Hartmann Von Aue, Iwein: Texte Etabli, Traduit Et Annote (Textes Vernaculaires Du Moyen Age) (French Edition) 9782503551128, 2503551122


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Hartmann Von Aue, Iwein: Texte Etabli, Traduit Et Annote (Textes Vernaculaires Du Moyen Age) (French Edition)
 9782503551128, 2503551122

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HARTMANN VON AUE IWEIN

Volume 13

TEXTES VERNACULAIRES DU MOYEN AGE Collection dirigée par Stephen Morrison À une époque où les médiévistes, toutes disciplines confondues, se tournent de plus en plus vers les sources en langues vernaculaires, Brepols publie une nouvelle série TEXTES VERNACULAIRES DU MOYEN AGE, destinée à répondre aux besoins des chercheurs, confirmés ou débutants dans ce domaine. Le principal but (mais non le seul) de sa création est la publication de textes qui, jusqu’ici, n’ont jamais bénéficié d’un traitement éditorial et qui, par conséquent demeurent inconnus ou mal connus de la communauté scientifique. Parmi les premiers volumes figurent des vies des saints en ancien et moyen-français ainsi que des textes scientifiques en français et en anglais. D’autres volumes sont en préparation active. At a time when medievalists of all disciplines are increasingly recognising the importance of source material written in the major European vernaculars, Brepols publishes a new series TEXTES VERNACULAIRES DU MOYEN AGE, designed to meet the needs of a wide range of researchers working in this field. Central to its conception, though not exclusively so, is the place given to the publication of texts which have never hitherto benefited from editorial activity, and which remain unknown or imperfectly known to the academic community. The inaugural volumes include lives of saints in old and middle French, as well as scientific treatises in both French and English. Further volumes are in active preparation. Collection dirigée par / General editor: Stephen Morrison (Centre d’Etudes Supérieures de Civilisation Médiévale, Université de Poitiers)

Comité scientifique / Advisory Board Alexandra Barratt (Université de Waikato, Nouvelle Zélande), Daron Burrows (Université de Manchester, Royaume-Uni), Vittoria Corazza (Université de Turin, Italie), Irma Taavitsainen (Université de Helsinki, Finlande), Alessandro Vitale-Brovarone (Université de Turin, Italie), Annette Volfing (Université d’Oxford)

Hartmann von Aue Iwein

Texte présenté, établi, traduit et annoté par Patrick del Duca Maître de Conférences à l’Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand Édition établie d’après le manuscrit 97 de Giessen (version B)

F

© 2014, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-55112-8 D/2014/0095/23 Printed on acid-free paper

TABLE DES MATIÈRES Abréviations bibliographiques ........................................................................................

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Introduction .............................................................................................................................................................

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Hartmann von Aue ......................................................................................................................................

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Le texte et la tradition manuscrite Structure et contenu du roman

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Chrétien de Troyes et Hartmann : le processus d’adaptation

..........................................

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Principes d’édition et de traduction .................................................................................................. 102 Bibliographie sélective ...................................................................................................................................... 105 Éditions et traductions ................................................................................................................................. 105 Études critiques ................................................................................................................................................ 107 Ressources disponibles sur Internet

.....................................................................................................

115

Iwein : texte et traduction ................................................................................................ 117 Variantes et ajouts de la version A ............................................................................................................ 531 Ajouts d’autres manuscrits ............................................................................................................................ 553 Notes et commentaires

....................................................................................................................................

559

Glossaire ...................................................................................................................................................................... 605 Index des noms propres

................................................................................................................................... 637

ABRÉVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES L

Die Gedichte Walthers von der Vogelweide

MF

Des Minnesangs Frühling

PL

Patrologie Latine

INTRODUCTION

I - Hartmann von Aue Nous ne disposons que de peu d’informations au sujet de celui qui fut sans doute le premier auteur à introduire le roman arthurien en Allemagne. Hartmann ne nous est connu par aucun acte ni aucun registre, dans aucun document officiel il n’apparaît comme témoin, et lui-même ne fait nulle part mention dans ses œuvres d’un quelconque mécène ou d’un événement qui permettrait d’établir les rapports qu’il entretenait avec les cours princières allemandes de la fin du XIIe siècle. Malgré cette absence de sources, nous en savons davantage à son sujet qu’à propos de bien des auteurs médiévaux, à commencer par Chrétien de Troyes dont il adapte deux romans en allemand, Érec et Énide et Yvain ou le Chevalier au Lion. Son œuvre ne se limite cependant pas à ces deux adaptations. Nous devons à Hartmann également un texte de jeunesse, La complainte (Die Klage), qui relate une dispute entre le cœur et le corps d’un homme. Le thème de cette dispute allégorique est la fin’ amor, en allemand la « hohe minne », et les règles auxquelles un homme doit se conformer pour obtenir l’amour de sa dame. Cette Complainte, comme le roman d’Erec, n’est conservée que dans le manuscrit d’Ambras composé entre 1504 et 1516/1517 par Hans Ried à la demande de l’empereur Maximilien Ier. Hartmann puise ici dans deux traditions différentes : il s’inspire tout d’abord de la casuistique amoureuse telle qu’elle est pratiquée en France, par exemple à la cour de Poitiers. Parallèlement il est influencé par les débats allégoriques tels qu’on les trouve dans la littérature religieuse en langue latine et qui mettent en scène un dialogue entre l’âme et le corps. Cette première œuvre réussit la synthèse de la littérature cléricale et de la culture profane, une synthèse qui va marquer toute l’œuvre de Hartmann. Toutefois, ce texte de jeunesse montre déjà clairement la voie didactique et religieuse qui caractérise l’ensemble de la production du poète allemand : le vasselage d’amour ne peut être réussi que si on y intègre une dimension céleste, à savoir l’amour de Dieu et certaines vertus d’origine divine. Hartmann a également composé dix-huit chansons dont la plupart traitent des implications de l’amour courtois, tandis que trois chansons de croisade évoquent la tension entre l’amour de Dieu et celui que le sujet lyrique porte à une dame. Bien différentes de ces textes courtois sont les deux légendes aux accents religieux que nous a laissées Hartmann. Le Gregorius est une adaptation de la Vie du pape Grégoire, alors que Le pauvre Henri (Der arme Heinrich) semble être une œuvre originale de Hartmann. Ce dernier récit reprend le thème biblique de Job et relate la punition qui s’abat sur un jeune chevalier souabe, Henri de Aue, oublieux de Dieu. Le jeune homme, frappé par la lèpre, ne peut être soigné que par le sang d’une vierge.

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Le salut ne lui sera cependant accordé qu’après qu’il aura renoncé au sacrifice suprême que la fille de son métayer était prête à faire pour lui. Si l’on omet les chansons, difficiles à dater, la chronologie communément admise par la recherche allemande pour les œuvres de Hartmann est la suivante : La Complainte, vers 1180, avant Erec. Erec, vers 1180-85 (peut-être à l’occasion du mariage de Berthold IV avec Ide de Boulogne en 11831) Gregorius, entre 1185 et 1200 Le pauvre Henri, entre 1190 et 1200 Iwein, entre 1190 et 1203 Ce que nous apprenons sur Hartmann, c’est avant tout l’auteur lui-même qui nous le dévoile dans le prologue de deux de ses œuvres, Le pauvre Henri et Iwein. Voici comment commence Le pauvre Henri : Un chevalier était si instruit qu’il savait lire tout ce qui était écrit dans les livres. Il s’appelait Hartmann et était ministérial à Aue. Il consultait en détail bien des livres et tentait d’y trouver quelque chose qui puisse adoucir agréablement les moments de tristesse et qui serait de nature à honorer Dieu afin qu’il [= Hartmann] puisse se faire aimer des gens. 2

Cette présentation de l’auteur est reprise de manière quasiment littérale dans le prologue d’Iwein : Il y avait un chevalier qui était instruit et savait lire. Lorsqu’il ne savait pas mieux occuper son temps, il s’adonnait à l’écriture. Il se donnait beaucoup de peine à composer ce que l’on aime entendre. Il s’appelait Hartmann et était originaire d’Aue. (Iwein, v. 21-28)

Hartmann insiste donc sur le fait qu’il est un chevalier lettré, un miles literatus. En effet, « savoir lire ce qui est écrit dans les livres » implique à l’époque médiévale une connaissance du latin. Il a sans nul doute reçu une éducation cléricale, il est cependant impossible de déterminer où il a étudié. Puisque les écoles des monastères 1

Cf. Hartmann von Aue, Erec, herausgegeben von Manfred Günter Scholz, übersetzt von Susanne Held, Frankfurt am Main, Deutscher Klassiker Verlag (Bibliothek des Mittelalters 5), 2004, p. 573. On peut se référer également à  : Tervooren (Helmut), « Literaturwege  : Ida von Boulogne, Gräfin in Geldern, Herzogin von Zähringen », Zeitschrift für deutsche Philologie 110 (1991), p. 113-120.  2 « Ein rîter sô gelêret was | daz er an den buochen las | swaz er dar an geschriben vant ; | der was Hartmann genant, | dienstman was er ze Ouwe. | der nam im manege schouwe | an mislîchen buochen. | dar an begunde er suochen | ob er iht des vunde | dâ mit er swære stunde | möhte senfter machen, | und von sô gewanten sachen, | daz gotes êren töhte | und da mite er sich möhte | gelieben den liuten. » (Der arme Heinrich, v. 1-15) Texte allemand cité d’après : Hartmann von Aue, Gregorius, Der arme Heinrich, Iwein, herausgegeben und übersetzt von Volker Mertens, Frankfurt am Main, Deutscher Klassiker Verlag (Bibliothek des Mittelalters 6), 2004, p. 230.

INTRODUCTION

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n’étaient que peu ouvertes aux étudiants extérieurs, n’accordant le privilège de leur éducation au sein d’une schola exterior qu’à quelques jeunes laïcs issus de l’aristocratie, l’hypothèse la plus souvent admise concernant la culture de Hartmann est celle de l’école épiscopale de Mayence. Dans ce cas, l’écolâtre en charge de l’éducation du jeune homme n’aurait été autre qu’un frère de Hildegard von Bingen, prénommé Hugo. À la lecture des œuvres de Hartmann plusieurs constatations s’imposent qui viennent compléter le portrait de cet intellectuel médiéval. Au moment où il adapte Iwein, il a une connaissance intime de la langue française et peut se montrer très fidèle à sa source si le contenu du passage adapté correspond à son intention et au sens qu’il souhaite conférer à l’œuvre allemande. Cette maîtrise de la langue française est beaucoup moins évidente lors de la rédaction d’Erec, assez éloigné de la source française pour des raisons essentiellement idéologiques. Il connaît bien les cultures française et allemande, et fait allusion dans Erec au Roman d’Eneas de Heinrich von Veldeke et à l’histoire de Pirame et Thisbe, se référant ici sans doute plutôt à la version française qu’à la version latine. Peut-être a-t-il vécu assez longtemps en France ou dans les régions francophones de l’Empire pour acquérir cette maîtrise de la langue. Il n’est d’ailleurs pas à exclure qu’il ait étudié la théologie à Paris. Il semble fortement influencé par les idées nouvelles défendues par l’Église au XIIe siècle et son œuvre laïque s’inscrit dans le grand programme de réforme de la société civile initiée par Grégoire VII. L’idéal qu’il développe du miles christianus témoigne de cette nouvelle conception d’une chevalerie prête à mettre son épée au service du droit et de la protection des faibles. Le traitement particulier qu’il réserve aux thèmes de l’humilité et de la miséricorde semble trahir l’influence de la pensée de Bernard de Clairvaux, ce qui ne signifie nullement que Hartmann ait été lui-même cistercien. L’inflexion religieuse qu’il donne aux œuvres qu’il adapte en allemand est à notre sens le résultat de cette éducation cléricale qui aura profondément marqué l’auteur. Plus problématique est l’emploi du terme « riter », chevalier. La recherche s’accorde à dire que cela ne saurait désigner son statut social. En effet, Hartmann ajoute qu’il est ministérial à Aue, il s’agit donc sans doute d’un non-libre au service d’un noble et en charge de tâches administratives et / ou militaires. Un passage d’Iwein, le combat entre Iwein et Gawein, montre d’ailleurs qu’il connaît parfaitement le vocabulaire en relation avec les métiers de l’argent et du prêt. Il faut cependant noter que, dans l’œuvre de Hartmann et tout particulièrement dans Erec, la notion de chevalerie est intimement liée à celle de noblesse. Même s’ils n’étaient que des serfs, les ministériaux se targuaient parfois d’être des minores milites et d’avoir une illustre origine. La mention, au début du Pauvre Henri, d’un puissant seigneur « Henri né à Aue » a parfois incité à penser que Hartmann pouvait rendre hommage ici, de façon voilée, à l’un de ses ancêtres dont il transfigurerait l’histoire à travers ce récit. La similitude existant entre ce Heinrich von Aue et Hartmann von Aue semble bien renvoyer à un lien de parenté. Il est donc envisageable que Hartmann soit lui-même issu d’une famille de nobles libres (« Edelfreie ») tombée en déchéance. Dans l’Em-

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pire de cette fin de XIIe siècle, le ministérial souffre d’une servitude liée à sa naissance : il doit se soumettre à la volonté de son seigneur et remplir des obligations serviles, il ne peut se marier sans son autorisation, ne peut transmettre son patrimoine aux membres de sa famille après sa mort (mainmorte) et ne peut témoigner contre un homme libre. En revanche, il dispose du droit de porter l’épée, l’écu et la lance, il peut – à l’instar d’un noble libre – diriger des troupes en l’absence de son maître, et peut également être affranchi et même adoubé sur décision de son seigneur. C’est sans doute en premier lieu à cette fonction de combattant à cheval que fait allusion Hartmann en utilisant le vocable de « riter » même si, parallèlement, on ne peut exclure qu’il y ait là également la réminiscence d’une ancienne noblesse libre. Hartmann fait donc sans doute partie des servientes, des serviteurs. La littérature n’est pour lui qu’un passe-temps destiné à adoucir ses moments d’ennui et de tristesse, et surtout cela lui permet de « plaire aux gens » : il est évident que la création littéraire constitue pour ce ministérial un moyen d’ascension sociale. Hartmann est d’ailleurs tout à fait conscient de son talent et n’hésite pas, dans ses deux romans arthuriens, à affirmer son originalité et sa supériorité sur sa source française, par exemple en insérant un dialogue entre l’auteur-narrateur et un auditeur fictif. Si l’on sait peu de choses au sujet de Hartmann, on ignore tout de ses mécènes. On ne peut douter de l’existence de ceux-ci, car un ministérial n’avait pas les moyens d’acheter et de faire venir de France les manuscrits contenant les textes qu’il a adaptés. Volker Mertens défend la thèse selon laquelle les ducs de Zähringen, fondateurs de la ville de Fribourg (aujourd’hui Fribourg-en-Brisgau), auraient été les mécènes de Hartmann3. Plusieurs indices plaident effectivement en faveur de cette hypothèse. Les ducs de Zähringen, princes puissants et riches qui étaient également recteurs de Bourgogne, disposaient sans aucun doute des moyens financiers nécessaires à l’acquisition de tels manuscrits. La famille ducale pouvait constituer un vrai pont culturel entre l’Allemagne et la France : le duc Berthold IV de Zähringen (né vers 1125 et mort en 1186) épousa en seconde noce, en 1183, Ide de Boulogne, fille de Mathieu d’Alsace et Marie de Blois. L’oncle d’Ide de Boulogne était le comte Philippe de Champagne pour lequel Chrétien de Troyes composa son Perceval entre 1181 et 1191. De plus, la mère de Berthold IV, Clémence de Luxembourg-Namur, parlait français. Nous aurions donc là un itinéraire propice à un transfert culturel de Francie en Germanie : Hartmann aurait pu dès 1183 entrer en relation avec des seigneurs proches de Chrétien de Troyes et trouver à la cour des Zähringen un lieu qui lui aurait permis d’avoir accès à des manuscrits en langue française. L’allusion que fait Hartmann à la mort de son suzerain dans l’une de ses chansons de croisade (« Maintenant que la mort m’a privé de mon seigneur, plus rien ne m’importe de ce qui se passe dans le 3 Cf. V. Mertens, « Das literarische Mäzenatentum der Zähringer », in Die Zähringer. Eine Tradition und ihre Erforschung, hrsg. von Karl Schmid, Sigmaringen, Thorbecke Verlag, 1986, p. 117-134. V. Mertens, Gregorius Eremita. Eine Lebensform des Adels bei Hartmann von Aue in ihrer Problematik und ihrer Wandlung in der Rezeption, München, Artemis, 1978, p. 25-26.

INTRODUCTION

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monde »4) est également compatible avec l’année de décès de Berthold IV. Le lien avec la France ne se rompt pas avec la mort de Berthold IV : Berthold V (1160-1218), le fils qu’il avait eu avec sa première femme Heilwich de Frohbourg, épousa vers 1200 Clémence d’Auxonne, fille d’Etienne III de Bourgogne, comte d’Auxonne. Les ducs de Zähringen ont également encouragé les arts : selon l’écrivain Rudolf von Ems, Berthold von Herbolzheim a composé un roman d’Alexandre pour le «  noble Zähringer », sans doute Berthold V ou son père. Enfin, les armoiries attribuées à Hartmann dans le Grand Chansonnier de Heidelberg sont composées d’alérions blancs sur fond d’azur et pourraient avoir été formées à partir du blason des ducs de Zähringen, représentant une aigle déployée de gueules sur fond d’or. Aue serait donc un toponyme qui pourrait renvoyer à un village à proximité de Fribourg. Il existe cependant bien d’autres lieux qui portent le même nom en Allemagne : ainsi trouvet-on dans le sud-ouest du domaine germanophone d’autres toponymes qui contiennent la même racine comme Owen (que l’on prononce Auen) près d’Esslingen, Obernau près de Rottenbourg-sur-le-Neckar, Reichenau, Weissenau à côté de Ravensbourg, ainsi qu’Eglisau aujourd’hui en Suisse ou même Hagenau en Alsace. La thèse développée par Volker Mertens paraît donc possible sans qu’on puisse toutefois l’étayer par des preuves intangibles. Rien dans les textes de Hartmann ne renvoie de manière explicite aux ducs de Zähringen. L’image positive que Hartmann donne de la royauté, notamment à travers les personnages d’Erec et d’Arthur, peut même surprendre si l’on songe que les relations entre les ducs de Zähringen et la famille des Hohenstaufen, alors à la tête du royaume de Germanie et de l’Empire, étaient très tendues. Les autres familles princières connues pour leur action de mécénat sont les Hohenstaufen et les Guelfes. Ces deux dynasties entretiennent également des liens étroits avec la France et l’Angleterre francophone. L’éloge fait, à la fin d’Erec, du rex justus et pacificus fait plutôt songer à la propagande des Hohenstaufen, et plus particulièrement à celle pratiquée à l’époque de Frédéric Ier Barberousse. Même le vers de Heinrich von dem Türlin qui, dans Diu Crône, nous indique que l’auteur d’Erec est originaire de Souabe (v. 2352 : « von der Swaben lande ») ne renvoie pas forcément aux ducs de Zähringen puisque les Hohenstaufen étaient également ducs de Souabe pour la partie orientale de la région. Les formes bavaroises présentes dans le texte du manuscrit de Giessen à côté de la dominante alémanique pourraient justement provenir de cette partie orientale de la Souabe. Par ailleurs, le lien avec la France est assuré chez les Hohenstaufen par le mariage, en 1156, de Frédéric Ier Barberousse avec Béatrice de Bourgogne, fille unique du comte Renaud III de Bourgogne et d’Agathe de Lorraine et héritière du comté. Frédéric intègre ainsi le comté de Bourgogne et la Provence à

4 Hartmann von Aue, « Sît mich der tôt beroubet hât | des herren mîn, swie nû diu werlt nâch im gestât, | daz lâze ich sîn », Des Minnesangs Frühling, bearbeitet von Hugo Moser und Helmut Tervooren, 38. erneut revidierte Auflage, Stuttgart, Hirzel, 1988 (désormais abrégé en MF), 44,31.

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sa sphère de pouvoir et d’influence5. Béatrice, dont la langue maternelle est le français, est, selon l’historien italien Acerbus Morena, une femme très cultivée qui, contrairement à son mari, lit et écrit le latin. On sait qu’elle a favorisé les échanges culturels entre la France et l’Allemagne, et que, lors des fêtes organisées à la cour itinérante des Hohenstaufen, elle recevait des artistes venus de France, notamment des trouvères et  des troubadours 6 . Gautier d’Arras lui dédie d’ailleurs son roman Ille et Galeron (v. 6592 c). Du côté des Guelfes, le duc de Saxe, Henri le Lion, a épousé Mathilde, fille d’Henri II Plantagenêt, et a passé lui-même trois années d’exil en Angleterre, chez son beaupère, après avoir été banni de l’Empire par Frédéric Ier Barberousse. Un transfert de la matière bretonne par le biais des ducs de Saxe est donc également envisageable. On notera que le plus jeune fils d’Henri le Lion, Guillaume de Lunebourg, né en Angleterre en 1184, a fait traduire le Gregorius de Hartmann en latin par l’évêque Arnold de Lubeck. Cependant là encore, rien ne permet d’indiquer avec certitude si l’une de ces deux familles a pu être à l’origine des adaptations composées par Hartmann. Hartmann a sans doute travaillé à partir de manuscrits ne contenant qu’un seul texte à la fois7, c’est-à-dire qu’il aurait eu à sa disposition un manuscrit contenant Érec et Énide, un autre contenant Le Chevalier au Lion. En effet, les grands recueils organisant les romans arthuriens en cycles n’existaient pas encore vers 1190-1200. Le récit auquel il a eu accès était sans doute proche des versions dont nous disposons aujourd’hui à travers les manuscrits français F (BN fr 1450) et G (BN fr 12560). Il s’agit là des deux seuls manuscrits qui mentionnent, à propos du récit rapporté par Calogrenant, que l’action s’est déroulée il y a dix ans et non il y sept ans comme le stipule le manuscrit de Guiot, dont le texte est le plus souvent retenu par les éditeurs modernes. C’est ce même chiffre de dix que l’on retrouve chez Hartmann : « Cela m’est arrivé, et pour cette raison je m’en porte garant, il y a bien dix ans. » (Iwein, v. 259-260). Rien ne nous permet de savoir si Hartmann connaissait les autres romans de Chrétien de Troyes, notamment Le Chevalier de la Charrette et Le Conte du Graal, mais rien n’interdit non plus de le penser. L’un des manuscrits allemands contenant le roman d’Iwein, le manuscrit de Rostock (r), mentionne un séjour prolongé de Hartmann en Angleterre : « Comme je l’ai entendu dire, il transposa ce récit en allemand lorsqu’il rentra d’Angleterre où il avait séjourné longuement et où il avait lu des livres français. » (cf. « Ajouts d’autres manuscrits »). Malheureusement cette indication n’est guère crédible, car il s’agit là du seul manuscrit qui évoque un tel séjour et, de surcroît, il a été rédigé vers 1477.

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Cf. H. Kamp, Burgund. Geschichte und Kultur, Munich, C. H. Beck, 2007, p. 40 sq. J. Heinzle, L. P. Johnson (éd.) : Geschichte der deutschen Literatur von den Anfängen bis zum Beginn der Neuzeit. Bd. II: Vom hohen zum späten Mittelalter. Teil 1: Die höfische Literatur der Blütezeit (1160/701220/30), Tübingen, De Gruyter, 1999, p. 94. 7 J. Wolf, Buch und Text. Literatur und kulturhistorische Untersuchungen zur volkssprachlichen Schriftlichkeit im 12. und 13. Jahrhundert, Tübingen, Niemeyer, 2008, p. 263 et 266. 6

INTRODUCTION

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Il  semble plus probable que le copiste ait voulu donner une légitimité supplémentaire au roman en le rattachant à la tradition arthurienne de Grande-Bretagne. À la lecture d’Iwein on peut constater que Hartmann prend souvent le contrepied de sa source. Même s’il ne cite jamais explicitement le nom de Chrétien de Troyes, il discute avec l’auteur français, mettant par exemple en doute l’idée selon laquelle Iwein et Laudine ont réellement pu échanger leurs cœurs. De telles remarques, permettant de tourner en dérision une certaine préciosité courtoise et une prédilection pour la casuistique amoureuse, ne peuvent être comprises que d’un public familier de l’œuvre de Chrétien de Troyes. De la même façon, le clin d’œil à la croyance selon laquelle les Bretons pensent qu’Arthur n’est pas mort – allusion déjà présente de manière plus discrète chez Chrétien, aux vers 37-38 – s’adresse sans doute avant tout à des auditeurs qui ont déjà entendu parler de « l’espoir breton », c’est-à-dire du retour d’Arthur qui, après avoir séjourné sur l’île mythique d’Avalon où des fées auront soigné ses blessures, viendra délivrer son peuple. Ceci nous incite à penser qu’il y avait parmi le public de Hartmann un certain nombre de Français ou de Françaises. On peut imaginer que Hartmann visait ici l’épouse française du duc de Zähringen (en ce qui concerne Iwein, on songera plutôt à Clémence d’Auxonne) ou Béatrice de Bourgogne, épouse de l’empereur, ainsi que les dames de compagnie qui les auront accompagnées en Allemagne. Ce mécénat féminin pourrait expliquer, au moins partiellement, le parti pris affiché par Hartmann en faveur des femmes dans ses deux romans arthuriens. Toutefois cette revalorisation de la femme correspond également à une tendance qui marque une partie de l’Église et à l’explosion du culte marial dont l’influence est palpable dans Erec. L’œuvre de Hartmann eut un véritable retentissement dans toute la sphère germanophone à partir du XIIIe siècle. Dans son Tristan composé vers 1210, Gottfried de Strasbourg fait l’éloge de l’art narratif de Hartmann qui, selon lui, savait parfaitement construire ses récits tant au niveau de la forme que du fond. Gottfried insiste également sur la langue cristalline de Hartmann et sur le sens que celui-ci savait donner aux aventures (« der aventiure meine »), ce qui bien entendu évoque l’importance que Chrétien accordait à la « conjointure » (Gottfried de Strasbourg, Tristan, v. 46214637). Nombreux seront encore les auteurs à se référer à Hartmann : dès 1203-1210, Wolfram von Eschenbach fait allusion à Iwein et Erec dans son Parzival. Ces œuvres de Hartmann ont également influencé Wirnt von Grafenberg dans sa rédaction du Wigalois vers 1210-1220. Vers 1220, Heinrich von dem Türlin lui dédie une complainte funèbre dans Diu Crône (v. 2372-2437). Rudolf von Ems l’évoque également dans Alexander (vers 1230) ainsi que dans Willehalm von Orlens (vers 1240). Konrad von Stoffeln se réfère à plusieurs reprises à Iwein et à Erec dans Gauriel von Muntabel (vers 1270), et va jusqu’à mettre en scène un terrible combat entre Iwein, le Chevalier au Lion, et Gauriel, le Chevalier au Bouc. Le Pleier dans Meleranz (vers 1270), Albrecht von Scharfenberg dans la continuation qu’il a écrite du Titurel de Wolfram (vers 1260-75) ainsi qu’Ottokar de Styrie dans sa Chronique autrichienne en vers

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(Österreichische Reimchronik, composée vers 1310) font également allusion aux œuvres épiques de Hartmann tandis que le poète suisse von Gliers (deuxième moitié du XIIIe siècle) fait référence à ses œuvres lyriques. L’œuvre de Hartmann semble avoir profondément marqué la société aristocratique de l’époque. En témoignent les nombreuses fresques datant du milieu du XIIIe siècle qui représentent des scènes tirées d’Iwein : on les trouve au château de Rodenegg (actuellement Rodengo en Italie) et dans la salle de banquet du Hessenhof à Smalkalde. D’autres fresques représentant des scènes courtoises sont visibles au château de Runkelstein près de Bolzano ; l’une d’entre elles est dédiée à la triade des trois meilleurs chevaliers que sont Iwein, Parzival et Gawein (travail commandé par des patriciens du nom de Vintler vers 1393). Le tapis des Malterer, aujourd’hui conservé au Musée des Augustins à Fribourg-en-Brisgau et fabriqué vers 1320-1330, est consacré aux ruses féminines et aux hommes esclaves de l’amour. Deux scènes du tapis se rapportent à Iwein : elles montrent le combat opposant Iwein à Ascalon puis Lunete et Iwein se tenant devant Laudine désormais veuve (Lunete tient l’anneau magique, Laudine baisse la tête et joint les mains en signe de deuil). Enfin, certains motifs ornementaux d’une couronne conservée à Cracovie se rapportent à des scènes tirées d’Erec.

II - Le texte et la tradition manuscrite 1. Datation et tradition manuscrite Le roman d’Iwein est l’un des derniers textes – peut-être le dernier – que nous a légués l’adaptateur allemand, alors au sommet de son art. Le roman de Chrétien de Troyes, Le Chevalier au Lion, fut sans doute composé à la cour du comte de Champagne entre 1177 et 1181, parallèlement au Chevalier de la Charrette auquel il fait référence. Il est fort possible que Hartmann ait déjà connaissance du Chevalier au Lion lorsqu’il adapte son premier roman arthurien, Erec, vers 1180-1185. L’adaptation allemande du Chevalier au Lion doit sans doute être située dans la dernière décennie du XIIe siècle, même si aucune certitude n’existe à ce sujet, le seul terminus post quem nous étant donné par Erec. Elle est de toute façon antérieure à 1203. En effet, Wolfram von Eschenbach fait deux allusions dans son Parzival au conseil que Lunete donne à Laudine : elle incite sa dame à laisser en vie celui qui a tué son mari et à le prendre pour époux à la place du défunt afin qu’il la dédommage de la perte subie (Parzival, 253, 10-14 ; 436, 5-10). Or, on sait par une évocation qui est faite de la destruction des vignes d’Erfurt lors du siège de la ville en 1203 que le roman de Wolfram a été composé après cette date. L’interprétation que donne Wolfram du personnage de Lunete dans ces deux passages est justement celle que Hartmann voulait éviter : pour Wolfram, Lunete est une mauvaise conseillère qui pousse sa maîtresse à être déloyale et à oublier trop vite l’être aimé tout juste décédé.

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La tradition manuscrite indique clairement qu’Iwein a joui d’une grande popularité tout au long du Moyen Âge. Il nous est parvenu à travers 16 manuscrits complets ou quasiment complets et 17 fragments. Manuscrits : A : Heidelberg, Universitätsbibliothek, Cpg 397 (deuxième quart du XIIIe siècle) – Version A B : Giessen, Universitätsbibliothek, Hs. 97 (début du XIIIe siècle) – Version B D : Florence, Bibl. Nazionale Centrale, Ms. B. R. 226, fol. 142r – 192v (début du XIVe siècle) E : Berlin, Staatsbibliothek, mgf 1062, fol. 1r – 35r (début du XIVe siècle) J : Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. 2779, fol. 46r-68r (début du XIVe siècle) P : Cologne, Historisches Archiv der Stadt, Cod. W*6, fol. 119v (deuxième quart / moitié du XIIIe siècle) a : Dresden, Landesbibliothek, Mscr. M 175 (vers 1410-1415) b : Heidelberg, Universitätsbibliothek, Cpg 391 (XVe siècle) (très proche du manuscrit de Giessen, mais ne contient pas les ajouts propres à la version B) c : Heidelberg, Universitätsbibliothek, Cpg 316 (1477) d : Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Ser. Nova 2663 (Manuscrit d’Ambras), fol. 5v-22r (1504-1516/1517) f : Dresde, Landesbibliothek, Mscr M. 65, fol. 3r-85v (1415) l : Londres, British Library, MS Add. 19554, fol. 57r-100v (XVe siècle) p : Paris, Bibliothèque Nationale, Ms. allem. 115 (première moitié du XVe siècle) r : Rostock, Universitätsbibliothek, Ms. philol. 81 (vers 1477) u : Lindau, Stadtbibliothek, Cod. P II 61, copie du manuscrit de Giessen (1521) z : Nelahozeves, Lobkowiczká Knihovna (Bibliothèque Lobkowicz), Cod. R VI Fc 26, p. 299-404 (1464-1467) Fragments : C : Munich, Staatsbibliothek, Cgm 191 (milieu du XIIIe siècle) F : Linz, Landesbibliothek, Hs. 599 (deuxième quart du XIIIe siècle)

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G : Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, Hs. 34017 (vers 1300) H : Prague, Národní knihovna České republiky (Bibliothèque nationale de la République tchèque), Fragm. germ. 4 et Fragm. germ. 16 (XIVe siècle) K : Sigmaringen, Fürstl. Hohenzollernsche Bibliothek, Cod. 452 [disparu] (XIVe siècle) M :Kassel, Landes- und Murhardsche Bibliothek der Stadt, 2° Ms philol. 28[3 (XIVe siècle) N : Munich, Archives de l’archevêché de Munich et Freising, pas de cote [disparu] (XIIIe / XIVe siècle) O : Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Ser. Nova 316 (fin du XIIIe siècle) Q : Fulda, Archives du Monastère franciscain, lègue P. Gallus Haselbeck, Nr. 3 (première moitié du XIVe siècle) R : Meiningen, Staatsarchiv, HAV Nr. 478 (début du XIVe siècle) S : Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Ser. Nova 2693 (première moitié du XIVe siècle) T : Budapest, Bibliothèque de l’Académie Hongroise des Sciences, Fragm. K. 549 (première moitié du XIIIe siècle ?) U : St. Paul im Lavanttal, Bibliothèque abbatiale, Cod. 7/8 (moitié du XIIIe siècle) V : Kremsmünster, Bibliothèque abbatiale, Fragm. VI/275 (premier quart du XIIIe siècle) W : Enghien, Archives d’Arenberg, pas de cote (fin du XIIIe / début du XIVe siècle) X1 : Berlin, Staatsbibliothek, Hdschr. 402 (fin du XIIIe / début du XIVe siècle) X2 : Klagenfurt, Universitätsbibliothek, Perg.-Hs. 63 (XIVe siècle) 2. Les manuscrits de Heidelberg et de Giessen : versions A et B Il existe deux versions différentes du roman d’Iwein, A et B. La version A, telle qu’elle nous est transmise par le Codex palatinus germanicus 397 conservé à la bibliothèque universitaire de Heidelberg (Cpg 397), est un peu plus courte que la version B. La langue de A, très différente de celle de B, est l’allemand moyen tel qu’il était parlé dans la partie centrale de l’espace germanophone, avec une influence bas-allemande. Ainsi trouve-t-on dans A de nombreuses formes qui ne présentent pas les

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particularités propres aux dialectes haut-allemands parlés dans le sud de l’espace germanophone et ayant subi la deuxième mutation consonantique. Parmi les traits basallemands on notera par exemple : - /d/ pour /t/ ou /z/ : « dah » pour « tac » (jour), « bat » en alternance avec « baz » (mieux), « wider » pour « weter » (tempête), « dot » pour « tot » (mort) ; - /p/ pour /pf/ à l’initiale ou pour /f/ dans les autres positions : « pert » pour « pfert » (palefroi), « slep » pour « slief » (dormait), « halp » pour « half » (aidait) ; - /v/ pour /b/ : « geven » pour « geben » (donner), « biderve » pour « biderbe » (honnête). La version A offre un texte de moins bonne facture que B : les erreurs et les lacunes du copiste y sont fréquentes. Il n’est pas rare que le copiste confonde plusieurs vers, recopiant le début de l’un et la fin d’un autre. Ces erreurs attestent que ce manuscrit est la copie imparfaite d’un manuscrit plus ancien, aujourd’hui perdu. Par ailleurs, le manuscrit Cpg 397 est abîmé en plusieurs endroits ce qui rend difficile voire impossible la lecture de certains passages. Ainsi les quarante premiers vers sont-ils illisibles. Le manuscrit de Giessen (version B) est, semble-t-il, le manuscrit le plus ancien dont nous disposions : il date sans doute du début du XIIIe siècle et a été copié, comme en attestent les rares erreurs commises par le copiste (notamment certaines répétitions de vers, cf. les vers 2001 et 2002 ainsi que les deux vers qui ont été recopiés par erreur après le vers 4155), à partir d’un manuscrit allemand légèrement plus ancien, aujourd’hui disparu. Le texte dont nous disposons nous rapproche donc de la date à laquelle le roman a été composé et a peut-être été recopié alors que l’auteur était encore vivant. Si le manuscrit A paraît plus récent que B, la version qu’il contient est vraisemblablement la première version composée par Hartmann pour le mécène qui lui en a passé commande8. En effet, dans la version B certains vers contenus dans A et dont le sens était souvent redondant ou évident ont été supprimés. Par ailleurs, B contient des ajouts absents de A ainsi que du texte français, notamment la scène finale lors de laquelle Laudine se jette aux pieds d’Iwein pour lui demander pardon ou le passage évoquant le mariage de Lunete avec un duc puissant. Il en va de même pour certaines scènes reflétant une atmosphère courtoise : elles semblent avoir été rajoutées par la suite (cf. v. 6842-6863 et v. 6884-6931). Il est possible que ces modifications soient le fait de Hartmann lui-même ou de l’un de ses élèves qui, travaillant 8

Thèse défendue par V. Mertens, Laudine. Soziale Problematik im ‘Iwein’ Hartmanns von Aue, Berlin, E. Schmidt Verlag, 1978, p. 10-11. Il n’était pas rare, explique V. Mertens, que l’auteur donne un exemplaire à son commanditaire et qu’il garde pour lui les esquisses et un second exemplaire de l’œuvre. Ne pourrait-on pas imaginer que Hartmann ait également eu le privilège de conserver le manuscrit français ? Cela expliquerait pourquoi dans cette seconde version les ajouts faits au texte le sont souvent à partir d’éléments présents chez Chrétien.

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dans l’esprit du maître, aura voulu en parachever l’œuvre. Peut-être sont-elles simplement dues à l’initiative d’un scribe9. Selon Joachim Bumke, ces modifications ont pu être apportées par le rédacteur de *B (la première version de B, aujourd’hui disparue), qui disposait sans doute d’un manuscrit français contenant Le Chevalier au Lion. En effet, comme l’a démontré Bumke, ces ajouts, s’ils ne sont pas présents dans le roman français, ont pour points d’ancrage des éléments déjà contenus par la source française, éléments que l’adaptateur développe considérablement10. Rien n’interdit de penser que le rédacteur de *B exécutait son travail sous la direction et la dictée de Hartmann, ce qui expliquerait également la présence du manuscrit français et le fait que ces changements correspondent en général à l’esprit que le poète allemand confère à ses œuvres11. Aucune réponse définitive ne peut être apportée au sujet de l’existence de deux versions différentes, A et B, d’un même roman (un problème similaire se pose d’ailleurs pour Erec). On ne peut que rejoindre l’avis de Bumke : il existe bien deux versions qui sont aussi authentiques l’une que l’autre12 . Un certain nombre de manuscrits reprennent tous les ajouts de B (c’est le cas de u qui est une copie de B) ou n’en adoptent qu’une partie (a et d). Le manuscrit de Giessen est particulièrement soigné ; il a été écrit par un seul copiste, les caractères sont des minuscules gothiques tracées de manière très régulière. Chaque page a des marges larges et ne comporte qu’une colonne de vingt-six vers, ce qui est rare pour un ouvrage de cette époque. La petite taille du manuscrit, sorte de format de poche médiéval (12,6 x 8,5 cm), nous indique qu’il était essentiellement destiné à la lecture personnelle. Peut-être s’agissait-il du manuscrit appartenant à une dame13. En effet, les femmes de l’aristocratie recevaient souvent une éducation intellectuelle plus poussée que les hommes, dont la formation se limitait généralement à l’art de la guerre et de la chasse, et elles savaient lire ce qui était plus rarement le cas de leurs maris. Ce format réduit permettait également de diminuer le coût de l’œuvre puisqu’un manuscrit au format in-douze nécessitait six à huit fois moins de peaux qu’un grand in-folio. Les initiales de chaque vers se détachent d’une marge, ceci

9 Dans le dernier ajout relatant l’union de Lunete avec un puissant duc, le texte évoque Dame Fortune, « frou sælde » (v. 8214), ce qui ne correspond guère au sens que Hartmann accorde habituellement à la notion de « sælde », de chance accordée par Dieu. Cet indice ne suffit cependant pas pour remettre en cause la paternité de Hartmann pour ce passage. 10 J. Bumke, Die vier Fassungen der Nibelungenklage. Untersuchung zur Überlieferungsgeschichte und Textkritik der höfischen Epik im 13. Jahrhundert, Berlin / New York, De Gruyter, 1996, p. 39-42. On peut également se reporter à Jürgen Wolf, Buch und Text, op. cit., p. 303. 11 Le manuscrit B n’a, quant à lui, pas pu être rédigé sous le contrôle de Hartmann, comme en témoigne l’erreur relative au nom propre Urien qui devient Frien (cf. note relative au vers 1196). 12 J. Bumke, Die vier Fassungen, op. cit., p. 42. 13 Cette hypothèse est également émise par Ulrich Seelbach qui suggère que le propriétaire de ce manuscrit devait être une dame issue d’une maison princière ou comtale du sud de l’Allemagne. À l’instar de Volker Mertens, U. Seelbach établit un parallèle avec la scène du verger lors de laquelle une noble demoiselle fait la lecture à ses parents, cf. v. 6446 sq. (Ulrich Seelbach, Ein mannigfaltiger Schatz : Die mittelalterlichen Handschriften, Giessen, 2007 – Berichte und Arbeiten aus der Universitätsbibliothek und dem Universitätsarchiv Giessen, N. 58, p. 61).

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correspond à une tradition venue de France et est d’un usage récent en Allemagne au début du XIIIe siècle. La mise en page se veut donc moderne et semble s’inspirer directement des ouvrages français. La ressemblance est d’ailleurs évidente entre la mise en page du manuscrit de Giessen et celle du plus ancien manuscrit dont nous disposions d’un texte de Chrétien, le manuscrit 942 de la Bibliothèque Municipale de Tours contenant plus de 4000 vers de Cligès et datant lui aussi du début du XIIIe siècle. Le fragment de Linz (F) est réalisé sur le même modèle et est sans doute issu du même scriptorium14. Hormis quelques différences ponctuelles et minimes15, le fragment de Linz offre le même texte que B, auquel il est légèrement postérieur, et semble avoir la même structure d’ensemble : trois des quatre lettrines que comprend le fragment, et qui marquent l’articulation du texte, sont placées au début des vers identiques dans B. Le manuscrit de Giessen s’ouvre sur une lettrine sur fond doré, elle occupe huit lignes et représente un dragon en forme de S. Une autre lettrine mérite d’être signalée : il s’agit d’un K (fol. 4r) qui se prolonge par un décor floral raffiné. Celui-ci occupe toute la hauteur de la page et semble représenter un arbre au pied duquel on distingue deux animaux difficilement identifiables (un loup ou un renard ainsi qu’un autre animal, peut-être une belette, se fixent l’un l’autre). Il est possible que ce dessin anticipe la rencontre de Calogreant et de l’homme sauvage dans la forêt (fol. 8v)16. Des lettrines lombardes marquent l’articulation du texte : elles occupent trois lignes, les lettrines rouges et bleues alternent de manière régulière et ont été réalisées avec soin jusqu’au folio 79v qui comporte encore une lettrine bleu indigo au décor floral. Les initiales fleuronnées, fréquentes au début du manuscrit, sont très rares en Allemagne à cette époque et constituent un indice supplémentaire allant dans le sens d’une quête de modernisme. Les artisans œuvrant dans le scriptorium où fut réalisé ce manuscrit cherchaient à s’aligner sur les standards français. Ce manuscrit a donc pu être réalisé dans un scriptorium dans lequel on disposait d’un manuscrit français et on se serait efforcer de donner la version la plus parachevée du roman17. À partir du folio 81v l’artiste qui exécute les lettrines de B n’est plus le même : en effet, les lettrines sont beaucoup moins bien réalisées, parfois mal positionnées et seules certaines lettrines rouges ont été peintes tandis que de nombreuses autres ont été uniquement esquissées à la mine de plomb. Les lettrines destinées à être bleues ne sont même plus tracées. 14

Cf. J. Wolf, Buch und Text, op. cit., p. 90. Ainsi note-t-on l’emploi de « ors » dans F au lieu de « ros » dans B (v. 4964), ou l’emploi du temporel « als » dans F, plus moderne que « do » dans B (v. 4978), ou du substantif « brucke » dans F au lieu du « bruoke » de B (v. 4965). On trouve également au vers 4937 de B : « wandez was wol iæmerlich. » tandis que le vers équivalent de F est le suivant : « wan es ist gnuoc iæmerlich. », les deux leçons demeurent cependant identiques du point de vue du sens. De tels écarts entre le manuscrit de Giessen et le fragment de Linz sont exceptionnels. On remarque dans les deux documents le même recours fréquent à la graphie /ch/ pour /k/ (« chomen », v. 4978). 16 Cf. Hartmann von Aue, German Romance III. Iwein or the knight with the lion, edited and translated by Cyril Edwards, Cambridge, D. S. Brewer, 2007, p. XXIII. 17 C’est ce que suggère Jürgen Wolf au sujet du manuscrit de Giessen, Buch und Text, op. cit., p. 302 sq. 15

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Même les traits de fuite et les décors ont été exécutés hâtivement et avec beaucoup moins de soin que précédemment (fol. 83v). Il est également notable que le folio 158v contienne un S exécuté à l’encre rouge et marqué par un trait de fuite là où le texte exige un H. Le manuscrit, même s’il est très bien conservé dans l’ensemble, comporte deux lacunes : les folios 90 à 92 ainsi que le folio 131 ont été perdus et remplacés en 1531 par de nouvelles feuilles complétant « les lacunes » par des vers en dialecte bavarois recopiés « à partir d’un vieux livre ». L’auteur de ces rajouts concède qu’il y a « peutêtre de nombreuses erreurs » (remarque ajoutée en bas du folio 92v18). Les mêmes lacunes se retrouvent dans le manuscrit de Lindau (u) car le copiste qui, en 1521, a recopié le manuscrit de Giessen n’a pas tenu compte des feuilles manquantes et n’a pas tenté de les compléter en se référant à un autre manuscrit19. Les passages lacunaires ont été complétés dans notre édition par la leçon correspondante de A. La langue de B est un moyen haut-allemand normalisé20 si bien qu’il est impossible d’en donner une localisation tout à fait précise et certaine. Il est évident que les auteurs médiévaux étaient conscients des particularités liées aux différents dialectes et cherchaient à les effacer afin de pouvoir être compris par le public le plus large possible. On constate cependant les traits suivants : - l’emploi fréquent de la graphie /ch/ pour /k/ en position initiale ou finale (« chuomber » / « kuomber ») ; - l’utilisation fréquente de /c/ à la place de /z/ (« herce » pour « herze ») ; - la gémination de certaines consonnes fricatives (« lieffen », « muezzen ») ; - le recours à la diphtongue /uo/ à la place du /u/ bref (« kuomber » pour « kumber »). Pour certains spécialistes, le texte trahit une influence alémanique, pour d’autres il s’agit de bavarois tandis que d’autres encore penchent pour du souabe oriental. Ainsi remarque-t-on que des formes alémaniques (« stan » ou « gan » à la rime) côtoient des formes bavaroises (« sten » ou « gen » en milieu de vers). On distingue cependant quelques traits alémaniques, plus précisément souabes, notamment l’emploi de « dez » au lieu de « daz » aux vers 458 et 3663. Peut-être a-t-on affaire avec le manuscrit de Giessen à la copie alémanique d’un manuscrit bavarois21. La région 18

« 1531 11 septem. hab ich den defect erfilt aus aim alten buoch. Vileicht vil falsch ». Cf. E. Henrici, « Die Iweinhandschriften I », Zeitschrift für deutsches Altertum 29 (1885), p. 112-115, en particulier p. 115. H. Graser, « Vom Mittelhochdeutschen zum Frühneuhochdeutschen. Das Reim-Problem in der Lindauer ‚Iwein‘-Handschrift », in Forschungen zur deutschen Literatur des Spätmittelalters. Festschrift für Johannes Janota, hrsg. von Horst Brunner, Werner Williams-Krapp, Tübingen, Niemeyer, 2003, p. 265-298, en particulier p. 265-268. 20 Cf. H. Graser, op. cit., p. 294. 21 Cf. Hartmann von Aue, German Romance III. Iwein, edited and translated by Cyril Edwards, op. cit., p. XXI. 19

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d’origine du manuscrit pourrait être celle qui borde le Lac de Constance, zone à la confluence de ces différentes variantes dialectales.

III – Structure et contenu du roman Contrairement au premier roman arthurien qu’il avait adapté en allemand, Hartmann a pris grand soin dans Iwein de respecter la structure et la cohérence du texte source. Le roman est clairement marqué par une division en deux parties, et dans la seconde partie, l’adaptateur opte comme Chrétien pour la technique de l’entrelacement. Ce schéma se répète deux fois dans la seconde partie : une première aventure est amorcée (1.1 ou 3.1), puis vient s’intégrer une deuxième aventure (2 ou 4), après quoi la première aventure trouve son dénouement (1.2 ou 3.2). Structure du roman : Vers 1-30 : Prologue dont le schéma traditionnel est inversé : le prologus ante rem (Arthur, v. 1-20) précède le prologus praeter rem (Hartmann a composé cette histoire, v. 21-30). Première partie : l’aventure de la fontaine Vers 31-984 : À la cour d’Arthur, Calogreant fait le récit d’une aventure déshonorante qui lui est advenue jadis à proximité d’une fontaine merveilleuse. À travers sa défaite, c’est la cour d’Arthur qui est humiliée si bien que le roi décide de se rendre à la fontaine quinze jours plus tard, accompagné de son armée. Secrètement Iwein décide d’y aller seul, dès le lendemain, afin de venger son cousin et d’acquérir gloire et honneur. Vers 985-1114 : Victoire d’Iwein sur Ascalon qui, mortellement blessé, tente de trouver refuge dans son château. Vers 1115-2416 : Iwein est prisonnier au château d’Ascalon. Grâce à l’aide de Lunete, il échappe à ses poursuivants et gagne la main de la reine ainsi qu’une terre : il épouse Laudine, veuve d’Ascalon et héritière du royaume. Vers 2417-3022 : On organise une fête et des tournois pour célébrer le mariage tandis que le mort est enterré et oublié. Arthur et ses chevaliers arrivent à la fontaine merveilleuse : Iwein vainc le sénéchal Key lors d’une joute. La société arthurienne est accueillie à la cour de Laudine qui reconnaît alors avoir fait le choix du bon mari. Gawein s’entretient avec Iwein et le persuade de partir à l’aventure avec lui. Victime d’un don contraignant, Laudine accorde à son époux un délai d’un an.

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Crise  Vers 3023-3232 : Par la faute de Gawein, Iwein oublie le délai qui lui a été accordé par Laudine. Tandis que les deux chevaliers se reposent devant le château d’Arthur, Lunete, la conseillère et messagère de Laudine, arrive au galop. En public, devant le roi et sa cour, elle accuse Iwein de félonie, lui annonce que Laudine le répudie et lui retire l’anneau que la reine lui avait offert. Iwein perd la raison, se dépouille de ses vêtements et s’enfuit dans la forêt. Vers 3233-3687 : En proie à la folie, il vit comme un homme sauvage. Il ne trouve d’aide qu’auprès d’un ermite jusqu’au jour où la dame de Narison accompagnée de deux demoiselles le découvre. Il est soigné grâce à un onguent magique, préparé jadis par la fée Morgane. Deuxième partie Première série d’aventures : Vers 3688-3777 : Iwein a repris son apparence de chevalier et délivre la dame de Narison des attaques du comte Aliers. Celui-ci, vaincu, s’engage à réparer les dégâts infligés à la dame de Narison et demande pardon. Vers 3778-3901 : Malgré les honneurs qui lui sont faits, Iwein quitte le château de Narison et pénètre dans une forêt. Là, il assiste au combat entre un lion et un serpent : après une courte hésitation, il prend le parti de l’animal noble et tue le serpent. Le lion reconnaissant le suit et le sert désormais comme un fidèle compagnon. 1.1 – Vers 3902-4339 : Le hasard conduit Iwein à la fontaine merveilleuse de Laudine. C’est à cet endroit qu’il recouvre la mémoire et prend conscience de sa faute et de toutes ses conséquences. Peu s’en faut qu’il ne redevienne fou. À côté de la fontaine, dans la chapelle, Iwein découvre une demoiselle prisonnière. Il promet son aide à celle qui s’avère être Lunete. Accusée par le sénéchal de la reine d’avoir trahi Laudine et n’ayant pu trouver de champion pour défendre sa cause, Lunete doit être brûlée vive le lendemain. Iwein s’engage à revenir afin de délivrer Lunete de ce supplice. 2 – Vers 4340-5113 : Iwein quitte Lunete et est accueilli par un châtelain dont la femme n’est autre que la sœur de Gawein. Un géant, Harpin, convoite la fille du couple ; il a déjà tué deux de leurs fils et fait prisonniers les quatre autres. Le lendemain, à l’aube, Iwein tue le géant avec l’aide du lion et délivre les quatre fils du châtelain. 1.2 – Vers 5114-5519 : Iwein quitte précipitamment ceux qu’il vient de délivrer du géant et retourne incognito dans le royaume de Laudine. Il arrive juste à temps pour délivrer Lunete des hommes qui veulent la conduire sur le bûcher : secondé par le lion, il tue le sénéchal de Laudine et vainc ses deux frères lors d’un duel judiciaire. Après une longue conversation lors de laquelle le Chevalier au Lion explique à Laudine qu’il

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subit la colère de sa dame et qu’il aspire à regagner sa grâce, il la quitte sans qu’elle l’ait reconnu. Seconde série d’aventures : 3.1 – Vers 5520-6059 : Alors qu’il erre à l’aventure, accompagné de son lion blessé, il est accueilli dans un château où il demeure quinze jours. Une fois le lion rétabli, Iwein quitte son hôte et est rejoint sur la route par une demoiselle qui lui demande de venir en aide à la sœur cadette de Noire Épine dans la querelle d’héritage qui l’oppose à sa sœur aînée. Iwein lui accorde ce qu’elle demande. 4 – Vers 6060-6875 : Les trois compagnons parviennent dans un château gardé par un coquin et habité par un couple de nobles et leur fille. À l’intérieur du château, il découvre trois cents demoiselles nobles, prisonnières de deux géants qui les font travailler dans des conditions misérables et indignes de leur statut. Iwein s’engage à leur venir en aide. Le lendemain, secondé par son lion, il combat les deux géants et délivre les demoiselles. 3.2 – Vers 6876-7859 : Iwein retourne à la cour d’Arthur. Après avoir laissé son lion en chemin, il participe à un duel judiciaire afin de défendre les intérêts de la cadette de Noire Épine : Iwein et Gawein se livrent un combat sans toutefois se reconnaître. Après une pause lors de laquelle ils se dévoilent mutuellement leur identité, Arthur proclame la victoire d’Iwein et rétablit la cadette dans ses droits. Grâce à l’arrivée impromptue du lion, Gawein reconnaît que celui qui est venu en aide à sa sœur n’était autre qu’Iwein lui-même. Les deux amis sont soignés par les médecins que convoque Gawein et reprennent des forces à la cour d’Arthur. Epilogue  Vers 7860-8253  : Iwein retourne secrètement dans le royaume de Laudine. Il déclenche une tempête dévastatrice qui emplit d’effroi les sujets de Laudine. Ceci permet le retour sur scène de Lunete qui a recours à une nouvelle bonne ruse : elle conseille à la reine de demander l’aide du chevalier qui a tué le géant (Harpin). La reine accepte et fait le serment de tout entreprendre pour que la dame du chevalier lui accorde son pardon. Lunete retrouve Iwein à la fontaine et le conduit à sa dame. Prisonnière du serment qu’elle a fait, Laudine lui pardonne (B : elle lui demande également pardon). Lunete est récompensée pour sa loyauté (B : elle épouse un duc puissant). L’auteur allemand a ainsi repris le sens qui était intiment lié à la structure du roman de Chrétien : dans la seconde partie du roman, le héros montre qu’il a évolué et a appris à tenir parole, à respecter les engagements qu’il a pris et les délais qu’on lui impose. Comme dans la source française, il se porte au secours des dames sans défense

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et des chevaliers dans la détresse. Contrairement à la technique qu’il utilisait fréquemment dans Erec, Hartmann ne dévoile pas les noms des personnages à l’avance mais, à l’instar du maître champenois, révèle leur identité à retardement. Ainsi le nom d’Ascalon n’apparaît pour la première fois qu’au vers 2270, lorsque Lunete apprend à Iwein qu’il vient de tuer le roi Ascalon. Il en va de même pour le nom de Laudine qui n’est évoqué que lors du mariage avec Iwein au vers 2417, pour celui de sa demoiselle de cour, Lunete, mentionné au vers 2711, ou encore pour celui de la dame de Narison qui n’apparaît qu’au vers 3795, à la fin de l’aventure contre le comte Aliers. Enfin, malgré cette fidélité à la « conjointure » du texte français, il ne peut opérer le même jeu de miroir que Chrétien : tandis que dans l’œuvre française l’enlèvement de Guenièvre renvoie à l’action du Chevalier de la Charrette, la parenthèse présente dans le texte de Hartmann ne se rapporte à aucun autre texte parallèle composé par le même auteur. À l’époque, seul Ulrich von Zatzikhoven a composé un Lanzelet à partir d’un livre français qui lui a été prêté par un certain Hugues de Morville, otage remis à l’empereur d’Allemagne dans l’attente du paiement intégral de la rançon versée par Richard Cœur de Lion. Ce texte présente cependant une version plus archaïque du roman de Lancelot, bien différente du roman composé par Chrétien. Bien qu’il ait repris le schéma global de l’œuvre française et respecté l’enchaînement des aventures, Hartmann donne une signification nouvelle au texte qu’il adapte. Il procède à toute une série de retouches, amplifiant certains thèmes ou motifs à peine suggérés dans le texte français, pour finalement considérablement infléchir le sens de sa source. C’est en cela que réside l’un des principes de la réécriture hartmannienne : l’adaptateur part d’un détail présent dans le texte français, le développe, le transforme ou le déplace pour aboutir à un remaniement profond du texte français et à un sens nouveau. Ainsi opère-t-il un changement radical en réorientant d’emblée le texte de Chrétien : la problématique essentielle traitée par l’auteur champenois est celle de la relation entre prouesse et amour. Dès le prologue, Chrétien axe son récit sur les souffrances imposées par Amour et, dans une laudatio temporis acti, déplore qu’Amour soit abaissé, réduit au rang de fable, et que les qualités des amoureux de jadis aient disparu, faisant place au mensonge (Chevalier au Lion, v. 12-2822). La perspective de Chrétien reflète la valorisation de l’amour propre au discours courtois : l’amour vrai est une force qui élève l’âme, rend courtois, honnête, preux et généreux. Se détournant de la situation actuelle, d’une conception avilie de l’amour, Chrétien choisit de raconter les amours d’antan et proclame, en reprenant un dicton, qu’un homme courtois mort vaut mieux qu’un vilain en vie (ibid., v. 31-32). La leçon de morale dont est porteuse la matière arthurienne aura donc trait à l’amour et à ses implications au sein de la société chevaleresque.

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Pour les textes de Chrétien, nous nous référons à l’édition suivante : Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, édition publiée sous la direction de Daniel Poirion, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1994. Le manuscrit utilisé pour l’édition du Chevalier au Lion est la copie dite de Guiot (H), BN fr. 794.

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Le prologue composé par Hartmann n’accorde aucune place à l’amour. De la même façon, lors de l’épisode mettant en scène les trois cents ouvrières, Hartmann renoncera à évoquer le contraste entre les vrais amants d’autrefois et les gens d’aujourd’hui qui ne savent pas aimer (ibid., v. 5396-5398). L’adaptateur allemand ne semble pas goûter la préciosité dont fait parfois preuve Chrétien dans ces morceaux consacrés à l’amour. Dans le prologue de l’œuvre allemande, l’éloge des temps passés vise uniquement à vanter l’esprit chevaleresque du roi Arthur qui a su acquérir la gloire et mener une existence exemplaire. D’emblée, la perspective abordée est celle de la chevalerie et Arthur y apparaît comme un parangon de vertu et un modèle présenté à ceux qui veulent fuir la honte et l’ignominie. Alors que Chrétien relativise la renommée d’Arthur immédiatement après l’avoir mentionnée, Hartmann ne fait suivre cet éloge d’aucune critique, avant d’enchaîner sur sa situation personnelle et de se présenter. Tandis que Chrétien préfère le passé au présent, la courtoisie d’antan à la vilenie actuelle, Hartmann proclame la supériorité des temps présents sur les temps anciens, de la fiction poétique sur la réalité des faits vécus à l’époque d’Arthur. Nous avons là les caractéristiques principales qui vont marquer l’œuvre allemande : l’adaptateur ne traite plus en premier lieu de la relation entre amour et prouesse mais fait passer au premier plan la chevalerie et la conception idéalisée qu’il s’en fait. Le sujet est d’actualité, si le passé est évoqué c’est uniquement dans un but didactique. La « sælde », la félicité qui, chez Hartmann, est souvent un don dispensé par Dieu, est intimement liée à la notion d’honneur23. Cette association « sælde » / « ere » constituera l’un des leitmotivs du roman à côté des notions de souffrance partagée et de compassion. Par ailleurs, l’adaptateur rehausse l’image du roi Arthur et à travers lui celle de la royauté. Enfin, il discute avec sa source et traite certains motifs qu’il lui emprunte de manière fondamentalement différente. C’est en cela qu’Iwein constitue l’œuvre la plus aboutie de Hartmann : tout en restant fidèle à la « conjointure » du roman français, c’est-à-dire à sa structure et à l’enchaînement cohérent des aventures, il a su en déplacer les enjeux et, par de nombreuses retouches, en infléchir le sens global.

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Cf. T. Cramer, « „Sælde“ und „êre „in Hartmanns Iwein », Euphorion 60, 1966, p. 30-47.

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IV - Chrétien de Troyes et Hartmann : le processus d’adaptation 1. Le récit de Calogreant et l’humour de Hartmann Hartmann a repris assez fidèlement le récit que Calogrenant donne de ses déboires à la fontaine. À l’instar de l’auteur français, l’adaptateur allemand s’adresse à son public à travers le passage didactique sur les auditeurs qui savent écouter avec leur cœur, c’est-à-dire comprendre le sens de l’histoire (Chevalier au Lion, v. 153-172 ; Iwein, v. 243-258). Dans les deux romans, le modèle est biblique (Mt 13, 14) et cette adresse constitue un topos de la littérature médiévale destiné à inciter le public à se taire et à écouter avec attention. Hartmann a su conserver le même style alerte et humoristique que Chrétien : lui aussi nous décrit un chevalier qui, s’il est tout sauf un héros, n’en demeure pas moins sympathique et sait faire preuve de suffisamment de distance vis-à-vis de lui-même pour oser raconter cette aventure peu flatteuse aux membres de la cour. C’est sans doute cette distance, due aux années qui se sont écoulées entretemps, et cette humilité qui, dans les deux œuvres, constituent le charme du chevalier : « une fois lancé dans le récit de ses aventures il se révèle comme un conteur expert et en même temps un homme charmant. Il parle de sa ‘honte’ sans le moindre amour propre »24. À l’instar de Calogrenant, le chevalier allemand sait dévoiler progressivement la rude épreuve (« swære », v. 94), la honte (« laster », v. 691, 755, 788, 794 ; « scham », v. 754) et la souffrance (« leit », v. 691) dont il a été victime dix ans plus tôt. Le décor est caractéristique de l’aventure chevaleresque : un chevalier seul, en armes, traverse une nature hostile, une forêt broussailleuse aux sentiers étroits, avant de déboucher dans une lande et de découvrir un château dans lequel il sera accueilli. Dans les deux œuvres, il choisit le chemin de droite et parvient ainsi chez un châtelain qui lui offre l’hospitalité. Plus tard, lorsque le chevalier se dirigera vers la fontaine après en avoir appris l’existence par l’homme sauvage, Hartmann précisera cependant qu’il prendra le chemin de gauche (Iwein, v. 597), celui de la difficulté liée à l’aventure (chez Chrétien, le héros se contentera de suivre un chemin qui le mène tout droit à la fontaine, Chevalier au Lion, v. 374). L’adaptateur allemand a déjà utilisé ce motif dans Erec, lorsque le héros choisit la voie qui le mène à la Joie de la Cour. L’accueil courtois que lui réserve le châtelain et la présence de la jeune demoiselle avenante et gracieuse, qui aide Calogreant à se désarmer et à revêtir des habits courtois, préfigurent, à un degré moindre, l’atmosphère du château dans lequel sont retenues les trois cents ouvrières et les égards dont le châtelain, sa femme et sa fille feront alors preuve envers Iwein. Là encore, ce n’est pas sans humour que Calogreant évoque les sentiments qu’il éprouve aussitôt pour la demoiselle et les regrets qu’il aura à devoir la quitter. Si chez Chrétien cet intermède recèle certaines zones d’ombre, sur les24

B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le chevalier au lion), tome I, vv. 1-3411, Genève, Droz, 1986, p. 65.

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quelles nous reviendrons, il constitue chez Hartmann une véritable parenthèse courtoise permettant au chevalier de bénéficier de l’hospitalité d’un seigneur dénué de toute arrière-pensée. C’est sur le même ton léger et humoristique que Calogrenant / Calogreant relate sa rencontre avec l’homme sauvage, gardien du troupeau d’animaux sauvages – réduits chez Hartmann à des taureaux et des aurochs –, et la peur que cet être gigantesque et difforme lui inspire. Hartmann adopte là encore le style vivant auquel Chrétien a recours dans le dialogue entre l’homme sauvage et le chevalier : l’échange de paroles est haché, rapide, et confère une véritable vivacité au roman. À l’instar de l’auteur champenois, il opte pour le tutoiement ce qui est normal dans ces circonstances : le chevalier tutoie le vilain auquel il s’adresse et le vilain, qui ne connaît pas les normes courtoises et le vouvoiement, répond également en le tutoyant. Dans les deux textes, les ressorts de l’humour demeurent les mêmes : l’être rustre, qui ne connaît rien à la chevalerie et à l’aventure, va indiquer à Calogrenant / Calogreant les détails de la « coutume » qu’il doit affronter et dont découle l’intrigue du roman. Dans la description qu’il fait de la fontaine merveilleuse, Hartmann reste là encore très proche de sa source. Il se contente de rajouter quelques éléments propres au locus amoenus tel qu’il apparaît dans la littérature allemande contemporaine. Il évoque ainsi la présence d’un tilleul là où Chrétien parle du plus bel arbre ou du plus beau pin. Dans le Tristan de Gottfried de Strasbourg, composé peu de temps après Iwein, la nature idyllique qui sert de refuge aux amants compte également « trois tilleuls branchus »25. Dans la même perspective, Hartmann ne fera pas mention des vers qui, chez Chrétien, constituent une allusion au Roman de Rou de Wace (Chevalier au Lion, v. 575 sq.), un texte que le public allemand ne connaît pas. Hormis quelques autres modifications, somme toute assez mineures et sur lesquelles nous reviendrons dans la suite de cette introduction, Hartmann est donc resté fidèle au texte français. Même l’affrontement entre Calogreant et le gardien de la fontaine se déroule sur le même mode, seuls quelques détails ont été transformés. Après avoir déclenché la tempête en versant de l’eau sur la pierre, Calogreant entend le bruit terrible du galop de son adversaire. Là encore, le ton du conteur est vivant. Calogreant, et à travers lui Hartmann, interpelle directement ses auditeurs afin de capter leur attention : « Voyez comme j’ai été abusé par mon illusion. » (Iwein, v. 690), « Voyez comme un chevalier chevauche en ma direction. » (ibid., v. 692 sq.). Hartmann respecte la teneur et le ton des paroles que tient le chevalier inconnu. Dans les deux romans, les arguments avancés par le chevalier qui attaque Calogrenant / Calogreant sont d’ordre judiciaire : il reproche à l’intrus de ne pas avoir respecté les règles de la guerre, qui veulent que tout combat soit précédé d’un défi en bonne et due forme, et d’avoir ravagé ses terres sans raison. Il considère donc qu’il a 25

Gottfried de Strasbourg, Tristan et Isolde, texte traduit et présenté par Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok, in Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, édition publiée sous la direction de Christiane Marchello-Nizia, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1995, p. 600.

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été injustement agressé et qu’il est en droit de se venger. Chez Chrétien comme chez Hartmann, deux logiques s’affrontent. Il y a d’un côté la logique de la coutume qui veut que le combattant soit confronté à un processus qui, tel un sortilège, se répète sans cesse jusqu’à ce que l’arrivée d’un chevalier élu permette d’y mettre fin. Ceci correspond à un schéma d’ordre légendaire : il s’agit en général d’une (mauvaise) coutume qui impose ses propres règles au chevalier qui vient s’y mesurer. En ce sens, cet épisode préfigure celui du château aux trois cents ouvrières. Ce schéma relève du fonds légendaire celtique dans lequel Chrétien a puisé pour écrire son roman. Cette coutume reflète un mythe d’idonéité : seul le chevalier digne d’être le nouveau souverain de cette terre pourra en vaincre le gardien et épouser la reine. De l’autre côté, il y a le droit féodal qui impose des règles propres à la guerre médiévale. Toute agression doit en principe être précédée d’une déclaration de guerre. Nous sommes donc confrontés à deux schémas, normalement étrangers l’un à l’autre, que Chrétien – et à sa suite Hartmann – parvient à réunir ici. Le roman allemand se plaît à souligner l’impuissance et la crainte de Calogreant face à ce chevalier qui lui paraît si terrifiant. D’emblée Calogreant souligne l’aspect effrayant de celui qu’il va affronter, sa voix semblable au son d’un cor rappelle d’ailleurs le personnage de Mabonagrin, le géant qu’affronte Erec dans le roman éponyme. Dans le texte français, Calogrenant n’indique la grande taille du chevalier qu’au moment où la joute va commencer. De plus, il ne remarque véritablement la supériorité et la puissance de son adversaire que pendant le combat, évoquant la lourde lance de l’adversaire qui le jette à terre. Calogreant semble beaucoup plus lucide et prudent. Il laisse entendre dès l’apparition de son adversaire que celui-ci lui est bien supérieur et le compare à une véritable armée. Les propos qu’il tient par la suite vont dans le même sens : face à ce chevalier, il n’avait aucune chance et, malgré sa bonne volonté, il ne pouvait que perdre. Ceci explique pourquoi il tente – sans succès – de négocier, alors que dans le roman français les deux chevaliers s’affrontent dès que le gardien de la fontaine a fini de parler. Hartmann évoque d’ailleurs très rapidement la joute que se livrent les deux hommes. Cependant, la conscience que Calogreant a pris de l’humiliation qu’il a subie, le jugement négatif qu’il porte à plusieurs reprises sur sa sottise de jadis, sur « l’illusion » et le déshonneur dont il fut victime, la distance qu’il a prise par rapport aux événements passés, distance plus marquée dans le texte allemand que dans le texte français, tout ceci suggère qu’il fait preuve désormais d’une certaine sagesse et n’est plus aussi naïf que lors de cette malheureuse aventure. Les modifications apportées à la description de la scène de combat semblent donc mues par la volonté d’accentuer l’aspect humoristique du passage. Plus l’auditoire comprend que Calogreant n’a aucune chance et que sa cause est d’emblée désespérée face à la puissance de l’adversaire, plus la scène en devient comique. C’est effectivement la lucidité et la distance ironique dont fait preuve Calogreant qui rendent possible cet humour, plus encore que chez Chrétien.

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Cependant l’ironie dont Calogreant fait preuve envers lui-même demeure une exception dans le roman allemand. À la différence de Chrétien, l’humour de l’adaptateur allemand s’exerce peu aux dépens des personnages principaux, surtout s’ils sont nobles et chevaliers. La perspective de Hartmann qui, de manière générale, tend à valoriser la sphère courtoise explique bien des modifications opérées dans le texte. Ainsi Iwein est-il beaucoup moins ambigu et prête moins le flanc à la critique qu’Yvain, car nombre de propos ironiques ont été gommés par Hartmann. Notons, par exemple, que lorsqu’Yvain décide de se rendre seul à la fontaine merveilleuse, le narrateur évoque non sans humour l’attrait érotique que la jeune fille du châtelain exerce sur lui : il lui tarde de voir cette demoiselle courtoise « qui est très avenante et belle »26. Hartmann ne retient pas le sous-entendu ironique du passage et indique simplement qu’Iwein ira voir la jeune demoiselle, « la fille du noble châtelain », car « tous deux sont si courtois » (Iwein, v. 926-928). Cette revalorisation de la sphère courtoise touche également la caractérisation du vavasseur qui accueille Calogrenant / Calogreant alors que celui-ci est en quête d’aventures. Lorsque le chevalier quitte la forêt pour arriver en Brocéliande, il est hébergé, nous l’avons dit, par un châtelain fort courtois ainsi que par sa jeune fille, belle et distinguée. Au début du passage, Hartmann respecte le texte français dans le moindre détail : il évoque l’autour mué que le noble châtelain porte sur son poing, le disque sur lequel il frappe pour faire venir les gens du château afin qu’ils prennent soin de leur hôte, ainsi que la jeune femme cultivée qui désarme le chevalier et lui tient compagnie jusqu’à l’heure du souper. Comme ce sera le cas pour les autres seigneurs évoqués au fil du roman, Hartmann se contente de neutraliser son rang et fait de ce vavasseur un châtelain, ce qui dans le cas présent équivaut à le rehausser socialement. Il va cependant modifier certains détails à la fin du passage et, de cette façon, transformer en profondeur le sens de l’épisode tout entier. Chez Chrétien, le vavasseur déclare ne pas avoir accueilli depuis fort longtemps de chevaliers errants en quête d’aventures. Il ajoute en avoir cependant hébergé beaucoup dans le passé. Ce n’est sans doute pas un hasard si personne ne s’est présenté depuis longtemps à son château… Calogrenant ne se doute cependant de rien tandis que l’auditeur ou le lecteur attentif aura compris ce que cache ce sous-entendu et se rira de la naïveté du chevalier. Dans cette sorte de dernier poste avancé de la civilisation courtoise avant le monde féerique de la fontaine merveilleuse et de Laudine, on pourrait croire le chevalier à l’abri de toute déconvenue. On apprendra par la suite que le châtelain est parfaitement au courant de l’aventure qui attend Calogrenant, mais il se garde bien de le prévenir des dangers qui l’attendent. La courtoisie masque ici des intentions bien condamnables et constitue un piège dans lequel Calogrenant ne manquera pas de tomber. Après sa défaite cuisante face à Esclados le Roux, le premier mari de Laudine, il est accueilli avec toujours autant de joie par son hôte et toute sa maisonnée. Et ce n’est qu’à ce moment qu’on 26

Chevalier au Lion, v. 702 : « qui mouz est avenanz et bele ».

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lui révèle que jusqu’à présent aucun chevalier ayant tenté cette aventure n’en était revenu, car tous étaient morts ou avaient été fait prisonniers27. Le « grant enor » (Chevalier au Lion, v. 568) dont Calogrenant fait alors l’objet n’est pas dénué d’ironie et semble uniquement dû au fait que le chevalier n’a pas été tué ou retenu par le vainqueur (qui ne s’est même pas donné cette peine…). En fait, toute la mise en scène courtoise ainsi que la beauté et la gentillesse de la demoiselle n’ont servi qu’à endormir la prudence du chevalier. Dans ces conditions, qu’est-ce que la courtoisie si ce n’est un vernis qui sert à masquer des intentions perfides, un artifice fatal aux chevaliers naïfs ? Ce vavasseur détonne chez Chrétien qui a fait de ce personnage appartenant à la petite noblesse un type littéraire très positif (il suffit de penser au père d’Énide dans Érec et Énide) : « Hospitalier, vertueux, modeste, le vavasseur comprend parfaitement l’idéal courtois et, s’il ne joue pas un rôle actif dans la vie chevaleresque (il est trop vieux ou trop pauvre) il contribue néanmoins au respect de ses traditions. »28

En fait, chez Chrétien, rien ne semble jamais figé, chaque personnage peut donner l’occasion d’un traitement ironique. Dans l’adaptation, une telle perfidie est étrangère à l’hôte qui accueille Calogreant : il ne connaît rien de l’épreuve de la fontaine et n’a encore jamais reçu aucun étranger en quête d’aventures. Dans le roman français, l’invitation faite à Calogrenant de repasser par le château est lourde de sous-entendus : on l’invite à revenir au château s’il le peut (Chevalier au Lion, v. 262). Chez Hartmann, cette invitation semble faite de bon cœur et sans arrière-pensée. Dès lors, le passage est vidé de sons sens originel et de tout ce qui lui confère un aspect humoristique : ce n’est plus qu’un exemple parfait de courtoisie gratuite, l’idée du piège tendu au chevalier a totalement disparu. En fait, même l’homme sauvage, gardien du troupeau de taureaux et d’aurochs, en sait davantage que ce noble châtelain qui habite pourtant en marge de la forêt merveilleuse. L’attitude du châtelain et de sa fille lors du retour peu glorieux de Calogreant est là aussi dépourvue de toute arrière-pensée. La joie sarcastique du vavasseur français a fait place à une gaieté sincère et surtout à la volonté de réconforter le chevalier humilié et vaincu. L’idéalisation de la sphère courtoise s’est faite indéniablement au détriment de l’humour et de la connivence avec le public qui constituaient le charme du texte français. Hartmann a en quelque sorte aseptisé sa source au profit de l’image qu’il veut donner de la noblesse et des mœurs courtoises. Hartmann a déplacé les passages humoristiques et les a adaptés à son intention didactique. Ceci est particulièrement visible lors de l’épisode qui se déroule au château dans lequel sont retenues trois cents demoiselles. L’adaptateur allemand rajoute

27

Ibid., v. 574 : « Qu’il n’i fust morz ou retenuz » (« sans y être tué ou capturé »). B. Woledge, « Bon vavasseurs et mauvais sénéchaux », in Mélanges Rita Lejeune, Gembloux, Éditions Duculot, 1969, vol. 2, p. 1263.

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un passage humoristique absent de la source française et dont la fonction est de mettre en évidence la supériorité absolue d’Iwein, supériorité tant morale que physique. Le portier qui accueille Iwein apparaît comme un personnage comique qui se réjouit – trop tôt – d’avoir attiré le chevalier étranger dans un piège. Les espoirs du portier sont aussitôt démentis par l’assurance affichée par Iwein et par la bravoure inébranlable du héros. Tout aussi comique est la répétition à satiété du terme « schalch » (méchant, coquin) qui caractérise le portier marqué au fer rouge de la vilenie. Le comique repose ici sur le recours à l’annominatio : le portier, qui n’est pas désigné par un autre nom que celui de « schalch », devient la quintessence même de la bassesse et de la vilenie. Il s’efforce d’être un «  schalch  » mais demeure impuissant face à la supériorité d’Iwein. Ce passage évoque par sa tonalité comique et ludique un épisode du Lanzelet d’Ulrich von Zatzikhoven : le héros éponyme tombe dans le piège que lui tend Galagandreiz, lui-même qualifié de « schalch »29 (Lanzelet, v. 1179). Dans Iwein, l’ensemble du passage repose sur une alternance entre, d’une part, le traitement sérieux de la souffrance des trois cents ouvrières et du motif de la compassion et, d’autre part, l’aspect délibérément comique introduit par le portier. L’adaptateur est ici au sommet de son art, mais parallèlement il renonce à l’effet de miroir qui participe de la structure du roman français. Comme nous l’avons évoqué plus haut, l’épisode de Pesme aventure fait écho, chez Chrétien, à celui lors duquel Calogrenant est accueilli chez le châtelain perfide avant d’affronter l’aventure de la fontaine. Les deux épisodes ont les mêmes caractéristiques : le héros est pris au piège d’une société en apparence courtoise et au fond perfide, mensongère (au château de Pesme aventure, on se prépare même à garder la monture du chevalier une fois qu’il aura été vaincu) et dangereuse. Le décor est le même : le château et la jeune fille courtoise, si avenante et si belle qu’elle suscite l’amour du visiteur. Cette construction permet de mettre en relief la supériorité d’Yvain sur son cousin Calogrenant : confronté à un piège, l’un est couvert de honte, l’autre en sort vainqueur et grandi. En neutralisant la première aventure et en faisant du châtelain un « preudomme », Hartmann supprime l’idée de piège, rendant ainsi inopérant le parallèle entre les deux épisodes. Le piège tendu au héros qui délivre les trois cents demoiselles ne fait plus écho à rien. En voulant réhabiliter au moins partiellement la sphère courtoise et ceux qui la composent, Hartmann sacrifie une partie de ce qui constituait la « conjointure ».

29 Cf. Ulrich von Zatzikhoven, Lanzelet, présenté, traduit et annoté par René Pérennec, Grenoble, Ellug, 2004, v. 1179, p. 94. Nous reprenons la traduction de « schalch » proposée par René Pérennec : « coquin ». Ce terme a l’avantage de rendre les différentes acceptions présentes dans « schalch » : on y trouve l’idée de bassesse, de vilenie qui s’oppose à la notion de noblesse incarnée par Iwein. Le coquin est également le fripon, celui qui fait preuve de malice, d’espièglerie et sait tromper son monde.

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2. Les fautes d’Iwein La recherche s’est souvent penchée sur le combat opposant Iwein à Ascalon et sur le problème de la faute, se focalisant surtout sur l’expression « ane zuht » (v. 1052) et sur l’interprétation qu’il convient d’en donner. Cela signifie-t-il qu’Iwein pourchasse Ascalon sans retenue, sans se contrôler ? S’agit-il d’une infraction délibérée à la « zuht », au code de bonne conduite chevaleresque qui veut que l’on épargne un ennemi blessé ? Ou s’agit-il simplement d’une tentative de traduction du vers français de Chrétien de Troyes « de randon » (Chevalier au Lion, v. 878) qui souligne l’impétuosité du héros ? La critique ne parvient pas à trancher et si, dans les années 70 et 80, on prenait parti pour une expression assez neutre dont il ne faut pas surestimer la portée30 ou, au contraire, pour une formulation qui dénonce la cruauté et le manque de chevalerie d’Iwein31, elle se fait aujourd’hui plus prudente et hésite à donner une interprétation univoque de ce vers32 . Le problème de la faute ne saurait se résumer cependant à un simple vers et il semble bien que Hartmann dénonce à plusieurs reprises l’attitude de son héros. Là encore, une comparaison avec le texte de Chrétien permet de mettre en évidence l’intention particulière de l’adaptateur. Tout commence avec le récit que livre Calogrenant / Calogreant de l’humiliation qui lui a été infligée lors de l’aventure de la fontaine. Dans la version française comme dans l’adaptation allemande, Yvain / Iwein décide de se rendre à la fontaine afin de venger la honte qu’a essuyée son cousin (Chevalier au Lion, v. 579-587 ; Iwein, v. 799-805). C’est donc apparemment la solidarité entre parents et le sens de l’honneur qui poussent Yvain / Iwein à laver l’affront fait à son cousin. L’annonce par le roi Arthur d’une expédition qu’il mènera à la Saint Jean incite le héros à dévoiler ses véritables motivations : l’essentiel pour Yvain est d’y aller seul. Hartmann est ici plus explicite que le poète français : c’est par goût de l’aventure chevaleresque (« riterschaft », v. 909) qu’Iwein veut s’y rendre seul. Dès lors, il craint qu’on ne lui ôte cette occasion de se conduire en chevalier. La solidarité familiale est oubliée au profit de la quête de gloire personnelle. L’idée de cette quête de vaine gloire, déjà largement suggérée par Chrétien, est développée par Hartmann. À l’inverse de Calogreant, Iwein sait ce qui l’attend et c’est sciemment qu’il cherche le combat. La mort d’Ascalon sera donc la conséquence d’un acte d’orgueil33. Afin de souligner la

30 P. Salmon, « ‘Âne zuht’: Hartmann von Aue’s criticism of Iwein », The Modern language review, vol. 69, 3 (1974), p. 556-561. R. Voss, Die Artusepik Hartmanns von Aue. Untersuchungen zum Wirklichkeitsbegriff und zur Ästhetik eines literarischen Genres im Kräftefeld von soziokulturellen Normen und christlicher Anthropologie, Köln / Wien, Böhlau, 1983, p. 29-34. 31 P. Wapnewski, Hartmann von Aue, Stuttgart, Metzler, 1967, p. 66-67. T. Cramer, « Sælde und êre in Hartmanns Iwein », op. cit., p. 34-35. 32 cf. V. Mertens in : Hartmann von Aue, Gregorius, Der arme Heinrich, Iwein, herausgegeben und übersetzt von Volker Mertens, op. cit., p. 956 sq. et 994. 33 T. Cramer, « Sælde und êre in Hartmanns Iwein », op. cit., p. 34.

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pertinence de ces propos et de dévoiler de manière brute, sans passer par l’intermédiaire que constitue le narrateur, la motivation profonde d’Iwein, Hartmann a renoncé au discours indirect de l’œuvre française (Iwein, v. 907-940). Comme chez Chrétien, la faute commise ici par Iwein est capitale : en devançant le roi Arthur, en lui désobéissant ouvertement, il l’humilie et se rend coupable de félonie. C’est sans doute dans la même optique que Hartmann a transformé les circonstances entourant le combat qui oppose Iwein à Ascalon. Une fois Ascalon blessé, Iwein le poursuit, car s’il veut échapper aux moqueries de Key, et peut-être de la cour, il lui faut pouvoir prouver qu’il est le vainqueur de l’épreuve. Dans les deux œuvres, il s’agit bien dans un premier temps de retenir Esclados le Roux / Ascalon mort ou vif (Chevalier au Lion, v. 891 ; Iwein, v. 1058 sqq.). Chez Chrétien cependant, le héros n’a nul besoin d’achever Esclados : celui-ci meurt de ses blessures sans qu’Yvain ait finalement réussi à le rattraper. Hartmann s’empare de l’idée rapidement évoquée par Chrétien – il faut le capturer mort ou vif – et la mène à son terme : Iwein parvient à infliger une dernière blessure au fuyard. Là encore, le texte demeure ambivalent : certes, le héros frappe un homme qui s’enfuit mais celui-ci n’a pas demandé grâce, le combat n’est donc pas terminé et rien n’oblige Iwein, du point de vue du code chevaleresque, à renoncer à la violence. De plus, ce dernier coup oblige Iwein à se pencher en avant et lui permet d’échapper à la herse qui s’abat sur son cheval et de garder la vie sauve. Il faut cependant noter que, dans le texte français, Yvain se penche en saisissant l’arçon du cheval de son adversaire, sans doute en vue de le faire prisonnier, et sauve ainsi sa vie. Hartmann a donc remplacé ce simple geste salvateur par une forme beaucoup plus marquée d’agressivité. Un commentaire du narrateur va bientôt permettre d’orienter le lecteur ou l’auditeur : plus que sa captivité, c’est le fait d’avoir laissé échapper son adversaire vivant qui pèse à Iwein (Iwein, v. 1128-1130). Cette constatation est une modification de Hartmann qui jette définitivement une ombre sur ce jeune chevalier impétueux. En effet, dans la source française, ce qui cause une profonde souffrance à Yvain est de ne pas savoir dans quelle direction son adversaire s’est enfui : « Toutefois rien ne lui causait une plus grande souffrance que le fait de ne pas savoir dans quelle direction le fuyard s’en était allé »34. Hartmann donne ici une inflexion nouvelle à l’histoire : c’est bien aussi le désir de tuer, et pas seulement la nécessité d’obtenir une preuve, qui semble avoir animé cette poursuite effrénée et le dernier coup asséné à Ascalon. Si Yvain agit « folemant » (Chevalier au Lion, v. 932), c’est parce qu’il ne prend pas le temps de réfléchir et, dans sa hâte, tombe dans le piège tendu par Esclados. La faute d’Iwein est tout autre : elle est d’ordre moral et permet de poser le problème de l’homicide. Il ne faut pas oublier que, pour l’Église, tuer un autre chrétien équivaut à faire couler le sang du Christ35. 34 Chevalier au Lion, v. 965-67 : « Mais de rien si grant duel n’avoit | Con de ce que il ne savoit | Quel part cil an estoit alez ». 35 Ce principe est énoncé pour la première fois lors dans le premier article du Concile de Narbonne de 1054 : « Nous voulons et ordonnons ceci, au nom de Dieu et au nôtre : que nul chrétien ne tue un autre chrétien.

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À cette volonté délibérée de tuer, le lecteur pourra opposer la réconciliation qui met un terme au duel entre Iwein et Gawein : « Ils agirent à la façon d’hommes honnêtes : malgré tout le mal infligé à un preux chevalier par son adversaire – à condition que cela ne soit pas dû à une intention criminelle et à la volonté de le tuer – il ne le hait pas et l’apprécie davantage qu’un homme de basse extraction dont il n’a rien à craindre. » (Iwein, v. 7419-7429)

Pour Hartmann, le combat chevaleresque devrait exclure l’intention de tuer. On retrouve là l’une des idées essentielles développées par l’auteur dans Erec : si Mabonagrin représentait la voie à ne pas suivre, ce n’était pas dû uniquement à sa mauvaise conception de l’amour mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il incarnait une chevalerie homicide. La question du meurtre se pose d’ailleurs de manière récurrente dans ce premier roman de Hartmann. L’imperfection d’Iwein dans cette première partie du roman ne se rapporte pas uniquement à son comportement en tant que chevalier. Lorsqu’il observe Laudine qui, accablée par le deuil, déchire ses vêtements et se meurtrit le corps et le visage, Iwein ressent pour la première fois de la pitié pour autrui. Ce passage, nouvel ajout de Hartmann, s’inscrit lui aussi dans une certaine ambiguïté. Il pourrait permettre de corriger l’image du héros qui, à la vue de la souffrance qu’il a causée à Laudine, se met à regretter d’avoir tué son mari. Le texte ne précise-t-il d’ailleurs pas qu’il en oublie sa propre situation et aimerait endurer ces douleurs à la place de la veuve éplorée  ? Cependant cette compassion n’est ni gratuite ni le résultat d’une prise de conscience soudaine de la faute commise, elle est au contraire teintée d’érotisme et inspirée par le désir amoureux qui soudain s’empare d’Iwein : « Partout où sa peau nue apparaissait, monseigneur Iwein portait son regard. Ses cheveux et son corps étaient d’une telle perfection que l’amour lui déroba la raison : il en oublia sa propre situation et ne pouvait rester assis qu’à grand-peine lorsqu’il la voyait s’arracher les cheveux et se frapper. Ce n’est qu’à contrecœur qu’il la laissa agir ainsi. » (Iwein, v. 1327-1336)

Loin d’être un vrai élan d’empathie, une ouverture sur autrui, cette compassion n’est que le résultat de l’égocentrisme du jeune chevalier : c’est uniquement parce qu’il désire cette femme qu’il souhaite qu’elle cesse de martyriser ce corps si parfait. C’est en voyeur qu’il se comporte ici, en jouisseur frustré de ne pouvoir protéger le fruit de son désir. Il va même jusqu’à instrumentaliser la pitié et en fait un prétexte pour pouvoir observer la dame qui le fascine tant (ibid., v. 1427-34). Le narrateur ajoute d’ailleurs un commentaire qui ne laisse aucun doute sur son véritable état d’esprit : Car celui qui tue un chrétien, sans nul doute, c’est le sang du Christ qu’il répand. » (Jean Mansi, Sacrorum conciliorum, nova et amplissima collectio, vol. 19, col. 827 : « monemus, et mandamus secundum praeceptum Dei, et nostrum, ut nullus Christianorum alium quemlibet Christianum occidat : quia qui Christianum occidit, sine dubio Christi sanguinem fundit. »).

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« Il ne pensait nullement ce qu’il disait : il lui aurait été tout à fait égal de voir tous les gens de la cour, hormis sa dame, s’effondrer ensemble sur la bière » (ibid., v. 14351441). Qu’il s’agisse d’une pitié suscitée par des pulsions amoureuses et étroitement liée à des aspects érotiques ou d’une pitié qui n’est que mensonge et prétexte, nous avons affaire dans les deux cas à une conception erronée de l’empathie, une forme de pitié qui ne vise qu’à servir les intérêts personnels du héros. Comme à son habitude Hartmann procède par opposition : à cette pitié moralement condamnable il opposera, dans la deuxième partie du roman, une conception gratuite et chrétienne de la miséricorde et de l’aide apportée à autrui. La faute la plus flagrante commise par Iwein est cependant celle dont il se rend coupable envers Laudine. Une fois de plus, Hartmann prend soin de noircir son héros. Pour obtenir de Laudine la permission de la quitter pour aller tournoyer avec son ami Gawein, Iwein abuse de la confiance que sa femme a en lui : « Alors Iwein s’adressa aussitôt à sa dame et obtint satisfaction, car lorsqu’il formula sa prière elle ne se doutait pas du tout qu’il pouvait lui demander quelque chose qui ne lui fît pas plaisir. Dès qu’il lui demanda la permission de partir tournoyer, elle regretta d’avoir donné son consentement. » (ibid., v. 2907-2915)

C’est en recourant à un don contraignant qu’il parvient à lui arracher cette autorisation : la dame lui accorde par avance ce qu’il lui demande. Nous avons ici affaire à une inversion des rôles : traditionnellement c’est la dame qui pose une telle condition à l’homme qui, par amour pour elle, accepte de lui accorder par avance ce qu’elle demandera36. Ce stratagème est déjà à l’œuvre dans le roman français dans lequel la dame promet à Yvain de lui accorder ce qu’il demandera tout en ignorant de quoi il s’agit37. L’optique est cependant différente : elle lui accorde le congé qu’il demande et surtout elle ne se plaint nullement d’avoir été dupée. Elle lui prouve ainsi l’amour et la confiance qu’elle lui porte, trouvant sans doute légitime que son mari aspire à faire preuve de prouesse afin de rester digne d’elle. Il semble que Chrétien ait voulu marquer ici un équilibre, même précaire, entre amour et prouesse. Le sens du passage a été transformé par Hartmann qui fait de Laudine une victime de la ruse masculine. La reine abusée par son mari vient illustrer ce dont Enite déjà se plaignait dans Erec en parlant au nom des femmes : « Car c’est une habitude que vous avez les hommes de nous tromper, nous pauvres femmes – je n’ose pas dire de nous mentir – en nous promettant de bien belles choses à

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Ce motif, hérité de la Bible et aussi d’œuvres antiques, se retrouve dans Érec et Énide de Chrétien de Troyes puis dans l’adaptation allemande composée par Hartmann : Mabonagrin accorde à son amie la demande qu’elle lui adresse sans savoir de quoi il s’agit. Dès lors, il se trouve pris au piège et doit éliminer tous les chevaliers qui pénètrent dans le jardin merveilleux. 37 Chevalier au lion, v. 2557 : « Qu’el ne set qu’il vialt demander » (« alors qu’elle ignore ce qu’il veut demander »).

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l’encontre de vos véritables intentions. J’ai souvent vu des femmes endurer de grands malheurs de cette façon. »38

Si Iwein déclare par la suite n’avoir commis aucune faute envers Laudine (Iwein, v. 5457), cela est dû à la volonté de l’auteur de mettre son évolution en évidence. Il n’a plus conscience d’avoir commis une à faire, car il est prêt désormais à se soumettre entièrement à la volonté de sa dame et faire preuve de loyauté. Ce qui compte dès lors c’est de recouvrer sa grâce. Cette apparente contradiction avec le reste du texte marque finalement la ferme volonté d’obéir sans réserve à sa dame. 3. Les personnages féminins Longtemps on a vu dans le Moyen Âge une époque misogyne et manichéenne, opposant à l’image de la Vierge celle d’Ève, responsable du péché originel. Des travaux récents ont cependant mis en question cette vision antithétique de la femme arguant que le christianisme a parfois pu contribuer à une libération des femmes39. L’œuvre de Hartmann s’inscrit sans aucun doute dans ce mouvement de valorisation de la femme initié en partie par l’Église. Le cas le plus flagrant est celui d’Enite qui, dans Erec, est élevée au rang de femme parfaite, d’idéal de loyauté et de pureté, un idéal fortement influencé par le culte marial auquel Hartmann emprunte de nombreuses images. La même vision positive de la femme apparaît dans Iwein à travers la plupart des portraits féminins qui y sont dépeints. Hartmann, nous l’avons déjà évoqué, a à cœur de souligner la violence masculine dont sont victimes les femmes. Laudine, Lunete ainsi que la demoiselle de Noire Épine insistent toutes sur le fait qu’en tant que femmes elles ne peuvent se défendre et sont de facto soumises à la loi des hommes (ou à celle d’une sœur despotique) si elles ne trouvent pas un chevalier prêt à les protéger : « Il est évident, par Dieu, que ma dame est une femme et ne peut, à ce titre, se venger » (Iwein, v. 3121-3123), lance Lunete à celui qui a oublié son épouse, ajoutant même : « Alors vous avez agi ainsi envers elle, profitant qu’aucune femme ne peut se protéger efficacement contre les hommes » (ibid., v. 3154-3156). Interdiction leur est faite effectivement, dans la société médiévale occidentale (il n’en va pas de même en Scandinavie), de porter les armes afin de se défendre par ellesmêmes : la femme étant par nature trop faible pour se battre, il ne lui est pas permis d’exercer les métiers de la guerre et du combat. C’est aussi parce que l’on considère depuis l’Antiquité qu’elles n’ont pas la force psychique nécessaire pour endurer les

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« wan ez ist iuwer manne site, | daz ir uns armiu wîp dâ mite | vil gerne trieget | – ich getar niht sprechen : lieget –, | daz ir uns vil ze guote | geheizet wider iuwerm muote : | dâ von ich dicke hân gesehen | wîben michel leit geschehen. », Hartmann von Aue, Erec, herausgegeben von Manfred Günter Scholz, op. cit., p. 222, v. 3848-3855. 39 Cf. J. Le Goff, « Le Christianisme a libéré les femmes », L’histoire n° 245, juillet août 2000, p. 34-38.

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épreuves du combat, qu’elles en sont exclues. L’un des mots allemands qui, au Moyen Âge, désignent le courage, « manheit », est un dérivé de « man », l’homme. Force de caractère et virilité paraissent donc indissociables. Cette opposition entre la vaillance, la force propres au cœur de l’homme et la peur, la faiblesse intrinsèques à la femme est d’ailleurs développée de façon humoristique par Hartmann lors de l’épisode de l’échange des cœurs (ibid., v. 2989-3000). Cependant, si Hartmann ne remet pas en cause la faiblesse physique des femmes et l’utilise pour mettre en valeur la vertu du chevalier qui a opté pour la protection des dames, il ne nous présente pas pour autant, à travers ses portraits d’héroïnes, des êtres au psychisme fragile. Tout au contraire, il recrée un équilibre entre l’homme et la femme : tandis que le chevalier dispose des vertus guerrières requises par l’exercice du métier des armes, les femmes apparaissent comme des êtres raisonnables, responsables et profondément altruistes. En ce sens, elles sont – le texte ne laisse aucun doute à ce sujet – moralement supérieures à bien des hommes. Cette supériorité de la femme s’affirme essentiellement à travers les personnages de Laudine et de Lunete40 : tandis que chez le chevalier l’engagement altruiste est le résultat d’une évolution longue et difficile, d’une crise profonde suivie d’une ouverture à l’autre, il semble être chez la femme une qualité innée, fruit de leur « guete », de leur bonté toute féminine. Après avoir vu Laudine, Iwein est subjugué par sa beauté et dominé par l’amour qu’il éprouve pour elle. C’est la passion amoureuse qui l’aveugle et l’incite à demander la main de la reine. Si l’homme obéit à ses affects, à ses passions, la femme se soumet à la raison. Ce qui pousse Laudine à épouser Iwein, c’est la situation de son royaume et de ses sujets. Iwein est mû par l’amour, Laudine est guidée par la raison d’État, le souci qu’elle a du bien commun et, de surcroît, la loyauté qu’elle éprouve envers son mari défunt. Ce sont des considérations similaires qui pousseront la dame de Narison à voir en Iwein un époux potentiel : il ferait un bon seigneur pour son pays (ibid., v. 3801-3802). Là encore, le narrateur n’évoque pas l’amour, le souhait de la dame de Narison ne fait que refléter le désir de ses gens qui voient en Iwein un souverain idéal. En ce qui concerne Laudine, le problème est de concilier la nécessité de prendre un nouveau mari et la fidélité envers Ascalon. Seule l’arrivée imminente d’Arthur et de sa cour à la fontaine merveilleuse pousse la veuve d’Ascalon à se mettre en quête d’un remplaçant. Hartmann en fait d’ailleurs la raison essentielle qui incite Laudine à agir avec précipitation : la venue imminente d’Arthur est évoquée par Lunete dès le début de son entretien avec Laudine (ibid., v. 1815-1858). Elle est chez Hartmann la seule raison qui justifie ce nouveau mariage, chez Chrétien elle n’est que secondaire et n’apparaît qu’au bout de plusieurs répliques (Chevalier au Lion, v. 1616 sqq.). Dans l’adaptation, c’est par lucidité qu’agit Laudine : 40 En ce qui concerne la transformation des personnages de Laudine et Lunete par Hartmann, on pourra se reporter utilement à C. Cormeau et W. Störmer, Hartmann von Aue. Epoche, Werk, Wirkung, 3., aktualisierte Auflage, München, C. H. Beck, 20073, p. 198-200.

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« Mais si je ne peux faire autrement que de remplacer mon seigneur par un autre mari, le monde ne le comprendra pas de la même façon que Dieu sait le reconnaître : Celui-ci sait bien que je n’agirais jamais ainsi si je pouvais assurer la paix à mon pays. Conseillemoi, chère amie, et dis-moi ce que je dois faire, si toutefois il est possible de donner un conseil en de telles circonstances. Puisque je ne puis protéger mon pays sans l’aide d’un homme courageux, alors c’est volontiers que j’en trouverai un. Mais il devra s’agir d’un homme dont je sois sûre qu’il sera suffisamment preux pour assurer une bonne paix à mon pays. Toutefois il ne sera pas mon mari. » (Iwein, v. 1896-1912)

La loyauté envers l’époux défunt est telle que, même une fois qu’elle a admis l’idée qu’un nouveau défenseur est nécessaire pour protéger la fontaine et le royaume, elle refuse dans un premier temps de l’épouser. Une fois de plus, il faudra tout l’art de Lunete pour la faire changer d’avis. Hartmann a radicalement transformé le personnage de Laudine : Chrétien explique la décision qu’elle prend d’épouser le meurtrier de son mari en ayant recours à des topoi misogynes comme l’inconstance féminine et le caractère fondamentalement volage des femmes (Chevalier au Lion, v. 1437-1441 ; v. 1751). Ces remarques antiféministes participent de l’aspect tragi-comique que constitue l’aventure de l’amour : il ne s’agit pas d’une misogynie aussi agressive que celle dont certains hommes d’Église se font parfois l’écho, mais d’une misogynie aux accents ironiques, qui participe du fatalisme et du scepticisme dont Chrétien fait preuve, de manière générale, à l’égard du genre humain. Hartmann évoque certes l’esprit de contradiction des femmes (Iwein, v. 1863-1864) mais aussitôt il inverse les arguments avancés par Chrétien et les retourne en faveur des femmes. Si l’humeur des femmes est changeante, ce n’est pas dû à leur inconstance mais à leur bonté innée : « Moi je sais à quoi est dû le fait qu’on les voie si souvent changeantes : ceci vient de leur bonté. En effet, on peut facilement convertir une mauvaise femme au bien mais on ne peut pas rendre mauvaise une femme emplie de bonté. Une telle inconstance est une vertu et aucune femme n’agira autrement. » (ibid., v. 1871-1880)

L’inconstance dénoncée par Chrétien devient chez Hartmann la preuve de leur vertu. L’auteur allemand n’a de cesse de souligner l’indéfectible loyauté de l’épouse pour le mari défunt, renonçant du même coup à l’accent léger et humoristique de l’œuvre française. Et lorsqu’Iwein se présentera devant elle, Laudine avancera les mêmes arguments : loin de faire preuve d’inconstance, elle ne se donne à Iwein que parce qu’elle n’a pas d’autre choix pour conserver son royaume. Contrairement à l’héroïne française, elle ne pose pas le problème de la culpabilité d’Iwein mais souligne la valeur de ce guerrier qui saura la protéger de toute agression extérieure (ibid., v. 2296 sqq.). L’héroïne française n’évoque la nécessité de prendre Yvain pour époux que de manière accessoire à la fin de leur entretien : cette nécessité est en fait simplement l’argument qu’elle a présentée aux barons afin d’obtenir leur consentement (Chevalier au Lion, v. 2045-2047). À plusieurs reprises, dans le roman allemand, Laudine évoque l’idée du suicide, rappelant ainsi l’autre modèle Hartmannien de

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loyauté conjugale : Enite qui, croyant Erec mort, tente de mettre fin à ses jours. Le texte souligne plusieurs fois que ce ne sont ni l’inconstance ni même l’amour qui poussent Laudine à épouser Iwein, mais la raison d’État, la politique et la sagesse : « Monseigneur Iwein, n’allez pas croire que je fasse preuve d’inconstance si je vous accorde mon pardon si vite. Vous m’avez infligé une telle souffrance que, si j’avais le même pouvoir et autant de moyens qu’en ont d’autres dames, je ne voudrais ni ne pourrais vous accorder grâce aussi rapidement. Malheureusement, il me faut agir vite, car ma situation est telle que je peux perdre mon pays dès aujourd’hui ou demain. Avant que cela n’arrive, je dois trouver un homme qui le protège. Depuis que le roi a été tué, il n’y en a plus aucun dans mon armée. C’est pourquoi je dois très rapidement choisir un nouveau seigneur ou perdre mon pays. Maintenant je vous prie de ne point parler davantage. Puisque vous avez tué mon seigneur, vous devez être un homme si valeureux que, si Dieu m’accorde de vous épouser, je serai bien protégée contre toute agression extérieure » (Iwein, v. 2296-2322).

Il en va de même pour le personnage de Lunete qui, dès sa première apparition, est placé sous le signe de la loyauté : les larmes qui la défigurent en constituent la preuve la plus évidente. Tandis que Chrétien évoque juste l’inquiétude, l’émoi de Lunete41, Hartmann choisit de présenter son personnage affligé et tourmenté, toutefois le texte ne permet pas de définir précisément la cause de cette affliction : est-elle due à la perte de son seigneur ou à l’angoisse que Lunete éprouve pour Iwein ? La demoiselle évoque tout autant la peine que lui inspire la mort de son seigneur que les soucis qu’elle éprouve pour le salut d’Iwein. Quoi qu’il en soit, ses larmes sont l’expression de son dévouement, de son altruisme et de sa fidélité envers ceux qui l’ont aidée dans le passé. Hartmann ne laisse d’ailleurs aucun doute sur les intentions honnêtes et louables de Lunete. Lorsque celle-ci quitte Iwein pour rejoindre Laudine, le narrateur précise qu’elle est mue par de fort bonnes intentions et souhaite faire de ce chevalier le seigneur du pays (ibid., v. 1780 sqq.). Des modifications similaires sont opérées lorsque Laudine et Lunete s’entretiennent au sujet de la conduite à suivre après la mort du souverain. Chrétien fait tenir au narrateur et à Lunete des paroles peu flatteuses envers les femmes : le narrateur évoque la folie des femmes qui refusent d’accéder à leurs propres désirs (Chevalier au Lion, v. 1642-1646) tandis que la servante reproche à sa maîtresse de se comporter comme une femme et de se fâcher lorsqu’on lui donne un bon conseil (ibid., v. 1651-1652). Non seulement Hartmann supprime la plupart de ces réflexions misogynes, n’en conservant plus qu’une (Iwein, v. 1862-1864), mais il réduit le nombre d’accès de colère de la reine : chez Chrétien, la conversation est interrompue deux fois par l’emportement de la reine qui, à deux reprises également, chasse sa servante. Le roman français nous offre ici une scène comique digne de Molière, opposant une reine qui ne se contrôle plus à une servante qui n’hésite pas à 41 Chevalier au Lion, v. 974 sq. : « Quant monseignor Yvein trova, | Si l’esmaia mout de premiers » (« Quand elle trouva monseigneur Yvain, elle éprouva quelque crainte »).

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lui dire des vérités crues. Dans le texte allemand, seul un accès de colère est mentionné. Ceci permet à Hartmann de réorienter considérablement le sens du texte : en n’évoquant plus qu’un moment de colère, il rend le discours de Lunete plus resserré et plus cohérent. Il évite également les deux préjugés misogynes que sont la curiosité et la tendance à la désobéissance tels qu’ils apparaissent dans le roman français : après avoir chassé Lunete une première fois, Laudine est mue par la curiosité et souhaite savoir comment sa demoiselle pouvait prouver qu’un chevalier avait été meilleur que son mari (Chevalier au Lion, v. 1656-61), tandis que sa servante brave l’interdiction et revient aussitôt (ibid., v. 1666 sq.). L’adaptateur nous présente deux personnages féminins beaucoup plus posés et plus pondérés dans leurs propos. Là où la reine du roman français s’emporte pour la première fois et congédie sa servante, la souveraine de l’adaptation allemande fait preuve d’une certaine sagesse et demande à Lunete de la conseiller. Si, chez Chrétien, la reine voit où Lunete veut l’amener et se plaint du piège qu’elle lui tend, chez Hartmann elle prononce elle-même les paroles que Lunete souhaite lui faire dire : dans un duel, c’est bien le vainqueur qui doit être considéré comme le meilleur. Au ton passionné et tragi-comique du texte français, Hartmann a substitué l’ingéniosité et la bonne ruse de la servante qui, loin de se cabrer, sait manipuler sa reine pour son bien et lui faire dire les paroles qu’elle souhaite l’entendre prononcer. Par ailleurs, la colère de la reine a une motivation très différente dans les deux œuvres : dans le texte source, la reine ne se maîtrise pas et oublie la parole qu’elle avait donnée à Lunete de ne pas s’emporter si celle-ci dit la vérité (Chevalier au Lion, v. 1680). Hartmann n’évoque pas une telle promesse et donc un tel manquement, la colère de la reine est uniquement due à sa tristesse et à sa fidélité à la mémoire de celui qu’elle aimait (Iwein, v. 1967-1973). En effet, à la fin de l’entretien entre les deux femmes Hartmann met, une fois de plus, l’accent sur la loyauté. Lunete, loin d’éprouver une colère comparable à celle de son homologue française, affirme qu’elle préfère être chassée à cause de sa loyauté plutôt que de rester en trahissant les intérêts de sa dame. La reine quant à elle se repent, avec plus de vigueur et de spontanéité que le personnage français (Chevalier au Lion, v. 1740-1749), d’avoir si mal récompensé le dévouement de celle qui l’a toujours bien servie (Iwein, v. 2005-2010). Même le recours à la ruse imaginée par Lunete, qui fait croire à la souveraine qu’elle envoie un messager chercher Iwein, donne lieu chez Hartmann à un soin particulier : afin d’éviter toute ambiguïté et toute mauvaise interprétation de cette tromperie, le moraliste allemand précise que le messager est avisé, qu’il se prête volontiers à toutes sortes de bonnes ruses et qu’il peut aider à mentir et à tromper sans toutefois nuire à quiconque (ibid., v. 2175-2180). À travers ses propos, c’est une fois de plus la probité et les bonnes intentions de Lunete qui sont soulignées. Les paroles que Lunete tient à Laudine pour la persuader de prendre un nouvel époux ne trahissent plus le moindre emportement, la moindre passion. Il s’agit d’un discours extrêmement réfléchi, rationnel et structuré. Dans un premier temps, elle attire l’attention de sa reine sur le danger qui la menace et sur la nécessité de trouver

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un défenseur. Puis elle démontre que si Iwein a tué son mari, c’est qu’il est encore meilleur chevalier que ne l’était Ascalon. Il est donc le candidat idéal. La preuve apportée par la démonstration de Lunete est indiscutable et, après la courte colère de Laudine et le renvoi de Lunete, il suffira à la reine de se soumettre à ce jugement de bon sens : « Mon seigneur était un vaillant combattant, mais celui qui l’a tué doit être encore meilleur que lui sans quoi il n’aurait pu, en ayant recours à la violence, le poursuivre jusqu’ici » (Iwein, v. 2029-2033). De cette façon, la question morale du remariage immédiat de la veuve ne se pose plus, éliminée par une argumentation rationnelle, la nécessité et la raison d’État. Elle innocente le chevalier inconnu du meurtre de son mari et, même si le narrateur évoque déjà la puissance de l’amour (ibid., v. 2050-2053), c’est bien la raison qui l’emporte. Une fois de plus, Hartmann a réorganisé le texte français : dans la source, les arguments de Lunete ne s’enchaînent pas avec une telle logique et une telle rapidité, la conversation étant interrompue deux fois par la colère de la reine. Et surtout, au terme d’une plaidoirie (calquée sur le modèle du discours judiciaire) que la reine tient avec elle-même, l’amour et la flamme de la passion remportent une victoire écrasante sur toute autre considération (Chevalier au Lion, 1775-1782). Là où le texte français nous offrait une évocation tragi-comique de la passion et de l’inconstance humaine, le texte allemand se veut rationnel et didactique, éliminant tout trait d’humour. Pour bon nombre de personnages féminins, le bien commun prime sur toute considération personnelle. Ceci ne vaut pas seulement pour la souveraine qui songe à la paix et à la sécurité de son royaume, il en va de même pour Lunete qui, prisonnière de la chapelle, demande à Iwein de ne pas risquer sa vie pour elle, car l’existence du chevalier est plus utile que celle d’une pauvre femme (Iwein, v. 4314). Même si chez Chrétien Lunete est également prête au sacrifice de sa vie pour épargner celle d’Yvain (Chevalier au Lion, v. 3740-3749), le personnage de Hartmann n’en rappelle pas moins Enite qui était prête à renoncer à sa vie, car son mari est plus utile qu’elle à la société. Une telle abnégation, ce sens du devoir envers la communauté poussé ici à l’extrême, rapprochent les héroïnes hartmanniennes des grands personnages tragiques qui, telle Iphigénie ou Antigone, sont prêtes au sacrifice suprême. Il est vrai que Hartmann ne connaissait pas les tragédies grecques, il est vrai également que son monde se distingue radicalement de la tragédie antique par une confiance inébranlable en la victoire du bien et de la justice divine. L’héroïne allemande est prête à un sacrifice qu’elle n’aura jamais à faire : le héros grec était le jouet du destin et des dieux, le héros hartmannien est l’instrument de la Providence. 4. Amour, raison et politique Même la puissance et la nature de l’amour sont décrites de manière différente dans les deux œuvres. Là où, dans l’œuvre source, le simple fait de contempler la reine suffisait à renforcer l’amour et le désir d’Yvain (Chevalier au Lion, v. 1420 sq.), ce sont

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les vertus de la reine, sa loyauté d’épouse aimante, la constance de sa bonté qui attisent l’amour qu’Iwein éprouve pour elle (Iwein, v. 1595-1601). L’héroïne hartmannienne est un être fondamentalement moral de telle sorte que ces qualités viennent s’ajouter chez Iwein au simple désir physique. Dans le long monologue intérieur qu’il tient, Yvain met tout d’abord ses espoirs dans le caractère changeant des femmes (Chevalier au Lion, v. 1437-1443) puis reconnaît être la seule victime de la puissance d’Amour et devoir se soumettre à sa dame pour toujours ainsi qu’à la loi de l’amour (ibid., v. 1444-1462). Cette conception de l’amour à sens unique renvoie au thème du vasselage d’amour tel que le développe la poésie occitane. Dans le monologue correspondant, Hartmann gomme bien entendu les remarques misogynes sur l’inconstance féminine et introduit déjà l’espoir émis par Iwein d’un amour réciproque : sa dame aussi pourra être vaincue par la puissance d’Amour et oublier sa colère. La foi en l’inconstance des femmes fait donc place à la confiance dans la puissance de l’amour. Cette nécessité de l’amour réciproque sera reprise par Laudine qui en fera une condition du mariage : « Mais es-tu certaine, chère amie, qu’il veuille de moi ? » (Iwein, 2111 sq.). Dans l’entretien qu’elle a avec Iwein, la reine souligne à deux reprises l’importance qu’elle accorde à la réciprocité de leur amour (ibid., v. 2336 sqq.). Le héros français quant à lui affirme sa soumission totale à la volonté de sa dame sans qu’aucune allusion à un amour réciproque ne soit mentionnée (Chevalier au Lion, v. 2027-2034). À la conception de la fin’ amor, Hartmann a substitué le point de vue de l’Église pour laquelle un mariage doit être basé sur le consentement et l’amour mutuels : « “Chacun de nous deux dit donc qu’il est satisfait de l’autre”, répondit alors la reine » (Iwein, 2352-2354). L’importance de la réciprocité en amour est également soulignée lorsqu’Iwein prend congé de Laudine. Dans le roman français, seul le chevalier abandonne son cœur à sa dame pour partir à l’aventure (Chevalier au Lion, v. 2641 sqq.). L’idée selon laquelle le chevalier garderait le cœur de sa dame pour le lui rapporter avant la fin de l’année n’est évoquée que plus tard, au moment où la messagère de Laudine vient répudier Yvain (ibid., v. 2744-2747). Hartmann, quant à lui, met en scène un véritable échange des cœurs : Laudine part avec le cœur d’Iwein et celui-ci emporte le cœur de celle qu’il aime (Iwein, v. 2984 sqq.). Cependant, si le motif est traité avec sérieux chez Chrétien (qui l’utilise d’ailleurs à plusieurs reprises dans Cligès) et marque le déchirement affectif que ressentent les personnages, Hartmann s’en distancie nettement. Le dialogue entre le narrateur et l’allégorie d’Amour permet de traiter cet échange de façon humoristique. Ce n’est plus simplement le prodige de l’amour (la « mervoille » évoquée par Chrétien ; Chevalier au Lion, v. 2652 sq.) qui est dépeint ici : le narrateur exprime son incrédulité face à un tel miracle et demande à Amour comment un homme peut vivre avec un cœur de femme et inversement. Jusqu’au bout il reste sceptique, soutient qu’il ne sait rien au sujet d’un tel échange et laisse la responsabilité d’une telle affirmation à Amour (Iwein, v. 3014 sqq.). De manière excessivement

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banale, il se contente de conclure que tout ce qu’il sait est qu’Iwein est et restera un héros. La même ironie marque la rencontre qui a lieu entre Iwein, dont l’identité reste secrète, et sa dame après le combat qui permet d’arracher Lunete au bûcher. Là où Chrétien écrit que la dame possédait le cœur d’Yvain sans le savoir (Chevalier au Lion, v. 4583 sq.), l’auteur allemand ne cache pas son étonnement et déclare qu’il s’agit d’une chose vraiment très étrange (Iwein, v. 5443-5445). C’est la casuistique amoureuse qui est tournée en dérision par le scepticisme du narrateur. Cette casuistique n’est sans doute pas très familière au public allemand et, de toute façon, ne constitue pas le propos de l’auteur. Hartmann n’est probablement pas le seul à critiquer la préciosité dont fait preuve Chrétien lorsqu’il aborde le thème de l’amour. Le Chevalier au Lion nous fournit une allusion discrète aux éventuelles critiques qu’on aura adressées à Chrétien à propos de son Cligès : en effet, alors qu’il évoque la blessure infligée par la flèche envoyée par Amour, le narrateur ajoute qu’il pourrait parler à l’infini de cette plaie mais il a peur de déplaire à son auditoire, car on aurait tôt fait de lui faire grief de ses rêvasseries42 . De la même façon que l’interrogation formulée par Cligès, dans un long monologue (Cligès, v. 628-872), sur cette flèche qui a pénétré dans son cœur sans laisser aucune trace de blessure apparente a pu lasser le public, Hartmann ne paraît guère séduit par les longues considérations que tient Chrétien sur l’amour. Il reprend cependant les monologues que l’auteur français met dans la bouche du héros, en conserve l’ampleur même si, nous l’avons dit, il en modifie certains détails (Chevalier au Lion, v. 1430-1508 ; Iwein, v. 1605-1686). La puissance de l’amour chez Laudine ne joue dans le roman allemand qu’un rôle secondaire. Ce sentiment n’est évoqué que de manière assez neutre (cf. Iwein, v. 2051 sq. et 2337 sqq.) ou suggéré à travers l’impatience de la reine (ibid., v. 2116-2119). Cette impatience est d’ailleurs beaucoup plus compréhensible dans le texte français, qui a déjà évoqué en détail la naissance de la passion amoureuse chez Laudine, que dans l’adaptation allemande. Ce n’est que lorsqu’Iwein se sera montré à la hauteur de sa mission – il défend la fontaine, vainc le sénéchal Key et invite la cour arthurienne dans le château de Laudine, témoignant ainsi à sa femme un grand honneur – que l’amour semble vraiment déployer sa force : « Il était juste qu’elle se réjouisse, car jusqu’à ce moment elle avait seulement supposé avoir fait un bon mariage, maintenant elle n’en doutait plus. Ce n’est qu’alors qu’elle prit son mari en affection. Lorsqu’elle vit que l’honneur que lui faisait le roi Arthur était dû à Iwein, elle comprit qu’elle avait de la chance, qu’Iwein avait gagné la fontaine grâce à sa bravoure et qu’il l’avait ensuite défendue héroïquement. Elle pensa : ‘J’ai fait le bon choix.’ » (ibid., v. 2664-2676)

Alors que Chrétien consacre un long passage à la description du faste et de la joie qui accompagnent l’arrivée d’Arthur au château de Laudine (Chevalier au Lion,

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Chevalier au Lion, v. 5395 : « […] que je vos parlasse de songe » (« […] que je vous parle de rêves »).

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v. 2322-2396), Hartmann met avant tout l’accent sur la naissance de l’amour chez Laudine, un amour raisonnable, dû à la reconnaissance de la valeur de son mari, et n’évoque que rapidement l’hospitalité dont Arthur fait l’objet (Iwein, v. 2677 sqq.). D’une manière générale l’adaptateur a gommé ou fortement réduit tous les passages qui chez Chrétien relèvent de la casuistique amoureuse. Par exemple, la métaphore de la prison d’amour est développée pendant vingt vers chez Chrétien (Chevalier au Lion, v. 1924-1944) alors que Hartmann n’y consacre que six vers (Iwein, v. 22352240). Il faut cependant noter que l’adaptateur conserve la mise en scène de la métaphore de l’emprisonnement et son accompagnement lexical (v. 2235 et 2239, « gevangen »). De la même façon, la description de l’accueil courtois réservé aux chevaliers d’Arthur à la cour de Laudine est raccourcie : le rôle de l’amour dispensé par les demoiselles de Laudine ainsi que l’attention que la reine prête à ses invités, et qui pourrait être mal comprise, constituent autant d’éléments éliminés par Hartmann. Même lorsqu’Iwein annonce à Laudine qu’il va la quitter pour courir les tournois, la reine semble faire passer l’honneur de son couple et le devenir de son pays avant toute considération personnelle (Iwein, v. 2929 sqq.) et n’évoque pas en premier lieu ce qui empêcherait son mari de se souvenir d’elle (Chevalier au Lion, v. 2600 sq.). Dans cette perspective, l’effet de la pierre qu’elle remet à son mari n’est plus lié à la sincérité et à la loyauté de l’amant qui porte l’anneau. Chez Chrétien, l’anneau est un symbole érotique, le signe du lien intime qui unit Laudine à Yvain : telle une amulette, il protège l’amant, qui toujours se souvient de son amie, de tous les maux, de la prison et des blessures (Chevalier au Lion, v. 2606-2611). L’anneau n’a certes pas perdu toutes ses vertus magiques chez Hartmann, celles-ci se voient cependant réduites à quelques généralités : l’anneau permet à celui qui le porte de « vivre d’autant mieux » (traduction littérale du vers 2944), d’avoir de la chance, l’esprit serein et d’être béni par la félicité. La signification précise du texte français a été perdue : chez Chrétien, l’anneau magique permet à l’amant fidèle de retrouver celle qu’il aime quels que soient les obstacles extérieurs potentiels. Hartmann en fait un symbole du pouvoir, l’objet qui sert à sceller l’accord que Laudine passe avec Iwein : « Et prenez cet anneau comme gage de notre accord » (Iwein, v. 2939 sq.). On ne parle plus d’amour mais de politique. L’anneau est le signe de la nouvelle fonction d’Iwein et de sa responsabilité en tant que souverain. Rien n’indique dans le texte si Iwein comprend la portée de ce geste, les événements qui vont suivre peuvent laisser supposer que ceci lui a échappé43.

43 Il est difficile de savoir si Iwein interprète la remise de l’anneau comme un symbole d’amour, comme le pense Volker Mertens (Laudine. Soziale Problematik im ‘Iwein’ Hartmanns von Aue, op.cit., p. 18-21). Dans ce cas tout reposerait effectivement sur un malentendu. V. Mertens souligne qu’Iwein interprète mal le sens de l’anneau et ne comprend pas pourquoi il a perdu la grâce de sa dame : « Je n’aurai de repos et ne serai heureux que le jour où j’aurai retrouvé la grâce de ma dame : j’en suis injustement privé » (Iwein, v. 5453-5457). Cependant rien n’indique qu’il songe ici à l’anneau, de plus il a déjà reconnu à plusieurs reprises être responsable du malheur qui lui arrive.

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L’épisode relatant la répudiation d’Iwein par Laudine s’inscrit dans un schéma similaire : l’auteur allemand y opère le même glissement de l’amour à l’honneur et à la chevalerie. La demoiselle française, qui annonce à Yvain que la reine exige la restitution de l’anneau, reproche au héros de s’être comporté en amant déloyal, d’avoir trahi celle qui l’aime et dont il avait fait son épouse. Tout le discours de la demoiselle est axé sur le thème de l’amour courtois et de la trahison en amour (Chevalier au Lion, v. 2731-2775). Hartmann réoriente une fois de plus le récit, mettant l’accent sur les valeurs essentielles à la chevalerie, c’est-à-dire la loyauté et le sens de l’honneur. La messagère de Laudine n’est plus anonyme, c’est Lunete elle-même qui se charge de cette mission : ce détail apparemment anodin permet de développer un aspect qui n’est abordé que rapidement chez Chrétien, celui de la loyauté et de la reconnaissance envers celle qui a aidé Iwein. Seule Lunete en personne peut au mieux formuler de tels griefs envers Iwein. Surtout, elle n’apparaît pas comme une force destructrice qui s’abat sur Iwein et annonce l’irruption de la noire folie. Chez Chrétien, la demoiselle surgit sur un palefroi noir et se dirige tout droit vers Yvain, telle une malédiction qui s’apprête à le frapper, une puissance funeste qui le fera sombrer dans la mélancolie due à la bile noire44. C’est avec la même brutalité qu’elle va arracher l’anneau du doigt d’Yvain (ibid., v. 2778 sq.). Cette inconnue n’est pas sans rappeler la violence du sortilège qui frappe le roi suédois Valandi, héros d’une légende scandinave médiévale : ce dernier, après avoir épousé une princesse finlandaise, Drifa, la quitte et regagne la ville d’Uppsala. Il avait promis à sa femme de retourner auprès d’elle au bout de trois ans, mais n’est toujours pas rentré après dix longues années. L’épouse délaissée fait alors appel à une sorcière qui a recours à un sortilège : le roi ressent tout à coup le brûlant désir de repartir en Finlande. Finalement, sur les conseils de ses amis, il résiste à la magie et reste en Suède. La sorcière le tuera pendant son sommeil, laissant la Mahr lui piétiner les jambes puis la tête45. Il est probable que Chrétien ait connu un lai gallois, aujourd’hui disparu, remontant à la même tradition mythologique que ce conte scandinave relaté par l’évêque islandais Snorri Sturluson vers 122546. La demoiselle inconnue sur son cheval noir serait donc l’avatar rationalisé de cette malédiction qui frappe l’amant déloyal. Cette dimension légendaire a totalement disparu chez Hartmann. L’arrivée de Lunete n’est en rien comparable à la venue de cette funeste étrangère et ne provoque aucun effroi. Lunete n’incarne pas l’implacable puissance de l’amour, le sortilège amoureux des légendes anciennes, jamais elle n’évoque la question de l’amour, car les reproches qu’elle formule sont d’un autre ordre et ne relèvent nullement du registre privé. Le thème de l’amour courtois est remplacé par ceux de l’affront fait à une femme qui ne peut se défendre, de la trahison commise envers une épouse à qui Iwein 44

Cf. Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, op. cit., p. 1210. Snorri Sturluson, Heimskringla, Reykjavik, Mál og menning, 1991 (Ynglinga saga, chap. 13: Frá Vanlanda). 46 Cf. Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, op. cit., p. 1172 sq. 45

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avait juré fidélité, de l’ingratitude dont Lunete est victime, et surtout du déshonneur infligé à la reine. En effet, non seulement Lunete reproche à Iwein d’avoir fait fi des services qu’elle lui a rendus jadis, mais surtout elle dénonce l’infamie commise envers une reine, traitée à ses yeux comme une concubine. La faute commise par Iwein a donc une portée beaucoup plus sociale que chez Chrétien : on ne lui reproche pas d’agir en amant déloyal, mais d’agir en homme déloyal, méconnaissant tout sentiment de gratitude et tout honneur. La trahison qu’il a commise ne constitue pas uniquement une faute personnelle, qui l’engage vis-à-vis de celle qu’il aime, mais une faute qui met en question son statut social. Comment un homme peut-il prétendre être chevalier s’il n’a pas la moindre notion de ce que sont l’honneur, la loyauté et la gratitude ? Ce sont bien l’appartenance d’Iwein à la chevalerie et son adhésion à ses valeurs qui sont mises en cause par Lunete : « J’annonce aux seigneurs qui sont présents que je vous tiens désormais pour un homme déloyal. Et puisque vous avez été déloyal et parjure, moi aussi je l’ai été. Le roi devra à tout jamais avoir honte s’il continue à vous tenir pour un chevalier alors que la loyauté et l’honneur lui sont chers. » (Iwein, v. 3175-3183)

De manière surprenante, en donnant une nouvelle orientation au récit Hartmann en renforce la cohérence, la « conjointure » chère à Chrétien. En effet, dans le roman français, le rapport entre la faute commise et la suite d’aventures vécues dans la seconde partie est assez vague. Certes, Yvain montre qu’il est capable de respecter sa parole, de se conformer aux délais qu’on lui impose et, lorsqu’une dame lui demande sa main, il apporte la preuve de sa fidélité à Laudine et de l’amour qu’il lui porte. Cependant, il n’existe pas de rapport direct entre la faute commise par l’amant déloyal et son engagement altruiste. En axant la problématique sur la chevalerie et les valeurs morales qui constituent son fondement, Hartmann rend logique l’ouverture d’Iwein sur la société. En apportant son secours à autrui, il montre qu’il est encore digne d’appartenir à la chevalerie, qu’il sait faire preuve de bravoure et de loyauté, et surtout il manifeste sa gratitude envers Lunete en la sauvant des flammes. Contrairement aux romans de Chrétien, l’œuvre de Hartmann se prête mal à une analyse de type structuraliste, car l’adaptateur allemand renonce au substrat légendaire, pour la raison évidente qu’il ne connaît sans doute pas les légendes celtiques d’origine et qu’il comprend mal les substrats présents dans le texte français. Il neutralise les éléments légendaires, les met à plat ou les élimine purement et simplement. Il procède de la même façon avec le thème de la folie ou l’image du lion. Ainsi, toute tentative d’interprétation mythique, psychiatrique, psychanalytique ou encore allégorique de son œuvre est d’emblée vouée à l’échec et ne peut conduire qu’à une interprétation forcée du texte allemand, car l’enjeu de celui-ci est ailleurs.

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5. L’homme sauvage et la folie d’Iwein Le passage mettant en scène l’homme sauvage chez Chrétien recèle des aspects qui, aux yeux d’une société aristocratique, peuvent paraître choquants et anti-conventionnels. Le maître champenois décrit un « vilain » (le terme est mentionné trois fois), c’est-à-dire un paysan, à l’allure particulièrement hideuse et effrayante, ressemblant à un Maure. Il évoque également une « tres leide criature » (Chevalier au Lion, v. 288). Cet être contrefait et gigantesque est le gardien du troupeau de taureaux sauvages auquel il impose son autorité. Si l’arrière-plan mythique de ce personnage, qui serait l’avatar d’un gardien de l’Autre Monde celtique, a souvent été souligné par la recherche, le potentiel social du passage ne saurait être négligé. Certes, sa laideur et son aspect hirsute servent bien à grandir le chevalier qui lui fait face, mais lorsque celui-ci l’interroge sur son identité et sa nature, le vilain répond qu’il est un homme. Le message peut surprendre l’auditoire médiéval et revient à dire : quelle que soit mon apparence et ma laideur, je suis comme toi. C’est bien l’humanité de cet homme laid, antithèse de toute chevalerie et de toute courtoisie, que le texte proclame ici. En cela, Chrétien rejoint le point de vue de l’Église qui affirme que tous les hommes descendent d’Adam et Ève, quelle que soit leur condition sociale et leur apparence. Ce vilain à l’allure si repoussante est donc finalement une créature de même nature que le chevalier qui se tient devant lui. Hartmann neutralise la portée subversive de cette affirmation dans le récit que Calogreant fait de son aventure. En effet, lorsqu’il évoque le moment où il aperçoit le vilain, Calogreant emploie, en plus de l’équivalent « gebure » (vilain ; Iwein, v. 430), le mot « man » (homme ; ibid., v. 416) pour le désigner puis il évoque son apparence humaine semblable à celle d’un sauvage (ibid., v. 423). Enfin, le rustre n’affirme pas qu’il est un homme dès qu’il prend la parole mais dévoile en premier lieu qu’il n’est animé par aucune intention hostile. Le fait qu’il est un homme n’a donc plus rien d’étonnant et la charge sociale du texte de Chrétien, qui, de manière inattendue, proclame l’humanité du vilain et implique une égalité intrinsèque entre le rustre et le chevalier, est fortement atténuée. Seules la question posée par Calogreant (« Peux-tu alors me faire savoir quel genre de créature tu es ? » ; ibid., v. 485), et la réponse faite par l’homme sauvage (« Je suis un homme, comme tu le vois » ; ibid., v. 486) recèlent encore une pointe de subversion. Malgré tout, l’affirmation de l’humanité du vilain n’est plus qu’une évidence à laquelle le lecteur ou l’auditeur a déjà été préparé depuis le début de la confrontation. L’épisode relatant la folie d’Iwein s’inscrit dans une problématique semblable et sert à mettre en évidence la noblesse de sang d’Iwein. La folie s’empare brutalement du héros français : à peine a-t-il entendu les paroles de la demoiselle envoyée par Laudine qu’Yvain est déjà en proie au désespoir et à la démence (Chevalier au Lion, v.  2783 sqq.). À la violence des sentiments qui assaillent le chevalier français, Hartmann substitue une série d’éléments qui expliquent pourquoi Iwein va perdre

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la raison. Cette folie a donc différentes causes et n’est plus due au seul désespoir que suscite la perte de l’être aimé. Ainsi le narrateur évoque-t-il le départ précipité de Lunete, l’humiliation profonde ressentie par le chevalier, les remords trop tardifs qui l’assaillent, la grande constance qu’il éprouve en son cœur, ainsi que la perte de ses biens et le regret douloureux d’avoir perdu sa femme (Iwein, v. 3195 sqq.). La victoire de l’amour proclamée au moment de la folie d’Iwein (« Amour était parvenu à ce qu’une faible femme lui ravisse son corps et ses sens » ; ibid., v. 3248 sq.) marque certes une certaine fidélité au texte français, mais elle surprend néanmoins dans le roman allemand tant la place de l’amour a été jusqu’alors réduite au minimum. La différence essentielle entre les deux romans réside dans la description qui est faite de cette démence. Chrétien a recours aux connaissances médicales de son époque relatives à la folie. Il évoque le « torbeillons » (Chevalier au Lion, v. 2806) qui monte à la tête d’Yvain et le rend fou. À plusieurs reprises il insiste sur la « rage » (ibid., v.  2871, 2952, 2956, 3007) ou la «  tempeste  » (ibid., v. 2952) qui s’empare du « forsené » (ibid., v. 2880, 2991) : seule l’action conjuguée de l’onguent et du soleil parvient à venir à bout de « la rage et la melencolie » (ibid., v. 3007) qui se sont emparés du cerveau d’Yvain. De nombreux éléments renvoient effectivement aux symptômes de la mélancolie telle qu’on la décrivait au Moyen Âge, maladie mentale due à une arrivée de bile noire dans le cerveau. Les accès de rage, la couleur noire de la peau d’Yvain, le rôle de la chaleur lors du déclenchement et aussi lors de la guérison de la maladie, la faim insatiable du malade sont autant de signes que Chrétien semble avoir connus. Hartmann reprend la plupart de ces éléments, il omet toutefois certains symptômes de la maladie (la faim du fou paraît plus mesurée, l’action du soleil n’est pas évoquée), simplifie la problématique de la folie et réduit le nombre de termes médicaux employés. Il n’évoque qu’une fois la colère et la rage qui s’emparent d’Iwein (Iwein, v. 3227). Il n’emploie qu’un seul terme générique pour désigner le fou, « der tore », et se contente d’indiquer que la maladie vient du cerveau (ibid., v. 3414). Même le terme « hirnsuht » (maladie du cerveau ; ibid., v. 3420) ne renvoie pas explicitement à la mélancolie. Il semble que ce ne soit pas l’aspect pathologique qui retienne l’attention de l’adaptateur. On notera par contre que Hartmann souligne, bien plus que Chrétien, le fossé qui existe entre la déchéance actuelle d’Iwein et l’existence courtoise qu’il menait jadis, les tournois auxquels il prenait part, la bravoure qu’il manifestait (ibid., 3344-3354). Ce paradoxe trouve son expression la plus parlante dans un oxymore forgé par l’auteur allemand : « der edel tore » (le noble fou ; ibid., v. 3341). Quelle est alors la fonction de la folie pour Iwein ? Comme pour le personnage français, cette folie équivaut à une catharsis et va permettre au héros de renaître à une nouvelle vie, une existence lors de laquelle il aura surmonté son orgueil, sa quête de gloire personnelle et son égocentrisme pour s’ouvrir à l’autre et en particulier à la souffrance d’autrui. Cette renaissance au monde rappelle le réveil d’Erec au château de Limors dans la version allemande. Toucher le fond de la misère humaine, le stade

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le plus bas de la déchéance, permet au chevalier de dépasser son égoïsme initial et d’éprouver de l’empathie avec autrui : « Celui qui a déjà enduré des tourments ressent de la compassion pour la misère d’autrui bien plus que celui qui n’a jamais été éprouvé par le malheur » (Iwein, v. 4380-4383). L’idée déjà présente chez Chrétien est érigée en programme par Hartmann. Il n’est pas à exclure que cette nécessaire expérience de la misère humaine soit d’inspiration cistercienne. En effet, chez Bernard de Clairvaux la prise de conscience de sa propre misère rend humble et débouche sur la miséricorde : « […] car vous êtes véritablement misérable, pour apprendre par cette voie à être miséricordieux », déclare Bernard de Clairvaux dans son traité sur les Douze degré de l’humilité47. L’autre particularité de l’épisode traitant de la folie chez Hartmann est le long rêve d’Iwein. Lorsqu’il se réveille, le héros de Chrétien recouvre immédiatement sa raison et sa mémoire, se contentant d’éprouver de la honte à se voir ainsi nu. L’adaptateur allemand insère ici un long passage dans lequel Iwein relate le rêve qu’il vient d’avoir. La particularité de ce songe est qu’il n’a aucune fonction prémonitoire : contrairement à la plupart des rêves évoqués dans les œuvres médiévales, ce songe ne dévoile pas l’avenir du héros mais lui révèle au contraire son passé. Dans un premier temps, le rêve montre à Iwein sa vie d’avant, ses tournois, ses actes de bravoure, sa conquête d’un pays et d’une femme jusqu’au congé accordé par Laudine et la répudiation du chevalier oublieux de son engagement (Iwein, v. 3504 sqq.). Dans un second temps, l’attention du lecteur est attirée sur le fossé qui existe entre ce rêve et l’état pitoyable d’Iwein. Pourtant le héros avoue que, malgré son aspect repoussant et sale, son esprit aspire à la chevalerie : malgré sa peau noire et son apparence de vilain, il se sent capable de se battre à la façon des chevaliers (ibid., v. 3544 sqq.), tous ses sens aspirent au tournoi, son corps est celui d’un homme humble tandis que son cœur est celui d’un puissant (ibid., v. 3566-3571). La chevalerie est donc un état d’esprit : la chevalerie, comme la noblesse à laquelle cette notion est intimement liée chez Hartmann depuis son premier roman arthurien Erec, correspond à la nature profonde de l’individu, à son état d’esprit (son « muot »), à son cœur et à son sang. En effet, le contenu de ce rêve et l’aspiration profonde du héros à la chevalerie semblent faire écho à un épisode du Gregorius de Hartmann48. Le jeune Gregorius, fruit d’un inceste entre le fils d’un duc et sa sœur, a été abandonné par ses parents. Ignorant tout de ses origines nobles, il a été recueilli par un abbé et instruit afin devenir moine. Un jour cependant, Gregorius reproche à l’abbé de mener la vie la plus agréable que Dieu ait donné au monde, avant d’ajouter que lui, Gregorius, est sensible à l’appel de la chevalerie49.

47 « […] quia vere miser es, et sic discas misereri » (De gradibus humilitatis et superbiae, IV, 13 ; PL, vol. 182, col. 948 D). 48 Hartmann von Aue, Gregorius, Der arme Heinrich, Iwein, herausgegeben und übersetzt von Volker Mertens, op. cit., p. 90-98 ; on se référera en particulier aux vers 1479 à 1640. 49 Hartmann von Aue, Gregorius, Der arme Heinrich, Iwein, herausgegeben und übersetzt von Volker Mertens, op. cit., v. 1514 : « ze rîterschefte stât mîn wân » (« Mon esprit aspire à la chevalerie »).

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Il  tient ensuite un discours qui surprend l’abbé : Gregorius, qui n’a reçu qu’une éducation monastique et ne sait rien du métier des armes ni du vocabulaire qui lui est propre, non seulement rêve de chevalerie mais connaît également en allemand de nombreux termes techniques propres à cet exercice militaire. Ces expressions ne sont pas comprises par l’abbé qui les assimile à du grec, langue qu’il ne maîtrise pas. Le message de Hartmann paraît donc clair : la chevalerie est quelque chose d’inné, une disposition que l’on a dans le sang, un état d’esprit héréditaire (n’oublions pas que les ancêtres de Gregorius sont des ducs), une vertu réservée à une élite et à laquelle un homme de haute naissance ne peut se soustraire tant l’appel de la chevalerie est fort : « Mon esprit est entièrement tourné vers la chevalerie »50. Il est cependant vrai que pour Gregorius cet appel aura des conséquences fatales et que le salut ne se fera qu’en se retirant du monde. À travers le rêve d’Iwein, Hartmann aborde le même sujet : noblesse de sang et noblesse d’âme sont indissociables. Celui qui est d’ascendance noble porte l’aspiration à la chevalerie en lui. Quelle que soit sa connaissance du passé et de ses origines, que cette connaissance lui soit cachée comme Gregorius ou lui apparaisse sous forme de rêve apparemment dénué de toute réalité, l’appel de la chevalerie finit toujours pas l’emporter. Hartmann innove et modifie un schéma bien connu : les romans arthuriens ont traditionnellement recours à l’absence du père, mort prématurément, pour démontrer la supériorité de la nature et de la naissance sur l’éducation et la culture. Comme Gregorius, le jeune Perceval ou le jeune Cligès ne disposent d’aucun modèle paternel mais ils vont malgré tout reproduire le schéma qu’ils portent en eux et opter pour la chevalerie. L’acquisition de la chevalerie n’ayant pu se faire de manière culturelle, on dirait aujourd’hui qu’elle se réalise de façon génétique. L’originalité de Hartmann est de démontrer la même idée à travers le thème de la folie qui constitue une parenthèse et du rêve. Il utilise ainsi une potentialité du texte qui n’avait pas été exploitée par Chrétien de Troyes. Tout ce qui manque à Iwein ce sont l’habit et les armes, il suffit qu’on les lui fournisse pour qu’il redevienne chevalier (Iwein, v. 3590 sq.) et qu’il retrouve toutes les vertus liées à cet état, sans toutefois recouvrer encore sa mémoire. Ce n’est que lorsque le hasard le ramène à la source qu’il redécouvre sa véritable identité et se souvient qu’il a perdu son pays, sa femme et son honneur (ibid., v. 3913-3925). C’est donc bien le sang qui parle lorsqu’Iwein se réveille : même s’il ne sait plus qui il est et avoue être devenu étranger à lui-même, son esprit chevaleresque reprend immédiatement ses droits. Hartmann a d’ailleurs à cœur de ne pas rendre son héros tributaire de l’aide de la demoiselle et de ne pas le rabaisser davantage après l’épisode de la folie. Dans le texte français, Yvain souffre encore des séquelles de sa maladie, il ne parvient pas à se lever et à marcher seul, et implore l’aide de la demoiselle qui passe près de lui (Chevalier au Lion, v. 3038 sqq.). Ceci a sans doute paru trop humiliant à Hartmann qui précise 50

Ibid., v. 1572 : « sô stuont ze rîterschaft mîn muot ».

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juste qu’Iwein ne parvient pas à bondir sur ses pieds ni à se lever aussi vite qu’il l’aurait souhaité (Iwein, 3600-3605). 6. Laudine et Arthur : deux figures royales La recherche allemande a souvent opposé le royaume d’Arthur à celui de Laudine : la cour d’Arthur serait le lieu de l’exercice chevaleresque (avec de nombreuses défaillances) et du respect des normes courtoises, la cour de Laudine serait celui de la politique et du pouvoir51. En ce sens, il serait notable que le roman ne s’achève pas à la cour d’Arthur mais à celle de Laudine. En y regardant de plus près, les points communs entre Arthur et Laudine sont cependant nombreux et cette opposition paraît peu pertinente. En effet, tous deux sont victimes d’un don contraignant : Laudine est abusée par Iwein, Arthur l’est par Meliakanz (Méléagant). Les deux personnages qui incarnent la royauté sont entourés par une cour bien peu fiable : Arthur suit les conseils de ses barons et perd sa femme, Laudine sait qu’elle ne peut trouver aucune aide dans son royaume et que ses barons sont aussi lâches que peu habiles au métier des armes. Il suffit de songer aux paroles de Lunete : « Votre décision conviendra très bien à vos conseillers. Oh, ils seront heureux d’être déchargés de cette façon de la défense du pays. Ils se jetteront à vos pieds lorsqu’ils entendront vos paroles et vous prieront de prendre cet homme pour mari. » (Iwein, v. 2163-2168)

Enfin, les deux souverains ont à leur cour un sénéchal dont le comportement est pour le moins suspect. Qu’il s’agisse de Key, éternel hâbleur aux propos caustiques, ou du sénéchal de Laudine qui souhaite voir brûler Lunete, l’un des personnages les plus importants de la cour n’est guère reluisant. Cependant c’est en retravaillant en profondeur le personnage d’Arthur que Hartmann réduit le fossé qui aurait pu séparer Arthur de Laudine. Dans le roman français, les deux souverains sont parfois présentés sous une lumière peu flatteuse : si Laudine est volage, Arthur est irréfléchi, passif, se contentant trop souvent de subir les événements. Il est vrai que la tradition arthurienne, à l’exception d’Érec et Énide de Chrétien de Troyes et du Lanzelet d’Ulrich von Zatzikhoven, a fait d’Arthur un roi passif, simple instance morale autour de laquelle gravitent de jeunes chevaliers amenés à faire leurs preuves. Il serait toutefois erroné de projeter cette image de roi pusillanime et faible sur l’œuvre de Hartmann. D’emblée, l’adaptateur allemand modifie sa source : tandis que Chrétien n’évoque que rapidement la fête qu’organise Arthur à l’occasion de la Pentecôte, Hartmann en donne une longue description qui s’attarde sur les différents passe-temps courtois auxquels se livrent les participants. À travers cette fête, c’est à la fois l’univers raffiné de la cour d’Arthur et le 51

V. Mertens, Der deutsche Artusroman, Stuttgart, Reclam Universal-Bibliothek (17609), 2005, p. 86.

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couple royal lui-même qui sont idéalisés. Ainsi apprend-on qu’aucun homme vil n’aurait été admis à cette fête et que le roi et la reine s’efforcent personnellement de rendre le séjour de leurs hôtes le plus agréable possible (Iwein, v. 59-73). D’autre part, alors que Chrétien relate la sieste qu’entreprend le roi auprès de la reine en précisant que l’absence du souverain déplut à certains chevaliers (Chevalier au Lion, v. 42 sqq.), l’adaptateur fait de ce moment une parenthèse dévolue au plaisir de se retrouver ensemble et prend soin de préciser que ce n’est nullement par paresse que tous deux se couchent et s’endorment (Iwein, v. 77 sqq.). Hartmann a en effet déplacé le motif de la paresse : ce n’est plus Arthur qui s’en rend coupable mais Key qui, contrairement à tous les chevaliers qui s’adonnent à quelque activité courtoise, n’aspire nullement à l’honneur mais uniquement au repos et, de manière inconvenante, s’assoupit au milieu des autres chevaliers. Cette réhabilitation d’Arthur traverse toute l’œuvre allemande : la visite que rend Arthur à Gauvain et Yvain, alors que les deux amis sont rentrés victorieux de nombreux tournois, correspond chez Chrétien à un rabaissement de la dignité royale. Tandis que les deux compagnons ne daignent pas se rendre à la cour, le roi vient à la leur, car elle fréquentée par les meilleurs chevaliers (Chevalier au Lion, v. 2692-2695). Cette visite est réinterprétée de manière positive par Hartmann qui y voit un geste de reconnaissance visant à conforter les chevaliers dans leur quête d’efforts et dans leur bravoure : « Il les félicita et les remercia pour s’être si souvent distingués. Il est bon que l’on soit reconnaissant envers ceux qui se comportent bravement : cela leur rend leurs efforts d’autant plus supportables. » (Iwein, v. 3069-3073)

Cette reconnaissance, loin de rabaisser le roi, met en évidence sa sagesse et sa grandeur d’âme. Dans le long récit enchâssé consacré à l’enlèvement de la reine, Hartmann a considérablement remanié l’action telle qu’elle est dépeinte dans les deux romans de Chrétien, Le Chevalier au Lion et Le Chevalier de la Charrette. Le roi ne commet plus la sottise d’accéder par avance à la requête de Keu, comme c’est le cas dans Le Chevalier de la Charrette, car celui-ci poursuit le chevalier étranger de son propre chef, sans demander l’autorisation de son souverain. Il est fait allusion à cette demande contraignante formulée par Keu dans Le Chevalier au Lion (« Si Keu n’avait pas dupé le roi de telle sorte que celui-ci lui confia la reine et la mit sous sa protection »52), si bien qu’il est impossible de savoir si Hartmann se fonde sur l’idée exprimer par le verbe « anbriconer » (dérivé de « bricon » : coquin, drôle, sot) ou s’il connaissait Le Chevalier de la Charrette. Ceci constitue toutefois la principale modification apportée aux récits français : ce n’est plus Keu qui formule un vœu contraignant mais Meliakanz. Cette modification permet de jeter un regard différent sur Arthur. Le roi

52 Chevalier au Lion, v. 3923-3925 : « Ne fust Kex qui anbricona | Le roi, tant que il li bailla | La reïne, et mist en sa garde ».

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est à la fois abusé par des conseillers incompétents, incapables d’envisager les conséquences de leur décision, et par un chevalier qui se garde bien de formuler une demande décente et acceptable. À aucun moment la sagesse et la dignité du roi ne sont donc sérieusement remises en cause dans le roman de Hartmann : Lunete ne reproche plus à Arthur d’avoir fait preuve de folie en laissant Gauvain / Gawein partir à la recherche du ravisseur de la reine53, de la même façon le châtelain victime de Harpin ne fait pas grief au roi d’avoir été sot (« fos ») et à la reine d’avoir été niaise (« musarde ») en s’en remettant à Keu pour défier le ravisseur et assurer la protection de Guenièvre (Chevalier au Lion, v. 3924-3927). L’adaptateur n’évoque d’ailleurs pas les prisonniers que détient Méléagant54 ni le chantage qu’exerce Keu envers le roi, ni bien entendu l’attitude peu glorieuse du souverain qui cède aveuglément à son sénéchal afin de le retenir (Le Chevalier de la Charrette, v. 70-179). Dans le même esprit, la cadette de Noire Épine, qui vient chercher de l’aide à la cour d’Arthur, n’exprime pas dans le roman allemand son étonnement de ne pas trouver de champion pour sa cause et tient des propos plus neutres que sa consœur française (Chevalier au Lion, v. 4776 sq. ; Iwein v. 5705 sq.). Chez Hartmann, les deux souverains incarnent une certaine conception de la sagesse. Nous avons dit que Laudine privilégie la voix de la raison à celle du cœur, Arthur quant à lui a la sagesse, avant de se ranger à l’avis de ses barons, de demander à Meliakanz une requête décente. L’humiliation qui lui est infligée – l’enlèvement de sa femme sous ses yeux et ceux de sa cour – n’est donc pas de son fait mais est due aux barons qui, oubliant toute prudence, craignent que la renommée de leur roi et sa légendaire libéralité ne soient mises en question. S’il est vrai que, dans le roman français, Arthur apparaît bien comme un roi faible, incapable de répondre à ceux qui lui demandent de l’aide, son degré de responsabilité est fortement relativisé chez Hartmann qui fait porter la faute aux barons tandis que le roi est victime d’une contradiction qu’il ne peut résoudre. S’il est un passage où le personnage du roi est traité de manière positive dans les deux œuvres, c’est celui qui met en scène le combat qui oppose Yvain / Iwein à Gauvain / Gawein. En tant que garant de la justice, le rôle d’Arthur est de veiller à ce que les mauvaises coutumes soient abandonnées et les bonnes coutumes appliquées. Dans les deux romans, le souverain s’efforce d’être à la hauteur de cette fonction royale et d’agir au nom du « droit » (Chevalier au Lion, v. 5932). Il rappelle la coutume à la demoiselle qui veut spolier sa sœur cadette de son héritage : « Ici la coutume veut ceci : lorsque quelqu’un accuse quelqu’un d’autre, il doit lui accorder un délai de quarante jours avant le combat. » (Iwein, v. 5729-5732)55.

53 Ibid., v. 3708 sq. : « Dont li rois fist que fors del san |Quant aprés li l’en envoia » (« Et le roi commit la folie d’envoyer Gauvain à sa poursuite »). 54 Ibid., v. 4743 : « Et trestuit li autre prison » (« et tous les autres prisonniers »). 55 Le passage équivalent se trouve chez Chrétien aux vers 4800 sqq.

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Cependant, Hartmann souligne plus que Chrétien (Chevalier au Lion, v. 47964799) l’opiniâtreté et la méchanceté de la demoiselle et la fait se heurter à l’autorité royale. Alors que celle-ci veut passer outre le délai de quarante jours, le roi la rappelle à l’ordre : « Elle répondit que si quelqu’un était prêt à se battre, alors le combat devait avoir lieu maintenant, car elle n’attendrait pas plus longtemps. Mais comme le roi trouva que ceci n’était pas acceptable, elle changea d’avis parce qu’elle ne craignait pas du tout que sa sœur puisse présenter un chevalier capable de battre son champion même s’il lui fallait attendre un an. Il fut alors convenu que le combat aurait lieu six semaines plus tard. C’est ce que statua le roi Arthur. » (Iwein, v. 5733-5744)

Enfin, lors du combat final qui oppose Yvain / Iwein à Gauvain / Gawein, il est erroné de voir dans son attitude une preuve de sa faiblesse. En effet, Arthur ne peut enfreindre la coutume, qui veut qu’il y ait un vainqueur, et demander l’arrêt des combats, car même le roi n’est pas au-dessus de la coutume, c’est-à-dire ici du droit. Dans les deux romans, il représente l’image du roi juste, toutefois Hartmann modifie le passage afin d’exempter Arthur de toute faiblesse. Le souverain refuse de céder aux injonctions de ses sujets qui lui demandent de ne donner à la cadette qu’un tiers de l’héritage ou même moins afin de préserver la vie des deux combattants (Iwein, 7384 sqq.). Le passage est déjà présent chez Chrétien : les spectateurs du duel prient Arthur d’accorder à la cadette un tiers ou un quart de l’héritage, ce qui en France correspond effectivement à la part qui d’ordinaire est attribuée à un cadet (Chevalier au Lion, v. 6180 sqq.). La réponse du roi y est également négative, mais la motivation est différente. L’œuvre française trahit ici l’aveu d’impuissance du souverain qui refuse d’intercéder pour la réconciliation, la « pes », car la sœur aînée n’en veut pas tant c’est une « male criature » (ibid., v. 6191-93). Il abdique devant la méchanceté de l’aînée. Chez Hartmann au contraire il songe à la cadette qui s’en est remise entièrement à la justice de sa cour alors que l’injustice commise envers elle pourrait être totale puisque les sujets du roi proposent même de lui laisser moins d’un tiers de l’héritage (Iwein, v. 7388-7390). C’est pourquoi Arthur a à cœur de ne pas rendre un jugement qui soit défavorable à la jeune femme et refuse que le combat soit interrompu. Le roi de l’œuvre française est vaincu par l’opiniâtreté de la sœur aînée contre laquelle il ne peut pour l’heure rien entreprendre, le souverain du roman allemand agit par sens de la justice et n’accède pas aux attentes iniques de l’aînée. Dans l’œuvre française, le refus de commettre une injustice et le fait que les deux champions s’en sont remis à Arthur ne sont invoqués qu’une fois que le souverain a rendu son jugement (Chevalier au Lion, v. 6404-6409). Ils ne servent donc pas à motiver et à justifier son attitude pendant le combat. Hartmann a effectué un déplacement qui est en faveur du souverain et qui vise à le mettre à l’abri d’une certaine passivité. Dans les deux œuvres cependant, c’est la sagesse et la bonne ruse du roi qui finissent par triompher et mettre un terme définitif à la dispute qui oppose les deux sœurs : tel un

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nouveau Salomon, il pose une question piège qui confond la sœur aînée de Noire Épine, dévoilant aux yeux de tous le caractère injuste et abusif des exigences de la jeune femme. L’élément essentiel sera cependant apporté par Gawein. Tout comme dans l’œuvre française, Gawein reconnaît avoir combattu pour une mauvaise cause mais il va plus loin que le héros français. Gauvain indique qu’il a été vaincu par la prouesse de son adversaire et l’injuste cause de la demoiselle, et concède qu’il préfère que son ami l’ait vaincu par les armes plutôt que tué (Chevalier au Lion, v. 6347-6351). Gawein reprend une argumentation semblable, il se montre toutefois plus explicite que Gauvain et exprime clairement ce que le chevalier français sous-entend. Il réoriente son propos sur la volonté divine si bien que la prouesse de l’adversaire n’est plus que secondaire : il tire les conséquences de son engagement pour une cause inique et affirme que, puisque Dieu aide ceux qui défendent une cause juste, il aurait fini par être tué par Iwein si la nuit ne l’avait pas empêché (Iwein, 7682-7692). Si, chez Chrétien, l’argument invoquant la cause injuste entraîne une vive réplique d’Yvain ainsi qu’un échange de paroles rapides, un enchaînement stichomythique à l’effet comique (Chevalier au Lion, v. 6353-6359), les propos de Gawein ne sont suivis d’aucune contradiction directe : seul le narrateur indique qu’Iwein ne permet pas que son compagnon lui accorde une telle marque d’estime, si bien que finalement l’un parle et l’autre surenchérit (Iwein, v. 7697-7702). L’argument avancé par Gawein ne donne donc lieu à aucun entracte humoristique qui en relativiserait la portée, et surtout il est retenu par Arthur qui souligne, dans le jugement qu’il émet, que son neveu et lui-même sont d’accord pour reconnaître que Gawein a perdu le combat (ibid., v. 7752-7754). Puis, sans tergiverser, le souverain affirme son autorité et indique que les deux parties devront s’en remettre à lui, car il a l’intention d’émettre un jugement qui leur rende justice et qui soit digne de lui. L’épisode est donc cohérent : Arthur, roi juste, s’en est remis à la coutume du combat judiciaire et à la justice de Dieu, celle-ci finissant toujours par triompher. L’innovation apportée par Hartmann est que la justice divine triomphe de façon virtuelle, sans que celui qui reconnaît sa défaite ait effectivement été vaincu et tué. Le duel judiciaire décrit chez Chrétien est un cas limite qui tourne à vide : il n’y a ni vainqueur, ni vaincu, seule la décision du roi permet à la justice de triompher. Ce même combat redevient chez Hartmann un vrai duel judiciaire ou, en tout cas, est présenté comme tel, et il renforce la légitimité du verdict rendu par Arthur. Il faut également noter que, chez Chrétien, le roi enjoint à la sœur aînée de se plier à sa volonté sans quoi il proclamerait que son neveu Gauvain a été vaincu (Chevalier au Lion, v. 6414-6421). Le narrateur précise quant à lui que le roi n’a nulle intention d’agir ainsi56 et qu’il souhaite simplement mettre la jeune femme à l’épreuve afin qu’elle restitue à sa sœur la part d’héritage qui lui revient (ibid., v. 6422-6430). Le 56

Chevalier au Lion, v. 6422 : « Il ne le deïst a nul fuer » (« Il ne l’aurait dit à aucun prix »).

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narrateur allemand reprend l’idée principale (faire peur à la sœur dont le cœur est si endurci) mais rien n’indique qu’Arthur n’aurait pas mis ses menaces à exécution en cas de refus (Iwein, v. 7760-7765). Là où, dans l’œuvre française, le roi se voit contraint de recourir à une ruse afin d’intimider la jeune femme, il fait preuve, dans la version allemande, d’une autorité qui ne souffre pas de contradiction : « Je vous laisse vos biens à condition que votre sœur obtienne les siens. C’est à moi qu’il revient de régler cette querelle. En outre, la noble demoiselle s’en est remise entièrement à moi en toute bonne foi. Il est juste qu’elle obtienne sa part. » (ibid., v. 7745-7751)

À travers cette réplique, Hartmann adapte la querelle au contexte allemand et au droit qui, en terres d’Empire, impose le partage de l’héritage entre les sœurs si un héritier mâle fait défaut. Chrétien, quant à lui, semble avoir transposé au cas des deux sœurs les tensions liées au droit d’aînesse entre deux frères en France. Ceci explique d’ailleurs que le roi demande à ce que la cadette devienne la « fame » (Chevalier au lion, v. 6442), c’est-à-dire la femme lige de l’aînée, de la même façon qu’un frère puîné recevait son héritage sous forme de « tenure en frérage », de fief concédé par l’aîné. Ces modifications et aménagements du texte, infimes en apparence, ont finalement permis à l’adaptateur de transformer profondément la figure du souverain, faisant d’Arthur une autorité incontestable, le garant de la justice divine. Il est fort probable que cette revalorisation de la figure royale doive être mise en relation avec le contexte historique dans lequel chaque texte est écrit. Chrétien compose son roman pour le comte de Champagne, c’est-à-dire pour un noble dont les relations avec le roi de France sont souvent tendues. L’auteur champenois met en question le pouvoir royal, un pouvoir en réalité sans cesse grandissant au détriment des grands vassaux. Si l’on en juge d’après l’idéologie royale qui se dégage d’Erec, Hartmann écrit quant à lui pour Frédéric Ier Barberousse ou pour un cercle proche de la famille impériale. 7. Le programme idéologique ou le plaidoyer pour une nouvelle chevalerie a. La chevalerie homicide Dans son œuvre Hartmann s’emploie à distinguer trois types de chevalerie. Si la chevalerie homicide et orgueilleuse apparaît nettement dans Erec à travers les personnages d’Iders et de Mabonagrin, elle est beaucoup moins présente dans Iwein. De façon presque paradoxale, c’est à un géant, Harpin, qu’il revient de l’incarner. Traditionnellement le géant des romans arthuriens constitue l’antithèse du chevalier : tant par son armement primitif (une massue), que par ses habits (des peaux de bêtes) ou encore son aspect sauvage et sa brutalité, il renvoie à un monde délibérément anti-courtois, à la violence gratuite et à l’arbitraire. Cependant, dans le roman allemand, ce personnage va être assimilé à un chevalier brutal et orgueilleux. Il est notable qu’Iwein emploie par deux fois le terme « riter » (chevalier) pour le désigner.

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La première occurrence intervient alors qu’il parle du géant au châtelain dont les quatre fils ont été enlevés : « En vérité, seigneur, si je le peux je délivrerai nos compagnons. Dieu terrassera celui-ci : c’est un homme brutal. Votre droit et son orgueil sans limites me conféreront la force nécessaire. Il n’éprouve pas de honte à commettre une telle ignominie et à ne pas tenir compte, quoi qu’ils lui aient fait, de leur naissance ni de leur nom. Je ne veux blâmer aucun chevalier mais il doit payer pour ce manque de courtoisie. Je le promets, si je le peux il lui en coûtera. » (Iwein, v. 4945-4959)

Il est clair que les reproches formulés ici par Iwein s’adressent à quelqu’un qui est, pour ce laps de temps, considéré comme un chevalier et qui, par conséquent, représente une certaine chevalerie57. La brutalité, l’orgueil et surtout le mauvais traitement infligé à des guerriers d’origine noble, tels sont les griefs formulés ici par celui qui incarne la bonne chevalerie, celle qui se bat pour le droit et est secondée par Dieu dans sa tâche. La seconde occurrence intervient lors du dialogue entre Iwein et le géant : « Chevalier, que signifie cette menace ? Renoncez aux vaines paroles et préférez l’action, ou sinon je craindrai davantage un nain qu’une personne de votre taille » (ibid., 4995-4998). On pourrait certes supposer que si Iwein fait preuve ici d’une telle courtoisie visà-vis du géant en le vouvoyant et en le qualifiant de chevalier, cela est dû au fait que l’auteur tienne à souligner la supériorité morale du chevalier sur le rustaud. Or, il faut noter que le géant reste également relativement courtois : certes, il traite Iwein de pauvre fou, cependant il le vouvoie. Ce détail n’est pas sans importance si l’on compare ce passage avec l’aventure mettant en scène Cadoc aux prises avec les géants dans le roman d’Erec. Les géants y sont dépeints de manière beaucoup plus négative, non seulement ils insultent Erec, le traitant de sot et de pauvre idiot, mais surtout ils le tutoient tandis qu’Erec les vouvoie. Il semble donc que dans Iwein, Hartmann ait eu à cœur de rétablir un certain équilibre entre le géant Harpin et Iwein et à mettre l’accent sur une courtoisie réciproque, alors que cette courtoisie est absente de la source française dans laquelle les deux adversaires se tutoient (Chevalier au Lion, v. 4184-4193). L’identification de Harpin à la mauvaise chevalerie s’opère d’autant plus facilement que les auditeurs / lecteurs de Hartmann connaissent sans doute Erec et peuvent songer au personnage de Mabonagrin, guerrier à la taille surhumaine et à la voix tonitruante, qui fait preuve d’une cruauté sans mesure.

57 Cf. R. Pérennec, Recherches sur le roman arthurien en vers en Allemagne aux XIIe et 13e siècles, 2 volumes, Göppingen (GAG 393), 1984, vol. 1 : Hartmann von Aue, ‚Erec’, ‚Iwein’. Adaptation et acclimatation, p. 25-28.

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b. La chevalerie profane Il est un type de combattant qui est propre aux œuvres de Hartmann : il s’agit du chevalier courtois qui, tout en faisant montre des principales qualités que l’on peut attendre d’un chevalier (bravoure, honnêteté et droiture, sens de l’honneur, générosité), a une conception totalement superficielle et erronée de la chevalerie. C’est déjà en ce sens que Hartmann avait retravaillé le personnage de Guivret / Guivreiz dans Erec, faisant de lui, lors de sa première rencontre avec Erec, un chevalier uniquement en quête de gloire personnelle. Il réintroduit ce type de chevalier du monde dans Iwein à travers les personnages de Calogreant et Gawein. Si Iwein lui-même semble n’être au début du roman qu’en quête de gloire personnelle, il va profondément modifier son comportement dans la seconde partie du roman. Ce n’est toutefois pas le cas de ses deux compagnons. Hartmann profite de la confrontation entre Calogreant et l’homme sauvage pour donner, par la bouche de Calogreant, une définition insatisfaisante de la chevalerie. Tandis que le personnage du texte français se contente d’affirmer qu’il cherche l’aventure afin de mettre à l’épreuve sa prouesse et sa hardiesse (Chevalier au Lion, v. 360 sq.), le chevalier allemand donne plus de détails sur la fonction qu’il attribue à l’aventure : l’aventure chevaleresque consiste à trouver un adversaire à combattre afin, en cas de victoire, d’accroître sa renommée et son honneur (Iwein, v. 527 sqq.). Il est d’ailleurs surprenant de constater que cette définition de l’aventure est complétée par l’homme sauvage, qui pourtant ignore ce dont le chevalier lui parle : il évoque la quête de la souffrance et le refus de vivre paisiblement (ibid., v. 542-544), faisant ainsi écho à la problématique de la « recreantise ». Derrière cette conception aussi égocentrique que vaine de l’aventure semble pointer la critique que l’Église fait traditionnellement de la milice séculière et de son amour des vanités terrestres. Il suffit de songer à l’Éloge de la nouvelle chevalerie de Bernard de Clairvaux qui, au chapitre 2, stigmatise ce vain amour de la gloire58. Contre toute attente, le personnage qui chez Hartmann va au mieux incarner cette quête personnelle de la gloire est Gawein, le chevalier qui traditionnellement est présenté comme le parangon des vertus chevaleresques et dont Chrétien lui-même affirme qu’il est le seigneur des chevaliers, semblable à un soleil qui illumine la chevalerie (Chevalier au Lion, v. 2402 sqq.), même s’il est vrai que ce passage n’est pas dénué d’ironie. Chrétien organise en effet une rencontre entre la lune, c’est-à-dire Lunete, et le soleil, Gauvain, et semble sous-entendre que la lune attire le soleil. Hartmann renonce à l’aspect ironique de cette rencontre. Avec le personnage de Gawein, l’auteur allemand donne corps au paradoxe de la chevalerie oublieuse de sa mission divine. Ambivalent, Gawein l’est tout entier. Il est bon, généreux, courtois

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Cf. Bernard de Clairvaux, Éloge de la nouvelle chevalerie, introduit, traduit et annoté par Pierre-Yves Emery, Paris, Editions du Cerf, 1990, p. 56-59.

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avec les dames, sage, et surtout il est reconnaissant et loyal envers ses amis, toutefois il se trompe radicalement sur le rôle qui est dévolu aux chevaliers. À l’instar de Chrétien, Hartmann accorde une importance particulière au lien d’amitié qui unit Iwein à Gawein. Il est le compagnon d’armes idéal, celui qui permet au narrateur d’affirmer que l’amitié loyale qu’il éprouve envers Iwein est plus forte que les liens de parenté (Iwein, v. 2696-2701). Gawein rend grâce à Lunete d’avoir secouru son ami et de lui avoir permis de gagner le cœur de Laudine ainsi que la couronne du pays dont il est désormais le souverain légitime (ibid., v. 2733 sqq.). Il lui offre de la servir et tous deux concluent une amitié solide, même si, finalement, il ne pourra répondre présent lorsque Lunete aura besoin de son aide. Pour désigner l’amitié qui unit les deux compagnons d’armes, l’auteur allemand utilise le terme « minne » (amour), équivalent de l’amour évoqué par Chrétien. À  l’inverse, lorsqu’Iwein tente de regagner le cœur de Laudine, c’est le terme « hulde » qui est employé, c’est-à-dire la grâce59 si difficile à recouvrer de la dame devenue lointaine et inaccessible. Il faut d’ailleurs souligner que le prénom « Laudine » n’apparaît que deux fois dans le roman (aux vers 2417 et 2752), car c’est le substantif «  frouwe  » (dame) qui est utilisé pour la désigner. Le substantif « minne » pour désigner les sentiments qu’Iwein éprouve envers Laudine, n’apparaît guère que dans la première partie du roman et n’est quasiment plus employé après l’épisode de la répudiation. Gawein affirme aimer sincèrement la compagnie d’Iwein, plus que celle de n’importe quel autre chevalier, de la même façon que son compagnon déclarera que si leur amour l’un envers l’autre est sans valeur, alors le vrai compagnonnage n’a jamais existé (ibid., v. 5096 sq.). Il faut noter que cette idéalisation ne semble concerner que les liens qui unissent deux combattants, deux compagnons d’armes. En ce qui concerne la cadette qui tombe malade en cherchant de l’aide, Hartmann remplace la solidarité entre amis par l’entraide familiale : dans le roman français, la jeune fille trouve refuge chez un ami60 alors que dans Iwein, c’est un parent qui lui vient en aide (ibid., v. 5755). Malgré le caractère sincère, réciproque et désintéressé de cette amitié, Gawein va être à l’origine du malheur d’Iwein. Après le mariage conclu entre Iwein et Laudine, Gawein remplit de façon surprenante la fonction de mauvais conseiller et invite Iwein à quitter Laudine. Chez Chrétien, le discours tenu par Gauvain relève de l’idéologie courtoise et de la casuistique amoureuse : le mariage ne doit pas inciter le chevalier à « anpirier » (Chevalier au Lion, v. 2490), celui qui veut conserver l’amour de sa femme doit continuer à accroître sa valeur et sa gloire s’il ne veut pas déchoir aux yeux de celle qu’il aime (ibid., v. 2491-2500). Il ajoute que l’attente ne fera qu’accroître l’amour et le rendre plus délicieux et plus plaisant encore. L’aventure chevaleresque est donc doublement placée au service de la réalisation de l’amour (ibid., v. 2515-2525). 59

C’est par le même substantif que, dans son Gregorius, Hartmann désigne la grâce divine (v. 154, 471, 478, 1782, 3962, « gotes hulde »). 60 Chevalier au Lion, v. 4826 : « chiés un suen acointe » (« chez l’un de ses amis »).

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Dans l’adaptation allemande, cet idéal de la chevalerie qui doit s’élever par l’amour disparaît totalement. Gawein devient le représentant des jeunes chevaliers, de ces iuvenes non encore casés61 et qui n’ont de cesse d’aller d’aventure en aventure : il incarne ce groupe et ses aspirations à la quête de combats et de gloire. Il enjoint à son ami de venir courir les tournois avec lui comme jadis (Iwein, v. 2796 sqq.), leur équipée commune rappelant sans équivoque les chevauchées de ces jeunes (ibid., v. 30323043). Cependant, Gawein inverse de manière tout aussi étrange que surprenante l’idéal auquel aspirent ces iuvenes. Ceux-ci ne souhaitent finalement qu’une chose : épouser une riche héritière et devenir propriétaires d’un patrimoine leur permettant de vivre, d’une seigneurie. Or, Gawein fait fi de toute considération économique, de tout pragmatisme, et demande à son ami qui vient juste d’épouser une veuve riche et puissante de le suivre. Afin de le persuader de ne pas négliger la chevalerie, il évoque la « recreantise » d’Erec et cite l’exemple des chevaliers qui, une fois casés, ne participent plus aux tournois, oubliant toute générosité. Et surtout, il peint un sombre tableau de la vie de châtelain à travers le portrait qu’il ébauche de ce seigneur avare, aux cheveux en broussaille et aux habits vieux, usés, indignes d’un noble (ibid., v. 2800 sqq.). Il va même jusqu’à affirmer qu’il vaut mieux être un chevalier sans terre plutôt que de dépérir de la sorte. Le portrait de ce seigneur casanier est humoristique et, parallèlement, s’inscrit dans le sens du roman pour finalement permettre à l’action de se poursuivre. S’il est vrai que le discours que tient Gawein est raisonnable (il conseille à son ami de demander à Laudine de lui accorder un congé d’un délai qui convienne à celle-ci), s’il est tout aussi vrai que le portrait qu’il dresse du châtelain avare renvoie aux difficultés économiques auxquelles sont confrontées nombre de petites seigneuries (notamment en cas de destruction des récoltes par des phénomènes météorologiques), il n’en demeure pas moins évident que cette description du châtelain est forcée, si choquante et dissuasive qu’Iwein n’a d’autre choix – ou ne croit avoir d’autre choix – que de suivre son ami. Hartmann va plus loin que Chrétien chez qui le narrateur se contente de penser que monseigneur Gauvain ne permettra pas à Yvain qu’il le quitte (Chevalier au Lion, v. 2669-2671). Le texte allemand développe cette idée et renvoie explicitement à la responsabilité que porte Gawein dans le malheur qui va frapper son ami : « Monseigneur Gawein, son compagnon, fut la cause de son malheur. » (Iwein, 3023 sq.). Le narrateur suggère que c’est bien lui qui, en se montrant très prévenant envers Iwein, le retient auprès de lui de telle sorte que son ami en oublie le délai imposé par sa femme (ibid., v. 3046-3052). Tandis que dans le discours, apparemment sage et mesuré, qu’il tenait envers son ami il expliquait à Iwein qu’un châtelain devait concilier sa vie de cour et ses devoirs de chevalier (ibid., v. 2844 sqq.), il s’avère qu’il le détourne de manière excessive et inconsidérée de son nouveau rôle d’époux et de roi.

61 Cf. G. Duby, « Les ‘jeunes’ dans la société aristocratique dans la France du nord-ouest au XIIe siècle », in Qu’est-ce que la société féodale ?, Paris, Flammarion, 2002, p. 1146-1158. 

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Même si, par ailleurs, Hartmann s’efforce de réhabiliter Gawein en soulignant qu’il porte une amitié sincère à Iwein et qu’il n’a de cesse de lui rendre service et de l’aider à accroître son honneur, sa responsabilité paraît ici indéniable. Deux idées semblent transparaître ici : d’une part, il est légitime de se demander si à travers Gawein ce n’est pas le groupe social des iuvenes dans son ensemble que condamne Hartmann, un groupe souvent facteur de violences et de désordres sociaux62 . D’autre part, il semble que le moraliste allemand veuille faire comprendre à son public qu’être courtois, honnête, courageux et loyal ne suffit pas pour être un véritable chevalier. Il faut noter qu’aux yeux de Lunete Gawein est aussi bon chevalier qu’Iwein (cf. v. 4078-4085) : la force, la bravoure et l’adresse au combat ne suffisent pas non plus à en faire exemple à suivre. En effet, la véritable faute de Gawein est d’oublier Dieu au profit de la quête de gloire personnelle et de perdre de vue la mission divine qui incombe à la chevalerie : faire régner la justice, défendre les faibles, les chevaliers sans défense, et surtout les dames – car la perspective reste élitiste, jamais Hartmann n’évoque la défense des pauperes. Gawein incarne le type du « preudomme », mais fondamentalement il se trompe sur ce que Dieu et la société attendent de lui. Il est d’ailleurs notable que, dans les deux versions du roman, il soit le défenseur de la sœur aînée de Noire Épine et qu’il demande à celle-ci, lorsqu’il lui accorde son aide, de ne pas en parler (Chevalier au Lion, v. 4733-4736 ; Iwein, v. 5664). Chrétien et Hartmann veulent-ils suggérer ici qu’il est déjà conscient de son erreur ? Les textes n’en disent malheureusement pas plus. Certes, l’intrigue exige le secret afin qu’Iwein et Gawein ne sachent pas qu’ils combattent l’un contre l’autre, cependant la condition posée par Gawein paraît aussi suspecte qu’arbitraire. De plus, en acceptant de combattre pour une cause inique il fait preuve d’une évidente légèreté. Quoi qu’il en soit, dans la perspective militante défendue par Hartmann, Gawein se rend coupable de ne pas mettre son épée au service de Dieu et du droit. Il conforte son ami dans la conception erronée et insatisfaisante qu’il a de la chevalerie et lui fait également oublier le délai fixé par Laudine de telle sorte qu’Iwein est répudié par son épouse. Iwein lui-même semble appartenir au même groupe social que Gawein. Certes il est fils de roi, mais c’est sans doute un cadet qui n’héritera pas du royaume de son père. En effet, le mariage qu’il conclut avec Laudine est hypergamique et lui permet de conquérir une femme et un pays. Le rehaussement social que connaît le personnage de Laudine s’inscrit dans ce schéma. Elle n’est plus la dame de Landuc, « fille au duc Laududez » (Chevalier au Lion, v. 2153-2155), mais reine. Contrairement à l’héroïne française qui s’apprête à tenir l’étrier du roi Arthur (ibid., v. 2376), la reine de Hartmann n’est liée à Arthur par aucun lien de vassalité, son royaume est indépendant de celui d’Arthur et la souve62 On considère souvent que les romans de la Table ronde critique le pouvoir royal sans cesse grandissant et « célèbre les jeunes », « exalte la chevalerie » (Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2004, p. 295). Ceci est vrai, sans aucun doute, pour bon nombre de romans français, cela ne l’est pas pour les adaptations composées par Hartmann. Celui-ci ne célèbre pas les « jeunes » et fait un éloge du bon usage du pouvoir royal.

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raine est l’égale de celui-ci, même si elle est honorée par la visite que lui rend la cour d’Arthur. Par ailleurs, Iwein, contrairement à Erec dans le roman éponyme, n’est jamais qualifié de « kunech », de roi, même après avoir gagné une couronne. Laudine est la seule héritière du royaume, son mari n’est là que pour le défendre des agressions extérieures. S’il perd Laudine, il perd une reine et un territoire. Paradoxalement, ce comportement troublant de Gawein va permettre de grandir Iwein. Tandis que le narrateur précise que Gawein est la cause du malheur de son compagnon, Iwein assume l’entière responsabilité de la faute commise. À plusieurs reprises, il répète que s’il a perdu la grâce de sa dame, il est le seul coupable : « Il perdit toute estime de lui-même, car il ne pouvait rejeter la faute sur personne d’autre : c’est sa propre épée qui l’avait tué. Il n’éprouvait de haine pour personne si ce n’est pour lui-même. » (Iwein, 3215-3220)63

L’épée, symbole de la chevalerie, devient ici l’objet par lequel une erreur fatale a été commise, l’instrument d’une chevalerie désorientée. Lorsqu’il rencontre Lunete, prisonnière de la chapelle, Iwein fait l’éloge de son ami, affirmant qu’il est toujours prêt à agir selon la volonté des dames, et se fait même du souci à son sujet lorsque Lunete lui apprend que Gawein est parti à la recherche du ravisseur de la reine (ibid., v. 4294 sq.). Non seulement Iwein ne formule pas le moindre reproche à l’encontre de son ami, mais surtout il lui arrive de combattre par amour de lui. Ainsi, lorsqu’il vient au secours du châtelain dont les quatre fils ont été capturés par Harpin, le texte allemand accorde une place particulière au rôle que joue l’amitié qu’Iwein porte à Gawein. Chez Chrétien, la fonction de l’amitié n’est évoquée que tardivement. Elle n’apparaît qu’au moment où Yvain, pressé par le temps et la promesse d’aide qu’il a faite à Lunete, se laisse attendrir par les paroles de l’une des filles du comte. Celle-ci lui demande d’attendre la venue du géant et invoque la Vierge, les anges, Dieu et le nom de son oncle Gauvain (Chevalier au Lion, v. 4060-4069). L’évocation du nom de son ami n’est donc qu’une raison parmi celles qui incitent finalement le héros à retarder son départ. Ce n’est qu’à la fin de ce passage délibératif qu’Yvain hésite explicitement entre le secours qu’il s’est engagé à apporter à Lunete et « la grande noblesse »64 de son ami. Hartmann a déplacé le thème de l’amitié et en a fait l’élément moteur de toute l’aventure. L’amitié devient le motif qui, d’emblée, pousse Iwein à intervenir : lorsqu’il se dit prêt à combattre pour le comte et son épouse, il s’empresse d’ajouter qu’il agit par amitié pour Gawein qu’il aime plus que lui-même (Iwein, v. 4745 sq.). La détresse de la sœur de Gawein et de son mari l’émeut du fond du cœur et d’autre part il ne peut refuser de servir Gawein (ibid., v. 4895-4897). Il semble que Hartmann ait à cœur de mettre en évidence la grandeur d’âme de son héros qui non seulement n’éprouve aucune rancune envers Gawein mais est également prêt à mettre

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Voir aussi les vers 3955 sqq. ou les vers 4207 sqq. Chevalier au Lion, v. 4084 : « la granz gentillece ».

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son épée au service de la famille de celui-ci. L’amitié qu’Iwein éprouve pour Gawein est exemplaire par son engagement altruiste et son abnégation65. Dans la caractérisation de cet engagement altruiste, Hartmann va bien plus loin que Chrétien. En effet, pour l’auteur champenois la victoire sur Harpin doit impliquer la reconnaissance de la cour et des amis. L’aventure sert à la quête de la gloire, d’une gloire revendiquée par le héros français : par les épreuves qu’il endure et par l’issue victorieuse des combats qu’il mène, le personnage de Chrétien reconquiert son identité chevaleresque perdue et, à long terme, sa place dans la société arthurienne. Il est donc nécessaire que, même si Yvain conserve encore son anonymat face à la cour d’Arthur, la victoire soit connue de tous, car l’exploit chevaleresque ne vaut que s’il est connu (Chevalier au Lion, v. 4280 sq.). C’est pour cette raison qu’Yvain demande au comte et à ses enfants de se rendre à la cour d’Arthur afin d’y rapporter comment le Chevalier au Lion s’est comporté lors du duel contre le géant. Chez Hartmann au contraire, le héros fait preuve d’une grande humilité et ne revendique pas la victoire sur Harpin pour lui mais pour son ami. Il prie le comte de se rendre à la cour afin qu’il remercie Gawein pour ce que le chevalier qui est accompagné par un lion a accompli, car il a agi uniquement pour son ami (Iwein, v. 5107-5109). Cet hymne à l’amitié atteindra son paroxysme à la fin du roman, lors du dernier combat opposant les deux amis66. c. Le cas particulier de Key Dans son entreprise de revalorisation de la sphère arthurienne et du monde courtois et chevaleresque, Hartmann traîne le personnage de Key comme un véritable boulet. Il avait radicalement transformé ce personnage dans son premier roman arthurien, Erec, démontrant que le seul vrai défaut de ce personnage était son inconstance. Tandis que le sénéchal français était déjà dans Érec et Énide l’incarnation de la félonie, de l’orgueil et de la vaine flatterie, le personnage allemand était plus nuancé : le narrateur précisait qu’il peut se repentir sincèrement des actes déloyaux et iniques qu’il a commis, s’efforcer de s’amender et de bien agir (son cœur étant alors pur comme du verre) avant de retomber dans les mêmes erreurs le lendemain. De la même façon, il peut un jour se comporter courageusement et faire preuve d’une grande couardise le jour suivant. Il était même présenté comme l’ami de Gawein : le roi avait

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C’est la même amitié qui, dans Erec, unit le héros à Guivreiz. Celui-ci a blessé Erec pendant un combat lors duquel il n’avait pas reconnu son ami, et en éprouve une profonde tristesse. C’est cependant Erec qui, par amitié et grandeur d’âme, assume toute la responsabilité du duel et s’accuse d’avoir agi par sottise et orgueil (Erec, v. 7003-7023). 66 La critique française s’est parfois demandé si en s’acharnant sur Gauvain lors du combat final, Yvain ne s’acharne pas « contre celui qui, en haine de la seigneurie, de la possession d’un fief et de la possible recreantise qu’elle induit, ne lui a offert que l’amour déceptif de l’aventure et de l’errance » - E. Baumgartner, Chrétien de Troyes. Yvain, Lancelot, la charrette et le lion, Paris, Presses universitaires de France (Études littéraires), 1992, p. 66. Une telle hypothèse est totalement exclue dans l’œuvre allemande qui ne cesse de souligner l’attachement sincère qu’éprouvent les deux chevaliers l’un pour l’autre.

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laissé le soin à Gawein et à Key de partir à la recherche d’Erec, affirmant que tous deux l’ont servi honorablement jusqu’à ce jour. Chez Chrétien, seul Gauvain était chargé de cette mission. Il semble que le narrateur dans Erec ait tenté de présenter l’autre facette de Key, dévoilant qu’il peut être serviable et se comporter loyalement. Hartmann essayait donc de revaloriser le personnage et de désamorcer une critique trop acerbe d’un représentant de la chevalerie et de la cour d’Arthur. Au fond, il a transformé la bipolarité de fonction Keu / Gauvain en bipolarité individuelle en la recentrant uniquement sur Key. Dans Iwein, l’adaptateur allemand ne se permet plus de tels écarts par rapport à sa source, mais on sent que Key l’embarrasse toujours. Dès la première apparition du sénéchal, il tente de nuancer le caractère de ce personnage, tantôt acerbe, tantôt courtois et repentant. Ainsi, lors du premier échange virulent qu’il a avec la reine, Key ne se contente pas de reprocher à sa dame les paroles de colère qu’elle a tenues à son encontre, paroles qu’il juge disproportionnées, mais il se dit prêt à demander pardon à Calogreant s’il a commis une faute et lui demande de bien vouloir continuer son récit par amour pour la reine (Iwein, v. 183-188). Au discours impérieux et méprisant de Keu, qui insulte la reine, reprochant à sa présence de ne rien apporter aux chevaliers, et qui refuse de prolonger un débat inutile (Chevalier au Lion, v. 92-104), Hartmann substitue des paroles plus courtoises, empreintes d’une retenue certaine. Il rappelle à la reine qu’elle ne doit pas céder à la colère et qu’il faut préférer la grâce à la justice. Face à Calogreant, il reconnaît sa faute et le prie de poursuivre son récit afin que les chevaliers présents ne pâtissent pas de l’erreur qu’il a commise (Iwein, v. 223-229). Si Hartmann ne change pas fondamentalement les paroles que Key prononce après avoir entendu les mésaventures de Calogreant, il modifie le sens des pensées qui animent Iwein. Dans le roman français, Yvain sait que si la troupe d’Arthur arrive avant lui à la fontaine de Barenton, le privilège de livrer la première joute reviendra à Keu puis à Gauvain. Ceci correspond effectivement à la hiérarchie de la cour : c’est à Keu, sénéchal et demi-frère d’Arthur, que revient l’honneur du premier combat. Hartmann ne s’encombre pas de cette préséance chevaleresque et supprime tout simplement ce personnage si gênant. Iwein ne craint plus qu’une chose : que Gawein combatte avant lui. Lorsque le roi accompagné de sa cour arrive à la fontaine merveilleuse, le combat entre Key et Iwein a cependant bien lieu et se solde par une défaite tout aussi honteuse pour le sénéchal que celle qu’a subie son homologue français. Le narrateur prend cependant le soin de préciser la chose suivante : « Pourtant je tiens à vous dire une chose : aussi méchant Key fût-il, il était malgré tout sans peur. Si sa langue ne lui avait pas nui, alors jamais la cour d’Arthur n’aurait eu meilleur chevalier. Vous pouvez constater cela, si vous le souhaitez, à la fonction qu’il exerçait : s’il n’en avait pas été ainsi, jamais le roi Arthur n’aurait supporté qu’il fût, ne serait-ce qu’un jour, sénéchal à sa cour. » (Iwein, v. 2559-2568)

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Cette remarque vise certes à dédouaner Arthur, à justifier l’attitude du roi en revalorisant le personnage de Key67 mais elle montre aussi que le malaise qu’éprouve Hartmann à devoir noircir un chevalier. En fait, cette différence de traitement du personnage tient sans doute essentiellement à l’arrière plan socio-historique propre à chaque auteur. Le titre de sénéchal recouvre en France et dans l’Empire des réalités très éloignées l’une de l’autre. En France, le sénéchal est l’un des grands officiers au service du roi et est responsable de la maison royale et des armées. En plus des fonctions judiciaires (notamment la surveillance des prévôts) et financières (la collecte d’impôts spéciaux) qu’il remplit, il est chargé de convoquer l’ost royal et d’inspecter les forteresses. Il est le représentant de l’autorité royale, veille au respect des traités de paix et à la sécurité des frontières. C’est sans nul doute l’homme le plus puissant du royaume après le souverain. La fonction de sénéchal du roi sera supprimée en 1191, à la mort du sénéchal Thibaud V de Blois, par Philippe Auguste qui craignait le trop grand pouvoir lié à cette charge. En Angleterre, Henri II craint que le sénéchal ne se fasse une trop haute idée de sa mission et il n’hésite pas à dédoubler la fonction si bien qu’il est parfois assisté de deux sénéchaux. Que ce soit en France ou en Angleterre, le sénéchal fait partie de la maisonnée du seigneur ou du souverain, de sa maisnie, il est un membre important de la cour et finit par « contrôler toute l’administration domaniale, de même que les affaires de la guerre et de la justice »68. Il est l’un des conseillers du roi et son influence sur les affaires du pays est indéniable. Dans l’Empire, le sénéchal remplit une tout autre fonction : il est responsable du service de table de l’empereur, de l’approvisionnement de la cour en victuailles et assure la surveillance des serviteurs. Il doit également faire en sorte que les châtelains chez lesquels l’empereur séjourne lors de ses voyages soient avertis suffisamment tôt pour pouvoir préparer l’arrivée de la cour. Petit à petit, le titre de « Seneschall » va être supplanté dans l’Empire par celui de « Truchsess »69 ou « dapifer », qui désigne l’officier tranchant et souligne encore davantage la notion de service de table liée à cet office70. Celui-ci n’en constitue pas moins l’une des fonctions les plus élevées que l’on puisse exercer à la cour impériale et va d’ailleurs se répandre dans les différentes cours ducales. Ainsi Joachim Bumke note-t-il qu’à la cour du comte de Flandre et du Hainaut la charge la plus élevée est celle exercée par le « sénéchal en chef de tout le comté du Hainaut »71. C’est au sénéchal qu’incombe la difficile tâche de placer les

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Cf. R. Pérennec, Recherches sur le roman arthurien, op. cit., vol. 1, p. 207. Une argumentation semblable sera d’ailleurs reprise vers 1225 par Heinrich von dem Türlin qui souligne que, malgré son manque de courtoisie, Key n’en demeure pas moins de haute noblesse et ne craint aucun danger (Heinrich von dem Türlin, Diu Crône, hrsg. von Gudrun Felder, Berlin / Boston, De Gruyter, 2012, v. 1521-1545). 68 A. Chauou, Le roi Arthur, Paris, Editions du Seuil, 2009, p. 88. 69 Key est d’ailleurs qualifié de « truhsæzze », c’est à lui que revient la charge du service de la table du roi. 70 Cf. Lexikon des Mittelalters, Bd. VII, Stuttgart / Weimar, Metzler, 1999, col. 1751-1754. 71 Cf. J. Bumke, Höfische Kultur. Literatur und Gesellschaft im hohen Mittelalter, München, Deutscher Taschenbuch-Verlag, 2008, p. 262: « summus…senescalus totius comitatus Hainoie ».

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hôtes à table72 . Lors de certaines occasions, les fonctions de sénéchal, échanson, chambrier et maréchal sont assurées par des princes. La valeur honorifique de ces charges apparaît dès l’époque ottonienne puisqu’elles n’étaient accordées qu’à des ducs. Ainsi pendant la grande fête de Mayence de 1184, lors de laquelle Frédéric Ier Barberousse adouba ses deux fils, ces offices ne furent assumés que par des rois, des ducs ou des margraves73. Au cours du XIIIe siècle, les échansons d’Empire vont gagner en influence et exercer une action sur la politique de l’Empire. Cependant, le personnage du sénéchal n’est pas entaché en Allemagne par la soif de pouvoir qui caractérise son homologue français. Il faut d’ailleurs noter que dans les cours ducales, cette fonction est souvent assumée par un ministérial, donc un non libre qui, politiquement, ne représente aucun danger pour son seigneur. Le contexte socio-historique de Hartmann est donc bien différent de celui du maître champenois et ne nécessite pas que l’on noircisse ce personnage outre mesure. d. Le miles christianus et la conception de la miséricorde Le premier combat mettant en scène le nouvel Iwein, qui s’est remis de l’accès de folie qui l’a en quelque sorte régénéré, vise à exalter le héros. Il fait preuve de gratitude envers la dame de Narison qui vient de le guérir grâce à un onguent magique et s’apprête à la délivrer du comte Aliers. D’emblée la dame de Narison sait que l’arrivée de ce héros va compenser la perte de la précieuse boîte contenant l’onguent. Hartmann n’a pas retenu le scepticisme de la dame du roman français qui met en question la valeur de ce chevalier à cause duquel elle a perdu son bien le plus précieux (Chevalier au Lion, v. 3122-3127). C’est dans l’adaptation de la scène du combat que Hartmann va véritablement marquer sa différence. Le texte français consacre à ce combat un passage long de 170 vers (ibid., v. 3144-3315) et décrit, de manière relativement réaliste, les actions d’un chef de guerre qui se lance dans la mêlée (ibid., v. 3154) et parvient grâce à sa bravoure à inspirer confiance aux troupes qui l’accompagnent. Le déroulement de la bataille rend parfaitement compte de l’action du groupe : les compagnons d’Yvain opèrent une sortie contre les pillards et, soudés autour de leur chef qui par son charisme leur inspire un souffle nouveau, repoussent victorieusement l’armée ennemie. Hartmann réduit de moitié la description des combats qui n’occupe plus que 82 vers (Iwein, v. 3696-3778) et met le personnage d’Iwein au centre de l’action. Il semble attaquer seul les troupes du comte Aliers : tandis que le narrateur précise que les combattants de la dame de Narison avaient été refoulés à l’intérieur de la forteresse, Iwein apparaît en première ligne et fond, seul de toute évidence, sur l’ennemi. Son courage suffit à mettre l’adversaire en déroute et le texte n’évoque qu’accessoirement l’action des hommes d’armes de la dame de Narison (ibid., v. 3732).

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Ibid., p. 249. Ibid., p. 256.

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Hartmann renonce à tout réalisme au profit de l’exaltation des vertus de guerrières du héros, de son courage et de sa force. Ce n’est plus le chef de guerre charismatique, le meneur d’hommes qui est mis en scène, mais le chevalier idéal dont la seule action suffit à faire basculer la situation. L’adaptateur allemand réutilise ici une technique qu’il avait déjà employée dans son premier roman arthurien afin de mettre en exergue les qualités exceptionnelles d’Erec et son action décisive lors du tournoi de Tulmein. De la même façon, le combat contre le serpent va être traité rapidement par Hartmann qui renonce à tous les aspects délibérément comiques de l’œuvre française et se contente de relater qu’Iwein vient au secours de « l’animal noble » (ibid., v. 3842) et tue très rapidement le serpent. Plus surprenante est l’absence de l’idée de pitié explicitement mentionnée par Chrétien (Chevalier au Lion, v. 3375). En effet, ce sentiment nouveau pour Yvain est mentionné ici pour la première fois depuis le début de l’œuvre. Si Chrétien veut ainsi marquer le nouveau départ de son héros régénéré, Hartmann semble ne considérer ces deux premiers combats contre le comte Aliers puis le serpent que comme des hors-d’œuvre dont il se débarrasse rapidement. Cette impression sera confirmée par le rôle somme toute mineur que remplit le lion dans le roman allemand. L’adaptateur ne va développer son programme idéologique qu’à partir des aventures entrelacées : les deux épisodes mettant en scène des géants, Harpin puis les deux géants qui exploitent les trois cents ouvrières, ont pour thème le comportement miséricordieux dont fait montre le héros envers les chevaliers ou les demoiselles opprimés. Ces deux aventures sont construites d’après un schéma comparable et ont pour but, de manière beaucoup plus marquée que chez Chrétien, d’ébaucher le portrait idéal du miles christianus. La miséricorde est une notion tellement essentielle pour Hartmann qu’il semble ne pas vouloir la mentionner furtivement au fil des épisodes mais préfère lui réserver deux aventures qui permettront de développer l’importance de cette vertu chrétienne et ce qu’elle implique, d’en donner une définition suivie d’exemples. Contrairement au texte français qui souligne la grande pitié qu’Yvain ressent lorsqu’il voit Lunete s’apprêter à mourir (Chevalier au Lion, v. 4357), le roman allemand ne mentionne pas une telle empathie du héros pour la jeune femme. Chez Hartmann, l’aventure consacrée à Lunete tourne essentiellement autour des notions de culpabilité et de gratitude : Iwein se sent fautif parce qu’il est responsable du malheur qui frappe la jeune femme et, parallèlement, il doit la récompenser pour tous les services qu’elle lui a rendus par le passé. Dès le début, la relation entre Lunete et Iwein est basée sur cette idée de service réciproque et de récompense. Cette importance accordée à la gratitude, à la nécessaire reconnaissance accordée à celui qui se comporte bien, sera d’ailleurs développée à travers des digressions du narrateur ou à travers les répliques des personnages74.

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Cf. vers 2725-2732 ; 3071-3073 ; 6647-6656 ; 8043-8064 ; 8204-8228.

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La notion de miséricorde est, nous l’avons dit, au centre de l’épisode mettant en scène les fils du comte prisonniers de Harpin : le verbe « erbarmen » (avoir pitié de) n’est d’ailleurs employé de manière régulière qu’à partir du vers 4381. En effet, l’auteur allemand élabore un véritable programme éthique axé sur la compassion, programme qui dépasse ce qu’implique la simple notion de pitié évoquée par Chrétien. Ce n’est pas un hasard si cette aventure est précédée d’une réflexion sur l’essence même de la miséricorde : ne peut éprouver de la compassion pour autrui que celui qui a déjà enduré des souffrances. Il s’agit donc pour le héros d’être capable de sentir et de partager le malheur d’autrui75. Tout l’épisode repose sur un sentiment d’humilité et d’empathie qui devient le ciment de la noblesse. Chez Hartmann, cette caste n’est plus soudée exclusivement par des valeurs guerrières ou courtoises mais aussi, et surtout, par la capacité – à la fois chrétienne et élitiste – à éprouver de la compassion pour un autre noble dans la détresse76. La miséricorde apparaît comme la valeur morale suprême aux yeux de Dieu : selon la châtelaine et sa fille qui tentent de retenir Iwein jusqu’à l’arrivée du géant, Dieu accorde félicité et honneur (« sælde unde ere ») à celui qui est miséricordieux (Iwein, v. 4840-4843). Celui qui éprouve de la miséricorde est toujours récompensé par Dieu (ibid., v. 4844 sq.)77. Dans le portrait qu’il ébauche du miles christianus, Hartmann se veut d’ailleurs plus explicite que Chrétien. Au châtelain qui le supplie de rester et est prêt à lui céder une terre ou un autre bien, l’auteur français fait juste répondre à son héros qu’il n’acceptera rien de sa part (Chevalier au Lion, v. 4058 sq.). Le héros allemand déclare quant à lui qu’il ne risquera pas sa vie pour des richesses ou des biens (Iwein, v. 4829-4831). Il incarne dès lors le contraire de cette chevalerie terrestre dénoncée par l’Église et uniquement mue par l’appât du gain. Dans cette perspective, Hartmann met davantage l’accent sur les souffrances endurées par les fils du châtelain. Chrétien évoque la saleté des chemises portées par les quatre chevaliers ainsi que les poings et pieds liés des captifs (Chevalier au Lion, v. 4095-4099), avant d’ajouter qu’ils sont flagellés et battus jusqu’au sang par un nain (ibid., v. 4106-4109). L’adaptateur allemand, s’inspirant sans doute de la réécriture qu’il a faite jadis de l’épisode mettant en scène Cadoc dans Erec 78, insiste également 75

Bernard de Clairvaux, De gradibus humilitatis et superbiae, V, 18 (PL, vol. 182, col. 948 C).: « Et hic est secundus gradus veritatis, quo eam in proximis inquirunt; dum de suis aliorum necessitates exquirunt; dum ex iis quae patiuntur, patientibus compati sciunt. » (« Or le second degré de la vérité est précisément de la rechercher dans le prochain, d’apprendre par ses propres misères à connaître celles des autres et, par ce qu’on souffre, la compassion pour les souffrances d’autrui »). 76 Cf. René Pérennec à propos de la rencontre entre Erec et Koralus, le père d’Enite : « L’unification du groupe s’opère grâce à un mouvement inverse de celui que l’on observe chez Chrétien, c’est le fils de roi qui va se pencher sur un homme éprouvé par le sort, mais soumis à la volonté divine. Les deux personnages se rejoignent dans une commune humilité, dans un comportement qui vient gommer la disparité de condition » (Recherches sur le roman arthurien, op. cit., vol. 1, p. 138). 77 Cf. Mt 5, 6 : « Beati misericordes quia ipsi misericordiam consequentur » (« Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde »). 78 Pour une étude détaillée du passage et ses liens étroits avec Erec, on se référera à René Pérennec, Recherches sur le roman arthurien, op. cit., vol. 1, p. 187-195.

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sur leur nudité : ils vont pieds, jambes et bras nus, suscitant ainsi la miséricorde d’Iwein dès qu’il les aperçoit (Iwein, v. 4914-4918). Alors que Chrétien met l’accent sur le traitement injuste et infamant réservé à ces chevaliers, Hartmann va plus loin et confère à son passage une portée religieuse. À l’instar de Cadoc, ces chevaliers quasi nus et couverts de sang évoquent l’image du Christ martyr. Nous retrouvons ici le schéma traditionnel de l’imitatio Christi : à travers eux, à travers leur nudité et leurs tourments, c’est du Christ qu’Iwein a pitié. Pour l’Église, le but suprême de l’humilité et de la miséricorde est d’ailleurs bien de conduire l’homme à éprouver de la compassion pour le Christ crucifié79. Le passage mettant en scène les trois cents demoiselles prisonnières du château, épisode qui chez Chrétien porte le nom de Pesme aventure, est retravaillé dans la même perspective. Là encore, l’unification de la noblesse se fait par le truchement de l’humilité et de la détresse. Dès la rencontre d’Iwein avec la messagère, l’accent est mis sur les souffrances endurées par l’un et par l’autre. En effet, après avoir quitté la cour de Laudine, Iwein recommence à mener une vie pénible et âpre avant de trouver un gîte où passer sa convalescence. Alors qu’il découvre la messagère de la cadette de Noire Épine, ce sont les tourments qui marquent la demoiselle qui retiennent l’attention du chevalier. Dans l’œuvre française, la demoiselle elle-même évoque les moments pénibles qu’elle a vécus afin de retrouver Yvain (Chevalier au Lion, v. 5065). L’adaptateur réorganise ce passage : la demoiselle ne fait aucune allusion à ce qu’elle a subi, c’est au contraire le chevalier qui le remarque et y est sensible. Une fois de plus, nous retrouvons le même schéma éthique basé sur la compassion : celui qui vient à nouveau d’endurer des tourments est sensible au malheur d’autrui. Le souci des souffrances de l’autre est bien la caractéristique fondamentale du héros hartmannien : c’est parce qu’il voit les tourments qu’a endurés la demoiselle qu’Iwein est d’emblée prêt à accéder à la requête qu’elle formule (Iwein, v. 5992-5999). Iwein incarne la définition de la charité chrétienne : il s’agit pour le chevalier qui a pris conscience de la faiblesse d’une personne de ne pas en abuser pour la dominer par la force mais au contraire de lui venir en aide autant que faire se peut. L’extrême courtoisie d’Iwein et l’empathie qu’il manifeste effacent les notions que Chrétien avait à cœur de mettre en exergue. La question du repos et de son refus par le chevalier, soulignée par le texte français (Chevalier au Lion, v. 5096-5101), fait ressurgir la problématique de la « recreantise ». Cette fois, si Yvain renonce au repos, ce n’est pas pour courir les tournois et accroître sa renommée mondaine, mais pour défendre le bon droit de la cadette de Noire Épine (ibid., v. 5108). Hartmann renonce à ce développement, qui pourtant correspond au sens et à la « conjointure » de son roman, pour axer ce passage sur la notion de charité. C’est ainsi que l’arrivée au château du chevalier accompagné de son lion et de la messagère est traitée de façon radicalement originale par Hartmann. Le héros français, confronté aux remarques acerbes et blessantes des villageois qui tentent de lui 79

Cf. Bernard de Clairvaux, De gradibus humilitatis et superbiae, VI (PL, vol. 182, col. 951 D - 952 C).

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faire rebrousser chemin, réagit comme un chevalier conscient de son rang et de la caste à laquelle il appartient. Yvain insulte les gens qui le reçoivent si mal et les qualifie de « gens vils et insensés »80, « gens pleins de méchanceté »81ou encore de « gens sans honneur et sans bienveillance »82 . Le chevalier ne fait aucun mystère du mépris qu’il éprouve pour ces petites gens qui osent lui réserver un accueil si peu digne de lui. Il est clair que ces villageois, qui l’avertissent et craignent pour sa vie, ont piqué son honneur au vif. À l’inverse, la supériorité du héros hartmannien ne s’exprime pas à travers le dédain et l’insulte, mais à travers une courtoisie à toute épreuve, doublée d’une humilité presque surprenante. Il s’adresse à eux par une apostrophe qui signifie littéralement « très nobles gens » (Iwein, v. 6106), leur demande en quoi il a mérité un tel accueil et regrette de les avoir peut-être offensés à son insu. C’est également par l’interjection « ami » (ibid., v. 6259) qu’il interpellera le portier qui le reçoit avec une grande espièglerie au château où les demoiselles sont retenues prisonnières. Au sentiment de supériorité lié à l’appartenance à la caste guerrière et aristocratique, à l’arrogance qui caractérise le héros français, Hartmann substitue la supériorité morale, l’humilité, la nobilitas morum et une politesse inébranlable. Contrairement au héros français qui change radicalement de ton lorsqu’il s’adresse à la dame noble qui l’interpelle, le niveau de langue d’Iwein est le même lorsqu’il parle avec les gens du peuple ou avec la dame. Brian Woledege83 a étudié en détail l’alternance entre le vouvoiement et le tutoiement qui marque tout le passage dans le roman français : les habitants de la ville vouvoient Yvain, comme cela convient lorsque l’on s’adresse à un chevalier, tandis qu’il leur répond sur un ton très mordant en employant le pronom « tu » (Chevalier au Lion, v. 5140-5143). Si la dame, qui en temps normal ne tutoierait pas un chevalier, lui dit « Ami, tu te fâches sans raison »84, c’est qu’elle est profondément angoissée et craint pour la vie du jeune homme. Le tutoiement trahit ici l’émotion qui s’est emparée d’elle. Brian Woledge a judicieusement noté que « ce tutoiement continue pendant une vingtaine de vers » et que lorsqu’elle s’apprête à quitter Yvain, la dame revient au « vous ». Yvain quant à lui « n’abandonne pas le vous en parlant à la dame ». En optant pour l’hyper-courtoisie des protagonistes et en gommant toute trace de tutoiement, Hartmann a supprimé ce jeu subtil basé sur l’alternance du « tu » et « vous » et toutes les nuances qu’elle implique quant à la « peinture des personnages et des situations ». La nouvelle stylisation adoptée par l’adaptateur allemand s’accompagne ici d’une perte de sens et de la richesse qui marque le texte français. Néanmoins, qu’il s’agisse d’Yvain ou d’Iwein, dans les deux romans le héros reste fidèle à lui-même, car c’est bien la personnalité même du prota-

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Chevalier au Lion, v. 5121 : « gent fole et vilainne ». Ibid., v. 5122 : « gent de tote malvestié plainne ». 82 Ibid., v. 5138 : « gent sanz enor et sanz bonté ». 83 B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le chevalier au lion) de Chrétien de Troyes. Tome II, v. 3412-6808, Genève, Droz, 1988, p. 76. 84 Chevalier au Lion, v. 5144 : « Amis, de neant te corroces ». 81

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goniste que Hartmann a transformée en profondeur. Si le chevalier allemand est noble, il l’est tout autant par la naissance que par une vertu et une courtoisie irréprochables. La description des trois cents demoiselles permet à Hartmann de souligner la solidarité morale qui s’exerce au sein de la classe aristocratique. Dans le roman français, l’accent est mis principalement sur le dénuement extrême dans lequel vivent les trois cents ouvrières et sur le désespoir qu’elles éprouvent à vivre dans des conditions aussi difficiles. Leur grande pauvreté et leur manque de nourriture sont les raisons qui expliquent la tristesse qui les accable ainsi que leur maigreur, leur pâleur et les souffrances que trahissent leurs corps et leurs visages (Chevalier au Lion, v. 5195-5238). Malgré une apparente fidélité au texte d’origine, Hartmann a en fait totalement remanié le passage et la signification qu’il convient de lui donner. Il amplifie tout d’abord le thème du travail accompli par les ouvrières et s’attarde sur la pénibilité de leur besogne. Les ouvrières tissent toujours des habits de soie et d’or mais le vocabulaire employé par Hartmann correspond en réalité au travail beaucoup plus éprouvant du lin. La dureté de la tâche exécutée par les demoiselles devait particulièrement tenir à cœur à l’auteur qui va développer cet aspect davantage encore dans la seconde version de son roman telle qu’elle nous est transmise par le manuscrit de Giessen. En effet, celles qui ne maîtrisent pas l’art du tissage de la soie et des fils d’or doivent enrouler les fils, casser le lin à l’aide d’une braie, le battre, le carder, le peigner, le tresser ou encore plier les vêtements de lin (Iwein, v. 6189-6199). Parallèlement, Hartmann innove en insistant sur le fait que ces demoiselles sont d’origine noble. Dans le texte français, Yvain apprend que ces femmes sont toutes issues d’une île lointaine, l’Île aux Pucelles, d’un Autre Monde celtique rationalisé par Chrétien et intégré à son roman courtois. Le problème de leur origine sociale ne se pose donc pas, même s’il est vrai que le texte suggère que ces femmes appartiennent à la noblesse : elles seraient « belles et élégantes »85 si on leur accordait ce qui pourrait les contenter, et Yvain les appelle « Dameiseles » (Chevalier au Lion, v. 5229). Par ailleurs, les femmes et les fées habitant cet Autre Monde deviennent souvent des dames nobles lorsqu’elles font leur entrée dans la littérature arthurienne. Hartmann va développer et problématiser cet aspect à peine suggéré par Chrétien en mettant leur noblesse en exergue. Tandis que chez Chrétien elles baissent la tête par désespoir et dégoût de la vie (ibid., v. 5209-5214), dans le roman allemand c’est la honte qui les incite à se comporter ainsi. Elles ne peuvent supporter qu’un étranger ait vu leur misère. Cette pudeur ainsi que leur aptitude à rester dignes en toute circonstance révèlent leur noblesse d’âme et implicitement leur haute naissance, car là encore l’union de la nobilitas carnis et de la nobilitas morum va de soi : « Elles délaissèrent leur ouvrage durant tout le temps où il resta parmi elles. La courtoisie qui leur était innée leur commandait de se conduire ainsi. En outre, il remarqua que 85

Ibid., v. 5236 : « beles et gentes ».

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les paroles inutiles étaient rares en ce lieu, ce qui pourtant se produit souvent là où beaucoup de femmes se retrouvent ensemble. » (Iwein, 6283-6289)

Cette noblesse est d’ailleurs confirmée par les propos que tient Iwein à leur égard : « Si cela ne vous heurte pas, j’aimerais vous demander de quelle lignée vous êtes et quels sont vos parents. Si cette pauvreté est due à votre naissance, alors je me serai trompé sur votre compte, car je vois bien que la honte vous accable et je sais ceci : celui qui est habitué à l’indigence depuis sa naissance n’éprouve pas une honte si grande que celle qui est la vôtre. Dites-moi maintenant précisément ce qu’il en est : devez-vous cette existence à votre condition ou à un malheur ? » (ibid., v. 6295-6309)

Le scandale et l’injustice dénoncés dans les deux œuvres ne sont donc plus de même nature. Chrétien cloue au pilori l’état de pauvreté dans lequel on maintient ces trois cents femmes. La honte évoquée par la demoiselle qui se lamente au nom de toutes paraît presque secondaire : elle évoque certes cette honte, la souffrance et la misère qui les accablent (Chevalier au Lion, v. 5294 sq.) mais elle semble avant tout souffrir de la faim, de la soif et de la pauvreté (ibid., v. 5302-5314). Cette pauvreté extrême contraste avec le luxe dans lequel vit le châtelain. Hartmann souligne quant à lui l’incompatibilité fondamentale qui existe entre l’extrême dureté du travail et la noblesse des demoiselles. C’est cette noblesse qui rend, aux yeux d’Iwein, insupportables l’existence actuelle qui leur est infligée, les souffrances qu’elles endurent et leur pauvreté. Si les mêmes conditions de travail étaient imposées à des roturières, alors personne ne s’en offusquerait. La recherche française a souvent vu dans l’épisode de Pesme aventure « l’occasion de peindre l’exploitation des travailleurs »86, à l’inverse le point de vue de Hartmann est à la fois chrétien et aristocratique, fondamentalement élitiste. 8. Le sens des combats Les deux premières aventures de la seconde partie nous montrent un héros valeureux qui s’engage pour autrui sans plus penser à lui. L’auteur marque clairement l’évolution parcourue par le chevalier lorsque le hasard le conduit à la fontaine : ce n’est qu’à ce moment qu’il se souvient avoir perdu « son honneur, son pays et sa femme » (Iwein, v. 3924-3926). Ce passage nous révèle qu’il raisonne comme Laudine, il n’évoque ni l’amour ni la passion qu’il éprouve pour sa femme mais analyse sa situation de façon rationnelle, et surtout il emploie les termes qui rappellent ceux qu’utilisait Laudine. Iwein recouvre la mémoire en même temps qu’il semble regretter d’avoir été en quête d’honneurs et de plaisirs mondains (v. 3965, «  eren unde 86

B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le chevalier au lion) de Chrétien de Troyes. Tome II, v. 3412-6808, op. cit., p. 75 : « Pesme Aventure offrait à Chrétien l’occasion de peindre l’exploitation des travailleurs, et c’est peut-être là sa raison d’être ».

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wunne ») qui, maintenant qu’il a perdu ses biens éphémères, ne lui laissent que le goût amer d’un bonheur fugace. Il est désormais devenu lucide, le retour à la fontaine marque un nouveau départ. D’autres passages du texte nous révèlent cette évolution morale parcourue par le héros : l’humilité dont il fait preuve face à Laudine à qui il déclare n’être digne d’aucun éloge (ibid., v. 5498 sq.) ou face à la demoiselle à qui il dit ne plus être détenteur d’aucune grâce (ibid., v. 5988) en est la preuve la plus évidente et montre qu’il a surmonté ses erreurs passées et n’est plus en quête de renommée mondaine. Il a appris à se connaître lui-même et a découvert sa nature humaine dans toute sa fragilité. La charité et l’humilité sont les deux vertus essentielles qui permettent à Iwein d’éprouver de la compassion  : «  L’humilité est la vertu par laquelle l’homme devient méprisable à ses propres yeux parce qu’il se connaît mieux »87. Mieux se connaître, c’est prendre conscience de sa propre misère. Les épisodes décrivant les combats contre le géant puis contre le sénéchal et ses frères ont pour fonction principale de mettre en scène une chevalerie dans l’erreur, une chevalerie qui incarne la violence délibérée et l’orgueil (le géant) ou qui croit à tort défendre le droit (le sénéchal) face à une chevalerie qui représente le droit, la justice voulue par Dieu et qui à ce titre jouit du soutien de Dieu. Il s’avère en fait que tous les combats – hormis ceux qui mettent en scène le comte Aliers puis le dragon – sont construits sur le modèle du duel judiciaire. Certes, l’ordalie en tant que moyen judiciaire permettant d’établir la vérité était condamnée par l’Église, qui y voyait un moyen de mettre Dieu à l’épreuve et d’enfreindre les Saintes Écritures88. Cependant, rien n’empêche un chrétien combattant pour la justice et le droit d’espérer en l’aide de Dieu : Celui-ci n’intervient cependant que lorsqu’Il le souhaite, et non lorsqu’on lui adresse une prière ou lorsqu’on le met à l’épreuve89. Il est notable que dans ce roman Dieu seconde le chevalier qui incarne la justice. En outre, le duel judiciaire permet à Hartmann de marquer une opposition très nette entre une bonne et une mauvaise chevalerie, entre une chevalerie qui est l’instrument de la justice divine et une chevalerie égarée, dévoyée. Nous verrons que l’assurance affichée par Iwein ne doit pas être confondue avec de l’arrogance, elle est simplement l’expression de cette foi absolue. En ce sens, Hartmann a modifié le personnage du sénéchal de Laudine de façon significative. Chez Chrétien, le sénéchal que combat Yvain est le même personnage que celui qui a tenu un long discours, éloquent et persuasif, afin de convaincre la cour de la nécessité du mariage de Laudine et d’Yvain (Chevalier au Lion, v. 2083-2106). 87

Bernard de Clairvaux, De gradibus humilitatis et superbiae, I,2 ; PL, vol. 182, col. 942 B : « Humilitas est virtus qua homo verissima sui cognitione sibi ipse vilescit ». 88 Cf. Mt 4, 7 et Lc 4, 12 : « Dictus est non temptabis Dominum Deum tuum » (« Il est dit que tu ne tenteras pas Dieu, ton Seigneur »). Pierre le Chantre reproche à de telles procédures judiciaires d’obliger Dieu au miracle alors qu’en réalité les décisions divines demeurent inaccessibles à l’humanité (Petrus Cantor, Petri Cantori Verbum Abbreviatum, PL 205, col. 226 A, cap. 78 : « Contra peregrina judicia ferri candentis, et aquæ frigidæ, vel bullientis »). 89 Cf. R. Schnell, Suche nach Wahrheit, Tübingen, Niemeyer, 1992, p. 72 sq.

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Le sénéchal et Lunete agissent en fins politiques : ils ont pour but de persuader Laudine d’épouser Yvain. Cependant Lunete agit avec loyauté et dévouement, le sénéchal incarne le type même de l’intrigant : il ment en faisant croire qu’Arthur va dévaster le pays (ibid., v. 2083-2086) alors que le souverain ne semble en réalité mû par aucune intention belliqueuse. Le sénéchal est un envieux qui cherche par tous les moyens à nuire à Laudine et à semer la discorde entre la reine et sa conseillère (ibid., v. 3668-3679). Lunete accusera d’ailleurs le sénéchal et ses frères d’être les auteurs de faux témoignages (ibid., v. 4404). En tant que chef des armées de la duchesse, il considère sans doute que c’est à lui seul que revient le privilège d’être écouté par celle-ci. Enfin, lors de la confrontation avec Yvain, ce sénéchal se comporte comme un insensé : il tient des paroles misogynes, accusant les femmes d’être des créatures prodigues de mensonges, enjoint à Yvain de ne pas s’attaquer à trois adversaires et finit par répondre « de façon totalement insensée »90 que le chevalier peut user de tous les moyens pour les attaquer sauf du lion. Son discours est celui d’un prétentieux : à l’instar de Keu, il s’agit d’un hâbleur qui se donne de grands airs et vit de ses paroles creuses. Dans le roman allemand, la première intervention du sénéchal a été considérablement raccourcie et ses paroles ne sont plus rapportées que de manière indirecte par le narrateur (Iwein, v. 2399 sqq.) ce qui le relègue à un rôle mineur. Il semble servir Laudine loyalement et rapporte les faits de manière objective, il ne ment pas, n’invente rien et parle en « termes justes » (ibid., v. 2407) de la haute naissance et de la valeur d’Iwein. L’aspect très négatif de l’intrigant est moins développé que chez Chrétien, Lunete se contente d’indiquer que le sénéchal et ses frères la détestent et la jalousent depuis toujours pour les faveurs que lui accorde Laudine. Cependant c’est la scène du combat contre Iwein qui permet de tracer un portrait beaucoup moins négatif du sénéchal. Toutes les remarques misogynes ont été gommées, et le sénéchal semble être de bonne foi : il est persuadé que Lunete a trahi sa dame et, simplement, il se trompe et croit à tort servir sa dame et le droit. Ainsi affirme-t-il que le droit est contre Iwein et que tout le pays a compris que Lunete est déloyale et a trompé Laudine (Iwein, v. 5228 sqq.). Une argumentation semblable est bien présente chez Chrétien (Chevalier au Lion, v. 4464-4467), mais elle semble faire partie de la stratégie mensongère du sénéchal qui s’appuie sur ce que l’on croit dans le pays pour en conclure qu’il est juste que Lunete soit punie. Le narrateur rajoute d’ailleurs qu’Yvain connaît la vérité. Tandis que le sénéchal du roman français se laisse aveugler par son orgueil et la confiance qu’il a en la supériorité numérique de son groupe, le sénéchal de Hartmann déclare ne pas être assez présomptueux pour agir contre la volonté de Dieu et affirme avoir confiance en l’aide divine (Iwein, v. 5268-5273). Hartmann renforce donc l’aspect judiciaire du combat : il oppose deux parties persuadées, l’une comme l’autre, d’avoir le droit de son côté et de se battre pour une cause juste. C’est donc Dieu qui tranchera en accordant la victoire à Iwein. Par ailleurs, Hartmann ne cherche pas à noircir 90

Chevalier au Lion, v. 4449 : « mout folemant ».

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inconsidérément le personnage du sénéchal. Cette volonté de l’épargner moralement est sans doute due, ici encore, au contexte historique et social propre à chaque auteur. La notion d’ordalie est présente lors des quatre derniers combats que livre Iwein dans la deuxième partie du roman : qu’il s’agisse d’affronter le géant Harpin, le sénéchal et ses frères, les deux géants du château aux trois cents prisonnières ou même Gawein, Iwein a toujours Dieu et le droit de son côté si bien que toute défaite de sa part paraît d’emblée exclue. Certes, il s’agit en premier lieu d’une nouvelle stylisation du récit qui permet de rééquilibrer les forces en présence. Gottfried de Strasbourg, dans son Tristan, aura recours à une stylisation semblable : lors de l’ordalie qui oppose Tristan à Morolt, ce dernier présenté comme ayant la force de quatre hommes (le même motif se retrouve d’ailleurs chez Eilhart d’Oberg), Tristan devient lui aussi quadruple et se voit secondé par Dieu, la vérité et, puisqu’il en faut effectivement quatre, la détermination. Chez Gottfried, cet arrangement arithmétique se veut humoristique et est quasiment impie. Dieu ne compte que pour une simple unité dont l’auteur a besoin pour arriver au calcul souhaité : « De ces quatre-là et des quatre autres, je forme ainsi, du mieux que je peux, deux troupes complètes, de huit hommes au total »91. Si la recherche de l’équilibre est bien présent chez Hartmann, l’évocation de Dieu n’a cependant rien de comique ni d’impie. Face à la force du géant Harpin, Iwein argue qu’il a de son côté le droit et Dieu (Iwein, v. 4947-4951). Il en va de même par la suite, face aux trois chevaliers qui veulent brûler Lunete : Iwein s’en remet à Dieu et à l’innocence, deux instances qui ne permettront jamais au mal et à l’injustice de triompher. Là encore, l’équilibre est recréé, on se bat trois contre trois, toutefois Iwein souligne que la supériorité du droit et de Dieu est de son côté : « Qu’est-ce que cela peut me faire que vous soyez trois ? Croyez-vous que je suis seul ? Dieu a toujours été du côté de la vérité : c’est accompagné d’eux deux que je suis venu ici. Je sais parfaitement qu’ils sont à mes côtés. Ainsi sommes-nous trois comme vous. J’ai, je crois, plus forte compagnie que vous n’avez. » (ibid., v. 5260-5267)

La confiance en Dieu et en Sa justice est déjà bien présente dans l’œuvre française mais elle demeure plus limitée. L’aide de Dieu est évoquée lorsqu’Yvain affronte Harpin (Chevalier au Lion, v. 3973 sqq.) ou lors du combat judiciaire contre le sénéchal : Lunete en appelle à Dieu et considère qu’Yvain est Son envoyé. Yvain déclare quant à lui que Dieu et la justice ne font qu’un. Il est certain que Dieu et le droit seront de son côté, et qu’il dispose d’une meilleure aide et d’une meilleure compagnie que le sénéchal (Chevalier au Lion, v. 4332-4348). Cependant, si l’on considère l’ensemble du roman, Hartmann amplifie la dimension religieuse du texte français et confère à

91 Gottfried de Strasbourg, Tristan et Isolde, texte traduit et présenté par Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok, op. cit., p. 478.

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son héros une confiance absolue en Dieu qui différencie Iwein de son homologue français : dans l’œuvre de Chrétien, l’arrivée d’Yvain peut être interprétée comme un signe de la Providence (ibid., v. 3973) mais l’aide de Dieu, si elle est parfois invoquée par Yvain, n’est jamais une certitude et n’est pas acquise d’avance. Ainsi Yvain demande-t-il à la femme et à la fille du châtelain, dont les quatre fils sont prisonniers du géant Harpin de la Montagne, de prendre courage et d’attendre jusqu’au lendemain afin de voir si Dieu voudra bien leur porter secours92 . Alors qu’il se lance au secours de Lunete, Yvain n’ose donner aucune assurance au châtelain qui le prie de revenir, car il ne peut prévoir si l’affaire se finira bien ou mal pour lui (ibid., v. 42634272). Aux doutes du héros qui hésite et qui craint pour sa vie, Hartmann substitue le plus souvent un chevalier qui affiche une confiance inébranlable en Dieu et en Sa justice. Rares sont les passages lors desquels Iwein semble craindre pour sa vie. S’il déclare au châtelain qui tente de le retenir que l’issue du voyage qu’il entreprend est incertaine (Iwein, v. 5120), tout doute et toute crainte semblent s’être dissipés lorsque commence le combat contre le sénéchal et ses frères : « Toutefois monseigneur Iwein avait grande confiance en deux choses : Dieu et l’innocence ne permettraient jamais à la violence de triompher et de le vaincre ; d’autre part, il savait que le lion, son compagnon, l’aiderait à sauver la demoiselle. » (ibid., v. 51545161)

Le combat se déroulant dans le château où sont retenues les trois cents demoiselles est traité de façon très différente par les deux auteurs et est présenté, chez Hartmann, comme un duel judiciaire. La recherche française a souligné à maintes reprises les similitudes qui existent entre la coutume de la Joie de la Cour dans Érec et Énide et la coutume observée dans le château de Pesme aventure. La coutume désigne dans ce contexte une aventure merveilleuse et maléfique, qui est amenée à se répéter régulièrement jusqu’à ce que le sortilège soit aboli par un chevalier élu93. Dans les deux cas, le héros est averti par la population locale du danger mortel qui le guette, avant d’affronter des adversaires gigantesques. La victoire d’Yvain permet d’abolir une mauvaise coutume qui a déjà coûté la vie à de nombreux chevaliers, l’issue du combat engendrant la libération des victimes du lieu ainsi que la restauration de la joie. Même si l’épisode de Pesme aventure ne constitue pas l’aventure finale du roman, l’action rédemptrice du héros est bien la même que dans la Joie de la Cour. D’un point de vue chronologique, si l’on admet qu’Érec et Énide a été adapté en allemand vers 1180-85, on ne peut pas exclure que Hartmann ait eu l’épisode de Pesme aventure en tête

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Chevalier au Lion, v. 3991 : « Se Dex les voldra conseillier » (« si Dieu voudra les assister »). Cf. P. Ménard, « Réflexions sur les coutumes dans les romans arthuriens », in K. Busby et C. M. Jones (éd.), Por le Soie Amisté. Essays in Honor of Norris Lacy, Amsterdam, Rodopi, 2000, p. 357-370, ici p. 369 : « Pour qu’il y ait naissance d’une coutume, il faut que l’on ait affaire à une aventure stable, inscrite dans la durée, se reproduisant périodiquement, presque fossilisée. La recherche de l’étrange, si importante dans les romans de chevalerie, conduit les auteurs à user généreusement du terme de coutume ». 93

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lorsqu’il transcrivit l’aventure de la Joie de la Cour. Quoi qu’il en soit, l’auteur allemand semble avoir parfaitement compris le parallèle existant entre les deux textes et s’inspire pour ce passage d’Iwein du traitement qu’il avait fait de la Joie de la Cour dans Erec. Dans Erec, Mabonagrin n’incarne pas simplement les dangers d’un amour qui coupe le chevalier de la société, mais il renvoie également à la chevalerie homicide : « Je crois que son cœur saignait quand il ne trouvait pas à se battre tant sa main était meurtrière », déclare le narrateur94. Ce chevalier à la taille gigantesque est la personnification de la fureur meurtrière, le « représentant des forces diaboliques »95. Il constitue peut-être une réminiscence du deuxième cavalier de l’Apocalypse qui sème la guerre sur la terre entière (Apc 6,4) ou de l’Antéchrist, père de l’homicide (Jn 8,44), en même temps que l’image du cœur qui saigne est une inversion du sacrifice du Christ dont le cœur saigne par charité pour l’humanité. De la même façon qu’avec l’aide constante de Dieu Erec avait permis le retour de la joie en vainquant Mabonagrin, Iwein vient à bout des deux géants auteurs de déjà « bien des meurtres » (Iwein, v. 6673) et restaure la joie : « Que Dieu soit à jamais loué pour avoir permis à la menace et aux railleries proférées par le portier de se transformer en joie » (ibid., v. 6782-6785). À l’instar d’Erec, Iwein apparaît comme l’instrument de la justice divine : le miles christianus parvient à terrasser ceux qui représentent l’orgueil, la violence arbitraire, l’homicide. Il faut d’ailleurs noter, comme dans l’adaptation de l’épisode de la Joie de la Cour, la fréquence de l’emploi de l’adjectif « sælech » (ibid., v. 6360, 6590) et du substantif « sælde » (ibid., v. 6403, 6873) qui chez Hartmann renvoient généralement à la félicité ou à la chance accordée par Dieu, c’est-à-dire à l’action de la Providence. Cette félicité s’oppose à l’action néfaste des géants, ces êtres maléfiques qualifiés de « unsæligen risen » (ibid., v. 6351). La christianisation de l’aventure constitue sans nul doute la marque de l’auteur allemand. En effet, Chrétien met l’accent sur le désespoir et la résignation des trois cents femmes qui considèrent qu’elles ne seront jamais délivrées de leurs tourments. De plus, elles déplorent avoir vu mourir de jeunes et preux chevaliers lors du combat les opposant aux deux géants. Hartmann place d’emblée cet épisode sous le signe du combat livré au nom de Dieu. Les demoiselles ne manifestent aucune résignation et l’une d’entre elles indique que seul Dieu, s’Il y consent, pourra venir en aide à Iwein et lui permettre de les vaincre, car rien ne peut Lui résister (ibid., v. 6333-6336). En effet, ces deux « suppôts du diable » sont tellement forts qu’un chevalier ne peut rien contre eux sans l’aide de Dieu. Cette fois encore, même si l’aide de Dieu et du lion permet bien de recréer un équilibre, aucun élément du texte n’autorise à mettre en cause l’action bien réelle de la Providence : Dieu apparaît comme la puissance tutélaire qui permet la victoire de la justice, tandis que sur le terrain le lion, un temps en réserve, rétablit l’équilibre des 94 « Ich wæne, sîn herze bluote, | swenne er niht ze vehtenne vant : | sô mordic was sîn hant », Hartmann von Aue, Erec, herausgegeben von Manfred Günter Scholz, op. cit., p. 504, v. 9021-9023. 95 Pérennec (René), Recherches sur le roman arthurien, op. cit., vol. 1, p. 143.

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forces. La confiance en la Providence et en un élu, en un homme « béni par la félicité », la « sælde » (ibid., v. 6360), semble avoir pris le pas sur la résignation des ouvrières de Chrétien. Iwein lui-même affirme pouvoir survivre si Dieu vient à son secours (ibid., v. 6412 sq.). Puis, lorsqu’il affronte les deux géants, c’est le narrateur qui intervient et qui espère que Dieu protègera le chevalier, car le combat est inégal, avant de souhaiter que Dieu anéantisse les deux géants. Là encore, Hartmann a considérablement remanié sa source. Le héros français découvre la puissance, la cruauté et l’endurance des géants sans parvenir à leur infliger une blessure. Seule l’intervention décisive du lion lui permettra de l’emporter. Le héros allemand ne connaît pas de tels déboires : la maîtrise de l’art du combat permet à Iwein de leur résister longtemps sans être tué. Alors qu’un géant est à terre et que le lion se jette sur lui, le narrateur précise : « la justice s’abattit sur lui » (ibid., v. 6747), le terme « gerich » désignant littéralement la vengeance, la punition. À l’instar de son maître, le lion devient ici l’instrument de la punition divine. Enfin, le texte ne peut être plus clair lorsque le narrateur déclare que c’est Dieu qui accorde la victoire finale à Iwein : « Dès que le suppôt du diable lui eut tourné le dos, Dieu accorda à Iwein de lui infliger bien des blessures en peu de temps […]. Que Dieu soit à jamais loué pour avoir permis aux menaces et aux railleries proférées par le portier de se transformer en joie. » (ibid., v. 6759-6785)

L’aide apportée par le lion devient presque accessoire chez Hartmann, car l’animal a été remplacé par l’intervention divine. C’est encore au nom de l’amour qu’il porte à Dieu qu’Iwein laisse la vie sauve au second géant. La différence avec le texte français est nette : chez Chrétien, Yvain craint la mort et ne doit la victoire qu’à l’intervention de son lion. Dès l’intervention du lion il ne joue d’ailleurs plus « que le second rôle »96. Chez Hartmann, l’attaque de l’animal est presque superflue. Elle est juste la preuve de la loyauté que le lion porte à son maître, mais le maître comme l’animal ne sont que les instruments de Dieu. Dans l’œuvre allemande, c’est bien Dieu qui est vainqueur ! Ceci explique pourquoi le lion n’est plus chez Hartmann un symbole chrétien, l’analogon du Christ, mais juste le pendant animal du compagnon d’armes loyal et courageux. La comparaison des deux romans ne suffit cependant pas à expliquer le rôle ambigu du châtelain : est-il également victime des géants ou sont-ils tous trois complices ? Est-il leur prisonnier ou leur maître ? Le texte français déjà maintient l’ambiguïté durant toute l’aventure : le seigneur, fort courtois, interdit à Yvain de quitter le château sans combattre et, déclarant devoir maintenir une coutume diabolique, il fait venir ses deux « sergenz », grands et forts (Chevalier au Lion, v. 5466-5473). On découvre également que si l’on prend soin des chevaux d’Yvain et de celle qui l’accompagne, c’est parce que l’on compte bien les garder (ibid., 5356-5359). Les habitants 96

J. Subrenat, « Pourquoi Yvain et son lion ont-ils affronté les fils de Netun », in J. Dufournet, Le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes. Approche d’un chef d’œuvre, Paris, Champion, 1988, p. 173-193, ici p. 181.

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du château profitent donc de cette infâme coutume pour s’enrichir ce qui apparente ce lieu à un repaire de brigands. La richesse et le luxe dans lesquels vivent le châtelain et les membres de sa famille, tandis que les trois cents ouvrières souffrent du plus grand dénuement, semblent venir confirmer cette hypothèse. Le châtelain impose l’épreuve à Yvain et ne tolère aucun argument visant à se dérober (ibid., v. 5487-5489). Il paraît condamner cette coutume, cependant les géants sont bien ses gens et à aucun moment il ne déclare être le prisonnier des « netuns ». Les ouvrières, quant à elles, n’évoquent que la tyrannie exercée par les deux démons et ne font aucune mention du châtelain. Plus étrange encore est le fait que celui-ci et sa femme se réjouissent de la victoire d’Yvain et ne rechignent nullement à lui céder leur fille sur-le-champ et à le reconnaître comme leur seigneur (ibid., v. 5698-5704). La recherche considère parfois que ce châtelain est lui-même victime de la coutume et qu’il attend qu’un chevalier vienne l’en délivrer97. Ceci expliquerait donc la joie qu’il éprouve lorsque les deux géants sont anéantis. Une interprétation aussi tranchée fait sans doute trop peu de cas de l’ambivalence délibérément recherchée par le texte français : le narrateur luimême concède ne pas savoir si le châtelain et sa famille veulent tromper Yvain98, il se contente de constater qu’ils l’accueillent « fort joyeusement »99 et qu’ils s’emploient à ce que le chevalier soit bien hébergé. L’ironie de ces propos, qui suggèrent l’ignorance du narrateur, vise à renforcer l’atmosphère oppressante qui règne depuis le début sur l’épisode et à mettre en évidence le comportement suspect du châtelain. En fait, à aucun moment le texte ne tranche véritablement afin de lever le doute qui pèse sur ce personnage. Sans doute faut-il se référer au mabinogi d’Owein pour comprendre l’origine de l’ambiguïté qui caractérise ce personnage. En effet, même si la recherche admet, depuis environ un siècle, que les trois romans arthuriens gallois ont été fortement influencés par les romans de Chrétien de Troyes, et non le contraire100, il est évident que ces textes recèlent encore des éléments archaïques qui ne sont plus guère visibles dans les romans du maître champenois. On a actuellement tendance à 97

Ibid., p. 185-186. Chevalier au Lion, v. 5409 : « Ge ne sai se il deçoivent » (« Je ne sais s’ils le trompent »). 99 Ibid., v. 5410 : « a grant joie ». 100 En ce qui concerne la longue controverse qui a opposé les tenants d’une origine purement galloise de ces trois romans aux partisans de l’influence française, on peut se rapporter à : D. Edel, « The ‘Mabinogionfrage’ : Arthurian Literature between orality and Literacy » in H. L. C. Tristram, Re-oralisierung, Tübingen, Narr Verlag, 1996, p. 311-334, en particulier les pages 311 à 314. Le rapport entre les romans français de Chrétien et les trois romans gallois est d’une grande complexité. L’épisode de Pesme aventure en fournit une nouvelle preuve : le fait que l’auteur gallois a inséré cet épisode en dehors de l’économie générale du roman, après qu’Owein a recouvré l’amour de sa dame et l’a conduite chez Arthur, laisse penser qu’il était conscient du parallèle qui existe entre cette aventure et l’épisode de la Joie de la Cour qui clôt Érec et Énide / Gereint fils d’Erbin. D’ailleurs, dans l’épisode gallois de l’Enclos de Nuée, le comte Owein a pris la place du seigneur Évrain qui règne sur la ville de Brandigan. L’auteur semble avoir voulu faire de ces deux aventures mettant en scène l’abolition d’une coutume terrible deux apothéoses finales à mettre en relation l’une avec l’autre. Cette recherche de l’organisation des textes visant à en faire ressortir le sens et la cohérence plaide sans doute pour l’influence de Chrétien de Troyes et de sa belle « conjointure ». Parallèlement, les textes gallois réutilisent des motifs archaïques, sans doute transmis par la tradition orale, que Chrétien avait modifiés ou éliminés. 98

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admettre que les romans gallois et français procèdent d’une source commune aujourd’hui disparue101. Le passage qui, dans le Roman d’Owein, correspond à Pesme aventure peut nous renseigner sur le stade archaïque de la légende celtique telle que Chrétien a pu la connaître. Dans l’aventure finale que constitue cet épisode, Owein arrive à la cour du Noir Oppresseur et y découvre vingt-quatre femmes pauvrement vêtues et accablées de chagrin, toutes « aussi tristes que la mort »102 . Au chevalier qui les interroge, elles répondent qu’elles sont filles de comtes et « qu’elles étaient venues là, chacune, avec l’homme qu’elles aimaient le plus ». Après avoir été bien accueillies, le « diable qui possède cette cour » les a enivrées et a tué leurs maris avant de dérober leurs chevaux, leurs vêtements, leur or et leur argent. À son tour bien accueilli par le Noir Oppresseur, Owein affronte son hôte et le contraint à se rendre. Le vaincu demande grâce et s’engage à transformer son repaire de brigands en hospice. Le lendemain, Owein redonne aux femmes tout ce qu’elles possédaient et les conduit à la cour d’Arthur où elles peuvent rester si elles le souhaitent. Nous ne saurions affirmer que Chrétien a connu exactement la même histoire mais nous retrouvons ici les motifs essentiels retravaillés par l’auteur champenois : l’accueil courtois qui masque le piège tendu au héros, le thème du brigandage, les femmes captives et pauvres, leur libération par le héros. Le roman gallois de Peredur met d’ailleurs en scène le même personnage du Noir Oppresseur, qui vit dans un château, entouré cette fois de ses filles, nobles, riches et fort belles. Malgré cette différence, ce texte présente un schéma semblable à celui que nous connaissons par Chrétien : après avoir tué le Noir Oppresseur, Owein refuse de se marier avec l’une des dames de la cour et les laissent libres d’épouser les aimables garçons présents dans le château. Ces textes gallois nous livrent peut-être la clé de l’énigme que constitue l’ambiguïté du châtelain : à l’origine le châtelain et les deux géants sont une seule et même personne. Chrétien, désireux d’intégrer cette aventure à son roman, a peut-être réparti les rôles afin qu’ils puissent correspondre au cadre d’un roman arthurien. Le propriétaire courtois du château devient logiquement un châtelain tandis que la dimension diabolique du Noir Oppresseur est attribuée à deux géants, fils d’une femme et d’un « netun », dont on note d’ailleurs qu’ils sont qualifiés de diables vivants (Chevalier au Lion, v. 5339) et qu’ils sont hideux et noirs (ibid., v. 5514). Hartmann von Aue, qui d’habitude rechigne à faire apparaître un châtelain sous une lumière peu flatteuse, n’a d’autre choix ici que de suivre sa source française. Il est peu probable, même si ce n’est pas totalement à exclure, qu’il ait eu accès aux contes celtiques connus de Chrétien. Globalement, il respecte l’ambiguïté propre au texte français mais, selon la compréhension qu’il a du passage et du rôle du châtelain, il modifie certains détails et semble opter pour une interprétation plus tranchée que celle que propose le texte français : le châtelain est bien celui qui décide de la coutume.

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P.-Y. Lambert, Les quatre branches du Mabinogi, Paris, Gallimard (L’aube des peuples), 1993, p. 209. Ibid., p. 235.

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En effet, ce personnage évoque la coutume qu’il fait respecter dans le château en employant un adjectif possessif: « mine gewonheit » (ma coutume ; Iwein, v. 6582). Si le châtelain français est prêt à reconnaître Yvain comme son seigneur dès que celuici a remporté la victoire, son homologue allemand est plus prudent et précise que le vainqueur obtiendra sa fille et, seulement s’il lui survit, héritera du pays : « Voici en quoi consiste l’épreuve : si un homme a la chance de pouvoir les vaincre alors je devrai lui donner ma fille. Et s’il me survit, il acquerra beaucoup d’honneur et tout ce pays lui appartiendra, car je n’ai pas d’autre enfant. Malheureusement, il en va ainsi : avant qu’ils soient vaincus, je ne peux donner ma fille à aucun homme. Chevalier, risquez votre vie ! Peut-être n’avez-vous pas de biens ? Devenez riche ou mourez ! » (ibid., v. 6589-6603)

Hartmann a rationalisé l’action : le substrat légendaire s’efface ici définitivement au profit d’un schéma inspiré par une réalité sociale contemporaine et mettant en scène un « bachelier ». Le jeune chevalier apparemment démuni et sans ressources pourra, s’il se montre à la hauteur de l’épreuve imposée, épouser la jeune héritière et devenir lui-même châtelain à la mort du patriarche. Enfin, le texte allemand n’évoque nullement la joie que le châtelain et sa femme éprouvent après la victoire d’Yvain. Dans le roman allemand, le narrateur se contente de constater de manière laconique, et paradoxale, que le châtelain lui offre sa fille et son pays. Malgré le respect relatif de sa source, Hartmann reste fidèle à lui-même et, dès que l’occasion se présente, rehausse la valeur morale des personnages – nobles – qu’il met en scène. C’est particulièrement vrai pour Iwein dont le courage et la perspicacité ne doivent laisser aucun doute aux auditeurs ou aux lecteurs. La différence dans la motivation des deux héros, français et allemand, mérite d’être soulignée. Dans le texte français, Yvain libère les trois cents demoiselles quasiment malgré lui. Après la nuit passée au château, il s’apprête à repartir comme si de rien n’était (Chevalier au Lion, v. 5459-5462). Il ne songe nullement aux trois cents prisonnières, de la même façon qu’à aucun moment il ne s’est engagé à les délivrer. En les quittant, il a juste émis le souhait que Dieu puisse leur rendre honneur et joie (ibid., v. 5341-5343). Voici ce qu’écrit Brian Woledge à ce sujet : « Yvain s’incline devant la coutume, sachant qu’il ne pourra autrement sortir du château, mais il se battra à contrecœur, et il le dit en des termes très nets. La beauté de la jeune fille ne l’intéresse pas, bien qu’il ait pu l’apprécier pendant qu’elle le désarmait, le lavait, et l’habillait ; il n’a pas à lutter contre la concupiscence ; bien qu’il n’ose pas le dire, il est marié et il aime sa femme. D’autre part, il tient à remplir la promesse qu’il a faite à la messagère de la deshéritée et il ne semble pas préoccupé par les souffrances des tisseuses : ce sera un libérateur malgré lui. »103

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B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le chevalier au lion) de Chrétien de Troyes. Tome II, v. 3412-6808, op. cit., p. 109.

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Iwein, quant à lui, a d’emblée conscience de la mission qu’il doit remplir : il s’engage à les délivrer avec l’aide de Dieu (Iwein, v. 6400-6413). Ce passage est caractéristique de l’art narratif de Hartmann : l’auteur part d’un détail présent dans le texte français (Iwein souhaite que Dieu libère les demoiselles et leur accorde félicité et honneur, le terme « sælde » venant ici traduire l’idée de « joie ») puis donne au passage une inflexion bien différente : Iwein affirme sa confiance en Dieu et son espoir de venir à bout des deux démons. L’adaptateur réhabilite totalement le héros et ne laisse planer aucun doute sur ses intentions. Le narrateur précise ainsi qu’Iwein fait semblant d’être lâche (ibid., v. 6608). Le chevalier allemand se montre beaucoup moins naïf que le héros français qui, malgré les avertissements de la dame courtoise et sage et ceux du portier, croyait pouvoir partir sans encombre. Hartmann met en exergue la lucidité du héros qui pressent qu’il devra payer cher les honneurs dont il est l’objet (ibid., v. 6542-6555). Mais surtout, il change la fin du passage. Le châtelain, souhaitant marier sa fille, voit sans doute dans Yvain le gendre idéal et insiste pour que celui-ci se conforme jusqu’au bout à la coutume en épousant la demoiselle. Dans le roman français, le héros fait preuve d’un mépris assez évident envers le châtelain : il l’humilie en refusant avec dédain l’offre que lui font le seigneur et sa dame. Au couple qui lui offre sa fille, il répond qu’il la leur rend et que celui qui en veut peut la prendre, car lui n’en a cure (Chevalier au Lion, v. 5705 sq.). L’orgueil et le mépris d’Yvain sont tels, même si le chevalier se défend d’agir avec dédain, qu’ils vont entraîner la colère du châtelain qui menace de retenir Yvain prisonnier. Celui-ci se dit alors prêt à faire le serment qu’il reviendra épouser sa fille quand cela plaira au seigneur du château. La question qui se pose évidemment est celle du silence d’Yvain : pourquoi ne révèle-t-il pas au châtelain qu’il est déjà marié et ne peut donc contracter une seconde union  ? La réponse est à l’image du chevalier : par fierté. En effet, avouer son mariage serait faire la concession d’un échec personnel, d’un « désastre dont il est lui-même responsable »104.Tout ce passage correspond au personnage d’Yvain qui n’est pas aussi lisse, policé et univoque que le héros allemand : s’il se bat pour la justice et le droit, s’il éprouve de la pitié envers les dames ou les chevaliers en détresse, Yvain n’en demeure pas moins un chevalier dans l’âme et dans les tripes. Il est impulsif, arrogant, méprisant et n’hésiterait pas, afin de se tirer d’un mauvais pas, à prêter un serment qu’il ne pourra tenir. Seul le renoncement du châtelain, qui le tient finalement quitte de toute promesse, l’empêche d’être parjure. De manière paradoxale, ce seigneur donne une belle image de père qui protège sa fille d’un mariage humiliant105 : « Je ne méprise pas ma fille au point de vous la donner de force »106.

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Ibid., p. 118. L’interprétation de Brian Woledge, qui ne voit dans le châtelain jusqu’au bout qu’un « riche égoïste » (ibid., p. 118) ne nous semble pas rendre compte de la complexité du personnage. C’est bien là que réside la prouesse inégalée de Chrétien : ses personnages ne sont jamais univoques, ils sont tortueux, torturés et pleins de contradictions. 106 Chevalier au Lion, v. 5768 sq.: « Ja ma fille n’avrai si vil | Que je par force vous la doingne ». 105

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Le héros français est humain et complexe, plein de paradoxes, pouvant se montrer successivement capable des sentiments les plus nobles en se battant pour Lunete puis des réactions les plus viles en oubliant toute juste mesure et toute courtoisie. À l’inverse, Iwein n’affiche aucun dédain et indique immédiatement au châtelain la raison qui le pousse à refuser sa fille : son cœur est déjà pris par l’amour qu’il éprouve pour une autre dame (Iwein, v. 6789-6798). Sans évoquer l’échec personnel dont il est victime, il indique clairement qu’il ne peut aimer une autre femme que celle qui occupe ses pensées. Hartmann inverse le sens du texte français ; loin de mépriser la fille du châtelain, Iwein fait comme s’il se préoccupait de l’honneur de celle-ci : « Dans les jours qui viennent, je dois livrer un combat auquel il est prévu que le roi Arthur assiste, car le duel aura lieu à sa cour. S’il advenait que j’épouse votre fille et que je perde la vie là-bas, alors elle serait déshonorée. » (ibid., v. 6807-6814)

Dès lors, la colère du châtelain, n’ayant plus de raison d’être, tourne court et le chevalier est autorisé à quitter le château sans qu’aucun serment ne soit mentionné de la part d’Iwein. Le motif du serment est d’ailleurs traité de manière très différente puisqu’Iwein rappelle au châtelain la promesse qu’il avait faite de libérer les trois cents demoiselles en cas de défaite des géants. Ce n’est pas seulement Iwein qui est réhabilité moralement mais aussi le châtelain. Le roman français met l’accent sur la pauvreté extérieure des demoiselles qui contraste avec leur richesse intérieure, le soulagement dû à leur libération : « pauvres et mal habillées, mais à présent elles ont l’impression d’être riches »107. À l’inverse, chez Hartmann, le châtelain se montre prévenant et courtois. Maintenant que la mauvaise coutume a été abolie, il semble qu’à l’instar de Mabonagrin dans Erec il puisse être totalement réintégré dans la société courtoise et se montrer digne du rang qu’il occupe. Il garde son invité auprès de lui durant sept jours pendant que l’on soigne les demoiselles, qu’on leur donne de riches habits et qu’on leur prépare des palefrois faciles à monter (Iwein, v. 6831-6840). Dès lors, toute rancune est oubliée et les demoiselles se comportent comme si rien ne leur était arrivé dans ce château. Ainsi, contrairement aux demoiselles du roman français qui sont toujours chétives et misérables lorsqu’elles quittent le château, celles-ci peuvent se refaire une santé et recouvrer les richesses et la beauté dignes de leur statut. En effet, le héros allemand n’est pas pressé par le temps : il passe encore sept jours chez le châtelain alors qu’Yvain est obsédé par l’idée d’arriver à temps à la cour d’Arthur pour venir en aide à la cadette de Noire Épine. Dès qu’il a vaincu les géants, il quitte le château de Pesme aventure : « Monseigneur Yvain partit aussitôt et ne resta pas plus longtemps au château »108.

107 108

Ibid., v. 5778 sq. : « Povres et mal apareilliees, | Mes or sont riches, ce lor sanble ». Ibid., v. 5773 sq. : « Tantost messire Yvain s’an torne | Qui el chastel plus ne sejorne ».

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Le temps du récit allemand n’est plus celui du récit français : Hartmann donne à son héros davantage de marge de manœuvre, il ne le soumet pas aux mêmes contraintes, réduisant la pression qui pèse sur lui et lui permettant ainsi d’être plus courtois et plus avenant envers autrui. Le temps de l’idéalisation ne peut pas être le même que celui d’un récit somme toute plus proche de la réalité. Ces divergences entre les deux œuvres semblent refléter deux visions différentes de la société chevaleresque. Que le décor courtois se prête parfaitement à un piège correspond à la conception pessimiste que Chrétien a de la nature humaine en général et de la société aristocratique en particulier. La courtoisie n’est finalement qu’un mince vernis, il suffit de gratter un peu cette fine couche d’hypocrisie mondaine pour que la vilenie, le mensonge, l’intrigue et la bassesse refassent surface. Qu’il s’agisse de Keu, du châtelain qui accueille Calogrenant, du sénéchal de Laudine ou encore du seigneur de Pesme aventure, la leçon est toujours la même. Cela correspond à l’image pessimiste que l’auteur a de la chevalerie : quels que soient les efforts qu’il déploie, l’homme de guerre reste fidèle à sa nature et est hautain, arrogant, fier et violent. Cette caste guerrière n’est-elle pas d’emblée placée sous le signe du meurtre, de l’homicide qui marque l’entrée en chevalerie d’Yvain de la même façon que le meurtre du chevalier aux armes vermeilles est le premier fait d’armes accompli par Perceval dont, rappelons-le, les deux frères sont morts le jour même de leur adoubement ? À cette vision pessimiste, Hartmann oppose la sienne, profondément chrétienne et optimiste. L’évolution d’Iwein le conduit sur le chemin de l’humilité qui exclut toute rechute dans l’orgueil. Les modifications apportées à la psychologie des personnages sont le reflet de deux conceptions différentes de la société courtoise et de la chevalerie, l’une étant réaliste, pragmatique et parfois résignée, l’autre idéaliste, empreinte d’un humanisme médiéval qui a foi en l’homme et en Dieu. 9. L’amour, la haine et le masque Chez Chrétien, tous les éléments s’inscrivent dans un vaste réseau de cohérence et d’effets de reflets, aboutissant à la « conjointure » d’où résulte le sens de l’œuvre. Ainsi, le combat lors duquel Yvain affronte le sénéchal et ses frères sans être reconnu de Laudine préfigure le duel qui l’oppose à Gauvain. La symétrie entre les deux épisodes est non seulement assurée par la place respective de chaque épisode dans la structure de la deuxième partie mais aussi et surtout par la thématique abordée. En plus du motif du duel judiciaire, présent dans les deux épisodes du roman français, la thématique commune est celle de l’amante ou l’ami qui ne reconnaît pas l’objet de son amour. Laudine, bien qu’elle possède le cœur d’Yvain sans le savoir, ne reconnaît pas son mari. Le duel, placé sous le signe de l’antagonisme amour / haine (ces deux substantifs sont féminins en ancien français), aborde la même thématique en la replaçant sur le plan de l’amitié : la haine et l’amour cohabitent dans le même corps et la haine l’emporte sur l’amour jusqu’au moment où les deux amis se reconnaissent et

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où la haine doit s’effacer définitivement devant la puissance de l’amour. Le débat est donc celui de l’aveuglement inspiré par la haine et symbolisé par le fait que l’on ne reconnaît pas celui qu’on aime. Laudine, aveuglée par la rancune et la colère, ne comprend pas le sens des paroles d’Yvain et ne se reconnaît pas dans la dame qui a répudié son amant. De la même façon, chaque combattant, aveuglé par le désir d’en découdre, ne voit pas qu’il se bat contre son ami le plus cher : Amour est frappé de cécité et ne reconnaît pas ses disciples, Haine, tout aussi aveugle, ne sait pas pourquoi ils se détestent. Derrière l’exercice de style, Chrétien dévoile le danger des affects, des passions, qui mettent à mal la puissance d’Amour. Dans les deux épisodes, ce sont deux formes de colère qui ébranlent la puissance d’Amour : la colère due à la rancœur amoureuse et la colère guerrière qui sert de dynamique lors du combat. C’est dans cette perspective que l’auteur champenois met un si grand soin à décrire, de façon réaliste, l’anonymat que chaque combattant s’emploie à conserver. Yvain passe la nuit précédant le combat à l’extérieur du château, dans une auberge modeste où personne ne le reconnaît, tandis que Gauvain apparaît sous un équipement et un blason inconnus de tous ceux de la cour d’Arthur (Chevalier au Lion, v. 5864-5885). Toute identification des deux chevaliers paraît totalement impossible. La métaphore du cœur, l’antinomie amour / haine ainsi que l’anonymat des deux chevaliers sont donc au centre des deux épisodes. Ce parallélisme a été reconnu et compris par l’adaptateur allemand. Hartmann s’est exprimé avec ironie sur l’échange des cœurs et a rejeté les subtilités de la casuistique amoureuse. Cependant il va concurrencer Chrétien sur son propre terrain et il commence sa digression par des propos ironiques qui rappellent les doutes qu’il émettait lorsqu’il évoquait l’échange des cœurs : « Les autres pensent, et moi aussi, qu’il est tout à fait impossible qu’Amour et Haine puissent occuper le même espace et que, dans cet espace, l’Amour puisse cohabiter auprès de la Haine » (Iwein, v. 7080-7085). À la suite de l’intervention de l’auteur, c’est un auditeur fictif qui prend la parole pour exprimer ses réticences et mettre en doute le fait qu’Amour et Haine puissent cohabiter dans le même endroit. Rappelons que Chrétien fait cohabiter Amour et Haine dans la même demeure, ajoutant qu’Amour s’est peut-être « enclose » en quelque chambre secrète et que Haine est partie dans les galeries qui mènent sur la rue afin qu’on la voie (Chevalier au Lion, v. 6038-6042). Hartmann a, quant à lui, recours à la métaphore du cœur et s’étonne que Haine et Amour puissent cohabiter dans un lieu si exigu, simplement séparés l’un de l’autre par une paroi. L’image du cœur présente plusieurs avantages : elle permet de renforcer le parallélisme qui existe entre les deux passages mettant en scène Iwein face à Laudine puis Iwein face à Gawein. Comme chez Chrétien, il s’agit de mettre en évidence les affres de l’âme humaine soumise à des passions contradictoires. Simultanément, cela permet à Hartmann de se mesurer au maître champenois : il récuse la métaphore de l’échange des cœurs tant elle lui paraît invraisemblable et peu opérante, mais il n’hésite pas à recourir à une autre métaphore basée sur l’image du cœur, de ce « récipient » habité

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à la fois par la haine et par l’amour, pour donner corps à l’aveuglement qui transforme deux amis en ennemis mortels. La différence est plus marquée lorsque l’on aborde la question du duel judiciaire qui oppose Iwein à Gawein. Tandis que Chrétien insiste sur la violence du combat, sur les blessures que les chevaliers s’infligent, leur force et leur robustesse respectives, ainsi que leur ténacité (Chevalier au Lion, v. 6119-6167), l’auteur allemand s’attache à décrire la technique chevaleresque parfaitement maîtrisée par chaque combattant. Il indique que chaque chevalier est passé maître dans l’art du combat chevaleresque, exercice qu’ils pratiquent tous deux depuis leur enfance (Iwein, v. 7054-7079). Le narrateur précise même que chaque combattant vise précisément « l’espace existant entre l’écu et le heaume » (ibid., v. 7153) afin de désarçonner son adversaire. Il souligne non seulement la dextérité dont ils font preuve lors de la joute qu’ils se livrent mais aussi la noblesse qu’ils affichent en épargnant leurs montures et en continuant de combattre à pied, évitant ainsi toute vilenie (ibid., v. 7178-7189). Dans l’œuvre française, les héros n’ont pas fait montre des mêmes égards envers leurs destriers et le lecteur apprend à la fin du combat qu’ils descendent de cheval (Chevalier au Lion, v. 6311). C’est encore leur technique et leur intelligence du combat que Hartmann met en avant lorsqu’il indique que chaque chevalier a à cœur de détruire l’écu de son ennemi afin de le priver de tout instrument de défense efficace. Il ajoute toutefois qu’ils dédaignent de frapper les jambes non protégées par le haubert. La supériorité du héros hartmannien est donc à la fois d’ordre moral et d’ordre intellectuel. Chrétien met en évidence la violence de la chevalerie, Hartmann développe ce qui fait sa grandeur, l’alliance de force, de technique longuement acquise, d’intelligence et de noblesse d’âme. De la même façon que les héros déploient leur art du combat, Hartmann déploie celui de la narration. La virtuosité du récit devient le reflet de la virtuosité dont font montre les deux chevaliers. Renonçant à une description réaliste de l’échange de coups, l’auteur allemand choisit de développer une seconde métaphore, absente chez Chrétien109. Il s’agit de celle des emprunteurs qui rendent chaque coup avec les intérêts (Iwein, v. 7212-7233). L’allégorie du payeur est développée de manière paradoxale : en remboursant de cette façon, un marchand aurait été ruiné tandis que les deux chevaliers s’enrichissent (ibid., v. 7247 sqq.). Cette allégorie présente bien entendu le double avantage d’accentuer la prouesse artistique de Hartmann et de masquer la violence du combat, de la faire disparaître derrière la métaphore de la mise en gage :

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Les emprunts au vocabulaire relatif au commerce sont fréquents dans les descriptions de combats et font partie des topoi de la littérature épique. Peut-être s’agit-il ici d’une réminiscence d’Érec et Énide : « Se cil li preste, bien li paie » (v. 952, « si l’autre prête, lui sait bien le rembourser »). Hartmann avait déjà repris ce même motif dans Erec, lors de la description du combat entre Iders et Erec (v. 864-866) : « sît daz er im entlêch sîn guot, | daz galt er als jener tuot | der dâ mêre entnemen wil. » (« Puisqu’il lui prêtait son bien, l’autre remboursait comme quelqu’un qui veut emprunter encore davantage »).

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« Ils durent laisser leurs écus en gage pour sauver leur vie et les réduisirent bien vite en morceaux. Alors, ils n’avaient plus d’autre gage que le métal nu de leurs cottes de mailles et la mirent également en gage. Leurs corps ne furent pas épargnés non plus, ils durent servir de gage et payer aussitôt des intérêts. » (ibid., v. 7282-7290)

Le narrateur prend d’ailleurs soin de préciser que les blessures que les deux héros s’infligent ne sont pas mortelles. En effet, le texte allemand n’évoque que très peu les blessures et les souffrances endurées par les deux chevaliers, le narrateur se contente d’indiquer que les heaumes sont tellement endommagés que les mailles tachées de sang s’en détachent (ibid., v. 7291-7294). L’interruption de combat est d’ailleurs motivée par des raisons fondamentalement différentes dans les deux textes. Chez Chrétien, les deux hommes sont épuisés et ont perdu beaucoup de sang, ils souhaitent se reposer parce qu’ils souffrent horriblement (Chevalier au Lion, v. 6216). Enfin, devant la nuit qui approche, ils renoncent à reprendre le combat et lorsqu’Yvain s’adresse à son adversaire, celui-ci ne reconnaît pas sa voix tant elle rauque, faible et cassée (ibid., v. 6236). Chrétien souligne explicitement qu’ils cessent de se battre à cause de « deus choses » (ibid., v. 6226) : l’obscurité et la crainte que leur inspire l’adversaire. À cette vision qui met en évidence de manière relativement réaliste les souffrances dues au combat, Hartmann oppose l’idéalisation du duel chevaleresque : la pause respectée par les deux chevaliers n’est que de courte durée et fait rapidement place à de nouveaux exploits qui surpassent ceux qu’ils ont accomplis jusqu’alors (Iwein, v. 7314-7323). L’interruption définitive du duel est uniquement causée par la nuit qui tombe et les sépare (ibid., v. 7408-7410). Cette pause permet à l’auteur de faire à nouveau montre de la virtuosité avec laquelle il manie le paradoxe : contre toute attente, Iwein maudit le jour qui a failli lui coûter la vie et fait un éloge de la nuit qui lui a permis de préserver son honneur. Hartmann a à cœur durant tout le passage de mettre en exergue la bravoure et l’endurance extraordinaires des deux chevaliers et bannit tous les éléments qui pourraient jeter une ombre sur la qualité esthétique du combat et la valeur littéralement surhumaine des guerriers. Si les deux chevaliers ne se reconnaissent pas lorsqu’ils s’adressent la parole, ce n’est plus dû à l’épuisement mais à la fureur du combat : « Leurs heaumes et la nuit avaient caché leurs visages et la fureur du combat avait transformé leurs voix si bien qu’ils n’auraient pas été reconnus s’ils n’avaient pas dit leurs noms. » (ibid., v. 7578-7583). La description de ce combat remplit pour Hartmann une double fonction. Elle permet à l’auteur de déployer tout son art, tant celui de l’allégorie que du maniement du paradoxe, de l’inversion du sens des images utilisées, qu’il s’agisse de l’emprunteur qui rend sans rechigner ou du jour qui est détestable. Il affirme ainsi son originalité et, peut-être ici, une certaine supériorité sur le maître champenois. Parallèlement, cette description lui donne l’occasion de présenter un combat idéalisé entre deux chevaliers qui sont aussi preux, habiles, endurants que nobles d’esprit. Il n’est plus question de bonne ou de mauvaise chevalerie, de chevalerie chrétienne ou profane, ce qui compte c’est uniquement la maîtrise parfaite de l’art du combat, la quête de

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l’honneur, le refus du repos et de l’indolence. Il ne rejoint Chrétien que sur le terrain de l’humilité, dont fait preuve chaque combattant qui concède la victoire à son adversaire, et de l’hymne à l’amitié chevaleresque, à la victoire finale de l’amour sur la haine. Pourtant, là encore Hartmann force le trait, mettant l’accent, plus que Chrétien, sur la reconnaissance que ressent Iwein envers son ami à qui il doit d’avoir accru sa renommée par le passé (ibid., v. 7584-7627). Dans une réplique qui ne manque pas d’une certaine emphase, Iwein déclare à l’ami désormais reconnu qu’il est son valet et qu’il est prêt à le servir. Une fois de plus, la modestie, l’altruisme, l’abnégation et la grandeur d’âme du héros sont célébrés. Cette idéalisation du combat exclut tout élément qui pourrait être ressenti comme négatif ou laid, tel que l’évocation de la souffrance et des blessures. Une telle idéalisation ne touche pas que les combattants mais aussi leur entourage. La cadette affiche une abnégation semblable à celle d’Iwein. Chez Chrétien, cette demoiselle s’en remet simplement à la justice sans appel du roi : « Et la cadette s’en était remise à la décision du roi, elle ne s’y opposerait jamais en rien »110. Hartmann réorganise le passage et fait de la cadette un exemple de renoncement : afin d’éviter que l’un des deux combattants ne perde la vie, elle se dit prête, dans une longue réplique adressée à sa sœur aînée, à lui céder tout l’héritage (Iwein, 7367-7381). On retrouve ici le schéma caractéristique de l’empathie chez Hartmann : la jeune fille dans la détresse est touchée par le malheur d’autrui et oublie ses propres intérêts pour venir en aide aux chevaliers. La noblesse n’est rien sans la grandeur d’âme, et ce passage donne l’occasion à l’auteur allemand de dresser un portrait moral idéal de la demoiselle « qui était noble, belle, prévenante, modeste, douce, pleine de bonté et affable » et « ne connaissait que gentillesse » (ibid., v. 7359-7364). L’aînée est d’ailleurs disposée à accepter la proposition qui lui est faite, seule la fermeté du roi permet à la cadette de ne pas être dépouillée de ses biens. 10. Le lion : double du chevalier Le lion dans le roman de Chrétien de Troyes est un animal complexe, dont il est difficile de rendre compte sans risquer de se tromper. Il est tout d’abord un sauveur, animal christique111 qui s’oppose au serpent maléfique et sans lequel Yvain n’aurait

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Chevalier au lion, v. 6174-6176 : « Et la mainsnee s’estoit mise | sor ce quele rois en diroit | Que ja rien ne contrediroit ». 111 Cette dimension christique n’est pas admise, il est vrai, par tous les commentateurs de Chrétien. J. Frappier, T. Hunt et B. Woledge la récusent, tandis que J. Harris voit dans le lion un symbole du Christ et que P. Haidu distingue trois aspects du lion, l’un christique, l’autre féroce voire satanique, le troisième classique et inspiré par les légendes d’Androcles et de Thisbé. Pour un point plus complet sur la situation, on peut se référer à : B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le chevalier au lion), tome I, vv. 1-3411, op. cit., p. 192-195. Quoi qu’il en soit, il est indéniable que le lion a chez Chrétien un rôle de sauveur, de rédempteur et que, comme le concède Woledge, « si Chrétien n’a pas fait de son lion un symbole du Christ, il ne pouvait pas, même s’il avait voulu, abolir les multiples traditions qui au cours des siècles s’étaient attachées au lion » (p. 194).

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aucune chance de survivre. Ainsi, lors du combat qui oppose le chevalier aux deux « netuns » du château de Pesme aventure, l’intervention du lion est décisive. Ce n’est d’ailleurs pas le chevalier que craignent les géants mais bien l’animal qui tout à coup se retrouve à ses côtés et les attaque avec une rage et une cruauté qui inversent le cours du combat. Le deuxième géant ne doit sa vie qu’à l’intervention d’Yvain qui l’arrache in extremis des griffes du félin. Parallèlement, ce lion remplit également une fonction comique : d’une part, Yvain a dû lui couper l’extrémité de la queue afin de le délivrer de la gueule du serpent112 , d’autre part l’anthropomorphisation du lion est poussée à l’extrême. Après avoir découpé le serpent en morceaux, le chevalier doit se résoudre à couper l’appendice de la « bête généreuse et noble »113. L’effet recherché n’est guère symbolique, rien n’indique ici que la queue renvoie à la puissance, et l’appendice amputé réapparaîtra lorsque le lion battra la terre de sa queue (Chevalier au Lion, v. 5535). Un lion à qui il manque la queue et qui, pour montrer sa gratitude, tend ses deux pattes jointes, incline sa tête au sol, puis s’agenouille avant de verser des larmes « par humilité » (ibid., v. 3403) ne peut guère être pris au sérieux. À l’inverse Hartmann va considérablement simplifier le personnage du lion pour, finalement, le neutraliser. Il supprime ce qui peut prêter à rire : plus question de mettre en scène un lion ridicule, abandonnant une partie de sa queue dans la gueule d’un monstre. Plus question non plus d’en faire une sorte de vassal soumis et animé par des sentiments à la fois humains et chrétiens. L’anthropomorphisation est réduite au minimum comme en témoignent les vers qui décrivent la reconnaissance du lion après la victoire d’Iwein sur le dragon : le lion se jette aux pieds d’Iwein et, sans parler, le salue et lui manifeste son amitié aussi bien que son entendement de lion le lui permet et que c’est possible pour un animal (Iwein, v. 3863-3870). Il demeure un animal, prisonnier d’un entendement et de gestes propres à son espèce. Il en va de même lorsque le lion croit qu’Yvain est mort et qu’il tente de se suicider. Les gestes d’affliction et de deuil, largement développés par Chrétien et rappelant le désespoir d’Énide lors de l’épisode de Limors (le lion se tord les pattes, se griffe et rugit ; Chevalier au Lion, v. 3509-3511), ne sont pas repris par Hartmann qui indique juste que l’animal est désespéré (Iwein, v. 3941). Tandis que le lion de l’auteur champenois, décidément très précautionneux, retire l’épée d’Yvain avec les dents, la pose sur un rondin et la cale derrière un tronc afin qu’elle ne bouge pas (Chevalier au Lion, v. 3515-3519), celui de l’adaptateur allemand se contente de l’appuyer contre un buisson (Iwein, v. 3944). Les capacités du lion allemand à se comporter et à réfléchir comme un humain semblent donc beaucoup moins développées que chez son homologue français.

112 Cette déconvenue, particulièrement infamante pour un lion, n’est pas sans rappeler l’aventure survenue à Isengrin qui, lui aussi, doit sacrifier sa queue restée figée dans la glace afin d’échapper aux chasseurs qui le harcèlent (Le Roman de Renart, édition publiée sous la direction d’Armand Strubel, Paris, Gallimard [Bibliothèque de la Pléiade], 1998, Branche X, v. 453-512, p. 318-320). 113 Chevalier au Lion, v. 3377 : « beste gentil et franche ».

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Mais surtout Hartmann réduit considérablement l’action du lion qui, d’allié indispensable et supérieur à Yvain par sa force, devient une sorte d’adjuvant dont le rôle est limité, presque superflu. Ainsi, lors du combat qui oppose Yvain / Iwein à Harpin, l’intervention du lion paraît nettement moins décisive chez Hartmann que chez Chrétien. Dans le texte français, le lion déchire la peau du géant, puis lui arrache un morceau de la hanche, avant de lui trancher les nerfs et les muscles. Le lion l’a ainsi grièvement blessé (Chevalier au Lion, v. 4219-4229). Dans l’adaptation allemande, il ne fait que lui déchiqueter les habits et la chair tout le long du dos, avant qu’Iwein enfonce son épée dans le cœur du géant (Iwein, v. 5037-5058). Nous avons déjà souligné à propos de l’épisode de Pesme aventure que l’aide apportée par le lion en deviendrait presque accessoire chez Hartmann, car l’animal a été en partie remplacé par l’intervention divine. Certes, il délivre son maître de l’un des deux géants, mais dès que l’autre monstre s’en prend au lion, c’est Iwein qui vient à son secours : « Son compagnon n’attendit pas plus longtemps : il se détourna de son adversaire, courut s’attaquer au lion et l’aurait volontiers tué si le maître de l’animal l’avait permis. Puisque le lion l’avait délivré auparavant, Iwein vint alors à son secours ce qui, c’est vrai, était tout à fait juste. » (ibid., v. 6751-6758)

Alors que chez Chrétien, la supériorité du lion est si écrasante que l’un des deux géants semble ne craindre que lui114 et qu’Yvain lui doit incontestablement la victoire, l’harmonie entre Iwein et son « fidèle compagnon » (ibid., v. 6733) est parfaite. L’animal a besoin de son compagnon humain de la même façon que celui-ci apprécie le secours que lui apporte le lion. C’est ensemble qu’ils assaillent l’un des deux géants et le tuent, le narrateur met d’ailleurs l’accent sur l’action conjuguée de l’homme et de l’animal (ibid., v. 6773), se démarquant radicalement de la source française. En effet, le chevalier français profite du fait que le géant, qui se précipite au secours de son comparse mis à mal par le lion, lui tourne le dos pour lui trancher la tête, puis il met pied à terre pour arracher le second géant aux griffes du lion. Hartmann, quant à lui, idéalise le compagnonnage entre le chevalier et le lion : Iwein ne commet plus aucun geste qui puisse offrir le flanc à la critique (Chrétien précisait, non sans humour, qu’Yvain aurait été bien fou de laisser le géant en vie) et, avant d’être éliminé, le géant assène de nombreux coups aux deux compagnons qui le combattent. En ce qui concerne le géant survivant, l’adaptateur allemand indique juste qu’il doit demander grâce à Iwein qui, pour l’amour de Dieu, lui laisse la vie sauve. Là encore, le rôle du lion est très fortement atténué115. Le fait d’éloigner le lion au début du combat ne sert

114 Ibid., v. 5649 sq. : « Et si avoit graignor peor | Del lyeon que de son seignor » (« Et il craignait davantage le lion que son maître »). 115 En ce sens il nous paraît erroné d’affirmer que le lion est plus brutal et sauvage chez Hartmann que chez Chrétien ; cf. V. Mertens, Hartmann von Aue, Gregorius, Der arme Heinrich, Iwein, herausgegeben und übersetzt von Volker Mertens, op. cit., p. 1032.

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donc plus à montrer à quel point son aide est primordiale mais permet de mettre en évidence la valeur chevaleresque personnelle d’Iwein. Le seul combat, lors duquel le lion se montre aussi féroce et efficace que dans le texte français, est celui qui met en scène le sénéchal et ses deux frères. La férocité du lion, qui tue le sénéchal, permet ici de mettre fin à une situation fondamentalement inique et à recréer un équilibre entre les combattants. C’est d’ailleurs à cette occasion que le lion est qualifié pour la première fois de compagnon d’Iwein : « le lion son compagnon » (Iwein, v. 5160). Mais, tandis que chez Chrétien le lion, avant d’être blessé, se rue sur les deux adversaires et apporte une aide décisive à Yvain, le texte allemand insiste sur le fait qu’ils combattent dès lors « deux contre deux » (ibid., v. 5384). De plus, le texte français indique qu’Yvain, même s’il tente au début d’écarter l’animal, ne l’en aime que davantage lorsque celui-ci se porte à son secours (Chevalier au Lion, v. 45384545). Le héros allemand tente également de repousser le lion, cependant le narrateur précise qu’il aurait pu se passer de son aide mais finit par le tolérer, ne lui adressant ni blâme ni remerciement ! Puis le texte met une fois de plus l’accent sur leur action conjuguée et l’égalité parfaite qui les unit : ils combattent « côte à côte, ici le lion, là l’homme » (Iwein, v. 5392 sq.). Ce n’est pas tant Iwein que le lion a délivré du sénéchal mais plutôt Lunete : « Grâce à l’intervention du lion, dame Lunete ne fut plus inquiétée par le sénéchal qui le paya de sa vie. Elle avait de bonnes raisons de se réjouir de sa mort » (ibid., v. 5372-5375). Hartmann va plus loin que le sens du texte français : à la vue des blessures infligées au lion, le chevalier abandonne toute retenue, redouble de violence et contraint les deux félons à se rendre à sa merci (ibid., v. 5401-5409). Chez Chrétien, le héros a éprouvé une vive colère et s’est donné beaucoup de peine pour le venger, mais le mérite de la victoire revient tout autant au chevalier qu’au lion : « Et se rendent à sa merci, grâce à l’aide que lui a apportée le lion […] »116. Que reste-t-il alors du lion chez Hartmann? Ce n’est plus qu’un « animal noble » (Iwein, v. 3843) qui, tel un chien fidèle, va suivre Iwein, aider son maître pendant la chasse (ibid., v. 3886-3901) ou faire des tours de ronde autour du chevalier endormi et de son cheval (ibid., v. 3903-3908), et, tel un compagnon d’armes, lui venir en aide à chaque fois qu’il le pourra. C’est d’ailleurs par ce qualificatif de « geverte » (compagnon) qu’il sera souvent désigné. Il est celui qui partage les souffrances endurées par Iwein lorsqu’il est en quête d’aventures (ibid., v. 3909-3914). Hartmann a totalement réorienté le récit si bien que le lion devient la déclinaison animale du compagnonnage chevaleresque et des vertus qu’il implique : abnégation, loyauté, bravoure, courage à toute épreuve, solidarité réciproque. Il disparaît d’ailleurs beaucoup plus vite chez Hartmann que chez Chrétien : dans le texte allemand, le lion est évoqué

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Chevalier au Lion, v. 4556-4558 : « Et que a sa merci se randent | Por l’aïde que li a feite | Li lions […] ».

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pour la dernière fois lorsque Lunete reconnaît Iwein à la source : « elle le reconnut grâce au lion » (ibid., v. 8005). Chrétien, au contraire, n’oublie pas l’animal en route et précise qu’il accompagne Yvain et Lunete jusqu’à la cour de Laudine (Chevalier au Lion, v. 6719-6731). Dans le texte allemand, le lion est passé de personnage à étiquette (le compagnon d’Iwein) à une figure quasiment héraldique, devenant un double d’Iwein, une allégorie du chevalier. Les anthropologues et les historiens, qui se sont penchés sur les traditions militaires totémistes d’Amérique du Sud ou de Scandinavie, ont souvent remarqué la similitude qui existe, dans ces sociétés archaïques, entre les guerriers et les animaux. Le guerrier est à la lisière de deux mondes, celui des hommes, de la culture et celui de la sauvagerie, de la force animale. Sans doute cela est-il vrai également pour Yvain, à la fois homme et lion, chevalier courtois et guerrier sauvage, noble et féroce. Cela l’est beaucoup moins pour Iwein : tant au niveau des combats qui mettent en scène sa technique plutôt que sa férocité qu’au niveau de l’animal qui est neutralisé et réduit à être un double du chevalier, tout est ramené du côté de l’humanité, du compagnonnage et, parallèlement d’une morale chrétienne qui prône l’humilité et la charité. 11. La réconciliation avec Laudine Dans l’épisode relatant la reconquête de la dame aimée, Hartmann est resté relativement fidèle à sa source. Il a cependant modifié certains points ce qui, une fois de plus, est assez révélateur de sa vision des choses et de sa tendance à l’idéalisation. Ainsi, chez Chrétien, le retour d’Yvain à la fontaine est-il d’emblée placé sous le signe de la guerre : Yvain quitte la cour afin de « guerroier » (Chevalier au Lion, v. 6521). Il déchaînera la tempête jusqu’à ce que la reine soit contrainte de faire la paix avec lui, si tel n’était pas le cas, il ne cesserait jamais de déclencher la pluie et le vent sur la fontaine (ibid., v. 6522-6528). Le désespoir d’Yvain est si grand qu’il n’a d’autre choix que de soumettre Laudine à une pression telle qu’elle devra le reprendre comme époux ou supporter à jamais la violence des éléments déchaînés. La perspective évoque l’idéologie de la fin’ amor et trahit l’influence d’Ovide117: l’amour est une guerre. La déclaration de guerre prononcée par Yvain rappelle une chanson courtoise, composée par Chrétien, dans laquelle l’Amour a engagé une guerre contre le sujet lyrique, Amors tençons et bataille118 . Hartmann atténue cette déclaration de guerre et lui substitue l’idée d’une souffrance partagée : Iwein s’apprête à souffrir et espère que la reine souffrira tout autant afin qu’il puisse reconquérir son amour par la force (Iwein, v. 7847-7859). On retrouve là l’idée si chère à Hartmann de la communion dans la souffrance, déclinée cette fois-ci de manière différente : seule la souffrance que le 117 Ovide, L’art d’aimer / Ars amatoria, 8e éd. revue et corrigée par Ph. Heuzé, Paris, Les belles Lettres, 1994 ; Livre 2, v. 233 : « Militiae species amor est » (« L’amour est une sorte de service militaire »). 118 Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, op. cit., p. 1040-1043.

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chevalier va infliger à sa dame peut donner une chance à Iwein de la reconquérir. C’est ce qui justifie le recours à la violence. La déclaration du chevalier est marquée par une véritable surenchère dans l’emploi du terme « chuomber » / « kuomber », la souffrance, qui n’apparaît pas moins de cinq fois en l’espace de six vers (ibid., vers 7852 à 7857). Cette souffrance est même employée pour désigner l’orage violent que va déclencher Iwein : le narrateur a recours à un néologisme et évoque un « chuombers weter » (ibid., v. 7863), littéralement « un orage de souffrance / un orage qui provoque la souffrance ». Bien entendu, il ne s’agit nullement d’une vengeance, cette souffrance a uniquement pour fonction d’ouvrir les yeux à Laudine. La conversion vécue par Iwein à la suite de son ensauvagement va être imposée par la force à Laudine. Le processus paraît symétrique : devenu fou après avoir été répudié par Laudine, Iwein touche le fond de la misère et s’ouvre à la souffrance d’autrui ; de la même façon, Laudine va être mise à rude épreuve par l’orage et devenir sensible au malheur de son époux. La souffrance revêt chez Hartmann une dimension cathartique qu’elle n’a pas chez Chrétien. En ce qui concerne la ruse employée par Lunete, Hartmann est resté très proche de Chrétien. Dans les deux romans, les dévastations causées par la tempête sont telles que Lunete n’a guère de mal à persuader Laudine de faire chercher le chevalier qui avait tué Harpin ainsi que le sénéchal et ses frères afin qu’il protège le royaume de celui qui déclenche le cataclysme. Une fois de plus, les deux romans soulignent l’incompétence des sujets de Laudine, incapables de défendre la fontaine et le royaume de leur dame. La demoiselle fait preuve, chez Chrétien comme chez Hartmann, d’une très grande prudence : elle demande à sa maîtresse de prêter serment sur les reliques, réfléchit avec soin au contenu du serment afin que personne ne puisse cette fois l’accuser d’avoir trahi Laudine. Celle-ci s’engage ainsi à œuvrer autant que faire se peut à la réconciliation du Chevalier au Lion et de sa dame, tout en ignorant bien entendu que le Chevalier au Lion n’est autre qu’Yvain / Iwein. La même fidélité à la source française marque les retrouvailles de Lunete et Iwein à la fontaine : la joie que ressentent ces deux êtres à se retrouver, leur amitié réciproque, la reconnaissance qu’éprouve Yvain / Iwein envers celle qui lui permet de regagner la grâce de sa dame, aucun élément n’est omis par Hartmann qui respecte, quasiment à la lettre, la formulation du texte français. Les modifications sont minimes et ne se rapportent guère qu’aux souffrances endurées par Iwein, soulignées à deux reprises par Lunete (Iwein, v. 8015 ; v. 8052). Par ailleurs, Hartmann ne mentionne plus la présence du lion et rectifie un passage qui chez Chrétien sert à renforcer le mystère qui entoure l’identité du chevalier. En effet, arrivés au château, Yvain et celle qui l’accompagne n’adressent la parole à personne (Chevalier au Lion, 6722 sq.). Hartmann, qui craignait sans doute que ce silence puisse être interprété comme un signe d’orgueil ou être perçu comme peu vraisemblable, préfère opter pour un étrange hasard qui fait que personne ne les voit arriver (Iwein, v. 8073-8076).

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Seule la rencontre entre Iwein et Laudine est modifiée plus en profondeur par Hartmann. L’adaptateur met tout d’abord l’accent sur la pudeur de Laudine et l’importance qu’elle attache à la bienséance, à la décence (ibid., v. 8087). Alors que dans le texte français la rencontre se fait ex abrupto, elle est préparée, dans le roman allemand, par Lunete qui rejoint sa maîtresse en train de prier. Soucieuse d’agir avec retenue, Laudine demande à ce que ce soit le chevalier qui vienne à elle et, dans la mesure du possible, non le contraire (ibid., v. 8086-8091). Hartmann, moins exigeant que Chrétien envers son public, se veut aussi plus explicite : dans le roman français, le chevalier se jette « entièrement couvert de son armure »119 au pied de sa dame. C’est au public qu’il revient de comprendre le sens de cette armure qui garantit encore pour l’instant l’anonymat au chevalier et donc le succès de l’entreprise. Hartmann qui n’a, de toute évidence, qu’une confiance relative dans les capacités de décryptage de son public met la scène à plat : « Il apparut tel qu’elle lui avait demandé d’apparaître : il était couvert de toute son armure de telle sorte que rien ne manquait. Laudine accueillit le maître des lieux comme s’il s’était agi d’un étranger. » (Iwein, v. 8093-8095). L’implicite fait ainsi place à l’explicite. Une autre différence mérite d’être signalée. Chez Chrétien, Lunete invoque le rôle de la Providence : c’est Dieu qui lui a fait rencontrer Yvain tout près du château, à la fontaine, afin que règnent à nouveau une bonne paix et un bon amour entre les époux (Chevalier au Lion, v. 6752-6755). Ces propos sont cependant ambigus : Lunete croitelle vraiment que Dieu est intervenu afin qu’elle retrouve rapidement Yvain ou s’agitil d’une ruse qui vise à désamorcer d’emblée toute critique et toute réaction véhémente de la part de sa maîtresse ? La suite de la réplique semble plaider pour la deuxième solution : « Pour montrer que je dis vrai, inutile d’avancer un autre argument »120. L’astuce imaginée ici par l’ingénieuse Lunete est la suivante : puisque Dieu a donné la preuve de ce qu’Il voulait, tout autre argument est superflu. Il semble bien s’agir d’une habile pirouette rhétorique qui fait de Dieu une instance aussi incontestable que pratique pour justifier une ruse que Laudine ne peut que condamner. Qu’en estil chez Hartmann ? Nous lisons ceci : « C’était la volonté du Christ, notre Seigneur, qui m’indiqua le chemin sur lequel je le trouvai si vite afin que la discorde qui vous rend étrangers l’un à l’autre se transforme en concorde. Alors plus aucun malheur ne vous séparera jamais si ce n’est la mort. » (Iwein, v. 8117-8123)

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Chevalier au Lion, v. 6733 : « trestoz armez ». Ibid., v. 6756 sq. : « Ja a la verité prover | N’i covient autre raison dire ». Nous ne retenons pas ici la leçon de H. Il semble en effet que le copiste Guiot se soit trompé et qu’il vaille mieux lire « raison dire » (trouver une excuse, un argument), leçon de P, G et V, que « rescondire » (refuser, dénier, cacher), leçon de H. Cf. K. Meyer, La copie de Guiot fol. 79v-105r du manuscrit f.fr.794 de la Bibliothèque Nationale, Amsterdam / Atlanta, Rodopi, 1995, ici p. 308. 120

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Il est aisé de remarquer tout d’abord que plus rien ne vient nuancer ou relativiser l’intervention de la Providence. Le texte ne semble suggérer aucune ironie, il remplace au contraire la remarque pleine de malice du texte français par les conséquences bénéfiques de l’action de la Providence : si Laudine se soumet à la décision divine, alors les époux seront heureux jusqu’à la mort. Ceci est d’ailleurs confirmé par ce qui, dans l’autre version du roman telle qu’elle nous est transmise par le manuscrit 397 de Heidelberg, constitue le début de l’épilogue  (ibid., v. 8192-8203). Loin d’être ambiguë, cette allusion à Dieu a été préparée en amont par Hartmann, lors de l’épisode décrivant la rencontre entre Iwein et Lunete à la fontaine : « Je remercie Dieu de vous avoir trouvé à si peu de distance » (ibid., 8009 sq.). Tout semble indiquer que Lunete prend au sérieux l’intervention de la Providence, elle y croit et ne s’en sert pas comme d’un simple artifice. On voit que la réécriture du texte est souvent au service de sa réinterprétation par l’adaptateur allemand. Cet épisode est construit sur le même modèle que celui qui marque la fin du combat entre Iwein et Gawein. Là aussi, Arthur a recours à une bonne ruse pour confondre la sœur cadette, cependant il s’appuie, pour justifier son verdict, sur les paroles de Gawein qui affirme que Dieu, défenseur du droit, ne l’aurait pas laissé gagner. Il n’est d’ailleurs pas rare que, chez Hartmann, la Providence remplisse la fonction qui dans l’œuvre française est dévolue au hasard. Ainsi, Yvain, qui vient d’être répudié par Laudine et frappé de folie, trouve-t-il sur son chemin un jeune homme qui tient un arc et des flèches. Le héros s’approche alors du garçon et lui dérobe ses armes. Aucune explication n’est donnée par Chrétien pour justifier la présence de ce jeune homme seul, près d’un « parc » (Chevalier au Lion, v. 2817). De toute évidence, cette rencontre n’est due qu’au hasard. Elle s’explique peut-être également par une réminiscence de l’histoire de Tristan et Yseut telle que la rapporte Béroul121 : lorsque les amants s’enfuient dans la forêt, Gorneval prend à un forestier un arc et deux flèches122 . Hartmann profite de ce vide laissé par le texte français pour faire intervenir la Providence. Le narrateur explique que Dieu n’a pas abandonné Iwein et a fait en sorte qu’il croise la route d’un écuyer qui portait un arc et des flèches. Dès lors, la mention de l’enclos n’est même plus nécessaire pour expliquer la présence du jeune homme. De façon similaire, la messagère, qui cherche Yvain / Iwein et qui s’est égarée en forêt, implore l’aide de Dieu dans les deux romans. Cependant seul le texte allemand indique explicitement que Dieu la guide jusqu’au château: « Ainsi, notre Seigneur la dirigea et lui fit prendre la direction que lui indiquait le son du cor » (Iwein, v. 57855788). Il est significatif que, chez Chrétien, la demoiselle arrive par «  aventure  » (Chevalier au Lion, v. 4880) au château en s’orientant au son du cor et que cette sonnerie soit due à un garde posté sur les remparts (ibid., v. 4884 sq.). Chrétien semble 121

Cf. B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le chevalier au lion), tome I, vv. 1-3411, op. cit., p. 163. Béroul, Tristan et Yseut, texte établi, traduit, présenté et annoté par Daniel Porion, in Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, op. cit., p. 36 (v. 1280 sqq.).

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convoquer la Providence pour mieux la récuser : la demoiselle invoque Dieu mais c’est le hasard qui la guide. Chez Hartmann le rôle du hasard n’est plus évoqué et, s’il est bien fait mention d’un guetteur, aucune explication n’est donnée concernant la présence d’un éventuel sonneur. En effet, une telle précision n’est plus nécessaire puisque c’est Dieu qui est à l’œuvre. La relative rationalité du texte français fait indéniablement place chez Hartmann au quasi-miracle. L’importance accordée à l’aide de Dieu est parfois surprenante : alors qu’il se rend à la fontaine pour la défendre, Iwein comprend, en apercevant Key, que c’est là un signe de Dieu qui lui permet de se venger des infamies prononcées par ce chevalier (Iwein, v. 2552 sqq.). Là encore, il s’agit d’un ajout de l’auteur allemand (cf. Chevalier au Lion, v. 2242 sqq.). À travers les deux romans, le lecteur moderne semble bien confronté à deux visions relativement différentes du monde. Chez Chrétien, l’homme est seul, livré au hasard, à l’aventure, à une certaine contingence, ne pouvant compter que sur ses ressources propres et la chance. Hartmann a horreur de ce vide et il le remplace par l’action de la Providence : l’homme est guidé, aidé, secondé, son cheminement n’est plus dû au hasard mais est voulu par Dieu. L’auteur allemand ne convoque le hasard que quatre fois : alors que les demoiselles de la dame de Narison font la rencontre du « noble fou » (Iwein, v. 3361123). Le hasard est également évoqué quand le héros reprend ses esprits et ne peut expliquer sa présence à la lisière de la forêt (ibid., v. 3625) puis lorsqu’il se retrouve de nouveau à la fontaine merveilleuse (ibid., v. 3914). Enfin il est mentionné une dernière fois lorsque, de retour chez Laudine, Iwein et Lunete ne trouvent personne sur la route qui les mène au château (ibid., v. 8075). L’intervention de la Providence ne peut être que bénéfique et n’avoir pour le héros qu’une fonction rédemptrice. Or, les trois occurrences qui évoquent nommément le hasard, c’est-à-dire les vers 3625, 3914 et 8075, ne peuvent remplir ce rôle. La première occurrence se contente de rendre l’étonnement d’Iwein qui ne comprend pas sa présence en ce lieu sauvage. La seconde mention se rapporte à un moment qui aurait pu être fatal pour le chevalier qui, recouvrant la mémoire, prend conscience de sa faute, de tout ce qu’il a perdu, et frôle un nouvel accès de folie. Enfin, l’arrivée incognito au château de Laudine est simplement nécessaire pour que la bonne ruse imaginée par Lunete puisse fonctionner. Le recours au hasard permet donc dans ces deux derniers cas de remplir un vide et de donner une explication rationnelle à un événement qui peut surprendre l’auditoire par son manque de crédibilité. Seule la découverte inopinée du noble fou par la Dame de Narison et ses deux demoiselles aurait pu être interprétée comme l’œuvre de la Providence. Ceci ne fut toutefois pas le cas, Hartmann restant ici fidèle à sa source qui se contente de mentionner qu’un jour deux demoiselles et leur dame trouvèrent Yvain endormi dans la forêt (Chevalier au Lion, v. 2890-2892)124. 123 Ce vers signifie littéralement : « où il advint qu’elles chevauchèrent » ; le verbe « geschehen » advenir, est dérivé de la même racine que « diu geschicht », le hasard. 124 Cette importance de la Providence au détriment du hasard trahit peut-être l’influence, directe ou indirecte, de Boèce dont la Consolation de Philosophie (De philosophiae consolatione) était un texte très connu au

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Les paroles prononcées par Lunete et la mention de la Providence n’empêchent toutefois pas la colère de Laudine qui, bon gré mal gré, doit se conformer à son serment si elle ne veut pas être parjure. S’ensuivent alors les paroles de repentir d’Yvain / Iwein qui, tel un pécheur repenti et converti, reconnaît sa faute et s’engage à ne plus la commettre. Là encore, il faut s’interroger sur le sens du religieux chez Chrétien. Ces paroles empreintes de piété sont bien surprenantes dans la bouche d’un chevalier d’habitude plus prompt à s’emporter et à guerroyer qu’à se confondre en excuses. Il semble bien qu’Yvain imite et reproduise la ruse employée précédemment par Lunete : face à cet argumentaire d’ordre religieux, face à ce repentir exprimé par le pécheur qui demande miséricorde, Laudine ne peut répliquer et cède en accordant la paix demandée. Le recours au langage religieux apparaît bien, chez Chrétien, comme un artifice qui permet de rendre impossible tout échange d’arguments et de couper court à la discussion. Ce qui nous autorise à douter de la sincérité des propos tenus par Yvain est également le fait qu’il ait recours à une expression proverbiale : « à tout pécheur miséricorde »125. Un proverbe peut-il vraiment être considéré comme l’expression d’un repentir personnel ou n’est-il pas plutôt une nouvelle pirouette rhétorique ? La question se doit au moins d’être posée. Iwein, quant à lui, procède différemment : il ne se réfugie derrière aucun proverbe mais reconnaît sa faute avant de la regretter, décrivant ainsi avec précision les différentes étapes qui, selon l’Église, constituent les signes d’un repentir sincère permettant d’obtenir le pardon de Dieu. On reconnaît dans les paroles d’Iwein la prise de conscience de la faute, le repentir sincère, l’expiation du péché et l’engagement à ne plus fauter : « Dame, j’ai commis une faute et en vérité je m’en repens. Il est d’usage que l’on pardonne au pécheur repenti – aussi grave sa faute fût-elle – et qu’il mène une existence de pénitent et s’abstienne à jamais d’une telle faute. » (Iwein, v. 8157-8164)

Iwein n’utilise donc pas un dicton mais énonce les conditions qui sont prescrites par le sacrement que constitue la pénitence et qui seront rendues obligatoires une fois l’an par le quatrième concile de Latran, en 1215. L’ironie de Chrétien a sans doute bien été perçue par Hartmann qui, sciemment, s’en démarque et transforme les propos que tient son héros afin qu’ils deviennent le reflet d’un repentir sincère. Tout le

Moyen Âge. L’auteur latin y démontrait, notamment dans le livre IV, que ce n’est pas le hasard, la « fortuna », qui gouverne, mais la Providence, l’immuable volonté de Dieu qui règle et conduit tout. Au sujet de l’influence de Boèce dans la littérature médiévale allemande, on peut se référer à : F. P. Pickering, Augustinus oder Boethius ? Geschichtsschreibung und epische Dichtung im Mittelalter und in der Neuzeit, Berlin, Erich Schmidt, 1967-1976, 2 vol. Hartmann semble se placer dans le sillage de Boèce, mais il est confronté à certaines difficultés dans l’emploi du concept de « sælde ». En effet, ce terme recèle une ambiguïté : il renvoie la plupart du temps à un bonheur ou un salut qui est accordé par Dieu, à une sorte de félicité d’origine céleste, cependant l’expression « frou sælde » (v. 8213), présente dans la version B, désigne bien « Dame fortune ». 125 Chevalier au Lion, 6782 sq. : « […] misericorde | Doit an de pecheor avoir ».

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passage est d’ailleurs marqué par le registre religieux, jusqu’à l’exclamation d’Iwein pour qui cet instant est « le jour de Pâques de [s]on bonheur » (ibid., v. 8175). Dans la version remaniée du roman, telle qu’elle nous parvient à travers le manuscrit de Giessen, Hartmann rajoute encore un passage important : Iwein n’est pas le seul à demander pardon. Laudine, après avoir répété, à l’instar de l’héroïne française, qu’elle est de toute façon tenue par son serment, lui demande à son tour pardon pour les souffrances qu’il a endurées à cause d’elle et se jette à ses genoux de la même façon qu’Iwein était tombé à ses pieds. Hartmann rétablit donc un parfait équilibre au sein du couple, faisant répéter à Laudine les mêmes paroles et les mêmes gestes que son mari. Elle aussi a recours au langage religieux : elle demande à Iwein d’être miséricordieux envers elle, car elle éprouve un repentir sincère. Dans cette version enrichie, la réconciliation entre Iwein et Laudine n’est plus entachée par le doute dû à l’obligation instaurée par le serment. Elle paraît cette fois sincère et durable. Une fois de plus, on reconnaît bien ce qui distingue Chrétien de Hartmann : l’auteur champenois ne se fait guère d’illusion sur le genre humain, et la réconciliation forcée des époux a certes donné à Yvain la paix qu’il recherchait mais celle-ci peut paraître finalement assez fragile et artificielle. Hartmann quant à lui aspire toujours à l’idéal, et c’est sous le signe de la miséricorde et du pardon chrétien, que les deux époux s’accordent réciproquement, que se terminent leurs retrouvailles. L’idéalisation qui marque le manuscrit de Giessen, ne se limite d’ailleurs pas aux liens qui unissent Iwein à son épouse. Elle touche aussi la reconnaissance dont le chevalier fait preuve envers Lunete. L’auteur nous dévoile en effet la récompense qu’il a faite à celle qui l’a servi si loyalement depuis le début. Aucun bienfait n’est oublié : grâce aux nombreux biens que lui cède Iwein (« il lui donna des châteaux, des terres et des villes puissantes » ; Iwein, v. 8215 sq.) et grâce au mariage avec un duc puissant auquel aucune vertu ne fait défaut, l’ascension sociale de Lunete est aussi fulgurante que surprenante et irréaliste. Cependant rien dans le texte ne semble indiquer une quelconque marque d’ironie. Nous sommes bien dans le domaine de l’idéal. L’arrière-plan fabuleux, d’origine celtique, encore perceptible chez Chrétien a été gommé chez Hartmann, tout particulièrement dans le manuscrit de Giessen126 : Laudine n’a plus rien d’une fée, d’un être de l’Autre Monde uni à un humain, ou d’une dame lointaine qui accorde ou retire son amour selon son gré, elle est l’épouse loyale, unie indéfectiblement à son mari, à l’instar de l’exemplaire Enite, toujours fidèle et dévouée à Erec. Une fois de plus, c’est bien la même souffrance qui a rapproché et soudé les deux époux :

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Aucun élément ne permet de déterminer avec certitude si les ajouts propres à la version B sont le fait de Hartmann ou du copiste. À propos de cette polémique, on peut se reporter à : E. Schmid, « Chrétiens ‘Yvain’ und Hartmanns ‘Iwein’ », in R. Pérennec / E. Schmid (éd.), Höfischer Roman in Vers und Prosa (Germania Litteraria Mediaevalis Francigena, Bd. V), Berlin / New York, de Gruyter, 2010, p. 135-167, en particulier les p. 147-148. Pour des raisons de clarté, nous partons du principe que ces vers sont bien de Hartmann.

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« J’en rends grâce à Dieu, car tandis qu’Iwein avait éprouvé bien de la peine alors qu’il était loin de sa dame, elle-même avait souffert. Son cœur avait été empli de tristesse et elle avait éprouvé de grands tourments de telle sorte que la douleur ne l’avait jamais quittée jusqu’au moment béni où le bonheur l’emporta sur l’affliction. Ils eurent alors oublié leurs souffrances dans la joie et recouvré le bonheur. » (ibid., 8233-8245)

Là encore, la souffrance éprouvée par un individu s’avère être la condition nécessaire à l’ouverture à l’autre, à l’empathie et au pardon. Pour la seconde fois, l’auteur recourt à l’idée de « herceriuwe », de souffrance / repentir qui vient du cœur, empruntée au vocabulaire religieux. C’est sur cette vision chrétienne, peut-être d’origine cistercienne, qui parcourt tout le roman, que se clôt quasiment la version remaniée telle que nous la connaissons par le manuscrit de Giessen. On le voit, Hartmann ne s’est pas contenté d’adapter le roman de Chrétien à la langue allemande, de réorganiser certains épisodes pour les rendre plus facilement compréhensibles au public allemand, de réorchestrer le texte français en lui conférant une nouvelle esthétique. Il a également réinterprété sa source et transformé en profondeur les motivations et la psychologie des personnages. Sa forte tendance à l’idéalisation s’inscrit dans une perspective chrétienne et humaniste. Il accorde une importance particulière à la souffrance et à l’humilité qui génèrent la miséricorde et cimentent la société aristocratique, tout en bannissant la casuistique amoureuse et le débat autour de la fin’ amor. La réflexion ne se situe plus autour de la relation entre amour et prouesse, bonheur individuel et engagement social. Le rôle de l’amour ne disparaît certes pas, mais il est fortement relativisé et ne se trouve plus au premier plan des réflexions. L’un des termes clefs du roman est le « chuomber / kuomber », la souffrance, qui ponctue le cheminement du héros. Qu’il s’agisse de la souffrance infligée à Iwein ou de celle subie par d’autres personnages, notamment Lunete, ce substantif apparaît de manière régulière et on ne le dénombre pas moins de vingt-neuf fois dans le roman127. À ces occurrences, on peut rajouter les dérivés verbaux (« bechuomern » « chuomern », v. 343 ; 5209 ; 5354) ou adverbiaux (« kuomberlich », v. 5561), sans compter les nombreux autres termes qui renvoient au malheur ou à la souffrance (« not », « arbeit », « swære », « leit », « riuwe »). Le schéma développé par Hartmann semble être le suivant : l’homme lui-même touché par la misère s’ouvre à la souffrance de l’autre, lui vient en aide et le délivre des maux qui l’oppressent, lui offrant même – lorsque c’est possible – réparation pour les souffrances endurées. Cette réparation, c’est celle dont bénéficient les trois cent demoiselles avant de quitter le château où elles sont captives, c’est aussi celle que Laudine donne à Iwein ou celle dont Iwein fait don à Lunete à la fin du roman. C’est bien cet altruisme nouveau fondé sur la passio qui unit les personnages les uns aux autres, créant des liens de loyauté et de reconnaissance ou les renforçant. La nouvelle chevalerie, dont Hartmann ébauche ici un portrait idéal, est un 127 Cf. les vers 1340, 2721, 4020, 4024, 4175, 4380, 4383, 4719, 5436, 5471, 5584, 5757, 5772, 5775, 5822, 6315, 6404, 7465, 7852, 7853, 7855, 7856, 7857, 7863, 8155, 8179, 8213, 8234. 

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modèle d’humilité et d’humanité. L’exemple proposé n’est plus celui d’Alexius dont la légende s’est répandue dans toute l’Europe vers l’an mille128, mais celui d’un chevalier arthurien destiné à être roi. La vision de Hartmann est élitiste et ne se rapporte qu’à la noblesse, à la « meilleure part de la race humaine »129 : il dépeint un héros dont il n’a de cesse d’affirmer une supériorité qui n’est pas seulement physique mais surtout d’ordre moral et aussi intellectuel, une qualité visible lors des combats. Une constatation de Karl Ferdinand Werner semble particulièrement bien convenir à Iwein : « Dieu était partout, mais Il l’était d’une manière plus intense encore en la personne de ceux qu’Il avait destiné […] à diriger les hommes »130. La vision de Hartmann est à la fois laïque et religieuse : en spiritualisant la matière arthurienne que lui lègue Chrétien, il accomplit la fusion de la culture laïque, chevaleresque et courtoise, et de valeurs chrétiennes. La noblesse, l’honneur, la dignité chevaleresque, le compagnonnage ainsi que l’humilité, la charité et la miséricorde se fondent dans l’idéal du miles christianus. Hartmann agit ainsi en auteur tout autant qu’en adaptateur, recréant une œuvre qui se démarque de la source par son dessein original, tout en conservant et parfois en renforçant la cohérence du texte d’origine.

V - Principes d’édition et de traduction Nous avons reproduit pour cette édition la totalité du texte du manuscrit 97 de Giessen (version B), c’est-à-dire la version la plus longue et la plus aboutie du roman de Hartmann. Nous sommes restés le plus proche possible du texte tel qu’il nous est transmis par le manuscrit de Giessen, et avons repris dans l’établissement de notre texte le découpage propre à B. Les vers fautifs ou ceux dont le sens nous paraît contestable sont signalés par un astérisque et corrigés en notes. En notes sont également indiqués les doublons. Comme dans la plupart des manuscrits médiévaux, chaque vers du manuscrit de Giessen se termine par un point, seuls les passages énumératifs ont incité le copiste à rajouter des points entre les différents éléments afin de les distinguer (exemple, v. 444 : « lanch. ruch. unde gra. »). La ponctuation a donc été prudemment modernisée afin de rendre la lecture du texte plus accessible à un public moderne. Par ailleurs, les abréviations, les lettres suscrites et les signes diacritiques suscrits ont été développés. Ainsi « vn- » a été développé en « unde » (« et ») ; « u » surmonté d’un « o » a été rendu par « uo », « u » et « o » surmontés d’un « e » ont été respectivement retranscrits par « ue » et « œ », ainsi que « i » surmonté d’un « u » (écrit « v ») a été retranscrit par « iu » ; « spach » a été développé en « sprach » (« dit ») et «ὺ » en « ver- ». La lettre « v » a été retranscrite par « u » lorsqu’elle renvoie au 128 Cf. K. F. Werner, Naissance de la noblesse. L’essor des élites politiques en Europe, Paris, Pluriel, 2012, p. 680 sq. 129 Ibid., p. 542. 130 Ibid., p. 543.

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son [u] et non au son [f] ; dans ce dernier cas, elle a été retranscrite par « v ». Nous avons renoncé à toute normalisation et réécriture du texte telles que les ont longtemps pratiquées les éditeurs allemands131. Contrairement aux philologues du XIXe siècle qui à l’instar de Karl Lachmann, influencé par les textes grecs et leur transmission linéaire et relativement stable, tentaient de reconstituer l’archétype, c’est-à-dire le texte originel de Hartmann, nous savons aujourd’hui qu’une telle entreprise est vaine132 : les récits médiévaux étaient fondamentalement instables, objets de nombreuses contaminations et de remaniements constants, si bien qu’une version originale, figée, définitive et voulue par l’auteur, n’est souvent qu’une pure chimère. Dès sa naissance, le roman d’Iwein fut soumis à des variations – peut-être voulues par l’auteur lui-même – et c’est de ces variations dont il nous faut tenter de rendre compte en donnant les textes des deux plus anciennes versions dont nous disposons. Les vers supplémentaires propres à la version B apparaissent en italique dans notre édition ainsi que dans la traduction. Les leçons divergentes présentes dans A sont indiquées dans le chapitre « Variantes et ajouts de la version A », ce qui permet au lecteur d’avoir à sa disposition les deux versions les plus anciennes d’Iwein. Les leçons contenues dans les autres manuscrits dérivent presque toujours de l’une de ces deux versions. Les quelques ajouts présents dans d’autres manuscrits sont également mentionnés dans un chapitre spécifique. La traduction française quant à elle se doit de proposer un texte cohérent et de rectifier les fautes commises par le copiste de B ainsi que les rares incohérences de cette version. Cette traduction en prose ne cherche pas à reproduire le rythme ni la poésie du roman allemand, car une telle démarche rendrait très difficile et aléatoire la compréhension du texte français. En effet, la syntaxe allemande médiévale n’offre pas suffisamment de points communs avec le français moderne pour qu’un tel exercice puisse donner un résultat satisfaisant. Nous nous efforçons de rendre le sens du texte allemand ; certains vers ou termes, dont la signification exacte ne peut être rendue par une simple traduction, sont explicités dans les « Notes et commentaires ». Par ailleurs, nous avons gardé l’orthographe allemande des noms des protagonistes, à l’exception de deux noms dont l’orthographe archaïque aurait pu déranger un public français moderne : nous avons systématiquement traduit Artus par Arthur, et Lunet par Lunete. Le « Glossaire » n’est pas exhaustif et cherche seulement à faciliter la compréhension du détail du texte et le repérage des passages pour des lecteurs capables de lire ou au moins de décrypter le texte en moyen haut-allemand. On y trouvera également certains termes clés pour la lecture et l’interprétation de l’œuvre. « L’index des noms propres » quant à lui est complet et relève toutes les occurrences. 131 Les éditeurs modernes font preuve désormais d’une grande prudence vis-à-vis de toute modification et s’efforcent de rester proches du texte du manuscrit de Giessen, cf. Hartmann von Aue, Iwein (Mittelhochdeutsch / Neuhochdeutsch) herausgegeben und übersetzt von Rüdiger Krohn, kommentiert von Mireille Schnyder Reclam (Relam Bibliothek), Stuttgart, 2011 (principes d’édition p. 544 sq.). 132 J. Bumke, Die vier Fassungen der Nibelungenklage, op. cit., p. 14.

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

Version numérisée du manuscrit d’Ambras contenant la version d : http://archiv.onb.ac.at:1801/view/action/nmets.do?DOCCHOICE=3332756. xml&dvs=1368470581542~500&locale=fr_FR&search_terms=&adjacency= &VIEWER_URL=/view/action/nmets.do?&DELIVERY_RULE_ID=1 Version numérisée du manuscrit de Vienne Cod. 2779 contenant la version J : http://archiv.onb.ac.at:1801/view/action/nmets.do?DOCCHOICE=3693146. xml&dvs=1381952532516~484&locale=fr_FR&search_terms=&adjacency= &VIEWER_URL=/view/action/nmets.do?&DELIVERY_RULE_ID=1 Extraits du roman en version originale d’après l’édition de Benecke et Lachmann, revue par Wolff : http://www.hs-augsburg.de/~harsch/germanica/Chronologie/12Jh/ Hartmann/har_iwei.html Handschriftencensus : répertoire de tous les manuscrits et fragments comprenant Iwein : http://www.handschriftencensus.de/werke/150 Extraits audio du roman : http://sagemaere.libsyn.com/webpage/category/Iwein

IWEIN Texte et traduction

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IWEIN : TEXTE

IWEIN : TEXTE Swer an rehte guete 5

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wendet sin gemuete, dem volget sælde unde ere. des git gewisse lere kunech Artus der guote, der mit riters muote nach lobe kunde striten. er hat bi sinen ziten gelebt also schone daz er der eren krone do truoc unde noch sin nam treit. des habent die warheit sine lantliute, si iehent er lebe noch hiute. er hat den lop erworben, ist im der lip erstorben, so lebt doch iemer sin nam. er ist lasterlicher scham iemer vil gar erwert, der noch nach sinem site vert. Ein riter der gelert was unde ez an den buochen las. swenner sine stunde niht baz bewenden chunde, daz er ouch tihtens pflac daz man gerne hœren mac, da chert er sinen fliz an. er was genant Hartman unde was ein ouwære. der tihte diz mære. Ez het der kunech Artus ze Karidol in sin hus zeinen pfingesten geleit nach richer gewonheit eine also schœne hochzit, daz er da vor noch sit deheine schœner nie gewan. deiswar, da was ein bœser man in vil swachem werde,

[fol. 1r] [Lettrine rouge]

[Lettrine bleue]

[fol. 1v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

IWEIN : TRADUCTION (1) Celui qui aspire de tout cœur au vrai bien obtiendra félicité et honneur. Une preuve indubitable en est donnée par le roi Arthur, cet homme de bien, qui par son esprit chevaleresque a su acquérir la gloire. À son époque, il a mené une existence si exemplaire qu’il était au faîte des honneurs et que son nom est toujours pareillement honoré. C’est pourquoi ses compatriotes disent la vérité lorsqu’ils affirment qu’il vit encore aujourd’hui. Il a acquis une telle renommée que, par-delà la mort, son nom perdurera à jamais. Quiconque suit son exemple sera à tout jamais à l’abri de la honte et de l’ignominie.

(21) Il y avait un chevalier qui était instruit et savait lire. Lorsqu’il ne savait pas mieux occuper son temps, il s’adonnait à l’écriture. Il se donnait beaucoup de peine à composer ce que l’on aime entendre. Il s’appelait Hartmann et était originaire d’Aue. C’est lui qui écrivit cette histoire.

(31) À la Pentecôte, le roi Arthur avait organisé, dans son château de Karidol, une fête où resplendissait le faste habituel. Elle était si belle qu’on n’en avait jamais vu de telle avant et que l’on n’en revit plus après. Pour dire vrai, un homme vil n’y aurait pas été à sa place, car jamais sur terre, ni en aucun lieu, on ne vit rassemblés autant de preux chevaliers qu’en cette occasion. En récompense, on leur rendit l’existence aussi agréable que possible : bien des demoiselles et des dames, les plus belles, issues des meilleures familles, se chargèrent de leur rendre agréable ce

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wande sich gesamenten uf der erde bi niemens ziten anderswa so manech guot riter als da. ouch wart in da zelone gegebn in allen wis ein wunsch lebn. in liebet den hof unde den lip manech magt unde wip, die schœnsten von den richen. mich iamert wærlichen, unde hulfez iht ich woldez clagen, daz nu bi unsern tagen selch freude niemer werden mac der man ze den ziten pflac. doch muezzen wir ouch nu genesn, ichn wolde do niht sin gewesn, daz ich nu niht enwære, da uns noch mit ir mære so rehte wol wesn sol. da taten in diu werch vil wol. Artus unde diu kunegin ir ierwederz under in sich uf ir aller willen fleiz. do man des pfingestages enbeiz, mænneclich im die freude nam, der in do aller beste gezam. dise sprachen wider diu wip, dise banechten den lip, dise tanzten, dise sungen, dise lieffen, dise sprungen, dise horten seitspil, dise schuozzen zuo dem zil, dise redten von seneder arbeit, dise von manheit. Gawein ahte umbe wafen, Key legte sich slafen uf den sal under in, ze gemache ane ere stuont sin sin. Der kunech unde diu kunegin die heten sich ouch under in zehanden gevangen

[fol. 2r]

[Lettrine bleue]

[Lettrine rouge] [fol. 2v]

IWEIN : TRADUCTION

séjour à la cour. Je suis vraiment attristé – et si cela servait à quelque chose, j’aimerais le déplorer à haute voix – de voir que de nos jours une telle joie, semblable à celle que l’on connaissait à cette époque, n’a plus cours. Toutefois il nous faut bien profiter de la vie et je n’aimerais pas avoir vécu en ce temps-là. Car alors je ne serais plus en vie aujourd’hui et ne pourrais profiter de ces histoires qui nous procurent tant de plaisir. Jadis, seuls les faits donnaient de la joie aux gens.

(59) Arthur et la reine, chacun à sa manière, s’efforçaient de satisfaire les souhaits de tous leurs hôtes. Après avoir pris part au repas de Pentecôte, chacun chercha à se divertir selon ses goûts. Les uns conversaient avec les dames, les autres se promenaient ; ceux-ci dansaient, ceux-là chantaient ; d’autres couraient, d’autres encore sautaient  ; certains écoutaient de la musique, d’autres tiraient sur une cible ; ceux-ci parlaient des souffrances infligées par l’amour, ceux-là de bravoure. Gawein s’occupaient des armes, Key s’allongea parmi eux, au milieu de la salle, car il n’aspirait pas à l’honneur mais au repos.

(77) Le roi et la reine s’étaient pris par la main et étaient allés tous deux dans une chambre. C’est davantage pour le plaisir de se retrouver ensemble que par paresse qu’ils se couchèrent et

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IWEIN : TEXTE

unde waren ensamt gegangen in eine chemnaten da unde heten sich slafen sa. mer durch geselleschaft geleit danne durch deheine tracheit, si entslieffen beidiu schiere. do gesazen riter viere, Dodines unde Gawein, Segremors unde Ywein. ouch was gelegen da bi der zuhtlose Key uzzerhalp bi der want. der sehste was Kalogreant, der begunde in sagen ein mære von grozzer siner swære unde von deheiner siner fruomcheit. do er noch lutzel het geseit, do erwachte diu kunegin unde horte sin sagen hin in. si lie ligen den kunech ir man, unde stal sich von im dan. unde gesleich zuo in so lise dar, daz es ir deheiner wart gewar, unz si in chom vil nahen bi unde viel enmitten under si. niuwan eine Kalogreant, der spranch engegen ir uf zehant, er neic ir unde enpfie si. do erzeicte aber Key sin alte gewonheit, im was des mannes ere leit. unde beruoft in drumbe sere unde sprach im an sin ere. er sprach : « herre Kalogreant, uns was ouch e daz wol erchant, daz under uns niemen wære so hofsch unde als erbære als ir wænt daz ir sit. des lazen wir iu den strit vor allen iuwern gesellen,

[fol. 3r]

IWEIN : TRADUCTION

bientôt s’endormirent. Quatre chevaliers, Dodines et Gawein, Segremors et Iwein, étaient assis à l’extérieur de la pièce, contre le mur. À proximité se trouvait aussi Key, cet homme discourtois. Il y avait également Calogreant qui se mit à leur raconter une histoire. Celle-ci parlait d’une rude épreuve qu’il avait subie et lors de laquelle sa valeur avait été ternie. Alors qu’il avait à peine commencé, la reine se réveilla et, de l’intérieur de la chambre, elle entendit ses paroles. Elle laissa dormir le roi, son mari, et s’en alla discrètement. Elle s’approcha si silencieusement des autres hommes que personne ne la remarqua avant qu’elle fût parvenue si près qu’elle surgit parmi eux. Seul Calogreant se leva d’un bond devant la reine, s’inclina et lui souhaita la bienvenue. Mais alors Key fit montre de son comportement habituel, car il ne pouvait supporter la digne réaction de Calogreant. C’est pourquoi il le prit violemment à partie et lui dit sur un ton insultant : « Seigneur Calogreant, nous savions parfaitement et depuis longtemps qu’aucun d’entre nous n’est aussi courtois et prévenant que vous vous imaginez l’être. Ainsi, nous reconnaissons – du moins s’il nous agrée de le faire – que vous surpassez tous vos compagnons, car enfin vous pensez que l’on doit vous concéder cet avantage. Et même ma dame doit le reconnaître, sans quoi elle vous ferait offense : à tout point de vue vous faites montre d’une grande courtoisie et vous vous croyez vous-même parfait. Indéniablement, vous faites preuve aujourd’hui d’une bien grande impudence. Aucun d’entre nous n’est paresseux, et si nous avions vu la reine nous nous serions comportés de manière aussi courtoise que vous venez, vous seul, de le faire. Mais puisqu’aucun d’entre nous ne l’a vue, ou quelle que soit la raison pour laquelle nous avons omis de nous lever, alors vous aussi vous auriez pu rester assis. » La reine lui répondit alors :

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ob wir selbe wellen, iuch dunchet des man suln iu lan. ouch solz min frouwe da fur han, si tæte iu anders gewalt. iuwer zuht ist so manecfalt unde ir dunchet iuch so vol chomen. deiswar, ir habt iuch an genomen irn wizzet hiute waz. unser deheiner was so laz, heter die kunegin ersehn, im enwære diu selbe zuht geschehn diu da iu einem geschach. sit unser deheiner si ne sach, ode swie wir des vergazen, daz wir stille gesazen, do moht ouch ir gesezzen sin. » des antwuort im diu kunegin. Si sprach : « Key, daz ist din site unde enschadest niemen me da mite danne du dir selbem tuost, daz du den iemer hazzen muost, dem dehein ere geschiht. du erlast dins nides niht daz gesinde noch die geste. der bœste ist dir der beste unde der beste der bœste. eins dinges ich dich trœste, daz man dirz iemer wol vertreit. daz chuomt von diner gewonheit, daz dus die bœsen alle erlast unde daz du haz ze den fruomen hast. din schelten ist ein prisen wider alle die wisen. du ne hetest diz gesprochen, du wærest benamen zebrochen, unde wære daz weiz got vil wol, wan du bist bitters eiters vol, da din herze inne swebt unde wider din ere strebt. » Key den zorn niht vertruoc,

[fol. 3v]

[Lettrine rouge]

[fol. 4r] [Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

(137) « Key, ceci te ressemble tout à fait, et en étant toujours hostile à ceux qui se comportent dignement tu ne portes préjudice à personne d’autre qu’à toi-même. Tu n’épargnes avec tes paroles pleines de fiel ni les membres de cette maisonnée ni les invités. Tu tiens le plus vil pour le plus noble, et le plus noble pour le plus vil. Je puis cependant te rassurer sur un point: on ne t’en tient jamais rigueur. Cela vient de l’habitude que tu as de toujours épargner tous ceux qui sont vils et de t’en prendre aux preux. Pour tous les sages, tes insultes sont des louanges. Si tu n’avais pas prononcé ces paroles, tu aurais sans doute éclaté et, par ma foi, cela n’aurait pas été un mal, car tu es plein de fiel et de venin. C’est dans ce venin que nage ton cœur qui nuit à ton honneur ».

(159) Key ne supporta pas cette réplique pleine de colère et

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IWEIN : TEXTE

er sprach : « frouwe, es ist gnuoc. ir habt mirs ouch zevil gesagt. unde het irs ein teil verdagt, daz zæme iuwerm namen wol. ich enpfahe gerne als ich sol iuwer zuht unde iuwer meisterschaft, doch hat si al ze grozze kraft. ir sprechet al zesere den ritern an ir ere. wir warens an iu ungewon, ir werdet unwert der von. ir strafet mich als einen kneht, gnade ist bezzer danne reht. ichn han iu selhes niht getan, irn moht mich wol lebn lan. unde wære min schulde grozzer iht, so belibe mir der lip niht. frouwe, habt gnade min unde lat sus grozzen zorn sin. iuwer zorn ist ungnædeclich, niene brechet iuwer zuht durch mich. min laster wil ich vertragen, daz ir ruochet gedagen. ich chuom nach minen schulden gerne ze sinen hulden. nu bit in sin mære, des e begunnen wære, durch iuwer liebe vol sagen. man mac vil gerne vor iu dagen. » Sus antwuorte Calogreant : « ez ist umbe iuch so gewant, daz iu daz niemen merchen sol, sprechet ir anders danne wol. mir ist ein dinch wol kunt, ezn sprichet niemens munt wan als in sin herce leret. swen iuwer zunge uneret, da ist das herze schuldech an. in der werlde ist manech man, falsch unde wandelbære,

[fol. 4v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

répondit : « Dame, cela suffit. Vous m’en avez déjà trop dit. Et si vous aviez passé sous silence une partie de ces paroles, cela aurait mieux convenu à votre rang. Comme il se doit, j’écoute volontiers vos remontrances et vos conseils, mais tout ceci est exagéré. C’est avec trop de véhémence que vous offensez l’honneur des chevaliers. Nous n’étions pas habitués à cela de votre part, cela porte atteinte à votre dignité. Vous me réprimandez comme un valet alors que grâce vaut mieux que justice. Je ne vous ai rien fait qui justifie un tel traitement. Si ma faute était un peu plus grave, alors c’en serait fini de ma vie. Dame, ayez grâce et renoncez à cette grande colère. Votre colère est par trop impitoyable, ne transgressez pas à cause de moi les règles que vous imposent la bienséance. Je suis prêt à assumer ma honte afin que vous daigniez vous taire. Si j’ai commis une faute, j’aimerais obtenir le pardon de Calogreant. Je le prie à présent de bien vouloir terminer, pour l’amour de vous, l’histoire qu’il avait déjà commencée. En votre présence, c’est avec plaisir que l’on se taira. »

(189) Calogreant répliqua alors : « Avec vous, il en va toujours ainsi : personne ne doit s’offenser de ce que vous dites lorsque vous parlez mal. Mais je sais une chose : personne ne dit autre chose que ce que lui inspire son cœur. Si votre langue insulte quelqu’un, c’est votre cœur qui est coupable. Il est en ce monde bien des hommes qui sont faux et inconstants et souhaiteraient pourtant devenir des hommes de bien, mais leur cœur ne le leur permet pas. Celui qui vous abreuve de bons conseils perd son temps et sa peine. Pour rien au monde vous ne vous déferez de votre habitude : le bourdon doit piquer, il est juste que le fumier pue où qu’il se trouve et le

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IWEIN : TEXTE

der gerne biderbe wære, wan daz in sin herze enlat. swer iuch mit lere bestat, deist ein verlorniu arbeit. irn sult iuwer gewonheit durch niemen zebrechen. der humbel der sol stechen, ouch ist reht daz der mist stinche swa er ist, der hurnuz der sol diezzen. ichn mohte niht geniezzen iuwers lobes noch iuwer friuntschaft, wan iuwer rede hat niht kraft. ouch enwil ich niht engelten, swaz ir mich mugt geschelten. warumbe solt ir michs erlan ? ir habt ez tiurem man getan. doch sol man ze dirre zit unde iemer mere swa ir sit mines sagens enbern. min frouwe sol mich des gewern, daz ichs mit ir hulden uber si. » do sprach der herre Key : « Nu enlat disen herren mine schulde niht gewerren, wan diene hant wider iuch niht getan. min frouwe sol iuch niht erlan irn sagt iuwer mære, wan ez niht reht wære, engulten si alle min. » do sprach diu kunegin : « Herre Calogreant, nu ist iu selbem wol erchant unde sit gewahsen da mite, daz in sine bœsen site vil ofte hant enteret unde daz sich niemen cheret an deheinen sinen spot. ez ist min bet unde min gebot, daz ir sagt iuwer mære,

[fol. 5r]

[Lettrine bleue]

[Lettrine rouge]

[fol. 5v]

IWEIN : TRADUCTION

frelon doit bruire. Je ne pourrais me réjouir ni de vos louanges ni de votre amitié, car vos paroles ne valent rien. C’est pourquoi je ne veux rien répliquer à tous les reproches que vous m’avez adressés. Pourquoi devriez-vous m’épargner, vous qui vous en êtes déjà pris à des hommes de plus grande valeur que moi ? Mais dorénavant, et de façon définitive, partout où vous vous trouverez, il faudra que l’on renonce à écouter mon récit. Puisse ma dame, s’il lui plaît, me faire grâce de cette histoire. » Monseigneur Key dit alors :

(223) « Ne laissez pas ces seigneurs pâtir de ma faute, car ils ne vous ont rien fait. Ma dame doit insister afin que vous narriez votre histoire parce qu’il ne serait pas juste que tous soient punis à cause de moi ». La reine de répondre alors :

(231) « Monseigneur Calogreant, vous savez très bien – et ce depuis fort longtemps – que les bassesses de Key l’ont souvent déshonoré et que plus personne ne prête attention à ses moqueries. Je vous prie et vous ordonne de raconter votre histoire, car vous le rendriez heureux si vous nous priviez de votre récit ». Calogreant répondit alors :

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wan ez sin freude wære, heter uns der rede erwant. » do sprach Calogreant : « Swaz ir gebiet, daz ist getan. sit ir michs niht welt erlan, so vernemt mit guotem site unde miet mich da mite. ich sagiu deste gerner vil, ob manz zerehte merchen wil. man verliuset michel sagen, man enwellez merchen unde dagen. maniger biut diu oren dar, ern nemes ouch mit dem hercen war, so ne wirt im niuwan der doz. unde ist der schade al zegroz, wan si verliesent beide ir arbeit, der da hœret unde der da seit. ir mugt mir deste gerner dagen, wan ichn wil iu deheine luoge sagen. Ez geschach mir, da von ist ez war, ez sint nu wol zehn iar, daz ich nach aventiure reit, gewafent nach gewonheit, ze Brezzilian in den walt. da waren die wege manecfalt, do chert ich nach der zeswen hant uf einen stic den ich da vant, der was vil ruch unde enge. durch dorne unde durch gedrenge so fuor ich allen einen tac, daz ich fur war wol sprechen mac, daz ich so grozze arbeit nie von ungeverte erleit. unde do ez an den abent gienc, einen stic ich do gevienc der truoc mich uz der wilde, unde chom an ein gevilde. dem volget ich eine wile, niht vol eine mile, unz daz ich eine burch ersach.

[Lettrine bleue]

[Lettrine rouge] [fol. 6r]

IWEIN : TRADUCTION

(243) « Qu’il en soit fait selon vos désirs. Puisque vous ne voulez me faire grâce de cette histoire, alors écoutez avec bienveillance et récompensez-moi ainsi : je raconterai d’autant plus volontiers que vous me prêterez une oreille attentive. On perd bien des paroles quand on ne veut pas écouter et se taire. Il n’est pas rare qu’un auditeur tende l’oreille mais n’écoute pas avec le cœur et ne perçoive que le son. Et ceci est fort dommage parce que tous deux perdent leur temps : celui qui écoute et celui qui raconte. Et vous devez vous taire d’autant plus volontiers que je ne vais pas vous raconter un mensonge.

(259) Cela m’est arrivé, et pour cette raison je m’en porte garant, il y a bien dix ans, alors que j’étais en quête d’aventures dans la forêt de Brezzilian, tout en armes comme à l’accoutumé. Les chemins étaient nombreux et je partis vers la droite. Là, je trouvai un sentier qui était fort difficile et étroit. Je chevauchai ainsi toute la journée à travers des ronces et des buissons si bien qu’il m’est permis d’affirmer que jamais encore je n’avais subi pareils tourments à cause de mauvais chemins. Et alors que la nuit commençait à tomber, j’arrivai sur un chemin qui me conduisit hors de ce lieu sauvage et déboucha sur un champ. Je le suivis pendant un certain temps, parcourant près d’un mile, jusqu’au moment où j’aperçus un château. Je me dirigeai alors dans sa direction afin d’y trouver du repos. Ainsi, je m’approchai de la porte devant laquelle se tenait un chevalier. Je vis qu’il portait sur son poing un autour qui avait mué. Il s’agissait du propriétaire du château et lorsque, de loin, il me vit venir vers lui, il ne put attendre davantage : il ne me laissa pas même le temps de le saluer en bonne et due forme que déjà il saisit les rênes de mon cheval et me tint l’étrier. Et, tout en agissant de la sorte, il m’accueillit si gentiment que Dieu lui en saura éternellement gré.

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IWEIN : TEXTE

dar cherte ich do durch min gemach. sus reit ich gein dem burgetor, da stuont ein riter vor. er het, den ich da stende vant, einen muzzerhabech uf siner hant. diz was des huses herre, unde als er mich von verre zuo im sach riten, nune mohter niht erbiten unde enlie mir niht der muozze, daz ich zuo sinem gruozze vollecliche wære chomen, ern het mir e genomen den zoum unde den stegereif. unde als er mich also begreif, do enpfienc er mich schone, als im got iemer lone. Nu hienc ein tavel vor dem tor an zwein cheten enbor. da sluoc er an daz ez erhal unde daz ez in die burch erschal. darnach was vil unlanch, unz daz dort her fur spranc des wirtes samnunge. schœne unde iunge iuncherren unde knehte, gecleit nach ir rehte, die hiezzen mich willechomen sin. mins rosses unde min wart vil guot war genomen. unde vil schiere sach ich chomen, do ich in die burch gie, eine iunchfrouwen diu mich enpfie. ich gihe noch als ich do iach, daz ich nie schœner kint gesach. diu entwafent mich. unde einen schaden clagt ich, desn wunder niemen, daz der wafen riemen also rehte lutzel ist,

[fol. 6v]

[Lettrine bleue]

[fol. 7r]

IWEIN : TRADUCTION

(297) Un disque était suspendu au-dessus de la porte, accroché à deux chaînes. Il frappa si fort dessus que le son retentit et se propagea dans le château. Il fallut alors peu de temps pour que tous les gens du châtelain se précipitassent à l’extérieur. De jeunes nobles et des écuyers, habillés comme leur rang l’exigeait, me souhaitèrent la bienvenue. Ils prirent grand soin de moi et de ma monture. Et lorsque je pénétrai dans le château, je vis une demoiselle se dépêcher de venir m’accueillir. Je répète ce que je me dis alors : je n’avais jamais vu plus belle enfant. Elle me désarma et je ne me plaignis que d’une chose (cela ne surprendra personne) : c’est qu’il y eut si peu de lanières à mon armure, de telle sorte qu’elle n’eut pas à s’occuper de moi très longtemps. Cela passa bien trop vite et je ne me serais pas opposé à ce que cela durât éternellement. Elle me revêtit d’un court manteau d’écarlate. Pauvre de moi qui avais posé les yeux sur elle, car par la suite nous dûmes nous séparer.

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IWEIN : TEXTE

daz si niht lenger frist mit mir solde umge gan. ez was zeschiere getan, ichn ruochte unde soldez iemer sin. ein scharlaches mæntelin daz gap si mir an. ich unsæliger man, daz si min ouge ie gesach, do uns zescheiden geschach. Wir zwei beliben eine. nu verstuont sich wol diu reine, daz ich gerne bi ir was. an ein daz schœnste gras, daz diu werlt ie gewan, da fuorte si mich an, ein wenech von den liuten baz. daz liez ich weizgot ane haz. hie vant ich wisheit bi der iugent, grozze schœne unde ganze tugent. si saz mir guetlichen bi, unde swaz ich sprach daz horte si unde antwuort es mit guete. ezn betwanch min gemuete noch bechuombert minen lip nie so sere magt noch wip unde getuot ouch lihte niemer me. ouwe iemer unde ouwe, waz mir do freuden benam ein bot der von dem wirte quam ! der hiez uns beidiu ezzen gan. do muose ich freude unde rede lan. do ich mit ir zetische gienc, der wirt mich anderstuont enpfienc. ezn gebot nie wirt mere sinem gaste grozzer ere. er tet den stigen unde den wegen vil manigen guetlichen segen, die mich gewiset heten dar. hie mit uberguldet erz gar, daz er mich ir nie verstiez

[Lettrine rouge]

[fol. 7v]

IWEIN : TRADUCTION

(329) Nous restâmes tous deux seuls. Alors, la noble demoiselle remarqua qu’il me plaisait d’être auprès d’elle. Elle me conduisit un peu à l’écart des gens, sur l’herbe la plus belle que la terre ait jamais portée. Par Dieu, c’est bien volontiers que je me laissai faire. En elle, je trouvai la sagesse alliée à la jeunesse, la parfaite beauté à une vertu irréprochable. Elle était assise aimablement auprès de moi, écoutait tout ce que je lui disais et y répondait avec amabilité. Jamais aucune demoiselle ni aucune femme n’avait tant accaparé mes pensées ni ne m’avait causé un tel tourment, comme sans doute aucune femme ne le fera plus à l’avenir. Hélas, mille fois hélas, quelle joie ne me ravit pas un messager envoyé par le châtelain ! Il nous invita tous deux à aller dîner. Je dus alors renoncer à cette douce conversation. Lorsque je me rendis à table en compagnie de la demoiselle, mon hôte me souhaita une seconde fois la bienvenue. Jamais on ne fit meilleur accueil à un invité. À maintes reprises il loua les chemins et les sentiers qui m’avaient conduit ici. Sa bonté fut telle qu’il ne me sépara pas de la demoiselle et, très aimablement, me laissa dîner à ses côtés. Là encore, on ne manqua pas de mettre à notre disposition tout ce que l’hospitalité peut offrir. Avec une grande affabilité, on nous servit d’excellents mets.

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IWEIN : TEXTE

unde mich so guetlichen liez mit der iunchfrouwen ezzen. ouch enwart da niht vergezzen wirne heten alles des die kraft daz man da heizzet wirtschaft. man gap uns spise diu was guot, dazuo den willigen muot. Do wir mit freuden gazen unde danach gesazen unde ich im daz het geseit, daz ich nach aventiure reit. des wundert in vil sere, unde iach daz im nie mere dehein der gast wære chomen, von dem er daz het vernomen, daz er aventiure suochte. unde bat daz ich des geruochte, swenne ich den wec da wider rite, daz ich in danne niene mite. da wider het ich deheinen strit, ich lobt ez unde leist ez sit. Do slafens zit wart, do gedaht ich an mine vart, unde do ich niene wolde noch beliben solde. do wart der riterlichen magt von mir gnade gesagt ir guoten handelunge. diu suezze unde diu iunge diu lachet unde neic mir. seht, do muose ich von ir. daz gesinde bevalch ich got. ze mins wirtes gebot da bot ich mich vil ofte zuo. dannen schiet ich unde reit vil fruo zewalde von gevilde. da ramt ich der wilde unde vant nach mitten morgen in dem walde verborgen ein breitez geriute

[fol. 8r] [Lettrine rouge]

[Lettrine bleue]

[fol. 8v]

IWEIN : TRADUCTION

(367) Alors que nous avions agréablement dîné et que nous étions assis tous ensemble, je racontai à mon hôte que j’étais en quête d’aventures. Ceci l’étonna beaucoup et il dit qu’il n’avait encore jamais reçu d’étranger qui eût affirmé être en quête d’aventures. Et il me pria de bien vouloir repasser par chez lui lorsque je serais sur le chemin du retour. Je n’avais rien à redire à cela et lui en fit la promesse, promesse que je tins par la suite.

(381) Lorsqu’il fut l’heure d’aller dormir, je songeai à mon voyage et au fait que je ne voulais ni ne pouvais rester. Puis je remerciai la demoiselle courtoise pour son amabilité. Cette charmante jeune femme s’inclina devant moi en souriant. Voyez, c’est alors que je dus la quitter. Je recommandai les habitants du château à Dieu et offris, à plusieurs reprises, mon service à mon hôte. Je pris congé et partis très tôt le matin, m’éloignant des champs et prenant la direction de la forêt. Là, je m’enfonçai dans la nature sauvage et trouvai en fin de matinée, caché dans la forêt, un vaste lieu défriché et sans aucun être humain. J’assistai alors à un spectacle terrifiant qui me remplit d’effroi : je vis toutes les espèces d’animaux dont j’aie jamais entendu parler se battre et se livrer un combat terrible. Là combattaient avec férocité, poussant d’effroyables hurlements, des taureaux sauvages et des aurochs. Alors je m’arrêtai et regrettai d’être venu là. S’ils m’avaient aperçu, je n’aurais pu me défendre autrement qu’en implorant Dieu de me sauver. J’aurais beaucoup aimé m’éloigner de ces bêtes quand je vis un homme assis au milieu d’elles. Cela me redonna confiance, mais lorsque je

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IWEIN : TEXTE

ane die liute. da gesach ich mir vil leide eine swære ougenweide. aller der tiere hande, die man mir ie genande, vehten unde ringen mit eislichen dingen. da vahten mit grimme mit griulicher stimme wisent unde urrinder. do gehabt ich hinder unde rou mich daz ich dar was chomen. unde heten si min war genomen, so ne triuwet ich mich anders niht erwern, wan ich bat mich got nern. von in wolt ich gerne dan, do gesach ich sitzen einen man in almitten under in. daz getroste mir den sin. do ich im aber naher quam unde ich sin rehte war genam, do forht ich in also sere sam diu tier ode mere. sin menschlich bilde was anders harte wilde. er was einem more gelich, michel unde als eislich daz ez niemen geloubet. zware im was sin houbet grozzer danne einem ure. ez het der gebure ein ragendez har ruoz var. daz was im vaste unde gar verwalchen zuo der swarte an houpte unde an barte. sin antlutze was wol ellen breit, mit grozzen runzen beleit. ouch waren im diu oren als einem walt toren vermieset zware

[fol. 9r]

IWEIN : TRADUCTION

m’approchai de lui et que je le vis précisément alors j’eus tout aussi peur de lui que des animaux, si ce n’est davantage. Son apparence était humaine et cependant tout à fait sauvage : il ressemblait à un maure, il était si grand et effrayant que personne ne saurait le croire. En vérité, sa tête était plus grosse que celle d’un auroch. Le rustre avait des cheveux hirsutes, couleur de suie. Aussi bien ses poils de barbe que ses cheveux étaient tout emmêlés aux poils de sa peau. Son visage faisait bien une coudée de large et était couvert de rides profondes. Ses oreilles étaient semblables à celles d’un homme des bois, moussues et couvertes de poils longs de plusieurs empans, larges comme de grands paniers. Les poils de barbe et les sourcils du rustaud étaient longs, hirsutes et gris. Son nez était aussi gros que celui d’un bœuf, court, large, entièrement couvert de poils. Son visage était émacié et creusé. Oh, comme il avait l’air terrible ! Ses yeux étaient rouges, emplis de colère. Sa bouche était si large qu’elle se prolongeait sur chaque côté de ses joues. Elle était pourvue de dents puissantes, semblables à celles d’un sanglier et non d’un homme : elles dépassaient à l’extérieur de la bouche, longues, acérées, grandes et larges. Sa tête se tenait de telle sorte que son menton velu semblait fixé à la poitrine. Son échine était voûtée vers le haut, tordue et bossue. Il portait un habit étrange : il avait revêtu deux peaux dont il avait récemment dépouillé deux animaux. Il avait une massue si grosse que je me sentis mal à sa vue.

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IWEIN : TEXTE

mit spanne langem hare, breit als ein wanne. dem ungefuegen manne waren gran unde bra lanch, ruch, unde gra. diu nase als einem ohsen groz, kurz, wit, niender bloz. daz antlutze durre unde flach, ouwi, wie eisliche er sach ! diu ougen rot zorn var. der munt het im gar bedenthalp den wangen mit wite bevangen. er was starch unde gezan als ein eber niht als ein man. uzzerhalp des mundes tur da ragten si her fur, lanch, scharpf, groz, breit. im was dez houpt so geleit, * daz im sin ruhez kinnebein gewahsen zuo den brusten schein. sin ruoke was im uf gezogen, hoveroht unde uz gebogen. er truoc an seltsæniu cleit, zwo hiute het er an geleit, die het er in niuwen stunden zwein tieren abe geschunden. er truoc einen kolben als groz, daz mich da bi im verdroz. Do ich im so nahen quam daz er min wol war genam, zehant sach ich in uf stan unde nahen zuo mir gan. weder wider mich sin muot wære bœse ode guot, desn weste ich niht die warheit unde was iedoch zewer bereit. weder ern sprach noch ich. do er sweic, do versach ich mich daz er ein stumme wære

[fol. 9v]

[fol 10r] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(469) Lorsque je l’eus approché de si près qu’il m’aperçut, je vis qu’il se leva aussitôt et vint vers moi. Je ne savais vraiment pas ce qu’il éprouvait envers moi, s’il allait m’être amical ou hostile, et j’étais prêt à me défendre. Ni lui ni moi ne dîmes un mot. Comme il se taisait, je pensai qu’il devait être muet et lui demandai de m’éclairer : “Es-tu mauvais ou bon ?”, demandai-je. Il répondit : “Celui qui ne me fait rien trouvera en moi un ami.” “Peux-tu alors me faire savoir quel genre de créature tu es ?” “Un homme, comme tu le vois.”

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IWEIN : TEXTE

unde bat mir sagen mære. ich sprach : “bistu ubel ode guot ?” er sprach : “swer mir niene tuot, der sol ouch mich zefriunde han.” “mahtu mich danne wizzen lan, waz creatiure bistu ?” “ein man als du gesihest nu.” “nu sage mir waz din ampt si.” “da sten ich disen tieren bi.” “nu sage mir, tuont si dir iht ?” “si lobtenz tæte ich in niht.” “entriuwen, furhtent si dich ?” “ich pflige ir unde si furhtent mich als ir meister unde ir herren.” “sage waz mac in gewerren din meisterschaft unde din huote, si ne louffen nach ir muote ze walde unde ze gevilde ? wan ich sihe wol, si sint wilde, si ne erchennent man noch sin gebot. ichn wande niht daz ane got der gewalt iemen tohte, der si betwingen mohte ane sloz unde ane bant.” Er sprach : “min zunge unde min hant, min bet unde min dro, die hant mir si gemachet so, daz si bibende vor mir stant unde durch mich tuont unde lant. swer ouch anders under in solde sin als ich bin, der wære schiere verlorn.” “herre, furhtent si dinen zorn, so gebiut in fride her zemir.” er sprach : “niene furhte dir, sine tuont dir bi mir dehein leit. nu han ich dir vil gar geseit swes du geruochtest fragen. nu ne sol dich niht betragen, du ne sagest mir waz du suochest.

[fol. 10v]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

“Maintenant, dis-moi ce que tu fais ici.” “Je garde ces bêtes.” “Dis-moi encore, est-ce qu’elles ne te font pas de mal ?” “Elles sont heureuses que je ne leur fasse rien.” “Vraiment ? Te craignent-elles ?” “Je les surveille et elles me craignent comme leur seigneur et maître.” “Dis-moi, comment ton gouvernement et ta surveillance les empêchent-elles de s’enfuir à leur guise dans la forêt ou dans les champs ? Car je vois bien qu’elles sont sauvages et qu’elles ne connaissent pas l’homme ni n’écoutent ses ordres. Je n’aurais pas cru qu’hormis Dieu quelqu’un ait pu avoir le pouvoir de les maîtriser sans chaînes ni liens.”

(504) “Ma voix et ma main, dit-il, mes ordres ainsi que mes menaces les ont rendues telles qu’elles tremblent devant moi et font ce que je leur ordonne. Mais si quelqu’un d’autre que moi se trouvait au milieu d’entre elles, il serait aussitôt perdu.” “Seigneur, si elles craignent ta colère alors ordonne-leur de me laisser en paix.” “N’aie crainte, dit-il, elles ne te feront aucun mal en ma présence. Désormais, je t’ai dit tout ce que tu souhaitais savoir. À présent, sois assez aimable pour me dire ce que tu cherches. Si tu désires quelque chose de ma part, cela te sera accordé.” “Je vais te le faire savoir”, dis-je. “Je cherche l’aventure.” “L’aventure ? Qu’est-ce que c’est ?” demanda alors le monstre. “Je vais te l’expliquer du mieux que je le peux.

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IWEIN : TEXTE

ob du iht von mir geruochest, daz ist allez getan.” ich sprach : “ich wil dichz wizzen lan. ich suoche aventiure.” do sprach der ungehiure : “aventiure, waz ist daz ?” “daz wil ich dir bescheiden baz. Nu sich wie ich gewafent bin. ich heizze ein riter unde han den sin, daz ich suochende rite einen man, der mit mir strite, unde der gewafent si als ich. daz priset in unde sleht er mich. gesige aber ich im an, so hat man mich fur einen man unde wirde werder danne ich si. si dir nu verre ode bi chunt umbe selhe wage iht, daz verswic mich niht unde wise mich dar, wandich nach anders niene var.” Alsus antwuort er mir do : “sit din gemuete stet also daz du nach ungemache strebest unde niht gerne sanfte lebest, ichn gehorte bi minen tagen selhes nie niht gesagen, waz aventiure wære, doch sagich dir ein mære. wil du den lip wagen, so ne darftu niht me fragen. hie ist ein brunne nahen bi uber kurzer mile dri. zware unde chuomestu dar unde tuostu im sin reht gar unde tuostu die widerchere ane grozze din unere, so bistu wol ein fruom man, da ne zwifel ich niht an. waz fruomt ob ich dir mer sage ?

[fol. 11r]

[Lettrine rouge]

[Lettrine bleue]

[fol. 11v]

IWEIN : TRADUCTION

(527) Regarde l’équipement que je porte : on me nomme chevalier et mon intention est de chevaucher en quête d’un homme prêt à combattre avec moi et portant les mêmes armes que moi. S’il me vainc, sa renommée en sera d’autant plus grande. Si c’est moi qui le bats, alors on me considérera comme un homme de valeur et j’acquerrai davantage d’honneur. Si tu connais, à proximité d’ici ou plus loin, un lieu propice à un tel combat, ne me le cache pas et indique-moi le chemin pour que je m’y rende, car je ne cherche rien d’autre.” 

(541) Alors il me répondit la chose suivante : “Puisque ton état d’esprit est tel que tu aspires à la souffrance et que tu n’as pas envie de vivre paisiblement – même si je n’ai de toute ma vie jamais entendu dire ce qu’est une aventure – je vais te dire quelque chose. Si tu veux risquer ta vie, alors point n’est besoin de poser davantage de questions. Il y a, non loin d’ici, à trois miles à peine, une fontaine. En vérité, si tu t’y rends, que tu respectes la coutume de la fontaine et parviens à revenir sans avoir subi une grande honte, alors tu es vraiment un homme valeureux, ce dont je ne doute pas. À quoi sert-il que je t’en dise plus ? Je suis certain que, si tu n’es pas un lâche, tu verras bientôt par toi-même de quoi je parle.

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IWEIN : TEXTE

ich weiz wol unde bistu niht ein zage, so gesihestu wol in kurzer frist selbe waz diu rede ist. Noch hœre waz sin reht si. da stet ein kapel bi, diu ist schœne unde aber chleine. kalt unde vil reine ist der selbe brunne. in rueret regen noch sunne, noch entruebent in die winde. des schirmet im ein linde, daz nie man schœner gesach, diu ist sin schat unde sin dach. si ist breit, hoch, unde als diche daz regen noch der sunnen bliche niemer dar durch enchuomt. irn schadet der winder nochn fruomt an ir schœne niht ein har, si ne ste geloubet durch daz iar. unde ob dem brunne stet ein harte zierlicher stein, undersazt mit vieren marmelinen tieren. der ist gelochert vaste. ez hanget von einem aste von golde ein beche her abe. ia ne wæn ich niht daz iemen habe dehein bezzer golt danne ez si. diu cheten da ez hanget bi, diu ist uz silber geslagen. wil du danne niht verzagen, so ne tuo dem beche niht me, giuz uf den stein der da ste da mit des brunne ein teil. deiswar so hastu guot heil, gescheidestu mit eren dan.” hin wiste mich der waltman einen stic zeder winstern hant. ich fuor des endes unde vant der rede eine warheit,

[Lettrine bleue]

[fol. 12r]

[fol. 12v]

IWEIN : TRADUCTION

(563) Écoute encore en quoi consiste cette coutume : à côté de la source se trouve une chapelle qui est belle mais petite. La fontaine est froide et très pure : ni la pluie ni le soleil ne peuvent l’atteindre, les vents ne la troublent pas non plus. Un tilleul, le plus beau qu’on ait jamais vu, la protège, lui donnant de l’ombre et formant un toit. Il est large, haut et si épais que ni les gouttes de pluie ni les rayons du soleil ne peuvent passer à travers ses feuilles. L’hiver ne lui nuit nullement ni n’altère sa beauté si bien que ce tilleul conserve son feuillage toute l’année. Et audessus de la fontaine se trouve une fort belle pierre soutenue par quatre animaux de marbre : elle est profondément creusée. Un bassin d’or est accroché à une branche : je ne crois pas que quelqu’un possède un or plus pur que celui-ci. La chaîne à laquelle il est suspendu est d’argent. Si tu n’as pas peur, il te suffit de verser avec le bassin un peu d’eau de la fontaine sur la pierre qui est là. En vérité, tu auras beaucoup de chance si tu parviens à t’en sortir honorablement.” Pour y aller, l’homme des bois m’indiqua un sentier qui partait vers la gauche. J’allai dans cette direction et vis que tout ce qu’il m’avait dit était vrai. Je trouvai là de grandes merveilles : aussi longtemps que le monde existera, jamais plus on n’entendra de chant d’oiseaux aussi délicieux que celui que je perçus lorsque je m’approchai du tilleul.

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als er mir het geseit. ich vant da groz ere. man gehœret niemer mere, diu werlt ste kurz ode lanc, so wunneclichen vogel sanc als ich ze der linden vernam, do ich derzuo geriten quam. Der ie gewesen wære ein tot riuwesære, des herce wære da gefreut. si was mit vogeln bestreut, daz ich der este schin verlos unde ouch des loubes lutzel chos. derne waren zwene niender gelich, ir gesanch was als mislich, hoch unde nider. die stimme gap in wider mit gelichem galme der walt. wie da sanch gesange galt ! den brunnen ich darunder sach unde swes mir der waltman veriach. ein smareides was der stein. uz iegelichem orte schein ein als gelpfer rubin, der morgensterne mohte sin niht schœner swenner uf gat unde in des luoftes truebe lat. Do ich daz beche hangende vant do gedaht ich des zehant, sit ich nach aventiure reit, ez wære ein unmanheit ob ich do daz verbære ichn versuochte waz ez wære. unde riet mir min unwiser muot der mir vil ofte schaden tuot daz ich goz uf den stein. do erlasch diu sunne diu e schein unde zergie daz vogel sanc als ez ein swærez weter twanc. diu wolchen begunden

[Lettrine bleue]

[fol. 13r] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(607) Même le cœur de celui qui aurait été accablé par une profonde affliction aurait été, à cet endroit, empli de joie. Le tilleul était couvert de tant d’oiseaux que je ne pouvais en apercevoir les branches et que j’en distinguais à peine le feuillage. Aucun oiseau n’était semblable à un autre, ils chantaient des mélodies très différentes, produisant des sons aigus et graves. L’écho de la forêt leur renvoyait leurs chants. Comme le chant répondait au chant ! Je vis la fontaine sous l’arbre ainsi que tout ce dont l’homme des bois m’avait parlé. La pierre était une émeraude dont chaque facette luisait, tel un rubis si flamboyant que même l’étoile du matin ne peut être plus belle lorsqu’elle se lève et que la brume la laisse apparaître.

(627) Lorsque je trouvai le bassin suspendu, je pensai que, puisque j’étais en quête d’aventures, ce serait de la lâcheté si je renonçais à savoir ce qu’il en était. Et ma sottise, qui bien souvent me nuit, m’incita à verser de l’eau sur la pierre. Alors le soleil, qui auparavant brillait, disparut et le chant des oiseaux se tut à l’approche d’un gros orage. Les nuages se mirent au même moment à se rassembler, venant des quatre coins du ciel. La clarté du jour s’évanouit de telle sorte que je pouvais à peine distinguer le tilleul. Quelque chose de terrible se produisit en cet endroit : aussitôt je vis de toutes parts autour de moi des milliers et des milliers d’éclairs. Alors retentirent à plusieurs reprises des coups de tonnerre si violents que je tombai à terre. Il se mit à grêler et à pleuvoir, et si la miséricorde de Dieu ne

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in den selben stunden in vier enden uf gan. der liehte tac wart getan, daz ich die linden chume gesach. groz ungnade hie geschach. vil schiere do gesach ich in allen enden umbe mich wol tusent tusent bliche. darnach sluoc als diche ein als kreftiger donreslac, daz ich uf der erde gelac. sich huop ein hagel unde ein regen, wan daz mich der gotes segen friste von des weters not, ich wære der wile diche tot. daz weter wart als ungemach, daz ez den walt nider brach. was iender ein boum da so groz, der da bestuont, der wart so bloz unde des loubes als lære, als er verbrunnen wære. swaz lebte in dem walde, ez entrunne danne balde, daz was da zehant tot. ich het von des weters not mich des libes begebn unde ahte niht uf min lebn. unde wære ouch sunder zwifel tot, wan daz der hagel unde diu not in kurzer wile gelac unde begunde liehten der tac. Do disiu freise zergienc unde ze weter gevienc, wære ich gewesn fur war bi dem brunnen cehn iar, ichn beguzze in niemer me, wan ich het ez baz gelazen e. die vogel chomen wider, ez wart von ir gevider diu linde anderstunt bedaht.

[fol. 13v]

[Lettrine bleue]

[fol. 14r]

IWEIN : TRADUCTION

m’avait pas protégé des éléments déchaînés, j’aurais plusieurs fois perdu la vie pendant cet orage. Celui-ci fut si destructeur qu’il abattit la forêt. Si, quelque part, un arbre était assez puissant pour être encore debout, alors il se retrouvait nu et totalement dépouillé de ses feuilles comme s’il avait brûlé. Tous les animaux qui vivaient dans la forêt étaient morts en un instant lorsqu’ils n’avaient pas pu fuir rapidement. Devant la violence de l’orage, j’avais déjà renoncé à la vie et je m’apprêtais à en finir avec mon existence. Et je serais mort sans aucun doute si la grêle et l’orage ne s’étaient pas calmés en peu de temps, laissant le ciel s’éclaircir.

(671) Lorsque cette grande frayeur fut passée et qu’il recommença à faire beau, je n’aurais plus jamais arrosé la fontaine même si j’étais resté auprès d’elle pendant dix ans : car auparavant j’aurais mieux fait de ne pas y toucher. Les oiseaux revinrent et le tilleul fut à nouveau couvert par leurs plumages. Ils reprirent leurs douces mélodies et chantèrent encore mieux qu’auparavant. Malgré les grands tourments que je venais d’endurer, tout était désormais oublié et je croyais être au paradis terrestre. Cette joie fut la plus parfaite qu’il m’ait jamais été

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si huoben aber ir suezzen braht unde sungen verre baz danne e. mirne wart da vor nie so we, desn wære nu vergezzen. alsus het ich besezzen daz ander paradyse. die selben freude ich prise fur alle die ich ie gesach. ia wandich freude ane ungemach unangestlichen iemer han. seht, do trouc mich min wan. Mir nahte laster unde leit. nu seht, wa dort her reit ein riter, des geverte was grimme unde als herte, daz ich des wande ez wære ein her. iedoch bereite ich mich zewer. sin ros was starch er selbe groz, des ich vil lutzel da genoz. sin stimme lute sam ein horn. ich sach wol, im was uf mich zorn, als ab ich in einen sach, min forhte unde min ungemach wart gesenftet iedoch. unde gedahte zeleben noch unde guorte minem rosse baz. do ich wider druf gesaz, do was er chomen daz er mich sach. vil lute rief er unde sprach, do er mich aller verrest chos : “riter, ir sit triuwelos. mirne wart von iu niht widerseit, unde habt mir lasterlichez leit in iuwer hochfart getan. nu wie sihe ich minen walt stan ! den habt ir mir verderbet unde min wilt ersterbet unde min gefugel veriagt. iu si von mir widersagt ! ir sult es buozze bestan

[Lettrine rouge]

[fol. 14v]

IWEIN : TRADUCTION

donné de connaître. Je crus vraiment pouvoir jouir à tout jamais d’une joie dénuée de crainte et de malheur. Voyez comme j’ai été abusé par mon illusion.

(691) Honte et souffrance s’approchaient de moi. Voyez comme un chevalier chevauche en ma direction : son apparence était si effrayante et menaçante que je crus qu’il s’agissait de toute une armée. Malgré tout, je me préparai à me défendre. Son destrier était puissant et lui-même était grand, ce qui ne présageait rien de bon pour moi. Sa voix retentissait comme le son d’un cor. Je vis bien qu’il était en colère après moi, mais lorsque je remarquai qu’il était seul, ma crainte et mes soucis en furent un peu amoindris. Je crus pouvoir sauver ma vie et je resserrai les sangles de mon destrier. Alors que j’étais de nouveau sur ma monture, il s’était tant approché qu’il me vit. Il s’écria bien fort lorsqu’il m’aperçut de loin : “Chevalier, vous êtes déloyal, car vous ne m’avez pas défié et pourtant vous m’avez infligé un grand tort et une honte, ceci est dû à votre orgueil. Voyez maintenant dans quel état se trouve ma forêt ! C’est vous qui l’avez dévastée, qui avez tué mon gibier et fait fuir mes oiseaux. Je vous défie ! Vous devrez me le payer ou je perdrai la vie ! L’enfant qui a été frappé a le droit de pleurer et de se plaindre. Ainsi, je me plains à juste titre : que je sache, je n’ai rien fait qui puisse vous heurter. C’est sans aucune faute que je dois supporter un grand préjudice. Vous n’aurez plus de paix ici. Défendez-vous si vous voulez rester en vie !”

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IWEIN : TEXTE

ode ez muoz mir an den lip gan ! daz chint daz da ist geslagen, daz muoz wol weinen unde clagen. alsus clagich von schulden. ichn han wider iuwern hulden mit minen wizzen niht getan. * ane schulde ich grozzen schaden han. hie ne sol niht frides mere wesn. wert iuch ob ir welt genesn !” Do bot ich min unschulde unde suochte sine hulde, wan er was merre danne ich. do ne sprach er niht wider mich, wan daz ich mich werte, ob ich mich gerne nerte. do tet ich daz ich mohte, daz mir doch lutzel tohte. ich tiostierte wider in. des fuorter ouch min ros hin. daz beste heil daz mir geschach, daz was daz ich min sper zebrach. vil schone sazte mich sin hant hinder daz ros uf den sant, daz ich vil gar des vergaz, ob ich uf ros ie gesaz. er nam min ros unde lie mich ligen. mir was geluoches da verzigen. doch enmuete mich niht so sere, * ern bot mir nie die ere, daz er mich het an gesehn. do im diu ere was geschehn, do gebart er rehte dem gelich als im aller tægelich zehn stunt geschæhe sam. der pris was sin unde min diu scham ! swaz ich doch lasters da gewan, da was ich unschuldech an. mir was der wille harte guot, do ne mohten mir diu werch den muot an im niht vol bringen,

[fol 15r] [Lettrine bleue]

[fol. 15v]

IWEIN : TRADUCTION

(729) Alors, je l’assurai de mon innocence et cherchai à obtenir sa bienveillance, car il était plus fort que moi. À cela il ne répliqua qu’en m’enjoignant de me défendre si je voulais sauver ma vie. Alors, je fis ce que je pus mais cela eut peu d’effet. Je joutai contre lui, cependant il emmena mon cheval. Le mieux que je parvins à faire fut de briser ma lance. Très habilement, sa main me projeta à terre de telle sorte que j’en oubliai si j’étais jamais monté à cheval. Il prit ma monture et m’abandonna là. La chance ne m’avait pas souri, cependant ce qui me pesa le plus fut qu’il ne daigna même pas m’adresser un regard. Lorsque la victoire lui fut acquise, il se comporta comme celui à qui cela arrive dix fois pas jour. À lui la gloire et à moi la honte ! Cependant je n’étais pas responsable de l’humiliation qui me fut infligée. J’étais animé par la meilleure volonté mais contre lui je ne pus rien faire, c’est pour cette raison que j’ai échoué.

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IWEIN : TEXTE

des muose mir misselingen.

Do mir des rosses wart verzigen, ichn mohte niht iemer da geligen. do geruochte ich gen von dan als ein erloser man unde saz aber ze dem brunnen. der unzuhte sult ir mich verchunnen, swie niugerne ich anders si, unde sæzze ich iemer da bi, ichn beguozze in niemer mere. ichn galt es e so sere. Do ich gnuoc lange da gesaz unde betrahte daz, waz mir zetuonne wære, min harnasch was zeswære. daz ich in gende niht mohte getragen. nu waz magich iu mere sagen, wan daz ichn abe schuotte unde gie dan ? ich gnadeloser man gedahte war ich cherte, unz mich min herze lerte, daz mir an minen wirt riet, von dem ich des morgens schiet. swie ich dar chome gegangen, ichn wart nie wirs enpfangen danne ouch des abendes do ich von im reit. * daz machte aber sin hofscheit. wære mir diu ere geschehn, in dem laster unde ich wart gesehn, min handelunge wære genuoc guot. sus trosten si mir minen muot, er unde min iunchfrouwe. daz si got iemer schouwe ! ich han einem toren gelich getan, diu mære, der ich laster han, daz ich iuch diu niht chan verdagen. ichn woltes ouch e nie gesagen. si iuwer deheinem geschehn baz, ob er nu welle, der sage ouch daz. » Do rechent der herre Iwein

[Lettrine bleue]

[fol. 16r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(761) Après avoir été privé de mon destrier, je ne pouvais pas rester allongé là éternellement. Je me décidai à quitter ce lieu à pied, comme un homme déshonoré, et je m’assis de nouveau à la fontaine. Mais ne croyez pas que je n’aie pas su me contrôler, même si d’habitude je suis curieux : même si j’étais resté assis là pour l’éternité, je n’aurais jamais plus arrosé la pierre. J’avais payé trop cher pour cela la première fois.

(771) Je demeurai assis là pendant un certain temps, songeant à ce qu’il me restait à faire. Mon armure était trop lourde pour que je puisse la porter tout en marchant. Que puis-je vous dire de plus sinon que je l’enlevai et partis ? Je réfléchis, homme misérable que j’étais, à l’endroit où je pourrais me rendre jusqu’au moment où mon cœur me souffla de retourner chez l’hôte que j’avais quitté le matin même. Bien qu’à pied, je ne fus pas plus mal accueilli que le soir où j’arrivai chez lui à cheval. Ceci était dû à sa courtoisie. Si j’avais acquis des honneurs au lieu d’avoir récolté la honte dans laquelle on me voyait, je n’aurais pas été mieux traité. Ainsi, lui et ma jeune demoiselle me dirent des paroles de réconfort. Que Dieu leur en sache toujours gré ! J’ai agi comme un sot en n’ayant pas su vous cacher cette histoire honteuse pour moi. C’est pourquoi auparavant je n’ai jamais pu la raconter. Si quelque chose de plus heureux est advenu à l’un d’entre vous, alors qu’il nous en fasse part s’il le souhaite. »

(799) Monseigneur Iwein, songeant qu’il faisait partie de sa

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IWEIN : TEXTE

die kunneschaft under in zwein. ez sprach : « neve Calogreant, * ez richet von rehte min hant swaz dir lasters ist geschehn. ich wil ouch varn den brunnen sehn unde waz wunders da si. » do sprach aber Key eine rede diu im wol tohte, [fol. 16v] wan er niht lazen mohte, geschach iemen dehein fruomcheit, ezn wære im doch von hercen leit : « ez schinet wol, wizzekrist, daz disiu rede nach ezzen ist. irn vastet niht, daz hœre ich wol. wins ein becher vol, der git, daz si iu geseit, mer rede unde manheit danne vierzech unde viere mit wazzer unde mit biere. so diu katze gefrizzet vil, zehant hebt si ir spil. herre Iwein, als tuot ir. rate ich iu wol, so volget mir. iu ist mit der rede zegach. geslafet ein lutzel dernach. troume iu danne iht sware, so sult irs iu zware nemen eine maze. ode vart iuwer straze mit guotem heile, unde gebt mir niht ze teile, swaz iu da eren geschiht, unde zelt mir ouch halben schaden niht. » « Herre Key, » sprach diu kunegin [fol. 17r] [Lettrine bleue] « iuwer zunge muezze gunert sin, diu allez guot gar verdagt unde niuwan daz aller bœste sagt, des iuwer herce erdenchen chan. doch wæn ich daz ich hier an der zungen unrehte tuo.

IWEIN : TRADUCTION

parentèle, dit alors : « Cousin Calogreant, il est de mon devoir de venger la honte qui vous a été faite. C’est pourquoi je vais me mettre en route afin de voir la source et de découvrir quelles merveilles elle recèle ». Key répliqua alors avec des mots qui lui seyaient bien, car il ne pouvait s’empêcher d’éprouver un profond dépit lorsque quelqu’un faisait preuve de prouesse : « Il est évident, par Dieu, que ces paroles sont prononcées après le repas. Vous n’êtes pas sobre, je l’entends bien. Un gobelet rempli de vin vous donne, je me dois de vous le dire, plus de faconde et de courage que quarante-quatre gobelets d’eau et de bière. Lorsque le chat a bien mangé, il commence aussitôt à s’amuser. Monseigneur Iwein, c’est ainsi que vous vous comportez. Je vais vous donner un bon conseil, vous devriez le suivre : vous parlez trop vite, vous devriez dormir un peu. Si vous faites un mauvais rêve, alors cela devrait, en vérité, vous servir d’avertissement. Ou bien continuez votre route et que la chance vous accompagne, mais ne me faites pas partager les honneurs dont vous serez l’objet et ne me rendez pas responsable de la moitié des ennuis que vous aurez. »

(833) « Monseigneur Key, dit la reine, honnie soit votre langue qui tait tout ce qui est bien et ne dit que les pires choses que votre cœur puisse imaginer. Pourtant je crois que je suis injuste envers elle, car c’est votre cœur qui la contraint à dire cela. Aucune méchanceté ne paraît trop grande à ce cœur et votre langue doit dire ce qu’il veut. En fait, je ne puis faire la différence entre les deux, voilà pourquoi je les maudis tous deux.

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IWEIN : TEXTE

iuwer herce twinget si derzuo. dazn dunchet deheiner schalcheit zevil, nu muoz si sprechen swaz ez wil. nu ne magich si niht gescheiden, wan ubel geschehe in beiden. ich wil iu daz zware sagen, dem ir den vater het erslagen, dern flizze sich des niht mere wie er iu alle iuwer ere benæme danne si da tuot. habt ez iu eine werdez iu guot ! » Der herre Iwein lachte unde sprach : « frouwe, mirn ist niht ungemach swaz mir her Key sprichet. ich weiz wol, daz er richet an mir min ungewizzenheit. im ist min unfuoge leit, die ne wolder mich niht verdagen. ouch chan er mirz wol undersagen mit selher fuoge als er ie pflac, die niemen wol gezuornen mac. min her Key, der ist so wis unde hat selhe ere unde selhen pris, daz man in gerne hœren sol, unde han ich nu war, daz wizzet ir wol. ich wil des iemer sin ein zage, daz ich im siniu bœsen wort vertrage. ouch enhebt er niht den strit, der den ersten slac git, wan unz ez der ander vertreit, so ist der strit hin geleit. ichn wil mich mit dem munde niht gelichen dem hunde, der da wider grinen chan, so in der ander grinet an. » hie was mit rede schimpfes vil. ouch het der kunech uf sin zil geslafen unde erwachte sa unde enlac ouch niht langer da. er gienc hin uz zuo in zehant,

[Lettrine rouge]

[fol. 17v]

IWEIN : TRADUCTION

Tenez-vous le pour dit : celui dont vous auriez tué le père ne saurait s’efforcer davantage à vous priver de votre honneur que ne le fait votre langue. Mais cela ne concerne que vous, grand bien vous fasse ! »

(851) Monseigneur Iwein se mit à rire et dit : « Dame, je me moque de ce que me dit Monseigneur Key, je sais bien qu’il me blâme pour mon ignorance. Il ne supporte pas mon impétuosité et n’a pas voulu la passer sous silence. Il sait bien me faire des remontrances, avec ce tact habituel dont personne ne lui tiendra rigueur. Monseigneur Key est si sage et jouit d’une considération et d’une renommée qui sont telles que l’on se doit de l’écouter avec plaisir, et vous savez bien que j’ai raison. C’est pourquoi je serai toujours un lâche, car j’accepte ses railleries sans répliquer. En effet, pour commencer un combat il ne suffit pas de frapper le premier coup, car aussi longtemps que l’autre ne riposte pas le combat n’a pas lieu. Je ne veux pas par mes paroles ressembler au chien qui grogne en retour lorsque son adversaire grogne après lui. » Ainsi échangèrent-ils des paroles pleines d’une ironie mordante. Entre-temps, le roi avait fini de dormir, il s’était réveillé et ne s’attarda pas davantage dans sa chambre. Aussitôt, il sortit pour les rejoindre et les trouva tous assis. Ils se levèrent d’un bond ce qui ne plut pas au roi. Par amitié il les réprimanda, car il préférait, par Dieu, être leur compagnon plutôt que leur seigneur. Il s’assit à leur côté. La reine lui raconta les malheurs de Calogreant ainsi que toute l’histoire.

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IWEIN : TEXTE

da er si ensamt sitzen vant. si sprungen uf, daz was im leit unde zuornde durch gesellecheit, wan er was in weizgot verre baz geselle danne herre. er saz mit in da nider. diu kuneginne sagte im her wider Kalogreandes swære unde elliu disiu mære. Nu het der kunech die gewonheit, daz er niemer deheinen eit bi sins vater sele swuor, wan des er benamen vol fuor. Utpandraguon was er genant. bi dem swuor er des zehant, daz hiez er uber al sagen, daz er in viercehn tagen unde rehte an sancte Iohannes naht mit aller siner maht zuo dem brunnen wolde chomen. do si daz heten vernomen, daz duhte si riterlich unde guot, wan ez stuont dar ir aller muot. ichn weiz wem liebe dran geschach, ez was dem hern Iwein ungemach, wander sich het an genomen, daz er dar eine wolde chomen. er gedahte : « ichn mac daz niht bewarn, unde wil der kunech selbe varn, mirn werde min riterschaft benomen. mir sol des strites fur chomen min her Gawein. wan des ist zwifel dehein, also schiere so er des strites gert, ern werdes fur mich gewert. entriuwen ez sol anders varn ! ich chan daz harte wol bewarn, swer viercehn tage bitet, daz er vor mir niht stritet. wan ich sol in disen drin tagen

[fol. 18r]

[Lettrine bleue]

[fol. 18v]

IWEIN : TRADUCTION

(889) Le roi avait pour coutume de ne jamais prêter un serment sur l’âme de son père qu’il ne tînt pas de manière scrupuleuse. Son père s’appelait Utpandraguon et c’est sur son âme qu’il jura aussitôt – et il le fit savoir partout – qu’il voulait se rendre à la fontaine dans quinze jours, pour y être précisément lors de la nuit de la Saint Jean, avec tous ses barons. Lorsqu’ils eurent entendu cela, cela leur parut bien et digne de chevaliers, car tous aspiraient à y aller. Je ne connais pas tous ceux à qui cette nouvelle fit plaisir, mais elle déplut à monseigneur Iwein, car il avait décidé de s’y rendre seul. Il se dit : « Je ne puis l’empêcher : si le roi veut y aller lui-même, alors je perdrai l’occasion de me conduire en chevalier. Monseigneur Gawein combattra avant moi, car il ne fait aucun doute que dès qu’il demandera à se battre, cela lui sera accordé plutôt qu’à moi. Par ma foi, il en sera autrement ! Je serai bien capable d’empêcher cela : ceux qui attendent quinze jours ne combattront pas avant moi, car dans les trois jours qui viennent je vais me mettre en route pour la forêt de Brezzilian sans le dire à personne. Je vais chercher, jusqu’à ce que je l’aie trouvé, le chemin qui parut si étroit et si buissonneux à Calogreant. Puis j’irai voir la jeune demoiselle, la fille du noble châtelain ; tous deux sont si courtois. Ensuite, lorsque je les aurai quittés, j’apercevrai cet homme très laid qui garde les animaux. Après cela je serai vite parvenu à la pierre et à la fontaine : ils ne pourront pas m’empêcher de l’arroser, peu importe si j’en tire dommage ou bénéfice. Personne ne doit être au courant avant que j’aie accompli tout cela. S’ils l’apprennent une fois que tout est terminé, je saurai bien me justifier. »

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IWEIN : TEXTE

des endes varn unde niemen sagen, in den walt ze Brezzilian, suochen unz ich funden han den stic den Calogreant so engen unde so ruhen vant. unde danach sol ich schouwen die schœnen iunchfrouwen, des erbæren wirtes chint, diu beidiu als hofsch sint. so gesihe ich, swenne ich scheide dan, den vil ungetanen man, der da pfligt der tiere. darnach so gesihe ich schiere den stein unde den brunnen. des muezzen si mir gunnen, daz ich den begiezze, ich engeltes ode geniezze. desn wirt nu niemen zuo gedaht, unz ichz han vol braht. bevindent siz so ez ergat, des wirt danne guot rat. » Alsus stal er sich dan unde warp rehte als ein man, der ere mit listen kunde gewinnen unde fristen, unde chom da er sine knappen vant. den besten nam er da zehant, den er niht verdagte. vil stille er im sagte, daz er im sin gereite uf sin pfert leite. er wolde zevelde riten unde sin da uzze biten, unz er im den harnasch bræhte nach. er sprach : « nu la dir wesen gach unde sich daz duz wol verdagest. zware ob duz iemen sagest, so ist iemer mer gescheiden diu friuntschaft under uns beiden. » sus reit er uz unde liez in da.

[fol. 19r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(941) Ainsi, il quitta furtivement la cour et agit comme un homme qui cherche, avec circonspection, à acquérir de l’honneur et à le conserver. Il se rendit là où se trouvaient ses écuyers et choisit le meilleur d’entre eux à qui il ne cacha rien de ses intentions. En secret, il lui dit de seller et d’équiper son cheval : il voulait partir et attendre à l’extérieur que l’écuyer lui apporte son armure. Il lui dit : « Maintenant dépêche-toi et prends garde à bien tenir ta langue. En vérité, si tu en parles à quiconque, il en sera fini à tout jamais de notre amitié. » Ainsi Iwein partit, laissant l’écuyer derrière lui. Bien vite, celui-ci lui apporta son destrier et son haubert. Aussitôt il s’arma, monta sur son cheval et, sans connaître la direction exacte, se mit en route pour de grands tourments. Il traversa des régions sauvages, des forêts et des champs, jusqu’à ce qu’il trouvât ce même chemin que son cousin Calogreant avait eu grand peine à emprunter. Lui aussi endura de grandes souffrances avant d’atteindre un champ dégagé. Il découvrit le bon logis,

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IWEIN : TEXTE

vil schiere brahter im hin na sin ros unde sin ysengewant. nu wafent er sich zehant, er saz uf unde reit nach wane in michel arbeit. er erstreich grozze wilde, walt unde gevilde, unz er den selben stic vant, da sin neve Calogreant als chume durch gebrach. ouch leit er grozzen ungemach, unz daz er uz zevelde quam. die guoten herberge er do nam, daz im von wirte selch gemach eines nahtes nie geschach. des morgens schiet er von dan unde vant den griulichen man uf einem gevilde sten bi sinem wilde. unde von sinem anbliche * segent er sich diche, daz got so ungehiure deheine creatiure geschepfen ie geruochte. der bewist in des er suochte. Vil schiere sach her Iwein den boum, den brunnen, den stein unde gehorte ouch daz vogelsanc. do was sin tweln unlanc, unz daz er uf den stein goz. do chom ein siusen und ein doz und ein selch weter darnach, daz in des duhte daz im ze gach mit dem giezzen wære gewesn, wan ern triuwet niemer genesn. unde do daz weter ende nam, do horter daz geriten quam des selben waldes herre. der gruozte in harte verre als vient sinen vient sol.

[fol. 19v]

[Lettrine bleue]

[fol. 20r]

IWEIN : TRADUCTION

jamais chez aucun hôte il ne trouva un tel confort pour passer la nuit. Au matin il repartit et trouva l’homme effrayant, dans un champ, auprès de ses bêtes sauvages. À sa vue il se signa à plusieurs reprises, se demandant pourquoi Dieu avait bien pu créer un être si monstrueux. L’homme le renseigna sur ce qu’il cherchait.

(985) Bien vite, monseigneur Iwein aperçut l’arbre, la fontaine, la pierre, et entendit également le chant des oiseaux. Alors il n’hésita pas davantage et versa de l’eau sur la pierre. Puis le vent se mit à mugir et un grondement retentit, suivi d’un tel orage qu’Iwein pensa qu’il avait agi avec précipitation en arrosant la pierre, car il crut qu’il n’y survivrait pas. Lorsque l’orage prit fin, il entendit venir au galop le seigneur de cette forêt. Celui-ci défia Iwein de loin comme il convient qu’un ennemi s’adresse à son ennemi. Monseigneur Iwein comprit fort bien qu’il devrait se défendre s’il ne voulait pas subir honte et souffrance. Chacun n’aspirait qu’à nuire à l’adversaire. Ils étaient tous deux pleins d’envie d’en découdre et de colère. Ils piquèrent des deux tant ils souhaitaient se ruer l’un sur l’autre. Chacun planta sa lance dans l’écu de l’adversaire, le transperçant et atteignant le haubert si bien que les deux lances volèrent en mille morceaux.

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IWEIN : TEXTE

ouch verstuont sich der herre Iwein wol, daz er sich wern solde, ob er niht dulten wolde beide laster unde leit. ir ietweder was bereit uf des andern schaden. si het beide uberladen groz ernst unde zorn. si namen diu ros mit den sporn, sus was in zuo einander ger. ir ietweder sin sper durch des andern schilt stach uf den lip daz ez zebrach wol ze hundert stuochen. do muosen si zuochen diu swert von den siten. hie huop sich ein striten, daz got mit eren mohte sehn, unde solde ein kampf vor im geschehn. uber die schilte gie diu not, den ietweder fur bot, die wile daz si werten. si wuorden aber mit den swerten zehouwen schiere also gar, daz si ir bede wuorden bar. Ich machte des strites vil mit worten, wan daz ichn wil, als ich iu bescheide. si waren da beide unde ouch niemen me, der mir der rede geste. spræche ich, sit ez niemen sach, wie dirre sluoc, wie iener stach ? ir einer wart da erslagen, dern mohte da von niht gesagen. der aber den sic da gewan, der was wol ein so hofsch man, er het ungerne geseit so vil von siner manheit, davon ich wol gemazen mege

[fol. 20v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

Alors ils durent sortir leur épée du fourreau. Ainsi commença un combat qui aurait même été digne d’être vu par Dieu si un duel devait se produire devant lui. Les coups furent portés sur les écus que chacun tenait devant lui aussi longtemps qu’ils résistèrent. Mais ils furent bientôt totalement détruits par les coups d’épée de telle sorte que les deux combattants en furent démunis.

(1025) Je pourrais, à grand renfort de mots, parler longuement du combat, mais je ne le souhaite pas pour les raisons que je vais vous exposer : ils n’étaient que les deux, sans autre témoin qui pourrait me rapporter les faits. Comment pourrais-je parler, puisque personne n’a assisté à la scène, de la façon dont celui-ci frappait de taille et celui-là d’estoc ? L’un d’entre eux fut tué, il ne put jamais plus en parler. Et celui qui remporta la victoire était un homme si courtois que c’est bien malgré lui qu’il aurait fait étalage de sa bravoure pour que je puisse prendre toute la mesure des estocades et des coups qu’ils ont échangés. La seule chose que je puis vous dire est qu’aucun des deux ne se comporta en lâche, car les échanges de coups furent très nombreux jusqu’au moment où l’étranger asséna au seigneur du lieu un coup si profond à travers le heaume qu’il s’abattit jusqu’au siège de la vie. Lorsqu’il ressentit la blessure mortelle, alors ce sont

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IWEIN : TEXTE

die maze ir stiche unde ir slege. wan ein dinch ich wol sage, daz ir deweder was ein zage, wan da ergiench wehsel slege gnuoc, unz daz der gast dem wirte sluoc durch den helm einen slac zetal unz da daz lebn lac. unde als er der tot wunden rehte het enpfunden, do twanch in des todes leit mere danne sin zageheit, daz er cherte unde gap die fluht. der herre Iwein iagte in ane zuht engegen siner burch dan. ez het der halptote man zefliehen einen gereiten muot, ouch was sin ros als guot, daz er nach was chomen hin. do gedahte her Iwein, ob er in niht ersluege ode vienge, daz er im danne ergienge als im her Key gehiez, der niemens ungespottet liez, unde waz im sin arbeit tohte, so er mit niemen mohte erziugen dise geschiht, wan da ne was der liute niht. so spræche er im an sin ere. des begunder im sere ze slage mit gahen, unz si die burch sahen. nu was diu burch straze zwein mannen niht zemaze. sus fuoren si in der enge beide durch gedrenge unz an daz palas. da vor was gehangen ein slegetor. da muose man hin durch varn unde sich wol bewarn vor der selben slegetur,

[fol. 21r]

[fol. 21v]

IWEIN : TRADUCTION

les affres de la mort bien plus que la lâcheté qui le poussèrent à faire demi-tour et à prendre la fuite. Monseigneur Iwein, oubliant toute règle de bonne conduite, le poursuivit en direction de son château. L’homme à demi-mort mit toute son énergie à fuir et son cheval était si rapide qu’il faillit réussir à s’échapper. À ce moment-là, monseigneur Iwein pensa que, s’il ne le tuait pas ou ne le faisait pas prisonnier, il lui adviendrait ce que monseigneur Key lui avait prédit, lui qui n’épargne personne avec ses moqueries. Il songea à ce que toute sa peine lui rapporterait si personne ne pouvait témoigner de cette affaire – car effectivement personne n’était présent. Alors Key s’en prendrait à son honneur. C’est pourquoi il se mit à le poursuivre de près jusqu’à ce qu’ils aperçussent le château. Mais la route qui menait au château n’était pas assez large pour deux hommes. Ainsi, à cause de l’étroitesse du chemin, ils galopèrent l’un juste derrière l’autre jusqu’au palais. Devant l’entrée, une herse était suspendue. Il fallait traverser ce passage et prendre bien garde à la porte à coulisse si l’on ne voulait pas perdre la vie.

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daz man den lip da niht verlur. sweder ros ode man getrat iender uz der rehten stat, daz er ruorte die vallen unde den haft, der da alle dise kraft unde daz swære slegetor von nider uf habte enbor, so nam ez einen val also gahes her zetal, daz im niemen entran. sus was beliben manech man. da reit der wirt vor im in, der het die kunst unde den sin, daz im da von niht arges war, wander meistert ez dar. ez was swære unde sneit so sere daz ez niht vermeit ezn schriete ysen unde bein. nune kunde sich der herre Iwein niht gehueten da vor unde valte daz tor unde sluoc zen selben stunden dem wirte eine wunden unde genas, als ich iu sage. er het sich nach dem slage hin fur geneiget unde ergebn, alsus beleip im daz lebn, do daz tor her nider sleif, deiz im den lip niht begreif unde sluoc, als ich vernomen habe, daz ros zemittem satel abe unde schriet die swertscheide unde die sporn beide hinder der versen dan. er genas als ein sælech man. Do im daz ros tot gelac, do ne mohter, als er e pflac, niht furbaz geiagen. ouch heter den wirt erslagen. der floch noch den ende vor

[fol. 22r]

[Lettrine bleue]

[fol. 22v]

IWEIN : TRADUCTION

Si un cheval ou un homme s’éloignait de la bonne route, alors il touchait le piège et déclenchait le mécanisme qui retenait en haut tout le poids de la lourde herse. Celle-ci s’abattait alors si violemment sur le sol que personne ne pouvait en réchapper. Plus d’un homme avait déjà perdu la vie de cette façon. Le châtelain pénétra avant Iwein, il était habile et connaissait le piège : la herse ne pouvait lui faire aucun mal, car c’est lui qui l’avait fait installer là. Elle était lourde et si coupante qu’elle tranchait à coup sûr le fer comme les os. Cependant, monseigneur Iwein ne sut s’en protéger et fit tomber la herse alors qu’en même temps il infligeait une blessure au châtelain. Il échappa à la mort ainsi que je vais vous le raconter : pour frapper, il s’était penché très en avant. C’est comme cela qu’il resta en vie lorsque la herse s’abattit sans toutefois l’atteindre. Elle coupa, comme je l’ai entendu dire, le cheval en deux, atteignant la selle en son milieu, tranchant le fourreau de l’épée ainsi que les éperons juste derrière les talons d’Iwein. C’est la chance qui sauva Iwein.

(1115) Son cheval mort, il ne put continuer la poursuite plus avant. De toute façon, il avait tué le châtelain. Celui-ci parvint encore à prendre la fuite en passant par une autre porte à herse qu’il ferma derrière lui. L’étranger ne pouvait plus dès lors ni avancer ni reculer. Ainsi monseigneur Iwein était enfermé, tel

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IWEIN : TEXTE

durch ein ander slegetor unde lie daz hinder im nider. do ne mohte der gast fur noch wider. sus was min her Iwein enzwischen disen porten zwein beslozzen unde gevangen. swie sere im missegangen an der vanchnusse wære, doch was sin meistiu swære, daz er im vor dan also lebendech entran. Ich wil iu von dem huse sagen, da er da inne was beslagen. er was, als der kunech sit selbe iach, daz er schœnerz nie gesach weder da vor noch sit. hoch, veste unde wit, gemalt gar von golde. swer darinne wesen solde ane forhtliche swære, den duht ez freudebære. do suochter wider unde fur unde envant venster noch tur, da er uz mohte. nu gedahter waz im tohte. do er mit disen sorgen ranch, do wart bi im, des was niht lanch, ein turlin uf getan. da sach er uz unde in gan eine riterliche magt, het si sich niht verclagt. diu sprach zem ersten niht me. wan : « ouwe, riter, ouwe ! daz ir her chomen sit, daz ist iuwer iungestiu zit. ir habt minen herren erslagen. man mac so iæmerlichez clagen an miner lieben frouwen unde an dem gesinde schouwen unde so grimmeclichen zorn,

[Lettrine rouge]

[fol. 23r]

IWEIN : TRADUCTION

un prisonnier, entre ses deux portes. Même si cette captivité lui était très désagréable, ce qui lui pesait encore davantage était que son adversaire ait réussi à s’enfuir en restant en vie.

(1131) Je vais vous parler du bâtiment à l’intérieur duquel il était retenu prisonnier. Il était tel que plus tard le roi Arthur affirmera lui-même n’en avoir jamais vu d’aussi beau ni auparavant ni par la suite. Il était haut, imposant et vaste, entièrement couvert de peinture d’or. Il aurait empli de joie quiconque y aurait séjourné afin de se trouver à l’abri de toute angoisse et de toute tristesse. Alors, Iwein chercha dans tous les coins, mais il ne trouva ni porte ni fenêtre par laquelle il aurait pu sortir. Il réfléchit alors à la façon de se tirer de ce mauvais pas. Tandis qu’il était en proie à ces soucis, il ne fallut pas longtemps pour qu’une petite porte s’ouvrît près de lui. Il en vit sortir une demoiselle qui aurait été belle et courtoise si elle n’avait pas été rendue méconnaissable par le chagrin. Tout d’abord, elle ne dit rien d’autre que : « Quel malheur, chevalier, quel malheur que vous soyez venu ici. Votre dernière heure a sonné. Vous avez tué mon seigneur, et ma chère dame ainsi que tous les gens du château poussent de telles plaintes et ressentent une si terrible colère que vous n’en réchapperez pas. S’ils ne vous ont pas déjà tué, cela est dû au deuil qu’ils éprouvent pour mon défunt seigneur. Dès que cela sera passé, ils vous tueront. »

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IWEIN : TEXTE

daz ir den lip habt verlorn. daz si iuch nu niht hant erslagen, daz fristet niuwan daz clagen, daz ob minem herren ist. si slahent iuch ab an dirre frist. » Er sprach : « so ne sol ich doch den lip niht verliesen als ein wip. michn vindet niemen ane wer. » si sprach : « got si der iuch ner. ern beschirme iuch eine, ir sit tot. doch gehabte sich ze grozzer not nie niemen baz danne ir tuot. ir sit benamen wol gemuot. des sol man iuch geniezzen lan. swie leide ir mir habt getan, ichn bin iu doch niht gehaz unde sagiu mere umbe waz. min frouwe het mich gesant ze Britange in daz lant. da gesprach ich den kunech von ir. herre, daz geloupt mir, ich schiet also von dan, daz mir da nie dehein man ein wort zuo gesprach. ich weiz wol daz geschach von miner unhofscheit. also het ich uf geleit, ichn wære ir gruozzes niht so wol wert, als man da zehove gert. ich weiz wol, des engalt ich. herre, do gruozt ir mich unde ouch da niemen mere. do erbuot ir mir die ere, der ich iu hie lonen sol. herre, ich erchenne iuch wol. iuwer vater, daz ist mir erchant, was ein kunech Frien genant. * ir sult vor schaden sicher sin. herre Iwein, nemt hin diz vingerlin. ez ist umbe den stein also gewant.

[Lettrine bleue]

[fol. 23v]

[fol. 24r]

IWEIN : TRADUCTION

(1165) Il répondit : « Je ne perdrai pas la vie comme une femme peureuse. Je saurai bien me défendre. » Elle dit : « Que Dieu vous vienne en aide. Lui seul peut vous protéger, sinon vous êtes mort. Toutefois aucun homme confronté à un tel péril ne s’est comporté mieux que vous. Vous êtes vraiment très valeureux. C’est pourquoi l’on doit vous rendre service. Malgré la peine que vous m’avez causée, je n’éprouve aucune haine envers vous, et je vais vous expliquer pourquoi. Ma dame m’avait envoyée en Bretagne. Là, je parlai au roi en son nom. Seigneur, croyez-moi : alors que je quittai la cour, personne ne m’avait adressé la parole. Je sais bien que cela était dû à ma conduite maladroite. Ainsi en avais-je conclu, qu’étant donné ce que l’on exige à la cour, je n’avais pas été digne d’un salut. J’ai bien conscience qu’il me fallut payer pour mon comportement. Monseigneur, vous avez été alors le seul à me saluer. Jadis vous m’avez fait cet honneur que je vous revaudrai aujourd’hui. Monseigneur, je vous connais bien : votre père, je le sais, était le roi Frien [= Urien]. Je vais vous mettre à l’abri de tout tracas. Monseigneur Iwein, prenez cet anneau. Sa pierre a la particularité suivante : celui qui la tourne vers l’intérieur de sa main nue ne peut être vu ni découvert aussi longtemps qu’il la tient dans la main. Vous serez bien caché, comme le bois sous l’écorce. Vous ne devez plus vous tourmenter. » Ainsi, elle lui donna l’anneau. Il y avait également un lit à proximité  qui était aussi somptueux qu’un lit puisse l’être. Jamais aucun roi n’en posséda de meilleur. C’est là qu’elle le pria de s’asseoir et, une fois qu’il fut assis, elle lui demanda : « Souhaitez-vous manger quelque chose ? » « Volontiers, si l’on me sert quelque chose », répondit-il. Elle s’en alla et fut bien vite de retour, rapportant un encas suffisamment copieux et bon. Pour tout cela il la remercia cordialement.

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IWEIN : TEXTE

swer in hat in blozzer hant, den mac niemen al die frist, unz er in blozzer hant ist, gesehn noch vinden. sam daz holz under der rinden sit ir zware verborgen. irn durfet niht mer sorgen. » alsus gap siz im hin. nu stuont ein bette da bi in, daz was bereitet als wol als ein bette beste sol, daz nie kunech bezzer gewan. da hiez si in sitzen an, unde do er was gesezzen, si sprach : « welt ir iht ezzen ? » er sprach : « gerne, der mirz git. » si gienc unde was in kurzer zit her wider chomen unde truoc guoter gach spise gnuoc. des sagter ir gnade unde danch. Do er gaz unde getranch, do huop daz gesinde grozzen schal ze beden porten uber al, als siz im niht wolden vertragen, der in den herren het erslagen. si sprach : « herre Iwein, hœret ir ? si suochent iuch, nu volget mir unde enchuomt niht ab dem bette. iu stet diz dinch enwette niuwan umbe daz lebn. den stein, den ich iu han gegebn, den besliezzet in iuwer hant. des si min sele iuwer pfant, daz iu niht arges geschiht, wande iuch furnamens niemen siht. nu wa mit moht iu wesn baz, danne dazs iu alle sint gehaz unde ir si seht bi iu stan unde dronde umbe iuch gan unde si doch so erblindent,

[Lettrine bleue]

[fol. 24v]

IWEIN : TRADUCTION

(1220) Une fois qu’il eut mangé et bu, les gens du château se mirent à faire un grand tapage de chaque côté des deux portes, criant qu’ils ne pardonneraient pas à celui qui avait tué leur seigneur. La demoiselle lui dit : « Monseigneur Iwein, entendez-vous ? Ils vous cherchent, alors écoutez-moi et restez assis sur ce lit. Il n’en va de rien d’autre que de votre vie. Refermez votre main sur la pierre que je vous ai donnée. Je vous donne mon âme en gage qu’il ne vous arrivera rien de fâcheux, car vous pouvez être certain que personne ne peut vous voir. Qu’est-ce qui peut vous arriver de mieux si ce n’est de voir près de vous tous ceux qui vous haïssent en train de vous chercher en proférant des menaces,  tandis qu’ils seront tant frappés de cécité qu’ils ne vous trouveront pas alors que vous serez au milieu d’eux ? Vous verrez passer devant vous les chers compagnons de mon seigneur, le portant dans une bière pour aller le mettre en terre. Ils se mettront alors sûrement à vous chercher partout, mais vous ne devrez pas vous en soucier. Faites ainsi et vous serez sauvé. Je n’ose pas rester là plus longtemps. S’ils me trouvaient ici, nous serions perdus. »

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IWEIN : TEXTE

daz si iuwer niene vindent, unde sit doch rehte under in ? ouch tragent si in fur iuch hin sine liebe gesellen als si in begraben wellen minen herren uf der bare. so beginnent si iuch zware in manigen ende suochen. dazn durfet aber ir enruochen. tuot alsus unde sit genesn. ichn getar niht langer hinne wesn, unde funden si mich hinne daz chœme uns zungewinne. » Sus het si urloup genomen. die liute die da waren chomen zuo dem vordern burgetor die funden da vor daz ros halbez abe geslagen. wer mohte in daz do widersagen ? wan si wolten daz gewis han unde wuorde diu porte uf getan daz si in drinne funden. in vil kurzen stunden brachen si beide porte dan unde enfunden doch nieman, wan des halben rosses inrehalp der tur von mittem satel hin fur. do begunden si vor zorne toben unde got noch den tiufel loben. si sprachen : « war ist der man chomen, ode wer hat uns benomen diu ougen unde die sinne ? er ist benamen hinne. wir sin mit gesehnden ougen blint. ez sehent wol alle die hinne sint, ezn wære danne cleine als ein mus, unz daz beslozzen wære diz hus, so ne mohte niht lebendes druz chomen. wie ist uns dirre man benomen ? swie lange er sich doch friste

[fol. 25r]

[Lettrine rouge]

[fol. 25v]

IWEIN : TRADUCTION

(1253) Ainsi prit-elle congé. Les gens qui étaient venus devant la porte extérieure du château y trouvèrent la moitié de cheval. Qui aurait pu les faire douter ? En effet, ils étaient certains de trouver celui qu’ils cherchaient dès que la porte serait ouverte. Très rapidement, ils hissèrent les deux herses, toutefois ils ne trouvèrent personne à l’intérieur des portes hormis l’autre moitié du cheval, coupé au milieu de la selle. Alors ils devinrent fous de rage et se mirent à maudire Dieu et le diable. Ils s’écrièrent : « Où est-il passé ? Sinon qui nous a dérobé nos yeux et notre raison  ? Il ne peut qu’être ici. Nous avons les yeux grands ouverts et nous ne voyons rien. Tous ceux qui sont ici s’en rendent bien compte : aussi longtemps que les portes du château furent fermées, rien de vivant ne put sortir d’ici à moins d’être aussi petit qu’une souris. Comment cet homme a-t-il pu nous échapper ? Même s’il peut encore se mettre en sûreté grâce à quelque artifice magique, nous finirons bien par le trouver, aujourd’hui même ! Braves gens, cherchez dans les recoins et sous les bancs ! Il ne peut faire autrement que de sortir de sa cachette ! » Ils lui barrèrent la sortie. Iwein courut toutefois un danger : ils marchèrent en frappant autour d’eux avec leurs épées comme des aveugles. S’ils avaient dû le trouver, alors il ne leur aurait pas échappé. Le lit ne fut pas oublié : ils fouillèrent minutieusement en dessous. Son salut me fait comprendre que lorsque l’heure de quelqu’un n’a pas sonné, le plus petit artifice suffit pour le sauver.

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mit sinem zouber liste, wir vinden in noch hiute ! suochet, guote liute, in wincheln unde under benchen ! ern mac des niht entwenchen, ern muezze her fur ! » si verstuonden im die tur. ein dinch was ungewærlich. sie giengen slahende umbe sich mit den swerten sam die blinden. solden sie in iemer vinden, daz heten sie ouch do getan. daz bette wart des niht erlan, sine ersuochtenz under im gar. bi siner genist nim ich war, unz der man niht veige enist, so nert in ein vil cleiner list. Do er in disen sorgen saz, nu widerfuor im allez daz, daz im sin friunt, diu guote magt, davor het gesagt. er sach zuo im gebaret tragen den wirt den er da het erslagen. unde nach der bare gienc ein wip, daz er nie wibes lip also schœnen gesach. vor iamer si zebrach ir har unde diu cleider. wan ezn dorfte nie wibe leider ze dirre werlde geschehn, wande si muose toten sehn den aller liebesten man, den wip ze liebe ie gewan. ezn mohte niemer dehein wip gelegen an ir selber lip von clage alselhe swære, der niht ernst wære. ez erzeigten ir gebærde ir hercen beswærde an dem libe unde an der stimme.

[Lettrine bleue]

[fol. 26r]

IWEIN : TRADUCTION

(1297) Alors qu’Iwein était en si mauvaise posture, il advint tout ce que son amie, la noble demoiselle, lui avait prédit. Il vit arriver vers lui, porté sur une bière, le châtelain qu’il avait tué. Et derrière la bière marchait une femme, il n’en avait jamais vu de si belle. De chagrin elle s’arrachait les cheveux et déchirait ses vêtements. Aucune femme sur terre ne pouvait avoir subi plus grand malheur, car elle devait assister aux funérailles de l’homme qu’elle chérissait plus que tout, qu’elle aimait autant qu’une femme a jamais pu aimer. Jamais une femme qui aurait simulé ne se serait infligé d’aussi grandes meurtrissures. Tout dans son allure, aussi bien ses gestes que le son de sa voix, trahissait la détresse de son cœur. Subjuguée par cette terrible douleur, elle perdait souvent connaissance : pour elle, la clarté du jour faisait place à la nuit. Lorsqu’elle reprenait conscience et pouvait à nouveau entendre et parler, ses mains n’épargnaient ni ses cheveux ni sa coiffe. Partout où sa peau nue apparaissait, monseigneur Iwein portait son regard. Ses cheveux et son corps étaient d’une telle perfection que l’amour lui déroba la raison : il en oublia sa propre situation et ne pouvait rester assis qu’à grand-peine lorsqu’il la voyait s’arracher les cheveux et se frapper. Ce n’est qu’à contrecœur qu’il la laissa agir ainsi. Il voulait se précipiter vers elle et la saisir par les mains afin qu’elle ne se mutilât plus. La douleur de cette belle femme lui faisait si mal

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IWEIN : TEXTE

von ir iamers grimme so viel si ofte in unmaht. der liehte tac wart ir ein naht. unde so si wider uf gesach unde wider gehorte unde sprach, so ne sparten ir die hende daz har noch daz gebende. swa ir der lip blozzer schein, da ersach si der herre Iwein. da was ir har unde ir lich so gar dem wunsche gelich, daz im ir minne vercherten die sinne, daz er sin selbes vergaz unde daz vil chume versaz, so si sich roufte unde sluoc. vil ungerne er ir daz vertruoc. so wolder dar gahen unde ir die hende vahen, daz si sich niht ensluege me. im tet der chuomber als we an dem schœnen wibe, daz erz an sinem libe gerner het vertragen. sin heil begunder gote clagen, daz ir ie dehein ungemach von sinen schulden geschach. so nahen gienc im ir not, in duhte des daz sin tot unclægelicher wære danne ob si ein vinger swære. Nu ist uns ein dinch geseit vil diche fur die warheit. swer den andern habe erslagen, unde wuorder zuo im getragen, swie lange er da vor wuorde wunt, er begunde bluoten an der stunt. nu seht, also begunden im bluoten sine wunden, do man in in den palas truoc,

[fol. 26v]

[Lettrine rouge] [fol. 27r]

IWEIN : TRADUCTION

qu’il aurait préférer l’endurer lui-même. Il invoqua Dieu, se plaignant de son sort et regrettant d’avoir infligé un tel malheur à cette femme. La détresse de celle-ci l’affectait tant qu’il lui sembla que s’il mourait ce serait moins grave que si elle se faisait mal à un doigt.

(1351) On nous raconte souvent que la chose suivante est vraie : lorsqu’un homme a tué quelqu’un d’autre et que la victime est amenée devant le meurtrier, alors elle se met aussitôt à saigner, même si les blessures lui ont été infligées longtemps auparavant. Voyez, de la même façon ses blessures se mirent à saigner lorsque l’on porta le défunt dans la grand-salle, car celui qui l’avait tué se trouvait à proximité. Quand la dame vit cela, elle s’écria, emplie de douleur : « Il est sans doute ici et nous a ravi la raison par magie. »

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IWEIN : TEXTE

wan er was bi im der in da sluoc. do daz diu frouwe rehte ersach, si ruofte sere unde sprach : « er ist benamen hinne unde hat uns der sinne mit zouber ane getan. » die e daz suochen heten lan, die begunden suochen anderstunt. daz bette wart vil ofte wunt, unde durch den kulter, der da lac, gie manech stich unde slac. ouch muoser ofte wenchen. in wincheln unde under benchen suochten si mit den swerten, wande si sins todes gerten alsam der wolf der schafe tuot. vor zorne tobt in der muot. Ze gote huop diu frouwe ir zorn. si sprach : « herre, ich han verlorn vil wunderliche minen man. da bistu eine schuldech an. du het an in geleit die kraft unde die manheit, daz im von gehiuren dingen nie mohte misselingen. ez ist niuwan also chomen, daz im den lip hat genomen, daz ist ein unsihtech geist. got herre, wie wol du weist, swer er anders wære niuwan ein zouberære, des het er sich vil wol erwert. im was et dirre tot beschert. diz hœret er unde ist hie bi. nu kieset hie, wie chuene er si. sit er minen herren hat erslagen, wie mager daran verzagen, ern laze sich ouch ein wip sehn ? wande waz mohte im von der geschehn ? » Do si gesuochten gnuoc,

[Lettrine bleue] [fol. 27v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

Ceux qui auparavant avaient abandonné leur quête se remirent à chercher. Le lit en sortit bien meurtri, et la housse qui se trouvait dessus reçut toutes sortes de coups. Ainsi, Iwein dut les esquiver à maintes reprises. Avec leurs épées, ils cherchaient dans les recoins et sous les bancs, car ils voulaient à tout prix le tuer, comme le loup veut tuer des moutons. De rage, ils ne se contrôlaient plus.

(1377) La dame s’en prit alors à Dieu et dit : « Seigneur, j’ai perdu mon mari de bien étrange manière. Tu es le seul responsable. Tu lui avais donné force et bravoure si bien qu’il ne pouvait jamais échouer tant que les choses se passaient normalement. C’est un esprit invisible qui lui a ôté la vie, ce n’est qu’ainsi que cela a pu advenir. Seigneur Dieu, Tu le sais bien : s’il n’avait pas eu affaire à un magicien, il aurait bien su se défendre. Et pourtant, cette mort lui était destinée. L’autre entend tout ceci et se tient ici, près de nous. Voyez comme il est audacieux : alors qu’il a assassiné mon seigneur, comment peutil manquer de courage au point de ne pas se montrer devant une femme ? Que pourrait-elle bien lui faire ? »

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IWEIN : TEXTE

unde in sin stein des ubertruoc. daz im niht arges geschach, wande in da niemen sach, so gelac daz suochen under in. ir toten truogen si hin zem munster, da manz ampt tet mit almuosen unde mit gebet. darnach truogen si in zegrabe. von ir grozzen ungehabe wart da ein iæmerlicher schal. diu iunchfrouwe sich do stal von dem gesinde dan unde gruozte den verborgen man unde trost in als ein hofsch magt. ouch was der herre Iwein niht verzagt. dem het diu minne einen muot gegebn als si vil manigem tuot, daz er den tot niht entsaz. doch hal er die magt daz, daz er siner viendinne truoc so grozze minne. er gedahte : « wie gesihe ich si ? » nu was im so nahen bi diu stat da man in leite, daz er sam gereite horte alle ir swære, sam er under in wære. mit listen sprach er also : « ouwe, diz folch ist starche unfro. mir get ze hercen ir clage naher danne ich iemen sage. mohtez mit fuoge geschehn, so woldich harte gerne sehn ir gebærde unde ir ungehabe, die ich da hœre bi dem grabe. » Die rede meinder niender so, wan ern gæbe drumbe niht ein stro, ob si mit gelichem valle da zehant alle lægen uf den baren,

[fol. 28r]

[fol. 28v]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

(1399) Après qu’ils l’eurent suffisamment cherché et que sa pierre eut empêché qu’on lui fît du mal, car personne ne le voyait, ils mirent un terme à leurs investigations. Ils emportèrent leur mort à la cathédrale où l’on tint un office : on distribua des aumônes et on pria. Puis ils le mirent en terre. Leur profonde tristesse donna lieu à des cris de lamentation. La demoiselle quitta discrètement les gens du château et rendit visite à celui qui était caché. En jeune femme courtoise elle le réconforta, toutefois monseigneur Iwein n’était nullement désespéré : l’amour, comme il le fait envers maintes personnes, lui avait donné une si grande détermination qu’il ne craignait pas la mort. Cependant il ne révéla pas à la demoiselle qu’il éprouvait un si grand amour envers celle qui était son ennemie. Il se demandait : « Comment puis-je parvenir à la voir ? » Il était si près de l’endroit où l’on enterrait le mort qu’il entendait très distinctement toutes leurs plaintes, comme s’il s’était trouvé parmi eux. De manière astucieuse, il dit alors : « Hélas, tous ces gens sont bien affligés. Leur plainte m’affecte bien plus que je ne puis le dire. Si cela était décemment possible, j’aimerais beaucoup voir ce que font ceux que j’entends près de la tombe et écouter leurs plaintes. »

(1435) Il ne pensait nullement ce qu’il disait : il lui aurait été tout à fait égal de voir tous les gens de la cour, hormis sa dame, s’effondrer ensemble sur la bière. Sa détresse était grande parce qu’il l’entendait mais ne la voyait pas. La demoiselle soulagea alors ses souffrances et, à sa demande, elle ouvrit une fenêtre

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die da gesinde waren ane die frouwen eine. ouch enwas diu not niht cleine, daz er si horte unde niht ensach. nu buozte si im den ungemach, wande si nach siner bet ein venster ob im uf tet unde liez in si wol schouwen. nu sach er die frouwen von iamer liden grozze not. si sprach : « geselle, an dir ist tot der aller tiurste man, der riters namen ie gewan von manheit unde von milte. ezn gereit nie mit schilte dehein riter als vol chomen. ouwe, wie bistu mir benomen ? ichn weiz warumbe ode wie. der tot der mohte an mir wol hie buezzen swaz er ie getet, unde gewerte mich einer bet, daz er mich liezze varn mit dir. waz sol ich, swenne ich din enbir ? waz sol mir guot unde lip ? waz sol ich unsælech wip ? ouwe, daz ich ie wart geborn ! ouwe, wie han ich dich verlorn ? ouwe, trut geselle ! got versperre dir die helle unde gebe dir durch sine kraft der engel genozschaft, wan du wære hie der beste. » ir iamer was so veste, daz si sich roufte unde zebrach. do daz der herre Iwein ersach, do lief er gegen der tur, als er vil gerne hin fur zuo ir wolde gahen unde ir die hende vahen. do daz die iunchfrouwe ersach,

[fol. 29r]

IWEIN : TRADUCTION

située au-dessus de lui et le laissa contempler sa dame. Il constata alors qu’elle était accablée de chagrin. Elle disait : « Compagnon, avec toi est mort le meilleur chevalier qui ait jamais mérité ce nom, parangon de bravoure et de générosité. Jamais chevalier aussi parfait n’avait porté l’écu. Hélas, pourquoi t’a-t-on arraché à moi ? Je ne sais ni pourquoi ni comment. Que la mort se rachète maintenant de tout le mal qu’elle m’a fait en accédant à ma requête : qu’elle me fasse partir avec toi ! Que vais-je devenir si tu n’es plus avec moi ? À quoi peuvent bien me servir la richesse et la vie ? Que dois-je faire, malheureuse femme que je suis  ? Hélas, pourquoi suis-je venue au monde ? Hélas, pourquoi t’ai-je perdu ? Hélas, très cher ami ! Que Dieu te préserve de l’enfer et, dans Sa toute-puissance, te laisse rejoindre le chœur des anges, car sur terre tu étais le meilleur des hommes. » Sa douleur était si grande qu’elle s’arrachait les cheveux et déchirait ses vêtements. Lorsque messire Iwein vit cela, il courut vers la porte comme s’il voulait se précipiter vers elle et lui saisir les mains.

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si zoch in nider unde sprach : * « sagt wa wolt ir hin, ode wa habt ir den sin genomen der iu diz riet ? nu ist vor der tur ein michel diet, diu ist iu starche erbolgen. irn welt mir volgen, so habt ir den lip verlorn. » alsus erwande in ir zorn. si sprach : « wes was iu gedaht ? wære iuwer gedanche vol braht, so ne het ir niht wol gevarn. ichn truwe iu den lip niht bewarn, ezn si danne iuwer wille. durch got sitzet stille. ez ist ein vil wiser man, der tumben gedanch verdenchen chan mit wislicher tæte. » si weste in aber so stæte, * daz er an allen dingen wolde vol bringen mit den werchen sinen muot. dazn ist niht halbez guot. « gedenchet ir deheiner tumpheit, der muot si gar hin geleit. habt ab ir deheinen wisen muot, den vol fueret, daz ist guot. herre, ich muoz iuch eine lan unde vil drate wider gan hin uz zuo dem gesinde. ich furhte, man bevinde, daz ich zuo iu gegangen bin. vermissent si min under in, so verdenchent si mich sa. » hin gie si unde liez in da. Swie im sine sinne von der kraft der minne vil sere wæren uberladen, doch gedahter an einen schaden, daz er niht uberwunde

[fol. 29v]

[fol. 30r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

Quand la demoiselle s’en rendit compte, elle le retint et lui dit : « Dites-moi, où voulez-vous aller ? Comment vous est-il venu à l’idée d’agir ainsi ? Il y a devant la porte une foule de gens très en colère envers vous. Si vous ne voulez pas m’obéir, alors vous êtes perdu. » Ainsi, la colère de la demoiselle l’empêcha d’agir comme il en avait eu l’intention. Elle ajouta : « Que vous est-il passé par la tête ? Si vous aviez agi ainsi, vous en auriez bien pâti. Je suis incapable de vous sauver la vie si vous-même ne le souhaitez pas. Pour l’amour de Dieu, restez assis sans bouger. Le vrai sage est celui qui sait renoncer à de folles pensées au profit d’un comportement sensé. Mais celui dont l’esprit n’aspire qu’à vouloir accomplir dans les faits ce qu’il a en tête n’en tire que dommage. Si une sotte pensée vous vient à l’esprit, alors abandonnez ce caprice. Mais si vous avez une idée sensée, alors mettez-la en œuvre, ce sera bénéfique. Monseigneur, je dois vous laisser seul et bien vite rejoindre les gens du château. Je crains que l’on ne découvre que je vous ai rejoint. S’ils voient que je ne suis pas parmi eux, aussitôt ils me soupçonneront. » Ainsi, elle partit et le laissa là.

(1515) Même si toutes ses pensées étaient entièrement accaparées par la puissance de l’amour, un souci le tourmentait pourtant : il ne pourrait surmonter les moqueries qu’on lui infligerait s’il ne pouvait prouver sa victoire à la cour par quelque indice concret. À quoi bon alors toute la souffrance endurée ? Il crai-

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IWEIN : TEXTE

den spot den er funde, swenner sinen gelingen mit deheinen schinlichen dingen zehove erziugen mohte. waz im danne tohte elliu sin arbeit ? er forhte eine schalcheit, er weste wol daz Key in niemer geliezze fri vor spotte unde vor leide. dise sorgen beide die taten im geliche we, vil schiere wart des einen me. frou minne nam die ober hant, daz si in vienc unde bant. si bestuont in mit uberkraft, unde twanch in des ir meisterschaft daz er herce minne truoc siner viendinne, diu im zem tode was gehaz. ouch wart diu frouwe an im baz gerochen danne ir wære kunt, wan er was totlichen wunt. die wunden sluoc der minnen hant. ez ist umbe ir wunden also gewant, si wellent daz si langer swer danne diu von swerte ode von sper, wan swer von wafen wirt wunt, der wirt schiere gesunt, ist er sinem arzat bi. unde wellent daz disiu wunde si bi ir arzat der tot unde ein wahsendiu not. E het sich diu minne nach swachem sinne * geteilt an manige arme stat, da ir niemen bat. von danne nam si sich nu gar unde cherte sich dar mit aller ir kraft,

[fol. 30v]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

gnait une perfidie et savait bien que Key ne lui épargnerait ni railleries ni brimades. Ces deux soucis le faisaient souffrir d’une égale manière, mais bien vite l’un des deux prit le pas sur l’autre : Amour imposa sa loi et prit Iwein dans ses rets. Il l’attaqua de toute sa puissance, et sa supériorité contraint Iwein à éprouver un amour sincère pour son ennemie, celle qui lui vouait une haine mortelle. Ainsi la dame fut vengée bien mieux qu’elle ne pouvait l’imaginer, car il était mortellement touché. Ses blessures étaient le fait d’Amour. Avec la blessure d’Amour il en va ainsi : on dit qu’elle fait souffrir plus longtemps qu’une blessure faite par une épée ou une lance. Celui qui est blessé par une arme se rétablit rapidement si son médecin est auprès de lui. Mais on raconte que la blessure d’Amour ne cesse d’empirer et devient justement mortelle quand le médecin n’est pas loin.

(1553) Jusqu’alors Amour s’était dispersé en divers lieux fréquentés par des indigents, en quête d’un maigre butin, là où personne ne souhaitait sa présence. Alors il s’en détourna complètement et se voua de toutes ses forces à un lieu où son autorité n’en serait que plus grande. Une chose mérite d’être déplorée : alors qu’Amour jouit d’une telle puissance qu’il soumet qui bon lui semble et que, plus facilement que d’un enfant, il vient

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IWEIN : TEXTE

ze diu daz ir meisterschaft da deste merre wære. ein dinch ist clagebære. sit minne kraft hat so vil daz si gewaltet swem si wil unde alle kunige die nu sint noch lihter twinget danne ein kint, so ist si einer swachen art, daz si ie so deumuet wart daz si iht bœses ruochet unde so swache stat suochet, diu ir von rehte wære smæhe unde unmære. si ist mit ir suezze vil ofte under fuezze der schanden gevallen, als der zuo der gallen sin suezzez honec giuzzet unde der balsem fliuzzet in die aschen von des mannes hant, wan daz wuorde allez ubel bewant. doch enhat si hie niht missetan. wir suln si geniezzen lan, dazs ir nu welt einen wirt deiswar von dem si niemer wirt geswachet noch guneret. si ist rehte zuo gecheret, si belibet hie mit eren. sus solde si zuo cheren. Do man den wirt begruop, do schiet sich diu riuwigiu diet. leien unde pfaffen die fuoren ir dinch schaffen. diu frouwe beleip mit ungehabe al eine bi dem grabe. do si der herre Iwein eine ersach, unde ir meinlich ungemach, ir starchez ungemuete unde ir stæte guete, ir wipliche triuwe

[fol. 31r]

[fol. 31v] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

à bout de tous les rois qui existent, il est pourtant d’une telle bassesse qu’il s’humilie et se préoccupe de ce qui est vil, visitant des lieux qu’en principe il devrait mépriser et tenir pour insignifiants. Malgré sa douceur, Amour est bien souvent tombé sous les pieds de la Honte, semblable à la personne qui verse son miel sucré dans du fiel ou qui, de sa propre main, répand son baume dans la cendre, de telle sorte que cette douceur est bien mal employée. Mais cette fois-ci il n’a pas mal agi : nous devons le féliciter d’avoir choisi un hôte qui, sans nul doute, jamais ne le méprisera ni ne le déshonorera. Il a choisi la bonne auberge et pourra y rester en tout honneur. Ce sont de tels gîtes qu’il devrait toujours choisir.

(1589) Une fois qu’on eut enterré le châtelain, tous les gens endeuillés se dispersèrent. Les laïcs comme les clercs retournèrent vaquer à leurs occupations et la dame resta seule, près de la tombe, accablée de chagrin. Lorsque messire Iwein la vit ainsi, seule, en proie à ce grand deuil, lorsqu’il vit sa violente détresse, toute la constance de sa bonté, sa loyauté d’épouse, et tout le chagrin que lui inspirait l’amour de l’être disparu, alors il l’aima encore davantage et se languit tant d’elle que jamais Amour n’a exercé pareille emprise sur aucun homme. Il pensa en son for intérieur : « Ah, Seigneur Dieu miséricordieux, qui m’inspire cette

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IWEIN : TEXTE

unde ir senliche riuwe, do minnet er si deste me, unde im wart nach ir so we daz diu minne nie gewan grozzern gewalt an deheinem man. er gedahte in sinem muote : « ia, herre got der guote, wer git mir so starche sinne daz ich die so sere minne diu mir zem tode ist gehaz ? ode wie mohte sich gefuegen daz daz si mir gnædech wurde nach also swærer burde miner niuwen schulde ? ich weiz wol daz ich ir hulde niemer gewinnen chan. nu sluoc ich doch ir man. Ich bin ouch zesere verzagt, daz ich mir selbe han versagt. nu weiz ich doch ein dinc wol, des ich mich wol trœsten sol. unde wirt min frou minne rehte ir meisterinne ich wæne si ir in kurzer frist als mir worden ist, ein unbilliche sache wol billich gemache. ez ist nie so unmugelich, bestet si si als mich unde rætet ir her zemir, swie gar ich nu ir hulde enbir, unde het ir leides me getan si muese ir zorn allen lan unde mich in ir herze legen. frou minne muoz si mir bewegen. ichn truwe mit miner fruomcheit ir niemer benemen ir leit. weste si ouch welch not mich twanch uf ir herren tot, so wuordes deste bezzer rat,

[fol. 32r]

[lettrine bleue et rouge]

[fol. 32v]

IWEIN : TRADUCTION

violente inclination qui fait que je l’aime tant alors qu’elle me voue une haine mortelle? Comment pourrait-on faire pour qu’elle éprouve quelque chose pour moi alors que j’ai commis une faute si grave? Je suis certain de ne jamais trouver grâce auprès d’elle puisque j’ai tué son mari.

(1617) Mais je me décourage trop vite en ne croyant pas en mes chances de réussite. Et je sais bien une chose qui me réconfortera : si Amour s’empare d’elle, je crois que quelque chose d’inconvenant sera bien vite rendu convenable, de la même façon que ce fut le cas avec moi. Ce n’est pas impossible du tout : si Amour la vainc comme il m’a vaincu et la guide vers moi, alors – bien qu’elle ne me porte nullement dans son cœur actuellement – il lui faudra bien renoncer à sa colère et, même si je lui avais infligé de plus grandes souffrances encore, m’accorder une place dans son cœur. Amour doit m’attirer ses faveurs : je ne me sens pas capable de la délivrer de son deuil par mes seules forces. Si elle savait quelle nécessité m’a poussé à tuer son mari, alors tout serait plus facile. Et encore plus si elle savait que je suis prêt à lui faire don, en guise de réparation, de ma personne et de ma vie. Maintenant qu’Amour, selon sa loi, s’est emparé de moi, il est juste qu’il fasse l’une des deux choses suivantes  : qu’il l’amène à moi ou me délivre d’elle, car sinon je suis perdu. Il ne dépend pas de moi d’avoir choisi pour amie celle qui me porte une haine mortelle : c’est Amour qui m’a imposé sa loi. C’est pourquoi il ne doit pas m’abandonner de façon si inconséquente. Hélas, si seulement elle voulait se comporter conformément à sa bonté ! La joie et le bonheur conviendraient mieux à ma dame que cette haine qu’elle se porte à elle-même. Il serait

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IWEIN : TEXTE

unde weste si wie min muot stat, daz ich zewandel wil gebn mich selben unde min lebn. sit nu diu minne unde ir rat sich min underwunden hat, so hat si michel reht dazuo daz si der zweier einez tuo, das si ir rate her zemir ode mir den muot benem von ir, wan ich bin anders verlorn. daz ich zefriunde han erchorn mine tot viendinne, daz ist niht von minem sinne. ez hat ir gebot getan. da von sol si mich niht lan als unbescheidenlichen underwegn. ouwi, wan wolde si nu pflegen gebærde nach ir guete ! freude unde guot gemuete daz zæme miner frouwen baz danne dazs ir selber ist gehaz. die marter unde die arbeit die si an sich selben leit, die soldich billicher enpfan. ouwe, waz hat ir getan ir antlutze unde ir schœniu lich der ich nie niht sach gelich ? ichn weiz waz si zware an ir goltfarwem hare unde an ir selber richet, daz si den lip zebrichet. da ist si unschuldech an. ouwe, ia sluoc ich den man ! disiu zuht unde der gerich giengen billicher uber mich. ouch sol got erchennen daz deiz mir an minem libe tæte baz. ouwi, da diu guote in selhem unmuote ist so rehte wunneclich !

[fol. 33r]

IWEIN : TRADUCTION

plus juste que ce soit moi qui reçoive ces meurtrissures et ces souffrances qu’elle s’inflige. Hélas, que lui ont fait ce visage et ce corps, aussi beaux que je n’en ai jamais vu de pareils ? Je ne sais vraiment pas pourquoi elle s’inflige une telle violence, pourquoi elle s’arrache ses cheveux d’or et se blesse ainsi. Elle est innocente de ce qui est arrivé : c’est moi qui ai tué son mari ! Il serait plus juste que ce soit moi qui subisse ce châtiment et cette punition. Même Dieu doit reconnaître que c’est moi qui mérite d’être traité de la sorte. Hélas, cette dame vertueuse est si délicieuse même en plein désespoir. Mais à qui serait-elle comparable si elle n’était pas malheureuse ? Sans nul doute, Dieu a mis tout Son art et Sa puissance, tout Son soin et Son savoirfaire à créer une telle beauté ! Ce n’est pas une femme, c’est un ange ! »

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IWEIN : TEXTE

nu wem wære si gelich, het si dehein leit ? zware got der hat geleit sine kunst unde sin kraft, sinen fliz unde sine meisterschaft, an disen loblichen lip ! ez ist ein engel unde niht ein wip ! » Der herre Iwein saz verborgen in freuden unde in sorgen. im schuof daz venster guot gemach, des er genoz daz er si sach. da wider forht er den tot, sus heter wunne unde not. er saz da unde sach si an unz an die wile daz si dan wider durch den palas gie. ouwi, wie chume er daz verlie, do er si fur sich gen sach, daz er niht wider si sprach ! daz muose er doch durch forhte lan. die porte wuorden zuo getan, da si durch was gegangen. unde er was also gevangen daz im aber diu uz vart anderstunt versperret wart. daz was im als mære, wan ob ietweder porte wære ledeclichen uf getan, unde wærer ledech dazuo lan aller siner schulde also daz er mit hulde fuere swar in duhte guot, so ne stuont doch anders niht sin muot niuwan ze beliben da. wærer gewesn anderswa, so wolder doch wider dar. sin herze stuont niender anderswar niuwan da er si weste. diu stat was im diu beste. sus was min her Iwein

[Lettrine rouge]

[fol. 33v]

[fol. 34r]

IWEIN : TRADUCTION

(1687) Monseigneur Iwein était assis, caché, en proie à la joie comme aux soucis. La fenêtre était un lieu confortable d’où il pouvait l’observer à loisir. D’autre part il craignait la mort, ainsi était-il heureux et malheureux à la fois. Il demeura assis à la regarder jusqu’au moment où elle retourna dans la grand-salle. Hélas, comme il put à peine supporter de ne pas lui adresser la parole lorsqu’elle passa devant lui ! Mais il dut y renoncer, car il avait peur. Les portes, par lesquelles la dame était passée, furent fermées. Et ainsi il fut prisonnier parce que pour la seconde fois toute issue lui était barrée. Mais tout ceci lui convenait fort bien car, même si les deux portes avaient été ouvertes en grand et si on l’avait dédouané de toute faute de telle sorte qu’il aurait eu la permission de partir où bon lui semble, il n’aurait eu d’autre souhait que de rester là. S’il s’était trouvé ailleurs, il aurait voulu retourner en ce lieu. Son cœur n’aspirait qu’à se rendre là où il savait qu’elle était. C’était pour lui le meilleur endroit. Ainsi, monseigneur Iwein était vraiment tourmenté par deux pensées : malgré sa victoire, il serait déshonoré s’il retournait à la cour sans apporter la preuve des événements passés, car on ne le croirait pas. D’autre part, ce qui lui causait du souci est que tous les honneurs dont il pourrait jouir par ailleurs lui seraient totalement indifférents s’il ne pouvait plus voir la dame à cause de laquelle il était prisonnier. Bientôt arriva l’aimable demoiselle qui prenait soin de lui. Elle dit : « Je crois que vous passez ici une journée bien pénible et des heures difficiles. » Il répondit : « En ce point, je dois vous contredire, car je n’ai jamais passé une journée plus agréable ! » « Dites-moi, seigneur, comment cela est-il possible ? Car vous voyez toujours autour de vous ceux qui cherchent à vous tuer. Un homme peut-il passer une bonne journée et profiter

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IWEIN : TEXTE

mit disen noten zwein sere betwungen. swie wol im was gelungen, so wærer doch guneret, wærer ze hove gecheret ane geziuc siner geschiht, wande man geloupt im sin niht. do begunde in an striten ze den andern siten daz im gar unmære elliu diu ere wære diu im anders mohte geschehn, ern muese sine frouwen sehn, von der er was gevangen. schiere chom gegangen diu guote magt diu sin pflac. si sprach : « ich wæne ir swæren tac unde ubel zit hinne tragt. » er sprach : « daz si iu widersagt, wan ichn gewan liebern tac nie. » « sagt, herre, wie mac sich daz gefuegen ? wan die iuch gerne sluegen, die seht ir hie umbe iuch gan. mac ein man denne han guoten tac unde senfte zit der uf den lip gevangen lit, ern wære danne des todes fro ? » er sprach : « min muot stet niender so daz ich gerne wære tot, unde freu mich doch in miner not, unde han daz hiute getan unde han ouch noch zefreuden wan. » Do ez ir halbez wart gesagt, do erchande wol diu magt daz er ir frouwen meinde, als si im sit bescheinde. si sprach : « ir mugt wol wesn fro, wan ich gefuegez wol also mit ettelichem dinge

[fol. 34v]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

d’un moment agréable alors qu’il est en danger de mort, à moins qu’il ne se réjouisse à l’idée de mourir ? » Il répondit : « Je n’aspire nullement à mourir et pourtant je suis heureux dans ma détresse, je le suis aujourd’hui et espère l’être encore à l’avenir. »

(1753) À peine eut-elle entendu la moitié de ces propos que la demoiselle comprit qu’il aimait sa maîtresse, et elle le lui fit bientôt savoir. Elle dit : « Vous avez raison d’être heureux, car je pourrai, d’une façon ou d’une autre, faire en sorte que vous partiez d’ici secrètement, aujourd’hui ou demain au plus tard. »

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IWEIN : TEXTE

daz ich iuch hinnen bringe noch ode fruo verholne. » er sprach : « fuere ich verstolne zefuozzen von hinnen, des muese ich wol gewinnen laster unde unere. swenne ich von hinnen chere, daz bevindet allez diz lant. » Si sprach unde nam in bi der hant : « deiswar ich heizze iuch niender varn unde wil iu gerne bewarn den lip so ich beste chan. min her Iwein, nu get dan da iuwer gewarheit bezzer si. » unde fuorte in nahen da bi da im allez guot geschach. si schuof im allen den gemach des im zem libe not was. si pflac sin daz er wol genas. Do er guot gemach gewan, do gienc si von im dan unde tet daz durch allez guot. vil starche ranch darnach ir muot daz er herre wuorde da. zuo ir frouwen gienc si sa. der was si heinlich gnuoc, so daz si gar mit ir truoc swaz si tougens weste, ir diu næhest unde diu beste. ir rates unde ir lere gevolget si mere danne aller ir frouwen. si sprach : « nu sol man schouwen alrerst iuwer fruomcheit daran daz ir iuwer leit rehte unde redeliche tragt. ez ist wiplich daz ir clagt, unde mugt ouch zevil geclagen. uns ist ein fruomer herre erslagen. nu mac iuch got wol stiuren

[Lettrine rouge] [fol. 35r]

[Lettrine bleue]

[fol. 35v]

IWEIN : TRADUCTION

Il répondit : « Si je pars d’ici en secret, à pied, je n’en tirerai que honte et déshonneur. Lorsque je quitterai le château, tout le pays le verra. »

(1768) Elle rétorqua en lui prenant la main : « Croyez-moi, je ne vous dis pas de vous en aller et suis tout à fait prête à protéger votre vie du mieux que je le peux. Monseigneur Iwein, allez là où vous serez davantage en sécurité. » Et elle le mena dans une pièce toute proche où elle l’entoura de ses attentions. Elle lui procura tout le confort dont il avait besoin, et s’occupa de lui de telle sorte qu’il put parfaitement reprendre des forces.

(1779) Lorsque tout fut organisé pour son bien-être, la demoiselle le quitta, mue par de très bonnes intentions : elle était fermement décidée à faire de lui le seigneur du pays. De ce pas, elle se rendit chez sa dame. Toutes deux étaient si intimes que la demoiselle pouvait lui confier tous les secrets qu’elle avait. La demoiselle était l’amie la plus proche de la dame, celle que celleci préférait. La dame suivait ses conseils et ses propositions plutôt que ceux de toutes les autres dames de la cour. Elle lui dit : « Il faut désormais que l’on voie que vous êtes forte et que vous supportez votre douleur comme l’exigent les convenances et la mesure. Il est normal qu’en tant que femme vous vous lamentiez, mais il se peut aussi que vous poussiez trop de plaintes. Nous avons perdu un seigneur valeureux, puisse Dieu vous en donner un aussi bon. » « Le crois-tu vraiment ? » « Oui, dame. » « Où serait-il ? » « Quelque part. » « Tu es folle ou tu te moques de moi ! Même si Dieu y appli-

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IWEIN : TEXTE

mit einem als tiuren. » « meinstuz so ? » « frouwe, ia. » « wa wære der ? » « ettewa. » « du tobest, ode ez ist din spot. unde cherte unser herre got allen sinen fliz daran, ern gemachte niemer tiurern man. da von sol sich min senediu not, ob got wil, unz an minen tot niemer vol enden. den tot sol mir got senden, daz ich nach minem herren var. du verliusest mich gar, ob du iemer man gelobest neben im, wan du tobest. » Do sprach aber diu magt : « iu si doch ein dinch gesagt, daz man iedoch bedenchen sol, ir vervahet ez ubel ode wol. ezn ist iu niender so gewant, irn welt iuwern brunnen unde daz lant unde iuwer ere verliesen, so muezzet ir ettewen chiesen der in iu friste unde bewar. manech fruom riter chuomt noch dar der iuch des brunnen behert, enist da niemen der ez wert. unde ein dinch ist iu unchunt. ez wart ein bot an dirre stunt minem herren gesant. do er in do toten vant unde iuch in selher swære, do versweic er iuch dez mære unde bat aber michz iu sagen daz nach disen zwelf tagen unde in vil churzem zil der kunech Artus chomen wil zuo dem brunnen mit her. en ist danne da niemen der in wer, so ist iuwer ere verlorn.

[Lettrine rouge]

[fol. 36r]

IWEIN : TRADUCTION

quait tout Son art, il ne pourrait créer un meilleur mari. C’est pour cette raison que, si Dieu le veut, mon chagrin d’amour ne cessera pas avant ma mort. Que Dieu m’envoie la mort afin que je puisse suivre mon seigneur. Tu perdras toute mon amitié si jamais tu oses comparer un autre homme à lui. Tu dois être vraiment folle. »

(1815) Alors la demoiselle reprit la parole : « Je dois vous dire encore une chose à laquelle il nous faut songer, peu importe que vous le preniez bien ou mal. Votre situation n’est pas telle que vous le croyez : si vous ne voulez pas perdre votre fontaine et votre pays ainsi que votre honneur, alors il vous faut choisir un mari qui les garde pour vous et les défende. De nombreux preux chevaliers vont certainement venir pour vous prendre votre fontaine par la force si personne n’est là pour la défendre. Et vous ignorez encore une chose : un messager venait d’être envoyé à mon seigneur. Lorsqu’il le trouva mort et vous dans un deuil si profond, il n’osa vous faire part de la nouvelle dont il était porteur et me demanda de vous la transmettre : dans douze jours, donc dans très peu de temps, le roi Arthur se rendra à la fontaine avec son armée. C’en sera fini de votre honneur s’il n’y a personne pour la défendre. Si vous choisissez pour la protéger un homme de votre maisonnée, alors vous aurez commis une bien grave erreur. Même si la bravoure de tous vos chevaliers était concentrée en l’un d’eux, cela ne suffirait pas à en faire un homme courageux. Même celui qui affirme être le meilleur d’entre eux n’osera jamais aller protéger la fontaine. En effet, le roi Arthur amènera une armée composée des meilleurs chevaliers qui soient jamais nés. Dame, c’est pourquoi je vous en conjure, si vous ne voulez pas perdre la fontaine et votre pays sans coup férir, alors préparez-vous à temps et renoncez à votre deuil. Je vous le conseille pour votre bien. »

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habt ab ir ze wer erchorn von iuwerm gesinde deheinen man da sit ir gar betrogen an. unde wære ir aller fruomcheit an ir einen geleit, dazn wære noch niht ein fruomer man. swelher sich daz nimt an daz er der beste si von in, dern getar niemer da hin dem brunnen chomen zewer. so bringet der kunech Artus ein her, die sint zen besten uz erchorn die ie wuorden geborn. frouwe, durch daz sit gemant, welt ir den brunnen unde daz lant niht verliesen ane strit, so warnt iuch an der zit, unde lat iuwern swæren muot. ichn ratez iu niuwan durch guot. » Swie si ir die warheit ze rehte het underseit unde si sich des wol enstuont, doch tet si sam diu wip tuont, si wider redent durch ir muot daz si doch ofte dunchet guot. daz si so diche brechent diu dinch diu si versprechent. da schiltet si vil maniger mite. so dunchet ez mich ein guot site. er missetuot, der daz seit, ez mache ir unstætecheit. ich weiz baz wa von ez geschiht daz man si als ofte siht in wanchelm gemuete. daz chuomt von ir guete. man mac sus ubel gemuete wol becheren ze guete unde niht von guete bringen ze ubelem gemuete. diu wandelunge diu ist guot.

[fol. 36v]

[Lettrine bleue]

[fol. 37r]

IWEIN : TRADUCTION

(1859) Bien que la demoiselle lui ait exposé la situation telle qu’elle était vraiment et que la dame l’eût parfaitement compris, elle fit comme font toujours les femmes : par esprit de contradiction, elles disent le contraire de ce qui souvent leur paraît bon. On les blâme fréquemment, car il n’est pas rare qu’elles finissent par renoncer à ce qu’elles avaient promis de faire. Pourtant ceci me paraît être une bonne habitude. Il ne leur rend pas justice celui qui affirme que c’est lié à leur inconstance. Moi je sais à quoi est dû le fait qu’on les voie si souvent changeantes : cela vient de leur bonté. En effet, on peut facilement convertir une mauvaise femme au bien mais on ne peut pas rendre mauvaise une femme emplie de bonté. Une telle inconstance est une vertu et aucune femme n’agira autrement. Et je m’opposerai à quiconque leur reprochera d’être volages. Je ne veux dire que du bien des femmes et ne leur souhaiter que de bonnes choses.

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ir deheiniu ouch anders niht entuot. swer in danne unstæte giht, des volgære bin ich niht. ich wil in niuwan guotes iehn. allez guot muezze in geschehn. Diu frouwe iæmerlichen sprach : « nu clagich got min ungemach, daz ich nu niht ersterben mac. daz ich iemer deheinen tac nach minem herren lebn sol, da mit ist mir doch niht wol. unde mohte ich umbe den tot min lebn ane houpt sunde gegebn, des wuordich schiere gewert, ode ichn funde mezzer noch swert. ob ich des niht geraten chan ichn muezze mit einem andern man mins herren wandel han, so ne wil ez diu werlt niht so verstan als ez doch got ist erchant. der weiz wol ob min lant mit mir befridet wære, daz ichs benamen enbære. nu rat mir, liebe, waz ich tuo, hœret dehein rat dazuo. sit ich ane einen fruomen man min lant niht befriden chan, so gewinne ich mir gerne einen, unde anders deheinen, den ich so fruomen erchande daz er minem lande guoten fride bære unde doch min man niht wære. » Si sprach : « daz si iu widerseit. wer wære der sich so grozze arbeit iemer genæme durch iu an, ern wære iuwer man ? ir sprechet als ein wip. gebt ir im guot unde lip, ir mugt ez dannoch heizzen guot

[Lettrine rouge]

[fol. 37v]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

(1885) La dame répondit tristement : « Je me plains auprès de Dieu de ne pouvoir mourir maintenant. Le seul fait de survivre un jour à mon seigneur me rend malheureuse. Et si je pouvais, sans commettre un péché capital, échanger ma vie contre la mort, je le ferais promptement. Il suffirait que je trouve un couteau ou une épée. Mais si je ne peux faire autrement que de remplacer mon seigneur par un autre mari, la société ne le comprendra pas de la même façon que Dieu sait le reconnaître : Celui-ci sait bien que je n’agirais jamais ainsi si je pouvais, moi seule, assurer la paix à mon pays. Conseillemoi, chère amie, et dis-moi ce que je dois faire, si toutefois il est possible de donner un conseil en de telles circonstances. Puisque je ne puis protéger mon pays sans l’aide d’un homme courageux, alors c’est volontiers que j’en trouverai un. Mais il devra s’agir d’un homme dont je sois sûre qu’il sera suffisamment preux pour assurer une bonne paix à mon pays. Toutefois il ne sera pas mon mari. »

(1913) La demoiselle rétorqua : « Je dois vous contredire. Qui serait prêt à endurer une si grande peine pour vous sans être votre mari  ? Vous parlez comme parle une femme. Même si vous lui faites don de vos biens et de votre personne, vous pourrez vous estimer heureuse s’il assume cette tâche de son plein gré. Mais vous êtes jeune et belle, noble, puissante et pleine de qualités. Et, si Dieu le veut, vous pourrez fort bien trouver un mari d’égale valeur. Mainte-

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IWEIN : TEXTE

ob erz willeclichen tuot. nu habt ir schœne unde iugent, geburt, richeit unde tugent, unde mugt einen also biderben man wol gewinnen, ob es iu got gan. nune weint niht mere unde gedenchet an iuwer ere. zware, frouwe, des ist not. min herre ist fur sich einen tot, wænt ir daz alliu frumcheit mit im ze grabe si geleit ? zware desn ist niht. wande man noch hundert riter siht die alle tiurre sint danne er zeswerte zeschilte unde zesper. » « du hast zware misseseit. » « frouwe, ich han die warheit. » « der zeige mir doch einen. » « liezzet ir iuwer weinen, deiswar ich funde in iu harte wol. » « ichn weiz was ich dir tuon sol, wan ez dunchet mich unmugelich. sich, got gebezzer dich, ob du mir nu liegest unde mich gerne triegest. » « frouwe, han ich iu gelogen, so bin ich selbe betrogen. nu bin ich ie mit iu gewesn unde muoz ouch noch mit iu genesn. verriete ich iuch, waz wuorde min ? nu muezzet ir min rihtære sin. erteilt mir, ir sit ein wip, swa zwene vehtent umbe den lip, wederre tiurre si der da gesige ode der da sigelos gelige ? » « der da gesigt, so wæn ich. » « frouwe, ez ist niht wænlich, wan ez ist gar diu warheit. als ich iu nu han geseit, rehte also hat ein man

[fol. 38r]

[fol. 38v]

IWEIN : TRADUCTION

nant ne pleurez plus et songez à votre honneur, car vraiment, dame, c’est nécessaire. Seul mon seigneur est mort, croyez-vous que toute bravoure a été mise en terre avec lui ? Non, il n’en est rien. Il existe encore cent chevaliers qui sont meilleurs que lui au maniement de l’épée, de l’écu et de la lance. » « Ce que tu dis est totalement faux. » « Dame, je dis la vérité. » « Alors, présente m’en un. » « Si vous cessiez de pleurer, en vérité, je vous le trouverais très facilement. » « Je ne sais que penser de toi, car tout ceci me paraît impossible. Que Dieu te protège si tu me mens et si tu cherches à me tromper. » « Dame, si je vous ai menti, alors je me suis abusée moimême. Jusqu’à présent, j’ai toujours été à vos côtés et à l’avenir aussi mon existence dépendra de vous. Si je vous trahissais, qu’adviendrait-il de moi ? Alors soyez mon juge et, puisque vous êtes une femme d’expérience, décidez de la chose suivante : là où deux chevaliers se livrent un combat à mort, lequel est le meilleur ? Celui qui est vainqueur ou celui qui est vaincu ? » « Celui qui est vainqueur, je suppose. » « Dame, cela n’a rien à voir avec une supposition, car c’est la pure vérité. Comme je vous l’ai dit, c’est précisément ainsi qu’un homme a vaincu mon seigneur. Nous sommes toutes deux d’accord sur ce point puisque vous l’avez enterré. Et je puis vous en apporter la preuve incontestable : celui qui a pourchassé et tué mon seigneur était meilleur que lui. Mon seigneur est mort et lui, il vit ! »

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IWEIN : TEXTE

gesigt minem herren an. daz wil ich wol mit iu gehaben, wan ir habt in begraben. ich erziuges nu gnuoc, der in da iagte unde sluoc, der ist der tiurer gewesn. min herre ist tot unde er genesn ! » Diz was ir ein herceleit, daz si deheiner fruomcheit iemen fur ir herren iach. mit unsiten si ir zuo sprach unde hiez si ir wech strichen. si ne wolde si næmlichen niemer mere gesehn. si sprach : « mir mac wol geschehn von minen triuwen arbeit unde aber niemer herceleit, wan ich si gerne liden wil. zware ich bin gerner vil durch mine triuwe vertriben danne mit untriuwen beliben. frouwe, nu gen ich von iu hin, unde so ich hin vertriben bin, so nemt durch got in iuwern muot waz iu si nutze unde guot. daz ich iu e geraten han, daz han ich gar durch guot getan, unde got fuege iu heil unde ere, gesehe ich iuch niemer mere. » sus stuont si uf unde gie dan zuo dem verborgen man. dem brahte si bœsiu mære, daz ir frouwe wære unbecheriges muotes. si ne kunde si deheins guotes mit nihte uberwinden. si ne mohte da niht vinden niuwan zorn unde dro. des wart der herre Iwein unfro. Diu magt unde her Iwein

[Lettrine rouge]

[fol. 39r]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

(1967) Ces paroles de la demoiselle, qui affirmait qu’un homme avait été meilleur que son seigneur, attristèrent profondément la dame. Pleine de colère, elle lui ordonna de disparaître, ajoutant qu’elle ne voulait vraiment plus jamais la voir. La demoiselle répondit : « Ma loyauté peut m’apporter bien des désagréments et je suis prête à les supporter, mais jamais elle ne me causera de chagrin. Vraiment, je préfère être renvoyée à cause de ma loyauté plutôt que de rester en étant déloyale. Dame, je vous quitte à présent et, puisque je suis chassée, songez, pour l’amour de Dieu, à ce qui est utile et bon pour vous. Les conseils que je viens de vous donner, je ne les ai formulés que pour votre bien. Et, si je ne dois jamais plus vous revoir, que Dieu vous accorde salut et honneur. » Alors elle se leva et alla rejoindre celui qui était caché et auquel elle apporta de mauvaises nouvelles, disant qu’il était impossible de faire changer sa dame d’avis, qu’elle ne savait nullement comment la persuader et qu’elle n’avait récolté que des menaces et des paroles pleines de colère. Monseigneur Iwein en fut attristé.

(1999) La demoiselle et monseigneur Iwein convinrent de la

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IWEIN : TEXTE

begunden ahten under in zwein daz siz noch versuochte baz, ob sich ir frouwen haz becherte mit guete ze senfterm gemuete. do diu frouwe ir magt vertreip unde si eine beleip, do begunde si sere riuwen daz si ir grozzen triuwen wider si so sere engalt, wande si ir fluochet unde si schalt. si gedahte : « waz han ich getan ! ich solde si geniezzen lan daz si mir wol gedient hat. ich weiz wol daz si mir den rat niuwan durch alle triuwe tet, swa ich gevolget ir bet, dazn wart mir nie leit, unde hat mir ouch nu war geseit. ich erchenne nu lange wol ir muot, si ist getriuwe unde guot. ich han si ubel lazen. ich mohte wol verwazen mine zornige site, wan da gewinnet niemen mite niuwan laster unde schaden. ich solde si her wider laden, daz chœme mir vil lihte baz. ich was ir ane schult gehaz. min herre was biderbe gnuoc, aber iener der in da sluoc, der muose tiurre sin danne er. ern het in anders her niht mit gewalte geiagt. si hat mir daran war gesagt. swer er ist der in sluoc, wider den han ich schulde gnuoc daz ich im vient si. ouch stet unschulde da bi, der imz zerehte wil verstan.

[fol. 39v]

[fol. 40r]

IWEIN : TRADUCTION

chose suivante  : elle devait essayer encore une fois, par des paroles conciliantes, d’adoucir la haine que ressentait sa dame. Lorsque celle-ci se retrouva seule après avoir chassé la demoiselle, elle se mit à regretter amèrement de l’avoir si mal dédommagée de son grand dévouement et de l’avoir blâmée et injuriée. Elle se dit : «  Qu’ai-je donc fait  ! J’aurais dû la récompenser pour m’avoir si bien servie. Je sais parfaitement que c’est par pure loyauté qu’elle m’a donné ce conseil. Chaque fois que j’ai suivi son avis, je n’ai jamais eu à m’en repentir, et aujourd’hui encore elle m’a dit la vérité. Je connais bien son cœur depuis longtemps : elle est loyale et honnête. Je l’ai mal traitée. Je pourrais maudire mon comportement colérique, car il ne m’apporte que honte et dommage. Je devrais la faire revenir, ce serait sans doute beaucoup mieux pour moi. C’est sans raison que je lui en ai voulu. Mon seigneur était un vaillant combattant, mais celui qui l’a tué doit être encore meilleur que lui sans quoi il n’aurait pu, en ayant recours à la force, le poursuivre jusqu’ici. Ma demoiselle m’a dit la vérité en la matière. J’ai de bonnes raisons d’être l’ennemie de celui qui a tué mon seigneur. Cependant, d’une certaine façon, il est également innocent si l’on veut être juste envers lui : il n’a fait que se défendre. Mon seigneur avait l’intention de le tuer. Si son adversaire avait, par amour de moi, accepté de l’épargner, alors il m’aurait trop aimé et aurait luimême perdu la vie. Il l’a tué, car il ne pouvait agir autrement. »

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IWEIN : TEXTE

er hat ez wernde getan. min herre wolt in han erslagen. heter im daz durch mich vertragen unde het in lazen genesn, so wære ich im ouch zeliep gewesn, wan so wærer selbe tot. daz er in sluoc des gienc in not. » sus brahte siz in ir gemuete zesuone unde ze guete, unde machte in unschuldech wider si. do was gereit da bi diu gewaltige minne, ein rehtiu suenærinne under manne unde under wibe. si gedahte : « mit minem libe magich den brunnen niht erwern. mich muoz ein biderbe man nern, ode ich bin benamen verlorn. ich wil lazen minen zorn, ob ez sich gefuegen chan, unde enger niuwan des man der mir den wirt erslagen hat. ob ez anders umbe in stat also rehte unde als wol daz ich im min gunnen sol, so muoz er mich mit triuwen ergetzen miner riuwen, unde muoz mich deste baz han daz er mir leide hat getan. » Daz si ir meide ie leit gesprach, daz was ir als ungemach daz siz vil sere clagte. morgen, do ez tagte, do chom si wider gegangen unde wart baz enpfangen danne si verlazen wære. ir benam diu frouwe ir swære mit guotem antpfange. si ne saz bi ir niht lange unz si si fragen began.

[fol. 40v]

[Lettrine rouge]

[fol. 41r]

IWEIN : TRADUCTION

Ainsi, elle incita son cœur à la réconciliation et à faire preuve de bonté, et innocenta le vainqueur de toute faute envers elle. Mais déjà était là Amour qui, par sa puissance, réconcilie vraiment les hommes et les femmes. Elle pensa : « Je ne puis défendre moi-même la fontaine, il faut qu’un homme courageux me défende sinon je suis complètement perdue. Je suis prête à renoncer à ma colère et, si cela est possible, je ne prendrai pour mari aucun autre homme que celui qui a tué mon seigneur. Si de plus il a toutes les qualités pour que je puisse m’en remettre à lui, il devra me faire oublier mon chagrin par sa loyauté et me traiter d’autant mieux qu’il m’a fait du mal. »

(2069) Le fait d’avoir offensé sa demoiselle lui fit tant de peine qu’elle s’en plaignit amèrement. Au petit matin, alors que le soleil se levait, la demoiselle revint et fut mieux reçue que lorsqu’elle était partie. Sa dame lui fit oublier son chagrin grâce au bon accueil qu’elle lui réserva. À peine fut-elle assise que la dame lui demanda : « Par Dieu, qui est l’homme dont tu as fait l’éloge hier ? Je crois que tes paroles n’étaient pas insensées, car il ne fallait pas être un lâche pour tuer mon seigneur. Est-il de haute naissance ? A-t-il la jeunesse et les autres qualités qui le rendent digne d’être mon seigneur ? Est-ce que les gens ne me reprocheront pas, lorsqu’ils l’apprendront, d’avoir pris pour époux celui qui a tué

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IWEIN : TEXTE

si sprach : « durch got, wer ist der man den du mir gester lobtest ? ich wæne du niht tobtest, wan ezn tohte deheinem zagen der minen herren hat erslagen. hat er die geburt unde die iugent unde dazuo die tugent, daz er mir zeherren zimt, unde swennez diu werlt vernimt, daz si mirz niht gewizzen chan ob ich genomen habe den man der minen herren hat erslagen ? chanstu mir daz von im gesagen daz mir min laster ist verleit mit ander siner fruomcheit, unde rætestu mirz danne, so nim ich in zeinem manne. » Si sprach : « ez dunchet mich guot unde gan iu wol daz ir den muot so schone habt vercheret. ir sit mit im geret unde endurfet iuchs niemer geschamen. » si sprach : « nu sage mir sinen namen. » « er heizzet her Iwein. » zehant gehullen si in ein. si sprach : « deiswar, ia ist mir chunt sin nam nu vor maniger stunt. er ist suon des kuniges Frienes. entriuwen ich versten es mich nu alrerst ein teil, unde wirt er mir so han ich heil. weist ab du, geselle, rehte ob er mich welle ? » « er wolde wærez nu geschehn. » « sage, wenne magich in gesehn ? » « frouwe, in disen vier tagen. » « ouwe, durch got waz wil du sagen ? du machest mir den tac zelanc. nim daz in dinen gedanc daz ich in noch ode morgen sehe. » *

[Lettrine bleue]

[fol. 41v]

IWEIN : TRADUCTION

mon seigneur ? Si tu peux m’assurer à son sujet que ses mérites mettront un terme à la situation dégradante qui est la mienne, et si en plus tu m’en donnes le conseil alors je l’épouserai. »

(2097) Elle dit : « Cela me semble bien et je me réjouis que vous ayez si sagement changé d’avis. Avec lui vous accroîtrez votre renommée et vous n’aurez jamais à avoir honte de lui. » La dame répondit : « Maintenant dis-moi son nom. » « Il s’appelle monseigneur Iwein. » Aussitôt elles tombèrent d’accord. La dame répondit : « C’est vrai, oui, je connais son nom depuis bien longtemps. Il est fils du roi Frien [= Urien]. Par ma foi, j’y vois désormais plus clair : si je le prends pour époux, la fortune me sourira. Mais es-tu certaine, chère amie, qu’il veuille de moi ? » « Il voudrait que cela soit déjà fait. » « Dis-moi, quand puis-je le voir ? » « Dame, d’ici quatre jours. » « Hélas, par Dieu, que me dis-tu là ? Ce sera bien trop long, tu dois comprendre que je veux le voir dès aujourd’hui ou demain. » « Dame, comment voulez-vous que cela soit possible ? Je ne puis rien vous assurer de tel  : aucun homme ni aucun être démuni d’ailes n’est rapide au point de pouvoir aller et revenir en un laps de temps aussi bref. Vous savez comme c’est loin. »

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IWEIN : TEXTE

« wie welt ir, frouwe, daz daz geschehe ? ichn troste iuch nihtes daran. so snel ist dehein man noch niht ane gevider daz hin unde her wider mohte chomen in so kurzer frist. ir wizzet wol wie verre dar ist. » « so volge minem rate. min garzun louffet drate, im endet ie zefuoz ein tac daz einer in zwein geriten mac. ouch hilfet im des manen schin, er laze die naht einen tac sin. ouch sint die tage unmazen lanc. sage im er hat sin iemer danc, unde daz ez im lange fruomt, ob er morgen wider chuomt. heizze in rueren diu bein, unde mache vier tage ze zwein. er laze im nu wesn gach, unde ruowe darnach swie lange so er welle. nu liebe imz, trut geselle. » si sprach : « frouwe, daz si getan. ouch sult ir ein dinc niht lan, besendet iuwer liute morgen unde hiute. ir næmet ubel einen man, da ne wære ir rat an. swer volget guotem rate, dem misselinget spate. swaz der man eine tuot, unde enwirt ez darnach niht guot, so hat er zwein wis verlorn. er dultet schaden unde friunde zorn. » si sprach : « trut geselle, ouwe, ich furhte deiz mir niht wol erge. ez ist lihte niht ir rat. » « frouwe min, die rede lat. irn habt niender selhen helt

[fol. 42r]

[fol. 42v]

IWEIN : TRADUCTION

« Alors suis mon conseil : mon messager est si rapide qu’il peut parcourir à pied en un jour ce qu’un autre ferait à cheval en deux jours. De plus, la lueur de la lune l’aidera et transformera la nuit en jour. Et les jours sont également très longs. Dislui que je lui serai toujours reconnaissante et que, s’il revient demain, pendant longtemps il n’aura pas à s’en repentir. Demande-lui de se dépêcher et de faire que quatre jours n’en fassent plus que deux. Qu’il se hâte et il pourra ensuite se reposer autant que bon lui semblera. Ma chère amie, c’est à toi de le convaincre maintenant. » La demoiselle répondit : « Dame, il en sera fait ainsi. Mais vous ne devez pas omettre une chose  : envoyez chercher, aujourd’hui et demain, vos barons, car il ne serait pas bon que vous preniez un mari sans avoir écouté leurs conseils. Il est rare que celui qui écoute de bons conseils échoue. À l’inverse, celui qui agit seul et dont l’affaire tourne mal, y perd de deux façons : il subit des dommages ainsi que la colère de ses amis. » La dame répondit : « Hélas, très chère amie, je crains que cela ne tourne pas à mon avantage : sans doute ne me donneront-ils pas le même conseil. » « Ma dame, ne dites pas cela. Vous ne disposez aucunement du héros qui vous empêcherait de prendre pour époux l’homme de votre choix et qui pour cela serait prêt à défendre la fontaine pour vous. Votre décision conviendra très bien à vos conseillers. Oh, ils seront heureux d’être déchargés de cette façon de la défense du pays. Ils se jetteront à vos pieds lorsqu’ils entendront vos paroles et vous prieront de prendre cet homme pour mari. » La dame répondit : « Alors dis à ton courrier de partir, pendant ce temps j’enverrai mon messager chercher mes barons afin que menions à bien cette affaire. »

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IWEIN : TEXTE

ern laze iuch nemen swen ir welt, e er iu den brunnen bewar. diu rede ist uf ir wege gar. ouwi, si sint des fro daz si der lantwer also uber werden muezzen. si bietent sich zuo iuwern fuezzen, swenne si iuwer rede vernement, unde bitent iuch daz ir in nement. » si sprach : « nu sende den garzun hin. die wile wil ouch ich nach in minen boten senden, daz wir die rede verenden. » Si het in schiere besant, wan er was da zehant. der garzun tet als si im beschiet, er hal sich als si im geriet, wander was gemachet unde gereit zaller guoten kundecheit. er kunde ir helfen liegen unde ane schalcheit triegen. do sich diu frouwe des versach daz doch niender geschach, daz der garzun wære underwegen, do begunde diu magt des riters pflegen als got ir got iemer lone. si het in harte schone. ouch was da gereit wol drier hande cleit, gra, hærmin unde bunt, wan des was der wirt zaller stunt gewarnt als ein hofsch man der wol des libes pflegen chan unde des ouch guote state hat. do welte si im die besten wat unde legte in die an. des andern abendes gie si dan da si ir frouwen eine vant, unde machte si zehant vor freuden bleich unde rot.

[Lettrine rouge]

[fol. 43r]

IWEIN : TRADUCTION

(2173) La demoiselle fut bien rapide pour aller chercher Iwein, car il était déjà là. Le messager fit comme elle le lui ordonna : il se cacha comme elle le lui demanda, car il était avisé et se prêtait bien à toutes sortes de bonnes ruses. Il pouvait aider à mentir et à tromper sans toutefois nuire à quiconque. Tandis que la dame crut que le messager était en route – ce qui n’était pourtant nullement le cas – la demoiselle se mit à prendre soin du chevalier. Que Dieu la récompense à jamais pour cela ! Elle le traita fort bien et mit à sa disposition trois sortes de vêtements : des fourrures de petit-gris, d’hermine et de menu-vair. En effet, le châtelain, en homme courtois qui savait prendre soin de sa personne et avait également les moyens pour cela, en avait toujours porté. La demoiselle choisit les meilleurs habits pour Iwein et les lui fit revêtir. Le soir suivant elle s’en alla rejoindre sa dame qui était seule et la fit aussitôt pâlir et rougir de joie. Elle lui dit : « Donnez-moi la récompense destinée au courrier, car votre messager est revenu. » « Quelles nouvelles t-a-t-il apportées ? » « De bonnes nouvelles ! » « Mais dis-moi lesquelles ! » « Monseigneur Iwein est ici. » « Comment a-t-il pu venir si vite ? » « C’est le plaisir de vous rencontrer qui lui a donné des ailes. » « Dis-moi, pour l’amour de Dieu, qui est au courant ? » « Dame, personne ne le sait encore hormis le courrier et

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IWEIN : TEXTE

si sprach : « gebt mir daz botenbrot, iuwer garzun der ist chomen. » « waz mære hastu vernomen ? » « guotiu mære» « sage doch, wie ? » « da ist der herre Iwein hie. » « wie moht er chomen als fruo ? » « do treip in diu liebe dazuo. » « sage durch got, wer weiz ez doch ? » « frouwe, ezn weiz niemen noch, niuwan der garzun unde wir. » « wan fuerestun danne her ze mir ? nu gench enwech, ich bit es hie. » do diu iunchfrouwe nach im gie do gebarte si geliche durch ir gemliche, als si mit bœsem mære zuo im gesendet wære. si hienc daz houpt unde sprach trurecliche, do si in sach : « ichn weiz waz ich des tuon sol. min frouwe weiz iuch hinne wol. ir ist uf mich vaste zorn, ir han ir hulde verlorn, daz ich iuch hie behalten han, unde enwil mich doch des niht erlan sine welle iuch gesehn. » er sprach : « desn sol niht geschehn, ich laze mir e nemen den lip. » « wie mohte iu den genemen ein wip ? » « si hat doch folches ein her. » « ir geneset wol ane wer. ich han des ir sicherheit, daz iu deheiner slahte leit nu von ir mac geschehn. si wil iuch niuwan eine sehn. ir muezzet ir gevangen wesn, anders lat si iuch wol genesn. » er sprach : « si vil sælech wip, ich wil vil gerne daz min lip iemer ir gevangen si,

[fol. 43v]

[fol. 44r]

IWEIN : TRADUCTION

nous deux. » « Pourquoi ne me l’amènes-tu pas ? Vas-y maintenant, j’attends ici. » Lorsque la demoiselle alla retrouver Iwein, elle fit, par malice, comme si elle avait été envoyée vers lui avec de mauvaises nouvelles. Elle baissa la tête et dit tristement lorsqu’elle le vit : « Je ne sais que faire. Ma dame sait que vous êtes à l’intérieur du château. Elle est très en colère après moi. J’ai perdu son amitié parce que je vous ai mis à l’abri ici, cependant elle me presse et insiste pour vous voir. » Il rétorqua : « Je préfère me laisser tuer plutôt que de ne pas la voir. » « Comment une femme pourrait-elle vous prendre la vie ? » « Elle dispose d’une foule de gens. » « Vous survivrez sans avoir à vous défendre : elle m’a donné l’assurance que désormais il ne vous arrivera plus le moindre mal. Elle veut vous voir seul. Vous devrez être son prisonnier, hormis cela elle vous traitera bien. » « Quelle femme merveilleuse ! C’est bien volontiers que je veux être son prisonnier à jamais, ainsi que mon cœur. »

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IWEIN : TEXTE

unde daz herce da bi. »

Sus stuont er uf unde gie dan mit freuden als ein sælech man, unde wart doch undar enpfangen. do er chom gegangen, weder si ne sprach nochn neic. do si also stille sweic, daz begunde im starche swaren, unde enweste wie gebaren, wan er saz verre hin dan unde sach si bliuclichen an. do si beidiu swigen, do sprach diu magt : « herre Iwein, wie sit ir so verzagt ? lebt ir ode habt ir munt ? ir sprachet doch in kurzer stunt, wenne wuordet ir ein stumme ? sagt durch got, warumbe fliehet ir ein so schœne wip ? got gehazze iemer sinen lip der ane sinen danch deheinen man, der selbe wol gesprechen chan, ze schœnem wibe ziehe, der si so sere fliehe. ir moht sitzen naher baz. ich geheizze iu wol daz, min frouwe bizet iuch niht. swem von dem andern geschiht so leide als ir ir habt getan, unde sol man des gnade van, dazuo hœret bezzer lon. ir habt den kunech Ascalon, ir viel lieben man, erslagen. wer solt iu des gnade sagen ? ir habt vil grozze schulde, nu suochet ouch ir hulde. nu biten wir si beide daz si ir leide geruoche vergezzen. » do ne wart niht me gesezzen. er bot sich drate uf ir fuoz

[Lettrine bleue]

[fol. 44v]

IWEIN : TRADUCTION

(2241) Ainsi, il se leva et partit la rejoindre, heureux et le cœur plein d’allégresse. Cependant il fut accueilli bien froidement : lorsqu’il arriva elle ne lui adressa pas la parole ni ne le salua. Comme elle continuait à se taire, ce silence commença à peser au chevalier qui ne savait comment se comporter : il s’était assis loin d’elle et la regardait timidement. Alors que tous deux se taisaient, la demoiselle dit : « Monseigneur Iwein, comment se fait-il que le courage vous manque de la sorte ? Êtes-vous vivant ? Avez-vous une bouche ? Vous parliez encore il y a peu de temps, quand êtes-vous devenu muet ? Pour l’amour de Dieu, dites-moi pourquoi vous fuyez une femme aussi belle ? Que Dieu maudisse celui qui mène un homme, qui d’habitude sait bien parler, contre son gré auprès d’une belle femme si cet homme la fuit ainsi. Vous pourriez sans crainte vous asseoir plus près d’elle : je vous assure que ma dame ne vous mordra pas. Lorsqu’une personne a infligé à quelqu’un d’autre une souffrance telle que celle que vous avez causée à ma dame, et que cette personne souhaite obtenir grâce alors il convient d’offrir un meilleur don. Vous avez tué le roi Ascalon, son très cher époux, vous attendez-vous à ce que l’on vous en soit reconnaissant ? Vous avez commis une faute grave, tentez maintenant d’obtenir sa bienveillance. Nous allons la prier tous deux de bien vouloir oublier ses tourments. » Iwein ne resta pas assis plus longtemps : il se jeta aussitôt à ses pieds et, tel un homme accablé par sa faute, demanda qu’elle lui accorde son pardon et son salut. Il dit : « Je ne puis vous offrir meilleure réparation ni dédommagement plus honorable que ceci : soyez mon juge ! Ce que vous voulez, je le veux également ! »

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IWEIN : TEXTE

unde suochte ir hulde unde ir gruoz als ein schuldiger man. er sprach : « ichn mac nochn chan iu gebieten mere wandels noch ere, wan rihtet selbe uber mich ! swie ir welt also wil ich ! » « Welt ir allez daz ich wil ? » « ia, michn dunchet nihtes zevil. » « so nim ich iu lihte den lip. » « swie ir gebiet, sælech wip. » « nu waz hulfe rede lanc ? sit ir iuch ane getwanc in mine gewalt habt ergebn, næme ich iu danne daz lebn, daz wære harte unwiplich. herre Iwein, niht verdenchet mich, daz ichz von unstæte tuo, daz ich iuwer alsus fruo gnade gevangen han. ir habt mir selch leit getan, stuende min ahte unde min muot * als ez andern frouwen tuot, daz ich iuwer enwolde so gahes nochn solde gnade gevahen. nu muoz ich leider gahen, wandez ist mir also gewant, ich mac verliesen wol min lant hiute ode morgen, daz muoz ich e besorgen mit einem manne der ez wer. der ist niender in minem her, sit mir der kunech ist erslagen. des muoz ich in vil kurzen tagen mir einen herren chiesen ode daz lant verliesen. nu ne bit ich iuch niht furbaz sagen, sit ir minen herren habt erslagen, so sit ir wol ein so fruom man,

[fol. 45r] [Lettrine rouge]

[fol. 45v]

IWEIN : TRADUCTION

(2287) « Voulez-vous vraiment tout ce que je veux ? » « Oui, rien ne me paraît être exagéré. » « Alors, je vais peut-être vous prendre la vie. » « Il en sera fait comme vous l’ordonnez, femme bénie par la grâce. » « Eh bien, à quoi servent de longs discours ? Puisque vous vous êtes mis en mon pouvoir de votre plein gré, si je vous tuais je n’agirais nullement en femme. Monseigneur Iwein, n’allez pas croire que je fasse preuve d’inconstance si je vous accorde mon pardon si vite. Vous m’avez infligé une telle souffrance que, si j’avais le même pouvoir et autant de moyens qu’en ont d’autres dames, je ne voudrais ni ne pourrais vous accorder grâce aussi rapidement. Malheureusement, il me faut agir vite, car ma situation est telle que je peux perdre mon pays dès aujourd’hui ou demain. Avant que cela n’arrive, je dois trouver un homme qui le protège. Depuis que le roi a été tué, il n’y en a plus aucun dans mon armée. C’est pourquoi je dois très rapidement choisir un nouveau seigneur ou perdre mon pays. Maintenant je vous prie de ne point parler davantage. Puisque vous avez tué mon seigneur, vous devez être un homme si valeureux que, si Dieu m’accorde de vous épouser, je serai bien protégée contre toute agression extérieure. Et croyez bien la chose suivante : plutôt que de renoncer à vous, je suis prête à enfreindre les règles de bienséance féminine. Même si une femme ne demande jamais la main d’un homme, je demanderai la vôtre. Je ne vous suis plus hostile, car je vous prends volontiers pour mari si vous voulez de moi. » « Dame, si maintenant je répondais non, je serais un homme malheureux. Le plus beau jour que j’aie jamais eu à vivre est celui que je viens de vivre aujourd’hui. Que Dieu m’accorde la grâce d’être votre époux. »

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IWEIN : TEXTE

ob mir iuwer got gan, so bin ich wol mit iu bewart vor aller fremder hochfart. unde geloubet mir ein mære. e ich iuwer enbære, ich bræche e der wibe site. swie selten wip mannes bite, ich bæte iuwer e. ichn notliche iu niht me, wan ich wil iuch gerne, welt ir mich. » « spræche ich nu, frouwe, nein ich, so wære ich ein unsælech man. der liebest tac den ich ie gewan, der ist mir hiute widervarn. got ruoche mir daz heil bewarn, daz wir gesellen muezzen sin. » do sprach diu kunegin : « Ouwi, min herre Iwein, wer hat under uns zwein. gefueget dise minne ? es wundert mine sinne, wer iu geriete den wan, so leide als ir mir habt getan, daz ich iemer wuorde iuwer wip. » « mir riet ez niuwan min selbes lip. » « wer riet ez dem libe durch got ? » « daz tet des hercen gebot. » « nu aber dem hercen wer ? » « dem rieten diu ougen her. » « wer riet ez den ougen do ? » « ein rat, des mugt ir wesn fro, iuwer schœne unde anders niht. » « sit unser ietwederz nu giht ez si des andern fro. » sprach diu kuniginne do. « wer ist der uns nu wende wirne geben der rede ein ende ? » dazn fueget sich niht under uns drin. nu gen wir zuo den liuten hin. ich han gester besant

[Lettrine bleue] [fol. 46r]

IWEIN : TRADUCTION

(2337) Alors la reine dit : « Ah, monseigneur Iwein, qui a fait naître cet amour entre nous ? Je me demande avec étonnement qui vous a donné l’espoir que je puisse jamais devenir votre femme alors que vous m’avez causé tant de mal. » « Cet espoir, c’est moi-même qui me le suis donné. » « Et, pour l’amour de Dieu, qui vous l’a inspiré ? » « C’est mon cœur qui me l’a commandé. » « Et qui l’a inspiré à votre cœur ? » « Ce sont mes yeux. » « Et qui l’a inspiré à vos yeux ? » « Un instigateur dont vous pouvez vous réjouir : c’est votre beauté et rien d’autre. » «  Chacun de nous deux dit donc qu’il est satisfait de l’autre. », répondit alors la reine, « Qui nous empêche désormais de conclure cette affaire ? Cependant nous ne pouvons décider de cela à trois : rejoignons mes barons. J’ai fait chercher hier les hommes les plus nobles du pays. C’est à eux que nous devrons révéler notre projet : c’est pour cela que je leur ai déjà en partie dévoilé mes intentions. Nous devons les consulter, car c’est en effet ce qu’il convient de faire. » Et c’est ainsi qu’ils agirent effectivement.

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IWEIN : TEXTE

die besten uber min lant. vor den suln wirz niht stillen. ich han in mins willen ein teil darumbe kunt getan. die suln wir an der rede han, deiswar ez fueget sich deste baz. » nu taten si ouch daz. Do si sich zehanden viengen unde in den palas giengen, unde si den hern Iwein sahen, benamen si des iahen, si gesæhen nie so schœnen man. da ne luogen si niht an. ouch enwart nie riter anderswa baz enpfangen danner da. si besahen in als ein wunder unde sprachen alle besunder : « wer brahte disen riter her ? ob got wil, ez ist der den min frouwe nemen sol. » in behagte nie riter als wol. alsus fuorten si in enmitten durch die liute hin, unde gesazen beide an einer stat. diu frouwe ir truhsæzzen bat daz er ir rede tæte unde si des alle bæte daz si ez liezzen ane zorn. si het ir disen man erchorn. si sprachen, ez wære ane ir haz unde in geviele nie dehein dinch baz. ein ros daz willeclichen gat, swer daz mit sporn ouch bestat, so get ez deste baz ein teil. si mohten ir willen unde ir heil ir lihte geraten. ich wæne si rehte taten, wan duht ez si alle missetan, si wolde in doch genomen han. Do der truhsæzze getet

[fol. 46v] [Lettrine rouge]

[fol. 47r]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

(2367) Après qu’ils se furent pris par la main et eurent pénétré dans la grand-salle, tous les gens découvrirent Iwein et déclarèrent qu’ils n’avaient jamais vu d’homme aussi beau. Et ceci n’était pas un mensonge. Aucun chevalier ne fut jamais mieux accueilli qu’il ne le fut par eux. Ils le regardaient comme on contemple une merveille, et chacun se disait : « Qui a amené ce chevalier ici ? Si Dieu le veut, c’est lui que ma dame prendra comme époux. » Jamais un chevalier ne leur avait autant plu. Ils le conduisirent parmi l’assemblée jusqu’à un endroit où tous deux s’assirent. La dame pria son sénéchal de parler pour elle et de demander à tous d’accepter son projet sans colère : elle avait choisi cet homme pour époux. Ils rétorquèrent qu’ils n’y voyaient aucune objection et que rien ne leur plaisait davantage. Lorsque l’on éperonne un cheval qui court bien, alors il avance encore mieux. Ils purent facilement donner à leur dame des conseils qui allaient dans le sens de sa volonté et de son bonheur. Je crois qu’ils firent bien, car si ce projet leur avait semblé mauvais, elle l’aurait épousé quand même.

(2399) Alors le sénéchal se fit le porte-parole de sa dame, selon

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IWEIN : TEXTE

siner frouwen rede nach ir bet, unde do si ouch horten sagen, ez chome in viercehn tagen der kunech Artus dar mit her. funde er den brunnen ane wer, so wærer benamen verlorn, wan er het der verte gesworn. unde als in rehte wart geseit des riters geburt unde sin fruomcheit zuo der schone die si sahen, von rehte si des iahen, ez wære fruom unde ere. waz sol diu rede mere ? wan ez was michel fuoge. da waren pfaffen gnuoge, die taten in die e zehant unde gaben im frouwen unde lant. Frou Laudine hiez sin wip. si chunde im lebn unde lip vil wol gelieben mit ir tugent. da was geburt unde iugent, schœne unde richeit. an swen got hat geleit * triuwe unde andern guoten sin, volle tugent, als an in, unde den eins wibes wert, diu niuwan sins willen gert, suln diu mit liebe lange lebn, den hat er freuden vil gegebn. daz was allez wænlich da. hie huop sich diu brutlouft sa. des toten ist vergezzen, der lebende hat besezzen beidiu sin ere unde sin lant. daz was vil wol zim bewant. ezn wart vor des noch sit so volleclich hochzit in dem lande nie mere. da was wunne unde ere, freude unde michel riterschaft,

[fol. 47v] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

le souhait de celle-ci, et tous apprirent que le roi Arthur arriverait dans quinze jours, accompagné de son armée, et que, puisqu’il avait juré d’entreprendre ce voyage, s’il trouvait la fontaine sans défense alors elle serait certainement perdue. Et lorsqu’on leur eut parlé, en termes justes, de la haute naissance du chevalier et de sa bravoure – sans avoir à évoquer sa beauté qu’ils voyaient par eux-mêmes – ils déclarèrent tous de bon droit que ce mariage était utile et honorable. À quoi auraient servi davantage de paroles ? En effet, tout était en ordre. Des gens d’Église étaient présents en nombre qui les marièrent aussitôt et remirent à Iwein la dame et le pays.

(2417) Dame Laudine était désormais sa femme. Grâce à ses qualités, elle savait prendre soin de lui et lui rendre la vie très agréable : elle était de haute naissance, jeune, belle et puissante. Lorsque Dieu fait don à quelqu’un de loyauté et d’autres vertus, comme c’était le cas pour Iwein, ainsi que d’une épouse qui veut toujours la même chose que lui, alors, s’il lui est donné de vivre longtemps et agréablement avec son épouse, Dieu lui fait grâce de très nombreuses joies. Ici toutes ces qualités étaient présentes, je crois. Aussitôt les noces commencèrent : le mort est oublié et celui qui vit s’est emparé de son rang et de son royaume. Jamais dans ce pays il n’y eut fête plus magnifique. Il y avait en abondance tout ce que à quoi on peut aspirer : la joie comme la magnificence, les plaisirs ainsi que de nombreux tournois. Les tournois durèrent jusqu’au moment où le roi Arthur arriva et, fidèle à son serment, se rendit à la fontaine avec son armée. La fontaine avait désormais besoin d’être bien défendue, un lâche n’aurait pas pu être son seigneur. Jamais, hormis ce jour-là, autant de preux chevaliers ne s’y étaient rassemblés en une fois. Monseigneur Key se réjouit alors de trouver un sujet de moquerie et déclara : « Monseigneur Calogreant, où est votre cousin, monseigneur Iwein ? Tout a l’air de se passer comme ce fut le cas l’autre

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IWEIN : TEXTE

unde alles des uberkraft des man zem libe gerte. ir riterschaft diu werte unz daz in daz lant fuor der kunech Artus, als er swuor, zuo dem brunnen mit her. do bedorft er wol guoter wer, im entohte zeherren niht ein zage. ezn chom dar nie in einem tage so manech guot riter als do. nu was der herre Key fro daz er zespotten vant. er sprach : « herre Calogreant, wa ist iuwer neve herre Iwein ? ez schinet noch als ez do schein unde ich wænez iemer schine. sin rede was nach wine, do er iuch hie mit worten rach. ouwi, wie er sluoc unde stach. wære im ein trinchen noch getragen, er het zwelf risen erslagen ! siner manheit der ist vil ! deiswar ob er iuch rechen wil, so sumet er sich. der iuch da richet, daz bin ich ! ich muoz et aber die not bestan, als ich vil diche han getan da ich fur mine friunt stuont. ichn weiz warumbe si ez tuont, ode waz si an in selben rechent, die so vil gesprechent von ir selber getat, so ins niemen nie gestat. ez ist zevehten guot da niemen den widerslac tuot. nu ist er uns entwichen, im selben lasterlichen. er forhte wærer her chomen, wander sichz het an genomen, er muese die not vor bestan.

[fol. 48r]

[fol. 48v]

IWEIN : TRADUCTION

jour et comme ce sera, je le crois, toujours le cas : il parlait sous l’emprise du vin lorsqu’il vous vengeait ici par des paroles. Las, comme il frappait de taille et d’estoc. Encore un gobelet de vin et il aurait tué douze géants ! Que sa bravoure est grande ! En réalité, s’il veut vous venger, alors il se fait attendre. Celui qui vous vengera, c’est moi ! Et je dois donc de nouveau affronter un péril comme je l’ai déjà souvent fait lorsque je suis venu au secours de mes amis. Je ne sais pas pourquoi ils agissent ainsi ni s’ils veulent se nuire à eux-mêmes ceux qui parlent tant de leurs propres exploits que plus personne ne les croit. Il est aisé de combattre lorsqu’il n’y a pas d’adversaire qui réplique. Maintenant il nous fait faux bond, ne causant que sa propre honte. Il craignait, puisqu’il s’était surestimé, de devoir se battre devant nous s’il venait. Je l’en aurais pourtant bien dispensé.

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IWEIN : TEXTE

ich het ins doch vil wol erlan. Ez swachet manech bœse man den biderben swa er iemer chan. ern beget deheine fruomcheit, unde ist im gar ein herceleit swem dehein ere geschiht. nu seht, desn tuon ich niht, wan ich einem iegelichen man siner eren wol gan. ich prise in swa er rehte tuot, unde verswige sin laster, daz ist guot. ez ist reht daz mir gelinge, wan ezn sprichet ze dem dinge niemen minre danne ich. iedoch so furdert er sich, swa sich der bœse selbe lobt, wande niemen gerne fur in tobt, der sine hofscheit prise. der herre Iwein ist niht wise, er mohte swigen als ich. » diu rede duhte si gemlich, daz er sich duhte als guot, wan also falschlichen muot gewan nie riter dehein. do sprach min her Gawein : « wie nu, min her Key ? nu sprechet ir doch, ir sit fri falscher rede, wie schinet daz ? ir erzeiget doch iezuo grozzen haz disem guoten knehte. nu tuot ir im unrehte. ern gedahte iuwer nie wan wol, als ein riter des andern sol. unde daz er her niht chomen ist, daz hat im lihte an dirre frist ein selch unmuozze benomen daz er niht mohte chomen. durch got ir sult die rede lan. » her Key sprach : « daz si getan ! ich wande ich redte wol daran.

[Lettrine bleue]

[fol. 49r]

IWEIN : TRADUCTION

(2481) L’homme vil s’emploie à noircir celui qui est probe à chaque fois que l’occasion se présente. Lui-même ne fait rien de louable et il est fort contrit lorsque la valeur de quelqu’un est reconnue. Eh bien voyez, je n’agis pas ainsi, car j’accorde de bon cœur sa part de gloire à tout homme. Je fais son éloge lorsqu’il se comporte bien et je me tais lorsqu’il agit honteusement : c’est bien ainsi. Il est juste que je réussisse ce que j’entreprends, car personne ne se vante moins de ses exploits que moi. Au contraire, celui qui est vil se met en avant à chaque fois qu’il fait son propre éloge parce que personne n’aime se rendre ridicule pour lui en vantant son comportement courtois. Monseigneur Iwein ne fait pas preuve de sagesse : il devrait se taire comme moi. » Les chevaliers trouvèrent ses paroles plaisantes parce qu’il croyait être si vertueux et qu’en fait jamais aucun chevalier ne fut aussi faux que lui. Alors monseigneur Gawein prononça ces mots : « Quoi donc, monseigneur Key ! Vous dites que vous vous abstenez de tout propos diffamatoire, mais à quoi cela se voit-il ? Vous venez de tenir des paroles pleines de fiel envers ce chevalier et vous vous montrez injuste. Il a toujours dit du bien de vous, comme un chevalier doit le faire lorsqu’il parle d’un autre chevalier. Et s’il n’est pas venu, c’est sans doute qu’en ce moment une autre affaire importante l’aura empêché de se rendre ici. Au nom de Dieu, vous devez cesser de parler ainsi ! » Monseigneur Key répondit : «  Eh bien soit  ! Je croyais avoir dit ce qui est juste. Un homme peut donc tout autant agir bien ou mal puisque personne n’a le droit d’en parler. Plus jamais je n’évoquerai cela si c’est là votre conception de l’honneur. »

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IWEIN : TEXTE

als gerne mac ein man ubel tuon als wol, sit daz ez niemen reden sol. ichn gewehen es niemer mere, nu daz sin iuwer ere. » Der kunech Artus nam in die hant daz beche daz er da hangende vant, unde schuof ez vollez brunnen, unde wolde rehte erchunnen ob daz selbe mære war ode gelogen wære, durch daz er was chomen dar, unde begoz den stein dar. do wart daz weter als groz daz alle die da verdroz die dar chomen waren unde daz si genaren, des heten si verzwifelt nach. do wart dem herren Iwein gach gewafent von der veste, wander sa wol weste, ern werte sinen brunnen, er wuorde im an gewunnen. ouch habte der herre Key also gewafent da bi. der het der ersten tiost gegert, der het in ouch der kunech gewert. nu chom der herre Iwein balde dort uz ienem walde zevelde galopieret, in engels wis gezieret. sinem hercen liebe geschach, do er ienen halden sach der allez guot vercherte, do in got so gerte daz er im solde gelten sin ungefuegez schelten unde sinen tægelichen spot. des lobt er got. ouch sagich iu ein mære.

[fol. 49v]

[Lettrine rouge]

[fol. 50r]

IWEIN : TRADUCTION

(2525) Le roi Arthur prit de sa main le bassin qui était suspendu, le remplit d’eau de la fontaine, car il voulait savoir si l’histoire à cause de laquelle il était venu ici était vraie ou fausse. Ainsi versa-t-il de l’eau sur la pierre. Alors un orage si violent éclata que tous ceux qui étaient là regrettèrent d’être venus et désespérèrent presque d’y survivre. Monseigneur Iwein, tout en armes, quitta alors rapidement le château parce qu’il savait bien que s’il ne protégeait pas sa fontaine on la lui prendrait. Au même moment, Monseigneur Key attendait, lui aussi tout en armes, près de la fontaine. Il avait demandé à pouvoir livrer la première joute et le roi le lui avait accordé. Alors monseigneur Iwein, resplendissant comme un ange, arriva au grand galop, sortant de la forêt et s’engageant dans la plaine. Son cœur fut empli de joie lorsqu’il vit que l’homme qui attendait était celui qui critiquait tout ce qui est bien et qu’il comprit que Dieu lui accordait la faveur de faire payer à Key ses paroles profondément insultantes et ses moqueries incessantes. Pour cela il remercia le Seigneur.

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IWEIN : TEXTE

swie schalchaft Key wære, er was doch vil unerforht. het in sin zunge niht verworht, so gewan der hof nie tiurern helt. daz mugt ir kiesen, ob ir welt, bi sinem ampt des er pflac. sin het anders niht einen tac geruochet der kunech Artus zetruhsæzzen in sinem hus. nu waren si under in beiden des willen ungescheiden. ir ietweder gedahte sere uf des andern ere, ir gelinge wart aber mislich. diu tiost wart guot unde rich, unde der herre Key, swie bose ir wænt daz er si, er verstach sin sper unz an die hant. da mit wart ouch er gesant uz dem satel als ein sac, daz ern weste wa er gelac. do ne wolder im mere tuon dehein unere, wan daz er schimpflichen sprach, do er in vor im ligen sach : « warumbe ligt ir da durch got ? nu waren si doch ie iuwer spot den ane ir schulde misselanc. vielet ir sunder iuwern danc ? michn triege danne min wan, ir habt ez gerne getan, ezn mohte iu anders niht sin geschehn ! ir woldet niuwan gerne sehn welch vallen wære. ez ist iedoch lasterbære ! » Er nam daz ros do erz gewan, unde fuortez fur den kunech dan. er sprach : « diz ros han ich genomen. herre, heizzet ettewen chomen von iuwerm gesinde,

[fol. 50v]

[Lettrine bleue]

[fol. 51r]

IWEIN : TRADUCTION

Pourtant je tiens à vous dire une chose : aussi méchant Key fût-il, il était malgré tout sans peur. Si sa langue ne lui avait pas nui, alors jamais la cour d’Arthur n’aurait eu meilleur chevalier. Vous pouvez constater cela, si vous le souhaitez, à la fonction qu’il exerçait : s’il n’en avait pas été ainsi, jamais le roi Arthur n’aurait supporté qu’il fût, ne serait-ce qu’un jour, sénéchal à sa cour. Désormais Iwein et Key avaient le même but : chacun voulait porter atteinte à l’honneur de l’autre, mais ils n’eurent pas le même succès. La joute fut belle et puissante, et monseigneur Key, même si vous le tenez pour un homme vil, brisa sa lance jusqu’au niveau de sa main. Simultanément il fut désarçonné et projeté à terre comme un sac si bien qu’il ne savait plus où il se trouvait. Monseigneur Iwein ne voulut pas lui infliger davantage de déshonneur et, lorsqu’il le vit étendu ainsi devant lui, se contenta de lancer sur un ton moqueur : « Pour l’amour de Dieu, que faites-vous là par terre ? N’ontils pas toujours fait l’objet de vos moqueries ceux qui, sans avoir commis de faute, échouaient dans leurs entreprises ? Est-ce par mégarde que vous êtes tombé ? Si je ne me trompe pas, vous l’avez fait de manière intentionnelle : sinon cela ne vous serait pas arrivé ! Vous vouliez simplement voir ce que c’était de chuter. Malgré tout, c’est bien honteux ! »

(2595) Il prit le cheval qu’il avait gagné et le mena devant le roi. Il dit : « J’ai gagné ce cheval. Sire, dites à quelqu’un de votre entourage d’en prendre soin. Je ne veux rien qui vous appartienne à

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IWEIN : TEXTE

der sichs underwinde. ichn ger niht iuwer habe, ichn gewinnes iu anders abe. » des gnadet er im vil verre. er sprach : « wer sit ir, herre ? » « ich bin ez Iwein. » « nu durch got. » « herre, ich bin ez sunder spot. » nu sagter im mære wie er worden wære herre da ze lande. siner eren unde Key schande freuten si sich alle do. dochn was da niemen als fro als min herre Gawein, wan ez was ie under in zwein ein geselleschaft ane haz, unde stuont vil verre deste baz ir ietweders wort. noch lac der herre Key dort gar zespotte in allen, wander was gevallen uf den lip vil sere. unde wære ein selch unere an einem biderben man gesehn der im vil manegiu was geschehn, der sich lasters chunde schamen, der het benamen die liute geflohen iemer me. ez tet im an dem libe we ez was im anders sam ein bast, wandez het der schanden last sinen ruoke uberladen. ezn chunde im niht geschaden an sinen freuden also daz er iender unfro gegen einem hare wurde da von, wan er was lasters wol gewon. Sus het der strit ende mit siner missewende unde mit lasterlichem schalle.

[fol. 51v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

moins de le gagner d’une autre façon. » Arthur l’en remercia très chaleureusement. Il lui demanda : « Qui êtes-vous, seigneur ? » « Je suis Iwein. » « Par Dieu, vraiment ? » « Sire, c’est bien moi, je ne plaisante pas. » Puis il lui raconta comment il était devenu le seigneur de ce pays. Alors tous se réjouirent de son succès et de la honte infligée à Key. Cependant personne n’était aussi heureux que monseigneur Gawein, car entre eux deux avait toujours existé un lien d’amitié infaillible si bien que le respect que l’on portait à l’un se voyait accru par celui dont l’autre faisait l’objet. Livré à la risée de tous, monseigneur Key était encore à terre, car la chute lui avait fait fort mal. Et si un déshonneur aussi grand que celui que Key venait de connaître était advenu à un homme de bien, capable d’éprouver un sentiment de honte, alors celui-ci aurait fui la société à tout jamais, cela ne fait aucun doute. Ses membres le faisaient tellement souffrir que le reste lui était totalement indifférent, car c’était son dos qui était accablé par le poids de la honte. Cela ne pouvait pas entamer sa joyeuse assurance au point qu’il en aurait été affligé d’une quelconque manière : en effet, il avait depuis longtemps l’habitude de la honte.

(2637) Ainsi, le combat se termina par sa mésaventure et des cris de moquerie. Les autres n’eurent plus qu’à reconnaître sans réserve qu’Iwein était digne d’être le maître de son pays et de sa

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die andern muosen alle dem hern Iwein wol gunnen sins landes unde des brunnen unde aller siner eren. sine mohtens im gemeren, in was anders niht gedaht. sus het erz umbe si alle braht. nu reit der kunech Artus durch sine bet mit im zehus. da ne irte unstat noch der muot da ne wurde handelunge guot, daz er ane sin lant nie bezzer kurzwile vant. wan dem was et niht gelich unde ist ouch unmugelich daz im uf der erde iemer iht geliches werde. Diu kunegin was des gastes fro, zem hern Iwein sprach si do : « geselle unde herre, ich gnade dir vil verre unsers werden gastes. zware du hastes iemer lon wider mich. » von schulden freute si sich, wan si was unz an die zit niuwan nach wane gehit, * nu was dehein wan daran. alrest liebet ir der man. do ir diu ere geschach daz si der kunech durch in gesach, do het si daz rehte ersehn daz ir wol was geschehn, unde het ouch den brunnen mit manheit gewunnen unde wert ouch den als ein helt. si gedahte : « ich han wol gewelt. » Der gast wirt schiere gewar, ist er niht ein tor gar, wie in der wirt meinet.

[fol. 52r]

[Lettrine bleue]

[fol. 52v] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

fontaine, et de jouir d’une telle renommée. Ils ne pensaient plus qu’aux moyens d’accroître cette renommée. C’est ainsi qu’Iwein avait gagné leur estime. À la demande d’Iwein, le roi Arthur se mit en route pour son château. Là, rien ne faisait défaut pour l’accueillir, ni les moyens ni la bonne volonté, si bien qu’il ne trouva jamais séjour plus agréable en dehors de son royaume. En effet, rien n’égalait la cour d’Arthur et il est bien sûr impossible qu’un endroit sur terre lui soit jamais comparable.

(2657) La reine était heureuse d’accueillir cet invité, et elle dit à monseigneur Iwein : « Cher époux et seigneur, je te suis très reconnaissante pour cet hôte si noble. Tu pourras à jamais être sûr de ma gratitude. » Il était juste qu’elle se réjouisse, car jusqu’à ce moment elle avait seulement supposé avoir fait un bon mariage, maintenant elle n’en doutait plus. Ce n’est qu’alors qu’elle prit son mari en affection. Lorsqu’elle vit que l’honneur que lui faisait le roi Arthur était dû à Iwein, elle comprit qu’elle avait de la chance, qu’Iwein avait gagné la fontaine grâce à sa bravoure et qu’il l’avait ensuite défendue héroïquement. Elle pensa : « J’ai fait le bon choix. »

(2677) L’invité remarque vite, s’il n’est pas complètement idiot, en quelle estime le tient son hôte. Car si celui-ci n’apprécie pas sa présence, il le lui fait sentir par toutes sortes de propos et gestes désobligeants. Si par contre quelqu’un est hébergé par

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IWEIN : TEXTE

wander im bescheinet etteliche swære, ist er im unmære. unde geherberget ein man da ims der wirt wol gan, dem zimt deste baz sin schimpf unde sin maz. ouch enwirt diu wirtschaft niemer guot ane willigen muot. nu vant der kunech Artus werch unde willen da zehus. unde min her Gawein, an dem niht des enschein ezn wære hofsch unde guot, der erzeicte hie getriuwen muot dem hern Iwein sinem gesellen. als ouch die liute wellen, ezn habe deheiniu grozzer kraft danne unsippiu geselleschaft, gerate si ze guote. unde si sin in ir muote getriuwe under in beiden, so sich gebruoder scheiden. sus was ez under in zwein. der wirt unde her Gawein waren ein ander liep gnuoc, so daz ir ietweder truoc des andern liep unde leit. hie erzeigte sine hofscheit her Gawein der bescheiden man, unde ich iu sage war an. Diu iunchfrouwe hiez Lunet, diu so bescheidenlichen tet daz si so grozzer herte den herren Iweinen nerte mit ir vil grozzen witzen. zuo der gienc er sitzen unde gnadet ir vil sere, daz si so manige ere dem hern Iweine sinem gesellen bot.

[fol. 53r]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

un hôte qui est bien disposé envers lui, il profitera d’autant mieux de sa conversation et des mets qu’on lui servira. En effet, ces mets sont toujours insipides sans la bonne volonté de celui qui les sert. Dans ce château, le roi Arthur trouva à la fois des mets raffinés et l’hospitalité. Monseigneur Gawein, qu’on n’avait jamais vu agir d’une façon qui ne fût pas courtoise et louable, fit montre de sa loyale amitié envers son compagnon Iwein. Et comme les gens ont pour coutume de dire : aucune amitié, du moment qu’elle prend bonne tournure, n’est plus forte que celle qui existe entre compagnons qui ne sont pas parents. Dès lors, ils demeurent profondément fidèles l’un envers l’autre là où deux frères se sépareraient. Il en allait ainsi entre eux deux : le châtelain et monseigneur Gawein s’aimaient tellement que chacun portait les joies et les souffrances de l’autre. C’est à cette occasion que monseigneur Gawein, cet homme sage, fit preuve de grande courtoisie, et je vais vous expliquer comment.

(2711) Elle s’appelait Lunete cette demoiselle qui avait agi avec tant de circonspection et qui, grâce à son intelligence malicieuse, avait sauvé monseigneur Iwein d’un bien grand péril. Il alla s’asseoir auprès d’elle et la remercia très chaleureusement d’avoir tant fait pour son compagnon Iwein. Car s’il avait surmonté sans dommage tant de dangers et s’il était seigneur de ce pays, c’était grâce à elle. C’est pourquoi il la remercia pour son aide, parce qu’il est bon, sans aucun doute, d’être reconnaissant envers celui qui, de bon cœur, agit bien afin que le découragement ne le saisisse pas,

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IWEIN : TEXTE

wan daz er mislicher not ane kuomber genas unde da zelande herre was, daz ergienc von ir schulden. des gnadet er ir hulden, wan zware ez ist guot, swer gerne fruomclichen tuot, daz mans dem gnade sage, daz er daran iht verzage, wan da gehœret doch arbeit zuo. unde swer ouch danches missetuo, daz man dem erbolgen si, der ziuhet sich ouch lihte da bi. Der her Gawein sprach : « min frou Lunet, iuwer rat unde iuwer bet hat mir vil liebes getan an dem besten friunde den ich han. er hat mirz allez wol geseit, wie im iuwer hofscheit dise ere hat gefueget, der in durch reht gnueget. er hat von iu ein schone wip ein richez lant unde den lip unde swes ein man zerwerlde gert. wærich biderbe unde so wert daz min geret wære ein wip, ichn han niht liebers danne den lip, den gæbe ich iu zelone umbe mins gesellen chrone, die er von iuwern schulden treit. » hie wart mit stæter sicherheit ein geselleschaft under in zwein. frou Laudine unde her Iwein die buoten in ir huse dem kunige Artuse selhe ere diu in allen wol muose gevallen. Do si da siben naht gebiten, do was ouch zit daz si riten. do si urloup nemen wolden,

[fol. 53v]

[Lettrine rouge]

[fol. 54r] [Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

car un tel comportement implique bien des efforts. Mais il faut blâmer celui qui agit mal intentionnellement, car peut-être qu’ainsi il s’amendera.

(2733) Monseigneur Gawein déclara : « Ma dame Lunete, votre aide et votre intercession m’on fait grand plaisir pour le meilleur ami que j’aie. Il m’a raconté précisément comment votre conduite courtoise lui a procuré cette haute position dont il se réjouit à juste titre. Grâce à vous, il a une belle femme, un pays puissant et la vie sauve, ainsi que tout ce qu’on peut souhaiter sur terre. Si j’étais aussi preux et digne qu’une dame s’en trouverait honorée, alors je vous donnerais ma vie – je n’ai rien de mieux – pour vous récompenser de la couronne que mon compagnon porte grâce à vous. » Ainsi tous deux conclurent une amitié solide. Ma dame Laudine et monseigneur Iwein firent preuve de tant d’égards envers le roi Arthur dans leur château qu’ils reçurent l’approbation de tous.

(2757) Après qu’ils eurent passé là sept nuits, arriva le temps de partir. Lorsque ceux qui devaient se mettre en route firent leurs adieux, monseigneur Gawein, cet homme loyal, conduisit Iwein à l’écart des autres gens.

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IWEIN : TEXTE

die da riten solden, der herre Gawein der getriuwe man fuorte den hern Iweinen dan von den liuten sunder. er sprach : « ezn ist niht wunder umbe einen sæligen man der darnach gewerben chan unde dem fruomcheit ist beschert, ob dem vil eren widervert. doch ringet darnach allen tac manech man so er meiste mac, dem doch dehein ere geschiht. dern hat der sælden niht. nu ist iuwer arbeit sæleclichen an geleit. iu hat erworben iuwer hant ein schone wip unde ein lant. sit iu nu wol geschehn si, so bewart daz da bi daz iuch iht gehœne iwers wibes schœne. geselle, behuet daz en zit daz ir iht in ir schulden sit die des werdent gezigen daz si sich durch ir wip verligen. chert ez niht allez an gemach als dem herren Ereke geschach, der sich ouch so manigen tac durch frouwen Eniten verlac. wan daz er sich erholde sit als ein riter solde, so wære verwazen sin ere. der minnete zesere. Ir habt des iuch gnuegen sol. darunder lere ich iuch wol iuwer ere bewarn. ir sult mit uns von hinnen varn ! wir suln tuornieren als e. mir tuot anders iemer we daz ich iuwer kunde han,

[fol. 54v]

[Lettrine rouge et bleue]

IWEIN : TRADUCTION

Il lui dit : « Il n’est pas étonnant que lorsqu’un homme béni par la félicité et doué de prouesse aspire à davantage d’honneur, il accroisse effectivement sa renommée. Cependant il en est qui chaque jour y aspirent autant qu’ils le peuvent et n’acquièrent pourtant aucun renom : ceux-ci ne jouissent d’aucune félicité. Mais vos efforts ont été couronnés de succès : à la force de votre bras, vous avez conquis une belle femme et un pays. Puisque les choses ont tourné à votre avantage, prenez garde à ce que la beauté de votre épouse ne soit pas la cause de votre déshonneur. Compagnon, faites en sorte dès maintenant de ne pas commettre la même faute que ceux à qui l’on reproche d’être devenus paresseux à cause de leur épouse. Ne succombez pas à une vie de confort comme le fit le seigneur Erec qui devint paresseux à cause de dame Enite. S’il ne s’était pas ressaisi comme cela convient à un chevalier, alors il aurait perdu son honneur. Il aimait trop.

(2793) Vous possédez tout ce dont vous avez besoin. Pourtant je vais vous enseigner comment conserver votre honneur : vous devez partir avec nous ! Nous irons tournoyer comme jadis. Sinon, si votre esprit chevaleresque devait se tarir, je regretterai toute ma vie de vous avoir connu. Maint chevalier se justifie ainsi : il dit que c’est la coutume chez lui et que, depuis qu’il est marié, il ne participe plus à aucun tournoi et ne fait plus preuve d’aucune libéralité. Il dit qu’il doit se consacrer à la gestion de

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IWEIN : TEXTE

sol iuwer riterschaft zergan. maniger beschermet sich da mite, er giht ez si huses site, ist er eliche gehit, daz er danne fur die zit sul weder riten noch gebn. er giht er sul dem huse lebn. er geloubet sich der beider freuden unde cleider die nach riterlichen siten. sint gestalt unde gesniten. unde swaz er warmes an leit, daz gibt er ez sin wirtes cleit. * er treit den lip sware, mit strubendem hare, barschenchel unde barfuoz. unde daz ist ie der ander gruoz den er sinem gaste git. er sprichet : “sit der zit daz ich erste hus gewan, daz geloubet mir lutzel ieman, so ne wart ich nie zware des uber ze halbem iare ichn muese kouffen daz chorn. hiur bin ich gar verlorn, mich muet daz ichz iu muoz sagen, mir hat der schur erslagen den besten bu den ich han. ich furhte ich muezze daz hus lan. etwie ernert ich den lip, wan daz ich sorge umbe min wip. die neweiz ich war ich tuo. da hœret groz sorge zuo, swer daz hus haben sol. ia ne mac niemen wizzen wol waz ez muoz chosten. ich wære wol enbrosten der werlde an andern dingen, moht ich dem huse geringen.” us beginnet er truren unde clagen

S

[fol. 55r]

[fol. 55v]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

son château. Il renonce à la fois aux plaisirs et aux habits qui par leur matière et leur coupe conviennent à un chevalier. Et lorsqu’il revêt un vêtement chaud, il dit qu’il s’agit de son habit de châtelain. Il se donne l’air accablé, a les cheveux hirsutes, les jambes et les pieds nus. Et les seules paroles par lesquelles il accueille un invité, après l’avoir salué, sont toujours les suivantes : “Depuis que je suis à la tête de ce château – personne ne veut me croire – je n’ai pas d’autre choix que d’acheter du blé tous les six mois. Cette année, je suis complètement ruiné – il me pèse de devoir vous le dire : la grêle a détruit le meilleur champ que je possède. Je crains de devoir bientôt abandonner mon château. Je parviendrais encore bien à me nourrir si je ne devais pas me soucier de ma femme : je ne sais pas ce que je dois faire d’elle. Il a de bien grands soucis celui qui doit gérer une seigneurie : personne ne peut véritablement comprendre tout ce que cela coûte. Je pourrais satisfaire aux exigences de la société si je venais à bout des dépenses domestiques.”

(2839) C’est ainsi qu’il commence à geindre et à raconter à son invité toutes sortes de choses si navrantes que celui-ci préférerait

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IWEIN : TEXTE

unde sinem gaste sagen so manech armez mære daz im lieber wære, wærer nie chomen dar. der wirt hat war, unde doch nicht gar. daz hus muoz chosten harte vil. der ere zerehte haben wil, der muoz deste ofter heime sin. so tuo ouch underwilen schin ob er noch riters muot habe, unde entuo sich des niht abe ern si der riterschefte bi diu im zesuochen si. ich rede als ichz erchennen chan. nu durch wen mohte ein biderbe man gerner wirden sinen lip danne durch sin biderbez wip ? hat er sich eren verzigen unde wil sich bi ir verligen, unde giht des danne, gelich einem bœsen manne, daz erz ir ze liebe tuo, da geziehe si niemer zuo, wan ir ist von hercen leit sin unwirde unde sin verlegenheit. swie rehte liep er ir si, si muet, ist er ir ze ofte bi. manigiu ziuhet sich daz an, durch die forhte des man, daz si es niht verdriezze. swaz ab ers geniezze daz er sich bi ir verlit, daz habe er eine ane nit. iu hat verdient iuwer hant eine kunegin unde ein richez lant. sult ir nu da verderben bi, so wæne ich daz noch richer si ane huobe ein werder man. herre Iwein, da gedenchet an, unde vart mit uns von hinnen,

[fol. 56r]

IWEIN : TRADUCTION

n’être jamais venu là. Le châtelain dit vrai, et pourtant pas tout à fait : la vie au château coûte fort cher. Celui qui veut tenir cour de manière honorable doit être d’autant plus souvent chez lui. Mais parfois il doit montrer qu’il a encore l’esprit chevaleresque et ne doit pas renoncer à participer aux tournois qu’il doit fréquenter. Je parle comme je l’entends. Et pour qui un homme preux pourrait-il mieux accroître sa renommée que pour sa vertueuse épouse ? Même s’il a renoncé à l’honneur et mène une existence casanière auprès d’elle pour ensuite affirmer, tel un homme vil, qu’il agit ainsi par amour pour elle, il ne devrait jamais la prendre pour prétexte, car son déshonneur et sa paresse accablent profondément son épouse. Quel que soit l’amour qu’elle lui porte, elle s’inquiète lorsqu’il est trop souvent auprès d’elle. Par peur de son mari, plus d’une fait comme si cela ne la contrariait pas. Mais tous les avantages qu’il tire de ce repos auquel il s’adonne auprès d’elle, je les lui laisse bien volontiers. Par votre bras, vous avez acquis une reine et un pays riche ; mais si vous deviez maintenant déchoir, alors je crois qu’un homme noble sans terre sera plus riche que vous. Monseigneur Iwein, songez-y et venez avec nous. Obtenez de la reine, en toute amitié, la permission de vous absenter jusqu’à une date qui soit raisonnable et confiez-lui vos gens et votre pays. Une femme dont on a reconnu la ferme constance n’a pas besoin d’une autre surveillance que celle qu’exerce son propre sens de l’honneur. On doit exercer une surveillance envers les femmes volages et les demoiselles qui sont si naïves que les conseils d’une vieille femme peuvent les amener à mal se comporter.

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IWEIN : TEXTE

unde gewinnet mit minnen der kunegin ein urloup abe zeinem tage der fuoge habe, unde bevelhet ir liute unde lant. ein wip die man hat erchant in also stætem muote, diu bedarf niht mere huote niuwan ir selber eren. man sol die huote cheren an irriu wip unde an chint, diu so einfaltech sint daz si eins alten wibes rat bringen mac ze missetat. Ir habt also gelebt her daz ichs an iu niht wandel ger, nach eren als ein guot kneht. nu habt ir des erst reht daz sich iuwer ere breite unde mere. e irte iuch etswa daz guot michels harter danne der muot, nu mugt ir mit dem guote vol ziehen dem muote. nu sit biderbe unde wol gemuot, so wirt diu riterschaft noch guot in manigen landen von uns zwein. des volget mir, herre Iwein ! » Nu versuocht er zehant an die frouwen daz er vant, wan do sin bet was getan, do ne het si des deheinen wan daz er si ihtes bæte wan daz si gerne tæte. daz gewern gerou si da zestat, do er si urloubes bat daz er tuornieren muese varn. si sprach : « diz soldich e bewarn. » do ne mohte sis niht widerchomen. sus wart da urloup genomen zeinem ganzen iare.

[fol. 56v]

[Lettrine rouge et bleue]

[Lettrine bleue]

[fol. 57r]

IWEIN : TRADUCTION

(2893) Vous avez vécu jusqu’à maintenant d’une façon telle que je ne souhaite pas que vous changiez : vous songiez à votre honneur comme un preux chevalier. Désormais votre devoir est d’accroître et d’amplifier cet honneur. Avant, les biens vous faisaient défaut bien plus que l’esprit chevaleresque. Maintenant vous pouvez, grâce à vos moyens, accomplir ce que vous dicte votre volonté. Soyez preux et plein de vigueur, et ainsi, dans bien des pays, les tournois connaîtront un nouvel éclat grâce à nous deux. Pour cette raison, monseigneur Iwein, suivez-moi ! »

(2907) Alors Iwein s’adressa aussitôt à sa dame et obtint satisfaction, car lorsqu’il formula sa prière elle ne se doutait pas du tout qu’il pouvait lui demander quelque chose qui ne lui fît pas plaisir. Dès qu’il lui demanda la permission de partir tournoyer, elle regretta d’avoir donné son consentement. Elle déclara : « J’aurais dû me prévenir de cela auparavant. » Dès lors, elle ne pouvait plus revenir en arrière. Ainsi, ils prirent congé l’un de l’autre pour une année entière. Par ailleurs, elle jura expressément que si jamais il s’absentait plus longtemps, il serait à tout jamais l’objet de sa haine. Quant à lui, il jura, poussé par l’amour, qu’une seule année, cela lui paraissait déjà être trop long et qu’il ne dépasserait pas ce délai, ajoutant qu’il rentrera plus tôt s’il le peut, à moins qu’un cas de

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IWEIN : TEXTE

ouch swuor si des, zware, beliber iht furbaz, ez wære iemer ir haz. ouch swuor er, des in diu liebe twanc, in duhte daz eine iar zelanc, unde ern sumde sich niht me, er chome wider, mohter, e, esn wande in ehaftiu not, siechtuom, vancnusse ode der tot. Si sprach : « iu ist daz wol erchant daz unser ere unde unser lant vil gar uf der wage lit, irn chuomt uns wider enzit, daz uns daz wol geschaden mac. hiute ist der ahte tac nach suonwenden, der sol die iarzal enden. so chuomt benamen ode e, ode ichn warte iu niht me. unde lat diz vingerlin einen geziuc der rede sin. ichn wart nie manne me so holt dem ich daz selbe golt wolde lihen ode gebn. er muoz wol deste baz lebn, der ez treit unde an siht. herre Iwein, verlieset ez niht. sins steines kraft diu ist guot. er git geluoche unde senften muot. er ist sælech der in treit. » nu was der kunech Artus gereit, der schiet mit urloube dan. nu reit diu frouwe mit ir man wol dri mile ode me. daz scheiden tet ir hercen we, als wol an ir gebærden schein. daz senen bedahte her Iwein als er do beste chunde. mit lachendem munde truobten im diu ougen.

[fol. 57v]

IWEIN : TRADUCTION

force majeure ne l’en empêche, comme la maladie, la captivité ou la mort.

(2929) Elle répondit : « Vous avez bien conscience que notre honneur et notre pays sont entièrement en jeu : si vous ne rentrez pas à temps, cela peut nous causer de bien grands préjudices. Nous sommes aujourd’hui le huitième jour après le solstice d’été, le délai d’un an expirera à la même date. Soyez donc ponctuel ou rentrez plus tôt, sinon je ne vous attendrai plus. Et prenez cet anneau comme gage de notre accord : je n’ai jamais aimé un homme au point de lui prêter ou de lui offrir ce bijou en or. Celui qui le possède ou qui le regarde s’en portera d’autant mieux. Monseigneur Iwein, ne le perdez pas. Cette pierre a une propriété particulière : elle porte chance et rend l’esprit serein. Celui qui la porte est béni par la félicité. » Le roi Arthur était alors prêt au départ et prit congé. Alors la dame accompagna son mari pendant trois bons miles ou même davantage. La séparation leur brisa le cœur, cela se vit à leur attitude. Monseigneur Iwein masqua sa peine du mieux qu’il put : alors que sa bouche riait, ses yeux étaient humides. Ceci n’est nullement un mensonge  : il aurait véritablement pleuré s’il n’avait eu honte. Le roi Arthur retourna en son pays et la dame rentra chez elle.

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der rede ist unlougen, ern het geweint benamen, wan daz er sich muese schamen. ze lande fuor der kunech Artus, diu frouwe wider zehus. Do fragte mich frou minne des ich von minem sinne niht gantwuorten chan. si sprach : « sage an, Hartman, gihestu daz der kunech Artus den hern Iweinen fuorte zehus unde liezze sin wip wider varn ? » do ne kunde ich mich niht baz bewarn, wan ich sagt irz fur die warheit. ez was ouch mir fur war geseit. si sprach unde sach mich twerhes an : « du ne hast niht war, Hartman. » « frouwe, ich han. » si sprach : « nein. » der strit was lanc under uns zwein, unz si mich brahte uf die vart daz ich ir nach iehnde wart. er fuorte daz wip unde den man, unde volget im doch dewederz dan, als ich iu nu bescheide. si wehselten beide der herzen under in zwein, diu frouwe unde her Iwein. im volget ir herze unde sin lip, unde beleip sin herce unde daz wip. Do sprach ich : « min frou minne, nu dunchet mine sinne daz min her Iwein si verlorn, sit er sin herce hat verchorn, wan daz gap im ellen unde kraft. waz touc er nu ze riterschaft ? er muoz verzagen als ein wip, sit wibes herze hat sin lip. unde si mannes herce hat, so uebet si manliche tat unde solde wol tuornieren varn

[fol. 58r]

[fol. 58v] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(2965) Alors Amour me posa une question à laquelle je ne peux répondre en usant de mon seul entendement. Il me demanda : «  Dis-moi Hartmann, affirmes-tu que le roi Arthur a emmené monseigneur Iwein à sa cour et qu’il a laissé la femme de celui-ci repartir chez elle ? » Alors je ne pus rien faire d’autre que lui confirmer la véracité de ces propos : c’était en effet ce que l’on m’avait affirmé être vrai. Il dit en me regardant de travers : « Tu ne dis pas la vérité, Hartmann. » « Mais si, bien sûr. » « Non. », insista-t-il. La dispute se prolongea entre nous jusqu’au moment où il m’amena à lui donner raison. Arthur emmena avec lui la femme et le mari, et pourtant aucun des deux ne le suivit, comme je vais vous l’expliquer maintenant  : monseigneur Iwein et sa dame firent l’échange de leurs cœurs. Le corps d’Iwein et le cœur de Laudine suivirent Arthur, tandis que restèrent en arrière la femme et le cœur de son mari.

(2989) Je dis alors : « Amour, il me semble que monseigneur Iwein est perdu puisqu’il a renoncé à son cœur : c’est en lui qu’il puisait son courage et sa force. En quoi peut-il être encore utile à la chevalerie ? Il connaîtra la peur comme une femme puisqu’il a un cœur de femme. Quant à elle, elle accomplira des actes dignes d’un homme et devra participer à des tournois, tandis qu’il restera chez eux à surveiller le château. Je regrette infiniment qu’ils aient, par cet échange, inversé ainsi leurs façons d’être, car désormais il n’est plus possible de les aider. » Alors, Amour me reprocha d’être un insensé. Il répliqua :

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unde er da heime daz hus bewarn. mir ist zware starche leit daz sich ir beider gewonheit mit wehsel so verchert hat, wan nu ne wirt ir deweders rat. » do zech mich frou minne, ich wære krancher sinne. si sprach : « tuo zuo den munt ! dir ist diu beste fuore unchunt, dichn geruorte nie min meisterschaft. ich bin ez minne unde gibe die kraft daz ofte man unde wip habent herzelosen lip unde hant ir kraft doch deste baz. » Do ne getorst ich fragen furbaz. wan swa wip unde man ane herce lebn chan, daz wunder daz gesach ich nie. doch ergienc ez nach ir rede hie. ichn weiz ir zweier wehsels niht, wan als diu aventiure giht, so was her Iwein ane strit ein degen davor unde baz sit. Der herre Gawein sin geselle der wart sin ungevelle. durch not bescheide ich iu wa von, wan diu werlt ist des ungewon, swer fruomen gesellen chiese, daz er daran verliese. zware geschach ez e nie, ez ergie do, unde sagiu wie. her Gawein was der hofschste man der riters namen ie gewan. engalt er sin daz was im leit, wan er alle sin arbeit im zedienste cherte, wie er im sinen pris gemerte. swa si tuornierens pflagen, des si niht verlagen, da muose selch riterschaft geschehn

[fol. 59r] [Lettrine bleue]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

« Tais-toi ! Tu ne connais pas le plus haut degré de l’existence : tu n’as encore jamais été touché par ma puissance. Je suis Amour et je confère une telle force que souvent les hommes et les femmes se retrouvent sans cœur et ont pourtant d’autant plus de force. »

(3014) Je n’osai poser davantage de questions : que des hommes et des femmes puissent vivre sans cœur, c’est une merveille que je n’ai encore jamais vue. Mais, selon ses dires, ici cela s’est produit ainsi. Je ne sais certes rien au sujet de cet échange des cœurs ; je sais uniquement, comme le dit ma source, qu’Iwein était sans conteste un héros avant et le sera encore davantage après.

(3023) Monseigneur Gawein, son compagnon, fut la cause de son malheur. Il me faut vous expliquer pourquoi, car nous ne sommes pas habitués à ce que quelqu’un qui choisit un compagnon de valeur en pâtisse. En effet, cela ne s’était jamais produit, mais cela arriva cette fois et je vais vous dire comment. Monseigneur Gawein était l’homme le plus courtois qui méritât jamais le nom de chevalier. Si Iwein a subi des dommages à cause de lui, Gawein le regretta, car il consacra tous ses efforts à lui être utile afin d’accroître la renommée de son ami. Partout où ils tournoyaient, afin de ne pas s’adonner à la paresse, ils accomplissaient toujours de tels exploits chevaleresques que ce spectacle aurait été digne d’être vu par Dieu. Là, Gawein aida Iwein autant qu’il le put et de façon si constante que la plupart du temps Iwein était reconnu comme le meilleur, jusqu’à ce qu’il laissât trop de jours s’écouler. Pris par les plaisirs des tournois, il ne vit pas passer le temps. On raconte que monseigneur Gawein, en se montrant très préve-

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IWEIN : TEXTE

die got mit eren mohte sehn. da furdert er in in allen wis unde also gar daz im der pris aller oftest beleip, unz er der tage zevil vertreip. im gie diu zit mit freuden hin. man sagt daz min her Gawein in mit guoter handelunge behabte unde betwunge unz er der iarzal vergaz unde sin gelubde versaz, unz daz ander iar an vienc unde vaste in den ougest gienc. do waren si beide mit freuden sunder leide von einem tuornei chomen unde het her Iwein da genomen den pris ze beiden siten. nu was mit hochziten ir herre der kunech Artus ze Karidol in sinem hus. da sluogen si uf ir gecelt fur die burch an daz velt. unde lagen da durch ir gemach, unz si der kunech da gesach unde sine besten alle mit frolichem schalle, wande im was chomen mære wie in gelungen wære. er sagte in gnade unde danc, daz in als ofte wol gelanc. swer gerne fruomclichen tuot, der dem gnadet, daz ist guot. in gezimt der arbeit deste baz. swaz man worten hie gesaz, diu rede was niuwan von in zwein. nu chom min her Iwein in einen seneden gedanc. er gedahte, daz tweln wære zelanc, daz er von sinem wibe tet.

[fol. 59v]

[fol. 60r]

IWEIN : TRADUCTION

nant, le retint auprès de lui et le retarda jusqu’à ce qu’il oubliât le délai d’un an et négligeât la parole qu’il avait donnée, si bien que la seconde année commença et que le mois d’août était déjà bien avancé. Tous deux étaient alors rentrés d’un tournoi, heureux et le cœur léger, car monseigneur Iwein avait été reconnu par les deux camps comme le meilleur d’entre eux. Au même moment, leur suzerain, le roi Arthur, se trouvait en son château de Karidol et y tenait une fête. Ils dressèrent leurs pavillons devant le château, en plein champ. C’est là qu’ils se reposaient lorsque le roi Arthur, accompagné des meilleurs chevaliers, vint leur rendre visite dans la liesse générale, car il avait entendu parler des exploits qu’ils avaient accomplis. Il les félicita et les remercia pour s’être si souvent distingués. Il est bon que l’on soit reconnaissant envers ceux qui se comportent bravement : cela leur rend leurs efforts d’autant plus supportables. Toutes les paroles prononcées par ceux qui étaient réunis là ne tournaient qu’autour de Gawein et Iwein.

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IWEIN : TEXTE

ir gebot unde ir bet diu het er ubergangen. sin herce wart bevangen mit senlicher triuwe. in ergreif ein selch riuwe daz er sin selbes vergaz unde allez swigende saz. er uberhorte unde ubersach swaz man da tet ode sprach, als er ein tore wære. ouch nahten im bosiu mære. im wissagt sin muot, als er mir selbem ofte tuot. ich siufte, so ich fro bin, minen kunftigen ungewin. alsus nahte im sin leit. nu seht wa dort her reit sins wibes bot, frou Lunet, von der rate unde von der bet daz von erste was chomen, daz si in het genomen. si gahte uber ienez velt unde erbeizte fur diu gezelt. als schiere si den kunech sach, do chom si fur in unde sprach : « Kunech Artus, mich hat gesant min frouwe her in iuwer lant, unde daz gebot si mir daz ich iuch gruozte von ir, unde iuwer gesellen uber al, wan einen, der ist uz der zal. der sol iu sin unmære als ein verratære. daz ist hie der herre Iwein, der niender in den siten schein, do ich in von erst sach, daz untriuwe ode ungemach iemen von im geschæhe dem er triuwen veriæhe. siniu wort diu sint guot,

[fol. 60v]

[Lettrine bleue]

[fol. 61r]

IWEIN : TRADUCTION

Soudain monseigneur Iwein fut pris de langueur amoureuse : il lui vint à l’esprit que le congé qu’il avait pris de sa femme avait duré trop longtemps. Il avait négligé ce qu’elle lui avait enjoint de faire. Son cœur fut saisi d’un sentiment amoureux sincère : un tel remords s’empara de lui qu’il en oublia sa propre existence et demeura assis là, interdit. Il ne prêtait aucune attention à tout ce que l’on faisait et disait autour de lui, comme s’il avait perdu la raison. En effet, de mauvaises nouvelles se rapprochaient et il le pressentait en son for intérieur. Cela m’arrive souvent également : alors que je suis gai, je soupire en songeant à mon infortune à venir. De la même façon, son malheur s’approchait de lui. Car voyez, au loin arrivait à cheval la messagère de sa femme, dame Lunete : c’est uniquement sur les conseils et les prières de celle-ci que Laudine l’avait pris pour époux. Elle chevauchait à toute allure à travers le champ et mit pied à terre devant les deux pavillons. Dès qu’elle aperçut le roi, elle s’avança vers lui et déclara :

(3105) « Roi Arthur, ma dame m’a envoyée dans votre pays et m’a ordonné de vous saluer en son nom ainsi que tous vos compagnons à l’exception d’un seul qui est exclu de ce salut : il doit vous être aussi odieux qu’un félon. Il s’agit de monseigneur Iwein, ici présent. La première fois que je le vis, il ne semblait pas capable d’être déloyal et de causer de la peine à quelqu’un à qui il a juré fidélité. Il tient de belles paroles, mais son cœur est tout autre. Il est évident, par Dieu, que ma dame est une femme et ne peut, à ce titre, se venger. En effet, s’il avait craint une riposte, il se serait abstenu de lui infliger pareille honte. Le dommage qu’il lui avait fait subir en tuant son mari ne lui sembla pas suffisant et il lui imposa davantage de peine en la privant de sa vie et de son honneur.

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IWEIN : TEXTE

von den scheidet sich sin muot. ez schinet wol, wizzechrist, daz min frouwe ein wip ist, unde daz si sich gerechen niene mac. unde forhter den widerslac, so heter sis vil gar erlan daz er ir lasters hat getan. in duhte des schaden niht gnuoc daz er ir den man sluoc, ern tæte ir leides mere unde benæme ir lip unde ere. Herre Iwein, sit min frouwe ir iugent, ir schone, ir richeit unde ir tugent, niht wider iuch geniezzen chan, wan gedaht ir doch daran waz ich iu gedient han unde het si min genozzen lan ? zewelhen staten ich iu quam, do ich iuch von dem tode nam ? ez wære umbe iuch ergangen, het ichz niht undervangen. daz ichz ie undervienc, daz iuwer ende niht ergienc, des wil ich iemer riuwech sin, wan diu schulde ist elliu min, wan daz ichz durch triuwe tet. ez fuocte min rat unde min bet daz si leit unde ungemach verchos der ir von iu geschach, wandich het ir zevil geseit von iuwer frumcheit, unz daz si iu mit frier hant gap ir lip unde ir lant, daz ir daz soldet bewarn. nu habt ir so mit ir gevarn daz sich wider die man dehein wip zewol behueten chan. deiswar uns was mit iu zegach. dane stuende bezzer lon nach danne der uns von iu geschiht,

[Lettrine rouge]

[fol. 61v]

IWEIN : TRADUCTION

(3131) Monseigneur Iwein, quand bien même vous ne souhaiteriez plus jouir de la jeunesse de ma dame, de sa beauté, de sa puissance et de sa vertu, pourquoi n’avez-vous pas songé aux services que je vous ai rendus et ne m’avez-vous pas récompensée en retour ? Que n’avez-vous songé à l’aide que je vous ai apportée lorsque je vous ai arraché à la mort ? C’en était fini de vous si je n’étais pas intervenue. Je regretterai toute ma vie d’avoir alors empêché que l’on vous tuât. Car c’est moi qui suis entièrement coupable, toutefois j’ai agi par loyauté. C’est à cause de mes conseils et de mes prières qu’elle a fermé les yeux sur les souffrances et le malheur que vous lui avez infligés. En effet, je lui avais bien trop parlé de votre vaillance si bien que, de son plein gré, elle vous confia sa propre personne et son pays afin que vous le défendiez. Alors vous avez agi ainsi envers elle, profitant qu’aucune femme ne peut se protéger efficacement contre les hommes. Vraiment, en ce qui vous concerne nous nous sommes trop hâtées. Nous aurions mérité une autre récompense que celle que vous nous avez réservée, et vous nous aviez promis autre chose. Ma dame saura bien s’en remettre, cette situation n’en demeure pas moins honteuse, c’est vrai, et bien peu digne d’éloge. Elle est trop noble et trop puissante pour que vous la traitiez comme une simple concubine, même si vous reconnaissiez maintenant à quelle loyauté un chevalier est tenu. Une telle loyauté vous est étrangère, mais vous déplairez d’autant plus à tous ceux qui ont en estime la loyauté et l’honneur et qui savent bien qu’il ne peut y avoir d’homme valeureux sans loyauté. Je déclare aux seigneurs qui sont présents qu’ils doivent vous tenir désormais pour un homme déloyal. Et puisque vous avez

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IWEIN : TEXTE

ouch gehiezzet ir uns sin niht. miner frouwen wirt wol rat, wan daz ez lasterliche stat deiswar unde ist unloblich. si ist iu zeedel unde zerich daz ir si chebsen soldet, ob ir erchennen woldet waz riters triuwe wære. nu ist iu triuwe unmære. doch sult ir in allen deste wirs gevallen die triuwe unde ere minnent unde sich des versinnent daz niemer ein wol fruom man ane triuwe werden chan. nu tuon ich disen herren chunt daz si iuch haben fur dise stunt fur einen triuwelosen man, da ir wurdet, da was ich an ensamt meineide unde triuwelos beide. ouch mac der kunech sich iemer schamen, hat er iuch mer in riters namen, so liep im triuwe unde ere ist. ouch sult ir fur dise frist miner frouwen entwesen, si wil ouch ane iuch genesn. unde sendet ir wider ir vingerlin ! deiswar dazn sol niht langer sin an einer ungetriuwen hant. si hat mich her dernach gesant. » von herceleide geschach im daz daz erz verdulte unde versaz daz siz im ab der hant gewan. si neic dem kunige unde schiet von dan. daz smæhen daz frou Lunet den herren Iwein tet, daz gæhe wider cheren, der slac siner eren, daz si so von im schiet

[fol. 62r]

[fol. 62v]

IWEIN : TRADUCTION

été déloyal et parjure, moi aussi je l’ai été. Le roi devra à tout jamais avoir honte s’il continue à vous considérer comme un chevalier alors que la loyauté et l’honneur lui sont chers. De plus, vous devrez à partir de maintenant renoncer à ma dame, et elle-même saura être heureuse sans vous. Et redonnezlui votre anneau ! Il ne saurait vraiment rester plus longtemps sur une main déloyale. C’est pour le reprendre que ma dame m’a envoyée ici. » Accablé par la douleur, Iwein supporta tout cela et il resta assis, sans réagir, lorsqu’elle lui retira l’anneau du doigt. Lunete s’inclina devant le roi puis repartit.

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IWEIN : TEXTE

daz si in entroste nochn riet, daz smæhlich ungemach, dazs im an sine triuwe sprach, diu versumde riuwe unde sin grozziu triuwe sins stæten muotes, diu verlust des guotes, der iamer nach dem wibe, die benamen sinem libe vil gar die freude unde den sin. nach einem dinge iamert in, daz er wære ettewa daz man noch wip enweste wa unde niemer gehorte mære war er bechomen wære. er verlos sin selbes hulde, wan ern mohte die schulde uf niemen andern gesagen. in het sin selbes swert erslagen. ern hazte weder man noch wip, niuwan sin selbes lip. er stal sich swigende dan, daz ersach da nieman, unz daz er chom fur diu gecelt uz ir gesihte an daz velt. do wart sin riuwe als groz daz im in daz hirne schoz ein zorn unde ein tobesuht. er brach sine site unde sine zuht unde zart abe sin gewant, daz er wart bloz sam ein hant. sus lief er uber gevilde nachet nach der wilde. Do diu iunchfrouwe gereit, nu was dem kunige starche leit des hern Iweins swære, unde fragte wa er wære unde wolde in getrostet han unde bat nach im gan. unde als in niemen vant,

[fol. 63r]

IWEIN : TRADUCTION

L’humiliation que dame Lunete infligea à monseigneur Iwein, son départ précipité, l’atteinte qu’elle porta à son honneur en le quittant ainsi sans lui apporter ni réconfort ni aide, l’humiliation profonde qu’elle lui fit subir en lui déniant toute loyauté, les remords trop tardifs et la grande constance qu’Iwein éprouvait en son cœur, la perte de ses biens et le regret douloureux d’avoir perdu sa femme – tout ceci lui déroba toute sa joie et toute sa raison. Il n’aspirait qu’à une chose : être en un endroit tel que personne ne saurait qu’il s’y trouve ni n’apprendrait qu’il s’y est rendu. Il perdit toute estime de lui-même, car il ne pouvait rejeter la faute sur personne d’autre : c’était sa propre épée qui l’avait tué. Il n’éprouvait de haine pour personne si ce n’est pour lui-même. Il s’éclipsa sans dire un mot – personne ne le remarqua – puis arriva devant les pavillons et, hors du champ de vision de ses compagnons, parvint dans la prairie. Sa douleur fut alors si grande qu’un accès de rage et de folie lui monta à la tête. Il oublia toute convenance et sa bonne éducation, déchira ses vêtements et s’en dépouilla de telle sorte qu’il se retrouva complètement nu. C’est ainsi qu’il se mit à courir à travers champs, tout nu, en direction de la nature sauvage.

(3233) Après que la demoiselle fut partie, le roi fut très attristé par le malheur qui touchait monseigneur Iwein et il demanda où celui-ci se trouvait. Il voulait le réconforter et pria ses hommes de le chercher. Personne ne le trouva et les appels qu’on lui lança demeurèrent vains, car il était parti vers la forêt. C’était un combattant aguerri, un héros sans peur, mais malgré sa bravoure, sa puissance physique et sa force d’âme, Amour

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IWEIN : TEXTE

nu was daz vil unbewant swaz man im da gerief, wander gegen walde lief. er was ein degen bewæret, ein helt unerværet, swie manhaft er doch wære unde swie unwandelbære an libe unde an sinne, do meistert frou minne daz im ein kranchez wip vercherte sinne unde lip. der ein rehter adamas riterlicher tugende was, der lief nu balde ein tore gein dem walde. nu gap im got der guote, der in uz siner huote dannoch niht volleclichen liez, daz im ein garzun widerstiez, der einen guoten bogen truoc, den nam er im unde strale gnuoc. als in der hunger bestuont, so tet er sam die toren tuont. in ist niht mer witze chunt wan diu eine umbe den munt. er schoz prislichen wol, ouch gie der walt wildes vol. swa daz gestuont an sin zil, des schoz er uz der maze vil. ouch muose erz selbe ergahen, unde ane braken vahen. do ne het er kezzel noch smalz, weder pfeffer noch salz. sin salse was diu hungers not, diu ez im briet unde sot daz ez ein suezziu spise was, unde wol vor hunger genas. Do er des alle wile gepflac, do lief er umbe einen mitten tac an ein niuwez geriute.

[fol. 63v]

[fol. 64r]

IWEIN : TRADUCTION

était parvenu à ce qu’une faible femme lui ravît son corps et ses sens. Celui qui avait été un véritable parangon de vertus chevaleresques courait à présent tel un forcené vers la forêt. Alors Dieu, qui dans sa bonté ne lui retira cependant pas complètement Sa protection, fit en sorte qu’un écuyer croisât sa route : il portait un bon arc, Iwein le lui prit ainsi que bon nombre de flèches. Lorsque la faim le tenaillait, il fit comme font les fous : ils n’ont plus tous leurs sens et n’obéissent plus qu’à leur estomac. Il tirait merveilleusement bien et, de surcroît, la forêt était pleine de gibier : dès qu’un animal passait à portée de son arc, il tirait et tua ainsi énormément d’animaux. Cependant il devait aller chercher le gibier lui-même et l’attraper sans l’aide d’un brachet. De plus, il n’avait ni marmite ni saindoux, ni poivre ni sel ; sa seule sauce était la faim qui le tourmentait et dans laquelle il faisait cuire et griller la viande de telle sorte qu’elle devint un mets délicieux qui assouvissait son appétit.

(3277) Après qu’il eut vécu ainsi pendant un certain temps, il arriva vers midi en un essart défriché peu de temps auparavant. Là, il ne trouva personne hormis un homme seul qui vit bien

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IWEIN : TEXTE

da ne vander niht me liute niuwan einigen man, der selbe sach im daz wol an daz er niht rehtes sinnes was, unde floch, da er genas, da nahen in sin hiuselin. darinne wander sicher sin er verrigelt vaste die tur unde stuont innen da fur. der tore duht in al ze groz, er gedahte : « tuot er einen stoz, diu tur vert uz dem angen, so ist min leben ergangen. ich arme wie erner ich mich ? » zeiungest do bedahter sich : « ich wil im mins brotes gebn, so lat er mich vil lihte lebn. » nu gienc ein venster durch die want, da durch racter im die hant unde legt im uf ein bret ein brot. daz suozte im diu hungers not, wander da vor, daz got wol weiz, so iæmerliches nie niht enbeiz. waz welt ir daz der tore tuo ? er az daz brot unde tranc dazuo eins wazzers daz er hangende vant in einem eimber bi der want unde rumdez im ouch sa. der einsidel sach im hin na unde bat got vil sere daz er in iemer mere erliezze selher geste, wander vil lutzel weste wiez umbe den toren was gewant. nu tet der tore im daz erchant daz die toren unde diu chint vil lihte ze wenen sint. er was dazuo gnuoc wise daz er nach dirre spise dar wider chom in zwein tagen.

[fol. 64v]

IWEIN : TRADUCTION

qu’Iwein n’avait pas toute sa raison et qui s’enfuit pour trouver refuge dans sa maisonnette toute proche. Là, il se croyait à l’abri et verrouilla la porte puis s’appuya contre elle de l’intérieur. Le fou lui parut être bien trop grand et il se dit : « S’il donne un coup à la porte, il va la faire sortir de ses gonds. Alors c’en sera fini de mon existence. Pauvre de moi, comment puis-je sauver ma vie ? » Finalement, il lui vint l’idée suivante : « Je vais lui donner un morceau de mon pain, ainsi il me laissera peut-être en vie. » Il y avait une fenêtre dans le mur, c’est par là qu’il passa la main et posa le pain sur le rebord de la fenêtre. La faim qui faisait souffrir Iwein lui rendit ce pain meilleur qu’il n’était car, Dieu le sait bien, jamais il n’avait mangé quelque chose d’aussi misérable. Que voulez-vous que fît le fou ? Il mangea le pain et, en plus, but de l’eau qu’il trouva dans un seau accroché au mur. Puis il repartit aussitôt. L’ermite le regarda s’éloigner et pria Dieu avec ferveur de lui épargner à l’avenir de tels invités, car il ne savait nullement à qui il avait affaire en la personne de ce fou. L’insensé lui montra alors que les fous, comme les enfants, ont tôt fait de prendre une habitude. Il avait encore assez de sens pour revenir, deux jours plus tard, afin d’obtenir le même repas. Il portait sur ses épaules une bête qu’il jeta devant la porte de l’ermite. Il agit ainsi afin que celui-ci soit d’autant mieux disposé à lui donner son eau et son pain. Désormais l’ermite ne le craignait plus et était plus amical envers lui qu’avant. Iwein trouvait toujours son repas qui l’attendait et il dédommageait l’ermite de sa peine grâce à son gibier. Ils le faisaient cuire sans aucun assaisonnement sur le feu : ils n’avaient ni marmite, ni sel ni vinaigre. Finalement, l’ermite prit l’habitude d’aller vendre les peaux, et il achetait en quantité suffisante ce dont tous deux avaient besoin pour vivre : du sel et un pain qui était meilleur. C’est ainsi que l’insensé vécut et se nourrit dans la forêt jusqu’à ce que ce noble fou se mît à ressembler par toute son apparence à un maure. Et si jadis une noble femme s’était comportée amicalement envers lui, si jadis il avait brisé cent lances, fait jaillir des étincelles des heaumes qu’il frappait, si jadis il avait acquis gloire et renommée grâce à sa bravoure, si jadis il avait été courtois et

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IWEIN : TEXTE

unde brahte ein tier uf im getragen unde warf im daz an die tur. er machte daz er im her fur deste willeclicher bot sin wazzer unde sin brot. ern forht in do niht me unde was im bezzer danne e. er vant ie daz da gereit, ouch galt er im die arbeit mit sinem wiltpræte. daz wart mit ungeræte gegerwet bi dem fiure. in was der chezzel tiure, daz salz unde der ezzich. zeiungest do went er sich daz er die hiute veile truoc, unde kouft in beiden gnuoc des in zem libe was not, salz unde bezzer brot. sus wonte der unwise ze walde mit der spise, unz daz der edel tore gelich wart einem more an allem sinem libe. unde ob im von guotem wibe ie dehein guot geschach, ob er ie hundert sper zebrach, gesluoc er fiur uz helme ie, ob er mit manheit ie begie deheinen loblichen pris, wart er ie hofsch unde wis, wart er ie edel unde rich, dem ist er nu vil ungelich. er louffet nu nachet beider, der sinne unde der cleider, unz daz in zeinen stunden slafende funden dri frouwen da er lac, wol umb einen mitten tac, nach ze guoter maze

[fol. 65r]

[fol. 65v]

IWEIN : TRADUCTION

sage, noble et puissant, alors il ne restait plus rien de tout cela. Il errait désormais privé de ses sens et dépouillé de ses habits, jusqu’au jour où trois dames le trouvèrent vers l’heure de midi en train de dormir, à proximité de la route sur laquelle le hasard les avait conduites. À peine l’une des trois dames l’avait-elle aperçu qu’elle se pencha sur lui et le regarda attentivement. Tout le monde racontait alors qu’Iwein avait disparu, l’histoire s’était répandue dans tout le pays. Et c’est à cause de cela qu’elle le reconnut, mais pas seulement : elle vit sur lui une cicatrice dont on savait depuis longtemps qu’Iwein en avait une semblable. Aussitôt elle dit son nom et se tourna vers les deux autres : « Dame, si monseigneur Iwein est vivant, alors c’est lui sans aucun doute qui est étendu là, ou bien je ne l’ai jamais vu ! »

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IWEIN : TEXTE

bi der lantstraze diu in ze riten geschach. unde als schiere do in ersach diu eine frouwe von den drin, diu cherte rehte uber in unde sach in flizeclichen an. nu iach ein iegelich man wie er verlorn wære, daz was ein gengez mære in allem dem lande. unz daz si in erchande, von einer schult, unde doch niht gar. si nam an im war einer der wunden diu ze manigen stunden an im was wol erchant, unde si nande in zehant. si sprach her wider ze den zwein : « frouwe, lebt her Iwein, so ligt er ane zwifel hie, ode ich gesach in nie. » Ir hofscheit unde ir guete betwanch ir gemuete, daz si in grozzer riuwe unde durch ir reine triuwe vil sere weinen began, daz einem also fruomen man diu swacheit solde geschehn daz er in den schanden was gesehn. ez was diu eine von den drin der zweier frouwe under in. nu sprach si zuo ir frouwen : « frouwe, ir mugt wol schouwen daz er den sin hat verlorn. von bezzern zuhten wart geborn nie riter dehein danne min her Iwein, * den ich so swache hie sihe lebn. im ist benamen vergebn, ode ez ist von minne chomen. daz im der sin ist benomen.

[fol. 66r]

[Lettrine rouge et bleue]

IWEIN : TRADUCTION

(3381) Sa courtoisie et sa bonté lui inspirèrent une grande tristesse : accablée par le chagrin et mue par de pures intentions, elle éclata en sanglots en voyant qu’un homme si preux avait pu tomber dans une telle déchéance et se trouver dans un état si honteux. L’une des trois femmes était la dame des deux autres. La première dit alors à sa dame : « Dame, voyez, il est évident qu’il a perdu la raison. Jamais chevalier ne fut de plus haute naissance que monseigneur Iwein que je vois vivre ici de façon si indigne. Vraiment, il doit avoir été empoisonné ou bien c’est l’amour qui lui a fait perdre l’entendement. Dame, je sais, aussi vrai que je devrai mourir un jour, que si vous le soignez, vous serez délivrée du malheur que le comte Aliers, cet homme orgueilleux, vous inflige depuis longtemps et continuera à vous infliger. Je sais bien à quel point il est courageux : dès qu’il sera redevenu maître de lui-même, il aura tôt fait de vaincre le comte Aliers. Si l’on peut vous sauver du comte, alors ce sera avec l’aide d’Iwein. »

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IWEIN : TEXTE

unde weiz daz als minen tot, frouwe, daz iuwer not, die iu durch sinen ubermuot der grave Aliers nu lange tuot unde noch zetuonne willen hat, der wirt iu buoz unde rat ob er von iu wirt gesunt. mir ist sin manheit wol chunt. wirt er des libes gereit, er hat in schiere hin geleit. unde sult ir vor im genesn, daz muoz mit siner helfe wesn. » Diu frouwe was der rede fro. si sprach : « unde ist der suoht also daz si von dem hirne gat, der tuon ich im vil schiere rat, wand ich noch einer salben han die da Feimorgan machte mit ir selber hant. da ist ez umbe so gewant daz niemen hirnsuhte lit, wurder bestrichen da mite, ern wurde da zestunt wol varnde unde gesunt. » sus wuorden si zerate unde riten als drate nach der salben alle dri, wand ir hus was da bi vil chume in einer mile. nu wart zerselben wile diu iuchfrouwe wider gesant, diu in noch slafende vant. diu frouwe gebot ir an daz lebn, do si ir het gegebn die buhsen mit der salben, daz si in allenthalben niht bestriche da mite. niuwan da er die not lite, da hiez si si strichen an. so entwiche diu suht dan,

[fol. 66v]

[Lettrine bleue]

[fol. 67r]

IWEIN : TRADUCTION

(3412) La dame se réjouit en entendant ces paroles et elle déclara : « Si cette maladie vient du cerveau, alors je saurai bien vite y remédier, car j’ai encore un peu d’onguent que Feimorgan a fabriqué de ses propres mains. Il a la propriété suivante : il suffit d’en enduire quelqu’un qui souffre de démence afin qu’il recouvre aussitôt son bien-être et sa santé. » C’est ce dont elles convinrent et toutes trois repartirent aussitôt chercher l’onguent, car leur château était très proche, situé à un mile à peine. Juste après, la demoiselle fut immédiatement renvoyée auprès d’Iwein qu’elle trouva toujours endormi. Lorsque la dame lui avait donné la boîte contenant l’onguent, elle lui avait enjoint, sous peine de mort, de ne pas en enduire tout le corps d’Iwein. Elle ne devait étaler l’onguent que là où il était malade : ainsi la maladie le quitterait et il serait aussitôt guéri. Elle lui avait ordonné de n’utiliser que la quantité d’onguent nécessaire et de lui ramener le reste impérativement, car cela pourrait soigner encore bien des personnes. De plus, elle lui avait donné deux habits propres, l’un en laine rouge écarlate, l’autre en lin fin, ainsi que des chausses et des braies en laine. La demoiselle chevaucha si vite qu’elle le trouva encore endormi dans la forêt. De sa main, elle menait un autre cheval qui trottait très souplement. Ses rênes étaient fort précieuses et la selle était ornée d’or. Ce devait être le cheval d’Iwein si Dieu accordait à la demoiselle de le soigner.

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IWEIN : TEXTE

unde er wære zehant genesn. da mit es gnuoc mohte wesn, daz hiez si an in strichen, unde daz si ir næmlichen wider bræhte daz anderteil. daz wurde maniges mannes heil. ouch sande si bi ir dan frischiu cleider seit von gran unde cleiner linwæte, zwei, schuohe unde hosen von sei. nu reit si also balde daz si in in dem walde dannoch slafende vant, unde zoch ein pfert an der hant, daz vil harte sanfte truoc. ouch was der zoum riche gnuoc, daz gereite guot von golde. daz er riten solde, ob daz got bescherte daz si in ernerte. Do si in ligen sach als e, nu ne twelte si niht me, si hafte zeinem aste diu pfert beidiu vaste, unde sleich also lise dar daz er ir niht wart gewar, unz si in allenthalben bestreich, dazuo si vil stille sweich. mit der edeln salben bestreich si in allenthalben uber houpt unde uber fuezze, ir wille der was suezze, unz siz so lange getreip daz in der buhsen niht beleip. des was doch alles unnot, dazuo unde man irz verbot. wan daz si im den willen truoc, esn duhte si dannoch niht gnuoc, so gerne sach si in genesn. unde wære ir sehs stunt me gewesn,

[fol. 67v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(3460) Lorsqu’elle le vit allongé ainsi, elle n’hésita pas un instant : elle attacha solidement les deux chevaux à une branche, et se faufila si doucement auprès de lui qu’il ne la remarqua pas. Tout en restant totalement silencieuse, elle l’enduisit entièrement : elle étala le précieux onguent sur tout le corps, de la tête jusqu’aux pieds. Elle était pleine de bonne volonté et continua ainsi jusqu’à ce qu’il ne restât plus rien dans la boîte. Tout ceci était inutile, d’autant plus qu’on le lui avait interdit. Mais elle était animée par la volonté de bien faire et cela ne lui semblait jamais être suffisant tant elle souhaitait le voir guérir. Et si elle avait disposé de six fois plus d’onguent, elle aurait tout utilisé afin que la maladie quittât Iwein. Après avoir étalé tout l’onguent, elle s’éloigna rapidement d’Iwein parce qu’elle savait bien que la honte et l’humiliation font souffrir l’homme de bien. Par courtoisie elle se cacha de telle sorte qu’elle le voyait mais que lui ne pouvait l’apercevoir. Elle se dit : « S’il advenait qu’il recouvre maintenant sa raison et qu’il comprenne que je l’ai vu nu, cela aurait pour moi de fâcheuses conséquences parce qu’il aurait tellement honte qu’il ne vou-

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IWEIN : TEXTE

si het si an in gestrichen, daz diu suht wære entwichen. do si si gar an in gestreich, vil drate si von im entweich, wande si daz wol erchande daz schemlichiu schande dem fruomen manne we tuot, unde barch sich durch ir hofschen muot, daz si in sach unde er si niht. si gedahte : « ob daz geschiht daz er chuomt zesinnen, wirt er danne innen daz ich in nachet han gesehn, so ist mir ubel geschehn, wan des schamt er sich sere daz er mich niemer mere willeclichen an gesiht. » alsus ougent si sich niht unz in diu salbe gar ergienc unde ze sinnen gevienc. do er sich uf gerihte unde sich selben an blihte unde sich so griulichen sach, wider sich selben er sprach : « bistuz Iwein, ode wer ? han ich geslafen unz her ? wafen, herre, wafen ! soldich danne iemer slafen ! mir het min troum gegebn ein vil riterlichez lebn. ouwi, waz ich eren pflac die wile ich slafende lac. mir hat getroumet michel tugent. ich het geburt unde iugent, ich was schœne unde rich, disem libe vil ungelich. ich was hofsch unde wis, unde het mit manheit pris an riterschefte beiagt, hat mir min troum niht missesagt.

[fol. 68r]

[fol. 68v]

IWEIN : TRADUCTION

drait plus jamais me voir. » Ainsi, elle ne se montra pas avant que l’onguent ait agi et qu’Iwein ait retrouvé l’usage de sa raison. Lorsqu’il se releva et qu’il se vit, il remarqua qu’il était effrayant. Il se dit à lui-même : « Est-ce toi, Iwein, qui d’autre sinon ? Ai-je dormi jusqu’à maintenant ? À l’aide, mon Dieu, à l’aide ! Puissé-je dormir éternellement ! Mon rêve m’avait donné une belle vie de chevalier. Las ! Je menais une vie pleine d’honneurs aussi longtemps que je dormais. J’ai rêvé mainte belle chose : j’étais de haute naissance et j’étais jeune, beau et puissant, un être bien différent de celui que je suis maintenant. J’étais courtois et sage, et grâce à ma bravoure j’avais acquis une grande renommée lors de tournois – si mon rêve ne m’a pas trompé. Par ma lance et mon épée j’obtenais tout ce que je voulais : en combattant seul, j’avais gagné une reine ainsi qu’un riche pays dont je m’occupai longtemps, comme me le dévoila le rêve, jusqu’au moment où le roi Arthur m’emmena en son château, loin de ma reine. Mon compagnon était monseigneur Gawein, c’est ce que me révéla le rêve. Ma dame m’accorda un an – si je ne mens pas, alors je dis la vérité – mais, sans que cela fût nécessaire, je m’absentai plus longtemps si bien qu’elle me retira son amour, ce que je ne pus supporter. C’est au milieu de ces divagations que je me suis réveillé. Mon rêve avait fait de moi un seigneur puissant. Comme il m’aurait été indifférent de mourir pendant que je menais une vie si digne ! Celui qui croit aux rêves se ridiculise inutilement et nuit vraiment à son honneur.

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IWEIN : TEXTE

ich beiagte swes ich gerte mit sper unde mit swerte. mir ervaht min eins hant eine kuneginne unde ein richez lant, also daz ichs pflac, so mir nu troumde, manigen tac, unz daz mich der kunech Artus von ir fuorte zehus. min geselle was der herre Gawein, als mir in minem troume schein. si gap mir urloup ein iar, missesagich niht, so ist ez war, do beleip ich langer ane not, unz si mir ir hulde wider bot, die was ich ungerne ane. in allem disem wane so bin ich erwachet. mich het min troum gemachet zeinem richen herren. nu waz mohte mir gewerren, wærich in disen eren tot ! er æffet sich ane not, swer sich an troume cheret, der ist wol guneret. Troum wie wunderlich du bist ! du machest riche in kurzer frist einen also swachen man der nie nach eren muot gewan. swenner danne erwachet, so hastu in gemachet zeinem toren als ich. zware doch versihe ich mich, swie swarz ein gebur ich si, wærich noch riterschefte bi, wærich gewafent unde geriten, ich kunde nach riterlichen siten als wol gebaren so die ie riter waren. » Alsus was er sin selbes gast, daz im des sinnes gebrast,

[fol. 69r]

IWEIN : TRADUCTION

(3544) Rêve, comme tu es étrange ! En peu de temps, tu fais d’un homme humble, qui n’a jamais aspiré à une vie pleine d’honneurs, un puissant. Mais ensuite, lorsqu’il se réveille, tu as fait de lui un fou comme moi. Cependant je crois, même si j’ai la peau aussi noire que celle d’un vilain, que si je participais à un tournoi, tout en armes et à cheval, je saurais me battre de manière chevaleresque, aussi bien que ceux qui ont toujours été chevaliers. »

(3558) Ainsi était-il devenu étranger à lui-même et n’avait pas recouvré tous ses sens : il ne savait pas s’il avait jamais été chevalier et tenait toutes ses chevauchées pour des illusions dont il

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IWEIN : TEXTE

ob er ie riter wart unde alle sin umbevart die heter in dem mære. als ez im getroumet wære. er sprach : « mich hat geleret min troum, des si er geret, magich ze harnasche chomen. min troum hat mir min reht benomen. swie gar ich ein gebur bin, mir tuornieret al min sin. min herze ist dem libe ungelich. min lip ist arm, daz herce rich. wie stet ez sus umbe min lebn ? ode wer hat mir gegebn einen lip sus ungetanen ? ich mohte mich wol anen riterliches muotes. libes unde guotes der gebristet mir beider. » unde als er diu niuwen cleider einhalp bi im ligen sach, des wundert in sere unde sprach : « diz sint cleider der ich gnuoc in minem troume diche truoc. ichn sihe niemen des si sin, ich bedarf ir wol, nu sin ouch min ! waz ob disiu sam tuont, sit daz mir e so wol stuont in minem troume rich gewant. » alsus cleidet er sich zehant. Als er bedacte die swarzen lich, do wart er einem riter gelich. nu ersach diu iunchfrouwe daz daz er unschemlichen saz. si saz in guoter chundecheit uf ir pferit unde reit, als si da fur wære gesant unde zoch ein pfert an der hant. weder sine sach dar nochn sprach. do er si fur sich riten sach

[fol. 69v]

[fol. 70r]

[Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

aurait rêvé. Il dit : « Mon rêve m’a appris quelque chose, qu’il en soit remercié si je parviens à trouver une armure. Le rêve m’a rendu étranger à mon état : bien que je sois paysan, tous mes sens aspirent aux tournois. Mon cœur est bien différent de mon apparence : mon corps est celui d’un homme humble, mon cœur est celui d’un puissant. Qu’en est-il vraiment de ma vie ? Et qui m’a donné un corps si laid ? Je ferais mieux de renoncer à la chevalerie : je n’ai pour cela ni le corps ni les biens nécessaires. » Cependant lorsqu’il vit les vêtements neufs posés à côté de lui, il fut très étonné et dit : « Ce sont des habits semblables à ceux que je portais souvent dans mon rêve. Je ne vois personne à qui ils appartiennent et j’ai grand besoin d’eux. Aussi seront-ils à moi ! Je vais voir s’ils me vont aussi bien que les habits somptueux que je portais en rêve et qui me seyaient fort bien. » Et il les revêtit aussitôt.

(3590) Dès qu’il eut recouvert son corps noir, il ressembla à un chevalier. Alors, la demoiselle vit qu’il n’était plus assis de manière inconvenante. Très astucieuse et bien intentionnée, elle monta sur son palefroi et arriva en tirant un cheval par la main comme si elle avait été amenée à passer par là. Elle ne le regarda pas et ne dit rien. Lorsqu’Iwein la vit passer devant lui, il aurait bondi sur ses jambes si la maladie ne l’avait pas tant affaibli qu’il ne put se lever aussi vite qu’il l’aurait souhaité. Il l’appela, mais elle fit semblant d’être pressée et de ne pas le remarquer, jusqu’au moment où il l’appela une

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IWEIN : TEXTE

do wærer uf gesprungen, wan daz er was betwungen mit selher siecheite daz er niht so gereite uf mohte gestan als er gerne het getan. unde rief ir hin nach, do tet si sam ir wære gach unde niht darumbe wære chunt, unz er ir rief anderstunt. do cherte si sich sa unde antwuort im da. si sprach : « wer ruefet da ? wer ? » er sprach : « frouwe, chert her. » si sprach : « herre, daz si. » si reit dar unde habt im bi. si sprach : « gebiet uber mich. swaz ir welt, daz tuon ich. » unde fragte in der mære wie er dar chomen wære. Do sprach der herre Iwein als ouch wol an im schein. « da han ich mich hie funden des libes ungesunden. ichn chan iu des gesagen niht welch wunders geschiht mich da her hat getragen. wan daz chan ich iu wol gesagen daz ich hie ungerne bin. unde fueret ir mich mit iu hin, so handelt ir mich harte wol, unde gedienez iemer swie ich sol. » si sprach : « riter, daz si getan. ich wil mine reise durch iuch lan. mich het min frouwe gesant. diu ist frouwe uber diz lant. zuo der fuere ich iuch mit mir, unde rate iu daz ir geruowet nach iuwer arbeit. » do saz er uf unde reit.

[fol. 70v]

[Lettrine rouge]

[fol. 71r]

IWEIN : TRADUCTION

seconde fois. Alors elle se retourna pour lui répondre. Elle lança : « Qui m’appelle ? Qui donc ? » Il répondit : « Dame, venez par ici ! » Elle dit : « Seigneur, je viens. » Elle s’avança à cheval et s’arrêta près de lui. Elle déclara : « Vous pouvez disposer de moi. Je ferai ce que vous voudrez. » Puis elle lui demanda comment il était arrivé ici.

(3620) Alors monseigneur Iwein lui répondit une chose dont on pouvait se douter en le regardant : « Je me suis retrouvé ici, malade. Je ne puis vous dire quel étrange hasard m’a amené ici, mais je puis vous assurer une chose : c’est bien malgré moi que je suis là. Et si vous m’emmenez avec vous, vous agirez fort bien envers moi et je vous en serai redevable toute ma vie. » Elle répondit : « Chevalier, qu’il en soit ainsi. Pour vous je vais renoncer à mon voyage. C’est ma dame qui m’a envoyée en mission. Elle règne sur ce pays. C’est auprès d’elle que je vais vous mener et je veillerai à ce que vous vous remettiez de vos épreuves. » Il s’assit alors sur son cheval et la suivit. Elle l’emmena auprès de sa dame qui n’avait jamais accueilli un homme avec tant de joie. Elle lui rendit son séjour très agréable, lui offrant des habits, à manger et lui préparant des bains, tant et si bien que nulle trace de ses souffrances ne fut plus visible. Ainsi, monseigneur Iwein surmonta son infortune et trouva une hôtesse prévenante.

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IWEIN : TEXTE

alsus fuorte si in dan zuo ir frouwen, diu nie man also gerne gesach. si schuof im guoten gemach von cleidern, von spise, von bade, unz daz im sin schade vil lutzel an schein. hie het der herre Iwein sine not uberwunden unde guoten wirt funden. Diu frouwe ouch des niht vergaz si ne wolde wizzen daz wa ir salbe wære. mit einem luogemære beredte sich diu magt. si sprach : « frouwe, iu si geclagt wie mir zerbuhsen ist geschehn. ez hat der riter wol gesehn wie nach ich ertrunchen was. wunder ist, daz ich genas. ich chom in michel arbeit, do ich uber daz wazzer reit ze der hohen bruoke hie bi. daz dez ros unsælech si ! * daz struchte vaste unz an diu knie, also daz ich den zoum verlie unde der buehsen vergaz unde selbe chume gesaz. do enpfiel si mir in den wac zetal. unde wizzet daz mich dehein val so starche nie gemuote. waz hilfet elliu huote ? wan swaz man niht behalten sol, daz verliuset sich wol. » swie vil gefuege wære diz guote luogemære, doch zuornde si ein teil. si sprach : « heil unde unheil diu sint uns hiute geschehn, der magich wol beider iehn !

[Lettrine bleue]

[fol. 71v]

IWEIN : TRADUCTION

(3650) La dame n’oublia pas non plus de s’enquérir de son onguent et demanda où il était. La demoiselle se tira d’affaire grâce à un mensonge. Elle dit : « Dame, malheureusement il me faut vous raconter ce qui est arrivé à la boîte. Le chevalier a bien vu que j’ai failli me noyer. C’est un miracle si j’ai survécu. Je me retrouvai en bien grand péril lorsque je traversai la rivière en passant tout en haut du pont, tout près d’ici. Maudit soit ce destrier ! Il trébucha, s’affaissa violemment sur ses genoux si bien que je lâchai les rênes et, oubliant la boîte, eus bien du mal à rester en selle. Alors elle m’échappa et tomba tout en bas dans les flots. Sachez que jamais rien ne m’a autant attristée que de l’avoir perdue. À quoi sert de faire attention ? Car lorsqu’il est écrit qu’on ne gardera pas quelque chose, on le perd. » Bien que ce beau mensonge fût fort bien inventé, la dame se mit en colère. Elle déclara : « Aujourd’hui nous avons connu la fortune et l’infortune, je peux vraiment le dire ! En peu de temps j’ai trouvé un chevalier et perdu mon onguent si bénéfique. Que cette perte soit compensée par ce que j’ai gagné ! Il ne sert à rien de regretter un bien perdu que l’on ne pourra jamais retrouver. » Et sa colère s’apaisa.

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IWEIN : TEXTE

ich han in churzen stunden einen riter funden unde mine guote salben verlorn. der schade si durch den fruomen verchorn. niemen habe seneden muot umb ein verlornez guot des man niht wider muge han. » hie mit was der zorn verlan. Sus twelte min herre Iwein hie unz in diu wilde farwe verlie, unde wart als e ein schœne man. vil schiere man im do gewan den besten harnasch den man vant und daz beste ros uber al daz lant. sus wart bereit der gast, daz im nihtes gebrast. darnach eins tages fruo do sahen si dort riten zuo den graven Aliern mit her. do sazten sich zewer die riter von dem lande unde ir sariande, der edel riter Iwein, zaller vorderst schein. si waren e vaste in getan, unde heten ioch die wer verlan, unde also gar uberriten daz si von manlichen siten vil nach waren chomen. nu wart der muot von in genomen, do si den gast sahen zuo den vienden gahen unde so manliche gebaren. die e verzagt waren, die sahen alle uf in unde geviengen manlichen sin. do liez er sine frouwen ab der wer schouwen daz ofte chuomt diu frist daz selch guot behalten ist

[Lettrine rouge] [fol. 72r]

[fol. 72v]

IWEIN : TRADUCTION

(3688) Monseigneur Iwein demeura là jusqu’au moment où son teint de sauvage le quitta et où il redevint aussi beau qu’avant. On lui procura bien vite la meilleure armure que l’on trouvât et le meilleur destrier de tout le pays. Ainsi, l’invité fut si bien équipé que rien ne lui manqua. Par un beau matin, on vit arriver le comte Aliers accompagné de son armée. Alors, les chevaliers du pays et leurs hommes d’armes se préparèrent à se défendre. Iwein, ce noble chevalier, apparut en première ligne. Auparavant les gens du pays avaient été entièrement repoussés à l’intérieur du château et avaient déjà abandonné toute résistance. Ils avaient été submergés par les troupes à cheval, si bien qu’ils avaient presque perdu tout courage. Mais lorsqu’ils virent leur hôte fondre sur leurs ennemis et se comporter si courageusement, ils furent délivrés de leur désespoir. Ceux qui auparavant étaient abattus reprirent courage en observant Iwein. Alors celui-ci montra à sa dame, qui observait la scène depuis les créneaux, que bien souvent arrive le moment où l’on est récompensé pour le bien que l’on a fait à un homme honnête. Elle ne regretta en aucune façon tout ce qu’elle avait fait pour lui, car rien que son courage entraîna la fuite des ennemis qui, en grand désordre, refluèrent vers un gué. Là, ils se regroupèrent et les coups se mirent à pleuvoir. Qui aurait pu compter toutes les lances que monseigneur Iwein brisa à cette occasion ? Il frappait de taille et d’estoc de même que tous les siens, si bien que les autres durent, dans une grande confusion et en accusant de lourdes pertes, abandonner le gué et leur accorder la victoire. Ceux qui ne purent fuir, ainsi que les lâches, furent presque tous tués ou faits prisonniers. Ainsi, le combat se termina en faveur d’Iwein et pour sa gloire. Les siens firent son éloge, reconnurent sa valeur et dirent qu’il était courtois et sage. Ils ajoutèrent qu’il ne pourrait rien

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IWEIN : TEXTE

daz man dem biderben manne tuot. sine rou dehein daz guot daz si an in het geleit, wande sin eines manheit tet si unstetlichen an einen fuort entwichen. da bechoverten si sich, hie slac, da stich. nu wer mohte diu sper elliu bereiten her diu min her Iwein da zebrach ? er sluoc unde stach, unde die sine alle. daz iene mit manigem valle muosen unstetelichen von dem fuorte entwichen unde in den sic lazen. die aber der flucht vergazen, die wuorden sam die zagen almeisteil erslagen unde ouch gevangen. hie was der strit ergangen nach des herren Iweins eren. si begunden an in cheren beide lop unde pris, er wære hofsch unde wis, unde in enmohte niht gewerren, heten si in ze herren ode einen im gelichen. si wunschten flizeclichen daz si des beidiu zæme daz in ir frouwe næme. Sus wart dem graven Aliere genendeclichen schiere gevangen unde erslagen sin her. dannoch hielt er zewer mit einer lutzeln kraft, unde tet selhe riterschaft die niemen gefelschen mohte. do daz niht langer tohte,

[fol. 73r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

leur arriver s’ils avaient pour seigneur Iwein ou quelqu’un qui fût son égal. Ils souhaitaient vivement que leur dame le prenne pour époux si toutefois cela convenait aux deux.

(3752) C’est ainsi que, dans un délai étonnamment bref, tous les hommes du comte Aliers furent tués ou faits prisonniers. Cependant, avec un petit groupe, le comte continuait à se défendre et accomplissait des exploits chevaleresques tels que personne ne pouvait en parler avec mépris. Lorsque cela ne servit plus à rien, lui aussi dut battre en retraite. Il fuit, toujours en combattant, vers l’une de ses forteresses dont il savait qu’elle se trouvait à proximité. Mais une fois parvenu près du château, la

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IWEIN : TEXTE

do muoser ouch entwichen. unde floch doch werlichen gein einer siner veste die er da nahen weste. do er zuo dem huse floch, nu was der burchberch so hoch, beidiu so stechel unde so lanc, daz in sunder sinen danc der herre Iwein ergahte vor dem tor. unde givienc in da vor unde nam des sine sicherheit daz er gevangen wider reit in der frouwen gewalt, diu sin da vor so diche engalt der er verwuest het ir lant. er sazte ir gisel unde pfant daz er sine schulde buozte unz uf ir hulde. Ezn wart nie riter mere erboten grozzer ere danne dem hern Iwein da geschach, do man in zuo riten sach unde er sinen gevangen man neben im fuorte dan. do in diu grævinne enpfienc unde engegen im gienc mit allen ir frouwen, do mohte man schouwen vil friuntliche bliche. si besach in ofte unde diche, unde wolder lons han gegert, des wærer da vil wol gewert, sine versagt im lip noch guot. so ne stuont aber niht sin muot, ern wolde dehein lon. do diu frouwe von Narison ir not uberwant von siner gehulfigen hant, do begunder urloubes gern. desn wolde si in niht gewern,

[fol. 73v]

[Lettrine bleue]

[fol. 74r]

IWEIN : TRADUCTION

colline sur laquelle celui-ci se trouvait était si haute et la pente si longue et abrupte, qu’Iwein le rejoignit, contre son gré et avant qu’il eût atteint la porte. Il le fit prisonnier et reçut le serment du comte : celui-ci s’engagea à rejoindre la dame, qui auparavant avait très souvent souffert du comte et dont il avait dévasté le pays, et à se constituer prisonnier auprès d’elle. Il donna à celle-ci des otages et des cautions, promettant qu’il réparerait sa faute jusqu’à obtenir son pardon.

(3778) Jamais chevalier ne connut de plus grands honneurs que ceux dont jouit monseigneur Iwein lorsqu’on le vit arriver, accompagné du prisonnier qu’il menait à ses côtés. Quand la comtesse alla à sa rencontre avec toutes les dames de sa cour pour l’accueillir, on put observer bien des regards tendres. Sans cesse elle le regardait et, s’il avait souhaité une récompense, celle-ci lui aurait été accordée sans réticence : elle ne lui aurait refusé ni sa personne ni ses biens. Mais il n’aspirait nullement à tout cela et ne désirait aucune récompense. Lorsque la dame de Narison eut surmonté ses malheurs grâce à l’aide apportée par Iwein, celui-ci lui demanda la permission de prendre congé. Mais elle ne voulut pas la lui accorder, car toutes ses pensées étaient tournées vers lui  : il lui semblait qu’il serait un bon seigneur pour son pays, et si cela ne lui avait pas paru honteux, elle lui aurait demandé sa main. Si je ne me trompe pas, il est plus sage pour une femme – même si aucune ne le fera jamais – de demander la main d’un homme par lequel elle ne connaîtra aucun désagrément que de céder aux avances de celui qui la mènera à sa perte. Par son comportement, elle lui montra clairement ce qu’elle souhaitait, mais cela ne lui fit pas la moindre impression. Les gestes et les prières qui devaient l’inciter à rester furent

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IWEIN : TEXTE

wan an in stuont aller ir muot. si duhte des er wære guot ze herren ir lande, unde enduht ez si niht schande, si het geworben umbe in. michn triege min sin, swie selten ez deheiniu tuo, da horte grozzer wisheit zuo, daz si umbe den wurbe von dem si niht verdurbe, danne si sich den liezze erwerben von dem si muoz verderben. si bat in mit gebærden gnuoc, daz er doch harte ringe truoc. beide gebærde unde bet die man in durch beliben tet daz was ein verlorniu arbeit, wan er nam urloup unde reit. unde suochte da zehant den næhsten walt den er vant, unde volget einer straze. lute ane maze horter eine stimme clægelich unde grimme. nu ne weste min her Iwein von wederm si gienge under den zwein, von wuorme ode von tiere. er bevant ez aber schiere, nu wiste diu stimme in durch micheln walt hin da er an einer blœzze gesach daz ein grimmer kampf geschach, da mit unverzagten siten ein wuorm unde ein leu striten. der wuorm was starch unde groz, daz fiur im uz dem munde schoz. im half diu hitze unde der stanch, daz er den leun des betwanch daz er vil lute schre. dem hern Iwein tet der zwifel we

[fol. 74v]

IWEIN : TRADUCTION

tous vains, car il prit congé et partit. Aussitôt il se dirigea vers la première forêt qu’il trouva et s’engagea sur un chemin. Il entendit retentir un cri incroyablement fort, un cri mêlant la plainte à la colère. Monseigneur Iwein ne savait pas si ce cri provenait d’un dragon ou d’un animal sauvage. Mais il le découvrit bien vite, car le cri le guida à travers la forêt dense jusqu’à une clairière où il vit se dérouler un combat terrifiant : un dragon et un lion se livraient une lutte sans merci. Le dragon était grand et puissant, sa gueule crachait du feu, et la chaleur ainsi que la puanteur qu’il dégageait mettaient le lion à si rude épreuve qu’il poussait des cris terribles. Monseigneur Iwein fut en proie au doute, ne sachant auquel il devait venir en aide. Il se dit alors qu’il allait porter secours à l’animal noble. Cependant, il eut peur qu’une fois le dragon abattu, cette mort ne serve à rien et que le lion ne s’en prenne aussitôt à lui. Car il en va souvent ainsi et ce n’est pas différent chez les hommes : lorsque l’on a servi du mieux que l’on pouvait quelqu’un de peu fiable, alors il faut prendre garde à ce qu’il ne vous trahisse. Il en allait de même ici, toutefois Iwein agit en preux : il descendit de son cheval, attaqua le dragon et le tua très rapidement. C’est ainsi qu’il vint en aide au noble animal.

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IWEIN : TEXTE

wederm er helfen solde, doch gedahter daz er wolde helfen dem edeln tiere. unde forhte des, swie schiere des wuormes tot ergienge, daz in daz niht vervienge, der leu bestuende in zehant. wan also ist ez gewant, als ez ouch under den liuten stat. so man aller beste gedient hat dem ungewissen manne, so huete sich danne daz er in iht beswiche. dem was diz vil geliche, doch tet er als ein fruom man, er erbeizte unde lief den wuorm an unde sluoc in harte schiere. unde half dem edeln tiere. Dannoch do er den wuorm ersluoc, do heter zwifel gnuoc daz in der leu wolde bestan. daz wart im anders chunt getan. sich bot der leu uf sinen fuoz unde zeiget im unsprechenden gruoz mit gebærden unde mit stimme ane allerslahte grimme. unde erzeigte im sine minne als er von sinem sinne aller beste mohte unde einem tiere tohte. er antwuorte sich in sine pflege, wander in sit alle wege mit sinem dienst erte unde volget im swar er cherte. Der leu unde sin herre die fuoren unverre unz er ein tier ersmahte. do twanch in des sin ahte, beidiu der hunger unde sin art, do er des tiers innen wart,

[fol. 75r]

[Lettrine rouge]

[fol. 75v] [Lettrine bleue]

IWEIN : TRADUCTION

(3858) Toutefois, après qu’il eut tué le dragon, Iwein fut pris par le doute et ne savait pas si le lion allait l’attaquer. Cependant il comprit qu’il n’en serait rien : le lion se jeta à ses pieds et, sans parler, le salua par ses gestes et sa voix, sans la moindre colère. Il lui manifesta son amitié aussi bien que son entendement de lion le lui permettait et que c’était possible pour un animal. Il s’en remit à Iwein ; depuis lors, il n’eut de cesse de le servir et, partout où Iwein se rendit, le lion le suivit.

(3874) Le lion et son maître s’étaient à peine éloignés que le lion flaira un animal sauvage. Son instinct – c’est-à-dire la faim et sa nature – le poussait à chasser dès qu’il repérait une proie. Il ne put le faire comprendre à Iwein autrement qu’en s’arrêtant, en le regardant et en montrant avec sa gueule dans la direction de l’animal. C’est ainsi qu’il le lui indiqua. Il donna de la voix

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IWEIN : TEXTE

daz er daz gerne wolde iagen. dazn chunder im anders niht gesagen, wan daz er stuont unde sach in an unde zeicte mit dem munde dan. da mit tet erz im chunt. er lute sam ein suoch hunt. er cherte von der straze wol eins wuorfes maze, da er ein rech steude vant, * unde viench ouch daz zehant er souc im uz daz warme bluot, dazn wære sinem herren doch niht guot. nu schindet erz da erz weste veizt unde aller beste, unde nam des einen braten dan. nu gienc ouch diu naht an, er schuorft ein fiur unde briet daz. unde az daz ungesalcen maz ane brot unde ane win, ezn moht et do niht bezzer sin. daz im da uberiges schein, daz az der leu unz an diu bein. Der herre Iwein legte sich unde slief, der leu wachte unde lief umbe sin ros unde umb in. er het die tugent unde den sin daz er sin huote zaller zit, beidiu do unde sit. diz was ir beider arbeit, daz er nach aventiure reit volle viercehn tage, unde daz mit selhem beiage der wilde leu disem man mit spise gewan. eins tages truoc in diu geschiht, daz ers enweste niht, rehte in siner frouwen lant, da er den selben brunnen vant, von dem im da was geschehn, als ich iu e han veriehn,

[fol. 76r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

comme un chien de chasse. Il s’éloigna de la route, à une portée de jet de pierre, et trouva un chevreuil. Aussitôt il s’en empara et but son sang tout chaud, car ce sang dans le gibier n’aurait pas été bon pour son maître. Puis Iwein écorcha le chevreuil là où il savait qu’il était gras et avait la meilleure chair, et en tira un morceau à rôtir. Alors la nuit tomba, il alluma un feu et fit griller la viande. Il prit ce repas sans sel, sans pain et sans vin, mais il ne pouvait en être autrement. Ce qu’il laissa, le lion le mangea jusqu’aux os.

(3902) Monseigneur Iwein se coucha et dormit tandis que le lion veillait et faisait des rondes autour du destrier et de son maître. De tout temps, il fut soucieux de protéger loyalement Iwein. Tous deux menèrent la même vie pénible : Iwein partit à l’aventure pendant quinze jours entiers et le lion sauvage lui procurait, grâce au produit de sa chasse, de quoi se nourrir. Un jour, sans qu’Iwein s’en aperçût, le hasard le mena tout droit dans le pays de sa dame, où il retrouva la fontaine par laquelle – comme je vous l’ai raconté plus tôt – il connut tant de bonheur et un si grand malheur. Lorsqu’il vit le tilleul audessus de la fontaine, et quand en plus il découvrit la chapelle et la pierre, alors son cœur se rappela qu’il avait perdu son honneur, son pays et sa femme. Il fut saisi d’une profonde tristesse et la douleur le fit tant souffrir qu’il faillit perdre la raison comme c’était arrivé auparavant. Toutes ses forces le quittèrent de telle sorte que, blême comme la mort, il glissa de cheval et chut à terre. Lorsqu’il tomba à la renverse, son épée glissa de son fourreau. Elle était si

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IWEIN : TEXTE

groz heil unde michel ungemach. unde als er die linden darobe sach, unde do im dazuo erschein diu chapel unde der stein, do wart sin herce des ermant wie er sin ere unde sin lant het verlorn unde sin wip. des wart vil riuwech sin lip, von iamer wart im als we, daz er vil nach als e von sinen sinnen was chomen. ouch wart im da benomen des libes kraft als gar daz er zer erde tot var von dem rosse nider seic. unde als er invollen sich geneic, daz swert im uz der scheiden schoz. des guete was also groz deiz im durch den halsperc brach unde im eine starchen wunden stach, daz ez vil sere bluote. des wart in unmuote der leu, er wande er wære tot, unde im was nach dem tode not. er rihte daz swert an einen struch unde wolde sich stechen durch den buch, wan daz im der herre Iwein dannoch lebendiger schein. der rihte sich uf unde saz unde wante dem leun daz daz er sich niht zetode stach. der herre Iwein clagte unde sprach : « unsælech man, wie verstu nu ? der unsæligest bistu der ie zerwerlde wart geborn ! nu wie hastu verlorn diner frouwen hulde ! iane wære diu selbe schulde zer werlde niemens wan din, ezn muese sin ende sin.

[fol. 76v]

[fol. 77r]

IWEIN : TRADUCTION

tranchante qu’elle s’enfonça à travers le haubert et lui causa une profonde blessure. Iwein saigna si abondamment que le lion en fut désespéré : il crut qu’il était mort et souhaita mourir à son tour. Il appuya l’épée contre un buisson et s’apprêtait à se l’enfoncer dans le ventre lorsqu’il remarqua que monseigneur Iwein était encore en vie. Celui-ci se releva pour s’asseoir et empêcha le lion de se tuer. Monseigneur Iwein dit en se lamentant : «  Malheureux homme, qu’est-il advenu de toi  ? Tu es l’homme le plus malheureux qui ait jamais vu le jour ! Comment as-tu pu perdre l’amour de ta dame ! Si ce n’était pas toi le seul coupable mais quelqu’un d’autre, alors cela signifierait sa mort !

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IWEIN : TEXTE

Noch ist er baz ein sælech man, der nie nach eren muot gewan danne der ere gewinnet unde sich so niht versinnet daz er si behalten chunne. eren unde wunne, der het ich beider als vil daz ichz got clagen wil, daz ich ir ie so vil gewan, ichn solde ouch stæte sin daran. wære mir niht geschehn heil unde liebes ein vil michel teil, so ne weste ich waz ez wære. ane senede swære so lebt ich friliche als e, nu tuot mir daz senen we. daz daz ie solde geschehn daz ich muese an sehn schaden unde schande in miner frouwen lande ! diz ist ir erbe unde ir lant, daz stuont e so ze miner hant, daz mir des wunsches niht gebrast, dem bin ich nu allem worden gast. ich mac wol clagen min schone wip. warumbe spar ich den lip ? min lip wære des wol wert daz mich min selbes swert zehant an im ræche unde ez durch in stæche. sit ichz mir selbe han getan, ich solt es ouch selbe buozze enpfan. nu git mir doch des bilde dirre leu wilde daz er vor herceleide sich wolde erstechen durch mich, daz rehtiu triuwe nahen gat. sit mir min selbes missetat, miner frouwen hulde, unde dehein ir schulde,

[Lettrine bleue]

[fol. 77v]

IWEIN : TRADUCTION

(3960) Celui qui n’a jamais cherché à acquérir d’honneurs est bien plus heureux que celui qui les acquiert mais n’est pas assez sage pour les garder. Je jouissais de tellement de plaisirs et d’honneurs que je regretterai toujours, Dieu m’en soit témoin, d’en avoir eu tant et de n’avoir pas su les conserver. Si je n’avais pas connu un tel bonheur et autant de moments agréables, alors je ne saurais pas ce que c’est. Sans cette peine causée par l’amour, je vivrais dans l’insouciance comme jadis. Mais désormais la nostalgie me fait souffrir. Pourquoi a-t-il fallu que mon malheur et ma honte me reviennent à l’esprit dans le pays de ma dame ! C’est son héritage et son pays : cela m’appartenait jadis de telle sorte que rien ne manquait à mon plus parfait bonheur. Tout ceci m’est devenu bien étranger désormais. J’ai de bonnes raisons de déplorer la perte de ma belle épouse. À quoi bon rester en vie ? Je mériterais que mon épée me venge immédiatement et me transperce. Puisque c’est moi qui suis responsable de tout cela, c’est moi également qui devrais être puni. Ce lion sauvage me montre par son exemple jusqu’où peut aller la loyauté, lui qui par chagrin a voulu s’enfoncer une épée dans le corps à cause de moi. Car c’est par ma propre faute que j’ai perdu l’amour de ma dame – elle-même est totalement innocente – sans que rien ne m’y ait contraint, et que j’ai troqué mes rires pour des pleurs. »

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IWEIN : TEXTE

ane allerslahte not verlos, unde weinen fur daz lachen chos. » Do disiu clage alsus geschach, [fol. 78r] [Lettrine rouge] daz horte wol unde sach ein iunchfrouwe, diu leit von forhten grozzer arbeit danne ie getæte dehein wip, wande si gevangen uf den lip in der chapeln lac. do er dirre clage pflac, do sach si hin fur durch eine schrunden an der tur. si sprach : « wer clagt da ? wer ? » « wer fragt des ? » sprach er. si sprach : « herre, daz hie clagt, daz ist ein also armiu magt, daz dehein sache von manigem ungemache also armiu mohte lebn. » er sprach : « wer moht iu gebn also grozzen chuomber als ich han ? ir moht wol iuwer clage lan, wan der verfluochte daz bin ich. » si sprach : « daz ist unmugelich daz iuwer chuomber muge sin des endes iender also der min. wan ich sihe wol daz ir stet beide ritet unde get swar iuch iuwer wille treit. [fol. 78v] so ist mir daz fur geleit, unde bin also gevangen, verbrant oder erhangen wirdich morgen an dem tage. ist niemen der michs ubertrage mirne werde der lip benomen. » er sprach : « frouwe, wie ist daz chomen ? » si sprach : « hab ich deheine schulde, got welle daz ich sine hulde, niemer gewinne. fur eine verratærinne

IWEIN : TRADUCTION

(4002) Alors qu’il se lamentait de la sorte, une demoiselle l’entendit et le vit. En proie à l’angoisse, elle souffrait du plus grand tourment qu’une femme ait jamais enduré, car elle était enfermée dans la chapelle et attendait son exécution. Tandis qu’il se désolait ainsi, elle regarda à travers une fente de la porte. Elle demanda : « Qui se lamente ainsi, qui donc ? » « Qui pose cette question ? », rétorqua-t-il. Elle dit : « Celle qui se plaint est une demoiselle si misérable qu’aucune créature ne pourrait, à cause de nombreux tourments, mener une vie aussi misérable. » Il rétorqua : « Qui pourrait vous infliger une peine aussi grande que celle qui est la mienne ? Vous pouvez renoncer à vos lamentations, car celui qui est maudit c’est moi. » Elle répondit : « C’est impossible. Votre malheur ne peut pas être aussi effroyable que le mien, car je vois bien que vous pouvez aller et venir où bon vous semble. Mais pour moi il en va tout autrement : je suis prisonnière et demain je serai pendue ou brûlée. Si personne n’est là pour me protéger, alors on me prendra la vie. » Il répliqua : « Dame, comment cela est-il arrivé ? » Elle dit : « Que Dieu fasse que j’aie perdu Sa grâce à jamais si je suis coupable d’une quelconque façon. On m’a enfermée ici parce qu’on m’accuse de trahison. Les gens de ce pays me reprochent une faute si grave que si j’étais coupable je mériterais une terrible punition. L’année dernière, la reine de ce pays prit un mari. Elle n’en eut que du malheur et on rejette la faute sur moi. Mais mon Dieu, qu’y puis-je si elle n’a pas eu de chance avec lui ? C’est la vérité, si jamais je lui ai conseillé de l’épouser, je l’ai fait pour son honneur. En outre, je trouve très étonnant qu’un homme aussi preux puisse agir aussi mal, car il est vraiment le meilleur homme que je connaisse sur terre. Et ce n’est pas non plus de sa faute, cela

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IWEIN : TEXTE

bin ich da her in geleit. daz lantfolch hat uf mich geleit eine schulde also swære, unde ob ich schuldec wære, so wære ich grozzer zuhte wert. ez nam in dem iare vert disses landes frouwe einen man. da missegienc ir leider an, die schulde legent si uf mich. nu herre got, waz moht ich daz ir an im missegie ? deiswar geriet ichz ir ie, daz tet ich durch ir ere. ouch wundert mich sere, daz ein also fruomer man so starche missetuon chan, wander was benamen der beste den ich do lebende weste. ouch ist ez niht von den schulden sin, ez ist von den unsælden min. alsus ringe ich mit sorgen. si bitent mir unz morgen, so wellent si nemen mir den lip. wan ich bin leider ein wip, daz ich mich mit kampfe iht wer, so en ist ouch niemen der mich ner. » er sprach : « so laze ich iu den strit, daz ir angesthafter sit danne ich, sit ez umbe iuch so stat daz ez iu an den lip gat, ob ir iuch niht mugt erwern. » si sprach : « wer mohte mich ernern ? der ioch den willen hæte, daz er ez gerne tæte, wer het dannoch die kraft ern dulte von in meisterschaft ? wan ez sint dri starche man die mich alle sprechent an. ich weiz ir zwene, unde ouch niht me, an den so volleclichen ste

[fol. 79r]

IWEIN : TRADUCTION

vient de mon infortune. C’est pourquoi je suis en proie au tourment. Ils m’ont accordé un délai qui expire demain, ensuite ils me tueront, car malheureusement je suis une femme et je ne puis me défendre lors d’un duel. Et il n’y a personne qui puisse me sauver. » Il répondit : « Alors je vous concède que votre situation est plus angoissante que la mienne, puisque c’est votre vie qui est en jeu si vous ne pouvez pas vous défendre. » Elle dit : « Qui pourrait me sauver ? S’il se trouvait quelqu’un qui, de bon gré, soit prêt à agir, aurait-il alors suffisamment de force pour ne pas succomber à leur supériorité ? En effet, ce sont trois hommes forts qui m’accusent. Je ne connais au total que deux personnes, et pas une de plus, qui ont la force et le courage nécessaires afin d’entreprendre une si terrible épreuve en mon nom, misérable que je suis. Ces deux hommes sont tels que chacun d’eux pourrait tuer sans armes tous ces gens, aussi nombreux soient-ils. Et je suis absolument certaine que si l’un d’eux était au courant de ma détresse, il viendrait combattre pour moi. Pour l’instant, je ne peux compter sur aucun d’entre eux et ma mort est inéluctable. Je ne mets d’espoir en personne hormis ces deux hommes. »

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IWEIN : TEXTE

diu tugent unde diu manheit, die sich so grozze arbeit durch mich armen næmen an. daz sint ouch zwene selhe man, ir ietweder sluege ane wer disses folches wol ein her. unde weiz daz als minen tot, weste ir ietweder mine not, er chome unde væhte fur mich. der dewedern magich ze disen ziten niht han, unde muoz mir an den lip gan. ich getru es niemen wan in zwein. » Do sprach der herre Iwein : « nu nennet mir die dri man die iuch mit kampfe sprechent an. unde nennet mir dannoch me die zwene umbe diez so ste, daz ietweder so fruom si daz er eine væhte wider dri. » si sprach : « ich nennes iu alle wol. der drier gewalt ich da dol, der eine ist truhsæzze hie, unde sine bruoder, die mir ie waren nidech unde gehaz, wande mich min frouwe het baz, danne si mir des gunden. nu habent si sie des uberwunden daz ouch si nu wol ubersiht swaz mir leides geschiht. do min frouwe ir man nam, der ir nach wane wol gezam unde si darnach niht wol enlie, do begaben si mich nie mit tægelicher arbeit. si zigen mich der falscheit daz ez schueffe min list daz ir so missegangen ist. unde swaz ouch mir davon geschiht, so ne lougen ich des niht,

[fol. 79v]

[Lettrine bleue]

[fol. 80r]

IWEIN : TRADUCTION

(4093) Iwein dit alors : « Dites-moi donc qui sont ces trois hommes qui vous défient de les combattre. Et  dites-moi également qui sont ces deux hommes qui sont si vaillants que chacun d’eux pourrait combattre seul vos trois adversaires. » Elle répondit : « Je vais vous les nommer tous. Les trois hommes au pouvoir desquels je me trouve sont le sénéchal de ce pays et ses deux frères : depuis toujours ils me détestent et me jalousent, car ma dame me favorisait trop à leurs yeux. Désormais ils ont pris un tel ascendant sur elle qu’elle se soucie bien peu de savoir si l’on me fait du mal. Après que m’a dame se fut mariée à un homme qui de toute évidence lui convenait fort bien mais qui ensuite l’abandonna honteusement, ils n’eurent de cesse de me harceler chaque jour. Ils m’accusèrent de fausseté et prétendirent que c’était à cause de mes intrigues si cela avait mal tourné pour ma dame. Et quoi qu’il puisse m’arriver, je ne le nie pas : c’est à cause de mes conseils et de mes prières qu’elle l’a pris pour époux, car je m’étais attendue à ce que – quoi qu’il advienne – elle en tire bénéfice et honneur. Maintenant ils me diffament et m’accusent de l’avoir trahie.

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IWEIN : TEXTE

ezn fuocte min rat unde min bet daz siz ie umbe in getet, wandich mich des umbe in versach, geschæhez als ez doch geschach, si het es fruom unde ere. nu felschent si mich sere, ich habe si verraten. wande si mir do taten michel unreht unde gewalt, des wart min leit vil manecfalt, unde ich armiu verlorne vergahte mich mit zorne. wan daz ist gar der sælden slac, swer sinem zorne niene mac getwingen, ern uberspreche sich. leider also ubersprach ich mich, ich han mich selben verlorn. wandich sprach durch minen zorn, swelhe dri die tiursten man sich von dem hove daz næmen an daz siz beredten wider mich, einen riter funde ich der mit in allen drin strite, ob man mir vierzech tage bite. der rede giengen si do nach. wande mir was zegach, man liez mich ir niht wandel han, unde enwart ouch des niht erlan ichn schueffe in rehte sicherheit daz ich der rede wære gereit als ich da het gesprochen, daz ich in sehs wochen mich mit kampfe loste. die zwene der ich mich troste, die reit ich suochen in diu lant, daz ich ir dewedern vant. ouch suochte ich den kunech Artus, unde envant da niemen zehus der sich ez wolde nemen an, sus schiet ich ane kempfen dan.

[fol. 80v]

[fol. 81r]

IWEIN : TRADUCTION

Comme ils me firent grand tort et m’infligèrent de nombreux tourments, ma souffrance devint insupportable et, misérable que je suis, je me laissai emporter par la colère. C’est bien le pire des malheurs que de ne pas savoir maîtriser sa colère et de trop parler. Et malheureusement j’ai parlé trop vite, entraînant ainsi ma propre perte. Emportée par ma colère, je déclarai que même si les trois hommes les plus valeureux de la cour entreprenaient de prouver ma culpabilité par un duel judiciaire, je trouverais un chevalier prêt à combattre contre eux trois si l’on m’accordait un délai de quarante jours. Ils acceptèrent ma proposition. Bien que j’aie parlé trop vite, on ne me permit pas de revenir sur mes paroles et on exigea que je m’engage solennellement à respecter la proposition que j’avais faite et à venir prouver mon innocence par un combat d’ici six semaines. Je parcourus de nombreux pays en quête des deux chevaliers en qui j’avais placé tous mes espoirs, mais je ne trouvai aucun des deux. Je me rendis également à la cour du roi Arthur mais n’y trouvai personne qui veuille s’occuper de mon affaire. C’est pourquoi je repartis sans champion et je fus la risée de tous ici, ce qui m’affligea profondément.

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IWEIN : TEXTE

des wart ich so zespotte hie daz ez mir an min herce gie. sus wuorfen si mich da her in, als ich des bitende bin daz sich min lebn sol enden. wan die mirz hulfen wenden, die sint mir vil ungereit. mir hulfe uz dirre arbeit sweder ez weste von disen zwein, her Gawein ode her Iwein. » « welhen Iwein meint ir ? » sprach er. si sprach : « herre, daz ist der durch den ich lide disiu bant. sin vater ist genant der kunech Frien. dirre kuomber da ich inne sten, der ist von sinen schulden. mir was zesinen hulden ze liep unde zegach, unde ranch starche darnach daz er herre wuorde hie leider als ez ouch ergie. er behagte mir zegahes wol, wan swer den man erchennen sol, da gehœret langer wile zuo. er liepte mir al zefruo, ich wande er kunde lonen baz. min rat fuoget im daz daz sichs min frouwe underwant unde gap im lip unde lant. nu hat er si beswichen im selben schedelichen. ez ist sin unsælecheit, des swuere ich wol einen eit, min frouwe ist ein so edel wip daz er niemer sinen lip bestæten uf der erde chan zehoherm werde. si ist so schœne unde so rich, wære er sinem libe gelich, *

[fol. 81v]

IWEIN : TRADUCTION

Finalement ils me jetèrent dans cette prison où j’attends que ma vie prenne fin. En effet, ceux qui pourraient m’aider à empêcher cela ne sont pas disponibles. S’ils étaient au courant, chacun viendrait me délivrer de ce tourment, il s’agit de monseigneur Gawein et de monseigneur Iwein. » « De quel Iwein parlez-vous ? » demanda-t-il. Elle répondit : « Seigneur, c’est celui à cause duquel je dois endurer cette captivité. Son père est le roi Frien [= Urien]. C’est par sa faute que je dois supporter ces malheurs. J’ai été trop empressée et trop zélée de vouloir gagner son amitié, et j’ai tout fait pour qu’il devienne roi ici – ce qui, malheureusement, s’est effectivement produit. C’est beaucoup trop vite qu’il m’a plu, car pour bien connaître quelqu’un il faut plus de temps. Je me pris trop rapidement d’affection pour lui et je crus qu’il me récompenserait mieux. C’est à la suite de mes conseils que ma dame décida de se donner à lui et de lui confier son pays. Mais maintenant il l’a trahie à ses propres dépens. Il a causé son propre malheur, car je pourrais jurer que ma dame est une femme si noble que jamais sur terre il ne pourra trouver meilleur parti. Elle est si belle et si puissante que, même si elle était juste d’un rang égal au sien,

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IWEIN : TEXTE

So freut er sich daz siz getet. » * do sprach er : « heizzet ir Lunet ? » si sprach : « herre, ia ich. » er sprach : « so erchennet mich, ich bin ez Iwein der arme. daz ez got erbarme daz ich ie wart geborn ! nu wie han ich verlorn miner frouwen hulde ! sit daz diu selbe schulde niemens ist wan min, der schade sol ouch min eines sin. ichn weiz wem si mere gebe. * ia ne muet mich niht wan daz ich lebe, ouch sol ich schiere tot geligen. doch so truwe ich wol gesigen an den ritern allen drin, die iuch geworfen hant her in. unde swenne ich iuch erlost han, so sol ich mich ouch slahen lan. * min frouwe sol den kampf sehn, wander muoz vor ir geschehn. ichn weiz waz ich nu mere tuo wan daz ich morgen fruo uber mich selben rihte unde zuo ir an gesihte wil ich hie ligen tot. wandez muoz doch min senediu not mit dem tode ein ende han. diz sol allez ergan daz si niht wizze wer ich si, unz ich erstirbe unde die dri an den ich iuch rechen sol. so weiz min frouwe danne wol, so si bevindet wer ich bin daz ich den lip unde den sin vor leide verlorn han. diu rache sol vor ir gan. ouch ist reht daz ich iu lone der erbæren krone

[Lettrine rouge]

[fol. 82r]

[fol. 82v]

IWEIN : TRADUCTION

(4200) il pourrait se réjouir qu’elle l’ait épousé. » Il demanda alors : « Vous appelez-vous Lunete ? » Elle répondit : « Oui, seigneur, c’est moi. » Il ajouta : « Alors regardez : je suis Iwein le misérable. Que Dieu ait pitié de moi ! Comment ai-je pu tomber en disgrâce auprès de ma dame ! Puisque toute la faute n’incombe qu’à moi, le dommage n’en reviendra également qu’à moi seul. Je ne sais sinon à qui attribuer la faute. La seule chose qui me pèse est de vivre, mais bientôt je serai mort. Cependant, je suis sûr de pouvoir vaincre les trois chevaliers qui vous ont enfermée ici. Et lorsque je vous aurai délivrée, je me tuerai moi-même. Ma dame assistera au combat, car il devra se dérouler en sa présence. Je ne sais ce que je puis faire de plus que de me faire justice demain matin et mourir sous ses yeux. La mort mettra un terme aux souffrances que me cause l’amour. Tout devra se passer sans qu’elle sache qui je suis avant que je sois mort et que j’aie tué les trois chevaliers dont je saurai vous venger. Ainsi ma dame comprendra, une fois qu’elle m’aura reconnu, que la douleur m’aura fait perdre la vie et la raison. La punition devra avoir lieu devant elle. Il est juste que je vous récompense pour cette couronne qui me fait honneur et que je porte grâce à vous. Je jouissais de grands honneurs. À quoi me sert-il d’avoir trouvé de l’or : l’or que trouve un fou est en de bien mauvaises mains, car le fou le jette aussitôt. Quelle que soit la manière dont j’ai agi envers moi-même, vous pouvez être certaine que je ne vous abandonnerai pas, parce que je serais mort si vous ne m’aviez pas tiré d’affaire. Demain j’agirai de la même façon envers vous. » Il ôta alors son heaume et aussitôt elle put s’assurer que c’était bien monseigneur Iwein. Ses soucis en furent rendus plus légers, elle pleura de joie et dit ouvertement ce qu’elle pensait : « Il ne peut plus rien m’arriver de mal maintenant que j’ai vu monseigneur Iwein en vie. Je craignais que vous ayez été tué. À la cour personne ne put me dire si vous étiez encore vivant. »

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IWEIN : TEXTE

die ich von iuwern schulden truoc. ich het eren gnuoc. waz half mich daz ich golt vant ? ez ist vil ubel bewant zuo dem toren goldes funt, er wirfet ez hin sa zestunt. swie ich zuo mir selben habe getan, ir sult iedoch gewis han, ichn laze iuch niht underwegen, wan do ich tot wære gelegn, do hulfet ir mir von sorgen. also tuon ich iu morgen. » nu entwafent er sin houbet unde wart im wol geloubet daz erz der her Iwein wære. geringet wart ir swære, vor freuden si do weinde unde sprach als siz ouch meinde : « mirne mac nu niht gewerren, sit ich minen herren lebenden gesehn han. ez was min angest unde min wan daz ir wæret erslagen. ichn horte da zehove sagen von iu dehein daz mære daz iuwer iht wære. » [E]r sprach : « min frouwe Lunet, wa was er der noch ie tet des alle frouwen ruochten die sinen dienst suochten, min lieber friunt her Gawein, der ie nach frouwen willen schein, der ie danach ranch unde noch tuot ? het ir im gesagt iuwern muot, er het iuch alles des gewert des ir an in het gegert. » si sprach : « het ich den funden, so het ich uberwunden mine sorgen da zehant. daz ich sin da niene vant,

[fol. 83r]

[Lettrine bleue manquante]

IWEIN : TRADUCTION

(4266) Il dit : « Ma dame Lunete, où était celui qui a toujours fait ce que toutes les dames qui demandaient son secours attendaient de lui ? Je parle de mon cher ami, monseigneur Gawein, qui s’est toujours efforcé et qui s’efforce encore d’agir selon la volonté des dames. Si vous lui aviez fait part de votre souhait, il vous aurait accordé tout ce que vous auriez exigé de lui. » Elle répondit : « Si je l’avais trouvé, j’aurais aussitôt été délivrée de mes tourments. Si je ne l’ai trouvé nulle part à la cour, cela est dû à une étrange affaire : on avait enlevé la reine. Celui qui avait fait cela était un chevalier que tous souhaitaient humilier. Ceci se produisit précisément à la même époque que celle où je vins présenter ma requête. Monseigneur Gawein était parti sur les

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IWEIN : TEXTE

daz was wunderliche chomen. in was diu kunegin genomen. daz het ein riter getan, den wolden si gelastert han. unde was daz in den selben tagen, do ich dar chom durch clagen. der her Gawein was nach gestrichen. ich vant da wærlichen umbe die frouwen grozzez clagen, unde ouch umbe sin nach iagen. si forhten des daz si daz wip verlurn unde dazuo er den lip, wander niht wider wolde chomen, ern erfuere wer si het genomen. » Nu was im daz mære durch sinen gesellen swære. er sprach : « nu muezze iuch got bewarn. frouwe, ich muoz von hinnen varn unde mich bereiten darzuo. unde wartet min morgen fruo, ich chuom ze guoter kampf zit. unde als hofsch so ir sit, so ne sagt niemen wer ich si. deiswar ich slahe si alle dri, ich hilfe iu von dirre not, ode ich gelige durch iuch tot. » si sprach : « lieber herre, so stuende iuch al zeverre enwage ein also vorder lip umbe ein alsus armez wip. mir ist der rede gar zevil unde wizzet daz ich iemer wil den willen fur diu werch han. ir sult der rede sin erlan. iuwer lebn ist nutzer danne daz min unde mœht ez ein fuoge sin daz ichs getorste biten so wære daz gar wider den siten daz einer kampfte dri man. wan die liute gehabent sich daran

[fol. 83v]

[Lettrine rouge]

[fol. 84r]

IWEIN : TRADUCTION

traces du ravisseur. En vérité, je ne trouvai que des gens qui se lamentaient terriblement au sujet de la reine et aussi du fait que monseigneur Gawein était parti à sa recherche. Ils craignaient de ne plus revoir leur reine et avaient peur que, pour comble de malheur, Gawein ne perde la vie, car il ne voulait pas revenir avant d’avoir appris qui l’avait enlevée. »

(4294) Après avoir entendu ces nouvelles, Iwein se fit du souci au sujet de son compagnon. Il dit : « Que Dieu vous protège. Dame, il me faut partir et me préparer au combat. Attendez-moi demain matin : j’arriverai à l’heure pour le duel. Soyez assez aimable pour ne révéler à personne qui je suis. En vérité, je les tuerai tous les trois et vous délivrerai de ces tourments ou je mourrai moi-même pour vous ! Elle déclara : « Cher seigneur, il serait inconvenant de risquer votre vie si noble pour une femme aussi misérable que moi. Vos paroles me paraissent exagérées et sachez que votre volonté me suffit et tient lieu d’actes. Je vous libère de cette promesse. Votre vie est plus utile que la mienne et même s’il était convenable que j’ose vous demander cela, le fait qu’un homme en combatte trois irait totalement à l’encontre des règles. En effet, les gens sont d’avis que combattre deux hommes quand on est seul équivaut à combattre une armée. Dans le cas qui nous concerne, aucune résistance ne serait possible. Si vous perdiez la vie à cause de moi, aucune pauvre femme ne serait aussi malheureuse que moi. De plus, ils me tueraient. Il vaut mieux que je périsse seule plutôt que nous mourrions tous deux. »

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IWEIN : TEXTE

daz zwene man sins eines her. * so wære diz gar ane wer. verlurt ir durch mich den lip, so ne wart nie dehein armez wip als unsælech so ich. wan dannoch sluegen si mich. so ist bezzer min verderben danne daz wir beidiu sterben. » [E]r sprach : « diu rede sol bezzer wesn, wan wir suln beidiu wol genesn. deiswar ich wil iuch trœsten wol, wan ichz ouch bewarn sol. ir habt so vil durch mich getan, ob ich deheine triuwe han. so sol ich daz ungerne sehn daz iu zeschaden mac geschehn da ichz chan erwenden. diu rede sol sich enden. si muezzen iuch weizgot lazen fri, ode ich erslahe si alle dri. » Nu was im durch sine fruomcheit ir laster unde ir schade leit. si wære gerne genesn, ob daz also mohte wesn daz er den lip niht verlur. sit ab er mit frier chur den kampf wolde bestan, so lie siz unde muosez lan. nu entwelt er da niht me, sin leu volget im als e. unde reit unz er ein hus ersach, da was guot riters gemach. diu burch was harte veste in allen wis diu beste fur stuerme unde fur mangen. den berch het bevangen ein burch mure hoch unde diche. doch sach vil leiden an bliche der da wirt was genant. dem was diu vorburch verbrant

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 84v] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(4328) Il rétorqua : «  Toute cette affaire se terminera mieux que vous ne le croyez, car nous survivrons tous les deux. En vérité, si je vous réconforte c’est que je saurai bien tenir parole. Vous avez tant fait pour moi que, si j’ai la moindre once de loyauté, je ne pourrai supporter que l’on s’en prenne à vous alors que je peux l’empêcher. C’est ainsi que cette affaire se terminera : par Dieu, ils devront vous libérer ou bien je les tuerai tous les trois. »

(4340) Alors, parce qu’il avait un cœur noble, la honte et les souffrances endurées par Lunete lui pesaient. Elle aurait bien aimé échapper à la mort à condition toutefois qu’Iwein ne perde pas la vie. Puisqu’il était prêt à livrer ce combat de son plein gré, elle en resta là, et de toute façon elle ne pouvait faire autrement. Iwein ne s’attarda pas là davantage et son lion le suivit comme auparavant. Il chevaucha jusqu’au moment où il aperçut un château dans lequel un noble chevalier pouvait se reposer. Le château était puissamment fortifié et offrait le meilleur abri contre les assauts et les machines de jet. Le promontoire était ceint d’une haute et épaisse muraille. Cependant celui qui était châtelain en ce lieu avait devant les yeux un spectacle bien affligeant : toute la basse-cour avait été détruite par les flammes jusqu’aux murs du château. Monseigneur Iwein s’y rendit en suivant le chemin. Lorsqu’il arriva à proximité du château le pont-levis fut descendu et il vit venir à sa rencontre six beaux écuyers. À en juger par leurs manières, leur apparence et leurs habits, ils auraient pu servir l’empereur. Ce sont eux qui accueillirent Iwein. Bien vite arriva le châtelain, en homme qui savait ce qu’il convenait de faire. Il

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IWEIN : TEXTE

unz an die burchmure gar. nu chom min her Iwein dar, als in der wech lerte. do er ze dem huse cherte, do wart diu bruoke nider lan, unde sach gegen im gan sehs knappen wætliche, si zæmen wol dem riche an aller ir getat an ir libe unde an ir wat. von den wart er enpfangen. vil schiere chom gegangen der wirt als ein bescheiden man. der gruozte in unde fuorte in dan uf daz hus an guot gemach, da er riter unde frouwen sach eine wol getane schar. do nam er ir beider war, ir gebærde unde ir muotes, do ne vander niuwan guotes. swer ie kuomber erleit, den erbarmet des mannes arbeit michels harter danne den man der nie chuomber gewan. der wirt het selbe vil gestriten unde diche uf den lip geriten, unde geloupte dem gaste deste baz, wander allez bi im saz unz er entwafent wart. der wille was da ungespart von manne unde von wibe, si wuorden sinem libe ze dienste gecheret unde uber stat geret. si waren vil vaste ze liebe dem gaste alle wider ir willen fro, wand ir herce meindez niender so. in het ein tægelich herceleit vil gar die freude hin geleit.

[fol. 85r]

[fol. 85v]

IWEIN : TRADUCTION

salua Iwein et le conduisit à l’intérieur du château, dans une belle pièce où il put voir une plaisante assemblée de chevaliers et de dames. Il observa leurs manières et leur façon d’être et n’y trouva rien à redire. Celui qui a déjà enduré des tourments ressent de la compassion pour les souffrances d’autrui, bien plus que celui qui n’a jamais été éprouvé par le malheur. Le châtelain avait lui-même beaucoup combattu et avait souvent risqué sa vie en livrant des combats à cheval, et il fut d’autant plus prévenant envers son invité : il resta auprès de lui jusqu’à ce qu’on lui eût enlevé son armure. Personne ne ménagea ses efforts, tous – hommes et femmes – étaient à son service et lui firent plus d’honneurs que cela n’était la coutume. Ils s’efforcèrent tous, contre leur gré, d’être joyeux par respect pour leur invité, car leur cœur n’était pas de la partie. Une douleur qui les accablait chaque jour avait anéanti toute joie. Mais Iwein, comme tous les autres étrangers, n’en savait rien. Ainsi, toute leur joie et leur gaieté n’était nullement appropriée : la joie que l’on simule – celle qui est artificielle de telle sorte que la bouche rit tandis le cœur est brisé par la peine et les soucis – ne vaut rien. Et elle ne trompe personne : celui qui sait un tant soit peu observer reconnaît la fausse joie, celle qui ne vient pas du cœur. Ainsi leur stratagème ne leur fut pas utile très longtemps : la crainte et les inquiétudes que tous éprouvaient en songeant au lendemain eurent raison de leur joie. Le deuil reprit le dessus et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la joie qu’ils avaient affichée fit place à des sanglots et des gémissements. Lorsque monseigneur Iwein le remarqua, il demanda au châtelain ce qui lui était arrivé.

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IWEIN : TEXTE

da er niht umbe weste, er sam ander geste. ouch enhet ir freude unde ir schimpf deheiner slahte gelimpf. diu truogefreude ist enwiht, diu so mit listen geschiht, so der munt lachet unde daz herce krachet vor leide unde vor sorgen. ouch ist ez unverborgen, ezn chiese list freude ein man der sich ihtes versinnen chan, unde welch freude niht des hercen ist. ouch half si unlange ir list. diu forhte unde daz sorgen daz uf den tac morgen da het wip unde man, daz gesigte ir freuden an. truren behabte da den strit, unde vercherte sich in so kurzer zit daz iu daz niemen chan gesagen, in ein weinen unde in ein clagen diu freude der man e da pflac. do daz her Iwein ersach, do fragter den wirt mære, waz im geschehn wære. [E]r sprach : « sagt mir, herre, durch got waz iu werre, unde waz dirre wehsel diute, daz ir unde iuwer liute so niuweliche waret fro. wie hat sich daz verchert so ? » do sprach des huses herre : « waz uns arges werre, der mære durfet ir niht gern. iedoch welt irs niht enbern, so sagich iu unser arbeit so beswært ez iuch, daz ist mir leit. ez ist iuch bezzer verswigen, unde freut iuch mit den sæligen.

[fol. 86r]

[Lettrine bleue manquante]

IWEIN : TRADUCTION

(4426) Il demanda : « Seigneur, pour l’amour de Dieu dites-moi ce qui vous pèse et ce que signifie ce changement d’humeur, alors que vous et vos gens étiez joyeux il y a quelques instants. Pourquoi avez-vous changé de comportement ainsi ? » Alors le seigneur du château répondit : « Il vaudrait mieux que vous ne demandiez pas quel malheur nous afflige. Cependant si vous insistez je vous dirai ce qui nous accable, mais si cela vous attriste j’en serai désolé. Il vaudrait mieux pour vous que nous vous le cachions et que vous partagiez la joie de ceux qui sont heureux. Je suis un enfant du malheur et je dois partager la tristesse de ceux qui sont malheureux, car tel est mon destin. »

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IWEIN : TEXTE

ich bin der unsælden kint mit den die unsælech sint muoz ich leider sin unfro, wan ez geziuhet mir also. » nu bat der gast unz an die stunt daz im der wirt tet kunt alle sine swære. er sprach : « mir ist unmære der lip iemer mere, wandich alte ane ere. mir wære bezzer der tot. ich lide laster unde not von einem so gewanten man da ichz gerechen niene chan. mir hat gemachet ein rise mine huobe zeiner wise unde hat mich ane getan alles des ich solde han, unz an die burch eine. unde sagiu doch wie cleine alle mine schulde sint. ich han eine tohter, ein kint, daz ist ein harte schœniu magt. daz ich im die han versagt, darumbe wuestet er mich. zware e verliuse ich daz guot unde wage den lip, e si iemer werde sin wip. dazuo so han ich sehs chint, die alle riter sint. die hat er gar gevangen, unde hat ir zwene erhangen daz ichz an muose sehn. wem mohte leider geschehn ? unde hat ir noch viere, die verliuse ich aber schiere, wan die selben fueret er fur die burch morgen her. unde wil si vor mir tœten unde mich da mit nœten

[fol. 86v]

[fol. 87r]

IWEIN : TRADUCTION

Alors l’invité insista jusqu’à ce que le châtelain lui révélât tous ses soucis. Il dit : « La vie m’est de plus en plus insupportable, car je vieillis dans le déshonneur. La mort me serait plus douce. Je subis honte et tourments de la part d’un homme dont je ne puis me venger. Un géant a dévasté mes terres et m’a dérobé tout ce qui m’appartient à l’exception de cet unique château. Et cependant je vous assure que ma faute est bien minime : j’ai une fille, une enfant qui est une très belle demoiselle. Et comme je la lui ai refusée, il ravage mon pays. En vérité, je préfère perdre mes biens et risquer ma vie plutôt que de la lui donner pour épouse. De plus, j’ai six jeunes fils qui sont tous chevaliers. Ils les a tous capturés et en a déjà pendu deux sous mes yeux. Qui pourrait connaître un plus grand malheur ? Il en détient encore quatre, mais eux aussi je vais bientôt les perdre, car il veut les conduire demain devant le château et les tuer devant moi afin de me contraindre à lui donner leur sœur. Que Dieu me garde de vivre cette épreuve et envoie la mort me chercher cette nuit. Le géant dit – et c’est là mon plus grand chagrin – qu’une fois qu’il aura usé d’une telle brutalité et me l’aura enlevée par la force, il renoncera à la prendre pour femme et la livrera au plus vil de ses valets. Dans ces conditions, comment pourrais-je ne pas détester la vie ? Ce géant s’appelle Harpin. Si j’ai jamais mérité que Dieu me châtie de manière aussi honteuse et humiliante, alors puisset-Il me punir moi et épargner mes enfants qui sont innocents, honnêtes et vertueux ! »

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IWEIN : TEXTE

daz ich im ir swester gebe. got enwelle niht daz ichz gelebe unde sende mir hinaht den tot. er giht, daz ist min meistiu not, swenner mir si an beherte, mit selhem ungeverte so weller ir zewibe haben rat, unde dem bœsten garzun den er hat dem weller si danne gebn. mac mir danne min lebn niht wol unmære sin ? der rise heizzet Harpin. habe ich den lasterlichen spot gedient iender umbe got, wolder daz rihten uber mich unde liezze den gerich uber miniu unschuldigen kint, diu biderbe unde guot sint ! » [D]o der gast sin ungemach beidiu gehorte unde ersach, daz begunde im an sin herce gan. er sprach : « wie habt ir daz verlan irn suochet helfe unde rat da er iu zesuochen stat, in des kuniges Artus lande ? ir habt dise schande ane not so lange erliten. ir soldet dar sin geriten, er hat gesellen under den het ir funden ettewen der iuch des risen beloste. » er sprach : « der mir zetroste da wære der beste unde mir chome, ob erz weste, het ich in da funden, der ist ze disen stunden niht da zelande. der kunech treit ouch die schande der er vil gerne enbære. welt ir ein fremde mære

[fol. 87v]

[Lettrine bleue manquante]

IWEIN : TRADUCTION

(4498) Lorsque l’invité entendit cela et vit à quel point la détresse du châtelain était grande, il en fut profondément ému. Il dit : « Pourquoi avez-vous omis d’aller chercher de l’aide et du secours là où vous auriez pu en trouver : dans le pays du roi Arthur ? C’est bien inutilement que vous avez subi cette humiliation si longtemps. Vous auriez dû vous y rendre, car il a des compagnons parmi lesquels vous auriez trouvé quelqu’un qui vous aurait délivré du géant. » Le châtelain répondit : « Celui qui m’aurait été d’un grand secours, et qui serait venu si je l’avais trouvé à la cour d’Arthur et s’il avait été au courant de ma situation, est à cette heure justement hors du pays d’Arthur. En effet, le roi est lui aussi victime d’une humiliation dont il se passerait bien. Si vous êtes disposé à écoutez une étrange histoire, je vais vous raconter de quoi il s’agit. Il y a huit jours, un chevalier arriva à la cour d’Arthur parce qu’il savait parfaitement qu’il trouverait à ce moment-là le roi assis à table avec tous ceux de la Table ronde. Il descendit de cheval et déclara : “Je suis venu ici pour demander une faveur. Sire, j’ai entendu parler de votre générosité et de votre vertu. J’espère que vous ne

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IWEIN : TEXTE

hœren, daz wil ich iu sagen. ez chom in disen siben tagen ein riter geriten dar unde nam des vil rehte war daz er zerselben stunde die von der tavelrunde umbe den kunech sitzen sach. er erbeizte nider unde sprach : “ich bin uf gnade her chomen. herre, ich han von iu vernomen die milte unde die frumcheit. ich gedinge mir si unverseit ein gabe der ich von iu ger. nach der bin ich chomen her.” do sprach der kunech Artus : “swes ir geruochet hie zehus, des sit ir alles gewert, ist daz ir betlichen gert.” [E]r sprach : “daz sult ir an mich lan. als ich von iu vernomen han, so muese iu daz missezemen, woldet ir iht uz nemen. swaz ez nu si des ich bite, da eret mich, herre, mite unde lat die bet zemir, wandich ir anders gar enbir.” Daz widerredte der kunech Artus. sus schiet er uz sinem hus vil harte zornliche dan. er sprach : “ez ist vil manech man an disem kunige betrogen, diu werlt hat vil von im gelogen. man sagt von siner miltecheit ezn wuorde riter nie niht verseit, swes er in gebæte. sin ere si unstæte, dem er wol gevalle !” diz bagen horten alle die von der tavelrunde unde sprachen mit einem munde :

[fol. 88r]

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 88v] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

me refuserez pas le don que je vais vous demander. C’est pour cela que je suis venu.” Alors le roi Arthur répondit : “Quoi que vous souhaitiez obtenir qui se trouve en cette cour, cela vous sera accordé à condition que votre demande soit décente.”

(4538) Le chevalier répondit : “C’est à moi qu’il revient d’en décider. D’après ce que j’ai entendu dire de vous, il ne convient pas à quelqu’un tel que vous d’émettre des réserves. Quelle que soit la requête que je m’apprête à présenter, vous m’honorerez, sire, en me laissant seul décider de son contenu. Sinon je préfère y renoncer.”

(4546) Le roi Arthur refusa. Alors le chevalier, en proie à une très grande colère, quitta le château en disant : “Beaucoup de gens se sont trompés sur le compte de ce roi, on a raconté de nombreux mensonges à son sujet. On rapporte qu’il n’a jamais refusé sa générosité à un chevalier, quoi que celui-ci lui demande. Que soit déshonoré celui qui estime un tel roi !” Tous ceux de la Table ronde entendirent cet affront et dirent à l’unisson : “Sire, vous agirez mal si vous laissez ce chevalier partir ainsi. À qui avez-vous jamais refusé quelque chose ? Faites confiance à sa courtoisie, il semble bien être homme à savoir présenter une requête décente. S’il quitte la cour animé par une telle inimitié,

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IWEIN : TEXTE

“herre, ir habt missetan, welt ir den riter sus hin lan. wem habt ir noch iht verseit ? lat ez an sine hofscheit, er gelichet wol einem man der betliche biten chan. unde scheidet er von hinnen mit selhen unminnen, ern gesprichet niemer mere dehein iuwer ere.” [D]er kunech sich bedahte unde schuof daz man in brahte. unde gelopte im mit stæte, zetuonne swes er bæte. do ne bedorft er mere sicherheit, wan sin wort was ein eit. do bat er als ein frævel man daz er muese fueren dan sin wip die kuneginne. daz het die sinne dem kunige nach genomen. er sprach : “wie bin ich uberchomen ! die disen rat taten, die habent mich verraten.” do in der riter zuornen sach, do trost er in unde sprach : “herre, habt guote site, wandich ir anders niene bite wan mit dem gedinge, ob ich si hinnen bringe. ir habt der besten ein her, ob ich si allen den erwer die mir durch si ritent nach. ouch enlaze ich mir niht wesn gach, niuwan als alle mine tage, und wizzet wol swer mich iage daz ich sin wol erbite unde daz ich niemer gerite deste drater umbe ein har.” nu muose der kunech lazen war

[Lettrine bleue manquante] [fol. 89r]

[fol. 89v]

IWEIN : TRADUCTION

il ne parlera plus jamais en bien de vous.”

(4570) Le roi réfléchit et ordonna qu’on le fasse revenir. Il lui promit de manière irrévocable de faire ce qu’il demanderait. Alors le chevalier n’eut pas besoin d’autres gages, car la parole du roi valait un serment. Dans son impudence, le chevalier demanda à pouvoir emmener avec lui la reine, l’épouse d’Arthur. Cela a bien failli rendre le roi fou. Il s’exclama : “Comme je suis trahi ! Ceux qui m’ont donné ce conseil m’ont bien abusé.” Lorsque le chevalier vit le roi se mettre en colère, il lui dit pour le rassurer : “Sire, reprenez-vous, car je ne vous demande la reine qu’à condition de pouvoir l’emmener hors d’ici et, alors que vous disposez d’une armée composée des meilleurs chevaliers, de pouvoir la défendre contre tous ceux qui me poursuivront pour l’amour d’elle. De plus, je ne me dépêcherai pas : j’irai à ma vitesse habituelle, et vous pouvez être certain que, quel que soit celui qui me poursuivra, je saurai bien l’attendre et je n’augmenterai pas mon allure d’un pouce.” Le roi dut alors tenir la promesse qu’il lui avait faite et le chevalier emmena la reine.

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IWEIN : TEXTE

daz er gelopte wider in, die kuneginne fuorter hin. Do diu frouwe schiet von dan do sach si iæmerlichen an alle die da waren, unde begunde gebaren als ein wip diu sere sorget umb ir ere. unde mante si als si kunde mit gebærden unde mit dem munde, daz man si lediget enzit. der hof enwart da vor noch sit so harte nie beswæret. si waren unerværet die si da fueren sahen. da wart ein michel gahen, ez rief dirre unde der : “harnasch unde ros her !” unde swer ie bereit wart, der iagte nach uf der vart. si sprachen : “sin wirt guot rat, sit erz uns so geteilt hat. er fueret si unverre, ezn si daz unser herre mit eme wider uns si.” dou sprah der here Key : “in nebescirmet der diuvel noh got, der uns disen grozen spot an miner vrowen hat getan, izne muzeme an sin ere gan. ih bin truhseze hie ze hus, unde iz hat der koninc artus virsculdit umbe mih wol daz ich gerne ledigen sol mine vrowen sin wip. zware iz get em an sin lip. her ne vuret sie sunder minen danc nimme eines ackeres lanc. weiz got, wister mih hie. herne were her zehove nie

[Lettrine rouge]

[Cpg 397, fol. 68r]

IWEIN : TRADUCTION

(4602) Lorsque la reine partit, elle lança des regards pitoyables à tous ceux qui étaient présents et elle se comporta comme une femme qui se fait beaucoup de soucis au sujet de son honneur. Elle les exhorta autant qu’elle le put, par des gestes et des paroles, à la délivrer le plus vite possible. Jamais encore la cour n’avait été si profondément affligée. Cependant ceux qui durent assister à ce spectacle n’étaient pas des lâches.  Il  y eut une grande cohue et tous criaient : “Que l’on amène mon armure et mon cheval !” Et dès que l’un d’entre eux était prêt, il se lançait sur les traces du chevalier. Ils disaient : “Tout se passera bien puisqu’il nous a laissé cette chance. Il n’emmènera pas la reine bien loin à moins que notre Seigneur soit avec lui et contre nous.” Monseigneur Key lança alors : “Si ni Dieu ni le diable ne le protège, alors celui qui nous a infligé ainsi qu’à notre dame cette grande infamie devra le payer de son honneur. Je suis sénéchal en ce château, il est juste que le roi Arthur attende que je délivre, de mon plein gré, ma dame qui est son épouse. Par Dieu, cela lui coûtera la vie. Il ne l’emmènera pas contre ma volonté plus loin que le premier champ. Je vous assure que s’il avait su que j’étais là, il ne serait jamais venu en cette cour prononcer de telles paroles. Je vais bientôt les lui faire regretter. Vous devriez avoir honte de tous vouloir le poursuivre. Que signifie cet incroyable tumulte ? Toute la cour veut se mettre en route à cause d’un seul homme ? Je suis parfaitement capable de le combattre : face à lui je suis, à moi seul, toute une armée. Il n’osera même pas se défendre lorsqu’il verra que c’est moi. Et à quoi cela lui servirait-il ? Vous pouvez tous rester ici puisque je m’en occupe, je vous épargne tout effort.” Ainsi, il était prêt et fut le premier à l’affronter – et, à sa grande honte, il fut aussi le premier à être vaincu lorsqu’il demanda à l’étranger de faire demi-tour. Cela se produisit dans une forêt et l’étranger fit immédiatement volte-face. Il le frappa avec une si grande force que Key vola par-dessus sa selle : il resta

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IWEIN : TEXTE

uf susgetane rede komen. ih sol siem sciere han benomen. u solte virsmahen daz gemeine na iagen. waz sol dirre ungevuoger scal, daz dirre hof uobir al dur einin man wil riten? ih getruwem wol gestriten, ih eine bin em ein here. her negesezet sih nimmer ze were, swenner daz siet daz ih iz bin. unde waz hulfiz in ? ir moget wol alle hie bestan, sint ih iz mih angenoumen han, ih irlaze uh aller arbeit.” himite was oh her geriet der erste ungewin * ze sinen uneren, aser den gast bat keren. daz was an einin walde, oh kerter also balde. mit grozen creften stah her in em bor uz deme satele hin, daz em ein ast den helm gevienc unde bi der gurgelin hienc. unde wendaz in sin geverte der ubele tiuvel nerte, so werer binamen tot. doh leiter hangede not. her wart doh leider ledih sit, doh hienc her da unz an die zit dazer vor in allen leit laster unde arabeit. der neste was kalogranant der in da hangende vant nit anders wen alseinen diep. der ne lostin niht, iz was im liep. der gahte oh anden gast, vil luzil doh des gebrast daz em niht same gescah, wanderne oh der nider stah.

[Cpg 397, fol. 68v]

IWEIN : TRADUCTION

accroché à une branche par son heaume et fut ainsi suspendu par le cou. Et si son compagnon le diable ne l’avait pas sauvé, il serait certainement mort. Cependant, il souffrit maints tourments à être suspendu ainsi. Malheureusement il fut délivré par la suite, mais il resta accroché assez longtemps pour que tous puissent voir la honte et les souffrances qu’il subit. Le suivant fut Calogreant, qui le trouva pendu à la manière d’un voleur. Cependant il ne le libéra pas, car il lui plaisait de le voir ainsi. Il fondit sur l’étranger mais il s’en fallut de peu pour qu’il ne connût le même sort que Key, car son adversaire lui fit vider les étriers.

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IWEIN : TEXTE

Die insint hangen sagen, den benam her daz gahen, der unwille unde sin scalkeit, daz da manlih vure reit. in irreit uf in sin sper, damite wart oh her gesezet uf daz gras also lanc also dat sper was. segremors irreit in dou, dem geschah rehte also. darna irreit in henete, demer alsam tete. pliopleherin unde millemargot die wurden beide ir selbir spot mit sulchem ungevelle, unde yders ir geselle. daz ih sie alle nenne die ih dar irkenne, daz ist also got virmiten, wanne alle die im na riten die strouweter na ein ander. nieman ne vander der die vrowen loste. ir ware cuomen zetroste min har gawein, der ie in riters eren scein, dou ne waser niender da. her quam abir sa morgen andem nesten dage, unde dur des koninges clage muozer na strichen. unde wil em namelichen wider gewinnen sin wip oder virliesen den lip. ih suhtin anden selben tagen, alsih iz gote wille clagen, daz ih in da nith ne vant. * iz ist mir so umbin gewant dazer mir moste gestan ze dem kumbere den ich han.

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[Lettrine rouge]

[Cpg 397, fol. 69r]

IWEIN : TRADUCTION

(4680) Ceux qui ensuite virent Key suspendu ainsi ne le détachèrent pas, car ils étaient pressés et le détestaient à cause de sa méchanceté. Quiconque chargeait l’étranger fut également projeté par terre, faisant un saut aussi long qu’une lance. Ensuite ce fut Segremors qui l’atteignit et qui subit le même sort. Ce fut alors le tour de Henete à qui la même mésaventure arriva. Pliopliherin et Millemargot se ridiculisèrent par une pareille infortune, ainsi qu’Iders, leur compagnon. Je préfère m’abstenir de nommer tous ceux que je connais, car l’étranger désarçonna l’un après l’autre tous ses poursuivants. Il ne trouva personne capable de libérer la reine. Monseigneur Gawein aurait pu venir à son secours, lui qui a toujours été un parangon de chevalerie, mais malheureusement il n’était pas là. Il arriva cependant le lendemain matin et, ému par les lamentations du roi, il se mit à poursuivre l’étranger. Il veut en effet lui ramener son épouse ou perdre la vie. C’est justement à cette époque-là que j’allai à sa recherche et que, par malheur, je ne le trouvai pas à la cour. Ses liens envers moi sont tels qu’il devrait m’aider dans la détresse : ma femme est sa sœur.

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IWEIN : TEXTE

min wip ist sin swester. ih quam alrest gester unde sit ih sin ane komen bin, so ist aller min trost hin. ne muoz ih niht wol sorgen ? wanne nu virliesih morgen allen min ere. » nu irbarmtiz sere den riter der des lewen plah. her sprah : « ich sol umbe den mitten tah morgen komen an eine stat dar mih ein vrowe komen bat die mir vil gedinat hat, unde der iz an den lip gat, ne komih da niht en zit. obir des gewis sit daz uns der cuome vruo, * swennih mit reht getuo daz ih em angesige, daz ih niht tot vor em nelige, daz ih umbe den mittentah dan noh hinne cuomen mah dar ih mih gelobet han, so willih dur u bestan unde dur uwer edele wip. wanne mir nist min selbes lip niht liebir dan ir brudir ist. » nu quam gegangen ander silber vrist des wirtes dohter unde sin wip. nu ne sah her ne kindes lip sconer dan diu selbe maget, ne hete siu sih niwer virclaget. nu untfiengen sie inbeide wol, also man lieben gat sol. * du sprah der wirt : « mih dunket guot * daz ir vil dienesthaften mot * traget ze uwerme gaste. her hat sih also vaste unse sware angenomen, wir suln sie mit im uobercomen,

[Cpg 397, 69v]

IWEIN : TRADUCTION

Je ne suis rentré qu’hier et comme je ne l’ai pas ramené avec moi tous mes espoirs se sont envolés. N’ai-je pas de bonnes raisons d’être désespéré ? Car demain je perdrai tout honneur. » Alors il inspira une profonde miséricorde au chevalier qui était accompagné par un lion. Il dit : « Demain à midi, je dois me trouver en un lieu où une dame m’a demandé de venir, elle m’a souvent rendu service et risque sa vie si je n’arrive pas à temps. Si vous êtes certain que le géant arrive assez tôt pour que, accomplissant ici mon devoir, je le vainque sans être tué et parvienne à rejoindre à l’heure de midi celle à qui j’ai déjà promis mon aide, alors je le combattrai pour vous et votre noble épouse. Car j’aime son frère plus que moimême. » Alors arrivèrent la fille du châtelain et sa femme. Jamais il n’aurait vu plus belle enfant que cette demoiselle si elle n’avait pas été défigurée par les larmes. Toutes deux le reçurent courtoisement, comme on doit accueillir un invité qui nous est cher.

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IWEIN : TEXTE

geruchet sin unse drehten. her sprichet her wille mit im vehten, dou ih im mine clage tete, dou gelobter mir ane bete her wille dur uns tot ligen oder dem risen angesigen, dem ih so vil virtragen moz. nu gnadet em of sinen vuoz, daz ist min bete unde min gebot. » her ywein sprah : « nune wille got daz mir diu unzucht gescie daz ih zeminen vuozen sie die mines hern gaweines swester ist. io ware des, wize crist, dem kuoninge artuse ze vil. ih sol unde wil virdienen immer mere daz sie der grozen ere mich armen man erlaze. mich gnueget rehter maze. ich sagiu wie ich in beste. als ich iu gelobt e, chuomt uns der rise ze der zit, swenne sich endet der strit, daz ich umbe mitten tac ir zehelfe chomen mac der ichz e gelobt han, so wil ich in durch iuch bestan, umbe miner frouwen hulde, unde durch iuwer unschulde. » des trostes wuorden si fro unde machten im do beide freude unde spil. wande sine duhte niht zevil des si zesinen eren iemer mohten gecheren unde zesinen hulden. si duhte ez wære von schulden. si pristen sere sinen muot, er duhte si biderbe unde guot

[Giessen 97, fol. 93r]

IWEIN : TRADUCTION

Alors le châtelain déclara : « Il me paraît juste que vous vous montriez très prévenantes envers votre invité. Il a pris nos soucis tant à cœur que grâce à lui nous les surmonterons, si notre Créateur le permet. Il dit qu’il souhaite combattre le géant : lorsque je lui fis part de notre malheur, il promit – sans que je lui aie adressé aucune prière – qu’il mourrait pour nous ou qu’il vaincrait ce géant dont j’ai tant à me plaindre. Maintenant mettez-vous à genoux pour le remercier, c’est ce que je vous demande et vous ordonne. » Monseigneur Iwein répondit : « Que Dieu me garde d’assister à quelque chose d’aussi peu convenable et de voir à mes pieds celle qui est la sœur de monseigneur Gawein. Par Dieu, il est vrai que même pour le roi Arthur ce serait trop. Je souhaite – et je vous en serai toujours reconnaissant – que l’on m’épargne un tel honneur, à moi qui suis misérable. Le respect de la juste mesure me convient parfaitement. Je vais vous dire à quelle condition je suis prêt à le combattre. Comme je vous l’ai promis auparavant, si le géant arrive assez tôt pour que, dès que le combat sera terminé, je puisse à midi venir au secours de celle à qui je l’ai juré, alors je combattrai pour vous, en l’honneur de ma dame et au nom de votre innocence. »

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IWEIN : TEXTE

in allen wis ein hofsch man. daz chuorn si daran daz der leu bi im lac unde anders sites niene pflac niuwan als ein ander schaf. guot spise unde senfter slaf diu waren im bereit hie, unde erwachte do der tac uf gie. er horte eine messe fruo unde bereite sich derzuo als er kempfen wolde den der da chomen solde. als er do niemen chomen sach, daz was im leit unde sprach : « herre, nu wærich iu bereit, iu ist min dienst unverseit. wa ist der da chomen sol ? mit biten chuomt mir niht wol, ich sume mich vil sere. ez get an alle mine ere swaz ich nu hie gebite. es ist zit daz ich rite. » Diu dro tet in allen we, unde wuorden trurech als e. vil muelich was in ein dinc. si ne westen niht welch gerinc in aller beste erte, der im den muot becherte. der wirt bot im sin guot, er sprach : « so ne stat niht min muot, daz ich durch guotes miete den lip veile biete. » unde widersagt im daz gar, des wuorden si harte riuwe var. der wirt unde daz gesinde, diu frouwe mit ir kinde. ez wart vil diche von in zwein sin bester friunt, her Gawein, an der bet genant unde er bi im gemant.

[fol. 93v]

[Lettrine rouge]

[fol. 94r]

IWEIN : TRADUCTION

Ces paroles de réconfort les rendirent heureux et ils firent de leur mieux pour lui procurer de la joie et le divertir. Rien ne leur semblait trop beau, aucun honneur ni aucune marque d’amitié. Il leur semblait qu’il le méritait. Avec ferveur, ils firent l’éloge de son esprit chevaleresque et estimaient qu’il était preux et noble, en tout point un homme courtois. Ils le remarquèrent au fait que le lion se tenait près de lui et ne se comportait pas autrement qu’un quelconque mouton. On lui prépara un bon repas, puis il eut un doux sommeil et se réveilla alors que le soleil se levait. Tôt le matin, il écouta une messe puis s’équipa afin de combattre celui qui devait venir. Lorsqu’il ne vit arriver personne, cela lui pesa et il déclara : « Seigneur, désormais je suis prêt à me battre et je ne vous refuserai pas mon service. Où est celui qui doit venir ? Cette attente me dessert et je m’attarde beaucoup trop : tout mon honneur est en danger si je continue à attendre ici. Il est temps que je parte. »

(4822) Cette menace les affligea tous et ils redevinrent aussi tristes qu’avant. Une chose les inquiétait particulièrement : ils ne savaient pas comment lui accorder encore plus d’honneurs afin de le faire changer d’avis. Le châtelain lui offrit ses biens, mais Iwein répondit : « Il n’est pas dans mes intentions de risquer ma vie pour des richesses ou des biens. » Il rejeta totalement cette proposition si bien que tous devinrent blêmes : le châtelain et ses gens, la dame et sa fille. Toutes deux n’eurent de cesse de lui adresser des prières en évoquant le nom de son meilleur ami, Gawein, et en l’exhortant à rester en l’honneur de celui-ci. Elles lui rappelèrent également avec insistance que notre Seigneur Dieu accorde félicité et honneur à celui qui est miséricordieux. S’il a pitié d’eux, alors la récompense de Dieu lui sera acquise. Ces paroles l’émurent, car c’était un homme de valeur et il était bon. On raconte que ces exhortations incessantes finirent par le faire changer d’avis, lorsqu’il comprit vraiment dans quelle

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IWEIN : TEXTE

si manten in also verre, daz got unser herre im sælde unde ere bære der barmherze wære. erbarmet er sich uber si, da ne stuende gotes lon bi. daz bewegt im den muot, wan er was biderbe unde guot. man sagt daz in betwunge diu tiure manunge, do er ir durfte rehte ervant unde im so ofte wart genant got unde her Gawein, wan swederm er under den zwein grozzern unwillen truoc, dem dient er gerne gnuoc. des wart sin muot zwifelhaft, er gedahte : « ich bedarf wol meisterschaft, sol ich daz wægest ersehn. mir ist zespilne geschehn ein zegach geteiltez spil. dazn giltet lutzel noch vil niuwan alle min ere. ich bedarf wol guoter lere unde weiz wol, swederz ich kiuse, daz ich daran verliuse. ichn mohte ir beider gepflegn, ode beidiu gelazen underwegn, ode doch daz eine, so wære min angest cleine. sus weiz ich min deheinen rat. ich bin, als ez mir nu stat, guneret ob ich rite unde geschendet ob ich bite. nu ne magich ir beider niht bestan unde getar ouch ir dewederz lan. nu gebe mir got guoten rat, der mich unz her geleitet hat, daz ich mich beidenthalp bewar also daz ich rehte gevar.

[fol. 94v]

IWEIN : TRADUCTION

détresse ils se trouvaient et qu’on lui répéta si souvent les noms de Dieu et de Gawein, car il servait tous deux avec beaucoup de zèle, même celui qu’il chérissait le moins. C’est pourquoi il fut pris de doutes et se dit : « J’ai besoin de la plus grande perspicacité afin de reconnaître ce qui prime. Je dois jouer à un jeu qui n’offre que deux alternatives : ce qui est en jeu n’est ni plus ni moins que tout mon honneur. J’ai grandement besoin d’un bon conseil et je sais bien que, quel que soit mon choix, je serai perdant. J’aimerais pouvoir venir en aide à ce châtelain comme à Lunete, ou pouvoir renoncer à les aider tous les deux ou au moins l’un d’entre eux, et alors je serais sorti d’affaire. Cependant je ne sais que faire : tel que cela se présente, je perdrai mon honneur si je pars et je serai frappé par la honte si je reste ici à attendre. Je ne puis livrer les deux combats et je n’ose pas renoncer à l’un d’eux. Que Dieu qui m’a guidé jusqu’ici me vienne en aide afin que je me comporte bien envers les deux partis. Par ma foi, je ne veux pas abandonner celle envers qui j’ai pris des engagements auparavant et qui endure angoisse et souffrance uniquement par ma faute. Si je l’abandonnais, comment pourrais-je encore être considéré comme un homme de valeur ? Pourtant, si je n’avais pas donné ma parole d’honneur, cette seule demoiselle serait bien peu à plaindre en comparaison du malheur qui touche ce château. Et ce châtelain qui demande ici mon aide mériterait bien que j’intervienne. La sœur de monseigneur Gawein et son enfant m’émeuvent du fond du cœur pour eux-mêmes et pour monseigneur Gawein à qui je ne puis refuser de rendre service. Si je dois les abandonner, alors ils croiront toujours que je suis un lâche qui craint pour sa vie. »

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IWEIN : TEXTE

ichn wil benamen die niht lan der ich mich e geheizzen han unde diu ir angest unde ir leit [fol. 95r] niuwan von minen schulden treit. liezze ich si danne, wie zæme daz fruomen manne ? doch wære diu eine magt harte schiere verclagt, wider dem schaden der hie geschiht, giengez mir an die triuwe niht. so wære ouch dirre wirt wol wert, der hie miner helfe gert. unde des hern Gaweins swester unde ir kint, diu mir zehercen gende sint durch si selben unde durch in dem ich des wol schuldech bin daz ich im niht des abe ge daz im ze dienste geste. muoz ich si underwegn lan, so habent si des iemer wan daz ich des libes si ein zage. » [N]u schiet den zwifel unde die clage [Lettrine bleue manquante] der grozze rise des si biten. der chom dort zuo in geriten unde fuorte sine gevangen. an den het er begangen grozze unhofscheit. in waren allerslahte cleit ze den ziten fremde, [fol. 95v] niuwan diu bœsten hemde diu ie kuochen kneht getruoc. si treip ein getwerch, daz si sluoc mit siner geisel ruoten daz si vil sere bluoten. die herren riten ungeschuoch, ir hemde was ein sac tuoch, gezerret, swarz unde groz. die edeln riter waren bloz an beinen unde an armen. den gast begunde erbarmen

IWEIN : TRADUCTION

(4901) Le puissant géant qu’ils attendaient mit un terme à ses doutes et à ses lamentations. Il arriva vers eux à cheval, emmenant avec lui ses prisonniers. Il les avait traités de manière très vile : il leur avait pris tous leurs vêtements, ne leur laissant que des chemises si mauvaises que jamais un garçon de cuisine n’en porta de pareilles. Un nain les faisait avancer et les frappait de son fouet si bien qu’ils étaient tout en sang. Ces seigneurs chevauchaient pieds nus, leurs chemises étaient en toile de jute, déchirées, sales et grossières. Les nobles chevaliers avaient les jambes et les bras nus. Le chevalier éprouva de la compassion en voyant les grands tourments qu’ils enduraient. Les chevaux sur lesquels ils étaient assis étaient extrêmement maigres et malades ; chaque cheval titubait et boitait. Les pieds des chevaliers étaient attachés sous les chevaux et ils avaient les mains étroitement liées dans le dos par du raphia. Les roncins qui les portaient étaient attachés par leurs queues : celles-ci étaient nouées de telle sorte qu’ils ne pouvaient s’éloigner l’un de l’autre. Je m’étonne que, lorsqu’il vit ses fils chevaucher de façon si pitoyable, le cœur de leur noble

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IWEIN : TEXTE

diu grozze not die si liten. ir pfert waren, diu si riten, tot mager unde kranc. ietwederz struchte unde hanc. die fuezze waren in unden zesamne gebunden unde die hende vaste zeruoke mit baste. den guorren die si truogen hin, den waren die zægel under in zesamne geflohten, daz si niene mohten ein ander entwichen. do si so iæmerlichen ir edel vater riten sach, daz do sin herce niene brach vor iamer, des wundert mich, wandez was wol iæmerlich. sus fuorter si fur daz burgetor. da horten si in ruofen vor, er hienge si alle viere, ob man si niht schiere mit ir swester loste. Do sprach der si da troste, der riter der des leun pflac : « deiswar, herre, ob ich mac, ich ledige unser gesellen. got sol disen vellen, er ist ein unbescheiden man. mich sterchet vaste daran iuwer reht unde sin hochfart, daz diu ie so groz wart. ern chan sich lasters niht geschamen, daz er si ir geburt unde ir namen niht chan geniezzen lan, swaz si im heten getan. ichn sol deheinen riter schelten, iedoch muoz er engelten siner ungewizzenheit. deiswar, magich, ez wirt im leit. »

[fol. 96r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

père ne fût pas anéanti par le chagrin, car ce spectacle était fort déplorable. Ainsi le géant les conduisit devant la porte du château : là, ils l’entendirent crier qu’il les pendrait tous les quatre si on ne lui donnait pas rapidement leur sœur en échange.

(4943) Alors celui qui leur donnait du réconfort, le chevalier qui était accompagné par un lion, déclara : « En vérité, seigneur, si je le peux je délivrerai nos compagnons. Dieu terrassera celui-ci : c’est un homme brutal. Votre droit et son orgueil sans limites me conféreront la force nécessaire. Il n’éprouve pas de honte à commettre une telle ignominie et, quoi qu’ils lui aient fait, à ne pas tenir compte de leur naissance ni de leur nom. Je ne veux blâmer aucun chevalier mais il doit payer pour ce manque de courtoisie. Je le promets, si je le peux il lui en coûtera. » En peu de temps il mit son heaume et fut rapidement prêt à combattre : il était rompu à cet exercice. Il vit son destrier à côté de lui et ordonna que l’on descende le pont-levis. Il dit : « Ce combat devra décider lequel de nous deux n’en retirera que honte et dommage. Je sais que mon bras pourra mettre un terme à ses menaces. En vérité, il devra vous rendre vos fils sains

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IWEIN : TEXTE

er het in kurzen stunden den helm uf gebunden unde was schiere bereit. daz lerte in diu gewonheit. sin ros sach er bi im stan, er hiez die bruoke nider lan. er sprach : « diz sol sich scheiden unser einem ode uns beiden nach schaden unde nach schanden. ich getruwes minen handen daz ich sine dro genider. deiswar, er muoz iu wider iuwer suene gesunde gebn, ode er benimt mir daz lebn. swederz der sol geschehn, daz hat man schiere gesehn. » sus was im an den risen gach, sin leu volget im nach. do in der rise chomen sach, daz was sin spot, unde sprach : « ouwe, ir vil tumber man, waz nemt ir iuch an daz ir als ungerne lebt unde sus nach dem tode strebt? daz ist ein unwiser rat, unde swer iu den geraten hat, dem ist iuwer lebn leit, unde wil sich mit der warheit vil wol an iu gerochen han als er ouch hat getan. er hat sich gerochen wol, wandich daz schiere schaffen sol daz ir im niemer getuot deweder ubel noch guot. » [S]us antwuorte her Iwein do : « riter, waz touc disiu dro ? lat bœse rede unde tuot diu werch, ode ich entsitze ein getwerch harter danne iuwern grozzen lip. lat schelten ungezogeniu wip,

[fol. 96v]

[fol. 97r]

[Lettrine bleue manquante]

IWEIN : TRADUCTION

et saufs ou me prendre la vie. Nous saurons vite ce qu’il en adviendra. » Alors il se précipita vers le géant tandis que son lion le suivait. Lorsque le géant le vit arriver, il dit en se moquant : « Hélas, pauvre sot, qu’osez-vous donc faire ? Êtes-vous si las de vivre que vous recherchez la mort ? C’est un bien mauvais conseil que vous suivez là et celui qui vous l’a donné ne vous aime guère et veut, en vérité, se venger de vous, ce qu’il est effectivement parvenu à faire : il s’est bien vengé, car je vais bientôt agir de telle sorte que vous ne puissiez plus lui faire ni bien ni mal. »

(4994) Alors monseigneur Iwein répondit ceci : « Chevalier, que signifie cette menace ? Renoncez aux vaines paroles et préférez l’action, ou sinon je craindrai davantage un nain qu’une personne de votre taille. Laissez les insultes aux femmes mal élevées qui ne peuvent se battre. Et s’il plaît à notre Créateur de rendre un jugement équitable, alors vous serez rapi-

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IWEIN : TEXTE

die ne mugen niht gevehten. unde wil sin unser trehten nach rehtem gerihte pflegn, so sit ir schiere gelegn. » nu het dem risen geseit sin kraft unde sin manheit waz im gewæfen tohte unde wer im geschaden mohte. in duhte er het gewæfens gnuoc an einer stangen die er truoc. des freute sich her Iwein daz er als ungewafent schein. under den arm sluoger mit guotem willen daz sper unde nam daz ors mit den sporn, er het in uf die brust erchorn. unde stach im einen selhen stich daz daz ysich sich * loste von dem schafte unde im in dem libe hafte. ouch sluoc im der rise einen slac, daz ich iu daz wol sagen mac, het in daz ros niht fur getragen daz er im het geslagen noch einen slac als er do sluoc, es wære ze dem tode gnuoc. do truoc in daz ros dan unz daz er daz swert gewan. sa cherter wider uf in, unde gestiurte in des sin sin sin kraft unde sin manheit, do er wider uf in reit, daz er im eine wunden sluoc. do in daz ros fur truoc, do sluoc der rise im einen slac, daz er gestracter lac uf dem rosse fur tot. do ersach der leu sine not unde lief den ungefuegen man vil harte zorneclichen an

[fol. 97v]

[fol. 98r]

IWEIN : TRADUCTION

dement vaincu. » La force et la puissance du géant lui avaient dicté quelles armes il devait choisir et quelle personne était susceptible de lui nuire. Il lui sembla que le pieu qu’il portait serait une arme suffisante. Monseigneur Iwein se réjouit de voir qu’il était si mal équipé. Plein d’ardeur, il bloqua sa lance sous son bras et piqua des deux en visant la poitrine du géant. Il lui donna un tel coup que la pointe en fer de la lance se détacha de la hampe et resta plantée dans le corps du géant. Alors celui-ci lui asséna un coup, et je peux bien vous dire que, si son destrier n’avait pas emporté Iwein avant que le géant ne lui en infligeât un second aussi violent, cela aurait suffi pour le tuer. Mais son cheval l’emmena assez loin pour qu’il puisse sortir son épée. Aussitôt il fit demi-tour en direction du géant et, guidé par son intelligence, sa force et son courage, il fonça sur lui et le blessa. Cependant, alors que son cheval passait devant le géant, celui-ci donna un tel coup à Iwein que ce dernier en fut complètement terrassé et gisait sur son destrier, comme mort. À ce moment, le lion vit sa détresse et, saisi d’une terrible colère, attaqua l’homme immense et lui déchiqueta les habits ainsi que la chair tout le long du dos, depuis les épaules jusqu’au bas des reins, si bien que l’immense gaillard se mit à beugler comme un bœuf et à brandir, d’une main hésitante, le pieu qui lui servait d’arme. Et lorsqu’il frappa en direction du lion, celuici lui échappa et le géant n’atteignit ni le lion ni son maître. Le coup qu’il avait porté était si violent que le géant se pencha en avant et faillit bien tomber par terre. Avant qu’il n’ait pu frapper une deuxième fois, monseigneur Iwein prit une belle revanche : il lui infligea deux graves blessures et lui enfonça son épée juste à l’endroit où se situe le cœur. Ainsi se termina le combat et le géant s’effondra de toute sa masse, tel un arbre.

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IWEIN : TEXTE

unde zarte im cleit unde brat als lanc so der ruoke gat von den ahseln her abe, daz der ungefuege knabe als ein ohse erluote, do wancte diu ruote die er da zewer truoc. unde do er nach dem leun sluoc, do entweich im der leu dan, unde entraf den leun noch den man. ze dem slage wart im so gach daz er sich neicte dernach unde vil nach der nider gelac. e er erzuoge den andern slac, do het sich her Iwein mit vil grozzen wunden zwein vil wol an im gerochen. unde daz swert durch in gestochen rehte da daz herce lit. do was verendet der strit, unde viel von der swære als ez ein boum wære. Von des risen valle freuten si sich alle, den liebe dran was geschehn. si heten heiles ersehn. den riter der des leun pflac, wande si lebten fur den tac ane angest unde ane not, do der rise gelac tot. des gnadeten si gnuoc dem hern Iwein der in sluoc. do gerter urloubes sa, wand ern het sich da niht zesumen mere, ob er sin ere an ir bestæten wolde der er da chomen solde zehelfe umbe mitten tac, diu da durch in gevangen lac.

[Lettrine rouge] [fol. 98v]

IWEIN : TRADUCTION

(5062) Tous se réjouirent de la chute du géant, car c’était une chance pour eux. Avec le chevalier que le lion accompagnait la chance leur sourit, car à partir de ce jour, lors duquel le géant fut tué, ils vécurent sans angoisse et sans tourment. Ils remercièrent vivement monseigneur Iwein qui l’avait abattu. Aussitôt Iwein demanda à prendre congé parce qu’il ne devait pas s’attarder davantage s’il voulait respecter la parole donnée à Lunete : il devait venir à son secours à midi, elle qui était emprisonnée à cause de lui. Alors le châtelain lui proposa – il aurait tout aussi bien pu s’en abstenir – de se reposer chez lui, mais Iwein ne voulait ni ne pouvait accepter. Le châtelain et sa femme remirent leurs vies et leurs biens entièrement en son pouvoir et on entendit de leur part bien des paroles de remerciements. Monseigneur Iwein leur répondit : « Si vous voulez me récompenser pour le service que je vous ai rendu, alors accédez à ma requête et cela suffira pour me dédommager : j’aime monseigneur Gawein et je sais bien qu’il

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IWEIN : TEXTE

do begunde in der wirt biten, daz wære als guot vermiten, daz er da ruowen wolde, wan ern mohte nochn solde. do antwuort er unde sin wip beide guot unde lip vil gar in sine gewalt, daz gnaden wart vil manecfalt daz er da horte von in zwein. do sprach min her Iwein : « welt ir mich des geniezzen lan ob ich iu iht gedient han, so tuot ein dinc des ich bite, da ist mir wol gelont mite. den herren Gawein minne ich, ich weiz wol, als tuot er mich. ist unser minne ane kraft, so ne wart nie guot geselleschaft ! den ernst sol ich im niuwen swa ich mac in triuwen. herre, zuo dem riter ir unde gruezzet in von mir. unde fueret mit iu iuweriu kint diu da hie erlediget sint, daz ir swester mit in var. unde fueret ouch daz getwerch dar des herre hie ligt erslagen. ir sult im des gnade sagen swaz ich iu hie gedient han, wan daz ist gar durch in getan. frager iuch wie ich si genant, so tuot im daz erchant daz ein leu mit mir si. da erchennet er mich bi. » [D]az gelobte der herre, unde bat in vil verre, swenner zuo dem brunnen gestrite, daz er dar wider rite, er schueffe im guoten gemach. min her Iwein do sprach :

[fol. 99r]

[Lettrine bleue manquante] [fol. 99v]

IWEIN : TRADUCTION

m’aime tout autant. Si notre amour est sans valeur, alors le vrai compagnonnage n’a jamais existé ! À chaque fois que je le peux, je dois, en toute loyauté, renforcer cette inclination sincère. Seigneur, allez le voir et saluez-le de ma part. Emmenez vos enfants avec vous, ceux qui viennent d’être délivrés, ainsi que leur sœur. Emmenez également le nain dont le seigneur a été tué. Je souhaite que vous remerciiez monseigneur Gawein pour ce que j’ai accompli ici, car je ne l’ai fait que pour lui. S’il demande comment je m’appelle, faites-lui savoir qu’un lion m’accompagne. Ainsi il me reconnaîtra. »

(5114) Le châtelain lui en fit la promesse et le pria avec insistance de revenir le voir après qu’il aura livré ce combat à la fontaine : il lui offrira tout le confort possible. Monseigneur Iwein lui répondit alors : « L’issue du voyage que j’entreprends est incertaine. Je viendrai volontiers si ceux avec qui je dois me battre m’en laissent le

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IWEIN : TEXTE

« min riten daz ist mislich. ich chuom iu gerne, lant si mich mit den ich da striten sol. ich getruwe aber in vil wol, mugen si mirz abe erstriten, si ne lant mich niender riten. » do bat da man unde wip daz got sin ere unde sinen lip friste unde behuote. mit libe unde mit guote stuonden si im ze gebot. alsus bevalch er si got. im waren die wege wol kunt, unde was ouch deste kurzer stunt zuo der kapeln chomen. nu was diu iunchfrouwe genomen her uz da si gevangen lac, wandez was wol umbe mitten tac, nu waren ir in den stunden die hende gebunden, ir cleider von ir getan unde niuwan ein hemde an verlan. unde diu huort was bereit unde daz fiur darunder geleit. unde stuont frou Lunet uf ir knien an ir gebet unde bat got der sele pflegn, wan des libes het si sich bewegn. Do si sich missetroste daz si nu niemen loste, do chom ir helfære, unde was im vil swære ir laster unde ir arbeit die si von sinen schulden leit. ouch het min her Iwein grozzen trost ze den zwein, daz got unde ir unschulde den gewalt niene dulde daz im iht missegienge, unde daz in ouch vervienge

[fol. 100r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

loisir. Mais je les crois capables, s’ils me vainquent, de m’empêcher de jamais revenir. » Alors l’homme et la femme prièrent Dieu de protéger son honneur et sa vie. Ils ajoutèrent qu’ils mettaient leurs vies et leurs biens à sa disposition. Quant à lui, il les recommanda à Dieu. Il connaissait très bien les chemins et arriva ainsi en très peu de temps à la chapelle. Déjà la demoiselle avait été sortie de l’endroit où elle était retenue prisonnière – car il était midi passé – et en cet instant précis on lui avait lié les mains et ôté ses vêtements, ne lui ayant laissé qu’une chemise. Le bûcher était dressé et le feu allumé à sa base. Et dame Lunete était à genoux, en prière, et remettait son âme à Dieu, car elle s’était résignée à mourir.

(5148) Alors qu’elle avait abandonné tout espoir d’être délivrée, celui qui était venu l’aider arriva, et les tourments ainsi que la honte que la demoiselle endurait par sa faute lui pesèrent beaucoup. Toutefois monseigneur Iwein avait grande confiance en deux choses : Dieu et l’innocence ne permettraient jamais à la violence de triompher et de le vaincre ; d’autre part, il savait que le lion, son compagnon, l’aiderait à sauver la demoiselle. Aussitôt il piqua des deux, car elle aurait été perdue s’il avait attendu plus longtemps. Il s’écria : « Mauvaises gens, laissez vivre cette demoiselle. J’accepte la responsabilité de la faute dont on l’accuse. Et si elle a besoin d’un champion pour cela, alors je combattrai pour elle. »

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IWEIN : TEXTE

der leu sin geverte daz er die magt ernerte. nu gahte er sere mit den sporn, wande si wære verlorn, wærer iht langer gewesn. er sprach : « lat genesn, ubeliu diet, dise magt. swaz man uber si hie clagt, des wil ich in ir schulden stan. unde sol si dazuo kempfen han, so wil ich vehten fur si. » do daz gehorten dise dri, daz versmahte in vaste. unde entwichen doch dem gaste unde machten im wec dar. nu nam er umbe sich war, unde suochte si mit den ougen die sin herce tougen zallen ziten an sach unde ir ouch zefrouwen iach. schiere sach er si sitzen, unde was von sinen witzen vil nach chomen als e, wande si sagent, ez tuo we, swer sinem herzeliebe bi als gastlichen si. nu begunder umbe schouwen unde sach vil iunchfrouwen, die ir gesindes waren. die horter gebaren harte clægelichen unde baten got den richen. si sprachen : « got herre, wir biten dich vil verre daz du uns rechest an dem der uns unser gespiln nem. wir heten ir fruom unde ere. nu ne haben wir niemen mere der da ze chemnaten geturre umbe uns geraten

[fol. 100v]

[fol. 101r]

IWEIN : TRADUCTION

Lorsque les trois hommes entendirent ces paroles, cela ne leur inspira que du mépris. Toutefois, ils s’écartèrent devant l’étranger et lui laissèrent la voie libre. Alors Iwein regarda autour de lui et chercha des yeux celle que son cœur contemplait sans cesse en secret et considérait comme sa dame. Bien vite, il la vit assise là et il faillit bien perdre la raison une nouvelle fois, car on raconte qu’il est douloureux de se trouver si près de celle qu’on aime sans qu’elle nous reconnaisse. Puis il se mit à regarder à l’entour et vit de nombreuses demoiselles qui faisaient partie de sa suite. Il les entendit manifester une profonde douleur et prier le Tout-Puissant. Elles disaient : « Seigneur Dieu, nous t’implorons de nous venger de celui qui nous prend notre amie. Grâce à elle, nous jouissions d’avantages et d’honneurs. Désormais, nous n’avons plus personne qui ose plaider en notre faveur dans la chambre de notre dame afin qu’elle nous dispense des bienfaits, comme le faisait du soir au matin notre fidèle Lunete, notre chère amie. »

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IWEIN : TEXTE

daz uns min frouwe iht guotes tuo, als beide spate unde fruo diu vil getriuwe Lunet, unser liebiu gespil, tet. » [D]iz machte im den muot zevehten starch unde guot, unde reit dar da er si sach. er hiez si uf sten unde sprach : « frouwe, zeiget mir die die iuch da chuombernt, sint si hie, unde heizzet iuch balde ledech lan ode si muezzen von mir han den strit den ich geleisten mac. » unde sin leu, der sin pflac, der gehorte schiere sinen haz unde trat ouch hin naher baz. Nu was diu reine guote magt von forhten als gar verzagt, daz si vil chume uf gesach. do gevie si kraft unde sprach : « herre, daz vergelt iu got ! der weiz wol daz ich disen spot unde dise schande dulde ane alle mine schulde. unde bit unsern herren daz si iu muezzen werren niuwan als ich schuldech si. » unde zeicte si im alle dri. [D]o sprach der truhsæzze : « er ist gnuoc tumpræzze der her chuomt sterben durch dich. nu ist ez gnuoc billich, swer selbe des todes ger, daz mans ouch den gewer, unde swer ouch danne vehte so gar wider dem rehte. wan ez hat allez diz lant ir untriuwe wol erchant, wie si ir frouwen verriet daz si von ir eren schiet.

[Lettrine bleue manquante]

[Lettrine rouge]

[fol. 101v]

[Lettrine bleue manquante]

IWEIN : TRADUCTION

(5204) Ceci renforça sa volonté de combattre et il alla là où se trouvait Lunete. Il lui demanda de se relever et dit : « Dame, montrez-moi ceux qui vous tourmentent s’ils sont ici et dites-leur de vous libérer promptement sans quoi ils devront me livrer un combat dans lequel je mettrai toutes mes forces. » Et son lion, qui l’accompagnait, entendit qu’il était en colère et vint se tenir encore plus près de lui.

(5216) Mais la noble et pure demoiselle était si craintive et désespérée qu’elle osa à peine lever les yeux. Puis elle reprit courage et dit : « Seigneur, que Dieu vous en soit reconnaissant ! Il sait que c’est en toute innocence que je dois endurer ces railleries et cette honte. Voilà pourquoi je demande à notre Seigneur que ces hommes ne puissent vous opposer qu’une résistance qui soit égale à ma culpabilité. » Et elle lui montra les trois hommes.

(5228) Alors le sénéchal déclara : « Il est proprement insensé celui qui vient mourir pour toi. Mais il est tout à fait juste que celui qui souhaite la mort de lui-même se la voie accordée et qu’il puisse combattre même s’il a le droit contre lui. Car tout le pays a parfaitement compris qu’elle est déloyale et qu’elle a trahi sa dame de telle sorte que celle-ci a été déshonorée. En vérité, seigneur, je vous conseille de vous raviser. J’aimerais vraiment éviter que nous ayons à vous ravir votre honneur et votre vie à cause d’une femme si perfide. Vous voyez bien que nous sommes trois, et si vous n’étiez pas aussi sot qu’un enfant, vous renonceriez à cette affaire qui vous coûtera la vie. »

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IWEIN : TEXTE

herre, deiswar, ich riete iu daz daz ir iuchs bedæhtet baz. ich erban iu des vil sere daz wir iu iuwer ere muezzen benemen unde den lip umbe ein so ungetriuwez wip. nu seht ir wol daz unser dri sint, nu wæret ir niht ein kint, so moht ir wol die rede lan diu iu an den lip muoz gan. » Do sprach der riter mit dem leun : « ir mugt mir harte vil gedreun. irn muezzet mich bestan ode die iunchfrouwen lan. mir hat diu unschuldige magt bi dem eide gesagt daz si wider ir frouwen si aller untriuwen fri unde daz si ir nie getæte deheine misseræte. waz da von, sint iuwer dri ? wænt ir daz ich eine si ? got gestuont der warheit ie, mit den beiden bin ich hie. ich weiz wol, die gestent mir. sus bin ich selbe dritte als ir. daran ligt, wæne ich, grozzer kraft danne an iuwer geselleschaft. » do sprach der truhsæzze : « swes ich mich vermæzze wider unsern herren got, des gewunne ich schaden unde spot. herre, ze dem drot ir mir, ich getruwe im helfe baz danne ir. ich sihe iuch einen geverten han, den sult ir heizzen hoher stan, iuwern leun der hie stat. der andern der wirt guot rat, hie ne vihtet niemen mit iu zwein. » do sprach der herre Iwein :

[fol. 102r]

[Lettrine rouge]

[fol. 102v]

IWEIN : TRADUCTION

(5250) Alors le Chevalier au Lion répondit : « Vous pouvez me menacer autant qu’il vous plaira. Il vous faudra me combattre ou libérer la demoiselle. Cette jeune femme innocente m’a assuré sous la foi du serment qu’elle n’était coupable d’aucune trahison envers sa dame et qu’elle ne lui avait jamais donné de mauvais conseils. Qu’est-ce que cela peut me faire que vous soyez trois ? Croyez-vous que je suis seul ? Dieu a toujours été du côté de la vérité : c’est accompagné d’eux deux que je suis venu ici. Je sais parfaitement qu’ils sont à mes côtés. Ainsi sommes-nous trois comme vous. J’ai, je crois, plus forte compagnie que vous n’avez. » Alors le sénéchal répliqua : « Si j’étais assez présomptueux pour agir contre notre Seigneur Dieu, je n’en tirerais que honte et dommage. Seigneur, vous me menacez en invoquant Dieu, j’ai davantage confiance en Son aide que vous. Je vois que vous avez un compagnon, ce lion qui est ici, auquel vous devez demander de s’éloigner. Nous viendrons bien à bout des autres, mais personne ne se battra contre vous deux. » Monseigneur Iwein répondit : « Ce lion est toujours avec moi. Je ne l’ai pas amené avec moi pour qu’il combatte, mais je ne le chasserai pas non plus. C’est à vous de vous défendre s’il vous attaque. » Alors tous s’écrièrent que s’il ne faisait pas partir son lion, personne ne combattrait contre lui et qu’en plus il devrait aussitôt voir la demoiselle brûler sur le bûcher. Il déclara : « Il ne peut en être ainsi ! » Alors le lion dut s’éloigner mais il ne put s’empêcher de regarder en arrière, en direction de son maître. Ainsi s’acheva

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IWEIN : TEXTE

« min leu vert mit mir zaller zit. ichn fuere in durch deheinen strit, ichn tribe in ouch von mir niht. wert iuch sin, tuo er iu iht. » do rieffen si alle under in, ern tæte sinen leun hin, mit im væhte niemen da, unde er muese ouch sa die iunchfrouwen brinnen sehn. er sprach : « desn sol niht geschehn ! » sus muose der leu hoher stan, dochn mohter des niht verlan ern sæhe uber den ruoke dan sinen herren wider an. sus sint diu wort hin geleit, unde wuorden zestrite gereit. unde waren alle viere zen orsen chomen schiere unde liezzen von ein ander gan, daz si ir puoneiz mohten han. unde triben alle dri dan wider uf den einen man, swaz diu ors mohten gevarn. darunder muoser sich bewarn darnach als ein wise man der sine riterschaft wol chan unde sine kraft mit listen zerehten staten fristen. si brachen uf im alle ir sper, daz sine daz behielt er. er warf daz ors von in unde leisierte hin von in eins akers lanc. unde tet schiere wider wanc, er druocte vaste sin sper vor uf die brust her, als in diu gewonheit lerte. unde als er zuo in cherte, do muete in mit dem swerte der truhsæzze, als er gerte,

[fol. 103r]

IWEIN : TRADUCTION

la discussion et ils se préparèrent au combat. Tous les quatre se mirent rapidement en selle et partirent de deux côtés différents afin de pouvoir charger. Et les trois hommes fondirent, aussi vite que leurs chevaux pouvaient les porter, sur celui qui était seul. Il se protégea de son écu comme sait le faire celui qui est sage et qui maîtrise l’art de la chevalerie, économisant intelligemment ses forces pour le moment adéquat. Ils brisèrent tous leurs lances sur lui, seule la sienne demeura intacte. Il contraignit son cheval à faire demi-tour et, à brides abattues, s’éloigna d’eux d’un arpent. Puis il fit rapidement volte-face et bloqua fermement sa lance contre son poitrail comme il en avait l’habitude. Lorsqu’il se retourna vers eux, le sénéchal précédait ses deux frères, comme il le souhaitait, et attaquait Iwein avec son épée. Iwein l’atteignit sous le menton et le fit voler par-dessus la selle. Le sénéchal gisait par terre et n’était plus en mesure de lui faire le moindre mal. Ainsi les deux autres avaient perdu l’espoir qu’il leur vienne en aide, car il resta longtemps évanoui. Les deux chevaliers qui étaient indemnes chevauchèrent de nouveau en direction d’Iwein et se battirent contre lui à l’épée comme le veut l’usage chez les bons chevaliers. Cela leur fut bien rendu, car un seul de ses coups en valait deux. Il eut bien besoin d’employer sa force et de se défendre parce que deux combattants sont toujours supérieurs à un seul.

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IWEIN : TEXTE

vor sinen bruodern zwein. den nam er under daz kinnebein, rehte fliegende stach er in enbor uz dem satel hin, daz er uf dem sande gelac unde alles des verpflac des im zeschaden mohte chomen. sus was der trost den zwein benomen, wander lac lange ane sin. nu riten wider uf in die zwene die noch werten, unde pflagen sin mit den swerten als guote riter solden. daz wart in wol vergolden, wande ie sin eins slac vaste wider zwein wac. er bedorfte wol kraft unde wer, wan zwene waren ie eins her. Die iunchfrouwen baten alle got daz er sine gnade unde sin gebot in zehelfe cherte, unde in ir kempfen erte, daz er in zetroste ir gespiln erloste. nu ist got so gnædech unde so guot unde so reine gemuot daz er niemer kunde so manigem suezzen munde betlichiu dinc versagen. ouch waren si niht zagen die in da an vahten, wande si in brahten in vil angestliche not. zware ane den tot bechuomberten si in sere. dochn mohten si im dehein ere furnamens an gewinnen. nu chom zesinen sinnen der truhsæzze wider unde enlac niht me da nider.

[fol. 103v]

[Lettrine rouge]

[fol. 104r]

IWEIN : TRADUCTION

(5338) Les demoiselles priaient toutes Dieu afin que dans Sa grâce et Sa puissance Il leur vienne en aide et qu’Il accorde à leur champion l’honneur de leur apporter réconfort et de délivrer leur amie. Dieu est si bon, si miséricordieux et si pur qu’Il ne peut refuser aucune prière venant d’autant de charmantes bouches. Mais ceux qui combattaient Iwein n’étaient pas des lâches et ils le mirent en grand péril. En effet, même s’ils ne le tuèrent pas, ils le firent beaucoup souffrir. Pourtant ils ne purent vraiment pas accroître leur honneur en le combattant. Pendant ce temps, le sénéchal revint à lui et ne resta pas plus longtemps à terre. Il ramassa son écu et son épée, et courut rejoindre ses frères. Il sembla alors au lion qu’il était temps de s’immiscer dans le combat : il s’en prit sans aucune pitié à l’homme qui était en train de courir et lui déchiqueta son haubert. On vit voler les mailles comme si elles avaient été des fétus de paille. Ainsi vintil à bout du sénéchal, car il lui déchira la chair partout où il pouvait le saisir. Grâce à l’intervention du lion, dame Lunete ne fut plus inquiétée par le sénéchal qui le paya de sa vie. Elle avait de bonnes raisons de se réjouir de sa mort.

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IWEIN : TEXTE

er buorte schilt unde swert unde lief zeden bruodern wert. do duhte den leun er het zit sich zeheben in den strit. unde lief sa den genden man vil unerbarmeclichen an unde zarte im daz ysen. man sach die ringe risen sam si wæren von stro. sus entworht er in do, wander in gar zefuorte, swaz er sin geruorte. von im gewan frou Lunet fride von des leun bet, diu bet was niuwan der tot. des freute si sich, des gienc ir not. [H]ie lac der truhsæzze, nu wart der leu ræzze ze sinen kampfgenozzen, die manigen slac grozzen heten enpfangen unde gegebn. werten si nu wol daz lebn, daz was in guot fur den tot, wande si bestuont ein michel not. hie waren zwene wider zwein, wandez enmohte der herre Iwein den leun niht vertriben, do liez erz ouch beliben. er het siner helfe wol enborn, unde liez ez ouch ane grozzen zorn daz er in sine helfe spranch. ern sagtes im danc noch undanc. sus vahten si bedenthalben an, hie der leu, dort der man. ouch ensparten si lip noch den muot. solden si da von sin behuot, si waren werhaft gnuoc. unz ir ietweder sluoc dem leun eine wunden. do er der het enpfunden,

[fol. 104v]

IWEIN : TRADUCTION

(5376) Alors que le sénéchal gisait là, le lion, plein de férocité, s’en prit à ses deux compagnons de combat qui avaient reçu et donné de nombreux coups violents. En effet, si maintenant ils défendaient vaillamment leur vie, c’est qu’ils craignaient la mort et se trouvaient en grand péril. Désormais, ils se battaient deux contre deux, car monseigneur Iwein ne parvint pas à chasser le lion et lui permit de rester. Il aurait pu se passer de son aide mais il toléra sans se mettre en colère que le lion vienne à son secours. Il ne le remercia pas mais ne le blâma pas non plus. Ainsi, ils combattirent côte à côte, ici le lion, là l’homme. Les deux autres ne ménagèrent pas non plus leurs forces ni leur ardeur : si leur vaillance avait pu les protéger, cela leur aurait suffi. Chacun d’eux infligea une blessure au lion. Lorsque celui-ci le sentit, cela le rendit encore plus féroce qu’auparavant. Et monseigneur Iwein éprouva de la peine à voir le lion blessé. Il en donna la preuve en abandonnant toute retenue. La souffrance du lion le fit entrer dans une grande colère et il s’acharna tant sur eux qu’ils perdirent toutes leurs forces et, emplis de peur, se rendirent à sa merci.

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IWEIN : TEXTE

do wart er ræzzer vil danne e. ouch tet dem hern Iwein we daz er den leun wunden sach. daz bescheinder wol, wan er zebrach sine senfte gebærde. von des leun beswærde gewan er zornes also vil daz er si brahte uf daz zil, daz si vil gar verluorn ir kraft unde gehabten vor im zagehaft. Sus waren si uberwunden iedoch mit vier wunden die si im heten geslagen. doch enhorte in niemen clagen deheinen schaden der im geschach, niuwan sins leun ungemach. nu was ze den ziten site daz der schuldigære lite den selben tot den der man solde liden den er an mit kampfe vor gerihte sprach, ob ez also geschach daz er mit kampfe unschuldech wart. dazn wart ouch hie niht gespart, si wuorden uf den rost geleit. der frouwen Luneten waren bereit die iunchfrouwen alle, mit manigem fuoz valle gnadeten si im sere. unde erbuoten im alle die ere der er von in geruochte unde furbaz danne er suochte. frou Lunet wart vil fro, wandez gezoch ir also. si gewan ir frouwen hulde. unde het ane schulde erliten kuomber unde not, des ergazte si si unz an ir tot. noch erchande in da weder wip noch man, unde schiet ouch also von dan,

[fol. 105r]

[Lettrine rouge]

[fol. 105v]

IWEIN : TRADUCTION

(5410) C’est ainsi qu’ils furent vaincus, cependant ils avaient infligé quatre blessures à Iwein. Pourtant personne ne l’entendit se plaindre des maux qu’il devait endurer, seul son lion le préoccupait. La coutume voulait à cette époque que l’accusateur mourût de la même mort que celle qui était promise à celui qu’il avait provoqué en duel judiciaire, s’il advenait que l’innocence de celui-ci fût démontrée par l’issue du combat. On ne dérogea pas à cette règle et les deux hommes furent conduits au bûcher. Toutes les demoiselles s’affairaient auprès de dame Lunete et n’avaient de cesse de remercier Iwein en s’agenouillant devant lui. Elles firent preuve envers lui de toutes les marques d’honneur qu’il était en droit d’attendre d’elles, et bien plus encore que ce à quoi il aspirait. Dame Lunete était fort joyeuse parce que tout avait tourné à son avantage : elle regagna les faveurs de sa dame. Elle avait injustement subi tous ces tourments et cette souffrance, mais sa dame l’en dédommagea jusqu’à sa mort. Nul ne reconnut Monseigneur Iwein, hormis dame Lunete qui, à sa demande, ne révéla son nom à personne. Il put donc partir incognito. Le fait que celle qui portait son cœur en elle ne l’ait pas reconnu est vraiment quelque chose de très étrange. Pourtant elle le pria instamment et lui dit : «  Cher seigneur, pour l’amour de Dieu restez ici, à mes côtés, car je vois bien que vous et votre lion êtes gravement blessés. Laissez-moi vous rendre la santé ! »

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IWEIN : TEXTE

niuwan eine frou Lunet, diu daz durch sin gebot tet daz si in niemen nande. daz in diu niht erchande diu doch sin herce bi ir truoc, daz was wunders gnuoc. doch bat si in vil verre, si sprach : « lieber herre, durch got belibet hie bi mir, wandich sihe wol daz ir unde iuwer leu sit starche wunt. lat mich iuch machen gesunt ! » Sus sprach der namlose do : « ichn gewinne gemach nochn wirde fro niemer unz uf den tac daz ich wider gehaben mac miner frouwen hulde. der mangel ich ane schulde. » Si sprach : « vil selten ich daz wip, beide ir muot unde ir lip, iemer geprise, wande si en ist niht wise diu einem also fruomen man, als iu noch hie schinet an, iemer ir hulde widerseit, ob si niht grozzez herceleit uf in zesprechen hat. » er sprach : « niemer werde min rat, ir wille enwære ie min gebot. nu gebiete ir unser herre got daz si mich bedenche enzit. der chuomber der mir nahen lit, den sagich niemen, wizzechrist, wan dem er doch gewizzen ist, swie nahen er minem hercen ge. » si sprach : « ist er danne iemen me gewizzen wan iu zwein ? » « ia, frouwe » sprach her Iwein. si sprach : « wan nennet ir si doch ? » er sprach : « frouwe, nein ich noch.

[Lettrine verte] [fol. 106r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(5452) Alors celui qui n’avait pas de nom répondit : « Je n’aurai de repos et ne serai heureux que le jour où j’aurai retrouvé la grâce de ma dame : j’en suis injustement privé. »

(5458) Elle dit : « Jamais je ne louerai cette femme ni son état d’esprit, car elle n’est pas sage celle qui retire sa grâce à un homme d’une bravoure telle que celle que vous avez montrée ici, à moins qu’elle n’ait à lui faire grief d’une profonde peine de cœur. » Il répondit : « Que je sois damné à jamais si sa volonté n’a pas toujours été ma loi. Que Dieu lui inspire de penser parfois à moi. Je ne parle à personne, que le Christ m’en soit témoin, de cette souffrance qui m’accable hormis à la personne qui sait déjà à quel point cela me va droit au cœur. » Elle dit : « N’y a-t-il donc personne qui le sache à part vous deux ? » « Dame, il en est ainsi », répondit monseigneur Iwein. Elle demanda : «  Pourquoi ne me dites-vous donc pas le nom de votre dame ? » Il répondit : « Non, dame, pas encore. Il me faut tout d’abord regagner sa grâce. » Elle répliqua : « Alors dites-moi au moins votre propre nom. »

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IWEIN : TEXTE

ich muoz ir hulde e haben baz. » si sprach : « nu sagt mir doch daz, wie sit ir selbe genant ? » er sprach : « ich wil sin erchant bi minem leun der mit mir vert. mirne werde ir hulde baz beschert, so wil ich mich iemer schamen mins libes unde mins rehten namen wil ich mich niemer gefreun. ich heizze der riter mit dem leun, unde swer iu fur dise tage von einem riter iht sage des geverte ein leu si, da erkennet mich bi. » [D]iu frouwe sprach : « wie mac daz chomen daz ich von iu niht han vernomen unde iuch nie mer gesach ? » der riter mit dem leun sprach : « daz iu von mir niht ist geseit, daz machet min unwerdecheit. ich mohte mit dem muote mit libe unde mit guote gefruomt han diu mære daz ich erkander wære. wirt min geluoche als guot als min herce unde min muot, ich weiz wol, so gedien ich daz, daz ir mich noch erchennet baz. » si sprach : « irn sit ein bœser man danne iu noch hie schinet an, so sit ir aller eren wert, unde des ich e han gegert, des bæte ich aber, hulfez iht. mich dunchet, ichn uberwinde niht daz laster unde die schande, swer iuch uz minem lande also wunden siht varn. » er sprach : « got muezze iuch bewarn unde gebe iu sælde unde ere, ichn belibe hie niht mere. »

[fol. 106v]

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 107r]

IWEIN : TRADUCTION

Il répondit : « Je veux que l’on me reconnaisse au lion qui m’accompagne. Si je ne recouvre pas sa grâce, alors ma vie et mon vrai nom me feront toujours honte et je ne pourrai plus jamais être heureux. Je m’appelle le Chevalier au Lion et si à l’avenir quelqu’un vous parle d’un chevalier dont le compagnon est un lion, vous saurez que c’est de moi dont il s’agit. »

(5494) La dame dit : « Comment se fait-il que je n’aie jamais entendu parler de vous et que je ne vous aie jamais vu ? » Le Chevalier au Lion répondit alors : « Si l’on ne vous a jamais parlé de moi, c’est que je n’en suis guère digne. J’aurais dû par ma volonté, ma personne et mes richesses œuvrer à ma réputation afin d’être davantage connu. Si la fortune me devient aussi favorable que ce à quoi aspirent mon cœur et ma volonté, alors je sais que je parviendrai à être mieux connu de vous. » Elle dit : « Si, comme votre apparence le montre, vous n’êtes pas un homme de basse extraction, alors vous êtes digne de tous les honneurs, et je répèterais la requête que je vous ai déjà adressée si elle avait quelque chance d’aboutir. Je crois que je ne surmonterai jamais le déshonneur et la honte qui retomberont sur moi si l’on vous voit quitter mon pays avec de telles blessures. » Il répondit : « Que Dieu vous protège et vous accorde félicité et honneur, je ne resterai pas ici plus longtemps. »

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IWEIN : TEXTE

Diu frouwe aber do sprach. « sit ir versprechet min gemach, so ergibich iuch in gotes segn, der mac iuwer baz gepflegn. unde ruoche durch sine guete iuwer swærez gemuete vil schiere vercheren zefreuden unde ze eren. » dannen schiet er trurech do, wider sich selben sprach er so : « frouwe, wie lutzel du nu weist, daz du den sluzzel eine treist ! du bist daz sloz unde der schrin da daz herce min inne beslozzen lit. » nu het er ritens zit. ouch volget im von dan deweder wip noch man, niuwan eine frouwe Lunet, diu im geselleschaft tet einen guoten wec hin. da gelobte si wider in daz si sit allez war liez. mit ir triuwen si im gehiez daz si sin wol gedæhte unde ez zerede bræhte umbe sine swære. getriuwe unde so gewære was diu guote frou Lunet daz siz willeclichen tet. des gnadet er ir wol tusent stunt. nu was der leu so starche wunt daz er michel arbeit mit um uf dem wege erleit. do er niht mere mohte gan, do muoser von dem rosse stan. unde las zesamne mit der hant mies unde swaz er lindes vant. unde legte daz under in in sinen schilt unde huop in hin

[Lettrine rouge]

[fol. 107v]

[fol. 108r]

IWEIN : TRADUCTION

(5520) La dame déclara alors : «  Puisque vous refusez mon hospitalité, je vous recommande à Dieu qui saura mieux prendre soin de vous. Puisse-t-Il dans Sa bonté transformer rapidement votre profonde tristesse en joie et en renommée. » Alors il partit le cœur lourd et se dit à lui-même : « Dame, comme tu ignores que c’est toi seule qui portes la clé ! Tu es la serrure et l’écrin à l’intérieur duquel se trouve enfermé mon cœur. » Désormais, il était temps de partir : personne ne le suivit hormis dame Lunete qui, seule, lui tint compagnie pendant un bon bout de chemin. Alors elle lui promit quelque chose qu’elle réalisa ensuite effectivement  : en toute loyauté, elle lui jura qu’elle se souviendrait de lui et qu’elle attirerait l’attention sur son malheur. Lunete, cette noble dame, était si loyale et honnête qu’elle le fit de bon gré. Il l’en remercia mille fois. Son lion était si gravement blessé qu’il éprouvait de grandes souffrances à suivre Iwein sur le chemin. Lorsqu’il ne put plus marcher, Iwein fut contraint de descendre de cheval. Il ramassa de ses mains de la mousse et tout ce qu’il trouvait de doux. Il déposa tout cela dans son écu sous le lion et le souleva pour le poser devant lui sur le cheval.

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IWEIN : TEXTE

uf daz ros fur sich. daz lebn was gnuoc kuomberlich, sus leit er arbeit gnuoc, unz daz in der wec truoc da er eine burch ersach. dar cherter do durch sin gemach. unde vant beslozzen daz tor, unde einen knappen da vor. der erkande wol sins herren muot, sin herre was biderbe unde guot. daz was wol an dem knappen schin. er hiez in willechomen sin ze guoter handelunge. man sagt daz in betwunge diu vil wegemuediu not daz er da nam daz man im bot. man mac den gast lihte vil geladen, der beliben wil. im wart daz tor uf getan, do sach er gegen im gan riter unde knehte, die in nach sinem rehte enpfiengen unde gruozten. unde im vil gerne buozten sinen kuomber unde sine not, als in ir herre gebot. der selbe gegen im gienc unde in froliche enpfienc unde schuof im selhen gemach daz er wol an den werchen sach daz sin wille unde sin muot was reine unde guot. im wart vil harte drate ein heinlich chemnate zesiner sunder gereit, sin leu dar in zuo im geleit. dar inne entwafent man in, nu sande der wirt hin. nach zwein sinen kinden, daz niemen mohte vinden

[fol. 108v]

IWEIN : TRADUCTION

Cette vie était fort difficile et il endura bien des souffrances, jusqu’au moment où le chemin le mena à un endroit d’où il aperçut un château. Il s’y rendit afin de s’y reposer : il trouva la porte close et devant elle se tenait un écuyer. Celui-ci agit comme l’entendait son seigneur qui était honnête et bon. On le voyait bien à la façon dont se comportait l’écuyer : il lui souhaita la bienvenue et lui offrit l’hospitalité. On raconte qu’Iwein était tellement épuisé à cause du voyage qu’il accepta ce qu’on lui proposait. Il est bien aisé d’inviter un étranger lorsque celuici veut rester. On lui ouvrit la porte et il vit venir à lui des chevaliers et des écuyers qui l’accueillirent et le saluèrent conformément à son rang. Avec beaucoup de bonne volonté, ils lui firent oublier ses tourments et sa peine comme leur seigneur le leur avait commandé. Lui-même alla à la rencontre d’Iwein, il le reçut avec beaucoup de joie et lui offrit un tel réconfort que l’on vit à ses actes que sa volonté et son cœur étaient purs et bons.

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IWEIN : TEXTE

schœner iunchfrouwen zwo. den bevalch er in do, dazs im sine wunden salbeten unde bunden. ouch wonte in ir gemuete ze schœner kunst diu guete, daz si vil schier ernerten in unde sinen geverten. hie twelt er viercehn naht, unz daz er sins libes maht vil gar wider gewan, unde e er schiede von dan. do begunde der tot in den tagen einen graven beclagen unde mit gewalte twingen ze notigen dingen, den von dem swarzen dorne. des was er der verlorne, wander muose im zesuone gebn sinen gesunt unde daz lebn. der dannoch lebende hie zwo schœne iunchfrouwen lie. nu wolde diu alte die iungen mit gewalte von ir erbe scheiden, daz dienen solt in beiden. dazuo diu iunger sprach : « swester, disen ungemach den sol dir got verbieten. ich wande mich nieten * grozzes liebes mit dir. swester, du bist mir ze ungnædiges muotes. wil du mich mins guotes unde miner eren behern, des wil ich mich mit kampfe wern. ichn vihte niht, ich bin ein wip, daz als unwerhaft ist min lip, dane hastu niht an. deiswar, ich vinde wol den man

[fol. 109r]

[fol. 109v]

IWEIN : TRADUCTION

Avec beaucoup d’empressement on mit à la disposition d’Iwein une chambre particulière, préparée pour lui seul, et on lui amena son lion. À l’intérieur de cette chambre on le désarma, puis le seigneur du château envoya chercher ses deux filles : on ne pouvait trouver deux plus belles demoiselles. Le châtelain leur confia le chevalier afin qu’elles appliquent de l’onguent sur ses blessures et qu’elles les pansent. En plus de bien connaître l’art de la médecine, elles étaient si prévenantes qu’elles le soignèrent, lui et son compagnon, en bien peu de temps. Il demeura là quinze jours, jusqu’à avoir recouvré toutes ses forces, puis se remit en route. À la même époque, il advint que la mort eut une querelle avec un comte et le réduisit par la force à une situation angoissante : il s’agissait du comte de Noire Épine. C’est lui qui perdit et il dut lui donner en guise de réparation sa santé et sa vie. Cependant il laissa derrière lui deux belles demoiselles. L’aînée voulut alors, par la force, spolier la cadette de l’héritage qui devait revenir à elles deux. En réaction, la cadette dit ceci : « Sœur, que Dieu t’interdise pareille faute. Je croyais que tu m’aimais davantage. Sœur, tu te montres trop impitoyable envers moi. Si tu veux me déposséder de mon bien et de mon rang alors je saurai me défendre par un combat. En tant que femme je ne puis combattre moi-même, mais tu ne tireras aucun bénéfice de cet état de faiblesse. En vérité, je trouverai bien l’homme qui, par courtoisie, ne refusera pas de me protéger de toi. Sœur, tu dois me laisser ma part d’héritage ou trouver un champion pour affronter le mien. Je vais me rendre chez le roi Arthur et trouverai à sa cour le champion qui par sa bravoure saura me défendre de ton orgueil. »

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IWEIN : TEXTE

der mir durch sine hofscheit die gnade niemer verseit ern bescherme mich vor dir. swester, du muost mir minen erbeteil lan ode einen kempfen an mir han. ich suoche den kunech Artus unde vinde den kempfen da zehus der mich vor diner hochfart durch sin selbes tugent bewart. » [D]iz gemarhte diu unguote unde ahte in ir muote waz si darumbe tæte. unde durch ir charge ræte so sweic si derzuo unde chom zehove vor ir so fruo daz ir der herre Gawein wart. diu iunger ergreif die nachvart, daz machte ir kintheit, dazs ir ir willen het geseit. Do diu iunger chom hin na, do vant si die altern da. diu was ir kempfen harte fro, ouch lobt ez her Gawein so daz si ez niemen solde sagen. nu was in den selben tagen diu kuneginne wider chomen, die meliakanz het genomen mit micheler manheit. ouch was in niuwelich geseit von dem risen mære, wie der erslagen wære, den der riter mit dem leun sluoc. des gnadet im gnuoc her Gawein, der guote, mit worten unde mit muote, wande erz durch sinen willen tet. ouch was ez des riters bet daz manz in solde wizzen lan. daz het sin niftel getan.

[Lettrine bleue manquante]

[Lettrine rouge] [fol. 110r]

IWEIN : TRADUCTION

(5650) La mauvaise sœur prit bonne note de tout cela et songea à ce qu’elle pouvait faire. Perfide comme elle l’était, elle ne dit rien et se rendit à la cour avant sa cadette de sorte qu’elle obtint l’aide de monseigneur Gawein. La cadette arriva après elle, car elle n’était qu’une enfant naïve et avait dévoilé ses intentions.

(5660) Lorsque la cadette parvint à la cour, elle y trouva son aînée. Celle-ci était très contente de son champion, mais monseigneur Gawein ne lui avait donné sa parole qu’à la condition qu’elle n’en parlât à personne. C’est exactement à la même époque qu’était revenue la reine que Meliakanz avait enlevée en faisant preuve d’une grande témérité. De plus, la nouvelle du combat contre le géant avait été rapportée à la cour peu de temps auparavant, relatant comment avait péri celui que le Chevalier au Lion tua. Monseigneur Gawein, cet homme noble, lui en était très reconnaissant, il le dit et le pensait, car le chevalier l’avait fait pour lui. Il avait en effet demandé qu’on le fasse savoir à Gawein. C’est la nièce de celui-ci qui s’en était chargé. Et lorsqu’elle lui eut dit cela, quelles ne furent pas les lamentations de Gawein qui regrettait de ne pas savoir de qui il s’agissait puisqu’il n’avait pas dit son nom. Certes, il entendit parler de lui grâce au récit, mais il ne savait pas qui était ce chevalier.

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IWEIN : TEXTE

unde do si imz sagte, wie tiure er do clagte daz er sin niht erchande, wander sich niht nande. er erchande in bi dem mære, unde enweste doch wer er wære. [D]o zehove chom diu magt, als ich iu han gesagt, unde einen kempfen suochte, des niemen si beruochte, do clagte si vil sere ir guot unde ir ere. wan an dem ir trost lac, der sprach : « frouwe, ichn mac iu zestatten niht gestan, wandich groz unmuozze han von andern dingen diu muoz ich e vol bringen. wæret ir mir e chomen, e ich mich het an genomen anderhande arbeit, iu wære min dienst bereit. » Do si da kempfen niene vant, do gie si zehant fur den kunech Artus. si sprach : « sit ich hie zehus niht kempfen mac gewinnen, do ne woldich niht von hinnen ichn næme e urloup von iu. ouch ensol ich von diu minen rehten erbeteil niht lan, daz ich hie niemen funden han. mir ist so grozziu manheit von dem riter geseit der den leun bi im hat. vindich den, so wirt min rat. tuot min swester wider mich gnade, daz ist billich. so mac si mit minnen vil wol von mir gewinnen

[Lettrine bleue manquante] [fol. 110v]

[Lettrine rouge]

[fol. 111r]

IWEIN : TRADUCTION

(5686) Lorsque la demoiselle arriva à la cour, comme je vous l’ai dit, pour chercher un champion et que personne ne put lui en procurer un, elle fut désespérée et se mit à craindre pour ses biens et son rang. En effet, celui en qui elle avait mis tous ses espoirs lui répondit : « Dame, je ne puis me mettre à votre service, car je suis totalement accaparé par d’autres affaires que je dois mener à bien avant la vôtre. Si vous étiez venue plus tôt, avant que j’aie accepté une autre mission, mon service vous aurait été acquis. »

(5702) Comme elle ne trouva à la cour aucun champion, elle se rendit aussitôt auprès du roi Arthur et lui dit : « Je n’ai pu trouver en cette cour aucun champion, cependant je ne voulais pas partir sans prendre congé de vous. Mais même si ici je n’ai gagné personne à ma cause, je ne renoncerai pas pour autant à la part d’héritage qui me revient de droit. J’ai beaucoup entendu parler de la grande bravoure de ce chevalier qui mène un lion avec lui ; si je le trouve, je serai tirée d’affaire. Si ma sœur fait preuve de bonté envers moi, alors ce sera bien. Ainsi, elle pourra obtenir à l’amiable tout ce qu’elle souhaite avoir de mes biens à condition que sa demande soit légitime. Mais si elle veut me prendre quelque chose qui ne lui revient pas, je ne céderai pas sans porter plainte. »

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IWEIN : TEXTE

swaz si des minen ruochet, swa siz zerehte suochet. nimt si mir daruber iht, dazn laze ich ane clage niht. » [D]o diu alter weste, daz si der aller beste von dem hove wolde wern do begunde si vil tiure swern, si ne geteilt ir niemer niht mite. do sprach der kunech : « so ist hie site, swer uf den andern iht clage, daz er im wol vierzech tage kampfes muoz biten. » si sprach, wolt iemen striten, daz der da zehant strite, wande si niht langer bite. do daz den kunech niht duhte guot, do becherte si ir muot, wande si was des ane angest gar, daz si iemen bræhte dar der ir kempfen uberstrite, ob si ir noch ein iar bite. nu wart der kampf gesprochen uber sehs wochen. daz schuof der kunech Artus. sus nam si urloup da zehus unde bat ir got ruochen unde fuor ir kempfen suochen. Sus reit si verre durch diu lant, daz si der dewederz vant, den man noch diu mære wa er zevinden wære. unde muete si ir irrevart daz si da von siech wart. sus chom si nach frage zeinem ir mage. unde begunde im ir gewerp sagen, ir siechtuom unde ir chuomber clagen. do er ir arbeit ersach, er behabte si da durch ir gemach,

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 111v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(5724) Comme l’aînée savait que le meilleur chevalier de toute la cour la défendrait, elle jura haut et fort qu’elle ne partagerait jamais rien avec elle. Alors le roi déclara : « Ici la coutume veut ceci : lorsque quelqu’un accuse une autre personne, il doit lui accorder un délai de quarante jours avant le combat. » Elle répondit que si quelqu’un était prêt à se battre, alors le combat devait avoir lieu maintenant, car elle n’attendrait pas plus longtemps. Mais comme le roi trouva que ceci n’était pas acceptable, elle changea d’avis parce qu’elle ne craignait pas du tout que sa sœur puisse présenter un chevalier capable de battre son champion, même s’il lui fallait attendre un an. Il fut alors convenu que le combat aurait lieu six semaines plus tard. C’est ce que statua le roi Arthur. Ensuite la cadette prit congé de la cour, s’en remit à Dieu et partit à la recherche de son champion.

(5748) Ainsi, elle partit au loin, parcourut plusieurs pays mais ne trouva aucune trace de celui qu’elle cherchait ni aucune indication lui permettant de savoir où il se trouvait. Cette errance l’éprouva tant qu’elle tomba malade. Pour obtenir des renseignements, elle se rendit chez un parent. Elle lui parla du but de son voyage et se lamenta au sujet de ses tourments et de sa maladie. Lorsqu’il vit dans quel état de détresse elle se trouvait, son parent la retint chez lui afin qu’elle se repose et, à la demande de la demoiselle, il envoya sa propre fille à sa place. Cette dernière se mit en quête du chevalier pour elle et endura bien des peines.

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IWEIN : TEXTE

unde sande, als si in bat, sin selbes tohter an ir stat. diu fur si suochende reit unde gewan es michel arbeit. [S]us reit si allen einen tac, daz si geverten niene pflac, unz daz diu naht an gienc. einen wech si do gevienc, der truoc si in einen walt. diu naht wart vinster unde chalt, ez chom ein regen unde ein wint. ich wil geswigen umb ein kint daz nie chuomber gewan, ez wære ein wol gemuot man erværet von der arbeit. selhes chuombers den si leit, des was ir lip so ungewon, daz si verzagte da von. der wec wart vinster unde tief, daz si got an rief daz er ir not bedæhte unde si zen liuten bræhte. unde do si wande sin verlorn, do gehorte si ein horn blasen von verre. des gestiurte si unser herre, daz si des endes cherte darnach als si lerte von dem horne der schal. hin wiste si ein tal des endes da diu burch lac. der wahtære, der der wer pflac, der sach si als drate. ein gast der also spate unde also mueder chuomt geriten, den mac man des vil lihte erbiten, ob er niht grozze unmuozze hat, daz er des nahtes da bestat. sus beleip ouch si mit kurzer bet. da man ir ze gemache tet

[Lettrine bleue manquante] [fol. 112r]

[fol. 112v]

IWEIN : TRADUCTION

(5764) Elle chevaucha ainsi toute une journée, sans avoir personne pour l’accompagner, jusqu’au moment où la nuit tomba. Elle prit un chemin qui la mena à une forêt. La nuit était ténébreuse et froide, il se mit à pleuvoir et le vent se leva. Je ne vous dirai pas ce que ressentait cette enfant qui n’avait jamais connu pareille détresse, même un homme très courageux aurait eu peur dans ces conditions épouvantables. Elle était si peu habituée à subir pareils tourments qu’elle perdit courage. Le chemin devint ténébreux et boueux, si bien qu’elle implora Dieu afin qu’Il se penchât sur sa détresse et la menât à un logis. Alors qu’elle se croyait perdue, elle entendit un cor sonner au loin. Ainsi, notre Seigneur la dirigea et lui fit prendre la direction que lui indiquait le son du cor. Elle suivit une vallée au fond de laquelle se trouvait un château. Le guetteur qui se tenait sur le chemin de ronde l’aperçut immédiatement. Un étranger qui arrive à cheval si tard et qui est aussi fatigué se laisse facilement convaincre de rester pour la nuit, à moins qu’il ne soit très pressé. Ainsi accepta-t-elle de demeurer là sans se faire prier longtemps. Après lui avoir offert le meilleur gîte possible, et qui fût acceptable pour elle, et une fois le repas terminé, le châtelain fut curieux de connaître les raisons de son voyage et demanda à la demoiselle quelles étaient ses intentions.

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IWEIN : TEXTE

swaz man guotes mohte, daz ir zenemen tohte, unde nach ezzen wart, den wirt wundert umb ir vart, unde fragte si der mære waz ir gewerp wære. [D]iu iunchfrouwe do sprach : [Lettrine bleue manquante] « ich suoche den ich nie gesach unde des ich niht erchenne. ichn weiz wie ich in iu nenne, wander enwart mir nie genant. unde ist mir anders niht erchant, wan daz er einen leun hat, nu ne han ich sin deheinen rat. man sagt von im die manheit. unde sol ich min arbeit iemer uberwinden, so muoz ich in vinden. » Der wirt sprach : « ir sit unbetrogen. [fol. 113r] [Lettrine rouge] ern hat iu niht von im gelogen der iu von im tugende seit, wande mich sin eines manheit von grozzem kuomber loste. got sande in mir zetroste. wie gerne ich dem stige iemer mere nige der in her ze mir truoc, wander mir einen risen sluoc der het mir min lant gar verwuestet unde verbrant. unde sluoc mir zwei miniu kint, unde vieriu, diu noch lebende sint, diu heter gevangen unde wolde si han erhangen. ich was et niuwan sin spot. mir sande in unser herre got, daz er mich an im rach. er sluoc in, daz ichz an sach, hie vor min selbes burgetor. da lit noch sin gebeine vor.

IWEIN : TRADUCTION

(5806) Elle lui répondit : « Je cherche un homme que je n’ai jamais vu et que je ne connais pas. Je ne puis vous dire comment il s’appelle, car je ne connais pas son nom. Je sais uniquement qu’il a un lion avec lui, et je ne sais rien d’autre à son sujet. On lui prête une grande bravoure et si je parviens à survivre à ces souffrances, il me faudra le trouver. »

(5818) Le châtelain répondit : « On ne vous a pas abusée. Celui qui vous a vanté son courage ne vous a pas menti, car sa seule bravoure m’a délivré d’un grand malheur. Dieu me l’envoya pour me sauver. C’est de bon gré que je bénirai toujours le chemin qui l’a mené jusqu’à moi, car pour moi il a tué un géant qui dévastait et incendiait mon pays ; il avait tué deux de mes fils, avait capturé les quatre qui étaient encore en vie et voulait les pendre. J’étais l’objet de ses railleries incessantes. Notre Seigneur Dieu m’envoya ce chevalier afin qu’il me venge du géant : il le tua sous mes yeux, ici devant la porte de mon château. C’est là que se trouvent encore ses ossements. Ce chevalier me permit de recouvrer tout mon honneur, que Dieu le protège où qu’il soit ! »

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IWEIN : TEXTE

er schuof mir michel ere, got pflege sin swar er chere ! » [D]er mære freute sich diu magt. si sprach : « lieber herre, sagt, do er hie von iu ledech wart, wizzet ir war do sin vart wuorde ? des bewiset mich ! » er sprach : « frouwe, nein ich unde ist mir daz nu leit. aber uf den wec den er da reit, dar wise ich iuch morgen fruo, waz ob iu got dazuo selbe sinen rat git ? » nu was ouch slafens zit. morgen, do ez was getagt, do bereite sich diu magt nach im uf die straze, rehte nach der maze als ir gezeiget wart. unde was ouch uf der rehten vart, diu si ze dem brunnen truoc, da er den truhsæzzen sluoc unde sine bruoder uberwant. liute die si da vant, die sagten ir daz, unde hiezzen si fragen furbaz, wolde si wizzen mære war er gechert wære. daz kunde ir lihte diu gesagen durch die er si het erslagen. si sprach : « nu sagt mir wa diu si. » si sprachen : « diu ist hie nahen bi, ein iuncfrouwe heizzet Lunet. diu stet an ir gebet in der kapeln hie bi. dar ritet unde fragt si. swes iu diu niht gesagen kan, des bewiset iuch hie nieman. » Do si si fragende wart, ob si iht weste umbe sine vart,

[Lettrine bleue manquante] [fol. 113v]

[fol. 114r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(5842) La jeune femme se réjouit en entendant ces paroles. Elle dit : « Cher seigneur, dites-moi encore : savez-vous où il est allé lorsqu’il prit congé de vous ? Indiquez-moi le chemin ! » Il répondit : « Non, Dame, je n’en sais rien et je le regrette. Mais demain je vous mènerai au chemin qu’il a emprunté, et peut-être que Dieu lui-même vous aidera. » Il fut alors l’heure d’aller dormir. Le lendemain, après le lever du soleil, la jeune femme se mit en route à la recherche du chevalier, exactement comme on le lui avait indiqué. Et elle était sur la bonne voie qui la mena à la fontaine où le chevalier avait tué le sénéchal et vaincu ses frères. Les gens qu’elle y rencontra le lui racontèrent et lui conseillèrent de continuer à se renseigner si elle voulait savoir où il était allé. Celle pour qui il s’était battu pourrait certainement le lui dire. Elle leur demanda : « Alors dites-moi où elle est. » Ils répondirent : «  Elle est juste à côté, c’est une demoiselle qui s’appelle Lunete. Elle est en train de prier dans la chapelle tout près d’ici. Allez-y et demandez-le-lui. Si elle ne peut pas vous le dire, alors personne ici ne saura vous renseigner. »

(5878) Lorsqu’elle lui demanda si elle savait où Iwein était parti, dame Lunete, qui de bon gré agissait toujours avec cour-

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IWEIN : TEXTE

do hiez ir frou Lunet, diu gerne hofschlichen tet, ir pfert gewinnen. si sprach : « ich wil von hinnen mit iu riten an die stat dar er mich mit im riten bat, do er hie fur mich gestreit unde uz disem lande reit. » alsus brahte si si dar, si sprach : « frouwe, nemt war, an dirre stat liez ich in, war aber stuende sin sin, desn chan ich iu niht gesagen. wan ein dinch wil ich got clagen, er unde sin leu waren wunt so sere daz er ze der stunt mohte geriten unverre. daz in unser herre vor dem tode bewar ! ez ist an sinem libe gar swaz ein riter haben sol. deiswar, ich gan iu beiden wol daz ir in gesunden vindet, wandir danne uberwindet mit im alle iuwer not. weizgot, frouwe, ich wære tot, wærer mir niht zehelfe chomen. alsus werde iu benomen alle iuwer swære. swaz ich guoter mære von iu vernim, der freu ich mich. » hie mit schieden si sich. diu da suochte, der was gach, der rehten strazen reit si nach, unz si die selben burch ersach, da im michel gemach uffe geschehn was, wan er da lac unz er genas. sus reit si gein dem burgetor, da mohte si wol vor

[fol. 114v]

IWEIN : TRADUCTION

toisie, fit chercher son cheval. Elle dit : « Je vais vous amener à l’endroit jusqu’auquel il m’avait priée de l’accompagner lorsqu’il quitta ce pays après avoir combattu pour moi. » Ainsi elle l’y conduisit et ajouta : « Dame, sachez que c’est ici que je l’ai laissé mais je ne puis vous dire où il comptait se rendre. Mais par Dieu, une chose me fait peine : lui et son lion étaient si gravement blessés qu’à cette heure il n’a pas pu aller bien loin. Puisse notre Seigneur le protéger de la mort ! Il possède toutes les qualités qu’un chevalier doit avoir. En vérité, je vous souhaite à toutes deux de le retrouver en bonne santé, car alors vous surmonterez votre malheur grâce à lui. Par Dieu, dame, je serais morte s’il n’était pas venu à mon secours. De la même façon, je souhaite qu’il vous délivre de tous vos tourments. Chaque bonne nouvelle qu’on me rapportera à votre sujet me réjouira le cœur. » Sur ces paroles elles se séparèrent. Celle qui recherchait le chevalier était pressée. Elle suivit le bon chemin jusqu’au moment où elle aperçut le château dans lequel justement on avait dispensé bien des soins à Iwein et où il était resté alité jusqu’à ce qu’il fût guéri. Alors elle se dirigea vers la porte du château devant laquelle elle vit des chevaliers et des dames en si grand nombre que cela faisait vraiment honneur au châtelain. Elle se dirigea rapidement vers eux et leur demanda s’ils savaient quelque chose au sujet de celui qu’elle cherchait. Le châtelain fut assez aimable pour aller en personne à sa rencontre : il l’accueillit avec enthousiasme et lui proposa de l’héberger. Elle lui répondit : « Je suis à la recherche d’un homme. Je ne pourrai accepter l’hospitalité de personne ni prendre de repos avant de l’avoir trouvé. C’est pour cela que l’on m’a indiqué le chemin qui mène jusqu’ici. » « Quel est son nom ? » demanda le châtelain. Elle répondit : « On m’a envoyée à sa recherche et je ne sais rien à son sujet, si ce n’est qu’il a un lion avec lui. » Il déclara : « Il vient tout juste de nous quitter. Je n’ai pas pu le persua-

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IWEIN : TEXTE

von ritern unde von frouwen ein selch gesinde schouwen daz wol den wirt erte. zuo den si drate cherte unde fragte si der mære ob in iht kunt wære umbe den den si da suochte. der wirt do des geruochte daz er selbe gein ir gienc. unde si froliche enpfienc, er bot si die herberge an. si sprach : « ich suoche einen man. unz ich den niht funden han, so muoz ich gnade unde ruowe lan. nach dem wart mir gezeiget her. » « wie ist des nam ? » sprach er. si sprach : « ich bin nach im gesant, unde ist mir anders niht erchant, wan daz ein leu mit im ist. » er sprach : « der hat an dirre frist von uns hie urloup genomen. ichn moht in des niht uberchomen daz er hie langer wolde wesn. er unde sin leu sint wol genesn. si lagen hie vil starche wunt. nu varent si fro unde wol gesunt. welt ir in schiere erriten, so ne sult ir hie niht biten. setzet iuch rehte uf sine sla, geratet ir im rehte na, so habt ir in vil schier erriten. » do ne wart niht langer da gebiten. si ne mohte celtens niht gehaben, si begunde schiuften unde draben, unz si den riter an sach. als liebe ir daran geschach, * als liebe muezze uns noch geschehn, daz wir uns alle liebe sehn ! Si gedahte in ir muote : « richer got der guote,

[fol. 115r]

[fol. 115v]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

der de rester plus longtemps ici. Lui et son lion sont complètement guéris : ils étaient en convalescence en ce château parce qu’ils étaient grièvement blessés. Désormais, ils sont joyeux et en pleine forme. Si vous voulez les rattraper, il ne vous faut pas vous attarder ici. Repérez bien ses traces et si vous savez les suivre, vous l’aurez très rapidement rattrapé. » Elle n’attendit pas plus longtemps  : elle ne pouvait plus continuer à faire aller son cheval à l’amble, elle se mit à trotter et à galoper jusqu’à l’instant où elle aperçut le chevalier. Puissions-nous éprouver la même joie quand nous nous retrouvons que celle qu’elle ressentit alors !

(5958) Elle pensa en elle-même : « Dieu tout puissant et miséricordieux, que va-t-il advenir

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IWEIN : TEXTE

wie sol ez mir nu ergan, sit ich den man funden han ? nu han ich michel arbeit an diz suochen geleit. e gedaht ich niuwan daran, ob ich funde den man, wie sælech ich danne wære, unde daz ich mine swære alle het uberwunden. nu han ich in funden, alrerst get min angest zuo, wie er wider mich getuo. ob er mir helfe verseit, waz touc danne min arbeit ? » disen segen tet si fur sich : « herre got, nu lere mich die rede der ich geniezze, daz in min iht verdriezze unde daz er mich iht entwer. ob mir verliuset des ich ger min ungeluoche ode sin zorn, so han ich min vinden verlorn. got gebe mir sælde unde sin ! » zehant reit si neben in, si sprach : « got gruezze iuch, herre. ich han iuch harte verre uf gnade gesuochet. got gebe daz irs geruochet ! » er sprach : « ichn han gnaden niht, swem mins dienstes not geschiht unde swer fruomer des gert, dern wirt des niemer entwert. » wander wol an ir sach daz si nach im ungemach uf dem wege het erliten. do begunde ouch er ir heils biten, er sprach : « frouwe, mir ist leit al iuwer arbeit, swie ich die erwenden chan, da ne wirret iu niht an. »

[fol. 116r]

IWEIN : TRADUCTION

maintenant que j’ai trouvé celui que je cherchais ? Je me suis donné beaucoup de peine à le rechercher. Auparavant je ne songeais qu’au bonheur que j’éprouverais si je le trouvais, et il me semblait que j’aurais alors surmonté tous mes soucis. À présent je l’ai trouvé et ce n’est que maintenant que j’ai peur de la façon dont il va se comporter envers moi. À quoi aura servi toute ma peine s’il me refuse son aide ? » Elle prononça cette prière pour elle-même : « Seigneur Dieu, inspire-moi les paroles grâce auxquelles il ne s’offensera pas de ce que je lui demanderai et ne me le refusera pas. Si ma requête échoue à cause de ma maladresse ou de sa colère, alors il n’aura été d’aucune utilité que je le retrouve. Que Dieu m’accorde bonheur et sagesse ! » Aussitôt elle le rejoignit et dit : « Que Dieu vous salue, seigneur ! Je vous ai beaucoup cherché afin de vous demander une faveur. Dieu fasse que vous me l’accordiez ! » Il lui répondit : «  Je ne puis accorder aucune grâce, mais je ne refuserai jamais mon aide à celui qui en a besoin s’il s’agit d’une personne de valeur. » En effet, il comprenait bien, en la regardant, qu’en le cherchant elle avait enduré bien des souffrances en chemin. Alors il lui souhaita bonne chance et lui dit : « Dame, tous vos tourments me chagrinent, et si je puis les soulager d’une quelconque manière alors ne vous faites plus de soucis. » À ces mots elle s’inclina devant lui et devant Dieu, elle s’en remit à lui et le remercia mille fois. Elle lui dit : « Cher seigneur, ce n’est pas pour moi que je vous adresse cette requête : celle qui m’a envoyée vous chercher est bien plus noble que moi. Je vais vous expliquer précisément dans quelle situation elle se trouve. Elle est victime d’injustice et de violence : son père est mort récemment et sa sœur veut la déshériter et la ruiner sous prétexte qu’elle est un peu plus âgée qu’elle. C’est avec bien du mal que la cadette a obtenu un délai : un duel entre les deux parties a été fixé d’ici à six semaines. L’aînée spoliera sa sœur de son héritage si celle-ci n’a pas la chance de présenter un champion qui la protège de cet abus. Puisque tout le

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IWEIN : TEXTE

do neic si im unde gote unde bot sich im ze gebote unde gnadet im vil verre. si sprach : « lieber herre, ia ne ist diu bet niht umbe mich. si ist verre werder danne ich diu mich nach iu gesant hat. unde sagiu rehte wiez umbe si stat. si lidet von gewalte not. ir vater ist niuliche tot, unde wil si ir swester enterben unde da von verderben daz si ein lutzel alter ist. des hat si chume gewunnen frist. uber sechs wochen so ist ein kampf gesprochen zwischen in beiden. so wil si si scheiden von ir erbeteile, ezn ste danne an ir heile daz si den kempfen bringe dar der si gewaltes bewar. nu hat si bewiset diu werlt, diu iuch priset, daz si iuch zetroste hat erkorn. unde enhat daz niht verborn durch hochfart noch durch tracheit daz si niht selbe nach iu reit. si was uf den wec chomen, ehaftiu not hat irz benomen, wande si leider uf der vart von der reise siech wart. unde ist also underwegn ze minem vater belegn. der sande mich uz an ir stat, nu bit ich iuch als si mich bat. si hiez mich iuch, herre, manen harte verre. sit iuch got so geret hat, daz also gar zeprise stat

[fol. 116v]

[fol. 117r]

IWEIN : TRADUCTION

monde fait votre éloge, elle a été amenée à vous choisir pour la sauver. Et ce n’est pas par orgueil ou par paresse qu’elle a renoncé à se lancer elle-même à votre recherche. Elle s’était mise en route mais un cas de force majeure l’a empêchée de continuer, car malheureusement elle est tombée malade à cause des souffrances liées au voyage. En chemin, elle a trouvé refuge chez mon père. C’est lui qui m’a envoyée à sa place et maintenant je vous adresse la prière dont elle m’a chargée. Elle m’a demandé, seigneur, de vous en supplier très instamment. Puisque Dieu vous a donné tant de qualités que votre renom dépasse celui de bien des chevaliers, alors acceptez pour l’amour de Dieu et des femmes vertueuses. Vous démontrerez ainsi votre courtoisie et votre sagesse. Daignez maintenant accroître votre renommée à tous deux : la vôtre en agissant pour votre honneur et la sienne en lui conservant ses biens. Dites-moi maintenant, pour l’amour de Dieu, ce que vous avez décidé. »

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IWEIN : TEXTE

fur manigen riter iuwer lip, so eret got unde guotiu wip, sit ir hofsch unde wis. nu geruochet iuwern pris an in beiden meren, * den iuwern an den eren den ir an dem guote. swes iu nu si zemuote, des bewiset mich durch got. » [E]r sprach : « da ne hat sich der bot niht versumet umb ein har. der alte spruch der ist war, swer guoten boten sendet, sinen willen er endet. ich kiuse bi dem boten wol wie man die frouwen wern sol. ich tuon vil gerne swes ir gert, so verre mich der lip gewert. nu ritet fur unde wiset mich, swar ir mich wiset, dar var ich. » Sus wart der bot enpfangen, und was vil gar zergangen ir zwifellichiu swære. manec wehselmære sagten si uf der heide, sus vertriben si beide mit niuwen mæren den tac. nu sahen si wa vor in lac ein burch uf der straze. den liuten wol zemaze die herbergen solden, als ouch si gerne wolden. diu burch lac besunder, unde ein marchet darunder. dar in si beidiu riten, nu enpfiengen si mit unsiten alle die in den strazen stuonden unde sazen. si mohten wol erschrichen von ir twerhen blichen.

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 117v]

[Lettrine rouge]

[fol. 118r]

IWEIN : TRADUCTION

(6049) Il lui répondit : « Le messager n’a nullement failli à sa mission. Le vieil adage est avéré : celui qui envoie un bon messager voit ses vœux se réaliser. Je vois bien en regardant le messager que la dame est digne d’être défendue. C’est bien volontiers que je ferai ce que vous demandez autant que mes forces me le permettront. Maintenant précédez-moi et guidez-moi, j’irai là où vous me mènerez. »

(6060) C’est ainsi que la messagère fut accueillie de sorte que les doutes qui l’oppressaient s’évanouirent totalement. Dans la lande, ils échangèrent de nombreuses paroles et se passèrent ainsi le temps en évoquant les dernières nouvelles. Puis ils virent devant eux un château, situé au bord de la route. C’était l’endroit idéal pour des gens qui, comme eux, cherchaient un refuge. Le château se trouvait à l’écart et à ses pieds il y avait une place de marché. C’est là qu’ils se rendirent, mais tous les gens qu’ils rencontrèrent dans les rues les accueillirent de manière discourtoise. Les regards obliques qu’ils leur lançaient étaient effrayants. Les habitants du lieu leur tournèrent le dos en disant : «  Vous venez ici au mauvais moment. Nous n’avons pas besoin de vous ici et si vous saviez ce qui vous attend vous auriez continué votre route. On vous recevra ici avec bien peu d’honneurs. Qui va vous souhaiter la bienvenue ? Et qu’avez-vous espéré en venant jusqu’ici ? Y a-t-il donc ici quelqu’un qui souhaite vous voir ? Vous devriez passer votre chemin. C’est la colère de Dieu qui vous a amenés ici pour votre malheur. Vous n’êtes pas les bienvenus ! »

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IWEIN : TEXTE

si cherten in den ruoke zuo, und sprachen : « ir chuomt her zefruo. man het iuwer hie wol rat, unde west ir wiez hie stat, ir wæret fur gecheret. ir werdet hie lutzel geret. wem sit ir hie willechomen ? ode waz habt ir iuch an genomen mit iuwer reise da her ? wer ist hie der iuwer ger ? ir moht riten furbaz. iuch hat rehte der gotes haz da her gesant beide zallem iuwerm leide. ir sit uns unwillechomen ! » do si daz heten vernomen, do sprach der riter mit dem leun : « waz diut diz schelten unde diz dreun ? ode waran verschuldet ich daz ? verdient ich ie iuwern haz, daz ist unwizzende geschehn. unde wil iu des beiehn bi der rehten warheit. ichn chom nie her durch iuwer leit. magich, ich scheide ouch hinnen mit iuwer aller minnen. aller liute beste, enpfahet ir iuwer geste alle ensamt als mich, daz ist untrostlich einem her chomen man der iuwer niht geraten kan. » [N]u gehorte ein frouwe disen zorn, diu was uz der stat geborn. fur die sin straze gienc, do er den burch wec gevienc. diu wincte im von verre, unde sprach : « lieber herre, die rede die man hie tuot, die tuot man niuwan durch guot.

[fol. 118v]

[Lettrine bleue manquante]

IWEIN : TRADUCTION

Lorsqu’il entendit cela, le Chevalier au Lion répondit : « Que signifient ces paroles insultantes et ces menaces? En quoi ai-je mérité cela ? Si jamais j’ai fait quelque chose qui m’attire votre colère, alors ce fut bien involontairement. Et je vais vous dire ce qu’il en est en vérité : je ne viens pas pour vous nuire. Si cela ne tenait qu’à moi, je repartirais d’ici avec votre amitié. Très chers amis, si vous recevez tous vos hôtes de la même façon que moi, alors c’est attristant pour les tous étrangers qui ne peuvent se passer de votre aide. »

(6112) Une dame, qui était originaire de cette ville, entendit cette querelle. Il passait justement devant elle alors qu’il se dirigeait vers le château. De loin elle lui fit signe et lui dit : « Cher seigneur, les paroles que l’on vous a adressées ne visent que votre bien. Ne vous mettez donc pas en colère, car ces gens craignent pour votre honneur et pour cette belle et noble femme. Vous devrez perdre la vie – et cela vous ne pour-

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IWEIN : TEXTE

nu enzuornet niht so sere, si riuwet iuwer ere unde daz riterliche wip. ir muezzet verliesen den lip, dazn kunnet ir niemer bewarn, welt ir uf die burch varn. si ne redent ez durch deheinen haz, wan dazs iu des gunden baz, daz ir dise burch mit unde noch furbaz rit. wande uns ist ein gebot gegebn uber guot unde uber lebn, daz sich hie vor wip noch man nem deheinen gast an uzzerhalp dem burgetor. da ne herberget man niemen vor. got sol iuch dervor bewarn, ich weiz wol, welt ir vol varn, daz ez iu an den lip gat. erwindet noch, daz ist min rat, unde ritet furbaz. » er sprach : « mich hulfe lihte daz, volget ich iuwerm rate, nu ist ez aber zespate. war moht ich nu geriten ? ich muoz des tages hie biten. » Si sprach : « muese ich iuch danne sehn, leider des niht mac geschehn, her wider uz cheren herre, mit iuwern eren, so helfe mir got, des freut ich mich. » alsus reit er fur sich. als in der torwærte ersach, er wincte im dar unde sprach : « wol her, riter, wol her ! wandich iuch des wol wer daz man iuch hie vil gerne siht. ezn chuomt aber iu zestaten niht. » nach disem antpfange sumder in unlange,

[fol. 119r]

[fol. 119v]

IWEIN : TRADUCTION

rez l’empêcher – si vous persistez à vous rendre au château. Les gens ne prononcent pas ces paroles parce qu’ils vous sont hostiles, mais parce qu’ils souhaitent vraiment que vous évitiez le château et que vous poursuiviez votre route. En effet, il nous est interdit à tous, sous peine de perdre nos biens et notre vie, d’héberger un hôte à l’extérieur du château. C’est pourquoi nous n’accordons le gîte à personne. Que Dieu vous préserve : je sais bien que si vous continuez votre chemin vous perdrez la vie. Faites demi-tour tant qu’il est encore temps, c’est le conseil que je vous donne, et n’allez pas plus avant. » Il répondit : « Il serait peut-être souhaitable que je suive votre conseil, mais il est trop tard. Où pourrais-je aller désormais ? Il me faut attendre ici le lever du jour. »

(6146) Elle déclara : « Seigneur, si je vous voyais revenir couronné de succès – ce qui malheureusement ne peut pas arriver – sachez par Dieu que cela me réjouirait. » Ainsi, il poursuivit sa route. Lorsque le portier l’aperçut, il lui fit signe d’approcher et lui dit : « Venez, chevalier, venez ! Car je puis vous assurer que l’on est très heureux de vous voir ici. Cependant, cela ne vous sera d’aucune utilité. » Après lui avoir réservé cet accueil, il ouvrit, sans le faire attendre longtemps, les portes du château. Le portier l’accueillit avec de nombreuses menaces. Cela n’impressionna pas Iwein. Le portier, cet homme déloyal, lui jeta un regard plein de coquinerie et dit :

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IWEIN : TEXTE

ern tæte im uf die porte. mit manigem dro worte enpfienc in der portenære. daz was im unmære. er sach in schalclichen an als ein ungetriuwer man. er sprach : « ich han daz wol bedaht daz ich iuch han her in braht. ahtet selbe umbe die uz vart. » nach im waz daz tor bespart. ern ruochte waz er sprach, do er deheine freise sach in der burch noch der vor. nu sach er inrehalp dem tor ein witez werchgadem stan, daz was gestalt unde getan als armer liute gemach. darin er durch ein venster sach wuorchen wol driu hundert wip. den waren diu cleider unde der lip vil armecliche gestalt, ir deheiniu was doch alt. die armen heten den sin, daz gnuoge worhten under in swaz iemen wuorchen solde von siden unde von golde. gnuoge worhten an der ram, der werch was ouch lobesam. unde die des niene kunden, die lasen, dise wunden, disiu blou, disiu dahs, disiu hachelte flahs, disiu burste, disiu swanc disiu linwæte twanc rehte wiz als ein swan, disiu streut garn an daz si ze tuoche wolde weben, diu druemer muose ir disiu gebn. dise spunnen, dise naten. unde waren doch unberaten.

[fol. 120r]

IWEIN : TRADUCTION

« Je m’y suis bien pris pour vous attirer à l’intérieur. À vous de voir comment vous ressortirez. » Il referma la porte derrière lui et la verrouilla. Iwein se soucia bien peu de ce que lui dit le portier, car, que ce soit dans le château ou devant celui-ci, il ne vit rien d’effrayant. Il aperçut alors, à l’intérieur de l’enceinte, face à la porte, un vaste atelier qui par son apparence ressemblait à un hospice de pauvres. À travers une fenêtre, il vit bien trois cents femmes travailler à l’intérieur. Aussi bien leurs habits et que leur aspect étaient fort misérables, alors qu’aucune d’elles n’était vieille. Parmi ces pauvres femmes, nombreuses étaient celles qui étaient occupées à tisser tout ce qu’il est imaginable de tisser à partir de soie et d’or. Beaucoup travaillaient sur un métier à tisser et leur ouvrage était fort louable. Parmi celles qui ne maîtrisaient pas cet art, certaines entrecroisaient les fils, d’autres les enroulaient en bobines. Celle-ci cassait le lin à l’aide d’une braie, celle-là le battait, une autre le cardait. Celle-ci le peignait, celle-là le tressait ; une autre encore pliait le tissu de lin aussi blanc qu’un cygne ; celle-ci disposait le fil qu’elle voulait tisser sur le métier tandis que celle-là lui tendait les fils. D’autres encore filaient ou cousaient. Elles vivaient cependant dans le plus grand dénuement.

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IWEIN : TEXTE

[I]n galt ir arbeit niht me wan daz in zallen ziten we vor hunger unde vor durste was unde daz in chume genas der lip der in doch nach gesweich. si waren mager unde bleich, si liten grozzen unrat an dem libe unde an der wat. ez was bi ir fiure underwilen tiure daz fleisch zuo den fischen. si muose verwischen wirtschaft unde ere, si rungen mit sere. ouch wuorden si sin gewar. waren si e riuwevar, ir leides wart do michels me. in tet diu scham als we daz in die arme enpfielen, wan in die træhen wielen uz den ougen an ir wat. daz ir grozzen unrat iemen fremder het ersehn, da was in leide an geschehn. diu houpt sigen in zetal, daz si vergazen uber al des werches in den henden. von den ellenden wolder den portenære gerne fragen mære, wander da niemen andern sach. der schalch so schalclichen sprach. Als er gein dem tor gienc, der schalch in schalclich enpfienc, er sprach uz schalches munde so er schalchlichest kunde : « her gast, ir woldet fur daz tor, nein, da ist ein rigel vor. es ist iu anders undersehn, iu sol iuwer reht hie geschehn,

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 120v]

[Lettrine rouge] [fol. 121r]

IWEIN : TRADUCTION

(6200) Leur travail leur rapportait si peu qu’elles souffraient sans cesse de faim et de soif et qu’elles survivaient à grand-peine. Elles étaient maigres et blêmes, aussi bien leurs corps que leurs habits témoignaient de cette grande détresse. Il était rare qu’elles fassent cuire de la viande ou du poisson. Elles étaient contraintes de renoncer à une nourriture et à un train de vie dignes d’elles, et elles enduraient de profondes souffrances. Soudain elles remarquèrent Iwein. Même si auparavant leur teint était déjà marqué par la tristesse, leur malheur n’en fut alors que plus grand encore. La honte les accablait tant que les bras leur en tombèrent et que des larmes coulèrent de leurs yeux jusque sur leurs habits. Qu’un étranger ait vu leur grande misère les faisait souffrir plus encore. Elles baissèrent la tête et en oublièrent complètement l’ouvrage qu’elles avaient dans les mains. Iwein voulut s’enquérir de ces malheureuses auprès du portier, car il ne voyait personne d’autre. Le coquin lui répondit alors sur un ton plein de coquinerie.

(6232) Lorsqu’Iwein se dirigea vers la porte, le coquin le reçut coquinement et lui dit de sa bouche pleine de coquinerie, le plus coquinement possible : « Cher hôte, vous souhaitez sortir ? Mais non ! La porte est verrouillée. Il y a quelque chose d’autre de prévu pour vous et vous recevrez ce qui vous revient de droit avant que l’on ne vous ouvre la porte. C’est d’une autre façon que l’on vous accompagnera pour sortir : on vous couvrira de honte et on vous appren-

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IWEIN : TEXTE

e iu diu porte werde enspart. man sol iuch zuo iuwer uz vart anders beleiten. man sol iuch hie bereiten maniger uneren, man sol iuch hie leren dise hovezuht baz. wie gar iuwer got vergaz, do ich iuch brahte da her in. ir scheidet mit uneren hin. » [D]o sprach der riter mit dem leun : « du maht mir harte vil gedreun. michn beste ein grozzer not, deiswar, so gelige ich niemer tot. wan besliuzestu vaste din tor ? zware wærich da vor, ich wolde doch her wider in. daz ich zuo dir gegangen bin, daz ist durch fragen getan. friunt, du solt mich wizzen lan, wie stet ez umbe disiu wip ? den sint die siten unde der lip gestalt wol dem geliche, wæren si fro unde riche, so wæren si vil wol getan. » der frage hiez er sich erlan, er sprach : « ich sagiu ein bast. wænt ir niht, her gast, daz mich iht betrage iuwer muezzigen frage ? ir verlieset michel arbeit. » der riter sprach : « daz ist mir leit. » unde schiet lachende dan, als der sich mit dem bœsen man mit worten niht beheften wil, unde het sine rede fur spil. er ersuochte want unde want, unz er die hustur vant. unde gie zuo in darin. swie gar von armuot ir sin

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 121v]

IWEIN : TRADUCTION

dra plus précisément les manières qu’il faut respecter ici. Il faut que Dieu vous ait totalement oublié pour que j’aie pu vous attirer ici. Vous n’en repartirez que couvert d’opprobre. »

(6250) Le Chevalier au Lion dit alors : « Tu peux me menacer autant qu’il te plaît. Si aucun plus grand danger ne me guette, en vérité, je ne suis pas près de mourir. Pourquoi barricades-tu ta porte de la sorte ? Vraiment, si j’étais devant je n’aurais de cesse que de vouloir pénétrer à l’intérieur. Si je suis venu te trouver, c’est pour te poser une question. Ami, dis-moi ce qu’il en est de ces femmes. À en juger par leur conduite et leur apparence, elles seraient fort belles si elles étaient joyeuses et riches. » Le portier ne fit aucun cas de la question et rétorqua : « Je ne vous en dirai pas un mot. Ne croyez-vous pas, cher hôte, que votre question n’a pas lieu d’être et que vous m’ennuyez ? Vous perdez votre peine. » Le chevalier répondit : « Je le regrette. » Et il partit en riant, car il ne voulait pas se disputer avec ce vil personnage et n’accordait aucune importance à ses propos. Il examina tous les murs jusqu’à ce qu’il eût trouvé la porte du bâtiment. Il y pénétra et trouva les trois cents femmes. Bien que la pauvreté leur pesât, elles gardaient leur dignité. De toutes parts, elles s’inclinèrent pour saluer le chevalier. Elles délaissèrent leur ouvrage aussi longtemps qu’il resta parmi elles. La courtoisie qui leur était innée leur commandait de se conduire ainsi. En outre, il remarqua que les paroles inutiles étaient rares en ce lieu, ce qui pourtant se produit souvent là où beaucoup de femmes se retrouvent ensemble. Elles rougirent de honte à plusieurs reprises lorsqu’il leur présenta ses hommages, et leurs yeux se troublèrent et se remplirent de larmes durant tout le temps où il leur tint compagnie. Alors il eut pitié de leurs souffrances et dit : « Si cela ne vous heurte pas, j’aimerais vous demander de quelle lignée vous êtes et quels sont vos parents. Si cette pauvreté est due à

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IWEIN : TEXTE

wære beswæret, doch waren si unerværet. im enwuorde al umbe genigen. unde liezzen ir werch ligen die wile er under in da saz. ir zuht von art gebot in daz. ouch nam er war daz lutzel hie uberiger rede ergie, der doch gerne vil geschiht swa man vil wibe ensamt siht. si wuorden ofte scham rot, do er in sinen dienst bot, ir ougen truebe unde naz, die wile er under in da saz. nu erbarmet in ir arbeit. er sprach : « wærez iu niht leit, so het ich gerne frage iuwerre ahte unde der mage. ist iuch disiu armuot an geborn, so han ich minen wan verlorn, wandich sihe wol daz iu we tuot diu scham der selben armuot, unde versihe mich des da von, swer ir von kinde ist gewon, dern schamt sich ir so sere niht als man an iu hie siht. nu ne sagt mir minre noch me wan rehte wiez drumbe ste. weder hat iu diz lebn gebuort oder unheil gegebn ? » Diz was der einer antwuort : « unser lebn unde unser gebuort suln wir iu vil gerne sagen. got unde guoten luten clagen * wie uns groz ere ist benomen unde sin in disen kuomber chomen. herre, ez ist unser lant. der iunchfrouwen wert genant unde lit dem mer unverre. des selben landes herre

[fol. 122 r]

[Lettrine rouge] [fol. 122v]

IWEIN : TRADUCTION

votre naissance, alors je me serai trompé sur votre compte, car je vois bien que la honte vous accable et je sais ceci : celui qui est habitué à l’indigence depuis sa naissance n’éprouve pas une honte si grande que celle qui est la vôtre. Dites-moi maintenant précisément ce qu’il en est : devez-vous cette existence à votre condition ou à un malheur ? »

(6310) Alors l’une d’entre elles lui fit cette réponse : « C’est bien volontiers que nous vous parlerons de notre vie et de nos origines. Devant Dieu et les hommes de bien, nous déplorons d’avoir été dépossédées de tout honneur et d’avoir été contraintes à cette existence indigne. Seigneur, notre pays a pour nom l’Île aux Pucelles et il borde la mer. Le seigneur de ce pays, agissant encore comme un enfant, eut un jour l’idée de partir en quête d’aventures. Et pour notre malheur son chemin l’amena ici exactement de la même façon que vous aussi êtes venu, et il lui est arrivé ce qu’il ne manquera pas de vous arriver,

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IWEIN : TEXTE

gewan den muot daz er reit niuwan von siner kintheit suochen aventiure. unde von des weges stiure leider uns so chom her, rehte alsam ouch ir da her, unde geschach im als ouch iu geschiht. wan da ne ist wider rede niht, irn muezzet morgen vehten mit zwein des tiufels knehten die sint als manhaft, unde het ir sehs manne kraft, daz wære ein niht wider in. got eine mac iu helfen hin ob er imz enblanden wil, wande im ist nihtes zevil. ezn kan ouch ane in niht geschehn, wirne muezzen morgen an iu sehn daz iamers unz an dise frist an manigem hie gesehn ist. [S]us chom min herre her geriten unde solde mit in han gestriten. sin wille unde sin muot was gereit unde guot, do ne was sin alter fur war niuwan ahcehn iar, unde was des libes als kranc daz er des siges ane danc unde ungestriten muose iehn. unde wære da toter gesehn, wan daz er sich vor disen unsæligen risen loste als ich iu wil sagen. si heten in anders erslagen, wan daz er in uber den eit gap gisel unde sicherheit daz er in zinset sin lebn. er muoz in elliu iar gebn drizech mægde da her die wile si lebent unde er.

[fol. 123r] [Lettrine bleue manquante]

IWEIN : TRADUCTION

car il n’existe aucune échappatoire. Demain il vous faudra combattre deux suppôts du diable qui sont si vaillants que même si vous aviez la force de six hommes vous ne pourriez rien contre eux. Dieu seul peut vous aider s’il y consent, car rien ne Lui est impossible. Si demain nous ne vous retrouvons pas dans un état aussi déplorable que celui dans lequel nous avons déjà vu nombre de chevaliers avant vous, nous ne le devrons qu’à Lui.

(6340) Ainsi, mon seigneur arriva ici et dut se battre avec eux. Au plus profond de son cœur et de son âme il était déterminé et sans crainte. Cependant il n’avait à l’époque que dix-huit ans et n’était pas suffisamment fort, de telle sorte qu’il ne put que leur concéder la victoire sans même livrer bataille. Il serait mort s’il n’avait pas racheté sa vie, je vais vous dire comment, à ces deux maudits géants. Ils l’auraient tué s’il ne leur avait pas donné, en plus de son serment, des otages et des gages afin d’obtenir la vie sauve. Chaque année il doit leur envoyer trente demoiselles, et ceci durera aussi longtemps que lui et les géants vivront. Mais si un homme, béni par la félicité, parvenait à les vaincre nous serions alors toutes délivrées. Mes paroles ne se fondent malheureusement sur aucun espoir, car en plus d’être très forts ils sont si courageux qu’aucun homme ne peut leur arracher la victoire. C’est à nous qu’il revient de payer la rançon et nous menons une existence misérable. Notre jeunesse est bien triste, car ceux à qui nous sommes soumises ne connaissent aucune vertu. Ils ne nous accordent aucun profit du fruit de toutes nos peines. Nous devons supporter tout ce qui nous est imposé. Nous tis-

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IWEIN : TEXTE

unde wære dehein so sælech man der in gesigte beiden an, so wæren wir alle erlost. diu rede ist leider ane trost, wan zuo aller ir kraft so sint si so manhaft daz in niemer dehein man den sic mac behaben an. wir sin die selben zins gebn unde haben ein iæmerlichez lebn. wir leiten riuwecliche iugent, wande si sint ane alle tugent den wir da sin undertan. si ne chunnen uns niht geniezzen lan aller unser arbeit. swaz uns fur wirt geleit, daz muezzen wir allez liden. von golde unde uz siden wuorchen wir die besten wat die iemen in der werlde hat, nu waz hilfet uns daz ? wirne lebn doch niht deste baz. wir muezzen ez sere enblanden den armen unde den handen, e wir so vil erwerben daz wir niht hungers sterben. man lont uns als ich iu sage, nu seht wer von dem beiage riche wesen kunde. man git uns von dem pfunde niuwan vier pfenninge. der lon ist al zeringe fur spise unde fur cleider. des sin wir ouch der beider rehte durftiginne. von unserm gewinne sint si worden riche, unde leben wir iæmerliche. Do erbarmet in ir ungemach. er siufte sere unde sprach :

[fol. 123v]

[fol. 124r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

sons les plus beaux habits d’or et de soie que le monde connaisse, mais à quoi cela nous sert-il ? Nous ne vivons pas mieux pour autant. Nous devons infliger mille meurtrissures à nos bras et à nos mains afin de pouvoir obtenir juste de quoi ne pas mourir de faim. Je vais vous dire comment on nous dédommage et vous verrez si nous pouvons nous enrichir grâce à de tels gains. D’une livre on ne nous donne que quatre sous. Ce salaire est si maigre qu’il ne suffit ni à nous nourrir ni à nous vêtir. C’est pourquoi nous ressemblons à de vraies pauvresses. Les deux géants se sont considérablement enrichis grâce au fruit de notre labeur, tandis que nous vivons misérablement. »

(6398) Alors il eut pitié de leur indigence. Il poussa un profond soupir et dit :

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IWEIN : TEXTE

« nu si got der suezze der iu frouwen buezze iuwer unwerdez lebn, unde ruoche iu sælde unde ere gebn. mir ist iuwer kuomber leit, unde wizzet mit der warheit, so sere erbarmet ir mich, ich benæme in iu gerne, moht ich. ich wil gen unz ich vinde des huses ingesinde, wie daz gebare wider mich. diu rede ist nie so angestlich, wil mir got gnædech wesn, so truwe ich harte wol genesn. » also bat er ir got pflegen, ouch gaben si im vil manigen segen. nu begunder suochende gan unde vant ein schœne palas stan. daruf gienc er schouwen mit siner iunchfrouwen, unde envant daruffe wip noch man. nu volget einem wanche dan, der in den wec leite. uber des palas breite, wan do het erz ersuochet gar. do nam er einer stiege war, diu selbe stiege wiste in in einen boumgarten hin, der was lanc unde wit daz er vor des noch sit deheinen schœnern nie gesach. dar in het sich durch gemach ein altherre geleit. dem was ein bette gereit, des wære gewesn fro diu gottinne Iuno, do si in ir besten werde was. der schœne bluot, daz reine gras, baren im vil suezzen smac, der herre herliche lac.

[fol. 124v]

IWEIN : TRADUCTION

« Que Dieu, plein de bonté, vous libère, nobles dames, de cette vie indigne et qu’il daigne vous accorder félicité et honneur. Votre détresse me pèse et je puis vous assurer, aussi vrai que j’éprouve de la compassion pour vous, que j’aimerais beaucoup vous en délivrer, si cela est possible. Je vais partir à la recherche des habitants de ce château afin de voir comment ils se comportent envers moi. Ce que vous m’avez dit ne me paraît nullement si effrayant et, s’il plaît à Dieu de me venir en aide, j’ai bon espoir d’en réchapper. » Ensuite, il demanda à Dieu de veiller sur elles tandis qu’elles lui adressaient maintes bénédictions. Il commença alors sa quête et trouva la grand-salle du château qui était fort belle. Accompagné de sa demoiselle, il s’y rendit mais ne découvrit âme qui vive à l’intérieur. Il fit demi-tour et suivit un chemin qui longeait la grand-salle qu’il avait alors parfaitement explorée. Il aperçut un escalier qui le mena dans un verger, si long et si vaste qu’il n’en n’avait encore jamais vu de plus beau. Un seigneur déjà âgé s’y était allongé pour prendre du repos. On lui avait préparé un lit qui aurait empli de joie la déesse Junon alors qu’elle était encore au faîte des honneurs. De belles fleurs et une herbe fraîche répandaient autour du seigneur un parfum très suave si bien qu’il disposait là d’une couche magnifique. C’était un vieil et bel homme et je crois bien que la dame qui était assise à ses côtés était sa femme. Tous deux étaient d’un âge avancé et, tant par leur apparence que par leurs manières, ils formaient là un fort beau tableau. Devant eux était assise une pucelle dont on m’a dit qu’elle savait très bien lire le français. Elle leur passait le temps et parvenait sans mal à les faire sourire. Ils prenaient plaisir à l’écouter lire, car elle était leur fille. Il est juste que l’on accorde le prix d’excellence à celle qui unit bonne éducation et beauté, haute naissance et jeunesse, sagesse et vertu, chaste retenue et éloquence. Elle avait toutes ces qualités de même que toutes celles que l’on peut souhaiter chez une femme. Ainsi sa lecture était-elle un moment précieux.

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IWEIN : TEXTE

er het einen schœnen alten lip, unde wæne wol, si was sin wip, ein frouwe diu da bi im saz. si ne mohten beidiu niht baz von so alten iaren getan sin noch gebaren. unde vor in beiden saz ein magt, diu vil wol, ist mir gesagt, wælsch lesen kunde. diu kurzte in die stunde, ouch mohte si ein lachen lihte an in gemachen. ez duhte si guot swaz si las, wande si ir beider tohter was. ez ist reht daz man si krœne diu zuht unde schœne, hohe geburt unde iugent, gewizzen unde ganze tugent, kiusche unde wise rede hat. daz was an ir unde gar der rat des der wunsch an wibe gert. ir lesen was et da vil wert. Do sie den gast sahen, do begunden si gahen, diu frouwe unde der herre, gegen im gnuoc verre. si enpfiengen in als wol als man lieben gast sol, dem er willechomen ist. darnach het in in kurzer frist entwafent diu iunge. so guoter handelunge was gnuoc einem ellenden man. danach gap si im an vil wize linwat reine, geritiert cleine, unde ein samites mantellin, darunder was hærmin, als ez ob hemden wol stat. des rokes heter do wol rat,

[fol. 125r]

[Lettrine bleue]

[fol. 125v]

IWEIN : TRADUCTION

(6462) Dès qu’ils virent l’étranger, la dame et le seigneur se précipitèrent à sa rencontre alors qu’il était encore loin. Ils le reçurent comme on doit accueillir un hôte à qui l’on veut souhaiter la bienvenue. Ensuite, la jeune femme se dépêcha de lui ôter ses armes et son haubert. Tant d’attention était quelque chose de très agréable pour un étranger. Puis elle lui fit revêtir une chemise de lin très blanc, délicatement plissée, ainsi qu’un manteau de samit, fourré d’hermine, comme il convient d’en porter avec une chemise. Il n’avait pas besoin de bliaut, car la soirée était chaude. Elle le conduisit en le prenant par la main à l’endroit le plus beau qu’elle pût trouver dans le verger et ils s’assirent l’un à côté de l’autre. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il remarqua que la délicieuse jeunesse de la demoiselle allait de pair avec sa bonté et de grandes qualités. Il se dit qu’on ne pourrait jamais trouver de plus douces paroles ni de meilleures manières chez une jeune femme. Elle aurait presque pu inciter un ange à détourner ses pensées du ciel pour elle. En effet, elle ébranla tant la constance

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IWEIN : TEXTE

wandez ein warmer abent was. an daz schœnste gras dazs in dem boumgarten vant, dar fuorte si in bi der hant, unde gesazen zein ander. alrerst do bevander daz bi ir wunneclicher iugent wonte guete unde michel tugent. er iach daz man an kinde niemer mere vinde suezzer wort noch rehter site. si mohte nach betwingen mite eins engels gedanc, daz er vil lihte einen wanc durch si von himel tæte. wande im sin selbes stæte einen selhen minnen slac sluoc, die er in sinem hercen truoc, mohte die uz sinem gemuete deheins wibes guete iemer benomen han, daz het ouch si benamen getan, wande im tet daz scheiden we. ern erchunte sit noch e ane sin selbes wip nie bezzer rede noch schœnern lip. Do sich e die viere gesunderten so schiere, do mohten sin under in beiden vil wol sin gescheiden des willen sam der iare. mich dunchet des zware, ir herce wæren mislich. diu zwei iungen senten sich vil tougen in ir sinne nach redelicher minne. unde freuten sich ir iugent, unde redten von des suomers tugent unde wie si wolden, ob si leben solden,

[fol. 126r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

d’Iwein par l’amour qu’elle lui inspira subitement que, si celle qu’il portait dans son cœur avait jamais pu être chassée de son esprit par la douceur d’une autre femme, alors c’est elle qui aurait pris sa place, car plus tard les adieux pesèrent à Iwein. Jamais de sa vie il n’entendit paroles plus agréables ni ne vit corps plus beau, si ce n’est auprès de sa femme.

(6506) Lorsque ces quatre personnes bientôt se séparèrent, deux couples se formèrent, répartis selon leurs aspirations et leur âge respectif. Il me semble bien que leurs souhaits et leurs pensées étaient très différents. Les deux jeunes aspiraient secrètement, dans leurs cœurs, à un amour honnête. Ils profitaient de leur jeunesse, parlaient de la beauté de l’été et des nombreuses joies qu’ils auraient au cours de leur existence s’il leur était accordé de vivre encore longtemps. Les deux vieillards disaient quant à eux qu’ils étaient tous deux âgés et que l’hiver serait sans doute froid. C’est pourquoi ils devraient se protéger la tête par des chapeaux en fourrure de renard. Ils destinaient leurs dépenses à couvrir leurs besoins et à assurer leur confort. Ils calculaient les provisions qu’il faudrait faire dans le château.

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IWEIN : TEXTE

guoter freude walten. do redten aber die alten, si wæren beidiu samt alt unde der winder wuorde lihte chalt. so solden si sich behueten mit ruhen fuohs hueten vor dem houpt froste. si schuofen ir choste ze gefuere unde ze gemache si ahten ir sache nach dem hus rate. nu was ez also spate, daz in ein bot seit, daz ezzen wære bereit. nu giengen si ouch ezzen, desn wart da niht vergezzen, man enbuet dem gaste volleclichen vaste als grozze ere daz ez nie wirt mere sinem gaste baz erbot. des was er wert unde was ims not. [D]arunder gedaht er iedoch : « ez vert allez wol noch, nu furhte ich aber sere daz ich dise grozze ere vil tiure gelten muezze. der antfanc ist zesuezze, als mir der arge schalch gehiez der mich in die burch liez, des wirtes portenære, unde ouch nach dem mære als mir die frouwen hant gesagt. gehabe dich wol, wis unverzagt ! dir geschiht daz dir geschehn sol, unde anders niht daz weiz ich wol. » Do si wol gazen unde unlange sazen, darnach bette man in, den gesellen allen drin,

[fol. 126v]

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 127r]

IWEIN : TRADUCTION

Il était tard désormais et un messager vint annoncer que le repas était servi. Ils allèrent alors manger et on n’omit pas de faire à l’invité tous les honneurs possibles : aucun hôte ne saurait jamais faire tant d’honneurs à un invité. Iwein en était digne et le méritait bien.

(6542) Pendant ce temps, Iwein pensa cependant : « Pour l’instant tout se passe encore bien, mais je crains grandement de devoir payer très cher les honneurs dont je fais l’objet. Cet accueil est trop chaleureux après ce qui m’a été annoncé par ce vil coquin, le portier du châtelain, qui m’a laissé pénétrer dans le château, et aussi après ce qui m’a été dit par les nobles dames. Garde courage et sois brave ! Il t’adviendra ce qui devra t’advenir et rien d’autre, je le sais avec certitude. »

(6556) Après qu’ils eurent bien mangé et qu’ils furent encore restés assis un court moment, on prépara des lits aux trois compagnons dans une chambre séparée afin qu’ils puissent se reposer. Celui qui trouve très surprenant qu’une jeune femme puisse

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IWEIN : TEXTE

durch ir gemach besunder. swer daz nu fur ein wunder im selbem sagt daz im ein unsippiu magt nahtes also nahen lac mit der er anders niht enpflac, dern weiz niht daz ein biderbe man sich alles des enthalten chan des er sich enthalten wil. weizgot, ir ist aber niht vil ! im gie diu naht mit senften hin. got der muezze fuegen in des morgens bezzer mære danner getrœstet wære. [M]orgen, do ez tac wart unde er sine erste vart dem heiligen geiste mit einer messe leiste, do wolder urloup han genomen. do sprach der wirt : « die her sint chomen unde riter waren als ir, die habent alle mir geleistet mine gewonheit, den ez nach grozzer arbeit aller oftest ergie. zwene risen die sint hie, desn ist dehein min gast erlan ern muese si bestan. daz si noch niemen uberwant ! unde ist doch also gewant. wære dehein so sælech man der in gesicte beiden an, dem muese ich mine tohter gebn. solde mich der uber lebn, der gewunne michel ere, ichn han niht kindes mere, unde wuorde im allez diz lant. ouch ist ez leider so gewant, unz si niht uberwunden sint, so ne magich min kint

[fol. 127v] [Lettrine bleue manquante]

[fol. 128r]

IWEIN : TRADUCTION

passer la nuit auprès d’un homme sans que celui-ci n’entreprenne rien avec elle, alors qu’elle n’est pas sa parente, ne sait pas qu’un homme de bien peut s’abstenir de tout à condition de le vouloir. Mais par Dieu, ils ne sont pas nombreux à être ainsi ! Il passa ainsi une nuit agréable. Dieu puisse lui envoyer le lendemain de meilleures nouvelles que celles qu’on lui avait annoncées.

(6574) Le lendemain, alors que le jour se levait et que la première chose qu’avait faite Iwein avait été d’assister à la messe célébrée en l’honneur du Saint-Esprit, il voulut prendre congé. Le châtelain lui dit alors : « Ceux qui sont venus en ce lieu et qui étaient chevaliers comme vous se sont tous soumis à la coutume que je fais respecter ici et qui s’est toujours soldée pour eux par de grandes souffrances. Il y a ici deux géants et aucun invité ne peut échapper à un combat contre eux. Quand je songe que personne encore n’a jamais pu les vaincre ! Voici en quoi consiste l’épreuve  : si un homme est assez chanceux pour pouvoir les vaincre, alors je devrai lui donner ma fille. Et s’il me survit, il acquerra beaucoup d’honneur et tout ce pays lui appartiendra, car je n’ai pas d’autre enfant. Malheureusement, il en va ainsi : aussi longtemps qu’ils ne sont pas vaincus, je ne peux donner ma fille à aucun homme.

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IWEIN : TEXTE

deheinem manne gegebn. waget, riter, daz leben ! nu ist iu doch lihte guotes not ? werdet riche ode geligt tot ! waz ob iu sol gevallen der pris vor in allen ? ia gelinget einem ofte an zwein. des antwuorte im der her Iwein dem gelich als er wære verzagt : « iuwer tohter ist ein schœniu magt, si ist edel unde rich. so ne bin ich niender dem gelich daz ich ir mohte gezemen. ein frouwe sol einen herren nemen, ouch vindich ein wip wol, swenne ich wip nemen sol, da mir min maze an geschiht. ichn ger iuwer tohter niht, ouch enwil ich niemer den lip gewagen umbe dehein wip so gar uz der maze daz ich mich slahen laze so lasterliche ane wer, wan zwene waren ie eins her. soldich noch einen bestan, da muese ich angest zuo han. » do sprach der wirt : « ir sit verzagt ! daz ir mir iuwer krancheit sagt, ich weiz wol wa von daz geschiht. irn wert iuch miner tohter niht, niuwan durch iuwern zagen muot. nu vehtet, daz ist als guot, wan ezn si daz iuch diu wer ner, so slahent si iuch ane wer. » do sprach der gast : « daz ist ein not, herre, daz man iuwer brot mit dem tode zinsen sol. nu chuomt mir daz als wol daz ich enzit strite so daz ich iemer bite,

[fol. 128v]

IWEIN : TRADUCTION

Chevalier, risquez votre vie ! Peut-être n’avez-vous pas de biens ? Devenez riche ou mourez ! Et si la victoire vous revenait plutôt qu’à eux deux ? Il n’est pas rare qu’un seul homme l’emporte contre deux adversaires. » À la suite de ces paroles, monseigneur Iwein lui fit cette réponse, faisant semblant d’avoir peur : « Votre fille est une belle demoiselle, elle est noble et riche. En ce qui me concerne je ne suis pas d’un rang tel que je puisse lui convenir. Une dame doit épouser un seigneur, en outre je trouverai bien une femme, quand je devrai me marier, qui corresponde à mon statut. Je ne convoite pas votre fille et je ne veux pas non plus risquer ma vie pour une femme d’une façon si insensée que je me ferais tuer honteusement sans pouvoir me défendre, car deux hommes sont bien supérieurs à un seul. Même si je ne devais en affronter qu’un, j’aurais peur de devoir le faire. » Le châtelain déclara : « Vous êtes un poltron ! Vous me parlez de votre faiblesse, mais je vois bien à quoi cela est dû : c’est uniquement par lâcheté que vous refusez ma fille. Maintenant battez-vous, car cela reviendra au même : si vous ne parvenez pas à vous défendre, alors ils vous tueront sans que vous leur ayez opposé de résistance. » L’invité dit alors : « C’est une chose bien navrante, seigneur, d’avoir à payer votre pain de sa vie. Il m’est donc bien égal de combattre maintenant plutôt que d’attendre plus longtemps, puisqu’immanquablement il me faut me battre. »

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IWEIN : TEXTE

sit mir zestriten geschiht. » nu ne sumder sich niht er wafent sich zehant, unde nach dem rosse wart gesant. daz was die naht so wol bewart daz ez nie bi im wart gekuonriert also schone. daz ims doch got niht lone der ez so flizeclichen tet, wandez was ane des gastes bet. der dinge verchert sich vil, daz einer dem andern schaden wil unde dazez im gar gefruomt. swes dienst so zestaten chuomt daz er im liep unde guot so wider sinen willen tuot, des lon wirt von rehte kranc. ern darf im niemer gesagen danc umbe sins rosses gemach, wandez uf den wan geschach, daz ez in solde da bestan. unde ist, daz si betrouc ir wan, dazn wirt mir niemer leit. nu was der gast wol bereit, ouch chomen die risen mit wer. si moht erfurhten wol ein her. * si waren gewafent sere so daz an in niht mere blozzes wan daz houpt schein, unde die arme unde diu bein. die kolben die si truogen, swelhes endes si die sluogen, da ne mohte niht vor gestan. unde heten ouch grozzen mort getan. unde do si den grozzen leun mit sinen witen keun bi sinem herren sahen stan unde mit sinen langen clan die erde kratzen vaste, do sprachen si ze dem gaste :

[fol. 129r]

[fol. 129v]

IWEIN : TRADUCTION

Alors il ne perdit pas davantage de temps, s’arma aussitôt et fit chercher son cheval. On avait si bien pris soin de lui pendant la nuit que même Iwein ne l’avait jamais si bien bichonné. Mais que Dieu ne récompense pas celui qui agit avec tant de zèle, car cela fut fait sans que l’invité le demandât. Les choses sont souvent inversées : celui qui veut nuire à autrui commence par se rendre très utile. Quand quelqu’un, sous prétexte de rendre service, agit bien et amicalement envers une autre personne contre la volonté de celle-ci, alors la récompense qu’il en tirera sera bien mince. Ainsi, Iwein n’eut jamais à remercier quiconque pour les soins apportés à sa monture, car ils furent prodigués dans l’espoir que le cheval resterait chez eux. Et si ces espérances furent déçues, cela ne m’attristera jamais. Maintenant le chevalier était bien équipé et les géants arrivèrent avec leurs armes. Ils auraient pu faire peur à une armée entière. Ils étaient lourdement armés si bien que seuls leurs têtes, leurs bras et leurs jambes étaient nus. Et partout où ils frappaient avec les massues qu’ils portaient, rien ne leur résistait. Ils avaient déjà commis bien des meurtres. Mais lorsqu’ils virent le grand lion qui se tenait, la gueule grande ouverte, à côté de son maître et qui grattait énergiquement la terre de ses longues griffes, ils dirent à l’étranger :

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IWEIN : TEXTE

« herre, waz diut dirre leu ? uns dunchet des dazer uns dreu mit sinem zornigen site. iu ne vihtet hie niemen mite, der leu enwerde e in getan. solder uns mit iu bestan, so wæren zwene wider zwein. » do sprach der herre Iwein : « min leu vert mit mir durch daz iar, ichn geheizze in fur war niemer von mir gegan unde sihe in gerne bi mir stan. ichn fuere in durch deheinen strit, sit ab ir mir erbolgen sit, von swem iu leide mac geschehn, daz wil ich harte gerne sehn von manne ode von tiere. » do bewagen si sich schiere, si ne gevæhten niemer wider in, ern tæte sinen leun hin. do muoser sinen leun lan, der wart da in ein gadem getan, da er wol durch ein venster sach den kampf der an dem hove geschach. die zwene ungefuegen man die huoben in den strit an. nu muezze got des gastes pflegn, wande der kampf ist ungewegn. ern bestuont nie so grozze not. den schilt den er fur bot, den heten si schiere zeslagen. man mohte niht an getragen daz wol geschermen mohte unde fur die kolben tohte. man sach den helm risen unde ander sin ysen als ez von stro wære geworht. den edeln riter unerforht friste sin manheit unde sin sin daz er so lange vor in

[fol. 130r]

IWEIN : TRADUCTION

« Seigneur, que fait ce lion ici ? À voir comme il est en colère, il nous semble qu’il nous menace. Personne ici ne se battra contre vous avant que le lion ne soit enfermé. S’il devait combattre à vos côtés, alors nous serions deux contre deux. » Monseigneur Iwein dit alors : « Mon lion m’accompagne toujours, je ne lui ordonnerai jamais de partir et c’est bien volontiers que je le vois à mes côtés. Ce n’est pas pour combattre que je l’emmène avec moi, mais puisque vous m’êtes hostiles je serai très heureux de voir quelqu’un vous faire du mal, qu’il s’agisse d’un homme ou d’un animal. » Mais les deux géants n’en démordaient pas : ils ne combattraient jamais contre lui s’il n’écartait pas son lion. Ainsi dut-il renoncer à son lion qui fut enfermé dans un réduit duquel il pouvait observer, par une fenêtre, le combat qui avait lieu dans la cour. Les deux hommes monstrueux commencèrent le combat. Puisse Dieu protéger l’invité, car le duel est inégal. Jamais auparavant il n’avait connu de situation aussi périlleuse. L’écu qu’il tenait devant lui fut bien vite détruit. On ne pouvait rien porter pour se protéger qui pût résister à leurs massues. On vit son heaume ainsi que les autres pièces de son armure voler en éclats comme s’il s’était agi de fétus de paille. Son courage et son habileté au combat permirent au noble chevalier sans crainte de leur résister si longtemps sans être tué. De temps à autre, il les payait en retour de coups d’épée fort bien placés.

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IWEIN : TEXTE

unerslagen werte. ouch galt er mit dem swerte underwilen einen slac der vil wol zestaten lac. Do dise slege herte der leu sin geverte beide erhorte unde ersach, do muete in sin ungemach. nu ne vander loch noch tur da er mohte hin fur, er suochte al umbe unz er vant bi der erde an der want ein fulez geswelle. der getriuwe her geselle kratzet unde beiz dan holz unde erde unz er gewan eine gerume uz vart, diu vil harte gahes wart ir einem zeleide. got velle si beide ! sins herren arbeit, die er an in het geleit, der lont er im da. er begunde sine scharpfen cla in sinen ruoke heften unde warf in mit kreften ruokelingen under sich. uber den gie der gerich, wander beiz unde brach swa er in da blozzen sach, unz er nach helfe lute schre. nu ne beite sin geselle niht me, er geloupte sich des man unde lief den leun drate an, unde wolten gerne habin irslagen, heti iz im sin here virtragen. sit her ine irloste, quam her im nu zo troste, zware, des hetir michel recht. also sciere so im des tiubeles kneht

[Lettrine rouge]

[fol. 130v]

[Cpg 397, fol. 82v]

IWEIN : TRADUCTION

(6724) Lorsque le lion, son compagnon, entendit et vit les coups violents qui lui étaient portés, les souffrances d’Iwein l’affligèrent. Il ne trouva aucun trou ni aucune porte par où il aurait pu sortir et chercha partout, jusqu’au moment où il découvrit au niveau du sol, contre le mur, une planche du seuil qui était pourrie. Ce fidèle compagnon se mit à gratter et à mordre le bois et la terre jusqu’à ce qu’il eût fait un trou assez grand pour pouvoir s’échapper, ce dont l’un des deux géants eut bien vite à pâtir. Que Dieu les anéantissent tous les deux ! Le lion récompensa alors son maître pour les peines qu’il avait endurées pour lui. Il planta ses griffes acérées dans le dos d’un géant et le jeta violemment à terre : celui-ci gisait sur le dos, le lion sur lui. Un juste châtiment s’abattit sur lui, car le lion le mordit et le lacéra partout où sa peau était nue jusqu’à ce que le géant se mît à hurler à l’aide. Son compagnon n’attendit pas plus longtemps : il se détourna de son adversaire, courut s’attaquer au lion et l’aurait volontiers tué si le maître de l’animal l’avait permis. Puisque le lion l’avait délivré auparavant, Iwein vint alors à son secours ce qui, c’est vrai, était tout à fait juste. Dès que le suppôt du diable lui eut tourné le dos, Dieu accorda à Iwein de lui infliger bien des blessures en peu de temps. Il lui asséna de nombreux coups sur les bras, les jambes, et partout où il n’était pas protégé. En effet, celui qui gisait à terre ne pouvait plus lui venir en aide, car le lion lui avait ravi ses forces et ses sens de telle sorte qu’il était étendu devant eux, comme mort. Alors le lion et l’homme assaillirent l’autre géant et eurent tôt fait de le tuer bien qu’il ne se comportât pas comme un lâche : il leur donna de nombreux coups violents même après avoir perdu le soutien de son compagnon. Le second géant vivait encore, mais il dut demander grâce et Iwein, pour l’amour de Dieu, le laissa en vie. Que Dieu soit à jamais loué pour avoir permis aux menaces et aux railleries proférées par le portier de se transformer en joie.

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IWEIN : TEXTE

sinen rucke kerte, daz in got so geerete, do sluh her in kurzen stunden im vil menige wunden in die arme unde in die bein, unde da her untwafent scein, da gap her im vil manigen slah. wand giner der da nider lah, der ne mohtin niht zestaten kuomen, wandim hete der lewe benomen so gar die craft unten sin dazer vir tot lah undir in. do vuhten si ene do an, beide der lewe unter man, unde heten in vil scier erslagen, unde doh ungelih eime zagen, wander gap im manigen herten streich, sit daz im diu helfe untweih. der ander lebete dan noh, der moste sih in iedoh gar in ir genade geben, do liezer in dur got leben. daz sih des portenares dro unde sin spot also ze vroweden hat gekeret, des si got ie mir geeret. Do her den sige da gewan, do bot im der wirt [an] * sine tohter unde sin lant. do sprah her : « ware u daz irkant wi gar mine sinne eines andern wibes minne in irre gewalt gewunnen hat, so hetent ir des gerne rat daz ich iemir wurde ir man. wandih niemir werden ne kan stete so heinnen wibe wen irs eines libe dur die min herze vroweden umbirt. » « ir mozet sie nemen, » sprah ter wirt,

[Cpg 397, fol. 83r]

[Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(6786) Après qu’il eut remporté la victoire, le châtelain lui offrit sa fille et sa terre. Iwein répondit : « Si vous saviez que mon cœur est entièrement accaparé par l’amour que j’éprouve pour une autre femme, alors vous renonceriez volontiers à ce que je devienne son mari. Je ne peux en effet appartenir à aucune autre femme que celle pour laquelle mon cœur a renoncé à toute joie. » « Vous devez la prendre, dit le châtelain, ou bien vous serez mon captif. Et vous devriez être heureux que je sois si enclin à vous la céder. Si, en plus d’avoir de la chance, vous étiez avisé, c’est vous qui me demanderiez ce que je suis en train de vous demander d’accepter. » Iwein répondit :

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IWEIN : TEXTE

« odir ir sit gevangen. unde ware u wol irgangen daz ich ir u so willih bin. hetetir selde unde sin so betentir mih des ich u bite. » her sprah : « ia warentir da mite beswichen, als ich iu wil sagen, wandich nu in disen tagen einen kampf muoz bestan, den ich also genomen han daz in der kunech Artus muoz sehn, wander sol in sinem hove geschehn. wuorde si danne nu min wip unde verlur ich da den lip, so wære si guneret. » der wirt sprach : « swar ir cheret, daz ist mir gar unmære, unde ist mir iemer swære daz ichs iuch ie an gebot, wandich ir iuch unz an minen tot harte gar erlazen sol. » der gast vertruoc den zorn wol. er sprach : « lieber herre, nu man ich iuch vil verre, bedenchet iuwer herschaft, daz iuwer gelubde habe kraft. sit ich hie gesigt han, so sult ir iuwer gevangen lan alle ledech durch mich. » der wirt sprach : « daz ist billich. » unde lie si uz den banden sa. unde behabte den gast bi in da unz an den sibenden tac, daz man ir do vil schone pflac unde vil riche cleite unde pfert bereite, diu si wol mohten riten. in den kurzen ziten gewunnen si wider den lip unde wuorden diu schœnsten wip

[Giessen 97, fol. 132r]

[fol. 132v]

IWEIN : TRADUCTION

« Vous vous trompez, comme je vais vous l’expliquer : dans les jours qui viennent, je dois livrer un combat auquel il est prévu que le roi Arthur assiste, car le duel aura lieu à sa cour. S’il advenait que j’épouse votre fille et que je perde la vie là-bas, alors elle serait déshonorée. » Le châtelain déclara : « Il m’est égal de savoir où vous comptez vous rendre, et je regretterai toujours amèrement de vous l’avoir offerte, car désormais et jusqu’à ma mort je ne vous ennuierai plus du tout avec elle. » L’invité s’accommoda bien de cette colère et déclara : « Cher seigneur, maintenant je vous demande instamment de songer à votre réputation d’homme puissant et de respecter le serment que vous avez fait. Puisque j’ai remporté la victoire, vous devez libérer toutes vos prisonnières par respect pour moi. » Le châtelain répondit : « Ceci est tout à fait juste. » Et il les délivra aussitôt de leur captivité. Il garda son invité auprès de lui pendant sept jours tandis qu’on s’occupait des dames avec soin, qu’on leur donnait de très riches habits et qu’on leur préparait des palefrois faciles à monter. Pendant ce court laps de temps, elles se refirent une santé et devinrent les plus belles femmes que l’on ait jamais vues. Ce fut le résultat de cette courte période de repos. On les vit se comporter envers tous ceux qui vivaient là comme si rien de mal ne leur était arrivé au château. Elles prirent bientôt congé d’eux au moment qui leur parut juste et opportun.

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IWEIN : TEXTE

diu er ie mer gesach. daz schuof daz kurze gemach. man sach si gebaren, wider alle die die da waren, als in nie leit geschæhe da. urloup namen si sa von den da ez in tohte unde sich gefuegen mohte. [D]o si urloup genamen. unde uf ir pfert quamen unde eine mile dan geriten do ne dorfte man deheine biten daz si hin wider cherte unde ir wirt da mit erte unde als e gesinde wære. geloubet mir ein mære. man het ir an den stunden eine da niht funden diu ez gahes tæte, ob sis ein engel bæte. [S]i fuoren froliche. ouch het der tugende riche in der burch urloup genomen unde was uz nach den frouwen chomen. also reit er mit in von dan unde brahtes als ein hofsch man rehte an ir gewarheit. unde do er wider von in reit, vil tiure si got baten, als si von rehte taten, umbe ir herren unde umb ir trost, der si da het erlost von michelem sere, daz er im sælde unde ere unde rehtes alters ein lebn unde sin riche muese gebn. [N]u wer moht im gedreun, do er gesunden sinen leun von dem strite brahte ? dar er da vor gedahte,

[fol. 133r]

IWEIN : TRADUCTION

(6848) Lorsqu’elles eurent pris congé, qu’elles furent montées sur leurs chevaux et eurent parcouru un mile, on n’aurait pu demander à aucune d’entre elles de repartir en arrière et de faire honneur à leur hôte en redevenant une servante comme auparavant. Croyez ce que je vous dis : à ce moment-là, on n’en aurait trouvé aucune qui aurait été pressée d’y retourner même si un ange l’en avait priée.

(6860) Elles partirent le cœur léger. Iwein, cet homme aux nombreuses qualités, avait également quitté le château et suivi les dames. Ainsi, il chevaucha avec elles et, en homme courtois, les mena en un endroit où elles furent en sécurité. Lorsqu’il les quitta, elles invoquèrent Dieu – et il était juste qu’elles agissent ainsi – afin qu’Il protège leur seigneur, celui qui les avait aidées et délivrées de bien grandes souffrances, et afin qu’Il lui accorde félicité et honneur, une longue vie et une place dans Son Royaume.

(6876) Qui désormais aurait pu représenter une menace pour lui, maintenant qu’il avait ramené son lion sain et sauf du combat ? Il se dirigea aussitôt vers l’endroit où il avait voulu se rendre auparavant : là où il retrouva la demoiselle qui avait laissé

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IWEIN : TEXTE

dar cherter zehant, da er die iunchfrouwen vant, die ir niftel siech liez unde ir den kampf fur si gehiez. manigen wirt er gewan, die ich alle niht genennen kan unde sint ouch als guot verdagt. sin geverte, diu magt, wiste in die rehten wege, unde funden in ir vater pflege, die iunchfrouwen wol getan, von der ich e gesagt han. der vil liebe geschach, do si den riter chomen sach. [S]waz ir darnach geschæhe, ob si in iht gerne sæhe ? ia, daz bescheinde si wol hie. engegen im si verre gie von den frouwen allen. wem solt das missevallen ? wan si het sin chume erbiten. under des si zuo riten, sagt im diu frouwe mære, daz daz ir niftel wære, diu si nach im sande suochen after lande, die si dort gende sahen chomen. als er daz het vernomen, do ne reit er furbaz niht mer, von dem rosse stuont er. zuo im gahte si zehant, den helm si im abe bant, wandir was lieber nie geschehn. man sol die unzuht ubersehn, der man wol zwo hie von ir sagt. si chuoste in e, danach die magt. si enpfienc in minneclichen unde bat des got den richen, daz er sin ere hielte unde sins heiles wielte.

[fol. 133v]

[fol. 134r]

IWEIN : TRADUCTION

derrière elle sa cousine malade et envers laquelle il s’était engagé à combattre pour cette cousine. Il fut hébergé par bien des châtelains, je ne puis vous les nommer tous et l’on peut tout aussi bien taire leurs noms. La jeune femme qui l’accompagnait lui indiqua la bonne route et ils trouvèrent la belle demoiselle dont je vous ai déjà parlé, soignée par le père de sa cousine. Elle fut très heureuse de voir arriver le chevalier.

(6894) Ce qu’elle fit après ? Si elle le reçut bien ? Oui, cela sauta aux yeux : s’éloignant de toutes les autres dames, elle alla à la rencontre du chevalier. À qui cela pourrait-il déplaire ? En effet, elle avait eu bien du mal à l’attendre si longtemps. Tandis qu’ils s’approchaient à cheval, la dame dit à Iwein que celle qu’ils voyaient venir au-devant d’eux était sa cousine, celle qui l’avait envoyée chercher Iwein dans les contrées les plus reculées. Lorsqu’il entendit cela, il n’alla pas plus loin et descendit de cheval. Aussitôt, elle se hâta d’aller vers lui et lui ôta son heaume, car elle n’avait jamais éprouvé une plus grande joie. On fermera les yeux sur les infractions au code de courtoisie dont on peut dire qu’elle en a commis deux : elle lui donna en premier le baiser de paix, et ensuite seulement le donna à la jeune femme. Elle l’accueillit avec amabilité et pria Dieu tout-puissant qu’Il protège son honneur et le bénisse.

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IWEIN : TEXTE

[D]o chom der wirt gegangen. von dem wart er wol enpfangen unde von sinem wibe. so daz nie gastes libe bezzer handelunge wart erboten uf deheiner vart. darnach chom daz gesinde dar mit einer suberlichen schar nach gruozze unde durch schouwe. manech riter unde frouwe erzeigeten im da holden muot, sin kurzwile was da guot. si waren aber unlange da, wan diu kampf zit was so na daz in der tage zuo ir vart deweder gebrast noch uberwart. unde chomen zerehten ziten. ir swester, ir widerstriten, fundens an der kampf stat. her Gawein, der sich heln bat, der het sich selbe wol verholn unde het sich vor enwec verstoln, unde horten in des alle iehn, ern mohte den kampf niht gesehn vor ander unmuezzecheit. also heter sich entseit, unde het sich wider verstoln dar mit fremdem wafen also var daz in da niemen wan diu magt erchande. der het erz gesagt. [N]u saz da der kunech Artus unde von sinem hus diu massenie gar, die gerne wolden nemen war wie da wuorde gestriten. nu chomen ouch dort zuo geriten diu iunchfrouwe unde her Iwein. der leu fuor niht mit in zwein den heter underwegn lan, ern wolde in niht zem kampfe han.

[fol. 134v]

IWEIN : TRADUCTION

(6920) Puis le châtelain arriva : lui et sa femme souhaitèrent la bienvenue à Iwein. Aucun étranger ne fut jamais aussi bien reçu lors d’un voyage. Ensuite vinrent les gens du château, un groupe fort joli, afin de saluer Iwein et de le regarder. Beaucoup de chevaliers et de dames firent preuve envers lui d’affabilité et l’on fit tout pour le divertir. Mais ils ne demeurèrent pas là longtemps, car la date du duel était si proche qu’ils n’avaient, pour effectuer le trajet, ni trop de jours ni trop peu. Ils arrivèrent juste à temps. Ils trouvèrent leur adversaire, la sœur de la cadette, sur les lieux où devait avoir lieu le duel. Monseigneur Gawein avait demandé à garder son identité secrète : il avait lui-même caché qui il était. Il s’était éclipsé après avoir déclaré publiquement qu’il ne pouvait pas assister au combat parce que d’autres obligations le retenaient. C’est ainsi qu’il s’était excusé, mais il était revenu discrètement en arborant des armoiries inconnues si bien que personne ne le reconnut, hormis la demoiselle à qui il avait tout expliqué.

(6950) Le roi Arthur était présent ainsi que tous les gens de sa cour qui étaient curieux de voir à quoi le combat ressemblerait. À ce moment-là, la demoiselle et monseigneur Iwein arrivèrent à cheval. Le lion n’était pas avec eux, car Iwein l’avait laissé en chemin : il ne voulait pas l’avoir avec lui lors du duel.

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IWEIN : TEXTE

[F]ragt iemen mære, ob da zem kampfe wære der wirt von dem si waren chomen ? ia, als ichz han vernomen, allez sin gesinde wise unde kinde, waren alle chomen dar unde heten daz verlobt gar daz si des tages iht nanden, swaz si von im erkanden unz der kampf ende hæte. daz liezzen si allez stæte. noch ist da niemen erchant. wie der riter si genant. si riten beide in einen rinc. nu duhtez si allesamt ein dinc vil harte clagebære, ob des niht rat wære ir einer enwuorde da erslagen. den muese man wol iemer clagen, wande si nie gesahen, des si da alle iahen, zwene riter gestalt so gar in des wunsches gewalt an dem libe unde an den siten. si begunden den kunech biten daz erz durch got tæte unde die altern bæte daz si der iungern teilte mite. daz verzech si im mit selhem site daz sis der kunech muose erlan. si wolde daz gewis han, ir kempfe wuorde sigehaft wande si wol sine kraft erchande unde sich der troste daz er si schiere erloste. [D]o der kunech Artus ersach daz ez niemen an die suone sprach, do hiez er rumen den rinc. nu was ez doch ein starches dinc

[fol. 135r]

[fol. 135v]

IWEIN : TRADUCTION

(6960) Quelqu’un demande-t-il si le châtelain, dont ils avaient quitté le château, était présent lors de ce combat ? Oui, d’après ce que j’ai entendu dire, tous ses gens, les jeunes comme les vieux, étaient venus et avaient juré de ne pas révéler l’identité d’Iwein ce jour-là avant la fin du combat. Et ils tinrent tous parole. Personne d’autre ne savait comment s’appelait ce chevalier. Ils se rendirent tous deux dans l’aire de combat. Tous pensaient que ce serait quelque chose de très déplorable si le combat devait se solder par la mort de l’un d’entre eux. On aurait de bonnes raisons de le pleurer éternellement, car tous déclarèrent qu’ils n’avaient encore jamais vu deux chevaliers qui fussent aussi parfaits tant par leur apparence que par leur comportement. Ils allèrent demander au roi s’il pouvait, pour l’amour de Dieu, prier l’aînée de partager l’héritage avec la cadette. Elle refusa d’une façon telle que le roi n’insista pas davantage. Elle était certaine que son champion serait victorieux, car elle connaissait parfaitement sa force et espérait que grâce à lui elle se justifierait.

(6996) Lorsque le roi Arthur vit que personne ne souhaitait une réconciliation, il donna l’ordre d’évacuer l’aire de combat. Mais c’était une chose terrible que d’assister au combat de deux chevaliers si preux. En effet, aucun homme de bien n’aime être

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IWEIN : TEXTE

zesehen ein vehten von zwein so guoten knehten. wand ezn tuot dem biderben man niht wol, der des andern tot sehn sol. [M]achte ich nu diz vehten von disen guoten knehten mit worten vil spæhe, waz tohte diu wæhe ? wande iu ist e so vil geseit von ietweders manheit daz ich iu lihte mac gesagen daz si niender zwein zagen des tages gelich gebarten unde daz als e bewarten daz diu werlt nie gewan zwene stritiger man nach wertlichem lone. des truogens ouch die krone riterlicher eren, die ietweder wolde meren an dem andern an dem tage. daz ich got tiure clage daz die besten gesellen ein ander kempfen wellen die iender lebten bi der zit. sweder nu hie tot gelit von des andern hant, unde im danach wirt erchant wen er da hat erslagen, daz wirt sin ewigez clagen. mohten si beide nu gesigen ode beide sigelos geligen ode abe unverwazen den strit beide lazen, so si sich erchanden beide, daz wære in fur die leide daz liebest unde daz beste. ia ne waren si niht geste des willen, sam der ougen. ir ietwederm was tougen

[Lettrine tracée]

[fol. 136r]

IWEIN : TRADUCTION

le spectateur de la mort d’un autre homme.

(7004) Si j’agrémentais maintenant ce duel entre deux preux chevaliers de belles paroles, à quoi servirait une telle prouesse artistique ? En effet, je vous ai déjà tant parlé de la bravoure de chacun que je peux juste vous dire que, durant toute la journée, ils ne se sont jamais comportés comme des lâches et – comme ils l’avaient déjà démontré auparavant – que jamais on ne vit deux hommes se battre avec plus de zèle pour une récompense terrestre. C’est pourquoi ils portaient la palme de l’honneur chevaleresque, un honneur que chacun d’eux voulait accroître ce jour-là au détriment de l’autre. Par Dieu, je regretterai toujours énormément que les deux meilleurs compagnons, qui aient jamais vécu à cette époque, aient voulu se battre l’un contre l’autre. S’il advenait que l’un d’entre eux soit tué par la main de l’autre et que celui-ci découvre ensuite qui il a tué là, alors il s’en lamenterait toute sa vie. Puissent-ils désormais vaincre tous deux ou voir tous deux la victoire leur échapper, ou renoncer sans honte à ce combat en se reconnaissant mutuellement, alors ce serait pour eux beaucoup mieux et plus agréable qu’une issue malheureuse. En effet, ils n’étaient pas étrangers l’un à l’autre au fond de leur cœur, mais ils ne se reconnaissaient pas : chacun d’entre eux ignorait que l’homme contre qui il devait combattre était l’ami le plus cher qu’il ait jamais eu au monde.

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IWEIN : TEXTE

daz in kempfen solde ein man. der liebest den er ie gewan. [S]it daz der kampf wesn sol, so zimt in daz beiden wol daz si enzit striten. wes mugen si iemer biten ? da was diu stat unde der muot, ouch waren diu ros als guot daz si daz niht ensumde. ir ietweder rumde dem andern sinen puoneiz von im verre unz an den kreiz. der was wol rosselouffes wit. zerosse huop sich der strit. [S]i mohten wol striten, wande sis zeden ziten niht erste begunden. wie wol si striten kunden zerosse unde zefuozze ! ez was ir unmuozze von kinde gewesn ie, daz erzeigeten si wol hie. ouch si iu daz fur war geseit, ez leret diu gewonheit einen zagehaften man daz er getar unde kan baz vehten danne ein kuener degn der es niht hat gepflegn. nu was da kunst unde kraft, si mohten von riterschaft schuole gehabt han. zware in muose lan an riterschefte den strit, swaz riter lebte bi der zit. nu ne sumden siz niht mere, diu ros wuorden sere mit den sporn genomen. man sach si dort zesamne chomen unde vientliche gebaren, die doch gesellen waren.

[fol. 136v] [Lettrine manquante]

[Lettrine tracée]

[fol. 137r]

IWEIN : TRADUCTION

(7042) Puisque le combat était inéluctable, alors ils préférèrent tous deux s’affronter sans délai. À quoi aurait-il servi d’attendre davantage ? Ils avaient l’occasion et la volonté d’en découdre, les chevaux aussi étaient si bons qu’ils n’hésitèrent pas plus longtemps. Chacun laissa à l’autre la place nécessaire pour une charge et s’éloigna jusqu’à la limite du champ clos. Celui-ci était bien assez vaste pour qu’un destrier puisse prendre son élan. C’est à cheval que le combat commença.

(7054) Ils savaient bien se battre, car ils n’en étaient pas à leur coup d’essai. Comme ils maîtrisaient l’art du combat à cheval et à pied ! Depuis leur enfance, ils étaient rompus à cet exercice et en firent la démonstration à cette occasion. Et je vous assure qu’un exercice régulier apprend à un homme peureux à oser et à mieux savoir combattre qu’un héros courageux qui ne s’est pas exercé. Ils faisaient preuve d’une telle habileté et d’une telle force qu’ils auraient pu enseigner l’art du combat chevaleresque. En vérité, tout chevalier vivant à cette époque aurait dû leur laisser l’avantage en matière de chevalerie. Ils n’hésitèrent pas plus longtemps et piquèrent violemment des deux. On les vit fondre l’un sur l’autre et se comporter comme des ennemis alors qu’ils étaient compagnons.

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IWEIN : TEXTE

[E]z dunchet die andern unde mich lihte unmugelich daz iemer minne unde haz ensamt so besitzen ein vaz daz minne bi hazze belibe in dem vazze. zware ob minne unde haz nie me besazen ein vaz, doch wonte in disem vazze minne bi hazze so daz minne noch vaz * gerumden gahes daz vaz. « ich wæne, friunt Hartman, du missedenchest daran. warumbe sprichestu daz daz beide minne unde haz ensamt buwen ein vaz ? wan bedenchestu dich baz ? ez ist minne unde hazze zenge in einem vazze. wan swa der haz wirt inne ernsthafter minne, da rumet der haz froun minnen daz vaz. swa abe gehuset der haz, da wirt diu minne laz. » nu wil ich iu bescheiden daz, wie herzeminne unde bitter haz ein vil engez vaz besaz. ir herze was ein gnuoc engez vaz. da wonte ensamt inne haz unde minne. si hat aber underslagen ein want, als ich iu wil sagen, daz haz der minne niene weiz. si tæte im anders als heiz daz nach schanden der haz muese rumen daz vaz. unde rumet ez doch froun minnen, wirt er ir bi im innen.

[Lettrine manquante]

[fol. 137v]

[fol. 138r]

IWEIN : TRADUCTION

(7080) Les autres pensent, et moi aussi, qu’il est tout à fait impossible qu’Amour et Haine puissent occuper la même demeure et que, dans cet espace, Amour puisse cohabiter auprès de Haine. Il est vrai que si Amour et Haine n’ont jamais cohabité sous le même toit, cette fois Amour logeait en ce lieu auprès de Haine, si bien que ni Amour ni Haine n’avaient hâte de quitter cet endroit. « Je crois, cher Hartmann, que tu te trompes. Pourquoi distu qu’Amour et Haine vivaient ensemble dans le même lieu ? Pourquoi n’as-tu pas une meilleure idée ? Un même espace est trop exigu pour pouvoir abriter à la fois Amour et Haine : en effet, dès que Haine perçoit la présence d’un amour sincère, elle évacue les lieux devant Amour. Mais là où Haine est chez elle, Amour est vaincu. » Je vais vous expliquer comment l’amour qui vient du cœur et une haine farouche peuvent cohabiter dans un lieu exigu. Cet endroit très exigu était leur cœur : c’est là que cohabitaient Haine et Amour. Mais une paroi séparait les deux de telle sorte que, comme je vais vous le dire, Haine ne savait rien de la présence d’Amour. Sinon, il lui aurait prodigué une telle chaleur que Haine aurait dû piteusement quitter cette demeure. Haine fuit toujours Amour lorsqu’elle remarque sa présence auprès d’elle.

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IWEIN : TEXTE

[D]iu unkunde was diu want

[Lettrine tracée]

diu ir herce underbant, daz si gefriunt von hercen sint unde machet si mit sunden blint. * si wil daz ein geselle den andern velle. unde swenner in uberwindet unde danach bevindet wen er hat uberwunden, so ne kan er von den stunden niemer mere werden fro. der wuonsch hat im gefluochet so. im gebristet leides niht, swenne im daz liebest geschiht. sweder den sic da kos, der wart mit sige sigelos. in het unsælech getan aller siner sælden wan, er hazzet daz er minnet, unde verliuset so er gewinnet. [I]r ros lieffen drate. zefruo noch zespate neigeten si diu sper unde sluogens uf die brust her, daz si niene wancten. sine buorten nochn sancten deweder zenider noch zeho, niuwan zerehter maze also als ez wesn solde. unde ietweder wolde sinen kampf gesellen uf den samen vellen, so daz ir beder stich geriet da schilt unde helm schiet. wan da ramet er des man der den man vellen kan. daz wart da wol erzeiget, wandez was geneiget ir ietweder also sere daz er da vor nie mere

[Lettrine manquante]

[fol. 138v]

IWEIN : TRADUCTION

(7120) Leur ignorance était due à cette paroi qui séparait leur cœur en deux de telle sorte que, bien qu’ils fussent amis de cœur, l’ignorance les rendait aveugles alors qu’ils avaient les yeux ouverts. Elle exige qu’un chevalier tue son compagnon. Et une fois qu’il l’a vaincu et a découvert qui il a terrassé, il ne peut dès lors plus jamais être heureux. La fortune s’est transformée pour lui en malédiction. Il ne ressent plus que souffrance même lorsque la chose qu’il désirait le plus se produit. Celui qui remporterait la victoire serait vaincu tout en étant victorieux. Sa quête de la bonne fortune l’a rendu malheureux, il hait ce qu’il aime et perd lorsqu’il gagne.

(7140) Leurs chevaux étaient rapides. Ils abaissèrent les lances ni trop tôt ni trop tard et les coincèrent contre leur poitrine afin qu’elles fussent bien stables. Ils ne les redressaient ou ne les rabaissaient ni trop haut ni trop bas, mais les tenaient exactement à la hauteur qui convenait. Chacun voulait jeter son compagnon de combat à terre de telle sorte que chaque coup de lance était porté sur l’espace existant entre l’écu et le heaume. C’est là que l’on vise si l’on sait comment désarçonner l’adversaire. Ils en firent une belle démonstration, car chacun fut si violemment projeté en arrière que jamais auparavant il ne fut si proche de la chute. Malgré tout, aucun ne tomba complètement. Si chacun put se maintenir en selle, cela n’était dû qu’au fait que les lances ne restèrent pas entières : la charge avait été exécutée avec une telle force que les deux hampes volèrent en plus de cent morceaux et tous dirent qu’ils n’avaient jamais vu plus belle joute. Des écuyers, très rapides et qui portaient chacun deux ou trois lances, arrivèrent alors en courant et en criant. On n’entendait plus qu’une unique clameur :

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IWEIN : TEXTE

so nahen chom dem valle. ern viele ouch mit alle. unde daz ir ietweder gesaz, dazn meinde niuwan daz daz diu sper niht ganz beliben. si chomen zesamne getriben mit also manlicher kraft daz ir ietweders schaft wol zehundert stuochen brach, unde daz manneclich iach si ne gesæhen schœner tiost nie. ouch lieffen krogierende hie behender garzune gnuoc, der ieslicher truoc driu sper ode zwei. man horte da niht wan ein geschrei : « wa nu sper ? wa nu sper ? diz ist da hin, ein anderz her. » [D]o si gnuoc gestachen unde gar diu sper zebrachen diu si da haben mohten. heten si do gevohten zerosse mit den swerten, des si niene gerten, daz wære der armen rosse tot. davon so was in beiden not. daz si die dorperheit vermiten unde daz si zefuozze striten diu ros heten in niht getan, si liezzenz uber den lip gan. [I]ch sagiu waz si taten, do si zesamne traten, die zwene kampf wisen. si sparten daz ysen da mit ir lip was bewart, diu swert wuorden niht gespart. den schilten waren si gehaz. ir ietweder bedahte daz : « waz touc mir min arbeit ? unz er den schilt vor im treit,

[fol. 139r]

[Lettrine tracée]

[Lettrine manquante]

[fol. 139v]

IWEIN : TRADUCTION

« Où sont les lances ? Où sont les lances ? Celle-ci est brisée, donnez-m’en une autre ! »

(7178) Ils joutèrent à de nombreuses reprises et brisèrent toutes les lances qu’ils purent obtenir. S’ils s’étaient battus à l’épée alors qu’ils étaient sur leurs montures, cela aurait signifié la mort de leurs pauvres destriers, ce qu’ils ne souhaitaient pas. C’est pourquoi ils furent contraints d’éviter cette vilenie et de combattre à pied. Les chevaux ne leur avaient rien fait, c’est leur propre vie que les chevaliers mettaient en jeu.

(7190) Je vais vous dire ce que firent ces deux guerriers expérimentés lorsqu’ils s’affrontèrent : ils épargnèrent l’armure qui protégeait leur corps, mais les épées ne furent pas épargnées. Elles s’abattaient sur les écus. Chacun pensait ceci : « À quoi toute ma peine est-elle utile ? Aussi longtemps qu’il portera son bouclier devant lui il sera en sécurité. » Ils firent voler les écus en éclats : en ce qui concerne ces boucliers, ils firent montre d’une très grande générosité. Mais ils dédaignèrent d’asséner des coups sous les genoux, là où les écus

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IWEIN : TEXTE

so ist er ein sicher man. » die schilde hiuwen si dan. si waren der schilte ein ander harte milte. si ne geruochten des nie daz si niderhalp der knie deheines slages tæten war, da si der schilde waren bar. si entlihen kreftiger slege mer danne ich gesagen mege, ane burgen unde ane pfant, unde wart vergolten da zehant. [S]wer gerne giltet, daz ist guot, wan hat er borgens muot, so mager wol borgen. daz muosen si besorgen. borgeten si ane gelten, des forhten si engelten, wander sin ofte engiltet der borc niene giltet. si hetens da engolten, wære da borch niht vergolten. da von ir ietweder galt daz er sin an lobe niht engalt. si muosen vaste gelten fur des todes schelten unde fur die scheltære bœser geltære. si entlihen bede uz voller hant, unde wart nach gelte niht gesant, wande si brahten uf daz velt beide dar ir ubergelt unde gulten an der stat me unde e danne man si bat. [V]erlegeniu muezzecheit ist got unde der werlde leit. da verlat sich niemen an niuwan ein verlegen man. swer gerne lebe nach eren, der sol vil vaste cheren

[Lettrine tracée]

[fol. 140r]

[Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

ne les protégeaient pas. Ils prêtèrent des coups violents – plus que je ne puis le dire – sans demander de garanties ni de gages, mais ils furent remboursés aussitôt.

(7212) Celui qui est prompt à rendre agit bien, car lorsqu’il souhaite emprunter on lui prête volontiers. Ils devaient prendre garde à cela : s’ils avaient emprunté sans rembourser, ils auraient craint d’être punis, car il arrive souvent que celui qui emprunte sans rembourser ait à en pâtir. Si ce qui avait été emprunté n’avait pas été remboursé, ils auraient été punis sur-le-champ. C’est pourquoi chacun d’entre eux remboursait, car il ne voulait avoir à le payer de sa renommée. Ils devaient rembourser beaucoup pour échapper aux exhortations à payer adressées par la mort et pour se soustraire à ceux qui relancent les mauvais payeurs. Tous deux remboursaient à pleines mains et il n’était pas nécessaire d’aller chercher de l’argent, car ils avaient apporté les intérêts dans l’aire de combat et remboursaient aussitôt plus que ce qu’on leur demandait et avant échéance.

(7234) Indolence et paresse déplaisent à Dieu et au monde : seul un bon à rien s’y adonne. Celui qui aspire à vivre dans l’honneur doit consacrer tous ses efforts à la quête du succès afin de s’occuper de façon louable et de se passer utilement le temps. C’est ainsi qu’ils se comportaient : ils ne gâchaient pas leur vie

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IWEIN : TEXTE

alle sine sinne nach ettelichem gewinne, da mit er sich wol beiage unde ouch vertribe die tage. also heten si getan. ir lebn was niht verlan an verlegene muezzecheit. in was beiden vil leit swenne ir tage giengen hin daz si deheinen gewin an ir kouffe funden, des si sich underwunden. si waren zwene mære vil karge wehselære, si entlihen uz ir varnde guot uf einen seltsænen muot. unde namen da wuocher an sam zwene werbende man, si pflagen zir gewinne harte fremder sinne. dehein koufman het ir site, ern verdurbe da mite, da wuorden si riche abe. si entlihen niemen ir habe, in enwære leit, galt er in. nu seht ir wie selch gewin iemen gerichen mege. da entlichen si stiche unde slege beide mit swerten unde mit spern, desn mohte si niemen gewern vol unz an daz halbe teil. des wuohs ir ere unde ir heil. ir wehsel was so bereit daz er nie wart verseit manne noch wibe. sine wehselten mit dem libe arbeit umbe ere, sine heten nie mere in also kurzen stunden so vollen gelt funden.

[fol. 140v]

[fol. 141r]

IWEIN : TRADUCTION

à paresser et à se prélasser. Tous deux étaient fort tristes lorsque les jours passaient sans qu’ils eussent fait de bénéfices lors des transactions qu’ils avaient entreprises. Ils étaient deux usuriers connus pour leur malice, et ils prêtaient leurs biens meubles à d’étranges conditions. Ils prenaient des intérêts comme deux personnes qui pratiquent le commerce, mais ils faisaient du profit d’une manière très inhabituelle. Aucun marchand n’aurait pu appliquer leur méthode sans connaître la banqueroute, pourtant eux s’enrichirent. Ils ne prêtaient jamais leurs biens à personne sans être offensés lorsqu’on les leur remboursait. Voyez maintenant comment un tel bénéfice a pu les enrichir : ils prêtaient toutes sortes de coups d’épée et de lance, et personne ne pouvait leur en rembourser ne serait-ce que la moitié. C’est ainsi que leur honneur et leur succès en furent accrus. Leur pratique du change était telle qu’ils ne refusaient le prêt à personne. S’ils n’avaient pas payé de leur personne et échangé de la souffrance contre de l’honneur, ils n’auraient jamais été complètement remboursés en si peu de temps : ils ne donnaient jamais un coup qui ne fût immédiatement payé en retour. Ils durent laisser leurs écus en gage pour sauver leur vie et les réduisirent bien vite en morceaux. Alors ils n’avaient plus d’autre gage que le métal nu de leurs cottes de mailles et le mirent également en gage. Leurs corps ne furent pas épargnés non plus, ils durent servir de gage et verser aussitôt des intérêts. Leurs heaumes étaient si endommagés que les mailles tachées de sang se mirent à s’en détacher, car en peu de temps ils avaient reçu de nombreuses blessures qui n’étaient pas mortelles.

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IWEIN : TEXTE

si entlihen da nie einen slac wan da der gelt selbe ander lac. die schilde muosen si gebn ze not pfande fur daz lebn, die hiuwen si drate von der hant. do ne heten si dehein ander pfant wan daz ysen also bar, daz verpfanten si dar. ir lip wart des niht erlan ern muese da zepfande stan, den verzinseten si sa. ir helme waren ettewa so sere verschroten, daz die meilen roten darabe gen begunden, wande si in kurzen stunden vil wunden enpfiengen, die niht zeverhe giengen. [S]ich huop wider morgen mit manlichen sorgen dirre angestliche strit, unde werte also lange zit, unz nach mittem tage daz do von ir deweders slage dehein schade mohte chomen. diu muede het in benomen so gar den lip unde die kraft daz si des duhte ir riterschaft wære gar ane ere, unde envahten do niht mere. ez wart von in beiden ein vil gemuotlich scheiden, unde sazten sich zeruowe hie unz si diu muede verlie. ir ruowe wart aber unlanc unz ietweder uf spranc unde lieffen ein ander an. si waren zwene frische man beide des willen unde der kraft. ezn wac ir erriu riterschaft

[Lettrine manquante] [fol. 141v]

IWEIN : TRADUCTION

(7298) Ce combat dangereux et terrible commença le matin et continua très longtemps après midi, jusqu’au moment où leurs coups furent trop faibles pour qu’ils pussent se faire du mal. La fatigue les priva de toutes leurs forces si bien qu’ils pensèrent ne plus acquérir d’honneur par leur combat chevaleresque et cessèrent de se battre. D’un commun accord ils se séparèrent et s’assirent pour se reposer jusqu’à ce que la fatigue les eût quittés. Cependant leur pause ne dura pas longtemps, car tous deux se relevèrent d’un bond et coururent l’un vers l’autre pour en découdre. Ils étaient de nouveau en forme et avaient recouvré leurs forces et leur ardeur. Le combat chevaleresque qu’ils s’étaient livré jusqu’à ce moment-là ne pesait pas lourd face aux exploits qu’ils accomplirent alors. Si les coups qu’ils s’étaient portés avaient été rudes, ils n’en furent dès lors que plus violents et plus nombreux encore. Bien des guerriers expérimentés observaient ce combat. Aucun n’eut le regard assez sûr et perçant pour pouvoir affirmer sous serment lequel des deux avait été, à un moment de la journée, meilleur que l’autre ne serait-ce que de manière infime. On ne pouvait vraiment accorder une supériorité à aucun des deux et on n’avait jamais vu un combat si équilibré.

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IWEIN : TEXTE

wider dirre niht ein stro, der si begunden aber do. ir slege waren kreftech e, nu kreftiger, unde wart ir me. ouch sach disen kampf an manech kampf wise man. der deheines ouge was fur war deweder so wise noch so clar, het erz genomen uf sinen eit zesagen die warheit weder ez des tages ie gewunnen het bezzer hie als groz als umb ein har. desn moht er fur war ir dewederm han geiehn, ezn wart nie gelicher kampf gesehn. [N]u sorget da man unde wip umb ir ere unde umb ir lip, unde mohten siz in beiden nach eren han gescheiden, daz wære da gerne getan. unde begunde rede drumbe han, wande wer mohte daz verclagen, sweder da wurde erslagen ode gekrenchet an den eren ? der kunech begunde cheren bet unde sinne, ob er deheine minne funde an der altern magt, diu so gar het versagt ir swester ir erbe. diu bet was unbederbe. si versagt im mit den unsiten daz er si niht mer wolde biten. Do aber diu iunger ersach dirre guoten riter ungemach, daz muete si in ir sinnen. unde do man si mit minnen gescheiden niene mohte, do tet si als ir tohte.

[fol. 142r]

[Lettrine tracée]

[fol. 142v] [Lettrine rouge]

IWEIN : TRADUCTION

(7336) Dès lors, tout le monde se mit à craindre pour l’honneur et la vie des deux combattants, et si l’on avait pu les séparer d’une manière qui fût honorable pour les deux, on l’eût fait avec joie. On se mit à chercher une solution, car qui ne se serait pas lamenté si l’un des deux avait été tué ou déshonoré ? Recourant à des prières et à des arguments, le roi s’adressa à l’aînée – celle qui avait refusé toute part d’héritage à sa sœur – pour savoir si aucune réconciliation n’était possible. Mais ses prières demeurèrent vaines : elle lui opposa un refus si catégorique qu’il renonça à toute nouvelle requête.

(7354) Cependant, lorsque la cadette vit la souffrance qu’enduraient les preux chevaliers, son cœur en fut attristé. Et puisque l’on ne parvenait pas à séparer les combattants à l’amiable, elle fit ce qu’elle jugea être bien. Cette demoiselle qui était noble, belle, sage, modeste, douce, pleine de bonté et affable, elle qui ne connaissait que gentillesse, adressa de sa

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IWEIN : TEXTE

diu edel, diu schœne, diu gewizzen, unhœne, diu suezze, diu guote, diu suozze gemuote, diu niuwan suezzes kunde, mit rotsuezzem munde lachte si die swester an. si sprach : « e ein sus geret man den tot in minem namen kur ode sin ere verlur, min lip unde unser beider lant diu wæren bezzer verbrant. ziuch dich mit guotem heile ze minem erbteile ! deiswar, sit ichs niht haben sol, ichn gan es niemen als wol. heizze den kampf lazen sin. ir lebn ist nutzer danne daz min. ich bin noch baz ein armez wip danne ir deweder den lip durch mich hie sul verliesen. ich wil uf dich verkiesen. » ir willen niemen da gesach wan der ir guotes drumbe iach. den kunech si alle baten unde begunden raten daz erz durch got tæte unde die altern bæte daz si der iungern doch daz dritte teil ode minre noch ir erbeteiles wolde gebn. ez gienge den ritern an daz lebn, ir einem ode in beiden, si ne wuorden gescheiden. daz het si lihte do getan, wolde sin der kunech verhenget han, do ne wolde ers niht volgen. er was so harte erbolgen der altern durch ir herten muot. unde duhte in diu iunger als guot

[fol. 143r]

IWEIN : TRADUCTION

bouche rouge et douce un sourire à sa sœur. Elle lui dit : « Plutôt qu’un homme si digne ne trouve la mort à cause de moi ou ne perde son honneur, je préfère être brûlée et que soit dévasté notre pays à toutes deux. Prends, avec ma bénédiction, ma part d’héritage ! En vérité, si je ne puis l’avoir, je ne l’accorde volontiers à personne d’autre qu’à toi. Demande que cesse le combat : la vie de ces chevaliers est plus utile que la mienne. Je préfère être une femme pauvre plutôt que l’un d’eux ne perde la vie à cause de moi. Je souhaite renoncer à mon héritage en ta faveur. » Personne ne prit connaissance de ses intentions sans la louer pour cela. Tous s’adressèrent au roi et lui conseillèrent de demander, au nom de Dieu, à l’aînée qu’elle laissât à la cadette un tiers de l’héritage ou même moins. La vie des chevaliers était en jeu : l’un ou même les deux risquaient de mourir si on ne les séparait pas. L’aînée aurait peut-être accepté si le roi l’avait permis, mais il ne voulut pas céder : il était très en colère après l’aînée qui avait le cœur si dur. Et la cadette lui semblait si vertueuse qu’il ne voulait pas rendre un jugement qui fût en sa défaveur, car elle s’en était remise entièrement à la justice de sa cour.

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IWEIN : TEXTE

daz er si ungerne verstiez, wande si sich vil gar verliez zesinem hoverehte. dise guoten knehte heten dem langen tage mit manigem riterlichen slage nach eren ende gegebn. unde stuont noch uf der wage ir lebn, unz daz diu naht an gienc unde ez diu vinster undervienc. sus schiet si beide diu naht, unde daz ir ietweders maht wol was dem andern kunt unde daz si beide da zestunt an ein ander gnuocte. unde sit ez sich wol fuocte daz siz mit eren mohten lan so liezzen siz wol understan unz an den andern tac. si taten als er ie pflac der ie rehten muot gewan. swie leide dem fruomen man von dem andern geschiht, chuomt ez von muot willen niht, ob er im den willen truege daz er in gerne sluege, er ist im doch niht gehaz, unde behagt im baz danne da bi ein bœser man des er nie schaden gewan. Daz wart an in zwein wol schin. sich verchunte der her Iwein * wider sinen kampf genoz, wandez fur eine gabe groz ir ietweder haben wolde, ob er wizzen solde wer der ander wære. siniu wehsel mære begunder wider in han. er sprach : « nu wir han verlan

[fol. 143v]

[Lettrine rouge]

[fol. 144r]

IWEIN : TRADUCTION

Les deux preux chevaliers avaient atteint la fin de la journée au terme de nombreux et violents échanges de coups, accroissant ainsi leur honneur. Leur vie fut en jeu jusqu’au moment où la nuit tomba et l’obscurité les enveloppa. Alors la nuit les sépara : chacun avait bien appris à connaître la force de l’autre et l’avait suffisamment goûtée pour l’instant. Et puisque tout s’agençait de telle sorte qu’ils pouvaient interrompre le combat de manière honorable, ils en restèrent là et repoussèrent la suite au lendemain. Ils agirent à la façon d’hommes honnêtes : malgré tout le mal infligé à un preux chevalier par son adversaire – à condition que cela ne soit pas dû à une intention criminelle et à la volonté de le tuer – il n’éprouve aucune haine envers lui et l’apprécie davantage qu’un homme de basse extraction dont il n’a rien à craindre.

(7430) Ils en firent la démonstration. Monseigneur Iwein se confia à son adversaire, car chacun aurait considéré que l’autre lui ferait un grand cadeau en lui dévoilant qui il est. Il engagea la conversation avec lui et dit : « Maintenant que nous avons mis un terme à notre jeu guerrier, je suis libre de dire ce que je veux.

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IWEIN : TEXTE

unser nitlichez spil, ich mac nu reden daz ich wil. [I]ch minnet ie von miner maht den liehten tac fur die naht. da lac vil miner freuden an, unde freut noch wip unde man. der tac ist frolich unde clar, diu naht truebe unde swar, wande si diu herze truebet. so der tac uebet manheit unde wafen, so wil diu naht slafen. ich minnet unz an dise frist den tac fur allez daz der ist, deiswar, edel riter guot, nu habt ir den selben muot vil gar an mir vercheret. der tac si guneret, ich hazze in iemer mere, wander mir alle min ere vil nach het genomen. diu naht si got willechomen. sol ich mit freuden alten, daz hat si mir behalten. nu seht ob ich von dem tage niht grozzen kuomber unde clage wol von schulden haben mege. unde wærer langer drier slege, die heten iu den sic gegebn unde mir benomen daz lebn. des erlat mich disiu liebiu naht, diu ruowe git mir niuwe maht, danach get abe ein swære tac, daz ich danne vehten mac. muoz ich niht wol sorgen uf den tac morgen ? got enwelle michs erlan, so muoz ich aber bestan den aller tiursten man des ich kunde ie gewan.

[Lettrine manquante]

[fol. 144v]

IWEIN : TRADUCTION

(7442) J’ai toujours préféré de beaucoup le jour et la clarté à la nuit. C’est en pleine journée que j’ai connu bien des joies et que tous les gens sont heureux. Le jour est synonyme de joie et de clarté, la nuit est sombre et source d’angoisse, car elle rend les cœurs malheureux. Ainsi le jour est-il propice à la bravoure et à l’exercice des armes, tandis que la nuit est faite pour dormir. Jusqu’à cet instant j’ai aimé le jour plus que tout au monde, mais en vérité, noble et preux chevalier, vous m’avez complètement fait changer d’avis. Maudit soit le jour, désormais je le haïrai, car il a bien failli me dérober tout mon honneur. Que Dieu bénisse la nuit : s’il m’est donné de devenir vieux sans en avoir honte, c’est à elle que je le dois. Maintenant voyez si je ne devrais pas, à bon droit, me plaindre du jour : s’il avait duré plus longtemps, en l’espace de trois coups vous auriez remporté la victoire et vous m’auriez pris la vie. C’est cette chère nuit qui m’a épargné cela, le repos me donnera de nouvelles forces de telle sorte que je pourrai à nouveau me battre, car demain sera un jour difficile. N’est-il pas légitime que je me fasse bien du souci au sujet de la journée qui nous attend ?

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IWEIN : TEXTE

den ich da meine, daz sit ir ! got der bewar mir minen lip unde min ere ! ichn geforht ir nie so sere. unde wizzet daz ich nie gewan zetuonne mit deheinem man den ich so gerne erkande. ir moht ane schande mir wol sagen iuwern namen. » « ichn wil mich wider iuch niht schamen, » sprach der herre Gawein. « wir gehellen beide in ein. herre, ir habt mich des furdigen. het ir eine wile geswigen, die rede die ir habt getan die woldich gesprochen han. daz ir da minnet daz minne ich. des ir da sorget, daz hat mich in vil grozze sorge braht. we, daz ie kampfes wart gedaht ! ez ist hiute hin ein tac den ich wol iemer hazzen mac. er hat mir die not getan der ich ie was erlan. mir benam, deiswar, nie mere dehein man also sere mine werliche maht. unde moht ir vor der naht ze zwein slegen han gesehn, so muese ich iu des siges iehn. ich han der naht vil chume erbiten, swaz ich noch han gestriten, so gewan ich nie so grozze not. ich furhte laster ode den tot von iu gewinnen morgen. wir sin in gelichen sorgen, min herce ist leides uberladen, daz ich uf iuwern schaden iemer sol gedenchen. unde swa ez mich niht sul krenchen,

[fol. 145r]

[fol. 145v]

IWEIN : TRADUCTION

À moins que Dieu ne me l’épargne, il me faudra à nouveau affronter l’homme le plus brave que j’aie jamais connu. Celui auquel je pense, c’est vous ! Que Dieu préserve ma vie et mon honneur ! Je n’ai jamais éprouvé une telle crainte à leur sujet. Et sachez que je n’ai jamais eu affaire à un adversaire dont j’aimerais tant connaître le nom. Vous pourriez sans honte me dévoiler qui vous êtes. » « Je n’éprouve aucun sentiment de honte vis-à-vis de vous », répondit monseigneur Gawein. « Nous sommes tous deux du même avis : seigneur, vous m’avez devancé d’un instant. Si vous vous étiez tu un peu plus longtemps, j’aurais prononcé les mêmes paroles que celles que vous avez dites. Ce que vous aimez, je l’aime également. Ce qui vous cause du tourment m’a également grandement accablé. Quel malheur que ce duel ait jamais été convenu ! Aujourd’hui a été une journée dont je garderai toujours un mauvais souvenir : quelqu’un m’a confronté à un danger qui m’avait toujours été épargné jusqu’alors. En vérité, personne n’a jamais mis ma force à si rude épreuve. Et si, avant la tombée de la nuit, vous aviez encore eu assez de lumière pour m’asséner deux coups, j’aurais dû vous concéder la victoire. J’avais peine à attendre la nuit, dans aucun des combats que j’ai livrés jusqu’aujourd’hui je n’ai été en si mauvaise posture. Je crains que demain ne m’apporte par votre main la honte ou la mort. Nous éprouvons les mêmes tourments, mon cœur déborde de souffrance parce que sans cesse je dois songer à vous faire du mal.

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IWEIN : TEXTE

da geschehe iu alles des ir gert, des sit ir, weizgot, wol wert. unde si iu daz fur war geseit, daz ich durch iuwer fruomcheit iu aller der eren gan der ich niht harte engelten chan. ich wolde daz ez wære also daz dise iunchfrouwen zwo heten swaz si duhte guot, unde daz wir diensthaften muot under ein ander solden tragen. ich wil iu minen namen sagen. herre, ich heizze Gawein. » « Gawein ? » « ia. » « wie wol daz schein disen unsenften tac ! manigen vientlichen slac han ich von iu enpfangen. iuwer haz ist ergangen uber iuwern gewissen dienstman. unde da ne zwifel ich niht an, swaz ir mir leides habt getan, des wærich alles erlan, het ich mich enzit genant. wir waren wilen baz erchant. herre, ich bin ez Iwein. » do wonte under in zwein liebe bi leide. si freuten sich beide daz si zesamne waren chomen, daz ir ietweder het genomen des andern dehein arbeit, daz was ir beider herceleit. beide truren unde haz rumden gahes daz vaz, unde richsent dar inne freude unde minne. daz erzeicten si wol under in. diu swert wuorfen si hin unde lieffen ein ander an. ezn gelebte nie dehein man

[fol. 146r]

IWEIN : TRADUCTION

Que tout se passe comme vous le souhaitez, du moment que cela ne me cause aucune humiliation, car, par Dieu, vous en êtes bien digne. Et pour dire la vérité : au nom de votre bravoure je suis prêt à vous accorder tous les honneurs à condition que je n’aie pas à le payer trop cher. J’aimerais qu’il en aille ainsi : que ces deux demoiselles obtiennent ce que bon leur semble et que nous deux puissions nous montrer serviables l’un envers l’autre. Je vais vous donner mon nom : seigneur, je m’appelle Gawein. » « Gawein ? » « Oui. » « Comme je comprends pourquoi cette journée fut si éprouvante ! J’ai reçu de nombreux coups violents de votre part. Votre inimitié était dirigée contre votre serviteur dévoué. Il ne fait aucun doute que tout le mal que vous m’avez fait m’aurait été épargné si j’avais dit mon nom à temps. Il fut une époque où nous nous connaissions mieux : seigneur, c’est moi Iwein. » Alors tous deux éprouvèrent de la joie et de la peine : ils se réjouissaient de s’être retrouvés, mais le fait de s’être infligé mutuellement de telles souffrances les attristait profondément. Bien vite la tristesse et l’hostilité quittèrent la demeure qu’ils habitaient, et la joie et l’amour y régnèrent à nouveau. Ils se le prouvèrent mutuellement : ils jetèrent leurs épées et coururent l’un vers l’autre. Jamais un homme n’avait vécu jour plus heureux et je ne sais pas si quelqu’un pourra jamais connaître un jour de joie semblable à celui que Dieu leur a offert à cette occasion. Mille fois ils se baisèrent les yeux, les joues et la bouche.

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IWEIN : TEXTE

deheinen liebern tac, unde enweiz ouch niht ob iemen mac also lieben gelebn als in got da het gegebn. si under chuosten tusent stunt ougen, wange unde munt. Do der kunech die minne unde diu kuneginne under in beiden sahen, unde friundes umbevahen, des wundert si sere. unde entwelten niht mere, si begunden dar gahen, wande si si gerne sahen so friuntliche gebaren. unde wer si beide waren, daz was da noch unbechant, wan als man ez sit bevant. in heten die helme unde diu naht ir gesiune bedaht unde des kampfes grimme verwandelt ir stimme, daz si da waren unerchant, heten si sich niht genant. Do sprach der her Iwein : « der tac der da hiute schein, daz swert daz den slac sluoc truoc * den ich hiute uf iuch gesluoc, diu muezzen gunert sin ! her Gawein, lieber herre min, waz magich sprechen mere wan daz ich iuch ere, als iuwer riter unde iuwer kneht. daz ist min wille unde min reht. ir habt mich ofte geret unde ze guote gecheret min dinc so volleclichen daz man mir in den richen mer guotes hat veriehn danne es ane iuch wære geschehn.

[fol. 146v]

[Lettrine rouge]

[Lettrine rouge] [fol. 147r]

IWEIN : TRADUCTION

(7566) Lorsque le roi et la reine virent les deux hommes se réconcilier et s’embrasser amicalement, ils en furent fort étonnés. Ils n’attendirent pas plus longtemps et se dirigèrent vers eux, car ils étaient heureux de les voir se comporter de manière si amicale. Cependant ils ne savaient pas de qui il s’agissait et ne l’apprirent que plus tard. Leurs heaumes et la nuit avaient caché leurs visages, et la fureur du combat avait transformé leurs voix si bien qu’ils n’auraient pas été reconnus s’ils n’avaient pas dit leurs noms.

(7584) Monseigneur Iwein déclara alors : « Que le soleil qui s’est levé aujourd’hui et l’épée qui porta les coups que je vous ai infligés ce jour soient tous deux maudits ! Messire Gawein, mon cher seigneur, que puis-je dire de plus si ce n’est que je vous rends hommage en tant que votre chevalier et votre écuyer. C’est là ma volonté et mon droit. Vous m’avez souvent fait honneur et avez tant œuvré à mon bien que, par tous les pays, on parle plus en bien de moi que cela n’aurait été le cas sans vous. Si en contrepartie je pouvais vous faire honneur comme il se doit, j’en serais toujours heureux. Maintenant, je ne puis agir autrement qu’en déclarant que je serai perpétuellement votre Iwein comme je l’ai toujours été à l’exception de ce jour dont je pourrai à jamais affirmer que c’est la journée la plus noire de toute cette année. Car jamais ni ma main ni mon épée n’a été impudente au point de vous porter un coup. Je maudis ce jour et cette épée ! Ainsi ma main, inconsciente du mal

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IWEIN : TEXTE

ob ich iuch da wider mohte geren als ez tohte, des woldich iemer wesn fro. nu ne magich anders wan also daz ich iuwer Iwein iemer schine, unde ie schein, niuwan hiute disen tac, den ich wol iemer heizzen mac die gallen in dem iare. wand ezn wart zware weder min hant noch min swert nie der unmazen wert daz si iu ie gesluegen slac. ich verwazze swert unde den tac ! ouch sol min ungewizzen hant ir geltes selbe sin ein pfant, dazs iu daz zewandel gebe dazs iu diene unz ich lebe. herre Gawein, dochn moht ir niht baz gerochen sin an mir, si hat mich guneret unde iuwern pris gemeret. si hat sich selben so erwert daz iu der sic ist beschert. ich sicher in iuwer gebot, wan daz weiz unser herre got daz ich sigelos bin. ich scheide iuwer gevangen hin. » « [H]erre unde lieber geselle, nein ! » sprach der herre Gawein, « daz sich dehein min ere mit iuwerm laster mere. der eren han ich gerne rat der min friunt laster hat. waz tohte ob ich mich selbe truege ? swaz eren ich mich an zuege, doch hant si alle wol gesehn waz under uns beiden ist geschehn. ich sicher unde ergibe mich, der sigelose bin ich ! »

[fol. 147v]

[Lettrine bleue manquante]

[fol. 148r]

IWEIN : TRADUCTION

qu’elle faisait, doit être le gage qui rachètera ce qu’elle a commis : qu’elle vous fasse réparation et qu’elle vous serve aussi longtemps que je vivrai. Seigneur Gawein, vous ne pourriez obtenir meilleure réparation de ma part, car elle m’a déshonoré et a rehaussé votre renommée. Elle s’est si mal défendue que la victoire vous revient. Je m’en remets à vos ordres, car notre Seigneur Dieu sait que j’ai perdu. C’est en tant que votre prisonnier que je pars d’ici. »

(7628) « Non, seigneur et cher compagnon ! », dit monseigneur Gawein. « Ma gloire ne saurait être accrue à votre détriment. Je renonce volontiers à des honneurs qui entraînent la honte de mon ami. À quoi servirait-il de me tromper moimême ? Quels que soient les honneurs dont je me targuerais, tous ont parfaitement vu ce qui s’est passé entre nous. Je me soumets et me rends à vous, c’est moi qui ai perdu ! »

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IWEIN : TEXTE

[D]er herre Iwein antwuort im do : « ir wænet lihte daz also disiu sicherheit geschehe daz ich ir iu zeliebe iehe. wæret ir mir der fremdest man, der ie ze kriechen hus gewan, e ich iuch so bestuende me, zware ich sichert iu e. von rehte sicher ich von diu. » « [N]ein, herre geselle, ich sicher iu. » sprach der herre Gawein. sus werte under in zwein ane losen lange zit dirre friuntliche strit, unz der kunech unde diu diet beide fragte unde riet waz under disen liuten diu minne mohte diuten dem hazze also nahen den si e da sahen. des man im schiere beiach. sin neve, der herre Gawein, sprach : « herre, wir suln ez iu gerne sagen, daz man uns iht habe fur zagen, noch daz des iemen wan habe daz wir dirre fuoge iht abe des strites chomen wellen. wir waren e gesellen, daz was uns leider unkunt hiute unz an dise stunt. nu ne wont niht hazzes bi uns zwein. ich, iuwer neve Gawein, han gestriten wider in dem ich diensthafter bin danne in der werlde ie man, unz er mich fragen began wie ich wære genant. als im min nam wart erchant. do nande er sich sa unde rumde vientschaft da,

[Lettrine manquante]

[Lettrine manquante]

[fol. 148v]

IWEIN : TRADUCTION

(7640) Monseigneur Iwein lui répondit alors : « Vous croyez peut-être que c’est par amitié que je me soumets à vous. Même si vous m’étiez totalement étranger, tel un homme venant de Grèce, je préférerais me soumettre à vous plutôt que de continuer à vous combattre. C’est de bon droit que je m’en remets à vous. »

(7649) « Non, cher compagnon, c’est moi qui m’en remets à vous », rétorqua monseigneur Gawein. Ainsi cette dispute amicale, dénuée de toute vaine flatterie, se prolongea longtemps entre eux deux, jusqu’au moment où le roi et ses gens s’interrogèrent et se demandèrent ce que pouvait bien signifier, entre ces deux hommes, ces marques de tendresse qui venaient juste après l’hostilité dont ils avaient fait preuve toute la journée. Bien vite, on donna des explications au roi. Son neveu, monseigneur Gawein, déclara : « Seigneur, c’est bien volontiers que nous allons vous le dire, afin que l’on ne nous prenne pas pour des lâches ou que l’on ne croie pas que nous tentons, par ce comportement courtois, de nous soustraire au combat. Nous sommes compagnons de longue date, mais malheureusement nous l’ignorions jusqu’à cet instant. Maintenant il n’existe plus aucune hostilité entre nous. Moi, votre neveu Gawein, ai combattu contre celui envers qui je suis plus dévoué qu’envers n’importe quelle personne au monde, jusqu’au moment où il me demanda mon nom. Lorsque je le lui dis, il me révéla aussitôt le sien et toute hostilité disparut. À l’avenir la concorde régnera toujours entre nous. Il s’agit de mon compagnon, le seigneur Iwein. Et croyez ce que je vais vous dire : si la lumière du jour le lui avait permis, sa bravoure et la cause injuste que je défends m’auraient mis danger. La demoiselle, pour laquelle on me voit combattre ici, n’a pas le droit de son côté : c’est sa sœur qui est dans son bon droit ! Et comme Dieu a toujours aidé ceux qui défendent une cause juste, j’aurais dû être tué de la main d’Iwein si la nuit ne l’avait pas empêché. Puisque l’infortune s’abat sur moi, je préfère vivement dans mon grand malheur que mon compagnon m’ait vaincu plutôt qu’il ne m’ait tué. »

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IWEIN : TEXTE

unde gehellen iemer mer in ein. ez ist min geselle her Iwein. unde geloubet mir daz ich iu sage. het erz gehabt an dem tage, mich het braht in arbeit min unreht unde sin manheit. diu iunchfrouwe hat rehtes niht fur die man mich hie vehten siht, ir swester ist mit rehte hie ! so half ouch got den rehten ie, des wære ich tot von siner hant, het ez diu naht niht erwant. sit mir geviel daz unheil, so ist mir lieber ein teil nach grozzem ungevelle daz mich min geselle habe uberwunden danne erslagen. » die rede begunde her Iwein clagen unde wart vor leide scham rot, daz er im der eren bot ein lutzel mere danne gnuoc. daz eren er im niht vertruoc, wan redet er wol, so redet er baz. hie was zorn ane haz. des freute der kunech sich. er sprach : « ir muezzet an mich den strit lazen beide, daz ichn iu bescheide des iuch durch reht gnueget unde sich mir ouch fueget. » [D]iu rede wart im bevolhen gar, die iunchfrouwen ladet er dar. er sprach : « wa ist nu diu magt, diu ir swester hat versagt niuwan durch ir ubermuot ir erbeteil unde ir guot daz in ir vater beiden lie ? » do sprach si gahes : « ich bin hie. » do si sich also versprach unde unrehtes selbe iach,

[fol. 149r]

[Lettrine manquante]

[fol. 149v]

IWEIN : TRADUCTION

Ces paroles attristèrent monseigneur Iwein qui rougit de honte et de douleur, car son compagnon lui faisait bien trop d’honneur. Il ne permit pas une telle marque d’estime et si l’un parla bien, l’autre parla encore mieux. Cette colère était dénuée de toute hostilité. Le roi s’en réjouit et dit : «  En ce qui concerne cette querelle, vous devez vous en remettre à moi afin que j’émette un jugement qui vous rende justice et soit également digne de moi. »

(7710) On lui confia le soin de juger et il fit venir la demoiselle. Il dit : « Où est la jeune femme qui, uniquement par orgueil, a refusé à sa sœur l’héritage et les biens que leur père leur avait légués à toutes deux ? » Celle-ci s’empressa de répondre : « Je suis ici. » Le roi Arthur fut heureux de voir qu’elle s’était ainsi trahie et s’était accusée elle-même d’injustice. Il prit tous ceux qui étaient présents à témoin.

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IWEIN : TEXTE

des wart Artus der kunech fro. ze geziuge zoch er si alle do. er sprach : « frouwe, ir habt veriehn. daz ist vor so vil diet geschehn daz irs niht wider mugt chomen. daz ir ir nu habt genomen, daz muezzet ir ir wider gebn, welt ir nach gerihte lebn. » « [N]ein », sprach si, « herre, durch got. » ez stet in iuwerm gebot beide guot unde lip. ia gesprichet lihte ein wip des si niht sprechen solde. swer daz rechen wolde daz wir wip gesprechen, der muese vil gerechen. wir wip bedurfen alle tage daz man uns tumbe rede vertrage, wande si underwilen ist herte unde doch ane argen list, geværlich unde doch ane haz, wan wirne kunnen leider baz. swie ich mit worten habe gevarn, doch sult ir iuwer reht bewarn, daz ir mir iht gewalt tuot. » er sprach : « ich laze iu iuwer guot, unde iuwer swester habe daz ir. der strit ist lazen her zemir. ouch hat sich diu guote mit einvaltem muote so gar her zemir verlan. si muoz ir teil zerehte han. gehellen wir zwei in ein, ez giht min neve Gawein daz er den sic verlorn habe, so chuomt ir des strites abe mit laster unde ane ere. sus ist ez iemer mere iuwer pris unde iuwer heil, lat ir mit minnen ir teil. »

[Lettrine manquante]

[fol. 150r]

IWEIN : TRADUCTION

Il déclara : « Dame, vous avez avoué. Cela a eu lieu devant tellement de gens que vous ne pouvez plus revenir sur vos paroles. Ce que vous avez pris à votre sœur, vous devez désormais le lui rendre si vous voulez vous conformer à cette décision de justice. »

(7728) « Non, seigneur, dit-elle, par Dieu. Ma vie et mes biens sont entre vos mains, mais une femme dit facilement des choses qu’elle ne devrait pas dire. Celui qui veut nous punir, nous les femmes, pour tout ce que nous disons aurait beaucoup à faire. Nous les femmes, nous avons besoin que l’on nous pardonne chaque jour toutes nos sottes paroles parce qu’elles sont parfois brusques mais dépourvues de mauvaises intentions, compromettantes mais sans haine, car malheureusement nous ne savons agir mieux. Quoi que j’aie pu dire, vous devez être garant du droit et me préserver de toute injustice. » Le roi répondit : « Je vous laisse vos biens à condition que votre sœur obtienne les siens. C’est à moi qu’il revient de régler cette querelle. En outre, la noble demoiselle s’en est remise entièrement à moi en toute bonne foi. Il est juste qu’elle obtienne sa part. Si nous sommes tous deux d’accord – mon neveu Gawein affirme qu’il a perdu le combat – alors vous sortez de cette querelle sans honneur et couverte d’opprobre. Cependant cela rehaussera à jamais votre renommée et cela sera tout à votre avantage si vous abandonnez de bonne grâce sa part à votre sœur. »

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IWEIN : TEXTE

[D]iz redter, wander weste ir herze also veste an hertem gemuete, durch reht noch durch guete het siz niemer getan. si muose gewalt unde forhte han. sus gewan si forhte von der dro. « nu tuot der mit », sprach si do, « weder minre noch me niuwan daz iu rehte ste. ich wil unde muoz si wern, sit ir sin niht welt enbern. ich teile ir liute unde lant, des sit ir burge unde pfant. » [D]o sprach der kunech : « daz si getan ! » wandez an in was verlan, so wart ez wol verendet, verburget unde verpfendet, daz si ir teil zerehte enpfie. der kunech sprach, do daz ergie : « neve Gawein, nu entwafen dich. so entwafent ouch her Iwein sich, wande iu ist beiden ruowe not. » do taten si daz er gebot. [N]u was der leu uz chomen, als ir e habt vernomen, da er in geslozzen wart, unde iagte uf sins herren vart. do si in zuo in sahen dort uber velt gahen. do floch man unde wip durch behalten den lip, unz daz der her Iwein sprach : « ern tuot iu dehein ungemach, er ist min friunt unde suochet mich ! » do verstuonden si alrerst sich daz ez der degn mære mit dem leun wære, von dem si wunder horten sagen unde der den risen het erslagen.

[Lettrine manquante]

[fol. 150v]

[Lettrine manquante]

[Lettrine manquante]

[fol. 151r]

IWEIN : TRADUCTION

(7760) Il dit cela parce qu’il savait qu’elle était si inflexible et avait le cœur si endurci qu’elle n’aurait jamais cédé juste au nom du droit ou par bonté. Il fallait la contraindre et lui inspirer de la crainte. Ainsi, cette menace lui fit peur. « Alors, dit-elle, faites ce qui vous semble juste, ni plus ni moins. Je vais lui céder – je n’ai pas d’autre choix – puisque vous insistez. Je partagerai avec elle les gens et les terres, vous en serez le garant et la caution. »

(7774) Le roi déclara alors : « Qu’il en soit ainsi ! » Puisque c’est à lui qu’il incomba de rendre la décision, l’affaire se termina bien et il fut décidé, à l’aide de garanties et de cautions, que la cadette obtiendrait la part qui lui revenait de droit. Lorsque cela fut réglé, le roi dit : « Gawein, mon neveu, maintenant ôte ton armure. Et que monseigneur Iwein fasse de même, car vous avez tous deux besoin de repos. » Ils firent alors ce qu’il ordonna. (7784) Entretemps le lion s’était échappé de l’endroit où il était enfermé, comme vous l’avez entendu auparavant, et suivait la trace de son maître. C’est alors qu’ils le virent courir vers eux à travers champs. Tous se mirent à fuir pour sauver leur vie jusqu’au moment où monseigneur Iwein déclara : « Il ne vous fera aucun mal, il est mon ami et il me cherche ! » Ce n’est qu’alors qu’ils comprirent qu’il s’agissait du célèbre héros au lion dont ils avaient entendu raconter des merveilles et qui avait tué le géant. « Compagnon, dit alors monseigneur Gawein, toute ma vie je serai affligé de vous avoir si mal remercié pour tout le bien que vous m’avez fait. C’est pour moi que vous avez tué le géant, ma nièce me l’a annoncé fièrement puisque vous l’aviez chargée de me le faire savoir. C’est par amour de moi, m’a-t-elle dit, que le Chevalier au Lion a agi ainsi, mais vous ne vouliez pas lui révéler votre nom. Je m’inclinai alors dans toutes les directions, car

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IWEIN : TEXTE

« geselle, » sprach her Gawein do, « ich mac wol iemer sin unfro, daz ich iu sus gedanchet han des ir mir liebes habt getan. den risen sluoget ir durch mich, des ruomde min niftel sich, wande ir enbuot mirz bi ir. ez het durch mich, seit si mir, der riter mit dem leun getan, irn woldet si niht wizzen lan wie ir wæret genant. do neic ich umbe in elliu lant, ichn weste war ode wem, wandich meindez hin zedem der durch mich bestuont die not. unde esn letze mich der tot, ich gedien ez iemer als ich sol. ich erchenne iuch bi dem leun wol. » sus lief der leu zuo im her, sinem herren erzeiget er freude unde friuntschaft mit aller der kraft als ein stummez tier dem man friuntschaft erzeigen chan. [Z]ehant wart in beiden ein ruowe bescheiden, da in gnade unde gemach zuo ir wunden geschach. arzat gewan her Gawein, im selbem unde in zwein, zeheilen ir wunden. ouch pflac ir zallen stunden diu kunegin unde Artus, des buweten si daz siech hus vil unlange stunt unz daz si waren wol gesunt. [D]o dem hern Iwein wart gegebn kraft unde gesunt lebn, noch waren im die sinne von siner frouwen minne

[fol. 151v]

[Lettrine manquante]

[Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

je ne savais ni vers où ni à qui je devais adresser mes remerciements : ils étaient destinés à celui qui avait affronté un tel danger pour moi. Et tant que la mort ne m’en empêchera pas, je le servirai toujours comme il se doit. Je vous reconnais grâce au lion, cela ne fait pas de doute. » Le lion courut alors vers Iwein et manifesta de la joie envers son maître, lui faisant la preuve de l’amitié qu’il lui portait par tous les moyens dont dispose un animal muet pour montrer son amitié à un homme. 

(7824) Aussitôt on les conduisit dans une chambre où ils purent se reposer et où l’on soigna leurs blessures. Monseigneur Gawein fit venir des médecins pour lui et pour Iwein afin qu’ils guérissent leurs plaies. Par ailleurs, la reine et Arthur prirent sans cesse soin d’eux, c’est pourquoi ils ne restèrent que très peu de temps dans l’infirmerie et furent bientôt tout à fait rétablis.

(7836) Après que monseigneur Iwein eut recouvré ses forces et la santé, son cœur était encore si profondément et mortellement meurtri par l’amour qu’il portait à sa dame qu’il crut bientôt devoir mourir si celle-ci ne le délivrait pas rapidement

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IWEIN : TEXTE

so manigen wis zeverhe wunt, in duhte ob in ze kurzer stunt sin frouwe niht enloste mit ir selber troste, so muesez schiere sin sin tot. in twanch diu minnende not uf disen gæhen gedanc : « ich tribez kurz ode lanc, so ne weiz ich wie ir minne iemer gewinne, wan daz ich zuo dem brunnen var unde giezze dar unde aber dar. gewinne ich chuomber da von, so bin ich chuombers wol gewon unde lide in gerner kurze tage danne daz ich iemer kuomber trage. ouch lidich chuomber iemer me, irn getuo der kuomber ouch so we daz ich noch ir minne mit gewalt gewinne. » Mit sinem leun stal er sich dar, daz sin niemen wart gewar da zehove noch anderswa, unde machte chuombers weter da. daz wart als ungehiure daz in dem gemiure niemen truwet genesn. « verfluochet muezzer iemer wesn. » sprach da wip unde man, « der ie von erste began buwen hie zelande. diz leit unde dise schande tuot uns ein man, swenner wil. bœser stet der ist vil, iedoch ist diz diu bœste stat dar uf ie hus wart gesat. » [D]az walt gevelle wart so groz, unde der sius unde der doz werte mit dem schalle, daz er die liute alle

[fol. 152r]

[Lettrine rouge]

[fol. 152v]

[Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

en lui accordant un réconfort qui ne pouvait venir que d’elle. Le mal d’amour lui inspira cette pensée soudaine : « Quoi que je fasse, je ne sais comment regagner son amour autrement qu’en me rendant à la fontaine et en versant de l’eau sans cesse sur la pierre. Si je n’en retire que souffrance, alors j’y suis déjà habitué et je préfère souffrir peu de temps plutôt que d’avoir à endurer cette souffrance à jamais. Cependant je souffrirai toute ma vie, à moins que la souffrance ne la tourmente elle aussi au point que je puisse reconquérir son amour par la force. »

(7860) Accompagné de son lion, il s’y rendit secrètement de telle sorte que personne, ni à la cour ni ailleurs, ne s’en rendit compte, et il y déclencha une tempête dévastatrice. Elle était si terrible que dans le château personne ne crut pouvoir y survivre. « Que soit maudit à jamais, dirent tous les gens, celui qui le premier s’est installé sur cette terre. N’importe qui peut nous infliger ce tourment et cette honte à chaque fois qu’il le souhaite. Il y a bien des endroits mauvais, mais celui-ci est le pire lieu où fut jamais construit un château. »

(7876) Les arbres furent si nombreux à s’abattre, ce fracas et le mugissement du vent furent si intenses et durèrent si longtemps que tous les gens s’abandonnèrent totalement au désespoir. Demoiselle Lunete dit alors :

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IWEIN : TEXTE

gar verzwifeln tet. do sprach ir iunchfrouwe Lunet : « frouwe, chuomt vil drate der dinge zerate, wa ir den man vindet mit dem ir uberwindet disen schaden unde diz leit. der ist iu, weizgot, ungereit, man ensuoche in danne verre. irn moht schande merre niemer gewinnen, swenner nu scheidet hinnen alles strites erlan, der iu diz laster hat getan. diz geschiht iu aber morgen. irn welt baz besorgen die selben sache, man lat iuch mit gemache niemer mere gelebn. » « mahtu mir danne rat gebn ? » sprach diu frouwe zuo ir magt. « nu si dir min not geclagt, wan du mins dinges weist also vil so iemen meist. » [S]i sprach : « frouwe, ir habt den rat der wol baz ze staten stat. ich bin ein wip, næme ich mich an zeraten als ein wise man, so wære ich tumber danne ein kint. ich lide, mit den andern die hie sint, daz mir zeliden geschiht, unz man noch dirre tage gesiht wen iuwer rat vinde von iuwerm gesinde der dise burde an sich nem unde daz er uns zeherren zem. ez mac wol sin daz ez geschiht, iedoch verwæne ich mich sin niht. » si sprach : « du solt die rede lan, ichn han gedingen noch wan

[fol. 153r]

[Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

«  Dame, réfléchissez vite pour savoir où vous trouverez l’homme à l’aide duquel vous surmonterez ce malheur et ces souffrances. Par Dieu, vous ne trouverez pas cet homme à moins qu’on aille le chercher très loin. Vous ne subirez jamais plus grande honte si celui qui nous a infligé cette humiliation part d’ici sans avoir eu à combattre. Demain la même chose se reproduira. On ne vous laissera plus jamais vivre en paix si vous ne savez pas vous prévenir d’une telle mésaventure. » « Alors peux-tu me donner un conseil ? », demanda la dame à la jeune femme. « Je me lamente auprès de toi, car c’est toi qui es le plus au fait de mes affaires. »

(7904) Elle répondit : «  Dame, vous disposez d’un conseil qui s’y entendra bien mieux. Je suis une femme : si j’étais présomptueuse au point de vous donner des conseils à l’instar d’un homme avisé, alors je serais encore plus sotte qu’un enfant. Je supporterai les tourments qu’on nous inflige, avec tous ceux qui sont ici, jusqu’au jour où nous verrons qui votre conseil choisit parmi vos gens afin qu’il se charge de ce fardeau et soit pour nous un bon souverain. Il est bien possible que cela arrive, cependant je ne l’espère guère. » La dame rétorqua : « Ne tiens pas de telles paroles, je n’ai aucun espoir de trouver quelqu’un parmi mes gens. Maintenant que tu as dit cela, donne-moi le meilleur conseil qui te vienne à l’esprit. » Lunete répondit : « Si quelqu’un connaissait le chevalier qui a tué le géant et,

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IWEIN : TEXTE

daz ich in iemer vinde in minem gesinde. nu rat darnach daz beste. » si sprach : « der danne weste den riter der den risen sluoc unde der mich lasters ubertruoc, daz er mich von dem roste hie vor iu erloste, der iu den selben suochte, ob er chomen geruochte, so ne wærez niender baz bewant. doch ist mir ein dinc wol erchant. ezn hulfe niemens list, unz im sin frouwe ungnædech ist, daz er fuere durch in weder her ode hin, ern tæte im danne sicherheit daz er nach rehter arbeit mit allen sinen dingen danach hulfe ringen, ob er durch in iht tæte, daz er wider hæte siner frouwen minne. » diu frouwe sprach : « die sinne der mir unser herre gan, die chere ich alle daran, beide lip unde guot, daz ich im ir zorn muot vertribe, ob ich iemer mac. des enpfach minen hant slac. » [D]o sprach aber frouwe Lunet : « ir sit suezze unde iuwer bet. welch guot wip wære von den siten, die ir zeflize woldet biten, diu iht versagen kunde einem also suezzen munde ? ob es iu ane falschen list ernst wirt ode ernst ist, so muoz er wol ir hulde han. ichn mac iuch des niht erlan,

[fol. 153v]

[fol. 154r] [Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

en ce lieu et devant vos yeux, m’a délivrée de l’infamie en m’arrachant au bûcher, s’il allait le chercher pour vous et si celui-ci acceptait de venir, alors il n’y aurait pas de meilleure solution. Cependant je suis sûre d’une chose : aussi longtemps que sa dame lui refusera sa grâce, personne ne pourra obtenir de lui qu’il se rende en un lieu quelconque à moins qu’on ne lui promette – s’il vient à notre secours d’une manière ou d’une autre – de nous efforcer par tous les moyens de l’aider à recouvrer l’amour de sa dame. » La dame répondit : « Tout l’entendement que notre Seigneur m’a accordé, ainsi que ma vie et mes biens, je compte les employer à dissiper la colère de sa dame autant que faire se peut. En guise de promesse, je te tends ma main. »

(7950) Dame Lunete dit alors : « Vous êtes aimable et votre requête l’est tout autant. Quelle noble femme, à laquelle vous adresseriez cette demande avec insistance, oserait opposer un refus à une bouche si aimable ? Si votre intention est sérieuse et le demeure, dénuée de toute arrièrepensée, alors il obtiendra certainement la grâce de sa dame. Je ne puis cependant vous épargner la chose suivante : engagez-vous par un serment avant que je ne me mette en route. » Elle était prête à faire ce serment : Dame Lunete lui énonça ce qu’elle devait jurer en tenant compte de tout ce qui pouvait

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irn geheizzet imz mit eide e daz ich von iu scheide. » des eides was si gereit. frou Lunet gab ir den eit, unde wart vil gar uz genomen daz im zestaten mochte chomen nach dem si da solde varn. si sprach : « frouwe, ich muoz bewarn mit selhen witzen den eit daz mich deheiner falscheit iemen zihe daran. er ist ein vil stæte man nach dem ich da riten sol, unde bedarf da stæter rede wol. welt ir nach im senden, diu wort mit werchen enden der ich zem eide niht enbir, so sprechet, frouwe, nach mir. » die vinger wuorden uf geleit, alsus gap si den eit. « [O]b der riter her chuomt unde mir ze miner nœte fruomt, mit dem der leu varnde ist, daz ich ane allen argen list mine maht unde minen sin daran cherende bin daz ich im wider gewinne siner frouwen minne. ich bit mir got helfen so daz ich iemer werde fro, unde dise guoten heiligen. » do ne was da niht verswigen des er bedurfen solde den si bringen wolde. sich underwant frou Lunet der reise die si gerne tet. hin reit diu guote mit frolichem muote, unde was ir doch ze der stunt lutzel darumbe chunt,

[fol. 154v]

[Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

être utile à celui qu’elle s’apprêtait à aller chercher. Elle dit : « Dame, je dois formuler le contenu de ce serment de façon si sensée que personne ne pourra m’accuser d’aucune félonie. Celui que je dois aller chercher est un homme très constant et a besoin pour cette raison de paroles qui soient certaines. Si vous voulez l’envoyer quérir et mettre à exécution les termes que je dois inclure dans le serment, alors, dame, répétez après moi. » Elle posa ses doigts sur un reliquaire et prononça le serment :

(7980) « Si le chevalier – celui qui voyage avec le lion – vient ici et me porte secours dans mon malheur, alors j’emploierai sans aucune fausseté tout mon pouvoir et mon entendement à lui faire recouvrer l’amour de sa dame. Par mon âme, je prie Dieu et ces bons saints de me venir en aide. » Ainsi rien ne fut oublié de ce qui était nécessaire à celui que dame Lunete devait ramener. Elle se mit en route pour un voyage qu’elle était heureuse d’entreprendre. La noble demoiselle s’en alla le cœur enjoué, bien qu’elle ne sût pas, au moment où elle partait, à quel endroit elle pourrait le trouver. Mais à sa plus grande joie elle le découvrit rapidement, car elle le vit près de la fontaine. Elle le reconnut grâce à la présence de son lion. Son seigneur la reconnut également lorsqu’il l’aperçut de loin. Il la salua aimablement. «  Je remercie Dieu de vous avoir trouvé à si peu de distance. » « Dame Lunete, plaisantez-vous ou m’avez-vous vraiment cherché ? » « Oui, seigneur, ne vous en déplaise. » « En quoi puis-je vous servir ? »

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IWEIN : TEXTE

do si der verte begunde, wa si in funde. unde wart ir kurzliche kunt ir vil sæliger funt, wan si in bi dem brunnen vant. er was ir bi dem leun erchant. ouch erchande si ir herre, do er si sach von verre. mit guotem willen gruozter si. « daz ich iuch so nahen bi funden han, des lobich got. » « frouwe Lunet, ist diz iuwer spot ode habt ir mich gesuochet ? » « ia, herre, ob irs geruochet. » « waz ist daz ir gebiet ? » « da habt ir iuch geniet, ein teil von iuwern schulden, unde von ir unhulden von der iu diente diz lant unde diu mich uz hat gesant, einer langen arbeit. si ne welle brechen danne ir eit, diu mich da uz sendet, so han ich iu verendet die rede also verre daz ir aber min herre werden sult in kurzer frist, als si min frouwe ist. » [H]ie was groz freude von in zwein, dochn wart min her Iwein vor des nie als fro. von grozzen freuden chuoster do siner iunchfrouwen munt wange unde ougen tusent stunt. er sprach : « ir habt bescheinet vil wol wie ir mich meinet. ich furhte sere unde ist min clage, daz mir des guotes unde der tage ode beider zerinne e ich die grozzen minne

[fol. 155r]

[fol. 155v]

IWEIN : TRADUCTION

«  Pendant longtemps vous avez enduré de grands tourments. Ceci est en partie de votre faute et cela est dû aussi à l’inimitié que vous porte celle qui vous a amené à régner sur ce pays et qui m’a envoyée vous chercher. Si celle qui m’a missionnée ne rompt pas son serment, alors j’ai si bien arrangé vos affaires que, dans peu de temps, vous serez à nouveau mon seigneur de la même façon qu’elle est ma dame. »

(8028) Alors tous deux se réjouirent vivement et monseigneur Iwein fut plus heureux qu’il ne l’avait jamais été auparavant. De joie il baisa mille fois la bouche, les joues et les yeux de sa demoiselle. Il lui dit : « Vous avez donné la preuve de l’amour que vous me portez. Je crains fortement, et je le déplore, de ne pas avoir les moyens ou le temps, ou même les deux, de pouvoir vous rendre comme il se doit cette grande preuve d’amour et de vous remercier dignement pour le service que vous m’avez rendu. » Elle répondit : « Ne parlez pas ainsi : vous aurez le temps et les moyens de

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IWEIN : TEXTE

ze rehte umb iuch verschulden muge als ez dem dienste tuge den ir mir habt getan. » si sprach : « die rede sult ir lan. ir gewinnet tage unde daz guot, het ich gedient den muot, daz mir gnade wuorde schin unde swem ir gnædech woldet sin. ichn han niht baz wider iuch getan, irn welt ez danne baz enpfan, danne der des andern guot entnimt, unde swenne in geltes gezimt, daz er im geltes ist bereit. ir entlihet mir michel arbeit, do ich wære verbrant, ob irz niht het erwant. fur minen lip was iuwer lebn uf die wage gegebn, do gabet ir mir disen lip. ez verdienten niemer tusent wip die gnade die ir mir habt getan. » er sprach : « die rede sult ir lan. ir habt vaste uberzalt, mir ist vergolten tusentfalt swaz ich ie durch iuch getet. nu sagt mir, frouwe Lunet, weiz si doch daz ich ez bin ? » si sprach : « daz wære der ungewin ! sine weiz von iu, geloubet mirz, zer werlde mere wan daz irz der riter mit dem leun sit. si bevindet ez noch zeguoter zit. » [D]o riten si zehuse dan, unde in bechom da wip noch man. dazn fuocte ouch anders niht niuwan ein wunderlich geschiht, daz si da niemen riten sach unz si ergriffen ir gemach. do gienc frou Lunet da si an ir gebet

[fol. 156r]

[Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

me montrer votre reconnaissance – si toutefois je la mérite – ainsi qu’à tous ceux à qui vous voulez faire du bien. Je n’ai pas fait davantage pour vous – à moins que vous ne surestimiez mon comportement – que quelqu’un qui emprunte le bien d’autrui et qui, lorsqu’il s’agit de rembourser, est prêt à s’acquitter de sa dette. Vous avez enduré de grandes souffrances pour moi et j’aurais été brûlée si vous ne l’aviez pas empêché. Vous avez risqué votre existence pour sauver la mienne, et ainsi vous m’avez rendu cette vie. Mille dames ne sauraient jamais vous dédommager de la faveur que vous m’avez faite. » Il dit : « Ne tenez pas de telles paroles : vous avez remboursé bien plus que nécessaire, vous m’avez rendu mille fois ce que j’ai fait pour vous. Mais dites-moi, dame Lunete, sait-elle qu’il s’agit de moi ? » Elle rétorqua : « Ce serait tout à votre désavantage ! Croyez-moi, elle ne sait rien à votre sujet hormis que vous êtes le Chevalier au Lion.  Elle découvrira votre identité lorsque le moment sera venu. »

(8072) Alors ils partirent en direction du château sans rencontrer quiconque. Si personne ne les vit arriver avant qu’ils ne fussent dans leurs quartiers, cela ne fut dû à rien d’autre qu’à un étrange hasard. Puis dame Lunete se rendit auprès de sa maîtresse qu’elle trouva seule, en train de prier, et aussitôt elle lui annonça qu’il était arrivé. Aucune nouvelle ne lui aurait fait plus plaisir. Elle dit :

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IWEIN : TEXTE

ir frouwen alterseine vant, unde sagt ir zehant daz er chomen wære. do ne het si dehein mære also gerne vernomen. si sprach : « nu si er willechomen ! ich wil in harte gerne sehn, swie daz mit fuoge mac geschehn. gench hin zuo im unde ervar, wil er her ode sol ich dar. daz si, wan ich bedarf sin. er gienge nach mir, bedorft er min. » vil schiere braht in frou Lunet. er fuor swie in diu varn tet, gewafent daz im nihtes gebrast. si enpfie den wirt fur einen gast. unde bi dem ersten gruozze viel er ir zefuozze unde het doch deheine bet. do sprach frou Lunet : « frouwe, heizzet in uf stan. unde als ich im geheizzen han, so sult ir lœsen den eit. ich sagiu mit der warheit daz diu helfe unde der rat niuwan an iu einer stat. » [S]i sprach : « nu bewise mich. durch sinen willen tuon ich swaz ich mac unde sol. » si sprach : « frouwe, ir redet wol. nu ne hulfe im niemen baz. sin frouwe, diu im ist gehaz. gebiet ir, diu lat ir zorn. gebiet ir, er ist verlorn, unde moht iu daz wol wesn leit, irn habt mit der warheit deheinen bezzern friunt danner ist. ez wolde unser herre christ, unde wiste mich uf die vart, daz er so gahes funden wart,

[fol. 156v]

[fol. 157r] [Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

« Qu’il soit le bienvenu ! Je suis impatiente de le voir, dans la mesure où la bienséance le permet. Rends-toi auprès de lui et renseigne-toi pour savoir s’il veut venir à moi où s’il souhaite que j’aille à lui. Je peux m’y résoudre, car j’ai besoin de lui. Il devrait venir vers moi s’il a besoin de moi. » Bien vite dame Lunete l’amena. Il apparut tel qu’elle lui avait demandé d’apparaître : il était couvert de toute son armure de telle sorte que rien ne manquait. Laudine accueillit le maître des lieux comme s’il s’était agi d’un étranger. Lors du premier salut qu’elle lui adressa, il tomba à ses pieds, ne prononçant aucune requête. Dame Lunete dit alors : « Dame, dites-lui de se relever. Et comme je lui ai promis, vous devez tenir votre serment. Je vous assure qu’il ne tient qu’à vous de trouver aide et conseil. »

(8106) Laudine répondit : « Maintenant dis-moi ce que je dois faire : pour lui je ferai tout ce qui est en mon pouvoir et tout ce qui relève de mon devoir. » Lunete lui dit : « Dame, vous parlez bien. En fait, personne ne peut mieux lui venir en aide : sa dame lui est hostile. Si vous l’ordonnez, elle renoncera à sa colère. Si vous en décidez autrement, il est perdu et vous pourriez avoir à en pâtir, car vous n’avez en vérité pas de meilleur ami que lui. C’était la volonté du Christ, notre Seigneur, qui m’indiqua le chemin sur lequel je le trouvai si vite afin que la discorde qui vous rend étrangers l’un à l’autre se transforme en concorde. Alors, plus aucun malheur ne vous séparera jamais si ce n’est la mort. Maintenant tenez votre pro-

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IWEIN : TEXTE

daz diu fremde von iu zwein wuorde gesament in ein. so ne sol iuch danne dehein ander not gescheiden niemer ane den tot. nu behalt iuwer warheit unde lœset den eit. vergebt im sine missetat, wander dehein ander frouwen hat noch gewinnet noch nie gewan. diz ist her Iwein, iuwer man. » [D]iu rede duhte si wunderlich, unde trat vil gahes hinder sich. si sprach : « hastu mir war geseit, so hat mich din karcheit wunderliche hin gegebn. sol ich dem hinne furder lebn der uf mich dehein ahte hat ? deiswar des het ich gerne rat. mirne getet daz weter nie so we dazn woldich iemer liden e danne ich zelanger stunde mins libes gunde deheinem so gemuoten man der nie dehein ahte uf mich gewan. unde sage dir mit der warheit, twunge michs niht der eit, so wærez unergangen. der eit hat mich gevangen, der zorn ist minhalp da hin. gedienen muezze ich noch umb in daz er mich lieber welle han danner noch habe getan. » [D]er herre Iwein frolichen sprach, do er gehorte unde sach daz im sin rede zeheile sluoc, unde der kuomber den er truoc, daz der ein ende solde han : « frouwe, ich han missetan zware daz riuwet mich. ouch ist daz gewonlich

[Lettrine manquante] [fol. 157v]

[Lettrine manquante]

[fol. 158r]

IWEIN : TRADUCTION

messe et respectez votre serment. Pardonnez-lui sa faute, car il n’a jamais eu ni n’aura jamais d’autre dame que vous. C’est monseigneur Iwein, votre mari ! 

(8130) Ces paroles lui parurent incroyables et elle fit très rapidement un pas en arrière. Elle déclara : « Si tu as dit vrai, alors tu t’es bien jouée de moi avec ta ruse. Veux-tu que je vive dorénavant avec celui qui n’a fait aucun cas de moi ? En vérité, j’aimerais y renoncer. Jamais l’orage ne me fera souffrir au point que je ne préfère l’endurer plutôt que d’appartenir pour toujours à un homme qui n’a jamais eu aucune estime pour moi. Et je te dis ce qu’il en est vraiment : si je n’y étais pas contrainte par un serment, alors ce serait exclu. Je suis prisonnière de mon serment : en ce qui me concerne, ma colère est dissipée. Puissé-je mériter qu’il m’aime désormais davantage qu’il ne le fit auparavant. »

(8152) Lorsqu’il entendit cela et se rendit compte que son affaire prenait bonne tournure et que le chagrin qui lui pesait touchait à sa fin, monseigneur Iwein dit, le cœur enjoué : « Dame, j’ai commis une faute et en vérité je m’en repens. Il est d’usage que l’on pardonne à celui qui a commis une faute – aussi grave cette faute fût-elle – à condition qu’il mène une existence de pénitent et s’abstienne à jamais de la commettre à nouveau. Il n’est pas besoin d’autre chose, car si je recouvre

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IWEIN : TEXTE

daz man dem schuldigen man, swie swære schulde er ie gewan, nach riuwe schulde vergebe, unde daz er in der buozze lebe daz erz niemer mer getuo. nu ne hœret anders niht dazuo, wan chuom ich nu zehulden si ne wirt von minen schulden niemer mere verlorn. » si sprach : « ich han es gesworn. ez wære mir liep ode leit, daz ichs mit gewarheit iht wider chomen kunde. » er sprach : « diz ist diu stunde die ich wol iemer heizzen mac miner freuden oster tac. » [D]o sprach diu kunegin : « her Iwein, lieber herre min, tuot gnædecliche an mir. grozzen chuomber habt ir von minen schulden erliten. des wil ich iuch durch got biten daz ir ruochet mir vergebn, wander mich, unz ich han daz lebn, von hercen iemer riuwen muoz. » da mit viel si an sinen fuoz unde bat in harte verre. « stet uf », sprach der herre, « irn habt deheine schulde, wan ich het iuwer hulde niuwan durch minen muot verlorn. » sus wart versuenet der zorn. [H]ie sach diu frouwe Lunet die suone diu ir sanfte tet. swa man unde wip, habent guot unde lip, schone sinne unde iugent, ane ander untugent, werdent diu gesellen diu kunnen unde wellen

[Lettrine manquante]

[fol. 158v]

[Lettrine manquante]

IWEIN : TRADUCTION

maintenant votre grâce alors jamais plus je ne la perdrai par ma faute. » Elle répondit : « Je l’ai juré. Que je le veuille ou non, je ne puis revenir sur ma parole. » Il dit : « De ce moment je pourrai dire à jamais qu’il marque la résurrection de ma joie. »

(8176) La reine dit alors : «  Messire Iwein, mon cher seigneur, soyez miséricordieux envers moi. Par ma faute vous avez enduré de grandes souffrances. C’est pourquoi je vous demande, au nom de Dieu, de bien vouloir me pardonner, car aussi longtemps que je vivrai je le regretterai sincèrement. » Sur ces paroles, elle se jeta à ses pieds et le supplia instamment. «  Relevez-vous  », dit le seigneur, «  vous n’avez commis aucune faute, car c’est uniquement à cause de mon entêtement que j’ai perdu votre grâce. » Ainsi la colère fit place à la réconciliation.

(8192) Dame Lunete assista là à une réconciliation qui lui donna du baume au cœur. Lorsqu’un homme et une femme disposent de richesses, jouissent d’une bonne santé, d’un esprit bien formé et de la jeunesse, tout en étant dépourvus de défauts, et s’ils forment un couple dans l’intention de rester fidèles l’un à l’autre, alors – si Dieu leur accorde de vieillir – ils pourront vivre heureux longtemps. Dès lors, tout ceci était sans doute réuni ici.

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IWEIN : TEXTE

ein ander behalten. lat diu got alten, diu gewinnent manige suezze zit. daz was hie allez wænlich sit. Sie was frou Lunet mite * nach ir diensthaftem site. diu het mit ir sinne ir beider unminne braht zallem guote, als si in ir muote lange het gegert. ir dienst was wol lons wert, ouch wæne sis also genoz daz si des kuombers niht verdroz. er londe ir nach froun sælden bet. burge, lant, riche stet, machet er ir undertan, unde als ich vernomen han, si ne wart mit hirat niht betrogen. einem richen herzogen, schœnem, iungen, manhaft, vol chomen gar an riterschaft, wise unde gewære, milte unde erbære, dem gaber si zewibe. von geburt unde an libe was si wol in der ahte, daz si mit eren mahte riches landes frouwe sin. der kunech unde diu kunegin heten uberwunden an den selben stunden mit freuden alle ir swære tage. des ich got noch gnade sage, wan swaz er chuombers erleit, die wile er sine frouwen meit, da mit was ir niht zewol. ir lip was herceriuwe vol, si truoc der sorgen uberlast, so daz ir leides nie gebrast,

[Lettrine rouge]

[fol. 159r]

[fol. 159v]

IWEIN : TRADUCTION

(8204) En se montrant si obligeante, Dame Lunete y avait contribué. Elle avait été bien avisée et avait réussi à mettre un terme à leur inimitié, ce à quoi elle avait longtemps aspiré dans son for intérieur. Le service qu’elle avait rendu méritait vraiment d’être récompensé et je crois qu’elle eut cette récompense et qu’elle ne regretta pas les souffrances subies. Iwein la récompensa comme le voulait dame Fortune : il lui donna des châteaux, des terres et des villes puissantes et, comme je l’ai entendu dire, elle ne fut nullement dupée lors de son mariage. Iwein la donna en mariage à un duc puissant, beau, riche, courageux, un parangon de chevalerie qui était sage et probe, généreux et de bonne réputation. Par sa naissance et sa personne, elle était digne de régner en tout honneur sur un pays puissant. Dès lors, le roi et la reine avaient surmonté tous les jours difficiles qu’ils avaient vécus et étaient heureux. J’en rends grâce à Dieu, car tandis qu’Iwein avait éprouvé bien de la peine alors qu’il était loin de sa dame, elle-même avait souffert. Son cœur avait été empli de tristesse et elle avait éprouvé de grands tourments, de telle sorte que la douleur ne l’avait jamais quittée jusqu’au moment béni où le bonheur l’emporta sur l’affliction. Ils eurent alors oublié leurs souffrances dans la joie et recouvré le bonheur. Je crois que dès lors ils vécurent heureux, mais je ne sais ce qu’il est advenu d’eux depuis. Celui par lequel j’ai eu connaissance de cette histoire ne me l’a pas dit. Pour cette raison, je ne puis vous dire autre chose que : puisse Dieu nous accorder félicité et honneur.

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IWEIN : TEXTE

unz uf die sæligen zit daz guot gemuete den strit behabte an swærem muote. si heten nu mit guote ir leides vergezzen unde freude besezzen. ez was guot lebn wænlich hie, ichn weiz aber waz ode wie in sit geschæhe beiden. ezn wart mir niht bescheiden von dem ich die rede habe. durch daz enchan ouch ich darabe iu niht gesagen mere, wan got gebe uns sælde unde ere.

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A (Codex palatinus germanicus 397)

43. Oh wart in da zehobe gegeben | in allewis ein wunsleben. (À la cour, on leur rendit l’existence l’existence aussi agréable que possible) 72. von grozir manheit (de grande bravoure) 93. der beguonde segen ein mere (qui se mit à raconter une histoire) 150. und haz niewen zuoden vroumen hast (et de ne t’en prendre qu’aux preux) 230. dou sprach diu guode kuoningin (la noble reine répondit alors) 408. mit eislicher stimme (sens inchangé) 433. vor wassen zuo der swarte (sens inchangé) 474. were obel guot (sens inchangé) 481. Ih sprah bistu ovel oder guot (sens inchangé) 490. Sie lobetenz ne dadih in niht als ir meister under herre (Elles sont heureuses qu’en tant que leur seigneur et maître je ne leur fasse rien). Les vers 491 et 492 sont absents de A. 523-528. Lacune, vers absents de A. 532. daz priset in irsleter mih (S’il me tue, sa renommée en sera d’autant plus grande.) 563. doh hore waz sin reht si (Toutefois, écoute en quoi consiste cette coutume) 573. si ist breit, ho, unde also diht. (Il est large, haut et si dense) 604. also wunnelichen sanc (de chant aussi délicieux) 641. von vier enden uf gan (sens inchangé) 644. groz iamer da gescah (sens inchangé) 656. daz der walt nider brah (que la forêt fut abattue) 701-703. iz was mir vorthlih unde ungemach. | alsih aber in einen sah, | dou getrostich mih i doh. (Je fus saisi de crainte et d’angoisse. Toutefois, lorsque je vis qu’il était seul, je repris espoir.) 720. unde den lif dar umbe lan (et perdre la vie) 734. wandih mih gerne nerte. (sens inchangé)

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

742. hinder daz ros an daz lant (sens inchangé) 752-753. Lacune, vers absents de A. 755-756. swaz ih doh lasters da gewan, | da was ih ein deil unsculdih an (Cependant j’étais en partie innocent de l’humiliation qui me fut infligée) 785. dan oh des abendes dou ih da reit (que le soir où je partis de chez lui). Cf. note relative à ce vers. 795. daz ih die niene kunde dagen (sens inchangé) 796. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 796: were mir iht baz gescin, | das hortentir mih oh nu gen. (Si quelque chose de plus heureux m’était arrivé, vous m’entendriez également vous le narrer.) 816. mer craft unde manheit (plus de force et de courage) 865. daz ih eme sine wort vortrage (car j’accepte ses paroles sans répliquer) 893. uterpandragon waser genant (il s’appelait Uterpandragon) 898. mit aller siner craft (sens inchangé) 907. her sprach : « ih nemah daz nith bewaren… » (Il dit : « Je ne puis l’empêcher… ») 942. unde war biz als ein biderbe man (et agit comme un homme de bien) 944. kunde ir werben und gevristen (sens inchangé) 945. unde quam da her die knappen vant (il se rendit là où se trouvaient les écuyers) 949-950. dazer sus gereite | uf sin ors leite (il lui dit de seller et d’équiper son destrier) 960-961. vil sciere brahter eine na | sin ros unde sin isern gewant (Bien vite celui-ci, seul, lui apporta son destrier et son haubert) 964. na wane in groz arbeit (sens inchangé) 967. unzer den engen stih vant (jusqu’à ce qu’il trouvât le chemin étroit) 988. da was sin zwivel unlanc (sens inchangé) 1029-1030. unde oh nieman bi ime | der mir der rede biste (sens inchangé) 1040-1043. Lacune, le copiste de A a confondu « slege » dans les vers 1040 et 1043 (beide ir stiche under slege gnuoh | unde daz dergast den wirt ir sloh) 1068-69. des beguonder em vil sere | zo slage mide gahen (C’est pourquoi il se mit à le poursuivre de très près) 1124. Lacune, vers absent de A.

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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1133-1134. iz was alser sit selve iah | dazer so schones ne niht ne sah. (Il était tel qu’il [= Iwein] affirmera lui-même plus tard n’en avoir jamais vu d’aussi beau.) 1145. dou er mit solchen sorgen ranc (sens inchangé) 1164. sie slant u aber ab kurzir vrist (Cependant, dans très peu de temps ils vous tueront) 1200-1202. Lacune, le copiste de A a confondu « hant » dans les vers 1200 et 1202 (Swer in hat inblozer hant ist | gesien noh gevinden.) 1233-1234. daz u nith leides ne sciet, | wande u nieman ne set (qu’il ne vous arrivera rien de grave parce que personne ne vous voit.) 1247. an alre wegene suochen (sens inchangé) 1259-1260. Lacune, vers absents de A. 1271-1273. Lacune, le copiste de A a confondu « ougen » dans les vers 1271 et 1273 (oder wer hat uns benuomen | die ougen blint | iz sint wol alle die hi iane sint.) 1294. bi eme so nemih war (il me fait comprendre) 1299. daz em sin vrinden diu maget (ce que son amie, la demoiselle) 1311. einen den liebesten man (sens inchangé) 1324. unde ne weder ne horde noh in sprah (et qu’elle ne pouvait ni entendre ni parler) 1363. her ist zware h’inne (sens inchangé) 1364-1365. und hat uns der sinne | mit sime zoubere ane getan (et nous a ravi la raison par sa magie) 1371. oh muoster dikke wenken (sens inchangé) 1393. daz horet her und ist uns bi (L’autre entend tout ceci et se tient près de nous) 1456. den hat mir der dot benuomen (La mort me l’a pris) 1472. ire not was so veste (sa détresse était si grande) 1480. sie zoh in wider unde sprah (elle le tira en arrière et lui dit) 1498. swes sin aber sostat (cf. note relative à ce vers) 1525-1530. Lacune, vers absents de A. 1554. na swachen gewinne (en quête d’un maigre butin) 1574. vil dike undir vuoze (sens inchangé) 1596. unde ir vil groz ungemah (sens inchangé)

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1599-1600. ir wipliche ruwe | unde ir senlche truwe (sa tristesse d’épouse, et tout le chagrin que lui inspirait sa loyauté) 1540-1543. Lacune, vers absents de A. 1682. zware got hat an siu geleit (sens inchangé) 1740-1741. « lieberen tah ? saget here, we | mah sih daz gevogen ? » (« Une journée plus agréable ? Dites-moi, seigneur, comment cela est-il possible ? ») 1754. So irkante wol die wise maget (la sage demoiselle comprit) 1761. hinehte oder vruo verholne (sens inchangé) 1776. sie scuf em grot gemah (sens inchangé) 1902. daz ih mannes umbere (que je renoncerais à un mari) 1938-1939. vrowe, liezetir uwer weinen, | dazih war, ih vinden wol. (Dame, si vous cessiez de pleurer, assurément, je le trouverais bien.) 1945. vrowe, ih han u ie gelogen (Dame, si jamais je vous ai menti) 1953-1955. La fin du vers 1953 et le vers 1954 ont été oubliés par le copiste de A qui a confondu « gesige » au vers 1953 et « gesiget » au vers 1955 (weder tiurre si der da gesiget so wenih.) 2000. Lacune, vers absent de A. 2025. wene scande unde scaden (sens inchangé) 2103. her heizet, vrowe, ywein (Dame, il s’appelle Iwein.) 2069. daz sie irre maget ie leit gesprach (sens inchangé) 2107. her ist sun des koningis urienis (Il est fils du roi Urien) 2118-2119. nim daz, vrowe, in dinen gedanc | daz ih innoh hute oder morne gesie. (Tu dois comprendre, dame, que je veux le voir dès aujourd’hui ou demain.) 2129-2130. Phrase peu cohérente dans A : im ne tete niht zewe ein tah | daz einir inzwein geriten mah. (un jour ne le fera pas souffrir là où un autre devra chevaucher pendant deux jours.) 2166-2167. Lacune, le copiste a omis la fin de 2166 et le début de 2167 (Sie bieten sih uwer rede virnement). 2186. sie badeten harde scone (Elle lui prépara un bain fort agréable) 2213-2214. also vroliche | dou barde sie geliche (tout emplie de joie, elle fit comme si…)

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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2258-2262. Got haze iemir sinen lip | der ane dank so einen man | der selbe wol geprechen kan | zesconen wibe ziehe | der sie so sere fliehe. (Que Dieu maudisse celui qui mène un homme, qui d’habitude sait bien parler, sans succès auprès d’une belle femme si cet homme la fuit ainsi.) 2301. unde min got (et mes moyens). Cf. note relative à ce vers. 2328. waz mah ih nu reden me ? (Que puis-je dire de plus ?) 2425. unde ist dan eines guoten wibes wert (ainsi que d’une bonne épouse) 2439. vrowede unde volle riterscaft (sens inchangé) 2442. disse riterscaft diu werte (ces tournois durèrent) 2463. so sumeter ze lange sih (alors il se fait trop attendre) 2497. der sine bosheit prise (en vantant sa vilenie) 2502. wan also scalklichen muot (ne fut aussi fourbe que lui) 2527. unde nam ir vol des brunnen (sens inchangé) 2541. her nebescirmite sinen brunnen (sens inchangé) 2550. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 2550 : in ne irrete ros noh der muot, | wan die waren beide guot. (Ni son cheval ni son état d’esprit ne laissaient à désirer, car tous deux étaient excellents.) 2666. nie wan na wane wol gehit (elle avait seulement supposé avoir fait un bon mariage). Cf. note relative à ce vers. 2686. Erreur du copiste de A : sin scimft unde sin haz (de sa conversation et de sa haine) 2696. alse oh die wisen willen (Et comme le disent ceux qui son sages) 2705-2708. Lacune, quatre vers omis par le copiste de A. 2715. min irn vil guten wizen (sens inchangé) 2756. Erreur du copiste de A : muoste wol gewalte 2766. der dar na gewirken kan (sens inchangé) 2825. mir moget daz ih iz u muoz clagen (il me pèse de devoir m’en plaindre auprès de vous.) 2854. nu durh wene mohte ein vromir man. (sens inchangé) 2866. Erreur du copiste de A : sie moget ist her ir ze dikke bi (Elle aime qu’il soit trop souvent là)

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2874. eine koninginne unde ein lant (une reine et un pays) 2910-2912. La fin du vers 2910 et le vers 2911 ont été oubliés par le copiste de A qui a confondu « sie » au vers 2910 et « sie » au vers 2912 (do ne hete sie gerne tete) 2936. da sal daz iar enden (sens inchangé) 2954-2955. daz sceiden dere [sic: dete] der vrowen we, | alse wol an irn gebare scein (La séparation pesa à la dame, cela se vit à son attitude) 2977. vrowe, ih han entruwen (sens inchangé) 3030. iz gescah doh eme (cependant cela lui arriva) 3150. von uwer grozen vruomiheit (de votre grande vaillance) 3155-3156. daz sih ein wip wider die man | niemer vol huoten ne kan. (sens inchangé) 3163. zware unde iz ist umbillih (c’est vrai, et c’est injuste) 3168. Vers incohérent dans A : nu ist unde mere. 3197-3198. daz gahe wi keren | was ein slah siner eren (Son départ précipité fut une atteinte à son honneur) 3209. beide vrowede unde sin (sa joie et sa raison) 3231-3232. sus lieb her uober gevilde | ze walde unde war wilde. (C’est ainsi qu’il se mit à courir à travers champs, en direction de la forêt, semblable à un sauvage.) 3249-3250. Le copiste de A a oublié le vers 2949 et le début du vers 3250 (doh meisterte vrou minne | unde lib) 3253. dier lieb nu harde balde (sens inchangé) 3269-3270. oh muosterz selve vahen | ane bracken irgahen (Cependant il devait attraper le gibier lui-même et le chasser sans l’aide d’un brachet) 3288. da stunt ein der tore vuor (et le fou se tenait devant) 3292-3293. unde ist umbe mih irgangen. | ih arme, wi genesih ? (alors c’en sera fini de moi. Pauvre de moi, comment puis-je survivre ?) 3305. eines wazers dazer vant (sens inchangé) 3309. unde vlehete gote vil sere (et implora Dieu avec ferveur) 3332-3333. im was der peffer ture, | daz salz unde der ezih. (Il n’avait pas de poivre, ni de sel ou de vinaigre.) 3381-3382. ir hovischeit unde ir guot | beswarten ir gemuote (sens inchangé) 3401. daz alle uwerr not (que tout votre malheur)

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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3415. der tuon ih im vil guote rat (alors je connais un bon remède) 3475. dou irz ir vrowe ir virbot (d’autant plus que sa dame le lui avait interdit) 3508-3509. wande mir min troum hat gegeben | ein vil harte richez leben. (Car mon rêve m’avait donné une vie tout à fait merveilleuse.) 3517-3518. unde han vil manigen harten pris | ze riterschafte beiaget (et j’avais durement acquis une très grande renommée lors de tournois) 3523-3525. eine scone vrowen unde ein richez lant : | wandaz ih ir doh plah, | so mir nutroumte, manigen tag (une belle dame et un riche pays : toutefois, je m’occupai d’elle assez longtemps, comme me le dévoila le rêve) 3531. diz nist alliz niht war (Tout ceci ne peut pas être vrai) 3534-3535. Lacune, vers absents de A. 3541-3543. her hat mih geaffet ane not. | swer sih antroume keret, | der ist wol ge uneret. (Il [=le rêve] m’a trompé inutilement. Celui qui croit aux rêves nuit vraiment à son honneur.) 3552. swi ruh ih ein gebur si (même si je suis aussi hirsute qu’un vilain) 3564-3566. her sprach : « mih hat geleret | min troum. des bin ich geeret, | mah ich ze harnasche cuomen. » (Il dit : « mon rêve m’appris quelque chose : j’acquerrai de l’honneur si je parviens à me procurer une armure. ») 3572-3574. ist mir getroumet min leben ? | Oder wer hat mih her gegeben | so rehte ungedanen ? (Ai-je rêvé ma vie ? Sinon, qui m’a amené ici dans un état aussi lamentable ?) 3579-3580. Alser die vrische cleider | ein halp bi ime ligen sah (Lorsqu’il vit les vêtements propres posés à côté de lui) 3593. dazer unlasterlichen saz (sens inchangé) 3597. unde vorte ein pert in der hant (sens inchangé) 3606-3607. Lacune, vers absents de A. 3608-3609. unde niht umbe sin geverte newere kunt, | unzir ir rief anders tunt (et [elle fit semblant] de ne pas remarquer sa présence jusqu’au moment où il l’appela une seconde fois) 3612. Sie sprah : « wer rufet mir, wer? » (sens inchangé) 3614-3615. Lacune, vers absents de A. 3617. swarz gebietet, daz tuonih. (Je ferai tout ce que vous ordonnerez) 3634. Lacune, vers absent de A.

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3643. man scuof ein vil got ge mah (On lui rendit son séjour très agréable) 3653-3654. mit eime lugen mare | bereite siu diu wise maget. (L’astucieuse demoiselle se tira d’affaire grâce à un mensonge.) 3679. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 3679 : den scaden suln wir virclagen, | des vruomen gode gnade sagen. (Nous devons oublier ce qui a été perdu et remercier Dieu pour ce que nous avons gagné.) 3693. und daz sconeste ors obir aldaz lant (et le plus beau destrier de tout le pays) 3702-3703. unde min her ywein, | der zallir vor derest scein. (Et monseigneur Iwein apparut en première ligne.) 3707. daz sie von vromelichen siden (sens inchangé) 3725. La fin du vers est absente (an einen vort unt) 3737-3740. die der vluht virgazen | die wurden ane zagen | alle meistih irslagen, | unde die ander gevangen. (Ceux qui ne purent fuir furent presque tous promptement tués, et les autres furent faits prisonniers.)  3745. her ware biderbe, hovisc unde wis (qu’il était preux, courtois et sage) 3753. wunderliche sciere (sens inchangé) 3755. dan noh untwalter ze were (sens inchangé) 3762. engegen einer veste (vers une forteresse) 3765. da was der burberh harte hoh (la colline sur laquelle celui-ci se trouvait était très haute) 3768. Ir gahte andeme tore (sens inchangé) 3776. dazer alle sin sculde suozte (qu’il réparerait toute sa faute) 3788. vil vromeliche blike (bien des regards francs) 3806. swi iz doh nehein wip netuo (sens inchangé) 3811. Lacune, vers absent de A. 3819. den nesten weh den her vant (vers le premier chemin qu’il trouva) 3821-3823. lute ane maze | horter eine stimme | clagelih unde doh grimme (Il entendit un cri retentir incroyablement fort, un cri de plainte et pourtant aussi de colère) 3825. von wederme sie waren von in zwin (sens inchangé) 3829. dur michel walt gevelle hin (à travers une forêt rendue impraticable par un enchevêtrement de branches)

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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3833-3834. La fin du vers 3833 et le vers 3834 ont été oubliés par le copiste de A. 3854. doh dahter alsein vromer man (toutefois Iwein pensa tel un preux) 3857. unde halp dem lewen uz der not (et c’est ainsi qu’il aida le lion à surmonter sa détresse) 3865. hie liezer sine grimme (alors il renonça à sa colère) 3873. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 3873 : unde gestunt im ze aller siner not, | unze sie beide sciet der dot. (Et il fut toujours à ses côtés dans le danger jusqu’au jour où la mort les sépara.) 3885-3886. Do gruozter in al sein suchhunt | und volgetim von der straze. (Iwein l’excita comme un chien de chasse et le suivit à l’écart de la route.) 3892-3894. nu namer da herz wiste | veizet unde allir beste | eine guoten braten dan (Alors il prit un morceau à rôtir là où il savait que le chevreuil était gras et avait la meilleure chair.) 3896. her sluoc ein viur unde briet daz (sens inchangé) 3899. iz ne mohte oh do niht weher sin (sens inchangé) 3910. rehte virzentage (sens inchangé) 3915. wan dir ne virsah sih nih (car Iwein ne s’y attendait pas) 3924-3926. Lacune, vers absents de A. 3931-3932. unde eme wart do benoumen | der herzen craft also gar. (Les forces de son cœur le quittèrent complètement) 3936-3937. Lacune, vers absents de A. 3946-3947. wendaz der here ywein | dan noh lebende vor im scein (mais monseigneur Iwein lui donna un signe de vie) 3980. diz ist ir ere undir lant. (C’est ici qu’elle règne, c’est son pays.) 3995. wol de irsterben umbe mih (a voulu mourir à cause de moi) 4013-4014. Lacune, vers absents de A. 4041. daz landvolc hat uf mih geseit (sens inchangé) 4053-4054. Oh wundert mih iemer mere, | daz ein also vruomer man (En outre, ce qui m’étonne encore plus est qu’un homme aussi preux…) 4062. So nement sie mir oh den lip (sens inchangé) 4081. daz sie so starke arbeit (sens inchangé)

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4145. wande mir hete gewesen zegah (sens inchangé) 4185. ih lobtin leid alze vro (Malheureusement je fis bien trop vite son éloge) 4190. nu wil her uns beswichen (Mais maintenant il veut nous trahir) 4196-4197. bestanden ne mohte uf der erde zeholdern werden. (sens inchangé) 4199. ware sie sinem libe gelih (même si elle était du même rang que lui) 4212. Ih neweiz weme ih sie mere gebe (sens inchangé) 4215-4216. zware ih truwe wol angesigen den riteren allen drin (En vérité, je suis certain de pouvoir vaincre les trois chevaliers) 4219. so sol ih mih selber slan (alors je me tuerai moi-même) 4222-4226. ich neweiz waz ich nu mere tuo | wandaz ih ir morgene vruo | ob mih selben rihte | unde zuo irre ansihte | durh irn willen lige tot. (Je ne sais ce que je puis faire de plus que de lui rendre justice demain matin en me tuant par sa volonté et devant ses yeux.) 4270. min liebir here gawein (mon cher seigneur Gawein) 4284. diz was gescen in den tagen (Ceci se produisit à l’époque où) 4285-4288. dou ih dar quam dur clagen | dou beguonde her gawein nastrichen | ih liez da werlichen | umbe die vrowe groz clagen. (sens inchangé) 4296. her sprah : « nu muoz ingot bewaren ! » (Il dit : « Que Dieu le protège ! ») 4308. ze wagende uwer scone lip (de mettre en jeu votre belle personne) 4315-4318. unde mohtiz ein wage sin | so dortih u wol biten. | dazist gar wider den siden | daz ein vehte wider dri man. (Et si une égalité était possible, j’oserais vous le demander. Mais le fait qu’un homme en combatte trois va totalement à l’encontre des règles.) 4340-4441. nu was ire dur ir vruomicheit | ir ere unde ir vrome leit. (Alors, parce qu’elle avait un cœur noble, elle se soucia bien peu de son honneur et de son bénéfice propres.) 4356. ein mure ho unde dic. (sens inchangé) 4376. eine suvirliche scare (une fort belle assemblée) 4379- 4380. Lacune, la fin du vers 4379 et le vers 4380 ont été omis par le copiste de A. 4383. der ne necheine not negewan (sens inchangé) 4391. her wart sinne libe (sens inchangé) 4404. die durre vrowede die ne ist en niht (La fausse joie ne vaut rien)

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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4424. her vragte den wert mere (sens inchangé) 4438. iz ist u nuzer virswigen (sens inchangé) 4535. swaz ir bitet hie ze hus (sens inchangé) 4552-4554. man sagete von siner vromecheit. | iz ne wurde nie ritere vorseit, | swes her in ie gebede. (On parle de sa bravoure. Il n’a jamais rien refusé à un chevalier, quoi que celui-ci lui ait demandé.) 4572. ze leistene swes her bete (sens inchangé) 4593. oh ne sol mir niwet wesen gah (sens inchangé) 4780-4782. Lacune, la fin du vers 4780, le vers 4781 et le début du vers 4782 ont été omis par le copiste de A (ih sage u wi ih vruo ze sulher zit) 4794. Neheinner der eren (sens inchangé) 4810-4811. alsein kemfe solte | der vol varen wolte (comme devait le faire un combattant qui voulait en découdre) 4817. Min twelen ne comet mir niht wol. (sens inchangé) 4879. So daz ih nih missevar (afin que je ne me comporte pas mal) 4885. wie gezeme daz guten manne ? (comment pourrais-je encore être considéré comme un homme de bien ?) 4887. da widers sciere virclaget (sens inchangé) 4913. daz sie ubir al bluten (si bien qu’ils saignaient sur tout le corps) 4915. mit hemeden von sactuche behut (sens inchangé) 4958. siner unwisenheit. (sens inchangé) 4985-4989. swer u daz geraten hat, | dem ist uwer leben leit, | wil sih mit warheit | vil wol an u gerochen han | swazer eme leides habt getan. (celui qui vous l’a donné ne vous aime guère et veut, en vérité, se venger du mal que vous lui avez fait.) 4994. des antwortem her ywein so (À cela monseigneur Ywein répondit ainsi) 5005. sin sterke unde sine manheit (sens inchangé) 5017-5018. daz daz iserne sper sih | loste van dem scafte (sens inchangé) 5035-5036. daz er da gar gestrachet lah | vorn uf deme rosse vor tot. (qu’il fut complètement terrassé et se pencha en avant sur son destrier, comme mort.) 5039. vil unsitelichen an (sens inchangé) 5043. unz daz der michele knabe (sens inchangé)

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5045-5046. unde wante die rute | die her da zewere truch (et il brandit le pieu qui lui servait d’arme) 5064. den wol dar an was gescehen (sens inchangé) 5076. an ir behalten wolde (sens inchangé) 5086. beide an sine gewalt (sens inchangé) 5115. unde baz indes vil sere (sens inchangé) 5147. wande sie hete sih des libes begeben (sens inchangé) 5165. her rief unde sprah : « lat genesen…» (sens inchangé) 5214-5218. Lacune dans A où cinq vers ont été oubliés par le copiste : unde sin lewe der sin da plah | der gesah | do gevienc sie kraft | unde sprach (Et son lion qui l’accompagnait, vit… Alors elle reprit courage et dit). 5234-5235. unde der oh danne vehte | so gar wider dem rechte (sens inchangé) 5242. ich virgan u des vil sere (sens inchangé) 5271. des geviengih scaden unde spot (sens inchangé) 5275. den soltir uf hor heizen gan (sens inchangé) 5287. Erreur du copiste de A : unde zware | unde zware er muoste oh sa (sens inchangé) 5313-5314. unde tete sciere den wanc | unde limte vaste sin sper (sens inchangé) 5322-5323. unnder den satel stacher in | rechte vligende hin (et le fit voler sous la selle) 5334-5335. wande ie sin einer slah | vaste wider in zwein wah. (car un seul de ses coups valait deux des leurs) 5413-5414. Erreur du copiste de A : Iedoh ne dorfte [sic : horte] me nieman clagen | ne heinnen der im geschah (Pourtant personne ne l’entendait se plaindre de ce qui lui était arrivé) 5440. unde sciet also lihte von dan (et put ainsi partir facilement) 5446. doh bat siu in vil sere (sens inchangé) 5477. « Neiniz, vrowe », sprah her ywein (« Non, dame », répondit monseigneur Iwein) 5485. mir ne werde ir genade baz bescert (sens inchangé) 5487. mines lebendes unde mines rehten namen (sens inchangé) 5490. unde swer u von desem tage (sens inchangé)

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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5508-5509. sie sprah : « ir ne sit dan ein boser man | dan ih an u gesehen han. » (sens inchangé) 5522. So bevelih u in godes segen (sens inchangé) 5533-5534. da her untie vroude sin | inne beslozen lit (à l’intérieur duquel se trouvent enfermés mon honneur et ma joie) 5559. in sinen scilt unde hienc in (sens inchangé) 5629-5630. ih wande mih genieten | grozeris liebes mit dir (cf. note relative à ces vers) 5667. die malianganz hete genomen (sens inchangé) 5669-5570. oh was im nu werliche geseit | von dem resen mare (De plus, la nouvelle du combat contre le géant lui avait été rapportée de manière fidèle) 5701. so were u min helfe gereit (mon aide vous aurait été acquise) 5703. do quam sie zehant (sens inchangé) 5709-5711. oh ne soltih von diu | min rehtez erbe nieman lan, | daz ih hie nieman vunden han (Mais même si ici je n’ai gagné personne à ma cause, je ne laisserai pas pour autant à quelqu’un d’autre l’héritage qui me revient de droit) 5712-5713. mir ist so groz arbeit | von dem riter geseit (J’ai beaucoup entendu parler des grandes souffrances endurées par ce chevalier) 5851-5852. Lacune dans A, deux vers oubliés par le copiste. 5858-5859. So begreib siu die vart | dar ir der weh gezeiget wart (et elle prit le chemin qu’on lui avait indiqué) 5865. de sageten ir daz unde rite sie vorbaz. (et lui conseillèrent de continuer son chemin) 5888. alsus bewiste sie si dar (sens inchangé) 5889. und sprah : « vrowe nu nemet war » (Et elle dit : « dame, sachez maintenant ») 5891-5892. war aber stunde sin, | des ne wolter mir niht sagen (Toutefois, il ne voulut pas me dire où il comptait se rendre) 5896. mohte varen unverre (sens inchangé) 5933. Vers incohérent dans A : so moz ruwe unde ungenade han (j’aurai du repos et des tourments) 5937-5938. unde ne wart mir anders niht genant | wen daz ein lewe mit im ist (on ne m’a rien dévoilé de son identité si ce n’est qu’il a un lion avec lui.)

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5944. Sie lagen hie beide sere wunt. (sens inchangé) 5955-5957. so liebe alsir da an gescah | also liebe moz uns noh gescien | daz wir uns alse liebe gesien (cf. note relative à ces vers) 5972. of her mir helfe widerseit (sens inchangé) 5980. Lacune dans A, vers omis par le copiste. 5990. swer guter des gert (s’il s’agit d’un homme de bien) 5994. uf der verte hete irliten (sens inchangé) 5995. Lacune dans A, vers omis par le copiste. 6009. ir vater ist weliche tot (son père est mort d’une mort douloureuse) 6014. obir seste halbe wochen (d’ici à six semaines et demie) 6041. so eret got unde diu wip (alors honorez Dieu et les femmes) 6044. an u beiden meren (cf. note relative à ce vers) 6052-6053. swer guten boten sendet | sinen vruomen her virendet. (Celui qui envoie un bon messager obtient ce qu’il recherchait) 6056. ih tuo vil gerne swes sie gert. (C’est bien volontiers que je ferai ce qu’elle demande) 6072. diu burh stunt bisundir (sens inchangé) 6074. da quamen sie ingeriten (sens inchangé) 6090. ir waret anderswa baz (Vous feriez mieux de vous trouver ailleurs) 6097. waz touh diz scelten unde drewen ? (À quoi servent ces insultes et ces menaces ?) 6114-6115. vor die sin straze rechte gienc | daz hobet sie uz dem vinster hienc. (Alors que sa route le conduisait justement devant chez elle, elle passa la tête par la fenêtre.) 6149. na uwern eren (sens inchangé) 6155. wandih u des zware gewer (sens inchangé) 6157. iz ne hilfet u abir niht (sens inchangé) 6170-6172. do her necheine vreise nesah | unde im nechein leit ne geschah | weder inder burh noh davor (Puisqu’il ne vit rien d’effrayant et qu’on ne lui fit aucun mal que ce soit dans le château ou devant celui-ci) 6187. der werc was abir ane scame (et leur ouvrage n’était pas honteux) 6192-6197. Vers absents de A, ajout propre à la version B.

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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6203. Lacune dans A, vers oublié par le copiste. 6224. in viel daz houbet zetal (sens inchangé) 6237. niht, da ist ein nagel vor (sens inchangé) 6243-6244. Vers absents de A. 6251. ir moget mir harte vil gedrowen (vous pouvez me menacer autant qu’il vous plaît) 6260. wistet iz umbe disse arme wip (ce qu’il en est de ces pauvres femmes) 6272. unde ginc lachende dan (sens inchangé) 6289. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 6289 : wande wonte in dem armut | besciende wille unde gut. (Dans cette pauvreté, sagesse et bonté étaient réunies.) 6290. sie worden dicke scame rot (sens inchangé) 6294. oh muotin sere irarbeit (et leurs souffrances lui pesèrent) 6318. unde lit von hinnen verre (sens inchangé) 6332. daz were ein wint wider in (sens inchangé) 6336-6339. iz nekan oh niht an in gescin. | wir mozen morgen an u gesin | den iamir, unz an dise vrist | also mangen hie gescien ist. (Mais sans Lui, cela ne peut se produire. Nous vous verrons demain dans une détresse aussi grande que celle qui, jusqu’à ce jour, est déjà advenue à de nombreux chevaliers.) 6360-6362. unde gesigete abir so hein man | ie mir dissen beiden an, | so waren wir abir irloste. (Mais si un homme parvenait à les vaincre, alors nous serions à nouveau libres.) 6365-6367. so sin sie ze manhaft, | daz in iemir sohein man | den sige muge beiagen an. (Mais ils sont trop courageux pour qu’un homme puisse leur arracher la victoire.) 6369. unde han ein kumberlichiz leben (sens inchangé) 6382. wir mozen iz starke emblanden (sens inchangé) 6387-6388. nu spreket wer von dem beiage | riche wesen kunde (vous nous direz qui pourrait s’enrichir grâce à tels gains) 6394. vil rehte durhtiginne (à des femmes très pauvres) 6413-6415. Lacune dans A, trois vers omis par le copiste. 6428. der was so breit unde so wit (il était si large et si vaste) 6437. die scone blomen, daz reine gras (sens inchangé)

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6450-6451. oh mohte siu ein lichen | vil lichte an in gemachen (et parvenait sans aucun mal à la faire sourire) 6454-6458. iz ist reht daz man sie crone | die zuht unde scone, | hohe geburt unde iugent, | richeit unde kuske tugent, | gute unde wise rede hat. (Il est juste que l’on accorde le prix d’excellence à celle qui unit bonne éducation et beauté, haute naissance et jeunesse, richesse et chaste retenue, bonté et éloquence.) 6466-6467. unde untfiengen in harte wol | als ein wirt den gast sol (ils le reçurent très bien, comme un hôte doit accueillir un invité) 6495. wande sie siner stete. (sens inchangé) 6501. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 6501 : unde ne heter sie ne gesehen, | so were im vil baz gescehen | wandim tete daz sceiden we (Et s’il ne l’avait jamais vue, cela eût beaucoup mieux valu pour lui, car les adieux lui pesèrent.). Le manuscrit de Giessen est le seul à présenter une lacune à cet endroit. 6509-6510. geliche sin gescienden | des mutes sam der iare (sens inchangé) 6511. ir virsehe mih wol zware (je suis en effet certain) 6518. unde wi sie beiten wolten (sens inchangé) 6533. sin ezzen were gereite (que son repas était servi) 6541. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 6541 : Da was mit vollicher craft | werde unde wirtscaft. (Il fut l’objet de toutes les attentions et se vit servir bien des mets.) 6565. Lacune dans A, vers omis par le copiste. 6598. die wile sie unvirwunden sint (aussi longtemps qu’ils ne sont pas vaincus) 6603. gewinnet habe oder liget tot ! (Acquerrez des biens ou mourez!) 6636. mit dem libe koufen sal (sens inchangé) 6662. zware, dazne wirt mir niemir leit (par ma foi, cela ne m’attristera jamais) 6664. Faute du copiste dans A : oh quamen die risen mit here (et les géants arrivèrent en nombre.) 6665. sie mohten ir vehten wol ein here (cf. note relative à ce vers) 6670. Faute du copiste dans A : die kolben die sie slugen (les massues qu’ils frappèrent) 6680. « here, waz wel der lewe ? » (sens inchangé) 6702-6703. daher wol dur die want gesah | den strit der indem hobe gescah (duquel il pouvait observer, à travers le mur, le combat qui avait lieu dans la cour)

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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6707. der strit der was ungewegen (le combat était inégal) 6710. der wart sciere zeslagen (sens inchangé) 6751. do netwalte sin geselle niwet me (sens inchangé) 6787. Lacune dans A: [an] 6842-6863. Vers absents de A, propres à la version B. 6865. vil rehte an ir gewarheit (sens inchangé) 6884-6931. Vers absents de A. La leçon de A correspondant aux vers 6884 à 6931 de B sont les suivants : da kerter nu zehant | da her die iuncvrouwen vant | die ir niftele siech liez. | der her den campzit also na | daz inder tage zo irre var | nieweder ne brast nor ubir ne wart. (Puis il se rendit aussitôt chez la demoiselle qui avait laissé sa cousine malade. La date du duel était si proche qu’ils n’avaient, pour effectuer le trajet, ni trop de jours ni trop peu.) 6960-6971. Vers absents de A. 6985-6990. unde begunden den koninc biten, | dazer die alteren bete, | daz siuz dur got tete | unde der iungen teilte mite. | des antworte sie mit sulchen site, | dazer die bite moste lan. (Ils allèrent demander au roi s’il pouvait prier l’aînée de partager, pour l’amour de Dieu, son héritage avec la cadette. Elle répondit sur un tel ton que le roi dut renoncer à sa requête.) 6993-7139. Vers absents de A. Lacune due peut-être à la perte d’une feuille dans le manuscrit qui servit de modèle au copiste de A. La jonction entre les deux parties du texte est faite par l’ajout d’un vers, cf. remarque suivante. 7140. A compte un vers de plus que B : ze hant wurden inebraht | ros die liefen drate. (Aussitôt on leur apporta des chevaux qui étaient rapides) 7165. wand sie quamen dagetriben (sens inchangé) 7178. da wart vil gestochen (sens inchangé) 7202-7203. die swert ne wurdn niht gespart. | sie waren der scilte | einander harte milte. (Les épées ne furent pas épargnées. En ce qui concerne les écus, ils firent montre d’une grande générosité). Cf. note relative à ces vers. 7213. wande hater geldenes des muot (sens inchangé) 7215. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 7214 : swer borgede unde niht ne gulde | dazer des lihte untgulde. (Celui qui empruntait et ne remboursait pas aurait sans doute eu à le payer.) 7238. swer gerne strebet nah eren (celui qui aspire volontiers à l’honneur)

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7239. der sol vil starke keren (sens inchangé) 7245-7246. Ir lebent ne was niht virlan | an deheiner muzecheit. (Ils ne gâchaient pas leur vie à paresser.) 7257-7258. Lacune dans A, le copiste a omis la fin du vers 7257 et le vers 7258. 7282. Die scilde wurden da gegeben (sens inchangé) 7293-7297. daz die melien roten | von blote begunden | wande sie vil wunden | in kurzen stunt entphiengen | die niht ze verhe negiengen. (que les mailles se mirent à rougir à cause de leur sang, car ils avaient reçu en peu de temps de nombreuses blessures qui n’étaient pas mortelles.) 7299. mit michelen sorgen (sens inchangé) 7310-7311. iz wart da von in beiden | ein vil mode sceiden (vaincus par la fatigue, ils se séparèrent) 7314. die ruwe wart vil unlanc (leur pause fut très brève) 7315. sie waren zwene vreisliche man (ils étaient deux terribles guerriers) 7330. weder ir destages ie (sens inchangé) 7334. ir newederme nie geein (sens inchangé) 7340. daz heten sie gerne getan (sens inchangé) 7356. daz trubete sie in iren sinnen (sens inchangé) 7385. den koninc sie drumbe baten (sens inchangé) 7397. her was sere irbolgen (sens inchangé) 7421-7422. swi leide dem biderben man | von dem andren gesciet (malgré tout le mal infligé à un homme de bien par son adversaire) 7429. des her ne scanden negewan (dont il n’a aucune honte à craindre.) 7440-7441. vnse hazlichez spil | ich mah nu sprechen, swaz ich wil. (sens inchangé) 7462. sol ich mit eren alten (S’il m’est donné de vieillir en tout honneur) 7479. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 7479 : da horet, weizgot, sorge zuo, | got ne sender sine genade zuo. (Par Dieu, il y a de quoi se faire du souci, si Dieu ne me fait pas don de sa grâce.) 7497. des ir da sorget, des sorgih (ce qui vous cause du tourment m’en cause également) 7515-7525. Dans A, les vers 7515 à 7525 n’apparaissent pas dans le même ordre : wir sin an gelichen sorgen. | unde si uh daz vor war geseit, | daz ih u dur uwer vrumicheit | aller der eren wole gan | der ih ioh sere unt geltent kan.

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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Min herze ist leides ober laden, | daz ih uf uwern scaden | immer sal gedenken. | swa iz mih niht ne sule krenken, | da gescie uh allez des ir gert, | des sintir weiz got wole wert. (Nous éprouvons les mêmes tourments. Et pour dire la vérité : au nom de votre bravoure je suis prêt à vous accorder tous les honneurs à condition que je n’aie pas à le payer très cher. Mon cœur déborde de souffrance parce que sans cesse je dois songer à vous faire du mal. Que tout se passe comme vous le souhaitez, du moment que cela ne me cause aucune humiliation, car, par Dieu, vous en êtes bien digne.) 7532. ih bin genant gawein (sens inchangé) 7538. Vers manquant dans A. 7575-7577. unde wer sie beide waren | daz enwas niemann erkant, | wan alse man sint benant. (Et personne ne savait de qui il s’agissait et on ne l’apprit que plus tard.) 7586. daz swert daz den slah truh (sens inchangé) 7589. her gawein, lieber vrient min (Monseigneur Gawein, mon cher ami) 7632. des prises habt ir gerne rat (Je renonce volontiers à la gloire) 7640. her ywein sprach aber do (Monseigneur Iwein dit alors) 7644-7647. werentir mir der vremeste man, | der ie ze ruzen hus gewan, | e ir mih so bestundent me, | zware ih secherte uh e. (Même si vous m’étiez totalement étranger, tel un homme venant de Russie, je préférerais me soumettre à vous plutôt que vous continuiez à me combattre.) 7685. min unreht unde sine vrumicheit (sens inchangé) 7703. Quatre vers supplémentaires dans A après le vers 7703 : der rede vil da gescah, | daz man ir iewederen sah | des andern pris meren | mit sines selbes eren. (Ils échangèrent de nombreuses paroles à l’occasion desquelles on vit que chacun voulait accroître la renommée de l’autre au détriment de son propre honneur.) 7708-7709. daz u wol genuoget | unde iz oh mir wol gevoget (sens inchangé) 7765. sie moste gewalt oder vorhte han. (Il fallait la contraindre ou lui inspirer de la crainte.) 7778. daz sie ir erbeteil untfienc (que la cadette obtiendrait sa part d’héritage) 7786. Da her da in virsperret wart (de l’endroit où il avait été enfermé) 7789. Deux vers supplémentaires dans A après le vers 7789 : do nebestont da neman mere, | sie vorten in so sere. (Alors personne ne resta là, car tout le monde avait grand peur de lui.) 7832. die koningin unter koninc artus (la reine et le roi Arthur)

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7853. so bin ich kumbers vil gewon (sens inchangé) 7881. do sprac vrou lunete : (Alors, dame Lunete dit :) 7911-7915. unze man noh dirre tage siet | wer u rat vinde | von uwerme ingesinde | der dise burde an sih neme | unde der unz ze scirme zeme. (jusqu’à ce que l’on voie un jour lequel parmi vos gens viendra à votre secours en se chargeant de ce fardeau et en sachant nous protéger.) 7953. die ir zevlize begundet biten (sens inchangé) 7956-7958. ob iz u ane valsche list | ernest were oder ist, | so muozer wol ir hulde han. (Si votre intention était sérieuse ou l’est vraiment, dénuée de toute arrière-pensée, alors il obtiendra certainement la grâce de sa dame.) 7962. des eides was siu vil gereit (Aussitôt elle fut prête à faire ce serment) 7969-7970. Sens peu clair dans A : daz mih deheinner arbeit | ie man zihe dar an (que personne ne pourra m’accuser d’aucune souffrance) « arbeit » pourrait être une faute du copiste qui aurait voulu écrire « arkeit » ou « arkheit », c’est-à-dire méchanceté (que personne ne pourra m’accuser d’aucune méchanceté). 8005. her was ir leder unbekant (malheureusement, elle ne le reconnut pas) 8009-8012. siu sprach : « daz ih u also bi | vunden han, des lob ih got. » | her sprach : « min vrowe, daz ist uwer spot | oder hantir mih gesuchet ? » (Elle dit : « Je remercie Dieu de vous avoir trouvé à si peu de distance  ».  Il répondit  : «  Ma dame, plaisantez-vous ou m’avez-vous vraiment cherché ? ») 8023. so hanih oh volendet (sens inchangé) 8031-8033. von grozer vroweden kuster do | siner iuncvrowen munt, | hende unde ougen dusen stunt. (De joie il baisa mille fois la bouche, les mains et les yeux de sa demoiselle.) 8036. ih vorte vil sere unde clage (sens inchangé) 8043. siu sprah : « [die] angest mogetir lan. » (Elle répondit : « Ne vous faites aucun souci à ce sujet. ») 8065. nu saget mir, liebe vrou lunete (Mais dites-moi, chère dame Lunete) 8142-8143. ne heinen so geminneten man | der nie dehein ahte uf mih ne gewan. (à un homme tant aimé qui n’a jamais eu aucune estime pour moi.) 8160. daz man dem sundegen man (à celui qui a péché) 8176-8191. Les vers 8176 à 8191 sont absents de A.

VARIANTES ET AJOUTS DE LA VERSION A

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Fin de A : cf. v. 8173 her sprah diz ist die stunde die ih […] iemer heizen mah miner vroweden osterdac. Hie gesah vrou lunet diu sune diu ire sanfte tet. swa man unde wip, habent gut unde lip, scone sinne unde iugent, an ander untugent, werdent die gesellen die kunnen unde wellen ein anderen behalten. lazet die got alten, die besizen manige suze zit. daz was hie alliz wenlih sit. hie was vrou lunete mite na irme dienest haften site. die hete mit irn sinne ir beider ummine braht zalleme gute, alsiu in irn mute lange hete gegeret. ir dienest was wol lones wert, oh wenih daz sies allis genoz daz sie des kumbers niht ne verdroz. iz was gut leben wenlih hie, ih en weiz aber waz oder wie in sit gesceite beiden. iz ne wart mir niht besceiden von deme ih die rede habe. dur daz enkan oh ih dar abe gesagen niwer mere, wene got gebe uns salde unde ere. AmeN.

[fol. 87v]

[Lettrine rouge]

[fol. 88r]

(« De ce moment je pourrai dire à jamais qu’il marque la résurrection de ma joie. » Dame Lunete assista là à une réconciliation qui lui donna du baume au cœur. Lorsqu’un homme et une femme disposent de richesses, jouissent d’une bonne santé, d’un esprit bien formé et de la jeunesse, tout en étant dépourvus de défauts, et s’ils forment un couple dans l’intention de rester fidèles l’un à l’autre, alors – si Dieu leur

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accorde de vieillir – ils pourront vivre heureux longtemps. Dès lors tout ceci était sans doute réuni ici. En se montrant si prévenante, Dame Lunete y avait contribué. Elle avait été bien avisée et avait réussi à mettre un terme à leur inimitié, ce à quoi elle avait longtemps aspiré dans son for intérieur. Le service qu’elle avait rendu méritait vraiment d’être récompensé et je crois qu’elle eut cette récompense et qu’elle ne regretta pas les souffrances subies. Je crois que dès lors ils vécurent heureux, mais je ne sais ce qu’il est advenu d’eux depuis. Celui par lequel j’ai eu connaissance de cette histoire ne me l’a pas dit. Pour cette raison je ne puis vous dire autre chose que : puisse Dieu nous accorder félicité et honneur. Amen.)

AJOUTS D’AUTRES MANUSCRITS 30. r  : Cinq vers supplémentaires sont insérés après le vers 30 : Der bracht dise mere | zu tisch, als ich han vernomen, | do er uß engellandt was komen, | da er vil zit was gewessen | hat er an den welschen büchen gelesen. (Comme je l’ai entendu dire, il transposa ce récit en allemand lorsqu’il rentra d’Angleterre où il avait séjourné longuement et où il l’avait lu des livres français). 296. Dans D, d, f et l sont insérés deux vers après le vers 296 : Wann mir wirt leichte unz an mein tod | der herberg nymmermer so not. (vers cités ici d’après d : Car il est probable que jusqu’à ma mort, je n’aurai jamais autant besoin de trouver un refuge). Ces vers, absents des deux manuscrits les plus anciens (A et B) semblent pourtant bien avoir été composés par Hartmann, car ils correspondent apparemment à ceux du roman français : « Je descendi, qu’il n’i ot el, | Car mestier avoie d’ostel ; » (Chevalier au Lion, v. 201-202, « Je descendis, car je ne pouvais faire autrement et j’avais besoin d’un gîte »). Hartmann aura sans doute supprimé ces deux vers – qui relativisent l’atmosphère si parfaitement courtoise de ce passage – lorsqu’il aura retravaillé son adaptation. Ceci expliquerait que certains manuscrits, recopiés à partir de la première version de Hartmann, les aient conservés tandis que d’autres ne les mentionnent plus. 4654. b : Lacune dans A, un vers oublié par le copiste après le vers 4654 : und was der erste an yne (et fut le premier à l’affronter). Cf. note relative à ce vers. 4684. b : ine erreit off einem gefilde | Dodines der wilde | der brach off ym sin sper. | damit so wurde auch er | schone gesetzet off das gras | so lang so das sper was. (Dodines le sauvage le rattrapa en plein champ et brisa sa lance en l’attaquant : lui aussi fit un saut d’une longueur d’une lance et fut habilement projeté sur l’herbe). Cf. note relative à ce vers. 4736. b : das uns der rise komet so fru (si le géant arrive assez tôt). Cf. note relative à ce vers. 7003. b : Deux vers sont manquants dans B après le vers 7002, cf. b : das doch dem einen wege was | ob ioch der ander genas (une mort qui pourtant était destinée à l’un si l’autre survivait). 7123. d : die machet sy mit gesehenden augen plint (l’ignorance les rendait aveugles alors qu’ils avaient les yeux ouverts). Cf. note relative à ce vers. 7373. b : Deux vers sont manquants dans B après le vers 7372, A étant endommagé à cet endroit (dir si virlazen [...] | beide lant unde strit), nous renvoyons à la leçon de b : Das sy dir verlaßen on neit | beyde lant und strit. (Je te concède sans rancune à la fois la terre et la victoire).

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8211. La fin de f (manuscrit M. 65 de Dresden), composée en 1415, constitue un Miroir des princes en même temps qu’elle donne à Iwein un fils, faisant de lui le fondateur d’une dynastie où la vertu est héréditaire. Iwein y apparaît comme le type même du rex christianus. Il est dépeint comme un seigneur qui n’oublie pas qu’il doit son pouvoir et son bonheur à Dieu et qui s’évertue à œuvrer au bien commun, notamment à celui des humbles et des nécessiteux : Ir dinst waz wol lones wert, Ich wan daz si sein auch genozz Daz sey irer arbeit nicht verdrozz. Suss trug daz landes chrone Gewaldichleich unde schone Her ybein, daz gelaubt fur war, Dar nach unff unde czwanczig iar. Unde auch dew chuniginne gut Die wont in seinem mut Mit unvercherter minne, Getrew an valschen sinne. Si heten wol paid under in Aynen mut unde ainen sin, Geleich an den liebn czwain. Ir mut in ainen willen schain. Er waz mit salichleicher chrafft In allen enden sighafft. Mit czuchten weis unde gut Er naigt seinen hochen mut Nider zu den guten. Ob den hochgemuten Trug er sich vil hoch enpor, Sein lob lieff in allen vor. Wen er zu ainem mal an sach Dem man chainer wirde iach, Der waz im unmar erchant. An wem er czucht unde trewe vant, Den mint er von herczen ye. Chainen ungetrewen mint er nye Unde trug in statleichen hass. Dinst er auch nye vergazz An chainer slachte man. Der im dinte der gewan Dar nach unde sein dinst sagt. Daz erczaigt er an der werden magt, Frawn Luneten, der er seint

[fol. 84rb]

[fol. 84va]

[fol. 84vb]

AJOUTS D’AUTRES MANUSCRITS

Gab eines hochen graffen chint. Unde macht sew gutes also reich So daz chain graf waz ir geleich. Er gewan zu erben auch dem lant Einen sun der ward nach im genant, Der auch in hochen tugenten trat Ganczleich in dez vater phat. Wie her ibein seinen sun mit heirat bestat unde daz lant regiert. Dew awentewer sagt fur war, Er gab uber funfcze iar Seinem sun darnach swert. Von Arragon herczog Rupert Waz tod, als ich vernomen han, Unde het erben nicht gelan Wenn ein Junchfrewelein Junch unde schon, die scholde sein Erb uber allen den gewalt Den da liezz der furste palt, Ich main lant leut unde gut. Die nam der degen hochgemut. Do nu der auzerwelde helt, Czu allen tugenten auzerwelt, Ich main der werde her ibein, In dem hochsten wunsch erschain, So daz im in allen reichen Mit lob chund nyempt geleichen, Do gedacht er an sein wirdichait Unde an dew hoche salde prait Die er auf der erden hie Von gotes genaden enphie. Unde began leib unde gut Czu allen czeiten unde auch den mut In gotes namen tailen, Unde im da mit vailen Daz immer wernde reich. Er stiffte reichleich Spital unde auch chloster, Mit seinem gut lost er Vil gevangen aus panden. In allen seinen landen Benam der werd furste gut

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[Sous-titre rouge] [Lettrine bleue]

[fol. 85ra]

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Mangem man sein armut. Er hiez mangen guten weg, Prukk unde notdurfftigen steg Machen durch der leute not. Czol unde umbgelt er verpot Unde waz dem lande schaden tut. Auf gotes dinst stund sein mut Mit minnichleichem herczen gar. Er sach wol unde nam daz war Daz weder chrafft noch tugnt, Schon, sterch, reichait, iugnt, Gewalt, wicz, chrafft noch chunst, Der welde lob noch ir gunst Dem grimmen tod enweichen chan. Da begund er gedenchen an Unde warb mit seiner chron Nach ymmer wernden lon Unde um den ewigen leib. Er unde auch sein weib, Dew edlew salden reich, Lebten salichleich Gar an mizzewent Uncz an irs leibes ent. Nach seinem czeiten ward erchoren, Als da vor ward gesworen, Czu chunig da in dem lant. Der sun der nach im waz genant, Der auch von seiner chinthait Vast nach hochen eern strait, Unde waz dez leibes unverczagt. Als uns die awentewer sagt Die allhie hat endes zil, Von der ich nicht mer sprechen wil.

[fol. 85rb]

[fol. 85va]

Sic est finis Diez puch ist volbracht dez freitags vor vasnacht, Nach Christi gepurt tausent iar vir hundert funffczechen, wizz fur war. Lazz ander sach guet sein, Hab immer dankch schaff daz dein.

[Lettres rouges]

AJOUTS D’AUTRES MANUSCRITS

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(Le service qu’elle avait rendu méritait vraiment d’être récompensé et je crois qu’elle eut cette récompense et qu’elle ne regretta pas les souffrances subies. Ainsi, monseigneur Iwein porta la couronne du pays et, avec la noble reine, fit montre de puissance et de richesse pendant – vous pouvez le croire – vingt-cinq ans. La noble reine occupait son cœur d’un amour constant, loyal et sans fausseté. Ils ne formaient tous deux qu’un seul cœur et un seul esprit. Ils avaient toujours les mêmes souhaits. Iwein, secondé par la félicité, était partout victorieux. Avec courtoisie, sagesse et bonté il s’inclinait devant ceux qui étaient vertueux. Il dépassait largement tous les nobles : sa renommée les surpassait tous. Lorsqu’il voyait, ne serait-ce qu’une fois, un homme dépourvu de dignité, il reconnaissait aussitôt sa vilenie. Mais il aimait sincèrement et pour toujours celui qui faisait preuve de courtoisie et de loyauté. Il ne portait aucune amitié à ceux qui étaient déloyaux et leur vouait une haine constante. Il n’omettait jamais non plus de se montrer secourable envers tout homme probe. Celui qui lui rendait service était toujours payé en retour. Il en fit la démonstration auprès de la noble demoiselle, dame Lunete, qu’il donna en épouse au fils d’un puissant comte. Il fit don à Lunete de tant de biens qu’aucun comte n’était aussi puissant qu’elle. Il donna également un héritier au pays, un fils qui fut nommé comme lui et qui emprunta le même chemin de la parfaite vertu que son père. Comment monseigneur Iwein marie son fils et gouverne son pays. L’histoire raconte qu’après quinze ans il adouba son fils. Le duc Rupert d’Aragon était mort et, comme je l’ai entendu dire, n’avait laissé aucun héritier hormis une demoiselle qui était jeune et belle, et qui, en tant qu’héritière, régnait seule sur ce qu’avait laissé le noble et valeureux prince, c’est-à-dire sur les terres, les gens et les biens. C’est elle qu’épousa ce noble chevalier. Lorsque le parfait héros, ce parangon de toutes les vertus – je veux dire le noble seigneur Iwein – se trouva au faîte de sa gloire, si bien que dans tous les royaumes personne ne l’égalait en renommée, il songea à l’honneur et au très grand bonheur dont il jouissait ici sur terre et qu’il avait reçus de Dieu. Ainsi, il se mit à partager tout ce qu’il possédait, distribuant sans cesse ses biens et donnant de sa personne, s’assurant ainsi le Royaume éternel. Il fonda de nombreux hôpitaux et monastères, grâce à sa richesse il délivra de leurs chaînes de nombreux prisonniers. Dans toutes les terres qui étaient siennes le noble et bon prince arracha de nombreuses personnes à la pauvreté. Il fit construire de nombreux bons chemins, des ponts ainsi que d’utiles passerelles afin d’aider les gens. Il interdit les taxes et les impôts ainsi que tout ce qui nuisait à son pays. D’un cœur aimant, il ne songeait qu’à servir Dieu. Il avait parfaitement compris que ni la puissance ni les vertus, pas plus que la beauté, la force, la richesse, la jeunesse, la puissance, la sagesse, l’habileté, la compétence, ou encore l’éloge ou les faveurs du monde ne peuvent échapper à la male mort. Alors il se mit à aspirer de toutes ses forces à la récompense qui jamais ne cesse et à la vie éternelle. Lui et sa femme, cette noble dame bénie par la félicité, menèrent une vie pieuse et sans défaut jusqu’à leur mort. Après sa mort, son fils fut élu roi du pays comme on en avait fait le serment. Ce fils portait le même nom

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que son père et avait montré dès sa tendre enfance qu’il aspirait aux plus hauts honneurs et qu’il ne connaissait pas la peur. C’est ce que nous rapporte l’histoire qui touche ici à sa fin si bien que je vais m’arrêter d’en parler. Sic est finis. Ce livre fut achevé, sache-le, le vendredi précédant le Mardi gras de l’an de grâce 1415. Ne te mêle pas des affaires des autres, sois toujours reconnaissant et fais ce qui te concerne.)

NOTES ET COMMENTAIRES 1-30. La position traditionnelle des deux parties du prologue a été inversée : le prologus ante rem (programme éthique et introduction à la matière arthurienne) précède ici le prologus praeter rem (présentation de l’auteur et intention générale). 1-2. Le public est invité à aspirer au vrai bien, littéralement à la vraie bonté (« guete »), une vertu souvent considérée comme typiquement féminine, proche de la douceur. De manière plus générale, cette qualité désigne la grandeur d’âme, la vraie courtoisie, la perfection. On trouve l’expression employée par Hartmann chez certains Minnesänger, par exemple chez Reinmar l’Ancien : dans une louange, il chante la femme qui, parce qu’elle incarne la vraie bonté (« rehte güete », MF 165,31) et la loyauté, procure l’allégresse à toute la société courtoise et est source de tout bonheur terrestre. La « rehte guete » est donc une fin en soi, un summum bonum. La recherche hésite sur le sens à donner ici au terme « guete » : recouvre-t-il une dimension morale, religieuse, esthétique ? Si l’on considère le sens général du roman, il apparaît que cette vraie bonté concerne ces trois domaines et se rapporte à l’empathie, à la capacité de mettre sa vie en jeu et de souffrir pour autrui. Éprouver de la miséricorde et venir en aide à ceux qui sont dans la détresse constituent les deux axes éthiques autour desquels s’articule le roman. 3. Le terme « sælde » désigne dans Iwein la félicité accordée par Dieu, une sorte de Providence permanente, et s’applique à la chance d’origine divine qui va accompagner le héros dans la seconde partie du roman. La « sælde » est une manifestation de la bénédiction divine qui touche le héros, c’est pourquoi nous traduirons souvent « sælech » par béni par la grâce, par le bonheur. La « sælde » échoit à celui qui agit bien, en conformité avec ce que Dieu attend de lui. Dans certains contextes, la « sælde » peut également recouvrir l’idée contenue par le latin fortuna, la chance due au hasard, à un destin favorable ; c’est le sens qu’il conserve dans la formulation « frou sælde », Dame Fortune. Cette expression n’apparaît qu’une fois dans le roman, uniquement dans la version B au vers 8214. Par ailleurs, seul le vers 7137 contient une occurrence de « sælde » dans le sens de bonne fortune (cf. note relative à ce vers). Il faut noter que Hartmann n’emploie jamais les termes « schibe » (le disque ; Gottfried von Strassburg, Tristan, v. 7161, 14470) ou « rat » (la roue ; Wirnt von Grafenberg, Wigalois, v. 1040, 1863, 5559, 5571) pour désigner la fortuna et l’idée de chance. Le substantif « ere » renvoie quant à lui à l’honneur dont un homme jouit dans la société, à sa dignité, sa réputation, par extension à son statut social, et est synonyme de « pris » (prix) ou de « werde » (dignité). L’association de ces deux concepts constitue l’un des leitmotivs du roman (on la retrouve aux vers 4842, 5518, 6403, 6873, ce leitmotiv ouvre le roman au vers 3 et le clôt au vers 8253) et recouvre un idéal

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à la fois laïc et religieux : plaire à Dieu et au monde, c’est-à-dire à la société courtoise. Seul celui envers qui la « sælde » est favorable pourra acquérir la respectabilité sociale. Le chevalier béni par Dieu jouit nécessairement de toutes les qualités, morales et chevaleresques, indispensables pour sortir victorieux des aventures qu’il va devoir affronter. L’adjectif « unsælech » renvoie à l’absence de « sælde » et peut se rapporter à un être affligé par le malheur et croyant avoir perdu la grâce divine (v. 1464, 4324, 4441, 7136) ou la grâce de sa dame (v. 3953-3954). Cet adjectif peut également désigner un personnage maléfique, un maudit géant (v. 6351). Iwein, devenu miles christianus, apporte la « sælde » aux désespérés qui se croyaient oubliés de Dieu. 14. Allusion à « l’espoir breton », c’est-à-dire à la croyance selon laquelle Arthur n’est pas mort et reviendra un jour délivrer son peuple. Le plus ancien témoignage littéraire relatif à cette croyance remonte à Herman de Laon qui évoque le voyage qu’il effectua en 1113 avec d’autres chanoines de l’église cathédrale de Laon jusqu’en Angleterre. Arrivé en Cornouailles, on leur montra le siège et le four d’Arthur, et l’on prétendit que ce roi était toujours vivant. Lorsque Herman mit en question la survie d’Arthur, ses guides furent pris de colère et une violente rixe éclata de telle sorte que le sang faillit couler (Herman de Laon, De miraculis S. Mariae Laudunensis, PL 156, col. 983). 69. « seitspil » désigne des morceaux exécutés sur des instruments à cordes. Cela recouvre un registre très large d’instruments : il peut s’agir d’instruments à cordes pincées (la harpe, la rote, le psaltérion, la mandore), d’instruments à cordes frottées par un archet (la vièle, la vièle à roue, le rebec, la gigue, l’organistrum, la chifonie) ou encore d’instruments à cordes frappées comme le tympanon (ou le psaltérion dont les cordes peuvent être également frappées par de petits maillets). La plupart de ces instruments viennent d’Orient et ont été introduits en Occident lors des croisades. 87. Dodines est un chevalier déjà présent dans l’œuvre de Chrétien de Troyes (Chevalier au Lion, v. 54), il porte parfois le surnom de sauvage (cf. Érec et Énide, v. 1688 et « Ajouts d’autres manuscrits », v. 4684-4687). Ce surnom remonte peut-être à un stade primitif des légendes arthuriennes lors duquel il vivait dans une contrée sauvage et accordait l’hospitalité aux chevaliers errants de passage. 172. Expression proverbiale répandue au Moyen Âge. Elle constitue une allusion à un verset de la Bible : « superexaltat autem misericordia iudicium » Jc 2,13 (« Mais la miséricorde s’élèvera au-dessus du jugement »). Ce proverbe, dont la signification est détournée ici par Key, se rapporte au privilège qu’a le souverain d’accorder la grâce. On retrouve ce dicton également dans le Gregorius de Hartmann (v. 3822), chez Eilhart von Oberg (Tristrant, v. 7256), Rudolf von Ems (Barlaam, 106,11) et Herrand von Wildonie (Die Katze, v. 256). 180. « zuht » désigne la courtoisie, le comportement et l’éducation dignes d’un noble, la bienséance. Key est quant à lui qualifié de « zuhtlos » (discourtois, v. 90).

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200. L’adjectif « biderbe » se rapporte à un homme de bien, probe et sage, à un honnête homme. L’expression « biderbe man » correspond au vieux français « preudomme ». 206-209. La confusion entre le bourdon et le frelon est le fait de Hartmann. 263. Il s’agit de la forêt de Brocéliande qui abrite la fontaine magique dont parle Wace dans le Roman de Rou (cf. note relative au vers 567). 278. Au Moyen Âge, l’unité de lieu utilisée en Allemagne pour mesurer des distances importantes est le mile (« diu mile »). Cette unité empruntée aux Romains équivaut à l’origine à mille pas doubles ou 5000 pieds, soit à 1,480 km (« millia passuum »). À l’époque médiévale, un mile allemand correspond à environ 7,5 km soit approximativement à deux heures de marche, cependant cette valeur diffère selon les régions. Le texte français compte en lieues ou en lieues galloises (une lieue galloise équivaut à 5000 pieds soit un mile romain). 284. « muzzerhabech » : il s’agit d’un autour qui a opéré sa première mue, il est donc âgé de plus d’un an. D’emblée la scène est placée sous le signe de la courtoisie : porter un rapace sur son poing est une posture propre à un noble. Cette scène illustre la passion qu’éprouve la noblesse pour la chasse au vol à l’aide de rapaces apprivoisés. Les oiseaux utilisés fascinent pour la difficulté de leur dressage. Les faucons, éperviers et autres autours mentionnés dans les romans arthuriens servent de symboles à la noblesse et renvoient à la hardiesse, à la vaillance ainsi qu’à la bonne éducation. Ils constituent également des gages d’amour ou des prix qui viennent récompenser le vainqueur d’un tournoi (cf. le tournoi de l’épervier dans Érec et Énide). La chasse au vol est une manifestation de la courtoisie et de l’élégance des seigneurs, de leur supériorité sur le reste de la société, en même temps qu’elle participe de la convivialité aristocratique. 293. L’accueil est éminemment courtois : le châtelain tient l’étrier de son invité afin que celui-ci puisse descendre plus facilement de cheval. Il s’agit normalement d’un geste de soumission vassalique qui illustre ici la bonne volonté du seigneur envers celui qu’il reçoit. 414. La prière adressée à Dieu afin qu’il protège Calogreant est un ajout de Hartmann. L’influence de Dieu sur l’action et sur le salut des personnages va caractériser toute l’œuvre allemande, cependant elle ne touchera pas Calogreant qui est juste en quête de gloire personnelle. 416. «  man  »  : contrairement à Chrétien, Hartmann révèle dès le début de la description du vilain à l’aspect sauvage qu’il s’agit bien d’un être humain. 430. Le terme « gebure » est l’équivalent allemand du « vilain » employé par Chrétien. Cette scène symbolise la rencontre entre deux mondes antithétiques : la sphère courtoise, incarnée par le chevalier, et le monde sauvage représenté par le rustre.

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437. « elle » : une coudée est une unité de mesure qui correspond à l’espace allant du coude à l’extrémité de la main (environ 50 cm). 438. « einem walt toren » : littéralement un « fou des bois ». Après avoir perdu la raison, Iwein lui aussi se comportera en fou des bois et vivra en homme sauvage. 440. « spanne » : un empan est une unité de mesure qui correspond à l’espace allant du pouce à l’auriculaire (environ 20 cm). 458. « dez houpt » : forme alémanique (souabe) pour « daz houpt ». 542-547. Les paroles de l’homme sauvage illustrent l’opposition paresse / quête d’aventure. 554. Le terme allemand « reht » correspond au « droit » dont parle Chrétien : il s’agit de rendre son droit à la fontaine (Chevalier au Lion, v. 371). Tandis que dans le texte français l’expression est ambiguë (s’agit-il juste de verser de l’eau sur le perron ou de combattre le gardien de la source ?), Hartmann donne une définition de ce droit (v. 563 sqq.). 567. La fontaine décrite ici est un élément folklorique qui relève du merveilleux celtique : on retrouve le même motif dans la description que le Roman de Rou de Wace (vers 1160) donne de la fontaine de Barenton : « La fontaine de Berenton | sort d’une part lez le perron | aller i solent veneor | a Berenton par grant chalor. | e la lor cor l’eve espuiser | e le perron dessus moillier | por ço soleient pluie aveir. » (v. 11518-11524 ; « La fontaine de Barenton sort auprès d’une pierre. Les chasseurs ont coutume d’aller à Barenton, par grande chaleur, pour y puiser l’eau avec leur cor et en mouiller le perron. Ils obtiennent ainsi de la pluie. »). Une fontaine magique est également mentionnée dans la Topographie de l’Irlande de Giraud de Barri (1188) : « Il est en Armorique une source d’une nature à peu près semblable. Si l’on y puise de l’eau dans une corne de bœuf et si l’on vient en répandre sur une pierre toute proche, aussi serein et peu propice à l’orage que soit le temps, on ne saurait échapper aux pluies qui aussitôt se mettent à tomber. » (J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Âge. Giraud de Barri et la “Topographia Hibernica”, Paris, Champion, 1993, p. 205). 570. « linde » : le tilleul est, dans la littérature médiévale allemande, un élément qui compose le locus amoenus, lieu de plaisance idéal. Viennent s’y ajouter la fontaine et le doux chant des oiseaux. Dans son Tristan composé vers 1210, Gottfried de Strasbourg évoque également trois tilleuls dans la description qu’il fait de la Grotte d’Amour. 579. Le mot « stein » désigne la pierre, c’est bien le sens du terme « perron » en ancien français, le bloc de pierre.

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594. Chez Chrétien, l’homme sauvage décrit une partie de l’aventure qui attend Yvain et évoque la terrible tempête qui va se déchaîner dès que Calogrenant aura versé de l’eau sur la pierre (Chevalier au Lion, v. 395-405). Hartmann ménage ici le suspens et ne révèle rien de ce qui attend le chevalier. Ni le héros ni le public ne sait ce qui va advenir une fois que de l’eau aura été versée sur la pierre. 597. La gauche est la direction du danger et de l’aventure. Chez Chrétien le héros emprunte le chemin le plus direct et va tout droit (Chevalier au Lion, v. 374-377). 601. Cette expression est ironique et signifie littéralement : « je trouvai là un grand honneur », alors que c’est la honte qui attend ce chevalier. 621. Au Moyen Âge, on attribue des pouvoirs magiques aux pierres précieuses. Ainsi l’émeraude est-elle réputée accroître la richesse, donner de la chance dans ce que l’on entreprend, aider à bien parler, protéger des orages et mettre à l’abri de la tentation de la luxure (Konrad von Megenberg, Buch der Natur, composé vers 1349-1350). La signification symbolique de la fontaine, dont l’aventure constitue une étape nécessaire à l’exercice de la royauté, est renforcée par les vertus magiques liées à l’émeraude. 685. Littéralement « le second paradis ». Chez Hartmann, cette expression semble indiquer que le héros est dans l’erreur ; ainsi dans Erec, Mabonagrin, enfermé avec son amie dans le verger merveilleux, croit avoir trouvé ce second paradis : « wir haben hie besezzen | daz ander paradîse » (« Nous possédions ici le paradis terrestre », v. 9541-2). La formulation dans Iwein reprend presque mot pour mot les paroles de Mabonagrin. 695. Pour l’instant nous ignorons tout de ce chevalier qui approche ; son nom, Ascalon, ne sera mentionné que plus tard par Lunete (v. 2270). 699. La voix tonitruante du chevalier fait écho à la tempête. Elle est le reflet de sa puissance, de sa colère et du danger qu’il représente. 705. Calogreant resserre la courroie, située sous le ventre du cheval, qui maintient la selle. 710. Chez Chrétien, Esclados interpelle son adversaire en l’apostrophant par « vassax » (Chevalier au Lion, v. 489) ce qui dans ce contexte de défi traduit une certaine brusquerie. Dans l’adaptation allemande, cette interjection est rendue par « riter » (chevalier). Le terme « vassax » comme adresse est fréquemment employé dans un contexte discourtois où il marque une hostilité souvent doublée de condescendance. Le roman du Chevalier au Lion n’emploie ce substantif que cinq fois (v. 489, 495, 3124, 5539, 6455), cependant les différentes acceptions liées à ce vocable sont particulièrement visibles si l’on considère ses occurrences dans le Conte du Graal de Chrétien : « vassax » peut marquer le début d’un propos discourtois et brutal (Conte du Graal, v. 4295), un échange entre gens armés qui ne se connaissent pas et se provoquent sur

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un ton discourtois (ibid., v. 5142, 7014), un discours empreint de dédain et de méchanceté (ibid., v. 6880, 7147, 7273). Plus rares sont les emplois neutres ou attentistes du terme : « vassax » peut être employé de manière relativement positive, en alternance avec « chevaliers » ou « sire » dont il devient une simple variante (ibid., v. 6723). Il peut également apparaître de manière neutre lors d’un combat, servant alors d’interjection entre deux combattants (ibid., v. 7030). Cette polysémie est confirmée par la lecture du roman d’Érec et Énide ; « vassax » peut en effet marquer le défi lorsqu’Ydiers ou son nain s’adresse à Érec pour le provoquer (Érec et Énide, v. 210, 840, 895), ou lorsqu’Érec parle au chevalier adverse (ibid., v. 927, 1013), poursuit des chevaliers brigands (ibid., v. 2907), ou encore lorsqu’il menace Keu (ibid., v. 4031, 4038). On note que l’emploi de cette interjection s’inscrit le plus souvent dans un contexte de défi précédant un affrontement et constitue alors une projection de ce qui se passe effectivement par la suite (ibid., v. 4419, 4430, 5903). D’autres occurrences du roman nous révèlent qu’il peut être employé comme synonyme de « chevaliers » (ibid., v. 1098, 1130, 3224, 4063, 4073, 6090). Plus rarement, il a une connotation laudative et reflète une certaine admiration (ibid., v. 770, 1253) ou renvoie à la supériorité du chevalier auquel on demande grâce (ibid., v. 993). L’adaptation du terme « vassax » en allemand médiéval mériterait d’être étudiée plus en profondeur, car à ce jour aucun travail n’a été rédigé à ce sujet. René Pérennec nous a fait remarquer que dans le Rappoltsteiner Parzival le terme « vassax » comme interjection est traduit par « helt » (« héros »), ce qui semble sous-entendre que le traducteur, en général fidèle à sa source, y voyait un terme laudatif (cf. Parzifal von Claus Wisse und Philipp Colin (1331-1336), éd. Karl Schorbach, Strasbourg, s.n., 1888 [réimpr. : Berlin/New York, 1974]). Dans Iwein, Hartmann opte pour la neutralité du terme et le traduit par « riter » (v. 710, 3681) ou « herre » (seigneur, v. 6679). 718. Le verbe «  widersagen  » (v. 711  et v. 718) signifie «  déclarer la guerre  », « défier ». Comme chez Chrétien, le discours tenu par Ascalon est juridique : il reproche à Calogreant d’avoir dévasté ses terres sans raison et sans l’avoir défié au préalable. Depuis Frédéric Ier Barberousse, la déclaration de guerre doit précéder l’agression effective de trois jours. Ascalon est donc dans son bon droit en répliquant à cette attaque et respecte quant à lui, au moins partiellement, cette règle puisqu’il défie son adversaire. Il lui fait également grief de son orgueil (v. 713) : dans le roman, ce péché apparaît souvent comme la cause des guerres privées et des querelles familiales (« hochfart » : v. 2322 ; v. 4949 ; v. 5647 ; « ubermuot » : v. 3402) 719. La formule « es buozze bestan » (expier pour une faute commise) implique qu’il doit y avoir réparation du préjudice subi. 725. Erreur du copiste qui aurait dû écrire : « mit minem wizzen ».

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729-731. Conscient de son infériorité, Calogreant tente – sans succès – d’obtenir la bienveillance de son adversaire. Chez Chrétien, les deux chevaliers s’affrontent immédiatement après qu’Esclados a défié Calogrenant (Chevalier au Lion, v. 515). La joute que se livrent les deux hommes est décrite de manière beaucoup plus rapide chez Hartmann (v. 732-745) que chez Chrétien (v. 515-542). Il semble que dans Iwein, Hartmann ait peu à cœur de donner de longues descriptions de combats chevaleresques. La violence de la joute décrite par Chrétien a fait place chez Hartmann à une distanciation ironique qui se manifeste par la prudence puis la résignation manifestées par Calogreant. 747. Erreur du copiste qui aurait dû écrire : « enmuote ». 761-765. Il n’est rien de plus humiliant pour un chevalier que de perdre sa monture et de devoir s’en retourner à pied. 785. Incohérence du copiste : le vers signifie littéralement : « que le soir où je partis de chez lui ». En fait, Calogreant était arrivé le soir chez son hôte et l’avait quitté au matin. Pour la traduction nous retenons la leçon de A : « dan oh des abendes do ih da reit » (« que le soir où j’arrivai chez lui »). 801. Nouvelle erreur du copiste, il faut lire « er » (masculin) et non « ez » (neutre). 818. La bière est considérée comme une boisson de qualité inférieure au vin, cf. Chevalier au Lion, v. 590 : « Plus a paroles en plain pot | De vin qu’an un mui de cervoise » (« Il y a plus de paroles en un plein pot de vin qu’en un muid de cervoise »). 819-820. Adaptation du proverbe auquel Chrétien a recours : « L’en dit que chaz saous s’anvoise  » (Chevalier au Lion, v. 592, «  On dit que le chat soûl est tout joyeux »). 825-827. Le motif du rêve prémonitoire est déjà présent chez Chrétien (Chevalier au Lion, v. 608 sq.). Key se réfère à la croyance répandue au Moyen Âge selon laquelle les rêves révèlent l’avenir. L’ironie de Hartmann est palpable dans ce passage où ces propos moqueurs sont tenus par Key. L’auteur est plus explicite dans Erec où, dénonçant les croyances populaires, il fait dire à son héros qu’il n’a cure des racontars des vieilles femmes, du contenu de ses rêves, du temps qu’il va faire, du vol des oiseaux et de toute prédiction (Erec, v. 8124-8140). 883-884. À travers l’attitude du roi transparaît l’idéal de la Table ronde qui instaure une égalité entre les chevaliers et fait du roi un primus inter pares. Cet ajout est propre à Hartmann. 907. Hartmann a remplacé le long commentaire du narrateur chez Chrétien par un discours direct, le monologue tenu par Iwein. 961. Le héros français part avec son palefroi, c’est-à-dire son cheval d’apparat, tandis que son écuyer lui apporte son armure et son destrier, c’est-à-dire son cheval de com-

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bat, ramenant avec lui le palefroi à la cour (Chevalier au Lion, v. 728 sqq.). Iwein, quant à lui, quitte la cour sur son cheval de combat. Il semble que Hartmann n’ait pas tenu compte du vers « Puis ramanras mon palefroi » pourtant présent dans le manuscrit G (qui ne mentionne pas toutefois les vers 731-32 qui évoquent la sortie d’Yvain sur son palefroi). D’une manière générale, Hartmann a simplifié et raccourci l’ensemble du passage. 964. Le fait de partir en quête de souffrances (« arbeit ») sans savoir précisément où l’on se rend (« nach wane ») est le propre de l’aventure chevaleresque. On remarquera que lors de cette première aventure Dieu n’intervient pas. Il n’est évoqué, de façon rhétorique, que pour souligner la qualité du combat que se livrent les deux guerriers (v. 1017). 979. Erreur du copiste : on s’attend plutôt à la préposition « vor » (cf. A : « unde vor sinen amblike »). 1014. Bien qu’ils aient sorti leurs épées, les deux combattants ne sont pas descendus de cheval et risquent ainsi de blesser leurs montures. Ceci est nécessaire pour que la poursuite puisse avoir lieu et Hartmann ne fait ici aucun commentaire. Par la suite, il qualifiera un tel comportement de « dorperheit » (vilenie, v. 7186). Le combat à l’épée entraîne généralement une issue mortelle tandis que la simple joute effectuée à l’aide d’une lance exclut l’intention de tuer. 1025. Contrairement à sa source française (Chevalier au Lion, v. 813 sqq.), Hartmann refuse ici de décrire en détail le violent combat qui oppose les deux chevaliers. Il procédera de la même façon à la fin du roman en ne donnant qu’une description minimale et esthétisée du duel que se livrent Iwein et Gawein (Iwein, v. 7005 sqq.). L’auteur va ainsi délibérément à l’encontre des attentes d’un public courtois friand de ce genre de scènes guerrières et se justifie par une pirouette tout aussi ironique que rhétorique. L’auteur-narrateur affirme en effet qu’il n’y avait aucun témoin de ce duel et que l’un des protagonistes est mort tandis que l’autre est bien trop humble pour se vanter de son exploit. Faisant de la fiction romanesque une pseudo-réalité, il ajoute que, n’ayant pas été lui-même sur place, il ne peut raconter ce qui s’est passé. Ce refus de céder à la facilité s’accompagne de la recherche d’une connivence intellectuelle avec le public qui appréciera cette confusion entre monde réel et monde fictif. Cette volonté de gommer, autant que faire se peut, les descriptions de combats semble être propre à l’œuvre de maturité du poète allemand, car Hartmann ne répugnait pas à ce genre de descriptions dans Erec. 1052. Le terme « zuht » désigne ici le respect des règles de bonne conduite, la retenue. Le code chevaleresque veut que l’on accorde la vie sauve à tout chevalier qui se rend et demande grâce. Ce n’est pas le cas d’Ascalon ici, mais il semble que le texte dénonce la brutalité gratuite d’Iwein qui s’acharne à poursuivre un homme blessé en

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train de fuir le combat. La suite du duel plaide pour une interprétation négative du comportement d’Iwein qui est animé par l’idée de tuer son adversaire. 1067. Durant tout le passage qui précède le meurtre d’Ascalon, Iwein ne songe qu’à son honneur personnel. La solidarité familiale et le désir de venger l’honneur bafoué de son cousin Calogreant sont totalement oubliés. 1109. Il convient de souligner ici que, pour relater un fait peu vraisemblable, Hartmann se réfère à sa source, garant de la véracité de ce qui est affirmé (« comme je l’ai entendu dire »). 1114. Il faut noter ici l’emploi de l’adjectif « sælech » qui laisse entendre que cette chance qui protège Iwein est d’origine divine. Il s’agit de la première manifestation de la Providence qui va accompagner le héros et le protéger régulièrement. Le terme neutre pour désigner la chance aurait été « geluoche / gelucke ». 1130. Chez Chrétien, le héros regrette juste de ne pas savoir dans quelle direction est parti son adversaire (Chevalier au Lion, v. 965-967). 1131. Le terme « hus » ne se rapporte sans doute pas au château dans son ensemble, mais uniquement au palais dans lequel Iwein est retenu prisonnier. Le texte français mentionne la « sale » (Chevalier au Lion, v. 961) au plafond orné de dorures et aux murs recouverts de peintures. 1133. Le passage anticipe l’arrivée d’Arthur au château de Laudine. Le souverain apparaît comme l’autorité supérieure qui reconnaît la puissance du couple royal qui occupe les lieux. Dans la version A, ce n’est pas Arthur mais uniquement Iwein qui affirme n’avoir jamais vu plus bel endroit. 1149. L’emploi de l’adjectif « riterlich » (chevaleresque) pour désigner une demoiselle ou une dame n’est pas rare chez Hartmann (cf. Erec, v. 1707 et v. 3324). Ce terme désigne les qualités qui font d’elle une personne noble : sa beauté et sa courtoisie. Dans Erec, les brigands qui aperçoivent Enite la qualifient de « ritterlîchez wîp », de femme noble (v. 3324). Cet adjectif sera utilisé une seconde fois dans Iwein au sujet de la messagère qui accompagne le héros (v. 6122). 1168-1169. Ici encore l’aide de Dieu est évoquée. Chez Hartmann, c’est Lunete qui la mentionne tandis que chez Chrétien c’est Yvain lui-même qui déclare que si Dieu le veut ils ne le tueront pas (Chevalier au Lion, v. 992 sq.). L’œuvre allemande insiste davantage sur le rôle essentiel de Dieu qui seul peut sauver Iwein de ce piège. 1180-1193. Lunete, étrangère et sans doute trop jeune lors de cet épisode, ne connaissait pas le code de conduite tel qu’il est en usage à la cour d’Arthur. Ce récit permet de suggérer la sensibilité particulière d’Iwein qui est le seul à éprouver une certaine empathie pour la jeune femme. L’argument est déjà présent dans l’œuvre française : Yvain est le seul à avoir adressé la parole à Lunete qui n’avait pas fait preuve

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de la sagesse ni de la courtoisie que l’on peut attendre d’une demoiselle à la cour (Chevalier au Lion, v. 1004-1009). 1196. Seuls les manuscrits de Giessen et de Lindau utilisent cette forme pour le nom du père d’Iwein. Dans les autres manuscrits il s’agit, comme dans le texte français, d’Urien ; cf. A : « der koninc urien genan », d : « der künig Urien genant ». Ces deux orthographes semblent dues à une confusion faite par les copistes : dans les manuscrits médiévaux allemands la lettre « v » pouvait renvoyer soit au phonème /u/ soit au phonème /f/. Certains scribes, confrontés à la lettre « v » et ne connaissant pas le nom français d’Yvain fils d’Urien, auront vraisemblablement retranscrit un « f » au lieu d’un « u ». 1198-1207. Avant le roman de Chrétien de Troyes, un motif semblable a déjà été utilisé par Benoît de Sainte-Maure dans son Roman de Troie : après s’être donnée à Jason, Médée lui offre un anneau qui, une fois tourné à l’extérieur de la main, permet à celui qui le porte de n’être vu par personne (Roman de Troie, v. 1677-1697). 1294-1296. L’action de la Providence prime sur la magie liée à la pierre, qualifiée ici de « petit artifice ». En fait, l’heure d’Iwein n’a pas sonné, il n’est pas voué à mourir (« veige »). 1327. Le motif érotique de la peau nue apparaissant à travers les vêtements est déjà présent dans Erec (v. 323-330). Il faut également noter l’action qu’exercent les cheveux : au Moyen Âge, une femme mariée porte une coiffe ou un voile qui cache sa chevelure. Les gestes de désespoir de Laudine permettent de dévoiler ses cheveux et exacerbent le désir d’Iwein. Dans le Pauvre Henri, c’est à la vue du corps nu de la jeune femme prête à se sacrifier pour lui que le héros est pris de compassion et renonce au sacrifice de la demoiselle (v. 1233-1240). 1344. « heil » désigne ici le salut dont a bénéficié Iwein lors du combat : c’est parce qu’il a survécu et vaincu Ascalon qu’il a pu infliger une telle peine à Laudine. 1356. Il s’agit d’une croyance attestée du Moyen Âge jusqu’au XVIIe siècle, d’une forme archaïque de jugement divin selon laquelle les plaies d’un homme assassiné recommencent à saigner en présence du meurtrier (cf. Henri Platelle, Présence de l’au-delà. Une vision médiévale du monde, Villeneuve d’Ascq, Septentrion Presses Universitaires, 2004, en particulier les pages 13 à 28). La « voix du sang » (Gn 4,10) était la manifestation de la colère de la victime autant que de celle de Dieu. Appelée « cruentation » (du latin « cruentatio »), cette croyance est également un motif répandu dans la littérature. On la retrouve par exemple dans La chanson des Nibelungen (str. 1043-1045) : lorsque Hagen se présente devant le corps de Siegfried, les blessures du défunt prince se mettent à saigner. Une variante de cette croyance apparaît également dans le Haut livre du Graal, et permet de confondre Keu, meurtrier du fils d’Arthur : une demoiselle apporte un précieux coffret contenant la tête d’un chevalier, or seul le meurtrier peut ouvrir ce coffret (Haut livre du Graal, l. 6297-6345).

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1377-1384. La colère que la veuve éprouve envers Dieu rappelle celle qu’Enite ressentait alors qu’elle croyait qu’Erec était mort (cf. Erec, v. 5774-5784). 1462-1467. Le désespoir de la reine est restitué par le recours à deux constructions anaphoriques (triple reprise de « waz sol... » et « ouwe... »). 1470. La théologie chrétienne organisait les anges en neuf chœurs. On pensait au Moyen Âge que les justes rejoignaient le dixième chœur des anges, abandonné par les anges déchus. 1480. Littéralement : elle le fit redescendre. Pour des raisons de cohérence nous traduisons la leçon de A. 1498. Nous traduisons ici la leçon de A : « swes sin aber sostat ». Le vers correspondant du manuscrit de Giessen est plus problématique dans le contexte ; le passage devient dans B une parenthèse du narrateur et signifie littéralement : « Mais elle savait qu’il voulait toujours accomplir dans les faits ce qu’il avait en tête. Il n’en tirerait que dommage. » 1515-1529. Chez Chrétien, c’est à l’instant où il voit que l’on enterre le corps d’Esclados qu’Yvain se fait du souci : on enfouit sous ses yeux la preuve de sa victoire (Chevalier au Lion, v. 1343-1346). Hartmann fait de ce passage deux moments séparés l’un de l’autre : Iwein est préoccupé par la réaction de Key et le manque d’indices concrets prouvant sa victoire, mais ce n’est que plus tard que le narrateur évoque l’enterrement d’Ascalon (v. 1589-1592). Le héros allemand est donc exempt du cynisme macabre qui caractérisait le héros français. 1533. Le substantif « minne » est un nom féminin, de la même façon que le terme « amor » est féminin en ancien français, il s’agit donc dans les deux langues d’une allégorie féminine de l’amour. Le texte allemand évoque « frou minne », littéralement « Dame Amour ». Pour des raisons de cohérence en français moderne, notre traduction rend « Dame Amour » systématiquement par le masculin « Amour ». 1537. « herce minne » : cela désigne littéralement un amour qui vient du cœur, un amour profond. 1544-1552. L’idée selon laquelle les blessures d’Amour ne peuvent être soignées que par la personne qui en est à l’origine est empruntée à Ovide : « discite sanari per quem didicistis amare : | una manus vobis vulnus opemque feret » (Remedia amoris, v. 43-44 ; « Apprenez à guérir de celui qui vous a appris à aimer : la même main vous apportera la blessure et son remède »). Chrétien de Troyes (Chevalier au Lion, v. 1371-1376) et à sa suite Hartmann en inversent le sens et font de la présence du médecin un facteur qui aggrave la maladie. 1554. Nous retenons pour la traduction la leçon de A : « na swachen gewinne » (« en quête d’un maigre butin »), plus logique que la leçon de B qui signifie littéralement :

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« en quête d’une maigre sagesse », le narrateur voulant sans doute dire « faisant bien peu preuve de sagesse ». 1588. L’amour vrai est donc réservé aux cœurs nobles, thème qui sera développé par Gottfried de Strasbourg dans son Tristan. 1614. Le terme « hulde » apparaît ici pour la première fois. Il renvoie à la grâce perdue ainsi qu’à l’image de la dame lointaine et inaccessible chantée par les troubadours et les Minnesänger. Il désigne souvent un amour impossible : il peut s’agir d’une dame au cœur si dur qu’elle supporte les pleurs de celui qui lui demande sa grâce (Friedrich von Hausen, MF 44,31) ou encore d’une dame qui a oublié le sujet lyrique et lui a retiré sa grâce (Heinrich von Morungen, MF 123,22). Étymologiquement « hulde » implique l’idée de pente, de quelque chose d’incliné, et a la même racine que le substantif moderne «  Halde  » (le terril). Une fois répudié par Laudine, Iwein emploiera régulièrement ce terme : la « hulde » sera dès lors la faveur de la dame si difficile à recouvrer, cette grâce comparable à celle qui est dispensée par Dieu. 1625-1626. Les adjectifs « unbillich » (injuste) et « billich » (juste) ont ici un sens moral que nous rendons par « inconvenant » et « convenable » : l’amour rend supportable ce qui en principe est scandaleux, c’est-à-dire le mariage d’une veuve avec le meurtrier de son mari. Iwein est conscient du caractère immoral d’une telle union. 1637. Iwein suggère qu’il n’a agi ainsi que pour se défendre, cet argument sera repris plus tard par Laudine elle-même (v. 2038-2041). Ceci ne justifie cependant pas la poursuite meurtrière qui suit le premier combat : celle-ci ne s’explique que par la crainte éprouvée par Iwein de perdre son honneur et, semble-t-il, par le désir de tuer l’adversaire. 1659. « miner frouwen » : expression empruntée au Minnesang. Laudine est présentée comme la dame, la suzeraine dont dépend entièrement le sort du chevalier. 1679. L’adjectif « wunneclich » renvoie aux plaisirs des sens que procure la très grande beauté de la dame. 1706-1718. La captivité physique d’Iwein est une allégorie de ses sentiments : il est prisonnier d’Amour auquel il ne peut ni ne souhaite échapper. Le thème sera repris aux vers 2235-2240. La passion amoureuse est traitée sous forme de paradoxe : de la même façon que cette prison est pour Iwein le plus doux des endroits, le héros affirme à Lunete, qui voit en lui un homme en danger de mort, qu’il passe là des heures très agréables. 1740. Il semble qu’il y ait ici une lacune dans B. A insère une reprise de la réplique d’Iwein, restant ainsi plus proche du texte français (Chevalier au Lion, v. 1553) : « lieberen tah ? saget, here, we | mah sih daz gevogen ? » (Une journée plus agréable ? Dites-moi, seigneur, comment cela est-il possible ?).

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1762-1767. Iwein ne veut pas subir la même humiliation que Calogreant qui dut rentrer à pied. Le passage souligne qu’il ne pense pour l’instant qu’à sa gloire personnelle. 1821 et 1839. L’honneur de Laudine est lié à la terre qu’elle possède et à son statut de reine : « ere » se rapporte ici à sa qualité de souveraine et à la puissance qui y est liée. Il s’agit de la traduction allemande du terme latin « honor » qui désigne la charge concédée à une personne, le titre lié à cette charge ainsi que les biens matériels permettant de l’exercer. Cet « honor » ou « ere » est transmis par hérédité. 1885-1894. Le désespoir et la tentation du suicide, péché mortel condamné par l’Église, rapprochent une fois de plus Laudine d’Enite, femme d’Erec et parangon de l’épouse loyale et dévouée (cf. Erec, v. 6062-6114). 1898. Le substantif féminin « werlt », littéralement le « monde », désigne la société courtoise et laïque. Deux instances sont convoquées par Laudine, le monde de la cour et Dieu. La reine craint que seul Dieu puisse reconnaître sa loyauté absolue envers l’époux défunt, tandis que la société, abusée par les apparences, la prendrait pour une femme volage. La reine revient sur cette crainte une seconde fois aux vers 2088 sqq. 1951. Le passage « ir sit ein wip » (vous êtes une femme) est souvent compris de la façon suivante : « bien que vous soyez une femme ». En fait, il semble plutôt que la notion de femme vienne s’opposer à l’inexpérience de la demoiselle qui s’adresse à sa dame, c’est pourquoi nous traduisons par « femme d’expérience ». 2001-2002. Le copiste a commis ici une erreur et écrit une seconde fois au verso du folio 39 les deux derniers vers du recto du même folio :

2001 bis 2002 bis

daz siz noch versuochte baz. ob sich ir frouwen haz. daz siz noch versuochte baz. ob sich ir frouwen haz.

[fol. 39v]

2051. Première évocation de l’amour qui permet la réconciliation de Laudine avec le meurtrier de son mari, cependant Hartmann ne développe pas ce thème pour le moment. 2110. « heil » désigne la chance due au hasard, le bonheur, ou également le salut accordé par Dieu. Il ne semble pas qu’il y ait ici de connotation religieuse, la reine songe à son bonheur personnel ainsi qu’à celui du royaume. La même idée sera exprimée par les barons (cf. v. 2394). 2119. Le copiste de B a omis l’adverbe « hiute » (aujourd’hui), cf. A : « daz ih innoh hute oder morne gesie ». 2128. Le terme « garzun », du vieux français « garçon » (le valet) désigne ici le messager à pied, le courrier. Il peut également avoir encore sa signification originelle

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et se rapporter à un valet, cf. v. 4487. Chez Wolfram von Eschenbach, « garzun » désignera généralement un écuyer, sens qu’il a déjà chez Hartmann aux vers 3258 et 7172. 2149-2150. Ces deux vers, qui énoncent une sentence morale, sont soulignés dans le manuscrit de Giessen. Ceci n’est toutefois pas le fait du copiste. 2180. Littéralement, « tromper sans méchanceté ». 2186. La leçon de A (« Elle lui prépara un bain fort agréable ») est plus proche du texte français (cf. Chevalier au Lion, v. 1883-84). 2189. Le petit-gris est le nom de la fourrure d’hiver de l’écureuil nordique, de couleur gris argenté. Le menu-vair est une fourrure blanche et grise faisant alterner les dos gris et les ventres blancs de l’écureuil nordique. 2205. L’étonnement de la reine est un ajout de Hartmann, Chrétien ne le mentionne pas (cf. Chevalier au Lion, v. 1901). 2206. Le substantif féminin « liebe » ne désigne pas l’amour, comme c’est le cas en allemand moderne, mais plutôt le plaisir, la joie. 2235-2240. Le passage est construit sur le thème de la prison et sur sa double acception : prison réelle dans le château et prison d’amour. 2237. L’adjectif « sælech » s’applique dans tout le roman soit à Laudine soit à Iwein, afin de désigner les qualités, la perfection qui les caractérisent et le bonheur qui les accompagne. Le texte établit ici un parallèle entre « sælech wip » et « sælech man » (v. 2242). 2265-2286. Chez Chrétien, la soumission d’Yvain à Laudine s’inscrit dans la conception du vasselage d’amour : Yvain est prêt à subir tout ce que sa dame lui infligera. Yvain considère qu’il a agi en état de légitime défense et qu’il n’a commis aucune faute (Chevalier au Lion, v. 2001-2006). Hartmann ne retient pas cet argument, il donne une nouvelle orientation au passage et met l’accent sur la faute commise par Iwein, le meurtre d’Ascalon. Iwein apparaît comme un pénitent qui, se jetant à genoux, reconnaît sa faute et demande grâce pour les souffrances qu’il a infligées à Laudine. Toutefois, le texte ne précise pas s’il est sincère ou s’il agit par opportunisme. En plus de la dénonciation de l’homicide, cette scène préfigure également la réconciliation finale des deux époux lors desquels Iwein se comporte en pénitent sincère (cf. v. 8158-8168). 2290. Nouvel emploi de la tournure « sælech wip ». 2301. Nous traduisons ici d’après la leçon de A qui paraît plus cohérente dans le contexte : « unde min got ». En effet, ce sont bien les moyens (« got » ou « guot » :

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biens, moyens) qui empêchent Laudine d’agir librement plutôt que son for intérieur (« muot » : esprit, for intérieur). 2320. Laudine évoque l’union avec Iwein et la met en relation avec la défense de son pays et la protection de Dieu. Iwein ne place que son union avec Laudine sous la tutelle de Dieu (v. 2334). Ce qui prime pour Laudine, c’est la raison et la politique, Iwein est quant à lui aveuglé par l’amour. 2335. Littéralement : « que nous soyons époux » ; le terme « gesellen » qui signifie « compagnons » désigne également les époux. 2336. En faisant de Laudine une reine (« kunegin »), Hartmann en fait l’égale d’Arthur par le rang tandis que chez Chrétien elle n’est que la fille du duc de Landudez et la vassale d’Arthur. Elle est supérieure à Iwein par la puissance et son statut, car Laudine est l’héritière du royaume tandis qu’Iwein, malgré son sang royal, ne semble disposer d’aucun bien. Hartmann a transformé Laudine en souveraine consciente de ses devoirs vis-à-vis du royaume qu’elle gouverne. Le mariage d’Iwein avec Laudine est donc hypergamique. 2337-2366. La stichomythie qui marque l’échange entre Laudine et Iwein, souvent employée pour signaler un conflit, trahit ici la violence des sentiments. On notera l’opposition « lip » (le corps, la personne) et « herc » (le cœur) aux vers 2344-2347. Dans Die Klage (La Complainte), Hartmann a souvent recours à la stichomythie dans le débat qui oppose le cœur au corps. 2384. Pour des raisons de cohérence avec le roman de Chrétien de Troyes et avec la tradition arthurienne, nous ne traduisons pas « truhsæzze » par « officier tranchant » ou « officier de table », mais par « sénéchal ». Sur le sens de « truhsæzze », cf. « Introduction ». 2391-2392. Il s’agit d’une expression proverbiale que l’on traduit en allemand moderne par : « Das willige Pferd braucht keine Sporen », (« Bon cheval n’a point besoin d’éperons »), cf. Thesaurus Proverbiorum medii aevi, Berlin / New York, De Gruyter, 1999, vol. 9, Pferd 4.2. Chrétien déjà employait ce proverbe dans le roman français : « Li chevax qui pas ne va lant | S’esforce quant an l’esperone » (Chevalier au Lion, v. 2148 sq.). 2407-2409. La naissance, la bravoure et la beauté d’Iwein sont autant d’éléments qui renvoient à sa noblesse. 2412-2416. Ces vers, qui reprennent de manière presque littérale l’épilogue du Pauvre Henri (v. 1509-1516), semblent teintés d’une certaine ironie. 2417. Cette formulation est ambiguë, elle peut signifier également, de manière plus prosaïque : « Sa femme s’appelait Laudine ». C’est la première fois que le nom de Laudine est mentionné dans le roman. Le mariage implique que l’on connaisse le nom

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de la dame. Chrétien avait déjà procédé de la même façon dans Érec et Énide : le narrateur y précisait que, puisqu’Érec prenait femme, il fallait la nommer, car une femme sans nom ne peut être épousée (Érec et Énide, v. 1987-1993). 2422-2428. Notre traduction a redonné une cohérence à la phrase qui, dans les différents manuscrits, commence au singulier et se termine au pluriel : « Celui à qui Dieu fait don de loyauté et d’autres vertus, comme c’était le cas pour Iwein, ainsi que d’une épouse qui veut toujours la même chose que lui, alors, s’il leur est donné de vivre longtemps et agréablement, Dieu leur fait grâce de très nombreuses joies ».  2429. À noter ici la réserve exprimée par le narrateur à travers l’adverbe « wænlich » qui exprime le doute (je crois ; il me semble). Rien n’indique cependant que cela reflète une prise de distance ironique par rapport à ce qui est affirmé. On retrouve le même adverbe aux vers 8203 et 8246. 2433. L’honneur, « ere », désigne au sens large la puissance, le rang, le statut d’un individu, ainsi que les terres ou châteaux qu’il détient. On retrouve le même sens au vers 2739. 2509. L’expression « guot kneht » désigne le chevalier : le substantif « kneht » correspond étymologiquement à l’anglais « knight », mais signifie également en allemand « le valet » ou « l’écuyer ». Contrairement au terme anglais, le mot allemand ne s’est jamais débarrassé de l’idée de servitude. Pour désigner un chevalier il faut donc faire précéder « kneht » d’un adjectif qui le valorise : « guot » (bon ; preux ; noble). Cf. Joachim Bumke, Studien zum Ritterbegriff im 12. Und 13. Jahrhundert, Heidelberg, Winter Verlag, 1964, p. 88 sqq. 2540-2543. Iwein est parfaitement conscient de sa mission : s’il ne se présente pas à la fontaine, on la lui prendra. Il s’agit là d’un ajout de Hartmann qui rend d’autant plus grave la faute que commettra Iwein en quittant Laudine : il montre alors qu’il délaisse sciemment sa fonction de roi et de protecteur de la fontaine au profit de la quête de gloire personnelle. 2560-2563. Le véritable défaut de Key est un mauvais usage de la parole : sa langue ne sert qu’à diffamer et à se moquer d’autrui. 2585-2594. Dans le roman français, ces paroles pleines d’une ironie mordante ne sont pas prononcées par Yvain, qui se tait, mais par les spectateurs (Chevalier au Lion, 2264-2269). 2597-2602. L’un des buts des combats chevaleresques, qu’il s’agisse de tournois ou de joutes, est économique. Le vainqueur peut exiger une rançon en échange de la libération de son adversaire ou, si celui-ci est trop pauvre, lui prendre son armure et sa monture. Iwein montre ici sa grandeur d’âme : il ne se bat pas par cupidité et fait preuve de respect envers Arthur en lui remettant le cheval de Key, sénéchal à sa cour.

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2637-2656. La description de l’accueil réservé à Arthur est très brève si on la compare à l’épisode qui chez Chrétien relate les fêtes organisées et le faste déployé en l’honneur d’Arthur (Chevalier au Lion, v. 2331-2396). À la place de la description d’une scène de vie courtoise, Hartmann privilégie un aspect qu’il n’a quasiment pas traité jusqu’ici : celui de l’amour qu’éprouve Laudine pour son mari dont elle reconnaît la valeur. 2659-2660. Laudine s’adresse à Iwein en tant que son époux (désigné ici encore par le terme « geselle », cf. v. 2335) et le seigneur du pays. Le fait qu’elle le tutoie marque cette intimité nouvelle. 2666. Nous traduisons ici d’après A qui ajoute l’adverbe « wol » (bien) : « Nie wan na wane wol gehit ». 2698. Hartmann souligne l’absence de parenté entre Iwein et Gawein. Chez Geoffrey de Monmouth comme chez Wace, les deux chevaliers sont cousins : Loth, père de Gauvain, et Urian, père d’Yvain, sont des frères de lignée royale (Historia Regum Britanniae, § 152 ; Roman de Brut, v. 9854-9857). 2724-2732. Ce sont des arguments similaires qui expliqueront qu’Arthur rende visite à Gawein et Iwein lors de leur retour de tournoi (v. 3069-3075) : il s’agit dans les deux cas d’encourager celui qui agit bien. 2733-2749. Chez Chrétien, les paroles prononcées par Gauvain demeurent très formelles et conventionnelles, elles s’inscrivent dans la thématique du service dû à une dame (Chevalier au Lion, v. 2435-2441). La déclaration de Gawein paraît beaucoup plus sincère et est renforcée par l’intervention du narrateur qui précise que Gawein et Lunete ont conclu une amitié solide. Cependant, Gawein s’avérera incapable de tenir parole : lorsque Lunete aura besoin de lui, il sera absent. 2784. Le verbe « sich verligen » correspond à l’adjectif vieux français « recreant » utilisé dans le même contexte (cf. Chevalier au Lion, v. 2563). Le verbe « recroire » (du latin médiéval « recredere », croire à nouveau) signifiait littéralement « abandonner son ancienne foi », « manquer à sa foi », « renoncer à son ancien comportement par lâcheté ou par fatigue ». La « recreantise » est le fait de celui qui se laisse aller à la paresse ou à la lâcheté, qui néglige ses devoirs chevaleresques. Le chevalier « recreant » est donc celui qui manque à sa fidélité envers l’exercice des armes et de la chevalerie. C’était le cas d’Érec qui, dans les versions française et allemande du roman éponyme, ne participe plus à aucun tournoi, préférant passer ses journées à s’adonner à l’amour dans les bras de sa femme. Le verbe allemand « sich verligen » renvoie quant à lui à l’idée de paresse, de repos (le verbe médiéval « ligen » signifiant « être couché ») et est souvent associé au substantif « gemach » (repos, confort). 2792. Il faut donc trouver un juste milieu entre amour et chevalerie afin de concilier bonheur personnel et engagement au sein de la société.

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2801-2815. L’aspect négligé du seigneur évoqué par Gawein et sa propension à l’avarice le rapprochent d’un vilain. Il semble bien que Hartmann ait recours ici à un motif misogyne répandu au Moyen Âge et que l’on retrouve par exemple dans le fabliau du Pré tondu : un chevalier, qui a vécu honorablement jusqu’à son mariage, commence à se négliger dès qu’il est marié. Ses cheveux sont plus emmêlés que les poils d’un chien de Flandre, il est sale, couvert de cendres et mal vêtu, de telle sorte qu’il ressemble davantage à un charbonnier qu’à un chevalier (cf. A. de Montaiglon, G. Raynaud, Recueil général et complet des fabliaux des XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1877-1890, tome IV, p. 154 sq., v. 23-33) . Dans la même perspective, René Pérennec établit une relation avec Les lamentations de Matheolus (Recherches sur le roman arthurien, op. cit., vol. 2, p. 288) dont de nombreux motifs antiféministes remontent sans aucun doute à une tradition bien antérieure à l’époque à laquelle Mathieu de Boulogne rédige son pamphlet contre les femmes et le mariage. Quoi qu’il en soit, chez Hartmann ce n’est plus la femme qui est responsable de l’avilissement du chevalier, ni même le mariage en tant que tel, mais ce sont les soucis liés à la gestion de la seigneurie. L’évocation du mariage au vers 2803 est sans doute un reliquat du contexte misogyne auquel Hartmann a emprunté l’image de ce chevalier méprisable, cependant dans les paroles de Gawein le mariage semble renvoyer en premier lieu à l’accession à la seigneurie. Hartmann a utilisé un cliché misogyne et, après l’avoir dépouillé de son sens premier, l’a intégré dans un discours de nature économique. 2806. Dans tout le passage, le substantif « hus » ne désigne pas uniquement le château mais la seigneurie, c’est-à-dire le château en tant qu’entité économique, avec les champs et les terres qui appartiennent au châtelain. 2812. Erreur du copiste, il faut lire « er giht » (il dit) et non « er gibt » (il donne), cf. A : « unde swazer warmes angeleit | daz git her iz si wirtes cleit ».  2837. Erreur du copiste qui avait recopié ce vers deux fois et a effacé la première occurrence. 2886. Le thème abordé ici par Gawein est un motif bien connu de la littérature médiévale : la surveillance (« huote ») des dames. Une dame vertueuse n’a pas besoin d’être surveillée. D’autres poètes sont plus critiques envers la surveillance et affirment, tel Gottfried de Strasbourg dans son Tristan, qu’elle ne fait qu’inciter les femmes honnêtes à vouloir transgresser l’interdit. 2899. Ce vers indique clairement que, bien qu’il soit fils de roi, Iwein ne possède rien en propre avant son mariage avec Laudine. C’était un chevalier errant, en quête de gloire et d’un bon parti. À présent, Gawein lui demande de mettre ses biens au service de la chevalerie, ce qui signifie concrètement qu’Iwein devra financer l’équipement d’un groupe de jeunes chevaliers ou le paiement de rançons si certains sont faits prisonniers lors de tournois. La présence de ce groupe apparaît discrètement à travers l’utilisation du pronom « uns » (nous ; v. 2796 et 2879).

NOTES ET COMMENTAIRES

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2907. À l’inverse d’Yvain qui hésite à partir et se demande s’il ne commet pas une folie (Chevalier au Lion, v. 2546), Iwein ne semble éprouver aucun remords à quitter son épouse et son royaume. 2927. L’expression allemande «  ehaftiu not  » est l’équivalent du vieux français « essoing / essoine », empêchement juridique (cf. Chevalier au Lion, v. 2592 et v. 2596). 2935. C’est-à-dire à l’octave de Saint Jean. 2941. Iwein est donc le premier à qui Laudine confie cet anneau, Ascalon n’avait pas eu droit à cette marque de respect et d’amour. 2965. Littéralement « dame Amour », voir supra note relative au vers 1533. 2965. Le dialogue entre le poète et dame Amour est la variation d’un motif courant dans la littérature antique tardive : le dialogue entre le poète et sa muse (cf. Martianus Capella, De nuptiis Philologiae et Mercurii ; Boèce, De philosophiae consolatione). 2984. La séparation du corps et du cœur est un topos de la littérature courtoise, cf. Conon de Béthune, « Ahi, Amours ! com dure departie » (Chansons de trouvères, éditées par Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, Paris, Le livre de poche [Lettres Gothiques], 1995, p. 368-371), et Friedrich von Hausen, « Mîn herze und mîn lîp diu wellent scheiden » (MF 47,9). L’échange des cœurs est traité de manière ironique par Hartmann qui semble se distancier de cette casuistique amoureuse. 3048. Le verbe « betwingen » implique l’idée de contrainte : Gawein oblige, par ses multiples attentions, Iwein à rester auprès de lui. 3052. Au Moyen Âge, cette saison très chaude est réputée avoir un effet néfaste sur la santé mentale des individus. 3057. La formulation « ze beiden siten » sous-entend qu’Iwein s’est battu successivement pour chacun des deux camps et a, à chaque fois, remporté la victoire. 3077. et 3083. Les adjectifs « senede » et « senliche » se rapportent au sentiment amoureux qui refait surface subitement. 3085-3089. À partir de maintenant et jusqu’à la fin de l’épisode qui marque la folie d’Iwein, le héros est dépourvu de parole. Cette incapacité à communiquer est l’une des caractéristiques du fou, coupé du monde des humains. 3089. Littéralement : « comme s’il avait été fou ». Le thème de la folie d’Iwein apparaît ici pour la première fois. 3097. Chez Chrétien, il ne s’agit sans doute pas de Lunete : la messagère est anonyme (Chevalier au Lion, v. 2707). Le réquisitoire formulé par Lunete s’articule autour de la notion de « triuwe », la loyauté, terme qui réapparaît à maintes reprises dans son discours. Le manque de loyauté dont elle fait grief à Iwein ne concerne pas, comme

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chez Chrétien, le domaine de l’amour mais le non-respect de ses devoirs de chevalier, de souverain et d’époux. 3165. Le verbe «  chebsen /  kebsen  » signifie traiter une femme en concubine (« chebse / kebse »), en maîtresse avec qui l’on se contente de coucher sans être marié. Les descendants d’une telle union étaient des enfants bâtards. Lunete reproche à Iwein d’avoir déshonoré son épouse. 3195-3209. Hartmann énumère tout ce qui fait perdre la raison à Iwein. Sa folie a des causes psychologiques précises et nombreuses, et ne saurait être attribuée uniquement à la passion amoureuse déçue. 3233-3238. L’empathie qu’éprouve le roi pour le malheur qui touche Iwein est un ajout de Hartmann. Elle participe du sens général du roman et donne une image positive et humaine d’Arthur. 3270. Le brachet est un chien de chasse, utilisé notamment pour la chasse en forêt et particulièrement efficace pour traquer le renard et le lièvre. 3271-3276. Selon la médecine médiévale, les malades atteints de mélancolie étaient friands de viande crue et d’autres substances grossières, quasiment contre nature. Cf. Marie-Christine Pouchelle, « Les appétits mélancoliques », Médiévales 5, 1983, p. 81-88, ici p. 82 : « Aux charbons s’ajoute l’argile ou la craie (creta), poissons et viandes crues, ainsi que les fruits verts. Ces appétits sauvages se situent en deçà de toute cuisine, et relève d’une animalité qui confine à la folie ». L’auteur de l’article se réfère à Bernard de Gordon, Lilium medicinae (1305-1311), Paris, 1542 f° 111 v°. Hartmann se contente de reprendre des éléments déjà présents chez Chrétien. 3285. Le terme « hiuselin » est la traduction littérale de l’ancien français « meisonete » (Chevalier au Lion, v. 2839). 3342. Iwein a la peau aussi noire que celle d’un maure et est devenu l’antithèse d’un chevalier (la peau noire est la marque des « vilains », des paysans). Malgré tout, le narrateur le qualifie encore de « noble fou » (v. 3341). 3357. Il faut peut-être rapprocher ces trois dames des trois Maries (Marie-Madeleine, Marie Jacobé et Marie Salomé) qui se trouvent au pied de la croix puis préparent les aromates pour oindre le corps du Christ (Mc 15, 40 et 16,1). 3367. Il faut noter le double sens de « verlorn » (perdu) : Iwein est perdu pour la société des hommes et aussi pour lui-même. 3373. La cicatrice qui permet de reconnaître Iwein, blessure due aux combats qu’il a livrés jadis, le rattache au monde chevaleresque et préfigure sa réintégration dans la chevalerie. Le motif de la cicatrice remonte aux épopées antiques : c’est à cause d’une cicatrice, causée jadis par une corne de sanglier, qu’Ulysse est reconnu par la nourrice Euryclée qui annonce son retour à Pénélope (Odyssée, chant XXIII).

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3393-3394. Dans le manuscrit de Giessen, les vers sont inversés : le copiste a rajouté en marge les lettres « b » et « a » afin de rétablir l’ordre logique. La même inversion se retrouve dans le manuscrit de Lindau (u). Nous respectons ici l’ordre logique. 3395. Deux vers sont écrits sur la même ligne. Même chose dans u. 3398. L’amour qui fait perdre la raison est un topos de la littérature courtoise. On trouve ce motif chez les Minnesänger (par exemple chez Friedrich von Hausen et Heinrich von Morungen), c’est également un thème qui marque la matière tristanienne : Tristan, fou d’amour pour Iseut, se déguise en fou pour approcher celle qu’il aime (cf. la Folie de Berne et la Folie d’Oxford). 3400-3404. Cette situation fréquente dans les romans arthuriens trouve son reflet dans la réalité : une dame seule ne peut assurer la défense de ses terres. Le mariage était donc inévitable, également pour les veuves qui constituaient souvent un bon parti recherché par les jeunes chevaliers, les « bacheliers », désireux de se caser. 3403. Le nom « Aliers » a conservé en allemand le -s du cas sujet de l’ancien français, dérivé du nominatif latin. 3417. Nom allemand de la fée Morgane, déjà employé dans Erec. Chrétien mentionne également l’aide de Dieu (Chevalier au Lion, v. 2950). Ce n’est pas le cas de Hartmann, peut-être parce que l’auteur allemand ne veut pas associer directement l’intervention de la Providence à l’action d’un onguent magique et d’une fée relevant d’une croyance païenne. En effet, dans Erec, Feimorgan est présentée comme une sorcière se livrant à la magie noire. Hartmann n’évoque l’action de Dieu que plus tard, au vers 3458, et de façon assez conventionnelle. 3447. Le terme « gran » est dérivé du vieux-français « greinne » (Chevalier au Lion, v. 2977) et désigne une couleur rouge écarlate faite à partir des corps séchés de cochenilles ou kermès (cf. la robe d’apparat de la reine dans Érec et Énide, faite de soie écarlate, v. 1340 : « Qui est de soie tainte an grainne »). De toute évidence, le manteau est en laine rouge tandis que la chemise est en lin blanc. 3480-3481. Ces deux vers ne se trouvent que dans le manuscrit de Giessen, dans celui de Lindau (u) et dans b (Cpg 391 conservé à Heidelberg). 3504-3587. Le motif de la vie assimilée à un songe est fréquent dans la littérature médiévale et permet le plus souvent de mettre en exergue l’aspect éphémère, futile et illusoire des joies terrestres. Cf. Freidank, Bescheidenheit 128,12 ; H. E. Bezzenberger (éd.) Fridankes Bescheidenheit, Aalen, Otto Zeller Verlagsbuchhandlung, 1962 (Neudruck der Ausgabe 1872) : « Mîn herze in troume wunder siht | daz nie geschach und niemer geschiht » (« Mon cœur voit en rêve des merveilles qui ne se sont jamais produites et n’auront jamais lieu »). Dans Iwein, le rêve permet également de révéler la noblesse du héros et son désir de se comporter en chevalier. Iwein paraît assister ici au spectacle de sa vie passée.

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3523-3525. Les leçons de A et B ne correspondent pas au sens du roman. Sans doute faudrait-il lire « unmanigen tac », c’est-à-dire : « toutefois je m’occupai d’elle peu de temps » (A) ou « ainsi qu’un riche pays dont je m’occupai peu de temps » (B). Seuls D et E proposent cette leçon, cf. E : « wan daz ich ir do phlach, | so mir troumet, unmangen tach » (f. 12rb). 3531. La leçon de A est plus logique : « diz nist alliz niht war » (« Tout ceci ne peut pas être vrai »). 3558-3563. Iwein a recouvré la raison mais pas la mémoire. Celle-ci ne lui reviendra, de manière très brutale, que lorsque le hasard l’aura mené à la fontaine de Laudine. 3567. Littéralement : le rêve m’a privé de mon droit. Le substantif « reht » désigne ici l’appartenance d’Iwein à la chevalerie, son statut social. 3572. Ce vers rappelle par sa teneur une élégie de Walther von der Vogelweide (K. Lachmann, Die Gedichte Walthers von der Vogelweide, 13., aufgrund der 10. von Carl von Kraus bearbeiteten Ausgabe, neu herausgegeben von Hugo Kuhn, Berlin, de Gruyter, 1965 [désormais abrégé en L], 124,2) : « ist mir mîn leben getroumet | oder ist ez wâr ? » (« Ma vie est-elle un songe ou est-ce la vérité ? »), sans qu’il soit toutefois possible de savoir si l’un des deux auteurs a influencé l’autre. 3631. Ces paroles par lesquelles Iwein s’engage à être reconnaissant envers la demoiselle constituent un ajout de Hartmann. 3639. Chez Chrétien, Yvain demande si la demoiselle a besoin de lui (Chevalier au Lion, v. 3080 sq.), ce détail est omis par Hartmann. L’aide qu’apporte Iwein à ceux qui sont dans la détresse paraît être si naturelle et spontanée qu’une telle question est superflue (cf. v. 3702 sqq.). 3653. Le terme « luogemære » signifie littéralement « histoire mensongère ». La messagère mise sur la parole que lui a donnée le chevalier. Il lui a promis de lui être éternellement reconnaissant, il ne la trahira donc pas en révélant la vérité. Ce silence complice, qui fait de lui le témoin d’une scène qui n’a jamais eu lieu, constitue paradoxalement un premier pas sur le chemin de la loyauté, du respect de la parole donnée, du service rendu en échange d’un autre. Le mensonge est amené différemment chez Chrétien (Chevalier au Lion, v. 3090-3115) : il est rapporté par le narrateur qui prend soin de préciser que la demoiselle a jeté la boîte vide dans l’eau et a soigneusement préparé le mensonge qu’elle allait raconter à sa dame. Par ailleurs, la dame demande discrètement sa boîte d’onguent à la demoiselle, et s’adresse à elle en aparté : « Mes ce fu seul a seul » (v. 3112). Yvain ne joue donc aucun rôle. Hartmann opte pour plus de spontanéité et transpose le passage au discours direct, mais surtout il implique Iwein qui devient involontairement le garant de la pseudo-véracité des propos de la demoiselle. Le recours à la bonne ruse rapproche cette demoiselle de Lunete. 3663. « dez ros » : forme alémanique (souabe) pour « daz ros ».

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La dame qualifie son cheval de « ros » (destrier) alors qu’il s’agit sans doute d’un palefroi. Cela correspond au mensonge qu’elle invente : le cheval est trop fougueux et ne convient pas à une dame. 3672. L’emploi du verbe « soln » renvoie à une fatalité à laquelle on ne saurait échapper. 3684-3687. Ces vers énonçant une sentence morale sont soulignés dans le manuscrit, ceci n’est sans doute pas le fait du copiste. La dame applique cette sagesse : rien n’indique qu’elle croie vraiment au mensonge imaginé par la demoiselle, elle sait cependant renoncer à sa colère et ne se lamente pas au sujet de ce qu’elle a définitivement perdu. 3701. Le terme « sariande » du vieux-français « sergenz » (Chevalier au Lion, v. 3146) désigne les hommes d’armes, non nobles, qui assurent avec les chevaliers la défense du pays. Ils combattent à pied ce qui explique qu’au dehors de la forteresse ils n’aient pu faire face aux troupes à cheval du comte Aliers. 3716-3725. C’est un nouvel Iwein qui est à l’œuvre dans la deuxième partie du roman : il se montre spontanément reconnaissant et loyal. 3753. À travers les deux adverbes employés, ce vers suggère l’alliance de témérité (« genendeclichen ») et de rapidité (« schiere »). 3760-3777. Cet épisode décrit à nouveau comment Iwein poursuit et rattrape un chevalier, mais cette fois il ne le tue pas. Même si les circonstances du combat sont différentes (Aliers n’est pas blessé et est ralenti par la pente), Iwein n’est plus motivé par la quête de gloire personnelle mais par le désir de lutter pour le droit et d’assurer la paix à la dame de Narison. 3794. Tout le passage permet de souligner la fidélité du chevalier, même s’il n’a plus conscience d’être marié à Laudine, ainsi que son désintéressement et sa grandeur d’âme. 3826. Le substantif « wuorm », en vieux-français « serpant » (Chevalier au Lion, v. 3351), peut désigner le serpent comme le dragon, au Moyen Âge ces deux termes sont souvent synonymes. 3842. Par deux fois, l’auteur allemand souligne la noblesse de l’animal (cf. v. 3857). Chrétien met l’accent sur les vertus du lion qui s’opposent à la félonie du serpent venimeux : il évoque « la beste gentil et franche » (Chevalier au Lion, v. 3377) qui agit comme un animal « preuz et deboneire » (ibid., v. 3395). Toutes ces qualités sont propres à l’animal noble, cependant l’opposition animal mauvais et diabolique / animal bon et christique est suggérée par Chrétien tandis que Hartmann n’y fait pas allusion. 3883. Littéralement : avec sa bouche.

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3885-3886. La leçon de A est plus proche du texte de Chrétien (Chevalier au Lion, v. 3438 sqq.) : « Do gruozter in al sein suchhunt | u volgetim von der straze » (« Iwein l’excita comme un chien de chasse et le suivit à l’écart de la route »). 3888. Erreur du copiste, il faut lire : « stende vant » (cf. A : « stande vant »). 3952. Il faut noter ici l’emploi de l’adjectif « unsælech » qui marque l’idée de malheur, lié au sentiment d’avoir perdu la grâce de sa dame et d’être abandonné par Dieu (cf. note relative au vers 3). La même thématique sera reprise par Lunete qui disculpe Iwein de toute faute et qui met en cause sa propre malchance, son infortune (v. 40574059). 3943-3945. La tentative de suicide du lion est décrite plus longuement chez Chrétien qui, par le recours à l’anthropomorphisme, confère à ce passage une dimension comique : le lion se tord les pattes, se griffe et rugit, avant de prendre l’épée de son maître avec les dents et de la coincer sur un rondin (Chevalier au Lion, v. 3506-3519). Cette dimension comique a été totalement supprimée par Hartmann. 3965. Le terme « wunne / wünne » est, dans le Gregorius et dans Le pauvre Henri, associé aux plaisirs mondains, vains et éphémères. Il désigne la joie que procurent à nos sens les plaisirs terrestres, et revêt un aspect sensuel qui s’oppose à la signification plus éthérée et positive de « sælde ». Ici, il va de pair avec les honneurs, la gloire éphémère que recherchait Iwein dans la première partie du roman. En même temps qu’il recouvre la mémoire, Iwein semble devenir lucide. 3973. L’expression «  senede swære  » se rapporte à la souffrance due au chagrin d’amour, à la langueur amoureuse, la nostalgie de l’être aimé. Cf. « min senediu not » au vers 4227 : « la souffrance que me cause l’amour ». 3980. Laudine est l’héritière du royaume. Une fois répudié, Iwein a perdu tout droit sur les terres et le royaume de Laudine. 3987. L’épée symbolise ici la chevalerie et renvoie aux arguments avancés par Lunete lors de son réquisitoire contre Iwein : celui-ci s’est montré indigne de sa fonction de chevalier, car il n’a pas su être loyal. La même symbolique était déjà évoquée au vers 3218. Le lion incarne quant à lui la loyauté absolue. 3989. Le texte donne ici deux leçons simultanément : le pronom « in » a été rajouté au-dessus de « mich ». Dans les deux cas, le sens demeure le même car « mich » signifie « moi » et « in » se rapporte à « min lip » au vers 3985 (mon corps, ma personne, moi). La même particularité se retrouve dans le manuscrit de Lindau (u). 4031. La peine de mort réservée à Lunete (la pendaison ou le bûcher) est infamante alors que la jeune femme, dame d’honneur, confidente et conseillère de la reine, est sans doute noble. Les nobles étaient en général décapités, avant d’être éventuellement pendus, et avaient le droit de garder les vêtements dignes de leur rang. Seuls les rotu-

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riers sont conduits en chemise au lieu de leur supplice. Lunete sera conduite au bûcher en chemise. Hartmann emprunte ces éléments à Chrétien : le sénéchal ne souhaite pas seulement éliminer Lunete, il veut aussi l’humilier. Au Moyen Âge, la peine de mort constitue souvent également une atteinte à l’honneur personnel et familial. On peut ainsi songer au châtiment que le roi Marc souhaite infliger à Yseut dans les versions de Béroul et d’Eilhart von Oberg : après avoir souhaité la faire brûler sur un bûcher, il se ravise et préfère la livrer aux lépreux afin que sa mort soit la plus lente et la plus ignominieuse possible (Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, op. cit., p. 33-35 et p. 320 sq.). 4140. L’expression « ez bereden wider einen » relève du langage juridique et signifie que l’on va démontrer le contraire de ce qui a été affirmé par la partie adversaire, soit en avançant des preuves soit par un duel judiciaire. 4170. Dans Erec, le narrateur évoque trois Iwein : Iwein fil li roi Urjen, Iwan von Lonel, Iwan von Lafultere (Erec, v. 1641-1645). 4172. Il est difficile de savoir si le terme « bant » doit être compris de manière littérale (les liens) ou s’il renvoie de manière figurée à la captivité de Lunete. Au vers 6830, les liens sont la métaphore de la captivité des trois cents jeunes femmes. 4155. Le manuscrit comporte ici deux vers qui ont été sommairement rayés : daz ich ir dewedern vant. den man noch diu mære. wa er zevinden wære. ouch suochte ich den kunech Artus.

[fol. 81r]

Il s’agit d’un bourdon du copiste qui a recopié trop tôt les vers 5750-5751. Les deux passages se ressemblent ce qui explique sans doute la confusion. L’erreur n’a semblet-il pas été vue assez tôt par le copiste, car la page comporte en tout 26 lignes comme toutes les autres pages du manuscrit. Le copiste du manuscrit de Lindau (u) a tenu compte des vers barrés et ne les a pas recopiés. 4169. Dans le texte allemand, Lunete ne dévoile l’identité des deux chevaliers qui pourraient lui venir en aide qu’à la fin de son discours. Chez Chrétien, elle les nomme dès le début et ne parle du sénéchal qu’ensuite. Hartmann a inversé l’ordre des éléments afin de ménager le suspens. 4199. La leçon de B et celle de b sont incohérentes : « s’il était semblable à luimême ». Nous traduisons ici la leçon de A : « ware sie sinem libe gelih » (« et même si elle était du même rang que lui »). En tant qu’héritière d’un royaume, Laudine est supérieure à Iwein qui semble ne rien posséder malgré son sang royal. L’auteur met l’accent sur deux aspects : en plus

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d’un mariage hypergamique qui a rapporté à Iwein un royaume, il a gagné une épouse très belle. 4200. Erreur du copiste puis autre erreur de l’enlumineur : c’est le vers 4201 qui aurait dû commencer par une lettrine rouge : Do sprach er : « heizzet ir Lunet ? ». La place nécessaire à la lettrine était aménagée aux vers 4202 et 4203, mais pas au vers 4201. 4204. Le malheur et l’humilité permettent le rapprochement de Lunete et d’Iwein. 4212. Il semble que le copiste de B ait omis le sujet de la proposition relative, cf. A : « Ih neweiz weme ih sie mere gebe ». Une traduction littérale de la leçon de B serait : « Je ne sais sur qui elle [= la faute] pèse le plus ». 4219. Le sens de ce vers, présent dans B et b, laisse perplexe : « alors je me ferai également tuer. » ; la leçon de A est plus cohérente dans le contexte : « So sol ih mih selber slan » (« alors je me tuerai moi-même »). Nous traduisons ici la leçon de A. 4237. Le terme « rache », qui signifie vengeance ou punition, a ici une double acception : il s’agit de venger Lunete pour l’affront et les déboires qu’elle a subis, et de la punition qu’Iwein veut s’infliger à lui-même pour avoir perdu l’amour de sa dame. Peut-être s’agit-il aussi d’une punition posthume qu’Iwein veut infliger à sa dame en se tuant devant elle. 4314. Lunete affirme que la vie du chevalier est plus utile que la sienne. Ces propos sont caractéristiques de l’altruisme qui distingue chez Hartmann nombre de personnages féminins (cf. la cadette de Noire Épine, v. 7377). Dans le Pauvre Henri, la jeune femme prête à se sacrifier pour sauver Henri de la lèpre utilise exactement les mêmes termes (v. 926). Dans Erec, Enite souligne que la vie d’Erec vaut bien plus que la sienne (v. 3168-3173). 4320. Erreur du copiste, il faut lire « sint » et non « sins ». 4354. Le terme « mange » désigne une machine de jet et a la même racine grecque « μάγγανον ») ou latine (« manga » / « mangana » / « manganum ») que le nom français mangonneau. 4396-4425. Le motif de la joie (« freude »), évoqué à plusieurs reprises dans ce passage, s’oppose au malheur («  herceleit  », «  leit  », «  sorgen  », «  weinen  », « clagen ») qui frappe le château et ses habitants. La vraie joie doit être sincère et la fonction du miles christianus sera de réinstaurer cette joie. 4471. Le traitement réservé par le géant aux deux chevaliers est particulièrement infamant et indigne de leur rang, Chrétien se contente d’indiquer qu’il les a tués. Rappelons que la pendaison est une mort indigne d’un chevalier.

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4517. Le récit de l’enlèvement de la femme d’Arthur est plus détaillé chez Hartmann que chez Chrétien, car le public allemand ne pouvait se référer, comme l’auditoire français, à l’histoire du Chevalier de la Charrette. 4525. Le motif de la Table ronde, impliquant une parfaite égalité entre les chevaliers, est évoquée pour la première fois par Wace (Roman de Brut, v. 9998). Dans Erec déjà, Hartmann énumérait les chevaliers composant la Table ronde (Erec, v. 1616 sqq.). 4528-4537. Motif du don contraignant : le roi s’engage à accorder un don avant de savoir de quoi il s’agit. Il a toutefois la sagesse d’ajouter que la demande doit être décente. 4623. Après ce vers intervient une lacune dans le manuscrit de Giessen : les folios 90 à 92 ont disparu. Le manuscrit a été complété en 1531 à partir d’une source bavaroise contenant certaines erreurs. Nous nous référons au texte de A pour combler cette lacune. 4630. Chez Chrétien Keu est sénéchal, c’est-à-dire chef des armées d’Arthur, en ce sens c’est effectivement à lui qu’il revient de délivrer la reine. Dans le contexte allemand, Key est officier tranchant, à savoir responsable du service de table (« truhsæzze », cf. « Introduction »). Ici, le contexte français du texte source interfère dans le roman allemand et le rôle que revendique Key. Dans ce passage, il se conduit à nouveau comme un hâbleur, incapable d’être à la hauteur de la mission qui lui incombe. 4655. Le copiste de A a oublié un vers après le vers 4655, cf. b : hiemit was er auch bereit | und was der erste an yne | auch geriet ym der erst ungewin | zu sinen uneren | do er den gast bad keren (« Ainsi, il était prêt et fut le premier à l’affronter – et, à sa grande honte, il fut aussi le premier à être vaincu lorsqu’il demanda à l’étranger de faire demi-tour »). Nous traduisons ici d’après b. Dans le manuscrit de Giessen, les vers complétés à partir d’une source bavaroise sont ici assez fiables : nu was auch er berait | und was der erst an in | do gereit der erst ungewin | im zuo seinen grozzen uneren | do er den gast bat keren.  4684. Dans le manuscrit de Giessen, le passage complété d’après la source bavaroise est proche de la leçon de la plupart des autres manuscrits : Do errait den riter auf einem gevilde | her Dodides der wilde | der prach auf im sein sper | do mit ward auch er | gesazt auf das gras | so lanck do das sper was (Monseigneur Dodides le sauvage rattrapa le chevalier en plein champ et brisa sa lance en l’attaquant : lui aussi fit un saut d’une longueur d’une lance et fut projeté sur l’herbe). 4680. Erreur du copiste, il faut lire « sahen ». 4688. Segremors apparaît dans les œuvres de Chrétien où il est qualifié de fou, « Sagremors li desreez » (Cligès, v. 4646). 4690. Hartmann est le seul à mentionner le nom de Henete.

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4692. Pliopleherin est sans doute une déformation de Blioberis. Ce chevalier fait partie des membres de la Table ronde énumérés par Chrétien de Troyes dans Érec et Énide (v. 1696). Il réapparaîtra dans d’autres romans arthuriens allemands, notamment dans le Parzival de Wolfram von Eschenbach. Millemargot n’apparaît pas chez Chrétien, ce vers de Hartmann est la seule occurrence qui mentionne son nom. 4695. Dans Érec et Énide ainsi que dans l’adaptation allemande, Ydiers / Iders est vaincu par Erec lors du tournoi de l’épervier et envoyé à la cour d’Arthur afin de s’y constituer prisonnier. 4715. Erreur du copiste, il faut lire « niht ». 4736. Bourdon du copiste. Le substantif désignant le sujet a été oublié, il s’agit du géant ; cf. b : « das uns der rise komet so fru ». 4753. Erreur du copiste, il faut lire : « gast ». 4754. Erreur du copiste, il faut lire : « do ». 4755. La rime nécessiterait : « muot ». 4777. Fin de la lacune du manuscrit de Giessen. 4778. Iwein fait ici allusion à sa propre situation, il ne perd jamais de vue qu’il a luimême tout perdu, sa femme et son royaume. La cohésion de la classe nobiliaire a lieu ici encore sous le signe de l’humilité et d’une souffrance, d’une misère partagées par tous. 4804. Dans la tradition chrétienne, l’agneau renvoie au Christ qui se sacrifie pour l’humanité : Il est l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1,29 et 1,36). L’association biblique du lion et de l’agneau (Ap 5,5), présente chez Chrétien (Chevalier au Lion, v. 4009-4012), est gommée par Hartmann où l’agneau est remplacé par un vulgaire mouton, simple symbole de docilité (cf. Pérennec, Recherches sur le roman arthurien, op. cit., vol. 1, p. 179). Il est également fait allusion à cet animal au vers 1375, où il apparaît comme la proie des loups. 4829-4830. Une nouvelle fois, le texte met l’accent sur la grandeur d’âme et l’abnégation du héros : Iwein ne se bat pas pour des biens. 4842. Nouvelle association de la félicité et de l’honneur, du divin et du profane, reprise juste après par la juxtaposition de Dieu et de Gawein, représentant de la société courtoise. Cf. Mt 5,6. 4857. Là encore, Hartmann opte pour le discours direct afin de mieux rendre compte du dilemme auquel Iwein est en proie. 4860. Les expressions « ein geteiltez spil » et « ein spil teilen » correspondent à l’ancien français « jeu parti » et « partir un jeu » et sont issues du jeu d’échec : dans

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les romans arthuriens cette expression recouvre l’idée de choix à faire, d’alternative, mais aussi de risque aux conséquences souvent fatales (cf. Lanzelet de Ulrich von Zatzikhoven, op. cit., p. 92-93 : Le père d’une demoiselle propose au héros un jeu parti, de son issue dépendra la vie ou la mort de Lanzelet). Hartmann emploie cette expression dans l’un de ses poèmes qui montre bien que, quelle que soit l’issue, on risque de tout perdre : « Die vriunde habent mir ein spil | geteilet vor, dêst beidenthalben verlorn » (MF 216, 8-9 ; « Mes parents m’ont confronté à un jeu parti lors duquel je ne peux que perdre  »). C’est d’ailleurs ce sens qu’a conservé le terme anglais « jeopardy » qui désigne un danger, un péril. 4876-4879. L’évocation de Dieu à cet endroit est un ajout de Hartmann. Tout semble dépendre de la Providence : l’aventure n’est plus due au hasard, c’est Dieu qui a guidé Iwein jusqu’ici. De la même façon, le texte suggère que l’arrivée tant attendue du géant est une conséquence de la prière qu’Iwein adresse à Dieu. 4921-4922. L’état pitoyable des chevaux, maigres et malades, est à l’image des chevaliers qui les montent. 4956. L’utilisation à deux reprises du terme « riter » (chevalier, v. 4956 et v. 4995) pour désigner le géant est surprenante : au chevalier rédempteur, qui apporte aide et réconfort, s’oppose un « chevalier » brutal et orgueilleux. À travers ce combat contre un géant, Hartmann met en scène la confrontation entre la bonne et la mauvaise chevalerie, la chevalerie chrétienne et la chevalerie orgueilleuse et homicide. 4958. Le terme « ungewizzenheit » désigne ici l’ignorance de ce qu’il convient de faire, le fait de ne pas tenir compte de l’origine noble de ces chevaliers. Ce qui est reproché au géant n’est pas tant sa violence en elle-même que le fait qu’elle soit dirigée contre des nobles à qui l’on inflige un traitement indigne de leur statut et de leur naissance. 4980. Chez Chrétien, le géant et Yvain se tutoient. L’adaptateur opte, dans A comme dans B, pour le vouvoiement, ce choix de la courtoisie correspond sans doute à la volonté de faire de ce combat un duel entre deux chevaliers. 4999. Le terme « wip » désigne ici les femmes du peuple. 5005-5009. Il s’agit d’un ajout de Hartmann pour qui il importe de montrer que le géant est avant tout victime de son orgueil et justement puni par Dieu. Chez Chrétien, la description du combat commence immédiatement après l’échange verbal entre le géant et Yvain. 5029. Nous avons ici l’une des caractéristiques du héros hartmannien : à la force et au courage vient s’ajouter l’intelligence, la présence d’esprit, qui permet au chevalier de l’emporter sur un adversaire plus puissant. Cette même qualité intellectuelle sera également mise en exergue lors du combat qui oppose Iwein au sénéchal de Laudine

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et à ses frères (cf. v. 5302-5306). Le bon combattant doit savoir se protéger et ménager ses forces pour pouvoir en disposer lorsque l’adversaire s’est affaibli. 5017. Erreur du copiste, il faut lire « ysen » et non « ysich » (cf. A : « daz iserne sper »). 5058. Chez Chrétien, le géant est atteint au foie, organe également considéré comme le siège de la vie (Chevalier au lion, v. 4243). 5065. Le terme « heil » renvoie au salut dont Iwein est porteur. 5084-5086. C’est-à-dire qu’ils demandent à Iwein de devenir leur suzerain. 5094. Le lien qui unit Iwein à Gawein est celui de l’amour (« minne ») qui existe entre deux compagnons d’armes. Depuis sa répudiation par Laudine, ce n’est plus le terme « minne » qui est employé pour qualifier la relation d’Iwein envers sa dame, mais celui de « hulde » : Iwein a perdu la grâce de sa dame et cherche à la recouvrer. La relation envers Gawein se différencie donc fondamentalement de celle envers Laudine. 5166. L’expression « ubeliu diet » est la traduction littérale de « gent malveise » (Chevalier au Lion, v. 4339). 5176-5178. Le fait de voir sa dame par les yeux du cœur est un motif fréquent dans la poésie du Minnesang (cf. Walther von der Vogelweide : « welt ir wizzen, waz diu ougen sîn », L. 99,27) : le cœur d’Iwein est au service de la dame. 5250. Pour la première fois le lion apparaît comme attribut patronymique du chevalier qui devient le Chevalier au Lion, même si pour l’instant seul le narrateur emploie ce qualificatif. Chez Chrétien, Yvain se nomme lui-même « li Chevaliers au Lyon » après le combat contre Harpin (Chevalier au Lion, v. 4291), tandis que, dans le texte allemand, le héros reste plus vague et déclare juste qu’il a un lion avec lui (v. 5112,). Hartmann se garde d’ailleurs d’employer l’expression « riter mit dem leun » avant le vers 5250 et opte pour une formulation descriptive : « der riter der einen leun pflac » (v. 4728, 4944, 5066, 5213). La traduction « der riter mit dem leun » (littéralement : le chevalier avec le lion) est d’ailleurs moins ambiguë que la tournure française : en allemand, la question ne se pose pas de savoir si c’est le lion qui appartient au chevalier ou si c’est le chevalier qui dépend du lion. Néanmoins, afin de rester fidèles au texte français et par souci de style, nous traduisons par « Chevalier au Lion ». Si le héros cache son vrai nom, cela tient bien entendu à la honte qu’il éprouve à avoir trahi sa dame. Cela n’est toutefois pas la seule raison. Chez Chrétien, l’aventure et la prouesse permettent au chevalier de recouvrer son identité ou, comme c’est le cas ici, d’affirmer une nouvelle identité. Celle-ci est revendiquée par le héros qui demande au châtelain d’aller annoncer à Gauvain que le Chevalier au Lion a tué Harpin. Le lion est le symbole de ce nouveau chevalier qui lutte pour le droit et pour Dieu. La nouvelle identité du héros va lui permettre de réintégrer la société courtoise et de

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mériter à nouveau l’amour de sa dame ; cf. B. Woledge, Commentaire sur Yvain (Le chevalier au lion) de Chrétien de Troyes. Tome II, op. cit., 1988, p. 33-34. Dans le roman allemand, le lion est associé à la miséricorde qu’éprouve Iwein (v. 4727 sq.), à son désir de réconforter ceux qui sont dans la détresse (v. 4944), au salut apporté par Iwein (v. 5066). Il ne sert plus à revendiquer la victoire d’Iwein mais annonce le combat que le chevalier va livrer au nom de Dieu et de la vérité (v. 5250). Là encore l’optique est chrétienne, toute fierté chevaleresque est exclue. Une autre différence essentielle doit être soulignée dans l’emploi de l’expression « riter mit dem leun ». Iwein ne se nomme lui-même ainsi qu’au vers 5489, alors que Laudine lui demande de lui révéler qui il est. L’affirmation de la nouvelle identité intervient plus tardivement dans l’adaptation allemande que chez Chrétien, car elle est liée à la quête du pardon et de la grâce qu’accordera la dame. Tant qu’il n’obtient pas ce pardon, Iwein sera le Chevalier au Lion et masquera sa vraie identité. Il faut noter que le lion disparaît au moment où Iwein retourne à la cour de Laudine afin d’y recouvrer définitivement la grâce de la souveraine. L’expression « Chevalier au Lion » est employée une dernière fois par Lunete avant les retrouvailles. Elle déclare en effet que la reine ne sait rien au sujet d’Iwein si ce n’est qu’il est le Chevalier au Lion (v. 8070). Cependant, ce n’est pas le Chevalier au Lion que Lunete présente à la reine mais Iwein, le mari de celle-ci (v. 8129). 5269-5271. Chez Hartmann, le sénéchal n’est ni un félon ni un homme orgueilleux. Il est persuadé que Lunete a trahi la reine et qu’il agit au nom de Dieu et de la justice. 5277. Allusion à Dieu et à la vérité. Iwein ne combat plus pour sa gloire personnelle mais pour Dieu et la vérité. 5310-5319. Hartmann nous offre ici un exemple de stratégie chevaleresque parfaite : Iwein parvient à isoler le sénéchal de ses deux frères et, par un mouvement rapide de volte-face, il le surprend et le désarçonne. La violence des combats intéresse peu Hartmann qui préfère l’aspect stratégique et intellectuel de ces joutes. Une fois de plus, c’est l’intelligence du chevalier et son entraînement qui lui permettent de l’emporter. 5319. Le passage est ambigu : l’expression « als er gerte » (« comme il le souhaitait ») peut se rapporter au sénéchal et signifier que celui-ci souhaite être le premier à affronter Iwein. Elle peut aussi se rapporter à Iwein et souligner son esprit tactique. Dans ce cas, il faudrait comprendre : « comme Iwein l’avait prévu ». 5321. Ce coup demande une très grande dextérité, cf. note relative aux vers 7152-7155. 5416-5424. Le fait que l’accusateur subisse, en cas de défaite, le sort réservé à celui qu’il avait défié n’est pas une coutume attestée au Moyen Âge. Afin d’être dédommagé d’un préjudice, il était d’usage d’exiger de la partie adverse une compensation financière. Hartmann emprunte ce motif à Chrétien (Chevalier au Lion, 4570-4575) et semble s’en distancier en reléguant cette coutume à une époque révolue.

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5457. Le fait qu’Iwein déclare avoir injustement (« ane schulde ») perdu la grâce de sa dame est en contradiction avec les différents passages lors desquels il affirmait être le seul coupable. Sans doute veut-il dire qu’en ayant prouvé sa loyauté envers Lunete il a du même coup montré qu’il est loyal envers Laudine et qu’il est désormais digne de recouvrer sa grâce. En défendant le droit et ceux qui sont dans la détresse, il a prouvé qu’il possède les vertus nécessaires à un souverain. Il semble que cela s’inscrive dans son évolution, toutefois cela ne suffit pas pour regagner la grâce perdue. 5518. Reprise du leitmotiv « félicité et honneur ». 5559. L’usage du bouclier comme civière est attestée au Moyen Âge. La forme en amande des écus que portaient les chevaliers correspondait en effet à la silhouette d’un homme (cf. D. Barthélémy, La chevalerie. De la Germanie antique à la France du XIIe siècle. Paris, Perrin, 2012, p. 260). On remarquera chez Chrétien comme chez Hartmann le recours à la mousse et à d’autres végétaux afin de rendre le transport du blessé moins pénible, Chevalier au Lion, v. 4656 : « De la mosse et de la fouchiere ». 5593-5595. Chez Chrétien, les gens du château regrettent que le chevalier et le lion, considéré comme un être humain, aient à coucher dans la même chambre : la bienséance aurait voulu que chacun dispose d’une chambre particulière, mais il semble qu’Yvain ne veuille pas être séparé de son lion (Chevalier au Lion, v. 4692-4695). Hartmann n’évoque pas ce dilemme, sans doute parce que le lion est moins humanisé que dans le roman français et aussi parce que le chevalier et l’animal sont tellement indissociables que la question ne se pose pas. 5605. Ce vers reprend l’idée exprimée par Chrétien  : «  Deus puceles qui mout savoient | de mecines […] » (Chevalier au Lion, v. 4697 sq. ; « Deux demoiselles expertes en médecines »). 5613. Le terme « beclagen » est juridique (accuser, faire valoir son droit) et équivaut à l’ancien français « tenir plet » (Chevalier au Lion, v. 4704). Les expressions « mit gewalte twingen » (contraindre par la force), « ze suone gebn » (donner en guise de dédommagement) relèvent du même registre juridique et n’ont pas d’équivalents chez Chrétien. 5622-5624. L’Empire ne connaît pas le droit de primogéniture mais applique la règle du partage entre les différents héritiers. La conduite de la sœur aînée est donc fondamentalement inique. C’était déjà le cas dans le roman français : malgré la règle du droit d’aînesse, la coutume française prévoyait un dédommagement pour les cadets (sous forme d’argent, d’une part d’héritage, de dot). Cette dispute entre les deux sœurs n’a pas la même résonnance sociale en Allemagne qu’en France où le problème du droit d’aînesse se pose de manière plus aiguë. 5629-5630. Nous optons ici pour la leçon de A, celle de B signifie littéralement : « Je croyais que tu m’aimais beaucoup ».

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5634. Le terme « ere » (honneur) se rapporte ici au statut social et juridique de la cadette, cf. note relative aux vers 1821 et 1839. 5656. En accordant son aide à l’aînée, Gawein fait preuve d’une évidente légèreté. Il le reconnaîtra d’ailleurs après le combat contre Iwein. 5666-5668. Le narrateur ne révèle pas qui a délivré la reine. Chrétien évoque quant à lui le nom de « Lanceloz » (Chevalier au Lion, v. 4744) qui, après la libération de la reine, reste prisonnier dans une tour. 5698-5701. Ces paroles confirment la légèreté dont fait preuve Gawein : il aurait suffi à la cadette d’arriver plus tôt pour obtenir le soutien du chevalier. À l’inverse d’Iwein, Gawein agit de manière irréfléchie et n’accorde pas son aide selon des critères éthiques. Il continue à incarner une conception superficielle et insuffisante de la chevalerie. 5755. Il s’agit chez Chrétien d’un ami, Chevalier au Lion, v. 4826  : «  un suen acointe ». 5778. L’adjectif « tief » (profond) est ambigu : il peut signifier que le chemin est encaissé ou qu’il est boueux et que le cheval de la demoiselle s’enfonce (idée que l’on retrouve dans le texte français, Chevalier au Lion, v. 4847-49). 5851-5852. Il semble bien en effet que la messagère soit guidée par Dieu durant tout son périple. 5874. Chez Chrétien, Lunete ne prie pas dans la chapelle de la fontaine mais dans une église, un « mostier » (Chevalier au Lion, v. 4961). 5901. Allusion à la messagère et à la cadette. 5955-5957. Nous traduisons ici la leçon de A, la leçon de B signifie littéralement : « Puissions-nous éprouver la même joie quand nous nous retrouverons tous que celle qu’elle ressentit alors. » 5958. Il faut noter dans ce passage l’omniprésence de Dieu et l’aide que la messagère Lui demande. 5986. Littéralement : « afin de vous demander une grâce ». 5988. Cette réponse est ambiguë et signifie littéralement « Je n’ai pas de grâce » ; cela peut vouloir dire que ce n’est pas à Iwein qu’il revient d’accorder la grâce ou que lui-même ne jouit plus d’aucune grâce depuis que Laudine l’a répudié. 5990. À la différence de Gawein, Iwein n’est prêt à accorder son aide qu’à une personne de bien. 6029. Cf. la note relative au vers 2927. L’expression « ehaftiu not » traduit ici « uns forz max » du roman français (Chevalier au Lion, v. 5092 ; « une forte indisposition »).

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6044. Nous traduisons ici la leçon de A pour des raisons de cohérence, le texte de B signifie littéralement : « leur renommée à eux deux ». 6067. L’aventure qui commence ici ne porte pas de nom dans le roman allemand, tandis que dans la version française elle se déroule dans le château de « Pesme aventure » (Chevalier au Lion, v. 5111). Le nom français, qui désigne la « pire des aventures », indique qu’il s’agit d’une épreuve d’idonéité : le héros va réussir là où tous ceux qui ont déjà tenté l’aventure ont échoué. Elle est réservée au chevalier élu, à celui qui, chez Hartmann, jouit incontestablement du soutien de Dieu. Cette aventure s’inscrit d’ailleurs dans une gradation : cette fois, Yvain / Iwein ne combat pas un géant mais deux êtres gigantesques et diaboliques. Il va ainsi démontrer qu’il a toutes les vertus nécessaires à l’exercice de la royauté, vertus guerrières auxquelles Hartmann rajoute l’exercice de la compassion, indispensable au roi chrétien et juste. En ce sens, il faut rapprocher cette aventure de celle de la Joie de Cour dans Érec et Énide et en particulier de la version allemande de cet épisode dans Erec où le héros fait preuve de la même miséricorde qu’Iwein et délivre quatre-vingts veuves (cf. « Introduction »). 6072-6073. Il s’agit peut-être ici d’une réminiscence d’Erec, v. 223 : « ein market under dem hûse lac » (« une place de marché se trouvait au pied du château »). 6122. Cf. la note relative au vers 1149. 6130. Chrétien évoque une coutume qui interdit aux habitants du village d’héberger un chevalier étranger (Chevalier au Lion, v. 5154 sqq.). Hartmann simplifie et ne parle que d’une interdiction. 6143. Pour le héros de Hartmann, il est trop tard pour faire demi-tour. Le chevalier français obéit quant à lui à ce que lui dicte son cœur fou (Chevalier au Lion, v. 5178). Là encore, une très nette tendance à l’idéalisation est perceptible chez Hartmann : durant tout l’épisode à venir, Iwein va agir avec sagesse et sang-froid. 6163. L’adjectif « unmære » désigne quelque chose qui est désagréable et de peu de valeur. Cela signifie ici que ces paroles déplaisent à Iwein et qu’en même temps il ne leur accorde que mépris. 6164. Durant cette aventure, le portier est qualifié à plusieurs reprises de « schalch » que nous traduisons par « coquin » : ce terme recouvre à la fois sa bassesse, sa vilenie et son manque de loyauté. C’est un fripon qui tente, sans succès, d’abuser Iwein en usant de perfidie. À l’instar de Key, autre prototype de « schalch » (cf. v. 841, v. 1526, v. 2560), le comique du passage repose sur l’opposition entre la vaine bassesse incarnée par le coquin et la noble supériorité d’Iwein. Il est donc logique que celui-ci tutoie le coquin pour lequel il n’éprouve que mépris. 6174. Chez Chrétien, les demoiselles sont retenues dans une vaste salle, un préau enclos de pieux ronds et pointus (Chevalier au Lion, v. 5192-5194), pieux qui ne sont

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pas sans rappeler l’épisode de la Joie de la Cour dans Érec et Énide. Là encore, Hartmann simplifie et n’évoque qu’un vaste atelier. 6185. Le travail des étoffes tissées d’or est emprunté à la source française qui évoque le tissage de fils d’or et de soie (Chevalier au Lion, v. 5198 et 5231). Hartmann décrit cependant un labeur beaucoup plus éprouvant qui est celui du travail du lin. L’adaptateur allemand choisit de souligner la dureté du travail imposé aux trois cents demoiselles au détriment de la cohérence du texte. Ce qui prévaut chez Hartmann est le fossé qui existe entre ce labeur, normalement exécuté par des gens du peuple, et la noblesse des demoiselles. 6192-6197. Ces vers ne se trouvent que dans B et u. 6209. Il s’agit d’une litote qui signifie que les demoiselles ne mangent jamais de viande ou de poisson. Hartmann employait le même procédé dans Erec pour décrire le grand dénuement de Koralus et sa famille (Erec, v. 366-381). 6247. Le portier se trompe fondamentalement en affirmant que Dieu a oublié Iwein, la suite de l’aventure prouvera le contraire. Chez Chrétien, le portier se contentait d’affirmer qu’Yvain avait manqué de sagesse en pénétrant dans le château (Chevalier au Lion, v. 5224-5225), reprenant ainsi l’idée déjà formulée au vers 5178. 6272. Le rire d’Iwein, nouvel ajout de Hartmann, trahit à la fois la supériorité du chevalier et sa confiance en Dieu. 6286-6289. Cette remarque sur les vaines paroles qu’échangent les femmes lorsqu’elles sont en nombre ne constitue pas une attaque misogyne mais vise à mettre en évidence la noblesse d’âme des demoiselles captives. 6313. La forme « lute » pour « liute » (les gens) est propre à l’allemand moyen, sans doute s’agit-il ici d’une erreur du copiste. 6319-6323. Le roi de l’Île des Pucelles a la même conception superficielle de la chevalerie que Calogreant et Gawein : il est juste en quête d’aventures et n’est mû par aucune considération d’ordre éthique. Sa défaite honteuse et le destin tragique des demoiselles sont les conséquences de cette erreur. 6321. La critique du seigneur est atténuée, il est qualifié chez Chrétien de « fos naïs », vrai naïf (Chevalier au Lion, v. 5262). 6329. Chez Chrétien, Yvain combat deux monstres nés d’une femme et d’un « netun », sorte de démon malfaisant d’origine marine (Chevalier au Lion, v. 5275). Ils sont également qualifiés de « filz de deable » (v. 5273), « dui maufé » (v. 5289 et v. 5333), «  les deus vis deables  » (v. 5339). C’est cette dimension diabolique et malfaisante que retient Hartmann qui parle de « valets du diable ». 6358. La coutume dure donc depuis dix ans.

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6394. Le terme « durftiginne » (pauvresse) est très dépréciateur et infamant, Iders l’emploie dans Erec pour insulter Enite (Erec, v. 693). 6441. Hartmann fait preuve d’une certaine prudence et montre qu’il se contente de répéter ce qu’il a lu dans sa source (cf. également v. 6447). 6448. La lecture d’un roman est une activité courtoise, à plus forte raison si la langue en est le français. La société noble décrite ici est raffinée et cultivée. La critique a souvent suggéré que le livre français n’était autre que le roman du Chevalier au Lion. Le texte allemand ne donne cependant aucune certitude à ce sujet. La lecture d’un roman à haute voix devant un petit cercle d’intimes renvoie sans doute à une situation réelle et à la réception des romans courtois, en particulier de l’Iwein. Le petit format du manuscrit de Giessen se prête en effet à une telle lecture devant un public restreint (cf. « Introduction »). 6476. Le terme « mantellin » vient de l’ancien français « mantel » (Chevalier au Lion, v. 5430). Il s’agit en général d’une longue cape semi-circulaire ou rectangulaire portée à la cour. Ce vêtement luxueux est le plus souvent taillé dans de la soie ou de l’écarlate, il est bordé et doublé de fourrure : il est ici sans doute fourré d’hermine blanche. Le « samit », autre terme se rapportant à la mode vestimentaire de l’époque, est également emprunté à l’ancien français et désigne une étoffe de soie incrustée de fils d’or ou d’argent. Cette étoffe d’origine orientale est proche du brocart. Le bliaut (« roc », v. 6479) est une tunique longue, taillée dans une étoffe de laine ou de soie ; il se porte sur la chemise et sous le manteau qui constituent un ensemble. 6488-6505. Chez Chrétien, la demoiselle est si belle que si le Dieu Amour l’avait aperçue il aurait pris une apparence humaine et aurait abandonné à sa divinité. Il se serait envoyé à lui-même une flèche dont la blessure saigne si elle n’est soignée par aucun médecin déloyal (Chevalier au Lion, v. 5377-5390). Amour serait donc luimême victime de l’amour vrai, un amour dont on ne peut guérir que si on est un amant déloyal. Hartmann renonce à cette subtilité rhétorique, à tout arrière-plan mythologique ainsi qu’à l’allusion quasi blasphématoire à l’Incarnation. Il remplace l’évocation du Dieu Amour par l’image de l’ange que la beauté de la demoiselle pourrait détourner du ciel, une métaphore chrétienne qui, tout en demeurant humoristique, ne choquera pas le public. Ce n’est plus le Dieu Amour qui est mis l’épreuve mais ce sont la constance et la loyauté d’Iwein lui-même qui prouve ici qu’il sait rester fidèle à sa femme. 6521-6530. Les préoccupations domestiques du couple âgé font écho au portrait que Gawein avait ébauché du châtelain qui ne vivait plus que pour son château et délaissait toute occupation digne d’un chevalier. Ce passage permet de montrer à quel point le discours de Gawein était exagéré et trahissait la réalité, une réalité plus courtoise et digne que Gawein ne le suggérait.

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6559. Il s’agit d’Iwein, de la demoiselle qui l’accompagne et du lion. 6561-6573. Lors de cet épisode, deux occasions sont données à Iwein de prouver sa chasteté et sa loyauté envers Laudine : il ne cède pas à l’amour que lui inspire la fille du châtelain, pas plus qu’il ne porte atteinte à l’honneur de la demoiselle qui l’accompagne. Les romans arthuriens visent, entre autres choses, à inciter les chevaliers qui en écoutent la lecture à contrôler leurs pulsions et renoncer à la pratique du viol. Ce passage didactique ne se trouve pas chez Chrétien. L’auteur champenois met quant à lui l’accent sur les marques d’honneur qu’on manifeste à l’égard de l’invité. Cette grande courtoisie masque un piège en principe fatal. 6590. C’est une nouvelle fois le terme « sælech » qui est employé ici : il s’agit à nouveau d’une félicité céleste qui accompagne le chevalier élu afin qu’il réussisse cette épreuve. On retrouve la même idée au vers 6802 avec l’emploi de « sælde / selde ». 6601-6603. Le châtelain prend Iwein pour un chevalier errant, en quête de richesses. Contrairement à Chrétien qui n’aborde pas le sujet des chevaliers errants sous un angle social, cette thématique est régulièrement présente chez Hartmann. 6646. Le verbe « kunrieren / kuonrieren » vient de l’ancien français « conreer » et signifie « soigner un cheval », en « prendre soin », ou « l’étriller ». 6665. Nous traduisons ici la leçon de A, B signifie littéralement : « seule une armée entière aurait pu leur faire peur ». 6665-6669. Les deux géants semblent mieux protégés que ne l’était le premier géant qu’avait affronté Iwein (v. 5004-5011). Cet épisode s’inscrit dans une gradation : la victoire contre les deux monstres sera plus difficile à remporter que dans l’épisode mettant en scène un seul géant. 6673. Le terme « mort » désigne déjà au Moyen Âge, comme en allemand moderne (« Mord »), un homicide lié à des intentions basses et perfides par opposition à « Totschlag » (cf. Deutsches Rechtswörterbuch, herausgegeben von der Preußischen Akademie der Wissenschaften, Weimar 1914, vol. 9, col. 861-868). 6685-6686. Les géants incarnent l’injustice, cette remarque souligne leur refus de toute équité et de tout combat loyal. 6718. Là encore, le narrateur souligne l’intelligence du héros, son entendement (« sin sin »). 6727. Le lion également éprouve de la pitié pour son maître. 6754-6805. Lacune dans le manuscrit de Giessen, le folio 131 est manquant. Nous nous référons à nouveau à A. 6781. Il faut noter ce geste de miséricorde d’Iwein qui, au nom de Dieu, n’achève pas son adversaire. Là encore, le héros se pose en exemple à suivre.

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6784. Pour la deuxième fois, l’intervention d’Iwein permet de ramener la joie dans un château frappé par le malheur. Ce motif rappelle l’épisode de la Joie de la Cour dans Erec. 6787. Le copiste de A a oublié la particule « an ». 6803. Notons le sens de « sælde » qui désigne ici la chance et non le bonheur accordé par Dieu. 6831-6875. Chez Chrétien, Yvain est pressé par le temps et ne s’attarde pas chez le châtelain. La longue parenthèse courtoise qui décrit le séjour au château et le rétablissement des trois cents demoiselles est un ajout de Hartmann. 6835. À la différence du destrier (« ors » ou « ros ») destiné au combat, le palefroi (« pfert ») est un cheval d’apparat utilisé pour la parade, les promenades ou les loisirs. C’est le cheval que montent les femmes. 6842-6863. Ces vers ne se trouvent que dans le manuscrit de Giessen et dans celui de Lindau. Cet ajout permet de souligner une fois de plus la grandeur d’âme et la courtoisie des trois cents dames qui, malgré les tourments endurés, font bonne figure et n’éprouvent aucune hostilité ou rancune envers le châtelain. 6873. Ces termes reprennent le leitmotiv introduit dès le prologue. 6884-6887. Ces vers sont propres au manuscrit de Giessen et à celui de Lindau. 6890-6931. Ces vers sont propres au manuscrit de Giessen et à celui de Lindau. 6939-6949. L’incognito de Gawein est nécessaire pour que le combat puisse avoir lieu. Le fait que le chevalier insiste pour ne pas être reconnu indique peut-être qu’il a conscience d’avoir accédé trop vite à la requête de la sœur aînée et de ne pas se battre pour une bonne cause. Le texte ne renvoie cependant pas explicitement à de tels remords ou à un sentiment de honte. 6952. Le terme « massenie » vient de l’ancien français « mesnie » et désigne la maisonnée, l’ensemble des gens vivant à la cour d’Arthur. 6957-6959. Du fait de l’absence du lion, Iwein ne peut être assimilé au Chevalier au Lion. Gawein ne peut donc pas savoir qu’il se bat contre le chevalier qui est venu en aide aux membres de sa famille. Ce sont ainsi deux chevaliers totalement étrangers l’un à l’autre qui vont s’affronter. De plus, le lion permettait de rétablir un équilibre des forces puisque tous les combats qu’a livrés Iwein jusqu’à maintenant étaient inégaux. Sa présence n’est plus souhaitable lors du duel qui oppose Iwein à un autre chevalier. 6960-6971. Ces vers ne se trouvent que dans le manuscrit de Giessen et dans celui de Lindau. Le châtelain dont il est question est évoqué au vers 6920, ces deux ajouts

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propres à la version B forment donc un ensemble cohérent. Chez Chrétien, Yvain et la cadette séjournent dans un « ostel bas et etroit », situé à l’extérieur du château d’Arthur, où personne ne les reconnaît (Chevalier au Lion, v. 5864-5866). Une fois de plus, cet ajout sert à renforcer l’atmosphère courtoise du roman : Hartmann a fait du dernier hôte qui reçoit Iwein un châtelain et il insiste sur le fait que toute sa cour respecte le secret qui entoure l’identité d’Iwein (cf. Bumke, Die vier Fassungen der Nibelungenklage , op. cit., p. 40 sq.). L’adaptateur allemand semble également accorder une place à la solidarité familiale, un thème qu’il n’aborde sinon jamais dans Iwein : la cadette était en convalescence chez l’un de ses parents, ce sont donc des membres de sa famille qui assistent au combat qui va la réhabiliter dans ses droits. 6974. Il s’agit d’un champ clos (un cercle : « rinc ») délimitant l’aire à l’intérieur de laquelle le combat a lieu. 7080. Le dialogue entre l’auteur et l’auditeur fictif rappelle un dialogue similaire que Hartmann avait inséré dans Erec, à l’occasion de la description du palefroi d’Enite (v. 7493–7525) : « nû swîc, lieber Hartman :  ob ich ez errâte ? » « ich tuon; nû sprechet drâte. » « ich muoz gedenken ê dar nâch. » « nû vil drâte: mir ist gâch. » « dunke ich dich danne ein wîser man ? » « jâ ir. durch got, nû saget an. » « ich wil die mære sagen. » « daz ander lâze ich iuch verdagen. » « er was guot hagenbüechîn. » « jâ. wâ von möhte er mêre sîn ? » « mit liehtem golde übertragen. » « wer mohte iuz doch rehte sagen ? » « vil starke gebunden. » « ir habet ez rehte ervunden. » « dar ûf ein scharlachen. » « des mac ich wol gelachen. » « sehet daz ichz sô reht errâten kan. » « jâ, ir sît ein weterwîser man. » « dû redest sam ez sî dîn spot. » « wê, nein, durch got. » « jâ stât dir spotlich der munt. » « ich lache gerne ze aller stunt. » « sô hân ichz doch errâten ? » « jâ, dâ si dâ trâten. »

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« ich hân lîhte etewaz verdaget ? » « jâ enwizzet ir hiute waz ir saget. » « hân ich danne niht wâr ? » « niht als grôz umbe ein hâr. » « hân ich danne gar gelogen ? » « niht, iuch hât sus betrogen iuwer kintlîcher wân. ir sult michz iu sagen lân. » (« Maintenant tais-toi, cher Hartmann, et si tu me laissais deviner ? » « J’y consens, mais hâtez-vous de parler. » « Il faut tout d’abord que je réfléchisse. » « Mais alors faites vite, je suis pressé. » « Est-ce qu’à ce moment-là tu me considéreras comme un homme qui s’y entend ? » « Assurément, mais par Dieu parlez maintenant. » « Je vais dire ce qu’il en était. » « Je vous fais grâce du reste. » « La selle était en bon bois de charme. » « Soit, qu’est-ce qui la composait encore ? » « … dorée à l’or fin. » « Qui a bien pu vous le rapporter de manière aussi fidèle ? » « …très solidement assemblée… » « Vous avez fort bien deviné. » « …et recouverte d’écarlate. » « Tout ceci me fait bien rire ! » « Voyez, je suis capable de le deviner très exactement. » « Oh oui, vous vous entendez fort bien à prédire le temps. » « Tu parles comme si tu te moquais de moi. » « Mais non, par Dieu, en aucune façon ! » « Si, ta bouche me semble moqueuse. » « J’aime rire à tout moment. » « Alors, c’est donc que j’ai bien deviné ? » « Oui, uniquement des choses banales ! » « Peut-être ai-je oublié quelque chose ? » « Vous ne savez pas ce que vous dites. » « N’ai-je pas dit la vérité ? » « Vous en êtes loin. » « Ai-je donc menti ? » « Non, c’est votre esprit puéril qui vous a induit en erreur. Maintenant laissez-moi parler ! ») Il faut cependant noter que dans Iwein le ton et la perspective ont changé : le rapport avec l’auditeur fictif s’est apaisé, il a en quelque sorte été pacifié. Certes, ce dialogue sert toujours à l’affirmation de l’auteur en tant qu’autorité narrative et à l’affirmation d’une certaine supériorité, mais cette supériorité n’est plus dirigée contre l’auditeur fictif lui-même. Le passage permet surtout une discussion avec le maître champenois. Les propos insultants ou méprisants et le ton brusque ont fait place à une certaine complicité entre l’auteur et l’auditeur fictif (« Les autres pensent, et moi aussi… »). Et même si cet auditeur suggère que Hartmann se trompe, la dispute tourne court et ne sert plus qu’à introduire la longue allégorie sur le cœur qui abrite Amour et Haine. L’auteur qui s’exprime dans Iwein n’affirme plus son originalité à toute force : c’est le maître expérimenté qui parle (et non plus le romancier « débutant » qui a composé l’Erec), il est conscient de sa propre valeur et n’a plus à la revendiquer de façon aussi vindicative. Il domine sa matière, sa maîtrise de la langue française s’est affirmée et surtout, du point de vue de la narration, il fait mieux que Chrétien en renforçant la cohérence du texte et en esthétisant la matière française. La violence des combats fait place à une recherche esthétique, à des morceaux de bravoure fondés sur l’allégorie.

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L’allégorie du cœur qui contient à la fois Amour et Haine, la comparaison des chevaliers avec des usuriers et l’éloge de la nuit participent d’une esthétique du paradoxe, d’une poétique des contraires. 7083. Le terme « vaz », utilisé de manière récurrente au fil de cette allégorie, désigne littéralement le « tonneau ». Il renvoie ici de manière générale à un récipient, un endroit clos, et se rapporte de façon métaphorique au cœur qui abrite Amour et Haine. Cette métaphore est empruntée à la liturgie et plus particulièrement au culte marial : elle y désigne un récipient qui renferme les vertus (notamment la pureté, la chasteté, la noblesse, la constance) et renvoie au saint Esprit, à Dieu et le plus souvent à la Vierge (cf. A. Salzer, Die Sinnbilder und Beiworte Mariens in der deutschen Literatur und lateinischen Hymnenpoesie des Mittelalters. Mit Berücksichtigung der patristischen Literatur. Eine literar-historische Studie, Linz, 1893, p. 17). Hartmann a déjà employé cette image dans Die Klage (La complainte) ainsi que dans Erec : à chaque fois il a fait rimer le terme « vaz » avec « haz », la haine (Die Klage, v. 1321 sq., Erec, v. 1495 sq.). Dans Iwein, ce mot semble reprendre le terme « vaissel » que mentionnent plusieurs manuscrits français (à l’exception de celui de Guiot) pour désigner le « vase » dans lequel séjournent Amour et Haine. Chrétien évoque par ailleurs un « ostel » (Chevalier au Lion, v. 6026 et v. 6029) dans lequel cohabitent ces deux sentiments contraires. 7090. Erreur du copiste, il faut lire : « so daz minne noch haz » (cf. A : « also daz minne noch hasse ») 7103. Ici encore nous rendons la métaphore féminine de l’amour (« Dame Amour ») par un masculin (cf. également v. 7119). 7123. Nous optons pour la leçon de d : « die machet sy mit gesehenden augen plint ». La leçon de B, comme celle de b (« mit sunden »), renvoie à une notion de péché et n’est toutefois pas à exclure : « et, commettant un péché, les rend aveugles ». 7137. Le terme « sælde » ne peut renvoyer dans le contexte qu’à la chance, à la fortune due au hasard. 7152-7155. Il s’agit donc de viser l’épaule, le haut du torse ou la gorge de l’adversaire. Un tel coup, qui demande une très grande précision et beaucoup de dextérité de la part du combattant, n’est que très peu évoqué dans les romans arthuriens. Il peut entraîner de graves blessures, comme la fracture de la clavicule, ou même la mort si le chevalier est touché à la gorge. On retrouve ce coup dans Lancelot ; Bohort tient sa lance plus haut qu’il ne l’aurait voulu et atteint son adversaire juste sous le menton, détruisant ainsi son haubert et lui tranchant la gorge (La première Partie de la quête de Lancelot, in Le livre du Graal, tome II, éd. par Daniel Poirion et al., Paris, Gallimard [Bibliothèque de la Pléiade], 2003, p. 1479) : « […] et Boors, qui un poi porte sa lance plus haut qu’il ne volsist, l’ataint droitement desous le menton. Se li desront le hauberc et li conduist parmi la gorge le fer trenchant, se li trenche aussi come il feïst d’un rasoir »

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(« [...] et Bohort, qui tient sa lance un peu plus haut qu’il ne l’aurait voulu, le touche juste sous le menton. Il lui disloque ainsi le haubert et fait pénétrer le fer acéré en pleine gorge, qu’il tranche comme l’aurait fait un rasoir »). Hartmann n’évoque quant à lui aucune blessure, il ne met pas l’accent sur la violence du coup mais uniquement sur l’habileté dont les chevaliers font preuve. 7171. Le verbe « krogieren » (dont il existe différentes variantes : « kreiiren », « kriieren ») est dérivé de l’ancien français « crier ». 7172. Le terme « garzune » se rapporte ici de toute évidence à des écuyers. 7179-7211. Ce passage énonce les règles de courtoisie à respecter lors d’un duel : épargner les chevaux ainsi que les membres de l’adversaire qui ne sont pas protégés. Ces recommandations sont complétées par les vers 7419 à 7429 qui soulignent que les adversaires ne doivent être mus par aucune intention criminelle. 7186. Le substantif « dorperheit » désigne ce qui est digne d’un vilain (« dorper » ou « dörper »). Les deux chevaliers ne commettent effectivement aucune vilenie : ils épargnent leurs montures et répugnent à frapper sous les genoux, là où les jambes sont nues. 7202-7203. Dans les autres manuscrits (à l’exception de l où ces vers sont manquants), les vers 7202 et 7203 suivent le vers 7195 ; cf. A : « die swert ne wurden niht gespart | sie waren der scilte | einander harte milte » (« Les épées ne furent pas épargnées. En ce qui concerne les écus, ils firent montre d’une grande générosité »). 7203. Ici commence la longue allégorie qui établit un parallèle entre le combat chevaleresque et le prêt à intérêt. L’honneur des deux chevaliers repose sur le principe de la générosité dont ils font preuve dans les coups qu’ils échangent : plus ils sont généreux en coups, plus leur honneur augmente. Hartmann joue habilement avec le précepte courtois de libéralité. 7226. Le substantif « scheltære » désigne un accusateur public chargé de dénoncer les crimes commis par quelqu’un. 7231. Le terme « ubergelt » désigne les intérêts demandés dans le cas d’un prêt hasardeux. Le prêt à intérêt est en principe interdit par l’Église : l’usurier mise sur le temps qui passe pour s’enrichir, or le temps appartient à Dieu. Celui qui prête à intérêt est donc considéré comme un « voleur de temps » (cf. J. Le Goff, La bourse et la vie. Économie et religion au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1986, p. 35-49). 7234. On notera la reprise et la répétition du terme « verlegen » (cf. v. 7237, 7246) qui renvoie à la thématique de la paresse, de la « recreantise ». 7408. Lors d’une ordalie, on considérait souvent que si l’accusé parvenait à se défendre jusqu’au coucher du soleil sans être blessé, il était alors innocent (Cf. H.  Nottarp, Gottesurteilstudien, München, Kösel-Verlag, 1956, p. 289). Cette

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coutume n’est retenue ni par Chrétien ni par Hartmann qui ne semblent pas s’en tenir aux règles de l’ordalie. En effet, le combat aurait dû être arrêté dès la première effusion de sang. 7430-7431. La rime aurait exigé la construction suivante : « Daz wart wol schin an in zwein ». Cf. A : « Daz wart wal scien an in zwein | sih virkundete min her ywein ».  7442-7475. À l’instar de l’éloge inattendu qu’il fait de l’usure, Hartmann montre ici son goût pour le paradoxe et l’inversion des valeurs. Son éloge de la nuit ne peut que surprendre un public médiéval. En effet, la nuit au Moyen Âge est synonyme de péril, d’épouvante et peut mener au désespoir (cf. v. 5764-5805). La nuit est propice à l’influence du diable, à la tromperie, aux pièges et aux guets-apens. C’est souvent la nuit que les crimes et délits sont commis, et ce moment de la journée est considéré comme une circonstance aggravante : les châtiments prononcés sont plus sévères que pour les mêmes délits commis en plein jour, car la nuit implique une idée de trahison et de dissimulation (cf. J. Verdon, La nuit au Moyen Âge, Paris, Perrin 2009  ; V. Toureille, Crime et Châtiment au Moyen Âge, Ve – XVe siècle, Paris, Seuil, 2013, p. 39). Chez Chrétien, les deux adversaires interrompent le combat, car ils craignent l’obscurité de la nuit tout autant que leur adversaire (Chevalier au Lion, v. 6224). Hartmann développe amplement ce détail et inverse la connotation négative de la nuit : il en fait un moment bénéfique et salutaire qui permet aux deux héros de s’épargner mutuellement et à Gawein de ne pas être tué par Iwein (v. 7689-96). 7498-7499. Ces vers sont propres au manuscrit de Giessen. 7508. Gawein veut montrer qu’il a été vaincu : tandis qu’Iwein affirmait que s’il avait reçu encore trois coups son ami aurait remporté la victoire (v. 7467), Gawein soutient que deux coups supplémentaires auraient suffi pour qu’Iwein l’emporte. 7531. En principe, le vaincu doit dévoiler son nom au vainqueur. Ce dernier peut en signe de reconnaissance révéler son identité, ou la garder secrète s’il juge que son adversaire n’est pas digne de la connaître. Le fait que, sans y être contraint par les circonstances, Gawein dévoile son nom à Iwein montre qu’il reconnaît pleinement la valeur guerrière de son adversaire. 7538. Le terme « dienstman » que nous traduisons ici par « serviteur » désigne de manière littérale un « ministérial », un homme non libre au service d’un noble. 7553. Il s’agit du cœur. Reprise de la métaphore du récipient évoquée dès le vers 7082. 7586. Erreur du copiste, il faut lire : « daz swert daz den slac truoc », le mot « sluoc » est souligné dans le manuscrit. 7591-7593. Le vocabulaire employé rappelle l’hommage vassalique. Il sert à magnifier l’amitié qu’Iwein porte à Gawein et le dévouement dont il fait preuve envers lui. L’échange de propos modestes entre les deux chevaliers, chacun affirmant avoir perdu

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et voulant se soumettre à l’autre, s’inscrit dans cette volonté d’idéaliser l’amitié qui les lie. 7608. « galle » désigne la bile. C’est donc pour Iwein la journée la plus noire et la plus amère de l’année. 7689-7696. Ces propos constituent un ajout de Hartmann qui développe l’idée déjà présente chez Chrétien. Non seulement Gawein reconnaît avoir lutté pour une cause inique (cf. Chevalier au Lion, v. 6347-6349), mais surtout il ajoute que Dieu n’aurait pas toléré une telle injustice. Gawein énonce là le principe de l’ordalie : Dieu est du côté des justes et du droit. 7731-7741. Il s’agit là d’un topos misogyne répandu au Moyen Âge : les femmes sont souvent considérées comme partiellement irresponsables de leurs excès de langage et autres dérapages verbaux. Les peines coutumières dressées en cas d’injures sont d’ailleurs moins sévères lorsque leurs auteurs sont des femmes (cf. V. Toureille, Crime et Châtiment au Moyen Âge, Ve – XVe siècle, op. cit., p. 71). Dans le contexte du roman, ces propos sont prononcés par la mauvaise sœur, ils ne doivent pas être pris au sérieux et n’ont aucune valeur universelle. Ils servent juste à noircir davantage le portrait de cette demoiselle. 7752. Le pronom « beide » (« tous les deux ») ne se rapporte sans doute pas à l’avis du roi et de l’aînée mais plutôt à celui du roi et de Gawein. 7847-7859. Tout le passage est placé sous le signe de la souffrance et de la nécessaire union dans la souffrance : puisque Laudine ne souffre pas autant qu’Iwein, celui-ci va lui imposer des tourments semblables aux siens afin de la faire céder et de regagner sa grâce. C’est une nouvelle fois en tant que vainqueur et protecteur de la fontaine qu’il souhaite s’imposer, c’est là sa seule légitimité puisqu’il a abandonné sa femme. 7860-7862. C’est la troisième fois qu’Iwein quitte secrètement la cour d’Arthur. Il avait agi de la même façon lorsqu’il s’était rendu seul à la fontaine pour combattre Ascalon puis, après avoir été répudié par Laudine, lorsqu’il s’était enfui dans la forêt. À la différence de ces deux épisodes, ce départ secret n’est pas condamnable : Iwein souhaite à présent retourner définitivement dans le royaume de Laudine et reconquérir l’amour de sa dame sans laquelle il ne peut vivre. 7863. Notons le néologisme forgé par Hartmann : « chuombers weter » désigne littéralement un orage qui entraîne des souffrances. 7904-7917. La stratégie de Lunete consiste à évoquer une solution inenvisageable – l’intervention de l’un des sujets de Laudine – avant de proposer à sa maîtresse le seul recours encore possible, à savoir le secours apporté par le Chevalier au Lion. 7949. Le rituel du serment par la main droite se retrouve dès le haut Moyen Âge lors de la conclusion de compromis négociés, d’accords de paix jurés ou d’autres types

NOTES ET COMMENTAIRES

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d’accords : celui qui prête serment touche par la main droite la main de celui qui reçoit le serment (cf. H. Debax, La féodalité languedocienne, XIe – XIIe siècles. Serments hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003, p. 135 sqq.). Cet engagement est jugé insuffisant par Lunete qui demande un vrai serment. 7978. Le verbe « uflegen » signifie « poser sur », le terme reliquaire qui est présent chez Chrétien (Chevalier au Lion, v. 6634, « saintuaire ») est ici sous-entendu, il y est fait clairement allusion au vers 7990 à travers les ossements des « bons saints ». Les deux doigts qui servent à prêter un serment sont l’index et le majeur tendus. 8005. Il s’agit ici de la dernière mention du lion dans le roman allemand, tandis que chez Chrétien l’animal accompagne le chevalier jusqu’à la cour de Laudine (cf. « Introduction »). Pour la première fois, Iwein est reconnu grâce au lion qui l’accompagne. L’identité du Chevalier au Lion est donc devenue désormais sa propre identité. Iwein ne pourra cependant redevenir définitivement lui-même que lorsque Laudine lui aura pardonné sa faute. Ceci explique pourquoi le lion peut disparaître de l’action du roman. 8053. Littéralement : « Vous avez emprunté de grandes souffrances pour moi ». 8098. Iwein n’ose prononcer aucune requête. Comme lors de la première rencontre avec Laudine ou lors du moment de la répudiation, il demeure muet. Il ne recouvre la parole qu’une fois que Laudine a déclaré qu’elle est prisonnière de son serment et qu’elle doit lui pardonner. 8174-8175. Littéralement : « De cette heure je pourrai dire à jamais qu’elle est le jour de Pâques de mon bonheur. » Cette métaphore religieuse, visant à sublimer l’amour éprouvé pour une dame, était déjà employée par les Minnesänger. Cf. Heinrich von Morungen (MF 140, 15-16) : « Si ist des liehten meien schîn | und mîn ôsterlîcher tac » (« Elle est comme la lumière du mois de mai, elle est mon jour de Pâques »), et Reinmar l’Ancien (MF 170, 19) : « Si ist mîn ôsterlîcher tac » (« Elle est mon jour de Pâques »). 8176-8191. Ces vers ne se trouvent que dans les manuscrits de Giessen (B), de Lindau (u), de Dresden (a) et dans le manuscrit d’Ambras (d), ce dernier ne contient cependant pas les vers 8188 à 8191. Cet ajout, lors duquel Laudine demande à son tour pardon à Iwein, constitue l’une des principales différences entre les versions A et B. Chrétien déjà tente de rétablir un équilibre entre les deux époux et souligne l’amour réciproque qui les unit (Chevalier au Lion, v. 6806-6807) : « Qu’il est amez et chier tenuz | De sa dame, et ele de lui » (« car il est aimé et chéri par sa dame, et elle l’est tout autant de lui »). 8184. L’expression « von hercen riuwen » relève du langage religieux et désigne un repentir qui vient du cœur.

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8204. Erreur du copiste qui exécuta la lettrine, il faut lire : « Hie was frou Lunet mite » (cf. A : « hie was vrou lunete mite »). La même erreur a été reproduite dans le manuscrit de Lindau (u). 8214-8245. Ces vers ne se trouvent que dans le manuscrit de Giessen et celui de Lindau. 8246-8252. Il faut noter l’incertitude qui demeure à travers l’adverbe « wænlich » (« je crois »). Hartmann fait allusion à sa source française sans toutefois citer Chrétien de Troyes. Seul un fragment conservé à la bibliothèque de Wolfenbüttel et contenant 317 vers d’Erec mentionne le nom de « Chrestien » (Erec, v. 4629,12). Le public allemand connaissait sans doute le nom de l’auteur champenois et savait à qui Hartmann faisait allusion. Ainsi était-il inutile de le rappeler : la connivence avec un public cultivé suffisait pour que l’on sache de qui on parle. 8253. Reprise du leitmotiv présent dès le début du roman, cf. v. 3. La promesse faite au début du roman de montrer que celui qui aspire de tout cœur au vrai bien obtient félicité et honneur a été tenue. Le parcours d’Iwein en a fourni la preuve littéraire au public de Hartmann.

GLOSSAIRE Adamas, 3251 : diamant, fig. parangon Ahte, 2301, 3877, 6297 : situation, rang, statut ; lignée, sang ; espèce, instinct Ange, 3291 : gonds Antpfanc, 2077, 6158 : accueil Arbeit, 71, 203, 255, 271, 964, 1063, 1525, 1661, 1914, 1975, 2729, 2773, 3034, 3073, 3328, 3638, 3660, 3817, 3908, 4005, 4081, 4114, 4167, 4381, 4436, 4654, 4671, 5152, 5552, 5562, 5700, 5758, 5763, 5774, 5815, 5962, 5973, 5997, 6220, 6270, 6294, 6374, 6583, 6740, 7198, 7276, 7550, 7684, 7937, 8020, 8053 : efforts, souffrances, fatigues ; tourment Arm, 1555, 2841, 3293, 3571, 4015, 4018, 4082, 4130, 4204, 4309, 4323, 4778, 6176, 6182, 7184, 7378 : pauvre, indigent, misérable Armeclich, 6180 : misérable, misérablement Armuot, 6279, 6298, 6301 : pauvreté, indigence Art, 1567, 3879, 6285 : façon d’être, nature, ce qui est inné Arzat, 1549, 1551, 7828 : médecin Baneken, Banechen, 66: danser, se distraire ; « den lip banechen » : danser Bare, 1245, 1303, 1439 : civière, bière Barmherze, 4843 : miséricordieux Bat, 3645 : bain Bedaht, 679, 7579 : couvert, caché Bedecken, 2957 : couvrir, cacher Bedenken, Sich Bedenken, 3294, 4570, 6166, 7197 : penser, songer Begen, 2483, 3349 : commettre Sich Begebn, Begeben, 665 : renoncer à Begiezzen, 769, 935 : verser, arroser Beginnen, 93, 639, 670, 1068, 1246, 1267, 1344, 1356, 1357, 1367, 1727, 2000, 2007, 2079, 2184, 2247, 2839, 3385, 3743, 3798, 4500, 4605, 4919, 5080, 5186, 5612, 5727, 5756, 5953, 5995, 6416, 6464, 6743, 6985, 7056, 7294, 7321, 7341, 7345, 7385, 7438, 7572, 7675, 7697, 7869, 8000 : commencer, se mettre à

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Begraben, 1244, 1589, 1962 : enterrer Begrifen, 294, 1108 : prendre, tenir Behern, 1825, 4484, 5634 : ravir, prendre par la force Sich Beiagen, 7242 : obtenir, acquérir Beiten, 6751 : attendre, patienter Bechomen / Bekomen, 3215 : aller, aller à la rencontre de Belosen, 4510 : délivrer Benamen, 2057, 2370, 2405, 2626, 2937, 3208, 3397, 4056, 4880, 6501 : vraiment, en vérité Bereden, 3654, 4140 : se tirer d’affaire par des paroles ; soutenir une cause, défendre une cause par les armes Bereit, 476, 1004, 3694, 4618, 4806, 4814, 4962, 5142, 5425, 5701, 6533, 6663, 7272, 8052 : prêt (au combat) (Sich) Bereiten, 696, 1209, 3729, 4298, 4809, 5855, 6243, 6835 : (se) préparer Beruochen, 5689 : prendre soin de ; procurer Beruofen, 111 : prendre à partie, invectiver Bescheiden, 526, 1027, 2983, 3025, 7106, 7707, 8249  : expliquer (en détail), exposer, raconter Bescheinen, 1756, 2680, 5404, 6896, 8034 : faire savoir, faire voir, montrer (Sich) Beschermen, 2801, 5642 : (se) protéger ; s’excuser Beslagen, 1132 : pris au piège Bestan, 202, 719, 2392, 2465, 2479, 3860, 4346, 4652, 4743, 4787, 4875, 5252, 5797, 6587, 6624, 6660, 6685, 6808, 7477 : affronter, combattre, livrer un combat ; surmonter, vaincre Bestæten, 4196, 5076 : se marier, trouver un parti, s’établir ; respecter ce qui a été dit Beswichen, 3852, 4190, 6806 : abuser, tromper, trahir Bette, 1208, 1210, 1227, 1292, 1368, 6433 : lit Betwingen, 1721, 3048, 3382, 3601, 3837, 4848, 5573, 6491 : oppresser, tourmenter, contraindre

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Bewarn, 907, 916, 1492, 1770, 1823, 2161, 2321, 2334, 2778, 2795, 2916, 3000, 3153, 4296, 4331, 5649, 5898, 6021, 6124, 6136, 6644, 7013, 7194, 7481, 7743, 7967 : empêcher ; protéger (« den lip bewarn »), prendre soin de, conserver, garder Sich Bewarn, 1078, 2965, 4878, 5303, 5517 : prendre garde à ; se comporter Bewegen, 1634, 4846, 5147 : rendre enclin à ; émouvoir (« den muot bewegen ») ; renoncer à Bewenden, 24, 1580, 2434, 4243, 7930: employer, occuper (« ubel bewant » : mal employé) Biben, 507 : trembler Biderbe, 200, 1923, 2029, 2056, 2482, 2623, 2744, 2854, 2856, 2903, 3720, 4497, 4799, 4847, 5569, 6566, 7002 : vaillant, preux ; louable, honnête (« ein birderbe man » : un honnête homme) Biten, Gebiten, 917, 952, 2168, 2211, 2275, 2757, 4061, 4143, 4820, 4902, 5732, 5735, 5741, 5947, 5951, 6145, 6639, 6804 : attendre Blic, 574, 647, 3788, 6079 : rayon ; éclair ; regard Bliuclichen, 2250 : timidement Bluot, 6437 : fleurs, floraison Bluot, 3890 : sang Bluoten, 1356, 1358, 3940, 4913 : saigner Bœse, 38, 149, 234, 474, 866, 1569, 2215, 2481, 2495, 2860, 4996, 5508, 6273, 7227, 7428, 7873 : vil, sans valeur, de basse extraction (contraire de « guot » : de qualité, noble) Bra, 443 : sourcil Braht, 680 : chant, bruit, sons musicaux Brunnen, 619, 674, 765, 804, 899, 933, 986, 1820, 1825, 1837, 1849, 1854, 2055, 2161, 2404, 2445, 2528, 2541, 2642, 2673, 3917, 5116, 5860, 7850, 8004 : fontaine Bruoder, Gebruoder, 2702, 4103, 5320, 5361, 5862 : frères Brust, 460, 5015, 5315, 7143 : poitrine, poitrail Brutlouft, 2430 : noces, mariage Bu, 2827 : récolte, champ cultivé Buozze, Buoz, 719, 3405, 3991, 8163 : expiation, réparation (« buozze bestan » : offrir réparation)

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Buozzen, 1445, 3778, 5583 : réparer, expier Burch, 279, 300, 311, 1053, 1070, 1071, 3062, 3765, 4352, 4356, 4458, 4477, 5564, 5790, 5914, 6068, 6072, 6115, 6125, 6128, 6172, 6549, 6862, 8215 : château Buwen, 7096, 7833, 7870 : habiter, se fixer ; rester C voir K Dagen, Gedagen, 182, 188, 250, 257, 795, 857 : se taire Danc, Danch, 1219, 2134, 2259, 2588, 2730, 3069, 3767, 4636, 5391, 6347, 6657 : reconnaissance, remerciement Deweder, 1042, 2942, 3004, 4089, 4154, 4875, 4993, 5537, 5749, 6935, 7146, 7303, 7327, 7334, 7379 : l’un ou l’autre ; ni l’un ni l’autre (« deweder…noch » : ni…ni) Diche, Dicke, 648, 654, 980, 1353, 1865, 2466, 3583, 3773, 3789, 4385, 4836 : souvent, à plusieurs reprises Diche, 573, 4356 : épais, dense Diet, 1484, 1590, 5166, 7654, 7723 : gens, peuple (« michel diet » : foule) Diezzen, 209 : bourdonner Dinc, Dinch, 193, 1041, 1228, 1287, 1351, 1562, 1592, 1619, 1816, 1827, 1866, 2144, 2390, 4824, 5092, 5348, 5893, 6975, 6999, 7596, 7931 : chose ; situation, affaire Dorperheit, 7186 : vilenie, acte digne d’un vilain Doz, 253, 990, 7877 : bruit, sons ; fracas Drate, 1508, 2128, 2279, 3425, 3483, 4598, 5592, 5792, 5923, 6753, 7140, 7284, 7882 : rapidement Dunken, 901, 992, 1140, 1348, 1711, 2397, 2500, 2501, 2924, 3127, 3289, 3477, 3801, 3803, 4793, 4754, 4797, 4799, 5008, 5362, 5736, 6452, 6975, 7307, 7399, 7528, 7841, 8130 : sembler Durftiginne, 6394 : indigente, pauvresse Eislich, 406, 426, 448 : effroyable, terrible (« mit eislichen dingen » : de manière effroyable) Eit, 890, 4193, 4575, 5255, 6354, 7328, 7960, 7962, 7963, 7968, 7976, 7979, 8021, 8102, 8125, 8145, 8147 : serment Ellen, 2993 : vaillance au combat, valeur guerrière, force

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Ellende, 6227, 6472 : misérable ; étranger Enbeizen, 62, 3302 : manger Enbern, 219, 1462, 1630, 1902, 2324, 4435, 4518, 4545, 5388, 7771, 7976 : renoncer à, se passer de Enbor, 298, 1086, 5323 : en haut, en hauteur Ende, 598, 641, 646, 920, 995, 1119, 1247, 2356, 2637, 3142, 3959, 4025, 4228, 5786, 5790, 6671, 6970, 7405, 8156 : fin, extrémité ; direction (« des endes » : jusque-là) Engelten, 213, 229, 936, 1189, 2009, 3033, 3773, 4957, 7217, 7218,7220, 7223, 7525 : rembourser ; faire payer à, répliquer Enpfinden, 1048, 5399 : ressentir ; sentir, s’apercevoir Sich Enthalten, 6567, 6568 : se retenir, s’abstenir Entlihen, 7208, 7228, 7254, 7263, 7265, 7280, 8053 : prêter Erbarmen, 4205, 4381, 4844, 4919, 6294, 6398, 6406 : avoir pitié de, éprouver de la miséricorde Erbeizen, 3102, 3855, 4527 : descendre de cheval Erbiten, 288, 4595, 5795, 6901, 7511 : attendre, patienter Erde, 40, 650, 2655, 3933, 4196, 6678, 6731, 6735 : terre, sol Ergahen, 3269, 3768 : attraper en courant, rattraper, gagner de vitesse Ergan, Ergen, 939, 1043, 1060, 3139, 3142, 3292, 3498, 3741, 3844, 4181, 4229, 5960, 6287, 6584, 7537, 7779 : se terminer ; se produire, se passer, advenir Sich Ergeben, 1105 : se pencher en avant Ergetzen, 2066 : dédommager Sich Erholn, 2789 : se reprendre, se ressaisir, regagner son honneur Ersterben, 716, 1887, 4231 : faire périr, tuer ; mourir Erteilen, 1951 : juger, décider, émettre un jugement Erværen, 5774 : avoir peur Erwenden, 241, 1488, 4336, 5998, 6139, 7691, 7994, 8055 : empêcher (Sich) Erwern, 19, 413, 1391, 2055, 4070, 4591, 7622 : (se) défendre, (se) mettre à l’abri  Erziugen, 1065, 1523, 1963 : prouver

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Falsch, Falschlichen, 199, 2502, 2507, 7956 : faux, trompeur, déloyal Falscheit, 4115, 7969 : fausseté Felschen, 4125 : soupçonner, accuser à tort Fliz, 27, 1684, 1805, 7953 : peine, ardeur au travail Flizeclichen, 3365, 3749, 6648 : attentivement, avec attention, vivement, avec zèle (Sich) Flizzen, 61, 847 : s’efforcer de Freise, 671, 6171 : chose terrible, effrayante ; grand danger Fremde, 2322, 4519, 4908, 6222, 6947, 7259, 7644 : étranger, inconnu ; étrange, bizarre Fremde, 8120 : séparation, existences séparées Friliche, 3974 : sans souci, librement Frist, 320, 561, 1164, 1201, 1623, 2125, 2514, 3184, 3545, 3718, 5939, 6013, 6338, 6469, 7452, 8026 : délai, durée ; moment (« in kurzer frist » : dans peu de temps) Fristen, 653, 944, 1162, 1279, 1823, 5128, 5307, 6718 : sauver, protéger ; conserver ; retarder Fruom, 150, 557, 1798, 1845, 1905, 1909, 2319, 3027, 3173, 3386, 3486, 3683, 3854, 4054, 4098, 4885, 5462, 5990, 7421 : preux, vaillant Fruom, 2411, 4124, 5196 : avantage, chose utile (« fruom unde ere » : avantages et honneurs) Fruomcheit, 95, 809, 1635, 1793, 1843, 1968, 2094, 2408, 2483, 2767, 4340, 7523 : vaillance, valeur, exploits Fruomclichen, 2726, 3071 : vaillamment Fruomen, 559, 576, 2135, 5502, 7981 : servir, être utile, aider Furbaz, 1117, 2317, 2921, 3014, 5431, 5865, 6090, 6129, 6140, 6908 : davantage, plus loin, plus longtemps Furder, 8135 : dorénavant, à l’avenir (Sich) Furdern, 2494, 3041 : (se) mettre en avant ; aider Furdihen, 7492 : précéder, devancer Furhten, 491, 492, 512, 514, 1510, 2156, 2828, 6544, 7513, 8036 : craindre Gach, Gahe, 823, 954, 993, 1218, 2139, 3157, 3607, 4145, 4177, 4593, 4860, 4976, 5050, 5912, 8119 : rapide ; rapidement (« gach spise » : en cas, repas préparé rapidement)

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Gahen, 1069, 1337, 1477, 2306, 3711, 4615, 4681, 6463, 7572, 7789 : se hâter (« ein michel gahen » : une grande précipitation, cohue) Gahes, 1088, 2304, 4182, 6737, 6858, 7091, 7553, 7717, 8131 : soudainement Galle, 1576, 7608 : fiel (« die gallen in dem iare » : le jour le plus amer de l’année) Galm, 617 : son mélodieux, chant Garn, 6194 : fil Gast, 354, 373, 1044, 1122, 2657, 2661, 2677, 2817, 2840, 3558, 3694, 3710, 3983, 4386, 4395, 4444, 4498, 4657, 4676, 4756, 4919, 5174, 5576, 5793, 6133, 6236, 6267, 6462, 6467, 6536, 6540, 6586, 6634, 6649, 6663, 6679, 6706, 6821, 6831, 6923, 8095 : étranger, invité Gebaren, 751, 2213, 2248, 3556, 3712, 4605, 5189, 6410, 6445, 6842, 7012, 7078, 7574 : se comporter, se conduire Gebende, 1326 : coiffe Gebresten, 3559, 3578, 3695, 3982, 4677, 6935, 7132, 8094, 8239 : manquer, faire défaut à Gebure, 430 : vilain, rustre, paysan Gedienen, 2013, 3135, 3631, 3849, 4493, 5091, 5108, 5506, 7816, 8045, 8149 : servir, rendre service, payer en services ; mériter, obtenir Gedinge, 4587, 7930 : espoir Gedingen, 4531 : espérer Gedrenge, 268, 1074 : passage étroit Gefuege, 3674: décent, convenable, courtois (Sich) Gefuegen, 1610, 1741, 1758, 2059, 2339, 2739, 6847 : faire en sorte que, faire advenir ; arriver, advenir Gehaben, 410, 1961, 4319, 5409, 5455, 5952, 6553 : rester, se tenir («  hinder gehaben  » : se tenir en arrière); affirmer, soutenir, s’accorder à dire  ; obtenir (« wider gehaben » : recouvrer) (Sich) Gehaben, 1170 : se comporter Gehaz, 1175, 1236, 1539, 1609, 1660, 2028, 4104, 7196, 7426, 8111 : hostile, animé par la haine Gehazzen, 2258 : détester, maudire (In ein) Gehellen, 7491, 7680, 7752 : partager la même opinion, tomber d’accord

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Gehit, 2666, 2803 : marié(e) Gehœnen, 2779 : rendre méprisable, être cause de déshonneur Geligen, 89, 650, 669, 763, 1115, 1312, 1403, 1954, 2580, 4214, 4305, 5052, 5069, 5324, 6253, 6603, 7031 : être allongé, resté couché (« sigelos geligen » : être vaincu ; « tot geligen » : mourir) Gekuonriert, 6646 : avoir pris soin d’un cheval Gelouben, 427, 2323, 2820, 4253, 6855, 7682, 8068 : croire (Sich) Gelouben, 2807 : renoncer à Geloubet, 578 : couvert de feuilles Gelpf, 623 : brillant, étincelant Gelt, 7229, 7279, 7281, 7615, 8051, 8052 : argent, remboursement, dette Gelten, 2555, 6546, 7216, 7224 : rendre ce qui a été prêté, rembourser ; punir, faire payer Gemach, 76, 280, 973, 1626, 1689, 1776, 1779, 2785, 3063, 3643, 4351, 4374, 5118, 5453, 5521, 5565, 5588, 5759, 5799, 5915, 6176, 6431, 6528, 6560, 6658, 6841, 7826, 7897, 8077 : repos ; confort ; chambre, lieu de repos Gemalt, 1137 : peint, décoré Gemazen, 1039 : mesurer précisément Gemliche, 2214, 2500 : pour plaisanter ; plaisant Gemuete, 2, 342, 542, 1658, 1873, 1875, 1878, 2004, 2047, 3382, 5525, 5604, 6498, 7762, 8241 : esprit, état d’esprit, for intérieur, âme Gemuot, 1172, 2903, 3670, 5345, 5574, 7363, 8142 : dans tel état d’esprit (wol gemuot : bien disposé) Genade, Gnade, 172, 177, 386, 1219, 2268, 2272, 2299, 2305, 2603, 2660, 2727, 3069, 4526, 5107, 5339, 5641, 5717, 5933, 5986, 5988, 6780, 7826, 8046, 8060, 8231 : grâce, amour ; remerciement, reconnaissance Genendechlichen, 3753 : vaillamment, avec hardiesse Genesn, 53, 728, 994, 1103, 1114, 1249, 1778, 1966, 2043, 2230, 2236, 2721, 3276, 3284, 3440, 3478, 3659, 4329, 4342, 5165, 5917, 5943, 6203, 6413, 7866 : survivre, sauver sa vie, se tirer d’affaire Geniezen, 210, 698, 936, 1173, 1582, 1690, 2012, 2870, 3133, 4954, 5090, 5976, 6373, 8212 : profiter de, jouir de, tirer avantage de

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Genoz, 5378, 7432 : compagnon (« kampfgenozze » : compagnon d’armes) Geraten, 1895, 2699, 6110 : se passer de, pouvoir faire autrement ; prendre une certaine tournure Geraten, 1985, 2176, 2341, 2395, 4051, 4985, 5199 : conseiller Gereit, 2050, 2177, 2187, 2950, 3327, 3408, 4149, 5295, 5594, 6343, 6433, 7962 : prêt, prompt à ; prêt à partir Gereite, 3603 : promptement Gereite, 949, 3456 : selle Geren, Geeren, 2554, 6761, 7601 : honorer, rendre honneur à Geren, 913, 1188, 1374, 2426, 2441, 2545, 2743, 3520, 3790, 4275, 4537, 4891, 5072, 5319, 5511, 5990, 6056, 6460, 7183, 7520, 8210 : désirer, demander, exiger Gerihte, 5002, 5420, 7727 : justice, droit, jugement Geringen, 2838, 4255: venir à bout de ; diminuer, réduire Geriute, 399, 3279 : essart, clairière, espace défriché Geruochen, 376, 517, 520, 763, 983, 2277, 2567, 4535, 5430, 5927, 5987, 6043, 7204, 7929, 8013 : daigner, s’abaisser à, avoir la bonté de ; se résigner à Gerwen, 3331 : faire cuire, rendre tendre (Sich) Gesamenen, 40, 8121 : s’assembler, se rassembler, se retrouver (« in ein gesamenen » : unir, rendre harmonieux) Geschiht, 1065, 1725, 3915 : hasard, événements Geselle, 119, 884, 1243, 1467, 2111, 2142, 2155, 2335, 2659, 2695, 2719, 2748, 2781, 3023, 3027, 3109, 3528, 4294, 4507, 4695, 4946, 6559, 6733, 6751, 7023, 7079, 7124, 7150, 7628, 7649, 7667, 7681, 7695, 7800, 8198 : compagnon Geselleschaft, 83, 5097, 5267, 5539 : compagnie, sentiments qui unissent deux compagnons Gesigen, An(e) gesigen, 533, 1953, 1955, 1960, 4212, 4417, 4738, 4765, 6361, 6591, 7030 : vaincre Gesiune, 7579 : visage Gesten, 1030, 1628, 4897, 5264: se tenir du côté de ; avouer, concéder (« mit der rede gesten » : confirmer les dires de) Gestiuren, 5029, 5785 : guider, conduire Getriuwe, 2020, 2701, 2761, 5202, 5547, 6733 : loyal, fidèle, probe

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Getrœsten, 418, 3237, 6573 : réconforter, redonner du courage, de l’espoir Getwanc, 2292 : contrainte, obligation Getwerch, 4911, 4997, 5105 : nain Geturren, 1250, 1848, 3014, 4316, 4875, 7065 : oser (ich getar : j’ose) Gevahen, Vahen, 79, 1125, 1702, 1733, 1746, 2235, 2239, 2299, 2305, 3740, 3754, 3771, 3782, 4007, 4030, 4470, 4904, 5079, 5136, 5832, 6800, 6827, 7627, 8147 : prendre, attraper ; prendre au piège ; faire prisonnier Geverte, 693 : direction, but d’un voyage Geverte, 5160, 5274, 5492, 5607, 5765, 6725, 6887 : compagnon de voyage Gewalt, 123, 501, 1604, 2033, 2293, 3772, 4101, 4128, 5086, 5157, 5614, 5623, 6008, 6021, 6792, 6983, 7744, 7765, 7859 : force, violence, pouvoir, puissance Gewant, 3229, 3598 : habits Gewant, 190, 1199, 1544, 1817, 2307, 3313, 3419, 3847, 4452, 4717, 6589, 6597 : ainsi, tel (« ez ist also gewant » : il en va ainsi ; « ez ist umbe…also gewant » : il en va ainsi de) Gewære, 5547, 8222 : fiable, loyal Gewarheit, 1773, 6866, 8171 : sécurité, sûreté Gewerben, 2766 : se comporter Gewern, 220, 914, 1460, 1893, 2546, 2913, 3791, 3799, 4274, 4536, 5233, 6057, 7269 : accorder Gewerren, 224, 494, 3539, 3746, 4258 : pâtir ; empêcher Gezan, 453 : pourvu de dents Gran, 443, 3447: moustache ; écarlate Grinen, 873, 874 : grogner Gruoz, 290, 1187, 2280, 2816, 3863, 6928, 8096 : salut Gruezzen, 998, 1190, 1412, 3108, 4373, 5101, 5582, 5984, 8008 : saluer Guete, 1, 341, 1598, 1657, 1874, 1876, 1877, 2003, 2048, 3381, 3937, 5524, 5605, 6487, 6499, 7763 : bonté, valeur, qualité Guot, 5, 42, 245, 309, 365, 387, 474, 481, 594, 757, 789, 829, 835, 850, 901, 940, 972, 1056, 1218, 1282, 1299, 1502, 1506, 1606, 1658, 1677, 1689, 1711, 1735, 1745, 1775, 1779, 1781, 1858, 1864, 1868, 1879, 1883, 1884, 1911, 1919, 1984, 1986, 1994, 2020, 2077, 2097, 2149, 2152, 2178, 2193, 2203, 2423, 2446, 2449,

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2473, 2490, 2501, 2509, 2553, 2574, 2650, 2687, 2693, 2699, 2725, 2895, 2899, 2904, 2947, 3047, 3072, 3119, 3255, 3259, 3344, 3345, 3359, 3456, 3594, 3643, 3649, 3675, 3682, 3719, 3721, 3801, 3891, 4300, 4351, 4374, 4379, 4497, 4586, 4620, 4754, 4799, 4805, 4847, 4863, 4876, 4993, 5013, 5081, 5097, 5118, 5200, 5205, 5216, 5277, 5332, 5344, 5382, 5504, 5540, 5548, 5569, 5572, 5591, 5674, 5736, 5800, 5909, 5959, 6041, 6052, 6119, 6313, 6343, 6452, 6471, 6520, 6631, 6654, 6886, 6931, 7001, 7005, 7047, 7212, 7355, 7362, 7372, 7383, 7399, 7403, 7454, 7528, 7595, 7598, 7748, 7952, 7990, 7996, 8008, 8071, 8208, 8241, 8243, 8246 : de valeur, de qualité, noble, preux, bon, miséricordieux ; le bien ; la joie Guot, 1463, 1918, 2901, 3206, 3577, 3685, 3792, 4466, 4828, 4830, 5085, 5129, 5501, 5633, 5691, 6046, 6131, 6602, 7254, 7715, 7730, 7745, 7946, 8037, 8044, 8050, 8195 : biens, richesses, les moyens Guorten, 705 : sangler un cheval, resserrer la sangle Guneret, 1585, 1723, 3543, 4872, 6814, 7457, 7620 : déshonoré, honni Haft, 1083 : mécanisme destiné à retenir une herse (Sich) Heln, 1418, 2176, 6939 : (se) cacher, dissimuler Handelunge, 387, 789, 2650, 3047, 5572, 6471, 6924 : accueil, réception, traitement (souvent associé avec l’adjectif « guot » : accueil aimable, traitement courtois) Hant, 79, 225, 265, 284, 504, 597, 741, 802, 1200, 1202, 1231, 1533, 1543, 1579, 1768, 2367, 2525, 2577, 2775, 2873, 3151, 3189, 3193, 3230, 3298, 3418, 3453, 3522, 3597, 3797, 3981, 4969, 5556, 6383, 6483, 7026, 7228, 7284, 7610, 7614, 7690, 7949 : main ; fig. bras, force (« nach der zeswen hant » : à droite ; « zeder winstern hant » : à gauche) Hant, 403, 2188 : sorte (« drier hande » : de trois sortes) (Sich) Heben, 651, 680, 1015, 1221, 1377, 2430, 5558, 5363, 6705, 7053, 7298 : commencer, se mettre à ; élever, diriger contre ; s’immiscer  Heil, 594, 739, 829, 1344, 1987, 2110, 2334, 2394, 3445, 3677, 3920, 3970, 5065, 5995, 6019, 6919, 7271, 7372, 7758, 8154 : chance, bonheur, salut, sort Heinlich, 1785, 5593 : familier, intime (« heinlich chemnate » : chambre particulière) Hærmin, 2189, 6477 : d’hermine Hiur, 2824 : cette année Hiuselin, 3285 : petite maison Hiut, 464, 3335 : peau

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Hiute, 14, 127, 1281, 1751, 2146, 2309, 2333, 2934, 3678, 7500, 7585, 7587, 7606, 7669 : aujourd’hui Hochzit, 35, 2436, 3058 : fête, festivité Hof, 45, 1188, 1523, 1724, 2563, 4137, 4261, 4609, 4645, 5655, 5686, 5726, 6703, 6811, 7862 : cour (« zehove » : à la cour) Hofsch, 116, 928, 1036, 1413, 2191, 2693, 3031, 3350, 3487, 3516, 3745, 4301, 4800, 6042, 6865 : courtois Hofscheit, 786, 2497, 2708, 2738, 3381, 4563, 5640 : courtoisie Houwen, 1023, 7201, 7284 : frapper, faire voler en éclats Hoveroht, 462 : bossu Huobe, 2877, 4455 : tenure ; terres ; arpents de terre Huote, 495, 2886, 2888, 3256, 3671 : garde, surveillance (Sich) Hueten, 3851, 3906 : surveiller, garder ; prendre garde à Hus, 32, 285, 1131, 1276, 2568, 2648, 2690, 2753, 2802, 2806, 2819, 2828, 2833, 2838, 2845, 2964, 2970, 3000, 3060, 3427, 3527, 3764, 4157, 4350, 4363, 4374, 4432, 4535, 4547, 4630, 5647, 5705, 5745, 6409, 6530, 6951, 7645, 7833, 7875 : château, cour ; demeure, maison ; châtellenie, seigneurie (Sich) Iamer n, 48, 3210 : être attristé, être désolé, regretter ; aspirer à Iamer, 1306, 1320, 1449, 1472, 3207, 3928, 4936, 6338 : chagrin, tristesse, misère, regret ; aspiration à Iæmerlich, 1156, 1409, 1885, 3302, 4603, 4933, 4937, 6369, 6397 : misérable, pitoyable, marqué par la tristesse ; misérablement, pitoyablement, tristement Iehn, 14, 313, 372, 1133, 1883, 1969, 2370, 2410, 2980, 3679, 6348, 6942, 6981, 7334, 7509, 7643 : dire, raconter, affirmer, prétendre, concéder Ioch, 3705, 4072 : même, même si Karc, 7253 : avare ; rusé Karcheit, 8133 : ruse, malice ; avarice Kempfe, 4159, 4810, 5169, 5341, 5645, 5647, 5662, 5688, 5702, 5706, 5740, 5747, 6020, 6992, 7023, 7040 : champion Keren, Cheren, 27, 236, 265, 280, 779, 1051, 1558, 1586, 1588, 1724, 1766, 1804, 2785, 2888, 3035, 3197, 3364, 3542, 3610, 3613, 3743, 3873, 3886, 4363, 4392, 4657, 4659, 5028, 5317, 5340, 5565, 5786, 5841, 5867, 5924, 6080, 6084, 6148, 6760, 6784, 6815, 6852, 6880, 7239, 7345, 7595, 7945, 7985 : venir, aller, se

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rendre, arriver (« wider keren » : revenir, retourner) ; faire demi-tour ; consacrer ; se préoccuper de ; se fier à Cheten, 298, 588 : chaîne Kiesen, Chiesen, 612, 709, 1394, 1822, 2315, 2564, 3027, 4001, 4410, 7134 : choisir Krogieren, 7171 : pousser des cris Krone, Chrone, 10, 2748, 4239, 7017 : couronne Kundecheit, 2178 : ruse, habileté, intelligence malicieuse Kunneschaft, 800 : parentèle, famille Kuomber, Chuomber, 1340, 2721, 4020, 4024, 4175, 4380, 4383, 4719, 5436, 5471, 5561, 5584, 5757, 5772, 5775, 5822, 6315, 6404, 7465, 7852, 7853, 7855, 7856, 7857, 7863, 8155, 8179, 8213, 8234 : misère, malheur ; chagrin, tristesse Lachen, 2958, 4001, 4406, 6272, 6450, 7366 : sourire, être joyeux Laster, 181, 691, 755, 788, 794, 803, 1003, 1765, 2025, 2093, 2490, 2625, 2636, 3126, 4341, 4451, 4671, 4952, 5152, 5514, 7513, 7631, 7633, 7756, 7893, 7925 : honte, humiliation Lasterlich, 18, 712, 2639, 4492 : humiliant, honteux  Lasterlichen, Lasterliche, 2476, 3162,  6622 : de manière humiliante, honteuse Lastern, 4283 : humilier Ledech, 1708, 5210, 5844, 6828 : libre (« ledech lan » : libérer) Ledechlichen, 1707 : entièrement, librement Leit, 515, 691, 712, 1003, 1049, 1636, 1681, 1794, 2231, 2300, 2707, 3001, 3095, 3147, 4129, 4882, 6103, 6844, 7871, 7886 : souffrance, malheur, mal, ennui Lieben, 45, 2668 : rendre agréable, rendre plaisant ; plaire Liegen, 1945, 2179, 2372, 2530, 4551, 5819 : mentir Lihte, 345, 2027, 2157, 2289, 2395, 2514, 2732, 3296, 3316, 5576, 5795, 5868, 6141, 6451, 6493, 6523, 6602, 7010, 7081, 7394, 7641, 7731 : peut-être, sans doute, probablement Lip, 15, 45, 66, 176, 343, 549, 665, 720, 1012, 1080, 1108, 1160, 1165, 1304, 1314, 1319, 1327, 1342, 1386, 1463, 1487, 1492, 1670, 1676, 1685, 1746, 1771, 1777, 1918, 1952, 2054, 2192, 2227, 2238, 2258, 2289, 2344, 2345, 2418, 2441, 2621, 2628, 2742, 2746, 2813, 2829, 2855, 2987, 2996, 3012, 3130, 3152, 3208, 3220,

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

3247, 3250, 3337, 3344, 3408, 3515, 3570, 3571, 3574, 3577, 3623, 3792, 3927, 3932, 3985, 3986, 4007, 4034, 4062, 4069, 4091, 4189, 4195, 4199, 4235, 4291, 4308, 4322, 4344, 4369, 4385, 4391, 4448, 4466, 4635, 4713, 4733, 4745, 4749, 4831, 4900, 4998, 5019, 5085, 5127, 5129, 5147, 5244, 5249, 5394, 5459, 5487, 5501, 5519, 5609, 5637, 5776, 5899, 6040, 6057, 6123, 6138, 6179, 6204, 6207, 6261, 6346, 6440, 6505, 6618, 6797, 6813, 6838, 6923, 6984, 7189, 7194, 7275, 7288, 7306, 7338, 7370, 7379, 7482, 7730, 7791, 7946, 8056, 8057, 8141, 8195, 8225, 8237 : vie ; corps ; personne Liute, 335, 400, 1066, 1254, 1282, 2145, 2358, 2382, 2627, 2696, 2763, 2883, 3280, 3848, 4319, 4429, 5781, 5863, 6069, 6106, 6176, 7666, 7772, 7879 : les gens, la société Loben, 380, 490, 1268, 2081, 2495, 2558, 4742, 5663, 8010 : promettre ; faire l’éloge de ; s’estimer heureux Losen, 7652 : flatter, tenir des propos hypocrites Lœsen, 4152, 4675, 4702, 4942, 5018, 5149, 5822, 6352, 8102, 8125 : délivrer, libérer ; détacher ; tenir (un serment) Lougen, 4119 : nier Luoge, 260 : mensonge Luogemære, 3653, 3675 : histoire mensongère Lutzel, 96, 319, 612, 698, 736, 824, 2820, 3312, 3646, 3756, 4861, 5530, 6012, 6085, 6286, 7700, 7999 : petit ; peu de ; ironique (litote) très peu, pas du tout (« vil lutzel ») Mære, 30, 56, 93, 185, 227, 239, 480, 548, 794, 888, 1832, 1991, 2202, 2203, 2215, 2323, 2529, 2559, 2607, 2841, 3067, 3090, 3213, 3368, 3562, 3618, 4264, 4294, 4434, 4519, 5502, 5670, 5684, 5750, 5804, 5842, 5866, 5909, 5924, 6066, 6229, 6551, 6572, 6855, 6901, 6960, 7437, 8083 : histoire, conte ; nouvelles Mære, 1705, 7252, 7796 : agréable, cher ; connu, célèbre Maze, 827, 1040, 1072, 3268, 3359, 3821, 3887, 4779, 5857, 6069, 6616, 6620, 7147 : mesure (« ze maze » : à la bonne mesure, assez large) Maz, 2686, 3897 : repas, mets Meinen, 1435, 1755, 1801, 2679, 4170, 4257, 4397, 7163, 7480, 7813, 8035 : penser, avoir à l’esprit ; aimer ; vouloir dire, parler de Meineide, 3179 : adj. parjure Meister, 493 : maître

GLOSSAIRE

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Meistern, 1094, 3248 : construire, faire construire ; réussir un coup de maître Meisterschaft, 165, 495, 1536, 1560, 1684, 3009, 4075, 4857 : enseignement, autorité, gouvernement, emprise, supériorité Merre, 731, 1561, 7889 : plus grand (« merre danne » : plus grand que) Michel, 249, 426, 964, 1484, 1645, 2413, 2439, 2900, 3512, 3660, 3829, 3920, 3971, 4128, 4382, 4615, 5383, 5552, 5668, 5763, 5840, 5915, 5962, 6216, 6270, 6487, 6594, 6758, 6872, 8053 : grand Minhalp, 8148 : en ce qui me concerne, pour ma part Minne, 1331, 1415, 1420, 1516, 1533, 1537, 1543, 1553, 1563, 1603, 1609, 1621, 1634, 1643, 2051, 2339, 2965, 2989, 3005, 3010, 3248, 3398, 3866, 5096, 5718, 6105, 6496, 6515, 6791, 7082, 7084, 7086, 7089, 7090, 7095, 7098, 7101, 7103, 7105, 7111, 7114, 7118, 7347, 7357, 7555, 7566, 7657, 7759, 7839, 7848, 7858, 7942, 7987, 8039 : amour (« frou minne » : dame Amour ; « mit minnen » : à l’amiable) Minnen, 1601, 2792, 2880, 3171, 5094, 7139, 7442, 7452, 7496, 7845 : aimer Mislich, 614, 2573, 2720, 5120, 6512 : divers, différent, varié Misselingen, 760, 1384, 2150, 2587 : échouer, rater Missesagen, 1935, 3519, 3531 : dire un mensonge, une chose erronée, mentir Missetuon, 1581, 1869, 2397, 2730, 4055, 4560, 8157 : mal agir Missetat, 2892, 3997, 8126 : mauvaise action, faute, crime Muot, 6, 366, 473, 496, 633, 758, 790, 902, 1055, 1376, 1415, 1501, 1504, 1505, 1605, 1640, 1648, 1712, 1748, 1782, 1857, 1864, 1983, 1993, 2019, 2098, 2301, 2502, 2649, 2688, 2694, 2700, 2849, 2885, 2900, 2901, 2948, 3091, 3120, 3205, 3487, 3547, 3576, 3684, 3709, 3793, 3800, 3961, 4273, 4378, 4798, 4827, 4829, 4846, 4856, 5204, 5394, 5459, 5500, 5505, 5568, 5590, 5632, 5651, 5675, 5737, 5958, 6047, 6320, 6342, 6630, 6930, 7046, 7213, 7255, 7398, 7420, 7455, 7529, 7749, 7947, 7997, 8045, 8190, 8209, 8242 : esprit, mentalité, disposition d’esprit, for intérieur Muotwille, 7423 : mauvaise intention, intention criminelle Muzzerhabech, 284 : autour qui a mué, autour âgé d’un an Nahen, Nahe, 103, 419, 469, 472, 551, 1347, 1422, 1430, 1774, 2263, 3285, 3763, 3996, 5215, 5471, 5474, 5871, 6564, 7160, 7658, 8009 : près de ; à proximité (« nahen chomen » : s’approcher ; « nahen gan » : affecter) Nahen, 691, 3090, 3095 : s’approcher

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Næmlichen, 1972, 3443 : en vérité, à vrai dire, en effet Nern, Ernern, 414, 2056,4071 : protéger, sauver, garder en vie Niender, 446, 613, 1435, 1716, 1748, 1769, 1819, 2159, 2182, 2312, 3114, 4397, 4706, 5125, 6611, 7011, 7930 : nulle part ; pas du tout, nullement Niene, 180, 378, 383, 482, 514, 540, 1240, 3123, 4133, 4279, 4453, 4587, 4803, 4931, 4935, 5157, 5702, 5765, 6188, 7114, 7144, 7183, 7219, 7358 : nullement, pas du tout Nieten, 5629, 8015 : profiter de, jouir de ; occasionner Nigen, Sich Genigen, 107, 389, 2245, 3194, 3935, 5051, 6000, 6282, 7811  : s’incliner, faire une révérence Niuwe, 465, 1613, 3279, 3579, 6066, 7471 : neuf, nouveau Notlichen, 2328 : être hostile, traiter de manière hostile Ort, 622 : angle, facette d’un diamant Oster Tac, 8175 : jour de Pâques Ouge (Ougen), 327, 449, 1271, 1273, 2348, 2349, 2959, 5176, 6220, 6292, 7038, 7326, 7565, 8033 : œil (yeux) Ougenweide, 402 : spectacle, tableau Ougest, 3052 : mois d’août Palas, 1075, 1359, 1695, 2368, 6417, 6423 : palais, grand-salle Pfunt, 6389 : livre (monnaie) Pris, 754, 862, 3036, 3042, 3057, 3349, 3517, 3744, 6039, 6043, 6605, 7621, 7758 : renom, renommée, prix, gloire, valeur Prisen, Geprisen, 151, 532, 686, 2489, 2497, 4798, 5460, 6023 : apprécier, vanter, faire l’éloge de, glorifier, être un titre de gloire pour Prislichen, 3265 : de manière parfaite, magnifiquement Ramen, 396, 7154 : aller en direction de, se diriger vers ; viser Ram, 6186 : métier à tisser Rat, 940, 1639, 1643, 1789, 1904, 2014, 2127, 2148, 2149, 2157, 2350, 2734, 2891, 3004, 3098, 3146, 3161, 3405, 3415, 3424, 4120, 4187, 4486, 4502, 4582, 4620, 4870, 4876, 4984, 5277, 5467, 5715, 5813, 5852, 6082, 6139, 6142, 6459, 6479, 6793, 6977, 7632, 7883, 7899, 7904, 7912, 8104, 8137 : conseil ; ensemble des conseillers ; moyen (« rat werden » : aider, surmonter, trouver une solution ; « rat han » : ne pas avoir besoin de)

GLOSSAIRE

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Raten, 633, 781, 822, 1483, 1647, 1858, 1903, 2344, 2345, 2348, 2349, 3200, 3637, 5240, 7385, 7655, 7907, 7922 : conseiller, donner un conseil Rechen, (Sich) Gerechen, 799, 802, 854, 1541, 1669, 2462, 2464, 2469, 3123, 4232, 4453, 4988, 4990, 5056, 5194, 7619, 7733, 7735 : songer à ; venger (se), prendre sa revanche, punir Recken, 3298 : passer à travers Rede, 212, 241, 350, 562, 599, 807, 812, 816, 823, 875, 1030, 1435, 2158, 2162, 2167, 2172, 2291, 2356, 2364, 2385, 2400, 2412, 2456, 2500, 2507, 2517, 2940, 2960, 3018, 3075, 3412, 4144, 4149, 4310, 4313, 4328, 4337, 4640, 4996, 5248, 5545, 5976, 6118, 6275, 6287, 6363, 6411, 6458, 6505, 7341, 7494, 7697, 7710, 7737, 7918, 7973, 8024, 8043, 8061, 8130, 8154, 8250 : paroles, ce qui est dit, accord ; récit, histoire Redelich, 6515 : convenable, décent, honnête Redeliche, 1795 : convenablement, décemment Reht, Recht, 172, 248, 306, 420, 554, 563, 802, 1571, 1645, 1860, 2039, 2410, 2740, 2846, 2896, 3567, 4950, 5235, 5307, 5581, 5721, 6239, 6656, 7593, 7648, 7686, 7687, 7708, 7743, 7751, 7763, 7778 : droit, coutume ; justice, loi ; statut (« ze rehte » : comme il se doit ; « von rehte » : de bon droit) Reht, 1, 57, 207, 228, 1082, 2052, 2491, 3251, 3283, 3996, 4238, 4737, 4779, 5002, 5487, 5710, 5859, 5913, 6091, 6102, 6454, 6490, 6874, 6888, 6936, 7147, 7420, 7689, 7937, 8040 : juste, équitable, vrai, droit, bien Rehte, 319, 751, 897, 943, 1048, 1241, 1361, 1585, 1622, 1679, 1795, 1959, 2063, 2112, 2396, 2407, 2489, 2528, 2671, 2865, 3364, 3916, 4148, 4523, 4689, 4850, 4879, 5058, 5322, 5857, 5948, 5949, 6007, 6194, 6307, 6325, 6394, 6866, 6869, 7769 : équitablement, convenablement ; vraiment ; exactement, précisément Rich, 4367, 6876, 7597 : empire, royaume, pays Rich, Riche, 34, 47, 2574, 2742, 2874, 2876, 3164, 3351, 3455, 3514, 3523, 3538, 3545, 3571, 3588, 4198, 5191, 5959, 6263, 6388, 6396, 6603, 6610, 6834, 6861, 6917, 7262, 8215, 8219, 8228 : riche, puissant Richsen, 7554: régner Riemen, 318 : lanières, courroies Rihten, 2285, 3944, 4224, 4494 : juger, faire justice ; appuyer  Ringe, 3813, 6391 : peu, moindre Ringen, 405, 2767, 4061, 7939 : lutter, être en proie à ; aspirer à

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

Ringen, Geringen, 2838, 4255 : alléger, diminuer, amoindrir  Riuwe, 1600, 2066, 3084, 3203, 3225, 3383, 8162, 8184 : repentir, regret ; tristesse, chagrin, accablement Riuwech, 3143, 3927 : repentant, triste Riuwechlich, 6370 : triste, misérable Riuwen, 411, 2007, 3721, 6121, 8158, 8184 : se repentir de, regretter, éprouver des remords ; faire de la peine à, inspirer de la pitié à, attrister Riuwevar, 4833, 6215 : blême Rosselouf, 7052 : élan pris à cheval Rost, 5424 : bûcher Ruch, 267, 444 : rude, difficile ; crépu Rumen, 6998, 7102, 7117, 7118 : évacuer, décamper, partir Ruochen, 182, 323, 1248, 1569, 2334, 4268, 5524, 5720, 5746, 6170, 6403, 8182 : daigner, bien vouloir, consentir ; souhaiter, désirer Ruoke, 461, 2631, 4927, 5041, 5292, 6080, 6744, 6760 : dos Ruokelingen, 6746 : sur le dos (Sich) Ruomen, 7805 : annoncer fièrement, se vanter Ruote, 4912, 5045 : bâton, verge, pieu Ruoz Var, 431 : couleur de suie, noir Sælde, 3, 2772, 4132, 4842, 5518, 5982, 6403, 6873, 7137, 8214, 8253 : bonheur ; chance, faveur, félicité accordée par Dieu (« frou sælde » : dame Fortune) Sælech, 1114, 2237, 2242, 2290, 2949, 3960, 5966, 6360, 6590 : heureux ; béni par la faveur divine Salse, 3273 : sauce Same, 7151 : sol, terre (« uf den samen » : à terre) Schat, 572 : ombre Schalch, 6231, 6233, 6234, 6548 : méchant, coquin, homme perfide Schalchaft, 2560 : méchant, perfide, coquin Schalcheit, 841, 1526, 2180 : méchanceté, perfidie, coquinerie Schalchlich(en), Schalclich(en), 6164, 6231, 6233, 6235 : de manière perfide, méchante ; coquinement

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Scharlach, 324 : d’écarlate Schelten, Geschelten, 151, 214, 2010, 2556, 4956, 4999, 6097, 7225 : blâmer, insulter Scheltære, 7226 : diffamateur chargé de relancer les mauvais payeurs Schiere, 85, 310, 322, 511, 645, 913, 932, 960, 985, 1023, 1532, 1548, 1734, 1893, 2173, 2677, 3103, 3362, 3409, 3415, 3691, 3753, 3827, 3843, 3856, 4214, 4371, 4475, 4887, 4941, 4962, 4975, 4991, 5002, 5180, 5214, 5297, 5313, 5526, 5946, 6507, 6697, 6710, 6995, 7660, 7844, 8092 : rapidement, vite, bientôt Schirmen, Beschirmen, 570, 1169 : protéger, mettre à l’abri Schiuften, 5953 : trotter, aller au trot Schouwen,  792, 925, 1158, 1447, 1792, 3392, 3717, 3787, 5186, 5921, 6418 : regarder, contempler  Schrunde, 4012 : fente Schulde, Schult, 175, 183, 224, 723, 726, 1346, 1613, 1709, 2028, 2036, 2273, 2587, 2664, 2723, 2749, 2782, 3144, 3216, 3371, 3776, 3957, 3999, 4036, 4042, 4048, 4058, 4176, 4209, 4240, 4460, 4797, 4883, 5153, 5168, 5223, 5435, 5457, 7466, 8016, 8161, 8162, 8167, 8180, 8188 : faute Schuldech, Schuldec, Schuldic, 197, 1380, 2281, 4043, 4895, 5226, 8160 : coupable, fautif Senede, 71, 1807, 3077, 3684, 3973, 4227 : empli de douleur liée à l’amour, de nostalgie amoureuse Senen, 2956, 3975 : nostalgie amoureuse Schande, 1575, 2610, 2630, 3388, 3485, 3803, 3978, 4505, 4517, 4968, 5222, 5514, 7116, 7487, 7872, 7889 : honte Sic, 1035, 3736, 6347, 6367, 6786, 6826, 7134, 7135, 7468, 7509, 7623, 7754 : victoire Sicher, 1197, 3286, 7200 : à l’abri de Sicherheit, 2231, 2750, 3770, 4148, 4574, 6355, 7642, 7936 : assurance, parole donnée, serment, engagement solennel (ancien français : « fiance ») Sichern, 7624, 7638, 7647, 7648, 7649 : s’en remettre à Sigehaft, 6992 : victorieux Sigelos, 1954, 7031, 7135, 7626, 7639 : vaincu Sigen, 6224 : pencher, tomber, s’incliner

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

Site, 20, 137, 234, 245, 1868, 2023, 2325, 2802, 2809, 3114, 3228, 3555, 3707, 3832, 4317, 4586, 4803, 5416, 5729, 6261, 6490, 6682, 6984, 6989, 7260, 7952, 8204 : manière, coutume, habitude, comportement Siuften, 3093, 6399 : soupirer Sius, 7877 : souffle du vent, mugissement Siusen, 990 : souffler, mugir Slac, 868, 1045, 1104, 1370, 3198, 3727, 4132, 5020, 5024, 5034, 5050, 5053, 5334, 5379, 6496, 6722, 6766, 7206, 7280, 7303, 7405, 7535, 7586, 7612, 7949 : coup, coup de taille Sla, Slage, 1069, 5948 : trace (« ze slage » : à la trace) Slahen, Slan, 299, 648, 721, 1032, 1044, 1101, 1109, 1164, 1257, 1288, 1335, 1360, 1543, 1616, 1672, 1964, 2030, 2035, 2046, 2458, 3061, 3128, 3731, 3856, 4219, 4303, 4911, 5012, 5020, 5023, 5024, 5025, 5032, 5034, 5047, 5071, 5397, 5412, 5672, 5827, 5830, 5837, 5861, 6496, 6621, 6633, 6671, 7143, 7586, 7612, 7804, 7924, 8154 : frapper ; tuer Slahte, 2232, 3865, 4000, 4402, 4907: sorte, espèce (« ane allerslahte » : sans le moindre) Slegetor, 1076, 1085, 1120 : herse Smareides, 621 : émeraude Sorge, 1145, 1206, 1297, 1530, 1688, 2832, 4060, 4250, 4278, 4408, 4414, 7299, 7498, 7515, 7238 : crainte, tourment, souci Sorgen, 2830, 4607, 4724, 7336, 7474, 7497 : se faire du souci, appréhender Spæhe, 7006 : beau, habile, artistique Spanne, 440 : empan Sper, 740, 1010, 1546, 1934, 2577, 3345, 3521, 3728, 4684, 4687, 5013, 5308, 5314, 7142, 7164, 7174, 7176, 7179, 7268 : lance Spot, 237, 1520, 1529, 1803, 2557, 2586, 2606, 2619, 4160, 4492, 4627, 4693, 4979, 5221, 5271, 5834, 6783, 8011 : moquerie Spotten, 2451 : se moquer Stat, 1082, 1423, 1555, 1570, 1718, 2383, 4393, 4730, 5761, 5884, 5890, 6034, 6114, 6938, 7046, 7232, 7874 : endroit, lieu, place ; ville ; occasion (« an der stat » : à la place ; « uber stat » : plus que nécessaire)

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State, 1293, 3137, 5307, 6157, 6653, 6723, 6768, 7905, 7965 : moyens, ressources (« ze staten chomen » : être utile à, être avantageux ; « ze rehten staten » : à bon escient) Stille, 134, 948, 1494, 2246, 2467 : en silence ; doucement, calmement, à voix basse (« stille swigen » : se taire) Stillen, 2361 : taire, passer sous silence, cacher Stiure, 6323 : chemin, direction Stiuren, 1799 : secourir Strafen, 171 : blâmer, réprimander Strale, 3260 : flèche Streich, 6776 : coup Strichen, 1971, 4286, 4710 : aller rapidement, poursuivre rapidement (son chemin), filer (« na strichen » : poursuivre) Strichen, Bestrichen, Gestrichen, 3421, 3436, 3438, 3442, 3466, 3469, 3480, 3482 : étaler Strit, 118, 379, 867, 870, 910, 913, 1025, 1855, 2637, 2978, 3021, 3741, 4066, 4418, 4783, 5059, 5212, 5281, 5295, 5363, 6692, 6705, 6878, 7033, 7053, 7072, 7300, 7653, 7666, 7706, 7747, 7755, 7892, 8241 : querelle, dispute ; combat ; avantage Striten, Gestriten, 7, 530, 918, 1016, 1727, 3833, 4142, 4384, 4647, 5116, 5122, 5733, 5734, 5886, 6341, 6638, 6640, 6954, 7044, 7054, 7057, 7187, 7511, 7672 : combattre, livrer un combat ; acquérir par le combat Stunt, Stunde, 23, 465, 640, 753, 1101, 1262, 1356, 1367, 1705, 1828, 2016, 2190, 2254, 3176, 3355, 3374, 3472, 3479, 3609, 3680, 4444, 4515, 4524, 4960, 5133, 5138, 5550, 5895, 6449, 6762, 6856, 7129, 7278, 7295, 7564, 7669, 7831, 7834, 7841, 7998, 8033, 8140, 8173, 8231 : fois ; heure, moment ; temps (« an der stunt » : aussitôt; « anderstunt » : une seconde fois) Stæte, 4572, 6495 : constance Stæte, 1498, 1598, 2750, 2885, 3205, 3969, 6971, 7971, 7973 : constant, fiable, loyal Stiege, 6425, 6426 : escalier Suezze, 1573 : douceur, gentillesse (Sich) Sumen, 2463, 2925, 4818, 5074, 6159, 7048, 7074 : (se) faire attendre, tarder Suozze, Suezze, 388, 680, 1577, 3275, 3471, 5347, 6400, 6438, 6490, 6547, 7362, 7363, 7364, 7365, 7951, 7955, 8202 : tendre, doux, délicieux

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

Suozzen, 3300 : apaiser Sware, 825, 2813 : triste, affligé, accablé Swære, 94, 402, 887, 1128, 1139, 1425, 1831, 2076, 3235, 3973, 4255, 4446, 4758, 5060, 5546, 5908, 5967, 6062 : douleur, tristesse, tourment, malheur ; poids Swære, 633, 774, 1085, 1095, 1315, 1612, 1736, 1857, 2681, 4042, 4295, 5151, 5525, 6817, 7442, 8161, 8232, 8242 : lourd ; triste, douloureux, affligeant, pénible Swaren, 1350, 2247 : faire de la peine, affliger, blesser Swarte, 433 : peau couverte de poils Sweder, 1081, 4168, 4853, 4864, 4974, 7025, 7134, 7343 : celui qui, celui des deux qui Tavel, 297 : disque Tavelrunde, 4525, 4558 : Table ronde Tihten, 25, 30 : composer, écrire Tier, 403, 422, 466, 488, 582, 931, 3320, 3826, 3842, 3857, 3869, 3876, 3879, 6696, 7822 : bête, animal (sauvage) Tiure, 216, 1451, 1800, 1806, 1933, 1953, 1965, 2031, 2563, 3332, 4138, 4849, 5681, 5727, 6209, 6546, 6868, 7021, 7478 : de valeur, excellent, cher, précieux, noble ; rare, introuvable Tiost, 2545, 2574, 7170 : joute, combat à cheval Tiostieren, 737 : jouter Toben,  1267, 1376, 1803, 1814, 2082, 2496 : perdre la raison, devenir fou, se comporter comme un fou Tobesuht, 3227 : folie, démence Tohter, 4461, 5761, 6453, 6592, 6609, 6617, 6629, 6788 : fille Tougen, 1787, 5177, 6514, 7039 : secret ; secrètement, en secret Triegen, Betriegen, 1842, 1946, 2180, 4550, 6661, 8218 : tromper, abuser Trost, 4511, 4703, 4723, 4790, 5155, 5327, 5342, 5692, 5823, 6024, 6363, 6757, 6870 : réconfort, espoir, espérance Trœsten, Getrœsten, 146, 418, 790, 1413, 1620, 2121, 3200, 3237, 4330, 4585, 4943, 6573, 7843 : réconforter (Sich) Trœsten, 4153, 6994 : placer ses espoirs en, espérer

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Tugen, 501, 736, 807, 1063, 1144, 1524, 2083, 2447, 2994, 3759, 3869, 4995, 5006, 5801, 5973, 6713, 6846, 7007, 7198, 7359, 7601, 7634, 8041 : valoir, être capable de, être bon à, servir à  Tugent, 338, 1922, 2086, 2419, 2424, 3132, 3252, 3512, 3905, 4080, 5649, 5820, 6371, 6457, 6487, 6517, 6861 : qualité, vertu, courtoisie Tweln, 988, 3078, 3461, 3688, 4348, 5608, 7571 : attendre, tarder ; séjourner, rester Ubergulden, 358 : fig. augmenter, surpasser Uberkraft, 1535, 2440 : force supérieure, supériorité, puissance ; abondance Ubermuot, 3402, 7714 : orgueil (Sich) Ubersprechen, 4134, 4135 : parler trop vite, parler sans réfléchir Ubertragen, 1400, 4033, 7925 : empêcher, dispenser, épargner à Uberwinden, 1519, 1995, 3648, 3796, 4107, 4277, 5410, 5513, 5816, 5862, 5903, 5968, 6588, 6598, 7126, 7128, 7696, 7885, 8230 : surmonter, venir à bout de, triompher de, vaincre Unangestlichen, 689 : dépourvu de crainte, sans crainte Unbecheric, 1993 : immuable, impénitent Unbewant, 3240 : inutile, vain Unberaten, 6198 : dépourvu de toute richesse Unbescheiden, 4948 : dépourvu de sagesse Unbescheidenlichen, 1655 : de façon irréfléchie, inconséquente Undar, 2243 : de façon brutale, froidement Undersagen, 858, 1860 : faire des remontrances ; exposer, dire en détail Undersazt, 581 : soutenu Understan, 7417 : interrompre, cesser (« ez understan lan ») Underwegen, Underwegn, 1655, 2183, 4246, 4867, 4898, 6032, 6958  : en chemin, en route ; en cours de route Underwilen, 2848, 6209, 6722, 7738 : parfois (Sich) Underwinden, 1644, 2600, 4188, 7251, 7994 : s’emparer de ; prendre soin de ; se donner à ; entreprendre Unerværet, 3244, 4613, 6281 : sans peur, intrépide Unfuoge, 856 : indécence, impétuosité, manque de mesure

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

Ungehiure, 524 : monstre Ungehiure, 581,7864 : monstrueux, terrible Ungemach, 543, 655, 688, 702, 852, 904, 970, 1345, 1444, 1596, 1886, 2070, 3116, 3147, 3201, 3920, 4017, 4498, 5415, 5627, 5993, 6398, 6727, 7355, 7793 : malheur, détresse Ungeræte, 3330 : tant bien que mal, sans apprêts (« mit ungeræte ») Ungereit, 4166, 7887 : difficile à trouver, pas disponible Ungefuege, Ungevuoge, 442, 2556, 4644, 5038, 5043, 6704 : énorme, gigantesque, monstrueux ; indécent, déplacé Ungevelle, 3024, 4694, 7694 : malheur, infortune Ungewafent, 5011 : sans armes Ungewin, 1252, 3094, 4655, 8067 : échec, perte, partie perdue Ungewissen, 3850 : déloyal, peu fiable Ungewizzen, 7614 : ignorant ; déraisonnable, insensé Ungewizzenheit, 855, 4958 : ignorance ; folie ; manque de courtoisie Ungewon, 169, 3026, 5776 : pas habitué à Unmanheit, 630 : manque de courage, lâcheté Unmaze, 7611 : indécence, démesure Unmazen, 2133 : démesurément, très Unmuot, 1678 : chagrin, deuil, affliction, désespoir Unsite, 1970, 6075, 7352 : rudesse, colère, discourtoisie Unstæte, 4455 : inconstant Unstætecheit, Unstæte, 1870, 1881, 2297 : inconstance Unstetlichen, 3724, 3734 : en désordre, de manière désordonnée, dans la confusion Unverre, 3875, 4622, 6317 : à proximité, pas loin Unverseit, 4531, 4815 : accordé Unverzagt, 3832,6554 : sans peur ; sans merci Unwerde, 6402 : indigne, honteux Unwerdecheit, 5499 : manque de dignité

GLOSSAIRE

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Unwirde, 2864 : honte, déshonneur, comportement indigne Unzuht, 766, 6913 : manque de courtoisie, indécence, comportement discourtois et scandaleux Vahen, 79, 1125, 1338, 1478, 1534, 1702, 1733, 1746, 2235, 2239, 3270, 3739, 3753, 3771, 3782, 3889, 4007, 4030, 4470, 4904, 5079, 5136, 5832, 6800, 6827, 7627, 8147 : prendre, attraper, saisir ; faire prisonnier, prendre au piège (« gevangen » : prisonnier) Vanchnusse, 1127, 2928 : captivité Vaste, 432, 583, 2221, 3052, 3287, 3463, 3664, 3704, 4394, 4926, 4949, 5172, 5314, 5335, 6254, 6537, 6678, 7224, 7239, 8062 : entièrement, fortement, profondément, beaucoup, très, bien Vellen, 4947, 6739, 7125, 7151, 7155 : faire tomber, fig. punir, tuer Velt, 951, 971, 2549, 3032, 3101, 3224, 7230, 7789 : champ, prairie (« zevelde » : dans les champs) Verbern, 631, 6025 : omettre, éviter, s’abstenir de Verborgen, 398, 1205, 1412, 1687, 1990 : caché, dissimulé Verbrant, Verbrunnen, 660, 4031, 4359, 5829, 7371, 8054 : brûlé (Sich) Vercheren, 1332, 2099, 2553, 3003, 3250, 4419, 4431, 5526, 6650, 7456 : inverser, transformer, changer (« die sinne vercheren » : dérober la raison) (Sich) Verchunden, 7431 : confier à, déclarer à, dire avec franchise Verdagen, 162, 795, 835, 857, 947, 955, 6886 : taire, passer sous silence Verdenchen, 1496, 1513, 2296 : renoncer à des idées, pensées ; soupçonner, croire à tort Verdriezen, 468, 2534, 2869, 5977, 8213 : décourager, démoraliser ; décourager ; contrarier ; s’offenser de ; regretter Verfluochen, 4022, 7867 : maudire (Sich) Vergahen, 4131 : parler trop vite, parler sans réfléchir Verkiesen, Verchiesen, 2992, 3148, 3683, 7381 : renoncer ; compenser, remplacer Verlan, 1696, 3665, 3687, 3689, 3705, 4501, 5141, 5291, 7245, 7313, 7401, 7439, 7750, 7775 : s’apaiser, se terminer ; abandonner, renoncer à, omettre ; laisser ; consacrer à, s’en remettre à Verlegen, 7234, 7237, 7246  : paresseux, oisif, qui a renoncé à l’exercice de la chevalerie (ancien français : « recreant »)

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Verlegenheit, 2864: attitude de celui qui ne se comporte plus en chevalier (ancien français : « recreantise ») Verliesen, 203, 249, 255, 511, 611, 1080, 1160, 1166, 1378, 1466, 1487, 1649, 1812, 1821, 1839, 1855, 2057, 2153, 2222, 2308, 2316, 2405, 2824, 2946, 2991, 3028, 3215, 3367, 3393, 3673, 3682, 3685, 3816, 3926, 3955, 4000, 4130, 4136, 4207, 4236, 4291, 4322, 4344, 4465, 4475, 4865, 5163, 5408, 5617, 5782, 5979, 5981, 6123, 6270, 6299, 6813, 7139, 7369, 7380, 7754, 8113, 8168, 8190 : perdre (Sich) Verligen, 2784, 2788, 2858, 2871, 3038 : renoncer à l’exercice de la chevalerie (ancien français : « devenir recreant ») (Sich) Vermezzen, 5269 : dépasser la juste mesure, être assez présomptueux pour Vermiden, 1096, 5081, 7186 : éviter, se dispenser de, manquer de faire quelque chose Vermieset, 439 : moussu Verpflegen, 5325 : ne pas être en mesure de, renoncer à Verpfenden, 7287, 7777 : mettre en gage, donner en caution Versagen, 1618, 3792, 4463, 4553, 4562, 5348, 5641, 5972, 7273, 7349, 7352, 7713, 7954 : refuser ; ne pas croire en ses chances Verschulden, 6098, 8040 : mériter ; s’acquitter d’une dette, remercier pour (Sich) Versehen, 478, 2181, 4122, 4125, 6302 : penser, avoir l’idée que, s’aviser ; croire que, s’attendre à (Sich) Versinnen, 3172, 3963, 4411 : être assez sage, avisé pour ; comprendre Versmahen, 5172 : déplaire Verstan, 330, 1000, 1286, 1898, 2039, 2108, 7795  : s’apercevoir, remarquer, comprendre, y voir plus clair ; barrer, barricader Vert, 4045 : l’année dernière (« in dem iare vert ») Vertragen, 147, 159, 181, 866, 869, 1223, 1336, 1343, 2042, 6821, 7701, 7737 : pardonner, ne pas tenir rigueur ; supporter, accepter, laisser faire Vervahen, 1818, 3846, 5159 : s’y prendre ; servir à, être utile à, aider à Verwalchen, 433 : emmêlé à Verwænen, 7917 : s’attendre à, espérer Verwazen, 2022, 2791, 7613 : maudire Verzagen, 590, 1396, 1414, 1617, 2252, 2728, 2995, 3713, 5217, 5777, 6608, 6626 : faire preuve de lâcheté, perdre courage (« verzagt » : lâche)

GLOSSAIRE

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Verzihen, 746, 761, 2857, 6989 : refuser, priver de, renoncer à Verzinsen, 7290 : verser des intérêts Vingerlin, 1198, 2939, 3197 : anneau Vol Bringen, 759, 938, 1490, 1500, 5697 : accomplir, réaliser, faire Vol Chomen, 125, 8221 : parfait, irréprochable, accompli Vol Enden, 1809 : se terminer, cesser Vorder, 1255, 3703, 4308 : devant, en première ligne ; fig. parfait, éminent Wage, 537, 2931, 7407, 8057 : combat, bataille, aventure, entreprise hasardeuse ; balance (« uf der wage » : en jeu) Wagen, 549, 4308, 4466, 6601 : oser, mettre en jeu (« den lip wagen » : mettre sa vie en jeu) Wæge, 4858 : ce qui convient, avantageux Wæhe, 7007 : art, prouesse artistique Wænlich, 1956, 2429, 8203, 8246 : probable ; probablement, sans doute, je crois Walt, 263, 617, 656, 714, 921, 966, 3266, 3819, 3829, 5768 : forêt Walten, 6520 : exercer, faire preuve de Walt Gevelle, 7876 : chute des arbres dans la forêt Waltman, 596, 620 : homme des bois Walt Tor, 438 : homme des bois, homme sauvage Wan, 964, 1752, 2341, 3535, 4111, 7137, 7919 : espérance, illusion, pensée peu fondée, divagations (« nach wane » : au hasard, au petit bonheur la chance ; apparemment) Wandel, 1641, 1897, 2284, 2894, 4146, 7616 : changement ; compensation, remplacement (« ze wandel gebn » : donner en échange, en guise de compensation) Wandelbære, 199 : inconstant Wandelunge, 1879 : changement, inconstance Wanne, 441 : van, grand panier servant à vanner le grain (Sich) Warnen, 1856, 2191 : (se) préparer, (s’) équiper Warten, 2938, 4299 : attendre Wat, 2194, 4369, 6207, 6220, 6378 : vêtement

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

Wætliche, 4366 : beau, magnifique Wec, Wech, 264, 355, 377, 1971, 2162, 3871, 4362, 5132, 5174, 5540, 5553, 5563, 5767, 5778, 5849, 5994, 6028, 6115, 6323, 6422, 6888 : chemin ; moyens (« uf ir wege » : à leur convenance) Wehsel, 1043, 3003, 3019, 4428, 7272 : échange ; changement ; pratique du change, de l’usure Wehselære, 7253 : usurier Wehselmære, 6063, 7437 : entretien, conversation Wehseln, 2984, 7275 : échanger Wenen, 3316 : habituer, accoutumer ; donner une habitude à Wenech, 335 : un peu  Werch, 58, 758, 1501, 2690, 4312, 4996, 5589, 6187, 6226, 6283, 7975 : faits, actions, activité ; ouvrage, œuvre Werchgadem, 6174 : atelier Werde, 39, 4198, 6436 : dignité, honneur Werde, 535, 2661, 2877, 6005 : digne, honorable, noble Werliche, 7506 : capable de se défendre Werlichen, 3761 : en se défendant (Sich) Wern, 728, 732, 1001, 1021, 1826, 2040, 2541, 2675, 5283, 5330, 5381, 5635, 5726, 6055, 6720, 7770 : (se) défendre Wern, 2442, 7301, 7651, 7878 : durer Wern, 6629 : accorder Werren, 4427, 4433, 5225 : tourmenter, peser, affliger ; nuire Wert, 6317 : île Wert, 1187, 2425, 2744, 3986, 4044, 4890, 5510, 6461, 6541, 7521, 7611, 8211 : digne de (« des was er wert » : il le méritait) Widerchere, 555 : retour Wider Cheren, 3197, 6852 : revenir Wider Chomen, 1217, 2136, 3319, 5666, 8172 : revenir Widersagen, 711, 718, 1258, 1738, 1913, 4832, 5464 : déclarer la guerre, défier ; contredire, rejeter, refuser

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Widerslac, 2474, 3124 : riposte Wilde, 275, 396, 965, 3232 : nature sauvage, contrée sauvage Wilde, 424, 498, 3689, 3912, 3993 : sauvage Wilde, 978, 3266 : animaux sauvages, troupeau d’animaux sauvages Wilen, 7543 : jadis, autrefois Wille, 61, 758, 1493, 2362, 2394, 2426, 2570, 2690, 3404, 3471, 3476, 4028, 4072, 4271, 4312, 4389, 4396, 5013, 5468, 5590, 5659, 5676, 6053, 6342, 6510, 6655, 7038, 7318, 7382, 7424, 7593, 8008, 8107 : souhait, désir, vœu ; intention ; volonté Willeclichen, 1920, 2391, 3323, 3496, 5549 : volontiers, de son plein gré Winden, 6189 : enrouler Winster, 597 : gauche Wirden, 2855 : accroître l’honneur, la renommée de quelqu’un Wirs, 784, 3170 : plus mal ; pire Wis, Wise, 152, 861, 1495, 1505, 2498, 3317, 3350, 3516, 3745, 5304, 5461, 6042, 6458, 6965, 7192, 7325, 7327, 7907, 8222 : sage, expérimenté Wis, Wise, 44, 2153, 2550, 3041, 4353, 4800, 7840 : façon, manière Wise, 4455 : prairie, champ Wisent, 409 : bison, taureau sauvage Wisheit, 337, 3807 : sagesse Wit, 446, 1136, 6174, 6428, 6675, 7052 : large, spacieux Wite, 452 : largeur Witze, 2715, 3263, 5181, 7968 : esprit, pensées, intelligence Wiz, 6194, 6474 : blanc Wunde, 1102, 1358, 1543, 1544, 1550, 3373, 3939, 5032, 5055, 5398, 5402, 5411, 5602, 7296, 7827, 7830 : blessure Wunden, 1047, 5516 : blessé Wunder, 805, 2375, 2764, 3017, 3625, 3659, 5445, 6561, 7798 : merveille, chose étonnante, miracle Wunderlich, 3544, 8075, 8130 : étrange Wunderliche, 1379, 4280, 8134 : de manière étrange

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Wundern, 317, 371, 2340, 3581, 4053, 4936, 5803, 7570 : étonner, surprendre Wunne, 1692, 2438, 3965 : plaisir, délice Wunneclich, 604, 1679, 6486 : très agréable, délicieux Wunsch, 1330, 3982, 6460, 6983 : souhait ; idéal, perfection, bonheur ; personnification de l’idéal, de la perfection Wunsch Lebn, 44 : existence idéale Wunschen, 3548 : souhaiter Wunt, 1355, 1368, 1542, 1547, 540, 5551, 5894, 5944, 7840 : blessé Wuorchen, 6178, 6183, 6184, 6186, 6378, 6716 : travailler, façonner, tisser Ysen, 1097, 5366, 6715, 7193, 7286 : fer, métal ; haubert, armure Ysengewant, 961 : haubert, armure Zage, 560, 865, 1042, 2083, 2447, 3738, 4900, 5349, 6630, 6775, 7011, 7663 : lâche, couard Zagehaft, 5409 : lâchement Zagehafte, 7064 : lâche Zageheit, 1050 : lâcheté Zerren, 3229, 4916, 5040, 5366 : ôter ; déchirer, déchiqueter Zeln, 832 : attribuer, raconter, dire Zergan, 637, 671, 2800, 6061 : cesser, disparaître Zerinnen, 8038 : faire défaut, manquer Zestunt, 3244, 4245, 7413 : aussitôt, sur-le-champ Zetal, 1046, 1088, 3668, 6224 : de haut en bas, vers le bas Zihen, 2783, 4115, 7970 : accuser Zil, 70, 876, 1835, 3267, 5407 : cible, but, portée de tir ; terme, fin ; délai Zins, 6368 : gage, intérêts Zinsen, 6356, 6636 : payer (« sin lebn zinsen » : obtenir la vie sauve) Zorn, 159, 178, 179, 449, 512, 700, 1007, 1159, 1267, 1376, 1377, 1488, 1632, 1997, 2058, 2154, 2221, 2387, 3227, 3687, 4131, 4133, 4137, 5389, 5406, 5979, 6112, 6821, 7703, 7947, 8112, 8148, 8191 : colère Zornliche, Zorneclichen, 4548, 5039 : en colère

GLOSSAIRE

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Zornic, 2023, 6682 : colérique (« mit zornigen site » : en colère ; « zorn var » : empli de colère) Zouber, 1280, 1365 : magie Zouberære, 1390 : magicien, sorcier Zuht, 124, 130, 165, 180, 1052, 1673, 3228, 3394, 4044, 6246, 6285, 6455 : courtoisie, bonnes manières, bonne éducation, éducation courtoise (« hovezuht » : manières respectées à la cour) Zuhtlos, 90 : discourtois Zuornen, 882, 3676, 4584, 6120 : réprimander ; se mettre en colère Zware, 428, 439, 553, 826, 845, 956, 1205, 1246, 1667, 1682, 1927, 1931, 1935, 1978, 2662, 2725, 2821, 2920, 3001, 3029, 3551, 4465, 4635, 5353, 6255, 6511, 6758, 7071, 7086, 7609, 7647, 8158 : en vérité

INDEX DES NOMS PROPRES Aliers, 3403, 3698, 3752 Artus, 5, 31, 59, 1836, 1850, 2403, 2444, 2525, 2567, 2647, 2689, 2754, 2950, 2963, 2969, 3059, 3105, 3526, 4156, 4504, 4534, 4546, 4631, 4774, 5646, 5704, 5744, 6810, 6950, 6996, 7720, 7832 Ascalon, 2270 Brezzilian, 263, 921 Britange, 1178 Calogreant, Kalogreant (Kalogranant) 92, 105, 113, 189, 231, 242, 801, 887, 923, 968, 2452, 4672 Dodines, 87 Enite, 2788 Erek, 2786 Feimorgan, 3417 Frien (Urien), 1196, 2107, 4174 Gawein, 73, 87, 911, 2504, 2613, 2691, 2704, 2709, 2733, 2761, 3023, 3031, 3046, 3528, 4169, 4270, 4286, 4704, 4772, 4837, 4852, 4892, 5094, 5656, 5663, 5674, 6939, 7490, 7532, 7533, 7589, 7618, 7629, 7650, 7661, 7671, 7753, 7780, 7800, 7828 Harpin, 4491 Hartman, 28, 2968, 2976, 7092 Iohannes, 897 Iuno, 6435 Iwein, Ywein, 88, 799, 821, 851, 904, 984, 1000, 1052, 1058, 1098, 1123, 1198, 1225, 1328, 1414, 1474, 1595, 1687, 1719, 1772, 1998, 1999, 2103, 2204, 2252, 2296, 2337, 2369, 2453, 2498, 2538, 2545, 2605, 2641, 2658, 2695, 2714, 2719, 2752, 2762, 2878, 2906, 2946, 2956, 2970, 2986, 2991, 3021, 3056, 3076, 3113, 3131, 3196, 3235, 3378, 3395, 3504, 3620, 3647, 3688, 3702, 3730, 3742, 3768, 3780, 3824, 3839, 3902, 3946, 3951, 4093, 4169, 4170, 4204, 4254, 4361, 4423, 4769, 4994, 5010, 5054, 5071, 5089, 5119, 5154, 5279, 5385, 5401, 5477, 6607, 6687, 6956, 7431, 7544, 7584, 7604, 7640, 7681, 7697, 7781, 7792, 7836, 8029, 8129, 8152, 8177

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HARTMANN VON AUE, IWEIN

Karidol, 32, 3060 Key, 74, 90, 108, 137, 159, 222, 806, 833, 853, 861, 1061, 1527, 2450, 2505, 2518, 2543, 2560, 2575, 2610, 2618, 4625 Meliakanz, 5667 Laudine, 2417, 2752 Lunet, 2711, 2733, 3097, 3195, 4201, 4266, 5144, 5202, 5372, 5425, 5432, 5440, 5538, 5548, 5872, 5880, 7881, 7950, 7963, 7994, 8011, 8065, 8078, 8092, 8099, 8192, 8204 Millemargot, 4692 Pliopleherin, 4692 Segremors, 88, 4688 Utpandraguon, 893 Yders, 4695