La tabacologie: Aspects théoriques, cliniques et expérimentaux 9782759821426

On pourrait presque assimiler l’existence du tabac, cette usine toxique complexe, à un moyen de suicide « voire même de

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French Pages 385 [381] Year 2017

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La tabacologie: Aspects théoriques, cliniques et expérimentaux
 9782759821426

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La Tabacologie Aspects théoriques, cliniques et expérimentaux

Farzam Ghaemmaghami

La collection De Médecin à Médecin s’adresse à tous les acteurs du domaine médical. Écrits par des spécialistes, les ouvrages reflètent les approches multidisciplinaires des pathologies abordées et peuvent aussi présenter des sujets ayant un intérêt pour l’ensemble des spécialités médicales. Chaque sujet est traité de façon pratique, permettant au non spécialiste de suivre pas à pas les développements de l’auteur.

Dans la même collection : Doctor’s blues ou le burnout des médecins, Dr Martine DONNET, 978-2-7598-1687-3, 2016. Comprendre la cellule cancéreuse pour mieux la combattre, Jean-Yves PATTIER, 978-2-7598-1758-0, 2016.

Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-1757-3 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les «  copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2017

INTRODUCTION

Le terme « tabagisme », issu du vocabulaire médical, qualifie l’intoxication aiguë ou chronique par des quantités abusives de tabac, bien que depuis longtemps il soit à tort utilisé pour désigner la simple consommation de ce dernier. Le tabagisme dit « actif » est, par opposition au tabagisme passif, l’inhalation volontaire de la fumée de tabac contenue dans une cigarette, un cigare ou une pipe ainsi que la consommation des formes de tabac non fumées. Le tabagisme passif est quant à lui l’inhalation involontaire de la fumée dégagée par la cigarette ou le cigare laissé par exemple dans le cendrier, ou encore exhalé par un ou plusieurs fumeurs. Le tabac est un facteur de risque important dans l’apparition des maladies cardiovasculaires, pulmonaires et des cancers, les populations de fumeurs présentant au même âge une morbi-mortalité plus élevée que les non-fumeurs. Fumer altère le fonctionnement et/ou l’intégrité de tous les organes du corps humain et le sevrage tabagique, quel que soit l’âge auquel il est initié, conduit rapidement à une amélioration de l’état de santé de l’individu et à une réduction significative des risques liés au tabagisme. Malgré de nombreuses hausses du prix du tabac décidées par les gouvernements successifs, fumer ne coûte pas encore assez cher pour décourager la plupart des consommateurs. Bien que le « budget cigarettes » puisse être parfois conséquent, il ne ruine pas comme cela peut être le cas lors de la consommation d’autres drogues moins accessibles. Il s’agit donc d’une addiction qui reste abordable, et ce, même chez les plus jeunes. Le tabagisme est d’ailleurs répandu dans toutes les classes sociales, surtout les plus modestes. Enfin, il semble indispensable de rappeler que le tabac est actuellement parfaitement légal malgré les effets néfastes qui lui sont attribués et qu’il constitue même une source de revenus non négligeable pour l’État. Contrairement à d’autres addictions comme l’alcoolisme, le tabac n’entraîne ni déchéance intellectuelle, ni ivresse, et par conséquent ne perturbe pas le fonctionnement familial ou socioprofessionnel. Le regard social sur le tabac est donc très différent de celui que l’on a sur l’alcool ou d’autres drogues. En effet, le tabagisme est toléré, accepté, voire même par certains, encouragé. Ces éléments font la particularité de cette drogue et augmentent son danger. Le tabac tue en silence et c’est particulièrement l’initiale discrétion et la latence de ses effets qui le rendent dangereux. Nous savons pertinemment que les maladies qui affectent le plus une º  III  »

La Tabacologie

population sont souvent les pathologies à manifestation retardée, avec une longue période asymptomatique pendant laquelle l’organisme est rongé lentement et de manière irréversible mais sans retentissement physique particulier. Le tabac agit très précisément de cette façon. Aujourd’hui il existe une prise de conscience à la fois des autorités et de la population. Celle-ci se manifeste par un nombre croissant d’études épidémiologiques, scientifiques concernant le tabac et par une augmentation des consultations spontanées dans les services d’aide au sevrage tabagique. La mise en place de nombreuses lois limitant ou interdisant la publicité et la promotion du tabac qui ciblaient particulièrement les jeunes, l’augmentation des prix de vente, la naissance de nombreuses manifestations médiatisées comme la Journée sans tabac, et enfin des mesures restrictives interdisant de fumer dans les lieux publics, facilitent cette prise de conscience et entraînent une réduction lente mais régulière de la consommation de cette drogue. La majorité des fumeurs désirent par ailleurs s’arrêter mais environ 80 % de ceux qui tentent le sevrage rechutent au cours du premier mois d’abstinence et seul un faible pourcentage d’entre eux reste abstinent à six mois. Ces résultats illustrent bien la puissance de la dépendance au tabac. Il est enfin temps de regarder le tabagisme comme une maladie qui, laissée sans soins, engendre à long terme des dérèglements du fonctionnement biologique et des pathologies mortelles. Comme toute maladie, le tabagisme altère le goût et le plaisir d’une partie de la vie. Ce problème passe inaperçu chez le fumeur qui s’habitue progressivement à cette situation et trouve même une sorte de plaisir dans le tabac. C’est seulement à l’arrêt du tabac qu’il retrouve ses capacités respiratoires, redécouvre les plaisirs gustatifs et olfactifs et enfin regagne une liberté tant oubliée. Malheureusement, encore à l’heure actuelle, le tabagisme n’est pas reconnu comme une pathologie en soi, tant au regard des « bien-pensants » prônant la liberté individuelle qu’à celui du grand public. Seules les conséquences pathologiques liées à cette « habitude » sont considérées comme maladies à part entière. Néanmoins, c’est un accompagnement médical qui reste l’aide la plus efficace à apporter à un fumeur. Il est donc indispensable que le médecin tabacologue puisse acquérir une vision plus globale du sujet car la tabacologie, bien qu’à ses débuts, progresse à pas de géant. Une meilleure connaissance des principes pharmacologiques et toxicologiques dans ce domaine permet au médecin praticien d’engager une meilleure discussion avec le patient, de pouvoir répondre avec des arguments solides aux questions de ce dernier, tout en instaurant une relation de confiance mutuelle. Les problèmes engendrés par le tabagisme sont de deux types : la dépendance elle-même, qui pousse compulsivement le fumeur à –– consommer le tabac malgré ses méfaits et son coût de plus en plus élevé. Il faut donc étudier les causes et les raisons du développement de la dépendance ; les problèmes de santé aiguës et chroniques de sévérité variable, jusqu’aux –– pathologies lourdes et irréversibles. Un bon nombre de ces affections sont º IV »

Introduction

causées par la composition même de la fumée du tabac et les substances qu’elle contient et s’expliquent par les effets pharmacologiques et toxiques de ces molécules. Au fil du temps, le comportement du consommateur a progressivement évolué parallèlement à l’avancée des connaissances sur le sujet. En revanche, en ce qui concerne la forme et l’intensité de la consommation ou encore de la dépendance, rien n’a changé. Jadis, le fumeur consommait le tabac sans arrière-pensée négative et, inconscient des problèmes de santé, il s’adonnait à son addiction avec plaisir. Le fumeur d’aujourd’hui, bien mieux informé, observe autour de lui des amis et des proches atteints des maladies les plus graves liées au tabagisme. Il désire vaincre cette mauvaise habitude, lutte, fait des efforts en vain, et continue à fumer.  Il reste pourtant conscient qu’il se suicide à petit feu. Et chez le fumeur de notre époque, c’est une sensation de torture psychique qui accompagne toutes les pathologies directement liées au tabagisme. Le sentiment d’aller à l’encontre de sa volonté, d’être l’esclave de son addiction.  Chaque jour, et ce de plus en plus tôt, des milliers de jeunes goûtent au tabac. Ils représentent un véritable réservoir de futurs fumeurs chroniques et dépendants. C’est pourquoi l’industrie du tabac s’intéresse de très près à cette population, car augmenter le nombre de jeunes fumeurs équivaut à augmenter le nombre de futurs consommateurs. Cette stratégie est primordiale pour l’industrie du tabac. La seconde priorité pour ces fabricants, c’est le nombre de cigarettes fumées par jour et par fumeur. Plus les personnes sont addictes, plus elles consommeront de cigarettes. Enfin, le troisième point important concerne la constance de cette consommation dans le temps. Raison supplémentaire pour que les industriels s’intéressent à ces jeunes, car plus un fumeur commencera tôt, plus longtemps il fumera dans sa vie. Bien que la plus grande partie de la toxicité du tabac soit liée à d’autres composants de la fumée de cigarette que la nicotine, ce sont essentiellement les effets pharmacologiques de cette dernière qui semblent induire la dépendance au tabac. Cette molécule se lie aux récepteurs nicotiniques cholinergiques, facilitant la libération de neurotransmetteurs aux actions complexes chez le fumeur. Ainsi la dopamine, le glutamate, et l’acide gamma-aminobutyrique sont particulièrement importants dans le développement de la dépendance à la nicotine. La dépendance à la nicotine est en partie un caractère héréditaire. Des études génétiques indiquent le rôle des sous-types de récepteurs nicotiniques, ainsi que des gènes impliqués dans la plasticité synaptique et dans le développement de la dépendance. La nicotine est principalement métabolisée par des enzymes de la famille des cytochromes P450, tels que la CYP2A6, et la variabilité de l’importance de ce métabolisme module la vulnérabilité au tabac, la réponse au traitement ou à l’aide au sevrage, et enfin fait varier le risque d’apparition d’un cancer du poumon. La dépendance au tabac est beaucoup plus fréquente chez les personnes atteintes de pathologie psychiatrique et fréquemment associée à d’autres abus de substances psychoactives. Actuellement, la prise en charge thérapeutique de cette dépendance est majoritairement basée sur la substitution nicotinique, mais également sur l’utilisation de bupropion et de varénicline. º  V  »

La Tabacologie

Une bonne compréhension de l’action de la nicotine sur le développement de la dépendance et de ses influences sur le comportement du fumeur constitue une base indispensable pour aider au sevrage tabagique. Dans cet ouvrage, nous examinerons à la fois la neurobiologie de la dépendance à la nicotine et de son sevrage, mais aussi les solutions proposées pour le traitement de cette dépendance.

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SOMMAIRE

Introduction................................................................................................... III 1. Histoire, culture et fabrication du tabac.......................................... 1 1. Histoire................................................................................................. 1 La découverte du tabac......................................................................... 1 Le tabac en France................................................................................ 3 La popularité du tabac et sa légalisation............................................... 4 Les détracteurs du tabac....................................................................... 5 La place du tabac dans la société......................................................... 7 2. La culture du tabac............................................................................... 9 La plante............................................................................................... 9 La culture.............................................................................................. 9 3. La fabrication du tabac......................................................................... 12 2. Le tabac.............................................................................................. 17 1. Formes de consommation..................................................................... 17 Tabacs non destinés à être fumés ou le tabac sans fumée.................... 18 Tabacs destinés à être fumés................................................................ 20 2. Composition chimique du tabac et de sa fumée.................................... 33 3. Substances toxiques............................................................................. 39 Nicotine................................................................................................ 39 Alcaloïdes mineurs et dérivés de la nicotine.......................................... 41 Autres substances irritantes et toxiques................................................ 43 4. Le tabagisme passif.............................................................................. 45 3. Pharmacologie et toxicologie du tabac......................................... 57 1. Les alcaloïdes du tabac......................................................................... 57 Propriétés chimiques............................................................................ 57 Pharmacocinétique............................................................................... 59 Pharmacodynamie et actions pharmacologiques de la nicotine............ 71 2. Monoxyde de carbone (CO)................................................................... 127 3. Irritants................................................................................................. 129 4. Agents cancérigènes............................................................................. 131 5. Diverses autres substances................................................................... 131 º  VII  »

La Tabacologie

Cadmium.............................................................................................. Insecticides........................................................................................... Radioactivité......................................................................................... 6. La chronotabacologie, une discipline à développer...............................

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4. Tabac, pathologies et médicaments............................................... 153 1. Tabac et diverses pathologies............................................................... 154 Intoxication à la nicotine du tabac........................................................ 154 Cancer et tabac..................................................................................... 155 Pathologies respiratoires....................................................................... 155 Pathologies cardiovasculaires............................................................... 162 Appareil ostéo-musculaire..................................................................... 164 Pathologies digestives........................................................................... 165 Pathologies ORL et bucco-dentaires...................................................... 165 Pathologies sanguines.......................................................................... 166 Tabac et dermatologie........................................................................... 166 Tabac, immunologie et allergies............................................................ 167 Effet du tabac sur la fertilité.................................................................. 169 Tabac et grossesse................................................................................ 170 Mort subite du nourrisson..................................................................... 173 Autres interactions................................................................................ 173 Maladies psychiatriques et du système nerveux.................................... 174 2. Tabac et médicaments.......................................................................... 180 Influence du tabagisme sur le métabolisme des médicaments.............. 180 5. Mécanismes pharmacologiques de la dépendance et de la tolérance au tabac.................................................................. 197 1. La dépendance...................................................................................... 199 2. La dépendance tabagique..................................................................... 202 Aspects comportementaux.................................................................... 204 Effets psychoactifs de la nicotine et de son sevrage.............................. 204 Principales caractéristiques du tabagisme............................................ 208 Double dépendance du fumeur............................................................. 208 Modèles d’études de la dépendance à la nicotine................................. 214 Mécanisme neurochimique de la dépendance....................................... 214 Rôle spécifique des neurotransmetteurs dans la réponse à l’administration chronique de la nicotine........................................... 218 Effet du sevrage sur le système de récompense.................................... 223 Plasticité synaptique............................................................................. 224 Effets de la nicotine sur la neuroplasticité cérébrale............................. 226 Système de récompense/renforcement................................................. 230 Neurophysiologie des comportements à étudier en tabacologie............ 237 6. Le sevrage tabagique....................................................................... 51 1. Méthodes d’arrêt................................................................................... 53 2. Traitement médicamenteux................................................................... 255 Substituts nicotiniques.......................................................................... 255 º VIII »

SOMMAIRE

Médicaments non substitutifs............................................................... 3. Autres techniques d’aide....................................................................... Thérapeutiques à venir.......................................................................... 4. Syndrome de sevrage............................................................................ Symptômes psychologiques du sevrage................................................ Symptômes physiques du sevrage.........................................................

257 259 259 261 261 262

7. Marqueurs biologiques du tabagisme............................................. 269 1. Marqueurs biologiques spécifiques....................................................... 271 Nicotine................................................................................................ 271 Cotinine................................................................................................ 280 Trans 3′-hydroxycotinine....................................................................... 288 2. Marqueurs non spécifiques................................................................... 288 Carboxyhémoglobine et oxyde de carbone............................................ 288 Thiocyanate.......................................................................................... 290 Cadmium.............................................................................................. 291 Autres marqueurs.................................................................................. 291 3. Intérêt du dosage des marqueurs du tabagisme.................................... 293 8. Utilisation des modèles animaux dans l’expérimentation en tabacologie....................................................................................... 299 1. Modèles animaux dans les études sur la dépendance........................... 301 Accès conditionnels ou modèle à deux biberons................................... 301 Rat naturellement consommateur de drogue......................................... 302 Auto-administration ou stimulation intracrânienne............................... 302 Techniques augmentant l’auto-administration...................................... 307 2. Le rongeur, modèle d’auto-administration de la nicotine....................... 309 3. Modèles génétiques.............................................................................. 309 4. Techniques stéréotaxiques.................................................................... 312 5. Programmes de renforcements secondaires.......................................... 313 6. Étude et analyse des résultats obtenus chez l’animal............................ 314 7. Effets comportementaux de la nicotine chez l’animal............................ 315 Effets aigus de la nicotine..................................................................... 316 Effets psychostimulants de la nicotine.................................................. 316 Effets anxiolytiques de la nicotine......................................................... 316 Effets chroniques de la nicotine et sensibilisation comportementale....................................................... 317 Interactions entre nicotine, alcool et cannabis...................................... 317 8. Effets renforçants de la nicotine............................................................ 318 Effets subjectifs de la nicotine et propriétés discriminatives.................. 318 Préférence de place conditionnée......................................................... 318 Nicotine et modification du seuil d’excitabilité des circuits de récompense..................................................................................... 319 9. Génétique, addiction et tabagisme................................................. 325 1. Classification des maladies génétiques et rappels................................. 325 Maladies héréditaires à transmission mendéliennes............................. 325 º  IX  »

La Tabacologie

Maladies mitochondriales..................................................................... Conséquences de mutations................................................................. Maladies multifactorielles..................................................................... Études familiales................................................................................... Recherche d’une composante génétique............................................... Caractéristiques des gènes de susceptibilité......................................... 2. Le polymorphisme et ses différentes catégories.................................... 3. Génétique et sevrage tabagique............................................................ Facteurs génétiques et tabagisme......................................................... Gènes responsables.............................................................................. 4. Contribution des facteurs génétiques.................................................... Gènes impliqués dans les activités enzymatiques................................. 5. Gènes impliqués dans les mécanismes d’action de la nicotine.............. Anxiété et gènes des récepteurs et transporteurs sérotoninergiques..... Gènes des enzymes qui interviennent dans la synthèse des neurotransmetteurs............................................. Gènes des enzymes impliquées dans le métabolisme des neurotransmetteurs (noradrénaline et autres monoamines)............ Gènes affectant de multiples neurotransmetteurs................................. Gènes et traits de personnalité.............................................................. 6. Pharmacogénétique et réponse aux traitements....................................

326 326 326 327 327 329 330 331 332 337 338 338 341 344 345 346 343 347 348

Conclusion.............................................................................................. 363 Remerciements....................................................................................... 371

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HISTOIRE, CULTURE ET FABRICATION DU TABAC

1 HISTOIRE »»  La découverte du tabac L’acte de fumer est très ancien. Les Romains et les Grecs fumaient déjà la pipe mais, ne connaissant pas encore le tabac, ils employaient les feuilles d’autres végétaux tels que le poirier et l’eucalyptus, les Gaulois et les Germains préféraient le chanvre. Un peu partout dans le monde, en Orient, à Babylone ou à Java, on aspirait la fumée. Le tabac que nous connaissons aujourd’hui est le produit de la plante Nicotiana tabacum1, originaire d’Amérique du Sud, de Bolivie et du nord-est de l’Argentine. Elle faisait partie intégrante de la vie des populations amérindiennes bien avant l’arrivée des colons espagnols et européens. Cependant, certaines découvertes archéologiques nous montrent que dans diverses régions du monde et avant même sa propagation par les Portugais et les Espagnols, le tabac était connu et consommé. Deux mille ans avant notre ère, cette plante a même été utilisée comme conservateur pour la momie de Ramsès II2.   À l’autre bout du monde, les Tupinemba3 du Brésil l’utilisaient pour ses aptitudes à « éclaircir l’intelligence », mais aussi pour répandre la joie chez ses consommateurs. Pour les tribus d’Amazonie, les fumigations de tabac étaient de coutume dans certains rites d’initiation. Afin de renforcer la clairvoyance du candidat shaman, le jus du tabac était projeté dans ses yeux. Les Aztèques et les Mayas utilisaient quant à eux le tabac lors des rituels religieux, cherchant à atteindre un état d’extase pour communiquer avec les esprits, et associaient alors l’usage du tabac à des danses très rythmées.  1. Nicotiana tabacum, le tabac ou tabac cultivé, est une espèce de plante dicotylédone annuelle de la famille des Solanacées, originaire d’Amérique centrale, largement cultivée pour ses feuilles séchées, riches en nicotine, qui servent à la préparation du tabac manufacturé. Il est parfois appelé grand tabac et plus rarement herbe à Nicot. 2. La découverte du tabac dans la momie de Ramsès II remonte à l’examen de sa dépouille en 1976 par l’historienne Christiane Desroches Noblecourt. 3. Des tribus guerrières d’Amazonie au Brésil, Colombie et Pérou, réputées autrefois pour leur cannibalisme et parlant la langue Tupinemba.

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La Tabacologie

Le tabac n’est apparu sur le continent européen qu’en 1492 suite à l’expédition, financée par Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, de Christophe Colomb aux Indes. Lorsque ce dernier débarque sur les côtes américaines et en particulier sur l’île de Cuba, il est persuadé d’être arrivé en Inde. Il appelle donc les habitants venus à sa rencontre « les Indiens », qui l’accueillent en lui offrant des feuilles séchées de tabac. L’explorateur ne voyant pas l’utilité de ces présents, finit par s’en débarrasser. Il ignorait alors que ces Indiens les utilisaient pour se soigner, couper la faim et apaiser la fatigue ou les douleurs. Malgré tout, le navigateur, en vue d’intéresser ses généreux mécènes qui finançaient à l’époque ce type d’expéditions, embarque au retour sur ses navires non seulement de l’or pris aux indigènes, mais également de nombreux trophées et offrandes destinés à la cour d’Espagne et à celle du Portugal, parmi lesquels figure la plante du tabac. Ses vertus passées inaperçues, elle n’a été utilisée dans un premier temps qu’en tant qu’élément de décoration. Plus tard, en explorant l’intérieur des terres, deux des lieutenants de Colomb, Luis Torres et Rodrigo de Jerez, s’étonnent de voir les villageois brûler ces mêmes feuilles en aspirant la fumée au travers d’une sorte de bâton creux formé de feuilles roulées, appelé tobago. Jerez prend peu à peu goût à la pratique de cette coutume après l’avoir essayée et la ramène avec lui sur notre continent. Mais à cause de la fumée sortant de sa bouche, la puissante Inquisition qui sévissait à cette époque, l’accuse de pactiser avec le diable. Condamné à sept années de prison, bien entendu sans tabac, il participe probablement, contre son gré au premier sevrage tabagique de l’histoire. En 1518, le médecin personnel de Philippe II d’Espagne, Francisco Hernandez de Toledo, redécouvre la plante et la recommande cette fois-ci comme médicament universel. Le tabac est alors planté au Portugal et est logiquement utilisé en Espagne et au Portugal en premier. Rapidement on commence alors à cultiver la plante à l’intérieur des jardins de certaines abbayes dans l’espoir de lui trouver d’éventuelles vertus thérapeutiques. Cette pratique était courante à l’époque, pour toutes les nouvelles plantes, une sorte de screening4 pharmaceutique avant l’heure. La découverte du nouveau monde a d’ailleurs été l’occasion idéale d’enrichir la liste des plantes médicinales. En Italie, elle est rapportée par le cardinal de Sainte-Croix, elle prend alors le nom d’herbe de Sainte-Croix, devenue ensuite herbe sainte, saine-sainte ou sacrée à cause de ses effets « réputés miraculeux ». En effet, selon l’Histoire générale des drogues de Pomet5, les effets du tabac étaient considérés comme très bénéfiques pour l’organisme. Les écrits de cette époque décrivent le tabac comme un produit vomitif, purgatif, vulnéraire, et céphalique utilisé dans l’apoplexie, les paralysies et les catarrhes. Fumer ou mâcher le tabac était réputé pour calmer les douleurs 4. Étape des études précliniques dans la conception d’un médicament. Le screening consiste à analyser les effets d’une nouvelle molécule aux effets inconnus à travers une série de tests. C’est une méthode lente, qui oriente la molécule vers tel ou tel effet thérapeutique. 5. Pierre Pomet, 1658-1699 est un droguiste parisien. Il ouvre son magasin de drogues à Paris en revenant de ses nombreux voyages à travers l’Europe. Il devient très vite réputé et donne des cours pour expliquer la fabrication de ses produits. Il publie en 1694, l’ouvrage le plus complet de son époque, l’Histoire générale des drogues.

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Histoire, culture et fabrication du tabac

dentaires, la migraine, la goutte et les rhumatismes. Les feuilles étaient employées dans de nombreuses compositions galéniques et appliquées comme pansement sur les ulcères et les plaies pour les nettoyer et les cicatriser. Dans les cas d’apoplexie et de léthargie, la décoction de tabac était conseillée par lavements tandis que le sirop était employé pour traiter l’asthme et les toux. Étaient également extraits un esprit et une huile qui étaient applicables localement contre les dartres, la gale et autres maladies cutanées. Encore en 1885 dans le Dictionnaire des Sciences médicales, le tabac était véritablement présenté comme une plante médicinale : « lorsqu’on trouve dans une substance des effets aussi énergiques sur le corps vivant que ceux du tabac et de la nicotine, nous estimons qu’on doit les croire capables de produire des modifications thérapeutiques de premier ordre. » Dès 1520, le commerce du tabac débute à Lisbonne, son succès s’étend alors à l’ensemble de l’Europe. Ainsi les bateaux espagnols et portugais arrivent de plus en plus lourdement chargés de ce produit. Cela dit, durant le xvie siècle, le tabac demeure un produit de luxe, à tel point que les mendiants de Séville ramassent les bouts de cigares et, en les enroulant de papier, les reconditionnent en de nouveaux petits cigares appelés cigarillos.

»»  Le tabac en France Le tabac a été introduit en France en 1556 par André Thévet (un moine cordelier Angoumois) à son retour du Brésil, mais c’est plus tard grâce à Jean Nicot, fils de notaire, diplomate et philologue, maître de requêtes au Conseil du roi, que le tabac est devenu populaire. En 1559, Nicot, nommé ambassadeur de France au Portugal par François II, plante quelques graines de tabac qu’il avait reçues dans le jardin de sa résidence à Lisbonne. En l’an 1561, il fait parvenir du tabac en poudre au Louvre et préconise aux médecins de Catherine de Médicis de l’administrer à la reine, ainsi qu’à son fils aîné François II, roi de France, qui tous deux souffraient de fortes migraines. Il semblerait que la reine ait utilisé cette poudre, éternué et étrangement été libérée de ses maux de tête. On sait aujourd’hui que le tabac ne possède aucune action antimigraineuse, le succès thérapeutique ne pouvait alors qu’être lié au psychisme et à un certain effet placebo. En tout état de cause, cette drogue faisait ainsi son entrée à la cour de France. Fort de cette publicité royale, le tabac envahit le milieu aristocratique. La culture de cette plante a donc très logiquement commencé en France et en Europe tout en restant longtemps un produit de luxe réservé à la bourgeoisie (Fig. 1). Catherine de Médicis participe ensuite à l’essor du tabac en le faisant cultiver en Bretagne, en Gascogne et en Alsace. C’est pour ces raisons, qu’on avait communément surnommé cette plante « l’herbe à Nicot » ou « la Catherinaire » et même parfois « l’herbe à la Reine ». Au cours des deux siècles suivants, son usage se répand à toutes les classes sociales. Jean Nicot sera par la suite récompensé en reconnaissance du service rendu à la famille royale. º  3  »

La Tabacologie

Figure 1 : La plante Nicotiana tabacum. ÊÊ

Le duc de Guise quant à lui a usé de ses influences pour appeler cette herbe Nicotiane. Cette proposition retenue par le botaniste Jacques Daléchamps6, est ensuite reprise par d’autres. Bien plus tard, en 1753, le naturaliste Carl Linnaeus7 utilise le nom de Jean Nicot pour désigner un genre de plantes appelé alors Nicotiana comprenant notamment la plante Nicotiana tabacum. L’adjectif tabacum dérive d’un mot arawak8 désignant les feuilles roulées que fumaient les habitants de Haïti et Cuba. Devenu « tabaco » en espagnol et il est ensuite traduit en français par le mot « tabac », terme encore utilisé aujourd’hui. À la fin du xvie siècle, Nicolas Monardes représente une première illustration botanique de la plante de tabac. Offusqué d’apprendre que la plante de tabac avait pris le nom de Nicot, André Thévet a écrit plus tard : « Je puis me vanter avoir esté le premier en France qui a apporté la graine de cette plante et pareillement semé et nommé la dicte plante l’herbe Angoumoisine. Depuis, un quidam qui ne fit jamais le voyage, après quelque dix ans après que je fusse de retour de ce pays, lui donna son nom. »

»»  La popularité du tabac et sa légalisation En 1572, est publié par Jacques Gohory, L’Instruction sur l’herbe petun, un des premiers ouvrages sur le tabac, toujours décrit comme plante médicinale. Petun est le premier nom qui a été attribué au tabac. Terme depuis tombé dans l’oubli, il était

6. Jacques Daléchamps (1513-1588) est un médecin, botaniste, philologue, et naturaliste français. 7. Carl Linnæus (1707-1778) est un naturaliste suédois qui a fondé les bases du système moderne de la nomenclature binominale. Il a répertorié, nommé et classé systématiquement les espèces vivantes connues à son époque. 8. Les Arawaks (Aroüagues en français du xviie siècle) sont des Amérindiens des Antilles et de la forêt amazonienne.

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Histoire, culture et fabrication du tabac

dérivé de deux langues amérindiennes, le tupi (petyma) et le guarani (pety). Autrefois, le verbe pétuner était d’ailleurs synonyme de fumer9. Il faut savoir que Nicot n’était pas le seul intellectuel à attribuer des vertus médicinales au tabac. Très rapidement après sa découverte, Philippe II demanda aux médecins espagnols de l’utiliser et Nicolo Monardes, à l’université de Séville, recommanda son usage dans de nombreuses pathologies. Le tabac fut initialement prisé, puis chiqué, et enfin fumé en Europe. Durant plusieurs siècles, en France, cette consommation était réservée à une élite aristocrate. Des boîtes spécialement fabriquées pour cet usage permettaient de transporter le tabac lors des déplacements. Fumer le tabac n’était cependant pas très bien vu et on ne fumait que dans des « fumoirs », pièces réservées à cet usage, comme il en existait pour la consommation de l’opium. Fumer était une pratique également répandue parmi les soldats et les marins, mais uniquement lorsque ceux-ci étaient à terre et dans les ports, car le feu était un danger pour les bateaux en bois de cette époque. En 1629 en France, Richelieu créa pour la première fois une taxe sur l’importation et une réglementation du marché du tabac en cédant sa vente exclusive aux apothicaires. À l’époque bien sûr, seules intéressaient les applications médicinales du tabac. Déjà, un marché parallèle et une contrebande apparaissent à travers tout le pays malgré la peine encourue allant jusqu’à l’exécution. Cette contrebande perdure ensuite sous Colbert qui, à son tour en 1681, attribue au Roi le monopole sur la fabrication et la vente du tabac. Et même si en 1791 pendant la Révolution française, la culture, la fabrication et la vente sont libéralisées par l’Assemblée nationale, Napoléon rétablit le monopole de l’État français sur le tabac en 1811. En 1926, est créé le SEIT (Service d’exploitation industrielle des tabacs) qui devient en 1935 la SEITA, avec l’ajout de la production et de la vente des allumettes. En 1999, elle fusionne avec un groupe espagnol pour former le groupe Altadis. En 2000, l’État se retire de ce groupe.

»»  Les détracteurs du tabac Le rejet du tabac dans la société ne date pas d’hier. Jacques Ier d’Angleterre avait publié anonymement en 1604 « Coup de trompette contre le tabac (Counterblast to Tobacco) », en qualifiant l’acte de fumer de coutume dégoûtante, désagréable au nez, dangereuse pour le cerveau et le poumon… Il n’a pas hésité à condamner à mort un noble qui en avait importé illégalement de Louisiane. Il n’a pas décidé pour autant d’en interdire l’utilisation, se contentant simplement d’augmenter les taxes déjà mises en place par la reine Elisabeth Ire. Il interdit par contre toute culture en Grande-Bretagne, de façon à mieux contrôler les taxes perçues au moment du débarquement des cargaisons dans les ports. 9. Cyrano de Bergerac (Acte I, scène 4) d’Edmond Rostand : Truculent : « Ça, monsieur, lorsque vous pétunez, La vapeur du tabac vous sort-elle du nez Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? »

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En soutenant une thèse à la Sorbonne sur les dangers du tabac, Fagon10, qui par la suite est devenu le médecin personnel de Louis XIV, a été le premier à essayer de lutter contre le tabagisme. Cependant, même les examinateurs venus l’écouter, fumaient en l’écoutant et peu d’attention a été portée à son travail. En 1642, le pape Urbain VIII11 publie une bulle12 contre le tabac : « Nous avons appris depuis peu que la mauvaise habitude de prendre par la bouche ou le nez l’herbe appelée vulgairement tabac, s’est tellement répandue dans plusieurs diocèses, que les personnes des deux sexes, même les prêtres et les clercs, autant les séculiers que les réguliers, oubliant la bienséance qui convient à leur rang, en prennent partout et principalement dans les églises de la ville et du diocèse d’Hispale (Séville), et ce dont nous rougissons, en célébrant le très-saint sacrifice de la messe : ils souillent les linges sacrés de ces humeurs dégoûtantes que le tabac provoque, ils infectent nos temples d’une odeur repoussante, au grand scandale de leurs frères qui persévèrent dans le bien, et semblent ne point craindre l’irrévérence des choses saintes. Tout cela fait que voulant, dans notre sollicitude, écarter des temples de Dieu un abus si scandaleux, de notre autorité apostolique et par la teneur des présentes, interdisons et défendons à tous en général et à chacun en particulier, aux personnes de tout sexe, aux séculiers, aux ecclésiastiques, à tous les ordres religieux, à tous ceux faisant partie d’une institution religieuse quelconque, de prendre dans la suite sous les portiques et dans l’intérieur des églises du tabac, soit en le mâchant, en le fumant dans des pipes, ou en le prenant en poudre par le nez ; enfin, de n’en user de quelque manière que ce soit. Si quelqu’un contrevient à ces dispositions, qu’il soit excommunié ». Mais plus tard l’église change de point de vue et le pape Benoit XIII autorise en 1725 à priser dans la cathédrale Saint-Pierre et le Vatican ouvre sa propre manufacture de tabac en 1779. Kerckring13 dans son précis d’anatomie décrit l’autopsie de fumeurs et constate que les effets sur le corps humain sont très loin des vertus prétendues de la plante médicinale. D’après lui, les cadavres ont une odeur de poison, présentent une langue noire, de la suie bouche souvent la trachée, les poumons sont friables et secs. Il explique que le corps des fumeurs donne l’impression qu’un feu a été allumé directement dans les organes. En 1821, le Dictionnaire des Sciences médicales conseillait pour la première fois de réduire fortement l’utilisation du tabac : « Le tabac, considéré sous le rapport de son utilité en médecine et du nombre des végétaux dont les qualités, dangereuses à cause de leur trop grande activité et de leur action en quelque sorte corrosive sur les tissus, doivent rendre l’emploi fort rare, et dont l’administration doit être surveillée avec le plus grand soin. » 10. Guy-Crescent Fagon (1638-1718), botaniste français, devient le premier médecin de Louis XIV. Il est le premier à mettre en doute les bienfaits du tabac sur la santé. 11. Maffeo Barberini (1568-1644), pape de 1623 à 1644, sous le nom d’Urbain VIII. 12. Une bulle dans la religion catholique est un document marquant un acte juridique portant le sceau du pape. 13. Theodor Kerckring (1638-1693) était un anatomiste et chimiste néerlandais. Kerckring est connu pour son Anatomicum de Spicilegium, un atlas anatomique, observations cliniques et découvertes.

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C’est seulement à partir de 1964 que les mentalités et l’avis sur le tabac commencent à changer véritablement et dès 1975 la courbe de consommation tend à s’inverser (avec 1,4 % de décroissance par an).

»»  La place du tabac dans la société Malgré ses détracteurs, le tabac présent même dans les spectacles a pris une place considérable dans la vie de tous les jours. Ainsi Molière écrit : « qui vit sans tabac est indigne de vivre ! » et qui ne connaît pas la chanson : « J’ai du bon tabac dans ma tabatière » datée également de cette époque. C’est plus tard, pendant la guerre d’Espagne sous le premier Empire que le cigare se répand en France, quand les militaires découvrent ce moyen de fumer. L’invention des allumettes au phosphore a facilité ce mode de consommation. Le tabac brun, lui, encore une fois drainé par l’armée, devient populaire en France après la guerre du Mexique. À la fin du xixe siècle (1843), avec le début de l’ère industrielle, la cigarette manufacturée a été inventée. Cette nouvelle forme d’utilisation lance l’expansion de sa consommation dans le monde. À partir de 1900 et seulement en cinquante ans, la production mondiale de cigarettes passe de 10 à 20 milliards de cigarettes par an. Durant les dix années suivantes, une corrélation étroite a été établie entre la consommation de cigarettes et le cancer du poumon, ce qui en a provisoirement ralenti l’utilisation. En 1944, avec le débarquement des soldats américains et la libération d’Europe, mâcher le chewing-gum et fumer sa petite cigarette blonde, deviennent des symboles associés à ces héros libérateurs. Par mimétisme, les populations accroissent leur consommation de tabac, ce qui aboutit à une véritable invasion massive des tabacs blonds en Europe, avec l’implantation des grandes marques de cigarettes américaines. C’est depuis cette époque que le tabac est véritablement devenu accessible à toutes les classes de la société et aux femmes. La préférence pour des cigarettes avec filtres est apparue à la suite de publication d’études épidémiologiques prouvant de façon certaine la toxicité du tabac. Dans le même temps, les industriels du tabac, dans le but de relancer et d’entretenir les ventes, ont fait l’effort de baisser de moitié le taux de goudron dans les cigarettes. En 1948, Sir Richard Doll, médecin anglais, inventeur de l’épidémiologie moderne, a lancé une étude dont l’objet était le tabac. En effet, il a choisi 34 000 hommes, médecins généralistes anglais, pour représenter la population générale anglaise14. Chaque année pendant 40 ans, ces médecins ont été interrogés sur leurs habitudes tabagiques et leur état de santé. La population fumeuse a présenté une fréquence plus élevée de pathologies diverses. Malheureusement, cette étude était mal conçue car une population de médecins ne peut pas significativement représenter l’ensemble des Anglais. En effet, un grand nombre de ces médecins régulièrement tenus informés en lisant les publications de l’auteur ont cessé de fumer. 45 % des médecins fumaient au début de l’étude alors que 20 ans plus tard seulement 10 % continuaient à fumer. Il faut souligner que Sir Richard Doll est aussi l’homme qui plus tard, fort de sa 14. British Medical Journal (BMJ 1964, 1399-1410).

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notoriété, affirma en tant qu’expert qu’il n’y avait pas de relation entre le cancer et l’agent orange utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam. Il a aussi écarté tout risque de cancer par le chlorure de vinyle, tout en étant sous contrat avec Monsanto et Dow Chemical, les fabricants respectifs de ces deux produits qui lui ont versé pendant des années jusqu’à 1 500 euros par jour15. À cette époque, le tabac avait une image positive et l’industrie du tabac pouvait même lui attribuer des bénéfices pour la santé, en suggérant par exemple en 1929 que, pour rester mince, il fallait fumer plutôt que manger une sucrerie. Cette campagne a d’ailleurs révolté l’industrie sucrière et on suspecte également aujourd’hui que l’American Tobacco Company utilisait des additifs afin de fidéliser la population des jeunes. Le tabagisme est à cette époque présent partout dans les films destinés à la jeunesse, valorisant les fumeurs avec un regard très loin de la réalité. On sait aujourd’hui que les adolescents âgés entre 10 et 14 ans, fréquemment exposés à ce genre de scènes de consommation de tabac, ont un risque trois fois supérieur à des jeunes moins exposés de commencer à fumer. L’industrie du tabac n’hésite pas à investir des sommes considérables dans la publicité. Ronald Reagan, acteur connu et très populaire, futur président des ÉtatsUnis d’Amérique présente une marque de cigarette douce et sans arrière-goût désagréable commercialisée sous forme de cartouche-carte de vœux de Noël pour les fumeurs, pendant que les praticiens en blouse blanche annoncent que 20 679 de leurs confrères certifient que les cigarettes d’une seconde marque sont moins irritantes et protègent même la gorge contre l’irritation et la toux. L’industrie du tabac met en avant l’image de médecins souvent eux-mêmes fumeurs, de nourrissons et de sportifs afin de rassurer le consommateur. On donne presque l’impression d’innocuité à l’acte de fumer. Progressivement, avec la médiatisation par les scientifiques des effets néfastes du tabac, l’industrie du tabac doit se défendre, et cela passe par des campagnes de « contre-information ». En 1954, ces industriels publient dans le New York Times et plus de 400 autres périodiques de très nombreux articles pour réfuter la nocivité du tabac et annoncent la création du Tobacco Institute Research Committee, organisme de recherche contrôlé par l’industrie du tabac elle-même. Puis, la publicité met l’accent sur l’interventionnisme abusif des États, en relativisant les risques du tabagisme sur la santé, comme le montre ce slogan de Philip Morris en 1996 « La vie a toujours comporté certains risques. À vous de décider lesquels sont importants ». Depuis le 21 mai 2003, date à laquelle 168 pays s’accordent pour lutter contre le tabac, ce genre de publicité n’est plus possible. Entrée en vigueur le 27 février 2005, cette convention interdit toute publicité en faveur du tabac. L’industrie du tabac contourne cette interdiction de publicité, en développant des campagnes dites de « prévention contre le tabac à destination des enfants ». Il est évident que ces campagnes sont inefficaces et ne donnent aucune information sur les risques liés à la consommation du tabac. Il s’agit en réalité de campagnes de désinformation. 15. Renowned cancer scientist was paid by chemical firm for 20 years – The Guardian, Friday 8 December 2006.

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2 LA CULTURE DU TABAC La vie du tabac comprend plusieurs phases distinctes qui sont la culture et la production des plantes, l’arrachage, l’écimage et l’élimination des parties florales, le ramassage, le triage, le séchage, le stockage et le traitement des feuilles par fermentation et enfin le vieillissement.

»»  La plante La plante Nicotiana tabacum a eu de nombreuses autres appellations à travers les siècles. On peut lire en parcourant son histoire : Tabac commun, Nicotiane, Médicée, Catherinaire, Herbe de M. Le Prieur, Herbe sainte, Herbe à tous les maux, Panacée antarctique, Herbe à ambassadeur. C’est une plante herbacée annuelle ou bisannuelle, dicotylédone, hermaphrodite qui peut atteindre la taille de 1,50 m et jusqu’à plus de 2,50 m pour certaines espèces. Elle possède une forte tige de section circulaire visqueuse au toucher, plantée sur une racine longue et fibreuse. La tige se ramifie à son extrémité distale et porte de grandes et larges feuilles à position alternée. Les feuilles sont également visqueuses, très nombreuses, grandes, de 30 à 60 cm de long sur 10 à 20 cm de large, de forme ovale, à pointe aiguë et plus claire à la face inférieure. Elles dégagent une odeur légèrement âcre, due à la présence de nicotine qui est un produit volatile. Selon la variété, les fleurs sont vert-jaunâtre, blanches ou rosées, avec un calice de petite taille, à cinq lobes ovales, atteignant 5 cm de long. La plante est hermaphrodite, chaque pied porte des fleurs des deux sexes. La pollinisation est assurée au début de l’été par des hyménoptères16 et des lépidoptères17. Le fruit, qui se développe jusqu’en octobre, est formé d’une capsule ovoïde renfermant des petites graines.

»»  La culture La réglementation de la culture du tabac reposait jusqu’en 1970, sur la loi du 28 avril 1816 qui stipulait que « nul ne pourra se livrer à la culture du tabac sans avoir fait préalablement la déclaration et sans en avoir obtenu l’autorisation ». Ce régime administratif a été remplacé par une négociation de contrats de culture. Mais l’obligation de déclaration pour obtention d’une autorisation de culture du tabac est toujours valable avec des poursuites pénales en cas d’infractions. 16. Les hyménoptères, ordre d’insectes, comportant des espèces bénéfiques pour l’Homme. Ils interviennent dans la pollinisation mais d’autres sont des prédateurs commettant des dégâts sur les plantes ou des milieux forestiers. Cet ordre comprend les abeilles, les guêpes et les fourmis. 17. Les Lépidoptères sont un ordre d’Insectes. Leur larve est une chenille et leur adulte est le papillon.

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Il existe une soixantaine d’espèces de tabac. Le taux de nicotine s’élève dans ces variétés de moins de 1 à 3 % dans le Nicotiana tabacum (Fig. 2) à 10 à 15 % dans le Veratrum viride, « tabac du diable », une variété sauvage chilienne. 90 % du tabac cultivé est de la variété Nicotiana tabacum et le reste de type Nicotiana rustica, encore appelé le petit tabac dont les feuilles sont plus concentrées en nicotine (9 %). Les Nicotiana sont des plantes originaires des régions chaudes. Leur culture nécessite un sol riche en humus et une température ambiante à 27 °C (entre 15 °C et 35 °C) ; ces deux facteurs jouent un rôle important sur les propriétés finales du tabac. La plante peut être atteinte par de nombreuses maladies telle que la fonte des semis18, le mildiou19, l’oïdium20, la pourriture noire des racines21, la sclérotiniose22, le virus de la mosaïque du concombre23, le virus de la mosaïque du tabac24 et le virus de la nécrose du tabac25. Les taupes, limaces, pucerons, noctuelles (vers gris) et araignées sont également les ennemis de la plante de tabac. Début mars, la graine est semée d’abord en pépinière et transplantée ensuite en champ au mois de mai. La plante mesure 1,80 m au début de l’été quand commence sa floraison. En pratique, les fleurs sont rapidement coupées pour privilégier un meilleur développement des feuilles. La décoloration des feuilles en juillet/août annonce aux exploitants le début de la récolte. Le degré de maturation des feuilles conditionne leur futur usage. Les feuilles peu matures sont utilisées comme enveloppe extérieure des cigares. La récolte manuelle des feuilles selon leur maturation s’étale sur un mois, alors que la récolte semi-industrielle mécanisée est bien plus rapide mais au détriment de la qualité du tabac. Dans ces plantes, la teneur en nicotine augmente avec le temps et les feuilles sont d’autant plus riches qu’elles sont situées plus haut sur la tige. Pour une variété donnée, le taux de nicotine change également beaucoup avec le climat et surtout l’ensoleillement, la richesse de la terre, l’utilisation des engrais, etc.

18. La fonte des semis est une maladie végétale caractérisée par le pourrissement des pousses en germination sous l’action des micro-organismes tels que Pythium, Botrytis, Fusarium, Phytophthora, Rhizoctonia, Sclerotinia, Phoma. 19. Le mildiou, prononciation phonétique, mildew en anglais signifiant « substance collante sécrétée par les pucerons », désigne une série de maladies cryptogamiques et peut ravager certaines cultures importantes pour l’homme, telles que la vigne, la tomate et la pomme de terre. 20. Oïdium ou maladie du blanc est le nom de la forme asexuée de certains champignons appartenant à la famille des Érysiphacées. Ces champignons parasitent de façon spécifique diverses espèces de plantes cultivées comme le chêne, l’érable, le cognassier, le pommier ou l’aubépine. 21. La pourriture noire des racines est un champignon qui colonise les racines sous forme de taches brunes à noires sur toute leur longueur en détruisant une bonne partie des radicelles. 22. La sclérotiniose ou pourriture blanche est une maladie cryptogamique provoquée par l’attaque de champignons parasites du genre Sclerotinia. La sclérotiniose est une des maladies les plus dévastatrices des végétaux dans le monde. 23. Le virus de la mosaïque du concombre est un virus pathogène du groupe des Cucumovirus. Ce virus peut infecter une très large gamme de plantes. 24. Le virus de la mosaïque du tabac est un virus à ARN qui infecte en particulier le tabac et les autres membres de la famille des Solanaceae. 25. Le virus de la nécrose du tabac est un virus de la famille des Tombusviridae. Il est transmis par les zoospores de Olpidium brassicae, un champignon du sol.

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Figure 2 : Nicotiana tabacum selon la classification de Cronquist 1981. ÊÊ

La Chine, les États-Unis, l’Inde, le Brésil et certains pays de l’ex-Union soviétique assurent actuellement la majorité de la production mondiale de tabac. Même s’ils sont eux-mêmes producteurs, la majorité des pays achètent du tabac pour remédier au manque de diversité. Selon l’OMS, 5 500 milliards de cigarettes sont produites chaque année dans le monde et 11 milliards de cigarettes sont consommées chaque jour par un milliard de fumeurs dont 20 % sont des femmes. 80 % de ces fumeurs vivent dans des pays à faible revenu. L’incidence du tabagisme décroît de par le monde depuis le début des années 1980. La France produit plus de 18 000 tonnes de tabac par an, se plaçant au 5e rang des producteurs européens, cultivant 97 % de tabac blond et seulement 3 % de brun. Le nombre de cigarettes annuellement vendues en France est de 55 milliards. De puissants majors de l’industrie du tabac se sont développés pour satisfaire le grand nombre de fumeurs partout dans le monde. La firme chinoise China National Tobacco Corporation est le premier producteur mondial. 70 % de la fabrication hors Chine est réalisée par quatre multinationales possédant chacune de nombreuses marques : Philip Morris aux États-Unis d’Amérique regroupant les marques Bond –– Street, Chesterfield, Marlboro, Philip Morris… British American Tobacco avec les marques Dunhill, Kent, Lucky Strike, –– Winfield, Vogue… º  11  »

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Japan Tobacco représenté par Benson & Hedges, Camel, Mild Seven, Silk –– Cut, Winston… le Britannique Imperial Tobacco avec Davidoff, Fortuna, JPS, News, West –– ainsi que les anciennes marques françaises Gauloises et Gitanes, et les principales marques de tabac à rouler et de papier à cigarettes : Amsterdamer, Golden Virginia, Drum, Rizla+…).

3 LA FABRICATION DU TABAC La fabrication massive de cigarettes s’effectue depuis toujours dans les usines qui n’ont cessé de se moderniser afin de faire face à une demande croissante de cigarettes. Les feuilles récoltées sont séchées et déshydratées pour perdre plus de 90 % de l’eau qu’elles contiennent initialement. Le tabac subit plusieurs transformations comme l’humectage, le hachage, le séchage ou la torréfaction, la coupe et enfin la mise en paquets. Les tabacs en feuilles sont classés selon leur variété ou leur mode de séchage.  Les cigarettes dites « françaises » contiennent du tabac brun (Dark air-cured). Les feuilles sont séchées à l’air ou au feu. Ce mode de préparation procure à la fumée des propriétés alcalines. Le tabac d’orient (Sun-cured) séché au soleil est en revanche plus clair. Enfin les tabacs blonds (Light air-cured), les plus consommés au monde, sont séchés pendant une semaine à l’air chaud dans des séchoirs traditionnels ou sous serre et sont à l’origine des tabacs de goût dit « américain ». Pour sécher 1 kg de tabac, 20 kg de bois sont nécessaires. On comprend donc que ce mode de séchage, le plus couramment utilisé, soulève des problèmes écologiques favorisant la déforestation massive. Ainsi, dans l’Afrique méridionale, plus de 140 000 hectares de bois disparaissent chaque année pour servir de combustible au séchage du tabac, ce qui correspond à environ 12 % de la déforestation annuelle totale dans la région26. Le tabac est ensuite soit stocké directement, soit fermenté afin de favoriser la volatilisation de la nicotine et de l’ammoniac. Le produit final, conditionné en grande quantité, sera diffusé et vendu partout dans le monde sous les formes qu’on lui connaît tous, à des prix variant d’un pays à l’autre en fonction notamment des taxes décidées par les différents États.

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LE TABAC

Si la rencontre de l’homme avec le tabac remonte à plusieurs siècles, ses différentes formes de consommation n’ont que peu évolué. Il y a déjà longtemps que le tabac n’est plus considéré comme une plante médicinale, bien que certains de ses composés puissent trouver une utilisation thérapeutique1. Le tabac non destiné à être fumé est prisé par inhalation nasale, chiqué par mastication ou encore utilisé en le plaçant entre lèvre et gencive. La forme fumée, quant à elle, comprend cigarette, pipe, cigare, cigarillo, bidî1, tabac en vrac à rouler (avec filtre ou toncar2) et est parfois mélangée à du cannabis (sous forme de joint) ou à de la mélasse parfumée (dans un narguilé), etc. Corrélée à la courbe démographique mondiale, la consommation de tabac augmente en valeur absolue2-5 et on sait aujourd’hui que cette habitude néfaste reste une cause de mortalité majeure, encore à notre époque6. En France, malgré les mesures d’interdiction de fumer dans les lieux publics, la hausse des prix de vente et les campagnes et manifestations anti-tabac, même si en 15 ans la consommation de la cigarette a chuté de moitié, elle reste très importante (Fig. 33).

1 FORMES DE CONSOMMATION L’homme n’a jamais manqué d’ingéniosité pour la consommation des substances addictives et le tabac n’a pas échappé à ce phénomène. L’histoire du tabagisme reflète en effet une consommation sous plusieurs formes, qu’elles soient avec ou sans combustion. 1. La bidî est un type de cigarette indienne en forme de cône, constituée d’une enveloppe de kendu, un arbuste tropical, et contient des brins de tabac hachés, séchés et non traités. L’odeur de la bidî rappelle celle de l’eucalyptus. La teneur en nicotine et en goudron des bidîs est égale ou supérieure à celle des cigarettes conventionnelles. 2. Un toncar, carton en verlan est un petit morceau de carton roulé en cylindre et déposé à l’extrémité d’une feuille à rouler lors de la confection d’un joint de cannabis ou pour rouler une cigarette normale. 3. Logista France/Direction générale des douanes et droits indirects : livraisons de tabac par la filière distribution de Logista en métropole hors Corse.

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Figure 3 : Vente de cigarettes entre 2000 et 2015 (en millions d’unités). ÊÊ

»»  Tabacs non destinés à être fumés ou le tabac sans fumée Appelé « smokeless tobacco » par les anglophones ou « tabac sans fumée », ces formes de tabac ne sont pas consommées après combustion7. Dans cette famille de produits, on peut en trouver certains, anciens, comme le tabac à chiquer, le snus placé entre les gencives et les lèvres ou encore le tabac à priser, appelé snuff. À cette liste, s’ajoutent également de nouveaux produits tels que les Creamy snuffs, mixture à base de tabac vendue pour l’hygiène dentaire, les gommes au tabac utilisées pour tenter de réduire la dépendance à la nicotine dans une démarche de sevrage tabagique tout comme les patchs. Ces derniers, appliqués sur la peau, permettent un passage transdermique direct de la nicotine. Existe également une forme de tabac soluble (dissolvable tobacco), alternative à la nicotine de la cigarette, qui se présente le plus souvent sous forme de sucres solubles parfumés à la cannelle ou à la menthe. De par leur ressemblance aux bonbons à la réglisse et leur goût agréable, ces « sucres » peuvent d’ailleurs attirer et intoxiquer les enfants dès le plus jeune âge. La pâte de tabac (topical tobacco paste), elle, est parfois recommandée dans le traitement des piqûres de guêpes, frelons, fourmis, scorpions ou d’abeilles en application locale. Enfin, eau (tobacco water) et infusion de tabac sont parfois consommées. Le tabac sans fumée est largement utilisé par les jeunes athlètes pour améliorer leur performance sportive, diminuer l’anxiété, renforcer la concentration et l’agilité, améliorer la performance aérobie et favoriser le contrôle du poids mais il produit chez eux des troubles cardovasculaires8. Toutes ces formes de tabac restent nocives, elles contiennent plusieurs des mêmes substances cancérigènes9 présentes dans la fumée et sont dangereuses pour la santé, avec principalement une augmentation du risque cardiovasculaire par rapport à la population générale. Contrairement aux idées reçues, ces formes de tabac contribuent également au tabagisme passif et les enfants vivant au contact de ces produits sont exposés aux nitrosamines cancérigènes spécifiques du tabac par simple contact avec des surfaces et les poussières ménagères contaminées10. Bien que n’étant pas inhalé et en éliminant donc les conséquences directes de la combustion sur les poumons et les voies aérodigestives supérieures, ce tabac non º 18 »

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fumé ne s’exempte pas d’une augmentation de la prévalence des cancers chez les consommateurs. Selon le type de consommation, on constate un plus grand nombre de cancers localisés au niveau de la tête, du cou, de la gorge et de l’œsophage ainsi qu’une fréquence accrue d’affections buccodentaires7. De plus, on sait que l’utilisation du tabac par voie orale est très addictive. Les formes de tabac aux goûts de fruits et de bonbons ont d’ailleurs été interdites en 2009 aux États-Unis par la FDA4 car le goût désagréable du tabac étant masqué, ces produits étaient d’autant plus dangereux qu’ils séduisaient les enfants. Les urgences et centres antipoison avaient en effet été témoins d’un grand nombre d’appels concernant des enfants parfois âgés de moins d’un an qui avaient ingéré ce genre de produits. Ces produits, très bien supportés par un adulte et consommateur habituel, peuvent facilement devenir mortels pour un enfant. Les fabricants de tabac mettent en avant ces nouveaux produits sans fumée pour pallier aux restrictions légales et aux interdictions de fumer dans les lieux publics. Les fumeurs sont encouragés à remplacer la cigarette par une autre forme de tabac, consommable sans limite dans des environnements non-fumeurs. À l’image des messages retrouvés sur les paquets de cigarettes sensibilisant les populations sur les dangers du tabac qui ont démontré une efficacité dissuasive11,12, des campagnes médiatiques devraient pointer du doigt les risques de ces nouveaux produits13. Puisque ce n’est pas le cas, on laisse presque croire aux consommateurs qu’il s’agit là d’alternatives inoffensives.

Tabac à mâcher et tabac à chiquer  Destinés à être mastiqués, ils ont peu à peu été remplacés par les tabacs à fumer mais restent néanmoins toujours populaires dans certaines régions. L’utilisateur mastique une petite portion de tabac à mâcher alors que le tabac à chiquer est simplement placé entre la lèvre inférieure et les dents pendant 10 et 30 minutes. Le pH alcalin de ces formes de tabac facilite l’absorption de la nicotine par la muqueuse14.

Snus Il s’agit d’une poudre de tabac humide et fermentée, conditionnée en petits sachets, très populaire en Suède et en Norvège. Il est placé derrière la lèvre supérieure et gardé en place pendant une durée variable, parfois plusieurs heures. Avec l’interdiction de fumer dans les lieux publics, alors que le tabagisme a régulièrement régressé, le snus est devenu populaire chez les jeunes de ces pays nordiques. Il semblerait cependant que le snus consommé par les jeunes soit une porte d’entrée vers le tabagisme15, bien que peu de données ne soient encore disponibles sur le passage du snus à d’autres modes de consommation. Par ailleurs, le snus pouvant délivrer des concentrations significatives de nicotine16, la prise régulière peut mener à l’addiction (Fig. 4). Une forte proportion d’usagers devient d’ailleurs utilisateur régulier de snus17. En termes de conséquences cardiovasculaires, l’usage de snus n’a pas été associé à une augmentation du risque d’accident vasculaire, en particulier cérébral, mais le taux de mortalité par infarctus du myocarde est plus important chez les consommateurs 4. FDA : Food and Drug Administration, « Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux  »  ? Cet organisme a, entre autres, le mandat d’autoriser la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis.

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de snus par rapport aux non-utilisateurs18,19. Malgré une toxicité moindre et l’absence de fumées, l’usage du snus a paradoxalement été interdit dans l’Union européenne. En réalité, cette interdiction est une réponse à la stratégie de l’industrie du tabac qui, en investissant massivement dans le snus et la nicotine sous sa forme chimique pure, a tenté d’éliminer la concurrence entre les cigarettes et les produits à plus faible risque contribuant ainsi au maintien de l’équilibre actuel du marché, très rentable en faveur des cigarettes20. Cette interdiction n’est cependant pas valable en Suède, après qu’un massif mouvement de contestation lors du référendum pour l’adhésion à l’Union européenne, le 13 novembre 1994, a abouti à une clause d’exception.

Figure 4 : Le snus est placé et gardé en place derrière la lèvre supérieure ÊÊ pendant une durée variable.

Tabac à priser Le tabac à priser ou encore snuff est un tabac simplement broyé en une très fine poudre et consommé par voie nasale. Ce mode de consommation, historiquement l’un des premiers, a pratiquement disparu aujourd’hui dans les pays occidentaux. Il existe encore dans l’armée suisse une tradition qui consiste à priser du tabac en groupe, assis en cercle. Priser semble être moins dangereux21 que chiquer ou mâcher, simplement parce que le tabac est rejeté lorsque le consommateur se mouche ou éternue. De plus, en l’absence de chauffage et de combustion du produit, cette forme de tabac limite l’exposition aux substances cancérigènes, seules les nitrosamines sont retrouvées. Et tout comme pour le snus, certains fabricants européens utilisent des procédés réduisant fortement la présence de nitrosamines. De possibles irritations des parois nasales peuvent être observées en cas d’utilisation répétée, ce qui représente le principal effet secondaire.

»»  Tabacs destinés à être fumés Pipe, cigarette industrielle ou roulée à la main, cigarillos, et formes plus ancestrales comme le narguilé (Qalyane ou Ghelyane) constituent ce mode de consommation.

Cigarette Petit objet léger à durée de vie très brève, il s’agit en fait d’un véritable laboratoire de synthèse chimique qui possède un stock de plusieurs milliers de produits de base. º 20 »

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Associant chaleur et oxygène, ce « laboratoire » synthétise, dégrade ou modifie des milliers de substances, pour la plupart dangereuses et toxiques. La cigarette constitue la forme la plus populaire et la plus consommée du tabac. Le panel de choix en termes de marques, de packaging et de prix de vente est également très impressionnant. Tout est calculé et organisé afin d’attirer et de fidéliser le fumeur. De nombreuses marques appartiennent à un nombre très restreint de multinationales. Diversifier les marques, les modèles et les prix permet de toucher une grande variété de consommateurs avec des styles de vie et des budgets très différents. Cette technique de marketing est récurrente sur le marché des produits addictifs. Il suffit d’observer les linéaires de supermarchés et leur choix extraordinaire en confiseries ou en alcools mais aussi de prêter attention à l’explosion du grand nombre de jeux de hasard disponibles à la vente qui peu à peu se sont additionnés au traditionnel et unique Loto (Fig. 5).

Figure 5 : La diversification des marques de tabac. ÊÊ

Une cigarette n’est rien d’autre qu’un cylindre en papier, rempli de feuilles de tabac hachées et traitées, auxquelles on ajoute quelques ingrédients et additifs. Il n’est pas systématique mais il peut exister un filtre à l’une des extrémités. La cigarette est aujourd’hui massivement produite en série et de manière industrielle. Cependant beaucoup de fumeurs continuent à rouler leurs cigarettes manuellement, pour des raisons financières d’une part (fumer des roulées coûtant globalement moins cher), mais également en partie pour faire durer le « rituel » qui participe à entretenir l’accoutumance gestuelle. º  21  »

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Fumer semble être une pratique finalement simple, devenue un geste évident pour tout le monde… Sauf pour les scientifiques qui parviennent toujours à complexifier les choses en créant des classifications élaborées. Néanmoins, en ce qui concerne la cigarette, différents travaux permettent de mieux cerner les mécanismes du tabagisme passif et actif qui représentent tous les deux d’importants enjeux de santé publique. Une fois allumée, la cigarette se consume et le fumeur inhale la fumée. Une cigarette ne contient pas forcément de tabac et ce dernier peut être remplacé par d’autres plantes ou même d’autres agents psychoactifs comme le cannabis. Il est possible de distinguer plusieurs courants dans la fumée du tabac (Fig. 6, 7) : courant primaire : produit par l’aspiration directe de la fumée de la ciga–– rette. Il définit le tabagisme actif car, par définition, il résulte de l’inhalation volontaire et spontanée de la fumée. Dans le courant primaire, l’air est aspiré et augmente l’incandescence de la zone d’ignition qui avoisine les 800 °C. Cette zone étant au contact direct de l’air ambiant, la combustion est parfaite grâce à la présence de l’oxygène et la haute température. La fumée traverse la longueur de la colonne de tabac et au cours de son trajet se charge en produits de pyrosynthèse, de pyrolyse et de distillation ; courant secondaire : correspond à la combustion spontanée de la cigarette –– entre les bouffées à laquelle s’associe la fumée exhalée par le fumeur. La fumée envahit l’air ambiant et est aspirée involontairement par le fumeur mais aussi par les non-fumeurs autour de lui, participant directement au tabagisme passif. Le courant secondaire est caractérisé par une teneur plus pauvre en oxygène et la température baisse de manière importante, jusqu’à 600 °C. La combustion devient imparfaite et la plupart des hydrocarbures et autres molécules nocives sont formées pendant cette phase. Elles sont aussi partiellement produites lors de la traversée de la fumée le long de la cigarette lors du courant primaire, loin de la zone d’ignition lorsque la température est plus faible et que la concentration en oxygène est moindre ; courant tertiaire : constitué par les particules et les molécules déposées sur –– les surfaces du milieu ambiant qui se volatilisent plus tard sous l’influence de facteurs physico-chimiques de l’environnement. Ce courant qui participe également au tabagisme passif est probablement le plus nocif. Ainsi, on note que la composition, les caractéristiques de combustion, les produits formés et l’absorption au niveau des muqueuses diffèrent en fonction du courant de fumée étudié. Depuis les années 1950, les fabricants ont ajouté à leurs cigarettes de nombreux additifs dans le but premier de différencier les marques les unes des autres, de leur donner des caractéristiques particulières, notamment en termes de goût. L’ajout de substances addictives permet également d’accroître ou d’accélérer l’apparition de la dépendance au tabac. Par exemple, les composés ammoniaqués sont destinés à augmenter l’alcalinité de la fumée, ce qui permet l’absorption de la nicotine dès son contact avec la muqueuse buccale. º 22 »

Le tabac

Figure 6 : La dissection d’une cigarette : 1. Fumée principale (inhalée) ; ÊÊ 2. Section filtre ; 3 et 4. Adhésif du filtre ; 5. Tabac et ingrédients ; 6. Papier ; 7. Fumée secondaire ; 8. Zone d’ignition ; 9. Fumée latérale ; 10. Emballage du filtre ; 11. Filtre.

Figure 7 : Les courants de fumée. ÊÊ

L’autorisation pour intégrer ces additifs aux cigarettes est souvent accordée après étude de l’indice de toxicité à froid. Cependant, ce n’est qu’après combustion, par pyrolyse, que des dérivés toxiques peuvent être libérés. Les mélanges utilisés pour la fabrication des cigarettes peuvent contenir jusqu’à 15 % de leur poids en additifs selon le type de tabac. Le papier de cigarette est également traité et un grand nombre d’additifs sont utilisés en tant que conservateurs, antioxydants, antibactériens ou anti-moisissure, dans la fabrication des filtres, des manchons porte-filtre et de l’emballage. Il a été démontré que la présence des additifs augmente le nombre et la densité des particules dans la fumée, avec dans certains cas une augmentation de sa toxicité22. º  23  »

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Parmi les additifs, on retrouve les humectants, les aromatisants et les agents de combustion. Ils sont ajoutés au tabac pour différentes raisons.  – Les humectants ou agents de texture représentent selon les fabricants de tabac, environ 5 % du poids de la cigarette et empêchent le dessèchement trop rapide du tabac, améliorant son onctuosité et sa combustion. On sait qu’en réalité les humectants rendent également la fumée plus facile à inhaler et augmentent ainsi indirectement les effets nocifs d’autres substances sur les poumons. Parmi ces produits, on peut citer le glycérol ou glycérine, qui n’est pas toxique à froid. Cette substance a donc obtenu l’autorisation d’être utilisée mais sa combustion libère de l’acroléine, une molécule très cancérigène et très irritante d’ailleurs utilisée dans un autre contexte en tant qu’arme chimique. Cette molécule a également été incriminée dans l’apparition de maladies pulmonaires obstructives chroniques, asthme et fibrose kystique, de pathologies neuro-dégénératives telles que la maladie d’Alzheimer et enfin dans l’athérosclérose. La fumée de cigarette engendre globalement une réponse inflammatoire au niveau des cellules épithéliales des voies respiratoires et on a souvent considéré qu’acroléine, nicotine et acétylaldéhyde étaient les principaux responsables de cet effet inflammatoire. Certaines études montrent effectivement que l’acroléine serait un déclencheur d’inflammation alors que la nicotine, elle, semblerait plutôt avoir un effet protecteur contre cette inflammation23. Le propylène-glycol est également utilisé en tant qu’humectant. Chez l’Homme et les animaux à très hautes doses, l’intoxication par cette molécule entraîne principalement des atteintes au niveau du système nerveux, du rein, de la moelle osseuse, des systèmes immunitaires et de la reproduction. Les maladies respiratoires ou mettant en jeu le système immunitaire, telles que l’asthme, le rhume des foins, l’eczéma et les allergies, sont plus fréquentes chez l’enfant exposé à ces solvants24,25. Son contact direct avec la peau peut déclencher des réactions allergiques26,27. Une toxicité indirecte est également importante à souligner car le propylène glycol solubilise un nombre important de produits parfois toxiques ou cancérigènes28 et facilite leur pénétration au travers des muqueuses. Cette molécule entre aussi à 80 %  dans la constitution des solutions utilisées dans les cigarettes électroniques. Pour information, d’autres additifs comme le diéthylène-glycol, l’éthylène-glycol et le sorbitol sont également présents dans le tabac. – Les agents de combustion : les nitrates sont utilisés dans le but d’améliorer la combustion de la cigarette ce qui peut réduire les taux de monoxyde de carbone et donc en théorie la toxicité. Mais les nitrates forment, sous l’influence de bactéries nitrifiantes, pendant l’étape de la fermentation du tabac, des nitrosamines, molécules connues pour être mutagènes et cancérigènes. Le dioxyde de titane qui est présent dans le filtre de la cigarette est utilisé comme principal retardateur de la combustion. Il se combine aux vapeurs de chlore pour former du chlorure de titane qui est une molécule très corrosive. º 24 »

Le tabac

– Les aromatisants : officiellement, l’ammoniac5 est utilisé comme additif pour son effet aromatisant. Lors de la réaction de Maillard, correspondant à l’action des sucres sur les protéines, il y a formation de ce que l’on appelle « le caramel ammoniacal », molécule à l’origine du goût généralement apprécié propre aux viandes rôties. En réalité, l’alcalinisation du tabac est surtout recherchée pour augmenter l’absorption de nicotine à pH basique. Mais alcaliniser complètement le tabac nécessiterait des quantités si importantes d’ammoniac que le tabac deviendrait très odorant et donc inutilisable. L’ammoniac est bien sûr réputé pour être une molécule irritante et toxique, et son rôle parfois évoqué dans le développement de la dépendance n’est pas justifié et n’est fondé sur aucune argumentation scientifique. Le menthol, un produit naturel extrait d’une plante appelée « menthe poivrée », est un monoterpène largement utilisé dans l’industrie cosmétique comme produit naturel et également connu pour son pouvoir aromatisant. La sensation de fraîcheur caractéristique du menthol est due à l’activation de neurones sensoriels. Le menthol agit sur les récepteurs thermiques TRPM8 situés au bout de nos terminaisons nerveuses, dans les membranes des neurones sensoriels, en induisant une accélération de la mobilisation du calcium intracellulaire d’une part, et du flux de calcium au travers des canaux calciques d’autre part. Le menthol présente aussi des effets cytotoxiques sur les cellules cancéreuses, induisant une diminution de la croissance de ces cellules malignes. Malgré ses avantages, son effet refroidissant empêche la reconnaissance des toxines et de la nicotine par la muqueuse29. Le menthol facilite l’absorption de ces molécules et, de ce fait, peut être considéré comme un élément susceptible d’accroître l’accoutumance à la nicotine en favorisant sa diffusion à travers la muqueuse. Cependant, cette hypothèse reste discutée et certaines études semblent même la réfuter car il n’existe que peu d’association évidente entre consommation de cigarettes mentholées et importance de la dépendance ou encore difficulté d’abstinence lors des tentatives de sevrage30. Le cacao est également utilisé en tant qu’aromatisant dans les cigarettes. Il contient de la théobromine, molécule de la famille des méthylxanthines. Il a été longtemps soupçonné d’accroître l’addiction à la nicotine en favorisant son absorption pulmonaire31. Cette idée est actuellement en partie abandonnée car la théobromine, à l’inverse de la théophylline, molécule de la même famille présente dans le thé, a une action diurétique plutôt que bronchodilatatrice. Cependant, théoriquement, même en étant un bronchodilatateur moins puissant que la théophyline, la théobromine pourrait dilater les voies respiratoires et permettre à la fumée de pénétrer plus facilement et plus loin vers les alvéoles pulmonaires, avec comme résultat une plus importante absorption de la nicotine. Mais les doses de théobromine présente dans la cigarette étant faibles, il semble qu’elle ne puisse induire d’effets pharmacologiques. Le cacao peut néanmoins agir sur la dépendance au tabac par une augmentation des perceptions sensorielles32. 5. L’ammoniac est un composé chimique, de formule NH3. À une température et une pression ordinaire, c’est un gaz, à ne pas confondre avec l’ammoniaque qui est le nom de la solution aqueuse d’ammoniac NH4OH.

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La Tabacologie

L’acide glycyrrhizique est un principe actif présent dans la réglisse. De structure hétéroside, il est responsable de la saveur sucrée de la réglisse et, pour cette raison, utilisé comme édulcorant. Cette molécule qui possède une action semblable à celle des corticoïdes peut produire une broncho-dilatation. Dans les cigarettes, elle n’a qu’un rôle aromatisant car elle ne résiste pas à la pyrolyse et ses taux de concentration sont très faibles. Le miel et les sucres associés à l’ammoniaque donnent un goût de caramel. Ces molécules sucrées sont à l’origine de l’existence dans la fumée de la cigarette, des dérivés de furanes, de pyrroles et en partie de l’acétaldéhyde. Le miel, les sucres et le cacao qui sont pyrolysés par la combustion de la cigarette, produiraient également des inhibiteurs de monoamine oxydase (IMAO). Une activité psychotrope de ces produits n’a cependant pas été démontrée.

Autres modes de consommation de tabac destinés à être fumés La pipe dont l’ancêtre est le calumet sert usuellement à fumer le tabac mais peut être également utilisée pour consommer d’autres substances comme le cannabis ou l’opium. De formes et de matières variées, elle est composée de deux parties : le fourneau qui contient le tabac et le tuyau qui sert à aspirer la fumée. Les tabacs à pipe sont des mélanges, généralement à base de tabacs blonds, trempés dans une solution aromatique. Le cigare est un cylindre beaucoup plus gros que la cigarette, pour lequel des feuilles de tabac remplacent le papier. Pour sa fabrication, on utilise souvent du tabac brun, sans intervention chimique artificielle ni aucun additif. Le cigarillos, plus petit que le cigare, possède un goût assez similaire à ce dernier avec une taille proche de celle de la cigarette. Le narguilé : les premiers récipients utilisés formés dans des noix de coco ont ensuite été remplacés par des objets en verre. Appelés respectivement narguile et chicheh en persan, on les connaît en Occident sous les termes narguilé et chicha. En Iran, cet appareil est appelé le « ghelyan ». Alors que fumer une cigarette prend moins de 10 minutes, une séance de narguilé expose le fumeur aux substances toxiques pendant une période de 20 minutes à une heure. Il peut inhaler près de 200 bouffées du produit, ce qui équivaut à consommer plus de vingt cigarettes en termes de quantité de fumée inhalée. La teneur en nicotine du tabac utilisé est faible et une partie est absorbée par l’eau que traverse la fumée. Le fumeur peut donc inhaler des bouffées volumineuses et de durée six fois supérieure à celles de la cigarette. Il est ainsi exposé de façon plus importante à toutes les substances dangereuses présentes dans le tabac. Une séance d’environ 45 minutes intoxique le fumeur avec 20 fois plus de goudron, 2 fois plus de monoxyde de carbone et 3 fois plus de nicotine qu’une cigarette33. Globalement, le fumeur consomme en une heure l’équivalent d’un grand nombre de cigarettes, mais ne fume qu’une seule fois, alors que la cigarette est consommée pendant toute la durée de l’éveil, et ce, de manière répétée. º 26 »

Le tabac

C’est donc une forme de consommation du tabac très différente mais tout aussi nocive que la cigarette, exposant à une quantité importante de monoxyde de carbone, d’autant plus que le charbon utilisé pour cette combustion dégage lui aussi ce même gaz. Cependant la température de combustion plus basse et le filtrage à travers l’eau atténueraient peut-être la nocivité des autres substances toxiques présentes dans le tabac, en modifiant à la fois leur nature et leur concentration. Le même tuyau utilisé pour inhaler la fumée, partagé par différents consommateurs qui le portent à la bouche successivement, rend cette pratique conviviale mais peut favoriser la transmission de maladies contagieuses, comme le rhume ou l’herpès, voire des pathologies plus sévères telles que la tuberculose et l’hépatite. L’utilisation d’autres plantes que le tabac réduit l’exposition à la nicotine et pourrait laisser croire à une nocivité moindre, mais il s’avère que l’effet néfaste sur les cellules pulmonaires est identique34, seule la nicotine étant absente lors de ces combustions mais les autres composés toxiques sont toujours présents35. L’utilisation simultanée de cigarette et de ghelyan augmente l’intensité de la dépendance et rend plus difficile le sevrage tabagique36.

La cigarette électronique37 On ne peut présenter dans ce chapitre toutes les formes de consommation de tabac sans parler de la cigarette électronique qui devient aujourd’hui très populaire chez les fumeurs surtout chez les plus jeunes38,39, même si concrètement elle ne contient pas de tabac. Elle constitue en absence de combustion, soit une alternative moins nocive à la cigarette traditionnelle40, soit un substitut nicotinique avec des doses que l’on peut réduire graduellement jusqu’au sevrage complet41,42,43. Son efficacité dans le sevrage tabagique doit être mieux et plus rigoureusement étudiée44. L’interdiction de fumer dans les lieux publics et la diffusion d’information sur les dangers du tabac ont participé au succès impressionnant des cigarettes électroniques au cours des dernières années. En mai 2014, un projet de loi tente d’interdire l’utilisation de ces cigarettes dans les lieux publics, en invoquant des raisons de santé publique et d’incitation au tabagisme. En réalité, il est beaucoup plus probable que le lobby du tabac soit le principal instigateur de la mise en place de cette loi, la popularité de ces nouveaux produits menaçant le marché de la cigarette traditionnelle. De plus, la cigarette électronique n’étant pas surtaxée comme le tabac, la diminution des ventes de cigarettes se traduit par une perte de revenu conséquent pour l’État. Communément appelées « e-cigarettes », elles produisent un aérosol qui peut être inhalé sous forme de vapeur artificielle comme la fumée d’une cigarette classique au tabac. Cette vapeur est fréquemment aromatisée au goût de tabac blond, brun, aux fruits, à la menthe ou encore à une grande variété de parfums plus insolites. Elle contient différentes concentrations de nicotine et il en existe aussi une variante totalement dépourvue de nicotine. La cigarette électronique possède plusieurs avantages par rapport à la cigarette traditionnelle, en particulier elle ne dégage pas l’odeur caractéristique du tabac fumé. De plus, elle contient beaucoup moins de substances cancérigènes et toxiques45. Quelques études ont évalué les effets de la cigarette électronique, étudiant les niveaux de nicotine plasmatique et la fréquence cardiaque en particulier, mais ont retrouvé des effets jugés négligeables. Les données sur la sécurité de ces produits sont encore très limitées pour ne pas º  27  »

La Tabacologie

dire inexistantes. Dans quelques cas, les utilisateurs signalent des effets secondaires mineurs, tels qu’une sécheresse buccale, une irritation de la gorge, des céphalées, des vertiges ou encore des nausées. L’efficacité pour le sevrage tabagique de la cigarette électronique reste également à vérifier46. Il existe un très grand nombre de modèles, de tailles, de formes, d’accessoires et de marques. Les premières cigarettes électroniques étaient jetables et les fabricants cherchaient à reproduire une apparence proche de celle de la cigarette traditionnelle. Depuis les modèles évoluent, devenant des objets au design travaillé, discrets et épurés ou au contraire extravagants. Aujourd’hui, avec la miniaturisation des composants électroniques, ces cigarettes sont souvent dotées de dispositifs de réglage d’intensité, de compteurs de bouffées, d’interfaces informatiques de type USB et d’autres gadgets. Les marques, les boutiques et les modèles fleurissent chaque jour un peu partout. Le terme vapoter ou vaper a remplacé pour certains celui de fumer. Bien que l’engouement pour ces objets soit assez récent, notons que l’idée est assez ancienne puisqu’imaginée par Herbert A. Gilbert en 1963. Elle n’a cependant été commercialisée qu’en Figure 8 : Une cigarette électronique ÊÊ 2003 par un pharmacien chinois reproduit les effets sensoriels de la cigarette traditionnelle tout en délivrant la nicotine. nommé Hon Lik (Fig. 8). Le principe est simple, une résistance chauffante appelée atomiseur produit de la vapeur en chauffant un liquide appelé e-liquide dont le point d’évaporation est proche de 50 °C. L’utilisateur peut alors inhaler cette vapeur. La cigarette électronique est dotée d’un dispositif de détection de l’aspiration et active aussitôt la résistance chauffante. L’aérosol formé d’un grand nombre de microgouttelettes ressemble à un nuage et fait penser à la fumée d’une cigarette. Cette vapeur n’a pas d’odeur et disparaît très rapidement. L’e-liquide, la solution utilisée dans ces cigarettes est constituée d’un mélange formé à 80 % de propylène glycol et à 20 % de glycérine végétale, avec parfois un faible pourcentage d’alcool et d’eau. Ce liquide le plus souvent aromatisé peut contenir de la nicotine ne dépassant en général pas 4 % (40 mg/mL). La combinaison du propylène glycol et de la glycérine comme véhicule facilite la livraison de nicotine47. La cigarette électronique ne contient que très peu de produits chimiques48 comparée aux 5 000 substances présentes dans la fumée de tabac. Elle présente donc moins de risques toxiques et cancérigènes49. Pour le moment, aucun cas d’intoxication causée par les solvants des cigarettes électroniques n’a été rapporté. Cependant la cigarette électronique n’est pas totalement inoffensive pour la santé. En effet, il a été mis en évidence que des quantités faibles de formaldéhyde, d’acroléine ou d’acétaldéhyde pouvaient s’en dégager. º 28 »

Le tabac

L’utilisation de ces substituts à la cigarette peut s’avérer intéressante pour lutter contre l’envie de fumer50, car elle simule l’acte comportemental en le calquant sur le geste habituel du fumeur, tout en lui laissant la possibilité de réduire progressivement les concentrations de nicotine en atténuant ainsi les symptômes du sevrage51. L’e-cigarette est donc considérée comme un moyen d’aide au sevrage tabagique, même chez les personnes à la fois addictes aux opiacés et au tabac52. Elle est souvent utilisée plus longtemps que les substituts nicotiniques traditionnels49 et son efficacité comme aide au sevrage reste controversée53. Attention, sa banalisation dans la main des plus jeunes, même lorsqu’elle ne contient pas de nicotine, peut présenter un danger en incitant à une consommation tabagique ultérieure54. En effet, même si l’objectif initial de ces cigarettes électroniques est de proposer une alternative moins nocive au sevrage tabagique, leur utilisation première a été détournée au sein de la population jeune (et notamment chez les adolescents) pour devenir une manière alternative de fumer à la mode55. Le propylène glycol utilisé à environ 80 % dans ces liquides n’est pas toxique56. C’est un composé synthétique, incolore, inodore et visqueux qui présente une grande affinité pour l’eau. Peu volatil à température ambiante, il se vaporise à des températures relativement basses, proches de 60 °C. Il est par ailleurs utilisé dans les inhalateurs dans le traitement de l’asthme. Les aérosols de cette substance possèdent également des propriétés antibactériennes et antivirales57-59. Une fois absorbé, le propylène glycol est métabolisé et conjugué dans le foie et ensuite éliminé par les reins. Sous l’action de l’enzyme alcool déshydrogénase, il est transformé en aldéhyde lactique, puis en acide lactique et enfin en acide pyruvique qui peut participer aux réactions du cycle de Krebs. Sa demi-vie plasmatique est de deux heures. Actuellement, il reste très difficile d’évaluer la quantité de propylène glycol absorbée par le vapoteur. En dehors de ses usages industriels dans la plasturgie, les peintures, les dégivrants pour les avions, les cosmétiques et les produits pharmaceutiques en tant qu’épaississant, générateur de fumée dans les spectacles, il s’agit aussi d’un additif très largement présent dans l’alimentation, identifié sous la dénomination E1520 dans presque tous les aliments industriels. L’ingestion alimentaire ou l’inhalation de propylène glycol contenu dans les produits pharmaceutiques confirme sa non-toxicité56,60. Chez l’animal, il a été montré que cette molécule à faibles doses ne présentait aucune toxicité aiguë ou chronique. Il n’est ni mutagène, ni carcinogène61. Cependant, même si le propylène glycol ne semble pas en lui-même, être toxique pour l’organisme, l’absence de toute réglementation particulière concernant la fabrication des e-liquides, ou encore la tendance à vouloir réduire au plus les coûts de fabrication, peuvent aboutir à la présence d’impuretés dans la composition de ces liquides. Ces impuretés, elles, pourraient être nocives. Le glycérol de formule HOH2C–CHOH–CH2OH, est un liquide incolore au goût sucré qui est encore plus visqueux que le propylène glycol et présente également une très grande affinité pour l’eau. Il est formé par l’hydrolyse des graisses. Dans l’organisme, il est métabolisé par phosphorylation et produit le triphosphoglycéraldéhyde puis se transforme en acide pyruvique participant au cycle de Krebs. º  29  »

La Tabacologie

Il est utilisé dans les cigarettes électroniques en concentration variable de 10 à 20 % en complément du propylène glycol et lui non plus n’est pas toxique. Le glycérol peut produire encore plus de vapeur que le propylène glycol mais il n’est jamais utilisé seul car, étant très visqueux, il a tendance à boucher l’atomiseur de la cigarette. De plus, il produit moins de sensations de picotements au niveau de la gorge, phénomène appelé « throat hit » est très recherché par le fumeur avec le tabac et par le vapoteur avec la cigarette électronique. Cette molécule est aussi couramment employée comme additif alimentaire (E422) et dans les produits cosmétiques ou pharmaceutiques. C’est une substance qui n’est ni dangereuse ni toxique à la température utilisée dans les cigarettes électroniques. À 250 °C en revanche, elle est capable de former de l’acroléine, substance très irritante. Les cigarettes électroniques mal réglées ou à bas prix peuvent chauffer jusqu’à 150 °C et une petite quantité d’acroléine peut ainsi se former, restant néanmoins quatre fois moins importante que dans la fumée de cigarette62. La nicotine est présente dans les e-liquides dans la majorité des cas à des concentrations qui varient entre zéro et 30 mg/mL selon les marques.  Les normes de fabrication et l’absence de contrôles suffisants dans ce domaine font que les concentrations affichées ne reflètent pas toujours la réalité.  Les taux de nicotine délivrés dépendent aussi d’autres paramètres tels que l’ancienneté des cartouches ou des e-cigarettes, la puissance des batteries et la température63-65. Les concentrations sanguines de nicotine augmentent de façon significative après 5 minutes d’utilisation d’e-cigarette. La saveur et l’arôme d’e-liquide peut surtout chez la femme influencer les concentrations de nicotine66. Le schéma d’absorption de la nicotine sous forme de pics successifs ressemble à celui obtenu avec une cigarette traditionnelle, mais la quantité de nicotine pouvant atteindre le flux sanguin reste un paramètre très important pour pouvoir assurer une efficacité de ces cigarettes électroniques en tant que substituts nicotiniques. Avec les anciennes générations d’e-cigarettes, la quantité de nicotine délivrée était quatre fois moins importante qu’avec une cigarette traditionnelle et bien que les nouvelles générations soient plus efficaces, quantité et vitesse de délivrance de la nicotine restent inférieures67. Le taux de nicotine présent dans les e-liquides semble être insuffisant et devrait être augmenté à 50 mg/mL pour atteindre les performances d’une cigarette habituelle68. Le dosage de cotinine salivaire montre que des vapoteurs expérimentés parviennent malgré tout à extraire autant de nicotine de ces cigarettes électroniques qu’un fumeur le ferait avec la cigarette traditionnelle69. Par ailleurs, quelle que soit la qualité des cigarettes électroniques, l’absorption de nicotine reste assez constante et ne peut pas présenter de risques de surdosage70,71.  L’alcool éthylique est utilisé comme solvant des arômes mais aussi pour fluidifier le mélange glycérol et propylène glycol très visqueux. Cet alcool produit également la sensation recherchée de « throat hit » (sensation de picotement au niveau de la gorge). Les acides organiques tels que les acides lactique, malique ou citrique sont parfois présents dans les e-liquides accentuant cette sensation de « throat hit »72. L’eau est présente en quantité inférieure à 5 % dans ces solutions. º 30 »

Le tabac

Les arômes utilisés dans ces solutions sont dans la plupart des cas des arômes alimentaires sans nocivité particulière et dans tous les cas, ils restent moins cytotoxiques que la fumée de tabac73,74. Mais encore une fois, la concurrence importante sur ce marché peut amener les fabricants à utiliser des ingrédients de qualité médiocre et contenant des impuretés. Dans l’état actuel des connaissances, la cigarette électronique contenant de la nicotine ne montre aucune supériorité dans l’aide au sevrage tabagique43,44 à la fois sur cette même cigarette sans nicotine, ni sur le patch transdermique de nicotine75,76. Cependant les symptômes de sevrage semblent être moins intenses si la cigarette est remplacée par les cigarettes électroniques sans nicotine77 réduisant ainsi le risque de rechute. Il semble aujourd’hui indispensable d’effectuer plus d’études sur cette nouvelle forme d’addiction78. Lors de l’utilisation de ces cigarettes électroniques, la libération d’aérosols contenant des particules de taille équivalente à celles présentes dans la fumée des cigarettes traditionnelles79, de composés organiques volatiles et de particules ultrafines, représente également une forme de tabagisme passif80-82. Elles présentent également plusieurs autres inconvénients. En effet, une cigarette traditionnelle se consume en 10 minutes et le sujet peut ainsi évaluer exactement la quantité de tabac qu’il consomme, en faisant varier à la fois le nombre de cigarettes fumées et le délai entre elles. Dans le cas des cigarettes électroniques, le sujet peut continuer à inhaler la fumée pendant longtemps, tout en travaillant, lisant, écoutant de la musique ou en regardant la télévision sans se rendre compte de sa consommation. De plus, cette notion de non-dangerosité ancrée dans la conscience collective peut déculpabiliser et notamment rendre les jeunes insouciants des risques encourus et jouer un rôle d’incitateur dans le développement des habitudes tabagiques ultérieures. Le succès de ces nouvelles cigarettes dans le monde était prometteur et on pensait que leurs ventes allaient atteindre peu à peu celles des cigarettes traditionnelles. Mais ce succès était éphémère et après un engouement, les consommateurs ont continué à acheter uniquement les recharges d’e-liquide sans renouveler les cigarettes et les boutiques ferment les unes après les autres. Aujourd’hui, on ne peut plus dire que la cigarette électronique soit un concurrent sérieux pour la cigarette traditionnelle. Selon un compromis, le Parlement européen a décidé que les cigarettes électroniques resteraient en vente libre, pourtant il existe pour ces cigarettes un manque manifeste de réglementations83. La publicité et la diffusion de l’image des cigarettes électroniques sont libres et peuvent influencer l’initiation au tabagisme ou encore la rechute des fumeurs abstinents84. Pour une protection des mineurs contre ce moyen de consommation de nicotine, une limitation des saveurs des e-liquides, une stratégie de communication des messages mettant l’accent sur les risques sanitaires des e-cigarettes et enfin une réglementation sur la vente et les publicités de ces cigarettes sont indispensables85-87. Les études scientifiques sur ces produits sont encore peu nombreuses. Une évaluation des e-cigarettes a été réalisée en termes d’exposition globale et d’émission de produits, º  31  »

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concernant le nombre de particules, les composés organiques volatils, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les carbonyles et les métaux88. Le niveau de polluants dans l’air ambiant, les effets sur la libération FeNO6 et le profil des métabolites urinaires des sujets vapoteurs ont été analysés89. Pendant les séances de vaping, des quantités substantielles de 1,2-propanediol, de glycérine et de nicotine ainsi que de fortes concentrations de particules sont trouvées dans la phase gazeuse. La concentration des hydrocarbures aromatiques polycycliques cancérigènes dans l’air ambiant augmente de 20 % et la quantité d’aluminium détectée est multipliée par deux. FeNO augmente chez les vapoteurs. Lorsqu’elle est mesurée, la teneur en nicotine de divers e-liquides est souvent une à deux fois plus élevée que celle déclarée par le fabricant. Ces premières données confirment que les e-cigarettes émettent également des polluants qui pourraient générer des problèmes de santé chez les utilisateurs et même chez les sujets exposés aux émissions de manière passive. En particulier, des quantités non négligeables de particules ultrafines formées à partir de la vapeur sursaturée peuvent se déposer dans le poumon90. La nicotine, inhalée sous forme d’aérosol, semble capable d’augmenter la libération d’oxyde nitrique (NO), molécule qui joue un rôle clé dans la pathogenèse de l’inflammation. NO produit un effet anti-inflammatoire dans des conditions physiologiques normales mais est considéré comme un médiateur pro-inflammatoire dans certaines pathologies. Afin de protéger le consommateur, une réglementation et des contrôles stricts, aujourd’hui complètement inexistants, doivent être instaurés83. Les dangers de ces produits devraient être signalés par des avertissements sur leurs effets néfastes potentiels, en particulier les risques de toxicité chez les enfants. La nicotine ainsi absorbée peut renforcer le risque d’arythmies cardiaques ou d’hypertension. Des cas d’intoxication ont aussi été observés91,92. L’idée répandue suggère une plus faible nocivité pour le vapoteur par absence de la combustion et les 5 000 substances présentes dans le tabac, ainsi que l’absence de tabagisme passif lors de l’utilisation de ces cigarettes. Après la consommation d’une cigarette normale, la fréquence cardiaque, la tension systolique et la pression artérielle diastolique sont significativement plus élevées. Cette élévation est moins marquée par l’utilisation de la plupart des e-cigarettes. De même, l’utilisation des e-cigarettes n’a aucune incidence sur les niveaux de CO exhalé qui augmentent près de huit fois après consommation des cigarettes classiques47. Bien que ne générant pas de fumée de combustion, elles dégagent malgré tout des substances toxiques et une quantité parfois non négligeable de nicotine92 diffusée sous forme d’aérosol dans l’air ambiant qui peut être absorbée par les personnes se trouvant à proximité du vapoteur93, ce qui peut augmenter l’envie d’essayer ces cigarettes ou même le tabac94,95. De plus, les effets néfastes par une exposition prénatale de la nicotine elle-même tels que les déficiences cérébrales, le retard du développement au niveau osseux et pulmonaire chez le fœtus sont souvent oubliés96. Le problème majeur avec ces nouveaux outils de dépendance est qu’il faut poursuivre en quelque sorte une cible mouvante et constamment en évolution. De nouveaux 6. FeNO (Fraction de Nitric Oxide exhalé) est un marqueur de l’inflammation pulmonaire. L’Ame­ rican Thoracic Society (ATS) recommande sa mesure pour l’évaluation et le suivi à long terme de l’asthme.

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Le tabac

produits apparaissent chaque jour et les résultats de recherche sont souvent dépassés au moment de leur publication97. Après la cigarette électronique nous assistons à une diversification des produits nicotiniques avec un nouvel arrivant, selon les fabricants, à risque réduit « le tabac chauffé » (heat-not-burn tobacco), mais sur lequel nous ne disposons pas encore assez d’études scientifiques97b,97c.

2 COMPOSITION CHIMIQUE DU TABAC ET DE SA FUMÉE

Depuis que les effets néfastes du tabac ont été observés et mis en évidence, sa composition a été étudiée par de nombreuses équipes scientifiques, et ce, grâce à des techniques de plus en plus sensibles et précises. C’est ainsi que la liste des substances qu’il contient s’est allongée progressivement. La composition du tabac est très complexe et les analyses sont effectuées sur sa forme brute, frais ou séché, mais également sur le tabac préparé pour la fabrication des cigarettes. Bien que toutes ces études soient intéressantes d’un point de vue épidémiologique et théorique, seules la composition de la fumée de cigarette parvenant à l’organisme ou l’absorption des composés présents dans le tabac sans fumée peuvent avoir un intérêt en santé publique ou pour comprendre les mécanismes intimes de la dépendance. Indépendamment d’une grande variabilité dans les techniques de dosage et de détection utilisées, la fumée de tabac est étudiée à l’aide de « machines à fumer ». Des normes ISO (International Organization for Standardization)7 standardisent ces études. L’industrie du tabac emploie également ces mêmes machines pour extraire et mesurer les quantités de nicotine, de goudron et de monoxyde de carbone qui seront indiquées sur les paquets de cigarettes (Fig. 9). Des lèvres en caoutchouc maintiennent la cigarette. Ces lèvres sont suivies d’une seringue dont le piston est actionné par un moteur qui aspire toutes les minutes pendant deux secondes, un volume de 35 mL de fumée. Cette dernière traverse un filtre circulaire épais avec des pores particulièrement fins, ne dépassant pas 0,3 micron, qui arrêtent les particules. Malgré la standardisation, les résultats obtenus avec une machine à fumer et pour un type donné de cigarette sont tellement variables d’une cigarette à l’autre qu’il faut effectuer ces tests sur un nombre important d’échantillons pour calculer une moyenne à partir des résultats. Les quantités de nicotine et de goudrons qui figurent sur les paquets de cigarettes correspondent donc à la moyenne de leurs concentrations dans des centaines de cigarettes. En pratique, plusieurs critiques peuvent être émises sur l’utilisation de ces machines. Les valeurs indiquées sur les paquets de cigarettes sont donc des rendements, très différents des taux de nicotine et de goudrons réellement présents dans la cigarette en ignition. La quantité de nicotine définie selon la norme ISO est fréquemment inférieure à 1 mg, loin de la quantité réelle contenue dans une cigarette qui varie entre 8 et 20 mg. Les goudrons, quant à eux, ne sont formés que par la pyrosynthèse pendant la combustion. 7. L’Organisation internationale de normalisation (International Organization for Standardi­zation), ou ISO, est un organisme de normalisation regroupant les représentants de 164 pays.

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La Tabacologie

Figure 9 : La machine à fumer permet l’analyse de la fumée des cigarettes. ÊÊ

Les particules libérées par la cigarette sont captées par un filtre spécial. Les molécules captées par le filtre sont extraites par des solvants et sont analysées grâce à différentes techniques.

Lors de ces évaluations standardisées, l’hygrométrie du tabac et de l’air ambiant, la température et d’autres paramètres sont précisément étalonnés selon les normes ISO et ces conditions ne sont jamais respectées dans la vie réelle. La cigarette peut être jetée après quelques bouffées seulement, inversement le fumeur peut augmenter le nombre et l’intensité de ses bouffées. Il peut tirer des bouffées longues et profondes (supérieures à 2 secondes, espacées de moins d’une minute) augmentant ainsi le rendement en goudrons et en nicotine. Il peut également boucher avec les doigts les micro-perforations présentes sur le filtre des cigarettes dites légères. Nous avons vu que la cigarette contenait finalement beaucoup plus de nicotine que celle mise en évidence par les méthodes ISO. De telles modifications dans le comportement du fumeur peuvent considérablement accroître la quantité de nicotine inhalée, jusqu’à 22 fois la quantité théorique98. Ces mesures ne reflètent pas la nocivité de la cigarette et n’évaluent que les quantités de nicotine, des goudrons et de monoxyde de carbone. D’autres substances dangereuses de la phase gazeuse, telles que l’aldéhyde formique et certains irritants, sont ignorées. Par ailleurs, mesurer le rendement en nicotine ou en goudrons du tabac à rouler manuellement et ceux des pipes semble quasi impossible, car les quantités de tabac utilisées et le diamètre des cigarettes sont trop variables. Enfin, on notera que les termes « légères » et « ultralégères » attribués à certaines cigarettes ne sont qu’artifices commerciaux utilisés par les fabricants de tabac, leur supposée faible teneur en nicotine et goudrons n’est valable que sur une machine à fumer. Une cigarette se consume en 10 minutes environ, après 8 à 10 bouffées en moyenne.  L’intensité de la combustion d’une cigarette dépend étroitement de la texture du papier et de la présence et de la qualité du filtre98. º 34 »

Le tabac

Lors de cette étape de combustion se produisent trois types de réactions99 : la pyrosynthèse : c’est la synthèse thermique des plus grosses molécules –– à partir des plus petites. Sous l’influence de la température élevée et de l’oxygène ambiant, deux ou plusieurs petites molécules s’associent pour former des molécules de plus grandes tailles avec des caractéristiques physico-chimiques et pharmaco-toxicologiques nouvelles. la pyrolyse : c’est la décomposition thermique des substances organiques –– en plus petites molécules. Une molécule peut être coupée en deux ou en plusieurs parties sous l’influence de la chaleur donnant naissance à de nouvelles substances. la distillation : c’est la vaporisation partielle de la substance suivie de la –– condensation de ses vapeurs. Certaines molécules volatiles sous l’influence de la chaleur se trouvent à l’état de vapeur. Ces vapeurs peuvent se condenser en se fixant sur d’autres molécules solides présentes à l’état particulaire dans la fumée et peuvent ainsi être transportées. C’est le cas de la nicotine qui se fixe après distillation sur les particules de goudron. Elle est ainsi inhalée par le biais de la fumée (Fig. 10).

Figure 10 : La distillation de la nicotine et son transport par les particules ÊÊ

de goudron.

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La Tabacologie

La phase particulaire de la fumée est très polluante100. À titre de comparaison, la pollution urbaine contient une teneur particulaire inférieure à 100 particules/mL alors que la fumée de la cigarette en contient environ cinq fois plus. On retrouve plus de 5 000 substances différentes dans la fumée de cigarette (Fig. 11). Mais la composition exacte ainsi que la concentration de ses multiples composants sont discutées et très variables. Comme nous l’avons souligné, à cause des réactions de pyrosynthèse et de pyrolyse et selon les traitements que les feuilles de tabac subissent lors de la fabrication des cigarettes, la composition et la teneur en différents constituants de la fumée ne peuvent être invariables. Le danger annoncé de ces composants est en partie exagéré car la concentration de certaines de ces molécules est parfois infinitésimale, bien qu’elles soient mises en évidence par des techniques analytiques de plus en plus sophistiquées. Dans certaines campagnes publicitaires antitabac, le choix des mots n’est pas toujours clair et percutant. On a pu voir des affiches qui signalent que, parmi les substances de la fumée de cigarette, on retrouve aussi des carburants de fusée. Ces informations ne permettent pas au fumeur d’évaluer vraiment le danger (sauf peut-être le danger d’un lancement accidentel sur orbite). Ce n’est pas parce qu’une substance peut faire voler les fusées qu’elle est forcément nocive pour la santé : un

Figure 11 : Une bouffée de cigarette, avec les phases gazeuse et particulaire ÊÊ

de la fumée.

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Le tabac

jour probablement, les moteurs fonctionneront à l’eau, l’eau n’est pas pour autant dangereuse. Il suffirait cependant pour évoquer le danger de rappeler la présence d’un autre composant, le méthanol, mieux connu du grand public et qui est la toxine de l’alcool frelaté. Sans un traitement urgent, cette substance peut entraîner des lésions nerveuses et une cécité qui sont irréversibles. Sans toutefois négliger ces nombreuses substances chimiques présentes dans la fumée, il est cependant préférable de se concentrer sur le peu de molécules présentes en quantité significative et à des doses actives sur le plan toxicologique ou pharmacologique (Fig. 12101,102, Fig. 13101,102).

Figure 12 : Les substances toxiques de la phase gazeuse. ÊÊ

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La Tabacologie

Figure 13 : Les substances toxiques de la phase particulaire. ÊÊ

Il ne faut pas cependant sous-estimer l’effet d’une intoxication chronique et de l’accumulation de certaines de ces molécules à demi-vie élevée dans l’organisme malgré leurs concentrations faibles dans chaque cigarette. º 38 »

Le tabac

3 SUBSTANCES TOXIQUES Les composants de la fumée de cigarette sont classés en quatre catégories : les alcaloïdes du tabac, les oxydes de carbone (CO et CO2), les irritants et les agents cancérigènes103. Une cinquantaine seulement des 5 000 molécules présentes dans la fumée de cigarettes sont reconnues comme étant cancérigènes ou toxiques. Parmi elles, on peut citer le benzène, de monoxyde de carbone, de formaldéhyde, la N-nitrosodiméthylamine et la N-nitrosopyrrolidine dans la phase gazeuse, et le goudron, le benzo[a]pyrène, de cadmium, de nickel, la N-nitrosonornicotine et la 4-(méthylnitrosamino)-1-­(3-pyridyl1-butanone) dans la phase particulaire de la fumée. Les alcaloïdes et particulièrement la nicotine sont les mieux étudiés car traditionnellement c’est à eux que l’on attribue le rôle d’instigateur de la dépendance au tabac. Un alcaloïde est une substance organique et azotée. Ces molécules sont d’origine végétale et ont pour caractéristique commune des propriétés basiques. C’est en 1809 qu’un chimiste normand, Louis Nicolas Vauquelin, professeur à l’École de médecine de Paris, a mis en évidence dans le tabac un principe volatil et alcalin. C’est bien plus tard, en 1828, que cette molécule a été isolée, purifiée et baptisée nicotine par Posselet et Reimann. En effet la nicotine est l’alcaloïde principal et majoritaire (95 %) de Nicotiana tabacum mais aussi de Nicotiana rustica.

»»  Nicotine Alcaloïde principal du tabac, la nicotine est un liquide incolore. Elle représente moins de 10 % du poids sec de la plante, même si certaines variétés de la plante obtenues par croisement sont plus riches en nicotine et en contiennent jusqu’à 15 %. La nicotine et les autres alcaloïdes du tabac sont présents dans toute la plante, mais surtout dans les feuilles. La nicotine est un poison très puissant et a même été par le passé utilisée en tant que pesticide. Aujourd’hui pour cet usage, elle a été remplacée par des molécules qui lui sont chimiquement proches. La famille des insecticides néonicotinoïdes est la plus répandue dans le monde et intensivement utilisée depuis plus de vingt ans. Ce sont de puissantes neurotoxines qui agissent sur le système nerveux central, en particulier les récepteurs nicotiniques. Les effets nocifs de ces pesticides sur les mammifères s’accompagnent d’une réduction des capacités de fécondation des spermatozoïdes ainsi que des altérations dans le développement embryonnaire. Ces produits peuvent également présenter des risques sur les fonctions de reproduction des professionnels exposés104. De plus, ces pesticides agissent sur les abeilles et les bourdons et sont suspectés par les apiculteurs d’être la cause du déclin majeur des colonies d’abeilles. Des cas de suicide à la nicotine ont été rapportés105,106 et cette manière de mettre fin à ses jours est même diffusée et disponible sur Internet107. Un surdosage en nicotine se manifeste par des nausées, palpitations, céphalées, insomnies, diarrhées, º  39  »

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lipothymies (malaise, vertige, étourdissement, vapeurs, etc.), sécheresse buccale, douleurs abdominales, diminution de l’acuité auditive et une faiblesse générale. À doses élevées peuvent apparaître une hypotension, un pouls faible et irrégulier, une gêne respiratoire, une prostration, un collapsus cardiovasculaire et même des convulsions. Des doses de nicotine tolérées par les sujets fumeurs peuvent être à l’origine d’une intoxication aiguë chez les jeunes enfants et peuvent leur être fatales. La toxicité d’une substance chimique est fixée selon la valeur de sa DL50 qui est un paramètre toxico-pharmacologique déterminant la dose létale à partir de laquelle 50 % de la population d’animaux testés ne survivent pas. L’effet d’une substance est inversement proportionnel à la masse de l’animal à qui elle est administrée, c’est pourquoi elle s’exprime en masse de substance par kg du poids corporel. La DL50 dépend de l’espèce et de la race de l’animal mais elle est le plus souvent déterminée sur une population de rats. Plus la dose létale est faible, plus la substance est toxique. Jusqu’à 1 mg/kg, le produit est considéré comme extrêmement toxique. De 1 à 50 mg/kg, il est hautement toxique. Les produits modérément toxiques se situent entre 50 et 500 mg/kg, ceux légèrement toxiques vont de 500 à 5 000 mg/kg. Enfin de 5 000 à 15 000 mg/kg, ils ne sont presque pas toxiques et ceux à plus de 15 000 mg/kg sont relativement inoffensifs. On administre généralement la substance toxique à des animaux répartis en plusieurs groupes, et ce, à des doses croissantes suffisantes, pour obtenir un pourcentage de mortalité s’échelonnant entre 0 et 100 %. En général, si la toxicité immédiate est la même chez tous les types d’animaux, elle sera probablement semblable chez l’Homme. Lorsque les DL50 sont différentes chez différentes espèces animales, on doit faire des approximations et des hypothèses lors de l’estimation de la dose potentiellement mortelle chez les humains. Les conséquences d’une exposition à un produit chimique ne sont pas parfaitement extrapolables à l’Homme. Les effets nocifs peuvent être plus importants sur l’Homme que ce que prévoit la détermination de la DL50 (Fig. 14).

ÊÊ

Figure 14 : DL50 une dose de 0, a, b à o qui produit la mort de 50 % des sujets d’un lot d’animaux comme la souris ou le rat. Dans cet exemple, le DL50 = g.

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Le tabac

La DL50 de la nicotine est variable selon les espèces et de l’ordre de 50 mg·kg–1 (rats, oral), 3,34 mg·kg–1 (souris, oral), 9,2 mg·kg–1 (chiens, oral), et 0,88 mg·kg–1 (hommes). Des doses de 0,5 mg/kg ont cependant tué de jeunes enfants après ingestion accidentelle de mégots de cigarettes.

»»  Alcaloïdes mineurs et dérivés de la nicotine La nicotine n’est pas le seul alcaloïde du tabac. Cette plante contient également un certain nombre d’autres substances ressemblant à la nicotine sur le plan structurel avec probablement des rôles pharmacologiques qui leur sont propres. Ces alcaloïdes que l’on appelle mineurs sont ses analogues et ses dérivés, ne représentent que 8 à 12 % des alcaloïdes du tabac. La concentration de ces molécules dépend du type et de la variété de la plante. Le tabac habituellement consommé provient de la plante Nicotiana tabacum. Les concentrations de nornicotine ou d’anabasine sont plus élevées que les concentrations de nicotine dans d’autres variétés de la plante comme Nicotiana tomentosa et Nicotiana glauca108. La nornicotine et l’anabasine ont les mêmes propriétés pharmacologiques que la nicotine. Les procédés industriels utilisés lors du séchage et de la fabrication des cigarettes font varier également en partie la composition du tabac en alcaloïdes. Les différents alcaloïdes du tabac sont plus ou moins sensibles à la pyrolyse mais ne sont jamais entièrement détruits par elle. Ces molécules sont toutes retrouvées dans la fumée de tabac (Fig. 15). – La nornicotine est formée par une déméthylation de la nicotine au niveau de la feuille. Cette molécule est présente en faible quantité dans les variétés de Nicotiana tabacum mais elle est l’alcaloïde majeur d’une autre variété de la plante appelée Nicotiana glutinosa. Même si elle présente les mêmes propriétés pharmacologiques que la nicotine mais de manière moins intense, elle est volontairement éliminée du tabac car, lors de sa transformation par pyrolyse en myosmine et en pyridine, elle donne un goût désagréable à la fumée des cigarettes et des cigares. La nornicotine peut provoquer des modifications anormales des protéines109. Les protéines modifiées par la nornicotine sont présentes en plus grande quantité chez les fumeurs et peuvent déclencher des maladies métaboliques. En effet, ces réactions de glycations anormales ont pu être associées aux pathologies telles que le diabète, à l’athérosclérose, à la maladie d’Alzheimer et à certains cancers110. La demi-vie de la nornicotine étant largement supérieure que celle de la nicotine, le fumeur est exposé longtemps à l’action néfaste de cette molécule. Certains types de tabac sont naturellement riches en nornicotine mais elle est également formée dans l’organisme à partir de la nicotine par la N-déméthylation du cycle N-méthyl-pyrrolidine. – L’harmane, molécule très voisine de la réserpine, une substance alcaloïde hypotensive, et la norharmane sont également présentes dans la feuille de tabac. On pense aujourd’hui que les concentrations relativement faibles de ces alcaloïdes mineurs ne leur confèrent pas d’action pharmacologique suffisante et dans l’étude du tabagisme, leur intérêt reste limité. Néanmoins, on pense qu’ils peuvent avoir un rôle potentialisateur dans le développement de la dépendance tabagique. En effet, comparé à beaucoup d’autres substances psychoactives, le tabac est un produit très addictif alors que la nicotine seule ne l’est que très peu. º  41  »

La Tabacologie

Figure 15 : Alcaloïdes mineurs et dérivés de la nicotine. ÊÊ

L’utilisation de nicotine seule sous forme de patch ou e-cigarette dans la majorité des expériences animales et humaines ne reflète pas parfaitement les mécanismes d’action du tabac qui contient des milliers de substances. En effet, on constate que l’extrait total obtenu à partir d’une cigarette qui contient donc de nombreux produits associés à la nicotine, est plus puissant que la nicotine pure pour entretenir l’auto-­ administration chez l’animal. Quand on étudie l’efficacité dans le sevrage tabagique des traitements comme les antagonistes partiels (la mécamylamine) et les agonistes partiels (la varénicline) des récepteurs nicotiniques, on réalise qu’ils agissent à la fois efficacement sur l’auto-administration de la nicotine et celle de l’extrait total. Cela indique l’implication des récepteurs nicotiniques dans l’effet renforçant de l’extrait total, tout comme celui de la nicotine111. Cette observation laisse penser que d’autres facteurs joueraient un rôle dans le développement de l’addiction au tabac. Il faut beaucoup de temps et d’énergie pour analyser le rôle addictif des 5 000 substances présentes dans le tabac. Les alcaloïdes mineurs du tabac, anabasine, anatabine, nornicotine, myosmine, harmane, norharmane et tyramine, semblent avoir un effet favorisant l’auto-administration chez le rat et augmenteraient donc la faible action renforçante de la nicotine lorsqu’elle est utilisée seule112. º 42 »

Le tabac

»»  Autres substances irritantes et toxiques – Le goudron : c’est le nom donné au résidu de la combustion du tabac qui se présente sous forme de substance collante et noire. Il contient un mélange de centaines de substances chimiques dont un grand nombre sont cancérigènes. On peut retrouver parmi elles les amines aromatiques, des composés inorganiques et des hydrocarbures aromatiques polycycliques. En tabacologie, le goudron de la fumée correspond à l’ensemble des molécules de la phase particulaire, à l’exclusion de l’eau et de la nicotine. – Le méthanal de formule brute CH2O : est aussi appelé formaldéhyde ou aldéhyde formique ou encore formol. C’est un composé organique membre de la famille des aldéhydes dont il est d’ailleurs le plus basique. Il est notamment utilisé en tant que pesticide. C’est un agent cancérigène qui se forme lors de la combustion incomplète de substances carbonées. On trouve cette molécule dans la fumée des feux de forêt, dans les gaz d’échappement des automobiles et dans la fumée du tabac. Elle peut irriter les yeux et les muqueuses, causant des conjonctivites, des céphalées et des troubles de la respiration accompagnés de douleurs au niveau la gorge. Elle favorise le développement des cancers du nasopharynx et cause des altérations de la molécule d’ADN. Lors de la consommation d’une cigarette, 20-90 µg de formaldéhyde est inhalé. La cigarette en libère cependant près de 50 fois plus dans le milieu ambiant. Ainsi dans une atmosphère enfumée, on peut en trouver de 30 à 60 ppb8 – Le monoxyde de carbone de formule brute CO est un gaz incolore et inodore produit entre autres par la combustion du tabac. Il est très dangereux et mortel par inhalation et, lorsqu’il est ingéré, il peut produire des nausées et des vomissements. On le retrouve aussi dans les gaz d’échappement des automobiles. Le monoxyde de carbone est la forme la plus simple des oxydes de carbone. Son émanation provient d’une combustion incomplète de composés carbonés due soit à une faible température, soit à un manque d’oxygène. Sa formation est accentuée par une mauvaise alimentation en air frais et/ou une mauvaise évacuation et ventilation. L’intoxication au CO se manifeste par des céphalées, vertiges et nausées. Le malaise et l’asthénie surtout des membres inférieurs sont assez fréquents. L’exposition importante provoque des signes neurologiques et sensoriels tels qu’excitation, agitation, ataxie, confusion et, plus grave, perte de conscience et coma. Le monoxyde de carbone est trouvé dans l’atmosphère tabagique à des taux de 1 à 43 ppb. – L’ammoniac de formule NH3, gaz incolore et irritant, possède une odeur piquante, il brûle les yeux et les poumons. Inhalé, il est toxique au-delà d’un certain seuil. Entre 10 et 500 µg d’ammoniac sont inhalés lors de la consommation d’une cigarette mais entre 44 et 100 fois cette dose est libérée dans le milieu environnant par cette même 8. Ppb : abréviation de l’anglais « part per billion », en français « partie par milliard », est un mode d’expression général des concentrations et des proportions. Une ppb est de l’ordre de 10-9 par exemple microgramme par kilogramme mais en pratique elle correspond à un microgramme par litre. La ppb est comme le pourcentage, un rapport sans dimension.

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La Tabacologie

cigarette. On mesure des concentrations importantes de cette molécule toxique, de 1 000 à 4 580 ppb dans les milieux enfumés. – Les oxydes d’azote sont des formes oxydées de l’azote, NO et NO2 généralement désignés par le terme générique « NOx ». Le NO2 est 40 fois plus toxique que le CO et 4 fois plus que le NO. Il pénètre profondément dans les poumons. Le NO est un gaz irritant pour les bronches, il réduit le pouvoir oxygénateur du sang. Ces molécules ont une pénétrance importante au niveau des bronchioles, affectant ainsi les mécanismes de la respiration. Elles peuvent également provoquer une hyperréactivité des bronches chez les asthmatiques. L’exposition à ces produits induit également une plus grande vulnérabilité des bronches aux agents infectieux, surtout chez l’enfant. Les oxydes d’azote sont inhalés lors de la consommation de cigarette à des doses de 16 à 600 µg et une quantité allant jusqu’à 50 fois ce taux est libérée dans l’atmosphère avec des taux détectés jusqu’à 370 ppb. – La pyridine ou azine, de formule brute C5H5N est une molécule hétérocyclique simple avec une structure proche de celle du benzène, dans laquelle un groupement CH est remplacé par un atome d’azote. C’est un liquide transparent, légèrement jaune et qui possède une odeur de poisson putride désagréable et persistante. La pyridine est nocive par inhalation, par contact avec la peau mais aussi par ingestion. Sa bonne absorption par le tractus gastro-intestinal, la peau et les poumons la rend très dangereuse et entraîne des symptômes tels que des céphalées, de la toux, une respiration pathologique de type asthmatique, des laryngites, des nausées et des vomissements, une anorexie et des diarrhées. Ses vapeurs sont irritantes pour les muqueuses oculaires, nasales et respiratoires. La pyridine provoque, au niveau de la peau, irritations et brûlures et est à l’origine de quelques cas de sensibilisation cutanée et d’eczéma.  Quelle que soit la quantité absorbée, sur le plan neurologique on retrouve des céphalées, des vertiges, une asthénie avec nervosité et confusion. La pyridine est inhalée jusqu’à 32 µg pour une cigarette tout en libérant 10 fois cette dose dans le milieu ambiant. – Le dioxyde de soufre ou anhydride sulfureux, de formule brute SO2, est un gaz incolore et toxique qui produit de l’acide sulfureux dans les poumons. Corrosif pour la peau et les yeux, il induit la formation d’acide au contact de l’humidité. Le dioxyde de soufre est inhalé lors de la consommation d’une cigarette à des concentrations allant jusqu’à 75 ppb. – Le phénol, hydroxybenzène ou acide carbolique, de formule brute C6H6O est formé d’un cycle hydrocarbure aromatique et d’une fonction hydroxyle. Le phénol est très corrosif pour l’organisme. Des taux de 20 à 150 µg sont inhalés par le fumeur et une quantité allant jusqu’à 115 µg/m³ est libérée dans le milieu ambiant. – Le toluène, méthylbenzène ou phénylméthane, de formule brute C7H8, est également un hydrocarbure aromatique sous forme d’un liquide transparent à odeur caractéristique. C’est un produit nocif et écotoxique. Il a comme organe-cible le système nerveux central. Il irrite aussi la peau, l’œil et le système respiratoire. 108 µg de cette substance sont inhalés lors de la consommation d’une cigarette avec 5 fois plus º 44 »

Le tabac

de quantité libérée dans le milieu ambiant de 40 à 1 040 µg/m³. Sa neurotoxicité caractéristique provoque en particulier des lésions au niveau de l’hippocampe et du cervelet. – Le cyanure d’hydrogène, de formule brute HCN sous forme de solution aqueuse, est appelé acide cyanhydrique ou acide prussique. L’intoxication aiguë peut être causée par ingestion par inhalation, ou par contact avec la peau. Ce gaz a été utilisé aux États-Unis pour exécuter certains détenus condamnés à la peine capitale et également sous le nom de zyklon B, par les nazis dans les chambres à gaz lors de la seconde guerre mondiale pour exterminer des populations entières. – Le benzène, de formule brute C6H6, est un composé organique. Il appartient à la famille des hydrocarbures aromatiques monocycliques. C’est un liquide incolore, d’odeur caractéristique, assez volatile et très inflammable. Il est très cancérogène. Son ingestion provoque douleurs abdominales, nausées, vomissements ainsi que des troubles neurologiques comme des vertiges, une ivresse, des céphalées, une somnolence, voire un coma ou des convulsions. L’inhalation de ce produit provoque les mêmes symptômes neurologiques, pouvant parfois provoquer la mort. L’action cancérigène du benzène est liée au fait que sa structure plane lui permet de se glisser entre les bases azotées de l’ADN, provoquant ainsi des erreurs de transcription et de réplication. – L’acrylonitrile ou cyanure de vinyle est un aldéhyde (H2C=CH-CHO) de formule brute C3H4O, sous forme de liquide incolore à légèrement jaunâtre, hautement inflammable, avec une odeur âcre et piquante. Il est extrêmement toxique par inhalation et par ingestion. L’acroléine fait partie des irritants de la fumée de cigarette. Sa toxicité est due à la formation de cyanure lors de sa dégradation. C’est un agent mutagène qui interagit avec l’ADN. Cette molécule n’est pas arrêtée par les barrières placentaires ni hémato-encéphaliques. Il provoque aussi une diminution des capacités respiratoires et de la fonction pulmonaire, associée à une hyperréactivité bronchique. Si l’exposition se prolonge, l’irritation peut évoluer vers une inflammation provoquant des hémorragies, métaplasies, hyperplasies et même un œdème. L’acroléine est inhalée en quantité de 10-140 µg par cigarette, mais 10 à 20 fois cette quantité est libérée dans l’atmosphère et des taux de 6 à 120 ppb de cette substance toxique sont retrouvés dans l’air enfumé.

4 LE TABAGISME PASSIF Le problème du tabagisme passif a longtemps été négligé, les non-fumeurs et les enfants étaient régulièrement exposés au tabac en fréquentant les trains, les bus, les restaurants et autres lieux publics dans lesquels fumer était autorisé113. Heureusement, une prise de conscience générale a entraîné, notamment en France, l’instauration de lois et de restrictions permettant un bond énorme dans le domaine de la santé publique114. Malgré ces nouvelles législations, les zones réservées aux fumeurs ne º  45  »

La Tabacologie

sont pas toujours adaptées et peuvent encore représenter une source possible de contamination.  Une étude récente montre en effet que pour rendre ces zones non contaminantes, elles doivent se situer au minimum à 9 mètres des zones non-fumeurs, condition qui n’est pas toujours respectée en pratique115,116. Ce non-respect des normes et des règles existe presque partout dans le monde, par exemple à New York, où malgré la réglementation anti-tabac très stricte, près de la moitié des femmes enceintes non-fumeuses présentent des traces de nicotine ou de ses métabolites dans les urines, ce qui atteste de leur exposition au tabagisme passif117. C’est au domicile ou au travail quand aucune réglementation n’est applicable ou respectée, que les non-fumeurs sont les plus exposés. L’industrie du tabac a développé des technologies pour réduire les caractères aversifs de la fumée de cigarette, y compris de la fumée secondaire, pour la rendre moins désagréable. Bien que ces changements dans la conception des produits puissent en partie réduire les effets du tabagisme passif, ils ne peuvent pas complètement éliminer les risques sanitaires associés à ce dernier. L’analyse des brevets de l’industrie du tabac est un biais intéressant pour comprendre les stratégies récentes pour tenter de masquer ou de minimiser les dangers du tabac aux yeux du grand public et ainsi reconquérir un marché en baisse. L’industrie du tabac continue à rechercher et à développer des stratégies pour réduire les perceptions désagréables de la fumée de cigarette, y compris en utilisant de nouveaux additifs en vue d’améliorer l’odeur de la fumée118. Les enfants sont les premières cibles du tabagisme passif119. Chez eux, on retrouve des altérations du fonctionnement physiologique120. En effet, il a été démontré que les enfants non-fumeurs, dont la mère est fumeuse régulière, ont des concentrations de cotinine cinq fois supérieures à celles des enfants non-fumeurs vivant avec des mères non-fumeuses121. Lors de la consommation d’une cigarette, la moitié de la fumée produite est inhalée et constitue le courant primaire qui est ensuite rejeté. L’autre moitié passe directement dans l’air ambiant. L’ensemble de cette fumée rejetée par le fumeur associée à la fumée se propageant dans l’air par combustion spontanée, forme le courant secondaire du tabac. C’est l’inhalation involontaire de la fumée de ce courant secondaire qui constitue le tabagisme passif, majoré dans des lieux clos. Rappelons que le courant tertiaire, formé par la contamination du milieu ambiant par la fumée de tabac après l’extinction de la cigarette, vient s’associer aux courants primaires et secondaires, pour contaminer un peu plus les sujets exposés. En effet, le courant secondaire, se dissipe rapidement dans la pièce mais la nicotine, les gaz et de petites particules se déposent sur toutes les surfaces, les objets, les tapisseries et tapis ainsi que dans les cheveux, les vêtements122 formant ainsi le courant tertiaire. Ce courant va persister très longtemps, même après ventilation des pièces et disparition du courant secondaire.  Aérer pendant et après la combustion d’une cigarette n’élimine pas le dépôt de la fumée du courant tertiaire dans un espace clos123. Le courant tertiaire est un peu la trace indélébile du tabagisme au sein de l’environnement. Onze molécules º 46 »

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cancérigènes sont présentes dans la fumée du courant tertiaire y compris l’élément radioactif polonium 210, l’arsenic, le butane, et les hydrocarbures polycycliques aromatiques124. Secondairement, les molécules déposées sur les surfaces peuvent se revolatiliser et continuer à exercer leur action toxique. Enfin une caractéristique importante du courant tertiaire est sa sensibilité aux transformations chimiques qui s’opèrent dans le temps, majorant sa toxicité. Par exemple, la nicotine déposée dans la pièce ou dans les voitures réagit avec l’acide nitreux (HONO) des polluants de l’air et forme des nitrosamines spécifiques du tabac comme le 4-(méthylnitrosamino)-4-(3-pyridyl) butanal et le 4-(méthylnitrosamino)-1-(3-pyridyl)-1-butanone qui sont des composées cancérigènes94 et génotoxiques provoquant des cassures et des lésions au niveau de la molécule d’ADN125. D’autres composés organiques volatiles du courant tertiaire agissent avec l’ozone pour former du formaldéhyde. Ces nitrosamines hautement cancérigènes et génotoxiques présents dans le courant tertiaire se déposent par exemple dans le logement où résidait un fumeur. Il semble évident que les occupants suivants s’exposent aux effets toxiques de ces molécules sans s’en douter126. Une meilleure information du grand public et une éducation sanitaire collective devraient être nécessaires pour transformer les maisons en lieux non-fumeurs et ne pas laisser croire qu’il suffit d’ouvrir les fenêtres pendant une heure pour éliminer complètement les toxiques de l’environnement127. La majorité des hydrocarbures polycycliques aromatiques, la nicotine, la cotinine et les nitrosamines spécifiques au tabac qui sont libérés dans la fumée sont déposés sur les surfaces de la pièce dans la maison. Une exposition par absorption cutanée ou par inhalation de poussières contaminées peut contribuer à la morbidité et la mortalité imputable au tabagisme128. Ce courant tertiaire s’ajoute au courant secondaire dans le tabagisme passif. Les personnes fréquentant ces milieux souillés peuvent s’intoxiquer par inhalation des gaz émanant lentement et régulièrement des surfaces sur lesquelles se sont déposés les toxiques, par ingestion en portant main ou objets à la bouche ou quand les substances se déposent directement sur les aliments du milieu, enfin par contact et absorption cutanée. Ceci est particulièrement nocif pour les nourrissons et les enfants124,129 qui restent les plus exposés à ce mode de contamination, d’autant que les molécules cancérigènes présentes dans la poussière finissent par se déposer par terre, terrain de jeu favori des petits. Le degré hygrométrique de la pièce est inversement proportionnel au risque de contamination par le courant tertiaire. Les appareils humidificateurs peuvent avoir un effet protecteur, mais une bonne prévention serait une tolérance zéro pour la cigarette dans la voiture et à la maison. Si le courant secondaire se voit et est odorant, facile à éliminer après ventilation, le courant tertiaire est quant à lui invisible et une fois installé reste difficile à déloger.  La nicotine qui se dégage de la cigarette traditionnelle et même électronique dans le milieu ambiant, peut engendrer non seulement des pathologies par le biais du tabagisme passif, mais peut également favoriser chez les sujets non-fumeurs l’installation d’une certaine dépendance via une action renforçante, selon leurs prédispositions génétiques individuelles130,131. À ce propos, l’impact des cigarettes électronique sur l’environnement n’est pas négligeable. Techniquement, un mélange de produits º  47  »

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chimiques contenant des liquides porteurs, des arômes et de la nicotine est vaporisé et inhalé. Des composants détectés dans la phase gazeuse sont le 1,2-propanediol, le 1,2,3-propanetriol, la diacétine, des arômes et des traces de nicotine. Par conséquent, il existe bien une « vaping passive » pour les cigarettes électroniques. De plus l’aérosol inhalé subit des changements dans le poumon humain pour être ensuite rejeté dans l’air ambiant. L’utilisation de cigarettes électroniques présente donc une nouvelle source de contamination pour l’environnement intérieur132. Vivre avec un fumeur et surtout être exposé à la fumée secondaire peut entraver les tentatives de sevrage de tabac chez les fumeurs en particulier chez les adolescents133. En réalité, cette influence est bidirectionnelle entre les membres de la famille qui entretiennent mutuellement leurs habitudes tabagiques. Le tabagisme des adolescents influence celui des parents et inversement134. Il faut donc absolument respecter une personne en processus de sevrage, l’aider à maintenir son abstinence en ne l’exposant pas à la fumée de tabac pour limiter les tentations. Il ne faut pas négliger l’impact des cigarettes électroniques sur la santé135, en évitant de les considérer comme inoffensives car ces dernières produisent des dépôts de particules non négligeables dans les lobes pulmonaires136. Enfin on peut penser que le tabac sans fumée puisse avoir un impact moins important sur le tabagisme passif mais ces formes de consommation de tabac contiennent plusieurs des mêmes substances cancérigènes présentes dans la fumée. Il a été démontré que les enfants vivant avec des utilisateurs du tabac sans fumée peuvent être exposés aux nitrosamines cancérigènes spécifiques du tabac par simple contact avec des surfaces et des poussières contaminées8,10. Il faut garder à l’esprit que les habitudes changent et qu’aujourd’hui il n’est pas rare que le consommateur associe indifféremment plusieurs types de produits, tabac, tabac sans fumée et E-cigarette. Il n’existe pas encore assez d’études pharmacologiques sur de telles associations137,138.

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PHARMACOLOGIE ET TOXICOLOGIE DU TABAC

Il n’est pas certain que la nicotine soit la seule substance responsable de l’installation de la dépendance au tabac. Toutes les molécules présentes dans la fumée de tabac ou quand ce dernier est consommé sous d’autres formes ont des actions soit pharmacologiques, soit toxicologiques. Dans ce chapitre, nous traiterons de la pharmacologie du tabac dans son intégralité.

1 LES ALCALOÏDES DU TABAC La nicotine, alcaloïde principal du tabac, a été impliquée dans les mécanismes de dépendance ainsi que les syndromes de sevrage tabagique1. C’est pour cette raison qu’elle est la molécule la plus étudiée présente dans cette plante2,3.   La nicotine est une base faible et son absorption par les muqueuses est donc pHdépendante. Le tabac à chiquer, le tabac à priser et le chewing-gum à la nicotine sont d’ailleurs tamponnés avec un pH alcalin afin de faciliter l’absorption à travers la muqueuse buccale et nasale4. Fumer est une forme de consommation du tabac qui permet une bonne absorption de la nicotine. En effet, cette dernière pénètre rapidement dans la circulation en passant au travers des muqueuses respiratoires au niveau des poumons et arrive dans le cerveau en quelques secondes, en échappant au premier passage hépatique. Plus une substance atteint le cerveau rapidement, plus son pouvoir renforçant peut être important. Les concentrations de nicotine dans le cerveau assimilées par cette voie sont comparables à celles retrouvées lors d’une injection intraveineuse du produit. De cette manière, les substances addictives atteignent si rapidement le cerveau qu’elles sont parfois mal tolérées. C’est le cas par exemple de la marijuana, de la cocaïne, des opiacés, de la phéncyclidine et des solvants organiques. Dans le cas du tabac, une telle rapidité d’absorption permet au fumeur de maîtriser les doses qu’il consomme en fonction de ses besoins et à volonté.

»»  Propriétés chimiques La nicotine est soluble dans l’eau et son point d’ébullition se situe à 247 °C, température à laquelle elle se décompose de façon partielle. Sa température de fusion est de º  57  »

La Tabacologie

–80 °C. C’est un liquide hygroscopique1, huileux, incolore, à odeur caractéristique et qui brunit au contact de l’air ou par exposition à la lumière. La structure chimique de la nicotine est C10H14N2 ((S)-3-(1-méthyl-2-pyrolidinyl) pyridine). Son poids moléculaire est de 162,2316 ± 0,0094 g · mol–1 (C 74,03 %, H 8,7 %, N 17,27 %) (Melsens 1843) (Fig. 16). C’est seulement cinquante ans après sa purification que Pinner a pu démontrer la structure chimique développée de la nicotine. C’est une amine tertiaire, composée de deux noyaux hétérocycliques azotés. L’un de ces noyaux est hexagonal, de type pyridinique et substitué en position b par un deuxième noyau pentagonal, pyrolidinique, lié au premier par le carbone α le plus proche de l’azote qui à son tour est greffé d’un groupement méthyle. Le tabac, à froid, contient seulement la forme lévogyre2 de la nicotine (L-nicotine) qui est jusqu’à 100 fois plus active que la R-nicotine6 (forme dextrogyre). La fumée de tabac contient cependant aussi l’isomère R dextrogyre. La R-nicotine est formée par une réaction de racémisation, probablement durant le processus de combustion, mais la quantité de nicotine (L) est beaucoup plus importante que son stéréo-isomère (R) qui ne représente que moins de 10 % de la nicotine totale (Fig. 17). pyridinique

pyrolidinique

N H N

C

H

H

La molécule de Nicotine

et ses deux noyaux pyridinique et pyrolidinique

ÊÊ

Figure 16 : La nicotine est composée de deux noyaux hétérocycliques azotés, l’un hexagonal, de type pyridinique, substitué en position b par un deuxième noyau pentagonal, pyrolidinique, lié au premier par son carbone α le plus proche de l’azote, greffé d’un groupement méthyle. 1. Une substance hygroscopique absorbe l’humidité de l’air. 2. Une molécule lévogyre a la propriété de faire dévier le plan de polarisation de la lumière polarisée vers la gauche. Au niveau de l’agencement moléculaire, cette polarisation de la lumière permet de distinguer les molécules chirales. On distingue alors des énantiomères d’une molécule, qui peuvent être lévogyre (–) ou dextrogyre (+).

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Pharmacologie et toxicologie du tabac

Nicotine H C N

pyridinique

H N

N

pyrolidinique Figure 17 : Structure spatiale de la nicotine. ÊÊ

»»  Pharmacocinétique Étant donné que c’est à la nicotine que l’on attribue la dépendance au tabac, connaître sa vie et son devenir dans l’organisme est important pour une meilleure compréhension du comportement tabagique.

Absorption La nicotine de la fumée est absorbée par la très grande surface de l’épithélium alvéolaire et le flux sanguin élevé des capillaires pulmonaires qui filtrent chaque minute la totalité du sang de l’organisme. La lipophilie de la nicotine est un facteur facilitant l’absorption. Les substances hydrosolubles traversent les pores membranaires grâce à des transporteurs spécifiques. Pour les molécules ionisables, le pH du milieu influence énormément l’absorption. La nicotine est une base faible avec une constante de dissociation (pKa)3 de 8. Cela signifie qu’à pH acide, la nicotine ionisée est entourée 3. Pour les acides faibles, on définit la constante d’équilibre de dissociation de l’acide ou constante d’acidité (Ka). AH + H2O A– + H3O+ Ka = [A–][H+]/[AH] À partir du Ka on définit le pKa qui s’écrit pKa = – log Ka. Généralement, pour déterminer la force d’un acide, c’est le Pka qui est utilisé plutôt que le Ka. Plus le pKa est petit plus l’acide est fort.

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d’une couche d’eau qui va entraver son passage à travers les pores membranaires. On appelle ce phénomène physico-chimique, la solvatation. Au pH physiologique de 7,4, seulement 30 % de la nicotine est non ionisée et traverse facilement les membranes. Enfin au pH légèrement alcalin, non ionisée, elle est sous forme de nicotine base liposoluble et hydromiscible, qui est d’ailleurs rapidement absorbée à travers l’épithélium fin et richement vascularisé des muqueuses buccales et nasales (Fig. 18). C’est pour cette raison que les gommes de nicotine sont tamponnées à pH alcalin. Cette alcalinisation est également utilisée avec les timbres transdermiques pour une meilleure absorption cutanée. Cette solubilité pH-dépendante explique les grandes différences d’absorption qui varient selon les traitements du tabac et son utilisation. Le tabac blond séché dans des enceintes chauffées à hygrométrie contrôlée fournit une fumée acide (pH 5,5) dont la nicotine n’est pratiquement pas absorbée par les muqueuses buccales (Fig. 19). Ce sont l’inhalation de la fumée et la mise en contact avec la grande surface de l’épithélium alvéolaire pulmonaire qui permettent l’absorption de cette molécule. L’absence de transport actif de la nicotine oblige un transport selon le gradient de concentration, du milieu le plus concentré vers le moins concentré. Le tabac brun des cigares, des cigarettes brunes dites françaises et parfois des pipes est lui séché à l’air libre. Sa fumée est plus irritante et plus difficile à inhaler pour la plupart des fumeurs. Cette fumée est alcaline (pH 8,5), la nicotine est absorbée à travers les muqueuses buccales et nasales en quantité suffisante pour pouvoir exercer ses actions pharmacologiques. L’absorption est cependant plus lente et entraîne généralement une dépendance plus faible que celle de la cigarette de tabac blond. Selon certains auteurs, il est probable que la concentration de la nicotine puisse participer au contrôle de la vitesse et à la quantité de l’auto-administration. L’utilisation du tabac à chiquer ou à priser assure des nicotinémies suffisantes, en évitant le premier passage hépatique5. Chez le priseur, la nicotinémie évolue de façon semblable à celle du

Figure 18 : Ionisation des bases faibles (par exemple la nicotine) suivant le pH ÊÊ

du milieu.

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Pharmacologie et toxicologie du tabac

fumeur. La consommation de gomme engendre une absorption de nicotine assez lente mais qui dure longtemps. Cependant le consommateur ne peut ajuster les doses qu’il absorbe contrairement à ce qu’il peut faire avec une cigarette (Fig. 19). Ainsi, pour le même nombre de gommes mâchées, des nicotinémies très variables sont observées7. Le tractus gastro-intestinal n’est pas une voie normale d’administration sauf en cas d’ingestions accidentelles surtout constatées chez l’enfant. L’absorption de la nicotine par cette voie est faible car le pH gastrique est fortement acide8. La faible absorption et le passage hépatique pré-systémique dégradant la nicotine en métabolites inactifs expliquent pourquoi cette forme de consommation n’est ni répandue ni recherchée. La muqueuse de la bouche et des voies respiratoires supérieures reste la principale voie d’absorption pour les chiqueurs et les utilisateurs de gommes à la nicotine mais aussi pour les fumeurs qui n’inhalent pas la fumée, sous condition que cette

ÊÊ

Figure 19 : Absorption alvéolaire après inhalation des cigarettes blondes et buco-pharyngée sans inhalation du tabac brun. La nicotine des cigarettes blondes n’est pas absorbée si le fumeur n’inhale pas la fumée. Son pH acide (5,5) ne lui permet pas d’être absorbé.

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dernière soit alcaline (Fig. 20). Cette alcalinisation peut être assurée par l’ammoniac naturellement produit durant les phases de fermentation du tabac et celui ajouté en tant qu’additif.  De même, au cours de la combustion de la cigarette, de nombreux composés azotés sont formés par pyrolyse. L’ammoniac est dans ces conditions constamment présent dans la phase gazeuse de la fumée. Cependant, il se forme aussi parallèlement de l’anhydride carbonique de caractère acide qui peut quant à lui neutraliser l’ammoniac. La muqueuse nasale associée aux alvéoles pulmonaires est par définition la voie de pénétration chez les fumeurs inhalant la fumée du tabac. C’est aussi le cas des priseurs de tabac (Fig. 21). Il existe par ailleurs beaucoup de variations individuelles chez les consommateurs qui utilisent cette voie d’administration.

ÊÊ

Figure 20 : Taux de nicotine plasmatique avec ou sans inhalation de la fumée des cigarettes blondes.

Figure 21 : L’absorption de nicotine avec le cigare ou la prise nasale. ÊÊ

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Pharmacologie et toxicologie du tabac

Enfin, l’absorption par voie transcutanée, plus lente que par les autres voies est également pH-dépendante.

Distribution La nicotine présente dans la fumée de cigarette traverse la paroi des capillaires alvéolaires et passe directement dans le système veineux pulmonaire. Ainsi elle atteint en sept secondes le cerveau9, beaucoup plus rapidement que par injection systémique. Cette montée très rapide vers le cerveau permet au fumeur de régler de façon automatique et presque immédiate ses besoins en nicotine. En moyenne, un fumeur qui fume 20 cigarettes par jour, avec dix bouffées par cigarette, s’auto-expose à de telles variations 200 fois par jour. L’absorption par les voies orale, nasale ou transdermique produit une augmentation plus graduelle de la concentration cérébrale. La concentration de nicotine au niveau du sang et du cerveau diminue en 20 à 30 minutes, puis elle est distribuée à d’autres organes tels que les muscles squelettiques, le foie, les reins, les médullo-surrénales, les glandes salivaires l’estomac. La concentration artérielle est au début beaucoup plus importante que les concentrations veineuses, phénomène constaté chez l’animal10 et chez l’homme11. La concentration en nicotine artérielle décroît ensuite plus rapidement, car la libération progressive de la nicotine fixée aux tissus maintient une concentration veineuse élevée plus longtemps. Le volume de distribution de la nicotine étant important, de l’ordre de 180 litres, on en déduit qu’il existe une très grande fixation tissulaire. Le volume de distribution est un paramètre pharmacologique virtuel et précieux. Il apporte des renseignements indispensables sur la distribution d’une molécule dans les compartiments liquidiens. Une quantité connue (x) de la molécule est injectée directement dans le sang. Après un temps donné, cette molécule est dosée dans un échantillon de sang prélevé. Quand la concentration de la molécule est égale à x/5 par litre, sachant que le volume sanguin chez l’homme est de l’ordre de 5 litres, on dit alors que son volume de distribution est de 5 litres. Cela signifie que la molécule reste dans le sang total et ne traverse pas les parois vasculaires. Si le volume de distribution est supérieur à 5 litres alors la molécule traverse les parois vasculaires et entre dans les liquides extracellulaires voire même intracellulaires. 60 % du poids corporel est constitué d’eau, soit 36 litres pour un sujet de 60 kg. Il est donc évident que des volumes de distribution supérieurs à 36 litres correspondent à une fixation tissulaire. Pour la nicotine, on a mesuré un volume de distribution de 180 litres qui indique donc une très forte fixation tissulaire de cette substance. C’est notamment pour le système nerveux central qu’elle possède une grande affinité. Cette notion de fixation tissulaire importante peut expliquer que les pics plasmatiques sont rarement supérieurs à 30 ou 40 ng/mL même avec des concentrations initiales élevées dans la fumée inhalée. La distribution de la nicotine est peu étudiée chez l’Homme, mais elle est très variable chez l’animal (Fig. 22). Nous avons vu que les doses inhalées par le fumeur arrivent au cerveau en quelques secondes, il leur faut pratiquement deux fois plus de temps après une injection intraveineuse (Fig. 23). Chaque bouffée de fumée inhalée se traduit dans le sang par un pic de nicotine, rapide et de courte durée. On constate donc une succession º  63  »

La Tabacologie

ÊÊ

Figure 22 : Comparaison des concentrations plasmatiques de nicotine après une cigarette et injection intraveineuse.

de pics pendant la consommation d’une cigarette. Entre chaque nouvelle bouffée et avant l’apparition du pic suivant, ces hautes concentrations n’ont pas le temps de décroître totalement pour atteindre les taux de nicotinémie initiaux de base. Il existe une sorte de sommation temporaire et chaque pic démarre à un niveau de base légèrement supérieur au précédent. De plus, le fumeur allume une nouvelle cigarette avant même que les concentrations plasmatiques en nicotine acquises lors de la consommation de précédentes cigarettes ne soient complètement éliminées. La ligne de base de la nicotinémie augmente donc régulièrement pendant la consommation d’une cigarette et tout au long de la journée, pour atteindre un plateau qui reste ensuite stable jusqu’à la dernière cigarette de la journée, pour décroître enfin durant la nuit en absence de consommation tabac (Fig. 24). La tolérance est importante pendant la journée, probablement à cause de la désensibilisation des récepteurs nicotiniques en réaction à l’augmentation de la nicotinémie. La désensibilisation peut s’expliquer par une modification allostérique au niveau du récepteur le rendant provisoirement insensible aux agonistes12. Cette tolérance disparaît durant la nuit9 par ressensibilisation des récepteurs de la nicotine, les effets pharmacologiques de cette dernière sont alors plus marqués avec la première cigarette au réveil. º 64 »

Pharmacologie et toxicologie du tabac

Figure 23 : Absorption très rapide de la nicotine par l’alvéole pulmonaire. ÊÊ

ÊÊ

Figure 24 : Augmentation continue de la concentration plasmatique moyenne de nicotine.

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La Tabacologie

Parallèlement à ce phénomène de tolérance aiguë, il existe une tolérance chronique qui résulte de l’intoxication sur le long terme. Cette dernière étant moins bien connue, son rôle dans la dépendance reste à élucider13.

Métabolisme de la nicotine dans l’organisme Tout comme l’alcool, la nicotine est un puissant inducteur enzymatique. Le tabagisme est connu pour être responsable d’une augmentation du métabolisme de nombreuses substances endogène et exogène14. Le propre métabolisme de la nicotine augmente également spontanément en fonction de l’ancienneté du tabagisme et du nombre de cigarettes habituellement fumées. Cela signifie que, plus le sujet consomme, plus vite le produit sera dégradé dans l’organisme. Comme pour l’alcool chez le buveur, cela participe aux phénomènes de tolérance obligeant le sujet à augmenter la quantité et les doses consommées, pour arriver à obtenir un effet pharmacologique constant et échapper aux symptômes du manque. Ce paramètre pharmacocinétique n’est pas le seul responsable de la tolérance par une simple réduction de la biodisponibilité de la molécule. Un ensemble de phénomènes complexes au niveau des récepteurs du cerveau rend les effets de la nicotine moins efficaces à dose égale chez le fumeur exposé depuis longtemps. Environ 70 à 80 % de la nicotine sont métabolisés en cotinine par une enzyme CYP2A6 faisant partie des cytochromes P45015,16. Dépendant des différences enzymatiques héréditaires, le métabolisme de la nicotine montre des variabilités interethniques. Par exemple, les Chinois vivant aux États-Unis ont un métabolisme de la nicotine plus lent que les Américains d’origine européenne et latino-américaine17. On doit tenir compte de ces différences lors de l’utilisation des substituts nicotiniques dans le sevrage tabagique. Pour la même raison, il existe également une forte variabilité interindividuelle et la formation de cotinine peut être jusqu’à 30 fois plus élevée chez certains fumeurs18. Un déficit de CYP2A6 réduit la formation de cotinine sans pour autant réduire celle de trans-3′- hydroxycotinine, un autre métabolite de la nicotine. Cette constatation permet de suggérer l’existence d’une autre enzyme encore inconnue, impliquée dans le métabolisme de la nicotine chez l’Homme19. Les variabilités ethniques peuvent en partie expliquer les différences de risque de survenue d’un cancer lié au tabagisme dans différentes populations17,20, et le polymorphisme génétique de l’enzyme CYP2A6 pourrait expliquer ces différences. Les nitrosamines spécifiques du tabac comme le 4-(méthylnitrosamino)-1-(3-pyridyl)-1-butanone sont en partie responsables du cancer de poumon et du pancréas. Ces nitrosamines ne sont pas en réalité cancérigènes mais elles sont activées par les CYP2A6 en un agent qui le devient21. Par conséquent, un fumeur métaboliseur lent de cette enzyme non seulement absorbera moins de fumée par cigarette, mais activera également moins cette substance cancérigène en réduisant ainsi le risque d’apparition de cancer22. La variation génétique de l’activité de la CYP2A6 peut également expliquer certaines différences raciales dans le risque de cancer du poumon, comme le risque plus faible chez les Asiatiques, qui ont une activité de CYP2A6 inférieure et une clairance4 de la nicotine en moyenne plus lente par rapport aux sujets de type européen23,24. Cependant, cette hypothèse ne semble pas concorder avec les observations sur les fumeurs 4. La clairance d’une substance est le volume de solution (sang par exemple) totalement épuré de cette substance par unité de temps.

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afro-américains, qui sont également des métaboliseurs lents de CYP2A6, mais chez qui le risque de cancer est plus élevé que pour les populations européennes25,26. Le génotype CYP2A6 de métabolisme lent est associé chez les fumeurs débutants à des effets protecteurs contre l’apparition des cancers et l’installation de la dépendance. Ces effets protecteurs disparaissent chez le fumeur confirmé27. Étudier la demi-vie et l’élimination d’une molécule pharmacologiquement active est intéressant pour estimer son accumulation chronique dans l’organisme et l’évolution de sa disparition après l’arrêt de l’administration. La demi-vie moyenne de la nicotine est comprise entre 120 et 160 minutes, avec une variabilité individuelle importante allant de 1 à 4 heures28. Chez le fumeur régulier, la nicotine s’accumule et la nicotinémie persiste même durant la nuit à des concentrations pharmacologiquement actives. La nicotine s’accumule dans le corps au-dessus de six à neuf heures de tabagisme régulier. Fumer n’est pas seulement une exposition épisodique et provisoire à la nicotine mais ce geste induit une disponibilité durable de la molécule, 24 heures sur 24. Les différences artério-veineuses de la concentration de nicotine pendant la consommation d’une cigarette sont considérables, avec des taux artériels jusqu’à dix fois supérieurs aux taux veineux29. La persistance de la nicotine dans le cerveau a un rôle important dans les changements de structure ou de fonctionnement des récepteurs nicotiniques et dans les processus intracellulaires de neuroadaptation. Cependant l’installation d’une tolérance atténue la plupart des effets de la nicotine. Durant la nuit, cette dernière est éliminée et les taux résiduels de nicotine accumulée disparaissent peu à peu, s’accompagnant d’une re-sensibilisation de l’organisme vis-à-vis des effets de cette molécule. La première cigarette après le réveil produit ainsi des réactions plus marquées. D’une façon générale, il existe d’importantes variations individuelles des vitesses d’absorption et surtout d’élimination de la nicotine chez les fumeurs. La clairance de la nicotine est d’ailleurs très variable, de 1 à 4 selon les fumeurs. Une clairance élevée peut donc normalement et en toute logique correspondre à une nicotinémie jusqu’à quatre fois plus faible que pour une personne avec une clairance faible consommant la même quantité de nicotine30. Seulement 4 à 12 % de la nicotine injectée chez l’animal est éliminée en nature et sans modification. Mac Kennis et al. avaient dès 1958 extrait, à partir d’urine de chien sous perfusion intraveineuse de nicotine, un métabolite de cette dernière, la cotinine. La cotinine est également retrouvée dans les urines de fumeurs. La quantité de cotinine détectée étant bien supérieure à sa quantité dans la fumée, on peut donc conclure qu’elle est métabolisée dans l’organisme. En effet, une succession de transformations de la nicotine, réactions d’oxydation, de déméthylation, d’hydroxylation et de conjugaison, donne naissance à une vingtaine de métabolites qui conservent tous le noyau pyridine intact. Le principal de ces métabolites reste la cotinine31. La nicotine est principalement métabolisée au niveau du foie, bien qu’une petite quantité du produit soit dégradée dans le rein et dans les poumons. Dans le foie donc, la nicotine est métabolisée de façon rapide : il se produit une oxydation du noyau pyrolidinique. Cette oxydation est réversible mais plus stable dans le sens de dégradation que de formation et utilise des systèmes enzymatiques tels que les monoxygénase à cytochrome P450-NADPH dépendantes21. º  67  »

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La liaison de la nicotine aux protéines plasmatiques, principalement à l’albumine, est seulement de l’ordre de 26 % et reste indépendante de la concentration plasmatique, mais sa fixation tissulaire est en revanche importante32 comme nous l’avons vu précédemment. Puisqu’elle traverse bien la barrière placentaire, on retrouve plus de nicotine dans le sang du cordon et dans le liquide amniotique que dans le sang maternel. Ceci s’explique par un phénomène de concentration. D’autre part, si la clairance, donc l’élimination de la nicotine est plus élevée chez l’homme que chez la femme33, les deux sexes présentent des nicotinémies semblables34. Le fait qu’en général les hommes fument davantage que les femmes pourrait être expliqué par une tendance à vouloir compenser des pertes quantitativement plus importantes pour maintenir les mêmes taux de nicotine dans le sang. La courbe circadienne de cotinine dans le sang chez un fumeur présente un pic vers 4 heures du matin, alors que la nicotine a une courbe biphasique avec des concentrations sanguines élevées le jour et qui s’estompent la nuit. Considérant le métabolisme hépatique élevé de la nicotine, sa clairance dépend également du flux sanguin hépatique et reste influençable par toute modification de ce dernier, par exemple lors d’un exercice physique, lors d’un repas ou après la prise de certains médicaments. Le métabolisme hépatique de la cotinine quant à lui produit trois métabolites différents : l’oxy-N-cotinine, la trans-3′-hydroxycotinine et le gamma-(3-pyridil)-gamma-oxoN-­méthylbutyramide. Son élimination est rénale avec une réabsorption tubulaire importante, ce qui explique la faible clairance de cette molécule. L’excrétion rénale n’est ni influencée par le pH urinaire, ni par la diurèse. Cette indépendance dans l’élimination vis-à-vis de la diurèse et du pH urinaire rend le dosage de la cotinine plus intéressant que celui de la nicotine, en tant que marqueur biologique de la consommation de tabac. Une plus petite partie du produit est également éliminée dans la salive en quantité malgré tout non négligeable. Or, la cinétique de la cotinine salivaire reflète celle de la cotinine plasmatique et la mesure de la concentration salivaire de cotinine donne les mêmes informations sur l’absorption de nicotine35. Le dosage de cotinine salivaire moins invasif pourrait être un bon marqueur d’exposition à la fumée de cigarette en reflétant la concentration et la cinétique de la cotinine plasmatique. La demi-vie plasmatique de ce métabolite est d’environ 15 heures contre 2 heures pour la nicotine, ce qui rend la cotinine encore une fois plus adaptée à une utilisation en tant que marqueur du tabagisme. Elle n’entraîne par ailleurs ni effets cardiovasculaires, ni action renforçant l’envie de fumer ou le développement de la dépendance. La cotinine est métabolisée à son tour en trans-3′-hydroxycotinine qui est son métabolite principal et en N-oxyde de cotinine et 5′-hydroxycotinine qui sont également présents dans les urines. La concentration urinaire de la trans-3′-hydroxycotinine est deux à trois fois supérieure à celle de la cotinine36. Bien que la cotinine soit le principal métabolite de la nicotine, sa proportion par rapport aux autres métabolites de dégradation varie de façon considérable selon l’espèce animale. Ces différences sont surtout marquées pour la cotinine et la nicotine-N-oxyde. La population fumeur est divisée en deux grandes catégories : les sujets qui effectuent une C-oxydation produisent majoritairement de la cotinine contrairement aux individus qui forment principalement de la nicotine-N-oxyde après N-oxydation. L’existence de ces deux populations explique les différences importantes entre les taux de cotinine détectée dans l’urine des fumeurs (Fig. 25). º 68 »

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Figure 25 : Biosynthèse et voies métaboliques des alcaloïdes nicotiniques ÊÊ

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Excrétion et élimination L’excrétion et l’élimination de la nicotine et de la plupart de ses métabolites sont rénales et l’élimination des différents métabolites dans l’urine conserve le même schéma pour un individu donné, et ce, indépendamment de la voie d’absorption et de la dose administrée37. Ce profil est très variable d’un sujet à l’autre à cause de la réaction d’oxydation de la nicotine en cotinine et des réactions de glucuronoconjugaison36. L’excrétion dépend du pH urinaire. À pH  G polymorphism and smoking initiation, persistent smoking or smoking cessation. Pharmacogenetics 2002;12:265-268. 268. Johnstone EC. et al. – Association of COMT Val108/158Met genotype with smoking cessation in a nicotine replacement therapy randomized trial. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2007;16(6):1065-1069. 269. Munafo MR. et al. – Association of COMT Val108/158Met genotype with smoking cessation. Pharmacogenet Genomics 2008;18(2):121-128. 270. Berrettini WH. et al. – Catechol-O-methyltransferase (COMT) gene variants predict response to bupropion therapy for tobacco dépendance. Biol Psychiatry 2007;61(1):111-118 . 271. Lotta T. et al. – Kinetics of human soluble and membrane-bound catechol O-methyltransferase: a revised mechanism and description of the thermolabile variant of the enzyme. Biochemistry 1995;34(13):4202-4210. 272. Wing VC. et al. – Effect of COMT Val(158)Met genotype on nicotine withdrawal-related cognitive dysfunction in smokers with and without schizophrenia. Schizophr Res 2013;150(2-3):602-603. 273. Fowler JS. et al. – Brain monoamine oxidase A inhibition in cigarette smokers. Proc Natl Acad Sci USA 1996;93:14065-14069. 274. Whitfield JB. et al. – Monoamine oxidase: associations with alcohol dependance, smoking and other measures of psychopathology. Psychol Med 2000;30:443-454. 275. Hotamisligil GS, Breakefield XO. – Human monoamine oxidase A gene determines levels of enzyme activity. Am J Hum Genet 1991;49:383-392. 276. Kurth JH. et al. – Association of a monoamine oxidase B allele with Parkinson’s disease. Ann Neurol 1993;33:368-372. 277. Kelada SN. et al. – Gender difference in the interaction of smoking and monoamine oxidase B intron 13 genotype in Parkinson’s disease. Neurotoxicology 2002;23:515-519. 278. Ito H, Hamajima N. et al. – Monoamine oxidase polymorphism and smoking behaviour in Japanese. Pharmacogenetics 2003;13:73-79. 279. Guillin O. et al. – BDNF controls dopamine D3 receptor expression and triggers behavioural sensitization. Nature 2001;411:86-89. 280. Thiele TE. et al. – Ethanol consumption and resistance are inversely related to neuropeptide Y levels. Nature 1998;396:366-369. 281. Murtra P. et al. – Rewarding effects of opiates are absent in mice lacking the receptor for substance P. Nature 2000;405:180-183. 282. Horger BA. et al. – Enhancement of locomotor activity and conditioned reward to cocaine by brain-derived neurotrophic factor. J Neurosci 1999;19:4110-4122. 283. Messer CJ. et al. – Role for GDNF in biochemical and behavioral adaptations to drugs of abuse. Neuron 2000;26:247-257

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CONCLUSION

Si l’on considère le tabagisme comme une maladie à part entière, elle est alors l’une des maladies les plus fréquentes dans le monde. En France, 36 % des hommes et 28 % des femmes, plus de 16 millions de personnes sont fumeurs et la majorité peut être qualifiée de fumeurs réguliers. Ce fléau touche particulièrement les sujets de moins de 35 ans. Ensuite la consommation de tabac décroît de façon régulière avec l’âge. On ne sait pas si le tabagisme plus fréquent chez les hommes est lié réellement au sexe ou si les résultats sont biaisés par le fait que le tabagisme féminin est relativement plus récent. Dans tous les cas, les femmes jeunes sont plus candidates au sevrage tabagique. Le tabac comme toute autre substance addictive entretient une dépendance mais tous les fumeurs ne sont pas dépendants au même degré. La dépendance est un trouble chronique de comportement qui se traduit par l’envie compulsive d’utiliser une substance avec l’incapacité à s’en passer. L’identification des sujets réellement dépendants et qui plus est la quantification et la classification de la dépendance sont difficiles à mettre en œuvre. Les tentatives de sevrage augmentent avec l’âge mais les rechutes sont très fréquentes et les périodes d’abstinence sont relativement courtes. Seulement 20 % d’entre elles atteignent douze mois. La fumée de tabac est un aérosol formé par deux phases, gazeuse et particulaire. Parmi les milliers de substances présentes dans la fumée de tabac, plusieurs pourraient participer à l’installation de la dépendance mais pour jouer ce rôle addictif, elles doivent être présentes en quantité suffisante. La nicotine est la plus probable pour ce rôle. Aujourd’hui encore, le mécanisme par lequel la nicotine engendre la dépendance reste mal compris. En plus de la nicotine, on trouve dans la fumée de tabac des β-carbolines comme l’harmane et le norharmane, des inhibitrices des monoamines oxydases (IMAO) qui en intervenant dans la dégradation de la dopamine peuvent jouer un rôle dans la dépendance. L’acétaldéhyde et le formaldéhyde de la fumée permettent la synthèse dans l’organisme de l’harmane et de la norharmane. Les additifs alcalinisants ainsi que le menthol en agissant sur l’absorption de la nicotine peuvent également contribuer à l’installation de la dépendance tabagique. º  363  »

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Les machines à fumer sont utilisées pour étudier et quantifier dans des conditions standardisées les constituants de la fumée tels que le goudron, la nicotine et le monoxyde de carbone qui sont inscrits sur les paquets de cigarettes. Les cigarettes du marché contiennent entre 5 et 10 mg de nicotine et ont un rendement de 1 mg de nicotine sur les machines à fumer. Ceci veut dire que le fumeur absorbe environ 1 mg de nicotine par cigarette fumée. Ces indications ne reflètent pas la réalité chez le fumeur qui, en adaptant sa manière de fumer, obtient les quantités de nicotine dont il a besoin. On parle d’auto-titration. L’absorption de la nicotine dépend étroitement du type de tabac, de l’inhalation ou non de la fumée, de la fréquence et du volume des bouffées et de la force et de la profondeur de l’inspiration. Les appellations légères et ultralégères désormais interdites dans l’Union européenne sont des mensonges de l’industrie du tabac. Les propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de la nicotine ne sont pas sans influence sur le mécanisme de la dépendance tabagique. Leur étude permet une meilleure compréhension de son incontestable puissance addictive malgré ses rôles physiologiques plutôt discrets. Le type de tabac blond ou brun grâce à son pH influence l’absorption de la nicotine au niveau buccal (cigare et pipe) ou des alvéoles pulmonaires (cigarettes). Un pH acide favorise la forme ionisée de la nicotine qui ne traverse pas les membranes alors qu’en milieu alcalin elle est absorbée rapidement. Ainsi l’utilisation du tabac à chiquer ou à priser permet une absorption significative à travers les muqueuses buccales et nasales fines et richement vascularisées et évite le premier passage hépatique. Le passage pH dépendant de la nicotine à travers les membranes biologiques est également utilisé dans le traitement substitutif à la nicotine tel que le patch et la gomme. L’absorption de la nicotine est lente pour les substituts comme pour la chique et la prise et nécessite plus de 30 minutes. Contrairement au tabac brun, le tabac blond présent dans la plupart des cigarettes produit une fumée acide et dans ces conditions la nicotine n’est que très peu absorbée au niveau de la muqueuse buccale. Seule l’inhalation de la fumée et l’absorption par la surface importante de l’épithélium alvéolaire permettent le passage de la nicotine dans le sang systémique. Avec ces cigarettes, la nicotine arrive au cerveau en sept secondes, plus rapidement qu’une injection intraveineuse. La nicotine ainsi absorbée est métabolisée par le foie. Cinq à 10 % de la nicotine est éliminée non transformée dans les urines. La nicotine a une demi-vie courte de deux heures mais il existe une grande variabilité individuelle (1 à 4 heures). Dans le foie, grâce aux enzymes cytochrome P450, la nicotine est transformée en cotinine et N-oxyde de nicotine ; 20 % de la cotinine ainsi formée est directement éliminée dans les urines et le reste est métabolisé. La cotinine présente une demi-vie de l’ordre de 16 heures, beaucoup plus longue que la celle de la nicotine, ce qui fait de ce métabolite un marqueur biologique du tabagisme très bien adapté. Les deux paramètres pharmacocinétiques de la nicotine qui sont sa vitesse d’absorption et d’élimination présentent d’importantes variations individuelles, génétiques et liées au sexe. Les variations du flux sanguin hépatique au cours de l’exercice physique, la prise des repas ou enfin l’interaction avec d’autres médicaments influencent incontestablement le métabolisme de la nicotine. º 364 »

Conclusion

Les paramètres pharmacocinétiques de la nicotine comme son absorption et son élimination et les effets pharmacodynamiques tels que la tolérance aiguë et chronique font de la nicotine une substance addictive puissante. La faible demi-vie de la nicotine oblige le fumeur à renouveler de nombreuses fois son geste et son comportement tabagique au cours de la journée. Pour 20 cigarettes et à raison de 10 bouffées par cigarette, il obtient alors plus de 200 récompenses et de renforcements positifs, alors qu’à cause de la tolérance pharmacologique et de la désensibilisation des récepteurs nicotiniques, les effets négatifs tels que la tachycardie disparaissent dès la deuxième ou troisième cigarette de la journée. Cette tolérance aiguë s’efface durant la nuit et redonne toute leur sensibilité aux récepteurs nicotiniques dès le réveil. Cette alternance du cycle nycthéméral est donc un facteur important pour le maintien de la dépendance tabagique. La tolérance chronique qui s’installe chez le fumeur confirmé et la disparition des effets désagréables tels que nausées et vertiges participent aussi à la dépendance tabagique. L’action pharmacologique de la nicotine s’exerce sur les récepteurs à l’acétylcholine de type nicotinique. Ces récepteurs sont des canaux ioniques situés dans les membranes cellulaires et leur structure et leur fonction sont modulables. Ils sont constitués de cinq sous-unités placées autour d’un canal central ionique. On connaît actuellement la structure des parties transmembranaires et extracellulaires mais cette structure ne représente qu’un état existant de ces récepteurs. Les sous-unités sont multigéniques et leur assemblage permet un très grand nombre de combinaisons et de récepteurs avec des propriétés électriques, cinétiques et pharmacodynamiques variées. De cette diversité découle la possibilité de ces récepteurs à participer à la fois à la transmission nerveuse classique avec présence du neuromédiateur à proximité du récepteur, mais aussi à une transmission de type paracrine à distance via la diffusion du neurotransmetteur dans le milieu extracellulaire. La fixation de la nicotine sur ces récepteurs les stabilise et les maintient à l’état ouvert, désensibilisés. Sodium et calcium pénètrent massivement dans la cellule et provoquent une dépolarisation électrique membranaire et une excitabilité au niveau des cellules nerveuses. Le calcium agit également sur l’activation de certains gènes ou provoque la libération des neuromédiateurs. Ces récepteurs sont présents partout dans l’organisme mais leur structure polymérique est différente selon les territoires et les types de cellules. Ainsi certains d’entre eux sont communs à toutes les structures du cerveau impliquées dans les phénomènes de dépendance telles que l’amygdale, l’hypothalamus, le cortex cérébral, l’hippocampe et les ganglions de base. Malgré des différences de répartition inter-espèce, certaines structures et systèmes restent communs. C’est le cas notamment du système dopaminergique. Les effets renforçants de la nicotine s’exercent effectivement par la modulation de la libération de la dopamine dans le cerveau. Les neurones dopaminergiques sont riches en récepteurs α4β2, α6β2 et α4α6β2 avec une participation variable des sous-unités α5 et β3. La relation entre les récepteurs α7 des terminaisons glutamatergiques qui interagissent avec les neurones dopaminergiques a été aussi envisagée dans les phénomènes de dépendance. Enfin, à l’heure actuelle, on pense à une implication des terminaisons venant du locus coeruleus et contrôlant la sécrétion de la noradrénaline dans le cortex préfrontal. º  365  »

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On sait que la nicotine comme tous les produits qui provoquent une addiction déclenche la libération de la dopamine au niveau du noyau accumbens. Ce noyau avec d’autres structures du cerveau comme le septum, l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal forment le circuit de récompense, une sorte de jauge instantanée de satisfaction du sujet. L’aire tegmentale ventrale, une structure mésencéphalique, envoie des projections dopaminergiques à toutes les structures du circuit de récompense. Les substances addictives augmentent la libération de la dopamine dans ce circuit et induisent une sensation de satisfaction. La stimulation des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine de l’aire tegmentale ventrale est responsable des effets de récompense de la nicotine. Pourtant ces récepteurs se désensibilisent très rapidement alors que la libération de la dopamine dure longtemps, ce qui laisse suggérer d’autres mécanismes faisant intervenir les neurones dopaminergiques, GABAergiques ou glutamatergiques. La stimulation des récepteurs dopaminergiques peut induire les effets récompensants du tabac. L’utilisation des antagonistes dopaminergiques augmente la consommation de tabac et celle des agonistes la diminue. La libération de la dopamine augmente en réponse à des récompenses naturelles telles que la prise alimentaire et l’acte sexuel. Très rapidement, par apprentissage, la récompense cède sa place à des signes annonciateurs qui déclenchent eux-mêmes une sécrétion de dopamine. Ces signaux de satisfaction sont propres à chaque individu et dépendent de son histoire, de ses goûts et de son vécu. Quand un de ces signaux n’est pas suivi de la récompense, il produit une frustration. Lors de la prise des substances addictives augmentant la libération dopaminergique, l’individu associe la satisfaction ressentie à des événements sans réalité et cherche à les reproduire, il en devient dépendant. Les stimuli environnementaux ont donc un rôle primordial dans le développement de la dépendance au tabac car le fumeur associe ces stimuli à l’acte de fumer durant des années. La simple vue ou la pensée de ces stimuli déclenchent compulsivement l’envie de fumer. En cas d’administration répétée, apparaît un phénomène appelé la sensibilisation comportementale qui consiste en une réponse extrême pour des doses inchangées. Ce phénomène a été associé à une induction de l’expression des récepteurs D3 à dopamine au niveau du noyau accumbens. Les stimuli de stress lors du sevrage sont fréquemment impliqués dans la rechute. Particulièrement pour le tabac, le rôle des stimuli comportementaux est plus puissant que les symptômes physiques du sevrage. L’imagerie médicale moderne a permis de visualiser les zones du cerveau qui réagissent aux stimuli conditionnels. L’aire tegmentale ventrale, le noyau accumbens et les neurones dopaminergiques sont activés par les stimuli conditionnels associés au tabagisme. Les mécanismes dopaminergiques ne sont pas les seuls systèmes impliqués dans les processus de récompense et dans le cas précis de l’effet addictif de la nicotine, ils sont même marginaux. La noradrénaline, la sérotonine et l’acétylcholine semblent avoir un rôle plus important. Par exemple, les perceptions sensorielles externes sont prises en charge par des neurones adrénergiques du locus coeruleus. Les structures cérébrales organisées en réseaux complexes traitent les afférents sensoriels pour les acheminer jusqu’au cortex cérébral et produisent des réponses º 366 »

Conclusion

comportementales. Le GABA (acide gamma-aminobutyrique), l’acide glutamique, l’acide aspartique, éventuellement l’acétylcholine ou un neuropeptide sont les neurotransmetteurs de ces systèmes. D’autres systèmes neuronaux de modulation situés dans le mésencéphale se superposent à ces structures et envoient des projections divergentes vers l’ensemble du cerveau avec des neuromédiateurs monoaminergiques comme la noradrénaline, la dopamine ou la sérotonine. Ce sont ces neurones monoaminergiques de modulation qui sont les cibles des produits psychoactifs. La dopamine tient un rôle essentiel dans les modulations à la fois motrice et psychique. C’est ainsi que les troubles du système dopaminergique peuvent entraîner des maladies motrices (Parkinson) et des psychoses (schizophrénie). À l’inverse d’autres substances addictives, la nicotine augmente la libération de la dopamine dans le noyau accumbens de manière provisoire et cette augmentation s’estompe lors de l’administration chronique. L’augmentation de l’activité locomotrice observée avec les substances psychoactives n’est pas engendrée par la nicotine. Ces différences constatées sont attribuées aux inhibiteurs des monoamines oxydases comme l’harmane, la norharmane et l’acétaldéhyde présents dans la fumée de tabac qui peuvent inhiber chez certains fumeurs jusqu’à 40 % de l’activité des enzymes. Cela contribue à une diminution de la dégradation des neuromédiateurs libérés par la nicotine et entretient la dépendance au tabac. Contrairement à ce qui a été longtemps cru, la structure et le câblage du système nerveux ne sont pas figés mais sont dotés d’une plasticité neuronale et même capable de créer dans certaines zones (le bord des ventricules latéraux et le gyrus denté de l’hippocampe) de nouveaux neurones par néoneurogenèse. La prédisposition individuelle à la dépendance aux drogues est en relation avec cette capacité de néoneurogenèse. La nicotine administrée chroniquement, comme d’ailleurs toutes les autres substances psychoactives, produit une modification de structure et de distribution des fibres dans les régions du cerveau impliquées dans les phénomènes de dépendance. La longueur et la densité de l’arborescence des dendrites augmentent dans le noyau accumbens et le cortex frontal sous l’action de la nicotine. La néoneurogenèse est diminuée sous l’action de la nicotine et il se produit même une augmentation de la mort cellulaire dans le gyrus denté. Les sujets à faible capacité de néoneurogenèse seraient plus prédisposés à la dépendance à la nicotine. Il est connu que l’absorption de nicotine pendant la période prénatale diminue de façon définitive la néoneurogenèse chez l’enfant. La plasticité synaptique joue un rôle dans la mémoire indélébile de la dépendance et participe dans la rechute. Le point le plus étonnant avec le tabac est sa forte capacité à induire la dépendance chez l’homme alors que contrairement à d’autres substances la nicotine a un faible pouvoir renforçant chez l’animal. La dépendance est le résultat d’une interaction complexe entre la molécule addictive, l’ensemble de l’individu et le contexte environnemental. À faible dose chez le rat, la nicotine produit un effet anxiolytique et l’augmentation des comportements locomoteurs et d’explorations, plus marqués chez les animaux adolescents. La consommation chronique produit une sensibilisation comportementale avec exacerbation des effets psychostimulants et anxiolytiques dépendant des facteurs individuels, génétiques et environnementaux. Cette sensibilisation est générale et º  367  »

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quand l’animal est sensibilisé à l’action de la nicotine, il l’est aussi pour d’autres drogues psychotropes. Le sens inverse est vrai et en pratique constaté chez le fumeur alcoolique et consommateur de cannabis. Une drogue est addictive ou pas en fonction de la sensation neutre, appétitive ou aversive qu’elle produit. D’après ces sensations, on recherche ou on évite la drogue. C’est seulement dans ces cas que l’action de la drogue peut s’associer aux conditionnements environnementaux ou à un contexte particulier. Cette association est puissante mais diminue avec l’âge dans le cas de la nicotine. Dans tous les cas les effets renforçants de la nicotine sont faibles en comparaison de ceux des autres drogues, ce qui est surprenant si l’on considère la forte dépendance tabagique chez l’homme. Cette constatation paradoxale peut s’expliquer par le mode de consommation populaire du tabac qui est l’inhalation de la fumée, rarement reproduit pour les modèles animaux étudiant les effets de la nicotine. De plus, dans la fumée de tabac, il n’existe pas que la nicotine et la présence d’autres substances addictives ou potentialisatrices de la nicotine peut jouer un rôle. Les aspects psycho-comportementaux, affectifs, relationnels et psychologiques du tabagisme diffèrent de l’utilisation de nicotine pure chez l’animal. Les effets sensoriels du tabagisme tels que la sensation de chaleur, le goût, l’odeur, la sensation de « throat hit » au niveau des voies respiratoires supérieures et l’inhalation de la fumée sont aussi très différents. Ces effets sensoriels répétés agissent comme des renforçateurs positifs et engendrent la dépendance tabagique. Est-ce un prétexte pour fumer ou une réalité, la plupart des fumeurs affirment que dès la première cigarette de la journée, fumer produit une stimulation intellectuelle accompagnée d’un effet relaxant surtout lors de période de stress. Beaucoup d’études ont montré l’amélioration par la nicotine de l’attention, de la distraction, de la mémoire et de l’apprentissage. À l’inverse, le sevrage tabagique produit des modifications désagréables de l’humeur démotivantes ou facilitant la rechute. L’association entre les effets positifs sur les fonctions cognitives et l’évitement des effets négatifs du sevrage renforce la dépendance au tabac. Il est regrettable que la quasi-totalité des études depuis plusieurs décennies soit concentrée sur la nicotine et que les autres composés de la fumée de tabac aient été oubliés. La nicotine et beaucoup d’autres molécules présentes dans la fumée de tabac traversent facilement la barrière hémato-placentaire et influencent le développement fœtal, particulièrement celui du cerveau. L’exposition prénatale à la nicotine peut donc entraîner une dépendance ultérieure à la nicotine. Étant donné que plus de 30 % des femmes enceintes fument, l’impact sur le nombre de futurs fumeurs peut être très important. Enfin des facteurs génétiques interagissent avec des facteurs environnementaux
 et comportementaux. La première exposition avec le tabac n’a pas le même effet sur tout le monde aussi bien pour ses effets nocifs et aversifs que pour ses actions renforçantes. Il existe donc une inégalité face à la dépendance. Certains sujets ne deviendront jamais dépendants, d’autres ne deviennent que des fumeurs occasionnels alors que beaucoup peuvent devenir fumeurs réguliers. Parmi les fumeurs, certains arrêteront alors que d’autres auront beaucoup de mal et rechuteront. º 368 »

Conclusion

Les études réalisées sur les familles, les enfants adoptés ou les jumeaux ont dissocié le rôle respectif des paramètres génétiques et environnementaux sur le tabagisme. Il s’avère qu’être fumeur, homme ou femme, dépend à 60 % des facteurs génétiques alors que les facteurs environnementaux agissent sur les 40 % restants. Chez l’adolescent, ces pourcentages sont inversés, les facteurs environnementaux contribuent à hauteur de 70 %. En revanche, la nature de ces facteurs génétiques ne peut pas être déterminée par les études épidémiologiques mais on pense que le responsable principal est un polymorphisme de dizaines de gènes que l’on peut regrouper en trois classes. La première classe des gènes gère les paramètres pharmacocinétiques tels que le métabolisme et la biodisponibilité des molécules renforçantes du tabac. L’enzyme de métabolisme oxydative de la nicotine codée par le gène CYP2A6 est à 80 % le cytochrome P450 qui le transforme en cotinine et autres métabolites. Il est connu que les sujets métaboliseurs lents ou qui ont reçu les inhibiteurs de ces enzymes consomment moins de tabac, rechutent moins lors du sevrage et développent moins de cancers du poumon. L’étude et l’identification de ces gènes peuvent aider à prédire le comportement tabagique au traitement substitutif (gène CYP2A6) ou la réponse aux antidépresseurs comme le bupropion (gène CYP2B6). Une plus faible activité de l’enzyme que le gène CYP2B6 code engendre des syndromes de sevrage plus importants en particulier chez les femmes, mais offre une meilleure réponse au bupropion (54 % de réussite du sevrage pour 19% avec le placebo). La seconde classe de plus de 20 gènes concerne le mécanisme d’action pharmacodynamique des substances addictives présentes dans le tabac. Ces gènes sont impliqués dans les récepteurs nicotiniques, les voies de transmission des neuromédiateurs du système de récompense, en particulier dopaminergiques. Enfin la troisième classe de gènes est plus générale et correspond à la vulnérabilité au stress, à la prise de poids, aux caractères gustatifs et à l’odorat. La génétique n’explique pas tout et il ne suffit pas d’être exposé au tabac pour devenir dépendant. Il existe une vulnérabilité psychologique et même psychosociologique favorisant l’initiation au tabac et sa dépendance. La personnalité du fumeur a été grossièrement classée en trois catégories : les chercheurs de sensation, de l’extraversion et de la nouveauté. La recherche de nouveauté est plutôt responsable d’initiation au tabagisme. À cela, il faut ajouter l’évitement des syndromes désagréables de sevrage. Le problème de tabagisme est important chez l’adolescent. Certes les pathologies liées au tabagisme ne se manifestent qu’avec l’âge et l’ancienneté de cette habitude, mais dans la majorité des cas le fumeur s’initie à l’adolescence et 30 à 50 % deviennent des fumeurs réguliers. Les causes et la pratique du tabagisme sont différentes chez le jeune fumeur mais les effets pharmacologiques et la difficulté d’arrêter sont strictement identiques aux fumeurs confirmés. L’âge précoce d’initiation est un problème de santé publique, car il est directement lié au risque de devenir dépendant au tabac à l’âge adulte. Chez l’adolescent, le tabagisme des parents, des frères et sœurs plus âgés, l’équilibre scolaire et familial, la disponibilité des cigarettes sont des paramètres qui favorisent l’initiation. Les maltraitances, la violence et l’utilisation d’autres substances addictives rendent l’âge de l’initiation encore plus précoce. L’installation de la dépendance est très facile pour le tabac et rapidement l’adolescent se trouve piégé et malgré ses désirs d’arrêter, il devient dépendant. Il existe une º  369  »

La Tabacologie

relation étroite entre l’alcoolisme et le tabac chez le gros fumeur. De même, le tabac est fréquemment associé aux troubles psychiatriques tels que la dépression avec augmentation de risque suicidaire chez le fumeur, mais cette relation est également liée à des facteurs de risque génétiques partagés. Pour quantifier la dépendance, le test de Fageström est toujours utilisé mais il existe aujourd’hui des moyens plus scientifiques et objectifs comme le dosage des marqueurs biologiques du tabagisme. Bien qu’il ne semble pas être le plus adapté, le traitement le plus préconisé pour le sevrage tabagique, souvent prescrit comme solution de facilité et par manque de connaissance approfondie en tabacologie par le praticien, est la substitution nicotinique. Pour un sevrage réussi, le facteur le plus important est la motivation qu’il faut associer à une éducation anti-tabac, une réduction de l’entourage fumeur, une faible consommation d’alcool, une alimentation équilibrée et une bonne hygiène de vie.

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REMERCIEMENTS

Un grand merci 

à ma fille Kelly pour son aide précieuse et indispensable pour la finalisation de cet ouvrage.

à mon ami Emmanuel Khalatbari, tabacologue depuis toujours, bien avant que cette discipline existe. Il me transmet sa passion depuis plus de 20 ans.

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