Une introduction à la dynamique des océans et du climat: Tome 1 – Océan 9782759823888

Les enjeux cruciaux du rôle de l’océan dans le changement climatique ont été soulignés depuis longtemps déjà lors des co

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French Pages 328 [325] Year 2020

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat: Tome 1 – Océan
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Une introduction à la dynamique des océans et du climat Tome 1 Océan

Une introduction à la dynamique des océans et du climat Tome 1 Océan

A. Colin de Verdière

Imprimé en France

ISBN (papier) : 978-2-7598-2386-4 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2388-8 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2020

Table des matières

Avant-propos 1 Remerciements 5 Introduction 7  Partie 1  • Observations 11 1.1 De la navigation à aujourd’hui 11 1.2 Les mesures hydrologiques 14 1.3 La courantométrie eulérienne 19 1.4 Les mesures satellitaires 22 1.5 Les flotteurs lagrangiens 27 1.6 Les marégraphes 35 1.7 Les mesures chimiques 38 Conclusion 39 Lectures additionnelles 40  Partie 2   •  Mécanique des fluides adaptée à l’océan 43 2.1 Les forces 44 2.1.1 La force de gravité 44 2.1.2 La force de pression 45 2.1.3 Forces de pression et de gravité 45 2.1.4 Forces liées à la viscosité du fluide 50

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

2.1.5 Forces liées à la rotation de la Terre 52 2.1.6 La force de pression horizontale 64 2.2 Loi de conservation 65 2.2.1 Conservation de la masse et incompressibilité 65 2.2.2 L’équation de continuité pour le modèle en eau peu profonde 69 2.3 L’équation des traceurs 70 2.3.1 L’advection 70 2.3.2 La diffusion 72 2.3.3 L’équation d’advection-diffusion 75 2.3.4 L’équation d’advection-diffusion : stirring et mixing 76 2.4 La deuxième loi de Newton pour le mouvement des fluides 80 2.4.1 Les équations primitives 80 2.4.2 Le modèle en eau peu profonde ou modèle shallow water 82 2.5 La vorticité 85 Lectures additionnelles 90  Partie 3  • Dynamique océanique 91 3.1 Introduction 91 3.2 Les marées 93 3.2.1 La force génératrice de la marée 94 3.2.2 La marée à l’équilibre 99 3.2.3 Les marées solaires 101 3.2.4 La dynamique des marées 103 3.2.5 Autres générations d’ondes longues de gravité 118 3.3 La géostrophie 121 3.3.1 Le cas du fluide homogène 123 3.3.2 Le cas stratifié en densité 128 3.4 La circulation forcée par le vent 134 3.4.1 La couche d’Ekman et les upwellings équatoriaux et de bord Est 134 3.4.2 La circulation forcée par le vent et les courants de bord Ouest 138 3.4.3 La circulation forcée par le vent dans un océan stratifié 148 3.4.4 Les courants équatoriaux 151 3.4.5 Les upwellings de bord Est 162 3.4.6 Le rayon de déformation de Rossby 167 3.4.7 Conclusion 170 3.5 La circulation thermohaline 170 3.5.1 Une géométrie idéalisée 174 3.5.2 Le transport de la circulation thermohaline 175 3.5.3 L’instabilité de la circulation thermohaline avec les flux d’eaux douces 178

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Table des matières

3.5.4 Le mélange turbulent et la circulation thermohaline 184 3.5.5 La dynamique des eaux profondes 186 3.5.6 Une reconstruction de la circulation thermohaline 188 3.6 Ondes et tourbillons océaniques 190 3.6.1 La propagation vers l’ouest 190 3.6.2 L’instabilité barocline et la génération des tourbillons 195 3.6.3 La diffusion turbulente 202 3.6.4 Cascades turbulentes directe et inverse 204 3.6.5 Les tourbillons isolés 214 3.7 Les jets zonaux profonds à l’équateur 225 3.7.1 Observations 226 3.7.2 Modélisation 231 3.8 Océans polaires 234 3.8.1 Le courant antarctique circumpolaire 235 3.8.2 L’océan Arctique 246 Conclusion 258 Lectures additionnelles 260 Bibliographie 263 Valeurs utiles et paramètres 275 Annexe 1 : Un kit mathématique 279 A.1.1 Vecteurs 280 A.1.2 Dérivées 290 A.1.3 Intégrales 292 A.1.4 Équations différentielles 293 A.1.5 Dérivées partielles 299 A.1.6 Scaling 302 A.1.7 Conclusion 307 Annexe 2 : L’équation d’état de l’eau de mer 309 Index général tomes 1 et 2 313

VII

Cette image met en place les principaux acteurs du Tome 1, l’océan, l’atmosphère et la Lune vus du satellite de la NASA DSCOVR le 16/07/2015. Le satellite est placé au point de Lagrange L1 entre la Terre et le Soleil, ce qui permet de photographier la Lune devant la Terre éclairée par le Soleil. L’océan est mis en mouvement par le vent à sa surface, par les échanges de chaleur et d’eau douce entre atmosphère et océan et par les forces gravitationnelles entre la Terre, la Lune et le Soleil. Source : NASA EPIC team (Earth Polychromatic Imaging Camera), https://epic.gsfc.nasa.gov/epic-galleries/2015/lunar_transit/full/197_2015197232104.png

Avant-propos

Océan et atmosphère unissent leurs efforts pour tempérer les effets du forçage solaire reçu en excès à l’équateur et en déficit aux pôles et rendre la planète habitable. Air et eau, deux fluides très différents, l’un léger, l’autre mille fois plus lourd, l’un transparent au rayonnement électromagnétique, l’autre opaque, l’un circulant librement autour de la Terre, l’autre bloqué dans des bols, l’un chauffé par-dessous, l’autre par-dessus, mais tous deux régis par les mêmes lois physiques. L’objectif de ce livre est de montrer comment il est possible de relier les comportements observés de ces deux fluides et ces lois, une approche qui met en valeur l’unité des mouvements de l’océan et de l’atmosphère. Montrer comment l’océan est observé, décrire ses mouvements et tenter d’identifier leurs causes est l’objectif du Tome 1. Montrer comment océan et atmosphère s’organisent pour définir ce qui est communément appelé climat, source de bien des interrogations après deux siècles de révolution industrielle constitue le Tome 2. Les présentations de ces sujets se situent souvent entre deux extrêmes, trop descriptives elles ne permettent guère de s’approprier les concepts et de tester les idées, ou trop quantitatives elles demandent aux lecteurs des prérequis mathématiques élevés. Ici les outils mathématiques minimaux sont rappelés dans des annexes selon les besoins, outils qui permettent de faire et de tester. La présentation conviendra à une première découverte de ces sujets dès le premier cycle universitaire ou écoles d’ingénieurs pour des étudiants de parcours divers qui veulent aborder ce volet des Sciences de l’Environnement sous l’angle quantitatif de la Physique. Certains thèmes peuvent certainement être abordés plus tôt alors que d’autres sont plus fréquemment exposés en première année de Master. En construisant un texte autonome qui ne demande pas de sources externes, l’angle d’exposition essaie aussi de prendre en compte l’amateur passionné par la mer et le climat, mais qui n’a guère de temps pour rassembler les pièces du puzzle.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Aristote faisait la part entre le monde supra-lunaire harmonieux et déterministe et le monde sub-lunaire dominé par le hasard et le chaos, une classification bien présente dans l’océan avec les marées astronomiques qui relève du premier et la circulation océanique et ses tourbillons du second, marées et circulation se retrouvant superposées en tout point de l’océan. La simplicité des marées du monde supralunaire a pour origine les forces de gravitation des astres, des forces qui agissent à distance. La complexité du climat sub-lunaire provient du forçage radiatif du Soleil qui induit des forces de pression locales dans l’atmosphère et dans l’océan, identiques à celles qui font bouger l’eau des casseroles sur le feu. Pour étudier des objets aussi complexes que l’océan ou le climat, la marche à suivre indiquée par Descartes de découper un problème compliqué en une suite de problèmes plus simples, incite à étudier par exemple les marées océaniques d’un côté et la circulation océanique de l’autre. L’approche par morceaux présentée dans ce livre est appelée Dynamique des fluides géophysiques (ou GFD, Geophysical Fluid Dynamics), une philosophie de la recherche en Météorologie et Océanographie développée surtout sur la côte Est des États-Unis à partir des années 1950. Pour expliquer une observation, la règle du jeu en GFD est de simplifier au maximum le contexte du problème, d’en éliminer tous les détails superflus pour permettre une solution facile et arriver à une compréhension physique que l’on peut partager. Bref il faut choisir et dans ce souci de simplification systématique, la crainte est toujours de jeter le bébé avec l’eau du bain. Notez qu’un modèle de prévision du temps adopte la démarche inverse en incluant tous les détails susceptibles d’influencer la température tel jour Place de l’Étoile à Paris. L’inclusion d’interactions toujours plus nombreuses dans un modèle de prévision crée sa propre difficulté : le modèle devient juste trop compliqué pour analyser et comprendre. Toutes deux nécessaires, GFD et prévision sont donc deux démarches de nature radicalement différentes. Sans oublier que le partage des idées, des observations et des outils notamment numériques continue de les faire progresser mutuellement. La deuxième loi de Newton sert ici de fil rouge pour analyser de façon quantitative les causes des comportements observés et les confronter en permanence aux observations qui restent le juge suprême des élégances théoriques que l’on voit fleurir ici ou là. Un dessin valant toujours mieux qu’un long discours, la présentation des idées est accompagnée d’un nombre important de figures. Pour raconter des histoires vraies ou plutôt vérifiables, la Physique se sert d’un alphabet et d’une grammaire particulière fondée sur la logique et les règles de calcul, les quatre opérations, mais aussi les dérivées et les intégrales. Il n’y a guère besoin de Mathématiques avancées dans ce livre au-delà du bon vieux « Calculus » sous sa forme élémentaire que l’on apprend au lycée. Un modèle d’océan fondé sur la deuxième loi de Newton relie l’accélération d’une particule d’eau aux forces exercées sur elle par ses voisines mais aussi par la Terre, la Lune et le Soleil. L’accélération étant la dérivée de la vitesse, l’opération permettant de trouver le mouvement (la vitesse du courant) se résume à trouver l’intégrale de l’accélération. Aussi est-il rappelé dans des Annexes que force, vitesse et accélération sont des vecteurs, que la dérivée n’est pas vraiment autre chose que la soustraction de deux nombres consécutifs et que l’intégrale est une addition d’une suite de nombres. Un chapitre est spécialement dédié pour expliquer

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Avant-propos

comment adapter les lois de Newton aux fluides. Comme les équations obtenues sont trop complexes pour en trouver les solutions, la GFD balise une démarche simplificatrice appelée scaling pour identifier les équations simplifiées adaptées au phénomène particulier observé, démarche qui permettra d’expliquer la dynamique des marées océaniques, la réponse de l’océan aux vents, la cause du Gulf Stream, l’origine des tourbillons océaniques, les courants équatoriaux avec en particulier le sous-courant équatorial, une veine de courant centrée à l’équateur qui se déplace contre les alizés, la fragilité de la circulation thermohaline, l’importance du courant antarctique circumpolaire… ce qui constitue le Tome 1. Le Tome 2 replace l’océan dans son contexte climatique d’interactions avec l’atmosphère. Mais le climat est une invention statistique et n’existe donc pas en tant que tel. Ce qui existe est ce que l’on peut mesurer et ressentir, à savoir la température de l’air tel jour à telle heure. La moyenne sur les mois de décembre, janvier, février de la température de l’air d’un petit village de l’Est de la France devrait déterminer le climat d’hiver en ce point, mais elle n’y arrive pas vraiment. La turbulence atmosphérique grande échelle (1 000 km) rend cette température très variable. Alors imaginons qu’elle ne puisse prendre que deux valeurs –5 oC et +5 oC, et on sait d’expérience que cette température est une variable aléatoire (on dit aussi stochastique), prenant ses valeurs (quotidiennes pour fixer les idées) au hasard. Si ces deux valeurs se produisent autant de fois l’une que l’autre, la moyenne hivernale sera de 0 oC, une valeur qui ne s’est pourtant jamais produite ! La nature n’aime pas les fonctions discontinues alors bien sûr la température est passée par 0 pour aller de –5 à +5, mais on suppose juste ici qu’elle n’y est pas restée longtemps. Dans cet exemple, on sent bien que la moyenne ne donne pas beaucoup d’information sur le climat de ce village. D’autres quantités statistiques, comme la variance, l’écart type, la densité de probabilité de la température vont ajouter l’information nécessaire pour décrire ce signal climatique. Le climat et le temps qu’il fait sont source de confusions permanentes, parfois entretenues à dessein dans le contexte des discussions sur le réchauffement global, coup de chaud ou coup de froid servant de prétexte pour le point de vue de l’un ou l’autre camp. Pour apprécier leur différence, il faut connaître un peu de statistique et avoir quelques notions de probabilités qui seront rappelées en Annexe. L’océan n’est qu’une partie d’un système plus vaste qui comprend l’atmosphère, les glaces, la surface terrestre, les plantes. Cela n’a aucun sens de l’isoler pour qui veut comprendre les climats du passé ou estimer ce qui pourrait arriver dans l’avenir. Les situations passées sont autant d’environnements différents qui testent notre compréhension du fonctionnement de l’océan actuel et peuvent permettre de l’améliorer. Le vent force l’océan qui en retour freine l’atmosphère. Le soleil chauffe l’océan qui en retour chauffe l’atmosphère. L’eau des océans s’évapore pour fournir les précipitations dont dépend directement la vie sur Terre. Le climat d’hier, d’aujourd’hui et de demain est façonné par des échanges de quantités de mouvement, de chaleur, de gaz et d’eau entre ces deux fluides air et eau, l’un jouant dans les aigus, l’autre dans les graves : le couplage océan - atmosphère a ceci de particulier que l’atmosphère est un oscillateur rapide qui varie à l’échelle du jour, de la semaine, du mois et joue donc dans les aigus pendant que l’océan, oscillateur lent qui varie à l’échelle du mois, de la décennie, des siècles, joue dans les graves.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

L’atmosphère sera brièvement décrite et le climat analysé sous l’angle des processus élémentaires qui rendent compte de ses caractéristiques, mais pour ce faire, il faudra ajouter à la deuxième loi de Newton deux compléments essentiels, la physique du rayonnement dans l’atmosphère et la géochimie marine pour pouvoir rendre compte du cycle du carbone et de ses dérives actuelles. Une brève incursion en paléoclimatologie sera faite pour présenter les climats passés avec un certain nombre d’hypothèses pour expliquer les comportements très originaux sur les deux derniers millions d’années comme les cycles de Milankovich ou les événements de Dansgaard-Oeschger… Le Tome 2 se poursuit par l’observation et l’examen des causes de la variabilité naturelle actuelle, la dynamique du phénomène El Niño dans le Pacifique tropical et les oscillations Atlantique des moyennes latitudes principalement. Ceci est nécessaire car une des grandes difficultés des prévisions du futur du climat reste de séparer le petit signal du réchauffement global séculaire de la forte variabilité naturelle couplée océan-atmosphère observée sur des échelles de temps allant de 2 à 50 ans. En conclusion, ce choix d’expliquer les observations par la physique, est de permettre une lecture critique et de donner des clés pour aller plus loin. Ce lien entre les nombres, la mer et l’atmosphère était déjà si évident pour Victor Hugo dans son texte « La Mer et le Vent » : Les flots ont comme les chiffres une transparence qui laisse apercevoir sous eux des profondeurs. Ils se dérobent, s’effacent, se reconstruisent, n’existent point par eux-mêmes, attendent qu’on se serve d’eux, se multiplient à perte de vue dans l’obscurité, sont toujours là. Rien, comme la vue de l’eau, ne donne la vision des nombres.

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Remerciements

Beaucoup de personnes ont accepté gentiment de répondre à mes questions, de me donner accès à des articles importants, à des données, à des figures, de relire certaines parties assez éloignées de mes bases, de fournir des conseils techniques ou encore de s’apitoyer sur le style toujours de façon constructive. Une liste non exhaustive est la suivante : D. Allain, R. Armante, O. Arzel, P. Bellec, P. Bousquet, A. Bower, M. Cannon, A. Carette, X. Carton, F. Collard, S. Cravatte, A. Czaja, C. Deser, J.L. Dufresne, D. Ferreira, M. Fieux, L. Gautier, V. Garçon, Y. Gouriou, C. Goyet, E. Guilyardi, J. Gula, N. Hall, C. Herbaut, A. Hochet, M.N. Houssais, T. Huck, P. Klein, N. Kolodziejczyk, J. LeBars, B. Le Cann, L. Li, C. Lique, F. Lyard, L. Mémery, C. Ménesguen, H. Mercier, M. Ollitrault, E. Orsenna, D. Paillard, Y.H. Park, S. Pogossian, G. Ramstein, P. Richardson, P. Rivière, G. Roullet, F. Roquet, F. Sévellec, S. Speich, G. Tellier, P. Treguer, C. Waelbroeck et A. Wirth pour la vignette finale de Kepler du Tome 2 ! J’en oublie certainement mais qu’ils soient tous chaleureusement remerciés. Évidemment aucun d’eux ne saurait être tenu pour responsable des erreurs qui subsisteraient. Je remercie par avance les lecteurs de me les signaler. La vérité n’est jamais qu’une erreur rectifiée, G. Bachelard. Les reproductions de figures issues de journaux scientifiques ont été rendues possibles grâce aux permissions des éditeurs suivants : American Association for the Advancement of Science, American Geophysical Union, American Meteorological Society, Cambridge University Press, EDP Science, Elsevier, Journal of Marine Research, Intergovernment Panel on Climate Change (IPCC), La Météorologie, National Aeronautics and Space Administration, Oceanography Society, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, Springer Nature, Taylor and Francis Group, Wiley. Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés.

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Introduction

La première question est évidemment de se demander pourquoi étudier le mouvement des océans. Dès l’Antiquité, les premières interrogations océanographiques se sont portées sur l’origine de la variation du niveau des mers liée aux marées observées dans les ports. Dès que l’on met le pied sur une embarcation, les états de mer générés par les tempêtes des moyennes latitudes ou des cyclones tropicaux ont longtemps décidé de l’issue des traversées. Mais les bateaux devenant plus solides, les distances ont augmenté, et les échanges commerciaux ont suivi en Méditerranée d’abord puis entre l’Europe et le Nouveau Monde. Aujourd’hui on sait que atmosphère – océan – glace sont trois environnements dont l’étroite interaction dynamique détermine le climat sur des échelles de temps qui vont de la saison à la centaine de milliers d’années. L’observation des composantes du système climatique est la première chose à faire. Mais l’océan, milieu hostile s’il en est, est très difficile à observer et reste encore très sous-échantillonné par rapport à l’atmosphère. L’océan est pourtant difficile à mettre de côté car son influence sur le climat devient dominante dès que les échelles de temps dépassent le mois. Le retard de deux mois entre le maximum de la température de l’eau de mer l’été en France et le rayonnement solaire, maximum au 21 juin, est un exemple de cette influence causée par la lente accumulation de chaleur dans la couche de surface océanique (les 100 premiers mètres). Notons aussi que le climat d’une région côtière des latitudes tempérées selon qu’elle se situe sur le bord Ouest ou Est d’un océan subit, soit un climat continental type Amérique du Nord, soit un climat maritime type Europe de l’Ouest. Aujourd’hui l’impact des activités humaines sur le climat via l’augmentation des gaz à effets de serre dans l’atmosphère est au centre de toutes les préoccupations, un contexte où l’océan joue un rôle considérable en stockant chaleur et dioxyde carbone, une incitation de plus pour mobiliser des moyens pour l’observer. Mais le défi est considérable car l’océan est animé par des mouvements turbulents dont les

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

échelles spatiales sont petites de l’ordre de la centaine de kilomètres (soit un ordre de grandeur plus petit que les échelles correspondantes dans l’atmosphère) et dont les échelles de temps atteignent le millier d’années (soit trois ordres de grandeur de plus que pour l’atmosphère). Les océanographes américains étaient divisés dans le passé entre observateurs (les water-catchers – ceux qui attrapent de l’eau) et théoriciens (les d/dx-ers qui utilisent le calcul différentiel dans lequel s’exprime la 2e loi de Newton pour un fluide). Les observations ont considérablement augmenté en quantité et en qualité ces trente dernières années et les modèles d’océan sont maintenant numériques, certes beaucoup plus réalistes, mais hélas aussi beaucoup plus complexes à analyser. Chacun est donc toujours très occupé, mais comme le but du jeu reste toujours de pouvoir répondre à la question « comment ça marche ? », le lien entre observations et modèles doit être éclairci en permanence. Une catégorie de modèles se sert des observations comme conditions initiales, l’objectif de ces assimilations de données étant de prédire, la température de surface, le niveau de la mer ou les courants. Cette approche permet aussi de reconstruire des variables qui ne sont pas observées facilement, les vitesses verticales par exemple. Maintenant si l’objectif n’est plus de prédire mais de comprendre la cause d’un phénomène comme l’existence d’un Gulf Stream, mélanger observations et modèles est dangereux car la signature du phénomène naturel est alors perdue au milieu des apports du modèle. Or c’est justement de la confrontation entre observations et modèles théoriques que naît la compréhension physique qui permet d’ignorer les détails sans importance et de généraliser. La seule façon de progresser est d’abord de bien presser les observations pour isoler le phénomène et permettre ensuite de simplifier au maximum la démarche théorique afin de n’inclure que les processus physiques indispensables à l’explication. On appelle cela aujourd’hui la Dynamique des fluides géophysiques (ou GFD, Geophysical Fluid Dynamics) que Newton avait parfaitement définie dans ses Principia de 1686 : We are to admit no more causes of natural things than such as are both true and sufficient to explain their appearances. Il ne faut pas admettre plus de causes des choses naturelles que celles qui sont à la fois vraies et suffisantes pour expliquer leurs présences. L’objectif de ce livre est de suivre ce conseil et d’introduire la connexion entre observations et théories. Quand on contemple les équations de la mécanique des fluides (les équations de Navier-Stokes), on se dit que leur complexité rend la mission impossible. Ces belles équations qui gouvernent toute l’hydrodynamique et l’aérodynamique, peuvent s’appliquer aussi bien à l’océan qu’au noyau liquide de la Terre, à l’atmosphère, à la musique ou aux ailes d’avions, mais c’est cette généralité même qui les rend si peu pratiques pour comprendre. Pour les phénomènes océaniques de grande échelle dont il est question ici, il va falloir couper des arbres dans la forêt des termes de ces équations pour y voir plus clair. Après ces simplifications, il devient assez facile d’accéder aux causes des mouvements avec des outils mathématiques élémentaires (rappelés dans l’Annexe 1). Cet accent délibéré mis sur les causes physiques des mouvements de l’océan et de l’atmosphère a démarré aux États-Unis dans les années 1950 entre quelques universités de la côte Est, Yale, Brown et Harvard

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Introduction

Universities, Woods Hole Oceanographic Institution, Massachusetts Institute of Technology sous l’impulsion de Jules Charney, Melvin Stern, Henry Stommel, Georges Veronis et beaucoup d’autres pour qui océan et atmosphère n’étaient qu’un seul et même terrain de jeu. Ce livre contient quatre parties de difficultés inégales, difficultés qui sont surmontées en faisant appel aux illustrations pour étayer la discussion des idées. La première partie explique comment l’océan est observé et ce qui est accessible aux mesures. Les observations génèrent naturellement des questions, plus d’une vingtaine ont été isolées et le reste du Tome 1 fournit les explications physiques permettant de comprendre le comportement observé de l’océan. La deuxième partie met en place les équations de la mécanique des fluides en insistant sur la nouveauté, la prise en compte de la rotation de la Terre. On retrouve dans cette partie plus technique la grande complexité de ces équations dont les solutions sont obtenues aujourd’hui par la voie de simulations numériques. Ces équations ne seront pas utilisées in extenso pour fournir les explications tant pour l’océan (Tome 1) que pour le Climat (Tome 2), car cette complexité peut être contournée en s’appuyant sur des approximations (scaling) très puissantes adaptées aux grandes échelles de mouvement dans l’océan et l’atmosphère. La réponse de l’océan aux vents, qui est la mieux comprise aujourd’hui, est le thème central de la troisième partie. Suivront les instabilités de la circulation océanique, l’instabilité dite barocline qui donne naissance aux tourbillons de méso-échelle (100 km), puis la sensibilité de la circulation thermohaline aux flux d’eau douce (évaporation et précipitation en surface) qui a la nature d’une catastrophe au sens des systèmes dynamiques. Les régions équatoriales et polaires feront l’objet de paragraphes spécifiques. L’Annexe 1 a été rédigée dans l’esprit d’un kit de survie pour utiliser la deuxième loi de Newton. Elle inclut des rappels sur les vecteurs, les dérivées et les intégrales, les schémas d’intégration numérique des équations de la dynamique. La partie 3 adresse spécifiquement les questions océans posées dans la partie 1 avec les approximations des équations de la partie 2, trois parties qui constituent le Tome 1. Le Tome 2 (la quatrième partie) est dédié au climat. Il adresse spécifiquement la question climatique sans autre motivation de départ que celle de comprendre les effets possibles de la croissance du dioxyde de carbone observée depuis 1958 à Hawaï. Sous l’atmosphère qui s’agite si rapidement, l’océan de par sa grande inertie thermique est la composante lente du système qui gouverne l’évolution du changement climatique pour les décennies et siècles à venir. Cette partie présente de façon succincte l’atmosphère et son équilibre radiatif, son couplage avec l’océan, l’effet de serre, les cycles de l’eau et du carbone. Les climats du passé sont présentés en détaillant les mécanismes qui contrôlent la concentration de l’oxygène et du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, en montrant la réponse du climat des deux derniers millions d’années aux variations lentes de l’orbite terrestre. Le climat moderne, évidemment le mieux connu, permet de mettre en évidence les modes climatiques régionaux des tropiques, le fameux El Niño, et des moyennes latitudes sans oublier évidemment le problème d’actualité du réchauffement climatique. Compte tenu de l’ampleur de l’objet à maîtriser, la présentation, relativement indépendante des trois premières, est aussi plus descriptive tout en gardant à l’esprit l’objectif principal

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

d’identifier les causes des comportements observés. Elle remet l’océan en perspective en l’insérant dans son milieu naturel d’interactions physiques, chimiques et biologiques avec l’atmosphère, la Terre et les glaces. Le climat étant une moyenne du temps observé, une notion statistique, l’Annexe 4 rappelle les notions fondamentales de traitement du signal indispensables pour faire parler les observations. Ces deux tomes peuvent se lire de façon relativement indépendante l’un de l’autre.

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1 Observations

1.1 De la navigation à aujourd’hui La navigation a été immédiatement confrontée au problème du positionnement en mer, et on peut faire coïncider l’amélioration des méthodes de navigation lorsque les côtes sont perdues de vue aux premières découvertes sur la circulation océanique. Le positionnement d’objets en mer demeure en effet la première clé pour déterminer les courants. Il a fallu attendre le milieu du xviiie siècle pour que la navigation ait fait suffisamment de progrès grâce à la mesure précise de la hauteur des astres (Soleil, étoiles) au-dessus de l’horizon et de l’heure de l’observation. Si un navire part du point A pour atteindre B mais se retrouve au bout d’un temps ∆t en C, le déplacement de l’eau qui nous intéresse est simplement le vecteur BC ci-dessous qu’il faut déterminer. Un vecteur déplacement du point A au point B est noté AB en caractères gras et il est défini par sa longueur et son orientation dans l’espace. Il représente la route prévue. Le vecteur AC représente la route vraie. A

B C

L’addition des vecteurs (voir Annexe 1) permet d’écrire le vecteur AC comme l’addition du vecteur AB et du vecteur BC : AC = AB + BC et le vecteur qui nous intéresse est alors : BC = AC – AB

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

soit la différence entre la route vraie AC et la route prévue BC. La vitesse du courant est obtenue en divisant la distance BC par ∆t. L’unité de vitesse est le m s–1 ou encore le nœud (knot), le nombre de milles nautiques (= 1 852 m) parcourus en une heure dans la direction du vecteur BC. L’opération ci-dessus n’est possible que si les positions des points B et C sont connues. L’invention du loch et du compas ont été nécessaires pour trouver le point B. La latitude du point C est déterminée par l’observation du Soleil à midi, mais il a fallu attendre l’invention du premier chronomètre de marine pour garder le temps à la précision nécessaire pour avoir la longitude (quelques secondes de dérive au bout d’un mois de traversée, l’œuvre de l’horloger anglais Harrison, autour de 1760). Cette détermination des vitesses, répétée des centaines de fois par les navires de commerce et les baleiniers dans l’Atlantique Nord, permettra à Benjamin Franklin et Timothy Folger de moyenner les observations de courants instantanés dans chaque petit carré de longitude et latitude pour faire apparaître le Gulf Stream, difficile à rater compte tenu de ses courants de 2 nœuds (en ce cas sur 24 heures la distance BC vaudrait elle 48 milles nautiques). Sur la figure 1-1, le Gulf Stream est un fleuve dont le transport augmente depuis le détroit de Floride. On verra que son extension vers l’est au-delà de 50 °N est assez différente de ce que cette carte suggère.

 Figure 1-1  Carte de Benjamin Franklin et Timothy Folger de 1769. L’histoire de cette carte perdue puis retrouvée à la Bibliothèque Nationale est à lire dans Richardson, 1980 et Richardson et Adams, 2018. Source : Bibliothèque Nationale, Paris.

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1. Observations

L’absence de courants dans l’intérieur de l’océan sur la figure 1-1 indique, soit que ces courants doivent être plus faibles en moyenne, soit que les navires recensés par T. Folger n’y passaient que rarement. Aujourd’hui l’élévation du niveau de la surface de la mer de la figure 1-2 construite avec les données de température, de salinité et de vitesse de courant de 0 à 1 000 m du programme Argo donne indirectement la circulation en surface.

 Figure 1-2  Carte de la topographie de surface des océans calculée à partir des données de température, salinité (WOA 2009) et vitesses des flotteurs Argo à 1 000 m sur la période 2005-2010. Les courants suivent les contours noirs d’égale hauteur en laissant les hauteurs fortes à droite (à gauche) dans l’hémisphère nord (sud). Plus les contours sont serrés, plus le courant est fort. Les courants de bord Ouest peu visibles sur cette carte sont indiqués par les flèches bleu ciel. Les courants équatoriaux ne peuvent pas être déduits de cette carte. Source : M. Ollitrault.

Le niveau de la mer varie de –70 cm le long de l’Antarctique à +230 cm dans le Pacifique (vers 35 °N) soit un dénivelé d’environ 3 m au total. Pour qui est allé en mer, trois mètres est la hauteur d’une belle vague qui s’étale sur quelques centaines de mètres, mais aller chercher 3 m sur quelques milliers de km paraît un exploit bien difficile à croire. Les courants suivent les contours d’égale élévation de la figure 1-2 en tournant autour d’une bosse dans le sens anticyclonique qui est le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord et dans le sens cyclonique opposé au précédent autour d’un creux. Les sens sont inversés dans l’hémisphère sud.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

C’est un des objectifs de ce livre que de comprendre l’origine de ce résultat fondamental. La circulation est dominée par les courants des gyres subtropicaux centrés vers 30° de latitude, gyres qui se ferment par des courants de bord Ouest très intenses illustrés par les flèches bleues. Le courant océanique le plus puissant est le courant antarctique circumpolaire (Antarctic Circumpolar Current, ACC) centré autour de 50 °S et qui porte à l’est. C’est lui qui connecte tous les océans de la planète entre eux et donne à la circulation océanique son caractère global. Au passage du Cap Horn (passage de Drake), le passage le plus étroit, le courant devient très fort. Sa vitesse peut se calculer à partir de la pente de la surface (∼150 cm sur 400 km) et de l’effet de la rotation de la Terre pour arriver à une valeur moyenne entre le Cap Horn et l’Antarctique de 30 cm s–1 (environ 30 km par jour). En revanche, on verra que les courants équatoriaux ne suivent pas les contours d’égale élévation de la carte et ne peuvent donc pas être déduits de la figure 1-2. La question n° 1 est évidemment de savoir comment la figure 1-2 a été construite. L’évolution des idées et les progrès des technologies d’observation au cours des 50 dernières années vont former la trame pour comprendre comment on a bien pu passer de la carte de B. Franklin de la figure 1-1 à celle-ci en deux siècles et demi (voir section 3.3). Pourquoi y a-t-il un Gulf Stream dans l’Atlantique nord, un Kuro-Shio dans le Pacifique nord, un courant du Brésil dans l’Atlantique sud, un courant des Malouines, un courant des Aiguilles dans l’océan Indien ou encore un courant est-autralien dans le Pacifique sud, tous situés sur le bord Ouest de leur bassin océanique respectif, forment la question n° 2. Comme cela n’a pas l’air d’exister dans l’atmosphère qui circule librement, l’existence même des barrières continentales doit être au cœur de l’explication (voir section 3.4). Question n° 3 :  le courant circumpolaire antarctique tourne de façon ininterrompue (vers l’est) autour du continent antarctique et ressemble beaucoup à un jet-stream atmosphérique. Comment expliquer la présence de cet énorme courant ? (voir section 3.7)

1.2 Les mesures hydrologiques Les mesures de la température et de la salinité des océans, les deux quantités qui contrôlent la masse volumique (densité) de l’eau de mer, n’ont vraiment démarré qu’au début du xxe siècle avec les sections transocéaniques réalisées par les expéditions allemandes dans l’Atlantique du navire océanographique Meteor entre 1925 et 1927. Arriver à dérouler puis enrouler un câble d’acier suffisamment résistant de 5 km de long, mesurer la température au fond sans que la mesure ne soit polluée lorsque le thermomètre remonte en surface, commander depuis la surface la fermeture d’une bouteille (résistante à une pression de 500 fois la pression atmosphérique) pour remonter de l’eau de fond à bord et ainsi pouvoir analyser sa teneur en sel et en oxygène par des dosages chimiques sont quelques-uns des

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1. Observations

verrous technologiques qu’il a fallu surmonter. Température, salinité et oxygène sont maintenant mesurés par des capteurs électroniques (thermistance-résistance fonction de la température et conductivité-température pour la salinité), mesures qui nécessitent toujours étalonnage et calibration par des mesures directes en laboratoire. Les observations de température, de salinité et d’oxygène de la figure 1-3 obtenues lors de l’expérience internationale WOCE (World Ocean Circulation Experiment), réalisée au milieu des années 1990 sont de la plus haute qualité possible. La section latitude-profondeur choisie se situe à 25 °W, le pointillé bleu de la figure 1-2. La première variable est la température dite potentielle. Légèrement inférieure à la température in situ, elle n’en diffère que très peu, de l’ordre de 0,1 °C à 1 000 m, 0,15 °C à 2 000 m, 0,35 °C à 4 000 m. La température in situ augmente quand la pression augmente car l’eau reste malgré tout un tout petit peu compressible. Pour supprimer cet effet, on calcule la température potentielle qui est la température d’une particule d’eau ramenée à la pression atmosphérique standard de surface de façon adiabatique (sans échange de chaleur). Une particule d’eau qui se déplace adiabatiquement tout en changeant de profondeur voit sa température in situ changer alors que sa température potentielle reste constante : cette variable est donc un meilleur traceur de la circulation que la température in situ. La salinité est la deuxième variable la plus importante après la température. Elle représente la masse totale des sels (en gramme) contenue dans un kilogramme d’eau de mer et se trouve également être un traceur de la circulation océanique. Une fois température, salinité et pression connues, l’équation d’état de l’eau de mer permet de calculer la densité (voir Annexe 2). Cette densité dite in situ atteint des valeurs plus fortes en profondeur car la pression fait également diminuer le volume d’une particule d’eau alors que sa masse est constante. La densité neutre procède du même concept que la température potentielle : c’est un meilleur traceur de la circulation que la densité in situ mais sa présentation dépasse le cadre de cette introduction. Cette densité neutre varie très peu, entre 1 020 et 1 030 kg m–3, dans l’océan mondial de sorte que l’on utilise généralement la quantité (ρ-1 000) indiquée sur la figure 1-3. Les sections d’oxygène et de salinité montrent d’immenses langues connectées en surface que l’on interprète ainsi : quand une propriété est conservée au cours du déplacement d’une particule d’eau, cette conservation permet de tracer le passage de l’eau. Pour cela, il faut que l’eau ait été marquée au préalable, comme avec un colorant. Ce colorant des masses d’eaux océaniques est injecté à la surface de l’océan par les échanges air-mer. La figure 1-3 montre des eaux chaudes, salées, de la surface au premier kilomètre. La température de surface diminue régulièrement des tropiques vers les pôles comme le rayonnement solaire incident en surface. La salinité, forte dans les tropiques et faible près des pôles, répond quant à elle à la différence entre les flux d’évaporation E et de précipitation P. L’évaporation domine dans les tropiques et les précipitations aux moyennes latitudes. En suivant maintenant par exemple l’isotherme 10 °C, on voit que les eaux de surface sont contenues dans deux bols centrés respectivement à

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

30 °S et 30 °N qui sont la marque en profondeur des gyres subtropicaux, ces tourbillons immenses déjà vus sur la figure 1-2. Il est à noter que des deux hémisphères, le nord est visiblement le plus chaud et le plus salé.

Température potentielle [oC] Section WOCE A16 à 25 oW

Salinité Section WOCE A16 à 25 oW

 Figure 1-3  Section méridienne A16 de WOCE : température potentielle, salinité, densité neutre et oxygène dans l’Atlantique le long de la longitude 25 °W. Les sections sur tous les océans du programme WOCE sont visibles à l’adresse suivante : www-pord.ucsd.edu/whp_atlas.

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1. Observations

Densité neutre [kg m–3] Section WOCE A16 à 25 oW

Oxygène [µmole/kg] Section WOCE à 25 oW

 Figure 1-3  Suite.

Sous le premier kilomètre, les eaux sont subitement plus froides de 3 °C à presque 0 °C au fond dans l’hémisphère sud (2 °C dans l’hémisphère nord). Visiblement la chaleur ne pénètre pas bien du tout dans l’océan et se pose alors la question de l’origine de tout ce froid. Les deux sections de salinité et d’oxygène de la figure 1-3 l’expliquent simplement : une langue d’eau salée et très oxygénée située entre 2 et 4 km de profondeur trace un mouvement qui vient du nord de l’Atlantique. D’autre part une langue d’eau moins salée et bien oxygénée de 4,5 à 5 km de profondeur trace un mouvement qui vient de l’Antarctique. La première est la masse

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

d’eau profonde appelée Eau profonde Nord Atlantique (North Atlantic Deep Water, NADW) formée l’hiver en mer de Norvège et la seconde la masse d’eau de fond appelée Eau Antarctique de fond (Antarctic Bottom Water, AABW), formée l’hiver le long du continent Antarctique en mer de Weddell. Il est ainsi possible de conclure que sous une couche d’environ 1 km, l’océan est rempli par ces eaux froides (et donc denses) formées près des régions polaires en hiver. Coincée entre les eaux chaudes de surface et les eaux froides au fond, se découvre autour de 1 000 m de profondeur sur la section de salinité de la figure 1-3 une eau moins salée qui remonte vers le nord depuis 50 °S, appelée Eau Antarctique intermédiaire (Antarctic Intermediate Water, AAIW). Vers 35 °N, un noyau de forte salinité (toujours vers 1 000 m) est causé par les eaux formées en Méditerranée qui envahissent l’Atlantique nord par le détroit de Gibraltar. Les eaux chaudes et salées sont plus légères (moins denses) que les eaux sousjacentes. Comme la densité diminue avec la température mais augmente avec la salinité, on en déduit immédiatement que la densité doit être plutôt contrôlée par la température que par la salinité, ce que l’on peut vérifier par la similarité des cartes de température et de densité de la figure 1-3. On notera aussi que la densité augmente avec la profondeur, signe de stabilité vis-à-vis des déplacements verticaux. Malgré tout cette augmentation est beaucoup moins prononcée quand on se rapproche des pôles, c’est la signature de la formation des eaux profondes en surface lors du refroidissement hivernal. La dernière carte, la concentration en oxygène dissous O2, montre que l’oxygène est acquis par contact avec l’atmosphère dans la couche de surface. Elle confirme que les masses d’eau profondes sont formées par interaction avec l’atmosphère en hiver. On notera également les très faibles concentrations en oxygène de la surface à 1 500 m environ entre 30 °S et 30 °N. Cette partie de l’océan n’est donc pas ventilée par l’atmosphère ni par le dessus, ni par les côtés. Les échanges doivent être très faibles dans ces régions. Attention l’oxygène n’est pas un aussi bon traceur de la circulation océanique car il participe à des réactions bio-géochimiques : produit en surface par la photosynthèse, il est consommé en profondeur par la reminéralisation de la matière organique morte qui tombe depuis la surface. Cette reminéralisation est donc une des causes de l’existence du minimum d’oxygène des eaux intermédiaires. Les courants responsables de ces mouvements de masses d’eau font partie de ce que l’on appelle la circulation thermohaline. Si les premières mesures sont apparues il y a environ 80 ans, quels changements ont eu lieu depuis ? La réponse est très peu. Gouretski et al. (2013) ont estimé un réchauffement de 0,27 °C et une augmentation de salinité de 0,030 o/oo dans l’Atlantique entre 64 °S et 19 °N au-dessus de 2 000 m. Ces faibles changements indiquent que l’échelle de temps de la circulation thermohaline est donc longue, plus longue en tout cas que les 80 ans d’observations. La deuxième est que ces augmentations traduisent malgré tout un réchauffement et une intensification du cycle hydrologique (la différence E-P) et donc un changement climatique déjà visible dans l’océan.

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1. Observations

Question n° 4 : Comment déterminer les courants qui sont à l’origine des variations de température et de la salinité de la figure 1-3 ? (voir section 3.3) Question n° 5 : Quelle est l’origine de la forme en bol de la sphère d’eau chaude (légère) des régions subtropicales ? (voir section 3.4) Question n° 6 : Quelle est l’origine du dôme d’eau froide (dense) à l’équateur ? Cela est très visible sur la température mais aussi sur la salinité près de la surface (voir section 3.4). Question n° 7 : Les traceurs comme la salinité ou l’oxygène indiquent des mouvements méridiens des masses d’eaux. Y a-t-il alors des flux de chaleur méridiens associés avec la circulation thermohaline ? Comment se comparent-ils avec les flux atmosphériques ? (voir sections 3.5 et 4.3)

1.3 La courantométrie eulérienne Le mot « eulérien » signifie que l’observateur au point fixe regarde passer les particules d’eau et note leur vitesse. Euler a mis cette connaissance spatiale du champ de vitesse au centre de sa formulation de la mécanique des fluides. Les premières mesures directes de courant sur des mouillages de longue durée au point fixe ont démarré dans les années 1970. La difficulté est d’arriver à maintenir des appareils sur de longues durées. La clé du succès a été d’éviter de s’approcher trop près de la surface à cause des vagues et d’éliminer les problèmes de corrosion qui ne manquent pas d’arriver sur des mouillages qui vont rester plus d’un an en mer. On peut arriver à tendre une ligne entre le fond et environ 300 m de profondeur en combinant le lest et des bouées pour la flottabilité. Les déclics technologiques ont été d’utiliser des sphères en verre épais pour résister aux pressions élevées et des dispositifs de largage du mouillage recevant des ordres par transmission acoustique pour se séparer du lest un an ou plus après le déploiement. La première expérience d’envergure MODE a été organisée au large des Bermudes en 1973, mettant en œuvre une dizaine de ces mouillages de courantométrie pour cartographier les variations spatiales des courants tant sur la verticale que sur l’horizontale. La figure 1-4 montre un tel enregistrement de courants réalisé en 1979 lors de l’expérience Tourbillon dans le golfe de Gascogne (47 °N, 15 °O) au large de Brest. Les données ont été filtrées pour ne montrer que les signaux ayant des périodes supérieures à 5 jours. Le plus frappant est la découverte de courants variant sur des échelles de temps de 1 à 2 mois. Il y a ici une forte ressemblance des signaux sur la verticale mais noter le changement d’échelle entre les courants de surface et de fond de sorte que les courants transitoires vus ici sont fortement intensifiés dans le premier kilomètre. Lorsqu’on assemble les courants observés sur plusieurs mouillages à une même date, la forme d’un tourbillon de 100 km de diamètre environ apparaît sur la figure 1-5.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

 Figure 1-4  Les vecteurs courant sur environ 8 mois issus d’un mouillage de courantométrie à 47 °N et 15 °W lors de l’expérience Tourbillon (1979) dans l’Atlantique nord-est. Les tirets correspondent à 10 cm/s pour les profondeurs 400, 620, 840, 1 120, 1 460, 1 980 m et 5 cm/s pour les profondeurs 3 030 et 4 040 m. Chaque bâton indique le vecteur courant moyen de ce jour-là (le nord est vers le haut).

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1. Observations

 Figure 1-5  Courants (flèches) et pression (contour solide) sont étroitement liés par l’équilibre géostrophique. Ce tourbillon observé le 4 octobre 1979 a un diamètre d’environ 100 km (la boîte fait 200 km de côté). Les courants pénètrent jusqu’au fond, mais le centre du tourbillon se trouve légèrement à l’est du centre, à 700 m. En se déplaçant vers l’ouest, ce tourbillon anime les courants de la figure 1-4 de début septembre à la fin octobre (le mouillage de la figure 1-4 est situé au centre du carré de la figure 1-5). Source : Le Groupe Tourbillon (1983).

Ce tourbillon est intensifié en surface, mais laisse une trace à 4 000 m de fond. Il a été observé pendant deux mois et il se déplace lentement vers l’ouest. Lorsque l’on fait la moyenne temporelle des enregistrements de la figure 1-4, on s’aperçoit que les vitesses moyennes sont très faibles devant les transitoires. Ces tourbillons dits de méso-échelle ont complètement changé la façon d’appréhender l’océan. C’est durant ces années-là que l’idée d’une circulation océanique stationnaire, immuable, a fini par disparaître complètement. Question n° 8 : Pourquoi les tourbillons ont-ils cette taille ? D’où viennent-ils ? Sont-ils similaires partout ? Quel est leur rôle ? (voir section 3.6).

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

1.4

Les mesures satellitaires

Ces dernières ont démarré avec les premiers satellites équipés de capteurs infrarouges au milieu des années 1970. À partir du rayonnement reçu de la Terre, il est possible de retrouver la température à la surface des océans (SST pour Sea Surface Temperature). Ce sont les premières mesures qui ont permis d’avoir une vision globale de l’océan à un instant donné.

Figure 1-6 La température de surface de la mer (SST) vue par le satellite MODIS le 30 août 2010. Source : OceanDataLab.

La figure 1-6 montre une image instantanée du Gulf Stream au large de la côte américaine. Obtenir une température absolue est une étape de calibration difficile, mais la figure montre bien la grande sensibilité du capteur pour révéler les contrastes thermiques. Le front Nord du courant apparaît comme une vraie discontinuité de température ∆T ∼ 4 °C qui sépare des eaux froides au nord des eaux chaudes de la mer des Sargasses au sud. Des méandres et des tourbillons apparaissent. Ils ont un diamètre de l’ordre de deux degrés de latitude, soit 200 km. La photographie de la figure 1-7 simultanée avec la figure 1-6 montre le champ de chlorophylle. La chlorophylle est un pigment que le phytoplancton utilise pour capter le rayonnement solaire dont la matière vivante a besoin pour se développer.

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1. Observations

La concentration en chlorophylle est donc un indicateur de l’intensité de la production primaire du phytoplancton. Le Gulf Stream sépare des eaux pauvres au sud d’eaux plus riches au nord, voire très riches à la côte. Les tourbillons eux-mêmes au sud du Gulf Stream montrent une structure en chlorophylle plus riche au centre. La similarité entre les images des figures 1-6 et 1-7 montre tout de suite que la présence du phytoplancton est fortement structurée par l’hydrodynamique des tourbillons.

Figure 1-7 La concentration en chlorophylle vue par le satellite MODIS le 30 août 2010. Source : OceanDataLab.

La difficulté de la radiométrie infrarouge est la présence des nuages. L’image cidessous au sud du Cap de Bonne Espérance est un composite de plusieurs images infrarouge et micro-onde de façon à s’affranchir de ces problèmes de couverture nuageuse. Ces deux régions côtières d’eaux froides à l’ouest et chaudes à l’est du Cap de la figure 1-8 sont le résultat de processus très différents. Un simple transport d’eau chaude qui se trouve plus au nord par un courant de type bord Ouest (allant vers le sud) explique la situation à droite dans l’océan Indien. La situation de gauche est en revanche typique des processus d’upwelling, des langues d’eau froide observées sur les bords Est dans tous les océans entre 20o et 35o de latitude.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Figure 1-8 Sur cette image très riche, l’attention est attirée par la différence de SST que l’on voit de chaque côté de l’Afrique du Sud, une langue d’eau froide à gauche, une langue d’eau chaude à droite. Image combinée infrarouge et micro-onde du 14 avril 2011, produit Odyssea Ifremer fourni par ovl.oceandatalab.com

Question n° 9 : Quelle est la cause des langues d’eau froide sur les bords Est des régions subtropicales et des langues d’eau chaudes sur les bords Ouest ? (voir section 3.4). Au début des années 1980, sous l’impulsion de C. Wunsch de MIT, est apparue l’idée de mesurer les vitesses océaniques depuis l’espace grâce à la mesure de l’élévation de la surface de la mer depuis un satellite qui envoie un signal radar qui se réfléchit sur la surface de la mer et revient au satellite. Connaissant la vitesse de l’onde radar (la vitesse de la lumière), le temps d’aller-retour du signal radar donne le double de la hauteur. Le satellite étant positionné depuis la Terre par rapport à un ellipsoïde de référence, il est alors possible de connaître par différence l’élévation de la surface de la mer par rapport à cet ellipsoïde. Ainsi lorsque le satellite défile sur son orbite, l’altimètre enregistre donc le niveau de la mer sous cette orbite. Cela prend 10 jours et puis le satellite recommence sa trace. Ces mesures existent depuis 1992, date du lancement du satellite franco-américain Topex-Poseidon. Le signal est composé de creux et de bosses qui se manifestent au-dessus des tourbillons (figure 1-6) ou des grands courants océaniques (figure 1-2). Le niveau de la mer associé avec les

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1. Observations

courants océaniques de longue période (quelques semaines à quelques années) ne montre des variations que de quelques dizaines de centimètres sur quelques centaines de kilomètres, soit des pentes de l’ordre de 10–6. Le signal cherché de la circulation océanique se trouve donc perdu dans une multitude de variations hautes fréquences du niveau de la mer, vagues et marées, dont les amplitudes sont supérieures par plusieurs ordres de grandeur. Le filtrage pour parvenir au signal de la circulation océanique représente un accomplissement remarquable. On verra plus loin comment il est alors possible de déterminer des vitesses de courant à partir de ces variations de niveau de la mer via l’équilibre dit géostrophique. Exactement comme sur la figure 1-4, les vitesses altimétriques varient en permanence dans le temps. Les traces au sol de l’altimètre sont trop espacées pour révéler la forme des tourbillons des figures 1-5 ou 1-6, mais permettent d’observer les variations dans le temps puisque le satellite repasse au même endroit tous les 10 jours. Du coup la quantité intéressante est l’énergie cinétique 1/2 [variance(u) + variance(v)] des tourbillons de la figure 1-9 (voir Annexe 4).

 Figure 1-9  Cette carte donne en chaque point l’énergie cinétique en surface associée avec les tourbillons de méso-échelle dans l’océan. Source : Ollitrault à partir des données de Dibarbour et al. (2011).

Les valeurs dans le golfe de Gascogne montrent que l’expérience Tourbillon a été réalisée dans une zone de signaux faibles. Par contraste, les régions de bord Ouest voient des énergies cinétiques supérieures de deux ordres de grandeur. À mentionner

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

également la ceinture péri-Antarctique avec notamment la langue qui s’étend vers l’est dans l’océan Indien à partir de la pointe de l’Afrique du Sud, le sud de la Nouvelle-Zélande, le Passage de Drake et la zone Ouest Brésil autour de 45 °S. L’énergie cinétique des tourbillons de la figure 1-9 est très inhomogène spatialement. Nous avons déjà mentionné l’existence de courants de bord Ouest comme le Gulf-Stream ou le Kuro-Shio ou encore le courant antarctique circumpolaire (ACC, Antarctic Circumpolar Current). Ces mesures altimétriques nous apprennent que l’énergie des tourbillons coïncide avec l’existence de ces grands courants océaniques. Question n° 10 : Comment peut-on reconstruire les courants de surface à partir des hauteurs altimétriques ? (voir section 3.3). Question n° 11 : Y a-t-il un lien et si oui lequel entre les tourbillons de la figure 1-6, l’énergie cinétique turbulente de la figure 1-9 et les courants moyens de la figure 1-2 ? (voir section 3.6).

Figure 1-10 Sont ici représentées les hauteurs altimétriques issues du satellite TopexPoseidon dans un diagramme caractéristique longitude-temps (dit aussi de Hovmuller) à des latitudes de 21 oN en bas, 32 oN au milieu et 39 oN dans le Pacifique nord, calculées par Chelton et Schlax en 1996.

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1. Observations

Une autre facon de regarder les données altimétriques est de construire une carte longitude-temps faite à une latitude choisie (appelée diagramme de Hovmuller). Positionné sur un maximum (ou sur un minimum) de la figure 1-10, un observateur reste dessus s’il se déplace vers l’ouest au cours du temps. La pente des contours colorés donne alors directement la vitesse de propagation de ce maximum. Cette vitesse est forte aux basses latitudes et visiblement plus faible aux hautes. On peut aussi estimer à 21 °N la longueur d’onde (~30° de longitude) et la période (~250 jours) sur les deux axes dont le rapport donne la vitesse de propagation vers l’ouest de ces signaux ~14,5 cm s–1. Ce résultat eut un impact énorme car c’était un des exemples les plus clairs de l’existence des ondes de Rossby dans l’océan, un mode de variabilité de longue période, solution théorique des équations de la mécanique des fluides sur une sphère en rotation identifiée par Rossby dès 1939, premier accès aux explications des mouvements de longues périodes qui contiennent l’énergie, un article qui a ouvert la voie à l’étude dynamique de l’océan et de l’atmosphère. Question n° 12 : Quelle est l’origine de la propagation vers l’ouest des signaux de la figure 1-10 ? Peut-on expliquer pourquoi la vitesse de propagation est plus rapide aux basses latitudes qu’aux plus hautes latitudes ? (voir section 3.6).

1.5 Les flotteurs lagrangiens Le mot « lagrangien » signifie que l’on suit la trajectoire de chaque particule fluide, trajectoires qui reviennent au centre du jeu. Lagrange avait conceptualisé la mécanique des fluides à la Newton : les forces accélèrent les particules fluides et de l’accélération on remonte à la vitesse puis aux déplacements des particules. L’observation par flotteurs lagrangiens vient de l’idée simple qu’un objet immergé dont on arriverait à suivre la trace fournirait la trajectoire des particules d’eau scotchées à l’objet (en fait une moyenne sur un volume d’eau de l’ordre de la taille de l’objet). Les bouteilles à la mer font partie de cette catégorie mais leurs observations se bornent à donner un point de départ et un point d’arrivée. On ne sait pas où la bouteille est passée entre-temps ni le temps mis pour dériver qui dépend de la chance du promeneur qui la repère dès qu’elle s’échoue ou bien des mois plus tard. Elles sont probablement aussi sensibles au vent et aux vagues qu’aux courants. Certes le message est sans doute plus important que le voyage mais elles ont cependant le mérite de moyenner les mouvements de l’océan sur de grandes distances. Lorsque le positionnement satellitaire arrive (Argos puis GPS), tout change car la position de la bouteille est maintenant connue en détail en plein océan. Il s’agit de bouées dérivantes équipées d’une drogue (une voile) déployée en profondeur pour les rendre plus sensibles aux courants qu’aux vents. Avec quelques positionnements possibles par jour avec le système Argos, les vitesses sont obtenues facilement en divisant le déplacement par le temps entre deux positionnements. Avec beaucoup de bouées dérivantes sur les cinq à dix années de WOCE, la connaissance des courants de surface a bondi sous l’impulsion de P. Niiler, de Scripps (voir Niiler, 2001).

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Figure 1-11 La reconstruction de la circulation océanique moyenne en surface à partir des bouées dérivantes par Lumpkin et Johnson, 2013. Les courbes noires sont les lignes de courant. L’insert est un histogramme du module de la vitesse (vitesse en cm s–1 sur l’axe horizontal et nombre d’observations sur la verticale en milliers d’observations). L’échelle de couleur à droite donne le module de la vitesse en cm s–1. Données disponibles du Global Drifter Program sur : http://www.aoml.noaa.gov/envids/gld/index.php.

La figure 1-11 donne la moyenne des vitesses de toutes les bouées qui sont passées dans un petit carré de 1° × 1°. La donnée lagrangienne de départ a ainsi été transformée en donnée eulérienne. Notez la convergence des lignes de courant au centre des gyres subtropicaux (qui deviennent les poubelles du monde) et la divergence équatoriale, les fortes vitesses observées sur les bords Ouest, à l’équateur et dans l’ACC. On peut noter que l’intensité des courants moyens de surface vue sur cette figure semble assez bien corrélée avec l’énergie cinétique des tourbillons transitoires de la figure 1-9. Question n° 13 : Quelle est la cause des divergences-convergences moyennes observées sur la figure 1-11 au voisinage de 30° de latitude ? (voir section 3.4). Grosso modo les bouées de surface et donc les courants de surface ont l’air d’aller dans le sens du vent loin des bords, mais il y a des exceptions : dans les régions tropicales, le courant suit les alizés sauf qu’entre 5-10 °N, le courant va vers l’est contre les alizés dans le Pacifique et l’Atlantique. Cette anomalie, le contre-courant équatorial nord, est à l’origine des premières idées théoriques sur la circulation océanique. Question n° 14 : Quelle est la cause du contre-courant équatorial nord ? ou comment un courant de surface peut-il aller contre le vent ? (voir section 3.4) Des développements instrumentaux remarquables ont également permis de suivre des flotteurs en profondeur. Les radiations électromagnétiques ne pénètrent pas dans l’eau de mer qui est conductrice d’électricité (le sel NaCl est ionisé sous forme d’ions Na+ et Cl–). Se pose alors une fois de plus la question du positionnement. Tout est parti d’observations faites pendant la deuxième guerre mondiale qui montraient que le son se propageait très bien dans l’océan essentiellement à cause d’un guidage

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1. Observations

naturel par réfraction des ondes acoustiques dans le canal SOFAR (Sound Fixing and Ranging). La vitesse du son c (~1 500 m s–1) a la particularité d’augmenter avec la température et la pression. La température diminue en partant de la surface et donc c diminue. Mais au-delà de 800 m, la température ne varie plus beaucoup et l’effet de pression domine, et du coup c réaugmente avec la profondeur. Un minimum de c apparaît vers 1 500 m de profondeur qui piège les rayons acoustiques par réfraction. L’énergie acoustique émise par une source n’est plus atténuée géométriquement qu’en 1/d à une distance d de cette source (et non plus en 1/d2 – le cas à trois dimensions) et pour la même puissance d’émission, le signal peut être entendu beaucoup plus loin. Si on connaît l’heure d’émission t0 et de réception t1 d’un signal sonore, la distance entre une source et un récepteur peut être déduite avec d = c(t1-t0). Une difficulté supplémentaire est de bien connaître la vitesse du son c appropriée au rayon sonore qui relie source et récepteur, car elle peut varier entre 1 475 et 1 500 m s–1. Imaginons que le flotteur soit la source et que le bateau écoute avec un hydrophone. L’observateur calcule une première distance d1 au flotteur. Ensuite le bateau se déplace rapidement et fait une deuxième écoute et on obtient une deuxième distance d2. Si on fait l’hypothèse d’un déplacement lent du flotteur par rapport au bateau, le flotteur se trouve à l’intersection de deux cercles de rayons d1 et d2 centrés sur le flotteur. Évidemment deux positions sont possibles mais l’ambiguïté est levée par continuité avec la position précédente du flotteur. Cette méthode initiée par Swallow, 1955, s’est développée rapidement et les flotteurs SOFAR (émettant vers 200 Hz) ont été développés pour décrire la circulation océanique interne. Typiquement quelques dizaines de flotteurs portant une source acoustique ont été lâchés dans une région de 200 × 200 km2 et cinq stations d’écoute ont été mouillées à un millier de km autour de la zone pour récupérer les signaux émis par les flotteurs lors de l’expérience MODE au large des Bermudes (voir Rossby et al., 1975, Freeland et al. 1975). Nous l’avons utilisé plus tard dans l’Atlantique nordest (Ollitrault et Colin de Verdière, 2002). Comme le temps bateau est très coûteux et que les sources coûtent cher, le système s’est ensuite inversé avec des flotteurs dits RAFOS (voir Rossby et al., 1986) qui écoutent alors que les sources émettrices fixes sont posées sur le fond. Pour récupérer les données des temps de réception, les flotteurs RAFOS remontent en surface à la fin de leur vie pour transmettre le tout à un satellite. Toute cette technologie de positionnement acoustique repose sur le fait que les horloges de la source et du récepteur ne dérivent pas l’une par rapport à l’autre. Limiter les dérives des quartz à quelques secondes au bout d’un an d’immersion a été un des défis technologiques relevés notamment par la société Seascan de P. Tillier, rappelant les efforts de Harrison autour du chronomètre de marine, 200 ans plus tôt. Les trajectoires de ces flotteurs SOFAR vers 700 m de profondeur sur la figure 1-12 ressemblent à un paquet de spaghettis et illustrent mieux qu’un long discours la difficulté de l’océanographie. Les mouvements de ces flotteurs sont ceux associés aux tourbillons déjà mentionnés. Dans l’ensemble, les particules fluides semblent faire à peu près n’importe quoi dans le plan horizontal. Si on fixe un point et que l’on note les courants des flotteurs passés en ce point, on trouve une grande variabilité autour de la valeur moyenne. On peut parler de turbulence et on ajoute l’adjectif géostrophique pour une raison expliquée plus loin. L’énergie cinétique des courants

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

moyens faible devant l’énergie cinétique de la turbulence est la signature de l’océan des moyennes latitudes. La diversité des trajectoires est frappante. Le flotteur marron qui se déplace vers l’ouest de 60 °W à 70 oW, le long de 30 °N est certainement pris dans un tourbillon du style de celui de la figure 1-5 : le tourbillon est anticyclonique (il tourne dans le sens des aiguilles d’une montre) et se déplace aussi vers l’ouest en transportant de l’eau et donc le flotteur avec lui. Assez peu de flotteurs traversent la topographie (un noir et un vert) alors que de chaque côté la tache colorée diffuse. Le verbe diffuser n’est pas pris au hasard car la figure fait penser à de la diffusion moléculaire avec les trajectoires erratiques de molécules qui se cognent les unes aux autres. Chaque flotteur semble décrire une marche au hasard superposée à un déplacement faible par la circulation moyenne. Visiblement cette diffusion turbulente est beaucoup plus forte à l’ouest qu’à l’est de la dorsale et beaucoup plus forte aussi dans la direction zonale que méridienne. L’image turbulente de la figure 1-12 montre toute la complexité de l’océan réel avec l’essentiel de l’énergie cinétique accumulée dans cette turbulence de vitesse quadratique moyenne (écart type ou rms pour root mean square, voir Annexe 4) Urms = 10 à 20 cm s–1, d’échelle spatiale LE = 50 à 200 km et d’échelle temporelle TE = 10 jours à deux mois. L’idée d’un comportement déterministe de l’océan est alors à oublier. Et c’est ainsi partout aux moyennes latitudes.

Figure 1-12 Lors de l’expérience Topogulf des années 1980, deux paquets de 15 (11) flotteurs SOFAR ont été lâchés à l’ouest (est) de la dorsale médio atlantique vers 35 oN (chaque paquet est largué en une semaine environ) vers 700 m de profondeur (ils sont asservis pour rester à cette profondeur) et la figure montre les trajectoires de chaque flotteur par sa couleur sur une durée de 3-4 ans. Les flotteurs étaient positionnés toutes les 12 h. Le flotteur Noamp du coin Nord-Est a été lâché par là-bas. Source : Ollitrault-Colin de Verdière (2002).

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1. Observations

Question n° 15 : Pourquoi les flotteurs ont-ils du mal à franchir les obstacles topographiques ? (voir section 3.3) Question n° 16 : Quelle est l’origine de cette turbulence ? (voir section 3.6) Question n° 17 : Comment estimer le pouvoir diffusif de cette turbulence ? avec un coefficient de diffusion sans doute, mais comment l’estimer ? La question est importante car tous les traceurs physiques (T et S) et géochimiques (O2, CO2, nitrates, phosphates, silicates…) vont se disperser comme les flotteurs avec cette même diffusion turbulente (voir section 3.6). L’usage des flotteurs lagrangiens s’est beaucoup simplifié quand le positionnement acoustique quotidien a été abandonné (provisoirement au moins) au profit d’un positionnement satellitaire en surface tous les 10 jours, le flotteur Alace de Davis et al. (2001). Le flotteur Marvor développé à Ifremer (voir Ollitrault et al., 1994) combinait écoute acoustique et remontée en surface tous les six mois pour la transmission des données. Le positionnement acoustique fut ensuite abandonné au profit d’un positionnement satellite plus fréquent, le flotteur Provor. De fait le flotteur dérive à une profondeur de consigne (typiquement à 1 000 m) et remonte pendant quelques heures pour transmettre sa position à un satellite puis replonge pour un voyage de 10 jours en profondeur. Cette simplification s’est faite au prix d’une dégradation de l’échantillonnage de la trajectoire des particules d’eau : les détails sur les mouvements de périodes de moins de 10 jours permis avec l’acoustique sont perdus. Par contre le déplacement vectoriel moyen sur 10 jours est peu altéré par rapport à celui d’un flotteur acoustique. Ces flotteurs Alace ou Provor ont été conçus pour déterminer la circulation océanique moyenne impossible à observer avec un réseau de mouillages eulériens. La logistique est moins coûteuse et les traitements de données plus simples. En fait l’objectif principal de ces flotteurs lorsqu’ils ont été mis à l’eau dans le cadre du Argo Float Program était d’être également équipés de capteurs de température et salinité (comme ceux des sondes CTD sur câble) permettant d’échantillonner toute la colonne d’eau à chaque remontée du flotteur. Au final, les flotteurs Argo mesurent aujourd’hui la vitesse à 1 000 m, la température et la salinité de 2 000 m à la surface. Le volume de données ainsi collectées depuis 2005 par le programme Argo est impressionnant (voir http://www.argo.net). La circulation de la figure 1-2 a été construite avec ce type de données. Un exemple de déplacements de flotteurs Argo dans le gyre subpolaire est donné sur la figure suivante. Sur la figure du haut, le Gulf Stream est quasiment invisible dans le champ des trajectoires lagrangiennes qui révèlent surtout le chaos de la turbulence de mésoéchelle. Quand on moyenne les déplacements des flotteurs dans des boîtes de 100 km × 100 km, le Gulf Stream réapparaît clairement à 1 000 m de profondeur jusque vers 45 °O. Au-delà on voit plutôt une bifurcation vers le nord, mais si on regarde les données complètes en haut on voit qu’il n’y a pas beaucoup de données au milieu de l’Atlantique entre 45o-55 °N. Au sud et au nord du Gulf-Stream, des recirculations vers l’est apparaissent (en bleu). Notez aussi le flot très laminaire qui suit les contours de la dorsale de Reykjavik, une autre illustration de la mauvaise volonté des courants à franchir des obstacles. Le jet côtier qui tourne autour du Groenland et en mer du Labrador est à souligner. Mais clairement encore à 1 000 m le phénomène majeur reste le Gulf-Stream et tout s’organise autour de lui.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Figure 1-13 En haut : les positions tous les 10 jours des flotteurs profileurs Argo, vers 1 050 m de profondeur (entre 950 et 1 150 dbar), dans l’Atlantique Nnord, entre 2000 et 2008. Chaque flotteur a sa couleur. La turbulence géostrophique est bien présente. En bas : une moyenne des déplacements par boîtes de 100 km par 100 km restitue la circulation générale (moyenne sur plusieurs mois, en rouge vers l’est, en bleu vers l’ouest), Source : Ollitrault - Rannou.

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1. Observations

Question n° 18 : Quelle est la cause des recirculations vers l’est au nord et au sud du Gulf Stream ? (voir section 3.6) Question n° 19 : Jusqu’à quelle profondeur le Gulf-Stream pénètre-t-il ? (voir section 3.3) Les flotteurs Argo ont également révélé une circulation équatoriale particulièrement riche en profondeur.

 Figure 1-14   Ici sont reportées les vitesses zonales moyennées dans des carrés de 100 km × 100 km dans le Pacifique. Les couleurs roses (bleues) indiquent un mouvement vers l’est (ouest). Seuls les carrés avec plus de 90 jours de données sont représentés (les zones restées blanches n’ont pas assez de données). Source : Ollitrault-Colin de Verdière (2014).

Si on reconnaît sur la figure 1-14 l’ACC encore bien présent à 1 000 m, particulièrement frappante autour de l’équateur est cette série de jets équatoriaux alternativement vers l’est et vers l’ouest mis en lumière par les flotteurs Argo entre 15 °S et 15 °N. Ces jets ont une grande cohérence zonale et ils ont l’air plus intenses près de l’équateur. Ces jets sont encore visibles dans l’Atlantique mais plus vraiment dans l’océan Indien.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Question n° 20 : Quelle est l’origine de ces jets équatoriaux visibles vers 1 000 m ? (voir section 3.8) Historiquement cette question sur les courants équatoriaux en profondeur a été précédée par une autre concernant le sous-courant équatorial identifié par Buchanan en 1886 à l’aide de lignes de pêche suffisamment immergées révélant un courant vers l’est en dessous de 100 m de profondeur. Il fut observé plus clairement dans le Pacifique par Cromwell, Montgomery et Stroup (1954) à l’aide de bouées dérivantes droguées suffisamment profond (∼100 m). Cent ans d’histoire et de découvertes autour du sous-courant sont résumés dans McPhaden (1986). Le courant qui porte à l’est est centré à l’équateur, situé entre 50 et 250 m de profondeur sur une largeur de 200 km. Il est présent sur toute la largeur du Pacifique. Ce sous-courant existe dans les deux autres océans bien que de façon plus sporadique dans l’Indien. Dans les années 1980, des mesures directes de ce courant ont été rendues possibles par des profileurs de courant, les flotteurs Pegasus qui plongent et enregistrent les vitesses en fonction de la profondeur. Les flotteurs descendent doucement sur la verticale et sont positionnés de façon acoustique par un réseau de sources sur le fond. Leur déplacement horizontal permet alors de remonter à un profil de courant en fonction de la profondeur. Le réseau acoustique a été revisité souvent pendant un an durant l’expérience Hawaii to Tahiti Shuttle Experiment permettant d’obtenir une section du sous-courant moyen de haute qualité, Lukas et Firing (1984). Depuis sont apparus les profileurs de courant à effets Doppler que l’on peut déployer sur mouillages fixes, mais qui équipent aussi les navires océanographiques. L’appareil émet un signal acoustique qui est rétrodiffusé par les particules solides présentes dans l’eau. Mais si la particule a une vitesse relative par rapport à l’émetteur, la fréquence du signal change (l’effet Doppler). Une mesure de cette fréquence permet alors de déterminer la vitesse (le principe physique est le même que celui des radars routiers).

Figure 1-15 À gauche, les courants zonaux sont représentés en fonction de la latitude et de la profondeur à la longitude de 140 oO au centre du Pacifique. À droite, les courants zonaux à l’équateur sont montrés en fonction de la longitude et de la profondeur. Les zones grisées (blanches) indiquent des courants vers l’est (l’ouest). Source : Johnson et al. (2002).

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1. Observations

Sur la figure 1-15 apparaît à gauche le noyau de vitesse vers l’est du sous-courant centré à l’équateur qui atteint des valeurs de l’ordre du mètre par seconde. Plus au nord (6 à 8 oN) apparaît le contre-courant équatorial nord déjà mentionné sur la figure 1-9. La figure 1-15 à droite montre comment le sous-courant accélère vers l’est sur toute la largeur du Pacifique tout en remontant vers la surface de 200 à 100 m. Question n° 21 : Quelle est la cause de ce remarquable sous-courant équatorial ? (voir section 3.4)

1.6 Les marégraphes On aurait dû peut-être commencer par eux car la mesure du niveau de la mer depuis les côtes est une pratique qui existe depuis longtemps. Les séries de hauteur obtenues par les marégraphes comptent parmi les séries temporelles les plus longues de l’océanographie (on peut remonter dans certains ports à près de deux siècles en arrière). L’objectif de la mesure était pratique puisque la variation du niveau de la mer dans les ports causée par les marées contrôle les heures d’accès des navires selon leur tirant d’eau. Très tôt on a essayé de prédire ces heures de pleine mer et basse mer (PM et BM). Voici ce que l’on peut observer sur le marégraphe de l’arsenal militaire du port de Brest sur le premier mois de l’année 2015.

 Figure 1-16  Cette figure donne les hauteurs du marégraphe de Brest toutes les heures sur les 30 premiers jours de l’année 2015. On a reporté sur la figure les heures de nouvelle lune (cercle rouge vide) et de pleine lune (cercle rouge plein) c’està-dire quand Terre, Lune et Soleil sont plus ou moins alignés. Les données proviennent du Service hydrographique de la Marine http://data.shom.fr ref.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Si l’on compte bien les pics, on note qu’il y a typiquement deux maxima (pleine mer, PM) et deux minima (basse mer, BM) par 24 heures (un peu plus de 24 heures en fait, car la période de la marée lunaire nommée M2 est de 12 h 25 min). Mais il y a aussi sur la figure 1-16 une modulation de plus longue période de l’ordre de 15 jours (2 bosses apparaissent sur les 30 jours). Cette modulation est clairement rythmée par l’alternance de pleine lune et de nouvelle lune indiquée sur la figure. Si les habitants des côtes Atlantique ont observé cela il y a plus de 2 000 ans, l’explication du lien entre la position des astres et les marées par l’existence de forces agissant à distance (sans contacts entre les objets) est relativement récente, le milieu du xviie siècle illuminé par Newton qui, ce faisant, élabore la première théorie océanographique. Les modèles de marée ont atteint aujourd’hui un niveau de précision remarquable sur l’océan mondial grâce aussi aux observations altimétriques. Le courant de ces marées est uniforme sur la profondeur sauf lorsque ce courant passe sur un mont sous-marin, où des oscillations de marée dites internes apparaissent quand l’océan est stratifié en densité. Ces marées internes font également osciller les densités, parfois assez fort pour les mélanger. Et on pense que ce mélange est une des clés pour réguler la lente circulation thermohaline de grande échelle. Donc l’histoire des marées n’est certainement pas close. Question n° 22 : Quelle est la cause des marées ? Pourquoi d’ailleurs peut-on les prédire si facilement ? (voir section 3.2)

 Figure 1-17  Le niveau de la mer moyenné sur le mois est celui du marégraphe Callao 2 (près de Lima au Pérou) en 12,05 oS et 77,1 oO. Un cycle annuel est bien visible d’amplitude de l’ordre de 10 cm mais il est ponctué d’événements anormaux en 1983 et 1997 avec une montée considérable du niveau de la mer de l’ordre de 30 cm. Les données mensuelles et annuelles de tous les ports du monde sont disponibles sur le site http://www.psmsl.org

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1. Observations

Mais les marégraphes font bien plus qu’enregistrer les marées. Les hauteurs de la mer dans les ports montrent des variations sur des échelles de temps beaucoup plus longues. Regardons sur la figure 1-17 les données du port de Callao au Pérou moyennées sur le mois plutôt que sur l’heure : on voit dans tout le Pacifique tropical des événements surprenants qui varient sur des échelles de 1 à 3 ans. Les deux pics (très similaires entre eux) de 1983 et 1997 sont la signature d’un phénomène appelé ENSO (El Nino - Southern Oscillation) qui est une instabilité du système océan-atmosphère du Pacifique tropical dont les conséquences climatiques sont globales. Dans les années 1960, on a commencé à comprendre pourquoi le Pacifique (océan et atmosphère) pouvait sortir de sa torpeur habituelle. Question n° 23 : Quelle est la cause des pics ENSO sur la figure 1-17 ? (Voir 4.7). Comme les observations les plus longues sont celles des marégraphes, ils fournissent aujourd’hui des séries temporelles uniques sur l’évolution du niveau de la mer sur les deux derniers siècles (voir figure 1-18).

 Figure 1-18  Les niveaux de la mer moyennés sur l’année à Brest (en haut) et San Francisco (en bas) sont présentés sur les deux derniers siècles. Les hauteurs de la courbe du bas ont été abaissées de 17 cm pour que le dessin final soit lisible. Les droites en pointillé sont les tendances sur le dernier siècle. Les données de tous les ports du monde sont disponibles sur le site www.psmsl.org

Bien que situés dans deux océans de dynamique très différente, les niveaux de la mer à Brest et San Francisco ont une évolution très comparable sur le dernier siècle. Depuis environ 1900, leur niveau monte et par un ajustement au sens des moindres carrés (voir Annexe 4), on peut évaluer cette tendance (similaire dans les deux ports) à 1,8 mm/an (les droites en pointillé rouge). Sur ces longues périodes, le marégraphe

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

lui-même peut bouger car la croûte terrestre continue de rebondir en réponse à la diminution du poids des calottes polaires commencée il y a environ 10 000 ans à la fin du dernier cycle glaciaire. On peut suivre aujourd’hui ce rebond post-glaciaire par positionnement GPS du marégraphe et corriger le niveau de la mer de cet effet. Comme un fluide chauffé se dilate, cette figure fait immédiatement penser au réchauffement climatique dont tout le monde parle. Mais loin de toutes discussions, voilà un signal bien réel dont l’extension géographique semble globale et que tout le monde peut vérifier facilement avec les données disponibles du Permanent Sea level Laboratory à Plymouth. Ce signal est une preuve difficilement attaquable du réchauffement global de l’océan. Cette illustration permet d’associer dynamique du Climat et dynamique de l’océan, l’objet de la quatrième partie (Tome 2). Question n° 24 : Quelle est la cause ultime de cette remontée du niveau de la mer depuis le début du vingtième siècle ? (voir section 4.6)

1.7

Les mesures chimiques

Comme l’évolution du climat est aussi abordée dans ce livre, la dernière figure que l’on doit montrer dans cette introduction est l’enregistrement célèbre du dioxyde de carbone (CO2) de l’observatoire du volcan Mauna Loa, à Hawaï, publié par Keeling et al. en 1976.

Figure 1-19 Cette figure est le premier enregistrement du dioxyde de carbone CO2 dans l’atmosphère à l’observatoire de Mauna Loa à Hawaï par Keeling et al. en 1976. Unité : fraction molaire par rapport à l’air sec en ppm (partie par million).

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1. Observations

Un cycle saisonnier marqué apparaît sur la figure ainsi qu’une croissance positive du CO2 sur les 14 ans de mesure. Les auteurs concluent leur papier : « the observed long term trend of rising CO2, appears clearly to be in response to increasing amounts of industrial CO2, in the air on a global scale » soit, la tendance à long terme de cette croissance du CO2 apparaît clairement comme la réponse sur une échelle globale aux quantités croissantes de CO2 d’origine industrielle dans l’air…  On peut dire que cette figure a contribué largement au tournant majeur de la recherche sur le climat pour se poser la question des conséquences de cette croissance sur le climat de la Terre. Question n° 25 : Pourquoi avoir mis en parallèle ces deux enregistrements, le niveau de la mer de la figure 1-18 et le CO2 de la figure 1-19 ? Y a-t-il un lien de cause à effet entre la croissance des signaux des deux courbes ? (voir section 4.6) La réponse à cette simple question est l’objet d’une partie conséquente de la quatrième partie (tome 2) qui traite plus généralement de la dynamique du climat en insistant plus particulièrement sur le rôle de l’océan, car c’est là que les inconnues sont les plus grandes et c’est de là aussi que viendront les surprises.

Conclusion Tout ce que l’on sait de l’océan provient des observations qui jouent donc le rôle central dans cette science. On est passé en un siècle d’informations de température et salinité sur quelques sections hydrologiques transocéaniques isolées dans le temps (tous les 10 à 20 ans) à des réseaux de mesures beaucoup plus denses, l’altimétrie spatiale (depuis 1992) pour les couches de surface et les flotteurs Argo (depuis 2005) pour les couches plus profondes. Une grande part de cette science a consisté à trouver des méthodes pour remonter aux variables qui ne sont pas directement observables dont un exemple spectaculaire fut l’obtention des vitesses à partir des mesures de température – salinité des sections hydrographiques. Comme on le verra, on peut obtenir de cette façon les vitesses en un point mais à une constante près seulement, la valeur de la vitesse à un niveau dit de référence que les dérives de flotteurs Argo nous permettent de trouver aujourd’hui. Depuis la mise en orbite de l’altimètre de Topex-Poséidon en 1992, la hauteur de la surface libre est connue globalement avec une répétitivité de 10 jours et avec la continuité des altimètres (Jason 1, Jason 2), vingt-cinq ans de données sont disponibles aujourd’hui. Connaître de façon globale la surface de la mer tous les 10 jours a été une révolution majeure pour l’océanographie car on a ainsi pu voir le temps de l’océan, les creux et les bosses de la surface de la mer jouant le rôle des anticyclones et des dépressions des cartes météo des journaux télévisés, la seule différence finalement étant la taille des tourbillons, 100 km dans l’océan, 1 000 km dans l’atmosphère. S’est alors immédiatement posée la question de la prédiction. Pour connaître l’état de l’océan demain ou après-demain, la deuxième loi de Newton demande la

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

connaissance en chaque point du globe des trois composantes de la vitesse, de la pression, de la température, de la salinité et de la densité (et des flux avec l’atmosphère). Certes toutes ces variables ne sont pas observées, mais la dynamique (et le calcul derrière) permet de reconstruire beaucoup de choses à partir des hauteurs satellitaires. Comme l’atmosphère, l’océan se trouve dans un régime turbulent (chaotique) et donc l’horizon de prévision est toujours limité, mais connaître l’état présent et l’état probable de l’océan sur les dix ou quinze jours suivants est déjà une réelle performance. On a essayé ici de montrer l’information révélée par chaque type d’instruments dont la nature a entraîné à chaque fois des remises en cause sur l’idée que l’on avait de la circulation. Certes les observations vont toujours être la clé des progrès en Océanographie mais à une seule condition parfois oubliée devant des impératifs de disponibilité des données en temps réel : les observations doivent être de la plus haute qualité possible. Cette exigence devient de plus en plus pressante quand il s’agit de détecter le petit signal des effets du réchauffement climatique au milieu d’une variabilité naturelle puissante. Des erreurs sur les observations peuvent avoir des effets néfastes considérables. Un exemple célèbre est l’erreur sur la distance Terre-Lune qui a conduit Newton à retarder de 25 ans la publication de sa théorie de la gravitation. Une erreur dans une théorie, un calcul ou un modèle sera toujours naturellement corrigée par les gens qui re-feront les calculs. En revanche il est plus difficile de détecter une observation erronée et de l’enlever d’une climatologie. Qui plus est, cette observation ne pourra jamais être refaite puisque l’océan change tout le temps.

Lectures additionnelles Le choix des observations montrées ici est succinct et forcément personnel, mais d’autres observations seront montrées dans les chapitres suivants. Emery, W. J., R. E. Thompson, 2004, Data analysis methods in physical oceanography, Elsevier. Livre très complet de niveau avancé sur les instruments et les méthodes de traitement de données. Fieux, M., 2010, L’Océan planétaire, Les Presses de l’ENSTA, 421 pages. Ce livre donne une description très complète de tous les océans en insistant sur la distribution des propriétés et la circulation générale (la moyenne temporelle). Stewart, R., 2008, Introduction to Physical Oceanography, Department of Oceanography, Texas AM University. Livre de niveau plus avancé : les trois premiers chapitres traitent des observations et fournissent un complément très intéressant, disponible sur Internet.

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1. Observations

Sverdrup, H. U., M. W. Johnson, R. H. Fleming, 1942, The Oceans : their Physics, Chemistry and general Biology, Prentice-Hall. Le Sverdrup est la bible de l’océanographie de l’après-guerre qui couvre tous les aspects de l’océanographie, ce que l’on est bien incapable de faire aujourd’hui. Il contient entre autres une très bonne description de la circulation océanique grande échelle (les tourbillons n’avaient pas été découverts), de l’analyse des masses d’eaux, de la méthode géostrophique et des marées. Talley, L., G. L. Pickard, W. J. Emery, J. H. Swift, 2011, Descriptive Physical Oceanography, 6th edition, Academic Press. L’objectif et le niveau d’exposition sont assez semblables au livre de M. Fieux avec une addition sur la dynamique océanique de base.

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2 Mécanique des fluides adaptée à l’océan

L’objectif de cette partie est de découvrir l’origine des équations de la mécanique des fluides, utilisées en Océanographie et Météorologie, appelées équations primitives, qui sont nécessaires pour expliquer la façon dont les mouvements sont organisés ou encore pour les calculer dans un modèle numérique. Il peut être bénéfique au cours de la lecture de cette partie de se référer à l’Annexe 1 qui rappelle le Calculus nécessaire pour parler Physique. Les troisième et quatrième parties feront usage de ce contenu pour répondre aux questions posées. Le lecteur peut aussi aller directement à ces parties explicatives et ne revenir aux annexes que si besoin. La grande nouveauté est de prendre en compte l’effet de la rotation de la Terre. Celle-ci est complètement négligeable pour la mécanique des fluides de tous les jours, pour l’eau qui circule dans les canalisations, pour le liquide dans une casserole chauffée, pour les vagues qui déferlent sur la plage, pour l’air sur une aile d’avion ou encore pour le sillage d’un navire. Mais pour les mouvements de grande échelle de l’océan et de l’atmosphère, c’est-à-dire au-delà de quelques dizaines ou centaines de kilomètres respectivement, la rotation de la Terre devient omniprésente et donne naissance à une nouvelle mécanique des fluides qui n’a vraiment plus rien à voir avec celle du quotidien. On peut aller plus loin et dire que la rotation de la Terre est elle-même responsable de l’existence des grandes échelles des circulations observées. L’effet de la rotation de la Terre est assez subtil à prendre en compte et il a fallu attendre Laplace à la fin du xviiie siècle pour indiquer comment l’exprimer concrètement au travers d’une nouvelle force appelée aujourd’hui force de Coriolis. L’approximation géostrophique introduite dans la troisième partie est la pierre angulaire sur laquelle repose notre approche de l’océan car elle permet de reconstruire

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

beaucoup d’éléments de la circulation océanique à partir des observations. Mais cette dominance de la géostrophie est aussi un handicap car si on la suit strictement, le fluide ne peut plus ni accélérer ni freiner ! Pour y remédier et expliquer un fait majeur comme l’intensification à l’ouest des courants océaniques, l’usage du microscope vorticité va se révéler indispensable. La vorticité est une mesure de la rotation propre d’un élément de fluide et elle peut s’échanger facilement avec la vorticité de la planète (celle due à sa propre rotation). La combinaison de la géostrophie et de la vorticité par Rossby, Charney et Eady pour arriver à bâtir le modèle quasi géostrophique constitue sans doute une des plus grandes découvertes du xxe siècle fournissant le cadre conceptuel pour expliquer les circulations océan-atmosphère des moyennes latitudes. Le sentier vorticité est délicat mais il est impossible de l’éviter si l’on veut franchir certains cols.

2.1 Les forces L’atmosphère, épaisse de quinze lieues, dilatable jusqu’à trente, a été pesée par Galilée, équilibrée avec le mercure par Toricelli, l’inventeur du baromètre, mesurée du haut de la tour Saint-Jacques par Pascal, décomposée par Lavoisier. On en est là. Victor Hugo La première chose à faire est d’identifier les forces à l’œuvre dans l’océan, le poids bien sûr, mais aussi d’autres forces de contact fluide-fluide qui dépendent de la nature moléculaire de la matière, forces de type pression ou viscosité. Historiquement, la notion la plus importante, celle de pression, vient de l’atmosphère. Une fois les forces identifiées, si leur somme ne fait pas zéro, la deuxième loi de Newton donne les accélérations et il suffit juste d’intégrer dans le temps pour avoir les vitesses puis encore une fois pour avoir les positions des particules d’eau. Les forces, accélérations et vitesses sont des vecteurs (déterminés par un module et une direction) indiqués en caractères gras dans la suite (voir Annexe A1.1).

2.1.1

La force de gravité

L’accélération de gravité peut être considérée comme constante dans l’océan g = 9,81 m s–2, de sorte que le poids d’un petit morceau de fluide de masse m est simplement Poids = mg, avec Poids et g deux vecteurs dirigés vers le centre de la Terre. Si ce petit morceau de fluide a un volume V, on introduit la masse volumique ρ = m/V et le poids devient Poids = ρg V. Comme on va écrire la deuxième loi de Newton pour un volume de fluide, la force par unité de volume est donc : Poids/V = ρ g

2-1-1

Alors que le poids de ce morceau de fluide reste constant, la force par unité de volume peut varier quand la densité diminue (eau chaude, peu salée) ou quand elle augmente (eau froide, plus salée).

44

2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

2.1.2

La force de pression

A

B

 Figure 2-1-1  Considérons le petit morceau de fluide (le cube hachuré). Les forces de pression appliquées en A et B sont perpendiculaires aux surfaces.

Le fluide présent à gauche de A exerce une force dirigée comme sur le dessin vers l’intérieur du morceau de fluide. On parle de compression (les liquides ne supportent que ça). Cette force est perpendiculaire à la surface du bloc de fluide et la pression dénote la force par unité de surface. Supposons que le fluide à droite de B exerce une force (pression) plus petite que la force exercée en A. On voit que le bloc AB subit une force nette vers la droite dirigée des hautes pressions (présentes à gauche de A) vers les basses pressions (présentes à droite de B). En réponse à cette force, le bloc de fluide accélère vers la droite. On conclut que la force exercée sur le cube est due à la différence des pressions en A et B. Si les deux flèches ont même longueur, le bloc est en équilibre et la pression p est constante, p(A) = p(B). C’est le cas par exemple dans un bocal d’eau au repos : la pression est constante sur une surface horizontale. La pression se mesure en pascal : 1 pascal = 1 newton par mètre carré.

2.1.3

Forces de pression et de gravité

Combinons maintenant les forces de pression et le poids. Lorsque l’océan est au repos, la somme de toutes les forces appliquées sur un volume de fluide de forme quelconque doit être nulle. Prenons cependant un volume particulier sous la forme d’un cylindre (en pointillé) de section arbitraire dont les parois sont verticales (parallèles à g) et traçons les forces de pression qui s’appliquent toujours perpendiculairement aux surfaces de ce cylindre (figure 2-1-2). L’équilibre des forces dans la direction verticale (orientée vers le haut) donne : +p2 A – mg –p1A = 0 avec A l’aire de la base du cylindre et m la masse du cylindre. Mais la masse m est reliée à la masse volumique ρ et au volume V du cylindre. Puisque V = Ah avec h la hauteur du cylindre, m = ρ A h et ainsi : p2 = p1 + ρ g h

2-1-2

45

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

1

2

 Figure 2-1-2  Dans la direction verticale, la force de pression (en noir) au niveau 2 doit équilibrer le poids du cylindre vers le bas et la force de pression au niveau 1. Dans la direction horizontale, les forces de pression (en gris) normales à la surface du cylindre ont un module constant.

La pression augmente linéairement vers le bas avec la hauteur h du cylindre : c’est la relation hydrostatique. Maintenant la force de pression en un point est exactement la même dans toutes les directions. Ainsi sur la figure 2-1-2 au niveau 1 les flèches horizontales (en gris) ont exactement la même longueur que la flèche noire et idem au niveau 2. Sur la surface latérale du cylindre, les forces horizontales augmentent aussi linéairement vers le bas. Dans un plan horizontal, à un niveau quelconque, les forces de pression sont disposées ainsi :

Comme toutes ces forces de pression passent par le centre du cercle et ont même module, leur somme (vectorielle) est nulle et aucune accélération horizontale n’apparaît. L’équation 2-1-2, la relation hydrostatique, est l’une des plus importantes en océanographie et en météorologie, car elle reste valable même si les fluides sont en mouvement pourvu que la taille horizontale des structures en mouvement soit grande devant l’épaisseur verticale du fluide. L’océan a une profondeur moyenne de 3,8 km et l’essentiel de l’atmosphère à considérer pour le climat occupe la troposphère,

46

2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

une tranche d’épaisseur de 10 à 15 km. Circulation générale océanique et tourbillons océaniques, les marées, les jet-streams et les dépressions atmosphériques appartiennent à cette catégorie de mouvements dits hydrostatiques pour lesquels l’équation 2-1-2 reste valable. En revanche la pression n’est plus hydrostatique pour les vagues à la surface de la mer ou les nuages, car leur taille horizontale est juste trop petite. Maintenant attention, la densité ρ varie sur la verticale de sorte qu’il faut prendre des précautions et n’appliquer 2-1-2 que sur des tranches de fluide de petite épaisseur où ρ peut être considérée comme à peu près constante. On assemble ensuite les différents morceaux en utilisant le fait que la pression est une variable continue (les sauts de pression en un même point ne sont physiquement pas possibles, car ils impliqueraient des accélérations infinies). La relation 2-1-2 permet de voir tout de suite ce qu’est la pression atmosphérique puis d’estimer la masse de l’atmosphère.

1 h

2

pATM

pATM

 Figure 2-1-3  On renverse un tube plein d’eau la tête en bas sur un bac d’eau : le tube se vide un peu mais le niveau se stabilise en 1.

Dans cette expérience, la partie haute du tube se vide et donc p1 ≈ 0 (enfin presque, il reste juste un peu de vapeur d’eau). La relation hydrostatique prédit la pression au niveau 2 dans le tube (la force de pression est selon la flèche noire vers le haut) : p2 ≈ r g h. Mais cette pression est constante dans le plan horizontal et donc exactement la même au même niveau à l’extérieur du tube à l’interface aireau où la pression est justement la pression atmosphérique, ainsi pATM ≈  ρ g h. On sait que pATM ≈ 1 bar = 105 pascal, ρ = 103 kg/m3 et g = 9,81 m/s2 et donc h ≈ 10,2 m. La colonne d’un tel baromètre à eau atteint la dizaine de mètres. C’est la raison pour laquelle on choisit un fluide beaucoup plus dense comme le mercure, ρ = 13,4 103 kg/m3, et la colonne ne fait plus alors que 76 cm. Maintenant comme la pression est nulle dans l’espace (lorsqu’on sort de l’atmosphère), l’origine de la pression atmosphérique devient limpide : exactement comme pour le tube de la figure, la pression au sol équilibre le poids de l’atmosphère sur l’élément de surface A et donc : pATMA = Mg. On obtient alors directement la masse totale de l’atmosphère en prenant pour A la surface de la sphère terrestre : M = pATM 4pRT2/g

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Avec RT (≈ 6 400 km) le rayon de la Terre, on trouve M = 5,2 1018 kg, assez proche d’une valeur plus correcte M = 5,3 1018 kg. On a négligé ici la forme sphérique des isobares (les surfaces iso-pression). L’atmosphère est en mouvement bien sûr et la pression atmosphérique varie localement. Mais le point remarquable est que la relation hydrostatique reste une très bonne approximation pour les structures de grande échelle : la variation de pression en un point de la surface terrestre donne alors juste la variation de la masse d’air au-dessus de la tête de l’observateur. Dans le secteur chaud (froid) d’une dépression classique, l’air est léger (lourd) et la pression donc basse (haute). La gravité n’intervient dans la dynamique de l’océan que pour trois raisons : 1) quand la pression atmosphérique varie ; 2) quand la surface libre change de hauteur, car alors la pression va changer sur l’horizontale et le fluide accélérer ; et 3) quand la densité varie dans l’intérieur. La première cause ne produit pas de mouvements significatifs dans l’océan et une large place est donnée à la deuxième un peu plus loin. Intéressons-nous à la troisième. Sur la figure 1-3, la densité varie rapidement sur la verticale (sur une échelle H de quelques centaines de mètres), mais beaucoup plus lentement sur l’horizontale (typiquement sur une échelle L de quelques dizaines ou milliers de km). Comme H/L 0, dz une des solutions de 2-1-3 est amplifiée exponentiellement dans le temps indiquant que la particule continue à monter : la situation est donc instable quand la densité augmente vers le haut. Sur la figure 1-3, l’océan est stratifié stablement, le fluide léger (lourd) est en haut (bas). Un cas instable ne peut être que temporaire : le fluide léger va monter, le lourd descendra et tout finira par se ré-ordonner avec un N2 positif. Dans les 1 000 premiers mètres, la période associée 2π/N est de l’ordre de la dizaine de minutes, mais elle peut atteindre plusieurs heures au fond de l’océan relativement peu stratifié. La fréquence de Brunt-Väisälä est un paramètre important pour la circulation océanique. Cet exemple montre la possibilité d’oscillations internes qui dépendent entièrement de la stratification et bien sûr de la gravité. Elles ont des échelles de temps courtes par rapport aux échelles de temps de la circulation générale et des tourbillons et cette introduction ne les abordera pas.

Cette quantité N est la fréquence dite de Brunt-Väisälä. Si au contraire

49

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

2.1.4

Forces liées à la viscosité du fluide

Lorsqu’un fluide est en mouvement, d’autres forces de contact apparaissent dont l’origine vient de la viscosité du fluide, elle-même causée par les mouvements moléculaires : z

x

U, initialement

U plus tard

 Figure 2-1-5   La couche de fluide grise est en mouvement vers la droite avec une vitesse U constante au-dessus d’une couche au repos (blanche). Le dessin de droite quelques instants plus tard montre comment le mouvement moléculaire lisse les variations de la vitesse entre la couche supérieure et la couche inférieure.

Au départ le profil de vitesse macroscopique (moyennée sur les vitesses de milliards de molécules qui composent l’élément de fluide) est en noir. Des molécules grises rapides passent de façon aléatoire dans la couche du bas et des molécules blanches lentes vont passer dans la couche du haut. Au bout de quelque temps, ce profil de vitesses devient le profil à droite. La vitesse de la couche du bas augmente, celle de la couche du dessus diminue. De la quantité de mouvement « masse fois vitesse » a donc été transférée du haut vers le bas par cet échange moléculaire. Ce transfert de quantité de mouvement dirigé des fortes vitesses vers les faibles est une force par unité de surface appelée tension (stress) que l’on écrit :

τx = µ

du 2-1-4 dz

où τx est la tension dans la direction x, une force par unité de surface (ici la surface perpendiculaire à cette feuille), µ le coefficient de viscosité du fluide et u la vitesse. Cette forme fut proposée par Newton, d’où l’appellation de fluide newtonien lorsque cette loi s’applique (ce qui est le cas pour l’air et l’eau). Supposons maintenant que le profil de vitesse soit donné par la courbe noire.

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2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

z z+dz x z

 Figure 2-1-6  On considère un petit volume de fluide (blanc) en mouvement d’épaisseur dz, coincé entre un fluide gris clair qui va plus vite en haut et un fluide gris foncé qui va moins vite en bas. Il est donc accéléré en haut et décéléré en bas.

L’objectif est de déterminer la force nette qui s’exerce sur le volume de fluide (en blanc) compris entre z et z + dz. Le fluide gris clair (en haut) en z + dz exerce une force (en gris) qui accélère le fluide blanc vers les x > 0. Maintenant en z (en bas) le fluide gris foncé moins rapide va ralentir le fluide blanc et la force exercée par le fluide gris foncé sur le fluide blanc est donc dans le sens des x négatifs (en gris). La force nette exercée par ses voisins sur le fluide blanc va donc être τx(z + dz) – τx(z). Exactement comme pour la pression, l’accélération du fluide blanc dépend de la différence des forces entre la surface du haut et celle du bas. Si cette différence est du est alors la même en z et z + dz et le nulle, il y a équilibre. Dans ce cas, la dérivée dz profil de vitesse est alors linéaire en z (proportionnel à z, ce qui est à peu près le cas sur le dessin). On peut dire aussi que l’effet de la diffusion moléculaire aura atteint un équilibre lorsque le profil de vitesse sera linéaire en z. Si ce n’est pas le cas, la force par unité de volume s’écrira :

τx (z + dz ) − τx (z ) dτx d 2u ≈ = µ 2 2-1-5 dz dz dz

en utilisant 2-1-4. La force nette sur le volume de fluide d’épaisseur dz dépend de la dérivée seconde du champ de vitesse, et c’est une source de difficultés importantes dans les équations complètes de la mécanique des fluides (dites de Navier-Stokes).

 Figure 2-1-7  Un profil de vitesse en noir existe à la paroi. Quelle force (en gris) et quelle vitesse à une frontière solide ?

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

À une paroi solide la vitesse du fluide parallèle à la paroi est nulle, une conclusion atteinte après beaucoup de discussions au xixe siècle. On dit que le fluide colle à la paroi. Maintenant la force exercée par le fluide sur le mur est toujours donnée par 2-1-4 et la force exercée par le mur sur le fluide (en gris sur le dessin) est égale et opposée (3e loi de Newton ou principe d’action-réaction). Pour la connaître, le du profil de vitesse au voisinage du mur est donc nécessaire. La vitesse varie très dz rapidement au voisinage d’une paroi dans une région appelée couche limite, car les fluides air et eau sont très peu visqueux. Le fait que le coefficient de viscosité µ soit faible ne veut pas dire que la force de frottement exercée par la frontière soit faible. du est grand car c’est le produit des deux qui intervient Elle peut être très grande si dz dans 2-1-4. La détermination de la force de frottement visqueux sur une frontière solide reste une difficulté considérable en mécanique des fluides. La surface air-mer est encore plus complexe, car elle se déforme facilement et les vagues apparaissent. En tout cas le vent met l’eau en mouvement à la surface des océans par des forces du type 2-1-4. Si faible soit-elle, la nature visqueuse de l’eau reste importante près des frontières, une source de difficultés en océanographie.

2.1.5

Forces liées à la rotation de la Terre

La deuxième loi de Newton ne s’applique que dans des référentiels inertiels : le mouvement d’un objet est toujours observé à partir d’un autre objet, un corps pris comme référence et lorsque celui-ci n’a pas d’accélération, il constitue un référentiel inertiel pour lequel on peut appliquer la deuxième loin de Newton. La Terre tourne et un objet qui tourne, a certes une vitesse constante sur un cercle, mais possède quand même une accélération, donc la Terre n’est pas un référentiel inertiel et on ne peut pas appliquer la deuxième loi de Newton. L’objet de ce paragraphe est de trouver les modifications qu’il faut introduire pour étudier le mouvement sur une Terre en rotation.

(i) La composante statique Considérons sur la figure 2-1-8 un objet qui tourne à vitesse constante sur un cercle de rayon r.

A

V

 Figure 2-1-8  Le vecteur vitesse V (en trait fin) est tangent à la trajectoire alors que l’accélération A en trait épais est dirigée vers le centre du cercle, une accélération centripète.

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2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

Si la vitesse v sur le cercle est constante, on se dit que l’accélération qui mesure la variation de vitesse sur un intervalle de temps doit être nulle. C’est oublier que la direction du vecteur vitesse change en permanence de direction sur le cercle (il est représenté tous les quarts de tours sur la figure). C’est donc ce changement de direction qui crée l’accélération, centripète (dirigée vers le centre du cercle), de module |a| = v2/r (une relation découverte par Newton qui lui a permis de calculer la valeur de la gravité terrestre g au niveau de l’orbite quasi circulaire de la Lune). Si l’objet tourne en rond, comme une voiture sur un rond-point, la deuxième loi de Newton affirme qu’il faut une force pour créer cette accélération centripète, car sans elle on va tout droit, la ligne pointillée sur la figure. La première loi (celle de Galilée) dit, en effet, qu’un objet sans interaction avec ses voisins, donc sans forces, se déplace à vecteur vitesse uniforme, donc en ligne droite et ici on sort du cercle. Ce sont les objets en contact avec nous (siège, volant) qui sont responsables de cette force qui nous pousse vers le centre du rond-point. Pour la voiture elle-même, la force de frottement solide due au contact entre les pneus et la route crée la rotation. Appliquons ceci pour la Terre.

R C

P

r θ ϕ

H

G

 Figure 2-1-9  Considérons la Terre qui fait environ un tour en 24 h. La Terre tourne autour de l’axe des pôles. La position d’un point P est entièrement déterminée par la distance CP = r au centre de la Terre, la longitude ϕ et la latitude  θ. On projette P sur le plan équatorial en H. Le point G dénote le méridien de Greenwich et la longitude ϕ est l’angle entre CH et CG. La latitude θ est l’angle entre CP et CH. Comme la Terre est en rotation solide, les points de la Terre décrivent tous des cercles (parallèles au plan équatorial) de plus en plus petits quand on se rapproche des pôles. Ces cercles ont un rayon R (= r cosθ).

Un point P à la surface de la Terre décrit un cercle dans un plan parallèle au plan équatorial de rayon R (= r cosθ) en un jour (période T ~24 h). La vitesse du point P à la surface de la Terre est donc 2πR/T avec T la période de rotation et R la distance à l’axe de rotation. Plutôt que la période on utilise la vitesse angulaire Ω, la

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

variation de l’angle ϕ, la longitude, divisée par l’intervalle de temps ∆t, c’est-à-dire Ω = ∆ϕ/∆t = 2π/T, une constante. Ainsi la vitesse d’un point P quelconque varie-t-elle en fonction de sa distance à l’axe de rotation comme v = ΩR = Ω r.cosq, avec Ω = 7,292 10–5 rad s–1. Examinons maintenant à l’aide de la figure 2-1-10 les forces qui permettent cette rotation pour un objet quelconque au repos sur la Terre. Aux pôles (les points N ou S), R = 0 et vitesse et accélération sont nulles. À l’équateur (en E), la vitesse de l’objet est maximale v = Ω r = 467 m s–1 (si r = 6 400 km). Comme cette vitesse change de direction en permanence, une accélération centripète apparaît v2/r = Ω2 r = 3,4 10–2 m s–2. Il faut donc une force centripète sinon vous partez dans l’espace en ligne droite à 467 m s–1 comme sur la figure 2-1-8.

N

P C E

S

 Figure 2-1-10  Cette figure explique pourquoi la Terre ne peut pas rester sphérique en présence de rotation. Ce qui permet de ne pas être éjecté dans l’espace quand on lit ce texte. Le poids est en gris foncé, la réaction du sol en pointillé noir et la somme des deux en gris clair. Cette somme est dans la direction de l’accélération.

Aux pôles, la Terre ne tourne pas et la réaction du sol RN est égale et opposée au poids mg. À l’équateur, la rotation est la plus importante : les deux forces sur l’observateur, le poids vers C (gris foncé) et la réaction RN du sol (pointillé noir) ont des directions opposées. La deuxième loi projetée dans la direction du vecteur EC donne la réponse : m g – RN = m Ω2 r. Ainsi la réaction du sol est-elle RN = m (g – Ω2 r), et tout se passe donc comme si la gravité à l’équateur valait un peu moins qu’au pôle gE = g – Ω2 r, ce qui reste une petite correction (0,35 %). Maintenant à une latitude intermédiaire (le point P sur la figure), la situation est plus compliquée. Le poids est toujours dirigé vers C, mais la force centripète (gris clair) doit être dirigée vers l’axe de rotation. Pour comprendre ce qui va se passer, il faut encore écrire la deuxième loi sous sa forme vectorielle : m g + RN = m Ω2R

54

2-1-6

2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

La somme des deux vecteurs à gauche est selon la diagonale du parallélogramme construit sur mg et RN et cette diagonale doit être dans la direction du vecteur R, perpendiculaire à l’axe de rotation et vers cet axe. On voit tout de suite que la réaction du sol RN ne peut plus être dirigée selon le vecteur gravité g pour que la somme des deux fabrique l’accélération centripète correcte. Comme la réaction du sol pour un objet au repos sur la Terre est perpendiculaire à la surface de contact, on en déduit que la surface de la Terre en P doit être selon le segment de la figure 2-1-10 et non plus sur la tangente à la sphère avec une immense conséquence : sous l’influence de sa propre rotation, la Terre ne peut plus garder une forme sphérique. Pendant les 4 milliards d’années de son existence, elle s’est lentement déformée pour qu’en chaque point l’équilibre 2-1-6 soit finalement garanti. Elle s’est aplatie aux pôles et renflée à l’équateur.

N rP rE

S

 Figure 2-1-11  La forme de la Terre déformée par la rotation ressemble à cela : le rayon équatorial rE (= 6 378 km) est plus grand de 21 km que le rayon polaire rP (= 6 357 km).

À la suite de Newton, de nombreux mathématiciens (Clairault, MacLaurin) ont raffiné l’équation mathématique de la forme de la Terre. Les premières expéditions de Maupertuis ont confirmé que le mille nautique (la distance à la surface de la Terre correspondant à une minute d’arc de latitude) variait conformément à la théorie. Ce qui fit dire à Voltaire : vous êtes allés dans des lieux plein d’ennui confirmer ce que Newton conçut sans sortir de chez lui. Le commentaire est piquant, reste que toutes les idées théoriques doivent être agréées par le juge suprême, les observations, aussi pénibles soient-elles à réaliser. À cause de la distribution inégale des masses à l’intérieur de la Terre, la forme de la Terre montre en plus des creux et des bosses de l’ordre de quelques centaines de mètres sur la verticale et la détermination de cette forme à toujours plus haute résolution de la forme de la Terre et donc de la gravité continue d’être l’objet de recherches importantes. La surface océanique au repos est appelée géoïde. Les mouvements de l’océan créent des variations de hauteur autour de ce géoïde. Les hauteurs de l’océan

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

mesurées depuis l’espace par des satellites altimétriques doivent ainsi être corrigées des hauteurs du géoïde pour accéder aux courants. En revanche les modèles océaniques sont tous construits à une très bonne approximation avec une Terre sphérique et une gravité constante 9,81 m s–2 (valeur moyenne au niveau de la mer).

(ii) La composante dynamique : la force de Coriolis (ou mieux Laplace-Coriolis) Y a-t-il d’autres effets de la rotation terrestre que l’effet statique ci-dessus ? Que se passe-t-il en particulier pour un objet en mouvement ? Les effets très importants qui apparaissent sont assez complexes à présenter alors que leur cause est pourtant très simple : il s’agit simplement d’un changement de référentiel comme expliqué par la figure 2-1-12.

 Figure 2-1-12  Supprimons la gravité et imaginons une particule qui part du pôle Nord avec une vitesse horizontale U = 1 m s–1. Comme elle n’est soumise à aucune force, l’observateur dans un référentiel inertiel la voit continuer sa route en ligne droite à vitesse constante dans l’espace. Elle part de l’origine x = 0, y = 0 et sa position est indiquée par les ronds toutes les 2 heures. Maintenant le terrien qui tourne à la vitesse angulaire de la Terre, voit la même particule sur une trajectoire très différente (les carrés également toutes les 2 heures).

Une particule libre (qui n’est soumise à aucune force) part du pôle Nord en ligne droite à vitesse constante pour un observateur dans un référentiel inertiel (sans accélération). Pour l’observateur immobile sur la Terre, la particule est déviée sur sa droite et a complètement rebroussé chemin au bout de 12 heures pour se retrouver une

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2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

quarantaine de kilomètres de l’autre côté du point de départ. L’effet de la rotation de la Terre sur un corps en mouvement semble donc très important. Pour le comprendre, il est nécessaire de savoir comment soustraire deux vecteurs (Annexe A1.1). Considérons le diagramme des vitesses de la figure 2-1-13.

VT

VA

VR

VT VR VA

 Figure 2-1-13  À une certaine distance du pôle Nord, un point sur la Terre tourne avec les vitesses VT indiquées par les flèches noires. La particule libre qui vient du pôle Nord se déplace en ligne droite avec la vitesse VA en pointillé. En revanche, pour un observateur terrestre, la particule part vers la droite avec la vitesse VR en gris clair. Le schéma de droite indique comment trouver VR.

Lorsque la particule se déplace avec la vitesse constante VA, un observateur sur la Terre se déplace avec la vitesse VT. Pour trouver la vitesse relative VR de la particule vue par cet observateur terrestre, on utilise l’addition des vecteurs : V A = VT + VR et donc : VR = VT − V A La construction graphique sur la droite de la figure 2-1-13 montre cette soustraction pour expliquer la direction du vecteur VR sur la droite de VA. Plus la particule s’éloigne du pôle, plus la vitesse de rotation de la Terre VT est grande et plus la déviation est importante. Les déplacements de la particule sur la figure 2-1-12 ne sont que la somme des déplacements élémentaires de la particule VR ∆t sur chaque intervalle de temps ∆t. Si la particule se déplace sur la sorte de spirale de la figure 2-1-12, cela signifie qu’elle a une accélération et donc que des forces nouvelles apparaissent dans le repère en rotation : la deuxième loi de Newton qui ne s’applique que dans des référentiels inertiels doit donc être modifiée. Comme on connaît la trajectoire sur la figure 2-1-12, il suffit de dériver les positions deux fois par rapport au temps pour obtenir l’accélération

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

de la particule (voir Annexe A1.2). Cette accélération se compose de deux termes : l’un est le terme statique vu plus haut qui existe toujours et tout se passe pour un terrien comme si une force dite centrifuge –m Ω2R (égale et opposée à la force centripète) poussait la particule (de masse m) vers l’extérieur proportionnellement à sa distance à l’axe de rotation. On a déjà discuté de ce terme que l’on a incorporé dans la gravité. On voit sur la figure 2-1-12 qu’il y a aussi un deuxième terme qui dévie systématiquement la particule vers la droite. Quand le calcul est effectué, apparaît la force de Coriolis perpendiculaire au vecteur vitesse V et sur la droite de celui-ci. Son module est 2Ω|V| avec |V| le module du vecteur vitesse. V

Vecteur rotation Ω Force de Coriolis

 Figure 2-1-14  La figure montre un aspect supplémentaire : le petit cercle (la pointe d’une flèche) indique la direction du vecteur rotation W (vers le lecteur). Il est défini par son module W (la vitesse angulaire), sa direction perpendiculaire au plan dans lequel s’effectue la rotation (ici la page) et son sens (le pouce de la main droite le long de W, vers le lecteur, les doigts de la main droite s’enroulent dans la direction de la rotation en gris). Si la vitesse V de la particule initialement dans le plan de la page (perpendiculaire au vecteur rotation W) y reste, cela signifie que la force de Coriolis n’a pas d’accélération dans la direction W. La spirale de la figure 2-1-12 s’effectue alors dans le plan perpendiculaire au vecteur rotation.

La figure 2-1-14 explique la définition du vecteur rotation W.  L’opération « produit vectoriel » rappelée dans l’Annexe A1.1 est notée x et elle généralise la force de Coriolis au cas où V n’est pas perpendiculaire au vecteur rotation : FC /m= − 2 W x V

2-1-7

La force de Coriolis (ici par unité de masse) est un vecteur perpendiculaire à V, perpendiculaire à W, de module 2Ω |V| |sin α| avec α l’angle entre les vecteurs W et V (α = 90o dans le cas de la figure 2-1-14). De la figure on déduit son sens tel que la main droite orientée le long de V, la paume tournée vers W, le pouce donne la direction de la force de Coriolis FC. Comme la force de Coriolis est à droite du déplacement, aucun travail et donc aucune variation d’énergie cinétique ne lui sont associés. Reste maintenant à calculer la force de Coriolis pour une particule d’eau dont la vitesse  V est connue par ses composantes (u, v, w) dans le repère terrestre de

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2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

la figure 2-1-9 c’est-à-dire avec u la composante zonale du vecteur vitesse V dans la direction ouest-est des longitudes croissantes, v sa composante méridienne dans la direction sud-nord des latitudes croissantes (–90o au pôle Sud, 90o au pôle Nord) et w sa composante verticale dans la direction verticale ascendante (les positions radiales croissantes). Dans ce repère le vecteur 2W a pour composantes (0, 2Ω cosθ, 2Ω sinθ). La définition du produit vectoriel en annexe permet le calcul de FC avec les composantes des deux vecteurs V et 2W, mais on va présenter le résultat en regardant le problème sous l’angle physique. Supposons que la particule fluide ait une vitesse zonale u vers l’est aux moyennes latitudes : elle tourne donc un peu plus vite que la Terre qui a une vitesse ΩR et sa vitesse pour un observateur inertiel est alors (u + ΩR). Lorsque la particule se déplace sur le cercle de rayon R, l’accélération centripète dirigée vers l’axe de rotation est donc : (u + ΩR )2 u2 n =  Ω2R + 2Ωu +  n R R  avec n le vecteur unitaire centripète. Le premier terme à droite est le terme statique déjà considéré. C’est le deuxième qui est intéressant ici. Sa projection dans la direction sud-nord donne le terme 2Ωu sinθ, car le vecteur n fait un angle π/2-θ avec la surface de la Terre. Si on le passe du côté des forces, on voit qu’apparaît immédiatement la composante méridienne de la force de Coriolis (par unité de masse) – 2Ωu sinθ. Il y a aussi une composante verticale, mais on a déjà dit que la relation hydrostatique était une très bonne approximation et donc on la néglige. Il en est de même du dernier terme à droite qui est très petit par rapport aux autres pour les vitesses océaniques. Si maintenant on considère une particule se déplaçant vers le nord avec une vitesse méridienne v, on peut deviner que va apparaître une force de Coriolis dans la direction zonale, +2Ωv sinθ. Cette forme garantit en effet que le travail de la force de Coriolis soit nul et donc que l’approximation faite conserve l’énergie. La forme générale 2-1-7 de la force de Coriolis est donc approchée pour les mouvements océan - atmosphère de grande échelle par le produit vectoriel : FC /m= − 2Ω sinθ k x V= − f k x V

2-1-8

avec f le paramètre de Coriolis = 2Ω sinθ et k le vecteur unitaire dirigé selon la verticale ascendante. Les composantes zonale (vers l’est) et méridienne (vers le nord) de la force 2-1-8 sont : FC zonale/m = +f v FC méridienne/m = −f u Il n’y a plus de force de Coriolis causée par les mouvements verticaux, car tout se passe maintenant comme si le fluide tournait autour de la verticale locale k avec une vitesse angulaire locale Ω sinθ.

59

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

θ

 Figure 2-1-15  Pour les mouvements de grande échelle, on s’aperçoit que ce n’est pas le vecteur rotation W (en noir) qui est important mais sa projection sur la verticale locale (en gris) Ω sinθ k avec k le vecteur unitaire vertical (vers le haut).

La figure 2-1-15 montre plusieurs propriétés de la force de Coriolis entièrement dictées par cette projection du vecteur rotation W sur la verticale locale. Cette projection dépend de la latitude : elle vaut +Ω au pôle Nord, 0 à l’équateur et –Ω au pôle Sud. Dans l’hémisphère sud, la composante de la rotation sur la verticale devient négative. Du coup le sens de la force de Coriolis change par rapport à l’hémisphère nord. Évidemment la rotation de la Terre est toujours la même et le sens de la force de Coriolis donnée par 2-1-7 ne dépend pas de l’hémisphère. C’est simplement l’orientation du repère local choisi (la verticale vers l’extérieur, le vecteur unitaire k) qui change lorsque l’on passe du nord au sud dans 2-1-8. Cette forme approchée 2-1-8 de la force de Coriolis est l’un des éléments clés pour répondre à certaines des questions recensées précédemment. Disons encore que cette approximation n’est valable que pour les mouvements d’échelle horizontale grande par rapport à l’échelle verticale (la profondeur) : on parle de l’approximation du fluide mince tout à fait appropriée pour l’océan et l’atmosphère. La question suivante est de réaliser pourquoi cette force de Coriolis joue un rôle si important. Pour cela on va la comparer à l’accélération typique d’une particule fluide observée dans l’océan. La procédure de comparaison des ordres de grandeur de deux termes s’appelle faire un scaling (voir Annexe A1.6). Imaginons que le courant varie sur une échelle L. On veut dire par là que la vitesse passe de 0 à sa valeur maximale U sur la distance L. Par exemple, au cœur du Gulf Stream, la vitesse maximale est de 1 m s–1 et nulle à 50 km de là, on prendra donc comme échelle de vitesse U = 1 m s–1 et comme échelle de longueur L = 50 103 m (le tout en unités M.K.S). Imaginons une particule fluide migrant du bord au centre du Gulf Stream. Elle augmente sa vitesse de U dans un temps T de l’ordre de L/U de sorte que son accélération propre est de l’ordre de U/T = U2/L. Voilà comment on va estimer l’accélération propre des particules fluides que l’on va pouvoir comparer directement

60

2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

aux accélérations de Coriolis d’ordre f U d’après 2-1-8 en faisant le rapport U2/L sur fU, ce qui définit le nombre de Rossby R0 (sans dimension), R0 = U/fL. Accélération de Coriolis fk × V

Accélération relative U2

fU

L R0 =

U fL

1

Ainsi on peut penser que le terme de Coriolis va dominer la dynamique si le nombre de Rossby R0 est très petit devant 1. Le tableau ci-dessous donne quelques valeurs de R0 pour des écoulements variés (en prenant f = 10–4 s–1 d’une latitude moyenne) : U [m s–1]

L

R0

Vidange d’une baignoire

0,1

0,5 m

2 105

Aile d’avion

100

10 m

105

Tornade atmosphérique

50

500 m

103

Nuages

10

[130] km

[3 102]

Dépressions latitudes tempérées

10

500 km

0,2

Tourbillons océaniques, Gulf Stream

0,5

50 km

0,1

Circulation océanique intérieure

10–2

500 km

2 10–4

Pour des flots d’échelle inférieure au km, on conclut que la force de Coriolis est négligeable et qu’en dépit d’affirmations contraires que l’on peut encore lire ici ou là, le sens de rotation du tourbillon de vidange des lavabos ou des baignoires ne peut pas lui être imputé car R0 est juste beaucoup trop grand. En revanche, il ne sera plus possible de négliger la rotation de la Terre pour des échelles horizontales de 10 km dans l’océan ou de 100 km dans l’atmosphère et elle va dominer complètement la dynamique aux grandes échelles de 500 km ou plus dans l’atmosphère et dans l’océan. Ce n’est pas tant dû au fait que la vitesse diminue lorsqu’on passe des baignoires au Gulf Stream ou des ailes d’avions aux dépressions atmosphériques, car la force de Coriolis est du même ordre pour les deux. C’est l’échelle horizontale, la taille des structures, qui joue et donc le fait que l’accélération relative U2/L devient très, très petite pour la grande taille des écoulements qui régissent le climat de la Terre. Il faut introduire une mesure complémentaire de la rotation terrestre pour les ondes océaniques. En effet l’échelle de temps à considérer n’est plus l’échelle de temps advective T = L/U, mais la période de l’onde. Celle-ci peut être imposée par un forçage extérieur, le cas des marées ou par la physique de la propagation des ondes qui prédit la vitesse c de propagation. La période est alors T = λ/c, avec λ la longueur

61

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

d’onde. L’accélération de l’ordre de U/T est alors comparée aux accélérations de Coriolis fU par un nombre de Rossby temporel R0T = 1/fT ou encore R0T = ω/f avec ω la fréquence de l’onde. Ainsi R0T est O(1) pour les marées, mais devient très petit pour les ondes de Rossby… Maintenant on peut refaire l’expérience de la figure 2-1-12, mais cette fois pour une particule d’eau assujettie à rester sur la surface de l’océan. On suppose que la pression est constante sur cette surface et que la viscosité est négligeable de sorte que la seule force à considérer est cette force de Coriolis 2-1-8. V

Force de Coriolis

 Figure 2-1-16  La particule a une vitesse horizontale V à un instant t = 0 (dans une direction quelconque) et la pression ne varie pas sur cette surface. La seule force est alors la force de Coriolis 2-1-8 qui agit sur la droite de la vitesse et la trajectoire est donc un cercle.

Le module de V est constant et on voit sur le dessin que la force de Coriolis joue le rôle d’une force centripète. Si on suppose que f ne varie pas trop, la force centripète a un module constant et crée une accélération centripète V2/rI. La deuxième loi de Newton dans la direction radiale donne : m V2/rI = m f V Cet équilibre montre que la trajectoire de la particule est effectivement un cercle, appelé cercle d’inertie de rayon rI = V/f. Si on prend V = 1 m s–1 et f = 10–4s–1, rI = 10 km. Le mouvement est périodique et la période T = 2π rI/V = 2π/f ≈ 12h/sinθ s’appelle la période d’inertie (la fréquence correspondante f est la fréquence d’inertie). Ce cercle est décrit dans un sens bien particulier, le sens anticyclonique, le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord (f > 0) et le sens inverse dans l’hémisphère sud (f  . < C > = 0
= ∂x ∂x

Puis on injecte 2-3-7 dans 2-3-6 et on prend la moyenne afin d’obtenir l’équation qui gouverne les mouvements résolus par le modèle : ∂ ∂ ∂ ∂ + + + = ∂t ∂x ∂y ∂z  ∂2 < C > ∂2 < C > ∂2 < C >  = kC  + + 2 ∂z 2  ∂y 2  ∂x ∂ < u′C′ > ∂ < v′C′ > ∂ < w′C′ > suite... − − − ∂x ∂y ∂z Le terme de diffusion moléculaire est négligeable car son nombre de Péclet est immense. Il reste seulement :



78

< u > ∆x kC

∂ ∂ ∂ ∂ + + + = ∂t ∂x ∂y ∂z 2-3-8 ∂ < u′C′ > ∂ < v′C′ > ∂ < w′C′ > − =− − ∂z ∂x ∂y

2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

À cause des produits présents dans le terme d’advection (les termes non linéaires), la moyenne des produits des termes oubliés (sous la grille) n’est pas nulle. Donc si on veut dire quelque chose sur l’évolution du modèle, il faut connaître ces produits de quantités oubliées de la forme dont on voulait justement se débarrasser ! Cette décomposition due à Reynolds dit que l’équation 2-3-8 n’est pas fermée – on parle du problème de la fermeture des équations du mouvement lorsqu’on a affaire à un écoulement turbulent qui s’étale sur une grande étendue d’échelles spatiales. On a discuté ici de l’équation du traceur, car elle est plus simple, mais la même difficulté apparaît pour les équations de quantité de mouvement. Il s’est ouvert depuis 50 ans toute une discussion sur la valeur à donner aux produits dans un modèle numérique pour sortir de cette impasse. L’idée de base est que l’on doit arriver à mélanger le traceur (l’étape du mixing) lorsque les échelles du flot atteignent l’échelle de la grille. Si on ne fait pas cela, aucun équilibre ne pourra être atteint dans le modèle. Une idée efficace est d’incorporer une loi de diffusion en choisissant des coefficients de diffusion turbulents qui n’ont plus rien à voir avec le kC moléculaire. À cause de l’échelle horizontale très grande par rapport à l’échelle verticale de la circulation, on traite différemment les termes horizontaux et verticaux et on fait donc l’hypothèse suivante :



∂ < u′C′ > = −K H ∂x ∂ < v′C′ > = −K H 2-3-9 ∂y ∂ < w′C′ > = −K V ∂z

On dit que les flux turbulents de la forme sont opposés au gradient moyen exactement comme pour la diffusion moléculaire : les coefficients KH, KV sont les coefficients de diffusion turbulents supposés positifs. Si 2-3-9 est injecté dans 2-3-8, il apparaît une équation d’advection-diffusion du type 2-3-6 pour les variables résolues du modèle (on laisse maintenant tomber les crochets qui ont joué leur rôle) :

 ∂ 2C ∂ 2C  ∂C ∂C ∂C ∂C ∂ 2C +u +v +w = K H  2 + 2  + K V 2 2-3-10 ∂t ∂x ∂y ∂z ∂y  ∂z  ∂x

Reste à déterminer les valeurs des KH et KV : les mesures des flux turbulents et l’usage direct de 2-3-9 sont rarement praticables et on verra dans la partie 3 comment les observations peuvent aider à mettre des bornes sur les valeurs de ces coefficients. Cette situation due à la résolution spatiale limitée est la cause principale de l’incertitude des modèles numériques d’océan (et de climat) et cette incertitude est là pour longtemps. Si on réduit la taille de la grille ∆x, l’emprise du flot inconnu sous la grille est réduite, ce qui doit améliorer les choses. Mais deux problèmes surgissent : les modèles deviennent très gourmands en temps de calcul et l’analyse des solutions devient aussi plus complexe du simple fait de l’augmentation du nombre de points de grille. Le lecteur qui veut aller plus loin sur ce problème central du stirring et du mixing pourra lire la revue de Muller et Garrett (2002).

79

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

2.4 La deuxième loi de Newton pour le mouvement

des fluides

La deuxième loi de Newton est assez compliquée à écrire pour un fluide. Elle n’est incluse ici que pour montrer ce que doit résoudre un modèle numérique d’océan devenu un outil de recherche important. La deuxième loi dit simplement que force égale masse × accélération, force et accélération étant des vecteurs. On sait écrire les forces, reste à écrire l’accélération. Si on suit une particule, l’accélération est simplement la dérivée seconde du déplacement, l’approche dite de Lagrange. Mais au vu de la complexité des trajectoires (voir figures 1-12 et 1-13), le suivi des particules paraît complexe, et on ne procède pas ainsi dans les modèles de mécanique des fluides. Dans la formulation alternative dite d’Euler, la variable fondamentale n’est plus la position des particules mais la vitesse en des points fixes x et à chaque instant t, soit V(x, t). Pour connaître l’accélération d’une particule fluide, il faut faire pour chaque composante de la vitesse (u, v, w) ce que l’on a fait en 2-3-1 pour la salinité. L’opérateur dérivée matérielle D/Dt dans 2-3-1 appliqué à chacune des composantes du vecteur vitesse fournit l’accélération de la particule fluide : Du ∂u ∂u ∂u ∂u = +u +v +w ∂x ∂y ∂z Dt ∂t ∂v ∂v ∂v Dv ∂v ay = = +u +v +w ∂z ∂x ∂y Dt ∂t ax =

avec une expression similaire pour l’accélération selon z mais qui est négligée pour les équations primitives. Clairement l’accélération est un opérateur complexe à cause des produits de vitesse et de dérivées de vitesse qui apparaissent. Une des causes de l’origine de la turbulence se trouve là.

2.4.1

Les équations primitives

Les équations primitives sur le plan β cartésien s’écrivent alors :



80

∂p Du − ρfv = − + frottement (a ) ∂x Dt ∂p Dv Composante vers le nord : ρ + ρfu = − + frottement (b) Dt ∂y ∂p Composante verticale : 0 = − − ρg (c) 2-4-1 ∂z ∂u ∂v ∂w + + = 0 (d) Conservation du volume : ∂x ∂y ∂z Composante vers l′est :

ρ

Équation d′état :

ρ = F(T, S, p) (e)

2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

Ces équations primitives sont celles que les modèles numériques d’océan résolvent, mais en coordonnées sphériques. Si on connaît température et salinité via les équations du type 2-3-10 à un instant t, l’équation d’état (e) permet de calculer la densité. Ensuite il reste 4 inconnues à déterminer u, v, w et p et 4 équations, donc a priori le compte est bon. La relation hydrostatique (e) permet de calculer p. On connaît alors le gradient de pression dans (a) et (b) et donc on connaît l’accélération qu’il suffit d’intégrer en temps pour trouver les vitesses u et v au pas de temps t + ∆t (voir Annexe 1). Ensuite la vitesse verticale w est déterminée à partir de la continuité (d). Avec les nouvelles vitesses V(x, t + ∆t), on peut calculer T et S au pas de temps suivant t + ∆t avec 2-3-10 et on recommence. Il y a deux complexités dans ces équations, le terme de frottement et celui d’accélération qui fait intervenir des produits de dérivées de vitesse. Ce frottement dans 2-4-1 (a) et (b) représente la perte de quantité de mouvement par diffusion et inclut des termes du type 2-3-10. Il faut choisir le coefficient de diffusion, la viscosité turbulente, pour représenter au mieux les échelles du mouvement que le modèle numérique ne voit pas à cause de sa résolution spatiale finie, un problème de choix physique sur les échelles à inclure et celles à paramétriser déjà rencontré au § 2.3.4 pour les traceurs. L’estimation de l’accélération bénéficie d’amélioration continue des schémas numériques et de la résolution. En effet pour calculer ∂u/∂x, on ne peut pas faire l’opération « limite ∆u/∆x lorsque ∆x → 0 » qui sert à la définition de la dérivée. On approche la dérivée au point x par une différence finie sur la grille du modèle du type : ∂u u(x + ∆x ) − u(x − ∆x ) ≈ ∂x 2∆x La course entre différents modèles numériques est une course au plus petit ∆x, car plus petit il sera et meilleure sera la représentation des dérivées et donc des différents termes de 2-4-1. En même temps, le coût calcul augmente rapidement avec le nombre N de points de grille. Si L est la taille du bassin océanique (un cube de côté L pour simplifier), alors : N=

( ∆Lx ) . 3

Qui plus est, la stabilité des schémas numériques nécessite de réduire le pas de temps proportionnellement à la taille de la grille : ∆t ≤ ∆x / c où c est la vitesse du processus le plus rapide présent dans le modèle (dans les modèles réalistes, c est la vitesse des ondes longues, celle des ondes de marée). Faire une simulation sur un temps T donné (par exemple 50 ans) requiert un nombre de pas de temps M : M=

T cT = ∆t ∆x

Si le coût calcul par pas de temps varie comme ~N, le coût total de la simulation (N × M) va varier comme ∆x–4. Augmenter la résolution spatiale d’un simple facteur 2 multiplie le temps calcul par un facteur 16 ! Même si la vitesse des ordinateurs progresse vite, on ne pourra jamais atteindre l’échelle centimétrique du mélange de Batchelor. Le problème de la fermeture des équations reste la plus grande incertitude

81

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

des modèles d’océan et de climat. La solution est empirique : on doit tester si les résultats physiques acquis à une certaine résolution spatiale sont sensibles ou non à l’augmentation de cette résolution. L’essentiel des explications fournies dans la troisième partie ne fera pas appel à ces équations primitives, mais à des approximations des deux premières. Pour connaître le fonctionnement du modèle NEMO d’équations primitives développé au départ par P. Delecluse et son équipe au LOCEAN et maintenant utilisé au niveau européen, le lecteur intéressé pourra consulter Madec (2016). Comme beaucoup de chercheurs ont des idées bien arrêtées quant aux choix des schémas numériques, des coordonnées verticales, de la paramétrisation sous-maille, etc., les codes des modèles numériques d’océan ont fleuri et le lecteur pourra en avoir une petite idée en tapant sur Internet les acronymes ROMS, MIT-GCM, GFDL, POM, GOLD, NCAR pour ne citer que les principaux. Cette diversité est bienvenue, car elle permet d’extraire les résultats physiques qui survivent à la comparaison inter-modèles.

2.4.2

Le modèle en eau peu profonde ou modèle shallow water

Lorsque la densité est constante, le modèle en eau peu profonde développé par Laplace pour les marées fournit une simplification car les vitesses horizontales ne dépendent plus de la profondeur. Laplace obtient un système où les seules variables actives sont les vitesses horizontales u, v et la surface libre η. En rassemblant les résultats des relations 2-1-9 et 2-2-6, les équations du modèle en eau peu profonde sont : ∂η Du (a ) − fv = −g Dt ∂x ∂η Dv (b) + fu = −g ∂y Dt 2-4-2 ∂η ∂ (hu) ∂ (hv) + + = 0 (c) ∂t  ∂x ∂y  h = η(x, y, t) + H − b(x, y ) (d) où l’épaisseur totale h qui apparaît dans (d) est h = η + H – b avec H une profondeur constante, η une perturbation de la surface libre due au mouvement. La topographie du fond s’inclut de façon très simple dans la définition de h avec b l’élévation du fond mesurée par rapport au niveau moyen z = –H (voir figure 2-4-1). Les vitesses u et v ne dépendent plus que de x et y et les vitesses verticales n’apparaissent plus explicitement dans 2-4-2. Les accélérations se limitent alors aux termes : Du ∂u ∂u ∂u = +u +v Dt ∂t ∂x ∂y ∂v ∂v Dv ∂v = +u +v Dt ∂t ∂x ∂y

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2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

Avec le système 2-4-2, il n’y a plus que 3 équations à intégrer dans le temps pour trouver les évolutions de u, v et η. Cela n’implique pas que les vitesses verticales soient nulles. Comme la surface libre bouge, il y a forcément des vitesses verticales que l’on peut d’ailleurs calculer si l’on veut en utilisant 2-2-4 : on voit tout de suite que w varie linéairement avec z. Ces équations encore simplifiées seront utilisées à de nombreux endroits de ce texte. Le besoin de diffusion/dissipation à l’échelle de la grille reste toujours présent et un modèle de bassin inclura des termes de frottement dans 2-4-2 (a) et (b) et de diffusion dans 2-4-2 (c). Si on veut introduire les variations de densité, cela reste possible en représentant l’océan comme une pile de crêpes, des couches de densité constante, les équations 2-4-2 s’appliquant pour chaque crêpe. Le modèle à deux couches a été très utilisé pour comprendre la physique des ondes océaniques (et continue de l’être), et se présente ainsi. Une couche de surface de densité ρ1, d’épaisseur au repos H1, se situe au-dessus d’une couche de densité ρ2, d’épaisseur au repos H2 :

z η1 H1 η2 H2 b

 Figure 2-4-1  Les variations de densité dans l’océan sont souvent prises en compte par un modèle shallow water à deux couches de densité ρ1 et ρ2 qui ne se mélangent pas. La fonction b(x,y) désigne la topographie du fond.

La surface libre est située au niveau z = η1, l’interface au niveau z = −H1 + η2 et le fond au niveau z = −(H1 + H2) + b, la fonction b(x, y) représentant la topographie. Comme dans le cas précédent, la pression dynamique de la couche 1 est gouvernée par la surface libre p1 = gρ1η1. Pour relier la pression de la couche 2 aux niveaux η1 et η2, on utilise l’hydrostatique 2-4-1 (c) dans chacune des couches et comme la pression est continue à l’interface, on trouve :

p2 − p1 = (ρ2 − ρ1)gη2 et 2-4-3 p2 = ρ1gη1 + (ρ2 − ρ1)gη2

83

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Les équations du modèle à deux couches recopiées de 2-4-2 deviennent alors : couche 1 Du1 ∂η − fv1 = −g 1 ∂x Dt ∂η1 Dv1 + fu1 = −g ∂y Dt



∂h1 ∂ (h1u1) ∂ (h1v1)  + + =0 ∂y  ∂t  ∂x h1 = η1 − η2 + H1 2-4-4 couche 2 ρ ∂η Du 2 (ρ − ρ ) ∂η2 − fv 2 = −g 1 1 − g 2 1 ρ2 ∂x ρ2 ∂x Dt ρ ∂η (ρ − ρ ) ∂η2 Dv 2 + fu 2 = −g 1 1 − g 2 1 ρ2 ∂y ρ2 Dt ∂y ∂h 2 ∂ (h 2u 2 ) ∂ (h 2 v 2 )  + + =0 ∂t  ∂x ∂y  h 2 = η2(x, y, t) + H2 − b(x, y )

Une façon encore plus simple d’introduire la stratification est de considérer l’approximation du modèle dit à une couche et demie. Elle consiste à ne mettre que la couche 1 en mouvement. Pour laisser la couche 2 au repos, il suffit que la pression p2 soit constante car la force horizontale est alors nulle et 2-4-3 implique : ρ1gη1 + (ρ2 − ρ1)gη2 = cst L’interface η2 est libre de bouger, mais s’adapte en permanence pour annuler les variations de pression de la couche 2 : lorsque la surface libre η1 est haute, l’interface η2 s’enfonce et inversement. Évidemment les excursions de l’interface sont très grandes par rapport à celles de la surface libre puisque l’océan est dans le régime (ρ2 − ρ1) / ρ1  0) sous l’effet de cette divergence et ce sont les forces de Coriolis qui agissent sur la droite de l’écoulement qui en sont responsables. Sur une Terre en rotation, les flots possédant une divergence (ou convergence) horizontale vont créer de la vorticité relative négative (positive). C’est précisément ce comportement qui donne à la vorticité une place si centrale dans la dynamique des mouvements de grande échelle pour l’océan et l’atmosphère. En se servant de 2-4-2 (c), on peut éliminer la divergence D et obtenir la conservation de la vorticité potentielle :

( )

D ς+f = 0 2-5-2 Dt h

La quantité q = (ς + f )/h s’appelle la vorticité potentielle où h est l’épaisseur d’une couche de densité constante mesurée selon la direction verticale k. L’opérateur D/Dt, la dérivée matérielle (ou Lagrangienne), n’inclut ici que les vitesses horizontales et donc : Dq ∂q ∂q ∂q = +u +v Dt ∂t ∂x ∂y On peut voir cette équation 2-5-2 comme celle du traceur vorticité potentielle. Elle a un pouvoir explicatif important pour la dynamique des mouvements de grande échelle dans l’océan et dans l’atmosphère et il serait difficile de s’en passer. Prenons deux exemples d’application : (i) Si l’épaisseur est constante (fond plat), la vorticité absolue ς + f est conservée à une particule fluide. Comme f est 0 à l’équateur et f = 2Ω au pôle, une particule sans vorticité relative peut en gagner (ou en perdre) en se déplaçant simplement dans la direction nord (sud). En d’autres termes, sur une sphère en rotation, les mouvements nord-sud permettent d’échanger de la vorticité entre le fluide et la planète. (ii) Considérons un flot zonal arrivant sur une colline (dans le cas où f est constant). Une particule sans vorticité relative qui monte sur la colline acquiert de la vorticité relative négative qu’elle relâchera en redescendant de l’autre côté. Imaginons que la particule se déplace sur un fond d’épaisseur H et arrive sur une colline de

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

hauteur b (mesurée à partir du fond), de sorte que l’épaisseur du fluide h = H-b. Comme q est constant en suivant une particule fluide, on écrit : ς+f f = H−b H ς = −f

ou :

b H

Ainsi de la vorticité négative (positive) apparaît sur une colline (une vallée). La physique de la vorticité potentielle est reliée au moment cinétique en mécanique du solide qui explique les variations de rotation de la patineuse quand elle éloigne ou rapproche les bras de son corps :

1

2

Dans la position 1, la patineuse a une vitesse angulaire Ω1 autour de l’axe de rotation vertical qui passe par ses pieds. Lorsqu’elle rapproche ses bras en 2, sa vitesse angulaire Ω2 augmente. Comment est-ce possible ? Il n’y a aucun moment de force qui intervient, car le poids et la réaction du sol sont sur l’axe de rotation. Son moment cinétique est donc conservé. Celui-ci est le produit du moment d’inertie I et de Ω, le moment d’inertie mesurant la répartition des masses par rapport à la distance à l’axe de rotation : I = ∑ mr 2 donc I1 > I2 Donc :

I I1Ω1 = I2Ω2 ⇒ Ω2 =  1  Ω1  I2 

C’est la conservation du moment cinétique qui explique l’augmentation de la vitesse angulaire dans la position 2. Si on dessine ce qui se passe quand la colonne de fluide descend de la colline, on peut voir la similitude :

1

2

Lorsque la colonne 1 descend de la colline, sa largeur (son moment d’inertie) diminue. En effet, le volume de la colonne est constant et donc quand la profondeur augmente en 2, elle réduit sa section et la vitesse angulaire augmente.

88

2. Mécanique des fluides adaptée à l’océan

Si le flot a une échelle L et une vitesse U, la vorticité relative est O(U/L) et donc le rapport ς / f = O(U / fL) n’est autre que le nombre de Rossby R0 déjà rencontré. Si la circulation océanique fonctionne avec un petit nombre de Rossby, cela implique que le changement topographique b /H est petit et donc qu’une particule va avoir tendance à éviter les trop grosses montées ou descentes sur les creux et les bosses du fond. À la limite lorsque R0 tend vers zéro, la particule voudra rester à h constant et donc b constant, un résultat connu comme le théorème de Taylor-ProudmanPoincaré que l’on détaillera un peu plus loin. Si la vorticité a un tel rôle, peut-on déduire l’allure du champ de vitesse si on connaît la vorticité ? La question est importante mais la réponse à cette question n’a rien d’évident. Lorsque les écoulements sont lents (R0  0 et d’une autre qui va vers les x  ρ1). B

A

z

z

ρ1

ρ2

y

u

 Figure 3-3-8  La pression et la densité augmentent avec la profondeur et les isobares sont en noir alors que l’interface qui sépare les couches de densités ρ1 et ρ2 est en gris. À droite, le profil de vitesse géostrophique associé.

En surface la vitesse u est positive, car on est dans l’hémisphère nord et les hautes pressions sont à droite de la vitesse. La vitesse est constante dans toute la couche puisque la densité est constante. Au passage de l’interface, la vitesse change de signe, car la pente de l’isobare profond a changé de signe. En A, la relation hydrostatique fabrique des pressions faibles dans la couche 2, car la zone de densité ρ1 est plus importante qu’en B (en B, la couche de densité ρ2 est la plus épaisse). Ainsi une forte pente des

130

3. Dynamique océanique

isopycnes peut changer le sens des pentes des isobares et donc le signe du courant sur la verticale. Une section de vitesse absolue a été calculée à travers le Gulf Stream avec 3-3-7, le déplacement des flotteurs Argo fournissant les vitesses de référence à 1 000 m (Ollitrault et Rannou, 2013 et la base de données ANDRO). Les champs de température et salinité sont ceux du World Ocean Atlas 2009 (Locarnini et al. 2010).

 Figure 3-3-9  À gauche, la vitesse zonale du Gulf Stream (cm s–1) en fonction de la latitude et de la profondeur. À droite, la température potentielle (oC) sur la même section.

La section méridienne à travers le Gulf Stream de la figure 3-3-9 a été choisie près de 60 °O, une longitude où le transport est maximum et atteint près de 100 Sv (1 Sv = 106 m3 s–1). Le flot vers l’est passe de plus de 20 cm s–1 en surface à un minimum au fond de 5 cm s–1 à 39 °N. C’est cette variation, le cisaillement vertical du/dz, qui est donné par 3-3-9. La figure de droite ne montre pas la densité mais la température (potentielle) pour voir que ce cisaillement est associé avec une remontée en surface de l’isotherme 10 °C de plus de 800 m. La section de densité ressemble beaucoup à celle de la température à ceci près que la salinité a tendance à réduire un peu ∂ρ/∂y, car les eaux subtropicales ramenées par le Gulf Stream sont salées au sud et les eaux peu salées du courant du Labrador sont présentes au Nord. Le cisaillement horizontal, la dérivée du/dy, est O(4 10–7 s–1) et ne varie pas beaucoup avec la profondeur. Le rapport vorticité relative (= –du/dy) / f est une autre façon d’estimer le nombre de Rossby qui est ici très petit, O(10–3). Même dans un des courants les plus forts du monde, la vorticité relative reste petite devant f et justifie l’utilisation de la géostrophie pour estimer les vitesses du Gulf Stream. Au-dessus de 1 000 m, le Gulf Stream est large mais se réduit considérablement en profondeur, le contour « 5 cm s–1 » prenant la forme d’une trompette notée par Richardson (1985) dans les premières reconstructions de la structure verticale du Gulf Stream. On peut définir objectivement une échelle spatiale L du courant par le rapport L = u/dyu qui

131

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

vaut donc 300 km en surface et 100 km au fond. Cette échelle nous permet de définir un autre nombre sans dimension appropriée pour mesurer l’intensité des termes d’advection de vorticité dans l’équation de vorticité 2-5-2 : il faut considérer le rapport (vorticité relative = –du/dy)/βy, où on divise maintenant la vorticité relative par la variation de f sur la largeur du courant et non plus par f lui-même. Ce rapport U/βL2 est ici proche de 10 %, voire plus selon la profondeur, et indique que les termes d’advection de vorticité relative doivent jouer un rôle dans le Gulf Stream. Il faut se rappeler que cette carte est une carte du Gulf Stream moyennée sur quelques dizaines d’années et qu’un Gulf Stream instantané est beaucoup moins lisse car accompagné de toute une population de méandres et de tourbillons intensifiés en surface (figure 1-6). Le nombre de Rossby et U/βL2 sont beaucoup plus grands pour les courants instantanés (exemple U = 1 m s–1 et L = 50 km).

3.3.2.2

Les cartes météorologiques

C’est intéressant de faire un petit détour par l’atmosphère car les cartes du temps construites en routine depuis plus de 60 ans permettent de discuter une situation météorologique à partir du champ de pression de surface (obtenue facilement par le baromètre). Comme ces cartes sont facilement disponibles, il n’y a pas mieux pour se familiariser avec le concept de géostrophie. La possibilité de mesures directes de la pression au sol est un avantage considérable pour l’étude de l’atmosphère.

 Figure 3-3-10  Cette carte de pression du Met Office du 14/01/2017 donne la pression au sol en hPa. Les vents géostrophiques circulent le long des contours noirs. Les flèches noires ont été ajoutées pour donner la direction du vent géostrophique et elles sont d’autant plus grandes que les contours de pression sont serrés. Source : www.metoffice.gov.uk/public/weather/surface-pressure.

132

3. Dynamique océanique

Le vent géostrophique circule le long des contours de pression (isobares) dans le sens anticyclonique (sens des aiguilles d’une montre) autour des highs et le sens cyclonique, l’opposé, autour des lows. Les contours très serrés au sud du Groenland indique des vents de sud très forts. De même sur le flanc ouest de la vaste zone dépressionnaire qui va du Nord de l’Europe à la Norvège les vents de nord-ouest sont intenses. Le vent est quasi absent de l’anticyclone des Açores situé à un millier de km au nord des Acores, une barrière redoutable pour les premiers de la course du Vendée Globe en janvier 2017. Les lignes rouges et bleues indiquent respectivement les fronts chauds et froids. Cela veut dire que l’on arrive à connaître l’évolution de la température positive ou négative au voisinage de ces fronts. Les fronts froids (chauds) sont situés à l’arrière (à l’avant) des dépressions. La figure suivante permet de comprendre l’existence de ces front chauds et froids :

Froid

Froid

Chaud

Chaud

 Figure 3-3-11  Considérons dans un plan horizontal de l’atmosphère un front chaud (froid) à gauche (à droite). Les isothermes sont les lignes grises et le vent thermique, le cisaillement de vent (en gris) est donc le long des isothermes (le chaud sur la droite dans l’hémisphère nord). En altitude, le vent aux moyennes latitudes est le « jet-stream » (vent d’ouest en noir) pris identique dans les deux situations. En revanche, le vent au sol (en pointillé noir) est très différent dans les deux cas : il amène de l’air chaud à gauche et de l’air froid à droite.

La relation du vent thermique, l’analogue de 3-3-6 pour l’atmosphère, est présentée au Tome 2, mais la discussion qualitative peut se poursuivre en se rappelant que le cisaillement de vent dv/dz est aligné avec les isothermes en gardant l’air chaud sur sa droite dans l’hémisphère nord. Comme le vent en altitude est plutôt un vent d’ouest, on en déduit immédiatement le vent au sol par l’addition des vecteurs : V Altitude = VSol + VThermique et VSol = V Altitude − VThermique Le vent au sol étant quasi perpendiculaire aux isothermes sur la figure, le vent amène donc de l’air chaud à gauche dans les basses couches. C’est la situation de front chaud alors qu’à droite est illustrée la situation de front froid : le vent en altitude

133

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

est toujours le même, mais le vent au sol amène maintenant de l’air froid. Dans l’atmosphère aux moyennes latitudes, le transport net de chaleur de l’équateur vers les pôles se fait de cette façon : quand les deux événements de la figure se répètent au fil du temps, une corrélation positive apparaît entre les perturbations de vitesse méridienne v′ et de température T′, on parlera alors de la contribution des flux turbulents au transport de chaleur. Le même phénomène de fronts thermiques existe également dans l’océan.

3.4 La circulation forcée par le vent Le vent maltraite la mer. La voie de fait va jusqu’à troubler ce vaste rythme qu’on appelle la marée. Victor Hugo L’océan reçoit de l’atmosphère de la quantité de mouvement et échange avec elle de la chaleur et de l’eau douce sous forme vapeur et liquide. Historiquement, la réponse mécanique aux vents a été la première étudiée et il existe aujourd’hui un ensemble d’idées physiques sur le sujet assez simples à exposer et partagées par tous. La réponse de l’océan aux flux de chaleur et d’eau douce est en revanche infiniment plus complexe à analyser et l’arsenal théorique plus réduit.

3.4.1

La couche d’Ekman et les upwellings équatoriaux et de bord Est

La première idée importante pour rationaliser le mouvement des océans est venu d’Ekman (1905). Nansen lui avait fait part de l’observation que les glaces de la banquise ne dérivaient pas dans le lit du vent mais sur la droite de celui-ci. Pour expliquer ce fait surprenant, la première chose à faire est de tenter de relier le vent (sa vitesse) à la force qu’il exerce sur l’océan. On cherche une tension (stress), une force par unité de surface horizontale. Le vent qui souffle parallèle à la surface de l’eau va mettre celle-ci en mouvement par l’intermédiaire de forces tangentielles liées à la viscosité des deux fluides. L’interface air-mer est déformable et une multitude de choses apparaissent très vite, rides capillaires à l’échelle du centimètre, vagues de longueur d’onde du mètre à quelques centaines de mètres qui se construisent sur la distance sur laquelle le vent agit (le fetch), turbulence de petite échelle, échanges matériels entre les deux milieux via le déferlement des vagues. Compte tenu de toute cette complexité, les océanographes la contournent en calculant la force exercée par le vent de façon empirique par une formule dite bulk :

τ = ρairCD | U | U 3-4-1

La force par unité de surface, la tension de vent t, agit dans la direction du vent (selon le vecteur U) et varie comme le carré du vent avec un coefficient de traînée

134

3. Dynamique océanique

adimensionnel CD ~ 1,5 10–3 qui cache une réalité plus complexe. Ce coefficient dépend notamment de la stabilité de l’atmosphère et augmente avec des vents forts à cause de la structure des vagues. Edson et al., (2013) recensent les différents processus et donnent une détermination récente de ce CD à partir d’observations dédiées. Cette tension de vent est prise ici constante dans le temps. À l’intérieur de l’océan, le transfert du mouvement sur la verticale se fait par des échanges turbulents de quantité de mouvement qui sont représentés par des lois de diffusion calquées sur le cas moléculaire, mais avec des coefficients de viscosité turbulents beaucoup plus grands (voir la discussion amenant à 2-3-9). On peut montrer que cet échange turbulent ne se fait sentir essentiellement que sur une couche mince d’épaisseur δE ≈ 50 m, appelée couche d’Ekman. La situation est donc la suivante : τ vent z Force de Coriolis

V

Couche d’Ekman

τ=0  Figure 3-4-1  Le fluide présent dans la couche d’Ekman est forcé en surface par la tension de vent (selon x) et les tensions visqueuses sont supposées nulles à la base de la couche. Si la surface libre est horizontale, la seule force disponible pour équilibrer le vent est la force de Coriolis en gris. Le courant dans la couche va être vers le lecteur, à droite du vent dans l’hémisphère nord.

Quantitativement, la deuxième loi de Newton pour la dynamique d’Ekman se réduit à : ∂τ − ρv f = x ∂z ∂τy + ρu f = ∂z Les tensions intérieures τx et τy représentent les échanges turbulents de quantité de mouvement dans la couche d’Ekman et sont de la forme 2-1-4. Ekman a considéré une viscosité turbulente constante et il a montré que le profil théorique de courant a la forme d’une spirale, le module du courant décroissant très rapidement avec la profondeur : on parle d’une solution type « couche limite » avec de fortes variations sur une épaisseur très faible. Ce piégeage justifie de mettre une tension nulle au bas de la couche sur la figure 3-4-1. Les conditions aux limites sont donc t = tvent en surface (z = 0) et t = 0 à la base de la couche (z = –δE). Lorsqu’on intègre cette relation sur la verticale, tout devient très simple, car n’apparaissent plus que les tensions connues aux frontières de la couche :

−f MEy = τxvent +f MEx = τyvent

3-4-2

135

Une introduction à la dynamique des océans et du climat 0

La quantité M E =



ρVdz est le vecteur transport d’Ekman. S’en déduit le mou-

−δ E

vement des icebergs sur la droite du vent dans l’Arctique, la première manifestation de l’effet de la rotation de la Terre sur la circulation océanique. Connaissant la latitude (pour avoir f ), le transport d’Ekman s’obtient directement de la climatologie du vent, et ce, indépendamment de toute paramétrisation des processus turbulents qui effectuent le transfert de quantité de mouvement dans la couche d’Ekman. Les conséquences de l’équation 3-4-2 sont très remarquables. Vents d’ouest pour des latitudes supérieures à 30o et alizés plus bas en latitude permettent de déduire le transport d’Ekman qui en résulte dans un bassin océanique (on ne considère que l’effet des vent zonaux pour simplifier) :

30o

 Figure 3-4-2  Le transport d’Ekman (gris) converge à la latitude de 30o où la tension de vent (noir) change de direction.

Le transport d’Ekman sur la droite du vent converge vers 30° de latitude. Ceci explique les lignes de courants reconstruites à partir des bouées dérivantes de surface qui sont attirées vers ces zones de convergence subtropicale (figure 1-9). La concentration des débris de plastique dans ces poubelles océaniques géantes apparaît donc comme une conséquence directe de la théorie d’Ekman et de la climatologie des vents.

0o

 Figure 3-4-3   La figure ci-dessus représente un bassin équatorial avec des alizés de chaque côté (il y a une zone de vent plus faible près de l’équateur). Le transport d’Ekman (gris) diverge à l’équateur.

136

3. Dynamique océanique

Considérons maintenant un bassin équatorial sur la figure 3-4-3. La relation 3-4-2 ne s’applique plus à l’équateur puisque f = 0 mais seulement à quelque distance de celui-ci. On voit que le transport d’Ekman est alors divergent, car il change de signe avec le signe de f selon l’hémisphère. Forcément, de l’eau doit venir du dessous pour alimenter la surface et on parle de l’upwelling équatorial. Ceci explique la présence du dôme d’eau froide vu à l’équateur sur les sections hydrographiques de la figure 1-3. Considérons maintenant le cas de vents méridiens (nord-sud) qui jouent un rôle majeur le long des frontières Est des bassins océaniques : Vent

y

x

 Figure 3-4-4  Sous l’effet d’un vent de nord (noir) – la branche de retour des grands anticyclones des moyennes latitudes de l’atmosphère présents sur les océans –, un transport d’Ekman vers l’ouest (gris) apparaît aux moyennes latitudes. Mais à la côte, le courant doit être nul : encore une fois une zone de divergence apparaît et les pointes de flèches vers le haut montrent cet upwelling qui alimente les eaux de surface.

Sous l’effet d’un vent dirigé vers l’équateur, le transport d’Ekman est vers le large. Mais comme le transport perpendiculaire à la côte est nul, une divergence apparaît. Ici cette divergence du transport d’Ekman est alimentée par de l’eau froide venant de dessous : un front thermique apparaît séparant des eaux froides à la côte d’eaux plus chaudes au large. Ce que cet argument simple ne prédit pas, est la largeur sur laquelle s’effectue cette divergence et ceci sera débattu au § 3.4.5. La région d’eau froide à l’ouest de la Péninsule africaine de la figure 1-8 est l’upwelling du Benguela. Ces zones entre 25° et 35° de latitude (on parle d’upwelling de bord Est) sont des zones de pêche majeures (Californie, Pérou, Mauritanie, Benguela), car les sels nutritifs présents en profondeur sont amenés en surface et sous l’effet de la lumière, la production primaire de matière organique (le phytoplancton) peut démarrer (voir § 4-4-3). En résumé, la théorie d’Ekman semble bien structurer la réponse des couches de surface (50-100 m) de l’océan tant à l’échelle des grands bassins océaniques qu’au voisinage des côtes.

137

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

3.4.2

La circulation forcée par le vent et les courants de bord Ouest

La réponse de l’océan au vent est donc contenue dans cette couche d’Ekman de surface d’épaisseur 50-100 m. L’histoire s’arrêterait là si le vent était constant et s’il n’y avait pas de frontières. Mais les figures précédentes 3-4-2 à 3-4-4 montrent toutes que cette couche de surface est divergente et que des vitesses verticales sont nécessaires pour l’alimenter. L’objectif est alors de trouver comment ces vitesses verticales peuvent mettre en mouvement l’intérieur de l’océan.

3.4.2.1

La relation de Sverdrup (1947)

Poursuivons avec l’hypothèse d’un océan de densité constante ρ0 sur un plan bêta cartésien (f = f0 + βy). Les vitesses verticales à la base de la couche d’Ekman (z = –δE) se déduisent de la conservation du volume dans la couche d’Ekman ; il suffit d’intégrer la continuité 2-2-4 entre z = –δE et la surface z = 0 où w = 0 : ρ0 w e =



∂MEx ∂MEy + 3-4-3 ∂x ∂y

En exprimant les transports d’Ekman avec 3-4-2, on trouve :

we =

1 ∂ (τ / f ) − ∂∂y (τx / f ) 3-4-4 ρ0 ∂x y

La vitesse verticale wE s’appelle le pompage d’Ekman. Il est proportionnel au rotationnel du vecteur t/f et donc entièrement connu par la climatologie des vents et la latitude. Dans les régions subtropicales, wE est négatif en accord avec la figure 3-4-2 pour devenir positif dans les régions subpolaires. Ce pompage joue maintenant le rôle d’un forçage de type source-puits pour l’océan intérieur. L’hypothèse la plus simple pour la dynamique sous la couche d’Ekman est de s’appuyer sur la géostrophie, les vitesses horizontales obéissant à 3-3-2. On peut se débarrasser de la pression en dérivant la 1re équation par rapport à y et la 2e par rapport à x et en soustrayant. Mais attention, le paramètre de Coriolis f est maintenant laissé variable et un terme supplémentaire apparaît : ∂v ∂u βv G + f  G + G  = 0 ∂ ∂y  x  ou encore avec 2 − 2 − 4 : 3-4-5 ∂w βv G = f ∂z Voici la forme simplifiée de l’équation de vorticité 2-4-3 lorsque le terme d’advection de vorticité relative est négligé. La validité de cette approximation sera discutée plus loin. Lorsque f varie, une divergence des vitesses géostrophiques uG apparaît et il y a donc possibilité de vitesses verticales dans l’intérieur. La relation 3-4-5 montre que la divergence horizontale est O(βL/f  ≈ L/RT), ce qui commence à devenir

138

3. Dynamique océanique

important lorsque les échelles spatiales L de la circulation sont de l’ordre du rayon de la Terre RT : la géostrophie implique la propriété 3-4-5 et on parle alors du régime de géostrophie planétaire que l’on va rencontrer souvent. Si le fond est plat, les vitesses verticales sont nulles au fond et pour satisfaire simultanément 3-4-4 et 3-4-5, il suffit juste que les vitesses verticales demandées par 3-4-5 soient égales à celles imposées par le pompage d’Ekman à la base de la couche d’Ekman. Le résultat est alors le suivant :

βv G =

fw E f ∂ = (τ / f ) − ∂∂y (τx / f ) 3-4-6 H Hρ0 ∂x y

Dans le gyre subtropical, le pompage est négatif et donc la circulation géostrophique part vers le sud. On peut transformer 3-4-6 en faisant la somme du transport géostrophique Hρ0vG et du transport d’Ekman MEy pour obtenir le transport méridien total My intégré de la surface au fond : ∂ ∂ βMy =  (τy ) − (τx ) 3-4-7 x y ∂ ∂   Le transport méridien est ainsi imposé par le seul rotationnel du vent à droite : si le rotationnel est négatif, le transport va vers l’équateur et s’il est positif, le transport va vers les pôles. Cette relation trouvée par Sverdrup en 1947 est un résultat majeur, mais attention la relation de Sverdrup mélange quand même deux régions de dynamique très différente : la couche d’Ekman frictionelle au-dessus et l’intérieur géostrophique au-dessous.



Il est dès lors assez facile d’appliquer ces résultats théoriques avec les données réelles de vent moyen, ici celles de Large et Yeager (2004).

 Figure 3-4-5  La tension zonale τX moyenne de vent [N m–2] des données de Large et Yeager (2004). La courbe blanche donne la position où elle s’annule.

139

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

La tension de vent zonale (qui domine la valeur méridienne) est illustrée sur la figure 3-4-5. On reconnaît les régimes d’ouest et d’alizés qui s’inversent autour de 30° de latitude dans les deux hémisphères. Les vents sont généralement affaiblis par les obstacles topographiques des continents. Les vents sont particulierement forts entre 40 °S et 60 °S sur l’océan du Sud avec une intensification dans le secteur indien. On notera aussi les vents d’est particulièrement intenses sur la côte est du Groenland.

 Figure 3-4-6  Le pompage d’Ekman sur l’Atlantique nord calculé avec les données de Large et Yeager. Les unités ici sont des mètres par an. Le niveau zéro est indiqué par le contour blanc.

L’équation 3-4-4 permet de calculer le pompage d’Ekman qui est de l’ordre de ± 100 m/an. Les zones tropicales sont omises à cause de la singularité équatoriale. Négatif dans toute la zone subtropicale, le fluide est injecté dans l’intérieur. La frontière nord de cette zone orientée vers le nord-est est très certainement influencée par la dérive nord atlantique positionnée là. Au nord de cette ligne se trouve le régime subpolaire, avec le fluide qui remonte dans la couche d’Ekman. On remarquera aussi les structures côtières de cet upwelling le long de l’Afrique et autour du Groenland. À partir de cette carte, l’équation 3-4-6 permet de trouver directement le flot méridien géostrophique nécessaire pour alimenter cette divergence. Le rotationnel de vent de la figure 3-4-7 prédit quant à lui directement le transport méridien (intégré de la surface au fond). Les lignes de rotationnel de vent nul viennent structurer la circulation en gyres de recirculation avec des vitesses de Sverdrup vers l’équateur dans les régions subtropicales (vers les pôles dans les régions subpolaires). On notera le rotationnel de vent négatif dans l’océan du sud. La relation 3-4-7 est devenue le pilier de toutes les théories de la circulation océanique, car elle reste valable même si la densité est variable sous réserve de la faiblesse des vitesses

140

3. Dynamique océanique

verticales au fond, donc de courants faibles au fond. Les échanges entre les zones délimitées par les contours blancs de la figure ne peuvent alors se faire que par des courants baroclines (variant sur la verticale) de transport net nul, une branche de la circulation appellée circulation thermohaline (voir § 3.5).

 Figure 3-4-7  Le rotationnel du vent en N m–3 calculé à partir des données de Large et Yeager. Le rotationnel de vent nul est indiqué par les contours blancs.

3.4.2.2

L’intensification à l’ouest des courants océaniques

Ce Gulf Stream en particulier est un surprenant phénomène de circulation dans l’agitation ; la nature emploie à sa mise en mouvement trois forces, les vents alizés qui refoulent les eaux tropicales dans ce grand cirque des vagues qu’on nomme le golfe du Mexique ; la pesanteur de l’eau polaire qui étant plus froide est plus lourde et vient mue par son poids remplacer l’eau équatoriale ; et enfin une sorte d’écluse de chasse composée de 5 fleuves, le Chagres, l’Amazone, le Magdalena, l’Orénoque et le Mississipi. Victor Hugo L’utilisation de la géostrophie pour la circulation intérieure d’un bassin océanique mène à une contradiction majeure, car avec une telle distribution de vitesses vers le sud partout, le bassin va se vider au nord de 30° et se remplir au Sud. Avec ces hypothèses, il est impossible d’avoir un transport méridien nul intégré du bord Ouest au bord Est. La difficulté apparaît encore plus clairement quand on essaie de déterminer le transport zonal Mx. La non-divergence du transport total (Ekman + géostrophique) demande que : ∂Mx ∂My + = 0 3-4-8 ∂x ∂y

141

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Connaissant My avec 3-4-7, la relation 3-4-8 permet d’obtenir Mx mais évidemment le transport zonal Mx perpendiculaire à la côte doit être nul sur les deux frontières méridiennes en x = XW et x = XE. Mais comment satisfaire ces deux conditions aux limites avec l’équation différentielle 3-4-8 qui est seulement d’ordre un ? Une seule de ces conditions peut être satisfaite soit à l’est soit à l’ouest et il faut choisir. Reportons 3-4-7 dans 3-4-8 pour examiner les conséquences de ces deux choix (en conservant des vents strictement zonaux pour simplifier) : ∂Mx 1 ∂ 2 τx = ∂x β ∂y 2 Mx = −



Mx =

1 ∂ 2τx ( X − x ) (a ) 3-4-9 β ∂y 2 E

1 ∂ 2τx (x − X W ) (b) β ∂y 2

Dans 3-4-9 (a), la théorie de Sverdrup est prolongée jusqu’au bord Est, x = XE, et Mx ∂2τ le flot zonal varie comme − 2x . Dans 3-4-9 (b), elle est prolongée jusqu’au bord ∂y ∂2τ Ouest, x = XW, et Mx le flot zonal varie comme + 2x . ∂y

30o

 Figure 3-4-8  Sur la figure, on a représenté la situation avec les vents (en noir) d’ouest au nord et alizés au sud qui induisent un rotationnel négatif et donc un transport méridien total (gris) vers le sud. La courbure du vent, la dérivée seconde, est positive dans la moitié Sud et négative dans la moitié Nord et elle contrôle le transport zonal. Le choix de circulation en noir (resp. pointillé gris) satisfait la condition de transport nul au bord Ouest (resp. Est).

Les lignes de courant de chacun de ces deux choix sont dessinées sur la figure 3-4-8 en noir pour (a) et en gris pour (b). Le bon sens choisit la courbe noire, car la circulation intérieure est alors dans le sens du vent (alors que la circulation grise s’oppose au vent), mais une explication physique reste nécessaire. Une considération

142

3. Dynamique océanique

énergétique est appropriée. En effet le travail du vent sur la circulation est le produit scalaire entre la tension de vent et le déplacement de l’eau. La puissance, plus appropriée ici, le travail par unité de temps, est le produit scalaire entre la tension de vent et la vitesse du courant, W = Mxτx, qui est positif pour (a) et négatif pour (b). Donc le vent n’apporte de l’énergie cinétique à l’océan que dans le cas (a) qui est donc celui à retenir. Comment maintenant fermer les lignes de courant noires sur le bord Ouest ? Pour clore ce circuit, il faut nous résoudre à abandonner la géostrophie qui nous a amenés jusque-là.

30o

 Figure 3-4-9  Le problème de l’intensification à l’ouest : à droite l’équilibre de Sverdrup, à gauche du pointillé gris, le profil de vitesse v du courant de bord Ouest. Comment relier ces deux régions ?

On peut deviner ce qui manque en dessinant le courant de bord Ouest qui vient fermer la circulation sur la figure 3-4-9. Le courant de bord Ouest a une vorticité ∂v (dominée par le premier terme de 2-5-1). Et le signe de relative négative ς ≈ ∂x cette vorticité du courant de bord Ouest est donné par l’équation de vorticité 2-5-2 ∂ς qui se réduit ici à : + βv ≈ 0 (le terme de forçage par le vent n’est pas important ∂t pour jouer un rôle localement). Elle signifie que lors d’un mouvement vers le nord, le fluide acquiert de la vorticité relative négative. Plus simplement, en l’absence de forcage ou de dissipation, une particule fluide conserve sa vorticité absolue ζ + f et quand elle va vers le nord, f augmente, et elle acquiert cette vorticité relative négative par échange avec la vorticité planétaire f. La vorticité dans le courant de bord Ouest de la figure 3-4-9 est négative et a donc le signe prédit par la conservation de ζ + f. Mais lorsque la particule voudra ressortir du Gulf Stream pour rejoindre la ligne de courant noire de la théorie de Sverdrup, il faudra qu’elle se soit débarrassée de cette vorticité relative négative devenue encombrante. Bref il faut un mécanisme pour la dissiper, donc du frottement. Stommel en 1948 a le premier identifié les causes dynamiques du Gulf Stream et compris cette nécessité de frottement - dissipation. Il a alors choisi le frottement le

143

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

plus simple, un frottement proportionnel à la vitesse qui devient proportionnel à la vorticité relative dans l’équation de vorticité. L’équation de vorticité devient alors : ∂ς = −βv − rς 3-4-10 ∂t



Si on ne considère que le premier et dernier terme, on voit que ce terme de frottement a bien la vertu d’amortir exponentiellement dans le temps la vorticité (quel que soit son signe). Cette addition du frottement va nous permettre d’annuler le terme de tendance à gauche et d’obtenir une solution stationnaire. Comme sur le ∂v bord Ouest la vorticité est dominée par ς ≈ , l’équation 3-4-10 stationnaire se ∂x réduit à : ∂v r + βv = 0 3-4-11 ∂x La solution de cette équation est : v = vB e





β( x − X W ) r 3-4-12

avec une condition au limite v = vB au bord Ouest en x = XW qui reste à déterminer. Cette solution reproduit tout à fait le courant de couche limite dessiné sur la figure 3-4-9 avec v maximum au mur et qui tend vers zéro loin du mur. C’est bien une solution de couche limite. L’exposant de l’exponentielle donne la largeur du courant de bord Ouest δW = r/β. Comme toujours, la difficulté est de déterminer la valeur du coefficient de frottement r dont l’origine est l’existence de turbulence de plus petite échelle. À l’inverse, on peut partir de l’observation de la largeur du Gulf Stream et écrire r = δWβ. Avec β = 2 10–11 m–1 s–1 et δW = 50 km, on trouve la valeur du coefficient de frottement r = 10–6 s–1. Pour obtenir la solution complète, il faut ensuite « matcher » la solution de couche limite 3-4-12 avec la solution de Sverdrup intérieure. On va chercher la solution complète sur tout le domaine sous la forme : v = vB e



(x − X W ) δW

+ vS

où vS est la vitesse de Sverdrup déduite de 3-4-9 (a). La condition d’un transport nul d’une côte à l’autre permet de déterminer vB : XE



[v B e



(x − X W ) δW

+ v S ] dx = 0

XW

Lorsque la largeur du bassin L = XE-XW est grande devant δW, on trouve : vB = −

L v δW S

et la solution complète valable dans tout le bassin s’écrit simplement : v = v S [1 −

144

L − e δW

(x − X W ) δW

]

3. Dynamique océanique

une solution qui a le caractère d’un courant de couche limite, l’exponentielle ne contribuant que dans un voisinage du bord Ouest de largeur δW. Cette solution rationalise l’intensification à l’ouest du modèle de Stommel (1948) montré sur la figure 3-4-10.

 Figure 3-4-10  La fonction courant barotrope ψ originale de Stommel (1948). Le vec∂ψ ∂ψ est tangent aux contours teur vitesse de composantes u = − et v = ∂y ∂x ψ = constant qui donnent la valeur du transport en Sverdrup.

Reste la question de préciser pourquoi au final la solution de 3-4-11 demande une couche limite visqueuse sur le bord Ouest et non pas sur le bord Est. Alors reprenons l’équation 3-4-11 et écrivons sa solution près du bord Est en x = XE. v = vB e

β( X E − x ) r

Sauf que maintenant v augmente exponentiellement lorsqu’on s’éloigne de la frontière (XE-x > 0). Cette solution ne pourra donc jamais venir matcher la solution de Sverdrup intérieure et cette solution est donc inacceptable. La figure suivante 3-4-11 permet de mieux comprendre le choix du bord Ouest pour le courant de retour.

∂v aux frontières change, négatif à ∂x gauche, positif à droite. Mais la conservation de ς + f demande dans tous les cas de la vorticité négative aux frontières.

 Figure 3-4-11  Le signe de la vorticité relative ς ≈

145

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

On peut comprendre ce qui se passe avec l’aide de 3-4-10 et de la figure 3-4-11 en construisant le tableau suivant (les chiffres sont juste choisis pour illustrer le propos et le forçage local du vent est absent car très petit devant les autres termes) :

Couche de bord Ouest Couche de bord Est

∂ς ∂t

−βv

–rς

0

–100

+100

–200

–100

–100

Le courant de bord v est positif dans les deux cas. Dans la couche limite du cas bord Ouest, la vorticité relative du courant est négative et la tendance créée par le frottement est donc positive (+100) et s’oppose à la création de vorticité négative par le terme –βv (–100). Dans le cas hypothétique d’une couche limite de bord Est, la vorticité relative est maintenant positive et la tendance créée par le frottement devient négative (–100). Aucun équilibre n’est possible avec –βv qui vaut toujours –100 : la tendance de vorticité devient doublement négative et la solution stationnaire s’avère impossible. On a pris la forme la plus simple du frottement pour expliquer l’intensification de la circulation sur le bord Ouest des Bassins océaniques. Mais la même conclusion apparaît avec d’autres formes de dissipation, comme de la diffusion de vorticité. L’existence des courants de bord Ouest comme le Gulf Stream ne peut s’expliquer que sur une sphère en rotation (le plan bêta) et qu’en considérant la présence de dissipation dans le fluide. Une des prédictions de cette théorie est de fournir le transport du courant de bord Ouest. Comme à chaque latitude le transport net dans la direction nord-sud doit s’annuler, il suffit d’intégrer le transport de Sverdrup (3-4-9a) depuis l’extérieur de la couche limite de bord Ouest jusqu’au bord Est, ce qui revient à intégrer zonalement le rotationnel du vent. Le transport prédit est d’environ 20 Sv pour l’Atlantique nord (Sv pour Sverdrup : 1 Sv = 106 m3 s–1). Le courant de Floride a un transport de 30 Sv dont la moitié provient de l’Atlantique sud, donc la prédiction paraît acceptable. Mais la comparaison se gâte plus au nord car le Gulf Stream augmente son transport vers le nord pour atteindre 100 Sv en moyenne vers 65 °O (jusqu’à 150 Sv en instantané). Clairement la théorie de Sverdrup devient incapable d’expliquer ces transports. Ce dilemme existe depuis longtemps mais il n’a été résolu que lorsque des recirculations locales du Gulf Stream très intenses sur des étendues de 500 à 1 000 km ont été identifiées dans les observations et les modèles. Les simulations numériques quasi géostrophiques de Holland (1978) ont montré clairement que les tourbillons de méso-échelle générés par les instabilités des courants de bord étaient responsables de ces recirculations en apportant de l’énergie à la circulation moyenne (voir § 3-6-2). L’influence de la topographie du fond (supposée absente dans la théorie de Sverdrup) n’est pas encore vraiment élucidée, car il est assez compliqué de la prendre en compte notamment à cause du couplage topographique avec la branche profonde de la circulation thermohaline.

146

3. Dynamique océanique

3.4.2.3

Le contre-courant équatorial nord

Sur la figure 1-9, les courants de surface reconstruits à partir des trajectoires de bouées dérivantes, le contre-courant équatorial nord qui porte à l’est a été mentionné comme une structure singulière puisque le courant centré entre 5° et 10° N va à l’encontre des vents dominants, les alizés. La théorie du paragraphe précédent justifie le choix d’étendre la validité de la relation géostrophique jusqu’au bord Est (mais pas jusqu’au bord Ouest). Si la relation de Sverdrup peut se prolonger jusqu’au bord Est, alors c’est la relation 3-4-9 (a) qui doit être choisie pour fournir une prédiction du transport zonal :

Mx = −

1 ∂ 2τx ( X − x ) 3-4-13 β ∂y 2 E

L’équation 3-4-13 montre que le courant zonal n’est pas gouverné par la tension de vent mais par la courbure de la tension de vent (la dérivée seconde).

Équateur

 Figure 3-4-12  La tension de vent des alizés au voisinage de l’équateur voit son minimum situé un peu au nord de l’équateur.

La structure du vent n’est pas symétrique par rapport à l’équateur car la zone intertropicale de convergence des vents (ITCZ) est décalée dans l’hémisphère Nord et par voie de conséquence la tension zonale du vent a le profil en latitude de la figure 3-4-12. Le minimum des alizés centré un peu au nord de l’équateur induit ∂ 2τx une dérivée seconde négative autour de ce minimum et la relation ci-dessus ∂y 2 prédit alors un courant vers l’est qui s’intensifie vers l’ouest. Cette prédiction assez peu intuitive a eu un fort impact pour asseoir la relation de Sverdrup comme une dynamique fondamentale pour la circulation océanique. Il est important de réaliser que la circulation méridienne est une relation locale qui lie vitesse méridienne et rotationnel du vent au même point alors que le courant zonal résulte de forcages lointains. Pour faciliter les explications précédentes un vent zonal indépendant de la longitude a été choisi, mais dans le cas général, la relation 3-4-13 s’écrira : Mx = −

1 β

XE

∫ x

∂ 2τx dx ∂y 2

147

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Une équation qui illustre la relation non locale entre courant zonal et forçage du vent : le courant zonal en un point est le résultat de l’intégration des vents situés à l’est du point d’observation du courant alors que les vents à l’ouest du point d’observation n’ont aucun impact sur le courant. Le contre-courant équatorial nord illustre cette assymétrie surprenante de la réponse de l’océan au vent.

3.4.3

La circulation forcée par le vent dans un océan stratifié

Les résultats précédents ont été obtenus sous l’hypothèse d’un océan homogène de densité constante. Que se passe-t-il si l’océan est stratifié ? On peut montrer facilement que le transport de Sverdrup défini comme le transport intégré du fond à la surface reste valable en fluide stratifié. Ce transport net s’appelle la composante barotrope du courant. Mais déterminer la structure verticale de la circulation forcée par le vent, la composante dite barocline, reste une question des plus difficiles. Il existe au moins deux théories qui ont abordé ce problème avec un certain succès à partir de deux points de vue complètement différents, la thermocline ventilée de Luyten, Pedlosky et Stommel 1983 (LPS) et l’homogénéisation de la vorticité potentielle de Rhines et Young (1982). On va se contenter ici de considérations très simples qui ont servi de prélude à la construction de ces deux théories. Imaginons que l’océan soit constitué de deux couches de densité ρ1 et ρ2, la première représentant les eaux chaudes des premiers 800 m et la deuxième les eaux profondes. Le forçage du vent via le pompage d’Ekman n’excite directement que la première couche. Supposons qu’aucun échange turbulent n’existe au travers de l’interface entre les deux couches. La deuxième couche est donc libre (sans forçage) et conserve sa vorticité potentielle (pv), 2-5-2. Supposons que la vorticité relative soit petite devant f (le nombre de Rossby est petit) et que la déformation de son épaisseur h2 soit faible, alors les contours de q2 ≈ f/h2 vont rester assez proches des contours βy, donc zonaux.

y

u2=0 p2=cst

x

 Figure 3-4-13  La situation dans la couche 2. Les courbes grises sont les contours de vp q2 = constante dans un bassin rectangulaire. Sous les hypothèses faites ces contours intersectent tous le bord Est.

148

3. Dynamique océanique

Au bord Est, la vitesse normale u2 est nulle et donc si la vitesse est géostrophique jusqu’au bord Est, la pression ne dépend plus de y. On peut ainsi mettre p2 = cst en x = XE. Si la vitesse est géostrophique dans l’intérieur, elle doit alors être à la fois alignée le long des contours de p et le long des contours de q2. Sur tous les contours de q2 qui intersectent le bord Est, la pression p sera donc constante et si la pression est constante, le flot géostrophique est nul. Donc la circulation est nulle dans la couche 2 ! On peut alors facilement adapter la solution de Sverdrup au cas où cette couche 2 est au repos, l’interface de densité devenant de facto une frontière dynamique pour la sphère d’eau chaude. Consulter les équations 2-4-2 et 2-4-5 du modèle à une couche et demie pour écrire les équations géostrophiques de la couche 1 (sous la couche d’Ekman) : ∂h1 ∂x ∂h1 3-4-14 +fu1 = −g′ ∂y ∂(h1u1) ∂(h1v1) + = −w E ∂x ∂y −fv1 = −g′

où h1 est l’épaisseur de la couche et g′ = g (ρ2 – ρ1)/ρ1 la gravité réduite. On décompose la 3e équation et en insérant la géostrophie on trouve : ∂u ∂v h1  1 + 1  = −w E  ∂x ∂y  La géostrophie redonne l’équation de vorticité (3-4-5) qui permet de re-écrire l’équation ci-dessus comme : βh1v1 = wE f Finalement on remplace v1 par son expression géostrophique :

∂h12 2f 2 w 3-4-15 = ∂x β g′ E

Cette expression 3-4-15 est valable jusqu’au bord Est et on peut donc l’intégrer directement pour obtenir l’épaisseur de la couche 1. Il apparaît une constante d’intégration qui est la valeur de la couche 1 à la frontière. Comme u1 = 0 en x = XE, H1 = constante. La solution est finalement :

h1 (x, y ) =

H12

2f 2 − βg′

XE



w Edx 3-4-16

x

Ce qui fournit l’épaisseur de la couche d’eau chaude avec le paramètre H1, la profondeur de la thermocline au bord Est. La figure 3-4-14 illustre le résultat pour le gyre subtropical de l’Atlantique nord : le pompage d’Ekman est indépendant de la longitude et présente une valeur minimale de –30 m an–1 à 30 °N de latitude pour

149

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

s’annuler à 15 °N et 45 °N et devenir positif au-delà de 45 °N (H1 = 200 m et g′ = 1,5 10–2 m s–2).

 Figure 3-4-14  La topographie de la themocline calculée par 3-4-16 dans un bassin type Atlantique nord centré à 30 °N de latitude. Les courants suivent les contours en laissant les eaux chaudes (les hautes pressions) à droite. La couche chaude remonte et disparaît au nord.

Dans les régions de pompage d’Ekman négatifs du gyre subtropical, h1 plonge quand on va vers l’ouest. Les vitesses suivent les contours de h1 en gardant les fortes valeurs (les eaux chaudes) à droite. La vitesse de Sverdrup est vers le sud et l’interface entre les deux couches s’enfonce donc pour supprimer les variations de pression et annuler les vitesses de la couche 2. Au voisinage du bord Ouest, 3-4-16 ne s’applique plus. Dans la couche limite de bord Ouest, le frottement turbulent devient important. Mais il se trouve que la composante du courant de bord Ouest parallèle à la frontière reste malgré tout assez géostrophique. La première des relations 3-4-14 intégrée d’un bord à l’autre doit donc fournir un transport net nul. Ainsi l’épaisseur h1 doit-elle finir par diminuer rapidement dans la couche limite pour être égale à H1 au bord Ouest. Voilà une théorie très simple qui explique l’ordre zéro de la forme du bol asymétrique des gyres subtropicaux. Le bol est créé par la convergence des transports d’Ekman qui injecte l’eau chaude dans la couche géostrophique et il est structuré par la contrainte de Sverdrup. • Toute choses égales par ailleurs, ce calcul explique la profondeur plus importante du gyre du Pacifique nord, car l’intégration zonale dans 3-4-16 s’effectue sur une distance beaucoup plus grande. • La relation 3-4-16 et la figure 3-4-14 montrent une différence de comportement importante lorsque le pompage d’Ekman devient positif dans le gyre subpolaire. En effet les deux termes sous la racine sont maintenant de signes opposés et lorsqu’on intègre à partir du bord Est vers l’intérieur la thermocline remonte. Quand h1 = 0, l’eau froide de la couche 2 située sous la couche 1 affleure en surface et il faudrait continuer le calcul en appliquant le pompage sur cette couche 2. Comme cet affleurement de la couche 2 démarre d’abord au bord Ouest, Parson (1969) a proposé ce résultat comme une indication possible de la séparation du Gulf Stream de la côte américaine.

150

3. Dynamique océanique

Le point faible du modèle précédent est qu’on peut multiplier le nombre de couches ad infinitum et que seule la couche directement exposée au pompage d’Ekman en surface est mise en mouvement, toutes les autres restant au repos. Cette réponse océanique concentrée en surface uniquement là où le forçage agit est appelée la catastrophe de Gill (voir l’article de la mise en mouvement de la circulation de Sverdrup par Anderson et Gill, 1975). C’est pour éviter cette catastrophe que les deux théories mentionnées sont apparues. La ventilation de LPS permet à l’interface entre les deux couches d’affleurer en surface au nord et donc la couche 2 devient directement exposée en surface. Les lignes de vp ne viennent plus intersecter le bord Est mais peuvent venir s’alimenter là et la couche 2 peut s’animer. La théorie de Rhines et Young quant à elle permet aux lignes de vp de se fermer sur elles-mêmes dans les régions de bord Ouest, évitant du même coup la catastrophe de Gill. Le mélange de vp par les tourbillons est invoqué pour créer des zones de vp homogènes qui peuvent supporter une circulation profonde. Ces deux théories permettent de déconnecter les lignes de pv du bord Est dans la figure 3-4-13 mais pour des raisons radicalement différentes. L’effet des tourbillons sur la circulation est abordé au § 3-6-2.

3.4.4

Les courants équatoriaux

3.4.4.1

Le modèle shallow water sur un plan b

Les océanographes sont depuis longtemps partagés en deux populations, ceux qui travaillent aux moyennes latitudes et ceux qui travaillent dans les régions tropicales proches de l’équateur. On pourrait conclure que certains préfèrent travailler au chaud, mais il y a une raison plus fondamentale. La force de Coriolis importante pour l’océanographie est causée par la projection du vecteur rotation (dirigé selon l’axe des pôles) sur la direction verticale (gravité). Évidemment proches de l’équateur, les vecteurs rotation et gravité deviennent quasi perpendiculaires et donc cette projection devient très faible : Ω sin(latitude) → 0 quand la latitude → 0. Comme toute la dynamique des moyennes latitudes s’appuie sur la géostrophie, l’appui disparaît quand on s’approche de l’équateur. Pourtant la vitesse angulaire de la Terre Ω est identique partout, de sorte que le problème vient peut-être de ce que l’on ne regarde pas la bonne projection. La projection du vecteur rotation sur la direction Sud-Nord est Ω cos(latitude) → Ω quand la latitude → 0. Les forces de Coriolis (par unité de masse) associées viennent alors des vitesses verticales w et zonales u, les composantes de l’accélération de Coriolis dite non traditionnelle étant [−2Ω cos(lat)w, 0, 2Ω cos(lat)u]. Les conséquences de ces effets non traditionnels ont été étudiées (voir Gerkema et al., 2008), mais pour des fluides minces (pour lesquels l’échelle verticale est très petite devant l’échelle horizontale), cette force de Coriolis non traditionnelle reste faible devant les autres termes des équations. Comme on va le voir, la faiblesse des forces de Coriolis induit une dynamique équatoriale bien différente de celle des moyennes latitudes. Sur le plan β équatorial (lorsque l’origine des y est à l’équateur), le paramètre de Coriolis devient juste f = βy avec β = 2Ω/RT ≈ 2,3 10–11m–1 s–1 et cette variation linéaire de f est à l’origine d’une

151

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

réponse équatoriale piégée autour de l’équateur avec des courants zonaux forts par rapport aux courants méridiens. Donc l’intérieur équatorial reste relativement isolé et ce n’est qu’au voisinage des frontières Est et Ouest que l’océan équatorial peut réussir à communiquer plus efficacement avec les moyennes latitudes. Loin de ces frontières, la ségrégation des deux populations d’océanographes est donc le résultat en première approximation de l’indépendance dynamique de ces deux zones. Reste à l’expliquer. Commençons par décrire la structure hydrologique du Pacifique équatorial.

 Figure 3-4-15  Section zonale de température à l’équateur dans le Pacifique (données de WOA, 2009).

La stratification équatoriale du Pacifique est constituée d’une couche homogène en surface de l’ordre de 100 à 200 mètres (une couche dite mélangée) séparée de l’océan profond par une thermocline très marquée, l’isotherme 20 °C pouvant servir de définition pour la base de cette couche. Sur la figure 3-4-15, l’isotherme 20 °C remonte de 150 m sur la largeur du Pacifique.

 Figure 3-4-16  Section zonale de salinité à l’équateur dans le Pacifique (données de WOA, 2009).

La salinité de la figure 3-4-16 n’est pas vraiment importante pour la densité, mais on notera les eaux douces en surface en réponse à l’excès de précipitations tropicales

152

3. Dynamique océanique

et surtout la langue d’eau salée vers 150 m dans l’ouest du Pacifique qui accompagne le sous-courant équatorial dans son mouvement vers l’est. On va se borner à examiner la dynamique de cette couche chaude qui flotte sur une couche plus froide. Comme cette couche froide est très épaisse, les courants y sont beaucoup plus faibles. Supposons en effet un milieu à deux couches (1 en surface et 2 au fond) et que le transport net barotrope soit faible, alors : h h1u1 + h 2u 2 ≈ 0 ⇒ u 2 = −  1  u1  h2  Comme le rapport h1 / h 2 ≈ 100m / 4000m = 2.510−2 les vitesses de la couche 2 sont faibles et peuvent être négligées. Le modèle le plus simple de la dynamique équatoriale de la couche de surface est le modèle à une couche et demie défini en 2-4-2 et 2-4-5 :



∂u ∂h − βyv = −g′ ∂t ∂x ∂v ∂ h + βyu = −g′ ∂t ∂y

(a ) (b) 3-4-17

∂u ∂v ∂h + H  +  = 0 (c) ∂t  ∂x ∂y  où h est l’épaisseur de la couche supérieure 1, H son épaisseur au repos et où g′ = g (ρ2 – ρ1)/ρ2 est la gravité réduite qui mesure la stratification entre les deux couches. Ce sont les équations du modèle du plan β équatorial, mais linéarisées pour les petits mouvements quand on effectue l’approximation : D ∂ ≈ Dt ∂t Si β = 0 (la rotation de la Terre disparaît), ces équations sont celles des marées déjà considérées en 3.2. Mais ici les ondes de gravité sont internes et se déplacent à une vitesse beaucoup plus faible c = g ’ H ≈ 1.5 ms −1 (avec H = 100 m et g′ = 2,2 10–2). Ces ondes internes sont associées aux mouvements de l’interface entre la couche 1 et la couche 2. L’hypothèse des petits mouvements demande des courants faibles devant c d’après 3-2-12 et comme les courants équatoriaux de surface ont des vitesses O (1 m s–1), cette approximation est douteuse et n’est faite ici que pour rentrer dans le sujet. On reviendra dessus à la fin du paragraphe. Les ondes équatoriales, solutions libres de 3-4-17, sont fascinantes et importantes lorsqu’on étudie la réponse à des vents variables. On y retrouve le caractère des ondes de Rossby, des ondes de gravité et des ondes de Kelvin. Leurs réflexions aux frontières permettent aussi un couplage avec les moyennes latitudes via l’excitation des ondes de Kelvin côtières. Leur étude est complexe et sort du cadre de cette introduction à l’exception des ondes de Kelvin équatoriales qui sont juste trop importantes, notamment pour la dynamique d’ENSO presentée dans la quatrième partie (Tome 2). La réponse de l’océan équatorial au vent est présentée au travers de deux exemples.

153

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

3.4.4.2

La réponse à un vent zonal constant dans un océan infini : le jet de Yoshida

Le piégeage en latitude des courants équatoriaux peut se montrer assez facilement en calculant la réponse à un vent constant. Supposons pour l’instant qu’il n’y ait pas de frontières et que le forçage par les vents d’est, les alizés, soit constant (τx = ns2 L’hypothèse de la marche aléatoire permet de dire que la corrélation < Dn −1 ⋅ s n > = 0 puisque le déplacement sn n’est pas corrélé avec le déplacement précédent. Supposons que chaque pas soit exécuté en un temps T, alors la variance du déplacement total au temps t avec n = t/T est : s2 < D2 > = t 3-6-13 T L’évolution linéaire en t de la distance carrée moyenne parcourue par l’ivrogne est la marque d’un processus de diffusion avec un coefficient de diffusion KA donné par : KA =

1 d < D2 > 1 s 2 = 2 dt 2T

Quel est le lien avec les trajectoires de flotteurs ? Dans son fameux article de 1921, Taylor a montré que pour des temps grands, le déplacement carré moyen d’une particule fluide dans un écoulement turbulent s’écrit (dans le cas 1D du déplacement selon la direction x) :

< X 2 > ≈ 2 < u 2 > Tint t 3-6-14

où Tint est ce qu’on appelle l’échelle de temps intégrale, l’intégrale de la corrélation des vitesses d’une même particule à deux instants différents. Grosso modo Tint est une mesure statistique du temps au-delà duquel une particule fluide a perdu la mémoire et oublié d’où elle venait. Elle choisit sa position suivante sans référence à son passé antérieur à Tint, ce qui ressemble tout à fait à la marche aléatoire avec un pas d’ivrogne fait tous les Tint. L’expression 3-6-14 est valable pour des temps t >> Tint. De façon assez remarquable, cette échelle de temps intégrale pour les flotteurs immergés entre 700 et 1 500 m est assez constante, de l’ordre de 10 jours (elle est plus courte pour les bouées de surface). On peut alors assimiler le comportement des flotteurs dans la direction x à celui d’un ivrogne faisant un pas au hasard à droite

203

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

ou à gauche tous les 10 jours. L’expression 3-6-14 permet de trouver le coefficient de la loi de diffusion sous-jacent :

KH =

1 d < X2 > ≈ < u 2 > Tint 3-6-15 2 dt

La relation 3-6-15 fournit une façon très simple de représenter le mélange d’un traceur par le chaos lagrangien océanique via un processus de diffusion et son coefficient de diffusion horizontale KH qui est juste la variance de la vitesse fois l’échelle de temps intégrale Tint. Si on prend par exemple uRMS = 5 cm s–1 et un temps intégral de 10 jours, on trouve KH ≈ 2 103 m2 s–1. Si on regarde la carte d’énergie cinétique turbulente de la figure 1-9, on réalise que ce coefficient variera fortement selon la proximité des bords Ouest (et aussi selon la profondeur car les tourbillons sont intensifiés en surface). De fait le mélange turbulent est efficace près des bords Ouest, en surface et dans le courant antarctique circumpolaire (ACC). Si on compare cette valeur de KH avec la valeur du KV de Munk, on voit que les coefficients de diffusion horizontaux sont de sept ordres de grandeur plus grands que les coefficients verticaux. Quand on compare les termes de diffusion eux-mêmes dans K h2 2-3-10, il faut considérer le rapport H . 2 avec h et l les échelles typiques sur KV l lesquelles varie le traceur. Sur des sections comme celles de la figure 1-3, on peut choisir h = 500 m et l = 1 000 km, pour trouver que le rapport est O(1) et donc que les diffusions turbulentes horizontales et verticales apparaissent d’égale importance pour expliquer la distribution de n’importe quel traceur dans l’océan. L’estimation des coefficients de diffusion horizontaux KH par ces expériences lagrangiennes et verticaux KV par les idées de Munk fournissent une représentation empirique (paramétrisation) de la turbulence océanique dans les modèles de climat qui ne résolvent pas le rayon interne de déformation de Rossby. En effet l’instabilité barocline est inopérante dans ces modèles et les tourbillons de méso-échelle absents. L’usage d’un KH et d’un KV dans l’équation 2-3-10 permet de les paramétriser.

3.6.4

Cascades turbulentes directe et inverse

L’insondable a sa machine. Laplace dit : la mécanique céleste. Ses rouages sont pour nous invisibles, tant ils sont démesurés. Ses bras de levier vont de ce que nous nommons la réalité à ce que nous nommons l’abstraction. Il a des prises de force jusque dans le point géométrique. Aucune mesure, aucun rêve, ne peut donner l’idée de cette propagation de vitalité par voisinages grandissants ou décroissants, poussée vertigineuse de l’indéfini dans l’infini. L’infiniment grand arrive à l’infiniment petit et l’infiniment petit à l’infiniment grand. Victor Hugo La turbulence vue au quotidien est comparée ici avec la turbulence dominée par la rotation générée par l’instabilité barocline. En turbulence, la plupart des descriptions sont faites en termes de taille, d’échelles spatiales de tourbillons l, que l’on définira

204

3. Dynamique océanique

comme la longueur d’onde λ divisée par 2π ou de nombre d’onde k = 1/l. On ne se situe plus dans l’espace physique, mais dans l’espace dit de Fourier des nombres d’onde et l’Annexe 4 (Tome 2) explique comment on passe mathématiquement de l’espace physique à l’espace de Fourier. La turbulence présente une gamme étendue de tailles de tourbillons à la différence d’une onde monochromatique qui remplit tout l’espace physique avec une seule longueur d’onde. Les tourbillons de grande taille contiennent la plus grande partie de l’énergie cinétique. Si la vitesse typique d’un tourbillon est u et sa taille est l  le nombre de Reynolds u l / ν mesure le rapport des termes d’accélération aux termes visqueux. Il est si grand que les grands tourbillons ne sentent pas la dissipation. Les tourbillons de très petite taille en revanche deviennent très sensibles à la dissipation (et ultimement leur énergie cinétique se transformera en chaleur). Cette coexistence de tourbillons de toutes tailles dans la même région de l’espace n’est pas du tout pacifique. Ils se donnent des coups et échangent en permanence de l’énergie. Le terme de cascade d’énergie est utilisé pour caractériser le transfert d’énergie d’une taille de tourbillons à une autre.

3.6.4.1

Cascade directe 

Une facon d’aborder la turbulence n’est pas tant de la définir que de considérer ses trois effets principaux. 1) Un fluide est turbulent quand ses mouvements présentent une grande richesse d’échelles spatiales et temporelles, mais à la différence des ondes de faible amplitude, l’énergie cinétique s’échange facilement entre ces mouvements de différentes échelles. Cet échange apparaît quand les termes d’accélération non linéaire deviennent grands. Imaginons en effet la superposition du champ de vitesse de deux ondes de nombre d’onde k1 et k2 à un instant quelconque t : u = a cos(k1x ) + a cos(k 2 x )

∂u Un des termes d’accélération des équations primitives de la section 2.4, disons u ∂x devient : ∂u u = −a 2 [cos(k1x ) + cos(k 2 x )][k1 sin(k1x ) + k 2 sin(k 2 x )] ∂x Apparaissent des produits l’on peut reécrire : cos(k1x )sin(k1x ) = 1 / 2 sin(2k1x ) cos(k1x )sin(k 2 x ) = 1 / 2 sin(k1 + k 2 )x + 1 / 2 sin[(k1 − k 2 )x )] On s’aperçoit alors que ce terme d’advection fait apparaître dans l’écoulement de nouveaux nombres d’ondes, des harmoniques 2k1 (ou 2k2) et aussi les sommes et différences k1 + k2 et k1 – k2. Tant que a2 est petit, ces termes restent négligeables mais quand a2 est grand, les échelles spatiales de toutes tailles sont progressivement excitées et la turbulence apparaît. 2) Une deuxième caractéristique de la turbulence est l’efficacité de son mélange. Il suffit de laisser tomber quelques gouttes de lait dans une tasse de thé et de tourner le

205

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

fluide avec une cuiller une fois pour s’en convaincre. Au bout de très peu de temps, le lait est complètement homogénéisé. 3) La troisième caractéristique est la forte dissipation de l’énergie cinétique : les mouvements dans la tasse de thé disparaissent très rapidement. On peut observer cette dissipation très efficace en observant le sillage d’un hors-bord à la surface de la mer. Au bout de quelques minutes à peine, le sillage s’est refermé et la mer est redevenue lisse. En revanche, les vagues créées par le bateau persistent beaucoup plus longtemps. De façon analogue, le sillage turbulent derrière une voiture est dissipé rapidement. Ces deux dernières propriétés, mélange et dissipation, sont le résultat de la cascade directe d’énergie cinétique vers les petites échelles. Le calcul précédent montre que l’on génère des échelles plus petites k1 + k2 et plus grandes k1 – k2, mais le bilan complet fait apparaître un flux net d’énergie vers les petites échelles causé par ces termes d’accélération. On appelle cela le régime inertiel qu’il faut visualiser dans l’espace de Fourier des nombres d’onde (des échelles spatiales). Lui est associé un flux d’énergie cinétique (par unité de masse) ε en m2 s–3. Ce flux ε est constant dans le régime inertiel, l’énergie étant transportée majoritairement des tourbillons de grandes échelles vers ceux de petites échelles. Si un tourbillon a une vitesse ul et une échelle spatiale l, le flux d’énergie cinétique s’écrira dimensionellement comme : u3 ε l l Cette relation dit que l’énergie cinétique du tourbillon u 2l est transferé aux échelles plus petites en un temps τ = l / u l , typiquement le temps que met une particule fluide pour faire le tour du dit tourbillon, un temps appelé aussi temps de retournement (eddy turn over time). Comme ε est constant dans le régime inertiel, les vitesses et les échelles spatiales des tourbillons sont alors reliées par : u l ~ (εl )1/3 La vitesse décroît avec la taille des tourbillons comme l1/3. Dans le régime inerul tiel, le nombre de Reynolds R E = l >> 1. Mais lorsque les échelles deviennent ν assez petites, la dissipation moléculaire va commencer à pouvoir jouer son rôle de dissipation et faire disparaître l’énergie cinétique (au profit de l’énergie interne, ce qui se manifeste par une augmentation de la température). Sachant que l’échelle de dissipation est alimentée par ce flux d’énergie ε, Kolmogorov a proposé que la dissipation devait agir à une échelle η fonction uniquement de ε et de la viscosité cinématique du fluide ν [m2 s–1]. C’est un exercice d’analyse dimensionnelle que de montrer que : 1/ 4 ν3 η =   ε L’échelle de dissipation η n’est donc pas fixe, mais s’adapte au flux d’énergie qu’elle reçoit des grandes échelles et elle est donc d’autant plus petite que ε est grand. On peut montrer que cette cascade directe est rendue possible par la croissance de la vorticité par l’étirement des lignes de vorticité (ce qui explique pourquoi les vagues dans le sillage du bateau sont préservées car elles sont sans vorticité).

206

3. Dynamique océanique

I FORCAGE

k0

II CASCADE DIRECTE

III DISSIPATION

η-1

k ~ l-1

 Figure 3-6-10  Un résumé phénoménologique de la cascade directe de la turbulence injectée à grande échelle par un forçage à gauche et dissipée à petite échelle à droite. L’axe des abscisses indique les nombres d’ondes, soit l’inverse de l’échelle des tourbillons (k = 1/l).

La figure 3-6-10 résume la phénoménologie de la turbulence selon Kolmogorov. L’échelle des abscisses représente l’espace de Fourier, la taille des tourbillons, grand à gauche (petit k) et petit à droite (grand k). Le forçage externe dans la région I met de l’énergie cinétique dans le fluide à une grande échelle (petit nombre d’ondes k0). Au milieu se trouve le régime inertiel II de la cascade directe vers les petites échelles (grand nombre d’ondes) symbolisée par la flèche grise. L’échelle η marque la zone de dissipation III où la viscosité peut enfin agir. Le nombre de Reynolds est très grand dans les régions I et II et devient O(1) dans la région III.

 Figure 3-6-11  Un colorant marque la présence de turbulence créée dans un bocal de 50 cm de diamètre par une cuiller agitée violemment pendant quelques secondes.

L’image 3-6-11 montre le mélange d’un colorant par de la turbulence créée par le mouvement d’une cuiller dans un bocal plein d’eau de densité constante. La gravité est vers le bas de la page (mais rien dans l’image ne nous l’indiquerait). On note la présence de grosses et de petites structures. C’est l’image de la turbulence du quotidien qui utilise les trois dimensions de l’espace et dont la distribution statistique des vitesses est la même dans les trois directions. On parle de turbulence

207

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

tridimensionelle (3D) isotrope. Le bocal fait environ 40 cm et au bout d’une dizaine de minutes le colorant est complètement mélangé dans tout le bocal et le mouvement a totalement disparu.

3.6.4.2

La cascade inverse

Les figures 1-6, 1-12 et 1-13 montrent aussi de la turbulence dans l’océan mais à des échelles spatiales l beaucoup plus grandes, de l’ordre de la centaine de km. Les mouvements associés ont alors un petit nombre de Rossby R0 = ul/fl ce qui indique que l’accélération de Coriolis est grande devant les termes d’accélération qui jouaient le rôle central dans la turbulence quotidienne du paragraphe précédent. La question est simple : ces termes de Coriolis remettent-ils en cause la phénoménologie précédente ? Et la réponse est oui, mais la difficulté pour l’expliquer vient du fait qu’il faut faire appel encore une fois à l’équation pour la vorticité. Pour montrer les modifications essentielles, on va négliger la stratification en densité et la topographie du fond et ne considérer que l’effet des forces de Coriolis. Les courants sont alors proches de la géostrophie 3-3-4 de sorte qu’on peut écrire : ∂η ∂x 3-6-16 ∂η +f 0u ≈ −g ∂y −f 0 v ≈ −g



Deux modifications ont été faites entre 3-3-4 et 3-6-16 : (i) on n’a pas mis le signe = entre accélération de Coriolis et gradient de pression mais le signe ≈ « à peu près égal » avec une erreur mesurée par le nombre de Rossby R0 ; et (ii) le paramètre de Coriolis est pris constant ce qui implique de considérer la turbulence dans une boîte disons de 1 000 km × 1 000 km qui ne sente pas la forme sphérique de la Terre. Maintenant la conservation de la vorticité potentielle, la relation exacte 2-5-2, devient sous nos hypothèses :

Dς ∂ς ∂ς ∂ς = +u +v = 0 3-6-17 Dt ∂t ∂x ∂y

L’équation 3-6-17 dit que la vorticité relative ζ est conservée à une particule fluide, particule fluide qui ne se déplace plus que sur un plan horizontal (en effet ∂u ∂v ≈ 0) et les vitesses 3-6-16 montre que le flot est aussi quasi non divergent ( + ∂x ∂y verticales alors négligeables). L’équation 3-6-17 gouverne l’évolution d’un fluide bi-dimensionnel (2D) et non plus tri-dimensionnel (3D), un état de fait causé par la dominance des forces de Coriolis et le théorème de Taylor-Proudman (voir § 3.3.1.3). On peut introduire la fonction courant ψ proportionnelle à la pression (= gη/f0) pour écrire vitesses et vorticité comme : u=− ς=

208

∂ψ ∂y

v=

∂ψ ∂x

∂ 2ψ ∂ 2ψ ∂v ∂u − = ∆ψ = 2 + 2 ∂x ∂y ∂y ∂x

3-6-18

3. Dynamique océanique

où on reconnaît la somme des dérivées secondes de ψ comme le Laplacien de ψ. On peut alors re-écrire 3-6-17 en fonction de la seule variable ψ : ∂∆ψ ∂ψ ∂∆ψ ∂ψ ∂∆ψ + − =0 ∂t ∂x ∂y ∂y ∂x

3-6-19

Cette équation est l’équation du mouvement qui permet l’étude de la turbulence à deux dimensions et elle a été énormément étudiée. L’expression quasi géostrophique 3-6-10 des ondes de Rossby en est la forme linéarisée pour les petites mouvements (quand β est présent). Les termes non linéaires présents dans 3-6-19 sont dus aux courants qui transportent (advectent) la vorticité. On rajoutera à droite une dissipation et un forçage éventuel. L’approche numérique est nécessaire pour visualiser les solutions. Pour l’intégrer numériquement, il faut se donner les conditions initiales ψ à un instant t = 0. On calcule les vitesses et la vorticité à l’instant t = 0 avec 3-6-18. Pour avoir la vorticité au pas de temps suivant ∆t, on utilise 3-6-19 que l’on discrétise en temps (voir Annexe 1) : ς |∆t = ς |0 + ∆t u.∇ς |0 Une fois la vorticité connue à ∆t, il reste à inverser le Laplacien 3-6-18 pour trouver ψ à ∆t ce qui est la tâche la plus coûteuse numériquement. L’évolution remarquable d’un flot gouverné par 3-6-19 est illustrée ci-dessous :

Figure 3-6-12 Une démonstration de la cascade inverse dans un modèle bi-périodique qui intègre l’équation 3-6-19. La fonction courant initiale à t = 0 est à gauche et la solution au bout de quelques échelles de temps L/U est à droite. Source : Rhines (1975).

Rhines a mis une forêt de tourbillons de petites échelles dans une boîte océanique bi-périodique. Après quelques temps d’intégration, il observe que la fonction courant a migré vers les grandes structures. L’énergie subit une cascade inverse vers les grandes échelles complètement opposée à la phénoménologie précédente de la cascade directe vers les petites échelles observée au quotidien. C’est la différence entre une simulation 2D et 3D. Et si l’énergie migre vers les grandes échelles, le système se libère de la contrainte de la dissipation et peut persister beaucoup plus longtemps.

209

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Figure 3-6-13 La vorticité relative dans l’état final. Source : Rhines (1975).

La figure ci-dessus montre la vorticité qui n’est autre que le Laplacien de la fonction courant qui possède des structures de vortex autour desquelles s’enroulent des filaments fins. La structure en filaments fait penser à l’évolution d’un traceur dans un champ de courants cisaillés. Cependant la vorticité est un traceur actif dont la valeur contrôle le champ de vitesse qui fait évoluer le traceur. Si on considère un fluide forcé en continu à une échelle lF, la vorticité montre plutôt une cascade directe vers les petites échelles où elle va pouvoir se dissiper et on s’attendrait donc à la situation suivante : CASCADE INVERSE EN ÉNERGIE

FORÇAGE

kF

CASCADE DIRECTE EN VORTICITÉ

k ~ l–1

Figure 3-6-14 Un résumé phénoménologique de la cascade inverse de la turbulence 2D injectée à grande échelle par un forçage au milieu au nombre d’ondes kF et dissipée à petite échelle à droite.

Quand du forçage injecte de l’énergie au nombre d’ondes kF, la vorticité subit une cascade directe vers les petites échelles alors que l’énergie cinétique migre vers les grandes échelles à gauche. La conservation de l’énergie totale et de l’enstrophie totale (vorticité au carré) sur le domaine permet d’expliquer ces comportements assez simplement. Ces quantités peuvent être évaluées soit dans l’espace physique soit dans l’espace de Fourier des nombres d’onde K, avec K le module du vecteur nombre d’ondes de composantes (k, l). Si on appelle respectivement E(K) et Z(K) la quantité d’énergie

210

3. Dynamique océanique

cinétique et d’enstrophie présente au nombre d’ondes K, la conservation de l’énergie totale et de l’enstrophie totale s’écrivent comme une somme sur tous les nombres d’ondes (le théorème de Parseval) :

∑ E(K i ) = constante 3-6-20 ∑ Z(K i ) = ∑ K 2E(K i ) = constante

Comme la vorticité est une expression dérivée de la vitesse, elle s’exprime dans l’espace de Fourier par une multiplication par K et l’enstrophie Z(K) qui est le carré de la vorticité fait apparaître une multiplication par K2. La conséquence des deux contraintes 3-6-20 peut s’apprécier sur le cas particulier suivant. Supposons que l’énergie E0 soit concentrée au seul nombre d’onde K à t = 0. Les interactions non linéaires font apparaître d’autres nombres d’ondes et imaginons que l’énergie est envoyée après un temps t vers les deux harmoniques 2K et K/2. Les deux lois de conservation 3-6-20 permettent d’écrire : E0(K ) = E(2K ) + E(K / 2) 1 Z0 = 4K 2E(2K ) + K 2E(K / 2) 4 C’est un système linéaire de deux équations à deux inconnues qui permettent de voir que : 12 3 = E(K / 2) = E (K ) ; E(2K ) E (K ) 15 0 15 0 On voit tout de suite que la plus grande partie de l’énergie initiale a migré vers K/2 le plus petit nombre d’onde donc les grandes échelles spatiales. En revanche, pour l’enstrophie, on déduit que : = Z(K / 2)

3 12 = Z ; Z(2K ) Z 15 0 15 0

À l’inverse, l’enstrophie migre de facon majoritaire vers 2K, les grands nombres d’ondes donc les petites échelles spatiales. La cascade inverse d’énergie vers les grandes échelles peut être vue comme la raison d’être de l’existence des mouvements de grande échelle dans l’océan et dans l’atmosphère. À partir d’une certaine taille, la rotation de la Terre empêche la cascade d’énergie vers les petites échelles. La question suivante est alors de savoir comment un équilibre peut être atteint à gauche avec ce flux d’énergie vers les grandes échelles (loin des échelles de dissipation). Il ne faut pas oublier qu’océan et atmosphère sont des fluides de faible épaisseur et c’est alors la dissipation (dite d’Ekman) dans des couches limites de fond qui prend le relais pour dissiper l’énergie. Une dépression atmosphérique ou un cyclone tropical s’atténuent rapidement lorsqu’ils passent de l’océan sur la Terre solide. Le contraste entre turbulence 2D et 3D devient encore plus évident quand on refait la même expérience de laboratoire que celle de la figure 3-6-11, mais en mettant le bocal en rotation solide au préalable. L’eau met une vingtaine de minutes pour atteindre la vitesse angulaire imposée par le bocal placé sur une table

211

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

tournante (Ω = 2π/4 sec). Ensuite on remue le fluide violemment comme précédemment et voilà ce que l’on observe en vue de côté au bout de quelques instants :

 Figure 3-6-15  Un écoulement turbulent vu de côté dans un bocal en rotation rapide (Ω = 2π/4 sec, H = 20 cm et LBOCAL = 40 cm). Les tourbillons ne varient quasiment plus dans la direction parallèle à l’axe de rotation (la flèche pointillée). Notez qu’ici la direction de la gravité est parallèle à l’axe de rotation.

La turbulence a migré vers la plus grande échelle spatiale possible selon l’axe de rotation à savoir la profondeur H. Elle ne dépend plus de la coordonnée z selon W, un résultat qui n’est autre que le théorème de Taylor-Proudman-Poincaré et les colonnes de Taylor du paragraphe 3.3.1.4 lorsque le nombre de Rossby est petit. En revanche, près des frontières en haut et en bas, on note un flot différent : c’est la signature des couches d’Ekman qui sont très minces, de l’ordre du mm et où la dissipation est active. L’écoulement en vue de dessus est le suivant :

 Figure 3-6-16  Vue de dessus d’un écoulement turbulent dans un bocal en rotation rapide quelques minutes après l’injection de turbulence avec une cuiller au milieu du bocal. L’axe de rotation pointe vers le lecteur.

212

3. Dynamique océanique

En éliminant la dépendance selon l’axe de rotation, la turbulence évolue manifestement vers les grandes échelles avec principalement deux gros tourbillons qui atteignent la taille du bocal. Une fois l’énergie positionnée à grande échelle, il devient difficile de la dissiper et le mélange du colorant devient beaucoup plus lent que dans l’expérience sans rotation. Comparez les aspects de la figure 3-6-16 de la turbulence 2D avec ceux de la figure 3-6-11 en turbulence 3D. En conclusion de cet argument de cascade inverse, on devrait observer des tourbillons océaniques de la taille des bassins océaniques eux-mêmes. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? Deux effets absents dans la discussion et dans l’expérience de laboratoire viennent limiter la taille des tourbillons : • Le premier est d’avoir négligé la forme sphérique de la Terre capturée au premier ordre par l’effet β qui a joué un si grand rôle au paragraphe 3-4. Ce n’est pas difficile de le ré-intégrer dans 3-6-19 en ajoutant le terme βv. On a déjà vu comment comparer son intensité avec celle de l’advection de vorticité via le U nombre sans dimension M = 2 . Si L est petit, M est grand et β est sans effet, βL comme dans la situation précédente. Mais si L augmente sous l’effet de la cascade inverse, M devient inférieur à O(1) à partir d’une certaine taille, l’équation est alors dominée par β et on reconnaît l’équation linéaire 3-6-10. La cascade inverse s’arrête et le régime devient celui d’une propagation d’ondes de Rossby gentiment superposées. Rhines (1975) a montré qu’effectivement l’état final d’une simulation comme celle de la figure 3-6-12 mais avec la présence de β est celle 1/ 2 U pour un flot de courants quasi zonaux dont l’échelle est justement Lβ = β 2 d’énergie fixée (U /2). • Le deuxième effet est celui d’avoir négligé la stratification. Dans le § 3.6.2 on a décrit l’instabilité barocline très puissante que l’on trouve aux grandes échelles et qui génère des tourbillons avec la taille du rayon interne de déformation de Rossby et c’est cette échelle là qui explique la taille des tourbillons océaniques et des dépressions atmosphériques des moyennes latitudes. • Mentionnons pour finir que la turbulence en présence de forte stratification (mais sans rotation) peut aussi atteindre la limite bidimensionnelle. Pour aller chercher cette limite dans l’océan, il faut se libérer de la rotation et donc aller vers les petites échelles (nombre de Burger élevé). Cette fois ce sont les forces de flottabilité qui vont venir affaiblir les vitesses verticales si le nombre de Froude u/Nl est assez petit. L’équation du mouvement sera identique à 3-6-19. On peut alors imaginer des structures en crêpes minces qui vont cascader horizontalement vers les grandes échelles. Forcément lorsque le nombre de Rossby va diminuer, elles vont retrouver la contrainte de la rotation.

()

213

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

3.6.5

Les tourbillons isolés

3.6.5.1

Les observations

Pour interagir entre eux de facon turbulente comme au paragraphe précédent, les tourbillons doivent sentir la présence de leur voisin et donc être assez serrés les uns contre les autres. Il existe de très belles observations de tourbillons dans l’océan comme les tourbillons d’eaux méditerranéennes ou Meddies (Mediterranean Water eddies) qui sont effectivement isolés de leurs voisins. Solitaires, ils peuvent conserver leur intégrité parfois pendant plusieurs années. La circulation de la Méditerranée est contrôlée par l’entrée de l’eau Atlantique en surface à Gibraltar et par la sortie en profondeur de l’eau profonde qui s’est formée en hiver le long des côtes orientales, le golfe du Lion, la mer Égée, une eau profonde appelée MW (Mediterranean Water) qui est marquée par une température et une salinité élevée causée par la forte évaporation sur le bassin. Cette eau sort comme un sous-courant plaqué sur le talus continental espagnol vers 1 000 m de profondeur, une profondeur qui n’est autre que celle où la densité de la MW s’équilibre avec celle de l’eau Atlantique environnante. La veine de MW longe ce talus continental strié de canyons dont certains sont des sites de générations de ces tourbillons. La veine doit aussi négocier un virage de 90° à droite pour rester collée à la côte après le cap Saint-Vincent. Une partie du sous-courant continue vers le nord le long de la côte espagnole, mais le virage s’accompagne d’un sillage de meddies, des lentilles d’eau chaude et salée qui se déplacent vers 1 000 m de profondeur. Avec des rayons de 20 à 75 km, les meddies sont isolés sur l’horizontale mais aussi sur la verticale car le courant associé (~0,3 m s–1) est maximum vers 1 000 m et décroît tant vers la surface que vers le fond. La section hydrographique bord Est réalisée en 1988 depuis les îles Féroé à 60 oN jusqu’au sud du bassin des Canaries à 60 °N montre la structure grande échelle en salinité mesurée tous les 65 km, ponctuée de trois valeurs isolées entre 31 °N et 37 °N qui sortent complètement de la gamme environnante, la signature de trois meddies (Arhan et al., 1994). Pour savoir ce qu’il en retourne, il faut augmenter la résolution spatiale des mesures et durant les années 1993-1995, diverses expériences (Sémaphore, Amuse) ont été organisées pour observer la formation et le déplacement des meddies dans le Bassin ibérique et le bassin des Canaries en combinant sections hydrographiques et lâchers de flotteurs lagrangiens. Lors de l’expérience Amuse de Bower et al. (1997), des flotteurs Rafos ont été placés dans la veine de courant de MW au large du cap Saint-Vincent pour déceler la formation de ces tourbillons dont un bel exemple est fourni sur la figure suivante.

214

3. Dynamique océanique

Figure 3-6-17 Les trajectoires de 4 flotteurs Rafos placés initialement au sud du cap Saint-Vincent dans la veine d’eau MW vers 1 000 m de profondeur. Source : Bower et al. (1997).

On voit assez clairement quatre de ces tourbillons qui apparaissent quand la veine de MW négocie l’angle droit de la pointe de l’Espagne. Une fois un flotteur pris dans un tourbillon, il y reste. Ceci montre que le tourbillon se déplace tout en transportant l’eau d’origine MW. La figure montre le mouvement à l’intérieur du tourbillon sous forme de boucles anticycloniques (dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord). Une section hydrographique faite à travers un meddy par Tychensky et Carton (1998) permet d’expliquer l’origine de cette rotation.

Figure 3-6-18 Une section hydrographique réalisée au cœur d’un meddy par Tychensky et Carton (1998).

215

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

Le cœur du tourbillon possède les caractéristiques de l’eau MW sortant à Gibraltar, T ∼12,5 °C et S ∼36,30. On repère en général les meddies sur une section hydrographique par leur anomalie (différence) par rapport à l’eau environnante d’au moins 4 °C en température et de 1 ‰ en salinité. La taille de cette anomalie chaude et salée sur la figure 3-6-18 est de 1° de latitude (∼100 km). Au-dessus de 1 000 m, la densité est dominée par la salinité alors qu’au-dessous la température impose sa marque. On peut alors visualiser une section de densité de la façon suivante :

HP

1000 m

Figure 3-6-19 Les isopycnes associés avec un meddy (gris) forment une lentille convexe. Une haute pression (HP) est positionnée au centre de la lentille qui induit par géostrophie une circulation anticyclonique autour du centre, circulation qui décroît au-dessus et au-dessous de la lentille.

Apparaît sur la figure 3-6-19 une forme de lentille convexe pour la densité. Si le mouvement est maximum à 1 000 m, alors l’anomalie de pression hydrostatique est nécessairement plus forte au centre : la géostrophie associe alors un courant anticyclonique autour de cette haute pression. La forme des isopycnes est juste conforme pour que le vent thermique diminue les courants tant au dessus qu’au-dessous du cœur du tourbillon (équation 3-3-6) : le tourbillon est isolé sur la verticale et sur l’horizontale. Ces objets fascinants sont décrits en détail dans la revue de Richardson et al. (2000) qui recense tous les meddies observés sur une carte de l’Atlantique nord :

Figure 3-6-20 Les observations de meddies (cercles) sont positionnées sur une carte de l’Atlantique nord. Les contours blancs représentent la distribution de salinité moyenne à 1 000 m. La migration vers l’ouest des meddies contribue au maintien de cette langue de sel dans l’Atlantique nord injectée à Gibraltar. Source : Richardson et al. (2000).

216

3. Dynamique océanique

Le nombre de meddies formés chaque année a été estimé à 17 et la durée de vie de certains d’entre eux du bassin des Canaries a pu atteindre 5 ans. La plupart cependant se brise avant d’atteindre ces âges avancés par collision avec des monts sous-marins. Leur vitesse moyenne de déplacement (calculée sur un grand nombre de meddies) a été estimée à 2 cm s–1 vers le sud-ouest soit d’un ordre de grandeur plus faible que les vitesses des particules dans les tourbillons. Cette migration peut être due à la circulation générale mais celle-ci n’est pas très intense (on est près du bord Est sous les couches ventilées en surface). Ces tourbillons anticycloniques peuvent aussi avoir leur propre mouvement et se déplacer dans un océan au repos. L’introduction de l’effet β leur prédit en effet un déplacement vers le sud-ouest (Morel et McWilliams, 1997). En vieillissant, ces lentilles ont aussi tendance à s’aplatir à cause d’intrusions d’eaux entre l’intérieur et l’extérieur de sorte qu’une diminution de leur épaisseur impliquera une diminution de f et donc un mouvement vers le sud si la vp est conservée (équation 2-5-2). La figure 3-6-20 montre aussi la distribution moyenne de l’anomalie de salinité à 1 000 m dans l’Atlantique nord. Mazé et al. (1997) estiment que 50 % du flux de salinité vers l’ouest est causé par ces meddies qui expliquent donc une part importante du panache moyen de salinité.

3.6.5.2

Quelques idées théoriques

L’existence de tourbillons isolés dans l’océan a été l’occasion de nombreux travaux théoriques rendus possibles par la relative simplicité de leur forme axisymétrique. Le sujet est d’abord exploré en négligeant l’influence de la stratification en densité que l’on introduira à la fin dans un cas simple.

1.  Un tourbillon isolé en fluide homogène Un premier type d’étude a concerné la stabilité des tourbillons isolés. Si on les observe, cela veut évidemment dire qu’ils sont stables, au moins un certain temps. Lorsque la stratification est absente, il existe en mécanique des fluides un remarquable théorème dû à Rayleigh (1880) concernant la stabilité hydrodynamique de certains écoulements cisaillés unidirectionnels, de la forme U(y), qui démontre que le profil de vitesse nécessite un point d’inflexion pour que des perturbations instables apparaissent. À l’inverse, si un flot n’a pas de point d’inflexion, il est stable. L’existence d’un point d’inflexion signifie également que le gradient de vorticité change de signe quelque part dans l’écoulement. En effet la vorticité relative d’un dU , son gradient de vorticité est simplement flot moyen cisaillé U(y) étant ς = − dy 2 dς d U = − 2 . Ainsi le gradient de vorticité s’annule au point où la dérivée seconde dy dy s’annule. Contentons-nous ici de considérer un tourbillon dans un océan de densité constante. Une forme bien connue est le tourbillon gaussien de Lamb-Oseen dont la vorticité est : r2



Γ − ς(r) = 2 e a 2 u r = 0 u θ ≠ 0 3-6-21 πa

217

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

où ici les coordonnées polaires r, θ dans un plan horizontal sont utilisées. Le flot est dessiné sur la figure suivante : Uθ r

Le flot de base circule avec une vitesse uθ, la composante azimutale dans la direction des θ croissants sur des cercles centrés en r = 0. La composante radiale de la vitesse ur dans la direction des r croissants est ici nulle. La connaissance de la vorticité permet de calculer uθ avec 2-5-3 : 1d ς= (ru ) r dr θ Connaissant la vorticité 3-6-21, il suffit d’intégrer cette équation pour trouver : u θ(r) =

r2

− Γ (1 − e a 2 ) πr

La solution est illustrée ci-dessous :

 Figure 3-6-21   Illustration du vortex de Lamb-Oseen : la vorticité est donnée par la courbe pleine et la vitesse azimutale par la courbe pointillée. Notez la faible décroissance de la vitesse pour les grandes valeurs de r. La figure est faite avec a = 1 et Γ = π.

Près du centre du vortex, la vitesse est une rotation solide (∝ r) de vitesse angulaire Γ/πa2. Loin de l’origine, la vitesse décroît en 1/r. Le vortex de Lamb-Oseen appartient à la classe des vortex de circulation constante à l’infini. La circulation

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3. Dynamique océanique

est l’intégrale du produit scalaire entre la vitesse u et l’élément différentiel dl tangent au contour C : Circ = ∫ u ⋅ dl C

l’intégrale étant prise sur un contour fermé C. Lorsque C est un cercle de rayon r qui entoure l’origine, la circulation 2πr uθ tend vers la valeur constante 2Γ pour r grand et la vitesse uθ = Γ/πr est exactement celle du point vortex (dont la vorticité est concentrée à l’origine). Alors que la vorticité sur la figure 3-6-21 est concentrée aux valeurs de r inférieures à 2a, la décroissance de la vitesse en 1/r est plus faible et du coup ce vortex garde une influence à grande distance du centre. La vorticité de 3-6-21 dépend de deux paramètres, la taille a et Γ qui contrôlent la valeur de la circulation, deux paramètres qui permettent d’adapter cette forme théorique aux observations d’un tourbillon spécifique dans l’océan ou sur une aile d’avion. Quelle est la stabilité de ce vortex ? Le vortex de Lamb-Oseen est bien une solution stationnaire de l’équation de vorticité 3-6-17 puisqu’une particule se déplaçant à r constant conserve la même vorticité. Pour savoir si cet équilibre est stable, on introduit une perturbation et on étudie l’équation de vorticité pour les perturbations. Le théorème de Rayleigh s’adapte facilement à cette situation d’un écoulement circulaire et la condition nécessaire d’instabilité reste toujours que le gradient de vorticité change de signe (attention, en coordonnées polaires, cela n’implique pas un point d’inflexion pour uθ). Mais comme la dérivée dζ/dr de 3-6-21 garde le même signe dans tout l’écoulement (signe  0), ce vortex est donc stable. Mais ce type de vortex présente quand même un handicap : la décroissance de la vitesse en 1/r à grande distance du centre est juste trop faible par rapport aux observations des meddies qui apparaissent plus isolés que cela. Un théorème d’analyse vectorielle très important, le théorème de Stokes, dit que l’intégrale de la vorticité sur le domaine est justement égale à la circulation. Pour que la circulation s’annule à l’∞, il faudrait donc que la moyenne de la vorticité sur le domaine soit nulle. Pour satisfaire cette exigence, il est possible d’entourer le vortex de Lamb-Oseen par une vorticité de signe opposée à la vorticité du cœur du vortex, une sorte de vorticité écran. Certes, mais alors la vorticité n’est plus une fonction monotone de r et le théorème de Rayleigh indique que ce vortex modifié remplit alors les conditions nécessaires d’instabilité. Les instabilités de ce type de vortex peuvent conduire à des réorganisations très variées sous forme de dipôles, tripôles, quadrupôles (Morel et Carton, 1994 ; Carton et Legras, 1994).

2.  La fusion de deux tourbillons isolés Un deuxième type d’études concerne les interactions entre deux tourbillons pour découvrir les conditions sous lesquelles deux tourbillons de vorticité de même signe (tournant dans le même sens) peuvent ou non fusionner. La distance critique audelà de laquelle les deux tourbillons s’ignorent mutuellement et la connaissance du produit de l’interaction sont évidemment les deux éléments à rechercher. L’approche est généralement celle de la simulation numérique, mais Meunier et al. (2005) ont 219

Une introduction à la dynamique des océans et du climat

pu compléter l’approche numérique de la collision de deux vortex du type LambOseen par une approche expérimentale en laboratoire :

Figure 3-6-22 Le processus de fusion de deux tourbillons est visualisé à trois instants avant (a) et (d), pendant (b) et (e), après (c) et (f). En haut, l’expérience avec la visualisation du mouvement par un colorant ; en bas, la vorticité obtenue par la simulation numérique. Source : Meunier et al. (2005).

La fusion s’opère lorsqu’une valeur critique minimale b/a|C ≈ 4,5 a été atteinte, avec b la distance entre les centres des deux vortex et a la taille des vortex. Dès que les tourbillons s’approchent suffisamment, deux filaments de vorticité sont produits qui s’enroulent à l’extérieur des centres des deux vortex. Après la fusion il n’y a plus qu’un seul vortex et ces filaments de vorticité. Évidemment la figure fait beaucoup penser à la description de la cascade inverse turbulente faite plus haut et on peut voir l’expérience comme une visualisation dans l’espace physique de cette cascade inverse avec apparition de vortex cohérents qui contiennent l’énergie et de filaments qui contiennent l’enstrophie. Cette partition entre vortex et filaments n’est pas clairement visible sur les simulations à basse résolution de la figure 3-6-12 mais furent mises en évidence dans des simulations à plus haute résolution par Basdevant et al. (1981) et McWilliams (1984). La figure 3-6-23 de Hua et Klein (1998) montre la vorticité d’une simulation de turbulence bi-dimensionelle faite dans une boîte bi-périodique 1024 × 1024 après 40 temps de retournement l /u : on peut observer cette co-existence d’îlots de vorticité où le fluide est en rotation quasi solide autour des centres (comme pour les vortex isolés vus ci-dessus) et de filaments de vorticité qui sont étirés comme un colorant par le champ de vitesse. On remarquera aussi que les centres des vortex sont assez distants les uns des autres. La fusion des deux tourbillons de la figure 3-6-22 capture cette dualité vortex-filament. En turbulence (lorsque les tourbillons sont

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3. Dynamique océanique

proches les uns des autres), le temps d’existence d’un tourbillon est court, de l’ordre du temps de retournement l /u, mais les vortex cohérents de la figure 3-6-23 sont préservés pendant un temps de persistence beaucoup plus long. Hua et Klein (1998) ont proposé un critère quantitatif pour caractériser ces deux types d’écoulements, vortex et déformation.

 Figure 3-6-23  La vorticité d’un champ turbulent bi-dimensionnel dans un domaine bipériodique 1024 × 1024. Source : P. Klein.

3.  Un tourbillon isolé en fluide stratifié L’étape suivante pour l’océan est évidemment d’introduire la stratification. Une façon simple d’introduire ses premiers effets pour un meddy est de rendre compte de la forme de lentille convexe des isopycnes de la figure 3-6-19 avec un modèle à 3 couches de densité ρ1, ρ2, ρ3 dont seule la couche 2 au milieu est mise en mouvement (la couche d’extremum de vitesse). En appelant η1 et η2 les positions des isopycnes respectivement supérieure et inférieure, l’épaisseur de la lentille peut s’écrire : h 2 = H2 + η1 − η2 où H2 est l’épaisseur de référence en l’absence de mouvement. Exactement comme pour la dérivation de l’équation 3-6-9, l’approximation quasi géostrophique (QG) suppose que les déviations η1 et η2 sont petites devant H2. La vp q2 de la couche 2 s’écrira alors approximativement :

H 2 q 2 = H2

ς2 + f (η1 − η2 ) (η − η2 )  ≈ (ς2 + f ) ⋅ 1 − 1 3-6-22  ≈ ς2 − f H h2 H   2 2

où l’on a supposé pour le dernier terme que la vorticité relative du meddy est petite devant f : on fait l’hypothèse que le nombre de Rossby est petit. Avec une vitesse

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

U = 0,3 m s–1 et un rayon R de 30 km, le nombre de Rossby R0 = U/fR = 0,1 l’est suffisamment, mais les observations montrent aussi des valeurs de R0 qui peuvent monter jusqu’à 0,3 ou 0,4 ce qui nécessitera de revenir sur le cadre quasi géostrophique utilisé ici. Comme on s’intéresse juste à la forme du meddy à un instant donné, on peut aussi analyser la structure sur un plan f (f = constant). La dernière chose qui reste à faire est de relier entre elles la vorticité relative et les déviations des isopycnes dans 3-6-22 grâce à l’hydrostatique et à la géostrophie. L’hydrostatique permet de relier la pression dynamique d’une couche à l’autre : p2 = p1 + g(ρ2 − ρ1)η1 p3 = p2 + g(ρ3 − ρ2 )η2 Mais comme on a fait l’hypothèse que les couches 1 et 3 sont au repos, les pressions p1 et p3 sont constantes et on peut les annuler puisque seuls les gradients de pression interviennent dans les équations du mouvement. En additionnant les deux relations précédentes, on trouve : η1 = −η2 3-6-23 où on a supposé par simplicité que les sauts de densité entre les couches sont les mêmes : ∆ρ = ρ3 − ρ2 = ρ2 − ρ1. La relation 3-6-23 démontre l’effet de lentille convexe du meddy, car si η1 est positif (haute pression dans la couche 2), alors η2 est nécessairement négatif pour venir annuler la pression dans la couche 3. On peut maintenant écrire que les vitesses de la couche 2 sont géostrophiques : ∂η1 ∂x ∂η1 +fu 2 = −g′ ∂y avec la gravité réduite g′ = g∆ρ/ρ2. Comme précédemment il est commode d’introduire la fonction courant ψ = g′η1/f. On peut maintenant exprimer la vp 3-6-22 en fonction de ψ : ψ H2q 2 = ∇ 2ψ − 2 3-6-24 RD −fv 2 = −g′

où l’échelle de longueur RD qui apparaît n’est autre que le rayon de déformation de Rossby approprié pour le meddy : (g′H2 )1/2 RD = 2f L’équation 3-6-24 n’est autre que l’équation de Helmholtz rencontrée fréquemment en physique et dont les solutions sont accessibles. Avec g′ = 7,0 10–3, H2 = 800 m, f (35o) = 8,4 10–5 s–1, RD ≈ 20 km. Les observations de Schultz-Tokos et Rossby (1991) indiquent que le maximum de vitesse des meddies se situe entre 20 et 25 km du centre. Très clairement, RD est l’échelle qui gouverne la taille des meddies. Si on connaît la distribution de vp, alors la relation 3-6-24 doit être inversée pour déterminer la fonction courant ψ et donc les vitesses. On reconnaît la physique semblable à celle de l’ajustement géostrophique discutée au paragraphe 3-4-6. Comme la vp est

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3. Dynamique océanique

une quantité conservée à une particule fluide, les particules piégées dans le meddy vont finir par mélanger leur vorticité potentielle et on peut donc faire l’hypothèse d’une vp homogène au cœur du vortex, une hypothèse confortée par les observations de Schultz-Tokos et Rossby (1991) qui montre une distribution quasi homogène sur un rayon d’environ 25 km, la région de rotation solide des tourbillons. En supposant que le tourbillon est axisymétrique, ψ ne dépend plus que du rayon r (comme pour le vortex de Lamb-Oseen 3-6-21) et l’équation 3-6-24 devient :

( ) ( )

ψ 1 d dψ r − 2 = q0 si r < r0 r dr dr RD ψ 1 d dψ r − 2 = 0 si r ≥ r0 r dr dr RD avec q0 une constante. Le premier terme est la forme prise par le Laplacien ∇ 2 en coordonnées polaires. Certes la vp est discontinue en r = r0, mais on va exiger que pression et vitesse soient continues, ce qui va permettre de raccorder les solutions trouvées dans les deux régions. Il est commode d’adimensionnaliser r par RD en posant x = r/RD de sorte que les équations ci-dessus s’écrivent en fonction de x comme : ψ′ ψ′′ + − ψ = q 0 si x < x 0 x 3-6-25 ′ ψ ψ′′ + − ψ = 0 si x ≥ x 0 x On reconnaît à gauche l’équation différentielle des fonctions de Bessel modifiées d’ordre zéro, I0(x) et K0(x). La fonction de Bessel I0(x) qui est régulière près de l’origine et tend vers l’infini avec x est donc appropriée dans le cœur du tourbillon alors que K0 qui diverge à l’origine et tend vers 0 quand x tend vers l’infini est appropriée dans la région extérieure. Les solutions de 3-6-25 sont donc de la forme : ψ = −q 0 + B I0(x ) si x < x 0 ψ = A K 0(x ) si x ≥ x 0 où A et B sont deux constantes à déterminer via la continuité de ψ et de la vitesse azimuthale uθ = ψ′ en x = x0. On a besoin de connaître les dérivées I0′ = I1 et K0′ = –K1 pour obtenir au final :

K (x ) ψ = q 0  −1 + 1 0 I0(x ) si x ≤ x 0 D0   3-6-26 I (x ) ψ = −q 0  1 0 K 0(x ) si x ≥ x 0   D0

avec D0 = I0(x0)K1(x0) + I1(x0)K0(x0), une constante positive car les fonctions de Bessel modifiées sont strictement positives (elles n’ont pas de zéros). Les observations des meddies suggèrent de prendre x0 = 1. La solution 3-6-26 est illustrée sur la  figure suivante pour q 0 = −1 et x 0 = 1.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

 Figure 3-6-24  La fonction courant (ou pression de la couche 2) est donnée par la courbe continue et la vitesse azimutale, la courbe pointillée, n’est autre que la dérivée de la fonction courant.

Avec une vp négative, la fonction courant (ou pression) est positive et la vitesse azimutale est négative : le fluide tourne alors dans le sens trigonométrique négatif comme un anticyclone de l’hémisphère nord. Le point très intéressant de tout ce développement est que la vitesse tend vers zéro beaucoup plus rapidement que celle du vortex de Lamb-Oseen (comparer avec la figure 3-6-21). La vitesse varie comme K1(x) pour x > x0. Or pour les très grandes valeurs de x : K1(x ) ~

π −x e 2x

ce qui montre que la vitesse tend exponentiellement vers zéro quand x = r/RD devient grand et non plus comme 1/x pour le vortex de Lamb-Oseen. Le dernier aspect intéressant est de voir comment se répartissent les termes de vorticité et de hauteur dans l’expression de la vp 3-6-24 ou 3-6-25. Une fois ψ connue par 3-6-26, ces deux contributions sont en effet accessibles et illustrées sur la figure 3-6-25 :

 Figure 3-6-25  La vorticité potentielle pv (gris clair) est la somme du terme de hauteur –ψ (courbe noire continue) et de la vorticité relative (courbe noire en pointillé).

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3. Dynamique océanique

À l’intérieur du vortex (x  1) la vorticité change de signe et devient positive alors que le terme de hauteur garde toujours le même signe négatif. Ces deux termes s’équilibrent alors exactement puisque la vp est nulle. Un écran de vorticité positive a donc été érigé par la stratification, écran qui permet à la vorticité intégrée sur le domaine et donc à la circulation de s’annuler à grande distance. La circulation varie en effet comme π −x πx −x e = e et tend bien vers zéro la distance x fois la vitesse donc comme x 2x 2 exponentiellement quand x tend vers +∞, en fort contraste avec la circulation constante du vortex de Lamb-Oseen en fluide homogène. C’est donc la stratification qui permet d’expliquer l’isolation du meddy sur l’horizontal. Les figures 3-6-24 et 3-6-25 montrent qu’à une distance r ~ 3RD du centre (soit 60 km avec la valeur précédente de RD), la présence du tourbillon aura quasiment disparu, un résultat en bien meilleure adéquation avec les observations. Comme la vp croît ou décroît (avec un seul saut), une adaptation du théorème de Rayleigh montre que ce type de vortex est stable. Ces vortex modifiés par la stratification, appelés vortex baroclines, ont été très étudiés tant en laboratoire (sur une table tournante) que par simulation numérique, afin de connaître leur déplacement sur un plan bêta, leurs instabilités et leurs processus de fusion. Les revues de Hopfinger et Van Heist (1993), Carton (2001) et Van Heist (2010) permettront de poursuivre l’exploration de la variété des travaux du domaine.

3.7 Les jets zonaux profonds à l’équateur Les jets zonaux de surface sont des éléments observés depuis longtemps dans les régions équatoriales et leur dynamique examinée au § 3.4.4 est une réponse aux vents de surface qui est maintenant assez bien connue. L’observation des jets profonds de la figure 1-14 par les flotteurs Argo est beaucoup plus récente et leur origine reste mystérieuse et encore largement débattue. La dynamique des ondes équatoriales n’ayant pas été traitée, il est difficile de donner des explications ancrées au travers de modèles idéalisés et la présentation sera essentiellement descriptive, menée à partir d’observations et de résultats de modèles numériques.

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Une introduction à la dynamique des océans et du climat

3.7.1

Observations

3.7.1.1

La structure en latitude des courants moyens à 1 000 m

Les courants moyennnés dans le temps et selon la longitude vus par les flotteurs Argo font apparaître les caractéristiques suivantes :

 Figure 3-7-1  Le courant zonal (u) moyenne sur toute la largeur du Pacifique (gris clair), de l’Atlantique (noir), de l’Indien (gris foncé) autour de 1 000 m de profondeur. Le courant u est positif (négatif) vers l’est (l’ouest). Source : OllitraultColin de Verdière (2014).

Une série de jets alternés de vitesse maximum U = ± 4 cm s–1 apparaît très clairement dans le Pacifique sur une bande de latitude 10 °S – 10 °N. L’alternance entre un courant vers l’ouest et un courant vers l’est se fait sur une distance L d’environ 1,5o de latitude soit 160 km. Cette alternance est encore visible dans l’Atlantique nord alors que l’océan Indien ne montre plus cette belle organisation. U Cette figure permet d’estimer un nombre sans dimension déjà rencontré M = 2 βL qui compare le terme d’advection de vorticité relative avec le terme central βv. Avec βEQUATEUR = 2Ω/RT ≈ 2,3 10–11 s1, U = 0,04 m s–1, L = 160 km, on trouve M ≈ 0,07. On en conclut que les termes non linéaires associés à ces jets moyens ne semblent pas importants. L’analyse plus poussée de ces données par Cravatte et al. (2012) pour le Pacifique indique des jets qui s’intensifient à l’ouest avec des recirculations entre jets adjacents à proximité de la frontière Ouest. Ils montrent également l’existence d’un signal de période annuelle superposé aux courants moyens. Ce signal annuel se propage vers l’ouest à une vitesse de 0,45 m s–1. Le forcage du vent est invoqué pour rendre compte de ce signal qui pénètre dans l’océan sous la forme d’ondes de Rossby baroclines, (voir Thierry et al., 2006).

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3. Dynamique océanique

3.7.1.2

La structure verticale des courants moyens

La structure verticale de ces courants moyens a pu être observée lors de la TahitiHawai Shuttle Experiment par Firing (1987). Une section le long de 159 °O a été occupée de facon intensive durant seize mois pour produire les courants zonaux moyens de la figure 3-7-2.

 Figure 3-7-2  Les courants zonaux moyennés dans le temps mesurés pendant 16 mois le long de la section 159 °O dans le Pacifique (les zones de u