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French Pages [209] Year 2013
Ce livre est destiné à tous ceux qui sont confrontés à l’ophtalmologie dans son sens le plus large. Il s’adresse donc à l’ensemble des médecins généralistes, pédiatres, urgentistes, internistes, gériatres, endocrinologues, etc. Il intéressera également les ophtalmologistes confirmés ou en formation en les confrontant à des « cas d’école ». Il sera utile aux étudiants préparant l’examen classant national, en montrant le raisonnement utilisé en pratique ophtalmologique quotidienne face à diverses situations courantes. Enfin, les orthoptistes verront présentées de façon claire les affections qu’ils rencontrent quotidiennement chez leurs patients.
Christophe Orssaud est praticien hospitalier dans le service d’Ophtalmologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris.
Matthieu Robert est praticien hospitalier universitaire dans le service d’Ophtalmologie enfants et
www.editions.lavoisier.fr
adultes, Hôpital Necker-Enfants malades, Paris. 978-2-257-20558-2
Christophe Orsaud Matthieu Robert
Cas cliniques
Chaque observation débute par une présentation du cas clinique, généralement illustrée, apportant suffisamment d’éléments pour répondre aux premières questions portant sur la sémiologie et les hypothèses diagnostiques. Sont ensuite abordés la prise en charge et le pronostic visuel. Les réponses, volontairement brèves, permettent d’aller à l’essentiel et de mettre en exergue les points sémiologiques ou thérapeutiques à retenir.
Cas cliniques en ophtalmologie
Les 48 observations rassemblées dans ce volume ont été choisies pour leur caractère attractif et vivant. Elles ont l’intérêt d’être didactiques et de couvrir l’ensemble du champ de l’ophtalmologie. Au fil des pages, le lecteur sera confronté à la traumatologie oculaire, à la pathologie de l’enfant ou, à l’inverse, à la pathologie liée au vieillissement, à des complications oculaires secondaires à des maladies générales (diabète, pathologies vasculaires ou neurologiques, infections…) ou à des traitements généraux. Il trouvera également des observations portant sur des affections strictement ophtalmologiques, notamment les troubles de la réfraction et leur correction.
Cas cliniques
La collection « Cas cliniques » a pour principale ambition de combler le fossé entre l’enseignement théorique et la pratique de la médecine. Elle tente de recréer les conditions de la consultation en mettant le lecteur en situation, en le questionnant et en le guidant dans la démarche diagnostique et thérapeutique.
Christophe Orssaud - Matthieu Robert
en
ophtalmologie
CAS CLINIQUES EN
OPHTALMOLOGIE
Dans la même collection Cas cliniques en médecine d’urgence, par J.-M. Haegy et B. Blettery Cas cliniques en médecine générale, par S. Gilberg, H. Partouche et J. Barthe Cas cliniques en psychiatrie, par H. Lôo et J.-P. Olié Cas cliniques : accidents vasculaires cérébraux, par M.G. Hennerici, M. Daffertshofer, L.R. Caplan et K. Szabo Cas cliniques en addictologie et toxicologie, par S. Dally et C. Bismuth Cas cliniques en neurologie, par O. Lyon-Caen Cas cliniques en hépato-gastro-entérologie, par J.-C. Rambaud, A. Nisard et C. Théodore Cas cliniques en endocrinologie, par J. Lubetzki Cas cliniques en pédiatrie, par R. Perelman et S. Perelman Cas cliniques en hématologie, par A. Najman Dans d’autres collections Coffret Rétine, sous la direction de S.Y. Cohen et A. Gaudric Volume 1 Techniques d’exploration de la rétine Volume 2 Hérédodégénérescences rétiniennes Volume 3 Pathologie vasculaire du fond d’œil Rétinopathie diabétique Volume 4 Inflammation Volume 5 Œil et maladies systémiques Anomalies et affections non glaucomateuses du nerf optique Volume 6 Décollement de la rétine Chirurgie maculaire Volume 7 Dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) Myopie et étiologies de la néovascularisation choroïdienne Volume 8 Tumeurs choroïdiennes et rétiniennes Divers Atlas de poche d’ophtalmologie, par T. Schlote, M. Grïb, J. Mielke et M. Rohrbach Ophtalmologie, par S. Mandava, T. Sweeney et D. Guyer Traité de médecine, par P. Godeau, S. Herson, P. Cacoub et J.-C. Piette Principes de médecine interne Harrison, par E. Braunwald, A.S. Fauci, D.L. Kasper, S.L. Hauser, D.L. Longo et J.L. Jameson Traité de médecine hospitalière, sous la direction de J.-P. Grünfeld Dictionnaire français-anglais/anglais-français des termes médicaux et biologiques et des médicaments, par G. S. Hill L’anglais médical : spoken and written medical English, par C. Coudé et X.-F. Coudé Guide de conversation médicale français, anglais, allemand, par C. Coudé, F.-X. Coudé et K. Kassmann
CAS CLINIQUES EN
OPHTALMOLOGIE
CHRISTOPHE ORSSAUD
MATTHIEU ROBERT
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Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt concernant le contenu de cet ouvrage.
Direction éditoriale : Emmanuel Leclerc Édition : Brigitte Peyrot Fabrication : Estelle Perez-Le Du Composition et couverture : Patrick Leleux PAO (14) Impression et brochage : Sepec, Peronnas
© 2013, Lavoisier, Paris ISBN : 978-2-257-20558-2
LISTE DES COLLABORATEURS
Adjadj Elias, Ancien Chef de clinique des hôpitaux de Paris, Ophtalmologiste, Genève, Suisse. Allali Jérôme, Ancien Chef de clinique des hôpitaux de Paris, Ophtalmologiste, Paris. Amana Danielle, Praticien hospitalier, service d’Ophtalmologie, CHR d’Orléans. Bluwol Elisa, Praticien hospitalier, Institut du Glaucome, Hôpital Saint-Joseph, Paris. Bok-Beaube Corinne, Praticien hospitalier, Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris. Boumendil Julien, Praticien hospitalier, service IV, Centre Hospitalier National Ophtalmologique des XV-XX, Paris. Cassoux Nathalie, Praticien hospitalier, service d’Onco-ophtalmologie, Institut Curie, Paris. Denier Charlotte, Interne des hôpitaux de Paris. Denion Éric, Praticien hospitalier, service d’Ophtalmologie, CHU de Caen. Duez Fabiola, Praticien attaché, service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, Paris. Espinasse-Berrod Marie-Andrée, Praticien attaché, service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, Paris. Faure Céline, Praticien hospitalier, Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris. Gatinel Damien, Chef de service d’Ophtalmologie, Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris. Guillaud Céline, Chef de clinique-Assistant, service d’Ophtalmologie, CHU Purpan, Toulouse. Haddad Nour, Interne, Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris. Khechine-Martinez Ramla, Praticien attaché, service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, Paris. Le Garrec Julie, Ancien Chef de clinique des hôpitaux de Caen, Ophtalmologiste, Caen. Lebas-Jacob Maud, Ancienne Assistante des hôpitaux de Paris, Ophtalmologiste, Clinique Mathilde, Rouen. Lebranchu Pierre, Chef de clinique-Assistant, service d’Ophtalmologie, CHU de Nantes. Leroux Les Jardins Guillaume, Chef de clinique-Assistant, Groupe hospitalier Cochin-Hôtel Dieu AP-HP, Paris. Leruez Stéphanie, Chef de clinique-Assistant, service d’Ophtalmologie, CHU d’Angers. Malecaze François, Professeur des Universités, Praticien hospitalier, service d’Ophtalmologie, CHU Purpan, Toulouse. Milea Dan, Professeur des Universités, Praticien hospitalier, service d’Ophtalmologie, CHU d’Angers. Orssaud Christophe, Praticien hospitalier, service d’Ophtalmologie, Hôpital Européen Georges Pompidou AP-HP, Paris Robert Matthieu, Praticien hospitalier universitaire, service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, Paris. Roche Olivier, Praticien hospitalier, service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, Paris. V
LISTE DES COLLABORATEURS
Rothschild Pierre-Raphaël, Interne des hôpitaux de Paris. Rouland Jean-François, Professeur des Universités, Praticien hospitalier, Département Universitaire d’Ophtalmologie, Hôpital Claude-Huriez, CHRU de Lille. Saad Alain, Assistant des hôpitaux, Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris. Schneider-Lise Bérangère, Praticien hospitalier, service d’Ophtalmologie, Hôpital Saint-Roch, CHU de Nice. Seghir Caroline, Chef de clinique-Assistant, service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, Paris. Touitou Valérie, Chef de clinique-Assistant, service d’Ophtalmologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP, Paris. Zambrowski Olivia, Chef de clinique-Assistant, service d’Ophtalmologie, CHU de Reims.
VI
SOMMAIRE
Préface, par Jean-Louis Dufier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IX
Pathologie rétinienne Cas n° 1 Les lignes qui gondolent puis perte de la vision d’un œil, par C. Orssaud et O. Roche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 2 Madame E. consulte pour son fond d’œil annuel, par C. Faure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 3 Monsieur S. consulte pour un œil douloureux, par C. Faure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 4 Monsieur B. consulte pour une baisse d’acuité visuelle, par C. Faure . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 5 Monsieur R. se plaint d’un flou visuel de l’œil droit, par E. Denion . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 6 Conséquences oculaires d’une soirée arrosée…, par E. Denion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 7 Monsieur W. consulte pour une baisse d’acuité visuelle non douloureuse, C. Faure . . . Cas n° 8 Madame S. consulte pour l’apparition brutale d’un voile devant l’œil droit, par C. Faure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 9 Un drôle de reflet dans l’œil, par N. Cassoux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 10 Monsieur T. consulte pour fond d’œil systématique après traitement d’un adénocarcinome de la glande lacrymale, par C. Faure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 6 8 11 16 20 25 28 31 34
Pathologie du segment antérieur Cas n° 11 Monsieur F. a du mal à lire les panneaux de signalisation en voiture, par C. Seghir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 12 L’enfant R., 5 ans, voit de moins en moins bien, par E. Adjadj . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 13 Madame P. a très mal à l’œil droit après une partie de squash, par S. Leroux Les Jardins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 14 Un patient de 24 ans consulte pour un œil droit rouge et douloureux, par P. Rothschild . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 15 Une patiente de 20 ans consulte pour une baisse progressive de l’acuité visuelle de l’œil droit, par P. Rothschild . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 16 Une baisse d’acuité visuelle douloureuse, par V. Touitou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 17 Une réfraction très changeante, par C. Guillaud et F. Malecaze . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 18 Monsieur M. consulte pour une douleur à type de grain de sable, par S. Leroux Les Jardins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 19 Monsieur S. consulte pour baisse d’acuité visuelle indolore de l’œil droit, par E. Bluwol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 20 Madame C. ne comprend pas pourquoi elle devrait mettre des gouttes dans ses « excellents yeux », par E. Bluwol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 21 Une vive douleur à l’œil et un flou visuel, par J.-F. Rouland . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 22 Complications liées au port de lentilles de contact, par F. Duez . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
36 38 41 44 48 51 55 59 64 68 73 76 VII
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Ophtalmo-pédiatrie Cas Cas Cas Cas Cas Cas Cas Cas
n° n° n° n° n° n° n° n°
23 24 25 26 27 28 29 30
Alors qu’il voyait bien jusque-là ! par C. Orssaud et O. Roche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Par quelle pupille ? par E. Adjadj . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il ne sourit pas depuis la naissance, par C. Orssaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un larmoiement du nourrisson…, par J. Le Garrec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un reflet blanc dans la pupille, par C. Orssaud et O. Roche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Esotropie accommodative, par M.-A. Espinasse Berrod . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’enfant D., 8 mois, louche…, par M.-A. Espinasse Berrod . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un œil paresseux d’après la médecine scolaire, par C. Orssaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
80 84 88 91 94 99 102 105
Neuro-ophtalmologie Cas n° 31 Strabisme de l’adulte, par P. Lebranchu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 32 Quand la vision d’un œil disparaît, par M. Lebas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 33 Une baisse d’acuité visuelle brutale et douloureuse chez une jeune femme, par V. Touitou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 34 Baisse d’acuité visuelle : une histoire de famille, avec ses aléas…, par C. Orssaud . . . . . Cas n° 35 Une neuropathie optique pas si idiopathique… ni isolée ! par C. Orssaud . . . . . . . . . . . Cas n° 36 Madame M. se plaint de photopsies positionnelles, par M. Robert . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 37 Madame X. voit de plus en plus double, avant que sa paupière ne tombe, par M. Robert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 38 Un nystagmus chez un nourrisson, par C. Dénier et M. Robert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 39 Monsieur H., 76 ans, présente une cécité bilatérale brutale, par B. Schneider . . . . . . . . . Cas n° 40 Une anisocorie et un ptôsis, c’est gênant, par S. Leruez et D. Milea . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 41 Des paupières asymétriques, par R. Khechine-Martinez . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 42 Un ptôsis acquis de l’adulte, par J. Boumendil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 43 Une paralysie faciale, par C. Orssaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas n° 44 Une masse dans l’orbite…, par J. Allali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
111 115 118 122 127 133 138 141 145 150 154 158 165 169
Affections subsidiaires Cas n° 45 Une femme de 58 ans voit double, par C. Bok . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172 Cas n° 46 Chirurgie réfractive, par N.-M. Haddad, A. Saad et D. Gatinel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Cas n° 47 Madame P. consulte pour une baisse d’acuité visuelle d’évolution insidieuse, par D. Amana . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Cas n° 48 Depuis ce matin, la jeune C. ne voit plus de l’œil droit, par O. Zambrowski et M. Robert 184 Index
VIII
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
PRÉFACE
À partir d’observations réelles, colligées par des ophtalmologistes réputés, Christophe Orssaud et Matthieu Robert nous offrent sur deux cents pages un florilège de cas cliniques ophtalmologiques couvrant tous les domaines de leur discipline. Richement illustré, émaillé de tableaux synoptiques, cet ouvrage très didactique présenté sous forme de questions-réponses, s’adresse à un large éventail de lecteurs, ophtalmologistes confirmés ou en formation, médecins généralistes, pédiatres, neurologues, généticiens, urgentistes, orthoptistes, infirmières en ophtalmologie, qui se remémoreront, ici une situation analogue déjà vécue, là un cas resté inexpliqué, ailleurs une association pathologique incongrue, une urgence qui n’était peut-être que ressentie, une rareté que l’on n’imaginait pas familiale. Les auteurs ont, entre autres, le grand mérite de rendre abordable, en des termes simples, une discipline facilement ressentie comme en marge de la médecine alors que l’œil, ne serait-ce que par son embryologie, participe de tous les domaines de la pathologie générale. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés et félicités.
Paris, le 7 juillet 2013
Professeur Jean-Louis Dufier de l’Académie Nationale de Médecine
IX
CAS N° 1 Des lignes qui gondolent puis perte de la vision d’un œil
Madame R., âgée de 83 ans, vient en consultation pour une baisse « brutale » de l’acuité visuelle de l’œil gauche, survenue 3 semaines plus tôt, qui la gêne pour conduire sa voiture. L’interrogatoire permet de retrouver que cette patiente était gênée depuis plusieurs semaines par une déformation visuelle des lignes des livres et journaux qu’elle lisait. En particulier, ses grilles de mots croisés lui semblaient totalement irrégulières. Sa fille signale également que la patiente trouvait qu’il n’y avait jamais assez de lumière pour voir correctement. Cette patiente a été opérée de la cataracte des deux yeux 8 ans auparavant et « son ophtalmologiste lui a fait du laser dans chaque œil un an plus tard ». Sa vision était très bonne au décours de ces interventions. Elle est en bon état général et est traitée uniquement pour un diabète de type 2 et une hypertension, tous deux bien équilibrés. Il n’y a aucun antécédent ophtalmologique familial. Cependant, madame R. raconte que sa sœur, plus âgée, est décédée aveugle d’un œil à cause d’une maladie de la rétine. L’examen ophtalmologique retrouve une baisse d’acuité visuelle bilatérale. Celle-ci est chiffrée à 6/10 Parinaud 3 à l’œil droit et 2/10 Parinaud 5 à l’œil gauche avec présence de quelques déformations des lignes. L’acuité visuelle gauche est réduite au décompte des doigts. L’examen des segments antérieurs est normal et identique compte tenu des antécédents de chirurgie de la cataracte. Les capsules postérieures des cristallins ont été ouvertes, expliquant les antécédents de laser rapportés par la patiente. L’aspect du fond d’œil gauche est présenté en Figure 1.
Comment interpréter les plaintes fonctionnelles de cette patiente ? Compte tenu de l’âge de cette patiente, la présence de déformations des lignes à la lecture, appelées métamorphopsies, oriente vers une pathologie maculaire. Le sujet peut également rapporter une déformation des lignes verticales (montants de porte) ou horizontales, comme dans le cas présent. Ce symptôme doit amener à consulter rapidement car il traduit l’existence d’une pathologie généralement évolutive entraînant une altération ou une déformation de cette région. De fait, chez madame R., les métamorphopsies ont précédé de quelques semaines l’installation, d’abord lente, d’une baisse d’acuité visuelle dont la patiente n’a pas eu conscience tant qu’elle est restée unilatérale. Cette baisse d’acuité visuelle constitue un autre symptôme important dans l’histoire de cette patiente, mais qu’elle n’a pas rapporté, n’éprouvant aucune gêne d’une faible vision limitée à l’œil droit. En revanche, ce qui l’a inquiétée, c’est la perte brutale de la vision de l’œil gauche. L’absence de prise de conscience
Figure 1 – DMLA néovasculaire évolutive avec une vaste plage hémorragique le long des arcades temporales et un décollement séreux hémorragique et des drusen.
1
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
a
b Figure 2 – Grille d’Amsler. (a) Grille normale. (b) Grille avec la représentation d’une métamorphopsie.
d’une baisse d’acuité visuelle progressive est habituelle à cet âge et peut poser des problèmes de sécurité, notamment pour la conduite automobile. Ces métamorphopsies sont efficacement recherchées avec une grille d’Amsler, qui est une plaque comportant un quadrillage régulier (Figure 2a). Le patient doit cacher tour à tour un de ses yeux avec la paume de la main, regarder le point central et apercevoir net l’ensemble de la grille. Toute déformation d’une partie de celle-ci (Figure 2b) ou toute disparition d’un secteur, correspondant à un scotome
paramaculaire, est anormale et doit faire prendre un avis ophtalmologique. Il est possible de demander au patient de vérifier la survenue de déformations ayant la même valeur en s’aidant de son carrelage de salle de bain, de ses grilles de mots croisés, etc. Le second symptôme rapporté par la patiente et son entourage est la diminution de la sensibilité aux contrastes. Celle-ci se manifeste par la sensation que les pièces sont trop sombres pour les activités nécessitant la vision de près (lecture, écriture, etc.). Il en résulte un besoin d’augmenter la luminosité.
Devant cette symptomatologie et les données de l’examen clinique, quel est le diagnostic le plus probable à cet âge ? Le fond d’œil droit met en évidence la présence d’une très minime atrophie choriorétinienne associée à de nombreux « drusen séreux » maculaires. Ces anomalies permettent d’expliquer à elles seules l’existence de la baisse d’acuité visuelle de cet œil tant de loin que de près. Le diagnostic qui peut être posé est celui de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) atrophique (encore appelée DMLA sèche). Cependant, il existe des
drusen de grande taille, anomalies qui font le lit de la seconde forme de la DMLA, dite néovasculaire (ou humide). L’aspect du fond d’œil gauche est en faveur d’une DMLA humide compliquée. Il existe de nombreuses hémorragies, notamment le long des arcades temporales, témoignant d’une forme active, un décollement séreux de la région maculaire, quelques exsudats et déjà des cicatrices gliales ou fibreuses.
Quels examens faut-il demander pour confirmer ce diagnostic ? La DMLA est une maladie dégénérative oculaire pure bien qu’il existe des facteurs de risque généraux. Les seuls examens à demander sont donc à visée ophtalmologique. Le bilan comporte tout d’abord un examen ophtalmologique complet avec une mesure de l’acuité 2
visuelle qui peut être effectuée à l’aide d’échelles traditionnelles dérivées de l’échelle de Monoyer ou, au mieux, à l’aide d’une échelle basse vision appelée ETDRS (Early Treatment Diabetic Retinopathy Study, car développée dans le cadre d’une étude portant sur la rétinopathie diabétique). Cette échelle est
Cas n° 1
Dégénérescence maculaire liée à l’âge La DMLA est précédée par une phase de « vieillissement physiologique » de la région maculaire, appelée maculopathie liée à l’âge (MLA). Cette MLA se caractérise par la présence de drusen de taille variables et d’altérations focales de l’épithélium pigmentaire (EP). Les drusen correspondent à l’accumulation de diverses substances dans l’EP. Selon leur taille, ces drusen sont dits miliaires lorsqu’ils sont de petit diamètre ou séreux lorsqu’ils sont plus volumineux. Les drusen séreux ont tendance à évoluer vers le développement de néovaisseaux issus de la choriocapillaire. Les lésions de la MLA peuvent rester longtemps quiescentes ou évoluer vers l’une ou l’autre forme de DMLA. La DMLA atrophique constitue la forme la plus fréquente. Elle est généralement bilatérale, quoique volontiers asymétrique au départ. Elle réalise une disparition lente de la choroïde et de la rétine dans la région maculaire. Cette atrophie débute au niveau d’une zone unique ou part de plusieurs plages qui vont s’étendre progressivement et confluer autour de la fovéa. Cette évolution est lente, mais inexorable. Le déficit fonctionnel est variable en fonction de la perte tissulaire. Toutefois, l’atteinte de la région fovéale est tardive. Il existe un risque d’évolution vers une forme humide ou néovasculaire. La seconde forme de DMLA est dite néovasculaire ou humide. Les néovaisseaux peuvent rester localisés sous l’EP ou le traverser pour le décoller de la rétine neurosensorielle. L’évolution de cette forme de DMLA et de la perte visuelle est variable. Tant qu’il n’existe que des drusen, l’acuité visuelle reste globalement stable. Cependant, des néovaisseaux peuvent apparaître à tout moment. La dégradation visuelle est alors rapide car la croissance de ces néovaisseaux peut être explosive. La présence de ces derniers est responsable, selon leur localisation, d’œdèmes maculaires, des décollements séreux de l’EP d’apparition rapide et des complications brutales à type d’hémorragies. Celles-ci évoluent vers une cicatrice gliale.
particulièrement adaptée aux basses acuités visuelles comme il est possible d’en observer lors de la DMLA. Il peut être intéressant de réaliser des photographies du fond d’œil pour suivre cliniquement les modifications éventuelles de la région maculaire d’une consultation à l’autre. Différents examens complémentaires peuvent être proposés. Il s’agit d’une part de la tomographie en cohérence optique (OCT ou optical coherence tomography) qui permet d’obtenir in vivo des coupes de la région maculaire et met en évidence les rapports entre les différentes couches de la rétine et la choriocapillaire. Dans le cadre de la DMLA, cet examen met donc en évidence les drusen, les néovaisseaux, les zones d’œdème, les décollements de l’EP ou de la neurorétine, ainsi que les zones d’atrophie choriorétinienne. Il présente l’avantage d’être non invasif et peut donc être répété fréquemment lors du suivi dès qu’il existe un changement de la fonction visuelle ou
de l’aspect du fond d’œil. L’angiographie à la fluorescéine, éventuellement complétée par l’angiographie au vert d’indocyanine, permet de bien identifier les néovaisseaux. Ceux-ci sont classés en fonction de leur localisation par rapport à l’EP. Ils sont dits « visibles » lorsqu’ils ont traversé l’EP ou occultes lorsqu’ils restent derrière celui-ci qui fait alors barrière et qui les rend invisibles en angiographie à la fluorescéine (mais non en angiographie au vert d’indocyanine). Cet examen ne met en évidence que d’éventuels signes indirects de leur présence. Ils sont également classés selon leur position par rapport à la fovéa : il est ainsi possible de différencier les néovaisseaux rétrofovéolaires ou extrafovéolaires. Ces distinctions ont un intérêt thérapeutique. Enfin, certains auteurs préconisent d’étudier la région maculaire à l’aide d’un système de laser à balayage. D’autres examens, comme le dosage du pigment maculaire, restent du domaine de la recherche.
Quelles sont les causes ou facteurs de risque de survenue d’une DMLA ?
Les causes exactes de survenue d’une DMLA commencent à être élucidées. La DMLA est une pathologie multifactorielle, associant des facteurs de prédisposition génétique et de nombreux facteurs environnementaux. Le premier facteur reste l’âge. L’observation de familles au sein desquelles plusieurs membres sont atteints de DMLA rend probable l’existence d’un
facteur de prédisposition génétique pour cette pathologie maculaire. Il est admis que le risque de DMLA est environ quatre fois plus important s’il existe déjà des individus atteints dans la famille. De fait, la sœur de madame R. devait être atteinte de DMLA. Le rôle du gène CFH, impliqué dans la cascade du complément, et du gène ARMS2 a été mis en évidence. Il 3
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
en est de même pour le gène de l’apoE (protéine de transport des lipides) et le gène ABCA4 (gène de la maladie de Stargardt). En revanche, d’autres facteurs génétiques tels que des polymorphismes du gène FRK/COL10A1 auraient un effet protecteur. Il semble que ces différents gènes seraient impliqués dans l’une ou l’autre des formes de la DMLA. Plusieurs études ont également démontré le rôle de certains facteurs environnementaux.
Ainsi, le tabagisme multiplie par trois à six le risque de DMLA, de même qu’une exposition solaire prolongée sans protection oculaire favorise ce vieillissement maculaire pathologique. Enfin, des études ont démontré le rôle de l’alimentation pour protéger de la survenue d’une DMLA. Le rôle aggravant de l’hypertension artérielle ou de l’obésité a été suspecté, mais n’a pas été confirmé.
Que proposer à madame R. à ce stade ?
L’œil gauche est malheureusement au-delà de toute ressource thérapeutique. Cette constatation renforce la nécessité de l’éducation des personnes à risque qui doivent consulter dès lors qu’elles ressentent l’un des symptômes déjà évoqués : baisse de la sensibilité aux contrastes, métamorphopsies, baisse d’acuité visuelle. L’œil droit présente une DMLA atrophique pour laquelle il n’existe aucun traitement. On observe également pour cet œil des signes de MLA avec des drusen séreux ayant un risque élevé d’évolution vers une DMLA néovasculaire. Il est donc essentiel de donner des conseils hygiénodiététiques et notamment de se protéger du soleil, d’arrêter de fumer et d’avoir une alimentation riche en fruits et légumes verts (épinards, brocolis, choux, etc.), ainsi qu’en poissons gras (saumon, thon, maquereau, etc.) riches en anti-oxydants et omégas-3. Il peut aussi être proposé à cette patiente une supplémentation en anti-oxydants (vitamines C et E) et
en certains minéraux (zinc, sélénium). À la suite d’une large étude menée aux États-Unis et publiée en 2001, l’étude AREDS, il a été démontré que ces apports permettent de réduire de 25 % le risque d’évolution des stades précoces de DMLA vers des formes compliquées. Par ailleurs, l’apport par l’alimentation ou une supplémentation en pigments maculaires (zéaxanthine et lutéine) protégerait la rétine des effets nocifs de la lumière. De telles supplémentations existent et font partie des alicaments. Madame R. est régulièrement suivie, tous les 6 mois. Un an plus tard, elle revient en urgence du fait de la déformation des lignes verticales vues avec son seul œil droit. À l’examen, il est observé l’existence d’une baisse d’acuité visuelle à 5/10 Parinaud 3 et la présence d’une hémorragie parafovéolaire de l’œil droit avec un discret œdème. L’OCT et l’angiographie à la fluorescéine confirment la présence d’un néovaisseau majoritairement occulte proche de la région fovéolaire.
Que peut-on proposer pour préserver la fonction visuelle de l’œil droit ?
Plusieurs traitements peuvent être discutés lorsqu’il existe un néovaisseau focal. La photo coagulation de ce néovaisseau au laser argon a longtemps été le seul traitement disponible. Il n’est plus guère préconisé, surtout lorsque la lésion à traiter est proche de la région fovéolaire donnant la vision la plus fine. En effet, ce traitement crée un scotome absolu en brûlant la rétine et entraîne la constitution de cicatrices rétractiles qui peuvent abaisser la vision secondairement. La photothérapie dynamique consiste à injecter un produit photosensibilisant dans la circulation sanguine générale et à l’activer grâce à une diode laser non thermique, avec une intensité lumineuse calibrée 4
pendant un temps court (83 secondes). Cette activation du produit injecté provoque son changement de conformation et il va se lier à certaines molécules de la paroi des néovaisseaux, provoquant leur thrombose. Cette méthode pourrait également se compliquer de cicatrices rétractiles et n’est donc pas indiquée en cas de néovaisseaux proches de la région fovéolaire. Il faut également que la lumière du laser puisse atteindre le néovaisseau qui doit être en grande partie visible en angiographie. Cette technique n’est donc pas particulièrement adaptée pour notre patiente. De plus, la photothérapie dynamique est moins utilisée actuellement car elle est surpassée par l’injection intravitréenne de substances anti-angiogéniques.
Cas n° 1
Depuis 2006, il est possible d’injecter dans la cavité vitréenne des anticorps dirigés contre le VEGF (vascular endothelial growth factor). Ce VEGF est un facteur de croissance impliqué dans le développement de vaisseaux anormaux. Le blocage de cette molécule par son anticorps permet de stopper la croissance ou plus souvent de faire régresser des néovaisseaux. La disparition de ces derniers permet la diminution ou la fin de leurs complications, notamment de l’œdème, et dans de nombreux cas une nette amélioration de l’acuité visuelle. Cette technique nécessite des injections régulières pour faire régresser le néovaisseau à traiter puis prévenir sa récidive ou la survenue d’autres en des zones maculaires différentes. En effet,
ce procédé ne constitue pas un traitement de fond de la DMLA et ne prévient pas le risque de nouvelle néovascularisation. De plus, ces injections intravitréennes ne sont pas dénuées de risque (hémorragie du vitrée, endophtalmie, etc.) et doivent être effectuées dans des conditions de parfaite asepsie chirurgicale. Ces traitements coûteux sont pris en charge par la caisse primaire d’Assurance maladie. La supplémentation doit également être poursuivie. Enfin, en cas d’échec, il faut proposer une rééducation « basse vision » et l’utilisation de systèmes adaptés permettant d’améliorer la vision ou de compenser une perte visuelle trop importante.
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CAS N° 2 Madame E. consulte pour son fond d’œil annuel
Madame E., 55 ans, consulte pour son fond d’œil annuel dans le cadre de son suivi de diabète. Elle a un diabète de type 2 depuis 23 ans et une hypertension artérielle. Son dernier fond d’œil remonte à l’année précédente, période à laquelle elle avait été hospitalisée pour un épisode de coma hyperosmolaire avec une hémoglobine glyquée à 13 %. Elle présentait alors une rétinopathie diabétique non proliférante bilatérale sévère. Ce jour, la patiente nous montre fièrement le résultat de sa prise de sang avec une HbA1C à 6 %. L’acuité visuelle est de 20/80 (2,5/10) aux deux yeux. Une angiographie à la fluorescéine est réalisée (Figure 1).
Figure 1 – Angiographie à la fluorescéine (œil droit à gauche et œil gauche à droite) avec une efflorescence de néovaisseaux prérétiniens dans les quatre quadrants des deux yeux et des zones de non-perfusion périphériques.
Quelle est la particularité de cette rétinopathie diabétique ? La patiente présente une rétinopathie diabétique proliférante avec une efflorescence de néovaisseaux prérétiniens dans tous les quadrants et de manière bilatérale. L’aggravation récente et sévère de la 6
rétinopathie doit faire évoquer une rééquilibration trop rapide de la glycémie (phénomène de réentrée normoglycémique).
CAS N° 2
Quels sont les facteurs de survenue de ce tableau clinique ? Le phénomène de réentrée normoglycémique peut s’observer chez tout patient diabétique (type 1 ou 2), préalablement mal équilibré, avec intensification trop brusque du schéma thérapeutique (en particulier lors de l’introduction de l’insulinothérapie chez un patient précédemment traité par antidiabétiques oraux ou lors
de la mise sous pompe à insuline chez un patient insulinodépendant). Le risque d’aggravation rapide des rétinopathies est d’autant plus élevé que le diabète est ancien, l’hémoglobine glyquée initiale haute, la normalisation glycémique des 6 premiers mois rapide et le stade initial de la rétinopathie avancé.
Quel est le délai d’apparition de cette rétinopathie ? Quel traitement proposez-vous ? L’aggravation de la rétinopathie diabétique a lieu classiquement à distance de la rééquilibration de la glycémie, en général 6 à 12 mois après.
Il est urgent de réaliser une panphotocoagulation rétinienne bilatérale au laser, à raison d’une séance par semaine.
Aurait-il été possible d’éviter la survenue de ce tableau clinique ? La surveillance ophtalmologique, chez cette patiente à risque, aurait dû être plus rapprochée avec réévaluation du fond d’œil avant intensification du schéma thérapeutique puis tous les 3 mois pendant un an. La présence d’une rétinopathie non proliférante sévère avant équilibration glycémique aurait dû
inciter à réaliser une panphotocoagulation panrétinienne progressive au préalable. Les objectifs glycémiques de la patiente auraient dû être moins stricts lors de la prise en charge afin d’équilibrer plus progressivement le diabète.
Bibliographie Early worsening of diabetic retinopathy in the Diabetes Control and Complications Trial. Arch Ophthalmol. 1998, 116: 874-86.
Lauritzen T, Frost-Larsen K, Larsen HW, Deckert T. Effect of 1 year of near-normal blood glucose levels on retinopathy in insulin-dependent diabetics. Lancet. 1983, 29: 200-4.
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CAS N° 3 Monsieur S. consulte pour un œil douloureux
Monsieur S., 63 ans, consulte en urgence pour des douleurs oculaires insomniantes de l’œil gauche depuis 2 jours. À l’interrogatoire, on découvre la notion d’un diabète de type 2 évoluant depuis 22 ans et traité par antidiabétiques oraux (metformine 850 mg trois fois par jour). Cependant, l’équilibre du diabète n’est pas connu. D’ailleurs, le patient ne possède pas de lecteur glycémique. Monsieur S. n’a pas consulté son médecin traitant depuis longtemps car, selon ses propres termes, « il est en pleine forme » et ne prend aucun autre médicament. À l’examen ophtalmologique, l’acuité visuelle est de 4/10e à droite après correction et limitée « au décompte des doigts » à gauche. L’examen du segment antérieur à droite met en évidence une rubéose irienne (développement pathologique de néovaisseaux, visibles au biomicroscope ou à la lampe à fente sous la forme de très fins vaisseaux anarchiques) sur le bord pupillaire. La pression intra-oculaire est à 18 mmHg. Au fond d’œil, des néovaisseaux prérétiniens et prépapillaires sont visibles avec une petite hémorragie intravitréenne sédimentée en inférieur. À gauche, l’œil est rouge et douloureux. Il existe un œdème de cornée qui laisse apercevoir une importante rubéose irienne aussi bien sur le bord pupillaire que dans l’angle iridocornéen. On note une petite lame d’hyphéma. La prise de la pression intra-oculaire au tonomètre à aplanation de Goldmann montre une hypertonie oculaire majeure à 55 mmHg. À gauche, le fond d’œil est difficilement visible.
Qu’évoque le tableau clinique ? Monsieur S. présente à droite une rétinopathie diabétique proliférante compliquée de rubéose
irienne et d’hémorragie intravitréenne. À gauche, il existe un glaucome néovasculaire.
Quelles sont vos hypothèses étiologiques concernant l’œil gauche ? Les causes des glaucomes néovasculaires sont diverses. Les trois les plus fréquentes sont les occlusions de la veine centrale de la rétine accompagnées d’une ischémie rétinienne étendue, les rétinopathies diabétiques proliférantes et les syndromes d’ischémie oculaire, généralement secondaires à une sténose des artères carotides. D’autres causes rares peuvent se compliquer de glaucome néovasculaire : les rétinopathies radiques, certaines tumeurs oculaires (mélanome du corps ciliaire, rétinoblastome, lymphome malin), quelques uvéites 8
antérieures ou postérieures (comme les maladies de Crohn ou de Behçet), ainsi que d’autres causes de vasculopathies rétiniennes non inflammatoires comme la maladie de Coats. Dans tous les cas, le glaucome néovasculaire se développe en réponse à une ischémie oculaire marquée. Dans le cas présent, la présence d’une rétinopathie diabétique proliférante compliquée de rubéose irienne et d’une hémorragie intravitréenne sur l’œil controlatéral nous oriente fortement vers un glaucome néovasculaire secondaire à une rétinopathie
CAS N° 3
diabétique proliférante. Le caractère bilatéral de l’atteinte rend en effet peu probable la présence d’une occlusion de la veine centrale de la rétine. Une occlusion de branche veineuse surajoutée à une
rétinopathie diabétique sous-jacente reste cependant possible. Devant l’asymétrie du tableau clinique, il faudra aussi veiller à éliminer une sténose de l’artère carotide gauche.
Quel bilan demandez-vous ?
• Examen clinique complet du patient avant tout examen complémentaire, à la recherche d’autres atteintes dues au diabète (par exemple une neuropathie distale). • Bilan de l’équilibre du diabète : dosage de l’hémoglobine glyquée (HbA1C) ; l’apprentissage de l’utilisation d’un lecteur glycémique avec tenue d’un carnet de glycémie permettra d’adapter au mieux le traitement. • Bilan de la micro-angiopathie : clairance de la créatininémie et de la micro-albuminurie sur 24 heures, l’atteinte rénale étant souvent concomitante de la rétinopathie. • Bilan de la macro-angiopathie : bilan cardiovasculaire complet avec électrocardiogramme (ECG), échographie de stress, Holter tensionnel et exploration d’une anomalie lipidique (cholestérol total, cholestérol LDL et triglycérides). Ce bilan sera complété en fonction de la présence de signes cliniques d’appel (par exemple par un écho-Doppler des membres inférieurs). • Bilan ophtalmologique : une angiographie à la fluorescéine permettra de mettre en évidence la rétinopathie diabétique proliférante sur l’œil droit
Figure 1 – Reconstruction en angiographie à la fluorescéine de l’œil droit avec la présence d’une rétinopathie diabétique proliférante sévère (néovaisseaux prérétiniens dans les quatre quadrants, néovaisseaux prépapillaires, larges zones de non-perfusion capillaire prédominant en nasal de la papille).
Figure 2 – Clichés en angiographie à la fluorescéine des segments antérieurs (œil droit à gauche et œil gauche à droite) aux temps tardifs avec diffusion irienne anormale témoignant de la présence de néovaisseaux iriens bilatéraux.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
(Figure 1) avec visualisation des néovaisseaux prérétiniens et prépapillaires et des zones de nonperfusion capillaire, ainsi que la présence d’une maculopathie associée et de néovaisseaux iriens (Figure 2). Selon les résultats, une OCT (optical coherence tomography ou tomographie en cohérence optique) pourra s’avérer utile pour rechercher et quantifier un œdème maculaire. Devant le
caractère asymétrique de l’atteinte oculaire, une écho-Doppler des troncs supra-aortiques recherchera la présence d’une sténose surajoutée de l’artère carotide. • Bilan pré-opératoire : numération-formule pla quettaire, ionogramme sanguin, bilan de coagulation, vitesse de sédimentation et protéine C réactive.
Quel est le traitement ophtalmologique indiqué ? Pour l’œil droit, il faut réaliser une panphotocoagulation rétinienne en urgence pour éviter la survenue d’un glaucome néovasculaire. La panphotocoagulation au laser consiste à réaliser des impacts de laser argon sur les quatre quadrants de la rétine. La surface traitée part de l’ora serrata (la frontière en extrême périphérie de la rétine) et s’arrête à la distance d’un diamètre papillaire des arcades vasculaires. Les séances sont réalisées en consultation, le patient étant assis à une lampe à fente dotée d’un laser. Pour l’œil gauche, il s’agit d’une urgence ophtalmologique. Le patient doit être hospitalisé. Le traitement hypotonisant a un but antalgique et doit aussi faire disparaître l’œdème de cornée. Il associe en règle générale un traitement systémique à base d’acétazolamide, en l’absence de contre-indication, à un traitement local par collyres (bêtabloquant, prostaglandine, inhibiteur de l’anhydrase
carbonique et alpha-mimétique). Depuis peu, une injection intravitréenne d’anti-VEGF (ranibizumab ou bevacizumab ; VEGF : vascular endothelial growth factor) peut être proposée pour aider à la régression des néovaisseaux iriens. Cependant, il faut souligner que les anti-VEGF ne constituent en aucun cas le traitement du glaucome néovasculaire. Dès l’obtention de l’éclaircissement cornéen, il faudra effectuer une panphotocoagulation rétinienne. En cas d’impossibilité (œdème de cornée persistant, trouble des milieux, patient algique, etc.), l’ischémie rétinienne pourra être traitée par cryo-application transclérale sur 360°, sous anesthésie péribulbaire ou générale. En cas d’hypertonie résiduelle, un cyclo-affaiblissement par diode laser, visant à détruire une partie des procès ciliaires responsables de la sécrétion d’humeur aqueuse, pourra aussi être effectué.
Quel est le pronostic visuel du patient ? À droite, sous réserve d’un traitement bien conduit, on peut espérer au mieux conserver l’acuité visuelle de Monsieur S. Cependant, ce dernier doit être prévenu que la panphotocoagulation entraînera un rétrécissement de son champ visuel. Un certain nombre de complications peuvent néanmoins
Bibliographie Hayreh SS. Neovascular glaucoma. Prog Retin Eye Res. 2007, 26: 470-85.
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survenir, comme l’apparition d’un œdème maculaire ou d’une hémorragie intravitréenne. À gauche, le pronostic visuel est sombre. Il est probable que l’acuité visuelle du patient reste inférieure au décompte des doigts. L’objectif de la prise en charge est de faire disparaître les douleurs liées à l’hypertonie.
CAS N° 4 Monsieur B. consulte pour une baisse d’acuité visuelle
Monsieur B., 56 ans, consulte pour une baisse d’acuité visuelle de l’œil droit apparue progressivement depuis 3 mois. Il travaille comme chauffeur de poids lourds et n’a pas d’antécédent ophtalmologique connu. Sur le plan général, le patient déclare que son médecin traitant, 3 ans auparavant, lui a découvert un diabète de type 2 pour lequel il prenait un traitement par metformine, traitement qu’il a stoppé de luimême il y a 6 mois. L’acuité visuelle est de 4/10e P6 à droite et de 8/10e P3 à gauche après correction. L’examen du segment antérieur est normal. Le pôle postérieur est représenté sur les rétinographies couleurs et les clichés en autofluorescence (Figure 1). L’OCT (optical coherence tomography ou tomographie en cohérence optique) complète l’analyse du pôle postérieur (Figure 2). L’angiographie à la fluorescéine précise l’atteinte du pôle postérieur (Figure 3) et du reste de la périphérie rétinienne de l’œil droit (Figure 4) et de l’œil gauche (Figure 5).
Figure 1 – Rétinophotographies couleurs de l’œil droit (en haut à gauche) et de l’œil gauche (en haut à droite) et clichés en autofluorescence de l’œil droit (en bas à gauche) et de l’œil gauche (en bas à droite). Sur l’œil droit, on observe des hémorragies rétiniennes et des exsudats secs répartis en couronnes (une en supéro-maculaire et une autre en temporo-maculaire), mais aussi de façon diffuse directement autour de la fovéa. Sur l’œil gauche, il existe trois couronnes bien définies : un peu à distance de la fovéa, dans la partie temporale supérieure de la macula et en inféronasal de la macula. Les couronnes d’exsudats secs sont particulièrement bien visibles sur les clichés en autofluorescence (masquage de l’autofluorescence sous-jacente).
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
a
b
Figure 2 – Cartographie de l’épaisseur rétinienne (mapping) en OCT et coupes maculaires de l’œil droit (a) et de l’œil gauche (b). Sur l’œil droit, on note une augmentation diffuse et centrale de l’épaisseur rétinienne sur le mapping OCT. Les logettes intrarétiniennes d’œdème sont principalement situées aux dépens des couches profondes et atteignent la fovéa. Les dépôts lipidiques ou exsudats secs apparaissent sous forme de signaux hyper-réflectifs. On remarque que la membrane hyaloïde postérieure est décollée de la région maculaire, éliminant la possibilité d’une composante tractionnelle à cet œdème. Sur l’œil gauche, le mapping montre que l’œdème rétinien est un peu à distance de la macula, dans la partie temporale, superposable aux couronnes d’exsudats. Sur la coupe maculaire, on observe que la dépression fovéolaire est conservée.
Figure 3 – Clichés d’angiographie à la fluorescéine centrée sur le pôle postérieur de l’œil droit à la phase précoce (en haut à gauche) et à la phase tardive (en bas à gauche), et de l’œil gauche à la phase précoce (en haut à droite) et à la phase tardive (en bas à droite). Il existe aux temps précoces de nombreux micro-anévrismes au centre des couronnes d’exsudats qui diffusent au cours de la séquence. L’œil droit présente un œdème maculaire non cystoïde. Sur l’œil gauche, les micro-anévrismes sont au centre des différentes couronnes d’exsudats et restent un peu à distance de la macula.
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CAS N° 4
Figure 4 – Angiographie à la fluorescéine de l’œil droit avec des petits territoires de non-perfusion capillaire dans le quadrant nasal. La périphérie rétinienne est relativement bien perfusée.
Figure 5 – Angiographie à la fluorescéine de l’œil gauche avec des petits territoires de non-perfusion capillaire dans le quadrant nasal. La périphérie rétinienne est là encore relativement bien perfusée.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quel est le stade de cette rétinopathie diabétique ?
Le patient présente quelques micro-anévrismes et de petites zones de non-perfusion capillaire principalement dans le quadrant nasal. Il s’agit d’une
rétinopathie diabétique non proliférante modérée au niveau des deux yeux. Le tableau I récapitule les différents stades de la classification.
Tableau I – Les différents stades de la rétinopathie diabétique. Pas de rétinopathie diabétique Rétinopathie diabétique non proliférante
Rétinopathie diabétique proliférante
Minime
Petit nombre de micro-anévrismes et/ou micro-occlusions capillaires et diffusions intrarétiniennes localisées
Modérée
Nombreux micro-anévrismes Présence possible de nodules cotonneux Territoires d’ischémie rétinienne localisés, de petite taille, en périphérie et/ou au pôle postérieur
Sévère
Hémorragies rétiniennes étendues dans quatre quadrants et/ou anomalies veineuses en chapelet dans deux quadrants et/ou anomalies microvasculaires intrarétiniennes nombreuses dans un quadrant Vastes territoires d’ischémie rétinienne périphérique
Minime
Néovaisseaux prérétiniens 1/2 surface papillaire dans un ou plusieurs quadrants ou néovaisseaux prépapillaires 1/4-1/3 surface papillaire
Compliquée
Hémorragie intravitréenne ou prérétinienne Décollement de rétine tractionnel Glaucome néovasculaire
Quel est le stade de cette maculopathie diabétique ? À l’œil droit, le patient présente à la fois un œdème focal sous forme de couronnes circinées (en particulier dans la partie supérieure et temporale de la macula) et une atteinte centrale plus diffuse. Il s’agit donc d’une maculopathie diabétique œdémateuse mixte. L’épaisseur centrale sur le mapping OCT est augmentée et répartie de façon homogène autour du centre.
À l’œil gauche, les couronnes circinées sont bien définies et un peu à distance de la macula : il s’agit d’un œdème maculaire focal modéré. L’augmentation de l’épaisseur rétinienne est superposable aux couronnes d’exsudats en temporo-maculaire. Le tableau II fait le point sur la classification des œdèmes maculaires diabétiques.
Quel bilan demandez-vous pour ce patient ? Il est primordial de connaître l’équilibre glycémique du patient. Une hémoglobine glyquée (HbA1C) supérieure à 6,5 % est un facteur de risque de progression de la rétinopathie diabétique. Il faudra dépister une hypertension artérielle, très fréquente chez le patient diabétique de type 2, si besoin à l’aide d’un Holter tensionnel sur 24 heures. 14
Selon l’Alfediam (Association de langue française pour l’étude du diabète et des maladies métaboliques), la valeur cible pour débuter un traitement doit être supérieure à 140/80 mmHg. Elle sera d’autant plus basse qu’il y a des complications, notamment rénales. En cas de protéinurie supérieure à 1 g/24 h, la valeur cible est de 125/75 mmHg.
CAS N° 4
Tableau II – Classification des œdèmes maculaires diabétiques. Maculopathie œdémateuse
Œdème maculaire focal
Œdème maculaire diffus
Œdème localisé habituellement entouré d’une couronne d’exsudats secs
Minime
À distance du centre de la macula
Modéré
À proximité du centre mais ne l’atteignant pas
Sévère
Atteignant le centre de la macula
Œdème maculaire étendu à toute la surface de la macula
Cystoïde Non cystoïde
Forme mixte Maculopathie ischémique
Occlusion des capillaires de la macula
Œdème maculaire tractionnel
Traction de la membrane hyaloïde postérieure sur la macula
Les dyslipidémies associées et autres facteurs de surcharge volémique (insuffisance rénale, insuffisance cardiaque et hypo-albuminurie) doivent être pris en charge au mieux. Une valeur cible de LDLcholestérol inférieure à 1,30 g/L est habituellement proposée chez le diabétique. Chez le diabétique à très haut risque (prévention secondaire notamment),
un objectif de LDL-cholestérol inférieur à 1 g/L est recommandé. Enfin, certains patients diabétiques de type 2, volontiers en surcharge pondérale, souffrent du syndrome d’apnées du sommeil. L’appareillage de ce syndrome d’apnées du sommeil peut faire diminuer l’œdème maculaire.
Quel traitement proposez-vous ? Le traitement de fond du diabète doit être à nouveau institué. Devant toute rétinopathie diabétique, l’équilibration des constantes systémiques est primordiale. Le diabète est une maladie chronique qui requiert l’adhésion du patient à son traitement, et monsieur B. est manifestement en rupture de soins. L’éducation thérapeutique va donc être capitale chez ce patient. Au stade de rétinopathie diabétique non proliférante modérée, il n’y a pas d’indication de photocoagulation panrétinienne au laser. La photocoagulation panrétinienne doit être entreprise en cas de rétinopathie diabétique proliférante, mais aussi dans certains cas de rétinopathie diabétique non proliférante sévère (patient au suivi difficile, équilibration glycémique rapide, puberté, grossesse, en pré- ou postopératoire d’une chirurgie de la cataracte).
L’œdème maculaire focal doit toujours être traité lorsqu’il est cliniquement significatif, c’est-à-dire lorsqu’il menace (œdème maculaire focal modéré) ou atteint le centre de la macula (œdème maculaire focal sévère). Chez notre patient, une photocoagulation directe focale des micro-anévrismes ou en quinconce (grid) sur les zones rétiniennes épaissies est indiquée sur les deux yeux. Pour l’œil droit qui présente un œdème maculaire mixte, un traitement complémentaire de la composante diffuse par injection intravitréenne pourra être proposé. Pour les injections intravitréennes, le ranibizumab (antiVEGF ; VEGF : vascular endothelial growth factor) sera utilisé en première intention si l’acuité visuelle est inférieure à 6/10e et si le patient peut être suivi de façon mensuelle. En cas d’œdème maculaire réfractaire aux anti-VEGF, une injection intravitréenne de corticoïdes reste une alternative possible.
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CAS N° 5 Monsieur R. se plaint d’un flou visuel de l’œil droit
Monsieur R., 68 ans, vous consulte pour un flou visuel de l’œil droit. Le seul antécédent médical remarquable du patient est une hypertension artérielle bien contrôlée par un traitement par énalapril. Sur le plan ophtalmologique, le patient a été opéré de la cataracte (phacoémulsification et implant de chambre postérieure) des deux côtés à 4 semaines d’intervalle 3 ans auparavant. Deux semaines avant la consultation, monsieur R. a été gêné pendant quelques jours à cause d’un corps flottant proche de son point de fixation. Un flou visuel périphérique a été noté une semaine après. Le patient l’a d’abord attribué à un problème de surface et a essayé de l’améliorer en se frottant l’œil. Le flou a persisté, décrit comme un voile opaque dans la partie nasale inférieure du champ visuel droit. Monsieur R. ne s’est pas inquiété car ce voile était fluctuant, à peine perceptible le matin et plus gênant le soir. Toutefois, depuis ce matin, en plus du voile – décrit comme une amputation de tout l’hémi-champ visuel inférieur droit –, une baisse d’acuité visuelle est survenue et le patient s’alarme. À l’interrogatoire, aucun facteur déclenchant ni symptôme d’accompagnement ne sont retrouvés. Les pupilles du patient sont rondes, de tailles égales. Les réflexes pupillaires directs et consensuels – testés à l’aide de la lumière de votre ophtalmoscope (ou éventuellement d’une lampe de poche ou de votre otoscope) – sont présents des deux côtés. Vous faites un test d’éclairage alterné, toujours avec cette source lumineuse, qui retrouve un déficit pupillaire afférent de l’œil, encore appelé « signe de Marcus Gunn » ou encore « pupille de Gunn ». La présence de ce déficit pupillaire afférent relatif vous oriente immédiatement vers un problème organique. Vous testez grossièrement l’acuité visuelle œil par œil, en demandant au patient de maintenir fermée la paupière du côté non testé. Monsieur R. compte les doigts avec difficulté à 50 centimètres à droite. À gauche, il les compte facilement à 2 mètres et déclare qu’il voit aussi bien que d’habitude. L’examen du champ visuel par confrontation confirme l’amputation de l’hémi-champ inférieur du côté droit. Votre examen terminé, vous concluez à une baisse d’acuité visuelle sévère droite avec amputation du champ visuel inférieur et déficit pupillaire afférent relatif. Vous adressez immédiatement le patient à un ophtalmologiste. Vous apprenez par courrier que monsieur R., examiné le jour même, présentait un décollement de rétine avec soulèvement de la macula. Ce décollement étendu de 7 heures 30 à 3 heures était provoqué par trois déchirures localisées dans le quadrant temporal supérieur (Figure 1). Le patient a été opéré le lendemain par vitrectomie, endolaser et tamponnement par gaz (hexafluorure de soufre dosé à 20 %). L’examen de l’œil adelphe était normal.
Les antécédents du patient étaient-ils contributifs ?
L’hypertension artérielle n’est pas en cause. En revanche, l’antécédent de chirurgie de la cataracte constitue un des facteurs de risque principaux de 16
décollement de rétine non traumatique. D’autres facteurs de risque majeurs non présents chez ce patient sont :
CAS N° 5
− une myopie forte ; − un antécédent de vitrectomie ; − un antécédent de traumatisme oculaire à globe fermé ou ouvert. Le décollement de rétine est une affection rare qui concerne probablement environ 10/100 000 habitants par an en France. Le recueil des antécédents ophtalmologiques tels qu’une myopie forte, une chirurgie de la cataracte ou une vitrectomie est important car il rend l’évocation de ce diagnostic rare pertinente. Cela étant, un décollement de rétine se produit parfois sans qu’aucun des antécédents qui viennent d’être cités ne soit présent.
Figure 1 – Schéma du décollement de rétine. La rétine décollée est figurée en bleu et la rétine à plat en rouge. On note trois déchirures dans le quadrant temporal supérieur. Le centre de la macula est décollé. Le décollement s’étend d’environ 7 heures 30 à 3 heures.
Sur le plan sémiologique, le tableau était-il « typique » ?
Il n’y a pas véritablement de tableau « typique » tant les cas sont variés. La gêne initiale est souvent mal analysée par le patient. Il est probable que le corps flottant noté initialement correspondait à un anneau prépapillaire – condensation du cortex vitréen postérieur là où ce dernier adhère à la papille – flottant en avant de la rétine suite à un décollement postérieur du vitré. Cet événement précède souvent la survenue d’un décollement de rétine. Normalement, le vitré remplit toute la cavité vitréenne, tapissant la rétine à laquelle il adhère par le cortex. Cependant, avec le vieillissement (ou après un facteur favorisant tel qu’un traumatisme ou une hémorragie du vitré), le vitré va se décoller de la rétine. En cas d’adhérence pathologique, le clivage cortex-rétine ne se fait pas et une ou des déchirures rétiniennes peuvent survenir. La fluctuation de la gêne initiale du patient illustre l’effet du positionnement (parfois utilisé par l’ophtalmologiste pour ralentir l’évolution d’un décollement en attendant une intervention) sur la quantité de liquide sous-rétinien. Le décubitus dorsal ou latéral droit a pu chez ce patient entraîner pendant quelques jours une résorption nocturne du liquide sous-rétinien. En effet, dans ces positions, la force exercée par le liquide sous-rétinien sur la rétine est moins forte. En décubitus latéral droit, le liquide peut même avoir tendance à quitter l’espace sous-rétinien pour se diriger vers l’espace de la cavité vitréenne.
Monsieur R. n’a pas décrit de phosphènes (perception de brefs flashs). Ces derniers traduisent probablement la stimulation mécanique de la rétine par le vitré et parfois la séparation forcée du plan sous-jacent (le plan de l’épithélium pigmentaire). Ces phosphènes sont, comme les myodésopsies, inconstants mais évocateurs de décollement de rétine. Le patient a décrit initialement un corps flottant qui correspondait probablement à un anneau prépapillaire. Il aurait pu décrire des myodésopsies (« mouches volantes » : perception de corps flottants multiples, de formes variées), qui sont fréquentes mais ne sont pas spécifiques d’un décollement de rétine. Chez les patients (nombreux) qui souffrent déjà de myodésopsies, c’est l’aggravation brutale de ces dernières qui est pathologique. Ces myodésopsies peuvent avoir plusieurs origines, notamment : perception de l’anneau prépapillaire (condensation de la hyaloïde postérieure en regard de la papille) flottant dans la cavité vitréenne suite à un décollement postérieur du vitré ; condensation de fibrilles de collagène d’un vitré vieillissant qui perd sa structure de gel et dont les phases aqueuses et fibrillaires ne sont plus agencées de façon homogène ; hémorragie du vitré suite à la rupture de la paroi d’un vaisseau sanguin situé sur le trajet d’une déchirure rétinienne. 17
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Et l’œil adelphe ?
Comme souvent en ophtalmologie, la prise en compte de l’œil adelphe est importante. Il est fréquent de trouver une ou plusieurs déchirures rétiniennes dans l’œil adelphe, qu’il faudra traiter par laser afin
de prévenir le risque de survenue d’un décollement de rétine de ce côté-là également. En outre, le niveau fonctionnel de l’œil adelphe peut influer sur certains choix thérapeutiques.
Est-il possible, avec des moyens d’examen rudimentaires, de faire le diagnostic ?
Il n’est pas possible de faire véritablement le diagnostic qui repose sur les examens du vitré et de la rétine, lesquels nécessitent l’utilisation de moyens spécifiques (lampe à fente avec lentilles d’ophtalmoscopie et/ou ophtalmoscope indirect, échographie dans certains cas). En revanche, il est possible de recueillir des éléments d’une grande valeur sémiologique avec des moyens simples. Concernant l’évaluation de l’acuité visuelle ou du champ visuel par confrontation, il est primordial de bien séparer l’examen d’un œil de celui de l’autre œil en s’assurant qu’un des yeux est bien caché. L’évaluation grossière de l’acuité visuelle ne nécessite pas l’utilisation d’une échelle. Faire compter les doigts à une distance variant de plusieurs mètres à une trentaine de centimètres peut suffire. Si le patient ne perçoit pas les doigts, il faut chercher à savoir s’il voit la main bouger. Si ce n’est pas le cas, il faut chercher à savoir s’il perçoit la lumière. Dans ce cas, il est nécessaire de tester cette perception dans plusieurs incidences, en éclairant successivement la rétine supérieure, temporale, inférieure et nasale, pour déterminer si la perception lumineuse est ou non localisée. S’il est connu qu’une acuité visuelle à 1/10 correspond à une déficience visuelle sévère, il est moins connu qu’il existe « un monde » (celui de la basse vision) en deçà de ce niveau d’acuité.
La mise en évidence d’un déficit pupillaire afférent relatif (voir plus haut) est simple. Cependant, sa recherche est plus technique que le simple test des réflexes pupillaires directs et consensuels. Elle consiste à répéter plusieurs fois s’il le faut le cycle suivant : − éclairer la pupille d’un œil, dans le cas présent l’œil droit (la papille se contracte alors) pendant environ 2 secondes ; − changer de côté en environ 1 seconde ; − éclairer pendant environ 2 secondes la pupille de l’œil gauche qui, pendant la seconde qu’a duré le changement de côté, commençait à se dilater mais se contracte dès qu’on l’illumine ; − changer de côté en environ 1 seconde ; − éclairer pendant environ 2 secondes la pupille de l’œil droit qui, pendant la seconde qu’a duré le changement de côté, commençait à se dilater et qui – phénomène pathologique – continue de se dilater quand elle est éclairée. Une telle mise en évidence a une grande valeur sémiologique et, devant une baisse d’acuité visuelle, oriente immédiatement vers un problème organique. S’il est classique d’évoquer une neuropathie optique, il peut également s’agir d’une hémorragie du vitré, d’un décollement de rétine, etc.
La prise en charge d’un décollement de rétine est-elle urgente ?
Oui, la prise en charge d’un décollement de rétine est une urgence. Il est souhaitable que le diagnostic soit établi avant que la macula ne soit soulevée. Cela n’est pas toujours possible, même sans perte de temps, en particulier dans les décollements de rétine sur œil vitrectomisé où, en 24 heures, le décollement peut parfois être total. Dans le cas de monsieur R., la macula était malheureusement 18
décollée. Ce facteur est péjoratif car dans de tels cas, la récupération visuelle est souvent incomplète. En outre, même lorsque la récupération visuelle est bonne, les patients gardent très souvent des métamorphopsies (correspondant à une vision décrite comme déformée). Il est donc souhaitable de faire le diagnostic avant qu’une baisse d’acuité visuelle ne survienne.
CAS N° 5
Quel est le traitement ? Le traitement d’un décollement de rétine rhegmatogène (lié à une ou des déhiscences rétiniennes) est généralement chirurgical. Certains décollements très limités autour d’une déchirure rétinienne ou
d’un trou rétinien peuvent être circonscrits par laser vert puis surveillés. Toutefois, la plupart des cas doivent être traités par vitrectomie ou par cryoindentation.
Y a-t-il lieu d’arrêter les traitements anticoagulants ou anti-agrégants plaquettaires en cas de chirurgie de décollement de rétine ? Les patients opérés de décollement de rétine sont souvent âgés et prennent parfois de nombreux traitements, notamment anticoagulants et/ou anti-agrégants plaquettaires. Or, concernant les vitrectomies, le taux de saignement endoculaire per- ou postopératoire (hémorragie de la cavité vitréenne, hématome
choroïdien) n’est pas augmenté par la prise d’anticoagulants ou d’anti-agrégants plaquettaires (aspirine ou clopidogrel). Ne pas suspendre un tel traitement a l’avantage de ne pas retarder l’intervention chirurgicale et de ne pas exposer le patient aux risques découlant d’une telle suspension.
Bibliographie Baeteman C, Conrath J. Épidemiologie. In : Caputo G, Metge-Galatoire F, Arndt C, Conrath J (Eds). Décollements de rétine. Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson ; 2011. p. 29-33. Chauvaud D, Azan F. Bilan préopératoire. In : Chauvaud D, Azan F (Eds). Chirurgie du décollement de rétine. Paris : Masson ; 2004. p. 2-16. Chauvaud D. Chirurgie vitréorétinienne et anticoagulants. Bull Acad Natl Med. 2007,191: 879-84. Mason JO, Gupta SR, Compton CJ, Frederick PA, Neimkin MG, Hill ML, et al. Comparison of hemorrhagic complications of warfarin and clopidogrel bisulfate in 25-gauge vitrectomy versus a control group. Ophthalmology. 2011, 118: 543-7.
Michels RG, Wilkinson CP, Rice TA. Preoperative evaluation. In : Michels RG, Wilkinson CP, Rice TA (Eds). Retinal detachment. St. Louis, Baltimore, Philadelphia, Toronto : The C.V. Mosby Company ; 1990. p. 325-78. Michels RG. Embryology, anatomy, biochemistry, and pathophysiology. In : Michels RG (Ed.). Vitreous surgery. St. Louis, Toronto, London : The C.V. Mosby Company ; 1981. p. 1-17. Schepens CL. Pathogenesis of nontraumatic rhegmatogenous retinal detachment. In : Schepens CL (Ed.). Schepen’s retinal detachment and allied diseases. Second edition. Boston, Oxford, Auckland, Johannesburg, Melbourne, New Delhi : Butterwort Heinemann ; 2000. p. 43-64.
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CAS N° 6 Conséquences oculaires d’une soirée arrosée…
Monsieur B., 19 ans, se présente à vous pour un problème de vision floue de l’œil gauche associée à des douleurs oculaires modérées. Il vous dit avoir subi la veille, dans la nuit, un traumatisme contusif oculaire gauche (coup de poing). Il était alors en état d’ébriété. Les douleurs de l’œil sont continues et le patient se sent légèrement nauséeux. Vous évaluez grossièrement l’acuité visuelle à gauche en demandant au patient de cacher son œil droit. Monsieur B. parvient à compter les doigts à plusieurs mètres mais précise quand même qu’il voit beaucoup plus flou que d’habitude. Vous examinez l’œil avec une lampe stylo et mettez en évidence un hyphéma (niveau de sang) de moyenne abondance (Figure 1). La pupille gauche est réactive. Les mouvements oculomoteurs sont normaux dans toutes les directions. Vous rédigez un courrier et adressez le patient pour une consultation ophtalmologique urgente. À l’examen ophtalmologique, l’acuité visuelle est à 1/10, la tension oculaire à 29 mmHg à gauche (pour une normale généralement comprise entre 10 et 21). L’examen du fond d’œil montre un trou maculaire, une rupture de la membrane de Bruch (qui sépare la rétine de la choroïde sous-jacente) et une hémorragie du vitré inférieure de petite abondance (Figures 2 et 3). Le patient sera traité en ambulatoire par collyres hypotonisants (timolol/dorzolamide), anti-inflammatoire (fluorométholone) et cycloplégique (atropine 1 %). Dix jours après le traumatisme, une gonioscopie (étude de l’angle iridocornéen) montrera un recul de l’angle gauche étendu environ de 10 heures à 4 heures 30 (Figure 4). Après 6 semaines de surveillance, le trou maculaire restant ouvert, une vitrectomie avec tamponnement par gaz (hexafluoroéthane à 17 %) et positionnement face vers le sol pendant une semaine sera effectuée. Ce traitement permettra la fermeture du trou maculaire et la remontée de l’acuité visuelle à 5/10. Quel autre signe aurait pu être recueilli à l’examen initial, et avec quelles précautions ? La tension oculaire aurait pu être évaluée par palpation douce transpalpébrale du globe, en comparant la sensation perçue sur l’œil contus à celle de l’œil sain. Si cette palpation est réalisée, elle doit être prudente. En effet, s’il s’agit non pas d’une contusion mais d’un éclatement (voir plus loin), ce geste peut aggraver l’expulsion des tissus endoculaires à travers la plaie de la paroi oculaire. De même, tenter d’écarter avec les doigts des paupières trop œdématiées afin d’examiner le globe expose à l’aggravation de la situation en cas d’éclatement. Dans un tel cas, la palpation du globe est proscrite et il convient d’adresser directement le patient à l’ophtalmologiste. Il faut également retenir que l’évaluation de la tension oculaire au doigt est très grossière et peut être complètement faussée par la présence d’un œdème palpébral. 20
Figure 1 – L’hyphéma correspond à la collection hématique située à la partie inférieure de la chambre antérieure. La mydriase est consécutive à l’instillation de collyres mydriatiques.
Cas n° 6
Figure 2 – Cette photographie couleur du fond d’œil montre le trou maculaire, situé en plein centre de la macula. La rupture de la membrane de Bruch est la formation dorée grise, concave en nasal, traversant la macula au ras du trou maculaire. L’hémorragie du vitré a sédimenté et n’est pas visible sur ce cliché.
Figure 4 – Photographie de l’examen gonioscopique pratiqué avec un verre à trois faces. La largeur de l’angle iridocornéen est matérialisée par trois paires de têtes de flèche blanches opposées deux à deux. Dans la partie gauche de l’image, l’angle iridocornéen est de largeur normale. La flèche rouge figure la zone de début du recul de l’angle. On note la largeur bien plus importante de l’angle dans la zone de recul. Entre la paire de têtes de flèche la plus à droite, on note une microhémorragie consécutive à la déchirure de l’angle.
Figure 3 – Coupe de 5 mm, horizontale, passant par le trou maculaire, obtenue par tomographie à cohérence optique (Zeiss OCT Stratus). De part et d’autre du trou maculaire, la rétine est œdémateuse. Là où siège la rupture de la membrane de Bruch, la moindre atténuation du signal est responsable d’un « effet fenêtre », c’est-à-dire d’une plus profonde pénétration du signal (flèche blanche).
Comment et pourquoi différencier contusion et éclatement ?
L’éclatement du globe correspond à une plaie de pleine épaisseur de la paroi oculaire (ensemble formé par la cornée et la sclère) survenant suite à hyperpression brutale. L’agent vulnérant est contondant. La rupture de la paroi oculaire se constitue
car l’hyperpression dépasse la résistance de celle-ci. Cette rupture est le plus souvent sclérale et survient fréquemment à distance du point d’impact dans une zone de faiblesse, sous les muscles droits ou au limbe (jonction cornéosclérale) essentiellement. Elle 21
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Figure 5 – Œil droit d’un patient opéré pour très forte suspicion d’éclatement (traumatisme par le coin d’une planche). On note un chémosis hémorragique. Lors de l’examen pré-opératoire, le globe était très hypotone à la palpation douce (suite à la Figure 6).
s’accompagne généralement d’une extériorisation de tissus endoculaires (choroïde, vitré, rétine, cristallin, iris). On peut mettre en parallèle le mécanisme d’un éclatement avec ce qui se produit lorsque l’on marche sur un grain de raisin. Avant de retenir un diagnostic de contusion (traumatisme à globe fermé), il faut toujours s’efforcer d’éliminer un éclatement (traumatisme à globe ouvert). En effet, l’éclatement nécessite une prise en charge chirurgicale urgente. L’urgence tient en premier lieu au risque d’hémorragie expulsive. Cette affection correspond à des hématomes choroïdiens qui deviennent massifs à cause du facteur antihémostase que constitue l’hypotonie du globe. Ces hématomes vont littéralement chasser une grande partie, voire l’ensemble, du contenu oculaire à travers la
Figure 6 – Aspect peropératoire du même globe que celui de la Figure 5 après désinsertion conjonctivale et mise sur fils de soie 2.0 des muscles droit latéral et droit supérieur. L’éclatement est confirmé avec une plaie sclérale temporale supérieure, se poursuivant sous l’insertion du muscle droit latéral.
plaie, hors du globe. L’urgence est également liée au risque d’endophtalmie. Si dans certains cas le diagnostic d’éclatement est évident, dans d’autres il l’est beaucoup moins (Figures 5 et 6), au point de justifier dans les cas douteux une exploration chirurgicale pour lever le doute. Certains éléments sémiologiques orientent cependant vers un éclatement, notamment : − une forte énergie du traumatisme ; − une hypotonie du globe ; − une chambre antérieure de « trop grande » profondeur ; − une pupille déformée ; − un chémosis (œdème de la conjonctive bulbaire), souvent hémorragique.
Un avis ophtalmologique est-il toujours nécessaire en cas de contusion oculaire ?
La réponse est positive. En effet, les symptômes sont parfois peu importants alors que les dégâts sont graves. L’obsession doit – encore une fois – être d’éliminer un éclatement du globe. La Figure 7 montre l’œil d’une patiente de 77 ans examinée dans un service d’urgences 10 jours avant la consultation, suite à un traumatisme facial. Lors de ce passage aux urgences, l’éclatement de l’œil gauche (voir Figure 7) est passé inaperçu. La patiente n’a été adressée en ophtalmologie que 10 jours après par son médecin traitant. Lors d’une chute, la monture des lunettes avait semble-t-il fortement appuyé sur l’œil. Un éclatement avec plaie sclérale supérieure s’en était suivi. Lors du traumatisme, une partie de l’iris a été expulsée, d’où la déformation pupillaire. Le cristallin a aussi été expulsé. On voit du sang et de la 22
choroïde incarcérée dans la plaie sclérale elle-même recouverte par de la conjonctive. Par chance, une endophtalmie ne s’est pas produite. Ce qui aurait dû mettre sur la voie de l’éclatement (avec à la clé avis ophtalmologique urgent puis intervention chirurgicale en urgence) était la violence du traumatisme, la déformation pupillaire et la vision très floue (liée essentiellement à l’aphakie, à un probable astigmatisme induit et à l’hémorragie du vitré). Une hypertonie oculaire, fréquente en cas d’hyphéma, nécessite un traitement urgent et une surveillance. En cas d’hyphéma, l’hypertonie peut évoluer par pics (voir plus haut) particulièrement délétères pour les fibres ganglionnaires (fibres du nerf optique). D’autres lésions faisant suite à une contusion, telles qu’une dialyse à l’ora (désinsertion
Cas n° 6
périphérique de la rétine), plus ou moins accompagnées de décollement de rétine, peuvent être opérées dans les jours suivant le diagnostic. Un trou maculaire post-traumatique (présent chez monsieur B.) a de bonnes chances de fermeture spontanée et certains opérateurs proposeront (comme cela a été le cas ici) une période de surveillance de quelques semaines à quelques mois avant de faire une vitrectomie. Un recul de l’angle iridocornéen (présent chez monsieur B.) impose une surveillance à vie de la tension oculaire en raison du risque de glaucome secondaire. Une rupture de la membrane de Bruch nécessite une autosurveillance œil par œil (consistant à cacher un œil pour tester la vision de l’autre œil seulement) en raison du risque ultérieur (parfois des années après) de néovaisseaux choroïdiens sous-rétiniens. De tels néovaisseaux se développent à travers la solution de continuité que constitue la rupture de la membrane de Bruch vers l’espace sous-rétinien. Les symptômes accompagnant la survenue de tels néovaisseaux sont essentiellement une baisse d’acuité visuelle et/ou des métamorphopsies (perception déformée des objets).
Nous terminerons en précisant qu’en cas de plaie oculaire ou palpébrale, il est nécessaire, comme pour n’importe quelle plaie, de se renseigner sur le statut de la vaccination antitétanique et de prendre les mesures qui s’imposent éventuellement. La responsabilité de cette démarche n’incombe pas exclusivement à l’ophtalmologiste.
Figure 7 – Œil gauche d’une patiente de 77 ans victime 10 jours auparavant d’un éclatement du globe. On note une déformation pupillaire liée à une iridectomie sectorielle supérieure. Il existe une plaie sclérale supérieure avec incarcération de choroïde.
La prise en charge d’une contusion oculaire est-elle urgente ?
La gravité d’une contusion est très variable mais il faut retenir qu’un avis ophtalmologique rapide (le lendemain au plus tard, parfois le jour même) est toujours souhaitable devant une contusion oculaire. Cet avis est justifié essentiellement par la nécessité d’éliminer un éclatement du globe, lequel implique une intervention chirurgicale urgente. La présence fréquente d’une hypertonie oculaire, notamment en cas d’hyphéma, justifie aussi un avis ophtalmologique rapide. Les hématies présentes en chambre antérieure peuvent bloquer partiellement l’évacuation de l’humeur aqueuse par le trabéculum. Une hypertonie oculaire peut s’ensuivre. En réalité, la tension oculaire est parfois normale malgré un hyphéma. Cela doit faire évoquer un recul de l’angle
(voir plus loin) qui compense l’obstruction du trabéculum (facteur d’hypertonie) par une évacuation plus importante d’humeur aqueuse par voie uvéosclérale (facteur d’hypotonie). Chez monsieur B., les douleurs oculaires accompagnées de nausées étaient dues à l’hypertonie oculaire. En cas d’hyphéma, il arrive que des pics d’hypertonie – souvent accompagnés de nausées – surviennent. L’hyphéma correspond à une sédimentation des hématies à la partie inférieure de la chambre antérieure. Si les hématies sédimentées se dispersent (suite à des mouvements de la tête, lors du passage de la position debout à la position couchée, et inversement), l’évacuation de l’humeur aqueuse par le trabéculum se trouve entravée et un pic d’hypertonie peut survenir.
Pourquoi était-il judicieux de tester l’oculomotricité ?
Les contusions oculaires peuvent parfois faire plus de dégâts – par transmission d’énergie du globe à l’os – sur la paroi orbitaire que sur le globe oculaire.
Une fracture du plancher ou de la paroi interne (lame papyracée de l’ethmoïde) peut s’ensuivre. Une telle fracture peut limiter l’amplitude des mouvements 23
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
oculomoteurs (déficit d’élévation-abaissement pour une fracture du plancher). Dans ce cas, un examen densitométrique urgent sera demandé par l’ophtalmologiste à la recherche d’une incarcération musculaire (incarcération des muscles oblique inférieur et droit inférieur dans le foyer de fracture du plancher). Une telle incarcération doit en effet être levée dans les jours suivant le traumatisme. Il faut retenir que même
sans fracture, l’œdème orbitaire – fréquent dans les contusions oculaires – peut à lui seul entraîner une limitation de l’oculomotricité parfois majeure. En cas de suspicion de fracture du plancher, il faut penser à tester la sensibilité de la paupière inférieure et de la zone immédiatement sous-jacente, lesquelles sont innervées par une branche du trijumeau (V2) parfois sectionnée par la fracture.
Que conseiller à monsieur B. au long cours ? Il faut lui recommander une surveillance ophtalmologique à vie, au moins une fois par an. Celle-ci permettra de détecter un éventuel glaucome secondaire au recul de l’angle iridocornéen et de surveiller l’état du cristallin (risque de cataracte après une vitrectomie) et du fond d’œil. Il est également nécessaire de conseiller à monsieur B. une autosurveillance (au moins hebdomadaire) œil par œil, consistant à cacher un œil pour ne tester que la vision de l’autre œil. Cette autosurveillance n’est pas contraignante et permet souvent de détecter précocement un problème. Monsieur B. pourrait par exemple remarquer un jour :
− des métamorphopsies consécutives à la survenue de néovaisseaux choroïdiens (eux-mêmes favorisés par la rupture de la membrane de Bruch) ; − un voile visuel périphérique et/ou central lié à un décollement de rétine (dont la survenue suite à une vitrectomie est estimée entre 1 et 3 % environ) ; − un voile visuel progressif avec perte de la vision des contrastes et sensation de vision désaturée liée à une cataracte nucléaire. Ce type de cataracte est très fréquent après une vitrectomie mais, chez les sujets jeunes, elle peut survenir des années après.
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CAS N° 7 Monsieur W. consulte pour une baisse d’acuité visuelle non douloureuse
Monsieur W., 37 ans, consulte en urgence pour l’apparition d’un voile diffus devant l’œil droit depuis 5 jours. Ce patient n’a pas d’antécédent médical connu. À la lecture, l’acuité visuelle après correction est de 8/10e Parinaud 3 à droite et de 10/10e Parinaud 2 à gauche. La pression intra-oculaire est normale (14 mmHg des deux côtés). À droite, le patient présente au fond d’œil des hémorragies rétiniennes dans les quatre quadrants associées à une tortuosité veineuse. Il existe aussi un volumineux œdème papillaire avec un fin soulèvement maculaire et un nodule cotonneux le long de l’arcade temporale inférieure (Figure 1). À gauche, le fond d’œil est normal. L’OCT (optical coherence tomography, technique optique permettant d’obtenir des coupes de la rétine maculaire) met en évidence une lame de décollement séreux rétinien partant de la papille et se prolongeant jusque sous la fovéa sur l’œil droit (Figure 2).
Figure 1 – Clichés couleurs du fond d’œil droit (montage panoramique) avec dilatation et tortuosité marquée de la veine centrale de la rétine, œdème papillaire, multiples hémorragies rétiniennes profondes rondes et superficielles en flammèches et un nodule cotonneux le long de l’arcade temporale inférieure.
Quel est votre diagnostic ? Le patient présente une occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) de l’œil droit. Bien qu’aucune angiographie à la fluorescéine n’ait été réalisée, on peut préciser qu’il s’agit d’une OVCR
de type non ischémique. En effet, l’acuité visuelle du patient est relativement conservée et il n’y a pas de nodules cotonneux dans la région inter-papillomaculaire. 25
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Figure 2 – Coupe OCT maculaire de l’œil droit avec volumineux œdème intrarétinien partant de la papille et se prolongeant jusque sous la fovéa sous la forme d’un décollement séreux rétinien.
Quel bilan demandez-vous ? Plusieurs facteurs de risque pour cette pathologie ont été identifiés : les antécédents familiaux d’OVCR, mais surtout l’âge, l’hypertension artérielle, l’hypertonie oculaire et le glaucome. Le diabète n’est pas un facteur de risque à proprement parler mais intervient comme facteur de mauvais pronostic. Parmi les facteurs modifiables, il convient donc de rechercher une hypertension artérielle, au mieux dépistée par un Holter tensionnel sur 24 heures, et de vérifier le tonus oculaire (normal dans le cas de notre patient). Les antécédents de pathologie cardiovasculaire (accident vasculaire cérébral et coronaropathie) ou de syndrome d’apnée du sommeil sont intéressants à noter.
Le rôle de l’hyperviscosité et de la thrombophilie reste controversé dans la physiopathologie des OVCR. Le bilan biologique de routine comprend une numération-formule sanguine et une glycémie à jeun. En cas de forme grave, bilatérale ou chez le sujet de moins de 30 ans, le bilan peut être élargi avec dosage de l’homocystéinémie, électrophorèse des protéines plasmatiques, recherche d’anticorps antiphospholipides (anticoagulant lupique circulant et anticorps anticardiolipine), dosage des protéines C et S, antithrombine III, résistance à la protéine C activée et recherche de la mutation G20210 du gène de la prothrombine.
Quel traitement proposez-vous ? L’acuité visuelle de monsieur W. est de 8/10e Parinaud 3. L’OVCR est récente. Il n’existe pas de signe clinique en faveur d’une forme ischémique. Le soulèvement maculaire par décollement séreux rétinien est contigu à l’œdème papillaire. Pour l’instant, une
simple surveillance clinique peut être proposée, mais en cas de persistance de l’œdème maculaire ou de baisse d’acuité visuelle, une injection intravitréenne d’anti-VEGF ou de corticoïde pourra être proposée.
Quelles sont les évolutions possibles ? Après une phase aiguë, l’OVCR devient chronique et est d’évolution variable, aboutissant à une 26
récupération complète ou au contraire à la perte de la vision. Au cours des 3 premiers mois de surveillance,
CAS N° 7
il est rarement possible de prévoir l’évolution de la maladie et le patient devra être examiné toutes les 2 semaines. La distinction des formes non ischémiques et des formes ischémiques, bien qu’imparfaite, est utile pour établir l’évolution visuelle des patients. Les OVCR non ischémiques sont de meilleur pronostic. Cependant, elles se compliquent souvent d’œdème maculaire chronique. Les possibilités thérapeutiques de ces œdèmes maculaires se sont récemment élargies avec le recours à des injections intravitréennes soit à base d’anti-VEGF (vascular endothelial
growth factor), soit à base de corticoïdes. Le risque de conversion d’une forme non ischémique à une forme ischémique est évalué à 30 % à 3 ans. Le pronostic visuel des OVCR ischémiques est sombre. L’acuité visuelle initiale est dans ces cas le plus souvent inférieure à 1/10e. La complication la plus grave est l’apparition d’un glaucome néovasculaire (jusqu’à 23 % des cas à 15 mois) et la cécité du globe atteint. L’examen soigneux de l’iris (avant dilatation et à fort grossissement) est donc primordial pour réaliser une panphotocoagulation rétinienne laser dès l’apparition de néovaisseaux iriens.
Quel est le pronostic visuel de monsieur W. ? Bien que l’évolution soit peu prévisible avant 3 mois de suivi, notre patient présente une forme d’OVCR bien perfusée avec une acuité visuelle relativement conservée qui constitue le meilleur facteur pronostique des OVCR.
Monsieur W. aura par la suite un œdème maculaire traité par une série de quatre injections intravitréennes d’anti-VEGF. Son acuité visuelle finale sera de 9/10e Parinaud 2 lent, avec guérison de son occlusion par l’apparition d’un réseau vasculaire de suppléance au niveau de la tête du nerf optique sous la forme d’une revascularisation de vaisseaux collatéraux optociliaires, drainant le sang veineux rétinien vers le système choroïdien.
Bibliographie Brown DM, Campochiaro PA, Singh RP, Li Z, Gray S, Sarj N, et al. CRUISE Investigators. Ranibizumab for macular edema following central retinal vein occlusion : sixmonth primary end point results of a phase III study. Ophthalmology. 2010, 117: 1124-33. Ferrara DC, Koizumi H, Spaide RF. Early bevacizumab treatment of central retinal vein occlusion. Am J Ophthalmol. 2007, 144: 864-71. Haller JA, Bandello F, Belfort R, Blumenkranz MS, Gillies M, Heier J, et al. Ozurdex GENEVA Study Group.
Dexamethasone intravitreal implant in patients with macula edema related to branch or central retinal vein occlusion twelve-month study results. Ophthalmology. 2011, 118: 2453-60. McIntosh RL, Rogers SL, Lim L, Cheung N, Wang JJ, Mitchell P, et al. Natural history of central retinal vein occlusion : an evidence-based systematic review. Ophthalmology. 2010, 117: 1113-23.
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CAS N° 8 Madame S. consulte pour l’apparition brutale d’un voile devant l’œil droit
Madame S., 58 ans, consulte en urgence pour l’apparition brutale d’un voile devant l’œil droit. Elle n’a pas d’antécédent ophtalmologique connu. Sur le plan général, elle présente une hypertension artérielle modérée traitée. Les circonstances de survenue du trouble visuel sont difficiles à faire préciser par la patiente. L’acuité visuelle est de 9/10e P2 lent à droite et de 10/10e P2 à gauche après correction. Une rétinographie (Figure 1), une angiographie à la fluorescéine (Figure 2) et une tomographie en cohérence optique (OCT, optical coherence tomography) (Figure 3) de l’œil droit sont réalisées. Le fond d’œil gauche est représenté Figure 4.
Figure 1 – Cliché couleur de l’œil droit. Coexistence d’hémorragies rétiniennes et d’une vaste hémorragie rétrohyaloïdienne. Les hémorragies rétiniennes sont soit rondes (le long de l’arcade temporale supérieure), soit en flammèches (le long de l’arcade temporale inférieure). Leurs localisations sont variées, soit à distance des vaisseaux, soit au niveau d’un croisement artérioveineux.
Figure 2 – Cliché tardif d’angiographie à la fluorescéine. Les différentes hémorragies réalisent un effet masque. Il existe une petite prise de colorant au niveau de la paroi veineuse de l’arcade temporale supérieure au niveau de l’hémorragie sans dilatation anévrismale.
Quel est votre diagnostic ? La patiente présente une rétinopathie de Valsalva de l’œil droit, secondaire à une rupture de vaisseaux 28
rétiniens au cours d’un effort physique.
CAS N° 8
Figure 3 – Coupes OCT horizontale (en haut) et verticale (en bas) passant par la macula. La membrane hyaloïdienne, qui délimite le contenu vitréen, reste adhérente à la macula. L’espace rétrohyaloïdien, situé entre la rétine neurosensorielle et la membrane hyaloïde postérieure, est rempli d’un contenu hyper-réflectif correspondant à l’hémorragie rétrohyaloïdienne sédimentée sous l’effet de la gravitation.
Quelles sont les circonstances de survenue de ce tableau ? Il faut rechercher les efforts à glotte fermée avec augmentation brutale de la pression intrathoracique ou intra-abdominale : effort de soulèvement, toux, vomissement, effort de défécation ou acte sexuel.
Figure 4 – Cliché couleur de l’œil gauche. Aspect normal du fond d’œil gauche, notamment des vaisseaux rétiniens contrastant avec leur aspect sinueux de l’œil droit.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quel autre diagnostic aurait pu être évoqué ? Une hémorragie rétrohyaloïdienne sur rupture d’un macro-anévrisme artériel aurait aussi pu être discutée. La patiente, relativement âgée, est en effet hypertendue avec des croisements artérioveineux marqués. Cependant, aucun anévrisme artériel, même
en partie thrombosé, n’est visible sur l’angiographie. La présence d’hémorragies intrarétiniennes disséminées et un certain degré de tortuosité veineuse de l’œil droit indiquent de plus un phénomène d’hyperpression veineuse.
Quelles sont les évolutions possibles ? Les hémorragies rétiniennes vont spontanément se résorber en quelques semaines. La disparition de l’hémorragie rétrohyaloïdienne est plus longue. À court terme, cette dernière peut soit se transformer
en fibrine et persister plusieurs mois dans l’espace rétrohyaloïdien avant sa liquéfaction complète, soit se vidanger dans le vitré. À long terme, une membrane épirétinienne peut secondairement apparaître.
Quel traitement proposez-vous à madame S. ? L’acuité visuelle est conservée malgré la sensation de voile. Une surveillance simple a été préconisée. L’hémorragie rétrohyaloïdienne s’est progressivement sédimentée et transformée en fibrine pour complètement disparaître en 4 mois. En cas d’hémorragie rétrohyaloïdienne occultant la macula, il est possible de réaliser une ouverture de la hyaloïde postérieure au laser YAG dont le but est de libérer le sang de l’espace rétrohyaloïdien dans la
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cavité vitréenne pour accélérer sa disparition. Cette pratique est cependant discutable car l’hémorragie intravitréenne alors provoquée gêne la surveillance du fond d’œil et entraînerait un risque accru de membrane épirétinienne secondaire. En cas de persistance de l’hémorragie, en particulier dans la cavité vitréenne, une vitrectomie « de nettoyage » peut aussi être proposée.
CAS N° 9 Un drôle de reflet dans l’œil
L’enfant B., âgée de 9 mois, sans antécédent ni personnel ni familial, est amenée par sa maman chez le pédiatre traitant pour l’aggravation d’un strabisme unilatéral de l’œil droit, puisque l’enfant ne regarde qu’avec son œil gauche. Ce strabisme avait été constaté par les parents depuis 2 ou 3 mois. Ces derniers avaient également remarqué, sur une photo prise à 4 mois, un reflet argenté dans l’œil droit alors que l’œil gauche présentait un reflet rouge dans la pupille. Cette constatation avait conduit à une consultation chez leur médecin traitant qui les avait rassurés, leur disant que l’œil droit n’étant pas dans le même axe c’était normal, et qu’un œil dévié les premiers mois de vie était banal. Le pédiatre, devant la persistance du strabisme, conseille aux parents de consulter un ophtalmologiste. Du fait des délais de rendez-vous et du fait que le pédiatre n’avait pas précisé si la consultation spécialisée était urgente ou pas, l’enfant n’est vue par l’ophtalmologiste que 3 mois plus tard. La petite fille a alors 12 mois. Le spécialiste constate la présence d’un strabisme convergent unilatéral droit. L’enfant manifeste une grande agitation lorsque l’on occlut l’œil gauche, ce qui témoigne d’une profonde amblyopie de l’œil droit. L’acuité visuelle est impossible à déterminer à droite, où elle est certainement mauvaise. La vision semble normale à gauche. Pour déterminer la réfraction de l’enfant, l’ophtalmologiste prescrit des collyres cycloplégiques et les parents doivent reprendre un rendez-vous rapide 15 jours plus tard. Lors de cette dernière visite, l’ophtalmologiste qui voit l’enfant avec les pupilles dilatées constate immédiatement la présence d’une leucocorie (reflet blanc dans l’aire de la pupille). Le fond d’œil montre la présence d’une volumineuse masse blanche rétinienne avec la présence de flocons blancs dans la cavité vitréenne et d’un décollement de la rétine (Figure 1). Quels diagnostics doivent être évoqués ? Le premier diagnostic à évoquer devant un enfant qui présente une leucocorie et/ou un strabisme unilatéral même dès les premiers mois de vie est un rétinoblastome malin. Il s’agit d’une tumeur maligne agressive dont la prise en charge est une urgence. D’autres diagnostics sont possibles : cataracte congénitale, persistance du vitré primitif, décollement de rétine précoce, colobome rétinien, uvéite infectieuse (toxocarose), maladie de Coats, anisométropie importante (myopie forte unilatérale). En règle générale, toute leucocorie vue par les parents ou constatée sur une photographie doit alerter tout médecin et demander une consultation auprès d’un ophtalmologiste en urgence. De même, les nouveau-nés n’ont effectivement pas des mouvements oculomoteurs coordonnés, mais lorsqu’il existe une déviation d’un œil, toujours du même côté, cela doit alerter pédiatres ou médecins traitants et motiver une consultation spécialisée en urgence.
Figure 1 – Présence d’une leucocorie avec décollement de la rétine, puisque celle-ci est visible directement sur la photographie sans lentille, et présence d’un essaimage vitréen.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quels examens demander pour confirmer le diagnostic ?
Le diagnostic est essentiellement clinique devant la présence au fond d’œil d’une tumeur rétinienne avec envahissement du vitré. Le fond d’œil doit être réalisé sous anesthésie générale afin d’examiner au mieux les deux yeux. L’échographie B oculaire montre également une tumeur rétinienne hyperéchogène avec des calcifications dont on peut mesurer l’épaisseur associée à un décollement de rétine. Celleci peut également être retrouvée sur un scanner cérébral et oculaire (Figure 2). L’IRM oculaire et cérébrale est indispensable pour éliminer une extension hors
du globe oculaire (extension extrasclérale), une invasion du nerf optique et, dans les cas les plus extrêmes, une extension cérébrale. On élimine de principe une tumeur de la glande pinéale pouvant être associée dans les cas héréditaires. Toute manœuvre de prélèvement du globe oculaire (de type cytoponction, vitrectomie, etc.) est en revanche contre-indiquée du fait du risque majeur d’ensemencement de l’orbite et de récidive orbitaire. Il n’y a pas de nécessité de confirmer un diagnostic par une anatomopathologie dans le cas présent.
Figure 2 – Présence de calcifications dans l’œil droit sur le scanner.
Quel traitement proposer dans ce cas ?
Malheureusement, dans le cas d’un rétinoblastome non héréditaire comme c’est le cas ici a priori, et du fait de l’atteinte majeure du globe droit (volumineuse tumeur, envahissement du vitré, décollement de rétine), il est nécessaire de recourir à l’énucléation de l’œil droit. L’étude histologique du globe confirmera le diagnostic et le type histologique, mais devra surtout préciser si la choroïde est envahie et si la tranche de section du nerf optique est saine ou envahie. En fonction des résultats de l’anatomopathologie, un traitement par chimiothérapie ou radiothérapie orbitaire peut être décidé. En cas d’envahissement massif de la choroïde ou d’envahissement rétrolaminaire du nerf optique, un 32
traitement chimiothérapique est nécessaire. En cas d’envahissement de la tranche de section du nerf optique ou d’envahissement extrascléral, une radiothérapie orbitaire est en outre indispensable. Les alternatives à l’énucléation sont la chimiothérapie systémique de réduction tumorale suivie, en fonction de l’évolution, de cycles de chimiothérapie associée à des séances de thermothérapie transpupillaire au laser diode ; en cas de récidive, on procède finalement à une énucléation. Ces traitements lourds, avec leur cortège d’effets secondaires liés à toute chimiothérapie, et le jeune âge de ces enfants chez qui toute procédure – même un examen ophtalmologique – doit se faire sous anesthésie générale sont
CAS n° 9
réservés en général soit aux rétinoblastomes unilatéraux non héréditaires pour peu que le diagnostic soit précoce et que l’on ait donc de bonnes chances de succès, soit aux rétinoblastomes bilatéraux héréditaires. Chez ces derniers, il existe souvent (mais pas toujours) un antécédent d’un parent (ou grandparent) atteint. L’atteinte étant bilatérale chez ces
enfants, on essaie toujours de faire le maximum pour sauver au moins l’un des deux yeux. Parmi l’arsenal thérapeutique, l’irradiation externe est utilisée en dernier recours dans les rétinoblastomes bilatéraux car le risque d’effet secondaire est majeur (atrophie du massif facial, alopécie, sarcome secondaire, etc.).
Le rétinoblastome est-il héréditaire ? Que proposer pour la fratrie ? On rappelle ici que le rétinoblastome est une tumeur génétiquement déterminée. Le gène du rétinoblastome siège sur le chromosome 13q. Pour que la tumeur se développe, il faut que les deux allèles du gène soient mutés. Dans le rétinoblastome bilatéral, il existe une mutation génétique constitutionnelle (ou germinale) présente dans toutes les cellules de l’organisme et la seconde mutation a lieu au niveau de la cellule rétinienne. C’est pourquoi le gène du rétinoblastome fonctionne comme un gène récessif mais que la maladie se transmet selon un mode autosomique dominant. Dans le rétinoblastome unilatéral unifocal non héréditaire dans la plupart des cas, les
deux mutations ont lieu dans la cellule rétinienne. Mais attention : 10 % des rétinoblastomes héréditaires sont unilatéraux. D’une manière générale, la prise en charge thérapeutique est l’affaire des centres spécialisés où les décisions thérapeutiques sont prises au cours de réunions multidisciplinaires avec oncopédiatres et onco-ophtalmologistes. Une consultation de génétique peut s’avérer nécessaire chez l’enfant afin de déterminer s’il est porteur de la mutation constitutionnelle sur le gène Rb. On insiste sur le fait que cette tumeur doit être prise en charge de toute urgence.
Quel sera le pronostic de cette enfant ? Le pronostic vital du rétinoblastome est, tout du moins en France et dans les pays ayant un accès aux soins comparable, excellent, avec plus de 90 % de survie à 10 ans. Le pronostic fonctionnel dépend du stade de découverte. Les retards au diagnostic peuvent aboutir à l’énucléation du globe oculaire avec chimiothérapie adjuvante ou radiothérapie postopératoire dans les cas les plus avancés. Dans la forme unilatérale non héréditaire que pré sente cette enfant et sous réserve que la consultation
de génétique confirme l’absence de mutation constitutionnelle du gène Rb, le pronostic vital est excellent. Le pronostic fonctionnel est correct puisque, malgré la perte de l’œil droit, les risques d’une atteinte de l’œil gauche sont très minimes. Cependant, du fait de la gravité qu’aurait une atteinte de l’autre œil, un suivi rapproché reste nécessaire jusqu’à la majorité de l’enfant. Un fond d’œil doit être réalisé tous les 3 mois jusqu’à 5 ans ou 7 ans puis tous les 6 mois jusqu’à la majorité.
Bibliographie Aerts I, Lumbroso-Le Rouic L, Gauthier-Villars M, Brisse H, Doz F, Desjardins L. Retinoblastoma. Orphanet J Rare Dis. 2006, 25: 31. Chintagumpala M, Chevez-Barrios P, Paysse EA, Plon SE, Hurwitz R. Retinoblastoma : review of current management. Oncologist. 2007, 12: 1237-46.
Lumbroso-Le Rouic L, Aerts I, Lévy-Gabriel C, Dendale R, Sastre X, Esteve M, et al. Conservative treatments of intraocular retinoblastoma. Ophthalmology. 2008, 115: 1405-10.
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CAS N° 10 Monsieur T. consulte pour fond d’œil systématique après traitement d’un adénocarcinome de la glande lacrymale
Monsieur T., 67 ans, est adressé pour fond d’œil systématique après le traitement d’un adénocarcinome de la glande lacrymale droite. Une effraction tumorale capsulaire avait été notée sur l’examen anatomopathologique. La chirurgie d’exérèse avait donc été complétée par une radiothérapie externe (60 Gy en six séances). Le patient ne se plaint que d’un flou visuel modéré de l’œil droit. L’acuité visuelle est de 20/63 (≈ 3/10) à droite et de 20/20 (10/10) à gauche après correction. À droite, le fond d’œil et l’angiographie à la fluorescéine sont respectivement représentés Figures 1 et 2. Le fond d’œil est normal à gauche.
Figure 1 – Cliché couleur du fond d’œil droit. Il existe de nombreux nodules cotonneux disséminés au pôle postérieur et en moyenne périphérie rétinienne. Les hémorragies rétiniennes sont plus rares et sont associées à des anomalies microvasculaires. La papille est normocolorée.
Figure 2 – Montage à partir de clichés d’angiographie à la fluorescéine de l’œil droit aux temps précoce et intermédiaire. Au pôle postérieur, il existe un élargissement de la zone avasculaire centrale avec un effet masque des nodules cotonneux et des hémorragies rétiniennes. En périphérie, l’examen met en évidence une importante raréfaction, voire une disparition, du lit capillaire des arcades vasculaires jusqu’en grande périphérie rétinienne. Les parois vasculaires diffusent.
Quel est votre diagnostic ? Monsieur T. présente une rétinopathie radique droite avec des signes d’ischémie marqués. La source de radiothérapie externe a entraîné des lésions au 34
niveau des cellules endothéliales des vaisseaux rétiniens considérées comme à l’origine du développement de la rétinopathie radique.
CAS N° 10
Quelles sont les autres complications oculaires à rechercher ? La baisse d’acuité visuelle du patient est peut-être en partie liée à une cataracte post-radique. Il faut aussi éliminer une neuropathie radique. Les autres
complications possibles sont la sécheresse oculaire, la perte des cils et des sourcils, un ectropion ou encore une nécrose sclérale.
Quels sont les facteurs de risque de survenue de cette rétinopathie ? Le développement d’une rétinopathie radique est lié à la dose totale et à son fractionnement. Une dose totale de 35 Gy est considérée comme la limite supérieure à ne pas dépasser.
Les facteurs favorisants sont une maladie vasculaire rétinienne sous-jacente (diabète ou hypertension artérielle) et une chimiothérapie adjuvante.
Quel traitement proposez-vous à monsieur T. ? Il faut distinguer le traitement de la rétinopathie de celui de la maculopathie. Concernant la rétinopathie, le patient présente des territoires de non-perfusion étendus. Ces zones d’ischémie l’exposent au risque d’apparition d’un glaucome néovasculaire. Il est donc licite de débuter rapidement une photocoagulation panrétinienne au laser argon. Concernant la maculopathie, l’élargissement de la zone avasculaire centrale correspond à un début
de maculopathie ischémique pour laquelle aucun traitement n’existe. Certains patients peuvent développer un autre type de maculopathie dite œdémateuse. Dans ce dernier cas, plusieurs traitements avec des résultats variables ont été proposés (laser grid, injection intravitréenne de corticostéroïdes ou plus récemment d’anti-VEGF, oxygénothérapie hyperbare ou pentoxifylline orale).
Quel est le pronostic visuel de monsieur T. ? La baisse d’acuité visuelle chez ce patient est mixte (cataracte nucléaire débutante et rétinopathie). Actuellement, aucun traitement n’a prouvé son
efficacité dans la rétinopathie radique pour restaurer la fonction visuelle. L’objectif est que le patient ne développe pas de glaucome néovasculaire.
Bibliographie Giuliari GP, Sadaka A, Hinkle DM, Simpson ER. Current treatments for radiation retinopathy. Acta Oncol. 2011, 50: 6-13.
Gupta A, Dhawahir-Scala F, Smith A, Young L, Charles S. Radiation retinopathy : case report and review. BMC Ophthalmol. 2007, 7: 6.
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CAS N° 11 Monsieur F. a du mal à lire les panneaux de signalisation en voiture
Monsieur F., âgé de 72 ans, vient vous voir pour une baisse d’acuité visuelle bilatérale. Vous le suivez pour une hypercholestérolémie, bien équilibrée par le régime et un traitement médicamenteux. Il n’a aucun autre antécédent, général ou ophtalmologique, et n’a pas vu d’ophtalmologiste depuis 10 ans. Il se plaint d’un flou visuel bilatéral d’apparition progressive sur plusieurs mois affectant surtout la vision de loin et vous rapporte une gêne lors de la conduite automobile, surtout la nuit. Il n’y a pas de douleur oculaire associée. L’examen clinique (notamment réflexes photomoteurs et champ visuel de confrontation) est sans particularité.
Quels éléments de l’interrogatoire et de l’examen clinique peuvent orienter vers une baisse d’acuité visuelle liée au développement d’une cataracte sénile ?
Les antécédents du patient sont sans particularité ; il n’y a notamment pas de notion de diabète ou de chirurgie oculaire ni de pathologie générale prédisposant à la cataracte. Ces éléments sont en faveur de l’origine sénile de la cataracte chez cet homme âgé de 72 ans. L’anamnèse est assez évocatrice de cataracte car le patient se plaint de baisse d’acuité visuelle bilatérale, progressive, et affectant essentiellement la vision de loin ; la perception de halos autour des lumières et une diplopie ou une polyopie
monoculaire (en fait le plus souvent visualisation d’une ou de deux images fantômes en sus de l’image principale) sont possibles. Lors de l’examen des réflexes photomoteurs, on remarque parfois un reflet blanc dans la pupille (leucocorie) si la cataracte est très évoluée. Les réflexes photomoteurs sont normaux. Enfin, l’absence de scotome central à l’examen du champ visuel central à la grille d’Amsler (voir plus loin) est un élément rassurant. Il élimine une pathologie maculaire.
Quels signes sont à rechercher pour éliminer une cause rétinienne à cette baisse d’acuité visuelle ?
Les signes témoignant d’une atteinte maculaire comme dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge sont faciles à rechercher en consultation. Il existe une baisse d’acuité visuelle de près (difficulté à lire), des métamorphopsies et parfois un scotome central. Ces deux derniers éléments peuvent être mis en évidence en s’aidant de la 36
grille d’Amsler qui étudie les 10° centraux du champ visuel. Le sujet doit regarder le point situé au centre de la grille (ou, à défaut, la poignée située au centre d’une fenêtre à petits carreaux, ou encore un point à l’intersection de deux lignes d’un carrelage) avec un œil, l’autre étant occlus avec la paume de sa main.
Cas n° 11
Quelle forme de cataracte s’accompagne d’une baisse d’acuité visuelle rapide ?
La cataracte sous-capsulaire postérieure est responsable de troubles visuels d’aggravation rapide qui affectent la vision de près (Figure 1). Elle est fréquemment observée chez les patients diabétiques, traités par corticoïdes au long cours, y compris par voie générale, et chez des patients relativement jeunes. Monsieur F. a revu son ophtalmologiste en consultation, qui lui a expliqué qu’il fallait l’opérer. Lorsque vous le revoyez, votre patient vous fait part de son étonnement qu’il n’existe pas de traitement possible par une paire de lunettes, des gouttes ou des médicaments. Figure 1 – Cataracte sous-capsulaire postérieure : l’opacité est localisée à la partie postérieure du cristallin, juste en avant de la capsule postérieure. Le reste du cristallin peut rester clair.
Que lui répondez-vous ?
Le seul traitement de la cataracte est en effet, à l’heure actuelle, chirurgical. La cataracte induit un trouble des milieux oculaires, normalement transparents, et une paire de lunettes ne saurait rétablir cette transparence. Il n’existe pas non plus de collyre ou
de médicament permettant de guérir ou de ralentir l’évolution d’une cataracte. Monsieur F. vous demande comment se déroule l’intervention et la période postopératoire.
Que lui expliquez-vous ?
Dans la majorité des cas, cette intervention est pratiquée en hospitalisation ambulatoire et sous anesthésie locale. Elle consiste à retirer le cristallin après réalisation de très petites incisions pratiquées en périphérie de la cornée. L’aphakie (absence de cristallin) est corrigée par l’implantation d’une lentille intra-oculaire (pseudo-phakie) dont la puissance aura été calculée lors de la consultation pré-opératoire, en fonction de la biométrie oculaire du patient. L’intervention dure moins d’une heure ; le patient voit des lumières
colorées mais ne ressent pas de douleur pendant l’intervention. Dans les suites opératoires, des contrôles chez l’ophtalmologiste sont nécessaires, et des collyres antibiotiques et anti-inflammatoires doivent être instillés dans l’œil opéré pendant environ un mois. Au cours de ce premier mois postopératoire, au moindre problème, le patient doit consulter l’ophtalmologiste en urgence afin d’éliminer la complication postopératoire la plus redoutée : l’infection intraoculaire (endophtalmie), dont la prise en charge doit être la plus précoce possible. 37
CAS N° 12 L’enfant R., 5 ans, voit de moins en moins bien
Depuis quelques mois, R., jeune garçon en bonne santé de 5 ans, voit de moins en moins bien, et ce malgré les lunettes qui lui ont été prescrites. Son astigmatisme et sa myopie augmentent rapidement. C’est lors d’une réfraction sous cycloplégie que son ophtalmologue remarque que ses cristallins sont déplacés et porte le diagnostic d’ectopie des cristallins (Figure 1).
Qu’est-ce qu’une ectopie du cristallin ? L’ectopie du cristallin (ectopia lentis) consiste stricto sensu en un déplacement du cristallin dans le plan frontal, c’est-à-dire dans le plan des fibres zonulaires. L’emploi de ce terme est habituellement restreint aux déplacements congénitaux, souvent verticaux ou obliques, du cristallin. Lorsque ce déplacement survient plus tard, ou s’aggrave secondairement, on parle de subluxation quand le cristallin reste parallèle au plan de l’iris et demeure en partie dans son aire d’emplacement physiologique, et de luxation quand il sort du plan de l’iris. La luxation peut être antérieure ou postérieure. Figure 1 – Présence d’une ectopie du cristallin dont on aperçoit l’équateur au niveau de la pupille.
Quelles sont les causes de l’ectopie ou de la luxation du cristallin ? Une des causes les plus fréquentes de subluxation ou de luxation du cristallin est traumatique. On peut aussi observer un déplacement du cristallin chez les patients atteints de myopie forte, de buphtalmie ou de mégalocornée congénitale pour les formes acquises. Chez le sujet âgé, il est possible de noter une fragilité de la zonule en cas de pseudo-exfoliation capsulaire. Cela peut aussi conduire à une subluxation ou une luxation du cristallin. Les formes héréditaires d’ectopie puis de luxation du cristallin peuvent être associées à des pathologies 38
systémiques, plus particulièrement au syndrome de Marfan, à l’homocystinurie et au syndrome de WeillMarchesani. Les ectopies congénitales sont volontiers dues à un défaut de la fibrilline qui induit une distension de la zonule. Celle-ci est un ensemble de fibres partant du corps ciliaire en direction de l’équateur du cristallin et qui amarrent celui-ci à la manière de haubans. Parmi les formes non associées à une affection systémique, on trouve l’ectopie cristallinienne familiale (associée ou non à une ectopie pupillaire) et l’aniridie.
CAS N° 12
Que rechercher face à une ectopie ou une subluxation du cristallin ?
La principale cause à exclure est l’homocystinurie. Elle est recherchée par l’électrophorèse des acides aminés des urines à la recherche d’un pic d’homocystine et le dosage de l’homocystine totale. Lorsque le diagnostic est établi, un régime et un traitement par pyridoxine (vitamine B6) permettent de prévenir les manifestations cliniques de la maladie, ou tout au moins d’en ralentir la progression, de même que le risque thrombo-embolique grave auquel expose l’homocystinurie. Ce risque est majoré en cas d’anesthésie générale. Le second diagnostic important est le syndrome de Marfan. Chez les patients atteints de cette affection, une surveillance cardiovasculaire est recommandée compte tenu du risque de complications aortiques (dissections) ou valvulaires (insuffisance mitrale). Les distinctions classiques – dans l’homocystinurie, le cristallin serait déplacé vers le bas, tandis que dans le syndrome de Marfan, il serait déplacé en haut et en temporal – sont de peu d’intérêt en pratique clinique (Figure 2). L’élimination du diagnostic d’homocystinurie est impérative quel
que soit le sens du déplacement et requiert la réalisation des examens complémentaires évoqués précédemment.
Figure 2 – Ectopie du cristallin avec présence d’un déplacement vers le haut et légèrement en temporal. Cet aspect est évocateur d’un syndrome de Marfan.
Quels sont les risques de l’ectopie du cristallin ?
Le cristallin peut se luxer dans la chambre antérieure et provoquer un glaucome aigu, nécessitant une prise en charge chirurgicale rapide et difficile.
La luxation postérieure pourra entraîner un glaucome phacolytique, une uvéite ou un décollement de rétine.
Quels traitements proposer ?
L’ectopie du cristallin induit des erreurs réfractives importantes sous forme de myopie et d’astigmatisme. Chez l’enfant, la correction optique doit se faire le plus rapidement possible pour prévenir une amblyopie. Quel que soit l’âge, il faut essayer une correction par des lunettes puis, lorsque celle-ci n’est plus possible (c’est-à-dire lorsqu’une partie de l’axe visuel se retrouve sans cristallin), une chirurgie doit être proposée. Une autre indication de la chirurgie est l’existence d’une subluxation du cristallin. Celle-ci précède sa luxation, dont les conséquences sont graves et doivent être évitées. C’est pourquoi il peut être proposé une
intervention préventive alors que le bord du cristallin ne passe pas dans l’axe visuel. La chirurgie consiste en une phacophagie associée ou non à l’implantation d’un cristallin artificiel. Celui-ci ne saurait être un implant dans le sac capsulaire, car la zonule, malade, ne le supporterait pas mieux que le cristallin naturel qu’il remplace, et cet implant se luxerait. Il doit donc être amarré à une structure anatomique fixe : soit l’iris, soit la sclère. Sur le long terme, il semble que les implants suturés à la sclère évitent des complications iriennes induisant une inflammation oculaire chronique et une luxation des implants à fixation irienne. 39
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
R. a été opéré des deux yeux à une semaine d’intervalle. Les suites postopératoires ont été compliquées par un épisode de capture irienne de l’haptique (partie centrale du cristallin artificiel) dans son œil droit, se traduisant par une déformation pupillaire, sans douleur ni baisse de son acuité
visuelle. Le traitement a consisté en une mydriase maximale pour permettre la réduction de l’implant en chambre postérieure, puis un myosis pharmacologique. Des contrôles réguliers de l’acuité visuelle et du fond d’œil sont effectués par son ophtalmologue.
Bibliographie Dureau P. Pathophysiology of zonular diseases. Curr Opin Ophthalmol. 2008, 19: 27-30. Jondeau G. Syndrome de Marfan. www.orpha.net/consor/ cgi-bin/OC_Exp.php ?Lng=FR&Expert=558 ; 2010. McKusick V. Homocystinuria due to cystathionine beta synthase deficiency. http://omim.org/entry/236200#editHistory ; OMIM ; 1986.
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Smiddy WE, Sawusch MR, O’Brien TP, Scott DR, Huang SS. Implantation of scleral-fixated posterior chamber intraocular lenses. J Cataract Refract Surg. 1990, 16: 691-6. Yen KG, Reddy AK, Weikert MP, Song Y, Hamill MB. Iris-fixated posterior chamber intraocular lenses in children. Am J Ophthalmol. 2009, 147: 121-6.
CAS N° 13 Madame P. a très mal à l’œil droit après une partie de squash
Madame P., 42 ans, vient vous consulter en urgence pour de vives douleurs à l’œil droit. Elle a reçu il y a 2 jours une balle de squash dans cet œil. La douleur, initialement faible et peu inquiétante, est devenue insupportable. Il s’y associe une baisse visuelle unilatérale.
Que recherchez-vous à l’examen clinique ?
L’histoire de cette patiente nous fait craindre une contusion de l’œil droit ainsi qu’un traumatisme du cadre orbitaire. Dans les contusions oculaires, la taille du projectile a une importance. Un projectile de taille moyenne à grande (balle de tennis, ballon de football, coup de poing) peut être en partie amorti par les reliefs de l’orbite qui ont un rôle de protection mécanique de l’œil. L’énergie sera dissipée au niveau de l’os et du globe avec une atteinte possible des deux structures. Au contraire, lorsque le projectile a une taille inférieure à celle de l’orbite (balle de squash, bouchon de champagne), l’énergie peut n’être absorbée que par le globe, entraînant des dégâts souvent plus importants. Lors de l’examen, l’acuité visuelle des deux yeux sera évaluée avec la correction optique habituelle de la patiente. On recherche des signes orientant vers une fracture du plancher de l’orbite. On recherche à l’inspection et à la palpation du cadre orbitaire la présence d’un hématome, d’une douleur ou d’un emphysème sous-cutané (qui indique un passage d’air via une fracture osseuse à partir d’un sinus adjacent), ainsi qu’un trouble oculomoteur en faisant regarder la patiente dans toutes les directions et en recherchant une diplopie (vision double). Cette dernière peut être
le signe qu’un des muscles oculomoteurs est incarcéré dans le foyer de fracture. Au moindre doute sur une fracture du plancher de l’orbite ou sur la présence d’un corps étranger intra-oculaire ou orbitaire, un scanner orbitaire sera demandé en urgence. L’examen ophtalmologique recherche de manière systématique des signes en faveur d’une perforation du globe : plaie de paupière, conjonctivale ou cornéenne. On regarde très attentivement, d’avant en arrière, de manière anatomique, les structures internes de l’œil. Le fond d’œil est ensuite examiné après dilatation par collyre mydriatique à la recherche d’une hémorragie du vitré, d’un œdème rétinien périphérique ou maculaire, de déchirures et trous rétiniens périphériques qui peuvent évoluer en décollement de rétine. La pression intra-oculaire est prise aux deux yeux. L’acuité visuelle maximale de madame P. est à 2/10e à l’œil droit contre 10/10e à l’œil gauche. Aucun trouble oculomoteur n’est observé, ni d’hématome orbitaire, ni de douleurs à la palpation en faveur d’une fracture du plancher de l’orbite. L’examen ophtalmologique retrouve un aspect anormal de certaines structures oculaires (Figure 1). L’histoire de l’accident et l’examen n’orientent pas vers la présence d’un corps étranger intra-oculaire.
Quel est votre diagnostic ? Décrivez les images prises après dilatation
La patiente présente une contusion sévère de l’œil droit sans plaie ni corps étranger intra-oculaire (Tableaux I et II).
Sur la Figure 1, il existe une désinsertion localisée (flèches blanches) de la périphérie inférieure de l’iris (iridodialyse). On remarque aussi un accolement 41
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Tableau I – Étiologies des cataractes traumatiques. Contusion pure sans plaie du globe Traumatisme perforant avec corps étranger intra-oculaire Traumatisme perforant sans corps étranger résiduel
Tableau II – Principales complications en cas de contusion du globe. Orbite : fracture du plancher de l’orbite, incarcération d’un muscle oculomoteur Iris : iridodialyse (désinsertion localisée de l’iris à sa racine), déchirure du sphincter irien, mydriase post-traumatique Hyphéma (sang dans la partie antérieure du globe) Cristallin : subluxation/luxation, cataracte Rétine : hémorragie intravitréenne, œdème rétinien, déhiscence rétinienne, trou périphérique ou maculaire, décollement de rétine Nerf optique : hématome de la gaine, contusion, avulsion
Figure 1 – Aspect après dilatation. Désinsertion localisée de la base de l’iris (iridodialyse, flèches blanches). Synéchies entre l’iris et le cristallin (flèche noire). On distingue une hémorragie sur l’iris et des opacités cristalliniennes.
entre l’iris et le cristallin anormal (flèche noire), appelé synéchie iridocristallinienne. On note en outre une hémorragie sur l’iris et, en arrière de ce dernier, des opacités sur le cristallin. La Figure 2 confirme la présence d’opacités cristalliniennes (flèche blanche) qui prédominent sur la partie postérieure du cristallin (pointillés blancs). Il existe donc une cataracte traumatique débutante. On constate en outre (non visible sur la photo) la présence de sang et de cellules inflammatoires dans la chambre antérieure. Lors du traumatisme, les structures adjacentes du cristallin peuvent être touchées. 42
On recherche une mobilité anormale du cristallin lors des mouvements du globe. Elle signe une atteinte des fibres zonulaires qui maintiennent le cristallin dans sa position anatomique. Il peut s’y associer une subluxation (antérieure ou postérieure), voire une luxation complète, du cristallin. Ici, l’examen du fond d’œil ne retrouve pas d’anomalies au niveau du nerf optique, de la macula et de la périphérie rétinienne. La pression intra-oculaire de madame P. est à 32 mmHg à droite contre 15 mmHg à gauche, pour une normale inférieure à 21 mmHg.
CAS N° 13
Figure 2 – Cataracte post-traumatique avec opacités (flèche blanche) prédominant à la face postérieure du cristallin (soulignée par les pointillés).
Comment expliquez-vous cette hypertonie et quelle est votre prise en charge ? La patiente présente une hypertonie post-traumatique précoce de l’œil droit. Plusieurs mécanismes sont souvent impliqués. Le traumatisme a entraîné un saignement dans la chambre antérieure et une réaction inflammatoire locale. L’ensemble de ces cellules sont normalement absentes dans l’humeur aqueuse et vont provoquer un engorgement du trabéculum. Ce dernier se trouve à la base de l’iris et est circonférentiel sur 360°. C’est la voie d’évacuation de l’humeur aqueuse que l’on peut comparer à un filtre dont les pores sont alors obstrués par les éléments figurés du sang. En cas de déplacement (subluxation) antérieur du cristallin, celui-ci appuie sur l’angle iridocornéen, modifie l’anatomie normale et gêne aussi l’évacuation trabéculaire. Le traitement consiste, après avoir vérifié l’absence de contre-indication, en l’association d’hypotonisants
(locaux et généraux) et de corticoïdes locaux. On associe comme traitement local hypotonisant des collyres de type bêtabloquant, inhibiteur de l’anhydrase carbonique, agoniste alpha-adrénergique et analogue des prostaglandines. La pression intra-oculaire étant élevée, avec un risque de majoration secondaire, on introduit un inhibiteur de l’anhydrase carbonique par voie orale (Diamox®) avec une supplémentation potassique. Afin de diminuer la réaction inflammatoire locale associée, des corticoïdes locaux à forte dose (type dexaméthasone six à huit fois par jour) sont ajoutés. L’efficacité thérapeutique sera contrôlée dans les 48 heures avec adaptation si nécessaire du traitement. La patiente vous demande comment risque d’évoluer cette cataracte et si un traitement médical pourrait empêcher une aggravation.
Que lui répondez-vous ? Madame P. souffre d’une cataracte traumatique précoce en rapport avec la sévérité de la contusion. Il est quasi certain que les opacités cristalliniennes vont progresser dans les mois suivants. D’abord prédominante dans la partie postérieure du cristallin (cataracte sous-corticale postérieure), cette cataracte peut devenir complète. Aucun traitement ne peut prévenir cette évolution. Il est important de préciser qu’une cataracte peut être initialement absente puis apparaître
secondairement des mois après le traumatisme. En cas de cataracte unilatérale précoce chez un sujet jeune, il faut penser à une cause traumatique. En raison des atteintes anatomiques associées (rupture de la zonule, etc.), la chirurgie des cataractes traumatiques est plus complexe que lors d’une cataracte « classique » du sujet âgé. L’indication chirurgicale dépend de l’acuité visuelle et de l’importance de la cataracte.
Bibliographie Ducasse A, Denis P. Les bonnes pratiques des glaucomes traumatiques. J Fr Ophtalmol. 2000, 23:295-8.
Tuil E, De Nicola R, Mann F, et al. Traumatologie. In : Ophtalmologie en urgence. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2007. p. 149-76.
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CAS N° 14 Un patient de 24 ans consulte pour un œil droit rouge et douloureux
Monsieur D., âgé de 24 ans, sans antécédents particuliers, consulte pour un œil droit rouge et douloureux depuis 48 heures. L’interrogatoire permet de préciser les signes fonctionnels : la douleur est d’intensité modérée et s’accompagne d’une photophobie. L’évaluation de l’acuité visuelle de loin (à 5 mètres en pratique) est limitée à 6/10 à l’œil droit et est de 10/10 à l’œil gauche. L’examen clinique à la simple lumière du jour met d’emblée en évidence une rougeur oculaire, liée à une vasodilatation des vaisseaux conjonctivaux (hyperhémie conjonctivale), qui prédomine au limbe (jonction entre la cornée et la sclère), réalisant ainsi un véritable « cercle périkératique ». L’examen plus approfondi au biomicroscope (ou lampe à fente) montre une cornée claire (ou transparente), un test à la fluorescéine négatif, une absence de précipités endothéliaux cornéens et une chambre antérieure de profondeur normale (absence de fermeture de l’angle). En revanche, l’examen attentif de l’humeur aqueuse (liquide remplissant la chambre antérieure) permet de constater en son sein de très nombreuses cellules en suspension – effet Tyndall (Figure 1). La pupille est déformée (dyscorie) avec un aspect en « trèfle » (Figure 2) du fait d’adhérences entre celle-ci et le cristallin sous-jacent (synéchies iridocristalliniennes). Le cristallin est clair (ou transparent) et le tonus oculaire normal. L’examen du fond d’œil après dilatation pupillaire médiocre en raison des synéchies irido cristalliniennes met en évidence un corps vitré (gel occupant tout l’espace entre le cristallin et la rétine) parfaitement transparent et une rétine ne présentant aucun foyer blanchâtre, aucun signe de vascularite ni d’œdème maculaire.
Figure 1 – Examen à la lampe à fente (ou biomicroscope) mettant en évidence l’effet Tyndall signant la présence d’une uvéite antérieure. Le faisceau lumineux dont la hauteur a été fixée à 1 mm et dirigé à 45° permet de constater de nombreuses cellules en suspension au sein de la chambre antérieure, tel un « phare dans le brouillard ». Ce phénomène dit de Tyndall signe l’inflammation intraoculaire et permet, grâce au comptage des cellules, d’en suivre l’évolution spontanée ou sous traitement.
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Figure 2 – Synéchies iridocristalliniennes au cours d’une uvéite antérieure liée à HLA-B27. L’inflammation intraoculaire a créé des adhérences entre le cristallin et la face postérieure de l’iris, empêchant la dilatation de celui-ci lors de l’instillation de collyres mydriatiques.
CAS N° 14
Faites une analyse sémiologique puis une synthèse du tableau clinique et précisez le diagnostic positif. Quels autres diagnostics faut-il évoquer ? Le tableau clinique décrit ici est en synthèse une baisse d’acuité visuelle unilatérale aiguë avec œil rouge et douloureux lié à une uvéite antérieure aiguë. L’uvéite est synonyme d’inflammation intra-oculaire ; cette dernière se manifeste par la présence de cellules inflammatoires en suspension dans la chambre antérieure de l’œil (uvéite antérieure) ou dans le corps vitré et la rétine en cas d’uvéite postérieure – nous reviendrons sur les causes de ces uvéites au prochain paragraphe. Les deux autres causes essentielles d’œil rouge et douloureux avec baisse d’acuité visuelle sont les kératites, quelle que soit leur origine (traumatique, infectieuse, inflammatoire ou toxique), et le glaucome aigu par fermeture de l’angle iridocornéen. La transparence normale de la cornée élimine les kératites infectieuses avec abcès cornéen blanchâtre, et le test à la fluorescéine négatif élimine la présence de défects épithéliaux (ou ulcérations de cornée) accompagnant la quasi-totalité des maladies cornéennes. La présence d’une chambre antérieure profonde et surtout la notion d’un tonus oculaire normal permettent d’éliminer une crise aiguë de fermeture
de l’angle pouvant rapidement entraîner un glaucome aigu (neuropathie optique définitive). Le phénomène de Tyndall signe la présence de cellules inflammatoires au sein de la chambre antérieure et définit l’uvéite antérieure aiguë. L’absence de signe associé d’inflammation du segment postérieur de l’œil (rétine ou choroïde), définissant l’uvéite postérieure, permet d’éliminer une panuvéite (association d’une uvéite antérieure et postérieure). Certaines caractéristiques sémiologiques de l’uvéite sont importantes et permettent d’emblée d’orienter le diagnostic étiologique. C’est particulièrement le cas des précipités endothéliaux cornéens, ici absents, qui définissent le caractère granulomateux ou non de l’uvéite. D’autres éléments d’orientation sont représentés par la présence de synéchies iridocristalliniennes ou d’hypertonie oculaire. Au total, ce tableau clinique de baisse d’acuité visuelle aiguë avec œil rouge et douloureux évoque donc une uvéite antérieure aiguë (UAA) unilatérale, non granulomateuse, synéchiante et non hypertonisante.
Comment préciser le diagnostic étiologique ? Détaillez l’interrogatoire, l’examen clinique et les explorations paracliniques que vous envisagez. Comme nous l’avons vu précédemment, l’analyse sémiologique oculaire fine permet non seulement de poser le diagnostic, mais également d’évoquer d’emblée ou d’éliminer certaines causes. Une uvéite antérieure aiguë non granulomateuse évoque en priorité une spondylarthrite ankylosante (SPA) liée à l’antigène HLA-B27 (de loin la première cause d’uvéite) ou, beaucoup plus rarement, une maladie de Behçet. Dans les deux cas, un hypopion peut compléter le tableau (il s’agit d’un niveau liquidien blanchâtre fait de cellules inflammatoires dans la partie la plus déclive de la chambre antérieure, visible à l’œil nu). Au contraire, la présence de gros précipités rétrocornéens permet virtuellement d’éliminer ces deux affections et oriente d’emblée vers des causes infectieuses telles que l’herpès (Herpes simplex virus – HSV1 et HSV2), la tuberculose ou la syphilis, ou vers des causes inflammatoires au premier rang desquelles la sarcoïdose. Ces quatre dernières entités peuvent donner tous les tableaux cliniques d’uvéite – antérieure, postérieure, panuvéite avec aspect granulomateux ou non – et sont donc systématiquement
évoquées face à tout type d’uvéite. Néanmoins, le mode évolutif chronique et insidieux permet bien souvent de les distinguer des deux premières causes. L’interrogatoire est donc centré sur la recherche de douleurs articulaires d’horaire inflammatoire et sur la notion d’aphtes buccaux ou génitaux récidivants. L’origine ethnique est également particulièrement importante, la maladie de Behçet prédominant dans le bassin méditerranéen. Des antécédents de tuberculose, d’herpès labial ou oculaire, de syphilis ou de toute autre infection sexuellement transmissible seront également recherchés avec attention. Outre l’examen ophtalmologique détaillé, à la recherche des signes spécifiques à chaque entité et que nous ne détaillerons pas ici, l’examen général prend toute son importance, et le moindre doute sur une étiologie justifiera une exploration adéquate en partenariat avec les spécialistes concernés. Les examens complémentaires sont bien entendu déterminés en fonction de l’orientation clinique et en aucun cas systématiques. En cas de suspicion 45
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
de spondylarthrite ankylosante, la positivité de l’antigène HLA-B27 conforte le diagnostic de SPA ou d’uvéite rhumatismale. En revanche, la maladie de Behçet reste un diagnostic purement clinique et la détermination de l’antigène HLA-B51 n’est en pratique pas réalisée. Les autres examens sont de prescription large et comprennent une radiographie de thorax, une intradermoréaction à la tuberculine, une sérologie syphilitique (TPHA et VDRL) et la recherche d’un syndrome inflammatoire biologique
avec électrophorèse des protides sériques et dosage de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le tableau I résume les orientations étiologiques et les examens complémentaires correspondants. Votre interrogatoire orienté a finalement retrouvé des lombalgies d’horaire inflammatoire et votre examen une raideur lombaire, alors que les examens complémentaires n’ont rien révélé en dehors d’une positivité de l’antigène HLA-B27.
Tableau I – Causes les plus fréquentes des uvéites antérieures en fonction de la présentation clinique et examens complémentaires de première intention. Étiologies fréquentes des uvéites antérieures Spondylarthrite ankylosante Maladie de Behçet
Type clinique d’uvéite antérieure Toujours non granulomateuse
Examens complémentaires à réaliser HLA-B27 Aucun examen
Herpes simplex virus
Aucun examen
Tuberculose
IDR à la tuberculine Radiographie de thorax
Syphilis
Habituellement granulomateuse
Sarcoïdose
Sérologie TPHA-VDRL ECA, EPP Radiographie de thorax
ECA : enzyme de conversion de l’angiotensine ; EPP : électrophorèse des protides sériques ; HLA : human leukocyte antigen ; IDR : intradermoréaction ; TPHA : Treponema pallidum hemagglutination assay ; VDRL : veneral disease research laboratory.
Quel est votre diagnostic final ? Il s’agit d’une SPA avec une recherche de l’antigène HLA-B27 positive compliquée d’un premier
épisode d’uvéite antérieure aiguë non granulomateuse unilatérale.
Quels traitements locaux ou systémiques envisagez-vous et quel est votre rythme de surveillance ? Le traitement de toute uvéite est symptomatique, complété par un traitement étiologique si celui-ci est possible. Le traitement symptomatique vise à prévenir et traiter les complications engendrées par l’inflammation intra-oculaire. La pierre angulaire de la prise en charge est représentée par la corticothérapie topique à forte fréquence d’instillation à la phase 46
initiale (parfois jusqu’à une goutte de collyre corticoïde toutes les heures pendant 48 heures), avec une décroissance secondaire progressive lente et adaptée à la réponse clinique. Cette dernière est évaluée en comptant le nombre de cellules présentes au sein de la chambre antérieure (effet Tyndall). Idéalement, la phase d’attaque permet d’obtenir rapidement une rémission de l’inflammation. Une décroissance
CAS N° 14
lente sur plusieurs semaines ou mois de la fréquence d’instillation de collyres permet d’éviter un rebond inflammatoire. Dans de rares cas, lorsque la voie topique ne permet pas d’obtenir cette rémission, la corticothérapie (type dexaméthasone) peut être administrée par injection péri-oculaire (sousconjonctivale ou sous-ténonienne) ou, exceptionnellement, par voie intraveineuse. Outre les anti-inflammatoires stéroïdiens, des collyres mydriatiques sont prescrits pour prévenir la survenue (idéalement) ou traiter des synéchies iridocristalliniennes (Figure 2) tant que la rémission n’est pas obtenue. Des collyres cycloplégiques (atropine) sont également prescrits, en particulier lors de
formes sévères ou chez l’enfant, à visée antalgique et anti-inflammatoire. Un traitement hypotonisant oculaire par collyre est instauré dès que la pression intra-oculaire devient menaçante. Le traitement étiologique a bien souvent un effet positif non seulement sur la poussée d’uvéite en cours mais également sur la fréquence des récidives éventuelles. Les traitements généraux symptomatiques de la spondylarthrite ankylosante, à type d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, sont sans effet sur l’uvéite. En revanche, les biothérapies modernes telles que les anti-TNF-a (tumor necrosis factor-a) ont prouvé leur effet bénéfique sur l’uvéite.
Quel est le pronostic visuel à court et long termes de cette affection ? Les uvéites sont des maladies oculaires graves, souvent chroniques ou récidivantes, mettant en jeu le pronostic visuel à court ou à long terme et parfois même le pronostic vital selon l’étiologie de l’uvéite. Les complications de l’inflammation intraoculaire sont nombreuses et peuvent concerner la quasi-totalité des structures oculaires. Parmi les complications les plus fréquentes figure l’hypertonie oculaire aiguë ou chronique à l’origine de glaucomes secondaires, aux mécanismes multiples et de prise en charge difficile. D’autres complications telles que la cataracte (typiquement de siège
sous-capsulaire postérieur) ou l’œdème maculaire peuvent grever le pronostic visuel et posent des problèmes thérapeutiques propres au terrain sur lequel ils apparaissent. Une prise en charge symptomatique rapide et efficace de chaque poussée inflammatoire, combinée à un traitement étiologique de fond dès que possible, permet bien souvent de limiter les complications oculaires cécitantes. Néanmoins, comme pour l’ensemble des maladies chroniques, l’éducation et la compliance à la prise en charge proposée sont essentielles.
Bibliographie Monnet D. Les uveitis liées à l’antigène HLA-B27. In : Brézin A (Ed.), Société française d’ophtalmologie. Les uvéites. Paris : Elsevier-Masson ; 2010. p. 327-39.
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CAS N° 15 Une patiente de 20 ans consulte pour une baisse progressive de l’acuité visuelle de l’œil droit
Madame H., âgée de 20 ans, sans antécédents particuliers, consulte pour une baisse d’acuité visuelle unilatérale de l’œil droit d’apparition rapidement progressive sur quelques jours, celle-ci étant chiffrée à 6/10 en consultation. L’interrogatoire ne révèle ni douleur, ni photophobie et aucun symptôme extraoculaire. L’examen à la lampe à fente (ou biomicroscope) du segment antérieur révèle la présence de quelques cellules inflammatoires en suspension au sein de la chambre antérieure. Par ailleurs, la cornée est transparente et l’angle iridocornéen parfaitement ouvert. L’examen du fond d’œil après dilatation est difficile en raison d’un discret trouble vitréen. Néanmoins, la rétine semble d’aspect normal en dehors de la présence d’un vaste foyer blanc se situant en dedans des arcades vasculaires rétiniennes mais n’atteignant pas la fovéa (zone la plus centrale de la rétine responsable de l’acuité visuelle fine). À proximité immédiate de ce foyer blanchâtre, on note une cicatrice pigmentée en contact avec la lésion précédente (Figure 1). L’examen de l’œil controlatéral révèle la présence de nombreuses cicatrices pigmentées d’aspect similaire.
Faites une analyse sémiologique puis une synthèse du tableau clinique et précisez le diagnostic positif. Le tableau clinique présenté est une baisse d’acuité visuelle unilatérale brutale (ou rapidement progressive) à œil blanc et indolore, avec fond d’œil difficilement analysable mais anormal par la présence d’un foyer blanchâtre jouxtant une cicatrice pigmentée. Bien que l’œil ne soit ni rouge, ni douloureux, la présence de quelques cellules inflammatoires en chambre antérieure correspond au phénomène dit de Tyndall et permet de poser le diagnostic d’uvéite antérieure. L’association à cette uvéite antérieure de signes inflammatoires postérieurs tels que la hyalite (trouble vitréen lié à la présence de cellules inflammatoires) et la présence de lésions rétiniennes ou choroïdiennes définissant une uvéite postérieure permettent de poser le diagnostic de panuvéite de l’œil droit.
Figure 1 – Toxoplasmose oculaire responsable d’une panuvéite. La lésion blanchâtre correspond au foyer infectieux actif alors que la lésion pigmentée adjacente est une cicatrice ancienne témoignant d’une poussée antérieure.
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CAS N° 15
Quel diagnostic étiologique envisagez-vous et est-il nécessaire de demander des explorations paracliniques pour confirmer le diagnostic ?
Le premier diagnostic à évoquer ici est une panuvéite infectieuse d’origine toxoplasmique. L’argument de fréquence plaide pour la toxoplasmose oculaire qui est de loin la première cause d’uvéite postérieure ou de panuvéite. De plus, le tableau clinique réalisé ici est caractéristique – un sujet jeune sans antécédent présentant une hyalite avec un foyer infectieux blanchâtre rétinochoroïdien très évocateur. La présence d’une lésion pigmentée adjacente au foyer actif blanchâtre ainsi que la présence de ces mêmes lésions sur l’œil adelphe (controlatéral), qui représentent d’anciens foyers actuellement cicatrisés, témoignent de poussées antérieures de toxoplasmose oculaire, confortant le diagnostic. Les sujets ayant contracté la toxoplasmose, qu’elle soit congénitale ou acquise, ont tendance à présenter de nombreuses poussées plus ou moins symptomatiques laissant à titre de séquelles des plages pigmentées. Le diagnostic de toxoplasmose oculaire typique est purement clinique et ne nécessite pas d’examens
complémentaires. Néanmoins, en cas de doute diagnostique, on pourra s’aider de la sérologie toxoplasmique qui, en cas de négativité (à confirmer sur un second prélèvement 2 semaines plus tard), permettra d’éliminer cette pathologie. La confirmation du diagnostic passe quant à elle par la réalisation d’un prélèvement invasif intra-oculaire au bloc opératoire sous anesthésie topique appelé ponction de chambre antérieure (PCA). Le calcul, sur le prélèvement d’humeur aqueuse ainsi obtenu, du rapport taux d’anticorps antitoxoplasmose dans l’humeur aqueuse sur ce même taux dans le sang (coefficient de Desmonts ou de Goldmann-Witmer) permet en cas d’élévation de celui-ci d’attester de la synthèse intraoculaire des anticorps antitoxoplasmose signant l’infection locale. L’alternative au dosage des anticorps est la réalisation d’une PCR (polymerase chain reaction) pour mettre directement en évidence le génome de Toxoplasma gondii. La sensibilité de ces techniques varie selon le contexte clinique.
Quels traitements locaux ou systémiques envisagez-vous et quel est votre rythme de surveillance ?
L’intérêt d’un traitement de la toxoplasmose oculaire chez le sujet immunocompétent reste à l’heure actuelle un sujet débattu. Toutefois, un consensus semble émerger pour ne traiter que certaines formes de toxoplasmose, celles à risque de léser directement des parties nobles du fond d’œil. Seront donc plus facilement traités les patients présentant des lésions se situant près de la fovéa (en pratique dès que la lésion se situe à l’intérieur des arcades vasculaires, comme dans le cas présent) ou du nerf optique. Les molécules à utiliser font également l’objet de controverses, mais les risques liés aux traitements conventionnels associant pyriméthamine (Malocide®) et sulfadiazine (Adiazine®) font désormais préférer l’azithromycine (Zithromax®) en remplacement de cette dernière molécule, notamment en raison des risques importants de toxidermie médicamenteuse potentiellement mortelle à type de syndrome de Lyell. Aux traitements antiparasitaires peuvent être associés des traitements anti-inflammatoires stéroïdiens (type prednisone) pour limiter les destructions
tissulaires liées au processus inflammatoire lui-même. En revanche, la corticothérapie seule sans « couverture » antiparasitaire pourrait aggraver l’infection et ne sera donc prescrite qu’en association. Aux traitements généraux sont associés des traitements locaux symptomatiques tels que des collyres anti-inflammatoires, voire hypotonisants en cas de nécessité. Une surveillance hebdomadaire de l’efficacité du traitement est assurée par la réalisation d’un fond d’œil dont l’objectif est de rechercher un début de pigmentation périphérique de la lésion témoignant de la guérison de l’épisode en cours et permettant alors de suspendre les traitements généraux, classiquement après 3 ou 4 semaines de traitement per os. La surveillance de la tolérance du traitement impose un contrôle biologique hématologique hebdomadaire à la recherche d’une cytopénie ou d’une aplasie. Les patients devront d’ailleurs être systématiquement informés des risques et de la conduite à tenir en cas d’effets secondaires médicamenteux. 49
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quel est le pronostic visuel à court et long termes de cette affection ? La baisse d’acuité visuelle peut être due à l’inflammation du vitré (hyalite) et demandera alors de nombreuses semaines pour s’améliorer spontanément ou plus rapidement sous traitement général. À l’inverse, si la baisse d’acuité visuelle est liée à l’atteinte d’une structure noble du fond d’œil (fovéa ou nerf optique), celle-ci risque d’être définitive.
Bibliographie Delair E, Brézin A. Toxoplasmose oculaire. In : Brézin A (Ed.), Société française d’ophtalmologie. Les uvéites. Paris : Elsevier-Masson ; 2010. p. 201-19.
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À long terme, le pronostic dépend essentiellement de la localisation des récidives. Bien que les cécités liées à la toxoplasmose soient en pratique exceptionnelles, il n’est pas rare de rencontrer des atteintes graves unilatérales responsables de cécités légales unilatérales parfois méconnues.
CAS N° 16 Une baisse d’acuité visuelle douloureuse
Monsieur C., 34 ans, consulte pour une baisse d’acuité visuelle douloureuse évoluant depuis environ 5 jours. Il est très photophobe et souffre d’un larmoiement, ainsi que d’une rougeur oculaire gauche. Il décrit une baisse d’acuité visuelle progressive depuis moins d’une semaine du côté gauche, associant à la fois une baisse de vision et la sensation de corps flottants mobiles. Monsieur C. n’a pas d’antécédent médicochirurgical particulier et ne prend actuellement aucun traitement. Lorsque vous l’examinez, vous observez une rougeur oculaire de type cercle périkératique, un larmoiement et une photophobie. Son acuité visuelle est à 10/10 à l’œil droit et 3/10 à l’œil gauche. À la lampe à fente, il présente des précipités rétrocornéens granulomateux et un Tyndall cellulaire de chambre antérieure. La tension intra-oculaire est à 14 mmHg du côté droit et à 27 mmHg du côté gauche. Au fond d’œil, vous observez une hyalite dense et un foyer rétinien blanc crémeux aux contours flous localisé sur l’arcade vasculaire temporale supérieure prenant un aspect de « phare dans le brouillard ». Il existe un petit œdème papillaire du même côté. Juste à côté du foyer blanc, un autre foyer plutôt noir et atrophique est visible. Le fond d’œil du côté gauche est normal.
Quels éléments sémiologiques permettent d’orienter le diagnostic ? La présence d’une rougeur oculaire avec cercle périkératique, précipités rétrocornéens, Tyndall de chambre antérieur et hypertonie oculaire signe l’existence d’une uvéite antérieure aiguë. Une hyalite cellulaire au fond d’œil, une papillite (œdème papillaire d’allure inflammatoire) et un foyer rétinien signalent la présence d’une uvéite postérieure. L’ensemble est en faveur d’une uvéite totale à forte prédominance postérieure. Les caractéristiques de l’uvéite permettent de préciser les hypothèses étiologiques possibles. En effet, le caractère granulomateux (Figure 1a) et hypertensif de l’uvéite est évocateur d’une uvéite de type toxoplasmose, nécrose rétinienne virale herpétique,
sarcoïdose ou tuberculose. Le caractère unilatéral plaide en faveur d’une origine plutôt infectieuse, parasitaire ou virale. La présence d’un foyer rétinien blanc crémeux à contour flou est fortement évocatrice de toxoplasmose (Figure 1b). Une rétinite virale de la famille des herpèsvirus (Herpes simplex virus, virus varicelle-zona, cytomégalovirus) pourrait également donner ce type de foyer rétinien, mais ces virus sont plus rares chez des patients jeunes immunocompétents sans antécédents et, surtout, la présence d’un foyer ancien pigmenté et atrophique adjacent au foyer actif est très évocatrice d’un foyer de rétinochoroïdite toxoplasmique.
Quel bilan réalisez-vous en urgence ? Le diagnostic étiologique de rétinochoroïdite toxoplasmique est clinique devant l’association d’une uvéite antérieure aiguë granulomateuse hypertensive et d’une uvéite postérieure associant un foyer actif rétinien et un foyer ancien inactif pigmenté. En cas de doute avec une rétinite virale, ou pour
confirmer définitivement le diagnostic, une ponction de chambre antérieure peut être réalisée du côté gauche afin de rechercher une synthèse locale d’anticorps antitoxoplasmiques et de réaliser une PCR (polymerase chain reaction) à la recherche du génome de Toxoplasma gondii dans l’humeur aqueuse. Une 51
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
a
b
Figure 1 – (a) Aspect du segment antérieur d’un patient présentant une uvéite totale toxoplasmique. Précipités rétrocornéens granulomateux inférieurs. (b) Aspect du fond d’œil associant un foyer blanc crémeux à contours flous situé sur les vaisseaux temporaux supérieurs de l’œil gauche. On note l’existence de deux foyers plus anciens, pigmentés en nasal du foyer précédent. Une papillite avec flou papillaire et léger œdème papillaire associé est observée. À noter quelques hémorragies en inférieur du foyer blanc actif témoignant déjà d’une souffrance veineuse sous-jacente au foyer.
PCR à la recherche des virus du groupe herpès peut être réalisée au cours de la même ponction de chambre antérieure. Ces analyses devraient être complétées par une sérologie toxoplasmose et des sérologies de la famille herpèsvirus. Du point de vue ophtalmologique, si la densité de la hyalite le permet, il faut réaliser une angiographie à la fluorescéine qui confirmera le diagnostic en visualisant le foyer rétinochoroïdien qui présente en général une prise de contraste typique en cocarde, se rehaussant à partir de la périphérie (Figure 2). Elle confirmera également l’inactivité du foyer pigmenté adjacent et son caractère atrophique. L’angiographie permettra en outre d’évaluer le retentissement de cette uvéite postérieure en mettant en évidence l’œdème papillaire, en visualisant un éventuel œdème maculaire et en évaluant la circulation rétinienne, en particulier sur l’arcade temporale supérieure puisque le foyer siège sur ce vaisseau et risque d’entraîner des occlusions artérielles ou veineuses en regard. Un champ visuel permettra d’évaluer le retentissement de la papillite et du foyer toxoplasmique. Une OCT (optical coherence tomography ou tomographie en cohérence optique) de la macula évaluera l’importance d’un
éventuel œdème maculaire ou d’un décollement séreux rétinien qui sont des signes de gravité. D’un point de vue général, une sérologie hépatique et VIH peuvent éventuellement être proposées, à la recherche d’une immunodépression sous-jacente. Enfin, dans le cadre du bilan préthérapeutique, une numération-formule sanguine est réalisée.
Figure 2 – Aspect angiographique typique avec un foyer prenant le contraste à partir de la périphérie, en cocarde. On note également l’aspect flou global du fond d’œil, témoin de la hyalite cellulaire associée.
Quel traitement proposez-vous à monsieur C. ? Il s’agit d’un foyer toxoplasmique localisé au pôle postérieur nécessitant donc un traitement par antiparasitaires. Le traitement de référence est l’association 52
sulfadiazine (Adiazine®) à la dose de 1 g quatre fois par jour (soit 2 cp × 4/j) pendant 6 semaines et pyriméthamine (Malocide®) à la dose de 100 mg le
Cas n° 16
premier jour puis 50 mg/j pendant 6 semaines. Une supplémentation en acide folique devra systématiquement être associée, pendant toute la durée du traitement, afin de diminuer le risque d’agranulocytose. À 48 heures, une corticothérapie peut être instituée afin de réduire l’inflammation intraoculaire plus rapidement. Celle-ci est particulièrement utile pour améliorer la hyalite, mais également pour l’œdème papillaire et pour assécher un décollement séreux rétinien ou un œdème maculaire. La corticothérapie est généralement effectuée par voie intraveineuse lors des atteintes du pôle postérieur
(méthylprednisolone, 500 mg/j pendant 3 jours) avec relais per os à la dose de 0,5 mg/kg/j pendant 1 mois. Si l’atteinte est en dehors du pôle postérieur et que la hyalite est modérée, une corticothérapie orale à 0,5 mg/kg/j pendant 4 à 5 semaines est le plus souvent suffisante. En cas de contre-indication à ce traitement de référence, d’autres molécules peuvent être utilisées comme la clindamycine (Dalacine®), l’azithromycine (Zitromax®) ou l’atovaquone (Wellvone®). Une étude récente montre l’intérêt de l’administration intravitréenne directe de la clindamycine chez les patients intolérants.
Quel est le pronostic et quelles sont les modalités de suivi de monsieur C. ? L’évolution sous traitement est le plus souvent favorable avec une cicatrisation progressive du foyer rétinochoroïdien et une diminution de la hyalite. La cicatrisation du foyer peut être suivie à la fois cliniquement, prenant alors un aspect plus fibreux, à contours plus nets et se pigmentant progressivement par la périphérie, et par angiographie, montrant une diminution de l’imprégnation du foyer, une régression de l’œdème papillaire et de l’œdème maculaire éventuel. L’angiographie permet en outre de suivre la bonne perméabilité vasculaire des vaisseaux sous le foyer. Le champ visuel peut être répété afin de suivre la régression du scotome, et l’OCT permet de confirmer la régression d’un éventuel œdème maculaire ou d’un décollement séreux rétinien. Il n’est pas utile de répéter la ponction de chambre antérieure. Pendant toute la durée du traitement antiparasitaire, une numération-formule sanguine doit être réalisée toutes les semaines afin de s’assurer de l’absence d’agranulocytose, de neutropénie, de thrombopénie ou d’anémie. Le patient doit être informé de la possibilité de survenue de ces troubles hématologiques et de la nécessité d’une surveillance biologique scrupuleuse pendant toute la durée du traitement. En outre, le traitement sera immédiatement interrompu en cas d’éruption cutanée ou muqueuse.
Une diurèse alcaline doit également être encouragée et il faudra se montrer prudent avec l’adiazine en cas d’antécédent de lithiase rénale. Les formes les plus graves sont les foyers localisés sur le nerf optique ou sur la macula, et les formes extensives du sujet âgé ou immunodéprimé. Ces atteintes graves doivent être traitées énergiquement et surveillées étroitement. Les complications des formes sévères incluent les décollements de rétine, la formation de membranes épirétiniennes ou encore les occlusions de veine rétiniennes. Le patient sera informé de la possibilité de récidive, le plus souvent lors d’une réactivation à partir d’un foyer cicatriciel existant. Les récidives se faisant à partir des foyers initiaux, les patients présentant un foyer au pôle postérieur doivent consulter le plus rapidement possible en cas de récidive des symptômes visuels. Chez les patients à fort risque de récidive, notamment les patients monophtalmes, on peut discuter un traitement prolongé par Bactrim® Forte 1 comprimé tous les 3 jours. Une étude brésilienne a en effet montré que ce traitement réduisait le risque de récidive de 24 à 6 %. Chez le patient immunodéprimé, le traitement par Adiazine® et Malocide® est poursuivi à dose réduite jusqu’à normalisation de l’état immunitaire.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
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CAS N° 17 Une réfraction très changeante
Monsieur H., 19 ans, se présente à votre consultation car il se plaint de ne plus très bien voir avec les lunettes que vous lui avez prescrites l’an dernier. Il décrit une sensation de brouillard visuel prédominant à l’œil droit et particulièrement ressenti en vision de loin. Il est très gêné par la lumière du soleil et ses yeux sont larmoyants. Il vous précise que la conduite automobile est difficile car sa vision est floue et déformée. La correction optique retrouvée au frontofocomètre (verres prescrits il y a un an) retrouve : – OD : -3,50 (-1,75) 10° ; – OG : -2,00 (-0,75) 180°. En revanche, les données de l’autoréfractomètre sont différentes et objectivent : – OD : -4,75 (-3,25) 10° ; – OG : -3,25 (-2,25) 180°. La meilleure acuité visuelle avec cette nouvelle correction est chiffrée : – OD : 4/10 P2 avec -4,50 (-3,00) 10° ; – OG : 8/10 P2 avec -3,00 (-2,00) 180°. Le tonus oculaire et normal (OD : 15 mmHg ; OG : 13 mmHg).
Que vous évoque ce tableau clinique ? Ce tableau clinique évoque un kératocône évolutif puisqu’il s’agit d’un adulte jeune qui vient consulter en raison d’un brouillard visuel associé à une déformation des images et à une baisse d’acuité visuelle. Ces symptômes sont particulièrement ressentis en vision de loin et s’associent à une photophobie, un éblouissement et une irritation oculaire (larmoiement). L’aggravation de l’astigmatisme et de la myopie de monsieur H. est en faveur d’un kératocône évolutif.
Le kératocône est une maladie non inflammatoire caractérisée par un amincissement et un bombement de la cornée qui concerne 0,05 % de la population mais jusqu’à 6 % des patients demandeurs de chirurgie réfractive. Presque toujours bilatéral mais asymétrique, il entraîne une diminution de l’acuité visuelle du fait de l’importance de l’astigmatisme irrégulier et de la fréquente survenue d’opacités cornéennes.
Quels antécédents et facteurs généraux recherchez-vous à l’interrogatoire ? La pathogénie du kératocône reste mystérieuse ; toutefois, certaines associations paraissent indiscutables. Les facteurs de risque génétiques, généraux et environnementaux cités ci-après doivent être recherchés lors de l’interrogatoire.
• Antécédents familiaux de kératocône : le kératocône est le plus souvent sporadique mais l’origine familiale peut être évoquée dans au moins 10 % des cas. La plupart des travaux font état d’une transmission autosomique dominante avec une pénétrance 55
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
incomplète et/ou une exhaustivité variable. Un mode de transmission autosomique récessif ainsi que quelques cas liés au chromosome X ont aussi été décrits. Même si aucun gène spécifique n’a été à ce jour identifié, le fait que plusieurs membres d’une même famille puissent être atteints et que la maladie se développe presque systématiquement dans les deux yeux appuie la thèse d’une implication génétique. Des recherches sont actuellement en cours pour identifier le ou les éventuels gènes impliqués.
• Terrain atopique : de nombreux patients souffrant de kératocône ont une prédisposition aux allergies et développent une conjonctivite allergique, un eczéma, un asthme ou une rhinite printanière. Des manifestations atopiques sont retrouvées chez 35 % des sujets porteurs de kératocône alors que la fréquence en est seulement de 10 % dans la population générale.
• Facteurs traumatiques : des antécédents de frottement oculaire sont fréquemment retrouvés chez les sujets atteints de kératocône. Cette notion est étroitement liée à la conjonctivite printanière, à la trisomie 21 et au terrain atopique. • Maladies du tissu conjonctif : le kératocône serait plus fréquemment rencontré au cours de certaines maladies du tissu conjonctif – prolapsus de la valve mitrale, hyperlaxité ligamentaire, syndrome d’Ehlers-Danlos, maladie de Marfan, pseudoxanthome élastique, ostéogenèse imparfaite, dystocie craniofaciale de Crouzon, syndrome oculodigital et syndrome d’Apert. • Maladies génétiques : 5 à 6 % des sujets trisomiques présentent un kératocône. D’autres coexistences ont été relevées avec l’amaurose congénitale de Leber, le syndrome de Turner ou le syndrome d’hypopigmentation généralisée.b
Quels signes cliniques allez-vous rechercher pour confirmer votre diagnostic ? L’examen clinique va s’attacher à mettre en évidence les trois altérations caractéristiques de la maladie : − l’astigmatisme cornéen irrégulier et évolutif ; − la protrusion excentrique de la cornée ; − la présence d’opacités cornéennes au sommet du cône. Il est difficile de diagnostiquer précocement un kératocône. En effet, les modifications visuelles sont peu importantes au début de la maladie et s’apparentent à des troubles classiques de la vision (astigmatisme et myopie). L’examen ophtalmologique met d’abord en évidence une baisse d’acuité visuelle prédominante en vision de loin (myopie) associée à une déformation des images (astigmatisme irrégulier). Les personnes atteintes de kératocône ont besoin de consulter souvent leur ophtalmologiste parce que leurs lunettes deviennent vite inadaptées. L’examen à la lampe à fente est le plus souvent normal au stade précoce de la maladie mais il faut confirmer le diagnostic par une carte topographique de la cornée. Dans les cas de kératocônes modérés à graves, l’examen biomicroscopique confirme la saillie conique qui déforme la fente lumineuse. Il objective l’amincissement cornéen maximal au sommet du cône avec une inclinaison du faisceau à 30°. On peut également retrouver un anneau de Fleischer 56
de coloration brune, situé à la base du cône et dû à un dépôt de ferritine à l’intérieur de l’épithélium cornéen. Il est plus facilement observable en lumière bleue et lorsque la pupille est dilatée. Des structures fibrillaires sous-épithéliales peuvent être visibles sous forme de faisceaux concentriques situés à la partie interne de l’anneau de Fleischer. Dans les kératocônes avancés, les nerfs cornéens sont anormalement visibles chez les patients jeunes. On peut également observer les stries de Vogt qui sont des lignes de contrainte, fines, alignées le long du méridien de plus grande courbure et profondément situées dans le stroma cornéen postérieur. Néanmoins, l’examen biomicroscopique est surtout riche d’enseignements dans l’analyse des opacités cornéennes. Les lignes cicatricielles superficielles intéressent le stroma antérieur du sommet du cône et ont un aspect réticulaire par ruptures de la couche de Bowman comblées par du tissu cicatriciel. Les cicatrices profondes sont quant à elles visibles au sommet du cône et font partie intégrante de la maladie. À un stade très avancé, une simple « inspection » peut permettre de soupçonner le diagnostic de kératocône. En effet, la protrusion cornéenne peut provoquer une angulation de la paupière inférieure lorsque le patient regarde vers le bas : c’est le signe de Munson-Rizzuti.
CAS n° 17
Quels examens complémentaires allez-vous réaliser pour confirmer votre diagnostic ?
Les examens ophtalmologiques décrits ci-après seront réalisés.
• Pachymétrie cornéenne : elle consiste à mesurer l’épaisseur de la cornée et met en évidence l’amincissement global de cette dernière. Le point d’amincissement le plus important n’est pas obligatoirement au centre de la cornée, mais généralement déporté à la pointe du cône (le plus souvent en nasal inférieur). • Topographie cornéenne spéculaire « réflective » : c’est un examen qui permet de relever les rayons de courbure à différents endroits de la cornée. Elle analyse la forme précise de la face antérieure de la cornée et permet d’identifier avec précision la position et l’importance de l’ectasie cornéenne qui est le plus souvent située dans sa partie inférieure. • Topographie cornéenne d’élévation : elle est capable de donner une image topographique des deux faces (antérieure et postérieure) de la cornée. Une carte différentielle donne ainsi le relevé de l’épaisseur de la cornée en tout point (pachymétrie). Des indices prédictifs du risque de présenter une topographie évocatrice d’un kératocône fruste ont
été développés et permettent à présent un dépistage précoce. Ils reposent sur plusieurs paramètres comme l’épaisseur minimale de la cornée centrale, l’étude de sa régularité, l’amplitude de sa cambrure (kératométrie), ou sa symétrie par rapport à l’axe horizontal ou à l’œil controlatéral. Les critères les plus connus sont ceux de Rabinowitz, Tanabe et Roush.
• Analyse de la viscoélasticité par l’ORA : l’ORA (ocular response analyser) est un appareil qui permet de mesurer la viscoélasticité de la cornée (hystérésis) qui, en cas de kératocône, est abaissée. Il présente un intérêt pour le dépistage des formes infracliniques avant la chirurgie réfractive comme le Lasik. • Aberrométrie : elle consiste à mesurer, à l’aide d’un « aberromètre », la qualité optique du système visuel. Celui-ci mesure la déformation d’un front d’onde parfait (faisceau laser) projeté dans l’œil. Le faisceau se réfléchit au fond de l’œil et est analysé une fois ressorti. Cet appareil est utile pour évaluer la qualité de vision et comprendre les symptômes du patient. Il permet notamment de mesurer les aberrations optiques de haut degré que l’on retrouve fréquemment dans les kératocônes et qui ne sont pas corrigées par les lunettes.
Quelle est l’évolution classique de cette maladie ?
Classiquement, la maladie débute à la puberté. Sa progression est maximale entre 10 et 20 ans, ralentie entre 20 et 30 ans et rare après 30 ans. Cependant, cette évolution est imprévisible : le kératocône peut
rester stationnaire, évoluer rapidement sur 3 à 5 ans et s’arrêter ou, au contraire, progresser régulièrement pendant une longue période.
Quelles sont les complications possibles de cette maladie ?
Les complications possibles du kératocône sont l’ulcération de la cornée, le kératocône aigu ou hydrops et la perforation de la cornée.
• L’ulcération de la cornée se produit le plus souvent spontanément après un certain temps d’évolution mais elle est largement favorisée par le port de
lentilles de contact. Le patient se plaint de douleurs et de photophobie. L’épithélium est abrasé au sommet du cône et, en l’absence de traitement, un abcès cornéen peut se développer.
• Le kératocône aigu ou hydrops est la traduction d’une rupture aiguë de la membrane de 57
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Descemet qui provoque un œdème épithélial et stromal brutal, douloureux et l’apparition d’une opacité profonde diffuse à l’origine d’une baisse d’acuité visuelle.
Les différents examens complémentaires confirment que la maladie cornéenne suspectée de monsieur H. est évolutive.
• La perforation de la cornée est quant à elle très rare et nécessite une prise en charge chirurgicale en urgence.
Quelle thérapeutique proposez-vous à monsieur H. ? Cet adulte jeune atteint d’un kératocône évolutif doit bénéficier d’un cross-linking cornéen qui représente à l’heure actuelle le seul traitement efficace pour stopper la progression de la maladie. Ce procédé permet de rigidifier la cornée et a pour objectif clinique de ralentir, voire de stopper la maladie.
Cette technique consiste, après désinfection locale et sous anesthésie topique, en une désépithélialisation cornéenne mécanique, suivie d’une imprégnation du stroma cornéen par de la vitamine B2 (riboflavine) pendant 30 minutes et d’une irradiation par rayonnement UVA de 3 mW/cm2 pendant 30 minutes.
En fonction de la gravité de la maladie, quels sont les autres moyens thérapeutiques que vous connaissez ? Les verres correcteurs constituent le mode de correction initial du kératocône débutant. En cas d’astigmatisme irrégulier plus important, les lentilles de contact rigides sont d’une aide précieuse. Lors d’une intolérance aux lentilles de contact ou d’une correction optique non satisfaisante, une prise en charge chirurgicale peut s’avérer nécessaire. L’implantation d’anneaux intracornéens, réversibles, peut permettre
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une diminution de l’amétropie sphérocylindrique par un aplatissement du sommet du cône. La mise en place d’un implant phaque, sphérique ou torique constitue une alternative thérapeutique mais son indication doit rester prudente. En présence d’opacités cornéennes centrales ou paracentrales, une greffe de cornée est indiquée (kératoplastie lamellaire antérieure profonde).
CAS N° 18 Monsieur M. consulte pour une douleur à type de grain de sable
Monsieur M., 18 ans, vous consulte car il pense avoir une poussière sous la paupière supérieure gauche. Ce patient est chaudronnier et dit l’avoir reçu à son travail, en secouant un chiffon 2 jours auparavant. Il ressent une douleur à type de grain de sable. Il n’a pas d’antécédent particulier, ni d’allergie.
Comment conduisez-vous l’interrogatoire et l’examen clinique ? Il est important de préciser le mécanisme de l’accident qui permet d’évaluer le potentiel pénétrant du corps étranger, dont la nature doit être précisée (bois, métal). Dans le cadre d’un accident du travail, la mesure de l’acuité visuelle est une obligation médicolégale. On précise aussi le statut vaccinal antitétanique. L’examen ophtalmologique bilatéral et comparatif recherche des signes directs ou indirects de la présence d’un corps étranger superficiel ou intraoculaire (Tableau I) : − signes directs : présence du ou des corps étrangers sur la conjonctive, la cornée ou sous la paupière supérieure qui doit systématiquement être retournée en cas de suspicion de corps étranger superficiel (Tableau II) ; − signes indirects de la présence d’un corps étranger superficiel : conjonctivite, kératite par frottement ;
− signes indirects et directs d’une pénétration d’un corps étranger : plaie des paupières, hémorragie/plaie conjonctivale qui peut indiquer une plaie sclérale sous-jacente, recherche d’une atteinte cornéenne par instillation de collyre à la fluorescéine. En cas de plaie cornéenne avec une fuite d’humeur aqueuse, on visualise la fuite qui dilue localement le colorant (signe de Seidel). Au niveau des structures internes de l’œil, on recherchera un trajet avec une hémorragie au niveau de l’iris ou de la chambre antérieure, une effraction de la capsule cristallinienne et une opacification du cristallin. Après dilatation par collyres mydriatiques, on examinera le fond d’œil en recherchant une hémorragie intravitréenne, une hémorragie rétinienne et la présence du corps étranger. Une hypotonie du globe unilatérale (par fuite) doit orienter vers une plaie pénétrante.
Tableau I – Méthode d’examen pour retourner la paupière supérieure en cas de suspicion de corps étranger superficiel. Prévenir le patient et le rassurer sur le caractère non douloureux du geste Utiliser un écouvillon ou un coton-tige Faire regarder le patient vers le bas Tirer les cils délicatement vers le bas Appuyer le bout de l’écouvillon sur la paupière et s’en servir comme appui pour retourner la paupière
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Tableau II – Signes faisant suspecter un corps étranger oculaire superficiel ou profond. Corps étranger superficiel
Corps étranger profond
Mécanisme de faible cinétique
Forte cinétique (disqueuse, coup de marteau)
Conjonctivite, kératite superficielle
Porte d’entrée : hémorragie conjonctivale (plaie sclérale), plaie cornéenne, irienne, critallinienne, hémorragie intravitréenne
Corps étranger visible sur la cornée ou la conjonctive
Corps étranger visible (segment antérieur, vitré, rétine)
Corps étranger présent sous la paupière supérieure
À l’examen, il existe une discrète kératite (atteinte cornéenne) superficielle supérieure et après avoir retourné la paupière on retrouve un petit corps étranger métallique superficiel (Figure 1). On ne note pas de signes infectieux
ni d’abcès cornéen. Le reste de l’examen est strictement normal. Après anesthésie par collyre, on retire ce corps étranger superficiel avec un écouvillon.
Figure 1 – Présence d’un corps étranger métallique qui est détecté sous la paupière supérieure. Celui-ci est retiré après instillation d’une goutte de collyre anesthésique.
Quelle est la suite de votre prise en charge ?
Les soins locaux, d’une durée de 3 à 5 jours, consisteront en un rinçage quotidien de la surface oculaire par sérum physiologique unidose, une pommade cicatrisante (à base de vitamine A) et d’un antibiotique local (type tobramycine trois fois par jour). Le patient est prévenu des signes d’alerte devant l’amener à consulter en urgence (apparition de douleurs, baisse de vision). Une déclaration d’accident du travail est remplie. Un des points essentiels est d’insister sur la prévention de ce type d’accident du travail par l’utilisation systématique de lunettes de protection pour 60
les professions à risques (fraiseur, chaudronnier, métiers du bâtiment). Quatre ans plus tard, monsieur M. vous consulte à nouveau. Il vous raconte qu’il a ces dernières années reçu plusieurs petits éclats métalliques « bénins » dans les yeux (retirés par un de vos collègues). Il n’utilise jamais de lunettes de protection car « elles sont inconfortables ». Il a l’impression d’avoir reçu une nouvelle fois un corps étranger superficiel à l’occasion d’un puissant coup de marteau donné sur une structure métallique ce matin. Il a ressenti une discrète mais vive douleur à l’œil gauche et se plaint de voir comme des mouches volantes dans son champ de vision.
CAS N° 18
Comment conduisez-vous votre examen clinique ? Demandez-vous des examens complémentaires d’imagerie ? L’examen ophtalmologique doit être répété de manière systématique comme lors de la précédente visite. Le mécanisme (coup de marteau) et les symptômes visuels décrits (mouches volantes) doivent faire envisager la présence d’un corps étranger pénétrant avec hémorragie intravitréenne. Dans ce cas (et au moindre doute), on demandera un scanner orbitaire sans injection à la recherche d’un corps étranger intra-oculaire ou intra-orbitaire. Les radiographies standard sont
moins précises et ne détectent pas correctement les corps étrangers non radio-opaques (bois, plastique). L’imagerie par résonance magnétique (IRM) orbitaire est formellement contre-indiquée en cas de suspicion de corps étranger métallique (risque de mobiliser le corps étranger par le champ magnétique intense de cette technique d’imagerie). À l’examen, vous retrouvez aux deux yeux des opacités cornéennes disséminées, visibles à l’œil nu.
Comment les interprétez-vous ? Ces opacités sont des séquelles des corps étrangers cornéens anciens décrits par le patient. La cicatrisation a entraîné des pertes de transparence localisées de l’épithélium et du stroma cornéen (Figure 2). L’acuité visuelle est conservée, la pression intraoculaire à l’air (sans contact) est diminuée, et on constate une plaie latérale de la cornée avec fuite d’humeur aqueuse (signe de Seidel positif) (Figure 3). Cette fuite explique l’hypotonie du globe. On recherche le trajet du corps étranger et l’on note alors une plaie périphérique de l’iris. Après dilatation, il n’existe pas (encore) de cataracte. Au fond d’œil, on visualise une hémorragie intravitréenne et un corps
étranger métallique à proximité du nerf optique (Figure 4). Il n’y a pas de décollement de rétine. Le scanner orbitaire confirme le diagnostic et élimine la présence d’autres corps étrangers (Figure 5). Notons qu’en cas d’hémorragie intravitréenne importante empêchant la visualisation correcte du fond d’œil, c’est le scanner orbitaire qui fera le diagnostic de corps étranger intra-oculaire ou intraorbitaire.
Figure 2 – Opacités cornéennes multiples bilatérales : séquelles de corps étrangers superficiels cornéens répétés.
Figure 3 – Plaie transfixiante cornéenne. Il existe une fuite d’humeur aqueuse qui dilue localement la fluorescéine jaune-vert (flèche blanche).
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Figure 4 – Éclat métallique impacté dans la rétine (flèche blanche) à proximité du nerf optique (flèche noire).
Figure 5 – Scanner orbitaire qui montre la présence du corps étranger radio-opaque au niveau de l’œil gauche.
Quelle est votre prise en charge immédiate ? Existe-t-il une urgence chirurgicale ? Si oui, laquelle ?
Monsieur M. présente un corps étranger intraoculaire de l’œil droit avec une fuite d’humeur aqueuse au niveau de l’œil droit. La porte d’entrée (ouverte et perméable) et le fragment métallique sont des facteurs favorisants d’une infection intra-oculaire gravissime de type endophtalmie. Le risque infectieux est encore plus important en cas de corps étranger végétal. Pour diminuer le risque infectieux, il faut introduire en urgence une antibiothérapie parentérale avec une bonne pénétration intra-oculaire (type céphalosporines de troisième génération et fluoroquinolones) et réaliser la fermeture de la plaie cornéenne en urgence 62
dans un service spécialisé. L’urgence chirurgicale est d’abord la fermeture de la porte d’entrée. Le patient est donc gardé strictement à jeun. Il s’agira ici d’une suture cornéenne au bloc opératoire sous microscope opératoire ophtalmologique. L’ablation du corps étranger par chirurgie vitréorétinienne est un geste techniquement complexe qui sera réalisé secondairement, en semi-urgence (quelques jours au maximum) sous couverture antibiotique. Le pronostic visuel est médiocre, même en cas de prise en charge optimale.
CAS N° 18
Quels sont les risques à long terme de ne pas retirer ou de ne pas diagnostiquer un corps étranger métallique intra-oculaire ? Le risque d’infection, de cataracte traumatique et de décollement de rétine est important. Un corps étranger métallique intra-oculaire peut ne pas être diagnostiqué lors d’un traumatisme, par exemple s’il est de petite taille. Dans de rares cas, il peut ne pas entraîner de complications infectieuses ou mécaniques. Cependant, la dégradation du métal libère dans le globe des produits d’oxydation qui ont une toxicité cellulaire intense, particulièrement au niveau rétinien. L’atteinte est irréversible et peut même survenir
malgré l’ablation précoce du corps étranger. On parle de sidérose oculaire en cas de corps étranger ferrique et de chalcose lorsque l’alliage est à base de cuivre (bronze, laiton). Le délai d’apparition est classiquement de 2 à 12 mois. Il existe alors une baisse de vision irréversible. Le diagnostic est établi par l’histoire de la maladie, la présence ou non d’un corps étranger métallique résiduel (recherché par imagerie au moindre doute), des anomalies du champ visuel et des examens électrophysiologiques.
Bibliographie Akesbi J, Adam R, Rodallec T, Barale PO, Ayello-Scheer S, Labbé A, et al. Corps étrangers intraoculaires (CEIO) du segment postérieur : analyse rétrospective et prise en charge à propos de 57 cas. J Fr Ophtalmol. 2011, 34: 634-40.
Tuil E, De Nicola R, Mann F, et al. Traumatologie. In : Ophtalmologie en urgence. Issy-les-Moulineaux : ElsevierMasson ; 2007. p. 149-76.
63
CAS N° 19 Monsieur S. consulte pour baisse d’acuité visuelle indolore de l’œil droit
Monsieur S., 55 ans, consulte pour baisse d’acuité visuelle rapidement progressive de l’œil droit. Il n’a pas eu d’examen ophtalmologique depuis 6 ans et n’a aucun antécédent général. À l’interrogatoire, il déclare avoir un oncle aveugle mais il ne connaît pas l’étiologie de sa cécité. L’examen clinique montre une acuité visuelle corrigée de 7/10e faible non améliorable à droite et de 10/10e à gauche ; les deux cristallins sont clairs, la pression intra-oculaire (PIO) est de 34 mmHg à droite et de 23 mmHg à gauche. L’examen du fond d’œil révèle une excavation papillaire droite majeure avec un rapport cup/disc à 0,9 – cup désigne le diamètre vertical de l’excavation papillaire et disc le diamètre vertical de la papille optique. Ce rapport cup/disc est à 0,7 à gauche.
Quel diagnostic principal suspectez-vous ?
Un glaucome chronique est suspecté devant la PIO élevée, l’excavation papillaire bilatérale, le caractère
progressif des symptômes et les antécédents de cécité dans la famille, probablement liés à un glaucome.
Quels éléments permettront de mieux définir le type et le stade de pathologie dont est atteint Monsieur S. ?
Il s’agit de l’examen de l’angle iridocornéen ou gonioscopie. Cet élément clinique est un examen contact, indispensable pour déterminer le type de glaucome en cause et adapter sa thérapeutique. On pose au contact de la cornée une lentille permettant de visualiser l’angle iridocornéen (verre à trois miroirs ou verre plus spécifique de type Posner ; Figure 1) après instillation d’une goutte d’anesthésique local. La visualisation des structures de l’angle, de sa pigmentation et de la courbure de l’iris permet de définir s’il s’agit d’un glaucome chronique primitif à angle ouvert (Figure 2), d’un glaucome chronique par fermeture de l’angle ou d’un autre type de glaucome (glaucome à angle ouvert de type pigmentaire, exfoliatif ou glaucome secondaire). Le stade du glaucome est déterminé par le champ visuel automatisé qui renseigne sur la localisation des déficits périmétriques (déficits du champ visuel, 64
Figure 1 – Verres de gonioscopie.
CAS N° 19
ou scotomes) et leur sévérité, même si l’examen de l’excavation papillaire est un bon indicateur du degré d’atteinte glaucomateuse. En cas de localisation typiquement glaucomateuse des déficits périmétriques et d’absence d’atypie de l’examen clinique, aucun autre examen complémentaire que le champ visuel n’est nécessaire pour poser le diagnostic de glaucome chronique, qui demeure un diagnostic clinique. Monsieur S. présente un angle ouvert et un déficit arciforme supérieur et inférieur bilatéral avec atteinte des 10° centraux du champ visuel à droite.
Figure 2 – Aspect d’angle ouvert en gonioscopie.
Quelle est votre attitude thérapeutique ? Monsieur S. est jeune et présente une atteinte clinique très sévère de ses deux nerfs optiques et déjà une baisse d’acuité visuelle du côté droit, ce qui, en l’absence d’autre pathologie oculaire, signe un stade très avancé de glaucome : il faut lui proposer une intervention chirurgicale de type sclérectomie profonde non perforante de préférence, ou une trabéculectomie en deuxième intention. En effet, les glaucomes chroniques détériorent de façon insidieuse le nerf optique, sans douleur ni signe fonctionnel. Le patient méconnaît son déficit de champ visuel jusqu’à un stade très tardif car l’atteinte périmétrique débute le plus souvent en périphérie. Ce n’est qu’en cas de stade très avancé de glaucome que l’acuité visuelle chute, lorsqu’existe déjà une atteinte sévère du champ visuel central. Cette atteinte est irréversible et non améliorable. Les interventions chirurgicales des glaucomes visent à abaisser rapidement et efficacement le niveau de PIO. Le but est d’atteindre un niveau de PIO dit « cible » en deçà duquel la neuropathie optique se stabilise, comme en témoigne l’absence d’évolution de l’atteinte des champs visuels. Ces interventions sont proposées soit en cas d’échec ou d’intolérance des traitements médicaux (collyres) et/ou laser, soit d’emblée en cas d’atteinte sévère du sujet jeune avec mise en jeu du pronostic visuel (risque de cécité), comme c’est le cas de monsieur S. Son acuité visuelle est encore relativement bonne mais son espérance de vie est encore longue, d’où l’importance de stopper rapidement l’évolution de la maladie. Ces interventions se déroulent le plus souvent sous anesthésie locale. Elles nécessitent une bonne compliance du patient car la surveillance postopératoire est primordiale. Le patient n’est pas guéri mais « uniquement » stabilisé, pour une période longue mais non de façon définitive la plupart du temps. Cela
rend compte de la nécessité de poursuivre les contrôles ophtalmologiques réguliers tous les 6 mois environ. Dans le cas de monsieur S., une intervention est à prévoir pour les deux yeux, en commençant par le plus atteint, donc l’œil droit. Il est important de traiter également l’œil gauche avant que n’apparaisse une baisse d’acuité visuelle, c’est-à-dire avant d’atteindre le même stade qu’à droite. L’absence de consultation en 6 ans ne préjuge pas d’une très bonne observance thérapeutique après l’intervention et laisse plutôt supposer un suivi aléatoire sur le long terme. Du fait de son jeune âge, il est primordial d’essayer de préserver une bonne qualité de vie et de ne pas laisser se dégrader son « bon œil » qui est lui aussi déjà atteint sévèrement, en dépit d’une acuité visuelle de 10/10e.
Figure 3 – Bulle de filtration créée par une chirurgie filtrante de glaucome.
65
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Le choix de la sclérectomie est préférable car cette intervention laisse en place le mur interne du canal de Schlemm (contrairement à une trabéculectomie) et permet de décomprimer plus doucement le globe oculaire, en créant une bulle de filtration (Figure 3), avec un moindre taux de complications potentielles qu’une trabéculectomie. Elle peut être proposée ici car l’angle est largement ouvert.
Monsieur S. est opéré de sclérectomie profonde bilatérale. Sa PIO chute à 10 mmHg, il ne prend plus de traitement local et vous finissez par le perdre de vue. Il revient 3 ans plus tard avec une PIO à 20 mmHg à droite et 12 mmHg à gauche.
Que proposez-vous ? Il faut à tout prix abaisser sa PIO de l’œil droit afin que son nerf optique et donc son champ visuel ne soient plus détériorés. On réalise une goniopuncture à droite. Il s’agit d’une intervention permettant de perforer à l’aide d’un laser la membrane trabéculaire résiduelle laissée en place en cas de sclérectomie (Figure 4) et d’abaisser la PIO. Elle peut être proposée même à distance de l’intervention chirurgicale, avec un taux de succès intéressant. Le niveau pressionnel de l’œil gauche semble demeurer satisfaisant. Il est en outre nécessaire de refaire un champ visuel de contrôle afin de vérifier la stabilité des déficits périmétriques. Chez certains patients (20-30 %), on peut être amené à reprendre un traitement local par collyres hypotonisants si le niveau pressionnel postopératoire obtenu ne permet pas de stabiliser le champ visuel.
Monsieur S. est chauffeur de poids lourds et vous rapporte avoir des difficultés dans le cadre de son travail.
Figure 4 – Aspect gonioscopique d’une goniopuncture
Que lui dites-vous ? Un sujet glaucomateux ne peut pas exercer le métier de chauffeur de poids lourds. Un reclassement professionnel est indispensable, rapidement, et vous organisez une consultation auprès de la médecine du travail de son entreprise. Sur le plan personnel, la législation requiert un champ visuel binoculaire pour déterminer, en plus de l’acuité visuelle, l’aptitude à la conduite. Dans les
faits, il s’agit d’un examen très peu pratiqué et non superposable aux champs visuels automatisés qui servent au suivi des glaucomateux. Vous lui interdisez la conduite de nuit (grandes difficultés et baisse de contrastes majorés en cas de faible luminosité) et sur autoroute. La prudence est de mise en cas de conduite en ville.
Quels conseils lui donnez-vous à l’avenir pour lui et son entourage ? Le suivi régulier à vie, aussi bien tensionnel que périmétrique, par un ophtalmologiste, ne doit jamais 66
être interrompu car le glaucome ne guérit jamais : il peut, au mieux, être stabilisé.
CAS N° 19
Un dépistage familial des apparentés au premier degré est nécessaire car il existe de nombreux facteurs héréditaires dans cette pathologie. Le glaucome chronique restant très longtemps asymptomatique,
ce dépistage permet de diagnostiquer et prendre en charge des formes plus précoces de la maladie, qui auront ainsi plus de chance de rester non invalidantes.
Bibliographie Mermoud A, Karlen ME, Schnyder CC, Sickenberg M, Chiou AG, Hédiguer SE, Sanchez E. Nd:Yag goniopuncture after deep sclerectomy with collagen implant. Ophthalmic Surg Lasers. 1999, 30: 120-5. Okeke CN, Friedman DS, Jampel HD, Congdon NG, Levin L, Lai H, Quigley HA. Targeting relatives of patients with primary open angle glaucoma: the help the family glaucoma project. J Glaucoma. 2007, 16: 549-55. Rao KN, Nagireddy S, Chakrabarti S. Complex genetic mechanisms in glaucoma: an overview. Indian J Ophthalmol. 2011, 59(Suppl.): S31-42. Roy S, Mermoud A. Deep sclerectomy. Dev Ophthalmol. 2012, 50: 29-36.
Sawada H, Fukuchi T, Abe H. Evaluation of the relationship between quality of vision and the visual function index in Japanese glaucoma patients. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2011, 249: 1721-7. Sawada H, Fukuchi T, Abe H. Evaluation of the relationship between quality of vision and visual function in Japanese glaucoma patients. Clin Ophthalmol. 2011, 5: 259-67. Tanabe S, Yuki K, Ozeki N, Shiba D, Abe T, Kouyama K, Tsubota K. The association between primary open-angle glaucoma and motor vehicle collisions. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2011, 52: 4177-81.
67
CAS N° 20 Madame C. ne comprend pas pourquoi elle devrait mettre des gouttes dans ses « excellents yeux »
Madame C., 64 ans, consulte pour deuxième avis. Son ophtalmologiste traitant lui a récemment parlé d’atteinte de ses nerfs optiques et d’un risque de cécité, bien qu’elle affirme avoir toujours eu d’« excellents yeux ». Elle n’a pour l’instant commencé aucun traitement malgré la prescription de gouttes par son ophtalmologiste et vous apporte une ordonnance pour réaliser un champ visuel. Aucun membre de sa famille ne présente d’antécédent ophtalmologique particulier (hormis le port de lunettes). Madame C. est, quant à elle, migraineuse. À l’examen ophtalmologique, l’acuité visuelle corrigée de 10/10e Parinaud 2 aux deux yeux, la pression intra-oculaire (PIO) est de 15 mmHg pour l’œil droit et 16 mmHg pour l’œil gauche respectivement. Le fond d’œil retrouve une excavation majeure bilatérale de ses deux nerfs optiques (rapport cup/disc, où cup désigne le diamètre vertical de l’excavation papillaire et disc le diamètre vertical de la papille optique, évalué à 0,9 aux deux yeux). Quels éléments de l’interrogatoire et de l’examen clinique vont vous orienter pour déterminer la cause de cette neuropathie optique bilatérale ? Chez cette patiente sans antécédent personnel général ou ophtalmologique, ayant une atteinte bilatérale des nerfs optiques comme en témoigne un rapport cup/disc élevé mais sans autre anomalie ophtalmologique, l’étiologie la plus probable reste une neuropathie optique glaucomateuse.
a
La neuropathie optique glaucomateuse est un diagnostic différentiel. Il faut envisager les autres étiologies de neuropathies optiques non glaucomateuses : processus expansifs intracrâniens comprimant le nerf optique, intoxications alcoolo-tabagiques, certaines intoxications médicamenteuses, névrites
b
Figure 1 – Aspect clinique du nerf optique. (a) Le nerf optique est très excavé (aspect « creux ») et pâle. Il s’agit d’un nerf optique glaucomateux à un stade très avancé de la pathologie. (b) Le nerf optique présente une pâleur temporale sectorielle et est plus pâle qu’excavé : cette pâleur est anormale et doit faire évoquer un épisode de névrite optique ischémique ou de névrite optique antérieure aiguë.
68
CAS N° 20
optiques ischémiques le plus souvent au cours d’une artérite à cellules géantes et atrophies optiques secondaires à des ischémies aiguës du nerf optique. Il faut privilégier avant tout l’hypothèse de neuropathie optique non glaucomateuse devant un nerf optique plus pâle qu’excavé. La pâleur papillaire évoque une origine vasculaire, ischémique, à
l’atteinte du nerf optique (Figure 1). Le glaucome entraîne une excavation sans pâleur, du moins avant le stade de glaucome agonique avec atrophie optique. La symétrie œil droit/œil gauche devra également être respectée ; si tel n’est pas le cas, une cause non glaucomateuse d’atteinte du nerf optique doit être recherchée.
Quels examens demandez-vous pour éliminer une étiologie non glaucomateuse ? L’IRM cérébrale, non systématique, permet d’éliminer tout processus expansif intracrânien susceptible de comprimer les deux nerfs optiques. Elle est indiquée en cas d’asymétrie entre les deux yeux, d’évolution rapidement progressive des troubles,
de baisse d’acuité visuelle plus importante que ne le laisse supposer l’état des nerfs optiques ou au moindre caractère inhabituel de présentation. Nous évoquerons plus loin l’intérêt du champ visuel.
Quel diagnostic évoquez-vous devant ce tableau ? Celui de glaucome à pression normale (GPN). Toutefois, ce diagnostic reste un diagnostic différentiel devant ce tableau d’atteinte bilatérale du nerf optique avec une PIO normale sans traitement. Il faut éliminer les autres étiologies de neuropathie optique glaucomateuse. Les GPN représentent, selon les études, 30 à 40 % des glaucomes à angle ouvert. Pour confirmer ce diagnostic, il convient de procéder à un interrogatoire précis et à l’examen clinique décrit ci-après. À l’interrogatoire, il est nécessaire de faire préciser l’existence ou non : − d’antécédents familiaux de glaucome ; − d’antécédents ophtalmologiques d’uvéite ou de traumatisme oculaire ; − d’intoxication alcoolo-tabagique ou de prise de médicaments corticoïdes ou neurotoxiques ; − d’antécédents infectieux – syphilis ; − d’antécédents de migraine, de syndrome de Raynaud, d’hypotension artérielle, d’ischémie myocardique silencieuse ou de syndrome d’apnées du sommeil. À l’examen clinique, il faut réaliser : − une gonioscopie : il s’agit d’un examen clinique contact, effectué en consultation, qui va permettre de déterminer le degré d’ouverture ainsi que la pigmentation de l’angle iridocornéen (entre iris et cornée) et, par conséquent, d’éliminer des causes de glaucome dit « secondaire » ou un glaucome chronique par fermeture de l’angle (Figure 2) ;
Grade 4
Grade 3
Grade 2
Grade 1
Grade 0
Figure 2 – Gonioscopie : la classification de Shaffer classe l’angle en quatre degrés d’ouverture selon les structures visibles en gonioscopie. Grade 0 : angle fermé ; aucune structure n’est visible, y compris l’anneau de Schwalbe caché par l’iris. Grade 1 : anneau de Schwalbe visible ; on devine le trabéculum ; fermeture probable. Grade 2 : éperon scléral non visible ; l’iris recouvre en partie le trabéculum ; fermeture possible. Grade 3 : éperon scléral visible ; fermeture impossible. Grade 4 : les structures sont visibles jusqu’à la bande ciliaire ; fermeture impossible.
− une pachymétrie : il s’agit d’un examen permettant de déterminer l’épaisseur centrale de la cornée et d’interpréter les valeurs de PIO mesurées en fonction de cette épaisseur. En effet, une cornée fine ( 580 mm) est un facteur de surestimation de 69
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
la PIO. Cette mesure permet de ne pas méconnaître un authentique glaucome chronique à angle ouvert
chez un patient qui aurait des chiffres normaux de PIO mais des cornées très fines.
Quels sont les diagnostics différentiels à évoquer et éliminer ? Des examens complémentaires sont-ils nécessaires ?
Le glaucome chronique primitif à angle ouvert, principal diagnostic différentiel à évoquer, peut passer inaperçu si l’on n’effectue pas de courbe de PIO des 24 heures ou si on méconnaît une pachymétrie fine « sous-estimant artificiellement » la véritable PIO.
Les autres types de glaucome pouvant être responsables de pics de PIO sont le glaucome intermittent par fermeture de l’angle, les glaucomes secondaires dont le glaucome exfoliatif et le glaucome pigmentaire.
Quels examens demandez-vous ?
• Courbe de PIO sur les 24 heures : celle-ci va permettre de déterminer les valeurs maximales de PIO sur le nycthémère et d’éliminer d’éventuels pics de PIO passés inaperçus lors des précédentes consultations. Il faut, en outre, éliminer le diagnostic de glaucome chronique à angle ouvert, qui est le principal diagnostic différentiel. La PIO augmente la nuit et il peut exister d’importantes fluctuations de PIO au cours du nycthémère chez les sujets sains comme chez les patients glaucomateux, d’où l’intérêt de cette courbe de PIO des 24 heures. • Holter tensionnel des 24 heures : il permet de rechercher des hypotensions artérielles nocturnes susceptibles d’engendrer une hypoperfusion de la tête du nerf optique, facteur d’aggravation des déficits glaucomateux. • En cas de forte asymétrie entre les deux yeux uniquement, on demandera un Doppler artériel des vaisseaux du cou afin de rechercher une sténose carotidienne à l’origine d’un bas débit de la tête du nerf optique pouvant expliquer les déficits du champ visuel.
• Champ visuel (ou périmétrie) automatisé : c’est l’examen de référence qui permet de confirmer le caractère glaucomateux des déficits constatés et d’éliminer des déficits pouvant faire évoquer un trouble neurologique (par exemple, un déficit hémianopsique verticalisé), comme illustré dans la Figure 3. Les déficits périmétriques habituellement retrouvés en cas de GPN sont plus souvent paracentraux, mais peuvent également être arciformes ou des ressauts nasaux. Dans tous les cas, le respect de la ligne médiane horizontale est un critère majeur qui est respecté en cas de glaucome. Le champ visuel est également l’examen de suivi de référence permettant de juger de la stabilité ou de la dégradation du déficit glaucomateux. Par définition, le glaucome est une neuropathie optique évolutive. Si les champs visuels sont parfaitement stables sur un grand nombre d’années (≥ 5 ans), le diagnostic de glaucome doit être remis en cause. De même, il n’existe pas de glaucome sans atteinte du nerf optique, donc du champ visuel.
Quelle va être votre conduite thérapeutique ?
Le traitement a plusieurs objectifs.
• Abaisser la PIO : la mise en place d’un traitement local par collyre hypotonisant a montré son efficacité 70
dans la réduction de la vitesse de dégradation des GPN. La prescription d’un collyre bêtabloquant ou de type analogue des prostaglandines est recommandée en première intention. Son administration
CAS N° 20
a
b
c
d Figure 3 – Déficits du champ visuel. (a) Déficit de type ressaut nasal, typique du glaucome. (b) Déficit de type arciforme ou Bjerrum (ici supérieur), également typique du glaucome. (c) Déficit paracentral, typique du glaucome également, mais évoquant plus des facteurs vasculaires associés ou un glaucome à pression normale. (d) Déficit du champ visuel devant faire évoquer un trouble d’ordre neurologique ; en effet, les déficits du champ visuel glaucomateux respectent la ligne médiane (asymétrie supérieure/inférieure) mais pas l’axe vertical ici indiqué en rouge. Si le déficit est d’allure verticale, il doit remettre en cause le diagnostic de glaucome et faire pratiquer une IRM cérébrale ainsi qu’un champ visuel Goldmann.
71
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
sera quotidienne, à horaire le plus régulier possible. Un traitement et une surveillance seront nécessaires à vie – puisqu’il n’y a pas d’amélioration ni de rémission possible de la maladie glaucomateuse, seule une stabilisation des lésions est envisageable. Un nouveau contrôle de la PIO est nécessaire à 4-6 semaines du début du traitement pour évaluer son efficacité. Si malgré la prescription de collyres (en sachant qu’il est possible d’associer jusqu’à quatre classes thérapeutiques) le champ visuel continue à se dégrader et/ou qu’il existe une menace visuelle (risque de perte du point de fixation), une trabéculorétraction par laser, voire une chirurgie filtrante, peut être proposée. Ces cas concernent environ 20 % des patients atteints de GPN.
• Améliorer la perfusion du nerf optique : en cas de facteur vasculaire associé, ce qui est retrouvé chez environ 30 % des patients atteints de GPN, on veillera à éviter les épisodes d’hypotension artérielle (en concertation avec le cardiologue), à traiter un syndrome de Raynaud ou des apnées du sommeil. • Protéger les cellules ganglionnaires : aucun médicament n’a fait la preuve de son effet neuroprotecteur chez l’homme, mais on suppose que les collyres alpha-2-agonistes seraient neuroprotecteurs. Du ginkgo biloba, du magnésium ou de la citicholine peuvent être prescrits à cet effet.
Quel est le pronostic de cette affection ? Que conseillez-vous à madame C. ? Le diagnostic de GPN est très souvent tardif car difficile ; en effet, la mesure de la seule PIO n’est pas un bon critère diagnostique de glaucome. Ce type de glaucome est généralement peu et lentement évolutif, mais le pronostic visuel est essentiellement lié au stade auquel est posé le diagnostic. Il est indispensable de déterminer la vitesse de dégradation des déficits glaucomateux afin de la réduire au maximum ; pour ce faire, une surveillance
clinique régulière (deux à trois fois par an) est nécessaire pour contrôler la PIO et les champs visuels de la patiente. Cette fréquence sera adaptée par l’ophtalmologiste en fonction de l’évolution. Par ailleurs, un dépistage des membres de la famille (au premier degré) est indispensable puisque des facteurs héréditaires connus existent (5 à 21 % des cas, gènes de l’optineurine, GLC1B et GLC1E).
Bibliographie Anderson DR, Drance SM, Schulzer M. Collaborative Normal-Tension Glaucoma Study Group. Natural history of normal-tension glaucoma.Ophthalmology. 2001, 108: 247-53. Collaborative Normal-Tension Glaucoma Study Group. The effectiveness of intraocular pressure reduction in the treatment of normal-tension glaucoma. Am J Ophthalmol. 1998, 126: 498-505. Demailly P, Cambien F, Plouin PF. Do patients with low tension glaucoma have particular cardiovascular characteristics ? Ophthalmologica. 1984, 188: 65-75. Hayreh SS, Zimmerman MB, Podhajsky P, Alward WL. Nocturnal arterial hypotension and its role in optic nerve head and ocular ischemic disorders. Am J Ophthalmol. 1994, 117: 603-24. Hitchings RA, Wu J, Poinoosawmy D, McNaught A. Surgery for normal tension glaucoma. Br J Ophthalmol. 1995, 79: 402-6. Klein BE, Klein R, Sponsel WE, Franke T, Cantor LB, Martone J, Menage MJ. Prevalence of glaucoma. The Beaver Dam Eye Study. Ophthalmology. 1992, 99: 1499-504.
72
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CAS N° 21 Une vive douleur à l’œil et un flou visuel
Madame V., âgée de 89 ans, est adressée en urgence, par son médecin traitant, dans le service d’ophtalmologie pour douleur et rougeur oculaire gauche depuis 10 jours. Madame V. a une hypertension artérielle traitée et n’a pas d’antécédent oculaire particulier. Lors de l’examen initial, dans le service, l’acuité visuelle de l’œil droit est de 3/10 avec correction et limitée à « voit la main bouger » à l’œil gauche non améliorable. L’examen en biomicroscopie de l’œil droit note une cornée transparente, une profondeur de la chambre antérieure réduite et une cataracte corticonucléaire. La pression intra-oculaire est de 18 mmHg. Le fond d’œil, examiné non dilaté, semble normal. L’œil gauche présente un œdème de cornée, une kératite ponctuée superficielle et une réduction presque totale de la profondeur de la chambre antérieure. La pupille non réactive est en semi-mydriase. Il est noté une cataracte très volumineuse masquant l’examen du fond d’œil. La pression intra-oculaire est mesurée à 60 mmHg. Quels éléments sémiologiques convient-il de retenir ? Cette personne âgée se plaint d’une baisse d’acuité visuelle unilatérale récente qui est douloureuse. L’examen clinique retrouve une rougeur oculaire, un œdème de cornée et une semi-dilatation de la pupille
non réactive à la lumière de l’examinateur. Il existe une cataracte volumineuse effaçant la profondeur de la chambre antérieure. L’iris est collé sur la cornée en périphérie. La pression intra-oculaire est très élevée.
Que vous évoque ce tableau clinique ? Ce tableau clinique est compatible avec une fermeture aiguë de l’angle survenant sur des yeux présentant une fermeture primitive de l’angle dont le facteur de risque le plus reconnu est une chambre antérieure étroite (distance entre la face interne de la cornée et la surface de l’iris). Le développement progressif de la cataracte, qui associe à l’opacification du cristallin une augmentation de son volume, va accentuer la
réduction de la profondeur de la chambre antérieure. Il en résulte une augmentation de contact périphérique de l’iris sur la cornée. Les accolements de l’iris en périphérie sont initialement une simple apposition réversible lors des mouvements de l’iris mais ils peuvent devenir permanents : ce sont alors des synéchies antérieures périphériques irréversibles (Figures 1 et 2).
Comment préciser le diagnostic ?
Le diagnostic est avant tout clinique ! L’examen clinique ophtalmologique permet de faire le diagnostic dans la majorité des cas.
L’interrogatoire soigneux va rechercher des épisodes de baisse de la vision transitoire et d’impression de halos autour des lampes la nuit, 73
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Figure 1 – Image en tomographie optique de l’œil gauche : réduction très importante de la profondeur de la chambre antérieure et obstruction de l’angle.
Figure 2 – Image en tomographie optique du segment antérieur de l’œil droit : fermeture de l’angle.
témoignant de fermetures aiguës spontanément résolutives. L’examen biomicroscopique à la lampe à fente recherche : − un œil rouge et douloureux ; − un œdème de cornée, pupille en semi-mydriase aréactive ;
− un effacement, voire une disparition, de la chambre antérieure ; − une pression intra-oculaire très augmentée. Enfin, l’examen de l’œil controlatéral en gonioscopie statique et dynamique confirmera le plus souvent la fermeture primitive de l’angle.
Quelles mesures thérapeutiques proposer ? Il faut tout d’abord traiter la phase aiguë. Le traitement médicamenteux doit faire diminuer la pression intra-oculaire en associant des substances qui abaissent la sécrétion d’humeur aqueuse, tels que les bêtabloquants, les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (collyre et par voie générale), les alpha-agonistes 74
et les analogues de prostaglandines, et rouvrir l’angle par l’instillation de collyres myotiques. La perfusion lente d’un agent hyperosmotique tel que le mannitol permet par la déshydratation du vitré de lever une partie du bloc pupillaire et réduire la pression intraoculaire.
Cas n° 21
Dès que la cornée sera suffisamment transparente, une iridotomie par laser sera réalisée sur l’œil atteint et secondairement, préventivement, sur l’œil adelphe. Une fois la crise aiguë passée, le traitement de la cause s’impose : la cataracte très volumineuse doit être opérée. L’intervention sera parfois délicate après une crise aiguë car la cornée reste fragile (altération des
cellules endothéliales), la profondeur de la chambre antérieure est réduite et l’iris souvent synéchié sur le cristallin. Le remplacement par un cristallin artificiel rouvre l’angle et permet un rétablissement du flux d’humeur aqueuse sauf si les synéchies antérieures périphériques sont trop étendues, imposant alors une chirurgie du glaucome (chirurgie dite combinée glaucome-cataracte).
Quel pronostic envisager ? Le pronostic est lié à la rapidité de la prise en charge. La levée du blocage pupillaire rapide n’entraîne pas de lésion définitive et péjorative (Figure 3). En revanche, si la crise aiguë, comme dans notre cas clinique, remonte à plusieurs jours, le blocage pupillaire est parfois irréversible, imposant une chirurgie du glaucome et de la cataracte dans des conditions délicates ne permettant pas un résultat fonctionnel et pressionnel satisfaisant.
Le traitement idéal est préventif : sur un œil dont l’angle est fermable, la réalisation d’une iridotomie au laser permet de limiter les risques de fermeture aiguë. Il faudra savoir proposer une chirurgie de la cataracte quand l’acuité visuelle diminuera, pour ainsi améliorer l’acuité visuelle et rouvrir l’angle. Diagnostic : fermeture aiguë de l’angle sur glaucome primitif par fermeture de l’angle ou glaucome phakomorphique.
Figure 3 – image postopératoire de l’œil gauche : réouverture de l’angle et de la chambre antérieure.
Bibliographie Becker B, Shaffer RN. Diagnosis and therapy of the glaucomas. St. Louis : CV Mosby ; 1965. p. 177-94. Foster PJ, Buhrmann RR, Quigley HA, Johnson GJ. The definition and classification of glaucoma in prevalence surveys. Br J Ophthalmol. 2002, 86: 238-42. Foster PJ, Nolan WP, Aung T, Machin D, Baasanhu J, Khaw PT, et al. Defining « occludable » angles in population surveys : drainage angle width, peripheral anterior synechiae and glaucomatous optic neuropathy in east Asian People. Br J Ophthalmol. 2004, 88: 486-90.
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CAS N° 22 Complications liées au port de lentilles de contact
Mademoiselle G., 18 ans, porte des lentilles de contact souples journalières hydrophiles depuis 2 mois. En vacances en Italie, elle se plaint de picotements à l’œil droit et consulte sur place. L’ophtalmologiste évoque une conjonctivite pour laquelle il met en route un traitement. Mais le lendemain, du fait de l’apparition d’une douleur intolérable, mademoiselle G. consulte à nouveau cet ophtalmologiste qui décide de la faire rapatrier en France. Lorsqu’elle consulte à Paris, il est retrouvé une baisse d’acuité visuelle importante à l’œil droit dont la vision est limitée à la « perception des mouvements de la main » (voit bouger la main), alors que l’acuité visuelle gauche est chiffrée à 10/10. L’examen du segment antérieur de l’œil droit retrouve des sécrétions purulentes dans les culs-de-sac conjonctivaux. Il est noté la présence d’un chalazion de la paupière supérieure, ainsi qu’une très importante hyperémie conjonctivale diffuse associée à un chémosis. Enfin, il existe un abcès de cornée étendu (mesurant 8 mm de haut sur 9 mm de large) et perforé. Toutefois, cette perforation est bouchée par l’iris venu s’y incarcérer. Devant ce tableau, mademoiselle G. est hospitalisée en urgence et une antibiothérapie locale (ticarcilline, cifloxacine) et par voie générale (ceftazidime et ofloxacine) est débutée. Le lendemain, le chalazion est excisé par voie conjonctivale sous anesthésie locale. Après 48 heures de traitement, une greffe de membrane amniotique humaine est réalisée sous anesthésie générale, de manière à recouvrir la totalité de la surface cornéenne droite et de favoriser sa cicatrisation. Cette greffe de membrane amniotique est laissée en place une quinzaine de jours, et la patiente est autorisée à quitter l’hôpital après son ablation. L’antibiothérapie locale (associant cifloxacine, gentamycine et acide fusidique) et générale (lévofloxacine) est conservée pendant encore 15 jours. La fonction visuelle de cet œil droit est très altérée du fait de l’étendue de la taie de cornéenne. Quatre mois après l’épisode initial, il persiste une synéchie antérieure iridocornéenne, la perforation de cornée ayant été bouchée par l’iris. Celle-ci s’est compliquée d’une néovascularisation cornéenne. C’est pourquoi il est décidé de pratiquer à une kératoplastie transfixiante. Compte tenu des risques infectieux et de rejet de greffe, le traitement postopératoire associe un traitement antibiotique et corticoïde topique (tobramycine en collyre, oxytétracycline et dexaméthasone en pommade), un collyre mouillant (carmellose) et de la ciclosporine 2 % collyre. Ce traitement longtemps poursuivi permet de préserver la transparence du greffon et d’améliorer la fonction visuelle. Cependant, la corticothérapie au long cours a été responsable de la survenue d’une poussée d’hypertonie oculaire à 48 mmHg. Cet épisode d’hypertension oculaire a imposé la réalisation d’une trabéculectomie externe et de maintenir un traitement hypotonisant postopératoire (dorzolamide/timolol). La corticothérapie a été réduite (rimexolone) en conservant le traitement antirejet par ciclosporine 2 % collyre. Les sutures sont retirées après plusieurs mois pour éviter les phénomènes de rejet. Un an près l’épisode initial, l’acuité visuelle est chiffrée à 3/10 après correction par lunette d’un astigmatisme cornéen modéré associé à la myopie initiale [réfraction de – 8 (+ 2,50) 150°] du fait de la kératoplastie. Un équipement par lentille étant souhaité par la patiente, il a été opté pour des lentilles rigides perméables au gaz (LRPG). Celles-ci corrigeant mieux l’astigmatisme, l’acuité visuelle est remontée à 10/10. Lors du dernier contrôle, la tolérance aux LRPG était excellente, le greffon était clair et non vascularisé, l’acuité visuelle était stable, et la jeune patiente a retrouvé le sourire. 76
Cas n° 22
Que vous évoque ce tableau clinique ?
L’existence d’une hyperhémie conjonctivale associée à des douleurs, un larmoiement et une photophobie oriente vers une atteinte cornéenne. La présence d’une inflammation palpébrale, d’un chémosis et surtout de sécrétions purulentes fait suspecter une étiologie infectieuse. Enfin, dans le cas présent, l’intensité des signes cliniques, notamment de l’hyperhémie conjonctivale et des douleurs, ainsi que l’existence d’une baisse d’acuité visuelle laissent
présumer d’une complication grave, ce qu’a confirmé l’examen au biomicroscope. Les porteurs de lentilles souples sont volontiers exposés à ce risque infectieux. C’est dire l’importance de leur éducation, notamment au moment de la prescription et de la délivrance des lentilles. Il est notamment important de mettre en garde ces porteurs contre les conduites à risque sur lesquelles nous reviendrons. Il semble qu’une telle information n’ait pas été donnée ou de manière insuffisante…
Rappel des règles d’hygiène et d’entretien des lentilles Un bon entretien des lentilles réduit de 90 % le risque d’infections bactériennes. Certains conseils de base doivent être connus des prescripteurs mais aussi de tous les professionnels de santé ayant à s’occuper de patients porteurs de lentilles. • Toujours se laver les mains avant de manipuler ses lentilles. • Respecter les conseils adaptés au type de lentilles prescrites, qu’il s’agisse de LSH ou de LRPG. • Masser les lentilles environ 10 secondes tous les soirs et les rincer au sérum physiologique avant de les placer dans l’étui de conservation. • Déposer les lentilles dans leur étui après avoir renouvelé quotidiennement la solution de nettoyage. • Changer régulièrement les étuis, à chaque ouverture d’un nouveau flacon de solution de nettoyage. • N’utiliser que des solutions conseillées par l’ophtalmologiste adaptateur et le fabricant de lentilles. • Ne jamais utiliser l’eau du robinet au contact des lentilles. • La surveillance est absolument nécessaire et fait partie intégrante de l’adaptation. • Ne pas négliger les rendez-vous de contrôle et prendre conseil auprès de l’ophtalmologiste en cas de besoin.
Quelle doit être la conduite à tenir ?
L’interrogatoire est un temps très important. Il doit préciser d’une part les antécédents de la patiente et réalise une anamnèse exhaustive recherchant les causes de contamination de la lentille. Ces éléments s’avèrent être précieux pour la prise en charge en permettant d’avoir une idée sur le type de germe en cause. Il est souvent noté une absence d’éducation ou une éducation inadaptée des porteurs de lentilles, ce qui est regrettable. Ceux-ci sont alors obligés de se débrouiller seuls pour l’utilisation et surtout l’entretien de leurs lentilles. Il faut rechercher notamment un temps de port excessif, supérieur à 10 heures, qui semble favoriser la survenue de complications. Cependant, l’interrogatoire retrouve souvent l’utilisation des lentilles dans des conditions difficiles (en déplacement ou en vacances dans des lieux ne
permettant pas de disposer d’une hygiène parfaite) et/ou le port de lentilles souples dans des situations à haut risque (baignade, voyage en avion, etc.). L’aspect du segment antérieur oculaire lors de l’examen au biomicroscope peut également orienter sur la nature de l’agent pathogène : bactérien associé à des sécrétions abondantes, mycosique responsable de dépôts blanchâtres dans la cornée, parasitaire et notamment amibien. L’étendue des lésions et la rapidité de l’évolution renseignent sur l’agressivité de l’agent pathogène. Ces premiers éléments sont indispensables pour guider le traitement à instaurer immédiatement et qui sera adapté en fonction de l’agent pathogène isolé et de sa sensibilité. C’est pourquoi il est essentiel de pouvoir identifier et isoler la souche de l’agent pathogène. Au mieux, celui-ci doit être recherché sur la lentille elle-même 77
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
soit par un examen direct, soit après sa mise en culture, si elle n’a pas été jetée. Il faut y associer des prélèvements locaux (frottis conjonctivaux, grattage
cornéen, etc.) à réaliser avant tout traitement. L’identification de l’agent pathogène permet de guider au mieux le traitement ultérieur.
Quel traitement proposer ? Dans un tel contexte, la mise en route du traitement constitue une urgence. Il comporte une antibiothérapie simple administrée par voie topique s’il n’y a qu’une atteinte cornéenne superficielle. Dès lors qu’il existe une infection propagée au stroma cornéen ou, a fortiori, lorsque l’atteinte infectieuse entraîne une réaction inflammatoire ou infectieuse en chambre antérieure, il faut avoir recours à des collyres dits « renforcés » et à une antibiothérapie par voie générale. Ces collyres dits renforcés sont fabriqués à partir d’antibiotiques ou d’antifongiques injectables. La cicatrisation de la cornée peut être favorisée par l’utilisation de collyres mouillants. Généralement, des ulcères peu profonds ou non compliqués peuvent se combler spontanément en plusieurs semaines. De simples contrôles réguliers sont alors nécessaires. En revanche, lorsque les ulcères cornéens sont plus
profonds, à la limite de la perforation, une greffe de membrane amniotique permet d’obtenir son comblement en évitant qu’il ne s’aggrave ou ne se complique. Cependant, les vastes perforations ne peuvent cicatriser seules et nécessitent généralement la réalisation d’une greffe « bouchon » de pleine épaisseur à l’aide de tissu cornéen sec. Ces greffes « bouchons » permettent d’assurer l’étanchéité du globe et d’éviter des complications infectieuses, mais pas de rétablir la transparence cornéenne et dont une fonction visuelle. Il faut envisager une kératoplastie transfixiante dans un second temps, à distance de l’épisode aigu. Celle-ci s’impose également lorsqu’il persiste un néphélion secondaire à l’ulcération. Dans le cas de mademoiselle G., il existait déjà une perforation, mais celle-ci était obstruée par du tissu irien, permettant de ne pas réaliser la greffe cornéenne « à chaud ».
Rappel concernant les différents types de lentilles Il existe deux grands types de lentilles : les lentilles souples hydrophiles (LSH) et les lentilles rigides perméables aux gaz (LRPG). Les LSH sont de loin les lentilles les plus répandues. Elles présentent l’avantage d’être plus simples à adapter pour le praticien et beaucoup plus confortables pour le porteur que les LRPG. En effet, du fait de leur diamètre supérieur à celui de la cornée, elles s’appuient nettement sur la conjonctive qui possède moins de terminaisons sensitives que l’épithélium cornéen. De plus, ce grand diamètre diminue la gêne palpébrale. Compte tenu des progrès réalisés au niveau des matériaux, leur tolérance au long cours devient meilleure, les phénomènes allergiques sont moins fréquents et l’incidence de la néovascularisation limbique est réduite malgré des temps de port plus longs mais plus adaptés au rythme de vie moderne. En effet, les matériaux utilisés ont longtemps été des copolymères d’HEMA associés à d’autres composants, conférant à ces LSH une teneur en eau comprise entre 24 et 74 %. Un nouveau matériau, le silico-hydrogel, permet une meilleure transmission de l’oxygène et réduit les risques d’hypoxie cornéenne. Ce silico-hydrogel était censé diminuer la fréquence des complications infectieuses. Cependant, leur incidence est identique actuellement à celle observée précédemment avec les matériaux plus anciens. La vaste gamme de profils, géométries et types de lentilles couvre presque tous les problèmes de réfraction rencontrés, hormis certaines pathologies telles que le kératocône évolué. Il existe une grande diversité dans la « durée de vie » des lentilles : lentilles journalières, bihebdomadaires, mensuelles, trimestrielles, semestrielles ou enfin traditionnelles, devant être changées tous les ans. Si en règle les LSH peuvent être portées entre 8 à 10 heures par jour, avec des variations suivant le matériau, certaines sont compatibles avec un port permanent, la lentille ne devant être retirée (et éventuellement jetée) que toutes les semaines. Le choix de ces différents types de lentilles et de port dépend de la fréquence de l’utilisation envisagée. Toutefois, quelle que soit la formule choisie, une hygiène parfaite et rigoureuse s’impose. Il en va de même pour les lentilles jetables journalières. Le manque de vigilance et d’hygiène, ainsi que la banalisation de l’usage des LSH, constituent la porte ouverte aux différentes complications, notamment infectieuses.
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Cas n° 22
La prudence s’impose donc du côté du prescripteur, du distributeur et du porteur. Une bonne éducation est fondamentale et un climat de confiance doit s’installer entre tous ces acteurs. Les LRPG sont moins confortables que les LSH lors des phases initiales de port puisqu’elles s’appuient sur l’épithélium cornéen richement innervé. Néanmoins, ces difficultés liées au confort se sont bien améliorées grâce aux progrès des géométries de lentilles et à l’utilisation de nouveau matériaux. De fait, après une période d’accoutumance, le port et l’utilisation des LRPG apparaissent moins contraignants, et les règles de sécurité mieux respectées. Il est rare d’être confronté à un patient ne pouvant pas tolérer ces lentilles ou d’avoir un échec d’adaptation, ces difficultés pouvant être surmontées avec un peu de patience et de motivation. Enfin, l’adaptation de ce type de lentilles s’avère plus technique et demande une expérience certaine du prescripteur. Ces LRPG gardent de nombreux avantages. Ce sont des lentilles qui, dans la grande majorité des cas, répondent le mieux aux exigences visuelles et offrent la meilleure préservation de la physiologie cornéenne. Il en résulte une sécurité accrue pour les porteurs de ces lentilles. Elles devraient être les lentilles de première intention. Du point de vue optique, les LRPG offrent la possibilité de corriger toutes les amétropies tout en donnant des résultats visuels optimaux. Les complications et infections sont minimisées compte tenu de la nature hydrophobe des matériaux qui empêche la pénétration et la prolifération bactérienne. Contrairement aux LSH, les LRPG garantissent sur le long terme la préservation du « capital lentille » du porteur, c’est-à-dire le temps pendant lequel le port de lentilles sera agréable et ne posera pas de problème d’allergie ou d’intolérance, facteur non négligeable… Enfin, ces LRPG constituent la seule possibilité de rééquipement en lentilles après guérison d’une complication cornéenne.
Conclusion Les consultations en urgence liées au port de LSH représentent entre 3 et 10 % des urgences ophtalmologiques en milieu hospitalier. Les complications graves représenteraient environ 10 % de ces consultations, particulièrement chez les adolescents et jeunes porteurs (rappelons que le port de lentilles de contact est possible chez l’enfant). Chez ces derniers, le respect des règles d’hygiène laisse à désirer, notamment
avec la démocratisation des lentilles journalières portées sans discernement et diffusées à large échelle, voire via Internet. Il faut espérer qu’à l’avenir l’information de tous les professionnels de santé, grâce à la divulgation de cas cliniques comme celui-ci ou d’articles, conduira à faire baisser le taux des complications graves dues au port inadapté de lentilles de contact.
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CAS N° 23 Alors qu’il voyait bien jusque-là !
L’enfant A., âgé de 3 ans et demi, est adressé par son pédiatre devant la constatation d’une gêne visuelle progressive déjà notée par la famille. Cette gêne visuelle est devenue évidente depuis la scolarisation en petite section de maternelle. Il s’y associe un léger retard des acquisitions lui aussi plus évident depuis l’entrée en maternelle. Enfin, les parents signalent également la présence d’un strabisme convergent depuis un mois. Cet enfant est le premier d’une fratrie de deux. Il n’a aucun antécédent personnel ou familial connu. La grossesse s’était bien déroulée avec une naissance à terme. L’examen ophtalmologique de ce jeune enfant retrouve des signes d’amblyopie de l’œil gauche. Le bilan à la lampe à fente retrouve une opacité cristallinienne centrale bilatérale (Figure 1). En revanche, l’aspect du fond d’œil semble normal. L’examen a été complété par un bilan orthoptique qui confirme la présence d’un strabisme convergent avec déjà une mauvaise alternance. L’œil droit est en effet fixateur et préféré. L’examen ophtalmologique des parents est sans particularité.
ab Figure 1 – Aspect des cristallins de l’œil droit (a) et de l’œil gauche (b) de l’enfant A. après dilatation pupillaire. Il existe une opacité centrale peu dense dans la profondeur du cristallin. Ces opacités peuvent ne pas être vues en l’absence de mydriase.
Que faut-il évoquer devant une telle opacification centrale du cristallin ?
Cet aspect est celui d’une cataracte congénitale de type nucléaire. Cette forme de cataracte est peu dense à la naissance, n’entraîne aucune gêne et n’est pas 80
détectée car l’œil est strictement normal. L’évolution se fait vers une densification de l’opacité centrale cristallinienne aboutissant à une altération visuelle à
CAS N° 23
l’âge auquel l’enfant entre en maternelle ou à l’école primaire. Cette densification du noyau adulte est difficile à détecter en l’absence de dilatation pupillaire. La gêne visuelle peut rester longtemps méconnue en cas
d’atteinte unilatérale ou asymétrique, et ne devient évidente qu’en cas d’atteinte bilatérale. De plus, un reflet anormal est parfois noté par les parents sous certains angles.
Quelles sont les différentes formes de cataracte congénitale ?
Les cataractes congénitales peuvent prendre plusieurs aspects bien différents cliniquement. Il faut d’une part séparer les cataractes congénitales isolées des formes dites syndromiques. Dans ce dernier groupe, la cataracte est l’un des symptômes d’un ensemble de manifestations qui soit restent purement ophtalmologiques, soit atteignent différents organes. Il est également habituel de distinguer les formes dites partielles des cataractes totales, en sachant qu’une cataracte peut être totale dès la naissance ou constituer le terme évolutif de certaines formes de cataracte partielle. La cataracte nucléaire de l’enfant A. correspond à une forme partielle. Ces formes partielles sont les plus fréquentes. Elles peuvent prendre plusieurs aspects et sont bien différentes des formes totales. Les cataractes embryonnaires se manifestent par une opacification de la suture en Y du noyau embryonnaire du cristallin. Elles n’ont aucun retentissement fonctionnel et sont de découverte fortuite. Les cataractes zonulaires, par opacification du noyau fœtal, donnent des opacités dites « en cavalier » par apposition irrégulière de fibres cataractées au cours de la croissance. Comme les cataractes nucléaires, elles s’aggravent avec le temps. Il en est de même des cataractes sous-capsulaires antérieures. L’anomalie du cristallin se présente sous forme de vacuoles concentriques qui ont tendance à s’étendre avec
le temps et à obstruer l’axe visuel. Les cataractes polaires antérieures sont facilement détectées car elles se manifestent par une leucocorie. Elles n’ont souvent aucun retentissement fonctionnel hormis lorsqu’elles se compliquent de lenticône antérieur, d’un fort astigmatisme ou lorsqu’elles deviennent trop étendues. À l’inverse, les cataractes souscapsulaires postérieures sont responsables d’un syndrome privatif oculaire avec altération sévère de l’acuité visuelle et apparition d’une amblyopie et/ ou d’un strabisme lorsque l’atteinte est unilatérale ou asymétrique. Le diagnostic nécessite un examen ophtalmologique complet avec une dilatation pupillaire pour ne pas passer à côté de cette opacification limitée de la face postérieure du cristallin. Les cataractes coralliformes, évoquées devant la présence de cristaux blanc-gris à disposition géométrique, ont également un important retentissement visuel car elles sont obturantes et vont aboutir à une cataracte totale. Les cataractes totales s’accompagnent d’un syndrome privatif oculaire avec un nystagmus dans les formes bilatérales et précoces ou d’une amblyopie et d’un strabisme dans les formes unilatérales. Elles peuvent être le terme évolutif d’une cataracte partielle. Elles sont généralement dépistées précocement du fait de la leucocorie qui en est un des principaux signes d’appel.
Quelles sont les causes des cataractes congénitales ?
Certaines cataractes congénitales sont d’origine génétique. Le mode de transmission est habituellement autosomique dominant à pénétrance complète. Les autres modes de transmission sont nettement moins fréquents. Des mutations ont été découvertes dans de nombreux gènes codant soit une protéine impliquée dans le développement oculaire, soit une protéine exprimée dans le cristallin. Ces cataractes congénitales « génétiques » sont généralement bilatérales, symétriques et isolées, sans manifestation
générale associée. Il faut en rapprocher certaines anomalies du caryotype : trisomies 8, 13, 18, 21 ou 22. Il est habituel d’évoquer le rôle d’une éventuelle embryofœtopathie dans la survenue de cataractes congénitales. Une telle étiologie peut être évoquée lorsqu’il y a eu contage avec une personne malade ou un épisode infectieux chez la mère au cours des premières semaines de la grossesse. Il faut alors vérifier les sérologies de la mère et de l’enfant pour la toxoplasmose, la rubéole, le cytomégalovirus, 81
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
l’herpès, la varicelle, le virus d’Epstein-Barr et la syphilis. Une origine métabolique au sens systémique peut également être en cause : galactosémie, déficit en
mannosidase, en d1-pyrroline-5-carboxylate synthase ou en glucose-6-phosphate déshydrogénase et hypoparathyroïdie familiale héréditaire. Dans ces cas, l’aspect clinique de la cataracte peut parfois aider au diagnostic.
Quels sont les signes d’appel des cataractes congénitales ?
Il faut tout d’abord rappeler que la cataracte congénitale reste une pathologie rare dont l’incidence est de l’ordre d’un à six nouveaux cas pour 10 000 naissances. Lorsque l’anamnèse ou le contexte familial orientent vers la présence d’une cataracte congénitale, sa mise en évidence est facile lors d’un examen ophtalmologique complet, réalisé au besoin sous anesthésie générale chez un enfant qui ne se laisse pas examiner. En dehors de ce contexte, certaines formes de cataracte congénitale sont parfois difficiles à dépister. Le diagnostic peut être suspecté devant une leucocorie ou une tâche blanche dans la pupille. Il s’agit généralement de cataractes totales ou polaires antérieures. Cependant, la cataracte peut ne donner qu’un reflet anormal ou une ombre dans certaines positions de l’œil, comme dans la forme nucléaire de notre
enfant. Cette anomalie est plus difficile à percevoir et constitue rarement un signe d’appel. Un strabisme constitue un autre grand signe d’appel non spécifique de cataracte. En effet, il est classique de dire que chez l’enfant « un œil qui ne voit pas tourne ». Le strabisme est alors la manifestation d’une basse vision uni- ou bilatérale. Un trouble du comportement visuel signe généralement une atteinte sévère et bilatérale. Chez les enfants les plus jeunes, il peut être noté un signe de l’éventail (l’enfant passant ses doigts écartés devant ses yeux), un signe digito-oculaire de Franceschetti (l’enfant s’appuyant fortement sur ses globes oculaires) ou un nystagmus par privation sensorielle. Chez les enfants plus grands, le trouble du comportement visuel se manifeste par des difficultés à l’école, des chutes, une certaine maladresse, etc. Il faut se souvenir qu’un enfant n’exprime jamais une baisse d’acuité visuelle.
Que faut-il proposer à cet enfant ? Comment améliorer sa vision ?
Une intervention chirurgicale n’est pas indiquée devant toutes les cataractes congénitales. Il est admis qu’en présence d’une cataracte non obturante, il faut d’abord prendre en charge la part fonctionnelle de l’amblyopie qui majore une éventuelle baisse d’acuité visuelle et la gêne induite initialement. C’est pourquoi il est nécessaire d’effectuer dans un premier temps une réfraction sous cycloplégique, au mieux sous atropine (avec un dosage adapté à l’âge de l’enfant : 0,3 % jusqu’à 3 ans, 0,5 % jusqu’à 10 ans, 1 % au-delà), puis de prescrire la correction optique totale. Une rééducation de l’amblyopie doit être tentée avant de poser l’intervention d’un geste chirurgical, qui doit être différé tant que l’évolution de l’acuité visuelle est satisfaisante. Un suivi régulier est assuré en consultation ophtalmologique et avec un orthoptiste. L’enfant A. est revu sous atropine à 0,5 % pour mesurer la réfraction objective et déterminer la correction optique à 82
prescrire. Après correction optique, l’acuité visuelle corrigée est dans les limites de la normale à l’œil droit mais plus faible à l’œil gauche. De fait, elle est chiffrée à 3/10 Rossano 1/3 à l’œil droit et 1/10 Rossano 1/5 non améliorable à l’œil gauche. Une rééducation de l’amblyopie est tentée à l’aide d’une occlusion alternée discontinue portée 4 heures par jour. Ce traitement permet d’obtenir après 4 mois une amélioration de l’acuité visuelle gauche à 3/10 Rossano 1/3 faible. L’enfant est régulièrement suivi en consultation tous les 6 mois. Deux ans plus tard, à 5 ans et demi, son enseignant alerte les parents sur des difficultés à l’acquisition des bases nécessaires à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Le jeune garçon a en effet du mal à suivre les lignes et à repérer certains petits éléments. L’examen retrouve une acuité visuelle à 5/10 faible Rossano 1/5 non améliorable à l’œil droit et 5/10 Rossano 1/4 non améliorable à l’œil gauche. L’examen à la lampe à fente confirme une densification de la cataracte.
CAS N° 23
Ces résultats modifient-ils la prise en charge de cet enfant ? Une telle évolution de l’acuité visuelle devient incompatible avec une scolarité normale et avec une acquisition correcte de la lecture et de l’écriture. C’est du reste l’enseignant qui alerte les parents. Dans ce cas, l’intervention s’impose rapidement pour rétablir une transparence des axes visuels et permettre une bonne récupération visuelle. Avoir pu attendre l’âge de 5 ans facilite, non pas tant le geste chirurgical qui est relativement bien codifié, que le choix des implants qui seront placés pour remplacer les cristallins cataractés. À cet âge, la croissance du globe est à peu près terminée et la puissance de l’implant calculée est la valeur définitive. La pose d’un implant multifocal permet de donner à l’enfant un équivalent d’accommodation sans avoir besoin de verres progressifs ou bifocaux.
Le pronostic visuel est excellent dans un tel cas car le cerveau a eu une expérience visuelle et la cataracte n’a jamais été totalement obturante. La vision s’est développée de manière à peu près normale puisque la rééducation de l’amblyopie avait permis d’obtenir des valeurs d’acuité visuelle dans les limites de la normale pour l’âge. Il n’a donc eu que peu d’amblyopie par privation visuelle. L’intervention chirurgicale s’est déroulée sans complication et les suites ont été simples. Un complément de rééducation de l’amblyopie fonctionnelle (et par privation) a été effectué par occlusion discontinue. À l’âge de 7 ans, l’acuité visuelle de ce jeune garçon est chiffrée à 10/10 Rossano 1/2 à chaque œil sans correction. Il garde un strabisme convergent alternant.
Quelles sont les principales complications qui peuvent survenir après l’ablation du cristallin ? Il faut distinguer les complications postopératoires immédiates de celles pouvant apparaître tardivement. Chez l’enfant, les premières sont principalement de nature inflammatoire. Ces inflammations sont nettement plus importantes que chez l’adulte, mais elles sont généralement bien contrôlées par un traitement local comportant de façon variable, selon les écoles, des collyres corticoïdes associés à un antibiotique, un mydriatique et un anti-inflammatoire non stéroïdien. Ce traitement est diminué progressivement après quelques semaines. À cet âge, une erreur réfractive est exceptionnelle, de même qu’un décentrement de l’implant. Celui-ci peut être favorisé par des réactions inflammatoires
importantes avec rétraction du sac cristallinien dans lequel est placé l’implant. La survenue d’une cataracte secondaire est une complication fréquente. Elle apparaît au cours des 6 premiers mois postopératoires et nécessite soit de réaliser son ablation chirurgicalement soit, à cet âge, de l’ouvrir au laser Yag. Il faut pour la réalisation de ce geste obtenir une bonne coopération de l’enfant, en général possible. Deux complications graves peuvent apparaître tardivement et justifient le suivi au long cours de tout enfant opéré de cataracte congénitale. Il s’agit de la survenue d’un glaucome dont l’origine est souvent génétique, liée au gène PITX2. Enfin, un décollement de rétine à moyen ou long terme peut se produire mais reste toutefois exceptionnel.
Et la suite ? Il est possible de proposer une intervention sur le strabisme de cet enfant puisque celui-ci ne s’est pas corrigé spontanément avec l’intervention de cataracte. Pour réaliser ce geste, il est nécessaire
d’avoir résolu les problèmes organiques et d’avoir une stabilité de la fonction visuelle. C’est pourquoi il s’agit généralement d’une prise en charge plus tardive.
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CAS N° 24 Par quelle pupille ?
Suite à une grossesse sans particularité, l’enfant V. naît après un accouchement sans complication. Il n’y a aucun antécédent ophtalmologique dans sa famille. Rapidement après sa naissance, la maman note un regard bizarre et remarque que Victor a deux pupilles. L’enfant est adressé dans un centre spécialisé pour des explorations complémentaires. Un examen à la lampe à fente est effectué et l’on observe une polycorie et un embryotoxon bilatéraux. La cornée est parfaitement transparente. Un examen sous anesthésie générale est rapidement organisé. Lors de celui-ci, on objective une cornée claire dont le diamètre est de 10 mm. La chambre antérieure est calme. L’iris présente une polycorie bilatérale sous forme d’atrophies iriennes sectorielles. On observe un embryotoxon bilatéral avec, à l’UBM (ultra-biomicroscope), des ponts iridocornéens. La pression intraoculaire est de 3 mmHg des deux côtés. L’examen du fond d’œil est sans particularité, avec des nerfs optiques non excavés et de taille normale. La macula est bien développée. Le diagnostic d’anomalie de Rieger est posé. Des bilans pédiatrique et cardiaque sont demandés et s’avèrent normaux.
Que sont les dysgénésies du segment antérieur ? Il existe de nombreuses malformations du segment antérieur. Elles représentent une suite de malformations de gravité croissante et qui peuvent se combiner entre elles. Elles sont souvent associées
à un glaucome. Leur transmission se fait sur un mode autosomique dominant. Elles peuvent aussi être associées à des malformations générales.
Quelles dysgénésies du segment antérieur peut-on rencontrer ? Un premier groupe de dysgénésies du segment antérieur est lié à un trouble de migration des cellules de la crête neurale. La forme la plus simple est l’embryotoxon postérieur (10 % de la population générale). Il s’agit d’un épaississement de la ligne de Schwalbe. On observe une ligne blanc-gris rétrocornéenne qui peut être annulaire ou partielle. Bien que souvent isolée, elle peut se compliquer de glaucome et impose de surveiller la pression intra-oculaire annuellement. La forme suivante, par ordre croissant de gravité, est l’anomalie d’Axenfeld. Il s’agit d’un embryotoxon postérieur associé à des adhérences iridocornéennes (Figure 1). On observe un glaucome chez 50 % des 84
patients (apparaissant très souvent dans l’enfance ou l’adolescence). L’anomalie de Rieger correspond à une anomalie d’Axenfeld à laquelle s’ajoutent des malformations pupillaires avec des atrophies iriennes sectorielles pouvant conduire à une polycorie (Figure 2). Là encore, on observe très fréquemment un glaucome (50 % des cas), mais qui apparaît souvent dès la naissance. L’association de malformations dentaires, osseuses, faciales et/ou cardiaques est appelée syndrome de Rieger. La sclérocornée est une dysgénésie majeure du segment antérieur (Figure 3). Cette malformation est très souvent bilatérale. On observe une cornée blanche, de petit diamètre et vascularisée. Cette
CAS N° 24
Figure 3 – Sclérocornée congénitale.
Figure 1 – Embryotoxon dans le cadre d’une anomalie d’Axenfeld.
Figure 4 – Anomalie de Peters.
Figure 2 – Anomalie de Rieger avec des atrophies iriennes et pseudo-polycorie.
perte de transparence est due à l’absence de l’endothélium cornéen et de la membrane de Descemet. Elle est également due à la désorganisation des fibres de collagène de la cornée. Un bilan UBM est indispensable pour exclure des malformations iriennes et/ou cristalliniennes. Dans l’anomalie de Peters (Figure 4), il existe souvent une opacité cornéenne moins importante que dans la sclérocornée. Celle-ci montre des adhérences iridocornéennes partant du bord de la pupille pour s’insérer à la face postérieure de la cornée. On peut aussi observer des adhérences cristallinocornéennes. L’anomalie de Von Hippel termine l’évolution dans la gravité des malformations. En plus de l’absence d’endothélium, le stroma est plus ou moins absent. On peut aussi observer un enchâssement du cristallin dans l’anomalie cornéenne auquel il peut
être fortement adhérent. Cette malformation induit une fragilité oculaire extrême qui se complique de perforation au moindre choc. En cas d’association avec des malformations extra-oculaires, on parle de syndrome de Meckel. L’anomalie de Von Hippel est souvent unilatérale, mais associée à une autre malformation moins sévère de l’œil adlephe (embryotoxon, anomalie d’Axenfeld, etc.). Il est très important d’examiner les autres membres de la famille d’un patient atteint de ce type de dysgénésie, ces pathologies étant de transmission autosomique dominante. L’expression du gène peut être variable et il n’est pas rare de retrouver une forme légère de ces malformations. Deux autres dysgénésies du segment antérieur, dont les mécanismes physiopathogéniques sont différents, doivent être distinguées. La mégalocornée congénitale se traduit par une augmentation de la taille du segment antérieur et en particulier du diamètre cornéen. Celui-ci peut atteindre 15 à 16 mm. Contrairement au glaucome congénital, la cornée reste transparente et il n’est pas noté de strie de Haab (vergeture de la membrane de Descemet due à l’augmentation trop brutale de la taille de la cornée). La fonction visuelle est conservée. Il existe malgré tout un risque de survenue de glaucome tout au long de la vie et de complications cristalliniennes (ectopie ou cataracte précoce). L’aniridie est une anomalie plus complexe touchant toutes les structures de l’œil. Toutes les malformations de ce syndrome sont plus ou moins 85
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
marquées. Il existe dès la naissance une photophobie intense, souvent associée à un nystagmus. On note une insuffisance limbique caractérisée par un manque de cellules souches pouvant conduire à des opacités et à des ulcères cornéens. Une cataracte congénitale n’est pas rare. Elle n’a souvent que peu d’incidence sur le pronostic visuel qui est grevé par l’aplasie de la macula. C’est ce défaut rétinien quasi constant qui induit une baisse très importante de l’acuité visuelle et le nystagmus. Cinquante à soixante-quinze pour cent des patients pourront être atteints de glaucome, soit congénital, soit plus tardif. L’aniridie est une affection génétique qui peut suivre
deux mécanismes : soit par mutation isolée du gène PAX-6 situé sur le chromosome 11, soit par délétion chromosomique en 11p13. Cette délétion chromosomique peut concerner plusieurs gènes dans le cadre d’un syndrome des gènes contigus et être responsables d’un syndrome WAGR (Wilms, Aniridia, Genitourinary anomalies, mental Retardation). Il est donc indispensable de rechercher cette malformation chromosomique chez tout nouveau-né présentant une aniridie par un FISH (fluorescent in situ hybridisation). L’existence d’un syndrome WAGR impose de dépister un néphroblastome ou un gonadoblastome par des échographies abdominales régulières.
Quels sont les signes de glaucome congénital ? Les premiers signes d’appel sont le larmoiement clair, la photophobie et le blépharospasme. Très rapidement, on observe une augmentation du diamètre de la cornée et une opacification de cette dernière. L’opacification cornéenne est due à des ruptures de la membrane de Descemet (stries de Haab) qui permet un afflux d’humeur aqueuse dans le stroma cornéen. Il est à noter que les stries de Haab sont horizontales, contrairement aux lésions cornéennes observées lors de délivrance
avec des forceps mal placés (les ruptures descémétiques sont alors plutôt verticales). On appelle buphtalmie l’augmentation du diamètre cornéen, l’approfondissement de la chambre antérieure et la cornée opacifiée. En cas de doute de glaucome congénital, le patient doit être transféré en urgence dans un centre spécialisé pour une prise en charge adaptée. Si un traitement n’est pas entrepris rapidement, l’opacification cornéenne devient irréversible.
Quelles anomalies extra-oculaires peut-on observer ? Le syndrome d’Axenfeld-Rieger associe une anomalie de Rieger à des malformations dentaires (hypoplasie maxillaire, microdonties, principalement des incisives), faciales (hypertélorisme), osseuses et cardiaques. On observe aussi des hypospadias et des sténoses anales. Des anomalies pituitaires peuvent
prendre différentes formes – déficit isolé en hormone de croissance, selle turcique vide ou kystes arachnoïdiens parasellaires. Dans le syndrome de Meckel, on observe une anomalie de Von Hippel associée à une fente labio-vélo-palatine et une méningoencéphalocèle.
Conclusion Les dysgénésies du segment antérieur sont des malformations potentiellement graves qu’il convient de diagnostiquer rapidement. Un suivi régulier et à vie doit être scrupuleusement organisé compte tenu du risque élevé de développer un glaucome à plus ou moins long terme. Compte tenu du caractère génétique de ces affections, l’examen de la fratrie doit être réalisé 86
et un conseil génétique systématiquement proposé. Les études génétiques ne sont pas indispensables dans une immense majorité des cas. Seul le caryotype par FISH doit être effectué dans les plus brefs délais chez les patients présentant une aniridie du fait du risque de tumeur mortelle en cas de syndrome WAGR.
CAS N° 24
Bibliographie Dufier JK, Kaplan J. Glaucomes congénitaux primitifs et secondaires dysgénésiques. In : Œil et génétique. Issyles-Moulineaux : Elsevier-Masson ; 2005. p. 159-77.
Idrees F, Vaideanu D, Fraser SG, Sowden JC, Khaw PT. A review of anterior segment dysgeneses. Surv Ophthalmol. 2006, 51: 213-31.
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CAS N° 25 Il ne sourit pas depuis la naissance
Un couple de jeunes parents vient consulter en ophtalmologie sur les conseils de leur pédiatre car leur fils âgé de 2 mois ne répond à aucun stimulus visuel. La mère avait d’ailleurs remarqué qu’il ne sourit pas lorsqu’elle lui donne le biberon et qu’elle n’arrive pas à capter son regard. Mais, s’agissant d’un premier enfant, elle n’est pas certaine que cela soit anormal… La grossesse s’est bien passée. Il n’existe aucun antécédent ophtalmologique dans les familles des parents qui ne sont pas consanguins. Ce nourrisson est né 15 jours avant terme et avait de fait un poids de naissance de 2 750 grammes. Il est en parfaite santé. Son développement est pour l’instant normal en dehors de ce problème visuel. À l’examen ophtalmologique, cet enfant a un comportement d’aveugle. Il ne suit pas les objets des yeux et n’a de réflexe de clignement ni à la menace ni à la lumière. En revanche, l’examen ophtalmologique est strictement normal, notamment la rétine et les papilles, quoique ces dernières semblent grisâtres, métalliques (Figure 1). Le réflexe photomoteur est présent mais lent. Le bilan orthoptique retrouve de plus un discret strabisme divergent et il semble exister un nystagmus horizontal intermittent. Quelle attitude avoir face aux parents ? Cet enfant a un comportement de malvoyant. Toutefois, un diagnostic de cécité ou de profonde malvoyance chez un bébé de quelques semaines ne doit être porté qu’après avoir obtenu une confirmation clinique et électrophysiologique, même s’il paraît évident. En effet, l’annonce d’un tel diagnostic est toujours la cause d’un profond traumatisme quand cette éventualité n’était pas attendue du fait d’un accident de grossesse ou d’antécédents familiaux. De plus, il est difficile de prévoir l’acuité visuelle définitive de cet enfant, qui dépend non seulement de l’étiologie de la malvoyance, mais également du gène atteint dans un même groupe de maladie. Ainsi, l’acuité visuelle finale chez des enfants porteurs d’amaurose congénitale de Leber, dystrophie rétinienne présente dès la naissance, peut être de l’ordre de 1/20 en présence d’une mutation du gène RetGC alors qu’elle sera de l’ordre de 2/10 si l’affection est liée à une mutation du gène RPE65. Les difficultés de l’enfant dépendront également de ses capacités à utiliser sa « capacité visuelle résiduelle ». Enfin, il existe à cet âge une anomalie rare mais non exceptionnelle du développement visuel qui se présente sous la forme d’une profonde malvoyance 88
Figure 1 – Rétinophotographie de l’œil gauche. Aspect normal de la rétine, qui ne présente pas de pigmentation anormale, et du calibre des vaisseaux.
Cas n° 25
dans les tout premiers mois de la vie mais qui évolue « brutalement », en quelques jours, vers la récupération d’une vision et d’un comportement visuel normaux avant l’âge de 6 mois. Cette anomalie, parfois appelée maladie de Beauvieux, du nom de celui qui l’a décrite pour la première fois par en 1926, doit être dénommée maturation visuelle tardive ou retard de maturation visuelle (RMV). Le problème
est que le diagnostic de RMV ne peut être porté qu’après avoir éliminé toutes les autres causes de cécité du nourrisson et est rétrospectif. C’est lors de la normalisation de la vision que le diagnostic peut être formellement retenu. Là encore, une certaine prudence est de mise vis-à-vis des parents pour ne pas faire preuve d’un optimisme que l’avenir ne confirmerait pas.
Qu’est-ce qu’un retard de maturation visuelle ? Il s’agit d’une anomalie dans la chronologie du développement du système visuel dont l’origine est inconnue et reste encore discutée. Il n’existe aucune anomalie anatomiquement décelable en neuroradiologie. Plusieurs théories ont été proposées. Un trouble restreint de maturation du système extragéniculo-strié a été avancé. Ce dernier, qui inclut des aires sous-corticales telles que le pulvinar et des aires associatives, joue un rôle prépondérant dans les phénomènes de vision et d’oculomotricité au cours des premiers mois de la vie, avant que le système géniculostrié, passant par le cortex occipital, ne prenne le relais vers le troisième mois de
vie. Le développement de ce système géniculostrié coïnciderait avec la normalisation du comportement visuel de ces enfants. Cependant, ce mécanisme n’est pas admis par tous les auteurs en raison de données contradictoires. En effet, d’autres estiment que le RMV serait d’origine corticale. Ils en veulent pour preuve notamment l’association à des anomalies du développement moteur dans certaines formes de cette maladie. Toutefois, la question de l’origine de cette anomalie reste entière. Il faut signaler une possible association au minimental brain disease, qui n’est pas confirmée.
Quels en sont la présentation et le pronostic ? Il existe trois formes de RMV. L’une est isolée et les deux autres s’accompagnent d’anomalies ophtalmologiques (cataracte, albinisme, nystagmus, etc.) ou neurologiques (prématurité, anoxie néonatale, syndrome de Little, hémorragie méningée ou intraventriculaire, agénésie calleuse, convulsions, difficultés périnatales, etc.) mais ne pouvant pas expliquer le comportement de malvoyant. La distinction de ces différentes formes a un intérêt pronostique. Le tableau clinique de notre jeune patient est caractéristique de celui des formes isolées tant en ce qui concerne le mode de découverte que les données de l’examen ophtalmologique et orthoptique. Ce trouble n’est pas héréditaire et survient après une grossesse
apparemment sans problème. Une discrète prématurité ou un petit poids de naissance sont parfois notés. Dans ces cas, la récupération survient en quelques jours vers le quatrième-sixième mois, les papilles se colorent et les anomalies oculomotrices disparaissent. La présence de pathologies neurologiques ou ophtalmologiques associées peut retarder et compliquer le diagnostic. Il faut faire la part de ce qui revient à ces pathologies préexistantes dans les résultats des examens cliniques et paracliniques. Le pronostic est moins bon. La récupération visuelle survient, mais elle est à la fois incomplète (du fait des lésions associées) et aussi plus tardive, survenant entre 6 et 15 mois.
Quelles sont les autres pathologies à éliminer ? La présence d’un comportement de malvoyant doit faire éliminer toutes les pathologies ophtalmologiques ou neurologiques pouvant s’accompagner d’un tel
symptôme à cet âge. Le risque d’atteinte neurologique, quelle qu’en soit la nature, est renforcé par la présence fréquente de troubles oculomoteurs déjà évoqués. 89
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Il faut principalement éliminer certaines pathologies ou malformations ophtalmologiques au cours desquelles une malvoyance est retrouvée. Il s’agit essentiellement de l’amaurose congénitale de Leber. À cet âge, le fond d’œil des enfants porteurs de cette dystrophie rétinienne héréditaire, apparentée aux rétinopathies pigmentaires et transmise selon un mode récessif autosomique, est strictement normal. Les anomalies caractéristiques de cette affection, à type de migrations pigmentaires en ostéoblastes, de réduction du calibre des vaisseaux rétiniens ou de pâleur papillaire, apparaissent plus tardivement. Ce sont les examens complémentaires (voir plus loin) qui permettent de faire la différence avec le RMV. Il en est de même de l’achromatopsie congénitale au cours de laquelle le fond d’œil est également normal. En revanche, il existe volontiers une photophobie. Certaines anomalies de développement papillaire ou pathologies neuro-ophtalmologiques doivent également être écartées. Il s’agit d’une part de l’hypoplasie
papillaire isolée qui s’accompagne d’une diminution du nombre des axones des nerfs optiques. Cette anomalie est parfois évidente dans les formes majeures au cours desquelles les papilles sont extrêmement réduites. Dans les formes minimes, le diagnostic est d’autant plus difficile que la papille est entourée d’une cocarde sclérale qui peut en imposer pour une papille de taille normale. Les potentiels évoqués visuels permettent de confirmer les troubles de conduction. Cette hypoplasie papillaire peut être associée à des anomalies de la ligne médiane cérébrale, le plus souvent dans le cadre d’une dysplasie septo-optique ou syndrome de De Morsier. Elle est aussi fréquemment associée à des troubles hormonaux, en particulier une insuffisance surrénale centrale aux conséquences potentiellement gravissimes, d’où la nécessité de dosages hormonaux systématiques. L’autre diagnostic différentiel est représenté par l’atrophie optique dans sa forme récessive autosomique qui s’accompagne de profonde malvoyance avec un nystagmus.
Quels examens faut-il demander ? Le diagnostic de RMV est clinique mais rétrospectif. Néanmoins, il faut éliminer les différentes pathologies déjà évoquées. Il faut bien sûr demander un bilan pédiatrique complet afin d’éliminer d’éventuelles anomalies (neuro-)pédiatriques. Un bilan neuroradiologique doit être effectué par prudence, même si la présentation clinique est évocatrice de RMV. Un bilan électrophysiologique, réalisé sous simple sédation à cet âge, est de fait nécessaire. Cependant, il ne faut pas hésiter à pratiquer un examen sous anesthésie générale dès lors que les résultats sont ininterprétables du fait des conditions d’enregistrement. L’électrorétinogramme est normal contrairement à ce qu’il en est lors des dégénérescences rétiniennes. Les potentiels évoqués visuels sont en revanche anormaux. Ils mettent en évidence une immaturité de la réponse, avec une augmentation du temps de culmination des ondes dont l’amplitude est réduite
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et une absence de réponse N1. La réapparition de cette onde est parallèle à la récupération visuelle. Cependant, ces anomalies sont différentes de celles observées lors des anomalies de développement des nerfs optiques. La répétition éventuelle des potentiels évoqués visuels confirme leur amélioration avec le temps alors que l’acuité visuelle se normalise. Cette batterie d’examens doit être refaite en l’absence de récupération à 6 mois car le diagnostic de RMV isolé ne peut plus être retenu. L’ensemble du bilan clinique et paraclinique effectué chez notre petit patient était strictement normal. Vers 5 mois, ses parents ont constaté qu’il commençait à s’intéresser au mobile suspendu au-dessus de son lit et qu’il réagissait lorsque la lumière était allumée. Quelques jours après, sa maman a pu obtenir d’accrocher son regard. Le diagnostic de RMV a ainsi été confirmé, faisant oublier les semaines d’angoisses vécues.
CAS N° 26 Un larmoiement du nourrisson…
Madame M. amène sa fille âgée d’un mois en consultation chez son médecin traitant pour un larmoiement chronique de l’œil gauche.
Quels sont les principaux diagnostics à évoquer ?
Par argument de fréquence, il peut s’agir d’une imperforation congénitale de la voie lacrymale gauche.
Il faut éliminer le glaucome congénital qui est une urgence ophtalmologique.
Quels sont les signes à rechercher à l’interrogatoire et à l’examen ophtalmologique pour orienter la démarche diagnostique ?
Les signes en faveur d’un glaucome congénital doivent être écartés : larmoiement clair, photophobie, augmentation du diamètre cornéen – aspect de « trop bel œil » –, voire buphtalmie (augmentation du volume oculaire) ou cornée trouble. Le glaucome congénital est une urgence diagnostique et thérapeutique, le pronostic visuel étant essentiellement lié au délai de traitement, qui est urgent et chirurgical. Il faut procéder à un examen palpébral à la recherche d’anomalies palpébrales (notamment des malpositions). Les signes en faveur d’une imperforation congénitale des voies lacrymales sont les suivants : sécrétions associées, apparition dès la naissance, persistance sans interruption, prématurité.
À l’examen, les cornées sont de taille similaire. L’œil gauche est larmoyant, avec des sécrétions au niveau du canthus interne (Figure 1).
Figure 1 – Présence d’un larmoiement unilatéral gauche avec des cils agglutinés et quelques sécrétions dans le canthus interne chez un autre enfant. Les cornées sont de taille normale et symétrique.
Quels sont votre diagnostic et votre prise en charge ?
Le diagnostic est celui d’une imperforation congénitale de la voie lacrymale gauche. Il s’agit d’une obstruction complète ou partielle des voies lacrymales d’excrétion à la naissance. Elle représente la première cause de larmoiement congénital.
Dans la très grande majorité des cas, la symptomatologie (unilatérale dans 70 à 80 % des cas) apparaît dans le premier mois de vie, notamment dans les deux premières semaines. 91
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
L’obstruction est le plus souvent due à l’imperforation de la valvule de Hasner, située à la partie inférieure du conduit lacrymonasal, au niveau de son abouchement dans les fosses nasales (Figure 2). Le traitement de première intention est médical : nettoyage fréquent des yeux au sérum physiologique,
éventuellement cures locales d’antiseptiques ou d’antibiotiques en cas de sécrétions purulentes abondantes. La mère vous interroge sur l’évolution probable de cette pathologie.
Que lui répondez-vous ? La majorité des cas d’imperforation congénitale des voies lacrymales se résout spontanément dans les premiers mois de vie, la valvule s’ouvrant naturellement. Dans la littérature, 89 à 96 % des enfants, selon les séries, sont guéris à l’âge d’un an. Toutefois, la probabilité de cette guérison spontanée diminue avec l’âge, notamment à partir de 6 mois. La mère revient 2 mois plus tard en consultation car le traitement n’a pas été efficace : le larmoiement est toujours présent. La mère n’en peut plus de nettoyer les yeux de sa fille, les sécrétions revenant en continu.
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Figure 2 – Schéma des voies lacrymales excrétrices. 1 : canalicules supérieur et inférieur ; 2 : canal d’union ; 3 : conduit lacrymonasal ; 4 : cornet moyen ; 5 : fosse nasale ; 6 : cornet inférieur ; 7 : valvule de Hasner.
Que faites-vous ? À partir de l’âge de 3 à 4 mois, si la symptomatologie persiste malgré le traitement médical institué, il convient de l’envoyer chez un ophtalmologiste. Celui-ci pourra déterminer la meilleure stratégie thérapeutique.
La mère est en plus affolée car la directrice de la crèche de sa fille ne veut plus qu’elle vienne tant qu’elle est « infectée » car elle a peur de la contagion de cette « conjonctivite traînante » aux autres enfants.
Que lui dites-vous ? Les sécrétions dans les imperforations congénitales des voies lacrymales ne sont pas synonymes de conjonctivite, et donc ne présentent pas de risque de 92
contagion. Il existe des surinfections, dites conjonctivites « lacrymales », mais dans ce cas, la conjonctive est le siège d’une hyperhémie conjonctivale diffuse.
CAS N° 26
Quels sont les moyens spécifiques de traitement de cette pathologie ? Différentes possibilités thérapeutiques existent : le sondage et l’intubation canaliculaire.
• Le sondage consiste à introduire une petite sonde dans les voies lacrymales obstruées afin de faire céder l’obstacle (Figure 3). Le geste peut facilement être réalisé en consultation par un ophtalmologiste entraîné, sous anesthésie locale. Il ne dure que quelques minutes. S’il est réussi, la symptomatologie disparaît dans les quelques jours suivant le sondage. Une antibiothérapie locale est instituée pendant 8 jours et le geste peut être renouvelée 4 à 6 semaines plus tard si la symptomatologie persiste à l’issue du premier sondage.
Figure 3 – Sondage de la voie lacrymale gauche. À noter la nécessité d’une bonne contention de l’enfant, notamment pour éviter les fausses routes.
• L’intubation canaliculaire consiste en la mise en place d’une sonde en silicone dans la voie lacrymale après avoir effectué un sondage pour lever l’obstacle (Figure 4). Ce geste est réalisé sous anesthésie générale. La sonde est laissée en place environ 6 semaines, puis retirée en consultation par simple traction. Les habitudes de traitement divergent selon les ophtalmologistes. Certains préfèrent sonder en consultation, dès l’âge de 6 mois, afin de soulager plus rapidement l’enfant et sa famille. D’autres préfèrent attendre l’âge de 12 mois, et une éventuelle guérison spontanée, avant de proposer un traitement. Dans ce cas, il s’agira d’une intubation canaliculaire (plus efficace qu’un simple sondage) sous courte anesthésie générale.
Figure 4 – Intubation canalicolo-nasale sous anesthésie générale. La sonde est récupérée à l’aide d’une pince dans la narine droite et va être nouée.
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CAS N° 27 Un reflet blanc dans la pupille
L’enfant N., âgée de 10 mois, est adressée en consultation devant la constatation par ses parents depuis quelques semaines d’un reflet blanc dans la pupille de l’œil gauche. Cet aspect est strictement unilatéral et bien visible sur des photographies qu’ils ont réalisées de leur bébé (Figure 1). Les parents signalent également qu’il est apparu un strabisme divergent strictement unilatéral. En effet, l’œil gauche est toujours dévié en dehors alors que la petite fille fixe de son œil droit. Cette enfant, la première de parents non consanguins, est née à terme après une grossesse sans incident. Il n’existe aucun antécédent particulier dans cette famille. Elle est en bon état général et présente un développement psychomoteur strictement normal pour son âge.
Figure 1 – Photographie réalisée au début de l’examen sous anesthésie générale retrouvant la présence d’une masse blanchâtre dans la pupille gauche (flèche bleue). À noter la présence du reflet du flash au niveau des deux pupilles (flèches blanches) confirmant la présence d’un strabisme divergent puisque le reflet arrive sur le rebord nasal de la pupille gauche.
Comment interpréter ce reflet blanc dans la pupille ? La présence d’un reflet blanc ou d’une tache blanche dans une pupille constitue une leucocorie. Cette leucocorie peut être due à une lésion vitréorétinienne qui renvoie une lueur pupillaire anormalement blanche. Celle-ci est particulièrement bien objectivée sur des clichés photographiques pris de face, au mieux avec un flash et surtout si des systèmes anti-yeux rouges ne sont pas utilisés. Il existe alors
une franche asymétrie entre la couleur rouge de la pupille de l’œil sain et la teinte blanche ou laiteuse de l’œil pathologique. Cet aspect est parfois moins évident en cas d’atteinte bilatérale. La leucocorie peut également être la conséquence d’une opacité cristallinienne. Elle réalise alors une tâche blanche bien visible quelle que soit l’orientation avec laquelle l’enfant est observée.
La constatation d’une leucocorie est-elle inquiétante ? Est-ce une urgence ophtalmologique ? L’existence d’une leucocorie constitue une urgence non seulement fonctionnelle ophtalmologique mais 94
parfois vitale. En effet, cette anomalie doit faire éliminer en premier lieu un rétinoblastome, une tumeur
Cas n° 27
oculaire hautement maligne développée à partir des cellules photoréceptrices et engageant le pronostic vital (Figure 2). C’est pourquoi la découverte d’une leucocorie constitue une urgence absolue. Un avis ophtalmologique doit être obtenu le jour même où ce reflet ou cette pupille blanche est signalé par les parents. En dehors de cette étiologie extrêmement sévère mettant potentiellement en jeu le pronostic vital, cette anomalie est toujours le signe d’une atteinte ophtalmologique « grave ». Elle est volontiers associée à un pronostic visuel sombre. Tel est le cas des décollements de rétine de l’enfant, que ceux-ci soient dus à une vitréorétinopathie dans le cadre de pathologies générales comme la maladie de Norrie ou bien qu’ils soient la conséquence d’une fibroplasie rétrolentale, stade ultime de la rétinopathie des prématurés au-delà de toute ressource thérapeutique. La rétine décollée est généralement rétractée derrière le cristallin, et elle est de plus immature. La grande prématurité permet d’évoquer rapidement le diagnostic étiologique. Cependant, un bilan ophtalmologique complet obtenu sans délai et une éventuelle prise en charge de l’œil controlatéral sont généralement indispensables pour éviter une évolution péjorative. Enfin, certaines étiologies, telles que les cataractes congénitales, peuvent bénéficier d’un traitement chirurgical (Figure 3). Dans ces cas, une prise en charge précoce est le gage d’une récupération visuelle la plus favorable qui soit. Ces étiologies requièrent donc également un examen ophtalmologique immédiat. Quelle que soit l’origine de cette leucocorie, il faut prendre en compte l’âge de découverte de cette anomalie. L’examen doit rechercher s’il existe déjà des signes de malvoyance tels qu’un comportement visuel anormal, un strabisme ou un nystagmus.
Figure 2 – Présence d’une volumineuse masse blanche dans la cavité vitréenne. La rétine et ses vaisseaux sont visibles en arrière de cette masse.
Figure 3 – Cataracte totale de l’œil gauche. Une masse blanche grisâtre est visible dans la pupille gauche.
Quels autres diagnostics peut-on évoquer ?
Les diagnostics à évoquer devant une leucocorie sont très nombreux. L’interrogatoire doit s’attacher aux antécédents familiaux, au mieux en réalisant un arbre généalogique, puisque plus de 80 % des malvoyances de l’enfant sont d’origine génétique. Il s’intéresse également au déroulement de la grossesse et à une éventuelle prématurité. L’examen clinique ophtalmologique est bien sûr fondamental. Certains signes cliniques tels qu’une exophtalmie ou une microphtalmie peuvent faciliter l’orientation. Les causes vitréorétiniennes constituent un premier grand cadre de leucocorie. Outre le rétinoblastome déjà évoqué et qui constitue l’étiologie à éliminer, il peut être retrouvé des formes sévères de rétinopathie des prématurés, de décollement de rétine,
d’une maladie de Coats (une phacomatose vasculaire généralement unilatérale ; Figure 4), de dysplasies vitréorétiniennes dans le cadre de syndromes polymalformatifs ou polyviscéraux (maladie de Norrie, incontinentia pigmenti, etc.), de colobomes choriorétiniens sur lesquels nous reviendrons, de plis congénitaux rétiniens ou de fibres à myéline. Cette dernière anomalie, qui se traduit par la présence de gaines de myéline au niveau des fibres optiques, est généralement sans conséquence fonctionnelle ressentie. Toutefois, elle peut être responsable d’une baisse d’acuité visuelle et d’amblyopie quand elle est importante au point de donner une leucocorie. Les causes de leucocorie affectant le segment antérieur de l’œil sont liées, outre aux cataractes congénitales, 95
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
à la persistance de la vascularisation fœtale du vitré, une anomalie congénitale d’étiologie inconnue. L’examen ophtalmologique de l’enfant N. confirme la présence d’une amblyopie gauche associée à une exophorietropie avec un œil droit fixateur nettement préférentiel. Néanmoins, cette petite fille gardait la capacité de réaliser des mouvements de poursuite des objets de son œil gauche. Après dilatation pupillaire, il est retrouvé une vaste plage blanche localisée au niveau de la rétine inférieure de l’œil gauche, remontant et englobant la région maculaire et la papille (Figure 5). Cette plage présente des rebords irréguliers, saillants, et sa surface semble irrégulière par place.
Figure 4 – Maladie de Coats. Il existe une vaste zone d’exsudats jaunâtres au niveau du pôle postérieur de l’œil gauche et quelques exsudats visibles en dessous de l’arcade temporale inférieure.
Figure 5 – Vaste colobome inférieur englobant la papille et la macula.
Que faut-il évoquer devant un tel aspect ? Quelle doit être la conduite diagnostique ? Cette vaste plage blanche rétinienne inférieure remontant jusqu’au pôle postérieur doit faire évoquer en premier lieu un colobome choriorétinien. Cependant, en l’absence d’antécédents familiaux et devant le caractère apparemment irrégulier de cette lésion, il faut bien sûr éliminer un rétinoblastome. En cas de doute un examen sous anesthésie générale peut être indiqué afin de mieux étudier la lésion sur un enfant ne bougeant pas et de vérifier l’absence de lésion controlatérale qui n’aurait pas été décelée. Cette étape doit être précédée d’un examen neuroradiologique, scanner ou IRM, afin de rechercher la présence d’éventuelles calcifications intra-oculaires, évocatrices de rétinoblastome 96
ou d’anomalies neurologiques associées, et d’anomalies de la ligne médiane du fait de l’atteinte papillaire. Le bilan neuroradiologique pratiqué n’a pas retrouvé d’anomalie particulière et l’examen sous anesthésie générale a confirmé qu’il s’agissait d’un colobome choriorétinien. Ce diagnostic a été renforcé par la découverte d’un petit colobome choriorétinien nasal inférieur à l’œil droit. Le bilan a été complété par des potentiels évoqués visuels flashs qui étaient symétriques. L’échographie rénale a éliminé un syndrome rein-colobome et l’examen cardiaque était normal.
Cas n° 27
Que proposer à cette enfant ? Aucune anomalie n’a été retrouvée lors du bilan clinique. Il n’y a donc pas de nécessité de pousser plus avant les investigations. Le pronostic visuel des vastes colobomes choriorétiniens englobant la macula est toujours mauvais en raison d’une amblyopie organique sévère associée à une amblyopie fonctionnelle. Il faut tenter une rééducation de cette part fonctionnelle de l’amblyopie bien que ses résultats soient variables. Dans le cas présenté ici, il persiste des capacités visuelles comme en témoignent les possibilités de poursuite de l’œil
gauche et de fusion retrouvées lors du bilan orthoptique. C’est pourquoi il a été décidé d’entreprendre une rééducation après prescription de la correction optique totale déterminée sous atropine. Compte tenu du pronostic limité, cette rééducation est basée sur l’occlusion de l’œil droit à raison de 2 heures par jour. Après 3 ans de rééducation, l’acuité visuelle de l’œil gauche est restée limitée à 1/20. En revanche, l’amélioration de la fixation a nettement réduit la déviation oculaire permettant d’obtenir un aspect esthétique satisfaisant.
Que sont ces colobomes choriorétiniens ? Les colobomes choriorétiniens sont dus à une anomalie de la fermeture de la fente embryonnaire de la vésicule optique entre la cinquième et la septième semaine de la vie embryonnaire, laissant la sclère à nu. Une vaste zone du pôle postérieur dépourvue de choroïde et de rétine peut être la cause d’une leucocorie, parfois variable selon la direction du regard, puisque seule la sclère, blanche, est apparente. Ces colobomes peuvent concerner de façon isolée : − la papille, parfois difficile à différencier de l’excavation papillaire d’un glaucome congénital et devant faire rechercher un syndrome rein-colobome ou des atteintes de la ligne médiane cérébrale ; − la rétine et la choroïde inférieure ; dans la région où se termine la fermeture de la fente embryonnaire, ces colobomes peuvent être plus ou moins étendus (Figure 6). Il en existe parfois deux ou trois étagés le long de cette ligne de fermeture. Il faut noter l’existence de colobomes choroïdiens isolés, la rétine recouvrant une zone plus claire ; − l’iris inférieur. Il s’y associe alors volontiers un déficit de la zonule donnant un faux aspect de colobome du cristallin. Il peut coexister de diverses manières des atteintes de ces trois structures. Ces colobomes sont généralement isolés. Ils peuvent néanmoins s’observer lors de syndromes généraux tels que le syndrome CHARGE – acronyme pour Coloboma, Heart defect, Atresia choanae, Retarded growth and development, Genital hypoplasia, Ear anomalies/deafness. Le pronostic fonctionnel dépend de leur importance et notamment de leur extension au niveau du pôle postérieur. Si celui-ci est libre, le pronostic visuel est bon. Dans le cas contraire, comme chez
notre petite patiente, il existe une amblyopie organique. Toutefois, une rééducation de la part fonctionnelle doit être tentée avec un résultat plus ou moins satisfaisant. En raison du risque de décollement de rétine, les patients porteurs de colobome doivent être suivis toute leur vie. L’origine des colobomes reste mal connue. Ils sont parfois génétiquement déterminés. Le mode de transmission semblerait être plutôt dominant autosomique. Cependant, aucun gène n’a encore pu être
Figure 6 – Présence d’un colobome papillaire associé à deux colobomes choriorétiniens inférieurs étagés le long de la ligne de fermeture de la vésicule optique au cours de la vie embryonnaire.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
identifié comme étant spécifique de cette pathologie. Il est toutefois important de rechercher des signes a minima chez l’un des parents pour guider le conseil génétique et d’informer les parents du risque de récidive lors de toute grossesse ultérieure. À côté de ces causes héréditaires, les colobomes
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peuvent également s’observer lors d’aberrations chromosomiques, notamment au cours des trisomies 13 et 18. Enfin, certaines embryofœtopathies, au premier rang desquelles le syndrome d’alcoolisation fœtal, peuvent s’accompagner de colobomes choriorétiniens.
CAS N° 28 Ésotropie accommodative
L’enfant C., âgé de 3 ans, est amenée en consultation ophtalmologique par ses parents en raison de la présence d’un strabisme convergent de l’œil droit permanent depuis un mois (Figure 1). Depuis 3 mois, le petit garçon présentait un strabisme convergent intermittent, se majorant en particulier le soir. Au début, il fermait parfois son œil droit et se plaignait d’une diplopie. Puis ces signes ont rapidement disparu et, actuellement, l’enfant ne signale plus aucune gêne fonctionnelle. C. est en parfaite santé et ne présente aucun antécédent particulier. Dans les antécédents familiaux, on retrouve un strabisme chez un oncle, apparu aussi vers 3 ans. Cet oncle est resté hypermétrope. Par ailleurs, C. a une sœur âgée de 6 ans qui est forte hypermétrope.
Figure 1 – Strabisme convergent de l’œil droit de l’enfant C.
Comment fait-on le diagnostic de strabisme convergent (ésotropie) accommodatif ?
Le diagnostic est établi en réalisant le test de l’écran alterné. Celui-ci consiste à regarder le mouvement que fait l’œil controlatéral lorsque l’ophtalmologiste ou l’orthoptiste cache un œil. Les enfants sont en général tous hypermétropes, et un sujet hypermétrope doit accommoder (rendre plus globuleux son cristallin) pour voir net. Cette accommodation permet à l’image de venir se former sur la rétine. Il existe des réflexes (appelés syncinésie) associant accommodation et convergence. Aussi, chez certains enfants, un effort d’accommodation peut provoquer une convergence inappropriée aboutissant à l’apparition du strabisme convergent.
Ce strabisme apparaît en général vers l’âge de 2 à 4 ans, quand l’enfant commence à fixer les objets avec attention, en particulier de près. On appelle strabisme accommodatif un strabisme qui est totalement expliqué par cet effort d’accommodation et qui sera donc complètement corrigé par le port de la correction optique visant à compenser l’hypermétropie. Ainsi, le diagnostic de strabisme accommodatif sera établi par l’ophtalmologiste (Figure 2) quand il réexaminera cet enfant avec ses lunettes d’hypermétropie et qu’il notera que le strabisme a totalement régressé avec les lunettes. 99
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quelles sont les autres causes d’un strabisme apparaissant vers 3 ans ? Un strabisme apparaissant tardivement chez un enfant doit toujours faire craindre une paralysie oculomotrice a minima. Au moindre doute clinique, il faut donc demander un avis neuropédiatrique, voire neuroradiologique. Il peut aussi s’agir d’un strabisme acquis déclenché par une fièvre ou un choc psychologique. Et parfois, il existait un microstrabisme,
invisible depuis la naissance, qui se majore à l’âge de la fixation. Dans tous ces cas, la correction de l’hypermétropie n’améliore que peu ou partiellement la déviation strabique. Cela est un élément capital du diagnostic différentiel avec un strabisme purement accommodatif.
Quelle est la prise en charge ? Le point capital est de corriger au maximum l’hypermétropie. La connaissance de la valeur totale de l’hypermétropie nécessite l’instillation de collyre cycloplégique (qui paralysie l’accommodation) : collyre Atropine® à instiller plusieurs jours avant l’examen, ou collyre Skiacol® à instiller une heure avant l’examen.
L’hypermétropie sera corrigée dans sa totalité pour la vision de loin. En outre, dans certains cas, si malgré cette correction persiste un strabisme en vision de près, des verres doubles foyers ou progressifs pourront être prescrits pour soulager encore davantage l’accommodation en vision de près.
Figure 2 – Correction de l’ésotropie accommodative de l’enfant C. par la correction de l’hypermétropie.
Quel est le pronostic de ces strabismes accommodatifs ? Le pronostic est excellent d’un point de vue sensoriel. En effet, le strabisme apparaît sur un état sensoriel qui s’est normalement développé durant la première année de vie de l’enfant. Il existe donc des possibilités de vision binoculaire strictement normale. L’enfant C. doit retrouver, avec ses lunettes, une vision stéréoscopique et en 3D strictement normale. En revanche, il persiste généralement une déviation strabique quand l’enfant enlève ses 100
lunettes, avec éventuellement une diplopie. Toutefois, cette déviation sans lunettes doit être acceptée par C. et son entourage. L’enfant pourra être équipé de lentilles ultérieurement, dès qu’il le souhaitera vivement, en moyenne à partir de 10 ans. Ces lentilles permettront aussi de corriger totalement le strabisme. Dans certains cas, une chirurgie réfractive (correction chirurgicale de l’hypermétropie) pourra être proposée à l’âge adulte.
CAS n° 28
Bibliographie Charlot JC. Ésotropies accommodatives. In : EspinasseBerrod MA (Ed.). Strabologie, approches diagnostique et thérapeutique. Paris : Elsevier-Masson ; 2008. p. 117-27.
Site d’information sur le strabisme : http://www.strabisme.net/
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CAS N° 29 L’enfant D., 8 mois, louche…
L’enfant D., âgé de 8 mois, est examiné par son médecin car il présente depuis 3 mois un strabisme convergent (ésotropie) constant de son œil gauche (Figure 1). Il a toutefois un très bon éveil visuel et ne présente pas d’anomalie du comportement visuel. Par ailleurs, le petit garçon est né à terme et ne présente pas d’antécédent personnel particulier. Il est en parfaite santé. On retrouve un strabisme chez un oncle et une myopie chez les deux parents.
Figure 1 – Ésotropie précoce de l’œil gauche chez l’enfant D.
Est-il urgent d’adresser l’enfant D. à l’ophtalmologiste ? Oui, il est urgent de l’adresser à l’ophtalmologiste car le strabisme est constant chez cet enfant et intéresse toujours le même œil. Il faut donc éliminer
un strabisme secondaire à une affection oculaire qui peut être sévère, comme une cataracte ou une tumeur rétinienne.
Mais n’est-il pas normal qu’un bébé louche ? Il est vrai que les bébés ont souvent des spasmes en convergence qui sont bénins. Dans ces cas, le strabisme est très intermittent, apparaissant par exemple lors des biberons. Et ces strabismes doivent toujours disparaître vers 6 mois. Au-delà de 6 mois, tout
strabisme, même intermittent, nécessite une consultation ophtalmologique. Ici le strabisme de D. est inquiétant dès son apparition puisqu’il est constant.
Quels sont les éléments qui permettent le diagnostic de strabisme précoce ? Il faut d’abord poser le diagnostic de strabisme. Les reflets cornéens (bien visibles sur une photographie 102
de face) doivent normalement être centrés et parfaitement symétriques. En cas de strabisme convergent de
CAS N° 29
l’œil gauche comme chez l’enfant D., le reflet cornéen droit se projette bien au centre de la pupille, mais le reflet gauche apparaît décalé en temporal. L’examen le plus important est le test de l’écran (aussi appelé cover test) : si l’on fait fixer à l’enfant D. une petite cible (image précise et de petite taille) et que l’on cache son œil gauche, l’œil droit ne fait aucun mouvement ; en revanche, si on cache son œil droit, l’œil gauche va reprendre la fixation et donc faire un mouvement de dedans en dehors, ce qui permet d’affirmer le strabisme. On vérifie en plus lors de ce test qu’à l’occlusion de l’œil droit, l’enfant soit capable de bien fixer et de bien suivre la cible, sans présenter de gêne qui pourrait faire craindre une mauvaise vision de cet œil (amblyopie). Un strabisme est appelé précoce s’il est présent dès la naissance ou s’il apparaît durant les 6 premiers mois de la vie. Le plus souvent, l’enfant est en parfaite santé, sans problème associé ni antécédent, et ne présente aucune anomalie neurologique.
Néanmoins, certaines situations prédisposent au strabisme précoce : l’existence d’antécédents de strabisme dans la famille ou une souffrance neurologique pré- ou périnatale. Le strabisme, dont l’angle de déviation oculaire est le plus souvent important est en général convergent (ésotropie), plus rarement divergent (exotropie). Il existe des signes cliniques spécifiques au strabisme précoce : – l’enfant présente parfois une position de tête particulière (torticolis) pour fixer en mettant chaque œil en adduction (fixation croisée). Il peut tourner la tête vers la droite quand il fixe avec son œil droit et vers la gauche quand il fixe avec son œil gauche (torticolis de fixation alternant) ; – d’autres signes sont aussi des témoins de la précocité du strabisme : déviation verticale dissociée qui correspond à une élévation de l’œil non fixateur, nystagmus manifeste latent qui s’aggrave à l’occlusion d’un œil.
Des examens complémentaires sont-ils nécessaires ?
En général, aucune exploration complémentaire n’est indiquée dans un strabisme précoce. Seul un strabisme divergent constant justifiera parfois un bilan neuropédiatrique et/ou une imagerie encéphalique. Toutefois, l’examen ophtalmologique doit
avoir éliminé un strabisme secondaire à une pathologie oculaire (cataracte congénitale, colobome choriorétinien, etc.) qui, elle, peut justifier des explorations ophtalmologiques.
Quelle est la cause d’un strabisme précoce et quels en sont les conséquences ?
L’étiologie d’un strabisme précoce reste incertaine. Il existe un problème de tonus des muscles oculomoteurs et/ou un mauvais lien sensoriel entre les deux yeux. Cependant, les muscles eux-mêmes sont le plus souvent normaux en taille et en extensibilité. Toute la gravité d’un strabisme précoce réside dans le fait que la vision binoculaire (dont le stade ultime est la vision stéréoscopique) s’installe chez le bébé vers
l’âge de 6 mois. L’établissement de cette vision binoculaire est rendu possible grâce au développement de connexions entre neurones recevant des informations des deux yeux ; en cas de strabisme précoce, le nonparallélisme des axes visuels interdit l’établissement de ces liens binoculaires au niveau du cortex cérébral. En conséquence, la vision binoculaire parfaite ne peut pas s’installer, et ce de façon définitive.
Quelle sera la prise en charge ophtalmologique de l’enfant D. ?
Une prescription de lunettes est obligatoire pour corriger tout défaut de vue associé (même si les enfants porteurs d’un strabisme précoce n’ont en général pas
plus de défaut de vue que des enfants non strabiques). En particulier, la correction de l’hypermétropie (les bébés sont physiologiquement hypermétropes) est 103
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
impérative pour éviter l’aggravation secondaire du strabisme. Ensuite, il faut veiller à ce que l’enfant fixe tantôt avec son œil droit, tantôt avec son œil gauche pour éviter une amblyopie (mauvaise vision d’un œil secondaire à la neutralisation par le cerveau de la vision provenant de l’œil qui n’est pas utilisé dans la vie courante). En effet, si notre petit patient développe un strabisme convergent constant de l’œil gauche, il existe un risque majeur d’installation d’une amblyopie de cet œil et donc d’une mauvaise acuité visuelle, difficilement récupérable. On peut éviter cette amblyopie en collant des petits secteurs (petits morceaux de papier translucide) sur la partie nasale de ses verres de lunettes pour favoriser le changement d’œil fixateur dans la vie courante. On peut aussi pratiquer l’occlusion intermittente d’un œil (par exemple en cachant l’œil droit de l’enfant D. une heure par jour pour obliger l’œil gauche à travailler). Il est vendu en pharmacie et sur prescription médicale des pansements adaptés (Opticlude® ou Ortopad®) pris en charge jusqu’à 6 ans.
Si l’angle du strabisme est important, on peut proposer, entre 1 et 2 ans, une injection de toxine botulique de type A dans les muscles droits médiaux. Cette injection va induire une divergence temporaire des axes visuels secondaire à la paralysie des muscles droits médiaux. Ensuite, l’effet de la toxine s’estompe. Il est possible d’espérer, après une ou deux injections de toxine botulique, une stabilisation des axes visuels avec une bonne esthétique. Sinon, la chirurgie sera envisagée à partir de l’âge de 2 ans et demi. Elle est indiquée si le strabisme reste visible dans la vie courante malgré le port des lunettes. Cependant, le résultat de cette chirurgie dépend du tonus musculaire et de l’état des muscles. Il n’est pas prévisible à 100 % et un autre temps opératoire est parfois nécessaire pour obtenir un bon résultat. Le but du traitement est de parvenir, si possible avant la rentrée à l’école primaire, à un bon résultat esthétique sans amblyopie. Néanmoins, la chirurgie reste possible à tout âge.
Quel est le pronostic à terme ? Le traitement est long, et le port de lunettes obligatoire pendant des années. Au final, ces enfants ne voient jamais parfaitement les tests de vision stéréoscopique que leur montre l’ophtalmologiste ou l’orthoptiste. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, ces enfants n’ont pas pu développer une vision binoculaire parfaite. En revanche, ils se sont accoutumés à leur vision monoculaire depuis les premiers mois de la vie et apprécient en général très bien les distances et les profondeurs dans la vie courante. Ils ont, en général, une vie sportive et scolaire sans aucun trouble fonctionnel. Néanmoins,
ils ne développent pas toujours une vision stéréoscopique suffisante pour bien apprécier la vision en 3D au cinéma, à la télévision ou sur des écrans de jeux. Grâce à un traitement médicochirurgical bien conduit, les enfants doivent atteindre (durant la maternelle) une bonne acuité visuelle de chaque œil et un strabisme minime avec la correction optique. Cependant, la pathologie strabique peut évoluer toute la vie et il n’est pas exceptionnel que les patients soient réopérés à l’âge adulte en raison d’une instabilité du résultat, sachant que plusieurs temps opératoires sont en général possibles sans problème.
Bibliographie Site d’information sur le strabisme : http://www.strabisme.net/
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Thouvenin D. Strabismes précoces. In : Espinasse-Berrod MA (Ed.). Strabologie, approches diagnostique et thérapeutique. Paris : Elsevier-Masson ; 2008. p. 108-16.
CAS N° 30 Un œil paresseux d’après la médecine scolaire
L’enfant P., 4 ans, est amenée par ses parents à la consultation car il a été retrouvé lors de la visite scolaire une acuité visuelle plus basse que la normale à l’œil droit alors qu’elle est dans les limites de la normale compte tenu de l’âge à l’œil gauche. Les parents de cette enfant sont assez surpris car ils n’avaient rien constaté d’anormal. Le comportement visuel a toujours été normal et la petite fille voit les petits objets bien avant ses parents… Néanmoins, ils ont connaissance de problèmes ophtalmologiques dans la famille. Cette enfant est la deuxième d’une fratrie de trois. Son grand-père maternel ne voit pas d’un œil depuis l’enfance. Une tante maternelle a un strabisme intermittent qui ne se manifeste qu’à la fatigue et lorsqu’elle ne porte pas sa correction optique d’hypermétropie. Une autre tante a porté un cache devant l’œil gauche dans l’enfance du fait d’une amblyopie. De fait, l’examen retrouve une acuité visuelle chiffrée à 1/10 Rossano 1/4 à l’œil droit et à 8/10 Rossano 1/2 à l’œil gauche. L’examen ophtalmologique est sans particularité, de même que le bilan orthoptique qui ne met pas en évidence de strabisme.
Comment définir l’amblyopie ?
L’amblyopie est une anomalie de maturation des structures cérébrales impliquées dans la vision au sens le plus large puisqu’il inclut la discrimination des formes, la localisation spatiale, la vision binoculaire et la stéréoscopie. Ce défaut de maturation est la conséquence d’une utilisation anormale ou déficitaire des informations provenant d’un œil ou des deux. Il existe une compétition anormale entre ces informations aboutissant à ce que celles de l’œil dominant sont privilégiées aux dépens de celles de l’œil dominé. Les études chez l’animal et in vivo chez l’homme ont confirmé l’existence d’un substrat anatomohistologique à l’amblyopie tout au long de la voie optique provenant de l’œil dominant ou de l’œil dominé, ainsi qu’au niveau du cortex visuel primaire et secondaire. L’amblyopie est la cause la plus fréquente de mauvaise vision unilatérale chez l’enfant, avec une prévalence qui serait comprise entre 3 et 5 % chez les enfants de moins de 6 ans. La prévalence de l’amblyopie pourrait varier selon l’origine géographique des patients, quoique les modalités de dépistage et de traitement puissent influer sur ces fréquences relatives. Cliniquement, l’amblyopie se traduit principalement par une acuité visuelle plus basse que la
normale d’un œil ou des deux, soit qu’elle n’augmente pas avec l’âge, soit qu’elle baisse secondairement après un développement normal. Il est habituel de classifier l’amblyopie en fonction de l’acuité visuelle de l’œil dominé. Une amblyopie est dite profonde lorsque l’acuité visuelle de l’œil dominé est inférieure ou égale à 1/10, modérée lorsque l’acuité de l’œil amblyope est comprise entre 1/10 et 4/10, et légère au-delà de 5/10. Enfin, une amblyopie est qualifiée de relative lorsqu’il existe une différence d’au moins deux lignes d’acuité visuelle entre les deux yeux. Cette classification devrait également tenir compte de l’âge de l’enfant et de la différence d’acuité visuelle entre chaque œil. De surcroît, il existe également, lorsqu’on le recherche, un déficit de la sensibilité aux contrastes, de la vision binoculaire, de la stéréoscopie ou de la localisation spatiale. Cependant, il existerait des variations dans les anomalies de la fonction visuelle selon les types d’amblyopie (voir plus loin). La rééducation de l’amblyopie vise à favoriser l’utilisation de chaque œil, en particulier de l’œil dominé, afin que la maturation cérébrale puisse reprendre et s’approcher le plus possible de la normale. 105
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quels facteurs de risque ou facteurs favorisants doivent faire craindre la survenue d’une amblyopie ?
Les causes d’une amblyopie ont souvent une composante héréditaire. Tel est le cas du strabisme, des troubles réfractifs, de la cataracte congénitale ou des anomalies oculaires ou du nerf optique. C’est pourquoi il y a un risque élevé d’avoir un enfant amblyope lorsqu’un ou plusieurs apparentés ont, eux-mêmes, développé une amblyopie. De plus, il existe un risque plus important de développer une amblyopie en présence de la plupart des causes déjà signalées, comme des troubles réfractifs pour lesquels certains auteurs proposent de retenir des seuils plus bas. Enfin, le caractère héréditaire de l’amblyopie ou de ses étiologies doit amener à la faire rechercher chez les frères, sœurs, cousins et cousines d’un enfant pris en charge. La notion d’hérédité est retrouvée dans notre cas clinique. Il faut toutefois rappeler que les personnes de plus de 50 ans environ n’ont généralement pas été rééduquées de leur amblyopie, celle-ci n’ayant généralement pas été détectée suffisamment tôt. Avant les années 1960, le dépistage de l’amblyopie n’était pas aussi systématique qu’il l’est actuellement et le traitement n’était pas réalisé suffisamment tôt pour être efficace. C’est la raison pour laquelle le grand-père maternel de notre jeune patiente est fonctionnellement monophtalme (« borgne »). L’âge de l’enfant est un élément important, notamment en cas de privation ou de strabisme tardif. En effet, une amblyopie n’apparaît que pendant la période sensible, ou période critique, du développement de la vision. Celle-ci se caractérise par de profondes modifications histologiques du système nerveux et fonctionnelles des cellules qui le composent. En ce qui concerne l’acuité visuelle, cette période critique s’étend de 3 semaines de vie jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans. Cependant, le système
visuel est d’autant plus sensible que l’enfant est plus jeune. Il devient plus difficile d’agir sur le système, soit pour induire une amblyopie, soit pour la rééduquer, lorsque l’enfant est proche de la fin de la période critique du développement de la vision. C’est pourquoi une lésion occultant l’axe visuel lors des premiers mois de vie a un plus grand retentissement qu’une lésion apparue vers 5 ou 6 ans. Cette notion explique qu’il puisse exister une différence de pronostic entre les cataractes congénitales, très amblyogènes et qui doivent être opérées avant 6 semaines de vie, et les cataractes acquises ou s’aggravant progressivement dont le retentissement est moindre, l’œil ayant déjà eu une expérience visuelle. De même, le traitement de l’amblyopie ne peut généralement être effectué que durant cette période critique, c’est-à-dire jusqu’à 6 ou 7 ans. Il peut être considéré comme une « semi-urgence », surtout si l’amblyopie n’a pas été mise en évidence très tôt. Au-delà de cet âge, il est possible de tenter une rééducation en réalisant une occlusion, mais elle dure nettement plus longtemps – il est souvent nécessaire d’effectuer une occlusion pendant 8 ou 9 mois (contre une semaine par année d’âge avant 7 ans). Enfin, le caractère unilatéral de l’anomalie amblyogène est un élément important à prendre en compte puisqu’il rend plus difficile les possibilités de récupération après rééducation. Cette notion est retrouvée en cas de strabisme non alternant, le même œil étant toujours dévié, ou en présence d’une privation ou d’une anomalie organique unilatérale. Il faut noter qu’en cas de cataracte congénitale bilatérale, certaines équipes proposent d’occlure le premier œil opéré tant que le second ne l’est pas encore pour éviter de transformer une privation bilatérale en privation unilatérale.
À quel âge apparaît l’amblyopie ?
L’amblyopie peut se développer de la naissance à 6 ans environ. Certaines formes sont diagnostiquées précocement, moins devant un trouble du comportement visuel qui traduit la présence d’une profonde basse vision à chaque œil, que devant une anomalie oculaire telle qu’une leucocorie, un ptôsis, une opacité cornéenne ou un strabisme. Ce dernier peut être primitif ou symptomatique et révélateur d’une 106
mauvaise vision oculaire unilatérale – selon l’adage « un œil qui tourne ne voit pas, un œil qui ne voit pas tourne ». Les amblyopies par anisométropie ne peuvent être retrouvées qu’à l’occasion d’un dépistage en médecine scolaire, chez un pédiatre ou lors d’une consultation d’ophtalmologie. Ce dépistage de l’amblyopie constitue un problème de santé public. Plusieurs rapports ont
CAS N° 30
préconisé de réaliser un examen ophtalmologique chez tous les enfants avant l’âge de 3 ou 4 ans. Devant ce tableau typique d’amblyopie, une réfraction sous atropine 0,5 % est prescrite et met en évidence une
hypermétropie à + 4,5 (+ 1,25 à 80°) à l’œil droit et + 3 (+ 0,5 à 120°) à l’œil gauche. La correction optique totale est prescrite et l’enfant P. est revue un mois plus tard. Son acuité visuelle est alors mesurée à 3/10 Rossano 1/4 à l’œil droit et est inchangée à l’œil gauche.
Quelles sont les causes d’une amblyopie ?
Il existe trois types d’amblyopie en fonction des mécanismes qui les sous-tendent. Le type d’amblyopie le plus fréquent reste l’amblyopie fonctionnelle. Celle-ci peut être due à un strabisme non alternant, généralement accommodatif. C’est souvent du fait de la présence de ce strabisme que les parents consultent, permettant de mettre en évidence l’amblyopie. Il n’existe aucune relation entre l’importance de l’angle du strabisme et la profondeur de l’amblyopie, certains microstrabismes pouvant être responsables d’amblyopies découvertes tardivement et irréductibles. L’existence d’une anisométropie (ou différence de réfraction entre les deux yeux) constitue une autre grande cause d’amblyopie fonctionnelle. Cette étiologie, qui est celle de notre cas clinique, est plus « sournoise » et souvent plus difficile à expliquer aux parents. En effet, l’enfant ne présente aucune anomalie oculaire ni des axes optiques. De plus il voit bien, mais d’un seul œil. Les valeurs d’anisométropie amblyogène ont été largement étudiées par le PEDIG (Pediatric Eye Disease Investigator Group) et sont définies en fonction de l’âge de l’enfant. Toutefois, en pratique, il faut retenir qu’une aniso-hypermétropie de 1,5 à 2 dioptries, qu’une aniso-myopie de plus de 2 dioptries, qu’une hypermétropie de plus de 5 dioptries et qu’un astigmatisme de plus de 1,5 dioptrie
sont amblyogènes. L’existence d’un nystagmus constitue la dernière cause d’amblyopie fonctionnelle. Ces amblyopies fonctionnelles répondent bien à la rééducation, à condition que celle-ci soit réalisée avant l’âge de 6 ou 7 ans. Néanmoins, les amblyopies par anisométropie répondraient plus longtemps à la rééducation. C’est pourquoi il faut tenter une rééducation même au-delà de 7 ans, en sachant qu’elle sera beaucoup plus longue et que son résultat est incertain. L’existence d’une anomalie oculaire ou du nerf optique est responsable d’une amblyopie organique puisqu’elle altère la perception ou le transfert de l’information visuelle vers le cortex visuel. Cependant, il s’associe toujours une part fonctionnelle à cette amblyopie organique. Cette part fonctionnelle est accessible à la rééducation, mais l’acuité visuelle reste toujours limitée. Enfin, un obstacle sur l’axe visuel, qu’il s’agisse d’une cataracte, d’une taie cornéenne ou d’un angiome palpébral, est responsable du troisième type d’amblyopie, dite de « privation ». Il faut insister sur certaines privations négligées par les parents. Tel est le cas d’œdèmes palpébraux survenant lors d’une conjonctivite, d’un traumatisme ou encore d’un traitement par application unilatérale de pommade oculaire chez un nourrisson.
Comment met-on en évidence une amblyopie ?
Les examens cliniques ou paracliniques nécessaires pour confirmer la présence d’une amblyopie doivent être adaptés à l’âge de l’enfant. Chez les enfants les plus jeunes, il faut confronter ces examens cliniques et paracliniques avant d’obtenir une certitude diagnostique devant plusieurs résultats concordants. Il faut souligner qu’un examen ophtalmologique complet est indispensable dès la première consultation pour éliminer une cause organique à cette amblyopie qui en changerait le pronostic et le schéma de rééducation. Un examen orthoptique doit
également faire partie du bilan initial à la recherche d’un microstrabisme. Chez les enfants les plus jeunes, ce bilan orthoptique apporte des arguments en faveur d’une amblyopie devant l’absence de vision binoculaire ou de vision du relief ou lorsqu’un œil a tendance à devenir fixateur. Les tests psychovisuels permettent également d’analyser cette capacité de fixation de chaque œil ainsi que celle à regarder ce qui l’entoure. Il s’agit du test de l’occlusion alternée (étudiant les réactions de l’enfant à l’occlusion de l’un ou l’autre 107
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
œil) et du signe de la toupie (analysant l’œil fixant un objet dans le champ visuel droit ou gauche). À tout âge, il est essentiel de mesurer la réfraction tant dans un but diagnostique qu’en vue d’une éventuelle rééducation. Chez l’enfant, cette mesure de la réfraction ne peut s’effectuer que sous cycloplégie du fait de l’importance de son pouvoir accommodatif. Il n’existe pas de substance cycloplégique idéale assurant une paralysie totale du muscle ciliaire. L’atropine reste la substance de référence mais nécessite d’être instillée pendant les 5 jours avant la mesure. Le cyclopentolate, instillé dans l’heure qui précède l’examen, est d’utilisation plus aisée mais ses résultats sont moins fiables. Les autoréfractomètres donnent chez l’enfant des valeurs précises à condition de prendre quelques précautions (mode de mesure rapide, répétition des mesures, etc.). L’évaluation de la capacité visuelle à l’aide de la méthode du regard préférentiel (par exemple cartons de Teller) doit être réservée à la recherche et au suivi de l’amblyopie organique. En revanche, cette technique peut être prise en défaut en présence d’amblyopie strabique ou par anisométropie, les deux formes les plus fréquentes en routine. Chez l’enfant plus âgé, il est possible de mesurer l’acuité visuelle, d’abord par confrontation (l’enfant pointe ce qu’il voit sur une planche placée devant lui), puis de manière usuelle en utilisant des échelles adaptées à ses capacités.
Il est alors prescrit une occlusion permanente de l’œil gauche réalisée à l’aide d’un cache porté jour et nuit à même la peau, sous les lunettes. P. est revue par l’orthoptiste deux fois par semaine pour s’assurer de l’absence de bascule d’amblyopie et vérifier que l’acuité visuelle de l’œil droit s’améliore. Celle-ci remonte progressivement et, après 4 semaines de cette rééducation, l’acuité visuelle droite est chiffrée à 7/10 Rossano 1/2. Il est alors décidé de prescrire un verre de + 6,5 (+ 0,5 à 120°) à l’œil gauche, ce qui correspond à une sur-correction de + 3,5 dioptries. Cette pénalisation optique de type Quéré a pour but de stabiliser la récupération obtenue grâce à l’occlusion totale et ainsi d’éviter une récidive de l’amblyopie. Du fait de cette pénalisation, l’acuité visuelle de l’œil gauche est limitée à 1/10. Six mois plus tard, l’acuité visuelle droite est chiffrée à 9/10 et celle de l’œil gauche est à 10/10 avec sa correction optimale en utilisant l’échelle des E de Snellen. En revanche, en utilisant l’échelle chiffres, l’acuité visuelle droite est à 8/10 faible et celle de l’œil gauche est à 9/10. De près, l’acuité visuelle de chaque œil est chiffrée à Rossano 1/2. Du fait du jeune âge de cette enfant, il est décidé de ne pas modifier la pénalisation optique réalisée et de la revoir 6 mois plus tard. À l’âge de 6 ans, P. est revue sous cycloplégie pour ajuster la correction optique qui se modifie avec le temps. Devant la stabilité de l’acuité visuelle, on décide de réduire progressivement la pénalisation. Cette réduction se fait par palier de trois quarts à une dioptrie tous les 6 mois. Lors du contrôle réalisé à 9 ans, il n’y a pas eu de récidive de l’amblyopie.
Comment rééduque-t-on une amblyopie ?
La rééducation est d’autant plus efficace que l’enfant est plus jeune et qu’il persiste un certain degré de plasticité cérébrale. C’est pourquoi elle est plus urgente et doit être plus « agressive » chez les enfants proches de la fin de la période critique. Il est important de faire comprendre aux parents l’intérêt de cette rééducation car celle-ci est longue, difficile et prenante pour eux et leur enfant, et qu’en son absence, l’enfant restera définitivement fonctionnellement monophtlame… Le principe de la rééducation de l’amblyopie vise d’une part à obliger l’œil dominé à regarder en le mettant dans les conditions optiques les plus favorables et, si besoin, en diminuant ou occultant la vision de l’œil dominant et, d’autre part, à éviter toute compétition entre les deux yeux pendant plusieurs mois, au mieux jusqu’à la fin de la période sensible, pour éviter toute rechute. Le premier temps consiste toujours en la prescription de la correction optique totale déterminée sous cycloplégie, après avoir levé une éventuelle privation visuelle. Le port 108
de cette correction optique totale est parfois suffisant pour corriger l’amblyopie. S’il persiste une asymétrie de l’acuité visuelle, il faut passer à différentes techniques d’occlusion permanente ou discontinue de l’œil dominant ou de pénalisation optique ou pharmacologique afin de normaliser puis ancrer la vision de l’œil dominé et éviter les rechutes. Plusieurs études du PEDIG ont montré que ces techniques donnent des résultats proches l’une de l’autre en termes de remontée de l’acuité visuelle. Néanmoins, l’acuité finale semble d’autant plus élevée et plus rapidement que la durée d’occlusion est plus longue. C’est pourquoi le choix entre ces différentes techniques va prendre en compte la profondeur de l’amblyopie, l’âge de l’enfant, mais aussi la réponse de ce dernier à la rééducation et les possibilités de suivi pendant le traitement. L’occlusion, réalisée à l’aide d’un pansement spécifique collé à même la peau, peut être permanente, l’enfant le gardant la nuit. Cette occlusion permanente est très efficace pour débuter une rééducation
CAS N° 30
comme dans le cas de notre petite patiente. Elle doit être poursuivie jusqu’à obtention d’une quasi-isoacuité visuelle, ce qui nécessite une semaine par année d’âge (avant 7 ans). Au-delà de cet âge, le traitement est plus incertain et plus long (plus de 6 mois d’occlusion). Cependant, elle expose à un risque de bascule d’amblyopie, l’acuité visuelle de l’œil occlus pouvant s’effondrer. C’est pourquoi celle-ci doit généralement être contrôlée une ou deux fois par semaine, le traitement étant modifié en cas de problème. Une alternative consiste à n’occlure l’œil dominant que quelques heures par jour. Cette technique d’occlusion discontinue permet d’améliorer l’acuité visuelle sans risque de bascule d’amblyopie, donc sans nécessité d’un suivi (bi-)hebdomadaire et en réduisant les éventuelles conséquences psychologiques liées au port du pansement à l’école. Toutefois, le traitement est alors plus long et l’acuité visuelle finale sans doute légèrement plus basse qu’après une occlusion permanente. Une alternative à l’occlusion discontinue consiste à pénaliser la vision de l’œil dominant soit à l’aide d’une instillation d’atropine deux fois par semaine, soit en ajoutant une addition de + 3,50 dioptries à la correction optique totale (méthode de Quéré), soit enfin en plaçant un filtre de Ryser sur le verre de
lunette de cet œil. La pénalisation pharmacologique est très utile en début de rééducation. En revanche, les deux techniques de pénalisation optique constituent une méthode de choix pour stabiliser les résultats obtenus à l’aide d’une occlusion quelle qu’elle soit. C’est du reste ce qui avait été choisi dans le cas présenté. En l’absence de risque de bascule d’amblyopie, une surveillance bimensuelle est suffisante. Ces traitements d’entretien sont maintenus de manière dégressive jusqu’à ce que le risque de rechute d’amblyopie ait disparu, c’est-à-dire jusqu’à 7 ou 9 ans. En l’absence de récupération visuelle, il faut renouveler l’examen ophtalmologique en y associant éventuellement un bilan électrophysiologique et, au moindre doute, un bilan neuroradiologique. Puis, il faut vérifier la réfraction après cycloplégie sous atropine, puis que le traitement est bien suivi par les parents. Le passage à une pénalisation pharmacologique permet de contrôler le respect de ce traitement. Après trois tentatives de rééducation infructueuses basées sur une occlusion complète, l’amblyopie est considérée comme irréductible et toute rééducation arrêtée.
Conclusion
L’amblyopie est une pathologie fréquente pouvant passer inaperçue. Son dépistage et sa prise en charge précoce, avant la fin de la période critique, constituent les meilleurs garants d’une rééducation rapide et efficace permettant de recouvrer une isoacuité visuelle. Cette rééducation nécessite d’abord le port d’une correction optique optimale puis est fondée sur différentes techniques d’occlusion ou de pénalisation dont
l’efficacité serait voisine, avec cependant quelques différences, notamment dans la durée du traitement. Le choix de ces techniques diffère donc en fonction de l’âge de l’enfant et de sa coopération et de celle des parents, ainsi qu’en fonction du type d’amblyopie et de sa profondeur. La coopération active des parents est essentielle, et donc leur compréhension de la pathologie et de ses conséquences en l’absence de traitement.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
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CAS N° 31 Strabisme de l’adulte
Madame D., 40 ans, a pris rendez-vous chez un ophtalmologiste, adressée par son médecin généraliste pour des céphalées. Elle est mère de trois enfants et ne présente pas d’antécédents généraux particuliers. Sur le plan ophtalmologique, elle présente un strabisme depuis l’enfance (dès sa naissance d’après ses parents). Elle se souvient avoir eu des « caches » quand elle était petite car un œil était malade, mais le traitement n’a pas abouti. Lassée, sa famille a arrêté rapidement tout suivi. Elle devrait porter une correction optique mais elle n’en ressent pas le besoin. D’ailleurs, elle voit bien sans lunettes. Cependant, depuis quelque temps, elle a l’impression que son strabisme augmente et ressent des douleurs péri-orbitaires et des céphalées le soir. Lors de sa dernière consultation en ophtalmologie (il y a environ 10 ans), le médecin lui a dit qu’il était trop tard pour la traiter. D’ailleurs, toute opération chirurgicale lui a formellement été déconseillée car elle verrait double après. La patiente ne prend pas de traitement particulier. Madame D. est actuellement assistante de direction dans une entreprise de prêt-à-porter. Son employeur lui a récemment proposé un poste de chargée de clientèle, mais elle hésite. Si elle n’est pas complexée par son strabisme, elle sent bien que cela provoque une certaine gêne chez ses interlocuteurs : elle a remarqué que souvent les gens ne s’adressent pas directement à elle et ne savent pas quel œil regarder. Elle s’inquiète de cette promotion car elle sera désormais plus souvent en contact avec les clients.
Est-ce un cas fréquent en ophtalmologie ?
La prévalence du strabisme correspond à environ 4 % de la population générale. Il s’agit en général d’une pathologie apparue et rapidement prise en charge dans l’enfance. Cependant, 25 % des patients qui consultent pour un problème oculomoteur sont adultes. Dans plus de la moitié des cas, leur
strabisme n’a jamais été pris en charge (ésotropie négligée). Les motifs de consultation sont alors une déviation angulaire trop visible (78 %), qui aurait tendance à augmenter (62,5 %), ou des troubles fonctionnels (amblyopie 40 %, asthénopie 19,3 %, diplopie 10,4 %).
Comment conduire cette première consultation ?
Il faut avant tout identifier la plainte de la patiente. Elle est adressée pour un bilan de céphalées et ressent des signes évoquant une fatigue oculaire (asthénopie accommodative) en fin de journée. Cependant, son histoire ophtalmologique et une grande partie de ses interrogations sont marquées par le strabisme. Il convient dans un premier temps de réaliser une mesure de sa réfraction sans cycloplégie et de
rechercher la meilleure acuité visuelle corrigée pour chaque œil. Une étude de la vision binoculaire est également effectuée. Un bilan oculomoteur est alors réalisé pour mesurer l’importance de la déviation angulaire en vision de loin et en vision de près, sans et avec correction optique. Des signes oculomoteurs évocateurs d’une apparition précoce du strabisme sont recherchés (nystagmus manifeste latent, 111
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
déviation verticale dissociée). Puis une mesure de la réfraction après instillation de collyres cycloplégiques est effectuée. Jusqu’à 50 ans, nous utiliserons en premier lieu du cyclopentolate, car il permet de paralyser l’accommodation mais dispose d’une courte durée d’action. Nous compléterons l’examen par l’étude attentive du fond d’œil, à la recherche d’anomalie malformative ou cicatricielle expliquant le dysfonctionnement éventuel d’un des deux yeux de notre patiente.
La meilleure acuité visuelle de madame D. est de 1/20e à droite et de 10/10e à gauche. Après cycloplégie, la réfraction retrouve une hypermétropie plus importante à droite (+ 5 dioptries) qu’à gauche (+ 2 dioptries). La déviation strabique est de 35 dioptries prismatiques en vision de loin, augmentant à 40 dioptries prismatiques en vision de près. Il existe un nystagmus manifeste latent. L’examen du fond d’œil est sans particularité. La patiente vous demande s’il existe un moyen d’améliorer l’acuité visuelle de son œil droit.
Que lui répondez-vous ?
Madame D. présente une amblyopie profonde de l’œil droit. Il s’agit d’un mauvais développement de la fonction visuelle d’un œil, survenue dans l’enfance. La présence d’un nystagmus manifeste latent lors de l’examen clinique signe la précocité de l’instauration du trouble. Dans le cas de notre patiente, cette amblyopie résulte de la compétition entre des informations visuelles différentes transmises par chacun des deux yeux (strabisme) et/ou de la diminution de la qualité de l’image transmise par un œil (anisométropie) durant la période précoce du développement visuel. En absence de traitement, un patient strabique sur deux développe spontanément une amblyopie.
L’efficacité du traitement est maximale durant la période de maturation du cortex visuel, durant les 6 premières années de vie. Au-delà, son efficacité s’amenuise et il est admis que les résultats sont nuls à l’âge adulte. Son origine étant corticale et précoce, aucun traitement occlusif (cache) ne peut l’améliorer à l’âge adulte. Le traitement des troubles réfractifs améliore modestement l’acuité visuelle. La rééducation orthoptique est en général déconseillée : elle peut lever le scotome de neutralisation du patient, lui faisant prendre conscience de sa deuxième image et augmentant le risque de diplopie. La chirurgie ne permet pas non plus d’améliorer l’acuité visuelle.
Que peut-on faire pour les douleurs péri-orbitaires et les céphalées ?
Si le port de lunettes ne permet pas de traiter l’amblyopie de l’adulte, il permet souvent de corriger les troubles asthénopiques. Compte tenu des céphalées, la correction de l’hypermétropie de l’œil gauche chez cette patiente ne se discute pas. L’œil droit présente une acuité visuelle basse du fait de son amblyopie, mais n’en reste pas moins un œil fonctionnel (en particulier au niveau du champ visuel périphérique). Une correction optique droite est également nécessaire. Les sujets strabiques ont souvent un rapport accommodation-convergence pathologique et il est possible que le surcroît d’accommodation que doit réaliser madame D. pour voir net en l’absence de lunettes aggrave sa déviation angulaire. Nous prescrirons une correction optique saturant au maximum l’hypermétropie de notre patiente (aussi bien à droite qu’à gauche), permettant la diminution des phénomènes accommodatifs et la stabilisation de la 112
déviation angulaire. Il faudra prévenir la patiente, qui n’a pas porté de lunettes depuis des années, qu’elle peut avoir l’impression initiale de voir moins bien avec sa correction. Le port doit être permanent. Madame D. revient vous voir 6 mois plus tard. Pendant les 15 premiers jours, elle a eu un peu de mal à s’accoutumer à sa nouvelle correction optique. Cependant, elle s’y est habituée et la porte désormais sans discontinuer. Les céphalées ont nettement diminué depuis la dernière consultation. Elle n’a plus l’impression que son strabisme augmente, mais ressent parfois des douleurs autour de l’œil droit (« Ça tire, je sens mon œil qui bouge »). Avec son changement de poste professionnel, elle est beaucoup plus en contact avec les clients et ressent parfois des difficultés de communication qu’elle attribue à son strabisme. Celui-ci la gêne de plus en plus et elle souhaiterait savoir s’il existe un traitement rééducatif.
Cas n° 31
Quelles sont les conséquences du strabisme chez un adulte ?
Deux conséquences visuelles majeures du strabisme peuvent être observées à l’âge adulte : l’amblyopie et la diplopie. La première est relativement fréquente, résultant d’un processus survenu dans la première enfance et qui n’est plus accessible à un traitement à l’âge adulte. La seconde est beaucoup plus rare. Sur le plan fonctionnel, il n’est pas rare que les sujets rapportent des sensations de gêne, de tiraillement, de lourdeur péri-orbitaire, voire de céphalées. Ces symptômes sont d’autant plus présents que la
correction optique n’est pas adaptée et que l’angle de la déviation strabique est important. Les questionnaires standardisés de qualité de vie ont mis en évidence le retentissement tant psychologique que social du strabisme chez le sujet adulte. Les scores de qualité de vie sont significativement moins bons chez les patients strabiques par rapport aux patients présentant une autre pathologie ophtalmologique ou par rapport à des sujets normaux. Ils sont d’autant plus bas que la déviation est importante et que le patient est de sexe féminin ou d’un niveau socio-économique peu favorisé.
Quelle est la place de la rééducation orthoptique dans le strabisme de l’adulte ?
La rééducation doit être proscrite chez les patients présentant un strabisme apparu précocement. Ces patients possèdent une organisation différente de leurs cartes corticales visuelles (patient dit « à sensorialité anormale »). Même le rétablissement parfait des axes oculaires ne permettra jamais de développer une coopération de qualité (une vision binoculaire) entre les deux yeux. Des mécanismes puissants de neutralisation se sont développés dans l’enfance empêchant la diplopie. En obligeant les patients à prendre conscience que chaque œil a une vision différente, la rééducation peut diminuer ces mécanismes de neutralisation, révélant une diplopie extrêmement difficile à traiter. Il faut absolument respecter cette neutralisation chez les patients strabiques adultes. Dans certaines situations précises, la rééducation orthoptique peut améliorer la compensation angulaire. Elle a montré son efficacité dans certains strabismes apparus tardivement (les strabismes divergents intermittents, les insuffisances de convergence), au prix d’un effort permanent de compensation. Ces mécanismes de compensation ont une tendance
naturelle à diminuer dans le temps, la rééducation orthoptique perdant alors de son efficacité. La détermination de la « sensorialité » du sujet strabique est donc indispensable avant d’entreprendre toute rééducation orthoptique. Il est extrêmement difficile de dater l’âge d’apparition d’un strabisme. Chez le patient adulte, l’interrogatoire est souvent trop biaisé par le temps pour l’affirmer. De plus, certains strabismes « précoces » ne se révèlent que des années plus tard. Un bilan orthoptique et un examen ophtalmologique permettent souvent d’avoir une idée de la sensorialité du patient, sans diagnostic de certitude. En conséquence, la place de la rééducation dans la gestion du strabisme de l’adulte est très limitée. Elle peut être efficace (temporairement ?) dans de rares cas, mais reste le plus souvent sans effet sur la déviation angulaire. Pire, ses conséquences sur le plan sensoriel peuvent être désastreuses et définitives. Elle relève donc de la prescription du spécialiste, idéalement d’un accord entre un ophtalmologiste expérimenté dans les troubles oculomoteurs et un orthoptiste.
Quelle est la place de la chirurgie dans le strabisme de l’adulte ?
Beaucoup de patients et de praticiens ont l’idée fausse que le strabisme de l’adulte ne peut être traité, ou que ce traitement est associé à un niveau de risque important. Les études récentes montrent au
contraire que le traitement chirurgical du strabisme de l’adulte permet d’améliorer la déviation angulaire, obtenant un résultat satisfaisant dans 68 à 85 % des cas. Il diminue également la symptomatologie 113
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
fonctionnelle : disparition de la diplopie pré-opératoire, amélioration de la vision stéréoscopique, élargissement du champ visuel ou diminution du torticolis. Les complications graves sont rares, inhérentes à tout acte chirurgical et essentiellement liées à l’anesthésie générale ou à la perforation sclérale (0,8 à 1,8 %). Une diplopie postopératoire transitoire est fréquente (jusqu’à 34 %), mais celle-ci cède en général très rapidement, une infime minorité des patients (de 0,8 à 3 %) présentant encore une diplopie plusieurs mois après la chirurgie. Plusieurs opérations peuvent être nécessaires (21 %), d’autant plus que le patient a déjà été opéré précédemment. La décision chirurgicale est décidée avec le patient, en lui exposant clairement le bénéfice attendu et les risques encourus (sans les minimiser, mais sans les surestimer non plus).
Beaucoup de praticiens considèrent également que le traitement chirurgical du strabisme est essentiellement esthétique. Comme nous l’avons vu, il permet une amélioration esthétique, mais également fonctionnelle. De nombreuses études ont également montré son bénéfice sur les plans psychologique et social. Ainsi, les critères d’évaluation de la qualité de vie s’améliorent drastiquement après la chirurgie, d’autant plus que la déviation strabique est moins visible. Cette amélioration de la qualité de vie perdure dans le temps. Les enfants de madame D. n’ont jamais été examinés par un ophtalmologue. Elle n’a rien remarqué d’anormal, mais vous demande s’ils doivent quand même vous consulter.
Quels sont les risques pour la famille ? Parmi les patients strabiques, des antécédents familiaux de strabisme sont identifiés dans 20 à 65 % des cas selon le type de déviation. Il est également très fréquent de détecter des anomalies amblyogènes (strabisme, forte hypermétropie, anisométropie) chez les relatifs des patients strabiques. Les enfants de
madame D. doivent bénéficier d’un examen ophtalmologique systématique durant les deux premières années de vie, incluant une étude des axes oculaires mais également de la réfraction avec cycloplégie. En fonction de cet examen, une surveillance sera ensuite proposée.
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CAS N° 32 Quand la vision d’un œil disparaît
Madame A., 85 ans, vient vous voir car sa vision de l’œil droit a brutalement chuté ce matin, sans aucune douleur. Elle n’a pas d’antécédent connu, en dehors d’une hypertension artérielle traitée par bêtabloquants. L’examen ophtalmologique est normal en dehors du fond d’œil droit (Figure 1), dont l’aspect est commenté ci-après. Elle ajoute qu’elle a vu son ophtalmologiste une semaine plus tôt, et qu’à l’époque, tout était normal.
Comment interprétez-vous le fond d’œil ? Il existe un œdème papillaire volumineux, englobant toute la circonférence de la papille, dont les contours sont alors flous, mal définis. Il n’y a pas d’hémorragie papillaire. On n’observe pas d’excavation papillaire (Figure 2). La rétine n’est pas vue dans sa totalité, mais la portion visible ne présente pas d’anomalie.
Figure 1 – Présence d’un œdème papillaire blanc, diffus, sans hémorragie. Les vaisseaux rétiniens sont normaux.
a
b
Figure 2 – (a) Papille avec excavation normale. (b) Papille sans excavation visible.
115
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quel diagnostic évoquez-vous ? Argumentez.
Le diagnostic à évoquer est celui d’une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA), sur l’association d’une baisse visuelle brutale
indolore à l’apparition d’un œdème papillaire, sans autre anomalie associée, chez un sujet de plus de 50 ans.
En quoi l’examen de l’autre œil peut-il vous aider dans votre diagnostic ?
On recherchera sur l’autre œil un aspect de papille, de petite taille, sans excavation, pour lesquelles le risque de NOIAA non artéritique est élevé.
L’examen du fond d’œil recherchera également des anomalies rétiniennes comme des nodules cotonneux ou une occlusion d’artère rétinienne, en faveur d’une maladie de Horton.
Quels éléments cliniques recherchez-vous à l’interrogatoire et à l’examen pour orienter votre diagnostic étiologique ?
Il existe deux grandes étiologies de NOIAA dont l’urgence est différente : les NOIAA non artéritiques, qui représentent 90 à 95 % des NOIAA, et les NOIAA artéritiques dues à l’artérite de Horton. La prise en charge d’une NOIAA artéritique est une urgence et il faut en poser le diagnostic au plus vite. L’interrogatoire recherche donc des arguments cliniques en faveur d’une maladie de Horton : − céphalées ; − altération de l’état général, asthénie ; − douleurs des ceintures, orientant vers une pseudo-polyarthrite rhizomélique ; − amaurose transitoire, précédant l’occlusion complète du vaisseau ;
− claudication des mâchoires : douleur dans les muscles masticatoires, survenant après un certain effort de mastication et disparaissant au repos ; − hyperesthésie du cuir chevelu ; − pouls temporaux indurés, douloureux, abolis. À l’inverse, il est possible de rechercher à l’interrogatoire des arguments en faveur d’une NOIAA non artéritique : − un terrain cardiovasculaire sous-jacent ; − l’existence d’un facteur déclenchant : prise médicamenteuse nouvelle, majoration d’un traitement antihypertenseur, autres pathologies préexistantes.
Quels sont les examens que vous demandez en urgence ? Pourquoi ?
Devant tout tableau de NOIAA chez un patient de plus de 50 ans, il faut éliminer en urgence une maladie de Horton. On demande une VS (vitesse de sédimentation) et une CRP (C-reactive protein ). La CRP a une sensibilité de l’ordre de 97,5 % et est plus spécifique que la VS. On peut trouver de 116
rares cas de Horton à VS élevée et CRP normale (environ 1 % des cas). Si l’on associe les deux examens VS et CRP, et que l’on considère le résultat anormal dès que l’une des deux valeurs est anormale, on a alors une sensibilité de 99 % et une spécificité de 97 %.
Cas n° 32
Envisagez-vous par la suite d’autres examens ? Une biopsie de l’artère temporale est le plus souvent nécessaire pour confirmer le diagnostic de maladie de Horton. Les faux négatifs sont de l’ordre de 3 à 9 %. La biopsie de l’artère temporale ne doit pas retarder la mise en place du traitement en cas de suspicion clinicobiologique. Le traitement corticoïde ne négative pas les signes histologiques de maladie de Horton avant 1 à 3 semaines. Le champ visuel est également rarement obtenu en urgence. Un déficit altitudinal est typique et évocateur de NOIAA – on entend par déficit altitudinal un déficit limité par une ligne horizontale passant par le point de fixation. Cet examen est également utile pour le suivi des patients, en plus de la mesure de l’acuité visuelle. L’angiographie à la fluorescéine peut être utile en montrant une ischémie choroïdienne dont
l’existence est en faveur de la maladie de Horton. En effet, la vascularite atteint les artères perfusant la tête du nerf optique, mais peut également intéresser les vaisseaux choroïdiens et rétiniens : il s’agit d’une maladie plus étendue que la NOIAA non artéritique, qui est une pathologie purement locale de la papille. Le bilan du terrain sous-jacent peut conduire à rechercher une dyslipidémie, un diabète ou une anémie ; un enregistrement de la tension artérielle sur 24 heures (MAPA) est souvent utile également pour rechercher une hypertension artérielle non contrôlée, ou au contraire une HTA trop sévèrement traitée avec des épisodes hypotensifs, notamment tôt le matin (dip nocturne). Si le contexte est évocateur, une recherche de syndrome d’apnées du sommeil peut être entreprise.
Quels traitements sont à votre disposition en fonction des différentes hypothèses étiologiques ? La NOIAA non artéritique ne répond à aucun traitement validé à ce jour. Un anti-agrégant plaquettaire type aspirine est souvent proposé sans réelle preuve d’efficacité, car cette pathologie survient plus souvent sur un terrain cardiovascualire sous-jacent (diabète, HTA, dyslipidémie, tabac). Pour éviter au maximum les risques de bilatéralisation, il faut prendre en charge les facteurs de risque cardiovasculaires : HTA, diabète, tabac, dyslipidémie. Il convient également de rechercher et de traiter d’éventuels facteurs favorisants : un traitement antihypertenseur surdosé, responsable en particulier d’hypotension nocturne, les vasodilatateurs utilisés pour les troubles de l’érection, de type Viagra®, le tabac et, de manière plus incertaine, l’anémie, le syndrome d’apnées du sommeil,
l’hyperhomocystéinémie, la cocaïne, l’IFN (interféron) (?), la Cordarone® et les triptans. En cas de NOIAA due à une maladie de Horton, le patient doit bénéficier d’un traitement corticoïde urgent. L’objectif n’est pas tant d’améliorer le pronostic visuel, qui reste médiocre de toute façon, que d’enrayer l’évolution de la maladie générale et d’éviter la survenue d’autres épisodes ischémiques (en particulier sur l’autre œil et sur le cerveau). Ce traitement est débuté en général en injection intraveineuse à hautes doses (de l’ordre de 1 g/j, sans consensus, à adapter au terrain), puis un relais per os est entrepris à 1 mg/kg/j à 1,5 mg/kg/j, avec décroissance progressive sur 6 à 12 mois, sous contrôle de la VS et de la CRP.
Bibliographie Parikh M, Miller NR, Lee AG, Savino PJ, Vacarezza MN, Cornblath W, et al. Prevalence of a normal C-reactive protein with an elevated erythrocyte sedimentation rate
in biopsy-proven giant cell arteritis. Ophthalmology. 2006, 113:1842-5.
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CAS N° 33 Une baisse d’acuité visuelle brutale et douloureuse chez une jeune femme
Mademoiselle C., âgée de 24 ans, consulte car elle a noté depuis hier un flou visuel de son œil gauche. La baisse de vision s’est installée rapidement sur 24 heures, et s’accompagne de douleurs rétroorbitaires gauches lorsqu’elle tente de regarder sur les côtés. Elle n’a pas d’antécédents particuliers médicochirurgicaux et ne prend actuellement aucun traitement. En l’interrogeant, elle rapporte un épisode de picotements et de légères brûlures dans le bras gauche ayant duré 48 heures il y a un an, mais qui aurait disparu spontanément et pour lequel elle n’a pas consulté. Lorsque vous l’examinez, vous trouvez une acuité visuelle à 10/10 de l’œil droit et 5/10 de l’œil gauche. À l’examen l’œil est blanc. La lumière ainsi que les couleurs (notamment le rouge) présentées à la patiente lui semblent atténuées lorsqu’elle les regarde avec son œil gauche comparé au droit. Lorsque vous éclairez chaque pupille indépendamment, vous observez une bonne contraction de chacune des pupilles ; en revanche, à l’éclairage alterné de chacune des deux pupilles, la pupille droite se contracte normalement, tandis que la gauche se dilate au lieu de se contracter. L’oculomotricité est normale dans toutes les directions du regard, le fond d’œil est normal des deux côtés. Les autres nerfs crâniens testés sont sans particularités. L’examen à la lampe à fente et le fond d’œil sont normaux.
Quels éléments sémiologiques permettent d’évoquer la principale hypothèse diagnostique ?
La présence d’un déficit pupillaire afférent relatif associée à une rétine normale indique que l’origine de la baisse d’acuité visuelle provient a priori d’une atteinte du nerf optique et non d’une cause cornéenne, cristallinienne, ou cérébrale. Le déficit pupillaire afférent relatif se recherche très facilement, dans l’obscurité, en éclairant alternativement l’œil droit et l’œil gauche à plusieurs reprise pendant environ 2 secondes chacune, avec une lumière intense projetée vers les yeux, la source lumineuse étant située sous le plan horizontal passant par celui des yeux, le sujet regardant au loin. Normalement, chaque pupille se resserre à la lumière. Si l’une des pupilles éclairée ne se resserre que peu, voire se redilate même un peu, tandis que la pupille controlatérale se resserre, il existe un déficit pupillaire afférent relatif (encore appelé signe de Marcus Gunn). Sa présence localise la lésion au niveau du nerf optique, mais ne donne aucune information quant à la nature de la lésion du nerf optique. L’absence d’œdème papillaire ou d’autre anomalie 118
du fond d’œil évoque plutôt une atteinte de la partie postérieure ou « rétrobulbaire » du nerf optique. Des indices concernant le type d’atteinte du nerf optique nous sont donnés par le terrain de la patiente (femme jeune sans antécédents), par le caractère douloureux de la baisse d’acuité visuelle (évocateur d’une inflammation du nerf optique plus que d’une compression ou d’une ischémie par exemple), et par le caractère rapidement progressif de la symptomatologie. En effet, une atteinte compressive s’installe généralement en plusieurs jours voir plusieurs semaines ou mois, et une atteinte ischémique est beaucoup plus brutale. Les autres types d’atteintes du nerf optique (en particulier les neuropathies optiques d’origine génétique, qui auraient pu se discuter ici, sont variables dans leur mode d’installation mais sont généralement indolores). L’ensemble de ces éléments fait donc évoquer en premier lieu le diagnostic d’inflammation de la partie postérieure du nerf optique gauche ou névrite optique rétrobulbaire (NORB) gauche.
CAS N° 33
Quel bilan proposer à cette patiente ?
Un examen du champ visuel permettra de visualiser et de quantifier le déficit visuel (scotome le plus souvent), et de suivre son évolution dans le temps. Le diagnostic de névrite optique rétrobulbaire est avant tout clinique et repose sur les éléments séméiologiques décrits précédemment. Si aucun examen complémentaire n’est nécessaire pour poser le diagnostic, ces examens restent indispensables pour préciser l’origine de cette inflammation du nerf optique – est-elle le signe d’une affection inflammatoire démyélinisante du système nerveux central de type SEP ? Est-elle le signe d’une autre maladie inflammatoire générale comme une sarcoïdose, ou encore d’une infection ? Afin de répondre à ces questions, une IRM cérébrale sera réalisée au cours du bilan de la maladie. Si le tableau est typique comme c’est le cas ici, il est inutile d’attendre le résultat de l’IRM cérébrale avant de proposer un traitement à la patiente. L’IRM devra être cérébrale et orbitaire et peut être réalisée dans les jours suivant la consultation. Elle doit comporter une injection de gadolinium et des clichés en suppression de graisse afin de mieux visualiser le nerf optique. L’IRM permettra d’une part de confirmer le diagnostic de névrite optique en montrant un nerf optique élargi et en hypersignal, rehaussé par l’injection de gadolinium (Figure 1). Parfois l’aspect du nerf optique peut être subnormal ce qui ne remet pas en cause le diagnostic si le tableau et l’évolution clinique sont typiques. L’IRM permet surtout de rechercher des hypersignaux cérébraux au niveau de la substance blanche péri-ventriculaire et du corps calleux en particulier, qui pourraient être signes d’une SEP révélée par cette névrite optique. La présence et le nombre des hypersignaux lors de l’IRM initiale déterminent le risque pour la patiente d’évoluer vers une éventuelle SEP dans les années à venir. En effet, tous les patients qui présentent une névrite optique rétrobulbaire n’ont pas ou n’auront pas forcément de SEP. L’étude de l’Optic Neuritis Treatment Trial (ONTT) a montré que les patients n’ayant pas de lésions à l’IRM initiale avaient un risque de seulement 15 % de développer une SEP à 5 ans, les patients avec 1 ou 2 hypersignaux avaient un risque de 37 % de développer une SEP à 5 ans, et les patients avec 3 lésions et plus avaient un risque de 51 %. A dix ans, le risque était de 22 % pour ceux qui avaient une IRM cérébrale normale initialement, 56 % pour ceux ayant 1 lésion ou plus à l’IRM initiale. Enfin, l’IRM cérébrale permet de voir s’il existe des signes permettant d’évoquer une autre cause à cette inflammation du nerf optique, telles qu’une
pachyméningite ou des granulomes évoquant par exemple une sarcoïdose. Si le tableau clinique est typique, aucun autre examen (en particulier la ponction lombaire) n’est indispensable dans le bilan diagnostique. En revanche, en cas d’atypie tels qu’une baisse visuelle très profonde (le patient ne voit pas la lumière), l’absence de douleur, la présence d’un œdème papillaire important, le sexe masculin, l’installation progressive, l’absence de récupération après 3 semaines, ou la présence d’autres signes cliniques généraux ou ophtalmologiques, il faudra compléter le bilan inflammatoire et infectieux par des sérologie de Lyme, syphilis, VIH, hépatites et bartonelle, des anticorps anti-ADN natifs, des anticorps anti-nucléaires, un dosage du complément, une intradermo-réaction à la tuberculine, et un scanner thoracique. Une IRM médullaire et une ponction lombaire pourront également être discutés. En cas de signes de myélite associée ou de baisse d’acuité visuelle très profonde ou bilatérale, les anticorps antiNMO (neuromyélite optique) devront également être recherchés à la recherche d’une maladie de Devic. En l’absence de douleurs, une recherche génétique d’une des mutations de la neuropathie optique de Leber pourra également être proposée à visée diagnostic différentiel. Enfin, les examens complémentaires comportent également le bilan pré-thérapeutique en vue de la réalisation de bolus de méthylprednisolone : un électrocardiogramme, une radiographie du thorax et un ionogramme sanguin avec glycémie seront réalisés.
Figure 1 – IRM cérébrale en coupe coronale T2 avec injection de gadolinium montrant un nerf optique gauche élargi et en hypersignal (flèche) comparé au nerf optique droit. Cet aspect est évocateur d’une inflammation de la partie postérieure ou rétrobulbaire du nerf optique gauche ou névrite optique rétrobulbaire gauche.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quelle est votre attitude thérapeutique ?
L’étude de l’ONTT a démontré le caractère délétère de la corticothérapie par voie orale. Celle-ci favoriserait en effet les récidives et n’apporte pas de bénéfice supérieur en terme de traitement de la poussée. Elle ne doit donc pas être proposée dans le traitement de la névrite optique rétrobulbaire. Les seules options thérapeutiques acceptables sont donc l’utilisation de bolus intraveineux de méthylprednisolone (1 g/j pendant 3 jours) ou l’abstention thérapeutique avec surveillance seule. En effet, toujours d’après cette étude, l’objectif des perfusions de méthylprednisolone par voie intraveineuse est de raccourcir la durée d’évolution de la maladie. Toutefois, l’acuité visuelle finale de la patiente sera inchangée par rapport au patient non traité. La mise en route du traitement dépend donc de la profondeur de la baisse d’acuité visuelle et de son retentissement dans la vie quotidienne du patient, ainsi que du terrain de la patiente. La balance risque/bénéfice de la corticothérapie doit être évoquée avec la patiente. Dans le cas de cette jeune patiente, sans antécédents particuliers, avec une baisse d’acuité visuelle significative, la corticothérapie intraveineuse semble être l’option la plus
adaptée, à la dose de 1 g/j pendant 3 jours, en l’absence de contre-indication. Les mesures associées à la corticothérapie (supplémentation potassique et calcique, et protecteurs gastriques) seront systématiquement prescrites pendant la durée du traitement. Le relais per os n’est plus réalisé systématiquement après les trois jours de corticothérapie orale, dans le cadre d’une névrite optique typique. Dans les rares cas où il est encore pratiqué, on proposera un relais par corticothérapie orale à la dose de 1 mg/kg/j avec une courte décroissance sur 11 jours. En dehors du traitement de la poussée, la question d’un traitement de fond d’une éventuelle maladie systémique peut se poser. Le neurologue évaluera le patient selon différents critères cliniques et radiologiques et déterminera par la suite si un traitement immunomodulateur doit ou non être proposé. Enfin, si la névrite optique s’intègre finalement dans le cadre d’une maladie de Devic (neuromyélite optique) avec des anticorps anti-NMO positifs et une myélite, le traitement comportera d’emblée la mise en route d’immunosuppresseurs.
Quelles recommandations faites-vous à la patiente et comment organiser son suivi ?
L’évolution de la névrite optique idiopathique se fait habituellement vers une récupération progressive en 2 à 8 semaines. Le pronostic visuel est bon en général avec seulement 6 % des patients dont l’acuité visuelle était inférieure à 1/10 qui ne s’améliorent pas. La majorité de la récupération visuelle a lieu au cours des deux premiers mois mais peut se poursuivre jusqu’à un an. En l’absence de signes de récupération, même partielle, au bout de trois semaines, il convient de compléter le bilan étiologique et de remettre en cause le caractère idiopathique de la névrite optique. De même, en cas de rechute à l’arrêt du traitement, ou d’aggravation lors de la corticothérapie, il faudra remettre en cause le diagnostic et compléter le bilan étiologique. La patiente doit systématiquement être évaluée à trois semaines du début des symptômes afin de s’assurer de l’évolution favorable de la symptomatologie. À cette occasion, un nouveau champ visuel peut être réalisé afin d’objectiver l’amélioration qui peut ne pas avoir été notée par la patiente (diminution d’un éventuel scotome montrant une amélioration mais persistance d’une acuité visuelle basse car le scotome est central). Un examen du fond d’œil 120
devra être réalisé à cette occasion afin de s’assurer de l’absence d’apparition d’exsudats en forme d’étoile au pôle postérieur dans la région de la macula. Ceux-ci, lorsqu’ils sont présents, signent le diagnostic de neurorétinite de Leber, une condition pouvant ressembler initialement fortement à une névrite optique mais de pronostic tout à fait favorable. En général, cette affection est due à une infection par Bartonella henselae et requiert un traitement par antibiotique. Elle ne récidive pas le plus souvent et n’est jamais associé à la SEP. De nombreux patients décrivent des anomalies persistantes de la vision des couleurs, des contrastes ou de la profondeur à distance d’une poussée de NORB, malgré une acuité visuelle revenue à 10/10 et un champ visuel normalisé. Ceci est fréquent et il convient de rassurer le patient sur la bénignité de ces symptômes et sur la bonne récupération visuelle. Ces anomalies peuvent ou non disparaître avec le temps mais souvent sur plusieurs mois ou années. Certains patients expérimenteront également un phénomène de Uthoff, au cours duquel les symptômes de névrites optique (flou visuel) sont reproduits lorsque la chaleur et donc les besoins métaboliques augmentent (au cours
CAS N° 33
de l’exercice physique, d’un bain chaud ou d’une fièvre par exemple). Ces phénomènes sont bénins et durent en général seulement quelques minutes avant de disparaître spontanément lorsque la température corporelle diminue. Si le diagnostic de névrite optique idiopathique est retenu devant la clinique typique et l’évolution favorable, la suite de la surveillance sera fonction de l’IRM cérébrale initiale. Il est généralement recommandé dans tous les cas de prendre contact avec un neurologue pour une première évaluation de référence. Les critères de diagnostic de la SEP ont été modifiés en 2010 et de nombreux paramètres doivent être pris en considération. Seul le neurologue pourra porter le diagnostic définitif de SEP. Si l’IRM cérébrale est normale initialement et que la poussée est résolutive, il n’y a le plus souvent lieu que de proposer une auto-surveillance, le patient consultant à nouveau s’il présente une nouvelle baisse de l’acuité visuelle ou tout autre symptôme neurologique persistant. Le champ visuel peut être répété jusqu’à stabilisation ou récupération complète, tous les 3 à 6 mois. Si l’IRM est anormale, le neurologue évaluera si le patient répond aux critères de diagnostic de SEP et effectuera parfois un complément de bilan. En
fonction des résultats, un traitement de fond sera ou non introduit. Si l’IRM cérébrale met en évidence des hypersignaux cérébraux mais que les critères radiologiques de SEP ne sont pas remplis, une surveillance clinique, associée à la répétition de l’IRM cérébrale 2 à 3 mois plus tard est le plus souvent proposée afin de déterminer s’il existe une évolutivité. Une IRM médullaire peut également être proposée. Dans tous les cas, il est essentiel de bien faire comprendre au patient que la névrite optique est le plus souvent un événement isolé et qu’un seul épisode de névrite optique rétrobulbaire ne signifie pas forcément SEP. Le suivi doit être organisé en collaboration avec l’ophtalmologiste, le neurologue, le radiologue et le médecin généraliste. En cas d’atypie dans l’évolution clinique, il ne faut pas hésiter à élargir le bilan à la recherche d’une maladie infectieuse, inflammatoire ou auto-immune se manifestant par une névrite optique. Enfin le patient doit être informé de la possibilité de récidive de névrite optique rétrobulbaire, soit homo- soit contro-latérale. Ce risque de récidive à 10 ans est d’environ 50 %, variant de 20 % pour les patients à IRM initiale normale, à 70 % pour les patients présentant une IRM cérébrale anormale.
Bibliographie Eggenberger ER. Inflammatory optic neuropathies. Ophthalmol Clin North Am. 2001,14: 73-82. Khanna S, Sharma A, Huecker J, Gordon M, Naismith RT, Van Stavern GP. Magnetic resonance imaging of optic neuritis in patients with neuromyelitis optica versus multiple sclerosis. J Neuroophthalmol. 2012, 32: 216-20. Beck RW, Trobe JD, Moke PS, Gal RL, Xing D, Bhatti MT, et al. High- and low-risk profiles for the development of multiple sclerosis within 10 years after optic neuritis: experience of the optic neuritis treatment trial. Arch Ophthalmol. 2003, 121: 944-9.
Trobe JD, Sieving PC, Guire KE, Fendrick AM () The impact of the optic neuritis treatment trial on the practices of ophthalmologists and neurologists. Ophthalmology. 1999, 106: 2047-53. Morrow MJ, Wingerchuk D. Neuromyelitis optica. J Neuroophthalmol. 2012, 32: 154-66. Cole SR, Beck RW, Moke PS, Gal RL, Long DT. The National Eye Institute Visual Function Questionnaire: experience of the ONTT. Optic Neuritis Treatment Trial. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2000, 41: 1017-21.
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CAS N° 34 Baisse d’acuité visuelle : une histoire de famille, avec ses aléas…
Monsieur A., un jeune homme de 18 ans, le deuxième d’une fratrie de quatre, consulte son ophtalmologiste à la fin du mois d’août car il a constaté qu’il éprouvait depuis quelques semaines une gêne visuelle à la conduite, à la lecture et lors du travail sur ordinateur. Il lui semble que l’œil droit a une vision nettement plus basse que le gauche. De fait, l’ophtalmologiste retrouve une acuité visuelle réduite à 1/30 Parinaud 20 à 10 cm à l’œil droit et 2,5/10 Parinaud 3 à l’œil gauche. L’examen à la lampe à fente est sans particularité. Les réflexes photomoteurs sont présents et il n’est pas signalé de déficit pupillaire afférent relatif. Au fond d’œil, il existe un gonflement papillaire bilatéral avec une dilatation des capillaires papillaires et péripapillaires (Figure 1). L’interrogatoire ne retrouve pas de pathologie particulière chez ce jeune homme, par ailleurs encore psychologiquement fragile à la suite d’un accident de voiture dans lequel deux de ses amis ont été gravement blessés. Ses parents, sa sœur aînée et ses deux jeunes frères n’ont aucun problème visuel connu. En revanche, il est noté qu’un demi-frère et une demi-sœur de sa mère seraient malvoyants « depuis l’adolescence ». Cependant, il n’est pas possible d’avoir beaucoup de renseignements concernant ce problème visuel dans cette branche de la famille issue d’un premier mariage de sa grand-mère maternelle. Le patient est alors adressé dans un service de neuro-ophtalmologie pour confirmer la présence d’une neuropathie optique héréditaire.
Qu’est-ce qu’une neuropathie optique héréditaire ? Les neuropathies optiques héréditaires (NOH) peuvent être syndromiques. L’atteinte du nerf optique n’est alors que l’une des multiples manifestations cliniques, notamment neurologiques, observées chez le patient. Toutefois, il s’agit d’une manifestation clinique importante permettant souvent d’aboutir au diagnostic. Il existe de nombreuses NOH, dont le syndrome de Costeff, le syndrome de Behr ou le syndrome de Wolfram. D’autres NOH sont dites primitives lorsque l’atteinte du nerf optique est isolée ou qu’elle reste la manifestation principale. En effet, les bilans systématiques tendent à montrer que les patients porteurs de telles NOH primitives peuvent présenter des anomalies auditives, cardiaques ou neurologiques. Ces anomalies sont généralement, mais non constamment, infracliniques ou minimes. Tel est le cas de la neuropathie optique de Leber (NOHL) ou de l’atrophie optique dominante (AOD). Tous les modes de transmission ont été retrouvés dans le cadre des NOH primitives et servent à les 122
Figure 1 – La papille est œdémateuse avec une dilatation des vaisseaux.
Cas n° 34
classer les formes autosomiques dominantes, autosomiques récessives, liées au chromosome X ou mitochondriales. La biologie moléculaire a permis de démontrer que toutes les NOH primitives présentant un même mode de transmission génétique n’ont pas nécessairement une présentation clinique univoque ni une évolution identique. La plupart de ces NOH primitives sont des mitochondriopathies bien que les mutations puissent
porter sur des gènes nucléaires participant au fonctionnement des mitochondries. De fait, l’ADN mitochondrial (ADNmt) code certaines protéines de structure des mitochondries et quelques enzymes du complexe I de la chaîne respiratoire. La plupart des protéines de structure mitochondriale ou les enzymes nécessaires à leur fonctionnement sont d’origine nucléaire.
Quand faut-il penser à une NOH primitive ? Il faut évoquer une NOH primitive devant une baisse d’acuité visuelle uni- ou bilatérale d’apparition plus ou moins rapide alors que l’interrogatoire ne retrouve pas de prise de toxique ou médicamenteuse pouvant constituer une étiologie de neuropathie optique. Il n’est pas non plus retrouvé d’argument à l’interrogatoire ou à l’examen général pour une pathologie neurologique inflammatoire telle qu’une sclérose en plaques ou une neuropathie optique de Devic. Enfin, l’atteinte visuelle semble isolée, sans argument pour une NOH s’intégrant dans une pathologie générale telle qu’un syndrome de Wolfram ou une maladie de Friedreich. L’existence de cas similaires dans la fratrie est un élément important pour évoquer ce diagnostic et déterminer dans quel gène il faut rechercher une éventuelle mutation. Cependant, la notion d’atteinte familiale manque souvent et ne doit pas faire récuser le diagnostic, puisque les cas sporadiques sont fréquents, notamment dans les NOHL ou les atrophies optiques récessives (AOR). De plus, certains patients peuvent être des porteurs sains du gène malade, en particulier lors d’une NOHL, ou présenter une forme a minima de NOH. Une telle éventualité est fréquente lors des AOD. Enfin, les relations au sein de certaines familles sont parfois « difficiles », comme dans notre cas clinique, ne permettant pas d’avoir des renseignements suffisamment précis sur l’état ophtalmologique des apparentés pour établir un éventuel diagnostic. Il faut en outre se méfier de la notion d’hérédité puisqu’un patient peut présenter une tout autre pathologie que celle existant au sein de sa famille. Le fait d’être porteur d’une mutation de l’ADNmt associée à la NOHL n’empêche pas de développer une tumeur cérébrale ou une sclérose en plaques. C’est pourquoi il faut toujours éliminer une autre étiologie à l’aide d’un bilan neuroradiologique avant de retenir le diagnostic de NOH primitive qui est un « diagnostic d’élimination ».
Le service prenant en charge monsieur A. décide de réaliser plusieurs examens complémentaires tant pour éliminer d’autres étiologies que pour confirmer le diagnostic et arriver à préciser la forme exacte de NOH : – un champ visuel dynamique de Goldmann et un champ visuel statique automatisé, qui retrouvent un scotome central profond de plus de 20° à l’œil droit et un scotome central relatif de l’œil gauche ; – un test du sens chromatique au 28 Hue de Roth, qui est très désorganisé à l’œil droit et en faveur d’une dyschromatopsie sans axe à l’œil gauche ; – une angiographie à la fluorescéine qui retrouve un aspect pseudo-œdémateux des papilles qui sont hyperfluorescentes mais sans fuite du colorant ; – une OCT (optical coherence tomography) notant un œdème de la couche des fibres optiques plus net à l’œil gauche ; – une IRM cérébrale qui objective un kyste sous-arachnoïdien temporo-occipital mais sans hypersignaux de la substance blanche ; – une recherche de mutation en faveur d’une neuropathie optique héréditaire, atrophie optique dominante ou neuropathie optique de Leber. Devant ce tableau pouvant faire évoquer une névrite optique et malgré l’absence d’anomalie de signal en IRM, il est décidé de réaliser 3 bolus de solumédrol (1 g/j pendant 3 jours consécutifs) avec un relais par de la prednisolone (1 mg/kg/j) pendant 10 jours, après avoir réalisé un ECG. Ce dernier met en évidence un espace PR court sans onde d. Aucune amélioration n’est notée sans les suites de ce traitement.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quels examens demander pour confirmer ce diagnostic ? Il faut bien sûr commencer par un examen clinique (neuro-)ophtalmologique et général. Ce bilan est négatif. En particulier, il n’y a aucune autre anomalie ophtalmologique que la baisse d’acuité visuelle. La papille optique peut rester strictement normale ou objectiver une saillie papillaire. L’angiographie à la fluorescéine permet d’éliminer un œdème de stase en l’absence de diffusion du colorant. Enfin, lorsque le déficit visuel est encore unilatéral ou très asymétrique, il peut être retrouvé un déficit papillaire afférant relatif. D’autres examens complémentaires vont confirmer l’atteinte du nerf optique et éliminer d’autres étiologies de baisse d’acuité visuelle. L’étude du champ visuel objective un scotome central ou paracentral plus ou moins profond mais ne retrouve aucun déficit d’allure glaucomateux, éliminant un glaucome à pression normale. Tant que l’acuité visuelle le permet, l’étude du sens chromatique met en évidence
une dyschromatopsie d’axe rouge-vert (sauf en cas d’atrophie optique dominante pour laquelle la dyschromatopsie est d’axe bleu-jaune). Le bilan électrophysiologique retrouve une altération des potentiels évoqués visuels alors que l’électrorétinogramme est classiquement normal. Enfin, quelle que soit la clinique, il faut toujours demander un bilan neuroradiologique pour éliminer une atteinte inflammatoire ou compressive des voies optiques et, en cas de doute, le répéter et rechercher une atteinte médullaire. Il est possible de rechercher en routine certaines mutations de l’ADNmt associées à la NOHL et des mutations du gène OPA1 responsables d’une forme d’AOD. D’autres gènes impliqués dans des AOR sont connus mais, à ce jour, aucune recherche systématique de mutation ne peut être demandée. L’évolution des connaissances est cependant extrêmement rapide en biologie moléculaire.
Quelles sont les différentes formes de NOH primitive ? Il existe trois formes principales répondant à trois principaux modes de transmission génétique : − la NOHL, liée à des mutations de l’ADNmt et suivant une transmission mitochondriale ; − l’AOD, de transmission autosomique dominante dont trois gènes au moins sont responsables. Seul le gène OPA1 est actuellement identifié. Les gènes OPA4 et OPA5 n’ont pour l’instant été que localisés et sont responsables d’une forme classique d’AOD. À l’inverse, le gène OPA3, également localisé,
est responsable d’une AOD associée à une cataracte d’apparition précoce. D’autres mutations de ce gène entraînent le syndrome de Costeff, NOH syndromique de transmission autosomique récessive. Seuls deux gènes, OPA6 et OPA7, ont été identifiés comme responsables d’AOR. Cependant, il existe certainement d’autres gènes d’AOR et d’AOD qui restent méconnus ; − enfin, les formes liées au chromosome X, qui sont exceptionnelles.
Quel est le mode de présentation de ces différentes formes de NOH primitive ? Classiquement, la NOHL touche plus de garçons que filles (ratio 8/2), sans que les raisons d’une telle prédominance ne soient connues. Elle débute habituellement entre 15 et 30 ans mais peut apparaître à tout âge. Un stress semble souvent constituer un facteur déclenchant, de même que la prise de diverses substances, au premier rang desquelles l’alcool et le tabac. La baisse d’acuité visuelle est rapide, profonde et définitive, la vision se stabilisant vers 1/80 en une quinzaine de jours environ. Elle est bilatérale d’emblée chez 55 % des patients 124
ou le devient en 4 à 8 semaines. Des télangiectasies péripapillaires, donnant comme dans notre cas un aspect de pseudo-œdème papillaire, sont volontiers retrouvées lors de la baisse d’acuité visuelle ainsi que chez des apparentés sains. Elles seraient le témoin de la présence d’une mutation de l’ADNmt. Par la suite, les papilles deviennent globalement atrophiques. Si la baisse d’acuité visuelle est généralement définitive, d’authentiques récupérations sont possibles, survenant de quelques mois à 8 ans après le début de la maladie. Elles seraient plus fréquentes
Cas n° 34
chez les femmes et les enfants et dépendraient de la mutation causale. Des associations de la NOHL à des syndromes de préexcitation cardiaque ou à des troubles neurologiques sont rapportées. Ceux-ci peuvent être minimes ou en imposer pour une sclérose en plaques dans le cadre d’un « Leber plus » avec des troubles neurologiques évolutifs. Il existe deux tableaux principaux de la forme classique d’AOD. Lors de la première forme, lentement évolutive, l’âge de début, situé vers 4 à 6 ans, est généralement retrouvé de façon rétrospective puisque la baisse d’acuité visuelle est initialement très discrète, peu gênante. L’acuité visuelle reste à 5 à 8/10 à l’adolescence et ne devient invalidante qu’à partir de 40 ou 50 ans. Les hommes sont plus sévèrement atteints que les femmes. À côté de cette forme lentement évolutive, il existe une autre d’apparition précoce et rapidement évolutive et invalidante. La baisse d’acuité visuelle peut survenir dès la première année de vie. Elle est rapide, aboutissant à une acuité visuelle proche de 1/10 à l’adolescence. Cependant, des atteintes plus tardives et rapidement évolutives sont possibles, en imposant pour une NOHL. Au sein d’une même fratrie, ces différentes formes peuvent cohabiter, certains patients ayant une forme d’évolution lente alors que d’autres ont une évolution rapide de leur AOD. Il ne semble pas présenter de régression de l’atteinte visuelle. L’acuité visuelle n’a pas tendance à s’améliorer contrairement à ce qui est parfois observé lors de la NOHL. Des associations à des troubles auditifs, cardiaques ou neurologiques sont possibles. Le tableau de l’AOR varie selon le gène responsable. La baisse d’acuité visuelle peut être sévère (1/10 à 2/10), néonatale ou de début situé entre 2 et 6 ans et associée à un nystagmus de malvoyant. Un autre gène entraîne une AOR de début plus tardif, vers le milieu de la première décennie, et lentement évolutive, ne devenant gênante qu’à partir de 40 ou 50 ans. Trois mois plus tard, la fonction visuelle de monsieur A. s’est encore dégradée puisqu’il ne voit plus que 1/80 (en vision excentrée) Parinaud 28 à 10 cm à l’œil droit et 1/30 (en vision excentrée) Parinaud 20 à l’œil gauche. Les papilles
sont pâles (Figure 2). Le bilan génétique confirme la présence d’une mutation 3 460 de l’ADNmt permettant d’établir le diagnostic de neuropathie optique de Leber. Un traitement par idébénone, un analogue de la coenzyme Q10, est proposé, qu’il suit de façon assez aléatoire pendant 2 ans. En parallèle, ce jeune homme a suivi une rééducation de basse vision pour acquérir de l’autonomie dans ses déplacements (puisque le champ visuel périphérique est conservé) et pour la lecture avec des systèmes grossissants (télé-agrandisseurs, logiciels spécifiques sur ordinateur, etc.) et s’est réorienté dans ses études. L’acuité visuelle s’est stabilisée à 1/80 (en vision excentrée) Parinaud 28 à 10 cm à l’œil droit et 1/60 (en vision excentrée) Parinaud 20 à 10 cm à l’œil gauche, avec des fluctuations. Trente mois après le début de cette NOH, monsieur A. a remarqué une certaine amélioration de sa vision. De fait, 4 mois plus tard, il est constaté une nette amélioration de l’acuité visuelle qui est remontée à 7/10 Parinaud 2 faible à droite et 9/10 Parinaud 2 à gauche. Son plus jeune frère a également présenté une neuropathie optique héréditaire de Leber. Malheureusement, 5 ans après le début, il n’a pas présenté de récupération visuelle…
Figure 2 – Présence d’une pâleur papillaire diffuse sans anomalie de l’excavation.
Que proposer à un patient atteint de NOH primitive ? Il n’existe aucun traitement reconnu de ces NOH primitives. De nombreuses molécules ont été essayées sans succès. Seule l’idébénone, un analogue de la coenzyme Q10, semble présenter un intérêt dans le traitement de la NOHL. Toutefois, les résultats de son utilisation restent contradictoires. D’autre part,
lors des NOHL, il est intéressant de recommander de réduire la consommation d’alcool et d’éviter la prise de tabac. Les mesures d’accompagnement et de compensation de la basse vision sont importantes. Une rééducation orthoptique de cette malvoyance peut 125
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
aider le patient à utiliser sa vision résiduelle et, si besoin, à excentrer son regard pour trouver sa zone de « néomacula » de fixation monoculaire préférentielle sur le bord de son scotome. De plus, les ergothérapeutes peuvent aider pour apprendre à réaliser les gestes simples de la vie courante et à guider le patient dans le choix des équipements de compensation visuelle. Il existe de très nombreux systèmes dont l’utilisation est plus ou moins complexe et/ou plus ou moins bien adaptée aux
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différentes situations quotidiennes. Le patient doit au préalable déterminer ce qu’il attend de son aide visuelle avant d’acquérir un matériel onéreux et mal adapté à sa situation. Enfin, l’orientation ou réorientation professionnelle de ces patients jeunes représente un problème dont il faut tenir compte et est assurée au mieux par les maisons départementales des personnes handicapées après reconnaissance du handicap.
CAS N° 35 Une neuropathie optique pas si idiopathique… ni isolée !
M., une jeune fille de 11 ans, en bon état général, signale un soir à ses parents qu’elle ressent une gêne qu’elle a du mal à définir devant son œil gauche. Il n’y a pas de baisse d’acuité visuelle franche ou décelable puisqu’elle arrive à lire de ce seul œil, s’étant amusée à tester l’un et l’autre séparément. En revanche, elle rapporte que les lignes de son cahier semblent comme « estompées » au centre de l’œil gauche. Cette gêne peu franche est totalement indolore. La jeune fille ne se plaint d’aucune autre anomalie générale. En l’absence d’éléments pouvant sembler immédiatement inquiétants, les parents décident de ne pas consulter le soir même. Le lendemain matin, M. signale que sa vision de l’œil gauche est nettement plus trouble que celle de l’œil droit. Du reste, elle éprouve des difficultés à lire de ce seul œil gauche. Ses parents consultent alors en urgence en ophtalmologie. Lors de cette première consultation ophtalmologique, l’interrogatoire est peu contributif. Outre l’absence de douleur lors de la mobilisation des globes déjà évoquée, il ne retrouve pas d’antécédent ophtalmologique ou neurologique particulier chez cette jeune fille ni dans la fratrie. Il n’est rapporté aucune prise médicamenteuse ni toxique et il n’est pas retrouvé d’infection récente. L’acuité visuelle gauche est réduite à 2/10 Parinaud 10 sans correction, non améliorable. En revanche, elle est à 10/10 Parinaud 2 sans correction à l’autre œil. Le réflexe photomoteur est présent mais il existe un discret déficit pupillaire afférent du côté gauche. Le reste de l’examen ophtalmologique est sans particularité. Notamment, l’analyse du fond d’œil ne permet pas de retrouver la moindre anomalie rétinienne, notamment au niveau maculaire. L’examen des papilles est également strictement normal. Celles-ci sont de coloration et d’aspect parfaitement symétriques. Il n’est pas retrouvé de trouble de l’oculomotricité ou des paupières. Un champ visuel de Goldmann objective la présence d’un scotome central absolu de l’œil gauche. Il est retrouvé une dyschromatopsie sans axe, en relation avec l’acuité visuelle.
Que vous évoque ce tableau et quelle est la présentation habituelle des neuropathies optiques de l’enfant (NOE) ?
À ce stade de l’examen, cette jeune fille présente très vraisemblablement une atteinte unilatérale du nerf optique gauche. Bien que non pathognomonique, la présence d’un déficit pupillaire afférent gauche est en faveur de ce diagnostic que vient renforcer la normalité de l’examen rétinien alors que l’acuité visuelle est effondrée. L’aspect du champ visuel et la dyschromatopsie constituent des arguments également importants en faveur de ce diagnostic. À cet âge, l’absence d’anomalie de la papille à ce stade est en faveur, sans pouvoir l’affirmer, d’une atteinte rétrobulbaire inflammatoire, toxique ou héréditaire.
Les étiologies compressives ou vasculaires s’accompagneraient d’anomalie papillaire à type d’œdème de stase ou vasculaire. Compte tenu du contexte et de l’absence d’antécédents familiaux, le diagnostic de NOE peut être évoqué et doit être étayé. Il existe chez cette enfant deux éléments qui correspondent à un mode de présentation fréquent de cette pathologie lors d’études systématiques. En effet, la prédominance féminine est souvent notée. Toutefois, chez l’enfant, cette prédominance est moins marquée que chez l’adulte. Le sex-ratio est alors proche de 1,2 mais peut monter à 1,6. Néanmoins, il existe des 127
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
variations en fonction de l’âge moyen des enfants dans les séries. Les NOE s’observent à tout âge ; les patients les plus jeunes rapportés dans la littérature avaient 21 mois. Il faut bien entendu que les enfants soient en mesure d’exprimer, soit verbalement, soit par leur comportement, une plainte fonctionnelle pour que la NOE soit retrouvée. Cette dernière est en effet parfois découverte de façon fortuite lors d’une consultation prévue de longue date en l’absence de symptomatologie. Elle peut n’être retrouvée que de manière accidentelle si l’enfant se frotte un œil ou à l’occasion d’un traumatisme unilatéral. L’existence d’un fléchissement des résultats scolaires est plus rare et signe alors une baisse d’acuité prolongée. Toutefois, les enfants ont une capacité à « compenser » leur déficit et à négliger ce type d’atteinte surtout si elle est modérée et/ou unilatérale. Ainsi, une NOE unilatérale est rarement signalée par les enfants les plus jeunes qui n’ont pas nécessairement conscience de cette baisse d’acuité visuelle. Alors qu’il est dit que ces neuropathies optiques sont habituellement bilatérales, les formes unilatérales sont rapportées dans 42 à 60 % des cas selon la plupart des études. Waldman et al. font état d’une fréquence plus élevée de formes bilatérales chez les enfants les plus jeunes. Cette différence ne tient pas uniquement à la capacité de ces enfants à signaler leur problème visuel, mais également aux étiologies causales sur lesquelles nous reviendrons. Les signes d’accompagnement (céphalées, douleurs à la mobilisation des globes) ne sont signalés que dans la moitié des cas. L’examen ophtalmologique retrouve une acuité visuelle est souvent très abaissée, inférieure à 5/10 et parfois même à 1/10 lors de l’évolution. La vitesse d’apparition de cette baisse d’acuité visuelle est parfois difficile à préciser puisque dans de nombreux cas la découverte de la NOE a été « accidentelle ». Néanmoins, il semble qu’elle soit le plus souvent assez brutale. À la différence de ce qui est retrouvé chez l’adulte, chez qui ces névrites sont souvent « rétrobulbaires », sans anomalie papillaire initiale, la papille lors des NOE est le siège d’une papillite dans un peu plus de 50 % des cas (Figure 1). Il faut noter que l’examen retrouve parfois dès le bilan initial la présence d’une atrophie optique unilatérale. Celle-ci
traduit une forme déjà ancienne dont l’évolution a été défavorable. Devant cet aspect de « neuropathie optique rétrobulbaire », un bilan ophtalmologique et (neuro-)pédiatrique est demandé. Une IRM cérébrale est réalisée et ne retrouve aucun hypersignal de la substance blanche hémisphérique. En revanche, il existe une probable image au niveau du nerf optique gauche pour laquelle il est conseillé d’effectuer un contrôle radiologique après quelques semaines. Le bilan électrophysiologique confirme l’absence d’atteinte rétinienne devant la normalité de l’électrorétinogramme. En revanche, il est objectivé une nette asymétrie des potentiels évoqués visuels aux dépens de ceux générés après stimulation de l’œil gauche (Figure 2). Les tracés obtenus par stimulation de l’œil droit sont strictement normaux. Du fait de la survenue d’un malaise vagal à l’issu des potentiels évoqués visuels, il est décidé de surseoir à la réalisation d’une angiographie. Par ailleurs, le bilan (neuro-)pédiatrique est sans particularité. Cette jeune fille ne présente aucun syndrome fébrile et n’a aucun déficit neurologique localisé comme le laissait suspecter l’IRM. Il n’est pas possible de déterminer une éventuelle piste infectieuse ni de sérologie à rechercher en l’absence de signe d’orientation.
Figure 1 – Aspect de papillite dans le cadre d’une NOE.
Quel bilan faut-il pratiquer devant une NOE ? Le bilan à effectuer vise tout d’abord à confirmer le diagnostic de NOE et, lorsque celui-ci a été posé, d’en retrouver l’étiologie. Le diagnostic de névrite optique est facile lorsque la papille est le siège d’une papillite. Il est plus 128
complexe en présence d’une forme rétrobulbaire au cours de laquelle la papille est normale. Cependant, la réalisation d’un champ visuel de Godmann chez les enfants de moins de 12 ans et automatisé chez les plus grands ayant une acuité visuelle encore relativement
Cas n° 35
Figure 2 – Tracés des potentiels évoqués visuels montrant une altération des réponses après stimulation de l’œil gauche.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
conservée permet de retrouver un scotome central ou paracentral plus ou moins profond, et l’étude du sens chromatique met en évidence une dyschromatopsie acquise de type « rouge-vert de type II » si l’acuité visuelle n’est pas trop altérée. Lorsque celle-ci est effondrée, aucun axe n’est retrouvé. L’angiographie à la fluorescéine peut montrer une hypervascularisation papillaire et l’absence d’anomalie rétinienne. La normalité de la rétine est confirmée par l’électrorétinogramme lors du bilan électrophysiologique. En revanche, la déstructuration des réponses des potentiels évoqués visuels dont l’amplitude est diminuée et le temps de culmination augmenté témoignent en faveur d’une altération de la conduction des voies optiques. L’IRM est essentielle pour éliminer une autre cause d’atteinte des voies optiques, notamment compressive. Il s’agit également d’un examen important à la recherche d’une étiologie, en particulier d’une sclérose en plaques de l’enfant (avec la présence d’hypersignaux caractéristiques de la substance blanche) ou
d’une encéphalomyélite aiguë disséminée (au cours de laquelle les nerfs optiques sont normaux). De même, il faut demander un bilan (neuro-)pédiatrique à la recherche de signes de localisation ORL et stomatologique pour éliminer des foyers de voisinage. Il est intéressant de réaliser une ponction lombaire pour analyser la composition du liquide céphalorachidien et effectuer des recherches virales et sérologiques à confronter aux résultats sériques. Néanmoins, ces recherches sérologiques doivent être guidées par la clinique. L’existence d’une infection particulière ou d’une maladie éruptive peut en ce sens être fort utile. Un bilan systématique est plus discutable en l’absence de signe d’orientation. Il en est de même pour le bilan biologique déterminé en fonction de l’orientation clinique. Citons ici la recherche de mutations de certaines neuropathies optiques héréditaires qui peuvent constituer un diagnostic différentiel et parfois avoir une expression asymétrique dans les premières semaines.
Quelles sont les étiologies des NOE ? La fréquence relative des différentes étiologies reste imprécise et les variations retrouvées dans la littérature semblent être dues à des différences de population ou de tests réalisés. L’étiologie postinfectieuse ou post-vaccinale est souvent considérée comme une cause courante dans cette tranche d’âge. Néanmoins, sa fréquence varie dans la littérature entre 35 et 66 %… Des travaux font état d’un nombre important de pathologies (maladie de Lyme, rougeole, rubéole, rickettsiose, herpès) ou d’agents pathogènes (virus varicelle-zona, virus d’Epstein-Barr, grippe, cytomégalovirus). Il ne s’agit pas là d’atteintes infectieuses pures mais bien de réactions inflammatoires et/ou dysimmunitaires dirigées contre l’agent pathogène. Une réaction inflammatoire de voisinage est également retrouvée lors d’infections de voisinage, qu’il s’agisse d’une sinusite ou d’une otite bactérienne insuffisamment traitée. La sclérose en plaques (SEP) ou la neuromyélite optique de Devic (NMO) constituent le second grand groupe étiologique face à une NOE. Les critères permettant de craindre une telle pathologie sont peu différents de ceux retrouvés chez l’adulte à la suite de l’étude ONTT. Ainsi, le risque d’une évolution vers une SEP ou une NMO est plus important si la NOE survient chez une fille, chez un enfant de plus de 10 ans – le risque relatif augmentant avec l’âge – et s’il existe des anomalies sur la première IRM cérébrale. En revanche, le caractère unilatéral de l’atteinte 130
ne semble pas être un facteur prédictif d’une évolution vers une SEP. Des résultats contradictoires sont retrouvés dans diverses études. Enfin, la présence de troubles cognitifs est un argument négatif permettant d’éliminer l’évolution vers une SEP. Il n’en serait pas de même en ce qui concerne la survenue d’une encéphalomyélite aiguë disséminée. De plus, la survenue d’une NOE a constitué la première manifestation chez 7 % des enfants ayant cette atteinte cérébrale. Ceux-ci ont généralement moins de 10 ans. Le diagnostic évoqué est celui d’une neuropathie optique idiopathique. Mais moins de 48 heures après le début du trouble ophtalmologique, la vision de l’œil gauche est réduite à une vague perception lumineuse. De ce côté, le champ visuel ne retrouve que deux îlots de perception à l’isoptère V/4 (Figure 3). Il est alors décidé de mettre en route un traitement par bolus de corticoïdes qui ne peut être débuté que le lendemain. Ce traitement consiste en une perfusion de 500 mg de Solumédrol ® 3 jours de suite éventuellement suivi d’une courte corticothérapie d’entretien per os (Cortancyl ® 0,5 mh/kg/j pendant 10 jours) (avec un régime sans sel). Ce traitement va être rapidement efficace puisque 24 heures après sa mise en route, l’acuité visuelle gauche est remontée à 3/10 Parinaud 5 et le champ visuel s’est très nettement amélioré. À l’issue des 3 bolus de méthylprednisolone, l’acuité visuelle gauche est revenue à 8/10 Parinaud 2 faible et il ne persiste plus qu’un petit scotome relatif (Figure 4). Lors de la visite de contrôle 15 jours plus tard, l’acuité visuelle
Cas n° 35
Figure 3 – Relevé du champ visuel 48 heures après le début des troubles.
a b c Figure 4 – Relevé du champ visuel. (a) Avant la mise en route des bolus. (b) 24 heures après le premier bolus de méthylprednisolone. (c) À l’issue des 3 bolus.
gauche est strictement normalisée, de même que le champ visuel. En revanche, la jeune M. présente un visage un peu bouffi et des « œdèmes », ce qui est attribué à la prise de corticoïdes. Une régression rapide est évoquée du fait de l’arrêt de ce traitement. Mais, devant leur lente résorption, en 2 mois, il est évoqué un « syndrome néphrotique de l’enfant », probablement également « idiopathique » comme la névrite optique et qui pourrait s’intégrer dans un contexte infectieux. C’est alors que la mère de la jeune patiente se rappelle qu’il a été effectué, 6 semaines avant le début des troubles, un rappel de vaccination (diphtérie-tétanos-coqueluche-
poliomyélite)… Une simple surveillance générale a été mise en route par le pédiatre, et ce syndrome néphrotique a disparu sans la moindre conséquence sur la tension artérielle ou la fonction rénale. Cinq ans plus tard, les parents ont demandé un avis quant à la pertinence d’effectuer le dernier rappel de ce vaccin. Du fait de la réaction heureusement sans suite présentée par la jeune fille lors de son dernier rappel, il a été déconseillé de tenter une nouvelle vaccination et de voir se renouveler les troubles ophtalmologiques et/ ou rénaux.
Quel est le traitement des NOE ? L’abstention reste possible puisqu’une rémission spontanée survient en moyenne après quelques
semaines. Une évolution plus lente de l’acuité visuelle laissant persister des séquelles reste possible, 131
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
notamment lorsque l’étiologie n’est pas inflammatoire postinfectieuse. Enfin, il est avéré qu’il existe un risque d’évolution péjoratif vers une atrophie optique définitive, comme en témoigne la découverte de telles anomalies chez des enfants ayant jusqu’alors un examen ophtalmologique normal. Ce risque amène à discuter la réalisation d’une corticothérapie. Du fait des données des études de l’ONTT (Optic Neuritis Treatment Trial), et bien que ces travaux aient été réalisés chez l’adulte, il est
d’usage de pratiquer un bolus de méthylprednisolone à une dose adaptée au poids de l’enfant 3 jours de suite, sous surveillance cardiaque et biologique. Ces bolus sont suivis par une corticothérapie per os pendant une durée de 10 à 20 jours. Ce traitement permet généralement une récupération rapide de la fonction visuelle. En revanche, il n’existe aucune donnée permettant de confirmer qu’il évite une évolution péjorative.
Quel est le pronostic des NOE ? Nous avons déjà vu le relativement bon pronostic de cette affection, surtout lorsqu’un traitement par corticoïdes intraveineux est instauré. Il y a restitution ad integrum de l’acuité visuelle chez plus de 85 % des enfants. Rappelons que le traitement ne modifiera pas le taux de récupération mais la vitesse de survenue celle-ci. Il persiste parfois simplement des anomalies des potentiels évoqués visuels, quelques troubles de la vision des couleurs et une discrète pâleur papillaire temporale. Les 15 % restants correspondent à
des épisodes de NOE laissant persister des séquelles parfois importantes. Cependant, dans 20 % des cas environ, une récidive est possible après quelques semaines. La survenue d’un second épisode de NOE est un élément en faveur d’une pathologie neurologique sous-jacente, et plus spécifiquement d’une SEP. Le traitement de ce second épisode répond aux mêmes règles que l’épisode initial. Toutefois, le bilan doit être repris et un traitement spécifique peut être discuté.
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CAS N° 36 Madame M. se plaint de photopsies positionnelles
Madame M., 30 ans, consulte pour renouveler ses lunettes – elle souffre d’une myopie légère de – 1 dioptrie, stable depuis 10 ans. À l’interrogatoire, elle vous signale la sensation, depuis 3 semaines, « d’étoiles dans les yeux ». En lui faisant préciser son symptôme, il s’agit de fins scintillements lumineux blanc-verdâtre situés dans les deux champs de vision, proches du centre et apparaissant électivement lorsqu’elle se penche en avant. Sa vision, en revanche, est selon elle préservée. Quand vous lui posez la question, elle dit avoir en effet vu double il y a une semaine, mais seulement une matinée, puis les images se sont recollées vers midi. Il s’agissait d’une diplopie horizontale, mais la patiente n’a pas fait le test de cacher alternativement un œil puis l’autre afin de savoir s’il s’agissait d’une diplopie binoculaire. Quand vous lui posez la question, elle dit en effet souffrir d’acouphènes pulsatiles ; ceux-ci concernent l’oreille droite, sont entendus quand elle se trouve dans son lit, et ce depuis 2 mois. En revanche, elle n’a pas de maux de tête. Hormis une allergie aux acariens et un surpoids avec un indice de masse corporelle à 28, madame M. ne rapporte pas d’antécédent notable.
Quel est le diagnostic le plus probable ? Pourquoi ?
Le diagnostic le plus probable est celui d’un syndrome de pseudotumor cerebri, ou hypertension intracrânienne idiopathique, encore appelé autrefois « hypertension intracrânienne bénigne » (les trois termes sont des quasi-synonymes mais reflètent des différences d’écoles de pensée ; le terme bénin n’est plus guère employé, car il est faussement rassurant et n’est pas adapté pour qualifier une maladie cécitante).
En effet, les photopsies positionnelles caecales (situées autour de la tache de Mariotte) sont assez évocatrices d’œdème papillaire de stase. Madame M. présente également d’autres signes d’hypertension intracrânienne : les acouphènes pulsatiles, entendus au décubitus, et un épisode de diplopie horizontale vraisemblablement binoculaire en rapport avec une parésie intermittente d’un nerf abducens (VI). Enfin, madame M. a le terrain de ce syndrome : femme en surpoids ou obèse en âge de procréer.
Quel signe fonctionnel fréquent manque à ce tableau ? Est-ce significatif ? L’absence de ce signe aura-t-il des conséquences sur la prise en charge dans l’hypothèse diagnostique la plus probable ?
La patiente ne souffre pas de céphalées. C’est le cas dans environ 20 % des syndromes de pseudotumor cerebri. L’absence de ce signe simplifie certains aspects de la prise en charge et en rend d’autres plus complexes. Le traitement des céphalées (donc
celui de l’hypertension intracrânienne) et celui de l’œdème papillaire de stase sont les deux axes du traitement de ce syndrome et ne sont pas toujours nécessairement corrélés. Ici donc, il n’y a qu’un axe de traitement, ce qui simplifie la prise en charge. Ainsi, en cas d’échec du traitement médical, le 133
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
traitement chirurgical pourra n’être qu’un traitement de l’œdème papillaire de stase, par fenestration des gaines du nerf optique, versus un traitement de l’hypertension intracrânienne par dérivation ventriculopéritonéale. En effet, chez l’adulte (la situation est complètement différente chez l’enfant), l’hypertension intracrânienne chronique du syndrome de pseudotumor cerebri n’affecte
que le nerf optique et peut donc dans certains cas être respectée. Vous examinez madame M. L’acuité visuelle est à 10/10 et P1,5 aux deux yeux ; le champ visuel par confrontation montre un élargissement de la tache de Mariotte sans restriction nette de la périphérie. Les pupilles sont normales, de même que l’oculomotricité extrinsèque. Le fond d’œil est représenté Figure 1.
Figure 1 – Rétinophotographies. Aspect d’œdème papillaire de stase constitué, avec microhémorragies et nodules cotonneux, stade 2 de Hoyt et Beeston et 3 de Frisén.
Quel est l’aspect de la papille au fond d’œil ?
C’est celui d’un œdème papillaire de stase, constitué, avec microhémorragies et nodules cotonneux, sans exsudats lipidiques ni télangiectasies. Compte tenu de la préservation de la fonction visuelle et du caractère typique constitué de cet aspect d’œdème, le diagnostic d’œdème papillaire de stase vrai et assez récent ne fait guère de doute. Il témoigne d’une hypertension intracrânienne. Il est important de le photographier et de le quantifier. Deux classifications doivent être utilisées, car elles sont
complémentaires : celle de Hoyt et Beeston (stade 1 : débutant, 2 : constitué, 3 : chronique, 4 : atrophique) et celle de Frisén (de façon simplifiée, stade 1 : flou en C, atteignant le bord nasal de la papille optique, stade 2 : flou en O atteignant toute la papille, stade 3 : flou en O avec enfouissement d’un ou plusieurs segments de gros troncs rétiniens, stade 4 : élévation de la totalité de la papille et comblement de la cupule, stade 5 : aspect en bouchon de champagne). Ici, il s’agit d’un stade 2 de Hoyt et Beeston et 3 de Frisén.
Quels examens demandez-vous ? Dans quel ordre et dans quel délai ?
Le diagnostic d’hypertension intracrânienne requiert une action en urgence, c’est-à-dire ici en présence de symptômes d’installation insidieuse et chronique, dans les 24 à 48 heures. Un champ visuel formel (soit automatisé, soit de Goldmann) et un examen de la vision des couleurs permettront de préciser la fonction visuelle (Figure 2). Une imagerie cérébrale (IRM ou scanner cérébral) permettra d’éliminer une hydrocéphalie (souvent par 134
compression des voies d’écoulement du liquide cérébrospinal par une tumeur), une tumeur volumineuse et des signes d’œdème cérébral, ainsi que de rechercher des signes d’hypertension intracrânienne – aplatissement antéro-postérieur des globes oculaires, dilatation et tortuosité des gaines des nerfs optiques, arachnoïdocèle opto-chiasmatique. Enfin, elle écartera une éventuelle thrombose veineuse des sinus duraux, diagnostic différentiel de l’hypertension
CAS N° 36
Figure 2 – Champ visuel de Goldmann. Élargissement bilatéral à pentes douces de la tache de Mariotte. Restriction périphérique minime en nasal inférieur à gauche (DSC : dissociation statocinétique).
intracrânienne « idiopathique » et diagnostic étiologique du syndrome de pseudotumor cerebri. En l’absence d’hydrocéphalie, de tumeur ou d’œdème cérébral, l’examen suivant à réaliser est une ponction lombaire avec mesure de la pression d’ouverture du liquide cérébrospinal. Celle-ci doit être effectuée en décubitus latéral, l’aiguille étant située au même niveau que la ligne médiane du crâne, la tête posée sur un coussin afin de permettre au mieux cet alignement. On utilisera soit un manomètre, soit une simple tubulure stérile et un mètre ruban. Cette mesure de la pression est essentielle ; si une ponction est réalisée sans mesure de la pression, les chiffres de pression peuvent être altérés pendant
plusieurs semaines, la durée étant imprévisible car très variable en fonction des individus. L’imagerie cérébrale montre un aplatissement modéré des globes oculaires, une tortuosité et une dilatation notables des gaines des nerfs optiques, sans autre particularité. Il n’existe aucun signe de thrombose veineuse des sinus duraux, ni de malformation de Chiari. Le bilan d’hémostase demandé de principe est normal. Vous pratiquez donc une ponction lombaire, qui montre une pression d’ouverture à 35 cmH2O ; le liquide cérébrospinal est de composition normale. Vous posez donc le diagnostic de syndrome de pseudotumor cerebri. Vous réalisez une soustraction de liquide cérébrospinal en sus des échantillons destinés aux laboratoires.
Quelle est la définition du syndrome de pseudotumor cerebri ? Quel point essentiel de l’interrogatoire avez-vous omis ? Quels examens complémentaires demandez-vous ?
Le syndrome de pseudotumor cerebri dans sa forme typique associe des signes fonctionnels d’hypertension intracrânienne (céphalées d’horaire volontiers matinal, acouphènes pulsatiles, rarement nausées ou vomissements contrairement aux formes aiguës d’hypertension intracrânienne), des signes physiques d’hypertension intracrânienne (œdème papillaire de stase, plus rarement parésie du VI), une absence de signe d’hydrocéphalie, d’œdème cérébral et de processus occluant de l’espace intracrânien à l’imagerie, et une élévation de la pression du liquide cérébrospinal, le plus souvent appréciée par la pression d’ouverture d’une ponction lombaire.
Il convient de rechercher à l’interrogatoire toute consommation de compléments alimentaires, en particulier contenant de la vitamine A, et toute utilisation intensive de crèmes cutanées, en particulier contenant de la cortisone ou de la vitamine A, dont l’association à un syndrome de pseudotumor cerebri est classique et dont l’arrêt permet souvent la régression du syndrome. On dosera principalement l’hémoglobine et les hormones dysthyroïdiennes ; une anémie ou une dysthyroïdie sont très fréquemment retrouvées dans ce syndrome et leur traitement permet souvent sa régression ; un ionogramme sanguin et un dosage de l’urée sanguine et de la créatininémie seront demandés dans le cadre du bilan préthérapeutique. 135
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Votre interrogatoire ne retrouve aucun facteur favorisant. Les tests biologiques ordonnés sont tous normaux. Dès la ponction lombaire réalisée, les acouphènes pulsatiles disparaissent,
ce qui confirme la causalité de l’hypertension intracrânienne concernant ces symptômes.
Quel est votre traitement de première intention ? Quel suivi entreprenez-vous ? Quelle est l’évolution de ce syndrome ? Quelles explications fournissez-vous à la patiente ? Le traitement s’articule sur deux axes : traitement de l’hypertension intracrânienne et traitement « étiologique ». Le traitement de l’hypertension intracrânienne de première intention est médical, sauf exception. Environ 2 jours après la ponction lombaire, l’acétazolamide sera introduit à dose progressivement croissante sur une semaine, jusqu’à par exemple une posologie de 250 mg – un comprimé le matin, un comprimé le midi et un comprimé le soir. Une évaluation sera réalisée toutes les 4 semaines en neuro-ophtalmologie afin de vérifier la bonne efficacité du traitement, et celui-ci sera augmenté jusqu’à assèchement de l’œdème papillaire (ou à tout le moins diminution suffisante de l’œdème afin qu’il ne mette pas les nerfs optiques en danger). L’erreur la plus courante consiste à ne pas augmenter suffisamment les doses d’acétazolamide, que ce soit dans les rares formes pédiatriques ou chez l’adulte. Chez ce dernier, on peut, à condition de surveiller sa bonne tolérance, augmenter progressivement les doses et expliquer à la patiente qu’il convient de ne pas les diminuer brutalement, et aller si besoin jusqu’à des posologies au moins égales 1 500 mg/j, soit 2 comprimés le matin, 2 comprimés le midi et 2 comprimés le soir pour de l’acétazolamide dosé à 250 mg. La dose minimale nécessaire sera toujours prescrite et la patiente revue 4 semaines après chaque variation de dose. D’autres traitements médicaux peuvent être proposés en appoint ou à la place de l’acétazolamide en première intention : topiramate ou furosémide. En cas d’échec du traitement médical, on considérera l’indication d’un traitement chirurgical : dérivation du liquide cérébrospinal ou fenestration des gaines des nerfs optiques en fonction de la clinique. Dans certains cas graves, la diminution de la pression intracrânienne est urgente car les nerfs optiques sont déjà très atrophiés ; il faut alors savoir proposer un traitement « intensif » : augmenter rapidement les doses d’acétazolamide, renouveler au besoin les ponctions lombaires itératives, proposer une intervention chirurgicale sans trop tarder, sous peine de voir s’installer une cécité irrémédiable en quelques semaines. Il faut aussi se rappeler que la disparition 136
de l’œdème papillaire connaît dans tous les cas une certaine latence après la diminution de la pression intracrânienne. Le traitement « étiologique » est en fait le traitement des conditions associées dont la guérison entraîne généralement une disparition du syndrome – ainsi, une anémie, une dysthyroïdie, mais surtout un surpoids ou une obésité. La perte de poids est essentielle, car il existe généralement pour une femme donnée atteinte un seuil fixe de poids en deçà duquel le syndrome disparaît, tandis qu’il reparaît si le poids dépasse de nouveau le seuil en question. La perte de poids est généralement difficile et prend toujours un certain temps, de sorte que ce traitement « étiologique » ne saurait se substituer au traitement de l’hypertension intracrânienne dont il constitue le nécessaire complément. Une prise en charge diététique est indiquée. Certains auteurs ont démontré l’efficacité de la chirurgie bariatrique dans la prise en charge du syndrome de pseudotumor cerebri ; cependant, on ne saurait se départir de la plus grande prudence dans les indications de ce type de chirurgie. Lorsque la situation est stabilisée, avec une disparition du syndrome, la surveillance peut s’espacer jusqu’à une consultation de contrôle avec champ visuel et examen du fond d’œil tous les 6 mois. Lorsqu’il est bien toléré, l’acétazolamide peut être poursuivi pendant plusieurs années. Dans l’immense majorité des cas, la pression intracrânienne est maîtrisée, et le suivi s’espace. Le syndrome dans sa forme typique apparaît après la puberté et disparaît à la ménopause, qui est donc synonyme de guérison chez ces femmes. Il disparaît également en deçà d’un certain poids. Il est très lié aux variations hormonales et peut se décompenser ou se révéler à l’occasion d’une grossesse. Il convient d’une part de rassurer les patientes sur l’efficacité des traitements dans la très grande majorité des cas, et d’autre part de bien les informer sur l’évolution naturelle du syndrome, qui est la cécité légale par atrophie des nerfs optiques. En effet, trop de pertes de suivi aboutissent à des situations dramatiques. Il s’agit d’une maladie chronique, et jusqu’à la ménopause, le risque de récidive existe.
CAS N° 36
Quel est le grand risque de la forme acéphalalgique du syndrome présenté par la patiente ? C’est précisément la perte de suivi. Celui-ci est contraignant, et les symptômes peu invalidants. Comme dans le glaucome, la dégradation de la fonction visuelle est insidieuse et n’est constatée par le patient qu’au stade de séquelles définitives. Il convient particulièrement de mettre en garde les
patientes acéphalalgiques contre l’inobservance ou les ruptures de suivi et de les éduquer à l’écoute de leur corps, de leurs acouphènes lorsqu’elles en présentent, leur réapparition étant généralement bien corrélée à une élévation de la pression intracrânienne.
Bibliographie Johnston I, Owler B, Pickard J. The pseudotumor cerebri syndrome : pseudotumor cerebri, idiopathic intracranial hypertension, benign intracranial hypertension and
related conditions. Cambridge : Cambridge University Press, 2007.
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CAS N° 37 Madame X. voit de plus en plus double, avant que sa paupière ne tombe
Madame X., 46 ans, chef de service au sein d’une grande entreprise, consulte car depuis une semaine sa paupière droite est tombée. Elle n’a pas d’antécédents notables et ne prend aucun médicament hormis un traitement hormonal substitutif de la ménopause. Elle déclare avoir vu double pendant plusieurs semaines ; cependant, elle n’a pas consulté pour ce motif, car d’une part son travail est très prenant et d’autre part son œil droit est « très paresseux » depuis l’enfance en raison d’un strabisme pris en charge tardivement. La seconde image provenant de l’œil droit était donc peu gênante. Cet œil droit a tendance à loucher et louchait en effet de plus en plus, ce que madame X. avait mis sur le compte de la fatigue liée à un surcroît de travail. La paupière est descendue doucement et désormais ne remonte plus du tout, ce que madame X. prend avec humour en disant qu’ainsi, au moins, elle ne voit plus double du tout. Elle ne se plaint par ailleurs d’aucune douleur. Vous examinez madame X en la faisant regarder dans les neuf directions du regard (Figure 1).
Figure 1 – Photographies dans les neuf positions du regard. L’œil droit est fixé en abduction, témoignant d’une paralysie des muscles oculomoteurs innervés par le nerf III, tandis que le muscle droit latéral est bien innervé par le VI. Il existe un ptôsis complet, témoignant d’une paralysie du muscle releveur de la paupière supérieure, et une mydriase, car le contingent parasympathique innervant le constricteur de la pupille convoyé en périphérie du tronc du nerf III est également atteint. Le tableau clinique est celui d’une paralysie complète du nerf III extrinsèque et intrinsèque.
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CAS N° 37
Quel tableau clinique présente madame X. ? Quelles en sont les causes possibles ? Quels signes recherchez-vous à l’examen clinique afin de préciser le diagnostic topographique ? Madame X. présente une paralysie progressive, acquise, du nerf moteur oculaire (III) droit, complète, extrinsèque et intrinsèque. Il existe une mydriase et un ptôsis dit salvateur, car il supprime la diplopie. Il ne s’agit pas d’un syndrome du noyau du III puisque l’élévation de l’œil controlatéral est préservée. Le caractère progressif de l’installation du tableau clinique est en faveur d’un mécanisme compressif. Outre cette donnée essentielle de l’interrogatoire, on recherchera des signes de réinnervation dite paradoxale ou aberrante, ou de dysinnervation d’un muscle par des neurones destinés à un autre
muscle innervé par le III – ainsi par exemple un pseudo-phénomène de von Graefe, élévation paradoxale de la paupière dans le regard en bas, ou un myosis apparaissant électivement dans une position du regard. On réalise un examen neurologique avec examen complet des paires crâniennes ainsi qu’un examen ophtalmologique avec fond d’œil. L’examen ne retrouve qu’une hypoesthésie dans le territoire du nerf ophtalmique de Willis (branche du nerf trijumeau ou V1). La fonction visuelle et le fond d’œil sont normaux. Il n’existe pas de déficit pupillaire afférent relatif.
Quel est le diagnostic topographique et étiologique le plus probable ? L’association d’une paralysie du V1 à une paralysie du III oriente vers une atteinte au niveau du sinus caverneux antérieur ou de la fissure orbitaire supérieure (fente sphénoïdale en ancienne nomenclature). Il est par ailleurs difficile de savoir cliniquement, en dehors d’un examen spécialisé, s’il existe une parésie associée du nerf trochléaire (IV) et du nerf abducens (VI). Dans cette localisation et sur ce terrain (femme ménopausée sous traitement hormonal substitutif), les méningiomes de la base du
crâne représentent la cause la plus probable de ce tableau clinique. Vous demandez un scanner cérébral sans et avec injection de produit de contraste le jour même, qui confirme votre hypothèse ; il est suivi de la réalisation d’une IRM encéphalique. La patiente est confiée à une équipe de neurochirurgie spécialisée dans la base du crâne pour prise en charge.
Quels sont les critères de gravité d’une paralysie du III ? La présence d’une atteinte de la composante intrinsèque (mydriase) oriente vers une cause compressive, de même que le caractère progressif et partiel de la paralysie. En effet, une compression du III se manifeste d’abord par une atteinte des fibres parasympathiques, puis par une paralysie progressive des fibres destinées à la motricité extrinsèque. La présence d’une douleur et la survenue chez un sujet
jeune constituent également des facteurs de gravité, car ils orientent vers une cause anévrismale. Les Anglo-Saxons parlent de la règle des cinq P (pupil, progressive, partial, pain, patient). La cause compressive la plus grave est l’anévrisme de la terminaison de l’artère carotide interne, car il existe un risque de rupture de l’anévrisme, qui est souvent fatale. 139
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quel tableau de paralysie acquise du III est au contraire plutôt rassurant et de bon pronostic ? Une paralysie purement extrinsèque, mais complète de toute la composante extrinsèque, de survenue brutale (souvent au réveil), peu douloureuse (en pratique il existe souvent une douleur minime associée), isolée, survenant chez un sujet ayant des facteurs de risque d’athérosclérose, oriente vers un III microvasculaire ischémique. La récupération se fait en règle générale en 3 mois. Si l’on
choisit de ne pas effectuer d’imagerie en urgence – en pratique, ces patients étant souvent pris en charge initialement dans des centres peu spécialisés, ceci est rarement le cas –, alors il convient de les surveiller régulièrement, par exemple à J4, J8 puis tous les 15 jours afin de s’assurer de l’absence d’apparition d’autres signes neurologiques associés et de la bonne récupération de la paralysie.
En cas de paralysie du III acquise chez un jeune enfant (le plus souvent de cause traumatique ou tumorale), quels éléments essentiels sont à considérer dans la prise en charge thérapeutique de cette paralysie ? Le risque d’amblyopie est majeur en cas de paralysie du III chez l’enfant. Au risque d’amblyopie provenant du strabisme paralytique, qui est traité le plus souvent par une occlusion du bon œil, s’ajoute celui résultant de la paralysie de l’accommodation, traité par un verre de lunette double foyer ou progressif spécial enfant sur l’œil atteint (cela est essentiel car la morphologie d’un verre progressif adulte est telle qu’il n’aurait aucun effet sur la vision
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de l’enfant). Celle-ci régresse parfois moins vite et moins bien que la paralysie oculomotrice extrinsèque, de sorte qu’il n’est pas rare de voir s’installer des amblyopies dramatiques secondairement à une paralysie du III ayant « apparemment » régressé. En outre, la récupération d’une bonne contraction pupillaire ne s’accompagne pas nécessairement de la récupération d’une bonne accommodation, qui doit être évaluée indépendamment.
CAS N° 38 Un nystagmus chez un nourrisson
Un nourrisson de 5 mois, D., vous est amené par ses parents, car « ses yeux bougent tout seuls ». La mère a remarqué ces mouvements à partir de l’âge de 2 mois, et ils ont peu évolué depuis. Il s’agit du second enfant né d’un jeune couple non consanguin, au terme d’une grossesse normale. Il n’existe pas d’antécédents familiaux et le développement psychomoteur du nourrisson est par ailleurs tout à fait normal. Vous constatez un nystagmus purement horizontal, assez lent, pendulaire en position primaire et devenant à ressort dans les regards latéraux. Le nystagmus est bilatéral et les mouvements des deux yeux sont conjugués et symétriques. Le test à l’écran est de réalisation difficile mais les reflets sont centrés ; les reflets pupillaires sont normaux. En outre, le comportement visuel de l’enfant vous semble normal ; on objective un bon suivi du regard sur une cible de petite taille, testé en binoculaire, puis œil par œil en prenant soin de cacher l’œil non testé avec un pansement collé à même la peau. Vous demandez à un confrère ophtalmologiste d’examiner rapidement cet enfant. Il vous indique qu’« hormis le nystagmus, l’examen ophtalmologique de l’enfant est normal ; en particulier, il n’existe pas de transillumination irienne » et adresse l’enfant pour un avis spécialisé.
Le test à l’écran, ou cover test, permet de détecter un strabisme. Il se déroule en deux temps. Dans un premier temps, l’écran est dit unilatéral : un œil sera caché, puis le cache ôté et remis sur ce même œil ; on reproduit ensuite la même manœuvre pour l’autre œil ; si un œil non caché bouge, l’enfant présente un strabisme patent, ou tropie. Dans un second temps, le test à l’écran alterné consiste à passer le cache d’un œil à l’autre afin de rompre la fusion et de décompenser un strabisme, dans le cas d’un strabisme latent, ou phorie. L’étude des reflets pupillaires est un moyen grossier d’étudier le parallélisme des axes visuels, qui consiste à projeter une lumière (par exemple la lumière d’un ophtalmoscope sans regarder dans l’ophtalmoscope mais en s’en servant comme d’une lampe torche) sur le visage de l’enfant afin d’observer le reflet simultané de cette lumière sur les yeux de l’enfant. L’étude du reflet pupillaire (red reflex) peut être pratiquée par tout médecin prenant en charge des enfants : elle consiste à étudier la qualité du reflet d’une lumière projetée sur la rétine et requiert l’usage d’un ophtalmoscope. Cet examen est extrêmement simple et sa pratique systématique permet d’apprécier de manière reproductible ce qu’est un reflet normal. Il rend possible le dépistage d’un trouble des milieux transparents de l’œil, telle une cataracte congénitale (le reflet ne sera pas normal, c’est-à-dire orange homogène, mais sera hétérogène ou grisâtre), ainsi que d’une lésion sur la rétine, tel un rétinoblastome (le reflet sera au moins partiellement blanc, c’est la leucocorie).
Devant ce tableau, quel est le diagnostic le plus probable ? Quels éléments recherchez-vous afin de l’établir ?
Il s’agit d’un nystagmus à début précoce, aussi appelé improprement « nystagmus congénital » ou
encore, aux États-Unis, « syndrome du nystagmus infantile ». Ce nystagmus est « patent », autrement 141
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
dit présent de manière spontanée, contrairement au nystagmus manifeste latent, qui n’apparaît que lorsqu’un œil est occlus et qui entre dans le cadre du syndrome du strabisme précoce. Le diagnostic le plus probable est celui de nystagmus à début précoce essentiel, c’est-à-dire sans anomalie notable associée oculaire ou cérébrale. Les diagnostics différentiels sont les nystagmus sensoriels (associés à une anomalie de l’œil ou des voies visuelles prégéniculées) et les nystagmus neurologiques (associés à une anomalie neurologique autre). L’examen permet d’éliminer : − des signes de malvoyance (signe oculodigital de Franceschetti, où l’enfant comprime fortement ses globes oculaires, signe de l’éventail où l’enfant balaye le champ de son regard de ses doigts
déployés, mauvaise poursuite oculaire, absence de réflexe de clignement à la menace, etc.), une photophobie ; − un contexte neurologique ou général associé (signes dermatologiques d’albinisme oculocutané, syndrome dysmorphique, etc.) ; − un strabisme associé, parfois de diagnostic difficile ; on parle alors de « tropie nystagmique » ; − un torticolis souvent d’apparition plus tardive que le nystagmus ; − des oscillations associées de la tête ; − des altérations de la voie sensorielle : transillumination irienne et hypopigmentation rétinienne en faveur d’un albinisme oculaire, cataracte congénitale, malformations maculaires ou papillaires, etc.
Quels sont les diagnostics différentiels d’un nystagmus patent ? Les mouvements oculaires anormaux spontanés non nystagmiques sont les intrusions et les oscillations saccadiques. On parle d’intrusion en cas de mouvements intermittents et d’oscillations en cas de mouvements permanents. L’opsoclonus consiste en une succession de saccades oculaires (mouvements rapides) multidirectionnelles sans intervalle libre. Il s’associe souvent secondairement à des myoclonies et peut être révélateur d’un neuroblastome thoracique ou abdominal, ou d’une rhombencéphalite.
Le flutter oculaire correspond par définition à une succession de saccades purement horizontales et a la même valeur étiologique lorsqu’il survient dans un contexte rapidement progressif. Si au contraire il est isolé, présent depuis toujours, parfois pouvant être déclenché volontairement, il constitue une simple curiosité de l’examen oculomoteur connue sous le nom de « flutter physiologique » et transmis sur un mode dominant autosomique.
Quels éléments cliniques vont vous permettre de décrire ce nystagmus ? Les caractères sémiologiques à rechercher sont : − le caractère permanent ou intermittent ; − le caractère mono- ou binoculaire ; en cas de nystagmus binoculaire, on précisera la symétrie des mouvements entre les deux yeux : le nystagmus est dit dissocié si l’amplitude des oscillations varie entre les deux yeux ; il est dit dysconjugué si la direction des oscillations est opposée entre les deux yeux ; − la vitesse relative des deux phases, permettant de distinguer le nystagmus pendulaire, au cours duquel la vitesse des deux phases est égale, du nystagmus à ressort, qui comporte une phase lente dite tonique et une phase rapide dite de rappel, cette dernière indiquant par convention le sens du nystagmus ; 142
− l’orientation du nystagmus : simple, rectiligne (horizontal, vertical ou oblique) ou rotatoire (autour de l’axe antéro-postérieur du globe oculaire), ou complexe associant un mouvement rotatoire et un mouvement rectiligne ; − le champ du nystagmus, c’est-à-dire les positions du regard dans lesquelles il s’observe ; − les facteurs susceptibles de le modifier : l’occlusion d’un œil, la fixation, la convergence, la direction du regard. L’appréciation de ces caractéristiques cliniques est facilitée en fixant la racine du nez du patient et non pas l’un de ses yeux. L’examen est difficile à cet âge et le recours à des enregistrements est intéressant (simple vidéo, électro- ou vidéo-oculographie).
CAS N° 38
Que peut apporter l’examen des parents et de la fratrie ? Les nystagmus à début précoce essentiels sont souvent transmis génétiquement. Des études récentes ont permis d’identifier des gènes impliqués, en particulier FRMD7 (en Xq26-27), dont des mutations sont retrouvées dans 50 % des cas de formes familiales liées à l’X, mode de transmission le plus souvent rencontré. L’évolution naturelle des nystagmus à début précoce étant l’amélioration spontanée, en particulier celui dans la position primaire du regard (« droit devant »), et l’expressivité de la mutation étant variable, il n’est pas rare de découvrir un nystagmus chez un apparenté (transmission verticale) qui en ignorait lui-même l’existence, ce nystagmus étant invisible en position primaire mais évident dans les regards latéraux –il existe un nystagmus
physiologique dans le regard latéral, mais seulement dans le regard latéral extrême et qui ne saurait être confondu avec un nystagmus patent et ample apparaissant précocement dans le regard latéral. La découverte d’une forme familiale méconnue permet souvent de rassurer les parents quant au pronostic visuel généralement bon de leur enfant. A contrario, certaines dystrophies maculaires ou rétiniennes à début précoce sont aussi pourvoyeuses de nystagmus et leur diagnostic chez un apparenté oriente considérablement le diagnostic. Nombre d’entre elles se transmettent selon un mode récessif autosomique ; elles surviennent donc volontiers dans la fratrie (transmission horizontale) et sont favorisées par la consanguinité.
S’agit-il d’une urgence ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?
À ce stade, non : un premier examen ophtalmologique a été réalisé (ce premier examen était lui une urgence) et a éliminé un diagnostic grave, en particulier des oscillations saccadiques acquises ou une cause de malvoyance précoce (cataracte congénitale, amaurose congénitale de Leber, etc.). Cependant, l’enfant devra être examiné par un spécialiste en ophtalmologie pédiatrique dans un délai d’un mois environ. Il ne s’agit pas d’une urgence pour les raisons suivantes : − le nystagmus est purement horizontal. En effet, tout élément vertical doit attirer l’attention et faire adresser l’enfant en urgence en ophtalmologie pédiatrique en raison de la possibilité de nystagmus secondaire neurologique ; − le nystagmus est présent sur les deux yeux, symétrique et conjugué. Tout nystagmus monoculaire, très asymétrique ou dysconjugué, constitue une urgence ;
− le nystagmus a débuté entre la quatrième et la douzième semaine de vie. En effet, un nystagmus qui aurait été constaté pour la première fois après le troisième mois de vie serait extrêmement suspect d’être un nystagmus acquis. Tout nystagmus acquis est une urgence ; − le comportement visuel de l’enfant est normal, il n’existe pas de strabisme et les milieux oculaires sont clairs. En effet, un nystagmus apparaît précocement chez les enfants souffrant d’une malvoyance en rapport avec une affection potentiellement maligne de l’œil ou des voies visuelles antérieures. L’ophtalmopédiatre qui examine l’enfant D. un mois plus tard confirme les éléments notés précédemment : fonction visuelle normale, milieux oculaires transparents, rétine et nerf optique d’aspect sain. Il organise sans urgence la réalisation d’examens électrophysiologiques.
Quels examens sont indiqués systématiquement devant un nystagmus à début précoce horizontal, fonction visuelle normale et examen anatomique normal ?
Peu d’examens sont de réalisation systématique dans ce contexte. La mesure de la réfraction sous cycloplégique est impérative, comme devant un strabisme ; en cas
d’amétropie, le port de la correction optique totale est indiqué. Les examens d’électrophysiologie sont impératifs. En effet, certaines dystrophies rétiniennes se 143
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
caractérisent essentiellement par un nystagmus à début précoce et leur diagnostic repose principalement sur l’électrorétinogramme. La place des examens d’imagerie est actuellement discutée ; leur rôle en recherche est important, mais en pratique clinique le plus souvent leurs résultats ne modifient guère l’attitude thérapeutique.
Vous revoyez D. à l’âge de 4 ans. Sa fonction visuelle s’est bien développée ; il porte désormais des lunettes et est scolarisé en moyenne section de maternelle. Le nystagmus est moins visible que par le passé. L’intitutrice est inquiète, car D. tourne systématiquement la tête vers la gauche lorsqu’il regarde au tableau ou se concentre sur son cahier. Ses parents ont essayé de lui faire perdre ce « tic » en le forçant à mettre sa tête droite mais sans succès. La famille est affolée par cette position de tête.
Quelle est la signification possible de ce torticolis ? Que dites-vous aux parents ? Il est fréquent d’observer un torticolis associé à un nystagmus à début précoce. Ce torticolis peut être la conséquence d’une zone de calme du nystagmus (ou zone neutre, souvent improprement appelée zone de blocage du nystagmus) dans une position particulière du regard, ici le regard vers la droite, la position de la tête vers la gauche permettant de profiter de ce calme dans le regard à droite. Il peut aussi être la conséquence d’un strabisme associé au nystagmus, l’enfant ayant une meilleure vision binoculaire dans cette position de torticolis. Dans tous les cas, le torticolis est d’autant plus flagrant que l’enfant fixe et se concentre. En règle générale, la vision est meilleure dans la position de torticolis et le torticolis doit donc être respecté afin de permettre le meilleur établissement possible de la fonction visuelle.
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Quand le torticolis est important et quasi permanent, il peut engendrer des complications rachidiennes (scolioses) à long terme. Il peut alors être intéressant de le traiter. Pour ce faire, une analyse sémiologique clinique soigneuse préalable de ses causes et de son importance, difficile avant l’âge de 5-6 ans, est essentielle. Elle permet de définir la meilleure indication chirurgicale pour le traitement de ce torticolis. Toutes les interventions chirurgicales reposent sur des renforcements et affaiblissements des muscles oculomoteurs afin soit de déplacer les deux yeux pour centrer la zone de calme, soit de diminuer l’angle strabique en cas de strabisme associé.
CAS N° 39 Monsieur H., 76 ans, présente une cécité bilatérale brutale
Monsieur H., âgé de 76 ans, est adressé pour une cécité bilatérale survenue la veille au décours de la sieste. L’interrogatoire ne retrouve ni prodrome ni signe fonctionnel associé. Ce patient hypertendu et diabétique non insulinodépendant est traité par un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un sulfamide hypoglycémiant. Il présente une néphropathie diabétique avec insuffisance rénale non dialysée. Il a bénéficié la veille d’une tomodensitométrie cérébrale sans injection de produit de contraste rapportée comme normale. À l’arrivée dans le service, le patient est bien orienté et l’acuité visuelle non chiffrable est réduite à des « perceptions lumineuses positives » aux deux yeux.
Citez les différentes localisations lésionnelles qui pourraient expliquer un tel tableau clinique. Quel est le mécanisme lésionnel le plus probable dans ce cas précis ? Une baisse d’acuité visuelle bilatérale sévère et isolée peut être en rapport avec : − une lésion oculaire bilatérale simultanée : par exemple, oblitération de l’artère centrale de la rétine (OACR) bilatérale ; − une atteinte simultanée des deux nerfs optiques : neuropathie optique ischémique antérieure ou postérieure aiguë bilatérale ; − une lésion occipitale bilatérale. Certains éléments cliniques orientent vers une cause vasculaire : survenue au réveil (bas débit de décubitus), patient hypertendu, absence de douleur associée ou d’autre signe fonctionnel. Il n’existe pas de contexte particulier, péri-opératoire par exemple, qui pourrait orienter vers le diagnostic d’OACR ou de neuropathie optique ischémique bilatérale. Ici, une ischémie dans le territoire bi-occipital semble être la cause la plus vraisemblable. Elle serait la conséquence d’une hypoxie dans le territoire des deux artères cérébrales postérieures par embole d’origine cardiaque ou vertébrobasilaire, ou encore
par hypotension artérielle prolongée. La pathogénie emboligène est la plus fréquente dans les accidents ischémiques des lobes occipitaux responsables de cécité corticale. Les étiologies des cécités corticales permanentes ou transitoires sont cependant variées (Tableau I). Il convient dans tous les cas de mener un interrogatoire soigneux du patient et de son entourage afin de rechercher une notion de traumatisme crânien, une prise médicamenteuse particulière ou une exposition à des toxiques, ou encore une notion de traitement endovasculaire récent. Le diagnostic d’encéphalopathie postérieure réversible (PRES, pour Posterior Reversible Encephalopathy Syndrome), qui associe la survenue de troubles neurologiques à une hypertension artérielle, peut également être évoqué. Cette encéphalopathie est cependant souvent responsable de signes associés tels que des céphalées, des vomissements et une confusion ; elle survient volontiers dans un contexte particulier (insuffisance rénale aiguë, éclampsie, ciclosporine A, etc.).
Quels éléments cliniques conforteront le diagnostic de localisation ? • Normalité des réflexes photomoteurs : leur altération signerait un déficit afférent par atteinte des voies visuelles antérieures entre la rétine (le premier neurone) et les corps géniculés latéraux (voie rétinogéniculée).
• Normalité du fond d’œil (mais il est également normal en cas de neuropathie ischémique postérieure). 145
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Tableau I – Étiologies des baisses d’acuité visuelle transitoires ou permanentes liées à des lésions rétrochiasmatiques. Causes vasculaires – Ischémie vertébrobasilaire : embolie, athérosclérose – Anoxie cérébrale – Thrombose veineuse cérébrale – Encéphalopathie hypertensive – Hypertension artérielle maligne – Éclampsie Traumatisme crânien Masse occipitale : tumeur, abcès, hémorragie, etc. Pathologie démyélinisante Infection – Abcès occipital – Méningite – Encéphalite virale – Leucoencéphalite multifocale progressive – Maladie de Creutzfeld-Jacob Toxicité – Ciclosporine – Tacrolimus – Mercure – Monoxyde de carbone Cause métabolique – Hypoglycémie – Porphyrie – Encéphalopathie hépatique Migraine : aura visuelle Épilepsie occipitale Causes dégénératives – Maladie d’Alzheimer – Atrophie corticale postérieure
Quels diagnostics différentiels pourraient être discutés ? Devant une cécité brutale avec normalité du réflexe photomoteur et de l’examen clinique, le diagnostic de cécité non organique est à évoquer en fonction du contexte. Il s’agit d’un diagnostic d’élimination ; le comportement visuel du patient est généralement peu cohérent avec l’acuité visuelle estimée (par exemple, le patient se dirige seul dans une pièce malgré l’absence de perception lumineuse à l’examen). Devant ce tableau, il faut également être vigilant par rapport au diagnostic d’agnosie visuelle qui est parfois trompeur. 146
Chez monsieur H., les pupilles sont réactives à la lumière de façon vive et symétrique ; l’examen du fond d’œil est sans particularité ; l’examen oculomoteur est normal. L’examen neurologique ne retrouve pas d’altération de la vigilance, de la parole ni de la marche. L’examen de la motricité et de la sensibilité, ainsi que celui des paires crâniennes est normal. La tension artérielle est égale à 160/90 mmHg. La numération-formule sanguine et la vitesse de sédimentation sont normales ; l’électrocardiogramme est normal.
CAS N° 39
Quel examen complémentaire demandez-vous dans un premier temps ?
Une imagerie par résonance magnétique cérébrale (séquences pondérées en T2 écho de gradient, FLAIR, diffusion, perfusion et flux 3D TOF) (3D time of flight) est demandée en urgence afin de rechercher des signes d’accident ischémique occipital.
occipitaux, de façon plus étendue à droite, ce qui confirme le diagnostic d’accident ischémique étendu (Figure 1). À noter un hypersignal au niveau du thalamus droit évoquant une lacune ancienne. Les séquences de flux (3D TOF) réalisées montrent des axes artériels intracérébraux perméables et un tronc basilaire de taille normale.
L’IRM cérébrale réalisée montre des hypersignaux sur les séquences FLAIR et en diffusion au niveau des deux lobes
Devant ces résultats, quel complément de bilan d’imagerie demandez-vous ?
Une écho-Doppler des troncs supra-aortiques ainsi qu’une échographie transthoracique sont demandées à la recherche de lésions emboligènes. L’échographie des troncs supra-aortiques met en évidence une surcharge athéromateuse diffuse sans sténose significative sur le plan hémodynamique. L’échographie transthoracique révèle des plaques calcifiées centimétriques au niveau de l’aorte ascendante.
Figure 1 – IRM cérébrale en séquence FLAIR, coupe axiale. Hypersignaux étendus dans les deux lobes occipitaux, prédominant à droite.
Devant ces anomalies, une angio-IRM des troncs supraaortiques est demandée et met en évidence une artère vertébrale droite hypoplasique qui se termine en artère cérébelleuse postéro-inférieure ; l’artère vertébrale gauche est dysmorphique et athéromateuse, de fort calibre, donnant naissance au tronc basilaire (Figure 2). Le grand calibre de l’artère vertébrale gauche peut être considéré comme un facteur favorisant la migration d’emboles à point de départ aortique.
Figure 2 – Angio-IRM des troncs supra-aortiques : l’artère vertébrale droite est hypoplasique et se termine en artère cérébelleuse postéro-inférieure ; l’artère vertébrale gauche est dysmorphique et athéromateuse, de fort calibre, et donne naissance au tronc basilaire.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quelles précautions sont prises avant la réalisation de l’angio-IRM ? Le dosage de la créatinine est contrôlé chez ce patient en raison de la contre-indication d’injection de produit de contraste en cas d’insuffisance rénale sévère. Une hydratation importante est nécessaire
(2 litres d’eau riche en sodium et bicarbonate). Une surveillance de la glycémie capillaire est réalisée. L’arrêt du sulfamide hypoglycémiant n’est pas nécessaire.
Quelle prise en charge thérapeutique proposez-vous ? Devant la mise en évidence de plaques athéromateuses à fort potentiel emboligène, un traitement anticoagulant par antivitamines K est instauré en prévention secondaire. La réalisation d’une thrombolyse n’est pas discutée puisque le délai supérieur à 3 heures depuis l’installation de la cécité représente
une contre-indication. La stabilisation de la tension artérielle et de la glycémie est nécessaire. L’acuité visuelle de monsieur H. s’améliore progressivement ; elle est chiffrée à 4/10e aux deux yeux 4 mois plus tard.
Interprétez son champ visuel (Figure 3). Il s’agit d’un champ visuel cinétique de Goldmann qui met en évidence une hémianopsie latérale homonyme gauche, indiquant que la récupération concerne le lobe gauche, qui était le moins sévèrement atteint à la phase initiale. En effet, l’ischémie s’étendait sur tout le territoire vascularisé par l’artère cérébrale postérieure droite, tandis qu’elle épargnait les cinquième et sixième circonvolutions occipitales ainsi que la scissure calcarine à gauche, respectant ainsi en partie l’aire visuelle primaire. Sur le champ visuel de Goldmann, on observe que le méridien vertical est déplacé vers
a
la gauche car le patient décale son point de fixation rétinien de quelques degrés vers la rétine saine, ce qui permet le décalage du champ visuel de quelques degrés vers l’hémichamp atteint. Il n’y a pas d’épargne maculaire ni du croissant temporal périphérique de l’œil gauche (ce qui signe une atteinte de la partie antérieure du cortex calcarin droit). Dans ce contexte, il peut être intéressant d’organiser une rééducation orthoptique afin d’aider le patient à améliorer les performances visuelles de ses hémichamps visuels fonctionnels.
b
Figure 3 – Champ visuel de Goldmann réalisé 4 mois après l’épisode (a : œil gauche ; b : œil droit). Hémianopsie latérale homonyme gauche avec fausse impression d’épargne maculaire par déplacement du méridien vertical vers l’hémichamp atteint. Notons également que le croissant temporal périphérique n’est pas perçu sur l’œil gauche (atteinte de la partie antérieure du cortex calcarin controlatéral, à droite), tandis qu’il l’est à droite.
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CAS N° 39
Bibliographie Feske SK. Posterior reversible encephalopathy syndrome : a review. Semin Neurol. 2011, 31: 202-15. Flanagan C, Kline L, Cure J. Cerebral blindness. Int Ophthalmol Clin. 2009, 49: 15-25. Karakurum B. Recovery from cortical blindness following carbon monoxide intoxication. Int J Neurosci. 2005, 115: 143-7. Milea D, Le Hoang P. Anomalies de la vision d’origine centrale. J Fr Ophtalmol. 2002, 25: 1073-78.
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CAS N° 40 Une anisocorie et un ptôsis, c’est gênant
Madame P., 50 ans, nous consulte à la demande d’un confrère pour « un œil plus petit et cela devient gênant ». Il existe un ptôsis gauche, ancien selon madame P. mais qui se serait majoré depuis quelques mois, sans notion de variabilité ni fatigabilité dans la journée. À l’examen, on retrouve également une anisocorie avec un myosis gauche (Figure 1). Il n’existe pas de trouble oculomoteur, l’examen du segment antérieur et du fond d’œil est normal. Madame P. est en bonne santé ; ancienne fumeuse, elle n’a pas d’antécédents médicochirurgicaux particuliers.
Comment se déroule l’examen des pupilles ? Le diagnostic d’une atteinte pupillaire repose en grande partie sur l’examen clinique qui doit être rigoureux. L’interrogatoire doit rechercher une instillation de collyre ainsi que la prise par voie générale de certains médicaments (par exemple un anticholinergique). Les circonstances de survenue et les signes associés devront être précisés. Dater l’ancienneté peut être facilité par l’étude de photographies anciennes. L’étude de la taille des pupilles s’effectue à la fois dans l’obscurité et dans une pièce éclairée, en appréciant leur diamètre. La pupille pathologique est celle dont la taille varie le moins en fonction de l’éclairage. Ainsi, l’anisocorie liée à une mydriase est mieux mise en évidence dans une pièce éclairée. À l’inverse, la pupille pathologique est en myosis si l’anisocorie se majore en conditions de pénombre. L’examinateur doit être attentif à ne pas solliciter la fixation et la convergence, et demande donc au patient de fixer une cible à distance. L’étude de la dynamique pupillaire s’effectue par un éclairage monoculaire alterné, à la recherche d’un
Figure 1 – Ptôsis gauche associé à un myosis.
déficit pupillaire afférent, qui oriente vers un déficit unilatéral ou asymétrique des voies visuelles ipsilatérales. La dernière étape étudie la réponse pupillaire à la convergence, dans une pièce modérément éclairée. Enfin, l’examen à la lampe à fente est essentiel afin d’éliminer toute cause intra-oculaire d’anisocorie (anomalies congénitales, synéchies iridocristaliniennes, etc.). Au terme de l’examen et en fonction du contexte, des tests pharmacologiques peuvent être proposés pour confirmer un diagnostic.
Quel syndrome évoquez-vous ? Quels sont les caractéristiques cliniques ? Devant ce tableau clinique associant un ptôsis et un myosis ipsilatéraux, on évoque une atteinte de la voie pupillaire sympathique à l’origine d’un syndrome de Claude-Bernard-Horner gauche (CBH). 150
Du côté de l’atteinte, la paralysie du dilatateur de l’iris est responsable d’un myosis qui apparaît ou se majore dans l’obscurité. Lors d’un passage d’une ambiance photopique à l’obscurité, la
Cas N° 40
pupille pathologique se dilate moins bien et plus lentement que la pupille normale (dilation lag). Ce signe, inconstant (et mieux visible lors des enregistrements pupillographiques), est très évocateur d’une atteinte de la chaîne sympathique. Le réflexe photomoteur direct et le myosis en convergence sont normaux, puisqu’il n’y a pas d’atteinte du parasympathique. Le ptôsis palpébral s’explique par une atteinte du muscle lisse de Müller innervé par le sympathique. De même, la paupière inférieure peut être ascensionnée (par atteinte d’un muscle équivalent à celui
de Müller, qui est abaisseur de la paupière). Ces deux atteintes palpébrales peuvent provoquer une impression d’énophtalmie, par la diminution de la taille de la fente palpébrale. En cas d’atteinte préganglionnaire ou centrale, une anhidrose de l’hémiface du même côté peut exister, de même qu’une hyperhémie conjonctivale un larmoiement et une obstruction nasale. Enfin, il est possible de retrouver une hypotonie oculaire ou une hypochromie irienne dans les formes congénitales, ou après une très longue durée d’évolution.
Quel(s) test(s) pharmacologique(s) confirme(nt) le diagnostic ?
Deux agents pharmacologiques peuvent être utilisés pour confirmer le diagnostic de CBH : la cocaïne de 2 à 10 % et l’apraclonidine 0,5 ou 1 % (Iopidine® 0,5 ou 1). Cependant, ces tests doivent être interprétés avec prudence, en fonction de la clinique, car il existe des faux négatifs et des faux positifs. La cocaïne, sympathicomimétique, bloque la recapture de la noradrénaline au niveau de la jonction neuromusculaire du dilatateur de l’iris. Dans la situation d’une pupille normale, il y a donc une accumulation locale de noradrénaline après instillation du collyre, ce qui provoque une dilatation pupillaire. L’anomalie pupillaire due à un syndrome de CBH s’explique par l’absence de noradrénaline, provoquant un myosis. Le test à la cocaïne majore donc l’anisocorie (dilatation de la pupille saine, mais pas d’effet sur la pupille atteinte), avec un délai d’autant plus rapide que la concentration est élevée. Ce test ne permet pas de localiser l’atteinte, mais simplement d’affirmer le diagnostic. En pratique, on instille une goutte de collyre à la cocaïne dans chaque œil (sans avoir touché les cornées au préalable pour ne pas modifier la pénétration intra-oculaire du collyre), puis une deuxième, et une troisième 5 minutes plus tard. La réponse est mesurée 45 minutes après. Le test est considéré positif s’il existe une différence inter oculaire au-delà d’un millimètre. L’apraclonidine 0,5 ou 1 % (Iopidine® 0,5 ou 1), employée habituellement dans le traitement de l’hypertonie intra-oculaire, a également une faible action a1-agoniste, qui n’a pas d’effet sur un œil normal. Dans le CBH, il existe une hypersensibilité adrénergique de la pupille pathologique, qui se dilate après instillation d’apraclonidine. Ainsi, lors d’un CBH, il y a une inversion de l’anisocorie et une ascension de la paupière anormale, après l’instillation du collyre
Iopidine®. Après une atteinte de la chaîne sympathique, un délai de plusieurs semaines est habituellement nécessaire pour qu’un test à l’Iopidine® soit interprétable. C’est pour cette raison que ce test n’est pas interprétable en cas d’atteinte aiguë, mais qu’il prend toute sa valeur lors d’atteinte plus ancienne. Il a l’avantage d’être facilement réalisé en pratique courante chez l’adulte, mais son utilisation doit être prudente chez le nourrisson, en raison de contreindications (convulsions). Le test à l’hydroxyamphétamine 1 % est considéré comme le test de référence pour localiser la lésion au sein de la chaîne sympathique, mais il n’est pas pratiqué en France. Ses résultats peuvent parfois être difficilement interprétables, ce qui justifie son utilisation limitée, en pratique. Ce collyre dilate les pupilles normales, ainsi qu’une pupille pathologique dans le cadre d’un CBH préganglionnaire, mais est sans effet en cas d’atteinte post-ganglionnaire. Le collyre à la cocaïne n’étant pas immédiatement disponible, nous avons utilisé un test à l’apraclonidine qui était fortement positif (Figure 2), confirmant le diagnostic de syndrome de Claude-Bernard-Horner.
Figure 2 – Test à l’Iopidine® positif, mettant en évidence une dilatation pathologique de la pupille gauche.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quelles sont les causes de ce syndrome ?
Le système sympathique, qui assure le tonus permanent du dilatateur de l’iris, est constitué par une chaîne à trois neurones qui ne décussent pas. Le premier neurone naît dans l’hypothalamus (plancher du troisième ventricule), descend le long du tronc cérébral puis de la moelle épinière jusqu’au centre ciliospinal de Budge-Waller situé en C8-T2. L’atteinte centrale est la plus rare (2,5 à 13 % selon les séries) avec en premier lieu les causes vasculaires. Ainsi, l’infarctus latérobulbaire est responsable du syndrome de Wallenberg. Les autres causes, plus rares, d’atteinte centrale sont les tumeurs, une démyélinisation et une syringomyélie. L’axone du deuxième neurone se dirige du centre ciliospinal jusqu’au ganglion cervical supérieur, situé au niveau de l’angle de la mâchoire (C2) et de la bifurcation carotidienne. Le long de son trajet, il entretient des rapports étroits avec l’apex pulmonaire. Les lésions préganglionnaires sont causées par des tumeurs de l’apex pulmonaire (syndrome de Pancoast-Tobias), des métastases, une chirurgie thoracique, un anévrisme de l’aorte thoracique ou un traumatisme du plexus brachial.
Le neurone de troisième ordre (post-ganglionnaire) continue son ascension le long de l’artère carotide interne, puis entre dans le sinus caverneux où il rejoint la division ophtalmique du nerf trijumeau. Les fibres sympathiques rejoignent ensuite les corps ciliaires et le dilatateur de l’iris via les nerfs ciliaires longs alors que des fibres sont destinées au muscle de Müller. En situation aiguë, un syndrome de ClaudeBernard-Horner, a fortiori s’il est douloureux, fait évoquer une dissection de la carotide interne ipsilatérale, nécessitant un bilan urgent en milieu neurologique. En cas de confirmation d’une dissection carotidienne, une hospitalisation et un traitement sont nécessaires afin de diminuer le risque ultérieur d’accident vasculaire cérébral. Les autres causes à l’origine d’une telle atteinte sont consécutives à une chirurgie de la carotide interne ou des structures avoisinantes, ainsi que les proliférations tumorales, notamment au niveau du sinus caverneux. Il existe, enfin, des syndromes de CBH congénitaux, le plus souvent par traumatisme obstétrical au niveau du plexus brachial. Chez le jeune enfant, un CBH acquis peut être secondaire à un neuroblastome touchant la chaîne sympathique.
Quels éléments cliniques peuvent vous aider à localiser la lésion ?
Les arguments en faveur d’une atteinte du neurone de premier ordre (atteinte centrale) sont l’existence de signes neurologiques associés (ataxie, nystagmus, dysesthésie, parésie, etc.). Les lésions du deuxième neurone peuvent être associées à d’autres symptômes, telles une toux, une dyspnée, une hémoptysie ou une névralgie cervicobrachiale (syndrome de Pancoast-Tobias). Il est important de rechercher une notion de traumatisme cervical. Une hypoesthésie dans le territoire du trijumeau et/ou une diplopie par atteinte du VI ipsilatéral sont fortement évocatrices d’une atteinte post-ganglionnaire, notamment
dans le sinus caverneux. Une douleur homolatérale péri-orbitaire, faciale ou cervicale est présente dans un tiers des dissections carotidiennes. Il peut exister une cécité monoculaire transitoire homolatérale et une dysgueusie. Les principaux diagnostics différentiels d’un CBH douloureux sont l’algie vasculaire de la face et le syndrome de Raeder. Madame P. n’a pas eu de traumatisme récent. Elle n’a pas de cervicalgie, pas de symptôme neurologique, ni de symptôme pulmonaire associé. Elle a beaucoup fumé mais est sevrée depuis plusieurs années.
Quelle est la conduite à tenir ?
Devant un CBH douloureux, il est impératif de rechercher une dissection carotidienne par une neuro-imagerie adaptée (angioscanner ou 152
angio-IRM des troncs supra-aortiques et cérébrale), qui sont plus sensibles que l’échotomographie Doppler.
Cas N° 40
Devant une lésion préganglionnaire, il est nécessaire de réaliser une radiographie pulmonaire, voire un scanner thoracique et un examen de la thyroïde. Un examen neurologique est impératif, a fortiori en cas de signes neurologiques. Il sera suivi par une IRM cérébrale avec injection de produit de contraste et/ ou médullaire. Si le niveau de l’atteinte ne peut pas être précisé, une batterie de tests d’imagerie est nécessaire (parfois en plusieurs étapes), afin d’explorer le cerveau, le cou, la moelle, les artères carotides et l’apex pulmonaire. Chez le jeune enfant, l’apparition d’un CBH impose la recherche d’un neuroblastome par le dosage des catécholamines urinaires et une imagerie cervicale, pulmonaire et abdominale.
Cependant, il n’est pas inhabituel de ne pas retrouver une cause précise, surtout lors d’une atteinte du troisième neurone. De manière symptomatique, il peut être proposé une chirurgie du ptôsis et/ou une instillation épisodique d’apraclonidine pour traiter cosmétiquement le ptôsis et l’anisocorie.
Les explorations ont mis en évidence chez madame P. une volumineuse tumeur pulmonaire de l’apex gauche (Figures 3 et 4), dont l’analyse histopathologique confirmait un cancer non à petites cellules de type adénocarcinome. Il s’agissait d’un syndrome de Pancoast-Tobias révélant une tumeur pulmonaire, qui a été prise en charge dans un service de cancérologie.
Figure 4 – Scanner thoracique injecté : tumeur parenchymateuse pulmonaire de l’apex gauche. Figure 3 – Radiographie pulmonaire de face : opacité de l’apex gauche.
Bibliographie Kardon RH, Denison CE, Brown CK, Thompson HS. Critical evaluation of the cocaine test in the diagnosis of Horner’s syndrome. Arch Ophthalmol. 1990, 108: 384-7. Miller NR, Walsh FB, Hoyt WF. Walsh and Hoyt’s clinical neuro-ophthalmology. Philadelphia, Lippincott Williams & Wilkins ; 2005.
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153
CAS N° 41 Des paupières asymétriques
Les parents de l’enfant L., âgé d’un an, consultent pour une asymétrie des fentes palpébrales constatée chez leur bébé. L’inspection montre un ptôsis droit (Figure 1).
Figure 1 – Ptôsis droit vrai.
Qu’est ce qu’un ptôsis ? Une paupière supérieure normale couvre le limbe de 1 à 2 mm. Le ptôsis est une position anormalement basse du bord libre palpébral ; c’est une affection assez
fréquente en ophtalmologie. Il correspond le plus souvent à une impotence du muscle releveur de la paupière supérieure responsable.
Quelles questions posez-vous aux parents ? Pourquoi ?
• Quelle est l’ancienneté des symptômes ? Cette question permet de distinguer deux types de ptôsis : les ptôsis acquis et les ptôsis congénitaux constatés dès la naissance ou dans les premières semaines de vie. • Quels sont les antécédents généraux et ophtalmologiques de l’enfant ? La recherche de certaines pathologies pédiatriques, musculaires et neurologiques, est importante, de même que certains syndromes polymalformatifs où le ptôsis est un signe clinique faisant partie ou associé au tableau clinique classique. 154
• Quels sont les antécédents familiaux ? L’interrogatoire des parents ainsi que leur examen clinique permet d’éliminer des formes familiales de ptôsis congénitaux. Des gènes responsables de ptôsis familial ont été localisés permettant de distinguer deux types de syndromes de ptôsis héréditaires : type 1, localisation en 1p32-p34-1 (transmission autosomique dominante), et type 2, localisation en Xq24q27-1 (transmission liée à l’X).
CAS N° 41
Comment conduisez-vous l’examen des paupières de cet enfant ? L’examen clinique doit : − préciser si l’atteinte est uni- ou bilatérale ; − éliminer une rétraction palpébrale controlatérale (Figure 2) ; − rechercher une hyperaction du muscle frontal qui peut masquer un ptôsis bilatéral ; − mesurer la distance entre le reflet cornéen et le bord libre supérieur lorsque chaque œil fixe une source lumineuse, ce qui permet de classer le ptôsis en : ptôsis minime, modéré ou majeur ; − mesurer la fonction du muscle releveur : l’action du releveur est mesurée en chiffrant l’amplitude maximale du mouvement palpébral entre le regard extrême vers le haut et vers le bas après avoir inhibé l’action du muscle frontal par une pression du doigt au-dessus du sourcil. La fonction normale du muscle releveur est de 12 à 15 mm ; − préciser l’état du pli palpébral : sa profondeur donne une indication sur l’action du muscle releveur ; − comporter un test à la néosynéphrine collyre (généralement) : on instille une goutte de néosyné
phrine à 10 %, en prenant garde à bien comprimer le point lacrymal inférieur et, 5 minutes plus tard, on mesure la hauteur de la paupière. Ce test stimule le muscle de Müller ; un test positif corrige un ptôsis minime et peut influencer la décision chirurgicale ; − chercher le signe de Charles-Bell : à l’occlusion des paupières, le globe s’élève de façon physiologique. Si l’élévation est moyenne ou absente, l’enfant risque une exposition cornéenne en postopératoire ; − détecter un trouble oculomoteur associé : anomalie de l’élévation ; paralysie du nerf oculomoteur (III) ; mouvements palpébraux anormaux tels que la synergie oculomandibulaire ou phénomène de Marcus-Gunn ; syndrome de Claude-BernardHorner avec des anomalies pupillaires (myosis) ; anomalies oculaires ou faciales : rétinite pigmentaire, blépharophimosis (paupières trop courtes) dans le cadre d’un syndrome blépharophimosis-ptôsisepicanthus inversus (Figure 3) s’inscrivant souvent dans un cadre syndromique plus large ; anomalies musculaires associées.
Figure 2 – Rétraction palpébrale gauche donnant l’impression d’un ptôsis droit.
Figure 3 – Syndrome blépharophimosis-ptôsis-epicanthus inversus.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quels sont les signes d’urgence diagnostique et thérapeutique ? • Amblyopie : le bilan oculaire doit préciser l’acuité visuelle de l’enfant en cherchant une asymétrie entre les deux yeux. Un ptôsis obturant l’axe visuel est susceptible de causer rapidement une amblyopie par privation. L’amblyopie est une urgence diagnostique et thérapeutique. Dans ce cas, le traitement chirurgical devient urgent quel que soit l’âge de l’enfant et est alors d’autant plus urgent que l’enfant est jeune. • Syndrome de Claude-Bernard-Horner : il doit être évoqué devant des anomalies de la pupille
(myosis), un ptôsis et une énophtalmie. Le bilan radiologique doit être réalisé en urgence afin d’éliminer des tumeurs du système sympathique ou des métastases d’un neuroblastome.
• Proptôsis : c’est un faux ptôsis dû à une tumeur ou une métastase dans l’orbite. Devant un ptôsis acquis ou un proptôsis, les examens complémentaires biologiques et radiologiques constituent une urgence diagnostique et thérapeutique car le pronostic vital peut être mis en jeu.
Quelle est l’évolution d’un ptôsis ? Un ptôsis congénital isolé reste souvent stable ; une discrète amélioration est possible avec la
croissance si le ptôsis est minime.
Quelles sont les différentes techniques chirurgicales ? Dans le ptôsis congénital, le choix de la technique chirurgicale dépend de l’action du muscle releveur. La chirurgie s’effectue en moyenne à 3-4 ans, avant l’école et dès l’obtention de la coopération de l’enfant. Une chirurgie est indiquée en urgence, même avant l’âge d’un an, si le ptôsis est majeur ou si l’enfant présente une amblyopie. Dans les ptôsis congénitaux associés à des troubles oculomoteurs, la règle est de traiter d’abord les troubles associés. Les techniques chirurgicales utilisées sont les suivantes.
• Résection ou plissement du muscle releveur : réalisée par voie cutanée au niveau du pli palpébral. C’est la technique la plus utilisée dans le traitement des ptôsis congénitaux isolés minimes à modérés. La résection dépend de l’action du muscle releveur ; plus l’action est faible, plus la résection est importante. • Résection conjonctivo-müllerienne : on réalise par voie conjonctivale une résection du bloc Müllerconjonctive. Le muscle est raccourci et suturé au bord du tarse avec des points noués sur la peau pour créer 156
le pli. Elle est indiquée dans les ptôsis minimes avec un test à la néosynéphrine positif.
• Suspension au muscle frontal : le muscle frontal élève les sourcils et contribue à l’élévation des paupières. Cette action d’élévation des paupières est accrue si le muscle frontal et le sourcil sont connectés à la paupière par une bande de suspension sous-cutanée, pour laquelle des matériaux variés peuvent être utilisés : − les matériaux autologues, comme l’aponévrose temporale ou le fascia lata, sont de loin les meilleurs matériaux pour la suspension. Il y a peu de risque d’infection, de résorption et de rupture comme cela peut se voir avec les matériaux synthétiques ; − les biomatériaux (fil de silicone, PTFE) (poly tétrafluoroéthylène) présentent l’avantage d’éviter tout prélèvement chez un enfant trop jeune et dont la jambe est encore petite pour prendre une large bande de fascia. Ces biomatériaux exposent à un risque plus élevé d’infection, de rupture avec la croissance et d’extrusion. En règle générale, lorsqu’une intervention de ce type doit être pratiquée précocement, il s’agit d’une intervention « provisoire », l’intervention définitive ayant lieu plusieurs années plus tard.
CAS N° 41
La chirurgie de ptôsis chez l’enfant est réalisée sous anesthésie générale, ce qui rend le réajustement
de la hauteur palpébrale en peropératoire impossible, contrairement à l’adulte.
Bibliographie Adenis JP. Traitement chirurgical du ptôsis. In : Chirurgie palpébrale. Paris : Doin Éditeurs ; 1991. p. 209-44. Adenis JP. Ptôsis. In : Chirurgie palpébrale. Paris : Masson ; 2007. p. 51-69. Adenis JP, Morax S. Ptôsis et complications. In : Pathologie orbito-palpébrale. Société française d’ophtalmologie. Paris : Masson ; 1998. p. 227-60.
Collin J.R.O. Ptôsis. In : Manuel pratique de chirurgie palpébrale. Paris : Masson ; 1998. p. 37-62. Rougier J, Tessier P, Hervouet F, Woillez M, Lekieffre M, Derome P. Chirurgie plastique orbito-palpébrale. Société française d’ophtalmologie. Paris : Masson ; 1977. p. 34368.
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CAS N° 42 Un ptôsis acquis de l’adulte
Madame B., 45 ans, consulte pour un ptôsis isolé apparu il y a 2 mois (Figure 1). Elle ne se plaint d’aucun autre signe ophtalmologique ou trouble visuel, ni d’aucun signe général. Son mari, présent lors de la consultation, décrit quant à lui l’apparition de ce ptôsis depuis au moins 4 mois, de manière inconstante et surtout en fin de journée. Depuis 15 jours, madame B. présente une baisse d’intensité vocale lors de conversations téléphoniques prolongées. L’examen clinique est strictement normal à l’exception d’un ptôsis gauche et d’une diplopie minime dans le regard extrême à droite, avec une adduction de l’œil gauche qui semble légèrement limitée par rapport au côté controlatéral.
Figure 1 – Cliché de madame B. : ptôsis unilatéral gauche acquis.
Quels sont les éléments sémiologiques importants à relever dans cette observation ?
Il s’agit d’un ptôsis isolé récent, sans aucun trouble ophtalmologique associé, d’apparition apparemment progressive puisque le mari a remarqué l’anomalie depuis au moins 4 mois, et plus fréquent en fin de journée, ce qui laisse supposer une fatigabilité de la paupière. Devant ce ptôsis isolé, fluctuant et augmenté à l’effort, la myasthénie est la première hypothèse diagnostique, et ce d’autant plus que la patiente présente également une diplopie dans le regard à droite avec diminution d’adduction de l’œil gauche, ce qui est en faveur d’une faiblesse du muscle droit médial gauche. Cependant, face à un ptôsis acquis de l’adulte, il convient de raisonner méthodiquement afin de ne pas méconnaître une urgence neurovasculaire dont 158
l’évolution pourrait être fatale. En effet, devront être éliminés en priorité les ptôsis neurogènes qui représentent un risque vital à court terme (anévrisme carotidien, dissection carotidienne) et les ptôsis neuromusculaires qui représentent un risque vital à moyen terme (syndrome de Lambert-Eaton dans le cadre d’un syndrome paranéoplasique, détresse respiratoire aiguë lors de crise myasthénique). Les ptôsis traumatiques sont de diagnostic plus simple car le contexte est souvent évocateur : traumatisme orbitaire important avec lésion de la troisième paire crânienne par contusion du ganglion ciliaire. Il faut cependant garder à l’esprit que le contexte traumatique n’est parfois pas évident et qu’un traumatisme minime mais prolongé, comme le port de lentilles, peut entraîner un ptôsis par désinsertion
CAS N° 42
aponévrotique lente. Enfin, les ptôsis involutionnels (ou décompensations de ptôsis congénitaux minimes) ainsi que les ptôsis aponévrotiques séniles restent des diagnostics d’élimination. Des photos antérieures sont utiles en cas de décompensation de ptôsis congénital minime : elles peuvent en effet révéler un ptôsis présent depuis l’enfance passé
inaperçu ou bien une rétraction palpébrale minime témoignant d’un ptôsis controlatéral avec hyperaction compensatrice. Les ptôsis séniles par désinsertion aponévrotique se caractérisent par une ascension du pli palpébral typique avec une augmentation du déroulement palpébral dans le regard en bas à l’origine d’une gêne majorée à la lecture (Figure 2).
Figure 2 – Ptôsis sénile aponévrotique. Aspect d’œil creux avec ascension du pli palpébral qui devient quasiment absent.
Quels sont les deux signes majeurs à rechercher devant l’apparition d’un ptôsis ? Les deux signes primordiaux à rechercher face à un ptôsis isolé de novo chez l’adulte sont la présence d’une douleur (douleur cervicale, céphalées) et une asymétrie des pupilles (anisocorie). En effet, le tableau présenté par la patiente peut tout à fait correspondre à une atteinte partielle extrinsèque de la troisième paire crânienne. Il est donc essentiel de chercher un trouble pupillaire associé. La présence d’un myosis ou d’une mydriase homolatérale au ptôsis oriente immédiatement vers une cause neurogène et, en l’absence de contexte traumatique, les deux étiologies à éliminer en priorité sont une atteinte nerveuse compressive ou ischémique. Deux voies nerveuses peuvent être impliquées lors de ces ptôsis neurogènes : la troisième paire crânienne d’une part, qui innerve le muscle releveur de la paupière, mais également les muscles droit supérieur, droit inférieur et droit médial, ainsi que le sphincter irien via la voie parasympathique, et la voie sympathique d’autre part, qui innerve le muscle de Müller (muscle lisse doublant la face profonde de l’aponévrose du releveur) et le muscle dilatateur de l’iris. L’examen des pupilles est donc primordial et doit être rigoureux, en lumière ambiante à l’éclairage direct et dans la pénombre : − en cas de myosis, l’anisocorie augmente dans la pénombre car la pupille saine passe en mydriase. Il faut alors rechercher une compression des voies sympathiques entre le tronc cérébral et la jonction C8-D1
réalisant la classique triade du syndrome de ClaudeBernard-Horner : ptôsis, myosis et pseudo-énophtalmie. Un syndrome de Claude-Bernard-Horner impose la réalisation d’un bilan d’imagerie cervicothoracique à la recherche d’une compression tumorale (adénopathies, syndrome de Pancoast-Tobias). Un syndrome de Claude-Bernard-Horner douloureux doit faire craindre une dissection carotidienne et pratiquer un bilan neurovasculaire en urgence (Figure 3) ; − en cas de mydriase, l’anisocorie est plus visible sous un bon éclairage direct, car la pupille saine passe alors en myosis. Il faut alors rechercher une paralysie de la troisième paire crânienne d’origine compressive (tumeur, anévrisme) ou ischémique (diabète ++). Quelques éléments cliniques, notamment le caractère extrinsèque, intrinsèque ou mixte de la paralysie de la troisième paire crânienne, pourront nous orienter vers une cause plutôt compressive (aiguë ou chronique) ou ischémique. La présence d’une douleur associée à cette paralysie du nerf oculomoteur (III) doit faire suspecter une compression aiguë par fissuration d’anévrisme de la carotide interne dans sa portion supraclinoïdienne, là où elle est en contact intime avec la troisième paire crânienne. Une paralysie intrinsèque pure (mydriase isolée) est plutôt en faveur d’une cause compressive car les fibres nerveuses intrinsèques se situent à la périphérie du nerf et sont donc les premières à être touchées en 159
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
cas de compression. De même, cette répartition périphérique des fibres intrinsèques les rend beaucoup moins sensibles à l’ischémie. Ainsi, une paralysie du III sans atteinte pupillaire a très peu de risque d’être d’origine compressive, d’autant plus si le patient présente des antécédents vasculaires (diabète, athérosclérose). En revanche, un ptôsis minime avec une atteinte extrinsèque partielle mais une mydriase aréflexique (réflexe direct et consensuel) a toutes les chances d’être d’origine compressive et constitue
une situation d’autant plus urgente qu’il existe une douleur associée. Enfin, les paralysies vieillies de la troisième paire crânienne peuvent s’accompagner de phénomènes de réinnervations aberrantes (dysinnervations) comme une élévation de la paupière supérieure lors du regard vers le bas, ou pseudo-signe de von Graefe (Figure 4). La présence d’un tel signe n’est donc pas en faveur d’une atteinte aiguë de la troisième paire crânienne mais plutôt d’une compression lente ou d’une paralysie congénitale du III.
a b Figure 3 – (a) Syndrome de Claude-Bernard-Horner gauche avec ptôsis minime (noter le pli palpébral plus visible à gauche qu’à droite), myosis et pseudo-énophtalmie avec ascension de la paupière inférieure gauche. (b) Angio-IRM montrant l’occlusion de la carotide interne gauche par dissection carotidienne.
a b Figure 4 – (a) Paralysie congénitale de la troisième paire crânienne. (b) Syncinésies de réinnervation visibles dans les atteintes chroniques de la troisième paire crânienne. Élévation de la paupière supérieure gauche lors du regard vers le bas.
Quels sont les signes cliniques à rechercher pour appuyer votre diagnostic ? Une fois que les causes de ptôsis neurogène ont été écartées, les causes myogènes doivent être éliminées, notamment la myasthénie pour le risque vital qu’elle peut présenter en cas de crise myasthénique 160
pouvant être déclenchée par une prise de traitement neuroleptique ou anxiolytique ou de possible thymome associé. La myasthénie, grande simulatrice, est de diagnostic difficile car elle peut mimer toute
CAS N° 42
urgence neurovasculaire : paralysie du III, ophtalmoplégie internucléaire. Il est en revanche important de garder à l’esprit que la motricité intrinsèque de l’œil (jeu pupillaire) et la sensibilité cornéenne ne sont jamais atteintes dans la myasthénie. Ainsi, même si la présentation clinique peut mimer en tout point une lésion du III, une mydriase (atteinte du III intrinsèque) et/ou un trouble de la sensibilité cornéenne (atteinte du V) excluent le diagnostic de myasthénie. Débutant par des signes ophtalmologiques isolés (ptôsis et/ou diplopie) dans 75 % des cas, l’examen de la motricité oculaire et des paupières est donc primordial pour ne pas méconnaître le diagnostic et mettre en place un traitement le plus précocement possible. Quelques signes cliniques peuvent, s’ils sont dépistés avec attention, nous orienter vers cette pathologie, dont le diagnostic reste clinique : − le caractère fluctuant, intermittent et augmenté à l’effort du ptôsis ou de la diplopie est un critère déterminant pour le diagnostic. Il faut donc s’astreindre à rechercher une fluctuation du ptôsis durant la consultation, une augmentation du ptôsis après des efforts répétés d’occlusion palpébrale, et une diminution du ptôsis après avoir allongé le patient pendant une demi-heure les yeux fermés (test au repos). Le patient, ou son conjoint, peut également évoquer des épisodes de ptôsis à bascule (ptose alternative de la paupière supérieure droite ou gauche), très évocateurs de myasthénie ; − l’examen de la paupière controlatérale est également très important. En effet, les deux paupières reçoivent la même innervation selon les lois de Hering et Sherrington. La présence d’un ptôsis unilatéral entraîne une hyperstimulation nerveuse compensatrice pour lutter contre ce ptôsis. Cette hyperstimulation étant transmise aux deux paupières, la paupière controlatérale peut donc présenter une légère rétraction si son muscle releveur est sain. La correction manuelle du ptôsis annule cette hyperstimulation nerveuse et modifie donc la hauteur de la paupière controlatérale, pouvant démasquer un ptôsis ;
− le test au glaçon est également un bon signe à rechercher pour étayer le diagnostic de myasthénie (Figure 5). Simple à réaliser en consultation, il consiste à poser un glaçon enveloppé dans une compresse sur la paupière ptosée, les yeux clos, pendant 2 minutes. Le test est positif en cas d’ascension de la paupière de 2 mm, et alors très en faveur d’une myasthénie, comme c’est le cas chez notre patiente ; − la présence d’un signe de Cogan en cas de ptôsis et de saccades hyper-hypométriques en cas de troubles oculomoteurs sont également très évocateurs de myasthénie. Ces signes sont dus à l’extrême fatigabilité du muscle atteint mais également à la réversibilité transitoire de cette faiblesse après une période de repos. La recherche d’un signe de Cogan est fondamentale, car sa spécificité est grande. On demande au sujet de regarder vers le bas pendant plusieurs minutes, puis de regarder une cible située à l’horizonale sur l’axe de ses yeux, en position primaire du regard. Le sursaut palpébral de Cogan consiste en une élévation initialement normale, voire excessive, de la paupière du côté du ptôsis, immédiatement suivie d’une descente de la paupière jusqu’à sa position de ptôsis. La physiopathologie des saccades hyper-hypométriques est identique à celle du signe de Cogan. Lorsqu’il existe une atteinte d’un muscle oculomoteur et que l’on fait regarder le patient alternativement dans le champ opposé du champ d’action de ce muscle puis en position primaire, l’œil dépasse rapidement la position primaire puis revient lentement à sa position antérieure. À titre d’exemple, s’il existe une atteinte du muscle droit médial de l’œil gauche, le patient présente une limitation de son œil gauche en adduction (regard vers le nez) et éventuellement un strabisme divergent en position primaire. S’il regarde alternativement en temporal (son muscle droit médial gauche est au repos) puis en position primaire, son œil gauche dépasse rapidement la ligne médiane lorsqu’il revient en position primaire puis retrouve lentement sa position initiale, donnant un aspect « visqueux » aux saccades oculaires.
Figure 5 – Test au glaçon. Il existe une très nette diminution du ptôsis gauche avec diminution de la rétraction palpébrale droite.
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Quels examens complémentaires pratiquez-vous pour étayer le diagnostic ? À l’exception de l’inconstante positivité des anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine, aucun signe n’est pathognomonique de la myasthénie. Le diagnostic repose donc sur un faisceau d’arguments cliniques et paracliniques, et plusieurs examens sont à notre disposition.
D’autres auto-anticorps ont également été découverts chez des patients atteints de myasthénie séronégative (anticorps antirécepteur musculaire de la tyrosine kinase ou anti-MuSK et anticorps antimuscle strié). Ils sont à rechercher systématiquement en cas de myasthénie séronégative.
• Madame B. a tout d’abord bénéficié d’un test à l’édrophonium (Tensilon®, Enlon®, Reversol®), qui consiste à injecter, par voie intraveineuse et sous surveillance médicale, de l’édrophonium, inhibiteur de l’activité anticholinestérasique, améliorant la force musculaire dans les 2 minutes suivant son injection et dont l’effet dure de 4 à 6 minutes. Le test est débuté par une injection de 2 mg d’édrophonium. En cas d’absence de réponse clinique, de nouvelles doses de 2 mg, 3 mg puis 3 mg peuvent être administrées afin de totaliser une posologie de 10 mg. Cela permet de minimiser les effets secondaires muscariniques pour les patients répondant à une faible dose d’édrophonium. L’amélioration de la faiblesse musculaire après l’injection de l’agent pharmacologique est interprétée comme un test positif et est très évocatrice de myasthénie. Asthme, insuffisance cardiaque et âge avancé sont des contre-indications relatives à ce test qui ne devra être réalisé sur ces terrains qu’en cas de nécessité absolue et en unité de soins intensifs. Si une réponse franche est un bon élément diagnostique, une réponse négative, comme c’était le cas chez cette patiente, ne permet pas d’éliminer le diagnostic de myasthénie.
• Un scanner thoracique a également été réalisé et n’a montré aucune anomalie. Il doit être systématique en cas de suspicion de myasthénie, à la recherche d’hyperplasie thymique ou de thymome malin. Un thymome est associé dans 10 à 30 % des cas à la myasthénie, surtout lorsqu’elle débute après 40 ans. Lorsqu’un thymome existe, les anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine sont toujours positifs, généralement en quantité élevée. Sont également souvent présents des anticorps antimuscles striés et des anticorps antititine à un taux élevé, mais non spécifiques de la myasthénie. Plus fréquemment, chez 50 % des patients myasthéniques, le scanner thoracique peut mettre en évidence une simple hyperplasie thymique, sans critère radiologique de malignité. Enfin, le scanner cervicothoracique permettra de mettre en évidence un éventuel goitre thyroïdien orientant vers une possible dysthyroïdie auto-immune associée.
• Un dosage plasmatique des anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine a été réalisé et s’est avéré négatif. En effet, positifs dans 85 à 90 % des myasthénies généralisées en moyenne, ces anticorps ne sont présents que chez 40 à 60 % des patients atteints de myasthénie oculaire pure. La fréquence des myasthénies séronégatives oscille ainsi selon les études entre 9 et 25 % pour les myasthénies généralisées, et entre 30 et 50 % pour les myasthénies oculaires. Si les résultats concernant la sensibilité des anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine sont très variables selon les études et leur pertinence statistique, la spécificité en revanche est très élevée (99 %), permettant ainsi la confirmation du diagnostic de myasthénie lorsqu’ils sont présents. Par ailleurs, le taux plasmatique d’autoanticorps n’est pas bien corrélé à la sévérité clinique de la maladie : un patient peut présenter une atteinte clinique minime avec un taux d’anticorps très élevé et inversement. En revanche, une diminution significative d’au moins 50 % du taux d’anticorps chez un patient s’associe souvent à une amélioration notable de la symptomatologie clinique. 162
• Enfin, un électromyogramme en stimulation répétée à basse fréquence a également été réalisé afin de rechercher une altération du fonctionnement de la transmission neuromusculaire. Dans les atteintes de la transmission neuromusculaire, qu’elles soient post-jonctionnelles comme dans la myasthénie ou préjonctionnelles comme dans le syndrome de Lambert-Eaton, la diminution progressive de la quantité d’acétylcholine libérée va entraîner une diminution progressive du potentiel de plaque : la genèse du potentiel d’action musculaire va alors être compromise du fait de la baisse pathologique de la marge de sécurité de la transmission. Certains potentiels d’action nerveux ne vont donc pas provoquer de potentiels d’action musculaires, entraînant ainsi un décrément d’amplitude des réponses motrices (diminution d’amplitude de plus de 10 %), généralement maximal pour la quatrième ou cinquième réponse puis s’atténuant progressivement. Cet aspect s’observe dans la myasthénie mais également dans la plupart des autres troubles de la transmission neuromusculaire. En cas de symptômes oculaires, on recherchera un décrément sur l’orbiculaire des paupières par stimulation du nerf facial et, plus récemment, dans les formes de myasthénie avec signes bulbaires, on étudiera le couple nerf trijumeau-masséter. Là encore, la positivité du test est très évocatrice de myasthénie mais sa négativité, comme c’était le cas chez madame B., ne permet pas d’éliminer le diagnostic.
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a b
c d Figure 6 – Myasthénie oculaire mimant une ophtalmoplégie externe progressive avec limitation très importante des mouvements oculaires.
• La réalisation d’une IRM cérébrale n’est pas obligatoire si l’on est certain du diagnostic de myasthénie. Elle est cependant souvent prescrite afin de s’assurer de l’absence de lésion neurologique pouvant être à l’origine du ptôsis. De même, un bilan thyroïdien est nécessaire pour éliminer une pathologie thyroïdienne associée à la myasthénie ou pour éliminer une orbitopathie dysthyroïdienne, diagnostic différentiel de la myasthénie. Tous les examens complémentaires, comme dans le cas de notre patiente, peuvent être négatifs, surtout lorsqu’il s’agit d’une myasthénie oculaire pure. Cependant, si la myasthénie débute par des signes oculaires isolés dans 75 % des cas, deux tiers des patients la généralisent dans les 2 à 3 ans d’évolution, nécessitant une surveillance régulière, voire la répétition des examens complémentaires si ceux-ci étaient négatifs initialement. Si l’on élimine le diagnostic de myasthénie, les autres causes de ptôsis myogène sont essentiellement liées à une atteinte du muscle lui-même et non de la jonction neuromusculaire. Maladies génétiques pour la plupart, les patients présentent donc souvent des antécédents familiaux de myopathie. Il peut s’agir de cytopathie mitochondriale [ophtalmoplégie externe progressive (Figure 6), syndrome de KearnsSayre] dont le diagnostic est posé sur l’analyse en microscopie électronique d’une biopsie musculaire avec la présence caractéristique de ragged red fibers et sur l’analyse de l’ADN mitochondrial. L’atteinte est
en général beaucoup plus marquée que lors d’une myasthénie, avec un ptôsis majeur, bilatéral, et une ophtalmoplégie subtotale. Il faut pratiquer un bilan cardiologique à la recherche de troubles de conduction cardiaque. Les autres causes de myopathie entraînant une atteinte ophtalmologique sont la dystrophie oculopharyngée (ptôsis + troubles oculomoteurs + atteinte des muscles pharyngés) et la maladie de Steinert caractérisée par un retard de relâchement musculaire après contraction, facilement reconnaissable à l’électromyogramme (Figure 7).
Figure 7 – Ptôsis bilatéral et troubles oculomoteurs majeurs associés à des troubles de la déglutition dans le cadre d’une dystrophie oculopharyngée.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Retenez-vous le diagnostic de myasthénie malgré l’ensemble du bilan négatif ?
La myasthénie reste un diagnostic clinique et l’ensemble du tableau présenté par la patiente est très évocateur, d’autant plus qu’elle décrit des signes récents de généralisation de la myasthénie laissant craindre une atteinte des muscles pharyngés (probable dysphonie, risque de fausse route). La probabilité qu’il s’agisse d’une myasthénie bien que le bilan soit négatif reste importante et le diagnostic ne doit donc pas être remis en question. Il peut parfois même être nécessaire d’aller jusqu’à la réalisation d’un test thérapeutique. Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (pyridostigmine, ambénonium chlorure) sont couramment utilisés et représentent en général la première ligne de traitement. Efficaces dans 50 à 70 % des cas sur un ptôsis isolé, ils restent le plus souvent insuffisants lorsque des troubles oculomoteurs sont présents, ne dépassant pas 20 % d’efficacité. La pyridostigmine (Mestinon®) est généralement débutée à une posologie faible de 30 à 60 mg trois fois par jour et est augmentée progressivement jusqu’à 90 à 120 mg toutes les 4 heures si le traitement s’avère efficace, avec peu d’effets secondaires. Les complications sont liées aux effets muscariniques du traitement : crampes abdominales, nausées, vomissements, diarrhées, qui surviennent chez au moins un tiers des patients. Bradycardie, asthme et adénome de prostate sont des contre-indications relatives au traitement. En moyenne, 50 % des patients atteints de myasthénie oculaire sont non ou peu répondeurs aux
traitements anticholinestérasiques et nécessitent un traitement immunosuppresseur, souvent une corticothérapie, pour améliorer leurs symptômes. Celleci est généralement débutée à doses progressives jusqu’à atteindre une posologie maximale de 1 mg/ kg/j car sa mise en place peut s’accompagner d’une aggravation temporaire de la symptomatologie dans près de 50 % des cas dans les 2 premières semaines. Après régression des symptômes, la posologie maximale est maintenue pendant 4 à 6 semaines puis réduite selon des schémas variables. La réduction de la posologie est en moyenne de 10 mg par mois jusqu’à atteindre une posologie de 0,5 mg/kg/j, puis de 5 mg par mois pour aboutir à un plateau situé aux alentour de 10 mg/j. Une amélioration significative avec de bons résultats est visible chez 72 à 96 % des patients. L’amélioration est rapide, apparaissant entre le premier et le 21e jour pour 85 % des patients. Le principal débat actuel dans le traitement de la myasthénie oculaire est de savoir si la corticothérapie pourrait réduire ou pas le risque de généralisation de la maladie. Les grandes études rétrospectives publiées sur ce sujet confirment cette hypothèse, mais jamais aucune étude prospective randomisée permettant d’établir de véritables conduites thérapeutiques n’a été menée. D’autres immunosuppresseurs sont actifs sur les symptômes de la myasthénie – l’azathioprine (Imurel®), le cyclophosphamide (Endoxan®), la ciclosporine – et permettent une épargne cortisonique.
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CAS N° 43 Une paralysie faciale
Monsieur A., 35 ans, consulte en ORL pour une paralysie faciale (PF) gauche d’apparition récente associée à des douleurs et à une éruption vésiculaire de la région de l’oreille gauche. L’examen confirme la présence d’une PF périphérique atteignant les territoires inférieur et supérieur du nerf facial, mais prédominant sur ce dernier. De fait, il existe une disparition de mouvement au niveau du front et de l’aile du nez. Il est également constaté une absence de toute activité au niveau du muscle orbiculaire des paupières responsable d’une inocclusion palpébrale tant volontaire qu’automatique. De plus, le patient présente un mauvais phénomène de Charles-Bell, l’œil gauche montant peu lors des tentatives d’occlusion palpébrale. Il persiste alors une exposition des deux tiers inférieurs de la cornée gauche. Les vésicules cutanées sont localisées au niveau de la conque de l’oreille et de la partie postérieure du conduit auditif externe gauche, ce qui correspond à la zone de Ramsay-Hunt. Celle-ci dépend du contingent sensitif du nerf facial. Leurs caractéristiques et la présence de douleurs à type de brûlure évoquent en premier lieu une éruption d’origine zostérienne. Le diagnostic de PF d’origine zostérienne est donc posé et sera confirmé secondairement par la normalité du bilan neuroradiologique demandé en urgence. Le bilan sanguin demandé face à ce zona ne met pas en évidence d’immunodépression acquise ni de pathologie sous-jacente. Un traitement antiviral reposant sur le valaciclovir est prescrit à monsieur A. dans un premier temps, auquel est associée une corticothérapie à la 48e heure (prednisone 2 mg/kg/j). Un avis ophtalmologique est sollicité sur la conduite à tenir face à cette absence d’occlusion palpébrale.
Quelles sont les complications ophtalmologiques liées à une paralysie faciale ? Une PF périphérique affecte la branche supérieure du nerf facial. Au niveau oculaire, celle-ci entraîne une parésie ou paralysie du muscle orbiculaire des paupières. Dans les formes minimes, la réduction de la fermeture palpébrale affecte principalement le clignement, les mouvements volontaires étant mieux préservés. Ceux-ci disparaissent dans les PF plus profondes. Ces mouvements d’occlusion palpébrale volontaire s’accompagnent d’un phénomène de Charles-Bell plus ou moins marqué. Ce phénomène de Charles-Bell est la conséquence d’une élévation du globe en abduction lors de la fermeture, ou des efforts de fermeture, palpébrale. Lorsqu’il est présent, ce phénomène limite les conséquences de l’exposition cornéenne due à l’absence d’occlusion palpébrale. En effet, l’exposition cornéenne secondaire à la PF, appelée lagophtalmie, entraîne un dessèchement
de la cornée sur laquelle le film lacrymal n’est plus étalé. À terme, il existe un risque de kératite ponctuée superficielle (KPS) puis d’ulcération cornéenne (UC). La perte de la fonction du muscle orbiculaire et notamment du muscle de Duverney est également responsable d’un désamorçage de la pompe lacrymale. Les larmes sont normalement aspirées par les points lacrymaux et évacuées dans les fosses nasales à chaque clignement. En l’absence de clignement, elles stagnent dans le cul-de-sac palpébral inférieur puis s’écoulent par débordement au niveau de la joue, réalisant un épiphora. La persistance de ce larmoiement peut aboutir à l’eczématisation de la peau. À terme, une PF est responsable d’un relâchement de la paupière inférieure qui a tendance à évoluer vers un ectropion. Celui-ci aggrave le risque d’exposition cornéenne et de larmoiement. 165
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quelle doit être la prise en charge ophtalmologique face à cette paralysie faciale d’apparition récente chez un homme jeune ?
Dans un premier temps, il faut évaluer les conséquences de cette lagophtalmie sur l’œil. L’examen recherche tout d’abord l’efficacité de l’occlusion palpébrale volontaire et l’importance du phénomène de Charles-Bell. Ces deux éléments permettent d’évaluer le risque de complications cornéennes. Celles-ci sont recherchées au biomicroscope (lampe à fente) par instillation d’un collyre à la fluorescéine. Il faut également analyser les conséquences de cette paralysie au niveau lacrymal et du confort du patient. À ce stade, le traitement ophtalmologique des PF est d’abord préventif, visant à éviter la survenue d’une KPS ou d’une UC. L’importance de ce traitement préventif doit tenir compte du risque de complications cornéennes déjà évoqué. Il repose dans tous les cas sur l’instillation de collyres mouillants six à huit fois par jour. Actuellement, des collyres ayant un temps de contact prolongé et ne brouillant pas la vue sont disponibles. Il faut adjoindre à ce traitement l’application d’une pommade oculaire. Le temps de contact de celle-ci et sa protection de la cornée sont supérieurs. En revanche, une pommade étant plus grasse, elle perturbe la vision. C’est la raison pour laquelle il est préférable de la réserver à une application nocturne. C’est aussi pourquoi il faut se méfier du risque d’amblyopie iatrogénique induite par des applications unilatérales de pommade ophtalmique chez les petits enfants. Néanmoins, le
nombre d’application pourra être augmenté en cas de survenue de complication cornéenne. Il faut en outre occlure l’œil la nuit. Plusieurs techniques existent : rondelles oculaires, Steri-Strip® placés parallèlement au bord libre de la paupière supérieure ou servant à tenir les deux paupières occluses. Le choix de ce mode d’occlusion dépend de chaque école, mais dans tous les cas, il est important de bien expliquer au patient l’importance de cette occlusion nocturne et comment bien la réaliser. Il faut également demander au patient de cligner volontairement régulièrement s’il existe un bon phénomène de Charles-Bell. Cette fermeture volontaire facilite l’étalement du film lacrymal et l’élimination de « débris » qui pourraient rester sur la cornée. Un contrôle hebdomadaire ou bimensuel est généralement suffisant. Cependant, il faut indiquer au patient quels sont les signes qui doivent l’amener à s’inquiéter et à consulter plus rapidement. Il s’agit de l’apparition d’une photophobie ou de douleurs et surtout d’une hyperhémie conjonctivale à prédominance périkératique. Ces signes traduisent l’existence d’une des complications évoquées plus haut – KPS ou UC. Monsieur A. revient après 15 jours avec une sensation de picotements à l’œil gauche. Cliniquement, l’acuité visuelle reste normale, chiffrée à 10/10 Parinaud 2. Toutefois, il existe une franche KPS inférieure. Le patient reconnaît ne pas mettre de pansement tous les soirs.
Que faire en cas d’apparition d’une atteinte cornéenne ?
De toute évidence, le traitement mal suivi par le patient a abouti à la survenue d’une complication cornéenne. Celle-ci reste limitée à une KPS. Cependant, elle indique qu’il y a nécessité d’une part à réadapter le traitement et d’autre part à reprendre l’éducation thérapeutique du patient. Du fait de cette atteinte cornéenne, il est indiqué d’adjoindre aux collyres mouillants un collyre antiseptique et un collyre cicatrisant. La survenue d’une complication est souvent un événement suffisamment marquant pour que le patient prenne conscience de l’importance du traitement proposé, en particulier de 166
l’hydratation cornéenne et de l’occlusion nocturne, mais il est bon de revenir sur les techniques de cette occlusion. Deux mois après l’installation de cette paralysie faciale, l’électromyogramme demandé par l’ORL retrouve une très faible récupération, notamment au niveau de la branche supérieure du nerf facial. Le muscle orbiculaire des paupières et le muscle frontal restent cotés à 1. Seuls les muscles sourcilier, releveur des narines et dilatateur des narines montrent des signes électriques de récupération. La récupération n’est guère meilleure au niveau de la branche inférieure du nerf facial.
CAS N° 43
Que peut-on proposer dans ce contexte de paralysie persistante chez un patient qui a repris ses activités professionnelles ? La persistance de la PF sur une longue période n’est guère compatible avec un traitement limité à l’instillation de collyres. La survenue d’une complication cornéenne lors de la période écoulée démontre les limites de cette technique. Il faut donc envisager un geste chirurgical permettant d’assurer une meilleure protection cornéenne. À ce stade, une récupération de la PF est toujours envisageable à moyen terme. C’est pourquoi il est possible de se limiter à un geste simple et facilement réversible si une récupération de la PF survient avec normalisation de la fonction du muscle orbiculaire des paupières. Plusieurs techniques peuvent être discutées. La première technique est la tarsoraphie externe. Elle consiste à suturer le tiers externe ou la moitié externe des paupières après avivement des bords libres. Cette méthode facilite la protection cornéenne car elle réduit la hauteur et la largeur de la fente palpébrale. L’œil est facilement recouvert par la paupière supérieure lors des mouvements oculaires et le film lacrymal est ainsi étalé et la cornée protégée. Il s’agit donc d’une méthode qui est facile à réaliser, sous anesthésie locale. Elle est également aisément réversible par ouverture lorsque la PF régresse. De plus, cette ouverture peut être progressive. La tarsoraphie externe laisse l’axe visuel dégagé et ne diminue donc que très peu l’acuité visuelle. En revanche, elle présente deux inconvénients. D’une part, elle réduit le champ visuel latéral puisque l’œil disparaît sous les paupières cousues dans le regard externe. Il faut tenir compte de cette gêne visuelle chez un patient actif car la conduite automobile est déconseillée aussitôt après sa réalisation tant qu’une compensation n’est pas intervenue. De plus, cette tarsoraphie peut être jugée inesthétique chez un patient dont la PF n’est visible que lors des mouvements du visage (lors d’une discussion ou en mangeant). Des variantes de cette technique sont proposées pour corriger un éventuel abaissement de la paupière inférieure également due au relâchement du muscle orbiculaire des paupières. Certains auteurs préconisent la réalisation d’une tarsoraphie interne qui a l’avantage de repositionner le point lacrymal inférieur s’il a déjà tendance à quitter le contact avec le globe et à aggraver l’épiphora. Toutefois, cette technique a plus de retentissement sur la vision que la tarsoraphie externe. La seconde technique est l’alourdissement de la paupière supérieure. Celui-ci permet une fermeture passive de la paupière supérieure dès lors
que le muscle releveur de cette dernière n’est plus contracté. Cette technique est réalisée en plaçant dans l’épaisseur de la paupière supérieure des morceaux de cartilages prélevés au niveau de l’oreille ou une plaque d’or qui épouse la courbure de la cornée et que l’on implante entre l’orbiculaire et le tarse. Quel que soit le matériau mis en place, ce geste est également assez simple à réaliser sous simple anesthésie locale. Le prélèvement de cartilage de l’oreille peut être responsable d’une modification de la forme de celle-ci si l’on souhaite obtenir un poids suffisant pour que l’occlusion palpébrale soit correcte. En revanche, cette substance naturelle est mieux tolérée qu’une plaque d’or. Cette dernière est parfois à l’origine d’infections sur ce matériau étranger ou de déformation palpébrale inesthétique et se complique dans un très grand nombre de cas de signes de rejet, d’extrusion à court ou moyen terme, voire de complications cornéennes et doit généralement être retirée après quelques années ; pour ces raisons, nous ne recommandons pas cette technique. Néanmoins, il s’agit également d’une méthode parfaitement réversible, simple et qui n’est pas inesthétique. Elle n’a aucun retentissement sur la fonction visuelle dès lors que le tonus du muscle releveur de la paupière supérieure est normal. Pour mémoire, celui-ci est innervé par le nerf moteur oculaire (troisième paire crânienne) et n’est donc pas concerné par l’atteinte infectieuse du nerf facial. Il a été décidé de réaliser un alourdissement de la paupière supérieure de monsieur A. à l’aide d’un cartilage de l’oreille. Trois mois plus tard, le bilan ORL clinique et électrophysiologique confirme l’absence de toute récupération au niveau de nombreux muscles des territoires inférieurs et supérieurs, et notamment au niveau du muscle orbiculaire des paupières. De plus, le patient commence à être gêné par le caractère inesthétique que prend son visage avec une lèvre et une paupière inférieure tombantes, la fente palpébrale réduite et l’asymétrie des rides frontales. Il souhaite donc une prise en charge plus globale de son atteinte en commençant par la région oculaire.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Que lui proposer ? À moyen terme, la PF entraîne un affaissement de la paupière inférieure, ce qui tend à déplacer le canthus externe vers le bas. De plus, le bord libre a tendance à s’éverser, aboutissant à terme à un ectropion paralytique. Du fait de cette malposition de la paupière inférieure, le point lacrymal inférieur n’est plus en contact avec le lac lacrymal, ce qui a comme conséquence d’aggraver l’épiphora. En outre, la paupière inférieure ne vient plus au contact de la cornée, augmentant les risques de KPS et d’UC. Le risque de conjonctivite par stagnation des larmes majore également le risque cornéen. Il faut donc à ce stade un traitement plus radical mais plus lourd et non réversible, permettant de corriger l’ensemble des conséquences palpébrales de la PF. Néanmoins, il est possible et souvent préférable de n’intervenir que sur une paupière à la fois. Lorsqu’il existe un ectropion notable de la paupière inférieure, il faut réaliser une résection palpébrale, notamment avec une laxité palpébrale importante. Plusieurs techniques ont été préconisées mais n’ont pas toutes exactement les mêmes indications selon les différentes écoles. Nous ne ferons que les citer sans entrer dans la description de la technique chirurgicale ni des différentes indications. La technique de Kuhnt-Szymanowski est certainement la
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plus connue. Elle permet un bon repositionnement palpébral hormis au niveau interne et doit être réservée aux cas où l’éversion du point lacrymal reste limitée. En cas de laxité à prédominance externe, il est possible de réaliser une canthoplastie externe selon les techniques de Montandon ou de Tenzel. Ce geste vise à retendre les tendons canthaux ; il peut cependant aggraver l’épiphora en déplaçant les points lacrymaux vers l’extérieur et en majorant le dysfonctionnement de la pompe lacrymale. À l’inverse, en cas de laxité à prédominance interne, il peut être envisagé une canthoplastie interne. Cependant, celle-ci est plus complexe que le geste sur le canthus externe en raison des rapports de cette région avec les voies lacrymales excrétrices. Citons la technique d’Adenis qui permet également de remettre en tension le muscle de Duverney et d’agir ainsi sur la pompe lacrymale. Enfin, si la laxité palpébrale inférieure est surtout responsable d’un ectropion du point lacrymal inférieur, il est possible de limiter le geste chirurgical à la prise en charge de cette complication. De nombreuses techniques et variantes ont été rapportées : la technique du lazy-T qui porte de façon sélective sur la partie lacrymale de la paupière inférieure ou la technique de Novinski. Les inocclusions palpébrales nécessitent des gestes spécifiques en fonction des muscles ayant récupéré.
CAS N° 44 Une masse dans l’orbite…
Une fillette de 14 mois, V., vous est amenée par sa maman pour une chute de la paupière supérieure droite évoluant depuis 10 jours (Figure 1) ; cette enfant n’a aucun antécédent personnel ni familial. En plus du ptôsis droit, quelles anomalies constatez-vous ? Une dystopie (ou déplacement) inférieure du globe droit, un gonflement de la paupière supérieure et de la tempe droite, une coloration rouge-jaunâtre péri-oculaire droite, et une exophtalmie droite. Le reste de l’examen ophtalmologique est normal.
Figure 1 – Présence d’un léger ptôsis de l’œil droit associé à une exophtalmie, une dystopie inférieure de l’œil droit et une discrète hémorragie palpébrale inférieure.
Quel examen demandez-vous ? Il faut demander en urgence une imagerie orbitaire TDM ou IRM selon la disponibilité, sans et si besoin avec injection de produit de contraste car une
exophtalmie acquise, de surcroît avec un ptôsis, est une pathologie grave. L’imagerie orbitaire de l’enfant V. est donnée Figure 2.
a
b
Figure 2 – (a) Coupe coronale. Exophtalmie droite, tumeurs osseuses ethmoïdiennes et sphénoïdiennes bilatérales. (b) Coupe frontale. Dystopie inférieure du globe oculaire droit. Tumeurs osseuses orbitaires bilatérales et du toit de l’orbite droit, de la base du crâne droite et du temporal droit.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Que constatez-vous ?
La coupe coronale confirme l’exophtalmie droite et la présence de tumeurs osseuses ethmoïdiennes et sphénoïdiennes bilatérales. La coupe frontale retrouve la dystopie inférieure du globe oculaire droit. De fait, le globe est dévié en bas. Cette coupe retrouve également les tumeurs osseuses orbitaires bilatérales et du toit de l’orbite
droit, de la base du crâne droite et du temporal droit. À l’interrogatoire, la maman vous apprend qu’autour des yeux il y avait, une semaine auparavant, un hématome en lunettes : rouge puis bleuté puis devenu actuellement jaune, alors que l’enfant ne s’est pas cognée.
Comment appelle-t-on ce signe clinique ? Que suspectez-vous ? Pourquoi ?
Il s’agit d’un syndrome de Hutchinson qui traduit la présence d’une métastase orbitaire. Devant cet aspect, le premier diagnostic à évoquer est celui d’un neuroblastome (ou sympathoblastome) avec présence de localisations secondaires osseuses orbitaires et de la base du crâne. Ce diagnostic peut être suspecté sur des éléments qui sont l’âge de
l’enfant, les localisations des tumeurs secondaires et la survenue d’un saignement. Enfin, ce diagnostic est suspecté par ordre de fréquence en présence d’un syndrome de Hutchinson. Le reste de l’examen clinique est normal.
Le neuroblastome Représentant environ 10 % des affections malignes de l’enfant de moins de 15 ans, soit 130 à 150 nouveaux cas par an, en France, le neuroblastome vient au troisième rang après les hémopathies malignes et les tumeurs du système nerveux central. Le neuroblastome est la tumeur maligne solide extracrânienne la plus fréquente du jeune enfant et la tumeur maligne la plus fréquente chez le nourrisson. Cinquante pour cent des enfants touchés ont moins de 2 ans ; 90 % des enfants atteints de neuroblastome ont moins de 6 ans au diagnostic, 30 % ont moins de 1 an et plus de 50 % des tumeurs malignes du nouveau-né sont des neuroblastomes. Cette tumeur se développe à partir du système nerveux sympathique. Elle siège le plus souvent en arrière du péritoine : 70 % des cas et, dans 20 % des cas, le siège est thoracique. Cinquante pour cent des neuroblastomes sont métastatiques au diagnostic ; les localisations secondaires les plus fréquentes sont : un envahissement de la moelle hématopoïétique entraînant une anémie, puis une pancytopénie, avec une altération de l’état général et une pâleur ; des métastases osseuses orbitaires très fréquentes entraînant une exophtalmie et un saignement péri-oculaire ; des métastases osseuses crâniennes palpables ; des métastases ostéomédullaires ; des métastases hépatiques – découvertes lors de l’échographie ou parfois entraînant chez un petit nourrisson une hépatomégalie monstrueuse réalisant le classique syndrome de Pepper – ; et enfin des adénopathies ou encore des nodules sous-cutanés bleutés.
Quel examen d’imagerie simple non irradiant disponible en urgence et ne nécessitant pas de sédation demandez-vous pour confirmer la suspicion clinique et déterminer la localisation ?
Il faut demander une échographie abdominale. 170
L’échographie abdominale révèle une importante masse rétropéritonéale suprarénale droite.
CAS n° 44
Quel est votre diagnostic ? Quel examen biologique non invasif à visée diagnostique demandez-vous ? Dans ce contexte et devant l’aspect échographique de la lésion il faut évoquer un neuroblastome surrénalien droit métastatique. Il faut réaliser un dosage des métabolites urinaires des catécholamines : HVA (acide homovanillique),
VMA (acide vanylmandélique), dopamine. Le dosage, réalisé par un recueil d’urines sur 24 heures, est demandé en urgence.
Quelle localisation de cette même maladie peut donner un ptôsis sans exophtalmie mais avec au contraire un aspect d’énophtalmie comme chez ce second enfant (Figure 3) ? Par quel mécanisme ? Un neuroblastome primitif ganglionnaire médiastinal homolatéral donnant ici un ptôsis par compression de la voie sympathique réalisant un syndrome de Claude-Bernard-Horner.
Figure 3 – Syndrome de Claude-Bernard-Horner droit dû à un neuroblastome ganglionnaire médiastinal homolatéral.
La radiographie thoracique de face de ce garçon est donnée en Figure 4.
Figure 4 – Présence d’un neuroblastome ganglionnaire médiastinal homolatéral.
En plus du ptôsis, quel autre signe ophtalmologique recherchez-vous ? Comment ? Une anisocorie avec un myosis droit mieux visible en quasi-obscurité.
Sachant que dans cette pathologie il n’y a absolument pas d’énophtalmie réelle, comment expliquez-vous le rétrécissement de la fente palpébrale en plus du ptôsis ? Il s’agit de la paralysie des rétracteurs palpébraux inférieurs qui, comme le muscle de Müller, sont innervés par le sympathique. Elle induit la remontée
de la paupière inférieure qui, associée au ptôsis, donne un rétrécissement de la fente palpébrale expliquant la pseudo-énophtalmie. 171
CAS N° 45 Une femme de 58 ans voit double
Madame T., 58 ans, consulte pour une diplopie d’apparition récente. Cette diplopie est verticale, d’abord intermittente puis devenue permanente en quelques mois. Invalidante, elle oblige madame T. à fermer un œil puis un prisme est posé sur un verre de lunettes (Figure 1). Ce tableau est isolé, ne varie pas dans la journée ni dans le temps, et il n’existe ni baisse de vision, ni céphalée ni aucun signe général. Madame T. ne fume pas. Il n’y pas de notion de traumatisme. Aucun antécédent notable n’est trouvé, ni personnel ni familial. À l’examen, madame T. présente une hypotropie gauche avec limitation de l’élévation, responsable de la diplopie (Figure 2). Il n’y a pas de signe local inflammatoire. L’acuité visuelle est conservée, et le reste de l’examen ophtalmologique est normal, en dehors d’une augmentation de la pression intra-oculaire (PIO) de 5 mmHg entre le regard de face et le regard en haut du côté gauche. L’examen général est normal.
a Figure 1 – La diplopie est supprimée par un prisme autocollant posé sur le verre gauche.
b Figure 2 – (a) En position primaire : hypotropie de l’œil gauche. (b) Regard en haut : limitation de l’élévation de l’œil gauche.
Que vous évoque ce tableau clinique ? La diplopie verticale acquise fait évoquer en premier lieu chez un adulte l’atteinte orbitaire d’une dysthyroïdie, avec fibrose d’un muscle droit inférieur. Il faut donc rechercher les autres signes d’orbitopathie 172
dysthyroïdienne : exophtalmie, rétraction palpébrale, asynergie oculopalpébrale, et mesurer la PIO dans les regards de face et en haut.
CAS N° 45
Cependant, il faut également évoquer : − une paralysie oculomotrice dont certaines causes, vasculaires ou néoplasiques, peuvent mettre en jeu le pronostic vital et demandent une prise en charge rapide. Il faut attentivement apprécier l’oculomotricité et le jeu pupillaire ;
− une origine mécanique (traumatisme ou tumeur orbitaire) ; − une myasthénie ou myopathie : la variabilité des signes dans la journée et l’association à un ptôsis seraient évocatrices ; − une myosite.
Quels éléments cliniques permettent de s’orienter ? Quels examens complémentaires convient-il de demander ? Chez madame T., le trouble oculomoteur est stable. Il s’accompagne d’une augmentation de la PIO supérieure à 4 mmHg entre le regard de face et le regard en haut, évocatrice d’une fibrose d’un muscle droit inférieur. Il n’y a pas d’exophtalmie ni de signe inflammatoire ou traumatique local. Un examen clinique en médecine interne est demandé, axé sur la recherche de signes de dysthyroïdie et d’autres pathologies auto-immunes. Il est normal.
Les examens complémentaires demandés sont un bilan orthoptique avec coordimètre de Hess-Weiss, un bilan sanguin avec bilan thyroïdien comprenant le dosage des anticorps antirécepteurs à la TSH (traks), et un scanner orbitaire. Le coordimètre confirme l’atteinte restrictive du droit inférieur gauche. Le bilan biologique revient normal, en particulier avec des traks négatifs, TSH, T3 et T4 normales. L’imagerie objective l’hypertrophie du muscle droit inférieur gauche, fusiforme, sans atteinte du tendon (Figure 3).
a
a
b Figure 3 – Tomodensitométrie orbitaire. (a) Coupe axiale : hypertrophie fusiforme, sans atteinte du tendon, du muscle droit inférieur gauche. (b) Coupe coronale : atteinte isolée du muscle droit inférieur gauche.
b Figure 4 – Aspect postopératoire. (a) En position primaire : reflets centrés. (b) Regard en haut : amélioration de l’élévation de l’œil gauche.
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quelle prise en charge proposer ? Malgré la normalité du bilan thyroïdien, l’aspect clinique et TDM et l’absence d’argument en faveur des autres étiologies évoquées font retenir le diagnostic d’orbitopathie dysthyroïdienne. Devant la stabilité
des signes sur 6 mois, une prise en charge chirurgicale est proposée, à type de recul du droit inférieur gauche. Le résultat est satisfaisant (Figure 4).
Quelle surveillance proposer ? Quel pronostic envisager ? Si les signes orbitaires sont dans la grande majorité des cas contemporains ou secondaires à l’atteinte thyroïdienne générale, ils peuvent dans 10 % des cas la précéder de plusieurs mois. Cependant, les signes généraux de dysthyroïdie peuvent ne jamais apparaître malgré une atteinte orbitaire typique ; on parle alors de syndrome de Saint-Yves. La surveillance sera interniste et biologique. La surveillance ophtalmologique sera aussi continuée, attentive à
l’état palpébral et oculomoteur et à la PIO. Dans le long terme, l’orbitopathie peut évoluer par poussées imprévisibles. L’association à une autre pathologie auto-immune (myasthénie surtout) peut survenir. Bien que les pathologies orbitaire et générale puissent évoluer chacune pour leur compte, une stabilité voire une guérison de la dysthyroïdie est favorable ; ce sont les passages en hypothyroïdie qui peuvent le plus déstabiliser l’état orbitaire.
Bibliographie Bok C, Hidalgo C, Morax S. Prise en charge des diplopies dysthyroïdiennes. J Fr Ophtalmol. 2007, 30: 390-6.
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Adenis JP, Lasudry J. Orbitopathie dysthyroïdienne. Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Paris : Masson ; 1998. p. 455-80.
CAS N° 46 Chirurgie réfractive
Monsieur J., âgé de 25 ans, se présente en consultation de chirurgie réfractive. Intégrant le corps de la gendarmerie, il déteste porter des lunettes et ne tolère plus ses lentilles de contact. Il porte une correction depuis l’âge de 14 ans et n’a pas eu besoin de changer ses verres de lunettes depuis 2 ans. Il n’a pas d’antécédents médicaux particuliers, notamment pas d’allergie particulière, et ne prend aucun médicament. Il pratique un sport de combat, le judo. Dans ses antécédents familiaux, il se souvient que ses grands-parents ont été opérés de cataracte et n’a pas souvenir d’autres problèmes ophtalmologiques. À l’examen, l’acuité visuelle est mesurée à 10/10 aux deux yeux avec une correction de – 2,50 (– 0,75 à 160°) dioptries à l’œil droit et – 1 (– 1,00 à 180°) à l’œil gauche.
Quels sont les premiers éléments de l’examen à effectuer ?
L’interrogatoire et l’entretien avec le patient sont essentiels pour déterminer les motivations et les attentes de ce dernier. Il est important d’expliquer au patient que la chirurgie réfractive permet de réduire la dépendance aux lunettes. Il est primordial de s’assurer de la stabilité de la réfraction et préférablement opérer les individus âgés de plus de 21 ans. Les antécédents personnels d’allergie, surtout oculaire, et de prurit oculaire sont importants parce qu’ils pourraient évoquer certaines pathologies comme le kératocône contre-indiquant la chirurgie au laser. Les sports de combat et les professions à risque de trauma oculaire font pencher vers une chirurgie de surface (laser de surface, c’est-à-dire photokératectomie réfractive ou PKR). Durant l’entretien, il faudra discuter des différentes techniques de chirurgie réfractive (laser in situ kerateumileusis ou LASIK, PKR) et évaluer laquelle conviendrait au
patient en fonction de son bilan pré-opératoire et de ses attentes. L’examen de la réfraction a pour but de caractériser et mesurer l’importance du défaut optique de l’œil. La chirurgie réfractive permet de corriger la myopie, l’astigmatisme et l’hypermétropie. Ces défauts oculaires optiques sont regroupés sous le terme d’amétropie ou anomalies de la réfraction. L’examen de la réfraction permet donc de déterminer et quantifier l’importance de l’amétropie. L’unité de mesure de l’importance d’une amétropie est la dioptrie (D). Le sujet amétrope présente une vision floue de loin (on mesure une perte de dixièmes d’acuité visuelle en l’absence de correction optique). La presbytie est une réduction de la capacité de l’œil à effectuer la mise au point en vision de près, qui apparaît entre 40 et 45 ans. Elle entraîne le besoin de porter une correction spécifique pour la lecture ou la vision de près.
Comment effectuer une mesure de la réfraction ?
• Principes de la mesure de la réfraction oculaire. La mesure des anomalies de la réfraction débute par une mesure automatisée par une machine appelée autoréfractomètre qui permet d’estimer le degré
de myopie, d’hypermétropie et d’astigmatisme. Le patient fixe une mire dans un oculaire (en général une route ou un paysage lointain) que le médecin déplace successivement sur chaque œil. Les résultats 175
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
fournis servent de repère initial en fournissant une estimation souvent assez précise de la puissance du défaut optique à corriger. Toutefois, seul l’examen d’acuité visuelle réalisé par un professionnel de la mesure de la réfraction permet de déterminer avec précision le degré de correction optique qui permet d’obtenir la meilleure acuité visuelle.
• Mesure de la réfraction. Cet examen s’effectue au travers d’une monture automatisée sur laquelle des verres de correction de puissance variable peuvent être présentés, et avec une projection de lettres sur un écran situé à 5 mètres. L’examinateur utilise des techniques particulières dites de « brouillage » pour obtenir des mesures fiables et non perturbées par des efforts d’accommodation inconscients. Les mesures sont prises œil par œil, puis en vision binoculaire. Elles sont effectuées au début de la consultation, puis répétées ultérieurement après instillation de deux ou trois gouttes de collyre dit
« cycloplégique ». Ce collyre cycloplégique a pour effet de paralyser temporairement l’accommodation (effort accompli par certains muscles intra-oculaires pour permettre la mise au point en vision de près). Par ailleurs, ces collyres induisent une dilatation de la pupille qui sera par la suite utile au chirurgien pour examiner certaines structures oculaires comme le cristallin et la rétine (examen du fond d’œil). Leur effet dure en général 2 ou 3 heures et disparaît par la suite complètement. Dans ce laps de temps, ils peuvent cependant rendre difficile la lecture et réduire l’acuité visuelle de près. Lors de l’examen de la réfraction, la détermination de l’œil directeur est effectuée en faisant observer un point lumineux distant à travers un cercle tenu à bout de bras. L’œil directeur est celui qui sera favorisé pour la vision de loin lors des procédures destinées à la compensation de la presbytie. Les données fournies par l’examen de la réfraction seront utilisées pour établir le traitement laser délivré par la chirurgie réfractive.
Comment effectuer l’examen ophtalmologique proprement dit ?
Le biomicroscope (ou lampe à fente) est un instrument grossissant qui permet d’examiner l’œil du patient candidat à la chirurgie réfractive. La cornée doit être indemne de pathologie (pas de kératite en particulier) ; le prisme lacrymal (importance de la sécrétion lacrymale de base) est également évalué : d’une manière générale, l’absence de syndrome sec sévère ou compliqué doit être vérifiée. De même,
le cristallin fait l’objet d’un examen attentif, afin de déceler les signes d’une cataracte débutante. L’examen du fond d’œil, enfin, est réalisé avec une lentille spéciale, qui permet de voir la rétine et le nerf optique, et de s’assurer de l’absence de pathologie à leur niveau. La mesure de la pression intra-oculaire fait partie de l’examen pré-opératoire car la myopie est un facteur de risque pour le glaucome.
Comment évaluer l’opérabilité d’une cornée ?
• Étude de la cornée. La cornée étant le tissu qui subit la sculpture du laser pour la correction en PKR ou LASIK des défauts optiques, il faut éliminer la présence d’une anomalie cornéenne telle que le kératocône débutant, qui pourrait être aggravé par la réalisation d’une chirurgie réfractive cornéenne. Ce rôle est dévolu à la topographie cornéenne, avec mesure de l’épaisseur cornéenne qui doit être faite par une tomographie optique (topographie d’élévation avec tomographie, par exemple Orbscan, ou Pentacam). • Intérêt de la tomographie cornéenne. Les topographes Orbscan (Figure 1) et Pentacam effectuent 176
une mesure complète de la surface cornéenne, ce qui permet la lecture continue de l’épaisseur cornéenne et de ses variations, et non simplement d’un ou plusieurs points isolés. La possibilité de déterminer l’épaisseur de tous les points de la cornée permet de s’assurer que la zone où se trouve le point plus « mince » n’est pas manquée. Elle permet aussi d’apprécier la manière dont l’épaisseur de la cornée varie entre le centre et les bords de celle-ci (gradients d’épaisseur). La mesure précise et étendue de l’épaisseur cornéenne et de ses variations est fondamentale pour la détection des formes frustes de kératocône (dystrophie cornéenne idiopathique caractérisée
CAS N° 46
Figure 1 – Exemple de topographie cornéenne normale avec une épaisseur cornéenne centrale mesurée à 611 microns (carte pachymétrique en bas à droite). La topographie Placido (en bas à gauche) est régulière et met en évidence un léger astigmatisme oblique. Les cartes d’élévations antérieure (en haut à gauche) et postérieure (en haut à droite) mettent en évidente des cornées prolates régulières sans augmentation de l’élévation postérieure centrale.
par une ectasie et un amincissement progressif non inflammatoire de la cornée). Cela joue un rôle
essentiel pour prévenir les risques de complications post-LASIK à type d’ectasie.
Quelles sont les différentes techniques de chirurgie réfractive et laquelle choisir ?
La correction au laser de la myopie (ainsi que de l’hypermétropie, de l’astigmatisme et dans une certaine mesure de la presbytie) peut être réalisée au moyen de diverses techniques appelées LASIK, PKR, LASEK, EpiLASIK, etc. Toutes ces techniques ont un point commun : elles visent à modifier la puissance optique de la cornée. Ce changement est accompli grâce à un remodelage effectué par le laser excimer. Il est important de comprendre que c’est ce dernier qui permet de corriger le défaut optique. Ces techniques classiques sont dites « photo-ablatives », car c’est littéralement la lumière laser qui « ablate » (sculpte) la cornée. Ces techniques sont éprouvées et bénéficient d’un recul important. Le laser femtoseconde
n’est utilisé qu’en LASIK pour réaliser une découpe de capot cornéen superficiel, également appelé volet cornéen ou volet stromal. Le but de toutes ces techniques est de modifier le pouvoir optique de la cornée de manière à compenser le défaut réfractif à corriger : myopie, astigmatisme, hypermétropie, presbytie.
• Le LASIK nécessite une ouverture superficielle qui correspond à la réalisation d’un capot cornéen, remis en place une fois la sculpture par laser excimer effectuée. La découpe du capot cornéen s’effectue dans un nombre croissant de centres grâce à un autre laser, appelé laser femtoseconde. Ce laser ne corrige pas le défaut optique, mais permet de délivrer la 177
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
correction par le laser excimer sous le capot préalablement découpé et récliné. Certains chirurgiens, qui n’ont pas accès à la technologie femtoseconde, utilisent également un instrument qui permet de découper le capot sans laser (microkératome mécanique). La précision de la découpe (centrage, diamètre et épaisseur) est toutefois moindre qu’avec le laser femtoseconde. L’épaisseur du capot représente environ un cinquième de l’épaisseur totale de la cornée. Il comporte l’épithélium superficiel et du tissu sous-jacent (le stroma cornéen superficiel).
• Les techniques où l’on effectue la correction au laser excimer en surface (après pelage épithélial) ne nécessitent pas de découpe de capot, mais requièrent cependant que l’épithélium cornéen soit ôté. C’est dans la technique de pelage, et dans le choix de reposer l’épithélium pelé après correction, que résident les différences entre les techniques de surface : PKR, LASEK, EpiLASIK. Aujourd’hui, LASEK et EpiLASIK sont délaissés au profit de la PKR « optimisée » (Figure 2), car les bénéfices cliniques du
LASEK et de l’EpiLASIK (où on remet l’épithélium préalablement pelé plutôt que de laisser un épithélium « neuf » repousser comme en PKR) n’ont pas été démontrés. Le seul avantage de ces techniques (LASEK et EpiLASIK) repose peut-être dans leur dénomination, qui rappelle le mot LASIK.
• Conséquences pratiques et questions : LASIK versus laser de surface (PKR) ? Ces différences ont diverses implications pratiques. Le LASIK est une technique qui permet un meilleur confort postopératoire (absence de douleurs). La découpe du capot de LASIK ne peut toutefois s’effectuer que si la cornée présente certaines caractéristiques (épaisseur supérieure au seuil d’épaisseur minimale, régularité topographique). Comme il n’existe pas de différence en matière de résultat entre le LASIK et les techniques de surface (PKR, LASEK, EpiLASIK) pour la myopie et l’astigmatisme myopique associé (jusqu’à environ 6 dioptries de myopie), les techniques de surface sont une alternative possible aux patients dont la cornée est trop fine et/ou irrégulière pour le LASIK.
Figure 2 – PRK versus LASIK. Le schéma montre le capot découpé à droite (LASIK) et le laser de surface appliqué directement sur la cornée après pelage épithélial. Avec l’aimable autorisation du docteur Damien Gatinel (www.gatinel.com).
Bibliographie Azar DT, Gatinel D, Thanh HX. LASIK techniques and complications. In : Azar DT. Refractive surgery. Philadelphia : Mosby Elsevier ; 2007. p. 147-222. Azar DT, Gatinel D, Thanh HX. Excimer laser surface ablation. In : Azar DT. Refractive surgery. Philadelphia : Mosby Elsevier ; 2007. p. 223-52.
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Gatinel D. Principe des cartes topographiques d’élévation. In : Topographie cornéenne. Atlas en ophtalmologie. Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson ; 2011. p. 59-72. www.gatinel.com : chirurgie réfractive.
CAS N° 47 Madame P. consulte pour une baisse d’acuité visuelle d’évolution insidieuse
Madame P., 54 ans, consulte pour une baisse d’acuité visuelle bilatérale de survenue progressive. Dans ses antécédents, on note un lupus érythémateux disséminé compliqué d’une insuffisance rénale modérée, traité par hydroxychloroquine à raison de 2 cp/j, soit 400 mg/j, depuis 12 ans. Elle ne bénéficie d’aucun suivi ophtalmologique. Elle pèse 70 kg pour 1,50 m, soit un indice de masse corporelle de 31,1 kg/m² (obésité modérée). Sa dose journalière d’hydroxychloroquine est de 8 mg/kg de poids idéal/jour selon la formule de Lorentz. La dose cumulée est de 1,7 kg. L’acuité visuelle est chiffrée à l’œil droit à 2/10e Parinaud 8, à l’œil gauche 3/10e Parinaud 8. L’examen à la lampe à fente note une cornée claire et un cristallin clair. Le tonus oculaire est normal. Le fond d’œil montre une dépigmentation périfovéolaire en cocarde (Figure 1).
a b Figure 1 – Rétinophotographies des fonds d’œil ; dépigmentation parafovéolaire bilatérale épargnant la fovéa.
Quel est le diagnostic le plus probable ? Quels examens vous permettront de le retenir ? La patiente présente probablement une intoxication rétinienne à l’hydroxychloroquine. Elle doit au mieux bénéficier d’un champ visuel des 10° centraux, d’une tomographie par cohérence optique Spectral Domain (examen basé sur les rayons infrarouges
permettant d’obtenir des coupes de la rétine d’une grande précision), de clichés en autofluorescence du fond d’œil et si possible d’un électrorétinogramme multifocal (Figures 2 à 4). 179
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Figure 2 – Champ visuel des 10° centraux : scotome paracentral profond bilatéral.
Figure 3 – Tomographie par cohérence optique bilatérale : interruption de la ligne de jonction segments internes/ segments externes des photorécepteurs et amincissement des couches externes en parafovéolaire (flèches blanches).
Quelle est votre conduite à tenir ? Existe-t-il un traitement ?
Il est recommandé d’arrêter immédiatement le traitement s’il n’est pas indispensable et d’effectuer un suivi ophtalmologique du patient tous les 3 à 6 mois afin d’évaluer la progression de l’atteinte rétinienne. Un formulaire de déclaration d’effet indésirable 180
susceptible d’être dû à un médicament doit être rempli. L’intoxication rétinienne aux antipaludéens de synthèse est une pathologie iatrogénique incurable ; il n’existe aucun traitement.
CAS N° 47
a b Figure 4 – Clichés en autofluorescence du fond d’œil, œil droit et œil gauche : augmentation bilatérale de l’autofluorescence parafovéolaire.
Existe-t-il des recommandations en ce qui concerne la surveillance ophtalmologique des patients sous antipaludéens de synthèse ?
En février 2011 sont parues dans le journal Ophthalmology les recommandations émanant de l’American Academy of Ophthalmology sur la surveillance ophtalmologique des patients sous antipaludéens de synthèse au long cours. L’objectif est de dépister l’intoxication rétinienne au stade préclinique, stade encore réversible à la diminution de la posologie ou à l’arrêt du traitement. L’« intoxication rétinienne aux antipaludéens de synthèse » se définit comme une atteinte clinique de la rétine, visible directement au fond d’œil, à l’angiographie à la fluorescéine ou bien sur les clichés en autofluorescence du fond d’œil, avec une image caractéristique en cocarde dite en « œil-de-bœuf ». Cette atteinte entraîne une baisse d’acuité visuelle sévère pouvant conduire à la cécité légale. L’« intoxication rétinienne préclinique aux antipaludéens de synthèse » se définit comme une altération des paramètres de surveillance sans atteinte visible au fond d’œil, aux clichés en autofluorescence du fond d’œil ou à l’angiographie. Cette intoxication préclinique est généralement réversible à la diminution ou à l’arrêt du traitement. Si le traitement est poursuivi, elle évolue vers l’intoxication irréversible. Avant la mise en route du traitement ou au plus tard dans les 6 premiers mois de traitement, un examen de référence est recommandé. Le patient doit être informé qu’il existe un risque d’intoxication et de
l’importance d’un suivi régulier. Il doit consulter en cas d’apparition de signes fonctionnels. Le bilan préthérapeutique comporte : un examen ophtalmologique complet (acuité visuelle de loin et de près, mesure de la pression intra-oculaire) avec un examen du fond d’œil pupilles dilatées, une évaluation du champ visuel des 10° centraux et un ou plusieurs des examens suivants : − une tomographie par cohérence optique Spectral Domain ; − l’électrorétinogramme multifocal ; − des clichés en autofluorescence du fond d’œil (réalisant une carte topographique de la distribution de la lipofuscine au sein de l’épithélium pigmentaire). Ne sont pas recommandés pour le dépistage de la rétinopathie aux antipaludéens de synthèse car peu sensibles : − les rétinophotographies (servent uniquement au dépistage d’une maculopathie préexistante lors de l’examen de référence) ; − la tomographie par cohérence optique Time Domain ; − l’angiographie à la fluorescéine ; − l’électrorétinogramme global ; − la grille d’Amsler ; − le test de la vision des couleurs ; − l’électro-oculogramme. 181
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Pendant le traitement, une surveillance annuelle est recommandée après 5 années d’exposition aux antipaludéens de synthèse ou pour les patients qui ont au moins un facteur de risque d’intoxication.
Il s’agit de recommandations ; chaque clinicien est libre de déterminer le rythme de surveillance pour son patient.
Quels sont les signes cliniques et paracliniques d’une intoxication rétinienne aux antipaludéens de synthèse ? L’intoxication rétinienne clinique se traduit par une maculopathie bilatérale en cocarde dite en « œilde-bœuf ». Ce stade est irréversible à la diminution ou à l’arrêt du traitement. L’évaluation du champ visuel des 10° centraux recherche des scotomes paracentraux qui peuvent précéder une altération visible au fond d’œil. La tomographie par cohérence optique Spectral Domain note une interruption de la ligne de jonction segments internes/segments externes des photorécepteurs dans la région parafovéolaire chez les patients présentant intoxication rétinienne précoce aux antipaludéens de synthèse, progressant vers un amincissement des couches externes en parafovéolaire. Kellner et al. ont montré sur des clichés
en autofluorescence du fond d’œil de patients sous antipaludéens de synthèse au long cours des altérations précoces de l’épithélium pigmentaire rétinien avec, à un stade précoce, un anneau péricentral hyper-autofluorescent et, à un stade plus évolué, une perte en motte de l’autofluorescence péricentrale avec une augmentation de l’autofluorescence des régions rétiniennes adjacentes. Récemment, plusieurs publications ont souligné la sensibilité de l’électrorétinogramme multifocal pour la détection précoce de l’intoxication aux antipaludéens de synthèse en montrant une diminution d’amplitude de l’onde P1 dans la zone paracentrale avec augmentation du temps de culmination de l’onde P1 recueillie dans cette zone.
Quels sont les facteurs de risque de développer une intoxication rétinienne aux antipaludéens de synthèse ? Les facteurs de risque d’intoxication aux antipaludéens de synthèse sont : − une dose journalière supérieure à 6,5 mg/kg/j pour l’hydroxychloroquine ou supérieure à 3 mg/ kg/j pour la chloroquine ; − une dose cumulée supérieure à 1 000 g pour l’hydroxychloroquine ou supérieure à 460 g pour la chloroquine ; − les patients ayant un faible indice de masse corporelle ou les patients obèses ; − une durée de traitement supérieure à 5 ans ;
− une insuffisance hépatique ou rénale ; − une rétinopathie ou une maculopathie préexistante ; − les patients âgés. L’hydroxychloroquine ne diffuse pas dans les tissus adipeux, c’est pourquoi le calcul de la dose sur la base du poids corporel total pourrait entraîner un surdosage chez les obèses. Il est donc conseillé de calculer la dose journalière en fonction du poids idéal. Nous l’avons calculé dans notre cas selon la formule de Lorentz :
Poids idéal pour la femme (kg) = Taille (cm) – 100 –
Taille (cm) – 150 2,5
Quel est le risque de développer une intoxication rétinienne aux antipaludéens de synthèse ? La rétinopathie aux antipaludéens de synthèse est extrêmement rare. Marmor et al. estiment à 0,65 % les 182
cas de toxicité certaine et le risque augmente à 1 % ou plus après 5 à 7 ans de traitement.
CAS N° 47
Quelle est la physiopathologie de la toxicité rétinienne aux antipaludéens de synthèse ? Le mécanisme de la toxicité rétinienne des antipaludéens de synthèse n’est pas encore élucidé. Il est reconnu que les antipaludéens de synthèse ont une haute affinité pour la mélanine et s’accumulent dans les tissus riches en mélanine (peau, rétine, iris, choroïde, corps ciliaire, épithélium pigmentaire rétinien, etc.).
Des cultures de tissu d’épithélium pigmentaire rétinien en présence de chloroquine ont révélé une altération des fonctions lysosomales de ces tissus, avec une altération de la phagocytose des segments externes des photorécepteurs par l’épithélium pigmentaire rétinien, ce qui conduit à une accumulation de lipofuscine.
Conclusion Tous les patients sous hydroxychloroquine ou sous chloroquine au long cours doivent être informés du risque de toxicité rétinienne et bénéficier d’une surveillance ophtalmologique régulière. Néanmoins, malgré la nécessité d’une surveillance ophtalmologique rigoureuse clinique et paraclinique (en principe annuelle ou bi-annuelle), le rapport bénéfice/risque des antipaludéens de synthèse reste
très en faveur de leur prescription, d’autant plus que leur coût par rapport aux autres thérapeutiques est très faible, que leur efficacité sur la diminution du nombre et la gravité des poussées en particulier dans le lupus érythémateux disséminé a été démontrée et que les intoxications rétiniennes restent exceptionnelles, surtout si la surveillance ophtalmologique a été bien conduite.
Bibliographie Anderson C, Blaha GR, Marx JL. Humphrey visual field findings in hydroxychloroquine toxicity. Eye (Lond). 2011, 25: 1535-45. Chen E, Brown DM, Benz MS, Fish RH, Wong TP, Kim RY, Major JC. Spectral domain optical coherence tomography as an effective screening test for hydroxychloroquine retinopathy (the “flying saucer” sign). Clin Ophthalmol. 2010, 4: 1151-8. Haydu GG. Rheumatoid arthritis therapy ; a rationale and the use of chloroquine diphosphate. Am J Med Sci. 1953, 225: 71-5. Hobbs HE, Sorsby A, Freedman A. Retinopathy following chloroquine therapy. Lancet. 1959, 2: 478-80. Ingster-Moati I, Orssaud C. [Ophthalmological monitoring protocol for patients treated with long-term antimalarials or vigabatrin]. J Fr Ophtalmol. 2009, 32: 83-8. Kellner U, Renner AB, Tillack H. Fundus autofluorescence and mfERG for early detection of retinal alterations in patients using chloroquine/hydroxychloroquine. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2006, 47: 3531-8.
Marmor MF, Kellner U, Lai TY, Lyons JS, Mieler WF. American Academy of Ophthalmology. Revised recommendations on screening for chloroquine and hydroxychloroquine retinopathy. Ophthalmology. 2011, 118: 415-22. Marmor MF. Comparison of screening procedures in hydroxychloroquine toxicity. Arch Ophthalmol. 2012, 130: 461-9. Missner S, Kellner U. Comparison of different screening methods for chloroquine/hydroxychloroquine retinopathy : multifocal electroretinography, color vision, perimetry, ophthalmoscopy, and fluorescein angiography. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2012, 250: 319-25. Nebbioso M, Grenga R, Karavitis P. Early detection of macular changes with multifocal ERG in patients on antimalarial drug therapy. J Ocul Pharmacol Ther. 2009, 25: 249-58. Shee JC. Lupus erythematosus treated with chloroquine. Lancet. 1953, 265: 201-2.
183
CAS N° 48 Depuis ce matin, la jeune C. ne voit plus de l’œil droit
Vous êtes jeune interne aux urgences en ophtalmologie depuis à peine une semaine et, ce matin, un médecin vous a appelé pour vous demander un avis concernant la jeune C., 10 ans, en CM2. La jeune fille n’a pas d’antécédent personnel ni familial particulier. Elle se plaint depuis ce matin d’une baisse d’acuité visuelle à l’œil droit. Le médecin est assez inquiet car la survenue des symptômes est brutale mais l’œil est bien blanc et elle n’a pas de douleur. Il vous l’adresse pour suspicion de neuropathie optique. Une heure après, C. arrive avec sa maman. Vous l’examinez en priorité.
Quels sont les éléments de l’interrogatoire et de l’examen clinique que vous recherchez devant cette suspicion de neuropathie optique de l’œil droit chez une enfant de 10 ans ?
• Histoire de la maladie : début brutal, sans facteur déclenchant, unilatéral, maux de tête associés, douleurs rétro-oculaires à la mobilisation du globe. • Antécédents de symptômes neurologiques, familiaux de sclérose en plaques, d’affection ophtalmologique cécitante ; absence de notion d’amblyopie au préalable ou d’une chirurgie de strabisme. • Clinique : examen comparatif des deux yeux. • Acuité visuelle altérée de loin et de près à droite malgré une correction optique adaptée, recherche d’un déficit pupillaire afférent relatif droit.
• À l’examen à la lampe à fente, tout est normal. • Fond d’œil après dilatation : recherche d’œdème papillaire, d’hémorragie en flammèche, de vaisseau tortueux. Mais cet examen est souvent strictement normal. L’ensemble de cet examen est normal mais l’acuité visuelle de C. est effectivement diminuée à droite à 1/10e P3 tandis que l’acuité à gauche est 10/10e P2. Vous décidez donc d’appeler votre chef pour un avis. Il l’examine l’enfant et confirme la normalité de l’examen. Il vous pose les questions suivantes.
Quels sont les signes fonctionnels et les signes physiques qui permettent ici a priori d’éliminer une neuropathie optique ?
L’association d’une atteinte unilatérale sévère à une absence de déficit pupillaire afférent relatif rend l’hypothèse d’une neuropathie optique très improbable, d’où l’importance de bien savoir rechercher ce signe. Les neuropathies optiques inflammatoires de l’enfant s’accompagnent le plus souvent de douleurs rétro-oculaires à la mobilisation du globe, mais leur 184
absence ici ne permet cependant pas d’éliminer cette hypothèse. De même, un œdème papillaire minime est plus souvent associé aux névrites optiques chez l’enfant que chez l’adulte. Votre chef rassure donc C. et sa mère en leur expliquant que l’examen est tout à fait normal et que cela est rassurant. Cependant, des examens complémentaires
CAS N° 48
simples sont indiqués afin de confirmer l’absence d’atteinte organique. Il entame alors en attendant une conversation avec C. sur sa vie, ses frères et sœurs, ses amies, l’école, la maison,
etc. Les choses n’ont pas l’air si simple que ça… Elle s’est récemment bagarrée avec sa meilleure amie et, à la maison, il semble que les rapports entre ses parents soient très conflictuels.
À quel diagnostic pense votre chef ? Pourquoi ? Une cécité unilatérale de l’œil droit psychogène, devant la stricte normalité de l’examen ophtalmologique et surtout l’absence de déficit pupillaire afférent relatif, l’âge évocateur (entre 7 et 15 ans), et la présence de problèmes familiaux et à l’école. Les altérations psychogènes de la fonction visuelle, qui sont aussi un trouble non organique de la fonction visuelle, doivent bien être distinguées de la simulation : dans le premier cas, le sujet n’est pas
conscient du caractère non organique de l’affection – il exprime par une altération sensorielle un conflit psychique au moins partiellement inconscient –, tandis que dans le second, le sujet sait qu’il voit normalement et simule une malvoyance dans le but d’obtenir des bénéfices secondaires. Parmi les altérations non organiques de la fonction visuelle, la proportion de simulations est plus importante chez l’adulte que chez l’enfant.
Figure 1 – Quelques planches d’un test de Thibaudet. Malgré le nombre différent de dents de ces peignes, tous donnent une même acuité visuelle.
185
CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
Quels sont les examens à prévoir ? Quel est le degré d’urgence ? Que recherchez-vous typiquement ? Le bilan doit être réalisé en urgence. Il s’agit d’un diagnostic d’élimination qui doit être posé rapidement en raison de la gravité potentielle de certains diagnostics différentiels et de la nécessité de traiter le symptôme rapidement afin de ne surtout pas le laisser s’enkyster. Seront réalisés en priorité : − un test de Thibaudet (Figure 1). Il consiste à mesurer l’acuité visuelle en utilisant l’échelle de Thibaudet, créée spécifiquement pour dépister les cas de simulation. Elle est également utile dans les altérations de la fonction visuelle non organiques en dehors du cadre rare de la simulation. On présente successivement, à une distance fixe du sujet, une série de cartes avec des formes géométriques ressemblant à des E avec plus ou moins de barres et de tailles différentes. Le sujet doit indiquer le sens de l’orientation des barres. La taille globale du E est variable mais c’est l’écart entre deux barres horizontales qui définit le pouvoir séparateur, donc l’acuité visuelle. En cas d’altération organique de la fonction visuelle, le sujet orientera correctement tous les E dont l’espacement entre les barres est supérieur ou égal à celui correspondant à son acuité visuelle, indépendamment de la taille des E. En d’altération non organique de la fonction visuelle, le sujet orientera tous les E dont la taille est supérieure à une taille donnée, mais sera incapable d’orienter un E de petite taille, mais dont l’espacement entre les barres est pourtant très supérieur à certains pourtant bien orientés par ce sujet. Il convient cependant d’interpréter ces résultats avec précaution, l’échelle de Thibaudet ayant notamment souvent tendance à surestimer légèrement l’acuité visuelle ; − un champ visuel cinétique manuel de Goldmann (Figure 2). Celui-ci peut montrer des anomalies évocatrices d’altération non organique de la fonction visuelle, comme un champ visuel en colimaçon. Un champ visuel à l’écran tangentiel réalisé
successivement à deux distances différentes peut être intéressant en mettant en évidence un champ visuel tubulaire (c’est-à-dire superposable malgré l’éloignement du sujet de l’écran tangentiel) ; − les tests de vision des couleurs seront volontiers normaux, ou moins sévèrement altérés que dans une neuropathie optique, à acuité équivalente ; En cas de doute, on réalisera un électrorétinogramme et des potentiels évoqués visuels en flash et en damiers, dont la normalité corroborera le diagnostic en démontrant l’absence de trouble de conduction sur l’ensemble des voies visuelles et le bon fonctionnement rétinien associé. Rarement, une imagerie cérébrale sera prescite. La situation est plus complexe lorsqu’il s’agit d’une altération symétrique de la fonction visuelle. Les examens complémentaires sont alors plus souvent indiqués.
Figure 2 – Champ visuel en colimaçon.
Quelle est la prise en charge de la jeune C. si l’ensemble des examens vont dans le sens du diagnostic de votre chef ? La jeune fille sera rassurée. En France, la suggestion est couramment utilisée, afin que l’enfant puisse abandonner son symptôme sans jamais perdre la face. On emploiera volontiers des phrases comme : « Les voies visuelles sont intactes, tout va rentrer dans 186
l’ordre en quelques jours. » Une surveillance étroite accompagnera cette suggestion afin de s’assurer de la bonne récupération et l’enfant sera orienté dans un second temps pour un travail psychologique de fond. Il n’est le plus souvent pas nécessaire de médicaliser
CAS N° 48
la situation (pas de traitement, ni d’hospitalisation). Le pronostic est généralement bon, tant sur le plan visuel que psychique, et bien meilleur que dans les altérations non organiques de la fonction visuelle
chez l’adulte. En effet, il s’agit d’un symptôme hystérique, mais en aucun cas ce symptôme ne présage d’une quelconque structure de personnalité, celle-ci n’étant pas figée à cet âge.
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INDEX
A Abcès de cornée, 76 Aberrométrie, 57, 175 Accident du travail, 59 Albinisme, 89, 142 Amblyopie, 31, 80, 96, 103, 105, 111 Angiographie à la fluorescéine, 3, 6, 9, 11, 28, 34, 52 Aniridie, 38, 86 Anisocorie, 150, 159 Antipaludéens de synthèse, 180 Anti-TNF-α, 47 Anti-VEGF, 5, 10, 15, 26, 35 Atrophie optique dominante, 122
B Behçet, maladie de, 45
C Cataracte, 35, 36, 42, 61, 73 congénitale, 31, 80, 86, 95 Cécité corticale, 145 Cercle périkératique, 44, 51 Chalazion, 76 Chalcose, 63 Champ visuel, 16, 64, 68, 117, 119, 123, 127, 134, 148, 179 Chirurgie réfractive, 175 Claude-Bernard-Horner, syndrome de, 150, 155, 159, 171 Coats, maladie de, 95 Colobome, 95 Contusion du nerf optique, 41 Corps étranger oculaire, 41, 59 flottant, 16, 59 Courbe de PIO, 64, 68 Cryo-application, 10 Cytomégalovirus, 51, 81
D Décollement de rétine, 16, 24, 31, 41
Dégénérescence maculaire liée à l’âge, 2 Diabète, 6, 8, 11, 25 Diplopie, 99, 111, 133, 139, 158, 172 Doppler artériel des vaisseaux du cou, 10, 70 Drusen rétiniens, 1 Dysgénésies du segment antérieur, 84
E Échographie B oculaire, 32 Ectopie du cristallin, 38 Effet Tyndall, 44, 48, 51 Électrorétinogramme, 90 Embryotoxon postérieur, 84 Ésotropie, 99, 102 Excavation papillaire, 64, 68 Exophtalmie, 169, 172
F Foyer choriorétinien, 48, 51 Fracture du plancher de l’orbite, 23, 41
G Glaucome congénital, 85, 91 chronique, 64 par fermeture de l’angle, 72 néovasculaire, 8, 35 sans tension, 68 Gonioscopie, 20, 64, 69 Grille d’Amsler, 2, 36
H Hémorragie(s) conjonctivale, 44, 60 intravitréenne , 8, 42, 59 rétiniennes, 25, 28, 34, 41 Hérédité, 32, 55, 64, 84, 106 Herpes simplex virus, 45, 51, 80
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CAS CLINIQUES EN OPHTALMOLOGIE
HLA-B27, 44 Holter tensionnel des 24 heures, 70 Homocystinurie, 38 Hyalite, 48, 51 Hyperhémie conjonctivale, 44, 73, 77 Hypertension intracrânienne, 133 Hypertonie oculaire, 8, 22, 43, 45, 51, 76, 172 Hyphéma, 8, 20, 42 Hyperthyroïdie, 172 Hypotonie oculaire, 59
O
I
P
Imperforation des voies lacrymales, 91 Iridodialyse, 41 Iridotomie par laser, 75 IRM cérébrale, 32, 61, 69, 96, 119, 123, 128, 134, 139, 147, 152, 163, 169 Ischémie rétinienne, 6, 8, 14, 25, 28, 34
Pachymétrie cornéenne, 57, 69, 177 Panphotocoagulation rétinienne, 7 Panuvéite, 45, 48 Paralysie faciale, 165 oculomotrice, 100, 140, 155, 159 Phosphènes, 17 Photocoagulation rétinienne focale, 15 Photophobie, 44, 51 Plaie du globe, 21, 42 Ponction de chambre antérieure, 49, 51 Potentiel évoqué visuel, 90, 124, 186 Précipités rétrocornéens granulomateux, 51 Pseudophaquie, 16, 37 Ptôsis, 138, 150, 154, 158, 169
K Kératite, 45, 59, 73, 165 Kératocône, 55, 175
L Larmoiement, 51, 77, 86, 91 Lentilles de contact, 57, 76, 175 Leucocorie, 31, 36, 81, 94, 106, 141
M Malvoyance, 88 Marfan, syndrome de, 38, 56 Mégalocornée congénitale, 38, 85 Métamorphopsie, 1 Mouches volantes, 16, 59 Myasthénie, 158, 173 Myodésopsies, 16, 59
Occlusion de la veine centrale de la rétine, 25 OCT, 3, 10, 11, 21, 25, 28, 52 Œdème de cornée, 8, 73 maculaire, 51 - diabétique, 12 papillaire, 25, 115, 118, 127 rétinien, 41
R Radiothérapie externe, 34 Rapport cup/disc, 64, 68 Réfraction, 55, 82, 100, 102, 106, 111, 175 Retard de maturation visuelle, 89 Rétinoblastome, 31, 95 Rétinopathie diabétique, 6, 8, 14 radique, 34 de Valsalva, 28 Rubéole, 81 Rubéose irienne, 8
N Neuroblastome, 152, 170 Neuropathie optique glaucomateuse, 65, 68 héréditaire, 119, 122 ischémique antérieure aiguë, 116 de Leber, 119, 122 Névrite optique, 68, 118, 123, 128, 184 Nystagmus, 88, 141
190
S Sarcoïdose, 45 Scanner cérébral, 32, 41, 61, 173 Sclérectomie profonde, 65 Sclérocornée, 84 Sclérose en plaques, 123, 130 Semi-mydriase, 73 Sidérose oculaire, 63
Index
Signe de Marcus Gunn, 16, 118, 155 de Seidel, 59 Spondylarthrite ankylosante, 45 Stéréoscopie, 103, 105, 114 Strabisme, 31, 80, 88, 94, 99, 102, 105, 111 Syndrome des gènes contigus, 86 WAGR (Wilms, Aniridia, Genitourinary anomalies, mental Retardation), 86 Synéchies iridocristalliniennes, 42, 44, 73, 76 Syphilis, 45, 69, 82, 119
T Terrain atopique, 56 Topographie cornéenne, 57, 176 Torticolis, 103, 142 Toxoplasmose, 48, 51, 81 Traumatisme oculaire, 17, 20, 41
Trou maculaire , 20, 41 Tuberculose, 45 Tumeur lacrymale, 34 rétinienne, 31, 94
U UBM (ultra-biomicroscope), 73, 84 Ulcère de cornée, 78, 86, 165 Uvéite antérieure, 44, 48, 51 postérieure, 48, 51
V Varicelle, 82 Virus d’Epstein-Barr, 82 Vitrectomie, 16, 20
191