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French Pages [230] Year 1939
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LES CL.ASSIQUES
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L 1\ \ 7 1E DE L'ARClllPRJtTRE
ÉCRITE l'Al{ LlJ1 . 1f~1E
ET SA DERNIÈRE ÉPITRE A·u TSAl{ ALEXIS traduites du vieuÀ, rus~e avec une introduction et des notes par
PIERRE PASCAL
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DU _MtME AUTEUR
AvvAKUlll ET LES i>ÉBUTS ·ou RASKOL.-
LA
RELIGIEUSE AU xv1ie SIÈCLE EN RÛSSIE.
Traductions :
Dostoïevski. L' AooLESCENT (Gallimard). Tolstoï. LES CosAQUEs (Gallimard).
CRISE
LES CLASSIQUES
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USSES
LA VIE DE L'ARCHIPRÊTRE
AVVAKUM ECRITEPAR LUI-MÈME
ET SA DERNIÈRE ÉPITRE AU TSAR ALEXIS traduites du cieux rwse avec une introduction et des notes par
PIERRE PASCAL
GALLIMARD 5, rue Sébastien-Bottin, Paris Vfie
AVANT-PROPOS
Sur le seuil du xv1e au xvne siècle, la Moscovie reste livrée · au ·chaos : la dynastie éteinte, les petits dressés contre les grands, le pays envahi ; une famine meurtrière ; tous les vices déchaînés : la trahison, l'égoïsme, la cruauté, la débauche ; la foi orthodoxe menacée par le latinisme, par le protestantisme, par l'irréligion. Quinze .ans de guerres civiles et de guerres extérieures! C'est le Temps des Troubles. La nation aspire au salut. Par un grand élan -populaire, Moscou est libérée, le pouvoir restauré. Mais l'ordre matériel ne suffit pas. Le désir d'une réforme morale et religieuse se fait jour chez les meilleurs. ·Il faut réparer la' chute des dernières années; il faut, pour ne plus encourir la colère divine, s'élever même à plus de perfection qu'avant. Des hommes supérieurs se donnent à cette tâche ardue. Pour introduire plus d'unité dans le service divin, l'archiman: drite Denys entreprend la correction des livres Jiturgi~ques ; le patriarche Philarète recrée l'armature matérielle de l'Eglise. Plus tard, Nasiédka et ses amis de !'Hôtel de la presse, pour combattre les erreurs dogmatiques, créent une littérature polémique. Ils poursuivent une vaste et hardie révision de tous les livres ecclésiastiques. · · Quand en 164~ le jeune tsar Alexis succède à son père Michel, son confesseur, Etienne de Boniface, imprime à ce mouvement de rénovation plus d'ampleur encore. JI est l'âme d'un cercle d' cc amis de Dieu ii qui groupe ce que l'Eglise moscovite compte de plus pieux, de plus éclairé, de plus actif : le prince lui-même, doux, instruit, bien intentionné ; Théodore Rtichtchev, un modèle de sainteté en pleine Cour ; un prêtre de province dont la renommée de prédicateur, de pasteur et d'animateur était parvenue jusqu'à la capitale, Jean Neronov; un abbé nouveau venu, dévoré_ de zèle et de projets, Nicon'. Là, dans ce petit
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_LA
YIÉ
DE
L'ARCHIPRÊTRE
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cénacle auquel la p"résence du tsar communique un caractère quasi officiel, naît un ambitieux dessein : faire de la Russie un Etat réellement chrétien. Les cc amis de Dieu » encouragent les savants réviseurs de l'Hôtel de la presse. Jamais on n'a autant imprimé : livres d'office, livres de lecture, livres d'apologétique, livres d'instruction, œuvres des Pères, vies de saints, catéchismes, recueils dogmatiques, traités ascétiques, abécédaires, grammaire, éditions nouvelles ou rééditions remaniées. Les « amis de Dieu » veulent Lui offrir un culte décent, magnifique si possible. Plus de ces églises sordides où prêtre, . diacre, lecteur et chœur, pour en avoir plus vite fini, s' acquittent simultanément de leurs parties, dans une cacophonie dérisoire et impie. Plus de ces fioritures qui, pour orner le chant, déforment les paroles. Chaque voix doit se faire entendre en son temps, nette et intelligible, afin de nourrir la piété des fidèles. Plus· de ces allées et venues, conversations, discussions, pendant .les offices : l'église est la maison de Dieu. La vie publique et privée doit être pénétrée du sérieux chrétien. Les jours de fête. et pendant les périodes de pénitence, pas de foires, pas de cabarets. En tout temps, les jeux brutaux -et dangereux où l'on risque une mort subite sans confession, les réjouissances licencieuses, comme mascarades et comédies d'animaux savants, et puis ces kermesses qui sont des survivances païennes, seront poursuivis sans pitié. · Pour obtenir ce résultah il faut un clergé exemplaire. Les « amis de Dieu » recherchent les candidats les plus dignes, et leur font confier, aux religieux les abbayes et les évêchés, aux séculiers les archiprêtrés ; les uns et les autres sont agrégés au cercle, initiés à son dessein, et munis de pouvoirs pour en procurer la réalisation dans leur ressort. , Ces premières années du règne d'Alexis, de 1645 à 1652, sont animées d'un effort intellectuel, moral, religieux ,intense. C'est alors que la réaction voulue contre la dêsagrégation du Temps des Troubles atteint son apogée. A la suite de Moscou, ·villes et campagnes sont entraînées. Des hommes énergiques sortent du peuple. Les bourgeois emploient leurs richesses à reconstruire en pierre les églises de bois. Les gouverneurs sont mis au service des évêques, archiprêtres, hégoumènes et archimandrites pour faire respecter la morale. Le Trésor renonce au..-..: revenus de la vente des alcools. Les modes étrangères suspectes, costumes courts et ajustés, . Comme nous savons très certainement que l'exécution de Pustozersk a eu lieu le 1~ avril 1670 (f. 107 du Recueil de Pustozersk; col. 713 de l'Edition académique), ce passage de la Vie a été nécessairement composé après le 16 avril 1672. Il a dû l'être sensiblement après, puisque la suite : . « et de nouveau il parle, sans cesse louant Dieu et vitupérant les apostats » suppose un certain temps écoulé. 2° F. 197 v., Avvakum écrit qu'il y a vingt ans qu'il a été nommé archiprêtre. Nous savons, indirectement mais sûrement, que cette promotion a eu lieu fin mars ou avril 1652 . (v. f. 202 v. et la note). Donc nous sommes conduits à une date située entre avril 1672 et avril 1673, et, vu l'expression (« vingt ans», et non pas« dans la vingt et unième année»), sans doute plus proche de la première. . 3° Avvakum écrit (f. 218 v. in fine) que sa fille Agrippine « maintenant a déjà vingt-sept ans ». Comme nous savons documentairement et d'après la déclaration même de son père (Bureau de Sibérie, rouleau N° 465, f. 48; ap. Nikol'skij, p. 159, Ann. N° 2) que le 15 septembre 1653 Agrippine avait huit ans (révolus), ce passage de la Vie a été écrit dans les environs du 15 septembre 1672. Mais, comme l'usage était de donner aux enfants le noin du saint tombant le huitième jour apr~s leur naissance et que sainte Agrippine est fêtée le 23 juin, la fille d'Avvakum a dû naître le 16 juin (les Russes comptent, dans ces calculs, et le premier et le dernier jour) : dans ce cas, elle a eu 27 ans du 16 juin 1672 au 16 juin 1673. Cette dernière date nous confirme le terminus ad quem déjà obtenu. Cependant si Agrippine, au moment où il écrivait, avait sensiblement dépassé le jour de ses 27 ans, Avvakum aurait écrit -
37l'usage russe l'y aurait porté, plus encore que l'usage français - qu'elle était déjà dans sa vingt-huitième année. . Les autres éléments de datation qu'on peut trouver dans ·A ne seraient que des recoupements n'ajoutant rien à la précision de ceux qui précèdent. Nous placerons donc la composition de la Vie dans le second semestre de 1672 1 . Un seul passage fait difficulté. F. 234 in fine, Avvakum note que les tourments qu'il souffre de la part des Niconiens durent depuis vingt ans. Comme ils n? ont commencé qu'en août 1653, cela supposerait qu'il écrît après août 1673. Mais ce passage fait partie d'une diatribe véhémente contre les persécuteurs : ou bien !'archiprêtre, par un anâchronisme imputable à .son emportement, rend les Niconiens responsables de son départ forcé de Jurevec en 1652; ou bien, plus probablement, comine nous ferions tous en pareil cas, il arrondit le nombre de ses années de souffrance. , La version B n'offre, parmi les éléments de datation ci-dessus, que le premier et le second, sans modifications. Présentant ., peu d'additions, elle ne nous fournit pas d'indications propres. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce qu'elle ait été rédigée peu de temps après la première, vers la fin de 1672 ou le début de 1673. Le cas de la version C est plus compliqué. D'une part, f. [4], dans la préface, l'auteur (< propose sa vie depuis sa jeunesse jusqu'à l'âge de cinquante-cinq ans >>. Si Avvakum est né fin novembre 1620 (v. f. 197 et la note), cela nous fait descendre au moins jusqu'à la fin de 1675 2 • D'autre part, tout, dans le corps du texte, nous interdit de dépasser septembre 1673. D'abord, l'indication N° 2 subsiste, sans modification. Ensuite, comme dans A, l'auteur ignore les événements de 1675 (morts de Morozova le 1er novembre, d'Urusova le 11 septembre, du métropolite Paul le 9 septembre). Mieux encore, il ~st deux personnages illustres auxquels il a conservé son affection, Hilarion de Rjazan' et Théodore 1. Avant que fussent découverts les textes décisifs sur lesquels sont basés les raisonnements 1) et 3), I. N'ilskij (Lect. chr., 1889, I, p. 709) et P. Smirnov, p. xc) dataient la Vie de 1672-1673. 2. De même que A rappelle par certains côtés le Traité de la Diçinité, qui lui est contemporain, le passage de C sur la langue russe rappelle de très près l'appel au tsar Alexis, du Lîçre des Commentaires, qui est de la fin de 1675 (v. :f. [1] et la n.).
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LA VIE
DE
L' ARCHlPR~TRE
AVVAKUM
Rtisèe-v : or le premier est mort le 9 juin et Je second le 21 juin 1673 ; la nouvelle a dû en parvenir à Pustozersk vers 1a :fin d'août, et cependant Avvakum les suppose encore vivants (fî. [70] = A f. 271 v.; [46] = A f. 244 i.n fine). Ainsi nous sommes · amenés, par une voie différente, à la conclusion déjà formulée par P. Smirnov 1 : à un texte écrit en 1672-1673 et laissé sans modifications a été ajoutée après~ coup une préface datant de 1675-1676 2 • Les trois versions de la Vie ont été écrites presque sans interruption l'une après l'autre, depuis le milieu de 1672 jusqu'à celui de 1673. Une preuve supplémentaire en est fournie par le fait que B et.C utilisent le texte autographe _primitif, avant sa révision par Epiphane. Or les corrections d'Epiphane sont tracées de la même encre que sa Vie, qu'il commence dès que !'archiprêtre a terminé la sienne, et sur le même cahier : elles sont donc de très peu postérieures à notre texte. Les versions qui les ignorent ont vraisemblablement été rédigées dans c~ court intervalle 3• 1. Rev. Min. I. P., 1899, N° 1, pp. 264-265. 2. Il ne faut pas s'étonner outre mesure que l'auteur n'ait pas fait cadrer les indications chronologiques : Abraham Palicyn, écrivain très appliqué, révisant en 1620 son Histoire écrite entre 1615 et 1617, y laisse aussi subsister pas mal de contradictions (Platonov, Récits et histoires, pp. 175-177). 3. Après élimination des corrections situées dans les passages omis par B et C, et de celles qui devaient (lapsus calami, dittographies) ou pouvaient (ordre des mots, formes concurrentes, pronom exprimé ou non) se faire naturellement, il reste cinq cas probants, où la correction ne pourrait s'expliquer que par la révision d'Épiphane : dans tous ces cas, tandis que les manuscrits de la première famille adoptent la correction d'Épiphane, B et C s'en tiennent au texte primitif d'Avvakum.
POUR QUI ET POUR QUOI F.UT ÉCRITE LA VIE? Nous sommes éclàirés dès le début, par· les soins d;Épiphan:~ (f. 188 v.), sur les causes pour lesquelles Avvakum a écrit sa Vie. D'abord une justification : l' e>rdre de son directeur ; puis une intention : perpétuer les œuvres accomplies par Dieu en sa personne. De même sainte Thérèse appelle sa Vie le « Livre des miséricordes du Seigneur » et affirme : (< En l'écrivant, j'obéis à mes confesseurs » 1 • Cependant le patriarche de la vieille foi a des buts plus précis. Les .condamnations de 1666 et 1667 ont porté leur fruit : le bras séculier s'est appesanti sur les désobéissants. Les plus hardis confesseurs gémissent en prison ou en exil : leur haut rang n'a sauvé ni le prince Khovanskij, ni la princesse Urusov, ni la veuve du boïar Morozov ; les supplices poursuivent les déportés jusque dans leurs solitudes glacées, à Mezen', à Pustozersk ; à Moscou, lés bûchers se sont allumés ; les commu- · nauté_s sont intimidées par la sentence conciliaire, terrorisées par la persécution, décimées par les exécutions. Les irrésolus, les faibles font défection. Jours tragiques, où l'Antéchrist va triompher de l'Église, où la vérité va périr! L'archiprêtre n'a qu'un souci: encourager, instruire de loin les soldats dU: Christ! Les fortifier dans cette conviction que leur cause est juste, afin qu'ils y persévèrent, s'il le faut, jusqu'au martyre : la fin seule couronne l'œuvre, à la mort nul ·n'échappe! Qu'a-t-il à leur offrir de plus probant que l'histoire de sa vie, parcourue sous la conduite de Dieu, débordante d'interventions divines-? La vie du moine Épiphane, autre champion et martyr de· la vraie ·religion, aussi merveilleuse, ne reflète pas moins la protection céleste. Comme les deux reclus, dans leurs prisons -souterraines, se contaient leurs aventures - ils ne se connais1. Vie de Sainte Thérèse écrite par elle-même, traduite ... par le P. ?ti. Bouix, Paris, 1857, pp. 9 et 16.
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LA
VIE.DE·L'ARCHIPRiTRE
AVVAKU:M
saient pas auparavant, et s'étaient liés d'amitié depuis leur exil ---··-: sans doute s' encouragaient-ils mutuellement à les êerire, pour manifester l' œuvre de Dieu accomplie en leurs personnes. Peut-être y furent-ils déterminés par une visite qu'ils eurent à cette époque. Dans son texte autographe, Avvakum s'adresse à deux interlocuteurs. Le preIIJ.ier est présent, c'est son voisin de geôle et son directeur, Epiphane, qu'il appelle l'ancien, starec, et qui intervient dans le manuscrit. Le second est anonyme, il n'est que le « serviteur du Christ >>, mais il est mentionné souvent et avec honneur : !'archiprêtre ne le sépare pas du starec (f. 241 v. fin), comme à celui-ci, il lui demande son absolution (fi. 232 fin, 277 v. fin). Vers la fin (f. 285), il apparaît que le serviteur du Christ n'est pas présent : il pourra seulement lire la vie des martyrs et se réjouir et faire mémoire d'eux devant Dieu; qu'Épiphane aussi « lu,i écrive » sa Vie L Or la première partie de la Vie d'Epiphane, qui fait suite, dans le Recueil de Pustozersk, à la Vie d' Avvakum, fut envoyée à deux personnages : un certain Siméon et un certain Athanase 1 • Donc la Vie d' Avvakum aussi est adressée à l'un des deux. Siméon est un ancien novice d'Épiphane, donc un ecclésiastique, ce qui s'accorderait avec les passages relevés plus haut, où l' archiprêtre semble le mettre sur le même pied que son directeur. Mais les mêmes exp_re.ssions peuvent malgré tout s'appliquer à un laïc, et d'autre part Athanase seul est appelé par Épiphane « serviteur du Christ » ; de plus rien ne prouve qu' Avvakum ait connu le Siméon en question, tandis qu' Athanase semble bien avoir fait un séjour à Pustozersk. On a ainsi quelque raison d'identifier le destinataire d' Avvakum plutôt avec Athanase. Cet Athanase est membre. d'une nombreuse maison : il a son père vivant, des frères, des enfants (nous avons d'ailJeurs une courte lettre d'Épip9-ane à Antonine, fille d' Athanase) 2 ; il est instruit, puisque Epiphane craint de le choquer par la « simplicité >> de son style et le prie de le corriger ; ~nfin il est fidèle, avec toute sa famille, à la vieille foi 3 • De plus, il est venu 2, il enseigne en racontant, il émaille si bien sa doctrine de souvenirs et d'anecdotes, même piquantes, qu'on a l'impression de l'entendre narrer bonnement sa vie à ses disciples. Avvakum ~arre la sienne, à peine plus systématiquement, au moine Epiphane et au « serviteur du Christ ». C'est ce qu'il appellera en finissant (f. 284 v.), son« caquet», son bavardage : si le terme ,comporte une nuance de modestie et d'excuse qui convient mal à l' œuvre impérissable que nous _connaissons, il n'en définit pas moins le caractère que l'auteur a voulu surtout lui donner : une narration libre, de composition lâche, sur le ton familier de la conversation. Mais !'archiprêtre n'oublie jamais son rôle et son but. Sa narration n'est pas désintéressée. Au naturel se marie un art -qui, sans être étudié, demeure très réel. Cinquante années d'une existence active en des -temps aussi troublés, six cents pénitents, vingt mille verstes parcourues, tant d'émotions, d'aventures, de supplices, de rencontres avec des hommes de toutes conditions, croyances ou races, avaient dû jeter dans la mémoire d'Avvakum une masse innombrable de souvenirs. Or sa Vie ne renferme qu'un nombre limité de 1. Dans C, f. 4-4 v. 2. Les Instructions de Saint Dorothée... [par Armand le Bouthillier de Ranc-éJ, Paris, 1686. A11erti.ssement.
LA FORME
faits et d'épisodes. Quelques mots sur son éducatioii; rieri sur son ministère d'archiprêtre à Jurevec, sur ses séjours d'un an et davantage à Enisejsk, à Kolmogory et à Mezen', infini.ment peu sur ses relations avec Morozova. Les faits sont choisis, en vue de l'intention : manifester les œuvres du Seigneur,· accomplies en son serviteur. De là l'abondance des miracles, visions, guérisons, obsessions et possessions diaboliques ..·De là la valeur quasi symbolique que semblent revêtir certains détails, certaines paroles, cependant réels. Mais, une fois tel ou tel épisode admis, Avvakum se laisse aller à sa verve native et' il le rend avec tout le pittoresque, toutes les couleurs qui s'offrent à sa mémoire, sans rien dessécher ni rien étriquer; La composition est, en gros, celle des Vies de saints : préface, narration, miracle~. . · Les préfaces des Vies contenaient des lieux communs sur la sainteté, le martyre, etc... Avvakùm emploie la sienne à, justifier ou affirmer quelques-uns des articles défendus par les vieux-croyants contre les niconiens : l'épithète de çrai appliquée au Saint-Esprit dans le Credo, l' Alleluia double, les événements à interpréter comme signes de la volonté divine. S'il reproduit à peu près intégralement le symbole athanasien, c'est pour affirmer son impeccable orthodoxie contre son adversaire de Pustozersk même, le diacre Théodore, et si, plus tard, il écrit pour sa « troisième édition » une préface supplémentaire sur la charité, c'est qu'il est alors au plus ardent de ses disputes avec ce trop exact .théologien. Ici, la liaison entre le premier paragraphe, sur la langue vulgaire, et l'extrait de Dorothée est. fournie par la phrase de saint Paul : Dieu n'a cure de beau langage, il veut la charité. Là, tout s'ordonne autour du nom de l'Aréopagite. Ces deux préfaces, qui semblent désordonnées, présentent au contraire une belle unité. Elle n'est pas obtenue de l'extérieur, par arrangement artificiel des parties : elle naît de la démarche naturelle d'une pensée alerte et féconde guidée par un dessein déterminé. Après ces développements divers, ardus, cousu~ de citations:, une clausule personnelle, qui les ramasse tous en un raccourci saisissant : « C'est ainsi que moi ... , je crois ... ; en cette foi je vis et je meurs. » Donc, formellement, la préface des Vies subsiste, mais Avvakum l'a si bien adaptée à ses buts et à son caractère qu'il ne reste plus rien de son contenu de généralités rhétoriques. Dans la narration aussi, on retrouve certains caractères de la composition des Vies, comme l'indétermination des temps et des lieux, ou les digressions. Mais le premier afiecte surtout les
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LA. VIE
DE
L' ARCHIPRÊTRE. AVVAXUM
>d-ébuts : .: en un. autre Heu ». (f. 197 v.; Lopatisci n'est pas nommé}; .: un officier » (f. 199), etc ... L'auteur n'est pas. encore en:train, il suit encore certains modèles, et puis il s'intéresse moins à _cette époque loint11ine. Quelle _précision au contraire, quel réalisme, quand nous serons en Sibérie ! Quant aux digressions, elles procèdent du désir de grouper certains faits analogues, de rattacher à un souvenir essentiel un autre secondaire, ou de prouver par des exemples quelque conseil ou réflexion. Elles n'ont rien d'artificiel : quoi de plus naturel, dans un récit oral, dans U:n cc bavardage ,, ? Le narrateur annonce ensuite, par une formule banale, qu'il revient à son sujet. Mais en gros l'ordre chronologique est observé: l'enfance et la vocation (ff. 196 v.-197.) ; la vie pastorale relativement régulière, à Lopatis~i, à Jurevec, à Moscou (ff. 197 v.-204) ; le grand conflit, à Moscou, en Sibérie, en Daourie à l'aller et au retour, à Moscou ·encore et autres lieux (ff. 204-255) ; enfin la condamnation et l'exil : à Moscou et dans les environs et à J,>ustozersk (ff. 255-266 v.). Pas plus de divisions marquées qu'il n'y en a dans la réalité, mais une progression dramatique : dès le début, la nef aperçue . en songe annonce les tribulations · futures, et les conflits pour des points de morale avec les autorités locales annoncent le grand combat qui va venir ; puis ·c'est la· lutte pour toute la foi, contre Ni con, avec de nombreuses périp_éties, longtemps indécise ; enfin la défaite devant le concile, l'Eglise abattue et ses défenseurs prêts au martyre. Alors viennent les miracles, complément traditionnel d'une Vie. Mais ici ils ne sont pas posthumes, ils ne sont pas joints mécaniquement au récit qui précède : ils s'y rattachent de l'intérieur, ils prouvent la sainteté de la cause (ff. 266 v.-285 v.) 1 . Dans la langue surtout é9late l'originalité de l'auteur. Il commence par le slavon d'Eglise, obligatoire dans une Vie. Il l'emploie même pour relater les faits très simples de son enfance. Mais peu à peu la bonne vulgaire russe, qu'il aime, fait éclater ce masque solennel. Les deux concurrents occupent leurs doma~nes propres : au slavon, comme de juste, les citations de !'Ecriture, ·1es élévations ou exhortations religieuses, 1. Il serait fort instructif de comparer les deux autobiographies de · sainte Thérèse et d' Avvakum : quoi de commun extérieurement, entre 'l'aristocrate espagnole qui raffine sur sa vie intérieure et le brutal archiprêtre moscovite ? ·Et cependant on remarquera, ici et là, bien des similitudes: alternances de fierté et d'extrême humilité, rôle considérable des démons, disposition à voir partout des avertissements divins ; même digressions et mêmes formules pour revenir au sujet; mêmes expressions pieuses ; même usage de la langue populaire, jeux dé mots compris.
LA
FORME
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les récits à présenter sous un jour particulier ; au russe, Ie les exploits d'endurance du peuple russe, prend à témoin « le fameux archiprêtre Avvakum l> : , il était depuis longtemps à Tobolsk; le fait lui a été rapporté par l'archevêque Siméon, à son retour, ou par un de ses compagnons de route. Et, au moment où il écrit, il y a de cela près de 20 ans. 4. Apoc. XV, 7 et XVI, 1. - Tous les vieux-croyants expliquèrent les calamités du temps par le courroux de la Providence contre les novateurs_ L'originalité d' A vvakutn consiste à autoriser cette interprétation par le texte de Denys. 5- La peste de 1654-1655. entraîna une mortalité colossale : Moscou et la plupart des villes furent littéralement. dépeuplées (voir S. A. H., III, ?-0 H9, pp. 442-521, 84 actes officiels sur les conséquences de l'épidémie; Gilibe:aet, Il, pp. 476-485 ; Lect. hist., 1859, III, sect. V, pp. 81-87 ; 1883,
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LA VIE
l>E i:.' ARClliPRtTltE
AVVAXUM.
Plus tard, environ quatorze ans écoulés, il y eut une seconde éclipse du soleil: en carême de Saint-Pierre, un v~ndredi dans la sixième heure, l'obscurité se fit 1 ; le soleil s'assombrit, la lune venait toujours du couchant, manifestant la colère de 193 Dieu : !'archiprêtre Avvakum, pauvre traîne-douleurs, à ce moment avait été tondu avec les autres par les prélats .dans l'église cathédrale, maudit et jeté sur l'Ugrèsa, au cachot 2• Au fidèle de co!11prendre ce qui se passe chez nous à cause dti désordre de l'Eglise. Assez parlé de ces choses ; au jour de l'éternité elles seront connues de tous; patientons jusque-là. ·Le même Denys parle du signe doimé par le soleil sous Josué en Israël. Comme Josué abattait les étrangers, le soleil étant sur Gabaon, c'est-à-dire au midi, il se mit en croix, ou étendit les bras, et le soleil arrêta sa course, jusqu'à ce qu'il eut massacré les ennemis. Le soleil revi_nt au levant, c'est-à-dire alla· · à reculons, puis reprit sa marche, et il y eut dans ce jour et cette 193 v. nuit trente-quatre heures, puisque c'est à la dixième heure qu'il recula,_ et ainsi la journée fut allongée de dix heures. Sous le roi Ezéchias aussi il y eut un signe : le soleil revint sur sa route à la douzième heure du jour, et il y eut dans ce jour et cette nuit trente-six heures. Lis le livre de Denys, tu l'y verras tout au long 3 • ·
II, pp. 11-12; 1892, IV, pp. 25-26). Les mesures prises sur l'ordre de Nicon (le tsar était aux armées) ne frappèrent pas moins les imaginations que le fléau lui-même : surtout l'interdiction aux prêtres d'administrer les malades. Elles contribuèrent à indisposer contre lui la population. Pendant bien longtemps, pour situer tel ou tel événement, on dit:« C'était avant la peste », « après la peste ». Quant à A vvakum, il perdit dans cette épidémie nombre de parents et amis (f. 210). 1. Allusion à la Passion : Mt. XXXVII, 45. 2. Oppolzer (Canon der Finsternisse, W1en, 1887, ap. Barskov, p. 372, n. 2} enregistre une éclipse de soleil le vendredi 22 juin (a. s.) 1666. C'était en effet pendant le carême de la Saint-PieITe, qui commence le lundi d'après la Pentecôte (le 11 juin en 1666), et Avvakum, anathématisé le 13 mai, était depuis le15 mai emprisonné au monastère deSaint-Nïcolassur-Ugresa (col. 708). De 1654 à 1666 on a, _même selon la coutume russe de compter et le premier et le dernier termes, 13 ans et non 14 : mais Avvakum dit« environ». De plus, peut-être, au-delà des éclipses, voit-il surtout deux grandes dates de .sa vie, son exil en 1653 et sa condamnation définitive en 1667. 3. La même Épître VII à Polycarpe fait allusion au miracle de Josué (Josué X; 12), sans le nomme_r et sans détails. Elle commente au contraire le prodige qui eut lieu sous Ezéchias (IV Reg. XX, 11).
PRÉFACES
SuR
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L'ALLELUIA.
C'est encore Denys qui écrit sur les milices célestes, les énumère et annonce comment elles apportent leur louange à Dieu, étant divisées en neu:f ordres et trois triades 1 • Trônes, Chérubins et Séraphins, reçoivent l'illumination de Dieu: et s'écrient : Bénie soit la gloire du Seigneur en son siège ! 2 Et par eux l'illumination passe à la seconde triade, qui sont les Dominations, Principautés 3 et Puissances. 194 Cette triade, en louant Dieu, s'écrie : Alleluia, alleluia, alleluia ! Selon l' Alphabet : al pour le Père, el pour le Fils, uia pour le Saint-Esprit. Grégoire de Nysse explique : ; et Basile le Grand écrit : > (ff. 388-v.-389). 3. L'expression est celle du Rituel de 1625, dans le rite de la Réconciliation des Latins. 4. B ; Plus tard, il fit sa paix avec moi chez le tsar, au palais, et ses enfants, Pierre et Mathieu Semeretev, avant la peste furent bons pour moi. En effet, cette réconciliation ne put avoir lieu que pendant le second séjour d'Avvakum .à Moscou, en 1652-1653, car au printemps de 1653 le boïar Seremetev et son fils Mathieu partirent pour Novgorod, et Basile mourut en 1659. Pierre, fils aîné de Basile, avait épousé en 1644 la fille de Théodore Volynskij, le seigneur de Grigorovo (Uvarov, III, p. 220). Il servit à la Cour de 1644 à 1654, fit campagne contre les Polonais et les Suédois et devint boïar le 6 décembre 1656 (mort en 1697). 5. Basile Seremetev était marié à Eudoxie, fille de Bogdan Polevoj, et dame de la cour de la tsarine (Barsukov, III, p. 466). Nous connaissons à Avvakum deux frères prêtres, Cosme, absent de Moscou de 1654 à 1666 (I, pp. 359-360) et Gérasime, attaché à Ia·collégiale de l'.A:nnonciation du Kremlin déjà en 1652-1653 (f. 204, note 5), puis curé de saint Dunitrij de Thessalonique aux portes de Tver (I, pp. 366-369 ; ~.Jin. Matériaux, I, col. 449). C'est probablement de ce dernier qu'il s~agit...
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85 4e altercation, àçec Euthyme : sa tnàladie et .sa guérison. .
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. Revenons à mon fait. Plus ùrd un autre officier 1 entra en fureur contre moi : venu avec ses gens devant mon courtil, il se init à tirer de l'arc et du mousquet en l'assaillant. Cependant, enfermé, j'implorais à grands cris le Très~Haut : « Seigneur, dompte-le et calme-le, par les moyens que tu sais ! » Et il décampa du courtil, l'Esprit Saint· à ses trousses 2 . Dans la même nuit, on vint de sa part. On~ m'appelle avec force larmes : « Père! Messire! Euthyme d'Etienne est à la mort. Il pousse des cris épouvantables. Il se bat et gémit en disant : « Donnez-moi mon père Avvakum ! c'est pour lui que Dieu me châtie ! » Je croyais qu'on Ilie trompait ; une frayeur me prit. Mais je fis à Dieu cette prière : Et, en priant, je m'en allai chez Euthyme. Quand on m'eut déposé dans la cour, sa femme Néonille s'élança et me prit par le bras en disant : « Viens donc, 1.. Celui-ci semble ne pas être de l'endroit, car le terme russe traduit ici par« venu » implique qu'il vient ·à cheval. 2. Expression quasi-proverbiale : cf. f. 208 v. 3. Cf. Ps. XXI, 10. ... li. Philippe, élu métropolite de Moscou en 1566, avait osé protèster contre les cruautés d'Ivan le Terrible et le.rappeler en pleine cathédrale à ses devoirs de chrétien. En novembre 1568, le tsar le fit déposer par un concile et expédier dans un monastère éloigné. Le 23 décembre 1569, dit sa Vie, le bourreau Maljuta Skuratov l'étouffa dans sa cellule avec un oreiller. On venait de le canoniser (30 mai .1647). C'était le martyr du devoir épiscopal et sacerdotal (cf. ff. 267 v.,. 203 v.). 5. Le Synaxaire, à la date du 5 septembre, porte que le « prophète·" Zacharie, prêtre de Jérusalem et père de saint Jean-Baptiste, cacha 1e nouveau-né à Hérode. et pour ·cela fut " immolé >> dans le sanctuaire {cf. l\(t. XXIII, 35). Voir A. SS., nov., t. III, pp. 8-19~ . .. 6. Etienne de Perm', apôtre et premier évêque des Permiens, mourut en 1396. Sa Vie se trouve dans le Grand Ménologe à la date du 26 avril (éditée par Kuselev-Bezborodko, I, 119-171 et par V. Druzinin). On n'y lit pas que l'apôtre ait été jeté à l'eau. Mais un sorcier indigène avec lequel il disputait en public lui proposa cette épreuve : on creuserait deux trous dans la glace ; tous deux, se tenant par la main, plongeraient dans celui d'amont et, si l'un d'eux émergeait vivant en aval, sa foi serait réputée >"Taie. Au dernier moment, le sorcier se récusa (éd. Druzinin, pp. 53-54). Le saint fut ainsi, en un certain sens,« libéré de l'eau>>; ou bien Avvakum a eu ici un souvenir imprécis. ·
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LA VIE DB
i.' ARCHIPRiTRE AVVAXUM
Messire, notre père, viens, notre cher nourricier ! » Et moi de riposter : « Admirable! tout à l'heure j'étais fils de pute 1, et maintenant : Père! Il faut croire que la discipline 2 du Christ . est cuisante : il n'a pas été long à se repentir, ton mari ! » 202 Elle m'introduisit dans la chambre 3 : d'une couette surgit Euthyme, il tombe à mes pieds, il pousse des cris indicibles : « Pardon, seigneur, j'ai péché- devant Dieu et devant toi! 4 » Il tremble tout. Et moi : « Veux-tu dorénavant être en bonne santé ? » Gisant, il répond : « Certes, digne père ! » Et je dis : « Lève-toi ! Dieu te pardonnera ! » Durement châtié, il ne pouvait se dresser seul. Je le soulevai et le déposai sur le lit ; je le confessai et l'oignis d'huile sainte 5 , et il fut guéri. Ainsi plut-il au Christ. Sur le matin, il me renvoya civilement chez moi, et, avec sa femme, ils furent mes enfants spirituels, insignes serviteurs du Christ. Voilà comment le Seigneur contrarie les superbes et donne aux humbles sa grâce 6 •
1. Injure « ordinaire dans la bouche du patriarche, du tsar et des - boïars », témoigne Paul d'Alep (J. XII, ch. 2 ; Murqos, IV, p. 126, cf. ibid., p.169), et nous en avons des preuves. Dans un billet de reproches, le tsar Alexis appelle un de ses fauconniers « fils de pute », puis efface et écrit « fils de chienne », efface encore, et s'arrête à « maudit scélérat » (Arch. d'État, XXVII, No 100). 2. Le terme employé, chelep, désigne un instrument de punition ecclésiastique (Sergèevskij, p. 288). Ainsi l'archevêque Siméon se plaint à Nicon que les gouverneurs fassent donner le chelep en public aux popes qui se trompent dans les titres du tsar (Arch. Sib., vol. 400, ff. 422-423}. Il était bien distinct et du fouet et du bâton, comme on le voit par une enquête sur les agissements de l'archevêque Joseph de Kolomna {Lect. chrét., 1907, I, pp. 52-58). · 3. C'est, dans une habitation aisée, la pièce où on ne se tient pas constamment, mais où on dort et on reçoit ; elle était autrefois élevée d'une ou deux marches au-dessus de l'izba, pièce à tout faire (Bukhtarma, p. 246). Cf. ff. 274 et 275 v.
4. Cf. Le. XV, 18. 5. Déjà l'apôtre saint Jacques recommandait aux malades d'appeler les prêtres : « et orent super eum, ungentes eum oleo in nomine Domini » {Jac. V, 14}. Les pères du Désert guérissent ainsi. Chez les Latins, on voit, encore au xvu1e s., saint Benoît Labre guérir un enfant par des onctions d'huile répétées trois jours de suite en récitant trois Ave (L. Aubi:neau. La Pie admirable du bienheureua; mendiant et pèlerin B. J. Labre, P., 1873, p. 446). $. Cf.. Prov. III, 34; Le. I, 51-53.
LA .. VIE
-2e
VOYAGE. A
ARCHIPR:ÊTRE A A VRIL·JUIN
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Moscou.
J UREVEC. 1652.
Peu après, d' a:utres ~ncore me chassèrent de ce lieu pour la deuxième fois. Je me traînai jusqu'à Moscou et, par la volonté de Dieu, le tsar ordonna de m'installer archiprêtre à Jurevec~2 v. sur-Volga 1 . Là aussi, je vécus peu de temps, seulement huit semaines : le diable les poussant, popes, vilains et bonnes femmes 2 vinrent au bureau patriarcal, où je traitais les affaires de conscience, m'arrachèrent en troupe du bureau - ils étaient un millier, quinze cents peut-être ! - et en pleine rue me bâtonnèrent et piétinèrent : les femmes y étaient avec leurs ringards. Pour mes péchés, je fus laissé pour mort et jeté au coin d'une izha. Le gouverneur 3 avec les canonniers 4 accoururent : ils m' enle~ vèrent, m'emportèrent sur un cheval dans mon pauvre courtil ; et le gouverneur posta des canonniers autour. Cependant la foule approche de la maison et dans la ville la rumeur est 1. L'archiprêtre (protopope), curé d'un sobor, avait en même temps autorité sur un certain territoire. Beaucoup de villes importantes n'avaient pas d'évêques _: l'arcbiprêtre, pour la juridiction,_ en tenait lieu. Par ses relations immédiates avec le clergé et les fidèles, il pouvait jouer un 'rôle important. Aussi Étienne Vonifatjev comptait-il opérer sa réforme en s'appuyant sur les nouveaux archiprêtres choisis par lui. Jurevec-surVolga, à Hc6 kilomètres en amont de Niznij-Novgorod, était une petite "1--ill.e commerçante du diocèse patriarcal. Son sobor était dédié à l'Entrée à Jérusalem (Nikol'skij, p. 159, N° 1). Avvakum dut y être nommé fin mars ou tout au début d'avril 1652, puisqu'il n'y resta que deux mois (f. 202 v.) et qu'il en partit dans les premiers jours de juin {Ï. 203). 2. D'après le recensement de 1676, la ville semble avoir eu du temps d'Avvakum une dizaine d'églises et deux couvents· d'hommes; 23 feux de gens du tsar avec 38 personnes ; et environ 600 habitants mâles (N'. Vinogradov, Jurer,,e,c, pp. 243-248). 3. On voit dans la 1re Épître au tsar que ce gouverneur était Denys Krjukov (col. 725). 4._ Les « canonniers » formaient, à peu près comme les strèl'cy, une corporation dont les membres, de père en fils, et toute leur vie, faisaient le service de forteresse et de garnison tout en cultivant leurs terres, tenant boutique ou exerçant un métier {Brandenburg, p. 19). B. Morozov leur_ enleva leur solde, sans doute parce que les fortifications des villes de l'intérieur étaient devenues inutiles, et les canonniers se transformèrE;lnt en Ulle police municipale (Paul Smîrnov, Moro.zor,,, pp. 19-20),
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LA VIE
DE
L' ARCiUPRtTRE
AVVAKUM .
grande. Surtout les popes et les femmes, que j'empêchais de forniquer, vocifèrent: « A mort le brigand; fils de pute! Nous jetterons son corps aux chiens dans le. fossé ! 1 »
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3e VOY AGE ET SÉJOUR A
Moscou.
JUIN 1652-SEPTEMBRE 1653.
Quant· à moi, ayant repris haleine, le surlendemain dans la -nuit, quittant femme et enfants, par la Volga avec deux compagnons je partis pour Moscou. Je débarquai à Kostroma :foi aussi l'archiprêtre Daniel a été chassé! 2 Ah! douleur! partout le diable me fait la vie dure ! -,,_ J'arrivai à Moscou, je me montrai au confesseur Étienne; lui aussi me fit mine chagrine : « Pourquoi as-tu quitté l'église collégiale ? » Encore ùne autre douleur ! Le tsar vint dans la nuit recevoir la bénédiction de son confesseur 3 ; il me vit là ; nouveau cb"irgrin : « Pourquoi as-tu quitté la ville ? >> · Femme, enfants, familiers, une vingtaine de personnes, . étaient restés à Jurevec : étaient-ils vivants, je l'ignorais, massacrés, je l'ignorais ! Encore une douleur ! 4 Rapports aPec Nicon. 203 v.
Bientôt Nicon, notre ami, rall!eiia de Solovki le métropolite Philippe 5 • Avant son arrivée, Etienne, le confesseur,. fit une 1. Le fossé des fortifications, dont une partie était naturelle et l'autre creusée ('N. Vinogradov, Jure11ec, p. 6). 2. L'émeute de Kostroma nous est connue par la plainte que Daniel adressa à Moscou et l'enquête qui suivit {Vvedenskij, Daniel ... ). Elle avait été suscitée par les efforts de l'archiprêtre pour réaliser, dans ce ·port aux mœurs plutôt libres, _le programme de réforme : guerre à l'ivrognerie, aux jeux et aux chants. La foule, conduite par un prêtre des en'\-irons, délivra trois prisonniers détenus sous la collégiale. Daniel, craignant pour sa vie, se cacha d'abord dans un monastère, puis gagna :Moscou. Tout cela se passa dans l'après-midi du 28 mai 1652. Avvakum n'en ayant rien su à Jurevec (182 kilomètres de distance, environ deux ou trois jours de voyage), on peut admettre qu'il passa à Kostroma au plns tard le 2-3 juin 1652. · · 3. Pour cette coutume, cf. f. 224 v. 4. Vinogradov, p. 280, note la constl'uction symétrique de ces quatre paragraphes, dont les finales u douleur », « chagrin ,,, forment refrain. La famille abandonnée ouvre et ferme l'épisode. . · . 5. Nfoon. · qui résidait à Moscou depuis 1646, était aussitôt entré dans
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semaine- .de prière·-et··de.jeûne -&Vec 18 ·cOnfl'êrie 1 --~-·et· mài -avec eux aussitôt ~-à l'intention du patriarche, afin.que Diéu nous donne un pasteur pour le salut de nos âmes 2; Avec le métropolite de Kazan', Corneille 8 , nous écrivîmes une supplique signée de nos noms 4:t la remîmes au tsar et à la tsarine, en faveur du confesseur Etienne, pour qu'il soit patriarche. Mais ce fut lui qui ne voulut pas, et. il indiqua Nicon ·le métropolite. Le tsar l'écouta.· Et voici qu'il adresse à. l'autre un message, à sa rencontre : Au Révérendissime Nicon, métropolite de Novgorod et de Velikie Luki et de toute la Russie, salut... et le reste 4• Une fois arrivé, avec nous c'est un renard : ·courbettes et compliments. Il sait qu'il doit être ,patriarche : pourvu que quelque accroc ne survienne ! Il y aurait long à dire de ces 204 machinations ! · [Le tsar l'appelle au patriarcat, et lui feint de.ne pas vouloir. [17 v.] Il en fait accroir~ au tsar et au peuple, et cependant avec Anne toutes les nuits il combine 5 • Après s'être bien débattu 0
le cercle des réformateurs. D'abord archimandrite du Novospasskij; couvent des Romanov, il avait été sacré le 11 mars 1649 métropolite de Novgorod. Pour rehausser le prestige épiscopal, il avait .suggéré au tsar la.translation solennelle dès reliques du métropolite Philippe (f. 201 v.}. Chargé de cette mission, il partit de Moscou pour Solovki le 11 mars 1652. et .en revint le 6 juillet (Li'1re des dépMBeà, pp. 42 et 56). . 1. La confrérie des •zélateurs. ·· ··,,._ 2. Le patriarche Joseph, .régnant depuis 1642, mourut le 15 avril 1652. Le choix de son successeur était d'une extrême importance pour les réformateurs .. 3. Ce Corneille avait été de 1647 à 161i9 abbé de Saint-Macaire· près NiJnij-Novgorod-peut-être avait-il alors connu Neronov etAvvakum-, avant de passer comme archimandrite au monastère de !'Épiphanie de Moscou. Le 13 janvier 1650, il avait été sacré métropolite de Kazan (Stroev, col. 288). Il devait prendre ensuite le parti de Nicon. Il mourut le 17 aoO.t 1656. · · . li. Cette épître, ·accompagnée d'une relation touchante de la mol,'t du patriarche Joseph, nous a été conservée (A. E. A., IV, N° 57, pp. 76-77, et Bartenev, pp. 151-185). Le je~e tsar y laisse délicatement entendre qu'il souhaite l'élection de Nicon, mais il ne le qualifie pas« métropolite... de toute la Russie» : ce titre fantaisiste est une hyperbole d'Avvakum. .Le message n'a été expédié que dans les tout derniers jours de mai (Bartenev, p. 207, n. 122), donc u à la rencontre » de Nicon, reparti de Solovki pour Moscou le 7 juin (Livre des dépenses, p. 55). 5. Anne, sœur aînée de Théodore Rtiscev (v. f. 238 v.), veuve de V. Veljaminov et sans enfants, vivait chez son frère, qui « la vénérait comme sa mère ». Nommée en 1648 deuxième dame de la cour de la tsarine, âgée d'une quarantaine d'années, elle avait acquis à l'époque dont parle Avvakum, par· ses qualités propres et par ses relations, une très grande influence (v. sur èlle·Kozlovskij, p. 16; Kaskin, pp. 325, 382,
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DE
L' ARCHIPR:ÊTRE
AVVAKUM
a:vec l'aide du diable, il monta au patriarcat par la permission de Dieu, une fois le tsar lié par ses menées et par un malin sermentj 1 • · Installé patriarche, plus d'amis ; il ne nous reçut même plus . dans sa chapelle ! 2 Et bientôt il vomit son poison. Lors du grand carême, il envoya un billet à Notre-Dame de Kazan', à Jean Neronov. C'était mon père spirituel. C'était chez lui que j'habitais toujours, dans l'église 3 : qu'il s'absentè, et c'est moi qui administre l'église 4 • Sa place, disait-on, est au palais, à Saint-San- veur, au lieu de feu. Silas 5• Mais Dieu ne le permit pas. Et d'ailleurs je ne m'en mettais guère en peine. J'aimais cette église de Kazan'; j'y étais attaché, je lisais des livres au peuple. Il venait beaticoup de monde 6 • 409, 435). Tous les vieux-croyants la vitupèrent comme une amie active et fanatique des novateurs : le· diacre Théodore l'appelle la manne de Nicon (VIII, p. 29 : VI, p. 228). Avvakum ailleurs encore, à propos de l'élection de Nicon (col. 459; dans un texte datant de 1675), l'accuse de comploter avec le diable. 1. Paul d'Alep (1. VII, chap. 10; Murqos, III, p. 47) raconte que Nicon « refusa longtemps le patriarcat, jusqu'à ce qu'il fût convenu que le tsar ne s'occuperait plus des affaires de l'Eglise et du clergé, comme faisaient ses prédécesseurs "· L'accord obtenu sur ce point, il fit publier un ukaz disant que « sa parole serait décisive et que nul n'y pourrait contredire ». Selon le diacre Théodore (VI, p.197), le tsar aurait remis à Nicon un engagement écrit cc de l'écouter en tout, de le défendre contre les boïars et d'exécuter sa volonté ». 2. C'était une chapelle où le patriarche célébrait et qui lui servait de salle ordinaire de réception : autrefois, les amis étaient reçus dans la cellule ou cabinet privé de Nicon (Zabelin, Moscou, p. 475). Paul d'.A.lep (ibid.) affirme qu'il a vu « les ministres du tsar- et ses proches rester . longtemps devant la porte extérieure avant que le patriarche leur permît d'entrer ». 3. Ce point est confirmé par un document du Bureau de Sibérie (Nikolskij, p. 159). Avvakum avait fait venir sa famille de Jurevec, ils habitaient dans l'enclos de l'église. 4. Neronov fit dll.Ils la seconde moitié de 1652 un grand voyage dans son pays natal, à Vologda et dans la région (I, pp. 280-281). Ce t~moi_gnage de la Vie de Neronov et celui d'Avvakum sont confirmés par un billet de Neronov à l'archevêque de Vologda conservé dans la Collection S> Et elle, notre Espoir, le calma : il se mit ·à me plaindre. Du lac lrgen à l' lngoda, hiPer 1657-1658•
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Ensuite nous arrivâmes au lac Irgen : ici, portage 2 • On se mit, l'hiver, à traîner 3• Il m'avait enlevé mes hommes : et défense aux autres de se louer à moi. Les enfants étaient petits : beaucoup de bouches, et personne au labeur. Seul le pauvre archiprêtre traîne-douleur fit une narte 4 et tout l'hiver tira la bretelle. [Les autres avaient des chiens pour aider, .et moi rien; je n'avais que mes deux fils - ils étaient encore petits, Jean et Procope - , ils tiraient avec moi la narte, comme de jeunes chiens. Le portage était bien de cent verstes : avec peine, malheureux, nous en vînmes à bout. L'archiprêtresse traînait 1. Du Bajkal, ~itué à 461 mètres au-dessus du niveau de la mer, les •O:f¾«-eurs devaient s'élever par le Khilok jusqu'à 1.100 mètres, altitude du lac Irgen'. · 2. Yu les trois mois occupés à remonter le Khilok, l'expédition ne dut pas atteindre le lac lrgen' avant le mois d'octobre 1657. L'lrgen' fait. partie d'un chapelet de cinq petits lacs communiquant entre eux et avec le Khilok. situés, à une altitude de 1.100 mètres, sur le plateau marécageux qui sépare les bassins du Bajkal (Océan Glacial) et de l'Amour (Océan Pacifique). De là, il fallait gagner l'Ingoda par portage. 3. Pasko, dit que « dans l'hiver de 1657-1658, il passa le portage de l'Irgen' à l'Ingoda » (Arch. Sib., vol. 508, l'. 325). 4. Le traîneau des indigènes de Sibérie, long et étroit, extrêmement léger ; attelé de chiens, il peut porter 200-300 livres ; une personne, peut y tenir, allongée (Le Bruyn, Voyages par la Moscovie, Rouen, 1725, III, pp. 339-3i2). 8
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LA VIE
DE L 1 ARéBtPBiTRE
AVVAKU:M
sûr son dos la farine et le notiveau né ; ma fille Agrippine i marchait, marchait, et puis s'écroulait sur la narte, ses frères et moi nous la traînions un bout de chemin. C'est à rire et à pleurer, quand on pense à ces jours-là! Le·s enfants n'en peuvent plus et roulent dans la neige, la mère leur donne à , chacun un morceau de biscuit, et, sitôt mangé, ils reprennent le harnais. Tant bien que mal nous passâmes le portage et nous installâmes sous un pin, tel Abraham au chêne de Mambré 2 • D'abord Paskov ne nous admit pas même à l'intérieur de l'abatis 3 , jusqu'à ce qu'il se f-0.t bien gaussé de nous, et pendant huit à quinze jours nous gelâmes sous notre pin avec les enfants, seuls, loin des hommes, en forêt. Ensuite il nous [31 v.] admit et m'indiqua une place. Alors avec les enfants nous fîmes un· enclos, une petite hutte 4, nous allumâmes· du feu .. 0
Sur l' lngoda et la Neréa, printemps 1658.
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Quand, après nos tribulations, nous retrouvâmes l'eau~ au printemps, en radeaux, nous descendîmes l'Ingoda 5 • C'était mon quatrième été de navigation depuis Tobolsk 6 • On flottait le bois de construction et de fortification 7• Il n'y eut plus rien à manger : les gens commencèrent à mourir de faim et de 1. Jean et Procope avaient maintenant 13 et 9 ans. Corneille, à 4 ans, pouvait marcher ; le « nouveau-né » était donc un autre enfant. Agrippine, .qui avait 8 ans en septembre 1653 (Nikol'skij, p. 159, N° 2), en avait maintenant 12. 2. Cf. Gen. XIII, 18; col. 332. Scène souvent figurée sur les icones. 3; La fortification la plus simple, surtout contre les incursions.. de cayaliers nomades, était obtenue 'en . abattant des arbres. On avait ainsi, en Russie d'Europe, sur la frontière du Sud, une « ligne d'abatis ». 4. Balaganec (mot d'origine persane) : les chasseurs sibériens appellent ainsi un abri provisoire fait de branches ou d'écorce de bouleaux ou de mélèzes (Encyclopédie sov; sib., 1, col. 208). . 5. Paskov, durant l'hiver, avait fait couper et façonner par ses hommes le bois nécessaire au montage de deux nouveaux ostrog prévus en Daourie et sur la Haute-Silka. ·Dès· la débâcle, il fit ·réunir ce bois en 170 trains, portant chacun deux à trois hommes, avec les chevaux et les bagages, .et toute la troupe desçendit sur eux l'Ingoda (Arch. Sib., vol. 508, f. 325). Cette r!vière coule vers l'Est et_ est la principale source de « la grande rivière Silka », c'est-à-dire de l'Amour. A cause de ses bas fonds et de son courant rapide, elle n'est pas navigable (Encyclopédie sov. sib., II, col. 237). 6. Premier été (1655) : de Tobolsk à Enisejsk; deuxième (1656) : d'Enisejsk à Bratskij ostrog ; troisième (165.7) : de Bratskij ostrog au lac Irgen'; quatrième {1658) ; sur l'lngoda. 7. Outre le bois pour les deux oatrog, Paskov en avait fait préparer pour construire des églises (Arch. Sib., vol. 508, f. 325). ·
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peine, à patauger dans l'eau; -Fond .bas, radeaux ,pesants, sur~' -veillants impitoyables, cannes fortes, bâtoris noueux, fouets cingl:uits, tortures cruelles - le feu et. l'estrapade ! 1 ----, esto~ macs affamés : un coup encore, et ce sera la mort ! [Déjà sans eoups, on respirait à peine. Depuis le printemps, on avait donné un sac de malt pour dix et pour tout l'été : .et avec cela travaille, et ne va pas chercher pitance ailleurs ! Si l'envie te prend de jeter une malheureuse fleur de saule dans ton brouet, c'est un coup de bâton sur le front : ne bouge pas, manant, meurs à la tâche! Il y avait là -six cents hommes, et tous il les arrangea de la sorte.] Oh quel temps·! Je ne sais comment il a pu perdre ainsi l'esprit 2•
·Sc,ènes. de famine. Mon archiprêtresse avait un manteau de Moscou, qui n'avait pas pourri ; au prix de Russie, il valait dans les 25 roubles, et davantage au prix d'ici 3 : il nous en donna quatre sacs de seigle, et nous les fîmes durer .un an ou deux., quand nous :=[;:-,,_ vivions sur la Nerca 4, en nous sustent_;mt avec de l'herbe. Il fit mourir tous ses hommes de faim 5 •· Il n'en restait qu'un petit paquet; errant par les steppes et les champs 6, ils déter1.· L'estrapade était un supplice alors fort usité. On le combinait volon.:. tiers avec le feu, en allumant sous le patient un brasier, ou bien en lui promenant sur le dos un tison ardent. _ 2. Cf. le mémoire sur les cruautés de Paskov, col. 701-704. 3. Opposition courante à l'époque. Les tissus manquaient.-•'éomplètement en Sibérie : Paskov demande que la solde de sa troupe soit envoyée en tissus, car les draps les ylus grossiers « valant en Russie 8 altyn et 2 denga l'arsin se vendent ici au plus bas prix un demi-rouble» [le double] (Ai-ch. Sib., vol. 508), f. 35~. Une odnorjatka valait normalement "de 2 à 5 roubles (Zahelin, Vie de/J t/Jars, II, mat., pp. 651 sqq.). Celle de l'archi. ·prêtresse devait être somptueusement fourrée. 25 roubles étaient le prix d'une vache (f. [86 v.]). ' . 4. La N erëa est un afiluent de gauche de la Silka. La descente de l'Ingoda et de la Silka jusqu'au confluent ayant demandé 3 semaines, Paskov dût y arriver au début de jûin 1658 (Arch. Sib., vol. 508, ff. 325, 331). Il monta là un ostrog (plus tard Nercinsk), qui fut son quartier général ja."qll'en 1660-1661; Avvakum y demeura aussi pendant tout ce temps. 5. Dans le mémoire sur les atrocités de Paskov (col. 70"2) : il :6.t mourir pTo:is de cinq cents hommes de faim. -A, qui n'a pas eu le développement p.,~...dent (f. [32])., ajoute ici cette phrase: il ne les lâchait nulle part pour .. .:hercher leur vie. 6. C : et les bois. La carte des sols du Bajkal signale,. dan~ la région ~ N'ercinsk; « forêt et steppe » (lèso8tep') et « steppe sèche à terre noire » '[Sa-riclcij, p.- 221, n. 11). ·
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LA. VIE
DE L 1 ARCHIPRiTBE AVVAKUM
raient les herbes et les racines, -et nous avec eux; l'hiver, les pins 1 ; parfois, c'était de la chair de jument que. Dieu nous envoyait, ou bien on trouvait les os de bêtes dévorées par les loups, et ce qu'un loup avait laissé, nous le finissions 2• Certains mangeaient les loups eux-mêmes et les renards pris par le gel et tout ce qui leur tombait sous la main: toutes les saletés 3 • Une jument met basunpoulain: les affamés avalent en cachette et le poulain et l~s parties immondes de la jument. Paskov, rapprenant, les fait périr sous le knut. Et la jument aussi mourut empoisonnée, car on n'avait _pas extrait le poulain comme il fallait : à peine la tête appârue, ils l'avaient arrachée et s'étaient mis à boire le sang impur 4 • Oh quel temps! Moi aussi, j'eus deux fils qui moururent dans cette détresse 5 ; ils étaient petits, et pourtant avec les autres, errant, corps et pieds nus, sur les montagnes et les cailloux aigus, ils vivotaient d'herbes et de racines, tant bien que mal ils enduraient. Et moi-même, pécheur, bon gré mal gré, j'ai pris ma part des viandes de jument et de bêtes et' d'oiseaux crevés. Malheur à mon âme pècheresse ! Qui donnera à ma tête l'eau et la --- 1. Cf. f. 223 -v. On broyait l'écorce de pin pour en faire une sorte de bouillie. Sur le Vyg, en temps de disette, on se sustentait d'un mélange d'écorce de pin, d'herbe et de paille (Filipov, pp. 109, 123, 137). Dans rAJtaj, sur le Haut~lrtys, les premiers colons, e~eore au début du x1x 8 s., se confectionnaient une pâte d'écorce d'épicea (Messager sibérien, 1845, N'0 2). On voit cependant f. [86 v.] que certains, éomme Avvakwn, avaient des vaches. 2. A Guise en Picardie, après les _dévastations de la Fronde, « six cents malheureux sont réduits à grignote!-'. l!!S carcasses des chiens et des chevaux, reste de la curée des loups ».(A. Redier, La vraie çie de saint Vincent de Paul, P., 1927, p. 305). Conformément au précepte de Ex. XX, 31, il y avait interdiction spéciale de manger de la· chair déjà souillée par la dent des bêtes (Smirnov, Matériau.x, p. 14). _ 3. Il était formellement interdit par la loi religieuse de manger des loups, renards, chevaux, les viandes mortes, les bêtes étranglées, etc..• (S. Smirnov, Matériau.:i;, p. 145). 4. Paskov, dans son rapport du 29 juillet 1658, constate : les vivres promis ne sont pas arrivés d'Enisejsk « et de cette disette de farine vos gens en grand nombre ont pris le scorbut et sont morts ... 53 sont couchés malades, et le reste se nourrit d'herbes et de racines. Ils se sont souillés, de détresse grande, et de faim mangent la chair de jument.» Il ajoute que, pour sauver la vie à ses hommes, il leur a distribué de ses propres réserves : 3;195 pouds de farine et de malt. Maintenant il ne lui reste presque plus rien. Une suppJique de tout le détachement répète les mêmes plaintes {Arch. Sib., vol. 508, :If. 69-64). La: disette avait commencé déjà sur l'lrgen'. 5. L'un dut être Corneille, que nous ne retrouvons plus dans Ja suite ; l'autre, sans doute le « nouveau-né » de f. [31].
LA VIE·
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source des larmes, pour que je.pleure 1 ma pauvre âme, que malement perdue aux délices de la . vie. z ?
f ai
Eudoxie et · Thècle, les bienfçiitrices~ Mais nous avions une aide dans le Christ : la dame Eudoxie de Cyrille, bru du gouverneur 3 , et la propre :femme d' Athanase, Thècle de Siméon 4 ; elles nous sauvaient en secret de la mort sans qu'il le sût : tantôt elles envoyaient un morceau de viande. ~:i.•. tantôt une miche, tantôt un peu de :farine et· d'avoine, ce qu'elles pouvaient, un quart de poud, une livre ou deux 5 , et parfois même elle amassait 6 un demi-poud et nous le faisait passer, et parfois elle radait dans leur auge la pâtée des poules.
Agrippine.
•~·~
Ma fille, pauvre traîne~douleurs, Agrippine, se coulait en cachette sous sa fenêtre. C'était à rire _et à pleurer! Parfois on chassait l'enfant de la fenêtre à l'insu de la dame, et parfois elle rapportait pas mal. Elle n'était pas grande alors ; maintenant elle a déjà vingt-sept ans, encore fille, ma pauvre en:fant, sur la Mezen' avec ses. sœurs cadettes elle végète tant bien que mal, dans les pleurs 7• Et sa mère et ses frères sont enfouis en terre, prisonniers 8 • Mais que :faire ? qu'ils souffrent tous, les douloureux, pour le Christ ! Ainsi soit-il, avec l'aide de Dieu ! C'est chose établie, de souffrir pour la foi ch:i:étienne. 1. Jer. IX, 1. 2. Cf. Office du 2 février, hyni.ne 9, fin. 3. Donc la femme de Jérémie Paskov, si dévoué à Avvakum, co:tnroe on va le voir ff. 228 sqq. ' ~- Thècle n'est pas connue par ailleurs; mais peut-être est-ce elle qui, sous le nom de Théophanie Paskova, figure dans la liste des abbesses de !'Ascension de Moscou, de juin 1673 à sa mort en 1685 (Stroev, p. 223). Elle était sans doute entrée dans ce couvent après la mort de son mari en 1664 (f. [34. v.-35]).. . . 5. GriYenka: ancien nom de la livre; elle semble avoir pesé à l'époque, et encore au début. dù xv1ne s., environ 4.78 gr. (tandis que le funt en Je3a ensuite 410). 40 griPenka faisaient un pud, qui pesait donc 19,1 kg. ;(a:a lieu de 16,4 plus tard). (Kljuèevskij, Le rouble, Premier recMil, p. 11-±). &. A.,-vakum passe brusquement du pluriel au singulier. -;_ Le diacre Théodore, en 1669, adresse sa bénédiction " aux sœurs &grippine, Aquiline et Xénie d'Avvakum », sur la Mezen' (Barskov, p. 69, L 27). Sur Xénie, voir f. 233. S. Ci. f. 261.
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LA VIE
DE
L' ARCHI-Pii.iTRE .ÀVVAXUM
Tu aimas, archiprêtre, hanter les puissants : aime donc endurer·, traîne-douleurs, jusqu'à la fin! 1 Il est écrit : n'est pas bienheureux qui commence, mais qui finit 2• Assez là-dessus : revenons à notre propos 1 Guérison de deux possédées : col,ère de Paskov.
Cette grande détresse, au pays daoure, dura dans les six ou sept ans, et les autres années il y eut relâche 3 • Mais lui, . Athana,se, par la calomnie, cherchait constamment ma mort. Dans cette même détresse, il m'envoya de sa part deux veuves - c'étaient les chambrières favorites -'-, Marie et Sophie, 219 v. possédées d'un esprit impur.. Après force manigances et sorcelleries sur elles, voyant qu'il n'avançait rien et que les choses se _gâtaient 4 - le démon les ~ourmentait bien durement, elles se débattaient et criaient - , il m'appela, me salua et dit : « Fais-moi ce plaisir, prends-les, toi, et occupe-t'en, en priant Dieu. Il t'écoutera, toi. » Et 'je lui répondis : « Seigneur, la demande dépasse la mesure.. Mais par les prières de nos saints Pères tout est possible à Dieu. » Je les pris, les pauvres. Pardonnez-moi 1 J'avais eu de la pratique en Russie : il arrivait qu'on m'amenât à la maison trois, quatre possédés et, par les prières des saints Pères, les démons s'en allaient d'eux, par l'opération et le commandement du Dieu vivant et 220 de notre doux Seigneur Jésus-Christ Fils de: Dieu. De larmes et d'eau je les asperge, je les oins d'huile, je'-- chante un court ·office au nom du Christ : et la vertu divine chassait de ces hommes les ·démons et ils recouvraient là santé, non par mon méri~e - nullement ! - mais par la foi des assistants. Chez 1. Tour de phrase employé pour divers dictons: tu as aimé telle chose {agréable), aime aussi telle autre (désagréable). 2. Même dicton col. 351, 51ft. On peut en trouver l'origine dans Eccl. VII, 9 ; Mt. XXIV, 13; Mc. XIII, 13. Pour les vieux-croyants persécutés, toujours en danger de céder, le conseil: souffrir jusqu'à la fin! avait une valeur actuelle. · 3. On ne voit pas très bien comment Avvakum compte ces six ou sept ans : en Daourie même, il n'est resté que de 1658 à 1662. Aussitôt après avoir écrit« au pays daoure », il se remémore toute sa campagne de Sibérie, depuis le départ d'Enisejsk par exemple, ou même de Toholsk, et il trouve . que cette première période (1655-1661) fut la plus dure. C, toujours plus ·· réfléchi, porte : « dans les six ans et davantage » sans parler de Daourie. 4. Phrase de Mt. XXVII, 24, passée en proverbe et dont le sens propre est très affaibli. Cf. f. 236 in fine; 24ft v. in fi,ne; Vie du patriarche Joachim, pp.19-20. Dostoevskij, dans l'Adolescent (III, chap. 3, § 4, p. 329) la met à ce titre dans la bouche du vieux Makar lvanovié.
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les anciens; la grâce agit par l'âne avec Balaam 1, avec Julien martyr par le lynx, et avec Sisinnie par le cerf : ils parlaient d'une voix humaine 2• Où Dieu veut, l'ordre de nature ·est renversé 3 • Lis la vie de Théodore d'Edesse, et tu l'y verras : même une pécheresse ressuscita un mort 4 • Dans le Pilote 5 il est écrit : tous ne sont pas ordonnés par l'Esprit saint, mais par tous, hors l'hérétique, il opère 6• Donc on m'amena les possédées : à mon habitude, je jeûnai moi-même et à elles aussi je ne donnai pas à manger; je chan~-.-. tais des offices et je les oignais d'huile ; j'agissais comme je savais : et par le Christ les femmes recouvrèrent raison et santé. Je les confessai et les communiai ! Elles habitent chez moi et prient Dieu; elles m'aiment et ne retournent pas chez elles. Il apprend qu'elles sont devenues mes pénitentes, il se courrouce contre moi de nouveau et pis qu'avant. Il veut me cuire à petit feu : cc Tu leur extorques mes secrets ! l> Mais comment les communier, je vous le demande, sans les confesser ? Et sans communier un possédé, vous ne chasserez tout à fait le démon. Un démon n' èst pas un vilain : le bâton ne lui fait pas peur; il a peur de la croix du Christ et puis de l'eau bénite et puis de l'huile sainte, et il"fuit tout à fait devant le corps du Christ. Hors de ces sacrements 7, je ne sais pas guérir.
1. Num. XXII, 28. 2. Je n'ai pas trouvé les textes auxquels Avvakum fait allusion, 3. Cette sentence se rencontre dans plusieurs textes liturgiques : ainsi dans l' Acathiste à la Mère de Dieu, dans le 3e stikhère de 1'Annonciation (Canons des offices, f. 7). Avvakum la cite encore col. 620. 4. Une mère perd son dernier enfant; elle rencontre une courtisarle ; folle de douleur, elle jette le mort dans ses bras et tombe à ses pieds. Alors la courtisane, consciente de son indignité, se frappe la poitrine et supplie le Seigneur de rendre la vie à l'enfant. Une lumière descend du ciel et le cada,.,-:re reprend vie. Telle est l'histoire qu'un vieil ermite conte à Théodore d'Edesse lors d'une de ses visites au désert (Vie de Théodore d'Edesse, slave, fasc. 2, pp. H3-H7 : grecque, pp. 57-59). 5- Voir ci-dessous, p. 232. 6. V. f. [5] et la note. Dans le texte de saint Jean Chrysostome est cité l°exemple de Balaam. 7. Les Russes appliquaient le même terme aux sacrements (t< le corps du Chri...st »} et aux sacramentaux {le signe de la croix, l'eau bénite) . .à-,-,;akum. distingue cependant entre sacrements mineurs et majeurs {L 3:3.S). Lon,,o-temps, chez les Latins aussi, les sacramentaux furent nom~ se petits sacrements a ou même « sacrements » (Liturgia, P., 1930, n-~ ·-;5.,~754j.. .
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DE
t'AàCRlPR!TRE
AVVAKUM
( La confession et la communion sans prêtre.) Dans notre foi orthodoxe, sans confession on ne communie pas; dans la foi romaine on le fait; on néglige la confession 1 , mais à nous qui gardons l'orthodoxie cela ne sied pas : en tout cas il faut le repentir. Si par force majeure tu n'obtiens pas de prêtre 2, déclare tes péchés à un de tes frères expérimenté et Dieu te pardonnera en voyant ton repentir, et alors, après un court office, communie-toi toi-même. Aie toujours sur toi une hostie consacrée 3• Si tu es en route, à la pêche ou à la chasse, ou en toute occasion loin d'une église, en soupirant devant le Seigneur confesse-toi à ton frère commç il est dit plus haut et, la conscience nette, donne-toi la sainte communion 4 : ainsi ce sera bien ! A jeun, après l'office 5, devant l'image du Christ, étends sur une boîte un linge et allume une chandelle, verse un peu d'eau dans un vase, puises-en une cuiller et, tout en priant, place dans l'eau sur la cuiller une parcelle du corps du Christ, et 221 v. encense le tout avec l'encensoir. Après avo_ir jeté quelques larmes, prononce : c, Je crois, Seigneur, et je confesse que. 221
1. Le concile de Trente n'exige la confession avant la communion qu'en cas de péché mortel (Sessio XIII, cap. vu). Nicole lui-même ne croit pas qu'on doive se confesser avant chaque communion, si l'on n'a que des péchés véniels sur la conscience (Essais de morale, V, p. 265). -D'autre part Avvakum n'a pu connaître la pratique catholique que par la Pologne : or au début du xvne s., les Jésuites avaient contribué à y répandre la communion mensuelle et même hebdomadaire (A. de Meyer, Les premières controverses jansénistes en France, Louvain, 1917, p. 60). L'Église russe au contraire n'admettait guère que quatre communions par an et il était de règle qu'elles fussent données par le prêtre qui avait entendu la confession (S. Smirnov, Le confesseur de l'ancienne Russie, pp. 175-176). De là l'opposition établie par Avvakuro. 2. Avvakuro entend : pas de prêtre vieux-croyant. C le dit : si à cause de la .persécution tu n'obtiens pas de prêtre de la vraie foi. 3. Les vieux-croyants, dès la fin du xvue s., suivaient le conseil d' Avvakum : ils portaient sur eux, dans de petits sachets, des hosties consacrées (Euphrosyn, Réfutation, p. 68). 4. Le conseil d' Avvakum sur la confession et la communion sans prêtre, en cas de force majeure, est conforme à la tradition byzantine : v. Pargoire, L'Église byzantine de 527 à 847, P 11 , 1923, pp. 96 et 339-340. Il y avait même un petit cérémonial prévu pour la circonstance, analogue à celui que va décrire A vvakum. · 5. Pravilo (qui traduit le grec kanôn) désigne l'office canonique, que tout fidèle devait en partie réciter avec le père de famille à la maison (kelejnoe pravilo), en partie entendre à l'église (Donwstroj, chap. XII et xm; E. Duchesne, Le Donwstroï, P., 1910, pp. 40-42).
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Tu es Christ, fils du Dieu ~ivant, venu al! monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier. Je crois qu'en vérité ceci est proprement Ton saint corps et ceci Ton digne sang. A cause de lui, je T'en prie, aie pitié de moi, pardonne-moi et allège mes péchés, volontaires et involontaires; en paroles et en actions, conscients et inconscients, en intention et en pensée, et rends-moi digne de recevoir sans condamnation Ton adorable sacrement pour la rémission des· péchés et la -v-ié éternelle, car Tu es béni dans les siècles. Amen: ! » Ensuite, tombant à terre devant rimage, récite ton confiteor 1 , relèvetoi, baise les images, signe-toi, avec une prière communie-toi, avale par-dessus uxi peu d'eau, et prie Dieu derechef. E_h bien ! le Christ soit loué ! Tu peux mourir après cela, ce sera bien quand même. Assez là-dessus. Vous savez vous-mêmes que c'est une bonne chose 2• Je reviens à :µies femmes . . Paskov m'enleva les pauvres veuves. Il m'injurie, au lieu de remerciements. Il pensait : le Christ en restera là. Mais elles commencèrent à se démener pis qu'avant. Il les enferma dans une izba vide, nul n'avait accès ·auprès d'elles ; il leur envoya le prêtre régulier 3 : et elles de lui lancer des bûches. Il s'en - 222 ""· retourna. Moi, à la maison, je pleure et ne sais que faire. Je n'ose approcher du courtil : il m'en veut rudement. Je leur envoyai en cachette de l'eau bénite, ordonnai de les laver et de les faire boire, et elles furent soulagées les pauvres: _Elles vinrent me trouver secrètement, et je les oignis d'huile au nom du Christ ; ainsi de nouveau, Dieu aidant, elles recouvrèrent la· santé et s'en furent encore chez elles. La nuit, elles couraient chez moi en secret prier Dieu. Elles devinrent· d'excellentes 1. C précise : •.. devant l'image, tombe à terre et dis : Pardonne-moi, Seigneur Christ Dieu, tous mes péchés ... , récite tout jusqu'à la fin, puis baise l'image· et ta croix... · · 2. Dans C, le développement sur la confession et la communion sans prêtre est rejeté immédiatement après le Sacrifice niconien (ici f. 335). On le retrouve encore dans le Li11re à tous nos chers traîne-douleurs (col. 837838). Ce sont trois rédactions passablement divergentes, qui montrent qu'Avvakum n'a pas l'intention d'établir un rituel oligatoire. E,n particulier, le Livre prévoit« un petit vase avec du Yin et de l'eau», et la prière est partout différente. La rédaction du Li11re, qui est la dernière (fin de 1675), est à la fois abrégée et plus soignée : la succession des actes à accomplir y est beaucoup plus claire. Sur la doctrine, voir P. Smirnov, pp. 156-166. . .. 3. Le prêtre régulier Serge, seul ecclésiastique de l'expédition depuis la mort du diacre. séculier Léonce à Bratskij ostrog (Arch. Sib., vol. 508, f. 3~8).
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L'ARCBIPR:ÊTRE AVVAKUM
enfants. cessèrent leur maléfice et furent assidues à leur office. A Mos~ou, elles s'installèrent avec la dame au couvent de l' Ascension 1 • Dieu soit loué en leur endroit ! ConPersion de PaskoP.
[Eh bien t que. tout fidèle soit juge, en attendant le jugement du Christ 2 ••• y avait-il là de quoi se courroucer ? Visiblement le démon agissait en lui entravant son salut. Mais Dieu lui pardonnera. C'est moi qui le tondis et lui imposai l'habit 3 , une fois rentré à Moscou; le tsar me l'avait livré 4 ; ainsi Dieu le voulut ! Pour lui le Christ subit bien des instances, [35] mais Dieu soit loué en son endroit ! 11. m'offrait, à Moscou, beaucoup d'argent; mais je ne le pris pas : « Ce qu'il me faut, dis-je, c'est ton salut sur l'heure, et non ton argent; prends la tonsure, dis-je, et Dieu te pardonnera. » Il voit le malheur inévitable, et m'envoie quérir avec larmes. Je vins à son hôtel, il tomba à mes pieds et dit : c< La volonté de Dieu soit faite, -et la tienne, sur moi ! >l Je lui pardonnai, puis, avec les moines du Miracle, lui donnai la tonsure et l'habit. Mais Dieu ajouta encore à ses peines, car je .harcelais pour lui le Christ, pour qu'il se l'agrégeât. Son bras et sa jambe se desséchèrent, àu Miracle, il ne sortait plus de sa cellule, et j'en étais fort content pour que Dieu daignât l'admettre au royaume céleste. Je le harcèle encore aujourd'hui pour lui, et je compte sur la miséricorde du Christ, j'espère qu'il aura pitié de lui et de nous, pauvres gens 5 ! Assez là-dessus, jé vais revenir à mon existence de Daourie.] 1. Le couvent de !'Ascension, au Kremlin, à l'époque où la femme de Paskov y entra avec les deux veuves, c'est-à-dire en 1664, avait tout un noyau de vieux-croyants: Hélène (Khruscova), pénitente d'Avvakum, y exerçait les fonctions d'usta1Jséica ou canonarque (sur elle, v. Barskov, p. 312; Tikhomirov, pp. 20-21). Avvakum était là chez lui (cf. f. 226). 2. C donne ici, avec d,es variantes, ce que A porte au f. 220 v. : « Comment les communier... sans· les confesser? ... je ne sais pas guérir. » 3. Le mot employé désigne le sch~me, l'habit de la plus stricte observance. 4. En rentrant à Moscou, Avvakum avait adressé au tsar une plainte contre Paskov, dont nous avons le texte (col. 701-703). En suite de quoi, le tsar le lui avait livré. 5. Dans l'Épître qu'il écrivit au tsar lors de son retour à Moscou (col. 729), et plus tard, dans une lettre à sa famille (col. 922), Avvakum parle de Paskov en termes à peu près identiques. Il n'est plus question de Paskov dans aucun document après 1664, et !'Armorial général (VIII, n. 211 le fait mourir nrécisément en 1664.
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LA ..VIE
C)
RETOUB VEBS LA
RussIE,
. Départ, hiver 1660-1661. Ensuite de la Nerca nous revînmes sur nos pas, vers la . Russie 1 . Cinq semaines nous allâmes en nartes _sur le verglas. Pour les enfants et pour les hardes il m'avait· donné deux haridelles ; l'archiprêtresse et moi cheminions à pied, en nous 223 battant contre la glace. Contrée. barbare ; indigènes insoumis : traîner après les chevaux est terrible, et les suivre_ impossible, affamés et recrus que nous sommes.
L'4-rchiprêtresse sur la glace; L'archiprêtresse, la pauvre, avance clopin clopant, et puis s'écroule : c'était glissant· en diable! Une fois, en marchant, elle s'écroula, un autre 2 non moins épuisé choppa contre elle et s'écroula dessus : tous deux crient et ne peuvent se relever. L'homme crie : « Pardon, la mère ! » Et l'archiprêtresse crie : « Hé, bon père, tu m'as écrasée. » J'arrive, et c'est à moi que la pauvre s'en prend : cc En avons-nous pour longtemps à souffrir, archiprêtre ? » Et je dis : cc Fille de Marc, jusqu'à la 223 v. mort ! » Et elle, en soupirant, répond : « Bien, fils de Pierre, alors cheminons encore. »
La poulette noire et la guérison des poules de Thécle. Nous avions une poulette noire : elle pondait chaque jour deux œufs pour la pitance des enfants ; par ordre divin, pour subvenir à notre détresse, Dieu en avait ainsi disposé. Pendant le transport en narte, elle fut étouffée, pour nos péchés. Encore maintenant, je la regrette, cette poulette, toutes les fois que j'y pense. Ce n'était pas une poulette, mais une merveille _: tout le long de l'année elle donnait ses deux œufs chaque jour. Cent roubles auprès d'elle, bagatelle, ferraille! Cet oiselet doué d'âme, créature du bon Dieu, nous nourrissait. Avec nous elle 1. Je n'ai pas retrouvé de document permettant de dater précisément cette retraite. Mais le 26 mars 1660, Paskov écrit encore de Nerèinsk (Arch. Sib., vol. 1615, f. 9~). Le départ ne put donc avoir lieu que l'hiver suivant, 1660-1661. 2. B ajoute : un vieil homme.
. LA VIE DE L 1 ARCRIPRt-TRE
AVVAXUM
_picorait dans la marmite la bouillie de pin 1
m
;
s'il y avait par
·• - ha..~ du poisson, elle picorait le poisson ; et en échange elle
nous donnait ses deux œufs par -jour. Dieu soit loué, qui a tout ordonné pour le mieux ! Et ce n'est pas de façon banale que nous l'avions eue. Toutes les poules de notre dame avaient perdu la vue et crevaient les unes après les autres ; elle les mit dans une corbeille et me les envoya : « Que le père veuille bien prier pour mes poules t >> Et je songeai : c'est notre nourricière, elle a des petits enfants, il lui faut ses poules. Je chant~i un office, bénis de l'eau, aspergeai et encensai les poules; puis j'allai au bois, je leur fis une aug~ pour manger et l'aspergeai d'eau; ensuite je renvoyai le tout à la dame. Les poules, par la volonté divine, recouvrèrent la santé et· la force en raison de sa foi. C'est- de cette race qu'était notre poulette. Mais assez dit! Ce n'est pas d'aujourd'hui que le Christ agit de la sorte. Déjà Cosme et Damien faisaient du bien aux hommes et aux bêtes et les_ guérissaient par le Christ 2 • A Dieu tout est bon : la bête et l'oiseau sont 224 v. pour Sa gloire, au très saint et Très-Haut, et aussi à cause de l'homme. ·
Guérison du fi1,s d' Eudoxie. Ensuite nous revînmes au lac Irgen' 3 • La dame voulut bien nous envoyer une poêle de froment 4, et nous nous régalâmes de gâteau 5• C'était ma nourricière, Eudoxie de Cyrille, et pourtant avec elle aussi le diable me brouilla, voici comment. Elle avait un fils, Siméon : il était né là-bas, j'avais fait les relevailles 6 et le baptême, chaque jour elle l'envoyait prendre 1. Cf. f. 217 v., et la note. _,; 2. La légende des saints Cosme et Damien porte qu'ils avaient « reçu de_ Dieu le don de guérison, qu'ils donnaient la santé aux âmes et aux corps ... , qu'ils ne soulageaient pas seulement les hommes, mais aussi le bétail et pour cela n'acceptaient rien de personne » (Synaxaire, 1er novembre). Dans le peuple russe, ces saints so~t considérés comme les protecteurs des poules et leur fête est dite la « fête des poules ». 3. B ajoute : pour y vivre. Sur le lac Irgen', Paskov avait monté un ostrog avec des logements (Arch. sib., vol.508, f. 318). _ 4. A l'époque, les poêles avaient les bords assez haut relevés (v; !'Abécédaire de Karion Istomin, qui donne une figure, Lect. hist., 1917, I), 5. Kutjia : gâteau de froment, de miel et de fruits, qui actuellement en Grande-Russie se mange d'ordinaire en l'honneur des défunts. _ 6. L'expression (cf. f. 233) désigne la « prière dite pour l'accouchée après 40 jours » qui se trouve au début des Rituels. La :inère se rend à l'église avec l'enfant, et le_prêtre les bénit : « Purifie de tout péché et
125 ma bénédiction. Je le bénissais de la croix,l'aspergeais d'eau, · rembrassais et puis le lâchais. Notre enfant était beau et bien portant. Un jour que je n'étais pas àla maison, le petit tomba· maladei Dans un moment de faiblesse, fâchée contre moi, elle ~5 l'envoya à un manant de sorcier 1 . L'apprenant, je me fâchai aussi contre elle, et il y eut entre nous grande brouille. Voilà l'enfant malade de plus belle : son bras droit et sa jambe devinrent secs comme des -bâtons. Et le remords la prend : elle ne sait que faire, et Dieu l'accable davantage. L'ënfant est à la mort. Les gouverneurs viennent pleurer chez moi, et je dis : .« Méchante femme, qu'elle vive donc seule! » Et j'attends qu'elle se repente. Je vois qû'.e le diable a endurci son cœur : je supplie le Seigneur de la ramener à la raison. Et le Seigneur, Dieu de miséricorde, amollit le champ de son cœur: elle m'envoya sur le matin son second fils Jean 2 • Avec larmes il demande grâce pour sa mère, il tourne en faisant des saluts autour de mon four. Et moi je suis couché sous une écorce de bouleau, nu sur le four; l'archiprêtresse dans le four; les enfants de-ci de-là : c'était pendant une averse, nous n'avions plus de vêtements, et il pleuvait dans la baraque 3, .225 v.. on s'arrangeait comme on pouvait. Et, pour la mortifier, je lui envoie cet ordre : « Dis à ta mère de la demander, cette grâce 4, à Aretha le sorcier. » Ensuite on apporta quand même le malade : elle avait dit de le déposer devant moi. Tout le inonde pleure et fait des saluts. Je me levai, ramassaj: dans la boue mon étole et trouvai l'huile sainte. ·Après avô'ir prié et encensé, j'oignis l'enfant d'huil1;i et le bénis de la croix. L'enfant - Dieu le fit ! - se retrouva bien portant, avec bras et jambe. Je lui donnai à boire de l'eau bénite et le renvoyai à sa mères: Vois, mon auditeur, quelle vertu eut le de toute souillure ta servante... afin qu'elle puisse recevoir sans condamnation tes saints mystères.,. et bénis l'enfant né d'elle, donne-lui la grâce, · la raison, la chasteté•.. ; toi qui l,'as appelé à la lumière des sens, donne-lui la lumière de l'esprit... » · . . . 1. Littéralement : « chuchoteur ». Le mot désigne communément le . sorcier, qui chuchote des paroles incompréhensibles. 2. Jérémie Paskov eut deux fils nommés Jean: tous deux prirent part à. la campagne de Crimée en 1687 comme lieutenants (Lobanov-Rostovskij, Il, p. 78). 3. ·Une de ces petites cabanes comme s'en construisaient les chasseurs ou les collecteurs de jasak, pour s'abriter provisoirement. · ~- Avvakum joue sur le mot : l'enfant demandait « pardon » pour sa mère; !'archiprêtre conseille à la mère de demander au sorcier « la guérison miraculeuse ». Le mot russe a -lès deux. sens. 5. Siméon Paskov fit plus tard une belle carrière : en 1703, il était
.LA TIE DE L' ARCBIPRtTRE AVVAKUM
:22:5
~ t i r d'une mère : elle guérit son âme, rendit son fils à îa samk ! Hé quoi ? Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il y a un Diea pour les pénitents ! . .Au matin, elle nous fit porter du poisson et des pâtés : pour nous autres affamés, c'était une aubaine. Et de ce jour nous fùnes la paix. A son retour de Daourie, elle mourut, la chère, à Moscou ; et c'est moi qui l'enterrai au couvent de l' Ascension. Paskov apprit l'histoire de l'enfant : elle la lui conta. Après, je vins chez lui. Il me salua bien bas, en disant : « Merci.! tu agis en père, tu oublies nos méfaits. » C'était son petit-fils bien-aimé, cet enfançon, il l'avait lui-même présenté au baptême ; aussi était-il fort en peine de lui. Et dans ce temps il m'envoya force pitance.
L'expédition de Jérémie PaskoP, août-septembre 1661. _ Mais après cela, il voulut bientôt me mettre à la torture. Ecoute [un peu] pour quoi. Comme il envoyait son fils Jérémie guerroyer au royaume des Mongols - et avec lui 72 cosaques 226 v. et 20 [Tunguz] 1 - , il obligea un indigène à faire le saman, c'est-à-dire le devin : l'expédition sera-t-elle heureuse, et. reviendront-ils victorieux 2 ? Ce manant de magicien, près de ma cabane, amena sur le soir un bélier vivant et se mit à pratiquer sur lui sa magie : après l'avoir tourné et retourné, il lui tordit le cou et rejeta la tête au loin. Puis il comroençà à sauter et danser et à appeler les démons ; enfin, avec de grands cris, il se jeta à terre, et l'écume sortit de bouche. Les démons le pressaient, et il leur demandait : « L'expédition réussira-t-elle ? » Et les démons dirent : 3 Voilà les gouver-
sa
stolnik, en mission dans le district de Balakhna {Lobanov-Rostovskij, II, p. 78). Un peu plus tard, voévode à Rostov, ce miraculé d'Avvakum aida le métropolite Dimitrij à combattre et discréditer le raskol (Dimitrij de Rostov, Enquête, 3e partie, chap. xvu 8 ). 1. A écrit : 20 indigènes. 2. C écrit : avec du butin. 3. Nous avons ici la première description connue du kamlanie des saman. Les ethnographes modernes en ont confirmé tous les détails : l'opération a lieu de préférence à l'obscurité, en plein air, elle nécessite le sacrifice d'un animal, le saman s'abat finalement,. terrassé, l'écume aux lèvres et profère ses oracles. A Scapov a observé, en plein xxxe siècle, la facilité avec laquelle les Russes de Sibérie se soumettent aux influences indigènes: Et il lui fut encore adressé quelques autres paroles : comment un ordre viendrait pour nous et combien d'anciens amis nous trouverions en Russie. Tout cela s'est réalisé. 243 Et il m'était commandé de dire à Pàskov de chanter lui aussi vêpres et laudes : alors Dieu donnerait le beau temps et le blé pousserait. Autrement c'étaient des pluies continuelles; on avait semé un petit champ d'orge 3 un jour ou deux avant la Saint-Pierre : aussitôt elle avait grandi, et puis pourri à cause des pluies. Je lui parlai de vêpres et laudes. Ainsi fit-il. Dieu donna le beau temps et le blé fut bientôt mûr. Merveille! Tard semé, il mûrit tôt. 4 • Màis le pauvre se remit à frauder en l'œuvre de Dieu. L'an d'après, il sema beaucoup, mais u'he 243 v. pluie extraordinaire tomba, la rivière déborda, inonda le champ .
1. Dans l'office byzantin, d'où les hymnes d'origine ecclésiastique (kanon) ont presque évincé l'élément scripturaire, les complies sont une des heures qui ont le mieux conservé leur caractère primitif de psalmodie : ps. 50, 69, 142. 2. Cf. f. 218 v. 3. Les intentions de Moscou étaient que la Sibérie suffît à ses besoins alimentaires. Paskov, comme tous les voévodes, avait ordre d'implanter autour de ses ostrog la culture des céréales. En 1658, il ensemença" 50 ha. de tous grains de printemps [orge) et 70 autres » pour l'automne (Arch. Sib., vol. 508, f. 327). La région de Nercinsk est d'ailleurs aujourd'hui un centre agricole (Savickij, pp. 222-223). . 4. On sait que« la maturation rapide des blés est un trait caractéristique des régions de climat continental» (Savickij, p. 223). 10
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et détrempa tout, nos logis avec 1 . Jusqu'alors, jamais l'eau n'avait été là, et les indigènes n'en revenaientpas. Tu le vois : qu'il méprise l'œuvre de Dieu et marche de travers, et Dieu aussi étrangement le traverse 2 • C'est qu'il avait ri du premier avis, après coup : l'enfant avait faim, alors elle pleurait ! Mais moi, depuis lors, je me cramponnai à mon office, et jusqu'à ce jour je persévère tant bien que mal. Assez causé de ces choses, revenons à mon fait. Nous devons nous rappeler tout cela et ne pas l'oublier, ne pas négliger ou laisser là l'œuvre de Dieu, et ne pas la changer pour l'illusion de ce vain monde. La 244
Pte
d'Apçakum à Moscou.
Je reprends ma vie de Moscou. · Ils voient que je ne me réunis pas à eux! Le tsar chargea Hérodion Stresnev 3 de m'exhorter : que je me taise ! Et moi je lui fis ce plaisir : c'était le tsar, institué par Dieu, et de plus, assez bon pour moi: il s'amendera peu à peu, espérais-je 4 • Alors on me promit pour la Saint-Siméon 5 une place à l'Hôtel de la Presse pour la recension des livres, et j'en étais fort aise : voilà qui me va mieux encore que l'aumônerie 6 • Il daigna m'envoyer dix roubles, la tsarine dix roubles 7, Lucien, le confesseur, dix roubles aussi 8 , Hérodion Stresnev dix roubles, 1. « L'Amour a ses crues en été, après la fonte des neiges dans les montagnes, et, coJXlllle c'est en été aussi que tombe la période des plus fortes précipitations, les hautes eaux peuvent atteindre des proportions dévastatrices » (Savickij, p. 223). 2. Ici encore, Avvakum joue sur les mots. 3. Un des compagnons d'enfance du. tsar Alexis, demeuré ensuite à la Cour et chargé fréquemment de missions de confiance. Très en faveur après son ambassade auprès de Bogdan Khmelnickij, il avait été promu okol'nicij en décembre 1656, et avait reçu à la fin de 1661 la direction de trois prikaz (Grande recette, de Vladimir, de Galië). Il les échangea le 17 mars 1663 contre le Bureau de Sibérie, qu'il devait garder jusqu'en 1680. A plusieurs reprises, il servit de messager au tsar auprès de Nicon (Stepanov M., pp. 78-86 ; Dict. biogr., 1909, pp. 583-584,). 4. D'après le diacre Théodore, le tsar fit dire à Avvakum qu'il y aurait un concile pour décider de 1a question des livres, qu'il patientât jusqu'au concile (l, pp. 402-403). 5. C'est-à-dire pour le 1er septembre, début .de la nouvelle année .. 6. Cf. f. 239 in fin~. B (f. 4,(,, v.) assure que la nomination avait déjà été faite. 7. La tsarine Marie conserva jusqu'à sa mort' (3 mars 1669) sa, sympathie aux vieux-croyants (v. f; 248 v.). 8. Lucien Kirillov fut archiprêtre de l' Annonciation et confesseur du tsar de 1657 à 1666 et ne semble s'être iÏgnalé par aucune originalité.
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•. ·.· et quant à notre vieil ami Thêodore Rtisèev, il m'en fit fourrer •~-..soixante, par son trésorier, dans mon horinet ; des autres, inutile · de parler : chacun amenait ou apportait quelque chose ! 1 Je passais ma vie chez ma bonne Thêodosie• de Procope Morozova, je ne sortais pas de son hôtel, car elle était ma fille spirituelle et sa sœur, la princesse Eudoxie de Procope, l'était aussi. Mes bonnes martyres. du Christ 2 ! Et aussi constam• ment chez feu Anne de Pierre. Miloslavskaja, j'étais toujours chez elle 3 • Et j'allais chez Théodore Rtiscev disputer avec les renégats 4• Je vécus ainsi environ six mois, et puis je vis que dans l'Eglise on n'avançait rien et que les choses se gâtaient 5 : je recommençai à grogner.
Un a~ plus tard, en 1665, quand le diacre Théodore lui remettra une sup" plique en faveur d'Avvakum, il la repoussera avec fureur (1, pp. 398-399). 1. C ajoute à cette énumération de bienfaiteurs : « Procope de Cosme Elizarov dix roubles aussi. » C'était un ancien voévode de Rjazan', chef du zemskij prikaz de 1657 à 1671, c'est-à-dire chargé de l'administration municipale de Moscou (B. A. R., XX2, pp. 309-310 ; B. H, R., XXI, col. 1208, 1{.18, 1707). 2. Théodosie ei Eudoxie, filles de Procope Sokovnin, ancien voévoded'Enisejsk que sa parenté avec la tsarine Made Miloslavskaja avait élevé aux premières charges de la Cour, épousèrent, la première le boïar Glèb Morozov, frère aîné de l'ancien précepte1,1r et premier ministre du- tsar .-\lexis, la seconde un prince Pierre Urusov. On ignore à quelle date elles firent connaissance d' Avvakum : peut-être le virent-elles en 1652-1653 {elles étaient alors bien jeunes), mais c'est en 166{. que se noua cette amitié spirituelle qui dev~it durer jusqu'à la mort. Théodosie, mariée à 17 ans en 16{.7, était veuve depuis 1662 : elle se confia à la conduite d'Avvakum et nous possédons quelques bribes de leur extraordinaire correspondance. Son hôtel (non loin, se:mhle-t-il, de l'Université actuelle) devint à Moscou le centre de la résistance religieuse. Eudoxie, moins :fougueuse et retenue par son mari, n'en était pas moins attachée à la ,-ieille foi. Toutes deux furent arrêtées le 15 novembre 1671, mises à la question et enfermées dans diverses prisons avant de périr à Borovsk de faim et de mauvais traitements en 1675. Les vieux-croyants nous ont conservé une émouvante Vie de la dame Morozom, écrite peu après les é,énements, peut-être par son frère (VIII, pp. 137-203}. 3. Anne de Pierre, petite-fille du célèbre prince Pozarskij, mariée en secondes noces à Jean Miloslavskij, était alors veuve dE) ce boïar, mort le 15 mars 1663. Elle venait de perdre, entre le 18 décembre 1661 et le 5 août 16 62, quatre enfants en bas âge. Elle-même mourut le 30 octobre 1668 frokmakov, Kirf.aé, pp. 72-7{.; Lobanov-Rostovskij, I, p. 383; S. A. H. V., col. 137}. ~- Cf. f. 238 in fine et v. 5. Cf. f. 219 v.
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La · l~ttre au tsar. J'écrivis assez longuement au tsar pour qu'il rétablît l'ancienne relïgicm, défendît des hérésies notre mère commune, la sainte Eglise, et élevât au trône patriarcal un pasteur orthodoxe au lieu du loup et renégat Nicon, scélérat et hérétique 1 . La lettre une fois prête, je tombai gravement malade 2 • J'envoyai, pour la remettre au tsar à son passage, mon fils spirituel, Théodore le fol en Christ 3 , qu'ensuite les renégats étranglèrent sur la Mezen', pendu en potence 4• La lettre à la main, il s'approcha de la voiture du tsar avec audace. Le tsar le fit emmener, avec la lettre, sous le Grand Perron 5 : il ne savait pas qu'elle était de moi. Ensuite, quand il lui eut pris la lettre, il le fit relâcher. Lui, le défunt, s'en fut chez moi, puis retourna à l'église devant le tsar et se mit à faire ses folies : le tsar cour2t.5 v. roucé le fit envoyer au couvent du Miracle. Là l'archimandrite Paul 6 le chargea de fers, et pàr la volonté de Dieu les fers tombèrent de ses pieds, devant tout le· monde 7; Et lui, le cher défunt, étant au fournil, se glissa après la fournée dans le four brûlant et s'assit le cul nu sur la sole ; on le vit ramasser les miettes et manger. Alors les moines s'effrayèrent et le dirent ·vite à l'archimandrite, aujourd'hui le métropolite Paul. 2~5
1. Le 30 mai était arrivée à Moscou la lettre des patriarches orientaux condamnant Nicon pour avoir abandonné son siège (Gibbenet, Il, pp. 101, 106). Il était donc question de lui nommer un successeur. La supplique dont Avvakum parle ici, et à laquelle il fait encore allusion dans une autre épître au tsar (col.· 751) - une copie se trouvait dans les papiers saisis chez Théoctiste à Vjatka (I, pp. 335-336, N° 60) - ne nous est pas parvenue; Neronov, peu après, rappelle au -tsar que son ami y proposait les noms de Serge Saltykov, Nicanor et autres (1, pp. 198-199). Elle fut remise certainement avant le 21 août, date à laquelle « l'archimandrite » Paul, nommé plus bas à cette occasion, devint métropolite de Krutica, et fut remplacé par Joachim. 2. Cf. f. 253-253 v. : une crise de rhumatismes, semble-t-il. 3. Sur lui, voir les ff. 251 v., 254 v., qui fournissent en même temps, avec ce qui est dit d'Athanase (fî. 254 v.-255), une excellente description du jurodipYj. 4. Cf. f. 260 in fine. 5. Le « perron rouge ", c'est-à-dire· d'apparat, donnait accès à l'aile du palais nommée Zolotaja palata ; trois escaliers y conduisaient de la place, dont ceux de droite et de gauche longeaient la Granovitaja palata et le sobor de !'Annonciation (Skvorcov, pp. 431-432, v. le plan du Kremlin, dans Moscou ad p. 159). Là se trouvait un des deux principaux corps de garde du Kremlin, avec 100 hommes (Arch. d'État, XXVII, N° 102). 6. V. f. 209, n. 4. 7. Cf. Act. XII, 7.
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Celui-ci prévint le tsar, et le tsar étant venu au monastère, le fit relâcher avec honneur; Il me revint. · De ce moment, le tsar fut un peu fâèhé contre moi : il leur déplaisait que je me sois remis à parler; il leur plaisait que je me taise. Mais je n'y tins plus. Et les prélats, tels des houes 1 , de foncer sur moi : ils formèrent le dessein de m'exiler à nouveau de Moscou, car les serviteurs du Christ venaient à moi nombreux et, connaissant une fois la vérité, cessaient d'aller à leurs offices menteurs 2• · ExrL
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MARS
1666.
Et j'eus du tsar ce blâme : J Et de me frapper, de me battre. Les patriarches eux-mêmes se jetèrent sur moi. Ils étaient bien, je pense, une quarantaine 3 : nombreuse se trouve l'armée de l'Antéchrist 4 ! [Le secrétaire] Jean de Varus 5 me saisit et m'entraîna. Et je criai : « Holà, ne tapez pas ! » Tous, d'un bond, reculèrent. Et je parlai à l'archimandrite trucheman ,_ [Denys] 6 : (< Dis aux patriarches : L'apôtre Paul écrit : Tel est le pontife qui nous convenait, saint, innocent, et la suite 7 • Et vous, qui avez assommé un homme, comment irez-vous chanter messe/? » Alors ils s'assirent. Et moi je me retirai jusqu'à la porte et me laissai choir sur le côté : J Ensuite les prélats revinrent à moi et se mirent de Rjazan' et de Paul de Krutica. Le reproche d'ignorance est adressé constamment, dans les Actes de 1667, aux Pères de 1551 et aux: vieuxcroyants (p: ex. fi. 7 v.-8). 1. Ecclésiastique, XVI, 3. 2. Souvenir du récit de la Passion : Le. XXIII, 18. 3. Les Actes du Concile de 1667 portent en effet plus de quarante signatures. 4. Au lieu de cette phrase, C porte : Ils crient comme des Tatars. 5. Uvarov Ivan, plus connu sous le nom de Kalitin, secrétaire. du razrjaiJ, patriarcal, mais laïc, comme tout le personnel des administrations diocésaines jusqu'en 1667. Il porta témoignage dans l'affaire de Nicon en 1660 (Procès de Nicon, p. 34). 6. Denys, archimandrite du couvent des lbériens sur l'Athos, séjourna à Moscou de 1655 à 1669 comme supérieur du monastère grec de SaintNicolas et recenseur à· l'Hôtel de la presse à partir de 1663. Il donnait des consultations sur les rites, enseignait le grec à Hilarion de Rjazan' ; connaissant bien les choses russes, il fut nommé interprète du Concile. Les vieux-croyants attribuèrent à son influence les décisions prises contre eux:. En tout cas, on a de lui tout un traité réfutant leurs thèses (dans Kapterev, II, Ann., pp. x1v-Lx). Avvakùm et ses amis l'accusent d'avoir souillé la cathédrale de !'Assomption par un acte de sodomie (VI, pp. 244247; col. 751-752; Kapterev, II, pp. 370-385). 7. Hehr. VII, 26. 8. Avvakum, autrement, aurait dû rester debout. 9. 1 Cor. IV, 10.
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LA VIE DE
L' .a.RC:HIPRiTRE
AVVAKUM
258 · à traiter avec moi del' Alleluia. Et,le Christ aidant, je confondis chez eux l' errelll' romaine, par Denys l'Aréopagite, comme il a été dit plus haut, au début 1 • Et Euthyme, le cellér~er du Mira~le 2, prononça : « Tu as raison, inutile de parler .plus longtemps avec toi. » Et on .me conduisit à mes ceps. Aua: monts des Moineaux, à Saint André, saint Sabba, saint Nicolas. Messagers du tsar : Basmakcw, Markov, Lutokhin, MatvéefJ. Ensuite un major vint de la part du tsar avec des archers et ils m'emmenèrent aux monts des Moineaux 3 , et là aussi le prêtre Lazare 4 et le moine Épiphane, l'ancien, tondus et accablés d'injures, comme manants de village, les chers! Un h9mme sensé, à voir cela, n'aurait pu que pleurer, en les regardant. Mais soit, qu'ils soufirent ! Pourquoi se mettre en peine d'eux·?.Le Christ valait mieux qu'eux, et pourtant, notre aimé, il en a eu autant de leurs aïeux, Anne et Caïphe ; 258 v. quant à ceux de nos jours, pourquoi s'étonner : ils copient leur modèle ! C'est d'eux, les pauvres, qu'il faut se mettre . en peine. Hélas, pauvres niconiens ! Vous vous perdez par votre male et orgueilleuse humeur ! [On nous logea dans différents courtils ; sans relâche vingt 1. V. fi. 193 v.-195.
2. On connaît un Euthyme disciple favori d'Épiphane Slavineckij, un des maîtres appelés en 1649 de Kiev à Moscou : il apprit sous sa direction le latin et le polonais, le grec et l'hébreu, et fut connu comme un des propagateurs de l'influence grecque. II vécut toujours au couvent du Miracle, où il disposait d'une riche bibliothèque. Il fut depuis août 1652, recenseur à l'Hôtel de la presse. II mourut en 1705 (Nikolaevskij, L'hôtel de la presse, 1891, II, p. 157; Kharlampovië, pp. 378, 436). Mais on ne voit pas qu'il ait été cellérier. En tout cas, son approbation d'Avvakum n'était sans doute qu'une ironie et une marque d'impatience. 3. Ce sont des collines dominant la Moscova, sur la rive droite, à quelques kilomètres du Kremlin. Il y avait là un bourg de la Couronne où Ivan III ·aimait se reposer, et un palais, détruit par la foudre en 1547, mais reconstruit ensuite et entouré de jardins (Sultanov, pp. xJv-xu). 4. Lazare, prâtre de Romanov (v. f. 235.v.), ordonné entre 1620 et 1633, avait fait la co;nnaissance d'Avvakum dès 1653 (I, p. 32). Il avait été exilé en 1660 à Tobolsk. Rentré à Moscou· le 2 novembre 1665 (Arch. Sib., vol. 1237, f. 232) et dirigé sur Pustozei-sk, il en avait été rappelé et ramené en octobre 1666 à Moscou. Il avait été le premier à comparaître devant le concile, vers la mi-novembre, et avait demandé à subir l'épreuve du feu; « Si je brûle, les nouveaux: livres ont raison; sinon, ce sont les anciens » ; après quoi il avait été relâché, dit le diacre Théodore, et le tsar avait hésité sept mois avant de se décider à le faire tondre (VI, pp. 243-248).
LA. 'VIE
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archers 1 et un major et un -centenier étaient sur nous, ·nous gardaient, nous visitaient et · veillaient la nuit avec de la lumière ... 2 Le Christ ait pitié -d'eux! c'étaient de francs et bons archers, ces hommes-là, des enfants le seraient moins. ·Ils se donnaient Inille peines .pour nous ; avions-nous un besoin quelconque, ils se mettaient ·en quatre, les braves gens. Pourquoi longtemps raisonner ? Devant le Sauveur ils valent mieux que ces moines qui portent ces bonnets cornus en forme de vases 3• C'est bon. Les pauvres, ils boivent à s'enivrer et jurent, sans quoi ils égaleraient même les martyrs. Mais que faire ? Même tels quels, Dieu ne les abandonnerait pas.]
30 juin 1667. Puis, des Monts des Moineaux, on nous transporta à l'hôtellerie de S,,aint-André 4 ; puis au faubourg Saint-Sabba 5 • Comme pour des brigands, une armée d'archers marche sur nos talons : même pour chier, ils nous accompagnent : quand on y pense, c'est à rire et à pleurer, tant le diable les a enténébrés ! [A Saint-André vint devant moi faire le pitre l'homme des Affaires privées., Domitien Basmakov 6 ; soi-disant à l'insu du tsar, mais après, étant chez moi, il dit : c'est sur l'ordre du tsar que je suis venu. Toujours, les pauvres, ils cherchent le moyen de me séduire, mais Dieu_ ne me livrera pas, par les 1. Col. 709 : un major et trente archers . .2. Et nous accompagnaient dans la cour pour chier. Ce trait se trouve
dans A, un peu plus bas, mais à un autre moment, pendant le transport du mont des Moineaux à la procure de Saint-André. 3. L'ancien klob11,k russe était entièrement souple. Mais le 21 décembre 1655, selon Paul d'Alep (LXI, chap. xv: IV, pp. 107-109), Nicon se fit imposer solennellement le bonnet grec et aussitôt tous les évêques et moines voulurent en faite autant. Nicétas (IV, p. 1fo3) trouve ce nouveau bonnet d'une « coupe étrange », posé sur une calotte cornue comme sur une c;oifîe de campagnarde. Il l'accuse d'être d'origine romaine (IV, p. 157, de même Morozova, VIII, p. 179). r.. Le 30 juin (f. 709). Et le même texte explique de quelle hôtellerie il s'agit: au monastère Saint-André, aux écuries. Le monastère de SaintAndré avait été fondé par Rtisëev (v. 238 v.), vers 16fo7-16fo8 auprès de l'église du même nom, non loin et au pied des monts des Moineaux, pour recevoir des moines petits-russiens (Kharlampovic, pp. 128-133). $". Dans la Slobodka de Saint-Sabba, au pied du Nouveau monastère des Vierges (NoPodéviéij), se trouvait le monastère de Saint-Sabba, annexé depuis 16fo9 au précédent, .et où furent sans doute enfermés les prisonniers {Zabelin, Matériaux, 1, col. 751). 6. Le 4 juillet (f. 709). Sur Baiimakov, v. f. [49 v.].
170
LA VIE
DE
L' ARCBIPRtTRE
AVVAKUM
pneres de la Très-Sainte Mère de Dieu. C'est elle, ·1' Auxilia• trice, qui me défend d'eux.
26 juin. Aux monts des Moineaux, c'est le chef des écuries, Timothée de Marc,' envoyé par le tsar, qui fut chez nous tous 1 • Après bien des paroles, on se sépara avec cris et grand honte._ Après lui, j'écrivis une épître 2. et par le centenier Jean Lobkov, [59 v.] l'envoyai au tsar : j'y parlais de pas mal de choses, et joignais ma bénédiction pour lui et la tsarine et les enfants.
20 juillet. On nous tint quelque temps aux monts des Moineaux, à l'hôtellerie de Saint-André et au faubourg Saint-Sabba, et
on nous transférâJ à Saint-Nicolas sur Ugresa m'envoya le colonel Georges Lutokhin 4• ·
3•
Là, le tsar
22 juillet. Il [me disait grand merci pour mon épître, me saluait,] demandait ma bénédiction [pour lui, la tsarine et les enfants et me commandait de prier pour lui]. On parla beaucoup de choses et autres.
/5 aozit. 259
Ensuite, on nous fit rentrer dans Moscou, à la procure de Saint-Nicolas et on nous demanda encore des formulaires 1. Cette visite eut lieu le 26 juin (col. 709). Mais, au lieu de Timothée Markov, on lit Timothée Semenov. Or, il n'y.a pas de Timothée Semenov de connu aux Écuries, tandis que Timothée Markov est nommé bien des fois de 1663 à 1669 (B. H. R., XXI, v. l'index des noms]. Tout en demeurant chef des écuries, il dépendait de la Chancellerie privée, et en particulier dirigeait les travaux du· bourg d'Izmajlovo, près de Moscou, où le tsar installait une exploitation agricole modèle. C'était donc un homme de confiance du tsar. 2. Cette épître n'a pas été retrouvée. 3. Le 20 juillet (col. 709). 4. Le 22 juillet (col. 709). Georges Lutokhin, fils d'un voévode de Sibérie, est· mentionné très souvent comme colonel des strél'cy de Moscou entre 1665 et 1676 (B. H. R.,.XXI et Journal, voir les index]. Mais il servait aussi d'agent à la Chancellerie privée et de messager personnel au tsar (Zaozerskij, pp. 76, 123, 289, 292).
LA" ViE
171
d'orthodoxie 1 . Puis bien des fois me furént envoyés les hommes de la Chambre, Artémon 2 et Domitien, qui me· répétaient les paroles du tsar : « Archiprêtre, je connais ta vie pure et sans tache à l'imitation de Dieu, je te demande ta bénédiction, ainsi que .la tsarine et les enfants. Prie pour nous ! » Avec des courbettes, le messager débite. son discours. Et moi toujours je pleure sur lui 3 , j'ai grand-pitié de lui. Et l'autre encore : « Daigne m'écouter : réunis-toi aux œcuméniques, · 259 v. peu ou prou. » Et je dis : rières ! » Aujourd'hui encore, pécheur, tant que je peux, je prie Dieu pour lui. · · [Car il a beau me tourmenter, il est quand même le tsar ; il fut un temps où il était franchement bon pour nous. Avant [60 v. Nicon le scélérat, avant la peste, il vint à Kazan' 6, nous lui '1. Le 5 août, au nom de tout le concile, trois archimandrites, Philarète de la Nativité de Vladimir, Joseph de Khutyn_et Serge du Sauveur de J aroslavl,. allèrent interroger Avvakum, Lazare et Épiphane sur les articles contestés. Avvakum répondit en r~mettant un é~it de sa main; Lazare et Épiphane dirent qu'ils ayaient déjà formulé leur pensée dans leurs lettres au tsar (II, pp. 21-26; 32-34; col. 703, où on lit « le 5 juillet » : erreur manifeste, vu la suite, où sont énumérés les jours suivants d'aoitt). 2; « Le 8 [août] dans la nuit, Domitien Basmakov vint m'exhorter. Le 10 dans la nuit vinrent Artémon et un archimandrite, toujours pour m'exhorter» (col. 703). Artémon Matvêev (1625-1682), compagnon d'enfance du tsar Alexis, colonel de strél'cg déjà en 1651,,était souvent chargé par le tsar de missions diplomatiques. Marié à une Ecossaise (Hamilton), il était partisan de l'orientation occidentale. Il avait fait partie en 1666 d'une expédition ·contre les raskolniks de Vjazniki (B. H. R., XXI, col. 1143). Il était alors à la veille de devenir un des premiers personnages de Moscovie (v. Sèepot'ev). 3. Le tsar, naturellement; le porte-parole ne compte pas. 4. Ils ont causé la perte du Basileus byzantin en concluant au concile de Florence (1439) l'union avec Rome, dont la prise de Constantinople par les Turcs (1453) fut le châtiment. 5. Le 10 août, Avvakum fut transféré au monastère du Miracle, où il reçut les visites du métropolite Paul de Krutica et de l'archevêque de Rjazan' Hilarion, et le· 11 celle de l'archimandrite du Miracle (Joachim, le futur patriarche). Les 22 et 24 il y eut des entrevues mémorables avec· Artémon Matveev et Siméon de Polock (col. 703-706). 6. A N.-D. de Kazan' (cf. f. 204).
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LA 'VIE
DE
L'ABCHlPRtTRE AVVAKUM
baisâmes la main, et il nous distribua de.s ~ufs 1 • Mon fils 'Jean était encore tout petit 2 ; il ne se· trouvait pas auprès de moi ; le tsar, qui le connaissait bien, envoya mon frère 3 chercher rentant et attendit longtemps debout, jusqu'à ce qu'il l'eût découvert dans la rue. Il lui donne sa main à baiser. L'enfant bêta ne comprend pas, il voit que ce n'est pas un prêtre, et ne veut pas la baiser. Le tsar porta lui-même sa main aux lèvres de l'enfant, lui donna deux œufs et lui caressa la tête. Il ne faut .pas oublier non plus ceci : ce n'est pas du tsar que nous vient ce tourment, mais, pour nos péchés, Dieu a permis au diable de nous maltraiter, afin qu'éprouvés maintenant nous évitions l'épreuve éternelle. Dieu soit loué de tout !]
27 août. Ensuite nos frères furent suppliciés 4 ; pour m01, sans sup• plice on me dép~:i,-ta à Pustozerje 5 •
A [61J
PusTOZERSK,
2
DÉCEMBRE
1667-4
AVRIL
'1682.
[Quant à mes deux fils, Jean et Procope, on les laissa à Moscou sous caution· & ; eux aussi, les pauvres, souffrirent trois 1. C'était la coutume que dans la semaine de Pâques, le tsar visitât les églises en distribuant des œufs, et des aumônes {Zabelin, Vie privée des tsars, I, p. 448). Avvakum.était venu à Moscou en 1652 (f. 202 in fine), mais il en repartit avant Pâques, qui tomba cette a:nnée le 18 avril (202 v. note). Le présent récit ne peut donc se rapporter qu'à 1653 (Pâques, 10 avril) ; Nicon était déjà. patriarche, mais n'avait pas encore exercé ses rigueurs. 2. 8 ans (cf. f. 215). 3. Peut-être Gérasime (I, p. 32). 4. L'ukaz du 26 août 1667 concernant les ex-archiprêtres Avvakum de Murom (erreur du scribe, par confusion avec Longin )et Nicéphor:e de Simbirsk, l'ex-prêtre Lazare et l'ex-moine Épiphane, ainsi que la sentence lue à Lazare et Épiphane au Marais et exécutée le 27 août, se trouvent dans Barskov, pp. 146-147. SU:r cette exécution, nous avons une relation d'Avvakum (~ol. 705-708). 5. Aujourd'hui Pustozersk, ostrog fondé en 1499 à l'embouchure de la Peëora, pour lever le tribut sur les Samoièdes. Il n'avait plus au xvue siècle qu'une cinquantaine de feux avec env. 250 hab. mâles et 2 églises (Recense,nent de Pustozersk, 1679) et servait depuis longtemps de lieu d'exil. Avvakum y arriva avec ses compagnons le 12 décembre 1667 (Barskov, p. 150) et y vécut jusqu'au 1/j, avril 1682, où il y fut brûlé. C : Ensuite nos frères, Lazare et l'ancien, après exécution; la langue tranchée; l'archiprêtre Nicéphore et moi, sans exécution fûmes exilés à Pustozerj e. · 6. Jean et Procope, le 7 juillet, étaient allés en cachette voir leur père
173
LA VIE .
.
ans, fuyant la mort dont les menaçait la calomnie des prélats : ici un jour, là une nuit, personne n'osait les. garder. Ils arri vèrent tant bien que mal sur la Mezen' auprès de leur mère. Ils n'y étaient pas depuis un an, et déjà les voilà en terre 1 • Soit l mieux vaut bottes vides que barboter par les rues 2• Sans cesse je le demande à Dieu : « Seigneur, que nous le voulions ou ne le voulions pas, sauve-nous ! >> Et le Seigneur besogne pour notre salut tout doucement. Souffrons ainsi, cela nous servira un jour; nous· en serons fort aises quand le temps viendra.] 0
Epîtres au f-sar. zôO
De Poustozerje j'envoyai au tsar deux épîtres : la première pas grande, et l'autre davantage 3 • J'y parlais de choses et autres. Dan~.---cette épître, je lui dis aussi certains signes divins qui m'ont été montrés dans les prisons : à qui les y lit de comprendre ! En outre, pour les frères et pour moi, un ouvrage du diacre 4 fut envoyé à Moscou en présent aux fidèles, le livre cc· Réponse des orthodoxes » 5 , et· réfutation de l'erreur à Saint-Nicolas-sur-Ugrèsa et, arrêtés, avaient été envoyés au monastère
Pokrovskij à Moscou. Puis, sur leur demande et sous caution de leur oncle Gérasime, curé de Saint~Dimitrij-de-Thessalonique, et de 7 autres personnes, ils a_vaient été remis en liberté, le 20 septembre 1666. (Les documents qui font connaître toute cetté histoire .se _trouvent I, pp. 359-370). 1. Comme les exécutions de Mezen' eurent lieu en mars 1670 (v. f. 260 in fine), les enfants d'Avvakum durent y arriver après mars 1669, ce qui fait bien, en gros, depuis juillet ou septembre 1666, trois ans de souffrances à Moscou. 2. Dicton, avec jeu de mots. 3. Nous possédons ces deux épîtres de Pustozersk : col. 755-756 et col. 757-766. La première a été écrite en 1668 : Avvakum y demande l'envoi de ses enfants à Mezen'. La seconde est de 1669, après le 5 mars, et fut expédiée fin septembre, quand le ce11tenier Akisev, qui avait amené les prisonniers, fut relevé et repartit pour Moscou (Dossiers, 1670-1671, vol. 431, f. 467). Le Recueil de Puswzersk en contient une copie et le lecteur en trouvera la traduction à la fin du présent volume. 4. Le diacre Théodore, expédié de Moscou le 20 février 1668, était arrivé à Pustozersk le 20 avril (Barskov, pp. 148-149). 5. Cet ouvrage, encore inédit, ouvre le recueil de Pustozersk (ff. 1-84) ; on en a une seconde copie, du x1xe s., dans le Ms. N° 282 du fonds Khludov. Il fut rédigé par le diacre Théodore (dont la signature est donnée à la fin, en chiffres), mais au nom de tous les exilés. C'est une sorte de somme de la doctrine des vieux-croyants, en réponse « à ceux qui vilipendent les anciens livres et introduisent leurs dogmes corrompus ». Voir aussi Barskov, pp. 323 et 366-367. Expédié sur la Mezen' par un messager secret peu avant le 1er septembre 1669 avec une copie de la grande épître
..
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LÀ. VIE
DE
t.' ARCBIPR:êTRE
AVVAKUM
-a~..ate. On y écrivait la vérité su:i- les dogmes de l'Église . aussi furent envoyées deux épîtres, au tsar · et au patriarche 1 . ·
. ·Du. prêtre Lazare
Exécutions sur, la Mezen'. Fin mars 1670-. Et pour tout cela nous reçûmes des présents : on pendit 2 sur la Mezen', dans ma maison, deux personnes, ines enfants spirituels, Théodore le -fol en Christ, déjà nommé, et· Luc de 260 v. Laurent, serviteurs du Christ. , Luc était bourgeois de Moscou, fils unique d'une veuve, cordonnier de son état, un jeune homme de 25 ans. II était venu sur la Mezen' chercher la mort, avec mes enfants. Et quand eut lieu dans ma maison ·cette dévastation, Pilate lui demanda : cc Et toi, manant, comment te signes-tu ? » Et lui répondit, humble et sage : On y parlait encore de pas mal d'autres choses, et Nicon fauteur d'hérésies eut sa petite part. Ensuite, on nous conduisit au billot et, les Instructions lues, on m'emmena, sans 262 me supplicier, en prison. Les Instructions disaient : mettre A vvakum en terre dans une charpente, au pain et à l'eau. En réponse je crachai et je voulus mourir, faute de manger : je ne mangeai pas de huit jours et davantage, mais les frères m'ordonnèrent de recommencer à manger 2• · :;!.( Après cela, on prit le prêtre Lazare et lui coupa la langue ,_ êniière, à partir de la gorge 3 : un peu de sang coula, puis cessa. Et le voilà qui se remet à parler, sans langue 4 • Puis, sa main droite posée sur le billot, on la trancha au poignet, et on leur coupa la~gûês et mains. L'exécution eut lieu le jeudi 14 avril 1670, comme le note une.sorte de procès-verbal détaillé rédigé par Avvakum et inséré dans le Recueil de Pustozersk (col. 713-716): 1. Avvakum a confondu avec Paisius Ligaride, métropolite de Gaza en Palestine (v. f. 250) ; mais il avait en vue Paisius patriarche d'Alexan~ drie, et C rectifie l'erreur. · . 2. C développe : ... au billot. On lut les Instructions : (< Le tsar a voulu, et les boiars ont décrété, que pour toi, A vvakum, au lieu de la peine de [63] mort, il serait fait une _charpente sous terre avec une lucarne, pour te garder au pain et à l'eau; et qu'aux autres, tes compagnons, on couperait sans merci la langue et trancherait les mains ». Je crachai en disant : u Je crache.sur sa pitance; je ne mangerai pas, je mourrai, mais je ne trahirai pas la vraie foi. >> Ensuite on me conduisit au cachot, et je ne mangeai pas. - Ce texte est à peu près identique à celui de la relation détaillée (col. 713). 3. Car souvent la langue n'était pas coupée entièrement. C'était ce qui était arrivé à Lazare à_Moscou en 1667 (v. f. 262 v.) et arriva encore à Théodore (f. 263 v.). Epiphane témoigne aussi : jusqu'à la racine (Barskov, p. 251, l. 16). 4. La relation détaillée est beaucoup plus dramatique. Le bourreau et deux soldats tiennent Lazare, ils veulent lui écarter les dents, mais n'y parviennent pas : leurs mains tremblent ; alors il va chercher sa langue · avec. ses doigts, car elle était trop courte, depuis la première exécution, pour qu'on pût la saisir avec les tenailles; on s'y prend à dix fois, avec le couteau qui tremble, avant de la trancher; enfin on la jette à terre « comme un morceau de viande "· Lazare récite à haute voix la prière à Jésus, au grand effroi du peuple, et ajoute : « Manant, manant, va dire au tsar : Lazare sans langue parle et ne sent nulle douleur.» Il est relaté ensuite qu'il coula une gra11de abondance de sang et qu'on en rougit deux grandes serviettes : Lazare en jeta une au peuple en disant : « Prenez-la pour ma maison, en signe de bénédiction!,, Plus tard, la main déjà coupée, comme le sang coule encore des deux blessures, il dit : « C'est le sang qui m'empêche de parler, non la langue! » (col. 714-715).
LA
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VIE
la main tranchée, gisant à terre, joignit d'elle-même les doigts selon la tradition ; et longtemps elle demeura· ainsi devant le peuple 1 : elle confessait, la pauvre, même dans la -· mort, le signe du Sauveur, invariablement. Moi-même, j'en suis émeri. veillé : une chose inanimée confond les êtres animés ! Le sur• ~2 v. lendemain, je lui passai la main dans la bouche en tâtant : tout est lisse, pas de langue, mais pas de mal. Dieu aidant, . en un rien de temps c'était guéri. [Il parle comme avant, plaisante avec moi : « Tâte, archiprêtre, fourre-moi la main dans la gorge, là, n'aie crainte, je ne la croquerai pas.» Il est risible, et pitoyable ! Je dis:« Pourquoi tâter ? Ta langue, ils l'ont jetée à la rue ! » Et lui de répliquer : « Chiens, enfants du démon! Eh bien, qu'ils les inangent, mes langues. »] A Moscou, on lui en avait coupé une : il lui en était alors resté un bout ; maintenant c'était toute la langue, sans reste. Et il parla deux ans aussi purement qu'avec sa langue. Quand deux années furent écoulées, autre m~rveille : en trois jours il lui poussa une langue parfaite, seulement un peu émoussée, et de nouveau il parle 2, sans -cesse louant Dieu et vitupérant les apostats. Puis on pr}t le solitaire de Solovki, le moine de la stricte ·observance, Epiphane, l'ancien 3• [Il adressa à Pilate instantes · et fort touchantes prières, de lui faire trancher la tête au ras des épaules, pour la foi et le bien-fondé de la Loi. Pilate lui répondii par ces mots : c< Père, pour toi, ce sera le repos, mais moi où me fourrerai-je? Non, messire, je n'ose le faire. >> ttii.] · Et le major, sourd à sa prière, ne lui trancha point le chef, mais orclonna de lui couper la langue tout entière. L'ancien se signa le visage et dit, levant les yeux au ciel : l Certes, il l'a fait. Et changer davantage était impossible. Mourir pour cela est le devoir de chacun. Qu'ils soient maudits, les damnés, avec tout leur dessein, perfide, et pour leurs victimes mémoire éternelle trois fois ! 3 • 1. La question s'était posée déjà en 1479, lors de la dédicace de l'Assomption de Moscou, de savoir si la procession devait partir de l'Est pour aller vers l'Ouest, comme le soleil, ou de l'Ouest vers l'Est, contre le soleil. Rien n'avait été résolu. Mais le Rituel de 1602 prescrivit la marche dans le sens du soleil pour les mariages ; les éditions suivantes, sous Philarète, étendirent cette règle à la bénédiction des églises ; pour le baptême, rien n'était fixé. Les livres imprimés sous Nicon ne disent rien de la. question, non plus que les Actes de 1666 et 1667. Elle n'est pas mentionnée non plus dans les Suppliques de Nicétas. Ainsi il est difficile d'établir à quel moment furent prescrites les processions « contre le soleil ))' condamnées ici par .A vvakum. 2. Arsène le Grec, moine grec né vers 1610, amené. à Moscou en jan\-ier 1649 par le patriarche de Jérusalem Paisios, y fut retenu comme connaissant beaucoup de langl!,eS. Mais bientôt se révéla tout un passé inquiétant : il avait. professé, durant ses études à Venise, Rome et Padoue, la foi romaine; déjà moinè et prêtre, il s'était fait musulman. Après enquête, il fut exilé à Solovki. Nicon l'en ramena en 1652 et l'employa aussitôt à ses travaux d'édition. Ce fut lui qui traduisit entre autres les Tables de la Loi et le nouveau Rituel. Il fut recenseur à l'Hôtel de la presse de 1656 à 1663. Les vieux-croyants avaient pour lui haine et mépris. (Sur lui, v. Kapterev, Relations, pp. 207-217; Dict. biogr., r., Il (1900), col. 304-307). 3. La Vie proprement dite se termine ici; ensuite viennent les r< miracles ».
LES MIRACLES
Maintenant, à tout vrai croyant je de~ande pardon : il y-a eu des choses, ce me semble, touchant ma vie, dont il ne fauqrait point parler. Mai$ j'ai lu les Actes des Apôtres et les Epîtres de Paul : les apôtres se déclaraient eux~mêmes, quand Dieu agissait par eux 1 : non pas à nous, mais à notre Dieu soit la gloire 2 ! Moi, je ne suis rien. J'ai dit, et je dis encore : je suis pécheur, fornicateur et ravisseur, larron et meurtrier, ami des publicains et des pécheurs et, pour tout homme, hypocrite_ maudit. Pardonnez donc et priez pour moi. Et moi je dois prier pour vous, qui me lisez ou écoutez. Je n'en sais pas plus long. Et ce que je fais, je le raconte aux gens. Qu'ils prient Dieu pour moi! Au jour de }'éternité, tous alors .reconnaîtront mes actes, ou bons, ou mauvais. Je suis ignorant en paroles, mais non pas en entendement; je n'ai étudié dialectique, ni rhétorique, ni philosophie 3, mais l'entendement du Christ je l'ai en moi, comme parle l'.Apôtre : je suis simple en paroles, non point en entendement 4 •
La désobéissance au directeur punie par la possession du frère. T'.
Pardon, encore touchant mon ignorance je ·vous dirai ceci. Oui j'ai sottement transgressé le comm~andement de mon père: et pour cela ma maison a été punie. Ecoute, pour l'amour de Dieu, comment c'est arrivé. · Quand j'ét~is encore simple prêtre, le confesseur du tsar, !'archiprêtre Etiennè de Boniface, me gratifia d'une image du métropolite Philippe 5 et du livre de saint Ephrem Syrien, 1. 2. 3. ~5.
Même argument f. 285. Cf. Ps. CXIII, 9. Cf. f. [1]. II Cor. XI, 6. V. f. 201 v.
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LA VIE. DE
L' ARCBIPR:ftTRE
AV.VAKUM
pour mon profit à moi, en le lisant, et celui des autres 1 • Et moi, maudit, méprisant la bénédiction et l'ordre paternels, je donnai le livre à mon cousin, sur ses instances, en échange d'Ull cheval. J'avais chez moi un frère, nommé Euj;hyme, très versé dans les lettres et grandement zélé pour l'Eglise ; plus tard, il fut pris comme chantre chez la grande princesse 2 , au palais, et pendant la peste il trépassa avec sa femme 3 • Cet 268 Euthyme faisait boire et manger ce cheval et s'en préoccupait fort, négligeant bien des fois son office. Dieu vit notre iniquité, et que mon frère et moi nous ne marchions pas droit selon 1a vérité : moi, j'avais troqué le livre et transgressé le commandement de mon père ; mon frère, négligeant son office, s'adonnait à un animal. Et il plut au Seigneur de nous punir ainsi : le cheval, nuit et jour, fut tourmenté des démons, toujours mouillé, fourbu, enfin plus mort que vif. Je me demandais pour quelle faute le démon nous malmenait ainsi. Or un dimanche· après souper, dans l'office privé, à matines, comme mon frère Euthyme disait le psaume des Immaculés 4 , il s'écria à haute voix : Tourne vers moi ta face et aie pitié de moi 5 ! et le livre lui échappa des mains et il se heurta contre 268 v. terre, terrassé par les démons. Il se mit à crier et hurler avec des sons horribles, car les démons le tourmentaient cruellement. J'avais aussi chez moi deux autres frères, Cosme et Gérasime, . plus grands que lui, et ils ne purent le· maîtriser. Tous ceux de la maison, une trentaine de personnes, en le tenant, sanglotaient et tout en pleurant clamaient au Très-Haut : c< Pitié, Seigneur! Nous avons péché devant Toi, nous avons courroucé ta bonté. Aie pitié de nous, pécheurs ! Par les prières 1. Le fait ne put se passer que lors du premier voyage d'Avvakum à Moscou (v. f. 200). Le livre de saint Ephrem venait de paraître (deux
éditions sorties des presses le 1er février et le 29 août 1647) ; on sait par ailleurs que Étienne Vonifant'ev recevait un nombre assez impo.rtant d'exemplaires de chaque ouvrage qui paraissait, pour les distribuer. 2. Les « grandes princesses) étaient les filles du tsar Michel; en 1654, deux seulement survivaient, Irène et Tatjana; celle-ci n'ayant encore que 18 ans, il s'agit sans doute d'Irène, d'ailleurs nommée f. [86 v.] comme bienfaitrice d'Avvakum. 3. V. f. 210. On voit f. 269 qu'Euthyme avait alors (peu après le retour d'Avvakum de Moscou, en 1647-1648) 14 ans. Il mourut donc âgé d'une vingtaine d'années (la peste sévit en 1654-1655). 4. Le psaume CXVIII, qui forme à lui seul la XVIIe division ou kathisme du psautier et est ainsi nommé, chez les Grecs aussi, à cause de son premier verset : Beati immaculati in via. Il se chante aux matines des jours de semaine (il s'agit ici des matines du lundi). 5. Ps. CXVIII, 132.
LES MIRACLES
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de nos saints pères, pardonne ce jeune homme l » Et lui endiable de plus belle, crie, et. tremble et se débat. · Mais moi, Dieu aidant, à ce. moment, je ne me troublai pas devant ce vacarme diabolique. Mon office achevé, je recommençai à prier le Christ et la Mère de Dieu, avec larmes : « Ma souveraine, très sainte Mère de Dieu ! découvre-moi pour 269 quel péché m'est venu pareil châtiment, afin que, le sachant, je me repente devant Ton Fils et devant Toi et désormais ne le commette plus ! » Et, pleurant, j'envoyai à l'église prendre le Rituel et l'eau bénite mon fils spirituel Siméon, un jeune homme comme Euthyme, dans les quatorze ans 1 . Ils faisaient bon ménage ensemble, Siméon et Euthyme, se soutenaient et réjouissaient l'un l'autre par les livres et l'oraison, menant tous deux rude vie dans les saints exercices, le jeûne et la prière. Donc Siméon pleura sur son ami, s'en fut à l'église et apporta le livre et l'eau bénite. Et je commençai à prononcer sur le possédé les prières de Basile le. Grand 2, avec Siméon : il m'apprêtait l'encensoir et les cierges et me présentait l'eau 269 v. bénite; tous les autres tenaient l'énergumène. Et quand dans la prière arriva la phrase: Au nom du Seigneur, je te l'ordonne, esprit muet et sourd, s-ors de cette créature et n'y rentre plus 3, mais va-t'en au lieu désert où l'homme ne vit pas, mais Dieu seul abaisse son regard, - voilà que le démon n'obéit pas, ne sort pas de mon frère. Je répète la même phrase encore un coup, et le démon n'o"béit toujours pas, tourmente de plus belle mon frère. Ah! malheur à moi! Comment dire ? J'ai honte, et je n'ose. Mais, par ordre de l'ancien Epiphane, je le dis. Voici ce qui arriva : je pris l'encensoir, encensai les images et le possédé, puis tombai sur la banquette 4, en sanglotant, un long temps. Me relevant, je hurlai cette même phrase de Basile au démon: Sors de cette créature ! Alors le démon tordit mon frère en 1. Plus tard, Avvakum aura un disciple aimé nommé Siméon, originaire de Ni.znij, auquel il adressera des Épîtres et qui n'est autre, sans doute, que le moine Serge connu par sa participation à l'émeute du 5 juillet 1682 (v. Smirnov, p. xxtx, n. 42). Mais rien ne prouve que ce soit celui-ci. 2. L'exorciste prononce successivement deux prières attribuées à saint Basile, dont la seconde est très longue. Le texte qui suit est un peu différent de celui qu'on trouve par ex. dans le Rituel de Pierre Mohila (3e partie, p. 347). 3. Cf. Mc. IX, 24. 4. La banquette qui, à l'intérieur d'une izba, longe le côté de la façade et le mur opposé au four. Elle sert de siège, parfois de lit.
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1 et s'assit sur la lucarne 2 ; · mon frère était comme mort .. Je l'aspergeai d'eau bénite. Ouvrant les yeux; il-me montre du _doigt le démon ~ssis -sur la lucarne : mais sans parler, car sa langue était liée. Et moi j'aspergeai d'eau la lucarne : le démon· descendit dans le coin de· la meule 3• Mon frère, là encore, le montre. Là encore j'asperge : le démon, de là, s'en va sur le four"· Mon frère l'y montre encore. Et m'y voilà, encore_ avec mon eau. Mon frère montre sous le four 5, et lui-même se signe. Je ne courus pas après le démon, mais j'abreuvai mon frère d'eau bénite au nom du Seigneur. Et lui ·soupira du fond du cœur et me parla 270 v. ainsi : Merci, mon père, de m'avoir arraché au dauphin et à deux princes des démons-! Tu recevras le salut ·de mon frère Avvakum pour ta bonté. Et merci aussi au garçon qui. est allé à l'êghse prendre le livre et l'eau, et t'a aidé à leur livrer combat. D'aspect,_ il est comme Siméon, mon ami. Près du Sundovik 6, ils m'ont-promené et battu, en disant : cc Tu nous es livré parce que ton frère Avvakum a troqué son livre contre un cheval, et toi tu aimes cette bête. Tu dois donc dire à ton frère qu'il reprenne le livre et qu'en échange il donne de l'argent à son cousin. » Je lui dis : Le démon sortit d'elle. Elle courut à moi et tomba à mes pieds, toujours pour sa faute. Je la bénis de la croix et du coup la guéris, et elle fut saine d'âme et de corps. Elle s'en fut avec moi jusqu'en Russie. Après qu'on m'eut tondu, dans ]a même année, elle souffrit avec mes enfants du métropolite Paul à l'hôtel patriarcal pour la foi et la vraie loi. On la traîna et. tourmenta passablement. Son nom en religion est Agathe 3• dont les extrémités pendent près des oreilles (v. des reproductions ex. chez 'Grabar')1. " Sur la table de l'autel, avec le livre des Évangiles, est toujours à plat une petite croix avec là.quelle le célébrant bénit souvent les au cours des cérémonies » (S. Salaville O. A., Liturgies orientales, ,,•·.·. ,;:•_ 1932, p. 131). . Formule de l'absolution. 3. Jean et Procope furent arrêtés en juillet 1666 (v. f. [61]) à Saintinternés dans un monastère par ordre du métro.. -~----Paul de nruu,c:a. lnteITogé le 8 par l'abbé Vincent, sur une« nonne ~, Procope déclara qu'elle habitait Moscou et venait parfois chez mais qu'il ignorait si elle était dans un couvent ou chez des -~~;uli:ers (I, pp. 360-361). C'était évidemment Anne-Agathe qu'on •'''-''·'·"-•,-•·,:,,;~=,=hait.. Elle fut sans doute arrêtée et « tourmentée » peu après. : et elle s'en alla à Ustjug.
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Ciechan,owiecka; + Et encore, quand j'étais SUI' la Mezen'' mon père Épiphane, ·il y avait comme gouverneur Ale~ts Ciechanowiecki 1 : un pan 2 , de la foi de l'Église romaine. Emigré 3 , il s'était baptisé 4 (71 v.] à_ Moscou, mais en secret gardait la foi romaine. Il avait· une femme nommée Eudoxie, qui tenait véritablement notre foi. Or, après ses couches, elle tomba gravement malade. Voici que les démons l'assaillirent, par la permission de Dieu, et se 'mirent à la tourmenter "bien cruellement. Un peu revenue à la raison, ell~ voulut se confesser à moi. Mais, quand je fus là, les démons recommencèrent à la tourmenter durement et cruellement. Moi, pécheur, je chantai l'office pour une infirme 5 , bénis de l'eau et l'en aspergeai : les démons s'éloignèrent d'elle. Avec grand zèle et avec larmes elle me fit sa confession. 1. Ce personnage n'est pas mentionné par Barsukov, ni mille part ailleurs. Une des nombreuses notes manuscrites de l'exemplaire de cet ouvrage qui se trouve dans la salle de lecture du Drevlekhranilisëe de Moscou le signale, sans référence, mais évidemment d'après des documents d'axchives, entre « 172 27 II et 174 », donc entre février 1664 et 1666. Avvakum fut sur la Mezen' précisément toute l'année 1665. L'exactitude ·chronologique prouve l'authenticité de l'épisode, car après Avvakum personne n'aurait pu préciser la date de son séjour sur la Mezen', et personne n'aurait pu seulement nommer Ciechanowiecki, V. Malysev a retrouvé un rapport de Ciechanowiecki au tsar, de janvier 1665 (Rapports,, 1951, 3, p. 264). 2. En polonais, seigneur. Dans tout cet épisode, Avvakum emploiera pl~sieurs mots polonais. Voir. aussi f. · 333 v. fin, et 335 v. fin. 3. Alexis Ciechanowiecki appartenait_ sans doute à la famille lithuanienne de ce nom qui fournit au xvxxe s. plusieurs voévodes et autres dignitaires à la Pologne (v. Wielka Encyclopedija Powszechna, t. XI, Warszaw,a, 1893, S. V.). ' 4. Au début du xvne s., la coutume s'était établie en Russie de considérer comme nul le baptême par infusion, et par conséquent de baptiser par triple immersion les catholiques passant à l'orthodoxie. Le patriarche Philarète, fort animé contr~ les Latins, fit confirmer cet usage, nouveau et encore discuté, par un concile tenu en 1620 (Rituel, f. 21, chap. 70; Golubcov, pp. 20-24). Les -étrangers qui émigraient en Russie pour servir le tsar étaient obligés; tôt ou tard, surtout depuis le réveil religieux inauguré par Étienne de Boniface et ses amis, de se faire rebaptiser orthodoxes. Ce fut le patriaxche d'Antioche Macaire qui, lors de son premier voyage à Moscou en 1655, protesta le premier contre le reliaptême des catholiques, contraire à l'usage grec. Néanmoins il demeura la règle , jusqu'au concile de 1666-1667, qui l'abolit (II, pp. 3430360). Ciechanowiecki avait donc été baptisé par contrainte. 5. Cet office se trouve dans les Rituels.
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Elle savait lire, c'était une pani 1 sensée, elle maudissait très .:haudement la foi romaine. Elle grondait son mari : (< C'est · toujours pour lui, disait-elle, mon père, que Dieu me punit : .if garde en secret la foi romaine, que Dieu a en grand déplaisir ci. abomination. Le Christ soit loué de m'en avoir libérée l Il m'a montré, mon père, l'enfer 2 et les régions de lumière : tous les hommes de foi romaine sont condamnés à l'enfer, ~test-à-dire au feu : tandis que la foi russe brille comme le .· . soleil entre toutes les fois et que tous les chrétiens marchent -vers la lumière, je l'ai vu moi-même. Mais vous aussi, pour TOS péchés vous avez eu division dans la foi. Mauvaise et bien triste chose que ces nouveautés : meurs pour ce que tu défends et apprends-moi à mourir. J'ai vu, moi, le sort qui t'attend : mas déjà surmonté toutes les embûches du démon. Ah l Ah! ne me quitte pas, mon bon pasteur, et prie pour moi, que je . sois pas séparée de toi. Quant à moi, je n'ai plus le temps file m'amender, on me l'a dit : aujourd'hui ou demain il faut mourir. Communie-moi avec une hostie de ta réserve, pour :famour de Dieu! Je me signe en joignandes doigts comme toi ! trois doigts;je les rejette et déteste : c'est ainsi malement que nos Romains se signent. Qu'ils soient maudits, de par Tues conciles œcuméniques, pour ce faux dogme l Et mon mari ·a..rec eux soit maudit! J'ai vu, moi, ce que le Christ leur préAie donc pitié de moi, mon père aimé, ne m'abandonne •~ dans tes prières ! Certes, certes, je suis ton ouaille. Je veux ·.être là où tu seras. Aie pitié, mon père, c'est-à-dire mon cher! D:"œu-vres, je n'en ai point; c'est seulem,mt par la foi que j'espère .ê~ auprès de toi, celle que je cr9is et je ti_ens, et je meurs avec ce que tu prêches et pour quoi tu souffres. Je ne sais d'autre Dieu que celui que tu aimes et pour qui tu fus tourmenté. Lege mon âme auprès de ton âme! Dieu t'écoute et il t'aime; jie ne puis parler de cela ; je dis seulement :· ne m'oublie pas ! >~O.n âme, elle, va bientôt se séparer du corps : le tout de ce n'est rien pour moi au prix du petit peu que j'ai vu ~S.»
. · :Mais, ancien, elle en dit long, et j'en oublie. J'avais honte ïlfile. =oi-mème : elle me glorifiait hors dé proportion avec mes ~nes. Enfin il en fut selon elle : le lendemain elle mourut. ··~-xres la prière, elle se leva, s'assit sur son lit et me saisit ; ~. m-e pressait contre elle en pleurant. En même temps elle > ·1- En polonais : dam·e . •. .•.. ;!, .!.-..vakum emploie ici le mot polonais
pieklo.
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L' AllCHIPRiTRE AVV AR. UM ·
répétait les ·mêmes paroles et s'.inclinait devant moi. Je l'allori• l73v.] geai : elle était bien travaillée, toute secouée. Et, couchée; elle faisait signe du doigt·: « Mon cher père, voici venus les diables,
ils me harcèlent, ils_ veulent me prendre. Prie, qu'ils s'éloignent de moi!» Je pris l'encensoir et-la croix, bénis l'eau et en aspergeai toute la pièce. Elle se signa et dit : « Ils ont reculé, cher père, mais ils m'assiègent et demandent mon âme. Et je ~•ai pu échapper, je leur ai livré mon âme, en la tirant par·- ce crochet. » Je regarde, ancien, dans sa main : une petite épingle, un crochet minuscule! Je la lui enlevai, et tempêtai contre les servantes : pourquoi lui a-t-on donné une épingle ? Toutes · jurent leurs grands dieux : Non, on n'a rien donné! Ce sont [74] donc les démons-qui la lui ont donnée! Tu vois comine ils ont soin des âmes ! Ils les enlèvent de force ! Hélas ! Hélas ! Comment leur échapper, à moins que le Seigneur nous aide! Ensuite je me retirai dans ma maison. Or sans moi le pan, · son mari, lui fit boire de force une bière brassée avec des racines, avec le malheur : mélangée de diabierie. Du coup, les démons se rermrent à la tourmenter. On me le dit. J'accourus: et de gronder le pan. Il regimba. Fâché, je m'en aU,ai avec toute ma maison, emmenant même l'archiprêtresse. Cependant elle était en proie aux démons ; c'était un tumulte extrême. Rentré à la maison, j'eus chagrin et .pitié. De nouveau, le pan envoie chez moi : il demande grâce. Je revins auprès d'elle; ·elle s'était mise toute en sang et criait :
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ventre moins· lourd. En ·pleurant, ma pàuvre. femme, avec les enfants, égorgea la vache ; le sang qui en coula; elle le donna en salaire à un cosaque, et celui~ci amena à la maison ma .narte avec le poisson. Au dîner, en mangeant, pour mes péchés, je m'étranglai : encore une autre mort! Je fus une demi 0 heure sans respirer, penché, mains jointes, assis. Ce n'était pas -avec quelque gros morceau que je m'étais étranglé, mais, une miette de poisson dans la bouche, j'avais soupiré, en songeant à la mort et au rien qu'est l'homme en .cette vie, et la miette fut lancée dans la gorge, et m'étrangla. On me .tapa longtemps dans le dos, puis on m'abandonna. Je ne voyais plus les gens et j'avais (87) perdu connaissance. Moment amer, bien amer! Ah! cuisante est la mort du pécheur ! Ma fille Agrippine - elle n'était pas . grande - , en pleurant, me regarda beaucoup et, sans que personne lui eût appris, l'enfant prit son élan et de ses petits coudes me h.eurta le dos : un caillot de .sang jaillit de la gorge, et je pus respirer. . Les grands s'étaient empressés autour de moi et, sans la volonté de Dieu, ils n'avaient rien pu faire: mais Dieu ordonna à .une· enfant, et elle, inspirée par Dieu, sauva de la mort le prophète ! Elle était bien petite, mais elle s'empressait pour • moi comme une grande personne, comme autrefois Judith . pour Israël 1 ou comme Esther pour Mardochée son oncle 2, ou Déborah à la virile sagesse pour Barac 3 • C'est grande merveille, ancien ! La divine Providence a inspiré à une enfant . de sauver de la mort un prophète : trois jours durant, une [87v.] humeur verte, amère, coula de ma gorge, je ne pouvais ni manger, ni parler. Leçon pour m'apprendre à ne pas me. glorifier devant Dieu, en mon intérieur, de ce qu'au milieu du lac il m'avait abreuvé d'eau! Prends garde, Avvakum, tu vaux moins qu'un enfant ! En chemin déjà tu as failli disparaître.+ Ne te vante pas, imbécile, si Dieu pour Sa gloire accomplit quelque œuvre à travers toi, en glorifiant Son très saint nom : à Lui revient la gloire, à notre Seigneur Dieu, et non à toi, 1. Judith, VIII-XVI.
2. Esth. IV-VIII. Selon l'hébreu et les LXX {Esth. II, 7), Esther est la cousine de Mardochée; elle est sa niece dans la Vulgate. Le passage auquel pense Avvakuni est une preuve q.e plus que la traduction slavonne du livre d'Esther a été faite sur la Vulgate. Cette traduction, datant du x1ve siëcle, avait été trës peu corrigée d'après le grec par les éditeurs de la Bible d'Ostrog, seule en usage jusqu'en 1663 (Gorskij, I, pp. ftft-53). 3. Jud., IV, 4-16. ·
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pauvre homme chétif. C'est écrit dans les Prophètes; ainsi parle le Seigneur : Je ne donnerai ma gloire à nul autre 1 • Cela est dit des faux Christs qui se nomment Dieu 2 .et contre les Juifs, qui ne confessent pas le Christ fils de Dieu. Et ailleurs : Je glorifierai ceux qui me glorifient. Cela est dit des saints de [SS] · Dieu : qui Dieu veut, Il le glorifie. Donc, prends-y garde, insensé, ne te vante pas toi-même, mais attends tout de Dieu. Comme Dieu veut, il ordonne. Toi, quel~saint es-tu ? La mer t'a abreuvé, une miette t'a étranglé . Que par l'ordre de Dieu un enfant ne t'eût pas sauvé de la mort, et tu étais comme le ver : il fut et n'est plus! Et elle se magnifie, cette boue chétive : j'ai chassé les démons ! j'ai fait ceci, cela ! Toi-même, tu n'as pu t'aider, sans un enfant! Eh bien, souviens-t'en, tu n'existerais même pas; si le Seigneur n'agissait dans sa grâce. A' lüi soit la gloire ! 3 ]
C,ONCLUSION.
Allons, l'~ncien, mon caquet, tu l'as suffisamment entendu : au nom du Seigneur, je te l'ordonne,'.écris, toi aussi, au serviteur du Christ 4 comment la Mère de Dieu froissa le démon dans ses bras et te le livra 5 , comment les fourmis t'ont mangé le membre secret 6, comment le démôn à brûlé ton bois, comment ta logette a brûlé du dehors tandis que dedans tout est resté intact, et comment tu as crié contre le ciel 7 , et les autres choses qu~ tu te rappelleras à la gloire du Christ et de la Mère de Dieu. Ecoute donc ce que je dis: si tu n'écris pas, je me fâcherai. Tu as aimé m'écouter : pourquoi avoir honte, raconte au moins un peu ! Les apôtres Paul et· Barnabé au concile de Jérusalem ont raconté devant tous combien Dieu avait 1. Is. XLII, 8 et XLVIII, 11.
. 2. Cela>. Après de pieuses considérations, on y lisait (pp. 753 sqq.) une instruction sur la seule façon authentique de se signer : s). Derniere édition avant Nicon : Moscou, Il octobre 1650, 598 fi. Karataev, N° 662. . En 1656 parut une édition révisée d'après les éditions g:i:-ecques par Épiphane Slavineckij (M., 709 53 ff.). V. Karabinovic, Lect. Ohr., 1911, I, pp. 627-643.
+
1. Il fut nommé Prolog parce que les premiers traducteurs prirent pour son titre le mot grec signifiant préface.·
UVRES
I.MPRIMÉS
AUX
Vi~ des Pères d~ Kiev. Kiev, 1661, 322 fi.
xv1 8
ET
XVII~ SIÈCLES
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IlaTei;)Rt-'I> HJIH OTe'C!HHt-'I> ne-qepcKin,
Vies merveilleuses des fondateurs et des ascètes de la Là.ure des cryptes de Kiev : recueil rédigé depuis le xrue siècle, à l'imitation des Vies des Pères du désert. L'édition de Kiev fut procurée par Innocent Gizel d'après un manuscrit envoyé par Nicon en· 1660. Elle circula à Moscou, et fut plus tard souvent reproduite. · Édition savante par la Commission Archéographique, S. P. B., · 1911, II + 275 pp. [Zizanie] Catéchisme : Ra_THXH3HC'I>, no JIHTOBCIŒ orJiameHie, pyCCKHM'I> .me H3hIEOM'I> Hapm.i;aeTCH 6ec-k,n;ocJioBie ... , [Moscou, janvier 1627], 395 fi. Karataev,. N° 312. · Exposé de la foi par questions et réponses, composé. par Laurent Zizanie, archiprêtre de Korec,. en Volynie, pendant son séjour à Moscou en 1626. Son impression donna lieu à une dispute fameuse, · après laquelle il fut décidé de ne pas le mettre en circulation. Il se répandit cependant en copies manuscrites. A cause de l'article sur le signe de croix, il fut plus tard très estimé par les vieux-croyants, qui l'appellent « Grand catéchisme » pour le distinguer de celui de 1649. Ils en ont donné quatre éditions à Grodno en 1783, 1787, 1788 et à Pskov en 1874. V. Kharlampovic, pp. 103-107.