est-à-dire dès le milieu du Ve siècle av.J.-C. (loi des XII Tables), l’usage se répandit de ranger les monumenta le long des grandes routes, à proximité des villes ; d’où ces « Gräberstrassen », ces allées de tombeaux que l’on peut encore observer autour de Rome, de Pompéi et de tant d’autres villes italiennes ou provinciales : elles propo­ saient au voyageur une sorte d’image anticipée, et à bien des égards sublimée, des classes diri­ geantes de la région, car les terrains les plus proches de la voie étaient les mieux situés et par conséquent les plus coûteux. Mais l’habitude se maintint aussi d’ériger des monuments funéraires sur les praedia, c’est-à-dire sur les propriétés fami­ liales non urbaines ; ce choix présentait plusieurs avantages, sans pour autant éloigner forcément les édifices des voies fréquentées, puisque de nombreux tombeaux, et non des moindres, tel celui de Caecilia Metella au bord de la voie appienne (infra, p. 431), furent construits sur un domaine gentilice : il réservait à la famille l’accès au monument, il en facilitait la protection contre les inévitables dégradations anonymes, et enfin il permettait d’échapper aux limites imposées par les lois somptuaires. Cette dernière circonstance explique à vrai dire à elle seule la longévité d’une telle pratique, et ce n'est pas un hasard si les plus vastes monumenta se rencontrent dans des praedia plus ou moins éloignés des villes. En milieu provincial, les édifices funéraires des grands domaines ont rapidement contribué à la scansion du paysage rural. Le seul inconvénient résidait ici dans le fait que le droit d’accès à la famille pouvait être compromis par un changement de propriétaire : on connaît les angoisses de Cicéron à propos de l’hérôon somptueux qu’il projette pour sa fille ; il voudrait, pour échapper aux sanc­ tions légales, le faire construire à l’intérieur de l’une de ses villas, mais il redoute qu’il n’échappe

un jour à la gens Tullia en cas d’aliénation ou de vente. On pouvait bien sûr exiger du nouvel acquéreur le maintien d’une servitude garantis­ sant un « droit de visite », mais c’était, on l’ima­ gine sans peine, une source de complications, et souvent de litiges. Du reste la formule conclusive d’un grand nombre d’épitaphes, qui apparaît dès le début du IIe siècle av. J.-C. et se maintient jusqu’à la fin du Haut-Empire, hoc monumentum heredem non sequitur (ce tombeau « ne suit pas » l’héritier), témoigne d’une difficulté du même

ordre pour les tombeaux ordinaires, qui avaient forcément nécessité l’achat d’une parcelle du sol public : on craint toujours la vente éventuelle d’un tombeau qui, de fait, représente souvent une charge considérable d’autant que, appartenant à la catégorie des sacra, c’est-à-dire des édifices consacrés (aux divinités inférieures que sont les Mânes), ce genre d’édifice est soumis ainsi que son terrain à diverses contraintes ; l’idéal, pour un héritier, était en fait de recevoir un legs sine sacris.

B I B L I O G R A P H I E

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ÏNTReBWCnON

383

chapitre 13

Les premiers tombeaux gentilices de la période médio-républicaine

Les plus anciennes manifestations de l’archi­ tecture funéraire à Rome sont d’autant plus rares que les tombes des IV'-III' siècles av. J.-C., situées dans la proximité immédiate de la ville de l’époque, ont été rapidement absorbées, détruites ou recouvertes par l’extension de l’espace urbain dès les derniers siècles républicains. Mais ce que nous pouvons encore connaître de ces monumenta est riche d’enseignements. Leur caractère gentilice (familial) et non pas individuel les désignait comme le prolongement de la domus : de la même façon que l'atrium et ses effigies d’ancêtres, la tombe manifestait à la fois les gloires et la perma­ nence du groupe. Dans son éloquence tribunicienne, Marius le dira pour s’imposer pendant la guerre contrejugurtha face à la morgue nobiliaire d’un Metellus : « il criait qu’il pouvait se glorifier devant le peuple de ses blessures, et non pas de tombeaux d’ancêtres et de portraits autres que le sien > (Plutarque, Vie de Marius, 9, 2). Dans ces tombes refermées sur elles-mêmes, à l’origine, aucun discours plastique ou architectonique ne s’adressait à l’extérieur ; il fallait y entrer - et n’y entrait pas qui voulait - pour prendre connais­ sance, par les épitaphes et les elogia, des carrières accomplies et des honneurs revêtus par les défunts.

Fig. 436. Façade du tombeau des Scipions restituée par H. Lauter-

Certes la continuité avec la maison urbaine n’est déjà plus, alors, ce qu’elle avait été en des temps plus anciens, antérieurs à la loi des XII Tables, où un usage immémorial accordait aux familles patriciennes le privilège de placer leurs tombes sur sol privé, au voisinage de leur rési­ dence urbaine : nous savons par Cicéron (De leg., II, 58), Denys d’Halicamasse (V, 45) et Plutarque ( Vie de Publicola, 23) que la gens Valeria par exem­ ple avait réuni dans sa propriété de la Velia, à Rome, la demeure des vivants et celle des morts. Mais l’usage se maintint, après l’interdiction des sépultures en ville, d’établir le tombeau familial dans une propriété suburbaine ; celle-ci n’était du reste pas choisie au hasard parmi les domaines que possédaient les grandes familles : l’emplace­ ment répondait souvent à un dessein précis ou au moins à un dynamisme général qui témoignait du rôle accordé à la tombe monumentale dans l’ex­ pression des projets ou des prétentions politiques de la gens. Ainsi F. Coarelh a pu montrer que si le premier tombeau des Comelii se trouvait à 1a sortie de Rome en bordure de la voie ardéatine, c’est que cet axe très ancien conduisant vers la ville d’Ardée, considérée avec Ariccia comme l’un des points forts de la plaine pontine, menait vers une région à la conquête de laquelle Rome avait aspiré très tôt : la chute de Tarquin le Superbe ne s’était-elle pas produite durant le siège d’Ardée ? Ensuite, le transfert de la tombe gentilice de la grande famille des Comelii Scipiones de la via Ardeatina à la via Appia a suivi de peu l’ouverture de cette dernière en 312 av. J.-C. ; désormais l’axe majeur de l’expansion romaine s’oriente vers le sud hellénisé de la Péninsule et la gens, qui compte au nombre des plus puissantes de celles qui composent la nobilitas en cette fin du IVe siècle av. J.-C., entend montrer par cette nouvelle situation qu’elle assumera en ce domaine un rôle prépondérant Et ce n’est assu-

rément pas un hasard si tout au long du IIIe siècle av. J.-C. les tombeaux des grandes familles romaines se pressent en une suite ininterrompue le long du premier tronçon de cette voie, sur une distance de moins d’un mille au sortir de la porta Capena (Cicéron, Tusculanes, I, 7, 13). Seul de cette prestigieuse série le tombeau des Scipions, découvert fortuitement en 1614, a été préservé. Objet de profondes études monogra­ phiques, il reste cependant encore mal connu dans le détail, en l’absence d’une publication complète. Creusé dans la colline de tuf, le « cappellaccio », il ne comportait qu’une façade architecturée ; encore celle-ci devait-elle être fort modeste dans la phase initiale (fig. 436). Une porte voûtée à la base de cette façade donnait accès à un bref vestibule qui débouchait sur des galeries ordonnées selon un plan orthogonal dans un espace presque carré (13,5 x 14,5 m) : le corri­ dor périphérique et les galeries axiales se croisent à angle droit (fig. 437). Cette organisation ruine d’emblée l’idée, jadis avancée, d’une réutilisation à des fins funéraires d’une carrière de pierres abandonnée. La dynamique de l’occupation a été reconstituée par F. Coarelli : le fondateur du tombeau est sans aucun doute L. Cornelius Scipio Barbatus, consul en 298 av.J.-C. et mort quelques années plus tard. Son sarcophage qui, selon Nibby, aurait été retrouvé sur l’axe même de l’en­ trée, au terme de la galerie centrale, témoigne d’une primauté dans l’utilisation de l’espace, qui s’explique par une priorité chronologique. Cette pièce, exceptionnelle, aujourd’hui conservée dans le Musée du Vatican (fig. 438), inspirée de modè­

les originaires de la Sicile grecque, reproduit avec les volutes de son couronnement la forme d’un autel ; la frise dorique sous corniche à denticules qui anime la partie supérieure de la paroi évoque sans ambiguïté un décor sacralisant et témoigne

Fig. 438. Sarcophage de L. Cornelius Scipio Barbatus. A gauche, cliché Alinari-Giraudon ; à droite restitution graphique.

13.-J1E3 PFBMIERS TOMBEAUX GENTILICES DELA .PÉRIODE MÉDIORÉPUBÏJCAINE

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Fig. 439. La façade du tombeau des Scipions selon I. Gismondi et

d’une quasi héroïsation du défunt. Comparable en tout point au podium de la salle absidale du forum de Praeneste (Palestrina) assimilée à un sanctuaire d’Isis, ce sarcophage, véritable monu­ ment à lui seul, tributaire de la tradition étrusque par sa forme et son matériau, est une structure déjà profondément hellénisée, caractéristique de la nouvelle culture des classes dirigeantes de la période médio-républicaine. Il constitue le plus ancien témoin d’une série, celle des tombeaux en forme d’autel à frise dorique qui connaîtra, dans l’architecture funéraire de la fin de la République, une diffusion extraordinaire (infra, p. 394). Ensuite, les dépositions se succèdent dans ce tombeau en tournant vers l’est, d’abord avec des sarcophages monolithiques placés dans des niches peu profondes, puis à partir des années 170 av. J.-C. au moyen de sarcophages faits de plaques jointives. L’emploi de pierres d’origines différentes, pépérin, pierre de Gabies, tuf de l’Aniene permet de proposer une chronologie relative, en liaison avec l’ouverture des carrières correspondantes ou l’apparition de ces matériaux dans les constructions romaines. Ce sont au total trente tombeaux qui ont trouvé place dans l’espace initial, qui correspondent au nombre des membres adultes de la gens pendant quatre ou cinq générations. Le manque d’espace entraîne ensuite l’ouverture d’une seconde chambre, plus petite, à l’ouest, sans doute à la demande de Scipion Émilien, le second Africain, dans le troi­ sième quart du II' siècle av. J.-C. ; mais la capacité d’accueil de ce nouvel espace ne dépasse guère cinq à six dépositions et l’un des derniers elogia est celui de Cn. Scipio Hispanus, mort peu après sa préture en 139 av.J.-C. Ce qui subsiste de la façade n’autorise aucune restitution assurée. On identifie sur place les traces d’un haut podium en blocs de tuf qui englobe trois ouvertures sous arcade dont seule

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celle du milieu est accessible depuis le niveau de la voie antique. Au-dessus s’élevait une paroi de pépérin rythmée par des semi-colonnes à base attique et fût cannelé dont les chapiteaux pouvaient être ioniques ou corinthiens. Si F. Coarelli accepte l’hypothèse graphique de I. Gismondi (fig. 439) où les colonnes encadrent des niches sous entablement droit, H. Lauter-Bufe propose une ordonnance plus sobre, au moins dans un premier temps, qui ignore les niches (fig. 436). A vrai dire le problème se complique du fait que la tradition évoque la présence de trois statues, celles des frères Publius et Lucius (le Premier Africain et l’Asiatique), et celle du poète Ennius (Tite-Live, 38, 56, 4) ; il est exclu, pour de nombreuses raisons dont la principale est chrono­ logique, que ces statues aient orné la façade dès l’origine ; de fait on s’accorde aujourd’hui pour situer leur mise en place vers le milieu du II* siècle av. J.-C. Et dès lors l’opération devient emblématique d’une évolution irréversible : l’exaltation des individus - y compris, dans le cas d’Ennius, de ceux qui avaient contribué à la culture et au prestige des personnalités les plus brillantes de la famille - passe avant la célébra­ tion collective de la gens. Sans doute vers le même temps, ou même peut-être dès la fin du siècle précédent, des peintures sur le podium, maintes fois refaites dans un esprit de « mise à jour », présentaient aux yeux des passants sous une forme qu’on imagine efficace les hauts faits mili­ taires des Scipiones : il importait que nul n’ignorât rien de la gloire du groupe, ou du moins de ses représentants les plus éminents. Les fresques en question devaient être assez comparables à celles qui ornaient certaines tombes à caissons de l’Esquilin ; celle qui est attribuée à Q. Fabius Rullianus a livré un témoignage unique de la peinture triomphale du début du III' siècle av. J. -C., mais à cette époque ces images revêtaient

Fig. 440. La façade et le plan (en

les faces internes du caveau. Un siècle plus tard, produite, qui allait constituer le caractère essentiel de l’architecture funéraire pendant les derniers siècles républicains. Un fait significatif s’était du reste produit dès le début du IIe siècle av. J.-C., dans cette même famille des Scipions : le vainqueur de Zama, le fameux Africanus dont la statue devait ensuite orner la façade du tombeau de la via Appia, s’était quant à lui fait construire un monument funéraire individuel dans sa lointaine villa campanienne de LiUmum ; mort en 183 av. J.-C., il sera inhumé dans ce mausolée dont nous n’avons rien conservé, mais que les textes décrivent comme un hérôon micrasiatique, constitué d’un podium massif surmonté d’une effigie en pied du défunt, peut-être abritée sous un baldaquin ou une niche prostyle (Tite-Live, 38, 56, 3-4). A l’époque, une telle construction était plus facile à réaliser loin de Rome, mais il ne fait aucun doute que le monu­ mentum de ce personnage, toujours paré d’un prestige incomparable malgré l’hostilité des séna­ teurs, fut considéré comme le manifeste d’une véritable prétention dynastique ; du reste, en dépit de la tradition d’austérité dont Sénèque se fait complaisamment l’écho (Lettres à Lucilius, 86, 3-10), nous savons par Polybe (XXXI, 26-27) que Scipion vivait dans sa villa fortifiée de Litemum comme un souverain oriental : la relation entre cette résidence quasiment palatiale (pour l’époque) et l’hérôon dynastique donne la mesure de la volonté de rupture avec la tradition gentilice du tombeau collectif. Hors de Rome, nous ne connaissons guère d’édifice funéraire comparable à celui des Scipions. Le tombeau de la gens Furia de Tusculum offre cependant un exemple remarquable de ces hypogées monumentaux ; découvert en 1665, il a été assez rapidement détruit, mais des gravures

nous en conservent le plan et l’élévation : il comportait une grande salle semi-circulaire munie d’un couloir annulaire et couverte en cul de four. La partie antérieure, en grand appareil, présentait une porte sous un arc de décharge ; un fronton couronnait l’ensemble de la façade, sur le modèle des tombes étrusques rupestres des IVe et IIIe siècles av. J.-C. de Norchia, de Sovana ou de Blera (fig. 440).

L3nli£B Pt .felit IR&S TOMBEAUX GENTILICESl DR UAnRÊRIODB îMÊMOïRÊElÀBIiJCAINE

387

c h a p itr e 14

L’essor du monumentum individuel

L’évolution du tombeau des Scipions nous a pennis de comprendre, en raison même de la durée de son utilisation, comment, à partir du milieu du IIe siècle av. J.C ., le monumentum n’est plus le prolongement des atria gentilices mais s’af­ firme comme un objet dont la fonction première est d’abord d’impressionner ceux qui n’en décou­ vrent que l’extérieur. Tournés vers la voie au moyen d’une façade qui délivre sous une forme de plus en plus explicite un message individuel, les édifices funéraires se diversifient, et devien­ nent les vecteurs privilégiés de la démonstration, ostentatoire ou discrète selon l’origine et la culture des titulaires - le véritable orgueil répu­ gne à l’exhibition -, des réussites ou des aspira­ tions sociales des classes moyennes et supérieuL’époque qui commence est celle de l’essor et de la prospérité. Après la seconde Guerre punique, Rome, seule maîtresse de l’Occident méditerranéen, commence la conquête du monde grec. Les catégories de la population qui profitent de cette situation sont de plus en plus larges ; les représentants de l’oligarchie sénatoriale ne sont plus, loin s’en faut, les seuls concernés, mais les commerçants, les militaires enrichis par le butin, les manieurs d’argent et les propriétaires terriens participent, sous des formes différentes, à cet enri­ chissement général. Le monde romain devient coextensif au bassin méditerranéen et la circula­ tion des biens et des personnes modifie d’une façon irréversible les mentalités et les comporte­ ments. Au II* siècle, à la suite des profondes trans­ formations économiques et de leurs multiples incidences sociales, liées à la conquête impéria­ liste de l’Orient dont les bénéfices touchent même les régions périphériques, l’égalitarisme qui, hors des classes dirigeantes, réglait les coutu­ mes funéraires, s’efface au profit d’une exhibition de la fortune et du rang. La recherche de la promotion personnelle, qui se traduira bientôt dans le domaine politique par des rivalités sanglantes, s’affirme à tous les niveaux de l’échelle sociale. Un signe ne trompe pas, c’est la

L es monuments ^ « jnéraires

multiplication des statues honorifiques en milieu urbain : dès 158 av.J.-C. un règlement censorial vise à en limiter le nombre sur les places publiques, et d’abord sur le Forum de Rome (Pline, HN, 34, 30-31). Mais ces lois contre Vambi­ tio ne s’appliqueront guère aux tombeaux, et Cicéron ne manquera pas de déplorer, dans les années 60, la prolifération des effigies funéraires sur des monumenta dont il affecte de condamner l’exubérance (Lois, II, 62). La difficulté à laquelle se heurtent toutes les histoires de l’architecture funéraire romaine tient à la rareté des relais qui permettraient de jalonner l’évolution qui conduit des grands tombeaux gentilices des iv*-iii* siècles aux monuments de la fin de la République. Si l’on exclut quelques vesti­ ges peu explicites de la via Salaria et de la via Nomentana, censés appartenir à des édifices du IIIesiècle, mais trop ruinés pour autoriser la moin­ dre hypothèse typologique, les premiers éléments exploitables ne sont pas antérieurs à la fin du IIe siècle. Encore demeurent-ils sporadiques ; l’échantillon ne s’élargit vraiment qu’à partir des Les plus anciennes tombes monumentales ne se rencontrent d’ailleurs pas à Rome, en l’état actuel des connaissances, mais à Pæstum. De nouveaux modèles de sépultures apparaissent en effet dans cette colonie latine dès la seconde moitié du IIe siècle Ils témoignent du goût précoce des notables romano-italiques pour l’autoreprésentation, inspirée des réalisations de l’Orient grec. Au même moment, comme le montre M. Torelli dans une étude récente, le portrait à forte caractérisation psychologique se diffuse, tels le soi-disant Postumius Albinus iden­ tifié à Caton le Censeur, ou 1’« Arringatore », personnage typique des groupes dirigeants italiques (en l’occurrence ceux de Cortone). Les tombes de Paestum retrouvées voici plus d’un demi-siècle dans les nécropoles du Gaudo au nord et de la Licinella au sud sont révélatrices des aspirations d’une aristocratie individualiste Plusieurs d’entre elles, comme le singulier monu-

ment à frises d’armes, constituent les plus anciens exemples du type du sépulcre individuel « à naïskos », c’est-à-dire à petit temple ou à édicule. A la différence des prototypes grecs (tombeau de Kallithéa au Pirée, par exemple), qui se signalent par la hauteur de leur socle, les monumenta pestans s’élevaient sur un podium relativement bas (fig. 441). Leur état de conservation ne permet pas toutefois d’en proposer une restituüon assu­ rée. Nous analyserons le type à travers les vestiges de Rome et de Pompéi ; mais il importe de savoir dès maintenant qu’il a été, selon toute vraisem­ blance, mis au point d’abord en Grande Grèce (infra, p. 399 sg.). A Rome, le témoignage chronologique le plus haut, s’agissant de tombeaux individuels, est celui du monument de Ser. Sulpicius Galba. Situé derrière la porticus Aemilia, au centre de la réalisa­ tion publique la plus importante de la gens, les horrea Galbana, il est généralement attribué au consul de 108 av. J.-C. et daterait donc des toutes dernières années du IIe siècle. Il est vrai que E. Rodriguez Almeida propose de le mettre en relation avec le père homonyme de ce person­ nage qui fut consul en 144, mais l’emploi du travertin rend improbable une telle datation. Quoi qu’il en soit il s’agit d’une tombe qui affecte la forme d’un cube d’environ 2,60 m de côté ; la moulure de base en doucine est conservée audessus du socle ; celle du sommet a disparu. Quatre assises d’opus quadratum de tuf de Monteverde ont pu être reconstituées, l’épitaphe en travertin occupant sur la façade le centre de la troisième assise ; elle est encadrée par deux grou­ pes de six faisceaux dont les haches étaient tour­ nées vers l’intérieur ; une chaise curule, dont le relief est très arasé, meublait sans doute l’espace situé sous l’inscription (fig. 442). Considéré en général comme l’un des archétypes du modèle en forme d’autel, ce tombeau peut aussi, dans l’igno­ rance où nous sommes de son couronnement, être restitué comme la base d’un monument à édicule. La partie inférieure de la statue d’un toga­ tus assis, grandeur nature, en marbre blanc, retrouvée sur le site, plaiderait en faveur d’une composition de ce genre : l’effigie du défunt aurait été placée en position haute, dans une niche ou un petit temple (naïskos). Un autre tombeau contemporain (fin II* siècle av. J.-C.), retrouvé dans le même secteur, à l’an­ gle sud du Monte Testaccio dans les dernières années du XVIIe siècle et connu seulement par une xylographie ancienne, appartient quant à lui au type « à autel » (ara) ; il en constitue même le plus ancien exemple assuré : c’est celui de la gens Rusticelia (CIL, VI, 11534) (fig. 443). Pourvu d’une base moulurée et d’une corniche supérieure à petit attique, il apparaît sur les restitutions doté d’une sorte de pyramide aplatie en guise de

Fig. 441. Reconstitution hypothé­ tique de la façade de l'un des tombeaux à naïskos de Paestum. d'après PC. Sestieri et H. von Hesberg.

Fig. 442. Le monument de Ser. Sulpicius Galba, d'après E. Rodriguez Almeida.

Fig. 443. Le sepulcrumde la gens Rusticelia, d'après E. Rodriguez Almeida.

INDIVIDUEL

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Fig. 444. Les tombeaux de la via Statilia à Rome. Cliché DAI 75.779.

Fig. 445. Portraits däfde la via Statilia. Cliché

couverture, mais il possédait plus probablement un plateau à volutes [pulvini), caractéristique de l’ara. Construit sur terrain privé, il était au centre d’un enclos qui englobait deux petits autels desti­ nés aux libations funéraires. Ces monuments voués à l’exaltation d’un seul personnage ne doivent pas nous faire oublier que les premières décennies du I" siècle av. J.-C. sont aussi celles où, dans un tout autre contexte social et culturel, commencent à se multiplier des tombes collectives d’un type particulier : ces édifi­

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ces conçus par et pour des affranchis témoignent de la fierté de pouvoir enfin exhiber une situation juridique régulière. Les trois tombeaux d e la via Statilia [via Caelimontana si l’on préfère le nom antique « reconstruit » par A. M. Colini), en contrebas de la villa Wolkonsky, près de l’église Sainte Croix de Jérusalem, sur la colline d u Celio à Rome, en fournissent des exemples émouvants (fig. 444). Le plus ancien est celui qui apparait à gauche sur le cliché : ses propriétaires en étaient, si l’on en juge par l’inscription dédicatoire, un P. Quinctius, qui se dit affranchi d’un Titus, libraire, sa femme et sa concubine. II se réduit à une façade en grand appareil dans laquelle s’ou­ vre une porte centrale. Les deux autres tombeaux adjacents, dits souvent jumeaux du fait qu’ils présentent la même structure, symétriquement ordonnée de part et d’autre de la saignée verticale qui les sépare, appartiennent aussi à des liberti. Immédiatement sous leur couronnement en comiche, des blocs de travertin alignent des bustes en relief sous arcade qui évoquent irrésisti­ blement les habitants d’une maison regardant par la fenêtre (fig. 445). De fait l’alignement rigou­ reux et la contiguïté de ces trois tombeaux le long de la rue, qui composent l’amorce de la plus ancienne « Gräberstrasse » de Rome, tendent à reproduire l’image de petits immeubles occupés par des classes moyennes ou humbles. On hési­ tera donc à le doter d’un couronnement en fron­ ton, comme le proposent A.-M. Colini et H. von Hesberg, car le schéma n’est pas celui des tombeaux-temples, plus tardif. L’absence d’auto­ nomie monumentale de ces édifices, dont les caveaux, partiellement rupestres et accessibles par un petit corridor, ont été subdivisés et remo­ delés à l’époque impériale, pourrait, si l’on s’en tenait à des rapprochements formels, rappeler sur un mode mineur les monuments gentilices des IV'-m' siècles av. J.-C. En réalité ils se situent à l’opposé de ces précédents prestigieux, même si les parties supérieures de leurs façades, pourvues de l’amorce d’un entablement (architrave et/ou corniche), assurent une certaine dignitas. Mais les affranchis qui, par définition, n’avaient aucun passé, et donc pas de portraits d’ancêtres, n’en­ tendent nullement par là manifester une quel­ conque continuité familiale ; ils disent seulement avec les moyens qui sont les leurs qu’ils ont désor­ mais accès à un état-civil qui leur garantit une existence personnelle ; et ils le font en se mettant en scène dans l’univers qui leur est familier : voir et être vu, telle est l’ambition de cette catégorie sociale faite de boutiquiers et d’artisans. Un autre exemple, encore plus probant, est observable dans la nécropole de Porta di Nocera à Pompéi ; d’après les techniques de construction et les caractéristiques de l’épitaphe, le monument, construit pour des affranchis, les Flavii, remonte

Fig. 446. Tombeau collectif des Flavii de la Porta di Nocera à Pompéi. Cliché DAI 73.883.

aux premières années de la colonie syllanienne (80-70 av. J.-C.). Les deux niveaux (un rez-dechaussée avec six fenêtres et un étage percé de huit fenêtres) reproduisent à s’y méprendre l’image d’un immeuble où des appartements (cenacula) sont loués ; à chacune de ces baies des « habitants » sont (étaient) « à la fenêtre ». Ce type de monumentum collectif, dont on ne trouve aucun parallèle ni antécédent en Campanie, s’est évidemment implanté à Pompéi par l’intermé­ diaire des liberti des colons romains (fig. 446).

Ces différents schémas ne prennent sens que replacés dans leur contexte historique et socio­ culturel. Nous en avons examiné les monuments « fondateurs » - du moins ceux qui nous appa­ raissent comme tels du fait des hasards de la survivance - au cours de la phase de transition décisive de la fin du IIe et début du I" siècles av. J.-C. Dès lors les formes du monumentum indivi­ duel ou collectif sont établies et nous pouvons suivre l’évolution de leurs principaux types à la fin de la République et au début de l’Empire.

14.1 Ito sstro Dur«œwM4«ivnM< æmmviduel

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c h a p itr e 15

Les types de la fin de la République. O rigine, évolu tion et diffusion provin ciale

Fig. 447. La «Torretta »près de la Porte Majeure à Rome. Schéma

L e s a u te ls fu n é r a ir e s C’est le type le plus simple et, partant, le plus économique, même si certains monuments de cette série revêtent des dimensions imposantes. Le « dé » qui définit son volume de base, en raison de l’absence de caractères dirimants, surtout lorsque les assises supérieures, porteuses des signes d’identification (table d'offrande pour­ vue ou non de pulvini), ont disparu - ce qui est le cas le plus fréquent - ne permet pas toujours de discerner avec précision son aspect ni même la catégorie à laquelle il appartient : plusieurs édifi­ ces, tels ceux que nous avons mentionnés dans les pages précédentes, ou encore le tombeau de P. Verginius Paetus à Sarsina, pourraient aussi bien être considérés comme la partie inférieure (podium) d’un tombeau à édicule. Mais en général, lorsque le corps quadrangulaire n’est pas rythmé par des éléments verticaux (colonnes engagées ou pilastres sur les parois et/ou dans les angles) on

L es m onuments funéraires

peut admettre sans grand risque d’erreur qu’il s’agit d’un tombeau en forme d’autel. L’origine du type est à chercher dans la Sicile et la Grande Grèce des époques tardo-classique et hellénistique : les sarcophages monumentaux, en calcaire ou en terre cuite, d’Agrigente, de Syracuse ou de Capoue en constituent assuré­ ment les prototypes, et nous avons vu quelle interprétation raffinée pouvait en être donnée à Rome dès le IIIe siècle av. J.-C. dans le tombeau des Scipions. La cuve, qui se termine en général par une frise dorique, est surmontée d’une vraie table d’autel (rpcuieÇa ptspoù en grec, mensa en latin) à volutes latérales. Dans les versions les plus communes du Ier siècle av. J.-C., la forme allongée du sarcophage disparaît, puisqu’aussi bien il s’agit de tombeaux destinés à abriter des urnes cinérai­ res, et le volume, plus compact et généralement proche du carré, gagne en hauteur ce qu’il perd en extension horizontale. L’importance acquise par cette forme, en Italie et dans les provinces occidentales, ne s’explique pas seulement par son apparente rusticité qui évite le recours à des offi­ cines spécialisées, mais aussi par sa vocation à exprimer une certaine sacralité : dans sa mono­ graphie consacrée au sarcophage de L. Cornelius Scipio Barbatus, V. Saladino souligne avec raison que la silhouette de l’autel, qu’elle soit explicite­ ment reproduite ou seulement suggérée par quelques citations plastiques, doit être interpré­ tée, au moins dans ses premières apparitions, comme une allusion au culte des Mânes. De surcroît, la frise sommitale, qui s’apparente à celle d’un ordre architectural, même si, le plus souvent, aucune colonne ni aucun pilastre ne l’accompa­ gne, augmente la solennité du volume et en précise le caractère religieux, compensant ainsi dans une certaine mesure le prosaïsme des épita­ phes où n’est rappelée que la carrière terrestre du défunt ou sa dignité dans la communauté urbaine.

de la viaAppia. Façade et petit côté partiellement remontés. Clichés DAI 76.2446 et 2447.

Éventuellement les objets (insignia) qui évoquent la ou les magistratures assumées (faisceaux, bisel­ lium ou siège honorifique à deux places, siège curule, etc.) occupent le champ laissé libre par l’inscription, sur la face tournée vers la voie. Dans la proximité immédiate de Rome, trois tombeaux de ce type sont particulièrement bien conservés : le plus ancien est sans aucun doute le monument appelé « Torretta », près de la Porte Majeure ; sur plan carré, il présente de bas en haut un socle avec une base moulurée à doucine droite entre deux baguettes, un dé en grand appa­ reil cantonné de pilastres corinthiens, et une firise dorique à triglyphes et métopes où alternent bucrânes et fleurons (fig. 447). Sur la via Appia, au IVe mille, deux édifices voisins, semblent apparte­ nir à la même période, c’est-à-dire le premier quart du Ier siècle av. J.-C. : le premier, appelé communément « tombeau dorique », n’a été remonté qu’en partie (fig. 448) et l’on ne peut juger de son extension complète, mais il présente tous les caractères canoniques du genre ; une incertitude subsiste quant à son couronnement, dont ne reste qu’un bloc très abîmé où l’on devine une frise de rinceaux, difficile à placer dans un monument déjà pourvu d’une frise dorique sommitale. Le second, intégralement reconstruit sur place, a perdu son socle et sa mouluration de base, mais possède en revanche l’essentiel de ses parties hautes : une lourde frise de guirlandes supportées par des « putti » ailés règne sous une corniche modillonnaire, ellemême surmontée d’une table d’autel à pulvini ; ceux-ci sont animés sur toute leur longueur par des motifs végétaux assez touffus, et la face externe de leurs « volutes » est occupée par des têtes de méduses (fig. 449 et 450).

Fig. 449. Le «tombeau à guirlan­ des» de la via Appia. Cliché DAI

Fig. 450. Détail des guirlandes de DAI 76.2473.

15. Lira 'TŸPËSJÔÉVLAllÜif iQ’i'WSMJlÉPUBLIOUE. URIGINE, ÉVOELTîQNtET BIFFiÜSiON iEROWNClALE

393

à Pompéi. Cliché DAI 77.2236. En tombeau. Cliché DAI 77.2232.

Fig. 452. La tombe-autel de Sextus Palpellius à Pola. reconstituée par G. Fischer.

LES MONUMENT§_EyNÉRAIRES|

Le modèle s’est rapidement diffusé dans les colonies romaines, et U n’est pas sans intérêt de rappeler que le personnage le plus im portant de la première génération coloniale de Pom péi, celui qui inaugura après la deductio syllanienne la charge de duumvir quinquennalis, et qui décida avec son collègue C. Quinctius Valgus, d e la cons­ truction de l’odéon (theatrum tectum) e t de l’am­ phithéâtre, le fameux M. Porcius, ne dédaigna pas de se faire bâtir une tombe en forme d’autel ornée d’une frise dorique (fig. 451). Tant il est vrai que, si à Rome le type semble avoir été plutôt réservé aux classes moyennes, il fut, au moins dans la première moitié du I'r siècle av. J.-C-, paré en milieu italique d’un prestige suffisant p o u r s’affir­ mer comme le signe distinctif des bénéficiaires de la colonisation viritane, et de leurs magistrats les plus titrés. Ainsi s’explique sans doute que les familles des Ovii et des Maecii aient adopté le même genre de monument à Rimini, la colonie latine à'Ariminum (268 av. J.-C.) dotée de la citoyenneté romaine à partir de 90 av. J.-C . Dans une étude qui a fait date, M. Torelli a montré que les édifices funéraires à frise dorique, qu’il s’agisse de sépulcres aux dimensions relati­ vement réduites affectant la forme d’un autel, ou de monuments plus ambitieux dont le dé infé­ rieur supportait initialement une statue ou une chapelle, se sont répandus dans toute la Péninsule italienne avec une densité particulière dans la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C., jusqu’au changement d’ère. Les régions précocement colo­ nisées par Rome ont été de toute évidence les plus réceptives, à l’exclusion des zones où restait vivante une forte tradition spécifique, comme l’Étrurie méridionale côtière ou la Grande Grèce ; mais de Paestum à Aquilée les influences hellénistiques véhiculées par la colonisation romaine, parées d’un nouveau prestige politique, ont trouvé un champ d’application durable et séduit pendant au moins deux générations les nouveaux notables locaux. L’un des exemples les plus septentrionaux a été récemment identifié à Pola (Pula) en Croatie, au cœur de ce qui fut la X* Région augustéenne d’Italie : peu après l’acces­ sion au titre de colonie, dans les années 40 av.J.C., un autel funéraire, reconstitué par G. Fischer, fut consacré à un Sex. Palpellius, dont la famille allait plus tard fournir un consul, gouverneur de la Pannonie (fig. 452). Dans les provinces occidentales, des observa­ tions du même ordre ont pu être faites. Si en général le phénomène s’y produit avec quelques décennies de retard par rapport à l’Italie, il revêt exactement les mêmes formes, et ses causes poli­ tiques et sociales semblent analogues. En Gaule Transalpine, parmi les milliers de blocs entassés dans le Musée Lamourguier de Narbonne, un grand nombre provient à coup sûr de monuments

funéraires à frise dorique : les dimensions comme le décor des métopes ne laissent guère de doute à ce sujet, etJ.-Cl. Joulia rapproche avec raison ces fragments de ceux qu’ont livrés les colonies et municipes d’Italie centrale ou septentrionale. Bien qu’aucun édifice complet ne puisse être reconstitué, il est clair que la plupart de ces éléments appartenaient à des tombes en forme d’autel (fig. 453). Les plus anciennes sont appa­ remment liées à la colonisation militaire, et plus précisément à la fondation césarienne de 45 av. J.-C., comme l’indiquent les frises d’armes qui, sur plusieurs blocs d’angle, voisinent avec les frises doriques. Mais il serait imprudent d’attri­ buer tous ces monumenta à des vétérans : l’entraî­ nement de la mode, et aussi sans doute la pesan­ teur des ateliers locaux précocement rompus à ce genre de sculpture architectonique ont selon toute vraisemblance assuré la permanence du modèle dans les couches les plus diverses de la popula­ tion, et cela jusqu’au début de l’Empire, peut-être même assez avant dans la période julio-clauToute une « middle dass » de magistrats, de commerçants, de petits ou moyens propriétaires, bénéficiaires réels ou potentiels du nouveau régime, descendants de ceux qui en 29 av.J.-C. avaient prêté serment à Octave, ont contribué à maintenir la tradition en Narbonnaise mais aussi dans la Péninsule ibérique, et particulièrement en Tarraconnaise, où les études de J. Beltrân Fortes et de M. A. Gutiérrez Behemerid ont récemment précisé la chronologie et la diffusion du type. Les cas les plus remarquables, et aussi sans doute les plus précoces, se rencontrent à Barcelone (Barcino) dès l’époque augustéenne : ces tombes en forme d’autel, dont les plus grandes atteignent presque la taille du monument pompéien de M. Porcius, ont été parfois restituées sans frise dorique, mais tout porte à penser que, comme leurs homologues de Sagonte, elles en étaient pourvues. L’édifice le plus monumental de la série, malheureusement détruit en 1870, était sans doute la « Torre del Breny » (près de Manresa, au nord de Tarragone) (fig. 454) ; mais déjà le choix des rinceaux à l’emplacement de la frise dorique, et la présence probable d’acrotères d’angle au heu de pulvini au sommet suggèrent une chrono­ logie relativement basse dans le I" siècle ap. J.-C. et la dérivation à partir de modèles italiques diffé­ rents (infra, p. 396 sq.). L’Afrique proconsulaire elle-même ne resta pas à l’écart du mouvement : la monographie consacrée par N. Ferchiou au monument de C. Julius Felix à Henchir Messaouer présente un édifice presque carré de 4,60 sur 4,62 m au sol, qui propose une version élaborée du tombeau à autel, où se mêlent avec une savoureuse maladresse des traditions ornementales locales et

Clfchés CCJ-CNRS.

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Barcelone ; c : Torre del Breny ; d : Boades. Échelle : 1/200'.

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Fig. 455. Restitution des faces nord et est du mausolée de C. Julius Felix à Henchir Messaouer (Tunisie) par N. Ferchiou.

un souci évident d’appliquer les schémas décora­ tifs et structurels italiques sous leur forme la plus canonique (fig. 455). Le monument, tel que reconstitué par l’archéologue tunisienne, compor­ tait, au-dessus d’un socle à double crépis et modénature complexe, un corps quadrangulaire cantonné par des chapiteaux corinthiens et couronné par un entablement complet, dont une frise dorique librement interprétée et une corni­ che denticulaire. Aux deux-tiers de l’élévation une frise de signes zodiacaux ajoutait une dimen­ sion astrologique à cet autel monumental dont la définition ne fait aucun doute puisque les pulvini du registre terminal ont été retrouvés et remis à leur place. Fils d’un affranchi d’Auguste qui avait reçu des terres à une centaine de kilomètres de Carthage, non loin de Bou Arada, ce C. Julius Felix a voulu de toute évidence exprimer à travers cette construction funéraire son orgueil de citoyen de fraîche date et son attachement aux modes importées d’Italie, même si la main-d’œu­ vre locale ne pouvait répondre exactement à ses directives, même si, depuis quelque temps déjà, les schémas « romains » n’étaient plus exactement ce qu’il croyait. Le type, en Italie, n’avait en effet pas manqué d’évoluer et des changements importants étaient intervenus dans le décor et la conception même de la tombe en forme d’autel à partir de l’époque

L es m o n u m e n ts jeunérair e s

augustéenne. Le premier a consisté en une désaf­ fection croissante de la frise dorique au profit de la frise de rinceaux plus ou moins végétalisée : on peut voir là le signe de l’influence des édifices cultuels, et particulièrement des temples dynas­ tiques qui font leur apparition sur plusieurs sites urbains de la Péninsule ; le rinceau d’acanthes y occupe une place prépondérante car il véhicule l’un des symboles les plus efficaces de l’idéologie officielle de l’Age d’Or. Le hasard ou la chance ont voulu que fut retrouvé un objet qui donne en lecture directe un indice de ce changement de mode : l’épitaphe de l’autel funéraire du centu­ rion P. Clodius, à Modène, présente à son sommet un rinceau qui de toute évidence a été sculpté au revers d’une plaque déjà prête à être mise en œuvre ; mais sur ce revers le décor prévu était celui d’une frise dorique, dont apparemment le commanditaire n’a pas voulu, considérant ce motif comme trop commun ou trop ancien. Mais surtout, l’augmentation des dimensions de la chambre sépulcrale entraine, dans les versions monumentales du début de l’Empire, un changement sémantique assez sensible : les allu­ sions directes à la notion d’autel tendent à s’es­ tomper au profit d’éléments terminaux qui sont empruntés à d’autres contextes, celui des édifices religieux proprement dits, tels les acrotères d’an­ gle, ou celui des structures fortifiées, tels les

merlons. Trois exemples suffiront à jalonner cet axe de l’évolution : le monument funéraire qui sert de base au campanile roman de l’abbaye de San Guglielmo al Goleto dans la province d’Avellino en Italie méridionale a été construit pour un primipile de la IVe légion Scytique, M. Paccius Marcellus. Avec les acrotères, il attei­ gnait la hauteur de 8 m, ce qui est évidemment considérable pour un édifice de ce type ; surtout étudié pour les insignia et ornamenta très nomb­ reux dont sa façade est encore constellée, il permet de comprendre ce qui a contribué à la fortune de ce genre d’édifice, à savoir les surfaces offertes par le corps quadrangulaire ; celui-ci formait un « panneau d’affichage » commode et dépourvu de toute contrainte technique pour la présentation des insignes et honneurs recueillis au cours d’une carrière. La datation de ce singulier « autel » est très discutée ; nous ne voyons pas de raison de remettre en cause la chronologie haute proposée par F. Coarelli (entre 2 av. J.-C. et la mort d’Auguste) au profit de celle, beaucoup plus basse (années 70-80 ap. J.-C.), récemment suggé­ rée par Th. Schäfer. Le tombeau de P. Numisius Ligus à Sepino (Saepinum) dans les Abruzzes, qui date du deuxième quart du I" siècle ap.J.-C., récemment remonté dans sa totalité, permet d’avoir une idée du monument de Paccius Marcellus : on y cons­ tate que le dé s’y est développé d’une telle façon que la signification initiale du type s’en trouve oubliée ou occultée, les acrotères - qui certes peuvent à la rigueur se rencontrer sur des autels monumentaux - incitant plutôt l’observateur à évoquer un temple, même si la citation plastique, isolée, n’a encore aucune incidence sur la forme globale de l’édifice. Troisième exemple, à peu près contemporain semble-t-il, le mausolée attribué à C. Liberalis près de Tivoli ( Tibur) : il manifeste lui aussi, avec l’absence de toute référence explicite au schéma de l’ara, une dilatation très caractéristique de l’espace interne, constitué d’un cylindre surmonté d’une demi-sphère ; le soin apporté au grand appareil et les caissons de la coupole disent clai­ rement l’importance que revêt désormais le caveau lui-même, en tant qu’espace sacralisé (fig. 456). Nous ne saurions clore cette section sans accorder une place particulière à un tombeau célèbre, le « sépulcre des Platorini », que tous les visiteurs du Musée des Thermes à Rome se souviennent d’avoir vu partiellement reconstitué. Longtemps identifié comme un monument « naomorphe », c’est-à-dire en forme de temple, il a été récemment rendu à sa véritable famille, celle des tombeaux en forme d’autel (fig. 457). Mais la monumentalisation du type (7,44 x 7,72 m de côté ; 6,80 de hauteur), le luxe du revête-

Fig. 456. Le monument dit de C. Liberalis àTivoli, d'après Z. Mari.

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ment marmoréen de ses parois en opus caementi­ cium, la richesse de ses profils de base et de couronnement en travertin, et plus encore la présence de somptueuses acrotères d’angle à son sommet ont entretenu longtemps l’illusion qu’il voulait représenter à lui seul un sanctuaire ; l’ab­ sence de pilastres ou de colonnes engagées exclut cette hypothèse. Même si, comme le pense

Fig. 458. Vue du caveau du tombeau dit des Platorini. Cliché DA1 70.1615.

L es monuments funéraires

H. von Hesberg, les acrotères, en raison de U richesse et du traitement de leur décor, appar tiennent à une phase postérieure, la définition typologique n’en est pas affectée car, nous venons de le voir, beaucoup de tombeaux « ad ara * d’époque tardo-augustéenne ou julio-claudienne ont adopté cet ornement sommital. D e même on ne s’étonnera pas qu’une belle frise d e rinceaux ait pris la place de la traditionnelle et austère frise dorique. L’étude récente de F. Silvestrini a d ’autre part permis d’identifier le véritable fondateur de ce monumentum, retrouvé en 1880 sur la rive droite du Tibre, loin d’une voie de circulation importante, et donc probablement établi sur un domaine privé : il s’agit de M. Artorius Geminus, fils d’Artorius Asclepiades, l’un des médecins d’Auguste ; il fut praefectus aerarii militaris vers 10 ap. J.-C. La tombe fut donc construite selon toute vraisemblance au début des années 20 ; si l’on en juge par les épitaphes qui vinrent ensuite s’ajouter à la première, et par les urnes cinéraires déposées dans les niches alternativement quadrangulaires et semi-circulaires réparties autour de l’espace central du caveau (fïg. 458), elle accueillit des dépositions de descendants et d’alliés (dont les Sulpicii Platorini) jusque dans les années 60 ap. J.-C., c’est-à-dire jusqu’à l’époque de Néron. Une variante assez rarement attestée mais très remarquable de la tombe à autel est celle de la « tombe-table *. C’est là un choix qui peut paraitre étrange, mais on n’oubliera pas que la mensa est mentionnée par Cicéron au nombre des formes de monuments funéraires les plus ancien-

nes (De legibus, II, 66). De fait l’aspect religieux de la table à offrande, qui peut tenir lieu d’autel, conjugué à la fonction honorifique de certaines « tables » de pierre élevées sur des places publiques (comme le forum de Velleia), confé­ raient à l’objet monumentalisé une efficacité singulière. D’autant que les signes de la réussite militaire, civique ou politique, pouvaient, au même titre que l’épitaphe, prendre place dans l’espace vide qui s’ouvrait théoriquement entre les pieds, et qu’on meublait ordinairement au moyen d’un panneau. Le cas le plus célèbre - très restauré - est celui du monument de la via Valeria, à 4 km de Vicovaro ; son inscription l’at­ tribue à un G. Maenius Bassus, praefectus fabrum (fig. 459).

L e s to m b e a u x à éd ic u le su r p o d iu m (Rome et Italie) Chacun connaît le « mausolée » des Julii à Glanum, celui de Poblicius à Cologne ou celui des Flavii à Kasserine (Tunisie). Les sépulcres consti­ tués d’au moins deux éléments superposés, à savoir un haut podium supportant un édicule en forme de naïskos, de pavillon circulaire ou de niche prostyle, qui sert de présentoir aux effigies des défunts, sont assurément les édifices funérai­ res les plus célèbres sinon les plus représentatifs de l’architecture romaine. Il s’agit effectivement d’une catégorie fort riche, et presque universelle, dont toutes les régions de l’Empire ont proposé des versions plus ou moins élaborées. Rappelons seulement que sur les quelque 100 tombeaux monumentaux recensés aujourd’hui aux portes de Pompéi, 25 au moins appartenaient à ce type, et que tous se situent entre les années 60 av. J.-C. et les premiè­ res décennies du Principal. Leur fréquence dans la proximité d’un grand nombre d’autres villes italiennes, de Sarsina à Aquilée, prouve qu’ils ont eu la faveur des classes aisées à la fin de la République et au début de l’Empire. Et la plupart des noyaux A'opus caementicium qui s’élèvent comme des moignons plus ou moins décharnés dans la campagne romaine sont les vestiges de ces monumenta, dont Vitruve observait déjà en son temps que les plus anciens tendaient à s’affaisser : le remplissage interne de ces échafaudages prétentieux, dépouillé des pierres de parement qui en assuraient la cohésion et des éléments architectoniques qui en constituaient l’épiderme, se disloque ou se délite sous l’effet des intempé­ ries (II, 8, 3). Certains d’entre eux atteignaient sans doute des hauteurs que nous avons quelque peine à imaginer aujourd’hui : ainsi le monument

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attribué jadis à Pompée (et dont F. Coarelli pense qu’il peut en effet avoir appartenu au rival de César, en raison de la proximité de sa villa), non loin d’Albano sur la via Appia, comportait au moins trois et peut-être quatre étages dont deux ou trois étaient animés par des colonnes ; sur une base de 14 m de côté son élévation est évaluée à au moins 29,5 m (100 pieds romains) et au plus 45 m (selon la restitution de Canina). Quand on songe que le « mausolée » de Glanum, unanime­ ment considéré comme l’un des plus grands de la série, ne dépasse guère 17 m, on mesure le gigan­ tisme de ces premières réalisations de la fin de la République. Dans les provinces, la diffusion de ce type monumental s’étend souvent sur des périodes longues, en amont comme en aval, parce qu’il peut bénéficier de cautions régionales plus ou moins anciennes, qui lui confèrent une légitimité supplémentaire, en conciliant la volonté d’assimi­ lation et le respect des traditions. Bien qu’ils s’imposent au premier regard et que leur forte personnalité plastique interdise de les confondre avec des éléments prove­ nant d’autres séries, ces monuments restent rebel­ les à toute définition simple, en raison même de leur richesse formelle et de la multiplicité de leurs variantes « dialectales ». Les variations de la terminologie archéologique en portent témoi­ gnage : H. Kahler, puis G. Precht et tout récem­ ment B. Numrich parlent volontiers de « tombeaux-tours » (Turmgräber), ou turriformes. Beaucoup d’archéologues italiens, depuis G. Mansuelli, recourent à l’expression « monu­ menti a cuspide », c’est-à-dire « tombeaux à flèche pyramidale », privilégiant ainsi un type de couvrement fréquent en Italie centrale et septentrionale. H. Gabelmann et après lui N. Andrikopoulou-Strack les regroupent sous la notion, qui se veut à la fois historique et descriptive, de « Mausoleumsgrundformen », ou « tombeaux dérivés de la forme du Mausolée ». Les Français quant à eux hésitent, en fonction de la région où ils travaillent et de leur formation, entre le mot de « mausolée » (avec ou sans majus­ cule) entériné par Fustige pour quelques-uns des édifices les plus célèbres, mais toujours porteur, qu’on le veuille ou non, d’une hypothèse géné­ tique, et l’expression plus neutre mais à certains égards réductrice de « tombeau-tour ». On conviendra en effet que cette dernière s’applique davantage (infra, p. 417 sq. et p. 463 sq.) aux monuments palmyréniens ou africains qu’aux monuments occidentaux où la distinction structu­ relle et plastique entre le podium et l’édicule rompt la continuité verticale. Quant à intégrer sous une forme explicite ou allusive la référence au Mausolée (d’Halicamasse évidemment), c’est prendre d’emblée une option sur l’origine et l’his-

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Fig. 460. Restitution du Monument des Néréides à Xanthos.

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L es m onuments -FUNéraires

toire de l’édifice qui se révèle à l’examen pour le moins imprudente ; V. Kockel a fait sur ce poim des observations décisives. Nous avons préféré, en désespoir de cause, nous en tenir à une défini­ tion aussi platement descriptive que possible, en recourant au vilain mot d’édicule, qui a du moins l’avantage de la généralité et qui nous autorise à accueillir sans exclusive la plupart des variantes reconnues du type. On distinguera d e toute façon ces tombeaux à podium et édicule des « piliers > d’Aquitaine ou de Rhénanie qui n’e n constituent pas seulement une simplification mais relèvent en partie de traditions différentes. Les antécédents doivent être cherchés dans les hérôa des IV*-III* siècles av. J.-C. d’Asie Mineure, qui mêlent en une formule promise à un bel avenir les influences de la Perse lycienne et les formes grecques : compromis efficace entre la tour et le naïskos, le Monument des Néréides de Xanthos vers 380 av. J.-C. constitue certaine­ ment, en dépit du caractère hétérogène de sa structure et de son décor, une tête de série ; haut de 13,50 m il élevait au-dessus d’un socle nés historié une « cella » dérivée du concept hellé nique du temple périptère ionique entouré de colonnes libres de 3 m de hauteur (fig. 460). Vers la fin de l’époque classique et les premières décennies hellénistiques, le schéma se diffuse rapidement : l’hérôon de Limyra, encore en terri­ toire lycien, découvert en 1966, se présente comme un temple amphiprostyle pourvu d’un podium de 3 m de haut dont les colonnes libres sont remplacées par des caryatides (fig. 461). De telles compositions à forte puissance symbolique devaient être rapidement accueillies en Grèce propre, comme l’atteste la tombe de Kallithéa, retrouvée en 1968 à proximité des Longs Murs, non loin du Pirée, qui propose une version allé gée de ces prototypes micrasiatiques : une plate­ forme à trois degrés comportant deux frises superposées que sépare un bandeau inscrit supporte une petite chapelle ionique abritant trois statues en pied ; datée du troisième quart du IV* siècle av. J.-C., elle offre un témoignage intéres­ sant du développement atteint par la tombe grecque et plus précisément attique, juste avant les lois somptuaires de Démétrios de Phalère (316 av. J.-C.). Désormais allégé, le lourd schéma à naïskos sur podium apparaît pleinement adapté aux exigences d’une architecture funéraire dont la dimension verticale devient prépondérante et où l'allusion plastique au temple se réduit à une chapelle-présentoir. Depuis peu un monument découvert par les archéologues allemands en 1984, et dont l’analyse n’est pas achevée, est venu s’ajouter aux antécédents jusqu’ici postulés, c’est le « Ptolémaion » de Limyra : à partir des quelque 985 blocs retrouvés, un puissant édifice peut être restitué, composé, de bas en haut, d’un podium

quadrangulaire sur crépis, à frise et corniche doriques, d’une tholos - sans doute plutôt monoptère que périptère : on devrait donc faire abstraction de la alla postulée par la fig. 462 et d’un couronnement pyramidal ; s’il devait se confirmer que cette étonnante composition, haute de 100 pieds (29,32 m), fut élevée par le conseil (la « boulé ») de Limyra en l’honneur de Ptolémée II au début du IIIe siècle av. J.-C. pour remercier le souverain Lagide d’avoir repoussé une incursion celtique en Lycie, nous tiendrions là un remarquable précédent de la première période hellénistique, que son ampleur monu­ mentale et sa valeur « héroïque » ne pouvaient manquer de signaler à l’attention des imperatores romains dès le IIe siècle av.J.-C (fig. 462). Les exemples italiens les plus anciens appa­ raissent en Grande Grèce où leur rapport avec les modèles hellénistiques, plus religieux que propre­ ment funéraires, reste prégnant, comme le prouve le tombeau de Paestum, déjà mentionné (supra, p. 389) (fig. 441) : dans la restitution qu’en propose P. C. Sestieri, le podium est relativement bas et la façade corinthisante du petit temple prostyle n’est pas sans évoquer par anticipation la fameuse « Tombe Hildebrandt » de Sovana, en Étrurie méridionale (fig. 463), plus tardive quant à elle puisque ne remontant pas au-delà du Ier siècle av. J.-C. Le succès rencontré par ce type d’édifice, adapté aux exigences des classes riches de lTtalie romaine, s’explique en partie, lors de l’émergence des monumenta individuels (fin IIe début Ier siècles av. J.-C.), par les facilités qu’il offre pour la mise en valeur, c’est-à-dire la mise en scène de la statue-portrait. Contemporain de l’apparition de la tombe en forme d’autel, dont il est en quelque sorte la version ambitieuse, le tombeau à podium et édicule se développe au même rythme que la mode des effigies en pied, dont Cicéron rappelle - pour le déplorer - qu’elle connaît en son temps un grand essor, hé au luxe croissant des constructions funéraires [De legibus, II, 68). Parmi les incunables du type, le tombeau de Bibulus, édifié par décret sénatorial le long de la voie qui sortait de Rome par la porta Fontinalis au pied du Capitole (aujourd’hui sur la gauche de la façade du Monument de Victor-Emmanuel) est assez bien conservé pour qu’en soit restituée la silhouette à peu près complète (fig. 464 et 465) : datable des années 70 av. J.-C., puisque le titu­ laire, inconnu par ailleurs, fut tribun de la plèbe en 82 (CIL, VI, 1319 = 31599), il se composait d’un socle de huit assises de travertin et de tuf, et d’une façade rythmée par des pilastres toscans entre lesquels sont placés des panneaux en relief sous modénature ; une architrave à deux fasciae et une frise à guirlandes et bucrànes impliquent la présence d’une comiche et peut-être d’un fronton

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Limyra, d’après G. Stanzl. en façade. La porte centrale ouvre sur une niche peu profonde ; on entrait en fait dans la chambre sépulcrale par une petite baie située sur la face arrière du podium. Remarquable apparaît encore aujourd’hui l’épitaphe en grandes lettres à la base de l’édicule ; sa position la désigne comme Velo­ gium de la statue et prouve que tout est conçu dans un tel monument pour exalter, au sens propre comme au sens figuré, la personne du défunt, ou du moins son effigie.

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Fig. 463. La «Tombe Hildebrandt ». restituée par R. Bianchi Bandinelli.

Fig. 464. Façade et coupe du tombeau de Bibulus à Rome, par G. Boni.

LES MONUMENTSyHiNÉRAIRES

C’est Pompéi qui, une fois de plus - et dans ce cas particulier le phénomène ne tient pas seule­ ment aux conditions de la conservation des vesti­ ges mais aussi, dans une large mesure, à la récep­ tivité du contexte - offre les exemples les plus accomplis de ce genre de composition à date haute, c’est-à-dire encore dans le 2 ' quart du I" siècle av. J.-C. Le fameux « tombeau à guirlan­ des » de la Porte d’Herculanum, restitué par V. Kockel à partir de membra disiecta, montre quel soin pouvait être apporté à la réalisation d’un monument à édicule ; considéré de toute évidence comme l’édifice funéraire le plus riche de signification qui se put concevoir, il requérait de la part du commanditaire et des praticiens qui travaillaient pour lui des efforts comparables à ceux que deux ou trois décennies plus tard Cicéron déploiera pour l’hérôon de sa fille : de même que l’orateur fera acheter des colonnes de marbre grec par l’intermédiaire d’Atticus (Ai Atticum, XII, 19, 1 ; XIII, 6, 1), de même le propriétaire du tombeau pompéien avait fait venir des colonnes en brèche de marbre oriental et des chapiteaux à tête de chimères (ou de grif­ fons à mufle de lion) en marbre du Pentélique pour l’édicule prostyle de son monumentum. Celuici se décompose en deux niveaux bien individua­ lisés qui méritent quelque attention car ils sont à ce jour, pour leur conception et leur décor, les représentants les plus anciens de partis dont la postérité italienne et plus encore provinciale sera riche (fig. 466 et 467). Au-dessus d’un socle à degrés, un podium de plus de 4 m de haut (si l’on intègre les moulures de base et l’entablement dorique, totalement hypothétique) est animé par des pilastres à chapi­ teaux corinthisants interrompus en façade par le

Fig. 465. État actuel du même tombeau. Cliché DAI 76.2411.

panneau de l’épitaphe mais reliés entre eux sur les longs côtés par des guirlandes ; celles-ci évoquent un enclos du type saeptum et confèrent au monument, dès son niveau inférieur, un carac­ tère héroïsant ; nous verrons que le motif jouit quelques décennies plus tard d’une grande faveur en Gaule Narbonnaise. Au niveau supérieur, toutes les composantes sont conservées, autori­ sant une recomposition graphique assurée : on remarque surtout les chapiteaux corinthisants figurés, déjà nommés, oeuvres néo-attiques repré­ sentatives de la production athénienne de la première moitié du I" siècle av. J.-C. ; la tête de l’être mythique entourée d’ailes qui procèdent autant du registre végétal que du registre animal rappelle à s’y méprendre les pièces similaires du navire de Mahdia et des « Propylées Intérieurs » d’Eleusis (fig. 468). Le très beau rinceau de tiges à petites fleurs qui règne sur la frise s’enrichit de grappes de raisin (fig. 469). Enfin la comiche horizontale et le départ du rampant confirment le

guirlandes »vu du sud. Cliché DAI

Fig. 468. Chapiteau corinthisant à «tombeau à guirlandes ». Cliché DAI 77.2234.

cule du «tombeau à guirlandes ». Cliché DAI 77.2090.

Fig. 466. Restitution de l'une des faces latérales du

15. $JSS;!¥EESuDElLA

ÜSaÙttPUBLIQUE. ORIGINE, ÉVOLimON'l^ttl'tfÉ'tjSfôN PROVINCIALE

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Fig. 470. Élévation schématique du

caractère sacralisant de l’édicule, traité comme un véritable temple. L’imagerie de cet ordre singulier veut probablement donner à voir la richesse d’un monde naissant ou renaissant dont les monstres hybrides et les rinceaux, où les fruits de la vigne surgissant hors de leur contexte naturel, témoi­ gnent avec éloquence. C’est l’univers de l’Age d’Or, qui est celui des Bienheureux où le défunt est censé vivre désormais. La jeunesse du monde est ici une garantie à la fois de la survie indivi­ duelle et de la pérennité du souvenir. Plus tard, sur d’autres monuments analogues, les Gorgones, les Griffons ou les Érotes ailés assumeront des fonctions voisines. Mais cette dimension symbo­ lique coexiste avec un souci de représentation et d'affirmation de la richesse qui met l’accent sur la face tournée vers la voie : seuls les éléments de celle-ci sont en marbre, le reste, sur les côtés du

L es monuments tunébair es .

naïskos où les colonnes se transforment en pilas­ tres adossés au mur de la petite ceüa, é tan t en tuf revêtu de stuc. La frise marmoréenne d ’un seul tenant, réalisée en Grèce ou par des artistes grecs, qui règne sur l’ordre libre de la façade, fait place, latéralement, à une assez laborieuse imitation due à des artisans locaux. Il est dommage que rien ne soit connu de la personne, de la famille ni de la situation sociale du titulaire de ce monument, dont on peut seulement affirmer qu’il a été réalisé peu après la déduction syllanienne, entre 80 et 70 av-j.-C. Mais c’est surtout à la fin de la République et au début de l’Empire que se multiplient les monu­ menta à naïskos. Leur typologie, liée à la vogue des statues-portraits, apparaît caractéristique de la phase la plus active de l’émulation sociale et culturelle ; celle-ci perd en Italie beaucoup de sa vitalité au cours de la période julio-claudienne ; du moins les rivalités gentilices ou individuelles, dans le cadre municipal ou colonial, ne s’y expri­ ment-elles plus par le truchement de ce genre d’édifice. Il y a là un phénomène qui a été main­ tes fois observé dans toutes les régions de la Péninsule, et dont les causes sont dans l’ensemble assez claires : dégradation du climat politique et accession à la richesse sinon au pouvoir des affranchis qui supplantent dans bien des cas les anciennes classes dirigeantes. Ce n’est assurément pas un hasard si les monuments si remarquables de Sarsina (Sassina), en Emilie-Romagne, et de Campanie se concentrent dans les années situées de part et d’autre du changement d’ère. Le monument d’Aefionius Rufus à Sarsina, étudié naguère par S. Aurigemma, a récemment fait l’objet d’un réexamen qui a conduit à quelques corrections mineures de la ou plutôt des restitutions antérieurement proposées (fig. 470). La discussion porte sur le nombre d’assises du podium, sur la situation de l’inscription et sur la position relative de la frise dorique et de la grecque dont les fragments retrouvés n'imposent aucune localisation précise. Ce qui nous importe ici, c’est l’absence de toute animation architecto­ nique du podium dans le sens vertical, la concep­ tion de la chapelle prostyle comportant une alla close par une fausse porte, et non plus ouverte en façade comme sur le monument aux guirlandes de Pompéi, et enfin la présence d’une flèche pyra­ midale qui remplace la toiture à fronton. Cette dernière, gardée à sa base par des sphynx, est surmontée d’un chapiteau qui lui-même supporte une ume cinéraire (fictive) de marbre (fig. 471). C’est la preuve que cette couverture si singulière, dont beaucoup d’édifices funéraires d’Italie septentrionale se doteront par la suite, est le vecteur véritable de l’exaltation des défunts et de la sacralisation du naïskos devant lequel figurent leurs statues. Il importe à ce propos de rappeler

que la superposition pyramide-chapiteau est celle même que Vitruve, transmetteur en ce domaine de la pure tradition hellénistique, préconise pour la couverture des temples ronds périptères (IV, 8, 3). Il utilise du reste le terme pyramis qui est la translittération du terme grec Jtupapiç, lequel désigne, dans la cosmogonie du Timée de Platon, le tétraèdre ; celui-ci est l’un des cinq polyèdres réguliers auxquels le philosophe attribue la fonc­ tion de symboliser l’un des éléments fondamen­ taux de l’univers : or le tétraèdre n’est autre que le feu, c’est-à-dire, dans la progression des composantes du cosmos, l’élément le plus fluide, celui qui se rapproche le plus de la matière céleste de l’éther. L’élévation de l’ume cinéraire par la pyramide de la toiture revêt donc selon toute probabilité un sens eschatologique précis. D’autant que, contrairement à plusieurs monu­ ments de ce type qui, en Italie ou dans les provin­ ces, sont des cénotaphes et non point des tombeaux proprement dits, il existe ici une rela­ tion directe entre le locus sepulturae et le monumen­ tum : l’édifice de Sarsina est construit sur le lieu même du bûcher (bustum) funéraire et l’ume ciné­ raire du défunt, du moins celle du premier titu­ laire du tombeau (car au total quatre personnages y seront honorés épigraphiquement et plastique­ ment), a été murée dans le soubassement de celuici. Le phénomène de sublimation, au sens propre du terme, depuis la terre où reposent les restes mortels, jusqu’à l’àme élevée dans les sphères, se déchiffre donc, pour peu qu’on veuille bien décrypter les symboles élémentaires de la compo­ sition, en lecture directe. Nous aurons à nous souvenir de cet exemple pour l’interprétation d’autres édifices, dans des contextes où, en première analyse, on n’attendrait guère la diffu­ sion d’une culture de ce genre. Nous devons certes nous garder d’attribuer à tous les monuments de la série une signification aussi élaborée. Le poncif architectural et orne­ mental se diffuse rapidement, et perd, par làmême, une grande part de sa portée initiale. Le tombeau à édicule sur podium de la Porta di Nocera à Pompéi, qui date de la fin du Ier siècle av. J. C., présente une interprétation simplifiée et, au propre comme au figuré, singulièrement apla­ tie de la formule (fig. 472) : l’absence de recher­ che se traduit entre autres par la similitude des chapiteaux du premier et du deuxième niveau ; la niche sous arcade qui remplace le naïskos fait illu­ sion en façade du fait de la présence de la frise et du fronton, mais trahit en coupe la réduction du parti. La mise en scène des statues, comme le note H. von Hesberg, prend ici le pas sur la conception architecturale. La même observation peut être faite sur une série de monuments à flèche pyramidale : par rapport au tombeau d’Aefionius, celui d’A. Murcius Obulaccus, égale­

15. L es types

Fig. 472. Le tombeau à édicule de la Porta di Nocera à Pompéi. Coupe, façade et plan, par A. DAmbrosio et St. De Caro. ment à Sarsina, ne présente plus qu’un seul entrecolonnement latéral, celui du pronaos, bordé par un chancel bas, la « cella » se réduisant à une simple niche, du reste close en façade (fig. 473). Il en va de même, autant qu’on en puisse juger, pour le « tombeau aux frises d’armes » reconsti­ tué par G. Fischer à proximité de l’ancienne Pola, qui semble pouvoir être daté de l’époque augustéenne (fig. 474).

j j n o E jJ t.R épublique . O r igine , évolutio®rEfi imWtiasioN provinciale

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Fig. 474. Le «tombeau aux frises d'armes »de Pola, resti­ tué par G. Fischer.

A vrai dire ce sont les édifices à tholos qui, en Italie, s’affirment comme les plus riches de poten­ tialité. Nous ne saurions les analyser tous dans le détail. Plusieurs d’entre eux, et non des moindres, ont été identifiés et reconstitués au cours de ce dernier quart de siècle. Il importe de prendre au moins connaissance des monuments qui jalon­ nent les tendances principales de cet échantillon très diversifié. Répartis entre le troisième quart du Ier siècle av. J.-C. et les premières décennies du siècle suivant, ils ont souvent posé des problèmes d’interprétation : l’un des exemples italiques les plus anciens est la rotonde funéraire du VIe mille

L es m onument>TFTjn£raire

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de la via Appia, que Canina considéra jadis comme le couronnement d’un énorme tumulus. W. von Sydow, qui en a repris l’étude, montre qu’il s’agit en fait d’un « Turmgrab » à tholos (hg. 475), dont le podium n’est pas restituable ; mais le « temple » circulaire était quant à lui somptueusement revêtu de placages de marbre et pourvu d’un décor très dense : ce pseudo-monoptère dont les parois étaient rythmées par des arcades entre des pilastres sous entablement droit présentait en particulier une frise à fleurs de lotus (fig. 476) et une comiche dont les modillons étaient ornés de protomes de taureaux ; ces

motifs, rapprochés des chapiteaux caractéris­ tiques du style « urbain » dit du Second Triumvirat, permettent de dater l’édifice des années 40-20 av. J.-C. et témoignent de l’in­ fluence des monuments publics contemporains (Regia, temple de César divinisé, temple d’Apollon in Circo) sur cette architecture funéraire d’apparat qui entend, par son « aggiomamento » et le recours aux ateliers qui avaient alors la faveur du pouvoir, exhiber la richesse et plus encore la situation politique du propriétaire. Le plus souvent les monuments à tholos élèvent sur un podium un édifice rond monoptère ou pseudomonoptère : c’est le cas du tombeau de Sestino (Sestinum) en Toscane, étudié naguère par M. Verzar (fig. 477), où la colonnade présentait trois entrecolonnements libres dans la partie tour­ née vers la voie où prenaient place les statuesportraits, cependant que les entrecolonnements postérieurs étaient clos. Une formule analogue pouvait avoir été adoptée dans le grand monu­ ment de la Porta Marina, à Ostie, restitué par

Fig. 476. Dessins des blocs de frise

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407

Fig. 478. Restitution du monument de la Porta Marina à Ostie par M. Floriani Squarciapino.

Fig. 479. Restitution «corrigée» du monument funéraire d'Aquilée.

M. Floriani Squarciapino comme entièrement muré sur toutes ses faces (fig. 478) alors qu’au moins un entrecolonnement devait être ouvert, pour laisser voir l’effigie du défunt dans l’axe de la façade. Mais on ne peut exclure totalement l’hypothèse de la fermeture, attestée par exemple au monument de Nettuno, dans le voisinage de Rome. Malheureusement beaucoup d’exemplai­ res furent abusivement reconstitués ou même reconstruits à des dates relativement anciennes, et il est difficile de retrouver avec certitude leur aspect initial. Le « grand mausolée » d’Aquilée (Aguiltia), Veneto, remonté arbitrairement au cœur de la ville antique, et sur des bases modu­ laires peu assurées, présente une disproportion étonnante entre le socle à acrotères qui lui tient lieu de podium et la petite tholos corinthienne de six colonnes au centre de laquelle se dressait un togatus (fig. 479) ; le monoptère en l’occurrence, très en retrait par rapport à l’espace disponible, s’apparente davantage à un baldaquin qu’à un petit temple. Le fameux monument pompéien

des Istacidii, dans la proximité duquel furent effec­ tivement recueillis de très nombreux fragments de statuaire et des stèles portant des épitaphes de la gens Istacidia, a fait l’objet d’une étude sérieuse de la part de A. De Franciscis et R. Pane, mais l’attribution à sa tholos des chapiteaux ioniques retrouvés de l’autre côté de la voie est erronée, selon les observadons de V. Kockel. Il reste que cet édifice, datable de la deuxième décennie du I" siècle ap. J.-C., apparaît comme l’un des meilleurs représentants de l’évolution ultime du type en Italie centrale (fig. 480) : l’ampleur de son caveau, qui autorise de nombreuses dépositions, l'aspect imposant de son podium de 6 m de côté, animé par des demi-colonnes (et non des pilast­ res) d’ordre dorico-toscan, le temple rond monoptère à huit colonnes qui le surmonte, autre­ fois occupé par un nombre inusité d’effigies en pied, le désignaient à l’attention de tous, bien qu’il fut situé au deuxième rang des tombeaux qui bordaient la voie d’Herculanum.

L es monuments funérair es _

Voué par définition à l’exposition ostentatoire des ressources d’une famille ou d’un individu qui entendent que nul n’ignore leur importance passée ou présente, ce type de monumentum a donné lieu à des interprétations tout à fait singu­ lières. Sans nous attarder sur des épisodes anec­ dotiques dont le rôle dans l’évolution des formes reste nul ou de peu de poids, il nous faut tout de même mentionner quelques cas : ils expriment d’une façon qui peut nous paraître saugrenue ou pathétique les aspirations à la dignitas, ou seule­ ment à la reconnaissance sociale qui taraudent certaines catégories de la population. L’architec­ ture se met alors au service de mentalités insatis­ faites, qui souffrent même parfois de pathologies profondes. Le moment est venu d’en venir à Trimalchion, l’affranchi richissime et inculte mis en scène par Pétrone. Quand il s’adresse à son marbrier Habinnas, il l’accable de recommandations : « Est-ce que tu construis mon tombeau comme je te l’ai demandé ? Je t’en prie instamment, aux pieds de ma statue représente ma petite chienne, des couronnes, des parfums et tous les combats de Petraites (gladiateur célèbre) pour que, grâce à toi, je continue de vivre après ma mort [...]. Je te prie aussi de figurer sur mon tombeau des navires voguant à pleines voiles, et moi-même siégeant sur une estrade vêtu de la prétexte et portant cinq bagues, en train de distribuer au public des écus que je prends dans un Stic... » (Satiricon, 71, 6-9). Ce mélange de réalisme et de niaiserie, caracté­ ristique de ceux qui sont fiers de leur réussite économique « sans avoir jamais été à l’école des philosophes », comme se plaît à le rappeler Trimalchion, pouvait être observé, à des degrés divers, sur de nombreux monuments, dont seuls quelques-uns ont survécu. Le boulanger Eurysacès qui, en jouant les accapareurs, s’était prodigieusement enrichi dans la dernière phase de la guerre civile, avait fait construire dans les années 30-20 av. J.-C. un étrange édifice à l’endroit où la voie prénestine se sépare de la via Labicana, et qu’on rencontre aujourd’hui tout de suite après avoir franchi la Porte Majeure. Malgré les apparences, il s’agit d’un monument funéraire relativement cano­ nique, constitué d’un soubassement, d’un podium et de l’étage du naïskos. Mais cette séquence plutôt ordinaire a été modifiée pour évoquer au premier degré l’activité d’un pistor redemptor, c’està-dire d’un spécialiste de la panification fournis­ seur de l’État (fig. 481). Le podium est cantonné par des pilastres d’angle sans chapiteau entre lesquels des objets cylindriques verticaux alter­ nent avec des piliers quadrangulaires : les objets en question prétendent reproduire les grands récipients dans lesquels on pétrissait la pâte, à moins qu’il ne s’agisse de modii, c’est-à-dire de

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des istacidii, tel que remonté partiellement par A. De Francisas et R. Pane. Cliché DAI 77.2159. mesures pour le grain. Le corps supérieur n’évoque que très indirectement le traditionnel édicule, d’autant que ses acrotères et son fronton ont depuis longtemps disparu : sur la face princi­ pale, des trous circulaires cemés d’anneaux en relief donnent à voir les mêmes récipients qu’endessous, mais en position horizontale ; l’idée est évidemment de suggérer par ces empilements l’importance de l’entreprise, plus industrielle qu’artisanale. Une grande inscription règne entre les deux niveaux qui énonce la profession et le titre du défunt en soulignant que le décor exprime clairement la source de sa richesse (appa­ ret) ; la frise de l’édicule, précieuse pour l’histoire des techniques, détaille les phases successives de la fabrication du pain. Une seule concession aux

O rig in e . évqi.utiojsi,ex -:diefiu&iq n . provin cia le

409

Fig 48t. Le tombeau du boulanger Eurysacès. Cliché DAI 76.2544,

conventions est faite sur le petit côté oriental, où l’on déchiffre une épitaphe surmontée des statues de M. Vergilius Eurysacès et de son épouse Atistia, encadrés dans une niche étroite (fig. 482). En fait ce tombeau d’Eurysacès jalonne avec une belle efficacité une phase de transition où la mise en scène du métier, caractéristique des clas­ ses moyennes dont le statut n’était pas celui de propriétaires terriens, devient courante. A la fin de la République, ceux qui avaient la possibilité de se faire construire des tombeaux de quelque ampleur, évitaient soigneusement toute allusion de ce genre ; on préférait à l’ordinaire les signes des honneurs civiques ou des charges assumées pour la communauté. Désormais, avec le début de l’Empire et l’accès à l’aisance des affranchis ou des artisans nés libres, les activités qui ont permis l’ascension sociale sont exhibées dans le détail, avec même souvent, comme ici, une jubilation réelle. L’époque claudio-néronienne (autour du milieu du I" siècle ap. J.-C.) verra la multiplica­ tion de monuments, en général plus modestes (autels funéraires, stèles plus ou moins élaborées), où le titulaire a pris soin de se faire représenter dans l’exercice de sa profession.

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L es monuments 'TB néraires

La singularité formelle cependant pouvait revêtir d’autres aspects, moins explicites, et donner lieu à des compositions dont le sens n’était au contraire accessible qu’à des pairs ou à des initiés, au sens plus culturel que religieux du terme. Le tombeau dit des Horaces et des Curiaces, aux environs d’Albano (Albanum), Latium, est un objet architectural dont la portée historique, ou plus exactement « archéologique », ne doit pas être sous-estimée (fig. 483). Très restauré au début du XIX' siècle, il apparait au premier regard comme un unicum, même si, typo­ logiquement, il peut être apparenté à un tombeau à édicule : sur un podium carré de 15 m de côté fait d’un noyau d'opus caementicium revêtu de blocs de pépérin, s’élèvent un cylindre central dont la partie haute a disparu, qui devait s’ache­ ver en un tronc de cône, et aux angles quatre éléments tronconiques, faits aussi de pépérin (fig. 484). Ces « quilles », qu’on a voulu rappro­ cher des cippes phalliques de certains monu­ ments funéraires étrusques, nous mettent en réalité sur la voie d’un « modèle », le tombeau gigantesque de Porsenna, roi de Chiusi (Clusium) en Étrurie, qui s’était allié aux Tarquins pour

Cliché DAI 76.2524.

tenter de rétablir la royauté à Rome à la fin du VIe siècle av.J.-C. Pline l’Ancien, qui cite Varron, le décrit prolixement (UN, 36, 91-93) : il comportait entre autres une base quadrangulaire à l’intérieur de laquelle se développait un labyrinthe inextri­ cable et qui supportait cinq « pyramides », quatre aux angles et une au centre. Tout porte à penser que le tombeau d’Albano, région où du reste est attestée une gens Arruntia, qui pouvait prétendre porter le nom d’Aruns, fils de Porsenna, est une reconstitution érudite tardive de cette composi­ tion, due à un notable qui se targuait lui aussi (comme Mécène !) d’une origine étrusque et peutêtre « royale ». Cette volonté de renouer avec des traditions anciennes - en l’espèce probablement apocryphes - est caractéristique de l’époque augustéenne où l’intérêt pour les choses étrusques s’était trouvé ranimé par les travaux des érudits, A. Cerina, Nigidius Figulus, Tarquinius Priscus, C. Fonteius Capito, et où le Princeps lui-même se donnait beaucoup de peine, dans le cadre d’une politique « philo-italique », pour rendre à certai­ nes métropoles déchues d’Étrurie méridionale, telle Veies, une part de leur antique splendeur. Les fantaisies structurelles et décoratives n’étaient évidemment pas toutes justiciables d’une semblable recherche, et certaines, du moins en l’état actuel des connaissances, relèvent seulement d’une apparente surenchère dans l’ani­ mation des parois et dans l’accumulation des

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détails. L’exemple le plus étonnant - mais il n’est pas unique en son genre - est celui de la fameuse tombe dénommée par la tradi­ tion populaire « la Conocchia », près de Santa Maria Capua Vetere (Capua) en Campanie : les murs du podium sont conçus un peu sur le modèle de la scaenae frons, avec une niche sous fronton en saillie sur une exèdre elle-même percée latéra­ lement d'oculi sous arcades ; les angles en sont soulignés par de petites tours circulaires ; audessus, la tholos aveugle est soute­ nue par six colonnes doriques engagées entre lesquelles s’ouv­ rent des niches peu profondes (fig. 485). Un édifice comme celui-ci, ou comme son homolo­ gue de Pouzzoles (Puteoli) en Campanie, datable du milieu du Ier siècle ap. J. C., témoigne de la faculté de l’architecture funé­ raire à absorber les mouvements « baroques » qui affectent de plus en plus les monuments publics (façades de nymphées, fronts de scène des théâtres) et à les adapter à une typologie par nature réceptive, puisque dénuée de toute contrainte fonctionnelle.

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Fig. 485. « La Conocchia » de Santa Maria CapuaVetere. Restitution par

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Fig. 486. Uoctogone de Pola, restitué par M. Mirabella Roberti.

Un autre cas, difficile à classer mais tout aussi représentatif de cette liberté d’adaptation, est celui de l’édifice de la « Porta Gemina » de Polo, jadis étudié par M. Mirabella Roberti, et réexa­ miné par G. Fischer. Datant du début de l’Empire, il est constitué d’un octogone rythmé par des chapiteaux sans doute corinthiens, élevé sur un socle bas ; il devait servir de podium à un édicule où étaient exposées les statues des défunts (fig. 486). Mais de nombreuses incertitudes subsistent quant à sa typologie exacte, et il est certain que cette composition s’avère plus proche de monuments honorifiques ou commémoradfs, tels qu’il s’en trouve en Asie Mineure, à Éphèse par exemple, que d’une série funéraire propre-

L e s m o n u m e n ts à éd ic u le d a n s les p r o v in c e s occid en ta les Le schéma du monument à socle plein, chapelle quadrangulaire ou tholos, et couverture pyramidante plus ou moins effilée franchit rapi­

L es monuments funéraires

dement les Alpes : il s’impose dès le d e rn ier tien du I" siècle av. J.-C. en Gaule Narbonnaise et dans certaines régions des Trois Gaules (Lyon­ naise et sud de la Belgique) où l’assimilation des élites locales est précoce, pour gagner ensuite, dans le cours du siècle suivant, la Rhénanie. Des variantes particularisées mais parfaitement identi­ fiables du point de vue de leur filiation typolo­ gique apparaissent aussi durant la même période, qui couvre à peine plus de trois quarts d e siècle, dans la Péninsule ibérique. L’exemple le plus ancien est aussi le mieux conservé et le plus complexe : le « mausolée » des Julii de Saint-Rémy-de-Provence (Glanum), dont le décor est encore très hellénistique (ou si l’on veut « tardorépublicain »), peut être situé dans la décennie 30-20 av. J.-C. (fig. 487 et pl. XV-XVI). Chacun le connaît ; il comporte non pas deux mais trois niveaux, au long desquels il développe une étonnante architecture, enrichie et explicitée par un discours plastique d’une rare efficacité : au-dessus d’un socle de trois assises, un podium cantonné par des chapiteaux en sofa présente sur ses quatre faces des scènes tributaires d ’une imagerie directement démarquée de cartons grecs qui exaltent le courage du personnage fondateur de la famille. A l’étage intermédiaire règne un arc quadrifrons (à quatre faces) dont les colonnes d ’an­ gle, d’ordre corinthien, supportent un entable­ ment complet : l’architrave, sur la face nord, porte la dédicace, et la frise déploie un cortège d’animaux marins hybrides, symbolisant peutêtre le voyage vers les Iles des Bienheureux ; en tout cas il s’agit d’un niveau de transition entre les exploits de la vie terrestre et l’héroïsation du sommet, les arches pourvues de rinceaux sur leurs archivoltes parlant évidemment du « passage ». Le troisième niveau est celui de la tholos monoptère où figurent, en toge, le héros et probablement son fils (fig. 488). Malgré cette remarquable cohérence, on peut sans risque d’er­ reur gager que si les archéologues avaient retrou­ vé les fragments épars de ce singulier monumen­ tum, même dans un espace restreint, nul n'aurait osé recomposer un seul édifice. Il s’agit en fait d’un cénotaphe élevé en l’honneur de celui qui, officier dans les armées césariennes, s’est vu concéder la citoyenneté romaine par son général pour faits de guerre, d’où le nom (gentilice) de Julius ; ses petits-fils, au nombre de trois, comme l'indique l’inscription, lui ont rendu ce remarqua­ ble hommage, sans doute à l’occasion du serment prêté par les aristocraties locales en 29 av. J.-C. à Octave, le nouveau maître de l’Occident, ou peu de temps après. C’est le moment où les cives Romani qui doivent leur statut juridique privilégié à des exploits individuels tiennent à le rappeler, pour se distinguer de la masse croissante des citoyens issus des communautés de droit latin où

Ia civitas pleine et entière est acquise automati­ quement par les magistrats municipaux. Face à cette « noblesse de robe », la « noblesse d’épée » des temps césariens affiche son ancienneté et son mérite : nous avons montré ailleurs que le « mausolée » de Glanum doit son existence à cette Mais il n’était pas, en son temps, le seul de ce genre. Des éléments épars ont été retrouvés dans les Bouches-du-Rhône à Saint-Julien-lèsMartigues, Alleins, Vemègues, dans le Vaucluse à Avignon, qui prouvent qu’un véritable atelier itinérant, formé en Italie, mais sans doute pour l’essentiel constitué de lapicides et de sculpteurs régionaux, était actif vers la même époque dans

un vaste rayon : le thème des putti ailés soutenant les guirlandes au-dessus des frises historiées du podium est l’un de ses poncifs les plus spécifiques. Il a dû recevoir commande de monuments qui, sans être en tout point analogues à celui de Glanum, partageaient avec lui bien des aspects, tant en ce qui concerne le parti que le décor. Ces tombeaux ou cénotaphes, de par leur taille et leur monumentalité, mais aussi par les choix culturels qu’ils impliquent, étaient sans aucun doute repré­ sentatifs de cette classe des insignes viri e Gallia Narbonensi dont l’empereur Claude parlera plus tard comme d’une réalité déjà fort ancienne (Tacite, Annales, XI, 24, 5).

Fig. 487. Le «mausolée» des Julii de Glanum. Dessin de sa face nord par J. Bruchet.

Fig. 488. La tholos du même «mausolée ». face nord. Dessin de J. Bruchet.

IS.

t^PUBUQUE. ORIGINE, ÉVQLLrTKLNETDIEHJSION PROVINCIALE

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De fait d’autres édifices procédant du même type, même s’ils ont adopté des formules plus simples, ont été au cours de ces dernières années identifiés et recomposés avec quelque vraisem­ blance : à partir d’environ 64 fragments repêchés dans le Rhône non loin de Beaucaire, A. RothCongès a pu reconstruire graphiquement un tombeau à édicule comportant un socle à frise de rinceaux cantonné de pilastres qui supportait une chapelle à chapiteaux corinthiens surmontée d’une flèche pyramidale. Daté de la décennie suivante, les années 20-10 av. J.-C. sur critères stylistiques, ce monument, dû sans doute à une famille d’affranchis, s’avère très proche de l’édi­ fice d’Aefionius à Sarsina (supra, p. 404) et témoi­ gne lui aussi de la rapide pénétration des modèles d’Italie du Nord, puisque peu d’années séparent les deux compositions (fig. 489). Plus récemment encore les fouilles du site de Fourches-Vieilles à Orange (Arausio) dans le Vaucluse, ont mis au jour une nécropole où les fragments d’un grand

Fig 489 Le mausolée de l'île du Comte à Beaucaire, d'après A Roth-Conges et J.-M. Joulain, CNRS

L es MONUMENTS/FUNÉRAIRES

édifice turriforme, dont une frise architravée figu­ rant des amours conduisant des biges, et des reliefs représentant des griffons veillant sur le trésor d’Apollon (comme au « mausolée » de Beaucaire), ont été remontés à titre de première hypothèse de travail par J.-M. Mignon sur le modèle du cénotaphe de Glanum : développé sur trois niveaux, le tombeau d’Orange culminerait avec une tholos octogonale à huit colonnes cannelées et chapiteaux corinthiens ; les premiè­ res observations sur le décor architectonique tendraient à le situer dans la même fourchette chronologique que l’édifice de Beaucaire. Il est certain que si la « Tour de l’Horloge » n’avait pas été détruite à Aix-en-Provence (Aquae Sextiae) dans les toutes dernières années de l’Ancien Régime pour faire place au palais du Parlement, nous serions en présence d’un autre échantillon d’édifice à trois niveaux, plus directe­ ment conçu sur le modèle du Pharos (du Phare d’Alexandrie), mais trop peu d’éléments en subsistent (à vrai dire, en tout et pour tout, un chapiteau réutilisé dans l’une des fontaines de la ville) pour que nous puissions sérieusement en faire état. Hors de Narbonnaise, il faut signaler, toujours dans le dernier tiers du Ier siècle av. J.-C., les monumenta de la nécropole lyonnaise de Trion, et particulièrement ceux des Salonii et de C. Calvius Turpio, remontés partiellement sur la place de Choulans. Ils appartiennent à la même série puisque l’un et l’autre comportent un massif de base quadrangulaire en grand appareil - celui de Turpio cantonné de très beaux pilastres d ’an­ gle - au-dessus duquel trônait un édicule ou naïskos quadrangulaire à colonnes libres en façade et engagées sur le corps de la cella. L’origine des arti­ sans qui les ont réalisés n’a rien qui puisse nous étonner, quand on sait que le grand théâtre de Lyon a été construit, sous le règne d’Auguste, par des lapicides et avec des matériaux venus préci­ sément de Glanum ; la parenté du rinceau du « mausolée » de Turpio avec celui de l'arc des Julii, qu’il s’agisse du ductus ou de la technique (cemure), est trop étroite pour être fortuite. Nous n’en tirerons pas toutefois des conclusions trop hâtives sur l’avance culturelle de la Narbonnaise par rapport aux autres provinces gauloises, depuis qu’un édifice encore plus élaboré est apparu en pays lingon (région de Langres, en Gaule Belgique), et plus précisément à Faverolles. De ce monument insigne ne reste en place que la base du massif de blocage et une partie du parement du soubassement, mais les fragments retrouvés alentour permettent aux fouilleurs de postuler un édifice à trois niveaux, d’ordre corin­ thien, qui dépassait les 20 m en hauteur : audessus d’un socle de 7,70 m de côté, un podium cubique avec pilastres cannelés aux angles

portait, au moins sur les trois faces visibles de la voie, des scènes en haut-relief ; le second niveau, octogonal, à arcatures aveugles entre des pilastres corinthiens rudentés, présentait des décors singu­ liers, tel un treillis qui pouvait, placé en position basse, figurer une sorte de chancel ; le dernier étage était celui de la tholos, proche par sa conception de celle de Glanum, même si sa couverture en flèche apparaît en première analyse plus voisine de celles des monuments « a cuspide » d’Italie du Nord. Les travaux de S. Février, d’A. Olivier et de G. Sauron permet­ tent aujourd’hui d’avoir une idée précise de cet édifice ambitieux (fig. 490), qui semble avoir été construit peu de temps après la mise en place du premier réseau viaire des Tres Galliae par Agrippa en 22-21 av. J.-C. La seule différence importante par rapport au « mausolée » des Julii tient dans la nature de l’étage intermédiaire : un octogone en lieu et place d’un arc quadrifrons. G. Sauron propose avec raison de reconnaître là l’image des polyèdres platoniciens du Timée (54 d sq.) où le cube du podium symboliserait la terre, la tholos de plan circulaire la sphère, la transition de l’une à l’autre étant assurée par l’évocation de l’octaè­ dre attribué à l’air. Nous avons déjà relevé l’utili­ sation qui pouvait être faite dans l’architecture funéraire de ces solides parfaits, dont l’assimila­ tion aux éléments constitutifs de l’univers remonte aux Pythagoriciens, et dont les Éléments d’Euclide avaient établi les relations arithmé­ tiques et géométriques. Proclus, dans son commentaire du premier livre des Eléments, met du reste les projections planes de ces solides (en l’occurrence le carré, l’octogone et le cercle) en relation avec les différentes parties du monde. Faut-il créditer notre Lingon d’une science cosmologique et mathématique hors de pair, ou imaginer qu’il s’est adressé, lui aussi, à une équipe itinérante formée au-delà des monts, et qui véhi­ culait un symbolisme architectural élaboré ? Peu importe à vrai dire : ce qui compte c’est qu’à une date aussi haute ce genre d’édifice, avec les harmoniques qui, inévitablement, lui sont atta­ chées, ait trouvé preneur en plein pays celtique, bien avant 1’« avènement politique » des Gaules, dû à Claude. L’architecture funéraire est décidé­ ment un « marqueur » sociologique et culturel beaucoup plus aigu que tous les autres, et qui remet en cause bien des idées reçues. Dans la tradition des monuments tardo-républicains de l’Italie du Nord et de la Gaule Narbonnaise, mais nettement plus tardif puisque datable des années centrales du Ier siècle ap. J.-C., le tombeau du vétéran L. Poblicius à Cologne (Colonia Agrippinensis) reprend sous une forme relativement réduite, du moins dans ses dimen­ sions latérales, le thème du sépulcre à édicule prostyle et flèche pyramidale ; mais d’une part il

Fig. 490. Élévation et coupe resti­ tuées du mausolée de Faverolles, d'après S. Février et A. Olivier.

ne comporte plus en profondeur que deux entrecolonnements, et d’autre part les effigies des défunts (les époux et leur fille), en ronde-bosse sous le pronaos, sont en quelque sorte concurren­ cées par des personnages en relief, qui appartien­ nent pour l’essentiel au domaine dionysiaque (fig. 491). La distance qui sépare l’inscription, placée sur la façade du podium à hauteur de lecture, des statues-portraits, contribue à faire perdre à celles-ci une part de leur importance, et

Fig. 491. Le tombeau de L. Poblicius à Cologne, d’après G. Precht.

15. Les iWYEFJSI OF.ILAJBH 01 CéAIJKPUBLIQUE. ORIGINE, ÉVOLWïQNrErh-ï)IlWSjai>L PROVINCIALE

415

Fig. 492. La «Tour des Scipions » deTarragone Dessin de Th. Hauschild.

l’on observe ici les prodromes d’un phénomène qui plus tard se généralisera dans les provinces germaniques, à savoir l’invasion du d écor plas­ tique sur tous les panneaux disponibles, aux dépens de l’image des titulaires eux-mêmes ; cette impression serait d’ailleurs renforcée sur le monu­ ment de Cologne si l’ornementation du podium avait été conservée autrement que sous la forme de fragments discontinus : frises de guirlandes et scènes mythologiques peuplaient initialement les parois du premier niveau. Une autre particularité distingue ce « mausolée » de ceux de la série anté­ rieure : des loculi avaient été ménagés dans les niches creusées dans la paroi située à l’arrière du pronaos, qui abritaient les urnes cinéraires des trois personnages ; le socle ou le podium perdent ainsi leur fonction traditionnelle, qui était de

Fig. 494. Axonométne Mausolée dAtban a Dougga. d'après S. Stucchi. Villajoyosa à gauche et de Daimuz à droite, d'après H. von Hesberg.

servir, pour une partie plus ou moins importante de leur volume interne, de chambre sépulcrale. Le même retrait plastique des statues-portraits au profit d’une iconographie plus religieuse se manifeste encore plus nettement dans un monu­ ment des environs de Tarragone (Tarraco) en Catalogne, la « Tour des Scipions » : construit dans la première moitié du Ier siècle ap.J.-C., il superposait à un socle massif un podium et un naïskos faiblement différenciés, puisque le second niveau suggère seulement en un relief très peu accusé la silhouette de deux personnages sous arcade, simplement sculptée sur la structure en grand appareil. Seules se détachent en réalité, devant le podium, des statues de personnages vêtus à l’orientale, souvent assimilées à des figu­ res d’Attis, qui encadrent la tabula ansata (le panneau à queues d’aronde) de l’épitaphe (fig. 492 et pl. XVII). Beaucoup d’autres édifices funéraires du même type pourraient être évoqués dans la Péninsule ibérique, mais la plupart ne subsistent, au mieux, que sous la forme d’une base cubique dont les registres supérieurs font totalement défaut, rendant toute reconstitution aléatoire : citons seulement les monuments de Mengibar (province de Jaén), de Villajoyosa (province d’Alicante) et de Daimuz (province de Valencia) ; ces deux derniers, nettement plus grands que la « Tour des Scipions », si l’on en juge par leur surface au sol, possédaient certainement une ordonnance très recherchée (fig. 493). La question des monuments à édicule, qui prennent dès le début un aspect turriforme plus prononcé que dans les autres régions, se pose, pour l’Afrique romaine, en des termes qui ont souvent été obscurcis dans un passé récent par des partis-pris nationalistes. Contrairement à ce qui a parfois été avancé, l’origine de ce type d’édi­ fice en Italie et dans les provinces occidentales n’est pas à chercher en Afrique : ceux-ci n’ont pas contourné l’Europe du Sud par la Cyrénaïque ou la Numidie pour investir le continent par la Sicile. Mais ce qui reste assuré c’est l’ancienneté de l’émergence des tombeaux turriformes dans le royaume numide, qui témoigne initialement d’une influence directe des modèles micrasiatiques et du rôle joué par les nécropoles alexandrines des IIIe et IIe siècles av. J.-C. Le Mausolée 2 de Ptolémaïs et le monument d’Atban à Dougga (Thugga), cénotaphe présumé de Massinissa, sont particulièrement démonstratifs (fig. 494) : on y trouve déjà le podium et l’étage à colonnade en forme de temple, couvert d’un édicule à couron­ nement pyramidal. Il en va de même à Henchir Djaouf, dont le tombeau monumental constitue un antécédent précoce mais indéniable de celui de Mactar, daté du IIe siècle ap.J.-C. (pl. XVIII). Il est du reste instructif de suivre, avec F. Coarelli et Y. Thébert, l'évolution du type au

Fig. 495. Élévation au 1/250' et 1/500«, par F. Rakob.

15. Les ty p e s DtrTX e in deulJ R é p u b liq u e . O rig in e , ÉvoLunoi®ETîiDHt?tusroN p r o v in c ia le

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Fig. 496. Le mausolée Bde Sabratha, d'après A. di Vita. Échelle 1/500*.

long du IIe siècle av. J.-C. ; la parenté avec les schémas hellénistiques, greffés sur des structures qui peuvent avoir une grande ancienneté, s’y affirme progressivement : au début du siècle, le « temple » de Siga (Algérie), érigé sur un podium à crépis, reste traité avec sobriété, puisqu’aucune allusion n’y peut être décelée à une colonnade libre ou engagée (fig. 495) ; on y observe cepen­ dant un plan sophistiqué à faces concaves qui le rend formellement proche, sinon tributaire, des mausolées « baroques » de Sabratha en Libye, datés eux aussi du IIe siècle av. J.-C., et do n t l’ori­ gine ptolémaïque a été clairement établie par A. di Vita même s’ils évoquent d’une façon loin­ taine les trépieds monumentaux de tradition grecque (fig. 496). A Dougga (Thugga) en Tunisie, au milieu du II' siècle, un podium cantonné de pilastres à chapiteaux éoliques supporte un naïskos à 4 x 4 colonnes ioniques engagées, cepen­ dant que le troisième niveau, haut socle sous la flèche sommitale, s’anime de pilastres d ’angle également éoliques (fig. 494). Au Khroub enfin (Algérie), dans les dernières décennies du IIe siècle, la chambre funéraire factice est dotée d’une porte (le caveau est en fait sous le monu­ ment), et surtout le « temple » du second niveau est entouré de douze supports libres ; le couron­ nement à fronton, qui apparait ici curieusement jumelé avec la pyramide terminale, rend encore plus explicite le caractère religieux de l’édicule (fig. 497). Il est clair que désormais les modèles hellénistiques, filtrés par les formes du monde italique, vont s’imposer sans partage. Avec la conquête romaine les grands tombeaux turriformes, variantes « étirées » du monument à édicule, mais ancrées dans une tradition régionale très vivante, se développent sans que se modifient radicalement les données structurelles antérieures. La seule constante est l’habillage des niveaux supérieurs au moyen de supports libres ou engagés qui désignent au moins l’un des registres comme un naïskos périptère, pseudo-périptère ou prostyle. G. Hallier en a recomposé la série dans la monographie consa­ crée au monument des Flavii de Cillium (Kasserine) en Tunisie, aux IIe et IIIe siècles ap.

J-c. Le tombeau de Cillium, célèbre pour les inscriptions métriques qui sont gravées sur la façade de son étage inférieur (CIL, VIII, 212 et 213), a fait l’objet, comme il vient d’être dit, d’une étude complète ; daté par les auteurs de celle-ci du troisième quart du IIe siècle ap. J.-C., il pour­ rait encore, nous semble-t-il, se situer autour des années 150 : rien ne s’y oppose, ni dans la prosopographie des membres de la famille des Flavii , ni dans son décor architectonique. Construit par T. Flavius Secundus le fils pour son père homo­ nyme, il se compose, de bas en haut, d’une crépis

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L es monuments f u n ér a ir es

Fig. 499. Deux exemples de «Krufter Säule», Bonn.

ou emmarchement périphérique à deux degrés avec plinthe et modénature de base en doucine ; d’un podium dont les murs aveugles (sauf pour la façade tournée vers la route de Sbeitla (Sufetula) à Tebessa (Thevestis), qui est percée d’une porte basse), épais de 75 cm, enferment la chambre funéraire ; d’un deuxième niveau traité comme un bloc quadrangulaire pseudopériptère tétrastyle corinthien dont la comiche architravée est dépourvue de frise et dont les bases des pilastres engagés présentent une double scotie à la façon des spirae « composites » ; d’un troisième niveau, réduit aujourd’hui à son noyau central, mais qui revêtait initialement l’apparence d’un petit naïskos à baldaquin, avec une niche ouverte en exèdre sur la façade, qui abritait les statues auxquelles les inscriptions font allusion (fig. 498). Les poèmes épigraphiques, documenta pour une fois très explicites même si rédigés dans une langue ampoulée comme le veulent les lois du genre, nous livrent la signification du monumen­

15. L es types ErffTA^iN

tum, telle du moins que les bâtisseurs souhaitaient qu’elle fut comprise. On y apprend que cette ambitieuse ordonnance a certes pour fonction de garder vivante la mémoire du défunt principal, mais surtout d’assurer son « ascension » : les trois étages dont nous apprenons qu’ils étaient couron­ nés par un coq, à défaut de définir ou de suggérer une eschatologie précise, sont censés permettre à celui ou ceux qui y reposent d’échapper à la malédiction du séjour des ombres dans l’Achéron, en leur garantissant une survie indivi­ duelle dans les souffles de l’éther (aetherias per auras). Évidemment les concepteurs ne semblent pas avoir disposé d’une culture pythagoricienne ou platonicienne à la hauteur des ambitions affi­ chées dans les poèmes : nulle allusion ne peut être ici déchiffrée aux polyèdres réguliers et à leur symbolique cosmique, comme nous avons pu tenter de le faire, à Sarsina et à Faverolles. Très influencé par la tradition des mausolées-tours libyco-puniques, l’édifice de Kasserine établit

R é p u b liq u e . O rig in e , é v o lu tio n rjgi WFfUSIô n p r o v in c ia le

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Fig. 500. Le monument d'Igel.

Fig. 501. Exemples de «tombeauxpiliers »de Neumagen, d'après B. Numrich.

pourtant une gradation sensible d’un niveau à l’autre : en bas, la pierre dans la nudité de son appareil structurel ; au-dessus, un volume dont la dignité s’accroît par l’animation des pilastres engagés ; au sommet enfin, les colonnes libres définissent un espace héroïsant. Le procédé, fruste, n’en demeure pas moins relativement effiLa dégradation du schéma, ou, si l’on préfère, sa simplification et son aplatissement ont donné lieu, dans les régions rhénanes et en Aquitaine, à des séries dont certaines, comme celles des « Krufter Säule », sont attestées dès la fin de l’époque néronienne, mais dont la plupart se diffusent aux II' et III' siècles ap. J.-C. Ce sont en général des édifices dont les composantes archi­ tectoniques se réduisent à de simples reliefs (fig. 499) ; compromis entre la stèle à niche et l’ordonnance bi ou tripartite verticale du tombeau à édicule, ils peuvent atteindre des proportions imposantes : le célèbre monument d’Igel, à 8 km au sud de Trêves (tombeau des Secundinii) mesure près de 20 m de haut (fig. 500). Plus modestes, mais souvent très ornés, avec des variantes originales dans la mise en scène des images et des portraits, les « tombeaux-piliers » de Neumagen, à proximité de Trêves également, qui ont fait l’objet d’une récente étude de B. Numrich, s’échelonnent entre la période flavienne et le début du III' siècle avec une forte densité à l’époque antonine : la superposition fréquente des reliefs encadrés de colonnes sous entablement et la couverture pyramidante évoquent évidemment les grands tombeaux d’Italie du Nord, à cela près que tous les éléments en sont plaqués, sans épaisseur. Il apparaît claire­ ment que, contrairement à ce qu’affirmait W. von Massow dans les années 30 de ce siècle, qui, pour éviter d’avoir à postuler un apport étranger, faisait dériver ces monuments du simple cippe à relief, l’influence exercée sur eux par la Cisalpine, et le rôle d’intermédiaire joué par Aquilée s’avè­ rent décisifs, comme du reste Loeschke et Kahler l’avaient dit depuis longtemps. Entre 1’« édifice funéraire » (n° 9 de la fig. 501) et 1’« édifice du cirque » (n° 182 de la fig. 501), depuis la fin du I'r siècle jusqu’aux années 215 ap. J.-C., la perma­ nence du schéma s’affirme en même temps que les recherches au niveau de la composition et du décor s’avèrent très riches. On notera en particu­ lier la végétalisation des éléments ornementaux qui occupent, avec une peur panique du vide, les corniches, modillonnaires ou non, qui rappelle évidemment le décor architectural des temples des Trois Gaules à la même époque (fig. 502). En Aquitaine, à partir du II' siècle, mais aussi dans les pays de Loire et, plus sporadiquement, dans le Nord de la Gaule, deux monuments singuliers, sur l’origine desquels il a été beaucoup

Fig. 502. Corniche et architrave du «pilier d'Iphigénie ». le n° 8 de la fig. 501, d'après B. Numrich. discuté, dominent le paysage funéraire : d’une part les « piliers », composés en général d’une base plus ou moins cubique surmontée d’un étage orné en façade de quatre pilastres derrière lesquels s’ouvre une niche abritant des statues ; le couronnement revêt la forme d’une pyramide dont la plate-forme comporte souvent un fronton sur chaque face. Et d’autre part la « pile », qui présente une ordonnance verticale comparable mais plus mince et donc encore plus élancée ; l’étage central ne possède plus de colonnes et la niche perd de sa profondeur. Au circuit postulé naguère parJ.-J. Hatt, qui imaginait une pénétra­ tion du « mausolée méditerranéen en forme de tour carrée à toit pyramidal dans le milieu des grands propriétaires d’Aquitaine », on tend à préférer aujourd’hui, pour des raisons de cohé­ rence chronologique et aussi du fait d’une meilleure connaissance des réseaux commerciaux et culturels, une influence venue des pays rhénans vers le sud-ouest de la Gaule, qui n’exclut pas d’ailleurs des chocs en retour et des échanges. La voie commerciale entre Trêves et Bordeaux avait du reste été parfaitement identifiée parJ.-J. Hatt, qui établissait déjà des relations formelles étroites entre le « pilier funéraire des Trévires » et la « pile

15. L es ty p e s d/TTX ^in nwJA ÉPU BU Q UE. O rig in e , é v o lu tio n ie T ' ib iffg sio n p r o v in c ia le

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d’Aquitaine ». La recherche récente a montré que la plupart de ces monuments s’élevaient sur de vastes domaines et qu’ils étaient au centre d’en­ clos funéraires dont certains, assez étendus, comportaient de nombreux aménagements liés au culte des morts. On notera toutefois que les exemplaires les plus monumentaux ou les plus élaborés, tels la « pile de Cinq-Mars » (Indre-etLoire) et la « pile de Saint-Lary » (Gers) datent selon toute vraisemblance de la fin du III' ou du iv* siècle ap. J.-C. et sortent donc du cadre de cette synthèse.

L e s to m b e a u x en f o r m e d e tu m u lu s e t le u rs d érivé s La splendeur du Mausolée d’Auguste, mis en chantier dès 29 av. J.-C. à la limite du Champ de Mars, entre Tibre et via Flaminia, a longtemps entretenu l’idée que les tombeaux qui revêtaient l’aspect d’un tumulus plus ou moins monumental devaient leur apparition à Rome et leur diffusion en Italie à l’initiative du Princeps. On lit encore dans des études récentes que l’origine de ce type, ou du moins sa résurgence au début de l’époque impériale se laissent situer dans le temps avec une grande précision. En réalité, s’il est vrai que le monumentum Augusti suscita de nombreuses imita­ tions, il importe, pour comprendre la genèse de la forme et sa signification, de remonter beaucoup La seule énumération des peuples méditerra­ néens qui ont considéré la colline artificielle comme le motif le mieux adapté à l’exaltation des héros ou des princes défunts nous conduirait, entre autres, de la Grèce homérique aux nécro­ poles d’Étrurie méridionale, des tombes royales de Commagène à celles d’Afrique du Nord. Mais cela ne nous apprendrait rien, ou fort peu, sur les plus anciens tumuli identifiables (par les textes, d’ailleurs, plus souvent que par l’archéologie) dans la Rome de la fin de la République. Un détour s’impose cependant par la Grèce tardoclassique et les tombes princières de Macédoine, si l’on veut percevoir comment la thématique héroïsante du tumulus a pu être récupérée par les imperatores du début du l'r siècle av. J.-C. Lorsque Platon définit, dans sa cité idéale, la tombe réservée au « redresseur des comptes », il précise qu’elle sera « construite en voûte souter­ raine, rectangulaire, faite de pierres de tufeau absorbantes et aussi peu sujettes que possible à l’usure, avec des lits funéraires de pierre alignés le long des murs » ; on y déposera, ajoute-t-il, « le corps des bienheureux et on la recouvrira d’un tertre circulaire autour duquel il conviendra de

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L es monuments funéraires

planter un bois sacré » (Lois, XII, 947 d-e). La coïncidence de cette description en forme de prescription avec l’aspect des tombeaux retrouvés en Macédoine, dans les nécropoles royales de Vergina ou de Leukadia, n’a pas m anqué d’être relevée ; bien qu’antérieur de quelques décennies par rapport aux premiers vestiges de la série, qui ne remontent guère au-delà de 340 av. J.-C., le texte exprime à la perfection la structure et la sémantique du type, et R. Ginouvès dans un livre récent a raison de souligner qu’il offre l’image la plus ancienne mais aussi la plus complète de la « tombe macédonienne ». Mais il est une autre notice, due à Denys d’Halicamasse qui, à propos du tombeau d ’Énée, qu’on vénérait encore en son temps à Lavinium (Rratica di Mare, Latium), s’exprime en des termes analogues : « Les Latins lui (c’est-à-dire à Énée) construisirent un sanctuaire héroïque omé de cette inscription : « Au dieu de cette terre {Pater Indiges), qui préside au cours du fleuve Numicius ». Il en est toutefois pour dire que le monument en question fut construit par Enée luimême en l’honneur d’Anchise, mort l’année qui précéda la guerre entre les Latins et les Rutules. C’est un petit tertre entouré d’arbres plantés en cercle à intervalles réguliers, et qui mérite d’être vu » {Antiquités romaines, I, 64, 4-5). Or les fouilles de Pratica di Mare dirigées par F. Castagnoli et P. Sommella à la fin des années 60 ont mis en évidence sur le site même de Lavinium, non loin du fameux alignement des treize autels, un petit édifice à cella quadrangulaire muni d’un ample pronaos inséré dans un tumulus ; ce dernier, dont la construction, si l’on en juge par la céramique orientalisante qu’il a livrée, datait du milieu du VII' siècle av. J.-C., semble avoir été réutilisé, vers le milieu du IVe siècle. C’est l’époque où la légende de l’origine troyenne du peuple du Latium connaît un regain de vitalité, et où se met en forme le culte du héros fondateur : on établit alors, à l’intérieur de cet antique tumulus funé­ raire, que sa situation et son importance dési­ gnaient sans doute depuis longtemps comme un lieu sacré, et en prenant soin de ne pas léser sa forme générale extérieure, un hérôon commémo­ ratif qui accordait à Énée, à défaut d’une tombe où l’on eût identifié sa dépouille, un monumentum de type héroïque (fig. 503 et 504). Il n’y a bien sûr pas de relation effective entre les constructions macédoniennes et l’épisode de Lavinium, même si - et ce n’est sans doute pas là le fait du hasard - ils se trouvent être à peu près contemporains. Mais la conjonction de ces tradi­ tions grecques et italiques, et la découverte, par le conquérant romain, des grandes tombes de la fin de l’époque classique et de la première période hellénistique dans l’Orient hellénisé n’ont pas manqué de favoriser l’éclosion d’un type monu-

mental promis à un bel avenir en Italie centrale. D’autant que les métropoles d’Étrurie méridio­ nale fournissaient, à peu de distance de l’Urbs, des précédents formels impressionnants : le cercle de pierre qui définissait rituellement, dans de nombreuses nécropoles villanoviennes, l’aire des sépultures familiales, s’y était depuis longtemps transformé en un tambour vertical plus ou moins haut qui contenait la terre accumulée au-dessus des chambres à dromos (couloir d’accès) creusées dans le rocher ; il suffit de songer aux tumuli de Caere (Cerveteri), et plus précisément à ceux de la nécropole de la Banditaccia, pour avoir une idée du développement de ces monuments entre le VIIe et le IVe siècles av.J.-C. Le cône de terre plus ou moins revêtu de pier­ res en grand appareil, comme signe de la présence d’une tombe individuelle ou familiale importante, se rattache donc à une tradition fort ancienne, et plusieurs jalons historiques ou mythiques en ont, au cours des siècles, entretenu le prestige. Il est certain que si nous avions une idée plus précise du « sèma » (monument funé­ raire) d’Alexandre à Alexandrie, notre catalogue des modèles s’enrichirait d’une pièce maîtresse et sans doute, pour la conception d’un grand nombre d’édifices du début de l’Empire, à commencer par le Mausolée d’Auguste, décisive. Nous aurons à en reparler. Selon la tradition, le plus ancien tombeau à tumulus de Rome aurait été celui que Sylla se fit élever sur le Champ de Mars (Lucain, Pharsale, II, V. 222) ; restauré par Caracalla en 213 ap. J.-C. (Dion Cassius, 77, 13, 7), soit près de 300 ans après sa construction, il devait avoir l’aspect d’un tertre circulaire planté d’arbres ; d’autres structu­ res du même genre occupaient probablement une grande partie de ce secteur au premier quart du Ier siècle av.J.-C., mais aucune n’a laissé de trace. Strabon (V, 3, 8) dit en effet que toute la zone du Campus Martius était réservée aux monuments des Romains les plus illustres, et c’est évidemment pour se conformer à cette tradition tout en la transcendant qu’Auguste choisit à son tour pour son Mausolée le quartier des sepulcra publica. Il est possible d’ailleurs que des tombes monumentales de ce type soient apparues sur le même site dès la fin du IIIe siècle av. J.-C. puisque Silius Italicus (XIII, v. 659 sg.) mentionne le sepulcrum publicum de Cnaeus et Publius Scipion, tous deux morts en Espagne en 211 : ces hauts personnages, qui avaient connu une fin héroïque, ont peut-être été les premiers imperatores dont la dépouille ait été abritée sous un tumulus. Mieux assurées histori­ quement sinon archéologiquement, et toujours antérieures au Mausolée d’Auguste, sont la tombe de Julia, fille de César et épouse de Pompée, morte en 54 av.J.-C. (Plutarque, Vie de César, 23, 7 ; Vie de Pompée, 53, 6) et celle de l’architecte de

Fig. 504. Reconstitution axonométrique partielle de I'« hérôon d'Enée », par RSommella.

15. tRSOTPLS .DEfLA' jtn ü :.rn t| R épubliq ue . O r igine , évolutio n et diffusion provinciale

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Les z s ar.cterü irocuntects. autour d e Rome - ou l'or: ne recense pas morus d'une trentaine de \ a tum ul us - s u: a chercher parm i ceux don* le ohr.Cre maçonné part directement du

Ç). Catulus, L. Cornelius, qui construisit entre autres le Tabularium : l'épitaphe de son tombeau, retrouvée sur la via Praenestina, présente en effet une courbure qui prouve qu’elle s’insérait dans un monument circulaire ; celui-ci, postérieur à 65, est forcément antérieur aux années 40-35 av. J.-C. Cela étant, avant d’examiner les principaux exemplaires, autant que possible reclassés par ordre chronologique et groupés en fonction de leurs caractères formels, il importe de garder présent à l’esprit que le recours au tumulus n’a pas toujours revêtu le même sens : les plus anciens tombeaux identifiables en milieu italique peuvent encore procéder de traditions régionales, même si la volonté d’héroïsation s’y fait très tôt sentir ; en revanche la filière qui relie le tombeau de Sylla à celui d’Auguste doit toute sa puissance à la rencontre d’un pouvoir qui se veut transcen­ dant, et de traditions gréco-orientales qui lui four­ nissent des cautions aussi bien politiques que plas-

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L es MONUMENTS/TTNÉRAIREi

par lin socle" en légère saillie, mais qui n'affecte jamais la forme d’un podium qnadrangulaire. La disparition du cône de -erre qui surmontait forcé­ ment le es lir.dre ne permet pas d'avoir une idée exacte de l'ampleur de la plupart de ces édifices, dont les plus importants atteignaient plusieurs dizaines de mettes de hauteur, pour un diamètre inférieur qui oscille souvent entre 25 et 30 m. Trois exemples retiendront notre attention. Le premier, qui compte sans doute parmi les plus anciens, s'élève entre b via Labicana et la via Praenestina, non loin de l'actuelle Frascati : il porte le nom de • Torre di Micara » fig. 505 . C'est un grand sépulcre circulaire de 27. 15 m de diamètre interne et dont la hauteur ne dépasse pas aujour­ d’hui 7 m . construit en un opus caementicium revêtu d'un grand appareil de pépérin. il conte­ nait diverses chambres funéraires dont les cloi­ sons sont faites de murs revêtus de briques. Une tradition ancienne voulait y voir la tombe de Lucullus, ce qui n'est peut-être pas invraisembla­ ble : F. Coarelli a rappelé la proximité de la villa de ce personnage, voisine du Tusculanum de Cicéron, et l'on sait que malgré la volonté d'une partie de la population romaine, Lucullus, mort en 57 av. J.-C.. ne put être enseveli sur le Champ de Mars ; ses cendres furent déposées dans un tombeau construit dans sa propriété de Tusculum. si l'on en croit Plutarque , Vie de Lucullus, 43, 4). Si cette hypothèse se vérifiait, nous aurions là l’une des plus anciennes attestations de l’emploi de Yopus testaceum. Au VI' mille de la cia Appia, un groupe de tumuli, qui datent des années 40-25 av, J.-C., se recommande par la taille des éléments qui le composenL Le plus grand est assurément le « Casai Rotondo », qui présente un diamètre de 26, 5 m au sol et un cylindre en maçonnerie de plus de 8, 70 m de hauteur ; les blocs de travertin en boutisse qui n’ont pu être arrachés par les amateurs de pierre à bâtir comme le reste de son revêtement en grand appareil rythment encore l’épiderme du caementicium (fig. 506 et 507). Sur le sommet, qui servait de base au tertre conique, une petite ferme pourvue d’un jardin a été cons­ truite, à une date beaucoup moins ancienne qu’on La solution qui consistait à placer les urnes cinéraires soit dans des chambres sépulcrales soit directement sous le tumulus de terre n’était pas toujours appliquée, comme le prouve, encore au VI' mille de VAppia, le tombeau des Curiatii : c’est au fond d’un véritable tube de maçonnerie, dont la hauteur dépassait non seulement le cylin-

dre construit mais aussi le tertre, et qui s’achevait en une sorte de cippe surdimensionné, qu’avait été déposée initialement l’urne du défunt (fig. 508). Il nous manque en général, pour mesurer plei­ nement la monumentalité de ces constructions, leur revêtement et leur décor ; le tambour cylin­ drique, animé par les jeux d’ombre et de lumière entretenus par le grand appareil à ciselures ou bossages, éventuellement rythmé par des ordres engagés, et orné des reliefs qui évoquaient les charges assumées par le défunt, ne pouvait manquer, sous son cône de verdure, d’attirer le regard et, pour les plus vastes de ces édifices, de susciter un effet digne des plus prestigieux des monuments publics. Lorsqu’on peut encore en juger, on s’aperçoit en fait que certains de ces tombeaux développaient une ornementation marmoréenne d’une grande richesse : c’est le cas de la rotonde funéraire des environs de Pietrabbondante, dans le Molise, dont l’épiderme a pu être reconstitué par W. von Sydow : sur un diamètre d’environ 6,80 m et sur une hauteur de plus de 7 m, un revêtement marmoréen divisait en deux niveaux la surface du tambour constitué d’un noyau massif d'opus caementicium ; des pilas­ tres corinthiens sous entablement droit soute­ naient un second étage où des supports plus petits recevaient des arcatures très fines. Daté des années 40-30 av. J.-C. par son décor architecto­ nique (acanthes des chapiteaux, rinceaux des frises), cet édifice devait culminer en un cône relativement peu élevé, mais la valeur symbo­ lique du tumulus n’en restait pas moins apprécia­ ble (fig. 509). Fig. 506. Le «Casai Rotondo », d'après M. Eisner. Fig. 507. Le «Casai Rotondo ».

15. L es types

R épublique . O r igine , évolutio NJBIJ Bi PfUSIô n provinciale

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Fig 509- Élévation de la rotonde funéraire de Pietrabbondante.

LES MONUMENTS/fDKÉtLAIRES

Dans les dernières années de la République et les premières décennies du Principat, le gigan­ tisme du schéma s’affirme, comme dans les autres types funéraires ; c’est l’époque de l’ostentation sociale : le cas du « Torrione », au départ de l’an­ tique via Praenestina, est exemplaire ; son énorme tambour de 41 m de diamètre, en opus caementi­ cium, occupe un vaste espace sur le piazzale Prenestino à Rome ; avant qu’il ne soit endom­ magé par un bombardement lors de la dernière guerre, on distinguait fort bien son aménagement intérieur : un long couloir voûté conduisait à un espace cruciforme en plan (fig. 510). Le long de la voie Ardeatine, dans le quartier des thermes de Caracalla, un sépulcre très semblable abritait une salle funéraire qui se développait en cercle autour d’un pilier central ; sans doute celui-ci, traversant le cône de terre, soutenait-il au sommet de la composition un grand cippe ou une statue. Un autre, le long de la via Salaria, dont le grand appa­ reil externe a été restauré, appartenait, si l’on en croit la magnifique épitaphe encore en place, à un M. Lucilius Paetus, praefectus fabrum (responsable des techniciens de la légion romaine) et à sa sœur Polla. Hors de Rome, les exemples se multiplient de ces cylindres de maçonnerie qui témoignent de l’adoption de la formule par les représentants les plus autorisés de l’ancienne ou de la nouvelle aris­ tocratie. Le cas le moins singulier n’est assuré­ ment pas celui du mausolée de Cassino (Casinum, au sud du Latium), jusqu’ici attribué à la gens Ummidia et daté du début du IIe siècle ap. J.-C. Constitué d’un podium quadrangulaire de 12 x 25 m d’emprise au sol, qui contenait la chambre sépulcrale, il ne conserve au niveau supérieur que l’amorce d’un tambour de maçon­ nerie qui permet de ranger l’édifice dans la caté­ gorie des tombes à tumulus sans qu’il soit possible d’évaluer son élévation ni même de restituer, futce approximativement, sa silhouette (fig. 511). Une étude récente de F. Coarelli propose de l’at­ tribuer à Varron, dont on sait qu’U était pythago­ ricien et que, par respect pour les usages de la secte, il se fit inhumer dans un sarcophage de terre cuite sur un lit de feuillage (Pline, H N, 35, 160). L’espace interne, cruciforme en plan, très dilaté par rapport à l’enveloppe externe, était entièrement revêtu d’un grand appareil de blocs de calcaires, et il prenait en son centre la forme d’un cylindre surmonté d’une demi-sphère (fig. 512) : il est dès lors difficile de ne pas songer à une illustration plastique du théorème d’Archimède qui établissait une symmetria, c’est-àdire une relation mathématique entre la surface d’un cylindre et celle d’une sphère de même diamètre ; on sait par ailleurs que la tombe du fameux savant de Syracuse, retrouvée par Cicéron lors de son séjour en Sicile (Tusculanes, V,

23, 64-66), se signalait par un cippe où ces deux solides se superposaient. Nous retrouvons ici les polyèdres réguliers du Timét, où Platon théorise des observations et des relations chères aux pythagoriciens. Les particularités structurelles de ce mausolée s’expliqueraient ainsi par les exigen­ ces du rituel et par la recherche d’une sorte d’héroïsation intellectuelle à laquelle, il faut en conve­ nir, peu d’autres personnalités, hors du célèbre polygraphe mort en 27 av. J.-C., pouvaient prétendre. Plus prosaïques en leurs intentions, mais peutêtre plus efficaces dans leur démonstration, deux mausolées dans les environs de Gaète (Caicta, Latium), presque contemporains, méritent une mention : le mausolée de Sempronius Atratinus, d’abord, dont on conserve un peu plus de la moitié du tambour ; un couloir annulaire régnait sur sa périphérie, qui donnait accès à trois cham­ bres ; là encore un pilastre quadrangulaire qui se prolongeait en un cylindre dans sa partie supé­

rieure devait émerger du tertre conique et soute­ nir une statue. Le titulaire de ce monument, consul en 34 av. J.-C., fut d’abord un fervent partisan d’Antoine ; mort en 7 ap. J.-C. fort âgé, il avait reçu depuis longtemps le pardon d’Auguste. L’autre édifice est celui de L. Munatius Plancus, fondateur des colonies de Lyon et d’Augst, consul en 42, censeur en 22 av. J.-C. ; lui aussi louvoya longtemps entre les partis pour finalement se rallier au bon moment (peu avant la bataille d’Actium) à Octavien, le futur Auguste. Situé en posiüon dominante sur une colline, le Monte di Orlando, qui passait dans une tradition complai­ sante pour le tumulus de la nourrice d’Énée, Caieta, le mausolée de cet éminent personnage affirmait, par sa situation même, les liens des Munatii Planci avec la famille impériale et ses ancêtres mythiques. Son diamètre au sol de 29,5 m (exactement 100 pieds), son revêtement en grand appareil pseudo-isodome, sa frise sommitale de type dorique comportant une série de

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Fig. 611. Plan de la chambre sépul­ crale du mausolée de Cassino.

Fig. 512. Coupe sur le même

L es monuments eünéraires

métopes à motifs militaires et triomphaux disent clairement l’ambition plastique et volumétrique de ce monumentum qui, comme le précédent, ne peut se comprendre sans le relais du Mausolée d’Auguste (fig. 513). Ces cas sont en effet révélateurs de l’ascen­ dant exercé par le grand modèle romain sur le personnel politique proche du pouvoir. Mais on pourrait aussi trouver des échos de cette création dans des édifices plus modestes, comme la série des tombeaux à tambour et tertre d’ÉmilieRomagne, parmi lesquels celui de Rubiera, dont on admire les reliefs au Musée de Reggio Emilia. En fait le Mausolée augustéen du Champ de Man représente dans l’évolution du type un jalon insurpassable, par ses dimensions d’abord, mais aussi par sa conception : nul ne pouvait prétendre le reproduire dans sa complexité, mais celle-ci se prêtait tout naturellement à des citations plus ou moins explicites, soit au niveau du parti architec­ tural, soit au niveau du décor. Son diamètre au sol était de 90 m environ (300 pieds romains) et sa hauteur restituable de près de 45 m atteignait celle du Pincio voisin. Seule à vrai dire la partie supérieure s’apparentait à la série des tumuli : le tertre surmonté de la gigantesque statue d’Octavien et le socle circulaire avec sa frise de style dorique formaient au sommet de la compo­ sition un monumentum assez vaste, mais qui n’ex­ cédait pas les dimensions des sépulcres de l’aris­ tocratie (30 m de diamètre pour une hauteur totale d’environ 12 m) ; sa base à degrés indiquait assez clairement que cette partie de l’édifice était

un monument autonome. Mais il ne comptait que pour moins du tiers dans la hauteur globale. Sous lui se déployait l’immense soubassement composé d’un tambour circulaire sans commune mesure avec ce qu’on avait auparavant construit dans le genre, surmonté d’un cône de terre, divisé en trois niveaux au moyen de balustrades de pierre (fig. 514). Bien évidemment, c’est cette colline artificielle qui distinguait irrémédiable­ ment le tombeau d’Auguste des édifices de la même catégorie. L’impression était renforcée par les plantations qui entouraient le Mausolée, et par la végétation qui, sans doute, recouvrait en partie les pentes du tertre situé entre le soubassement et le tumulus proprement dit. En cela le Princeps voulait apparemment renouer avec la tradition des tumuli italiques : nous avons rappelé la présence d’arbres autour de l’hérôon d’Énée à Lavinium ; dans le temps même où se construisait l’édifice du Champ de Mars, Virgile décrivait le tombeau du roi latin Dercennus, « fait d’un amas de terre et ombragé d’yeuses sombres » [Énéide, XI, v. 849-851). Mais il n’oubliait pas pour autant les prestiges de la grande architecture funéraire orientale, à laquelle se réfère explicitement la statue du sommet : aucun des antiques tumuli d ’Italie centrale ou d’Étmrie ne proposait un antécédent pour cette exaltadon, au sens propre, de l’effigie du défunt, et il faut en chercher le modèle dans le Mausolée d’Halicamasse ou, peut-être, dans le tombeau d’Alexandre. Admirable compromis, emblématique du système politique élaboré par Auguste, son

Fig. 515. Axonométrie du tombeau de Caecilia Metella par M. Eisner.

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Mausolée proposait une sorte de synthèse des principales formules héroïsantes mises en oeuvre dans l’Occident latin comme dans l’Orient grec. Quand on aura évoqué d’un mot le luxe des matériaux (le marbre pour toute la « façade »), la multitude des statues et reliefs qui animaient tous les niveaux de la construction, et dont nous

Fig. 516 Linscription du tombeau de Caecilia Metella. Cliché DAI 78.585.

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n’avons plus qu’une idée bien approximative, on pourra entrevoir la splendeur de ce tombeau, qui allait servir d’abri aux urnes cinéraires de tous les membres de la dynastie julio-claudienne et de la dynastie flavienne, jusqu’à ce que Domitien en fît sortir les restes de son père et de son frère pour les placer dans le tombeau-temple qu’il avait conçu pour sa famille sur le Quirinal. L’ordonnance interne, faite de couloirs annulaires et de salles radiales, malheureusement rendue presque illisible par les réutilisations périodiques qui ont développé dans l’édifice ce que Mérimée appelait joliment un « vandalisme d’occupation *, a sans aucun doute connu elle aussi des transpo­ sitions nombreuses et des imitations plus ou moins directes. Si nous regardons de nouveau, après cet examen du Mausolée d’Auguste, celui que Munatius Plancus se fit construire à Gaète dans la dernière décennie du I" siècle av. J.-C., nous comprendrons sans peine ce que le consul de 42 en a retenu ; en particulier, s’il n’a pu se permet­ tre de faire élever comme le Princeps une colline artificielle, il a choisi un relief suffisamment effi­ cace - et de surcroît riche de sens - pour y placer son monument Mais d’autres constructions, bien que pourvues d’un podium quadrangulaire, selon la mode qui s’instaure au début du Ier siècle de notre ère, procèdent de ce monument insigne. D n’est pas exclu du reste que le podium lui-mème,

qui n’a d’autre fonction que celle de supporter le tambour cylindrique, ait été inspiré au moins en partie par le puissant soubassement du Mausolée augustéen : à défaut de pouvoir en reproduire l’ampleur « naturelle », du moins voulait-on obte­ nir par ce moyen un effet de surélévation du tombeau à tumulus. L’exemple le plus remarquable sinon le mieux connu est celui du mausolée de Caecilia Metella. Haut d’environ 18 m (élévation restituée) pour un diamètre du cylindre de 29,5 m (100 pieds), le tombeau est posé sur un socle quadrangulaire plus large. Un grand appareil de travertin recou­ vrait l’ensemble, seule l’épitaphe (comme au Mausolée d’Auguste) étant de marbre (fig. 515). Une frise de guirlandes et bucrânes régnait à la base de la comiche du cylindre ; au-dessus de l’inscription elle s’élargissait pour accueillir des trophées avec à leurs pieds des prisonniers (fig. 516 et 517). Caecilia Metella était la fille de Q. Metellus Creticus, consul en 69 av. J.-C., et l’épouse d’un Crassus, sans doute de M. Licinius Crassus, fils du célèbre et richissime membre du Premier Triumvirat ; si l’on considère le détail de ses ornements, proche de celui des frises de YAra Pacis Augustae (l’Autel de la Paix Auguste, du Champ de Mars, construit entre 13 et 9 av. J.-C.), on admettra que le tombeau lui-méme, le mieux conservé de ceux de la via Appia au sortir de Rome, fut édifié dans les années 15-10 av.J.-C., ce qui suppose une certaine longévité de la part de

sa titulaire. La hauteur exceptionnelle du tambour et les merlons médiévaux qui le surmon­ tent ont parfois fait douter de la présence d’un cône à son sommet ; en réalité la reprise de l’exa­ men des parties hautes a mis récemment en évidence les traces d’un remplissage de terre : celle-ci était contenue par une balustrade d'opus quadratum (fig. 518) et l’on doit donc considérer que le tombeau n’était pas en forme de tour mais Fig. 519. Le tumulus de Saepinum. Cliché DAI. 78.1503.

Fig. 520. Le mausolée de S. Pietro di Polla