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French Pages 1023 Year 2014
yril Courrier
LA PLÈBE DE ROME ET SA CULTURE (FIN D U II SIÈCLE AV. J.-C. - FIN DU I SIÈCLE AP. J.-C.) e
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L A PLÈBE D E R O M E E T SA CULTURE E
( F I N D U I I S I È C L E AV. J.-C.
- FIN D U I
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S I È C L E AP. J.-C.)
BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES E T D E ROME Fascicule trois cent cinquante-troisième
L A PLÈBE D E R O M E E T SA CULTURE e r
(FIN D U IP SIÈCLE AV. J . - C . - FIN D U I SIÈCLE AP. J.-C.)
PAR
Cyril C O U R R I E R
ÉCOLE FRANÇAISE DE R O M E 2014
Courrier, C y r i l e
La P l è b e de R o m e et sa c u l t u r e ( f i n d u I I siècle av. J.-C.-fin d u I
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siècle ap. J.-C.) / C y r i l C o u r r i e r
R o m e : É c o l e f r a n ç a i s e de R o m e , 2014 ( B i b l i o t h è q u e des É c o l e s f r a n ç a i s e s d ' A t h è n e s et de R o m e ; 353) I S B N 9 7 8 - 2 - 7 2 8 3 - 0 9 6 6 - 5 (rél.) 1. P l è b e ( R o m e ) - - M œ u r s et c o u t u m e s 3. I d e n t i t é collective - - R o m e
2. R e p r é s e n t a t i o n s sociales - - R o m e
4. Culture populaire - - Rome
5. R o m e - - C o n d i t i o n s sociales CIP - Bibliothèque
de l'École française
de Rome
© - É c o l e f r a n ç a i s e de R o m e - 2014 ISBN 978-2-7283-0966-5
REMERCIEMENTS
Shakespeare a dit : « Words pay no debts » (Troilus and Cressida, ΙΠ, 2, v. 1709). Assurément, i l me sera bien difficile de m'acquitter des innom brables dettes que j ' a i contractées en réalisant cet ouvrage. Celui-ci est la version remaniée d'une thèse de doctorat soutenue à l'École normale supérieure de Lyon le 9 septembre 2010. À cette occasion, j ' a i pu bénéficier des précieux conseils et remarques qui m'ont été adressés par Jean Andreau (EHESS), Elio Lo Cascio («La Sapienza» Università di Roma), Jean-Pierre Guilhembet (ENS de tyon), Yves Roman (Université Lumière Lyon 2) et Catherine Virlouvet (Aix-Marseille Université), qui m'avaient fait l'honneur de composer m o n jury. Leur acribie comme les riches discussions ouvertes lors de la soutenance m'ont permis de corriger nombre d'erreurs, de combler bien des lacunes et d'introduire quantité de nuances indispensables. A u moment de rédiger ces lignes, i l m'est agréable de remercier plus particulièrement mes deux maîtres : Yves Roman, tout d'abord, qui a bien voulu diriger ce travail. Le savoir, la gentillesse et la disponibilité, qu'il m'a toujours offerts, sont pour beaucoup dans l'achèvement de celui-ci; Jean-Pierre Guilhembet, ensuite, qui n'a cessé de me dispenser conseils et soutien et n'a pas compté les heures passées à lire et relire le millier de pages que compte ce livre. Cet ouvrage doit également beaucoup à Cathe rine Virlouvet pour nos nombreux échanges sur la plèbe et pour les précieuses remarques que ma prose, lue avec bienveillance, l u i inspira, ainsi q u ' à Jean-Pierre Dedieu pour m'avoir fait comprendre l'utilité et la modernité des bases de données. Mes remerciements vont aussi aux personnalités scientifiques qui m'ont accordé u n peu de leur temps et beaucoup de leur patience. Ils ne savent pas toujours à quel point leurs remarques, conseils et suggestions ont été précieux : Frédéric Hurlet (pour m'avoir d o n n é accès à l ' u n de ses articles alors inédit et, surtout, pour avoir accepté de m'aider à comprendre le principat augustéen), Bénédicte Delignon (pour m'avoir guidé dans les méandres de la poésie ovidienne), Nicolas Tran, Nicolas Monteix, Hélène Dessales, ainsi que Virginie Hollard (pour m'avoir transmis le manuscrit de leurs thèses, et plusieurs de leurs travaux, avant publication), Domenico Palombi (pour nos conversations romaines sur la topographie de YVrbs). Cet ouvrage doit beaucoup à deux institutions : l'École normale supé rieure de Lyon et son directeur, Olivier Faron, qui m'avait accordé une allocation de recherches et ainsi permis de travailler dans les meilleures conditions de concentration, d'efficacité et d'ouverture scientifique; l'École française de Rome, Michel Gras, alors directeur, et Yann Rivière,
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LA PLÈBE DE ROME ET SA CULTURE
alors directeur des études pour la section Antiquité, qui m'avaient accueilli comme boursier puis à titre de membre. Catherine Virlouvet et Stéphane Bourdin, qui leur ont respectivement succédé, m'ont fait l'hon neur d'accepter ce manuscrit dans la Bibliothèque des Écoles Françaises d'Athènes et de Rome. À Lyon, à Montpellier, à Aix-Marseille ou à Rome, j ' a i n o u é des liens d'amitié que j ' a i plaisir à mentionner, pour rendre à mes amis u n peu de tout ce qu'ils m'ont apporté : Pascale Barthélémy, Gisèle Besson, Myriam Houssay-Holzschuh, Isabelle Pernin, ainsi que tous mes collègues de l'EFR. Une pensée plus particulière va à Emmanuel Botte, Clément Chillet, Julien Dubouloz, Noëlle Géroudet, Antonin Guilloux, Hélène Ménard, Igor Moullier, Stéphanie Lanfranchi, Emilie-Anne Pépy, ainsi qu'à mon informaticien «personnel», Robin Gerzaguet. Ils avaient accepté l'ingrate et fastidieuse mission de relecture, sans jamais rechigner et avec la plus grande efficacité. Je ne saurais terminer sans évoquer le soutien de ma famille, de Brice et surtout de Camille, sans lesquels cette aventure n'aurait assurément pas connu la m ê m e fin... Rome, le 17 j u i n 2012.
AVERTCSSEMENTS
Pour faciliter la lecture, la première mention d'une référence biblio graphique dans chacun des chapitres est d o n n é e intégralement. Les suivantes le sont sous une forme abrégée (ex : N . TRAN, 2007). Pour les auteurs dont sont cités des travaux parus la m ê m e année, une lettre est ajoutée après la date. Cette lettre est reportée dans la bibliographie de fin de volume (ex : N . TRAN, 2007c). Les indications de n u m é r o s en gras dans le corps du texte ou en note de bas de page (ex : n ° 201) renvoient à des actions collectives décrites en annexe. Le fonctionnement et les principes théoriques de la base de données, qui a servi de support informatique au rassemblement des infor mations, sont énoncés au début de la troisième partie (ainsi qu'aux p. 745-748) mais certaines actions peuvent, à l'occasion, être citées dans la première ou la deuxième, http://actoz.db.huma-num.fr/fmi/webd (cliquer sur «Opinion plébéienne» puis ouvrir la base en «compte invité»). Pour faciliter la compréhension de ces actions collectives, une version «papier» de la base de données est proposée en annexe (avec toutes les références nécessaires, de l'indication des sources à la description des événements). La version électronique est toutefois à la disposition des lecteurs qui le souhaiteraient à l'adresse suivante : Sauf exceptions, la bibliographie est arrêtée à la fin de l'année 2011.
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P. XI, 3 paragraphe, i l faut lire : Pour faciliter la compréhension de ces actions collectives, une version «papier» de la base de données est proposée en annexe (avec toutes les références nécessaires, de l'indication des sources à la description des événements). La version électronique est toute fois à la disposition des lecteurs qui le souhaiteraient à l'adresse suivante : http://actoz.db.huma-num.fr/fmi/webd (cliquer sur «Opinion plébéienne» puis ouvrir la base en «compte invité»).
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« C e n ' é t a i t pas s e u l e m e n t les complices de la c o n j u r a t i o n d o n t l'esprit fût é g a r é ; la p l è b e t o u t e n t i è r e , p a r a m o u r d u c h a n g e m e n t , a p p r o u v a i t sans e x c e p t i o n l'entreprise de C a t i l i n a . É v i d e m m e n t elle n e faisait e n cela q u e s u i v r e s o n h a b i t u d e . Car t o u j o u r s dans u n É t a t ceux q u i n ' o n t r i e n e n v i e n t les bons citoyens, e x a l t e n t les m a u v a i s , h a ï s s e n t le v i e i l é t a t de choses, aspirent à u n n o u v e a u ; par d é g o û t de l e u r sort particulier, ils t r a v a i l l e n t à u n b o u l e v e r s e m e n t g é n é r a l ; ils v i v e n t sans souci d u t r o u b l e et des s é d i t i o n s , car la m i s è r e m e t a i s é m e n t à l ' a b r i de t o u t d o m m a g e . (...) E n o u t r e la jeunesse, q u i à la campagne avait p e i n e à v i v r e d u t r a v a i l de ses mains, a t t i r é e à R o m e par des largesses p r i v é e s et p u b l i q u e s , avait p r é f é r é les loisirs de la v i l l e à s o n l a b e u r i n g r a t . C e u x - l à c o m m e tous les autres v i v a i e n t d u m a l h e u r public . » 1
Extrait du De coniuratione Catilinae écrit par Salluste au milieu des années 40 av. J.-C, ce passage condense à l u i seul les différents stéréo types aristocratiques qui stigmatisaient la plèbe à la fin de la République et au début de l'Empire : son amour pour le changement en raison d'une e x t r ê m e p a u v r e t é , son caractère déraciné d û à une immigration incontrôlée elle-même provoquée par le luxe corrupteur de la Ville, son immense passion pour les jeux comme sa dépendance à l'égard des libéra lités l'ayant détournée du travail et des «vraies» valeurs. Ce texte trahit la haine et la peur pathologiques des deux ordres supérieurs de la société romaine à l'égard de couches sociales auxquelles les sources littéraires, essentiellement issues de ces milieux élitistes, ne s'intéressaient guère, si ce n'était pour dénoncer leur indignité et leur versatilité, dans une pers pective qui recouvrait d'un commun mépris une masse indifférenciée et totalement dépersonnalisée. En effet, lorsqu'ils parlaient de la plèbe de YVrbs, les auteurs anciens employaient divers termes, certaines fois plebs, d'autres fois populus, mais très souvent multitudo, turba, uulßus, des termes vagues, imprécis, voire
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SALL., C , X X X V n : Neque solum Ulis aliena mens erat qui conseil coniurationis fuerant, sea omnino cuneta plebes nouarum rerum studio Catilinae ineepta probabat. Id adeo more suo uidebatur facere. Nam semper in ciuitate, quibus opes nullae sunt bonis inuident, malos extollunt; uetera ödere, noua exoptant; odio suarum rerum mutari omnia student; turba atque seditionibus sine cura aluntur, quoniam egestas facile habetur sine damno. (...) Praeterea iuuentus, quae in agrìs manuum mercede inopiam tolerauerat, priuatis atque publias largitionibus excita, urbanum otium ingrato labori praetulerat. Eos atque alios omnis malum publicum alebat.
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LA PLÈBE DE ROME ET SA CULTURE 2
métaphoriques qui reflètent bien la vision aristocratique de leurs auteurs . À l'époque républicaine comme impériale, «la» foule de YVrbs est consi dérée comme imperita (ignorante) , incondita (inconstante) , tumultuosa (agitée, turbulente) et uentosa (mobile comme le vent) , autrement dit versatile et susceptible de brusques retournements d'attitude, dus à la faci lité qu'avaient les foules de s'emparer d'une idée ou d'une rumeur et de la faire évoluer, jusqu'à la dramatiser ou parfois la retourner entièrement : «Le défaut le plus grave de la foule ignorante, la légèreté, l'inconstance, le changement d'avis aussi fréquent que les variations de l'air... » Elle était également perdita (désespérée, dépravée, perdue) , infima (du plus bas niveau) , indocta (inculte) et misera . Ces différents adjectifs sont tout à fait significatifs et représentatifs de la conception méprisante que les élites romaines avaient de la foule. Le comportement de celle-ci se caractérisait par sa propension au désordre et par son goût pour les nouveautés qui était assimilé à celui des femmes et des barbares . Toute forme de réflexion collective était ainsi interdite à u n groupe présenté comme une nébuleuse aux contours incertains : u n «antimonde» en somme , antimonde perçu comme une masse aussi 3
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H . M É N A R D , Maintenir l'ordre à Rome (IV-JW siècles ap. J.-C), Seyssel, Champ Vallon, 2004, p . 16. Cf. aussi (et infra p. 11) les pages suggestives d'A. PÉREZ, 2002, p. 119-124. Inter alios, voir C i c , Mur., 38; 61; Flacc, 2; 96-97; Dom., 4; 54; Sest., 140; Mil., 90, Lig., 3; Phil, Π, 116; Lrv., XLV, 23, 8. L r v . , X X V I , 40, 15; X X V I I , 32, 8; ΧΧΧΠ, 13, 14; X L m , 10, 5; XLIV, 45, 6 pour l'emploi d'incondita avec multitudo; X X I , 57, 12; ΧΧΠ, 45, 3; XXV, 1, 4; 13, 3; 15, 3; XXIX, 1, 21; X X X V I , 33, 4; XLIV, 45, 6 pour le m ê m e adjectif avec turba. Lrv., V I , 14, 6; XXIV, 15, 3; 29, 1; X X X V m , 33, 8. H O R . , Ep., I , 19, 37. C i c , Mur., 85; Dom., 4. C i c , AU., V u , 3, 5; X, 8, 6. C i c , AU., IV, 1, 5; Vffl, 3, 4; Lrv., X, 6, 3; XXIV, 23, 10; ASCON., Mil, 40, 43, 47 C. C i c , Mur., 39. H O R . , Sat., I , 8, 10. J . - M . ENGEL, Tacite et l'étude du comportement collectif, Lille, t h è s e dactyl., 1972, p. 291-325. La n o t i o n d ' « a n t i m o n d e » a é t é forgée au d é b u t des a n n é e s 1980 par le g é o g r a p h e R. B r u n e i q u i la définit «à la fois comme le négatif du m o n d e et comme son double i n d i s p e n s a b l e » (R. BRUNET, R. FERRAS et H . THÉRY (dir.), Les Mots de la géographie. Diction naire aitique, Montpellier-Paris, Reclus-La Documentation française, 1992, p. 35). Elle s'intéresse aux p h é n o m è n e s sociaux plus o u moins troubles, parallèles o u i g n o r é s mais q u i n'en restent pas moins indispensables au fonctionnement de nos sociétés (voir R. BRUNET, « G é o g r a p h i e d u Goulag. L'espace a l i é n é » , L'Espace géographique, 10, 1981, p. 215-232; ID., Atlas mondial des zones franches et des paradis fiscaux, Montpellier-Paris, Reclus-Fayard, 1986; ID., Champs, contrechamps. Raisons de géographe, Paris, Belin, 1997). Riche de potentiel t h é o r i q u e , é p i s t é m o l o g i q u e et m é t h o d o l o g i q u e , cette n o t i o n n'a toute fois pas connu le succès e s c o m p t é (ainsi, i l n ' y a pas d ' e n t r é e « A n t i m o n d e » dans le r é c e n t Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés paru chez Belin en 2003 sous la direction de J. LÉVY et M . LUSSAULT, OÙ la n o t i o n n ' a p p a r a î t d u reste q u ' à une seule reprise (p. 435) dans t o u t l'ouvrage; de m ê m e , elle n'est pas utilisée dans d'autres dictionnaires de sciences sociales que nous avons p u consulter comme A . A K O U N , P. ANSART (dir.), Dictionnaire de sociologie, Paris, Éd. d u Seuil, 1999 o u P. BONTÉ, M . IZARD (dir.), Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Paris, PUF, 2004) et ce n'est 3
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nombreuse qu'informe, toujours traitée collectivement, comme u n bloc monolithique assisté au plan économique et social, dangereux au plan politique. En cela, la plèbe s'opposait aux élites sénatoriales garantes de la libertas et surtout dépositaires de l'Histoire de Rome, dont elles firent très largement l'écriture. C'est sans doute la raison pour laquelle cette concep tion fut aussi celle de nombreux historiens contemporains qui, jusqu'à une date relativement récente, acceptèrent sans réserve les jugements de ces auteurs antiques dont l'approche était avant tout morale, à l'évidence profondément aristocratique, et qui ne mentionnaient le rôle des masses que lorsque leurs comportements s'inscrivaient dans une crise politique plus générale à m ê m e d'attirer l'attention de leurs lecteurs dont les centres d'intérêt ne tournaient qu'autour des grands événements qui avaient fait de Rome la capitale qu'ils connaissaient . Z. Yavetz, le premier, montra les limites de ce portrait caricatural des foules et, depuis ses travaux fondateurs, les historiens ont majoritairement reconsidéré l'analyse qui pouvait être faite de YVrbs . Ils ne croient plus à une masse de lazzaroni sans caractère n i principes, à une «ville de fainéants ». Par la suite, l'approche culturelle, inspirée notamment par les travaux de P. Veyne et E. Flaig , devait permettre d'approfondir l'analyse et d'enri chir la problématique en portant cette fois-ci l'étude sur le terrain des pratiques et des représentations collectives . Aujourd'hui, à l'heure des identités, la question est moins u n problème d'objet que de regard : i l ne 14
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que très r é c e m m e n t qu'elle a é t é à nouveau c o n v o q u é e par les g é o g r a p h e s (voir M . M A R T Y , «Le côté obscur de l'espace. Pour une application d u concept d'antimonde à la forêt p r i v é e » , L'Espace géographique, 29, 2000, p . 137-149 et surtout M . HOUSSAYHOLZSCHUCH (dir.), Antimondes. Espaces en marge, espaces invisibles, dans Géographie et cultures, 57, 2006). Dans notre perspective, elle p r é s e n t e u n i n t é r ê t heuristique n o n négligeable en ce qu'elle attire - en la t h é o r i s a n t - la réflexion sur la place t o u t à fait marginale que les sources littéraires c o n f é r a i e n t à la p l è b e dans la société romaine au point d'en faire le monde de l'anormal (ou de l'anomal), de l'exceptionnel et de la marge. E n miroir, l'aristocratie, dont les auteurs anciens é t a i e n t largement issus, était celui d u normal, du majoritaire et d u centre. Cette forme d'exclusion par le verbe a fait l'objet d ' u n ouvrage r é c e n t : voir D . et Y. R O M A N , AUX miroirs de la Ville. Images et discours identitaires romains (III s. avant J.-C. - III s. après J.-C), Bruxelles, Latomus, 2007. e
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Ce p r o b l è m e m é t h o d o l o g i q u e majeur a é t é s o u l i g n é par C. VIRLOUVET, Famines et émeutes à Rome des origines de la République à la mort de Néron, Rome, École française de Rome, 1985 (CEFR, 87), p. 6. Z. YAVETZ, La Plèbe et le prince : foule et vie politique sous le Haut-Empire romain, trad, française, Paris, La D é c o u v e r t e , 1984 ( l éd., 1969) et P. VEYNE, 2005, p . 153. J. L E GALL, « R o m e : ville de f a i n é a n t s ? » , REL, 49, 1971, p. 266-277. P. VEYNE, Le Pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique, Paris, É d . du Seuil, 1976; E. FLAIG, Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im Römischen Reich, Frankfort/New York, Akademie Verlag, 1992. De fait, le champ dans lequel nous nous p l a ç o n s (l'histoire culturelle) n'a pas v é r i t a b l e m e n t de frontière et contraint à confronter des bibliographies très dispersées. C'est aussi la raison pour laquelle nous demeurons p r é s e n t e m e n t volontairement succinct sur les questions de nature historiographique dans la mesure o ù i l nous a paru plus logique de mener toutes les discussions de cet ordre de m a n i è r e plus approfondie dans les introductions de chaque chapitre. P. ORY, L'Histoire culturelle, Paris, PUF, 2007 ( l éd., 2004). 15
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s'agit plus de s'intéresser au seul fonctionnement institutionnel d'une cité, mais bien plutôt à la façon dont les citoyens vivaient leur appartenance à cette cité, aux idéologies des différents groupes sociaux qui la structu raient et aux consciences communautaires qui la traversaient. C'est le point de départ de cette étude dans laquelle nous avons tenté de retrouver l'imaginaire social des plébéiens , c'est-à-dire le lien unissant entre elles des représentations, des pratiques et des valeurs, pour leur donner sens. Pour ce faire, i l nous a fallu reformuler l'histoire de cette plèbe dans u n cadre nouveau en recourant aux catégories de la sociologie et de l'anthropologie et, en premier lieu, au terme de culture. Nous sommes ainsi parti du postulat bien mis en évidence par u n grand nombre de sociologues, selon lequel le groupe social dominant n'est jamais en mesure d'imposer purement et simplement son ordre (culturel) au plus faible, et qu'en dépit d'une asymétrie structurelle propre à toutes les rela tions sociales, une culture dominée n'est pas nécessairement une culture aliénée et totalement d é p e n d a n t e . Malgré certaines ambiguïtés persistantes, la notion de «culture» ainsi entendue est aujourd'hui largement admise : au terme d'une très longue construction intellectuelle et scientifique initiée par les travaux de E. B. Tylor et Fr. Boas , elle désigne désormais «la cohérence symbolique 20
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Cette n o t i o n d'« imaginaire social», t h é o r i s é e par la sociologie de l ' i m m é d i a t a p r è s Seconde Guerre mondiale, d é s i g n e Γ « e n s e m b l e des formes et des contenus i m a g i n é s s'inscrivant dans des expressions et des pratiques sociales» (voir P. ANSART, loc. cit., dans A . A K O U N , P. ANSART (dir.), 1999, p . 270). Posant le p r o b l è m e d u l i e n entre r e p r é s e n t a tions et pratiques sociales, elle permet d'analyser comment u n imaginaire dans lequel se confondent des r e p r é s e n t a t i o n s de toutes natures ( d u futur, de la religion, des rapports sociaux...) peut participer à la formation d'une i d e n t i t é collective q u i trouve ensuite son expression dans u n certain nombre de pratiques sociales q u i e n sont le reflet et la traduc tion. 21
Voir, entre autres, J. C. SCOTT, La Domination et les arts de la résistance, trad, fran çaise, Paris, É d . Amsterdam, 2008 ( l éd., 1985) o u Cl. GRIGNON et J.-Cl. PASSERON, Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en socioloßie et en littérature, Paris, É d . d u Seuil, 1989. Ce fut plus largement le sens des travaux relevant des Cultural Studies. À la croisée de la sociologie, de l'anthrolopologie, de l'ethnographie et de l'histoire, ce courant de recherches n é dans les a n n é e s 1960 sous l'impulsion de R. Hoggart, fondateur du Centre for Contemporary Cultural Studies, a grandement c o n t r i b u é à la construction de l'acception contemporaine d u terme « c u l t u r e » , en particulier ses p r e m i è r e s recherches q u i se sont i n t é r e s s é e s aux « c u l t u r e s p o p u l a i r e s » et ont m o n t r é tout l'intérêt q u ' i l y avait à analyser dans les « c u l t u r e s de m a s s e » (qui c o m m e n ç a i e n t alors à a p p a r a î t r e ) , les condi tions de réceptivité des classes populaires a u message m é d i a t i q u e . Celles-ci n'assimilent pas passivement les messages q u i leur sont adressés mais se les approprient et les r é i n t e r p r è t e n t selon leurs propres logiques culturelles. Voir, entre autres, R. HOGGART, La Culture du pauvre, étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, trad, française, Paris, Les Éditions de M i n u i t , 1986 ( l éd., 1957) et St. H A L L , « C o d a g e / D é c o d a g e » , dans r e
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O. B E A U D , P. F U C H Y , D . PASQUIER et L . QUERE (dir.), Sociologie de la communication,
Paris,
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R é s e a u x CENT, 1997 ( l é d . de l'art., 1973), p . 61-71. 2 2
E. B . TYLOR, La Civilisation primitive, trad, française, Paris, Reinwald, 1876-1878 ( l éd., 1871); Fr. BOAS, Race, Language and Culture, N e w York, Macmillan, 1940. Pour une mise e n perspective historiographique d u concept de culture, voir D . CUCHE, La Notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La D é c o u v e r t e , 1996, p . 7-29. Pour u n e re
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de l'ensemble des pratiques (sociales, économiques, politiques, religieuses, etc.) d'une collectivité particulière ou d'un groupe d'individus ». Dans cette perspective, nous pouvons distinguer différentes cultures et, au-delà, diverses subcultures, car une culture n'existe pas seulement au niveau des sociétés globales, mais aussi entre groupes sociaux appartenant à une m ê m e société complexe. Ce fut, nous le pensons, le cas de Rome, dont la plèbe ne partagea pas - toujours - les valeurs des élites. Bien que sociale ment dominée, elle n'en fut pas pour autant totalement dépourvue d'autonomie et de capacité de résistance. Si celles-ci ne suffisent pas à parler de «culture» - seules des auto-représentations fonctionnant selon une certaine cohérence répondent à l'acception sociologique de ce concept - , le jeu de la distinction produit toutefois des différences cultu relles et pousse, en tant que tel, chaque collectivité, groupe, c o m m u n a u t é , strate sociale... à défendre sa spécificité et à convaincre que son modèle culturel est original et l u i appartient en propre . L'attention doit alors se porter sur le sens que ces acteurs créent dans les relations quotidiennes, extraordinaires ou rituelles qui structurent l'ordre social . C'est ce que nous nous sommes attaché à faire, en essayant de mettre en lumière «l'héritage social » de la plèbe, c'est-à-dire ses croyances, ses savoirs, ses comportements, ses coutumes, ses habitudes et ses valeurs fondamentales, sans pour autant écraser son hétérogénéité, mais au contraire en discer nant ce qui relevait d'une culture commune ou d'une pluralité de cultures, comme cette sous-couche identifiée par P. Veyne , et qui se disait media ou était perçue comme telle par u n chevalier comme Pline l'Ancien. Il s'agit donc de réfléchir au caractère opératoire de cette notion de culture appliquée aux masses populaires de Rome à la fin de la Répu blique et au début de l'Empire . Or, évoquer la culture des groupes 23
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analyse détaillée des m o d a l i t é s d'application d u concept en histoire ancienne, M . BLANDENET, CL CHTLLET et
C. COURRIER,
« F i g u r e s de
voir
l ' i d e n t i t é et m o d è l e s culturels.
Quelques rappels et quelques r e m a r q u e s » , dans M . BLANDENET, Cl. CHÌT.T.ET et C. COUR RIER (dir.), Figures de l'identité. Naissance et destin des modèles communautaires dans la Rome antique, Lyon, ENS Éd., 2010, p . 5-17. 2 3
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D . CUCHE, 1996,
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D . CUCHE, 1996, p . 68. Plus largement, voir P. BOURDIEU, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, É d . de M i n u i t , 1979. M . AGIER, Esquisses d'une anthropologie de la ville. Lieux, situations, mouvements, Louvain, Academia Bruylant, 2010, p. 55-64 et 99-104. Cette expression est celle de H . INGLEBERT (dir.), Histoire de la civilisation romaine, Paris, PUF, 2005, p . 5, q u ' i l définit ainsi : « P o u r les ethnologues o u les sociologues, la "culture" est l'héritage social, t o u t ce q u ' u n e société transmet, y compris e n dehors d ' u n système d'éducation.» P. VEYNE, «La " p l è b e m o y e n n e " sous le Haut-Empire r o m a i n » , Annales (HSS), 55, 2000, p . 1169-1199 [réédité dans «Existait-il une classe moyenne en ces temps l o i n t a i n s ? » , dans ID., L'Empire gréco-romain, Paris, É d . d u Seuil, 2005, p . 117-1611. C'est p r é c i s é m e n t ce que n'a pas fait u n ouvrage r é c e n t q u i a t e n t é d'appliquer t e l quel ce concept contemporain au peuple dans l ' A n t i q u i t é (sic) sans réfléchir aux moda lités d'application : J . TONER, Popular Culture in Ancient Rome, Cambridge-Maiden, Polity Press, 2009. Dans la mesure o ù nous en avons p r o p o s é une longue recension p o u r Anti quité Tardive (C. COURRIER, « " U n e " culture populaire dans l ' A n t i q u i t é romaine? Quelques 2 5
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dominés - quelle que soit la période historique envisagée - c'est inévi tablement faire écho au débat sur la notion de «culture populaire». De ce point de vue, nous avons été en partie tributaire des méthodes élaborées par les historiens de l'époque moderne qui ont jeté les bases de l'étude d'une «culture populaire» (pour reprendre l'expression du travail pion nier de M . Bakhtine ) constituée de valeurs, de gestes, de croyances spécifiques, différents de ceux des dominants, qu'ils aient été gens d'Église ou hommes de plume. Ainsi, pour la France d'Ancien Régime , la culture du peuple a été doublement repérée : elle pouvait se lire dans u n ensemble de textes - ceux des livrets bon marché, vendus par colportage et connus sous le terme générique de Bibliothèque bleue - et dans u n ensemble de croyances et de gestes considérés comme constitutifs d'une «religion populaire» . Dans les deux cas, le populaire était défini a contrario, c'est-à-dire par sa différence avec ce qu'il n'était pas : la littéra ture savante ou le catholicisme normatif de l'institution ecclésiastique. Pour l'un comme pour l'autre, l'historien se donnait pour tâche de dénombrer et de décrire les différents motifs qui composaient la culture désignée comme populaire. Cependant, l'assignation sociale des formes culturelles considérées - la littérature de colportage ou la religion popu laire - n'était pas sans poser quelques problèmes d'ordre méthodologique. Par exemple, la religion «populaire» était-elle celle des paysans, de l'ensemble des dominés, ou encore des laïcs par opposition aux clercs? M ê m e si ce débat est aujourd'hui dépassé, en ce sens que l'on ne parle plus de «culture populaire», les études ayant, dès le milieu des a n n é e s 1970, bien davantage porté sur les intermédiaires culturels et les processus de transformation et d'hybridation , ce sont là des problèmes que nous 29
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remarques à propos de l'ouvrage de J. Toner, Popular Culture in Ancient Rome, CambridgeMaiden, Polity Press, 2 0 0 9 » , AnTard, 19, 2011, p. 333-338), nous ne discuterons pas davantage les d é v e l o p p e m e n t s et conclusions, au demeurant fort d é c e v a n t s , de cet ouvrage. M . ΒΑΚΗΤΓΝΕ, L'Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, trad, française, Paris, Gallimard, 1982 ( l éd., 1965). Voir é g a l e m e n t R. CHARTIER, « C u l t u r e p o p u l a i r e » , dans A . BURGUIÈRE, Dictionnaire des sciences historiques, Paris, PUF, 1986, p. 174-179, auquel nous empruntons les lignes q u i suivent. V. M I L L I O T , Cultures, sensibilités et société dans la France d'Ancien Régime, Paris, Nathan, 1996. R. M A N D R O U , De la Culture populaire aux XVII et XVIII siècles. La bibliothèque bleue de Troyes, Paris, Imago, 1998 ( l éd., 1964); H.-J. M A R T I N , « C u l t u r e écrite et culture orale, culture savante et culture populaire dans la France d'Ancien R é g i m e » , Journal des Savants, j u i l l e t - d é c e m b r e 1975, p. 225-282. J.-CL SCHMITT, «Religion populaire et culture f o l k l o r i q u e » , Annales ESC, 31, 1976, p. 941-953. N . ZEMON-DAVIS, Les Cultures du peuple : rituels, savoirs et résistances au 16 siècle, trad, française, Paris, Aubier/Montaigne, 1979 ( l éd., 1975). J.-Cl. SCHMITT, La Religion populaire, Paris, CNRS Éd., 1979. Pensons n o t a m m e n t aux travaux de C. GINZBURG, Le Fromage et les vers. L'univers d'un meunier au XVI siècle, trad, française, Paris, Flammarion, 1980 ( I éd., 1976), sur le meunier Menocchio, à ceux de D . ROCHE sur le peuple de Paris et le renouvellement de la question par l'analyse de la culture m a t é r i e l l e ( D . ROCHE, Le Peuple de Paris, Paris, Aubier, 1981) o u encore à ceux de R. CHARTIER, «Stratégies éditoriales et lectures p o p u 2 9
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
avons rencontrés. Ainsi, pour reprendre une formule de J. Cl. Richard, «Auguste ne prenait pas aux ludi un plaisir moins important que le Volteius Mena d'Horace et, comme la plèbe, les grands se pressaient à la représentation de comédies et autres spectacles comiques ». L'un des problèmes auxquels nous nous sommes h e u r t é fut donc de délimiter précisément les sous-secteurs culturels opposant, d'une part ces élites aux «masses» plébéiennes, et d'autre part ces «masses plébéiennes» entre elles, les sources littéraires n'effectuant que très rarement des distinctions précises. Tel était, comme nous le verrons, l'enjeu des recherches que nous avons pu mener sur la plebs media. Toutefois, i l ne faudrait pas iden tifier à l'extrême deux entreprises qui restent au demeurant fort diffé rentes, tout d'abord parce que le problème d'une culture plébéienne ne se pose bien évidemment pas de la m ê m e manière dans la Rome républi caine et impériale que dans la France du XVII siècle, ensuite et surtout parce que, dans le contexte de la fin de la République et du début de l'Empire, le mot «plèbe» et ses adjectifs «dérivés» (urbana, Romana, frumentaria) n'étaient pas synonymes de peuple ou de populus. À cette époque, la plèbe urbaine désignait en effet ce qui restait de la population de YVrbs lorsque l'on ôtait, d'une part les esclaves et les étran gers, d'autre part les membres des ordres sénatorial et é q u e s t r e . Cette 36
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laires, 1530-1660», Histoire de l'édition française, Paris, Promodis, 1.1, 1982, p. 598-602, sur les lectures dites « p o p u l a i r e s » et sur l'impossibilité de les c o n s i d é r e r comme telles. I l nous faut é g a l e m e n t renvoyer à M . DE CERTEAU, La Culture au pluriel, Paris, Christian Bourgeois Éd., 1980 ( l éd., 1974) et ID., L'Invention du quotidien. Arts de faire, Paris, UGE, 1980. Plus r é c e m m e n t , voir les travaux de M . ESPAGNE sur l'Allemagne : L'Histoire de l'art comme transfert culturel : l'itinéraire d'Anton Springer, Paris, Belin, 2009. Sur l ' o p i n i o n et les processus de diffusion de l'information, voir St. HAFFEMAYER, L'Information dans la France du XVII siècle : la gazette de Renaudot de 1647 à 1663, P a r i s - G e n è v e , H . ChampionÉd. Slatkine, 2002. Enfin, sur les p r o b l é m a t i q u e s de r é c e p t i o n de l'écrit, i l convient de mentionner les recherches m e n é e s par J.-P. BARDET et Fr.-J. RUGGIÙ (dir.), Au plus près du seaet des cœurs? Nouvelles lectures historiques des écrits du for privé en Europe du XVI au XVIII siècle, Paris, PUPS, 2005 et A . BÉROUJON, Les Écrits à Lyon au XVII siècle : espaces, échanges, identités, Grenoble, PUG, 2009. Voir enfin la r é c e n t e mise au p o i n t de D . K A L I F A , « C u l t u r e savante/Culture p o p u l a i r e » , dans Chr. DELACROIX, Fr. DOSSE et P. G A R C I A (dir.), Historio graphies : Concepts et débats. II, Paris, Gallimard, 2010, p. 995-999. r e
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H Ö R . , Ep., I , 7, 59. J.-Cl. RICHARD, compte r e n d u de N . HORSFALL, La Cultura della plebs romana, Barcelone, PPU, 1996, paru dans REL, 75, 1997, p. 348-349. Que, d ' u n point de vue strictement juridique, les p l é b é i e n s n'aient d é s i g n é que des citoyens romains est hors de doute et ne m é r i t e pas de longs d é v e l o p p e m e n t s . D a t é e s de la f i n de la R é p u b l i q u e et de l'Empire, les trois définitions d u m o t plebs q u i nous sont parvenues i n s è r e n t explicitement le terme au sein d u populus (SALL., Caes., Π, 5, 1; GELL., Χ, 20, 5; GAIUS, Inst, I , 3). Certes, l'opposition lexicale mise en œ u v r e par ces trois textes (p/efo-patriciat) était tout à fait marginale à l ' é p o q u e q u i les concernait. Pour autant, la définition alors en vigueur (en opposition aux deux ordres s u p é r i e u r s de la société romaine; voir infra), ne fait pas sortir la plèbe de la s p h è r e d u populus. Nous pouvons é g a l e m e n t rappeler, a p r è s Cl. NICOLET, «Plèbe et tribus : les statues de Lucius A n t o n i u s et le testament d ' A u g u s t e » , MEFRA, 97, 1985, p. 799-839 [ = Cl. NICOLET, 1985b] q u ' à la f i n de la R é p u b l i q u e et sous l'Empire, la p l è b e était toujours inscrite dans les tribus (selon des m o d a l i t é s que nous aurons l'occasion d ' é v o q u e r infra) et a p r è s C. VIRLOUVET, Tessera frumentaria. Les procédures de la distribution du blé public à Rome à la fin de la République et 3 7
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L A PLÈBE D E R O M E E T S A CULTURE 38
situation, dans la mesure o ù i l existait beaucoup plus de trois ordres , ne doit cependant pas nous amener à croire à l'existence d'une société uniquement structurée d'une manière tripartite. En effet, i l ne semble pas qu'un ordo plebeius officiellement enregistré par la res publica ait existé. Comme l'explique J. Hellegouarc'h, «aucun texte (...) n'atteste de façon positive l'existence d'un ordo plebeius* ». Seuls quelques passages semblent considérer la plèbe comme tel, mais ils sont rares ou tardifs . Pourtant, i l est vraisemblable qu'une partie de la plèbe au moins était concernée quand Cicéron parlait de concordia ordinum, a'omnes ordines , de ceteri ordines , de cuncti ordines * ou Tite-Live de discordia ordinum . Quelle acception faut-il donc accorder aux expressions de ces auteurs q u i semblent «impliquer une généralisation du terme et une application possible à la p l è b e » ? Depuis les travaux de Cl. Nicolet et B. Cohen , la définition d'un ordo est relativement claire : i l s'agit à la fois d'une catégorie juridique et d'une «dignité avec aptitude à la puissance p u b l i q u e » , c'est-à-dire d ' « u n groupe stable, défini par l'État, de citoyens dont la spécificité collective atteint le niveau d'un statut civique distinct dans la société r o m a i n e » . C'est donc l'intervention de l'État, et elle seule qui, par l'intermédiaire des censeurs, faisait par exemple d'un homme riche u n eques Romanus. De ce point de vue, qui est strictement juridique, i l ne semble pas y avoir eu à'ordo plebeius. C'est la raison pour laquelle D. et Y. Roman ont proposé de concevoir l'usage du terme ordo d'une manière moins stricte, non exclu sivement juridique, et de revenir au sens étymologique du terme qui dési gnait d'abord une «rangée», u n «rang», et au-delà, «tout groupe distingué des a u t r e s » . Dans l'esprit des sénateurs et des chevaliers, la 9
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au début de l'Empire, R o m e , É c o l e f r a n ç a i s e de R o m e , 1995 (BEFAR, 286) [= C. VIRLOUVET, 1995b], que c'était en son sein q u ' é t a i e n t désignés les bénéficiaires des distributions frumentaires. L ' h y p o t h è s e autrefois f o r m u l é e par D . V A N BERCHEM, Les Distributions de blé et d'argent à la plèbe romaine sous l'Empire, G e n è v e , Georg & eie s.a., 1939, selon laquelle l'expression plebs sordida aurait d é s i g n é des Latins, des peregrins et des esclaves, a é t é d é f i n i t i v e m e n t i n v a l i d é e par Z. YAVETZ, 1984, p . 189-209 (voir infra p. 899-903). 3 8
B . COHEN, «La n o t i o n d'ordo dans la Rome a n t i q u e » , BAGB, 1975, p . 259-282. J . HELLEGOUARC'H, Le Vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, Les Belles Lettres, 1972 ( l éd., 1963), p . 506. 3 9
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SAUL., J., X X X I ,
7; PLTN., NH, ΧΧΧΙΠ, 29; FEST., 422, 20 L . L'expression
Ordo
plebeiorum a p p a r a î t seulement à une é p o q u e très tardive dans le Codex Theodosianus, I X , 45, 5. C i c , Cat., I V , 19; Rab. Perd., 2 0 ; Dom., 90; 132; 142; Sest, 107; 109; 122; Pis., 3; Phil, Π, 19; AU., I V , 1, 4. C i c , Rab. Perd., 27; Cluent., 151; Pis., 4 5 ; Pam., I , 9, 16. C i c , Mil., 5. Lrv., Π, 61, 1; I V , 48, 14. 41
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J. H E L L E G O U A R C ' H , 1972, p . 506.
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B . COHEN, 1975 et Cl. NICOLET, «Les ordres romains : définition, recrutement et f o n c t i o n n e m e n t » , dans Cl. NICOLET (dir.), Des Ordres à Rome, Paris, PUPS, 1984, p . 7-21. 4 7
C l . NICOLET, 1984, p . 20.
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B . C O H E N , 1975, p . 282.
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D . et Y . R O M A N , Sociétés et structures sociales de la péninsule Paris, SEDES, 1994, p . 80-81.
italienne (218-31 av.
J.-C),
INTRODUCTION GÉNÉRALE
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plèbe pouvait alors être u n ordo, mais bien au sens de partie du popülus n'appartenant pas aux deux premiers ordres (cette fois au sens juridique) de la société romaine. C'est ce que tendrait à nous montrer le fameux vers d'Horace : «Tu as des m œ u r s , de l'intelligence, de l'éloquence, de la probité; mais i l te manque six ou sept mille sesterces sur les quatre cent mille : t u seras p l è b e » . De fait, si le citoyen romain, enregistré individuellement lors de la cérémonie du census, constituait bien l'unité de base de la plebs urbana, l'utilisation par les Anciens d'expressions semblant accréditer l'existence d'un ordo plebeius répondait plutôt à u n usage de type métaphorique, dont le but était, selon J. Hellegouarc'h, de flatter les plébéiens, mais aussi peut-être, au-delà de la connotation démagogique, d'aspirer à u n idéal de concordia auquel prétendait toute cité antique . À regarder le contexte de ces occurrences, on constate en effet qu'il s'agit presque exclusivement de discours au peuple à l'image de cet exemple extrait du Pro C. Rabirio : 50
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« Q u e d i r o n s - n o u s de ces personnages si honorables, et de ces excel lents citoyens, les chevaliers r o m a i n s q u i se j o i g n i r e n t alors a u S é n a t p o u r la sauvegarde de la res publica! Q u e d i r o n s - n o u s des t r i b u n s d u T r é s o r et des h o m m e s de tous les ordres q u i p r i r e n t alors les armes p o u r la l i b e r t é de tous? M a i s à q u o i b o n p a r l e r de tous c e u x q u i o b é i r e n t à l ' a u t o r i t é des consuls ?» 5 2
Nous savons grâce aux études de B. Cohen que les tribuns du trésor formaient u n ordo, au sens juridique du terme, parmi les 27 ou 28 ordines qu'il a pu recenser . De fait, Cicéron, de proche en proche, agglutine aux deux ordres supérieurs de la société romaine la plèbe, dont une partie était effectivement structurée en ordines, à laquelle i l adjoint ensuite de manière rhétorique des citoyens de «tous les ordres» puis l'ensemble de ceux qui avaient obéi à l'autorité des consuls. Or, en mettant ainsi sur le m ê m e plan, dans une enumeration à cinq éléments, trois ordines j u r i diquement constitués, le reste des plébéiens ayant appartenu à u n ordo puis tous ceux ayant obéi aux consuls (parmi lesquels i l devait nécessaire ment y avoir des citoyens qui n'étaient pas officiellement enregitrés sur les listes d'un ordo) , i l applique, aussi subrepticement soit-il, la qualifica tion d'ordo à la plèbe en construisant sa phrase d'une manière telle, 53
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H Ö R . , Ep., I , 1, 57 : Est animus tibi, sunt mores, est lingua fidesque, I sed quadringentis sex septem milia desunt : I plebs ens. 5 1
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J . HELLEGOUARC'H, 1972,
p.
506.
O c , Rab. Perd., 27 : Quid de Ulis honestissimis uiris atque optimis ciuibus, equitibus Romanis, dicemus qui turn una cum senatu salutem rei publicae defenderunt? quid de tribunis aerariis ceterorumque ordinum omnium hominibus qui tum arma pro communi übertäte ceperunt? Sed quid ego de eis omnibus qui consulari impeno paruerunt loquor? (trad. CUF révisée). " B . C O H E N , 1975, p . 269-270 et ID., « S o m e neglected ordines: the apparitorial status-groups », dans Cl. NICOLET, 1984, p . 23-60. Sur cette r h é t o r i q u e t y p i q u e m e n t c i c é r o n i e n n e , voir P. M . M A R T I N , « Ordo plebeius : approche d ' u n m y t h e p o l i t i q u e » , Interférences, 2006, publication en ligne, http ://ars-scribendi.ens-lsh.fr/article.php3ïd-article=18, auquel nous nous permettons de reprendre là u n raisonnement construit pour u n autre passage de Cicéron (Cat., IV, 15-19). 54
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LA PLÈBE D E R O M E ET SA CULTURE
qu'elle laisse entendre que tous les plébéiens appartenaient d'une façon ou d'une autre à u n ordre. Ainsi, i l montrait à la foule qu'elle aussi, à son échelle, participait de cet idéal de concordia tout en s'attirant les bonnes grâces de celle-ci en l u i octroyant une appellation officielle et une dignité qui étaient entre autres celles des sénateurs et des chevaliers. La plèbe, en tant qu'ordo, apparaît donc comme une «réalité politique » mais n o n juridique «qui se traduisait aux niveaux sémantique et lexicologique par l'assimilation de [celle-ci] à u n ordo ». D'une manière plus vague, moins organisée, elle regroupait tous les citoyens qui ne faisaient pas partie des deux premiers ordines . En revanche, i l n'est pas très aisé de définir chronologiquement les périodes et les causes de cette évolution sémantique du mot plebs. Si, comme l'a bien établi J. Cels Saint-Hilaire, le passage de l'opposition plebspatricii à une opposition plebs-nobilitas peut être daté du milieu du I V siècle av. J.-C. après que les plébiscites de Licinius et Sextius eurent établi qu'un des deux consuls serait désormais choisi parmi les plébéiens , les faits sont moins clairs sur la façon dont s'effectua le passage à une tripartition plebs, ordo equester, senatus. I l est possible que la Deuxième Guerre Punique ait j o u é u n rôle. L'afflux à Rome de paysans-soldats ruinés en provenance des régions d'Italie, o ù se concentraient les grandes propriétés, contribua peut-être à la formation, dans nos sources, d'une image paupérisée de la plèbe (entendons : qui ne possédait pas les ressources financières des deux premiers ordines) . Avec toutes les réserves qui peuvent être émises sur l'usage de ces termes chez Tite-Live, il pourrait ne pas être complètement fortuit que la première tripartition senatus, ordo equester, plebs apparaisse pour la première fois au livre XXVI, c'est-à-dire en 2 1 0 av. J.-C. dans le discours de Laevimis . De ce point de 55
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B . C O H E N , 1975,
p.
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* P. M . M A R T I N , 2006. 5 7
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D. et Y. R O M A N , 1994,
p.
81.
J . C E L S SAINT-HILAIRE, La République romaine (133-44 av. J.-C), Paris, Armand Colin, 2005 [= J . C E L S SAINT-HILAIRE, 2005a], p. 27-33. Une image qui pourrait toutefois être largement construite par nos sources, dans la mesure o ù nombre d'études récentes invitent aujourd'hui à relativiser l'ampleur (ou plutôt à nuancer la nature) de la crise agraire qui aurait frappé l'Italie aux deux derniers siècles avant notre ère. Nous y revenons en détail dans la conclusion du chapitre I . De m ê m e , voir l'utilisation p o l é m i q u e qui est faite du terme plebs dans les a n n é e s 230-220 av. J . - C , infra p. 549-560. Lrv., XXVI, 36, 4-8 (trad. C U F révisée) : « V o u l o n s - n o u s donc que le peuple romain possède et équipe une flotte, que les particuliers fournissent des rameurs sans protester? Donnons-nous d'abord cet ordre à n o u s - m ê m e s ! L'or, l'argent, la monnaie de , apportons tout, nous, les sénateurs, demain, a u trésor public, de façon que chacun ne garde qu'un anneau pour l u i - m ê m e (...). Tout ce qui nous restera d'or, d'argent, de bronze m o n n a y é , apportons-le i m m é d i a t e m e n t aux triumuiri mensarii, pour que cette contribution volontaire et cette façon de rivaliser pour aider l'État provoquent l'émulation, d'abord de l'ordre équestre, ensuite de la plèbe elle aussi.» Itaque classes habere atque ornare uolumus populum Romanum, priuatos sine recusatione rémiges dare? nobismet ipsis primum umperemus. Aurum, argentum, signatum omne senatores crostino die in publicum conferamus, ita annulos sibi quisque (...) relinquant (...); ceterum omne aurum, argentum, aes signatum ad triumuiros mensarios exemplo deferamus, nullo ante senatus consulto 5 9
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
vue, J. Hellegouarc'h a raison de souligner que l'évolution sémantique du mot plebs n'a fait que confirmer l'étymologie i n d o - e u r o p é e n n e du terme (*plêdhw, dérivé de la racine *ple : sens de foule, de masse) . Cependant, s'il arrivait que l'on qualifiât tout bonnement de «plébéiens» ceux qui n'étaient pas riches, i l faut garder à l'esprit que, juridiquement, les plébéiens désignèrent toujours des citoyens romains. Parmi eux, tous les niveaux de fortune se rencontraient, du richissime Vestorius, prêteur à intérêt et propriétaire de teintureries répu tées , au plus pauvre manouvrier des bas quartiers de Rome. Le critère d'appartenance était exclusivement civique, m ê m e si plusieurs statuts traversaient par ailleurs la plèbe : la naissance - libre ou servile - était le premier d'entre eux . L'appartenance, pour certains plébéiens privilégiés, à la hiérarchie des ordines - comme, par exemple, les appariteurs de magistrats - en était u n autre. De fait, la plèbe était structurée par de multiples hiérarchies aussi bien socio-économiques que juridiques, qui se superposaient de manière parallèle et non synchronique , conditionnant (et questionnant) ainsi l'existence, la définition et les modalités d'adhé sion des individus à une éventuelle culture commune. Car, si la culture relève des représentations, elle n'est pas non plus pure subjectivité. Dans 61
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fado, ut uoluntaria contatto et certamen adiuuandae rei publicae excitet ad aemulandum animos primum equestris ordinis, dein reliqua plebis. Lrv., XXVI, 36, 12 : «Ce geste unanime du sénat fut suivi par l'ordre équestre, celui de l'ordre équestre par la plèbe.» Hune consensum senatus equester ordo est secutus, equestris ordinis plebs. Nous avons préféré ne pas traduire l'expression latine triumum mensarìi, faute d'équivalent français adéquat. Sur cette charge, voir J . A N D R E A U , La Vie financière dans le monde romain : les métiers de manieurs d'argent : IV siècle av. J.-C. - / / / ' siècle ap. J . - C , Rome, École française de Rome, 1987 (BEFAR, 265), p. 234-237. 6 1
J . H E L L E G O U A R C ' H . , 1972,
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p.
510.
Sur Vestorius, voir J . A N D R E A U , « À propos de la vie financière à Pouzzoles : Cluvius et Vestorius», dans M . C É B E U X A C - G E R V A S O N I (éd.), Les «Bourgeoisies» municipales italiennes aux II et I siècles av. J.-C, Paris-Naples, CNRS Éd.-Centre Jean Bérard, p. 9-20. II faudrait encore distinguer à l'intérieur de cette catégorie les citoyens romains nés dans la citoyenneté et les libres n é s en dehors de la citoyenneté romaine mais l'ayant acquise par la suite, ceux que J . Cels Saint Hilaire regroupe sous le terme de libertini. Voir J . C E L S SAINT-HILAIRE, «Les libertini, des mots et des c h o s e s » , DHA, 11, 1985, p. 331-379. Nous reviendrons à de très nombreuses reprises sur cette difficulté portant sur la composition de la plèbe à partir des inscriptions du CIL, V I : était-elle majoritairement d'origine affranchie ou i n g é n u e ? Contentons-nous de noter, pour le moment, que la thèse de la stabilité démographique que nous d é f e n d o n s invite à relativiser quelque peu l'importance de cette barrière dans la mesure o ù tout fils d'affranchi citoyen romain n é après l'affranchissement du père était l u i - m ê m e i n g é n u citoyen romain. Or, le renouvel lement démographique par immigration n'ayant probablement pas é t é aussi important que le prétendent des chercheurs comme W. Scheidel (voir chapitre 1), il n'est pas certain que le nombre d'affranchis ait é t é si é l e v é . Sans compter qu'ils étaient, sauf exception, exclus des distributions frumentaires (C. V I R L O U V E T , La Plèbe frumentaire dans les témoignages épigraphiques. Essai d'histoire sociale et administrative du peuple de Rome antique, Rome, École française de Rome, 2009 (CEFR, 414), p. 53-54), alors m ê m e que la Ville de Rome put compter, au moins à l'époque impériale, 200 000 bénéficiaires stables et leurs familles. Pour reprendre une terminologie chère à C l . N I C O L E T , 1985b. e
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la réalité, ce qui existe, ce sont des groupes sociaux qui se trouvent engagés «dans des rapports de domination et de subordination les uns par rapport aux a u t r e s » . Or, tout groupe possède une culture qui correspond pour partie à sa définition sociale, c'est-à-dire à sa place à l'intérieur des cadres sociaux qui fondent la position des agents, orientent leurs repré sentations et leurs choix et, ainsi, participent de la construction de leur identité . La question était donc la suivante : malgré ses différences, son h é t é rogénéité, sa pluralité, «la» plèbe avait-elle conscience d'elle-même? L'approche par le culturel vise à déplacer le débat sur le terrain des repré sentations et des identités afin de voir si, au-delà des hiérarchies j u r i diques, u n sentiment commun conduisait (ou pas) certains plébéiens (et si oui, lesquels) à se retrouver autour de certaines valeurs collectives conçues comme représentatives, le tout formant u n système qu'il faut interroger sous l'angle de sa cohérence. Existait-il, au m ê m e titre que pour les élites, une combinaison de comportements qui aurait permis à la plèbe de se concevoir comme u n ensemble bien délimité, comme u n monde à part entière, autrement dit une culture plébéienne? Le cas échéant, cette culture s'opposait-elle à celle de l'aristocratie ou, à l'inverse, la plèbe avait-elle des modes de penser et d'agir caractéristiques tout en partageant la culture globale de la société romaine? Un premier élément de réponse passe sans doute par l'unité sociospatiale que la Ville conféra à une plèbe qui conçut assez tôt (dès l'époque des Gracques en fait) son rôle comme celui d'un peuple de capitale d'empire, et que subsume bien l'appellation générique de plebs urbana. Pourtant, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, cette expression était relativement peu fréquente. Quand Tite-Live raconte les luttes fondatrices de la plèbe et du patriciat, i l n'emploie jamais de qualificatif 66
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D . CUCHE, 1 9 9 6 , p. 6 9 - 7 0 . C'est ce qu'affirmait déjà M . WEBER, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, trad, française, Paris, Pion, 1 9 6 4 ( l éd., 1 9 0 5 ) et q u ' o n t repris p o u r r e
partie Cl. G R I G N O N et J . - C l . PASSERON, 1 9 8 9 . 6 7
C'est l à t o u t l'apport des travaux de P. BOURDIEU, en particulier, Le Sens pratique, Paris, Éd. de M i n u i t , 1 9 8 0 , o ù i l m o n t r e que le p o u v o i r d'identification d é p e n d de la position sociale o c c u p é e par l ' i n d i v i d u dans le s y s t è m e de relations q u i lie les groupes entre eux. La culture (ou p l u t ô t l'habitus chez Bourdieu) est u n enjeu social. A u x diffé rentes positions dans u n espace social d o n n é , correspondent des dispositions, des styles de vie, des principes g é n é r a t e u r s de r e p r é s e n t a t i o n s q u i sont « l ' e x p r e s s i o n symbolique des différences inscrites objectivement dans les conditions d ' e x i s t e n c e » (D. CUCHE, 1 9 9 6 , p. 8 1 - 8 2 ) . Ces t h é o r i e s o n t é t é r é c e m m e n t n u a n c é e s par B . LAHIRE, n o t a m m e n t dans La Culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La D é c o u v e r t e , 2 0 0 4 . Nous en tiendrons compte, n o t a m m e n t dans la mise en é v i d e n c e de l ' h é t é r o g é n é i t é de la plèbe. 6 8
« C u l t u r e » et « i d e n t i t é » sont deux notions e x t r ê m e m e n t proches q u i ne doivent toutefois pas ê t r e confondues p u r e m e n t et simplement. Elles peuvent ê t r e d i s t i n g u é e s sur au moins deux points : le terme de culture a u n sens plus collectif q u i r e l è v e en outre davantage de processus de transmission et d ' h é r i t a g e ; celui « d ' i d e n t i t é » est, l u i , plus individuel et ne peut fonctionner sans conscience d'appartenance, comme le m o n t r e n t les travaux actuels sur les processus d'identification. Voir ainsi I . A B O U T et V. DENIS, Histoire de l'identification des personnes, Paris, La D é c o u v e r t e , 2 0 1 0 .
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
dichotomique (urbana ou rustica). La distinction n'apparaît q u ' à propos de l'année 212 av. J.-C. pour relever l'afflux des réfugiés de la plebs rustica dans YVrbs , u n exemple qui montre qu'urbanus désignait simplement le «citadin» par opposition au « r u r a l » . C'est ensuite dans le contexte de la loi agraire de P. Servilius Rullus que la formule réapparaît : la plebs urbana est alors décrite comme une sentine regorgeant dans la Ville et dont i l faut écouler le trop-plein . Tels sont les mots attribués au tribun Rullus par Cicéron et qui recoupent ceux que Salluste utilise pour décrire les soutiens de Catilina, parce qu'ont alors reflué à Rome «ceux qui partout se signalaient le plus par leur turpitude et leur effronterie, tous ceux qui avaient ignominieusement dissipé le bien de leurs pères, enfin tous ceux que le scandale ou le crime avait chassés de chez e u x » . La plebs urbana désignait donc l'habitant d'une urbs, pas nécessaire ment d'ailleurs de la ville de Rome. Ce sens neutre et large est ainsi appliqué par Pline à Séleucie du Tigre et par Tacite à C r é m o n e . Cepen dant, cet emploi extensif ne signifiait pas l'absence de définition juridique, le syntagme posant la question de la limite des villes et, s'agissant de Rome, de YVrbs elle-même. De ce point de vue, urbanadésignait une ville en général, et Rome en particulier, dans sa nature sacrée : la ville intrapomériale en somme, comme l'avait bien noté A. Magdelain . Sur ce point, i l est bien connu que Vrbs et Roma ne coïncidaient pas dans les normes juridiques romaines. La première était incluse à l'intérieur «des murs»; la seconde englobait les horti liés à la Ville et les continentia tecta . Ce découpage s'appliquait-il à la distinction plebs urbana-plebs Romana? 69
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Lrv., XXV, 1, 8.
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Cl. NICOLET, 1985b, p.
829.
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C i c , Aßr. Π, 70 : «Voilà donc p o u r q u o i i l a é t é dit en plein Sénat, par u n t r i b u n du peuple, que le peuple de Rome regorgeait dans la ville, et q u ' i l fallait en é c o u l e r le trop plein : car, i l s'est servi de ce terme, comme s'il e û t p a r l é d'une sentine à nettoyer, et n o n de la classe des citoyens la plus patriotique. » Et nimirum illud est, quod ab hoc tribuno plebis dictum est in senatu, urbanam plebem nimium in re publica posse : exhaurìendam esse hoc enim est usus, quasi de aliqua sentina ac non de optimorum ciuium genere loqueretur. SALL., C, X X X V n , 4 : Primum omnium, qui ubique probro atque petulantia maxume praestabant, item alii per dedecora patrimoniis amissis, postremo omnes quos flagitium aut fadnus domo expulerat, ei Romam sicut in sentinam confluxerant. r
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PLIN., NH,
VI,
122.
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T A C , Η., m, 32, 9. Sur ce texte et celui de Pline cité supra, voir Cl. NICOLET, 1985b, p. 829. 75
A . MAGDELAIN, «L'inauguration p. 11-29. 76
de YVrbs et XImperium»,
MEFRA,
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1977,
Voir, par exemple, la Table d'Héraclée q u i distingue la zone d'administration a'urbs Roma (la ville i n t r a - p o m é r i a l e proprement dite) des continentia, dans u n r a y o n de mille pas, que Cl. Nicolet identifie à la j u r i d i c t i o n de Roma. CIL, F, 593 (ligne 20) = ILS, 6085 = FIRA, I , 13 = Roman Statutes, ed. by M . H . CRAWFORD, Londres, Institute of Classical Studies, 1996, tome 1, n° 24, p . 355-391. Voir aussi Dig., L, 16, 2 (PAUL), «urbis» appellatio mûris, «Romae» autem continentibus aediflciis finitur quod latius patet et Dig., L, 16, 87 (ALF.) : «urbs» est Roma, quae muro cingeretur, «Roma» est etiam, qua continentia aedificia essent ; lex Quinctia de aquaeductibus, 1. 11 (FIRA, p. 153 = FRONT., Aq., CXXIX, a n n é e 9 av. J.-C.) : in urbe Roma et qua aedificia urbi continentia sunt erunt. CI. NICOLET, 1985b, p. 829-830 et J.-P. GUTLHEMBET, «Limites et e n t r é e s de la Rome antique : quelques rappels et quelques
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LA PLÈBE DE ROME ET SA CULTURE
D'un point de vue strictement juridique, l'hypothèse est très vraisem blable, comme pourrait en attester u n passage bien connu des Res Gestae. A u paragraphe XV, lorsqu'il évoque les bénéficiaires du legs de César ou de diverses largesses pour la période 44-12 av. J.-C, Auguste utilise en effet l'expression plebs Romana. En revanche, lorsqu'il traite du congiaire de 5 av. J.-C, i l l u i substitue la formule plebs urbana. Comme l'a rappelé CL Nicolet à la suite de W. Ensslin , ce changement n'est pas anodin et doit vraisemblablement être mis en lien avec la réforme de l'espace de YVrbs et la création des XIV régions, dont les limites excédaient très large ment la zone pomériale. Désormais, la notion d'Vrbs confondait dans certaines de ses XIV régions ce que recouvrait jusqu'alors YVrbs et ses continentia teda, la juridiction de Roma étant, elle, repoussée au-delà de ces nouvelles limites jusqu'aux confins des continentia. En toute rigueur, ce dtoyen-dtadin aurait d û être inscrit (et ce fut le cas pendant une partie de la période républicaine) dans Tune des quatre tribus elles-mêmes dites urbanae. Cependant, au fur et à mesure de l'extension de l'empire et de l'incorporation de nouveaux citoyens dans le corps civique, le sens de tribus urbanae changea quelque peu car, si l'ensemble du corps civique était toujours officiellement réparti dans les trente-cinq tribus, la distinction entre les quatre tribus urbaines, qui avaient originellement contenu les habitants de YVrbs, et les trente et une tribus rustiques n'était plus pertinente, dans la mesure où, depuis le I I I siècle av. J.-C au moins , la Ville était peuplée de familles domiciliées souvent depuis plusieurs générations, mais appartenant à toutes les tribus. Tribus urbanae ne recouvrait donc plus l'ensemble des citoyens domiciliés à Rome. Et ce n'est pas u n hasard si l'on voit apparaître à la fin de la République et au début de l'Empire des expressions nouvelles pour dési gner la plèbe urbaine comme «la plèbe urbaine des trente-cinq tribus » ou «les trente-cinq tribus», qui, de manière surprenante mais claire, dési gnaient les seuls plébéiens citoyens Romains résidents de la Ville de Rome, mais pas nécessairement inscrits dans l'une des quatre tribus urbaines, en rupture totale avec l'usage longtemps en vigueur. CL Nicolet date l'apparition de ces nouvelles appellations soit du règne d'Auguste, soit de 43 av. J.-C, grâce à une inscription q u i ornait la base d'une statue de Lucius Antonius . 77
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remarques», dans Fr. MICHAUD-FRÉJAVTLLE, N . DAUPHIN et J.-P. GUTLHEMBET (dir.), Entrer en ville, Rennes, PUR, 2006 [= J.-P. GUTLHEMBET, 2006b], p. 80. C l . N I C O L E T 1985b, p. 831-832 reprenant W . ENSSLIN, « Z U den RODA», RhM, 81, 1932, p. 335-365, part. p. 347-349. Voir aussi J . SCHEID, Auguste. Res gestae divi Augusti = Hauts faits du divin Auguste, texte établi et traduit par J . S., Paris, Les Belles Lettres, 2007, comm. ad loc. O n considère g é n é r a l e m e n t que c'est au III siècle av. J . - C . au moins que la tribu devient personnelle. Voir C l . N I C O L E T , 1985b, p. 834. Cette expression apparaît dès 23 ap. J . - C . (et peut-être m ê m e d è s 21, voir Cl. N I C O L E T , 1985b, p. 825) dans les honneurs funèbres rendus à Germanicus et Drusus : CIL, VI, 910 = ILS, 168; Wl 909 = ILS, 176. C l . N I C O L E T , 1985b, p. 816-828 et ID., L'Inventaire du monde : géographie et politique aux origines de l'Empire romain, Paris, Hachette, 1996 ( l éd., 1988), p. 277. 7 7
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
Quoi qu'il en soit, ces différentes appellations montraient qu'il exis tait alors à Rome une plèbe urbaine consciente d'elle-même, dont la réalité était d'une certaine manière légalement reconnue comme telle depuis 46 av. J.-C. au moins et le recensement césarien effectué uicatim et per dominos insularum . Cependant, s'il faut attendre la fin de la Répu blique pour constater la matérialisation administrative de cette conscience urbaine, nous pensons qu'elle fut la résultante d'un long processus de construction identitaire qui vit u n noyau de population démographiquement stable s'ancrer progressivement dans la Ville et ce, dès la fin du n siècle av. J.-C. (Partie I : «Vivre dans la Ville : identité plébéienne et culture urbaine»). Comme nous le verrons, C. Gracchus joua u n rôle-clé dans la naissance de cette conscience, en décidant, notamment , l'instau ration des distributions frumentaires qui, fait révélateur, intégrèrent probablement dès l'origine le critère distinctif du domicile. Or, comme l'ont m o n t r é les différents travaux de C. Virlouvet , les frumentationes ne constituèrent pas une aide sociale mais u n bienfait civique qui joua u n rôle majeur dans la construction de cette identité plébéienne unie autour d'un privilège qui fit de la plèbe, en tout cas de sa partie frumentaire (celle, finalement, dont nous allons beaucoup parler), le peuple-roi d'une capitale d'empire . Les frumentationes furent progressivement suivies d'un ensemble de mesures qui améliorèrent notoirement la situation socioéconomique de cette plèbe résidente, créant ainsi les conditions d'un ancrage extrêmement profond de celle-ci dans YVrbs au point que la culture plébéienne se définit d'abord et avant tout par son lien avec la Ville (chapitre 1 ) . Cet attachement se traduisit alors de deux manières. Tout d'abord, par une valorisation des relations propres au groupe restreint et une extrême perméabilité des rapports familiaux aux sociabi lités de voisinage, dont l'archéologie - par exemple - a conservé des traces tangibles, notamment en ce qui concerne la structure «communautaire» des insulae. Le chapitre 2 analyse précisément cette tendance à se consti81
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SUET., Caes., X U , 5 et le commentaire qu'en donne E . L o C A S C I O , «La popula tion», Pallas, 55, 2001, p. 179-198. « N o t a m m e n t » car le rôle de C . Gracchus dans la prise de conscience d ' e l l e - m ê m e par la plèbe ne s'est pas limité à l'instauration des distributions frumentaires. » C. VIRLOUVET, 1985; EAD.; 1995b; EAD. 2009. Cette situation n'implique naturellement pas que plebs frumentaria ait é t é u n équi valent pur et simple de plebs urbana ou Romana. D'ailleurs, hormis durant la période postérieure à la lex Clodia (et peut-être à l'époque troublée du second triumvirat et des premières a n n é e s du principat), jamais ces expressions ne se recouvrirent totalement. Dans le cas contraire, l'introduaion en 2 av. J.-C. d'un numerus clausus et d'un processus de sortitio n'aurait pas eu grand sens. C'est é g a l e m e n t ce que prouve une inscription (une dédicace en l'honneur de Titus) pourtant souvent citée comme preuve d'une assimila tion : CIL, V I , 943 = ILS, 6045 : imp(eratori) T(iti) Caesari I diuif(ilio) I Vespasiano Augfusto) I plebs urbana I quae frumentum I publicum accipit I et tribus [XXXV]. Or, comme le fait remar quer C . VIRLOUVET, 1995b, p. 233, pourquoi aurait-on précisé quae frumentum publicum accipit si plèbe urbaine et plèbe frumentaire avaient é t é strictement équivalentes? Quant à l'indication et tribus [XXXV], s'il ne s'agit pas d'une simple apposition, elle montre que deux types d'acteurs s'étaient cotisés pour offrir la dédicace : les tribus en tant que collectivités, les bénéficiaires des distributions frumentaires de manière individuelle. 8 2
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tuer en c o m m u n a u t é s qui se matérialisa par une vie centrée sur le quar tier, point focal d'une sociabilité populaire très intense et d'une pratique de l'espace urbain pour partie consacrée à l'échelle locale. I l se traduisit par ailleurs par u n attachement à l'activité professionnelle qui joua u n rôle essentiel dans la construction d'une identité sociale plébéienne. Les épitaphes qui font mention d'une activité professionnelle et les monu ments funéraires décrivant des scènes de métiers constituent sur ce sujet une source majeure car ils donnent à voir des modes de figuration, des valeurs, des normes sociales permettant d'approcher le fonctionnement du rapport de ces hommes et de ces femmes au travail (chapitre 3). Cependant, la plèbe ne constituait pas u n ensemble h o m o g è n e . La mise au point de ces différents chapitres nous a au contraire incité à iden tifier tous les sous-groupes qui la structuraient en autant de systèmes d'appartenance à la fois verticaux et horizontaux. Dans cette perspective, la deuxième partie est consacrée au plus important d'entre eux : la plebs media, selon u n r é e x a m e n critique de l'expression mise au jour par P. Veyne. Dans le chapitre 4, ce r é e x a m e n tentera de montrer que cette formule ne désignait pas une plèbe «moyenne» au sens contemporain du terme, mais au contraire une élite de celle-ci, dont l'émergence est perceptible dès la fin de la République. Consciente de former u n groupe à part entière et cherchant par tous les moyens à se distinguer du reste de la plèbe et à se rapprocher des deux ordres supérieurs de la société romaine, cette partie de la plèbe adopta u n comportement mimétique qui reprit à son propre compte les attitudes, les codes et les idées des sénateurs et des chevaliers selon des modalités analysées au chapitre 5. Sa position sociale très particulière, à la charnière des grands et de la plèbe, conféra à ce groupe une culture propre, incomplètement plébéienne, imparfaitement aristocratique qui en fit, en tant que tel, une clé de voûte de l'ensemble du système. De fait, «la» plèbe était en réalité traversée par de multiples strates qui constituaient autant de hiérarchies complexes, parallèles et non synchroniques. Surtout, chacune de ces strates avait conscience d'ellem ê m e et conscience d'appartenir à des sections particulières de la société romaine. De ce point de vue, les différentes couches de la plèbe (au moins les parties frumentaria et, a fortiori, media) ne constituaient pas u n Lumpen proletariat, l'oreille tendue à toutes les rumeurs de soulèvement, mais au contraire des éléments stables, voire conservateurs, de la société romaine, ayant exercé une activité et possédé ou loué quelques biens (habitation, taberna, meubles...) qui leur permettaient de se reconnaître dans la cité et dans ses institutions. La traduction politique de ces identités collectives forme l'objet d'études de la dernière partie de ce livre : «Culture et poli tique : les ressorts de l'action collective» qui aborde en effet le concept de culture en interrogeant son application à la plèbe dans une perspective cette fois-ci diachronique et en privilégiant l'approche par les comporte ments collectifs entendus comme toute action concertée d'un ou plusieurs groupes poursuivant des objectifs politiques communs . 85
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Cette définition m i n i m a l e fait l'objet d ' u n traitement approfondi dans l'introduc t i o n d u chapitre 6.
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Un tel prisme relève autant du choix que de la nécessité : choix, parce que les oppositions symboliques et les revendications identitaires ressortent tout particulièrement dans le cadre des actions collectives; nécessité, en raison de la nature m ê m e de nos sources dans lesquelles la foule ne vient à l'existence que par l'action collective spectaculaire ou exceptionnelle, mise en récit par des hommes issus des élites à l'usage de lecteurs appartenant aux m ê m e s sphères. Pour tenter de pallier ce problème, nous avons entrepris la constitution d'une base de données électronique. Utilisant comme support le logiciel Filemaker, elle rassemble les actions collectives de la plèbe survenues entre l'époque des Gracques et le principat de Domitien et décrit chacune de ces manifestations à partir de critères que nous avons préétablis. Ces derniers sont définis au début du chapitre 6 (lieux, formes d'expression, identité des acteurs, objectif poursuivi, succès de l'entreprise). Le principe est de laisser au chercheur une liberté totale quant au nombre d'actions collectives recensées et quant au nombre de dimensions sous lesquelles i l analyse chacune d'elles. La base rassemble autour de chaque mouvement ,1e savoir collectif accumulé par l'historiographie. Elle doit enfin permettre l'extraction et l'analyse d'ensembles de données librement construits par l'utilisateur et leur exportation . Nous espérons, grâce à elle, mieux cerner les modalités de construction et/ou de reproduction d'une identité plébéienne par des comportements collectifs dans u n lieu d o n n é , conduisant à la coordina tion des efforts au n o m d'individus ou de programmes partagés. Au-delà, il s'agit aussi de déterminer dans quelle mesure les dirigeants de la fin de la République (chapitre 6) et du Haut-Empire (chapitre 7) estimaient devoir tenir compte de ces actions collectives, de mesurer l'impact qu'elles exerçaient sur les modes de gouvernement et, in fine, de savoir si l'on peut parler d'une ou de plusieurs opinions plébéiennes. 86
Le modèle d'analyse suivi dans cette partie conditionne pour une large part le terminus ad quem de ce travail. En effet, si la période qui va des Gracques à Domitien est riche de quelque 295 mouvements collectifs, la globalité de ce chiffre ne doit pas cacher le déséquilibre quantitatif des informations à notre disposition après la mort de Néron. Nous avons, par exemple, pu recenser 14 actions collectives pour les quatre années du principat de Caligula (37-41 ap. J.-C.) contre à peine 7 pour l'ensemble de la période flavienne (69-96 ap. J.-C). De fait, comme l'avait autrefois souligné Z. Yavetz, l'arrivée au pouvoir de cette dynastie se traduit par une normalisation apparente des rapports entretenus par le prince et la foule, normalisation probablement accentuée par la mainmise du pouvoir sur des auteurs dont les œ u v r e s introduisent une solution de continuité pour la base de données, dans la mesure o ù elles s'avèrent dès ce moment particulièrement avares de détails en matière d'ordre ou de désordre public . Un tel choix procède donc d'un certain pragmatisme lié à la perte 87
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Les conditions fixées à l'exportation des d o n n é e s sont e x p o s é e s sur le site internet qui h é b e r g e la base. Z. YAVETZ, « T h e urban plebs i n the days of the Flavians, Nerva and Trajan», dans A . GioVANNINI, D . V A N BERCHEM, Opposition et résistances à l'Empire d'Auguste à Trajan, 8 7
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LA PLÈBE DE ROME ET SA CULTURE
complète des Histoires de Tacite au-delà du premier tiers du livre V (année 70 ap. J.-C.) et à celle, certes partielle, de YHistoire romaine de Dion Cassius à partir du livre LXI (année 47 ap. J.-C), que seules les Vies de Suétone, dont J. Gascou a parfaitement mis en évidence la valeur histo rique , viennent partiellement compenser j u s q u ' à la mort de Domitien. En dépit du flou chronologique qui caractérise l'organisation par species des biographies, en dépit des considérations d'ordre moral qui peuvent à l'occasion obscurcir ces récits ou encore du poids de la propagande antonine qui a conduit le biographe à noircir le portrait de certains empereurs julio-claudiens et flaviens , Suétone est en effet souvent le seul à donner une multitude de détails (dont nous aurons à peser le degré de vraisem blance ) essentiels à la compréhension des rapports entre la plèbe et le princeps. Pour toutes ces raisons, i l devient effectivement difficile de pour suivre l'analyse de la plèbe (du point de vue des manifestations collec tives ) à partir des sources littéraires après le principat de Domitien, dont le règne clôt toutefois une période cohérente pour l'analyse, celle de la mise en place et de l'évolution d'un «premier principat». Toutefois, dans une perspective autre que politique, u n terminus ad quem fixé à la fin du I siècle ap. J.-C. ne nous interdira pas quelques remarques sur les principats de Nerva et de Trajan. Pour ne prendre que deux exemples, le De Aquaeductu Vrbis Romae rédigé par Frontin entre 97 et 103 de notre ère, qui donne d'importantes informations sur le volume d'eau qui était quotidiennement mis à la disposition des habitants de la Ville, ou le Panégyrique de Pline, qui nous renseigne notamment sur l'élar gissement à 5000 enfants du congiaire distribué durant l'année 99 (et contient ainsi l'une des rares et précieuses indications chiffrées sur la démographie de la population de Rome ), constituent autant de sources essentielles pour les aspects sociaux, économiques, urbains et d é m o graphiques de notre étude. Dans cette perspective, qui est plus largement relative à l'inscription de la plèbe dans son environnement urbain, la fin du I s. ap. J.-C permet également de prendre en considération plusieurs auteurs d'utilisation difficile mais d'importance fondamentale. C'est le cas du poète Martial, dont le regard, bien que profondément déformant (mais qu'il revient précisément à l'historien d'aujourd'hui de passer au crible de 88
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V a n d œ u v r e s - G e n è v e , Fondation Hardt, 1987, p. 151-156, donne une analyse pertinente de ce silence des sources. J . GASCOU, Suétone historien, Rome, École française de Rome, 1984 (BEFAR, 255). Comme Fr. HURLET, Les Collègues du prince sous Auguste et Tibère, de la légalité répu blicaine à la légitimité dynastique, Rome, École française de Rome, 1997 (CEFR, 227), p. 12 est, à fort juste titre, v e n u le rappeler. Une telle analyse est s y s t é m a t i q u e m e n t p r o p o s é e p o u r chaque cas structurant la base de d o n n é e s . A p r è s l'ellipse Nerva/Trajan, une description factuelle reprend p o u r le principat d'Hadrien avec YHistoire Auguste. Cette source pose toutefois d'autres p r o b l è m e s q u ' i l était m a t é r i e l l e m e n t impossible de c o n s i d é r e r dans le cadre de cet ouvrage, alors m ê m e qu'H. M É N A R D , 2004, a déjà p r o c é d é , sur cette p é r i o d e , à une e n q u ê t e approfondie dans le domaine de l'ordre public. H . LAMOTTE, « L ' œ u v r e de Trajan en faveur de la p l è b e romaine : u n essai de p o l i tique n a t a l i s t e ? » , MEFRA, 119, 2007, p. 189-224, part. p. 189. 8 8
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
la critique pour en comprendre les ressorts et les mécanismes), donne à voir une Rome «che non è quella della grande Storia, ma solo la "sua" Roma di ogni giorno come l u i era capace du vederla (...), [la Roma] degli osti, dei barbieri ο dei ciabattini sui marciapiedi congestionati, quella degli ambulanti e delle prostitute, della calca e delle gomitate ai fianchi... ». C'est également celui de Juvénal. Écrivant dans la seconde moitié du I siècle ou, plus vraisemblablement, dans le premier tiers du I I s. ap. J.-C, le satiriste a puisé la matière m ê m e de ses vers, tout particulièrement ceux de la I I I satire, dans les rues de la Ville. S'intéressant davantage aux uici (Subure, les Esquilles, Y agger sont les toponymes qui reviennent le plus souvent) qu'au centre monumental, Juvénal livre « u n e multitude de notations concrètes qui restituent de façon vivante (...) l'atmosphère des quartiers » et dont i l est essentiel de tenir compte... à l'unique condition de prendre toute la mesure de la façon dont ce type d'auteurs pouvait gauchir la description de la vie en Ville . Dans le cadre chronologique ainsi défini, cette tentative de reconstitu tion de la culture de la plèbe ne pourra passer que par u n jeu d'échelles et de sources, destiné à pallier le déséquilibre de la documentation dispo nible. Ainsi, les aspects les plus quotidiens (partie I) dépendent essentielle ment d'une documentation épigraphique et archéologique souvent difficile d'interprétation et qui, surtout, ne concerne pas systématique ment la seule Ville de Rome. C'est le cas de l'archéologie de l'habitat (analysée au chapitre 2) dont le manque d'informations propres à YVrbs nous a contraint à prendre en considération d'autres situations comme celles d'Ostie (tout en essayant de toujours bien mesurer le degré «d'applicabilité» d'une zone à l'autre) ou de ces épitaphes faisant mention d'une profession (traitées au chapitre 3), dont une partie provient de l'ensemble de l'Italie. Toutefois, i l n'était pas illégitime, dans le cas présent, de recourir à une documentation italienne pour pallier le manque de sources spécifiquement romaines. I l aurait m ê m e été préjudi93
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Pour reprendre la très belle analyse d'E. RODRÎGUEZ A L M E I D A , T e r r a r u m dea gentiumque. Marziale e Roma : un poeta e la sua atta, Rome, Unione Internazionale degli istituti d i archeologia, storia e storia dell'arte i n Roma, 2003, p . 11-12 et 35-44. Voir aussi deux articles de M . - J . KARDOS, «L'"Vrbs" dans les " Épigrammes" de Martial : p o é s i e et réalité», REL, 79, 2001, p . 201-214 [= M . - J . KARDOS, 2001a] et EAD., «VVrbs" de Martial : recherches topographiques et littéraires autour des Épigrammes V, 20 et V, 2 2 » , Latomus, 60, 2001, p. 387-413 [= M . - J . KARDOS, 2001b]. M . - J . K A R D O S , «L'Vrbs dans les Satires de J u v é n a l » , dans P h . FLEURY, O. DESBORDES (éds.), Roma illustrata. Représentations de la ville, Caen, Presses Universi taires de Caen, 2008, p. 224-225. Voir aussi G. GÉRARD, Juvénal et la réalité contemporaine, Paris, Les Belles Lettres, 1976 o u E. RODRÎGUEZ A L M E I D A , Topografia e vita romana : da Augusto a Costantino, Rome, Unione Internazionale degli istituti d i archeologia, storia e storia dell'arte i n Roma, 2001, p . 97-90 ( « G i o v e n a l e , ma quale Roma hai visto? La visione d i u n retore-poeta, frustrato e senza c o r a g g i o » ) . V o i r s u r t o u t R . L A U R E N C E , « W r i t i n g t h e R o m a n m e t r o p o l i s », d a n s H. M . PARKINS (dir.), Roman Urbanism. Beyond the Consumer City, Londres-New York, Routledge, 1997, p. 1-19. Voir aussi les analyses détaillées que nous proposons infra «La plèbe dans YVrbs : une p o p u l a t i o n dans une ville-mouroir? De la dystopie à la villetombeau». 9 4
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LA PLÈBE DE ROME ET SA CULTURE
ciable de ne pas tenir compte de l'ensemble des informations à notre disposition dans la mesure où, comme nous le verrons, le rapport à l'acti vité professionnelle qu'elles révèlent ne semble pas fondamentalement différer d'une région à l'autre. De notre point de vue, l'objectif fut donc de toujours essayer de dégager les éléments spécifiques à Rome sans pour autant négliger des informations venant d'horizons parfois plus larges, surtout lorsque celles-ci pouvaient s'avérer utiles à la compréhension de la plèbe de YVrbs. De m ê m e , la nécessité d'adopter des regards décalés nous incita à projeter occasionnellement l'analyse vers des époques plus tardives en utilisant (avec toute la prudence nécessaire) des documents pouvant éclairer tel ou tel aspect de la vie de la plèbe. C'est la raison pour laquelle nous avons par exemple pu convoquer les Régionnaires, dont les renseignements, mis en perspective avec les données fournies par Pline l'Ancien et Frontin, se sont avérés particulièrement utiles à l'estimation des quantités d'eau mises à disposition de la plèbe et, plus largement, à la compréhension du rapport de celle-ci à l'espace urbain. Ce jeu d'échelles et de sources est de nouveau mis en œ u v r e dans la partie Π, dont la dimension expérimentale se veut avant tout u n état des recherches en cours sur u n groupe dont l'existence n'a été mise en évidence que très r é c e m m e n t et qui atteste, en soi, la complexité des questions auxquelles l'historien de l'Antiquité doit faire face s'il veut comprendre en profondeur l'histoire des masses urbaines. Enfin, la partie ΙΠ bénéficie de l'apport supplémentaire des textes. Les difficultés y ont moins trait au manque d'informations q u ' à la nature m ê m e de ces informations souvent biaisées, nous l'avons vu, par l'origine sociale des auteurs de ces textes, le mépris qu'ils éprouvaient pour les masses urbaines ou par les normes du genre littéraire qu'ils avaient choisi.
PREMIÈRE
PARΉE
V I V R E DANS L A V I L L E : IDENTITÉ PLÉBÉIENNE E T CULTURE URBAINE
Parmi les caractéristiques les plus souvent mises en avant dans l'his toire de l'Empire romain, la présence de plusieurs métropoles compte sans doute parmi les plus marquantes. Les grandes villes étaient relativement nombreuses : Alexandrie, Antioche, Carthage, Éphèse, Pergame, Séleucie et bien évidemment Rome. Cette dernière (et cela apparaîtra pour beau coup comme u n truisme) fut la métropole la plus peuplée d'Occident avec un nombre d'habitants approchant le million, seuil qui' ne fut à nouveau atteint que par Londres au début du XIX siècle. De fait, une telle concen tration urbaine dans une ville préindustrielle n'était pas sans poser toute une série de problèmes tant pour ceux qui l'habitaient que pour ceux qui devaient en garantir la fonctionnalité et la survie en tant que centre urbain. Dans une période relativement récente, le versant «logistique» de cette question a fait l'objet d'une grande attention de la part des cher cheurs, tout particulièrement dans le cadre du programme Meßapoles, dont les travaux permirent d'approfondir considérablement notre connaissance d'une Ville , dont la dimension de «mégapole» ne dépendait pas seule ment d'un seuil démographique mais aussi de structures et d'un fonc tionnement particuliers. Cependant, ces travaux furent également l'occasion de considérable ment renouveler l'approche de l'autre «versant» de ce champ d'études, à savoir celui des conditions sanitaires à Rome et de leur impact sur la dynamique de la population . Jusqu'alors, cette question avait été l'apa nage quasi exclusif de toute une tendance historiographique - notamment anglo-saxonne et germanique - qui n'avait jamais considéré les questions logistiques pour elles-mêmes et les avait au contraire toujours insérées dans une problématique plus large qui consistait à évaluer les conditions hygiénico-sanitaires d'une mégapole préindustrielle en vertu d'un postulat considéré comme une évidence : celui selon lequel la population e
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V o i r n o t a m m e n t : C. V I R L O U V E T ( é d . ) , La Rome impériale. Démographie et logistique, Rome, École française de Rome, 1997 (CEFR, 230); Cl. NICOLET, R. ILBERT et J.-Ch. DEPAULE (dir.), Mégapoles Méditerranéennes. Géographie urbaine rétrospective, Paris, Maisonneuve & Larose, 2000; B . M A R I N , C. VIRLOUVET (dir.), Nourrir les cités de Méditerra née. Antiquité-temps modernes, Paris, Maisonneuve & Larose, 2003. Dans la m ê m e perspec tive, i l faut é g a l e m e n t renvoyer à E. L o CASCIO (dir.), Roma Imperiale : una metropoli antica, Rome, Carocci, 2000. C'est l'une des facettes les plus importantes des différents travaux de C. VIRLOUVET 2
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CASCIO.
Les exemples les plus r e p r é s e n t a t i f s de ce courant historiographique sont : Z. Y A -
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d'un grand centre urbain préindustriel n'était pas capable de se repro duire, du fait que, conséquence de conditions d'hygiène précaires et d'une logistique défaillante, le taux de mortalité y aurait constamment été plus élevé que le taux de natalité, si bien que seule une immigration continue et massive aurait pu empêcher que la population ne diminue. Ce modèle, théorisé sous le concept d'«urban graveyard effect*, a été appliqué à Rome par des historiens anglo-saxons directement influencés par les prises de position idéologiques de sociologues américains de la fin du XIX et du début du XX siècles, comme H. Mayhew, C. Kingsley, R Geddes et u n peu plus tard L. Mumford et E. A. Wrigley, qui, à leur époque, avaient e u x - m ê m e s été confrontés à l'explosion démographique des grandes métropoles comme Londres et New York et aux problèmes sociaux engen drés par cette croissance . Or, pour ces derniers, la Rome antique était le parangon dystopique de la ville-tombeau, insalubre et gravement surpeu plée, qu'il fallait à tout prix éviter, tant sur le plan démographique (c'est la raison pour laquelle ces m ê m e s sociologues louaient la politique romaine de colonisation du territoire en petites villes réputées plus salubres et bien moins sujettes à la promiscuité) qu'urbanistique (Rome étant l'exemple d'anarchie urbaine provoquant révoltes et maladies). Or, aujourd'hui encore, en dépit des apports des différents travaux m e n é s sur l'aménagement urbain à Rome, nombre d'études continuent de décrire la mégapole comme u n trou noir démographique o ù des ruraux seraient venus à Rome pour y mourir. Dans le cadre nécessairement restreint de notre travail, i l ne nous appartient é v i d e m m e n t pas de reprendre de m a n i è r e exhaustive l'ensemble de la question, au demeurant fort complexe et surtout trop large, de l'évaluation de la salubrité d'une mégapole préindustrielle comme Rome. Cependant, nous ne pouvons, inversement, faire une totale économie de ces problématiques dans la mesure où, en termes culturels, le modèle adopté conditionne pour une large part la culture de la plèbe et le rapport de celle-ci à l'espace urbain. En effet, si l'on conduit Yurban graveyard effect jusqu'à ses dernières conséquences, la plèbe ne pouvait que constituer une population de déracinés constamment poussés à Rome par une pauvreté endémique et contraints à y vivre dans des conditions de salubrité dramatiques. Or - et c'est là tout le n œ u d du problème - , ce que l'on verra de la plèbe, qu'il s'agisse de son ancrage dans l'espace urbain (chapitre 2), de son rapport au travail (chapitre 3), de ses hiérarchies internes (chapitres 4 et 5), comme de ses comporte ments collectifs (partie 3, chapitres 6 et 7), ne relève en rien d'une popue
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VETZ, « T h e Living Conditions of the Urban Plebs i n Republican R o m e » , Latomus, 17, 1958, p. 500-517; P. A . BRUNT, « T h e Roman M o b » , 35, 1966, p . 3-37 et surtout A . SCOBŒ, « Slums, Sanitation, and M o r t a l i t y i n the Roman W o r l d » , Klio, 68, 1986, p. 399-433. R . LAURENCE, « W r i t i n g the Roman metropolis », dans H . M . PARKINS (dir.), Roman Urbanism. Beyond the Consumer City, Londres-New York, Routledge, 1997, p . 1-5. Pour des références bibliographiques plus précises, nous nous permettons de renvoyer à la d e r n i è r e é d i t i o n de l'ouvrage de M . RAGON, Histoire de l'architecture et de l'urbanisme modernes, 2 vol., Paris, É d . d u Seuil, 2010 ( l éd., 1971). 4
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A . SCOBIE, 1986,
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lation de déracinés permanents : les activités développées à Rome par la plèbe urbaine étaient au contraire celles d'une population stable, voire conservatrice, attachée à u n quartier en particulier et à la Ville dans son ensemble et, en aucun cas, celles d'une multitude de migrants récents réclamant leur distribution de blé comme une foule d'affamés. De fait, i l y a là u n hiatus entre, d'une part, la situation sanitaire de la Ville et son impact sur la démographie telle qu'elle peut encore être envisagée aujour d'hui et, d'autre part, l'image de la plèbe, telle qu'elle ressort de nos sources épigraphiques, voire littéraires (dès lors que l'on fait la part des topoi aristocratiques).
CHAPITRE 1
L A VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION CONDITIONS URBAINES, SUBSTRAT CULTUREL ET HIÉRARCHIES INTRA-PLÉBÉIENNE S
En raison d'une bibliographie pléthorique, nous n'oserions évidem ment prétendre, dans le cadre d'un seul chapitre, remettre en cause l'ensemble de Yurban graveyard effect dont la théorisation est par ailleurs parfaitement applicable à d'autres temps et d'autres espaces urbains. L'objectif de ce chapitre est à la fois plus modeste et plus restreint, à savoir interroger le statut de «loi démographique», applicable partout et tout le temps, qu'on l u i confère souvent en opposant aux aspects négatifs de la situation sanitaire de YVrbs, qui intervenaient directement sur la vie plébéienne (bruit, saleté, mauvaises odeurs, promiscuité, dangers, mala dies...) et sur lesquels une certaine historiographie a outrageusement insisté à partir de notices littéraires éparses, quelques réflexions sur l'impact des conditions urbaines sur la vie sociale et culturelle et plus largement sur les avantages que vivre à Rome pouvait apporter à des pans entiers d'une population millionnaire. I l s'agirait ensuite de suggérer, par le biais d'une approche comparatiste combinée à la spécificité de Rome, ville certes millionnaire mais avec une partie de la population «assistée» qui jouit de ce fait de conditions particulières, que le bilan démographique de quelque 150 000 à 200 000 habitants et leurs familles était peut-être moins calamiteux que dans d'autres populations préindustrielles, que les facteurs déterminants de croissance ou de décroissance étaient bien plus liés à l'augmentation/cüminution naturelle q u ' à l'immigration et qu'en conséquence, l'existence de ces éléments antagonistes incite à penser que la plèbe de notre documentation épigraphique et littéraire doit corres pondre, au moins pour partie, à une certaine réalité démographique. Si tel était le cas, cela montrerait que cette plèbe (ou tout du moins, une partie d'entre elle) était capable de vivre de sa ville, de se reproduire, et, plus important pour notre propos, n'était pas u n Lumpenproletariat venu mourir dans une ville dont le niveau général de population ne se serait maintenu que par u n apport constant de populations exogènes et déraci nées. Bien au contraire, s'il faut admettre que la population de Rome n'a cessé de croître par irnrnigration dès le IV siècle av. J.-C, i l faut aussi bien voir que cet accroissement s'est produit de manière assez précoce, la Ville comptant peut-être à la fin du I I siècle av. J.-C. 400 000 habitants et entre 600 000 et 700 000 au milieu du I siècle av. J.-C. . Surtout, cette e
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Ces chiffres q u i n é c e s s i t e r a i e n t une
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t r o p l o n g u e discussion sont é t a b l i s
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croissance ne s'est en aucun cas produite au prix d'une dépopulation de l'Italie suggérant la formation précoce d'une population urbaine stable. Composée de strates sociales profondément ancrées dans l'espace urbain, elle était alors en mesure de se transmettre u n patrimoine et, au-delà, de posséder une mémoire collective. 2
I - L A PLÈBE DANS L'VRBS
: UNE POPULATION DANS UNE « VILLE-MOUROIR»?
DE L A DYSTOPIE À LA VILLE-TOMBEAU
A - Image littéraire et précarité de la plèbe À regarder la production scientifique à l'origine du modèle de Y urban graveyard effect, u n premier point ressort très nettement : son application à Rome s'appuie essentiellement sur toute une tendance historiographique, dont les œ u v r e s les plus marquantes furent des articles de Z. Yavetz, R A. Brunt et A. Scobie, et qui tenta, en suivant une démarche très «impressionniste» essentiellement fondée sur une lecture simpliste des sources littéraires, de donner u n aperçu global de la qualité de la vie dans la ville de Rome, en dressant u n tableau littéralement apocalyptique des conditions sanitaires de YVrbs* et en défendant l'idée que le niveau de celles-ci devait être l'une des causes principales d'un taux de mortalité e x t r ê m e m e n t élevé. À ne sélectionner que ce qui interféra explicitement avec la vie plébéienne, i l semble possible de résumer le lien établi par cette historiographie entre sanitation et mortality à trois types de problèmes évoqués par les sources : 1) la très faible quantité de logements qui contraignit la plèbe à la promiscuité dans des immeubles de fortune; 2) la déficience du système d'adduction d'eau et le peu de variété d'une alimentation qui peut schématiquement se résumer à du pain et des légumes secs; 3) l'état sanitaire global d'une ville qui apparaît dans ces conditions comme envahie par les déchets et les cadavres. Concernant le premier point, l'historiographie moderne n'a cessé d'insister sur les conditions de crasse et de promiscuité qu'aurait entraîné une croissance dont la rapidité n'a elle-même été établie que par analogie avec des périodes plus récentes dans des villes comme Londres ou Paris. On a ainsi beaucoup écrit sur les étages supérieurs des building housed lower-status Romans qui seraient devenus de plus en plus petits à mesure que l'on montait dans les étages, quand la population, elle, y aurait été de plus en plus nombreuse. D'après ces chercheurs, les locataires pauvres devaient souvent partager leur chambre à trois ou quatre pour payer des 4
Cl. NICOLET, « D e la ville à la " m é g a p o l e " . L'inversion des signes : le cas de R o m e » , dans Cl. NICOLET, R. ILBERT et J . - C h . DEPAULE, 2000, p. 888-895. 2
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E . L o CASCIO, «La p o p u l a t i o n » , Pallas, 55, 2001 [ = E. L o CASCIO, 2001b], p . 188. A . SCOBIE, 1986,
p . 399-433.
C'est le cas par exemple de F l . DUPONT, La Vie quotidienne du citoyen romain sous la République (509-27 av. J.-C), Paris, Hachette, 1989 o u C. R. WHITTAKER, «Le p a u v r e » , dans A . G I A R D I N A (dir.), L'Homme romain, trad, française, Paris, Éd. d u Seuil, 1992, p. 335-370, part. p . 347-350.
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LA VILLE C O M M E FACTEUR D E DISTINCTION
loyers exorbitants. Toutefois, l'exemple - unique - qu'ils convoquaient à l'appui de leur «démonstration» est révélateur d'une démarche fondée sur une lecture discutable des sources littéraires. I l s'agit du célèbre exem plum des Aelii Tuberones qui, dans le premier quart du I I s. avant notre ère , auraient vécu j u s q u ' à 16 dans la m ê m e «chambre» (affirme C. R. Whittaker). En réalité, non seulement cette affirmation ne corres pond pas aux textes de Valére Maxime et de Plutarque (cette famille, écri vait le premier, avait vécu à 16 dans une m ê m e «petite maison» domuncula - et non dans une seule et unique pièce; ce que confirme par ailleurs le terme utilisé par Plutarque : οίκίδιον) ; surtout, i l ne s'agit absolument pas pour Valére Maxime comme pour Plutarque de décrire la surpopulation du peuple de Rome mais au contraire de faire l'éloge d'une vieille famille romaine - ayant compté dans ses rangs plusieurs sénateurs et ce, au moins depuis la fin du I I I s. av. J.-C. - parce qu'elle avait main tenu l'indivision familiale sur plusieurs générations . I l s'agit de fait d'un 5
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V A L . - M A X . , IV, 4, 8 : «Et la famille des Aelii, qu'elle était riche! Ils o n t é t é seize en m ê m e temps, les Aelii, et ils n'avaient qu'une petite maison à l'emplacement o ù sont actuellement les constructions de Marius, et u n seul fonds de terre situé sur le territoire de Veies, q u i demandait moins de bras p o u r sa culture q u ' i l n'avait de p r o p r i é t a i r e s , et, au Grand Cirque ainsi qu'au Cirque Flaminius, une place p o u r assister aux spectacles.» Quid Aelia familia, quam locuples! XVI eodem tempore Aelifuerunt, quibus una domuncula erat eodem loci, quo nunc sunt Mariana monumenta et unus in agro Veiente fundus minus multos cultures desiderans quam dominos habebat inque Maximo et Flaminio spectaculi locus. Voir aussi PLUT., Aem., V, 7 : «Ils é t a i e n t seize de la m ê m e famille, tous des Aelii; ils n'avaient qu'une toute petite maison (οίκίδιον δέ πάνυ μικρόν), u n domaine exigu leur suffisait à tous, et ils vivaient au m ê m e foyer avec leurs n o m b r e u x enfants et leurs f e m m e s . » IBID., XXVLTI, 12-13. 6
Nous savons par la notice de Plutarque que cet exemplum était relatif à Q. Aelius Tubero (tr. pl. 177?; RE, n° 154), q u i avait é p o u s é une fille de P a u l - É m i l e . C. R. WHTTTAKER, 1992, p . 348 et, encore t o u t r é c e m m e n t , J. TONER, 2009, p . 64, à la suite de A . SCOBŒ, 1986, p . 428, lequel comprend domuncula comme «a home i n a figu rative sense i n a taberna or even i n a n i m p r o v e d shelter such as a t o m b w h i c h Ulpian (Dig. 47, 12, 3, 11) calls a domuncula» (notons q u ' a u c u n de ces trois chercheurs ne cite Plutarque). E n réalité, comme l'a r é c e m m e n t r a p p e l é J.-P. GUILHEMBET, Se loger à Rome. Recherches sur le marché immobilier d'habitation (II s. a. C. - II s. p. C), Lyon, m é m o i r e d'HDR inédit, 2011, p . 73, ce terme d é s i g n e u n e domus (voir aussi infra), p e u t - ê t r e modeste, quoique faisant en réalité référence à la l é g e n d a i r e a u s t é r i t é des Aelii Tuberones. Plus largement, sur cet exemplum et les dérives s é m a n t i q u e s de l'historiographie, v o i r C. COURRIER, 2011, p. 333-338. Sur la simplicité (et la signification politique de ce compor tement) des Aelii Tuberones, voir L . PASSET, «Frugalité et banquet offert au peuple à l'occa sion de funérailles : la vaisselle de terre et les peaux de bouc de Quintus Aelius T u b é r o n » , Ktèma, 35, 2010, p . 51-67 ( m ê m e si le Q. Aelius Tubero, objet de cet article, est le tr. pl. 129 av. J . - C ) ; sur la domus, dont parlent Valére M a x i m e et Plutarque, voir D . P A L O M B I , «Domus : Aelii», dans LTUR, TL, 1995, p . 22 (notamment p o u r la localisation de la domus, sise à p r o x i m i t é i m m é d i a t e d u F o r u m et de la Voie sacrée, probablement à l'emplacement de l'actuel temple de V é n u s et de R o m e ) ; sur les sources de Valére M a x i m e , v o i r G. M A S L A K O V , «Valerius M a x i m u s and Roman Historiography. A study of the exempta Tradition», ANRW, Π, 32, 1, 1984, p . 437-496. 7
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U n P. Aelius Tubero fut édile en 202 av. J.-C. (RE n° 152). C'est le plus ancien membre de cette branche des Aelii d o n t nous ayons trace. Ce q u i i m p l i q u e donc une domus par ailleurs irréaliste. Voir J. DUBOULOZ, La 9
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cas de figure qui ne peut absolument pas servir d'exemple à l'analyse d'une culture populaire, quelle qu'elle fût. Pourtant, ces intolerable slums n'en sont pas moins décrits comme des taudis «bâtis à la diable » o ù la population s'entassait ou plutôt survivait. En effet, l'image - là encore essentiellement littéraire - qui ressort de ces insulae est clairement celle de bâtiments e x t r ê m e m e n t fragiles, mal construits et surtout non entretenus par des propriétaires qui auraient principalement appartenu à l'ordre sénatorial et dont l'unique but était de faire du profit aux dépens des locataires . L'exemple classique et maintes fois cité est celui de Yinsula dont Cicéron aurait été le propriétaire et dont il attendit l'effondrement de deux des tabernae qui la composaient pour envisager une intervention et éviter l'écroulement de l'immeuble . I l est toutefois intéressant de noter qu'une lecture attentive du passage en question permet de voir que jamais celui-ci ne mentionne le terme d'insula et que l'on ne peut en toute rigueur m ê m e pas être sûr qu'il s'agisse ici d'un immeuble collectif. Seules apparaissent les deux tabernae, c'est-à-dire des espaces professionnels , à propos desquelles rien ne dit qu'elles s'insèrent dans u n ensemble plus large. Cependant, l'affaire (et, avec elle, l'interprétation schématique de ce texte) ne s'arrête pas là. Dans cette lettre à Atticus, Cicéron avoue en effet, non seulement avoir confié les travaux à son architecte personnel afin de limiter les frais de reconstruction, mais i l indique également avoir imaginé u n système avec l ' u n de ses clients également banquier (Vesto10
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Propriété immobilière à Rome et en Italie (I -V siècles) : organisation et transmission des « p r a e d i a u r b a n a » , Rome, École française de Rome, 2011 (BEFAR, 343), p . 324. Pour reprendre une expression de C. R. WHTTTAKER, 1992, p . 347. Voir ainsi L . H O M O , Rome impériale et l'urbanisme dans l'Antiquité, Paris, A l b i n Michel, 1951, p. 552-579, q u i , essentiellement à partir de sources littéraires j u x t a p o s é e s sans analyse, affirme que les insulae de Rome é t a i e n t trop hautes ( « r é s u l t a t à la fois d u manque de place et d u s u r p e u p l e m e n t » , p. 570), m a l construites ( « A j o u t o n s enfin u n dernier trait, et n o n le moins important, l'entassement des insulae sous forme d ' é n o r m e s blocs, desservis par des ruelles tortueuses et p r i v é e s d u m i n i m u m de d é g a g e m e n t s n é c e s saires», p. 572) et m a l entretenues ( « D e ces défectuosités c o n j u g u é e s , r é s u l t e n t les deux grandes calamités q u i , au t é m o i g n a g e unanime des contemporains, p è s e n t sur les insulae de la Rome i m p é r i a l e : les é c r o u l e m e n t s , les incendies. Les é c r o u l e m e n t s d''insulae sont u n fait divers - et u n fait divers banal - de j o u r et de n u i t . Déjà, au dernier siècle de la R é p u blique, C i c é r o n écrivait à son a m i A t t i c u s . . . » , p. 573). 10
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C i c , AU., XIV, 9, 1-2 (trad. CUF révisée) : «Tu m e demandes, i l est vrai, p o u r q u o i j ' a i fait venir Chrysippe : c'est que deux de mes boutiques se sont effondrées et que les autres o n t des fissures, si bien que les locataires et m ê m e les souris o n t d é m é n a g é ! Les autres appellent cela une catastrophe; j e n ' y vois pas m ê m e u n d é s a g r é m e n t . Socrate et disciples de Socrate, jamais j e ne vous paierai ma dette de reconnaissance! Dieux i m m o r tels, que t o u t cela est sans importance! Toutefois, sur les conseils et r i n i t i a t i v e de Vestorius, u n plan de reconstruction est en cours, q u i devrait transformer cette perte en source de profit. » Sed quod quaeris quid arcessierim Chrysippum, tabernae mihi duae corruerunt reliquaeque rimas agunt; itaque non solum inquilini sed mures etiam migrauerunt. Flanc ceteri calamitatem uocant, ego ne incommodum quidem. Ο Soaate et Socratici uiri, numquam uobis gratiam referami DU immortales, quam mihi ista pro nihilol Sed tarnen ea ratio aedificandi initur, consiliario quidem et auctore Vestorio, ut hoc damnum quaestuosum sit. Voir chapitre 2. 13
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rius), pour transformer cette perte d'argent en profit (sans que l'on connaisse les modalités pratiques du procédé ). Autrement dit, le proprié taire, le banquier et l'architecte travaillaient main dans la main pour économiser plus ou moins légalement de l'argent. À partir de cet exemple (dont i l n'est par conséquent m ê m e pas certain qu'il concerne u n espace d'habitation), A. Scobie crut pouvoir déceler la preuve de l'indifférence de l'administration romaine aussi bien républicaine qu'impériale, à l'égard de l'état des logements. I l ajouta m ê m e que la législation en la matière était plus ou moins inexistante ou, à défaut, inappliquée. C'est la raison pour laquelle i l pensait pouvoir s'appuyer sur Juvénal qui, nostalgique des temps anciens , décrivait la Ville comme u n immense château de cartes dont la fragilité entretenait la peur constante de l'effondrement : 14
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« Q u i craint, q u i a c r a i n t j a m a i s l ' é b o u l e m e n t de sa m a i s o n dans la f r a î c h e P r é n e s t e , à Volsinies, q u ' e n f e r m e n t ses coteaux b o i s é s , dans la s i m p l e Gabies, à Tibur, avec sa citadelle q u i s ' é t a g e ? M a i s nous, n o u s h a b i t o n s u n e v i l l e q u i n'est e n grande p a r t i e é t a y é e q u e sur de minces p o u t r e s . C'est de cette f a ç o n - l à q u e le g é r a n t pare a u x é c r o u l e m e n t s ; et; q u a n d i l a b o u c h é la fissure d ' u n e v i e i l l e crevasse, i l i n v i t e les gens à d o r m i r e n t o u t e s é c u r i t é sous la m e n a c e d u d é s a s t r e ! Je v e u x v i v r e dans u n e n d r o i t o ù i l n ' y a i t pas d'incendie, o ù les n u i t s soient sans a l a r m e . D é j à U c a l é g o n r é c l a m e de l'eau, d é j à i l d é m é n a g e sa c a m e l o t e ; d é j à le t r o i s i è m e é t a g e est e n f e u , et t o i , t u n ' e n sais r i e n . D e p u i s le r e z - d e - c h a u s s é e , c'est la p a n i q u e : mais c e l u i q u i r ô t i r a le dernier, c'est le locataire q u i n'est p r o t é g é de la p l u i e q u e p a r la t u i l e o ù les colombes langoureuses v i e n n e n t p o n d r e leurs œ u f s » . 1 6
De fait, si l'on s'en tient à ce type de textes, on ne peut effectivement qu'en arriver à la conclusion selon laquelle la population de Rome était mal logée, dans des rues bruyantes et étroites, envahies par des tabernae enfumées o ù rixes et prostitution étaient monnaie courante . Ces habita tions étaient en outre constamment menacées par des incendies, en parti culier à cause des maeniana, ces balcons en bois des étages supérieurs où, comme le disait u n autre satiriste - Martial - , on pouvait serrer la main du voisin d'en face par-dessus la rue . Le «prolétariat urbain» aurait ainsi été pris dans u n cercle vicieux : la population aurait inexorablement augmenté, les prix m o n t é , et la spéculation avec elle. Les propriétaires économisant sur les matériaux, les constructions se seraient fréquemment effondrées, et, de fait, u n grand nombre de plébéiens devaient se retro uver sans toit, ce qui aurait augmenté la demande en logements . Cependant, le fait est q u ' à en croire ces m ê m e s sources et les cher cheurs s'appuyant sur celles-ci, beaucoup de «pauvres» (sic) n'avaient pas 17
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P e u t - ê t r e parce q u ' i l sait q u ' à l'issue de ces travaux, i l pourra louer à nouveau et/ou louer plus cher? 15
M . - J . K A R D O S , «L'Vrbs d a n s les Satires de J u v é n a l » , dans P h . F L E U R Y , O. DESBORDES (éds.), Roma illustrata. Représentations de la ville, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2008, p . 209-226, décrit J u v é n a l comme u n « R é p u b l i c a i n a t t a r d é » . Juv., m, 190-197. À l'image de L . H O M O , 1951, p . 568-570. 16
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Z. YAVETZ, 1958,
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les moyens de se loger, ne serait-ce qu'au dernier étage d'un immeuble collectif ou de vivre comme le professeur d'Horace sub tegulis . Ils ne devaient alors leur survie qu'au fait de s'abriter sous les ponts, les portiques, dans les caves des insulae , ou dans les nécropoles suburbaines qui servaient aussi de lieux de prostitution et de latrines, ou encore à l'aménagement de tuguria, ces petites cabanes à structure de bois, dont les murs étaient garnis de détritus et le toit de terre et qui leur permettaient, selon Vitruve, de se p r é m u n i r contre le froid hivernal tout en conservant une certaine fraîcheur estivale . En réalité, une lecture attentive de ces sources sur lesquels ces chercheurs croyaient pouvoir s'appuyer pour démontrer l'insalubrité de la ville de Rome révèle qu'elles sont loin de toujours concerner le caput mundi, à l'image de cette notice de Vitruve sur les tuguria qui décrit des pratiques de Phrygie repérées aussi non pas chez des Romains mais chez des nations étrangères de Gaule, d'Espagne, de Lusitanie et d'Aquitaine . C. R. Whittaker n'en a pas moins affirmé que les autorités romaines, qui voyaient en elles u n risque d'incendie, pouvaient les abattre, mais les toléraient quand elles ne gênaient pas le passage, et pouvaient m ê m e leur imposer u n loyer. I l cite à l'appui de son argumentation deux textes j u r i diques. Le premier, daté du 11 octobre 398, est extrait du Code Théodosien . Cependant, à lire attentivement cette notice, i l ne semble pas que cet édit impérial - qui concerne Constantinople - ne réglemente d'une quel conque manière l'aménagement de cabanes de pauvres. I l ordonne en réalité que les parapetasiae susceptibles de représenter u n danger d'incendie parce que directement adossées à u n édifice public ou privé, ou bien parce qu'elles réduisaient trop sensiblement la largeur de la rue, 20
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SUET., Gram., IX, 1. Cette expression, que l ' o n trouve é g a l e m e n t sous la forme ad summas tegulas était devenue proverbiale (et reprise telle quelle par les é t u d e s modernes : ainsi L . H O M O , 1951, p. 566) p o u r é v o q u e r la p a u v r e t é des logements situés au sommet des insulae et plus largement le logement de tous les « p a u v r e s » , sans distinction de niveau social. Sur cette locution, nous pouvons renvoyer au travail de S. PRIESTER, A d summas tegulas : Untersuchungen zu vielgeschossigen Gebäudeblöcken mit Wohneinheiten und Insulae im kaiserzeitlichen Rom, Rome, L'Erma d i Bretschneider, 2002. Description de L. H O M O , 1951, p . 567, sur la base... d'une comparaison avec u n recensement effectué à Rome en 1881 et q u i relevait l'existence de 48 habitations souter raines, divisées en une centaine de pièces et h a b i t é e s par 223 locataires, q u i vivaient sans air et sans l u m i è r e , « d a n s des locaux sales, humides et malsains (sic) ». I l e n d é d u i t p o u r la Rome i m p é r i a l e que « s u r p e u p l e m e n t et manque chronique de logements font qu'esca liers, a r r i è r e - b o u t i q u e s , entresols, caves, t o u t l'espace disponible, p a r t i c u l i è r e m e n t dans le centre de la ville, est utilisé au m a x i m u m pour l ' h a b i t a t » . VrrR., Π, 1, 4-5. Voir aussi APUL., M., IV, 12; LX, 32. VITR., Π , 1, 4 : quod ad hune diem nationibus exteris ex his rebus aedifiäa constituuntur, uti Gallia, Hispania, Lusitania, Aquitania... I l en va de m ê m e des deux textes d ' A p u l é e cités supra en exemple par A . SCOBIE, 1986, p . 402. Le premier concerne T h è b e s , le second la Thessalie o u la M a c é d o i n e . C. R. Whittaker indique C O D . T H . , XVI, 39. E n réalité, la notice se situe au XV, 1, 39 : Iidem AA. Seuero Pf. U. Aedifiäa, quae uulgi more parapetasia nuncupantur, uel si qua aliqua opera publias moenibus uel priuatis sodata cohaerent, ut ex his incendium uel insidias uicinitas reformidet, aut angustentur spatia platearum, uel minuatur porticibus latitudo, dirui ac pros terni praecipimus. Dat. V. Id. Oct. Constantinopoli, Honori Α. IV. et Eutychiano Coss. (398). 21
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soient détruites. De fait, le terme paraphasia, dérivé du grec, désignait u n genre de tenture que nombre de commerçants devaient utiliser comme auvents . On en comprend d'autant mieux le souci qui pouvait être celui des autorités de contrôler leur prolifération pour lutter contre les incen dies. Quant au second (celui sur lequel C. R. Whittaker fonde sa théorie du loyer imposé à ces cabanes), son interprétation est assez probléma tique. I l s'agit d'un passage du Digeste extrait de l'édit du préteur Ne quid in loco publico qui réglemente toutes les constructions abusives sur sol public (en général et pas uniquement à Rome) et l'alternative laissée entre démolition et tolérance moyennant une taxe prélevée - uectigal - et l'établissement d'une forme de location des loca publica ainsi occupés . On est là très loin de l'interprétation de C. R. Whittaker. Ce type de lectures ne s'arrête toutefois pas là. En effet, si l'on en croit Z. Yavetz, les loyers de ces bouges n'en étaient pas moins - à Rome surtout - extrêmement élevés , si bien que le «reste à vivre » aurait été pour ces plébéiens réduit à l'état de misère et n'aurait permis qu'une alimentation peu équilibrée se limitant souvent à du pain et des légumes secs qui devaient être la cause de malnutritions chroniques. C'est notam ment ce que B. Kuhnert a cru pouvoir déduire d'une lecture pour le moins descriptive des œ u v r e s d'Horace , selon qui l'essentiel de l'ali mentation de la plèbe, sans distinction de niveau n i m ê m e de statut social, était un pain à base de farine de mauvaise qualité (panis secundus), des œufs bon marché et des olives noires. De m ê m e , l'approvisionnement en eau était, semble-t-il, tout aussi déficient que l'apport nutritionnel journa lier. Selon A. Scobie, si, en termes quantitatifs, l'accès à l'eau était tout à fait satisfaisant, au moins à partir de l'époque d'Auguste, la qualité 25
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Cette r é g l e m e n t a t i o n n'est pas sans rappeler, à plusieurs siècles d'intervalle, les plaintes de Martial ( M A R T . , V u , 61) contre ces boutiquiers q u i envahissaient l'espace de la rue en doublant leurs boutiques de portiques privés de fortune. Dig., X L m , 8, 2, 17 (ULP.) : Si quis nemine prohibente in publico aedificauerit, non esse eum cogendum tollere, ne minis urbs deformetur, et quia prohibitorium est interdictum, non restitutorium. Si tarnen obstet id aedificium publico usui, utique is, qui operìbus publias procurât, debebit id deponere, aut si non obstet, solarium ei imponere : uectigal enim hoc sic appellatur solarium ex eo, quod pro solo pendatur. Pour une i n t e r p r é t a t i o n en contexte de ce passage, voir les diffé rents articles que J. Dubouloz a c o n s a c r é s aux loca publica et à leur gestion : J. DUBOULOZ, «Formes et enjeux de la gestion quotidienne du territoire urbain dans la cité t a r d i v e » , CCG, 14, 2003 [= J. DUBOULOZ, 2003al, p. 99-114; ID., «Territoire et patrimoine urbains des cités romaines d'Occident ( I s. av. J.-C. - ΠΤ s. ap. J . - C ) . Essai de configuration j u r i dique», MEFRA, 115, 2003 [ = J. DUBOULOZ, 2003b], p . 921-957; ID., «Acception et d é f e n s e des loca publica, d ' a p r è s les Variae de Cassiodore. U n point de vue juridique sur les cités d'Italie au V I siècle», dans M . GHILARDI, Chr. J. GODDARD et P. PORENA (éds.), Les Cités de l'Italie tardo-antique (IV'-W siècle), Rome, École française de Rome, 2006 (CEFR, 369), p. 53-74. 26
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Z . YAVETZ, 1958, p. 513-514, pense que la p l è b e devait ê t r e c o n s i d é r a b l e m e n t e n d e t t é e à cause de la s p é c u l a t i o n i m m o b i l i è r e et d u p r i x des loyers. Cette expression d é s i g n e la somme dont dispose u n i n d i v i d u o u une famille, p o u r faire face aux charges de la vie courante, une fois les d é p e n s e s «obligatoires» (comme le loyer) d é d u i t e s du salaire. E n France, le reste à vivre est défini par une l o i d u 29 j u i l l e t 1998 : la somme doit ê t r e au moins égale à la part insaisissable d u salaire. B . KUHNERT, «Die plebs urbana bei H o r a z » , Klio, 73, 1991, p. 130-142. 2 8
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hydrique était totalement polluée par le plomb des canalisations et la stagnation des lacus. Aussi la contamination par l'eau aurait-elle été l ' u n des principaux vecteurs de maladies comme le botulisme, le choléra, la dysenterie, les gastroentérites, les hépatites, la leptospirose ou encore la typhoïde . La diffusion de ces maladies aurait en outre été grandement facilitée par des conditions sanitaires mdimentaires. I l est vrai que de nombreuses sources, là encore essentiellement littéraires, décrivent les rues comme sales et fangeuses . C'est notamment la raison pour laquelle Caligula aurait fait déverser de la fange dans le p l i du v ê t e m e n t de Vespasien, alors édile, parce qu'il considérait que le balayage des rues laissait à désirer . Un passage constamment cité de Juvénal affirme également qu'il valait mieux rédiger son testament avant de sortir de chez soi, car l'habitude de jeter le contenu des immondices (des déchets de cuisine au contenu des pots de chambre) par la fenêtre était tellement fréquente que, d'après lui, on était chanceux lorsque l'on ne recevait sur la tête que le contenu du « p a n i e r » . I l est vrai que les propos du satiriste, desquels on pourrait légi timement douter, trouvent u n double écho épigraphique, tout d'abord dans une lettre d'Auguste aux habitants de Cnide, relative à une personne t u é e par le jet nocturne d'un vase lancé d'une fenêtre (même si, dans ce cas précis, le jet était délibéré) , mais également par le biais de Y actio praetoria de effusis et deiectis qui, certes, ne concernait pas uniquement les immondices, mais n'en déterminait pas moins les conditions d'indemnisa tion au cas o ù u n passant aurait été atteint par u n jet, quelle qu'en fût la substance... et tout cela sans compter q u ' à l'action humaine s'ajoutait celle des animaux qui devaient être relativement nombreux à circuler dans les rues avec les conséquences que l'on imagine. Rome aurait donc été envahie par les détritus mais aussi par les cadavres. Dans la Vie de Néron, Suétone explique ainsi que le cheval de l'empereur en fuite s'était cabré à cause de l'odeur nauséabonde dégagée par u n corps a b a n d o n n é en pleine rue . Le m ê m e Suétone signale égale ment u n épisode de la Vie de Vespasien, au cours duquel u n chien errant rapporta à celui qui n'était pas encore empereur la main d'un cadavre laissé sans sépulture, présage interprété comme la promesse qu'il parvien30
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A . SCOBIE, 1986, p . 421 et, à sa suite, W. SCHEIDEL, «Disease and death i n the a n c i e n t c i t y o f R o m e » , art. e n l i g n e ( h t t p : / / w w w . p r i n c e t o n . e d u / » p s w p c / p a p e r s / authorMZ/scheidel/scheidel.html), 2009, p . 9. SEN., Ir., LU, 35, 5 : scabras lutosasque semitas; M A R T . , V u , 61, 6 : nec praetor medio cogitur ire luto. SUET., Vesp., V, 3 : Mox, cum aedilem eum C. Caesar, succensens curam uerrendis uiis non adhibitam, luto iussisset oppleri congesto per milites in praetextae sinum... Juv., m, 268-277. FIRA, LU, 582 sgg. nr. 185. Lemme de his qui effuderint uel deiecerint Dig., I X , 3, 1 ( U L P . L i b . X X m ad Edict.) : Praetor ait de his, qui deiecerint uel effuderint : unde in eum locum, quo uolgo iter fiet uel in quo consistetur; deiectum uel effusum quid erit, quantum ex ea re damnatum datum factumue erit, in eum, qui ibi habitauerit, in duplum iudicium dabo. SUET., Ner., XLVTJI : ex odore abieca in uia cadaueris. 31
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drait bientôt à la tête de l'Empire . Les corps sans vie traînant dans les rues sont encore attestés par d'autres sources littéraires . On comprendra ainsi aisément que ce tableau apocalyptique ait fourni des arguments de poids aux partisans de la thèse selon laquelle Rome était une villetombeau, complètement envahie par des agents pathogènes en tous genres. 38
B - Des conséquences culturelles : une plèbe de déracinés? De fait, l'aspect de cette dernière ne devait pas être celui d'un village suisse (selon le bon mot de S. Panciera ). Cela signifie-t-il pour autant que Rome était une «ville fétide»? Pour toute une tendance historiographique, ce dossier était largement suffisant. Les études de Z. Yavetz et A. Scobie eurent en effet une grande influence sur la recherche ultérieure car elles trouvèrent u n écho tout particulier auprès d'un grand nombre d'historiens de la d é m o g r a p h i e antique (K. Hopkins, H . W. Pleket, R. Sallares ou encore P. Erdkamp ) qui virent là u n argument majeur de la thèse selon laquelle Rome aurait agi comme u n trou noir démogra phique, dans lequel l'immigrant serait venu pour mourir . Elle aurait ainsi obéi au schéma universel et inamovible de la mégapole pré-industrielle, 39
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SUET., Vesp., V, 4 : e turno manum humanam intulit mensaeque subiecit. Sur le m ê m e épisode, voir é g a l e m e n t D C , LXV, 1. Voir par exemple PETR., CXXIV, 1 : Quod purgamentum node calcasti aut cadauer? À l'époque tardive (IV s. ap. J . - C ) , Aus., Epigr., 24, 1, décrit l'histoire d ' u n certain Achillas (sans précision de lieu) q u i , t r o u v a n t u n cadavre gisant à l'abandon dans la rue (Abiecta in triuiis inhumata glabra iacebat I testa hominis nudum iam cute caluitium), l u i jette u n caillou en pleine tête, lequel caillou rebondit sur le c r â n e d u d é f u n t et vient heurter son lanceur. S. PANCIERA, « N e t t e z z a urbana a Roma. Organizzazione e r e s p o n s a b i l i » , dans 3 8
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X. DUPRÉ RAVENTÓS, J. A N T O N R E M O L À (dir.), Sordes Vrbis : la eliminación
de residuos en
la
ciudad romana, Rome, L'Erma d i Bretschneider, 2000, p. 97. K . HOPKINS, Conquerors and Slaves, Cambridge, Cambridge University Press, 1978; H . W. PLEKET, « R o m e : A Pre-Industrial M e g a l o p o l i s » , dans T h . BARKER, A . SUTCLIFFE (dir.), Megalopolis : The Giant City in History, Londres, The M a c M i l l a n Press, 1993, p . 14-35; R. SALLARES, « M a l a t t i e e demografia n e l Lazio e i n Toscana n e l l ' a n t i c h i t à » , dans D. VERA (dir.), Demografia, sistemi agrari, regimi alimentari nel mondo antico, Bari, Edipuglia, 1999, p. 131-188; P. E R D K A M P , «Mobility and M i g r a t i o n i n Italy i n the Second Century BC», dans L. DE LIGT, S. J. NORTHWOOD (dir.), People, Land, and Politics : Demographic Deve lopments and the Transformation of Roman Italy, 300 BC - AD 14, Leyde, E. J. B r i l l , 2008, p. 417-449. Toutefois, selon ce dernier, la m o r t a l i t é liée à YUGE ne peut expliquer à elle seule la nécessité d ' u n flux migratoire continu en direction de Rome. Cette nécessité doit aussi être mise en lien avec le sexe des migrants q u i , selon P. Erdkamp, é t a i e n t p l u t ô t des hommes jeunes, d é s é q u i l i b r a n t encore davantage le sex-ratio de YVrbs au d é t r i m e n t des femmes et donc d'une haute fertilité. 4 0
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Voir par exemple W . SCHEIDEL, « Germs for R o m e » , dans C. EDWARDS, G. W O O L F (dir.), Rome the cosmopolis, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p . 158-176, part, p. 159-160; «Disease and d e a t h . . . » , cit., 2009, p. 12 : «Scobie 1986 remains the classic survey of living conditions i n Rome (and other Roman cities).» Comme nous le verrons plus avant, c'est p r é c i s é m e n t ce type de propos e x t r ê m e m e n t g é n é r a l et ne tenant pas compte de la spécificité de la ville de Rome (son statut de capitale d'empire, sa situation de m é g a p o l e . . . ) , q u i pose p r o b l è m e .
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VIVRE DANS LA VILLE « [this] i r o n l a w t h a t t h e p o p u l a t i o n o f large p r e - i n d u s t r i a l m e g a l o p o lises was incapable o f r e p r o d u c i n g itself sufficiently. I n this respect R o m e f u l l y obeys t h e d e m o g r a p h i c l a w according t o w h i c h b i g cities l a r g e l y d e p e n d e d o n i m m i g r a t i o n for k e e p i n g t h e p o p u l a t i o n u p t o t h e m a r k . Life i n such cities was far f r o m h e a l t h y a n d as a result m o r t a l i t y rates vastly exceeded b i r t h r a t e s » . 4 2
Très r é c e m m e n t ce type de raisonnement fut m ê m e poussé j u s q u ' à ses ultimes conséquences : W. Scheidel e t avec l u i , R. Sallares puis R. Gowland et R Garnsey affirmèrent en effet qu'en sus de conditions sanitaires dramatiques, la population romaine était d'une part exposée à tous les agents pathogènes venus des diverses régions de l'Empire et d'autre part soumise à une malaria h y p e r e n d é m i q u e qui aurait, à elle seule, expliqué u n taux de mortalité extrêmement élevé . I l ajouta égale ment que des travaux récents de paléopathologie n'avaient fait que confirmer le sombre tableau d'A. Scobie . Ce fut aussi le cas de G. R. Storey , qui défendit l'idée que les condi tions sanitaires désastreuses à Rome rendaient strictement impossibles l'existence et surtout le maintien d'une population d'environ u n milhon d'habitants avec des densités qui approchaient - sur une surface retenue par l u i de 1 386 ha. - les 70 000 hab./km . G. R. Storey a cru trouver une confirmation de sa thèse dans le fait que les bénéficiaires des distributions frumentaires et des congiaires auraient été tous les citoyens, de tous les âges et des deux sexes, ce qui aurait r a m e n é l'estimation de la population 43
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H . W. PLEKET, 1993,
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17.
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W. SCHEIDEL, «Progress and problems i n R o m a n d e m o g r a p h y » , dans ID. (dir.), Debating Roman Demography, Leyde, E. J. Brill, 2001, p . 1-81; « R o m a n Population Size : The Logic of t h e Debate » dans L . DE L I G T , S. J. N O R T H W O O D ( d i r . ) , 2 0 0 8 , p . 1770. V o i r aussi d u m ê m e a u t e u r les articles m i s e n l i g n e à l'adresse s u i v a n t e , http : //www.princeton.edu/ » p s w p c / p a p e r s / a u t h o r M Z / s c h e i d e l / s c h e i d e l . h t m l : « Economy and quality of life i n the Roman w o r l d » , 2001; «Disease and d e a t h . . . » , cit., 2009 (p. 4 : «If they do indeed refer to Rome proper, some of Galen's more specific references to the agespecific incidence of particular manifestations of malaria m a y even allow the inference that falciparian malaria had attained w h a t is k n o w n as hyperendemicity, creating an envi r o n m e n t i n w h i c h a majority of the population carried the parasites i n their blood b u t survivors gradually developed i m m u n i t y i n response to repeated infection. This suggests that persistently h i g h seasonal death rates among adults may have been sustained by urimigration f r o m healthier - malaria-free - locales that were likely to generate net p o p u lation g r o w t h for w h i c h the capital provided an attractive o u t l e t » ) . Voir aussi R. SALLARES, Malaria and Rome : a history of malaria in ancient Italy, Oxford, Oxford University Press, 2002; R. G O W L A N D , P. GARNSEY, « Skeletal evidence for health, n u t r i t i o n a l status and malaria i n Rome and the e m p i r e » , dans H . ECKARDT (dir.), Roman Diasporas. Archaeological approaches to mobility and diversity in the Roman Empire, Portsmouth, JRA, 2010 (JRA Suppl. series, 78), p . 131-156, part. p. 132 : « T h e assessment of A . Scobie is still widely followed. » 4 4
45
W. SCHEIDEL, 2003, p.
160.
G. R. STOREY, Preindustrial Urban Demography : the ancient Roman evidence, Philadel phie, Diss. Pennsylvania State University, 1992; ID., « Estimating the Population of Ancient Roman Cities », dans R. R. PAINE (dir.), Integrating Archeological Demography : Multidisciplinary Approaches to Prehistoric Population, Carbondale, Center for Archeological Investiga tions Occasional Paper, 1997, p. 101-130; ID., «The population of ancient R o m e » , Antiquity, 71, 1997, p . 966-978.
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
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totale autour de 450 000 habitants. Cependant, cette interprétation des frumentationes s'est h e u r t é e à tous les travaux existants sur la question, en particulier à ceux de C. Virlouvet , entraînant u n rejet quasi général de ses travaux, y compris parmi les partisans de l'UGE . Il n'en demeure pas moins que, de notre point de vue, les implications potentielles de telles études sont majeures dans la mesure où, conséquence de conditions d'hygiène passablement précaires, le taux de mortalité aurait été à Rome constamment plus élevé que le taux de natalité, si bien que seule une immigration continue aurait p u empêcher que la population ne diminue. Dès lors, la proportion de ceux qui séjournaient à Rome de manière très temporaire ou qui y étaient en situation d'extrême précarité aurait été infiniment plus importante que celle d'une hypothétique popu lation résidente. En conséquence, la culture de la plèbe ne pouvait qu'être une culture de déracinés sans capacité de reproduction avec toutes les implications culturelles d'une telle assertion, à savoir : aucun enracine ment possible dans la Ville elle-même, aucune capacité de mémoire - faute de transmission - et, in fine, aucune identité propre. En termes culturels, i l est en effet difficile de penser de manière globale et simultanée l'existence d'une plèbe de déracinés et celle d'une culture spécifique dont les activités semblent être le fait d'une population démographiquement stable, dans la mesure où celle-ci n'aurait jamais été «qu'aspirée» (si l'on continue de filer la métaphore) par le trou noir démographique que constituait la mégapole . De fait, i l y a là u n hiatus d û à u n double problème qui est d'une part celui d'une démarche assez descriptive ne consistant q u ' à tirer argument de sources essentiellement littéraires et lues de manière schéma tique en vue, d'autre part, d'appliquer à la mégapole romaine des modèles démographiques élaborés pour d'autres périodes et dont on interroge assez peu le caractère opératoire pour Rome. En effet, la démarche suivie par des chercheurs comme Z. Yavetz ou A. Scobie n'est pas sans poser u n certain nombre de problèmes, dont les partisans du demographic sink n'ont pas assez tenu compte. Comme nous l'avons entrevu, le premier d'entre eux est sans aucun doute le crédit démesurément surévalué qui est accordé aux textes littéraires face aux sources «auxiliaires» de l'Histoire comme l'épigraphie ou l'archéologie. On aura en effet r e m a r q u é que l'évaluation du taux de mortalité est au départ entièrement cautionnée par une analyse des conditions sanitaires essentiellement reconstruites sur la base de sources littéraires reprises 46
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C. VIRLOUVET, Tessera frumentaria. Les procédures de la distribution du blé public à Rome à la fin de la République et au début de l'Empire, Rome, École française de Rome, 1995 (BEFAR, 286) [ = C. VIRLOUVET, 1995b]. Voir é g a l e m e n t E . L o CASCIO, «Registri dei benefi ciari e m o d a l i t à delle d i s t r i b u z i o n i n e l l a R o m a t a r d o a n t i c a » , dans C. V I R L O U V E T , Cl. Μ Ο Α Τ Π (éds.), La Mémoire perdue. Recherches sur l'administration romaine, Rome, École française de Rome, 1998 (CEFR, 243), p. 365-385. Ainsi, W. SCHEIDEL, 2003, p . 161-162. W. SCHEIDEL, 2003, p . 158 : « M y reading of the evidence suggests that life i n Rome was probably nastier a n d certainly shorter t h a n m a n y historians are likely to appreciate and that as a consequence, the urban plebs was a highly unstable body. I f c o r r e a , these findings are of considerable relevance to appraisals of family formation, social structure, political activity and the preservation of civic m e m o r y i n the capital. » 4 7
4 8
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VIVRE DANS L A VILLE
telles quelles, notamment Juvénal, sans la moindre réflexion sur la façon dont ce type d'auteurs pouvait écrire la Ville et privilégier l'exceptionnel au quotidien, le notable au banal et surtout le topos à l'observation du réel. Z. Yavetz argue, par exemple, du surendettement de la plèbe «ordi naire» en lien avec l'immobilier sur la base de la mésaventure d'Aemilius Lepidus expulsé par les censeurs pour avoir payé u n loyer de 6 000 sesterces dans les dernières décennies du second siècle av. n . è . ! L. Mumford conclut pour sa part à une congestion incessante et croissante de la ville de Rome entre la fin du I s. av. J.-C. et le milieu du I I s. ap. J.-C. en rapprochant simplement l'interdiction faite par César aux chars de rouler de jour et celle d'Hadrien qui prohiba plus largement la circulation des «voitures» lourdement chargées , alors que cette dernière mesure reste très imprécise, tant pour les cargaisons concernées que pour la limite spatiale et temporelle, et qu'elle ne permet pas de déterminer s'il s'agit d'une itération ou d'une amplification des restrictions antérieures . I l en déduisit pourtant une absence de planification urbaine qui aurait c o n d a m n é la population romaine à la surpopulation et à l'absence de services, en tout cas sur une base sociale équitable. Plus largement, pour L. Mumford, Rome correspondait trait pour trait au paysage urbain décrit par Juvénal et constituait «a significant lesson of what to avoid », c'est-àdire une véritable «dystopie ». Mais c'est surtout A. Scobie qui exacerba le type de démarche initié à l'époque de Z. Yavetz. En dépit du fait qu'il était conscient des limites inhérentes à la nature m ê m e de la documentation antique, en particulier de Juvénal, i l érigea comme principe général toute source, m ê m e anecdotique, qui créait l'impression négative que Rome était une ville insa lubre. De m ê m e , lorsqu'il rencontrait u n texte signalant que l'hygiène n'était pas aussi déplorable qu'il ne le pensait, i l l'écartait, pour une raison ou pour une autre, du bilan final. Sa lecture d'un célèbre passage de Vitruve sur les habitations du peuple romain est à cet égard symptoma49
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Remarquons aussi que Clodius possédait u n immeuble de rapport sur le Palatin dont i l louait u n appartement à M . Caelius p o u r le m o n t a n t annuel de 10 000 sesterces que C i c é r o n décrit par ailleurs comme n o r m a l au regard des 30 000 que les opposants à Caelius l u i reprochaient de payer. Cette d e r n i è r e somme était, elle, j u g é e i n d é c e n t e C i c , Cael, 17-18. 5 0
2
Respectivement CIL, I , 593 (Table d'Héraclée), 1. 56-57 et SHA (Hadr.), X X I I , 6, cités par L . M U M F O R D , The City in History, N e w York, Brace and World, 1961, p . 218-219. J . - R GUILHEMBET, «Limites et e n t r é e s de la Rome antique : quelques rappels et 51
quelques
remarques»,
d a n s Fr. M I C H A U D - F R É J A V I L L E , Ν . D A U P H I N
et
J.-P.
GUIL
HEMBET (dir.), Entrer en ville. Rennes, PUR, 2006 [ = J.-P. GUILHEMBET, 2006b], p . 107, s u g g è r e que la mesure prise par Hadrien pourrait indiquer une efficience stricte des règles codifiées et n o n l'inverse. L. M U M F O R D , 1961, p. 242, affirme que les petites villes devaient ê t r e nettement plus salubres dans des termes q u i rappellent é t o n n a m m e n t ceux de Juv., LU, 222-231 selon q u i la vie était tellement plus facile et plus saine dans les petites villes provinciales! " P o u r reprendre la très belle expression de R . L A U R E N C E , « W r i t i n g the Roman metropolis », dans H . M . PARKINS (dir.), Roman Urbanism. Beyond the Consumer City, Londres-New York, Routledge, 1997, p. 1-19. 5 2
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
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tique du postulat qu'il avait adopté et décidé de justifier. Ainsi, tandis que Vitruve expliquait qu'en raison des «différentes habitations dont une quantité a[vait] été construite en hauteur, le peuple romain [= de Rome] trouv[ait] sans difficulté d'excellents logements », selon A. Scobie, ce texte ne faisait qu'exprimer une «réflexion d'architecte destinée à flatter Auguste bien plus qu'un avis personnel sur les blocs résidentiels de Rome ». De m ê m e , quand i l s'est agi de se confronter à la preuve archéo logique fournie par d'autres cités, en l'occurrence les insulae d'Ostie, à propos desquelles des fouilles ont bien m o n t r é qu'elles n'étaient en rien conformes à l'idée de slums , A. Scobie se contenta d'affirmer «que les conclusions tirées de l'habitat d'Ostie ne pouvaient être appliquées sans
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Le fait que la notice, dont ce passage est extrait, concerne la seule Ville de Rome, est spécifié à deux reprises par Vitruve. Voir infra. , Vira., Π, 8, 17 (trad. CUF révisée) : «La législation publique interdit que les murs sur locus communis aient une é p a i s s e u r de plus d ' u n pied et d e m i ; les autres murs sont b â t i s avec la m ê m e épaisseur, de m a n i è r e à p r é s e r v e r l'espace. À moins cependant qu'ils n'aient l'épaisseur, n o n d'un pied et demi, mais de deux o u de trois briques, les murs de brique ne peuvent porter la charge de plus d ' u n étage. Or v u l'importance de la Ville et l ' e x t r ê m e densité de la population, i l est n é c e s s a i r e que l ' o n m u l t i p l i e en nombre incalculable, les logements. Comme des logements à seul r e z - d e - c h a u s s é e ne sauraient accueillir une telle masse d'habitants dans la Ville, force a é t é , eu é g a r d à cette situation, de recourir à des constructions en hauteur. O n é l è v e donc ces b â t i m e n t s avec des piliers en pierre, une m a ç o n n e r i e à parement de briques, des murs en moellons, ils sont p l a n c h é i é s en de t r è s nombreux étages et offrent ainsi une distribution e x t r ê m e m e n t utile en habitations. Grâce donc à ces différentes habitations dont une q u a n t i t é a é t é construite en hauteur, le peuple romain trouve, sans difficulté d'excellents logements. » Leges publicae non patiuntur maiores crassituàines quam sesquipedales constitua loco communi; ceterì autem parietes, ne spatia angustiora fièrent, eadem aassitudine conlocantur. Latericii uero, nisi diplinthii out triplinthii fuerint, sesquipedali aassitudine non possunt plus unam sustinere contignationem. In ea autem maiestate urbis et ciuium infinita frequentia innumerabiles habitationes opus est explicare. Ergo cum recipere non possint areae planatae tantam multitudinem ad habitandum in urbe, ad auxilium altitudinis aedificiorum res ipsa coegit deuenire. Itaque pilis lapideis, structwris testaceis, parietibus caementidis altitudines extructae contignationibus crebris coaxatae cenaculorum ad summas utilitates perficiunt disparationes. Ergo moenibus e contignationibus uariis alto spatio multiplicatis populus Romanus egregias habet sine inpeditione habitationes. 55
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A . SCOBIE, 1986,
p.
406.
J. E. PACKER, The Insulae of Imperial Ostia, Rome, M A A R , 1971. Plus r é c e m m e n t , Ν. PURCELL, « T h e City of Rome a n d the plebs urbana i n the late R e p u b l i c » dans J. A. CROOK, A . W. LINTOTT et E. RAWSON (dir.), The Cambridge Ancient History, Tome I X : The last Age of the Roman Republic, 146-43 B.C., Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 667, a, à juste titre, affirmé q u ' i l était e r r o n é de c o n s i d é r e r les appartements des insulae comme des «intolérables slums ». E n dernier lieu, v o i r les différents travaux de S. MADELEINE, «"Les immeubles romains" : La vie dans les immeubles a n t i q u e s » dans Les insulae et la maquette de R Bigot, Histoire Antique, 15, 2004, p. 38-57 et EAD., «La reconstitu tion virtuelle d'une rue r o m a i n e » , dans R. VERGNTEUX, C. DELEVOBE (dir.), Virtual Retrospect 2005, Bordeaux, Ausonius, 2006, p. 89-95. Sur les m o d a l i t é s d'application des d o n n é e s archéologiques d'Ostie aux réalités romaines, voir G. R. STOREY, «Regionaries-Type Insulae 1 : Architectural/Residential Units at Ostia», A3 A, 105, 2001, p. 389-401; ID., « R e g i o n a r i e s Type Insulae 2 : Architectural/Residential Units at R o m e » , A3 A, 106, 2002, p. 411-434; ID., «The Skycrapers of the A n c i e n Roman W o r l d » , Latomus, 62, 2003, p. 3-26.
40
VIVRE DANS LA VILLE
réserves à R o m e » . Bien au contraire, i l préféra s'appuyer à nouveau sur les sources littéraires et notamment sur l'exemple de Yinsula de Cicéron : 58
« T h e persistence o f a n u n f a v o u r a b l e l i t e r a r y t r a d i t i o n a b o u t R o m a n insulae f r o m Cicero t o t h e e n d o f t h e e m p i r e , s t r o n g l y suggests t h a t j e r r y b u i l t m u l t i p l e d w e l l i n g s w e r e t h e n o r m e at R o m e , e v e n t h o u g h t h e y appear to h a v e b e e n t h e e x c e p t i o n at O s t i a . » 59
Une telle façon de procéder interroge. Elle revient à se fier à u n genre littéraire (la satire) plutôt q u ' à u n autre (un traité) en vertu d'un postulat pour le moins arbitraire et surtout jamais justifié. Or, en la matière, les nombreuses analyses de R Gros sur le De Architectura de Vitruve ont depuis longtemps m o n t r é que la finalité de ce traité ne tenait pas de la flatterie et qu'il constituait au contraire u n travail de fin de carrière destiné à mettre à la disposition des responsables politiques et, plus géné ralement, des notables, le «trésor d'expérience» que l'architecte avait accumulé tout au long de sa carrière et à promouvoir, plus qu'une théorie de l'architecture, une pratique correcte (ce dernier point est très impor tant) . En outre, une étude a récemment attiré l'attention sur la date «précoce» du De Architectura par rapport au moment a u g u s t é e n (le traité date sans doute des années 35-25 av. J.-C.) et fort justement souligné que c'était là le signe vraisemblable d'un héritage politique césarien en matière de logements pour la plèbe (surtout si l'on rappelle le projet d'une lex de Vrbe augenda sur laquelle nous reviendrons ) encore au c œ u r des préoc cupations durant les années triumvirales, plus que d'un véritable renou veau immobilier à l'époque augustéenne. De fait, m ê m e si Vitruve présente probablement une image quelque peu idéalisée de Yinsula, soli dement bâtie sur des piliers de travertin et m a ç o n n é e jusqu'au sommet en opus caementicium à revêtement de briques, qu'il conviendrait sans cloute de nuancer dans son caractère systématique (pour ne pas tomber dans u n optimisme b é a t ) , i l n'y a inversement pas lieu de refuser purement et simplement le témoignage de cet auteur sur la qualité générale des loge ments du populus de Rome pour en faire des taudis mal construits et insa lubres. En outre, le mode de construction appelé de ses v œ u x par Vitruve n'est-il pas précisément celui de toutes les insulae de Rome (datées des I , I I et I I I siècles ap. J.-C.) aujourd'hui conservées ? De ce point de vue, la 60
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C i c , AU., XIV, 9, 1-2.
5 9
A . SCOBIE, 1986,
p.
407.
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Inter alios, voir surtout R GROS, «Munus non ingratum. Le t r a i t é v i t r u v i e n et la n o t i o n de service», dans Le Projet de Vitruve. Objet, destinataires et réception du De A r c h i tectura, Rome, École française de Rome, 1994 ( C E F R , 192), p. 75-90 [repris dans ID., Vitruve et la tradition des traités d'architecture. Fabrica et ratiocinatio, Rome, École française de Rome, 2006 (CEFR, 366), p . 311-326]. 6 1
6 2
J.-P.
GUTLHEMBET, 2011, p. 261-262.
Voir infra p . 64, n . 133. Comme le s u g g è r e P. Gros l u i - m ê m e . Voir R GROS,, L'Architecture romaine, Tome Π : Maisons, palais, villas et tombeaux, Paris, Picard, 2001, p. 86. D ' a p r è s P. GROS, 2001, p. 116, «l'opus caementicium r e v ê t u de briques r è g n e presque sans partage, ce q u i p r o u v e que l ' e m p l o i de cette t e c h n i q u e , d é j à e x p l i c i t e m e n t r e c o m m a n d é par Vitruve pour les immeubles d'habitations des d e r n i è r e s d é c e n n i e s r é p u 6 3
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LA VILLE C O M M E FACTEUR D E DISTINCTION
démarche d'A. Scobie revient clairement à nier l'évidence de la docu mentation archéologique dans la mesure o ù nos connaissances sur les conditions d'habitation à Rome, m ê m e limitées, ne semblent pas fonda mentalement différer de celles portant sur Ostie, où, effectivement, les insulae étaient bien construites et salubres . À cet égard, on se rend compte que l'historiographie moderne s'est progressivement habituée à considérer la métropole romaine comme u n taudis, tandis que les villes romaines de moindre taille auraient échappé à cette malédiction . C'est très exactement le postulat qui a guidé encore tout r é c e m m e n t et continue de guider - certaines études de paléopathologie. Sans pouvoir exhaustivement présenter tous les problèmes posés par ces recherches qui se sont multipliées ces dernières a n n é e s , mentionnons, à titre d'exemple, cette publication récente de S. Minozzi, G. Fornicari et R Catalano . Essentiellement conduite à partir de deux nécropoles d'époque impériale, l'une dans u n contexte rural (Osteria del Curato, époque impériale, tardoantique et médiévale - sic), l'autre semi-rural (Via Collatina, I - I I I s. ap. J.-C), elle permit à leurs auteurs de dresser une liste de p h é n o m è n e s pathologiques repérés sur u n certain nombre de cadavres. Parmi eux, la malnutrition, le stress, différentes infections bactériennes et dento-alvéolaires semblent avoir été particulièrement fréquents. Cependant, de telles analyses, dont i l ne s'agit naturellement pas de remettre en cause les résul tats «biologiques» (de ce point de vue, ces études sont remarquables ), ne 65
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blicaines, n'a cessé de se r é p a n d r e p o u r devenir (...) g é n é r a l dans les îlots d u I I siècle». Une liste des insulae connues à Rome est p r o p o s é e u n p e u plus avant. Alors que l'historiographie c o n s i d è r e g é n é r a l e m e n t les unes (les insulae de Rome) comme des taudis et les autres (celles d'Ostie) comme des m o d è l e s d'urbanisme et de salu brité, la similitude des modes de construction et des conditions d'habitation à l ' i n t é r i e u r des insulae a r c h é o l o g i q u e m e n t c o n s e r v é e s à Rome et à Ostie a paradoxalement é t é de longue date soulignée. Cette opposition factice repose en réalité sur u n postulat en v e r t u duquel la vie à Rome aurait é t é rendue impossible par des d e n s i t é s de peuplement confi nant à la surpopulation. Nous aurons l'occasion de constater u n peu plus avant et à plusieurs reprises le c a r a c t è r e c o m p l è t e m e n t injustifié de ce postulat q u i ne tient pas compte de la spécificité de la situation de la Ville de Rome. 6 5
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R. LAURENCE, 1997,
p.
13.
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U n panorama assez complet a é t é tout r é c e m m e n t dressé par R. G O W L A N D et P. GARNSEY, 2010. Nous nous permettons de renvoyer à cet article pour les références antérieures. 6 8
S. M I N O Z Z I , G . FORNICARI et P. CATALANO, «La p a l é o p a t h o l o g i e . S a n t é et maladies
dans la Rome i m p é r i a l e » , dans Dossiers d'Archéologie, 330, 2008, p. 20-21. Nous ne pren drons pas en compte ici les résultats encore très temporaires et, surtout, portant sur u n échantillon trop restreint (125 individus) et n o n représentatif d'une situation d é m o graphique (essentiellement des hommes et vraisemblablement des foulons q u i travail laient dans la fullonica mise a u j o u r à p r o x i m i t é i m m é d i a t e de la n é c r o p o l e ) des découvertes de Casal Bertone. Voir S. M u s c o et alii, «Le complexe a r c h é o l o g i q u e de Casai B e r t o n e » , Dossiers d'Archéologie, 330, 2008, p. 32-39. Notons simplement cette é t u d e de J . G . K R O N , « Anthropometry, physical anthro pology, and the reconstruction of ancient health, n u t r i t i o n , a n d l i v i n g s t a n d a r d s » , Historia, 54, 2005 [= J . G . K R O N , 2005a], p. 68-83, q u i s'intéresse t o u t p a r t i c u l i è r e m e n t à la ques tion de la taille des individus, telle qu'elle est mesurable à partir des restes osseux, car c'est d'après l u i , u n critère i m p o r t a n t p o u r l ' é v a l u a t i o n de la bonne s a n t é (notamment de la 6 9
42
VIVRE DANS LA VILLE
sont pas sans poser u n certain nombre de problèmes quant à la représenta tivité des échantillons considérés et, surtout, quant aux conclusions à en tirer en matière de paléodémographie sur Vensemble de l'histoire de la ville de Rome . La principale objection est celle du postulat selon lequel on aurait mieux vécu dans les faubourgs de Rome que dans le «centre» dans la mesure où ce dernier aurait été surpeuplé . Or, dans la mesure où l'état sanitaire de ces restes osseux est mauvais, les auteurs en concluent logique ment que ce devait être «pire» à Rome o ù «la densité élevée de population dans les zones les plus pauvres, ajoutée aux conditions hygiéniques et sani taires précaires, favorisaient clairement la diffusion des maladies infec tieuses». «À cela, nous devons ajouter que la disponibilité des ressources dans une cité surpeuplée comme Rome était principalement liée aux productions agricoles des faubourgs et à la disponibilité des ressources alimentaires ». Toutefois, les auteurs concèdent que les échantillons consi dérés concernaient surtout «des ouvriers agricoles, esclaves ou affranchis 70
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nutrition) d'une population. E t i l signale, sur la base d ' u n é c h a n t i l l o n de 927 squelettes d'adultes m â l e s mis au j o u r sur 49 sites d'Italie et d a t é s entre le V s. av. J.-C. et le V s. ap. J.-C, que la taille moyenne atteint approximativement les 168,3 cm, soit u n niveau certes inférieur à celui de la Grèce d ' é p o q u e h e l l é n i s t i q u e (171,9 cm) mais e n revanche très largement s u p é r i e u r à la plupart des sociétés modernes d'Ancien R é g i m e , m ê m e si la comparaison repose souvent sur des sources de nature militaire (149,8 c m dans l ' a r m é e italienne de N a p o l é o n Bonaparte; 162,4 c m p o u r une population de conscrits italiens n é s en 1854; 158,8 c m m e s u r é s sur des recrues espagnoles de Murcie e n 1895) et t o u t à fait comparable à des sociétés contemporaines. Ainsi, la taille moyenne des adultes m â l e s grecs ( é c h a n t i l l o n de 468 056 individus) entre 1927 et 1945 était de 167,17 c m et les 168,3 c m m e s u r é s e n Italie à l ' é p o q u e antique ne furent atteints au Danemark q u ' e n 1911, e n Hollande e n 1921, en Belgique e n 1938, en France e n 1940, en Italie e n 1956 et en Espagne en 1967. e
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Ce que ne manque d'ailleurs pas de souligner H . DUDAY dans le m ê m e volume, « L ' a n t h r o p o l o g i e f u n é r a i r e des n é c r o p o l e s romaines i m p é r i a l e s » , Dossiers d'Archéologie, 330, 2008, p . 8-9 : «...les biais rendent sans doute plus souvent compte de particularités dans le recrutement" de l'ensemble f u n é r a i r e o u dans le c a r a c t è r e plus o u moins * spécia lisé " de tel o u tel secteur.» u
7 1
S. M I N O Z Z I ,
G. F O R N I C A R I et R C A T A L A N O ,
2 0 0 8 , p . 2 0 - 2 1 : « L a v i e dans les
faubourgs romains était différente de celle de la ville : les conditions h y g i é n i q u e s et sani taires, présume-t-on [l'italique est de notre fait], devaient ê t r e meilleures, o u d u moins n o n d é g r a d é e s comme dans u n contexte de surpopulation urbaine, la disponibilité de la nour riture et l'accès a u x ressources é t a i e n t p e u t - ê t r e facilités.» Plus r é c e m m e n t encore, R. G O W L A N D et P. GARNSEY, 2010, o n t m e n é le m ê m e type d'analyse avec le m ê m e type de postulat (resp. p . 9 et 131) : « T h e y identify h i g h 'health stress' levels and poor situation n u t r i t i o n n o t just i n Rome b u t i n major t o w n s generally, illustrating the ' u r b a n graveyard effect'. (...) Rome required a constant flow of immigrants i n order to sustain its population at existing levels, a n d such immigration h a d to be continuous because n e w arrivals w o u l d have been vulnerable t o diseases to w h i c h they h a d n o t previously been exposed. » Les auteurs partent d u principe que Rome était u n lieu hautement p a t h o g è n e . A u c u n compte n'est t e n u de la r e p r é s e n t a t i v i t é des é c h a n t i l l o n s c o n s i d é r é s n i de la spécifité c o n s t i t u é e par la m é t r o p o l e romaine (ils mettent sur le m ê m e plan des é c h a n t i l l o n s r e l e v é s à Rome - q u i portent sur les m ê m e s n é c r o p o l e s que celles é t u d i é e s par S. M I N O Z Z I , G. FORNICARI et P. CATALANO), e n Italie, e n Bretagne, e n Croatie et e n Egypte). 7 2
S. M I N O Z Z I , G. F O R N I C A R I et P. C A T A L A N O , 2008, p . 2 1 .
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qui avaient une mauvaise qualité de vie». Comment, dès lors, extrapoler leur situation à l'ensemble de la plèbe, en particulier à sa partie frumen taire, dont on verra dans la prochaine section de ce chapitre, q u ' à bien des égards, sa situation était e x t r ê m e m e n t particulière? Bien plus, et à l'inverse de ce qui est ci-dessus affirmé, i l semble que l'implication de la puissance publique dans u n certain nombre de domaines liés d'une manière ou d'une autre à l'aménagement urbain a notoirement amélioré l'état sanitaire de la Ville et de sa population ou, à tout le moins, d'une partie d'entre elle. C'est à ce niveau-là qu'il convient selon nous de prendre toute la mesure de ce qu'a pu être la spécificité des conditions de vie à Rome qui n'avait rien d'une ville dystopique, tant s'en faut. De fait, comme l'a r é c e m m e n t suggéré E. Lo Cascio, on s'est trop penché sur les aspects négatifs de la vie à Rome (bruit, saleté, mauvaises odeurs, manque d'intimité, dangers, maladies). I l est désormais temps de s'intéresser aux avantages que vivre à Rome pouvait apporter à des pans entiers de sa population . 73
Π - «L'INVERSION DES SIGNES»?
Cependant, l'objectif n'est pas de décrire ici les conditions de vie à la manière d'un J. Carcopino ou d'un U . Paoli. De notre point de vue, i l s'agit de comprendre en quoi et dans quelle mesure les conditions urbaines ont déterminé des hiérarchies socio-culturelles au sein de la plèbe, de montrer que celle-ci n'était pas, jusque dans sa résistance aux maladies, u n bloc monolithique livré tel quel aux affres d'une ville consommatrice d'habitants, mais bien au contraire que YVrbs fut, en ellemême, u n facteur fondamental de distinction culturelle entre les diffé rentes strates de la plèbe. C'est pourquoi le plan d'études, certes centré autour des paramètres qui interféraient sur la vie plébéienne (l'alimenta tion, l'accès à l'eau et la situation sanitaire), est toutefois traité sous l'angle des questions d'échelle et des réseaux de sociabilité (formes d'orga nisation étatique comme locale, de dépendances, de réactions, de hiérar chies...) afin de mettre en é v i d e n c e les soubassements et les conditionnements de la vie sociale et culturelle de la plèbe. A - Distributions frumentaires, composition et stabilité de la plèbe Le premier de ces facteurs ayant eu u n impact sur les hiérarchies intra-plébéiennes était sans aucun doute constitué par les distributions frumentaires. Par là, i l ne s'agit évidemment pas de revenir à l'idée que les frumentationes ont constitué une aide s'apparentant à une quel conque forme de charité. Bien au contraire, les distributions étaient u n privilège civique qui opéra comme élément de distinction fondamental au sein de la plèbe en créant une ligne de fracture entre les ayantsdroit, inscrits sur les listes de distribution frumentaire, et les autres.
7 3
E . L o CASCIO, 2001b.
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VIVRE DANS LA VILLE 74
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Pour être incisus , i l fallut, dès l'époque de C. Gracchus , être u n mâle adulte (avoir au m i n i m u m entre 14 et 16 ans ), citoyen romain, proba blement aussi ingenuus et enfin résider à Rome ou en 76
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C'est à dire inscrit sur les listes de distributions frumentaires. Sur le sens de ce terme, voir C VIRLOUVET, 1995b, p. 196 et 2009, p . 75. Sur l'existence de telles listes dès l ' é p o q u e de C Gracchus, voir C . VIRLOUVET, 1995b, p. 166-183. Contra, voir E. L o CASCIO, «Le professiones della Tabula Heracleensis e le procedure del census i n età c e s a r i a n a » , Athenxum, 78, 1990, p. 302 et η . 48; ID., «L'organizzazione a n n o n a r i a » , dans S. SETTIS (dir.), Civilità dei Romani : il potere e l'esercito, M i l a n , Electa, 1991, p. 247, selon lequel la l o i frumentaire de C. Gracchus n'aurait pas fixé une q u a n t i t é m a x i male de grains par bénéficiaire mais seulement u n m o n t a n t global des d é p e n s e s (et donc de grains à distribuer), en c o n s é q u e n c e de quoi, i l devient effectivement inutile de penser l'existence d'une liste f e r m é e de bénéficiaires d è s cette é p o q u e . Toutefois, les différents é l é m e n t s rassemblés par C. Virlouvet sur ce p o i n t nous semblent davantage convaincants. 75
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C . VIRLOUVET, 2009, p.
229. e
Sans doute d è s la f i n d u I I s. av. J.-C, si ce n'est dès la p r e m i è r e frumentatio; voir C VIRLOUVET, «La p l è b e frumentaire à l ' é p o q u e d'Auguste. Une tentative de définition», dans A . GIOVANNINI (éd.), Nourrir la plèbe. Actes du colloque tenu à Genève les 28 et 29. IX. 1989 en hommage à Denis van Berchem, Bâle, Reinhardt, 1991, p . 63; EAD., 1995b, p . 181. À Rome, le critère d u domicile est clairement exigé au moins à partir de 46 av. J.-C, puisque le recensus o r d o n n é par César et q u i aboutit à une r é d u c t i o n d u nombre d'ayants-droit fut o r g a n i s é uicatim per dominos insularum (SUET., Caes., X L I , 5 (trad. J. DUBOULOZ, 2011, p. 615-616) : «Il conduisit u n recensement des citoyens, n o n pas selon la m é t h o d e n i dans le lieu habituel, mais quartier par quartier, par l ' i n t e r m é d i a i r e des propriétaires des insulae et i l ramena le nombre de ceux q u i recevaient le b l é public de trois cent vingt mille à cent cinquante mille. » Recensum populi nec more nec loco solito, sed uicatim per dominos insularum egit atque ex uiginti trecentisque milibus accipientium frumentum e publico ad centum quinquaginta retraxit. Voir aussi Lrv., Per., CXV; APP., Civ., Π, 102, 425 et PLUT., Caes., LV, 3, q u i attribuent toutefois la r é d u c t i o n aux ravages de la guerre plus q u ' à la v o l o n t é d u dictateur et, surtout, q u i assimilent ce recensus à u n « s i m p l e » cens ( m ê m e limité à la ville de Rome) et n o n à l'édification d'une liste d'ayants-droit, à l'inverse de D C , X L m , 21, 4, q u i permet en outre de dater ce recensus). La logique d u m é c a n i s m e , tel q u ' i l est décrit par S u é t o n e , a é t é a n a l y s é e par E. L o CASCIO, «Le procedure d i recensus dalla tarda republica al tardo antico e i l calcolo della popolazione d i R o m a » , dans C VIRLOUVET (éd.), 1997, p. 12-13 : ce recensus a permis d'établir une liste de l'ensemble des dues Romani r é s i d a n t à Rome, liste à l ' i n t é r i e u r de laquelle furent ensuite r a d i é e s des distributions frumentaires e n v i r o n 170 000 personnes sur des critères dont S u é t o n e ne révèle pas la nature (sur ce point, voir infra et chapitre 4 ) . 78
Dans le détail, la question demeure complexe. Tout d'abord, la précision uicatim a conduit plusieurs chercheurs à penser que les frumentationes avaient lieu dans le cadre d u uicus (E. L o CASCIO, «Registri dei beneficiari et m o d a l i t à delle distribuzioni nella Roma t a r d o a n t i c a » , dans C. VIRLOUVET, Cl. Μ Ο Α Τ Π (éds.), 1998, p . 368 et, dans le m ê m e v o l u m e , M . TARPIN, «L'utilisation d'archives annexes p o u r les distributions de b l é » , p. 407). Inversement, selon C VIRLOUVET, 1995b, p. 175-176; EAD., L'approvigionamento di Roma imperiale : una sfida q u o t i d i a n a » , dans E. L o CASCIO (dir.), 2000, p . 110 et 2009, p. 94-95, les registres des ayants-droit é t a i e n t tenus par tribu, ce q u i exclut le critère g é o g r a p h i q u e . Cependant, et m ê m e si l ' o n ne peut en avoir aucune certitude, ce dernier critère pouvait é v e n t u e l l e m e n t intervenir comme sous-classement des listes par tribu, et dans les p r o c é d u r e s de remise des rations e l l e s - m ê m e s (C. VIRLOUVET, S. PANCIERA, «Les archives de l'administration d u b l é public à Rome à travers le t é m o i g n a g e des inscrip t i o n s » , dans C VIRLOUVET, Cl. Μ Ο Α Τ Π (éds.), 1998, p . 254-261).
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être originaire, pour espérer être tiré au sort et ensuite intégrer les rangs
Par ailleurs, u n certain nombre d'indices montre que toute n o t i o n de «critère de rési d e n c e » n ' é t a i t pas inconnue d è s l ' é p o q u e de C. Gracchus et donc que le domicile pourrait avoir é t é exigé dès avant la dictature de César ( i n d é p e n d a m m e n t de la m é t h o d e de recen sement e l l e - m ê m e ) . U n parallèle peut par exemple ê t r e établi avec une inscription de Samos d a t é e d u I I siècle av. J.-C. q u i m o n t r e qu'aucun citoyen ne pouvait recevoir de b l é à la place d ' u n autre, sauf cas de maladie, excluant de fait les ayants-droit m o m e n t a n é ment absents, mais aussi que le grain devait être distribué « a u x citoyens en résidence» τοις πολίταις κατά χ ι λ ι α σ τ ύ ν τ ο ι ς έ π ι δ η μ ο ο σ ι ν ) . Éd. et trad. J. Pounxoux, Choix d'inscriptions grecques, Paris, Les Belles Lettres, 1960, n° 34, p. 126-135, part. 1. 52-60 et traduction p. 133; commentaire par C. VERLOUVET, 1995b, p . 19-21). O n sait é g a l e m e n t que la lex de repetundis de 123 av. J.-C. demandait sans doute cette condition aux chevaliers siégeant dans les tribunaux. Voir C. VIRLOUVET, «Les lois frumentaires d ' é p o q u e r é p u b l i c a i n e » , dans Le Ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains des débuts de la République jusqu 'au Haut-Empire, Rome-Naples, École française de Rome-Centre Jean Bérard, 1994 (CEFR, 196-CCJB, 11), p . 20, sur la base de CIL, F, 583 = BRUUNS, I , 3, 10,1.13 : ... queiue in urbem Romam propiusue urbem Romam p(assus) M domicilium non habeat. Enfjn, ce critère fut m a n i festement d e m a n d é p o u r d'autres types de libéralités que les frumentationes. Ainsi, en 213 av. J.-C, les édiles curules (dont le futur Scipion l'Africain) d i s t r i b u è r e n t de l'huile uicatim (Lrv., XXV, 2, 8). Comme le fait remarquer M . TARPIN, «Les vici de Rome, entre sociabilité de voisinage et organisation a d m i n i s t r a t i v e » , dans M . ROYO, É. HUBERT et A. BÉRENGER (éds.), «Rome des quartiers» : des vici aux rioni. Cadres institutionnels, pratiques sociales et requalifications entre Antiquité et époque moderne, Paris, De Boccard, 2008, p . 53, la p r o c é d u r e , ainsi a t t e s t é e pour la p r e m i è r e fois, supposait u n m i n i m u m d'organisation à l'intérieur des uici pour effectuer la r é p a r t i t i o n et surtout que les édiles aient p r o c é d é à u n contrôle d u domicile pour éviter u n afflux massif de gens d u Latium. De la m ê m e façon, Lucullus, lors de son triomphe d é 74 av. J.-C. offrit u n banquet «à Rome et aux villages des environs q u ' o n appelle uici» (PLUT., LUC, XXXVQ, 6 : Έ π Ι τούτοις τ ή ντε π ό λ ι ν ε ί σ τ ί α σ ε λαμπρώς και τας περιοικίδας κόδμας, ας ούΐκους καλουσι. C'est bien q u ' i l devait disposer de listes permettant de c o n t r ô l e r l ' i d e n t i t é des bénéficiaires dans la Ville et ses continentia. Partant, i l n'est pas impossible que, d è s l ' é p o q u e de C. Gracchus, la législation ait exigé des bénéficiaires des distributions frumentaires qu'ils r é s i d e n t dans la Ville. e
En revanche, si la professio dont parle S u é t o n e exigeait, sans l'ombre d ' u n doute, que le plébéien, pour devenir bénéficiaire, «réside» à Rome (à t o u t le moins à partir de 46 av. J.-C), notons que cette professio ne conférait pas pour autant le domicilium (litt, le lieu o ù l'on administre ses negotia et ses affaires politico-juridiques, i n d é p e n d a m m e n t de toute réalité m a t é r i e l l e ) , lequel était u n droit (public), dont l'obtention ne passait pas par le biais des propriétaires d insulae mais s'effectuait directement a u p r è s des services c o m p é t e n t s de la cité (à t o u t le moins p o u r ce que l ' o n peut en savoir p o u r les cités italiennes). E n aucun cas le fait de louer u n appartement n ' é t a i t assimilable à une domiciliation au sens j u r i dique d u terme, à moins de penser que le domicilium ait é t é u n état de fait et que l ' o n deve nait domicilié seulement a p r è s avoir résidé dans u n immeuble pour quelque temps - les baux pouvant ê t r e de b r è v e d u r é e - . C'est toutefois là une h y p o t h è s e q u i va totalement à rencontre de la jurisprudence sur la n o t i o n d'inquilinus (i.e. domicilié dans une c o m m u n a u t é de citoyens romains) telle que Y. THOMAS, « Origine» et «commune patrie» : étude de droit public romain (89 av. J.-C.-212 ap. J.-C), Rome, École française de Rome, 1996 (CEFR, 221), part. p . 43-49, l'a é t u d i é e . Voir aussi la mise au point de J. DUBOULOZ, 2011, p . 543549). T h é o r i q u e m e n t , la liste des dues Romani domo Roma (les incolae si l ' o n veut) était donc différente de la liste des dues Romani établie à partir d u recensus de César. I l n ' e n demeure pas moins que ce recensus permit d'établir une liste des «résidents» de Rome (toutes conditions juridiques confondues puisque les p r o p r i é t a i r e s d'insulae comptaient parmi leurs locataires des i n g é n u s , des affranchis, mais aussi des peregrins et des esclaves), dont l'administration publique défalquait les n o n libres, les n o n citoyens et probablement f
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VIVRE DANS LA VILLE 79
de la plèbe frumentaire . Les ayants-droit constituaient donc u n groupe plus restreint que l'ensemble des citoyens de la Ville de Rome et surtout un groupe stable capable de se reproduire, comme le suggère très forte ment l'instauration d'un mécanisme de sélection tel que le tirage au sort dès 46 av. J.-C. puis lors de la fermeture de la plebs frumentaria par Auguste en 2 av. J.-C. . En effet, à moins de construire u n scénario (bien 80
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les affranchis ainsi que les p r o p r i é t a i r e s d'insulae e u x - m ê m e s (voir chap. 4 ) , pour aboutir, à Tissue de recoupements, vérifications et autres mises à j o u r complexes (mais q u ' i l ne nous i m p o r t e pas d'aborder i c i : v o i r C. VIRLOUVET, 1995b, p . 253-308) à une liste «d'admissibles» (les p l é b é i e n s q u i remplissaient tous les critères sans ê t r e ayants-droit à proprement parler) à partir de laquelle elle p r o c é d a i t à la subsortitio. De ce point de vue, i l n'est pas impossible que le critère d u domicile retenu par César, p o u r p r o c é d e r à ce recensus, recoupe partiellement la n o t i o n a'habitatio e t / o u le statut d'habitator, définis dans la jurisprudence romaine (certes des I I et ffl siècles ap. J.-C.) comme «le fait d'habiter dans sa propre p r o p r i é t é [ou] comme locataire o u à titre g r a c i e u x » (ULP., 23, Ad ed. - Dig., IX, 3, De effusis uel deiectis, 1 : habitare autem dicimus uel in suo uel in conducto uel gratuito). A u t r e m e n t dit, «la définition d u statut d'habitator repose sur le seul critère de la r é s i d e n c e d u r a b l e » (J. DUBOULOZ, 2011, p . 372). Dans cette perspective, penser que le recensus o r d o n n é par César se soit f o n d é sur Yhabitatio (et n o n sur le domidlium) donne u n sens au fait de passer par le truchement des domini insularum, lesquels é t a i e n t en effet les plus à m ê m e de transmettre à l'adininistration publique l'ensemble des d o n n é e s nécessaires à l'édification de la liste, à savoir, si l ' o n s'en tient au m o d è l e é g y p t i e n : le statut, l'âge et le signalement de leurs locataires (les papyri é v o q u e n t é g a l e m e n t la profession mais celle-ci n'est, à notre connaissance, jamais e n t r é e en ligne de compte à Rome). Par ailleurs, le critère d u domicile pose la question de l'extension de l ' a g g l o m é r a t i o n romaine. D ' a p r è s E. L o CASCIO, 1997, p . 13-14, le recensement c é s a r i e n a d û s ' é t e n d r e à l'ensemble des personnes r é s i d a n t à l ' i n t é r i e u r des continentia aediflcia. Voir aussi e
J. D U B O U L O Z , 2011, p . 543,
n.
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Toutefois, la question de la nécessité de Yorigo est l o i n d ' ê t r e a s s u r é e . Aussi, nous permettons-nous de renvoyer à l'état d u p r o b l è m e tel q u ' i l a é t é très r é c e m m e n t dressé par C VIRLOUVET, 2009, p. 2, 39 et 165-167 ainsi q u ' à Y. THOMAS, 1996, p . 66-68, q u i iden tifie effectivement des documents pouvant aller dans le sens de l'existence d'une origo de Rome mais, dont les conclusions o n t é t é c o n t e s t é e s par E. L o CASCIO, 1997, p . 12, n . 28. Voir aussi J . - M . CARRIÉ, «Les distributions alimentaires dans les cités de l'empire r o m a i n tardif», MEFRA, 87, 1975, p . 1002, q u i affirme, sur la base d'une notice ambrosienne, qu'au I V s., les provinciaux r é s i d a n t à Rome n'avaient pas droit aux distributions. Le m ê m e J . - M . Carrié rappelle é g a l e m e n t q u ' à Oxyrhynchos, au Π Ρ s. ap. J.-C, les distribu tions é t a i e n t r é s e r v é e s aux «citoyens natifs» ( π ο λ ε ί τ η ς ών και αύθιγενής p o u r reprendre la d é c l a r a t i o n d ' u n candidat à l'inscription). e
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SUET., Caes., X L I , 5 (trad. CUF révisée) : « E n outre, p o u r q u ' à l'avenir le recense m e n t ne p û t faire causer de nouveaux rassemblements, [César] établit que chaque a n n é e , p o u r remplacer les morts, le p r é t e u r tirerait a u sort p a r m i les p l é b é i e n s q u i n'auraient pas é t é inscrits [parmi les bénéficiaires des distributions f r u m e n t a i r e s ] . » Ac ne qui noui coetus recensionis causa moueri quandoque possent, instituit, quotannis in demortuorum locum ex its, qui recensi non essent, subsortitio a praetore fier et. Sur le sens d u m o t coetus, v o i r C VIRLOUVET, 1995b, p . 159. 8 1
Sur l ' h y p o t h è s e d'une reprise d u principe d u numerus clausus c é s a r i e n par Auguste, voir D C , LV, 10 (trad. C VIRLOUVET, 1995b, p . 186, n . 76) : « A u g u s t e fixa le nombre de ceux q u i recevaient le b l é , q u i n ' é t a i t pas limité, et d ' a p r è s ce que certains disent, i l donna soixante drachmes à chacun. » Pour E. L o CASCIO, 1990, p . 292-306, suivi par M . TARPIN, 1998, p . 391-397, ce serait là une indication d u fait que César n'avait pas introduit de numerus clausus, q u ' i l s'agirait d'une c r é a t i o n a u g u s t é e n n e . Toutefois, cette h y p o t h è s e ne
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peu probant) qui verrait le nombre de migrants être chaque a n n é e supé rieur à celui des décès au sein d'une plèbe frumentaire à la reproduction elle-même déficitaire, si bien que le nombre de postes vacants aurait été systématiquement inférieur au nombre de migrants postulants, i l convient, pour comprendre les raisons qui poussèrent l'administration à introduire (peut-être dès 46, sinon en 2 av. J.-C.) et à maintenir durant toute la période impériale u n instrument tel que la subsortitio, de penser que la population des bénéficiaires se reproduisait (ou, au minimum, se maintenait à u n niveau stable) . Or, si l'on considère que l'apport m a t é riel des frumentationes déchargea les ayants-droit de certaines nécessités vitales, leur permettant en conséquence d'accéder à u n niveau de vie ayant dépassé la simple subsistance , i l conviendra d'en conclure que le scénario o ù la plèbe frumentaire fut en mesure de se reproduire est, de loin, le plus vraisemblable. 82
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concorde g u è r e avec la p r o c é d u r e de subsortitio i n t r o d u i t e par César et que rapporte S u é t o n e (voir note p r é c é d e n t e ) . Elle ne prend pas n o n plus en compte la p é r i o d e d u second triumvirat, durant laquelle la législation c é s a r i e n n e ne fut que très m a l a p p l i q u é e . C o m m e Ta m o n t r é E. L o CASCIO, 1990, p . 2 9 2 - 3 0 4 ; 1997, p . 8-14 et 1998, p. 370-372. U n passage de Pline le Jeune ( P U N . , Pan., L I , 5) est r é g u l i è r e m e n t cité contre cet argument dans la mesure o ù les alimenta de Trajan, c o n ç u s p o u r 5000 bénéficiaires, auraient c o n c e r n é , d ' a p r è s le p a n é g y r i s t e , tous (omnes) les enfants de la p l è b e . Cela suppo serait de fait u n taux de n a t a l i t é e x t r ê m e m e n t bas et u n recours massif (de l'ordre des 9/10 ) à l ' i n t é g r a t i o n d'affranchis et de nouveaux arrivants pour m a i n t e n i r la p l è b e frumentaire à u n niveau m i n i m a l de 150 000 bénéficiaires. H . LAMOTTE, « L ' œ u v r e de Trajan en faveur de la p l è b e romaine : u n essai de politique n a t a l i s t e ? » , MEFRA, 119, 2007, p. 189-224, a r é c e m m e n t repris le dossier et m o n t r é le c a r a c t è r e fantaisiste (et propagan diste) des chiffres de Pline et les résultats insoutenables auxquels ils aboutissent. C'est pourquoi C. VIRLOUVET, 2009, p . 76-77, a s u g g é r é d ' i n t e r p r é t e r le texte de Pline de la m a n i è r e suivante : u n seul enfant par famille aurait é t é admis dans le s y s t è m e , sans comp ter que rien ne dit explicitement dans cette notice que ces enfants se confondent avec ceux des ayants-droit habituels. I l pourrait de fait s'agir de familles f r a î c h e m e n t a r r i v é e s dont l'empereur aurait v o u l u faciliter l ' i n t é g r a t i o n . Dans les deux cas, ces « à peine 5000 enfants ne constituaient pas l'ensemble des rejetons de la p l è b e f r u m e n t a i r e » . Contra, v o i r A . GONZALES, «Trajan, Pline et l'appauvrissement de la p l è b e à R o m e » , DHA, 2005, suppl. 1, p. 53-67, q u i explique cette mesure par une p a u v r e t é e n d é m i q u e et u n exode rural massif. 8 2
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E n outre, o n peut se demander (sans en avoir la preuve) si l'administration « n ' o r g a n i s a » pas le tirage au sort de telle m a n i è r e q u ' u n fils légitime de bénéficiaire eut toujours la priorité sur u n migrant r é c e n t f r a î c h e m e n t inscrit sur les listes d'admissibles aux frumentationes. Ces derniers n ' e n auraient eu que plus de m a l à i n t é g r e r la p l è b e frumentaire. 8 5
Les corps bien nourris r é s i s t a n t par ailleurs m i e u x aux infections de t o u t type. Par exemple, une é t u d e m e n é e sur l'Inde entre 1860 et 1940 établit u n lien direct entre la situation nutritionnelle et l'exposition à des agents p a t h o g è n e s , n o t a m m e n t la malaria. S. ZURBRIGG, « R e - t h i n k i n g Public Health, Food, Hunger & M o r t a l i t y Decline i n Indian History », Medico Friend Circle Bulletin, 258-259, 1998, art. en ligne, h t t p : / / www.mfdndia.org/mfcpdfs/90s.html
48
VIVRE DANS LA VILLE
1 - Frumentationes et économie de subsistance. C'est donc cette part de décharge permise par les frumentationes que nous avons tenté d'évaluer dans les pages qui suivent. À défaut de résoudre tous les problèmes et notamment d'aboutir à u n chiffre plus sûr concernant la consommation individuelle moyenne de céréales sur laquelle nous n'avons, de toute manière, aucune série chiffrée , au moins cet angle d'approche a-t-il le mérite de sortir du raisonnement quelque peu circulaire consistant à partir du chiffre hypothétique total de population de la Ville de Rome pour aboutir à une consommation moyenne de céréales... alors m ê m e que les rares données chiffrées sur la consommation de céréales servent générale ment à estimer le nombre total des habitants de YVrbs. Dans notre perspec tive, i l s'agira donc d'évaluer le poids économique dont ces distributions déchargeaient les bénéficiaires du blé public afin de suggérer, dans u n deuxième temps, que cela permettait à cette partie privilégiée de la plèbe d'accéder à d'autres produits que les seules céréales, pour in fine tenter de dresser, par le biais d'une démarche comparatiste, u n portrait de ce que pouvait être la situation nutritionnelle de la plèbe frumentaire de Rome à la fin de la République et au début de l'Empire. Pour mesurer cette part, deux démarches sont envisageables : soit calculer l'écart entre le prix du modius de blé tel qu'il était fixé par l'État et ce que l'on sait du prix du blé sur le marché libre en mettant la différence ainsi obtenue en regard avec u n revenu «moyen» connu pour mesurer le poids maximum de l'achat de blé sur u n salaire annuel (1); soit essayer de retro86
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8 6
E n effet, les chiffres auxquels nous sommes parvenu se veulent encore très indica tifs dans la mesure o ù la r a r e t é des sources oblige à commettre plusieurs anachronismes et à ne pas tenir compte d ' u n certain nombre de d o n n é e s q u i nous sont inaccessibles. Par exemple, jusqu'en 58 av. J.-C, le b l é était v e n d u . Or, i l n'est pas s û r que tous les ayantsdroit aient p u o u v o u l u acheter la q u a n t i t é maximale a u t o r i s é e . C. VIRLOUVET, 1994, p . 17, a n o t a m m e n t s o u l i g n é que certains citoyens pouvaient p o s s é d e r o u exploiter à p r o x i m i t é de Rome des lopins de terre fournissant des céréales à meilleur m a r c h é . D'autres rece vaient p e u t - ê t r e t o u t o u partie de leur salaire e n nature. Enfin, les prix variaient é n o r m é ment en fonction des possibilités d'approvisionnement, de la saison, de la q u a l i t é et de la r a r e t é des produits... autant de d o n n é e s q u i nous sont inconnues. Nous ne pouvons donc établir que des échelles de valeur q u i ont moins p o u r objectif de décrire ce que pouvait ê t r e le budget m o y e n d'une famille p l é b é i e n n e - entreprise trop ambitieuse q u i nous e m m è n e r a i t bien l o i n de notre sujet - , que d'attirer l'attention sur les spécificités d u m o d è l e s o c i o - é c o n o m i q u e propre à la ville de Rome, dont les frumentationes é t a i e n t l ' u n des é l é m e n t s les plus remarquables. 8 7
C. VIRLOUVET, «La consommation de céréales dans la Rome d u Haut-Empire : les difficultés d'une approche q u a n t i t a t i v e » , Histoire&mesure, 10, 1995 [ = C. VIRLOUVET, 1995al, p . 263 et 265. La seule indication de cette nature q u i nous soit parvenue est rela tivement spécifique. Elle se trouve dans le Traité d'Agriculture de Caton l'Ancien, dans lequel l'auteur fournit les q u a n t i t é s de céréales nécessaires à la bonne alimentation des différents types d'esclaves travaillant dans u n domaine agricole au I I siècle av. J.-C Les esclaves travaillant aux champs et q u i effectuaient donc les t â c h e s les plus rudes, devaient recevoir, selon les saisons de l ' a n n é e , entre 4 et 4,5 modii par mois, alors que ceux q u i é t a i e n t soumis à u n travail physique moins harassant justifiaient une consommation de 3 modii par mois (CAT., Agr., LVI). C'est à partir de ces chiffres que l ' o n a g é n é r a l e m e n t d é d u i t que la consommation individuelle moyenne de b l é dans la Ville de Rome à la f i n de la R é p u b l i q u e et au d é b u t d u Haut-Empire devait tourner autour de 3 modii par mois. e
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LA VILLE C O M M E FACTEUR D E DISTINCTION
uver la somme que l'achat effectif de pain faisait peser sur u n budget alimen taire plébéien non subventionné (malheureusement sans indication d'ordre quantitatif sur la consommation elle-même) et ainsi retrouver, par contraste, la décharge représentée par les frumentationes (2). De façon à mieux assurer nos conclusions, ces deux pistes seront successivement explorées. (1) Le revenu ici pris cornme référence est le salaire annuel d'un travailleur non qualifié (le seul dont nous soyons assuré), tel qu'il est d o n n é par C i c é r o n , à savoir 12 as par j o u r (3 sesterces ), soit 1095 sesterces par an. En ce qui concerne le prix du modius tel qu'il était fixé par l'État à l'époque des Gracques, Tite-Live (ou son abréviateur) nous indique une somme de 6 as , soit 1,58 sesterce , le prix du marché en 8 8
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8 8
O c , Com., 28. I l est é v i d e n t que les calculs q u i suivent ne valent pas p o u r tous les travailleurs de toute l'histoire de la f i n de la R é p u b l i q u e et d u Haut-Empire. Cependant, en l'absence de d o n n é e s chiffrées bien d o c u m e n t é e s , nous sommes,contraint de faire avec l'état des sources, à commencer par ce passage de C i c é r o n q u i , quoique p r o b l é m a t i q u e (l'orateur l'insère dans u n cadre servile), donne u n e estimation que l ' o n peut prendre en considération (dans le contexte r h é t o r i q u e o ù cette indication chiffrée est c o n v o q u é e , Cicéron cherche à accroître la valeur financière de la formation r e ç u e par l'esclave de Roscius et, inversement, à d é v a l o r i s e r artificiellement celle d u travail n o n qualifié, lequel r e p r é s e n t e donc ici une forme de seuil). Sur les salaires dans l ' A n t i q u i t é , voir - entre autres - St. M R O Z E K , Prix et rémunérations dans l'Occident romain, Gdansk, Soc. Scient. Gedanensis, 1975, p. 69-101, q u i a r a s s e m b l é la documentation disponible pour l'ensemble de l'Occident r o m a i n à l ' é p o q u e i m p é r i a l e et q u i note que le salaire d ' u n m a n œ u v r e approche f r é q u e m m e n t les 3 sesterces par jour. Toutefois, la totalité des sources à notre disposition d é p a s s e à peine la dizaine de t é m o i g n a g e s avec, p o u r plusieurs d'entre eux, des difficultés d ' i n t e r p r é t a t i o n é v i d e n t e s , voire i r r é m é d i a b l e s ( q u ' i l ne nous est cependant pas possible d ' é v o q u e r i c i dans le détail). Voir é g a l e m e n t C. R. WHITTAKER, 1992, p . 342; J . - M . CARRIÉ, « C o m m e n t définir le seuil de p a u v r e t é à R o m e ? » dans Fr. CHAUSSON, É. W O L F F , (éds.), Consuetudinis A m o r : fragments d'histoire romaine offerts à Jean-Pierre Callu, Rome, L'Erma d i Bretschneider, 2003, p. 71-102. À ce constat d é c e v a n t mais i n é v i table, i l convient é g a l e m e n t d'ajouter q u ' u n e part, difficile à estimer mais p e u t - ê t r e n o n négligeable, de la r é m u n é r a t i o n était f r é q u e m m e n t v e r s é e en nature. À supposer qu'une telle comparaison ait quelque valeur, les tablettes de cire des mines d'or de Dacie (CIL, m, p. 924-959) rapportent des contrats de travail q u i peuvent donner u n e i d é e des propor tions de la part en nature des salaires. La tablette n ° X I é v o q u e ainsi u n salaire de 2,5 sesterces/jour sans c o m p l é m e n t en nature, tandis que la n ° Χ parle d ' u n salaire d'1,5 sesterce/jour avec u n c o m p l é m e n t en nature (cibarisque, en acceptant une ancienne correction d u texte p r o p o s é e par J. Carcopino), d o n t la valeur n'est pas précisée mais q u i pourrait ê t r e d ' u n é q u i v a l e n t de 1 sesterce/jour, selon l ' h y p o t h è s e de St. M R O Z E K , 1975, p. 81-82. Enfin, p o u r des raisons é v i d e n t e s liées à l'absence presque totale d'information, les calculs seront fondés sur l ' h y p o t h è s e d'une source de revenus par foyer, alors que le travail f é m i n i n n ' é t a i t pas rare dans les milieux p l é b é i e n s , y compris en dehors des é p o u s e s de tabernarii q u i secondaient leur m a r i dans la gestion de la taberna. Voir N . T R A N , Dominus tabernae. Le statut de travail des exploitants des entreprises artisanales et commerciales dans les sotiétés urbaines de l'Occident romain (I siècle av. J.-C. - IIP siècle ap. J.-C), Aix-enProvence, m é m o i r e d'HDR inédit, 2010 [= N . T R A N , 2010a], p. 82. De ce point de vue, les estimations q u i suivent ne p o u r r o n t constituer que des seuils m i n i m a u x et la d é c h a r g e r e p r é s e n t é e par les frumentationes u n plafond. er
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Conversion établie sur la base de J. A N D R E A U , Banques et affaires dans le monde romain (III siècle av. J-C. - IV siècle ap. J.-C), Paris, É d . d u Seuil, 2001, p. 295. Lrv., Per., LX. e
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VIVRE DANS LA VILLE 91
temps normal devant osciller entre 6 et 8 sesterces par modius . Nous avons retenu le chiffre de 5 modii distribués à prix réduit par l'État m ê m e si l'idée qu'il y avait une quantité maximale fixée dès l'époque des Gracques n'est pas admise par tous . On considère généralement que cette ration était destinée à l'alimentation de plus d'une personne et de moins de deux. Dès lors, si l'on retient, avec C. Virlouvet, le chiffre de 3-4 modii de blé (= entre 19,5 et 30 kg) par personne adulte et par mois , soit 36 à 40 modii par an, pour couvrir 75% (maximum) des besoins journaliers d'un individu , on pourra constater dans le tableau 1 que le travailleur non qualifié et bénéfi ciaire du blé public y parvenait avec seulement 6,9% de ses revenus, ce qui libérait évidemment de l'argent pour l'achat d'autres denrées. 92
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T A B L E A U 1 - L ' i m p a c t d u p r i x d u b l é à l ' é p o q u e des Gracques sur les r e v e n u s de la p l è b e (au p r i x fixé p a r l ' É t a t (chiffres annuels) et à 365 j o u r s t r a v a i l l é s ) Niveau annuel de consommation
Prix de revient du grain subventionné par l'État
Pourcentage du revenu représenté par l'achat de blé
Niveau m i n i m a l (2,5 modii par 2,5 modii χ 1,58 sesterces χ pers. et par mois, soit 30 par an) 12 mois = 47,4 sesterces
4,32%
Niveau m o y e n (4 modii par pers. et par mois, soit 48 par an)
4 χ 1,58 X 12 = 75,84
6,92%
Consommation m o y e n n e d ' u n couple sans enfant (8 modii par mois, soit 96 par an)
(5 χ 1,58 X 12) + (3 X 7 X 12) = 346,8
Consommation m o y e n n e d ' u n couple sans enfant (8 modii par mois, soit 96 par an)
Sans subvention : 8 χ 7 χ 12 = 672 sesterces
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9 5
31,67%
61,37%
R. P. DUNCAN-JONES, The Economy of the Roman Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 1982 ( l éd., 1974), p. 345-347; P. GARNSEY, Cities, peasants, and food in classical antiquity : essays in sodai and economic history, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p . 237, q u i donnent cette estimation à partir d'une indication de Pline l'Ancien (XVrn, 90, selon lequel « q u a n d les grains sont à u n p r i x moyen, [la fleur de] farine vaut quarante as le b o i s s e a u » , soit 12 HS le modius. R. P. Duncan-Jones d é d u i t de cette somme les c o û t s de m o u t u r e ainsi que l ' i m p a a de la vente au détail à Rome pour parvenir à une estimation s i t u é e entre 6 et 8 HS le modius. Voir les références d o n n é e s par C. VIRLOUVET, 1994, p . 17-18; EAD., « L ' a p p r o v i sionnement de Rome en d e n r é e s alimentaires de la R é p u b l i q u e au H a u t - E m p i r e » , dans B. M A R I N et C. VIRLOUVET (dir.), Nourrir les dtés de Méditerranée. Antiquité - temps modernes, Paris, Maisonneuve & Larose, 2003, p. 7 4 , n . 7. I l n'est pas s û r que cette q u a n t i t é n'ait pas été modifiée par la suite, en particulier au m o m e n t de la lex Octauia, à propos de laquelle Cicéron nous apprend qu'elle avait c o û t é moins cher à l'État, mais selon des m o d a l i t é s q u i nous demeurent inconnues ( r é d u c t i o n d u nombre de bénéficiaires? augmentation d u p r i x de vente d u b l é ? d i m i n u t i o n des rations?). C i c , Off., Π, 72. 1 modius = 6,5-7,5 k g . C. VIRLOUVET, « L ' a p p r o v v i g i o n a m e n t o d i Roma imperiale : una sfida q u o t i d i a n a » , dans E. L o CASCIO, 2000, p . 103-135; C. VIRLOUVET, 1995b, p. 9, η . 2. Voir P. GARNSEY, 1998, p . 236. Cette indication chiffrée prend en compte la moyenne d u p r i x d u b l é sur le m a r c h é , telle qu'elle est a p u ê t r e e s t i m é e par R. P. Duncan-Jones. E n effet, la limite des r e
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LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
Cependant, 5 modii ne suffisaient probablement pas à nourrir correctement deux personnes . Toute famille devait donc acheter du grain supplémentaire au prix du marché, portant par exemple - si l'on retient 4 modii par personne et par mois - la part d'un revenu d'un couple sans enfant à près de 32%. Cela constitue une limite encore raisonnable, surtout si on la met en parallèle avec le chiffre que repré sentait potentiellement, pour u n couple dans la m ê m e situation, l'achat de blé au prix du m a r c h é : 672 sesterces, soit 61,4% d'un revenu. Autrement dit, à 365 jours travaillés, les frumentationes déchargeaient les bénéficiaires du blé public de près du tiers d'un revenu. Ces chiffres sont évidemment à relativiser, car calculés sur la base d'un revenu jour nalier de 365 jours. Or, i l convient d'une part, de tenir compte du fait qu'à Rome, u n nombre important de jours étaient fériés, et que, d'autre part, sur ce stock potentiel, les travailleurs (en particulier les journa liers) connaissaient des périodes de chômage plus ou moins longues . Les tableaux ci-dessous essayent de prendre en compte le premier point; le second paraît impossible à estimer. 96
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T A B L E A U 2 - I m p a c t d u n o m b r e de j o u r s fériés sur le r e v e n u m o y e n d ' u n travailleur n o n qualifié Période
Nombre de jours ouvrables
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Revenu potentiel maximum (en sesterces)
Avant Sylla
306
918
A p r è s Sylla
272
816
César
215
645
Claude
206
618
Marc-Aurèle
230
690
distributions frumentaires était probablement fixée à 5 modii. Pour une famille n u c l é a i r e , i l fallait donc prendre en compte la q u a n t i t é c o n s o m m é e q u i dépassait ce seuil administratif. C. Virlouvet ayant e s t i m é la consommation moyenne mensuelle d ' u n i n d i v i d u à 4 modii, nous l'avons donc d o u b l é p o u r arriver à 8 ( m ê m e si les estimations modernes des besoins journaliers des femmes m o n t r e n t que ceux-ci sont l é g è r e m e n t inférieurs à ceux des hommes), soit 3 modii mensuels au-dessus des 5 a u t o r i s é s par la l o i . P. GARNSEY, 1998, p. 238, é m e t l ' h y p o t h è s e que les ayants-droit pouvaient acheter ces 3 modii s u p p l é m e n taires à u n tarif inférieur à celui d u m a r c h é a u p r è s des boulangeries q u i é t a i e n t en contrat avec l'État et q u i é t a i e n t par ailleurs c h a r g é e s de panifier le b l é des bénéficiaires. 9 6
P. GARNSEY, 1998, p. 236, c o n s i d è r e que ces 5 modii pouvaient maintenir en vie u n homme et une femme et r e p r é s e n t e r p o u r u n couple u n peu plus de la m o i t i é des besoins journaliers en n o u r r i t u r e (soit 1745 kcal./jour, mais i l s'agirait v é r i t a b l e m e n t là d ' u n m i n i m u m vital). R A . BRUNT, « F r e e Labours a n d Public W o r k s » , JRS, 70, 1980, p . 81-100. Or, i n d é pendamment de la d u r é e des contrats, seuls les jours effectivement travaillés é t a i e n t i n t é gralement p a y é s . Ainsi, dans la documentation des mines d'or de Transylvanie (CIL, LU, p. 948, 10 = FIRA, LU, 150a), les jours c h ô m é s pour cause d'inondation n ' é t a i e n t r é t r i b u é s que de m o i t i é . Sur ce point, voir N . T R A N , 2010b, p. 81-82. Le chiffre de base est toujours le m ê m e . Tableau repris de E . J . G R A H A M , The burial of the urban poor in Italy in the late Roman republic and early empire, Oxford, Archeopress, 2006, p. 53. 9 7
9 8
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VIVRE DANS LA VILLE T A B L E A U 3 - C o n s é q u e n c e s a u p r i x fixé par l ' É t a t (chiffres annuels) et à 3 0 6 j o u r s t r a v a i l l é s
Niveau annuel de consommation
Prix de revient du grain subventionné par l'État
Pourcentage du revenu
Niveau m i n i m a l ( 2 , 5 modii par pers. et par mois, soit 3 0 par an)
4 7 , 4 sesterces
5,16%
Niveau m o y e n ( 4 modii par pers. et par mois, soit 4 8 par an)
7 5 , 8 4 sesterces
8,26%
Consommation moyenne d'un couple sans enfant ( 8 modii par mois, soit 9 6 par an)
3 4 6 , 8 sesterces
37,78%
Consommation moyenne d'un couple sans enfant ( 8 modii par mois, soit 9 6 par an)
Sans subvention : 6 7 2 sesterces
73,2%
T A B L E A U 4 - A u p r i x fixé p a r l ' É t a t et à 2 7 2 j o u r s t r a v a i l l é s
Niveau annuel de consommation
Prix de revient du grain subventionné par l'État
Pourcentage du revenu
Niveau m i n i m a l ( 2 , 5 modii par pers. et par mois, soit 3 0 par an)
4 7 , 4 sesterces
5,80%
Niveau m o y e n ( 4 modii par pers. et par mois, soit 4 8 par an)
7 5 , 8 4 sesterces
9,30%
Consommation moyenne d'un couple sans enfant ( 8 modii par mois, soit 9 6 par an)
3 4 6 , 8 sesterces
42,5%
Consommation moyenne d'un couple sans enfant ( 8 modii par mois, soit 9 6 par an)
Sans subvention : 6 7 2 sesterces
82,35%
À l'époque syllanienne, la charge représentée par l'achat du blé était donc passée de 32 à près de 43% - disons du tiers à la moitié - d'un revenu (la part de décharge ayant a u g m e n t é m é c a n i q u e m e n t dans des proportions similaires). Or, le nombre de jours officiellement fériés continua progres sivement de croître jusqu'à en compter sous le Haut-Empire près de 160. À ce niveau-là, m ê m e les frumentationes auraient fini par s'avérer insuffisantes pour équilibrer le «budget» d'une famille plébéienne. Cependant, u n premier point dont i l faut tenir compte tient au fait que toute possibilité de travailler u n jour férié n'est pas à exclure. Certes, peu d'auteurs traitent en détail des travailleurs de la Ville et Macrobe rapporte une règle pontificale selon laquelle toute activité professionnelle entachait les feriae". Le rex sacrorum et les flamines n'étaient m ê m e pas autorisés à voir quelqu'un
M A C R . , Sat.,
I , 16, 9 - 1 1 .
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
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travailler ces jours-là, et une punition sévère était prévue à l'égard de quiconque désobéissait. Cependant, Servais donne une version légèrement différente de cette règle. I l explique notamment qu'au moment o ù les pontifìces se rendaient au sacrifice, ils envoyaient au-devant d'eux leurs calatores, qui ordonnaient d'arrêter de travailler à quiconque le faisait sur le chemin de ces personnages , de telle manière qu'ils ne souillassent pas les yeux des pontifes et les rites sacrés, preuve, d'une part, que certains travail laient les jours fériés et, d'autre part, qu'existait une sorte de compromis afin de réduire de manière très sensible l'interruption de l'activité profes sionnelle. Comme le disait A. K. Michels, « Holiday was optional ». En outre (et surtout), les ludi n'étaient ipasferiae mais festi. Or, la confusion de feriae et festi vient du fait que, tandis que le premier est u n mot technique qui était utilisé par les profanes dans u n sens très large, dies festus et profestus étaient des mots non-techniques et appartenaient au vocabulaire quoti dien. Autrement dit, les travailleurs étaient libres de faire ce qu'ils voulaient lors des dies festi, et si les deux mots étaient utilisés de m a n i è r e interchangeable, participer à des cérémonies religieuses u n dies festus rele vait de l'unique responsabilité de chaque travailleur, qui modulait son temps de travail en fonction de ses propres besoins . Ensuite et surtout, après 58 av. J.-C, les conditions de distribution des frumentationes changent radicalement car le blé public devient gratuit. Aussi la part qu'il libère dans le budget mensuel d'une famille plébéienne devient-elle d'autant plus grande. Chaque a n n é e et si l'on raisonne à valeur constante (6 as ), elle libère donc 100 sesterces supplémentaires pour ceux qui étaient déjà b é n é ficiaires. Pour ceux qui y accédèrent à ce moment-là, la valeur matérielle du «cadeau» de l'État oscillait entre 360 et 480 sesterces par an (5 modii χ 6-8 sesterces χ 12), soit, aux époques césarienne et claudienne (là encore à salaire constant à partir de l'indication de Cicéron ), l'équivalent de 50 à 75% d'un salaire annuel (la part de l'achat de blé était de c. 40%, au lieu de 105% pour des non-bénéficiaires) . L'amélioration des conditions de vie 100
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SERV., G., I , 268.
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A . K . MICHELS, The Calendar of the Roman Republic, Princeton, Princeton University Press, 1967, p. 72. A . K . MICHELS, 1967, p . 69-83; H . H . SCULLARD, Festivals and Ceremonies of the Roman Republic, Londres, Thames & Hudson, 1981, p. 38-41. D ' a p r è s St. M R O Z E K , « L ' é v o l u t i o n des prix en Italie au d é b u t de l'Empire r o m a i n » , dans PP, 33, 1978, p. 273-280 [repris dans ID., Argent, société et épigraphie romaine (1"-3< siècles) : recueil d'études complétées, Wetteren, Moneta, 2004, p . 38-411, le niveau m o y e n des prix en Italie, à commencer par l'alimentation (mais à l'exception des produits de luxe), ne révèle aucune augmentation significative entre l ' é p o q u e de C i c é r o n et la f i n d u I siècle de notre è r e . I l y eut certes des p é r i o d e s de c h e r t é , mais elles é t a i e n t dues à des circonstances assez exceptionnelles et t o u t à fait circonscrites dans le temps. Le m ê m e St. M R O Z E K , 1975, p. 74-77, ajoute é g a l e m e n t que, p o u r la m ê m e p é r i o d e , nous n'avons aucune trace d'aug mentation des salaires. Cette t h è s e est globalement p a r t a g é e par M . CORBIER, «Salaires et salariat sous le H a u t - E m p i r e » , dans Les «Dévaluations» à Rome. Époque républicaine et impé riale, Π, Paris, De Boccard, Rome, L'Erma di Bretschneider, 1980, p. 61-101 et BAD., « D é v a luations et é v o l u t i o n des p r i x ( I - m siècles)», Revue numismatique, 27, 1985, p . 69-106. 102
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Le tableau rappelle que, sans subvention, l'existence devait ê t r e p r é c a i r e puisque le seul achat de b l é d ' u n couple outrepassait les revenus d ' u n ouvrier n o n qualifié, travail-
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VIVRE DANS LA VILLE
permise par les frumentationes pour les bénéficiaires du blé public était donc considérable puisque, quel que soit le tableau que l'on prend comme réfé rence, les distributions frumentaires allégeaient le budget mensuel d'une famille plébéienne d'une somme oscillant entre c. 30-40% (lorsqu'elles étaient à prix réduit) et c. 65% d'un revenu (dès lors que la gratuité fut instaurée). Avec une part globalement stable de 30-40% d'un revenu, 75% des besoins journaliers d'un couple (selon les estimations de P. Garnsey) pouvaient ainsi être assurés, alors m ê m e que le salaire que nous avons retenu peut être considéré comme u n minimum, tant du point de vue du montant journalier que celui-ci représente que de celui du nombre de jours effectivement travaillés, et que les ayants-droit bénéficièrent peut-être de tarifs préférentiels sur l'achat du blé supplémentaire et sur la panification (voir supra). En outre, mais dans une mesure plus délicate à estimer, i l faudrait verser au dossier d'éventuels revenus complémentaires (comme celui d'une épouse) ou - pour l'époque impériale tout du moins - les congiaires et autres libéralités distribués par l'empereur à titre régulier ou exceptionnel qui durent avoir u n certain impact économique et social. De César à Domitien, nous avons ainsi gardé la trace d'au moins 23 congiaires (d'une valeur oscillant pour chacun entre 60 et 100 deniers) ayant été distribués à ceux des plébéiens qui étaient déjà bénéficiaires du blé public . I l est toutefois très vraisemblable qu'en raison de leur rôle quasi ment rituel, visible au nombre d'occasions qui étaient saisies par les empe reurs pour offrir ce genre de libéralités (prise de la toge virile, é v é n e m e n t important de la vie du successeur désigné, avènement, triomphe, congiaire testamentaire... ), leur nombre fut en réalité bien plus important. Cependant, le fait est que de tels chiffres ne demeurent jamais que des évaluations potentielles établies à partir de revenus connus, qui, par conséquent, ne rendent pas complètement compte de ce que représentait l'achat effectif du pain dans les dépenses quotidiennes, mais d'une quan tité maximale de blé acheté chaque mois. Or, si de telles données nous sont, pour Rome, définitivement inaccessibles, i l est en revanche possible de procéder à une telle évaluation, et donc de mieux assurer les chiffres que nous proposons, si l'on met ces derniers en regard avec les célèbres listes de prix de produits alimentaires retrouvées à Pompei . Jusqu'alors, ces dernières avaient surtout attiré l'attention des chercheurs pour ce qu'elles avaient à dire de l'évolution des prix dans la cité vésuvienne et plus largement dans l'Occident romain au I siècle de notre è r e . Autre ment dit, c'est le prix plus que le produit lui-même qui a, jusqu'à présent, 105
106
107
e r
108
lant seulement 206 jours par an. E n réalité, cela m o n t r e surtout q u ' i l était impossible de ne travailler que 206 jours et que le nombre de jours officiellement fériés n ' é t a i t , dans la pratique, pas identique au nombre de jours effectivement travaillés. D ' a p r è s le recensement effectué par D . V A N BERCHEM, Les Distributions de blé et d'argent à la plèbe romaine sous l'Empire, G e n è v e , Georg & eie s.a., 1939, p . 151-161. Plus r é c e m m e n t , v o i r R . P. D U N C A N - J O N E S , Money and government in the Roman Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 248-250. La liste des occasions est d o n n é e par C. VIRLOUVET, 1995b, p . 60. I I en existe h u i t : CIL, I V , 4000, 4227, 4422, 4888, 5380, 6263, 8561, 8566. 1 0 5
1 0 6
1 0 7
1 0 8
A i n s i St. M R O Z E K , 1975,
p . 10-36; M . CORBIER, 1985,
p.
86.
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
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intéressé l'historiographie. Cependant, si l'on inverse la perspective et que l'on cherche à mieux cerner, non pas tant pourquoi telle denrée coûtait χ deniers mais bien plutôt les raisons ayant conduit ces Pompéiens à dépenser telle ou telle somme pour tel produit, c'est-à-dire à déterminer l'ordre de priorité qui régissait les dépenses quotidiennes, ces listes appa raîtront alors pour nous comme des sortes de «budgets» alimentaires permettant de fait de mesurer le poids économique que représentait la consommation effective du pain dans les dépenses de tous les jours. (2) La démarche est alors exactement inverse de celle que nous avons adoptée jusqu'à présent. A u lieu de raisonner par induction en partant des frumentationes elles-mêmes, c'est-à-dire du prix du modius mis en rapport avec u n salaire connu dans le but d'évaluer la libération finan cière potentiellement représentée par les distributions dans u n budget quotidien, i l s'agit ici de partir du budget l u i - m ê m e tel qu'il est nous livré par les graffiti afin de calculer le poids effectif du pain dans les dépenses quotidiennes (et non dans les revenus) et, en conséquence, d'en inférer, de la m ê m e façon, la libération qu'aurait représenté pour ces familles le fait d'appartenir aux bénéficiaires du blé public. Certes, les prix de la cité vésuvienne étaient en termes absolus peut-être inférieurs à ceux de la capitale (mais rien n'est moins s û r ) . Cependant, en termes relatifs, l'unité géographique des indications monétaires fournie par ces listes garantit a minima le caractère opératoire de la comparaison avec Rome. De ce point de vue, la plus intéressante pour notre propos, parce qu'indi quant les jours, est sans aucun doute celle qui fut découverte dans la pièce t de la maison IX, 7, 24-25, dont une grande partie assura très probablement une fonction de commerce alimentaire, restaurant et peutêtre hôtel . Elle se présente sous la forme d'une liste de produits alimen taires répartis jour par jour, du septième avant les Ides aux Ides, en trois colonnes d'inégale longueur avec, pour chaque jour, l'indication des prix des différents produits en as ou en deniers. 109
110
109
O n admet g é n é r a l e m e n t une c h e r t é des vivres s u p é r i e u r e dans la capitale sur la foi de quelques t é m o i g n a g e s littéraires, que le seul genre de certains rend à cet é g a r d suspects (pensons aux satiristes et n o t a m m e n t a u x plaintes de J u v é n a l ) . Pourtant, les inscriptions q u i donnent des indications de prix sont t r è s souvent en accord avec les mentions é p i g r a p h i q u e s d'Italie et de certaines provinces occidentales romaines (sur ce point, voir St. M R O Z E K , « L ' a r g e n t dans les inscriptions de Rome i m p é r i a l e » , RSA, 29,1999, p. 199-218 [repris dans ID., 2004, p . 137-148]), sans compter que tout n ' é t a i t pas n é c e s sairement plus cher à Rome. Ainsi, la res quadrantaria q u i permettait l'accès aux bains de YVrbs à l ' é p o q u e de S é n è q u e (SEN., Ep., LXXXVI, 9) était i n f é r i e u r e aux prix des bains à Vîpasca en Lusitanie : 1 as p o u r les femmes, 0,5 as p o u r les hommes (CIL, TL, 5181 = ILS, 6891 = FIRA ,1, 105). En c o n s é q u e n c e , i l n'est pas certain que tous les prix de la capitale aient é t é plus élevés que dans le m o n d e r o m a i n . Cette question reste ouverte et m é r i t e r a i t de ce point de vue u n examen plus approfondi. 2
110
CIL IV, 5380; cf. NSc, 1880, p . 396; Bdl, 1882, p . 138. Sur la nature de ce commerce, voir N . M O N T E I X , « D u couteau au boucher : remarques p r é l i m i n a i r e s sur la p r é p a r a t i o n et le commerce de la viande à P o m p e i » , Food & History, 5, 2007, p. 181-182. E n ce q u i concerne l'emplacement d u graffito, la pièce r était une p i è c e r e c u l é e q u i ne correspondait pas à la zone de vente d u commerce alimentaire l u i - m ê m e .
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VIVRE DANS LA VILLE
CIL, IV, 5380 Coi I
v m Idus C ä s i u m I (asse) Pane (m) V m (assibus) Oleum m (assibus) V i n u m LU (assibus)
111
Col II
semaio M o n t a n a I (denario) O l e u m I (denario) V H n (assibus) Pane(m) I V C ä s i u m I V (assibus) (assibus)
Col. III
Idubus (sic) Pane(m) Π (assibus) Pane (m) cibar(ium) Π (assibus) O l e u m V (assibus) Halica(m) LTJ (assibus) Domat[ori] Pisciculum Π (assibus)
V I I Idus Pane (m) VLU P o r r u m I (asse) Pro patella(m) I (asse) (assibus) Oleum V (assibus) Sittulae Vim (assibus) I n l t y n i u m I (asse) Cepas V (assibus) Pultarium I (asse) ΙΠ Idus Pane (m) I I (assibus) Pane puero Π Pane(m) puero Π (assibus) (assibus) V i n u m Π (assibus) V I Idus Pane VLTJ (assibus) Pri(die) Idus Puero pane Π (assibus) Pane (m) Cibar (ium) Π (assibus) Puero pane (m) I V (assibus) P o r r u m I (asse) Halica(m) m (assibus) V Idus V i n u m domatori I (denario) Pane(m) Vin V i n u m Π C ä s i u m Π (assibus) r v Idus Hxeres (denario) Pane Π (assibus) F e m i n i n u m v m (assibus) Triticum (denario) I Bubella(m) I (asse) Palmas I (asse) Thus I (asse) Casium Π (assibus) B o t e i l u m I (asse) Casium molle I V (assibus) Oleum V I I (assibus)
Cependant, compte tenu de la nature du commerce, i l ne va pas de soi qu'il s'agisse là d'une liste d'achats et nombre de chercheurs l'ont tantôt v u comme tel, tantôt comme une comptabilité de type profes sionnel, c'est-à-dire comme u n inventaire de prix et de denrées renvoyant à des produits vendus par le restaurant. Avant toute forme d'analyse, i l nous faut donc tenter de déterminer s'il s'agit d'une liste d'achats ou de produits vendus. Trois éléments permettent de préférer la première hypo thèse. Tout d'abord, l'absence de four à pain dans la maison ne plaide guère pour une liste de produits vendus dans la mesure o ù le pain est la seule denrée qui apparaît chaque jour. Ensuite, quand bien m ê m e i l pour rait être supposé que ces comptes puissent avoir été ceux d'un simple revendeur (vendant du pain hors du lieu de fabrication) ou, autre hypo-
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thèse, avoir constitué l'inventaire des produits destinés à assurer le fonc tionnement du restaurant, la très faible ampleur des sommes engagées laisse peu de place à des comptes de type professionnel, notamment dans un commerce de nature alimentaire . Enfin, et surtout, l'hypothèse d'une liste d'achats est confirmée par une lecture interne du document, en particulier par u n terme d e m e u r é jusque-là incompris et situé en haut de la deuxième colonne : seruato suivi quelques lignes plus bas du mot montana. D'après, R. Etienne, les deux locutions fonctionnaient en syntagme, l'ensemble devant désigner u n produit inconnu qu'il traduit par «seruato (?) de montagne (sic)». I l suit en cela la logique générale du formulaire du document qui fait systématique ment se succéder une date, une denrée et u n prix. Pourtant, l'association est grammaticalement impossible. Seruato est au datif ou à l'ablatif; montana au nominatif ou plus vraisemblablement à l'accusatif, comme l'ensemble des produits (sans exception) mentionnés sur le graffito. On en conclut naturellement que montana désigne l u i aussi une denrée, probablement de manière vague et générique des «produits de la m o n t a g n e » . Inversement, le cas de seruato ne plaide guère pour l'assimilation à une denrée, mais bien plutôt pour une indication d'une autre nature que l'on peut appréhender en rappelant la racine grammaticale du mot issu du verbe seruo, seruare qui signifie «conserver». Partant donc du fait qu'il est grammaticalement impossible que seruato dépende de montana, mot qui le suit, et encore moins de oleum, qui le précède (en outre, i l en est séparé par l'indication d'un prix), le terme seruato doit être analysé en lui-même. A u v u de la désinence, le terme appartient à la deuxième déclinaison; i l s'agit d'un mot dont le genre est masculin ou neutre, et le cas le datif ou l'ablatif. I l demeure comme difficulté la nature du terme. Seruato peut être une forme d'un seruatum, mot neutre formé sur le m ê m e modèle de suffixation géné rique neutre de différentes pièces de la maison (atrium, cubiculum, tricli nium). Cependant, i l faut également considérer que seruato puisse être une forme verbale. Ayant à l'esprit ces deux possibilités, i l convient enfin d'examiner la question des cas et de leur signification. Si l'on considère l'hypothèse selon laquelle seruato est u n datif, i l ne peut s'agir que d'un datif final, «en vue de, p o u r » , auquel cas l'expression pourrait être rendue par une périphrase telle que «pour le stock». Si, à l'inverse, on considère qu'il s'agit d'un ablatif, les conclusions à donner à la présence 112
112
E n outre, écrire sur les m u r s les comptes d'une boutique de ce type p a r a î t r a i t assez étrange (contra, voir N . M O N T E I X , Les Lieux de métier. Boutiques et ateliers d'Herculanum, Rome-Naples, École française de Rome-Centre Jean B é r a r d , 2010 (BEFAR, 344; CCJB, 34), p. 132). Inversement, l'usage de l'écrit dans la vie quotidienne était e x t r ê m e m e n t banal. U n recensement rapide des graffiti situés à l ' i n t é r i e u r des habitations fait é t a t d'une grande q u a n t i t é d'alphabets (reflétant le processus d'apprentissage de l'écriture), de noms, de nombres et de dates (rappelant les d o n n é e s d'une transaction o u des dates importantes comme u n anniversaire). Les listes de comptes pourraient s'intégrer très facilement à ce dossier que nous souhaiterions d'ailleurs reprendre de m a n i è r e s y s t é m a t i q u e dans une é t u d e u l t é r i e u r e . Voir aussi R. ETIENNE, 1966 (rééd. 2007), p . 230-232.
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VIVRE DANS LA VILLE
de ce terme varient peu. En effet, s'agissant d'un ablatif seul, i l aurait le sens courant d'un ablatif de lieu indiquant une localisation. Cependant, en l'absence de toute construction verbale impliquant u n ablatif d'origine qui serait, qui plus est, employé dans cette inscription sans préposition, i l est fort peu probable d'y voir u n ablatif d'origine. Autrement séduisante est l'hypothèse qui consiste à faire de seruato non u n substantif, mais une forme verbale à l'ablatif absolu. En effet, par survivance d'un usage ancien, le participe en -to pouvait être employé seul, c'est-à-dire sans sujet au neutre impersonnel, avec les sens les plus courants de l'ablatif. Néanmoins, cette hypothèse comporte une légère faiblesse, le participe en -to étant souvent réservé à des formules toutes faites. Mais à supposer que l'auteur de la liste utilisait fréquemment cette expression, i l avait p u en faire une formule personnelle figée. Reste enfin la solution de l'impé ratif futur de seruare, qui ne change toutefois guère l'interprétation puisque - et c'est à ce niveau-là que la question initiale d'une liste d'achats ou de ventes trouve peut-être une solution satisfaisante - quelle que soit l'hypothèse retenue, l'idée d'une origine («issu du stock») semble exclue au profit d'un sens final ou locatif : le fait de stocker. En conséquence, i l faut penser que la liste des denrées qui suit la mention de seruato en haut de la seconde colonne fait référence non à u n produit particulier mais à u n stock de nourriture dont la constitution fut commencée ou poursuivie ce jour-là par la famille . Cela expliquerait en tout cas l'ampleur de la somme engagée le troisième jour avant les Ides puisqu'aux dépenses quotidiennes s'ajoutait la charge financière d'une réserve . C'est aussi la raison pour laquelle on retrouve trois produits identiques (le pain, l'huile d'olive et le fromage) achetés le m ê m e jour et pour des sommes différentes. Les uns étaient destinés à une consommation immédiate, les autres étaient mis de côté (ce que 113
114
113
I I est p e u t - ê t r e m ê m e possible d'aller plus l o i n : la suffixation lexicale d u terme seruato fait clairement penser à u n n o m de lieu q u i pourrait donc d é s i g n e r ici - au moins par m é t o n y m i e - la p i è c e de stockage de la famille, p e u t - ê t r e m ê m e celle dans laquelle cette liste fut mise au jour, dans la mesure o ù i l s'agissait d ' u n endroit r e c u l é pas directement s i t u é sur la zone de vente. Cependant, u n inventaire des occurrences d u terme (aucun t é m o i g n a g e littéraire dans le TLL; h u i t attestations é p i g r a p h i q u e s mais aucune dans les autres listes, ces attestations é t a n t sans utilité p o u r notre propos) r é v è l e que, dans cette acception, le m o t est u n hapax. I l n'est de fait g u è r e possible d ' é t a y e r l ' h y p o t h è s e outre mesure et encore moins de comprendre p o u r quelles raisons le scriptor n'a pas utilisé les termes plus courants de penus o u de cella penaria. E n revanche, cela donne u n sens à la structuration g é n é r a l e d u graffito et pourrait expliquer la c é s u r e verticale a p r è s oleum en plein m i l i e u d u q u a t r i è m e j o u r et le fait que seruato se retrouve en haut de colonne. 114
É t r a n g e m e n t , R. Etienne scinde le t r o i s i è m e j o u r avant les Ides en deux jours distincts, de part et d'autre de seruato, établissant ainsi u n cycle de neuf jours au lieu de h u i t . I l semble q u ' i l fasse là une erreur de comput, dans la mesure o ù cette liste de compte fonctionne de m a n i è r e e x t r ê m e m e n t s y s t é m a t i q u e : la m e n t i o n d ' u n j o u r dans le cycle des Ides suivie des produits a c h e t é s puis d u p r i x desdits produits. I l n ' y a donc aucune raison d'intercaler u n j o u r s u p p l é m e n t a i r e entre IV Idus et III Idus.
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LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
confirme la comparaison des quantités, plus élevées pour les produits destinés au stockage). Par conséquent, et par extension à l'ensemble du document, ce graffito ne peut être qu'une liste d'achats effectuée ou, à la limite, simplement prévue, par une famille comptant, si l'on en croit l'ampleur des sommes engagées, au moins trois personnes. Ce point est d'ailleurs confirmé par l'analyse interne du graffito qui permet justement d'identifier trois personnes : le scriptor lui-même, u n enfant (puer) et u n domator (sic), soit a minima deux adultes et u n enfant . En admettant notre démonstration, nous pouvons dès lors ordonner ces comptes de la manière suivante : 115
116
T A B L E A U 5 - Liste d'achats de p r o d u i t s alimentaires d ' a p r è s u n graffito de Pompei ( C I L , IV, 5380) Somme dépensée ou prévue dans le budget
Jour
Produits mentionnés
Τ j o u r avant les Ides
Fromage Pain Huile Vin
1 8 3 3
as as as as
15 as
Pain Huile Oignons Pot à bouillie Pain p o u r le puer Vin
8 5 5 1 2 2
as as as as as as
23 as
Pain Pain p o u r le puer Semoule
8 as 4 as 3 as
15 as
e
6 j o u r avant les Ides
e
5 j o u r avant les Ides
e
4 j o u r avant les Ides
V i n p o u r le domator Pain Vm Fromage
16 8 2 2
as as as as
Total journalier
28 as
(à suivre)
1,5
O u alors, cas e x t r ê m e mais hautement improbable car v é r i t a b l e m e n t tortueux, i l faut supposer que, par défaut, l'ensemble des produits d é s i g n e des ventes et que, la m e n t i o n de seruato fait référence, au m i l i e u d u q u a t r i è m e j o u r avant les ides, à u n achat de d e n r é e s ensuite stockées. Une telle h y p o t h è s e n'a en soi pas grand sens et ne p r é s e n t e g u è r e d ' i n t é r ê t comptable. E n revanche, i l convient d'avouer q u ' i l est b i e n difficile de comprendre p o u r quelle raison telle d e n r é e est parfois d e s t i n é e au puer o u au domator et parfois n o n . 116
60
VIVRE DANS LA VILLE Somme dépensée ou prévue dans le budget
Jour
Produits mentionnés
3 j o u r avant les Ides
Hxeres? Pain Femininum? Froment Viande de b œ u f Dattes Encens Fromage B o u d i n o u saucisse Fromage m o u Huile
16 2 8 16 1 1 1 2 1 4 7
as as as as as as as as as as as
Pour le stock:? Produits de montagne? Huile Pain Fromage Poireau Assiette? Seau Lampe?
16 25 4 4 1 1 9 1
as as as as as as as as
e
Total journalier
59 + 61 = 120 as
2 j o u r avant les Ides
Pain Pain pour le puer
2 as 2 as
4 as
Veille des Ides
Pain p o u r le puer Gros pain Poireau
2 as 2 as 1 as
5 as
Ides
Pain Gros pain Huile Semoule Pour le domator : petit poisson
e
2 2 5 3 2
as as as as as
Total g é n é r a l :
14 as
224 as
Si Ton admet l'hypothèse du budget alimentaire, nous parvenons à u n total de 224 as dépensés ou prévus pour huit jours. Dans le budget ainsi calculé, quelle est la part du pain? Elle paraît importante. C'est m ê m e la seule denrée présente chaque jour. Elle aura ainsi coûté à cette famille 72 as, soit 32% des dépenses alimentaires totales. Cependant, i l s'agit là d'une somme finalement assez basse. C'est que ce pourcentage est trompeur et fausse quelque peu la perspective. En effet, si l'on prend en compte l'ensemble des dépenses auxquelles cette famille a procédé en huit jours et que l'on raisonne à l'échelle d'une a n n é e , nous verrons qu'elle aura dépensé pas moins de 10 220 as pour son alimentation, soit 2555 sesterces, dont 821 pour le seul pain. Mise en rapport avec le salaire m e n t i o n n é par Cicéron
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
61
117
d'une part , ajouté au fait q u ' à Rome d'autre part, le prix du modius de blé sur le marché libre était plus élevé qu'à Pompei (6-8 sesterces le modius contre 3-4), une telle somme apparaîtra comme démesurément importante. Deux hypothèses, non exclusives l'une de l'autre, peuvent alors être convoquées. Tout d'abord, rien ne dit que ces dépenses prévues ou effec tuées sur huit jours couvraient exactement huit jours d'alimentation comme l'ont considéré tous les commentateurs de l'inscription. Si la présence quoti dienne du pain s'explique assez facilement par le fait que ces Pompéiens voulaient manger du pain «frais», l'achat des autres denrées réparti du septième jour avant les Ides aux Ides avait peut-être vocation à couvrir les besoins alimentaires d'une période plus longue que huit jours. C'est d'ail leurs ce que tendrait à indiquer la présence d'un stock. Dans ce cas, i l faudrait pouvoir tenir compte d'un certain différentiel impossible à estimer entre le pain, dont l'achat quotidien laisse à penser qu'il était bien consommé sur huit jours, et les autres denrées consommées sur une période plus longue. De fait, cette famille aurait dépensé bien moins de 2555 sesterces pour son alimentation annuelle. I l n'en reste,pas moins qu'une telle solution n'explique pas pour quelles raisons cette famille aurait acheté tant de pain. I l faut donc nécessairement penser que cette cellule « familiale » compta plus de trois membres. En conséquence, on aurait à faire à la somme (821 sesterces) qu'une famille de deux adultes et peut-être trois enfants (ou deux enfants et u n esclave...) devait réunir, à Pompei, pour couvrir ses besoins annuels de pain auquel cas, par contraste, on mesurerait une nouvelle fois tout l'intérêt que représentaient les frumentationes pour les ayants-droit. En effet, m ê m e en tenant compte de la différence de prix qui existait entre la capitale et la cité vésuvienne, 360 à 480 sesterces consti tuaient une décharge encore très importante, et m ê m e d'autant plus impor tante, si l'on suppose avec P. Garnsey que les bénéficiaires des distributions frumentaires achetaient à u n prix inférieur à celui du marché libre le blé supplémentaire (aux 5 modii) dont ils avaient besoin (au prix italien?) et que la panification non domestique leur était facturée à prix réduit auprès des boulangeries ayant passé contrat avec l'État . Inversement, cette famille pompéienne était dans une situation très large qui l u i permettait de subvenir aux besoins de plusieurs «bouches». Pour d'autres familles pompéiennes (et a fortiori romaines non-subventionnées), cette part devait être autrement plus pesante, à moins de supposer qu'elles achetaient moins de pain précisé ment parce qu'il était non subventionné et donc trop cher . On retrou118
119
117
La comparaison peut valoir dans la mesure o ù les salaires de la capitale n ' é t a i e n t , semble-t-il, g u è r e plus élevés q u ' e n Italie. St. M R O Z E K , 1975, p. 74-75. Toutefois, elle reste assez fragile et ne peut revêtir aucun caractère s y s t é m a t i q u e . E n effet, pour Rome, la seule source a s s u r é e dont nous disposions ( C i c , Corn., 28) remonte aux a n n é e s 70 av. J.-C, tandis que les t é m o i g n a g e s disponibles p o u r l'Italie sont tous d ' é p o q u e i m p é r i a l e et datés, pour les plus anciens d'entre eux, d u dernier quart d u I s. ap. J.-C. La mise en rapport des d o n n é e s suppose donc une absence d ' é v o l u t i o n ( q u i serait assez surprenante) des salaires sur u n m i n i m u m d ' u n siècle et demi. e r
1 1 8
119
P. GARNSEY, 1998,
p.
236.
Or, comme le fait très justement remarquer N . M O N T E I X , 2010, p. 167, n . 190, i l ne faut pas c o n s i d é r e r que l'ensemble de la population de Pompei consommait d u pain.
62
VIVRE DANS LA VILLE
verait alors ici, par contraste, l'hypothèse de F. de Romanis, selon laquelle le caractère privilégié de la population romaine auquel les empereurs appor taient u n soin jaloux permettait une consommation de céréales très supé rieure dans la capitale à la moyenne généralement admise de 3 modii par personne et par mois dans le reste de l'Empire . La m ê m e conclusion vaudrait d'autant plus pour les habitants de Rome qui n'étaient pas bénéfi ciaires des distributions frumentaires. À cet égard, i l devient peut-être moins difficile de postuler la possibilité d'acheter des denrées autres que celles de première nécessité (y compris non alimentaires) grâce à u n «pouvoir d'achat» qui dépassait donc assez largement la seule économie de subsistance. Naturellement, pour évaluer ce «pouvoir d'achat» avec davantage de précision, i l conviendrait de pouvoir également défalquer des sources de revenus une autre importante variable d'ajustement dont nous n'avons que peu parlé j u s q u ' à présent : le poids des loyers (la location étant la situation qui concernait vraisemblable ment l'immense majorité de la population de YVrbs ), probablement élevés dans une capitale comme Rome. Cependant, les sources à notre disposition ne sont guère exploitables, faute de cohérence et de représenta tivité . En effet, peut-on vraiment prendre comme élément de référence (comme Z. Yavetz ou d'autres après lui) le fait, par exemple, que Sylla ait passé sa jeunesse au rez-de-chaussée d'une insula qu'il louait en s'acquittant de la somme de 3000 sesterces par an ? Plutarque, qui ajoute qu'un appartement sis à l'étage du m ê m e immeuble était loué (par l ' u n de ses affranchis) pour 2000 sesterces l'année, rapporte l'anecdote pour insister sur l'ampleur du d é n u e m e n t qui avait frappé la famille de Sylla. Or, tout important qu'il ait pu être, ce d é n u e m e n t devait apparaître somme toute assez relatif aux yeux d'un plébéien. Clairement, cette notice relève du stéréotype (celui du patricien désargenté ), bien plus qu'elle ne donne u n 120
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F. DE R O M A N I S , «Septem annorum canon : sul Canon populi Romani lasciato da Settimio S e v e r o » , RAL, 9, ser. 7 (1), 1996, p . 149. Rappelons toutefois que des institutions comparables aux frumentationes o n t existé dans d'autres cités de l'empire r o m a i n , m ê m e si elles n'avaient pas la m ê m e ampleur n i la m ê m e r é g u l a r i t é que les distributions de Rome. Voir C. VIRLOUVET, 1995b, p . 17-19 et 176 et n . 39. 121
D ' a p r è s Br. W. FRTER, « T h e rental market i n early imperial R o m e » , JRS, 67, 1977, p. 27-37. 1 2 2
La documentation est r a p p o r t é e par T. FRANK, An Economic Survey of Ancient Rome, 1, Rome and Italy in the Republic, Paterson, Pageant Books, 1959 ( l éd., 1933), p . 406-407; R. P. DUNCAN-JONES, « A n epigraphic Survey of costs i n Roman Italy », PBSR, 33, 1965, p. 224-226; Br. W. FRIER, 1977, p . 34-35; ID., Landlords and Tenants in Imperial Rome, Prin ceton, Princeton University Press, 1980, p . 21-47 et P. GARNSEY, « L ' i n v e s t i m e n t o i m m o b i liare u r b a n o » , dans M . I . FINLEY (dir.), La Proprietà a Roma. Guida storica e critica, Rome-Bari, Universale Laterza, 1980, p. 147-161. r e
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PLUT., SylL, I , 6 (trad. CUF revue par J.-P. GUTLHEMBET, 2011, p . 80, n . 234) : « u n affranchi (...) l u i rappela, dans l ' i n t e n t i o n de l'insulter, qu'ils avaient h a b i t é longtemps la m ê m e r é s i d e n c e (συνοικίςι), dont l u i - m ê m e louait l'étage p o u r deux mille sesterces, et Sylla le r e z - d e - c h a u s s é e p o u r trois mille. » Sur le s t é r é o t y p e d u patricien d é s a r g e n t é , voir l'article r é c e n t de R. BAUDRY, «Les patriciens d é c h u s : le cas de M . Aemilius S c a u r u s » , dans M . BLANDENET, Cl. CHTLLET et C. COURRIER (dir.), Figures de l'identité. Naissance et destin des modèles communautaires dans la Rome antique, Lyon, ENS Éd., 2010, p . 117-130. 1 2 4
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aperçu des loyers à Rome à la fin de la République. Plutarque ne livre aucune indication sur les caractéristiques du cenaculum que louait la famille de Sylla (pas plus que sur celui de son affranchi) , n i sur l'endroit où ceux-ci se situaient dans Rome et donc sur le probable «effet de quartier» sur le loyer. De manière plus large, on se rend compte que toutes les indica tions chiffrées de loyers m e n t i o n n é e s par les sources littéraires se rapportent à des biens de prestige, tels les 6000 sesterces dont s'acquittait le sénateur Aernüius Lepidus en 125 av. J.-C. et qui fut c o n d a m n é par les censeurs parce qu'un loyer de cette ampleur était moralement condam nable (Vellerns Paterculus se fait l'écho de cette anecdote pour rappeler l'austérité des m œ u r s des vieux Romains et mieux insister sur la déprava tion et le luxe qui caractérisaient sa propre époque : le chiffre n'a donc qu'une valeur informative très relative ) ou le loyer de 10 000 (ou 30 000) sesterces payé par M . Caelius Rufus en 56 av. J.-C. , l u i aussi statistiquement peu significatif puisqu'il est encore question de montants ayant défrayé la chronique . Ces indications ne peuvent en aucun cas servir de fondement à la connaissance des loyers payés par les plébéiens , pas plus, du reste, que le leitmotiv de la cherté du logement chez les poètes . Quant à la mesure prise par César, qui procéda entre 48 et 46 av. J.-C. à une remise des loyers aux plébéiens qui payaient moins de 2000 sesterces par an , elle n'indique pas une « m o y e n n e » du marché locatif, 125
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Tout au plus peut-on en d é d u i r e une forme de « s é g r é g a t i o n verticale» dans l'habitat (tant p o u r les loyers que p o u r la condition sociale d u locataire) o ù le rez-dec h a u s s é e est l ' é t a g e « n o b l e » (voir Br. W. FRIER, 1980, p . 14-16; J.-P. GUTLHEMBET, 2011, p. 79-80). Dans X insula de YAra Codi, le apiano nobile» est au premier étage, tandis que les deux é t a g e s s u p é r i e u r s sont de m o i n d r e standing (voir infra), ce q u i incite J.-P. G u i l hembet à c o n s i d é r e r que la r é s i d e n c e d u j e u n e Sylla é t a i t e n réalité une partie de domus. Voir par ailleurs le cas des insulae d'Ostie o ù la règle de la d i m i n u t i o n d u standing des appartements en fonction de leur é t a g e doit m a l g r é t o u t ê t r e relativisée. 1 2 6
V E L L . , Π , 10.
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C i c , Cael, 17.
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Sur ces questions, v o i r l'article r é c e n t de J.-P. GUTHLEMBET, «Acquérir, louer o u négocier des biens immobiliers de prestige à Rome à la f i n de la R é p u b l i q u e et aux premiers siècles de l ' E m p i r e » , dans Fr. LECOCQ (éd.), Sur la Ville de Rome. Cahiers de la MRSH, n ° 46, 2006, p . 91-107 [ = J.-P. GUTLHEMBET, 2006a]. Surtout si l ' o n admet, avec J.-P. Guilhembet, que t a n t le loyer p a y é par A e m i l i u s Lepidus que celui dont s'acquittait M . Caelius Rufus portaient en réalité, n o n pas sur des cenacula, mais sur des domus (ou des parties de domus l o u é e s i n d é p e n d a m m e n t d u reste de la maison). Voir J.-P. GUTLHEMBET, 2011, p . 89-90. N o t a m m e n t M A R T . , m, 38 et ΧΠ, 32 et Juv., m, 162 et 223-225. Cette mesure, q u i s ' i n s è r e dans u n ensemble de libéralités et de r é f o r m e s quasi concomitantes, n o t a m m e n t sur les dettes et les distributions frumentaires, n'est g u è r e aisée à dater p r é c i s é m e n t . La datation de 48 av. J.-C. est f o n d é e sur les Fasti Ostienses (CIL, XIV, 4531, 1. 5) q u i m e n t i o n n e n t une habitatio pofpulo remissa] p o u r cette a n n é e - l à . D i o n Cassius é v o q u e , pour sa part, la mesure en 47 ( D C , XLH, 51,1 : « A u x masses en effet, i l fit cadeau de l ' i n t é r ê t total qu'elles devaient depuis son d é p a r t en guerre contre P o m p é e et fit remise d ' u n an de loyer à concurrence de cinq cents d r a c h m e s . » ) S u é t o n e ne la date pas p r é c i s é m e n t : SUET., Caes., XXXVLTI, 2 : « E n outre, i l fit remise, pour u n an, des loyers q u i s'élevaient j u s q u ' à deux mille sesterces, à Rome, et n ' e n d é p a s s a i e n t pas c i n q cent e n Italie. » Annuam etiam habitationem Romae usque ad bina milia nummum, in Italia non ultra 129
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mais - au mieux - une limite haute. I l s'agissait en effet d'une libéralité. Et pour apparaître comme telle, i l fallait nécessairement que le loyer pris comme réfèrent maximum fût suffisamment élevé, de manière à montrer qu'elle concernait une frange importante de la population de YVrbs. Nous pouvons donc seulement en déduire que nombreux étaient les plébéiens à payer moins de 2000 sesterces de loyer chaque a n n é e au milieu du I s. av. J.-C, à tout le moins pour ce que les autorités césariennes pouvaient en percevoir en contexte de guerre civile. Or, i l est probable que ces troubles avaient généré d'importantes tensions sur le marché immobilier et donc des hausses de loyer qui incitèrent sans doute les autorités à fixer le plafond de cette libéralité à u n niveau suffisamment élevé pour soulager le marché locatif . De ce point de vue, l'unique élément, sur lequel nous pouvons nous appuyer, tient au fait que les loyers de la capitale étaient, de manière globale, probablement plus élevés que dans le reste du monde romain. La mesure césarienne, dont la remise concernait aussi l'Italie pour les loyers inférieurs ou égaux à 500 sesterces, pourrait suggérer u n rapport de u n à quatre, tout comme le moratoire sur les loyers de Rome et d'Italie e r
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quingenos sestertios remisit. Cl. NICOLET, «La Table d'Héraclée et les origines du cadastre romain», dans L T r b s : espace urbain et histoire (I siècle av. J.-C. - III siècle ap. J.-C), Rome, École fran çaise de Rome, 1987 (CEFR, 98), p. 19, n . 52, penche p o u r une datation e n 46 av. J.-C. Voir encore C i c , Off., Π, 83; CAES., B.C., LU, 21 et fiches n ° 124 et 125. Le contexte des guerres civiles favorisait l'apparition o u la g é n é r a l i s a t i o n de pratiques spéculatives q u i influaient n é g a t i v e m e n t sur les loyers (voir infra). Par ailleurs, la Caritas nummorum (la c h e r t é , plus que la r a r e t é d u n u m é r a i r e ) , p a r t i c u l i è r e m e n t é l e v é e en p é r i o d e de guerre à cause de la t h é s a u r i s a t i o n , provoquait une hausse des taux d ' i n t é r ê t que les propriétaires, sauf à vendre (mais la masse des biens subitement mis en vente e n t r a î n a i t la chute des prix des p r o p r i é t é s ) , n'avaient d'autre choix que de r é p e r c u t e r sur les loyers. Ces questions, e x t r ê m e m e n t complexes, ont é t é r é c e m m e n t a b o r d é e s par J. A N D R E A U , « L ' e n d e t tement dans son contexte social et é c o n o m i q u e » , Ristoria Iuris Antiqui, 1,2009, p. 15-21. Sur la chute des prix des p r o p r i é t é s , voir K . VERBO VEN, « 54-44 Β CE : financial or monetary crisis? », dans E. L o CASCIO (dir.), Credito e moneta nel mondo romano : atti degli incontri capresi di storia dell'economia antica (Capri 12-14 ottobre 2000), Bari, Edipuglia, 2003, p . 49-68. er
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E n dépit de toutes les inconnues ( q u i v o n t m ê m e j u s q u ' à faire douter de son exis tence o u p l u t ô t de la réalité de son application), i l n'est pas impossible que la fameuse lex de Vrbe augenda, d o n t parle C i c é r o n (sans e n c o n n a î t r e p r é c i s é m e n t la teneur - C I C , AU., xm, 20 et 33a, 1), ait compris u n volet d e s t i n é à l ' a m é n a g e m e n t de nouvelles insulae au n o r d d u Champ de Mars (dont des traces d ' é p o q u e hadrienne pourraient ê t r e les l o i n taines héritières) permis par le d é p l a c e m e n t des fonctions publiques de la zone sur la rive vaticane. Dans une perspective strictement é c o n o m i q u e , l ' u n des effets (espérés?) aurait été, comme en 48-46 av. J.-C, u n soulagement des tensions sur le m a r c h é immobilier. Plus largement, cette l o i p r é s e n t a i t p o u r les masses romaines u n « i n t é r ê t i n t r i n s è q u e , d u fait de la q u a n t i t é de travail fournie par tous les chantiers de construction prévisibles, publics o u privés, [mais aussi, p e u t - ê t r e , parce que] ces projets inaboutis [avaient] e n g l o b é une certaine v o l o n t é de contribuer à l'essor des conditions d'habitation d'une population a u p r è s de laquelle le dictateur bénéficiait d'une p o p u l a r i t é q u ' i l cherchait à cultiver et accroître» (J.-P. GUILHEMBET, 2011, p. 62-65). Avec J.-P. Guilhembet, nous ne saurions aller plus avant dans l ' i n t e r p r é t a t i o n de cette l o i sur laquelle nous sommes très m a l rensei g n é s . Voir en dernier lieu, P. GROS, «La nouvelle Rome de César : réalité et u t o p i e » , dans G. URSO (dir.), Cesare : precursore ο visionario?, Pise, ETS, 2010, p. 265-284 et J.-P. G U I L HEMBET, 2011 (avec r é f é r e n c e s bibliographiques a n t é r i e u r e s ) .
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décidé par Octave, sur le modèle de son père adoptif, en 41 av. J.-C. . Et, sans donner de chiffres, plusieurs textes insistent sur ce point (ainsi, Juv., EU, 223-225, avec, cependant, les m ê m e s réserves que supra). Une telle situation pourrait s'expliquer par la pression foncière et immobilière qu'im pliquaient les fortes densités de la Ville et dont les spéculateurs pouvaient profiter, certains par la sous-location de chambres et d'appartements (sur la pratique de la sous-location, voir infra), d'autres sur les ventes et reventes d'immeubles qui, pour reprendre Strabon, «se succèdent sans interruption et équivalent en quelque manière à des effondrements volontaires, puisque les nouveaux acquéreurs démolissent les unes après les autres les maisons qu'ils achètent pour en reconstruire d'autres à leur place ». Toutefois, là encore, ce passage ne doit pas être analysé en dehors de son contexte. Probablement inspiré de l'Histoire de Pompée de Posidonius, i l porte sans doute sur la première moitié du I s. av. J.-C. m a r q u é e par u n certain nombre de troubles politiques. De ce point de vue, i l ne faudrait pas sousestimer l'impact de la conjoncture. En effet, comme l'ont rappelé P. Gros et J.-P. Guilhembet, dans l'Antiquité, les prix des loyers étaient aussi et surtout fonction de facteurs extra-économiques, notamment politiques . Ainsi, dans le climat troublé des guerres civiles, toutes les conditions étaient effectivement réunies pour que se développe une intense spéculation qui, dirait-on en termes modernes, faussait le jeu normal du marché (l'exemple d'Atticus analysé par P. Gros est à cet égard symptomatique; celui de Crassus et de ses 500 esclaves-bâtisseurs est tout aussi e x t r ê m e ) , lequel nous demeure, en revanche et en l'état actuel des connaissances, large ment inaccessible, mais qu'il serait sans doute dangereux de trop suréva luer. Par ailleurs, des chiffres nous sont également donnés par le Digeste mais ils sont très difficiles à interpréter. Paul parle d'une insula louée pour 50 et sous-louée pour 60 , Alfenus Verus d'une autre louée pour 30 et sous-louée pour 40 . Pour J. Dubouloz, ces valeurs données au neutre pluriel pourraient sous-entendre la restitution milia sestertium (sur la base 135
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D C , X L v m , 9, 5. Soutenues par l ' i m p a c t des catastrophes r é c u r r e n t e s , la demande due à la p r é g n a n c e d ' u n m o d è l e familial m o n o n u c l é a i r e (soulignée par les é t u d e s r é c e n t e s ) et la pratique de la sous-location. Voir J.-R GUILHEMBET, 2011. STR., G., V, 3, 7. P. GROS, 2001, p. 89-90; J.-P. GUILHEMBET, 2006a, p. 100-104. De m a n i è r e plus large, sur la nécessaire prudence dans l'utilisation de Strabon, voir P. GROS, Architecture et Sodété à Rome et en Italie centro-meridionale aux deux derniers siècles de la République, Bruxelles, Latomus, 1978, p. 7 et ID., Architettura e sodeta nell'Italia romana, Rome, C u r d o , 1987 [ = P. GROS, 1987a], p . 119. J.-P. GUILHEMBET, 2011, p . 232, i n s è r e é g a l e m e n t cette notice dans le cadre d'une d é n o n c i a t i o n (classique dans nos sources littéraires) de la luxuria, consommation à usage ostentatoire et accroissement d u patrimoine personnel. 1 3 5
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PLUT., Crass., Π ,
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Dig.,
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5-6.
XIX, 2, 7, pr. - P A U L , 32, Ad
ed.
Dig. XIX, 2, 30, pr. - A L F . 3., Dig. a Paul. Epit. Voir é g a l e m e n t (mais sans d o n n é e s chiffrées) Dig., I X , 3, 5, 1 - ULP., 23 Ed. et Dig. XIX, 2, Locati conducti, 8 - Tryphoninus, 9, Disputationes, ainsi que Dig., XLTJ, 7 - De pigneratida actione uel contra, 11 et Dig., XIX, 2 Locati conducti, 60 q u i traitent, p o u r ces deux derniers, de la sous-location de domus, sans doute au sens « d ' i m m e u b l e s » .
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d'une conversion des compilateurs byzantins où 1 aureus aurait valu 1000 sesterces) . En supposant qu'elles renvoient à des loyers annuels (la modalité de paiement la plus courante), ces sommes oscilleraient donc entre 30 000 et 60 000 sesterces. Toutefois, elles sont inutilisables faute de pouvoir être datées et surtout mises en rapport avec u n pouvoir d'achat (à notre connaissance, i l n'est jamais indiqué sur combien de logements ou de pièces - à l'intérieur d'une m ê m e insula - portaient ces chiffres). Elles n'ont d'ailleurs qu'une valeur très abstraite qui ne peut, au mieux, qu'indiquer u n ordre de grandeur sur les bénéfices de la sous-location (entre 20 et 33%). Si l'ampleur d'une telle marge (même incertaine) n'est pas négli geable, i l ne faut pas pour autant en déduire que la Ville était une jungle immobilière livrée aux affres des spéculateurs et de la sous-location. La préoccupation des juristes à l'égard de celle-ci, dont la pratique, très complexe (de la sous-location d'une ou plusieurs pièces à l'intérieur d'un cenaculum à la colocation, avec possibilité pour les locataires, formant j u r i diquement societas, de payer le loyer sous la forme de quote-parts égales ), était strictement encadrée par le droit (des mesures de protection des souslocataires sont clairement attestées), montre au contraire le souci qui était celui de l'administration impériale d'en réglementer l'usage et les éventuels abus. Plus largement, la jurisprudence en matière de logements (construc tion, habitabilité, réglementation des abus de propriétaires...) n'est pas mince et montre au minimum une certaine préoccupation des autorités pour le bien-être immobilier de «sa» population. Inversement, i l n'en faut pas moins noter le faible niveau apparent de l'intervention des autorités romaines dans la réglementation des montants des loyers eux-mêmes. «Même pour la plèbe urbaine choyée par le prince, i l n'y a[vait] pas de "prix politique" du logement, au mieux des aides pour faire face aux cata strophes les plus ravageuses ». Peut-on en déduire que l'apport financier représenté par les frumentationes contribuait à réduire les tensions dans le domaine des dépenses de logement? Sans être catégorique sur ce point , i l est certain qu'il conviendrait de revoir à la baisse les estimations autrefois proposées par T. Frank et Br. W. Frier (entre 360 et 500 HS par an, soit 33 141
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J. D U B O U L O Z , 2 0 1 1 , p . 5 6 , n . 5 5
( v o i r é g a l e m e n t les
p. 1 8 7 - 1 9 7 ) ,
reprenant
Br. W . FREER, « Subsistence annuities and per capita income i n the Early Roman E m p i r e » , CPh, 8 8 , 1 9 7 3 , p . 2 2 2 - 2 2 4 . 142
I I n'est pas exclu, de ce p o i n t de vue, que la sous-location ait c o n s t i t u é dans certains cas u n utile c o m p l é m e n t de revenus. 1 4 3
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J.-R
GUILHEMBET, 2 0 1 1 , p. 2 6 9 .
Selon P. A . BRUNT, 1 9 8 0 , p . 8 2 , les salaires n'auraient pas permis d'assurer l'entre t i e n des travailleurs, leurs employeurs tenant compte d u fait qu'ils bénéficiaient d'une aide de la cité. Sans n é c e s s a i r e m e n t ê t r e à rejeter, l ' h y p o t h è s e p a r a î t gratuite, aucune source ne venant par exemple é t a y e r l'idée de salaires globablement moins élevés dans la capitale que dans l'empire. Sur la fixation des p r i x dans les é c o n o m i e s d'Ancien R é g i m e , voir p l u t ô t J.-Y. GRENIER, « É c o n o m i e d u surplus, é c o n o m i e d u circuit. Les p r i x et les é c h a n g e s dans l ' A n t i q u i t é g r é c o - r o m a i n e et dans l'Ancien R é g i m e » , dans J. A N D R E A U , P. BRIANT, R. DESCAT (éds.), Économie antique. Prix et formation des prix dans les économies anti ques, S a i n t - B e r t r a n d - d e - C o m m i n g e s , M u s é e a r c h é o l o g i q u e d é p a r t e m e n t a l , 1 9 9 7 , p. 3 9 6 - 3 9 7 , q u i m o n t r e que la conjoncture des salaires était globalement c a l q u é e , sur le court o u le l o n g terme, sur les p r i x des biens de susbsistance.
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à 45% du salaire canonique «cicéronien»), sur la base simple d'un sesterce par j o u r . D'une part, l'endettement de la plèbe urbaine ne peut être imputé au seul coût du loyer . D'autre part, les fourchettes sur lesquelles se fondait Frier (le Londres des années 1880) peuvent être nuancées, avec prudence, par des études plus récentes portant sur des villes européennes du Moyen-Âge ou de l'époque moderne, o ù la dépense locative par rapport au budget global oscille plutôt entre 8 et 15% . M ê m e en prenant la mesure des limites inhérentes au comparatisme, l'écart paraît significatif. Aussi, à défaut de véritablement étayer le portrait socio-économique de la plebs frumentaria, au moins cette longue parenthèse sur la charge écono mique représenté par les loyers ne contredit-elle pas la situation qui restait vraisemblablement celle des ayants-droit, à savoir une population de privi légiés. 145
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2 - Les privilèges alimentaires d'un peuple-roi : diversité et qualité de l'alimentation. Un tel constat rejoint directement des conclusions récentes sur l'appro visionnement quotidien de la mégapole romaine et donne u n sens aux énormes quantités de denrées alimentaires de tous types qui parvenaient chaque jour à Rome. Une telle variété conduit vers l'idée que les pratiques alimentaires de la plèbe, ou tout du moins d'une partie d'entre elle, étaient beaucoup plus diversifiées que celles d'autres populations d'Ancien Régime, et qu'une portion non négligeable de Romains avait accès à des aliments tels que l'huile, le vin, la viande, le lait et les légumes. Concernant l'huile, si elle n'était certes pas consommée dans une pers pective purement alimentaire , une analyse, s'appuyant notamment sur les tessons mis au jour sur le Testacelo, donne malgré tout une idée des immenses quantités qui pouvaient être consommées par la population de la mégapole. Toutefois, au-delà du caractère e x t r ê m e m e n t général de cette affirmation, i l demeure très difficile de cerner de plus près ce que pouvait être ladite consommation. On doit cette situation au débat opposant les spécialistes du Testacelo quant au nombre d'amphores qui se sont amonce lées sur cette colline artificielle entre le début du règne d'Auguste et le milieu du HT siècle ap. J.-C. D'après A. Tchernia, reprenant les calculs 148
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T. F R A N K , 1959,
p . 385;
Br. W. FRIER, 1977,
p . 34 et n . 4 1 .
M . IOANNATOU, Affaires d'argent dans la correspondance de Cicéron : Varistoaatie sénato riale face à ses dettes, Paris, De Boccard, 2006, p . 35-41. J.-Fr. CHAUVARD, La Circulation des biens à Venise : stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, École française de Rome, 2005 (BEFAR, 323), p. 57 et n . 52, repris par J.-P. GUILHEMBET, 2011, p . 183-184, auquel nous nous permettons de reprendre les excellentes conclusions. L'huile servait aussi p o u r l'éclairage, la m é d e c i n e o u le sport. Voir J.-P. B R U N , Le Vin et l'huile dans la Méditerranée antique. Viticulture, oléiculture et procédés de fabrication, Paris, Errance, 2003, p. 169-185. E n outre, i l faudrait é g a l e m e n t p o u v o i r prendre la mesure d u fait que les besoins devaient varier d'une couche sociale à l'autre. E n c o n s é q u e n c e , i l est impossible de rapporter u n chiffre aux besoins s p é c i f i q u e m e n t alimentaires q u i pouvaient être ceux de la plèbe, et a fortiori de la plebs frumentaria. 147
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v o l u m é t r i q u e s d'E. Rodriguez Almeida, ce sont quelque 53 millions d'amphores qui ont contribué à la constitution de cette colline artificielle haute de 35 m et large de 700 m . En revanche, selon J. M . Blâsquez Martinez et son équipe d'archéologues qui ont publié les résultats de six campagnes de fouilles menées entre 1989 et 2001, i l faut, sur la base d'une analyse gravimétrique de la densité de la colline réalisée par tomographic sismique, considérablement revoir ce chiffre à la baisse pour le situer autour de 25 millions d'amphores . Toutefois, comme l'ont récemment noté R. Etienne et Fr. Mayet, cette réévaluation ne repose jamais que sur deux sondages n'ayant pas atteint les niveaux préantoniens . Ils consi d è r e n t de fait que les chiffres d'E. Rodriguez Almeida, validés par A. Tchernia, conservent toute leur valeur. Dans l'état actuel des connais sances, i l est donc impossible de trancher. En conséquence, i l nous faut prendre en compte les deux estimations. Celle d'E. Rodriguez Almeida implique qu'environ 40 millions d'hectolitres sont arrivés à Rome en c. 250 ans soit 162 000 h l / a n ; les chiffres induits par les travaux m e n é s sous la direction de J. M \ Blâsquez Martinez sont respectivement les suivants : 19 millions d'hectolitres au total et 77 000 par an. Toutefois, d'après A. Tchernia que nous suivons sur ce point, toutes les amphores ne finissaient pas dans cette décharge à ciel ouvert. Leur présence, facilement identifiable grâce au traitement à la chaux dont elles faisaient systématiquement l'objet, a été retrouvée dans le cadre d'au moins trois chantiers archéologiques m e n é s dans les alentours du Colisée et du Forum, o ù elles représentaient entre 12 et 17% du total des tessons mis au j o u r . L'évaluation est donc très inférieure à la réalité et ce d'autant plus q u ' à l'huile de Bétique et d'Afrique s'ajoutait celle de Sabine, qui servait, elle, exclusivement à la consommation, et qui n'a cessé d'être apportée à Rome dans des conteneurs qui n'ont toutefois laissé aucune trace . De fait, si l'on suit A. Tchernia, qui ajoute u n m i n i m u m de 30% à 1 4 9
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E. RODRIGUEZ A L M E I D A , II Monte Testacelo, ambiente, storia, materiali, Rome, Quasar, 1984, p . 109-119; A . TCHERNIA, «Subsistances à Rome : p r o b l è m e s de q u a n t i f i c a t i o n » , dans Cl. NICOLET, R. ILBERT et J.-Ch. DEPAULE, 2000 [ = A . TCHERNIA, 2 0 0 0 b ] , p . 757 [repris dans
ID., Les Romains et le commerce, Naples, Centre Jean B é r a r d - C e n t r e Camille Jullian, 2011, p. 247-262; i l nous faut ici noter que, pour des raisons de chronologie éditoriale, i l nous a été m a t é r i e l l e m e n t impossible d'accorder à cet ouvrage l ' i n t é r ê t q u ' i l m é r i t e ] . 1 5 0
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J. M . BLÂSQUEZ M A R T I N E Z , J. R E M E S A L RODRIGUEZ (dir.), Estudios sobre el Monte
Testacelo, Barcelone, Universität de Barcelona, V o l . I-IV, 1999-2007 : avec u n e d e n s i t é moyenne de 1,35 g./cm p o u r u n v o l u m e total d'environ 550 000 m (estimation q u i tient compte de l ' é r o s i o n et des fractures q u i o n t a l t é r é le v o l u m e ) , le poids total d u Testacelo serait de 742 500 000 k g . À raison d ' u n poids m o y e n (vide) de 30 k g par amphore, la colline n'aurait effectivement c o m p t é « q u e » 24 750 000 amphores. R. ETIENNE, Fr. M A Y E T , L'Huile hispanique, Paris, De Boccard, 2004, p . 23-39. Le calcul est établi sur la base de la capacité des amphores de type Dressel 20 c o n s t a t é e par R. ETIENNE, Fr. M A Y E T , 2004, p . 55 sur le m o n t Testacelo ( é c h a n t i l l o n de 32 amphores), soit 76,527 litres. 3
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A . TCHERNIA, 2000b, p . 757. E n revanche, le nombre de pressoirs d é c o u v e r t s dans le secteur sud-est d u suburbium, c'est-à-dire la Sabine tiberine, oléicole (le seul fouillé de
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LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
la quantité de tessons mis au jour sur le Testacelo, ce sont soit 210 000 h l (hypothèse E. Rodriguez Almeida) qui parvenaient chaque a n n é e à Rome, soit 100 000 (hypothèse J. M . Blâsquez Martinez). Chaque habitant de la Ville disposait donc d'une quantité d'huile moyenne oscillant entre 17,5 et 26 litres dans le premier cas (sur la base d'une fourchette de population comprise entre 800 000 et 1,2 million d'habitants), entre 8,5 et 12,5 litres dans le second, pour u n produit dont le prix n'était, quoi qu'il en soit, pas excessif. Pour une livre romaine (327,45 g. ) d'huile de table, i l fallait en effet débourser autour de 4 as, ce qui n'avait rien de prohibitif . Mais, m ê m e avec ces biais, i l ne peut s'agir que d'une estimation minimale au regard de ce que l'on sait par ailleurs de la consommation d'huile dans les pays m é d i t e r r a n é e n s . Utilisant les indications fournies par le graffito pompéien CIL, IV, 5380 tout en retenant le prix moyen de 4 as la livre, J.-P. Brun a pu estimer que cette famille p o m p é i e n n e avait dépensé 45 as en huit jours pour ses achats d'huile, soit près de 4 litres qui, extrapolés à une année, donnent u n ordre de grandeur de 50 litres par personne, plus conforme à d'autres données qu'il a recueillies par ailleurs. Aussi, selon ce dernier, «la consommation (...) des habitants privilégiés de certaines villes, tels que ceux de Rome ou de Constantinople, devait être de cet ordre de grandeur ». En ce qui concerne les autres denrées, le problème est rendu plus complexe encore par le fait que nous ne disposons pas d'équivalent du Testacelo et que très rares sont les données chiffrées permettant d'évaluer ce que pouvait être la consommation de ces produits. Les sources relatives au vin ont été rassemblées par le m ê m e A. Tchernia dans son ouvrage clas sique. Elles indiquent qu'un adulte mâle était considéré comme sobre lors qu'il consommait quotidiennement deux setiers de v i n (1,08 litre) . En ce qui concerne la viande, personne n'a jamais tenté d'évaluer ce que pouvait être sa consommation sous le Haut-Empire. Et pour cause, aucun chiffre ne nous est parvenu avant le IV siècle, période pour laquelle nous savons que la plebs frumentaria recevait gratuitement de l'État une ration annuelle de a
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m a n i è r e intensive à ce j o u r ) est très s u p é r i e u r à la moyenne r é g i o n a l e (X. LAPON, «Le Suburbium», Pallas, 5 5 , 2 0 0 1 , p . 2 0 4 ) . Dizionario epigrafico, s.v. libra. L'indication des p r i x est fournie par Des Monnaies dans la «grave». Le trésor de Garonne (II siècle ap. J.-C). Catalogue d'exposition, Nantes, M u s é e s d é p a r t e m e n t a u x , 1 9 8 7 , p. 3 9 - 4 2 . Dans la mesure o ù i l est strictement impossible d ' é v a l u e r la q u a n t i t é quotidienne du besoin en huile de table, i l serait aberrant de tenter de diviser la q u a n t i t é totale par le prix m o y e n . La mise e n rapport des deux valeurs v e u t seulement m o n t r e r que n i le p r i x d'achat n i la q u a n t i t é disponible d'huile ne constituaient des obstacles à une consomma t i o n régulière, comme en atteste d'ailleurs la liste de produits de Pompei que nous avons étudiée. 155
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J.-P. B R U N , 2 0 0 3 , p . 1 6 9 .
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A . TCHERNIA, Le Vin de l'Italie romaine. Essai d'histoire économique d'après les amphores, Rome, École française de Rome, 1 9 8 6 (BEFAR, 2 6 1 ) , p . 2 1 - 2 7 . Selon l u i , cette q u a n t i t é p a r a î t trop insuffisante par rapport aux q u a n t i t é s de v i n c o n s o m m é e s en Italie entre le X I V et le XVHT siècle, p o u r ê t r e réelle. I l faudrait de fait la r é é v a l u e r à la hausse mais dans une p r o p o r t i o n impossible à estimer. e
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12,5 kg de porc. Mise en perspective avec des données postérieures, une telle quantité paraît relativement faible . Cependant, comme le souligne C. Virlouvet, la distribution de ces 12,5 kg était concentrée sur cinq mois, à raison de 5 livres par mois, et i l serait erroné de penser qu'ils constituaient la consommation annuelle moyenne d'un individu et, a fortiori, d'une famille . En outre, on sait que le marché romain proposait également de la viande d'agneau et de la viande de bœuf, dont les distributions gratuites commencèrent au V siècle mais sur lesquelles nous n'avons aucune autre d o n n é e . De fait, si l'on raisonne par analogie en étendant ces 5 livres par mois à l'année complète, que l'on suppose que cette quantité mensuelle correspondait, à l'instar des frumentationes, à u n rrmiimum ayant permis de nourrir u n homme et une femme, et qu'enfin, faute d'autre information, on pose comme postulat que la consommation annuelle de viande évolua peu entre le Haut-Empire et l'Empire tardif , i l faudrait penser que le strict rninimum de cette dernière était de l'ordre de 30 kg pour u n couple sans enfant. En tout état de cause, ce chiffre était probablement très supérieur, une partie de la plèbe au moins ayant eu les moyens d'acheter cette denrée de manière plus régulière . Enfin, la consommation de légumes devait être relativement élevée, en lien avec l'immense «verger» que constituait le suburbium de Rome dont les produits «frais» alimentaient quotidiennement le marché romain 159
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A u X V m et a u d é b u t d u X I X siècle, la consommation de viande, c o n s i d é r é e comme t r è s i n f é r i e u r e à ce qu'elle devait ê t r e a u M o y e n - Â g e , dans des r é g i o n s comme l'Allemagne et la Hollande, était e s t i m é e à 2 0 k g par an et par habitant, celle de la France à 2 3 , 5 kg. Voir F. BRAUDEL, Civilisation matérielle, Économie et Capitalisme (XV'-XVHP siècle), Tome I : Les structures du quotidien : le possible et l'impossible, Paris, A . Colin, 1 9 7 9 , p . 1 6 5 . 1 6 0
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1953,
C. VIRLOUVET, 2 0 0 0 , p . 1 0 6 . e
A . CHASTAGNOL, «Le ravitaillement de Rome e n viande a u V siècle», RH, 1 2 0 ,
p . 1 3 - 2 2 ; R. B E L L I PASQUA,
«Il
rifornimento
alimentare d i carne a Roma n e l I - I V
secolo d. C » , dans L . QUTLICI, S. Q U I L I C I G I G L I (dir.), Agricoltura e commerci nell'Italia antica, Rome, L'Erma d i Bretschneider, 1 9 9 5 , p. 2 5 7 - 2 7 2 ; J. KOLENDO, « L ' a p p r o v v i g i o n a m e n t o d i carne per la città d i Roma e per la flotta d i M i s e n o » , Archeologia, 5 2 , 2 0 0 1 , p . 2 3 - 2 9 . Sur ce postulat, voir Cl. HOLLERAN, Shopping in Ancient Rome. The Retail Trade in the Late Republic and the Principate, Oxford, Oxford University Press, 2 0 1 2 , p . 4 1 . Cet ouvrage est paru alors que le n ô t r e était déjà sous presse. Nous n'avons p u e n tenir compte que très ponctuellement. M ê m e si la viande était c h è r e : suivant les p é r i o d e s : de 1 2 à 2 4 sesterces le k g de b œ u f , 4 4 celui d'agneau et 6 0 p o u r celui d ' u n cochon de lait. La liste de produits a n a l y s é e supra (CIL, IV, 5 3 8 0 ) atteste u n e consommation bihebdomadaire faite de viande de b œ u f d'une part et d ' u n animal n o n précisé d'autre part. C'est à ce type de d e n r é e que l ' o n mesure aussi la situation privilégiée q u i était celle de la plebs frumentaria. Sur la consom m a t i o n de viande et le contenu d u pulmentarium, voir M . CORBIER, «La fève et la m u r è n e : h i é r a r c h i e s sociales des nourritures à R o m e » , dans J.-L. FLANDRTN, M . M O N T A N A R I (dir.), Histoire de l'alimentation, Paris, Fayard, 1 9 9 6 , p . 2 2 3 , selon q u i la triade pain-vin-viande ( a c c o m p a g n é e o u n o n de l é g u m e s ) r e p r é s e n t a i t p o u r les «classes p o p u l a i r e s » (sic), u n m o d è l e de consommation p e r ç u comme s u p é r i e u r . I l nous semble p r é c i s é m e n t que la d é c h a r g e é c o n o m i q u e r e p r é s e n t é e par les frumentationes faisait de la p l è b e frumentaire u n groupe de citoyens, si ce n'est s u p é r i e u r , d u moins très privilégié et que, par c o n s é q u e n t , cette triade alimentaire ne l u i était pas inaccessible. 162
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LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
et devaient constituer une part importante du menu du plébéien. De nombreuses sources, notamment littéraires, insistent longuement sur cet aspect, notamment Pline l'Ancien expliquant q u ' « à Rome, le jardin était le champ du pauvre [et que] c'est du jardin que le peuple tirait ses provi sions», ou encore l'auteur du Moretum qui affirmait : [hortus] exißuus spatio, 164
uariis sed fertilis herbis. Nil Uli deerat quod pauperis exißit usus .
Cependant,
c'est l'ampleur et la répétition des cris d'hostilité de la plèbe contre un impôt sur les légumes édicté par Caligula et prélevé sur le marché qui illustre sans doute le mieux la consommation quotidienne de cette denrée et l'importance que la plèbe attachait au fait de pouvoir accéder à ce type d'aliment (n° 233) : « P e r s o n n e n ' a u r a s o n g é a u M o n t S a c r é , à l ' A v e n t i n et a u x s é c e s s i o n s de la p l è b e i r r i t é e ? Car b i e n t ô t sans d o u t e celle-ci r e n d r a é g a u x c e u x que l'argent a s é p a r é s . Aussi, sur m a f o i , a u c u n e taxe sur les a p p r o v i s i o n n e m e n t s ne fut, à R o m e , de p l u s g r a n d r e n d e m e n t < q u e sur les l é g u m e s > , e x c i t a n t les cris de l a p l è b e et ses r é c l a m a t i o n s a u p r è s de t o u s les empereurs, j u s q u ' à l a suppression des droits sur cette m a r c h a n d i s e . » ' 1 6 5
Le rendement de cette taxe atteste en lui-même l'ampleur des quan tités de légumes qui étaient quotidiennement achetées puis consommées par une plèbe qui réitéra ses protestations pendant plusieurs règnes jusqu'à ce qu'elle obtînt la suppression de cet impôt sous Néron ou Vespasien . Ce passage livre, de ce point de vue, de précieux renseignements sur l'impor tance des marchandises qui passaient par les marchés à légumes de Rome, sur l'ampleur des intérêts financiers impliqués par ce commerce , et surtout sur les rapports étroits qui unissaient la condition de la plèbe aux cultures du suburbium; autant d'éléments que les enquêtes archéologiques n'ont cessé de confirmer, en soulignant abondamment le rôle fondamental 166
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Respectivement PLIN., NH, XIX, 52 : Romae quidem per se hortus ager pauperis erat. Ex horto plebei macellum, quanto innocentiore uictul; MORETUM, L X . O n peut é g a l e m e n t renvoyer à C i c , De Sen., X V I ; C O L . , RR, ΧΠ, 59. PLIN., NH, XIX, 56 (trad. CUF révisée) : Nemo Sacros Auentinosque montes et iratae plebis secessus circumspexerit? Mox enim certe aequabit quos pecunia separauerit. Itaque, Hercules, nullum macelli uectigal malus fuit Romae clamore plebis incusantis apud omnes prinapes, donec remissum est portorium mercis huius. Voir aussi SUET., Calig., X L . Sur la date, voir D C , LLX, 28, 8. 165
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Sur cet i m p ô t indirect, v o i r J. D E LAET, P o r t o r i u m . Étude sur l'organisation doua nière chez les Romains, surtout à l'époque du Haut-Empire, Bruges, De Tempel, 1949, p . 346347; J. L E G A L L , «Les habitants de Rome et la fiscalité sous le H a u t - E m p i r e » , dans H. V A N EFFENTERRE (éd)., Points de vue sur la fiscalité antique, Paris, PUPS, 1979, p. 120-121; A. C A R A N D I N I , « H o r t e n s i a - O r t i e Frutteti i n t o r n o a R o m a » , dans Misurare la terra : centuriazioni e coloni nel mondo romano. Città, agricoltura, commercio : materiali da Roma e dal suburbio, M o d è n e , Panini Franco Cosimo, 1985, p . 73 et J.-P. GUILHEMBET, 2006b, p. 109-112. 167
Comme le souligne J. L E G A L L , 1979, p. 121, cette taxe fut maintenue en d é p i t des m é c o n t e n t e m e n t s parce qu'elle avait l'avantage d ' ê t r e d ' u n rendement s û r et r é g u l i e r d u fait qu'elle pesait surtout sur les couches modestes de la p o p u l a t i o n qui, comme nous l'avons v u à propos de CIL, IV, 5380, achetaient leurs provisions essentiellement au j o u r le jour.
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VIVRE DANS LA VILLE 168
que ce suburbium joua dans l'approvisionnement de la Ville . Les fruits, les fleurs et les légumes provenaient massivement de la ceinture de jardins, dont l'exploitation était éclatée en de nombreuses petites fermes (autour de 5 ha), pratiquant une agriculture intensive. M ê m e au-delà de la limite des cinquième et sixième milles, la densité restait très forte, n'autorisant que des domaines d'une vingtaine d'hectares essentiellement régis par u n marché libre non contrôlé par le monopole annonaire des magistrats et de l'empereur. L'ensemble donne l'impression d'une véritable «costellazione di orti, casette e barache per lavoranti, custodi, asini, raccolti e forse anche vendite e con i l pullulare di pendolari che producevano e introducevano oltre i l dazio frutta, verdura e fiori i n quel famelico ventre che era la Roma di tutti i giorni », dans des proportions qui nous sont, en revanche, totale ment inconnues . 169
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Quelles conclusions tirer d'un si rapide inventaire? S'il est évident qu'il faudrait pouvoir affiner ces quantités en fonction des différentes caté gories socio-économiques qui structuraient la société romaine , i l n'en reste pas moins que l'économie libérée par les seules frumentationes puis les congiaires dans le budget mensuel d'une famille citoyenne en fit dès la fin de l'époque républicaine et, a fortiori, sous l'Empire, une couche extrême ment privilégiée que l'on ne peut comparer aux autres populations préin dustrielles. Cette situation tenait au statut de capitale de la ville de Rome qui impliquait une proximité quotidienne avec le pouvoir (et plus large ment avec les élites), dont on peut légitimement penser que la présence joua, au moins dans une certaine mesure, tant sur la qualité et la diversité des aliments mis à la disposition de la population, que sur le contrôle de leur prix afin d'éviter toute flambée. Par là, i l ne s'agit pas de parler d'inter ventionnisme étatique. Ainsi, i l fallut attendre l'époque sévérienne pour que des denrées telles que l'huile, le v i n et la viande commencent à entrer dans le champ de compétences de l'empereur sous forme de distributions gratuites et régulières . Cependant, c'est bien dès la fin de l'époque répu171
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168 g . surtout A . CARANDINI, 1985 ainsi que F. COARELLI, Dintorni di Roma, Bari, Laterza, 1981; J . KOLENDO, «"Praedia suburbana" e loro redditività», dans J . CARLSEN, R 0RSTED et J . E . SKYDSGAARD (dir.), Landuse in the Roman Empire, Odense, Odense U n i v e r s i t y Press, 1994, p . 59-71; X . L A P O N , 2001, p . 204-205; Ph. PERGOLA, R. SANTANGELI V A L E N Z A N I et R. VOLPE (dir.), « S u b u r b i u m » : il suburbio di Roma dalla crisi del sistema delle ville a Gregorio Magno, Rome, École française de Rome, 2003 (CEFR, 311) et, en n
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dernier l i e u , V . JOLTVET, C. PAVOLINI, M . - A . T O M E I et R. VOLPE (dir.), « S u b u r b i u m Π» : il
suburbio di Roma dalla fine dell'età monarchica alla nasata del sistema delle ville (V-II secolo a.C), Rome, École française de Rome, 2009 (CEFR, 419). 1 6 9
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A . C A R A N D I N I , 1985,
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68.
Contrairement à la vigne et à l'oléiculture, q u i laissent des traces m a t é r i e l l e s c o n s é q u e n t e s , jardins et vergers sont nettement plus difficiles à r e p é r e r . Toute quantifica t i o n est de ce p o i n t de vue illusoire. Sur ce p r o b l è m e , voir A . C A R A N D I N I , 1985, p . 7 1 . Nous n'avons par exemple aucune i d é e de l'impact de la consommation des élites sur les q u a n t i t é s de d e n r é e s ainsi a c h e m i n é e s . C. VIRLOUVET, 2000, p . 122 et 2004, p . 62. De m ê m e , G. R I C K M A N , The Corn Supply of Ancient Rome, Oxford, Clarendon Press, 1980 et Β . Snucs, Food for Rome. The Legal Structure of the Transportation and Processing of Supplies for the Imperial Distributions in Rome 171
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blicaine que les autorités se sont attachées à assurer de manière plus ou moins régulière, à l'ensemble de la population, u n «juste prix» pour les denrées de première nécessité, et à éviter tout «laisser-faire» . Dans la dernière partie de l'ouvrage, nous aurons l'occasion de constater - après d'autres - que toute hausse des prix de ces différents produits était ainsi systématiquement sanctionnée d'une réaction de la plèbe qui attendait en effet du pouvoir central (qu'il s'agisse des magistrats ou de l'empereur) une protection contre les tensions du marché libre . Au-delà de la signification politique d'une telle attitude sur laquelle nous nous attarderons alors, le fait est que certaines de ces exigences furent i m m é d i a t e m e n t satisfaites par l'État q u i intervint directement sur le marché en limitant la flambée occasionnelle des prix. Par exemple, en 19 ap. J.-C, la pression populaire fut telle que Tibère fit vendre, en plus des distributions gratuites, le grain à u n cours forcé en complétant le revenu des negotiatores de 2 sesterces par boisseau (n° 208). Après la famine de 51, Claude adopta des mesures pour favoriser le commerce du grain l'hiver en offrant des d é d o m m a g e m e n t s aux marchands victirnes de t e m p ê t e s pendant le mare clausum et en octroyant des avantages civiques et fiscaux aux constructeurs de navires se mettant au service de l'annone (n° 244) . 173
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and Constantinople, Amsterdam, J. C. Gieben, 1991, estiment que la part d u m a r c h é libre r e p r é s e n t e r a i t u n peu plus de la m o i t i é de l'approvisionnement de Rome en céréales. Notons toutefois que l'approvisionnement de l ' h u i l e é t a i t e n t r é dans le champ de c o m p é tences d u préfet de l'annone d è s la f i n d u r è g n e d'Hadrien. E n revanche, les distributions gratuites et r é g u l i è r e s d'huile sont, elles, le fait d'une initiative de Septime S é v è r e (SHA, Sev., X V m , 3). Voir H . PAVIS D'ESCURAC, La Préfecture de l'annone : service administratif impérial d'Auguste à Constantin, Rome, École française de Rome, 1976 (BEFAR, 226), p. 188-201 et, en dernier lieu, W. BROEKAERT, «Oil for Rome D u r i n g the Second and Third Century A D : A Confrontation of Archaeological Records a n d the Historìa Augusta», 64, 2011, p . 591-623, q u i s'interroge sur les m o d a l i t é s logistiques de mise en œ u v r e de cette initiative. 173
Ainsi, une notice des Origines de Caton r a p p o r t é e par Aulu-Gelle (GELL., Π, 28, 6), indique clairement que, sur les tableaux d u Grand Pontife, é t a i e n t n o t é s tous les moments o ù le p r i x d u b l é m o n t a i t . Sans ê t r e à proprement parler une i n f o r m a t i o n de nature é c o n o m i q u e , ce type de notice m o n t r e l'importance quasi psychologique que revêtait le souci d'assurer à la p o p u l a t i o n des p r i x raisonnables p o u r certaines d e n r é e s de p r e m i è r e nécessité et ce, d è s le m i l i e u d u HP av. J.-C. Sur ce texte, v o i r J. A N D R E A U , «La cité romaine dans ses rapports à l ' é c h a n g e et au m o n d e de l ' é c h a n g e » , dans Les Échanges dans l'Antiquité : le rôle de l'État, Saint-Bertrand-de-Comminges, M u s é e a r c h é o logique d é p a r t e m e n t a l , 1994 [ = J. A N D R E A U , 1994b], p . 92 et 95-96 : «[L'État] a le droit et le devoir d'exercer u n e r é g u l a t i o n , de faire r é g n e r la légalité, et de faire r é g n e r l'ordre p o u r placer ses ressortissants dans la meilleure situation possible.» L'approvi sionnement de la Ville et la situation privilégiée de la p l è b e constituent u n e exacerba tion de ce type d'analyse. 174
D ' o ù la hantise de la piraterie. D ' o ù le fait q u ' u n Sextus P o m p é e ait e s s a y é de c o n t r ô l e r les mers et d'affamer Rome p o u r s'emparer d u pouvoir. D ' o ù l'exceptionnel prestige d'Auguste, c é l é b r é comme celui q u i d o m i n a i t les terres et les mers... Tous ces aspects seront d é v e l o p p é s dans le chapitre 6. 1 7 5
TAC,
An.,
ΧΠ, 43, 1-2; SUET., Cl., X V H I , 3-4; G A I U S , Inst., I , 32 c; EPIT. U L P I E N , m ,
6.
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VIVRE DANS LA VILLE
En 58, Néron prit des mesures fiscales en faveur des marchands, allégeant les taxes sur le transport du blé et réglant que les navires ne seraient pas comptés dans le cens des négociants et après rincendie de 64, i l fixa l u i m ê m e le cours du blé à 3 sesterces le modius . Ensuite, Vespasien intervint personnellement dans l'organisation du marché de la viande , preuve que l'influence de l'administration de l'annone ne se limitait pas au b l é mais s'étendait à d'autres denrées, dont elle devait assurer u n arrivage suffisant et régulier (quand bien m ê m e le marché libre demeurait privé) . Enfin (mais la Uste n'est pas exhaustive), i l est très vraisemblable que l'État ait organisé des ventes de blé à prix contrôlé au moins dans les périodes de tensions du m a r c h é libre . De telles mesures soulignent que la res publica intervenait surtout dans les moments de crise . Cependant, i l faut prendre toute la mesure d'un effet de sources qui ne s'intéressaient à ces aspects de 176
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An., ΧΙΠ, 51, 3. An., XV, 39. Les m o d a l i t é s de cette i n t e r v e n t i o n sont en revanche t r è s floues. Voir SUET., Vesp., XIX. O n pourrait é g a l e m e n t citer u n exemple postérieur, celui d u collège des marchands d'huile de B é t i q u e q u i firent une dédicace à leur patron, M . Petronius Honoratus, préfet de l'annone de 144 à 146 ap. J.-C. Comme le souligne C. VIRLOUVET, 2003, p . 71-72, o n ne voit g u è r e quel i n t é r ê t ces marchands auraient eu à se placer sous cette protection si le préfet de l'annone ne s'était pas aussi o c c u p é d'huile, bien avant le B T siècle ( m ê m e avis chez W. BOECKAERT, 2011, p . 615-616). De m ê m e , sur une inscription d a t é e d u t o u t d é b u t d u LU siècle {AE, 2001, 1186), i l est question d'une dédicace offerte à M . Iulius H [ e ] r m e sianus, diffusor olei ad annon[am] Vrbis. Le l i e n entre l'huile et la p r é f e c t u r e de l'annone est clairement établi. C. VIRLOUVET, 2003, p . 7 1 . Cl. NICOLET, Rendre à César. Économie et société dans la Rome antique, Paris, Gallimard, 1988, p. 122. Selon C. VIRLOUVET, 2003, p . 70, l ' É t a t aurait f o u r n i , i n d é p e n d a m m e n t des distributions gratuites, des grains à p r i x r é d u i t a u x professionnels œ u v r a n t sur le m a r c h é libre, et i m p o s é en retour, p o u r le pain fabriqué à partir de ces grains, u n p r i x de vente fixe et avantageux p o u r le consommateur. C'est ainsi q u ' i l faudrait en t o u t cas comprendre u n passage obscur de SUET., Aug., X L I , 5 ( t r a d . C. VIRLOUVET, 1995b, p. 317) : « S o u v e n t aussi, en p é r i o d e de difficultés p o u r l'administration de l'annone, i l fit mesurer à chacun d u b l é à u n p r i x moins élevé, parfois m ê m e gratuit et (pour ce faire) doubla les bons valables p o u r de l'argent. » Frumentum quoque in annonae difficultatibus saepe leuissimo, interdum nullo pretto uiritim admensus est tesserasque nummarias dupli cami. I l est inutile p o u r nous d'entrer dans le d é b a t q u i porte sur l'acception que r e v ê t ici l'expression tessera nummularia. Voir là-dessus C. VIRLOUVET, 1995b, p . 310-324. O n peut en revanche abandonner l ' h y p o t h è s e de T h . M O M M S E N , Die römischen Tribus in administrativer Beziehung, A l t o n a , J. F. H a m m e r i c h , 1844, p . 186, q u ' a v a i t reprise P. VEYNE, Le Pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique, Paris, É d . d u Seuil, 1976, p . 526, n . 365, selon laquelle, le p o u v o i r i m p é r i a l organisait r é g u l i è r e m e n t des distributions à bas p r i x à côté des frumentationes mensuelles. Comme le souligne C. VIRLOUVET, 1995b, p. 312-313, les implications, n o t a m m e n t matérielles, d'une telle organisation auraient laissé des traces dans nos sources. 1 7 6
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P. GARNSEY, O. V A N NLJF, « C o n t r ô l e des p r i x d u grain à Rome et dans les cités de l ' E m p i r e » , dans C. VIRLOUVET, Cl. Μ Ο Α Τ Π , 1998, p . 303-315. Dans d'autres cas, l'interven t i o n des pouvoirs publics visait à mettre f i n à des situations de monopole, comme p o u r le m i n i u m de Sisapon en B é t i q u e . PLTN., NH, X X X m , 118-122 c o m m e n t é par J. A N D R E A U , 1994b, p . 92.
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LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
l'administration que lorsqu'ils soulevaient des problèmes politiques. En réalité, une grande partie des mesures prises par le pouvoir central était probablement durable et aucune source ne prétend que les contrats passés avec les transporteurs et les commerçants étaient limités à l'ache minement des denrées destinées aux frumentationes. À plusieurs reprises, les magistrats républicains, puis l'empereur, ont fait réaliser des bâtiments et travaux publics utiles à l'activité commerciale (ports, entrepôts...). De fait, si les privilèges d'une capitale dépendent de la diversité plus que de la quantité des denrées alimentaires qu'on y trouve, ils peuvent également se voir au prix de ces m ê m e s denrées et surtout au soin que le pouvoir accor dait à s'assurer qu'une partie non négligeable de sa population y accédât . De ce point de vue là au moins, la plèbe romaine put bénéficier d'une alimentation variée et équilibrée, qui dut se traduire par une situation nutritionnelle relativement exceptionnelle pour une population préindus trielle. 183
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3 - Un bilan nutritionnel satisfaisant? Il aurait fallu, pour définitivement le montrer, pouvoir convertir ces quantités de denrées en apports caloriques journaliers. Cependant, on atteint là les limites de ce que permettent les sources sans tomber dans des approximations très aventureuses . Tout d'abord, i l faudrait pouvoir disposer des aliments effectivement consommés. Ensuite, i l reste bien diffi cile de savoir jusqu'à quel point les estimations caloriques modernes sont adaptées aux aliments qui étaient consommés par les Anciens. Un simple exemple suffira à montrer la relativité de ce type d'analyses. Comme dans toute société préindustrielle, la base de l'alimentation était faite de céréales. Or, concernant le seul blé, m ê m e les macro-restes ne permettent pas d'identifier le type de blé au-delà de la famille à laquelle i l appartient. De même, en lisant Pline l'Ancien, on s'aperçoit que la masse volumique des grains diffère fortement d'une région de production à l'autre . Enfin et 185
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À titre d'exemple, u n e notice d u Digeste, extraite des Règles de Q. Cervidius Scaevola (juriste de la seconde m o i t i é d u I I s. ap. J . - C ) , rappelle que, p o u r bénéficier d'une exemption des numera publica, les nauicularii et les mercatores olearii devaient investir une large part de leur patrimoine dans leur activité commerciale. Plus i n t é r e s s a n t , la l o i stipule que l'obtention de ce privilège valait p o u r cinq ans. Dig., XLHI, 21, 4 (SCAEV., Reg., 1) : Nauicularii et mercatores olearii, qui magnam partem patrimonii ei rei contulerunt, intra quin quennium muneris publia uacationem habent. Voir J.-Y. GRENIER, 1997, p . 391-392, q u i distingue, p a r m i les outils dont disposait l'administration romaine p o u r s'en assurer : l'annone, les ventes publiques sur le m a r c h é libre et la fixation d ' u n p r i x m a x i m u m . Voir n o t a m m e n t les r é t i c e n c e s de J.-L. FLANDRIN, M . M O N T A N A R I (dir.), 1996, p. 10-11 d'une part, de C. VIRLOUVET, 1995a, p . 265 d'autre part, à l'égard de ce type d'ana lyse. J u s q u ' à p r é s e n t , les é t u d e s q u i o n t t e n t é de prendre en compte ces p a r a m è t r e s modernes sont essentiellement L . FOXHALL, H . A . FORBES, «SITOMETREIA. The role of grain as a staple food i n classical antiquity », Chiron, 12, 1982, p . 41-90; P. GARNSEY, « G r a i n for R o m e » , dans P. GARNSEY, K . HOPKINS et C. R. WHTTTAKER (dir.), Trade in the ancient economy, Londres, Chatto & Windus, 1983, p . 118 et ID., 1998, p . 236; et E. L o CASCIO, 1991, p . 235. PLIN., NH, X V m , 66 : «Si nous passons aux espèces q u i sont i m p o r t é e s à Rome, les e
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VIVRE DANS LA VILLE
surtout, à regarder des estimations contemporaines, on se rend compte que la valeur calorique du blé peut varier, selon son type et son mode de consommation, du simple au quintuple. Pour ne donner qu'un exemple, l'apport est de 70 kcal pour 100 g. de blé cuit mais de 300 kcal pour 100 g. de blé noir . D u coup, une estimation de ces apports basée sur des rations exprimées en modii et/ou sur une valeur nutritionnelle moyenne du blé n'a qu'un sens très relatif. Compte tenu de ces limites, peut-on malgré tout se risquer à u n tableau, m ê m e vague, de ce que pouvait être la situation nutritionnelle de la plèbe frumentaire à la fin de l'époque républicaine et au I siècle de l'Empire à partir de quelques produits qu'elle consommait quotidiennement ou, tout du moins, assez régulièrement, à savoir le pain, l'huile d'olive, le v i n et la viande? Il existe peut-être u n biais qui pourrait nous donner des estimations plus assurées. On sait, en effet, que l ' u n des traits spécifiques de la consommation de céréales à Rome, par rapport aux autres cités et plus encore aux campagnes antiques, est la préférence d o n n é e au pain sur les bouillies diverses et la présence précoce de boulangeries à côté de la panification domestique. Les premières mentions se rencontrent dans le théâtre de Plaute, et d'après Pline l'Ancien, le p h é n o m è n e est tout à fait courant au I siècle ap. J.-C. . Or, ces indications ne sont pas sans importance pour notre propos car l'éventail de la valeur nutritive du blé consommé sous forme de pain paraît nettement moins ouvert. Sur la base de critères contemporains, l'apport calorique du pain, quel que soit son type, ne varie globalement qu'entre 230 et 270 kcal, pour 100 g. . Cette approche revêt u n double avantage : elle permet de sérieusement réduire la marge d'erreur de l'une des variables de l'équation (la valeur calorique de l'aliment principal) tout en tenant compte d'une spécificité alimentaire propre à la Ville de Rome (le blé majoritairement consommé sous forme de pain). En admettant ce double point de départ, i l resterait alors à déterminer quelle était la consommation individuelle moyenne de pain. 187
e r
e r
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189
plus légères sont celles q u i viennent des Gaules et de la Chersonese, puisqu'elles ne d é p a s s e n t pas 20 livres au modius, si o n p è s e le grain seul. Le b l é de Sardaigne fait une demi-livre de plus, celui d'Alexandrie une demi-livre et u n tiers de plus - c'est aussi le poids d u b l é de Sicile - , celui de B é t i q u e une livre e n t i è r e de plus, celui d'Afrique une livre trois quarts de plus. » Nunc ex hi generibus quae Romam inuehuntur, leuissimum est Gallicum atque Chersoneso aduectum, quippe non excedunt modii uicenas libras, si quis granum ipsum ponderet. Sardum adicit selibras, Alexandrinum et trientes - hoc et Siculi pondus - Baeticum totam libram addit, Africanum et dodrantes. De ce p o i n t de vue, la valeur « m o y e n n e » (334 kcal p o u r 100 g.) d o n n é e par L. FOXHALL, H . A . FORBES, 1982, p. 46, semble d'une part quelque peu arbitraire et d'autre part ne pas tenir compte de l'impact d u mode de consommation. PL., Asin, 142; 200; Aul, 195; Bacch., 580; Cos., 310; Cure, 367; Men., 917; Pers., 471; Poen., 729; Irin., 254; PLIN., NH, XVTH, 84, 107. Voir C. VIRLOUVET, 1995a, p. 267; 187
188
M.
CORBIER, 1996, 189
p. 223;
N . M O N T E I X , 2010,
p.
133.
Analyse réalisée entre 2006 et 2008 par l'Observatoire d u Pain à partir de dix types de p a i n . V o i r Table de composition nutritionnelle des pains français - Juin 2008, h t t p : //www.observatoiredupain.com/publication.asp
77
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
Le p r o b l è m e est rendu e x t r ê m e m e n t complexe par l'absence de chiffre véritablement utilisable. I l existe toutefois une notice de Y Histoire Auguste qui n'est pas d é n u é e d'intérêt. Le biographe d'Aurélien affirme en effet que l'empereur transforma les distributions de blé en distributions de pain et que la ration quotidienne était, pour chaque citoyen, constituée d'une couronne de deux livres, soit environ 20 kg par mois . On consi dère habituellement que cette mesure sanctionna une diminution des quantités de céréales distribuées au peuple, puisque l'équivalent en blé aurait ainsi approché, sur la base d'une conversion établie à partir des chiffres fournis par Pline, 2,5-3 modii . Pourtant, au sein d'un paragraphe hagiographique entièrement dédié aux évergésies de l'empereur (la mise en place des distributions de porc est également évoquée), l'interprétation n'est pas sans poser quelque difficulté. De ce point de vue, on peut se demander, avec C. Virlouvet, s'il ne conviendrait pas de voir dans cette «baisse» une perte due à la panification . Autrement dit, l'État ayant, à partir de ce moment, pris en charge la panification jusqu'alors aux frais des ayants-droit, i l aurait appliqué une baisse, dont l'ampleur correspon drait, au maximum, aux montants engendrés par celle-ci, tout en tenant compte (à tout le moins peut-on le supposer) de ce qu'était la consomma tion effective (élevée, nous l'avons vu) de pain. Désormais, les bénéfi ciaires avaient la charge d'acheter (sans doute à prix réduit) la quantité de blé nécessaire pour atteindre ce qu'avaient été les rations distribuées par 190
191
192
190
SHA, A u x , XXXV, 1 : « J ' e s t i m e ne pas devoir passer sous silence u n détail dont le peuple conserve la m é m o i r e et que la caution de l'histoire a abondamment c o n f i r m é : Aurélien, à l ' é p o q u e de son d é p a r t pour l'Orient, avait promis au peuple des couronnes de deux livres s'il rentrait victorieux; comme le peuple espérait des couronnes d'or, tandis q u ' A u r é l i e n ne voulait et ne pouvait pas e n offrir de telles, i l fit fabriquer des couronnes de ce pain q u ' o n appelle a u j o u r d ' h u i pain de fleur de farine, et en fit distribuer une par citoyen, si bien que chacun recevait à vie son pain de fleur de farine par j o u r et transmet tait ce droit à ces descendants. » Non praetereundum uidetur, quod et populus memoria tenet et fides historica frequentami, Aurelianum eo tempore quo proficiscebatur ad Orientem bilibres coro nas populo promisisse, si uictor rediret, et, cum aureas populos speraret neque Aurelianus aut pos set aut uellet, coronas eum fecisse de panibus qui nunc siliginei uocantur, et singulis quibusque donnasse, ita ut siligineum suum cotidie toto aeuo suo [et] unusquisque et acciperet et posteris suis dimitteret. 191
PLIN., NH, XVLU, 88. Voir G. R I C K M A N , The Corn Supply of Ancient Rome, Oxford, Clarendon Press, 1980, p . 207; F. de ROMANIS, 1996, p . 153. Les conversions b l é - p a i n p r o posées par Pline et surtout les p r o b l è m e s qu'elles posent o n t é t é a n a l y s é e s par L . A . M O RITZ, Grain-mills and flour in Classical Antiquity, Oxford, Clarendon Press, 1958, p . 195-209. Voir aussi J. A N D R É , L'Alimentation et la cuisine à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1981 ( l éd., 1961), p. 54 sq. Le poids d u p a i n variait en fonction d u type de céréales (et à l ' i n t é r i e u r des blés d u type de blé), de la q u a l i t é d u pain que l ' o n cherchait à obtenir ( e l l e - m ê m e fonc tion, notamment, d u nombre d ' o p é r a t i o n s successives de blutage a p p l i q u é e s a u gruau puis du type d ' i n g r é d i e n t s - e n particulier le sel - a j o u t é s à la farine ainsi obtenue lors de la confection de la p â t e ) et d u m o u l i n utilisé. Par exemple, les machines trop u s é e s o u trop lentes n'extrayaient que 50 k g de farine pour 100 k g de b l é . Sur ces questions que nous ne pouvons aborder dans le détail, voir M . - C l . AMOURETTI, Le Pain et l'huile dans la Grèce anti que. De l'araire au moulin, Paris, Les Belles Lettres, 1986; C. VIRLOUVET, 1995b, p . 267-268 r e
et N . M O N T E I X , 2010, p . 133-167. 1 9 2
C. VIRLOUVET, 1995b, p . 268.
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VIVRE DANS LA VILLE
l'État (et au-delà, pour couvrir leurs besoins en céréales) au lieu de payer la panification. L'évergésie était en quelque sorte située dans cette espèce de transfert de charge. À supposer alors, q u ' à l'instar des 5 modii de blé, les 20 kg de pain ainsi distribués aient répondu aux besoins de plus d'un adulte mais de moins de deux, nous disposerions, dans cette hypothèse, d'une estimation, m ê m e approximative, de la consommation individuelle mensuelle moyenne de pain par la plebs frumentaria, y compris pour notre période. Elle aurait globalement été située entre 12 et 16 k g . Elle ne peut en revanche constituer qu'une estimation minimale de la consom mation de céréales dans son ensemble. En admettant ces différentes hypo thèses, i l serait alors possible d'extrapoler une partie elle-même minimale de la situation nutritionnelle globale de la plèbe frumentaire (sur la base des quatre denrées essentielles que constituaient le blé, l'huile, le v i n et la viande) de la manière suivante. 193
T A B L E A U 6 - A p p o r t c a l o r i q u e m o y e n de q u a t r e d e n r é e s de b a s e
Apport calorique (en kcal.) Apport calorique (en kcal.) pour 1 g.
195
194
Pain
viande
Vin
Huile
250 pr 100 g.
250 pr 100 g.
60 pr 10 cl.
90 pr 10 g.
2,5
2,5
0,6
9
En appliquant de telles données, et en indiquant systématiquement, compte tenu des incertitudes de la documentation, des fourchettes de valeurs, on aboutirait aux résultats exposés dans les tableaux 7 et 8.
1 9 3
La formule m a t h é m a t i q u e a p p l i q u é e est la suivante : capa-calorique-pain = n livres (romaines) χ 327,45 (poids e n g. d'une livre romaine) χ 2,5 (apport calorique p o u r 1 g.) χ 365. 1 9 4
Les d o n n é e s - s o u r c e s ( q u i ne peuvent ê t r e que des moyennes donnant u n ordre de grandeur) sont issues de J.-Cl. FAVŒR et alii, Répertoire général des aliments : table de composi tion, Paris-Londres-New York, LNRA-Tec&doc Lavoisier, 1995 ( 2 éd.) et S. W. Souci, W . F A C H M A N N et H . K R A U T , Food composition and nutrition tables, Stuttgart, M e d p h a r m Scientific Publishers, 2008 ( d e r n i è r e é d . ) . La capacité calorique ainsi i n d i q u é e est p r é s e n t é e sous forme n o r m a l i s é e p o u r avoir une d o n n é e finale q u i soit e x p r i m é e e n kcal/jour. Cet ordre de grandeur d é p e n d de deux p a r a m è t r e s : l'apport calorique n o r m a l i s é q u i correspond à la valeur calorique p o u r 1 g. et est e x p r i m é e n kcal./g. ( o n le note c ) ; la consommation d u p r o d u i t e n grammes par a n ( n o t é e N ) . E n c o n s é q u e n c e , les masses ( M ) e n kg. sont converties en grammes, t o u t comme les liquides (L), mais par le biais de la masse v o l u m i q u e ( n o t é e rho) q u i relie le poids a u v o l u m e d u liquide et d é p e n d donc de la d e n s i t é d u liquide que l ' o n c o n s i d è r e . La formule est la suivante Ν = L / r h o χ 1000. Pour l'huile, cette valeur est de r h o = 0,9. U n litre d'huile p è s e donc 0,9 k g ; nous introduisons alors la c a p a c i t é calorique, é v a l u é e en kcal/jour. Nous l'exprimons c o m m e suit : capa-cal = Ν χ c / 365. La formule finale est donc e n kcal./jour. M e r c i à R. Gerzaguet p o u r ses éclaircissements décisifs. e
195
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
79
T A B L E A U 7 - S i t u a t i o n n u t r i t i o n n e l l e de la p l è b e de R o m e à la f i n de la R é p u b l i q u e et a u d é b u t de l ' E m p i r e Type de denrée consommée
Blé panifié
Viande
Hypothèses de consommation
Quantité annuelle consommée
Apport calorique annuel (en kcal.)
Apport calorique jour nalier (en kcal.)
Hypothèse basse (12 kg/mois)
149 kg
373 497
1023
Hypothèse moyenne (14 kg/mois)
179 kg
448 197
1227
Hypothèse élevée (16 kg/mois)
210 kg
522 896
1432
Consommation basse
12,5 kg
31 250
86
196
Consommation moyenne
30 kg
75 000
205
Consommation haute
45 kg
112 500
308
Consommation par hab. pour 1,2 million d'hab. Huile
Vin
197
200
8,51.
198
17,51.
199
68 850 141 750
189
388
Consommation par hab. pour 1 million d'hab.
101.
21 1.
81 000 170 100
222
466
Consommation par hab. pour 800 000 hab.
12,5 1.
26 1.
101 250 210 600
277
577
Consommation basse (1 L/jour)
365 1.
219 000
600
Consommation moyenne (1,5 l./jour)
547,5 1.
328 500
900
Consommation haute (2 l./jour)
730 1.
438 000
1200
1 9 6
L ' h y p o t h è s e basse a é t é obtenue en supposant que la distribution établie sur cinq mois au V siècle constituait la moyenne annuelle, h y p o t h è s e , nous l'avons v u , t r è s peu probable. L ' h y p o t h è s e haute est fixée arbitrairement. La formule m a t h é m a t i q u e est donc la suivante : capa-calorique-viande = n k g . χ 1000 χ 2,5 / 365. Comme nous l'avons v u , toute l'huile ne servait pas à l'alimentation. Inverse ment, ces estimations ne p o u v a n t q u ' ê t r e minimales (voir supra), i l p a r a î t r a i t aberrant d'ôter u n pourcentage (par ailleurs difficile à estimer) q u i tenterait de rendre compte de la seule consommation alimentaire. La formule m a t h é m a t i q u e est donc la suivante : capacalorique-huile = n litres / 0,9 χ 1000 x 9 / 365. H y p o t h è s e J. M . B l â s q u e z Martinez. H y p o t h è s e E. Rodriguez Almeida. E n supposant que l'apport n u t r i t i o n n e l d u v i n r o m a i n était similaire à celui d u v i n actuel. Or, i l faudrait p o u v o i r prendre la mesure d u fait q u ' i l était souvent c o n s o m m é de m a n i è r e d i l u é e . Inversement, comme le souligne A . Tchernia, ce sont là des mesures de consommation minimales q u ' i l faudrait p o u v o i r estimer à la hausse pour les hommes adultes. E n c o n s i d é r a n t le v i n comme u n liquide de d e n s i t é 1, la formule m a t h é m a t i q u e est donc la suivante : capa-calorique-vin = n litres / 1 χ 1000 χ 0,6 / 365. e
197
198
199
2 0 0
a
80
VIVRE DANS LA VILLE
Pour des raisons de clarté, les différents apports caloriques sont synthétisés dans le tableau 8.
T A B L E A U 8 - B i l a n chiffré de l ' a p p o r t c a l o r i q u e ( e n kcal.) des d i f f é r e n t e s d e n r é e s Apport calorique journalier total
Pain
Viande
Huile
Hypothèse basse
1023
86
189-388
600
1898-2097
Hypothèse moyenne
1227
205
222-466
900
2554-2798
Hypothèse haute
1432
308
277-577
1200
3217-3517
Vin
T A B L E A U 9 - E s t i m a t i o n des besoins q u o t i d i e n s ( e n kcal.) j o u r n a l i e r s dans u n pays d é v e l o p p é (France) et dans u n pays é m e r g e n t ( I n d e ) Fondation française pour la n u t r i t i o n
2 0 1
I n d i a n Council of Medical Research (1988) Très actif (lourd)
H o m m e adulte
2700
Femme adulte
2000
1-3 ans
M o d é r é m e n t actif
2875
Sédentaire
2425
Très active
2825
M o d é r é m e n t active
2225
Sédentaire
1875
1360
4-6 ans
1830
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7-9 ans
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Enfant 10-12 ans
Enfant 12-19 ans
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H. : 2600
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F. 2350
H. : 2190
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H . : 13-15
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F. : 16-18
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F. : 2400
Présentée ainsi et mise en regard avec des critères contemporains d'évaluation de la malnutrition (tableau 9), quels commentaires peut-on faire? Tout d'abord, i l convient de constater que l'incertitude demeure
Source d u tableau : A . TCHERNIA, 2000b, p. 755.
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L A VILLE C O M M E FACTEUR D E DISTINCTION
patente, l'éventail variant encore dans des proportions importantes (18983517 kcal.). Cependant, si important que soit l'écart, de telles données ne sont pas inutilisables : si 1898 kcal, par jour apparaissent comme une hypothèse basse, notamment parce qu'elle se base sur une estimation soit partielle soit minimale de la consommation de certains produits (les céréales, l'huile et la viande), u n tel apport journalier suffisait n é a n m o i n s à nourrir u n homme sédentaire et une femme m o d é r é m e n t active (pour cette dernière, toutefois, la consommation de v i n constitue sans doute u n maximum). Les hypothèses moyennes voire hautes sont probablement plus proches des besoins masculins et assuraient donc aux hommes une nutrition tout à fait correcte, compte tenu du fait que la valeur idéale moderne est généralement fixée autour de 3000 kcal, par jour pour des adultes mâles actifs . En outre, i l faut tenir compte du fait que le blé ainsi consommé était riche en protéines, si bien que le problème de la PEM (Protein-Energy-Malnutrition), actuellement fréquente dans de nombreux pays en voie de développement (parce que l'aliment principal y est très faible en protéines), ne devait guère se poser à Rome . Enfin, cette plèbe, ou tout du moins «sa partie frumentaire» avait encore accès à d'autres produits, notamment des légumes en quantité non mesurable mais probablement importante. Or, pour ne prendre que trois exemples parmi les légumes qui étaient les plus appréciés de la plèbe, 200 g. de navets couvraient l'essentiel des besoins en vitamines A et C; 400 g. de fèves séchées étaient riches de 320 kcal, et assuraient surtout 50% des besoins en vitamines B2; enfin, 200 g. de chou, sans doute le légume le plus populaire , ne comptaient certes que 30 kcal, mais avaient surtout la particularité, comme le navet, d'être très riches en vitamines (A, B l , B2, C, Κ et U). De fait, les légumes complétaient utilement le régime quotidien et devaient ainsi permettre de lutter efficacement contre des maladies telles que la xeroftalmia, le scorbut, les dystrophies de la peau et des muqueuses ou d'autres encore. In fine, s'il faut, pour toutes les raisons que nous avons exposées précédemment, tirer des conclusions de ces chiffres avec la plus grande prudence, i l semble toutefois permis d'assurer sans trop se tromper que, m ê m e en ne prenant que les moyennes les plus basses, la situation nutritionnelle de la plèbe frumentaire n'avait pas grand chose à voir avec les tableaux apocalyptiques dressés par les sources littéraires qui faisaient de la cuisine populaire celle qui récupère t o u t . Inversement, ces chiffres, relativement optimistes, attestent bien le fait que la partie frumentaire de la population formait u n groupe très privi légié dont la situation, qui bénéficiait de la proximité avec les élites, ne 202
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2 0 2
De m ê m e , nous retrouvons ainsi des chiffres similaires, q u o i q u ' u n peu plus bas, à ceux de F. D E ROMANIS, 1 9 9 6 q u i était, l u i , parti des chiffres de la consommation globale de blé à Rome, ce q u i souligne la c o m p l é m e n t a r i t é des deux approches. 2 0 3
2 0 4
P. GARNSEY, 1 9 9 8 , p .
229-232.
Notamment, nous dit Pline, parce q u ' i l était cultivable toute l ' a n n é e . PLIN., NH, XIX, 1 3 7 . Voir aussi CAT., Agr., CLVI. Sur la consommation des fèves, voir é g a l e m e n t PLIN., NH, XIX, 1 3 3 . Sur ces aspects, voir A . CARANDINI, 1 9 8 5 , p . 7 1 - 7 3 . Selon J u v é n a l (Juv., m, 2 9 4 - 2 9 5 ) , la t ê t e de m o u t o n bouillie constituait le «régal du s a v e t i e r » . Sur la signification de ce type de s t é r é o t y p e s , voir M . CORBIER, 1 9 9 6 , p . 2 2 5 . 2 0 5
82
VIVRE DANS LA VILLE
reflète en rien celle du reste des habitants de l'Empire, n i m ê m e celle de l'ensemble de la plèbe de l'Vrbs.
B - La soif de l'Vrbs : Veau, la Ville et «la»
plèbe
206
1 - L'eau : une prérogative plébéienne? Le second point fondamental concernant le bien-être de sa population auquel l'État fut p a r t i c u l i è r e m e n t attentif était l'approvisionnement hydrique de la Ville. De ce point de vue, significative est l'absence totale de la moindre trace de ce que l'on pourrait appeler une «émeute de la soif» dans la base de d o n n é e s . I l faut dire que le dispositif d'acheminement de l'eau, portée à Rome par 10 aqueducs construits entre 312 av. J.-C. (YAqua Appia) et 109 ap. J.-C. (Aqua Traiana) , était, d'un point de vue quanti tatif, tout à fait impressionnant, y compris selon des critères modernes. On a ainsi pu calculer que le volume d'eau quotidien pour chaque habitant de la Ville de Rome était de presque 1 000 litres à l'apogée de l'Empire ! Toutefois, était-ce là le nombre de litres dont disposait effectivement chaque plébéien? Personne ne l'a jamais prétendu dans la mesure o ù tous les chercheurs étaient naturellement conscients du fait que l'intégralité de cette quantité d'eau n'était pas réellement mise à la disposition de la popu lation et qu'une part importante, une fois satisfaits les besoins de l'empe reur et des élites, était utilisée dans les thermes impériaux, pour certains spectacles ou encore pour les ateliers et le monde du travail . De fait, en soi, ces chiffres n'ont pas grand sens et, surtout, ne disent rien des condi tions pratiques d'accès à l'eau (par quel biais celle-ci était-elle acheminée dans l'espace urbain? qui y avait accès? selon quelles modalités? qui en 207
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2 0 6
Ce titre est u n clin d'ceil à la t h è s e r é c e n t e de V. LEMIRE, La Soif de Jérusalem. Essai d'hydrohistoire (1840-1948), Paris, PUPS, 2 0 1 0 . Sur ce point, voir aussi Chr. B R U U N , « A c q u e d o t t i e condizioni sociali d i Roma imperiale : i m m a g i n i e r e a l t à » , dans C. VIRLOUVET (éd.), 1 9 9 7 , p. 1 2 2 - 1 5 5 . E n dehors d u champ chronologique q u i nous i n t é r e s s e ici, u n aqueduc fut encore a m é n a g é sous Alexandre S é v è r e . Ainsi, P. G R I M A L , Frontin. Les Aqueducs de la Ville de Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1 9 4 4 , p . 8 3 ; L . H O M O , Rome impériale et l'urbanisme dans l'Antiquité, Paris, A l b i n Michel, 1 9 7 1 ( l éd., 1 9 5 1 ) , p . 2 1 0 ; G. D E KLEIJN, The Water Supply of Ancient Rome. City Area, Water and Population, Amsterdam, J. C. Gieben, D u t c h Monographs o n A n c i e n t History and Archeology, 2 0 0 1 , p . 6 9 [table 8 1 . A i n s i , F r o n t i n distingue e n permanence les besoins de l ' e m p e r e u r (nomine Caesaris), des particuliers (priuati) q u i avaient r e ç u de ce dernier le privilège d'avoir u n accès p r i v é et direct sur l'eau publique et, enfin, les usages publics (usus publia), terme sous lequel i l regroupe les besoins de la population. FRONT., Aq., LXXVLTI. I l est toutefois difficile de d é t e r m i n e r avec précision ce que recouvre chacun de ces mots. O n c o n s i d è r e par exemple que publiais concernait aussi certains m o n u m e n t s publics comme les bains et les thermes. Or, l'expression usus publiais pourrait ne d é s i g n e r que ce q u i est au populus et g é r é par la cura aquarum, par opposition au fiscus o u au Patrimonium i m p é r i a l . Dès lors, les mots nomine Caesaris pourraient plus largement concerner t o u t b â t i m e n t g é r é par l'empe reur, y compris les thermes construits par l u i . 2 0 7
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r e
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LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
83
assurait l'entretien?) et, au-delà, des conséquences de ces conditions urbaines sur la vie sociale et culturelle des plébéiens. Le problème n'est donc pas tant de reprendre de manière partielle une bibliographie plétho rique et technique, que de centrer le propos sur les réseaux de sociabilité et les hiérarchies sociales structurées par les conditions urbaines, sur les rela tions entre citadins, sur les formes de solidarité et donc sur la façon dont les conditions de vie permirent - ou pas - une stabilité de la plèbe dans YVrbs et, au-delà, u n attachement à celle-ci qui aurait comme constitué u n «imaginaire de la Ville» spécifiquement plébéien. Nous nous attacherons donc à répondre à ces différentes questions en partant du nombre de lacus effectivement mis à la disposition de la popula tion (et non de la quantité d'eau totale qui parvenait quotidiennement à Rome). Pour ce faire, les sources à notre disposition ne sont pas très nombreuses. Les textes n'abordent que rarement la question des conditions de vie dans une autre perspective que celle du mépris (cf. supra). L'épigraphie s'avère presque d'aucun secours : rares étaient les particuliers auxquels l'empereur avait concédé le droit d'accéder directement au réseau public d'adduction d'eau. Aussi les fistulae se révèlent-elles peu utiles. Quant à l'archéologie, les données sont maigres et se r é s u m e n t essentiellement à quelques châteaux d'eau repérés dans l'espace ou en bordure immédiate de la Ville . De fait, nous n'avons que très peu d'informations sur les conditions pratiques d'accès à l'eau par la plèbe. Elles se r é s u m e n t globalement, pour Rome m ê m e , à une notice de Pline l'Ancien, au traité de Frontin et aux données fournies par les Régionnaires . De ces trois sources, nous appre211
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211
Pour Rome m ê m e , nous n'avons que deux t é m o i g n a g e s a r c h é o l o g i q u e s de castella. Le premier se situait au d é b o u c h é de YAqua Claudia (Th. ASHBY, The Aqueducts of Ancient Rome, Oxford, Clarendon Press, 1935, p . 243-244, le second, associé à Y Aqua Claudia o u à YAnto Nouus, est m a s q u é par la fontaine monumentale dite Trofei di Mario sur l'actuelle Piazza Vittorio ( G . TEDESCHI-GRISANTI, Î «Trofei di Mario» : il ninfeo dell'Acqua Giulia sull'Esquilino, Rome, I m o n u m e n t i R o m a n i , 1977). I l date d u r è g n e d'Alexandre S é v è r e . Th. Ashby mentionne d'autres structures disparues, reliées à Y Aqua Marcia et à Y Anto Vêtus, p r è s de la Porta Maggiore (Th. ASHBY, 1935, p . 45-46 et p . 82). À l ' e x t é r i e u r de Rome, deux installations o n t é t é r e t r o u v é e s , l'une par R. LANCIATO, Topografia di Roma antica. I Commentarii di Frontino intorno le acque e gli aquedotti, Rome, M A L [s. 3 ] , 4, 1880, p. 461-463, associée à YAqua Traiana, l'autre par R. VOLPE, «Lo scavo d i u n tratto urbano dell'Aqua M a r c i a » , dans Archeologia laziale XI, 2, Quaderni di Archeologia Etrusco-Italica, 23, 1993, p . 59-64, p r è s de YAqua Marcia à hauteur de la porta Labicana. Concernant le r é s e a u d'adduction d'eau à l ' i n t é r i e u r de la Ville, i l n'existe pas, à notre connaissance, d'analyse systématique d u m a t é r i e l a r c h é o l o g i q u e . Voir en dernier lieu, C. F . NORENA, « W a t e r distri b u t i o n a n d t h e residential t o p o g r a p h y of A u g u s t a n R o m e » dans L . HASELBERGER, J. H . HUMPHREY (dir.), Imaging Ancient Rome : Documentation-Visualization-Imagination, Port smouth, JRA, 2006, p . 91-105 (JRA. Suppl. series, 61). 212
E n revanche, elles sont, d ' u n p o i n t de vue a r c h é o l o g i q u e , plus nombreuses p o u r Pompei et Ostie, n o t a m m e n t depuis la publication r é c e n t e de É . B U K O W I E C K I , H . DESSALES et J. DUBOULOZ, Ostie, l'eau dans la ville. Châteaux d'eau et réseau d'adduction, Rome, École fran çaise de Rome, 2009 {CEFR, 402), q u i donne une mise à j o u r c o m p l è t e sur le sujet et fournit m ê m e des é l é m e n t s d ' i n t e r p r é t a t i o n q u i d é p a s s e n t t r è s largement le seul contexte ostien. Dans la mesure o ù seule la p l è b e nous i n t é r e s s e et que, par ailleurs, i l est impos sible de donner une estimation globale satisfaisante d u v o l u m e d'eau a c h e m i n é quoti diennement à Rome (voir infra), i l semble plus s û r et m i e u x a d a p t é à notre objectif de 2 , 3
84
VIVRE DANS LA VILLE
nons ainsi que le système d'adduction d'eau de la Ville ne différait pas fonda mentalement de ce que l'on peut repérer notamment à Ostie (et non à Pompei qui constituait en matière d'hydraulique u n cas «hors n o r m e » ) , à savoir des châteaux d'eaux primaires (castella) situés au débouché des aque ducs, relayés par des châteaux d'eau secondaires à l'intérieur des régions, alimentant à leur tour des fontaines portant le n o m de lacus, salientes, munera ou opera publica. Les lacus désignaient probablement de simples bassins, les salientes des fontaines d'eau jaillissante. Les opera publica, quant à eux, étaient probablement des fontaines ouvragées du type de celles que l'on trouve encore aujourd'hui à Rome sur le Janicule (Aqua Paola) tout comme les munera mentionnés par le seul Frontin et qu'il décrit comme suit : ita enim lacus cultiores adpelantur . On déduit de cette dernière remarque que la diffé rence tenait avant tout à l'échelle de ces réservoirs, du réservoir distributeur s'inscrivant dans l'espace public sans participer d'un programme édilitaire et assurant la répartition des eaux sur une vaste superficie aux réservoirs desservant les besoins d'un quartier ou d'un ensemble de bâtiments groupés autour d'une cour ou d'une viabilité interne . Si l'on s'en tient aux données fournies par Pline, Frontin et les Régionnaires, nous disposerions donc de trois états de la situation hydrique de la population romaine : selon le premier, Agrippa aurait, dès 33 av. J.-C, fait aménager 700 lacus et 500 (ou 106 ?) salientes alimentés par 130 castella . Ces chiffres seraient toutefois tombés, au temps de Nërva, à 591 lacus, 39 214
215
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219
munera, 75 (ou 95?) opera publica et 22 castra desservis [en revanche] par 247 castella , avant de « r e m o n t e r » à 1 204 (Curiosum), 1 216 (Notitia) ou 220
e
221
1 352 (Breuiarium) lacus au début du IV siècle . Les traditions manuscrites
partir d u r é s e a u de fontaines, tel q u ' i l peut a p p a r a î t r e dans différentes sources, p o u r en venir ensuite à des d o n n é e s quantitatives par habitant, p l u t ô t que de partir de la q u a n t i t é totale, dont les estimations varient d u simple a u triple (322 000 m selon Herschel, 1 010 000 m selon Ashby) et de le diviser ensuite par trois (entre l'empereur, les parti culiers et les usages publics) à partir des pourcentages de F r o n t i n , sans que l ' o n sache v é r i tablement, nous l'avons v u , ce que recouvrait le terme usus publiais n i quelle q u a n t i t é d'eau é t a i t effectivement mise à la disposition de la population. H . DESSALES, «La distribution de l'eau à Pompei : u n cas hors n o r m e ? » , dans M . - O . LAFORGE (éd.), Contributi di archeologia vesuviana III : La norme à Pompei (I siècle avant - I siècle après J.-C), Lyon-Rome, Centre Jacob Spon-L'Erma d i Bretschneider, 2007, p. 129-138, q u i m o n t r e que le passage de Vitruve (VITR., vm, 7, 1) sur la tripartition des usages à partir d ' u n castellum situé en b o r d de Ville n'est pas applicable à Pompei. FRONT., Aq., LU, 2. À moins que les opera publica n'aient d é s i g n é les m o n u m e n t s des eaux. 3
3
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Selon la d i s t i n c t i o n o p é r é e par É . B U K O W T E C K I , H . DESSALES et J. D U B O U L O Z , 2009,
p. 16-17. 2 1 7
D e u x traditions manuscrites s'opposent : d et cui. La l e ç o n g é n é r a l e m e n t retenue (celle d u manuscrit le plus ancien) est toutefois la p r e m i è r e . 2 1 8
2 1 9
P L I N . , NH,
X X X V I , 121.
U n autre type de fontaine, impossible à d é t e r m i n e r mais q u i , d ' a p r è s Chr. B R U U N , 1991, p. 105, n . 25, n'avait rien à voir avec une réalité militaire. FRONT., Aq., LXXVLTJ, 3. D ' a p r è s le m ê m e F r o n t i n , la q u a n t i t é d'eau mise à la disposition de la population aurait pourtant c o n s i d é r a b l e m e n t « a u g m e n t é » sous Nerva (FRONT., Aq., L X X X V I I ) . E n dehors des castella, l'affirmation pose de fait p r o b l è m e . L ' é d i t i o n de r é f é r e n c e est i c i celle de A . N O R D H , Libellus de regionibus urbis Romae, 2 2 0
2 2 1
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
85
ont profondément altéré la fiabilité des deux premières séries de chiffres fournies par Pline et Frontin et i l n'est pas évident de déterminer la raison pour laquelle le nombre de fontaines publiques aurait été plus important à l'époque d'Octave/Auguste q u ' à celle de Nerva avant de considérablement «remonter» au IV siècle. Un tel mouvement est étrange et ne correspond à aucun autre indicateur, à commencer par celui de l'évolution de la crois sance urbaine. Une solution - radicale - a donc été, à la suite des travaux de de Chr. Bruun, de souligner la fiabilité du De Aqueductu sur la base de la posi tion «socio-professionnelle» avérée de son auteur, sénateur et surtout curator aquarum en 97 de notre ère, ayant procédé lui-même au recense ment des lacus de Rome et, à l'inverse, de déconsidérer sans autre forme de procès, celles de Pline «che abbia usato informazioni non attendibili» et des Régionnaires, simple guide touristique qui aurait présenté une ville idéale et non une situation réelle . Chr. Bruun s'inscrit ici dans le sillage de recherches initiées par G. Hermansen à la fin des années 1980 et reprises plus récemment par J. Arce selon lesquelles les Régipnnaires auraient constitué u n inventaire merveilleux n'ayant aucun fondement. La preuve en serait fournie par le gonflement des chiffres dans les régions centrales (VILI, Χ, XI) pour mieux souligner la grandeur de Rome, J. Arce y voyant même la version chiffrée d'un panégyrique de la Ville . Cependant, u n autre courant dit «fidéiste» a, semble-t-il, m o n t r é que l'on pouvait utiliser ces données. Tout d'abord, les listes statistiques très e
222
223
précises de uici, d'aediculae, de uicomagistri, de balnea, de pistrina ou encore
de lacus inscrites à la fin de chaque regio ne tiennent guère du guide touris tique . Ensuite, les tentatives de cartographie des informations fournies se sont révélées très fécondes et les corrélations mathématiques établies entre les différents chiffres par les analyses de G. R. Storey laissent aujourd'hui peu de place à l'hypothèse de la fantaisie n u m é r i q u e . De fait, si le Curiosum 224
Vrbis Regionum XIV et la Notitia Regionum XIV ont peut-être servi de matrices
aux guides touristiques du Moyen-Âge, leur nature et leur finalité étaient bien plus complexes. Et si l'objectif en était peut-être, à l'instar de la Forma
Lund, Acta Instimi Romani Regni Suedae, s. 8°, m, 1949. Dans une é t u d e r é c e n t e , R. BEHRWALD, «Les R é g i o n n a i r e s de Rome : stratigraphies d ' u n t e x t e » , CRAI, 2006, p . 743-764, a tenté de montrer que le contenu de ces documents, tel q u ' i l nous est a u j o u r d ' h u i connu, est le r é s u l t a t d'une suite de remaniements et de réutilisations d u texte, dont i l est toute fois possible d'identifier u n m o d è l e c o m m u n à situer dans les p r e m i è r e s a n n é e s de la période constantinienne (312-315). 2 2 2
2 2 3
Chr.
B R U U N , 1997,
p . 134-135.
Respectivement Chr. B R U U N , 1997, p. 135; G. HERMANSEN, « T h e population of Imperial Rome : the R e g i o n i a r i e s » , Historia, 27,1978, p . 129-168 et J. ARCE, «El inventario de Roma : Curiosum y Notitia», dans W. V. HARRIS (dir.), The Transformations o/Vrbs Roma in Late Antiquity, Portsmouth, JRA, 1997, p. 15-22 (JRA. Suppl. series, 33). A . CHASTAGNOL, «Les R é g i o n n a i r e s de R o m e » , dans Les Littératures techniques dans l'Antiquité romaine. Statut, public et destination, tradition, V a n d œ u v r e s - G e n è v e , Fondation Hardt, 1996, p . 179-197; J.-P. GUTLHEMBET, «La d e n s i t é des domus et des insulae dans les XrV r é g i o n s de Rome selon les R é g i o n n a i r e s : r e p r é s e n t a t i o n s c a r t o g r a p h i q u e s » , MEFRA, 108, 1996, p. 7-26; D. W. REYNOLDS, Forma Urbis Romae : The Severan Marble Plan and The Urban Form of Ancient Rome, A n n Arbor, PhD, 1996 et G. R. STOREY, 2001 et 2002. 2 2 4
86
VIVRE DANS LA VILLE
Vrbis Marmorea, de présenter u n catalogue illustrant la magnificence de Rome, la collation d'une telle quantité de détails était nécessairement liée à l'existence de documents administratifs officiels comme ceux qui furent élaborés à l'occasion de la censure de Vespasien et Titus en 73 ap. J.-C, au cours de laquelle ne furent pas seulement consignés le nombre d'habitants (en vertu de l'antique tradition du census) mais aussi, si l'on en croit Pline l'Ancien, des informations sur l'extension de la Ville intra muros, le nombre de collines situées à l'intérieur de YVrbs, le nombre de carrefours (compita), de portes ainsi que la distance entre l'entrée du Forum et chacune de ces portes . Or, c'est très précisément le type de renseignements que l ' o n trouve dans les Régionnaires, dont la genèse est probablement à situer dans une longue tradition d'enregistrement, à des fins administratives, des diffé rents éléments qui constituaient la Ville, résumés dans une forme qui illus trait autant la splendeur de Rome que la maîtrise de son administration, voire ce que l'on pourrait appeler le «Roman way of life ». Certains renseignements étaient donc destinés aux habitants tandis que d'autres l'étaient peut-être pour des visiteurs. Dans les deux cas, les chiffres indi qués à la fin de chaque regio n'avaient rien d'une «situazione i d e a l e » . Par voie de conséquence, on ne peut ipso facto récuser le témoignage fourni par les Régionnaires. I l nous faut donc voir si, inversement, on ne peut pas le rattacher à une autre série statistique. C'est à ce niveau-là que les chiffres fournis par Pline peuvent se révéler d'une certaine utilité car, ajoutés les uns aux autres (700 lacus + 500 salientes = 1200 ), ils présentent u n nombre de fontaines publiques d'un ordre tout à fait similaire à celui des Régionnaires (1204, 1216 ou 1352), l ' u n n ' é t a n t pas sans garantir la fiabilité de l'autre, surtout si l'on se rappelle que c'est également Pline qui mentionne le census qui fut m e n é à l'époque de Vespasien et Titus. On peut de ce point de vue raisonnablement penser que l'encyclopédiste et les rédacteurs du Curiosum et de la Notitia avaient eu recours au m ê m e type d'archives administratives. Et les quelques divergences de vocabulaire d'une source à l'autre ne constituent en rien u n obstacle à cette hypothèse. En effet, en tenant compte du fait que, d'une part, le vocabulaire technique et la nomenclature administrative ont pu évoluer entre le I et le I V siècle 225
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PLIN., NH, LU, 6 6 : «Le p o u r t o u r de ses murailles, sous la censure des empereurs Vespasiens, l ' a n 8 2 6 de sa fondation, a atteint 1 3 milles 2 0 0 pas, embrassant sept collines. La Ville e l l e - m ê m e est divisée en 1 4 régions, avec 2 6 5 carrefours des Lares. » Moenia eius colleßere ambitu imperatoribus censoribusque Vespasianis anno conditae DCCCXXV1 m. p. XIIICC, conplexa montes Septem. Ipsa diuiditur in reßiones XIIII, compita Lamm CCLXV. Sur ce texte, voir F. CoARELLi, «La consistenza della città nel periodo imperiale : pomerium, uid, insulae», dans C. VIRLOUVET (éd.), 1 9 9 7 , p . 8 9 - 1 0 9 . 2 2 6
D . W . REYNOLDS, 1 9 9 6 , p . 2 1 4 .
2 2 7
Chr.
2 2 8
B R U U N , 1 9 9 7 , p. 1 3 5 .
Ce q u i implique i l est vrai, mais comme i l ne p a r a î t pas illégitime de le faire, de c o n s i d é r e r que Pline, t o u t en utilisant le verbe feat ( P U N . , NH, X V m , 1 2 1 ) , englobe dans le calcul l'ensemble des fontaines de la Ville, y compris celles p r é e x i s t a n t e s à réduite d'Agrippa, que celui-ci aurait par exemple simplement r e s t a u r é e s o u o r n é e s ( i l est d'ail leurs question dans la phrase suivante de ces ornements de fontaines). I l s'agit d u reste d ' u n emploi hyperbolique parfaitement a t t e s t é d u terme fedì dans le domaine de l ' é v e r g é tisme. Voir par exemple RGDA, X I X et le commentaire ad loc. de J. Scheid.
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LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
et que, d'autre part, l'entreprise de Pline et celle des Régionnaires n'obéis saient pas au m ê m e objectif, les différences s'expliquent aisément. C'est probablement la raison pour laquelle les lacus et les salientes sont réunis dans les Régionnaires sous une appellation unique et générique dont la divergence n'était de toute manière pas fonctionnelle (il s'agissait toujours de fontaines) mais bien architecturale (seule la finition et l'échelle de répartition divergeaient) . Dès lors, si l'on veut bien accepter le rappro chement entre ces deux sources, i l faudrait en déduire que le nombre de fontaines mises à la disposition de la population romaine approchait les 1200 dès l'édilité d'Agrippa, une hypothèse audacieuse qui suppose de fait une certaine constante dans le nombre sur presque quatre siècles. Il n'y a toutefois là rien d'impossible. Tout d'abord, i l ne semble pas qu'à Rome, les besoins de la population en eau aient beaucoup évolué entre l'époque d'Octave/Auguste et celle de Constantin dans la mesure o ù le nombre d'habitants est d e m e u r é relativement constant entre le I et le I V . siècle . Ensuite et surtout, comme l'a r é c e m m e n t suggéré Chr. Bruun, l'aménagement de nouveaux aqueducs n'était pas directement lié à la crois sance démographique . U n simple constat le prouve : la Rome d'Auguste comptait sans doute déjà u n million d'âmes alors qu'il fallut attendre le règne d'Alexandre Sévère pour que l'approvisionnement en eau c o n n û t son extension maximale. Est-ce à dire que la population augustéenne fut plus mal lotie que son homologue sévérienne? Non car la construction d'un aqueduc était effectivement une réalisation moins dépendante de la situa tion démographique qu'un p h é n o m è n e à caractère «culturel». Autrement dit, l'initiative d'aménager u n tel monument correspondait souvent à la volonté d'édifier des bains, des thermes ou d'autres bâtiments publics repré sentant u n grand besoin d'eau. La Virgo alimentait pour partie les thermes d'Agrippa. L'Alsitiena était, elle, entièrement destinée aux grandes nauma229
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2 2 9
De fait, le m o t lacus est le terme le plus g é n é r i q u e p o u r d é s i g n e r u n bassin de fontaine public, au contraire des bassins de domus g é n é r a l e m e n t décrits, dans nos sources, en termes d'impluuium, de piscina o u d'euripus et jamais - à une exception p r è s , en contexte rural - de lacus. De la m ê m e façon, le m o t salientes utilisé par Pline renvoie égale ment à des fontaines publiques, comme le s u g g è r e d u reste l'édilité d'Agrippa que l'encyd o p é d i s t e p r é s e n t e en termes d'action mise au service d u populus. Sur ces questions s é m a n t i q u e s , voir en dernier l i e u H . DESSALES, Le Partage de l'eau. Fontaines et distribution hydraulique dans l'habitat urbain de l'Italie romaine, Rome, École française de Rome, 2013 (BEFAR, 351), p. 54-55. Comment penser, en revanche, le cas de ces bassins de fontaines possiblement situés dans les cours internes de certaines insulae (voir infra)? Étaient-elles, malgré leur statut privé, enregistrés p a r m i les lacus (donc, p a r m i ces 1200) o u avec les concessions p r i v é e s dont elles d é p e n d a i e n t ? La d e u x i è m e solution p a r a î t r a i t p r é f é r a b l e . 2 3 0
E . L o CASCIO, 2001b, p . 184-185 pense q u ' i l faut attendre le sac d'Alaric (410) et l'abandon rapide de la cité par u n nombre i m p o r t a n t d'habitants p o u r constater une p r e m i è r e baisse significative, en dehors des é p i d é m i e s de la f i n d u I I siècle et d u I I I siècles. Le I V siècle a é t é ensuite m a r q u é par une forte reprise q u i v i t la p o p u l a t i o n retrouver les niveaux de l ' é p o q u e a u g u s t é e n n e . Chr. B R U U N , 1997, p . 123-126, q u i s'appuie l u i - m ê m e sur les analyses de Ph. LEVEAU, « R e s e a r c h o n Roman Aqueducts i n the Past Ten Years », dans Α . Τ. H O D G E (dir.), Future Currents in Aqueducts Studies, Leeds, Cairns, 1991, p. 158. Voir aussi E . L o CASCIO, «The Size of the Roman Population : Beloch and the M e a n i n g of the Augustan Census Figures», JRS, 84, 1994 [= E . L o CASCIO, 1994b], p. 27, n . 23. e
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VIVRE DANS LA VILLE 232
chies du Trastevere . Néron fit ériger des thermes impériaux sur le Champ de Mars et si aucun aqueduc ne fut construit à ce moment-là, on sait que deux nouveaux aqueducs avaient été érigés sous Claude (YAqua Claudia et YAnio Nouus), à propos duquel tout laisse à penser qu'il avait lui-même projeté la construction de thermes . Enfin, Trajan fit, à son tour, construire des thermes d'une ampleur jamais atteinte jusqu'alors. Cette construction s'accompagna logiquement d'un nouvel aqueduc que les Fasti Ostienses expliquent avoir été destiné, entre autres, aux thermes, ce que confirme également une inscription sur une fistula retrouvée à proximité de ces m ê m e s thermes . Et u n raisonnement semblable pourrait encore être tenu pour Caracalla, Alexandre Sévère et Dioclétien . De fait, rien n ' e m p ê c h e de penser que les besoins de la population romaine en termes de fontaines et d'accès quotidien à l'eau furent très largement satisfaits dès réduite d'Agrippa, surtout si l'on se rappelle que c'est à ce m o m e n t - l à que se m i t en place, pour la première fois dans l'histoire de Rome, u n véritable suivi dans la politique de l'eau qui constitua, de ce point de vue, u n tournant, tant quantitatif (135 000 m d'eau supplémentaires venant s'ajouter aux 191 000 existant, soit une augmentation de près de 7 1 % , c'est-à-dire d'une ampleur qui ne fut jamais plus atteinte ) que qualitatif (meilleure distribution du réseau d'une part, politique de curage et d'entretien des fontaines d'autre part) dans l'histoire de l'approvisionnement hydrique de Rome. Par ailleurs, l'hypothèse d'une telle constance dans le nombre de fontaines ne revient absolument pas à nier tout lien entre croissance urbaine et approvisionnement hydrique, dans la mesure où i l est tout à fait envisageable, d'une part, que certains secteurs de la Ville, notamment après 233
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la construction de YAqua Claudia et YAnio Nouus, aient été renforcés ou
affaiblis en nombre de fontaines
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- le chiffre fourni par le Breuiarium
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FRONT., Aq., X I , 1, précise en outre que l'eau de YAlsitiena n ' é t a i t pas potable. FRONT., Aq., X C V n , 1 souligne à une autre reprise le lien entre ludi et besoins en eau, lors q u ' i l explique que le circus Maximus était r é g u l i è r e m e n t rempli d'eau pour les ludi Circenses. 2 3 3
Chr.
2 3 4
Chr.
BRUUN, 1 9 9 1 , p. 1 3 5 .
2 3 5
Chr.
B R U U N , 1 9 9 7 , p. 1 2 6 .
BRUUN, 1 9 9 7 , p. 1 2 5 .
2 3 6
G . D E K L E U N , 2 0 0 1 , p. 5 8 - 6 0 . E n revanche, s'il faut prendre toute la mesure de l'ampleur des travaux entrepris par Agrippa dans le domaine de l'approvisionnement en eau, i l convient inversement de se garder d'une lecture catastrophiste, q u ' i l serait simpliste d'appliquer m é c a n i q u e m e n t aux p é r i o d e s plus anciennes. M ê m e si l'absence totale de chiffres concernant le nombre de lacus interdit toute é v a l u a t i o n d u nombre de litres q u i é t a i e n t effectivement mis à la disposition des r é s i d e n t s de la Ville avant 3 3 av. J.-C, l'absence (déjà s o u l i g n é e ) d ' é m e u t e s de la soif, comme le nombre d'aqueducs connus p o u r la p é r i o d e p r é - a g r i p p é e n n e , s u g g è r e n t m a l g r é t o u t une situation q u i n ' é t a i t pas n é c e s s a i r e m e n t alarmante. 2 3 7
F r o n t i n explique que, sous Trajan, le nombre de fontaines augmenta. Cependant, i l ne chiffre pas cette augmentation sans doute encore très largement prospective au m o m e n t de la r é d a c t i o n d u traité d'une part et, d'autre part, le paragraphe o ù i l souligne ce renforcement semble surtout avoir eu p o u r b u t de souligner la munificentia d u prince. FRONT., Aq., LXXXVLU, 1 : «L'effet de cette sollicitude de son Chef, le Très Pieux Empereur Nerva, se fait sentir de j o u r en j o u r sur la reine et souveraine d u monde, q u i se dresse comme la déesse de la Terre, et q u i n'a n i égale n i seconde; i l se fera sentir davantage sur l ' h y g i è n e de cette m ê m e ville grâce à l'augmentation d u nombre des c h â t e a u x d'eau, des
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L A VILLE C O M M E FACTEUR DE DISTINCTION
(1352) laisse tout de m ê m e une marge de 152 nouveaux lacus par rapport à l'époque d'Octave/Auguste, soit une augmentation d'un ordre de grandeur très proche (12%) des autres indicateurs dont on dispose sur la m ê m e p é r i o d e - et surtout, d'autre part, que ces différents lacus aient pu, au gré de l'augmentation de la quantité d'eau acheminée dans la Ville, soit être pourvus de fistulae plus larges qu'une simple quinaria (5 cm de diamètre) afin que le débit y fût, pour certains d'entre eux au moins, progressivement a u g m e n t é , soit être équipés d'arrivées doubles, provenant d'aqueducs différents, afin que l'approvisionnement y fût plus assuré permettant ainsi d'éviter toute rupture. D u reste, à relire Frontin, on s'aperçoit qu'il ne dit pas autre chose des a m é n a g e m e n t s du I siècle : 238
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« E n o u t r e , dans c h a q u e p a r t i e de la v i l l e , les fontaines p u b l i q u e s , aussi b i e n les n o u v e l l e s q u e les anciennes, f u r e n t , p o u r la p l u p a r t , d o t é e s c h a c u n e de d e u x bouches a l i m e n t é e s par des aqueducs d i f f é r e n t s a f i n q u e , si u n accident a r r ê t a i t l ' u n e o u l ' a u t r e , l ' a u t r e la r e m p l a ç â t et que le service n e f û t point interrompu . » 2 4 0
ouvrages, des fontaines monumentales et des bassins publics. » Sentit hanc curant imperatoris piissimi Neruae principis suis regina et domina orbis in dies, quae terrarum dea consistit, cui par nihil et nihil secundum, et magis sentiet salubritas eiusdem aeternae urbis aucto castellorum, operum, munerum et lacuum numero. Pline l'Ancien rapporte en effet q u ' à l ' é p o q u e de la censure de Vespasien et Titus (voir supra), la cité comptait 2 6 5 carrefours des Lares (compita Lamm). Les R é g i o n n a i r e s mentionnent pour leur part 3 0 7 (Curiosum) o u 3 0 4 (Notitia) uici pour le m i l i e u d u I V siècle, soit une augmentation de 1 2 - 1 3 % · (si l ' o n suppose q u ' i l n ' y avait q u ' u n compitum par uicus). Si l ' o n prend en compte les chiffres d u Breuiarium ( 4 2 3 / 4 2 4 ) , F. COARELLI, 1 9 9 7 , p . 9 2 - 9 6 , propose, sur la base d'erreurs probables de transmission, de les ramener à 3 2 3 / 3 2 4 , chiffre par ailleurs a t t e s t é par u n autre auteur tardif : Zacharias de M y t i l è n e ( V I siècle ap. J . - C ) . À ce compte, l'augmentation d u nombre de carrefours serait de 1 8 % . D ' a p r è s M . TARPIN, 2 0 0 8 , p. 4 8 , le nombre de uici dont Pline fait é t a t remonterait à l ' é p o q u e a u g u s t é e n n e . Contra J. B . LOTT, The Neighborhoods of Augustan Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 2 0 0 4 , p. 8 7 , q u i affirme que ce chiffre serait issu d u cens de 7 3 . Notons qu'une augmentation d u nombre de uici ne signifie pas n é c e s s a i r e m e n t une extension spatiale de la Ville. Ainsi, la r é g i o n Χ d u Palatin comptait six uici sous Hadrien (cf. la base capitoline) et vingt au I V siècle (sur les R é g i o n n a i r e s ) , alors qu'elle n'a vraisemblablement g u è r e p u s'accroître (sur ce point, voir P. GROS, 2 0 0 1 , p. 1 1 8 - 1 2 1 ) . E n revanche, dans la mesure o ù les uici constituaient u n maillage administratif q u i remplissait diverses fonctions que l ' o n dirait aujourd'hui de «service p u b l i c » , leur augmentation traduit une forme d ' a m é l i o r a t i o n de la couverture de la Ville par l'administration i m p é r i a l e . 2 3 8
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VITR., V i n , 7, 4 .
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FRONT., Aq., LXXXVTJ, 5 : Atque etiam omni parte urbis lacus, tarn noui quam ueteres, plerique binos salientes diuersarum aquarum acceperunt ut, si casus alterutram impedisset, altera sufficiente non desisteruetur usus. I l nous semble que c'est probablement ainsi q u ' i l faut é g a l e m e n t comprendre les implications de l ' a m é n a g e m e n t par Claude de deux nouveaux aqueducs dont F r o n t i n dit bien qu'ils permirent une augmentation g é n é r a l e d u v o l u m e (estimée par G . D E K L E U N , 2 0 0 1 , p. 6 0 à 2 8 7 0 0 0 m par j o u r ) et n o n qu'ils furent suivis de la construction de nouvelles fontaines. C'est probablement que l'essentiel fut d e s t i n é aux bains (les thermes de N é r o n ) , à l'augmentation et/ou à la p é r e n n i s a t i o n d u débit dans chacune des fontaines déjà existantes et aux plaisirs des priuati, comme o n le comprend de FRONT, Aq., ΧΠΙ, 1 : « A p r è s eux, Caius César, le successeur de Tibère, jugeant que sept aqueducs é t a i e n t insuffisants p o u r le service de la Ville et les plaisirs des particuliers, la d e u x i è m e a n n é e de son r è g n e , sous le consulat de M . Aquila Julianus et de P. Nonius 3
90
VIVRE DANS LA VILLE
Il y a de fait tout lieu de penser qu'une partie importante du réseau était déjà en place dès l'édilité d'Agrippa et que l'équipement supplé mentaire visa surtout à pérenniser le système mis en place par le lieutenant d'Auguste. Cela expliquerait notamment pourquoi i l fut décidé, en 11 av. J.-C, à la suite d'un recensement général du nombre des fontaines, effectué par une commission sénatoriale présidée par les consuls, de ne pas revoir celui-ci à la hausse . Cela n'était tout simplement pas nécessaire. Est-ce à dire que les chiffres transmis par Frontin sont faux? On le sait, les évaluations données aux chapitres 78-86 ont été très mutilées par la trans mission manuscrite . Or 591 lacus constitueraient une estimation relative ment pessimiste, surtout du point de vue du nombre d'habitants par bassin (entre 1300 et 2000 personnes/foo/s, pour une population comprise entre 800 000 et 1,2 million d'habitants), à moins de penser que tous ne s'appro visionnaient pas aux fontaines pour leurs besoins quotidiens. Une autre hypothèse serait d'ajouter les chiffres donnés au chapitre 78 (lacus, munera et castra) en tenant compte du débit, différent selon le type édilitaire. Le résultat pourrait alors offrir une certaine convergence avec les évaluations que nous proposons infra. Une dernière piste, sans le moindre doute à écarter, serait de considérer que Frontin, pour ce qui concerne les lacus (mais pour quelle raison?) n'aurait pas pris en compte l'ensemble des XIV régions mais une zone plus restreinte. Donnant par exemple les résultats des mesures qu'il avait p u réaliser sur YAqua Iulia, i l explique que cet 241
242
aqueduc recevait 162 quinariae de YAqua Claudia à hauteur des horti Pallan243
tiani qu'il précise être prope urbem . A u sens strict, ils n'étaient donc pas dans YVrbs. Or, ces jardins se trouvaient à cheval sur la Via Tiburtina, juste de l'autre côté du mur servien. Serait-ce à dire qu'il aurait pu entendre le mot Vrbs dans u n sens restrictif, et que certains de ses chiffres ne vaudraient que pour la zone comprise à l'intérieur du mur servien? Sans être satisfaisante (Frontin lui-même raisonne par régions augustéennes), l'hypothèse redonnerait une logique aux chiffres du dossier : i l n'y aurait pas eu de diminution du nombre de fontaines entre l'édilité d'Agrippa et le principat de Nerva , et les chiffres fournis par les trois sources pourraient alors s'avérer complémentaires et étayer la hausse évoquée par Frontin après la construction de YAqua Claudia et de YArdo Nouus : pour cela, i l 244
Asprenas, Tan 7 8 9 de la Fondation de Rome, c o m m e n ç a deux aqueducs. Ces travaux furent a c h e v é s de la façon la plus magnifique par Claude q u i en fit la dédicace sous le consulat de Sulla et de Titianus, Tan 8 0 3 de la Fondation de Rome, le 1 a o û t . » Post hos C. Caesar, qui Tiberio successit, cum parum et publias usibus et priuatis uoluptatibus septem ductus aquarum sufficere uiderentur, altero imperii sui anno, M. Aquila Iuliano P. Nonio Asprenate cos., anno urbis conditae septingentesimo undenonagesimo, duos ductus inchoauit. Quod opus Claudius magnificentissime consummauit dedicauitque Sulla et Titiano consulibus, anno post urbem conditam octingentesimo tertio Kalendis Augustis. ER
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FRONT., Aq.,
2 4 2
P. G R I M A L , 1 9 4 4 , p. 4 7 .
2 4 3
CIV, 1.
FRONT., Aq., LXIX, 3 : « E n outre, elle [YAqua Iulia] reçoit, p r è s de la Ville, a p r è s les Jardins de Pallas, 1 6 2 quinariae de la Claudia.» Praeterea accipit prope urbem post Pallantianos ex Claudia quinarias centum sexaginta duas. Bien au contraire, les zones comprises à l ' i n t é r i e u r d u m u r servien auraient é t é renforcées. 2 4 4
91
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
faudrait admettre que l'espace de YVrbs aurait é t é l'objet essentiel des adjonctions (peut-être m ê m e une partie des 150 lacus identifiés supra, ce qui, dans une petite zone comme YVrbs - 426 ha - constituerait en effet une augmentation considérable) entre la fin du I s. av. J.-C. et celle du I s. ap. J.-C. Ces derniers supposeraient alors une forte densité de fontaines à l'intérieur du mur servien . Alors se pose le problème de la densité de lacus par hectare et donc, au préalable, celui de l'extension de la Ville. A. von Gerkan et L. Homo avaient autrefois tenté des estimations de l'extension globale des XTV régions qui, à défaut de résoudre toutes les difficultés inhérentes à une telle entreprise , ont encore aujourd'hui le mérite de ne pas s'en tenir au mur aurélien. Comp te tenu du fait que les lacus aménagés par Agrippa et encore en fonction à l'époque de Frontin desservaient aussi bien YVrbs que ses continentia, ces évaluations peuvent de ce point de vue constituer u n commode point de départ, à savoir 1628,5 ha selon A. von Gerkan, 1783 selon L. H o m o . À ce compte, la densité de fontaines aurait été dans l'ensemble de la Ville de 0,67 à 0,73 lacus/ha soit u n chiffre assez proche, quoique légèrement inférieur à la moyenne pompéienne (0,86) , cette densité montant cependant à 0,91 dès lors que Ton retient comme limite la Ville encerclée par la muraille aurélienne (1317 ha) . Toutefois, à Rome, capitale d'Empire envahie par la monumentalité, l'indicateur ne prend vraiment tout son sens qu'en évaluant la densité de lacus par rapport à la surface livrée à « l'espace disponible », c'està-dire défalqué des aires correspondant aux monuments publics, aux nécro poles et aux jardins qui ne doivent pas entrer dans le calcul. C'est à ce niveau-là que peuvent être utilisées les propositions d'A. Von Gerkan qui s'était efforcé d'évaluer les surfaces correspondant aux différents modes d'utilisation du sol venant d'être cités, soit u n espace «libre» de 992,3 ha dans l'ensemble des XIV régions et de 822,3 à l'intérieur de la muraille aurélienne . En retenant ces chiffres, la densité de lacus à l'hectare aurait donc été comprise entre 1,2 et 1,46 soit des moyennes cette fois-ci très supérieures e r
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2 4 5
Surplus e s t i m é à 180 lacus e n v i r o n dans l'enceinte servienne. E n effet, si l ' o n part du principe que les 1200 lacus avaient é t é u n i f o r m é m e n t répartis dans Rome, l'espace compris à l ' i n t é r i e u r d u m u r servien aurait d û compter e n v i r o n 407 fontaines. Pour u n e x p o s é de ces difficultés - n o t a m m e n t le fait que les limites aient p u bouger - voir J.-P. GUILHEMBET, 1996 et 2006b. 2 4 6
2 4 7
Respectivement
L. HOMO,
1971, p . 108 s^.
et A . V O N G E R K A N ,
«Grenzen
und
Grössen der vierzehn Regionen R o m s » , BJ, 149, 1949, p . 5-65 [repris dans ID., Von antiker Architektur und Topographie, Stuttgart, W. Kohlhammer, 1959, p . 393-430]. 2 4 8
2 4 9
D . W. REYNOLDS, 1996, p . 244.
Selon nos é v a l u a t i o n s . Voir infra Tableau 10. M ê m e s'il faut r e c o n n a î t r e que certaines estimations devraient certainement ê t r e revues. Voir sur ce point les critiques de G. CALZA, L G I S M O N D I et G. LUGLI, «La popolazione di Roma a n t i c a » , BCAR, 69, ser. 8, 3,1941, p. 142-165, part. p . 147-148 et 160-165. Cepen dant, l ' é l a b o r a t i o n d'une liste c o m p l è t e demanderait u n travail de très longue haleine q u i dépasse très largement le cadre de notre é t u d e . L'estimation de l'espace libre à l ' i n t é r i e u r d u mur a u r é l i e n a é t é obtenue par le biais d ' u n simple calcul de p r o p o r t i o n n a l i t é à partir des chiffres fournis par A . V o n Gerkan. I l faut donc ici accepter u n e marge d'erreur. 2 5 0
92
VIVRE DANS LA VILLE 251
à la «norme» p o m p é i e n n e . On le voit, l'idée selon laquelle une petite ville serait nécessairement plus salubre qu'une mégapole semble ici atteindre ses limites. En outre, ces chiffres, avancés avec toute la prudence nécessaire, se trouvent malgré tout confirmés par une démarche inverse. En supposant que les lacus aient été répartis de manière optimale dans l'espace urbain et en se basant sur les estimations d'H. Eschebach quant au rayon d'action (50 m) couvert par u n lacus à Pompei , 1200 fontaines auraient desservi 942 ha, soit u n chiffre assez proche de l'évaluation de A. von Gerkan. Si l'on suit toutefois Chr. Bruun, le statut de mégapole de la ville de Rome inciterait à appliquer u n coefficient supérieur et à porter ce rayon à 70 m environ. La surface ainsi couverte aurait été, à raison d'une fontaine par hectare et demi, de 1847 ha. À cet égard, i l est intéressant de noter que l'on parvient à une évaluation sensiblement identique en prenant en compte une autre mesure à notre disposition. Si l'on considère en effet que chaque castellum desservait une zone de 150 m de rayon, 247 castella (chiffre de Frontin) auraient pourvu Rome en eau sur une surface de 1746 ha . De fait, compte tenu des inéga lités régionales, ces chiffres paraissent tout à fait envisageables. Précisément, peut-on affiner la répartition de ces lacus à l'intérieur de l'espace de YVrbs, m ê m e si nous ne disposons, pour le déterminer, que des données fournies par les Régionnaires? C'est ce que tente de faire le tableau ci-après, qui met en perspective le nombre de lacus tel qu'il apparaît dans le Curiosum et la Notitia et les super ficies des régions données par L. Homo et A. von Gerkan ainsi que nos propres évaluations calculées, avec l'aide de R. Gerzaguet , à partir du plan fourni par D. Palombi dans le Lexicon Topographicum Urbis Romae, vol. IV, qui fait désormais autorité sur les limites internes de la Ville. Toutefois, compte tenu des incertitudes qui entourent les limites ayant servi de base de calcul aux Régionnaires , notamment pour les régions avec des parties extérieures à la muraille aurélienne (V, V I , VII, IX, ΧΠ, XTV) nous avons, à titre de comparaison, retenu une double mesure : à l'intérieur des murs auréliens et dans l'ensemble des XIV régions . Ces chiffres ont donc surtout une valeur de modèle prédictif. 252
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251
Cette comparaison a certes une valeur relative dans la mesure o ù elle ne tient pas compte de la superficie o c c u p é e par l'espace public. Toutefois, à Pompei, la m o n u m e n t a l i t é était incommensurablement m o i n d r e q u ' à Rome. H . ESCHEBACH, «Die Gebrauchswasserversorgung des antiken P o m p e j i » , AW, 10, 2, 1979, p . 3-24; « P r o b l e m e der Wasserversorgung P o m p e j i s » , CronPomp, 5, 1979, p. 24-60; «Katalog der pompejanischen Laufbrunnen u n d ihre Reliefs», AW, 13, 1982, p . 21-25; « D i e i n n e r s t ä d t i s c h e Gebrauchswasserversorgung dargestellt a m Beispiel Pompejis» dans, J.-P. BOUCHER (éd.), Journées d'études sur les aqueducs romains, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p . 95-133. 2 5 2
2 5 3
Chr. B R U U N , 1991, p.
133.
2 5 4
D o c t o r a n t - i n g é n i e u r au sein de Gipsa-lab (CNRS, Grenoble-INP, Université Jospeh Fourier et Université Stendahl). D . P A L O M B I , «Regiones Quattuordecim (topografia)», dans LTUR, IV, 1996, p. 199-204, part. p. 201. Nous avons retenu, p o u r cette d e r n i è r e mesure, les limites e x t r ê m e s p r o p o s é e s par 2 5 5
2 5 6
A . V O N G E R K A N , 1949,
p. 47 et
55.
TABLEAU
10 - Estimation
de la superficie des X I V r é g i o n s et d e n s i t é de lacus par r é g i o n Superficie de la Ville en ha à l'intérieur des murailles auréliennes selon C. Courrier et R. Gerzaguet
Densité de 1 lacus à l'ha (à l'intérieur des murailles auréliennes)
1,92/2,06
42,2
1,92/2,06
1,29
0,95
68,2
0,95
1,12
0,88
1,3
49,9
1,3
38,79
1,01/1,11
1,72/1,89
1,83/2,01
38,79
1,83/2,01
57,2
228,19
0,35
1,29
0,32
222,13
0,34
203,6
85,9
228,39
0,32
0,84
0,32
220,5
0,33
^ Régions
Nombre de lacus
Superficie totale en ha des régions selon L. Homo
Superficie totale en ha des régions selon Α. von Gerkan
Superficie sans espace public en ha (A. von Gerkan)
Superficie totale en ha des régions selon C. Courrier et R. Gerzaguet
I
81/87
132
57,5
42,8
42,2
0,61/0,66
1,89/2,03
Π
65
67
68
50,4
68,2
0,97
ΠΙ
65
58
166,5
73,8
49,9
IV
71/78
70
53,5
41,2
ν
74
213
103
VI
73
225
257
258
Densité de lacus à l'ha (par rapport à la surface totale)
vn
76
145
63,5
43,7
153,7
0,52
1,74
0,49
95,25
0,80
v m
120
26
47,9
28,4
30,56
4,62
4,22
3,92
30,56
3,92
IX
120
201
296,5
160,3
187,41
0,60
0,75
0,64
183,80
0,65
X
90/89
24
37
19,6
25,37
3,75/3,71
4,59/4,54
3,55/3,51
25,37
3,55/3,51
XI
20
36
31
20,5
16,5
0,55
0,97
1,21
16,5
1,21
xn
80/81
74
86,5
57,1
97,84
1,08/1,09
1,40/1,42
0,82/0,83
91,2
0,88/0,89
XIII
89/88
112
124
74,7
133,38
0,79/0,78
1,19/1,18
0,67/0,66
133,38
0,67/0,66
XIV
180
400
290
236,7
287,75
0,45
0,76
0,63
99,75
1,80
Total
1204/1216/ Breu. : 1352
1783
1628,5
992,3
1588
0,67
1,21
0,75
1317
0,91 LO
2 5 7
Quand i l y a deux chiffres, le premier est celui d u Curiosum, le second celui de la Notitia. L a p r e m i è r e colonne est celle calculée à partir de L. H o m o , la d e u x i è m e à partir de A . v o n Gerkan [espace disponible], la t r o i s i è m e à partir de nos >ropres d o n n é e s . 258
T A B L E A U 11 - Classement des r é g i o n s par o r d r e croissant de d e n s i t é de lacus Selon les données de L. Homo
Densité
Selon les données de A. von Gerkan
Densité
Selon nos données [surface totale]
Densité
Selon nos données à l'in térieur du mur aurélien
Densité
VI
0,32
IX
0,75
V
0,32
VI
0,33
V
0,35
XIV
0,76
VI
0,32
V
0,34
XIV
0,45
VI
0,84
vn
0,49
IX
0,65
vn
0,52
m
0,88
XTV
0,63
xm
0,67/0,66
XI
0,55
XI
0,97
IX
0,64
vn
0,80
IX
0,60
xm
1,19/1,18
xm
0,67/0,66
xn
0,88/0,89
I
0,61/0,66
π
1,29
xn
0,82/0,83
π
0,95
xm
0,79/0,78
V
1,29
π
0,95
XI
1,21
π
0,97
xn
1,40/1,42
XI
1,21
m
1,3
xn
1,08/1,09
rv
1,72/1,89
m
1,3
XTV
1,80
IV
1,01/1,11
vn
1,74
IV
1,83/2,01
rv
1,83/2,01
m
1,12
I
1,89/2,03
I
1,92/2,06
I
1,92/2,06
χ
3,75/3,71
vm
4,22
χ
3,55/3,51
X
3,55/3,51
vm
4,62
χ
4,59/4,54
vm
3,92
vm
3,92
95
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
Il apparaît assez clairement que six régions se détachent nettement sur le plan quantitatif, en matière d'équipement hydraulique : dans l'ordre croissant, la XI, la m, la IV, la I , la X et la VBŒ qui ont toutes des densités supérieures à 1, la région Π se situant toutefois juste en dessous de ce seuil (0,95). I l est intéressant de noter que cinq de ces six régions étaient des zones centrales, sises à l'intérieur du mur servien : la m (1,3 lacuslha), la IV (c. 2), la v m (3,92), la X (3,55) et la X I (1,21) avec une densité de fontaines pouvant atteindre les 4 lacus/hâ (davantage si l'on retient l'indice von Gerkan) qui n'est pas sans rappeler l'éventuel gonflement de l'hypercentre que nous avions supposé à partir du traité de Frontin et homogénéise ainsi les indicateurs sur les zones centrales . Si l'on suppose en effet que 591 lacus desservaient la zone comprise dans le mur servien, soit 426 ha, la densité y aurait été, en moyenne, beaucoup plus élevée (1,4 lacus/ha) que dans l'ensemble de la Ville (entre 0,71 et 0,91) avec des densités assez proches des Régionnaires. Inversement, la densité de lacus semble avoir été assez faible dans certaines régions, notamment la V, la V I et la V u avec des densités inférieures à 0,5 et, plus largement dans l'enseifible des zones péri phériques, toutes se situant, à l'exception notable de la regio I , en deçà du seuil de 1 lacus/ha. I l est intéressant de noter qu'il s'agit là des zones passant habituellement pour avoir été les moins densément peuplées, en particulier les regiones V, V I et XIV envahies par les jardins périurbains . De ce point de vue, les lacus semblent être u n intéressant indicateur des densités de peuplement et surtout du fait, pour ce qui nous concerne plus spéci fiquement ici, que l'administration impériale avait veillé à la répartition la plus optimale possible, afin de r é p o n d r e au mieux aux besoins de l'ensemble de la population. L'immense majorité de la plèbe semble avoir été touchée par l'approvisionnement de la Ville en eau, qui était, de ce point de vue, plus égalitaire qu'en matière de distributions de blé. À supposer que l'ensemble de la population ait recouru à ces lacus pour ses besoins quotidiens, chaque lacus aurait alors desservi, sur une surface moyenne d'environ 1,3 ha , u n nombre d'habitants compris entre 660 259
260
261
262
263
2 5 9
L'immense superficie de la r é g i o n X I V q u i se trouvait hors les murs fausse la densité de cette r é g i o n à l ' i n t é r i e u r de la muraille a u r é l i e n n e . Sur ce p r o b l è m e j u s q u ' à p r é s e n t r é c u r r e n t , voir J.-P. GUILHEMBET, 1996. 2 6 0
2 6 1
2 6 2
D . W. REYNOLDS, 1996,
p.
244.
Nous mettrons plus avant ces chiffres en perspective avec d'autres indicateurs [balnea, pistrina, insulae) afin de d é t e r m i n e r s'il existait à Rome des quartiers « p o p u l a i r e s » . Notons s i m p l e m e n t p o u r le m o m e n t l ' h o m o g é n é i t é des d i f f é r e n t s indicateurs q u i confirment u n gonflement de l'hypercentre. Si l ' o n retient la surface des XTV régions, soit entre 507 et 770 hab./ha, p o u r une moyenne de 640. Si l ' o n retient la surface de Rome à l ' i n t é r i e u r de l'enceinte a u r é l i e n n e , chaque lacus aurait couvert une zone d'environ 1,13 ha (rayon de c. 60 m ) , soit entre 584 et 885 hab./ha (moyenne : 735). Si l ' o n applique maintenant les m ê m e s calculs à la seule surface utile, soit 992,3 ha dans le premier cas, 822,3 dans le second, nous obtenons les estimations suivantes : u n r a y o n d'environ 52 m ( u n peu moins de 0,85 ha) et des densités comprises entre 776 et 1176 hab/ha (moy. : 976) dans le premier cas; u n rayon d'environ 47 m ( u n p e u moins de 0,7 ha) et des d e n s i t é s comprises entre 942 et 1428 hab./ha (moy. : 1185). À titre de comparaison avec des villes o ù l ' é v a l u a t i o n fait aussi la part de l'espace « u t i l e » , les d e n s i t é s sont à Hong-Kong de 1656 hab./ha, 1169 à Bombay et 2 6 3
96
VIVRE DANS LA VILLE
(pour une estimation totale de la population de 800 000) et 1 000 (1,2 million), pour une valeur moyenne de 830 habitants (1 m i l l i o n ) . Or, si l'on raisonne à partir des quantités d'eau fournies par u n lacus telles qu'elles apparaissent dans l ' œ u v r e de Frontin, nous sommes désormais en mesure de parvenir à une estimation relativement assurée de l'eau qui était effectivement et quotidiennement mise à la disposition de la population romaine. Aqueduc par aqueduc, chaque lacus fournissait quotidiennement entre 1,9 et 2,46 quinariae d'eau avec une moyenne de 2,25 . Si, en dépit 264
265
1018 à Calcutta. Ces chiffres sont d o n n é s par J. E. STAMBAUGH, The Ancient Roman City, Baltimore-Londres, The Johns Hopkins University Press, 1988, p . 89-90. O n peut égale m e n t citer d'autres chiffres : certains quartiers romains comptaient en 1881 des d e n s i t é s s u p é r i e u r e s à 800 hab./ha. À Naples, durant la m ê m e p é r i o d e , 16 des 19 districts de Naples p o s s é d a i e n t plus de 45 000 h a b / k m , soit 450 hab./ha (certains ayant toutefois des d e n s i t é s s u p é r i e u r e s à 1500). La città vecchia de Trieste regroupait en 1931 18 000 habitants sur une surface de 37,56 ha, soit 480 personnes/ha. Cependant, la surface d é v o l u e aux habitations p r i v é e s n ' é t a i t que de 10,5 ha, soit une d e n s i t é / h a de 1700 hab. Dans cette perspective, les d e n s i t é s de p o p u l a t i o n auxquelles nous parvenons p o u r Rome, dont les immeubles é t a i e n t construits en hauteur, n ' o n t rien d'impossible n i d'extraordinaire. Voir E. L o CASCIO, « C o n d i z i o n i igienico-sanitarie e dinamica della popolazione della città d i Roma dall'età tardorepubblicana al t a r d o a n t i c o » , dans J.-N. CORVISIER, Chr. DIDIER et M . VALDHER (éds.), Thérapies, médecine et démographie antiques, Arras, Artois Presses Univer sité, 2001 [ = E. L o CASCIO, 2001a], p. 50. 2
264
É t r a n g e m e n t , Chr. B R U U N , 1991, p. 105 et 1997, p . 129, parvient à une conclusion du m ê m e ordre (1 lacus - 900 personnes); « é t r a n g e m e n t » , car, avec les chiffres q u ' i l avance, i l est absolument impossible de parvenir à une telle conclusion. Sa d é m a r c h e est la suivante : i l retient une population d'1 m i l l i o n d'habitants r é p a r t i s sur 1370 ha (à l ' i n t é rieur d u m u r a u r é l i e n ) puis abaisse arbitrairement la d e n s i t é ainsi obtenue (740 hab./ha.) à 600 hab. par ha. Supposant que le r a y o n d'action d'une fontaine est de 70 m (soit 1,5 ha), i l multiplie 600 par 1,5 pour aboutir au r é s u l t a t décrit. Comme le lecteur l'aura peutê t r e r e m a r q u é , le p r o b l è m e d'une telle d é m a r c h e est que Chr. B r u u n ne tient pas compte du nombre de lacus q u ' i l a l u i - m ê m e p r é a l a b l e m e n t retenu : 591 selon l'indication de F r o n t i n ( i l refuse en effet les chiffres de Pline et des R é g i o n n a i r e s ) . Or, si l ' o n retient ce chiffre, o n aboutit, avec une population e s t i m é e à 1 m i l l i o n d'habitants, à une d e n s i t é de 1700 hab. par lacus et n o n 900 o u bien, comme i l l'admet l u i - m ê m e à une population desservie en eau de seulement 531 000 personnes. Dans ce cas effectivement, ce serait p r o b l é m a t i q u e , puisque 500 000 habitants n'auraient pas eu accès à l'eau, en t o u t cas par le biais des lacus. Chr. B r u u n en conclut donc que les « a u t r e s » devaient se servir dans le Tibre... Cependant, comme o n le d é d u i t d ' u n passage d u Digeste (qui ne semble toutefois pas spécifique à Rome), probablement peu de gens se servaient des cours d'eau comme source d'approvisionnement, à t o u t le moins comme point d'eau principal. Dig., XLLTI, 21, 4 (VENUL.) : De riuis reflciendis ita interdicetur, ut non quaeratur, an aquam ducere actori liceret : non enim tam necessariam refectionem itinerum quam riuorum esse, quando non refectis riuis omnis usus aquae auferretur et homines siti necarentur. De fait, s'il était plus i m p o r t a n t de réhabiliter les conduites d'eau (nui) que les routes sous peine de voir la population rapide m e n t m o u r i r de soif, c'est effectivement que les cours d'eau ne devaient g u è r e servir de source d'approvisionnement. 265
Cette moyenne est obtenue par deux biais différents, d'une part en divisant 1335 par 591 q u i sont les chiffres g é n é r a u x d o n n é s par F r o n t i n (FRONT., Aq., L X X V m , 3), d'autre part en faisant la moyenne des chiffres d o n n é s aqueduc par aqueduc : 2,45 quina riae pour Y Aqua Appia (LXXIX); 2,39 p o u r YAnto Vêtus (LXXX); 2,26 p o u r la Marcia (LXXXI); 2,46 pour la Tepula (LXXXH); 2,32 p o u r la Iulia (LXXXLTJ); 2,04 pour la Virgo
97
LA VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION 266
du fait que les Romains ne savaient pas calculer le débit , l'on retient avec R. Lanciani u n m i n i m u m de 27m /24h et avec C. Di Fenizio u n maximum de 41,5 , nous aboutissons aux résultats suivants : 3
267
T A B L E A U 12 - É v a l u a t i o n de la q u a n t i t é d'eau mise q u o t i d i e n n e m e n t à la d i s p o s i t i o n de la p o p u l a t i o n p o u r 1200 Estimations du débit (1 quinaria)
3
27 m / 2 4 h .
3
41,5 m / 2 4 h .
Nombre d'habitants par lacus
lacus
268
Nombre de litres d'eau quotidienne par habitant
1000
60,7
830
73,2
660
92
1000
93,4
830
112,5
660
141,5
La quantité d'eau disponible par jour et par habitant dut donc très probablement osciller entre 61 et 142 litres dès les années 30 av. J.-C. . 269
(LXXXTV); 1,96 p o u r YAnio Nouus (LXXXVI). VAlsitiena la Ville. 2 6 6
était e n t i è r e m e n t c o n s o m m é e hors
Chr. B R U U N , 1991, p . 385-388; G. D E K L E I J N , 2001, p . 47-53.
267
r c
R. L A N C I A N I , Le Acque et gli acquedotti di Roma antica, Rome, Quasar, 1975 ( l éd., 1881), p. 573; C. D i FENIZIO, «Sulla portata degli acquedotti r o m a n i e determinazione della quinaria», Giornale del Genio Civile, 14, 1916, p . 227-331 (non uidi), r a p p o r t é s p a r Chr. BRUUN, 1997, p . 129-130 et G. D E K L E U N , 2001, p . 47-53. Le p r o b l è m e est lié a u fait que les Romains ne raisonnaient pas e n termes de d é b i t (l./s. o u m / h . ) mais de largeur de conduit. Or, à l ' i n t é r i e u r d ' u n t u y a u de largeur identique, le débit pouvait varier en fonc tion d'autres p a r a m è t r e s q u i é t a i e n t spécifiques à chaque aqueduc. H . FAHLBUSCH, « Ü b e r Abflussmessungen u n d Standardisierungen bei den Wasserversorgungsanlagen R o m s » , Wasserversorgung, 1, 1982, p . 129-144, a ainsi e s t i m é que la valeur d'une quinaria pouvait varier entre 0,24 l./s. et 0,44 l./s. La p r e m i è r e valeur est assez proche de l'estimation de R. Lanciani, la seconde de celle de C. d i Fenizio (0,48 l./s.). De fait, si les chiffres de ces deux savants, pris i s o l é m e n t , sont probablement faux, utilisés comme fourchettes de valeurs, ils peuvent se r é v é l e r u n indicateur commode d è s lors que l ' o n veut bien accepter une certaine marge d'erreur ( e s t i m é e à 15-20% par Chr. B r u u n ) . Pour des conclusions similaires à celles de H . Fahlbusch, voir aussi D . R. B L A C K M A N , «The Volume of Water Delivered b y the Four Great Aqueducs of R o m e » , PBSR, 46, 1978, p . 52-72 et ID., « T h e Length of t h e Four Great Aqueducs of R o m e » , PBSR, 47, 1979, p . 12-18 ainsi que Chr. BRUUN, 1991, p. 385-388. Dans une r é é d i t i o n (avec mise à j o u r d u texte) r é c e n t e d ' u n ouvrage paru pour la p r e m i è r e fois e n 1983, P. PACE, Acquedotti di Roma e il De aquaeductu di Frontino, Rome, Betmultimedia, 2010, p . 42-54 revient à l ' h y p o t h è s e de C. D i Fenizio. 3
268
3
La formule est la suivante : 27 000 litres (1 m = 1 000 litres) χ 2,25 / nombre d'habitants par lacus. 269
Cependant, toute l'eau était-elle c o n s o m m é e par les habitants? A u t r e m e n t dit, les artisans avaient-ils le droit de puiser l'eau des lacus p o u r leur activité professionnelle? Aucune l o i ne le prohiba explicitement. Inversement, dans la mesure o ù m ê m e Y aqua caduca (entendue dans son acception r é p u b l i c a i n e comme eau de trop-plein des bassins de fontaines - FRONT., Aq., XCIV - , par opposition à sa définition i m p é r i a l e q u i la caractérise comme c o n s t i t u é e par le trop-plein des castellae aquae et par les fuites des conduites de
98
VIVRE DANS LA VILLE
Compte tenu du fait que l'hypothèse médiane du nombre d'habitants par lacus constitue une estimation raisonnable, elle permet m ê m e de fixer une fourchette probable comprise entre 75 et 115 litres par jour et par habi tant. Que signifient de tels chiffres? Le comparatisme peut ici se révéler utile car, jusqu'à nos jours, on estime le minimum vital à 2-5 litres, le minimum sanitaire à 25-50 litres et une situation très satisfaisante, voire excellente à 150 litres . De fait, non seulement les Romains n'étaient pas si éloignés de ce dernier seuil par le seul biais des lacus, dont on peut raisonnablement supposer que l'eau ainsi fournie devait surtout servir à la boisson, la cuisine et quelques besoins urbains (comme le nettoyage) mais, en outre, i l faudrait pouvoir tenir compte, d'une part du fait que certains Romains au moins aient pu se servir auprès de fontaines monu mentales (dont le débit moyen chez Frontin apparaît comme quatre fois supérieur aux lacus ) et, d'autre part, de l'impact des bains de quartier (942 à 972 d'après les Régionnaires) et des thermes impériaux qui durent encore notoirement améliorer la situation et permettre ainsi d'atteindre u n seuil si ce n'est équivalent, du moins très proche des niveaux les plus contemporains . D'un point de vue quantitatif, la situation hydrique du peuple de Rome était de fait excellente. Que sait-on toutefois de la qualité de cette eau? U n premier élément important ressort assez clairement du traité de Frontin : l'administration était très vigilante en matière de «délit 270
211
272
p l o m b - FRONT., Aq., CX) était soumise à une é t r o i t e r é g l e m e n t a t i o n q u i en autorisait l'usage à des fins professionnelles u n i q u e m e n t p o u r les fouleries et les é t a b l i s s e m e n t s ther m a u x et seulement en cas d'accord passé avec l'État moyennant le paiement d'une rede vance (FRONT., Aq., XCIV, CX et CXI), i l p a r a î t b i e n difficile de penser à une utilisation professionnelle totalement libre de l'eau des lacus. I l est de m ê m e certain que, p o u r les artisans q u i pratiquaient, comme c'était le cas des foulons, une activité n é c e s s i t a n t de grandes q u a n t i t é s d'eau, le p r o b l è m e ne devait g u è r e se poser dans la mesure o ù nombre d'entre eux é t a i e n t selon toute vraisemblance é q u i p é s de raccordements directs et que l'eau des lacus ne servait en réalité que d'appoint (voir N . T R A N , «Le "procès des foulons" : l'occupation litigieuse d ' u n espace vicinal par des artisans r o m a i n s » , MEFRA, 111, 2007, p. 597-611, q u i m o n t r e bien que ce célèbre p r o c è s ne fut pas i n t e n t é à ces foulons parce qu'ils allaient se servir aux lacus voisins). De ce p o i n t de vue, le fait d'avoir é t é raccordés directement au r é s e a u d'adduction d'eau devait faire entrer ces artisans dans la catégorie des priuati dont parle F r o n t i n (FRONT., Aq., LJOCVLTI) et n o n dans celle des usages publics ( h y p o t h è s e de Chr. B R U U N , 1997, p . 148). E n tant que tels, ces artisans n'entrent donc pas dans l'estimation d u nombre de litres disponibles par habitant. Pour d'autres m é t i e r s consommateurs d'eau (dans des proportions moindres) mais ne disposant pas n é c e s s a i r e m e n t d'eau courante (cauponae, boulangeries...), le manque total de sources à notre dispo sition ne permettrait g u è r e que des conjectures hasardeuses. 2 7 0
Voir d é s o r m a i s sur ces questions la t h è s e de St. FRIOUX, Les Réseaux de la modernité, amélioration de l'environnement et diffusion de l'innovation dans la France urbaine (fin XIX siècle - années 1950), Lyon, t h è s e dactyl., 2009. À titre de comparaison, la consom m a t i o n moyenne d'eau à Paris au XVBT siècle était de 10 litres par personne et par j o u r . Chr. B R U U N , 1991, p . 103, le p r o b l è m e demeurant de savoir si elles é t a i e n t recen sées dans les R é g i o n n a i r e s sous le terme g é n é r i q u e de lacus. D o n t la f r é q u e n t a t i o n pouvait ê t r e e x t r ê m e m e n t forte, comme l'atteste le p r i x d ' e n t r é e , modique (1/4 d'as) q u i , à t o u t le moins, ne constituait pas u n obstacle. C i c , CaeL, 62; H O R . , Sat., I , 3, 137-142; M A R T . , LU, 93. e
2 7 1
2 7 2
Ι Α VILLE COMME FACTEUR DE DISTINCTION
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hydrique» et condamnait très sévèrement toute personne qui se rendait coupable d'avoir sciemment souillé l'eau publique. Ainsi, Frontin signale une loi d'époque républicaine toujours en vigueur sous l'Empire très claire sur ce point : «Que personne ne souille l'eau sciemment et maligne ment là où elle jaillit pour l'usage public. Si quelqu'un la souille, que l'amende soit de 10 000 sesterces », ce que confirme par ailleurs u n passage du Digeste d'époque sévérienne confirmant qu'en la matière, l'administration demeura toujours vigilante : 273
«Il y a i n j u r e a u x b o n n e s m œ u r s , p a r e x e m p l e q u a n d o n r é p a n d sur a u t r u i d u f u m i e r p o u r r i , q u ' o n le c o u v r e de b o u e , de fange, q u ' o n souille les adductions d'eau, q u e T o n c o n t a m i n e des bassins o u q u e l q u e chose d'autre p o u r occasionner u n p r é j u d i c e p u b l i c . » 2 7 4
De m ê m e , Frontin rappelle q u ' à l'époque républicaine et sans doute encore sous l'Empire, les édiles curules avaient obligation de nommer, parmi les résidents de chaque uicus ou parmi les propriétaires de biens immobiliers dans lesdits uici, deux responsables chargés de contrôler régu lièrement l'état des fontaines . Plus largement, le curator aquarum 275
273
FRONT., Aq., X C V n , 6-7. F r o n t i n semble e n avoir e u connaissance par Ateius Capito q u ' i l cite comme une source d u paragraphe XCVÜ. Plus exactement, i l cite Ateius Capito pour affirmer que certaines p r é r o g a t i v e s des édiles n'avaient pas disparu a p r è s la mise en place de la cura aquarum en 11 av. J.-C. I l ajoute alors : In isdem legibus adiectum est ita et i l cite l'article de l o i e n question. I l est de fait vraisemblable que cette interdiction de souiller les eaux publiques entrait é g a l e m e n t dans le champ de c o m p é t e n c e s des édiles. Ateius Capito avait é t é curator aquarum de 13 à 22 ap. J.-C. et avait rédigé u n ouvrage i n t i tulé Coniectaneorum libri q u i comptait neuf livres. Le titre d u q u a t r i è m e livre était le De officio senatorio, le n e u v i è m e le De iudiciis publias. 274
Dig., XLVn, 11,1,1 (PAUL. Lib. V sententiarum) : Fit iniuria contra bonos mores, uelutisi quis fimo corrupto aliquem perfuderit, caeno luto oblinerit, aquas spurcauerit, fistulas la