Gnose Et Manicheisme. Entre Les Oasis d'Egypte Et La Route de la Soie: Hommage a Jean-Daniel DuBois (Bibliotheque de L'Ecole Des Hautes Etudes, Sciences Religieu) (French, English and Spanish Edition) 9782503567631, 2503567630


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Gnose Et Manicheisme. Entre Les Oasis d'Egypte Et La Route de la Soie: Hommage a Jean-Daniel DuBois (Bibliotheque de L'Ecole Des Hautes Etudes, Sciences Religieu) (French, English and Spanish Edition)
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GNOSE ET MANICHÉISME ENTRE LES OASIS D’ÉGYPTE ET LA ROUTE DE LA SOIE HOMMAGE À JEAN-DANIEL DUBOIS

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES

SCIENCES RELIGIEUSES

VOLUME

176

Illustration de couverture : Quatre âmes à la recherche du salut symbolisées par quatre jeunes dans le Diagramme de l’Univers, détail (d’après S. Gulácsi – J. BeDuhn, Picturing Mani’s Cosmology, planche 15). Tous droits réservés. Photo p. 6 : Jean-Daniel Dubois © Vincent Combet.

GNOSE ET MANICHÉISME ENTRE LES OASIS D’ÉGYPTE ET LA ROUTE DE LA SOIE HOMMAGE À JEAN-DANIEL DUBOIS

Sous la direction de Anna Van Den KerchoVe et Luciana Gabriela soares santoprete

H

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La Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent soixante-dix volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (enseignants-chercheurs à l’EPHE, anciens élèves de l’École, chercheurs invités…). Directeur de la collection : Arnaud séranDour Secrétaires d’édition : Cécile GuiVarch, Anna WaiDe Comité de rédaction : Denise aiGle, Mohammad Ali amir-moezzi, Jean-Robert armoGathe, Marie-Odile Boulnois, Gilbert Dahan, Jean-Daniel DuBois, Vincent Goossaert, Michael houseman, Christian JamBet, Alain le Boulluec, François De poliGnac, Jean-Noël roBert.

© 2017, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2017/0095/34 ISBN 978-2-503-56763-1 e-ISBN 978-2-503-56764-8 10.1484/M.BEHE-EB.5.109918

Printed on acid-free paper.

LIMINAIRE Anna Van Den KerchoVe Institut protestant de théologie – Département d’histoire (Paris) Luciana Gabriela soares santoprete Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn – Institut für Philosophie Alexander von Humboldt-Stiftung

Jean-Daniel Dubois nous a amenées à « marcher sur la neige fraîche », pour utiliser une expression tout à lui, des oasis d’Égypte jusqu’à la Route de la Soie, en prenant de nombreux chemins, toujours riches, variés et complémentaires. Les collaborateurs de ce volume ont voulu emprunter, encore une fois et en son hommage, ces routes découvertes, partagées ou explorées avec lui, pour certains depuis désormais plus de 40 ans. Ce « voyage » a été rendu possible grâce à l’enthousiasme de Mohammad Ali Amir-Moezzi qui a très chaleureusement proposé d’accueillir ce volume dans la série « Histoire et prosopographie de la Section des sciences religieuses », au sein de la collection « Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses ». Nous tenons à lui exprimer toute notre gratitude, ainsi qu’à Arnaud Sérandour, directeur de la collection. Tout en indiquant aux contributeurs les cinq parties du volume, nous leur avons laissé toute liberté quant au choix thématique de leur article. Les deux premières parties abordent les derniers états de la recherche concernant les thèmes étudiés par Jean-Daniel Dubois dans sa direction d’études occupée depuis 1991, à savoir la gnose et le manichéisme. De ce fait, il est proposé dans la première partie, des travaux visant à comprendre les textes gnostiques eux-mêmes, non seulement par l’édition de nouveaux fragments ou l’interprétation de passages lacunaires, mais aussi par la réflexion sur les liens avec la philosophie, le monde musulman, ou encore la représentation théâtrale. La deuxième partie est consacrée au manichéisme : sont ainsi abordées ses dimensions artistiques, théologiques ou doctrinales (avec un accent sur la cosmologie, le paraclet), mais aussi les différentes manières dont les écrits, des

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Liminaire points doctrinaux et les figures du manichéisme ont été reçus, de façon polémique ou non, au sein du monde chrétien, musulman et également centre- et extrême-asiatique. La troisième partie fait le point sur l’avancée des recherches dirigées par Jean-Daniel Dubois depuis 1983 concernant les Actes de Pilate dont l’édition est en cours de préparation pour la série CCSA. Elle propose de nouvelles interprétations de passages des Actes de Pilate et met aussi en exergue la large diffusion des Actes de Pilate au cours des siècles, jusqu’à l’époque médiévale, et dans différentes langues – grec, copte, latin, syriaque et slavon. Dans la quatrième partie sont abordés plus spécifiquement des lieux et des figures qui reflètent l’environnement religieux très divers dans lequel se sont développés le manichéisme, les communautés dites « gnostiques » ainsi que d’autres communautés chrétiennes. Il est donc question tout aussi bien de la Vierge Marie, de Kālēb, de Bartholomé, de Bardesane et de Joseph d’Arimathie : leur importance et leur réception sont explicitées à partir d’un nouveau regard porté sur les sources et des documents découverts plus récemment. L’usage qui est fait des lieux, dans la vie quotidienne ou dans la littérature, est analysé à propos du monastère et des « bains » de Gadara. La cinquième et dernière partie témoigne de l’intérêt élargi de Jean-Daniel Dubois qui, les dernières années de sa recherche, a été amené à tisser des liens avec le contexte philosophique et religieux dans lequel les communautés étudiées par lui étaient en contact. Sont alors abordés les Oracles chaldaïques, le Corpus hermeticum, le néoplatonisme et sa polémique avec les gnostiques, ainsi que les textes de « pouvoir rituel 1 ». Nous tenons à nouveau à remercier chaleureusement Mohammad Ali Amir-Moezzi qui nous a offert un lieu de publication pour les contributions et nous a conseillées pendant la préparation du manuscrit. Nos vifs et sincères remerciements s’adressent également à Anna Waide, du service des publications de l’École pratique des hautes études, pour son travail minutieux dans les tâches liées à l’édition du manuscrit. Paris, le 10 décembre 2015

1.

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Expression reprise de Marvin Meyer, dans M. meyer, « The Persistence of Ritual in the Magical Book of Mary and the Angels : P. Heid. Inv. Kopt. 685 », dans A. D. DeconicK – G. shaW – J. D. turner (dir.), Practicing Gnosis. Ritual, Magic, Theurgy and Liturgy in Nag Hammadi, Manichaean and Other Ancient Literature. Essays in Honor of Birger A. Pearson (Nag Hammadi and Manichaean Studies 85), Leyde 2015, p. 359-376.

L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL DE JEAN-DANIEL DUBOIS Anna Van Den KerchoVe Institut protestant de théologie – Département d’histoire (Paris) Luciana Gabriela soares santoprete Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn – Institut für Philosophie Alexander von Humboldt-Stiftung

Le parcours de Jean-Daniel Dubois 1, qui s’est porté vers des contrées méditerranéennes et orientales, jusqu’aux oasis de la vallée du Nil et sur la route de la soie, commence en Alsace où il a passé son enfance. Il obtient son baccalauréat à Mulhouse (1963), a la chance de l’assortir d’un second titre, américain, grâce à une année aux États-Unis, à Tyler, Texas (1963-1964), qui l’ouvre pour la première fois au monde anglo-saxon. De 1964 à 1971, il étudie à la Faculté de Théologie Protestante de l’Université de Strasbourg, avec une coupure d’un an à celle de l’Université de Lausanne (1966-1967). Cette année suisse marque une étape décisive. Pierre Bonnard donne un cours sur l’Évangile selon Jean 2. Il y introduit l’Évangile de Vérité : c’est la première rencontre, lumineuse, avec les écrits des codices coptes découverts en 1945 près de Nag Hammadi en Haute-Égypte 3.

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3.

Les informations reportées ici sur la carrière de J.-D. Dubois sont issues d’un entretien que nous avons eu avec lui à l’occasion du colloque « Il lato oscuro della Tarda Antichità. Marginalità e integrazione delle correnti esoteriche nella spiritualità filosofica dei secoli II-VI », à la Villa Vigoni (Italie), en octobre 2015. Pierre Bonnard contribua activement après la Seconde Guerre Mondiale au renouveau biblique francophone et fut l’un des promoteurs de la « Traduction œcuménique de la Bible ». On lui doit des commentaires d’écrits évangéliques, plusieurs fois réédités, tels que : L’évangile selon saint Matthieu, Neuchâtel 1963 (Genève 20022) ; L’épître de saint Paul aux Galates, Neuchâtel 1953 (Genève 19722) ; La première épître de Jean, Neuchâtel 1961 (Les épîtres johanniques, Genève 1983). C’est lui qui a formé une génération d’enseignants comme Daniel Marguerat, François Vouga, Jean Zumstein. Sur l’histoire de la découverte de Nag Hammadi : J.-D. DuBois, « La redécouverte des gnostiques antiques », dans B. pouDeron – e. norelli (dir.), Histoire de la littérature grecque chrétienne, t. II, Paris 2013, p. 769 ss., ainsi que deux ouvrages récents : J. M. roBinson,

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Itinéraire intellectuel Une occasion exceptionnelle se présente peu après le retour à Strasbourg : en 1969, James M. Robinson passe un congé sabbatique à Paris afin de mener des négociations avec l’UNESCO pour la publication des fac-similés de ces fameux codices coptes 4. Durant cette période, il est aussi professeur invité à Strasbourg, où J.-D. Dubois peut assister à ses séances hebdomadaires. En compagnie de Jean-Claude Picard, Jean-Marc Rosenstiehl et quelques chercheurs, il se confronte à la lecture de traductions encore inédites, en particulier celles des écrits coptes des codices VII et IX. Cette expérience le promeut vers un nouvel horizon : apprendre la langue copte. Au préalable, il soutient en 1970 un mémoire de maîtrise, dirigé par Étienne Trocmé, sur l’éthique dans les épîtres pastorales du Nouveau Testament. Puis, sous la même direction, il entreprend une thèse de 3e cycle sur la pneumatologie lucanienne. É. Trocmé le met alors en contact avec Georges D. Kilpatrick 5, spécialiste de critique textuelle du Nouveau Testament à Oxford, qui l’aide à obtenir une bourse Florey au Queen’s College pour l’année 1971-1972. G. D. Kilpatrick l’accueille à Oxford dans son séminaire. J.-D. Dubois profite de son statut d’étudiant pour s’initier à la langue et à la culture coptes à l’Oriental Institute, avec John W. B. Barns 6. Passionné par ces découvertes et impressionné par le cadre privilégié de travail, il fait un choix décisif : il s’inscrit en thèse à Oxford sous la direction de G. D. Kilpatrick. Grâce à une bourse du British Council qui lui permet de prolonger son séjour de deux ans (1972-1974), il continue sa formation en papyrologie avec un éditeur des papyri d’Oxyrhynche, Peter J. Parsons, et en araméen mishnaïque avec le célèbre Geza Vermès. Il croise alors la route d’une étudiante en littérature allemande, Patricia Ann Dunnaway (St Hilda’s College) avec qui il se mariera en août 1974. Ils auront trois enfants. Lors d’un congrès international de papyrologie à Oxford en juillet 1974, J.-D. Dubois rencontre à nouveau James M. Robinson qui l’incite vivement à fréquenter le séminaire de Jacques É. Ménard à Strasbourg. C’est là que l’occasion lui est donnée de côtoyer plusieurs jeunes chercheurs qui deviendront des collègues : Madeleine Scopello, Bernard Barc, Raymond Kuntzmann, Jean-Pierre Mahé, Louis Painchaud et Paul-Hubert Poirier.

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The Nag Hammadi Story, t. I, The Discovery and Monopoly, t. II, The Publication, Leyde 2015 ; Histoire des manuscrits gnostiques coptes. La correspondance Doresse-Puech 19471970, présentée par M. tarDieu et éditée par É. créGheur – J. M. roBinson – M. tarDieu, Québec-Louvain 2015. The Facsimile Edition of the Nag Hammadi Codices, Leyde 1972-1984. Il a notamment publié : The Origins of the Gospel according to St Matthew, Oxford 1946 ; The Trial of Jesus, Londres 1953 et The Eucharist in Bible and Liturgy, Cambridge 1984. J. W. B. Barns a édité avec G. M. BroWne et J. C. shelDon les papyri insérés dans les cartonnages des codices : Nag Hammadi Codices, Greek and Coptic Papyri from the Cartonnage of the Covers, Leyde 1981.

Itinéraire intellectuel À la rentrée universitaire de 1974, il est nommé animateur national au service des « Équipes de Recherche Biblique » de la Fédération Protestante de France. Il s’inscrit au séminaire d’Antoine Guillaumont, directeur d’études sur les « Christianismes orientaux » à l’École pratique des hautes études (EPHE), qui consacre alors ses recherches aux textes coptes de Nag Hammadi. Quelques années plus tard, en 1977, Jacques É. Ménard, Hervé Gagné et Michel Roberge fondent la collection francophone consacrée à l’édition, à la traduction française et au commentaire des écrits de Nag Hammadi, la « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », publiée par Les Presses de l’Université Laval à Québec. À l’invitation de J. É. Ménard, J.-D. Dubois est chargé de préparer le volume consacré à l’Apocalypse de Pierre. Dès 1977, J.-D. Dubois fréquente l’enseignement de Michel Tardieu qui a repris sous un nouvel intitulé, « Gnose et Manichéisme » 7, la chaire occupée jusque-là par Henri-Charles Puech 8 à l’EPHE. Dans ce cadre, il rencontre notamment Jean-Christophe Attias, Paul-Hubert Poirier, Guy G. Stroumsa, Madeleine Scopello, Brigitte Tambrun et Einar Thomassen. En 1978, sur la recommandation d’Antoine Guillaumont et de Michel Tardieu, il intègre le Centre d’études des religions du Livre 9, dirigé alors par Pierre Hadot. Sur le fond des différents chemins empruntés jusqu’alors, l’orientation à privilégier lui semble désormais claire : ce sont les documents gnostiques et manichéens qui le passionnent le plus. Avant d’engager résolument sa recherche dans cette voie, il soutient en 1977 sa thèse strasbourgeoise, De Jean-Baptiste à Jésus. Essai sur la pneumatologie lucanienne, puis en 1978 celle d’Oxford, Études sur l’Apocryphe de Zacharie et sur les traditions relatives à la mort de Zacharie. Les problématiques auxquelles il se confronte dans cette deuxième thèse l’amènent à apprendre le syriaque ; il prépare alors sous la direction de Charles Perrot (1979-1981) son diplôme en compagnie d’Yves-Marie Blanchard et de Jacques-Noël Pérès, à l’École des Langues et Civilisations de l’Orient Ancien, à l’Institut Catholique de Paris. Peu de temps après, en 1980, commence une étape significative de sa carrière. Il est nommé à la chaire d’« Histoire du christianisme ancien et patristique », à l’Institut Protestant de Théologie à Paris. Ces années d’enseignement lui permettent d’acquérir un solide bagage en patristique, comme précédemment en exégèse biblique, dont bénéficieront plus tard ses travaux sur la gnose

7. 8. 9.

Pour le résumé de sa première année de Conférences, voir École Pratique des Hautes Études. Section des sciences religieuses. Annuaire 85 (1976), p. 335-339. Directeur d’études de 1922 à 1971, H.-C. Puech est l’auteur d’ouvrages marquants comme Le Manichéisme, son fondateur, sa doctrine, Paris 1949 ; En Quête de la gnose, Paris 1978, 2 tomes ; Sur le manichéisme et autres essais, Paris 1979. Le Centre d’études des religions du Livre a été fondé en 1970 comme centre de recherches de la Section des Sciences religieuses de l’EPHE. Le rattachement d’autres équipes et instituts de recherches a progressivement constitué l’actuel Laboratoire d’études sur les monothéismes (LEM), une unité mixte de recherche du CNRS (UMR 8584).

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Itinéraire intellectuel et le manichéisme. Cette période est enrichie par des échanges réguliers avec Éric Junod, collègue à l’Université de Lausanne, et marquée par plusieurs projets éditoriaux. Le premier projet concerne sa participation, en 1981, à la fondation de l’AELAC (Association pour l’Étude de la Littérature Apocryphe Chrétienne) 10. La création de ce groupe est l’aboutissement d’un projet né plus de dix ans auparavant : une anthologie de textes apocryphes chrétiens en traduction française était discutée en Suisse romande, autour de François Bovon à l’Université de Genève, puis à Paris autour de Pierre Geoltrain à l’EPHE 11. Il s’agissait de réaliser un volume équivalent à celui de Hennecke-Schneemelcher 12. À la fin de l’été 1971, à Annecy, un groupe réuni autour de Pierre Geoltrain (avec Alain Desreumaux, Jean-Daniel Dubois, Jean-Claude Picard et Francis Schmidt) et François Bovon (en compagnie d’Éric Junod, de Jean-Daniel Kaestli, de Gérard Poupon et de Jean-Marc Prieur) prend la décision de transformer cette idée d’anthologie de traductions en un projet éditorial visant à examiner à frais nouveaux les manuscrits avant d’en proposer une traduction et un commentaire. Dix années sont nécessaires pour trouver un éditeur consentant à se lancer dans un projet si novateur. Un contrat est finalement signé avec les Éditions Brepols en 1981, conduisant à la création de la série Corpus christianorum, Series apocryphorum (CCSA) 13. L’AELAC est alors fondée pour être le responsable éditorial de cette collection. J.-D. Dubois en devient le vice-président en 1987, puis le président en 1993. Un accord avec les éditions Gallimard est conclu en 1990 pour la réalisation de la première anthologie française des écrits apocryphes dans la Pléiade 14.

10. François Bovon et Pierre Geoltrain sont respectivement les premiers président et vice-président. 11. J.-D. Dubois rencontre Pierre Geoltrain pour la première fois en mai 1968. Ce dernier l’intègre au groupe « Astruc » qu’il a fondé avec Jean Delorme et qui s’intéresse à la sémiotique structurale et à son application à l’exégèse biblique. Ce groupe fonctionne entre autres avec Jean Calloud, Corina Combet-Galland, Jacques Escande, Louis Panier de 1970 à 1976 ; cf. J. Delorme, « La sémiotique littéraire interrogée par la Bible », Sémiotique et Bible 102 (2001), p. 1. 12. W. Schneelmecher révise entièrement la collection de textes publiés par E. Hennecke, afin de produire Neutestamentlichen Apokryphen in deutscher Übersetzung, Tübingen 19591963 (traduction anglaise par R. McL. Wilson, sous le titre New Testament Apocrypha, Louisville 1991). Une nouvelle édition est publiée en réaction aux travaux de l’AELAC en 1987-1989. 13. La collection « Corpus christianorum » est née en 1953 et comprend plusieurs séries. Le premier volume de la série du CCSA est dû à É. JunoD – J.-D. K aestli, Acta Johannis, Turnhout 1983. 14. Deux volumes naissent de ce projet : F. BoVon – P. Geoltrain (dir.), Écrits apocryphes chrétiens, t. I, Paris 1997 ; P. Geoltrain – J.-D. K aestli (dir.), Écrits apocryphes chrétiens, t. II, Paris 2005.

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Itinéraire intellectuel Une deuxième entreprise éditoriale, découlant de la première, est la création en 1983 d’un groupe de recherche à l’Institut Protestant de Théologie, en vue de la publication des Actes de Pilate ou Évangile de Nicodème. Il requiert la participation de Michèle Morgen puis surtout de Brigitte Tambrun pour les versions grecques, et de Gérard Roquet pour la version copte, auprès duquel J.-D. Dubois découvre, depuis 1981 à l’ELCOA, une autre manière d’étudier la grammaire copte. Ce groupe comporte aujourd’hui plusieurs chercheurs 15 qui préparent une édition des textes grecs, latins, syriaques, christo-palestiniens, coptes, arméniens, et géorgiens des Actes de Pilate, à paraître dans le Corpus christianorum, avec ses apparats critiques multilingues. Il s’agit d’un texte apocryphe majeur rapportant le procès de Jésus chez le gouverneur Pilate et celui de Joseph d’Arimathée au Sanhédrin, parce que ce dernier a fourni un tombeau pour la dépouille de Jésus. Au Moyen-Âge, ce texte a servi à inspirer les mises en scène de la Passion sur les parvis des cathédrales. La publication des actes d’un colloque du Centenaire de la Section des Sciences religieuses de l’EPHE, à Paris en 1986, aboutit à une autre réalisation éditoriale, la création de la revue internationale Apocrypha, sous la direction de Pierre Geoltrain et Jean-Claude Picard. Cette revue est consacrée aux écrits apocryphes juifs et chrétiens, anciens et modernes. J.-D. Dubois publie avec J.-C. Picard le volume 4 en 1993, rejoint le Comité scientifique de la revue en 1995, et succède à Simon C. Mimouni comme directeur de la revue de 2000 à 2014. L’étape la plus importante de l’itinéraire académique de J.-D. Dubois commence en octobre 1991 quand il est nommé directeur d’études « Gnose et Manichéisme » à l’EPHE, à la succession de Michel Tardieu, élu professeur au Collège de France à l’automne 1989. Alors que les deux chercheurs collaboraient déjà étroitement depuis les années 1980 sur les textes gnostiques, comme en témoigne l’Introduction à la littérature gnostique 16, leur partenariat intellectuel se poursuit et se justifie en raison de leurs affinités respectives et complémentaires : M. Tardieu valorise les aspects philosophiques de la littérature gnostique tandis que J.-D. Dubois contribue à l’histoire de l’exégèse biblique à partir de ces écrits, en particulier valentiniens. Ce dernier exprime

15. Christiane Furrer (Université de Lausanne) et Rémi Gounelle (Université de Strasbourg) pour le grec ; Zbigniew Izydorcyk (Université de Winnipeg, Canada), Anne-Catherine Baudoin (ENS, Paris) et Justin Haynes (Université de Californie) pour le latin ; Albert Frey (Université de Lausanne) pour le syriaque, Alain Desreumaux (CNRS) pour le christo-palestinien, Bernard Outtier (CNRS) pour l’arménien et le géorgien, Susana Torres Prieto (Madrid) pour un dossier slavon, Gérard Roquet (EPHE, Section des Sciences historiques et philologiques) et Jean-Daniel Dubois pour le copte. Voir les comptes rendus de l’Annuaire de la Section des Sciences religieuses 121 (2013), p. 219-222, et 122 (2014), p. 248-252. 16. M. tarDieu – J.-D. DuBois, Introduction à la littérature gnostique, t. I, Collections retrouvées avant 1945, Paris 1986.

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Itinéraire intellectuel volontiers sa dette à l’égard de M. Tardieu qui lui a partagé son intérêt pour l’histoire de la religion manichéenne et lui a ouvert l’éventail des sources à exploiter. Il a eu, de plus, la chance de pouvoir constamment renouveler sa recherche et son enseignement grâce à des découvertes archéologiques ou des éditions de textes inédits. Du point de vue des études manichéennes, la recherche des premières années de Conférences de J.-D. Dubois à l’EPHE portent sur les hymnes à Jésus dans le psautier copte. Progressivement il s’intéresse aux hymnes évoquant la figure de Jésus dans d’autres psaumes, pour découvrir qu’il faut aussi comparer les psaumes coptes aux psaumes manichéens conservés dans les langues iraniennes (parthe, moyen-perse et sogdien) en cours d’édition dans la collection des Berliner Turfantexte, publiés aujourd’hui par Brepols. C’est pourquoi il s’initie aux langues iraniennes avec Pierre Lecoq à la Section des Sciences historiques et philologiques de l’EPHE. Pour J.-D. Dubois, la christologie sert de point de référence dans l’interprétation du manichéisme ; elle est une question récurrente au long de son enseignement. Sa participation au récent projet d’édition du Contre Fauste d’Augustin, dans la Bibliothèque augustinienne, le confirme. Les études manichéennes sont stimulées par la découverte en 1989-1990 de maisons manichéennes dans l’oasis égyptienne de Dakhlah, sur le site de l’ancienne Kellis. Or dès les années 1993-1994, J.-D. Dubois présente quelques publications de textes coptes en séminaire 17. Il inaugure les publications en français de textes manichéens de Kellis. Plusieurs de ses contributions ultérieures commentent des lettres manichéennes personnelles publiées dans la collection de textes littéraires et documentaires de cette fouille 18. La mise en place de cours de master à l’EPHE favorise aussi la création d’un cours d’introduction à la religion manichéenne à partir de la variété de ses sources, y compris iconographiques. En effet, la découverte de peintures manichéennes chinoises conservées au Japon a relancé, depuis une dizaine d’années, l’intérêt d’une étude de l’iconographie manichéenne. Dans le domaine de la gnose, J.-D. Dubois débute ses Conférences à l’EPHE par la Prière de Paul, premier écrit du codex I de Nag Hammadi. La mention d’un « Christ psychique » l’incite à entreprendre l’analyse du Traité Tripartite pour approfondir l’analyse de la christologie des valentiniens. Les difficultés linguistiques du Traité Tripartite l’amènent à comparer d’autres sources gnostiques valentiniennes, conservées en copte ou en grec, à la documentation des

Voir J.-D. DuBois, « Cinq raisons de découvrir le manichéisme en Égypte », Le Monde copte 24 (1994), p. 43-50 ; « La présence des manichéens en Égypte », Les Dossiers d’archéologie 226 (1997), p. 10-14 ; « L’implantation des manichéens en Égypte », dans n. Belayche – s. c. mimouni (dir.), Les Communautés religieuses dans le monde gréco-romain, Turnhout 2003, p. 279-306. 18. Dans les Dakhleh Oasis Project Monographs chez Oxbow Press à Oxford.

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Itinéraire intellectuel Pères de l’Église, en particulier sur la question du corps du Sauveur. Dès 1993, il repère que la distinction célèbre entre une école occidentale et une école orientale du valentinisme qui reposerait sur la qualification psychique ou pneumatique du corps du Sauveur (cf. Elenchos VI, 35) pourrait être une création hérésiologique 19. Dans un article il insiste sur les antécédents philosophiques du Traité Tripartite qui suggéreraient une datation antérieure à Plotin 20, puis deux études apportent des arguments pour une datation du traité antérieure même à Origène 21. De la datation du contexte de référence dépend l’interprétation du traité. Une longue fréquentation du Traité Tripartite l’oblige à examiner plus en détail les arguments du Livre I du Contre les hérésies d’Irénée afin de comparer les propos de l’hérésiologue à la documentation directe des gnostiques valentiniens. Un va-et-vient fréquent entre des sources grecques et coptes l’amène à ne plus considérer le propos d’Irénée, ou de ses successeurs, comme seul critère d’évaluation de la position théologique des valentiniens. Cela aboutit même à remettre en question les présupposés de l’édition par F.-M. Sagnard des Extraits du valentinien Théodote 22. Tout au long de ses années d’enseignement, J.-D. Dubois n’a eu de cesse de vanter ce qu’il a appris de l’approche exigeante d’Alain Le Boulluec, développée notamment dans La Notion d’hérésie dans la littérature grecque 23. Cette approche critique du valentinisme est débattue dans une session internationale de formation doctorale que J.-D. Dubois organise avec Einar Thomassen (Bergen, Norvège) et Paul-Hubert Poirier (Québec), en mai 2011 à Paris. Une douzaine de participants venus de Bergen, Berlin, Copenhague, Hämösand (Suède), Princeton et Paris se réunissent pour commenter, vingt ans après la publication du commentaire du Traité Tripartite par E. Thomassen 24, quelques pages de cet ouvrage sur les relations réciproques entre croyants « psychiques » et « pneumatiques » en vue de leur salut selon les valentiniens. Une fois encore, une lecture hérésiologique du traité gnostique et la

19. « La sotériologie valentinienne du Traité Tripartite (NH I, 5) », dans l. painchauD – a. pasquier (dir.), Les Textes de Nag Hammadi et le problème de leur classification, Québec 1995, p. 221-232, part. p. 231-232. 20. « Le “Traité Tripartite” (Nag Hammadi Codices I, 5) et l’histoire de l’école valentinienne », dans a. le Boulluec (dir.), La Controverse religieuse et ses formes, Paris 1995, p. 151-164. 21. « Le Traité des Principes d’Origène et le Traité Tripartite valentinien : une lecture comparée de leurs prologues », dans J.-D. DuBois – B. roussel (dir.), Entrer en matière. Les prologues, Paris 1998, p. 53-63 ; « Le Traité Tripartite (Nag Hammadi I, 5) est-il antérieur à Origène ? », dans l. perrone (dir.), Origeniana octava, Origen and the Alexandrian Tradition (Pisa 2001), Louvain 2003, t. I, p. 303-316. 22. « Remarques sur la cohérence des Extraits de Théodote », dans K. corriGan – t. r asimus, et al. (dir.) Gnosticism, Platonism and the Late Ancient World. Essays in Honour of John D. Turner, Leyde 2013, p. 209-223. 23. a. le Boulluec, La Notion d’hérésie dans la littérature grecque, iie-iiie siècles, Paris 1985, 2 tomes. 24. Le Traité Tripartite (NH I, 5), (Bibliothèque copte de Nag Hammadi, 19), Québec 1989.

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Itinéraire intellectuel question de sa datation font l’objet de discussions sur la sotériologie et l’ecclésiologie des valentiniens. Finalement, un bel exemple d’une approche critique d’Irénée soulignant sa perspective hérésiologique est publié dans le volume de mélanges offerts à E. Thomassen. Rédigée avec Flavia Ruani, c’est une étude des citations de la liturgie baptismale des valentiniens par Irénée (Contre les hérésies I, 21, 3) 25. La gnose valentinienne n’est pas le seul centre d’intérêt des études de J.-D. Dubois ; il s’est toujours intéressé aussi aux gnostiques basilidiens, avec des séances de séminaire sur l’Apocalypse de Pierre (NH VII, 3), dans les années 1995-1997, ou l’Évangile de Judas 26 depuis la découverte, sur internet en avril 2006, de ce nouvel évangile apocryphe copte qui provoque de vives réactions parmi les spécialistes de la gnose. Il a su bénéficier de recherches et colloques interdisciplinaires grâce à la variété des champs de recherche confiés aux directions d’études de l’EPHE. Ainsi les débats sur la place des gnostiques dans l’histoire de la philosophie ancienne sont devenus un sujet d’études privilégié. Un groupe de travail fructueux est mis en place par Philippe Hoffmann et Jean-Daniel Dubois sur « Plotin et les gnostiques » dans le cadre d’un projet quadriennal du laboratoire CNRS, le LEM, à Villejuif (2004-2008). Il est l’occasion de présenter à des spécialistes de Plotin et de la philosophie platonicienne le contenu de textes gnostiques de la collection de Nag Hammadi, mais aussi de permettre à certains jeunes chercheurs en gnose de s’initier aux préoccupations de Plotin quand il réfute les gnostiques de son école. Les travaux de ce groupe montrent au fil du temps qu’il ne faut pas limiter les polémiques anti-gnostiques de Plotin aux seuls Traités 30 à 33 mais que la préoccupation anti-gnostique du philosophe peut être repérée tout au long de son œuvre. C’est avec M. Tardieu, autour de la polémique de Plotin contre les gnostiques, que naît un projet collectif dirigé par J.-D. Dubois, puis co-dirigé avec Nicole Belayche : le CENOB, « Corpus des énoncés des noms barbares ». Soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche (2008-2011), puis par l’EPHE (2011-2013), ce projet a rassemblé trois équipes, à Bruxelles, Padoue et Paris, pour cataloguer dans les mondes grec, latin, syriaque, démotique et copte, des énoncés barbares habituellement conservés dans des textes magiques comme les papyri magiques grecs (PGM) 27. Cette enquête a produit une base

25. « Interprétation d’une formule barbare chez les gnostiques valentiniens d’après le Contre les hérésies d’Irénée I, 21, 3 », dans c. Bull – l. inGeBorD lieD – J. D. turner (dir.), Mystery and Secrecy in the Nag Hammadi Collection and Other Ancient Literature. Ideas and Practices. Studies for Einar Thomassen at Sixty, Leyde-Boston 2012, p. 39-59. 26. Voir par ex. « The Gospel of Judas and Basilidian Thought », dans e. e. popKes – G. Wurst (dir.), Judasevangelium und Codex Tchacos, Tübingen 2012, p. 121-132. 27. Voir M. tarDieu – a. Van Den K erchoVe – m. zaGo (dir.), Noms barbares I. Formes et contextes d’une pratique magique, Turnhout 2013.

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Itinéraire intellectuel de données, consultable en ligne (http://www.cenob.org). Le CENOB permet d’investiguer les passages d’une culture à une autre dans l’ensemble du Bassin méditerranéen. Pendant de longues années, J.-D. Dubois s’est mis au service de l’institution d’enseignement dans laquelle il a travaillé, en participant aux commissions scientifiques de la Section des sciences religieuses, ainsi qu’au Conseil scientifique et au Conseil d’administration de l’EPHE. Il a dirigé aux côtés de Claude Langlois le DEA « Sciences religieuses » de 1994 à 2000, et l’École doctorale « Sciences des religions et systèmes de pensée », de 2000 à 2003. C’est dans ce cadre doctoral qu’il a lancé en 2003 le projet d’un réseau européen en sciences des religions, tout en organisant des sessions de formation doctorale (Paris, 2003 ; Turin, 2004 ; Bertinoro, 2005) et des journées régulières de l’École doctorale. La recherche commune entre historiens des religions et anthropologues 28 s’est avérée fructueuse dans la formation doctorale ; la pédagogie par le débat entre spécialistes de l’Antiquité, des études asiatiques et des mondes médiévaux, modernes et contemporains a toujours été une qualité de la Section des sciences religieuses de l’EPHE. Par le présent volume nous désirons rendre hommage au parcours intellectuel de Jean-Daniel Dubois, mais aussi à sa personne, un collègue brillant et attentionné, un maître bienveillant et dévoué envers ses étudiants, un homme passionné qui a su inspirer tous ceux qui ont eu la chance et le plaisir de le côtoyer. Nous voudrions aussi lui souhaiter une disponibilité nouvelle pour mener à terme des projets éditoriaux et cueillir les fruits de tant d’années consacrées à déchiffrer d’antiques sagesses. Paris, le 10 décembre 2015

28. C’est, par exemple, dans le Laboratoire européen pour l’étude de la filiation que son directeur Pierre Legendre a interrogé J.-D. Dubois sur la figure du démiurge gnostique « PèreMère » (Irénée, Contre les hérésies I, 5, 1).

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BIBLIOGRAPHIE DE JEAN-DANIEL DUBOIS Anna Van Den KerchoVe Institut protestant de théologie – Département d’histoire (Paris) Luciana Gabriela soares santoprete Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn – Institut für Philosophie Alexander von Humboldt-Stiftung

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Livres co-écrits Avec M. tarDieu, Introduction à la littérature gnostique, t. I, Collections retrouvées avant 1945 (Initiations au christianisme ancien), Paris 1986. Avec R. Kuntzmann, Nag Hammadi : Évangile selon Thomas et Textes gnostiques aux origines du christianisme, Cahiers Évangile – Supplément 58, Paris 1987. Avec R. Kuntzmann, Nag Hammadi : Evangelio según Tomás : textos gnósticos de los orígenes del cristianismo, traduction espagnole de A. ortíz García, Madrid 1988. Traduction en espagnol de l’ouvrage précédent.

Livres co-dirigés Avec M. loDs – J.-n. pérès (dir.), Protestantisme et tradition de l’Église (Patrimoines), Paris 1988.

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Articles Les « Résumé(s) des conférences et travaux » de Jean-Daniel Dubois à l’EPHE, se trouvent dans les Annuaires de l’EPHE (Paris), du tome 100 (année 1991-1992) au tome 122 (année 2013-2014). Ils peuvent être consultés et téléchargés librement au format Pdf sur le portail Persée jusqu’au tome 114 inclus, à l’adresse : http://www.persee. fr/author/persee_269067 [consulté le 7 mars 2016] et à partir du tome 115, sur le portail Revues.org, à l’adresse : http://asr.revues.org/824 [consulté le 7 mars 2016]. 1973 « La figure d’Élie dans la perspective lucanienne », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 53 (1973), p. 155-176. 1974 « Ephesians IV, 15 : ἀληθεύοντες δὲ or ἀλήθειαν δὲ ποιοῦντες. On the use of Coptic Versions for New Testament Textual Criticism », Novum Testamentum 16 (1974), p. 30-34. « Le contexte judaïque du “NOM” dans l’Évangile de la Vérité », Revue de théologie et de philosophie 24 (1974), p. 198-216. « Les textes de Nag Hammadi en 1974 : un bilan », Études théologiques et religieuses 49 (1974), p. 377-390. 1975 « Coptic Fragments on ⲛⲟⲩϩ », dans Proceedings of the XIVth International Congress of Papyrologists. Oxford, 24-31 July 1974 (Graeco-Roman Memoirs 61), Londres 1975, p. 357-366.

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Bibliographie de Jean-Daniel Dubois 2013 « Fragments de l’enseignement ésotérique des gnostiques valentiniens », dans p. scarpi – m. zaGo (dir.), Ermetismo ed esoterismi, Mondo antico e riflessi contemporanei, Padoue 2013, p. 15-25. « Greek and Coptic Documents from Kellis », Journal of Coptic Studies 15 (2013), p. 21-28. « La redécouverte des gnostiques antiques », dans B. pouDeron – E. norelli (dir.) Histoire de la littérature grecque ancienne, t. II, De Paul apôtre à Irénée de Lyon, Paris 2013, p. 763-809. « Le “Nom Insigne” d’après Marc le Mage », dans M. tarDieu – A. Van Den K erchoVe – M. zaGo (dir.), Noms Barbares I. Formes et contextes d’une pratique magique, Turnhout 2013, p. 253-264. « Les dialogues de révélation », dans B. pouDeron – E. norelli (dir.) Histoire de la littérature grecque ancienne, t. II, De Paul apôtre à Irénée de Lyon, Paris 2013, p. 487-497. « Naissance de la littérature antihérétique », dans B. pouDeron – E. norelli (dir.) Histoire de la littérature grecque ancienne, t. II, De Paul apôtre à Irénée de Lyon, Paris 2013, p. 839-845. « Remarques sur la cohérence des Extraits de Théodote », dans K. corriGan – t. r asimus, in collaboration with D. M. Burns – l. Jenott – z. mazur (dir.), Gnosticism, Platonism and the Late Ancient World. Essays in Honour of John D. Turner, Leyde 2013, p. 209-223. 2014 « La figure d’Adam dans les Extraits du valentinien Théodote », Apocrypha 25 (2014), p. 171-180. « La référence au “corps de la vérité” dans l’exégèse biblique de la gnose valentinienne », dans M. Gorea – M. tarDieu (dir.), Autorité des auteurs antiques : entre anonymat, masque et authenticité, Turnhout 2014, p. 205-212. « Le manichéisme du Fayoum », dans F. quentin (dir.), Le Livre des Égyptes, Paris 2014, p. 407-418. « Les courants gnostiques à Alexandrie », dans c. mela – F. möri (dir.), Alexandrie la divine, Genève 2014, p. 819-829. 2015 « A Possible Liturgical Context for the First Hymn to Jesus in the Chinese Manichaean Hymnbook (col. 6-44) », dans S. r ichter – c. horton – K. ohlhaFer, Mani in Dublin, Selected Papers from the Seventh International Conference of the International Association of Manichaean Studies in the Chester Beatty Library, Dublin, 8-12 September 2009, Leyde 2015, p. 101-109.

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Écrits gnostiques

NOT REALLY NON-EXISTENT? A Suggestion for Interpreting and Restoring Zostrianos (Nag Hammadi Codex VIII, 1) 117,11–15 Stephen emmel Universität Münster [email protected]

Most of us simply take it for granted that things exist, and we seldom state the simple fact of existence, or of non-existence. 1 If we sometimes happen to say in ordinary conversation that something ‘doesn’t exist’, we rarely (if ever) reflect on the possible philosophical implications of such a statement (if we meant it literally), and very few people would consider that it might somehow be a statement about ‘being’. Only philosophers—above all, ontologists and metaphysicians—concern themselves with such matters, 2 in a tradition going back to the pre-Socratic period in the history of Greek philosophy. By late antiquity, it had become a characteristic feature of the development of philosophy in the tradition of Plato that ‘being’ was seen as one end of a continuum

1.

2.

A. H. GarDiner, Egyptian Grammar, Being an Introduction to the Study of Hieroglyphs, London 1957 (19502, 19271), pp. 82–83 on “Existential Sentences” in ancient Egyptian, § 107 (quoted in part also by H. J. PolotsKy, “The Coptic Conjugation System”, Orientalia n.s. 29 [1960], pp. 392–422, at p. 410 § 35 [= iD., Collected Papers, Jerusalem 1971, p. 256]) and § 108: “Note that absolute existence is but rarely asserted; usually there is some qualification in the form of a genitive, an adverbial phrase or an adjective […]. As in the sentences expressing existence, so too in those expressing non-existence, some qualification is as a rule added, and this is apt to become the real predicate.” For example: “The precise signification of the verb to be remains today one of the most difficult and most important of philosophical questions. I wish now to call attention to one aspect only of the problems which arise, namely, to the most fundamental divisions that must be recognised in Being, that is, to the grades or levels of Being that must be philosophically distinguished” (L. S. SteBBinG, “The Philosophical Importance of the Verb ‘To Be’”, Proceedings of the Aristotelian Society n.s. 18 [1918], pp. 582–589, at p. 582).

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Stephen Emmel with ‘non-being’ as its other end. Neoplatonic philosophers posited that for all things, there is a fundamental and unique principle (‘the One’) that is ‘beyond reality’ and is the source of reality. 3 In order to be able to comprehend this most basic and essential principle, they endeavored to analyze reality and to subdivide it conceptually, from true being all the way down to utter non-being. 4 I have no doubt that my colleague and friend Jean-Daniel Dubois has spent his fair share of time occupied with ancient problems of being and non-being, 5 and I venture to offer him on this occasion (recalling our first acquaintance, in the British Museum in 1980) the following essay on the particular problem of how to talk about, or how to describe, the grades or levels of being and non-being, and more specifically still, how to do so in Coptic. 6 The Neoplatonic philosophy of being and non-being derives ultimately from Plato himself, who toward the end of book V of the Republic raised the question of being and non-being in an epistemological connection, in order to establish that opinion (or: belief) holds an intermediate place between knowledge and ignorance.

3. 4.

5.

6.

36

Cf. Plato, Republic VI 509b. H. Dörrie – M. Baltes, Die philosophische Lehre des Platonismus. Einige grundlegende Axiome; Platonische Physik (im antiken Verständnis) I: Bausteine 101–124; Text, Übersetzung, Kommentar (vol. IV of their Platonismus in der Antike. Grundlagen – System – Entstehung), Stuttgart-Bad Cannstatt 1996, p. 291: “da der Begriff des Seienden zugleich immer auch den des Nicht-Seienden provoziert, da der eine ja vom anderen nicht wirklich zu trennen ist, ist auch der Begriff des Nicht-Seienden von den Platonikern systematisch untersucht worden” (because the concept of ‘being’ always simultaneously provokes also that of ‘non-being’, because the one in fact cannot really be separated from the other, the concept of ‘non-being’ was also systematically investigated by the Platonists). For example, see J.-D. DuBois, “Les gnostiques et la philosophie ancienne”, in J. AlexanDre (ed.), Philosophie et théologie dans la période antique, Paris 2009, pp. 129–144; and “La forme de la matière selon la démiurgie valentinienne et les Oracles Chaldaïques”, in H. senG – M. tarDieu (eds.), Die Chaldaeischen Orakel: Kontext – Interpretation – Rezeption, Heidelberg 2010, pp. 179–192. I want to thank my doctoral student Stefan Marinca (who is writing a dissertation about the philosophy of the Platonizing Sethian Gnostic texts) for having given me reason to think more deeply about Platonic and Neoplatonic modes of being and non-being than I had done before, and also for commenting helpfully on the antepenultimate and penultimate drafts of this essay; it was while reading parts of Zostrianos (NHC VIII, 1) with him in 2010, together with Dr. Dylan Michael Burns (presently of Berlin) and Ms. Mary Farag (presently of New Haven), that I first had the idea that was the seed that grew into the present essay. For much of what follows concerning Plato and Platonism, I am indebted to F. W. KohnKe, “Plato’s Conception of τὸ οὐκ ὄντως οὐκ ὄν”, Phronesis: A Journal for Ancient Philosophy 2 (1957), pp. 32–40, even when I found that I had to disagree with him. My references to works of Plato and Aristotle are according to the editions in the Scriptorum Classicorum Bibliotheca Oxoniensis (Oxford Classical Texts) series by J. Burnet, Platonis Opera, vol. I, Theaetetus, Sophist, Oxford 1900; vol. II, Parmenides, Phaedrus, Oxford 1901; and vol. IV, Republic, Oxford 1902; and by D. J. a llan, Aristotelis De Caelo Libri Quattuor, Oxford 1961 (19552, 19361).

Not Really Non-Existent? “Does a person who knows know something or nothing?” “He knows something.” “Something existent or non-existent (ὂν ἢ οὐκ ὄν)?” “Something existent (ὄν). For how could something that does not exist (μὴ ὄν) be known?” “Then are we satisfied that the entirely existent (τὸ παντελῶς ὄν) is entirely knowable, and the not at all existent (μὴ ὂν μηδαμῇ) is in every way unknowable?” “Quite satisfied.” 7

In this way, Plato associates knowledge with “that which purely and absolutely is” (τὸ εἰλικρινὲς ὄν) and ignorance with “that which wholly is not” (τὸ πάντως μὴ ὄν), that is to say, with “to be and not to be” (τὸ εἶναι τε καὶ μὴ εἶναι). 8 In the Phaedrus, Plato distinguished (albeit not entirely systematically) between “being that veritably is” (οὐσία ὄντως οὖσα or ὂν ὄντως = τὸ εἰλικρινὲς ὄν of the Republic), which is the object of “veritable knowledge” (ἡ ἀληθὴς ἐπιστήμη or ἡ ἐπιστήμη οὖσα), and the everyday “being” (ὄν) that “we commonly ascribe to the various objects with which the knowledge that is neighbor to becoming varies”. 9 Thus we now have three ‘levels of being’: being that veritably is (namely the Platonic Forms; for example, αὐτὴ δικαιοσύνη “justice, its very self” [Phaedrus 247d6]); the being of everyday objects (for example, all kinds of horses and people); and being that wholly is not (that is, non-being, no example of which can be given, because it is impossible to know anything about the non-existent). In the final, negative hypothesis of the Parmenides, that “the one [or: a one] does not exist” (εἰ μὴ ἔστι τὸ ἕν [160b5] or ἓν εἰ μὴ ἔστι [160d3]), Plato added a fourth possible expression concerning being: if the non-existent can be said “to be non-existent” (τὸ εἶναι μὴ ὄν), then the existent must be said “to not be non-existent” (τὸ μὴ ὂν μὴ εἶναι). The existent (τὸ ὄν) must have the “being” implied in “being existent” (τὸ εἶναι ὄν) and the “not being” implied in “not being non-existent” (τὸ εἶναι μὴ ὄν), if it is to have complete existence, and the non-existent (τὸ μὴ

7.

8. 9.

Plato, Republic V 476e–477a, somewhat abridged; my translation, after the translations by P. shorey, “Republic”, in E. h amilton – H. cairns (eds.), The Collected Dialogues of Plato, New York 1963 (19611; Shorey’s translation was first published in 1930), pp. 575– 844, at p. 716, and by H. D. P. lee, Plato: The Republic, Baltimore 1955, p. 239. Plato, Republic V 478d–e, trans. P. shorey, “Republic”, p. 718. Cf. Theaetetus 185c5–6 and 9 (where τὸ “ἔστιν” καὶ τὸ “οὐκ ἔστιν” is made synonymous with οὐσία καὶ τὸ μὴ εἶναι; the reference “ἔστιν” is back to 185a9 ὅτι ἀμφοτέρω ἐστόν “that both exist”). Plato, Phaedrus 247c–248b, trans. R. h acKForth, “Phaedrus”, in E. h amilton – H. cairns (eds.), Dialogues of Plato (Hackforth’s translation was first published in 1952), pp. 475– 525, at pp. 494–495, with alteration of his word order, and italics added.

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Stephen Emmel ὄν), if it is to have complete non-existence, must have the “not being” implied in “not being existent” (τὸ μὴ εἶναι {μὴ} ὄν) and the “being” implied in “being non-existent” (τὸ εἶναι μὴ ὄν). 10

As Friedrich Kohnke pointed out, there is here a set of four “modalities” or “propositions” generated from the combination of two sets of “antitheses”, namely, each of εἶναι vs. μὴ εἶναι combined with each of ὄν vs. μὴ ὄν 11: (1) εἶναι ὄν (2) μὴ εἶναι ὄν (3) μὴ εἶναι μὴ ὄν (4) εἶναι μὴ ὄν

to be existent to not be existent to not be non-existent to be non-existent

These four ontological ‘modes’ (as I will call them) occur again in the Sophist, but in formulations and meanings more closely related to those met in the Republic and the Phaedrus: (1) ὄντως ὄν (really existent); (2) ὄν (existent); (3) οὐκ ὄντως οὐκ ὄν (not really non-existent, or “relatively unreal” 12);

10. Plato, Parmenides 162a–b, trans. F. M. cornForD, “Parmenides”, in E. h amilton – H. cairns (eds.), Dialogues of Plato (Cornford’s translation was first published in 1939), pp. 920–956, at p. 952, italics added. The emendations go back to Shorey (as reported by J. Burnet, Platonis Opera, vol. II, p. 50). I myself do not see how one can accept the alternative proposal by F. W. KohnKe, “Plato’s Conception”, p. 39 n. 1 (his objection to “Burnet’s text” seems to me to be unfounded, and on the contrary, the logic of 162a4–b6 demands Shorey’s emendations in 162a8 and b2). But since Kohnke offered no translation of his own of the passage, it is impossible to be sure what he understood Plato to be saying here. P. HaDot, Porphyre et Victorinus, vol. I, Paris 1968, p. 152 n. 2 quoted Kohnke’s proposed emendation with approval; however, the textual problem in 162a6–b3 is not only that without correcting the textus receptus “on aurait deux fois : τοῦ εἶναι μὴ ὄν”, but also that the logic of the argument here depends on the correct positions within the passage of the three negated terms τὸ μὴ εἶναι μὴ ὄν, τὸ μὴ εἶναι ὄν, and τὸ εἶναι μὴ ὄν; Shorey’s emendations clearly solve both problems, Kohnke’s only the first of them (if I have judged the matter rightly). 11. F. W. KohnKe, “Plato’s Conception”, p. 39. But I do not agree with Kohnke’s formulation that Plato brings these four combinations “to bear upon the question […] of the assignment of each to being or non-being” and “discusses their existence and non-existence”. The passage is not an ontological discussion as such, but a series of ‘linguistically’ logical steps by which Parmenides comes to the paradoxical conclusion that “the existent has not-being”—in addition to its having being—“and the non-existent has being”—in addition to its having not-being (162b3–4). Taken one step further and applied to “the One” (162b4–6), this conclusion also appears as a part of the conclusion to the dialogue as a whole (166c3–5). Kohnke’s presentation of Parmenides 162a–b in a framework appropriated from much later in the history of Platonism appears to me to be anachronistic, unless his intention was to show how the passage could have been read by later philosophers, and how it might have contributed to the development of Neoplatonic ontology. Cf. P. HaDot, Porphyre et Victorinus, pp. 151–155. 12. F. W. KohnKe, “Plato’s Conception”, p. 38.

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Not Really Non-Existent? and (4) ὄντως μὴ ὄν (really non-existent). 13 Reflections “in water or in mirrors, and again images made by the draftsman or the sculptor […] copied from the real thing” 14 do not themselves have real existence (in the sense of mode 1 or even of mode 2), but exist in only a qualified sense, in that they do not really not exist (in the sense of mode 4), because any such likeness “really is what we call a likeness” 15 (mode 3), namely a likeness of something existent (mode 2), which is in turn a likeness of something really existent (mode 1). As a part of his argument in De caelo (“On the Heavens”) that “the world as a whole” (ὁ πᾶς οὐρανός) is both ungenerated and indestructible, and therefore of infinite duration, without beginning or end, 16 Plato’s student Aristotle established the two “contraries” (ἐναντία), “that which always is and that which always is not” (τὸ ἀεὶ ὂν καὶ τὸ ἀεὶ μὴ ὄν, or τὸ μὲν ἀεὶ δυνάμενον εἶναι τὸ δ’ ἀεὶ δυνάμενον μὴ εἶναι “that which is always capable of being and that which is always capable of not being”), and also their negations (or “contradictories” [ἀποφάσεις], which are also contraries of each other), “that which not always is not [or: that which is not always capable of not being] and that which not always can be [or: that which is not always capable of being]” (τὸ μὴ ἀεὶ μὴ ὄν [or τὸ μὴ ἀεὶ δυνάμενον μὴ εἶναι] καὶ τὸ μὴ ἀεὶ δυνάμενον εἶναι). 17 His purpose was to demonstrate that logically “there must be something intermediate between that which always is and that which always is not, namely that which is capable of both being and not being (τὸ δυνάμενον εἶναι καὶ μὴ εἶναι, or δυνατὸν εἶναι καὶ μή)”. To the latter, which is implied neither by “that which always is” nor by its contrary “that which always is not” (see 282b10–11), both negations must necessarily apply. Thus Aristotle cannot be said to have been concerned here with four modes of being and non-being, even though his language is reminiscent of Plato’s, especially Plato’s language in the Parmenides. Rather, Aristotle’s concern was with the logical assignment of certain properties

13. Plato, Sophist 240b–c and 254d, cf. 238c (τὸ μὴ ὂν αὐτὸ καθ’ αὐτό). On the purpose of the discussion in this part of the Sophist, see F. W. KohnKe, “Plato’s Conception”, pp. 35–38, who also makes it clear that the twice occurring οὐκ ὄντως οὐκ ὄν of 240b “as it is transmitted by the best medieval codices” (p. 35) is not to be emended, as has often been done in the past. 14. Plato, Sophist 239d and 240a, trans. F. M. cornForD, “Sophist”, in E. h amilton – H. cairns (eds.), Dialogues of Plato (Cornford’s translation was first published in 1935), pp. 957–1017, at pp. 982–983. 15. Plato, Sophist 240b, trans. F. M. cornForD, “Sophist”, p. 983. 16. Aristotle, De caelo I, 10–12; see also the brief recapitulation at the beginning of II, 1. 17. Aristotle, De caelo I, 12 282a4–14 (compare the immediately following presentation of the logical structure of the argument, 282a14–21), trans. W. K. C. Guthrie, Aristotle: On the Heavens, London-Cambridge MA 1939, pp. 115–117, very slightly altered. Cf. P. HaDot, Porphyre et Victorinus, pp. 150–151.

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Stephen Emmel (here: generated vs. ungenerated, and destructible vs. indestructible) to either the one mode (always being) or its contrary (always not being), or else to an intermediate position between them. 18 It was the set of four modes of being and non-being brought to expression by Plato himself that eventually became fundamental for metaphysics (and epistemology) in the Platonic tradition, because certain Neoplatonists derived from it “a terminology for their fourfold system of being […] and combined this with their system of hypostases of the cosmos”, 19 namely, the noetic, psychic, and perceptible planes, and matter. The “most thoroughly formalized subdivision of being” 20 in this tradition was presented by Proclus in his commentary (fifth century) on Plato’s Timaeus, in which Proclus attributes the scheme to unnamed predecessors (τῶν παλαιῶν τινες). 21 His concise presentation is as follows (here numbered in conformity with the lists given above from the Parmenides and the Sophist): (1) ὄντως μὲν ὂν καλοῦσι τὸ νοητὸν πλάτος, (2) οὐκ ὄντως δὲ ὂν τὸ ψυχικόν, (3) οὐκ ὄντως δὲ οὐκ ὂν τὸ αἰσθητόν, (4) ὄντως δὲ οὐκ ὂν τὴν ὕλην. (1) They call the noetic plane “really existent”, (2) and the psychic (plane they call) “not really existent”, (3) and the perceptible (plane they call) “not really non-existent”, (4) and matter (they call) “really non-existent”.

Friedrich Kohnke called this terminology for existence and non-existence, specifically with regard to Marius Victorinus’s transposition of it into Latin in the middle of the fourth century, “barely translatable”. 22 What makes the

18. See further S. leGGatt, Aristotle: On the Heavens I and II, Warminster 1995, pp. 217–219, with further references. 19. F. W. KohnKe, “Plato’s Conception”, p. 40; see pp. 32–37 for an enlightening sketch of the development of the Neoplatonic system, including a helpful diagram that is said to be found in two codices of Proclus, In Timaeum (reproduced also by P. HaDot, Porphyre et Victorinus, p. 149; H. Dörrie – M. Baltes, Die philosophische Lehre, p. 307). 20. H. Dörrie – M. Baltes, Die philosophische Lehre, p. 304: “diese am stärkste formalisierte Einteilung des Seienden.” 21. Ibid., pp. 74–75 and 304–307 (Baustein no. 105.4), with further references, and also (p. 304) the suggestion that by Proclus’s unnamed sources above all Porphyry (third century) was meant; cf. F. W. KohnKe, “Plato’s Conception”, pp. 32 and 37. 22. F. W. KohnKe, “Plato’s Conception”, pp. 32–34. Cf. P. HaDot, Porphyre et Victorinus, pp. 149–150; and P. henry – P. h aDot, Marius Victorinus, traités théologiques sur la trinité, vol. II, Paris 1960, pp. 702–703 (but I have the impression that Hadot later abandoned his suggestion of 1960 that “les commentateurs néoplatoniciens effectuaient une sorte de genèse dialectique de ces quatre modes […] grâce à ce que l’on a appelé la loi des moyens termes”, and rightly so, I think [despite the fact that the passage by Hadot was cited with apparent approval by H. Dörrie – M. Baltes, Die philosophische Lehre, p. 306 n. 3], because, apart from the fact that the method produces triads of members and not tetrads,

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Not Really Non-Existent? terminology difficult to translate is partly the philosophical subtlety of the conceptions that it presupposes, but also its linguistic nuances of emphasis, or better, of focus. Here is my own attempt to clarify the key terms in the translation given above: (1) that which exists really (as opposed to things that only exist, in the sense of mode 2); (2) that which exists, but not really (i.e., things that exist, but not in the sense of mode 1); (3) that which does not really not exist (i.e., things that do not not exist in the sense of mode 4, but also do not exist in the sense of either mode 2 or mode 1); (4) that which really does not exist (as opposed to things that are only ‘relatively unreal’, in the sense of mode 3).

Obviously, it is mode 3 with its two negatives (each of which “keeps its own force”, rather than that the two together “make an affirmative” 23) that is the most challenging concept and expression for any translator. Among the ‘Platonizing Sethian Gnostic’ texts, known mostly from the Nag Hammadi Codices, there are a number of passages that make use of this Neoplatonic terminology for different levels of being and non-being, so that we have the results of someone’s effort to translate the “barely translatable terminology” into Coptic. 24 Of particular interest is Zostrianos (NHC VIII, 1) 117,11–15, because here the three lower levels of the fourfold hierarchy all seem to be mentioned, as it is the purpose of the present essay to suggest. The passage in question is materially damaged, a few letters having been lost at the beginning of each manuscript line, and particularly challenging is the restoration of line 13. In my discussion, I will refer to the three relevant

the opposite of ὄντως ὄν [mode 1 ~ A B] is ὄντως οὐκ ὄν [mode 4 ~ A not-B]; its opposite is not—as it would have to be, if the “law of mean terms” is enforced—οὐκ ὄντως οὐκ ὄν [mode 3 ~ not-A not-B], which is rather an intermediate member of the tetrad of modes of being, as is also οὐκ ὄντως ὄν [mode 2 ~ not-A B]; on this method of Proclus’s “by which successive triads are found”, see A. E. Taylor, “The Philosophy of Proclus”, Proceedings of the Aristotelian Society n.s. 18 [1918], pp. 600–635, at p. 608; and E. R. DoDDs, Proclus: The Elements of Theology, Oxford 1963 [19331], p. xxii). 23. H. W. smyth, Greek Grammar, revised by G. M. messinG, Cambridge, MA 1956 (19201), p. 628 § 2760. 24. Cf. J.-D. DuBois, “Les gnostiques et la philosophie ancienne”, p. 140, commenting on the Coptic of Zostrianos (NHC VIII, 1) 64–66, which Michel Tardieu had recognized as being closely related to a passage written in Latin by Marius Victorinus (M. tarDieu – P. haDot, Recherches sur la formation de l’Apocalypse de Zostrien et les sources de Marius Victorinus ; « Porphyre et Victorinus » : Questions et hypothèses, Bures-sur-Yvette 1996), presumably to be explained on the basis of a shared Greek source: “La relative technicité de la formulation [en copte] de ces remarques sur le premier principe et la proximité de ces pages avec le traité de Marius Victorinus Adversus Arium I, 49–50 attestent de la compétence du traducteur copte dans sa compréhension du sens philosophique de son original grec.”

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Stephen Emmel phrases from Zost. 117 in the following layout of the text as ‘items’ 2, 3, and 4. As ‘item 1’, I give here the text of Zost. 116,5–6, 25 which may be taken as fundamental for what is being described in this section of the work, which is the “Aeon of Kalyptos”, 26 containing everything that is listed on page 116 and in 117,1–15. The text is as follows 27: Item 1: Item 2: Item 3: Item 4:

ⲡⲓⲉⲱⲛ ⲉ[ⲧ]6ϣⲟⲟⲡ [ⲟ]ⲛⲧⲱⲥ (116,6b–117,11a is omitted here) ⲙⲛⲡⲏ 12[ⲉ]ⲧⲉⲛϥϣⲟⲟⲡ ⲁⲛ ⲟⲛⲧⲱⲥ· 13 [ ̣ ̣ ̣]ⲉϥϣⲟⲟⲡ ⲁⲛ ⲟⲛⲧⲱⲥ· 14 [ⲙⲛⲡ]ⲓⲁⲧϣⲱⲡⲉ ⲉⲧⲉⲛϥϣⲟ15[ⲟⲡ] ⲁⲛ ⲉⲡⲧⲏⲣϥ·

12 [ⲉ]ⲧⲉ- : Layton, Funk, Barry et al. ‫ ׀׀‬13 [ ̣ ̣ ̣]ⲉϥ- : [ ̣ ̣ ⲛ]ⲉϥ- Funk : [ⲡⲏ ⲛ]ⲉϥ- Layton, Barry et al. : [ⲡⲏ ⲉⲧ]ⲉϥ- Turner ‫ ׀׀‬14 [ⲙⲛⲡ]ⲓ- Funk, Barry et al. : [ ̣ ̣ⲡ]ⲓ- Layton

The only scholar who has commented explicitly on this passage is John D. Turner, who took it to be part of “a series of contraries […] used here to characterize the completeness of the Kalyptos Aeon”, 28 the series beginning already at the top of page 117. The three items in the list (our items 2–4) are, according to Turner’s analysis, first “negative” (that is, contrary to the immediately preceding [117,10–11] “true light and enlightened darkness” 29), then “positive”, and then negative again. Turner has suggested relating the following Greek equivalents to the three items listed: (2) ὄντως οὐκ ὄν, (3) οὐκ ὄντως ὄν, (4) οὐκ ὄντως οὐκ ὄν, which are modes 4, 2, and 3 according to the numbering used in the first part of the present essay; and he defines these 25. Cf. 116,12–14.19–20. 26. That is, the “highest subaeon within the Aeon of Barbelo” (J. D. turner, “Dramatis Personae”, in C. Barry – W.-P. FunK – P.-H. poirier – J. D. turner, Zostrien (NH VIII, 1), Québec-Louvain-Paris 2000, pp. 32–37, at p. 34); or the “concealed aeon, which is the highest constituent of the Barbēlō aeon, contain[ing] the Platonic ideal forms” (B. layton, The Gnostic Scriptures, Garden City 1987, p. 137 n. 113a). 27. Barry et al. = C. Barry et al., Zostrien, p. 450; Funk = W.-P. FunK, Concordance des textes de Nag Hammadi : les codices VIII et IX, Sainte-Foy-Louvain-Paris 1997, p. 558; Layton = B. layton in J. H. sieBer (ed.), Nag Hammadi Codex VIII, Leiden-New York-CopenhagenKöln 1991, p. 202; Turner = J. D. turner, “Commentary”, in C. Barry et al., Zostrien, pp. 483–662, at p. 634. For technical reasons, I have chosen to omit all superlinear strokes from any Coptic used in this essay. 28. J. D. turner, “Commentary”, p. 634, with the discussion continuing onto p. 635; see also iD., Sethian Gnosticism and the Platonic Tradition, Québec-Louvain-Paris 2001, pp. 715–716 ; iD., “Coptic Renditions of Greek Metaphysics: The Platonizing Sethian Treatises Zostrianos and Allogenes”, in P. Buzi – A. camplani (eds.), Christianity in Egypt: Literary Production and Intellectual Trends. Studies in Honor of Tito Orlandi, Rome 2011, pp. 523–554, at pp. 545–550. 29. Note Turner’s comment: the contrary of “true light” is “darkness, although of an ‘enlightened’ sort […]. Enlightened darkness still seems [i.e., must have seemed to the author of Zost.] to have a rather positive polarity compared to ‘true light,’ so it is immediately followed by something truly contrary to true light”.

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Not Really Non-Existent? items as: (2) “gross matter”, (3) “souls as source of motion and change”, and (4) “the sensible [i.e., perceptible] entities that are moved by them [i.e., by souls]”. 30 But with his restoration and emendation of line 13, Turner’s first two items (our items 2 and 3) are identical in Coptic: ⲡⲏ ⲉⲧⲉⲛϥϣⲟⲟⲡ ⲁⲛ ⲟⲛⲧⲱⲥ, which he must have seen as being ambiguous in meaning, such that the choice between translating the phrase as “that which is truly non-existent” (Turner’s translation of item 2) 31 or as “that which is not-truly existent” (his translation of item 3) could be made only on the basis of his interpretation of the passage as a whole, namely, his judgment that item 2 should be “something truly contrary to true light”, which something is mode 4 (i.e., something that really does not exist), defining the material (hylic) plane, whereas item 3 should be something more positive, namely mode 2, which defines the psychic plane. 32 Turner’s suggestion is not unattractive, creating as it does a symmetrical ‘centripetal’ movement through the modes: 1 — 4, 2 — 3. But of course one should prefer not to have to emend a damaged text, and furthermore I myself am not convinced that item 4 (for which Turner’s translation is “the non-existent ones that are not at all” 33) is really equivalent to οὐκ ὄντως οὐκ ὄν, mode 3. To be sure, there is a superficial structural correspondence between the Coptic and Greek phrases (item 4 and mode 3, respectively) in that both can be said to contain two negative expressions (if use of the privative base ⲁⲧ- may be classified also as a type of negation), and one could make an argument that ⲡⲓⲁⲧϣⲱⲡⲉ is equivalent to τὸ οὐκ ὄν. But does ⲛϥϣⲟⲟⲡ ⲁⲛ ⲉⲡⲧⲏⲣϥ mean the same thing as οὐκ ὄντως? The occurrence of ⲉⲡⲧⲏⲣϥ seems to me to indicate that the underlying Greek did not include the word ὄντως, but more probably had something like ὅλως, 34 perhaps μηδαμῇ or πάντως, with which one could compare μὴ ὂν μηδαμῇ and τὸ πάντως μὴ ὄν from Plato’s Republic V 477–478, which is to say that item 4 seems to me to be equivalent to mode 4 rather than mode 3. And it seems to me also that the published translations of item 4 (including Turner’s) give the distinct impression of expressing mode 4: “the non-being that does not exist at all” (John Sieber) 35; “[le] non-être qui

30. J. D. turner, Sethian Gnosticism, p. 715. 31. Ibid., and also J. D. turner, “Commentary”, p. 634. 32. It must be noted that Turner’s restoration of the beginning of line 13 as [ⲡⲏ ⲉⲧ] is one letter too long for the available space in the lacuna, and therefore his text of this line is in fact doubtful (see The Facsimile Edition of the Nag Hammadi Codices: Codex VIII, Leiden 1976, pl. 121). 33. Since item 4 in Coptic is grammatically singular like items 2 and 3, a clearer translation would be: the non-existent one that is not at all. 34. On the similarity of ⲉⲡⲧⲏⲣϥ and ϩⲟⲗⲱⲥ (ὅλως) in function and distribution, see A. shishah aleVy, Coptic Grammatical Categories: Structural Studies in the Syntax of Shenoutean Sahidic, Rome 1986, p. 50 § 1.3.7.2 (“ⲉⲡⲧⲏⲣϥ is the native equivalent (showing also formal similarity) of ϩⲟⲗⲱⲥ”) and p. 52 § 1.3.11.1.1. 35. J. H. sieBer, Nag Hammadi Codex VIII, p. 203.

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Stephen Emmel n’[est] pas du tout” (Catherine Barry et al.) 36; “[der] Nicht-Werdende, der überhaupt nicht existiert” (Hans-Martin Schenke) 37; “the non-existent ones that are not at all” (Turner). I will return below to the matter of the occurrence of two negations in item 4. The translators other than Turner, who have not emended item 3 and so have restored the lacuna at the beginning of line 13 differently, are in agreement that the final letter in that lacuna should be restored as ⲛ, which is the first element of the discontinuous negator ⲛ- … ⲁⲛ, here negating what is thus analyzed as a focalizing (‘second-tense’) conversion ⲉϥ-. 38 As such, it is unambiguous that what is being negated is the ‘focal point’, the adverb ⲟⲛⲧⲱⲥ, and not the ‘topic’, ϥϣⲟⲟⲡ. 39 The published translations of items 2 and 3 (other than Turner’s) are as follows (I have inserted parenthetical numbers to mark items 2 and 3): “together with (2) the one that does not really exist—(3) [it] does not really exist” (Sieber)

36. C. Barry et al., Zostrien, p. 451; C. Barry, “Zostrien (NH VIII, 1)”, in J.-P. Mahé – P.-H. Poirier (eds.), Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi, Paris 2007, pp. 1259–1318, at p. 1310. 37. H.-M. schenKe, “Zostrianos (NHC VIII,1)”, in H.-M. schenKe – H.-G. BethGe – U. U. K aiser (eds.), Nag Hammadi Deutsch, vol. II, NHC V,2–XIII,1, BG 1 und 4, Berlin-New York 2003, pp. 633–662, at p. 659. 38. That ⲛ- was understood by Barry and her collaborators to be the ‘ⲛ- of negation’ is clear enough from W.-P. FunK, Concordance, p. 69 s.v. “ⲉⲣⲉ- (présent II)” even though it does not appear as such on p. 143 s.v. “ⲛ- (négation)”; and note that Schenke translated Funk’s text (see H.-M. SchenKe, “Zostrianos”, p. 638 n. 11). In support of restoring ⲛ instead of ⲛⲛ, see Zost. 20,12 and 59,12 (both passages listed by Funk under both lemmata); for the allomorphs of negative ⲛ- in this construction (including zero), see B. layton, A Coptic Grammar with Chrestomathy and Glossary: Sahidic Dialect, Wiesbaden 2011 (20042, 20001), p. 360 § 452. 39. Strictly speaking, what is negated in this construction is the “focalization nexus” between the focal point and the topic. See B. Layton, Coptic Grammar, p. 360 § 452, who also observes that “ⲁⲛ occurs before, after, or in the midst of the focal point, depending on sentence arrangement”. In the corpus investigated by Ariel Shisha-Halevy (which was mostly works of Shenoute), “as a general rule one may say that for theme/topic-initial pattern (2) [such as our item 3] the nexal negation [ⲁⲛ] is located between the theme and the focus” (A. Shisha-haleVy, Coptic Grammatical Categories, p. 101 § 2.9.0.1), and therefore it does not necessarily precisely mark the focal point. Consider this example from Shenoute (note that the negation ⲛ- … ⲁⲛ frames the topic, but does not negate it, while the focal point ⲉⲧⲃⲉ- […] ⲙⲙⲁⲧⲉ is separated from the negation by two adverbial adjuncts, ⲉϩⲟⲩⲛ ⲉⲣⲟⲛ and ϩⲛⲟⲩⲟⲣⲅⲏ): ⲛⲉⲣⲉϯⲥⲙⲏ ⲁⲡⲉⲓⲗⲉⲓ ⲁⲛ ⲉϩⲟⲩⲛ ⲉⲣⲟⲛ ϩⲛⲟⲩⲟⲣⲅⲏ ⲉⲧⲃⲉⲡⲙⲁ ⲉⲧⲛⲛⲁⲃⲱⲕ ⲉⲣⲟϥ ⲙⲙⲁⲧⲉ ⲁⲗⲗⲁ ⲧⲉⲛⲟⲩ ⲟⲛ ⲥⲱϣ ⲉⲃⲟⲗ ⲛϩⲟⲩⲟ (É. A mélineau, Œuvres de Schenoudi. Texte copte et traduction française, vol. II, Paris 1914, p. 78, collated; not correctly translated by the editor): that voice threatens us in ire not only concerning the place to which we will go, but also now it is crying out still more.

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Not Really Non-Existent? “und (2) der, der nicht wirklich existiert, (3) […] er existiert nicht wirklich” (Schenke) “ainsi que (2) le véritablement non existant, (3) [le] non véritablement existant” (Barry et al.)

The English and German translations (which are equivalent) seem to interpret both items 2 and 3 as expressing mode 2, first as a substantivized relative clause, then as a main sentence, while the French translation (which is equivalent to Turner’s translation) seems to interpret them respectively as modes 4 and 2 (as Turner did explicitly). I would like to suggest a different interpretation, namely, that the list (as quoted in Coptic above) begins with mode 1 (item 1) and ends with mode 4. In between I expect modes 2 and 3, in this order, and in fact the likely occurrence of a negated focalizing conversion in item 3, and only there, 40 makes this item a good candidate for being an expression of mode 3 (οὐκ ὄντως οὐκ ὄν), with its complex of two negations. What is wanted, for my interpretation, is a Coptic equivalent for ‘it does not really not exist’, or (to put it as a cleft sentence) ‘it’s not really that it doesn’t exist’. Theoretically, one could express this in Coptic by means of a focalizing conversion in which both the topic (equivalent in meaning to ‘… it exists’) and the focalizing nexus (equivalent in meaning to ‘it’s really that …’) are negated. H. J. Polotsky, in his classic Étude clarifying the structure and meaning of “les Temps Seconds”—the Coptic

40. For ⲉϥ- to be circumstantial is rather unlikely, given the apparent context, and it is even more unlikely that ⲉⲧⲉ- in items 2 and 4 is anything other than the relative converter functioning as such. If ⲉⲧⲉ- in item 2 could somehow be interpreted as the focalizing converter before ⲛ- … ⲁⲛ negating the topic, then it would be a second example of what we have, so far uniquely (because of the occurrence of ⲛ- … ⲁⲛ), in Rom 14,6 ⲉⲧⲉⲛϥⲟⲩⲱⲙ ⲁⲛ ⲙⲡϫⲟⲉⲓⲥ “c’est pour le Seigneur qu’il ne mange pas” (H. J. PolotsKy, Études de syntaxe copte, Cairo 1944, p. 89 [= iD., Collected Papers, p. 193]; cf. A. Shisha-h aleVy, Coptic Grammatical Categories, p. 86 § 2.5.2[2] and p. 102 n. 157; B. Layton, Coptic Grammar, p. 360 § 453), in which case it would seem to express mode 4 (‘it is really that it does not exist’). But for this interpretation to be possible, either ⲉⲧⲉ- must ‘do double duty’ as both the focalizing converter and also the relative converter after ⲙⲛⲡⲏ (because “Sätze werden nicht durch ⲛⲉⲙ : ⲙⲛ verbunden” [L. Stern, Koptische Grammatik, Leipzig 1880, p. 373 § 559, at the end]; on B ⲛⲉⲙ, cf. now A. Shisha-h aleVy, Topics in Coptic Syntax: Structural Studies in the Bohairic Dialect, Leuven-Paris-Dudley, MA 2007, p. 507), or else one must posit that ⲉⲧⲉ- is for ⲉ-ⲉⲧⲉ-, a double conversion in which the first converter (circumstantial ⲉ- combined with the first ⲉ of ⲉⲧⲉ- as the result of graphic ‘simplification’) functions as the relative converter after ⲙⲛⲡⲏ. For circumstantial conversion of a focalizing conversion—a rare construction, but attested clearly enough—see B. Layton, Coptic Grammar, p. 324 § 397, pp. 335–336 § 414, and pp. 336–337 § 416(b); A. Shisha-h aleVy, Coptic Grammatical Categories, pp. 66–67 § 2.0.1.1.2.

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Stephen Emmel so-called “Second Tenses” 41—saw the possibility of such a Coptic sentence “C” as the combination of the two more basic possibilities “A” and “B”, which he illustrated, in French, as follows 42: A. Ce n’est pas à cause de toi qu’il est venu. B. C’est à cause de toi qu’il n’est pas venu. C. Ce n’est pas à cause de toi qu’il n’est pas venu.

Throughout Coptic literature, there are many examples of type A (negative focus, affirmative topic: It’s not because of you that he came), as there also are of the focalizing sentence with affirmative focus and affirmative topic (for example, It’s because of you that he came—C’est à cause de toi qu’il est venu—which is not in Polotsky’s list simply because that list concerns only sentences with negation). On the other hand, type B (affirmative focus, negative topic: It’s because of you that he didn’t come) is rather rare (especially if one considers only sentences in which the topic comes first, before the focus: That he didn’t come was because of you), 43 and type C (negative focus, negative topic: It’s not because of you that he didn’t come) is not attested in Coptic at all. 44 But what I would like to see in Zost. 117,13 (item 3) is just that, a Coptic equivalent of Ce n’est pas véritablement qu’il n’existe pas—It’s not really that it doesn’t exist (mode 3)—which is type C. However, what we in fact seem to have with ⲛ]ⲉϥϣⲟⲟⲡ ⲁⲛ ⲟⲛⲧⲱⲥ is Ce n’est pas véritablement qu’il existe— It’s not really that it exists (mode 2)—which is type A. And therefore I must

41. H. J. polotsKy, “Coptic Conjugation System”, § 11, § 28, etc. The “Second Tenses” are now called the “focalizing conversion” (B. layton, Coptic Grammar, p. 352 § 444, etc.). 42. H. J. polotsKy, Études, p. 87 (= iD., Collected Papers, p. 191). 43. A. shisha-h aleVy, Coptic Grammatical Categories, p. 86 § 2.5.2(2): “in all cases of a negatived topic the focus is always initial” in the corpus investigated by him (mainly Shenoute); for focus-initial examples of type B, see pp. 86–87 § 2.5.3, where I count eighteen relevant examples either quoted or explicitly referenced (but “A 1 463” is problematic: ⲛⲁϣ ⲛϩⲉ ⲧⲙⲉ ⲛⲁⲁϩⲉⲣⲁⲧⲥ ⲁⲛ· ⲏ ⲉⲥⲛⲁⲟⲩⲱⲛϩ ⲉⲃⲟⲗ ⲁⲛ ⲉⲣⲉⲛⲉⲥϩⲃⲏⲩⲉ ⲣⲙⲛⲧⲣⲉ ϩⲁⲣⲟⲥ· ⲏ ⲛⲙⲙⲁⲥ· [collated; sic, not ⲉⲣⲉⲧⲙⲉ or ⲧⲙⲉ ⲉⲥⲛⲁ-] “comment la vérité ne va-t-elle pas se dresser et se manifester, ses œuvres témoignant pour elle et à ses côtés ?” [trans. A. BouD’hors, Le Canon 8 de Chénouté d’après le manuscrit Ifao Copte 2 et les fragments complémentaires, vol. II, Cairo 2013, p. 379, with a new edition of the text in vol. I, p. 89]). For the most part, Polotsky dealt only with examples of topic-initial patterns such as our item 3 is. Of type B there are as of yet (from all known Coptic literature) only ten topic-initial examples on record, including Rom 14,6 (H. J. polotsKy, Études, pp. 50 and 88–89 [= iD., Collected Papers, pp. 154 and 192–193], and B. layton, Coptic Grammar, pp. 360–361 § 453). 44. Polotsky knew of one pre-Coptic Egyptian example of type C (Études, p. 90): “Ce n’est pas parce qu’il n’y avait rien à vous apporter que je ne suis pas venu” (It’s not because there was nothing to bring to you that I didn’t come).

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Not Really Non-Existent? ask: is it possible that ⲁⲛ might be ‘doing double duty’ here, standing in fact for ⲁⲛ ⲁⲛ, 45 of which ⲁⲛ1 negates the topic nexus ϥϣⲟⲟⲡ, whereas ⲛ- … ⲁⲛ2 negates the focalization nexus ⲉ⸗ … ⲟⲛⲧⲱⲥ? 46 While the phenomenon of graphic “simplification” in Coptic applies properly only to vowels and glides, and most often vowels or glides within a bound group, such as ⲉ written for ⲉⲉ, ⲟⲩ for ⲟⲩⲟⲩ, etc., 47 one might take into consideration here the many occurrences of a single ⲉⲃⲟⲗ where ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟⲗ is to be understood, especially ⲉⲃⲟⲗ ϩⲛ- after a verb of motion (or a verb entailing motion), as in, for example, Matt 2,6 ϥⲛⲏⲩ ⲅⲁⲣ ⲉⲃⲟⲗ ⲛϩⲏⲧⲉ (Horner) ἐκ σοῦ γὰρ ἐξελεύσεται (= Mic 5,1[2] ⲉϥⲛⲁⲉⲓ ⲛ̣ⲁⲓ̈ ⲉⲃⲟⲗ ⲛϩⲏⲧⲕ [Akhmimic ed. Till] ἐκ σοῦ μοι ἐξελεύσεται); a few further such examples (out of many) are: Gen 9,18 (ἐξέρχεσθαι ἐκ), Judg 1,24 (ἐκπορεύειν ἐκ), Job 3,11 (ἐξέρχ. ἐκ), Matt 12,43 (ἐξέρχ. ἀπό), Luke 12,59 (ἐξέρχ. ἐκεῖθεν) and 17,29 (ἐξέρχ. ἀπό), Rev 9,3 (ἐξέρχ. ἐκ) and 19,21 (ἐκπορεύ. ἐκ). W. E. Crum, from whose dictionary most of these examples have been drawn, commented about the construction ⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲛ- that “in these cases either a second ⲉⲃⲟⲗ is perhaps/possibly understood […] or the preposition may be ⲉⲃⲟⲗ ϩⲛ-, and ⲉⲃⲟⲗ is not here adverbial”. 48 The evidence that supports the hypothesis that a single ⲉⲃⲟⲗ at times does double duty, as a “combinative adverb” 49 combining both with a preceding verb and with a following preposition (that is, ⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲛ- for ⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲛand the like), is examples where ⲉⲃⲟⲗ does in fact appear twice. Such examples are of two types: (type 1) ⲉⲃⲟⲗ+preposition before verb+ⲉⲃⲟⲗ, or (type 2) ⲉⲃⲟⲗ+preposition after verb+ⲉⲃⲟⲗ. A few examples are: (type 1) ⲉⲃⲟⲗ ⲅⲁⲣ ϩⲙⲫⲟⲩⲟ ⲙⲫⲏⲧ ϣⲁϥⲉⲓⲛⲉ ⲉⲃⲟⲗ ⲛϩⲛⲡⲟⲛⲏⲣⲟⲛ (NHC II 41,4–6 = Gospel of Thomas, logion 45) “For out of the abundance of the heart he brings forth evil

45. I only mention here two possible temptations to be resisted: (1) the temptation to suggest that a second ⲁⲛ might be lost at the beginning of line 14 (instead of ⲙⲛ); and (2) the temptation to suggest that a second ⲁⲛ was simply omitted accidentally through haplography. The first temptation is to be resisted at least because one should not simply ignore the raised point at the end of line 13, and the second temptation is to be resisted as a matter of principle (damaged and uncertain context, uncertain authorial intention, an otherwise unattested grammatical construction, etc.). 46. Two examples of a repeated ⲁⲛ quoted by A. shisha-haleVy, Coptic Grammatical Categories, pp. 167–168 § 6.0.3.3 (italics removed) as examples of the “foreshadowed enclitic”, that is, the “double simultaneous occurrence [of enclitic ⲁⲛ, ⲡⲉ, ⲟⲛ, or ⲛⲧⲟϥ] in a single syntactic unit— once in the colon-second/final conditioned ‘secondary’ (or better in the prosodic-structure overrule) position, and again in the constructional syntactic-structure (‘primary’) position”, are not relevant for the present problem. 47. B. layton, Coptic Grammar, pp. 21–22 § 24 and pp. 335–336 § 414. 48. W. E. Crum, A Coptic Dictionary, Oxford 1939, p. 71b 19–16 up. I have expanded Crum’s purposefully telegraphic dictionary-entry style. 49. B. layton, Coptic Grammar, pp. 165–167 § 206.

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Stephen Emmel things” 50; (type 2) ⲥⲛⲁϣⲁϫⲉ ⲁⲛ […] ⲟⲩⲧⲉ ⲟⲩⲱⲧⲃ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲛⲛⲉⲓ̈ⲁⲓⲱⲛ ⲉⲩⲛⲁⲟⲩⲱⲧⲃ ⲙⲙⲟⲥ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲥϣⲁⲛⲣⲣⲙϩⲉ (NHC VII 57,28–32) the soul “will not speak […] nor transport itself from these aeons, since it will be transported when it becomes a free person” 51; ⲁⲥⲟⲩⲱⲛϩ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲓⲧⲛⲟⲩⲉⲛⲉⲣⲅⲓⲁ (NHC XI 53,32–34) the power “appeared by means of an activity” 52 (see also NHC III 59,6–7; XI 60,38–39; IX 57,1–2; and note NHC II 68,17–18 ⲁϩⲟⲉⲓⲛⲉ ⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟⲗ ⲧⲱⲛ); in the fortieth year ⲙⲡⲓ ⲉⲃⲟⲗ ⲛⲛϣⲏⲣⲉ ⲙⲡⲓⲏⲗ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲙⲡⲕⲁϩ ⲛ[ⲕⲏⲙⲉ] (Num 33,38, ed. Ciasca) τῆς ἐξόδου τῶν υἱῶν Ισραὴλ ἐκ γῆς Αἰγύπτου 53; B ⲁϥⲓ ⲉⲃⲟⲗ ⲛϫⲉⲟⲩϩⲱⲛ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲓⲧⲉⲛⲡⲟⲩⲣⲟ, S ⲁⲩⲇⲟⲅⲙⲁ ⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲓⲧⲙⲡⲣⲣⲟ (Luke 2,1, ed. Horner) ἐξῆλθεν δόγμα παρὰ Καίσαρος. 54 Crum referred to one more type 2 example via his citation of Ludwig Stern’s comments on ⲉⲃⲟⲗ as a combinative adverb: ⲕⲧⲟⲕ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟ̣ⲗ̣ [ϩⲙ]ⲡⲉⲓϩⲱⲃ ⲡⲁⲓ 55 ‘turn away [from] this very thing’. Also instructive in this connection is a passage from Shenoute, ⲛⲉⲧⲧⲥⲁⲃⲟ ⲛⲉⲓⲁⲧⲟⲩ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲓⲧⲙⲡⲛⲟⲩⲧⲉ in White Monastery codex BZ, p. 233, whereas in another copy of the same work, only one ⲉⲃⲟⲗ appears (codex GI, p. 126). 56

50. Trans. T. O. lamBDin, “The Gospel According to Thomas”, in B. layton (ed.), Nag Hammadi Codex II,2–7 Together with XIII,2*, Brit. Lib. Or.4926(1), and P. Oxy. 1, 654, 655, vol. I, Leiden-New York-Copenhagen-Köln 1989, pp. 53–93, at p. 71. See also Matt. 12:35 (bis). 51. Trans. G. R iley, “VII,2: Second Treatise of the Great Seth”, in B. a. pearson (ed.), Nag Hammadi Codex VII, Leiden-New York-Köln 1996, pp. 129–199, at pp. 169–171. 52. Trans. J. D. Turner with O. S. Wintermute, “NHC XI,3: Allogenes, 45,1–69,20”, in C. W. HeDricK (ed.), Nag Hammadi Codices XI, XII, XIII, Leiden-New York-CopenhagenKöln 1990, pp. 193–241, at p. 209. 53. Cf. ⲙⲡⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ ⲛⲛϣⲏⲣⲉ ⲙⲡⲓⲏⲗ ϩⲙⲡⲕⲁϩ ⲛⲕⲏⲙⲉ (Exod 19,1, ed. Erman) Greek same as Num 33,38, and ϩⲙⲡⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ ⲙⲡⲓⲏⲗ ϩⲛⲕⲏⲙⲉ (Ps 113[114],1, ed. Budge) ἐν ἐξόδῳ Ισραὴλ ἐξ Αἰγύπτου. 54. Crum invited us to compare S B Matt 3,13 and also L. Stern, Koptische Grammatik, p. 353 n. 2, quoting from E. ReVillout, Apocryphes coptes du Nouveau Testament. Textes, Paris 1876, p. 10 (S), p. 28 (S), and p. 48 (B): B ⲁϥⲓ ⲉⲃⲟⲗ ⲛϫⲉⲟⲩⲇⲟⲅⲙⲁ ϩⲓⲧⲉⲛⲁⲩⲅⲟⲩⲥⲧⲟⲥ ⲡⲟⲩⲣⲟ (S = Luke 2,1). 55. L. Stern, Koptische Grammatik, p. 353, whose reference “Ros. gr. 134” means L. M. UnGarelli, Elementa Linguae Aegyptiacae Vulgo Copticae Quae Auditoribus Suis in Patrio Athenaeo Pisano Tradebat Hippolytus Rosellinius [Ippolito Rosellini], Rome 1837, p. 134, no. 169 in a series of Christian divinatory lots (printed there as ⲕⲧⲟⲕ ⲉⲃⲟⲗ ⲉⲃⲟⲗ ϩⲛⲡⲉⲓϩⲱⲃ ⲡⲁⲓ), republished by A. Van lantschoot, “Une collection sahidique de ‘Sortes sanctorum’ (Papyrus Vatican copte 1)”, Le Muséon 69 (1956), pp. 35–52, at p. 47. A similar sort of text, published just recently, twice has the expression ⲕⲟⲧⲕ ⲉⲃⲟⲗ ⲛ-/ⲙⲙⲟ⸗ ‘turn away from …’ (A. luiJenDiJK, Forbidden Oracles? The Gospel of the Lots of Mary, Tübingen 2014, p. 121 [oracle 16; cf. the photograph on p. 155] and p. 142 [oracle 35]). 56. My attention was drawn to this example by D. W. younG, Coptic Manuscripts from the White Monastery: Works of Shenute, Vienna 1993, p. 76 n. 292; for Young’s translation, see p. 88: “those who through God indoctrinate them.” For ⲧⲥⲁⲃⲟ ⲛ-ⲉⲓⲁⲧ⸗ ⲉⲃⲟⲗ, see W. E. crum, Dictionary, p. 73b 14–11 up (“ShC 42 163” = codex GI).

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Not Really Non-Existent? A further difficulty with my wish for Zost. 117,13 (apart from the occurrence of but a single ⲁⲛ) is the problem of how to restore the lacuna at the beginning of the line. I too favor the restoration ⲛ]ⲉϥ, because without this ⲛ- of negation the expression is even more imprecise than I must already suppose it to be, if it is to be an expression of mode 3. The more appealing idea that I have to suggest for the first two letters lost in the lacuna is to supply a conjunction (ⲏ is the only more or less suitable conjunction for which there is space enough) followed by a circumstantial converter as the extension of the relative conversion in the preceding item 2 57: [ⲏ ⲉⲛ]ⲉϥ-. Well, we may always hope for the enlightenment that might come if someone should happen to discover the codex leaf that belongs immediately before the single papyrus leaf that is P.Bodm. XLIII, 58 for the recto of that missing preceding leaf may be predicted with reasonable confidence to contain text that is parallel to NHC VIII 116–117, including the list of the three “modes of non-being” (as John Turner has called them 59). It remains for me to say something about how I understand the two negative expressions in item 4. On the assumption that item 4 is equivalent to mode 4, I see two possible ways to understand it, depending on the function of the relative clause. If it is a defining relative, then the statement is simply somewhat repetitive—‘non-being, which does not exist at all’—the relative clause serving to underscore the contrast with item 3 (which is non-being that is only ‘relatively unreal’) and also to get the stative ϣⲟⲟⲡ into the expression along with the infinitive ϣⲱⲡⲉ. But I am inclined to understand the relative clause rather as a restrictive relative, in which case ⲡⲓⲁⲧϣⲱⲡⲉ can be understood as referring back to the preceding item (mode 3: οὐκ ὄν), while the relative clause adds (if I may paraphrase): ‘meant here is the non-being that does not exist at all, as distinct from the non-being (of mode 3) that also does not exist, but not really so (unlike mode 4).’ That said, my translation of Zost. 117,11b–15a would be (hypothetically): ‘and that [which] does not really exist, [and which] does not really (not) exist, [and the] non-existent that does not [exist] at all.’ Thus the list in Zost. 116,7– 117,15 ends with the modes of non-being not as a continuation of the list of contraries that begins in 117,1 (if not earlier), 60 but as a concluding summation

57. For the construction, see B. Layton, Coptic Grammar, p. 334 § 412(a) “circumstantial extension” of the relative conversion. My less appealing idea is a still more speculative [ⲡⲉⲛ]ⲉϥ-, a substantivized relative conversion of a negated second tense. 58. R. K asser – P. luisier, “P. Bodmer XLIII : un feuillet de Zostrien”, Le Muséon 120 (2007), pp. 251–272. 59. J. D. turner, “Commentary”, p. 632. 60. Hence I assume that the “enlightened darkness” in 117,10b–11a must really have been meant to be contrary to the “true light” in 117,10a, the two of them together being the final pair of contraries in the list (see above, at n. 29).

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Stephen Emmel of the three lower modes of being and non-being as such, listed in the order 2, 3, 4 at the end of the description of the Kalyptos Aeon (that which really exists, mode 1). Finally, as an aside, it is impossible for me to overlook here the correlation between the four patterns of focus and topic in relation to affirmation and negation (Polotsky’s sentences A, B, and C, quoted above, plus the pattern without any negation, which I will here label D) and the four Platonic modes of being. This correlation suggests itself not merely because we have to do in both cases with the set of four possible combinations of each of two elements with each of two other elements, but also because the elements that combine to make the four modes of being are two of them potential predicates/topics (affirmative and negative ὄν, participle of εἶναι, a verb), the other two potential focal points (affirmative and negative ὄντως, an adverb from the same participle): mode 1 ~ D, mode 2 ~ A, mode 3 ~ C, mode 4 ~ B. Note here Pierre Hadot’s characterization of the Platonic modes of being as presented by Proclus as being the result “d’une opération logique qui, partant du groupe ὄντως ὄν [our D] nierait tantôt le dictum ὄν [B], tantôt le modus ὄντως [A], tantôt les deux [C]”. 61 However, one should consider seriously also Ariel Shisha-Halevy’s question “whether the two cases of nexal [i.e., focalization nexus] and thematic [i.e., topic] negation are not just two particular cases in a series of possible incidence of the negator, of [multiple] different localizations of which one is nexal, another thematic”. 62 Just as there is more than one type of focalization, so too there is more than one type of negated focalization (for example, negating an adverbial adjunct, without also marking the topic in any special way). After all, human language is at least as complex as is the Neoplatonic scale of being and non-being.

61. P. h aDot, Porphyre et Victorinus, p. 150 (the result of a logical operation that, starting from the group ὄντως ὄν [D], negates first the dictum [statement, topic, predicate] ὄν [B], then the modus [manner, mode, adverb] ὄντως [A], then both [C]). 62. A. shisha-h aleVy, Coptic Grammatical Categories, p. 101 § 2.9.0.1.

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L’AVANT-DERNIER FEUILLET DE L’ÉVANGILE DE JUDAS, UNE RECONSTITUTION Gregor Wurst Faculté de théologie, Université d’Augsbourg [email protected]

Parmi les fragments inclus dans l’édition critique du codex Tchacos, le fragment C 3 1 s’insère parfaitement avec son côté → dans le texte de la page 55 du codex. Il nous donne la preuve que les reconstitutions du texte de cette page proposées jusqu’ici étaient plus ou moins correctes. Ce qui est clairement visible, ce sont les lettres ⲟⲩ dans une première ligne, ⲥⲱ dans une deuxième et ⲡ dans une troisième ligne, et ces lettres correspondent bien avec le texte suivant 2 : p. 55, 14 ⲙ̣ⲛ̣ⲛⲥⲱⲥ ⲇⲉ ⲁϥ̣[ⲥⲱⲃ]ⲉ ⲛϭⲓ ⲏⲥ 15 ⲡⲉϫⲁϥ ⲛ̣[ϭⲓ ]ⲟⲩ[ⲇⲁⲥ] ϫⲉ ⲡⲥⲁϩ 16 ⲉⲧⲃ[ⲉ ⲟⲩ ⲕ]ⲥⲱ[ⲃⲉ :] ⲁϥⲟⲩⲱ 17 ϣϥ ⲛ[ϭⲓ ⲏⲥ] ⲡ[ⲉϫⲁϥ ϫ]ⲉ ⲉⲉⲓⲥⲱ 18 ⲃⲉ ⲛ[ⲥⲱⲧ]ⲛ̣ ⲁ̣[ⲛ : ⲁⲗ]ⲗ̣ⲁ̣ [ⲛ]ⲥ̣ⲁ̣ ⲧ̣ⲉⲡ̣ⲗ̣ⲁ 19 ⲛⲏ̣ ⲛ̣ⲛ̣ⲥ̣ⲓ̣ⲟ̣ⲩ... p. 55, 14 Mais après cela, Jésus [sourit]. 15 Ju[das] a dit : Maître, 16 pour[quoi] te ris-[tu ? Jésus]

1.

2.

R. K asser – G. Wurst, et al., The Gospel of Judas together with the Letter of Peter to Philip, James, and a Book of Allogenes from Codex Tchacos. Critical Edition, Washington 2007, p. 285-286. Je remercie mes collègues berlinois Hans-Gebhard Bethge et UweKarsten Plisch, avec lesquels j’ai discuté en 2013 les restitutions proposées ici. Nous donnons le texte copte d’après l’édition de 2010 : H. K rosney – M. meyer – G. Wurst, « Preliminary Report on New Fragments from Codex Tchacos », dans Early Christianity 1 (2010), p. 282-294 (p. 292) ; pour la traduction française, cf. R. K asser – M. meyer – G. Wurst, L’Évangile de Judas du codex Tchacos, Paris 2006.

51

Gregor Wurst 17 a répondit et [il a dit] : Je ne souris 18 pas de [vou]s, [ma]is de l’égare19 ment des étoiles. …

Quant au texte exact, l’édition critique est donc à corriger 3, quant au contenu de ce passage, le fragment confirme le texte restitué jusqu’ici. Beaucoup plus intéressant est le verso de ce fragment, le côté ↑, qui nous offre la possibilité de restituer aussi le texte de la page 56, 14-17, c’est-à-dire, un passage clef de l’Évangile de Judas. Le texte se présente ainsi : p. 56, 4 ⲧ . [. . . . . . . .] . [. . . .] ϥ̣ⲛⲁ 5 ϥⲱ̣[ⲧ]ⲉ̣ ⲉⲃⲟⲗ ⲛⲧⲅⲉⲛⲉⲁ ⲧⲏⲣⲥ 6 ⲛⲁⲇ̣[ⲁ]ⲙ ⲡⲣⲙⲙⲕⲁϩ ⲡⲉⲧⲣ : 7 ⲫⲟ[ⲣⲉⲓ] ⲙⲙⲟ ⲣⲁⲥⲧⲉ ⲥⲉⲛⲁⲣ 8 ⲃⲁ̣[ⲥⲁⲛ]ⲓ̣ⲥⲉ ⲙⲙⲟϥ : ϩ̣ⲁ̣ⲙ̣ⲏ̣ⲛ 9 ϯ[ϫⲱ ⲙ]ⲙⲟⲥ ⲛⲏⲧⲛ ϫⲉ ⲙⲛ 10 ⲗ̣ⲁ̣ⲟⲩ̣[ⲉ ⲛ]ϭⲓϫ ⲛ̣[ⲣ]ⲱ̣ⲙⲉ ⲉ̣ϣ̣[ⲁ]ϥ 11 ⲙⲟⲩ [ⲛⲁⲣ ⲛ]ⲟ̣ⲃ̣ⲉ ⲉⲣⲟ : vacat 12 ⲁⲗⲏⲑⲱⲥ̣ [ϯϫ]ⲱ ⲙⲙⲟⲥ ⲛⲁⲕ’ ⲟⲩ 13 ⲇⲁ ϫⲉ ⲛ̣[ⲉⲧⲧ]ⲁⲗⲉ ⲑⲩⲥⲓⲁ ⲉ̣ϩ̣ⲣ̣ⲁ̣̣ 14 ⲛⲥⲁⲕⲗⲁ̣[ⲥ :] ⲉ̣ⲩ̣ⲉ̣[ϥⲟⲧ]ⲟⲩ ⲧⲏⲣⲟⲩ 15 ϫⲉ ⲛϩ[ⲉⲑⲛ]ⲟ̣ⲥ ⲧ[ⲏⲣⲟⲩ ⲉ]ⲧ̣ϩⲓ 16 ϫⲛ ⲡ[ⲕⲁϩ] ⲙ̣ⲛ [ⲛ(ⲉⲩ)(?)ⲅⲉⲛⲉⲁ] ⲧⲏ 17 ⲣⲟⲩ ⲛ̣[ⲉ]ⲩ̣[ⲡⲗⲁⲛⲁ : ⲛ]ⲥ̣ⲉ[ⲣ](?) 18 ϩⲱⲃ ⲛ̣ⲓⲙ ⲉ̣[ⲩ]ϩ̣ⲟⲟⲩ ⲛⲧⲟⲕ̣ 19 ⲇⲉ ⲕⲛⲁⲣ ϩⲟⲩⲟ ⲉⲣⲟⲟⲩ ⲧⲏ 20 ⲣⲟⲩ ⲡⲣⲱⲙⲉ ⲅⲁⲣ ⲉⲧⲣ ⲫⲟ 21 ⲣⲉⲓ ⲙⲙⲟⲉⲓ vac ⲕⲛⲁⲣ ⲑⲩⲥⲓⲁⲥⲉ 22 ⲙⲙⲟϥ … p. 56, 4 [- - -] il 5 effacera toute la génération 6 d’Adam, l’homme de terre. Celui, 7 qui me po[rte], sera [tor]turé 8 demain. Amen, 9 je vous [dis]: aucune 10 main d’un homme mortel 11 [péchera] contre moi. 12 En vérité, je te dis, Judas : 13 Ceux [qui] offrent des sacrifices 14 à Saklas, seront tous [effacés], 15 pour que tous les p[euples] sur 16 la [terre] avec toutes [leurs (?)générations]

3.

52

À la p. 55, 14 de l’édition critique (cf. n. 1) et à la p. 55, 16 de l’article de 2010 (cf. n. 2), le ⲛⲥⲱⲛ est à supprimer.

L’avant-dernier feuillet de l’Évangile de Judas 17 ne [tombent] pas [dans l’erreur] et n’[accom18 plissent] pas toute œuvre mauvaise. Mais 19 toi, tu les surpasseras 20 tous. Car l’homme qui 21 me porte, tu l’offri22 ras. …

Notes textuelles p. 56, 11 : À la place de la lecture [ⲛⲁⲣ ⲛ]ⲟ̣ⲃ̣ⲉ ⲉⲣⲟ « [péchera] contre moi » de l’auteur, Lance Jenott 4 et Peter Nagel 5 ont proposé de lire plutôt : [ⲛⲁϫ]ⲱ̣ⲃ̣ⲉ ⲉⲣⲟ « me [touchera] » ; paléographiquement, les deux restitutions sont possibles. p. 56, 14 : D’après la lecture du fragment C 3, la base de conjugaison du verbe ne peut être que la troisième personne du pluriel du futur énergique : ⲉ̣ⲩ̣ⲉ̣-. Quant à l’infinitif suivant, le verbe ⲙⲟ]ⲩ « mourir », proposé par l’auteur en 2010 6, semble trop court pour remplir la lacune. Peter Nagel a proposé, dans sa dernière édition de l’Évangile de Judas, ⲧⲁⲕⲟ]ⲟⲩ « détruire », ce qui reste une possibilité 7. Il est à noter que tous les auteurs supposent ici un verbe qui signifie avoir des conséquences mortelles pour le sujet 8. p. 56, 16 : [ⲛ(ⲉⲩ)(?)ⲅⲉⲛⲉⲁ] ⲧⲏ : paléographiquement, les deux restitutions, soit ⲛⲅⲉⲛⲉⲁ, soit ⲛⲉⲩⲅⲉⲛⲉⲁ, sont possibles. p. 56, 17: ⲛ̣[ⲉ]ⲩ̣- : c’est la lecture des traces la plus vraisemblable et, en conséquence, on doit identifier les traces à la fin de la ligne avec la base de conjugaison de la troisième personne du pluriel du subjonctif : ⲛ]ⲥ̣ⲉ-. Si c’est correct, il faut assumer à la fin de la ligne au moins une lettre palie, et la restitution de l’infinitif à l’état nominal du verbe ⲉⲓⲣⲉ semble s’imposer.

Quant à l’interprétation de ce passage de l’Évangile de Judas, le texte restitué ainsi nous dit tout d’abord, à la p. 56, 9-11, que Jésus est totalement étranger à la sphère d’ici-bas, la sphère de l’humanité. Aucun mortel ne peut le toucher ni lui faire du mal. Il est un être purement divin qui n’a aucun rapport avec ce monde d’ici-bas. L’affirmation à la fin du passage, que ce n’est que « l’homme qui porte » Jésus qui sera offert (p. 56, 20-22), correspond bien à cela.

4. 5. 6. 7. 8.

L. Jenott, The Gospel of Judas. Coptic Text, Translation, and Historical Interpretation of the ‘Betrayer’s Gospel’, Tübingen 2011, p. 182. P. naGel, Codex apocryphus gnosticus Novi Testamenti. Bd. 1. Evangelien und Apostelgeschichten aus den Schriften von Nag Hammadi und verwandten Kodizes. Koptisch und Deutsch, Tübingen 2014, p. 302. H. K rosney – M. meyer – G. Wurst, « Preliminary Report », p. 292, n. 18. P. naGel, Codex apocryphus, p. 302. À part les contributions mentionnées, cf. aussi G. SchenKe-roBinson, « An Update on the Gospel of Judas (after additional fragments resurfaced) », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 102 (2011), p. 110-129 (p. 127).

53

Gregor Wurst Deuxièmement, les adorateurs ou fidèles de Saklas « seront [effacés] » ou « [détruits] » ou « ils [mourront] » (p. 56, 14), c’est-à-dire, ils périront définitivement. Il est clair que pour l’auteur de l’Évangile de Judas les adorateurs de Saklas sont les représentants de l’Église catholique. Mais leur destin servira pour éviter que toute l’humanité ne s’égare totalement (p. 56, 15-18) – il existe donc, pour notre auteur apocryphe, une voie de salut au moins pour quelques hommes. Troisièmement, Judas « surpassera » les adorateurs de Saklas (p. 56, 19). Sur le plan grammatical, il est exclu que le point de référence de cette affirmation soit le sujet anticipé en clause relative de la phrase antérieure (« ceux qui offrent des sacrifices à Saklas »), mais ce n’est peut-être que le verbe principal de cette phrase : « ils seront [effacés] » ou « [détruits] » ou « ils [mourront] ». Et parce qu’il est sémantiquement exclu d’être plus « effacés »/« détruits » ou plus « mort » que quelqu’un d’autre, le verbe composé ⲣ ϩⲟⲩⲟ porte ici la notion positive de « surpasser 9 ». Ce que Judas fera, est manifestement opposé – voir aussi la particule adversative ⲇⲉ « mais » à la p. 56, 19 – à ce que font les adorateurs de Saklas.

9.

54

Cf. W. E. crum, A Coptic Dictionary, Oxford 1939, col. 737a : « be, have more, exceed », ce qui correspond au grec περισσεύειν.

Fig. 1. Codex Chacos p. 55 (reconstruction numérique)

Fig. 2. Codex Chacos p. 56 (reconstruction numérique)

LA PHILOSOPHIE DES SYSTÈMES GNOSTIQUES DES PREMIERS PRINCIPES Josep montserrat-torrents Universitat Autònoma de Barcelona [email protected]

Nos chers gnostiques étaient-ils des théologiens ou des philosophes ? Puisque l’historiographie des deux derniers siècles leur a octroyé soit un titre soit l’autre, posons-nous la question avec davantage de précision : étaient-ils des philosophes qui théologisaient ou des théologiens qui philosophaient ? La réponse la plus simple et à certains égards la plus valable serait qu’ils étaient à la fois des philosophes et des théologiens 1. Soit. Mais cette double attribution risque de passer à côté d’un trait fondamental de la théologie gnostique : elle n’est pas une théologie quelconque, mais une théologie essentiellement enracinée dans une révélation écrite. Et cette sorte d’artefacts conceptuels est d’une rare exigence, ils sont très peu portés à partager leur champ. La gnose chrétienne est une gnose du Livre. C’est l’exégèse (soit littérale, soit allégorique) du Livre qui est la clé de l’articulation des différents systèmes gnostiques. Les apports philosophiques, même quand ils sont considérables, se greffent dans un ensemble doctrinal étranger aux philosophies de l’époque. Il reste, cependant, que les gnostiques ont été les premiers penseurs chrétiens à essayer d’expliquer les croyances de la révélation chrétienne par le moyen de notions empruntées à la philosophie grecque, sans, pourtant, que les emprunts constituent un ensemble systématique. Ils y font figure de membra disiecta. L’objet de cet article est d’examiner quels membra ont contribué à la formation des divers systèmes protologiques de la gnose ancienne.

1.

« Ma pur non essendo né del tutto una filosofia né del tutto una religione, lo gnosticismo insiste in quello spazio in cui pensiero filosofico e pensiero religioso sono strettamente intrecciati l’uno con l’altro » : A. maGris, La logica del pensiero gnostico, Brescia 1977, p. 10.

57

Josep Montserrat-Torrents Cosmologie et économie Les systèmes des premiers principes 2 de la philosophie grecque relevaient de la cosmologie. Leur but consistait dans l’explication de l’origine et de la constitution de l’univers. L’essence humaine s’accommodait tant bien que mal dans ces systèmes, mais à la fin on parvint à lui faire une place, pas toujours la même. Les dieux de la religion, eux, n’y étaient pour rien. Les premiers principes du platonisme post-platonicien (moyen platonisme et néoplatonisme) étaient des sujets vivants, non des simples principes de la connaissance comme dans l’épistémologie de Platon. Leurs interrelations étaient éternelles et nécessaires, de même que leurs relations avec le monde. La croyance chrétienne introduit dans cet univers paisible la notion de libre volonté ou volonté gracieuse 3. Le Premier principe pose un acte volontaire et libre : il décide de se communiquer. Cet acte déclenche un procès, une histoire, qui commence en dehors du temps mais qui débouche sur le temps. La tradition chrétienne l’a nommé une « économie ». L’introduction de la notion de libre volonté du Premier principe et, par la suite, la conception d’un procès qui traverse les autres principes jusqu’au monde et l’homme, pose le besoin d’une analyse de l’essence de ce Premier principe qui donne raison du procès. Les premiers penseurs chrétiens qui se proposèrent d’avoir recours à la philosophie grecque pour expliquer cette conception d’un Dieu-qui-a-un-projet furent les gnostiques. Sur l’échafaudage des premiers principes platoniciens, ils construisirent un système qui, en reprenant les termes et les figures des Écritures, décrivait avec minutie et précision les stages de l’économie. Dans chaque stade, les fonctions relationnelles y sont parfaitement définies; c’est cette fonctionnalité qui compte, et non les noms plus ou moins philosophiques ou mythiques avec lesquels les sujets sont exprimés. L’approche cosmologique Pour tous, platoniciens, chrétiens et gnostiques, les premiers principes sont la cause (formelle ou efficiente) du monde. L’analyse de cette causalité fournit la base commune de tous les systèmes. Dans le tableau I, j’emploie le terme « producteur » à la place de « principe », parce que ce dernier manque en français (et en latin) de participe passif (principié*, principiatum).

2. 3.

58

Le pluriel générique « premiers principes » est d’usage commun, même s’il véhicule une certaine équivoque en tant que le seul vraiment premier est seulement le premier de la série. J’emploierai la minuscule pour le pluriel et la majuscule pour le singulier. « Il possède sa puissance qui est sa volonté » : Tractatus Tripartitus, NH I, 5, p. 55, 34-35.

Systèmes gnostiques des premiers principes Procédons à une classification par termes contradictoires, typiquement aristotélicienne, des systèmes cosmologiques philosophiques : Producteur - non-producteur Produit - non-produit. Tableau 1 :

non-produit

produit

non-producteur

producteur

Purusha (Samkya) Ø Ø Ø éléments (Samkya) monde platonicien monde néoplatonicien monde médio-platonicien

Prakriti (Samkya) Un platonicien Un néoplatonicien Noûs médio-platonicien Budhi et Manas (Samkya) Noûs et Âme platoniciens Noûs et Âme néoplatonicienne Âme médio-platonicienne

Le seul système connu qui pose un quid qui n’est ni produit ni producteur est le Samkya indien : La nature originelle (Prakriti) n’est pas un produit. Les sept dont le premier est le grand (Budhi) sont produits et producteurs. La série des seize (éléments) n’est qu’un produit. Ni producteur ni produit, tel est le Purusha. (Samkya Karika 3).

Dans les philosophies occidentales, il n’y a que des aperçus d’un quid qui n’est ni produit ni producteur. Le texte le plus explicite se trouve chez le néoplatonicien Damascius, qui cependant ne développe pas cette intuition dans la suite de son système 4.

4.

« Notre âme pressent ainsi, par une sorte de divination, que du tout, de quelque manière que l’on l’entende, il y a un principe qui est au-delà de tout, non-coordonné au tout. Celui-là ne doit donc même pas être appelé principe, ni cause, ni premier, ni antérieur à tout, ni au-delà de tout » : Damascius, Des premiers principes, 4, éd. L. G. WesterinK, dans Damascius, Traité des premiers principes, texte établi, introduction et notes par L. G. WesterinK, traduction par J. comBès. « Ce qui est transcendant transcende toujours quelque chose, et n’est pas absolument transcendant, puisque ce qui est transcendant a relation à cela même qu’il transcende » : Ibid. 15.

59

Josep Montserrat-Torrents Chez les valentiniens, le Premier principe a un moment (disposition, διάθεσις) pré-principiel (προαρχή) 5. De son côté, Basilide s’évertue à décrire un Dieu qui n’est pas un être 6. Dans la suite de leurs systèmes, cependant, ces figures deviennent bel et bien productrices. Le tableau I permet d’élucider la notion « premier » de la dénotation Premier principe. Nous constatons, en effet, que des principes ontologiquement différents comme l’Un néoplatonicien et le Noûs médioplatonicien deviennent l’un et l’autre Premiers principes. La notion « premier » est donc purement logique : elle n’indique rien d’autre que la place qu’occupe une figure dans une série donnée. Elle n’est pas un prédicat ontologique. Une série de prédicats qui sont le couronnement de la théologie apophatique négative relève de la simple analyse logique de la notion de « premier » : inengendré (ἀγέννητος), indéfinissable ou illimité (ἀόριστος, ἄπειρος), immense, incommensurable (ἀμέτρητος), innommable, ineffable, indicible (ἄρρητος), etc. La raison est toujours la même: étant le premier, il n’y a rien avant lui pour le déterminer. L’auteur de l’Apocryphon de Jean l’a très bien compris : Il est illimité, car nul n’existe avant lui pour le limiter. Il est indistinct, car nul n’existe avant lui pour lui imposer une distinction. Il est incommensurable, car personne d’autre n’existe avant lui pour le mesurer. Il est invisible, car nul ne l’a vu, lui, cet éternel toujours existant. Il est l’indicible, car nul n’existe qui l’appréhende de façon à le dire. Il est l’innommable, car il n’est personne qui existe avant lui pour le nommer (Codex de Berlin 23, 8-17).

Tous ces prédicats peuvent être attribués au premier de n’importe quelle série. Dans les systèmes qui nous occupent, ils sont attribués tant à l’Un néoplatonicien qu’au Noûs médioplatonicien. Ils n’apportent aucune dénotation ontologique. Le manque d’attention pour ces précisions a entraîné chez nombre d’auteurs des équivoques ; nous y reviendrons. Les principes intellectuels Le tableau I nous a permis de distinguer les premiers principes eu égard aux attributs de producteur ou non-producteur, mais, en dehors de cette importante distinction, la systématisation n’apporte pas davantage d’informations. L’élucidation de la fonction cosmologique des premiers principes exige l’apport de nouvelles déterminations. Les plus explicites sont l’essence intellectuelle et le contact avec le monde, ce qui donne lieu à la classification suivante, avec des termes contradictoires : 5. 6.

60

Irénée, Adversus Haereses I, 1, 1 ; II, 28, 3. Hippolyte, Refutatio VII, 20, 2.

Systèmes gnostiques des premiers principes Intellectuel - non-intellectuel Contact - non-contact (scilicet avec le monde) 7. Tableau 2 :

non-contact

contact

non-intellectuel

intellectuel

Un platonicien Un néoplatonicien Ø (démiurge)

Noûs platonicien Noûs néoplatonicien Noûs médioplatonicien Âme platonicienne Âme néoplatonicienne Âme médioplatonicienne

Le tableau II exprime clairement la division des systèmes protologiques philosophiques en deux modalités : 1) les systèmes à trois principes (triadiques) : platonisme et néoplatonisme ; 2) les systèmes à deux principes (dyadiques) : les divers médioplatonismes. Effectivement, le carré « non-intellectuel - non-contact » est une classe vide dans le platonisme moyen. Le tableau II introduit la détermination « contact - non-contact » qui permet de différencier les deux figures qui se partageaient le carreau « produit et producteur » du tableau I, le Noûs et l’Âme. Effectivement, le Noûs platonicien et néoplatonicien est sans contact avec le monde, tandis que l’Âme platonicienne et néoplatonicienne est en contact. Le démiurge reste en dehors du système des premiers principes. Il est en fait une cause efficiente faufilée dans un système de causes formelles. Cela n’empêche que sous l’influence littéraire du Timée, les textes parlent d’une certaine démiurgie des premiers principes. Les systèmes de premiers principes dans la gnose La gnose classique emprunta à la philosophie grecque le schéma des relations des premiers principes, en l’adaptant aux données primordiales de la révélation. Il est dès lors aisé de surimposer les dénominations théologiques aux tableaux philosophiques. Nous limiterons l’enquête au Nouveau Testament, aux valentiniens, à Origène et aux écoles du livre V de la Refutatio d’Hippolyte.

7.

« [Le Dieu Second] entre en contact (ἅπτεται) avec le sensible » : Numénius, Frag. 11, éd. É. Des places, dans Numénius, Fragments, texte établi et traduit par É. Des places, Paris 1973.

61

Josep Montserrat-Torrents

Tableau 3 :

non-contact

contact

non-intellectuel

intellectuel

Ø NT Bythos valentinien Ø Refutatio V Ø Origène Un néoplatonicien Ø NT démiurge valentinien Ø Refutatio V Ø Origène Ø néoplatonicien

Père NT Noûs valentinien Père Refutatio V Père Origène Noûs néoplatonicien Fils NT Sophia valentinienne Fils Refutatio V Fils Origène Âme néoplatonicienne

La considération d’ensemble des trois tableaux configure la liste suivante des principes subsistants : a) Platonisme, néoplatonisme et valentiniens (systèmes triadiques) : Premier principe :

Second principe :

Troisième principe :

non-produit producteur non-intellectuel non-contact produit producteur intellectuel non-contact produit producteur intellectuel contact

b) Nouveau Testament, Refutatio V, Origène (systèmes dyadiques) : Premier principe :

Second principe :

62

non-produit producteur intellectuel non-contact produit producteur intellectuel contact

Systèmes gnostiques des premiers principes Il en ressort donc que les termes « premier » et « second » sont analogiques, avec une analogie de proportionnalité, fâcheusement proche de l’équivocité. Dans le thème du Premier principe, le risque de glissement augmente à cause de la frondaison des attributs apophatiques négatifs qui découlent de la seule analyse logique du concept «premier», comme je l’ai déjà signalé. Voici un exemple d’usage équivoque de ces termes chez Henri Crouzel : Les deux premières parties de ce livre compareront donc l’Un-Bien plotinien au Père origénien, puis l’Intelligence plotinienne au Fils origénien, abstraction faite de l’Incarnation 8.

Il s’agit, bien sûr, d’une démarche comparative, donc logique. Dès lors, on ne peut pas parler d’erreur dans les prises de position de Crouzel, mais seulement d’inadéquation logique. En effet, il suffit un coup d’œil aux tableaux de mon exposé pour vérifier que l’Un plotinien se trouve dans le carreau « non-intellectuel – non-contact », comme le Bythos valentinien, tandis que le Père origénien se trouve dans le carreau « intellectuel – non-contact », comme le Noûs valentinien. Les attributs communs de l’Un plotinien et du Père origénien découlent d’une analyse logique du concept de « premier » ; ils n’ont pas de portée ontologique. En revanche, l’attribut de l’intelligence est bien réel, il fait du Noûs plotinien et du Père origénien des subsistants possédant des idées dans l’état d’« uni-multiplicité » (ἕν καὶ πολλά) 9. Du platonisme au néoplatonisme Sous l’enseigne (aujourd’hui on dirait la marque) de Platon se sont développés des systèmes philosophiques tout à fait différents. Ces transformations du platonisme peuvent être réduites à cinq opérations logico-métaphysiques fondamentales. Voici la description que j’en ai donnée dans un article paru en 1987 10 :

H. crouzel, Origène et Plotin, comparaisons doctrinales, Paris 1991, p. 16. Crouzel reconnaît certes « des points importants de différence » entre Plotin et Origène (ibid., p. 38 et 56), mais il ne tire de ce constat la conséquence qu’il s’agit en fait de figures d’un niveau différent. Le passage suivant est aussi équivoque : « Puisque le Père origénien est comme l’un plotinien le créateur des idées et raisons que se trouvent dans le Fils, Monde intelligible […] » (ibid., p. 80). Un spécialiste de Plotin ne dirait jamais que l’Un est le « créateur » des idées du Noûs, mais seulement leur principe unificateur. 10. J. montserrat, « Platos’s Philosophy of Science and the Trinitarian Theology », dans E. A. liVinGstone (éd.), Studia Patristica XX. Papers presented to the Tenth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 1987. Critica, Classica, Orientalia, Ascetica, Liturgica, Louvain 1989, p. 102-118. Voir aussi J. montserrat, Las transformaciones del platonismo, Barcelone 1987. 8. 9.

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Josep Montserrat-Torrents The first and second logico-metaphysical operations affect the whole system. The first can be summarized as the transfer from object to subject. The Platonic principles, intended as the epistemological foundation of objective scientific knowledge, become knowing subjects, conscious living beings. The second operation can be designated genetic inversion. Platonic principles were established as the result of an analysis of sensible individuals and related ideas, a procedure that starts from the ‘below’ an moves to the ‘above’. By the genetic inversion the process reverses itself and takes as its beginning the First, proceeding from above to below, thereby giving rise to a myriad of problems about the procedure of this newly discovered transcendental generation. The third operation I shall summarize as ellipsis of the First. In some authors is no place for a principle beyond intellect and being. The fourth operation is a sequel of the third. Owing to the whithdrawal of the First, the Second assumes some of the transcendental attributes of the former. This process we could designate raising of the Second. The fifth operation is the splitting of the Third. The third principle is burdened with too many functions in its transformation into a conscious subject and by the raising of the Second. So its entity tends to duplicate into an Upper principle belonging to the realm of intellect, and a Lower, nature-informig one.

La prise en considération de ces lois de développement en plus des schémas différentiels des tableaux I-III devrait amener à une exposition des diverses doctrines et écoles sans risque d’équivoques. La catégorie historiographique de « moyen platonisme » a été introduite dans le premier tiers du xxe siècle pour parer à une plus précise description des courants philosophiques d’inspiration platonicienne entre Platon et Plotin 11. L’usage de cette catégorie devrait permettre une meilleure compréhension de la pensée des auteurs gnostiques des iie et iiie siècles, pourvu qu’on maintienne la distinction fondamentale entre les systèmes dyadiques et les systèmes triadiques, ce qui n’est pas toujours le cas. La fonction limite Les principes divins chrétiens et gnostiques sont des réalités subsistantes placées dans une échelle descendante. Suite à l’opération de la genetic inversion, la question se pose du mode de dérivation (descensus in inferiora). Les trois principes de Platon étaient simplement les fondements idéaux de la

11. L’ouvrage le plus ancien cité dans les bibliographies est r. e. Witt, Albinus and the History of Middle Platonism, Cambridge 1937. Le principal manuel scolaire est devenu J. Dillon, The Middle Platonists, Londres 1977. Curieusement, l’un des historiens les plus avisés du moyen platonisme en esquive la dénomination : p. merlan, « The later Academy and Platonism », dans The Cambridge History of later Greek and early medieval Philosophy, Cambridge 1979 ; iD., From Platonism to Neoplatonism, La Haye 1953, 1960, 1975.

64

Systèmes gnostiques des premiers principes connaissance scientifique. Ils étaient les éléments d’un procès logique qui partait de l’expérience sensible pour s’élever aux idées 12. Inutile, donc, de chercher dans Platon des modèles de procession. La spéculation du judaïsme tardif vint à la rescousse. La littérature sapientiale connaissait la figure de la Sagesse divine participant à la création du monde : « Dieu m’a créée au début de ses chemins » (Proverbes 8, 22). « Créée », ἔκτισε, est un mot fort qui ne peut pas ne pas évoquer une distance entre créateur et créé. Et encore : Mais que serait cette habitation sinon le Logos antérieur à tous les êtres qui ont reçu l’existence et le devenir, le Logos dont le pilote de l’univers s’est emparé comme d’un timon pour gouverner le tout : quand il façonnait le monde, il en avait fait son instrument pour assurer l’irréprochable cohésion de son œuvre. (Philon, De Migratione 6).

Le timon et l’instrument, sont par définition extérieurs à l’agent. La voie semblerait ouverte, donc, vers une doctrine de deux principes divins. Mais cela n’a été nullement le cas. Au-delà de la teneur des métaphores, les figures adjointes rentraient dans la catégorie de la disposition (διάθεσις), loin d’entamer le dogme strict de l’unicité divine 13. Forts de la panoplie terminologique du judaïsme tardif, penchons-nous sur les textes gnostiques. Le descensus in inferiora y est émaillé d’un foisonnement de termes : génération, émission, déposition, etc. On serait tenté de leur appliquer la règle de la διάθεσις et de n’y voir que des expressions métaphoriques. Il s’agirait de systèmes inserés dans la mouvance du modalisme. Tel serait le cas, par exemple, de la protologie de l’Apocryphon de Jean : « Et son Ennoia devint une œuvre, se manifesta et se tint devant lui (ⲁϩⲉⲣⲁⲧ) dans le flamboiement de la lumière » (Codex de Berlin 27, 5-7). Le mot ⲁϩⲉⲣⲁⲧ est un terme fort, comme l’ἔκτισε de Proverbes. La question peut se poser, dès lors, du caractère modaliste de la doctrine des premiers principes de la gnose séthienne. Il s’agirait d’une entreprise doctrinale orientée à la préservation du strict monothéisme juif dans le développement de la croyance trinitaire chrétienne. Cette interprétation pourrait s’étendre à d’autres systèmes qui enseignent un descensus in inferiora. Or, le système valentinien échappe avec limpidité à ce soupçon de modalisme. En effet, lui seul introduit le concept de la Limite, qui dissipe toute ambigüité à cet égard.

12. Les platoniciens, selon Aristote, ἐκ τούτων ἐπ᾽ ἐκεῖνα προῆλθον (Metaphysica I, 9, 990b). 13. La polémique sur « les deux pouvoirs dans le ciel » de l’époque talmudique portait sur le gouvernement du monde, pas sur l’essence divine.

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Josep Montserrat-Torrents Limite, ὅρος, Horos, est un terme absent dans la littérature néotestamentaire 14. Dans la logique d’Aristote il signifie la définition, qui est l’intersection conceptuelle d’un genre prochain et d’une différence spécifique. L’Horos délimite les concepts et aussi les individus (indivisum in se et divisum a quolibet alio). L’usage des valentiniens rejoint la signification philosophique du terme. L’Horos valentinien définit les trois premiers principes, qui deviennent dès lors des individus ontologiquement délimités : Le Père alors, par l’intermédiaire du Monogène, émit en surplus la Limite (Irénée, Adversus Haereses, I, 2, 4). De même encore, à propos de leur Limite, qu’ils appellent aussi de plusieurs autres noms, ils exposent qu’elle a deux activités (ἐνεργεία), l’une qui consolide, l’autre qui sépare (μεριστική). En tant qu’elle consolide et affermit, elle est la croix ; en tant qu’elle sépare et délimite (μερίζει καὶ διορίζει) elle est la Limite (Ibid., I, 3, 5). Valentin pose deux Limites : l’une, située entre l’Abîme et le restant du Plérôme, sépare (διορίζοντα) les éons engendrés du Père inengendré, tandis que l’autre sépare leur Mère du Plérôme. (Ibid., I, 11, 1).

L’introduction de l’Horos dans la spéculation sur les premiers principes élimine radicalement le danger du modalisme. La voie reste dès lors ouverte à la théologie trinitaire avec ses « hypostases » et ses « personnes », termes jugés moins fantaisistes que les éons valentiniens mais qui en définitive n’en disent pas davantage sur le mystère insondable.

14. Dans son sens matériel de « borne », ὅρος apparaît trois fois dans la LXX.

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EL SOBRE LOS PRINCIPIOS DE ORÍGENES Y EL TRATADO TRIPARTITO (NHC I, 5) RECONSIDERADOS Francisco García Bazán CONICET-ANCBA – Buenos Aires [email protected]

Introducción Desde el seminario del curso 1991-1992 de la École pratique des hautes études « Gnose et manichéisme », el profesor Jean-Daniel Dubois se ha venido ocupando del NHC I, perteneciente en la totalidad de sus cinco escritos individuales al gnosticismo valentiniano. En el primer curso anual investigó la hoja volante que en su ordenación actual abre el Códice con el título de La oración del apóstol Pablo. En el transcurso del año lectivo 1992-1993 llevó a cabo la presentación de conjunto de las tres partes en que se encuentra internamente distribuido el extenso y último de los cinco escritos que componen el Códice I de la biblioteca de Nag Hammadi, carente de título, aunque fue la indicada característica divisoria interna la que permitió a sus primeros editores asignarle el título convencional de Tractatus tripartitus, confirmando sus tres partes internas fácilmente discernibles. Sobre “las realidades eminentes” (51,1-104,3): el Padre, el Hijo y la Iglesia; sobre “la creación del hombre” (104,4-108,12) y sobre “los tres géneros” o “tres categorías humanas” (108,13-138,27), y ofrecer los planteamientos más problemáticos sobre esta gran disertación metafísica encontrada entre los textos de Nag Hammadi. Paralelamente en la contribución acerca de « Los títulos del Codex (Jung) de Nag Hammadi 1 », después de haberse examinado los temas propios de cada uno de los escritos individuales del códice (Oración de Pablo, Carta esotérica

1.

Publicada en M. tarDieu (dir.), La Formation des canons scripturaires, Paris 1993, p. 219235 (p. 233-235).

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Francisco García Bazán de Santiago, Evangelio de la Verdad, Carta a Regino sobre la resurrección y Tratado tripartito), se introdujo el estudioso en la problemática de los títulos o ausencia expresa de ellos en cada uno de los escritos y planteó las observaciones más complejas que ofrece el códice en relación, como hemos aludido, a la falta de títulos de tres de estos escritos (Carta esotérica de Santiago, Evangelio de la Verdad y Tratado tripartito). La omisión de títulos se atribuye a una estrategia del uso del anonimato en momentos de riesgo religioso para llegar mejor a los posibles beneficiarios de la lectura de los escritos. En el año siguiente (1995) publica el catedrático galo en la colección de estudios editada por Alain Le Boulluec con el título de La Controverse religieuse et ses formes, un trabajo bien circunscrito en relación con el estudio que abordamos: « Le Traité Tripartite (Nag Hammadi I,5) et l’histoire de l’école valentinienne 2 ». En este estudio con el fin de exponer un punto de vista diverso en la concepción antropológica de autores valentinianos, se lleva a cabo la exposición tomando por punto de partida el Tratado tripartito, se enumeran los trabajos que han expuesto el escrito desde sus primer estudio, Henri-Charles Puech y Gilles Quispel (1955), en adelante, y cuanto proponen sobre su naturaleza valentiniana sus primeras ediciones críticas 3. Admitiéndose con Tertuliano (Adversus valentinianos IV, 1-3 y XI, 2) que los heresiólogos han denunciado diferencias doctrinales entre los heresiarcas para mejor combatir sus errores, el ínterés fundamental del intérprete se detiene en prestar atención a las tesis de los críticos mencionados sobre la tricotomía antropológica valentiniana de pneumáticos, psíquicos e hílicos, cuestión primordial para el autor, puesto que se trata de una lectura que el examen del Tratado tripartito anticipa insuficiente y que, además, complica la interpretación de la noticia de Hipólito de Roma entre valentinianos de la Escuela Oriental (Jesucristo nacido de María asumió un cuerpo pneumático) y valentinianos de la Escuela Occidental o Itálica (Jesucristo nacido de María asumió un cuerpo psíquico). Razonablemente las concepciones antropológicas entre continuadores de Valentín occidentales y orientales difieren: los primeros afirmando una antropología esencialmente pneumático-psíquica y los segundos, esencialmente pneumática. A la vista de ésta y parejas diferencias la historia de la Escuela valentiniana exige ser examinada estrechamente en su desarrollo y si es necesario revisarla (p. 158-159). El artículo « La ritualisation de la repentance dans les écrits gnostiques valentiniens 4 »,

2. 3. 4.

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J.-D. DuBois, « Le Traité Tripartite (Nag Hammadi I,5) et l’histoire de l’école valentinienne », dans A. le Boulluec (dir.), La Controverse religieuse et ses formes, Paris 1995, p. 151-164. La editio prínceps: Tractatus Tripartitus I-II, 1973-1975; la inglesa: H. W. attriDGe – e. paGels, The Tractate Tripartite I, 5, t. I-II, 1985; y la editada en lengua francesa, E. thomassen – l. painchauD, Le Traité tripartite (NH I, 5), Québec-Louvain-Paris 1989. Editado en a. charles-saGet (dir.), Retour, repentir et constitution de soi, Paris 1998, p. 67-73.

El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito profundiza la misma línea de investigación en torno a la historia de la escuela valentiniana con apoyo en el Tratado tripartito en relación con el rito de la redención vinculado hacia el doble concepto de conversión/arrepentimiento, giro hacia sí mismo y lamentación con el Pleroma del desvío de lo que se es, materializado en el rito comunitario pertinente. De este modo se llega a una maduración de los materiales examinados hasta ahora, que permite publicar de inmediato un artículo muy próximo por su título al que hemos redactado para el presente homenaje académico a Jean-Daniel Dubois: « Le “Traité des Principes” d’Origène et le “Traité Tripartite” valentinien : une lecture comparée de leurs prologues 5 ». En este trabajo soslayado en general por los especialistas en el De principiis origeniano, el redactor pone claramente de relieve varias ideas orientadoras: el contexto intelectual común en el que se redactan ambos tratados, la intención de Orígenes de restarle gravitación actual al desafío doctrinal de las ideas valentinianas y el esfuerzo preciso y sistemático de comparar el esquema común de ideas detectable en la redacción de los Prólogos de ambos escritos. Frente a las disidencias sobre la datación relativa de ambas obras J.-D. Dubois opta en la ocasión por considerar anterior la producción del Tratado tripartito. La solución, sin embargo, es una cuestión capital en la que disentimos con el colega homenajeado, aunque con el correr del tiempo él mismo la ha ido modificando hasta quedar sumergida esta propuesta en el ámbito de la duda. Esta actitud de sincera apertura intelectual junto con los sucesivos y finos análisis del estudioso francés sobre la temática, nos han sido esenciales para poder avanzar en los estudios frente a la proliferación de otras interpretaciones. Durante los dos años lectivos (1998-2000) al examinarse durante los cursos las p. 76 a 87 del manuscrito se descubren las notas intrínsecas que implica el reemplazo de la narración valentiniana de la figura preferentemente mítica de Sofía por la filosófica del Logos en relación con el contexto filosófico de los platónicos medios, se explicitan asimismo las consecuencias de la “caída” del Logos y de los momentos de su enderezamiento como conversión y arrepentimiento – una temática ya examinada en el artículo publicado en la compilación acerca del “arrepentimiento” a cargo de Annick Charles-Saget en sus implicaciones rituales como hemos aludido, y se analiza el estado de enfermedad y angustia del Logos antes de la conversión. La parte final dedicada extensa y analíticamente a la conversión del Logos (81-87) se ha estudiado en paralelo con el mismo episodio atribuido a la figura de Sofía en otras versiones valentinianas transmitidas por los heresiólogos. Se subraya el hincapié puesto en la acción colectiva de los Eones, la distinción entre los productos del Logos como “imágenes” y “semejanzas”, inferiores éstas a las

5.

J.-D. DuBois, « Le Traité des Principes d’Origène et le Traité Tripartite valentinien : une lecture comparée de leurs prologues », en J.-D. DuBois – B. roussel (dir.), Entrer en matière. Les prologues, Paris 1998, p. 53-63.

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Francisco García Bazán primeras, ya que se trata de categorías psíquicas e hílicas, respectivamente, que se mantienen en conflicto entre sí durante el tiempo histórico 6. Esta suma de aportes mencionados se encuentra con su inventario y su balance tentativos en la presentación que en agosto de 2001 se lleva a cabo en el Octavo Congreso Internacional de Orígenes en Pisa, bajo el sugestivo título de « Le Traité Tripartite (Nag Hammadi I, 5) est-il antérieur à Origène 7 ? ». En este artículo se describe el estado actual de los estudios sobre el Tratado tripartito, las principales hipótesis sobre su contenido y elementos, agregándose a las ediciones anteriormente tratadas, las hipótesis provenientes del ámbito de las lenguas italiana (Manlio Simonetti y Alberto Camplani) y española (Francisco García Bazán). Además frente a la postura ante el género especulativo del escrito estrechamente teológico para la interpretación de los exégetas desde la editio princeps hasta la edición americana y los estudios italianos posteriores, la edición canadiense y española hacen hincapié, por el contrario, en el género gravitantemente filosófico del escrito; el autor también se inclina y siente simpatía científica por esta interpretación. Respecto, sin embargo, de la cronología oscilante dentro del siglo iii, Einar Thomassen la coloca después del 250 con bastante posterioridad a como la consideraban los colaboradores de la editio princeps al considerar el tratado como un escrito del valentiniano occidental Heracleón. Es sumamente relevante en esta ponencia que el autor no sólo haga un balance exhaustivo de la literatura científica sobre el Tratado tripartito, sino asimismo que haga hincapié en su naturaleza filosófica antes que teológica y de este modo libere a la producción de los gnósticos del marco uniforme de la sola historia de la Iglesia captando en los autores gnósticos valentinianos una naturaleza intelectual que escapa del simple marco de la historia eclesiástica y, por lo tanto, de la marca exclusiva de la interpretación heresiológica, afirmando su parentesco intrínseco con la filosofía. Una originalidad o remedo tóxico, por otra parte recordamos, que ya le habían adjudicado con tanta firmeza como suspicacia Hipólito de Roma (Refutatio omnium haeresium VI, 21-37) y sucintamente Tertuliano (Adversus valentinianos IV, 2; De anima XVIII, 3-4, XXIII, 4) e Ireneo de Lión (Adversus Haereses I y II, prólogos), aunque siempre en su carácter de fuente de corrupción doctrinal. En la ponencia sobre “Études gnostiques” dentro de “Bilans et perspectives 20002004” con el que expuso como Presidente del Huitième congrès International

6.

7.

70

Cf. J.-D. DuBois, « Gnose et manichéisme. I. Histoire des gnostiques valentiniens », en Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses Résumé des conférences et travaux 107 (1998-1999), p. 293-297; 108 (1999-2000), p. 301303 y 110 (2001-2002), respectivamente. En el último curso se sigue rechazando explícitamente la datación del Tratado tripartito en fechas tardías del siglo III frente a F. García Bazán y A. camplani. Posteriormente publicado en L. perrone – P. BernarDino – D. m archini (dir.), Origeniana Octava. Origen and the Alexandrian Tradition. Papers of the 8th International Origen Congress Pisa, 27-31 August 2001, t. I, Louvain 2003, p. 303-316.

El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito d’études coptes (Paris 2004), destacó con especial cuidado y originalidad de enfoque la producción del cuatrienio en la que progresivamente se ampliaban los estudios sobre la naturaleza filosófica de los escritos gnósticos, tanto valentinianos como setianos 8. Con estos elementos de interpretación registrados y reunidos es posible recordar el énfasis y esfuerzo intelectual puesto por nuestro homenajeado durante la última decena de años en escudriñar la naturaleza propia y forma de composición de la tricotomía – pneûma-psykhésôma – antropológica y soteriológica valentiniana, con la nueva perspectiva de interpretación que puede justificar el Tratado tripartito y llamativamente la parte final de la redacción del documento en el contexto de la historia del valentinismo. La investigación a fondo sobre las fuentes directas e indirectas de las que en la actualidad se dispone para volcarse sistemáticamente, aunque con interrupciones, en la prolongación del comentario al Tratado tripartito: 113,1-114,17 (2004-2005); 114,31-117,39 (2005-2006); 123,15-132,30 (20092010); 132,30-138,25 (2010-2011), se ha proseguido por una prolongada temporada en los cursos de la École pratique des hautes études. El De principiis de Orígenes y el Tratado tripartito La recapitulación y conclusión de la presentación del De principiis de Orígenes cierra la anterior exposición y abre el nuevo tema en relación con los seres dotados de razón con las siguientes palabras: Después de esta exposición acerca del Padre, del Hijo y del Espíritu Santo que hemos ordenado (digessimus) lo más brevemente posible según nuestra capacidad, corresponde explicarse un poco también acerca de las naturalezas razonables (rationabilibus), de sus especies y órdenes o funciones, tanto de las potencias santas como de las malignas, y también de aquellas que estando entre éstas, es decir, entre las buenas y las malas, están de algún modo en el medio y todavía permanecen en la lucha y el combate. Intentaremos discutir la variedad de nombres que encontramos en las Sagradas Escrituras para ciertos órdenes y funciones, tanto de las [potencias] santas como también de las contrarias, qué orden de prioridad debe proponerse entre los nombres y, después, intentaremos en la medida de nuestras fuerzas discutir qué alcance tiene el significado de estos nombres (I,5,1).

Se puede observar que el estilo de estas afirmaciones recapitulativas representan una formulación de orden invertido en cotejo con el inicio del Tratado tripartito:

8.

Cf. A. BouD’hors – D. Vaillancourt (dir.), Huitième congrès international d’études coptes (Paris 2004), t. I, Bilans et perspectives 2000-2004, París 2006, p. 151-171, esp. p. 159-160.

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Francisco García Bazán En cuanto a lo que nos sea posible decir sobre las realidades que son eminentes [es decir, el Padre, el Hijo y la Iglesia o Madre], es conveniente que comencemos con el Padre que efectivamente es la Raíz del Todo, de quien hemos recibido el don para hablar sobre él. Él existía antes de que nada diferente de él existiera 9.

Es decir que por donde el autor gnóstico comienza a presentar su propia exposición, Sobre los principios propiamente dichos como síntesis y contrarréplica de su propia visión cristiana en contraposición de la filosofía de las “tres y nada más que tres hipóstasis” plotinianas (II, 9 [33], 1,12-16 y 2,1-2), Orígenes concluye su enseñanza sobre las tres potencias primeras o principios trinitarios. Estos arkhai, stoikhea o elementa considerados desde la perspectiva de la teoría matemática axiomática – como les gusta expresarse a nuestros contemporáneos 10 – son entidades primeras, metafísicamente increadas o eternas. O sea, que la disertación introductoria de Orígenes acerca del Padre: I, 1,1-1,9; acerca del Hijo: I, 2,1-13 y acerca del Espíritu Santo, la Trinidad y la caída de las almas (I, 3,1-3,8 y I, 4,5), intenta ser expositívamente apodíctica como lo es la del autor del tratado valentiniano. Efectivamente el escritor protocatólico alejandrino había comenzado a adelantar referencias trinitarias en su tratado poco antes en I, 2,13, al avanzar la reflexión sobre el Hijo, pero comienza los exámenes trinitarios en el capítulo III y se multiplican las observaciones en este capítulo que completa la enseñanza cristiana con una doctrina pneumatológica, desconocida, según él, por los considerados filósofos griegos y bárbaros y que así es particularmente de índole cristiana y trinitaria completa. Pero es igualmente en esta instancia paralela en la que el Tratado tripartito apoyándose en una polémica doctrinal más extensa e incisiva contra Plotino, la consolida cristianamente con la

Cf. p. Koetschau, Peri Archôn, 68-69 (Origène, Traité des Principes [Perì Archôn], Introduction et traduction par M. h arl – G. DoriVal – a. le Boulluec, París 1976, p. 59; y F. García Bazán, en A. piñero – J. montserrat torrents – F. García Bazán, Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. I, Textos filosóficos y cosmológicos, Madrid 1997, p. 147. 10. Cf. Euclides, Elementa, libro I in initio, sobre definiciones, postulados y proposiciones como fundamentos y Orígenes, De principiis, I, pref. 10: « Por consiguiente estos son los elementos y fundamentos (elementis ac fundamentis) que se deben utilizar, de acuerdo con el precepto que dice: “Iluminaos a vosotros mismos con la luz de la ciencia” (Os 10,12), si se quiere constituir, teniéndolos a todos en cuenta, un encadenamiento y un conjunto orgánico, por medio de afirmaciones claras y precisas, para que busque lo que es verdadero en cada una de las afirmaciones evidentes y necesarias; y constituir como lo hemos dicho, un solo conjunto orgánico, con ejemplos y afirmaciones, tanto con las descubiertas en la Sagradas Escrituras como con los encontrados por las deducciones provenientes de la investigación del encadenamiento lógico y la conservación del razonamiento correcto. » Ver asimismo r. somos, « Elements of the theory of scientific knowledge in the Commentary of John », en e. prinziValli (dir.), Il Commento a Giovanni di Origene: il testo e I suoi contesti, Villa Verucchio (RN) 2005, p. 157-175. 9.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito formulación de una enseñanza trinitariamente gnóstico-cristiana que aspira a consolidar conceptualmente la concepción insegura e incompleta especulativamente de Orígenes. Porque éste conoce formalmente la tríada divina completa Padre, Hijo, Espíritu Santo que procede de la Escritura cristiana y judía (I, 3,2) y que está en la base del curso de la salvación cristiana que se inicia en el bautismo (I, 3,2). La revelación de la Trinidad tiene, además, para el escritor alejandrino como fuente y fundamento la formulación sintética de Mt 11,27 (I, 3,4), que para los valentinianos, según las explicaciones del dicho de san Ireneo en este pasaje tienen un significado sobreentendido central: El Señor habría revelado que nadie antes de su venida había conocido al Padre de la Verdad. De lo que deducirían que todos habrían conocido siempre al creador y hacedor; sus palabras, en cambio, anunciarían al Padre desconocido para todos 11.

Según Orígenes cada uno de los miembros de la agrupación trinitaria tiene su función propia en la tríada de acuerdo con su especificidad, lo que examinado a fondo pudo traer problemas en relación con la subordinación y autonomía de las naturalezas de las entidades trinas (I, 3,5) 12; pero el Tratado tripartito, reacciona, por su parte, con doctrina filosófica cristiana propia y autónoma, de forma más desarrollada y precisa: El Padre es Uno solo como un número, puesto que es el Primero y el que es sólo él mismo. No es como un individuo solitario, de lo contrario ¿cómo podría ser un padre? Porque siempre que hay un “padre”, sigue un nombre de “hijo”. Pero el Uno solo, que es únicamente el padre, es como una raíz, con un tronco, ramas y frutos 13.

Continúa la exposición de Orígenes ilustrando una cuestión debatida: ella toca a la interpretación de los pensadores de la escuela gnóstica, llamados por él a esta altura de los tiempos, abusiva y condenatoriamente y sin mayores explicaciones “herejes” 14. Pero el aliento o espiración divina (spiramentum vitae/pnoé zoés (Gn 2,7) ¿se ha dado a todos o sólo a algunos? El

11. Cf. Adversus Haereses I, 20,3. Ver F. García Bazán, « En torno a la exégesis gnóstica de Mt 11,27 », en XVII Reunión Anual de la SAPSE del 22 al 26 de julio de 1972, Colegio Máximo de San Miguel (Buenos Aires), p. 1-2. 12. Un poco después Orígenes va precisando la conciencia del grupo teológico trino fundándose especulativamente en la estructura de la tríada/Trinidad. 13. Cf. NHC I, 5, p. 51,9-19: F. García Bazán, en a. piñero – J. montserrat torrents – F. García Bazán (dir.), Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. I, Tratados filosóficos y cosmológicos, Madrid 1997, p. 147-148. El Padre es claramente “persona”, siendo necesariamente abierto al Hijo y viceversa. 14. Cf. F. García Bazán, La biblioteca gnóstica de Nag Hammadi y los orígenes cristianos, Buenos Aires 2013, p. 28. El lugar en el que Orígenes torna explícita su posición antignóstica es más adelante, en In principiis III, 2,7-III, 3,4.

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Francisco García Bazán planteamiento se describe por extenso en I, 3,6: se ha dado a todos, aunque algunos lo han perdido, por eso deben ser renovados y el pecado contra el Espíritu Santo consiste en resistirse a esta renovación (I, 3,7). Diferente, sin embargo, es la interpretación para el autor del Tratado tripartito de semejante renovación del espíritu, que es un don recibido por naturaleza, pero que tiene que ser acompañado del ejercicio anímico que es una actividad salvífica, vinculada con el desenvolvimiento del tiempo cosmológico e histórico que se asocia al estado de la caída del espíritu. La totalidad de la complejidad antropológica del documento que cierra al NHC I, 5, se encierra en la parte que describe la interpretación escatológica paulina del “ser todo en todos” en relación con Cristo 15, expresada en este punto por Orígenes (I, 3,7) y retomada renovadamente por el Tratado tripartito en su descripción antropológica, como se tratará de explicar más abajo 16. De este modo la salvación plena del hombre se obtiene por la Trinidad y este estadio sobrenatural asimila paralelamente la plenitud doctrinal de la tríada metafísica neoplatónica de la Vida (Espíritu Santo), Conocimiento (Hijo), Ser (Padre), un fondo exegético extraído técnica y conceptualmente por Orígenes del ejercicio cognitivo de la filosofía neoplatónica, pero contra cuyo contenido impersonal de fondo se rebela la interpretación sapiencial del Tratado tripartito. Concluye Orígenes el último apartado de este capítulo tercero haciendo alusión a la raíz originaria de la historia o biografía declinante de las almas y su decadencia, en la saciedad (satietas) y subsiguiente indolencia o dejadez de su comportamiento, consecutivamente reiterado 17, pero responde el Tratado tripartito contrariando esta interpretación individualista de Orígenes, que no se trata de dar aceptación a la tradición de la caída del alma de base hipostática de Plotino, el parapeto de su doctrina de inspiración hílica, guía de una cosmología cíclica contra los gnósticos, sino en la caída de las almas individuales indirectamente inspirada a Orígenes por la exégesis basilidiana del motivo de

15. Cf. Ef 1, 22-23: « Cabeza suprema de la Iglesia, que es su cuerpo, la Plenitud del que lo llena todo en todo », también Ef 4,6; 1 Cor 12,12ss y 1 Cor 15,28; Col 1,18-20 y 3,11: « sino que Cristo es todo y en todos ». 16. Ver el desarrollo de más abajo, El destino escatológico de los pneumáticos y psíquicos según los gnósticos valentinianos. 17. Aquí los vocablos básicos para comprender el pensamiento de Orígenes son: satietas traducción de kóros una de cuyas acepciones es plérosis. Es que el verbo korénnymi, abarca tanto el hartazgo como el regocijo. La familiaridad con el vocabulario gnóstico ha inducido, en este caso, las reflexiones del Alejandrino. Por otra parte, el estado de descuido o indolencia progresiva (negligentia/amélia), ha llevado a una caída lenta. Este descenso que es un deslizamiento gradual también está presente en el Tratado tripartito (118,14-122,12 y 129,34-138,27) con las posibilidades de recuperación escalonada que les alcanzan (ver F. García Bazán, Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. I, p. 138-139 y 140 con la traducción y comentario de p. 186-188 y 192-195). El motivo de la caída de las almas es una idea recurrente en esta obra de Orígenes. Ver asimismo I, 4,1-2 y II, 9,6-7.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito la caída de Sofía 18. De este modo el autor del Tratado tripartito formula su respuesta integrando su polémica contra dos frentes doctrinales: la doctrina cíclica cósmica indefinida del platonismo y el personalismo individualista de la corriente ortodoxa no alejandrina o siríaco-romana, a cuya influencia no superada, se somete Orígenes 19. Es posible de esta manera ampliar el desarrollo de la enseñanza doctrinal valentiniana en torno a la Trinidad frente a la tesis trinitaria protocatólica incoada por Orígenes. La Trinidad y el Tratado tripartito Es posible en este momento ingresar en la atmósfera especulativa del tema trinitario discursiva y extensamente, como lo plantea por primera vez el Tratado tripartito. El Tratado tripartito que como se ha ido anticipando es el último de los escritos dentro del Códice I de Nag Hammadi 20.

18. Cf. Hipólito, Elenchos VII, 27,3-5: « Por consiguiente, dice, todo lo que permanece en su lugar es incorruptible, pero es corruptible si quiere trascender y traspasar los de que proviene según naturaleza. De este modo tampoco el Arconte de la Hebdómada conocerá lo que está por encima; ya que también la gran ignorancia lo retendrá […] Ésta también estaba prevista en el gran montón en relación con del origen y momento de la restauración » (F. García Bazán, La gnosis eterna. Antología de textos gnósticos griegos, latinos y coptos, t. I, Madrid 2003, p. 137138). Y posteriormente la Pístis Sophía refiere con fuerte dramatismo el origen de su caída motivado « por la suspensión de la ejecución de su misterio ». « Ocurrió asi que después de esto miró hacia abajo. Vio su poder luminoso en las regiones de abajo y no supo que éste era el de la triple potencia, el Jactancioso […]. Y pensó para sí misma: “Iré hacia ese lugar sin mi pareja”, tomaré la Luz y formaré por mí misma de ella eones de luz de manera que podré ir a la Luz de las luces que está en la suprema altura. Ahora bien, cuando pensaba estas cosas, salió de su lugar en el decimotercer eón y llegó hasta los doce eones. La acosaron y se irritaron con ella […]. » (Ver F. García Bazán, La gnosis eterna, t. II, Pistis Sophía, Madrid 2007, p. 56-57). 19. En el fondo las protestas de precisión de Orígenes que toman por punto de partida la que llama « la predicación eclesiástica » (De principiis, pref. 2-3) adhieren a la formulación del credo de la línea eclesial, Hechos de los Apóstoles, Antioquía, Roma, dejando a un costado otras reglas de fe arcaicas que no han tenido éxito histórico semejante. Cf. i. ortiz De urBina, S. I., El Símbolo Niceno, Madrid 1947, p. 27-61. 20. Es el escrito más largo de la biblioteca, de ochenta páginas. Este tratado tiene una característica particular: cierra este Códice de cinco escritos razonablemente compaginado y armado por alguien que lo ha hecho con conciencia de que estaba formando un códice para que quedara ordenado y encuadernado de determinada manera ¿Por qué? Porque más tarde se ha advertido que primitivamente se fueron copiando los diferentes escritos que contiene y que se dejó un espacio en blanco de varias páginas para incluir uno de ellos: Sobre la resurrección o Epístola a Reginos. Es decir, que se estaba esperando que se consiguiera copiar ese escrito para cerrar la encuadernación. Cuando posteriormente se encontró una hoja suelta entre los folios de uno de los escritos, que contiene la Oración del apóstol Pablo, se dedujo con perspicacia que ella tenía que ser la primera hoja del Códice y se ordenó el conjunto. Por mi parte, he sugerido que a partir de estos pormenores, y habiendo estudiado con detenimiento el Tratado tripartito, que cierra el Códice, que este escrito lo

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Francisco García Bazán Este tratado está dividido en tres partes. La primera parte se refiere a los seres eminentes, los más altos, y estas entidades son el padre, el hijo y el silencio del padre, que es la madre como seno paterno de la prole filial. Porque resulta que ese silencio contiene en su interior al hijo en una multiplicidad orgánica, que es la Iglesia, y que la contiene con la potencia vital mayor con que se puede encerrar algo vivo, embrionariamente 21. ¿Qué dice el Tratado tripartito acerca del padre, del hijo y del espíritu distinguiéndolos y uniéndolos inseparablemente? El Padre es uno único, como un número. La pregunta que se desprende es ¿será como el número 1? No, porque el número 1, como se ha visto oportunamente que enseñan los pitagóricos en la línea de los platónicos pitagorizantes 22, es un número que como tal, tiene dos aspectos: por una parte es el cardinal 1 (a’), cuya unicidad aritmética abre la serie de los números naturales, empero, por otra parte, es uniforme, es unidad esencial, lo que permite que no se lo confunda con el 2 (b’). El 2, sin embargo, no es significativamente unidad, es dualidad, biforme o entidad dual, también es particular y solo, pero esa dualidad conceptual, también es sola. Es una entidad que conceptualmente significa dos, así como el 1 es una entidad que conceptualmente significa unidad, identidad, igualdad, indivisibilidad; y así sucede con todos los números. Pero el Uno único, en realidad, es extraordinario, es otra noción, y no es un número, sino que es lo que permite

completa, porque es la respuesta del autor de este tratado a la polémica de Plotino con los valentinianos en Roma. Entonces, el responsable de la compaginación sabía bien ese dato y colocó una serie de escritos arcaicos delante – entre ellos el Evangelio de la verdad, del que se proporciona más adelante un fragmento trinitario – los cuales daban respaldo doctrinal al tratado final, que es el importante en la organización del códice, y en el que se pueden advertir una serie de referencias centrales a la polémica de Plotino. Por supuesto que, como todas las hipótesis, algunos críticos la aceptan y otros no. Ver recientemente, F. García Bazán, La biblioteca gnóstica de Nag Hammadi y los primeros cristianos, Buenos Aires 2013, cap. V.1, p. 199-203. 21. El ser, cualquier entidad que está en su verdadera potencia, lo es cuando está en el embrión, y no al revés. Cuando el embrión se desarrolla, por ejemplo, se hace hombre, se agotaron sus posibilidades, quedó determinado, porque en el embrión es en donde orgánicamente están las virtualidades, la potencia está en el germen y no en el árbol. Observemos esta lógica, que existía ya en la Academia Antigua de Platón y es enseñanza actual de la Genética. 22. Cf. F. García Bazán, La concepción pitagórica del número y sus proyecciones, Buenos Aires 2005, p. 23-48, incluyendo las doctrinas aritmológicas de Nicómaco de Gerasa, Moderato de Gades, Plotino y Jámblico.Ver asimismo F. romano, Giamblico, Summa pitagorica, Milano 2005. Y cuando se van descubriendo de este modo propio los números, después se puede cuantificar, porque es gracias a la explicación cualitativa como se puede cuantificar. Se puede ver más clara la ilustración, con la operación de multiplicar: cuando se multiplica por uno, no se pierde la identidad, no cambia el 1 ni su identidad ni la de los demás números. Entonces cuando expresamos “uno único”, en el fondo, se dice, que es numerativo, numerante (y no numerado), porque gracias a él existe la serie de los números, pero él está por encima por potencia.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito dar significación o sustancia numérica propia a toda la serie de los números individuales de la década. Todos los números son unidades, pero conceptualmente esas unidades son heterogéneas, difieren entre sí. Entonces, si se quiere definir el número es claro que debemos recurrir a la aritmología pitagórica y saber que esas entidades no hay que definirlas cuantitativamente, sino caracterizarlas cualitativa y metafísicamente. El “uno” tiene que ver con lo idéntico, con lo igual; el “dos”, sin embargo, tiene que ver más bien con lo otro, con lo desigual, con lo diferente, porque el dos se sostiene como diferente del uno, primero como díada indefinida y después, una vez delimitada, como dualidad, determinada por su único determinante posible, el Uno infinito, que supera a la serie numérica, ya que es “fuente y raíz” de todas las determinaciones posibles y entre ellas de aquella privilegiada que colocada en el medio de la serie de uno a nueve, el 5 (e’), la péntada, remite sin explicarlo al cero (oudén), como equilibrio, en tanto que una nada de cantidad entre lo más y lo menos numérico y una nada entre el exceso y el defecto entitativo (la justicia) o una nada de ser que excede a todos los entes 23. El tres (g’) tiene que ver con el concepto de medio, es intermedio entre el fin (el Hijo) y el principio, el Padre. Entre la correlatividad de lo Uno (Padre) y la dualidad distinta (Hijo) se entromete la trinidad materna o del Espíritu Santo, punto de partida de la asamblea santa, que relaciona a ambos 24. Es así, prosigue la disertación del maestro valentiniano con la lógica aritmológica pitagórica, que lo que ante todo tiene que entenderse es el concepto de “uno”. Una exigencia que también tiene que ver con cierta enseñanza intrínseca de Platón, porque lo que es uno, es simple, interior y exteriormente, no permite ni composición interna ni exterior; ese uno único, naturalmente será asimismo ordinalmente primero, entonces si es primero no será generado sino generador. Y si no es engendrado es inengendrado; y si es inengendrado no

23. Cf. Proclo, Comentario a la República XIII, 53: « Comparemos, en efecto, la enéada (9) a los platillos de una balanza: los cuatro primeros números corresponden al platillo más liviano (1+2+3+4), los cuatro últimos, al platillo más pesado (6+7+8+9), en el centro el 5, fiel inmóvil de la justicia, restablece el equilibrio sustrayendo a los números más grandes su propia potencia y distribuyendo el resto, en proporción a su fuerza, a los números más pequeños: 9-5=4, atribuido a 1; 8-5=3, atribuido a 2; 7-5=2, atribuido a 3; 6-5=1, atribuido a 4 lo que en cada operación retorna a 5. Se comprende que tanto en Nicómaco como en Jámblico, la péntada sea llamada “Justicia” (Díke-Dikaiosýne), “Justicia distributiva” (Némesis) o incluso “la que ocupa el cielo”. » Ver F. García Bazán, La concepción pitagórica del número, p. 151-152. 24. Al no tener en cuenta este tipo de precisiones sustanciales E. Benvéniste comete inadvertidamente desprolijidades de razonamiento al tratar desde la lingüística los pronombres yo-tú y su relación como referenciales para reflexionar sobre la “persona” y doblemente las comete r. espósito cuando asume sus explicaciones como paradigmas con ese cometido (cf. Tercera persona. Política de la vida y filosofía de lo impersonal, Buenos Aires 2009, p. 151 ss.).

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Francisco García Bazán tiene comienzo; y […] porque no tiene comienzo no tiene fin 25. Ahora, naturalmente, advertimos que este “uno único” es diferente de todo cuanto tiene que ver con lo múltiple. Esta entidad de la que estamos hablando tiene características insustituibles que son intrínsecas del Padre. Y nos damos cuenta de que con todas estas propiedades, el Padre del que hablamos es por naturaleza la paternidad en sí misma, no es la paternidad que nosotros hombres, con el mundo del devenir, atribuimos al progenitor, porque el progenitor ha sido primero hijo y después es padre. El Padre en sí no ha tenido comienzo y al no tener comienzo no tiene fin, es constantemente el mismo 26. Pero el Padre en sí exige un Hijo ¿Por qué?, porque el concepto de filiedad lo está reclamando y viceversa; un Padre es para un Hijo y un Hijo es para un Padre. Y ya lo creo que el Hijo es generado y que el Hijo tiene una fuente y una raíz, que es generadora pero no en el tiempo, conceptualmente ambos son coexistentes, pero no coeternos, porque el padre, como concepto o noción, exige al hijo y el hijo, como concepto, exige al padre, pero son realidades diferentes y lógicamente intransitivas. Los dos son siempre y con características

25. La significación es al revés de como comúnmente se piensa, porque si algo no ha tenido comienzo no puede tener fin ¿cómo va a tener fin si siempre se le puede encontrar un inicio anterior? Lo dicho es complicado, pero no es ni difícil ni confuso, es complejo. No es la racionalidad ni la voluntad ni ninguno de esos ingredientes con los cuales, ya desde Severino Boecio por influencias teológicas del Concilio de Nicea al tener en cuenta la unidad de persona y dualidad de naturalezas en el Verbo Encarnado, se define a la persona y que a la postre se confundan las personas humanas con las personas divinas de la que son imagen y deben ser semejanza. Es pertinente al respecto la interpretación trinitaria de J. r atzinGer, Introducción al cristianismo, Salamanque, nueva ed., 20002 (19681), p. 154-161. El impreciso modalismo que A. Orbe observaba en el Tratado tripartito no parece justificado. Ver A. orBe, Introduction à la théologie des iie et iiie siècles, Paris 2012 y F. García Bazán, « A. Orbe, la gnose et la philosophie », en a. Bastit (coord.), Journée d’étude “L’émergence de la pensée chrétienne : Autour de l’Introduction à la théologie des iie et iiie siècles d’Antonio Orbe”, Paris 2012; ÍD., « El cristianismo prenicénico y sus repercusiones en el pensamiento cristiano actual », en VIII Jornadas de Filosofía Medieval. 16 al 19 de abril de 2013; Academia Nacional de Ciencias de Buenos Aires, Centro de Estudios Filosóficos Eugenio Pucciarelli, Buenos Aires 2013. 26. Por eso los valentinianos amonestan: « Hermanos, lo del ser humano y cuanto tiene que ver con él, todo eso es un aborto […] » y ahí hay una responsabilidad enorme de Hojmat, de la Sabiduría (o del Logos, se puede decir, porque se ha visto que es lo mismo), pero el hecho es que la gestación se lleva a cabo en el tiempo y es liberación del tiempo cronológico habitual. El tiempo se da, pero ese tiempo no me tiene en prisión. Lo que tiene prisionero al que conoce es la experiencia de la ausencia, la intuición de no estar en donde debe estar y por eso clama desde abajo: es el grito de Sabiduría, es el llanto, como decía Filón, el llanto de Moisés en la canasta abandonada en el río, no es que el infante llore amargamente por el abandono, no. Es porque siente la falta de que es otra realidad y por eso se siente abandonado. No estoy mal en la existencia porque la existencia con sus condicionantes me moleste, no. Estoy radicalmente mal, porque no estoy en donde debo estar. Cf. Filón, La confusión de las lenguas, parág. 106 en Introducción, en Filón de Alejandría, Obras Completas, ed. J. paBlo m artín, t. III, Madrid 2012, p. 25-26.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito diferentes de generador y generado. Los hijos en el Hijo, provenientes del Padre, pueden ser coexistentes y no coeternos, pero el Padre y el Hijo son coexistentes y eternamente distintos, porque se exigen entre sí. El Padre posee la iniciativa y es también el Bien. Como Bien es benevolente, y como benevolente toda su suavidad se repliega en sí, implosivamente, pero también expansivamente, cuando quiere y quiere siempre por su naturaleza originante y abierta y así está generando al Hijo eternamente y éste es eternamente generado, pero dependiendo de la Voluntad del Padre, cuya libertad no impide. Es decir, el acto del querer y del conocer es tan eterno como las personas del Padre y del Hijo, pero se los distingue, porque la iniciativa es paterna y la imitación y el conocimiento eternos y determinados, son filiales. Pero sin expresarlo explícitamente se está reflexionando tácitamente sobre otra realidad que constituye la posibilidad misma de la relación necesaria, recíproca y asimétrica entre el Padre y el Hijo. Y ese vínculo de reciprocidad y relación que se impone por sí mismo y establemente está enlazando al Padre y al Hijo, es la Madre. La Madre en sí misma, o podríamos decir, el Seno silencioso del Padre en el que habita el Hijo, que como colectividad espiritual es la Iglesia anterior a los eones, ósculo eterno que sella el Amor sin decaimiento del Padre y del Hijo. Esta relación entre el Padre y el Hijo absolutamente hablando no es anterior al Hijo ni posterior al Padre, sino lazo simultáneo para que haya Padre e Hijo concurrentemente y de firme convivencia. Se esta haciendo referencia con estas palabras a la tríada enlazante de la Trinidad, sin que ninguna de las naturalezas se confunda con la otra. Son distintas, son unas y subsistentes, porque la reciprocidad es un elemento necesario y también implica procesión, o sea, salida, retorno y subsistencia, circularidad permanente. Y en la redacción de este texto formidable sobre entidades correlativas, está implícita la idea de persona, ya que hay tres subsistencias eternas entre sí e idénticas cada una a sí misma, pero que no pueden definir esa identidad coexistente separadamente. Y se debe insistir que esa exigencia intrínseca de apertura iniciante en la esencia del Padre, recipiente en la esencia de Hijo y enlazante necesario y preexistente en la esencia del Espíritu/Madre/Iglesia es lo propiamente definitorio de la persona (hypóstasis) que se muestra como tal en la apertura hacia otro (prósopon). Ese rasgo de que en cada miembro intransferible esté el otro y de que en el otro esté uno, es lo que define a la persona irremisiblemente, y que en el ámbito eterno es necesariamente trial 27. Porque los gnósticos están siempre reflexionando en relación con el pléroma, y captan la determinación y el contenido preciso e inmutable de las ideas, que anula la búsqueda, pues encontró (eurísko) el contenido correspondiente a estas pautas gnoseológicas de rigor. Sólo que si contrariamente a estas reglas

27. La verdadera basileía, la auténtica voluntad paterna es carencia de soberanía, ¿por qué? Porque esa soberanía se cumple en la entrega de los hijos, al Hijo y al Padre, en la operatividad plena de la vida del espíritu en el seno paterno.

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Francisco García Bazán de razonamiento se introduce la necesidad sentimental y arbitraria de que el Hijo se encarne materialmente y la encarnación signifique en lugar de una míxis estructural – que permite fácilmente la deconstrucción de las capas ensambladas – una krâsis de fusión para poder realizar una obra que tiene que ver con la salvación o conservación (sotería) de lo mudable por naturaleza y terreno, entonces lo que es una entidad que estaba en esa realidad imperceptiblemente, que es el hombre embrionario que ha caído y se ha ocultado en la materialidad grosera y sutil, es necesaria una dolorosa gestación al revés para volver a la situación de potencia primera. En este caso, sin embargo, si se cambia esta concepción pneumática por otra que funde lo espiritual y lo psicocorporal, ésta es una gnoseología que no es ni racional (lógica) ni empíricamente correcta: porque no es posible que de la corrupción provenga la incorrupción. Es necesario dar a lo anímico y sensible lo que es animal y físico y a lo espiritual lo que es espiritual 28. Sin duda esta gestación invertida es larga, si se trata de la liberación gozosa de todos los que sienten esa ausencia, y se desarrolla en un tiempo ficticio, que es el que se llama comúnmente historia. Pero, en realidad, hay dos tiempos de la historia: hay una historia aparente que circula de acuerdo a las impresiones psíquicas y somáticas. Y hay una historia oculta − que tampoco es la historia de la interpretación religiosa común −, sino que es la auténtica historia sagrada, en donde se da realmente la verdadera gestación humano-pneumática y el verdadero cambio que consiste en que, poco a poco, los espirituales vayan siendo recogidos nuevamente en el seno del Padre – la Vida desde la que emergió el Hijo con su cuerpo eclesiástico. El sello trinitario es pleno en el pensamiento gnóstico y el Espíritu, es el lazo que une al Padre y al Hijo, como seno materno y como escala que lleva a los pneumáticos – anulando al tiempo histórico – a su reposo eterno que es el seno paterno, en el que reposa el Hijo con los vástagos filiales, cuerpo luminoso o asamblea preexistente en el interior del Padre. Por eso el gnóstico al reconocerse en su intimidad se sabe un exiliado, un

28. Cf. F. García Bazán, « Dios Padre como Uno y Ser en los escritos gnósticos de Nag Hammadi », Teología y Vida 39/4 (1998), p. 325-344, esp. p. 343; ÍD., « Sobre la Trinidad y las tríadas en san Agustín y Mario Victorino », en m. e. sacchi (dir.), Ministerium Verbi. Estudios dedicados a Monseñor Héctor Aguer en ocasión del XXV aniversario de su ordenación sacerdotal, Buenos Aires 1997, p. 315-329; ÍD., « Libertad y destino. Lo antiguo y lo moderno en el pensamiento occidental », en Anales de la Academia Nacional de Ciencias Morales y Políticas, Buenos Aires 2012, p. 5-34; igualmente, « Las apariciones de Jesucristo resucitado y la filosofía », en Primer Congreso Internacional de Estudios Patrísticos: « La identidad de Jesús », San Juan, 8, 9 y 10 de agosto de 2012 y « La divinidad unitrina superadora de antinomias », en Die Gefahr y la religión, en Seminario Central, Fundación Centro Psicoanalítico Argentino, coord. general: R. FernánDez couto, Buenos Aires jueves 21 de noviembre de 2013. Sobre el tema en general ver, K.-h. ohliG, One or three? From the father of Jesus to the Trinity, Frankfurt am Main 2002 y ahondando sin rehuir los materiales de los NHC, D. García Guillén, “Padre es nombre de relación”: Dios padre en la teología de Gregorio Nacianceno, Rome 2010.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito extranjero en el mundo, y toda la descendencia de Set es de otra raza y ajena al cosmos. Y por eso, en última instancia, cuando se construye la políteuma, la comunidad que no es de este mundo – sobre la que diserta el documento –, el reino de los hijos de Dios, como Iglesia encabezada por el Hijo en el seno paterno, dice el gnóstico que su experiencia es la de un abasíleutos, libre de Señor, libre de Rey 29. Eso es lo que parece enseñar el Tratado tripartito en el momento de culminación en el tiempo del desarrollo de la escuela de filosofía tradicional (haíresis) del maestro gnóstico Valentín, que da una lección teosófica de gnosis filosófico-metafísica compartida con otros testimonios. En primer lugar, hay que subrayarlo, en relación con la esencia de la Trinidad y, en segundo lugar, en relación con el concepto de “persona”, basado en la concepción espontánea de la naturaleza inefable “distinta y una”, que es propia de la sustancia genuinamente apócrifa de la realidad divina, que en tanto que distinta y una, es irrecusablemente trinitaria y de la que la persona humana es “imagen y semejanza” y no al revés. Y es este el camino metafísico antes que teológico que los gnósticos abrieron reflexivamente en la Iglesia cristiana y que se anticipó a los eclesiásticos por medio de los gnósticos de Roma – combatidos por la teología asiática – Ignacio de Antioquía, Policarpo de Esmirna, Justino de Roma – y de Alejandría – Clemente y Orígenes – quienes parcialmente habían asimilado parte de estas doctrinas arcaicas 30. La reflexión trinitaria antigua y los gnósticos El campo de las especulaciones sobre la Trinidad, aparece primero en los textos gnósticos que se ocupan de la plenitud, del Pleroma − como se ha anticipado − y emergen también estas expresiones gradualmente. En los primeros textos gnósticos, en donde se presenta el tema de la Trinidad, no ocurre en

29. Hay que observar que cuando los primeros cristianos “cambian” la perspectiva y dicen “el Señor ha resucitado”, la idea de “el Señor ha resucitado” no es la del sintagma de opuestos que plantea Pablo a primera vista: “ha muerto y, por lo tanto, ha resucitado”, no. La idea es que el Cristo ha sido exaltado, el Cristo es un Cristo triunfante; y quien exalta al Cristo, en realidad, es el Ángel del Espíritu Santo. Esta terminología la vemos anticipada en un texto apócrifo judío conservado por Orígenes, La plegaria de José, aplicado a Jacob/Israel con las características del Logos. Se dice: « Yo, ángel de Dios y espíritu que gobierna (pneûma arkhikón). » Y eso lo vemos funcionando también, más claramente, en un texto cristiano apócrifo muy arcaico, que es la Ascensión de Isaías, en el cual cuando se asiste al ascenso extático de Isaías a través de los cielos, ya en el séptimo, para aclamar al Padre, junto con el Hijo, aparece el Ángel del Espíritu Santo, que después viene a formar una unidad en los himnos de alabanza del Padre y del Hijo. Esto se está aclarando simplemente para mostrar un cauce legítimo a la historia de las ideas religiosas. 30. Sobre Hipolito de Roma, el autor de la Refutatio omnium haeresium, cf. F. García Bazán en La Biblioteca gnóstica de Nag Hammadi y los orígenes cristianos, Buenos Aires 2013, p. 60-62 y particularmente, El Papado y la Historia de la Iglesia, Buenos Aires 2014, p. 57 y p. 58.

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Francisco García Bazán forma puramente racional, sino a través de una serie de imágenes que están bien incorporadas en la realidad contextual. Aparecen simultáneamente en algunos textos gnósticos, y también en algunos escritos apócrifos. Algunos son textos poéticos, pero hay otros que no, como el escrito gnóstico que conviene presentar de entrada. Un documento que es una homilía, una homilía de Valentín, en la que este notabilísimo teólogo y hombre de gran sensibilidad poética ha dejado su testimonio. Esta homilía está en el Códice I de Nag Hammadi precediendo al Tratado tripartito, pronunciada evidentemente en Alejandría, sin duda en un medio reservado, en donde primero hace una referencia, en estilo de enaltecimiento, al Padre, a la Madre y al Hijo. Espíritu Santo y Madre van unidos en el pensamiento o vocabulario gnóstico. Pero veamos lo que con inspiración elevada dice: El Padre descubre su seno. Pero su seno es el Espíritu Santo. Descubre su secreto, su secreto es su Hijo, para que por la misericordia del Padre los eones le conozcan y dejen de inquietarse buscando al Padre y descansen en Él sabiendo que es el reposo 31.

Es así que el Padre se descubre interiormente a través del Padre-Madre, a través de su seno; y el Padre se descubre como Hijo en su mismo seno, porque cuanto se puede conocer del Padre, es el Hijo e inescindiblemente tenemos a un Dios Trino y Uno, Uno y distinto, eso es lo importante 32. Asimismo, otros cristianos, también antiguos, y que no eran gnósticos, conservaban y transmitían esta misma problemática en un poema-himno. Atendamos a lo que dicen las Odas de Salomón 19,1-5: Una copa de leche me fue ofrecida / y la bebí con la dulzura de la suavidad del Señor. / El Hijo es la copa, / el que fue ordeñado es el Padre/ y el que ordeñó es el Espíritu Santo. / Porque sus pechos estaban llenos / y no era conveniente que se derramara su leche en vano. / Abrió su seno el Espíritu Santo / y mezcló la leche de ambos pechos del Padre.

Este conjunto de versos no es ortodoxo ni heterodoxo, es cristiano arcaico y nada más; y trinitario. O sea, porque es trinitario es cristiano y viceversa.

31. Evangelio de la Verdad (NHC I, 3), p. 24,9-20. 32. Cf. F. García Bazán, Plotino y la mística de las tres hipóstasis, p. 326-334, en relación con las diversas líneas neopitagóricas y platónico-pitagorizantes.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito El destino escatológico de los pneumáticos y psíquicos según los gnósticos valentinianos. La noticia de Hipólito, el Tratado tripartito y otros testimonios análogos El siguiente es el resumen de la exposición del platonismo pitagorizante de la escuela valentiniana que nos proporciona Hipólito de Roma en el libro VI de la Refutatio omnium haeresium en donde confluyen las ideas centrales de la interpretación del heresiólogo Hipólito de Roma al respecto. Permítasenos ofrecer nuestra versión e interpretación de la letra de Hipólito, Refutatio VI, 21,1 ss. 33: La herejía de Valentín tiene sus fundamentos en las doctrinas de Pitágoras y de Platón [es decir de los platónicos que pitagorizan]. Éste último en el Timeo, ha seguido completamente a Pitágoras [o sea, el diálogo Timeo transmitido por Platón originalmente del pitagórico Timeo de Locres]; por otra parte, el mismo Timeo es, para Platón, un invitado pitagórico. Así, pues, nos parece conveniente, en primer lugar, recapitular algunos puntos fundamentales de las doctrinas pitagóricas y platónicas, para luego pasar al sistema de Valentín. 29.1. Ésta es, en resumen, la doctrina de Pitágoras y de Platón, desde aquí, y no a partir de los evangelios, como demostraremos, Valentín, pitagórico y platónico (Pythagórou kai Plátonos) ha construido su escuela, de modo que más propiamente debe ser tenido por pitagórico y platónico que por cristiano. Valentín, Heracleón y Ptolomeo, con toda su escuela, son discípulos de Pitágoras y de Platón, y siguiendo a sus maestros presentaron su enseñanza en forma aritmética. Según ellos hay una Mónada ingénita, principio de todas las cosas, incorruptible, 2. incomprensible, indiscernible, generadora y causa de generación en todos los seres generados. A dicha Mónada la llaman Padre. 3. En este punto se producen en ellos grandes divergencias. Una corriente a fin de salvaguardar la pureza pitagórica de la doctrina de Valentín, piensa que el Padre se halla solo, sin elemento femenino y sin cónyuge. Otros, en cambio, creen imposible que de un solo ser masculino se produzca la generación de todos los seres engendrados, y por esto le añaden al Padre del universo, por necesidad, una cónyuge, Silencio, para que pueda ser padre 34.

33. Hipólito, Refutatio omnium haeresium, éd. M. m arcoVich, Berlin-New York 1986. 34. De acuerdo con lo escrito prosigue el texto de Hipólito: « 34.1. Existe según Valentín, la Tétrada, “fuente de la naturaleza eterna que tiene raíces” y Sabiduría, de la que procede la creación psíquica y material. Sabiduría es llamada Espíritu, el Demiurgo, alma, el Diablo “el arconte de este mundo” y Belcebú, “el arconte de los démones”. 2. Esto es lo que enseñan. Además, dando carácter aritmético a toda su enseñanza – como ya advertí – dicen que los treinta eones que están dentro del Pleroma emitieron para sí mismos, por analogía, otros eones, para que Éste se hallara congregado en un número perfecto. 3. Los pitagóricos hicieron divisiones (del cosmos) en 12, en 30 y en 60 [es decir, en meses, días y minutos] – como he mostrado – así también éstos [o sea, los valentinianos] dividen a los que están dentro del Pleroma. También hacen divisiones de los que están en la Ogdóada, y Sabiduría, que es “la madre de todos los vivientes”; según ellos, junto con el fruto común del Pleroma, emitieron setenta lógoi, que son los ángeles celestiales, habitantes de la Jerusalén superior,

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Francisco García Bazán De esta manera el contexto general de reflexión especulativa se encuentra dispuesto para poder avanzar en los aspectos antropológicos, ya que el origen filosófico y la naturaleza asimismo filosófica de la enseñanza valentiniana ha quedado suficientemente declarada. Además, insistimos, este tipo de filosofía – pese a la reductibilidad interesada del heresiólogo Hipólito – es de molde platónico pitagorizante, pero de inspiración cristiana en continuidad y distinción con las diversas escuelas afines a las corrientes pitagóricas de los siglos I a IV. Cuando ciertamente se debía alzar el velo y ver estos misterios, Jesús que nació a través de la virgen María (dià Marías) según lo dicho: “El Espíritu Santo vendrá sobre ti” – el Espíritu, , es Sofía –, “y la potencia del Altísimo te cubrirá con su sombra” – el Altísimo es el

que está en los cielos. 4. Esta Jerusalén es la Sabiduría exterior, y su esposo es el fruto común del Pleroma. También el Demiurgo ha producido almas. En efecto tal es la sustancia de las almas y serán según ellos Abrahán y los hijos de Abrahán. Al revés de la sustancia hílica y diabólica el Demiurgo creó los cuerpos para las almas. 5. En tal sentido se ha dicho: “Y Dios plasmó al hombre tomando barro de la tierra e insufló sobre su rostro el soplo de vida, y el hombre fue alma viviente” (Gn 2,7). Éste es, según ellos, “el hombre interior”, el psíquico, que reside en el cuerpo terrestre, que es el < hombre> hílico, corruptible, plasmado totalmente de la sustancia diabólica. 6. Este es según ellos el hombre hílico, en cuanto posada y morada a veces de la sola alma, a veces del alma y los demonios, a veces del alma y de los logoi, es decir, los logoi de lo alto que han sido sembrados por el Fruto común del Pleroma y por Sofía en este mundo, los que moran en el cuerpo terrestre (khoikós) con el alma, cuando los demonios no cohabítan con el alma. 7. Este es, dice, el sentido del pasaje escriturario: “Por esto doblo mis rodillas ante el Dios y Padre y Señor de nuestro Señor Jesucristo”, “para que os conceda” Dios “hacer habitar a Cristo” “en el hombre interior“, es decir, al psíquico, no al somático, “para que tengais capacidad de comprender (noêsai)” “cuál es la profundidad (báthos)” – que es el Padre del Todo – , “y qué la anchura” – que es la Cruz, el Límite del Pleroma –, “y qué la longitud” (Ef 3,1418), que es el Pleroma de los eones. 8. Por tanto, dice, “el hombre psíquico no recibe lo que está en el Espíritu de Dios, porque para él es necedad (moría) (1 Cor 2,14). Necedad según él, dice, es la potencia del Demiurgo, porque era necio e insensato (móros kai ánous), y creía fabricar (demiourgéin) el mundo ignorando que Sofía, la Madre, la Ogdóada, lo hacía todo para la creación del mundo, en tanto que él no lo comprendía. 35. 1. Por consiguiente todos los profetas y la Ley han hablado a partir del Demiurgo, dice, el Dios necio (morós) y necios ellos que nada sabían. Por este motivo, dice, afirma el Salvador: “Todos los que han venido antes que yo son ladrones y asaltantes” (Jn 10,8) y el apóstol: “El misterio que no fue conocido por las generaciones anteriores” (Rm 16,25, Ef 3,14 e ss.). 2. Porque ninguno de los profetas, a nuestro juicio, dice, ha hablado nada sobre estas cosas de las que hablamos; porque las de ellos eran todas charlatanerías del Demiurgo. Por lo tanto cuando la creación se complete, , quedará todavía por cumplirse “la revelación de los hijos de Dios” (Rm 8,19) – es decir, la del Demiurgo –, , en tanto que, dicen, el hombre psíquico ha quedado oculto a sí mismo y tenía “un velo sobre corazón” (2 Cor 3,15). » Ver Hipólito, Refutatio ómnium haeresium, éd. M. m arcoVich, p. 229-237 y p. 246-248. Empero prosigue el testimonio de Hipólito sobre el valentinismo y su propia antropología filosófica, internándose en los aspectos más polémicos para sus intérpretes. Ver asimismo más abajo la referencia a Evangelio de Felipe (NHC II, 3).

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito Demiurgo – “por tanto el que nacerá de ti será llamado santo” (Lc 1,35). 4. Efectivamente, no fue generado sólo por el Altísimo, en tanto que los creados según Adán lo fueron sólo por obra del Altísimo – es decir, del Demiurgo –. Sin embargo, Jesús, “el hombre nuevo” (Ef 2,15; 4,24), lo fue por obra del Espíritu Santo y – es decir, de Sofía y del Demiurgo –, de modo que el Demiurgo arregle la plasmación y provisión del cuerpo, pero que el Espíritu Santo proporcione su sustancia y así naciera el Logos celestial generado desde la Ogdóada a través de (dià) Maria. 5. Sobre esta cuestión hay entre ellos una extensa investigación base también de divisiones y diferencias; y a partir de aquí se ha dividido la enseñanza de ellos, en dos enseñanzas diversas y llaman a una según ellos la doctrina oriental (anatoliké) y a la otra itálica (italiototiké). 6. Los de Italia, entre los que se cuentan Heracleón y Ptolomeo, dicen que el cuerpo de Jesús fue psíquico y por esto en el bautismo el pneuma ha bajado bajo forma de paloma (Mt 1,10), – es decir, el Logos, el de la Madre de lo alto, la Sofía –, y lo recibió el psíquico y lo despertó de entre los muertos. Esto es, dice, lo dicho: “El que resucita a Cristo de entre los muertos, vivificará también vuestros cuerpos mortales” (Rm 8,11), , los psíquicos, ; porque el barro ”proviene de la maldición”, “ya que es tierra“, dice, “si tam(bien a la tie) rra volverá” (Gn 3,19). 7. Pero los del Oriente, como son Axiónico y (B)ardesianes, dicen que el cuerpo del Salvador era espiritual (pneumatikón); puesto que el Espíritu Santo – es decir Sofía – vino a (epí) María y «la potencia del Altísimo – la habilidad demiúrgica –, pra plasmar lo dado a María por el Espíritu Santo. 36. 1. Pero añaden que tal como fueron corregidas las transgresiones entre los eones interiores, así también lo fueron en la Ogdóada en la Sabiduría exterior e igualmente en la Hebdómada. 2. Pues Sofía enseñó al Demiurgo que él no era el Dios único “y que fuera de él no había otro”, como él creía, sino que instruido por Sabiduría, supo que había otro superior. Fue enseñado, iniciado y adoctrinado por ella en el gran misterio del Padre y de los eones, y no lo comunicó a nadie. Esto es – afirma – lo dicho a Moisés: “Yo soy el Dios de Abrahán, el Dios de Isaac y el Dios de Jacob, y no les revelé el Nombre ” (Ex 6,3). Es decir, no les comuniqué el misterio, ni les expliqué quién es Dios, sino que custodié y escondí en mí mismo el misterio que oí de Sabiduría. 3. Una vez corregidos los seres superiores fue necesario también como su consecuencia alcanzar con la corrección a las cosas de abajo. Por esto fue engendrado Jesús el Salvador a través de (diá) María, para enderezar cosas de aquí, igual que el Cristo, emitido en lo alto por el Intelecto y la Verdad, corrigieron las pasiones de la Sabiduría exterior – es decir, del aborto –, como también el Salvador engendrado a través de (diá) María vino a corregir las pasiones del alma. 4. Hay, por consiguiente, según ellos, tres Cristos: el emitido por e y la Verdad, junto con el Espíritu Santo; el fruto común del Pleroma, Jesús, cónyuge de la Sabiduría exterior – que es asimismo llamada Espíritu Santo –, inferior al primero; y en tercer lugar el generado a través de (día) María para articular la creación de aquí abajo. 37. 1. Creo haberme extendido suficientemente en la descripción de la

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Francisco García Bazán escuela de pensamiento de Valentín, que es de carácter pitagórico, pero ahora me parece también oportuno, antes de abandonar el tema, ofrecer algunos ejemplos para ilustrar su doctrina 35.

El Testimonio de la verdad (NHC IX, 3) y otros escritos directos preteridos El escrito al que seguidamente nos referiremos y que viene en apoyo del anterior testimonio, ha sido prácticamente excluido del examen de nuestra cuestión, aunque está dentro de su directa problemática, tanto por el contenido de alguna de sus partes, como por la cronología paralela que se le puede atribuir en relación con los materiales valentinianos proporcionados por Hipólito Romano 36. Cuando Justino de Roma en la 1 Apología § 22,5 aludiendo a analogías del lenguaje religioso cristiano sobre Jesús como “Hijo de Dios” en comparación con lo dicho por los mitos griegos, no duda en escribir: « Nosotros predicamos que nació de una virgen (dià parthénou); pero esto puede seros común a vosotros con Perseo. » Ésta es una declaración espontáneamente prognóstica por el uso de la partícula diá para indicar la virginidad de María y no ek o apó. Ver incluso Ireneo de Lyón, Adversus Haereses I, 7,2

35. Hipólito, Refutatio omnium haeresium VI 35. Seguidamente vienen las citas de la Carta II y VII (313a, 314a-c) de Platón, como lenguaje de los misterios dirigidas a Dionisos, para concluir: « Valentín halló estos textos y estableció el rey del universo del que habla Platón, de la siguiente manera: Padre, Abismo, Conte de todos los eones. 6. El texto de Platón: “segundo en torno a las cosas segundas”, lo aplica Valentín del modo siguiente: las cosas segundas son todos los eones que se hallan dentro del Límite”. El pasaje: “El tercero en torno a las cosas terceras”, se refiere a todo lo sucedido fuera del Límite y del Pleroma. Valentín ha expuesto esta disposición en pocas palabras en un salmo, que empezando desde abajo, y no como Platón desde arriba, dice así: 7. “Cosecha. Veo que todo es suspendido por el espíritu/ y comprendo que todo es transportado por el espíritu; / la carne que se suspende del alma, / el alma que es transportada por el aire, / y el aire que se suspende del éter; / los frutos que vienen del Abismo / y un infante que viene de la matriz. 8. Esto lo interpreta del siguiente modo: la carne para ellos es la materia que se suspende del alma, , del demiurgo. El alma está subordinada al aire, es decir, el demiurgo se subordina al espíritu Pleroma exterior; el aire se suspende del éter, o sea, la Sabiduría de afuera se subordina a la que está dentro del Límite y del Pleroma total. “Los frutos vienen del Abismo, , la procesión total de los Eones desde el Padre. 9. Dejemos ya de hablar de las cosas que enseña Valentín. Procedamos ahora a examinar escuela, puesto que cada uno las enseña a su manera. » 36. Cf. F. García Bazán, Testimonio de la Verdad, introducción, traducción y notas en A. piñero – J. montserrat torrents – F. García Bazán, Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. III, Apocalipsis y otros escritos, con apéndices, Madrid 2009, p. 211232. Mientras que acerca de A. et J.-P. m ahé, Le Témoignage Véritable (NH IX, 3), Gnose et Martyre, Québec-Louvain-Paris 1996, convenimos con el juicio de e. thomassen, The Spiritual Seed, Leyde 2006, p. 501, n. 39.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito y III, 11,3 37. La referencia ortodoxa aludida nos remite asimismo a dos pasajes atinentes del Testimonio de la Verdad, NHC IX, 3, p. 29,29; p. 30,1; p. 31,20 y p. 40,1-10, antes genéricamente señalados. El primer fragmento más extenso es sobre la ley y la procreación y el origen incontaminado del Hijo del Hombre. Dice lo siguiente: Porque la contaminación de la Ley es manifiesta 30, pero la incontaminación pertenece a la luz. Por una parte la Ley prescribe tomar esposo, tomar esposa, y engendrar, multiplicarse como la arena del mar. Por otra parte la pasión (páthos), que es un placer para ellos, apremia a las almas de los que son engendrados en este mundo, a los que contaminan y a los que son contaminados para que la Ley se cumpliera por medio de ellos. Y mu[es]tran que ayudan al mundo. Y se [desviaron] de la lu[z], los que no pueden elu[dir] al arconte de la oscu[ridad] hasta pagar el último céntimo 38. Pero el Hijo del Hom[bre provino] de la inmortalidad, 20 [siendo] ajeno a la contaminación. Vino [al] mundo por el río Jordán e inmediatamente el Jordán corrió hacia atrás. Ju[a]n, no obstante, dio testimonio del [des]cen[so] (katábasis) de Jesús. Porque fue el [úni]co que [vi]o el po[der] que bajó sobre el río Jordán; porque supo que había llegado el fin del dominio de la procreación carnal (sárx). El río Jordán, sin embargo, es el poder del cuerpo, es decir, las 31 sensaciones placenteras (aísthesis hedoné). Y el agua del Jordán es el deseo de la unión sexual (synousía). Juan es el arconte de la matrix. Pero esto es lo que nos reveló el Hijo del Hombre: les es conveniente recibir la Palabra de la Verdad, si uno la llega a recibir completamente. En cuanto a aquél que, empero, es ignorante, le es difícil disminuir las obras de os[curidad] que ha realizado. Los que han cono[ci]do la inmortalidad, sin [embargo], han tenido la posibilidad de luchar contra las pa[siones] [ falta una línea] [como os] he di[cho]: « No construyáis [n]i acopieis para vosotros mismos en el lu[gar] en donde los ladrones horadan, sino produc[id] frutos para el padre. »

El mismo juego de paradojas aparece en otros escritos directos, como Eugnosto, el Bienaventurado 74,12-19. Los preceptos de la Ley y los cuerpos con sus pasiones placenteras son obra de los arcontes, que van unidos con ellas como prescripción y naturaleza, de este modo su observancia sigue las inclinaciones de los poderes inferiores. Así domina desde Adán a Moisés y promueve el dominio del Demiurgo por medio de sus esbirros (Tratado sobre la resurrección 44,20), mientras la adhesión legalista y procreadora consolida el cosmos (cf. Clemente, Stromata III, 12,2). Debe tenerse en cuenta que el Hijo del Hombre proviene de lo que no muere (cf. Tratado sobre la resurrección 44,21-33), de esta manera no viene del Jordán – figura de la procreación y del placer sensual –, sino sobre él, dominándolo.

37. Ver m. tarDieu, « Comme à travers un tuyau », en B. Barc (dir.), Colloque International sur les Textes de Nag Hammadi (Québec 22-25 août 1978), Québec-Louvain 1981, p. 151-177. 38. Cf. Mt 5,26, 1ApSant 33,1 ss. e Ireneo, Adversus Haereses I, 21,5.

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Francisco García Bazán Por eso su corriente fluye hacia atrás, hacia su disipación, al haber comenzado a limitarse el poder generativo. El mismo significado se comprueba en pasajes que hablan de la fluencia invertida (Hipólito, Refutatio V, 7,40-41). Juan, por su parte, vio al Espíritu Virginal o Cristo (= δύναμις) que bajó sobre el Jordán, pudo ser testigo de Jesús surgido de la inmortalidad y confirmar con su aparición que el dominio de la procreación comenzaba su fin. Juan como “semilla oculta” (« voz del que clama en el desierto » e hijo de mujer que reconoce al Cristo), es el mayor entre estos vástagos humanos (cf. Heracleón, Frgs. 5 y 8), pero inferior al Señor, de este modo es “arconte de la matriz” (ver más abajo 45,13-14). Y el otro pasaje a continuación de una línea faltante, expresa: […Pala]bra […] sobre [el río Jordán] cuando vino [hacia Juan en] el momento de ser bautizado (báptisma). El Espíritu Sa[nto vino] sobre él [como una] paloma […] se admite entre nosotros que nació de una virgen (parthénos) [y] que tomó carne; el […] 40 [habiendo recibido poder]. [¿Nosotros mismos] hemos sido engendrados a partir de [una dis]posición virginal [o] concebidos por la Palabra? [Mejor, hemos sido engendrados] de nuevo por [la Palabra]. Por lo tanto fortalezcámo[nos] como vírgenes en los […] (39,20–40,10).

Hay aquí una nueva censura contra la generación y sus placeres para algunos justificados en la voluntad divina. Al reiterarse el bautismo espiritual se identifica al Hijo del Hombre (cf. asimismo 30, 18ss) con la Palabra, ajena a la generación carnal. El Espíritu Santo, la esencia divina como Madre, como una paloma (Jn 1,32-33; Mt 3,13-16; Lc 3,21-33) se manifiesta en él. La “Virgen”, de la que nace la Palabra, es la Madre superior, que operando en el Logos genera a quienes poseen aptitud virginal, semillas de la Madre. “Tomó carne” (cf. Tratado sobre la resurrección 47,5-7) se refiere a la forma aparente del Logos, puesto que el origen virginal del Logos no es ex virgine ni per virginem, sino de la Virgen por medio de una virgen; el cuerpo del Salvador se formó por disposición pleromática sin compromiso corporal mariano (cf. Ireneo, Adversus Haereses I, 15,3). Un poco más adelante la interpretación formulada queda ratificada al afianzarse la “doctrina verdadera” con dos modelos que difieren de la interpretación de la Escritura: Juan fue engendrado por la Palabra por medio de una mujer, Isabel (Elisabet); y el Cristo fue engendrado por la Palabra por medio de una Virgen, María ¿Qué es este misterio (mystérion) ? Juan fue procreado por medio de una matriz gastada por la edad, pero el Cristo atravesó un útero virginal. Cuando hubo concebido, sin embargo dio nacimiento al Salvador. De nuevo se encontró ser una [vir]gen. ¿Por qué, entonces, os equi[vocáis] y no tratáis de alcanzar estos misterios que fueron prefigurados (typoûn) por nuestra causa ? (45,7-22).

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito Aclaración definitiva del nacimiento y concepción virginal del Cristo en contraposición con la generación del Bautista, tratado en dos oportunidades anteriores (30,24-31,5 y 39,29-30) y que en esta ocasión se le da un cierre conceptual definitivo. Porque ambos han sido engendrados por la Palabra, Juan como pneumático y el Cristo como Salvador o ejecutor de la obra de salvación. Por este motivo, el primero siendo espiritual, viene a través de una mujer, Isabel (Lc 1,5 ss.), con cuyo órgano de deseo o matriz (Timeo 91c), amortiguado (“matriz gastada por la edad”), tienen relación su cuerpo y psique, encubridores del pneuma. Pero ambos se disolverán, pues el Salvador los viste como primicias al descender y los depone en sus lugares cósmicos colaborando en la descomposición del mundo. El Cristo, sin embargo, se encarnó a través de María, virgen antes y después del parto (Protoevangelio de Santiago 19,3-20,1; Evangelio del Pseudo-Mateo 13,3-4; Odas de Salomón 19,6-9), pues su útero no deseó la generación de un hijo, sino que admitió sólo albergarlo en su seno. De acuerdo con esta voluntad, Cristo pasó por ella: “atravesando un útero virginal, sin enredarse con el tejido del seno materno ni participar de él (cf. Adversus Haereses I, 7,2; III, 11,3; Hipólito, Refutatio VI, 35,7). Es éste el sentido oculto (mystérion) que surge de estas imágenes de la realidad para el gnóstico; los demás, al ignorar, yerran la exégesis (antes 37,3-13). Lo visible y pasible del Salvador es obra de la disposición divina sapiencial de sustancias inmateriales 39. Con materiales antropológicos de similar interés, pero más exiguos para el tema expuesto, se encuentran asimismo informaciones entre los escritos de Nag Hammadi, la Carta esotérica de Santiago (NHC I, 2) y el Evangelio de Felipe 40, así como La exposición valentiniana (NHC XI, 2), con varios puntos y lazos doctrinales en común con el Tratado tripartito 41.

39. En a. piñero – J. montserrat – F. García Bazán (dir.), Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. III, p. 220-226 y in n. 6, 10, 14. 40. Cf. A. piñero – J. montserrat – F. García Bazán (dir.), Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. II, Evangelios, Hechos, Cartas, Madrid 1999: F. BermeJo ruBio, Evangelio de Felipe, p. 17-51 y F. García Bazán, Carta esotérica de Santiago, p. 291-306, respectivamente. 41. Exposición valentiniana por F. BermeJo ruBio, en a. piñero – J. montserrat – F. García Bazán (dir.), Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. III, p. 251-267.

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Francisco García Bazán Conclusión. La idea de la dispersión de las herejías ha surgido desde la perspectiva heresiológica y el enfoque artificial del fenómeno propio de los heresiarcas Pero fundamental para el ejercicio del análisis exegético es entender que lo mismo que la pretendida ortodoxia no es una unidad doctrinal sin diferencias ni fisuras ab origine, igualmente sucede con la denominada heterodoxia respecto de su unidad en bloque. Las pretensiones expansivas de los primeros agentes proto-ortodoxos en contacto directo con las generaciones cristianas de mediados del siglo ii (Justino e Ireneo de Lión), alimentadas por una ficticia unidad monolítica primordial de los cristianos, tiene asimismo su reflejo en la pretendida unidad de los promotores de la prédica contra los herejes o heresiología. La tendencia crítica expositiva, documental y reflexiva de la Refutación contra todas las herejías de Hipólito de Roma se aparta de la heteróclita miscelánea de crónica, extractos documentales, comentarios hostiles e ironías hirientes del futuro Obispo de Lión en su Contra las herejías, según se conserva en la versión latina que se ha conservado. A diferencia de lo expresado, Justino de Roma es un combatiente doctrinal que adhiere a una línea de opinión la que lo convoca por medio del obispo romano Higinio (138-144) a la polémica frente a otros predicadores protocristianos independientes. Lo dicho se refleja en las obras de él que se conservan. Clemente y Orígenes de Alejandría, en la medida en que el género heresiológico se unifica y consolida necesitan cada vez menos argumentaciones y suben la apuesta a favor del empleo de elementos polémicos y detractores sin necesidad de justificaciones 42. Un siglo más tarde se asiste a la apoteosis de la heresiología como género literario, con un monje posterior al Concilio de Nicea que escribe para otros monjes, Epifanio de Salamina (Panarion contra todas las herejías, escrito entre 374 y 377). La tendencia a simplemente polemizar y condenar sin que se tema a la respuesta defensiva va en aumento y así con el correr de los años la costumbre y el temor llevará a la conclusión de que el hereje es un individuo que está contra la ley: adherente y difusor de errores, malas costumbres y blasfemias. Un réprobo religioso y social, pábulo digno de la hoguera o el cadalso. Sin embargo, la realidad para caracterizar a los gnósticos y sus escritos no está en estas conclusiones, sino en las anticipadas de que los maestros gnósticos eran varios y diversos porque las doctrinas que enseñaban y sus modos de actividad espiritual eran esencialmente variados dentro del marco general de la escuela teosófica elegida (herejía) para su edificación espiritual: barbelognóstica, setiana, naasena, ofita, simoniana, basilidiana, valentiniana y otras, en el marco de un aire de familia espiritual y especulativo común presidido por el fin de la sabiduría liberadora o gnosis. Mientras que en el

42. Cf. Orígenes, De principiis III 2,7-III 3,4.

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El Sobre los principios de Orígenes y el Tratado tripartito Oriente prevaleció el modelo de la diversidad una, Roma levantó en el primer tercio del siglo ii, el estandarte del modelo del cristianismo uno y diverso, hasta llegar en momentos críticos a sostener el ideal de la unidad unificante o monopolizadora que en el fondo responde a las tendencias atomizadoras en doctrina y praxis. Los gnósticos, los auténticos intelectuales cristianos, creadores inagotables de universos teóricos y comunitarios libres, han pagado con el correr de los siglos al hechizo de su talento, el tributo de una intermitente extinción histórica.

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THE ANONYMOUS PARMENIDES COMMENTARY, MARIUS VICTORINUS, AND THE SETHIAN PLATONIZING APOCALYPSES: STATE OF THE QUESTION John D. turner University of Nebraska-Lincoln [email protected]

This essay is offered in tribute to our honoree, Jean-Daniel Dubois, as a review of scholarship on the origin and authorship of the anonymous Commentary on Plato’s Parmenides, with especial reference to its relationship with the Sethian Platonizing apocalypses Zostrianos and Allogenes, and to the theological treatises of Marius Victorinus. 1 The final four sections of this essay are devoted to developments of the last five years, while the first five sections serve to set the context of these more recent discussions by centering on the magisterial work of Pierre Hadot and its modifications in the work of Michel Tardieu and others, mainly as presented in Michael Chases’ masterful and detailed treatment of Porphyry’s work as a commentator on Plato and Aristotle in the Dictionnaire des Philosophes Antiques. 2 The Anonymous Parmenides Commentary as Post-Plotinian and Post-Porphyrian In 1873 the Italian philologist Bruno Peyron discovered in the National University Library of Turin, of which he was librarian, six fragments of an anonymous Parmenides Commentary in the remains of a palimpsest manuscript, apparently deriving from the Northern Italian monastery at Bobbio. The

1. 2.

This essay is offered not only in honor of Professor Dubois’ many scholarly contributions, but also in profound appreciation to him and his family, including his wife Patricia of recent memory, for their warm hospitality in the course of many visits to Paris. M. chase, “Porphyre de Tyr. Commentaires à Platon et à Aristote,” in R. Goulet (ed.), Dictionnaire des Philosophes Antiques, vol. 5/2, De Plotin à Rutilius Rufus, Paris 2012, pp. 1349–1376, esp. pp. 1358–1371.

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John D. Turner fragments were first published in 1892 by Wilhelm Kroll, but a dozen years later were destroyed in a fire that swept the library in January, 1904. Kroll contended that the author of the work should be located between the time of Iamblichus and Syrianus, mainly on two grounds, first, that its use of the noetic triad of Being-Life-Mind in its theory of the generation of reality from the supreme One came into use in the metaphysical speculation of their times (esp. frag. VI), 3 and second, its interest in the Chaldean Oracles (esp. frag. IV) 4 at a time before the doctrinal and terminological systematization inaugurated by Syrianus and Proclus. 5 Kroll’s dating was subsequently discussed and corrected by Wilhelm Wundt and Rudolf Beutler. 6 Wundt sought an author earlier than Syrianus, but thought that, since the Being-Mind-Life triad was also evidenced in Plotinus and Porphyry, the author of the commentary could have lived even before Iamblichus. Because of the different treatments of the first Hypothesis of the Parmenides, he was led to exclude a follower of Iamblichus, although because of the rather highly articulated linkages between principles, he suggested a later author, perhaps Plutarch of Athens. Fifteen years later, Beutler attributed the commentary to Plutarch of Athens. 7

3.

4.

5. 6. 7.

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Anon. in Parm. 14.15–26: “Taken in itself as its own idea it—this power, or whatever term one might use to indicate its ineffability and inconceivability—is one and simple. But with respect to existence (ὕπαρξις), life (ζωή) and intellection (νόησις) it is neither one nor simple. Both that which thinks and that which is thought (are) in existence (ὕπαρξις), but that which thinks—if Intellect passes from existence to that which thinks (νοοῦν) so as to return to the rank of an intelligible and see its (prefigurative) self—is in life. Therefore thinking is indeterminate with respect to life. And all are activities (ἐνεργείαι) such that with respect to existence, activity would be static; with respect to intelligizing, activity would be turning to itself; and with respect to life, activity would be inclining away from existence.” Anon. in Parm. 9.1–8: “Others, although they affirm that he has ‘snatched himself away’ from all that is his (cf. Chaldaean Oracles frag. 3, ‘the Father snatched himself away, and did not enclose his own fire in his intellectual Power’), they nevertheless concede that his power and intellect are co-unified in his simplicity and assign him even still another intellect (cf. Chaldaean Oracles frag. 7, ‘For the Father perfected all things and handed them over to the Second Intellect, which you—the entire human race—call the First Intellect’), and, although they do not separate him from the (supreme) triad, they believe that he abolishes number such that they absolutely refuse to say that he is the One.” W. K roll, “Ein neuplatonischer Parmenides-kommentar in einem Turiner Palimpsest,” Rheinisches Museum für Philologie 47 (1892), pp. 599–627, esp. p. 624. W. WunDt, Platons Parmenides, Stuttgart-Berlin 1935, pp. 24–26. R. Beutler, “Plutarchos von Athen,” in Paulys Real-Enzyclopäidia der classischen Altertums-wissenschaften XXII, Stuttgart-Waldsee 1951, coll. 974–975.

The Anonymous Parmenides Commentary The Anonymous Commentary as Porphyrian: the Work of Pierre Hadot In a series of magisterial studies on Porphyry’s metaphysics during the 1960s, 8 Pierre Hadot strove to show that, far from being simply an editor and a popularizer of Plotinus, Porphyry was in fact a great innovator of Neoplatonic philosophy. According to Hadot, the terminus ad quem of the Commentary’s six fragments would be the fifth century ce, while the terminus a quo would be Plotinus, since their doctrine of the Being-Life-Mind triad is already adumbrated in the Enneads. However, the commentary must be post-Plotinian, since many passages assume his teaching: Plotinus’ doctrine of the One; the equation between the first principles as hypostases and the hypotheses of the Parmenides; the doctrine of the Intellect, including a state where it transcends itself to unite with the One; and sketches of a doctrine of the three stages of Being, Life and Intellect, but developing them and making them explicit in a way that is not found in Plotinus. On the other hand, as Michael Chase notes, the Commentary contains notions dramatically different than those of Plotinus: 9 Thus, in place of the Plotinian One, most often characterized as dunamis, the Commentary puts the act of being or pure activity, 10 something that Plotinus refused. The action of the Supreme Principle is described in terms of causality (πάντων τῶν ὄντων αἰτία, In Parm. XIII 22–23), something that Plotinus tends to avoid. 11 Likewise non-Plotinian is the notion that the second One participates in the First One, which is conceived as the idea of being, 12 as is the Commentary’s distinction between the two states of the intellect, a notion of distinctly Middleplatonic inspiration.

P. h aDot, “Fragments d’un commentaire de Porphyre sur le Parménide,” Revue des études grecques 74 (1961), pp. 410–438; iD., “La métaphysique de Porphyre,” in Porphyre, Geneva 1966, pp. 127–157; iD., Porphyre et Victorinus, Paris 1968, 2 vols. 9. M. chase, “Porphyre de Tyr”, p. 1372. 10. A distinction based on the Aristotelian doctrine of equivalence between ousia and energeia (Aristotle, Metaph. H2.1042b9–11.25-28) is found in the Turin fragments (In Parm., XII. 25-26) with regard to the identification of absolute infinitival being (einai) understood as “act” (energein) which is distinct from the second one understood as “being” (on). A doxography in Proclus’ In Parmenidem VI, coll. 1106,31–1108,19 presents a doctrine attributed to Porphyry, who distinguished between essence (ousia) and activity energeia), which gives the second One priority over the First; cf. P. h aDot, Porphyre et Victorinus, vol. I, pp. 355–375. 11. On causality in Marius Victorinus, M. chase, “Porphyre de Tyr”, p. 1359, refers to W. BeierWaltes, “Substantia und subsistentia bei Marius Victorinus,” in F. romano – D. P. taormina (eds.), Hyparxis e Hypostasis nel Neoplatonismo. Atti del I Colloquio Internazionale del Centro di Recerca sul Neoplatonismo, Università degli Studi di Catania, 1-3 ottobre 1992, Firenze 1994, pp. 43–58. 12. Cf. D. H. BraDshaW, “Neoplatonic Origins of the Act of Being,” The Review of Metaphysics 53 (1999–2000), pp. 383–401. 8.

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John D. Turner Moreover, the Commentary explicitly cites the Chaldaean Oracles (a version of OC 3 and 4 on the Father-Power-Intellect triad), apparently ignored by Plotinus, but with a certain critical reserve concerning both the Oracles and those who had transmitted them, likely Julian the Chaldaean Theurgist and/ or his namesake son Julian the Theurgist, the traditional late second century compilers of the oracles: “In a way, this is correctly and truly said, if gods, as those say who have passed on this tradition, really have proclaimed these things” (Anon. in Parm. 9,8–10; transl. Bechtle). Hadot notes that this cautious attitude is inconsistent with the religious enthusiasm of Iamblichus and later writers, but it does correspond to views expressed elsewhere by Porphyry, the first known author of a commentary on the Chaldean Oracles, but who at the same time radically subjects theurgical to philosophical doctrine, as seen clearly in his De regressu animae (Augustine, City of God, Book 10). Also, perhaps in an attempt to reconcile the metaphysics of Plotinus with that of the Chaldean Oracles, the Commentary’s description of the deployment of Intellect through the successive stages of Existence (hyparxis), Life, and Intellect seems to mirror the Chaldean supreme intelligible triad of the Father, Hecate, and the second demiurgical Paternal Intellect. 13 In addition, Hadot noted that the Commentary contains a number of typically Porphyrian views: the importance of Middle-Platonist philosophical doctrines such as: 1) identifying the first principle with pure Being, a trait that goes back, neither to Plotinus or to the successive development of neo-Platonic thought, but to earlier Middleplatonists like Plutarch and Numenius; 2) its concept of the prefiguration of the Intellect in the First One reminiscent of the Numenian theory of two Intellects, where the first God thinks by using the second one, the Intellect proper; and where the second God participates in the Goodness of the first one (frags. 17, 19–22 des Places); and 3) the Stoic distinction between fusion and juxtaposition (sungkhusis and parathesis) to describe the union between the One and Being, 14 which is also used by Porphyry in other contexts to explain the union of soul and body or to illustrate how a definition unifies subject and predicate. 15

13. Thus apparently compromising the hyper-transcendence of the supreme principle in Plotinus; as M. chase, “Porphyre de Tyr”, p. 1362 notes: “Thus Damascius (De princ., Chap. 43, p. 86, 8 ff. Westerink-Combès) criticizes Porphyry precisely for having identified the principle of the All with the Father of the Chaldean intelligible triad, a testimony echoed in Proclus, in Parm., 1070, 15 ff. Cousin,” thereby compromising the One’s transcendence. 14. Anon. in Parm., 10.5. 15. Porphyry, In Cat., 95,22; Isagoge, 12,25.

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The Anonymous Parmenides Commentary In support of the Commentary’s attribution to Porphyry, Hadot appeals to the vocabulary of the Commentary, which corresponds largely to that of Porphyry, 16 while only a small proportion of the words (about one-ninth) appearing in its fragments is unattested elsewhere in Porphyry, among which are eleven words that can neither belong to the ordinary language or the philosophical lexicon of that time, nor can be regarded as clearly late or foreign to Porphyry’s cultural world. 17 Among numerous terms fairly typical of Porphyry, Hadot noted the use of the phrase “the God who is above all” (ho epi pasin theos) which Hadot considered to be “almost a signature of Porphyry.” In addition to these internal arguments, another important element in Hadot’s argument for Porphyry’s authorship is the presence of various of the Commentary’s philosophical concepts in the theological works of Marius Victorinus. In his book of 1968 Hadot adds a series of arguments based on a comparison between the commentary and some 89 passages from Marius Victorinus’ Latin theological writings, composed circa 360, whose argumentative form and relative autonomy from their context suggest that Victorinus obtained these from a Greek Neoplatonic philosophical source. As the Latin translator of Porphyry’s Isagoge, Victorinus may also have had access to other Porphyrian sources, such as the Commentary on the Parmenides. For Hadot, the instances of Porphyrian philosophical doctrine in both Victorinus and in the Commentary coincide, with the obvious exception of Victorinus’ enneadic structuring of the Being-Life-Mind triad by means of the principles of cyclical relative predominance and mutual implication among its three components. If certain doctrines of Porphyrian ancestry present in Victorinus coincide with those of the Commentary, the Commentary must be by Porphyry. 18

16. Namely ἀνεννόητος, ἀνεπινόητος, ἐξαλλάττειν, ἔχεσθαι, καταλαμβάνειν, ἐξηγητικός, μηνύειν, ὐσιοῦσθαι, παράστασις, προσόντα; ἰδιότης, ὅλος, ποιεῖσθαι, ὑπόστασις, προσπάθεια, δίκην ἀποτίννυσθαι, σπᾶν, ἀποσπᾶν, ἀναπόσπαστος, ἀπερίσπαστος, ἐπισπάσθαι, παράσπασις, κατασπᾶν, σωτηρία τῆς ψυχῆς, κἄν, and ἐκεῖνος as designating the supreme God. Cf. P. h aDot, “Fragments d’un commentaire de Porphyre sur le Parménide,” pp. 410–438, esp. pp. 430–438 and Porphyre et Victorinus, vol. I, p. 11 and notes to translations in vol. II, pp. 65–113. 17. Namely ἀκραιφνότης, ἀναγγελτικός, ἀσύζυγος, ἄσχετος, ἑνάς, ἐνούσιος, προούσιος, καθυπονοεῖν, παρέλλειψις, πλήρωμα, πληρωτικός; cf. P. h aDot, “Fragments d’un commentaire de Porphyre sur le Parménide,” pp. 431–434. 18. P. h aDot, Porphyre et Victorinus, vol. I, pp. 45–77; vol. II, pp. 13–57.

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John D. Turner Initial Assessments of Hadot’s Work Initially, Hadot’s attribution of the Commentary to Porphyry was accepted by a number of eminent historians. Among these, Chase 19 discusses Henri Dominique Saffrey, Marie-Claude Galpérine, John M. Dillon, Pierre Thillet, Richard C. Taylor, Jens Halfwassen, Cristina D’Ancona Costa, Marco Zambon, and Luc Brisson (who suggests also Amelius as a possibility). 20 However, as Chase goes on to point out, the attribution of the Anonymous Commentary to Porphyry did not gain acceptance among all historians, and was challenged on two main grounds: first, the limited amount of distinctively Porphyrian material in the anonymous Commentary, and second, the absence of Plotinian ideas that a post-Plotinian writer might have been expected to employ. Moreover, resemblances between the anonymous Commentary and Plotinus are found primarily in Plotinus’ early works, where he is particularly likely to be making use of pre-Plotinian material. Among those who have questioned this attribution during the three decades following Hadot’s Porphyre et Victorinus, Chase notes Andrew Smith, Mark Edwards, Alessandro Linguiti, Gerald Bechtle, and Kevin Corrigan, whose objections Chase categorizes as follows: 21 1) The silence of Proclus on the Anonymous Commentary is hard to explain if the author really was Porphyry (Smith, Linguiti, Corrigan); 2) the speculative nature Hadot’s arguments are not sufficient to provide certainty (Smith, Edwards, Linguiti); 3) major philosophical themes that characterize the Anonymous Commentary, such as the Being-Life-Mind triad, are not found in other works of Porphyry (Edwards, Linguiti); and 4) the parallels Hadot drew between the vocabulary of the Anonymous and Porphyry are not conclusive (Edwards, Bechtle, Corrigan). With regard to the author, Smith, Edwards and Linguiti consider a successor, whether direct or indirect, of Porphyry, while Bechtle locates the author of the Commentary in the circle of Numenius (Corrigan suggests Cronius), implying that its composition would date at least a century earlier, and that its author

19. M. chase, “Porphyre de Tyr”, pp. 1363–1365. 20. Ibid., pp. 1364–1365. 21. Ibid., citing A. smith (ed.), Porphyrii Philosophi Fragmenta, Stuttgart-Leipzig 1993; M. J. eDWarDs, “Porphyry and the Intelligible Triad,” Journal of Hellenic Studies 110 (1990), pp. 14–24; [Porfirii?] Commentarium in Platonis Parmenidem, ed. A. linGuiti, Firenze 1995 (Corpus dei Papiri Filosofici Greci e Latini, parte III: Commentarii), pp. 63–202; G. Bechtle, The Anonymous Commentary on Plato’s ‘Parmenides,’ BernStuttgart 1999; K. corriGan, “Platonism and Gnosticism. The Anonymous Commentary on the Parmenides: Middle or Neoplatonic?” in J. D. turner – R. m aJerciK (eds.), Gnosticism and later Platonism. Themes, Figures and Texts, Atlanta 2000, pp. 141–178.

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The Anonymous Parmenides Commentary would not be Neoplatonic, but Middle-Platonic. In this case, the various apparently Plotinian elements of the Commentary would in fact be pre-Plotinian Middle-Platonic doctrines destined to be developed by Plotinus. 22 The anonymous Commentary, Victorinus, and the Sethian Apocalypse Zostrianos The crucial factor in the debate over the authorship of the anonymous Parmenides Commentary during the 1990’s was the recognition of a large number of similarities between the metaphysics of the Commentary and that of the theological treatises of Marius Victorinus composed circa 357–363 ce and the Platonic features of the four Platonizing Sethian treatises from the Nag Hammadi Coptic Library—the Three Steles of Seth, Zostrianos, Allogenes, and Marsanes—that occupied the research of such historians of Gnosticism as John Turner, Ruth Majercik, Luise Abramowski, and others. Central to this research were the Sethian Platonizing treatises Zostrianos and Allogenes, which Porphyry himself informs us were read and refuted in the circle of Plotinus in the years 263–268 (Life of Plotinus 16). All three of these scholars agree that the Gnostic treatises read and refuted in the circle of Plotinus were mythological presentations of their doctrine. Turner thinks that the triadic metaphysics based on these treatises’ theogonical interpretation of the triads Being-Life-Mind and Kalyptos-Protophanes-Autogenes was available to Plotinus through their Greek exemplars of which the extant Coptic versions are more or less faithful renditions, and thus could have served as important sources and even catalysts for the emanative metaphysics of Plotinus and even Porphyry. 23 Also in the early eighties, Abramowski, while accepting this pos-

22. Bechtle (The Anonymous Commentary, pp. 90–95, p. 100, pp. 205–242) observes that (1) the Commentary’s (frag. 6) first principle has a noetic character, and (2) its transcendence of determinate Being is not clearly expressed; (3) a version of the Being-MindLife triad is already found in an implicit (and non-canonical) form in Numenius (frag. 12 des Places); (4) The term ὕπαρξις is found already in both Numenius, (frags. 3 and 16 des Places) and the Chaldean Oracles (frags 1.10 and 20.2 Majercik), and (5) the theory of “two states of intellect” is found in the Chaldean Oracles, Numenius, and even early Plotinus (Enn. 3.9 [13]). Moreover, the Anonymous contains various inconsistencies with Porphyry’s thought: while Porphyry accepted the authority of the Chaldean Oracles, the Commentary criticizes either them or those who gathered and transmitted them, presumably the Julians father and son; in the Commentary, the hypostases of power (δύναμις) and life (ζωή) are distinct from one another, while according to Hadot they were interchangeable for Porphyry. Finally the Commentary contains no trace of the “enneadic” structure of first principles that Hadot claims that Porphyry derived from his interpretation of the Chaldaean Oracles. 23. J. D. turner, “The Gnostic Threefold Path to enlightenment. The Ascent of Mind and The Descent of Wisdom,” Novum Testamentum 22 (1980), pp. 324–351; iD., “Sethian Gnosticism: A Literary History,” in C. W. heDricK – R. hoDGson (eds), Nag Hammadi,

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John D. Turner sibility of a pre-Plotinian date for these treatises, argued that it is just as and perhaps more likely that these treatises are post-Plotinian, since they employ terminology reflected in the theological works of Marius Victorinus that Hadot had shown to derive from Porphyry. 24 Following Abramowski’s lead, in 1992, Majercik argued that the Sethian apocalypses post-date both Plotinus and Porphyry; 25 owing partly to rebuttals of these treatises presented by Plotinus’ pupils including Porphyry, their Gnostic authors subsequently amended their mythologized metaphysics in the direction of greater philosophical sophistication, and for this they would have used not only the metaphysics of Plotinus, but even more so those gleaned from various writings of Porphyry, including his commentaries on the Chaldean Oracles, and especially his Commentary on the Parmenides, whose attribution to Porphyry these two historians accept. Majercik argued that four characteristics of the Sethian Platonizing treatises strongly suggest that they must be post-Plotinian: 26 1) the explicit and fixed form of the Sethian ontogenetic Existence-Vitality-Mentality, known in the Gnostic texts as the Triple Powered One, is non-Plotinian; 2) the use of Existence (hyparxis) for the first item of the Gnostic triad has no parallel in Plotinus; 3) some of the variants of the triad Substantiality (ontotēs), Vitality (zōotēs), Mentality (nootēs), also appearing in Victorinus’ Adversus Arium IV.5,35–45, reflect a method of paronyms uncharacteristic of Plotinus, but typical of Porphyry 27; and 4) the principles of mutual implication and cyclical predominance which describe the relation between the three members of the triad play a minor role, if any at all, in Plotinus’ metaphysics. Majercik compares a series of passages from Zostrianos and Adversus Arium and concludes from the close similarities in both that the authors of Zostrianos, Allogenes, and Steles Seth must have had access to the same Greek source that was used by Victorinus and Synesius, and that the most likely candidate is a nowlost commentary by Porphyry on the Chaldean Oracles, not to mention the Parmenides Commentary itself.

24.

25. 26. 27.

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Gnosticism and Early Christianity, Peabody (MA) 1986, pp. 55–86 ; iD., “Gnosticism and Platonism: The Platonizing Sethian Texts from Nag Hammadi in their Relation to Later Platonic Literature,” in R. T. Wallis (ed.), Neoplatonism and Gnosticism, Albany 1992, pp. 425–459. L. a BramoWsKi, “Marius Victorinus, Porphyrius und die Römischen Gnostiker,” Zeitschrift für die Neuetestamentliche Wissenschaft 74 (1983), pp. 108–128, repr. in eaD., Formula and context. Studies in Early Christian Thought, Aldershot-Burlington (Vt.) 1992, and “Nag Hammadi 8.1, ‘Zostrianus,’ das anonymum Brucianum, Plotinus Enn. 2.9 (33),” in Festschrift für H. Dörrie, Jahrbbuch für Antike und Christentum, Münster 1983, pp. 1–10. R. m aJerciK, “The Existence–Life–Intellect Triad in Gnosticism and Neoplatonism,” Classical Quarterly 42/2 (1992), pp. 475–488. R. m aJerciK, “The Existence–Life–Intellect Triad,” p. 476. P. h aDot Porphyre et Victorinus, vol. I, pp. 361–375. Interestingly, M. J. eDWarDs (“Porphyry and the Intelligible Triad,” Journal of Hellenic Studies 110 [1990], pp. 14–25) attributes the noetic triad to an even later post-Porphyrian Platonist.

The Anonymous Parmenides Commentary Given these difficulties, the Coptic versions of the Platonizing texts from Nag Hammadi could not have been the same (Greek) apocalypses known to Plotinus, but are rather revisions of those apocalypses that incorporated the more sophisticated metaphysics of Porphyry’s Commentary on the Parmenides in response to Porphyry’s and Amelius’ attacks “to gain intellectual credibility in Roman philosophical circles.” 28 The terminus a quo for the extant versions of Allogenes, Steles Seth, and Zostrianos buried at Nag Hammadi near the late third or early fourth century is at least 268 ce or after Plotinus’ death, and—since we may have to do with a more or less continuous series of rewritings of the Coptic translations before the Nag Hammadi Library was likely buried in the Egyptian desert circa 350 29 —at the latest any time during the first quarter of the fourth century. On this hypothesis, which we may call the “redaction hypothesis,” any parallels between the anonymous Parmenides Commentary and the extant redactions of the Platonizing Sethian tractates result from Neoplatonic, and especially Porphyrian, influence upon the latter. Furthermore, this hypothesis implies that any parallels with Plotinus could be explained as also formulations inherited from his student, Porphyry. A pre-Porphyrian Common Source shared by Zostrianos and the Anonymous Commentary: the Work of Michel Tardieu In 1996 Michel Tardieu published his and Pierre Hadot’s discovery of “a literal synopsis between Marius Victorinus’ Adversus Arium, I.49,9–50,21 and the Coptic version of Zostrianos in Nag Hammadi Codex VIII (64,13– 66,12 and intermittently in 66,12–84,22).” 30 Behind the texts of Victorinus and the Gnostic treatises, Tardieu postulated the existence of a common source, a Greek text of Middle-Platonic provenance, a Neoplatonic source being excluded because the author calls the One a solely existing Spirit (pneuma), and describes the Father’s power of being an “idea and logos of

28. R. m aJerciK, “The Existence–Life–Intellect Triad,” p. 486. 29. R. m aJerciK, “Chaldaean Triads in Neoplatonic Exegesis: Some Reconsiderations”, Classical Quarterly 51 (2001), pp. 265–296, esp. p. 292 n. 89. Indeed, L. a BramoWsKi, “Marius Victorinus, Porphyrius und die römischen Gnostiker,” p. 108, notes that for the Gnostics “there were no canonical books whose text demanded preservation; instead, new doctrinal elements were inserted into the existing texts in different ways, which remain discernible by literary analysis.” 30. M. tarDieu, “Recherches sur la formation de l’Apocalypse de Zostrien et les sources de Marius Victorinus,” Res Orientales 9 (1996), pp. 7–114, esp. p. 110. See also M. tarDieu, “Les Gnostiques dans la Vie de Plotin. Analyse du chapitre 16,” in L. Brisson – J. L. cherlonneix – M.-O. Goulet-cazé et al., Porphyre, Vie de Plotin, Paris 1992, vol. II, pp. 503–563. On this, see also my introduction and commentary to Zostrianos in C. Barry – W.-P. FunK – P.-H. poirier – J. D. turner, Zostrien (NH VIII, 1), QuébecLeuven-Paris 2000, esp. p. 77, p. 150, and pp. 579–608.

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John D. Turner itself” (Zostrianos 66,18–21), a formula that Plotinus would have rejected. This source, whose author Tardieu suspected to be Numenius, was already written in 263, embedded in the Greek version of Zostrianos known to Plotinus and his followers and was more or less identical to the Coptic version in the Nag Hammadi Codex VIII. 31 In his accompanying reply to Tardieu, Hadot himself admitted that the three fragments of this common source indeed cannot be by Porphyry, and may, in fact, derive from a pre-Plotinian Gnosticized text (perhaps from the circle of Numenius), known to both Victorinus and the author of Zostrianos. 32 Tardieu furthermore noted 33 that the anonymous Parmenides

31. Although in the opinion of M. J. Edwards, the Commentary “evinces no uncommon degree of fidelity to Numenius” (“Porphyry and the intelligible triad,” Journal of Hellenic Studies 110 [1990], pp. 14–24, here p. 22). 32. P. h aDot, “Porphyre et Victorinus: Questions et hypothèses,” Res Orientales 9 (1996), pp. 115–125. In this regard Ruth Majercik (“Porphyry and Gnosticism,” Classical Quarterly 55/1 [2005], pp. 277–292, esp. p. 292) later noted that among the Greek terms used by Victorinus to describe the First Principle, none is attested for Numenius. 33. M. tarDieu, “Recherches sur la formation,” pp. 100–101: “Ainsi que le note Pierre Hadot (Porphyre et Victorinus, II, p. 91,2), la formule simplicitate unus qui sit tres potentias couniens [Adversus Arium 50,10] se retrouve textuellement dans le Commentaire au Parménide, qu’il attribue à Porphyre, IX 4: ἐν τῇ ἁπλότητι αὐτοῦ συνηνῶσθαι. Voici ce passage : « D’autres, bien qu’ils affirment qu’Il (le Père) s’est lui-même dérobé à toutes les choses qui sont à Lui, concèdent néanmoins que sa puissance et son intellect sont co-unifiés dans sa simplicité » (IX 1–4, trad. Hadot, p. 91). L’expression οἱ εἰπόντες désigne les Oracles chaldaïques, puisque la première partie de la tradition qui leur est attribuée, ἁρπάσαι ἑαυτόν est une citation de l’oracle 3,1 : ὁ πατὴρ ἥρπασσεν ἑαυτόν. Dans la seconde partie de cette tradition, δύναμίν τε αὐτῷ διδόασι καὶ νοῦν ἐν τῇ ἁπλότητι συνηνῶσθαι, l’auteur présumé du Commentaire, autrement dit Porphyre, n’utilise plus la terminologie chaldaïque mais celle de l’exposé (in simplicitate couniens) pour interpréter le second vers du même oracle 3, connu par Psellos (= oracle 33 chez Pléthon, ed. Tambrun-Krasker, pp. 4, 18 et 147–150) : οὐδ’ ἐν ἑῇ δυνάμει νοερᾷ κλείσας ἴδιον πῦρ. Par conséquent, force est de constater que les témoignages cités disent tous les trois la même chose : 1) l’exposé commun à Marius Victorinus et au Zostrien, affirme d’abord que l’Esprit est in semet ipso manens, solus in solo (50,9) puis énonce le contraire, à savoir que l’Esprit co-unifie dans sa simplicité les trois puissances de l’existence, de la vie et de la béatitude (50,10-11) ; 2) selon le fr. 3 des Oracles chaldaïques, pareillement, le Père à la fois s’est dérobé (= reste seul) et n’enferme pas dans sa puissance le feu qui lui est propre, il ne reste donc pas seul et se déploie; 3) Porphyre, enfin, affirme, avec les Oracles, que l’Un se dérobe, et, avec l’exposé, que sa puissance est co-unifiée dans la simplicité. Ces trois témoignages coïncident mais révèlent aussi une histoire. Dès lors, en effet, que l’auteur du Commentaire au Parménide réunit dans la même exégèse deux formules, l’une appartenant aux Oracles chaldaïques, l’autre à l’exposé, ces deux documents sont donc les sources de cet auteur, antérieures à lui et tenues par lui comme textes fondateurs. De la même façon qu’il est peu crédible qu’il y ait identité d’auteur entre 2 et 3, l’hypothèse d’une identité d’auteur entre 1 et 3 paraît, comme nous l’avons déjà vu, difficilement envisageable en raison même de la dénomination d’Esprit (Pneuma) donnée à l’Un-Père par l’exposé.”

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The Anonymous Parmenides Commentary Commentary that Hadot had attributed to Porphyry contains a statement 34 that depends upon both the Chaldaean Oracles 35 and the theological source common to Victorinus 36 and Zostrianos, 37 to the effect that the supreme One’s power and intellect are co-unified in his simplicity. This suggests that this common source predates even the anonymous Commentary. Coupled with the previous arguments for a pre-Plotinian origin of the anonymous Parmenides Commentary, Tardieu’s observation further strengthens the probability that the Commentary is not by Porphyry, but—perhaps together with others like it, such as the common source—is a product of pre-Plotinian Middle Platonic Parmenides interpretation. Tardieu’s discovery had a huge impact on the question of the authorship of the anonymous Commentary, which, along with the Platonizing Gnostic texts from Nag Hammadi, became a topic of debate in the 1993–1998 Society of Biblical Literature seminar on Gnosticism and Later Platonism. 38 For example, Kevin Corrigan, who in 1987 had supported the attribution of the anonymous Commentary to Porphyry, 39 concluded in light of Tardieu’s discovery that the Commentary is probably pre-Plotinian and Middle Platonic; it “could not have been written by Porphyry,” but should be attributed to a circle around Numenius and Cronius. He noted that the Commentary’s doctrine of participation, that the Second One receives being from the idea of being which

34. See Anon. in Parm. 9.1–8, cited above n. 4. The commentator alludes to certain thinkers who apparently thought that the Oracles had located a Father-Power-Intellect triad within a supreme Father conceived as a monadic intellect who presides over “still another” subjacent triadic intellect. It appears that not only Zostrianos and Allogenes, but also these thinkers and the anonymous Commentary itself entertain a triadic doctrine related to that of the Chaldaean Oracles, although they take a critical stance towards it. 35. Chaldaean Oracles frag. 3: “the Father snatched himself away and did not enclose his own fire in his intellectual Power” [Majercik] and 4: “For power is with him (for the commentator, the Father), but intellect is from him” [Majercik]. According to the Commentary, since the Father snatched himself away, he cannot be called a solitary “One”; as the first member of a triad, he is instead “co-unified” with the entire triad as a three-in-one unity. A similar notion of self-rapture, which seems to be implied in Moderatus (apud Simplicius, In Phys. 9.231.7–10: ὁ ἑνιαῖος λόγος […] κατὰ στέρησιν αὑτοῦ ἐχώρησε τὴν ποσότητα πάντων αὐτὴν στερήσας τῶν αὑτοῦ λόγων καὶ εἰδῶν), may possibly be reflected also in the Sethian Platonizing treatise Marsanes (NHC X 9,29–10,4) when it says that the Invisible Spirit “ran up to his place,” apparently causing the entire divine world to unfold and be revealed “until he reached the upper region.” 36. Esp. Adversus Arium I, 50,10: “Since he is one in his simplicity, containing three powers: all Existence, all Life, and Blessedness.” 37. Esp. NHC VIII 66,14–20: “For they are [triple] powers of his [unity: complete] Existence, Life and Blessedness. In Existence he exists [as] a simple unity.” 38. The proceedings of this seminar appeared in J. D. turner – R. m aJerciK (eds.), Gnosticism and Later Platonism: Themes, Figures, and Texts, Atlanta (GA) 2001. 39. As noted by M. chase, “Porphyre de Tyr”, p. 1366, referring to K. corriGan, “Amelius, Plotinus and Porphyry is Being, Intellect and the One. A reappraisal,” Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II 36/2, Berlin 1987, pp. 975–993, esp. p. 977.

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John D. Turner is the First One, is the sort of participation which both Syrianus and Proclus specifically deny to Porphyry, but attribute to earlier pre-Plotinian Middle Platonic and Neopythagorean thinkers like Numenius, Cronius, and Amelius. The Commentary’s two states of intellect theory is more comparable to Middle Platonic doctrine as well as to early tendencies in Plotinus’ writings to split intellect into a ‘standing’ and a ‘moving’ intellect (e.g. III, 9 [13], 1). Indeed, the Commentary’s description of the dynamic process of Intellect’s “auto-positioning” is itself quite close to Plotinus’ three-phase ontogenetic process consisting of an immobile motion, a moment of static identity, and a moment of burgeoning duality based on motion and otherness (e.g., VI, 7 [38], 13, 16-21), a process that is not that distant from earlier Neopythagorean notions of deriving a dyad from a monad as in Nicomachus and Theon. 40 Similarly influenced both by Tardieu’s discovery and other striking parallels between the Commentary and the metaphysics of Zostrianos in general were Gerald Bechtle 41 and myself. 42 I concluded that “the metaphysics of Zostrianos and Allogenes are dependent on neither Plotinus nor Porphyry nor later sources, but on previous Middle Platonic sources that included a theological interpretation of Plato’s Parmenides, sources that may have included the anonymous Parmenides Commentary itself.” 43 However, the analysis of Tardieu did not win the support of all historians. 44 In his response to Tardieu’s results, Hadot, while recognizing that Zostrianos likely relies on a Middle-Platonic source, points out that, of the three groups

40. K. corriGan, “Platonism and Gnosticism: The Anonymous Commentary on the Parmenides, Middle or Neoplatonic?,” in J. D. turner – R. maJerciK (eds.), Gnosticism and Later Platonism, pp. 141–177, esp. pp. 142–144, pp. 160–161. The Commentary espouses a (somewhat obscure) participation of the Second One in the First One, which amounts to a participation deriving intelligible reality from the highest idea of itself in the First One. Syrianus and Proclus make it clear that according to Porphyry there was only one participation—of sensibles (αἰσθητά) in intelligible reality—whereas in Numenius, Cronius, Amelius, and Plotinus there is also an intellectual participation (Syrianus, In Metaph. 109,12–14 [Kroll]; Proclus, In Tim. 248e-249b; III,33.31–32 [Diehl]). So if the Commentary holds a similar “Middle” Platonic view, namely, an intellectual participation, then it cannot be by Porphyry. 41. G. Bechtle, “The Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commentary,” Ancient Philosophy 20 (2000), pp. 393–414, esp. pp. 408–411. Seeking pre-Porphyrian analogues to the Anonymous Commentary, Bechtle maintains that both the ineffable One of the first Parmenidean hypothesis and the One-existent of the second hypothesis can be found in close proximity in the Sethian Platonizing treatise Allogenes, which Porphyry also includes among those apocalypses circulation in Plotinus’ seminar. 42. J. D. turner, “The Setting of The Platonizing Sethian Texts in Middle Platonism,” in J. D. turner – R. m aJerciK (eds.), Gnosticism and Later Platonism, pp. 179–224 and iD., Sethian Gnosticism and the Platonic tradition, Québec-Louvain-Paris 2001, pp. 400–405. 43. J. D. turner, Sethian Gnosticism and the Platonic Tradition, p. 724. 44. M. chase, “Porphyre de Tyr,” p. 1367, calling attention to Abramowski’s observation that Tardieu’s translations of the Coptic text of Zostrianos which represents “textual” parallels with passages from Marius Victorinus, including the formula “logos of itself,”

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The Anonymous Parmenides Commentary of Marius Victorinus’ theological texts that he distinguished as probably having Greek sources, material from the common source seems to underlie only group II containing material, mainly from Adversus Arium I.48–64 and III.1. According to this material, the second principle emanates from the first as an indeterminate Vitality or Life that achieves determinate identity as the second principle (Intellect, here named Blessedness, beatitudo) in a subsequent act of intellectual reversion upon its own prefiguration pre-existing in the first principle. 45 Nor does Tardieu’s hypothesis help to explain the presence in of clearly Porphyrian themes throughout the theological works Victorinus, or those deriving from an exegesis of the Chaldean Oracles. 46 While Tardieu suggests attributing the common source to Numenius as one of the few school Platonists that might have been daring enough to identify the PlatonicPythagorean One beyond all being with the universal, all-pervading LogosSpirit of Stoic thought, Hadot would avoid attributing such a radical move to Numenius by proposing that the purely Platonic common source was mediated to Zostrianos and Victorinus by a subsequent Christianized or Gnostic version of it that itself originated the identification of the One as the Spirit. Moreover, one may ask whether the identification of the One with an “immeasurable Spirit” in Zostrianos 64,17—an identification absent from the negative theology of Adversus Arium I, 49,9–40—stems from the source common to Zostrianos and Victorinus, or was added by the author of Zostrianos (so Tardieu), or perhaps was added to a Christian or Gnostic revision of the common source that was used by both (so Hadot). 47 Interestingly, Victorinus

sometimes differ significantly from those given by other recent translators of that treatise (L. a BramoWsKi, “Nicänismus und Gnosis im Rom des Bischof Liberius: der Fall des Marius Victorinus,” Zeitschrift für Antike und Christentum 8 [2004], pp. 513–566, esp. p. 520). 45. See on these texts, see P. h aDot, Porphyre et Victorinus, vol. I, pp. 68–77; pp. 102–146, who gathers and reprint them in vol. II, pp. 13–55. Group I, taken mainly from the first part of Victorinus’ letter to Candidus (Ad Candidum 2,21-15,12), includes passages whose object is to determine the ontological status of God among the various classes of being and non-being distinguished by Plato and Aristotle. Group III, taken mainly from Adversus Arium IV.1-29, also utilizes the being-life-intellect (intelligentia, not beatitudo!) nomenclature, but its distinguishing feature is the characterization of the first One by the triad of infinitives esse, vivere, and intellegere (as well as the corresponding finite verbs and participles) according to the principle of paronymic hierarchy. In contrast to Group II, in Group III visionary reversion precedes and initiates emanation rather than following and terminating emanation by contemplative reversion upon the source. Group IV is drawn from Aristotle’s Categories, but offers no parallels to this common material. 46. P. h aDot, “Questions et hypothèses,” pp. 115–125. 47. L. a BramoWsKi (“Marius Victorinus, Porphyrius und die römischen Gnostiker,” p. 113) suggested that Porphyry has borrowed the term Spirit from the Gnostics, while R. m aJerciK (“The Existence-Life-Intellect Triad,” p. 487) argued that Victorinus’ use of Spirit” in this instance may not derive from a Neoplatonic source; unless Victorinus found this terminology in a source independent of Porphyry, the best explanation is that he equated πνεῦμα

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John D. Turner goes on to supplement his negative theology, which does not identify the One with the Spirit, with an affirmative theology of the One in Adversus Arium 50,1–16, which quite freely designates the One as the Spirit (50,4–8; 50,18). This leads Hadot to suppose the entire common source was Middle Platonic and contained no reference to the Spirit, but was subsequently re-edited by a Christian or Gnostic glossator who inserted references to the Spirit—not into the negative theology, where such glosses would be inappropriate to an exposition of the One—but into the positive theology that followed. 48 A hypothesis that could partially reconcile the views of Hadot and Tardieu was proposed by Luise Abramowski, who continues to maintain the “redaction hypothesis” that the extant Coptic version of Zostrianos results from a rewriting of the Greek version known to Plotinus in light of Porphyry’s metaphysics, but accepted Tardieu’s discovery of a common source it shares with Victorinus. For example, in her fifty-page review of Tardieu’s and Hadot’s book, 49 Abramowski accepts the presence of the term ‘spirit’ in the common source, but holds that Victorinus’ text does not actually equate the supreme God with Spirit; in Adversus Arium I, 50.4–8 (and 50.18), spiritus in the phrase tripotens in unalitate spiritus is not nominative, thus identifying God as the Spirit, but is probably genitive, referring to the unifying function of the Spirit, while the phrase perfectus et supra spiritum is nominative, referring to God. 50 The term ‘spirit’ in the source’s positive theology seems to be the equivalent of the pure infinitival being (einai) attributed to the supreme One

and πατήρ in Adv. Arium I, 50 in order to reconcile Chaldean and Christian concepts. It seems now that Majercik’s first alternative, namely that Victorinus “found this terminology in a source independent of Porphyry” is the correct solution: the source was neither Porphyry nor Victorinus, but a pre-Porphyrian and likely pre-Plotinian source common to Zostrianos and Victorinus. 48. P. h aDot, “Questions et Hypothèses,” p. 125. 49. L. a BramoWsKi, “Nicänismus und Gnosis,” pp. 513–566. 50. L. a BramoWsKi, “Nicänismus und Gnosis,” pp. 536–543. Adv. Arium 50 4 perfectus super perfectos, tripotens in 5 unalitate spiritus, perfectus et supra spiritum: non enim 6 spirat, sed tantum spiritus est in eo quod est ei esse, spiritus 7 spirans in semet ipsum ut sit spiritus, quoniam est spiritus 8 inseparabilis a semet ipso. Here one should note that Victorinus glosses the term “spirit” as designating the inward breathing (a “motionless motion”) of the One’s being (in eo quod est ei esse) which is “inseparable” from the One. In Adv. Arium I 51,27–28, ‘spirit‘ designates the power of Life in both its procession from and its return to the Father’s power. In Adv. Arium IV.10, Victorinus identifies this inward breathing as infinitival living and the inseparable simplicity of God’s self-existence (spirat vero, hoc est, quod vivit […] Spiritus ergo est vivere, et vita spiritus est: complectitur se utrumque, et in utrumque est, et alterum non ut geminum et adjectum, sed simplicitate ex se atque in se existentis, quasi alterius substantiae duplicatum, nunquam a se discretum, quia in singulis geminum. Etenim vivere cum vita est, et vita rursus cum eo est quod est vivere). In Adv. Arium IV.4,3–32 Victorinus argues: granted that God is, how should we define his being? We define his being as a substance (substantia), which is the Spirit, and this Spirit lives and is life.

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The Anonymous Parmenides Commentary by the anonymous Parmenides Commentary; for Victorinus, Spirit would be the ‘being’ (esse) of the divine One, while for Zostrianos, “Spirit” would coincide with the first of the supreme One’s three powers. In any case, both the source and its users seem to have distinguished the One from its Spirit. However, Abramowski’s main question is, how can Victorinus utilize apparently Gnostic conceptuality in many passages throughout his Adversus Arium, including I.51-54, and at the same time reject Valentinianism (as in Adv. Ar. 1.16.1)? The answer would be: because he was adopting theories of a Roman intellectual circle that included Gnostics who had assimilated themselves to Nicene theories of the Trinity which they combined with Gnostic or crypto-Gnostic concepts. They circulated texts that incorporated Gnostic concepts but made no explicit use of Gnostic myths, which Victorinus adopted without knowing their “Barbelo-Gnostic” origin, and among these was the common source underlying Zostrianos and Adversus Arium 1.4950. Moreover, the circle that used this text was ultimately responsible for Victorinus’ conversion to Christianity. In a subsequent article, 51 Abramowski proposed that, although the first negative theological portion of the source common to Zostrianos and Victorinus is generally Platonic and not Gnostic, the second, positive theological portion of the common source—with its interest in the notion of an absolute One whose existence can be characterized as a triple-powered (Existence, Vitality, and Beatitude/Mentality) Spirit—is of a gnostic, specifically Sethian (“Barbelo-Gnostic”) character. Moreover, since the second—“gnostic,” positive theological—section of the common source seems to presuppose rather than merely continue its initial, non-gnostic negative theological part, this second part must stem from a different author than the first part. But since the two parts form a literary unity in Adversus Arium, it is likely that both Victorinus and the author of Zostrianos derived the entire common source from a gnostic work—perhaps appearing in the mid-second century before the time of Irenaeus—that predates the philosophical speculation that originated among later Platonizing Sethians. While the original Greek versions of Zostrianos were known to Plotinus, this later philosophical material—which is inserted into Gnostic mythology in the form of oral revelations (“listen and I will tell you”) extracted from written philosophical sources—reflects triadic metaphysical speculation that was developed after the times of Plotinus and even of Porphyry. Thus Abramowski continues to maintain the position she shares with Majercik, that the original Greek versions of Zostrianos (and Allogenes) known to Plotinus were substantially different than the Coptic version we now possess.

51. L. a BramoWsKi, “‘Audi, ut dico’ literarische Beobachtungen und zu chronologische Erwägungen Marius Victorinus und den ‘platonisierenden’ Nag Hammadi-Traktaten,” Zeitschrift für Kirchengeschichte 117/2-3 (2006), pp. 145–168, esp. pp. 152–153.

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John D. Turner Recent research on Zostrianos has, however, cast some doubt on the “redaction hypothesis” of Abramowski and Majercik, namely that the original Greek versions of Zostrianos (and Allogenes) known to Plotinus were substantially different than the Coptic version we now possess. 52 Thus in 2005 Michel Tardieu gave a paper on “La Sophia: Plotin citateur du Zostrien” in which he showed that Plotinus’ refutation “Against the Gnostics” (Ennead II, 9 [33] 10,19–33), actually cites material contained in Zostrianos (VIII, 9,17–10,20). 53 Plotinus, Ennead II, 9 [33] 10,19–33 For they say that Soul declined to what was below it, and with it some sort of “Wisdom,” (Ψυχὴν γὰρ εἰπόντες νεῦσαι κάτω καὶ σοφίαν τινα) whether Soul started it or whether Wisdom was a cause of Soul being like this, or whether they mean both to be the same thing, and then they tell us that the other souls came down too, and as members of Wisdom put on bodies, human bodies for instance. But again they say that very being for the sake of which these souls came down did not come down itself, did not decline, so to put it, but only illumined the darkness, and so an image from it came into existence in matter. Then they form an image of the image somewhere here below, through matter or materiality or whatever they like to call it (Εἶτα τοῦ εἰδώλου εἴδωλον πλάσαντες ἐνταῦθά που δῖ ὕλης ἢ ὑλότητος ἢ οτι ὀνομάζειν θέλουσι)—they use now one name and now another, and say many other names just to make their meaning obscure— and produce what they call the Maker, and make him revolt from his mother and drag the cosmos which proceeds from him down to the ultimate limit of images (τὸν λεγόμενον παρ’ αὐτοῖς δημιουργὸν γεννῶσι καὶ ἀποστάντα τῆς μητρὸς ποιήσαντες τὸν κόσμον παρ῝ αὐτοῦ ἕλκουσιν ἐπ’ ἔσχατα εἰδώλων).

Zostrianos VIII, 9,16–10,20 When Sophia looked 17 [down], she saw the darkness, 18 [illumining it] while maintaining 19 [her own station], being [a] model for 20 [worldly] things, [a principle] for the [insubstantial] substance 21 [and the form]less form 22 [ … ] a [shapeless] shape. 23 [It makes room] for 24 [every cosmic thing … ] the All 25 [ … the corrupt product]. 26 [Since it is a rational principle] 27 [that persuades] the darkness, [he sows] 28 [from his] reason. Since it [is im]possible 29 [for the archon] of [creation] to 30 see any of the eternal entities, 10 1 he saw a reflection, and with reference to 2 the reflection that he [saw] 3 therein, he created the world. 4 With a reflection of a reflection 5 he worked upon the world, 6 and then even the reflection of 7 the appearance was taken from him. But 8 Sophia was given a place of rest 9 in exchange for her repentance. 10 In consequence, because there was within her no 11 pure, original image, 12 either pre-existing in him or that had 13 already come to be through him, he 14 used his imagination and fashioned the remainder, 15 for the image belonging to Sophia 16 is always corrupt [and] 17 deceptive. But the Archon— [since he simulates] 18 and embodies by [pursuing the image] 19 because of the superabundance [that inclined downward]— looked 20 down.

52. A sentiment more recently echoed by M. J. eDWarDs, “Christians and the Parmenides,” in Plato’s Parmenides and its Heritage, vol. II, pp. 189–198, here p. 195, cautioning that we cannot be sure that the Coptic version of Zostrianos found in Nag Hammadi is completely identical with the Greek text Plotinus criticized. 53. M. tarDieu, “La Sophia: Plotin citateur du Zostrien,” unpublished paper given at the summer 2005 Collège de France colloquium on “Thèmes et problèmes du traité 33 de Plotin contre les Gnostiques,” to be published in: Plotin et les Gnostiques. 1. La tétralogie antignostique de Plotin, Paris.

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The Anonymous Parmenides Commentary Although I would be the last to claim that our fourth century Coptic translation of Zostrianos is an exact representation of its early third century Greek original known to Plotinus, this citation makes it clear that, if one is to claim that parallels between the anonymous Parmenides Commentary and Zostrianos are to be explained as fourth century redactional additions of later Neoplatonic and especially Porphyrian doctrines, one must be prepared to show in detail which portions of Zostrianos stem from such redactional expansions and which portions represent the text that circulated in Plotinus’ Roman seminar. However, if authorship of the Commentary were assigned, not to Porphyry, but to a pre-Plotinian thinker, then Abramowski and Majercik’s arguments for a late dating of “Platonizing” Sethian texts would need modification. The Authorship of the Anonymous Parmenides Commentary: the Last Five Years The year 2010 saw the publication of several papers on the anonymous Commentary critical of Hadot’s ascription of the Commentary which were presented and discussed in the Society of Biblical Literature’s 2002-2008 seminar on “Rethinking Plato’s Parmenides and its Platonic, Gnostic and Patristic Reception.” 54 Thus Luc Brisson argues that while Platonists as early as Longinus and Origen interpreted the second half of the Parmenides ontologically, Plotinus was the first to offer a theological interpretation of the One, soon followed by the Commentary, which focuses on the implications of this interpretation for the limits of kataphatic discourse; he assigns its authorship to someone between Numenius and Theodore of Asine, most likely Porphyry or Amelius, 55 and thinks that the Commentary’s sort of highly academic writing presumes its composition in an environment like Plotinus’s school. 56 In his discussion of negative theology and purification, Alain Lernould likewise thinks that the author must be post-Plotinian. 57 Analyzing the use of

54. The proceedings of this seminar appeared in J. D. turner – K. corriGan (eds.), Plato’s Parmenides and its Heritage, Vol. I, History and Interpretation from the Old Academy to Later Platonism and Gnosticism, Vol. II, Its Reception in Neoplatonic, Jewish, and Christian Texts, Atlanta (GA)-Leiden 2010. 55. L. Brisson, “The Reception of the Parmenides before Proclus,” in J. D. turner – K. corriGan (eds.), Plato’s Parmenides and its Heritage, vol. II, pp. 49–63. 56. L. Brisson, “Columns VII-VIII of the Anonymous Commentary on the Parmenides: Vestiges of a Logical Interpretation” in J. D. turner – K. corriGan (eds.), Plato’s Parmenides and its Heritage, vol. II, pp. 111–117. 57. A. lernoulD, “Negative Theology and Radical Conceptual Purification in the Anonymous Commentary on Plato’s Parmenides,” in J. D. turner – K. corriGan (eds.), Plato’s Parmenides and its Heritage, vol. II, pp. 257–274.

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John D. Turner the expression “arrêtos kai akatonomastos,” Mark Edwards, noting that the formulaic expression arrētos kai akatonomastos found in Origen and Philo appears only in the Anonymous Commentary and in no other pagan text, cautiously suggests a Christian background for the Commentary’s author: “not so much that the author was a Christian as that he occupied an intellectual hinterland, unknown to Irenaeus, […] in which free trade between pagan and Christian was the norm”; since its author cites the more or less purely Hellenic Platonic apocalypse behind the Chaldaean Oracles, he presumably would have willingly considered Gnostic apocalypses such as Zostrianos and Allogenes. Nevertheless, like Majercik and Abramowski before him, he cautions that we cannot be sure that the Coptic version of the Zostrianos found in Nag Hammadi is completely identical with the Greek text Plotinus criticized, since it might be the translation of a revised version. 58 On the other hand, in remarking on the relation between the Commentary and Aristotle’s Categories, Gerald Bechtle maintains his often-expressed view that the Commentary is middle Platonic, 59 while Volker Drecoll took up the question of Hadot’s groundbreaking attribution to Porphyry of some eightynine fragments drawn from the theological works of Marius Victorinus in the course of a detailed analysis of Victorinus’ use of sources in his Ad Candidum and Adversus Arium 1B, 3, and 4. He concludes that “the assumption that an independent common source of Zostrianos and Marius Victorinus cannot be considered as established.” 60 The hypothesized common source offers only the description of the supreme principle as it is transformed in Victorinus, Adversus Arium I.49-50 and in the parallel words of Zostrianos. Nor is it clear what the exact subject of this passage is, whether the Spirit (Zostrianos) or the One (Victorinus); the most common specific idea seems to be the concept of three powers or a threefold power including Existence, Life, And Blessedness. This result calls into question whether the reception of Plato’s Parmenides has to be assumed for the common source, since it makes no clear distinction between a first One and a second One, and makes no explicit references to the first and the second hypothesis of the Parmenides, but only employs several instances of terminology used in the first hypothesis, while omitting many others.

58. M. eDWarDs, “Christians and the Parmenides,” in J. D. turner – K. corriGan (eds.), Plato’s Parmenides and its Heritage, vol. II, pp. 189–198, here pp. 195–197. 59. G. Bechtle, The Anonymous Commentary and “The Question of Being,” pp. 393–414, esp. pp. 408–411. 60. V. Drecoll, “The Greek Text behind the Parallel Sections in Zostrianos and Marius Victorinus,” in J. D. turner – K. corriGan (eds.), Plato’s Parmenides and its Heritage, vol. I, pp. 195–212.

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The Anonymous Parmenides Commentary The Anonymous Parmenides Commentary as a Sethian Gnostic Work? Perhaps this seminar’s most thoroughgoing analysis of Pierre Hadot’s work on this topic is that of Tuomas Rasimus. 61 Taking full account of the earlier work of Bechtle, Corrigan, and Turner, Rasimus demonstrates that Hadot’s case for the Porphyrian authorship of the Anonymous Parmenides Commentary and of the 89 fragments embedded in Victorinus’ theological works remains inconclusive at best. Porphyry cannot be demonstrated to be the only suitable candidate for being the author of the fragments, and the correspondence between the fragments and the undisputed Porphyrian evidence is not as close as Hadot assumed. Some evidence even suggests that Porphyry cannot be the author of the Anonymous Parmenides Commentary. Moreover, he suggesting instead something hitherto been unthinkable, namely, that the authorship of these materials is more likely to have been Sethian Gnostic. Most of the innovative “Porphyrian” doctrines that we encounter in Hadot’s fragments are better attested in the Platonizing Sethian treatises, especially in the two Sethian texts known to have circulated in Plotinus’ seminars, Zostrianos and Allogenes, than in the undisputed Porphyrian material. These texts demonstrate that many of the supposed Porphyrian innovations—such as the Being-Life-Mind triad as the vehicle by which the Second One is generated from the First identified with the highest One, as well as the distinction between infinitival and determinate substantive being and paronymic progression of purely active infinitival being into substantive—being are already found in pre-Plotinian Gnostic sources. Moreover, the occurrence of many of the supposedly innovative “Porphyrian” ideas and terms in the late second century and thus clearly pre-Plotinian Apocryphon of John also increases the likelihood that Tardieu’s common source behind Victorinus and Zostrianos really is Middle Platonic, and likely even a Gnostic(izing) source, as Hadot himself later suggested. The Apocryphon of John even shows similarities with the Chaldean Oracles as well as signs of the use of Stoic physics in the service of Platonic metaphysics similar to those that Hadot had claimed for Porphyry. Some evidence even suggests that Porphyry cannot be the author of the anonymous Commentary on the Parmenides. Indeed, as Serge Cazelais has shown, 62 the expression, ho epi pasin theos, which occurs three times in the Commentary and six times in the undisputed Porphyrian evidence—and which Hadot took to be a veritable signature of Porphyry—occurs at least eighty times in the writings of Origen of Alexandria. In short, many of the

61. T. r asimus, “Porphyry and the Gnostics: Reassessing Pierre Hadot’s Thesis in Light of the Second and Third Century Sethian Material,” in J. D. turner – K. corriGan (eds.), Plato’s Parmenides and its Heritage, vol. II, pp. 81–110. 62. S. cazelais, “L’expression HO EPI PASI THEOS de l’Ancienne Académie à Origène et dans le Commentaire anonyme sur le Parménide,” Science et Esprit 57/3 (2005), pp. 199–214.

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John D. Turner ideas contained in the Commentary are better attested in Sethian texts than in the undisputed Porphyrian material, and many of the suggested “Porphyrian” features are already found, at least implicitly, in pre-Plotinian Sethian Gnostic sources like the Apocryphon of John and the possibly common Gnostic source behind Zostrianos and Victorinus. Given the Sethian evidence, “we must reassess Pierre Hadot’s theory and conclude that it was the Sethian Gnostics rather than Porphyry who were the innovators, and that the role of the Sethian Gnostics in the development of Neoplatonism has been greatly underestimated in previous scholarship.” 63 Rasimus’ thesis of a Sethian authorship for the Commentary resolves into two basic arguments: first, some of the “Porphyrian” terminology and doctrines observed by Hadot in the anonymous Commentary are not limited to Porphyry; and second, many of these are plentiful the “Platonizing” Sethian treatises. As intriguing as his arguments are, there are, however, difficulties. As Michael Chase observes of the debate in general, the presence or absence of terminological parallels between the Commentary, Porphyry, and the Gnostic texts are not overwhelming enough to produce a consensus on any side, and the number of Porphyry’s undisputed surviving works are far too meager to expect that one could find in them other instances of the technical terminology and triadic metaphysics used in the Commentary. 64 Moreover, in his review of the proceedings of the Parmenides Seminar, Dylan Burns notes that Rasimus’ parallels are not direct quotations, but shared terminology. 65 Moreover, there continue to remain redactional uncertainties, not only in Zostrianos, but also in other Sethian treatises, such as the Apocryphon of John, where Rasimus finds an implicit expression of the noetic triad in the form of being, life, and blessedness (as in Zostrianos) as well as the apparent prefiguration of the triad in the Apocryphon of John’s statement that the first principle has an existence beyond existence (Berlin Codex [hereafter BG] 24,20–25,1) and is Life that bestows life and Blessedness that bestows blessedness (BG 25,15–16). Yet as Burns observes, these materials are found in a theogonic section of the text of the Apocryphon’s initial theogony (BG 25,1–28,4 = NHC II, 4,22–5,11) describing the emanation of Barbelo from the One—in the process describing Barbelo rather than the supreme Invisible Spirit as triple-powered (BG 27,21–28,1)—but which does not appear in Irenaeus’ second-century paraphrase (Adversus Haereses 1.29), which omits the Apocryphon’s negative and

63. T. r asimus, “Porphyry and the Gnostics,” p. 110. 64. M. chase, “Plotinus, Gnostics, and the anonymous Parmenides Commentary: The State of the Discussion,” unpublished paper delivered at the International Society of Neoplatonic Studies Annual Meeting, Atlanta (GA), June 2011. 65. D. M. Burns, Review of “John D. Turner and Kevin Corrigan, eds. Plato’s Parmenides and Its Heritage, vol. 2. Reception in Patristic, Gnostic, and Christian Neoplatonic Texts,” Augustinian Studies 42/2 (2011), pp. 295–301, here pp. 299–300.

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The Anonymous Parmenides Commentary positive description of the One and begins only with the emergence of Barbelo and her requests for the attributes foreknowledge, incorruptibility and eternal life in BG 27,8–28,4 = NHC II 4,29–5,11. 66 Since the key terms of the triad themselves are conspicuously missing from Irenaeus’ paraphrase, they are probably later additions to the second-century text known to Irenaeus, which exhibits none of the “implicit” triads or later Neoplatonic terminology. Burns finally observes that, even if the Commentary is pre-Plotinian, it is impossible to prove that it is of specifically Gnostic provenance, rather than written by a non-Gnostic using philosophical sources similar to those used by the Gnostics, since it lacks distinct Gnostic motifs like “the myth of the primordial fall of Sophia and subsequent creation of the world by a maker of ambivalent mores.” Nevertheless I should point out that precisely the same is true of the Sethian Platonizing treatise Allogenes, also known to Plotinus and Porphyry, which is unquestionably steeped, not only in the same terminology, but also in the same sort of ontogenetic and contemplative doctrines as one finds in the anonymous Commentary. The Being-Life-Mind Noetic Triad Indeed, Rasimus has more recently continued his line of thought in a detailed study of the origin of the Being-Mind-Life triad that appears, not only in the anonymous Commentary, but also in Plotinus and in the Sethian Platonizing treatises, arguing that the triad was most probably developed in large measure by Sethian Gnostic interpretations of the Gospel of John, the Chaldean Oracles, and Plato’s Sophist. 67 Rasimus begins with Pierre Hadot’s thesis that, whereas Porphyry received the Being-Mind-Life triad from Plotinus and went on to further systematize it in light of the Chaldaean Oracles, it was Plotinus himself who received a relatively developed version of this triad from a piece of earlier, Platonic school exegesis of Plato’s Sophist 248e–249a that was presumably available to him in a now lost handbook. 68 While Rasimus agrees that Plotinus must have inherited this noetic triad, because he uses it from his earliest work onward without ever justifying its use, he rejects not only the notion that the triad originated in a Platonic school exegesis of the Sophist, but also Hadot’s hypothesis that the systematization of the triad was carried out in light of the Chaldaean Oracles by Porphyry. Instead, Rasimus would trace the origin, not only of the

66. A point made already by L. a BramoWsKi, who considers the theogonical material as later insertions into the mythological material paralleled in Irenaeus, “‘Audi, ut dico’,” p. 155. 67. T. r asimus, “Johannine Background of the Being-Life-Mind Triad,” in K. corriGan – T. r asimus (eds.), Gnosticism, Platonism and the Late Ancient World. Essays in Honour of John D. Turner, Leiden-Boston 2013, pp. 369–409. 68. P. h aDot, Porphyre et Victorinus, vol. I, pp. 482–494.

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John D. Turner Being-Life-Mind, but also of the three-phase ontogenetic scheme that appears in the Sethian Platonizing treatises to the likewise Sethian Apocryphon of John, whose generative triad of Father-Mother-Son was an attempt to explain the metaphysical relationship between the Father and Son as portrayed in the Gospel of John in terms of Pythagorean monism and Genesis speculations. This attempt led to the use of Johannine-inspired terminology that prefigured the Being-Life-Mind triad, as well as the derivational schemes and metaphors that prefigure the procession-and-return scheme in both Gnostic and later Platonic sources. Although the Being-Life-Mind triad of the Sethian Platonizing treatises does not explicitly occur as such in the Apocryphon of John, Rasimus argues that its basic constituents are present in other forms that are more or less directly derivable from the Fourth Gospel. Although the Gospel of John repeatedly expresses the essential identity of Jesus the Son with the Father, Rasimus argues that Father-Son language also logically requires the presence of a mother-figure, leading to the Apocryphon of John’s triadic godhead of Father-Mother-Son, in which—to use Pythagorean-Platonic terminology—the mother would be the indefinite dyad or the receptacle of Plato’s Timaeus 50d into which the forms as “father” enter and project their phenomenal images as “offspring.” Since the Gospel of John offers no obvious candidate for a mother figure, the author(s) of the Apocryphon of John must here be relying on strict inference. 69 As for Being, the Fourth Gospel repeatedly places the divine identity ego eimi formula on Jesus’ lips, both in its absolute form echoing the “I am” of Exodus 3:14 (Jn 4:26, 8:24, 8:28, 8:58) and as assertions of Jesus’ oneness with the Father (10:30.38), implying that Jesus and the Father are or have existence or being par excellence. Of course, the Son’s stress on his subordination to the Father elevates the latter to an even superior form of existence, expressed in the Apocryphon’s negative theology, perhaps to a level beyond being itself, probably by means of an interpretation of Plato’s Republic (6, 509b) and the first hypothesis of his Parmenides (141d–142a). As for Life, while the Fourth Gospel makes an intimate connection between the Son and life (John 1:4; 5:26; 6:35.48; 11:25; 14:6), the Apocryphon of John instead emphasizes the relation between Barbelo and life, which accounts for her role as the median, maternal principle of life in the FatherMother-Child triad. Not only does she emerge from the Father’s luminescent

69. One might here suggest the Johannine “Spirit” as a possible candidate, which, although the Gospel does not explicitly assign it a feminine-maternal role, nevertheless is characterized by a certain indefiniteness (“the Spirit blows where it wills,” Jn 3:8) often associated with the feminine principle in Platonic thought, and is moreover associated with birth and rebirth (to be “born of the Spirit,” Jn 3:5–6), not to mention its identification with rivers of “living water,” (Jn 7:38–39). Indeed, the Apocryphon features not only the supreme Invisible Spirit, but also explicitly calls Barbelo the “virginal Spirit” (BG 27,21), and in the longer version uses the specifically Johannine term “Holy Spirit” (NHC II 5,7).

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The Anonymous Parmenides Commentary “water of life”—itself a well-known Johannine metaphor (John 4:10–14; 7:38–39)—as his image (BG 26,18), but immediately upon on her emergence, she requests from the Father and receives the attribute “eternal life” (BG 28,4–29,18), another well-known phrase from the Gospel of John. Finally Mind, the third member of the noetic triad, appears in the Apocryphon of John’s account of the origin of the Self-generated Child who asks for and receives from the Father the faculty of Mind (nous). Indeed all three members of the triad are intellects—somewhat in the manner of Numenius’ three Gods—since the Father intelligizes himself (noein, BG 26,15), Barbelo appears as his first thought (ennoia) or forethought (pronoia, BG 27,4–19), and the Son—whom the Fourth Gospel identifies as the Self-generated Logos— would be the demiurgic intellect who, having been specifically granted the faculty of nous (BG 31,5–9), is said to have created everything through the logos (BG 31,16–18). Rasimus also notes the Apocryphon’s anticipation of the last two terms of yet another Sethian triad, that of Kalyptos-ProtophanesAutogenes, or Hidden, First-appearing, and Self-generated. In the Sethian Platonizing treatises this triad designates the three levels of the Barbelo Aeon as a tri-level divine intellect (contemplated, contemplating, and demiurgical). By naming the third member of the Father-Mother-Child triad as Autogenes, and designating the second member, the Mother Barbelo, as the “first-appearing” one (long recension, NHC II 8,32), the Apocryphon seems to anticipate the Sethian Platonizing nomenclature. 70 Rasimus also suggests that the Apocryphon’s characterization of the supreme deity as the “Invisible Spirit” and “blessedness-giving blessedness” may lie behind the similar characterization of God as a “blessed triple-powered Spirit” in the source common to Victorinus and Zostrianos identified by Pierre Hadot and Michel Tardieu, even though in the Apocryphon of John it is actually his image Barbelo who is characterized as triple powered, thricemale and thrice-named (BG 27,21–28,1). Although this common source lacks the derivational mechanics of the triad found elsewhere in Zostrianos and Allogenes, Rasimus believes that its author—probably a Sethian—systematized the speculations he found in the Sethian Apocryphon of John into an explicit formalized Being-Life-Mind triad—or in its abstract form ExistenceVitality-Mentality/ Blessedness—which then found its way not only into Zostrianos and Allogenes, but also into the works of Victorinus. As to the appearance of the Being-Life-Mind triad in Plotinus, Rasimus suggests

70. Actually the longer version here refers to the appearance of divine Pigeradamas, not Barbelo. It does name Barbelo as “the first to emerge” (ⲡϣⲟⲣⲡ ⲛ̅ⲉⲓ ⲉⲃⲟⲗ, NHC II 5,11) from the Invisible Spirit, while both the longer versions apply the term “first appearance” not to Barbelo, but to the self-generated Child Autogenes (II 6,20–21; BG 30,11–12, ⲡⲁⲓ̈ ⲛ̅ⲧⲁϥⲣ̅ϣⲣ̅ⲡ ⲛ̅ⲟⲩⲱⲛϩ ⲉⲃⲟⲗ) as well as to the divine Adam (BG 35,4–5) or Pigeradamas (II 8,32–33).

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John D. Turner that Plotinus received the noetic triad from Sethians, but probably himself connected it with Sophist 248e–249a [to the effect that Being contains Life and Intelligence], as well as to the Aristotelian and anti-Stoic notions that intellect and true being are alive. Even if the Sethians had already connected the triad with Tim. 39e [and 50d1–4!], Plotinus was happy to do so as well. For the most part, these passages and notions were familiar to him already from Numenius, and couching the triad in them gave the Gnostic-biblical triad philosophical respectability and a Platonic connection, which, for Plotinus, justified its use.

Again, while there does seem to be a degree of continuity between the Being-Life-Mind triad and the theogonical speculation of the Apocryphon of John, one must recall again that we cannot be sure that the date of this speculation precedes that of the triadic doctrines of the Sethian Platonizing treatises and even of Plotinus’ works, given that it is missing from what Irenaeus seems to have known of the Apocryphon around 175–180 ce. 71 And while the Apocryphon’s derivational metaphysics is reasonably close to that of the Platonizing treatises, the bulk of Rasimus’ argument is based upon terminological parallels that are not really direct quotations, but shared terminology, which at points is used differently in the Apocryphon than in the Sethian Platonizing treatises. As to the further derivation of the triadic terminology from the Fourth Gospel, Rasimus freely admits to the role of inference and speculation on the part of its Sethian exegetes, but the move from ego eimi predications to hyparxis or ontotēs is something of a leap, not to mention the inference of a quasi-hypostatic zōē or zootēs from the Gospel’s aionia zōē, or from logos to nous on the grounds of semantic proximity. Nevertheless, there is an unquestionable relation between the Apocryphon and the Gospel of John as witnessed by its opening frame story, as is also the case between the Apocryphon and the Sethian Platonizing treatise Allogenes, which both share in a common negative theological source (Ap. John BG 24,6–25,7 = NHC II 3,17–33 = Allogenes NHC XI, 62,27–63,25); this alone warrants the usefulness of Rasimus’ undertaking which, despite certain inferential leaps, offers many plausible insights.

71. The theogonical section contained in BG 19,6–27,14 = NHC II 1,1–4,36 has no parallel in Irenaeus, Adversus Haereses 1.29.1–4.

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The Anonymous Parmenides Commentary The Anonymous Parmenides Commentary and the Sethian Apocalypse Allogenes While much of the recent work on the relationship between the anonymous Parmenides Commentary and Gnostic texts has centered on Zostrianos, its sister text Allogenes, also among the gnostic texts circulating in Plotinus’ Roman seminar, has also been shown to contain significant parallels to the Commentary. The most notable parallel between the anonymous Parmenides Commentary and Allogenes is the use of an abstract version of the Being-Life-Mind triad, huparxis, zōotēs, and nootēs, in order to articulate the emergence of a Second One, a noetic principle coextensive with determinate Being, from the First One, a transcendent principle that is altogether beyond Being, apparently an implementation of the first two hypotheses of Plato’s Parmenides (respectively 137c–142a and 142c–155e). Also notable is the notion of the transcendence of Being itself: thus in the anonymous Parmenides Commentary, the First One of the Parmenides is conflated with the Good “beyond being” (epekeina tês ousias) of Republic 509b9, while in Allogenes the supreme principle is described both as transcending Existence (the supreme power of the Triple-Powered Invisible Spirit), and as not having existence (e.g. at NHC XI 48,14; 65,29; 66,27, etc.). Other parallels include the notion of “preconception,” “first thought,” or “pre-thinking” as a faculty of transcendental apprehension (48,3; 53,10–13; 64,31–32), an emphasis on certain technical conceptions such as stillness and silence at the ultimate phase of ascent, the use of the term “Unknowable” as almost a proper name for the first principle and construing mystical union with it as a practice of contemplative introversion or self-reversion coupled with an apparently paradoxical technique of “un-knowing” as a means of apprehending this Unknowable One. 72 In a 2007 paper, 73 I commented on this phenomenon of unknowing as it occurs in the following passage from Allogenes’ narrative of his ascent to the Unknowable One: Allogenes XI 60 13 While I was listening to these things as 14 as those there (the luminaries of the Barbelo Aeon) spoke them, there 15 was within me a stillness 16 of silence, and I heard the 17 Blessedness 18 whereby I knew proper self. 19 And I withdrew (ἀναχωρεῖν) to the 20 Vitality as I sought it. And

72. See the parallels in J. D. turner, “The Platonic Context,” Chap. IX, pp. 11–164 in W.-P. FunK – P.-H. poirier – M. scopello – J. D. turner, L’Allogène (NH XI,3), QuébecLouvain-Paris 2004; also iD., “Sethian Gnosticism and the Platonic Tradition,” in J.-M. narBonne – P.-H. poirier (eds.), Gnose et Philosophie. Études en hommage à Pierre Hadot, Paris 2009, pp. 147–221. 73. “Revelation as the Path to Ignorance: The Sethian Platonizing Apocalypse Allogenes,” now in P. toWnsenD – M. ViDas (eds.), Revelation, Literature, and Community in Late Antiquity, Tübingen 2011, pp. 103–115, esp. pp. 112–114.

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John D. Turner 21 I mutually entered it 22 and stood, 23 not firmly but 24 quietly. And I saw 25 an eternal, intellectual, undivided motion 26 peculiar to all formless powers, 27 not determined 28 by any determination. And when 29 I wanted to stand firmly, 30 I withdrew (ἀναχωρεῖν) to 31 the Existence, which I found 32 standing and at rest, 33 resembling and 34 similar (ⲕⲁⲧⲁ ⲟⲩϩⲓⲕⲱⲛ ⲙ ⲛ̅ ̅ ⲟⲩⲉⲓⲛⲉ ~κατ’ εἰκόνα τε καὶ ὁμοίωσιν) to (the standing and resting) 35 enveloping me. By means of a manifestation 36 of the Indivisible and the 37 Stable I was filled 38 with revelation. By means 39 of the Unknowable One’s 61 1 originary manifestation (ⲟⲩⲙ ⲛ̅ ⲧ̅ ⳿ϣⲟⲣ ⲡ̅ ̅ ⲛ ̅ⲟⲩⲱⲛ ̅ϩ ̅ ⲉⲃⲟⲗ ~προφάνεια), [as though] 2 nescient of him, I [knew] 3 him and was empowered by 4 him. Having been permanently strengthened (cf. strengthening in Ennead V.5[32].8.9–13), 5 I knew that [which] 6 exists in me, even the Triple-Powered One 7 and the manifestation of 8 his indeterminateness. [And] 9 by means of a originary manifestation (ⲟⲩⲙ ⲛ̅ ⲧ̅ ⳿ϣⲟⲣ ⲡ̅ ̅ ⲛ ̅ⲟⲩⲱⲛ ̅ϩ ̅ ⲉⲃⲟⲗ ~προφάνεια) 10 of the universally prime Unknowable One— 11 the God 12 beyond perfection—I saw 13 him and the Triple-Powered One that exists 14 in them all. I was seeking 15 the ineffable 16 and unknowable God 17 of whom— should one 18 know him—one would be completely 19 nescient (~ἀνόητος, ἄγνωστος?), the mediator of 20 the Triple-Powered One, the one who subsists in 21 stillness and silence and is 22 unknowable.

Allogenes’ repeated emphasis on seeking and knowing oneself and what is within oneself suggests that the term “withdrawal” (anachōrein) indicates an inner-directed self-contraction, a kind of mental and spiritual implosion, as if his ascent were actually a journey into his innermost primordial self where knower and known have become completely assimilated to one another. 74 He has withdrawn into the prefiguration of his self prior to or coincident with the moment of its very origination. Indeed, a similar act of self-directed mentation is attributed to the original emergence of the Barbelo Aeon from the supreme One’s Triple Power: Allogenes XI 45 22 For after it (the Triple Powered One) [contracted] 23 [it expanded], and 24 [it spread out] and became complete, 25 [and] it was empowered [with] 26 all of them by knowing [itself] 27 [in addition to the perfect Invisible Spirit], 28 and it [became] 29 [an] aeon (the aeon of Barbelo). By knowing [herself] 30 she (Barbelo) knew that one, 31 [and] she became Kalyptos.

74. Cf. Zostrianos VIII 44,17–22: “Whenever one [wishes], then he again parts from them all and withdraws (ἀναχωρεῖν) into himself [alone], for he can become divine by having withdrawn to God,” and Porphyry, Sententiae 40,51–56: “To those who are intellectually (νοερῶς) able to withdraw (χωρεῖν) into their own being (οὐσία) and to know it, and who, by both the knowledge itself and the consciousness (εἴδησις) of that knowledge, apprehend themselves according to a unity of knower and known, to those thus present to themselves, true being (τὸ ὄν) is also present.”

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The Anonymous Parmenides Commentary For Plotinus too, the contemplative union of both the mystic aspirant and the universal Intellect with the supreme One involves a similar withdrawal from any proactive or aggressive intellection. As the product of an indeterminate, primary life that processes forth from the One, the contemplative intellect must withdraw back into the initial manifestation of its own primordial life, which coincides with the supreme One’s own act of emanation: 75 For even if we say that it is the Good and absolutely simple, we shall not be saying anything clear and distinct, even though we are speaking the truth, as long as we do not have anything on which to base our reasoning when we speak. For, again, since knowledge of other things comes to us from intellect, and we are able to know intellect by intellect, by what sort of simple intuition (ἐπιβολῇ ἀθρόᾳ) could one grasp this which transcends the nature of intellect? We shall say to the person to whom we have to explain how this is possible, that it is by the likeness in ourselves (τῷ ἐν ἡμῖν ὁμοιῳ). For there is something of it in us too; or rather there is nowhere where it is not, in the things which can participate in it. For, wherever you are, it is from this that you have that which is everywhere present, by setting to it that which can have it; just as if there was a voice filling an empty space, or with the empty space, men too, and by setting yourself to listen at any point in the empty space, you will receive the whole voice, and yet not the whole. What is it, then, which we shall receive when we set our intellect to it? Rather, the Intellect must withdraw, so to speak, backwards, and give itself up, in a way, to what lies behind it (δεῖ τὸν νοῦν οἷον εἰς τοὐπίσω ἀναχωρεῖν καὶ οἷον ἑαυτὸν ἀφέντα τοῖς εἰς ὄπισθεν αὐτοῦ ἀμφίστομον ὄντα)—for it faces in both directions; and there, if it wishes to see that First Principle, it must not be altogether intellect. For it is the first life, since it is an activity manifest in the way of outgoing of all things (῎Εστι μὲν γὰρ αὐτὸς ζωὴ πρώτη, ἐνέργεια οὖσα ἐν διεξόδῳ τῶν πάντων; cf. ‘pre-vitality’ in Allogenes XI 48,34 cited on, p. 121); outgoing not in the sense that it is now in process of going out but that it has gone out. If, then, it is life and outgoing and holds all things distinctly and not in a vague general way—for [in the latter case] it would hold them imperfectly and inarticulately—it must itself derive from something else, which is no more in the way of outgoing, but is the origin of outgoing, and the origin of life and the origin of intellect and all things (ἀρχὴ διεξόδου καὶ ἀρχὴ ζωῆς καὶ ἀρχὴ νοῦ καὶ τῶν πάντων). 76

75. Cf. Ennead VI, 9 [9] 19: “There (in the One), living is the activity of Intellect (τὸ δὲ ἐκεῖ ζῆν ἐνέργεια μὲν νοῦ·). 76. Ennead III, 8 [30] 9.16–40, trans. Armstrong.

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John D. Turner In 2008 Zeke Mazur 77 argued that in both the Platonizing Sethian tractates and the anonymous Parmenides Commentary, the inherent faculty or principle necessary for the final phase of the visionary ascent is equivalently described in terms of a “First Thought” or an activity of “pre-thinking” (pronoia or proennoia or perhaps “prennoia”) coupled with an act of “un-knowing.” In fact, Allogenes coins a precise technical term for both the mystical and ontogenetic modalities of transcendental self-apprehension, namely “primordial manifestation,” (mntshōrp n̅ouōnh ebol = *prōtophaneia or “pre-manifestation,” prophaneia?). This “primary manifestation” or, perhaps better, “originary manifestation” or “pre-manifestation” or even “protophany” of the Unknowable One by which Allogenes is permanently strengthened amounts to an epistemological participation in the Unknowable One’s own as-yet-indeterminate primordial self-manifestation and subsequent self-reversion leading to the emergence of a fully determinate second principle from the first through an act of self-perception. Thus Allogenes speaks of the means by which the intelligible beings residing “all together” in the Protophanes level of the Barbelo Aeon may come to know the supreme One; they apprehend their indeterminate source in the One by participating in the indeterminate “pre-vitality” or “first life” of their own being processing from the One as an indivisible activity: 78 Allogenes XI 48 8 If they come together— 9 since it is impossible that 10 the Individuals (actively) comprehend the All 11 [situated in the] place that is higher than perfect— 12 they thereby (passively) apprehend through 13 a preconception (ϣⲟⲣ̅ⲡ̅ ⲛ̅ⲉⲛⲛⲟⲓⲁ = προέννοια), 14 not, as it were, of Being—[rather] he (the

77. “It would appear that the Platonizing Sethian authors conceived the mystical ascent as a process of reversion towards some residual aspect of the transcendental divinity’s initial self-manifestation that is immanent within the self. Yet it also seems that the human aspirant’s mystical self-reversion is itself non-coincidentally parallel to the primordial self-reversion undertaken by the first, transcendent principle, when this principle reverts to and apprehends itself to produce the first incipient duality whence emerges the rest of reality. Indeed, it appears that these sectaries envisioned the mystical and the ontogenetic experiences of self-perception—in each case a ‘primary manifestation’—to be identical, according to a kind of commutative principle, even if the end result in each case was thought to be quite different. One may therefore suppose the Sethian authors imagined that it was possible to reiterate the transcendent principle’s own primordial self-apprehension” (“Self-Manifestation and ‘Primary Revelation’ in the Platonizing Sethian Ascent Treatises and Plotinian Mysticism,” presented at the annual meeting of the Society of Biblical Literature, Philadelphia, November 2005, ms. p. 8). 78. As a primary activity, this indivisible activity is distinguished from a second activity, apparently in a way similarly to Plotinus’ distinction between the primary, internal activity of (“proper to” or identical with) an entity (including the One) whose internal completeness necessarily gives rise to a secondary activity different from itself (the primary activity) and external to itself (i.e., in something else), such as the distinction between fire and heat. See Ennead V, 1 [10] 6.28–35; III, 9 [13] 9.7–12; III, 8 [30] 9.33; V, 3 [49] 5.31–43; 12.22–27.

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The Anonymous Parmenides Commentary Unknowable One) provides Being along with 15 [the] latency 16 of Existence, [providing] 17 for [it in] every way—since this 18 is what [shall] come into being when he 19 intelligizes himself [...] 32 But when 33 they (passively) apprehend (i.e., through a preconception), they participate 34 in the pre-vitality (ⲧϣⲟⲣ ⲡ̅ ̅ ⲙ̅ⲙ̅ⲛ̅ⲧ⳿ⲱⲛ̅ϩ̅ = πρώτη ζωότης; cf. ζωὴ πρώτη, Ennead III, 8 [30] 9,33 cited on p. 119), even 35 an indivisible activity (ἐνέργεια), 36 a reality (ὑπόστασις) of the primary (f., i.e., activity) 37 of the One that 38 truly exists. And a second activity [...] however, is the [...] …

This seems to be an epistemological application of the distinction between one and being in Parmenides 142b–c, 79 which the anonymous Commentary 12.22–35 is concerned to interpret ontologically: It has not been said that Being participates in the One, but that the One participates in Being (τὸ ὄν), not because the first was Being (τὸ ὄν), but because an otherness from the One has turned the One towards this whole One-Being (τὸ ἓν εἶναι). For from the fact of being engendered somehow at the second level, being-One (τὸ ἓν εἶναι) is added… the One, which is beyond substance and being (τὸ ὄν), is neither being nor substance nor act, but rather acts and is itself pure act, such that it is itself being (εἶναι) before determinate being (τὸ ὄν). By participating this being (the εἶναι of the first One; cf. Parmenides 137c–142a), the One (scil. “who is,” i.e. the second One of Parmenides 142b–144e) possesses another being (εἶναι) declined from it (the εἶναι of the Supreme One), (106) which is (what is meant by) participating in determinate being (τὸ ὄν; cf. οὑσία in Parmenides 142b). Thus, being (εἶναι) is double: the one preexists determinate being τὸ ὄν), while the other (ὄν) is derived from the One that transcends determinate being (τὸ ὄν), who is absolute being (εἶναι) and as it were the idea (ἰδέα) of determinate being (τὸ ὄν) by participation in which (the εἶναι of the first) some other One has come to be to which is linked the being (εἶναι) carried over from it.

In Allogenes, the contemplative ascent of the mystical aspirant apparently involves a self-reversion towards some residual aspect of the transcendent Unknowable One’s initial self-manifestation or pre-vitality that somehow lies

79. Parmenides 142b1–142c7: Parm.: “Suppose, now, that we return once more to the original hypothesis; let us see whether, on a further review, any new aspect of the question appears.” Arist.: “I shall be very happy to do so.” Parm.: “We say that we have to work out together all the consequences, whatever they may be, which follow, if the one is? ” Arist.: “Yes.” Parm.: “Then we will begin at the beginning: If one is, can one be, and not partake of being (οὐσίας […] μετέχειν)? ” Arist.: “Impossible.” Parm.: “Then the one will have being, but its being will not be the same with the one; for if the same, it would not be the being of the one; nor would the one have participated in being, for the proposition that one is would have been identical with the proposition that one is one; but our hypothesis is not if one is one, but if one is:—am I not right? ” Arist.: “Quite right.” Parm.: “We mean to say, that being has not the same significance as one? ” Arist.: “Of course.” Parm.: “And when we put them together shortly, and say ‘One is,’ that is equivalent to saying, ‘partakes of being’? ” Arist.: “Quite true.”

121

John D. Turner at the origin of one’s own self. In other words, the means by which the contemplating Intellect attains mystical union with the Supreme is the exact reverse of that by which it was originally generated. Ultimately, however, since the Unknowable One is beyond being, so also he is beyond any kind of cognition, and therefore he is “known” by not knowing him. 80 Indeed, it seems that in Allogenes the primary manifestation conveying the ultimate vision of the supreme reality is identical with its object: the Invisible Spirit is the very primordial manifestation by which he is known: Allogenes XI 63 9 Nor is he something 10 that exists, that 11 one can know. Rather 12 he is something else that is superior, which 13 one cannot know. 14 He is originary manifestation 15 and self-knowledge, 16 since it is he alone who knows himself. 17 Since he is not one of those things 18 that exist, but is another thing, 19 he is superior to all superlatives, 20 even in comparison to his character and 21 what is not his character.

As the anonymous Parmenides Commentary puts it: There is a knowledge which is knowledge of a knower, passing from ignorance to knowledge of the known, and there is also another knowledge, an absolute one which is neither knowledge proper to a knower nor knowledge of a known, but knowledge which is this One before every known or unknown and every subject coming to knowledge. (Anon. in Parm. 6.4–12)

The Invisible Spirit is so unknowable that he is in some sense his own unknowable knowledge, and forms a unity with the nescience that sees him. In fact he seems to be equated with the state of mental vacancy itself: Allogenes XI 63 28 But he is self-comprehending, 29 like something 30 so unknowable, 31 that he exceeds those who excel 32 in unknowability […] 64 6 And thus he 7 is unknowable to all of them 8 in every respect, and 9 through them all he is 10 in them all, 11 not only as the unknowable knowledge 12 that is proper to him; 13 he is also joined/united through the 14 nescience that sees him.

80. Cf. Anon. in Parmenidem 9.20–26: “We therefore lack the power for an act of direct apprehension of God […] since he stays above any reasoning and any conception in our ignorance of him” and 10.23–29: “but God is not a quality, but his being prior to being has removed him both from being and from the ‘it is’; it [the soul] does not have a criterion for the knowledge of him, but sufficient for it the image of the ignorance of him, which refuses any form which is present in a knowing subject.” For agnoein as mystical technique in Plotinus, see Ennead VI, 9 [9] 7.17–21: “[…] withdrawing from all external things, she [the soul] must turn completely to the within, and not be inclined to any of the external things, but ‘un-knowing’ (ἀγνοήσαντα) all things (both as he had at first, in the sensible realm, then also, in that of the forms) and even ‘un-knowing’ (ἀγνοήσαντα) himself, come to be in the contemplation of that One cf. also VI, 9 [9] 6.50–52; VI, 7 [38].39; V, 3 [49] 12.48–53; cf. Allogenes 64,8–14, Zostrianos 20,11–18; Chaldaean Oracles frag. 1.1–4, 10–12.

122

The Anonymous Parmenides Commentary Mazur notes that the anonymous Commentary recommends an apperception of the hypernoetic One by means of a “non-comprehending comprehension” (akatalēptôi katalēpsei) that is also described as “an ineffable preconception” (arrēton proennoia) that represents (eneikonizomenēn [the supreme One] through silence.” 81 Thus he transcends not only multiplicity, but even the concept of the One, for it is on his account that both the One and Monad exist. And thus one will be able neither to fall into the void, nor dare to attribute anything to him, but to remain in a non-comprehending comprehension and in an intellection that intuits nothing. Through such means, it will occur to you at some point, having stood apart from the intellection of the things constituted by him, to stand upon the ineffable preconception (προέννοια) of him which represents (ἐνεικονιζόμενην) him through silence, a (preconception) that is unaware of being silent and not conscious that it represents (ἐνεικονίζεται) him and is cognizant of nothing at all, but which is only an image of the ineffable and is ineffably identical with the ineffable, but not as if knowing him, if you can follow me—even though imaginatively—as I venture to speak. 82

In a subsequent paper, 83 Mazur noted that here the anonymous Parmenides Commentary describes an “imaging” process at the penultimate phase of the contemplative ascent, immediately preceding the ultimate apprehension: the aspirant is enjoined to “stand upon” the ineffable “preconception” that itself “images” (and is thus in some paradoxical sense is virtually identical to) the supreme Unknowable principle. This eikōn is equated not only with silence 81. Z. mazur (“Self-Manifestation and ‘Primary Revelation,’” ms. p. 9, n. 25) notes that the prosennoia of the ms. was emended by Hadot to proennoia, accepted also by Bechtle’s translation in his Anonymous Commentary of 1999. For pronoein in Plotinus, V, 3 [49] 10.43 and its equivalents in Zost., 20.11–18; 58.16–20; 60.10–21. P. haDot (Porphyre et Victorinus, vol. I, pp. 117–118) noted possible Hermetic sources (e.g. Corpus Hermeticum, frag. 12a [Nock-Festugière, 4.111], some similarities with Porphyry’s Sententiae 26, and echoes in Plotinus himself, e.g. at V, 3 [49] 10.42–44, where he describes apprehension of the One as not a thought but “only a touching (thixis) and as it were contact (epaphê) without speech and without thought, a pre-thinking (pronoousa), for Intellect has not yet come into being and the that which touches does not think.” Hadot suggests this initially derived from the Stoic notion of innate intuition or prolêpsis. The roots of this doctrine are almost certainly pre-Plotinian and Neopythagorean; thus, e.g., Nicomachus of Gerasa (Theologoumena Arithmeticae 21.22. de Falco), “the primary conception of otherness is in the Dyad” (heterotêtos gar prôtistê ennoia en duadi). Moreover, as M. tarDieu pointed out (“Recherches sur la formation de l’Apocalypse de Zostrien,” p. 79), the anonymous Parmenides Commentary passage closely resembles Zostrianos 24.6–17, which refers to the apprehension of the Invisible Spirit through a thought “in silence” and a “first thought” (tishorp nennoia). 82. Anon. in Parm. 2.12–27. 83. Z. m azur, “To Become an Eikôn: An Intrapsychic Image as Mediator Of Transcendental Apprehension in Platonizing Sethian Gnosticism and Academic Platonism,” paper presented at the Nag Hammadi and Gnosticism Network meeting at Yale University, May 2011, ms. pp. 28–29.

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John D. Turner and cognitive emptiness, but also with “un-knowing” and with “preconception” or “pre-thought” (proennoia), technical terms denoting the hypernoetic faculty that permits apprehension of the utterly transcendent first One in not only Zostrianos, Allogenes, and the anonymous Commentary, but also in Plotinus. 84 Significantly, Mazur goes on to argue that this doctrine of an interhypostatic image is quite possibly of Gnostic origin. Since the divine self-manifestation was understood as the eikôn of God, Gnostic thinkers often hypostatized this eikôn as a second principle immediately beside or subjacent to the first deity, and conflated it with the “image” after which God creates the first human being. In other words, Adam is not made not directly according to God, but rather kata eikona ... kai homoionsin, “according to the image and likeness,” understood as a secondary, intermediary principle immediately beside or subjacent to God. The eikôn thus serves as the unique manifestation of the entirely unmanifest deity, the deity which cannot be apprehended by the intellect; and yet, according to this logic, this eikôn lies at the very origin of humanity and is concealed within the core of every human being. Such speculations among Sethians—who, after all, undoubtedly noted that Seth himself was specifically created in the “image and likeness” of Adam (Gen 5:3)—might explain why Allogenes’ series of withdrawals is in fact an interiorization into himself, and why he encounters the Existence in his own “image and likeness.” This might further explain why Plotinus has relocated the transcendent within the human aspirant, so that the ascent to the One is simultaneously an introversion into the self, and—more strikingly—why the author of the anonymous Parmenides Commentary refers devotional language to his or her self while simultaneously invoking the eikôn-as-protennoia: ‘But let us become propitious

84. Z. m azur, “To Become an Eikôn,” ms. p. 7 cites Plotinus V, 8 [31] 11.1ff.: “If one of us is unable to see himself, then, when he is possessed by that god, if he should bring forth the contemplation into an act of seeing, he presents himself to himself and looks at a beautified image of himself, but dismisses the image though it is beautiful, coming into one with himself, and, being no longer separate, is simultaneously one and all things with that god noiselessly present” and V, 9 [9] 11.38–45: “[…] running the opposite way, [the soul] will come not into another but into itself, and thus not being in another, it is in no one but itself; yet while in itself, and not in Being, it is in that, for one becomes also oneself and not in substance, but ‘beyond substance’ by means of this intercourse. And so if one should see oneself having become this, one has oneself as a likeness of that, and if one goes on from oneself as an image to an archetype one reaches the ‘end of the journey.’” One may also adduce VI, 9 [9] 11.4-21: “Since, then, there were not two, but the seer himself was one in relation to the seen (for it was not really seen, but unified), if he remembers who he became when he was mingled with that [one], he will have an image of that [one] with himself. But he himself, too, was one, with no distinction in himself either in relation to himself or in relation to others; for nothing moved with him, and he had no wish, no desire for another when he had ascended—but there was not even any reason or thought, nor even a self at all, if one must say even this; but he was as if snatched away or divinely possessed, in quiet solitude and stillness, having become motionless, not turning aside anywhere in his substance, nor turning about himself, having come to a complete standstill and indeed having become a kind of standing.”

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The Anonymous Parmenides Commentary to ourselves by ourselves through that one...’ In other words, this particular Gnostic complex of ideas—including a particularly optimistic exegesis of the Genesis anthropogony—appears to have posited that an eikôn mediating the transcendent abides within the interiority of the human subject. 85

In the light of these factors, Mazur suggests that “if one traces the trajectory of the notion of the intermediary eikôn that permits apprehension of or access to the otherwise inaccessible or inapprehensible supreme principle, the evidence points towards the priority of the formulation of this idea in a Gnostic or Christian rather than in a purely pagan or Platonic milieu.” 86 Just as Abramowski and Majercik have proposed that the extant versions of Zostrianos are Coptic translations of post-Plotinian works composed in Greek around the turn to the fourth century ce and thus cannot be the works known by Plotinus under the same names, so also Dylan Burns 87 has recently assigned Allogenes to the turn to the fourth century on the grounds that its paradoxical negative theology (a kind of negatio negationis) does not appear in Plotinus, but in later Neoplatonists like Proclus, and its contemplative praxis operates on the same metaphysical levels and textual interface as later Neoplatonic theurgy. However, the extremely close parallels that here have been noted between Allogenes and Plotinus 88 and the anonymous Parmenides Commentary, not to mention the close terminological and conceptual parallels with Gnostic sources such as the Apocryphon of John (NHC III 6,24–7,23 = NHC II 4,15 = BG 26,11–27,19), Eugnostos the Blessed (NHC III 74,20–75,12) and the “Simonian” Apophasis Megalē (Hippolytus, Refutatio VI.17.1.1–3.4 and VI.18.2.1–7.5), 89 all of which cluster around the late second and early third century, should make one very cautious in claiming that Coptic treatises like Zostrianos and Allogenes are not at all the same as their Greek exemplars known to Plotinus. While one must always reckon with Coptic mistranslations of the original Greek and even a certain degree of rewriting, at the very least, one should be required to say exactly where and how these versions differed. On balance, it seems to me that it is better to stick with the Coptic text that we actually possess rather than to speculate what may or may not have been present in its putative Greek exemplar.

85. Z. m azur, “To Become an Eikôn,” ms. pp. 28–29) 86. Ibid., ms. p. 10. 87. D. Burns, “Apophatic Strategies in Allogenes (NHC XI,3),” Harvard Theological Review 103/2 (2010), pp. 161–179 esp. pp. 165–166, p. 171, pp. 177–179. Like Zostrianos, Allogenes may share a Platonic theological source with Marius Victorinus’ Adversus Arium, but unlike Zostrianos, its source is systematically mixed in with un-Middle Platonic apophatic paradox. 88. Ascent through withdrawal/self-retraction and first life/previtality in Allogenes 60,13–61,22 cit. supra pp. 117–118 and Plotinus, Ennead III, 8 [30] 9,18-40 cit. supra p. 119; unknowing in Allogenes 60,13–61,22 cit. supra p. 16 and Plotinus, Ennead VI, 9 [9] 7.17–21 cit. supra n. 80. 89. Noted by Z. m azur, “To Become an Eikôn.”

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John D. Turner In the final analysis, the question of the authorship of the anonymous Parmenides Commentary has not found a definitive answer. As Michael Chase observes, 90 The degree of conviction attained by the thematic and lexical parallels adduced by P. Hadot and other historians obviously depends on the subjectivity of reader: some were convinced, others not. It is true that Hadot’s arguments do not provide compelling evidence nor absolute certainty, but Hadot never said otherwise. As the majority of texts are lost or poorly preserved, it is unclear how an apodictic certainty could never be reached… Even so, the hypotheses of M. Tardieu, with its amplifications (K. Corrigan, J. Turner) and its opponents (L. Abramowksi, R. Majercik), had the great merit of opening the field of a comparative study of the doctrines of Porphyry, Marius Victorinus and Gnosis, an area that has probably not finished leads to important discoveries.

The results of the previous decade of research on the anonymous Parmenides Commentary and Sethian and other closely-related Gnostic treatises certainly tend to add weight to the suspicions of Rasimus and Mazur that many of the ideas contained in the Commentary are better attested in pre-Plotinian Gnostic, especially Sethian, sources like Allogenes, the Apocryphon of John and the possibly common source behind Zostrianos and Victorinus than in the undisputed writings of Porphyry. While certainty continues to elude us, one take seriously at least the possibility that it was the Sethian Gnostics rather than Porphyry or even other academic Platonists who—as common partisans of “Plato’s Mysteries”—were the innovators, and that their role in the development of Neoplatonism has been greatly underestimated in previous scholarship.

90. M. chase, “Porphyre de Tyr”, p. 1370.

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PADRE FEMENINO. EL DIOS-MADRE DE LOS GNÓSTICOS Mariano troiano Universidad Nacional de Cuyo [email protected]

Primeramente, quisiera agradecer la posibilidad que se me brinda de poder retribuir con el presente trabajo, al menos en una mínima parte, los conocimientos precisos y la guía, que como un verdadero maestro, me ofreció de forma siempre desinteresada y generosa, el Doctor Jean-Daniel Dubois. Con la claridad y la erudición habituales, Jean-Daniel Dubois expone en el capítulo primero de su obra Jésus Apocryphe, la figura de Jesús presente en los textos provenientes del gnosticismo basilidiano. Allí, Jean-Daniel Dubois subraya los debates doctrinales del Cristianismo del siglo ii que se manifiestan detrás de dichos escritos. Esta crítica (i.e. de Ireneo de Lyon en Contra las herejías II, 13, 3) muestra bien que la cima del debate apunta a clarificar la cuestión central del advenimiento de la Palabra divina o del Logos. ¿Emana el Logos directamente de Dios, como podría creerse leyendo el prólogo del Evangelio de Juan, o bien el Logos, en tanto que palabra enunciada, no es concebible sino como una producción del intelecto, como puede deducirse de la posición teológica de los gnósticos basilidianos y valentinanos, criticados por Ireneo 1?

En efecto, el proceso de la manifestación primera que lleva del Uno a lo múltiple, está en el centro de los debates cristianos de los primeros siglos y presenta incluso aspectos políticos con la llegada de las polémicas antiarrianas del siglo iV.

1.

J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, Paris 2011, p. 25: « Cette critique (i.e. d’Irénée de Lyon dans Contre les Hérésies II, 13, 3) montre bien que la pointe du débat vise à éclairer la question centrale de l’avènement de la Parole divine ou du Logos. Est-ce que le Logos émane de Dieu directement, comme on pourrait le croire en lisant le prologue de l’Évangile de Jean, ou bien est-ce que le Logos en tant que parole énoncée n’est pensable que comme une production de l’intellect, comme on peut le déduire de la position théologique des gnostiques basilidiens et valentiniens, critiqués par Irénée ? »

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Mariano Troiano Sin embargo, los debates que surgen de los intentos de explicación de dicho proceso, incluyen también a las corrientes filosóficas de tradición platónica y pitagórica 2. Es así como, incorporando influencias provenientes de dichas escuelas, la postura gnóstica presenta el despliegue del Uno a través de la tríada Padre-Madre-Hijo. Michel Tardieu expone dicha postura en su profundo estudio sobre los textos del Códice de Berlín. El investigador francés afirma que el autor gnóstico del Libro de los Secretos de Juan subraya la unidad divina (utilizando, entre otras menciones, la doctrina pitagórica de la mónada) al mismo tiempo que afirma la manifestación triádica de la divinidad: […] El Eón indefectible e inmaculado, fuente y lugar de la eternidad, es idéntico a la persona misma de Jesús expresando los tres modos de la generación: padre, madre, hijo. Él es, entonces, el Hombre perfecto (BG 22, 16), es decir, aquel que asume en la unidad de su ser la totalidad de las formas de la habitación de Dios 3.

Es en este marco en el cuál debe comprenderse el comentario del Evangelio de la Verdad (Códices de Nag Hammadi [de aquí en adelante NHC] I, 3, p. 24, 9-21) 4 expuesto por Francisco García Bazán:

2.

3.

4.

128

Ver lo expuesto por J. Dillon, The Middle Platonists: A Study of Platonism 80 B.C. to A. D. 220, London 1977, p. 46. En el mismo sentido, J. opsomer (« Demiurges in Early Imperial Platonism », en R. hirsch-luipolD [dir.], Gott und die Götter bei Plutarch. Götterbilder - Gottesbilder – Weltbilder, Berlin-New York 2005, p. 57) afirma: « To my mind, the tendency among later Platonists to demote the demiurge to a lower rank can be considered, at least in part, as a response to these criticisms. If the demiurge is not the supreme cause, the one to be plagued by worries is not the primal god, but some lesser divinity »; ver también, Ibid., p. 56 y p. 58. Cf. D. J. o’ meara, « The making of the World », dans B. layton (dir.), The Rediscovery of Gnosticism, t. I, Leiden 1980, p. 365-367. J. opsomer (« Demiurges in Early Imperial Platonism », p. 55) agrega más adelante: « Pythagoreanising tendencies, however, did not constitute the sole reason for the divorce of the One-Good from the demiurge. I believe there are other factors which contribute to this development. As a result of these other developments Platonists came to think that it is strange or inappropriate that the first god does the kind of work that is attributed to the demiurge in the Timaeus. The demotion of the demiurge was, however, not the only result of these developments. A further consequence was that the tasks of the demiurge were often split up and distributed over more than one divine entity. » Un poco más adelante, completa dicha idea diciendo (Ibid., p. 63): « […] due to Pythagorean tendencies within Platonism, many thinkers felt the need to stress the absolute simplicity of the first god. The Neoplatonic move would be to deny the possibility that the absolute One could in any way be considered an intellect. » M. tarDieu, Écrits gnostiques. Codex de Berlin, Paris 1984, p. 246: « […] l’Aiôn indéfectible et immaculé, source et lieu d’éternité, est identique à la personne même de Jésus exprimant les trois modes de la génération : père, mère, fils. Il est donc l’Homme parfait (B 22, 16), c’est-à-dire celui qui assume dans l’unité de son être la totalité des formes de l’habitation de Dieu. » En adelante la referencia a los códices de Nag Hammadi se indicará con la abreviación NHC (Nag Hammadi Códices) seguido del número de códice en numeros romanos, luego el número correspondiente al tratado dentro del códice en números arábigos y finalmente,

El Dios-Madre de los gnósticos En estos viejos testimonios citados y otros más que se pueden aducir, tanto extra-canónicos como canónicos, el Espíritu se identifica últimamente como sustrato femenino indisociable del Padre y, de esa suerte, como posibilidad de generación del Hijo, o sea, como un aspecto del Pensamiento interior del Padre, un estado del Pensamiento que es anterior al Intelecto o Palabra mentalmente proferida 5.

Se puede deducir, entonces, que para dos de las principales corrientes gnósticas, el llamado « Setianismo 6 » y el Valentinismo, la interrelación Masculino-Femenino es de importancia crucial para explicar el inicio del pasaje del Uno a lo Múltiple. La intención de nuestro trabajo es completar dicha afirmación, confirmando la existencia de la faceta femenina del Padre. Asimismo, expondremos la necesidad esencial de la dimensión femenina para la manifestación de la divinidad. En otras palabras, la dimensión filosófica de lo « femenino » como expresión del Uno, la multiplicidad indisociable de la manifestación de la Unidad. En este sentido, nuestro estudio analizará las interpretaciones sobre la dimensión femenina de la divinidad presentes en las corrientes gnósticas « setianas » y valentinianas, agregando testimonios aportados por los Padres de la Iglesia y los textos filosóficos de tradición platónica. La tríada Padre-Madre-Hijo de la gnosis « setiana » La existencia de una tríada Padre-Madre-Hijo es una de las características principales del llamado gnosticismo « setiano »; a tal punto que dicha tríada está presente entre los « mitologemas setianos » expuestos por John D. Turner en su obra Sethian Gnosticism and Platonic Tradition, actualmente la principal obra de referencia sobre dicha corriente 7.

5. 6. 7.

la indicación de la página y las lineas de referencia también en números arábigos. F. García Bazán, « El mito del andrógino y la naturaleza humana. Núcleo clásico e irradiaciones helenístico-cristianas », en Jesús el Nazareno y los primeros cristianos, Buenos Aires 2006, p. 233. Sobre reservas con respecto al sistema de la llamada gnosis « setiana », ver J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 163-165. « The heavenly trinity of the Father (Invisible Spirit), Mother (Barbélo), and Son (Autogenes) », en J. D. turner, Sethian Gnosticism and Platonic Tradition, QuébecLouvain-Paris 2002, p. 63-69. Entre los textos gnósticos que presentan dicho mitologema, el autor menciona el Libro de los Secretos de Juan (BG 8502; NHC II, 1; III, 1; IV, 1), el Pensamiento trimorfo (NHC XIII, 1), el Evangelio de los Egipcios (NHC III, 2; IV, 2), las Tres estelas de Set (NHC VII, 5), Zostrianos (NHC VIII, 1), El Pensamiento de Norea (NHC IX, 2) y Allógenes (NHC XI, 3).

129

Mariano Troiano La tríada Padre-Madre-Hijo se presenta temprano en la historia del « Setianismo » reconstruida por John D. Turner, y provendría de una teología cristiana de la Sabiduría 8, tal como lo explica Jean-Daniel Dubois a partir del análisis del Zostriano: En el Zostriano (NHC VIII, 1), presentar al Uno como Espíritu y Logos de sí mismo (66, 18-21) y a Barbelo, la potencia proveniente de la trascendencia, como la realidad « que no ha comenzado con el tiempo, pero que se manifiesta eternamente, permaneciendo a su lado (= del Espíritu) eternamente (78, 12-16) », es identificar el Logos del principio del prólogo joánico con la Sabiduría de acuerdo con Proverbios 8, 30 («Yo estaba a su lado ») o de acuerdo con la Sabiduría de Salomón 1, 6 (« la Sabiduría es Espíritu »), 7, 7 (« un espíritu de sabiduría ») y 7, 22 (« la sabiduría tiene un pneuma noeron, un espíritu inteligente ») 9.

A fin de analizar las características particulares que la tríada Padre-MadreHijo presenta dentro del « Setianismo » temprano, es que estudiaremos uno de sus principales y primeros exponentes textuales: el Libro de los Secretos de Juan (Códice de Berlín 8502 [de aquí en adelante BG]; NHC II, 1; II, 1; IV, 1) 10. Michel Tardieu indica que el texto actual es producto de tres redacciones, es decir, el original y dos revisiones; siendo, el himno final del texto redactado hacia 120 d. C. y la versión original hacia el 170 d. C 11. El Libro de Secretos de Juan se estructura, en un principio, en base al comentario de la afirmación inicial del Salvador « Yo soy el padre, yo soy la madre, yo soy el hijo (ⲁⲛⲟⲕ ⲡⲉ [ⲡⲉⲓⲱⲧ] ⲁⲛⲟⲕ ⲡⲉ ⲧⲙⲁⲁⲩ ⲁⲛⲟⲕ [ⲡⲉ ⲡϣⲏ]ⲣⲉ) »

J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 165. Ibid. p. 181: « Dans le Zostrien (NH VIII, 1), présenter l’Un comme Esprit et Logos de lui-même (66, 18-21) et Barbélo, la puissance issue de la transcendance, comme la réalité “qui n’a pas à commencer avec le temps, mais qu’elle se manifesta éternellement, se tenant auprès de lui (= l’Esprit) éternellement” (78, 12-16), c’est identifier le Logos du début du prologue johannique à la Sagesse divine selon Proverbes 8, 30 (“J’étais auprès de lui”) ou selon Sagesse de Salomon 1, 6 (“la Sagesse est Esprit”), 7, 7 (“un esprit de sagesse”) et 7, 22 (“la sagesse a un pneuma noeron, un esprit intelligent”). » Ver también Ibid., p. 90. 10. En adelante la referencia al Códice de Berlín se indicará con la abreviación BG (Berolinensis Gnosticus) seguido del número de página y las lineas de referencia en números arábigos. 11. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 40. Para Michel Tardieu, las principales fuentes del autor son el Evangelio de Juan y las fuentes apocalípticas caldeas, revelaciones escritas en griego por sirios que buscan combinar la astrología de inspiración caldea y la filosofía de inspiración platónica que el autor sitúa hacia el 130 d. C. Finalmente, explica el autor francés, también existen elementos tomados de las discusiones internas de la escuela valentiniana reflejados en la transmisión de Ireneo de Lyon, Contra las herejías I, 29, 1-4 y presentes en BG 27, 8–28, 4; NHC III, 1, p. 7, 15–8, 5; NHC II, 1, p. 4, 29–5, 11; BG 28, 21–29, 8; NHC III, 1, p. 8, 20–9, 3; NHC II, 1, p. 5, 26-32 y BG 29, 18–30, 9; NHC III, 1, p. 9, 10-19; NHC II, 1, p. 6, 10-18.

8. 9.

130

El Dios-Madre de los gnósticos (BG 21, 19-20; NHC II, 1, p. 2, 13-14 y IV, 1, p. 3, 7-8) 12 en una serie de capítulos sobre el Padre (II, 1, p. 2, 25–4, 19), sobre la Madre (II, 1, p. 4, 19–6, 10) y sobre el Hijo (II, 1, p. 6, 10–9, 24); para, a continuación, aportarnos una serie de capítulos sobre el origen del Mundo (II, 1, p. 9, 25–21, 16). El autor se apoya sobre la formula joánica que identifica al Padre y al Espíritu (Jn 4, 24) a propósito de la adoración del Padre en espíritu y verdad (Jn 4, 23) 13. En efecto, el Padre es descrito como mónada (ⲧⲙⲛⲧⲟⲩ), monarquía (ⲙⲟⲛⲁⲣⲭⲓⲁ), dios (ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ), padre del todo (ⲡⲉⲓⲱⲧ ⲙⲡⲧⲏⲣϥ ⲡⲉ), espíritu invisible (ⲡⲉⲡⲛⲁ ⲛⲁϩⲟⲣⲁⲧⲟⲛ) 14. Michel Tardieu observa que el autor ha colocado sobre material joánico (Jn 4, 23-24), la doctrina pitagórica de la mónada como principio y raíz de todas las cosas. En este sentido, el término monarquía expresa la absoluta trascendencia de la mónada paterna 15. El autor francés nos explica que el texto (BG 23, 3–26, 6; II, 1, p. 2, 33–4, 10) destaca la eminencia, la anterioridad y principalmente la trascendencia del Padre/Espíritu sobre toda realidad (« realidad superior a las realidades ») 16. Luego de la descripción de la figura del Padre, el Libro de Secretos de Juan expone el surgimiento de la potencia paterna, identificada con la Madre y calificada luego con el nombre de Barbelo. Sigamos el texto copto. En BG 26, 14 y II 1, p. 4, 10-12 se dice sobre el Padre: « […] está quieto, reposando en silencio » (ⲉϥϩⲛ ⲟⲩⲥϭⲣⲁϩⲧ ⲉϥⲙⲧⲟⲛ ⲙⲙⲟϥ ϩⲛ ⲟⲩⲕⲁⲣⲱϥ) los dos primeros términos (ⲥϭⲣⲁϩⲧ y ⲙⲧⲟⲛ) tienen significados muy similares: « calmo », « tranquilo », « en reposo », « quieto », « cómodo », al cual el primero agrega el sentido de « solitario 17 ». El tercer término (ⲕⲁⲣⲱϥ) aporta « silencioso 18 ». Estos atributos, indica Michel Tardieu, deben ser reenviados a la piedad egipcia comparándolos con las menciones en PGM IV 1782 19 y agrega:

12. Remarcamos que la frase aparece con variaciones mínimas en tres de las cuatro versiones del Libro de los Secretos de Juan. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John. Synopsis of Nag Hammadi Codices II, 1; III, 1; IV, 1 with BG 8502, 2, Leiden-New YorkKöln 1995, p. 18-19. 13. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 87. 14. BG 22, 17–23, 3 y NHC II, 1, p. 2, 26-33. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 20-21. 15. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 247. 16. Ibid., p. 248. 17. W. e. crum, A Coptic Dictionary, Oxford 1962, p. 389b y 193b. Es necesario destacar que el término ⲙⲧⲱ con caracteres y sonidos similares tiene por significado « profundidad » utilizado en relación con la profundidad marina. Ibid., p. 193a. 18. Ibid., p. 288b. 19. Para los Papyri Graecae Magicae (PGM), ver la edición de K. preisenDanz (éd.), Papyri Graecae Magicae. Die Griechischen Zauberpapyri, t. I-II, Leipzig-Berlin 1928-1931; A. henrichs (éd.), Stuttgart 1973-19742; réimpr. Munich-Leipzig 2001.

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Mariano Troiano […] hace falta admitir que el Eón personificado es una expresión hipostasiada de la sabiduría. Tal identificación, que viene del viejo fondo egipcio, ha sido tomada por el redactor de especulaciones de su medio cultural […] La asociación sabiduría-eternidad-potencia (Sophia-Aiôn-Dynamis) atestada por las invocaciones, es retomada por el redactor para expresar, no ya una doxología, sino el fundamento teológico de los primeros principios 20.

A continuación, el Padre se conoce a sí mismo, se contempla a sí mismo (ⲉⲧϭⲟϣⲧ’ ⲉⲣⲟϥ ⲟⲩⲁⲁⲧϥ) 21, Dios entonces se califica a sí mismo por la noción que él tiene de sí. Un acto puramente intelectual en el cual el Padre reconoce que lo que ve es él mismo. La comprensión del Padre de esta visión, produce una obra (ϩⲱⲃ), su « pensamiento deviene acto y aparece, manifestándose delante de él », (ⲧⲉϥⲉⲛⲛⲟⲓⲁ ⲁⲥϣⲱⲡⲉ ⲛⲟⲩϩⲱⲃ ⲁⲩⲱ ⲁⲥϭⲱⲗⲡ’ ⲉⲃⲟⲗ ⲛϭⲓ ⲧⲁ ⲉⲛⲧⲁϩⲟⲩⲱⲛϩ ⲉⲃⲟⲗ ⲙⲡⲉϥⲙ) 22. En el himno que surge a continuación, el escrito establece la preexistencia de esta potencia femenina, Ennoia, frente a toda manifestación posterior y la identifica explícitamente con Barbelo 23. Ésta es la potencia (ⲧϭⲟⲙ) primordial (ⲧϣⲟⲣⲡ), preexistente al Todo, manifestada de su pensamiento. Ésta es la prenoción (ⲧⲡⲣⲟⲛⲟⲓⲁ) de todo, luz semejanza de luz, potencia perfecta, imagen del Espíritu invisible, virginal y perfecto (ⲑⲓⲕⲱⲛ ⲙ̅ⲡⲓⲁⲧⲛⲁⲩ ⲉⲣⲟϥ ⲙⲡⲁⲣⲑⲉⲛⲓⲕⲟⲛ ⲙⲡⲛⲁ ⲉϥϫⲏⲕ` ⲉⲃⲟⲗ). Ella es la potencia (ⲧϭⲟⲙ) y la gloria, Barbelo (ⲧⲃⲁⲣⲃⲏⲗⲱ) […] 24.

20. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 254-255: « […] il faut admettre que l’Aiôn personnifié est une expression hypostasiée de la sagesse. Une telle identification, qui vient du vieux fond égyptien, a été emprunté par le rédacteur aux spéculations de son milieu culturel. […] L’association sagesse-éternité-puissance (Sophia-Aiôn-Dynamis) attestée par les invocations est reprise par le rédacteur pour exprimer non plus une doxologie, mais le fondement théologique des premiers principes. » 21. NHC II, 1, p. 4, 19-20. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 31. 22. NHC II, 1, p. 4, 27-28. Cf. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 255-256. 23. En el capítulo dedicado a Barbelo y Yaoel, Madeleine Scopello, subraya la condición femenina de dicha entidad. m. scopello, Femme, gnose et manichéisme. De l’espace mythique au territoire du réel, Leiden-Boston 2005, p. 61. Unas páginas más adelante (p. 73), la autora afirma que Yaoel presenta siempre el artículo femenino en los textos gnósticos y agrega sobre el angel masculino del Apocalipsis de Abraham: « […] il acquiert dans les textes de la gnose, probablement à cause de la proximité avec Barbélo, le statut typique de l’entité féminine à côté du Père, se revêtant des attributs de la féminité et de l’androgynie. Ces deux caractères ne sont pas antagonistes mais plutôt complémentaires, selon la pensée gnostique. » 24. NHC II, 1, p. 4, 29-36. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 33. Es interesante para la descripción del proceso que permite el paso del Uno a lo Múltiple, el uso del término ⲁⲥϭⲱⲗⲡ que vehicula los significados de « se abre, se revela »: W. e. crum, A Coptic Dictionary, p. 812a.

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El Dios-Madre de los gnósticos El texto del Libro de los Secretos de Juan la designa, entre otros términos, como « primer pensamiento, su imagen » (ⲡⲁ ⲡⲉ ⲡϣⲟⲣⲡ’ ⲙⲙⲉⲉⲩⲉ ⲛⲧⲉϥϩⲓⲕⲱⲛ) (NHC II, 1, p. 5, 4-5) 25, « la matriz del todo » (ⲙⲙⲏⲧⲣⲁ [μήτρα] ⲙⲏⲧⲏⲣϥ’) (II, 1, p. 5, 5), « espíritu santo » (ⲡⲛⲁ [πνεῦμα] ⲉⲧⲟⲩⲁⲁⲃ) (NHC II, 1, p. 5, 7-8), « la madre-padre » (ⲧⲙⲏ’ⲧⲣⲟⲡⲁⲧⲱⲣ μητροπάτωρ) (NHC II, 1, p. 5, 7; 14, 19; 19, 17; 20, 10; 27, 34 26) y una mención en BG 75, 11 (ⲧⲙⲁⲁⲩ ⲛⲉⲓⲱⲧ) 27, « triple varón » (ⲡϣⲟⲙⲧ ⲛϩⲟⲟⲩⲧ), « triple potencia » (ⲧϣⲟⲙⲧⲉ ⲛ̅ϭⲟⲙ), « triple nombre » (ⲡϣⲟⲙⲧ ⲛ̅ⲣⲁⲛ) (NHC II, 1, p. 5, 7-9 28). Asimismo, en BG 28, 2-3 se indica « el que no envejece » o « eterno » (ⲉⲧⲉ ⲙⲉϥⲣ̅ ϩⲗ̅ⲗⲟ): « el eón eterno andrógino » (ⲡⲁⲓⲱⲛ ⲉⲧⲉ ⲙⲉϥⲣ̅ ϩⲗ̅ⲗⲟ ⲫⲟⲩⲧⲥϩⲓ̈ⲙⲉ). En NHC II, 1, p. 5, 9 encontramos el término « andrógino » escrito como « ⲛϩⲟⲟⲩⲧ ⲥϩⲓⲙⲉ 29. » Nos parece interesante destacar varios aspectos con respecto a la mención Madre-Padre. Primeramente, la única mención en copto (ⲧⲙⲁⲁⲩ ⲛⲉⲓⲱⲧ) en los textos es la presente en el Códice de Berlín. En el segundo códice de Nag Hammadi se utiliza el término griego (μητροπάτωρ) aunque con un juego interesante en los artículos que indican el género en copto: sólo está presente el artículo femenino en la primera mención de NHC II, donde también aparece por única vez el sobrelineado, y en la mencionada aparición en BG 30. Por otra parte, del estudio de las correspondencias entre BG y NHC II, 1 surgen ciertas diferencias. En BG 71, 5 y en NHC II, 1, p. 27, 34 se hace referencia a la misma entidad, pero se las menciona de manera diferente: en NHC II, 1

25. Bernard Barc explica que en el manuscrito del Libro de los Secretos de Juan de BG 8502 establece una diferencia de tres momentos: Ennoia (p. 27, 5), cuando el Espíritu se piensa; Pronoia (p. 27, 10) cuando él piensa lo real y Prot-en-oia (p. 32, 12) cuando realiza la síntesis de los atributos precedentes. Siendo Enoia una potencia fronteriza, anterior a lo real pero también manifestada en todos los niveles, inteligible (p. 29, 9-18; p. 31, 10-11), mediación (p. 32, 29–33, 7) y sensible (p. 55, 15-18). B. Barc, « Livre des Secrets de Jean (NH II, I ; III, I ; IV, I ; BG 2) », en J.-p. m ahé – p.-h. poirier (dir.), Écrits gnostiques. La Bibliothèque de Nag Hammadi, Paris 2007, p. 223, n. 27, 5-9 y n. 27, 10-19. 26. En este caso dejamos el copto original pues es la única mención en la cual aparecen sobre líneas en el término. 27. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 85, p. 113, p. 117, p. 159 y p. 168. 28. J. montserrat torrents, « Apócrifo de Juan », en a. piñero (dir.), Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. I, Tratados filosóficos y cosmológicos, Trotta 2000, p. 238. 29. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 32-36. 30. En p. 14, 19 el contexto es la aparición del Hombre primordial que da origen a Adán. En p. 19, 17 y 20, 10 es un contexto en donde se relacionan la Sofía caída hacia su contraparte pleromática, Barbelo. En p. 20, 34 se busca poner en evidencia el rol de Pronoia. Ver B. Barc, « Livre des Secrets de Jean », p. 291, n. 27, 34–28, 5.

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Mariano Troiano como el Madre-Padre ([masc.] el μητροπάτωρ) y en BG « la Madre» (BG 71, 5 [ⲧ ⲙⲁⲁⲩ]). Asimismo, en las otras correspondencias 14, 19 (BG 48, 2); 19, 17 (BG 51, 5-6) y en 20, 10 (BG 52, 18), BG presenta el término « el Padre 31 ». Sobre los títulos otorgados a Barbelo, Michel Tardieu, afirma que la prenoción (πρόνοια) es la potencia nocional del Padre, preexistente al mundo y designa el modo propio de la intelección divina que se expresa en la potencia y dotada de anterioridad esencial 32. El autor destaca también la noción de espíritu santo como sinónimo de espíritu virginal: « Ya que ésta, siendo a la vez prenoción, imagen y gloria del Padre-Espíritu, es femenina y perfecta; el espíritu virginal es la potencia del “gran Espíritu Invisible” 33. » Estas nociones se completan con lo expresado más adelante por el mismo autor cuando hace referencia al término andrógino, aclarando que la Madre-Padre es un dios inferior al Primero como lo es toda potencia en relación al Padre y participa a la ambigüedad de la posición del segundo dios, dios doble ya que δεύτερος deúteros pero también porque es portador de la fuerza y el aliento de vida (elemento femenino) y de la luz (elemento masculino) de su Padre-Espíritu 34. Lamentamos que el análisis del autor sobre la femineidad de dicha entidad se base meramente en una constatación del género de sus atributos. Asimismo, en su estudio de los términos matriz y Madre-Padre, sólo subraya la idea de preexistencia frente a lo que surgirá posteriormente y no estudia la idea de lo femenino como hacedor o creador. A continuación, el texto relata el surgimiento de cuatro manifestaciones que, junto con la noción antes mencionada, conforman la pentada andrógina de eones del Padre: Pre-ciencia, Incorruptibilidad, Vida Eterna y Verdad. Al

31. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 112-113, p. 116-117 y p. 156-157. El análisis de la serie de títulos atribuidos a Pronoia-Barbelo, nos indica M. Tardieu, es precioso pues estos provienen ya sea de títulos procedentes de escritos de revelación con una fuerte impronta clasificatoria y caldaizante (que el autor sitúa hacia el principio del siglo ii), ya sea de un glosado posterior, con títulos como Madre-Padre y triple nombre, glosado incorporado al texto hacia mediados del siglo iii, que indicarían un catálogo de las denominaciones de Barbelo en los círculos gnósticos. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 45 y p. 258-259. 32. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 258: « […] en tant que puissance notionnelle du Père, préexiste au monde des éons. C’est la providence suprême et première des traités platoniciens sur le destin […]. Pourvue de nóêsis et de boúlêsis, elle est bienfaisante en tout. Elle désigne le mode propre de l’intellection divine s’exprimant dans la puissance et douée d’antériorité essentielle. Cette providence-prénotion est lumière et image, ressemblance de lumière […] exprime la ressemblance parfaite et l’identité entre le modèle (le Père Esprit) et son reflet réflexif (Ennoia). » 33. Ibid., p. 260: « Car celle-ci, étant à la fois prénotion, image et gloire du Père-Esprit, est féminine et parfaite ; esprit virginal est la puissance du “grand Esprit invisible”. » 34. Ibid., p. 260-261. B. Barc (« Livre des Secrets de Jean », p. 224, n. 27, 19–28, 4) explica que ella es andrógina, ya que « masculina » en tanto que Padre, y « potencia » femenina en tanto que Madre.

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El Dios-Madre de los gnósticos finalizar dicho párrafo, el texto confirma la identidad intrínseca entre el Padre y sus manifestaciones, Noción-Barbelo la primera entre ellas, con la frase BG 29, 17 / NHC II, 1, p. 6, 9-10 « esto es el padre » (ⲉⲧⲉ ⲡⲁ ⲡⲉ ⲡⲉⲓⲱⲧ) 35. En los párrafos siguientes el Libro de Secretos de Juan, relata el surgimiento del Hijo. Según BG 29, 18–30, 3, Barbelo tornándose a sí misma hacia el Padre así manifestado (ⲁⲥⲕⲧⲟⲥ ⲉϩⲟⲩⲛ ⲉⲣⲟϥ), le mira intensamente (ⲁⲥϭⲱϣϣⲧϣⲉϩⲟⲩⲛ ⲉⲣⲟϥ ⲉⲙⲁⲧⲉ ⲛϭⲓ ⲧⲃⲁⲣⲃⲏⲗⲱ) y da nacimiento (ⲁⲥϫⲡⲟ) a una chispa de luz bendita. El texto de Nag Hammadi, II, 1, p. 6, 10-13 presenta una imagen más explícita, el Padre mira fijamente hacia Barbelo (ⲁϥϭⲱϣⲧϭⲉϩⲟⲩⲛ ϩⲛ ⲧⲃⲁⲣⲃⲏⲗⲱ) y le infunde 36 la luz purificadora que lo rodea (ϩⲙoⲡⲟⲩⲟⲉⲓⲛ ⲉⲧⲧⲃⲃⲏⲩ ⲉⲧⲕⲧⲏⲩ ⲁⲡⲁϩⲟⲣⲁⲧⲟⲛ ⲙⲡⲛⲁⲣⲙⲛⲛⲡⲉϥⲡⲣⲣⲉ) « y ella engendró de él » (ⲁⲥϫⲉ ⲟⲩⲱ ⲉⲣⲟϥ), NHC II, 1, p. 6, 12-13). Luego la línea inmediata posterior, NHC II, 1, p. 6, 13-18, afirma: Él engendró (ⲁϥϫⲡⲟ) una centella de luz semejante a la luz beata, aunque sin igualar su magnitud. Éste es el ungénito (ⲛⲉⲟⲩϣⲣ̅ⲟⲩⲱⲧ [BG 30, 5] ⲡⲙⲟⲛⲟⲅⲉⲛⲏⲥ) de la Madre-Padre (fem. ⲧⲙⲏⲧⲣⲟⲡⲁⲧⲱⲣ) que se había manifestado, su único vástago, el ungénito del Padre (ⲡϣⲣⲟⲩⲱⲧ ⲛⲧⲉ ⲡⲉⲓⲱⲧ) la pura luz 37.

Afirma Michel Tardieu que la aparición del tercer término de la tríada, el Hijo, introduce en la exposición de los primeros principios el concepto de generación, es decir un principio de distinción: habiendo sido generado, el hijo es al mismo tiempo similar y no idéntico, igual y desigual 38. Esta afirmación parece ser sustentada por BG 29, 18 que específicamente se refiere al padre en el párrafo inmediatamente anterior al surgimiento del hijo como inengendrado (ⲡⲓⲁⲅⲉⲛⲏⲧⲟⲥ gr. ἀγέννητος) y lo confirma en BG 30, 6 que califica al Padre como autogenerado (ⲡⲁⲩⲧⲟⲅⲉⲛⲏⲧⲟⲥ gr. αὐτογένητος). Esto indica, por un lado, la identidad esencial del Padre y la Madre o si se quiere del Padre y la noción/Barbelo/Madre-Padre, identidad que marca una diferencia a través de la generación del Hijo. Por otra parte, dicha diferencia buscaría subrayar la necesidad de lo femenino del Uno para el inicio de la generación, en el despliegue que lleva a la multiplicidad. En este sentido, creemos que lo siguiente indica el rol esencial jugado por el aspecto femenino (acto nocional) en dicho despliegue que tiende al Todo:

35. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 40-41. 36. M. tarDieu (Écrits gnostiques, p. 97) traduce: « Il (= l’Esprit) posa son regard sur Barbêlô, (et celle-ci reçut la pénétration) de la lumière pure entourant l’invisible Esprit […]. » 37. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 41. J.-D. DuBois (Jésus apocryphe, p. 90) señala que la chispa de luz engendrada, posee los atributos del Logos joánico. Es decir, el hijo es preminente sobre las otras figuras que conformarán el Pleroma. 38. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 265.

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Mariano Troiano Todos ellos (es decir las manifestaciones del Padre) llegaron a la existencia en silencio (NHC II, 1, p. 7, 4 ⲟⲩⲙⲛⲧⲕⲁⲣⲱϥ) y por acto nocional (del Espíritu Invisible) (ⲛⲁ ⲇⲉ ⲧⲏⲣⲟⲩ ⲛⲧⲁⲩϣⲱⲡⲉ ϩⲛ ⲟⲩⲙⲛⲧⲕⲁⲣⲱϥ ⲙⲛ ⲟⲩⲉⲛⲛⲟⲓⲁ) 39.

Más adelante nos referiremos a la importancia del termino « Silencio » para el estudio del aspecto femenino del Padre. Destacamos algunos puntos de esta nueva sección del relato. Primeramente, el texto usa casi simultáneamente « ella engendró (ⲁⲥϫⲉ) » (prefijo personal sujeto femenino de la tercera persona del singular « ⲥ ») y « el engrendró (ⲁϥϫⲡⲟ) 40 » (prefijo personal sujeto masculino de la tercera persona del singular « ϥ »). Interesa sobre todo centrar nuestra atención en la segunda mención, puesto que la primera se acuerda con el contexto presentado por el Libro de los Secretos de Juan, que trata sobre Barbelo dando nacimiento al Hijo. Esto es claro en BG 30, 1 y NHC III, 1, p. 9, 13, que utilizan para la segunda mención el prefijo femenino (« ella engendró », ⲁⲥϫⲡⲟ). Mientras que NHC II, 1, p. 6, 13 y NHC IV, 1, p. 9, 15 utilizan el masculino « él engendró » (ⲁϥϫⲡⲟ). Incluso en las traducciones de la segunda mención tanto Michel Tardieu, como Bernard Barc o José Montserrat Torrents aceptan el prefijo femenino 41. Aceptamos que dicha elección se deduce de la necesidad de coherencia en las traducciones, así como de un posible error por parte del copista. Sin embargo, planteamos la posibilidad que se trate de una modificación expresa que busca una vez más remarcar la androginia, o mejor dicho la existencia del aspecto femenino con valor esencial análogo al de su contraparte masculina, en la entidad Madre-Padre. Retomando entonces el primer momento de la apertura del Padre, destacamos que la noción que el Padre tiene de sí mismo, se hace acto, él se comprende a sí mismo en la Madre, Barbelo, matriz del Todo, Madre-Padre en el sentido en que el Padre es absolutamente transcendente y necesita de la Madre para una primera manifestación 42. John D. Turner lo describe de la siguiente manera:

39. BG 31, 10-11. m. WalDstein – F. Wisse, The Apocryphon of John, p. 45-46. 40. W. e. crum, A Coptic Dictionary, p. 778b. 41. m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 97; B. Barc, « Livre des Secrets de Jean », p. 263 y J. monserrat torrents, « Apócrifo de Juan », p. 239. 42. Esta interpretación parece confirmarse si comparamos Barbelo con la figura de la Sofía caída calificada como Prounikos (lasciva, impetuosa e indecente) en Ireneo, Contra las herejías I, 29, 4 y analizada por Anne Pasquier. Esta entidad engendra sin su conyugue dando origen al demiurgo, al cosmos sensible y a su deficiencia, en contrapartida con Barbelo quien engendra en acuerdo con su conyugue, el Padre. a. pasquier, « Prouneikos. A Colorful Expression to Designate Wisdom in Gnostic Texts », en K. l. K inG (éd.), Images of the Feminine in Gnosticism, Philadelphia 1988, p. 47-66.

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El Dios-Madre de los gnósticos Finalmente, si bien ambos, Barbelo y el Espíritu Invisible, transcienden el género completamente, Barbelo es también « Madre »; como consorte divina del « Padre » [i.e. el Espíritu Invisible], ella trae conclusión al proceso de auto-reflexión divina dando nacimiento al Hijo autogenerado Autógenes (« Autogenerado ») 43.

Por otra parte, sistemas triádicos similares donde se destaca la presencia de una figura femenina son presentados por Ireneo en Contra las herejías I, 29, 1 y I, 30, 1 en su descripción de sistemas « no valentinianos ». En el primer caso, una pareja primordial, Padre y Madre, engendra al Hijo. En el texto la figura de Barbelo es calificada de « Pensamiento » del Padre y de « Pre-gnosis 44 ». En cuanto a la evolución de la tríada al interior de la literatura « setiana », John D. Turner ubica la redacción de la mayoría de los tratados « setianos » entre el 120 y el 325 d. C 45. El autor propone una cronología sobre la redacción de dichos escritos que sitúa la primera etapa de las más tempranas composiciones « setianas » entre 100 y 125 d. C 46. Siguiendo con una segunda etapa caracterizada por la cristianización de los tratados entre 125 d. C. y 150-200 d. C. En ella, el autor ubica el texto de Ireneo I 29 y las cuatro versiones del Libro de los Secretos de Juan, como textos ya cristianizados. Las

43. J. D. turner (Sethian Gnosticism and Platonic Tradition, p. 72-73) afirma: « […] Barbelo serves as the principal savior figure of Sethian theology; she is the mediator between the Invisible Spirit and all else; she is the bestower of divine providence and of human salvation. She, rather than Adam of the book of Genesis, is the true image of God, the prototypical “First Human” who mediates the divine image to everything else, including Adam himself. Finally, even though both Barbelo and the Invisible Spirit transcend gender altogether, Barbelo is also “Mother”; as the divine consort of the “Father” (the Invisible Spirit), she brings to completion the process of divine self-reflection by giving birth to the divine self-begotten Child Autogenes (“Self-generated”). » 44. En efecto, en Contra las herejías I, 29, 1 Ireneo de Lyon hace referencia a un grupo de gnósticos, a los cuales John D. Turner identifica como pertenecientes a la literatura « setiana »; los cuales establecen claramente una interrelación entre el Padre innombrable y Barbelo. Incluso los verbos utilizados para describir esta relación parecen atestiguarlo según leemos en los comentarios de A. rousseau y L. Doutreleau (Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre I, t. I, texte édité et traduit par A. rousseau – L. Doutreleau, Paris 1979, p. 302, n. 359, 4). El texto utiliza los siguientes verbos: προβάλλω (« emitir de », « producir fuera de sí ») y προέρχομαι (« provenir » de un principio emisor, « proceder » de él, « emerger a la existencia »). Finalmente, en el libro I 30, 1, en el apartado que los editores titulan como « Ofitas » (Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre I, t. II, édité et traduit par A. rousseau – L. Doutreleau, Paris 1979, p. 264-265), el heresiólogo menciona un nuevo sistema dónde el Padre es llamado « Primer hombre » quien da lugar a un Pensamiento que es el « Hijo del Hombre o Segundo Hombre ». Por debajo de ellos se encuentra el Espíritu Santo del cual el texto no indica que fuera producido por ninguno de las entidades antes mencionadas y al cual ellos llaman la « Primera mujer ». 45. J. D. turner, Sethian Gnosticism and Platonic Tradition, p. 128. 46. Ibid.

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Mariano Troiano versiones cortas habrían sido compuestas hacia 150 d. C. y las dos versiones largas en el último cuarto del siglo ii 47. A partir del 200 y hasta el 300 aproximadamente, se desarrolla la etapa siguiente, marcada por el acercamiento del « setianismo » al platonismo, cambiando el patrón descendente del período anterior, por un patrón ascendente, donde se produce el ascenso de un personaje que recibe la revelación, con textos tales como Melquisédec, Zostrianos y Allógenes 48. En referencia a la tríada celeste, John D. Turner considera como fuente de la misma la tríada suprema de entidades masculinas, expuesta por los « ofitas » 49 y basada en la interpretación del Génesis de la « imagen de Dios », que incluye una relación compartida por Dios, Adam y Seth. Posteriormente, afirma el autor norteamericano, los « setianos » habrían avanzado un paso más introduciendo dentro de esta tríada un miembro femenino, transformándolo en una tríada familiar: Padre, Madre e Hijo. Incluso sustentando dicha tríada familiar en una interpretación del Timeo 48e-52d con respecto a la tríada de los primeros principios Padre/Formas; Madre/Receptáculo e Hijo/ Imágenes 50. Posteriormente, el autor afirma que se produce un nuevo cambio en la evolución de la tríada Padre, Madre, Hijo: La cristianización implicó que el tercer miembro de la suprema tríada divina sea designado como Cristo en lugar de Autógenes, quien es relegado a un nivel inferior, aunque continúa siendo considerado como el padre del divino Adán […] Empezando con los tratados setianos platonizantes, la denominación triple Padre, Madre, Hijo para la suprema tríada desaparece en toda la teología setiana. Todo ello sugiere que la especulación setiana sobre la pertenencia precisa a la divina tríada permanece más bien fluida, quizás debido a la compleja exégesis de las tradiciones judías y platónicas en las cuales está basada, y al problema de encontrar una ubicación adecuada para Cristo en las teogonías resultantes. En efecto, las imágenes de género de las principales

47. 48. 49. 50.

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Ibid., p. 136-178 y p. 241. Ibid., p. 179-201. Ver asimismo el stemma en Ibid., p. 220. Ireneo, Contra las herejías I, 30. Ibid., p. 209-210. Dicho cambio, afirma el autor (p. 210), obedece a un punto de vista que considera mejor la salvación proveniente de una Madre que de una tríada masculina. Sin embargo, los textos « ofitas » habrían preparado este deslizamiento al concebir el segundo principio como « Ennoia » o « Pensamiento » de la deidad suprema, otorgándole cierta ambigüedad, bisexualidad o androginia. Dicha ambigüedad estaría reflejada a través de designaciones tales como « Virgen masculina », « útero » y « triple varón » tal cual expone el autor (p. 210): « The Sethians too adscribed the salvific initiatives of the divine in this world to the activity of a supreme deity, Mother, now named Barbelo, Pronoia, or Protennoia. »

El Dios-Madre de los gnósticos figuras trascendentales setianas están atravesadas por la ambigüedad, no poco de lo cual es debido a la dificultad de rastrear los antecedentes de los pronombres de género en los propios textos coptos setianos 51.

Con respecto a los antecedentes de dicha tríada, el autor considera elementos platónicos provenientes del Timeo 50d, dónde Platón introduce la tríada familiar colocando a la Forma como el Padre, al Receptáculo como la Madre y al fenómeno como el Hijo (ἔκγονος) o la « naturaleza intermedia » (μεταξὺ φύσις). Sin embargo, John D. Turner parece establecer una diferencia con respecto a los textos « setianos » por él analizados, y los expuestos por Platón: El padre y la madre no son un par de seres que entre ellos generan un tercero. La metáfora de Platón de la tríada familiar expresa la tesis que los órdenes inferiores del ser no son órdenes del ser por sí mismos, sino que son de hecho la manifestación de lo trascendente que está más allá del ser 52.

51. Ibid., p. 213-214: « Christianization has caused the third member of the supreme divine triad to be designed as Christ rather than Autogenes, who is demoted to a lower level, even though he still tends to be regarded as the father of the divine Adam […] Beginning with the Platonizing Sethian treatises, the Father, Mother, Son triad nomenclature for the supreme triad disappears from the Sethian theology altogether. All of this suggests that Sethian speculation on the precise membership of the divine triad remained rather fluid, perhaps owing to the rather complex and esoteric exegesis of the Jewish and Platonic traditions upon which it was based, and the problem to finding a suitable location for Christ in the resulting theogonies. Indeed, the gender imagery of the principal Sethian trascendental figures is shot through with ambiguity, not a little of which owes to the difficulty of tracing the antecedents of gendered pronouns in the Sethian Coptic texts themselves. » El cambio que manifiesta el paso hacia la tríada Padre, Madre, Hijo, J. D. Turner (Ibid., p. 210-221) lo ubica en el segundo estadio de desarrollo de la literatura « setiana », principalmente cristiana, surgida a través del acercamiento entre « setianos » y varios grupos cristianos hacia fines del siglo i y principios del siglo ii y consolidándose entre mediados y finales del siglo. El tercer estadio de la literatura « setiana» tiende a abandonar las pretensiones cristológicas para abrazar una etapa más platónica, dónde prevalecen las tradiciones neopitagóricas y medioplatónicas de especulación metafísica y epistemológica. El autor agrega hacia el final de su obra (Ibid., p. 693): « The gnostic Sethianism of the second century c.e. arose within an intellectual environment stimulated by a revival Middle Platonism descended from the Old Academy and enriched by the Neopythagorean Platonists of the preceding two centuries. » 52. Ibid., p. 422: « The father and mother are not a pair of beings who between them generated a third. Plato’s metaphor of the family triad express the thesis that lower orders of being are not orders of being unto themselves, but in fact are the manifestation of the transcendent who is beyond being. » En relación con Plotino agrega (Ibid. p. 313): « Although it is not cast as an explicit Being/Existence-Life-Mind or Father-Mother-Child triad, Plotinus’ foundational triad of dynamically unfolding principles (the One, an undefined Life, and Intellect as determinate Being) is clearly parallel to Existence-Life-Intellection triad of the final fragment of the anonymous Parmenides commentary, and, as I hope to show, to the Triple Powered One of the Platonizing Sethian triads. »

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Mariano Troiano Es posible acordar con la afirmación del autor, pero con la condición de aceptar que los textos llamados « setianos » presentan una estructura paralela a la platónica. Es decir los textos combinan, desde nuestro punto de vista, dos formas de tríada: la tríada Padre-Madre-Hijo en cuanto a grados de manifestación del Uno, pero siendo la Madre quien conforma a su vez una segunda tríada Padre-Madre y luego da origen al Hijo. Esto se verá más claramente en el análisis de las influencias pitagóricas en los textos valentinianos, dónde veremos que los elementos platónico-pitagorizantes marcan fuertemente los textos valentinianos, pero también ayudan a explicar ciertos elementos de los llamados gnósticos « setianos ». La tríada Padre-Madre-Hijo en los orígenes del Valentinismo Si bien tal cual lo establece Jean-Daniel Dubois en Jésus Apocryphe se pueden encontrar paralelismos en cuanto al mito de Sofía, entidad femenina gnóstica por antonomasia, tanto en Ireneo (Contra las herejías I, 29, 4) como en el Libro de Secretos de Juan (NHC II, 1, p. 9, 25–10, 28 y 13, 13–14, 13) y en los textos valentinianos 53, la presencia de una figura femenina definida, como es el caso de Barbelo en los textos « setianos », no ha recibido igual reconocimiento por parte de los estudiosos del Valentinismo. En el presente apartado intentaremos analizar la presencia de dicha figura en los textos valentinianos y posteriormente veremos cómo las interpretaciones matemáticas platónico-pitagorizantes colaboran en la interpretación de los sistemas cosmogónicos presentados tanto por valentinianos como por « setianos ». Tal como lo expone Jean-Daniel Dubois en la obra que hemos utilizado ampliamente, el estudio del Valentinismo implica abordar una tarea de gran complejidad. Por una parte, el corpus textual se compone de una gran variedad de obras literarias, tanto directas como indirectas, que van desde los fragmentos propios de Valentín, pasando por los textos coptos valentinianos de Nag Hammadi, hasta la documentación indirecta aportada por los heresiólogos 54. Por otra parte, es necesario plantearse las diferencias entre una posible reconstrucción del pensamiento de su fundador y el de sus discípulos, que incluso algunos autores plantean como netamente divididos en dos escuelas 55.

53. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 93. 54. Ibid., p. 62-63. 55. E. thomassen, The Spiritual Seed. The Church of the “Valentinians”, Leiden-Boston 2006, p. 1-129. Cf. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 64-65. Con respecto a las diferencias entre el pensamiento del fundador y sus discípulos, E. thomassen (The Spiritual Seed, p. 4 y p. 22) afirma: « I have reached other conclusions than did Markschies. Valentinus was certainly not a “Valentinian” in the same sense as Ptolemy, or the author of The Tripartite

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El Dios-Madre de los gnósticos Un primer paso que se revela prioritario es, entonces, contextualizar y limitar nuestro estudios. En este sentido, podemos afirmar que Valentín comenzó su carrera en Alejandría hacia 120-130 antes de instalarse en Roma entre 135 y 165. Siguiendo a Jean-Daniel Dubois en su lectura del libro de Christoph Markschies 56, se lo define como un teólogo del siglo ii que busca interpretar los elementos provenientes de la revelación bíblica con la ayuda de la doctrina platónica 57. Intentando limitar el corpus a analizar y dada la imposibilidad de abordar la totalidad del material disponible, centraremos nuestro estudio en uno de los más antiguos textos proveniente de esta corriente, El Evangelio de la Verdad (NHC I, 3; XII, 2), un texto redactado a principios de la historia del Valentinismo, que incluso puede reflejar el pensamiento mismo de Valentín 58. Sin embargo, antes de adentrarnos en el texto mencionado, expondremos ciertos elementos comunes al conjunto de textos valentinianos subrayados por el especialista Einar Thomassen en su libro Spiritual Seed, que nos permitirán contextualizar la presencia de la tríada original en el Valentinismo. En la mencionada obra, el autor noruego establece los temas que son un denominador común en los diferentes sistemas valentinianos 59. En dicho resumen no surge claramente la tríada Padre, Madre e Hijo. No obstante, entre los puntos más relevantes para el presente estudio, Einar Thomassen expone en el apartado 11 que la descripción del proceso que da paso de la unicidad a la pluralidad aparece tardíamente: 11) La derivación de la dualidad, y luego la pluralidad, desde la unicidad con el Padre por medio de uno, dos o los tres de los siguientes procesos: el Padre se duplica a sí mismo como pensamiento auto-reflexivo, Él da a luz a un hijo

56. 57. 58.

59.

Tractate, but there are surely enough themes in the fragments that resonate with later Valentinianism to make us perceive continuity between the nebulous founder and his better-known disciples. » c. m arKschies, Valentinus Gnosticus ? Untersuchungen zur valentinianischen Gnosis mit einer Kommentar zu den Fragmenten Valentins, Tübingen 1992. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 62. h. W. attriDGe – G. W. m acr ae, « The Gospel of Truth », en m. K rause – J. m. roBinson – F. Wisse (dir.), Nag Hammadi Codex I (The Jung Codex), Leiden 1985, p. 76 y p. 80-81. Sobre la datación del texto retomamos a E. thomassen (The Spiritual Seed, p. 147-148): « The most likely interpretation of this set of facts is that NHC I, 3 is in fact the work alluded to by Irenaeus, and that it was habitually referred to in Valentinians circles by means of its poignant opening words. […] Caution is du therefore in handling the details of this text. In substance, however, we are, on the basis of our knowledge, justified in treating NHC I, 3 as representing a Valentinian document dating from before the time of Irenaeus’ work of the 180s. » E. thomassen, The Spiritual Seed, p. 426-429.

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Mariano Troiano desde dentro sí mismo, o se da a sí mismo un nombre. Los tres temas son elaborados en el Valentinismo tardío. Como Mente y Nombre, el Hijo media la generación de un Pleroma múltiple 60.

Profundizaremos este punto más adelante en relación con lo femenino en el Padre y el término « Silencio », pero quisiéramos exponer la clasificación de los textos valentinianos propuesta por el autor, que implica directamente la noción de la tríada. Según Einar Thomassen, la relación principal que se da en los textos más primitivos, (incluidos en tipología A), que comprenden al Evangelio de la Verdad y al Tratado Tripartito, no es triádica sino una dinámica dialéctica entre dos términos principales Padre e Hijo. Mientras que los textos de denominada tipología B, considerados como posteriores, llevarían esta dinámica hacia una tétrada y no una tríada 61. El autor noruego también matiza la presencia de una entidad femenina, afirmando que dicha figura aparece solamente en el Valentinismo posterior 62. Sin embargo, entendemos que un análisis más detallado de los primeros textos valentinianos y de los fragmentos del mismo Valentín, indica la existencia de una entidad o un aspecto femenino del Padre, y por lo tanto de una tríada, desde el inicio de la cosmogonía. Primeramente, citamos una parte del fragmento 8, un salmo de Valentín conservado por Hipólito 63: « Sino de las profundidades (βυθός), las frutas son engendradas (καρποὺς φερομένους), desde el útero (μήτρας), un niño es engendrado (βρέφος φερόμενον) 64. »

60. Ibid., p. 428: « 11) The derivation of duality, and then plurality, from the oneness to the Father by means of one, two or all three of the following processes: the Father duplicates himself as self-thinking thought, he gives birth to a Son from within himself, or he gives himself a Name. All three themes are elaborated in later Valentinianism. As Mind and Name, the Son mediates the generation of a multiple Pleroma. » 61. Ibid., p. 196: « The difference between A and B with regard to these primary terms of the system can be described as follows. The dialectical dynamism of the Father/Son relationship found in the type A accounts is unfolded in the type B systems as a Tetrad. Since according to the former, Father and Son are simultaneously one and two, the inference may be drawn that each of the two terms in turn is equally a duality as well as a unity. » 62. Ibid., p. 427-428: « 10) Whether Valentinus named the separated, female entity responsible for the generation of matter “Wisdom” cannot be ascertained. The passion and fall of Sophia was an established mythological theme already before Valentinus, and was perhaps only implicity alluded to by him. The ideas found in the later Valentinian sources – about the separated, female aeon as the cosmogonic agent, as “mother” of the spirituals in the cosmos, and as the redeemed syzygos of the Savior, paradigm for the syzygic relationship between her individual “children” and the Saviour’ angels – seem in any case to be consistent with the ontology of unity and duality expressed by the notion syzygies, which is one of the distinctive features of Valentinianism. » 63. Refutación de todas las herejías VI, 37, 7. 64. E. thomassen, The Spiritual Seed, p. 479.

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El Dios-Madre de los gnósticos Tal como lo subraya Einar Thomassen en el fragmento se ve un claro paralelo entre bythos y mêtra: El « útero » de la línea 8 se presenta como sinónimo paralelo de las « profundidades » de la línea anterior; así βυθός puede ser entendido como una especie de μήτρα. Esa idea, y el modelo embriológico específico de la generación del Pleroma relacionado con ella, son característicos de la protología tipo A […] Eso, también, parece derivar del mismo tipo de fuentes que proveyeron el término βυθός. […] Las líneas finales del salmo confirman, entonces, que una versión de este modelo protológico fue enseñado por el propio Valentín 65.

La importancia del término Bythos es destacada por el propio autor, en su resumen de los temas comunes a los variados sistemas valentinianos: « 12) El Padre es llamado Bythos, una designación que le representa como las Profundidades inconcebibles en la que ya preexiste la totalidad de su descendencia en un estado potencial oculto 66. » Y J.-D. Dubois afirma: « el Abismo designa habitualmente la trascendencia divina de donde todo fluye 67. » Si bien, el paralelo indicado por el autor puede extenderse al Pleroma y al niño, es decir, podemos entender la matriz como indispensable para la generación pleromática, la sola relación establecida entre los términos βυθός y μήτρα no afirman la existencia de una entidad femenina interfiriendo en la relación dual inicial entre Padre e Hijo. A pesar de ello, podemos aportar otros indicios al respecto. Otro término que aparece relacionado con el « Abismo », es el « Silencio », que a menudo es un nombre dado por dichos autores al pensamiento paterno. En efecto, en Contra las herejías I, 1, 1, Ireneo revela lo siguiente 68: Existía, dicen ellos (los valentinianos), en las alturas invisibles e innombrables, un Eón perfecto, anterior a todo. Este Eón, ellos lo llaman « Proprincipio » (προαρχή), « Pro-Padre » (προπάτoρ) y « Abismo » (βυθός). Incomprensible e invisible (ἀχώρητον καὶ ἀόρατον), eterno e inengendrado

65. Ibid., p. 486-487: « The “womb” of line 8 stands in synonymous parallelism to the “depths” of the preceding line; thus βυθός can be understood as a kind of μήτρα. That idea, and the specific embryological model of the generation of the Pleroma connected with it, are characteristic of the type A protology […]. It, too, seems to derive from the same type of sources as provided the term βυθός. […] The final lines of the psalm thus confirm that a version of this protological model was taught by Valentinus himself. » E. thomassen (Ibid., p. 486) destaca que el término Bythos habría sido tomado por Valentín de las mismas fuentes (pitagóricas y/u órficas) que inspiraron los Oráculos Caldeos. 66. Ibid., p. 428: « 12) The Father is called Bythos, a designation that depicts him as the inconceivable Depths in which the entirety of his offspring already pre-exists in a hidden, potential state. » 67. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 71: « […] l’Abîme désigne habituellement la transcendance divine d’où tout découle (Irénée, Contre les hérésies, I, 1, 1). » 68. Sobre la tipología y la cronología de textos valentinianos elaborada por E. thomassen en base a la estructura del Pleroma, ver The Spiritual Seed, p. 193-268.

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Mariano Troiano (ἀΐδιόν τε καὶ ἀγέννητον), estuvo en profundo reposo y tranquilidad (ἡσυχίᾳ καὶ ἠρεμιᾳ) durante siglos. Con él coexistía el « Pensamiento » (ἔννοια), que ellos llaman incluso « Gracia » (χάρις) y « Silencio » (σιγή) 69.

« Silencio », sustantivo femenino en griego, es entonces aceptado como relacionado con « Abismo » y sinónimo de « Ennoia ». El Evangelio de la verdad desarrolla la idea utilizando la metáfora de la palabra oculta y la palabra revelada, el todo en potencia en el pensamiento del padre. Mientras estaban todavía en la profundidad de su pensamiento (ⲛ̅ⲃⲁⲑⲟⲥ ⲛⲧⲉ ⲡⲉϥⲙⲉⲩⲉ), la Palabra (ⲡⲗⲟⲅⲟⲥ) que fue la primera en adelantarse las reveló (ⲁϥⲟⲩⲱⲛϩ ⲙ̅ⲙⲁⲩ ⲁⲃⲁⲗ) (es decir a las palabras/eones del pleroma) junto con el Intelecto que profiere (ⲟⲩⲟⲛⲟⲩⲥ ⲉϥϣⲇⲉ) la Palabra única en la gracia silenciosa (ⲟⲩⲭⲁⲣⲓⲥ ⲉⲥⲕⲁⲣⲁⲉⲓⲧ). Ha sido llamado Pensamiento, porque estaba en Él antes de revelarse (ⲁⲩⲙⲟⲩⲧⲉ ⲁⲣⲁϥ ϫⲉ ⲡⲓⲙⲉⲉⲩⲉ ⲉⲡⲓⲇⲏ ⲛⲉⲩϣⲟⲟⲡ ⲛ̅ϩⲏⲧⲥ̅ ⲉⲙⲡⲟⲩⲱⲛⲉϩ ⲁⲃⲁⲗ) 70.

Entonces la Palabra Única, o como veremos más adelante, el Hijo, permanece en las profundidades del Intelecto del Padre, en el silencio de su Ennoia, y es el Intelecto el que la profiere. El verbo ⲟⲩⲱⲛϩ tiene por significado « mostrar », « manifestar » y « revelar » y una similitud morfológica con el término ⲟⲩⲱⲛ que significa « abrir 71 ». Es decir el Hijo como palabra manifiesta, abre la matriz paterna, da sonido a su silencio. J.-D. Dubois expone, analizando la perspectiva del valentiniano Marcos, el Mago sobre el Nombre insigne, la imagen de « Silencio » como emisora del Nombre: « […] (Silencio) expresa una palabra que es Forma de lo invisible (Contra las herejías I, 14, 1). Así, esta manifestación de la palabra divina representa « la enunciación del nombre (Ἠ ἐκφώνεσις του ὀνόματος) 72. »

69. Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre I, t. II, p. 28-29. 70. Evangelio de la Verdad, NHC I, 3, p. 37, 6-14 (traducción: F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », en a. piñero [dir.], Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. II, Evangelios, Hechos, Cartas, Trotta 1999, p. 158; édición h. W. attriDGe – G. W. m acr ae, « The Gospel of Truth », p. 108-109). 71. W. e. crum, A Coptic Dictionary, p. 486a y 482b. 72. J.-D. DuBois, « Le “nom insigne” d’après Marc le mage », en m. tarDieu – a. Van Den K erchoVe – m. zaGo (dir.), Noms Barbares I. Formes et contextes d’une pratique magique, Turnhout 2013, p. 257: « […] (Silence) exprime une parole qui est Forme de l’invisible (I, 14, 1) ; or, cette manifestation de la parole divine au prophète Marc représente selon le terme technique utilisé “l’énonciation du Nom” (hè èkphônèsis tou onomatos). »

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El Dios-Madre de los gnósticos La identidad del Padre con su Hijo ha sido puesta de manifiesto por los estudiosos que seguimos en este trabajo 73. Sin embargo, existe una identidad similar entre el Padre y su Pensamiento, su Intelecto, su Silencio, tal cual lo expone el Tratado Tripartito, NHC I, 5, p. 55, 37: « él (el Padre) se mantiene en un silencio (ⲟⲩⲙⲛ̅ⲧⲕⲁⲣⲱⲥ) que es él mismo (ⲉⲧⲉ ⲛ̅ⲧⲁϥ ⲡⲉ) 74. » La existencia de un « momento » intermedio entre el Padre y el Hijo, es incluso aceptada por Einar Thomassen quien afirma que « el sistema valentiniano de Ireneo distingue Pensamiento-Silencio del Hijo-Monógenes, como entidades distintas, mientras que el Tratado Tripartito se toma el cuidado de identificarlas (p. 56, 35-40) 75 ». La relación entre los términos « silencio » y « palabra » se explica por la teoría lingüística del doble logos, quien existe primero en silencio y mentalmente, antes de ser emitido en palabra 76. En este sentido Einar Thomassen describe el cambio que se da en los textos valentinianos en lo referente a la relación entre Padre e Hijo, con la concepción de cada uno de estos términos como una unidad a la vez que una dualidad, llevando así el paso de una díada a una tétrada. En esta interpretación, el Hijo presenta un rol ambiguo, permaneciendo uno con el Padre trascendente y a la vez diferenciándose de él, siendo a la vez manifestación del Padre y principio de generación desde este último. En este contexto interpretativo, dice el autor, Silencio es una dualidad en las profundidades aún no manifestadas del Pensamiento Paterno y se distingue de Monógenes, quien es el doble manifestado del Padre. En este sentido, continua el autor, la tétrada traduce aritméticamente la relación Padre/ Hijo, derivando un total de cuatro elementos de la noción original de unidad en la dualidad 77. Sin embargo, si seguimos nuestro razonamiento que indica la identidad entre el Abismo como las profundidades del pensamiento del Padre (Ennoia) y a la vez con el Silencio, observamos que puede proponerse la existencia de una tríada (Padre-Abismo/Ennoia/Silencio-Hijo). Por supuesto, el acento puesto por los autores gnósticos en la identidad entre los tres componentes de la tríada oscurece muchas veces la posibilidad de distinguirlos. Sin embargo, dicha distinción puede ser descubierta y subrayada, tal cual como veremos más adelante, en relación con la mención de la Madre como « seno » del Padre. Con respecto al Silencio del Padre, proponemos la afirmación del mismo Einar Thomassen:

73. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 74-77 y e. thomassen, The Spiritual Seed, p. 158-165. 74. F. García Bazán, « Tratado Tripartito », en a. piñero (dir.), Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi, t. I, p. 163. 75. l. painchauD – e. thomassen, « Traité Tripartite (NH I, 5) », en J.-p. m ahé – p.-h. poirier (dir.), Écrits gnostiques, p. 129, n. 55, 37. 76. l. painchauD – e. thomassen, « Traité Tripartite (NH I, 5) », p. 136, n. 63, 29–64, 2. 77. E. thomassen, The Spiritual Seed, p. 196-197.

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Mariano Troiano […] Y explicada su presencia (es decir, la noción de « silencio ») en un contexto protológico a través de la afinidad general dentro del Valentinismo de la teoría protológica con la doctrina de la redención ritual, y, en particular, la correspondencia entre la generación y la regeneración – « silencio », en este contexto, es la matriz de la cual los eones, así como los neófitos iniciados, nacen 78.

Afirmación que puede precisarse con la lectura de los Extractos de Teódoto: « Silencio (Σιγή), dicen ellos [i.e. los seguidores de Teódoto], que es la Madre (Μήτηρ) de todos los seres emitidos por el Abismo (βάθος) […] 79. » Así, la presencia, entonces, de elementos femeninos (la Madre y la Matriz) y su relación con términos relacionados al Padre o a sus manifestaciones, nos indica la necesidad de profundizar el estudio de dicha presencia. En el Evangelio de la Verdad, NHC I, 3, p. 24, 5-10 se expone una exégesis valentiniana del prólogo del Evangelio de Juan 1, 18: Jesús el de infinita dulzura la purifica (i.e. a la Totalidad), le da vuelta hacia el Padre y la Madre (ⲉϥ`ⲥ΄ⲧⲟ ⲙ̅ⲙⲁⲩ ⲁϩⲟⲩⲛ ⲁⲡⲓⲱⲧ ⲁϩⲟⲩⲛ ⲁϯⲙⲉⲉⲩ). El Padre descubre su seno (ⲉϥϭⲱⲗⲡ̅ ⲙ̅ⲡⲉϥⲧⲁⲡ ⲁⲃⲁⲗ ⲛ̅ϭⲓ ⲡⲓⲱⲧ). Pero su seno es el Espíritu Santo (ⲡⲉϥⲧⲁⲡϫⲉ ⲡⲉ ⲡⲓⲡⲛ[ⲉⲩⲙ]ⲁ ⲉⲧⲟⲩⲁⲁⲃ). Descubre su secreto, su secreto es su Hijo (ⲉϥⲟⲩⲱⲛϩ̅ ⲁⲃⲁⲗ ⲙ̅ⲡⲓⲡⲉⲑⲏⲡ ⲛ̅ⲧⲟⲟⲧϥ̅ ⲡⲉ ⲡⲉϥϣⲏⲣⲉ), para que por la misericordia del Padre los eones dejen de inquietarse buscando al Padre y descansen en él sabiendo que es el reposo (ⲡⲓⲙⲧⲁⲛ) 80.

Más allá que el hecho de interpretar el mencionado versículo del prólogo de Juan en referencia a la relación Padre-Hijo único y la manifestación del primero, es de por sí sugestiva, podemos señalar varios elementos del párrafo del Evangelio de la Verdad recién expuesto. Por un lado, la posible identidad entre el término copto ⲧⲁⲡ y el griego κόλπος 81, interpretación sostenida por el uso del verbo ϭⲱⲗⲡ̅, significando « develar », « desnudar », « revelar 82». Por otra parte, la presencia del prefijo sujeto personal masculino de la tercera persona singular « ϥ » y el artículo posesivo (ⲡⲉϥ) de igual género y número utilizado dos veces en referencia al « seno » no dejan lugar a dudas de la relación de éste término con el Padre.

78. E. thomassen, The Spiritual Seed, p. 196: « […] and explained its presence (i.e. the notion of “silence”) in a protological context through the general affinity in Valentinianism of protological theory with the doctrine of ritual redemption, and in particular the correspondance between generation and regeneration – “silence” in this context is the womb from which the aeons, as well as the initiated neophytes, are born. » Ver también Ibid., p. 181. 79. Extractos de Teódoto 29, 1. Clément d’Alexandrie, Extraits de Théodote, édition et traduction par F. saGnarD, Paris 1970, p. 122-123. 80. Traducción: F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 151; edición: h. W. attriDGe – G. W. m acr ae, « The Gospel of Truth », p. 92-93. 81. Bajo ⲧⲟⲡ, W. e. crum, A Coptic Dictionary, p. 422b. 82. Ibid., p. 812a.

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El Dios-Madre de los gnósticos En su comentario del párrafo del Evangelio de la Verdad expuesto más arriba, Einar Thomassen afirma no entender la mención de la madre en el mismo y su relación con Jesús. Por último concluye que el texto puede estar corrompido 83. Sin embargo, el estudio de los indicios aportados por el conjunto del Evangelio de la Verdad nos indica un camino a seguir: Porque cada una (i.e. de las emanaciones = los eones) ama a la Verdad, puesto que la Verdad es la boca del Padre y su lengua es el Espíritu Santo (ⲡⲓⲗⲉⲥ ⲛ̅ⲧⲟⲟⲧϥ̅ ⲡⲉ ⲡⲓⲡⲉⲛ[ⲉⲩⲙ]ⲁ ⲉⲧⲟⲩⲁⲁⲃ). El que se une a la Verdad se une a la boca del Padre por su lengua (ϩⲙ̅ ⲡⲓⲗⲉⲥ ⲛ̅ⲧⲟⲟⲧϥ̅ ), cuando llegue a recibir al Espíritu Santo, puesto que tal es la manifestación del Padre y su revelación a sus eones 84.

Aquí se explica claramente la mención de la Madre en NHC I, 3, p. 24, 5-10. El texto valentiniano explica que ella es el medio por el cual se expresa el Logos/Hijo, la Madre es el Espíritu, lo expresado es el Verbo, la Verdad, el Hijo. Dice Francisco García Bazán: La referencia anterior a la Trinidad [i.e. EvVer 23, 18–24, 9] se completa ahora. El « seno » (tap/kólpos) – Ext. Teod. 6, 2; 7, 3; Jn 1, 18 – es el Espíritu Santo, matriz de Dios Padre; y el secreto paterno revela la manifestación del Padre en el Hijo como Hijo en el Padre […] 85.

En efecto, el Extracto de Teódoto nos aclara el propósito: Entonces, el Padre, siendo desconocido (ἄγνωστος) quiso hacerse conocer (γνωσθῆναι) a los eones y a través de su propio Pensamiento (Ἐνθύμησις) (ya que él se conoce a sí mismo) él emitió el Monógenes […] es decir el Hijo, ya que es por el Hijo que el Padre ha sido conocido 86.

Y agrega en 7, 3a: Y, de una parte, Aquel que ha permanecido « el Hijo Monógenes en el seno (κόλπος) del padre » « explica a los eones, por el conocimiento, el Pensamiento (del Padre), en tanto que él también ha emanado del seno del Padre 87.

83. a. pasquier – e. thomassen, « Évangile de la vérité (NH I, 3 ; XII, 2) », en J.-p. m ahé – p.-h. poirier (dir.), Écrits gnostiques, p. 64, n. 24, 7-9: « La mention d’une “mère” – la seule occurrence dans le texte – est difficile à comprendre, comme aussi la remarque au sujet de Jésus. Le texte pourrait être corrompu. » 84. Evangelio de la Verdad, NH I, 3, p. 26, 31–27, 5 (traducción de F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 153; edición de h. W. attriDGe – G. W. m acr ae, « The Gospel of Truth », p. 96-97). 85. F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 153, n. 18. 86. Extracto de Teódoto 7, 1 (traducción de F. saGnarD en Clément d’Alexandrie, Extraits de Théodote, p. 66-67). 87. Ibid., p. 69. Cf. Extracto de Teódoto 6, 2.

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Mariano Troiano Estos párrafos nos permiten retomar imágenes y conceptos analizados previamente, tales como « Pensamiento » y la relación entre la palabra latente y la palabra proferida, manifestada. En efecto, el Evangelio de la Verdad desarrolla a continuación la necesidad de la mediación del Hijo para acceder/ conocer al Padre usando la imagen de la « Palabra » y del « Nombre ». En este contexto se puede, entonces, examinar lo dicho al inicio del Evangelio de la Verdad sobre la Palabra: « […] la palabra que ha venido desde el pleroma, la que está en el Pensamiento y en el Intelecto del Padre (ⲉⲧϩⲛ̅ ⲡⲓⲙⲉⲉⲩⲉ ⲟⲩⲁϩⲁ ⲡⲓⲛⲟⲩⲥ [νοῦς] ⲛ̅ⲧⲉ ⲡⲓⲱⲧ) 88. » Francisco García Bazán afirma: « La Palabra está intencionalmente en la Énnoia (pensamiento interior del Padre) y es un eón en el Intelecto (pensamiento proferido) 89. » La presencia de la Palabra puede ser fácilmente explicada a través de la figura de la Madre como intermedio necesario entre el Padre y el Hijo. Según Einar Thomassen dicha relación permite establecer una distinción entre el Evangelio de la Verdad y otros textos valentinianos como el de Ireneo, tal cual expusimos más arriba en relación con el término « Pensamiento »: El « Pensamiento » es el Verbo, es decir, el Hijo en su estado no manifestado. Mientras que en muchos sistemas valentinianos el Pensamiento es una entidad femenina distinta, en Ev.Ver como TracTri (por ejemplo, ΝHC I, 5, p. 56, 15–57, 23) se identifica con el Hijo 90.

Por otra parte, si bien la imagen del Nombre presenta un amplio desarrollo en los textos valentinianos nos limitaremos a destacar algunos elementos en relación con la tríada Padre-Madre-Hijo. En efecto, dicha imagen destaca la noción que el Hijo, auto-manifestación del Padre, es la misma naturaleza paterna manifestada que se despliega: Suyo es el nombre; suyo es el Hijo. Es posible para éste verlo. Pero el nombre es invisible (ⲟⲩⲁⲧⲛⲉⲩ) porque sólo él es secreto (ⲙⲩⲥⲧⲏⲣⲓⲟⲛ) del Invisible que viene a los oídos que están completamente llenos de él y por él. Porque, realmente, el nombre del Padre no es dicho, sino que se revela por medio del

88. Evangelio de la Verdad, NH I, 3, p. 16, 35-36 (traducción de F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 146; edición de h. W. attriDGe – G. W. m acr ae, « The Gospel of Truth », p. 82-83). Ver también Evangelio de la Verdad, NH I, 3, p. 19, 35–20, 4. 89. F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 146, n. 2. Explica el autor (Ibid., p. 142): « Palabra que residía oculta e inarticulada, primero en el Pensamiento (ⲙⲉⲉⲩⲉ / Εnnoia), y manifiesta en su Intelecto (Noûs). » Cf. a. pasquier – e. thomassen, « Évangile de la vérité », p. 55, n. 16, 31–17, 4. 90. a. pasquier – e. thomassen, « Évangile de la vérité », p. 77, n. 37, 12-14: « La “Pensée” est le Verbe, c’est-à-dire le Fils dans son état non manifesté. Alors que, dans plusieurs systèmes valentiniens, la Pensée est une entité féminine distincte, dans EvVer comme dans TracTri (par exemple en NH I, 5, p. 56, 15–57, 23), elle est identifié au Fils. » Ver también, Exposición Valentiniana, NHC XI, 2, p. 22, 31-35; p. 24, 31-33.

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El Dios-Madre de los gnósticos Hijo […]. Por lo tanto, no lo ha ocultado, sino que ha existido y en cuanto es el Hijo, sólo Él dio un nombre. El nombre, por lo tanto, es el del Padre, igual que el nombre del Padre es el Hijo 91.

La imagen del Nombre marca el vínculo esencial que une al Padre y al Hijo. Sin embargo, en lo referente al proceso de emisión del nombre, consideramos que es necesario destacar algunos elementos. Al igual que con la metáfora de la « Palabra » latente y proferida, consideramos la existencia de un Nombre invisible, secreto, no dicho, la Madre; y un Nombre revelado, el Hijo. En este sentido, retomamos lo afirmado por Einar Thomassen: « Esta afirmación (El Hijo expresa el nombre [Ev. Ver 39, 20-24]) significa, aparentemente, que el nombre del Padre tiene su propia existencia en tanto que nombre y no sólo en función de lo que él nombra 92. » El autor noruego establece una diferencia entre el Padre y el Hijo, es decir el Hijo existe como una entidad en sí misma, en lo cual el texto insiste abundantemente, pero es necesario destacar que si dicha diferenciación funciona en la relación Hijo-Padre, es igualmente válida la relación inversa. Es decir, existe también una diferencia entre el Padre y su Nombre revelado en el Hijo. Esta separación es marcada por el Evangelio de la Verdad en los párrafos siguientes: Primero, entonces, nos conviene entender (ⲛⲟⲉⲓ) acerca de este tema: « ¿qué es el nombre? ». Éste es el nombre auténtico (ⲡⲣⲉⲛ ⲙⲁⲙⲏⲉ); por lo tanto, no es el nombre que deriva del Padre (ⲉⲛ ϭⲉ ⲡⲉ ⲡⲣⲉⲛ ⲁⲃⲁⲗ ⲙ̅ⲡⲓⲱⲧ), puesto que es el nombre propio (ⲛ̅ϫⲁⲉⲓⲥ ⲛ̅ⲣⲉⲛ). No ha recibido, por consiguiente, el nombre en préstamo como los demás, según el modo como cada uno es producido, sino que éste es el nombre propio (ⲡϫⲁⲉⲓⲥ ⲛ̅ⲣⲉⲛ) […] Pero Él es innominable e indescriptible (ⲁⲗⲗⲁ ⲟⲩⲧ ϯⲣⲉⲛ ⲁⲣⲁϥ ⲡⲉ ⲟⲩⲁⲧ ⲧⲉⲟⲩⲁϥ ⲛⲉ), hasta el momento en que éste, que es perfecto, sólo lo expresó 93.

Es posible considerar que en los párrafos analizados confluyen dos ideas centrales. Por una parte, aquélla expuesta por Einar Thomassen quién destaca la intimidad de la relación Padre-Hijo:

91. Evangelio de la Verdad, NHC I, 3, p. 38, 15-25 y p. 39, 22-25 (traducción de F. García Bazán, Evangelio de la Verdad, p. 159; edición de h. W. attriDGe – G. W. m acr ae, « The Gospel of Truth », p. 110-113). 92. a. pasquier – e. thomassen, « Évangile de la vérité », p. 78, n. 39, 20-24: « Cette affirmation signifie apparemment que le nom du Père a une existence propre en tant que nom et non seulement en fonction de ce qu’il nomme. » 93. Evangelio de la Verdad, NHC I, 3, p. 40, 1-20. (traducción de F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 159; edición h. W. attriDGe – G. W. m acr ae, « The Gospel of Truth », p. 112-113).

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Mariano Troiano Este tema se desarrolla en profundidad en un pasaje notable que expone la idea de que el Hijo es el Nombre del Padre (38, 7–40, 29). Esta metáfora lingüística expresa el vínculo indisoluble que existe entre el Padre y el Hijo. El significante y el significado son el mismo y, al mismo tiempo, distintos. Ésta no es una relación arbitraria, como es el caso de los signos lingüísticos comunes, sino en una relación especial y única, « Nombre propio (ϫⲁⲉⲓⲥ ⲛ̅ⲣⲉⲛ / κύριον ὄνομα) » (40, 9) 94.

Por otra parte, entendemos que se expresa paralelamente una idea complementaria; es decir, el Padre y el Hijo son entidades diferentes aunque de igual naturaleza. El Hijo posee un « nombre auténtico », su « nombre propio » que no es el nombre que procede desde el Padre, ya que este es innominable. Se presentan dos nociones paralelas, la de identidad y la de diferenciación. O como lo expresa Francisco García Bazán: El Padre incognoscible es intrínsecamente innominable. Pero quiere poseer nombre, que él sólo se lo podrá otorgar, en el Principio. Será, por lo tanto, de su misma sustancia y su generación propia, es decir, el Hijo, el único que le puede contemplar y proclamar como su nombre, en la profundidad paterna, que es el abismo de lo que el Padre quiere y conoce, o quiere conocer 95.

Prosiguiendo con dicho razonamiento, podemos inferir que nombrarse, darse un nombre en las profundidades de su pensamiento, el nombre no manifestado, se da en un proceso intermedio. La hipótesis que proponemos es que, el nombre en tanto que no manifestado, es una vez más una referencia a la Madre, al Silencio del pensamiento paterno, Nombre que se manifiesta en el Hijo, sin ruptura de la íntima relación que define a las tres entidades. Esta interpretación logra sostener la trascendencia Paterna, explicitada en varias oportunidades por nuestra fuente (Evangelio de la Verdad, NHC I, 3, p. 17, 21-23; 18, 34–19, 15; 40, 15-21), al mismo tiempo que explica el proceso de generación del Hijo y su independencia con respecto al Padre.

94. a. pasquier – e. thomassen, « Évangile de la vérité », p. 51 y misma página n. 2: « Ce thème est longuement développé dans un remarquable passage qui expose l’idée que le Fils est le Nom du Père (38, 7–40, 29). Cette métaphore linguistique exprime le lien indissoluble qui existe entre le Père et le Fils. Le signifiant et le signifié sont un et distincts en même temps. Il ne s’agit pas d’une relation arbitraire, comme c’est le cas pour les signes linguistiques ordinaires, mais d’une relation spéciale et unique, du “Nom propre (ϫⲁⲉⲓⲥ ⲛ̅ⲣⲉⲛ / κύριον ὄνομα)” (40, 9). » Cf. J.-D. DuBois, « Le “nom insigne” d’après Marc le mage », p. 262. 95. F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 143.

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El Dios-Madre de los gnósticos Por supuesto, se trata de un análisis inicial; la riqueza de la imagen del Hijo como Nombre del Padre hace indispensable el estudio en paralelo de otros textos valentinianos 96. En efecto, la existencia de una tríada en los orígenes del Valentinismo es matizada por Einar Thomassen, quien afirma: Por encima de todo, los textos valentinianos no ofrecen ninguna tríada del tipo característico de las fuentes setianas y neoplatónicas. Por otra parte, esos textos muestran un modelo del proceso de generación primaria que involucra las ideas de manifestación, de exteriorización y de actualización de lo que inicialmente existía en un estado oculto y seminal dentro del primer principio – una idea estrechamente relacionada con, y articulada por, el modelo triádico 97.

Sin embargo, el autor ve la tríada expuesta por los textos « setianos » en las figuras de Kalyptos, Protophanes y Autogenes, como tres fases al interior de Barbelo, y no como representantes del Padre, la Madre y el Hijo. En lo referente a los textos valentinianos, Einar Thomassen, percibe la tríada, en ciertos párrafos del Tratado tripartito y en el Evangelio de la Verdad como un proceso de existencia inicial oculta de los eones en el Padre, la subsecuente exteriorización y finalmente la generación individual, pero el proceso y la tríada están, según el autor, representadas por las figuras del Padre, del Hijo y de la Iglesia de los eones, es decir el Pleroma 98. El presente estudio, no busca negar la existencia de tal tríada en los textos analizados, sino que proponemos la existencia de una tríada original que centra su atención en la generación del Hijo y en la cual es indispensable la figura de la Madre. En este sentido, existen una serie de imágenes, aceptadas por Einar Thomassen, que evocan dicha manifestación femenina del Padre:

96. Tratado tripartito, NHC I, 5, p. 65, 35–67, 19 y Extracto de Teódoto 31, 3. Sobre la importancia del « Nombre » y los nombres pleromáticos en el valentinismo ver: J.-D. DuBois, « Le “nom insigne” d’après Marc le mage », p. 264. 97. E. thomassen, The Spiritual Seed, p. 300-301: « Above all, the Valentinian texts offers no triads of the type characteristic of the Sethian and Neoplatonic sources. On the other hand, those texts do display a model of the primary generation process that involves the ideas of a manifestation, an exteriorisation, and an actualisation of what initially existed in a hidden and seminal state within the first principle—an idea closely connected with, and articulated by, the triadic model. » 98. Ibid., p. 302.

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Mariano Troiano Parece difícil precisar con exactitud la fuente común, o fuentes, de estas aparentemente relacionadas protologías. Como su arquetipo común, se puede postular la existencia de una teoría donde el Padre-Mónada es concebido como una Mente-Pensamiento que contiene potencialmente dentro de él la Totalidad, a la manera de una matriz 99.

Y unas páginas más adelante, refiriéndose a la fuente analizada en este estudio: El mensaje más profundo de ambos textos (EvVer y TraTrip), es por lo tanto, que mientras el mundo siga existiendo, nos mantenemos dentro de la matriz del Padre, esperando nacer y recibir la forma y el Nombre cuando él quiera 100.

En definitiva, dichas imágenes se acuerdan mejor, a nuestro entender, con la afirmación realizada por Francisco García Bazán: El Padre, de sí incognoscible, se revela a los eones como la trinidad del Padre, la Madre (Espíritu Santo) y el Hijo. Éste es el único saber posible del Padre, que cambia la deficiencia por la perfección […] 101.

La tríada gnóstica y la concepción pitagórica del número La complejidad de las influencias de las fuentes platónico-pitagorizantes sobre los textos gnósticos, tanto « setianos » como valentinianos, nos impide realizar aquí un análisis detallado de las mismas. Sin embargo, el estudio de algunos puntos destacados nos permite sustentar nuestra hipótesis inicial sobre la presencia esencial de la Madre, como manifestación femenina del Padre, en los textos gnósticos.

99. Ibid., p. 306: « It seems difficult to pin down exactly the common source, or sources, of these apparently related protologies. As their common archetype, one is lead to postulate the existence of a theory where the Father-Monad is conceived as a Mind-Thought containing potentially within him the Totality, in the manner of a womb. » 100. Ibid., p. 314: « The deeper message of both texts, is therefore, that as long as the world continues to exists, we remain within the womb of the Father, waiting to be born, and to receive form and Name when he wills. » 101. F. García Bazán, « Evangelio de la Verdad », p. 142. Y agrega F. García Bazán, sobre los barbelognósticos, Ibid., p. 161, n. 28: « son los verdaderamente realizados, libres de todo deseo, en la plenitud de la voluntad y el conocer, residen en el reposo de la grandeza paterna glorificando su nombre […] Sólo en el seno de Dios es posible hablar de la profundidad del misterio gnóstico. »

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El Dios-Madre de los gnósticos La madre, afirma F. García Bazán, en su carácter de mediadora es un elemento típico de filosofía de las matemáticas de pensadores platónicos pitagorizantes 102. Esta característica de la Madre, observada también en los textos gnósticos analizados, nos indica un camino de investigación para centrarnos en el número tres como mediador y puente entre el uno y su opuesto, el dos 103. Argumentando dicha afirmación, citamos a Porfirio quien relata que según Moderato de Gades (hacia la segunda mitad del siglo i d. C.), los pitagóricos razonan lo siguiente: Han denominado ‘uno’ (ἐν) al concepto significativo (λόγος) de la unidad, de la identidad y de la igualdad y a la causa del acuerdo conjunto y de la simpatía del universo y de la conservación de lo que mantiene también inmutablemente la identidad […] Pero al concepto significativo de la alteridad, de la desigualdad y de todo lo que es divisible, en cambio, y que admite diversas formas, la han llamado ‘biforme’ y ‘díada”, porque también en los particulares es así la naturaleza de los que son duales […] Similarmente […] hay algo entre los hechos de la naturaleza que posee comienzo, medio y fin. De acuerdo con esta forma y naturaleza han denominado al número tres. También por esto dicen que todo lo que posee la mediedad es triforme […] se han servido del nombre de tríada para él y queriendo introducirnos en su noción nos han introducido a través de su forma […] 104.

Es decir la tríada es conceptualmente la relación explícita entre el fin y el comienzo. El tres supera la diferencia inicial entre los dos primeros elementos, al mismo tiempo que reafirma la identidad de la tríada. Una vez comprendido lo expuesto, es necesario presentar la existencia de las relaciones establecidas por los otros dos elementos. Así, el uno como determinación unitaria, encierra las nociones primitivas y caracterizadoras de la unidad que involucran lo indivisible, lo mismo o idéntico, lo igual. El uno, vehiculando dichas características, está presente en los demás números como identidades únicas propias, está presente en el número que le sigue, en la dualidad que es una, idéntica e igual a sí misma. Es decir el uno marca por un lado la identidad de cada elemento consigo mismo y por otro lado, destaca las características que identifican a cada elemento con el Uno como principio. F. García Bazán explica:

102. F. García Bazán, « El significado aritmológico de la Tríada y sus Proyecciones FilosóficoReligiosas », Opúsculo filosófico VI/17 (2013), p. 112. 103. F. García Bazán, « El significado aritmológico de la Tríada », p. 15: « Dentro de la aritmología pitagórica sobre los números naturales se destaca la definición del tres caracterizada por su naturaleza de mediedad, carácter medio o intermedio entre uno y su opuesto, el dos, en cuya ausencia de rechazo se descubre interviniendo como relacionante el tres. » 104. Porfirio, Vita Pythagorae 49-51, en F. García Bazán, La concepción pitagórica del número y sus proyecciones, Buenos Aires 2005, p. 30-31.

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Mariano Troiano Lo explicado le da un especial carácter al ‘uno’ como base de particulares especulaciones metafísicas que lo hacen apto para descubrirse como Uno supraesencial como la filosofía neoplatónica lo ha argumentado 105.

El « dos » o « dualidad » participa del uno en su esencialidad conceptual única de díada, sin embargo, encierra también las nociones lógicamente anteriores y opositoras de alteridad, divisibilidad y desigualdad. Es decir, como noción unitaria inmutable que inmediatamente sucede al « uno » incluye, ante todo, la diferencia, el ser lo « otro » que él, lo distinto por ello a lo que lo antecede y su indeterminación plural, que es origen de división, porque todo lo que es más que el uno lo es por agregación de sí mismo lo que como una multiplicidad lo muestra como dividido. Sin embargo, es éste el que lo detiene en su dispersión desproporcionada al otorgarle unidad y el límite y que de esta manera transforma la alteridad de la díada indefinida – como elemento constitutivo – en díada numérica. Francisco García Bazán agrega: « […] El dos, entonces, como dualidad indefinida determinada, no puede ser uniforme, sino que es biforme, ya que su noción determinante es la dualidad 106. » El tres, por su parte, si es triforme, lo es porque su limitante es la tríada. Es otro que el uno y la díada, porque ha surgido como su medio o enlace. Puesto que si la dualidad indeterminada aspira a ser determinada por el principio determinante como dos completo, entre este resultado final por la determinación del principio aparece el enlace que los intermedia. Así entre la conclusión del dos y la determinación del uno aparece el tres. En la mediedad, carácter medio o intermedio entre el uno y su opuesto, el dos, que no se rechazan, sino que coexisten, se descubre y agota la naturaleza del tres. Es esencial captar lo afirmado por F. García Bazán: En la unión entre dos términos primeros, la indeterminación del dos y la determinación del uno, reside la identidad del tres como lazo unitivo, que permite la proximidad autónoma de los términos opuestos, sin la mutua eliminación o rechazo entre ellos 107.

O tal como establece Jámblico en su obra Teología Aritmética: « […] porque el número perfecto en su forma primera tiene principio, medio y fin (3) 108. » Entonces, la tríada por su perfección y carácter conectivo permite la generación de los números sucesivos, tal como lo expresa Aristóteles en el De Caelo (Περὶ οὐρανόυ): « El universo, y todo lo que contiene, está determinado por el

105. 106. 107. 108.

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F. García Bazán, « El significado aritmológico de la Tríada », p. 22. Ibid., p. 23. Ibid., p. 23. Jámblico, Teología Aritmética, p. 44-45, en F. romano, Il numero e il divino, Milán 1995, p. 448-451, traducido por F. García Bazán, La concepción pitagórica del número y sus proyecciones, p. 131-132.

El Dios-Madre de los gnósticos número tres, puesto que el fin, el medio y el principio forman el número de lo que es un todo 109. » Expresión similar encontramos en los Oráculos Caldeos, frag. 28: « Porque todas las cosas están sembradas en el seno (κόλπος) de esta tríada 110. » Estos fragmentos son explicados por Francisco García Bazán: El Silencio o Abismo del Padre reside en Él como su autoconcepción. Es doble, por ser compuesto, pero triple al manifestarse junto a Él. El Padre incognoscible generante o Fuego transcendente que se sustrae – Oráculos 3 y 5 – en tanto que acto autoconceptivo emerge de sí como propio seno o potencia que posibilita la concepción. La triplicidad del Padre, Intelecto, Potencia, es conservada gracias a la actividad cognitiva que une a lo inteligible con el intelecto 111.

El estudio de la concepción pitagórica del número nos permite percibir la complejidad de las concepciones « setianas » y valentinianas quienes sobre el tema del proceso que va del Uno a lo múltiple, han incluido en sus especulaciones las tradiciones provenientes de la aritmología-pitagórica 112. El principio encubierto (Padre oculto) se manifiesta tridinámicamente en la tríada Padre, Madre, Hijo, o volviendo al análisis del Evangelio de la Verdad, NHC I, 3, p. 24, 9-20: El padre se descubre interiormente a través del Padre-Madre, a través de su seno; y el Padre se descubre como Hijo en su mismo seno, porque cuanto se puede conocer del Padre, es el Hijo e inescindiblemente tenemos a un Dios Trino y Uno, Uno y distinto, eso es lo importante 113.

Sin embargo, es necesario entender que existe una diferencia entre el Padre en tanto Uno único, Principio inteligible y la tríada inicial. Para ello Francisco García Bazán apela nuevamente a la aritmología pitagórica 114:

109. Aristóteles, De Caelo Α 268 a. Aristote, Du ciel, texte établi et traduit par P. moraux, Paris 1965, p. 2-3. 110. F. García Bazán, Oráculos Caldeos, Madrid 1991, p. 63. 111. F. García Bazán, « El significado aritmológico de la Tríada », p. 28. 112. F. García Bazán (« El significado aritmológico de la Tríada », p. 29) considera que en el Libro sagrado del gran espíritu invisible (NHC III, 2, p. 40, 12–69, 20 [NHC IV, 2, p. 50, 1–81]) se encuentra el primer indicio de las especulaciones gnósticas sobre la tríada ser-vida-conocimiento (Padre, Madre, Hijo), dichas enseñanzas serían anteriores a los textos « setianos » tales como el Zostriano, Alógenes y las Tres Estelas de Set, y habrían influenciado a los Oráculos Caldeos. F. García Bazán y agrega (Ibid.): « Los pensadores gnósticos, sin embargo, han estudiado la aritmología insertándola en un contexto cristiano en el que la tríada y las formulaciones escriturarias trinitarias son el fondo de la enseñanza. » 113. F. García Bazán, « El significado aritmológico de la Tríada », p. 34. 114. Sobre la complejidad de los conceptos vehiculados por el número ver F. García Bazán, La concepción pitagórica, p. 26-27.

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Mariano Troiano […] el número 1, como hemos visto que enseñan los pitagóricos, es un número que como tal tiene dos aspectos: por una parte es el 1 cuya singularidad abre la serie de los números naturales, pero, por otra parte, es uniforme, es unidad esencial lo que permite que no lo confundamos con el 2. El 2, sin embargo, no es unidad, es dualidad, pero esa dualidad conceptual, también es sola. Es un uno, que conceptualmente significa dos, así como el 1 es un uno que conceptualmente significa unidad, identidad, igualdad, invisibilidad; y así sucede para todos los números. Pero el Uno único, en realidad, es extraordinario, es otra noción, y no es un número, sino que es lo que permite dar significación o unidad a toda la serie de los números. […] El uno tiene que ver con lo idéntico, con lo igual; el dos, sin embargo, tiene que ver más bien con lo otro, con lo desigual, con lo diferente, porque el dos se sostiene como diferente del uno, primero como díada indefinida y después como dualidad, determinada por su único determinante posible, el Uno infinito. El tres tiene que ver con el medio, entre el fin (el Hijo) y el principio, el Padre. Entre la correlatividad de lo Uno (Padre) y la dualidad distinta (Hijo) se entromete la trinidad materna o del Espíritu Santo que los relaciona 115.

O en otras palabras cada número es compuesto, cada uno de ellos es una unidad numérica, una mónada característica: « uno », « dos », « tres ». Diferentes del Uno pues no son « lo » Uno, pero « afines » con él, porque siendo mónadas o unidades aritméticas, participan de la Unidad en sí. El Uno les otorga aquella característica que les hace una mónada singular y distinta. En definitiva, todos los números poseen unidad aritmética (son mónadas) y un sustrato múltiple indefinido, al que limita la forma numérica, es decir los componentes internos (uno, dos o tres componentes). En efecto, el uno numérico no se confunde con el Uno, ya que es una unidad compuesta tanto como el dos o el tres y todos ellos proceden del Uno que es el otorgador de unidad y limite. Por otra parte, la relación entre la trascendencia del Uno Padre y la generación de elementos posteriores no contradice lo expuesto en nuestro estudio. En efecto, el concepto de uno es platónicamente simple 116, primero, no generado

115. F. García Bazán, « El significado aritmológico de la Tríada », p. 35-36. Por otra parte, podemos aducir que Jámblico sustenta nuestra hipótesis que identifica el tres, y las características que le acuerdan los pitagóricos, con lo femenino en el Padre. En efecto, el filósofo expone consideraciones de género acordadas a números pares e impares: « […] y no ha sido generado [i.e. el texto se refiere al número siete] de madre, o sea de números pares, ni de padre, es decir de números impares, sino de la cima del padre de todos […]. » Jámblico, Teología Aritmética, p. 58-71, en F. romano, Il numero e il divino, p. 466-467 y p. 480-483, traducido por F. García Bazán, La concepción pitagórica, p. 132. Entendemos entonces que la figura mediadora de la Madre como potencia de la luz paterna, o si se prefiere del Padre-Madre andrógino, está representa por el tres también en su carácter de andrógino, de suma de un número impar (dos) con un número par (uno). Ver también Eudoro de Alejandría citado por Simplicio en In Aristotelem Physica 181, 19 sqq. 116. Cf. Plutarco, De E Delphi 392e-393c; Alcinoos, Didaskalikos X, 165 et 166, Numenius, Frag. 11, edición des Places.

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El Dios-Madre de los gnósticos sino generador, inengendrado y por lo tanto sin fin. Si bien es diferente de todo, este Uno del que hablamos tiene características de Padre, y así es considerado en el Evangelio de la Verdad, y representa en este sentido la paternidad en sí misma, es constantemente sí mismo. Y como Padre en sí exige un Hijo: […] porque el concepto de filiedad lo está reclamando y viceversa; un Padre es para un Hijo y un Hijo es para un Padre. Y ya lo creo que el Hijo es generado y que el Hijo tiene una fuente y una raíz, pero no en el tiempo, conceptualmente ambos son coexistentes y coeternos, porque el padre, como concepto, exige al hijo y el hijo, como concepto, exige al padre. Los dos son siempre y con características diferentes 117.

Sin embargo, para que la relación necesaria y recíproca entre Padre e Hijo (relación que se impone por sí misma enlazando a ambos) sea posible, es indispensable la existencia de la Madre. Esta relación es la Madre en sí misma, o podríamos tomar las palabras de F. García Bazán: […] el Seno silencioso del Padre en el que habita el Hijo. Esta relación entre el Padre y el Hijo no es anterior al Hijo ni posterior al Padre, sino un lazo simultáneo para que haya Padre e Hijo simultáneos y coeternos 118.

Conclusión La existencia de la manifestación femenina del Padre en los textos denominados « setianos » resulta evidente de la lectura misma de los textos. JeanDaniel Dubois, John D. Turner y Michel Tardieu acuerdan que dichas fuentes confirman, junto al Padre, la presencia de una figura femenina que remite a la figura tradicional de la Sabiduría bíblica 119. Profundizando tales evidencias, nuestro estudio destaca dos puntos de gran importancia. Por un lado, y posiblemente respondiendo a la influencia de las tradiciones judías y egipcias, la figura de la Sabiduría bíblica aparece temprano en la literatura « setiana ». Por otra parte, los textos coptos pertenecientes a la mencionada corriente ponen el acento en precisar esta figura al punto de otorgarle un nombre, Barbelo. Sin embargo, dicha distinción se 117. F. García Bazán (« El significado aritmológico de la Tríada », p. 37) agrega: « El Padre posee la iniciativa y es también el Bien. Como Bien es benevolente, y como benevolente toda su suavidad se repliega en sí, implosivamente, pero también expansivamente cuando quiere y quiere siempre por su naturaleza originante y abierta y así está generando al Hijo. Es decir, el acto de querer y del conocer es tan eterno como la figura del Padre y del Hijo, pero los distingue porque la iniciativa es paterna y el conocimiento determinado es filial. » 118. Ibid., p. 37. 119. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, p. 165, J. D. turner, Sethian Gnosticism and Platonic Tradition, p. 63-69 y m. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 254-255.

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Mariano Troiano produce paralelamente a un co-texto que destaca la íntima relación entre esta figura femenina y el Padre (Apoc. Jn, NHC II, 1, p. 4, 19-29, p. 5, 4-9 y principalmente BG 29, 17; NHC II, 1, p. 6, 9-10). Tal como hemos dicho, el hecho que se otorgue a Barbelo el título de Madre-Padre y el juego realizado con los prefijos personales sujeto indicando el género, no invalida dicha interpretación. El autor gnóstico busca acentuar la necesidad de la potencia (ⲧ-ϭⲟⲙ) primordial femenina indispensable para la manifestación del Padre. Incluso los otros títulos mencionados (« la matriz del todo », μήτρα, NHC II, 1, p. 5, 5), el hecho de colocar en primer lugar el término « Madre » (tanto en copto como en griego BG p. 75, 11 y NHC II, 1, p. 5, 7; p. 14, 19; p. 19, 17; p. 20, 10; p. 27, 34), antes que « Padre » y el verbo utilizado (ϫⲡⲟ engendrar) irían en el mismo sentido. El andrógino Madre-Padre, transmite la idea de lo femenino como dador de vida, como vehículo de la luz emitida por el Padre 120. La necesidad esencial de la presencia de la entidad femenina es expresada por el autor en el momento de generación del Hijo 121, es decir la generación del Hijo no se entiende sin la presencia de la Madre, o si se quiere de lo femenino presente en Barbelo como Madre-Padre. Los textos valentinianos no presentan igual precisión sobre la existencia de una figura femenina junto al Padre. Sin embargo, un análisis detallado de las fuentes, descubre dicha presencia en los escritos de su fundador 122 y en los reportes más tempranos de los sistemas valentinianos 123, a través del estudio de los nombres otorgados (Pensamiento y Silencio) a dicha manifestación femenina. Si bien es cierto que los textos valentinianos insisten en subrayar la identidad entre Padre e Hijo y entre el primero y su Pensamiento o Silencio (Tratado tripartito, NHC I, 5, p. 55, 37), dicha relación no puede ocultarnos la existencia de una instancia previa al surgimiento del Hijo (Extracto de Teódoto 29, 1) donde el protagonismo recae en una figura femenina. La existencia entonces de una faceta o un componente femenino previo e indispensable al despliegue del Padre/Uno a través del Hijo, se revela contundentemente, desde el inicio del Valentinismo, en el párrafo analizado del Evangelio de la Verdad, NHC I, 3, p. 24, 5-10 (completado por Extracto de Teódoto 7, 1 y 7, 3a), donde la imagen del « seno del Padre » viene a fundamentar y completar dicha interpretación 124.

120. Por supuesto, la presencia de la Madre en íntima relación con el Padre reenvía a la figura del Andrógino en los textos gnósticos; figura presente tanto en el nivel de los primeros principios como en el nivel del demiurgo. Sin embargo, la complejidad de dicha figura hace imposible su estudio en el presente trabajo. 121. Ver BG 29, 18–30, 3 y NHC II, 1, p. 6, 10-13. 122. Ver Frag. 8, Hipólito, Refutación de todas las herejías VI, 37, 7. 123. Ver Ireneo de Lyon, Contra las herejías I, 1, 1. 124. En base a nuestro análisis del frag. 8 de Valentín, no acordamos con la siguiente afirmación de E. thomassen (The Spiritual Seed, p. 200): « It is difficult to avoid the conclusion that the protology of Irenaeus’ system represents a secondary elaboration of a more primitive

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El Dios-Madre de los gnósticos Finalmente, un breve estudio de las fuentes de la aritmética pitagórica, centrado principalmente en las concepciones expuestas sobre los tres primeros elementos de la serie numérica, amplía nuestra comprensión del uso de la tríada en los sistemas gnósticos. En primer lugar, dichas fuentes explican matemáticamente la trascendencia del Uno al mismo tiempo que fundamentan su identidad esencial con los elementos surgidos de Él. En segundo lugar, destacan la identidad propia de cada uno de los componentes de la tríada inicial. Y en tercer lugar, demuestran la necesidad esencial del elemento mediador de la tríada, el tres, la Madre, para la unión entre los otros dos elementos (uno y dos) 125 y la generación de los elementos restantes de la serie. La existencia de lo femenino junto al Padre se acuerda no sólo con la tradición judía de la cual los textos gnósticos son herederos 126, sino incluso con interpretaciones patrísticas y neoplatónicas 127 lo cual indica a nuestro entender, la amplia difusión que tales concepciones de lo divino tenían entre los eruditos de la cuenca del Mediterráneo en los primeros siglos del cristianismo. En efecto, tal cual afirma F. García Bazán, Clemente de Alejandría en ¿Qué rico se salva? 37, 1-10 expone una idea muy similar: Y entonces contemplarás el seno del Padre (κόλπον τοῦ πατρός) a quién sólo declaró Dios como Hijo Ungénito. Dios mismo es amor y por amor a nosotros se hizo mujer (καὶ δι ἀγάπην ἡμῖν ἐθεάθη). En su modo de ser inefable es Padre (καὶ τὸ μὲν ἄρρητον αὐτοῦ πατήρ), pero en su compasión hacia nosotros se hizo Madre (τὸ δὲ εἰς ἡμᾶς συμπαθὲς γέγονε μήτηρ). El Padre amándonos se feminizó (ἀγαπήσας ὁ πατὴρ ἐθηλύνθη) y la gran prueba de esto es aquel a quien engendró de sí mismo. Y el fruto (καρπός) generado por el amor es amor 128.

En definitiva los autores gnósticos quieren transmitirnos que como paso previo indispensable a la generación del Hijo y de toda realidad, Dios abraza lo femenino en sí y se hace Madre. El Padre deviene mujer.

125. 126. 127. 128.

theory. It is also reasonable to assume that the protology of Gos. Truth and Tri. Trac., regardless of the dates of the latter as documents, stands nearer to this primitive theory than does Irenaeus’ system, though we are not in a position simply to identify the protology of those documents with that theory. » Ver Porfirio, Vita Pythagorae 49-51. Sobre el contexto judío del « nombre » en el Evangelio de la Verdad ver: J.-D. DuBois, « Étude critique : le contexte judaïque du “nom” dans l’évangile de vérité », Revue de théologie et de philosophie 24 (1974), p. 198-216. Proclo, In Platonis Timaeum commentaria, I, 46, 1–47, 5. F. García Bazán, « El mito del andrógino », p. 233.

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THE MELOTHESIA OF THE APOCRYPHON OF JOHN AND THE UMM AL-KITĀB Einar thomassen University of Bergen

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It is a remarkable fact that a Medieval Islamic apocalypse called Umm al-kitāb contains a passage to which there exists a very close parallel in in the Apocryphon of John. The Islamic text, an early Shiite document that has been preserved over the centuries in Persian translation among the Ismāʿīlīs of Central Asia, 1 includes an anthropogonical myth that explains how human beings were created with seven parts (or “tools” [ālat]), each of which derived from one of the seven heavenly spheres (dīwāns). The correspondences between the bodily parts and the spheres are laid out in the following manner (Umm al-kitāb [henceforth UK] 220): The bones from (the dīwān of) Divinity (ilāhīyat), the blood from Kingdom (malakūtīyat), the flesh from Lordship (rubūbīyat), the veins from Powerfulness ( jabarūtīyat), the fat from Godliness (lāhūtīyat), the skin from Luminosity (nūrānīyat), the hair from Spirituality (rūḥānīyat).

Now compare this with the account of the creation of Adam’s soul-body by the archons in the Apocryphon of John (henceforth AJ), according to the version found in Nag Hammadi Codex (henceforth NHC) II (15:14-23):

1.

The edition of the Persian text is W. iVanoW, “Ummu’l-kitāb,” Der Islam 23 (1936), pp. 1–132. References to UK are to the pages in the manuscript used by Ivanow as the basis for his edition. A German translation of a major part of the text, together with an introduction summarising the history of research and analysing the text, is found in H. h alm, Die islamische Gnosis: Die Extreme Schia und die ʿAlawiten, Zurich-Munich 1982, pp. 113–198. The only full translation of UK into a modern language is the Italian one by P. Filippani-ronconi, Ummu’l-Kitāb: Introduzione, traduzione e note, Naples 1966.

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Einar Thomassen The first one, Goodness/Christhood (ⲧⲙⲛ̅ⲧ̅ⲭⲣⲏⲥⲧⲟⲥ < *χρηστότης), created a bone-soul; and the second, Providence (ⲧⲡⲣⲟⲛⲟⲓⲁ), created a sinew-soul; the third, Divinity (ⲧⲙⲛ̅ⲧ̅ⲛⲟⲩⲧⲉ), created a flesh-soul; and the fourth, Lordship (ⲧⲙⲛ̅ⲧ̅ϫⲟⲉⲓⲥ), created a marrow-soul; the fifth, Kingdom (ⲧⲙⲛ̅ⲧⲉⲣⲟ), created a blood-soul; the sixth, Envy (ⲡⲕⲱϩ), created a skin-soul; the seventh, Understanding (ⲧⲙⲛ̅ⲧⲣⲙⲛ̅ϩⲏⲧ), created a hair-soul.

It will be seen that the three terms Divinity, Lordship and Kingdom occur here as well. There is some variation in the parts of the body to which these terms are made to correspond: Divinity is associated with the flesh instead of the bones and Lordship with the marrow, not the flesh. Kingdom, however, is related to the blood on both lists. The similarities between the two texts cannot in any case be coincidental. It is obvious that a literary relationship of some sort must exist between the ancient Gnostic text and the at least six hundred years younger Islamic document. Though briefly noted in previous scholarship, 2 it seems to me that the similarities between the two texts invite further investigation and it is a pleasure to dedicate this attempt to my colleague and friend Jean-Daniel Dubois, as a reminder that there still exist unexplored areas in the study of ancient Gnosticism, some of which may be found in the House of Islam. The parts of the body and the set of abstract concepts in the Apocryphon of John As one knows, AJ has been preserved in four different Coptic manuscripts. A shorter version of the text is witnessed by the Berlin Codex (BG) and Nag Hammadi Codex III, whereas NHC II and NHC IV contain a longer recension. The lists correlating the seven components of the human body with a set of concepts display considerable variation from one manuscript to the other, except for NHC IV, whose list is identical to that of NHC II. A further witness to these lists is found in the brief report made by Theodore bar Konai in his Book of Scholies on an “Apocalypse of John” used by the Audians, where the list is given in the reverse order. Here are the texts:

2.

162

The similarity between the passages in AJ and UK was noted by E. F. tiJDens nearly forty years ago in an extensive study of UK (“Der mythologisch-gnostische Hintergrund des « Umm al-Kitâb »”, Acta Iranica 16 [1977], pp. 241–526, at p. 521.) Tijdens’ work was unfinished and published posthumously. The affinity between the two texts was also picked up by Michel Tardieu in his commentary on the AJ in Écrits gnostiques. Codex de Berlin, Paris 1984, pp. 303–304. Tardieu refers to Tijdens for having shown the dependence of UK on AJ in general, though he does not refer to the page (521) where Tijdens makes explicit mention of these particular passages, which in my opinion constitute the only convincing case of a direct literary relationship between the two texts.

The melothesia of the Apocryphon of John BG 49:11–50:4: The first is Divinity: it (i.e., what it created) is a bone-soul; the second is Christhood/Goodness (ⲧⲙⲛ̅ⲧ̅ⲭⲥ̅): it is a sinew-soul; the third is Fire (ⲡⲕⲱϩⲧ): it is a flesh-soul; the fourth is Providence: it is a marrow-soul and the entire foundation of the body; the fifth is Kingdom: it [is] a [blood]-soul; [the] sixth is Understanding (ⲧⲥⲩⲛϩ[ⲉ]ⲥ̣[ⲓⲥ]): it is a skin-soul; the seventh is Wisdom (ⲧⲥⲟⲫⲓⲁ): it is a hair-soul.

NHC III 22:19–23:6: [The first is Divinity], (it created) a bone-[soul; the second] is [Lord]ship (ⲧⲙⲛ̅ⲧ̅ϫ[ⲟⲉⲓⲥ), [(it created) a sinew-soul; the third is both Christhood/ Goodness and Fire, (it created) a fleshly soul and the entire constitution of the body;] the fourth [is] Providence, [a marrow]-soul; the fifth [is] Kingdom, [a blood]-soul; the sixth is [Understanding], a -soul 3 with [the] whole body; the seventh is Wisdom, a hair-soul.

Theodore bar Konai, Book of Scholies, XI, 63; p. 320:9–12 Scher: My Wisdom made the flesh, 4 made the skin, Elohim made the bones, my Kingdom made the blood, Adonai made the sinews, Zeal (qenēṯā) made the , 5 Thought (maḥshabṯā) made the marrow.

And here is a synoptic table of the lists: NHC III Divinity – bones Lordship – sinews Chrestotes+Fire – flesh Providence – marrow Kingdom – blood Understanding – Wisdom – hair

BG Divinity – bones Chrestotes – sinews Fire – flesh Providence – marrow Kingdom – blood Understanding – skin Wisdom – hair

NHC II Chrestotes – bones Providence – sinews Divinity – flesh Lordship – marrow Kingdom – blood Envy/zeal – skin Understanding – hair

Bar Konai Wisdom – flesh Understanding – skin Elohim – bones Kingdom – blood Adonai – sinews Zeal – hair Thought – marrow

A couple of remarks may be made on these lists already at this point. The item Fire seems out of place in this context, and it is fairly obvious that it derives from a scribal error made during the Coptic phase of transmission:

3. 4.

5.

“Tooth” (ϣⲁⲗ) is clearly a scribal error for ϣⲁⲁⲣ, “skin.” Puech’s correction (suggested to him by E. Dhorme) of biʿṯā (“egg”) to binṯā (“discernment, understanding”) is convincing (H.-C. puech, En quête de la gnose, t. I, Paris 1978, pp. 273–274. See also ibid., pp. 295–298, where Puech has summarised the relevant parallel texts.) Correction, first suggested by Chabot, of besrā (“flesh”) to saʿrā (H.-C. puech, En quête de la gnose, p. 274, n. 1).

163

Einar Thomassen ⲕⲱϩ (“zeal, envy, jealousy”) has been corrupted into ⲕⲱϩⲧ (“fire”). 6 The term χρηστότης seems to have been secondarily introduced into the list, supplanting “zeal” in the two manuscripts of the short recension NHC III and BG and Wisdom in those of the long recension. It can be reasonably made out that the original members of the list were Divinity, Lordship, Kingdom, Providence, Zeal/Envy, Understanding and Wisdom. The Greek terms were probably θεότης, κυριότης, βασιλεία, πρόνοια, ζῆλος (or ζηλοτυπία?), σύνεσις, σοφία. The original order of the list is less certain and I will return to this question below. A glance must also be taken at another set of lists that occur earlier in AJ, in which the same set of terms are used in the presentation of the seven archons at the point when they are first introduced into the narrative. Here, a very similar list in On the Origin of the World (NHC II, 5) should also be included for comparison: BG 43:11–44:4* Providence – Yaoth Divinity – Eloaios Chrestotes – Astaphaios Fire – Yao Kingdom – Sabaoth Understanding – Adonai Wisdom – Sabbataios

NHC II 12:15–25; IV 19:15–26 Chrestotes – Athoth Providence – Eloaios Divinity – Astaphaios Lordship – Yao Kingdom – Sabaoth Envy/Zeal – Adonein Understanding – Sabbateon

Orig. World 101:23–102:2 Providence Sambathas – Yaldabaoth Lordship – Yao Divinity– Sabaoth Kingship – Adonaios Envy/Zeal – Eloaios Wealth – Oraios Wisdom – Astaphaios

* NHC III, the other witness to the short recension, has a lacuna at this point.

Whereas the lists of NH II and IV (which are identical) correspond entirely to the ones used later in these manuscripts when they set out to describe the melothesia, BG presents the archons in a different order in the two cases in so far as Providence appears at the top when the archons are first listed but is moved to fourth place in the melothesia account. Comparison with Orig. World suggests that Providence was indeed listed first in the form of the list that served as the ultimate common source for all these versions of it, followed by Divinity, Lordship and Kingdom (not necessarily in that order), and with Zeal/Envy, Understanding and Wisdom as the last three members of the list. How Understanding became Wealth in Orig. World is a puzzling question—perhaps a scribe simply substituted ⲙⲛⲧⲣⲙⲙⲁⲟ for ⲙⲛⲧⲣⲙⲛϩⲏⲧ in a moment of distraction. Zeal/Envy sticks out as the only term with negative connotations on the list. Perhaps it is a replacement for an older term that was considered too positive when the original list, which was presumably not

6.

164

This is assumed by M. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 301.

The melothesia of the Apocryphon of John constructed in the first place to describe hostile cosmic powers, was reused in the context of Gnostic archonology. Maybe a shrewd mind got the idea of changing ἀγάπη into ζηλοτυπία for this purpose? 7 Why did the redactor of the BG version change the position of Providence to fourth place in his account of the melothesia? Has it something to do with the association of Providence with the marrow? 8 We will return to this question shortly, but first we need to say a bit more about the combinations of the seven terms with the parts of the body in general. Lists of the components of the body similar to the ones presupposed in AJ and UK are found scattered in various types of texts from Antiquity, as well as in Manichaean and later Zoroastrian sources. 9 The point of departure for the transmission history of these lists is Plato’s Timaeus, which describes how the Demiurge created the human body by adding one part to another in the following order: marrow, bones, sinews, flesh, skin, hair and nails (73b–76e). 10 It may be noted that Plato’s account follows a strict logic, starting from the centre of the body (the marrow and the brain) and then moving outwards, layer by layer, a logic which is not consistently observed in all the later lists. In Hellenistic times somebody systematised and slightly modified Plato’s account. 11 Blood was added to the list and the nails were left out; that there should be seven components in all appears to have been a constraining consideration. This is the form in which the list spread to later texts. A correlation of the seven bodily components with the seven planets was probably made later; it is mainly attested in a few Iranian and Manichaean texts 12 but must go back to Hellenistic sources, the same sources that lie behind the planetary

7.

Ἀγάπη, Σύνεσις and Σοφία figure in close proximity as aeons in the Valentinian Pleroma (Irenaeus, Adversus haereses 1.1.2, etc.). 8. R. Van Den BroeK, “The Creation of Adam’s Psychic Body in the Apocryphon of John,” in iD., Studies in Gnosticism and Alexandrian Christianity, Leiden 1996, pp. 67–85, at pp. 74–76. (First published in R. Van Den BroeK – M. J. Vermaseren, Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions Presented to Gilles Quispel on the Occasion of his 65th Birthday, Leiden 1981, pp. 38–57.) 9. Cf. R. Van Den BroeK, “Creation of Adam’s Psychic Body,” esp. pp. 74–85; M. tarDieu, Écrits gnostiques, pp. 302–308; P. naGel, “Anatomie des Menschen in gnostischer und manichäischer Sicht,” in P. naGel (ed.), Studien zum Menschenbild in Gnosis und Manichäismus, Halle 1979, pp. 67–94. 10. R. Van Den BroeK, “Creation of Adam’s Psychic Body,” pp. 75–77; M. tarDieu, Écrits gnostiques, pp. 306–307. The differences between van den Broek’s and Tardieu’s interpretations of Plato’s text and their views on the tradition history emanating from it do not need to be discussed here. 11. R. Van Den BroeK, “Creation of Adam’s Psychic Body,” pp. 77–78. 12. Zādspram, Selections, chap. 30 (B. T. a nKlesaria, Vichitakiha-i Zatsparam, with Text and Introduction, t. I, Bombay 1964, pp. cV– cVi); R. Van Den BroeK, “Creation of Adam’s Psychic Body,” pp. 77–78; Kephalaion 42, pp. 107:29–108:1 (H. J. polotsKy – A. BöhliG, Kephalaia I, Hälfte 1, Lfg. 1/10, Stuttgart 1940).

165

Einar Thomassen melothesia of AJ. 13 AJ added in turn correlations with seven named archons, and, on top of that, correlations with a fourth set of terms, the list of seven abstract concepts that we have been discussing above. Based on the most likely original order of the bodily components as well as that of the abstract concepts, the original set of correlations between the two lists may have looked like this: Marrow Bones Sinews Blood Flesh Skin Hair

Providence Divinity Lordship Kingdom Zeal/Envy (or originally a more positive term) Understanding Wisdom

According to the Timaeus, the marrow is that around which the Demiurge fashioned “the entire framework of our body” (73d). This passage is reflected in BG 49:16–18: “the fourth is Providence: it is a marrow-soul and the entire foundation of the body.” 14 Thus, by all accounts, the couple MarrowProvidence should be first on the list. That this was its original position 15 is in fact confirmed by the testimony of Bar Konai, who, giving the list in reverse order, places Thought-Marrow at the end. (Maḥshabṯā must be a translation of πρόνοια.) Why Marrow-Providence has been moved to fourth position on the list in the melothesia account of BG and NHC III nevertheless remains difficult to explain; it may be deliberate, due to some idea that the fourth position in the hebdomad represents its centre, and that the marrow is the most central part of the body, or it may simply be due to an error made in the course of transcription. It is evident that the transmission of these lists in general has been subject to much confusion. How the seven components of the human body came to be coupled with this set of concepts is nevertheless a puzzling question. Was the combination made independently of that between the bodily components and the planets, or is it to be seen as a further supplement to it? Moreover, did the set of seven concepts exist in its own right in some other context before it came to be associated with the parts of the body? It is in any case difficult to find a rationale for the association of the bodily parts with this particular set of concepts. The state of our evidence does not allow answers to these questions.

13. R. Van Den BroeK, “Creation of Adam’s Psychic Body,” pp. 78–79, 83. 14. R. Van Den BroeK, “Creation of Adam’s Psychic Body,” pp. 75–76. 15. As presumed by R. Van Den BroeK, ibid.

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The melothesia of the Apocryphon of John The melothesia of the Umm al-kitāb Another mysterious fact is that the only textual parallel to this correlation of bodily parts with a set of concepts is found, of all places, in an Islamic sectarian text from the Middle Ages, the Umm al-kitāb. We now need to say more about that peculiar text. Studies of this document, which is witnessed only by fairly recent Persian manuscripts from Central Asia, have established that it must originally have been composed in Arabic and may have originated in the 8th century among the “extremist” Shiite groups (ghulāt) existing at that time in Kufa. 16 The precise dating of the original text is open to debate, but is not an essential issue for the line of inquiry followed in the present article. 17 The text takes the form of a revelation dialogue in which the (fifth) Imam Muḥammad al-Bāqir imparts theological and cosmological secrets to a select number of his followers, most prominent of whom is Jābir ibn Yazīd al-Juʿf ī, an important figure of the early Shīʿa movement. 18 The work has undergone several later redactions, the most important of which consist in a series of comments about the correspondences between the macrocosmos and the microcosmos that have been interspersed in the original revelation dialogue (60–248) and the addition of a section containing questions and answers on particular issues (248–419). This first redaction is dated by Heinz Halm to around 800, that is, about fifty years after the composition of the work in its original form. 19 The knowledge (ʿilm) revealed by the Imam to his followers in the original core section of the work takes the form of a creation myth, whose central element is a doctrine about the seven heavenly spheres and how they came into being as a result of the rebellion of the spirit ʿAzāziʾīl against his creator. Initially, God resides, in quintuple form, 20 in a sphere of light. He then calls into being a number of spirits, the greatest of whom is ʿAzāziʾīl, who receives a share of the divine light enabling him to bring forth spirits of his own. Perceiving himself to be a divine creator in his own right, ʿAzāziʾīl refuses to obey God, “the supreme King,” as his lord, and he persuades a large number of the other spirits to follow him. God then withdraws the creative light from him, but ʿAzāziʾīl and his companions still retain seven forms of coloured light derived from the original light source. God then calls into being a subordinate

16. See H. h alm, Die islamische Gnosis, pp. 113–124, who surveys the history of research and reconstructs the history of the text. 17. A later date for the text (10th century) has been argued for recently by S. W. a nthony, “The Legend of Abdallāh ibn Saba and the Date of Umm al-Kitāb,” Journal of the Royal Asiatic Society, Series 3, 21 (2011), pp. 1–30. 18. Died around 745; cf. H. h alm, Die islamische Gnosis, pp. 96–112. 19. H. h alm, Die islamische Gnosis, pp. 119–123. 20. The hypostatic qualities of Muḥammad, ʿAlī, Fāṭima, Ḥasan and Ḥusayn.

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Einar Thomassen being called Salmān 21 to deal with ʿAzāziʾīl. Seven times ʿAzāziʾīl and his followers are invited to fall down and worship God and submit to Salmān, but ʿAzāziʾīl refuses each time, as do most of the other “resisting spirits”—or they first confess and obey, but afterwards “forget” once more. With each new refusal one of the colours is removed from the rebel spirits and is turned into a heavenly sphere (variously called a dīwān, a dome, a curtain or an ocean). In the process, ʿAzāziʾīl and his companions are successively thrown down from one sphere to the one below. Finally, when the seven spheres have been put in place and the rebellious spirits have been thrown down to the bottom, Salmān is given the task of creating the earth, which he does by using the disobedient spirits as materials. Some of the spirits are turned into phantoms (ashbāḥ). Together, they constitute a “paradise.” Tempted, however, by Iblīs (ʿAzāziʾīl) in the shape of a pretty woman, they are filled with sensual desire and receive physical bodies as a result. This is the point at which the sevenfold composition of the human body is narrated (UK 220). Humans are, in fact, fallen, or disobedient, spirits who have been imprisoned in physical bodies in consequence of having succumbed to sexual desire. Their bodies are composed in a manner that reflects the seven colours and spheres they originally inhabited but lost as a result of their disobedience. The seven bodily components and the celestial dīwāns they derive from were listed at the beginning of this article. It is to be noted, however, that this anthropogonical account appears in a part of the text that probably does not belong to the original revelation dialogue between al-Bāqir and Jābir, but to the segment of macrocosmos-microcosmos speculations that was added by the first redactor of the text. In the original core text the seven dīwāns, which are also called curtains, domes or oceans, are described in terms of the colours that distinguish them: ruby red, fire, carnelian, emerald, violet, sun and moon (especially 96–119, 126–162). 22 In one particular section of the narrative describing the origin and nature of the dīwāns, however, another group of names is introduced as additional designations of the dīwāns (165–166), and these are precisely the names that are later (220) used to describe the derivation of the seven components of the human body from the dīwāns: Divinity, Kingdom, Lordship, Powerfulness, Godliness, Luminosity and Spirituality. In the context of the account of the

21. The mythological counterpart of the historical Salman the Persian, one of the first followers of the Prophet and later of ʿĀlī. 22. Above the seven spheres is the white dome where the deity himself resides. Below them is the blue dome of the sky, which, however, is counted as one of the seven in 153, to the exclusion of the carnelian dīwān.

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The melothesia of the Apocryphon of John origins and characteristics of the seven dīwāns, however, the section introducing this group of names gives the impression of a rather isolated element in the narrative and looks like an interpolation from another source. 23 Curtain, dome, ocean, dīwān Ruby red Fire Carnelian Emerald Violet Sun Moon

Divinity Kingdom Lordship Powerfulness Godliness Luminosity Spirituality

bones blood Flesh veins Fat Skin Hair

Furthermore, the same group of names appears a third time in UK, in a section where the interlocutor is enjoined to confess the Imam of the time “in every light manifestation, palace, dīwān, aeon, cycle and place of divinity, kingdom, omnipotence, lordship, eternity, godliness, luminosity, spirituality, humanity, carnality and imamicity” (236). Here the list has been expanded to add up to a higher number of terms, probably ten. 24 This is an indication that the list of seven terms circulated as an independent item, though its association with a cosmological hierarchy is assumed in this last text as well. This particular section of the text belongs to the secondary redactional material of the UK, just like the anthropogonical passage in 220. The list was familiar material, then, to the redactor. The first occurrence of this material, in 16566, is in a section which according to Halm’s analysis belongs to the oldest stratum of the text, but it seems more plausible to attribute the occurrence of the material in that section to the same redactor as was responsible for its appearance in 220 and 236. A likely hypothesis is therefore that the redactor introduced it into the original narrative in 165-166 in order for it to serve as a point of reference for his later account of the creation of the human body in 220, where he wanted to make use of the system of correlations between the group of seven concepts and the seven components of the body. Thus the appearance of the list of seven concepts in UK is due to a redactor of the text, who took it from a source. What kind of source may that have been? Did he know the Apocryphon of John? Michel Tardieu thought so: “la dérivation de l’UK par rapport à Jn ne fait pas de doute.” 25 But in view of the fact that no further literary contact between UK and AJ can be shown to

23. E. F. tiJDens, “Hintergrund,” p. 520: “Eine Reihe […] die aus einem fremden System übernommen sein dürfte.” 24. P. Filippani-ronconi, Ummu’l-Kitāb, p. 108, notes 2 and 3, assumes that ‘carnality’ is an erroneous duplication of ‘humanity.’ 25. M. tarDieu, Écrits gnostiques, p. 304.

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Einar Thomassen exist beyond the use of this particular list of correlations between a group of abstract concepts and the components of the human body, it is unlikely that the first redactor of UK knew AJ. The list must have reached him through some other channel. Since there is nothing inherently “Gnostic” about the terms on the list, nor in the idea of a correspondence between these terms and the parts of the body, the list and its application to a melothesia may well have originated and been transmitted in a non-“Gnostic” context. On the other hand, the mythology of UK displays undeniable similarities with Gnostic and Manichaean thought, as the outline above will have shown: the lower world comes into being as the result of a rebellious fall, humans are fallen spirits who are imprisoned in bodies as a result of sexual desire, liberation depends on knowledge, etc. Thus it is quite possible, and even likely, that the melothesia of UK 220 was inspired by a source that itself took a negative view on the creation of the human body and applied the list correlating concepts and bodily parts to express such a view in mythological form, in the same way as AJ did. Obviously, AJ need not have been the only Gnostic text to have constructed such a melothesia in Antiquity, and the list set up in AJ may itself have been rewritten and adapted to new contexts by later authors of various religious affiliations. There are simply too many unknowns here to allow even a tentative reconstruction of the links in the chain that lead from the invention of this particular type of melothesia in the second century, or earlier, to the Shiite writer who sat down in southern Iraq some time between the 8th and the 10th century to rewrite a text containing the revelations of the fifth Imam by adding speculative lore about the correspondences between the macrocosmos and the microcosmos. Divinity, Lordship, Kingdom As was noted at the beginning of this article, the seven terms on UK’s list of concepts are not all the same as in AJ. The agreement is restricted to the three terms Divinity, Kingdom, Lordship. The four remaining concepts on UK’s list resemble nothing found in AJ. It is impossible to say whether they were devised in a Shiite Muslim context or have a longer history of transmission among the various religious groups and sects of the Near East. Something more may be said, however, about the three terms on the list that are shared by UK and the Gnostic texts. The subgroup of Divinity, Lordship, Kingdom in fact has a history of its own. We encounter it frequently in the Trinitarian debates of the fourth century. For example Epiphanius quotes Acacius of Caesarea writing against Marcellus of Ancyra, accusing the latter of denying “the uniqueness of the Only-begotten, his perfection begotten of the Perfect, his kingship begotten of the King, his lordship begotten of the Lord, and his Godhead begotten of God” (τῆς ἐκ βασιλέως βασιλείας καὶ τῆς ἐκ κυρίου κυριότητος καὶ τῆς ἐκ 170

The melothesia of the Apocryphon of John θεοῦ θεότητος) (Panarion 72.8.1). The Pseudo-Athanasian Sermo maior de fide speaks about ἡ μία κυριότης καὶ θεότης καὶ βασιλεία (frag. 41 and 70). (Pseudo-)John Chrysostom, In sanctum pascha (sermo 6) 46.1 lists four divine names, δι’ ὧν μάλιστα τὸ θεῖον πνεῦμα πιστεύεται, κυριότητος καὶ θεότητος, υἱότητος καὶ βασιλείας αἰωνίου. 26 Thus, the association of the three terms is an established convention by this time and is used especially to affirm the divine nature of the Son. The combination of the three terms must be older than these Trinitarian debates, however, in order for it to have been able to enter the lists made in AJ (and Orig. World). Very interesting in this regard is the quotation from Col 1, 16 made in the Valentinian Excerpts from Theodotus 43.2: Πάντα γὰρ ἐν αὐτῷ ἐκτίσθη, τὰ ὁρατὰ καὶ τὰ ἀόρατα, θρόνοι, κυριότητες, βασιλεῖαι, θεότητες, λειτουργίαι. Here, the canonical text εἴτε θρόνοι εἴτε κυριότητες has been expanded in a way that presupposes the existence of a formula κυριότης, βασιλεία, θεότης. The same expansion of the text, though with one of the terms missing, is attested for the Valentinians in Irenaeus, Adversus haereses 1.5.4: θρόνοι, θεότητες, κυριότητες. To these testimonies may be added a liturgical formula used by a group of Valentinians and reported by Irenaeus in Adversus haereses 1.21.3: τὸ ὄνομα τὸ ἀποκεκρυμμένον ἀπὸ πάσης θεότητος καὶ κυριότητος καὶ ἀληθείας. In this formula, the word ἀληθείας seems strangely out of place, and it does not seem too far-fetched to suspect an error: the last term may originally have been βασιλείας. 27 In these texts, an ambivalent attitude towards the terms used may be sensed. Divinity, Lordship and Kingdom refer to cosmic powers, especially when used in the plural. On the other hand the terms also refer to the Saviour, who is the ultimate creator of these powers and Lord over them all. The connotation of these terms with cosmic powers corresponds to the way they are received in AJ, but their association with the Saviour suggests that the set of terms may originally have belonged in a Christological context and was used to affirm the divine authority of Christ. Concluding remarks The search conducted in the preceding pages for the historical connections between a set of terms that show up in quite diverse historical contexts but nevertheless must somehow form part of a continuous web of transmission, show above all how fragmentary our evidence is for reconstructing such webs. We have three terms, Divinity, Lordship and Kingship, which have a

26. A Thesaurus Linguae Graecae search reveals that the three terms occur together also in Theodoretus, Dionysius Areopagita and later authors. 27. Werner Foerster once suggested to read ἐξουσία (Gnosis: A Selection of Gnostic Texts, t. I, Patristic Evidence, Eng. tr. ed. R. mcl. Wilson, Oxford 1972, p. 129 n. 30).

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Einar Thomassen common origin, probably in an early Christological context. We have another set of three terms that represent mental faculties: Wisdom, Understanding, and a third term that originally probably was not Zeal or Envy. Those two groups of terms were combined and supplemented by Providence to make a set of seven. This conceptual heptad is then associated with the seven parts of the human body. Gnostic system builders took this model and applied it to their own particular anthropogonic theories of archonitic melothesia, loading the terms with negative connotations in the process. Many centuries later, the model reappears in a mutated but nevertheless recognisable shape in a very different context. How it got there lies shrouded in the darkness of history.

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LE THÉÂTRE DU MONDE : ILLUSION OU RÉDEMPTION ? Claudine Besset-lamoine École pratique des hautes études, PSL Research University Paris [email protected]

Préambule Pedro Calderón de la Barca 1, présente dans son Grand théâtre du monde le couple du Ciel et de la Terre de la manière suivante : « Grandiose ordonnance de cette architecture terrestre aux multiples aspects toi qui, par tes ombres et tes lointains, usurpes ses reflets à mon édifice céleste 2. » L’extraordinaire conception dramaturgique de cet auto sacramental 3 repose sur le dispositif suivant comme il l’indique lui-même dans une de ses didascalies : « Au son de la musique, deux globes s’ouvrent en même temps : dans l’un un trône de 1.

2.

3.

Pedro Calderón de la Barca, poète et dramaturge espagnol, né et décédé à Madrid (16001681). Sa pièce de théâtre : La Vie est un songe [La vida es sueño], inspirée d’un conte des Mille et une nuits et représentée en 1635, demeure à ce jour son plus grand succès. Le Grand théâtre du monde lui est antérieur pour la composition, sans doute 1633, et fut représenté aussi en 1635. Pedro Calderón de la Barca, Le Grand théâtre du monde (El gran teatro del mundo), 1-4 ; trad. F. BonFils, dans Pedro Calderón de la Barca, Le Grand théâtre du monde, éd. et trad. F. BonFils, Paris 2003, p. 64-65. Nous sommes redevables à Guillaume Martel Lasalle d’une lecture éclairante du texte dans son Mémoire de Maîtrise en Études littéraires : G. m artel lasalle, « Le Monde en représentation dans l’auto sacramental Le Grand théâtre du monde de Pedro Calderón de la Barca : la figure du theatrum mundi prise comme matière dramatique », Université du Québec, Montréal 2010. Auto sacramental ou acte sacramentel : nom donné dans l’art baroque à une pièce de théâtre qui traite d’un sujet religieux en utilisant la forme allégorique et ce, en un seul acte. Dans Le Grand théâtre du monde, le thème traité est celui de l’eucharistie et, après la cérémonie processionnelle lors de la Fête-Dieu, la pièce avec son dispositif scénique des deux globes fut jouée en place publique. Le texte puise abondamment dans l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Voir l’introduction de F. BonFils, à Pedro Calderón de la Barca, Le Grand théâtre du monde, p. 7-60 et la chronologie p. 209-230.

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Claudine Besset-Lamoine gloire où l’Auteur est assis, dans l’autre un décor à deux portes. Sur l’un est peint un berceau, sur l’autre un cercueil 4. » Le grand poète espagnol écrivit plus de quatre-vingt de ces textes dans sa fonction officielle de poète à la cour du roi d’Espagne Philippe IV. La composition et le jeu dramatique de ces spectacles sont indissociables alors des contraintes d’une stricte dogmatique institutionnelle ; ils s’inscrivent dans le calendrier des fêtes religieuses et leur public est constitué par un auditoire essentiellement populaire. Les Pères de l’Église ont été sensibles à ce type de dynamique de la métaphore spectaculaire et les enjeux qu’elle implique. Irénée de Lyon l’utilise à des fins hérésiologiques, décrivant les mythes gnostiques comme des trames de pantomimes ou de comédies sans valeur au bénéfice de sa réfutation : « Puisqu’à ce vaudeville il ne manque que le dénouement 5 », alors que Tertullien 6, détournant et amplifiant la métaphore, va lui donner, dans ce contexte chrétien, la valeur de l’éternel et de l’ineffable : Et bientôt, quel spectacle que l’arrivée du Seigneur, désormais incontestable, majestueux, triomphant ! Oh, l’exultation des anges ! Oh, la gloire des saints qui ressuscitent ! Oh, l’avènement du règne des justes ! Oh, la Jérusalem nouvelle 7.

Cette métaphore du théâtre se voit également utilisée chez les philosophes comme Épictète 8, qui ne perçoit d’espace de liberté que dans la performance accomplie dans le rôle qui nous a été octroyé. Plotin, pour sa part, y traduit généralement la signification de l’éphémère du monde d’ici-bas et des illusions qui l’accompagnent :

4. 5. 6. 7. 8.

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Pedro Calderón de la Barca, Le Grand théâtre du monde : cette didascalie s’inscrit entre les vers 627 et 628 du texte, p. 104-105. Irénée de Lyon, Contre les hérésies I 9,5 (trad. A. rousseau – l. Doutreleau, dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre I, tome II, éd. et trad. A. Rousseau – L. Doutreleau, Paris 1979, p. 151). Tertullien, Les Spectacles (De spectaculis), éd. et trad. M. turcan, Paris 1986. Tertullien, Les Spectacles, xxx,1 (trad. M. turcan). Le philosophe stoïcien prévient, dans son Manuel xVii : « Rappelle-toi : tu es un acteur dans un drame, un drame tel que le veut l’auteur : court, s’il le veut court ; long s’il le veut long ; s’il veut que tu joues un mendiant, c’est pour que, celui-là aussi, tu le joues avec talent […]. Ce qui te revient en effet, c’est de bien jouer le rôle qui t’a été donné ; mais de choisir, c’est l’affaire d’un autre » (trad. E. cattin, dans Arrien, Manuel d’Épictète, trad. et notes E. cattin, introd. L. JaFFro, Paris 1997, p. 70). Voir M. BourBon, « Jeu théâtral et réalité dans le stoïcisme : du possible “jouable” à la reprise », dans S. a lexanDre – E. roGan (dir.), Modalisations du réel : nécessité, possibilité, contingence. Actes des colloques de l’association Zetesis, Zetesis 5 (2014), en ligne : http://www.zetesis.fr/actes/ spip.php?article44 (consulté le 7 septembre 2014).

Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? Car dans toutes les circonstances de la vie réelle, ce n’est pas l’âme au-dedans de nous, c’est son ombre, l’homme extérieur, qui gémit, se plaint et remplit tous ses rôles sur ce théâtre à scènes multiples qui est la terre entière 9.

Ainsi, si l’on en excepte la vision grandiose de Tertullien, les images proposées dans cet usage de la métaphore du theatrum mundi ont au minimum un caractère profondément désabusé sur ce lieu où évoluent les créatures humaines, ces acteurs dépourvus d’autonomie, lamentables ombres errantes en quête d’elles-mêmes, car les « vrais » rôles sont distribués par ailleurs. Tour à tour les ingrédients qui constituent l’entité théâtre : acteurs, scène, costumes, rôles sont privilégiés dans la nécessité de telle ou telle démonstration théologique ou philosophique. Un autre exemple littéraire va voir la métaphore s’élargir à l’édifice tout entier, il s’agit du théâtre de la mémoire 10, dispositif inventé par Giulio Camillo au xVie siècle dans sa recherche de la classification des « lieux éternels ». Nous percevons dans son préambule son souci de l’ordonnancement des « secrets divins » et le soin qu’il applique à les agencer selon la structure et l’organisation du théâtre antique : C’est pourquoi en suivant l’ordre de la création du monde, nous placerons dans les premiers degrés les choses les plus simples, ou celles dont nous pouvons imaginer que le plan divin les a placées avant les autres choses créées 11.

Son classement s’effectue en sept degrés ou sept gradins sous l’égide des sept planètes, le soleil/Apollon se trouvant au centre du dispositif sous l’appellation de « Banquet de l’ensemble des êtres ». Ayant ainsi organisé le savoir universel, il ne reste plus à Giulio Camillo qu’à mettre en mouvement la représentation où l’unique spectateur qui renaît perpétuellement à lui-même se trouvera alors sur scène face à l’univers !

Plotin, De la Providence, Traité 47 (III, 2), 16 (trad. É. Bréhier, dans Plotin, Ennéades, t. III, éd. et trad. É. Bréhier, Paris 20022, p. 65). 10. L’idée du théâtre de la mémoire provient d’une des rubriques de l’éloquence classique qui consistait à placer les différentes parties d’un discours dans des « lieux » spécifiques. Ce procédé mnémotechnique permettait à l’orateur de restituer telle ou telle partie de son discours selon la physionomie du « lieu ». Voir B. scheFer, « Introduction », dans Giulio Camillo, Le Théâtre de la mémoire, trad. E. cantaVenera – B. scheFer, introd. B. scheFer, Paris 2001, p. 7-31. 11. Giulio Camillo, Le Théâtre de la mémoire, p. 54. 9.

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Claudine Besset-Lamoine Le modèle et la copie Nous nous proposons ici de faire connaître un sort différent à la métaphore du theatrum mundi en l’appliquant à deux textes coptes tirés du codex I de Nag Hammadi (dorénavant NH 12), l’Évangile de la Vérité 13 et le Traité Tripartite 14. Ni l’un, ni l’autre de ces écrits n’évoquent, au sens propre, le théâtre, ni ne font la moindre allusion au rôle ou à la fonction d’acteur qui pourrait être attribuée soit à l’âme, soit à la créature humaine dans l’enjeu de son destin et de son salut. Cependant, dans les dispositifs métaphysiques et religieux qui président à leur écriture, nous nous trouvons bien en présence de deux mondes, le ciel et la terre, celui de la réalité et celui de l’ombre et de l’illusion : là-bas et ici-bas, lieux de scénarios théologiques où se déroule le cheminement du salut. Dans ce dialogue entre le là-bas et le ici-bas, le premier lieu s’inscrit dans un apparat conceptuel qui s’impose comme modèle et le second revêt les caractéristiques d’une application ou d’une simulation par duplication. Le couple célèbre copie/modèle trouve son expression la plus aboutie dans son application à la description de la construction de l’univers dans le Timée où Platon y expose ce qu’il appelle lui-même « un conte vraisemblable 15 ». Il pose tout d’abord la question suivante : « Quel est l’être éternel et qui ne naît point et quel est celui qui naît toujours et n’existe jamais 16 ? » Dans son argumentation, il s’appuie ensuite sur sa théorie du modèle et en définit deux types essentiels, l’un fruit de l’intellect et du logos et le second de la sensation et de l’opinion : les deux objets issus de cette démarche auront des caractéristiques bien différentes. L’un a pour privilège d’être en lui-même identique et voué à l’éternité, quant au second, produit du devenir, « il naît et meurt, mais n’existe jamais réellement 17 ». Il va sans dire que ce second modèle n’a pas force de loi.

12. Les références des textes de Nag Hammadi se comprennent de la manière suivante : NH signifie Nag Hammadi ; le chiffre romain indique le numéro du codex ; le chiffre arabe qui suit indique le numéro du texte au sein du codex en question. Enfin, quand des citations sont données, la pagination indiquée est celle du codex. Dans le codex I, l’Évangile de la Vérité, le troisième écrit du codex, va de la page 16 à la page 43 et le Traité Tripartite, le cinquième écrit du codex, de la page 51 à la page 138. 13. a. pasquier – e. thomassen, « Évangile de la vérité (NH I, 3 ; XII, 2) », dans J.-p. m ahé – p.-h. poirier (dir.), Écrits gnostiques. La Bibliothèque de Nag Hammadi, Paris 2007, p. 55-81. 14. l. painchauD – e. thomassen, « Traité Tripartite (NH I, 5) », dans J.-p. m ahé – p.-h. poirier (dir.), Écrits gnostiques, p. 125-204. 15. Platon, Timée 29d, trad. A. r iVauD, dans Platon, Œuvres complètes, t. X, Timée–Critias, éd. et trad. A. r iVauD, Paris 1963 (19251), p. 142. Voir aussi Platon, Timée / Critias, trad. L. Brisson, Paris 1992. 16. Ibid., 27d (trad. A. r iVauD). 17. Ibid., 28a (trad. A. r iVauD).

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? Cette démarche nous apparaît comme le véritable prototype de l’architectonique des procédés qui conduisent à une construction des représentations nécessaires à une explication métaphysique de notre condition humaine. En effet, grâce à ce qui est visible par nos sens et grâce à une division arbitraire des outils mis à notre disposition par cette même condition, c’est-à-dire celle du sensible, nous usons des sens mis au service de la raison pour édifier cette hypothèse du modèle et de sa copie. Nous en arrivons donc, à la suite du philosophe grec, à envisager un monde transcendant d’une part et un monde éphémère d’autre part, par une sorte de cheminement à rebours. Ceci ne manque pas de susciter un certain nombre de difficultés en cours de route et Platon y répond ainsi. Tout d’abord, à aucun moment, Platon n’évacue le fait qu’il s’agit d’une problématique du « concevoir » et qu’il convient d’invoquer les dieux pour en parler. Il va donc résoudre la difficulté initiale par le principe de la causalité, faisant de l’objet premier de la modélisation « une cause déterminée 18 », ce qui inverse la dynamique de la démarche qui va désormais dans le bon sens, de l’hypothèse vers son application. Néanmoins, le philosophe par la bouche de Timée reconnaît bien que cette cause demeure extrêmement malaisée à cerner et nous laisse dans l’expectative quant à l’initiateur éventuel de celle-ci – « Toutefois, découvrir l’auteur et le Père de cet Univers, c’est un grand exploit, et quand on l’a découvert, il est impossible de le révéler à tous 19 » –, puisque, en tous les cas, dans le texte rien ou presque rien ne nous permet d’avoir une idée de cette paternité, sinon de manière oblique. La présence des instances divines se manifeste à deux niveaux, tout d’abord au niveau extérieur du déroulement du dialogue où les protagonistes se conduisent dans le respect strict des traditions en procédant à une invocation de manière ritualisée. Ainsi, il convient : […] d’appeler à l’aide les Dieux et les Déesses, les prier que nos propos soient toujours, en tout ce qui les touche, conformes avant tout à leur pensée, et en ce qui nous concerne, logiquement ordonnés. Touchant les Dieux que telle soit donc notre invocation. Et, en ce qui nous touche, invoquons-les aussi afin que vous saisissiez bien vite et afin que, moi, j’expose le plus clairement possible, ce que je conçois sur notre sujet 20.

Pour ce qui est du versant intérieur du déroulement de l’exposé de Timée, sur l’auteur de l’engendrement et de la fabrique de l’univers, esquisser ne serait-ce qu’une ébauche de représentation sommaire de celui-ci relève en effet de la gageure. Nous remarquons différentes possibilités dans le texte, outre la cause déterminée, comme « l’être éternel » ou bien « l’auteur et le

18. Ibid., 28c. 19. Ibid., 28c. 20. Ibid., 27c-d. Dans l’Épinomis, par exemple, nous retrouvons cette même inclination respectueuse vers les divinités par un « jeu de louanges » (980b).

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Claudine Besset-Lamoine Père de cet univers », voire « l’ordonnateur ». En tout état de cause cette représentation d’une figure divine première, d’un theos hypsistos, est liée à la notion d’éternel, d’identique, d’immuable et à l’idée de bien et de beau 21. Ce principe initial, une fois établi, Platon en vient à la fabrique du monde et il a recours à un démiurge dont l’expertise artisanale permet l’élaboration d’un objet « copie », en posant toutefois le postulat de son inclination vers le beau et le bien, faisant le pari qu’il ne regarderait jamais ailleurs que vers le haut : « Or, il est absolument évident pour tous que l’ouvrier a contemplé le modèle éternel. Car ce monde est la plus belle des choses qui sont nées et l’ouvrier la plus parfaite des causes 22. » De fil en aiguille, comme dans le cas d’un enchâssement d’une pièce dans la pièce, d’une mise en abyme, le Démiurge s’installe dans le processus divin de création, devenant en quelque sorte agent et outil du modèle éternel : « Donc, le Dieu, ayant décidé de former le Monde, le plus possible à la ressemblance du plus beau des êtres intelligibles et d’un être parfait en tout, en a fait un vivant unique 23. » Il se saisit ensuite de la « cause errante », concept dont le caractère paradoxal ne peut cesser d’étonner, qui lui servira de matière ouvrière dans la fabrique de l’univers. Nous nous trouvons donc face à la constatation de l’existence de trois espèces dans l’édifice théorique de la théogonie platonicienne et des applications de la mimêsis divine : L’une, nous avions estimé que c’était l’espèce du Modèle, espèce intelligible et immuable ; la seconde, copie du Modèle sujette à la naissance et visible […] mais, maintenant, la suite de notre raisonnement semble nous contraindre à tenter de faire concevoir par nos paroles, cette troisième espèce, laquelle est difficile et obscure 24.

Nous étant assurés de cette théorie fondatrice du modèle et de la copie développant le scénario d’un là-bas idéal par rapport à un ici, objet parfait dans sa conception, mais où rodent dans l’oubli des ombres et des créatures corrompues. Nous reposons donc le principe d’un theatrum mundi étranger à l’imitation mais tourné vers la représentation qui recouvre un autre fondamental de l’activité spéculative et conceptuelle, c’est-à-dire la fonction créatrice du rendre visible l’invisible. Par l’utilisation de cette métaphore du theatrum mundi, nous allons mettre en scène les représentations propres à nos deux textes du codex I découvert près de Nag Hammadi et notre préoccupation essentielle sera de mettre en valeur le rôle de celles-ci dans ces

21. Au-delà de l’idée platonicienne de Bien et de Beau, nous rejoignons un principe qui s’identifie, peut-être, à l’Un, s’il ne s’identifie pas à Dieu. Nous renvoyons aux huit hypothèses du Parménide. 22. Platon, Timée 29a (trad. A. r iVauD). 23. Ibid. 30d. 24. Ibid. 48e-49a.

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? œuvres dédiées à la prédication et à l’enseignement de la doctrine valentinienne. Chemin faisant, nous mettrons en exergue le fait qu’être condamné à la scène du monde n’est pas qu’une illusion fatale mais aussi une voie possible dans la perspective de la rédemption et du salut. Le Livre des vivants Dans le cadre des deux textes valentiniens 25 de Nag Hammadi 26 nous allons attribuer à l’Évangile de la Vérité la fonction d’une partition qui servira de support en quelque sorte musical au déroulement narratif du Traité Tripartite. Il est vrai que devant la dimension poétique, voire lyrique de la langue de ces deux textes, nous sommes plus proches du contexte d’un opéra flamboyant d’images, de décors et de chants. Il n’en demeure pas moins que la scène est toujours présente et que la représentation peut commencer. En guise d’ouverture, la thématique de la Bonne Nouvelle irrigue entièrement le texte de l’Évangile de la Vérité. Du début à la fin, la parole s’avère comme une source rafraîchissante pour les âmes, elle apaise la soif des égarés et nourrit l’attente des éveillés : « Le nom de Bonne Nouvelle est la révélation de l’espoir, puisque, pour ceux qui sont à sa recherche, il signifie la découverte 27. » Elle se décline sur une grille d’accords qui s’égrènent comme les cailloux blancs du conte sur le chemin, signes et traces de la Parole. Elle répond aux messages de la prophétie ancienne. Elle éclaire comme un fanal les eaux sombres de la matière. Silencieux, inertes, tout autour, les vases 28 reposent, réceptacles de la Parole, ils se briseront sur ses résonances ou se rempliront de douceur : destruction, fêlure ou plénitude. Dès cette ouverture,

25. Au cours du iie siècle de notre ère, différents mouvements se sont écartés du courant principal de la doctrine chrétienne dit de la Grande Église. Deux d’entre eux ont profondément marqué le déroulement de l’histoire religieuse de cette période : celui de Marcion (85-160), réformateur des Écritures chassé de Rome en 144 et celui de son contemporain Valentin qui enseigna à Rome entre 135 et 160. Voir Irénée de Lyon qui, dans le livre I de son Contre les hérésies, réserve une large place à Valentin et ses disciples ; pour Marcion, lire chez le même hérésiologue, Contre les hérésies I,27,2-4. Pour le valentinisme, voir également E. thomassen, « Introduction », dans J.-p. m ahé – p.-h. poirier (dir.), Écrits gnostiques, p. xliii-lVii et E. thomassen, The Spiritual Seed, Leyde 2006. 26. Nous rappelons que la collection des treize codices de Nag Hammadi constituée de manuscrits en langue copte a été découverte en Égypte en 1945. Ceux-ci se trouvent aujourd’hui rassemblés au Musée du Caire. Les deux textes choisis appartiennent au codex I dit Codex Jung qui contient cinq textes, tous considérés comme relevant de la mouvance valentinienne. 27. Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 17,1-3 (trad. a. pasquier – e. thomassen). 28. La parabole des vases, Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 25,30-26,15, indique les différentes types de réception à la parole du Sauveur. Nous rappelons ici le mythe de Pandore dans Les travaux et les jours d’Hésiode, v. 90-98 (Hésiode, Les Travaux et les Jours – Bouclier, texte établi et traduit par P. m azon, Paris 1993 [19281]).

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Claudine Besset-Lamoine les trois notes fondamentales sont données pour l’auditoire, dessinant le mythe valentinien et établissant les piliers fondamentaux de la doctrine : le Père de la Vérité, la Parole et le Sauveur. Cette approche directe du thème de l’homélie par l’officiant ou le lecteur 29 établit la distinction entre ce qu’est l’œuvre du Père et l’annonce de la révélation. Dans un temps non défini et un lieu en suspension, l’hypothèse d’un espace d’attente prend ici toute sa force, comme si nous nous trouvions confrontés à une interrogation latente où, dans ce premier temps, la parole de l’officiant génère pour l’auditoire un espoir immense. Nous sommes confrontés à un véritable processus de gestation. Notre partition procède donc par enchâssements de différents moments, les uns mythiques, les autres parénétiques, didactiques ou liturgiques, mais le souffle de la parole comme le chatoiement lyrique des images ne se tarit jamais. Aussi, nous assistons à la mise en abyme d’événements, comme l’épisode de l’Erreur 30, par exemple. Avec l’apparition de ce masque, né de l’ignorance mais dont nous ne connaissons pas l’origine, la couleur et l’ambiance se modifient, la lumière se voile, nous entrons dans une aire de jeu cacophonique, elle aussi non vraiment située, qui s’oppose à celle de la Vérité et relève de l’illusion. Le mot-clef de la scène est « perturbation » : Puis la perturbation se figea à la manière d’un brouillard au point que nul ne put voir. De ce fait l’Erreur tira sa puissance. Elle se mit à œuvrer sur sa propre matière dans le vide, ignorante de la Vérité. Elle consista en une fiction, élaborant artificiellement avec puissance une alternative à la Vérité 31.

Cette fausse note de l’Erreur incluse dans notre récit naît, en somme, d’une interrogation légitime sur la nature du Père. Ses ramifications absurdes construisent un univers de pacotille dépourvu de racines au risque de mettre en danger la Parole révélatrice. Transposant ce thème de l’erreur, Irénée de Lyon le mit au service de sa réfutation ; pour lui, ce n’est pas seulement un égarement momentanément dissonant, c’est tout l’univers gnostique qui se voit en proie aux « esprits d’erreur 32 », ce qui les enferme dans une véritable

29. Ce texte tiré des codices découverts près de Nag Hammadi, comme le Traité Tripartite, sont anonymes et leurs titres attribués au moment de l’organisation des différents codices. Cependant, dans les deux cas, la situation en contexte montre bien qu’il s’agit d’un intervenant ou d’un officiant qui s’adresse à une communauté dans le cadre vraisemblable d’un ministère. 30. Cette personnification d’une idée abstraite entre dans le cadre des figures de style, ici la prosopopée. C’est le cas dans le Grand théâtre du monde de Pedro Calderón de la Barca où dans la distribution outre le Monde, nous rencontrons la Loi, la Sagesse, la Beauté. Plus près de notre texte, nous renvoyons à la Psychomachia de Prudence (348-405), poète chrétien, qui, dans une forme littéraire analogue à celle de l’Énéide de Virgile, développa, en langue latine, le combat des vices et des vertus personnifiées dans le champ clos de l’âme. 31. Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 17,10-20 (trad. a. pasquier – e. thomassen). 32. Irénée de Lyon, Contre les hérésies I,9,5.

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? pseudégoria. De ce fait, l’accès à la règle de vérité, selon ses dires, en devient impossible. Dans le déroulement rhapsodique de l’Évangile de la Vérité, il n’en est pas de même ; l’officiant revient sur les conséquences de l’enfermement dans les élucubrations fantomatiques façonnées par les mains de l’Erreur et de nouveau nous nous trouvons devant une mise en abyme d’un paysage cosmogonique qui relève, cette fois-ci, du cauchemar. Sur ce thème de l’Erreur, l’auditoire se voit confronté à une double variation, une narration qu’il peut percevoir comme extérieure d’une perturbation apocalyptique en marge du Plérôme 33 et, par un processus d’attraction, il se voit progressivement attiré vers le cœur de la perturbation et se voit lui-même tel qu’en un songe. Le concept du theatrum mundi use souvent du sommeil et du rêve pour décrire le rapport de l’acte de théâtre entre les spectateurs, la scène et l’acteur. Le théâtre de William Shakespeare offre plusieurs exemples frappants de ce que l’on pourrait assimiler au songe des valentiniens enfermés dans le piège de l’erreur : La vie n’est qu’une ombre qui marche, un piètre acteur qui se pavane et dissipe son temps sur la scène et puis on ne l’entend plus : c’est une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui n’a aucun sens 34.

Nous en arrivons cependant à une donnée essentielle, celle de l’ouverture à la connaissance, laquelle va profondément modifier les contours sombres du royaume lié à l’erreur et écarter la fatalité, tout au moins pour ceux qui auront su écouter le thème glorieux de la Bonne Nouvelle, toujours éternellement présent. Dans cette courte variation au caractère didactique, nous voyons comment les rêveurs subissent le tumulte des forces conjuguées des peurs et des passions :

33. Le Plérôme est un lieu à la fois hypothétique et mythique qui englobe, pour les gnostiques valentiniens, les Touts ou l’ensemble de ce qui relève de l’existence et de l’activité du Père. Dans la dialectique de la doctrine, il ne s’entend que par rapport à la Déficience, c’est-àdire le monde d’ici-bas comme il est rapporté, par exemple, dans le Dialogue du Sauveur, NH III, 5, p. 139,13-20 : « Les disciples lui dirent [au Sauveur] : “Qu’est-ce que le Plérôme et qu’est-ce que la déficience ?” Il leur dit : “Vous êtes issus du Plérôme et vous vous trouvez dans le lieu de la déficience” » (P. létourneau, « Dialogue du Sauveur (NH III, 5) », dans J.-p. m ahé – p.-h. poirier [dir.], Écrits gnostiques, p. 700). Ce couple Plérôme/Déficience se présente comme une déclinaison gnostique du modèle/copie platonicien. 34. Macbeth V, 5, v. 24-28 dans The Illustrated Stratford Shakespeare, Londres 1982, p. 795.

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Claudine Besset-Lamoine Tout comme si des gens s’étaient endormis et s’étaient retrouvés au milieu de rêves déroutants […] jusqu’au moment où se réveillent ceux qui sont passés par toutes ces choses. Ils ne voient rien, ceux qui se trouvaient pris dans toutes ces affaires déconcertantes puisqu’elles n’étaient rien 35.

L’Évangile de la Vérité condamne ainsi à la disparition les éphémères et tristes fabrications de l’Erreur qui, semblables au tissu inconsistant du rêve, n’ont en réalité aucune existence : constater cette absence en ouvre-t-il pour autant les portes et les fenêtres de la connaissance pour les rêveurs ? En contrepoint, ceux qui échappent à la fatalité de l’Erreur ne sont plus des rêveurs mais des éveillés, « ils ont su eux-mêmes écarter l’ignorance 36 » et ce faisant ont détourné les nuées qui voilaient la lumière. Au réveil, leur cœur répondait au chant de la connaissance. L’officiant va alors remonter le temps pour son auditoire et, dans ce deuxième mouvement de la partition, révéler la vision merveilleuse du « Livre vivant des vivants 37 » ! De nouveau, un autre pan du mythe valentinien induit un thème important dans le cours du texte développant une représentation de type prophétique du temps d’avant le temps, où la voix divine se répercutait dans les cieux, ébranlait les montagnes et répandait le feu révélateur. Cette métaphore du livre qui joue sur différentes significations et symboles change la dimension de l’homélie, elle s’empare de tout l’espace disponible et offre à l’auditoire la magie du mystère et du merveilleux de l’apocalyptique, suscitant des émotions profondes, comme pourrait le faire la vision d’Ézéchiel : « Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner. » Je regardais : une main était tendue vers moi, tenant un volume roulé. Il [Yahvé] le déploya devant moi : il était écrit au recto et au verso ; il y était écrit : « Lamentations, gémissements et plaintes ». Il me dit : « Fils d’homme, ce qui t’est présenté, mange-le ; mange ce volume et va parler à la maison d’Israël. » J’ouvris la bouche et il me fit manger le volume, et il me dit ; « Fils d’homme, nourris-toi et rassasie-toi de ce volume que je te donne. » Je le mangeai et il fut dans ma bouche doux comme du miel 38.

35. Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 29,9-10 et p. 29,25-30 (trad. a. pasquier – e. thomassen). Nous rappelons ici Gn 2,7 : « Il [Dieu] insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. » 36. Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 29,34 (trad. a. pasquier – e. thomassen). 37. Ibid., p. 29,35. Nous trouvons chez Platon dans un autre contexte, cet usage des expressions « le vivant » et « les vivants » dans le Timée 30 d : « Un être parfait en tout, un vivant unique, visible, ayant à l’intérieur de lui-même tous les vivants qui sont par nature de même sorte que lui » (trad. A. r iVauD). Nous renvoyons également à Apocalypse 1,17 ; 4,7 ; 5,6 sur les quatre vivants. 38. Éz 2,3 (trad. dans La Sainte Bible, Paris 1956, p. 1140). D’autres références au Livre existent tant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau Testament, comme par exemple, Ps 69 (68),29 : « Qu’ils soient rayés du livre de vie, retranchés du compte des justes » (trad. : La Sainte Bible, p. 718) ou bien, Apocalypse 3,8 : « Le vainqueur sera revêtu de blanc ; et

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? Le Livre est chez Ézéchiel à la fois nourriture et message, mais il peut être aussi mémoire des noms des prédestinés ou des condamnés du Jugement Dernier comme dans l’Apocalypse de Jean. Il peut également être scellé comme chez Isaïe, ou bien ouvert comme chez Daniel, laissant à celui qui a le désir de lire et d’apprendre un accès à la connaissance et de ce fait au salut. Dans l’Évangile de la Vérité, il est à la fois somme de l’univers divin, message porteur de la Parole et liste des noms des prédestinés. Le largo de la procession majestueuse du Livre répond au dessein du Père, il l’a écrit pour qu’il soit lu ! Il égrène les notes joyeuses de l’encyclopédie divine loin des consonnes et voyelles discordantes du discours : « Et chaque lettre représente un savoir complet, à la manière d’un livre complet, car ce sont des lettres qui furent écrites dans l’unité 39. » Marc le Mage, disciple de Valentin, offre, un long développement sur « l’océan de lettres de l’Élément par excellence 40 » et conjugue dans cette élaboration alphabétique de l’univers, les caractères, les traits, les images et les résonances de ces lettres/ éléments dans sa grammatologie métaphysique 41. Dans notre partition valentinienne, les variations du thème central de la Bonne Nouvelle : le Père de la Vérité, la Parole et le Sauveur nous ont conduits jusqu’à la vision du Livre des Vivants qui va être la clef de la rédemption dans sa dernière représentation symbolique, c’est-à-dire celle de la passion de Jésus : Ainsi Jésus est-il apparu, il s’enroula dans ce livre, il fut cloué au bois et afficha le testament du Père sur la croix. Ô que de grandeur dans un tel enseignement : alors qu’il condescend à la mort, la vie éternelle le revêt 42.

Si le Livre vivant des vivants joue bien le rôle d’intermédiaire symbolique et de support de l’absorption du monde du visible par celui de l’invisible dans un processus de digestion spirituelle, alors il justifie ce processus qui

39. 40.

41. 42.

son nom, je ne l’effacerai pas du livre de vie, mais j’en répondrai en présence de mon Père et de ses Anges » (trad. : La Sainte Bible, p. 1623). Le texte apocryphe de I Hénoch 47,3 témoigne aussi de cette mention du Livre : « Dans ce temps, je vis l’Ancien des jours assis sur le trône de sa gloire. Le livre de la vie était ouvert devant lui, et toutes les puissances du ciel se tinrent debout devant lui et autour de lui » (trad. F. m azière, dans Le Livre d’Hénoch, Paris 1975, p. 64). Voir le commentaire d’Einar Thomassen dans Évangile de la vérité, NH I, 3, p. 59 (trad. a. pasquier – e. thomassen). Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 23,10-15 (trad. a. pasquier – e. thomassen). Contre les hérésies I,14,2. Irénée de Lyon rend compte de manière détaillée de cette grammatologie/numérologie où cette combinatoire se résume à la fois dans le Nom et dans l’Unité qui s’exprime dans la résonance unique de l’Amen. Voir aussi Contre les hérésies I,14 et 16. Marsanès, NH X, p. 26,18-32,7, offre également un long développement sur ce thème alphabétique et les trois figures vocaliques de l’âme : voir J. D. turner, « Marsanès (NH X) », dans J.-p. m ahé – p.-h. poirier (dir.), Écrits gnostiques, p. 1453-1456. Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 20,24-31 (trad. a. pasquier – e. thomassen). Sur le livre, nous renvoyons à Apocalypse 5,1-5 : « Un livre roulé, écrit au recto et au verso, et scellé de sept sceaux » (trad. : La Sainte Bible, p. 1625).

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Claudine Besset-Lamoine nous conduit à l’équation selon laquelle le Fils, c’est le Nom du père, invoquer son « Nom », c’est répondre à son appel, répondre à son appel, c’est « écarter l’ignorance » et donc la mort. Ceci explique l’extraordinaire polyphonie de l’invocation du Nom qui clôt le texte de l’Évangile de la Vérité, où nous pouvons esquisser les contours d’une litanie suggérée par la scansion répétitive de certains motifs : « Le nom du Père est le Fils » ; « Le Nom est sien, le Fils est sien ; « C’est le Père, son Nom est le Fils » ; « Ainsi comme le Nom est grand ! » ; « C’est en effet le Nom » ; « Celui-ci est le Nom propre 43. » Logos et cosmos Spectateur de lui-même, le Père, n’est qu’un point dans une aire sans confins animée des courants d’énergie de l’autogenèse. La volonté au bout de ses mains projette des mondes face à lui, ineffables miroirs de lui-même. Il réside dans « sa sphère de gloire parfaite 44 ». De ces mondes va émerger un récit fondateur (dont il a préfiguré la trame, l’intrigue et les personnages) et qui nous conduira jusqu’au salut de l’homme : « C’est ainsi que le Verbe du Père fait route au sein du Tout, fruit de sa réflexion et empreinte de sa volonté 45. » La structure et le contenu du Traité Tripartite justifient pleinement notre idée avancée plus haut de la mise en action et en scène d’une partition valentinienne rigoureusement ordonnée dans le souci, certes, de la présentation dogmatique d’un système qui, nous l’avons déjà constaté, s’avère à la fois informé et raffiné dans le domaine de la réflexion, mais aussi dans le développement des représentations 46 au service de l’objectif didactique qui est sa mission. Nous rassemblons de nouveau les éléments essentiels qui font, à nos yeux, l’efficacité de cette application de la métaphore du theatrum mundi pour la mise en valeur de l’organon de la doctrine valentinienne. Par contraste avec le genre littéraire de l’Évangile de la Vérité qui se déroule de manière rhapsodique, nous disposons dans le Traité Tripartite d’une histoire ou intrigue, de personnages et de plusieurs espaces de jeu investis de décors différents voulus par un auteur qui, comme dans le Grand théâtre du monde de Pedro Calderón de la Barca, n’est rien moins que le Père de l’Univers. Incidemment, si nous

43. Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 38,8-40,14 (trad. a. pasquier – e. thomassen). Cette partie du texte témoigne d’une réflexion intellectuelle et théologique très sophistiquée. 44. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 76,22 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 45. Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 23,34-24,3 (trad. a. pasquier – e. thomassen). 46. Nous avons rédigé un Mémoire de Diplôme sous la direction de Jean-Daniel Dubois à l’École pratique des hautes études, intitulé « Les représentations dans le Traité Tripartite (NH I, 5). Du Père transcendant à la naissance de l’homme. Les fonctions des représentations et leurs rôles dans la cosmogénèse, l’anthropogenèse et la doctrine du salut ». La soutenance eut lieu avec succès en Sorbonne le samedi 17 octobre 2015, avec le jury suivant : Philippe Hoffmann, Paul-Hubert Poirier, Einar Thomassen et Jean-Daniel Dubois.

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? avons rapproché, anachroniquement, ces œuvres littéraires distantes de quelques siècles c’est qu’elles utilisent toutes deux la scène du monde comme un lieu d’illusion, la pièce baroque espagnole témoignant de la perduration de ce que nous dénommons les formes lentes de la représentation. De plus, ce sont deux textes religieux, l’un dédié au sacrement de l’eucharistie, l’autre à la rédemption ; tous deux s’appuient sur les Écritures et font force de loi dans le domaine de la dogmatique qui leur est spécifique. La religion est, par définition, une représentation du monde dont les effets dus au dispositif théâtral amplifient le sens comme pour toute forme littéraire ouverte au public. En appliquant maintenant cet outil d’analyse qu’est le theatrum mundi au texte du Traité Tripartite, nous témoignons de ce qu’il est à la fois une métaphore explicative du monde, mais aussi une illustration de l’éternel présent du message religieux. Cet ample spectacle métaphysique que nous propose le traité valentinien de Nag Hammadi se joue donc à l’échelle de l’univers 47. Quel est donc la vision du monde qu’il représente et nous transmet dans une perspective eschatologique : le monde ne se résume-t-il qu’à quelques planches sur des tréteaux où les hommes errent sous le regard désabusé d’un deus ex machina en attente du processus prévu de toute éternité du Jugement Dernier ? Nous pourrions inscrire le Traité Tripartite dans un dispositif scénique de trois plateaux superposés et pivotants, en subdivisant le texte en lieux et en actions importantes, sans perdre de vue la globalité de l’ensemble, car jamais à aucun moment le texte ne laisse oublier l’omniprésence du Père. Sur le plus élevé résiderait le Père dans une sphère de verre dont seule la luminosité insoutenable suggérerait une trace de sa présence, autour de lui régnerait la palpitation organique de l’univers pléromatique. Nul dialogue ne se déroule entre lui-même et le Monde comme dans la pièce de Pedro Calderón de la Barca, car ici le Père n’existe que par le processus des hymnes et des louanges qui s’élèvent vers lui. Sur le deuxième plateau résiderait tout l’apparat intermédiaire qui va de la saga du Logos à l’industrie du Démiurge gnostique 48, ouvrier du cosmos. Enfin, sur le troisième plateau évolueraient les habitants du Monde. Pour aboutir donc à la geste qui se déroule sur le troisième plateau, il faut suivre le fil narratif qui se faufile au travers des représentations de ce que nous appellerions volontiers le « donné à voir du traité valentinien ». De plus, il faut s’assurer dans quelle mesure ce troisième plateau scénique, lieu d’iniquité en apparence, se constitue bien en copie du modèle divin : « Car le Modèle est être de toute éternité, et le Ciel, au contraire, depuis le début et dans

47. La topographie céleste et terrestre du Traité Tripartite est le reflet de ses contingences religieuses. Le terme de sphère y est mentionné deux fois : Traité Tripartite, NH I, 5, p. 76,22 et p. 98,36, mais plutôt utilisé dans un sens figuré et symbolique. 48. Nous utilisons le terme de gnostique de manière générale en tant qu’appartenant à la catégorie du gnosticisme historique cf. M. tarDieu – J.-D. DuBois, Introduction à la littérature gnostique, t. I, Paris 1986, p. 23-37.

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Claudine Besset-Lamoine toute la suite de la durée, a été, est et sera 49 », selon le modèle platonicien. En effet, le Traité Tripartite procède par un échelonnement de nombreuses duplications avant d’aboutir au lieu d’ici-bas investi par la matière. Nous sommes loin de l’argumentation raisonnée et rigoureuse du Timée, même si des rapprochements peuvent être faits, comme celui qui concerne l’entité démiurgique, par exemple, chargée, dans les deux textes d’œuvrer à la fabrique du Cosmos. En réalité tout se déroule dans le cadre d’une triple démiurgie qui se manifeste par des théophanies successives. La première se déroule sous l’égide du Fils : nous sommes alors dans l’aire où le Père se meut sans se mouvoir, nous sommes en mesure, tout au plus, de percevoir des ondes de forme dues à la mise en action de sa dynamis. Il s’agit d’une duplication très subtile, de même qu’un acteur seul en scène se crée lui-même et crée du vivant par le simple fait de sa présence face à un auditoire, de même le Père se crée luimême dans le Fils : « Dès qu’il y a un Père en effet, il s’ensuit qu’il y a un Fils 50. » Plotin procède de manière analogue pour ce qui est de l’Un et de l’Intellect qu’il considère comme « la première image qui s’est manifestée 51 » et il poursuit : « Parce qu’il voit en se tournant vers lui-même ; et cette vision est l’intelligence 52. » Nous retrouvons cette intimité d’essence entre le Père et le Fils dans la protologie du Traité Tripartite : « Car c’est lui-même, véritablement qu’il engendre comme ineffable, de sorte que c’est une auto-génération, lui se concevant 53. » Les deux traités s’appuient de manière analogue sur la métaphore du soleil et de son rayonnement pour illustrer cette gémellité : « Celui donc qui de lui s’est levé se déployant en vue de l’engendrement et de la connaissance des Touts 54 », l’Intellect de Plotin, pour sa part, rayonne autour de l’Un et le Fils, dans le traité gnostique « se déploie » comme le soleil, en expansion, dans sa course diurne. L’aire autour du Père se peuple de sa progéniture dans une sorte d’abondance orgastique qui se déploie en une prolifération d’éons 55 qui eux-mêmes se dupliquent à leur tour dans le même climat de joie et d’abondance et dans une identité d’essence avec le Père : « Car ils sont ineffables, et ils sont au-dessus

49. Platon, Timée 38c (trad. A. r iVauD). 50. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 51,14-15 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 51. Plotin, Traité 10 (V 1), 6,14-15, traduit par É. Bréhier (dans Plotin, Ennéades, t. V, texte établi et traduit par É. Bréhier, Paris 1968, p. 22). Plotin (Traité 10 [V 1], 6,12) privilégie le terme d’agalma qui correspond à « image » mais aussi à « statue » quand il évoque l’Un dans son « sanctuaire intérieur ». 52. Plotin, Traité 10 (V 1), 7,5-6 (trad. É. Bréhier). 53. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 56,1-6 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 54. Ibid., p. 66,5-8. Le texte de Plotin dit : « Un rayonnement qui vient de lui, de lui qui reste immobile, comme la lumière resplendissante qui environne le soleil » (Traité 10 [V 1], 6,28-29, trad. É. Bréhier). 55. Entités nées du Père, effluences, émanations.

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? de tout nom, ils sont inconcevables 56. » Les éons constituent le système du Plérôme sous l’égide du Père, du Fils et de l’Église spirituelle, constituant en une trilogie le premier paradigme fondateur. C’est pourtant dans ce monde bienheureux qui se plait au chant dans l’unité que la première fausse note va se produire et résonner. Le jeune éon Logos 57 dans sa soif de connaître le Père s’élance, mais à l’intérieur de lui-même se produit une division, une fissure dans laquelle l’Erreur – figure déjà rencontrée dans l’Évangile de la Vérité – va se glisser. Elle aura beau jeu dès lors d’installer ses propres fantasmagories dans un univers bien à elle. Dans le contexte du Traité Tripartite, nous abordons ensuite le deuxième temps où l’éon Logos se voit condamné à se reproduire au sein d’un monde de simulacres rejeté hors des limites du Plérôme, la copie s’avère médiocre, avide de pouvoir et traversée de courants de violence : Or, ceux qui sont issus de la pensée présomptueuse ressemblent aux plérômes dont ils sont les imitations, mais ils sont simulacres, ombres et illusions vides de logos et de lumière, ceux qui appartiennent à la vaine pensée n’étant né de personne. C’est pourquoi aussi leur fin sera comme leur commencement : à partir de ce qui n’existait pas, ils retourneront à ce qui n’existera pas. Mais à leurs propres yeux, ils sont grands et puissants et plus beaux que les noms qui les parent, dont ils sont les ombres, rendues belles par imitation 58.

Dans le déroulement du texte, nous prenons part à une mise en abyme de cet événement déterminant qui acquiert un mouvement autonome irrésistible dont les péripéties nous conduiront vers les conditions possibles d’une rédemption heureuse. Une des données essentielles de cette ouverture vers le salut réside d’une part dans l’immense bonté du Père qui accorde la grâce de l’accès à sa connaissance et d’autre part, dans le cadre de son dessein préétabli que rien d’étranger ne saurait remettre en cause ; autant il a prévu les obstacles et les souffrances sur le chemin, autant il a offert la chance de les racheter 59.

56. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 59,20-22 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 57. Dans le mythe valentinien tel qu’il est relaté par Irénée de Lyon, dans le contexte de la mouvance ptoléméenne, l’héroïne est un personnage féminin, Sophia : « Mais le dernier et le plus jeune Éon de la Dodécade émise par l’Homme et l’Église, c’est-à-dire Sagesse, bondit violemment et subit une passion [une recherche du Père] en dehors de l’étreinte de son conjoint Thélétos » (Irénée de Lyon, Contre les hérésies I,2,2). Dans ce système valentinien, le panthéon des éons fonctionne selon une arithmétique : tétrade, ogdoade et dodécade, où les éons sont organisés en syzygie. 58. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 78,28-79,10 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 59. Il est impossible, dans le cadre de cet article, de décrire la complexité que prennent les formes du salut dans le système valentinien telles que présentées dans le traité et les trois catégories concernées, à savoir, les spirituels, les psychiques et les hyliques. Nous mettons ici l’accent sur le processus d’ensemble dans le cadre de la thématique modèle/copie inscrite dans la métaphore du theatrum mundi.

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Claudine Besset-Lamoine Le modèle de ce sauvetage métaphysique s’applique en quelque sorte à la restauration de l’éon Logos dans son unité pléromatique qui seule lui permettra d’accomplir la mission à lui confiée par le Père, à savoir l’aptitude à dupliquer et à générer « la représentation du Père ». En lui repose la réminiscence du Plérôme qui va l’amener à la conversion, c’est-à-dire à se re-tourner vers le Bien. Dans ce lieu-là reposent les forces divines qui détiennent les clefs du salut qui le concerne, elles se manifestent par la venue vers lui du « Fils du bon plaisir des Touts 60 » à la fois sauveur et rédempteur. Nous avons au niveau de notre deuxième plateau scénique une reconstitution progressive d’une harmonie analogue à celle qui existe dans le Plérôme après la mise en ordre des forces de l’Erreur. Sous l’égide du Sauveur, l’éon Logos recouvre sa plénitude : « Il s’est manifesté à l’intérieur de lui, étant avec lui, partageant sa souffrance, lui donnant peu à peu le repos, le faisant croître, l’élevant, se donnant enfin à lui afin qu’il se réjouisse à sa vue 61. » Cet enseignement proche d’une initiation se présente également comme une modélisation à la fois pour l’enseignement qui se déroulera dans le monde de l’anthropogonie, mais aussi et surtout pour l’auditoire qui y trouve un modèle de comportement. La mission du Fils, dans le cadre de cette première démiurgie, n’est pas uniquement thérapeutique, en vérité il intervient comme une véritable machine de guerre accompagné d’une escorte royale d’éons : « Elle apparut sous une forme multiple, afin que celui qu’elle allait aider voit ceux dont il avait imploré le secours et qu’il voit également celui qui le lui avait apporté 62. » En conséquence, la force divine du Fils procède à la mise en ordre de ce lieu des imitations malencontreusement générées par la faiblesse de l’éon Logos ; elle repousse les forces rebelles vers le chaos et établit une hiérarchie où les forces d’assistance au service de ce dernier, ceux du souvenir, les ressemblances, contrôlent par anticipation la Ténèbre, toujours dans le cadre du dessein du Père. Du fait de cette perfection recouvrée de l’éon Logos, lui est restituée sa fonction reproductrice essentielle et toujours au niveau intermédiaire de notre second plateau scénique : « Il engendra les images visibles des figures vivantes 63 », qui viennent à l’existence en contraste flagrant avec les misérables copies du lieu abandonné, à savoir les des simulacres en errance, décimés par l’intervention sans appel du Fils.

60. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 87,1 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 61. Ibid., p. 90,4-10. 62. Ibid., p. 87,26-31. Jean-Daniel Dubois au cours de son séminaire « Gnose et Manichéisme » à l’École pratique des hautes études (2000-2001), a suggéré, ici, un possible rapprochement avec le char de Yahvé et ses roues multidirectionnelles dans Ézéchiel 1,15-21. 63. Ibid., p. 90, 31-32. Nous rappelons ici la mention du Livre des vivants dans l’Évangile de la Vérité, NH I, 3, p. 29, cité plus haut.

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? À partir de cette conversion significative de la victoire de l’unicité sur le multiple, le Logos en pleine possession de ses facultés et détenteur de l’accord du Père devient le maître d’œuvre de la prochaine duplication : « Or le Logos reçut aussitôt tout d’une fois toute chose, ce qui préexiste, ce qui existe maintenant, et ce qui existera puisqu’il a été chargé de l’économie de tout ce qui existe 64. » Cette relation modèle/copie par l’intermédiaire de la mission divine du Logos, n’est pas simplement une relation statique terme à terme, elle contient implicitement la dynamis du Père sans laquelle nous ne serions que confrontés à un ensemble de duplicatas passifs et stériles. En conséquence, le processus de reproduction du monde détient en lui-même et dispose de la promesse et du secret de la révélation. La seconde démiurgie, celle du Logos, procède de nouveau par une mise en ordre ; il s’agit de la mise en place d’une véritable cité idéale où règne une stricte hiérarchie, dans les lieux, dans les êtres et dans les fonctions : « Comme principe, cause et maître de ce qui est venu à l’existence à la manière du Père 65 ». L’étagement de l’établissement de l’éon Logos va donc répondre au strict organigramme du dessein du Père, qui une fois de plus, se décline comme un feuilletage de couches superposées, séparés par des limites significatives. L’éon Logos va se montrer attentif à préserver, en premier lieu, « les images » de toute pollution des ordres inférieurs qui eux-mêmes se verront établis à l’intérieur de frontières issues d’un rapport de supérieur à subordonné. La notion clef de contrôle et de commandement préside à cet établissement, mais il s’en dégage toutefois une harmonie rigoureuse, qui est, à nos yeux, souvent, la marque des traités valentiniens. La dernière étape du processus de duplication s’illustre dans la création du cosmos, une copie de toute beauté, elle aussi, due au génie inspiré du Logos. C’est alors que la figure du démiurge 66 apparaît : il est en tous points le sosie, la représentation du « Père des Touts ». Cependant, relevant lui aussi d’un niveau intermédiaire, c’est-à-dire celui du lieu des psychiques, il est l’instrument du Logos. En tant que telle, sa liberté d’action est toute relative sinon que lui-même n’en a aucune conscience et qu’il crée à loisir dans la joie la plus totale, marquant de son sceau tous les objets nés de sa création. La représentation de cette copie dans le Traité Tripartite a tout le caractère d’un monde utopique guidé par une muse unique, représentative d’une beauté hiérarchisée, ordonnée et, disons-le, joyeuse, enfin, tant que la matière n’est pas intervenue !

64. Ibid., p. 95,17-22 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 65. Ibid., p. 96,18-21. 66. Le démiurge valentinien offre une combinatoire qui associe la figure du dieu de l’Ancien Testament et celle de l’artisan divin du Timée.

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Claudine Besset-Lamoine Conclusion : La matière du monde Avec l’annonce : « Or la matière qui est fluente en sa forme 67 », la réalité lumineuse de la sphère du Père est devenue opaque. La matière semblable à la brume de l’Erreur ou au « voile noir 68 » dont le personnage du Monde dans le texte de Pedro Calderón de la Barca recouvre son dispositif scénique va rendre les choses bien difficiles pour les créatures du monde d’ici-bas. Désormais la scène se déroule sur le dernier plateau et elle n’est guère différente dans le Traité Tripartite de celles évoquées dans les textes précédents. Le bruit et la fureur se sont substitués aux louanges harmonieuses des éons et à l’action de grâces du Logos, car nous avons pénétré dans l’univers du « multiforme » : serpent du paradis, controverses des philosophes, cacophonie des prophètes et des docteurs de la loi. Cependant, dans ce monde voué à la transgression où l’ignorance s’assimile à la mort, il y a la semence de la promesse, il y a l’annonce prophétique du Sauveur et la joie d’accueillir la parole. L’homme est une créature mixte, en son for intérieur repose l’invisible et en conséquence l’accès à un enseignement de la promesse, c’est cette découverte qui devient la clef d’une possible rédemption 69, c’est-à-dire d’un retour vers le Plérôme et l’Un. De même que le Sauveur a patiemment restauré le Logos affaibli dans son intégrité, de même les membres de la communauté ont besoin : […] d’une école telle qu’il s’en trouve dans les stations pourvues de manière à ce qu’elles reçoivent par elles la ressemblance des images et des archétypes sous la forme d’un miroir jusqu’à ce que tous les membres du corps de l’Église soient réunis et reçoivent ensemble le rétablissement 70.

Ainsi se trouve exprimée la dernière duplication du système, synthèse des démiurgies constituantes, où l’enseignement se fait à l’image de la création du cosmos et où le theatrum mundi loin de n’être qu’une illusion misérable est le lieu même de l’exercice du salut : « Car, disent-ils, toutes les choses d’ici-bas sont les figures de celles d’en haut 71. »Valentin lui-même ne nous dit-il pas : Autant l’image est inférieure au visage vivant, autant le monde est inférieur à l’Éon vivant. Quelle a donc été la cause de l’image ? La majesté du visage lequel a fourni au peintre la modèle, afin que l’image soit honorée du nom du modèle. Car la beauté ne s’est pas trouvée authentiquement dans l’image mais

67. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 104,4 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 68. Le Grand théâtre du monde, v. 83-84 : « Je garderai sous un voile noir tout le plateau couvert et bien caché : qu’il soit un chaos où les matériaux se confondent » (trad. F. BonFils). 69. C’est le Sauveur incarné qui résume et symbolise dans le monde d’ici-bas la rédemption. 70. Traité Tripartite, NH I, 5, p. 123,12-19 (trad. L. painchauD – E. thomassen). 71. Irénée, Contre les hérésies I,7,2.

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Le Théâtre du Monde : illusion ou rédemption ? c’est le Nom qui a rempli de sa plénitude ce qui était déficient dans l’objet façonné. Et ce qu’il y a d’invisible en Dieu contribue aussi à accréditer l’objet façonné 72.

Annexe Nous avons jugé utile et intéressant de proposer en annexe un extrait du Grand théâtre du monde de Pedro Calderón de la Barca, illustrant combien, au-delà des siècles, dans ce dialogue entre le ciel et la terre, les mêmes questions et les mêmes thématiques perdurent dans ce contexte religieux. L’équation modèle/copie en formant l’ossature : cet archétype lie étroitement le salut de l’homme à cette grande forme éternelle qu’il ne peut conquérir ou mériter qu’au travers des vicissitudes auxquelles le condamne l’erreur. La pratique des vertus, pour le croyant comme pour le philosophe, façonne patiemment le chemin qui donne l’accès aux hauteurs célestes. La représentation de ce dispositif complexe amplifie, dans les textes cités, la réalité des enjeux encourus. Pedro Calderón de la Barca, dans un contexte tout à fait institutionnel, les met en scène. Voici l’extrait du Grand théâtre du monde de Pedro Calderón de la Barca : L’Auteur, c’est-à-dire le créateur, convoque le Monde afin de lui communiquer son dessein de réaliser une pièce de théâtre en vue d’une représentation. Le titre en sera : Agir bien, car Dieu est Dieu [Obrar bien, que Dios es Dios] 73 : Le Monde : Qui m’appelle, et du noyau insensible de cette sphère qui me cache, d’ailes rapides me revêt ? Qui m’arrache à moi-même ? Qui me lance des cris ? L’Auteur : C’est ton Auteur souverain. Un soupir de ma voix, un signe de ma main t’informent, et à ton obscure matière ils donnent forme. Le Monde : Eh bien ! Que m’ordonnes-tu ? Que me veux-tu ? L’Auteur : Puisque je suis ton Auteur, et toi ma créature, aujourd’hui, je veux soumettre à ton approbation la réalisation de l’un de mes desseins. Je veux donner une fête en l’honneur de mon propre pouvoir, car je sais que la vaste nature n’en donnera que pour l’ostentation de ma grandeur. Et comme une représentation bien applaudie est ce qui a toujours le mieux réjoui, le mieux plu, et que la vie humaine est une représentation, je veux que ce soit une pièce de théâtre que le ciel puisse voir aujourd’hui sur ton théâtre. Si je suis l’auteur, et si la fête est mienne, ma compagnie forcément la jouera. Et puisque j’ai choisi les hommes pour les premiers rôles et qu’ils sont les acteurs de ma compagnie, c’est à eux qu’il revient, sur le théâtre du monde, qui contient

72. Valentin, Fragment 5, dans Clément d’Alexandrie, Stromate IV, 89,6–90,1 (trad. C. monDésert, dans Clément d’Alexandrie, Stromates, t. IV, éd. A. Van Den hoeK, trad. C. monDésert, Paris 2001, p. 204-205). 73. Le Grand théâtre du monde, v. 438 (trad. F. BonFils). Ce titre reprend Ex 3,13-15 ; voir F. BonFils, dans Pedro Calderón de la Barca, Le Grand théâtre du monde, p. 92, n. 1.

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Claudine Besset-Lamoine quatre parties, de jouer avec le style qui convient. Je donnerai à chacun le rôle qu’il lui faut. Et pour qu’en cette fête le bel apparat des machines et la richesse des costumes jouent le même rôle, je veux aujourd’hui que, par moi préparé, joyeux, libéral et charmant, tu fasses des décors qui de douteux qu’ils sont passent pour certitudes. Nous serons, moi l’auteur, en un instant, toi, le théâtre, et l’homme, le récitant. Le Monde : Auteur généreux de mon être, dont le pouvoir, dont la voix soumettent toutes choses, je serai, moi, le grand théâtre du monde, afin que les hommes puissent jouer sur moi la comédie 74.

74. Le Grand théâtre du monde, v. 26-72 (trad. F. BonFils). L’organisation du texte en vers n’a pas été conservée.

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- II -

L’Église manichéenne et la réception des écrits manichéens

SECRETS OF HEAVEN: MANICHAEAN COSMOLOGY IN ITS LATE ANTIQUE CONTEXT Jason David BeDuhn Northern Arizona University [email protected]

In attempting to characterize or summarize the Manichaean religion, researchers have frequently related it to better known traditions, portraying it as an outgrowth of one or another antecedent tradition, and to some degree more understandable in light of its essential relation to such an antecedent tradition. The history of research shows a succession of favored explanatory contexts for Manichaeism, its cosmogonic myth, and its cosmological construct: Buddhism, native Mesopotamian religion, Zoroastrianism or Iranian religion more broadly, and Christianity either generally or specifically in its “gnostic” form. Some of these proposed associations suffer from anachronism, however, since religions such as Christianity, Zoroastrianism, and even Buddhism were still undergoing formation at the time that Manichaeism joined them as a peer emergent entity. The difficulty of sorting out antecedence and dependence among these contemporaneous traditions plagued the Religionsgeschichtliche Schule, and led to its demise as an interpretive movement within the comparative study of religions. This interpretive debacle has left a great deal of unfinished business in the study of the Manichaean conception of the cosmos in relation to its historical and cultural context. There has been less attention than might be imagined to trying to discern the precise cultural conditions in which Mani himself produced the distinctive Manichaean cosmogonic narrative and cosmological model, chiefly within third century Mesopotamia. The rediscovery of ancient Mesopotamian literature starting in the second half of the nineteenth century unveiled the degree to which Manichaean cosmogonic and cosmological themes could be traced back to native Babylonian sources. 1 Yet, the “doctor from Babylon” who

1.

See the review of this phase of Manichaean research in J. r ies, Les Études manichéennes, Leuven 1988, pp. 81–92.

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Jason David BeDuhn introduced “the last significant outburst of mythological thought in the world of antiquity” 2 lived in a Mesopotamia massively transformed in the centuries that preceded him by immigration and cultural colonialism. In order to situate Manichaean cosmology more fully in its late antique Mesopotamian context, it is necessary to consider as well mythologies belonging to the non-native Hellenic, Jewish, and Christian traditions that we have good reason to think had infiltrated Mesopotamian religious culture from the west. It is not my intention to deny originality to Mani’s mythopoesis; Mani speaks of visionary experiences, and we must not disregard the importance of these experiences for his authority and the creativity of his discourse. 3 Yet psychologizing Mani’s myth offers only a fruitless exercise in speculation. Instead, we need to give due regard to the fact that Mani did not consider his visions as sui generis, but as confirmations and clarifications of the visions of prior messengers of God preserved in the cultural traditions around him in West Asia. Mani famously proclaimed his interest in and affirmation of prior religious traditions: The writings, wisdom, revelations, parables, and psalms of the earlier churches are from every place collected, brought back to my church, and joined to the wisdom which I have revealed to you. As a river is joined to another river to form a powerful current, just so are the ancient books joined in my writings, and form one great wisdom such as has not existed in preceding generations. 4

Mani, then, had a self-conscious interest in the existing religious cultures of his world, and openly affirmed them in a kind of “comparative religion” project in his own late antique world, examining and comparing the distinct traditions around him for common elements he could attribute to a primordial ur-myth. Although it is readily recognized that the Manichaean mission underwent rapid assimilation of new regional elements as it spread, we need to avoid too sharp of a contrast between this development and the conditions in which the religion originated, as if it arose in a singular, monolithic culture with only one antecedent religious context. Mani came to maturity as a cultural interpreter and innovator in a multicultural environment. Among the intriguing data from the ipsissima verba of Mani himself indicative of a cosmopolitan Mesopotamian culture linked to the west would be the following: (1) Greek terminology apparently used by Mani himself in his Syriac compositions,

2. 3. 4.

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s. stroumsa – G. G. stroumsa, “Aspects of Anti-Manichaean Polemic in Late Antiquity and Under Early Islam,” Harvard Theological Review 81 (1988), pp. 37–58 (p. 40). Of course, it is possible that Mani had no visionary experiences at all, and simply adopted visionary rhetoric as an established conveyance of religio-cultural innovation. Kephalaion 151, 372.11–19; W.-p. FunK, Kephalaia I, Hälfte 2, Lfg. 15/16, Stuttgart 2000, p. 372; the translation is my own.

Manichaean Cosmology in its Late Antique Context including titles of his books (Evangelion, Pragmateia), and vocabulary such as hyle, bōlos, archon, hypodektai, etc.; 5 (2) familiarity with characters and motifs of Greek literary traditions, such as the sage Anacharsis; (3) figures in Manichaean myth apparently modeled on Hellenistic artistic models, such as the “Supporter” (sabbālā), i.e., Atlas; 6 (4) Mani’s apparent direct knowledge of Jewish literature and traditions, such as the books of Enoch; (5) his knowledge as well of Christian literature produced across the border in the Roman Empire, including the Diatessaron, the Letters of Paul, and some writings of Bardaisan of Edessa. In the following pages, I will explore how these three continuums of religious culture—Hellenic, Jewish, and Christian—intersected in providing part of the context for Mani’s cosmogonic and cosmological formulations. Out of several interesting points of comparison, I will review three: the primordial combat of the gods against monstrous opponents, the conception of a multi-tiered heaven and earth, and the origin of human beings from a failed sexual assault on a goddess. The Mesopotamian “Melting Pot” The Macedonian hegemony established by Alexander’s Seleucid successors filled Mesopotamia and neighboring regions with Hellenic settlers along with Hellenistic institutions and material culture. In recent decades, historians of this period have come to understand that the Seleucid Empire had a very clear economic strategy consisting of two axes anchored at the Syrian coast, one running to southern Mesopotamia and the Persian Gulf, and the other to Bactria. Most of the state’s resources were poured into anchoring these economic axes at their ends, where both rich agricultural land and key trade routes provided a major part of the state’s wealth, and as a result southern

5.

6.

See F. c. BurKitt, “Introductory Essay,” in C. W. mitchell, Ephraim’s Prose Refutations, t. II, Oxford 1921, pp. cxxxV– cxl. Geo Widengren’s observation that some of these terms are found as loan-words in several Aramaic dialects, including Talmudic literature (Mesopotamian Elements in Manichaeism, Uppsala 1946, pp. 38–39 and p. 38 n. 4) supports the conclusion that Mani did not derive them from any specific sectarian literature, but from Greek vocabulary in common use in cosmopolitan Mesopotamia. The secular character of the terms (e.g., everyday natural and political vocabulary) suggests the same conclusion. Cf. o. K líma, Manis Zeit und Leben, Prague 1962, pp. 108–111, for a thought-provoking demonstration of Greek juridical, military, and civil terminology from the Coptic Manichaica also found in Jewish Aramaic of the Talmud and Targums. Even though Mesopotamian myth also contained an Atlas-like figure, Ubelluri, the figure of Atlas in Manichaean cosmology, both as described literarily and in surviving Manichaean art, is unmistakably dependent on Hellenistic and Roman period architectural decorations employing the Atlas motif. It should be noted that in Manichaean myth Atlas is a positive figure, part of the divine cosmic superstructure, and does not occupy his position as a punishment as in Greek myth (see Odyssey 1.52–54: he stands in the sea and holds pillars on which the sky rests).

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Jason David BeDuhn Mesopotamia and Bactria witnessed extensive settlement programs. 7 An official communication between Antioch-in-Persis and Magnesia dated 205 Bce (OGIS 233) bears witness to a kind of league of at least seven cities with the status of polis in southern Mesopotamia and the northeast rim of the Persian Gulf: Antioch-Persis, Apamea-Seleias (at Silhu, the confluence of the Sillas and Tigris), Seleucia-on-the-Tigris, Seleucia-by-the-Erythraean Sea, SeleuciaEulaeos (Susa), Alexandria-on-the-Tigris (Charax, at the confluence of the Eulaeos and Tigris, refounded in 166/5 Bce as Antioch), and an unidentified Antioch. Of these, Seleucia-on-the-Tigris was one of the largest cities of the ancient world, with a reported population of 600,000. There was a Laodiceain-Media (Nihavend), as well as Ecbatana/Hamadan, which housed a Seleucid mint which continued to produce Parthian coins with Greek inscriptions, and from which Mani’s family reportedly came. Hellenic colonies had also been planted in the city of Babylon and further up the Euphrates at Dura-Europos. Most of these colonies were established early, with the intention of forming the homeland of the Seleucid state. Local peoples mixed with the Hellenes of these metropolises, with ensuing cultural exchange. They all went on as before under new Parthian masters from the middle of the second century Bce. The Hellenic culture of Seleucia-on-the-Tigris can be traced all the way to its sack by Roman forces in 165 ce; 8 from that point on it lost its distinct Hellenistic institutions in the megalopolis of “The Cities” (Mada’in in the local Aramaic) that had been built up all around it. 9 DuraEuropos also maintained its Macedonian identity up to its conquest by the Romans the same year that Seleucia was sacked, and for some time afterwards, although it came under the increasing domination of a Palmyrene garrison in its latter days. 10 Susa (Seleucia-on-the-Eulaeos) likewise still had a fully functioning Hellenic polis in the 1st century ce. 11

r. m. a Dams, Heartland of Cities: Surveys of Ancient Settlement and Land Use on the Central Floodplain of the Euphrates, Chicago 1981, pp. 192ff., documents extensive development of agricultural land and construction of major new canal systems in this period. Mani was himself born in a town along one of these Seleucid canals, the Nar Kutha. Adams also notes the shift of settlement to the Tigris in connection with the development of international trade, for which the river provided more navigable channels than the Euphrates did. He estimates a doubling of settlement relative to the Achaemenid period. 8. See a. inVernizzi, “Ten Years’ Research in the Al-Mada’in Area: Seleucia and Ctesiphon,” Sumer 32 (1976), pp. 166–176. 9. So it was known to Mani. The site of Seleucia was finally abandoned after the second Roman sack of the city in 283, shortly after Mani’s death. 10. F. millar, “Dura-Europos under Parthian Rule,” in J. WiesehöFer (ed.), Das Partherreich und seine Zeugnisse, Stuttgart 1998, pp. 473–492, who notes the continued predominance of Greek language in documents and the persistence of a cult of Seleucus Nicator into the period of Roman occupation. 11. F. cumont, “A Letter of Artaban III to the City of Susa,” Journal of the K. R. Cama Oriental Institute 27 (1934), pp. 66–74. 7.

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Manichaean Cosmology in its Late Antique Context The explicit philhellenism of the Arsacid Parthian regime in its first two centuries was directed at this substantial Hellenic population in the main population center of the empire, and reflected Arsacid reliance on the existing Seleucid political institutions and bureaucracy. The occupants of this network of offices were not, of course, all Hellenes. From the beginning, the Seleucids welcomed native Mesopotamians into the ranks of the government and military, and through these institutions they became Hellenized, at least to the degree of speaking, reading, and writing Greek in their official capacities. Contact of religious cultures also occurred. At Dura and elsewhere, individuals with non-Greek names are recorded as making offerings or serving as priests of Hellenic cults. 12 It becomes increasingly difficult to follow the traces of the Hellenic population and cultural influence in Mesopotamia as we get to the latter days of the Parthian regime. The Parthians themselves turned away from their public philhellenism in the mid-first century ce, toward a reassertion of their Iranian identity. 13 Yet Vologeses IV, for instance, still took the trouble to dedicate a statue of Herakles he had transferred from Mesene to Seleucia in 151 ce with an inscription in both Greek and Parthian, and fourteen years later Lucius Verus carried off from the same city the Hellenistic image of its still venerated Macedonian chief deity, Apollo Komaios. 14 Continuation of Hellenistic culture cannot be expected in some “pure,” unchanged form; that would constitute cultural stagnation. By the time we get to the late Parthian environment that forms the background of Mani, the Hellenic population of the region had been indigenized by 500 years, and for 300 of those years they had been more or less isolated from the Greek homeland. The Hellenic demographic of Mesopotamia had not departed; it was now at home in the region and to varying degrees contributed to the regional “melting pot.” 15 The Parthian inscription on the aforementioned statue of Herakles identified the

12. E.g., the temple of Artemis in Dura (l. DirVen, The Palmyrenes of Dura-Europos, Leiden 1999, p. 121). 13. This change in policy may have been connected to contemporaneous efforts by the Parthian government (beginning with the reign of Vologases I, circa 38–60 ce) to assert more direct control over southern Mesopotamia, in order to better profit from the rapidly accelerating oversea trade on which Seleucia and the other Greek cities of the region had previously enriched themselves. 14. D. s. potter, “The Inscription on the Bronze Herakles from Mesene: Vologeses IV’s War with Rome and the Date of Tacitus’ ‘Annales’,” Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 88 (1991), pp. 277–290. 15. See m. colleDGe, “Greek and non-Greek Interaction in the Art and Architecture of the Hellenistic East,” in a. Kuhrt – s. sherWin-White, Hellenism in the East: The Interactions of Greek and non-Greek Civilizations from Syria to Central Asia after Alexander, Berkeley 1987, pp. 134–162, esp. 158–162.

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Jason David BeDuhn figure as the Iranian deity Verethragna, and the temple to which it was dedicated as that of Tir—Apollo in the Greek inscription. This sort of syncretism contributed to Mani’s own synthesis of traditions. In Mani’s lifetime, Mesopotamia contained a sizable Jewish population, in excess of half a million persons, dispersed among urban areas and in places concentrated in agricultural villages. 16 This population had built up over several centuries by immigration from the frequent political and economic turmoil of Judea to the relative stability of Mesopotamia. That security, especially against the hated Rome, was worth fighting for, and the Jewish community rallied to the side of the Parthians against the invasion of Trajan in 115, mounting guerilla resistance that made a permanent Roman occupation impossible. Mani’s own community-building ran parallel to similar community-forming developments in the Rabbinic tradition, involving such leading figures as Rav, Samuel, and other foundational ’Amora’im. Yet this tradition represents only a portion of Jewish religious culture of the time, and it remains exceedingly difficult to ascertain the character of the ideas and practices that prevailed in non-Rabbinic Jewish communities. 17 Jacob Neusner collects evidence of distinct liturgical, legal, and exegetical traditions among Babylonian Jews, now largely submerged by later rabbinic discourse. 18 Babylonian-rooted communities re-settled in Galilee established their own synagogues, suggesting liturgical differences with their Palestinian neighbors, and the one synagogue known from Mesopotamia, at Dura, clearly is non-rabbinic in character. 19 Neusner notes a number of indications that the Babylonian Jews might have been particularly engaged in “mystical” speculations connected to Merkavah and Shi’ur Qomah. 20 It is such “mythological” dimensions of the Jewish tradition that have the closest connection to Manichaeism, and there has been considerable speculation about the role of the Elchasaite community—typically characterized as “Jewish-Christian”—in transmitting Jewish traditions to Mani during his youth spent among them. It is nearly impossible to say anything with confidence concerning the presence and character of Christianity in Mesopotamia prior to the time of Mani. The only historically secure representatives of this elusive entity are Tatian and Bardaisan of Edessa, both of whom belong to “Assyria,” in the Roman sphere, rather than “Babylonia” in the Iranian orbit. It is commonly assumed that “gnostic” Christians had found their way to Mesopotamia, and that Mani

16. J. neusner, The History of the Jews in Babylonia, t. II, The Early Sasanian Period, Chico 1999, pp. 241–250. 17. J. neusner, A History of the Jews in Babylonia, t. I, The Parthian Period, Chico 1984, p. xxv, remarks on how unrepresentative of the Jewish population of the region rabbinic sources probably are. 18. Ibid., pp. 156–172. 19. Ibid., pp. 161–163. 20. Ibid., pp. 166–172.

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Manichaean Cosmology in its Late Antique Context was directly influenced by them. That assumption will be examined below, leaving aside the very difficult question of the origin of the Mandaeans, who may be fairly classed as a community of “gnostic” character, but certainly not Christian. Bardaisan provided an abstract, elemental account of cosmic origins, traces of which found their way into Mani’s conceptualization of cosmogonic forces. But neither he, nor Tatian, nor “gnostic” Christians spoke in terms of a primordial battle between light and darkness, good and evil. Such a dualistic outlook clearly relates to Iranian mythic antecedents, and yet the specific narrative details of the Manichaean myth appear to owe a great deal not only to Babylonian, but also Hellenic mythology. The Myth of Primordial Battle Mani’s cosmogonic myth takes its starting-point with a dualistic battle between the divine forces of the realm of light, and the monstrous creatures of the realm of darkness. Although this dualistic conflict is often compared to Zoroastrian ideas, it belongs to a more ancient Near Eastern mythological legacy encapsulated in the Babylonian creation story, Enūma Eliš. As far as we can tell, the indigenous Babylonian myth of primordial cosmic conflict was alive and well in the centuries leading up to Mani, and points of comparison to Mani’s myth have been obvious since the discovery of Assyrian and Babylonian texts at the end of the nineteenth century. The elder gods bring forth the new young and vigorous god Marduk (or Bel) to defeat the monstrous embodiment of the sea, Tiamat. Having slain her, he splits her body in half to make the heavens and the earth. Berossus, writing in the early Seleucid period, supplies a summary of the myth in his Babyloniaka, in which he identifies the victorious god Bel with Zeus. With the abandonment of cuneiform and clay tablets in the first century ce, the literary trail in Mesopotamia itself vanishes with the perishable documents on which it no doubt continued to be written. 21 Whether through an Indo-European mythological legacy or later contact with Babylonia in the “Orientalizing Period,” Greek myth shared the idea of primordial divine conflict, including a number of distinct traditions, among which the better-known are the generational conflict between Olympians and Titans, the subsequent war of the Olympians with the Giants, and the individual combat of Zeus with the dragon Typhon. 22 Alexander of Lycopolis refers to

21. The last known cuneiform clay tablet is dated 74 ce: J. Bottéro, Mesopotamia: Writing, reasoning and the Gods, Chicago 1992, p. 206. In Seleucia-on-the-Tigris, tens of thousands of clay bullae are all that remain of the huge city archive, the documents they once sealed being utterly lost. 22. Mention should also be made here of the primordial combat for heaven between Kronos and the monster Ophion, related by Pherecydes of Syros in the sixth century Bce, and repeated in such later sources as Apollonius, Celsus, and Eusebius; see N. Forsyth, The

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Jason David BeDuhn Manichaean discussion of the Gigantomachy: “They also refer to the battle of the giants as told in our poetry, which to their mind proves that the poets were not ignorant of the insurrection of matter against God.” 23 Alexander’s remark could be taken to refer to secondary cultural adaptation of the Manichaean mission to the Greco-Roman environment. Yet Mani himself composed a Book of Giants. W. B. Henning and John Reeves 24 have demonstrated the debt Mani’s book owes to the Jewish Enoch literature, and we will return to this connection below. The Enoch narrative, however, bears little connection to the more fundamental, dualistic myth of primordial combat at the heart of Manichaean ideology, which instead shows continuity with the Enuma Eliš. A variety of evidence points to the amalgamation of the latter myth with the Greek Gigantomachy in Hellenistic literature and art, when Babylonian and Hellenic culture underwent a new phase of intense engagement. 25 Ancient critics of Manichaeism expressed horror at the detail that the forces of good are initially “defeated” when the deity Primal Man (in the role of Marduk-Bel) goes out from the realm of light to meet the assault of the dark beings. Yet the theme of initial defeat was a commonplace of divine conflict mythology from Greece to India. In the story of Zeus’s combat with the dragon Typhon, 26 for instance, Apollodorus reports such an initial defeat of Zeus, who has his tendons cut out, rendering him paralyzed. Hermes and

Old Enemy: Satan and the Combat Myth, Princeton 1987, pp. 68–76. 23. C. Man. (Brinkmann) 5 (p. W. Van Der horst – J. m ansFelD, An Alexandrian Platonist Against Dualism: Alexander of Lycopolis’ Treatise ‘Critique of the Doctrines of Mani’, Leiden 1974, p. 57); cf. similar references in Serapion of Thmuis (r. p. casey, Serapion of Thmuis Against the Manichees, Cambridge 1931, p. 52), and in Titus of Bostra (K. K essler, Mani. Forschungen über die manichäische Religion, Berlin 1889, p. 199). 24. W. B. henninG, “The Book of the Giants,” Bulletin of the School of Oriental and African Studies 11 (1943–1946), pp. 52–74; J. C. r eeVes, Jewish Lore in Manichaean Cosmogony. Studies in the Book of Giants Traditions, Cincinnati 1992. 25. Note that Plutarch sought authoritative interpretation of the Titanomachy and Typhonomachy from a non-Greek sage living near the Erythrian Sea (i.e., Persian Gulf): Moralia 421A–E. On artistic syncretism on this mythic theme, see, e.g., the relief in the peristyle of the Temple of Bel in Palmyra, dating to the first century ce, where the primordial battle between Bel and Tiamat has been visually synthesized with the current iconography of the Gigantomachy. For further discussion, see J. BeDuhn, “Apparatus of Salvation,” in T. Fuhrer – M. erler (ed.), Cosmologies et cosmogonies dans la littérature antique, Geneva 2015, pp. 219–251. 26. Typhaon or Typhoeus is described by Hesiod as a beast with one hundred snake heads that breathe fire (Theogony 845, etc., see t. Gantz, Early Greek Myth: A Guide to Literary and Artistic Sources, Baltimore 1993, p. 49). But in art, as in a Chalkidian hydria now in Munich (Ibid., p. 596) a figure labeled as Typhoeus has a human head and torso, but a lower body consisting of two snakes; the same representation (unlabeled) is found at Olympia (Ibid., p. 50), and the pediment of the Temple of Artemis at Kerkyra. Later literature (e.g., Apollodorus) concurs with this artistic motif, making the lower part of his body ophidian. We thus can see that in Hellenistic times opponents of the gods—whether Typhon or the Giants—came to be conventionally depicted by this iconographic short-hand.

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Manichaean Cosmology in its Late Antique Context Aigipan recover the tendons and restore Zeus. 27 This element of the myth also derived from older west Asian tales of divine combat. When Hellenistic culture brought the Greek versions of such myths back into the region, their common motifs would have been immediately recognizable, fostering syncretistic religious culture. Mani turned this common mythological motif into a key theologoumenon, which he saw echoed in the passion of Jesus, and took to convey the non-violent character of the divine. Turning to examine any possible Jewish elements in the Manichaean myth of primordial combat, it is well known that traces of such a myth appear in places of the Tanakh, while being effectively drained from the Genesis creation account. 28 Rabbinic injunctions against discussion of the inner mysteries of the creation (Berešit) may point to a tradition of mythological elaboration that no longer survives even in the margins of Jewish literature. 29 What survived the filter of Rabbinic orthodoxy can be found in late collections such as the midrash Genesis Rabbah and medieval manuscripts of Ma‘aseh Berešit (otherwise known as the Seder Rabbah di-Berešit). We are in much the same position with the equally esoteric discourse on the divine chariot (Merkavah), which has relevance to Manichaean cosmological models, as we shall see. Rabbinic evidence shows more engagement with these traditions in Babylonia than in Roman Palestine. 30 It may well be that the complex demiurgical traditions at the heart of “Gnosticism” derive from exegetical elaborations of the creation account that ventured beyond the limits of emergent post-70 ce Jewish orthodoxy. Thus, “gnostic” texts may provide our only access to the sort of cosmogonic mythology once connected with the Jewish tradition, of which only allusions survive in recognizably Jewish literature. Although Manichaean texts and ideas were drawn upon in initial definitions of “Gnosticism” a century ago, key differences have now become apparent between Manichaean doctrine and the body of interrelated literature treated in current discussions of the “gnostic” movement. Nowhere are these differences more apparent than in the pre-cosmogonic scenarios of the two respective traditions. Whatever may be meant when modern researchers refer to a “dualist” outlook in gnostic texts, it does not refer to a concept of two original, eternal, and ultimate principles in conflict, as it does in Manichaeism. In fact, most gnostic schools of thought present monistic, devolutionist metaphysics, and a primordial combat narrative is utterly lacking in texts usually classed as “gnostic.” This fundamental divergence suggests

27. In another Greek story, the giants Otos and Ephialtes (the “Aloadai”) capture Ares and keep him in a bronze jar until Hermes discovers and frees him (Ibid., p. 170). 28. See, e.g., God’s combat with the sea, or with monsters such as Leviathan and Rahab in Psalm 74,12–17; Isaiah 27,1 and 51,9–11; Job 38,8–11 and 40,25–32. 29. See m. Hagigah 2,1; 26,10–14. 30. D. J. h alperin, The Merkabah in Rabbinic Literature, New Haven 1980, p. 179.

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Jason David BeDuhn that the Manichaean myth of primordial combat owes nothing to “gnostic” antecedents, and likewise nothing to Jewish ones, in so far as they may be reflected in “gnostic” literature. Other Jewish apocrypha, of a non-“gnostic” kind, present closer affinities to Manichaean mythology in offering accounts of angelic rebellion and conflict, and such traditions carried forward in certain channels of the early Christian tradition. These tales usually set the conflict, and subsequent “fall” of angels, in post-cosmogonic time, however. Mani incorporated these narrative elements accordingly in a later period of his myth, and interpreted the fallen angels as evil beings who had been imprisoned in the heavens following the primordial battle, and later escaped. 31 We might speculate that his dualistic solution to the fall of angels may have caused Mani to formulate a prior combat before creation, as the back-story to the later fall. But with more direct examples of primordial combat myths in his cultural environment, such a speculative scenario is unnecessary. Thomas Francis Glasson has argued that Enoch’s myth of the fallen angels shows the influence of the Greek Titanomachy and Gigantomachy, traces of which also turn up in lexical choices of the Septuagint. 32 Manichaean myth agrees with Enoch (and with underlying Greek myth) that the superhuman opponents of God are not slain, but “confined forever” beneath the earth (Enoch 10.11–14). Birger Pearson has demonstrated continuing synthesis of the Titanomachy and the Enochic fall of the angels in the letters of Jude and 2 Peter. 33 Construction of the Cosmos The elaborate and systematic Manichaean cosmogonic narrative displays close affinity to myths such as the Enūma Eliš, where the cosmos is made from the dissected remains of the slain primordial enemy. Although related themes can be found in Indo-European mythology, they are largely absent from specifically Greek myth; the latter therefore played no obvious role in providing material for Mani’s mythopoesis in this regard. It is impossible to say whether the suppressed Berešit speculations retained any trace of the mythological personifications of the tohu wa bohu of the Jewish creation account. Nevertheless, both Babylonian and Jewish creation narratives offer

31. See J. c. r eeVes, Jewish Lore in Manichaean Cosmogony. 32. t. F. Glasson, Greek Influence in Jewish Eschatology, London 1961, pp. 62–67; cf. N. Forsyth, The Old Enemy, p. 157 and pp. 168–169. See Num 13,33; 2 Samuel 5,18–22; Judith 16,6. Sibylline Oracles 1.98–124 and 2.231 show the same identification of the fallen angels with the Titans and Giants of Greek mythology, and Josephus makes the same correlation (Ant. 1.3.1), while Philo seems to object to it (N. Forsyth, The Old Enemy, p. 158). 33. B. pearson, “A Reminiscence of Classical Myth at 2 Peter 2:4,” Greek, Roman, and Byzantine Studies 10 (1969), pp. 71–80; reprinted in iD., The Emergence of the Christian Religion: Essays on Early Christianity, Harrisburg 1997, pp. 75–87.

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Manichaean Cosmology in its Late Antique Context an implicit theodicy in the potential resistance or imperfection of the material out of which the divine demiurge made the cosmos. 34 Plato took a similar approach to theodicy in the Timaeus: matter is intrinsically disorderly, and creation is a positive process of endowing it with order. 35 Manichaeism belongs to this same outlook, in contrast with the typical “gnostic” cosmogony, in which demiurgical activity itself is bad. Ill-intentioned creation appears in Manichaeism only in the case of anthropogony. The divine demiurgical forces of Manichaean cosmogony construct an elaborate cosmos, consisting of a secondary heavenly domain (the “New Aeon” or “New Paradise”) overlooking ten firmaments of the heavens and eight earths, stacked one atop the other. The idea of multiple celestial firmaments appears already in ancient Mesopotamia, and became widely disseminated in the Hellenistic west, in part through astronomical lore. It also entered Jewish thought, and finds a number of elaborations in Jewish apocryphal literature, beginning with the books of Enoch. Gnostic and Manichaean texts assume this complex ouranology, which in the gnostic case certainly also draws on Egyptian ideas. Most discussions in Rabbinic literature, including Hekhalot tracts, envision seven heavens, with God enthroned in the seventh. 36 The aforementioned Ma‘aseh Berešit posits a cosmos in which seven firmaments of heaven mirror seven “depths” (tehomot) or earths, a motif that goes back to the seven layers of the underworld in Mesopotamian cosmology, and is echoed in the seven earths beneath our own eighth earth in Manichaeism. 37 As in Manichaean cosmology, the firmaments do not correlate to astrological spheres for the seven “planets,” all of which are located in the second heaven in Ma‘aseh Berešit; 38 in the Manichaean scheme the planets (with sun and moon replaced by two dark planets) and zodiac are in the first heaven, while the location of the sun and moon remains unspecified. 39

34. See Genesis Rabbah 1, 5. 35. Alexander of Lycopolis reports Egyptian Manichaeans directly quoting Plato on the ataktos kinēsis of matter. 36. p. schäFer, “In Heaven as It Is in Hell: The Cosmology of Seder Rabbah di-Bereshit,” in R. S. Boustan – A. Y. r eeD, Heavenly Realms and Earthly Realities in Late Antique Religions, Cambridge 2004, pp. 233–274 (pp. 261–266 and pp. 271–274). 37. Ibid., pp. 238–239. The same construct is found in the Re’uyot Yehezkel, which Gruenwald dates to the fourth to fifth centuries (I. GruenWalD, Apocalyptic and Merkavah Mysticism, Leiden 20142 [1980], p. 168). For the Mesopotamian construct, see especially the Descent of Inanna. 38. p. schäFer, “In Heaven as It Is in Hell”, pp. 245–246 and p. 250. 39. It does little good to posit that seven-heaven schemes in these literatures depend on the Ptolemaic model of planetary spheres, but “misunderstand the model” by clustering planets and stars in one or two of the heavens rather than assigning one planet to each (J. eDWarD WriGht, The Early History of Heaven, New York 2000, p. 183). The presumed relationship

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Jason David BeDuhn The Enoch corpus contains the idea that the celestial bodies enter and exit the sky through “gates” situated respectively in the east and west; 40 Manichaean cosmology retains these gates, even though they no longer have a specified function. The Apocalypse of Enoch (commonly referred to as 2 Enoch) presents a multi-tiered heaven, like that in later Merkavah literature and the Ma‘aseh Berešit, and includes the interesting detail that the fallen angels/watchers are imprisoned and punished in the celestial firmaments, rather than in any netherworldly pit. 41 Manichaeans place the binding of evil forces in the same distinctive location, and in some accounts employ expressions such as “watchers” and “rebels” that reveal direct dependence on Enoch literature. The Apocalypse of Enoch survives in two recensions, in which there is a total of seven or ten firmaments, respectively, with God enthroned in the highest. 42 The Manichaean firmaments total ten, with a deity enthroned in the seventh, while the firmaments above it lack any detailed description or function, and seemingly exist just to fill out the number ten, above which exists a richly described super-celestial realm. The midrash Ma‘aseh Berešit also includes a super-celestial realm beyond the seven heavens, where God reigns enthroned surrounded by light, duplicating the deity enthroned in the seventh heaven, who is described contrastingly amid darkness, clouds, and mist. 43 This doubled deity appears also in Merkavah literature, and can be compared with Manichaean multiplication of God into a number of emanations, with the “Great King of Honor” enthroned in the seventh heaven, while other emanations of God are enthroned in the super-celestial “New Aeon,” and the Father of Greatness himself remains enthroned in the Realm of Light. As Peter Schäfer notes, Ma‘aseh Berešit contains a surprising correspondence between the seventh heaven and the seventh (lowest) earth, anchoring the divine presence in the netherworld. 44 Here, at the very base of creation, the text inventories a mirror-image of the seventh heaven, containing angels and holy creatures, as well as “wheels” (ofannim) and a “throne of glory.” It is impossible to deny some sort of relation between this set of images and the contents of the lowest of the Manichaean four “earths,” which rest in turn upon four “deposits.” There, an enthroned deity known as the “King of Glory”

40. 41. 42. 43. 44.

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is based solely on the coincidence of the number seven, which had wider use and significance than just Ptolemaic astronomy. For a different criticism, see p. schäFer, “In Heaven as It Is in Hell”, p. 260. Enoch 35. 2 Enoch 7 and 18; so too the Apocalypse of Baruch (3 Baruch), in which different categories of the wicked are imprisoned in the first (2:7), second (3:5), and third (4:5; 5:3) heavens. 2 Enoch 20. p. schäFer, “In Heaven as It Is in Hell”, p. 252. Hekhalot Rabbati and Re‘uyot Yehezqel have the same super-celestial realm of God above the seventh heaven (Ibid., pp. 262–263). Ibid., pp. 242–243.

Manichaean Cosmology in its Late Antique Context supervises the turning of three wheels of wind, water, and fire. Given the late date of rabbinic cosmological texts such as the Ma‘aseh Berešit, and the relative unlikelihood that they have been influenced by Manichaean cosmology, we must continue to search for earlier sources of these very specific ideas in late antique Mesopotamian Jewish traditions. 45 John Reeves has pointed to the Jewish-rooted apocalyptic ascent narratives quoted in the Cologne Mani Codex as “important textual evidence for an unbroken chain of tradition connecting Second Temple Jewish apocalyptic texts to the earliest Hekhalot literature,” and proposes the Jewish-Christian Elchasaite community as the likely channel of such material into Mani’s mythopoesis. 46 In Manichaean cosmology, the operation of the wheels of wind, water, and fire in the netherworld takes place alongside of an Atlas figure who supports the earths above. This detail brings us back to possible Hellenic sources, and perhaps even more so to another Hellenistic convergence with Babylonian mythology, which had an Atlas figure who bore the heavens on his shoulders. 47 This figure appears among the iconographic repertoire of Mithra cultic centers, and fully Hellenized Atlas figures could be seen as statues or architectural decoration from the Levant to Bactria. Manichaean texts describe the posture of Atlas in quite concrete terms that exactly match the artistic representations that would have been familiar to Mani, and thus demonstrate that he could be influenced as much through the artistic medium as the literary one. Anthropogony The Manichaean myth of anthropogony begins with the notorious “Seduction of the Archons” episode, which serves as a prelude to the creation of human beings. One of God’s emanations presents itself to the gaze of evil beings who have consumed part of the divine light, and its beauty elicits a libidinous response from them, causing them to release quantities of the captive light through the emission of sexual fluids. These emissions fall to earth, where they become plants and animals. Humans are a derivative

45. A seemingly related image appears in the Latin Asclepius of the Hermetic tradition, wherein the soul stained with sin is sent to the underworld by the post-mortem judge, who “consigns it to the storms and whirlpools of air, fire, and water in their ceaseless clashing, its endless punishment to be swept back and forth between heaven and earth in the streams of matter” (Asclepius 28; B. P. copenhaVer, Hermetica, Cambridge 1992, p. 84). 46. J. c. r eeVes, “Jewish Pseudepigrapha in Manichaean Literature: The Influence of the Enochic Library,” in iD. (ed.), Tracing the Threads: Studies in the Vitality of Jewish Pseudepigrapha, Atlanta 1994, pp. 173–203 (pp. 177–178). 47. See F. cumont, Recherches sur le manichéisme, t. I, La Cosmogonie manichéenne d’après Théodore bar Khôni, Brussels 1908, pp. 69–72.

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Jason David BeDuhn product of this event. Here again, the critics of Manichaeism expressed shock at such a tale, despite the fact that the motif had widespread attestation in other mythologies. Several parallels may be cited from Near Eastern bronze age mythology, but examples exist closer to Mani’s own historical context. For example, the tale of the origins of the Athenian people tells how Hephaistos lusted after the virgin goddess Athena, but succeeded only in ejaculating onto her leg. Athena wiped it off and it fell to earth, giving birth to Erichthonios. Pindar (Pythian Ode 2.21–48) summarizes a similar tale involving a goddess resisting unwanted advances, in this case Hera against the advances of the Titan Ixion. Zeus substitutes a phantom-Hera made of cloud, and consequently the assaulter’s semen misses its target, yet still produces offspring: the eponymous ancestor of the centaurs. As punishment, Ixion is bound to a winged wheel in the sky, which spins him around ceaselessly. Just as Ixion looses his lust on a false apparition of Hera, formed of mere cloud, so in the Manichaean myth the archons pursue illusory, and ultimately untouchable divine forms. Falling to earth, his semen becomes a humanoid creature who mates indiscriminately with horses, producing the centaurs, similar to the anthropomorphic and zoomorphic creatures born of the archons in the Manichaean tale. Finally, the miscreant Ixion is bound to a rotating wheel as punishment, exactly as Mani told of the dark forces being bound to the wheel of the zodiac and spun on it as a means to both punish them and cause them to yield up the light they had consumed. Such very specific narrative parallels scarcely can be coincidental. The “Seduction of the Archons” is not an isolated tale in Manichaean myth, but leads on to the creation of human beings on the model of the divine form that had elicited the desire of the story’s villains. 48 Thus, anthropogenesis has a decidedly negative setting in Manichaeism. Among the many anthropogonies in Mani’s immediate environment, several likewise present human creation as in some sense independent of, or even oppositional to, the supreme being, rather than the result of the latter’s initiative. Yet the distinctive theme within Manichaean anthropogony of humans being created in imitation of a divine form clearly relates in some way to the enigmatic passage in Genesis 1,26–27, in which a plurality of creators plan and carry out the creation of human beings “in our image.” It is not difficult to discern antecedent polytheistic myth here, preserved in the biblical text for some unknown reason without adaptation to the Torah’s monotheistic master narrative. These deities become angels in some para-biblical Jewish literature, such as Jubilees. 49

48. See Kephalaia 55–56; Theodore bar Konai (J. c. r eeVes, Jewish Lore in Manichaean Cosmogony, pp. 192–193). 49. Cf. Justin Martyr, Dialogue with Trypho 62.2; Targum Ps.-Jonathan Genesis 1:26. Note that in Jubilees, the plural creators have been eliminated from the initial creation parallel to Genesis 1, but introduced into the creation of Eve account parallel to Genesis 2.

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Manichaean Cosmology in its Late Antique Context Philo directly associates angelic creators with the less-than-perfect outcome of anthropogony; in fact, he goes so far as to speak of God assigning “the origin of evil to other workmen than himself,” coming remarkably close to a “gnostic” mindset. Only the mind (nous) is created by God, Philo explains, while angels are responsible for joining that rational nature to an irrational one, with reference to the collective address in Genesis 1,26. 50 In addition, Philo explicitly states that the image on which humans were modeled was not God’s, but that of a “second god,” the Logos. 51 The later rabbis, dealing with “Gnostics” and Manichaeans unknown to Philo, grew less comfortable with such divisions of anthropogonic labor. In Genesis Rabbah 8,9, “heretics” (minim) are reported raising leading questions regarding the use of the plural in the passage, only to be rebuffed by Rabbi Simlai, who draws attention to the singular form of the associated verbs. 52 The switch from an assistive to an oppositional role for the angelic creators of humanity marks the boundary between more-or-less tolerable kinds of Jewish speculation and the sort of narratives typically classified as “gnostic”. 53 Michael Williams has argued that the latter constitute “alternative” solutions to the biblical enigmas, rather than a deliberate “inversion” or “reversal” of the biblical account. 54 These observations suggest that we might, in part, access otherwise suppressed varieties of Jewish demiurgical speculation through so-called “gnostic” literature. Williams’ dissection of the modern concept of “Gnosticism” needs to have its day in Manichaean Studies as well. Manichaeism has been associated closely with “Gnosticism” in modern scholarship, and Manichaean material was drawn upon heavily in early definitions and descriptions of “Gnosticism.” Yet, as we have seen, Manichaeism has almost nothing in common with Gnostic literature in its theogony and cosmogony: God’s emanations do not devolve into morally ambiguous beings, and demiurgical operations are viewed positively overall, rather than negatively. Anthropogenesis provides the principal exception, and is the primary mytholegoumenon that gives us any reason to suppose that

50. De fuga et inventione 68–72; cf. De opificio mundi 74–75; De confusione linguarum 179. 51. Quaestiones et solutiones in Genesim 1.4; 2.62; Legum allegoriae 3.96. 52. The Manichaeans raised similar questions, and indeed, may stand behind the minim of this report, since Simlai was a contemporary of Mani (see J. neusner, The History of the Jews of Babylonia, Part 2, The Early Sasanian Period, Atlanta 1999, p. 144); in which case this passage would not serve as evidence of prior anthropogonic speculation within Judaism. 53. Rather than belabor the many issues with the term “gnostic,” I employ it here merely as a designation for a body of literature sharing certain themes, foremost of which is what Michael Williams has termed “demiurgic exegesis,” directly related to the subject of this study. 54. M. Williams, Rethinking ‘Gnosticism’: An Argument for Dismantling a Dubious Category, Princeton 1996, p. 68.

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Jason David BeDuhn Mani knew specifically “gnostic” traditions. The similarity is to be found not merely in the basic theme of plural demiurges in opposition to the supreme being, but in more specific parallel narrative elements. In the Apocryphon of John a divine form is revealed in the sky, and is imitated by Yaldabaoth and the archons in crafting Adam (Nag Hammadi Codices II, 14.14ff. and parallels). The direct quotation of Genesis 1,26 in the passage supports the idea that it represents “demiurgical exegesis” of the enigmatic biblical passage. The Hypostasis of the Archons presents the scenario in a form even closer to the Manichaean version. A female deity called “Incorruptibility” becomes the object of desire for the archons: As Incorruptibility looked down into the region of the waters, her image appeared in the waters; and the authorities of the darkness became enamored of her. But they could not lay hold of that image, which had appeared to them in the waters, because of their weakness—since beings that merely possess a soul cannot lay hold of those that possess a spirit—for they were from below, while it was from above. This is the reason why Incorruptibility looked down into the region: so that, by the Father’s will, she might bring the entirety into union with the light. The authorities laid plans and said, “Come, let us create a man that will be soil from the earth.” […] They had taken [some soil] from the earth and modeled their [man] after their body and [after the image] of God that had appeared [to them] in the waters. (II, 87.11–33)

A more graphic parallel to the Manichaean scenario occurs later, when the “authorities” (exousiai) pursue Eve, who eludes them by means of a shadowy double that they inseminate in ignorance (89.17–28). On the Origin of the World employs the theme of sexual discharge from an unconsummated sexual assault in both points of the myth, and draws a very clear connection between them. Yaldabaoth and Pronoia see a human likeness in the heavens above them. Then when Pronoia saw the angel, she became enamored of him, but he hated her because she was in darkness. Moreover, she desired to embrace him, but she was not able. When she was unable to quench her love, she poured out her light upon the earth. From that day, that angel was called Adam of Light. (II, 108.14–21 and parallel)

Pronoia’s sexual discharge takes the form of blood, which congeals into Eros, an androgynous form that attracts the desire of all the archons, duplicating the narrative theme, this time with various consummations. After a long digression, the text returns to the Adam of Light’s self-revelation and its consequences, with the familiar proposition to create human beings built on Genesis 1,26. “And their modelled form became an enclosure of the light” (II,

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Manichaean Cosmology in its Late Antique Context 113.9–10). 55 Later, the seven world-governing archangels see in Eve an exact duplicate of the primordial light image. “Now come, let us seize her and let us cast our seed on her, so that when she is polluted she will not be able to ascend to her light, but those whom she will beget will serve us” (II, 116.13– 19). The story unfolds as in Hypostasis of the Archons, with Eve escaping their intention by substituting a soulless duplicate. The same theme is attested by Epiphanius for groups he calls “Gnostics” and “Simonians”, 56 who speak of a divine being revealing itself to arouse lust in “archons” in order to elicit divine substance they have come to possess. On the basis of such clear narrative parallels, may we conclude that Mani knew and drew upon specifically “gnostic” anthropogony? The grounds for caution on this question are familiar. The Nag Hammadi codices and testimony of Epiphanius post-date Mani’s Šabuhragan by a century, and the date of composition for the individual “gnostic” texts is unknown. 57 We cannot rule out, therefore, possible Manichaean influence on such narratives, since Manichaeism entered Syria and Egypt in the mid-third century. Moreover, parallels in individual narrative motifs do not necessarily imply familiarity with the whole texts in which they are known to us, or with the “gnostic” schools of thought within which the texts carried their greatest authority. “Gnostic” and Manichaean literature alike may have adopted the narrative theme of archontic desire for and imitation of a divine form independently of each other from a common West Asian mythological source. That source may have been a demiurgical elaboration of Genesis, or a now lost regional anthropogony to which Genesis, too, was indebted. After all, demiurgical exegesis of the Genesis creation account need not have arisen in an interpretive vacuum, but could have involved reconnecting Genesis to the larger regional mythology from which it had been distilled originally. 58 If Mani had familiarity with fully developed

55. An attenuated version of this same theme appears in the Hermetic Poimandres, where the “father of all” gives birth to a human-formed deity, and the latter in turn looks down into the creation of the demiurge, “showing lower nature the beautiful form of god.” Nature and the anthropos become enamored of one another, and mingle in embrace. In this example, the metaphorical and mythical vie for control of the meaning of the story, and comes quite close to Neoplatonic accounts of the descent of mind into matter. 56. Panarion 25.2.4 and 21.2–5, respectively. 57. An exception is provided by Irenaeus’s report of “gnostic” systems known to him at the end of the second century. Here we find an anthropogenesis that provides some antecedents to the Manichaean one: “But when Achamoth was freed from her passion, she gazed with rapture on the dazzling vision of the angels that were with him [the emanation Savior]; and in her ecstasy, conceiving by them, […] she brought forth new beings, partly after her own image, and partly a spiritual progeny after the image of the Savior’s attendants” (1.4.5). “This enthymesis, desirous of making all things to the honor of the aeons, formed images of them […] the Demiurge was in the image of the only-begotten Son, and the angels and archangels created by him were in the image of the rest of the aeons” (1.5.1). 58. F. cumont, Recherches sur le manichéisme, p. 41, n. 4.

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Jason David BeDuhn “gnostic” literature, it is difficult to explain why he rejected most of its world view, retaining only echoes of its anthropogony. Given his proven knowledge of the Enoch literature and related parabiblical traditions, it seems more plausible to search for traces of the desire-and-imitation anthropogony in some corner of this non-gnostic material. The missing Enochic Book of Giants may hold the key. The fact that fragments of Mani’s own Book of Giants contains themes found in some “gnostic” texts, rather than proving a gnostic mediation of the material to Mani, may point to common Jewish parabiblical sources behind both “gnostic” and Manichaean literature. 59 John Reeves has shown that, when the Manichaean myth describes the ejections of the archons falling onto the earth and into the sea, and producing in the latter a giant monster, it closely echoes the story of the origin of Leviathan from 1 Enoch 60,7–10. 60 The version in the Enochic Similitudes offers no explanation of how or why the two monsters were cast, one on the land, and one on the sea; but clearly a more dramatic conflict myth stands behind the allusion to a great agitation among the angels (60,1). Milik proposed that the Similitudes, of which no fragments have been found among the Dead Sea Scrolls, took the place of the suppressed Book of Giants, which went into greater detail on the conflict between angels and the nephilim. In a difficult and enigmatic passage of the Similitudes, the angel Michael declares regarding the fallen angels that “They shall not prosper before the eye of the Lord; for they have quarreled with the Lord of the Spirits because they make an image of the Lord” (68,4). It is not at all clear what this alludes to, but the larger context of the Similitudes involves the revelation of the “Man”—a heavenly prototype of the messiah. Guy Stroumsa argues that Manichaean myth consistently shifts themes back to earlier stages of time, and so the seduction of the angels in Genesis 6 and desire of the archons for Eve in “gnostic” texts, has become a cosmological tale set before the creation of humanity in Manichaeism. 61 He contends that the “abortions” which fall from the sky onto the earth as a result of the

59. G. G. stroumsa, Another Seed: Studies in Gnostic Mythology, Leiden 1984, pp. 165–166, notes striking parallels between fragments of Mani’s Book of Giants and the Apocalypse of Adam on the inversion of the story of the destruction of Sodom and Gomorrah as the death of 400,000 righteous, and draws attention to the fact that this story is alluded to in the context of references to Enoch (Homilies 68:18; Psalm-Book 143:7-8). He concludes that “the traces of Gnostic mythologoumena found in the Manichaean fragments are too scant for us to postulate a gnosticized version of the Book of Giants as Mani’s source.” Yet, he goes on to assert that there is “no doubt that if Mani knew the Jewish legends, it was a Gnostic or gnosticizing reading of them with which he became acquainted, most probably while living among the Elchasaites” (p. 166). 60. J. c. r eeVes, “An Enochic Motif in Manichaean Tradition,” in A. Van tonGerloo – S. GiVersen (ed.), Manichaica Selecta: Studies presented to Professor Julien Ries on the occasion of his seventieth birthday, Leuven 1991, pp. 295–298. 61. G. G. stroumsa, Another Seed, pp. 153–154.

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Manichaean Cosmology in its Late Antique Context “Seduction of Archons” in the Manichaean myth connect with the Enoch traditions regarding the Nephilim produced by the fallen angels, where nepilīm (“fallen ones”) was exegeted as nepalīm (“abortions, miscarriages”), as it is in Genesis Rabbah 26,7. 62 The negative character of human creation shared by “gnostic” and Manichaean texts has much in common with Mesopotamian traditions, in which human beings are created by a plurality of gods in order to serve them. In one account, the goddess Ninhursag/Mami is instructed by the gods: “Create Man that he may bear the yoke,” and the goddess effects this task by mixing the blood of a slain god with clay. 63 In a later, related version, the Anunnaki conspire to create human beings (again, from the blood of slain gods), “the service of the gods to be their portion for all times”—a service detailed in a long list of tasks involving the infrastructure of agriculture and the temple, in order to supply an endless stream of offerings. 64 The Gnostic-Manichaean turn on this narrative, so to speak, amounts to rejecting the fate of servitude intrinsic to this account, and seeing the “gods” as unjust slave-masters. The basic narrative itself goes unchanged; only its interpretive frame changes. Its presence in late antique literature shows the continuation of a living regional mythological tradition that had not been as completely supplanted by a JudeoChristian monotheistic narrative as we might be led to believe by fixation on the biblical tradition in modern scholarship. Jews and Christians were exposed to ideas broader than the Bible, and we catch glimpses of that exposure where orthodoxing pressures have not hidden them from view. Conclusions With due caution about the pitfalls of “parallelomania”, 65 we cannot afford to dismiss the conditions of cultural contact in which the various traditions we have examined here display intriguingly similar themes and motifs. New religious movements are never completely sui generis, but always arise on the foundations of what has come before. Manichaeism provides an effective illustration of this truism. Mani’s personal religious experiences included a qualified affirmation of prior religious traditions that he explicitly names as sources of truth. His cosmogonic and cosmological teachings bear clear relation to earlier mythologies present in his cosmopolitan Mesopotamian homeland: Babylonian, Greek, Iranian, and Jewish. Mani represents a development of the regional apocalyptic movement, characterized by revelations

62. Ibid., p. 160; see t. nölDeKe, review of Kessler, Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 43 (1889), pp. 535–536. 63. a. heiDel, The Babylonian Genesis, Chicago 1951, p. 67. 64. Ibid., pp. 68–71. 65. See s. sanDmel, “Parallelomania,” Journal of Biblical Literature 81 (1962), pp. 1–13.

213

Jason David BeDuhn of the secrets of heaven and earth, past and future, as a response to crises in traditional religious institutions. His relation to this movement no doubt stemmed from his upbringing in an Elchasaite community, which exposed him to Enoch literature and other parabiblical Jewish traditions. But his engagement with non Jewish mythology in his immediate environment also is unmistakable. Selected appropriations and in some cases inversions of prior mythologies and world views defines Manichaeism in relation to other contemporaneous movements, such as that represented by various examples of “gnostic” literature. The latter literature draws on some of the same regional traditions as Manichaeism, both Jewish and non-Jewish; but direct engagement of Mani with “gnostic” groups that may have predated him has proven difficult to document. Both movements were in formation at the same time, alongside of the emergence of other forms of Christianity, of Judaism itself, and of Zoroastrianism. Mani formed his views at a time when the boundaries between these various movements were not yet clearly defined, and that circumstance is reflected in the “syncretistic” character of Manichaeism. This character remains more visible in Manichaeism than in the other religions due to Mani’s programmatic stance on the validity of prior revelations on a broad scale, in contrast to the more circumscribed affirmations of only particular pasts found in the Judeo-Christian and Zoroastrian traditions. Mani’s identity as the new—and last—messenger of God came to be defined in large part by his role as the “Interpreter” of prior religious discourse and practice. Through the special conditions of his cosmopolitan homeland, where originally distinct cultural traditions came together and blended in ever new combinations, and his own travels and inquiries, Mani became aware of what different regional cultures had to say about the origins of the gods and the cosmos. He recognized certain common and recurring themes among these tales; and well he should have, not only from their common origin—e.g., in an Indo-European substrate of Greek, Iranian, and Indian mythology—but from millennia of contact and amalgamation preceding his own efforts. Mani became convinced that these shared themes represented a repeatedly revealed truth, and explained their diversity through a theory of corrupting transmission. Informed by his own visionary experiences, he sought to purge the existing mythic traditions of their corruptions, and restore a single, pure narrative as the foundation of his religious reform, which nonetheless still operated in the mythic mode. To fully explicate the significance of his achievement, therefore, we need to analyze it in terms both of its synthetic and applied originality, and as the culmination of a rich history of mythic creation and recreation. In the latter sense, Manichaean mythology becomes a valuable witness, informing us of the cultural resources present in Mesopotamia in late antiquity, and in this way illuminating the history of many cultures and religious traditions beyond Manichaeism itself.

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LE JUMEAU ET LE PARACLET CÉLESTE DE MANI : QUELQUES ÉLÉMENTS DE LECTURE ET DE RÉFLEXION* Simon C. mimouni École pratique des hautes études, PSL Research University Paris [email protected]

Par cette contribution, je souhaite rendre hommage et exprimer ma gratitude à un collègue avec qui durant plus d’une vingtaine d’années j’ai volontiers collaboré à divers projets. Pour ce faire, je m’aventure dans un domaine de spécialisation qui est le sien mais qui n’est nullement le mien, si ce n’est par le fait que le manichéisme est d’origine elkasaïte et donc judéo-chrétien. Les thématiques du jumeau et du paraclet céleste de Mani ont déjà été traitées de manière exhaustive et remarquable par la savante italienne Giulia Sfameni Gasparro, professeure à l’Université de Messine 1. Pourtant, il a semblé légitime de revenir une nouvelle fois sur la question, car leur milieu d’origine réel ne semble y avoir été qu’effleuré. On ne tient pas assez compte que le manichéisme a émergé de l’elkasaïsme – une des formes du judéo-christianisme – comme le christianisme l’a été du judaïsme et que la distinction entre l’un et l’autre a sans doute pris quelques décennies, malgré les apports du bouddhisme et du mazdéisme. Le problème qui se pose est de savoir de quel milieu religieux et culturel sont issus ces thématiques du jumeau et du paraclet céleste de Mani. Autrement dit, sont-elles originaires du milieu elkasaïte qui leur est antérieur ou du milieu manichéen qui leur est postérieur ?

*

1.

Je tiens à remercier Paul-Hubert Poirier pour sa lecture efficace et perspicace d’une première version de ce texte. Je reste bien sûr seul responsable des faiblesses et des erreurs de ces pages. G. sFameni Gasparro, « Tradizione e nuova creazione religiosa nel manicheismo : il syzygos e la missione profetica di Mani », dans l. cirillo – a. roselli (dir.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza 1986, p. 249-283.

215

Simon C. Mimouni Si l’origine du paraclet céleste ne fait pas problème, puisque cette thématique est attestée en amont (dans le christianisme) et en aval (dans l’islam), il n’en va pas nécessairement de même en ce qui concerne le jumeau céleste qui paraît absent dans le christianisme, mais pas dans l’islam – du moins si l’on accepte de prendre en considération la figure d’Aḥmad qui est soit le surnom soit le double de Muḥammad (dont le Ḥadith fait dire au Prophète : « Je m’appelle Muḥammad sur terre, mais Aḥmad dans le ciel 2 »). On va donc se demander quelle est l’origine du jumeau céleste, de quel milieu relève cette thématique de la gémellité qui est assez bien connue dans les cultures religieuses du Proche et du Moyen Orient. Tout le message religieux et spirituel dont Mani est porteur est fondé sur une révélation qui lui est transmise par un médiateur, lequel, dans la littérature manichéenne, peut prendre la forme d’un ange matérialisé, soit comme un jumeau céleste, soit comme un paraclet céleste. D’où le lien qu’il faut établir entre le jumeau et le paraclet dans la doctrine manichéenne de la révélation. Mani est un prophète, car il est considéré comme un intermédiaire entre le monde céleste et le monde humain : c’est pourquoi on peut dire que cette doctrine est de type prophétique et qu’elle est à l’origine non seulement de la mission de Mani, mais aussi de la fondation de l’Église manichéenne. Cette médiation céleste d’ordre divin, Mani affirme la devoir à un intermédiaire qu’il désigne comme son jumeau ou son paraclet, sans qu’il y ait assimilation à l’un ou à l’autre. Il semble nécessaire de distinguer le jumeau du paraclet, même si ces deux figures se recoupent souvent selon les contextes respectifs, sans doute aussi selon les espaces et les époques de leurs attestations. Cette contribution est consacrée à deux études sur la thématique du jumeau céleste d’une part et sur celle du paraclet céleste d’autre part, qui sont attestées dans les écrits les plus anciens du manichéisme et principalement dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne (CMC). Une troisième étude tente d’établir un certain rapport entre le jumeau et le paraclet. Cependant, il ne va pas être question ici, ou peu, du titre de Mani comme « Paraclet de Vérité » qui relève d’une autre problématique 3. La Vita Mani du CMC est un texte manichéen mis au jour en Égypte et conservé en grec 4. Transmise sous la garantie de plusieurs traditionnistes manichéens, elle remonte vraisemblablement à la fin du iiie siècle et relate la

2. 3. 4.

216

À ce sujet, voir m.-t. urVoy, « Annonce de Mahomet », dans m. a. a mir-moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris 2007, p. 55-56. Voir m. Franzmann, « Mani as Paraclet », dans eaD., Jesus in the Manichaean Writings, Londres-New York 2003, p. 19-20. Pour le texte grec, voir l. Koenen – c. römer, Der Kölner Mani-Kodex. Abbildungen und diplomatischer Text, Bonn 1985 et l. Koenen – c. römer, Der Kölner Mani-Kodex. Ueber das Werden seines Leibes. Kritische Edition, Opladen 1988. Pour une traduction anglaise, voir J. m. lieu – s. n. c. lieu, « The Life of Mani », dans i. GarDner – s. n. c. lieu (dir.),

Le jumeau et le paraclet céleste de Mani vie « hagiographique » du fondateur du manichéisme qui a passé son enfance et son adolescence dans une communauté de baptistes de Babylonie 5, que l’on identifie généralement à des elkasaïtes, de laquelle il s’est séparé sous l’influence de révélations célestes qu’il attribue à son jumeau céleste 6. C’est le texte qui est mis le plus à contribution dans cette recherche. Le jumeau céleste Le grec σύζυξ ou σύζυγος correspond à l’araméen ‫( טוםא‬tawma) et au copte ⲥⲁⲓϣ (saïsh). Il équivaut aussi au parthe ymg (yamag) et au moyenperse nrjmyg (nar-jamig). Ce terme, peu importe la langue où il est attesté, désigne le messager céleste, le compagnon céleste, l’ange venu du monde d’en haut dans le monde d’en bas. Il est donc à comprendre dans le sens de jumeau céleste dont Mani est la réplique terrestre – c’est donc le sosie de Mani. Il va être question de ce terme dans la littérature grecque, puis dans la littérature copte. Il a déjà été bien étudié, par François de Blois, dans la littérature manichéenne transmise dans les langues iraniennes 7, c’est pourquoi on se dispense d’en reprendre ici les éléments. Signalons seulement que, d’après le M 801 de l’oasis de Tourfan, Mani, dans son activité missionnaire est sans cesse soutenu par son « jumeau de lumière » (imig rwshn) qui est régulièrement à ses côtés 8.

5.

6. 7.

8.

Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge 2004, p. 46-108, et pour une traduction italienne, voir l. cirillo, « La Vita di Mani. Il codice greco di Colonia », dans G. Gnoli (dir.), Il manicheismo, t. I, Mani e il manicheismo, Milan 2003, p. 38-127. Voir J. r ies, « Enfance et jeunesse de Mani à la lumière des documents récents », dans a. théoDoriDès – p. naster – J. r ies, L’Enfant dans les civilisations orientales, Louvain 1980, p. 133-143 (= J. r ies, Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout 2011, p. 427437) ; G. p. luttiKhuizen, « The Baptists of Mani’s Youth and the Elchasaites », dans iD., Gnostic Revisions of Genesis Stories and Early Jesus Traditions, Leyde-Boston 2006, p. 170-184 (= « Waren Mani’s Täufer Elchasaiten ? », dans a. mustaFa – J. tuBach [dir.], Die Inkulturation des Christentums im vorislamischen Persien, Wiesbaden 2007, p. 21-29). À ce sujet, voir s. c. mimouni, Les Baptistes de la Vita Mani du Corpus manichéen de Cologne sont-ils des elkasaïtes ? (à paraître). F. De Blois, « ‘Manes’ “Twin” in Iranian and non-Iranian Texts », dans G. cereti – m. m aGG – e. proVasi (dir.), Religious Themes and Texts of Pre-Islamic Iran and Central Asia. Studies in Honour of Professor Gherardo Gnoli on the Occasion of His 65th Birthday on 6th December 2002, Wiesbaden 2003, p. 7-16. À ce sujet, voir W. B. henninG, Ein manichäisches Bet- und Beichtbuch, Berlin 1936, p. 27 (= Selected Papers, t. I, Leyde 1977, p. 417-557, spécialement p. 441).

217

Simon C. Mimouni Dans la littérature manichéenne de langue grecque Dans le domaine grec, le terme σύζυξ ou σύζυγος apparaît uniquement dans la Vita Mani du CMC, pas moins de quinze fois : deux fois sous la forme σύζυξ et treize fois sous la forme σύζυγος – ces deux formes sont dérivées l’une de l’autre. Dans certains passages, il est question du σύζυγος, même si le terme n’y figure pas. Il désigne présentement, selon les traductions adoptées, le jumeau céleste de Mani ou son sosie, voire son compagnon céleste 9. Dans la Vita Mani du CMC, le σύζυγος tient un rôle tout aussi essentiel que fondamental, car il est celui qui permet de justifier et légitimer toute l’attitude de Mani à l’égard de sa communauté d’origine, sa critique, sa dispute et son abandon : il est son compagnon spirituel, celui qui le conseille et le réconforte dans les moments difficiles de sa vocation et de sa mission. Il est possible de distinguer entre les apparitions sans σύζυγος, mais avec la manifestation d’un ange ou des anges ou autre, et celle avec σύζυγος. Les apparitions sans σύζυγος D’après la Vita Mani du CMC, dans un premier temps, Mani bénéficie d’apparitions, mais sans aucune précision quant à la forme et au nom du messager céleste. En CMC 2, 2-9, au tout début de la Vita Mani, dans un passage fragmentaire, lors d’une apparition céleste, il est déclaré à Mani : […] peu à peu (βπαχύ βραχύ) […] je t’ai montré ce qui est caché à beaucoup, mais toi tu pourras regarder ce mystère (μυστήριον) dans sa magnificence et dans sa plus grande clarté. Ensuite l’ange (ἀγγέλος) s’est dissimulé de […]

Le messager céleste est souvent désigné comme ἄγγελος, du moins si l’on accepte de restituer ce terme au début, car le passage est tellement défectueux qu’il est quasiment illisible. La révélation est désignée par le terme μυστήριον (un terme que l’on trouve en CMC 80, 8 et 112, 10 ainsi que dans 10 autres occurrences) qui relève de la terminologie elkasaïte (voir Hippolyte de Rome, Elenchos IX, 15, 2 et 17, 1), mais qui sert aussi à désigner les « secrets de la croyance ». En CMC 3, 2-13, il est rapporté, toujours dans un passage fragmentaire, les paroles suivantes de Mani :

9.

218

À ce sujet, voir a. henrichs – l. Koenen, « Ein griechischer Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780) », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 5 (1970), p. 97-217, spécialement p. 161-171.

Le jumeau et le paraclet céleste de Mani […] par la force des anges (σθένους τῶν ἀγγέλων) et des saintes puissances auxquels était confiée ma protection, je fus protégé. Ils m’ont éduqué en me montrant des visions et des signes, petits et de courte durée, à la mesure de ce que j’étais capable de supporter. De temps en temps, [un ange passait] comme un éclair […]

Dans ce passage, où il est fait appel au merveilleux pour raconter l’éducation de Mani, le terme ἄγγελος, au pluriel, a été conservé. Dans ces deux premiers passages examinés, CMC 2, 2-8 et 3, 2-13, dont le nom du traditionniste qui les rapporte n’est pas conservé, il s’agit d’une initiation portant sur le mystère (μυστήριον) qui est transmis par « la force des anges » à un certain rythme, comme l’indique l’expression βπαχύ βραχύ (= peu à peu) conservée en CMC 2, 2, dans la mesure où l’enfant est en capacité de saisir le sens du message céleste – une progression dont il est aussi question en CMC 4, 3-4 où Mani affirme sans plus de précisions : « Il m’assurait aussi de la force qui affermit dans l’épreuve. » Ces visions et ces apparitions se sont échelonnées tout au long de la jeunesse de Mani (CMC 4, 8-11). En CMC 5, 3-12, Mani parle de son attitude durant cette période de formation, sous assistance si l’on peut dire, dans les termes suivants : […] durant tout ce temps, au milieu d’eux, je marchais avec sagesse (σοφία) et habilité (εὐμηχανία), j’ai observé le repos (ἀνάπαυσις), je n’ai commis aucune espèce d’injustice, je n’ai provoqué aucune espèce de douleur, je n’ai pas suivi la loi (νόμος) des baptistes ou engagé avec eux un dialogue dans la même voie.

Mani décrit son existence parmi une communauté de baptistes/elkasaïtes dont il affirme ne pas suivre la loi et ne pas écouter leurs paroles, en revanche il se conforme à l’observance du repos (ἀνάπαυσις) qui est à mettre en relation avec le contenu du passage, à savoir avec les idées d’injustice et de douleur. Cette attitude de Mani fait référence au commandement exprimé dans le signaculum manuum qui exige le respect des parcelles lumineuses prisonnières dans le cosmos dont on possède un commentaire, dans le Kephalaion du codex de Berlin lxxx, p. 192 10, où il explique les commandements de la justice, et dont Augustin a longuement parlé dans ses traités contre les manichéens (notamment dans le De moribus manichaeorum) 11. Mani est présenté comme le manichéen parfait alors qu’il vit encore chez les baptistes/elkasaïtes. Il observe, comme dit Augustin, deux des trois signacula : le sceau de la bouche ou signaculum oris (en ne commettant aucune injustice par des blasphèmes et autres paroles indélicates) et le sceau des mains 10. Voir h. J. polotsKy – a. BöhliG, Kephalaia I, Hälfte 1, Lfg. 1/10, Stuttgart 1940. 11. À ce sujet, voir J. r ies, « Commandements de la justice et vie missionnaire dans l’Église de Mani », dans m. K rause (dir.), Gnosis and Gnosticism, Leyde 1977, p. 83-106 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout 2011, p. 139-151).

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Simon C. Mimouni ou signaculum manuum (en ne commettant aucune douleur par des violences à l’égard de la nature humaine, animale et végétale, non-violence absolue) – quant au sceau du sein ou signaculum sinus (celui de la continence), il est encore trop jeune pour le mettre en œuvre et il ne semble pas en être question. Apparemment mis sous l’autorité du traditionniste Salmaios dont le nom n’a cependant pas été conservé, ont été transmis deux passages fragmentaires (CMC 10, 2–11, 14 ; 12, 7-14) dans lesquels Mani raconte comment son corps a été durant son enfance et sa jeunesse. En CMC 10, 21–11, 14, Mani rapporte comment à partir de ses quatre ans, lors de son entrée dans la communauté des baptistes/elkasaïtes, il a grandi sous la protection des anges : […] durant l’enfance de mon corps (σώμα) jusqu’à la quatrième année. J’entrai ensuite dans la communauté (δόγμα) des baptistes, dans laquelle j’ai grandi durant la jeunesse de mon corps (σώμα), protégé par la force des anges de lumière (τοῦ σθένους τῶν φωτεινῶν ἀγγέλων) et des grands pouvoirs, qui ont été chargés de ma protection par le « Jésus de la Splendeur » (ou le « Jésus de la lumière ») (τοῦ Ἰησοῦ τῆς εἵλης). Quand ils ont alors immédiatement […] [7 lignes manquent].

En CMC 12, 7-14, Mani rapporte encore comment jusqu’à ses douze ans, l’expression ἀκμαῖον τοῦ σώματός désignant la maturité ou la puberté, il a vécu sous la protection des anges : De cette façon, dès l’âge de quatre ans jusqu’à ce que je sois arrivé à la maturité (ou « la puberté ») de mon corps (ἀκμαῖον τοῦ σώματός), il était surveillé et protégé dans les mains des plus saints anges (ἐν ταῖς χερσὶν τῶν ἁγνοτάτων ἀγγέλων) et des pouvoirs de la sainteté... [6 lignes manquent].

Dans ces deux passages, Mani affirme que durant son enfance et sa jeunesse, tout au moins celles de son corps, il a été protégé par « la force des anges de lumière » (τοῦ σθένους τών φωτεινών ἀγγέλων) (CMC 11, 9), surveillé et protégé « dans les mains des plus saints anges » (ἑν ταῖς χερσὶν τῶν ἁγνοτάτων ἀγγέλων) (CMC 12, 12). La mention du « Jésus de la Splendeur » ou « Jésus de la Lumière » (τοῦ Ἰησοῦ τῆς εἵλης), comme protecteur de Mani durant sa période chez les baptistes/elkasaïtes, qui figure dans le premier de ces deux passages, pourrait indiquer que le traditionniste, éventuellement Salmaios, a développé sa mission en milieu chrétien, à moins que cette expression ne provienne du milieu elkasaïte (où elle ne figure cependant pas dans les attestations connues de ce groupe) 12.

12. À ce sujet, voir e. rose, Die manichäische Christologie, Wiesbaden 1979. Voir aussi J. r ies, « Jésus la Splendeur, Jesus patibilis, Jésus historique dans les textes manichéens occidentaux », dans h. preissler – h. seiWert (dir.), Gnosis Forschung und Religionsgeschichte.

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Le jumeau et le paraclet céleste de Mani Par ces traits merveilleux, l’enfance et la jeunesse de Mani, de quatre à douze ans, sont présentées pour souligner son caractère exceptionnel. Il s’agit de montrer, sous la garantie des anges présentés de diverses manières, la prédestination de son œuvre et de sa mission en tant que messager suscité par les puissances célestes et surtout que ce n’est pas un personnage ordinaire. En CMC 13, 2-16, dans un passage extrêmement fragmentaire dont le nom du traditionniste n’a pas non plus été conservé, Mani précise comment une voix, ressemblant à celle de son σύζυγος, l’a préparé à sa mission prophétique : […] Une autre fois, une voix (φωνή) me parla des airs, comme celle du jumeau (σύζυγος), me disant : « Renforce ta force et consolide ta pensée et accepte chaque chose qui te sera révélée (ἀποκαλύπτω). » Et encore une fois, elle dit la même chose : « Renforce ta force et confirme ta pensée et soumets-toi à chaque chose qui viendra à toi. » Alors, je [suis tombé par terre…] la voix (φωνή) […] [7 lignes manquent].

Dans ce passage, une φωνή, venue du ciel, donne par deux fois, des conseils au jeune Mani quant à sa force, sa pensée et son acceptation de toute révélation. Ce n’est pas encore le σύζυγος qui s’exprime, mais une φωνή qui parle comme le σύζυγος. Observons la présence du verbe ἀποκαλύπτω, qui est le terme technique dans le cas de révélation : il est très souvent utilisé dans la Vita Mani du CMC, au total 44 fois. La suite du passage où la φωνή a dû transmettre d’autres conseils est absente et ne permet pas de se faire une idée plus précise du message. Les apparitions avec σύζυγος Toujours d’après le CMC, dans un second temps, Mani bénéficie d’apparitions, mais avec précision quant au messager céleste, puisqu’il s’agit maintenant non plus des anges mais de son jumeau. C’est sous l’autorité de Baraïes le Maître ou le Didascale, membre important de l’Église manichéenne vers la fin du iiie siècle, que sont rapportées plusieurs apparitions du σύζυγος à Mani. En CMC 16, 23-17, 16, dans un passage transmis sous l’autorité du traditionniste Baraïes, est mentionnée une première apparition qui se produit à l’âge de douze ans : […] de toute les doctrines et de toutes les lois, et libérant les âmes (ψυχή) de l’ignorance (ἄγνοια), quand il sera devenu paraclet (παράκλητος) et maître (κορυφαίος) de la mission (ἀποστολή) de cette génération. Au moment où mon corps (σώμα) est parvenu à sa maturité (ou « à sa puberté »), aussitôt ce très gracieux et puissant reflet du miroir de ma personne vola d’en haut et apparut devant moi […] [6 lignes manquent].

Festschrift für Kurt Rudolph zum 65. Geburtstag, Marburg 1994, p. 235-245 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout 2011, p. 25-36).

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Simon C. Mimouni Dans ce passage, Mani, de manière soudaine, voit apparemment son jumeau, sans aucune mention cependant du terme σύζυγος, comme une image reflétée par un miroir. On a l’impression que le jumeau, si c’est bien de lui dont il s’agit, est ici le pendant d’Elkasaï tel qu’il lui apparaît ailleurs en CMC 94, 2-99, 9. Mani entend qu’il sera « paraclet » (παράκλητος) et « maître » (κορυφαῖος) de la « mission » (ἀποστολή) de sa génération. C’est-à-dire le « consolateur » ou l’« intercesseur » – « paraclet » (παράκλητος) – et le « révélateur » d’une nouvelle religion qui prendra naissance durant sa vie. C’est un véritable programme de vocation qui est délivré à Mani par une force céleste. Al-Nadim (mort vers 995 ou 998), dans le al-Fihrist, et Al-Bîrunî (mort vers 1048), dans le al-Athar, deux auteurs musulmans d’origine persane, confirment par leurs témoignages, qui sont extraits de documents manichéens, le Šhabuhragan tout au moins pour le second, qu’à 12 ans accomplis, Mani a eu une révélation. Al-Nadim, dans le al-Fihrist, pour sa part, rapporte que, selon les paroles de Mani, cette révélation vient du Roi des jardins de la lumière. En CMC 17, 23-18, 16, est mentionnée une deuxième apparition qui se produit à l’âge de vingt-quatre ans : […] Lorsque j’eus vingt-quatre ans, en l’année où Dariardaxar (= Ardashir), le roi de Perse, a soumis la cité de Hatra, et où le roi Sapor (= Shappur Ier), son fils, ceignit la grande couronne, dans le mois de Pharmouthi, au huitième (?) jour lunaire, le très heureux Seigneur (κύριος) fut touché de compassion pour moi et il m’appela dans sa grâce : il m’envoya aussitôt d’en haut mon jumeau (σύζυγος) qui [m’apparut] en grande gloire […] [8 lignes manquent].

Dans ce passage célèbre à cause des synchronismes historiques qui y sont mentionnés 13, on trouve une manifestation du σύζυγος envoyé d’en haut à la demande de Mani par le Seigneur (κύριος) pour le soutenir : le σύζυγος est à distinguer de Mani. L’apparition est située très précisément au 8 de Pharmouthi = le 14 de Nisan (= 7 avril 240) au cours de laquelle Hatra a été conquise par Shappur Ier (240-272). Cette date, qu’il ne faut sans doute pas prendre au pied de la lettre, n’a pas été choisie au hasard, car elle fait coïncider à la nouvelle lune le début de la mission du nouveau prophète et la montée au trône de Shappur Ier. Toujours sous l’autorité de Baraïes, ont été transmis plusieurs autres passages (CMC 19, 2-18 ; 19, 23-20, 17 ; 21, 2-15 ; 22, 1-18 ; 23, 1-16 ; 24, 2-16) sur les paroles de Mani relatives à l’apparition de son jumeau et aussi aux instructions de ce dernier quant à son origine et à sa mission, et encore quant à la relation exceptionnelle qu’il entretient avec lui. En CMC 19, 2-18, Mani apprend comment le Père, qui l’a pris en pitié, a décidé de le libérer de l’emprise de la communauté des baptistes/elkasaïtes dans laquelle il vit depuis son enfance : 13. À ce sujet, voir m. tarDieu, Le Manichéisme, Paris 19972 (19811), p. 14-15.

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Le jumeau et le paraclet céleste de Mani Éveillant la mémoire 14 et révélant les excellentes décisions qui viennent de notre Père et de la lointaine bonne première Droite ». Et de nouveau, il [il s’agit de Mani] parla ainsi : « Lorsque mon Père le jugea bon et qu’il fut pris de pitié et de compassion pour moi, en vue de me sauver de l’erreur des membres de la communauté (τῶν δογματιστῶν πλάνης), me montrant sa compassion par ses très nombreuses révélations, il m’envoya [mon jumeau (σύζυγος)]. [6 lignes manquent.]

En CMC 19, 23-20, 17, Mani indique comment il a appris, par son σύζυγος, tous les principes et instructions, de même que le rite de l’imposition des mains, afin de le sortir de sa communauté des baptistes/elkasaïtes : […] [il m’apporta] la très belle espérance et à ceux qui souffrent la délivrance, et les très véritables instructions (ὑποθήκας) et volontés (γνώμας), ainsi que l’imposition des mains (χειροθεσία) qui vient de notre Père. Dès lors, donc, qu’il arriva, il me délia, me sépara et me sortit du milieu de cette loi d’après laquelle j’avais été élevé. De cette manière, il m’appela, me choisit, me sortit et m’éloigna de leur milieu. [Et] m’ayant tiré à part 15 […]. [7 lignes manquent.]

En CMC 21, 2-15, Mani expose comment il a appris, par son σύζυγος, sa propre existence céleste (une sorte de préexistence), la façon dont a été opérée son incarnation par une femme et sa venue en ce monde dans la chair (σάρξ) : […] [le jumeau (σύζυγος) me révéla] qui je suis, (moi) et mon corps (σώμα), de quelle manière je suis venu et comment se produisit mon arrivée en ce monde, qui je suis parmi les plus exceptionnels quant à la perfection, comment je suis né dans ce corps (σώμα) de chair (σάρξ), ou par quelle (femme) j’ai été délivré et mis au monde selon cette chair (σάρξ), et par quel amour j’ai été engendré [8 lignes manquent].

14. Pour la traduction de μνήστωρ en CMC 19, 2, il est tenu compte de la remarque de G. J. D. a alDers, « Einige zusätzliche Bemerkungen zum Kölner Mani-Kodex », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 34 (1979), p. 27-30. On doit cette remarque à p.-h. poirier, « L’hymne de la Perle et le manichéisme à la lumière du Codex Manichéen de Cologne », dans l. cirillo – a. roselli (dir.), Codex Manichaicus Coloniensis, p. 245. 15. La traduction ne suit pas la leçon proposée une première fois par a. henrichs – l. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 1-72 », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 19 (1975), p. 23 (εἱς θείαν πλευράν), mais plutôt celle qui a été retenue une seconde fois par les mêmes a. henrichs – l. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 1-72 », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 44 (1981), p. 209 et p. 234-235, n. 315 (εἱς μίαν πλευράν) : cette dernière conjecture est justifiée par le recours à l’araméen et au syriaque. On doit cette remarque à p.-h. poirier, « L’hymne de la Perle et le manichéisme », p. 245-246.

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Simon C. Mimouni La connaissance dans ces trois passages, surtout dans le troisième, est non seulement connaissance humaine mais aussi connaissance céleste : c’est cette dernière qui lui permet de dire d’où il vient et comment il a pris forme. Le passage de CMC 21, 2-15 suggère que Mani est préexistant à son engendrement et à son incarnation dans le monde dans un « corps de chair ». En CMC 22, 1-18, il est rapporté comment Mani a pris connaissance de sa provenance et de sa composition en tant qu’être humain sur la terre, de ses réactions aussi à l’égard de cette dernière : […] qui est mon Père, celui qui se trouve dans les hauteurs, ou de quelle manière, m’étant séparé de lui, je fus envoyé conformément à sa volonté (γνώμη), quel précepte (ἐντολή) et quelle instruction (ὑποδοχή) il m’a donnés avant que je sois vêtu de cet instrument (ὄργανονn), que j’erre dans cette chair (σάρξ) infâme (βδελυρώδες) et que je revête son ivresse (μήθη) et sa condition, et qui […] il est mon jumeau (σύζυγος), celui qui est vigilant […] [6 lignes manquent].

Dans ce passage important, Mani apprend, toujours par son σύζυγος, qui est son Père d’en haut, comment il a été séparé de lui afin d’être envoyé dans sa chair (σάρξ) par sa volonté, de quelle formation il a bénéficié avant d’être revêtu de sa chair (σάρξ), avant que ne commence cette marche dans cette chair (σάρξ) qui lui inspire tant de dégoût. Il apprend aussi qui est son σύζυγος, mais sans plus de précisions, puisque la suite du texte est manquante. Ce dégoût de la chair (σάρξ) est typiquement manichéen et ne saurait être baptiste/elkasaïte, même si toutes leurs ablutions rituelles sont censées purifier le corps de toutes les souillures environnantes (voir Hippolyte de Rome, Elenchos ix, 13, 1-17, 3). Pour les manichéens, contrairement aux elkasaïtes, l’engendrement et l’incarnation sont des punitions divines, ce ne sont nullement des bénédictions. Ils sont l’un et l’autre impurs car provenant du sperme et du sang – des facteurs majeurs de souillure et nuisant à la pureté. En CMC 23, 1-16, il est mentionné que Mani apprend la plénitude de la révélation de son σύζυγος et il le rapporte de la manière suivante : […] (Le jumeau me révéla aussi) les secrets et les pensées et les grandeurs extraordinaires de mon Père, et, me concernant, qui je suis et qui est mon inséparable jumeau (σύζυγος), et encore, concernant mon âme (ψυχή), qui est l’âme de tous les mondes : ce qu’elle est elle-même, et comment elle est venue à l’existence. Puis il me fit connaître, outres ces choses, les hauteurs infinies et les profondeurs insaisissables. Il me montra tout […] [2 lignes manquent].

Dans ce passage, Mani donne des détails sur la révélation dont il est bénéficiaire de la part de son jumeau, composée de secrets, de visions et de richesses, qui lui vient de son Père. Il est aussi question de son âme qui est celle « de tous les mondes ». Si en CMC 22, 1-18, il est question du corps (σάρξ) de Mani, ici, en CMC 23, 1-16, c’est plutôt de son âme (ψυχή) dont il est fait mention. 224

Le jumeau et le paraclet céleste de Mani En CMC 24, 2-16, il est précisé comment Mani a accueilli son jumeau céleste comme quelqu’un qui lui appartient, avec piété car il sait qu’il est un conseiller rempli de bonté et d’efficacité. […] je l’accueillis de manière pieuse. Je le pris en possession comme mon propre bien. Je le crus, (car) il m’appartenait et était mien et il m’était un bon et excellent (χρηστός) conseiller. Je le reconnus, et je compris que c’était celui-là, dont j’étais séparé. J’attestai que moi-même j’étais celui-là et que je lui étais complètement semblable […] [8 lignes manquent].

Dans ce passage, Mani affirme qu’il l’a reconnu et l’a compris : le σύζυγος est celui dont il a été séparé. Il semble ici y avoir une totale identification de Mani avec son jumeau, qui est venu du monde céleste pour opérer une séparation avant de livrer une révélation – autrement dit, pour qu’il puisse recevoir la révélation, il a été séparé du reste du monde. Toujours dans ce passage, en CMC 24, 9, le jumeau est explicitement appelé χρηστός, qui littéralement signifie « excellent », mais que les manichéens égyptiens de langue grecque ont utilisé en tant que titre pour Mani comme les chrétiens l’ont fait avec χριστός pour Jésus – un jeu de mots significatif dans le cadre d’une mission à destination des chrétiens qu’il faut convaincre qu’en adhérant au manichéisme ils ne s’éloignent pas pour autant du christianisme. Placé sous la garantie de maîtres non nommés – peut-être le collège des Douze de l’Église manichéenne –, dans deux autres passages importants, le jumeau instruit Mani sur sa mission, ce qui le conduit à se détourner progressivement des baptistes/elkasaïtes (CMC 26, 7-15 ; 32, 1-21). En CMC 26, 7-15, Mani précise comment son jumeau l’a chargé de la mission de séparer et de révéler, de séparer la lumière de la ténèbre, de révéler les mystères du royaume d’en haut : Après que le très illustre (πανευκλεῆς) et très heureux (πανευδαίμων) m’ait manifesté ces choses indicibles et grandissimes, il se mit à parler : « Ce mystère que je t’ai révélé, (montre-le) à tous (ceux auxquels il est convenable) de le révéler » [54 lignes manquent].

Dans ce passage dont la fin est défectueuse, le σύζυγος est désigné par deux titres : πανευκλεῆς (= très illustre) et πανευδαίμων (très heureux) – il se pourrait que ce soient deux titulatures données à Mani et transférées ici sur le σύζυγος. Il est précisé que seuls ceux qui le méritent ont le droit à la révélation dont Mani a été bénéficiaire de la part de son σύζυγος. En CMC 32, 1-21, dans un fragment défectueux, alors que Mani est en pleine réflexion, son jumeau lui apparaît : […] qui sont également de très nombreux défenseurs. Alors que je pensais et réfléchissais à ces choses dans mon esprit, m’est apparu subitement en se mettant devant moi mon très glorieux jumeau ([δοξότατ]ός μου σύζυγ[ος]) qui m’a

225

Simon C. Mimouni dit : « Pourquoi as-tu dit que ce mystère ne peut être révélé par toi au roi ? […] je suis bon conseiller... je suis même maintenant ta volonté (?) […] conseiller […] prêt (?) […] révélé (?) […] » [2 lignes manquent].

Dans ce passage, Mani semble douter de la possibilité que le mystère dont l’a chargé son jumeau ne puisse pas être communiqué au roi. Ce roi pourrait être Shappur Ier, son contemporain, à qui il a dédié son premier ouvrage, le Šhabuhragan, pour lui exposer la croyance manichéenne. Le σύζυγος est désigné ici par un troisième titre : δοξότατος (= très glorieux). Par le traditionniste Timothée, on apprend, dans un passage extrêmement défectueux (CMC 33, 8-35, 15), comment Mani reçoit de son jumeau des révélations sur l’ecclésiologie de l’Église manichéenne. En CMC 35, 1-15, la partie la plus lisible de ce passage, Mani rapporte ainsi comment son jumeau lui a décrit ce qui va se produire : […] être choisis et montré à moi, après avoir été préparé et accompli dans ses maîtres (διδασκάλοις) et intendants (ἐπισκόποις), les élus (ἐκλεκτοῖς) et catéchumènes (κατηχουμένοις), dans les tables (τραπέζαις) et charités (εὐσεβειαις), dans les plus grands bienfaiteurs (βοηθοῖς μεγίστοις) et dans toutes ces choses qui vont arriver de façon telle que mon Église (ἐκκλησίαν) sera révélée, et de ce même σύζυγος, sur lequel […] [3 lignes manquent].

C’est ainsi que lui sont communiqués l’organisation et le fondement de son Église avec ses maîtres (διδασκάλοις), ses intendants (ἐπισκόποις), ses élus (ἐκλεκτοῖς) et ses catéchumènes (κατηχουμένοις), avec aussi les œuvres des tables (τραπέζαις) et des charités (εὐσεβειαις) et surtout avec ses grands bienfaiteurs (βοηθοῖς μεγίστοις) – ces derniers étant probablement les défenseurs et protecteurs du mouvement manichéen, des dignitaires de l’empire sassanide. Les œuvres des tables (τραπέζαις) et des charités (εὐσεβειαις) quant à elles pourraient être identifiées aux prescriptions alimentaires imposées aux élus et aux aumônes demandées aux catéchumènes. Ce passage est très important, car il place sous la médiation divine, toujours par l’intermédiaire du jumeau de Mani, l’organisation et le fondement de la communauté manichéenne. C’est apparemment la version la plus ancienne qui est connue de la structure communautaire, laquelle sera développée ultérieurement 16. Une partie transmise par un traditionniste dont le nom n’a pas été conservé, porte sur la révélation du jumeau à Mani (CMC 35, 21-44, 12). En CMC 39, 1-13, il est question de la doctrine du péché et du pardon que le jumeau transmet à Mani :

16. À ce sujet, voir m. tarDieu, Le Manichéisme, p. 72-92.

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Le jumeau et le paraclet céleste de Mani […] en accord avec ce qui convient pour la génération à laquelle tu as été révélé, afin que tu apportes le pardon des péchés pour les pécheurs qui accueillent par toi la conversion (μετάνοια) et croient à la sainteté (ὀσιότης), afin que tu libères et que tu apportes le pardon des péchés et des accusations de ton élection (ἐκλογή) […] [9 lignes manquent].

Le jumeau annonce à Mani qu’il devra apporter le pardon des péchés à ceux qui auront accepté la conversion (μετάνοια) et la sainteté (ὀσιότης). La conversion et la sainteté semblent renvoyer aux élus de l’Église manichéenne, à moins que la première concerne les élus et la seconde les auditeurs ou catéchumènes. Désespérant de la mission qui est devant lui, Mani bénéficie d’une nouvelle apparition de son jumeau pour le réconforter en lui révélant quels seront l’organisation et les fondements de son Église. En CMC 40, 1-7, il est question de la présence du jumeau auprès de Mani durant ses épreuves : Et en plus si tu m’appelles quand tu te trouves dans la détresse, tu me trouveras là auprès de toi, et dans chaque (moment de) détresse et (de) danger, je te tiendrai sous ma protection.

Cette protection, Mani pourra en bénéficier non seulement durant sa mission, mais aussi lors de sa passion (M 5). Cette fonction de protecteur complète celle de révélateur (CMC 18, 1-16). Le jumeau est donc à la fois le révélateur et le protecteur envoyé d’en haut auprès de Mani. Par le traditionniste Baraïes, a été encore transmis un passage sur la description de la révélation du jumeau qui est le prologue de l’Évangile Vivant (CMC 66, 4-68, 5), un texte écrit par Mani en araméen et divisé en 22 sections selon les 22 lettres de l’alphabet araméen, et deux extraits (CMC 68, 6-69, 8 et 69, 9-70, 9). Le même traditionniste transmet aussi deux résumés qui semblent être une exhortation à reconnaître la venue de Mani dans ce monde (CMC 70, 10-74, 5). En CMC 69, 9-20, un extrait de l’Évangile Vivant, Mani déclare comment il a bénéficié de la part du σύζυγος des révélations : Quand il plut à mon Père, il exerça sa compassion et sa sollicitude envers moi, il envoya de là mon inébranlable σύζυγος, le fruit complet de l’immortalité (ἀθανασίας καρπόν), pour que celui-ci me rachète (ἐξαγοραζω) et me délivre (λυτρόω) de l’erreur des adeptes de cette loi.

Ainsi, c’est à son jumeau que Mani doit d’avoir été racheté et délivré de l’erreur de la loi des baptistes/elkasaïtes, alors qu’il en fait encore partie, afin de pouvoir jouir de l’immortalité. En CMC 72, 9-74, 5, qui semble être un récapitulatif sur l’origine, la mission de Mani et la manifestation du σύζυγος, il est déclaré :

227

Simon C. Mimouni Nous alors, frères, étant les enfants de l’esprit de notre père [= Mani], nous avons entendu et écouté ces choses et nous nous sommes réjouis en elles, et nous avons reconnu sa venue sur un mode spirituel, comment il a été envoyé sur ordre (ἐντολή) de son Père et comment il a été créé dans son corps (σῶμα) et comment son vénérable jumeau (σύζυγος) lui est apparu et l’a séparé de la loi (νόμος) où son corps (σῶμα) a grandi. En fait, dans la vingt-cinquième année de sa vie, lui a été révélé le jumeau (σύζυγος) sur un mode merveilleux. Lorsqu’il vivait encore dans cette communauté (δόγμα) des baptistes, il ressemblait à un agneau qui se trouve dans un troupeau étranger ou à un oiseau qui séjourne parmi d’autres oiseaux qui ne chantent pas sur le même mode. À chaque fois, pendant tout ce temps, il s’est comporté avec sagesse et habilité au milieu d’eux, sans qu’aucun d’entre eux ne sache qui il était ou ce qu’il a reçu et ce qui lui a été révélé. Plutôt ils le regardaient de cette manière, selon le respect du corps (τὴν τιμὴν τοῦ σῶματος).

Dans ce passage, qui pourrait bien être du traditionniste Baraïes s’adressant sous forme de bilan à des manichéens, il est précisé comment le jumeau est apparu à Mani et l’a séparé de la loi de la communauté baptiste/elkasaïte dans laquelle seul son corps a vécu, mais pas autre chose. Par l’expression « respect du corps » (τὴν τιμὴν τοῦ σῶματος), l’auteur veut signifier le corps terrestre de Mani, lui seul ayant vécu parmi les baptistes/elkasaïtes. Baraïes emploie ici le terme σῶμα (= corps) et non le terme σάρξ (= chair). Le premier représente l’enveloppe alors que le second est l’intérieur de cette enveloppe – c’est elle qui est considérée comme impure par les manichéens. Trois aspects peuvent être dégagés des paroles de Mani transmises par Baraïes : (1) le σύζυγος est envoyé par le Père (CMC 18, 14 ; 19, 4.9 ; 20, 6 ; etc.) ; (2) le rôle du σύζυγος est de révéler à Mani un ensemble de vérités fondamentales du manichéisme (CMC 21-23) ; (3) le σύζυγος est l’alter ego de Mani (CMC 24, 10-12). Baraïes est apparemment le plus grand des traditionnistes mentionnés dans le CMC. Qualifié comme didascale ou maître, c’est un apologiste réputé connu dans les Actes (un texte copte très fragmentaire non encore publié) où un passage est rapporté sous son nom 17.

17.

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Voir J. r ies, « Baraiès le Didascale dans le Codex Mani. Nature, structure et valeur de son témoignage sur Mani et sa doctrine », dans l. cirillo – a. Van tonGerloo (dir.), Atti del terzo congresso internazionale di studi « Manicheismo e Oriente cristiano antico ». Arcavacata di Rende – Amantea, 31 agosto-5 settembre 1993, Louvain-Naples 1997, p. 305312 ; e. tiGGhelaar, « Baraies on Mani’s Rupture, Paul, and the Antediluvian Apostles’ », dans a. hilhorst – G. h. Van Kooten (dir.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde-Boston 2005, p. 429-441.

Le jumeau et le paraclet céleste de Mani Il ne faut pas oublier l’apparition du jumeau céleste à Mani après sa mise à l’écart de la communauté baptiste/elkasaïte et le dialogue qui s’instaure entre eux dont il est question en CMC 101, 11-104, 10, et son premier envoi en mission, ainsi que son abandon de son ancienne communauté figurant en CMC 105, 9-107, 23 18. Il ne faut pas oublier encore le discours d’envoi en mission de Mani par son jumeau céleste qui figure de CMC 123, 15 à 124, 15. Dans la première partie de ce discours, CMC 123, 15-124, 6, le jumeau céleste incite Mani à réfléchir à sa mission en ce monde : son corps, mélange de Lumière et de Ténèbre, doit servir à mettre fin à ce mélange conformément à la volonté céleste. Dans la seconde partie de ce même discours, CMC 124, 6-15, qui est dans un état délabré, le jumeau céleste rappelle à Mani que sa religion se répandra dans le monde entier. Récapitulatif De quatre à douze ans, Mani, qui vit alors dans une communauté de baptistes/elkasaïtes, est sous la protection des « anges de lumière » qui lui apparaissent de temps en temps. À douze ans, il bénéficie d’une première apparition de son jumeau céleste (CMC 16, 23-17, 16 ; transmis par Baraïes). De ses douze ans à ses vingt-quatre ans, Mani est alors préparé à sa mission prophétique par son jumeau céleste qui ne se manifeste cependant à lui que deux fois : à douze et à vingt-quatre ans. De courtes visions lui permettent de vivre auprès des baptistes/elkasaïtes sans accepter leurs pratiques : un palmier se plaint auprès de lui du mal qu’on lui fait en récoltant ses fruits (CMC 6, 2-8, 15 ; transmis par Salmaios) ; il refuse de ramasser les végétaux, préférant les demander en aumônes (CMC 9, 1-16 ; transmis par Salmaios) ; alors qu’il veut se baigner, le visage d’un homme lui apparaît dans les eaux, lui demandant de ne pas le faire afin de ne pas les violenter (CMC 11, 23-12, 6 ; transmis par Salmaios, même si le nom n’a pas été conservé). C’est ainsi que progressivement Mani s’éloigne des pratiques elkasaïtes, mettant en œuvre de nouvelles pratiques qui seront celles des manichéens avec notamment une éthique de non-violence à l’égard des animaux (le thème n’est pas abordé dans le CMC), des plantes et des eaux. À vingt-quatre ans achevés, il bénéficie d’une deuxième apparition de son jumeau céleste (CMC 17, 23-18, 16 ; transmis par Baraïes) lui demandant de se détacher de la communauté des baptistes/elksaïtes.

18. À ce sujet, voir s. c. mimouni, Les Baptistes de la Vita Mani.

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Simon C. Mimouni Après ses vingt-quatre ans, le jumeau céleste lui apparaît plusieurs fois, et le supporte dans ses épreuves et ses difficultés lors de son conflit avec les baptistes/elkasaïtes qui va le conduire à être mis au ban de la communauté (voir CMC 101, 11-104, 10). Dans la littérature manichéenne de langue copte Dans le domaine copte, le σύζυγος paraît correspondre à ⲥⲁⲓϣ (saïsh) et non à ϩⲁⲧⲣⲉ (hatre). Le copte saïsh vient du démotique sïsh. On connaît au moins deux attestations : l’une dans le Kephalaion VII, p. 36, 6 19 ; l’autre dans le Psaume du Bêma 241, p. 42, 11 20. Il est possible qu’il en existe d’autres parmi les inédits coptes en cours de publication. Le copte ⲥⲁⲓϣ (saïsh), qui signifie « paire », renvoie, dans ces deux cas, au « jumeau » de Mani. Récapitulatif Le jumeau céleste de Mani joue dans la Vita Mani du CMC un rôle à la fois de révélateur et de protecteur, de conducteur aussi. C’est lui qui ordonne à Mani d’annoncer les mystères cachés. C’est lui qui le pousse à quitter sa communauté d’origine pour parcourir le monde et créer une autre communauté. Pour Mani, son jumeau céleste est son inséparable compagnon, il est non seulement son alter ego, il est aussi l’image parfaite du royaume de lumière comme cela est le cas en Kephalaion VII, p. 36, 6-9 21. Mani se développe sous la protection des anges, et ce n’est qu’à sa maturité qu’il bénéficie de visites célestes, par l’intermédiaire d’un personnage qu’il considère comme son jumeau. Le jumeau céleste comme le paraclet céleste, une thématique que l’on examine ensuite, permettent à Mani de camper son propre personnage. Il en arrive ainsi à identifier le jumeau avec le paraclet, se confondant lui-même avec eux : c’est ce qui lui permet de se donner pour le révélateur de la nouvelle religion qu’il distingue de son ancienne appartenance religieuse. Certains témoignages sur le manichéisme rapportés dans la littérature arabe permettent de confirmer ceux de la littérature manichéenne.

19. Voir h. J. polotsKy – a. BöhliG, Kephalaia I, p. 36. 20. Voir c. r. c. a llBerry, Manichaean Manuscripts in the Chester Beatty Collection, Volume II, A Manichaean Psalm-Book, Part II, Stuttgart 1938, p. 42. 21. Voir W. Fauth, « Syzygos und Eikon. Manis himmlischer Doppelgänger vor dem Hintergrund der platonischen und Urbild-Abbild-Theorie », Perspektiven der Philosophie. Neues Jahrbuch 12 (1986), p. 41-68.

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Le jumeau et le paraclet céleste de Mani D’après le al-Fihrist d’Ibn an-Nadim, il est question d’un ange appelé at-taw’am qui s’est présenté à Mani en se donnant, dans un extrait sans doute du Šhabuhragan, comme un envoyé divin : À toi la paix, Mani, de ma part et de la part du Seigneur qui m’a envoyé vers toi, et qui t’a choisi pour son apostolat, et voilà que ta mission est d’appeler à la vérité. 22

Selon ce même auteur, at-taw’am est un terme nabatéen (= araméen babylonien) qui signifie « compagnon » (al-qarin) 23. D’après le al-Athar d’al-Bîrunî, Mani, dans un extrait du Šhabuhragan, rapporte comment la révélation est venue à lui alors qu’il est dans sa treizième année. Observons encore que selon ce même auteur, Mani dit de manière précise, dans un extrait de son Évangile Vivant, « que c’est lui le Paraclet annoncé par le Christ et qu’il est le Sceau des prophètes 24 ». Une thématique très riche, puisqu’on la retrouve aussi bien dans le christianisme que dans l’islam. La thématique du jumeau céleste dans le manichéisme renvoie d’une certaine manière à la symbolique gémellaire au Proche-Orient ancien qu’on ne peut ici que signaler 25. Une symbolique qui est mise parfois au service d’une reconnaissance de soi-même comme c’est particulièrement le cas dans le manichéisme. Un point de méthode : les rencontres thématiques ne se sont pas nécessairement réalisées sur des croyances réputées provenir du judaïsme et/ou du christianisme dans toutes leurs formes, mais sur des anecdotes qui, avec le temps, sont devenues des récits et qui ont parfois transité, dans des conditions incontrôlables, sur les pistes empruntées par les marchands et les missionnaires qui se les sont racontées dans les caravansérails lors des haltes. Il est possible que ce que l’on considère maintenant comme des emprunts du manichéisme à l’elkasaïsme ou au christianisme en général n’aient pas du tout été vus ainsi par les emprunteurs. Dans le Chant de la Perle ou Hymne de la Perle, une œuvre apparemment populaire, qui a été un texte indépendant avant d’être interpolé dans les Actes de Thomas 26, on rencontre la symbolique gémellaire à partir du thème du

22. Pour le texte arabe, voir G. FlüGel, Kitâb al-Fihrist, t. I, Leipzig 1871, p. 328. Traduction d’après m. tarDieu, Le Manichéisme, p. 19-20. 23. Voir G. FlüGel, Mani, seine Lehre und seine Schriften, Leipzig 1862, p. 50 et p. 84. 24. Pour le texte arabe, voir c. e. sachau, Chronologie Orientalischer Völker von Albêrunî, Leipzig 1923, p. 190. Traduction d’après m. tarDieu, Le Manichéisme, p. 20. 25. À ce sujet, voir r. Kuntzmann, Le Symbolisme des jumeaux au Proche-Orient ancien. Naissance, fonction et évolution d’un symbole, Paris 1983. 26. Voir p.-h. poirier, L’Hymne de la Perle des Actes de Thomas. Introduction, texte, traduction, commentaire, Louvain-la-Neuve 1981.

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Simon C. Mimouni « Sauveur sauvé 27 ». Comme le souligne Paul-Hubert Poirier, ce texte, « pris en soi n’est ni chrétien, ni manichéen, ni gnostique, ou plutôt, ce qui revient au même, il peut être aussi bien interprété comme une œuvre chrétienne, manichéenne ou gnostique 28 ». Il est possible de considérer que l’interpolation du Chant de la Perle dans les Actes de Thomas, en 108-113, ait été l’œuvre de manichéens, lesquels, se considérant comme légitimés par leur révélation d’être les successeurs de toutes les religions qui les ont devancées, n’ont jamais hésité à s’emparer à des fins de propagande religieuse des écrits appartenant à d’autres. En se fondant sur la Vita Mani du CMC, il a été proposé par Paul-Hubert Poirier d’interpréter le Chant de la Perle, que l’on peut dater de la fin du ιι e siècle ou du début du ιιι e siècle et le localiser dans le domaine culturel parthe, comme une parabole de la vie de Mani (CMC 17, 7-16 ; 18, 1-16 ; 19, 2-18 ; 20, 1-17 ; 21, 2-15 ; 22, 1-18 ; 23, 1-16 ; 24, 2-16 29). Ainsi toujours selon Paul-Hubert Poirier, […] le parallélisme de destin entre le jeune prince [dont il est question dans le Chant de la Perle] et Mani, n’aura pas été sans frapper les adeptes de ce dernier et ils auront reconnus [dans ce dernier texte] une version poétique ou parabolique de la vocation et de la mission de leur maître […] 30.

Cette thématique gémellaire se trouve aussi dans l’Évangile selon Thomas, un texte de la fin du ier siècle, conservé en copte et retrouvé dans la bibliothèque de Nag Hammadi 31. Elle est attestée dans l’Évangile selon Philippe, un texte gnostique de la fin du iie siècle également conservé en copte 32. La thématique du jumeau céleste est, selon toute apparence, d’origine elkasaïte ou d’origine ébionite, même si les manichéens l’ont développée dans une toute nouvelle direction 33. Pour les elkasaïtes, elle permet d’affirmer, mais sans aucune mention du terme σύζυγος, que le Christ est apparu sur terre comme Adam en premier et comme Jésus en dernier (Hippolyte de

27. Voir r. Kuntzmann, Le Symbolisme des jumeaux au Proche-Orient ancien, p. 189-212. 28. p.-h. poirier, « L’hymne de la Perle et le manichéisme », p. 243. 29. Voir en tout premier lieu a. henrichs – l. Koenen, « Ein griechischer Mani-Kodex », p. 97-217, spécialement p. 171-182 et en second lieu p.-h. poirier, « L’hymne de la Perle et le manichéisme », p. 235-248. 30. p.-h. poirier, « L’hymne de la Perle et le manichéisme », p. 248. 31. Voir h.-c. puech, En quête de la gnose, t. II, Sur l’Évangile selon Thomas, Paris 1978, p. 213-235 ; a. GaGné, « Jésus, la lumière et le Père vivant. Principe de gémellité dans l’Évangile selon Thomas », Apocrypha 22 (2012), p. 209-221. 32. Voir r. m. Grant, « The Mystery of Marriage in the Gospel of Philip », Vigiliae christinae 15 (1961), p. 129-140 ; J.-m. seVrin, « Les noces spirituelles dans l’Évangile selon Philippe », Le Muséon 87 (1974), p. 143-193. 33. À ce sujet, voir F. De Blois, « Naṣrānī (Ναζωραȋος) and ḥanīf (ἐθνικός): Studies on the Religious Vocabulary of Christianity and of Islam », Bulletin of the School of Oriental and African Studies 65 (2002), p. 1-30.

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Le jumeau et le paraclet céleste de Mani Rome, Elenchos X, 29, 2 ; Épiphane de Salamine, Panarion XXX, 3, 2-6 et LIII, 1, 8-9). Pour les ébionites, elle permet de distinguer, avec la mention du terme σύζυγος pour désigner non pas un personnage, mais une règle exégétique 34, le vrai prophète (celui qui apparaît en second [Jésus]) du faux prophète (celui qui apparaît en premier [Jean le Baptiste]) 35. Pour les manichéens, à l’instar des elkasaïtes et des ébionites, Mani, tout comme Adam ou Jésus, a son σύζυγος. Dans la doctrine manichéenne, le σύζυγος tient cependant une place beaucoup plus fondamentale, puisqu’il se trouve à l’origine de la vocation et de la mission de Mani. Cette thématique permet de renvoyer dans la sphère divine la mise en place de la communauté manichéenne, dans toutes ses structures (organisation comme fondement). Précisons encore que cette thématique se rencontre notamment dans la littérature pseudo-clémentine, mais avec une signification différente, puisqu’elle renvoie au rapport entre Jean le Baptiste et Jésus de Nazareth, ce dernier venant après le premier pour « sceller » la prophétie (voir Tertullien, Contre les Judéens VIII, 12 ; XI, 10) 36. Non sans perspicacité, Andreas Piras, pour sa part, a proposé de voir dans la gémellité une forme de dualisme manichéen, parlant alors de « dualisme optique » 37. Le paraclet céleste Le grec παράκλητος ou le latin paraclitus – ce dernier n’étant qu’une translittération du premier. Ce terme, peu importe la langue, désigne l’« intercesseur », le « consolateur », l’« avocat ».

34. Il s’agit d’une règle selon laquelle le premier élément, chez les hommes, est toujours mauvais ou du moins inférieur, tandis que le second est bon et supérieur. Une telle règle suffit pour confondre celui qui se trouve en première position. Dans la littérature pseudo-clémentine, Pierre rappelle fréquemment la règle des syzygies ou des « paires antagonistes » à son entourage, ainsi en Homélie II, 33, il est précisé : « Il vous faut, frère, considérer la vérité de la règle de la syzygie. En tenant les yeux fixés sur cette règle, on ne peut pas s’égarer. » Cette règle se retrouve, mais bien moins développée, dans les Reconnaissances, notamment en III, 59.61. 35. À ce sujet, voir A. siouVille, Les Homélies clémentines, Lagrasse 1991, p. 43-45 (Paris 1933). 36. Voir e. mollanD, « La circoncision, le baptême et l’autorité du décret apostolique (Actes XV, 28 sq.) dans les milieux judéo-chrétiens des Pseudo-Clémentines », Studia theologica 9 (1955), p. 1-39. 37. A. piras, Verba lucis. Scrittura immagine e libro nel manicheismo, Milan 2012, p. 15-37.

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Simon C. Mimouni Dans le manichéisme, le παράκλητος tient le même rôle que le σύζυγος pour Mani, mais plutôt à l’égard de ses disciples : il est celui qui transmet la connaissance en provenance de la sphère céleste 38. L’influence chrétienne dans cette thématique est manifeste, d’autant qu’elle a joué un rôle non négligeable au iie siècle. Il est en effet question du paraclet en Jn 14-16 où le mot est mentionné deux fois (en 14, 16 et 26) et on le rencontre aussi en 1 Jn (en 2, 1 39). Dans la seconde moitié du ιιe siècle, rappelons aussi que le prophète Montan a estimé être l’instrument du paraclet et a fondé un mouvement qui a eu une certaine influence en Phrygie au moins jusqu’au Vie siècle, notamment aussi grâce au ralliement de Tertullien de Carthage. Pour la plupart des chrétiens, le paraclet est à identifier à l’Esprit Saint comme pour Origène, dans la première moitié du iiie siècle, qui s’attache par exemple à le démontrer dans son Traité des Principes (7, 1). Il est possible d’ailleurs que le montanisme tout comme le manichéisme aient pu influencer le mouvement de Muḥammad, comme le propose Jan M. F. Van Reeth 40. On traite des attestations manichéennes du terme παράκλητος dans la littérature grecque et dans la littérature copte. On ne traite pas des attestations dans les langues iraniennes : elles l’ont été par Werner Sundermann 41. Dans la littérature grecque Dans la littérature manichéenne de langue grecque, le terme παράκλητος est appliqué à Mani et non à son jumeau céleste, alors que cela semble le cas, comme on l’a vu, dans la littérature manichéenne de langue copte. On ne connaît que quatre attestations du grec παράκλητος dans la littérature manichéenne en cette langue. Elles proviennent toutes de la Vita Mani du CMC et sont transmises par le traditionniste Baraïes pour qualifier Mani.

38. À ce sujet, voir s. GiVersen, « Le paraclet et la connaissance de Dieu », dans J. r ies (dir.), Gnosticisme et monde hellénistique, Louvain-la-Neuve 1983, p. 200-207 ; W. sunDermann, « Der Paraklet in der ostmanichäischen Überlieferung », dans P. BryDer (dir.), Manichaean Studies. Proceeding of the First International Conference on Manichaeism, August 5-9, 1987, Lund 1988, p. 201-212 ; J. Van oort, « The Paraclete Mani as the Apostle of Jesus Christ and the Origins of a New Church », dans a. hilhorst (dir.), The Apostolic Age in Patristic Though, Leyde-Boston 2004, p. 139-157 ; l. cirillo, « Mani: Apostle of Jesus-Christ and Paraclete, in the Manichean Primitive Tradition and in the Criticism of St. Augustine. Some Remarks », dans m. K nüppel – l. cirillo (dir.), Gnostica et Manichaica. Festschrift für Aloïs von Tongerloo. Anlässlich des 60. Geburtstages überreicht von Kollegen, Freunden und Schülern, Wiesbaden 2012, p. 27-37. 39. À ce sujet, voir a. casurella, The Johannine Paraclete in the Church Fathers. A Study in the History of Exegesis, Tübingen 1983. 40. J. m. F. Van r eeth, « La typologie du prophète selon le Coran : le cas de Jésus », dans G. Dye – F. noBilio (dir.), Figures bibliques en islam, Bruxelles 2011, p. 81-105. 41. W. sunDermann, « Der Paraklet », p. 201-212.

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Le jumeau et le paraclet céleste de Mani Dans la première, en CMC 17, 4, lors d’une première apparition du médiateur divin dont Mani bénéficie à l’âge de 12 ans, il est qualifié, comme on l’a déjà vu, de παράκλητος. Le νοῦς (= intellect) permet à la ψυχή (= âme) de se libérer de l’ἄγνοια (= ignorance) afin de devenir « paraclet (παράκλητος) et maître (κορυφαῖος) de l’apostolat (ἀποστολή) 42 » : telle est la signification que pourrait avoir le passage de CMC 17, 4, si du moins on acceptait la reconstitution de CMC 14, 13 proposée par Reinhold Merkelbach 43. Dans la deuxième, en CMC 46, 2, il est fait mention de « cette mission (ἀποστολή) de l’esprit (πνεῦμα) du paraclet (παράκλητος) ». Les troisième et quatrième se rencontrent en CMC 63, 21 et en CMC 70, 20, où Mani est qualifié de « paraclet de vérité (τοῦ παρακλήτου τῆς ἀληθείας) ». S’il faut en croire le traditionniste Baraïes, il semble certain que Mani se considère comme le paraclet, ou du moins est considéré comme tel par les manichéens qui voient en lui l’intermédiaire entre eux et l’espace céleste. Dans la littérature copte Dans la littérature manichéenne de langue copte, le terme ⲡⲣⲕⲗⲥ (prkls) est appliqué à Mani et non seulement à son jumeau céleste. On connaît de nombreuses attestations de ce terme dans la littérature copte, notamment dans les textes liturgiques. Dans les Psaumes manichéens, notamment dans les Psaumes du Bêma, il est souvent question du paraclet qui est révélateur de connaissance ou de sagesse et c’est la raison pour laquelle on lui adresse plusieurs prières. C’est le cas du Psaume 225, p. 17, 27-28, où le paraclet (ⲡⲡⲣⲕⲗⲥ) [pprkls] est invoqué comme le Père et aussi, en Psaume 225, p. 16, 19, où il est invoqué comme un héros de guerre, ce qui renvoie au Psaume 250, p. 59, 6, où le croyant combat ses ennemis après avoir passé l’armure du paraclet. Dans certains Psaumes du Bêma, la connaissance est un don du Père que Mani, en tant que paraclet, a apporté aux hommes comme une révélation. C’est le cas dans le Psaume 258, p. 57, 19-20 : « La lumière a illuminé pour vous, ô vous, qui dormez dans l’enfer la connaissance du paraclet, le rayon lumineux. » C’est aussi le cas dans le Psaume 266, p. 75, 28-30 : « J’ai connu le chemin des élus, ces ministres de dieu dans l’Église, l’endroit où le paraclet

42. Voir A. Van tonGerloo – J. Van oort (dir.), The Manichaean ΝΟΥΣ. Proceedings of the International Symposium Organized in Louvain from 31 July to 3 August 1991, Louvain 1995. 43. r. merKelBach, « Manichaica (4) », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 57 (1984), p. 76 : ὁ [νοῦς ἔχει τ]ὸ σῶμα.

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Simon C. Mimouni a planté l’arbre de la connaissance. » Ainsi, plusieurs images sont utilisées pour dire la relation entre le paraclet et la connaissance, de même que l’importance de cette connaissance. Dans d’autres Psaumes du Bêma, la connaissance est regardée comme la sagesse sans erreur, ainsi, par exemple, dans le Psaume 222, p. 8, 23-25 : « La connaissance du mystère le plus haut est révélée par la sainte sagesse sans erreur de la sainte église du paraclet, notre père. » Dans plusieurs Psaumes du Bêma, l’esprit du paraclet est le même que l’esprit de vérité : c’est le cas dans le Psaume 223, p. 9, 5-6, où on affirme que l’esprit du paraclet, ou esprit de vérité, est venu et qu’il a séparé les croyants de l’erreur du monde. Il en est de même dans le Psaume 224, p. 14, 14, dans le Psaume 227, p. 22, 21, dans le Psaume 229, p. 25, 30, etc., où le paraclet est identifié avec l’esprit de vérité. Dans le Psaume du Bêma 247, p. 55, 23-24, le paraclet est invoqué par les croyants dans les termes suivants : « Ô paraclet, je t’invoque pour que tu te tournes vers moi à l’heure de la peur. » Ainsi dans la littérature manichéenne de langue copte, contre la peur et l’erreur, provoquées par l’ignorance, la connaissance est le seul remède, et c’est pourquoi le révélateur de cette connaissance, le paraclet, est le guide véritable et illuminé qui protège et défend ses enfants comme un père. Récapitulatif Les manichéens ont tendance à identifier Mani avec le παράκλητος (dans les attestations grecques comme dans les attestations coptes). On assiste à une mutation semblable dans la littérature chrétienne. Diverses figures du παράκλητος ont été développées dans le manichéisme. Certaines paraissent dé-sexualisées, ainsi par exemple dans le Psaume du Bêma 241, p. 42, 11-15, où Jésus est le jumeau de Mani comme, dans les Actes de Thomas où Thomas est le jumeau de Jésus 44. Certaines livrent une identification du paraclet qui est Jésus, ainsi par exemple dans le Psaume 248, en p. 56, 15-17, où Mani s’adresse à lui en ces termes : « Viens, ô Seigneur Jésus, le sauveur des âmes, qui m’as sauvé de l’ivrognerie et de l’erreur du monde. Tu es le paraclet que j’ai aimé depuis ma jeunesse 45. » Il paraît difficile d’estimer avec Johannes van Oort que dans la doctrine manichéenne, le παράκλητος et le σύζυγος sont identiques et ont la même fonction 46. À l’examen des passages, on constate, en effet, des différences

44. Voir c. r. c. a llBerry, Manichaean Manuscripts, p. 42. 45. Voir c. r. c. a llBerry, Manichaean Manuscripts, p. 56. 46. J. Van oort, « The Paraclete Mani as the Apostle of Jesus Christ and the Origins of a New Church », dans a. hilhorst (dir.), The Apostolic Age in Patristic Thought, Leyde-Boston 2004, p. 139-157, spécialement p. 155.

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Le jumeau et le paraclet céleste de Mani considérables : parfois le παράκλητος est Mani, parfois c’est le σύζυγος. Or le σύζυγος et le παράκλητος tiennent des places différentes dans la doctrine manichéenne : le premier est le médiateur entre Mani (≠ σύζυγος) et le monde d’en-haut ; le second est le médiateur entre les manichéens et le monde d’enhaut en passant par Mani (= παράκλητος). Le rapport entre le jumeau et le paraclet de Mani Appliqué au σύζυγος, le terme παράκλητος n’apparaît jamais dans la littérature manichéenne conservée en grec. Dans la littérature grecque, le terme, comme on l’a vu, est appliqué à Mani. En revanche, dans la littérature copte, le σύζυγος peut recevoir le nom de ⲡⲣⲕⲗⲧⲥ (prklts) qui n’est qu’une translittération du grec παράκλητος. Mais il peut aussi, toujours dans la littérature copte, être appliqué à Mani. Dans le Kephalaion I du Livre I du Codex de Berlin, le σύζυγος est appelé, sans doute une réminiscence de Jn 14,26, ⲡⲣⲕⲗⲁⲧⲥ (prklats) : – en p. 14, 32 et p. 15, 1-4, il est dit : Le paraclet vivant (ⲡⲡⲣⲕⲗⲥ ⲉⲧⲁⲛϩ) [pprkls etanh] descendit jusqu’à moi et conversa avec moi, il m’a parlé. Il m’a révélé le mystère caché, celui qui fut caché aux mondes et aux générations, le mystère de la profondeur et de la hauteur, le mystère de la lumière et de la ténèbre, le mystère de la calamité du conflit et de la guerre ;

– en p. 15, 19-20, il est spécifié : « Ainsi tout ce qui est arrivé et m’arrivera m’a été révélé par le paraclet (ⲡⲡⲣⲕⲗⲥ) [pprkls] » ; – en p. 15, 23-24, il est mentionné : « Par lui (= le paraclet), j’ai vu toutes choses et je suis devenu un corps et une âme. » Il est aussi question de la descente du paraclet en p. 14, 5.7.8, de l’identification de l’esprit au paraclet en p. 16, 19.30 et du paraclet de vérité en p. 14, 18 (ⲡⲡⲣⲕⲗⲥ ⲛⲧⲉ ⲧⲙⲏⲉ) [pprkls nte tmee]. De plus, dans le Kephalaion I, toujours du Livre I du Codex de Berlin, la révélation de Mani est présentée comme celle du paraclet promis et envoyé par Jésus, prenant place dans une réforme de l’Église de Jésus – ainsi en p. 13, 26-35 (où le terme n’apparaît cependant pas). On pense pouvoir retrouver une influence johannique dans ces passages des Kephalaia, mais en se fondant sur la Vieille Syriaque de Jn 16,7-9 et sur un fragment du Diatessaron de Tatien conservé en arménien mais originairement

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Simon C. Mimouni en syriaque 47 – des textes chrétiens dont Mani a dû avoir connaissance en araméen soit dans sa communauté baptiste/elkasaïte (moins probable), soit au contact des chrétiens de Babylonie (plus probable). Conclusion Dans la doctrine manichéenne, le jumeau et le paraclet célestes, dont on a examiné un certain nombre d’occurrences dans la Vita Mani du CMC, sont deux éléments plus ou moins similaires pour la connaissance de la révélation – ce sont eux qui, après sa maturité, conduisent Mani dans sa vocation et sa mission, lui assurant protection et assistance. Les anges, cependant, l’ont protégé durant son enfance. Le σύζυγος qui est dans le monde céleste, a une fonction multiple, à savoir celles d’intercession avec le Père, de sauveur et de protecteur et d’instructeur délivrant des vérités essentielles pour la nouvelle révélation. Bref, c’est lui qui, lors de manifestations plus ou moins extatiques, transmet à Mani le charisme prophétique qui va lui être nécessaire tout au long de sa vocation et de sa mission, l’inspirer et le réconforter dans les moments difficiles – surtout pour sortir de sa communauté d’origine pour en créer une nouvelle. Cette représentation du σύζυγος permet à Mani et plus tard aux manichéens de renvoyer dans la sphère divine et céleste l’origine des croyances et des pratiques pour lesquelles les adeptes en provenance de l’elkasaïsme et d’autres religions éprouveraient maintes difficultés à accepter si elles étaient humaines et terrestres. Les thématiques du jumeau et du paraclet célestes sont attestées dans le christianisme, mais sous des formes parfois radicalement différentes. Sont-elles l’une et l’autre d’origine assurément elkasaïte comme on le prétend parfois ? Au regard des témoignages, il paraît difficile de répondre à cette question de manière claire et précise. Autrement exprimé, dans aucun des témoignages connus sur les elkasaïtes, il n’est question du jumeau et du paraclet célestes. Cependant, il est possible de considérer que ces thématiques, bien connues du christianisme, aient été adoptées et adaptées au manichéisme pour justifier la venue de Mani en ce monde, ainsi que certaines de ses décisions, renvoyant leurs origines dans le domaine de son Père par l’intermédiaire de son jumeau ou de son paraclet. Selon une présentation merveilleuse de type hagiographique, c’est le jumeau ou le paraclet qui est le faire-valoir de Mani, autorisant et légitimant ses paroles (contre les baptistes/elksaïtes) et ses actions (pour sortir de son groupe afin de partir en mission pour en fonder un autre).

47. À ce sujet, voir P. naGel, « Der Parakletenspruch des Mani (Keph 14, 7-11) und die altsyrische Evangelienübersetzung », dans W. müller (dir.), Festschrift zum 150-jährigen Bestehen des Berliner Ägyptischen Museums, Berlin 1974, p. 303-313.

238

Le jumeau et le paraclet céleste de Mani Dans la Vita Mani du CMC, le principal texte manichéen dont il a été question dans cette succincte recherche, le σύζυγος tient une place non négligeable dans le déroulement de la vocation et de la mission de Mani : c’est, peut-on dire, le personnage fondamental, au même titre d’ailleurs que le fondateur de la religion manichéenne. Terminons ce rapide panorama avec Michel Tardieu qui souligne que la fonction essentielle du σύζυγος est de révéler à Mani les « secrets des mondes » qui devront être rédigés et répandus lors de sa mission. Ce même σύζυγος est le transmetteur de la copie céleste qui aura sa réplique dans les exemplaires des livres du manichéisme 48. Autrement exprimé, le σύζυγος est la caution de ces livres dont les originaux sont préservés dans la sphère céleste pour être ensuite reproduits dans la sphère terrestre 49 – un schéma qui est utilisé par les elkasaïtes pour la « survenue » de l’Apocalypse d’Elkasaï : un écrit de révélation censé descendre sur terre par l’intermédiaire d’un ange aux dimensions cosmiques (Hippolyte de Rome, Elenchos IX, 13, 1-3) 50. Bref, le σύζυγος manichéen est à assimiler à un ange porteur de révélations et de messages célestes, qui se manifeste au cours de visions, comme on en trouve dans de nombreuses cultures religieuses (le christianisme [chez les gnostiques ou les elkasaïtes], l’hermétisme [Corpus Hermeticum I, 1-4] et l’islam [Coran, Sourate 96, 1-4]).

48. M. tarDieu, « La notion manichéenne d’auteur », dans M. Gorea – M. tarDieu (éd.), Autorité des auteurs antiques : entre anonymat, masque et authenticité, Turnhout 2014, p. 137-151, spécialement p. 143. 49. A. M. piemontese, « Dottrina e arte di Mani secondo lo scrittore persiano ‘Oufi, con une glossa sur libre ‘Gemello’ », dans Un ricordo che non si spegne. Scritti di docenti e collaboratori dell’Istituto Universitario Orientale di napoli in memoria di Alessandro Bausani, Naples 1995, p. 297-307, spécialement p. 298-299. 50. Voir F. S. Jones, « The Book of Elchasai in Its Relevance for Manichaean Institutions with a Supplement : The Book of Elchasai Reconstructed and Translated », dans Aram 16 (2004), p. 179-215 (= F. S. Jones, Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain 2012, p. 359-397).

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SYMBOLS OF LIBERATION: THE SALVATION-SEEKING SOULS, THE PRIMARY PROPHETS, AND THE LIGHT MIND IN MANICHAEAN DIDACTIC PAINTING Zsuzsanna Gulácsi Northern Arizona University, Flagstaff [email protected]

Mani viewed the history of religions on a cosmic scale. In his teachings, God and his “Realm of Light” are far removed from human life on earth, where light is mixed with darkness in matter in all things that exist. A desire to break out from the endless cycle of reincarnation within mixed matter and reach the pure Realm of Light motivates the righteous to follow the teachings of a prophet and take up a religious career. To aid the process of liberation, God has created divine agents and charged them with various tasks. The Light Mind (“Light Nous”) is one such divine agent. He is “the father of all prophets,” entrusted with the success of salvation in all religions on earth. According to Mani, God called upon this deity to disperse four prophets— Zoroaster, Shakyamuni, Jesus, and Mani—with the task to teach the way to liberation in their respective regions of the world. Based on their distinguished role among a larger group of prophets in Manichaeism, these four human messengers of God may be best labeled as the “Primary Prophets”. 1 The above teaching about the Primary Prophets was not only discussed in Manichaean texts, but was also depicted among the canonical paintings of the Manichaeans, as confirmed by two fragmentary scenes from 10th-century Kocho (Fig. 1). Both derive from luxurious versions of Mani’s canonical pictures reproduced there during the Uygur era of Manichaean history (755/762–1015 c.e.). One of them was part of a set of scenes painted next to one another in a solely pictorial horizontal paper handscroll—a format associated with the earliest records about the canonical paintings of the Manichaeans. The other fragment derived from a single image on a silk hanging scroll—a

1.

For a list of prophets noted in a various Manichaean texts, see M. tarDieu, Manichaeism, Urbana 2008 [orig. ed.: Le Manichéisme, Paris 1981], p. 15 and Fig. 1.

241

Zsuzsanna Gulácsi new format for displaying Manichaean canonical scenes first attested from 10th-century Kocho. Originally, both paintings were high quality works of art. They were exquisitely painted, heavily gilded, and coated in lapis lazuli across their backgrounds. 2 Today, they are extremely fragmentary. So much so that, at one point, even their Manichaean identifications were questioned, since the little that survived from their iconography was missing the obvious markers and seemed incomprehensible in a Manichaean context. 3 My recent studies, however, started to show that indeed (just as initially suspected by Albert von Le Coq and Hans-Joachim Klimkeit) both fragments must be identified as Manichaean. They preserve parts of the same Manichaean prophetological subject and the same straightforward diagram design. Thus, the two fragments supplement each other in both iconography and composition. The handscroll fragment retains the historical Buddha to the upper right from the mandorla of a large figure (now lost), which was originally seated under a canopy at the center of the scene (MIK III 4974 & III 5d, Fig. 1a). Shakyamuni is depicted here with an authentic Buddhist iconography. As a further identification, in the center of the figure’s chest (where in Buddhist art a lakshana would be), the word “Buddha” appears to be written vertically in

2.

3.

242

Z. Gulácsi, “A Visual Sermon on Mani’s Teaching of Salvation: A Contextualized Reading of a Chinese Manichaean Silk Painting in the Collection of the Yamato Bunkakan in Nara, Japan,” Studies on the Inner Asian Languages 23 (2008), pp. 1–16 (p. 11); and eaD., “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus: Identifying a Twelfth-Thirteenth-century Chinese Painting from the Collection of Seiun-ji Zen Temple,” Artibus Asiae 69/1 (2009), pp. 91–145 (pp. 129–130). A. Von le coq (Die buddhistische Spätantike in Mittelasien, t. II, Die manichaeischen Miniaturen, Berlin 1923, pp. 25–26) and later J.-H. K limKeit (Manichaean Art and Calligraphy, Leiden 1982, p. 43) considered this hanging scroll fragment to be a Manichaean depiction of Jesus. Nevertheless, this fragment has been considered to have an “unconfirmed Manichaean origin,” since neither elects nor any “token motifs” are contained in it, and archeological data in itself is not sufficient enough for identification (Z. Gulácsi, “Identifying the Corpus of Manichaean Art among the Turfan Remains,” in P. mirecKi – J. BeDuhn [ed.], Emerging from Darkness: Studies in the Recovery of Manichaean Sources, Leiden-New York-Köln 1997, pp. 177–215 [pp. 200–201]; and iD., Manichaean Art in Berlin Collections: A Comprehensive Catalogue, Turnhout 2001, p. 266). The recognition of a Manichaean pictorial subject (Primary Prophets) based on the analogy to the scene preserved on the scroll fragment with the Buddha (MIK III 4947 & III 5d) confirmed the previous Manichaean identification of this fragment (Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” p. 130). L. Russell-Smith suspected that the handscroll fragment with the Buddha might be a Uygur Buddhist work of art (“Reviewed Work: Manichaean Art in Berlin Collections […] by Zsuzsanna Gulácsi,” Journal of the Royal Asiatic Society, Third Series, 12/2 [2002], pp. 220–222 [p. 221]).

Symbols of liberation the Sogdian script (“B-U-T”) in either the Parthian, Middle Persian, or Old Turkic (i.e., Old Uygur) language. 4 A sun disk and stars survive to the right of the central deity’s canopy along the gilded upper border of the scene. 5 The hanging scroll fragment is lost today, but remains accessible by a drawn copy and a detailed description published by Le Coq in 1923 (Fig. 1b) 6. This drawing indicates that the fragment contained parts of eight figures: a Jesus figure, seated below another prophet figure (now lost) and to the lower right of a large central figure (now lost), two youth figures from the originally four youths seated around the lotus throne of the large central figure, as well as three laymen from a row of laity originally depicted at the bottom of the scene. Jesus was clearly identified by his processional cross on a staff, shown resting on his left shoulder—an accessory also routinely used in early Christian portrayals of Jesus. 7

4.

5.

6. 7.

During the initial study of this fragment, Clark suggested that the script and the language of the three-letter word on the chest of the Buddha are both Sogdian (Appendix I, entry #66 in Z. Gulácsi, Manichaean Art in Berlin Collections, p. 240). As noted subsequently by Yutaka Yoshida, this reading required a minor correction, since while the script is undoubtedly Sogdian, the language cannot be Sogdian (personal communication for Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” note 72). Yoshida drew attention to the fact that the Sogdian noun pwt- is always supplemented with a –y in its nominative form as pwty “Buddha” (B. GhariB, Sogdian Dictionary, Teheran 1995, p. 115, line 2929). Although this eliminates Sogdian as the language, it does not negate the connotation that Clark assigned, since between the mid-eighth and the early eleventh century, the Sogdian script was used in East Central Asia to write Manichaean texts in a variety of other languages, including Parthian, Middle Persian, and Old Turkic (i.e., Old Uygur). The language of the inscription on the Buddha’s chest is likely one of these, because pwt connotes “Buddha” in Parthian and Middle Persian (D. DurKin-meisterernst, Dictionary of Manichaean texts 3,1, t. III, Texts from Central Asia and China; Part 1, Dictionary of Manichaean Middle Persian and Parthian, Turnhout 2004, p. 118), as well as in Old Turkic (G. clauson, An Etymological Dictionary of Pre-thirteenth-century Turkish, Oxford 1972, p. 297). Recently, an alternative reading was proposed by Yoshida (personal communication), who now reads the three letters as prn ‘glory’ or ‘majesty’ (N. sims-Williams – D. DurKin-meisterernst, Dictionary of Manichaean Sogdian and Bactrian, Turnhout 2012, p. 81a). While neither reading alters the interpretation of the figure as the historical Buddha, Clark’s seems to be a better fit, since all one-word inscriptions known in Turfan Manichaean art today are names. For an overview, see Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” p. 129 and Fig. 10; as well as “Searching for Mani’s Picture-Book in Textual and Pictorial Sources,” Transcultural Studies (Thematic issue: Byzantium beyond its Eastern Frontier), E-Journal of the University of Heidelberg Research Cluster “Asia and Europe in a Global Context,” (2011), pp. 233–262 (pp. 243–245 and Fig. 2). A. Von le coq, Die buddhistische Spätantike in Mittelasien, t. II, Die manichaeischen Miniaturen, Berlin 1923. For an overview, see Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” p. 130 and Fig. 11.

243

Zsuzsanna Gulácsi The compositions of these two paintings have been thoroughly analyzed and interpreted in the context of the known formats of Uygur Manichaean pictorial art, resulting in their reconstruction diagrams. The textual correlations of their shared iconography have been considered only in a preliminary manner in order to argue for the plausibility of Jesus and Buddha figures in Manichaean art. 8 Nevertheless, a conclusive identification previously has not been offered for the overall doctrine depicted in these scenes, including the main figure that was originally shown in the center of the painting and on a scale larger than the rest of the figures. The goal of this study is to interpret critical pictorial data that survives in fragmentary condition from circa 1100 years in the past. In light of early Manichaean texts, the visual syntax of the two damaged paintings becomes readily comprehensible and the basic layout of their compositions reconstructible. The textual parallels analyzed together with the pictorial composition suggest that, in original condition, the visual language of these two Uygur-era images communicated a core component of Mani’s teachings. They were two versions of one prophetological subject that was conveyed as a diagram with a centralized hierarchy. The individual motifs of both paintings were also analogous to one another. They were clustered into what may be best interpreted as three cohesive subscenes. The three subscenes collectively depicted a uniquely Manichaean doctrine that explained the role of the Light Mind within the mission of the four Primary Prophets to teach the Salvation-seeking Souls of the earth about how to reach liberation. The formats of these two paintings—horizontal pictorial hand scroll and vertical hanging scroll—also have to be taken into consideration to judge what these scenes were. Both formats are attested in connection with the canonical repertoire of Manichaean art. Taken together, the evidence about content, composition, and format support the claim that these fragments derived from two 10th-century versions of Mani’s didactic images. *** Mani’s teaching about the Light Mind (or Great Mind) and the Primary Prophets (Zarathustra, Shakyamuni, Jesus, and Mani) is most effectively summarized in a Parthian language abecedarian hymn preserved on the folio fragment M 42 in the Turfanforschung. This text is written as a dialogue between a divine speaker and a soul, who is seeking salvation and is addressed

8.

244

Z. Gulácsi, “A Visual Sermon on Mani’s Teaching of Salvation,” p. 11 and Fig. 3b; eaD., “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” p. 130, Fig. 11b; and eaD., “Images of Jesus in Manichaean Art,” in S. r ichter (ed.), Mani in Dublin. Selected Papers from the Seventh International Conference of the International Association of Manichaean Studies in the Chester Beatty Library, Dublin, 8-12 September 2009, Leiden 2015, pp. 169–195.

Symbols of liberation as a “boy” or “youth.” The folio fragment dates from the Uygur period of Manichaean history (755/762–1015 c.e.). The language of this text, however, indicates an early origin, since Parthian was spoken in the regions of Sasanian Iran and was noted as a language used for some of the first Manichaean missions. It reads, in part: (Divine speaker): […] Out of stupefaction the four quarters of the world were plunged into turmoil. But you, beloved one, endure (here in the world) for the sake of the souls, so that (their) salvation may be attained through you. (Salvation-seeking “Youth”): The love and the service that you, oh God, have always shown to me are fully manifest. But I suffered this one time, when you ascended and left me behind like an orphan. (Divine speaker): Remember, oh Youth, how the chief of the battle-seeking ones, the Father, the God Ohrmizd, left his sons behind in the depth when he ascended from the dark for the sake of great gain. (Salvation-seeking “Youth”): Hear my supplication, you most beloved of the beloved names! If you do not free me (from the world) this time, send many gods so that I may gain victory over the evildoers. (Divine speaker): I have instructed the Great Mind (Light Mind) to send you messengers […]. (Salvation-seeking “Youth”): Zarathustra descended into the realm of Persia […], Buddha Shakyamuni […] opened the door of salvation for the fortunate souls among the Indians. Then Jesus had mercy for the second time. 9 He sent the four pure winds to help me … […] … they sent to me Mār Mani as the savior who leads me out of this servitude, in which I served the foes in fear against my will. (Divine speaker): I gave you freedom, my comrade […]. 10

This dialogue contextualizes the work of the Light Mind (Great Mind) behind the work of the four prophets, who taught the way to salvation. Without giving preference to Mani, the teaching conveyed here concerns the collective search for salvation by humankind as symbolized by the salvation-seeking “youth.” Thus, the doctrine discussed in M 42 closely corresponds with the visual catechism of the Primary Prophet Scenes.

9.

In Manichaean teaching, Jesus appears first to save Adam and Eve; and for the “second time” in Jerusalem in the body of the historical Jesus, as noted in a more fragmentary part of M 42: “[…] the cup of poison and death […] was poured out over you by Iscariot, together with the sons of Israel. And much further sorrow […]” (H.-J. K limKeit, Gnosis on the Silk Road: Gnostic Texts from Central Asia, San Francisco 1993, p. 125). 10. H.-J. K limKeit, Gnosis on the Silk Road, pp. 124–125, modified by BeDuhn; cf. F. C. anDreas – W. B. henninG, “Mitteliranische Manichaica aus ChinesischTurkestan, III,” Sitzungsberichte der Preussischen Akademie der Wissenschaften 18 (1934), pp. 846–912 (pp. 878–881).

245

Zsuzsanna Gulácsi This teaching is also discussed in another early text, Kephalaion 143 (345:21–26), entitled “All apostles, who come into the world are sent from a single power, although they differ on account of their lands.” This passage attributes the differences of the Primary Prophets to their respective cultures, due to their distinct “lands” and “languages.” The passage reads: Just like the king is a single person, but the laws (nomos) and the ambassadors do not resemble one another, and his letter bearers (epistolophoros) do not resemble one another, because the lands and the languages to which they are sent are different from one another – the one does not resemble the other – so also is the great and glorious power, through which all apostles are sent: the revelation (apokalypsis) and the wisdom (sophia) which is given to them is given in different forms. This is the case because none is similar to another because the languages to which they are sent do not resemble one another. 11

Based on the above quotations, the nuanced visual syntax of the two Uygur fragments becomes readily comprehensible. This visual syntax is built by arranging five motifs (the celestial bodies, the deity, the four youths, the four prophets, and the laity) into a hierarchical diagram (Figs. 2 and 3). (1) The celestial bodies are shown along the top edge of the paper fragment. One large and numerous smaller gold disks symbolize the sun and the stars. The formal symmetry observed throughout indicates the moon and additional stars (now lost) along the left half of the composition. Fitting their upper location on the picture plane, close proximity to the central deity, and the overall subject depicted here, this set of celestial symbols evoke the idea of liberation (i.e., the means of liberation) in Manichaean teaching—the ultimate goal behind the teaching of the Primary Prophets—as confirmed in textual sources. (2) A single deity is distinguished by its central location, large scale, and canopy at the core of the composition. Visual data for this central and most prestigious motif is preserved in both fragments. (3) Four youths are shown around the deity’s lotus throne in the silk fragment—two closer to the viewer and another two further away—as if they were surrounding the deity from four sides. Their devotion to the cause of this God is indicated by their monastic garments, their hands clasped in a gesture of worship, and their posture—sitting on their heels while facing towards the deity. (4) Four prophets are placed around the deity at the four corners of the composition. Two survive between the two fragments: at the upper right, Shakyamuni with standard Buddhist iconography (including his ushnisha, elongated earlobes, kāṣāya, and in the place of a lakshana on his chest, what appears to be his inscribed title); and

11. Kephalaion 143, 346.2–13 (W.-P. FunK, Kephalaia I, Hälfte 2, Lfg. 13/14, Stuttgart 1999, pp. 345–346); after P. Dilley, “Mani’s Wisdom at the Court of the Persian Kings”, in I. GarDner – J. BeDuhn – P. Dilley (ed.), Mani at the Court of the Persian Kings: Studies on the Chester Beatty Kephalaia Codex, Leiden 2014, pp. 15–51 (p. 27).

246

Symbols of liberation at the lower right, Jesus with standard Christian iconography (dressed in long robes and holding a processional cross on his staff). The formal symmetry retained on both fragments confirms the original presence of two additional prophets along the left (most certainly Zoroaster at the upper left, as seen in the Chinese Manichaean Diagram of the Universe; and Mani at the lower left, since Mani is the fourth primary prophet in textual sources). 12 (5) Lay people are seated in a row along the bottom edge of the silk fragment, as suggested by the three people retained on Jesus’ side and the analogous arrangement of auditors in Uygur-era Manichaean iconography, which routinely puts members of the Uygur court in this role. 13 The early Manichaean literature surveyed below also allows us to see the rationale for why the artist needed these five motifs to create a thematic structure, formed by three subscenes, to capture the essence of Mani’s teaching about the universality of the Primary Prophets. The first sub-scene (Promise of Liberation) depicts the Light Mind surrounded by the salvation-seeking souls at the core of the paintings. It is built from three motifs by arranging the celestial bodies and the four youths around the deity. Together, they convey the Light Mind’s promise of liberation to the salvation-seeking soul. The deity is the Light Mind (the Mind of Light, whose name is translated in Manichaean studies sometimes with the ancient Greek noun, nous [‘mind’] as “Light-Nous”). 14 Although the celestial bodies are not mentioned in association with the Light Mind, the universal role of this deity in the liberation of light, “that will be purified from the world” and returned to the Realm of Light (ferried by the sun and the moon) is noted in Kephalaia 28 and 29:

12. The two possible iconographies behind this centralized, five-figure composition—i.e., a deity surrounded by four prophets (Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” pp. 129–130)—vs. Mani surrounded by four prophets (eaD., “Searching for Mani’s Picture-Book,” pp. 244–245) were noted earlier with an emphasis on the need for further research. The subsequent identification of the Light Mind’s role behind the work of four prophets (as seen in M 42), in addition to the lack of a teaching with five prophets, provides strong evidence for the interpretation argued in detail above. 13. E.g., the Uygur Manichaean Sermon Scene on MIK III 8259 folio 1, recto (Z. Gulácsi Manichaean Art in Berlin Collections, Fig. 28.4). 14. P. Van linDt, The Names of Manichaean Mythological Figures: A Comparative Study on Terminology in the Coptic Sources, Wiesbaden 1992, p. 156, p. 159, and p. 169; and iD., “The Light-Nous in the Coptic Manichaean Documents,” in A. Van tonGerloo (ed.), The Manichaean ΝΟΥΣ. Proceedings of the International Symposium Organized in Louvain from 31 July to 3 August 1991, Louvain 1995, pp. 267–288 (p. 288).

247

Zsuzsanna Gulácsi […] the Light Mind, who shall come and appear in the world. And he chooses the holy church and unveils and separates light from darkness and sets the truth apart from lawlessness. 15 […] the Great Mind, to whom all the churches shall gather and all the life that will be purified from the world returns to him. 16

The Light Mind is the root of the divine intellect in every believer—the conscience that leads and steers the elect and the catechumen on the way of faith. In this capacity, he is addressed by the “youth” in M 42, and is shown enclosed by the originally four boys in the center of the painted silk fragment (see Fig. 2). The Light Mind was most certainly the deity shown in the center of the scene on the paper fragment, which does not preserve enough from this figure to confirm that this depiction of the Primary Prophets Subject also included the motif of the four salvation-seeking souls. The salvation-seeking souls form a prominent motif in this iconography that can be seen in other Manichaean paintings as well. The four youths surrounding the Light Mind in the Uygur silk painting correspond to the four youths prominently featured on four islands around Mount Sumeru in the Chinese Manichaean Diagram of the Universe—a high quality silk hanging scroll painted during the 14th-century in Zejinag or Fujian provinces. 17 In this Yuan-dynasty painting, each child figure is shown accompanied by a pair of divine attendants standing on a descending cloud and facing a lay couple (possibly symbolizing the parents of the child), who display signs of reverence by kneeling and clasping their hands in the gesture of homage (Fig. 4). In light of the Uygur silk fragment and M 42, the motif of the four youths seems to symbolize “the fortunate souls”, who seek salvation and are “led out of servitude”. Painted about 400 years earlier, their iconography on the Uygur silk fragment evokes the high spiritual status of novices (vs. the lesser status of the laity shown at the bottom of the scene) complete with the characteristic juvenile haircuts of boys in the region, dressed in what appear to

15. Kephalaion 28, 80.33–81.1 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher: The Edited Coptic Manichaean Texts in Translation with Commentary, Leiden 1995, p. 82). 16. Kephalaion 29, 82.22–24 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher, p. 84). 17. For the identification of this painting by Yutaka yoshiDa (“Cosmogony and church history depicted in the newly discovered Chinese Manichaean paintings,” Yamato Bunka 121 [2010], pp. 3–34 [in Japanese with English summary] and “Southern Chinese Version of Mani’s Picture Book Discovered?,” in S. r ichter [ed.], Mani in Dublin, pp. 389– 398), an overview of previous scholarship, as well as a comprehensive interpretation, see Z. Gulácsi – J. BeDuhn, “Picturing Mani’s Cosmology: An Analysis of Doctrinal Iconography on a Manichaean Hanging Scroll from 14th-century Southern China,” Bulletin of the Asia Institute 25 (2015 [2011]), pp. 55–105.

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Symbols of liberation be the garments of elects. Appropriately to a Primary Prophets Scene, theses four salvation-seeking souls are positioned sitting humbly on their heels with hands clasped in worship directed towards the Light Mind. 18 The second sub-scene (Light Mind, the Father of the all Prophets) adds to this iconography the motif of the four prophets, whose teachings are directed to specific regions of the world. In M 42, the Father of Greatness instructs the Light Mind to dispatch the “messengers”: Zarathustra, Shakyamuni, Jesus, and Mani. The Light Mind’s role as “the father of all the apostles” is also conveyed in Coptic in Kephalaia 7 and 20: […] the Light Mind, the one who chooses all the churches. 19 […] the Light Mind, the father of all the apostles, the eldest of all the churches, the one whom Jesus has appointed corresponding to our pattern in the holy church. 20 […] the Light Mind shall be called the “Father.” His greatness is the holy church because he lives and is established in it. 21

In these texts, the Light Mind is the founder of all religions. In the visual language of art, the universal role of this deity behind the work of “all the churches” is captured effectively in the two Uygur paintings by placing the four prophets around the Light Mind at the four corners of the composition. The originally four prophet figures in the two Uygur paintings correspond to the four prophets in M 42: “Zarathustra [who] descended into the realm of Persia […], Buddha Shakyamuni […] [who] opened the door of salvation for the fortunate souls among the Indians. Then Jesus [who] […] and Mār Mani [who] […];” and the “apostles, who come into the world are sent from a single power, although they differ on account of their lands” in the title of Kephalaion 143 (345:21). While M 42 is more fragmentary on Jesus and Mani, it still clearly conveys the regional ties of the Primary Prophets, just as

18. In his initial study of the Diagram of the Universe, Yutaka Yoshida discussed the five occurrences of the young boy/girl as possible representations of children who died young with their parents (“Cosmogony and church history,” p. 20b and note 85); and also hypostasized that the couple depicted four times on the surface of the earth were the donators of this painting (personal communication). At the last conference of the International Association of Manichaean Studies, Gábor Kósa reasoned that since the four continents represent the locality where the four apostles were sent to, the four child figures may be the apostles in their youths (see E. C. D. hunter – S. N. C. lieu – E. morano [eds.], Manichaeism East and West: Proceedings of the Eighth IAMS Conference at SOAS, London, 9-13 September 2013, Turnhout [forthcoming 2016] ). 19. Kephalaion 7, 36.1–2 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher, p. 40). 20. Kephalaion 7, 35.21–24 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher, p. 39). 21. Kephalaion 20, 64.8–10 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher, p. 67).

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Zsuzsanna Gulácsi does the introductory chapter of the Kephalaia. 22 Later interpreters of Mani also emphasize the regional aspect of the four prophets in Mani’s Primary Prophets doctrine, such as Ibn al-Murtaḍā (d. 1437 c.e.) in his Kitāb al-munya: Then He (i.e., God) sent the Buddha to India, Zarādusht to Persia, Jesus to the West, and then Mānī the Paraclete, “seal of prophets” and guide of the attested prophets. Thus also has Mānī related in his book. 23

The third sub-scene (Paths to Liberation) concludes the composition by introducing the laity arranged in a row beneath the Primary Prophets on the silk fragment (see Fig. 1a). The laity is an appropriate last component to the iconography of this teaching, representing the local audience to which it is delivered. On the hanging scroll, members of the Uygur court can be identified in this role through their headgear. Since the lower part of the handscroll does not survive, the inclusion of the laity cannot be confirmed as a routinely used component—just as the boys symbolizing the salvation-seeking souls cannot be confirmed. The same is true for the motif of the celestial vessels seen on the handscroll (see Fig. 1b). Since the upper part of the hanging scroll was already lost when the fragment was copied, the presence of the sun, the moon, and the stars cannot be confirmed, but could also have been part of the original iconography. Either way, the five motifs that do survive between the two fragmentary paintings convey effectively a visual rendition of a teaching well attested in textual sources. The equality of the Primary Prophets under the supremacy of God, who acts through His agent, the Light Mind (Great Mind), is an essential component of this teaching—conveyed effectively in text and art. In the visual language of the two Uygur paintings, the identical scale and the even distribution symbolize the equal status of the four figures. Analogously, the equality of the four figures is observed in the depiction of the Primary Prophets on the Chinese Manichaean Diagram of the Universe (Fig. 5). 24 In the latter, the iconography of the two inner figures (shown further away from the viewer) is straightforward. These two represent the earlier prophets: the historical Buddha, who is identified by his ushnisha at the upper right; and Zoroaster,

22. See the unnumbered introduction to the Kephalaia 7.6–8.7 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher, p. 13). 23. J. C. r eeVes, Prolegomena to a History of Islamicate Manichaeism, London 2011, p. 127. 24. Yoshida identifies these figures as the four faces of the Father of Greatness (Y. yoshiDa, “Cosmogony and church history,” p. 16a; and subsequently G. Kósa, “Translating the Eikon: Some Considerations on the Relation of the Chinese Cosmology Painting to the Eikon,” in J. P. laut – K. röhrBorn [ed.], Vom Aramäischen zum Alttürkischen. Fragen zur Übersetzung von manichäischen Texten. Vorträge des Göttinger Symposiums vom 29./30. September 2011, Berlin 2013, pp. 49–84 [pp. 63–64]).

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Symbols of liberation who is identified by holding a green barsom branch at the upper left. 25 Although there are no obvious identifying marks for the other two figures (shown in the foreground), based on the distribution of the four figures in the two Turfan paintings, it seems that they are the two more recent prophets: Jesus at the lower right and Mani at the lower left, shown in this assembly as one of the Primary Prophets. 26 Mani’s teaching about the cosmic parity of the four messengers is also conveyed by Al-Biruni (973–1048 c.e.). In his Chronology of Ancient Nations (Ar. Kitāb al-āthār), completed in 1000 c.e., Al-Biruni summarizes what he read in Mani’s Shāpuhragān: He (Mānī) states at the beginning of his book which is called al-Shābūraqān (i.e., Shāpuhragān), which is the one that he composed for Shābūr b. Ardašīr: “Apostles of God have constantly brought wisdom and deeds in successive times. In one era they were brought by the apostle al-Bud (i.e., the Buddha) to the land of India, in another era by Zardāst (i.e., Zoroaster) to Persia, and in another (era) by Jesus to the West. Now this revelation has descended and this prophecy promulgated during the final era by me, Mānī, the apostle of the God of truth to Babylonia. 27

This equality of the four prophets is unique to Mani’s Primary Prophets doctrine about the divine plan of salvation, according to which the Light Mind “opened the door of salvation for the fortunate souls” through God’s human messengers. The only other teaching of Mani that concerns his forerunners focuses on the adulteration of the earlier prophets’ message and emphasizes the superiority of Mani’s religion. 28 Mani sees the reason for this adulteration in the lack of records left behind by his fellow prophets, since neither Zoroaster, nor Shakyamuni, nor Jesus wrote the holy books of their religions.

25. Barsom is the Middle Persian name for a sacred plant used in Zoroastrian liturgy, see Encyclopædia Iranica Online, s. v. “BARSOM,” accessed June 05, 2014 (http://www. iranicaonline.org/articles/barsom-av). 26. For the relative chronology of the Buddha and Zarathustra in Manichaean sources, see W. sunDermann, “Manichaean Traditions on the Date of the Historical Buddha,” in H. Bechert (ed.), Dating the Historical Buddha, t. I, Göttingen 1991, pp. 426–438 (pp. 426–438). 27. J. C. r eeVes, Prolegomena to a History of Islamicate Manichaeism, pp. 102–103. 28. Mani often discusses this teaching within a ten-point list about the superiority of his religion. See the quote and discussion from Kephalaion 151 (371.20–30, W.-P. FunK, Kephalaia I, Hälfte 2, Lfg. 15/16, Stuttgart 2000, p. 371). For the Middle Persian version of the passage on M 5794, see H.-J. K limKeit, Gnosis on the Silk Road, p. 216. For the Sogdian versions on Chin. 5554, see W. sunDermann, Ein manichäisch-sogdisches Parabelbuch, Berlin 1985, pp. 27–28, lines 125–135. Without being part of a ten-point list, the same teaching of superiority is stated in the unnumbered introductory chapter of the Kephalaia, 7.6–8.7 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher, pp. 12–13), where it is attributed to the lack of scripture left behind by Zoroaster, the historical Buddha, and Jesus.

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Zsuzsanna Gulácsi Instead, their teachings were written down through recollections by their disciples, who, without the benefit of prophethood, had only a muddled understanding of the divine plan. In this regard, Mani sees his religion as superior to that of his forerunners. 29 Moreover, Mani claims that his prophethood enables him to makes sense out of and incorporate into his religion certain scriptures from Zoroastrianism, Buddhism, and Christianity. Accordingly, in Kephalaion 151, Mani compares the sum of his books to a “powerful current,” fed by the tributaries of antecedent religious literature: The writings, wisdoms, apocalypses, parables, and psalms of the earlier churches from all parts are reunited in my church to the wisdom, which I have revealed to you. As a river is joined to another river to form a powerful current, just so are the ancient books joined in my writings, and form one great wisdom such as has not existed in preceding generations. 30

Later in this sermon, Mani names three prophets from the “earlier churches”. By doing so, he engages the three main religions of his time. Although Mani clearly states the superiority of his religion over the other revealed religions contemporaneous with him, he still acknowledges the true prophethood of Jesus, Zoroaster, and the historical Buddha. He discusses them as his equals—“my brothers, who have come before me,” 31 and “the fathers of righteousness.” 32 In a Middle Persian version of the above sermon preserved on the Turfan fragment M 5794, Mani calls them “holy leaders” and compliments their work by stating that the “older religions were in order, as long as there were holy leaders in them.” 33 Accordingly, in the visual language of the two Primary Prophets Scenes, the equal status of the four prophets is expressed (1) in relation to each other and (2) in contrast to the higher status of the central figure. Mani is not in the center of this system. He is one of the four prophets (most likely depicted in the lower left). All four prophets are painted on the same scale, seated

29. Additional references to Mani’s superiority in Turkic texts include lines from the Great Hymn to Mani in the Turkic Manichaean Pothi-book: “(05-08) […] you are splendid to see, my Father, Mani the Buddha. Thus and therefore, I praise and worship you. Like a cintāmaṇijewel, [you are] worthy to keep on the flat crown of the head. Oh, you are worthy! (16–18) […] you are worthy to be carried on the flat crowns of the heads of the former Buddhas, of all of them. / Thus, I [praise] and worship you” (L. clarK, Uygur Manichaean Texts: Texts, Translations, Commentary, t. II, Liturgical Texts, Turnhout 2013, p. 183). 30. Kephalaion 151, 372.11–19 (W.-P. FunK, Kephalaia I, Hälfte 2, Lfg. 15/16, p. 372, after J. BeDuhn, “Eucharist or Yasna?: Antecedents of Manichaean Food Ritual,” in R. E. emmericK – W. sunDermann – p. zieme (ed.), Studia Manichaica: IV. Internationaler Kongress zum Manichäismus, Berlin 2000, p. 14, note 2). 31. Kephalaion 151, 371.20–30 (W.-P. FunK, Kephalaia I, Hälfte 2, Lfg. 15/16, p. 371). 32. See the unnumbered introduction to the Kephalaia, 8.8 (I. GarDner, The Kephalaia of the Teacher, p. 13). 33. H.-J. K limKeit, Gnosis on the Silk Road, p. 216.

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Symbols of liberation identically, and are distributed at the four corners equidistant from the larger deity shown under a canopy in the focal point of the composition. This iconography is unambiguous in communicating a difference between one higher-ranking central figure and the four lesser-ranking corner figures. Based on these basic facts of formal analysis—an essential tool in the discipline of art history—the hierarchy of the Light Mind among these figures must be acknowledged. 34 The doctrine about the Salvation-seeking Souls, the Primary Prophets, and the Light Mind is a core Manichaean teaching that dates back to Mani’s time. It is discussed in early Manichaean literature in Parthian (M 42) and Coptic (Kephalaia 7, 20, 28, 29 and 143), and in later Arabic summaries of Mani’s teachings (Ibn al-Murtaḍā and Al-Biruni). Moreover, it is also depicted among the canonical images of the Manichaeans as documented by the two fragmentary Primary Prophets Scenes at the focus of this study. One of them derived from an Uygur-era version of the original format associated with Mani’s collection of Pictures—the solely pictorial horizontal handscroll that contained a series of images. The other derived from a format that was newly introduced during the Uygur era for displaying Manichaean didactic paintings—the vertical hanging scroll that featured one single image. Despite their different formats, these two Primary Prophets Scenes are versions of one didactic diagram that share not only a Manichaean doctrinal theme (prophetology), but also an identical composition and an iconography rich in Buddhist-looking features. The mandala design, the lotus flowers, the attributes of Shakyamuni, the canopy over the Light Mind, the haircuts of the youth, and the garments of the laymen are all characteristic to the arts of 10th-century East Central Asia and are frequently seen in the contemporaneous Buddhist art of the region. In these Uygur-era Manichaean paintings, even some Christian-rooted motifs were impacted by local norms of religious art. Jesus became seated cross-legged on a lotus support and dressed in long loosely folding robes just as the Buddha was (and most certainly Zoroaster and Mani were also). Some key identifying elements in the iconography of these prophets, however, required no modification and remained uncompromised. The staff that rests on Jesus’ shoulder and the even-armed processional cross that caps Jesus’ staff are both characteristic of early (i.e., Roman- and early Byzantine-era) Christian art during the 4th and 6th century. 35 The sun and moon motifs are also attested flanking something important at the top

34. Without the benefit of a detailed contextualized analysis in light of Manichean texts, the two possibilities of either the Light Mind or Mani as the central figure were both noted in a preliminary study of these fragments (Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” pp. 130–131, note 76). 35. Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” pp. 135–140.

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Zsuzsanna Gulácsi of scenes in the art of 3rd-century Mesopotamia, where Mani’s collection of images was first painted. Together these features indicate that the prophetological diagram preserved in the two Primary Prophets Scenes was not newly invented in Kocho, but instead it goes back to an earlier prototype that originated among the only didactic group of images that Manichaeans had in West Asia—their canonical paintings, known as Mani’s (Book of ) Pictures. Copying this diagram onto a paper handscroll and a silk hanging scroll in Kocho involved adapting an archaic West Asian composition and iconography to the new visual language of Uygur East Central Asia, without compromising the original meaning of the Manichaean message. 36 A similar adaptation of this Manichaean doctrine to locally comprehensible (Buddhist) concepts is evident in three late textual sources. In an Uygur hymn to Mani, we read: “you (Mani) descended after the four prophets (Uyg. tört burkhan lit. ‘four Buddhas’).” 37 This evocation does not correspond to a teaching found anywhere else in Manichaean literature, where Mani’s primary predecessors are enumerated as three, not four. The characterization of Mani as a fifth prophet (following four others) in this Uygur hymn, however, is similar to what is documented in two southern Chinese polemical accounts from the 12th–13th century. 38 These Chinese texts situate Mani as the “fifth”/“last” Buddha within a Buddhist system of “five (celestial/cosmic) Buddhas” popular at the time. Unrelated in their respective origins, the Manichaean diachronic and earthly doctrine of four successive prophets (with Mani as the fourth and last) is merged unsuccessfully in these Chinese texts with the Buddhist synchronic and cosmic doctrine of five celestial Buddhas. The merger of these

36. Analogously, locally appropriate vocabulary had to be chosen for translating Manichaean texts as the religion spread across the Asian continent. In Greek, Coptic, and Latin settings, where the Manichaean terminology depended on Christian vocabulary, the preferred noun became “apostle” (< Gr. apostolos, lit. ‘messenger, ambassador, or envoy,’ see H. G. liDDell – R. scott, A Greek-English Lexicon, Oxford 1961, p. 220). In the Chinese context, where the Manichaean vocabulary became based on Chinese Buddhist terms, the noun fo (‘buddha,’ but also ‘foreign deity, god, or prophet’) was chosen to mean such a religious authority. Thus, (Chin.) fo captures two concepts typically distinguished in religious studies: a human authority and a mythological being (for more, see Z. Gulácsi, “A Manichaean Portrait of the Buddha Jesus,” p. 92, note 2). An analogous word-choice is seen in the Uygur burxan (‘buddha’) in reference to Mani and in the phrase “former messengers of God, [that is] the Buddhas” (Uyg. söki täŋri yalavačı burxan), or “true messengers of God, [that is] the Buddhas” (Uyg. kertü täŋri yalavačı burxan), (L. clarK, Uygur Manichaean texts, pp. 153 and 102, respectively; and “former Buddhas” [söki burxanlar] p. 183). In religious studies today, “prophet” is the accepted term for such human messengers of God. 37. L. clarK, Uygur Manichaean Texts, p. 156. 38. (Chin.) wofo, see G. miKKelsen, Dictionary of Manichaean Texts in Chinese, p. 72; É. chaVannes – P. pelliot, “Un traité manichéen retrouvé en Chine, traduit et annoté (Deuxième partie),” Journal asiatique (1913), pp. 334–335 and note 1; and S. N. C. lieu, Manichaeism in Central Asia and China, Leiden 1998, pp. 110–111.

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Symbols of liberation two systems produces a semantic conflict. Both systems feature a main deity (the Light Mind for the Manichaeans and Vairochana for the Buddhists) and four lesser beings (the Primary Prophets for the Manichaeans and the Celestial Buddhas for the Buddhists), the hierarchy of which makes sense in each respective religion. 39 But when the two systems are mixed in these texts, the resulting amalgam distorts the numerology of the Manichaeans’ Primary Prophets doctrine and produces a false analogy. Therefore, these three texts do not inform the Manichaean doctrine depicted in the two Primary Prophets Scenes. For that, we must relay on unadulterated Manichaean teachings preserved in early literature (such as M 42, and Kephalaia 7, 20, 28, 29 and 143) and medieval Arabic scholarship accurately summarizing Mani’s teachings (such as the writings of Ibn al-Murtaḍā and Al-Biruni). All in all, the above analysis has shown that, occasionally, art historical research must see beyond the dominant iconography of a religious work of art. In order to fully appreciate the surviving remains of Uygur Manichaean paintings as primary visual sources, their study has to take into consideration data about subject matter, composition, format, as well as minor iconographic symbols to see beyond a superficial layer of Buddhist “influence.” Based on this approach, it has become clear that these two seemingly insignificant fragments from 10th-century Kocho preserve critical evidence about the doctrinal content and the East Central Asian developments of Manichaean canonical art.

39. For an overview of the five celestial Buddhas, see R. E. Jr BusWell (ed.), Encyclopedia of Buddhism, New York 2004, pp. 73–74 and pp. 77–78.

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Pl. 1: Two Uygur Manichaean fragments surviving in depictions of the Four Primary Prophets of Manichaeism around the Light Mind from 10th-century Kocho.

c

e d b b. Interpretation of the five lost fragments of a hanging scroll, H: ca. 90cm. (after Z. Gulácsi, “A Manichean Portrait of the Buddha Jems,” Fig. 11b)

a

a. Drawn copy of five lost fragments of a painted and gilded silk hanging scroll, H: ca. 60 cm. (after A. Von le coq, Die Budhistische Spätantike, 26)

d. Interpretation of MIK III 4947 & III 5d as a fragment of a handscroll, H. ca. 26 cm. (after Z. Gulácsi, “A Manichean Portrait of the Buddha Jesus,” Fig. 10b)

c. Two matched fragments of a painted and gilded pictorial handscroll, H: 13,8 cm. (MIK III 4947 & III, 5d, Museum of Asian Art, Berlin)

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Pl. 2: Visual syntax of the Four Primary Prophets and the Salvation-seeking Souls around the Light Mind image on an Uygur-era hanging scroll. (unnumbered lost item, after a. Von le coq, Die Budhistische Spätantike) a. Analysis of thematic structure MOTIFS

1 (celestial bodies) (sun, moon, stars) (missing or omitted)

2 deity Light Mind

3 four youths salvation-seeking souls

4 four prophets Zoroaster, Buddha, Jesus, Mani

5 laypeople auditors

1. Promise of Liberation

SUBSCENES

2. Light Mind, the Father of all the Prophets 3. Paths to Liberation SCENE

The Primary Prophets with the Light Mind and the Salvation-seeking Souls

b. Motifs in reconstruction diagram

ZOROASTER

LIGHT MIND

SHAKYAMUNI

a MANI

d

JESUS

e

SALVATION-SEEKING SOULS

LAYWOMEN & MEN

b

a

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Pl. 3: Visual syntax of the Four Primary Prophets of Manichaeism around the Light Mind image in an Uygur-era picture book. (MIK III 4947 & III 5d, Asian Art Museum, Berlin) a. Analysis of thematic structure MOTIFS

1 (celestial bodies) (sun, moon, stars) (missing or omitted)

SUBSCENES

2 deity Light Mind

3 four youths salvation-seeking souls

4 four prophets Zoroaster, Buddha, Jesus, Mani

5 laypeople auditors

1. Promise of Liberation 2. Light Mind, the Father of all the Prophets 3. Paths to Liberation The Primary Prophets with the Light Mind

SCENE

b. Motifs in reconstruction diagram

ZOROASTER

SHAKYAMUNI

LIGHT MIND

MANI

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JESUS

Pl. 4: Four salvation-seeking souls symbolized by four youths in the Diagram of the Universe, details. (after Z. Gulácsi and J. BeDuhn, “Picturing Mani’s Cosmology,” Plate 15)

a. As shown at upper left quarter of earth.

b. As shown at upper right quarter of earth.

c. As shown at lower left quarter of earth.

d. As shown at lower right quarter of earth.

Pl. 5: The Four Primary Prophets of Manichaeism in the Diagram of the Universe, detail. (after Z. Gulácsi and J. BeDuhn, “Picturing Mani’s Cosmology,” Plate 10)

Zoroaster

Mani

Shakyamuni

Jesus

259

VÉRITÉ, ERREUR ET MENSONGE DANS LE PSAUTIER ET LES KEPHALAIA DU FAYOUM* Madeleine scopello Correspondant de l’Institut CNRS – École pratique des hautes études, PSL Research University Paris [email protected]

La vérité et son opposé, l’erreur, constituent un thème majeur des écrits manichéens, élaboré, selon les contextes, sur le plan ontologique, cosmologique et anthropologique. Dans la documentation copte du Fayoum, ce thème apparaît aussi bien dans le Psautier 1, où sont exprimés la détresse mais aussi l’espoir d’une communauté manichéenne d’Égypte, que dans la construction doctrinale des Kephalaia. Si dans le Psautier ce thème est souvent, mais pas exclusivement, traité sur le plan anthropologique et même individuel, dans les Kephalaia il acquiert un souffle plus ample, se déployant dans le mythe construit par Mani et dans l’interprétation qu’il en fournit. Imbriquée au cœur même de la doctrine des Deux Principes, l’opposition entre la vérité et l’erreur trouve sa place dans le cortège des couples de contraires qui caractérisent la pensée manichéenne et en soulignent la teneur dualiste : bien et mal, lumière et ténèbres, connaissance et ignorance, vie et mort, par exemple.

*

1.

Nous offrons à Jean-Daniel Dubois ces pages qui portent sur la vérité, un thème qu’il a luimême abordé dans le domaine de la gnose, dans deux de ses articles : « Remarques sur le texte de l’Évangile de Vérité (CG I, 2) », Vigiliae Christianae 29 (1975), p. 138-140 ; « La référence au “corps de la vérité” dans l’exégèse biblique de la gnose valentinienne », dans M. Gorea – M. tarDieu (dir.), Autorité des auteurs antiques : entre anonymat, masque et authenticité, Turnhout 2014, p. 205-212. On ne tiendra compte dans cet article que des textes publiés par C. R. C. a llBerry (éd.), A Manichaean Psalm-Book, Part II, Stuttgart 1938, et par H.-J. polotsKy – A. BöhliG (éd.), Kephalaia, Band I, 1. Hälfte, mit einem Beitrag von H. iBscher, Stuttgart 1940, nous réservant de faire ultérieurement une enquête plus complète qui englobera aussi les Homélies.

261

Madeleine Scopello Enrichies par des apports divers – de la pensée de l’Iran au Nouveau Testament et au judéo-christianisme en passant par la gnose –, les notions de vérité et d’erreur apparaissent dans le Psautier et les Kephalaia soit séparément soit dans un même contexte. À la notion d’erreur s’apparente celle de mensonge, fréquemment évoquée dans ces écrits en opposition à la vérité. Résultat tangible de la notion ontologique d’erreur, le mensonge la consolide et la propage, il en est le pendant actif. Remarques terminologiques Dans le Psautier et les Kephalaia le terme « vérité » est rendu non pas par le gréco-copte ἀληθεία 2, mais par son équivalent autochtone ⲙⲏⲉ 3. Pour désigner l’« erreur », les deux recueils ont aussi bien recours au substantif πλάνη 4 et au verbe πλανᾶν (dans ses diverses acceptions de « conduire à l’erreur », « tromper », « abuser », « séduire ») qu’à l’équivalent copte ⲥⲱⲣⲙ 5, sous la forme dialectale ⲥⲱⲣⲙⲉ. Les deux termes peuvent apparaître dans un même contexte, il en va ainsi dans le Psaume à Jésus 268 (p. 86,14 et 21) : dans la première occurrence, il est question des δόγματα de l’erreur (πλάνη), et dans la seconde, des fils de l’erreur (ⲥⲱⲣⲙⲉ). De même, dans le Kephalaion 90 (p. 225,8), l’erreur des δόγματα est rendue par πλάνη tandis que, quelques lignes plus loin (p. 225,23), ⲥⲱⲣⲙⲉ est utilisé au sujet des erreurs qu’ont pu commettre les catéchumènes. Également attestée est la forme ⲥⲣⲙⲉ, le trompeur, le séducteur (Psaume de Thomas p. 215,20) 6. On trouve de même le terme ϣⲟϥⲧ 7 « errer, commettre l’erreur » et le substantif correspondant

2.

3.

4. 5. 6. 7.

262

Rappelons pour mémoire l’étymologie d’ἀληθεία : ce qui n’est pas caché (α-λανθάνειν). Voir P. chantraine, « λανθάνω », Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Nouvelle édition mise à jour, Paris 1999, p. 618-619. Voir aussi R. Bultmann, « ἀληθεία », dans G. K ittel (dir.), Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament (désormais TWNT), t. I, Stuttgart 1954, p. 239-252 et « ἀληθεία », dans C. spicK, Lexique théologique du Nouveau Testament, Paris 1991, p. 78-93. W. E. crum, A Coptic Dictionary, Oxford 1939, ⲙⲉ (ⲙⲏⲉ SAA 2), col. 156b-158a. W. Vycichl, Dictionnaire étymologique de la langue copte, Louvain 1983, p. 105-106 (de l’égyptien MAAT). Pour l’ensemble des termes coptes que nous mentionnons, voir Dictionary of Manichaean Texts, Vol. I, Texts from the Roman Empire, Corpus Fontium Manichaeorum, compiled by S. clacKson – E. hunter – S. N. C. lieu in association with M. Vermes, Turnhout 1998. H. Braun, « πλανάω », dans TWNT, t. VI, p. 231-254. W. E. crum, A Coptic Dictionary, ⲥⲱⲣⲙ, col. 355a-b. Intransitif: “go astray, err, be lost”; transitif: “lead astray, lose”. La forme ⲣⲉϥⲥⲁⲣⲙⲉⲣⲱⲙⲉ (Psaume du Bêma, p. 15,26) désigne polémiquement Mani dans un contexte qui rapporte l’opinion des Mages à son égard. W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 611a-b.

Vérité, erreur et mensonge (Kephalaion 38, p. 94,32). Le terme ϩⲁⲗ 8, sous la forme ϩⲉⲗ (A, A2) – correspondant à ἀπατᾶν 9, voire à ψεύδειν, « tromper » – est également utilisé, bien que plus rarement 10. En ce qui concerne le champ lexical du mensonge, les substantifs ψεῦδος, ψεύστης, indiquant le mensonge et ce qui est faux, sont absents, tout comme l’adjectif ψευδής et le verbe ψεύδεσθαι 11. Sont en revanche employés le copte ϭⲟⲗ 12, sous la forme ϭⲁⲗ (A, A2), comme substantif (rare), « le menteur », l’adjectif, « menteur », et le verbe, « mentir, être faux ». Est aussi utilisé le terme ⲛⲟⲩϫ, comme substantif équivalent de ψεῦδος (« mensonge, fausseté ») voire d’ὑπόκρισις, et comme adjectif (« faux, mensonger, menteur ») 13. La vérité du royaume de la lumière La notion de vérité est appliquée au Principe du bien, défini comme « Dieu de vérité » et, bien plus rarement, à l’une ou l’autre de ses entités. Vérité, en tant que figure quasi personnifiée, dessine les contours du monde supérieur auquel l’âme, prisonnière dans le mélange du cosmos, tend à revenir. Cette identification de Dieu et vérité ne saurait surprendre. Bien attestée dans les textes gnostiques et dans la littérature chrétienne des premiers siècles, elle plonge ses racines dans la philosophie grecque 14 : ἀληθεία 15 est la vérité absolue (Phèdre 248b) qui illumine l’homme dans son existence (Gorgias 526d), et qui est en contraste avec le monde sensible, illusion de vérité. Dans la philosophie hellénistique, le concept d’ἀληθεία subit une évolution, la vérité se situe désormais au-delà de la connaissance humaine et n’est accessible que par voie de révélation ; elle devient ainsi synonyme d’οὐσία, de δύναμις, de θεότης mais aussi de γνῶσις 16.

8. W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 664a. 9. Cf. A. oepKe, « ἀπατάω », dans TWNT, t. I, p. 384-384. 10. Trois occurrences de la forme verbale ⲣϩⲉⲗ : Psaume du Bêma, p. 45,24, p. 107,9, p. 109,25 ; la forme substantive ⲙⲛⲧⲣϩⲉⲗ est présente dans Psaume du Bêma, p. 147,63 et p. 196,27 ; cf. Kephalaion 83, p. 200,32. 11. Voir H. conzelmann, « ψεῦδος, ψεύδομαι, ψευδής », dans TWNT, t. IX, p. 590-599. 12. W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 806b. Substantif : « lie, liar », ψεῦδος, ψεύστης. Adjectif : ψευδής. ⲣϭⲟⲗ : « be lie, false » ; ϫⲓ ϫⲉ ϭⲟⲗ : « speak lie », ψεύδεσθαι. 13. W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 246b-247a. Cf. W. Vycichl, Dictionnaire étymologique, p. 152. 14. Sur ce thème la bibliographie est très vaste. Voir par ex., R. herBertz, Das Wahrheitsproblem in der griechischen Philosophie, Berlin 1913. 15. Cf. É. Des places, Platon, t. XIV, Lexique de la langue philosophique et religieuse de Platon, Première partie, Paris 1964, p. 27-29. 16. Philon, les médio-platoniciens, les textes gnostiques ainsi que le corpus hermétique présentent de nombreuses occurrences de ces identifications.

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Madeleine Scopello Absente du Psautier, l’expression « Dieu de vérité », apparaît à plusieurs reprises dans les Kephalaia où elle est toujours explicitement référée au Père. Elle est présente, sans être autrement développée, dans le Kephalaion 74 (« Sur le feu vivant. Sa présence en huit lieux »). Si le feu vivant se trouve d’abord dans la terre de lumière, « le deuxième lieu où il se trouve c’est le Père, le Dieu de vérité, car le Père est établi dans sa grande et forte puissance (ϫⲱⲱⲣⲉ) » (p. 181,4). Les autres occurrences présentent toutes des expressions amplifiées. L’association du Dieu de vérité avec le cortège de ses éons est la plus fréquente. Dans le Kephalaion 9 (« Explication sur la paix, la main droite, le baiser et la salutation »), les étapes du parcours de l’Homme primordial (descente, sacrifice, secours par l’Esprit vivant) sont symboliquement reproduites dans les actes rituels de la communauté. Est entre autres mentionnée la salutation par laquelle l’Homme primordial a fait acte d’obéissance au « Dieu de vérité et à tous les éons de lumière qui appartiennent à sa maisonnée » (p. 38,30-39,2), puis, dans une redite, l’obéissance au « Dieu de vérité et à ses bienheureux éons et à tous les éons [… la terre] entière de lumière » (p. 39,33-34). Dans ce même Kephalaion, le Père est aussi appelé Seigneur du Tout, Père des lumières (p. 40,10). Quant aux manichéens, « ils feront acte d’obéissance au Dieu de vérité », « ils obéiront et rendront gloire au Dieu de vérité » (p. 41,1-2.10). D’autres textes associent l’expression « Dieu de vérité » à la fois à ses éons et à sa grandeur, terme technique accolé au Père dans ces écrits ; il en va ainsi dans le Kephalaion 2 (« Sur la parabole des deux arbres ») : « le Noûs est le Père qui réside dans la grandeur parfaite, dans les éons de lumière » (p. 20,1920), « le Noûs qui est le Père, le Dieu de vérité, le grand Noûs de tous les éons de gloire » (p. 20,30-31). Le Kephalaion 4 (« Sur les quatre grands jours et les quatre nuits ») s’exprime d’une façon analogue : « Le premier grand jour est le Père, le Dieu de vérité, le pr[emier au m]ilieu des éons de sa grandeur, dans son royaume vivant » (p. 25,12-15). Le Kephalaion 29 (« Sur les dix-huit grands trônes de tous les Pères ») met en revanche en relation vérité et essence (οὐσία) – ce qui n’est pas sans rappeler les spéculations philosophiques post-platoniciennes, de Philon aux hermetica et à la gnose, dans lesquelles ἀληθεία est synonyme d’οὐσία. L’argument d’éminence apparaît aussi dans ce passage : « Le premier trône est le trône du Père, le Dieu de [véri]té, le Roi des éons de la grandeur, celui qui est situé et qui est établi […] lui seul, dans sa propre essence (οὐσία) […]. Celui-ci est le premier trône […] plus élevé que tous les trônes » (p. 81,29-33). Enfin dans le Kephalaion 38 (« Sur l’intellect de lumière, les apôtres et les saints »), le Père vers lequel monte l’élu est défini comme « le Dieu de la vérité, Celui qui est (ⲡⲉⲧϣⲟⲟⲡ) et qui est établi au-dessus de toute déficience » (p. 100,7-11). L’on notera dans ce passage l’expression technique « Celui qui est », traduisant le grec τὸ ὄν.

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Vérité, erreur et mensonge Le Kephalaion 60 (« Au sujet des quatre Pères, à quoi ils ressemblent ») associe en revanche le Dieu de vérité à sa dimension cachée (ϩⲱⲡ étant équivalent de καλυπτός), lors d’une comparaison entre microcosme et macrocosme dans le cadre d’un discours sur les organes visibles et cachés du corps : « De même, le Père, le Dieu de vérité, existe. Il est caché (ϩⲏⲡ) dans son royaume, et ne se manifeste pas à la désolation extérieure » (p. 151,20-22). Deux entités du panthéon manichéen sont également reliées à la vérité. Le Kephalaion 11 (« Sur l’interprétation de tous les Pères de lumière ») explique que « le commencement de toute sagesse (σοφία) de vérité est la Vierge de la lumière » (p. 44,8-9). Quant au personnage eschatologique du Juge, il est appelé « Juge de vérité » dans deux occurrences, le Kephalaion 29 (« Sur les dix-huit trônes ») et le Kephalaion 120 (« Sur les deux essences »). Dans le premier texte (p. 83,5-8), il est question du huitième trône, établi dans l’air : « Le Juge (κριτής) de vérité, celui qui juge l’humanité tout entière, y siège ; trois chemins distincts se dégagent du trône, l’un menant à la mort, l’autre à la vie et le troisième au mélange ». Dans le second texte (p. 288,17-18), Mani explique à ses auditeurs qu’une fois sortis du corps ils verront de leurs propres yeux ce dont « il les a instruits et qui se réalise véritablement devant le Juge de vérité qui ne favorise personne ». L’association entre le juge et la vérité est également attestée dans le Psaume d’Héraclide 283 : néanmoins κριτής ne désigne plus ici le Juge du panthéon céleste mais Mani lui-même : « J’ai vécu jusqu’à entendre ta douce voix, ô véritable juge, ô glorieux » (p. 104,31-32). Le domaine de l’erreur Autant les Kephalaia que les Psaumes attestent la notion d’erreur et, dans l’optique pessimiste qui est la leur, en font l’une des principales caractéristiques du monde inférieur. On constate néanmoins une moindre insistance sur l’identification entre l’erreur et le Principe du mal, les textes s’attardant plutôt sur les conséquences qu’elle entraîne tant dans la création que dans le cœur de l’homme. L’Esprit des ténèbres, symbole de l’erreur L’un des écrits les plus intéressants à ce sujet est sans doute le Kephalaion 5 (« Sur les quatre chasseurs de la Lumière et les quatre chasseurs des Ténèbres »). En reprenant les divers moments du mythe manichéen, cette grande fresque allégorique met en scène des entités dont les quatre premières 17 se rangent sous l’autorité du Père de la lumière (p. 28,7-29,11), et les

17.

Les quatre chasseurs de lumière sont l’Homme primordial, le Troisième envoyé, Jésus Splendeur et le Grand intellect (ⲥⲁϭⲛⲉ).

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Madeleine Scopello quatre dernières 18, sous celle du Prince des ténèbres (p. 29,18-30,11). Ce texte fait une ample place à l’image des filets 19 et à son riche champ lexical pour illustrer, d’une part, le moyen par lequel les chasseurs de lumière – en accomplissant un processus de filtrage – rassemblent les particules lumineuses mêlées aux ténèbres dans l’univers, et, d’autre part, les tactiques des chasseurs des ténèbres pour les emprisonner. Dans la description du quatrième chasseur, l’Esprit des ténèbres, les filets désignent la doctrine de l’erreur (πλάνη) par laquelle il piège mortellement les âmes : Le quatrième [chasseur est l’Esprit] des ténèbres, la loi du péché et de la mort qui règne sur toutes les religions (δόγμα). Il se poste en embuscade pour piéger (ϭⲱⲣϭ) les âmes des humains, il les enserre (ϭⲗⲁⲙⲗ) 20 dans sa doctrine de l’erreur (ⲥⲃⲱ [ⲛⲧ]ⲉ ⲧⲡⲗⲁⲛ[ⲏ]), puis il les conduit à leur punition (κόλασις) éternelle. Son filet (ϣⲛⲉ) 21, par lequel il piège (ϭⲱⲣϭ) 22 les âmes jusqu’ à la mort, est sa doctrine de l’erreur (ⲥⲃⲱ ⲛⲧⲉ ⲧⲡⲗⲁⲛ[ⲏ]), pleine de ruse (ⲕⲣⲁϥ) 23, de tromperie (πανουργία) et de leurres (ⲕⲁⲧⲥ) 24 iniques (29,34-30,6).

Comme pour bien d’autres images, celle de l’erreur et des filets fonctionne aussi bien sur le plan cosmique que sur le plan anthropologique. Le thème de l’âme individuelle tombée dans les pièges apprêtés par ses ennemis se retrouve avec une certaine fréquence dans le Psautier copte, et surtout dans la section des Psaumes à Jésus. Le Psaume à Jésus 271 (p. 89,23-91,15) est, à ce titre, significatif. Par le truchement de l’âme, le psalmiste s’exprime ainsi au début de sa composition : Ô Christ que j’ai aimé, moi qui t’appartiens, je suis tombée dans les lacets (ⲡⲁϣ) du corps mortel ; les oiseleurs qui avaient disposé des trappes (ϭⲱⲣϭ) pour me capturer m’ont fait choir dans leurs rets (ϣⲛⲉ), ils m’ont privée de l’air de la liberté dont jouissent les beaux oiseaux. Mais regarde, tu es venu me chercher, Jésus, ma Lumière, toi qui délivres ceux qui sont tombés dans les liens : j’ai détruit leurs rets (ⲡⲁϣ), j’ai déchiré leurs filets (ϣⲛⲉ) par la foi de ta vérité.

18. Les quatre chasseurs des ténèbres sont le Roi des ténèbres, l’Intellect mauvais, la Convoitise et l’Esprit des ténèbres. 19. Sur ce thème, voir M. scopello, « Pièges et filets dans les écrits gnostiques de Nag Hammadi et la littérature manichéenne du Fayoum », dans A. m arDirossian – A. ouzonian – C. zucKerman (dir.), Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Mahé, Paris 2014, p. 573-594. 20. ϭⲗⲁⲙⲗ (ϭⲗⲟⲙⲗⲙ), W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 811b, traduit συμπλέκω, περιπλέκο, ἑλίσσω (cf. le latin circumvolvo), termes qui s’appliquent souvent au serpent. 21. ϣⲛⲉ désigne le filet du pêcheur ou de l’oiseleur, et traduit le grec δίκτυον ou ἀμφίβληστρον. 22. ϭⲱⲣϭ (W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 830a-b) comme substantif traduit le grec παγίς (filet, lacet), ἐνέδρα (action de se poster en embuscade) ; le verbe, tendre des embûches, παγιδεύειν. 23. ⲕⲣⲁϥ : W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 118b (ⲕⲣⲟϥ) rend les termes δόλος, ἔνεδρον. 24. ⲥⲁⲧⲥ (W. E. crum, A Coptic Dictionary, col. 127b), le leurre voire l’artifice, est l’équivalent de μέθοδος, μεθοδεία, πανούργευμα.

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Vérité, erreur et mensonge Cette strophe recèle un but pédagogique tant la mise en garde contre les pièges qui menacent l’âme est forte : déclinée par une palette de synonymes, la métaphore des pièges apparaît en effet cinq fois en six lignes et elle est reprise, une sixième fois, par celle des « liens » 25. Néanmoins la strophe se clôt par l’image positive d’une âme victorieuse, capable de détruire les « lacets du corps » par la « foi de ta vérité ». La p. 90,26-27 présente une reprise de la métaphore des filets, que le psalmiste associe à l’erreur que l’âme saura vaincre. Cette image est en opposition avec « la vérité de Jésus », mentionnée à la deuxième strophe : « J’ai entendu la force de ton Appel vivant, je t’ai suivi, j’ai abattu les pièges (ϣⲛⲉ) de l’erreur (πλάνη). » L’appel dont il est question est une allusion transparente au moment mythique dans lequel l’Esprit vivant, par son Appel, réveille l’Homme primordial, englouti par les ténèbres. Satan et l’erreur Dans les deux recueils du Fayoum, la notion d’erreur est sans surprise accolée à Satan dont sont mises en exergue la tromperie et la séduction, thèmes élaborés à l’aune de la tradition sapientielle, apocalyptique et néotestamentaire. Si dans le Kephalaion 2 (« Sur la parabole de l’arbre ») on mentionne « l’enseignement de l’erreur (πλάνη), le mystère que […] Satan a établi dans le monde » (p. 21,18-19), le Psaume de Thomas (« Sur l’Homme parfait ») évoque le royaume éphémère de celui qui est « le seigneur de cette maison 26, le séducteur (ⲥⲣⲙⲉ) du monde dont le pouvoir s’achèvera lorsque les éons du Dieu de la lumière parviendront à leur plénitude (p. 215,20-23). Le terme ⲥⲣⲙⲉ rend vraisemblablement πλανῶν, le séducteur, appliqué à Satan dans l’Apocalypse 12,9 : « celui qui est appelé Satan, le séducteur du monde entier 27 ». Dans le Kephalaion 38, c’est Satan, désigné par l’abstrait ⲙⲛⲧϫⲁϫⲉ, hostilité (ἔχθρα) 28, qui est l’initiateur de l’erreur ; à l’instar du Psaume de Thomas cité ci-dessus, on souligne dans ce texte le caractère provisoire de son pouvoir : « Maintenant comprenez ceci, que les puissances de lumière sont bonnes. Le commencement et la fin leur sont révélés ; tout ce qu’elles font est fait avec un jugement ferme. C’est pourquoi elles peuvent permettre que l’hostilité (ⲙⲛⲧϫⲁϫⲉ) fasse commencer l’erreur (ϣⲱϥⲧ) et qu’elle agisse selon son bon plaisir pour un temps » (p. 94,28-95,1). L’appellation courante d’ennemi (ⲡϫⲁϫⲉ équivalent de ἔχθρος) 29 est retenue dans le Kephalaion 38 pour 25. Ce psaume présente d’autres images typiques du manichéisme : le corps prisonnier (p. 90,4), les portes de l’Hadès (p. 90,8), la tempête sur la mer (p. 90,15-16). 26. « Maison » est ici probablement synonyme de « monde ». 27. Cf. aussi Apocalypse 20,10 ; 2 Jean 7 : « le séducteur (ὁ πλάνος) et l’Antichrist ». 28. Voir W. Foerster, « ἔχθρα », dans TWNT, t. II, p. 814-815. 29. Voir W. Foerster, « ἔχθρος », dans TWNT, t. II, p. 813 pour les emplois néotestamentaires référés à Satan.

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Madeleine Scopello indiquer le bâtisseur de l’erreur, dans une comparaison dressée par Mani entre microcosme et macrocosme : « Toute erreur (πλάνη), quand l’ennemi de la lumière la bâtit, il la construit selon l’image d’un homme » (p. 90,20). L’erreur du monde Cette expression apparaît à quelques reprises dans des contextes où l’on incite à se séparer de l’erreur du monde, l’agent séparateur étant soit le Sauveur, soit l’Esprit de vérité – entendons Mani –, soit les deux conjointement. Le début du Psaume du Bêma 223 (p. 9,3-5) dit ainsi : « Vénérons l’Esprit du Paraclet. Bénissons notre Seigneur Jésus qui nous a envoyé l’Esprit de vérité. Il est venu, il nous a séparés de l’erreur (πλάνη) du monde, il nous a apporté un miroir dans lequel nous avons vu l’univers ». Ce texte, qui présente de façon succincte la doctrine des Deux Natures, développe par la suite (p. 9,31-10,5) la comparaison bien connue du berger, du lion et de l’agneau. Cela permet au psalmiste d’exploiter le lexique de la ruse, exprimé par des mots techniques que nous avons déjà relevés précédemment : « (le berger) recourt à la ruse (ϣⲁϥⲣⲕⲁⲧⲥ), prend un agneau et le pose comme un appât (ϭⲁⲣϭⲥ) pour capturer le lion par son truchement. » En passant d’une image appartenant au domaine du réel à un épisode du mythe, l’auteur fait ensuite mention de la Vierge de lumière qui fonctionne, elle aussi, comme un appât destiné aux archontes : « il la déploya sur eux comme un filet (ϣⲛⲉ) lancé sur les poissons » (p. 10,15-19). Une autre attestation de l’expression « erreur du monde » apparaît dans le Psaume à Jésus 268. Le contexte est intéressant car le psalmiste utilise en même temps les thèmes de l’oubli, qui efface la mémoire du monde supérieur 30, et de l’ivresse 31, qui caractérise la sphère inférieure, pour exprimer sa vision pessimiste de la condition humaine : « Viens, mon Seigneur Jésus, sauveur des âmes, toi qui m’a délivré de l’ivresse et de l’erreur (πλάνη) du monde ! Tu es le Paraclet que j’ai aimé depuis ma jeunesse, ta lumière brille en moi comme un flambeau rayonnant : tu m’as éloigné de l’oubli de l’erreur (πλάνη) » (p. 56,15-19). Et quelques lignes plus loin : « J’ai séparé la lumière des ténèbres, la vie de la mort, le Christ et l’Église de la tromperie (ἀπάτη) du monde » (p. 56,23-25). « Le dieu de cet éon a fermé le cœur des incroyants et les a plongés dans son erreur (πλάνη), dans la tromperie (ἀπάτη) de l’ivresse » (p. 56,31-32). La partie finale du psaume reprend le motif de l’erreur du monde contre laquelle les commandements établis par Mani agissent comme un remède : « J’ai abandonné le monde et son erreur, j’ai aimé mon

30. Cf. p. 57,23 : « Bois l’eau de la mémoire, rejette l’oubli. » L’association entre le thème de l’erreur et celui du sommeil (de la mort) est aussi exploitée dans le Psaume à Jésus 261 (p. 75,31-76,1). 31. Ces images sont par ailleurs fréquentes dans les textes gnostiques.

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Vérité, erreur et mensonge Sauveur, j’ai prié, j’ai jeûné, j’ai donné des aumônes » (p. 57,23-24). Quant à la première partie de l’invocation finale, « Gloire et honneur à notre Père, le Dieu de vérité », elle s’adapte bien à ce psaume centré sur la notion opposée. Les religions de l’erreur et la vérité de la révélation de Mani On ne pourra faire l’impasse sur une expression technique d’importance que l’on retrouve fréquemment dans les recueils du Fayoum : les « δόγματα de l’erreur ». Le terme « erreur » est invariablement rendu dans les textes par πλάνη. Ayant traité ailleurs ce sujet 32, nous nous limiterons ici à quelques brèves remarques. Le terme δόγμα s’éloigne de sa signification grecque classique 33 d’opinion et de doctrine, pour acquérir une valeur négative dans les manichaica. Le sens de « secte » qui lui est généralement attribué par les traducteurs du Psautier et des Kephalaia ne convient pas : le terme désigne plutôt, selon les cas, les doctrines et les religions 34 avec lesquelles Mani est entré en conflit. Parmi les nombreux exemples, l’on retiendra le Psaume du Bêma 230 dans lequel le psalmiste s’adresse à Mani ainsi : « Tu es celui qui attend le Christ afin qu’il juge par ton entremise les pécheurs. Aujourd’hui, par toi également, le Noûs couvre de honte 35 les religions (δόγματα) de l’erreur (πλάνη) » (p. 26,15-17). Versons aussi au dossier le Psaume du Bêma 268 : « J’ai haï les choses de la chair […], je n’ai pas reçu les […] que les religions (δόγματα) honorent ne connaissant pas le Nom du Dieu de vérité, car toi tu m’as délivré de leur esclavage, mon Seigneur, le Fils de l’Homme. Je n’ai pas lié mon intellect à tous les soucis […] de la vie où les religions (δόγματα) se dévoient (ⲥⲱⲣⲙⲉ), en peinant vainement. Je ne me suis pas mêlé aux religions (δόγματα) de l’erreur (πλάνη), car tu as […] depuis ma jeunesse » (p. 86,10-15). Du dossier des Kephalaia – qui mérite à lui seul une étude complète – l’on retiendra trois exemples. Le Kephalaion 4 (« Sur les quatre jours et les quatre nuits ») établit une relation entre les douze δόγματα et les douze

32. M. scopello, « Thèmes et motifs de la polémique manichéenne au miroir des sources directes et indirectes (iiie-Ve s.). Quelques exemples de cas », Colloque international « Ils disent que… La controverse religieuse : Zoroastriens et manichéens », Paris, Collège de France, 12-13 juin 2015, F. Ruani et M. Timuş org. Dans le même colloque, Jean-Daniel Dubois a donné une communication intitulée « L’usage du terme Dogma que l’on traduit par ‘secte’ dans les Kephalaia coptes ». 33. Voir H. G. liDDell – R. Scott, « δόγμα (δοκεύω) », A Greek-English Lexicon, Oxford 1966, p. 441b pour les références; cf. G. W. H. lampe, « δόγμα », A Patristic Greek Lexicon, Oxford 1969, p. 377a-378a ; G. K ittel, « δόγμα, δογματίζω », dans TWNT, t. II, p. 233-234. 34. Ce sens a déjà été mis en évidence par Michel Tardieu (par ex., M. tarDieu, Le Μanichéisme, Paris 1981, p. 30). 35. Cf. Psaume du Bêma 229 : « Salut, Esprit de Vérité, toi qui as couvert de honte les religions (δόγματα) ! » (p. 25,9-10).

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Madeleine Scopello esprits de l’erreur, en les identifiant aux signes du zodiaque (p. 27,13-16). Le Kephalaion 5, cité plus haut, affirme que l’Esprit des ténèbres est la loi du péché et de la mort qui domine chaque religion (δόγμα) ; il emprisonne les humains par son enseignement erroné (πλάνη) (cf. p. 30,1-2). Quant au Kephalaion 65 (« Sur le Soleil »), il souligne la folie à l’origine des δόγματα : « Combien grande est la folie qui a donné naissance aux religions (δόγμα) de l’erreur (πλάνος) ! Elles n’ont pas perçu le mystère de la divinité de ce grand luminaire et les biens qu’il leur a octroyés, ils les ont oubliés, ils ne les perçoivent même pas » (160,14-18). Cette posture extrêmement polémique envers les dogmata pourrait paraître de prime abord en contraste avec le respect manifesté par Mani à l’égard de Bouddha, de Zoroastre et de Jésus, dépositaires de révélations certes partielles mais provenant néanmoins du Père de la lumière. Il nous paraît que ce que visent les textes manichéens par le terme δόγμα n’est pas tant la révélation faite aux « apôtres de la lumière » mais l’interprétation fallacieuse donnée par leurs disciples et successeurs – une infidélité due principalement au fait qu’aucun des révélateurs n’avait fixé son message par écrit 36. Mani, apôtre de vérité L’apostolat de Mani, ses agissements et sa vie tout entière se déroulent à l’enseigne de la vérité. Lui-même se proclame « apôtre de la vérité » au début du Shabuhragan, ainsi que l’atteste un extrait conservé par Al-Biruni dans al-Athar : « La sagesse et la connaissance sont ce que les apôtres de Dieu ne cessèrent d’apporter de période en période (suit la mention des révélateurs Bouddha, Zoroastre et Jésus). Puis est descendue cette révélation et a paru cette prophétie en ce siècle présent par mon intermédiaire, moi, Mani, apôtre du Dieu de la vérité dans le pays de Babel » 37. Un autre logion, provenant également du Shabuhragan et transmis par Ibn al-Nadim dans al-Fihrist, relate les paroles que le jumeau céleste adresse à Mani, en l’avertissant que le moment est venu de quitter la communauté elchasaïte où il se trouve depuis l’enfance : « À toi la paix, Mani, de ma part et de la part du Seigneur qui m’a envoyé vers toi ! Il t’a élu pour son apostolat, et voilà que ta mission est d’appeler à ta vérité. Tu vas proclamer en son nom l’évangile de la vérité et t’y

36. Cela ressort de la p. 8 des Kephalaia (section introductive) qui insiste sur le fait que les disciples de Zoroastre écrivirent ce dont ils se rappelaient de l’enseignement du maître ; de même les disciples de Bouddha mirent par écrit ce dont ils se souvenaient de la Sagesse qu’ils avaient entendue de la bouche de Bouddha. Bien que les lignes suivantes comportent des lacunes, les termes d’« altérer et de corrompre l’enseignement » et de « conduire à l’erreur » se lisent clairement. 37. Traduction par M. tarDieu, Le Manichéisme, p. 20.

270

Vérité, erreur et mensonge employer de toute ta force 38. » Si l’expression « apôtre de vérité » n’est pas présente dans le Psautier 39, elle apparaît une fois dans les Kephalaia qui privilégient néanmoins les appellations d’« apôtre », d’« apôtre de lumière » voire d’« illuminateur ». On lit au début du Kephalaion 7 (« Le septième, sur les cinq Pères ») : « Une autre fois l’Illuminateur, notre père, l’apôtre de vérité, était assis au milieu de ses disciples et les instruisait sur la grandeur de Dieu » (p. 34,16-17). Mani est par ailleurs défini comme « la langue qui ne ment (ϭⲁⲗ) pas » dans un Psaume des errants (p. 139,49) 40, voire comme l’« Esprit (πνεῦμα) de vérité (ⲙⲏⲉ) », dans une courte formule qui résume, en clôture du Psaume du Bêma 223, le contenu de son message : « Le Seigneur Mani, l’Esprit de vérité qui provient du Père, lui qui nous a révélé le Commencement, le Milieu et la Fin » (p. 11,29-31). Quant au Paraclet, doublure céleste de Mani, il est luimême défini comme « Esprit de vérité », en référence à Jean 15,26 41. Ayant triomphé sur l’erreur des religions, ainsi que le proclame le Psaume du Bêma 241 – « Honneur à ta sagesse (σοφία) qui a vaincu l’erreur des religions » (p. 42,24) –, dans le Kephalaion 1 (p. 7,5), Mani se présente lui-même comme le révélateur de la vérité qu’il a diffusée de lieu en lieu, de contrée en contrée : « La vérité est celle que j’ai dévoilée, je l’ai révélée dans le monde […], je l’ai proclamée en tout [lieu], en toute ville et en toute terre » (p. 7,910). Une vérité étayée – ajoute-t-il – par le fait qu’il l’a consignée par écrit, à la différence des apôtres de lumière qui l’ont précédé. Une vérité dont Mani (Kephalaion 77) met en évidence la grandeur : « Combien grande est cette vérité que je vous ai dévoilée ! » (p. 190,7). Sagesse et vérité – quasiment synonymes – constituent, dit-il, les piliers de la réussite de son enseignement, selon les propos rapportés par le Kephalaion 105 : « Par la sagesse que j’[ai manife]stée, par la vérité que j’ai révélée et par la vérité et la douceur dans lesquelles j’ai instruit les gens, j’ai reçu une semence et une bonne récolte avec les miens » (p. 259,9-12). C’est essentiellement le Kephalaion 76 (« Le Seigneur Mani et ses voyages »), qui donne une large place à la vérité dans le récit détaillé que Mani fait de ses missions devant un disciple. En évoquant ses pérégrinations dans la terre des Indiens, en Perside, en Mésène, en Babylonie et enfin dans la terre des Mèdes et des Parthes, Mani justifie sa perspective universaliste en rappelant qu’il a accompli ses voyages missionnaires « en faisant la volonté de la lumière et en diffusant largement la vérité » (p. 184,14-15). C’est en effet la vérité le fil conducteur de ce Kephalaion : une « vérité vivante » 42 qui est

38. 39. 40. 41. 42.

Ibid., p. 19. L’expression « apôtre de lumière » est en revanche présente : cf. p. 30,17 ; 33,10 ; 139,48. « Notre Seigneur Mani, l’apôtre de la lumière, la langue qui ne ment pas. » Cf. Psaume du Bêma 224 (p. 14,14) ; Kephalaion 1 (p. 14,5.18). L’expression « vérité vivante » apparaît également dans le Kephalaion 52 (p. 128,20).

271

Madeleine Scopello en lui – expression qui apparaît à quelques reprises dans ce texte –, une vérité néanmoins qui a été aussi violemment contrastée par les pouvoirs démoniaques à l’œuvre dans le monde. Échecs et succès alternent dans un récit qui emprunte par moments les accents poignants de la solitude et de l’incompréhension expérimentées par Jésus 43 : « Cette vérité que j’ai proclamée parmi eux, ils ne l’ont pas acceptée, ils n’ont pas écouté la voix de la vie que j’ai fait retentir parmi eux » (p. 186,22). Conclusion Dans les limites de cet article, nous ne pourrons traiter du fort retentissement que les notions de vérité, d’erreur et surtout de sa conséquence concrète, le mensonge, ont eu sur le plan communautaire. L’interdiction du mensonge est en effet le premier des commandements destinés aux élus, « ne pas mentir », tel qu’il est présenté par la liste du Psaume du Bêma 235 44. Au fil des textes, les mises en garde contre le mensonge adressées aux adeptes, qu’ils soient élus ou catéchumènes, sont des plus sévères : « Ne transforme pas ta vérité (ⲙⲏⲉ) en mensonge (ϭⲁⲗ), mais deviens dévoué et parfait en présence de l’Intellect de vérité » (Kephalaion 27, p. 79,7.9). Interdiction est pareillement faite de prêter un faux témoignage 45. La prohibition de s’adonner à la magie, art mensonger par excellence du fait de son inspiration par le Prince des ténèbres, va dans le même sens : ce sont « les arts magiques de l’erreur (πλάνη) » (Kephalaion 6, p. 31,30), dans lesquelles l’âme s’est égarée. Néanmoins, l’enseignement de Mani est, pour sa communauté, une nourriture capable de contrer l’erreur. Parmi de nombreux exemples, nous choisissons de citer le Psaume à Jésus 267 qui, en reprenant un motif de la mythologie grecque, oppose le serviteur de l’erreur à la vérité nourricière apportée par Mani : « Ne laisse pas les démons m’effrayer, et les Érinyes avec leur visage d’épouvante, car je n’ai pas servi l’erreur (πλάνη), mais j’ai passé ma vie tout entière en me nourrissant de ta vérité » (p. 84,21-23).

43. Cf. Jean 15,18-25. 44. En revanche, dans la liste des cinq commandements du M 801, le premier commandement est appelé « vérité » : cf. M. tarDieu, Le Manichéisme, p. 80. 45. Cf. le Kephalaion 91 (« Sur les catéchumènes ») sur le péché de magie (μαγεία) et de faux (ⲛⲟⲩϫ) témoignage (p. 231,24).

272

EXÉGÈSE MANICHÉENNE ET ANTI-MANICHÉENNE DE 2 CORINTHIENS 4,4 CHEZ TITUS DE BOSTRA (CONTRE LES MANICHÉENS IV 108)* Paul-Hubert poirier Membre de l’Institut Université Laval, Québec

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La figure et les écrits de Paul occupent une place de première importance dans la manière dont Mani s’est perçu lui-même et a conçu sa mission. D’après la vie grecque de Mani du codex manichéen de Cologne, il ouvrait « l’Évangile de sa très sainte espérance » par ces mots : « Moi, Mannichaiossic, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu, le Père de la vérité 1 », formulation qui est un pastiche des incipit de plusieurs lettres de Paul 2. Titus de Bostra, pour sa part, note que « c’est en tant qu’apôtre de Jésus-Christ (ὡς ἀπόστολος Ἰησοῦ Χριστοῦ) qu’il envoie par lettre son impiété aux barbares de race, lui qui est barbare et de race et de pensée 3 ». Titus consacrera plusieurs chapitres du livre IV du Contre les manichéens (85-109) à réfuter

*

1.

2. 3.

Je suis très heureux d’offrir cette modeste contribution à mon collègue et ami Jean-Daniel Dubois, qui a consacré plusieurs décennies de recherche et d’enseignement à une minutieuse et patiente exégèse des textes manichéens. Ἐγὼ Μαννιχαῖος Ἰη(σο)ῦ Χρ(ιστο)ῦ ἀπόστολος διὰ θελήματος Θεοῦ Π(ατ)ρ(ὸ)ς τῆς ἀληθείας (66, 4-7), éd. l. Koenen – c. römer, Der Kölner Mani-Kodex. Über das Werden seines Leibes. Kritische Edition aufgrund der von A. Henrichs und L. Koenen besorgten Erstedition, Opladen 1988, p. 44. Surtout de 2 Corinthiens, Éphésiens, Colossiens et 2 Timothée ; cf. Romains, 1 Corinthiens, Galates, 1 Timothée et Tite. Contre les manichéens III 1, 31-33, éd. a. roman – p.-h. poirier – é. créGheur – J. DeclercK, Titi Bostrensis Contra Manichaeos libri IV, Turnhout 2013, p. 245 ; trad. des versions grecque et syriaque : A. roman – T. S. schmiDt – P.-H. poirier, Titus de Bostra. Contre les Manichéens, Turnhout 2015.

273

Paul-Hubert Poirier l’interprétation que donnent ses adversaires de certaines paroles de Paul. Parmi celles-ci figure le verset 4 du quatrième chapitre de la seconde lettre aux Corinthiens : […] ἐν οἷς ὁ θεὸς τοῦ αἰῶνος τούτου ἐτύφλωσεν τὰ νοήματα τῶν ἀπίστων εἰς τὸ μὴ αὐγάσαι τὸν φωτισμὸν τοῦ εὐαγγελίου τῆς δόξης τοῦ Χριστοῦ, ὅς ἐστιν εἰκὼν τοῦ θεοῦ […] chez qui le dieu de ce monde a aveuglé les esprits des incroyants, afin qu’ils ne voient pas resplendir l’illumination de l’évangile de la gloire du Christ, qui est l’image de Dieu.

L’interprétation ancienne de ce verset s’est arrêtée essentiellement à ses premiers et derniers mots, d’une part, pour déterminer l’identité du « dieu de cet éon » et, d’autre part, pour mettre en valeur l’affirmation selon laquelle le Christ est l’image de Dieu. Si ces deux lignes interprétatives coexisteront pendant une grande partie de l’antiquité, la première finira par s’effacer au profit de la seconde en raison de la prédominance que prendront les débats christologiques aux iVe et Ve siècles 4. Vers la fin du livre IV du Contre les manichéens, alors qu’il termine l’examen de l’utilisation que font les disciples de Mani de certains versets de la lettre aux Éphésiens et qu’il précise dans quel sens il faut entendre les « souverains de ce monde de ténèbres » (τοὺς κοσμοκράτορας τοῦ σκότους τούτου) mentionnés en Ep 6,12, Titus cite 2 Co 4,4 comme ultime exemple de ces textes pauliniens « violemment malmenés » par les manichéens mais qu’il se fait fort « d’interpréter selon l’esprit de l’apôtre 5 ». Voici ce qu’il écrit : Les hommes ont donc reçu la grâce et le pardon parce qu’ils sont dans un corps et qu’ils sont tombés comme par erreur. Mais [les manichéens] se sont détournés de la grâce et sont passés à la révolte primordiale et ont fait en eux-mêmes la démonstration de la longanimité de Dieu. Car ils se sont séparés eux-mêmes de Dieu, et non Dieu d’eux. Et [Paul] appelle ceux-là « maîtres du monde » (Ep 6,12), non du ciel ni de la terre ni des eaux ni du feu ni (ne dit-il) qu’ils dominent quelque chose d’autre mais seulement « ces ténèbres » (Ep 6,12). Et quelles sont ces ténèbres ? Il désigne (ainsi) comme par un exemple l’ignorance qui prévalait chez les hommes. C’est donc par cette ignorance qui se répandait dans ce monde entier qu’ils dominent sur les hommes, qu’ils ont été appelés « maîtres du monde » (Ep 6,12) et que, comme en vertu d’un commandement,

4.

5.

274

C’est du moins ce qui ressort de l’inventaire des citations de 2 Co 4, 4 que nous avons établi à partir des sept volumes publiés de la Biblia patristica et de Biblindex ; voir aussi n. Brox, « Ein vermeintliches Irenäus-Fragment », Vigiliae Christianae 24 (1970), p. 40-44, qui relève les citations les plus pertinentes, et déjà e.-B. allo, Saint Paul. Seconde épître aux Corinthiens, Paris 1937, p. 99-100. Contre les manichéens IV 109, 1-3, éd. cit. à la note 3, p. 410 (traduction personnelle). Rappelons qu’à partir de III 30b, le Contre les manichéens n’est plus attesté que par la version syriaque de l’Add. 12, 150 de la British Library.

Exégèse manichéenne et anti-manichéenne de 2 Corinthiens 4,4 ils sont apparus afin que la crainte et la vigilance s’installent chez les hommes et qu’ils trouvent refuge auprès de Dieu. Et lorsqu’il dit : « Qui sont sous le ciel » (Ep 6, 12) ou, comme certains lisent : « Qui sont dans le ciel 6 », c’est pour montrer qu’ils ne sont pas étrangers à la création de Dieu. En effet, alors qu’ils sont à l’intérieur, dans l’orbe de la création, ils se détournent et se révoltent contre Dieu. Et il est nécessairement très longanime, comme envers des brigands (qui sont) contre la loi, et ils sont sous un seul principe, comme tous les autres. Mais que ceux qui sont de Mani ne s’appuient non plus sur cette parole de l’Apôtre, qui dit : « Ceux dont le dieu de ce monde a aveuglé l’intellect afin qu’ils ne croient pas, pour que ne se lève pas la lumière de l’Évangile dans leur cœur » (2 Co 4,4). Or certains des nôtres lisent dernier le premier (élément) et attribuent à Dieu d’être ainsi contre ceux qui sont réprouvés par lui à cause de la grandeur du zèle de leur malice. Mais parce qu’en ce qui me concerne, la forme de l’interprétation de cette parole me semble vraie telle qu’elle est – ce n’est cependant pas quelque chose d’étonnant si quelque entité de ce monde est appelée dieu, que beaucoup servent, parce que leurs intelligences s’accordent avec elle, comme si elle était le prince de ce monde, si, en effet, l’Apôtre, en un autre endroit, mentionne « ceux dont le ventre est leur dieu et leur gloire, leur honte » (Ph 3,19) –, qu’y a-t-il de surprenant s’il appelle « dieu de ce monde » (2 Co 4,4) le calomniateur ? Et notre Sauveur aussi l’appelle « prince du monde » (Jn 12,31 ; 16,11), comme aussi l’Écriture ancienne dit « les dieux des nations » (Ps 95 [96],5) à propos de ceux qui n’en sont aucunement mais qui les contraignent à penser qu’ils le sont 7.

Si, dans ce passage, Titus s’oppose à l’appropriation manichéenne de 2 Co 4,4, il lève aussi le voile sur les divergences d’interprétation de ce verset qui prévalaient chez les lecteurs et les exégètes chrétiens au sujet de l’identité du θεὸς τοῦ αἰῶνος τούτου. Il ressort du texte de Titus, d’une part, que les manichéens voyaient dans l’expression « le dieu de ce monde » (‫ܐܠܗܗ ܕܥܠܡܐ‬ ‫ )ܗܢܐ‬une appellation du Mauvais inengendré, d’autre part, que Titus lui-même s’accordait jusqu’à un certain point avec eux puisque, pour lui, le « dieu de ce monde » ne pouvait être que le « calomniateur » (‫)ܐܟܠ ܩܪܨܐ‬, c’est-à-dire Satan, ce qu’il justifiait par une preuve scripturaire (Ph 3,19; Jn 12,31 et 16,11; Ps 95 [96],5), mais que d’autres interprètes chrétiens, qu’il désigne comme « certains des nôtres » (‫ = ܐܢܫܝܢ ܡܢܢ‬τινὲς ἐξ ἡμῶν), tenaient à voir dans le « dieu de ce monde » non Satan, mais Dieu lui-même. Ils le faisaient, dit Titus, en lisant le texte à l’envers, littéralement « premier dernier » (‫)ܐܚܪܝܬܐ ܩܕܡܝܬܐ‬. Le syriaque donne les deux adjectifs au féminin, ce qui doit rendre dans les deux

6.

7.

La leçon « qui sont sous le ciel » (‫ )ܕܬܚܝܬ ܫܡܝܐ‬que donne la version syriaque de Titus en 108, 14, au lieu de « dans le ciel » (‫)ܒܫܡܝܐ‬, apparaît à quelques reprises dans la tradition syriaque, notamment chez Éphrem (voir B. a lanD – a. J ucKel, Das Neue Testament in syrischer Überlieferung, t. II/2.2, Berlin-New York 1995, p. 328). Cette leçon « sous le ciel » est celle de la Peshitta. Contre les manichéens IV 108, éd. a. roman – p.-h. poirier – é. créGheur – J. DeclercK, Titi Bostrensis, p. 409-410.

275

Paul-Hubert Poirier cas un neutre grec, et c’est pour cette raison que le Thesaurus syriacus y voit un calque du grec ὕστερον πρότερον 8. Si, comme nous le pensons, cette équivalence est justifiée, Titus viserait par là le procédé rhétorique bien connu de la transposition, dans une phrase, d’un mot ou de plusieurs mots, procédé désigné dans les manuels par les termes hysterologia, hysteron proteron ou hyperbaton 9. Ces interprètes auraient ainsi déplacé le complément de θεός, « de ce monde – τοῦ αἰῶνος τούτου », après ἀπίστων, de manière à pouvoir lire : « […] Dieu a aveuglé les esprits des incroyants de ce monde […]. » Puisque Titus ne se donne pas la peine de les réfuter mais les présente plutôt comme une option légitime (« certains des nôtres lisent […] mais […] en ce qui me concerne […] »), ni cette lecture ni le procédé qui la permettait ne lui apparaissaient inacceptables. De fait, cette interprétation per transmutationem s’inscrivait dans une tradition déjà longue et tout à fait respectable, et elle n’avait d’autre but que de neutraliser un verset paulinien dont les dualistes de tout bord auraient tiré – et tiraient – un argument dévastateur pour le monothéisme de la Grande Église. C’est ce que nous illustrerons en en retraçant les principales étapes, de la fin du deuxième jusqu’au début du cinquième siècle 10. Le plus ancien témoignage du recours à 2 Co 4,4 dans une perspective de controverse est celui d’Irénée de Lyon. Au livre III de l’Adversus haereses, dans la première partie (6-15) duquel il veut montrer « que jamais les prophètes ni les apôtres n’ont appelé Dieu ou Seigneur un autre que le seul vrai Dieu 11 », Irénée est amené à réfuter la lecture que font les « hérétiques » – mais il vise surtout Valentin et Marcion – de certains textes de Paul, entre autres, de 2 Co 4,4 : Mais, objectent-ils, Paul dit ouvertement dans sa seconde épître aux Corinthiens : « […] chez qui le Dieu de ce siècle a aveuglé l’esprit des incrédules », et ils en infèrent qu’autre est le « Dieu de ce siècle » et autre celui

r. payne smith, Thesaurus syriacus, t. I, Oxford 1879, col. 127. Voir s. Branca-rosoFF, « Hyperbaton », dans G. ueDinG (dir .), Historisches Wörterbuch der Rhetorik, Band 4, Darmstadt 1998, col. 110-115 ; h. G. coenen, « Hysteron proteron », dans Ibid., col . 128-131 ; h. lausBerG, Handbuch der literarische Rhetorik. Eine Grundlegung der Literaturwissenschaft, Munich 1973, p. 440-441 (§ 890-892) ; J. c. G. ernesti, Lexicon technologiae graecorum rhetoricae, Leipzig 1795, p. 371. Ernesti désigne également le procédé par l’expression σχῆμα προθύστερον. Le début de la notice que Bède le Vénérable consacre à l’hyperbate illustre bien le flottement de la terminologie : « Hyperbaton est transcensio quaedam uerborum ordinem turbans, cuius species sunt quinque : hysterologia […]. Hysterologia uel hysteroproteron est, sententiae cum uerbis ordo mutatus » (De schematibus et tropis II, ii, 10, éd. C. B. KenDall, dans c. W. Jones et al., Bedae Venerabilis opera. Pars I. Opera didascalica, Turnhout 1975, p. 158). 10. Nous ne retenons que les témoignages patristiques où l’interprétation de 2 Co 4,4 fait l’objet d’une discussion quelque peu étendue. 11. III 8, 1, éd. et trad. a. rousseau – l. Doutreleau, dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Livre III, édition et traduction par a. rousseau – l. Doutreleau, t. II, Paris 1974, p. 88-89.

8. 9.

276

Exégèse manichéenne et anti-manichéenne de 2 Corinthiens 4,4 qui est au-dessus de toute Principauté et puissance. Ce n’est pas notre faute, répondrons-nous, si des gens qui prétendent connaître les mystères qui sont au-dessus de Dieu ne savent même pas lire Paul ! Car, comme nous allons le montrer par plusieurs autres exemples, Paul use volontiers d’inversions de mots. Si donc, en se conformant à cette habitude de Paul, on commence par lire : « […] chez qui Dieu », puis qu’après un arrêt et un bref intervalle on lise d’une traite le reste : « de ce siècle a aveuglé l’esprit des incrédules », on obtiendra le vrai sens, qui est celui-ci : « Dieu a aveuglé l’esprit des incrédules de ce siècle. » Et ce sens est indiqué par l’arrêt que l’on fait. Car Paul ne parle pas d’un « Dieu de ce siècle », comme s’il en connaissait un autre qui serait au-dessus de lui, mais il reconnaît d’abord Dieu pour « Dieu » et il parle ensuite des « incrédules de ce siècle », ainsi nommés parce qu’ils n’hériteront pas du siècle à venir, qui est celui de l’incorruptibilité 12.

Tout de suite après ce passage, Irénée ajoute que « l’Apôtre use fréquemment d’inversions de mots à cause de la rapidité de ses paroles et de l’impétuosité de l’Esprit qui est en lui 13 ». Il le montre en citant Ga 3,19 et 2 Th 2,8-9, avant de revenir à 2 Co 4,4 : De même donc que, dans des textes de ce genre, il faut faire sentir l’inversion des mots par la manière de lire et sauvegarder ainsi la suite de la pensée de l’Apôtre, de même, dans le cas vu plus haut, nous ne lirons pas « le Dieu de ce siècle », mais nous commencerons à bon droit par appeler « Dieu » celui qui est Dieu ; puis nous entendrons : « les incrédules et les aveugles de ce siècle », ainsi nommés parce qu’ils n’hériteront pas du siècle à venir, qui est celui de la vie 14.

Irénée interprète donc le terme ὁ θεός d’une manière absolue en le séparant du génitif qui suit, ce qu’il justifie par le fait que Paul aurait eu recours ici, comme ailleurs, à une hyperbate, c’est-à-dire à la disjonction de deux expressions consécutives et qu’une lecture non prévenue oblige à lire ensemble. Quintilien définit en effet l’hyperbate (ὑπερβατόν) comme « une inversion dans la construction (commutatio ordinis) » qui « transpose un mot ou une partie d’un mot de sa place normale à une autre 15 ». Il s’agit donc d’une transmutatio par écart ou mise à distance 16. Dans le cas de 2 Co 4,4, tel qu’Irénée l’entend, la transmutatio se réalise uniquement à la lecture (per lectionem), par l’artifice d’une pause et d’un bref silence (subdistinguens et modicum diastematis faciens).

III 7, 1, Ibid., p. 80-83. III 7, 2, Ibid., p. 82-85. III 7, 2, Ibid., p. 86-89. Institution oratoire IX 1, 6, éd. et trad. J. cousin, dans Quintilien, Institution oratoire, t. V, Livres VIII et IX, édition et traduction par J. cousin, Par is 1978, p. 157-158. 16. h. lausBerG, Handbuch der literarische Rhetorik, p. 252 (§ 462, 3, b). 12. 13. 14. 15.

277

Paul-Hubert Poirier Notre verset figure encore dans un fragment d’Irénée (45 chez Harvey ; 49 dans Patrologia Graeca [désormais PG] 7), tiré du commentaire du Pseudo-Œcuménius (d’après le Parisinus graecus 223), sous le lemme τὸ αὐτὸ καὶ Εἰρηναῖος, à la suite de quelques lignes de la huitième homélie de Jean Chrysostome sur 2 Corinthiens (2, PG 61, 455 E 23-25 17) : Θεὸς αἰῶνος, ὀνομασθεὶς Θεὸς τοῖς ἀπίστοις, τουτέστιν ὁ Σατανᾶς 18. Bruno Reynders compte ce fragment parmi « ceux qui sont certainement authentiques ou qui bénéficient d’un préjugé favorable 19 », mais, comme l’identification du dieu de l’éon à Satan contredit l’interprétation de l’Adversus haereses, Norbert Brox a certainement raison de lui dénier toute authenticité irénéenne 20. Par son interprétation de 2 Co 4,4, Irénée de Lyon inaugurait une tradition exégétique dans laquelle s’inscrira Tertullien dans son Contre Marcion. Celui-ci recourt fondamentalement au même procédé qu’Irénée, qui consiste à débusquer dans le texte paulinien une ambiguïté de sono pronuntiationis aut de modo distinctionis 21, mais sa tâche s’avèrera plus délicate que celle de son prédécesseur. En effet, Marcion invoquait 2 Co 4,4 pour établir, non pas, à l’instar des gnostiques, que le θεὸς τοῦ αἰῶνος τούτου était autre que le Créateur mais qu’il était précisément celui-ci, différent du deus ignotus qu’il prêchait. Tertullien commence d’abord par lever l’ambiguïté dont son adversaire tirait avantage : Nous savons que certaines phrases risquent d’être ambiguës du fait du ton sur lequel on les prononce ou de la manière de les ponctuer, lorsqu’il se produit qu’elles soient à double entente. C’est cette ambiguïté que Marcion a saisie par la lecture que voici : « Chez qui le dieu de ce monde », de façon à montrer le Créateur dans le « dieu de ce monde » et à suggérer qu’il y en a un « autre », dieu de l’autre monde. Nous, à son encontre, nous disons qu’il faut ponctuer ainsi : « Chez qui Dieu », et ensuite « a aveuglé leurs esprits d’infidèles de ce monde ». « Chez qui » : il s’agit des juifs infidèles, chez qui l’Évangile est encore couvert en quelques points sous le voile de Moïse. C’est à leur adresse en effet que Dieu, comme ils l’aimaient du bout des lèvres mais se tenaient

17. CPG C 165 (M. GeerarD, Clavis Patrum Graecorum, 5 vol., Turnhout 1947-1987) ; éd. J. a. cramer, Catenæ græcorum Patrum in Novum Testamentum, t. V, In epistolas s. Pauli ad Corinthios, Oxford 1844, p. 373, l. 31-34 ; pour la source de Cramer, voir r. DeVreesse, « Chaînes exégétiques grecques », dans l. pirot (dir.), Dictionnaire de la Bible, Supplément, tome premier, Paris 1928, col. 1210. 18. W. W. h arVey, Sancti Irenaei Episcopi Lugdunensis Libros quinque adversus Haereses, t. II, Cambridge 1857, p. 510. 19. B. reynDers, Vocabulaire de la « Démonstration » et des fragments de Saint Irénée, Chevetogne 1958, p. 74. 20. n. Brox, « Ein vermeintliches Irenäus-Fragment », p. 40-44. 21. Contre Marcion V 11, 9, éd. et trad. c. moreschini – r. Braun, dans Tertullien, Contre Marcion, t. V, Livre V, Paris 2004, p. 234, l. 79-80.

278

Exégèse manichéenne et anti-manichéenne de 2 Corinthiens 4,4 loin de lui par le cœur, avait proféré ces menaces (citations de Is 6,9 ; 7,9; 1 Co 1,19). Or voilà ce dont il les menaçait, et non assurément de leur cacher l’Évangile du dieu inconnu 22.

Il ressort de ce passage que Tertullien pratique la même lecture qu’Irénée et qu’à l’opposé de Marcion, il identifie le θεός de 2 Co 4,4, au Dieu unique et créateur. Mais les choses se compliquent par la suite lorsque Tertullien continue : Ainsi il peut bien être le « dieu de ce monde », mais ce qu’il aveugle, c’est le cœur des infidèles de ce monde, parce qu’ils n’ont pas spontanément reconnu son Christ qu’ils devaient comprendre d’après les Écritures. Et de ce point qui repose sur une ambiguïté de ponctuation (positum in ambiguitate distinctionis), il me suffit d’avoir traité juste assez pour que la chose ne serve pas l’adversaire : me contentant de la victoire, je peux de moi-même, certes, laisser de côté la totalité de ce débat 23.

Le membre de phrase ita etsi « huius aeui deus », littéralement : « ainsi, même si “le dieu de ce monde”», semble affirmer le contraire de ce que Tertullien vient de dire, au point que Norbert Brox propose, à la suite de l’éditeur Jacob van Pamele (1579), de lire ita non huius aeui deus 24. Mais on peut très bien, comme le fait la majorité des éditeurs et traducteurs, comprendre le texte transmis comme une concession rhétorique elliptique : « Ainsi, même s’(il était) “le dieu de ce monde” 25 ». Il en va cependant tout autrement par après, lorsque Tertullien prend le contre-pied de l’interprétation qu’il vient de défendre : En une réponse plus simple (simpliciori responso), j’aurai à portée de la main d’interpréter le « dieu de ce monde » comme étant le diable, lui dont on a cette parole rapportée par le prophète : « Je serai semblable au Très-haut ; je poserai mon trône dans les nuées » (Is 14, 13-14), de même aussi que toute la superstition de ce siècle lui est asservie, à lui qui aveugle les cœurs des infidèles, et en premier lieu celui de cet apostat de Marcion 26.

Plus loin, dans un passage qui porte sur Ep 2,1-2 et sur l’identité du ἄρχοντα τῆς ἐξουσίας τοῦ ἀέρος, Tertullien entérine cette lecture « plus simple » de 2 Co 4,4 :

22. Contre Marcion V 11, 9-10, Ibid., p. 234-237. 23. Contre Marcion V 11, 10-11, Ibid., p. 236-237. 24. n. Brox, « “Non huius aevi deus” (Zu Tertullian, adv. Marc. V 11, 10) », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 59 (1968), p. 259-261. 25. C’est l’interprétation de Braun, loc. cit., et d’Ernest Evans : « And so, even though it were, The god of this world » (Tertullian, Adversus Marcionem, Books 4 and 5, Oxford 1972, p. 583). 26. Contre Marcion V 11, 11, éd. et trad. c. moreschini – r. Braun, p. 236-237.

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Paul-Hubert Poirier Qui est-il? Sans aucun doute celui qui a dressé contre le Créateur lui-même les fils de l’incroyance, après s’être emparé de cet air-ci (Ep 2,2), selon la parole que le Prophète rapporte qu’il prononce : « Je poserai mon trône dans les nuées, je serai semblable au très-haut. » Cet être, ce sera le diable dont nous reconnaîtrons ailleurs aussi – si toutefois nos adversaires veulent bien faire également une telle lecture de l’Apôtre – qu’il est le « dieu de ce monde ». Tant il a, en effet, du mensonge de sa divinité rempli la totalité du siècle. Si à vrai dire il n’y avait pas eu cet être, ces expressions auraient pu viser le Créateur 27.

Comme on le voit, Tertullien adopte finalement l’interprétation qui sera celle de Titus de Bostra. Mais qu’il ait tenu d’abord à honorer la lecture irénéenne, en supposant la présence d’une ambiguïté du texte de Paul, témoigne sans doute de l’autorité dont elle devait déjà jouir. Composé à la fin du troisième ou au début du quatrième siècle 28, le dialogue pseudo-origénien De recta in deum fide ou Adamantius fait également écho à l’argument marcionite tiré de 2 Co 4,4 en faveur de l’existence d’un « autre dieu », celui de ce monde, opposé au Dieu caché. 29 Au marcionite Marcus qui invoque le verset, Adamantius rétorque que les paroles de l’Apôtre ont été dites non pour désigner un autre dieu mais à propos des incroyants. Elles ont donc été formulées καθ’ὑπέρβατον et il faut en conséquence les lire ainsi : « ἐν οἷς ὁ θεὸς / τῶν ἀπίστων τοῦ αἰῶνος τούτου ἐτύφλωσε τὰ νοήματα – chez qui Dieu, des incroyants de ce monde, a aveuglé les pensées 30. » La version latine réarrange le verset d’une manière différente : « Deus mentes excaecavit infidelium huius mundi – Dieu a aveuglé les pensées des incroyants de ce monde », et elle ajoute cette précision, absente du grec : « Ce n’est donc pas le dieu de ce monde, mais les infidèles de ce monde qui sont visés par l’Apôtre 31. » À la lumière du latin, il faut sans doute traduire le grec ainsi : « chez qui Dieu a aveuglé les pensées des incroyants de ce monde », pour aboutir plus clairement au sens recherché par l’hyperbate. Quoi qu’il en soit, l’auteur du dialogue retient la première lecture proposée par Tertullien (Contre Marcion V 11, 9, cité ci-dessus), mais, du moins dans la version latine, en transposant les mots du verset, alors que Tertullien se contentait d’indiquer une pause ou une ponctuation entre deus et aevi.

27. Contre Marcion V 17, 8-9, Ibid., p. 316-317. 28. Pour la datation de l’Adamantius, voir r. a. pretty, Adamantius, Dialogue on the True Faith in God/De Recta in Deum Fide, Louvain 1997, p. 16-17. 29. Chap. 21, éd. W. h. Van De sanDe BaKhuyzen, Der Dialog des Adamantius ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΕΙΣ ΘΕΟΝ ΟΡΘΗΣ ΠΙΣΤΕΩΣ, Leipzig 1901 (Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte 4), p. 110-113. 30. Ibid., p. 112, l. 3-8. 31. Ibid., p. 113, l. 7-9.

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Exégèse manichéenne et anti-manichéenne de 2 Corinthiens 4,4 Même si les manichéens utilisent plutôt rarement le terme « dieu » pour désigner le principe mauvais opposé à la Lumière 32, il semble bien qu’ils ont très tôt perçu l’avantage qu’ils pouvaient tirer de 2 Co 4,4 33. L’expression ὁ θεὸς τοῦ αἰῶνος τούτου apparaît en tout cas à deux reprises dans le Psautier copte (ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ⲙⲡⲓⲁⲓⲱⲛ 34). Le recours à 2 Co 4,4 est également attesté par les Acta Archelai 35, que cite Épiphane de Salamine, ce qui l’amène à s’interroger longuement sur l’identité du « dieu de ce monde ». Il conclut qu’une interprétation littérale et claire (ῥητῶς καὶ σαφῶς τὸ πρᾶγμα ἑρμηνευόμενον 36) de l’expression permet d’établir, sur l’autorité de 1 Tm 6,10, que le dieu en question ne saurait être que la φιλαργυρία, l’amour de l’argent 37. Dans la sixième catéchèse ad illuminandos, dont la dernière partie constitue une petite notice dirigée contre Mani et les manichéens, Cyrille de Jérusalem reprend pour l’essentiel les Acta Archelai, y compris la citation de 2 Co 4,4, mais contrairement à Épiphane, il maintient que le θεὸς τοῦ αἰῶνος τούτου désigne bien le seul et unique Dieu des chrétiens 38. Dans le cadre de la polémique antimanichéenne, c’est cependant chez Augustin, dans le Contra Faustum, que l’on trouve la discussion la plus étendue de 2 Co 4,4. Au début du livre XXI, Fauste ouvre le débat en affirmant que, même si les manichéens reconnaissent deux principes, Dieu et Hylès (la matière), ils n’attribuent toutefois le nom de Dieu qu’à l’un des deux, et que, s’il leur arrive de donner à la nature contraire le nom de Dieu, cela ne correspond pas à leur foi, mais qu’il s’agit seulement de l’appellation que ses

32. Voir e. BecK, Ephräms Polemik gegen Mani und die Manichäer im Rahmen der zeitgenössischen griechischen Polemik und der des Augustinus, Louvain 1978, p. 42 et p. 47. Dans le Contra Faustum (XXI 1), l’adversaire d’Augustin, après avoir affirmé que « numquam in nostris quidem assertionibus duorum deorum auditum est nomen », reconnaît tout de même qu’il arrive aux manichéens de donner le nom de dieu à la nature contraire (éd. J. zycha, Sancti Aurelii Augustini De utilitate credendi, De duabus animabus, Contra Fortunatum, Contra Adimantum, Contra Epistulam Fundamenti, Contra Faustum, Vienne 1891, p. 568, l. 10-11 et p. 569, l. 11-12). 33. Cf. a. BöhliG, Die Bibel bei den Manichäern und verwandte Studien, Leyde-Boston 2012, p. 41, à propos d’Augustin, Contra Felicem 2 : « So ist das Pauluswort 2Kor 4,4 ihnen aus dem Herzen gesprochen. » 34. Éd. c. r. c. a llBerry – h. i Bscher, A Manichaean Psalm-Book. Part II. With a Contribution by Hugo Ibscher, Stuttgart 1938, p. 56, l. 31-32 et p. 172, l. 26-26. Pour la p. 4, l. 17, où Allberry conjecture en note ⲙⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ou ⲙⲡⲁⲣⲭⲱⲛ, Gregor Wurst (Die BemaPsalmen, Turnhout 1996, p. 26) opte pour ⲙⲡⲁ̣[ⲣⲭⲱⲛ] ⲙⲡⲓⲁⲓⲱⲛ. 35. Chap. 11 (10), éd. c. h. Beeson, Hegemonius, Acta Archelai, Leipzig 1906 (Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte 16), p. 19, 1-2.15-16 = Épiphane, Panarion 66, 30, 1, éd. K. holl – J. Dummer, Epiphanius III, Berlin 1985, p. 67, l. 6-7. 36. Épiphane, Panarion 66, 69, 12, Ibid., p. 110, l. 28-29. 37. Épiphane, Panarion 66, 69, 10-11, Ibid., p. 110, l. 20-28. 38. VI 28-29, éd. W. K. reischl – J. rupp, Cyrilli Hierosolymarum archiepiscopi opera quae supersunt omnia. Volumen I, Munich 1848, p. 192-197.

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Paul-Hubert Poirier adorateurs ont l’impudence de lui reconnaître. Il en irait ainsi, continue-t-il, de l’Apôtre lorsqu’il dit, en 2 Co 4,4, que le « Dieu de ce siècle » a aveuglé les intelligences des infidèles : « certes il le nomme “dieu” parce que c’est ainsi qu’il est déjà appelé par les siens, mais il ajoute qu’il aveugle les intelligences pour qu’on comprenne par là qu’il n’est pas le vrai Dieu 39. » La réponse d’Augustin porte essentiellement sur la manière de lire – au sens propre – et de comprendre 2 Co 4,4 : Nous entendons ordinairement parler de deux dieux dans vos discussions. Après l’avoir d’abord nié, tu as fini par en convenir un moment après, et comme pour justifier ce langage, tu cites ce mot de l’Apôtre : « Le Dieu de ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles. » Mais ce passage, la plupart d’entre nous le ponctuent de manière à dire que c’est le vrai Dieu qui a aveuglé les esprits des infidèles. Après avoir lu : « Chez qui Dieu », ils suspendent la prononciation, puis ils continuent : « De ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles. » Car bien que tu ne fasses aucune distinction de ce genre et que, pour expliquer ce passage, tu changes ainsi l’ordre des mots : « Chez qui Dieu a aveuglé les esprits des infidèles de ce siècle », tu retrouveras le même sens que dans l’autre manière de lire. Car l’opération en vertu de laquelle les esprits des infidèles sont aveuglés, peut, sous un certain rapport, s’attribuer au vrai Dieu. Non qu’il agisse alors par méchanceté mais par justice, comme le même Paul le dit ailleurs : « Dieu est-il injuste de donner libre cours à sa colère ? » (Rm 3,5) Et en un autre endroit « Que dirons-nous donc ? Y a-t-il en Dieu de l’injustice ? Nullement. Car il dit à Moïse : J’aurai pitié de qui j’aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde » (Rm 9,14). Après avoir d’abord posé ce principe incontestable qu’il n’y a point d’injustice en Dieu, fais attention à ce qu’il dit peu après : « Or, si Dieu voulant manifester sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec une patience extrême des vases de colère propres à être détruits, afin de faire connaître les richesses de sa gloire sur des vases de miséricorde que d’avance il a préparés pour la gloire, et le reste » (Rm 9,22-23). Il n’est certainement pas possible de dire ici que le Dieu qui montre sa colère et manifeste sa puissance sur les vases destinés à la perdition, est autre que celui qui montre ses richesses sur les vases de miséricorde. L’enseignement de l’Apôtre atteste donc que c’est un seul et même Dieu qui fait l’une et l’autre chose 40.

39. Contra Faustum XXI 1, éd. J. zycha, Sancti Aurelii Augustini De utilitate credendi, p. 569, l. 16-18. 40. Contra Faustum XXI 2, Ibid., p. 569-570 ; trad. M. DeVoille (modifiée) dans J.-J.-F. pouJoulat – J.-B. r aulx (éd.), Œuvres complètes de saint Augustin, t. XIV, Bar-le-Duc 1869, p. 302-303. Plus loin, dans le même traité (XXI 9), Augustin revient sur la lecture de 2 Co 4,4 : « Quocirca in opere malo, id est excaecatione infidelium, si intellegatur et diabolus propter suadendi malignitatem, ut sic distinguatur : deus huius saeculi, non mihi uidetur absurdum » (éd. cit., p. 579, l. 18-21).

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Exégèse manichéenne et anti-manichéenne de 2 Corinthiens 4,4 Dans ce passage, Augustin oppose à Fauste la manière de lire ce verset qu’a « la plupart d’entre nous » (plerique nostrum), en introduisant une pause entre Deus et saeculi 41. Bien qu’Augustin ne fasse pas explicitement sienne cette interprétation majoritaire, il en tire néanmoins la conclusion qui l’intéresse, à savoir que Paul désigne par Deus le seul vrai Dieu et non un autre dieu, celui de « ce siècle ». Et il reproche à son adversaire non seulement de ne pas faire une pause entre Deus et saeculi, mais aussi de changer l’ordre des mots (uerborum ordinem) du verset. Mais comme, en XXI, 1, Fauste a cité 2 Co 4,4 de la même manière qu’Augustin le fait par la suite, la modification doit porter sur la manière non de lire le verset mais de l’interpréter (exponendi gratia), pour aboutir au libellé qu’Augustin suppose être celui de Fauste : in quibus deus excaecavit mentes infidelium saeculi huius 42, et qui correspond en fait à la lecture préconisée par Tertullien (première manière) à l’encontre de Marcion 43. Curieusement, c’est aussi la lecture qu’adoptera Augustin luimême dans son Contra adversarium legis et prophetarum, un écrit dirigé contre le « livre d’un certain hérétique, soit marcionite soit d’une autre secte, de ceux dont l’erreur est de penser que Dieu n’a pas fait le monde et que le Dieu de la Loi donnée par Moïse et des prophètes soumis à la même loi n’est pas le vrai Dieu, mais un démon très méchant 44 ». Augustin réfute ainsi la lecture que l’adversaire faisait du verset paulinien : D’où vient que ce misérable veuille comprendre que le Dieu de ce siècle est mauvais, comme si c’était ce Dieu que Moïse avait servi dans l’Ancien Testament, comme si l’Apôtre affirmait cela ? Si, dans le Dieu de ce siècle, il faut entendre le Dieu des impies, c’est-à-dire le démon, car « tous les dieux des nations sont des démons », à plus forte raison le prince des démons luimême, faut-il s’étonner qu’il soit dit de quelques-uns d’entre eux qu’ils n’ont d’autre dieu que leur ventre ? Certes l’apôtre dit : « Leur dieu c’est leur ventre » (Ph 3,19), sans qu’il en résulte que le ventre soit un dieu. De la même manière le démon peut être dit le dieu de ce siècle, sans qu’il en résulte que le démon soit un dieu, car les démons ne sont pas dieux, bien que les dieux des nations soient des démons (Ps 105 [106],5). En effet, le siècle peut être considéré comme le synonyme du mal, d’où ce que dit l’apôtre Pierre : « Arrachezvous à ce mauvais siècle présent » (2 P 1,4). Mais comme l’autre interprétation est plus claire, quelle nécessité y a-t-il de penser que le diable soit signifié

41. Le texte de 2 Co 4,4a que connaît Augustin est le suivant : Deus saeculi huius excaecavit mentes infidelium. C’est ainsi qu’il le cite dans ce passage du Contra Faustum et dans le Contra adversarium legis et prophetarum II 7, 29 (éd. K.-D. Daur, Sancti Aurelii Augustini Contra aduersarium legis et prophetarum. Commonitorium Orosii et sancti Aurelii Augustini contra Priscillianistas et Origenistas, Turnhout 1985, p. 114, l. 858-859). 42. Éd. J. z ycha, Sancti Aurelii Augustini De utilitate credendi, p. 570, l. 2. 43. Contre Marcion V 11, 9, éd. c. moreschini – r. Braun, p. 234, l. 84-85. 44. Révisions II 58, trad. G. BarDy, Œuvres de saint Augustin, t. XII, Les révisions, Paris 1950 (Bibliothèque augustinienne), p. 549.

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Paul-Hubert Poirier ici et non le Dieu véritable, juste et bon, qui a aveuglé les esprits des infidèles de ce siècle. Ainsi, on ne lira pas ici séparément : « Chez qui le Dieu de ce siècle », pour ensuite continuer : « a aveuglé les esprits des infidèles » (in quibus Deus saeculi huius / excaecavit mentes infidelium saeculi huius), mais plutôt : « Chez qui Dieu », pour ensuite continuer : « a aveuglé de ce siècle les esprits des infidèles » (in quibus Deus / saeculi huius excaecavit mentes infidelium saeculi huius), c’est-à-dire a aveuglé les esprits des infidèles de ce siècle (infidelium saeculi huius mentes excaecavit) 45.

Le dernier témoignage de l’application à 2 Co 4,4 des procédés rhétoriques de l’hyperbate ou de l’hystéron protéron est celui de Jean Chrysostome, dans ses homélies sur la deuxième lettre aux Corinthiens 46. Après avoir évoqué les lectures des marcionites et des manichéens, il indique sa préférence tout en signalant que certains favorisent une autre interprétation : Quel est « le dieu de ce siècle » ? Ceux qui sont infectés par les doctrines de Marcion disent que cela est dit du créateur, lequel est seulement juste et non pas bon, car ils disent qu’il y a un certain dieu juste et non pas bon. Les manichéens, pour leur part, disent qu’il s’agit là du diable, voulant ainsi introduire d’une manière tout-à-fait déraisonnable un auteur de la création différent de celui qui existe. L’Écriture peut en effet employer souvent ce nom de dieu, non en raison de la dignité de celui qui est ainsi appelé mais de la faiblesse de ceux qui lui sont soumis, comme lorsqu’elle appelle seigneur le Mammon et dieu le ventre. Mais, sauf pour l’appellation, ni le ventre n’est un dieu ni le Mammon un seigneur si ce n’est pour ceux qui leur cèdent. Quant à nous, nous disons que ce nom n’est pas dit non plus du diable, mais du Dieu de l’univers, et qu’il faut lire ainsi : « Dieu a aveuglé les esprits des infidèles de ce monde. » Car le monde à venir n’a pas d’infidèles mais seulement le monde présent. Si quelqu’un pense pouvoir lire autrement, par exemple : « Le Dieu de ce monde », cela ne prête pas flanc [à la critique], car cela n’indique pas qu’il serait le Dieu de ce monde-ci seulement. Car on l’appelle aussi le Dieu du ciel, mais il n’est pas le Dieu du ciel seulement ; nous le disons encore le Dieu du jour présent et nous ne disons pas cela pour restreindre son pouvoir à ce seul jour. Il est dit le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, et il n’est pas le Dieu de ceux-ci seulement. On trouverait aussi beaucoup d’autres témoignages semblables dans les Écritures 47.

45. Contra adversarium legis et prophetarum II 7, 29 ; éd. K.-D. Daur, Sancti Aurelii Augustini Contra aduersarium legis et prophetarum, p. 114-115 (traduction personnelle). 46. D’autres exemples de cette exégèse pourraient sans doute être cités, mais nous nous sommes limité aux plus explicites. 47. Homélies sur la deuxième lettre aux Corinthiens 8, 2, éd. B. De montFaucon, Sancti Patris nostri Joannis Chrysostomi, Archiepiscopi Constantinopolitani, opera omnia, t. X/1, Paris 1838, p. 578-579 = PG 61, 455 (traduction personnelle). L’essentiel de cet extrait de l’homélie 8 est repris dans la chaîne du Pseudo-Œcuménius (Clavis Patrum Graecorum C 165), édité, d’après le Paris. Gr. 223, par J. a. cramer, Catenæ græcorum Patrum in Novum Testamentum, p. 373-374. On y relève cependant des éléments étrangers

284

Exégèse manichéenne et anti-manichéenne de 2 Corinthiens 4,4 Il ressort de cette brève enquête que deux lectures concurrentes du début du verset 4 de 2 Co 4 sont attestées pour la période allant du iie au Ve siècle, autant chez les auteurs « orthodoxes » que chez ceux qu’ils considéraient comme hérétiques : 1) lecture « normale » : « Chez qui “le dieu de ce monde” a aveuglé les pensées des incroyants […] » : – les hérétiques d’après Irénée : « le dieu de ce monde » = un dieu autre que « celui qui est au-dessus de toute Principauté et puissance » ; – les manichéens d’après Titus de Bostra : « le dieu de ce monde » = le principe mauvais ; – les manichéens d’après Jean Chrysostome : « le dieu de ce monde » = le diable, « un auteur de la création différent de celui qui existe »; – Titus de Bostra : « le dieu de ce monde » = le calomniateur; – Marcion d’après Tertullien et Jean Chrysostome : « le dieu de ce monde » = le Dieu juste, le Créateur ; – Tertullien (selon son simplicius responsum) : « le dieu de ce monde » = le diable ; – Marcus (De recta in Deum fide) : « le dieu de ce monde » = un « autre dieu », mauvais ; – l’adversaire de la loi et des prophètes chez Augustin : « le dieu de ce monde » = un dieu mauvais ; – Épiphane de Salamine : « le dieu de ce monde » = la φιλαργυρία ; – Fauste le manichéen (Contra Faustum) : « le dieu de ce monde » = le principe mauvais ; 2) lecture par hyperbate ou hystéron protéron : « Chez qui “Dieu” a aveuglé les pensées des incroyants de ce monde […] » : – « certains des nôtres » d’après Titus de Bostra : « Dieu » = le Dieu des chrétiens ; – Tertullien (selon sa première interprétation) : « Dieu » = le Dieu des chrétiens ; – Adamantius : « Dieu » = le Dieu des chrétiens ; – « la plupart d’entre nous » d’après Augustin (Contra Faustum) : « Dieu » = le Dieu des chrétiens ;

au texte de Chrysostome : p. 373, l. 27-28 (vers la fin de l’extrait) : Οὕτως μοι νόει καὶ τὸ Θεὸς τοῦ αἰῶνος τόυτου. Ἢ οὕτως μετὰ ὑπερβατοῦ· τῶν ἀπίστων τοῦ αἰῶνος τούτου ; p. 374, l. 2-9, sous le lemme Ἐτύφλωσε τὰ νοήματα (2 Co 4,4b), un passage introduit ainsi : Ὁ ἐν ἁγίοις Κυρίλλος ἐν ᾱ βιβλίῳ κατὰ Ἰουλιανοῦ ἐν ἀρχῇ ; le livre I du Contre Julien de Cyrille d’Alexandrie cite bien 2 Co 4,4, en I 2 (éd. p. BurGuière – p. éVieux, dans Cyrille d’Alexandrie, Contre Julien, t. I, Livres I et II, Paris 1985, p. 112), mais ni la citation ni le texte qui l’accompagne correspondent à l’extrait cité par le caténiste.

285

Paul-Hubert Poirier – Fauste le manichéen (lecture exponendi gratia, d’après Augustin, Contra Faustum) : « Dieu » = le principe mauvais ; – Augustin (Contra adv. leg. et proph.) : « Dieu » = le Dieu des chrétiens ; – Jean Chrysostome : « Dieu » = le Dieu des chrétiens. Comme on le constate, il n’est pas possible de tracer une droite ligne de démarcation entre la position des « orthodoxes » et celles de leurs adversaires; on se trouve plutôt en présence d’une frontière mouvante et sinueuse déterminée par la manière de lire 2 Co 4,4, et par le choix de prendre en compte l’expression ὁ θεὸς τοῦ αἰώνου τούτου comme un tout ou de l’évacuer en invoquant le procédé de l’hyperbate. Mais qu’il ait fallu se livrer à un exercice de lecture aussi acrobatique 48, que ce fût pour contrer une interprétation dualiste de 2 Co 4,4, ou pour l’établir, montre bien à quel point ce verset dut être source d’embarras pour les uns et aubaine pour les autres.

48. J’emprunte le qualificatif à René Braun, dans c. moreschini – r. Braun, p. 235, n. 5.

286

LE RETOUR DU REFOULÉ Le concept de la vision de Dieu pour Augustin à la suite des nouvelles recherches sur le manichéisme Giovanni Filoramo Università di Torino (I) – Dipartimento di studi storici [email protected]

Le problème Depuis quelques décennies une pléthore de recherches sur le manichéisme est publiée désormais, favorisée par de nouvelles découvertes archéologiques, par des textes récemment édités le concernant et enfin, par une façon nouvelle d’approcher l’antiquité tardive et son histoire. C’est ainsi que le rôle et l’importance de cette religion à vocation missionnaire ont été mis en valeur dans le contexte des changements profonds caractéristiques de l’antiquité tardive. Les racines judéo-chrétiennes du manichéisme, plus nettement définies, ainsi que la découverte de nouvelles lettres et sermons d’Augustin, ont favorisé un renouvellement de l’intérêt concernant les rapports de l’évêque d’Hippone avec ce mouvement, élément nous permettant de mieux comprendre à quel moment et de quelle façon les textes, les concepts et les pratiques manichéennes inspirèrent Augustin ; cela permet aussi de cerner les raisons pour lesquelles il les utilisa, soit en les englobant, consciemment ou inconsciemment, dans ses idées, soit en les repoussant et les condamnant absolument 1.

1.

Cf. par exemple J. Van oort (dir.), Augustine and Manichaean Christianity: selected Papers from the first South African Conference on Augustine of Hippo, University of Pretoria, 24-26 April 2012, Leyde-Boston 2013. Comme le souligne le curateur dans sa Préface, « the awareness of this fact and its implications has caused a noticeable paradigm shift in Augustinian studies, the results of which are becoming increasingly apparent and are gradually gaining acceptance » (p. xi). Van Oort a abordé plusieurs fois ce thème : cf. par

287

Giovanni Filoramo Dans un récent bilan critique concernant l’état actuel des recherches sur le manichéisme 2, Jean-Daniel Dubois a insisté sur l’impact de cette nouvelle vague d’études sur une façon novatrice d’approcher la complexité des rapports entre Augustin et le manichéisme. En particulier, dans ses conclusions il observe : De ce tour d’horizon rapide, on retiendra que la recherche manichéenne autour de l’œuvre d’Augustin se poursuit dans un climat plus serein qu’il y a vingt ou trente ans. Si la période manichéenne d’Augustin a toujours été acceptée par la recherche augustinienne, la taille de l’influence des préoccupations manichéennes d’Augustin n’a pas toujours été reconnue pour son œuvre d’après sa conversion et surtout d’après son accession à l’épiscopat. Il en va de l’interprétation générale de l’œuvre d’Augustin pour sa conception de Dieu, de l’âme humaine, de l’exercice de la volonté, de sa conception des rapports entre la nature, la loi et la grâce, ou de l’herméneutique biblique. Quand on pense à l’importance d’Augustin et de l’augustinisme dans toute la pensée occidentale jusqu’à nos jours, on perçoit que le chercheur en manichéisme a encore de belles trouvailles à faire 3.

Dans le cadre de l’hommage que je désire apporter à cet éminent spécialiste du manichéisme, la tentative que je propose est celle de relire un aspect significatif de son idée de Dieu, plus précisément la façon dont Augustin, guidé par les circonstances, au détour d’une phase importante de sa mission épiscopale est, en quelque sorte, obligé de revoir l’un des thèmes fondateurs de ses toutes premières réflexions philosophiques : la vision de Dieu. Au cours des toutes premières phases de cette recherche, ce thème lui était apparu dans les formes traditionnelles de la recherche au cours de cette vie d’une forme

2. 3.

288

exemple « Augustinus und der Manichäismus », dans A. Van tonGerloo – J. Van oort (dir.), The Manichaean ΝΟΥΣ. Proceedings of the International Symposium Organized in Louvain from 31 July to 3 August 1991, Louvain 1995, p. 103-128 ; iD., « The Emergence of GnosticManichaean Christianity as a Case of Religious Identity in the Making », dans J. Frishman – W. otten – G. rouWhorst (dir.), Religious Identity and the Problem of Historical Foundation. The foundational Character of authoritative Sources in the History of Christianity and Judaism, Leyde 2004, p. 285 : « Originally, Manichaeism and Catholicism were far from alien religions; rather, they were “frères ennemis”. In describing Manichaeism not as a foreign religion but as a secta, therefore, all Catholic Christian authors have been basically right. » Est plus prudent S. N. C. lieu, « Christianity and Manichaeism », dans A. casiDay – F. norris (dir.), Constantine to c. 600, Cambridge 2007, p. 279-95. Une application systématique jusqu’à l’excès de cette clef de lecture dans la relecture « manichéenne » d’Augustin se trouve dans J. BeDuhn, Augustine’s Manichaean Dilemma, t. I, Conversion and Apostasy, 373-388 C.E., Philadelphia 2010 ; t. II, Making a “Catholic” Self, 388-401 C.E., Philadelphia 2013. On attend le troisième tome. J.-D. DuBois, « Les recherches manichéennes actuelles », Rivista di storia del cristianesimo 9/2 (2012), p. 445-459. Ibid., p. 450.

Le concept de la vision de Dieu pour Augustin de contemplation de l’Être ; par la suite, Augustin y revient et lui attribue le rôle central de but final du parcours de perfection du chrétien, ce but ultime se concrétisant définitivement au cours de la vie future. La question ici est de savoir si cette vision n’est pas débitrice de sa précédente expérience manichéenne, ainsi que des connaissances plus approfondies déduites de son ancienne religion comme effet de sa longue polémique antimanichéenne. Sans aborder cette relation complexe 4, il est cependant nécessaire d’observer que « had Augustine never been a Manichaean, his theology would have been different, or at least expressed differently 5 », ceci étant probablement vrai, comme nous le verrons ici, eu égard à la façon dont il construit son idée de la vision béatifique de Dieu. Le concept augustinien de Dieu Comme il le raconte dans ses Confessions, son idée de Dieu a traversé différentes phases 6. Il est possible qu’au cours de son enfance il ait pensé à un Dieu anthropomorphe, défini comme « quelqu’un de grand 7 ». Ce genre d’anthropomorphisme et de matérialisme influencé par la vision stoïcienne 8, était très diffus au sein de l’Église africaine, comme nous le confirme Tertullien 9, entre autres ; si toute réalité est dotée d’un corps, il en résulte que, l’homme ayant été créé à l’image de Dieu, Dieu lui aussi doit posséder un corps 10. Plus tard, à la suite de la lecture de l’Hortensius de Cicéron, Augustin devait adopter les critiques des manichéens contre l’anthropomorphisme de l’Ancien Testament exhibé encore, selon leur opinion, par l’Église catholique 11.

4.

Pour une évaluation équilibrée des différentes thèses à la lumière du plus récent débat cf. V. H. Drecoll – M. KuDella, Augustin und der Manichäismus, Tübingen 2011. 5. J. K. coyle, Manichaeism and its Legacy, Leyde 2009, p. 327. 6. Cf. E. FelDmann, « Et inde rediens fecerat sibi deum (conf. 7,20). Beobachtungen zur Genese des augustinischen Gottesbegriffs und zu dessen Funktion in den Confessiones », Augustiniana 41 (1991), p. 881-904 ; N. J. torchia, « Creatio ex nihilo » and the Theology of St. Augustine. The anti-Manichaean polemic and beyond, New York 1999, p. 99 sq. Plus généralement voir I. Bochet, Désir de Dieu, Paris 1982 ; G. m aDec, « Deus », dans Augustinus Lexikon, t. II/3-4, Turnhout 2000, p. 313 sq. ; iD., Le Dieu d’Augustin, Paris 1998. 7. Conf. I, ix 14. 8. Pour les rapports avec le stoïcisme, voir C. BaGuette, « Une période stoïcienne dans l’évolution de la pensée de saint Augustin », Revue des Études Augustiniennes 16 (1970), p. 47-77 ; G. VerBeKe, « Augustin et le stoïcisme », Recherches Augustiniennes 1 (1958), p. 67-89. 9. Cf. le De anima ; cf. Adversus Praxean 7,8. 10. Cf. R. J. tesKe, Saint Augustin On Genesis: Two Books on Genesis against the Manichees and On the Literal Interpretation of Genesis: An Unfinished Book, Washington D. C. 1991, p. 12. 11. Conf. III, Vii 12. Cf. Conf. V, x 19-20. Cf. aussi De moribus I 10,7 ; De Genesi adversus manichaeos I 17,27.

289

Giovanni Filoramo Successivement, Augustin, au sein de sa période manichéenne, était en accord avec la conception manichéenne de Dieu. Ce concept était parfaitement en ligne avec le matérialisme dominant et très présent dans les domaines scientifiques, philosophiques et culturels en général de l’époque 12. Le Dieu des manichéens n’est pas spirituel au sens technique du terme ; il est constitué d’un matériel céleste, une fibre ténue mais, quand même, matérielle. En ce sens, nous pouvons le rapprocher du pneuma stoïcien ; et c’est pour cette raison qu’Augustin, dans sa période manichéenne, ne peut se représenter Dieu que comme une moles 13. De plus, pour en exprimer la nature, les manichéens ne se servent pas de catégories philosophiques, mais de fables mythologiques 14. Augustin, lorsqu’il abandonne le manichéisme, confesse cependant être resté lié à une vision corporelle et matérielle de la divinité qui semble influencée par le stoïcisme 15. Ce n’est qu’à la suite de sa rencontre avec le mouvement des néoplatoniciens établis à Milan et de la lecture des libri platonicorum, qu’il élabore une idée de Dieu en tant que substance incorporelle, spirituelle, immuable et incorruptible. Dès lors, il reste fidèle à ce concept qui devient l’une des pierres milliaires de l’histoire du spiritualisme chrétien en Occident 16. Dans ce contexte, quoique à peine ébauché, le problème de la vision de Dieu, thème traditionnel de la recherche philosophique de la vérité, était destiné de façon inévitable à évoluer et à se transformer. Augustin s’était intéressé au thème de la vision de Dieu dans le cadre d’une perspective typiquement platonicienne pendant les années où il s’était converti, le considérant comme un effort uniquement humain de l’âme qui, à travers une série d’étapes de purifications progressives des passions, permette de la conduire vers Dieu 17. Cependant, au moment où il écrit les Confessions, il admet l’inanité de ces efforts, ainsi que la dépendance de Dieu dans le domaine métaphysique et moral. Pour cette raison, il refusera l’idéal stoïcien et néoplatonicien de l’autonomie du vir sapiens qu’il avait précédemment suivi. Les notes qu’il apporte concernant les expériences mystiques possibles indiquées dans les Confessions, ne touchent en rien le problème de la vision de Dieu 18.

12. Cf. N. J. torchia, Creatio ex nihilo, p. 140-141. 13. Conf. III, Vii 12; V, x 19–xi 21; XII, xxVii 37. 14. Cf. F. Decret, L’Afrique manichéenne (iv-ve siècles). Étude historique et doctrinale, t. I, Paris 1978, p. 321 sq. 15. Cf. Conf. VII, i 1 ; ii, 3 ; cf. A. pincherle, Vita di S. Agostino, Rome-Bari 2000, p. 56-57. 16. Cf. F. m asai, « Les conversions de saint Augustin et les débuts du spiritualisme en Occident », Le Moyen Âge 67 (1961), p. 1-40. 17. Dans le De quantitatae animae, il distingue sept degrés dans les fonctions ou les activités de l’âme : animation, sensible, intelligent, moral, qui préside la purification ; suivent un état caractérisé par la tranquillité des passions, un sixième degré correspondant à l’ingressio ou au début de la contemplation et enfin un septième degré, pour la contemplation (79-80). 18. Les passages des Confessions sont au nombre de trois. Le premier, avant le baptême à Milan, reflète l’influence des libri Platonicorum avec peu d’influence chrétienne (VII, x 16). Le deuxième (VII, xVii 23) se réfère à une expérience transitoire de

290

Le concept de la vision de Dieu pour Augustin Le problème se pose pour lui de nouveau après 410 et le suit jusqu’à la fin de ses jours. Le rôle central, cette fois, est représenté par l’Épître 147, de videndo deo, alors qu’il se trouve de nouveau confronté à un problème qu’il semblait avoir définitivement oublié, mais qui réapparaît car le contexte a changé : il s’agit du problème de la nature corporelle de Dieu. Pouvons-nous supposer de façon vraisemblable qu’Augustin ait progressivement élaboré une idée de la vision de Dieu – devenue par la suite normative pour l’Église occidentale –, compte tenu de la relation complexe et problématique avec le manichéisme ? L’Épître 147 L’Épître 147, écrite en 413 par l’évêque d’Hippone à une certaine Pauline, pieuse servante de Dieu (religiosa famula Dei) et femme d’Armentaire 19, a pour but de répondre à une question ardue que lui pose la femme depuis longtemps et de façon insistante 20 : s’il est possible de voir Dieu, qui est invisible, avec les yeux du corps (de invisibili Deo, utrum per oculos corporeos possit videri), en cette vie. L’intervalle entre la question et la réponse dérive, ainsi que le précise Augustin, non seulement de la complexité de la demande, mais aussi de la difficulté à trouver la façon de persuader tous ceux qui n’ont pas la même opinion à ce propos. La suite de la lettre et l’Épître 148, écrite tout de suite après et s’adressant à l’évêque Fortunatien de Sicca afin qu’il l’aide à se réconcilier avec un autre évêque, resté inconnu et très durement attaqué par Augustin pour son anthropomorphisme 21, nous relate la façon dont ses adversaires affirment qu’il est possible de voir Dieu déjà dans cette vie avec les yeux du corps. La lettre se compose de deux parties. Augustin, dans un premier temps, exhorte Pauline à ne pas accepter passivement ce qu’il s’apprête à lui révéler en tant qu’évêque (1,2) ; ayant mis en valeur certains points fondamentaux concernant l’objet de la foi et la façon de le percevoir (1,3-4,11), il aborde

type plotinien de l’ascension de l’âme. Le troisième semble récapituler les deux précédents (VII, xx 26). Suit l’expérience d’Ostie (IX, x 23-24), sur laquelle on peut lire le commentaire de L. F. pizzolato dans G. m aDec – L. F. pizzolato – M. simonetti (éd.), Sant’Agostino. Confessioni, volume III, libri VII-IV, Fondazione Lorenzo Valla 1994, p. 336 sq. 19. Pour les deux époux est également écrite l’Épître 127 (fin 410), plus précisément parce qu’Armentaire confirme le vœu de chasteté fait à sa femme (qui donc avait fait un choix de vie religieuse depuis quelques années quand Augustin décide de lui répondre avec l’Épître 147). 20. Cf. 6,17, où l’on précise que Pauline se serait inspirée à une lettre d’Augustin dans laquelle, à son avis, l’évêque n’avait pas abordé la question d’une manière appropriée. En effet, Augustin avait abordé la question déjà dans l’Épître 92, écrite avant 408, dans laquelle il console une veuve, Italique, en lui rappelant justement la vision béatifique, destinée aux purs de cœur. 21. Cf. Épître 148,1,1.

291

Giovanni Filoramo ensuite la réponse au problème que lui a posé Pauline en montrant qu’il n’est pas possible de voir Dieu avec les yeux du corps tout du moins dans cette vie (5,1-15,37) ; dans un second temps, Augustin en vient, pour ce qui concerne la vision béatifique, au problème de savoir si cette dernière peut ou non se fonder sur la vue particulière du corps ressuscité et transformé (16,38-23,54). La nature de l’enjeu Comparée à l’idée de Dieu qu’Augustin avait élaborée, la question que pose Pauline à ce dernier semble à première vue assez banale. Ainsi que le disent ses Sermons 22, il s’agit en effet d’une idée encore largement diffusée auprès des simpliciores : une sorte de prolongation des concepts païens anthropomorphes, un mode de représentation de la divinité typique des esprits non érudits. Au début du premier livre du traité sur la Trinité, qu’il rédige aux alentours de 399, Augustin présente, en la critiquant, une typologie des conceptions de Dieu : et ce n’est pas un hasard si, à la première place, sont situés ceux qui « pensent Dieu à la manière des êtres corporels 23 ». Il suffit de replacer le De videndo deo dans le contexte d’œuvres telles que le De Trinitate et le livre XII du De genesi ad litteram, pour se rendre compte que la question de Pauline en réalité touche à un ensemble de problèmes extrêmement importants car ils concernent, encore une fois, la façon dont la divinité est représentée. Au-delà de la polémique contre la représentation de Dieu de la part des chrétiens de façon corporelle et anthropomorphe, resurgit tel un fantôme la conception corporelle de la divinité propre aux manichéens, celle-là même qu’Augustin avait longtemps partagée. Ces deux concepts, quoique assez différents et même en opposition, étaient liés en fait par ce qui pourrait être défini, selon les paroles de Patricia Cox Miller, « l’imagination corporelle 24 », moteur immobile de ce que cette dernière décrit comme material turn et qui caractériserait la période au cours de laquelle Augustin élabore ses concepts. Il s’agit d’une mutation profonde au sein de la sensibilité de l’antiquité tardive concernant la signification potentielle du monde matériel (pour ce qui concerne le corps humain en particulier), « a shift that reconfigured the relation between materiality and meaning in a positive

22. Cf. par exemple Sermo 198 augm.adversus paganos, dans F. DolBeau, Augustin d’Hippone. Vingt-six sermons au peuple d’Afrique, Paris 1996, p. 345-417. 23. De Trinitate I 1,1. 24. P. cox miller, The Corporeal Imagination. Signifying the Holy in Late Ancient Christianity, Philadelphia 2009. Du même auteur cf. aussi, Il sogno nella tarda antichità. Studi sull’immaginazione di una cultura, Rome 2004, p. 124 [éd. orig. : Dreams in late Antiquity: Studies in the Imagination of a Culture, Princeton (NJ) 1994].

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Le concept de la vision de Dieu pour Augustin direction 25 ». La renégociation entre Fini et Infini qui eut lieu là se réalisa alors par l’intermédiaire d’une nouvelle valorisation du corps humain, favorisée en cela par le rôle central tenu, justement, par la Corporeal Imagination. Revoir, au vu de ces considérations, la polémique conduite par Augustin contre les concepts anthropomorphes et matériels de la divinité, permet de cerner cette dernière de façon nouvelle : à plus forte raison, si l’on considère que chrétiens anthropomorphites et manichéens se rejoignaient sur un point fondamental, celui de la vision corporelle de la divinité (bien que partant de bases et ayant des conséquences très différentes). Cette hypothèse est confirmée par un passage de l’Épître 120, écrite autour de 410, dans lequel Augustin répond à Consentius à propos de certaines questions qu’il lui posait sur la Trinité. Tout d’abord, l’évêque d’Hippone rappelle à ce dernier comment situer de façon correcte la relation entre foi et raison ; ensuite, à la première question qui lui est posée, Augustin répond en critiquant une certaine forme de conception anthropomorphe, laquelle devait vraisemblablement être d’actualité dans certains cercles qui lui étaient familiers, suivant laquelle on imaginait la Trinité, qui est invisible, incorporelle et immuable, comme une sorte de trois masses géantes vivantes, majestueuses et belles, circonscrites dans leurs espaces respectifs, organiquement reliées entre elles, même si chacune reste dans les limites de son espace. Il fallait condamner comme idolâtres aussi d’autres conceptions semblables, comme celles qui imaginaient qu’une des trois Personnes était au milieu des deux autres, les séparant l’une de l’autre de sorte que chacune reste accolée à son côté ou les trois contiguës comme les côtés d’un triangle sans qu’aucun ne reste séparé des autres 26. Certains chrétiens « charnels 27 » forgeaient donc une image corporelle de la Trinité qui présente des analogies avec celle que, selon la reconstruction polémique d’Augustin, les manichéens construisaient concernant le rapport spatial entre Règne de la lumière et Règne des Ténèbres. Nous ne retrouvons

25. P. cox miller, The Corporeal Imagination, p. 3. 26. Épître 120,2,7 : « Cui autem nisi verissimae rationi fidelis pietas erubescit, ut quamdam idololatriam, quam in corde nostro ex consuetudine visibilium constituere conatur humanae cogitationis infirmitas, non dubitemus evertere; nec audeamus credere ita esse Trinitatem, quam invisibilem et incorpoream atque incommutabilem colimus, quasi tres quasdam viventes moles, licet maximas et pulcherrimas, suorum tamen locorum spatiis propriis terminatas, et sibimet in suis locis contigua propinquitate cohaerentes, sive una earum sic in medio constituta, ut duas dirimat sibi ex lateribus singulis iunctas, sive in modum trigoni duas caeteras unaquaeque contingat, ut nulla ab aliqua separetur. » Il s’agit d’un thème qui retourne dans l’iconographie chrétienne du moyen âge : cf. F. BoespFluG, Dio nell’arte. Sollicitudini Nostrae di Benedetto XIV (1745) e il caso Crescenzia di Kaufbeuren, Casale Monferrato 1986, p. 274 [éd. orig. : Dieu dans l’art : “Sollicitudini nostrae” de Benoît XIV (1745) et l’affaire Crescence de Kaufbeuren, Paris 1984] et ce que j’observe dans mon livre Ipotesi Dio. Il divino come idea necessaria, Bologne 2016, p. 123 sq. 27. Cf. De Trinitate VIII,3.

293

Giovanni Filoramo cependant pas ici l’image du coin ni le thème mythique de la concupiscence des Ténèbres envers la Lumière 28. Ces deux représentations, pourtant si différentes, ont en commun le recours à l’imagination corporelle : tentative d’établir entre Fini et Infini une sorte de médiation per viam imaginationis, celle précisément qu’Augustin réfute de manière radicale. Le combat contre l’imagination corporelle Images et imagination jouent pour le manichéisme un rôle important 29. En effet, ainsi que le démontre le cas de Manès, d’une part elles expliquent et illuminent une séquence narrative du récit cosmogonique 30 ; d’autre part, elles représentent un véritable moyen didactique de diffusion du message salvifique 31. Le manichéisme ne permet pas qu’images et imagination soient considérées de façon allégorique ou métaphorique ; par exemple, les images sont à la fois représentation de concepts (nuit et lumière comme lutte entre les puissances primordiales) mais également représentation de la réalité : c’est en elles que la réalité cosmique se manifeste. De par ses prières quotidiennes, le fidèle manichéen pouvait en effet, à partir de la lumière du soleil et de la lune considérés comme manifestations sensibles et visibles de l’Âme vivante, accéder aux réalités supérieures jusqu’au monde transcendant. L’usage pictural des images par Manès nous le confirme : servant à documenter et confirmer la réalité de cette lutte, elles exigeaient, par conséquent, une interprétation littérale. Il semble qu’Augustin ne connaissait ni les peintures ni les livres illustrés des manichéens ; cependant, ses œuvres anti-manichéennes témoignent, tout le long, de sa connaissance de l’existence de l’usage particulier des images et de l’imagination. L’évêque d’Hippone, dans sa période anti-manichéenne, a adhéré à l’ontologie platonicienne et inauguré le spiritualisme chrétien : il s’agit donc pour lui désormais d’images fausses, de représentations purement imaginaires ou phantasmata 32, dépourvues de

28. Cf. par exemple De vera religione 49,96 ; Contra epistolam fundamenti 23,25. 29. Cf. T. Fuhrer, « Re-coding Manichaean Imagery: The Dramatic Setting of Augustine’s De ordine », dans J. Van oort (dir.) Augustine and Manichaean Christianity, p. 51-71. 30. Cf. V. a rnolD -DöBen, Die Bildersprache des Manichäismus, Cologne 1978. 31. Cf. A. piras, Verba Lucis. Scrittura, immagine e libro nel manicheismo, Milan-Udine 2012. 32. Selon une distinction des stoïciens qui, pour Diogène Laërce, Vie des philosophes illustres VII 50, remonte à Zénon. Cf. De vera religione 55,108 : « Non sit nobis religio in phantasmatibus nostris. Melius est enim qualecumque verum, quam omne quidquid pro arbitrio fingi potes » : cf. E. zum Brunn, Le Dilemme de l’être et du néant chez saint Augustin. Des premiers dialogues aux « Confessions », Paris 1969, p. 12 et n. 15. Dans De Trinitate VIII 6,9, Augustin distingue les phantasmata, qui sont des représentations purement imaginaires, de la phantasia, qui comprend les images d’impressions expérimentées et déposées dans la mémoire. Les phantasmata (qualifiés de splendida et de falsa corpora : III, Vi 10) se réfèrent à des réalités que les manichéens (Epistula fundamenti et

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Le concept de la vision de Dieu pour Augustin toute réalité et consistance. Il en déduit que les manichéens sont incapables de penser une nature incorporelle et spirituelle ; au contraire, leur entendement (cogitatio) est incapable de se représenter un quelconque événement spirituel 33. Y compris lorsque l’objet de leur pensée est le Bien spirituel et intelligible, leur carnalis cogitatio se fonde sur la perception sensorielle pour cueillir, à travers leurs cinq sens, la présence de la substance lumineuse à l’intérieur des éléments en contraignant, par conséquent, cette réalité spirituelle à l’intérieur de formes corporelles 34. En substitution de la vraie lumière, ils finissent par adorer, en tant que portio de Dieu, la lumière matérielle 35. Le manichéisme réfutait la réalité de l’incarnation, n’attribuait à la résurrection des corps aucune valeur et, de par sa perspective gnostique, repérait dans l’âme une portio de la divinité destinée à retrouver sa source. Cependant, contrairement à la perspective platonicienne laquelle identifiait dans l’âme le sujet de la contemplation de la Réalité transcendante, pour la vision chrétienne le sujet eschatologique de la visio Dei ne pouvait pas ne pas tenir compte du concept de résurrection du corps. De quelle nature était donc ce corps ? Quelle signification donner à la possibilité pour le béat de contempler Dieu « face à face » ? La question posée par Pauline pénétrait également dans les méandres du futur eschatologique du chrétien. En est révélatrice la façon dont Augustin, de manière sibylline, répond à la pieuse femme : il ne lui reste qu’à affirmer qu’« il demeure donc certain que les élus dans la vie future verront Dieu par l’homme intérieur. Mais si, par un changement admirable, les yeux du corps peuvent aussi voir Dieu, nous gagnerons d’un côté sans rien perdre de l’autre 36 ». Ce qui permettait d’une manière vague que la vue (et l’imagination avec elle !) puisse avoir quelque rôle dans le corps transformé. Il est impossible en ce lieu et à partir de la réponse partielle qu’il ébauche dans l’Épître 147, d’approfondir correctement la progressive élaboration de la part d’Augustin d’une conception plus systématique ; en effet, il est dans son habitude de procéder, à travers une série de questions et de problèmes, par raisonnements progressifs pour tenter de trouver une réponse à une question particulièrement ardue.

33. 34. 35.

36.

Thesaurus VII) imaginaient comme au-dessus de la région du bonheur : cf. De natura boni 42.46. Selon J. r ies « Saint Augustin et le manichéisme à la lumière du livre III des Confessions », dans « Le Confessioni » di Agostino d’Ippona. Libri III-V, Palerme 1984, p. 17 sq., il faut les relier aux différentes émanations du Père de la lumière. Cf. Contra epistolam Manichaei 20,22. Cf. par exemple Contra Faustum 5,11 ; 20,7 sq. Contra Secundinum 16 : cf. F. Decret, L’Afrique manichéenne, p. 308-311. Augustin semble expressément ignorer la différence posée par Fauste entre lux inaccessibilis et lux secunda et visibilis (Contra Faustum 20,2). Une exception : Contra epistolam fundamenti 21,22, où il attribue aux manichéens la différence entre terra tenebrarum corporea et terra luminis qui serait incorporea et spiritalis. Épître 148,5,17.

295

Giovanni Filoramo Pour ce qui nous concerne, nous pouvons affirmer qu’un approfondissement et un changement de perspective sont évidents, notamment de par la façon dont il définit sa conception de la vision de Dieu dans le livre XXII du De civitate Dei. La vision eschatologique de Dieu : un écho manichéen ? Pour ce qui concerne l’élaboration de son idée de visio dei, c’est à la fin de la réponse qu’il donne à Pauline, qu’Augustin inclut in extremis la possibilité que les yeux du corps ressuscité et spirituellement transformé puissent continuer à avoir une fonction. Toujours dans ce texte, il admet que le Dieu chrétien trinitaire puisse au cours de cette vie avoir une forme corporelle temporairement et en cas d’événements extraordinaires, sans pour autant perdre quoi que ce soit de sa transcendance absolue. Et Augustin y consent pour deux raisons : la première est l’analyse qu’il a faite du dossier exégétique concernant les théophanies de l’Ancien Testament ; la seconde est l’existence d’expériences visionnaires exceptionnelles telles que celle de Paul et, en quelque sorte similaire quoique beaucoup plus éloignée, celle de Moïse. Ce qui advenait lorsque des situations particulières le permettaient, en sauvegardant toute transcendance et immuabilité de la substance divine, ne pouvait-il advenir également dans le cas du corps ressuscité ? En 408, dans l’Épître 92 à Italique, il s’était prononcé de façon franchement négative sur cette possibilité, en définissant comme folle (dementia) une telle conviction, pour atténuer successivement la négation : en effet, en 413, la condamnation se fait plus indulgente (Épître 147) ; elle le devient plus encore dans les lettres 148, adressée à l’évêque Fortunatien, et 152, écrite à Évodius en 415. Une certaine liberté est laissée dans le Sermo 277,14 et suivants 37, jusqu’à la prudente tentative de compromis qui se trouve dans le livre XXII de De civitate Dei. Toute référence au manichéisme sera absente de cette conclusion, même si, entre la façon dont Augustin tente de se représenter la vision béatifique et celle dont le manichéisme s’est représenté la béatitude des Élus, l’analogie structurelle est évidente. Selon l’eschatologie collective manichéenne 38, après que le feu aura tout détruit, celui qu’Évodius nomme globus horribilis, sorte d’immense sphère, englobera ténèbres, démons et âmes des pécheurs, avant de les précipiter au fond de l’abîme infernal et de les recouvrir d’une énorme pierre. Toutes les divinités du panthéon manichéen (Jésus, la Mère de la Vie, la Vierge de Lumière, l’Esprit Vivant, etc.), convergent vers la lune et attendent qu’une explosion de feu purifie le monde pour une durée de 1468 ans, au terme

37. Cf. surtout la conclusion, 277,19,18. 38. Cf. W. sunDermann, « Eschatology Iranica 8 (1998), p. 569-575.

296

ii

: Manichaean Eschatology », dans Encyclopædia

Le concept de la vision de Dieu pour Augustin desquels adviendra la « restitution des deux natures » : la grande conflagration condensera les ultimes parcelles de lumière en une Grande Statue finale qui guidera ces dernières au sein du Nouveau Paradis. Ainsi, se réalisera la séparation entre les Archontes, lesquels habiteront dans les sphères les plus basses ; et le Père, qui sera dans les sphères les plus hautes et manifestera son visage aux êtres de lumières réintégrés en lui 39, selon une modalité qui rappelle celle que dessine Augustin dans sa réponse à Pauline 40. Les manichéens considèrent que le corps ne joue aucun rôle dans la visio beata : or, Augustin revient à cette question dans la conclusion du chapitre 29 du livre XXII de De civitate Dei, pour y examiner longuement la possibilité, au cours de la vie béate, de contempler avec les yeux du corps spirituel la substance divine incorporelle. Il ramène les deux alternatives prises en considération à deux exemples bibliques. Selon la première alternative, il s’agit d’une vision des yeux du cœur, conformément au cas d’Élisée qui, absent avec son corps, a cependant vu son serviteur Guéhazi recevant les dons de la part de Naaman (2 Rois 5,26). La seconde alternative se fonde sur l’exemple de Job lequel affirme : « maintenant mon œil te voit » (42,5 LXX), en ouvrant ainsi la route à une autre possibilité. En opposition aux idées de ces philosophes (évidemment, des platoniciens) soutenant qu’avec le regard de l’esprit il est possible de voir les choses intelligibles, la raison véritable et l’autorité des prophètes démentent cette affirmation : le pouvoir du corps spirituel serait si fort qu’il lui permettrait de voir jusqu’à l’être incorporel. De deux choses l’une, conclut Augustin : ou bien Dieu peut être vu grâce à des yeux tels qu’ils possèdent, à la puissance la plus élevée, une fonction semblable à la pensée, ce qui fait qu’avec eux il sera possible de contempler y compris la nature incorporelle, quoiqu’il soit difficile sinon impossible d’étayer cette fonction éventuelle par des exemples ou des textes des Écritures sacrées ; ou bien,

39. Cf. Frag. M 2 : F. C. a nDreas – W. B. henninG (éd.), Mitteliranische Manichaica aux Chinesisch-Turkestan, t. III, Berlin 1934, p. 853 ; trad. it. dans A. m aGris (dir.), Il Manicheismo. Antologia dei testi, Brescia 2000, p. 209 : « Ma ora vieni ed abbi compassione di noi: svelaci la tua immagine raggiante, la più meravigliosa delle apparizioni, per noi che desideriamo tanto volgerci verso di essa e grazie ad essa esser lieti e felici; giacché in verità per tanto tempo ne abbiamo avuto nostalgia! » ; cf. Kephalaion 39 : H. J. polotsKy – A. BöhliG, Kephalaia I, Hälfte 1, Lfg. 1/10, Stuttgart 1940, p. 103, traduction italienne dans A. m aGris (dir.), Il Manicheismo, p. 157 : « Il Secondo Giorno è il momento in cui i Padri della Luce, avendo vinto la battaglia, siederanno sui loro troni nel Nuovo Eone, abiteranno la Nuova Terra e regneranno nel Nuovo [Eone] fin quando il Padre rivelerà la sua immagine sopra di loro. » Voir I. GarDner, « Mani, Augustine, and the Vision of God », dans J. Van oort (dir.), Augustine and Manichaean Christianity, p. 73-86. 40. N. A. peDersen, « The Veil and Revelation of the Father of Greatness », dans J. Van oort (dir.), Augustine and Manichaean Christianity, p. 229-234, étudie les origines judaïques et gnostiques de ce thème attesté dans Évode, De fide 13 : le Père, qui avait perdu une partie de sa lumière, en deuil cache son visage derrière un voile, qu’il haussera à la fin.

297

Giovanni Filoramo […] ce qui est plus aisé à comprendre, Dieu nous sera si connu et si sensible que nous le verrons par l’esprit au dedans de nous, dans les autres, dans lui-même, dans le ciel nouveau et dans la terre nouvelle, en un mot, dans tout être alors subsistant. Nous le verrons même par le corps dans tout corps, de quelque côté que nous jetions les yeux. Et nos pensées aussi deviendront visibles 41.

En conclusion, nous pouvons nous demander si le paradoxe de cette « vision invisible », qui est également une vision de type intellectuel et la vision par laquelle les béats verront Dieu « par le corps dans tout corps, de quelque côté que nous jetions les yeux », est le fruit d’une interprétation exégétique et théologique construite par rapport aux textes de la Révélation ; mais elle est par la même occasion la reconquête involontaire d’une imagination corporelle, justement l’imagination manichéenne, idéalisée et adaptée à la nature spécifique du corps ressuscité.

41. De civitate Dei XXII, 29,6.

298

SUR LES TRACES SYRIAQUES DES MANICHÉENS Les réfutations de Moïse bar Kepha (ixe s.) et de Jacques bar Šakko (xiiie s.)* Flavia ruani Université hébraïque de Jérusalem [email protected]

L’histoire des études manichéennes a depuis longtemps montré combien précieuses sont les connaissances que nous apporte la littérature syriaque de controverse sur le manichéisme des origines, et tout particulièrement ses écrits fondateurs. Ceux-ci, aujourd’hui perdus, avaient – rappelons-le – presque tous été rédigés par Mani en syriaque 1. Tout aussi important est ce que cette littérature nous apprend sur le cheminement et la transmission dans la durée, de textes et de thèmes antimanichéens en milieu chrétien syriacophone. Il manque à nos jours un examen complet de la littérature syriaque antimanichéenne qui étudie

*

1.

Je tiens à remercier le Center for the Study of Christianity de l’Université hébraïque de Jérusalem qui a bien voulu financer mes recherches pendant une année de post-doctorat dans la Ville Sainte. Toute ma gratitude va aussi à Gregory Kessel, qui a le premier attiré mon attention sur la notice antimanichéenne de Jacques bar Šakko, en me rendant possible l’accès à l’un des manuscrits qui contiennent ce texte. L’idée et la possibilité de réaliser une partie de cette étude viennent de là. Je remercie beaucoup Yilmaz Turan d’avoir eu l’amabilité de relire et d’améliorer une version précédente des traductions présentées dans cet article. Le texte retenu est bien sûr le fruit de mes choix, fautes éventuelles incluses. Le seul ouvrage du canon manichéen qui ne fut pas rédigé en syriaque et dont nous possédons des parties est le Shabuhragan, écrit en moyen-perse. La littérature polémique syriaque est susceptible de contenir en particulier la terminologie et les concepts clés de la formulation doctrinale manichéenne d’origine. Le cas le plus connu est le Livre des Scholies XI de Théodore bar Konai (fin Viiie s.), qui cite un texte cosmologique manichéen unique, tiré d’une source de première main.

299

Flavia Ruani les textes déjà publiés, tout comme ceux encore contenus dans des manuscrits inédits, dans ces deux perspectives : la recherche qui concerne les ipsissima verba de Mani et celle qui s’attache à la polémique syriaque antimanichéenne 2. Je me propose ici de partir sur les traces syriaques des manichéens en présentant les réfutations antimanichéennes de deux grands auteurs de la littérature en cette langue : Moïse bar Kepha (m. 903) et Jacques bar Šakko (m. 1241), deux évêques syro-orthodoxes ayant vécus dans la même région, aux alentours de Mossoul, à trois siècles d’écart l’un de l’autre. Je dois à Jean-Daniel Dubois de m’avoir initiée à cette recherche passionnante, à la croisée de l’histoire des religions, de la philologie, de l’histoire des textes et de l’étude des manuscrits. En me guidant dans mes recherches doctorales sur le manichéisme vu par Éphrem de Nisibe, c’est avec bienveillance et précision qu’il m’a enseigné la critique des sources et, avec elle, la mise en garde contre le risque de faire, à mon tour, œuvre d’hérésiologue 3. Je voudrais ici rendre hommage à mon ancien co-directeur de thèse en étudiant un domaine qu’il chérit, le manichéisme, et en interrogeant directement les textes, selon le souci qu’il a toujours eu et transmis, de travailler sur les documents originaux. Je présenterai donc les textes jusqu’à présent inédits des notices syriaques antimanichéennes contenues dans les œuvres de Moïse bar Kepha et Jacques bar Šakko, accompagnés de leur première traduction en français, et suivis d’un commentaire s’attachant aux sources utilisées par les deux auteurs.

2.

3.

300

Cette recherche s’inscrit dans l’essor des études manichéennes et syriaques des vingt dernières années et a déjà fait l’objet de diverses contributions. Pour une liste non exhaustive d’auteurs et textes syriaques antimanichéens, voir mon « Recherches sur la place d’Éphrem de Nisibe dans la littérature syriaque anti-manichéenne », dans les Actes du 11e Symposium Syriacum (La Vallette, Malte, juillet 2012) = Parole de l’Orient 38 (2013), p. 83-108. Quelques articles sur des auteurs précis contribueront à la constitution de ce corpus d’« antimanichaica syriaca » : mentionnons entre autres J. C. reeVes, « Manichaean Citations from the Prose Refutations of Ephrem », dans P. mirecKi – J. BeDuhn (dir.), Emerging From Darkness: Studies in the Recovery of Manichaean Sources, Leyde-New York-Cologne 1997, p. 217-288 ; L. Van rompay, « Bardaisan and Mani in Philoxenus of Mabbog’s Memre against Habbib », dans W. J. Van BeKKum – J. W. DriJVers – A. C. KluGKist (dir.), Syriac Polemics. Studies in Honour of Gerrit Jan Reinink, Louvain 2007, p. 77-90 ; et mon « John of Dara on Mani: Manichaean Interpretations of Genesis 2.17 in Syriac », dans E. C. D. hunter – S. N. C. lieu – E. morano (dir .), Manichaeism East and West: Proceedings of the Eighth IAMS Conference at SOAS, London, 9-13 September 2013, Turnhout (à paraître en 2016). Des entreprises de ce genre ont été réalisées pour la polémique antimanichéenne dans les contextes byzantin et musulman : voir W. W. Klein, Die Argumentation in den griechisch-christlichen Antimanichaica, Wiesbaden 1991 ; et J. C. reeVes, Prolegomena to the History of Islamicate Manichaeism, Sheffield 2011 (20132). Exemplaire pour la discussion critique de sources hérésiologiques est l’analyse que JeanDaniel Dubois fait du paragraphe concernant Mani chez Eusèbe de Césarée : J.-D. DuBois, « Le manichéisme vu par l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée », Études théologiques et religieuses 68/3 (1993), p. 333-339.

Sur les traces syriaques des manichéens Moïse bar Kepha, Commentaire de l’Hexaemeron I,15 Évêque syro-orthodoxe de Beth Raman, une ville située entre Mossoul et Tagrit sur les berges du Tigre, de 863 à 903, date de sa mort 4, Moïse bar Kepha est l’un des auteurs les plus prolifiques de la littérature syriaque. Dans un milieu majoritairement arabophone et musulman, il écrivit toujours en syriaque et composa des œuvres principalement dans le domaine de l’exégèse biblique, de la théologie et de la liturgie 5. De ses écrits émerge la connaissance profonde qu’il avait des pensées musulmane et juive de son époque, par lesquelles il fut influencé et auxquelles, en même temps, il se confrontait de façon polémique 6. La raison d’être de sa production littéraire est à rechercher dans ce contexte religieux et culturel multiple, dont Moïse bar Kepha avait pleinement connaissance : ses écrits procèdent d’une démarche de systématisation et de synthèse des traditions chrétiennes précédentes, ayant pour but, sans doute, la défense de la doctrine chrétienne vis-à-vis du monde musulman prédominant 7. Cette summa théologique, qui a le souci de sauvegarder la pensée chrétienne du passé, prend chez Moïse la forme littéraire

4. 5.

6.

7.

Sur la vie (et les « vies » plus ou moins hagiographiques) de Moïse bar Kepha, voir J. reller, Mose bar Kepha und seine Paulinenauslegung. Nebst Edition und Übersetzung des Kommentars zum Römerbrief, Wiesbaden 1994, p. 21-58. Voir J. reller, Mose bar Kepha, p. 59-87, qui signale les manuscrits, les éditions et les traductions existantes pour chaque œuvre et offre une chronologie relative des écrits. Pour une présentation générale de la production littéraire de Moïse, se référer à I. A. Barsoum, The Scattered Pearls: History of Syriac Literature and Sciences, trad. anglaise par M. moosa, Piscataway 20032 [éd. orig. : Kitab al-Lulu al-Manthur fi Tarikh al-Ulum wa al-Adab al-Suryaniyya, Alep 1956], p. 398-404 ; et J. F. coaKley, « Mushe bar Kipho (d. 903) [Syr. Orth.] », dans S. P. BrocK – A. M. Butts – G. A. Kiraz – L. Van rompay (dir.), Gorgias Encyclopedic Dictionary of the Syriac Heritage (désormais GEDSH), Piscataway 2011, p. 300. Les écrits de Moïse contiennent des polémiques ouvertes contre les musulmans : c’est le cas de son traité Sur le libre arbitre et la prédestination (contenu dans le manuscrit unique de Londres, British Library Add. 14731). Voir l’analyse de S. H. GriFFith, « Free Will in Christian Kalâm: Moshe bar Kepha Against the Teachings of the Muslims », Le Muséon 100/1-2 (1987), p. 143-159, qui met en relief la connaissance que bar Kepha avait, non seulement du milieu philosophique et doctrinal musulman de la fin du ixe siècle, période à laquelle, notamment en Irak, le concept de libre arbitre acquit une nouvelle élaboration, mais aussi des controverses contemporaines entre chrétiens et musulmans. Voir également H. G. B. teule, « Moses bar Kephā », dans D. R. thomas – A. mallett (dir.), Christian-Muslim Relations: A Bibliographical History, t. II, (900‒1050), Leyde-Boston 2010, p. 98-101. Sur la participation de Moïse bar Kepha à la discussion mu‘tazilite musulmane et juive de son époque, voir U. ruDolph, « Christliche Bibelexegese und mu‘tazilitische Theologie. Der Fall des Moses bar Kepha (gest. 903 n. Chr.) », Oriens 34 (1994), p. 299-313. Enfin, sur les contacts d’ordre exégétique entre Moïse bar Kepha et la littérature rabbinique contemporaine, voir les exemples fournis par Y. moss, « Scholasticism, Exegesis, and the Historicization of Mosaic Authorship in Moses Bar Kepha’s On Paradise », Harvard Theological Review 104/3 (2011), p. 325-348, en particulier n. 23, p. 329-330. Voir J. F. coaKley, « Mushe bar Kipho », dans GEDSH, p. 300.

301

Flavia Ruani de grandes compilations ou compendiums, généralement divisés en chapitres traitant de points spécifiques, le plus souvent structurés en questions et réponses, et contenant de nombreuses citations d’auteurs chrétiens antérieurs, surtout grecs et syriaques, invoqués pour étayer une thèse doctrinale ou exégétique donnée. Le Commentaire de l’Hexaemeron, en cinq livres 8, appartient à cette catégorie d’écrits. Avant d’entamer son véritable commentaire, Moïse bar Kepha consacre quatre chapitres du livre I (les numéros 12, 13, 14 et 15) à la présentation et réfutation d’opinions « erronées » au sujet de la création, qu’il clôture, au chapitre 16, par l’exposition de la position chrétienne « orthodoxe 9 ». Ainsi, le chapitre 12 s’oppose à « ceux qui disent que ce monde est mauvais », en mentionnant explicitement Aristote et Proclus ; le chapitre 13 réfute l’opinion de « ces païens qui ont introduit la Matière mauvaise et incréée » ; le chapitre 14 s’attaque aux positions de Bardesane, qui a dit que « ce monde advint et fut établi par le mélange de cinq essences » ; et enfin, le chapitre 15 vise la doctrine de Mani à propos des deux essences primordiales. C’est ce chapitre que j’édite 10 et traduis 11 ici à partir des deux seuls manuscrits qui

8.

La composition des livres est la suivante : livre I en 50 chapitres (livre introductif à contenu théologique traitant de l’existence et de la nature de Dieu, et du mode de création) ; livre II en 63 chapitres (commentaire détaillé de Gn 1,1-2,7) ; livre III en 65 chapitres, ayant trait à l’astrologie (21 chap.) et à la zoologie (44 chap.) ; livre IV sur les quatre éléments (25 chap.), la terre (18 chap.), l’eau (16 chap.), l’air (4 chap.) le feu (2 chap.) ; livre V sur le ciel (38 chap.). Cf. J. reller, Mose bar Kepha, p. 60. Le texte syriaque est inédit. Lorenz Schlimme a publié la traduction allemande de tous les livres en 1977, avec introduction et commentaire : L. schlimme, Der Hexaemeronkommentar des Moses bar Kepha. Einleitung, Übersetzung und Untersuchungen, 2 vol., Wiesbaden 1977. Aux pages 40-57 il indique les manuscrits qui contiennent ce texte et ceux qu’il a utilisés. Pour une liste plus complète, voir J. reller, Mose bar Kepha, p. 61. 9. Les onze premiers chapitres décrivent la nature du Dieu Créateur (unique, inchangeable, infini, avec trois hypostases, créateur d’une création bonne, etc.), selon un point de vue chrétien traditionnel. Toute aussi traditionnelle est la position de bar Kepha exprimée au chapitre 16 : le monde est temporel, a été créé par le Créateur, et possède un début et une fin. 10. Je prends pour base le texte du ms. Birmingham, Mingana syr. 65 qui est le plus satisfaisant des deux, tout en y intégrant les leçons du manuscrit parisien lorsqu’il offre de meilleures variantes. Il s’agit donc d’une édition éclectique : le manuscrit parisien, par exemple, contient l’intégralité du texte et permet de ce fait de combler la lacune que présente vers la fin le ms. Mingana, due à un grand saut du même au même. 11. La traduction allemande de ce chapitre par Lorenz Schlimme se trouve dans son Der Hexaemeronkommentar, t. I, p. 141-142. Les notes à la traduction donnent les variantes des manuscrits en traduction, mais, du moins pour ce chapitre, elles sont très partielles et parfois fautives, et omettent de signaler la plupart des lieux variants.

302

Sur les traces syriaques des manichéens le contiennent, dans l’ensemble de la tradition manuscrite 12, le Paris BnF syr. 241 (daté 1504, fol. 18v°b-19v°a 13) et le Birmingham, Mingana syr. 65 (daté 1903, fol. 16v°b-17r°a 14) : ̈ ̈ ‫ܐܝܬܝܐ‬ ‫ܕܬܖܝܢ‬ ‫ܚܘܠܛܢܐ‬ ܼ ‫ ܠܘܬ ܗܢܘܢ ܕܐܡܪܝܢ ܕܥܠܡܐ ܗܢܐ ܼܡܢ‬15 .‫ܩܦܐܠܘܢ ܕܚܡܫܥܣܪ‬ ܼܿ ̈ 18  ̈ ̈ .‫ܛܒܐ‬ ‫ ܚܕ‬. ‫ܐܝ ܼܬܝܐ ܐ ܼܝܬ‬ ‫ܐܡܪ ܆ ܕܬܖܝܢ‬ ‫ܗܟܝܠ‬ ‫ ܿ ܼܡܐܢ ܼܝ ܿܡܢ ܆‬17 ‫ܘܐܬܩܝܡ‬ ‫ ܗܘܐ‬16 ‫ܣܩܘܒܠܝܐ‬ ܼ ܼ ܼ ̈ 20  19  ‫ ܘܒܚܕ ܼܡܢ ܙܒܢܐ ܠܡ ܆ ܚܙ ܼܝܗܝ ܒ ܼܝܫܐ‬. ‫ܚܫܘ ܼܟܐ‬ ‫ܢܘܗܪܐ ܘܐܚܪܝܢܐ‬ ܼ ܼ ‫ ܘܚܕ‬. ‫ܘܐܚܪܢܐ ܒ ܼܝܫܐ‬ ܿ ܿ ‫ܚܘܠܛܢܐ‬ ‫ܘܐܙܠ ܠܘܬܗ ܘܒ ܼܠܥ ܡܢܗ‬ ‫ܘܫ ܼܦܝܪ ܘܪܓܗ‬ ܼ . ‫ܘܐܬ ܼܿܚܠܛ ܥܡܗ‬ ܼ ‫ ܕܢܗ ܼܝܪ‬. ‫ܠܗܘ ܛܒܐ‬ ܼ ‫ܘܡܢ‬ ܼ ܼ ܿ ‫ܐܝܬܝܐ ܿܗ‬ ܿ ‫ܕܬܖ‬ ̈ ܿ ܿ ̈ ‫ܐܡܪܝܢܢ ܠܘܬܗ‬ ̈ ‫ܣܓܝܐܬܐ‬ ‫ܥܠܡܐ ܗܢܐ ܆ ܼܚܢܢ ܕܝܢ‬ ‫ܝܡ‬ ‫ܘܐܬܩ‬ ‫ܘܐ‬ ‫ܗ‬ . ‫ܢ‬ ‫ܢܘ‬ ‫ܢ‬ ‫ܝܗܘ‬ ܼ ܼ ܼ ̄ ‫ܠܟܘ ܼܬܐ‬ ‫ ܐܝܟ‬22 ‫ ܆ ܐܢ ܚܫܘܟܐ ܐܝܬܝܐ ̄ܗܘ ܕܢܦܫܗ‬21 ‫ܐ‬ ܼ ‫ ܐܬܪܐ‬23 ‫ܕܐܡܪܬ ܘܩ ܸܢܐ ܗܘܐ‬ ܼ ܼ ‫ܘܡ‬ ̄ ܿ 24  ‫ܓܡ ܼܝܪܐ‬ . ‫ܐܝܟܢܐ ܐܬܬܙ ܼܝܥ ܐܝܟ ܣܢ ܼܝܩܐ‬ ܼ ‫ܕܢܐܪܓ ܡܕܡ‬ ܼ ܼ ܼ ‫ܕܢܘܟܪܝ ܠܗ ܆ ܟܕ ܟܠ ܕܐܝܬܘ ܐܝܬܝܐ‬ ‫ ܠܘ ܐ ܼܝܬܝܐ‬27  ‫ ܣܢ ܼܝܩܐ ̄ܗ ܼܘ ܆ ܘܐܢ ܣܢ ܼܝܩܐ ̄ܗܘ‬26 .‫ܘܪܓ‬ ‫ ܼܿܚܣ ܼܝܪܐ ܆ ܘܐܢ ܐܪܐ‬25 ‫̄ܗܘ ܆ ܘܠܘ‬ ܼ ܿ ‫ ܠܡܕܡ ܕܡܚ ܿ ܼܝܢ ܠܗ‬. 28 ‫ ܟܕ ܟܠ ܡܕܡ‬. ‫ܩܘܒܠܝ ܠܟܝܢܗ‬ ‫ ̄ܒ ܆ ܬܘܒ ܕܝܢ ܆ ܐܝܟܢ‬. ‫̄ܗܘ‬ ܼ ‫ܕܣ‬ ܼ ‫ܪܓ ܡܕܡ‬ ܼ ̈ ̈ ̈ ‫ ܐܝܟ‬. ‫ܪܐܓ‬ ̈ ܿ ܿ ̈ ‫ܢܘܢܐ‬ 30  29  . ‫ܪܝܘܬܐ‬ ܼ ‫ܠܡܝܐ ܘܚܘܠܕܐ ܐܠܪܥܐ ܘܦܖܚܕܘܕܐ‬ ܼ ‫ܠܣ‬ ܼ ‫ܠܚܫܘܟܐ ܘܬܘܠܥܐ‬ ܼ ̄ ܿ ̄ 34  33  32  31  ‫ܘܫܪܟܐ ܓ ܆ ܬܘܒ ܕܝܢ ܆ ܐܢ ܡܣܝܟܐ ܗܘ‬ ܼ . ‫ ܘܒܠܛܝܬܐ ܠܩܝܣܐ‬. ‫ܘܣܣܐ ܠܠܒܘܫܐ‬ 35  ‫ܥܒܪ ܐܬܪܗ ܆ ̄ܕ܆ ܬܘܒ ܕܝܢ ܆ ܐܢ‬ ܼ ‫ ܐܝܟܢܐ‬. ‫ܢܘܗܪܐ ܡܣܝܟ ܒܐܬܪܗ‬ ܼ ‫ܚܫܘܟܐ ܒܐܬܪܗ ܐܝܟ ܕܐܦ‬

12. Excepté ces deux manuscrits, les autres, une dizaine, ne présentent que deux ou trois livres du texte, étant lacunaires ou simplement partiels. 13. J’indique ce manuscrit par la lettre P. Pour une description de ce manuscrit voir H. zotenBerG, Catalogue des manuscrits syriaques et sabéens (mandaïtiques) de la bibliothèque nationale, Paris 1874, p. 197-198. 14. Siglé M. Ce manuscrit est décrit dans A. minGana, Catalogue of the Mingana Collection of Manuscripts now in the possession of the Trustees of the Woodbrooke Settlement, Selly Oak, Birmingham, t. I, Syriac and Garshuni Manuscripts, Cambridge 1933, p. 167-168. Ce manuscrit est la copie d’un manuscrit daté de 1390 des Grecs, c’est-à-dire 1079 AD. 15. ‫ ܕܚܡܫܥܣܪ‬M : ‫ ܝܗ‬P. ̈ ̈ 16. ‫ܣܩܘܒܠܝܐ‬ M : ‫ܣܩܘܒܐܠ‬ P. 17. Le titre est marqué à l’encre rouge. ̈ P : ‫ ܕܬܪܝܢ‬M. 18. ‫ܕܬܖܝܢ‬ 19. ‫ ܘܐܚܪܢܐ‬P : ‫ ܘܐܝܬܝܐ‬M. ̈ P : ‫ ܙܒܢܐ‬M. 20. ‫ܙܒ ܢܐ‬ 21. Cette lettre, comme les suivantes surlignées, utilisées selon leur valeur numérique pour diviser le texte en paragraphes, est écrite à l’encre rouge. 22. ‫ ܕܢܦܫܐ‬M : ‫ ܢܦܫܗ‬P. 23. ‫ ܘܩ ܸܢ ܐ ܗܘܐ‬P : ‫ ܣ ܸܢ ܐ ܗܘ‬M (graphiquement semblable). 24. ‫ ܐܝܟܢܐ‬M : ‫ ܕܐܝܟܢܐ‬P. 25. ‫ ܘܠܘ‬P : ‫ ܘܐܠ‬M. ܿ 26. ‫ ܘܪܓ‬P : ‫ܘܪܐܓ‬ M ut semper. 27. ‫ ܣܢܝܩܐ ̄ܗ ܘ‬M : ‫ ܣܢܝܩܐ‬P. ܿ 28. ‫ ܟܕ ܟܠ ܡܕܡ‬. ‫ܩܘܒܠܝ ܠܟܝܢܗ‬ ܼ ‫ܕܣ‬ ܼ ‫ ܡܕܡ‬M : ‫ ܡܕܡ ܕܣܩܘܒܠܝ ܆ ܠܟܝܢܗ ܟܠ ܡܕܡ‬P. ̈ ̈ P. 29. ‫ ܘܚܘܠ ܕܐ‬M : ‫ܠܘ ܪܐ‬ ܼ ‫ܘܚ‬ 30. ‫ܠܚ ܫܘܟܐ‬ ܼ M : ‫ܠܚ ܫܟܐ‬ ܼ P. 31. ‫ ܘܒܠܛܝܬܐ‬M : ‫ ܘܒܛ ܼܝ ܠܬܐ‬P. ̄ M. 32. ‫ ܓ‬P : ‫ܕܓ‬ 33. ‫ ܐܢ‬om. P. 34. ‫ ܡܣܝܟܐ‬M : ‫ ܡܣܟܐ‬P. 35. ‫ ܐܢ‬om. P.

303

Flavia Ruani ܿ ܿ ܿ ̈ ܿ ‫ ܘܐܠ‬. ‫ܥܒܪ‬ ܼܿ ‫ܐܬܐܫܕܘ ܒܢܘܓܪܗ ܕܙܒܢܐ‬ ‫ܥܒܪ‬ . ‫ܗܘܘ‬ ܼ ‫ܕܩܕܡ‬ ܼ ‫ ܼܟܬܪܘ ܘܐܠ‬36 ‫ܐܝܟܢܐ‬ ܼ ‫ܐܫ ܼܝܕܐ ܐܝܬܝܗܘܢ‬ ܼ ܿ ̄ ܿ ܿ 39  38  ̈ . ‫ܢܘܗܪܐ ܒܠܥܗ‬ . ‫ܿܬ ̈ܚ ܼܘܡܐ ܕ ܼܝܠܗܘܢ‬ ܼ ܼ ‫ ܬܘܒ ܕܝܢ ܆ ܐܢ ܡܛܠ‬. ‫ܘܐܬܚܠܛܘ ܒܚܕܕܐ ܆ ܗ‬ ܼ ‫ܕܡܗܢܐ ܠܗ‬ ܿ 42  41  ‫ ܘܐܢ ܒܠܥ‬. ‫ܢܘܗܪܐ‬ ‫ ܘܡܛܠܡܢܐ ܡܕܝܢ‬. ‫ ܕܝܠܗ ܐ ܼܝܬܘܗܝ‬40 ‫ܕܠܩܘܒܐܠ‬ ‫ܠܘ‬ ܼ ‫ܚܫܘ ܼܟܐ ܕܝܘܡܢ ܥܪܩ ܼܡܢ‬ ܼ ܼ ̄ ̄ ܿ ‫ܚܫܘܟܐ ܕܒ ܼܠܥ ܡܕܡ ܕܐܠ ܼܡܗܢܐ ܠܗ ܆ ܘ ܆ ܬܘܒ ܕܝܢ‬ ‫ܗܘ‬ ‫ܡܕܡ ܕܐܠ ܡܗܢܐ ܠܗ‬ ܼ ܼ ‫ܕܠܩܘܒܐܠ ܿܕܝܬܗ ܐܝܬܘ‬ ܼ ܿ ‫ ܆‬43 ‫ܒܨܒܝܢܗ‬ ܿ ‫ܕܛܒܐ ܿܒܠܥܗ ܿܗܘ ܒܝܫܐ ܆‬ ‫ܐܘ ܕܐܠ ܒܨܒܝܢܗ ܆ ܘܐܢ ܿ ܼܡܢ ܒܨܒܝܢܗ ܡܛܠ ܿܡܢܐ ܝܘܡܢ‬ ܼ ܿ ‫ܡܨܠܠ‬ ܿ 44  ܿ ‫ ܐܢ ܕܐܠ ܒܨܒܝܢܗ ܼܡܦܩ‬. ‫ܘܫܩܠ ̈ܡܢܘܬܗ ܡܢܗ ܆ ܐܢ ܕܝܢ ܒܨܒܝܢܗ ܐܬܡܪܕ ܠܗ ܙ ܬܘܒ ܕܝܢ‬ ܿ ܿ ̈ ܿ ܿ 46  45  . ‫ ܘܐܢ ܐܡܪ ܕܛܒܐ ܐܠܨ ܠܗ‬. ‫ ܼܡܢܘ ܐܠܨ ܠܗ ܠܗܕܐ‬. ‫ܘܬܗ ܕܛܒܐ ܡܢܗ‬ ܼ ‫ܠܗܝܢ ܝܘܡܢ ܒ ܼܝܫܐ ܠܡܢ‬ ܿ ܿ ܿ ‫ܬܘܒ ܕܝܢ ܠܩܕܡܝܢ‬ ܼ ‫ܢܒܠܥ ܼܡܢܗ ܒ ܼܝܫܐ ܡܕܡ ܆ ̄ܚ ܆‬ ܼ ‫ܒܫܘܪܝܐ ܗܘ ܛܒܐ ܕܐܠ‬ ܼ ‫ ܐܬܡܨܝ‬48 ‫ ܕܐܠ‬47 ‫ܐܡܪܝܢܢ ܐܝܟܢ‬ 49  ‫ ܀‬50 ‫ܐܘܣܝܐ ܘܐܦܐܠ ܡܩܝܡ ̄ܗܘ‬ ‫ܘܐܠ‬ ‫ܟܝܢܐ‬ ‫ܘܐܠ‬ . ‫ܐܝܬܘܗܝ‬ ‫ܝܐ‬ ‫ܐܝܬ‬ ‫ܠܘ‬ ‫ܕܚܫܘܟܐ‬ ‫ܐܠܗܐ‬ ‫ܒܝܕ‬ ‫ܘܝܢܢ‬ ‫ܡܚ‬ ܼܿ ܼ ܼ 37 

Chapitre 15 51. Contre ceux qui disent que ce monde advint et fut établi par le mélange de deux essences adverses. Mani ainsi a dit qu’il y a deux essences, l’une, le Bon et l’autre, le Mauvais, l’une la Lumière, et l’autre la Ténèbre, et que « à un certain moment, le Mauvais vit ce Bon, qui était resplendissant et beau, et le désira, alla vers lui et en avala une partie, et se mélangea avec lui ». Et du mélange de ces deux essences advint et fut établi ce monde. Or nous disons contre lui beaucoup de choses. 1. Si la Ténèbre était une essence par elle-même, comme tu l’as dit, et qu’elle possédait un espace et un royaume, comment a-t-elle été mue comme ayant des manques, au point de désirer ce qui lui est étranger, alors que toute essence est parfaite et point incomplète ? Or si elle désira, elle a des manques, et si elle a des manques, elle n’est pas une essence. 2. Encore, comment a-t-elle pu désirer une chose qui est le contraire de sa nature (P : qui est contraire) ? (P : Par sa nature,) Toute chose désire ce qui le fait vivre, comme les poissons l’eau, les taupes la terre, les chauvessouris les ténèbres (P : obscurité), les vers la puanteur, la mite les vêtements, le taret le bois, etc.

36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50.

‫ ܐܝܟܢܐ‬M : ‫ ܕܐܝܟܢܐ‬P. ‫ ܥܒܪ‬M : ‫ ܥܒܪܘ‬P. ‫ ܘܐܬܚܠܛܘ‬M : ‫ ܘܐܠ ܚܠܛܘ‬P. ‫ ܕܝܢ‬om. P. ‫ ܕܠܩܘܒܐܠ‬M : ‫ ܠܩܘܒܐܠ‬P. ‫ ܘܡܛܠܡܢܐ ܡܕܝܢ‬M : ‫ ܡܛܠ ܿܡ ܢܐ‬P. ‫ ܘܐܢ‬M : ‫ ܐܢ‬P. ‫ ܬܘܒ ܕܝܢ ܒܨܒܝܢܐ – ܐܬܡܪܕ ܠܗ‬om. M (par homéotéleute). ‫ ܙ‬P : ̄‫ ܘ‬M. Cette lettre est écrite à l’encre rouge. ‫ ܡܢܗ‬P : ‫ ܐܠܨܝ ܡܢܗ‬M. ‫ ܐܠܨ‬om. P. ܿ ‫ ܐܡܪܝܢܢ ܐܝܟܢ‬M : ‫ܕܐܝܟܢ‬ ‫ ܐܡܪܝܢܢ ܘܐܦܐܠ ܡܩ ܼܝܡܐ ܗܘ‬P. ‫ ܕܐܠ‬M : ‫ ܐܠ‬P. ‫ ܕܚܫܘܟܐ‬M : ‫ ܕܚܫܟܐ‬P. ̄ ‫ܐܘ ܣܝܐ ܘܐܦܐܠ ܡܩܝܡ ̄ܗ ܘ‬ ‫ ܠܘ‬M : ‫ܐܝܬܘ ܘܐܠ ܚܝܐ ܘܐܠ‬ ‫ܠܘ ܐܝܬܝܐ‬ ܼ ‫ ܘܐܠ ܟܝܢܐ ܘܐܠ‬. ‫ܐܝܬ ܝܐ ܐܝܬܘܗܝ‬ ܼ ‫ ܐܘܣܝܐ‬P. 51. Dans cette traduction, j’utilise les parenthèses () pour traduire les variantes significatives ; les crochets [] pour expliciter ou éclairer le texte ; les crochets obliques pour signaler un ajout de ma part que je juge nécessaire à la clarté de l’expression en français.

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Sur les traces syriaques des manichéens 3. Mais encore, si la Ténèbre était confinée dans son espace, tout comme la Lumière est aussi confinée dans son espace, comment a-t-elle pu traverser son espace ? 4. Mais encore, si elles étaient répandues, comment auraient-elles perduré [c.à-d. telles quelles, en tant qu’essences], sans être répandues dans le laps de temps qui s’était écoulé auparavant, sans qu’elle [la Ténèbre] n’ait traversé (P : sans qu’elles n’aient traversé) leurs frontières et qu’elles [les deux essences] ne se soient mélangées l’une avec l’autre ? 5. Encore, si c’est parce que la Lumière lui plut qu’elle [la Ténèbre] l’avala, elle n’est pas son adversaire : pourquoi alors les ténèbres d’aujourd’hui fuiraient-elles la lumière ? Mais si elle avale quelque chose qui ne lui plait pas, elle est son adversaire propre, cette Ténèbre qui a avalé ce qui ne lui plut pas. 6. Encore, est-ce par sa propre volonté que ce Mauvais avala le Bon, ou bien contre sa volonté ? Si c’est par sa volonté, pourquoi aujourd’hui raffine-t-il des parcelles de celui-ci et les emporte-t-il loin de lui-même ? Si c’est par sa volonté, il s’est révolté contre lui-même 52. 7. Mais encore, si c’est contre sa volonté qu’aujourd’hui le Mauvais extrait de lui-même les parcelles du Bon, qui l’a contraint à cela ? S’il dit que c’est le Bon qui l’a contraint, nous répondons (P déplace ici : et cela ne subsiste même pas) : comment ce Bon ne s’est-il pas opposé au commencement à ce que le Mauvais avale une partie de lui ? 8. Or nous venons de montrer, par l’aide de Dieu, que la Ténèbre (P : l’obscurité) n’est pas une essence, ni une nature, ni une ousia, ni même quelque chose qui subsiste (P : n’est pas une essence, ni une vie, ni une ousia).

Les sources de Moïse bar Kepha Lorenz Schlimme a accompagné sa traduction allemande de l’Hexaemeron de Moïse bar Kepha par une discussion des sources qui ont pu influencer l’écrivain syriaque ou qu’il a utilisées dans l’élaboration de certaines exégèses, et a relevé en particulier la proximité avec le commentaire de Jacques d’Édesse (Viie siècle 53). En se concentrant sur le cœur de l’ouvrage, il n’a pas cherché à

52. Dans sa traduction, Lorenz Schlimme change la protase de cette dernière période conditionnelle en la mettant au négatif (en anticipant de la sorte la discussion du paragraphe 7), et ne traduit pas l’apodose, pourtant présente dans le texte : « Wenn aber (un)freiwillig… » (Der Hexaemeronkommentar, p. 142). En note il signale : « A (= notre P) fin om. M om. », alors que P, comme on vient de le dire, contient la phrase entière. 53. Les parallèles avec l’œuvre de Jacques d’Édesse, considérée la source des livres III-V de Moïse bar Kepha, font l’objet d’une grande partie du commentaire de Lorenz Schlimme (voir Der Hexaemeronkommentar, p. 659-743). Aux pages 743-756, le savant allemand analyse la structure du livre II et mentionne (aux p. 755-756) une liste d’auteurs chrétiens grecs et syriaques, et de leurs œuvres le cas échéant, cités par bar Kepha. La partie finale du commentaire par Lorenz Schlimme s’attache à analyser la fortune de l’Hexaemeron de Moïse.

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Flavia Ruani analyser les premiers chapitres à caractère polémique 54. Excepté celles sur le chapitre consacré à la réfutation du système de Bardesane (chap. 14), menées notamment par Alberto Camplani 55, aucune étude n’est parue pour l’instant, à ma connaissance, se penchant sur les autres chapitres polémiques de l’Hexaemeron de Moïse bar Kepha. Pris en suivant l’ordre dans lequel ils sont présentés, les quatre chapitres polémiques 12-16 reflètent une conception de l’erreur doctrinale dont le fil se déroule selon une chaîne chronologique commençant à la philosophie grecque et se poursuivant avec le système de Bardesane pour aboutir à celui de Mani. Associés par filiation aux conceptions philosophiques grecques, ces deux derniers sont relégués de la sorte dans la sphère païenne et jugés totalement étrangers à l’orthodoxie chrétienne, voire au christianisme tout court. Les quatre chapitres présentent la même structure formelle. Moïse y expose d’abord, plus ou moins brièvement, les positions des adversaires, et les réfute ensuite avec des arguments présentés de façon schématique, numérotés et structurés en questions-réponses. Dans les quatre chapitres, enfin, le contenu des opinions adverses est strictement limité au sujet qui intéresse Moïse dans cet ouvrage, à savoir la création du monde et son créateur. Le sujet de l’œuvre explique ainsi pourquoi la notice antimanichéenne est entièrement focalisée sur l’explication manichéenne de l’origine du monde, négligeant nombre d’autres aspects de la doctrine, sans parler des éléments rituels ou dogmatiques. Présentation de la doctrine manichéenne La présentation de la doctrine manichéenne tient en quelques phrases. Comme c’est l’habitude chez les hérésiologues chrétiens, elle commence par dénoncer l’erreur fondamentale de la croyance en deux essences, dont les noms (Bon et Mauvais, Lumière et Ténèbre) sont attestés en syriaque depuis le iVe siècle, avec Éphrem le Syrien. Il est néanmoins étrange que Moïse ne fasse pas mention du terme Hylè (‫)ܗܘܐܠ‬, « Matière », pour parler de l’essence mauvaise, terme qu’il utilise dans les chapitres précédents en relation avec les

54. Lorenz Schlimme ne discute que brièvement des sources du livre I (Der Hexaemeronkommentar, p. 664-667), et parmi les « citations anonymes » de cette partie, il signale un passage du De fide orthodoxa de Jean Damascène (au chap. 4), et du De mensuris et ponderibus d’Épiphane de Salamine (au chap. 44). 55. A. camplani, « Note bardesanitiche », Miscellanea marciana 12 (1997), p. 11-43 (en particulier p. 18-23 où l’on trouve l’édition et la traduction critique des positions de Bardesane telles que présentées par Moïse bar Kepha, et p. 39-41 qui offrent l’apparat critique et la traduction critique de la réfutation de bar Kepha) ; iD., « Rivisitando Bardesane. Note sulle fonti siriache del bardesanismo e sulla sua collocazione storico-religiosa », Cristianesimo nella storia 19 (1998), p. 519-596 ; iD., « Bardesane et les bardesanites », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux 112 (2003-2004), p. 29-50.

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Sur les traces syriaques des manichéens Grecs et Bardesane, et qui est un mot technique du vocabulaire manichéen connu d’Éphrem 56. Suit une présentation extrêmement concise de la partie du mythe du salut manichéen qui relate l’attaque de la Ténèbre contre la Lumière et le mélange qui en dérive, à l’origine à son tour de la création du monde. Cette partie est connue de toutes les sources manichéennes comme le « temps médian », le temps du mélange, qui fait suite à l’état de séparation des deux essences primordiales (le « temps antérieur »). Ce passage est introduit par la particule lam, marque, en syriaque, d’un discours direct ou d’une paraphrase. L’hypothèse d’une paraphrase est la plus vraisemblable ici, étant donné le caractère abrégé du passage qui, de par un usage strict de la parataxe, semble combiner plusieurs éléments narratifs distincts et les résumer dans un seul verbe-action, laissant ainsi de multiples vides, qui font l’objet, en revanche, d’amples développements dans les documents manichéens. Prenons par exemple la phrase « à un certain moment le Mauvais vit ce Bon ». À quoi se réfère ce « à un certain moment » (b-ḥad men zabnē) ? Derrière cette expression se cache toute la question du déclenchement des hostilités et plus précisément de la raison pour laquelle la Ténèbre a désiré et attaqué la Lumière, dont parle la littérature manichéenne directe et indirecte conservée en copte, grec et syriaque. La majorité de ces documents manichéens tient à préciser que c’est par hasard, par coïncidence, ou encore – ce qui n’est qu’une variante – à cause de la nature désordonnée et turbulente de la Matière que celle-ci se retrouve aux frontières de la Lumière, violant ainsi l’état de séparation qui caractérisait les deux principes 57. D’autres textes semblent évoquer une sorte de complot de la part de la Ténèbre, ravagée comme elle est de guerres intestines, et ajoutent ainsi au désordre intrinsèque du principe mauvais la nuance d’une volonté rationnelle d’expansion 58. Accident ou bien entreprise préméditée 59 – Moïse bar Kepha passe sous silence la cause de l’agression, et on remplirait volontiers cette lacune en ajoutant à « à un certain moment » un détail comme « après être monté au seuil de la Terre de Lumière, en raison de son mouvement désordonné, etc. ».

56. Cf. S. N. C. lieu, « Manichaean Terms in Syriac: Some Observations on Their Transmission and Transformation », ARAM Periodical 16 (2004), p. 129-140, particulièrement p. 135. Bar Kepha se limite également à l’usage du terme ītyē (« essences ») pour désigner les deux principes manichéens, alors qu’un éventail plus vaste est attesté chez Éphrem : « natures », « racines », « puissances », par exemple. 57. C’est le cas du Psaume copte du Béma 223, ainsi que des citations manichéennes conservées chez Alexandre de Lycopole, Sérapion de Thmuis, Titus de Bostra, et surtout Sévère d’Antioche. 58. Par exemple, le prologue des Kephalaia coptes du codex de Berlin (p. 4,1-2) et le texte manichéen cité par Théodore bar Konai. 59. Une bonne synthèse des sources à ce sujet est offerte par A. Villey, Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani (Introduction, traduction, commentaire), Paris 1985, p. 133-135.

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Flavia Ruani La concision de bar Kepha est telle qu’il est difficile d’établir avec exactitude quelle est sa source, parmi celles qui nous sont parvenues, pour la rédaction de cette présentation de la doctrine manichéenne. Le déroulement de l’histoire des origines présenté par l’auteur syriaque est à ce point général qu’il peut se rapprocher de la version qu’en avait Éphrem tout comme des versions, offrant des détails de différente nature, connues de Sévère d’Antioche ou Théodore bar Konai. Le fond de cette histoire est authentique, d’un point de vue manichéen, et partagé par toutes les sources connues : la Ténèbre voit la Lumière resplendissante et s’éprend d’elle, ce qui la pousse à l’attaque. Le choix de verbes soulignant la dimension corporelle de la Ténèbre (« vit », « désira », « alla », et surtout « avala » 60) pourrait faire croire à une influence plus importante d’Éphrem parmi toutes, puisque chez lui l’aspect physique de la Ténèbre lors de l’attaque est particulièrement accentué, au travers d’une image zoomorphe 61. Mais il est vrai que ces verbes sont attestés également dans d’autres sources syriaques, notamment dans les traductions du grec des œuvres de Sévère d’Antioche et Titus de Bostra 62. Enfin, même la mention du mélange n’aide pas à remonter à la source exacte de Moïse : cette mention est si succincte qu’elle ne fait, par exemple, que très légèrement évoquer, à travers le mot « avala », la riche bataille entre les Fils de la Ténèbre et l’Homme primordial armé de ses cinq zīwânē (« les splendeurs », Fils de la Lumière) ou cinq éléments, relatée avec force détails par plusieurs documents.

60. Ce verbe revient chez Éphrem très souvent : pour une liste d’occurrences, voir S. clacKson – E. hunter – S. N. C. lieu (dir.), Dictionary of Manichaean Texts. Volume I: Texts from the Roman Empire (Texts in Syriac, Greek, Coptic and Latin), Turnhout 1998, p. 2 (désormais Dictionary I). 61. J’ai analysé la présentation faite par Éphrem de l’attaque du Bien par l’essence manichéenne mauvaise dans ma thèse de doctorat, « Le manichéisme vu par Éphrem le Syrien : analyse d’une réfutation doctrinale », t. I, École pratique des Hautes Études, Paris 2012, p. 321 et 327-330. La caractérisation de la Ténèbre comme un animal prédateur se trouve, parmi de nombreux passages, dans les Réfutations en prose, Hyp. 80,26-32 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 27) et Hyp. 112,15-23 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 32). Les références indiquées renvoient aux pages de l’édition des Réfutations en prose : J. J. oVerBecK (éd.), S. Ephraemi Syri, Rabulae Episcopi Edesseni, Balaei aliorumque Opera Selecta, Oxford 1865 (Discours I Ad Hypatius, p. 21-58 ; désormais Ov.) et C. W. mitchell – A. A. BeVan – F. C. BurKitt (éd.), Saint Ephraim’s Prose Refutations of Mani, Marcion and Bardaisan (texte syriaque et traduction anglaise des Discours II-V Ad Hypatius et du Contre Mani), Londres-Oxford 1912/1921, 2 vol. (désormais Hyp. et CM respectivement). 62. Pour les occurrences du verbe ‫ ܚܙܐ‬dans les citations manichéennes contenues chez Titus et Sévère, voir Dictionary I, p. 52 ; pour le verbe ‫ܪܓ‬, Dictionary I, p. 57 (Titus) ; pour le verbe ‫ܒܠܥ‬, Dictionary I, p. 50-51 (Titus). Les verbes ‫ ܒܠܥ‬et ‫ ܚܙܐ‬sont également attestés à cet endroit de la narration dans la notice manichéenne de Théodore bar Konai (cf. F. De Blois – N. sims-W illiams [dir.], Dictionary of Manichaean Texts. Volume II: Texts from Iraq and Iran (Texts in Syriac, Arabic, Persian and Zoroastrian Middle Persian), Turnhout 2006, p. 4 et 7 respectivement).

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Sur les traces syriaques des manichéens En conclusion, la présentation de la doctrine manichéenne chez Moïse bar Kepha est partielle et se caractérise par son laconisme qui délaisse les détails du mythe du salut, comme les noms propres des différents personnages du récit, par exemple, pour n’en retenir que les articulations principales, et ce seulement jusqu’au moment où le mélange a lieu, parce qu’il est la prémisse de la création du monde, thème privilégié du traité 63. En d’autres mots, en raison du propos de son œuvre, Moïse ne cite qu’une courte partie du mythe manichéen, la partie initiale, en omettant toute la suite du mythe qui, à partir de la riposte du Bien, décrit la machine cosmique de mélange et de raffinage ; de plus, il ne fait qu’esquisser cette partie initiale, déjà brève dans les sources originales. Néanmoins, étant donné l’importance accordée ici au mélange, l’absence d’une exposition détaillée de comment il est advenu surprend, tout comme l’omission d’autres séquences du mythe du salut manichéen qui décrivent le façonnement du monde, telle que le récit cosmogonique décrivant l’œuvre démiurgique de l’Esprit Vivant à travers l’équarrissage des Archontes 64. En somme, il s’agit d’une présentation synthétique qui est typique des manuels hérésiologiques et des catalogues d’hérésies, juxtaposant d’habitude des fiches descriptives de chaque doctrine à dénoncer. Toutefois, c’est une synthèse partielle, ici, dont les thèmes retenus sont directement liés, rappelons-le, au propos général de l’ouvrage dans lequel elle trouve sa place. Les catalogues d’hérésies syriaques antérieurs au ixe siècle, comme ceux de Maruta de Maipherqat et de Barḥadbešabba ‘Arbaya, contiennent, eux, bien d’autres éléments sur le manichéisme et n’ont sûrement pas servi de source à Moïse bar Kepha pour cette notice 65. La terminologie employée est manichéenne (ce qui justifie l’usage de la particule lam), et elle est entièrement connue en syriaque dès les écrits d’Éphrem, dont Moïse s’est probablement servi, à côté des textes de Sévère et de Titus.

63. L’anthropologie, la cosmologie, et l’eschatologie manichéennes sont ainsi complètement laissées de côté. 64. Cet épisode est aussi connu de Jacques d’Édesse, l’une des sources principales de Moïse bar Kepha, comme il a été dit plus haut, non pas cependant dans son Hexaemeron, mais dans ses Scholies à la Genèse, que bar Kepha ne connaissait peut-être pas alors : voir D. Kruisheer, « Recontructing Jacob of Edessa’s Scholia », dans J. Frishman – L. Van rompay (dir.), The Book of Genesis in Jewish and Oriental Christian Interpretation. A Collection of Essays, Louvain 1997, p. 187-196. 65. Cette conclusion n’est pas valable pour la notice sur Bardesane, qui entretient des liens étroits avec celle présentée par Barḥadbešabba ‘Arbaya ; cela suggère que ce dernier et Moïse bar Kepha ont utilisé une source commune (voir l’analyse chez A. camplani, « Note bardesanitiche », p. 34 et iD., « Rivisitando Bardesane », p. 546-550).

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Flavia Ruani Réfutation La quête des sources de Moïse est plus fructueuse quand on analyse la réfutation qui suit sa présentation de l’opinion manichéenne. Cette réfutation se développe en une série de sept questions critiques posées directement à Mani, dans un style rationnel typique du kalam de l’époque 66. Elles sont le plus souvent articulées par couples opposés de phrases hypothétiques, qui ont pour but de montrer à elles seules l’évidence même de l’erreur de la doctrine adverse. Grâce à ces questions, il est possible d’appréhender le mode de pensée critique de Moïse, qui fait appel à la logique et prête une grande attention aux termes particuliers. Ces questions révèlent ainsi que Moïse possédait une connaissance beaucoup plus approfondie de la doctrine manichéenne que l’exposition de celle-ci en ouverture de chapitre peut le faire croire 67. De plus, elles donnent à voir avec davantage de clarté la source de base dont Moïse se serait servi, grâce à la reprise de thèmes et d’arguments polémiques précis qui sont l’apanage de controversistes bien identifiés. Analysons les sept questions dans l’ordre. 1. La première a trait à la définition et à la nature de l’« essence », et questionne la Ténèbre en tant qu’« essence ». C’est seulement en passant qu’il est dit ici que cette dernière possède un « espace » et un « royaume », termes techniques du vocabulaire manichéen 68 : étrangement, quand on compare avec la tradition hérésiologique antérieure et postérieure, en grec, latin, et syriaque, il n’y a pas de critique ici sur la conception de l’essence contenue dans un espace 69. L’objection ne porte que sur la cause qui a poussé la Ténèbre

66. Le kalam peut être défini comme une science religieuse visant à expliquer des aspects de la théologie à travers l’argumentation rationnelle et la dialectique (voir H. A. WolFson, The Philosophy of Kalam, Cambridge Mass. 1976, et M. FaKhry, A History of Islamic Philosophy, New York 2004). Il fut l’apanage d’auteurs musulmans ainsi que chrétiens à partir du Viiie siècle. Pour la pratique du kalam chez les auteurs syriaques, voir S. GriFFith, « Disputes with Muslims in Syriac Christian Texts: from Patriarch John (d. 648) to Bar Hebraeus (d. 1286) », dans B. leWis, F. nieWöhner (dir.), Religionsgespräche in Mittelalter, Wiesbaden 1992, p. 251-273 (ré-impr. dans iD., The Beginnings of Christian Theology in Arabic: Muslim-Christian Encounters in the Early Islamic Period, Aldershot 2002, V). Je remercie vivement Mihaela Timuş pour avoir remarqué cette qualité du texte. 67. La même chose est valable pour la réfutation contre Bardesane : voir A. camplani, « Note bardesanitiche », p. 23. 68. Et indiquant une même réalité mythique : le mot syriaque atrā, « espace », est synonyme de malkūtā, « royaume », en ce qui concerne la doctrine manichéenne, déjà à partir d’Éphrem : voir S. N. C. lieu, « Manichaean Technici Termini in the Liber Scholiorum of Theodore bar Kônî », dans A. Van tonGerloo – L. cirillo (dir.), Il Manicheismo. Nuove Prospettive della Richerca. Quinto Congresso Internazionale di Studi sul Manicheismo, Napoli, 2-8 Settembre 2001, Turnhout 2005, p. 246-253 (en particulier p. 251). 69. Des Acta Archelai, en passant par Éphrem le Syrien et Épiphane de Salamine jusqu’à Titus de Bostra et Augustin, nombreux sont les polémistes antimanichéens qui s’attachent à réfuter la conception spatiale des deux essences manichéennes, qui entraîne le concept de

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Sur les traces syriaques des manichéens à se mouvoir. Cette cause est repérée dans le désir pour l’essence opposée, étrangère. La fin du paragraphe clôt la démonstration de façon lapidaire en déclarant, par deux phrases hypothétiques parallèles, que la Ténèbre n’est pas une essence, puisqu’elle désire, prouvant par là son imperfection, condition inenvisageable pour une « essence » divine. L’élément qui permet de deviner la source de Moïse bar Kepha pour ce passage est la caractérisation de la Ténèbre sur le point d’attaquer la Lumière comme « quelqu’un qui a des manques » (a[y]k snīqā) : cette expression se retrouve dans les Réfutations en prose d’Éphrem, au début du Troisième Discours à Hypatius (Hyp. 61,30-31), dans un contexte identique de polémique contre le départ de la Ténèbre. Chez Éphrem, cette caractérisation est explicitement mise dans la bouche des manichéens, représentant ainsi une citation manichéenne 70. Mais comme, dans le panorama de la littérature antimanichéenne, elle n’est attestée que chez Éphrem, il n’y a pas de doutes que ce soit lui, et ses traités de controverses, qui ont été utilisés par Moïse. 2. La deuxième question s’attache au détail du désir éprouvé envers quelque chose d’étranger, de contraire, déjà évoqué dans le premier argument, pour affirmer, à travers une question rhétorique, qu’un tel désir est impossible, puisqu’incompatible avec la nature même de la création qui « désire ce qui la fait vivre ». Pour étayer cet argument, Moïse recourt à l’exemple du monde animal et cite six animaux satisfaits dans leurs domaines. À une analyse attentive, Moïse allie ici deux arguments différents : d’une part, désirer l’opposé de soi-même est contre nature et revient à désirer son propre destructeur ; d’autre part, pour horrible qu’il soit, le lieu de demeure de toute créature est le sien propre par nature et de ce fait il lui est agréable. On lit en filigrane la conclusion suivante : la Ténèbre n’a pas pu désirer la Lumière ni, par mécontentement, quitter son espace. Ces deux arguments se rencontrent, encore une fois, chez Éphrem : plus précisément, ils constituent deux traits distinctifs de sa réfutation antimanichéenne. De plus, grâce à l’ample développement qu’il leur consacre, il devient possible de mieux comprendre la réfutation de Moïse. La première thèse concernant le désir peut être considérée comme un

« limite » appliqué à la divinité. Cette critique est également au cœur de la réfutation de Jacques bar Šakko, comme on le verra plus loin. 70. « En effet, elle [la Ténèbre] ceignit et circonscrit son [de la Lumière] côté inférieur, et elle ne lui permit pas de tout remplir avec elle-même, car de plus (la Ténèbre) prit de la force et devint puissante, jusqu’à piétiner son propre Royaume, franchir ses frontières et ravager ses [de la Lumière] possessions, mais ils disent «comme quelqu’un qui a des manques » (Hyp. 61,20-31). Texte syriaque : ܿ ‫ܘܬܚܡܗ ܠܙܥܘܪܘܬܗ ܿ ܘܐܠ ܝܗܒ‬ ܿ ܿ ‫ܠܗ ܕܢܗܘܐ ܡܐܠ ܟܠ ܥܡ ܗܕܐ ܕܐܦ ܐܬܥܙܙ ܐܝܟ ܚܝܠܬܢܐ ܠܡܕܫ‬ ‫ܐܣܪܗ ܓܝܪ‬ ̈ ܿ ‫ ܐܐܠ ܐܡܪܝܢ ܕܐܝܟ ܣܢܝܩܐ‬.‫ܐܠܬܪܗ ܘܠܡܥܠ ܠܬܚܘܡܘܗܝ ܘܠܡܒܙ ܩܢܝܢܘܗܝ‬ Voir J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 16.

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Flavia Ruani aspect original de la pensée philosophique de l’Éphrem polémiste antimanichéen 71. Que le désir suppose nécessairement une relation d’harmonie entre deux termes, que seul quelque chose de conforme à une autre chose pourrait susciter du désir chez cette dernière, est une conception plusieurs fois répétée dans les Réfutations en prose comme postulat à la négation du désir de la Ténèbre pour la Lumière 72. Un passage tiré du Premier Discours énonce explicitement ce principe : « un contraire ne peut aimer son contraire 73. » Le deuxième argument relatif au domaine naturel des animaux n’est, quant à lui, qu’une partie d’une argumentation articulée qui occupe plusieurs pages du Deuxième Discours des Réfutations en prose, dont le but est de critiquer la possibilité même de l’assaut de la Ténèbre. La thèse de départ d’Éphrem est que toute nature éprouve du plaisir à habiter dans son propre domaine, si bien que « ce n’aurait jamais été agréable pour la Ténèbre de partir de son royaume, car chaque essence qui existe est satisfaite si elle se trouve à sa propre place » (Hyp. 40,16-23). Le premier argument invoqué à l’appui de cette thèse est d’ordre naturel : c’est la mention d’une série d’animaux présentés dans leur milieu (Hyp. 40,25-37), la série presque en tous points identique à celle citée par Moïse bar Kepha : les poissons dans l’eau, les taupes dans la tanière, la mite dans le vêtement, le ver rongeur dans le bois, l’asticot dans la grange, l’hirondelle dans un endroit habité, le hibou dans un endroit inhabité, la colombe dans la lumière, la chauve-souris dans la nuit 74. Le deuxième argument est biblique et consiste en la citation et interprétation du Psaume 104 (105) (Hyp. 41,12-15). Le règne animal est ensuite encore sollicité, pour montrer cette fois des cas d’animaux qui, tout en étant placés dans des endroits étrangers à leur nature, sont malgré tout satisfaits de la place qui leur a été accordée, si telle est la volonté du Créateur (Hyp. 41,15-26). Les exemples du nouveau-né pleurant à la sortie du ventre de sa mère et de l’homme qui subit des dommages médicaux s’il se

71. À la différence d’autres hérésiologues, comme par exemple Alexandre de Lycopole, Épiphane de Salamine, Titus de Bostra et Sévère d’Antioche, Éphrem ne se sert pas du désir de la Ténèbre chez les manichéens pour diminuer sa nature mauvaise (en suivant la logique que le mal n’est pas si mal s’il désire le bien). Sur cet argument répandu largement, voir A. Villey, Alexandre de Lycopolis, p. 244-247. 72. Cf. Ov. 55,10-13 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 23), Hyp. 41,40-42,4 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 6), Hyp. 71,33-38 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 21), CM 210,30-36 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 18) et CM 212,30-34 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 19). 73. Ov. 55,10-13 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 23). 74. Hyp. 40,16-42 : ‫ܐܠ ܓܝܪ ܡܬܘܡ ܿܒ ܣܡ ܗܘܐ ܠܗ ܠܚܫܘܟܐ ܕܢܦܘܩ ܡܢ ܐܬܪܗ ܡܛܠ ܕܟܘܠ ܐܝܬܝܐ ܕܐܝܬ ܐܢ ܐܝܬ ܒܐܬܪܗ‬ ̈ ‫ ܐܝܟ‬. ‫ ܒܝܕ ܕܐܬܪܐ ܗܘ ܕܟܝܢܗ‬.‫ܗܘ ܡܢܚ‬ ̈ ̈ . ‫ ܐܝܟ ܣܣܐ ܒܡܐܢܐ‬. ‫ܚܘܠܕܐ ܒܟܦܪܐ‬ ‫ܒܡܝ ܐ ܘܐܝܟ‬ ‫ܢܘ ܢܐ‬ ܼ ܿ .‫ܒܚܪܒܬܐ‬ ‫ ܘܐܝܟ ܥܘܕܐ‬. ‫ ܐܝܟ ܣܢܘܢܝܬܐ ܒܫܝܢܐ‬. ‫ ܐܝܟ ܩܠܡܐ ܒܐܘܨܪܐ‬. ‫ܘܐܝܟ ܒܠܛܝܬܐ ܒܩܝܣܐ‬ ̈ ‫ ܕܗܢܘܢ ܗܠܝܢ ܥܡ‬. ‫ܐܝܟ ܝܘܢܐ ܒܢܘܗܪܐ ܘܐܝܟ ܦܪܚܕܘܕܐ ܒܠܠܝܐ‬ ‫ ܒܝܬ ܡܥܡܪܐ ܗܘ‬.‫ܝܐܐ‬ ‫ܣܓ‬ ܼ . ‫ ܒܣܡ ܠܗܘܢ‬. ‫ܕܟܝܢܗܘܢ‬

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Sur les traces syriaques des manichéens retrouve soudainement en un endroit qui lui est étranger, étayent la conclusion qui veut que tout changement de lieu naturel soit cause de souffrance, y compris pour la Ténèbre (Hyp. 41,40-42,45). De tout ce développement, la liste des animaux est le seul élément retenu que bar Kepha cite de façon presque littérale, le reste étant en quelque sorte sous-entendu, et c’est grâce à lui et à sa « visibilité » qu’il est aisé de remonter à Éphrem. Moïse bar Kepha mentionne en effet six animaux, tous, sauf le quatrième (les « vers » dans « la puanteur »), présents chez Éphrem, qui en cite neuf. Que la liste modèle soit plus longue est suggéré dans le texte de bar Kepha par l’usage du terme šarkā, signifiant le « reste », « et cetera », à la fin de sa série d’exemples. On peut donc penser que Moïse bar Kepha connaissait l’intégralité de l’énumération éphrémienne, soit directement, soit par un intermédiaire, mais qu’il l’a volontairement abrégée, en respectant la nature de son écrit qui est une compilation, à moins qu’il ne l’ait trouvée déjà raccourcie dans sa source 75. L’ordre des mentions est aussi légèrement différent 76, ainsi que quelques mots désignant les endroits naturels des animaux 77. 3. Le troisième argument est à entendre comme couplé avec le suivant. Ensemble, les deux abordent la question de la distribution spatiale des essences au temps des origines. Non pas, toutefois, en elle-même, mais toujours en relation avec le récit de l’agression primordiale. En premier lieu, Moïse envisage que la Ténèbre et la Lumière sont confinées dans un espace, point de vue authentiquement manichéen 78. Il demande comment, à partir de cette conception, on peut penser qu’il soit possible pour une essence de traverser son propre espace. Le présupposé théorique qui sous-tend la compréhension qu’a Moïse de l’enseignement manichéen est que chaque essence coïncide avec son espace. Dès

75. Voir la discussion sur les sources de ce chapitre plus bas. 76. Poissons et taupes sont à la première et deuxième place chez les deux auteurs, alors que les chauves-souris sont à la troisième chez Moïse bar Kepha et à la neuvième chez Éphrem ; la mite et le ver rongeur sont à la suite l’un de l’autre chez les deux, mais aux positions 5 et 6 chez bar Kepha, et 3 et 4 chez Éphrem. 77. À trois occasions bar Kepha emploie des synonymes de termes présents chez Éphrem : pour les taupes, à la place de « tanière », il dit « terre » ; pour les chauves-souris, il écrit « ténèbres » (M) ou « obscurité » (P) au lieu de « nuit », et pour le ver, « vêtement » (lbūšā) à la place de « manteau » (mânā). Cela pourrait être l’indice de variantes du texte éphrémien inconnues jusqu’à présent, préservées dans un manuscrit des Réfutations en prose aujourd’hui perdu et utilisé directement par bar Kepha ou bien par sa source. 78. On pourrait aussi traduire par : « limitée par son espace ». Le terme syriaque msīkā est un terme-clef de la polémique antimanichéenne de langue syriaque : il est employé par Éphrem à plusieurs reprises tant en prose (voir notes suivantes) qu’en poésie (par ex. Hymnes contre les hérésies [= HcH] XVI, Hymnes sur la Foi XLV,3-8) et est prétexte à un développement de réfutation qui exclut la notion de limite en référence à l’essence, c’està-dire Dieu. Mais, comme il a été remarqué plus haut, Moïse ne formule pas cette critique, d’où la traduction proposée, qui rend en revanche explicite le pendant avec la question no 4, traitant à deux la dichotomie confinement / éparpillement des essences.

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Flavia Ruani lors la doctrine manichéenne sur les essences dans les espaces et l’éloignement de la Ténèbre du sien, revient à affirmer, du point de vue de Moïse, que celle-ci s’est traversée elle-même, a outrepassé les limites de son être en quittant son espace – une éventualité, cela va de soi, impensable. Deux parties du mythe du salut manichéen (la conception spatiale des essences et le départ de la Ténèbre) sont de la sorte démasquées en tant que contradictoires – un procédé typique de la méthode polémique d’Éphrem. Tout comme l’est la conception de l’essence coïncidant avec son espace. Ce que l’on pourrait appeler la devise d’Éphrem relative à sa conception de l’espace par rapport à Dieu, s’énonce en effet : « Dieu est son propre espace » (Hyp. 133,1 79). La conclusion de Moïse, qui fait s’écrouler l’enseignement manichéen, est implicite mais ne manque pas de force pour autant : Ténèbre et Lumière ne sont pas situées dans un espace, car une essence ne peut pas avoir d’espace. En amont se trouve, me semble-t-il, une fois de plus, la pensée éphrémienne concernant Dieu, qui affirme l’hétérogénéité absolue du concept de la divinité et de celui d’espace. Éphrem s’exclame : « Comment l’espace pourrait-il être semblable à Dieu ? » (Hyp. 130,24-25), car l’espace, selon lui, trace forcément une limite, alors que Dieu est illimité 80. 4. Le cas de figure opposé est envisagé à la question numéro quatre de la réfutation de Moïse : au lieu d’être confinées dans un espace, les essences seraient « répandues ». Si tel était le cas, surgirait d’emblée une contradiction d’ordre temporel, soulignée par Moïse : si la nature propre des essences est qu’elles soient éparpillées, et non rassemblées à un seul endroit, c’est-à-dire séparées l’une de l’autre, comment pourraient-elles être encore elles-mêmes au temps des origines qui postule leur séparation et non pas leur mélange ? Autrement dit, si les essences se définissent en tant que telles dans un état de mélange, elles ne peuvent pas exister dans un état de non-mélange, sans perdre leur identité d’essences ; et d’autre part, il n’est pas possible qu’il existe un temps sans mélange, si les essences sont par nature répandues. Ce raisonnement met donc en cause, à la fois la conception manichéenne du temps antérieur, où les essences sont séparées, et du temps médian, celui de l’occurrence

79. La même expression revient en Hyp. 59,34-42, où Éphrem donne une définition de Dieu, par opposition aux éléments primordiaux de Bardesane discutés dans les lignes précédentes : « […] un grand et parfait, qui est en tout parfait, qui est son propre espace et subsiste par sa propre force et de rien il fait toute chose. » Voir aussi la discussion sur la matrice philosophique de la conception de l’espace chez Éphrem dans U. posseKel, Evidence of Greek Philosophical Concepts in the Writings of Ephrem the Syrian, Louvain 1999, p. 127-154. 80. Cf. par exemple Hyp. 130,23-36 : « Tout d’abord, il établit un espace : mais comment l’espace est-il semblable à Dieu ? Puisque l’un limite et l’Autre est illimité ; l’un contient et l’Autre n’est pas contenu ; l’Un a substance, connaissance, force et sagesse, il y a en Lui grâce et liberté, alors que l’autre n’a même pas une de ces choses, bien que concernant l’espace il y ait un grand débat. »

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Sur les traces syriaques des manichéens du mélange, montrant par-là que l’auteur les connaît bien. À la base de ce raisonnement se trouve l’idée qu’une essence est immuable, n’est pas soumise au changement – une idée que l’on retrouve chez Éphrem : ce dernier parle dans ce cas d’« essences liées » (ītyē asīrē) et de « natures liées » (kyânē asīrē), et dans un passage de ses Réfutations en prose, il décrète que les manichéens eux-mêmes confesseraient, « sans le vouloir », que les essences qu’ils prêchent sont des « natures liées par essence et qu’elles sont incapables de partir de leurs frontières » (Hyp. 99,10-15). 5. Avec la cinquième question, la réfutation retourne au thème du désir en général, et du désir pour un étranger en particulier, déjà abordé aux points no 1 et 2. Moïse traite ici du désir de la Ténèbre pour la Lumière sous un angle nouveau qui complète la discussion, notamment du point no 2. Il veut, cette fois, rendre apparente la contradiction qui subsisterait dans le système manichéen entre le désir et l’antagonisme radical des deux essences (une variante, donc, de la théorie selon laquelle il est impossible d’aimer son contraire). Du point de vue de Moïse, les deux termes s’excluent mutuellement : ou bien l’on dit que la Ténèbre désire la Lumière – et donc elle est légitimée à l’avaler –, ou bien l’on affirme qu’elle est l’adversaire de la Lumière – et alors elle est privée de désir, et avale la Lumière en tant qu’ennemi. Pour contrer les deux propositions, y compris la deuxième qui exclut le désir, Moïse se réfère aux phénomènes naturels : « Pourquoi alors les ténèbres aujourd’hui fuiraient-elles la lumière ? » Par cette phrase, ce sont à la fois le désir et l’agression de la Ténèbre qui sont réfutés. L’usage de cet exemple pour nier la passion de la Ténèbre envers la Lumière, remonte à Éphrem, qui ramène les concepts de ténèbre et lumière à leur réalité physique : Au commencement, en effet, il [Mani] dit que la Ténèbre désira passionnément la Lumière – cela n’étant pas dans la nature propre aux ténèbres qui sont visibles. Parce que celles-ci aussi qui sont vues de nous, comme ils le disent, sont de la même nature que celle qui n’est pas vue de nous. Mais celles-ci fuient devant la lumière, comme devant leur adversaire, et ne l’attaquent pas comme si elle était leur délice ! Voici une contradiction qui les démolit à partir de la nature extérieure 81.

Cette mise en parallèle des deux textes montre à quel point Éphrem éclaire les propos condensés de Moïse en offrant le contexte plus développé dans lequel la phrase citée par Moïse était à l’origine insérée.

81. Hyp. 1,28-2,16 : ܿ ‫ܕܠܝܬܝܗ ܒܟܝܢܐ ܨܝܕ ܗܢܐ‬ ‫ܗܕܐ‬ ܿ ‫ܐܡ ܼܪ ܿ ܕܡܪܓ ܪܓܗ ܼܗ ܘ ܚܫܘܟܐ ܠܢܗܝܪܐ‬ ܼ ‫ܡܢ ܫܘܪܝܐ ܓܝܪ‬ ܼ ܿ ‫ܕܐܡ ܪܝܢ ܿ ܒܪ ܟܝܢܗ ܗܘ‬ ܿ ܿ ‫ܕܗ ܘ ܕܐܠ ܼܚ ܙܐ ܠܢ‬ ‫ܕܚ ܙܐ ܠܢ ܐܝܟ‬ ܼ ‫ܚܫܘܟܐ ܕܡܬܚܙܐ ܿ ܡܛܠ ܕܐܦ ܗܢܐ‬ ܿ ‫ ܘܐܠ ܡܣܥܐ‬.‫ܣܩܘܒܠܗ‬ ‫ܣܥ ܐ ܥܠܘܗܝ ܐܝܟ‬ ‫ܡܥ ܪܩ ܗܘ ܿܥ ܪܩ ܡܢ ܩܕܡ ܢܗܝܪܐ ܐܝܟ ܕܡܢ‬ ܼ ܼ ‫ܗܢܐ ܕܝܢ‬ . ‫ܢ ܡܢ ܟܝܢܐ ܕܓܘܐ‬ ܼ ‫ ܗܐ ܚܕܐ ܗܦܟܬܐ ܕܚܝܒܘܬܗܘ‬. ‫ܕܠܒܘܣܡܗ‬

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Flavia Ruani 6. Les deux dernières questions abordent le thème de la volonté de la Ténèbre dans l’attaque, et plus précisément dans l’avalement de la Lumière. Moïse montre dans un premier temps que si c’est par sa propre volonté (b-ṣebyâneh) que le Mauvais a avalé le Bon, cela est en contradiction avec le processus de raffinage qui a lieu pendant le temps médian, où les particules de Lumière sont continuellement extraites de la matière ténébreuse dans laquelle elles se trouvent emprisonnées. Cela impliquerait que le Mauvais est un être incohérent (« il se serait révolté contre lui-même »), puisque sa volonté serait divergente au temps des origines et au temps médian (« aujourd’hui » dans le texte), oscillant entre l’absorption et l’expulsion des mêmes particules lumineuses, alors que cela ne peut pas être dit d’une essence. Ici, la terminologie employée est authentiquement manichéenne, surtout celle relative au raffinage de la Lumière : le verbe « raffiner » (ṣallel) et le mot « parcelles » (mnawâtā) sont attestés très souvent dans les citations manichéennes chez Éphrem, par exemple 82. Moïse montre ainsi qu’il connaît la doctrine manichéenne de la purification de la Lumière se déroulant pendant le temps médian – un élément absent de sa présentation du manichéisme. L’accent mis sur la contrainte de l’action est aussi présent dans la réfutation de Moïse contre Bardesane 83. Mais la question de la volonté en contexte manichéen semble faire référence au fait bien documenté dans les sources manichéennes, que l’assaut a lieu uniquement parce que le principe du Bon le permet et le veut 84. C’est pourquoi à l’arrière-plan de ce qu’écrit Moïse dans ce passage semble se trouver une ligne d’Éphrem qui explicite l’une des caractéristiques de la Ténèbre : « Si la Ténèbre a la liberté, car voici que “par sa volonté (b-ṣebyâneh) elle attaqua”, comme ils le disent […] 85. » 7. Dans un second temps, Moïse considère que le raffinage des parcelles lumineuses au cours du temps médian est fait contre la volonté du Mauvais, ce qui est le contraire de l’argument utilisé pour réfuter la doctrine que la Ténèbre a attaqué la Lumière de son propre chef. (Remarquons que Moïse ne se penche pas sur la théorie selon laquelle la Ténèbre aurait attaqué la lumière

82. Dictionary I, p. 6 et 9. 83. Le thème de la contrainte fait l’objet de la question no 4 de la réfutation de Moïse bar Kepha contre Bardesane : voir A. camplani, « Note bardesanitiche », p. 40 (traduction italienne de la réfutation). 84. C’est le thème de la providence divine qui se manifeste à travers la ruse du Père de la Grandeur, le principe bon : il envoie volontairement l’Homme Primordial et ses cinq Fils dans la gueule de la Ténèbre comme un appât, selon son plan de salut à long terme qui vise à détruire le Mal de l’intérieur. Cela est relaté, par exemple, dans les Kephalaia coptes de Berlin et dans le récit transmis par Théodore bar Konai. Pour d’autres documents sur ce thème, comme Alexandre de Lycopole et Éphrem, cf. A. Villey, Alexandre de Lycopolis, p. 141-142 et J. C. reeVes, « Manichaean Citations », p. 275, n. 47. 85. Hyp. 110,10-14 (= J. C. reeVes, « Manichaean Citations », citation no 11) : ܿ ‫ܐܢ ܚܐܪܘܬܐ ܐܝܬ‬ ܿ ‫ܠܚ ܫܘܟܐ ܗܐ ܓܝܪ ܐܝܟ ܕܐܡܪܝܢ ܒܨܒܝܢܗ ܣܥܐ‬

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Sur les traces syriaques des manichéens contre son gré. On voit par là qu’il ne fait pas un raisonnement par lui-même ; il utiliserait plutôt des arguments conçus par d’autres, qu’il fait siens pour servir son objectif sans chercher à donner au tout une cohérence.) Dans ce cas, il faudrait trouver celui qui contraint le Mauvais à cette action involontaire, et s’il s’agissait du Bon – ce qui rejoindrait la conception manichéenne originelle selon laquelle le plan du salut est voulu par le principe bon –, ce même Bon, afin d’être cohérent, aurait dû exercer dès le « commencement », le pouvoir qu’il aurait sur le Mauvais en l’empêchant de l’avaler. L’argument exploite les deux dimensions temporelles de la doctrine manichéenne (exprimées à travers l’alternance de « aujourd’hui », yawmân, et « au commencement », b-šūrrâyā) et vise à en montrer les contradictions, en lisant l’une à la lumière de l’autre. Il s’agit là d’une technique typique de l’Éphrem polémiste antimanichéen, qui consiste à juxtaposer deux épisodes appartenant à deux moments distincts du mythe du salut adverse, afin de faire croire à une contradiction interne. L’une des associations privilégiées par Éphrem est justement celle qui joue entre les divers plans temporels de la narration manichéenne. Voilà un exemple de cette stratégie, et qui est aussi assez proche du texte de Moïse ; on retrouve en effet le recours à la dichotomie « aujourd’hui » et « dès le commencement » : Demandons-leur à nouveau : de toutes ces particules qui, voici, sont mêlées aujourd’hui (yawmânā) au Mal, pourquoi pas une seule goutte ne s’est-elle mêlée à lui dès le commencement (men b-rīšīt) 86 ?

Enfin, quant à l’argument de fond, qui souligne l’imperfection de l’essence bonne n’ayant pas su empêcher l’attaque du Mal, il faut remarquer qu’il se trouve déjà sous la plume d’Éphrem à plus d’une reprise. Par exemple, lorsqu’il déplore l’absence d’un mur de séparation construit par le Bon entre son royaume et celui du Mauvais (Hyp. 89,28-44), ou encore, quand il regrette l’absence d’un charmeur dans le royaume du Bon qui aurait envoûté la Ténèbre au commencement et l’aurait empêchée d’attaquer (Hyp. 120,44-121,3). Le but de cette réfutation articulée est rendu explicite par le point no 8 : démontrer que la Ténèbre n’est pas une essence. Cette chute est différente du propos présenté dans l’introduction qui consistait à réfuter que le monde soit le fruit de deux essences. La conclusion du chapitre révèle alors que le problème principal soulevé par la doctrine manichéenne concerne, encore à l’époque de Moïse, l’identité et la nature des essences, qui, au iVe siècle, rendait indispensable la défense éphrémienne de l’essence unique ou ītyā.

86. Hyp. 166,40-167,1 : ̈ ‫ܡܢܘܬܐ ܕܗܐ ܚܠܝܛܢ ܝܘܡܢܐ ܥܡ ܒܝܫܬܐ ܠܡܢܐ ܚܕܐ‬ ‫ܿܢ ܫܐܠ ܐܢܘܢ ܬܘܒ ܕܡܢ ܗܠܝܢ ܟܠܗܝܢ‬ ܿ ‫ܢܘܛܦܬܐ ܒܠܚܘܕ ܐܠ ܐܬܚܠܛܬ ܥܡ ܒܝܫܬܐ ܡܢ ܒܪܝܫܬ‬

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Flavia Ruani Conclusion sur l’Hexaemeron de Moïse bar Kepha De l’analyse précédente, il émerge clairement que les Réfutations en prose d’Éphrem de Nisibe constituent sans doute la source principale utilisée par Moïse pour la présentation du manichéisme et pour sa réfutation. Éphrem est une référence pour les concepts manichéens aussi bien que pour les arguments polémiques et les stratégies de réfutation. Moïse n’avait donc probablement pas eu de connaissance directe du manichéisme. Cela le situe dans un contexte différent de celui, syro-oriental et plus au sud-est de la Mésopotamie, de l’un de ses prédécesseurs, Théodore bar Konai, qui avait eu accès, lui, à des documents manichéens directs (la section hérésiologique du Livre des Scholies ayant été terminée en 791-792). Le chapitre de Moïse contre les manichéens ne reflète pas une discussion réelle entre un chrétien et un manichéen, la structure en questions et réponses ne simulant pas un vrai dialogue, mais étant une forme littéraire rationnelle caractéristique du kalam choisie sans doute pour son caractère incisif. Moïse bar Kepha s’adresse plutôt à une audience chrétienne, à laquelle sont présentés, pour son édification, les fondements de la croyance « orthodoxe » en une seule essence divine, éclairés au travers d’une discussion contre un adversaire du passé tel que le manichéisme. Moïse semble avoir eu recours aux Réfutations d’Éphrem, non seulement pour son chapitre contre les manichéens, mais aussi pour d’autres écrits : dans le chapitre 14 de l’Hexaemeron contre Bardesane 87 et dans le Traité sur le libre arbitre et la prédestination 88. La question se pose alors de savoir sous quelle forme Moïse connaissait les Réfutations d’Éphrem qu’il utilisa, puisque le seul manuscrit contenant les Réfutations qui nous soit parvenu se trouvait déjà, à l’époque de Moïse, en Égypte, où, dès 822, il a été effacé et réutilisé 89. L’hypothèse la plus probable

87. C’est la conclusion à laquelle mènent les recherches d’A. Camplani, qui ne fait néanmoins pas de rapprochements textuels directs entre les deux auteurs : voir A. camplani, « Note bardesanitiche », p. 13, où il énumère les thèmes dérivés de la polémique éphrémienne antibardesanite repris par Moïse bar Kepha. 88. H. teule, « Moses bar Kephā », p. 100, dit que dans le chapitre contre les musulmans, bar Kepha présente les opinions chrétiennes traditionnelles sur le libre arbitre qui remontent à Éphrem, sans préciser s’il cite une œuvre du diacre de Nisibe en particulier, ni sous quelle forme. S. GriFFith, « Free Will in Christian Kalâm », p. 159 parle d’« écho » des doctrines des pères syriaques, remontant à Éphrem. Comme le thème du libre-arbitre fait surtout l’objet des Réfutations en prose dans l’ensemble de la production littéraire d’Éphrem, il est légitime de penser que Moïse bar Kepha ait fait référence à ce texte. Il faudrait toutefois s’en assurer, à travers une lecture du seul manuscrit qui contient ce texte, étant, lui, inédit. 89. Il s’agit du manuscrit palimpseste BL Add. 14623 : pour sa description, voir W. WriGht, Catalogue of the Syriac Manuscripts in the British Museum, acquired since the year 1838, t. II, Londres 1871, p. 762-766 (no 781). Ces indices probants de l’utilisation par Moïse bar Kepha des Réfutations en prose d’Éphrem infirme en partie la conclusion à laquelle aboutissaient mes analyses exposées dans « Recherches sur la place d’Éphrem de Nisibe », p. 100-102, à savoir que l’influence de l’Éphrem controversiste cessait au Viie siècle.

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Sur les traces syriaques des manichéens est que Moïse ait eu sous la main un autre manuscrit, non retrouvé jusqu’à aujourd’hui. Cependant, étant donné qu’à côté des rares citations littérales, Moïse se réfère aux Réfutations avec un style condensé, alors que celles-ci présentent des argumentations beaucoup plus développées, il n’est pas invraisemblable que Moïse ait connu ce texte sous une forme abrégée, soit une anthologie d’extraits choisis, soit un compendium des douze traités qui le composent. Dans ce cas, il resterait à déterminer si Moïse était lui-même l’auteur de cette forme abrégée, ou s’il avait employé une version déjà disponible de cette anthologie ou de ce résumé, dont nous n’avons pour le moment aucune trace par ailleurs. On pourrait également envisager un auteur intermédiaire qui citerait les Réfutations sous forme succincte et que Moïse aurait lu et utilisé. Mais je n’ai pas pu le trouver. Il serait également possible que Moïse cite de mémoire ou rapporte l’opinion et la parole d’Éphrem de façon libre selon ses souvenirs de lecture 90. Jacques bar Šakko, Le Livre des Trésors III,2 Dans la même région que Moïse, quelques trois siècles plus tard, Jacques bar Šakko 91 écrivit une réfutation antimanichéenne se penchant sur le même sujet des deux essences primordiales. Jacques était un auteur très

90. Un regard sur le mode habituel qu’a bar Kepha de citer les auteurs précédents dans son Hexaemeron confirme l’hypothèse de la paraphrase. En ce qui concerne Éphrem, Moïse le cite explicitement à plusieurs reprises du livre II. Il ne mentionne, quant à ses oeuvres, que son Commentaire de la Genèse, qu’il cite sans fournir de référence précise à quelque partie, livre ou chapitre que ce soit. L. Schlimme a pu identifier les deux références suivantes : Commentaire de la Genèse I,2.3 (« Mar Aphrem sagt in der von ihm verfassten literalen Auslegung, dass zuerst die geistigen Himmel der Engel und diese Erde und dann später an dem Tage Wasser, Luft, une Feuer aus dem Nichts geschaffen wurden », p. 197) et I,7 (p. 213). Le plus souvent, bar Kepha nomme Éphrem dans une liste d’autres autorités patristiques, syriaques (en particulier Jacques d’Édesse et Jacques de Saroug) et grecques (comme Théodore de Mopsueste) (par ex. p. 209 : « Mar Aphrem, der Syrer, Jakob von Edessa und Mar Jakob von Sarug sagen, dass die Dunkelheit ein Schatten der Wolken war » ; d’autres mentions semblables aux pages 213, 244, etc.). La référence à Éphrem reflète donc le plus souvent une paraphrase ou un résumé de ses conceptions. Cela n’est pas un traitement réservé au seul Éphrem, mais semble représenter un mode de citation habituel que Moïse adopte en général pour tous les auteurs qu’il utilise, dont il signale rarement les ouvrages. Sur la méthode de citation de Moïse, assez problématique pour qui veut remonter à ses sources, voir L. schlimme, Der Hexaemeronkommentar, p. 659-673, qui distingue entre les citations littérales, les citations littérales anonymes, les citations rapportées par d’autres (« halbzietat » : « d’aucuns disent […] d’autres pensent […] »), et les citations libres (« freies Exzerpt »). 91. Connu aussi comme Jacques de Bartella (ville de sa naissance), Jacques de Mor-Mattaï (monastère situé près de Mossoul, où il passa la plupart de sa vie, et dont il devint évêque), et encore Sévère bar Šakko (le nom qu’il adopta une fois sur le siège épiscopal, suivi du patronyme) : sur les noms de cet auteur, voir J. S. omert, « The Name and Function of Jacob Bar

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Flavia Ruani éclectique, représentatif de la période communément appelée « renaissance syriaque 92 ». Outre des ouvrages dans les domaines les plus variés – grammaire, liturgie, musique, rhétorique, logique, mathématique, etc. 93 – il composa en 1231, dix ans avant sa mort, une œuvre théologique d’ampleur, le Livre des Trésors. Cet ouvrage comprend quatre parties, les trois premières sur la Trinité, l’Incarnation et la Providence ; la quatrième, sur la création de l’univers, étant, elle, un véritable traité de cosmographie 94. Le chapitre 2 de la troisième partie sur La Providence est consacré à la réfutation de la « sombre pensée » de Mani au sujet des deux essences primordiales 95. Voici le texte syriaque 96 :

92. 93. 94.

95.

96.

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Shakko: Notes on the History of the Monastery of Mar Mattay », dans R. laVenant (dir.), V Symposium Syriacum, 1988: Katholieke Universiteit, Leuven, 29-31 août 1988, Rome 1990, p. 215-228. Elle couvre les xiie et xiiie siècles. À ce sujet, se référer à H. teule – C. F. tauWinKl – R. B. ter h aar romeny – J. Van GinKel (dir.), The Syriac Renaissance, Louvain-ParisWalpole 2010. Cf. I. A. Barsoum, The Scattered Pearls, p. 455-458, et S. BrocK, « Ya‘qub bar Shakko Severos bar Shakko (d. 1241) [Syr. Orth.] », dans GEDSH, p. 430-431. Pour une présentation détaillée du contenu de l’œuvre, voir J.-S. assemani, Bibliotheca Orientalis Clementino-Vaticana, t. II, Rome 1721, p. 237-240, ainsi que J.-S. – S. É. assemani, Bibliothecae apostolicae Vaticanae codicum manuscriptorum catalogus in tres partes distributus, t. III, Rome 1759, p. 307-312. Il n’existe pas encore d’édition de l’œuvre dans son ensemble : une édition complète, confiée aux soins de Mikhail Tolstolujenko, est en cours de préparation (cf. H. teule, « Jacob bar Šakko, the Book of Treasures and the Syrian Renaissance », dans J. P. monFerrer-sala (dir.), Eastern Crossroads: Essays on Medieval Christian Legacy, Piscataway 2007, p. 143-154, en particulier p. 144, n. 10). Quelques parties ont déjà fait l’objet d’éditions et de traductions publiées : le livre I, chapitre 7 a été publié et traduit en russe par M. tolstoluJenKo, « “Книга сокровищ” Иакова бар Шакко: богословская компиляция эпохи сирийского ренессанса’’, Символ 55 (2009), p. 357374 ; le livre III, chapitres 9-14 a été édité et traduit en russe par M. tolstoluJenKo, « Иаков бар Шакко о Божественном Промысле », Символ 58 (2010), p. 156-175. Le livre IV a été partiellement édité et traduit en français par F. nau, « Notice sur le Livre des Trésors de Jacques de Bartella, Évèque de Tagrit », Journal Asiatique 9e série 7 (1896), p. 286-331. Signalons également la traduction arabe de l’œuvre par B. D. al-Bartali, pour la collection Syriac Patrimony 24, parue à Damas en 2007. Sur ces publications ainsi que sur d’autres éditions et traductions inédites, voir H. teule, « Jacob bar Šakko, the Book of Treasures and the Syrian Renaissance », p. 143-145 et notes relatives. Enfin, je recommande de toujours consulter cette contribution pour un aperçu des recherches menées sur le Livre des Trésors. Cette partie contient dix-neuf chapitres, dont seulement les quatre premiers ont pour but de dénoncer des opinions contraires à la doctrine chrétienne défendue par Jacques ; l’exposition détaillée de cette doctrine, relative surtout à la conception du mal, fait l’objet des chapitres suivants. Parmi les adversaires visés, seuls les manichéens sont explicitement cités. Pour le contenu de cette partie, se référer à la description du manuscrit conservé à la Bibliothèque vaticane par J.-S. – S. É. assemani, Bibliothecae apostolicae Vaticanae, p. 310-311. Étant donné que l’édition critique du texte est en préparation, je me bornerai à fournir le texte tel qu’il est transmis par les cinq manuscrits suivants, les seuls que j’ai pu consulter jusqu’à présent, sans en faire une édition critique, mais en adoptant au fur et à mesure les

‫‪Sur les traces syriaques des manichéens‬‬ ‫̈‬ ‫ܕܬܖܝܢ ܠܘܩܒܠ ܬܪܥܝܬܐ ܚܫܘܟܝܬܐ ܕܡܐܢܝ ܕܐܡܪܐ ̈‬ ‫̈‬ ‫ܐܝܬܝܐ ‪ .‬ܛܒܐ ܘܒܝܫܐ ܆‬ ‫ܬܖܝܢ‬ ‫ܩܦܐܠܘܢ‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫ܐܡܪܝܢܢ ܓܝܪ ܠܘܬܗ ‪ .‬ܕܐܢ ܐܝܟ ܡܠܬܟ ܬܖܝܢ ܒܖܘܝܐ ܐܢܘܢ ‪ .‬ܗܘ ܚܕ ܛܒܐ ‪ .‬ܡܛܠ ܿ‬ ‫ܕܨܒܐ‬ ‫ܒܛܒܬܐ ܿ‬ ‫ܛܒܬܐ ‪ .‬ܘܡܩܝܡ ̈‬ ‫ܘܒܪܐ ̈‬ ‫̈‬ ‫ܛܒܬܐ ‪ .‬ܕܐܝܬܝܗܝܢ ܗܠܝܢ ‪ .‬ܝܠܕܐ ‪ .‬ܗܘܢܐ ‪ .‬ܬܪܒܝܬܐ ‪ .‬ܫܘܦܪܐ‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܘܚܘܠܡܢܐ ‪ .‬ܒܢܝܢܐ‪ .‬ܬܨܒܝܬܐ‪ .‬ܚܝܐ ܬܖܣܝܬܐ ‪ .‬ܘܫܪܟܐ ܕܐܝܟ ܗܠܝܢ ‪ .‬ܗܘ ܕܝܢ ܐܚܪܢܐ ܒܝܫܐ ‪.‬‬ ‫ܚܖܝܢܐ ‪̈ .‬‬ ‫ܒܝܫܬܐ ‪ .‬ܕܐܝܬܝܗܝܢ ܠܡ ܿܗܠܝܢ ‪̈ .‬‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܒܒܝܫܬܐ ܿ‬ ‫ܿ‬ ‫ܩܖܒܐ ‪.‬‬ ‫ܒܝܫܬܐ ‪ .‬ܘܡܩܝܡ‬ ‫ܘܒܪܐ‬ ‫ܕܨܒܐ‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ ‪97‬‬ ‫̈‬ ‫ܡܨܘܬܐ ‪ .‬ܚܘܒܐܠ ‪ .‬ܫܘܚܛܐ ‪ .‬ܚܖܒܐ ‪ .‬ܩܛܐܠ ‪ .‬ܡܘܬܐ ‪ .‬ܘܫܪܟܐ ܕܐܝܟ ܗܠܝܢ ‪ .‬ܡܟܝܠ ܗܠܝܢ‬ ‫ܿ‬ ‫ܕܠܩܘܒܐܠ ܡܫܬܟܚܝܢ ̈ܠܚܕܕܐ ‪ܿ .‬‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܕܗܘ ܚܕ ܿܨܒܐ‬ ‫ܚܕܕܐ ܒܟܠܙܒܢ ‪ .‬ܡܛܠ‬ ‫ܘܕܢܨܝܢ ܥܡ‬ ‫ܐܝܬܝܐ‬ ‫ܬܖܝܢ‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܒܛܒܬܐ ‪ .‬ܘܐܚܪܢܐ ܒܒܝܫܬܐ ‪ .‬ܡܛܠܗܕܐ ܼܡܢ ܚܕܕܐ ܡܬܛܠܩܝܢ ‪ .‬ܘܡܬܟܢܫܐ ܥܠܝܗܘܢ ܫܟܝܪܘܬܐ‬ ‫̈‬ ‫ܕܗܠܝܢ ̈‬ ‫̈‬ ‫ܕܐܝܟ ܗܕܐ ‪ .‬ܕܐܝܟ ܐܝܟܢ ‪ .‬ܐܢܗܘ ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܕܠܩܘܒܠܝܢ‬ ‫ܐܝܬܝܐ ܐܝܟ ܡܠܬܟ‬ ‫ܬܖܝܢ‬ ‫ܠܚܕܕܐ ‪.‬‬ ‫ܼ‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܝܕܝܥܐ ܕܟܠܚܕ ܡܢܗܘܢ ܐܬܪܐ ܐܚܝܕ ‪ .‬ܘܬܖܝܗܘܢ ܡܫܬܟܚܝܢ ܡܣܝܟܐ ‪ .‬ܘܗܘ ܕܡܣܝܟܐ ܗܘ ܠܘ‬ ‫ܡܬܘܡܝܐ ܗܘ ‪ܿ .‬‬ ‫ܘܗܘ ܡܐ ܕܠܘ ܡܬܘܡܝܐ ܗܘ ‪ .‬ܙܒܢܢܝܐ ܗܘ ‪ܿ .‬ܗܘ ܡܐ ܕܙܒܢܢܝܐ ܗܘ ‪ .‬ܒܪܝܐ ܗܘ ‪.‬‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫ܘܗܘ ܡܐ ܕܒܪܝܐ ܗܘ ‪ .‬ܠܘ ܐܠܗܐ ܗܘ ‪ .‬ܬܘܒ ܕܝܢ ܐܢ ܬܖܝܢ ܐܝܬܝܐ ܐܝܬ ܦܪܝܫܝܢ ‪ .‬ܘܐܢ‬ ‫̈‬ ‫ܓܘܫܡܐ ܡܫܬܟܚܝܢ ‪ .‬ܘܐܬܪܐ‬ ‫ܦܪܝܫܝܢ ܡܣܝܟ ܟܠܚܕ ܡܢܗܘܢ ܒܐܝܬܘܬܗ ‪ .‬ܘܐܢ ܡܣܝܟܝܢ ‪.‬‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܐܬܖܘܬܐ ܕܒܗܘܢ ܡܣܝܟܝܢ ‪.‬‬ ‫ܕܐܘ ܩܫܝܫܝܢ ܼܗܢܘܢ ܼܡܢ‬ ‫ܼܿܚܒܫ ܠܗܘܢ ‪ .‬ܘܚܕܐ ܼܡܢ ܬܠܬܐ ܿܓܕܫܐ ‪.‬‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܘܗܢܘܢ ܝܠܕܝܗܘܢ ܘܦܩܚܝܗܘܢ ܕܐܬܖܘܬܐ ‪ .‬ܐܘ ܫܘܝܢ‬ ‫ܐܘ ܼܗܢܘܢ ܐܬܖܘܬܐ ܩܫܝܫܝܢ ܡܢܗܘܢ‪ܼ .‬‬ ‫ܥܡܗܘܢ ܒܩܕܝܡܘܬܐ ‪ .‬ܘܐܢ ܩܕܡܝܬܐ ‪ .‬ܡܬܚܙܝܢ ܕܒܙܒܢ ܒܫܘܝܘܬܐ ܗܘܘ ܐܟܚܕܐ ‪ .‬ܘܓܠܝܙܝܢ‬ ‫ܗܘܘ ܡܢ ܿ‬ ‫ܐܝܬܝܐ ܐܢܘܢ ‪ܿ .‬‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫ܡܬܘܡܝܐ ܐܝܬܝܗܘܢ‬ ‫ܒܗܝ ܕܠܘ‬ ‫ܗܘ ܕܦܪܝܫ ‪ .‬ܘܐܢ ܬܪܝܢܝܬܐ ‪ .‬ܠܘ‬ ‫ܼ‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫̈‬ ‫‪ .‬ܘܐܢ ܬܠܝܬܝܬܐ ‪ .‬ܐܝܬܝܐ ܣܓܝܐܐ ܡܫܬܟܚܝܢ ܘܠܘ ܬܖܝܢ ‪ . .‬ܬܘܒ ܼܗܢܘܢ ܐܬܖܘܬܐ ܦܖܝܫܐ‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܐܝܬܝܐ ‪ܿ .‬‬ ‫ܘܗܘ ܡܨܥܝܐ ܕܦܪܫ ܒܝܬ ܐܝܬܝܐ ܠܚܒܪܗ ‪ .‬ܐܪܐ ‪.‬‬ ‫ܘܡܢ‬ ‫ܙܕܩ ܕܢܗܘܘܢ ܼܡܢ ܚܕܕܐ ܼ‬ ‫̈‬ ‫ܿ‬ ‫ܿ‬ ‫ܒܒܛܝܠܘܬܐ ܕܐܝܢܐ ܡܢܗܘܢ ܗܘܐ ‪ .‬ܘܐܠܝܢܐ ܼܡܢ ܬܖܝܗܘܢ ܠܚܡ ܘܫܠܡ ‪ .‬ܐܠ ܓܝܪ ܡܨܝܐ‬ ‫ܕܠܚܕ ܡܢܗܘܢ ܒܠܚܘܕ ܢܠܚܡ ‪ .‬ܕܐܠ ܼܡܢ ܿܗܘ ܐܚܪܢܐ ܕܠܩܘܒܠܗ ܢܬܛܠܩ ܘܢܐܒܕ ‪ .‬ܐܐܠ ܟܒܪ‬ ‫ܿ‬ ‫ܓܒܐ ܕܝܠܗ ܕܡܨܥܝܐ ܠܚܕ ܠܚܡ ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܠܢܦܫܗ ܩܝܡܐ ‪.‬‬ ‫ܠܗܘ ܕܩܪܝܒ ܠܗ ‪ .‬ܘܐܦܐܠ ܗܕܐ‬ ‫ܟܠܚܕ ܼܡܢ‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܡܛܠ ܕܣܢܝܩ ܟܠܚܕ ܼܡܢ ܓܒܐ ܕܗܘ ܡܨܥܝܐ ܟܕ ܕܠܩܘܒܐܠ ܐܢܘܢ ܥܠ ܐܚܪܢܐ ܡܨܥܝܐ ‪ .‬ܕܐܠ‬ ‫ܐܚܖܢܐ ܢܐܒܕܘܢ ܗܢܘܢ ‪ .‬ܐܦ ܿܗܘ ܣܢܝܩ ܥܠ ܐܚܪܢܐ ܘܗܕܐ ܕܐܠ ܣܟ ‪ܿ .‬‬ ‫̈‬ ‫ܘܙܕܩ ܡܟܝܠ‬ ‫ܼܡܢ‬ ‫ܼ‬ ‫ܕܝܬܝܪܐܝܬ ܗܘܐ ܡܬܚܬܝ ‪ .‬ܘܪܡ ܗܘ ܗܢܐ ܬܚܘܡܐ ܼܡܢ ܐܝܬܘܬܐ ܿ‬ ‫ܕܗܢܘܢ ܕܒܗ ܡܬܦܪܫܝܢ ‪.‬‬ ‫ܼ‬ ‫ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܐܘ ܼܡܢ ܠܥܠ ܢܚܣܪ ܘܢܬܠ ܐܬܪܐ ܿ‬ ‫̈‬ ‫ܒܚܕܕܐ ܆‬ ‫ܣܩܘܒܠܝܐ ܕܢܥܒܪܘܢ‬ ‫ܠܗܢܘܢ‬ ‫ܕܕܠܡܐ ܼܡܢ ܠܬܚܬ‬

‫‪leçons majoritaires ou les plus satisfaisantes d’un point de vue grammatical, sachant que‬‬ ‫‪le texte est, sur ces cinq témoins, globalement très stable : Vat syr. 159, fol. 41r°-42v° (daté‬‬ ‫‪1622), Harvard University, Houghton Library, syr. 78, fol. 97r°-98v° (1888/9), Paris BnF‬‬ ‫‪syr. 316, fol. 114v°-116r° (1889), Birmingham, Mingana syr. 100, fol. 61r°-62r° (1885),‬‬ ‫‪Birmingham, Mingana syr. 349, fol. 52v°b-53v°a (circa 1750). Pour une liste à jour des‬‬ ‫‪manuscrits qui contiennent le Livre des Trésors, il faut maintenant combiner les témoins‬‬ ‫‪repérés par A. BaumstarK, Geschichte der Syrischen Literatur, mit Ausschluss der christ‬‬‫‪lich-palästinensischen Texte, Bonn 1933, p. 312, n. 1, avec ceux découverts plus récem‬‬‫‪ment par H. taKahashi, « Fakhr al-Dīn al-Rāzī, Qazwīnī and Bar Shakko », The Harp 19‬‬ ‫‪(2006), p. 365-380, spécialement p. 365-366, n. 1, en tenant compte, de plus, du manuscrit‬‬ ‫‪Šarfeh Rahmani 219 (no 251 du catalogue Sony : B. sony, Le Catalogue des manuscrits du‬‬ ‫‪patriarcat au couvent de Charfet – Liban, Beyrouth 1993 [en arabe]) signalé et utilisé par‬‬ ‫‪H. teule, « Jacob bar Šakko, the Book of Treasures and the Syrian Renaissance », p. 144,‬‬ ‫‪n. 11.‬‬ ‫‪97. Signalons ici la seule variante significative de tout le texte : le manuscrit du Vatican et le‬‬ ‫‪̈ : « les pestes ».‬ܡ ܘܬܢܐ ‪Mingana syr. 100 portent le mot‬‬

‫‪321‬‬

Flavia Ruani Chapitre deux 98. Contre la pensée obscure de Mani, laquelle parle de deux essences, le Bon et le Mauvais. Nous disons contre cela que si, selon ta parole, deux sont les créateurs, l’un bon, car il se délecte des bonnes choses, crée les bonnes choses et établit les bonnes choses, qui sont les suivantes : la génération, la rationalité, la croissance, la beauté et la santé, les choses édifiantes, les ornements, la vie, les vivres, et d’autres choses comme celles-là – et l’autre mauvais, qui se délecte des maux, crée les maux et établit les maux, « qui sont les suivants : disputes, guerres, conflits, destructions, dévastations, folies, meurtres, morts », et d’autres choses comme celles-là ; ces deux essences donc qui se trouvent l’une contre l’autre et qui sans cesse se combattent l’une l’autre, parce que l’une se délecte des bonnes choses et l’autre des mauvaises, à cause de cela s’épuisent l’une l’autre. Il en résulte contre elles la folie suivante : si par exemple ces deux essences, selon ta parole, s’opposent l’une à l’autre, il est manifeste que chacune d’elles possède un espace, et que toutes les deux se retrouvent limitées. Et ce qui est limité n’est pas infini ; et ce qui n’est pas infini est temporel ; et ce qui est temporel est créé ; et ce qui est créé n’est pas Dieu. Encore, s’il y a deux essences distinctes, et si elles sont distinctes, limitée est chacune d’elles en son essence ; et si elles sont limitées, elles se découvrent corporelles, et un espace les enclot. Et l’une de ces trois choses se vérifie : ou bien elles sont plus anciennes que les espaces qui les limitent ; ou bien ces espaces sont plus anciens qu’elles, et celles-ci les produits et les rejetons des espaces ; ou bien ils leur sont égaux dans l’antériorité. Et si la première , il apparaît qu’autrefois elles étaient à égalité/dans la concorde comme une seule et même, et qu’elles étaient privées de ce qui distingue ; si la deuxième , ce ne sont pas des essences, parce qu’elles ne sont pas éternelles ; si c’est la troisième , il y a de nombreuses essences, et non pas deux. Enfin, ces espaces, il faut qu’ils soient distincts l’un de l’autre et des essences. Et cet intermédiaire qui sépare une essence de l’autre, par la providence de laquelle existe-t-il donc ? Et avec laquelle des deux concorde-t-il et s’accorde-t-il ? Il n’est en effet pas possible qu’il concorde seulement avec une seule d’entre elles, afin qu’il ne soit pas consumé et anéanti par l’autre qui lui est opposée. Mais peut-être chacun des côtés de cet intermédiaire concorde-t-il avec l’une qui lui est proche. Mais cela ne peut nullement se maintenir de lui-même, parce que chacun des côtés de cet intermédiaire est défectueux, vu qu’ils sont opposés à un autre l’intermédiaire. Afin qu’ils [les côtés] ne soient pas détruits par les autres, a lui aussi besoin d’un autre et cela sans fin. Il faut donc que l’une soit d’autant plus abaissée et que cette frontière soit plus

98. Comme pour la traduction précédente, j’utiliserai les crochets [] pour expliciter ou éclairer le texte, et les crochets obliques pour signaler un ajout de ma part aidant à la formulation et à la compréhension en français.

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Sur les traces syriaques des manichéens élevée que la substance même de celles [essences] qui sont par elle séparées, de peur qu’elle ne subisse un dommage par en bas ou par en haut, et donne à ces adversaires l’espace de s’envahir l’un l’autre.

Les sources de Jacques bar Šakko Au-delà d’une phrase introductive qui annonce laconiquement la croyance manichéenne en deux essences, nommées Bon et Mauvais, le chapitre est tout entier consacré à la réfutation. Celle-ci s’articule en trois parties, s’attachant chacune à invalider la croyance manichéenne à travers des raisonnements portant sur différentes contradictions logiques que l’auteur repère en elle. Aucun recours n’est fait à l’Écriture, et aucun auteur chrétien du passé n’est cité comme référence faisant autorité. À première vue, tout semble être donc sorti de la pensée et de la plume de Jacques bar Šakko. Mais comme, de même que dans le cas de Moïse, la réfutation fait apparaître une plus vaste connaissance du phénomène manichéen que ne le laisse entendre la brève formulation initiale, il est légitime d’enquêter sur les sources que Jacques a pu utiliser pour la rédaction de son chapitre. 1. La première partie de la notice est particulièrement riche d’indications sur la nature et la définition des deux essences primordiales. Jacques bar Šakko consigne en détail les champs d’action qui échoient aux deux essences : deux champs antithétiques, illustrant la nature et l’action bonnes de l’essence bonne, et celles, mauvaises, de l’essence maligne. C’est seulement dans l’énumération de ces dernières que bar Šakko signale, avec l’emploi de la particule lam, qu’il s’agit d’une terminologie des adversaires, d’une citation tirée d’un texte manichéen ou bien de la paraphrase d’une parole manichéenne. L’écriture par listes de substantifs est typique de la littérature manichéenne, qui affectionne en particulier les séries de cinq éléments 99. Mais les deux listes décrivant les caractéristiques de chaque essence dans le texte ci-dessus présentent un intérêt particulier, car elles sont beaucoup plus longues, et on en trouve rarement de semblables ailleurs dans la littérature manichéenne directe ou indirecte 100. L’exemple le plus proche me paraît celui

99. Voir T. pettipiece, Pentadic Redaction in the Manichaean Kephalaia, Leyde-Boston 2009. 100. Les termes syriaques employés par Jacques bar Šakko ne semblent pas être attestés ailleurs, du moins en syriaque. C’est ce qui résulte de la consultation des volumes du Dictionary of Manichaean Texts. On pourrait penser que le troisième mot, tarbītā, « croissance », est mis par erreur au lieu de tar‘ītā, la « pensée » (les lettres bet et ‘é étant graphiquement semblables), qui est un vocable qu’on trouve chez Théodore bar Konai et qui désigne le cinquième attribut intellectif du Roi de la Grandeur. Ceci serait en accord avec la présence du terme hwânā, cité par bar Šakko en deuxième position, qui désigne le premier des attributs intellectifs tels qu’ils sont mentionnés par Théodore bar Konai. Mais la tradition manuscrite semble stable sur le terme tarbītā ne présentant pas de variantes, d’après les cinq manuscrits que j’ai pu lire.

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Flavia Ruani d’al-Shahrastani, encyclopédiste iranien ayant vécu entre 1086 et 1153, qui dresse, dans le chapitre consacré au manichéisme de son al-Milal (Livre des religions), un tableau explicatif des qualités parallèles et opposées des deux essences manichéennes 101. Il écrit à propos de la Lumière, le principe bon : « Son action est le bien, l’intégrité, l’utilité, la joie, l’ordre, la cohésion, la concorde » ; et à propos de la Ténèbre : « Son action est le mal, la corruption, le dommage, la tristesse, le désordre, la brisure, la discorde 102. » Si la familiarité de Jacques bar Šakko avec la philosophie arabe et ses cercles savants est bien connue 103, les contacts éventuels entre bar Šakko et l’œuvre d’al-Shahrastani sont, eux, encore tous à découvrir. Les qualités opposées ainsi énumérées sont condensées ensuite dans l’adversité radicale qui caractérise les deux essences. De cet antagonisme originel, Jacques bar Šakko tire la conclusion que les deux essences se limitent réciproquement. S’appuyant sur le concept de limite, bar Šakko fait une démonstration sous la forme d’une chaîne de déductions ; le but est de démontrer que si une essence est limitée, elle n’est pas une essence divine, mais une créature : Si par exemple ces deux essences, selon ta parole, s’opposent l’une à l’autre, il est manifeste que chacune d’elles possède un espace, et que toutes les deux se retrouvent limitées. Et ce qui est limité n’est pas infini ; et ce qui n’est pas infini est temporel ; et ce qui est temporel est créé ; et ce qui est créé n’est pas Dieu.

Une démonstration semblable, reposant sur les équivalences espace = limite et limite = créature, est déjà énoncée par Éphrem dans sa polémique contre Marcion, Bardesane et Mani : Quiconque est dans un espace et possède un corps doit être nécessairement limité. En effet l’espace qui le limite est plus grand que lui. Au contraire, tout ce qui n’est pas dans un espace n’est pas limité : il n’y a pas d’espace pour le limiter. (Hyp. 132,31-41)

101. D’autres auteurs arabes présentent des listes semblables, mais moins longues : par exemple ‘Abd al-Jabbar (mort en 1025) et Ibn al-Malahimi (mort en 1141). Voir J. C. reeVes, Prolegomena, p. 177 et p. 184. 102. Shahrastani, Livre des religions et des sectes, Traduction avec introduction et notes par D. Gimaret et G. monnot, t. I, Louvain 1986, p. 656. 103. Jacques bar Šakko étudia la logique et la philosophie arabes à Mossoul avec le philosophe et scientifique réputé Kamāl al-Dīn Mūsā ibn Yūnus. Son activité et ses connaissances scientifiques sont redevables, elles aussi, à l’usage d’œuvres arabes en tant que modèles et sources : voir H. taKahashi, « Fakhr al-Dīn al-Rāzī, Qazwīnī and Bar Shakko » pour la météorologie et la minéralogie, et, pour les mathématiques, H. huGonnarD-roche, « Mathématiques en syriaque », dans É. Villey (dir.), Les Sciences en syriaque, Paris 2014, p. 67-106, en particulier p. 86-90.

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Sur les traces syriaques des manichéens Si en effet la Ténèbre est limitée, la Lumière aussi peut être limitée. Mais si le Bien ne peut pas être limité, tandis que le Mal est limité, il est clair que ce Mal qui est limité n’est pas une essence, le compagnon de ce Bien qui n’est pas limité. Et il se trouve que celui qui limite est une essence, et celui qui est limité par quiconque peut le limiter, est une créature. Or, si ce n’est pas une créature, mais bien une essence, une essence ne peut pas limiter une essence sans ellemême être limitée par l’autre, sa conjointe, qui est limitée (Hyp. 90,23-91,1) 104.

2. Pour exposer la deuxième contradiction qu’il a repérée dans le système manichéen, Jacques bar Šakko développe le thème de la limite des essences – s’il y a séparation, il y a limitation et espace – en mettant l’accent sur la relation d’ordre temporel entre celles-ci et les espaces qui les enclosent. Les options alors envisagées sur la nature de cette relation sont au nombre de trois, tout comme les conséquences logiques que l’auteur syriaque en tire, toutes les trois réfutant, de son point de vue, la conception manichéenne : 1) antériorité des essences : si les essences existent avant leurs espaces, leur distinction originaire est annulée et elles sont en paix ; 2) antériorité des espaces : si les espaces existent avant les essences, celles-ci n’existent pas de tout temps ; 3) coexistence dans l’antériorité : si essences et espaces sont coéternels, il n’y a pas que deux essences, mais plusieurs. Les questions de la relation entre les essences manichéennes, d’une part, et entre les essences et leurs espaces, de l’autre, remontent au iVe siècle, à la polémique d’Éphrem. Mais chez lui, elles sont discutées de façon complètement différente. Éphrem envisage en effet la coexistence des essences selon un point de vue strictement monothéiste, en évoquant des catégories relatives à la christologie. La co-éternité des essences est pour lui impossible, car il ne peut concevoir que le cas où l’une d’elles est la descendance ou la création de l’autre 105. Quant à l’espace les limitant, Éphrem le rejette à l’aide d’un argument d’ordre quantitatif : cet espace serait plus grand que l’essence qu’il limiterait, alors qu’elle est incommensurable 106. Dans les deux réfutations, Éphrem joint la critique des positions manichéennes sur la spatialité des essences primordiales à celle qui vise les ariens dans leur prétendue connaissance rationnelle de la paternité de Dieu 107.

104. Voir aussi la discussion chez Augustin, Contra Epistulam Fundamenti XX,22-XXII,24. Le problème de la limite des essences manichéennes fait aussi partie des thèmes privilégiés de la polémique zoroastrienne, toute focalisée sur les notions d’infini et de fini, comme l’est celle contenue dans le traité Škand-gumanik Vičār (ixe-xe siècle), par exemple : voir le texte et l’analyse chez P. J. De m enasce, Une apologétique mazdéenne du ixe siècle. ŠkandGumānīk Vičār. La solution décisive des doutes, Fribourg-en-Suisse 1945, p. 226-261. 105. Voir en particulier HcH XVI,9 et 12. 106. Voir HcH XVI,11 et Sur la Foi XLV,3-8, en particulier 4. 107. Les deux thématiques sont explicitement entrelacées dans les Hymnes sur la Foi XLV,8.

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Flavia Ruani Le contexte chez Jacques bar Šakko n’est en rien théologique. La démonstration se veut purement rationnelle, prenant appui sur des notions de logique et de bon sens. C’est un autre auteur syriaque du iVe siècle qui constitue dès lors le parallèle le plus pertinent au texte de bar Šakko : Titus de Bostra. Titus a rédigé son Contra Manichaeos avec l’intention programmatique de contrer les thèses manichéennes à partir des κοιναὶ ἔννοιαι ou « notions communes ». Des quatre livres qui composent cet ouvrage, le premier traite des éléments principaux de la doctrine manichéenne, en commençant par la thèse des deux essences primordiales 108. Ce texte, en particulier le livre I, est vraisemblablement la source anonyme de Jacques bar Šakko pour tout le développement de cette deuxième réfutation, ainsi que de la suivante, comme nous le verrons. Remarquons d’abord comment la formulation d’ouverture de bar Šakko rappelle celle de Titus de Bostra dans le Contra Manichaeos I,7 109 : Jacques bar Šakko, Livre des trésors III,2 ̈ ̈ ‫ܬܘܒ ܕܝܢ ܐܢ‬ . ‫ܐܝܬ ܝܐ ܐܝܬ ܦܪܝܫܝܢ‬ ‫ܬܖܝܢ‬ ‫ܘܐܢ ܦܪܝܫܝܢ ܡܣܝܟ ܟܠܚܕ ܡܢܗܘܢ ܒܐܝܬܘܬܗ‬

Titus de Bostra, Contra Manichaeos I,7,4-6 ‫ܐܐܠ ܓܠܝܐ ܗܝ ܕܐܦ ܼܗ ܘ ܐܡܪ ܕܦܪܝܫܝܢ ܐܢܘܢ ܚܕ‬ . ‫ܡܢ ܚܕ ܘܡܟܝܠ ܒܗܕܐ ܚܕ ܚܕ ܡܢܗܘܢ ܡܣܬܝܟ ܠܗ‬ ‫ܡܢ ܚܒܪܗ ܒܐܝܬܘܬܗ‬

Encore, s’il y a deux essences distinctes, et Mais il est manifeste que même celui-ci [Mani] si elles sont distinctes, limitée est chacune dit qu’elles sont distinctes l’une de l’autre, et d’elles, en son essence. donc, en raison de cela, chacune d’elles est limitée par sa compagne, en son essence.

Ensuite, les trois options, avec leurs trois conséquences, envisagées par bar Šakko semblent tirées du Contra Manichaeos I,8, et reproduites dans un ordre légèrement différent : chez Titus chaque option est suivie de sa conséquence, alors que bar Šakko regroupe d’abord les trois cas et fait suivre ensuite les trois corollaires. Voici les deux textes en vis-à-vis, ce qui fait apparaître comment Jacques bar Šakko réutilise et paraphrase Titus de Bostra :

108. Cet ouvrage a été récemment édité et traduit en français : A. roman, P.-H. poirier, É. créGheur, J. DeclercK (éd.), Titi Bostrensis Contra Manichaeos libri IV (Corpus Christianorum, Series Graeca 82), Turnhout 2013 ; Titus de Bostra, Contre les manichéens, Introduction, traduction, notes et index par A. roman, T. S. schmiDt et P.-H. poirier (Corpus Christianorum in translation 21), Turnhout 2015. 109. Pour ce passage, ainsi que les autres tirés de cet ouvrage et cités plus bas, j’ai utilisé l’édition du Corpus Christianorum. Toutes les traductions sont en revanche personnelles (le volume de traduction n’étant pas encore paru au moment de la rédaction de cet article) et essaient de faire ressortir les similitudes terminologiques avec le texte de Jacques bar Šakko.

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Sur les traces syriaques des manichéens

Titus de Bostra, Contra Manichaeos I,8,4-19 Jacques bar Šakko, Livre des trésors III,2 ̈ ‫ܒܐܬܖܘܬܐ‬ ‫ܗܢܘܢ ܓܝܪ ܕܡܢ ̈ܚܕܕܐ ܡܬܟܠܝܢ‬ ‫ܕܝܠܗܘܢ ܡܠܝܐܝܬ ܡܬܚܒܫܝܢ ܘܡܣܬܝܟܝܢ ܘܡܟܝܠ‬ ̈ ‫ܐܬܖܘܬܗܘܢ‬ ‫ܬܫܬܐܠ ܕܐܢ ̈ܩܫܝܫܢ ܐܢܘܢ ܡܢ‬ ̈ ‫ܗ ܢܘܢ ܗܠܝܢ‬ ̈ ‫ܬܖܝܗܘܢ ܕܠܩܘܒܐܠ ܐܝܟ‬ ‫ܐܝܬܝܐ‬ ܼ ‫ ܐܝܬ‬. ‫ ܘܐܢ ܗܕܐ ܗܟܢܐ ܗܝ‬. ‫ܕܐܠ ܗܘܘ‬ ‫ܗܘܐ ܬܘܒ ܐܡܬܝ ܕܡܢ ܩܕܝܡ ܐܝܬܝܗܘܢ ܗܘܘ‬ ‫ ܘܐܢ‬. ‫ܒܫܘܝܘܬܐ ܟܕ ̈ܖܚܝܩܝܢ ܡܢ ܕܠܩܘܒܐܠ‬ ‫ܕܝܢ ܡܢ ܥܠܡ ܥܡ ܐܝܬܘܬܐ ܕܚܕ ܚܕ ܡܢܗܘܢ‬ ‫ܐܝܬܘܗܝ ܗܘܐ ܐܦ ܦܘܪܫܢܗ ܩܕܝܡ ܗܘ ܐܬܪܗ‬ ‫ܕܚܕ ܚܕ ܡܢܗܘܢ ܡܢ ܐܝܬܘܬܗ ܐܘ ܥܡܗ‬ ‫ܐܝܬܘܗܝ ܒܐܝܬܘܬܐ ܐܐܠ ܐܢ ܩܕܝܡܝܢ ܐܢܘܢ‬ ̈ ̈ ‫ܕܒܦܩܚܝܗܘܢ‬ ‫ܐܬܖܘܬܗܘܢ ܐܝܟ ܕܢܣܬܒܪܘܢ‬ ̈ ̈ ‫ܐܢܘܢ ܘܝܠܕܝܗܘܢ ܐܢܘܢ ܕܝܠܗܘܢ ܕܐܬܖܘܬܐ‬ ̈ ‫ ܘܐܦܐܠ ܕܡܢ‬. ‫ܐܝܬܝܐ ܐܝܬܝܗܘܢ ܗܠܝܢ‬ ‫ܐܠ‬ ‫ܥܠܡ ܐܝܬܝܗܘܢ ܘܗܕܐ ܡܣܬܒܪܐ ܕܠܗܘܢ ܗܘ‬ ‫ܐܠܬܪܘܬܗܘܢ ܐܝܬܝܗ ܕܡܢܗܘܢ ܐܝܬܝܗܘܢ‬ ̈ ‫ܕܘܟܝܬܐ‬ ‫ܗܠܝܢ ܘܐܢ ܕܝܢ ܥܡܗܘܢ ܐܝܬܝܗܝܢ‬ ̈ ‫ܐܝܬܝܐ ̈ܣܓܝܐܐ ܘܐܠ‬ ‫ܒܐܝܬܘܬܐ ܗܘܝܢ ܠܗܘܢ‬ ̈ ‫ܗܘܐ‬ ‫ܬܖܝܢ ܒܠܚܘܕ‬

̈ ̈ ‫ܬܘܒ ܕܝܢ ܐܢ‬ ‫ ܘܐܢ‬. ‫ܐܝܬܝܐ ܐܝܬ ܦܪܝܫܝܢ‬ ‫ܬܖܝܢ‬ ‫ ܘܐܢ‬. ‫ܦܪܝܫܝܢ ܡܣܝܟ ܟܠܚܕ ܡܢܗܘܢ ܒܐܝܬܘܬܗ‬ ̈ ‫ ܘܐܬܪܐ ܼܿܚܒܫ‬. ‫ܓܘܫܡܐ ܡܫܬܟܚܝܢ‬ . ‫ܡܣܝܟܝܢ‬ ̈ ܿ ‫ܕܐܘ ܩܫܝܫܝܢ‬ . ‫ ܘܚܕܐ ܼܡܢ ܬܠܬܐ ܿܓܕܫܐ‬. ‫ܠܗܘܢ‬ ܿ . ‫ܐܬܖܘܬܐ ܕܒܗܘܢ ܡܣܝܟܝܢ‬ ̈ ‫ܐܘ‬ ‫ܼܗܢܘܢ ܼܡܢ‬ ̈ ̈ ‫ܘܗܢܘܢ ܝܠܕܝܗܘܢ‬ ܼ .‫ܼܗܢܘܢ ܐܬܖܘܬܐ ܩܫܝܫܝܢ ܡܢܗܘܢ‬ ܿ . ‫ܕܐܬܖܘܬܐ‬ ̈ ̈ ‫ܐܘ ܫܘܝܢ ܥܡܗܘܢ‬ ‫ܘܦܩܚܝܗܘܢ‬ ‫ ܡܬܚܙܝܢ ܕܒܙܒܢ‬. ‫ ܘܐܢ ܩܕܡܝܬܐ‬. ‫ܒܩܕܝܡܘܬܐ‬ ܿ ‫ ܘܓܠܝܙܝܢ ܗܘܘ ܡܢ‬. ‫ܒܫܘܝܘܬܐ ܗܘܘ ܐܟܚܕܐ‬ ‫ܗܘ‬ ܼ ̈ . ‫ܐܝܬܝܐ ܐܢܘܢ‬ ‫ ܠܘ‬. ‫ ܘܐܢ ܬܪܝܢܝܬܐ‬. ‫ܕܦܪܝܫ‬ ܿ ̈ . ‫ ܘܐܢ ܬܠܝܬܝܬܐ‬. ‫ܡܬܘܡܝܐ ܐܝܬܝܗܘܢ‬ ‫ܒܗܝ ܕܠܘ‬ ̈ ̈ ‫ܣܓܝܐܐ ܡܫܬܟܚܝܢ ܘܠܘ‬ ̈ . . ‫ܬܖܝܢ‬ ‫ܐܝܬܝܐ‬

Celles-ci en effet qui se retiennent l’une l’autre dans leurs espaces, sont complètement encloses et limitées. Demandons donc : si elles sont plus anciennes que leurs espaces – ces deux qui s’opposent comme des essences, qui n’existent pas – s’il en est ainsi, il aurait dû y avoir un temps auparavant où elles étaient à égalité/ dans la concorde, étant éloignées pour être opposées. Mais si depuis toujours, à l’essence de chacune d’elles était concomitante aussi sa différence , l’espace de chacune d’elles serait plus ancien que son essence respective, ou bien existerait en concomitance avec elle par essence. Mais si leurs espaces sont plus anciens, si bien que les essences peuvent sembler être les rejetons et les produits des espaces, celles-ci ne sont pas des essences et n’existent pas non plus depuis toujours, et il semble que cela soit au sujet de leurs espaces, que c’est à partir d’eux que celles-là existent. Mais si les endroits existent en concomitance avec elles par essence, il y aurait de nombreuses essences, et non pas seulement deux.

Encore, s’il y a deux essences distinctes, et si elles sont distinctes, limitée est chacune d’elles en son essence ; et si elles sont limitées, elles se découvrent corporelles, et un espace les enclot. Et l’une de ces trois choses se vérifie : ou bien elles sont plus anciennes que les espaces qui les limitent ; ou bien ces espaces sont plus anciens qu’elles, et celles-ci les produits et les rejetons des espaces ; ou bien ils leur sont égaux dans l’antériorité. Et si la première , il apparaît qu’autrefois elles étaient à égalité/dans la concorde comme une seule et même, et qu’elles étaient privées de ce qui distingue ; si la deuxième , ce ne sont pas des essences, parce qu’elles ne sont pas éternelles ; si c’est la troisième , il y a de nombreuses essences, et non pas deux.

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Flavia Ruani 3. Dans le troisième et dernier volet de sa critique antimanichéenne, bar Šakko aborde le thème des frontières entre les deux essences, thème récurrent dans la polémique chrétienne contre le manichéisme 110. Bar Šakko s’interroge en particulier sur la nature de l’intermédiaire qui maintiendrait les deux essences séparées et en vient à décréter que chaque côté de l’intermédiaire aurait besoin d’un autre côté qui concorde avec l’essence opposée, et ainsi de suite à l’infini, afin que l’intermédiaire ne soit pas corrompu par l’une ou l’autre des essences qui s’opposent et qu’il sépare. La critique s’ouvre avec la constatation que les espaces doivent se distinguer l’un de l’autre, d’une part, et des essences, d’autre part. Cette remarque fait écho aux mots sur lesquels s’achève le Contra Manichaeos I,8 de Titus de Bostra, cité auparavant : « Nécessairement, en effet, celles-ci [les essences] sont distinctes et sont autres par rapport à ces endroits dans lesquels elles sont, sans lesquels elles ne peuvent même pas exister 111. » Suit I,9, où Titus développe toute la question de la frontière. Dans ce long paragraphe, il s’attache à l’idée de l’intermédiaire entre les deux essences, et pose notamment la question concernant la « providence » (bṭīlūtā, ‫ )ܒܛܝܠܘܬܐ‬de l’une d’entre elles qui garantit l’existence de cet intermédiaire, comme chez bar Šakko. Il manque, en revanche, chez Titus le développement détaillé sur la nécessité d’une multiplication d’intermédiaires que nous lisons chez bar Šakko. Titus affirme simplement que, faute de providence, seul quelque chose de complètement étranger aux deux essences pourrait les séparer l’une de l’autre, et aboutit à la conclusion qu’il faut nécessairement postuler un ensemble et une multitude d’intermédiaires, à savoir autant d’essences 112. Cette conclusion est en quelque sorte à la base du raisonnement de bar Šakko. L’écrivain syriaque pourrait alors avoir combiné l’idée de Titus avec le développement sur les intermédiaires qu’il aurait trouvé ailleurs. Un « candidat » plausible serait Épiphane de Salamine et son chapitre contre les manichéens contenu dans le Panarion 113. Au para-

110. Voir, par exemple, E. BecK, Ephräms Polemik gegen Mani und die Manichäer im Rahmen der zeitgenössischen griechischen Polemik und der des Augustinus, Louvain 1978, p. 67-81. 111. Lignes 19-22 : ̈ ̈ ‫ܡܢ ܐܢܢܩܐ ܓܝܪ‬ ̈ ‫ܕܘܟܝ ܬܐ ܕܒܗܝܢ ܐܝܬܝܗܘܢ‬ ‫ܘܐܚܖܢܐ ܐܝܬܝܗܘܢ ܗܢܘܢ ܡܢ ܗܠܝܢ‬ ‫ܦܖܝܫܝܢ ܐܢܘܢ‬ ‫ܕܒܠܥܕܝܗܝܢ ܐܦ ܐܠ ܕܢܗܘܘܢ ܐܝܬܝܗܘܢ ܡܫܟܚܝܢ‬ 112. Titus de Bostra, Contra Manichaeos I,9,21-22 : ̈ ̈ ‫ ܟܕ‬.‫ܕܐܝܬܝܐ ܿܣܝܡܝܢ‬ ̈ ‫ܬܖܝܢ ܗܘ ܒܠܚܘܕ‬ ‫ܐܡܪܘ‬ ‫ܘܡܫܬܟܚܝܢ ܡܟܝܠ ܕܒܫܢܝܘܬܗܘܢ ܟܢܫܐ ܘܣܓܝܐܘܬܐ‬ ܼ ‫ܐܝܬܝܐ‬ ‫ܕܐܝܬ‬ 113. Nous ne connaissons pas de traduction syriaque de cet écrit, mais Jacques bar Šakko aurait pu le lire dans sa version grecque d’origine ou bien en traduction arabe (sur cette traduction, voir CPG 3745 [M. GeerarD, Clavis Patrum Graecorum, 5 vol., Turnhout 1947-1987] et G. GraF, Geschichte des Christlichen Arabischen Literatur, t. I, Cité du Vatican 1947, p. 356, qui signale un seul manuscrit très récent, mais peut-être basé sur un modèle beaucoup plus ancien ; d’autres œuvres d’Épiphane de Salamine sont attestées en arabe dès le xiiie siècle).

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Sur les traces syriaques des manichéens graphe 14,8-14 du Panarion 66, Épiphane discute amplement de la nature de l’intermédiaire et pose l’obligation logique d’une multiplication d’éléments de séparation, parvenant à une multiplicité d’essences 114. La conclusion de Jacques bar Šakko est, quant à elle, une citation littérale de la dernière phrase du chapitre I,9 de Titus. Mettons les deux textes en regard, pour remarquer comment, chez bar Šakko, deux mots seulement diffèrent par rapport au texte de Titus (il omet le premier ‫ « ܐܘ‬ou bien », et ̈ utilise le synonyme ‫ܣܩܘܒ ܠܝܐ‬ « adversaires » au lieu de ‫ « ܕܠܩܘܒܐܠ‬qui sont opposées ») : Titus de Bostra, Contra Manichaeos I,9,30-33 ܿ ‫ ܘܪܡ ܼܗ ܘ‬. ‫ܗܘܐ ܡܬܚܬܝ‬ ܼ ‫ܘܙܕܩ ܡܟܝܠ ܕܝܬܝܪܐܝܬ‬ ܿ ‫ܗܢܐ ܬܚܘܡܐ ܼܡ ܢ ܐܝܬܘܬܐ ܕܗ ܢܘܢ ܕܒܗ ܡܬܦܪܫܝܢ‬ ܿ ‫ܕܕܠܡܐ ܐܘ ܡ ܢ ܠܬܚܬ‬ . ‫ܐܘ ܼܡ ܢ ܠܥܠ ܢܚܣܪ ܘܢܬܠ‬ ܼ ̈ ܿ ‫ܐܬܪܐ‬ ‫ܠܗ ܢܘܢ ܕܠܩܘܒܐܠ ܕܢܥܒܪܘܢ ܒܚܕ ܕܐ ܆‬ Il faut donc que l’une soit d’autant plus abaissée et que cette frontière soit plus élevée que la substance même de celles [essences] qui sont par elle séparées, de peur qu’elle ne subisse un dommage ou bien par en bas ou bien par en haut, et donne à celles qui sont opposées l’espace de s’envahir l’une l’autre

Jacques bar Šakko, Livre des trésors III,2 ܿ ‫ ܘܪܡ‬. ‫ܗܘܐ ܡܬܚܬܝ‬ ܼ ‫ܘܙܕܩ ܡܟܝܠ ܕܝܬܝܪܐܝܬ‬ ܿ ‫ܗܘ ܗܢܐ ܬܚܘܡܐ ܼܡ ܢ ܐܝܬܘܬܐ ܕܗ ܢܘܢ ܕܒܗ‬ ܿ ‫ ܕܕܠܡܐ ܡ ܢ ܠܬܚܬ‬. ‫ܡܬܦܪܫܝܢ‬ ‫ܐܘ ܼܡ ܢ ܠܥܠ‬ ܼ ܿ ‫ܢܚܣܪ ܘܢܬܠ ܐܬܪܐ‬ ̈ ‫ܠܗ ܢܘܢ ܣܩܘܒ ܠܝܐ ܕܢܥܒܪܘܢ‬ ̈ ‫ܒܚܕ ܕܐ ܆‬ Il faut donc que l’une soit d’autant plus abaissée et que cette frontière soit plus élevée que la substance même de celles [essences] qui sont par elle séparées, de peur qu’elle ne subisse un dommage par en bas ou par en haut, et donne à ces adversaires l’espace de s’envahir l’une l’autre.

114. « However, if [Mani’s first principles] are separate from each other, each of them is surely bounded. But nothing that is bounded is perfect; it is limited by its boundedness. Besides, a boundary will be needed for the delimitation of both, or both territories will touch at the ends, be in contact with each other through the ends, have something in common, and violate the rule of their opposition. And if you grant that there is a divider between the two, the divider cannot be like them, but neither can it be different from both. For if the divider can be called comparable to one of the two eternals we mentioned [even] in one part of it, then, because of the comparable part, the divider cannot be different from [the eternal]. Instead it will be connected with the one with which it is comparable, there will be a junction at the part that matches, and [the divider] will no longer be bounded where it parts the two substances from each other. If, however, it is not like the two and has no share of a part of either, there cannot be two eternals and everlastings; there must, in the last analysis, be three. And there can no longer be two principles, and two primordials opposed to each other. There must be another, third thing, which is opposed to both and unlike both, and which divides the two and, because of its foreignness to them, has nothing in common with either and no likeness to either. And in the end there are no longer two, but these three. And besides, another will also be required, a fourth, to mediate and set this boundary. For the two could not set the boundary or partition without another to be the umpire who put the divider between them—a skillful, wise and fair umpire, what is more, with higher rank [than either] so that he can persuade them both to a peaceable reconciliation. Thus there will be one to set the boundary, one to divide, and two to be bounded, and there cannot be only two first principles; there must even be three and four. And in this way one can think of many first principles, ignoring real things and imagining unreal ones. » (F. Williams [trad.], The Panarion of Epiphanius of Salamis, second revised edition, t. II, Leyde-Boston 2013, p. 241-242).

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Flavia Ruani Conclusion sur Le Livre des Trésors de Jacques bar Šakko Pour la composition de son chapitre contre la doctrine manichéenne des deux principes, il semble que Jacques bar Šakko ait puisé à différentes sources, grecques, syriaques et arabes, et les ait combinées entre elles dans un discours harmonieux et cohérent 115. Sans jamais mentionner ses références, il manifeste une prédilection pour le traité Contra Manichaeos composé par Titus de Bostra à la fin du iVe siècle, qu’il utilise dans sa traduction syriaque 116 parfois en le paraphrasant, parfois en le citant de façon littérale. Le recouvrement de citations directes et indirectes tirées de ce texte dans un écrit syriaque de la moitié du xiiie siècle tel que le Livre des Trésors, contribue à enrichir nos connaissances sur l’histoire de la transmission et de l’utilisation du Contra Manichaeos 117, et le démarque comme titre de référence en matière de polémique antimanichéenne pendant la « renaissance syriaque 118 ». La pluralité des sources à la disposition de bar Šakko n’est pas étonnante : elle s’explique par la proximité de la bibliothèque du monastère Mor-Mattaï, renommée pour la richesse de son fonds, et où Jacques bar Šakko passa la plus grande partie de sa vie 119.

115. La création de grandes compilations combinant la tradition syriaque et d’autres traditions, notamment l’arabe, est justement un trait distinctif de la production littéraire pendant la « renaissance syriaque » (voir H. teule, « The Syriac Renaissance », dans H. teule – C. F. tauWinKl – R. B. ter h aar romeny – J. Van GinKel [dir.], The Syriac Renaissance, p. 1-30, surtout p. 30). 116. Préférer leur version syriaque aux originaux grecs parait être une caractéristique de l’utilisation littéraire d’auteurs grecs par Jacques bar Šakko : « The references to Greek authors in Bar Šakko’s Book of Dialogue were not direct borrowings from the Greek original, but based on Syriac and/or Arabic versions, as in the case of Bar Hebraeus » (H. teule, « The Syriac Renaissance », p. 12). 117. Pour une étude de la réception de ce traité dans la littérature syriaque, voir N. A. peDersen, « Titus of Bostra in Syriac Literature », Laval théologique et philosophique 62/2 (2006), p. 359-367. 118. Jacques bar Šakko aurait pu utiliser bien d’autres écrits antimanichéens appartenant à la tradition chrétienne de langue grecque et syriaque qui circulaient à son époque dans son contexte. Notamment, il aurait pu recourir aux œuvres d’Éphrem, qu’il cite par ailleurs (dans le Livre des Trésors IV, par exemple), et surtout à l’Hexaemeron de Moïse bar Kepha, qu’il connaît et dont il se sert dans certaines parties du Livre des Trésors (notamment le livre I, chap. 2-6 et 8-9, comme l’a remarqué M. tolstoluJenKo, « “Книга сокровищ” », p. 370). 119. Dans le Chronicon Ecclesiasticum, Bar Hebraeus fait l’éloge de la bibliophilie de Jacques bar Šakko en disant qu’il « possédait de nombreux ouvrages qui tous furent portés au trésor du prince de Mossul » après sa mort (traduction par F. nau, « Notice sur le Livre des Trésors », p. 287). Sur la renommée de la bibliothèque de Mor-Mattaï, voir G. A. Kiraz, « Matay, Dayro d-Mor », dans GEDSH, p. 280-281.

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Sur les traces syriaques des manichéens Conclusion Les deux textes présentés et commentés dans cet article montrent à quel point il est intéressant d’explorer la littérature syriaque de controverse dans la perspective de l’histoire des études manichéennes. En premier lieu, ces textes nous permettent d’accroître nos connaissances des aspects du manichéisme sur lesquels s’est portée la critique d’auteurs chrétiens non seulement grecs, et non seulement de l’Antiquité tardive. Dans les deux cas analysés, c’est la doctrine manichéenne des deux principes qui provoqua les réactions polémiques des deux évêques syriaques. Non pas, donc, comme d’autres auteurs antérieurs ou postérieurs, la conception manichéenne du mal ou celle du libre arbitre 120, ni les rites et les pratiques ascétiques – ce qui s’explique en partie par les sujets précis de leurs écrits 121, mais qui est aussi l’indice de l’absence d’une communauté manichéenne active dans la région à leurs époques. En deuxième lieu, quoiqu’elles aient le même sujet polémique et propagent la même foi syro-orthodoxe sur les mêmes terres, les approches critiques de bar Kepha et bar Šakko furent néanmoins différentes. Ainsi, ces deux textes contribuent-ils à enrichir l’histoire des perspectives et des arguments polémiques avec lesquels des théologiens d’origine religieuse diverse ont réagi au manichéisme au long des siècles. Car les contextes culturels dans lesquels Moïse bar Kepha, au ixe siècle, et Jacques bar Šakko, au xiiie, écrivirent leurs ouvrages théologiques, différaient. Si les deux écrits ont en commun leur genre (des compendiums ou compilations sur des sujets précis), Moïse bar Kepha se situe dans la tradition des commentaires des six jours de la création, et lit la doctrine manichéenne à travers les lunettes de l’auteur le plus réputé en monde syriaque, à la fois grand exégète biblique et âpre polémiste, Éphrem de Nisibe. La notice antimanichéenne est alors tributaire des thèmes et des stratégies mis au point par Éphrem, qui avait une prédilection pour les arguments tirés des phénomènes naturels. Jacques bar Šakko, en revanche, s’inscrit dans une démarche philosophique, en résonance avec la renaissance culturelle de son époque, dont sa propre éducation académique polymorphe fait état. Ainsi, il choisit une réfutation logique, théorique, pour contrer la thèse manichéenne, et à la place d’Éphrem, c’est un controversiste grec aux arguments rationnels (les « notions

120. L’un des thèmes les plus sollicités de la polémique antimanichéenne à la fois chrétienne et musulmane : cf. s. stroumsa – G. G. stroumsa, « Aspects of Anti-Manichaean Polemics in Late Antiquity and Under Early Islam », Harvard Theological Review 81 (1988), p. 37-58. 121. Il fait partie de son originalité le fait que Jacques bar Šakko ne traite pas de la question du mal et du libre arbitre dans son chapitre contre les manichéens, étant donné qu’il l’insère dans la section relative à la Providence. Une génération plus tard, Bar Hebraeus fit au contraire de cette question l’objet d’une réfutation argumentée dans une partie consacrée précisément à la toute-puissance divine (Candélabre du Sanctuaire XI,2).

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Flavia Ruani communes » sur lesquelles il fonde le traité Contra Manichaeos), traduit dans le monde syriaque dès le début du Ve siècle, Titus de Bostra, qui se taille la part du lion en tant que source et modèle de référence. En outre, si ces deux textes n’apportent rien de nouveau quant à la doctrine manichéenne per se, ils nous font comprendre que le manichéisme continuait à être choisi parmi les cibles privilégiées des traités théologiques rédigés en monde syriaque, bien après qu’il eut cessé de représenter une menace religieuse réelle. Au lieu de disparaître des mentions critiques des chrétiens syriaques, comme c’est le cas d’autres adversaires des premiers siècles (les ariens, par exemple), les manichéens continuent à figurer dans les listes des hérétiques ou des erreurs doctrinales à dénoncer ; ils sont, certes, des adversaires du passé, mais ils restent fortement enracinés dans le substrat culturel et dans l’histoire religieuse du monde syriaque, au point qu’au Moyen-Âge encore, ils semblent tenir le rôle de figures locales dont les consciences se souviennent, comme c’est le cas aussi de Bardesane, originaire d’Édesse. Enfin, et c’est là leur intérêt majeur, ces deux textes, écrits en syriaque, viennent très utilement compléter notre connaissance de l’histoire de la transmission, et de la circulation, d’écrits antimanichéens dans ce contexte d’expression syriaque. L’un, le chapitre de Moïse bar Kepha, témoigne que, dans la seconde moitié du ixe siècle en Haute-Mésopotamie, l’on avait accès (sous une forme abrégée ?) aux Réfutations en prose d’Éphrem, alors que cet ouvrage n’est par ailleurs attesté que par un seul manuscrit qui, à cette époque-là, avait déjà été effacé en Égypte ; Jacques bar Šakko, quant à lui, en utilisant au xiiie siècle à Mor-Mattaï la version syriaque du Contra Manichaeos de Titus de Bostra, fournit un nouveau témoignage de la diffusion et de la reproduction de cet écrit, connu lui aussi dans la tradition manuscrite syriaque par un seul codex, le plus ancien manuscrit daté, copié à Édesse en 411 de notre ère (BL Add. 12150). Moïse bar Kepha et Jacques bar Šakko, et ce qu’ils nous ont appris, nous encouragent à marcher dans les pas des auteurs syriaques, avec l’espoir de faire, au bout du chemin, d’autres précieuses découvertes.

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MANI DÉGUISÉ EN MONOPHYSITE Alain le Boulluec École pratique des hautes études, PSL Research University Paris [email protected]

Cédant à un tropisme qui date de mes années de doctorant et me souvenant de conversations plus récentes sur le discours hérésiologique avec JeanDaniel Dubois, j’ose lui offrir la lecture de quelques textes qui exploitent, avec toutes les simplifications et les confusions, voire les insultes et les falsifications propres à ce genre de polémique, la figure de Mani en tant qu’hérétique par excellence 1 pour pourfendre les monophysites. Le dossier des extraits censés venir de lettres de Mani Dans son Traité dogmatique tiré des Écritures saintes et des écrits des saints Pères adressé aux moines de l’Énaton, près d’Alexandrie, couramment désigné sous le titre Contre les monophysites, daté de 542/543 et visant principalement ceux qui persévéreraient dans l’erreur de la συναίρεσις, « contraction », ou σύγχυσις, « confusion 2 », reprochée à Eutychès, associé par la

1.

2.

La législation impériale, particulièrement dure contre le manichéisme depuis Dioclétien, a été confirmée par un édit de Justin et Justinien en 527 (Code Justinien [désormais CJ] I,5, 12, 2-3.22) et aggravée par Justinien les années suivantes (CJ I,5, 15.16) ; voir E. H. K aDen, « Die Edikte gegen die Manichäer vom Diokletian bis Justinian », dans Festschrift Hans Lewald, Bâle 1958, p. 55-68 et V. M. minale, Legislazione imperiale e Manicheismo da Diocleziano a Constantino. Genesi di un’eresia, Naples 2013. Richard Lim a montré comment l’appellation « manichéen », loin de relever de l’autodéfinition, servait souvent à dénoncer l’Autre en matière de religion : R. lim, « The Nomen Manichaeorum and Its Use in Antiquity », dans E. iricinschi – h. m. zellentin (dir.), Heresy and Identity in Late Antiquity, Tübingen 2003, p. 143-167. Justinien emploie aussi le terme συνουσίωσις, « consubstantiation », pour désigner l’erreur d’Eutychès, selon un usage attesté déjà au temps des débats entre Cyrille d’Alexandrie et les Nestoriens (voir G. W. H. lampe, A Patristic Greek Lexicon, Oxford 1978 [19611], sub verbum).

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Alain Le Boulluec tradition polémique à Apolinaire, et renouvelée contre les adversaires de la définition du concile de Chalcédoine, l’empereur Justinien cite des extraits de lettres attribuées à Mani et fait des dissidents ainsi combattus les successeurs de l’hérésiarque. Il rapproche ces extraits de citations de Dioscore et de Timothée Aelure, accusés de professer la même doctrine. Voici une traduction du passage : Manichée parle ainsi dans sa lettre à Addas : « Quand les Galiléens prétendent que le Christ a deux natures, nous les accablons d’un gros rire : ils ignorent que la substance de la lumière ne se mélange pas à la matière, qui est autre, mais qu’elle est absolument pure et qu’elle ne peut être unie à une autre substance, même si elle semble lui être associée ; l’appellation Christ est un nom utilisé par catachrèse, qui ne signifie ni espèce ni substance. La lumière d’en haut, qui est unie substantiellement aux choses qui lui appartiennent, s’est montrée comme un corps parmi les corps matériels, alors que le tout, en luimême, était une nature unique. » Du même Manichée l’impie, dans sa lettre à Scythianos : « Le fils de la lumière éternelle a manifesté sur la montagne sa substance propre, sans avoir deux natures mais une seule, dans le visible et l’invisible. » Du même Manichée l’impie, dans sa lettre à Cyndoros le Saracène : « Alors qu’un jour les Juifs voulaient lapider le Christ et pousser jusqu’à l’acte la violence de leur mépris des lois, il montra clairement sa substance propre, lui le fils de la lumière d’en haut : quand il passa au milieu d’eux, on ne le voyait plus. Car sa forme immatérielle, qui avait été configurée selon l’aspect de la chair, n’était plus visible mais on ne pouvait nullement la toucher, parce que la matière n’a aucune communauté avec l’immatériel. Le tout était une nature unique, même si l’on voyait une forme de chair 3. »

3.

334

Justinien, Contra Monophysitas, édité par E. schWartz, Drei dogmatischen Schriften Iustinians, Munich 1939, p. 23,28-24,2, Seconda edizione a cura di M. a melotti – r. a lBertella – l. miGliarDi, Milan 1973, p. 38,28-40,2. La dernière phrase est reprise un peu plus loin (p. 25,1-3), mise sur le même plan qu’une formule de Timothée Aelure tirée du « chapitre huit du livre trois, qu’il écrivit en Chersonèse : “La nature du Christ est la seule divinité, même s’il est incarné” » (fragment grec du Contra eos qui dicunt duas naturas, composé pendant son exil en Crimée : CPG 5475 [M. GeerarD, Clavis Patrum Graecorum, 5 vol., Turnhout 1947-1987]).

Mani déguisé en monophysite À l’arrière-plan de ces formulations on discerne aisément des références à des thèmes manichéens, comme l’opposition entre la lumière et la matière 4, le refus de la réalité de l’incarnation 5, qui a fait de Mani, dans l’hérésiologie, à côté des « gnostiques », le représentant vilipendé du docétisme. On repère aussi des interprétations de textes évangéliques, lesquels tenaient une place importante chez les manichéens, comme l’a montré Michel Tardieu 6. Il s’agit ici du récit de la Transfiguration (Mt 17,1-8 ; Mc 9,2-8 ; Lc 9,28-36), dans le second extrait, et d’une allusion à Lc 4,30, dans le troisième. Ces extraits censés venir de la correspondance, effectivement très abondante, de Mani 7, lui prêtent des propos qui simplifient de façon outrancière, sur le plan doctrinal, la christologie manichéenne. Aucune distinction n’est faite entre Jésus-Splendeur, Sauveur transcendant, l’Intellect-Lumière, qui est parfois désigné comme son Fils et qui est l’Esprit à l’œuvre tout à la fois dans l’Église et dans le converti, comme son « moi de lumière », et le Jésus historique 8. On est très loin aussi du « Jésus au pays des manichéens » décrit par

4.

5.

6. 7. 8.

Telle qu’elle est présentée par exemple dans l’exposition de la doctrine de Mani faite par le philosophe Alexandre, dont A. Villey, Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani (Introduction, traduction, commentaire), Paris 1985, p. 121-133, a montré la fidélité, au-delà de l’intrusion de concepts platoniciens et aristotéliciens, aux mythes manichéens, en comparant cette partie de la notice doxographique (4-5) à des documents authentiques. Voir aussi H.-C. puech, « Le Prince des Ténèbres en son Royaume », dans Satan, Paris 1948 (Études Carmélitaines), p. 136-174, exposé repris dans iD., Sur le manichéisme et autres essais, Paris 1979, p. 105-149. A. Villey, Alexandre de Lycopolis, p. 175, cite des passages du Psautier copte manichéen qui sont « l’écho des polémiques acerbes que les manichéens soutenaient contre les chrétiens au sujet de l’incarnation » (ainsi Psautier 120,25 : « Ils sont venus vers le Fils de Dieu, ils l’ont jeté dans une matrice immonde »). Titus de Bostra, dans son traité Contre les manichéens, qui manifeste une connaissance sérieuse de la doctrine adverse, donne au livre IV (34-38) les textes évangéliques invoqués contre la réalité de l’incarnation : Lc 24,39 ; Jn 1,14 ; 2,1-11 ; 13,1-17.23-25 ; 20,24-29 ; voir l’introduction de P.-H. poirier dans Titi Bostrensis Contra Manichaeos Libri IV, Textum Graecum librorum I-III, 30A edidit A. roman, adiuvante Th. S. schmiDt, Textum Syriacum ediderunt P.-H. poirier et É. créGheur, Turnhout 2013 (Corpus Christianorum Series Graeca 82), p. lxxxix sqq., et son édition, avec la collaboration d’É. créGheur, du livre IV, conservé seulement en syriaque (dans le même volume). M. tarDieu, « Principes de l’exégèse manichéenne du Nouveau Testament », dans iD. (dir.), Les Règles de l’interprétation, Paris 1987, p. 123-146. Il ne reste de la collection constituée par les successeurs de Mani que de rares traces (voir M. tarDieu, Le Manichéisme, Paris 1981, p. 62-64). A. Villey, Alexandre de Lycopolis, p. 168-177, a expliqué la notice d’Alexandre, Contre la doctrine de Mani 7,14-19, à la lumière des Homélies, du Psautier et des Kephalaia, en tirant parti de l’ouvrage de E. rose, Die manichäische Christologie, Wiesbaden 1979. La figure de l’Intellect-Lumière est très présente dans les Psaumes des errants, au-delà du Psaume 28, hymne en son honneur, de même que l’entité Jésus-Splendeur : voir la traduction commentée d’A. Villey, Psaumes des errants. Écrits manichéens du Fayyûm, Paris 1994.

335

Alain Le Boulluec Jean-Daniel Dubois 9. Une présentation aussi réductrice ne peut émaner du maître lui-même, qui plus est dans une lettre adressée à l’un de ses premiers disciples, qui fut par excellence le « théologien » de l’Église manichéenne 10. La remarque sur le nom « Christ », dans le même extrait supposé, pour évoquer peut-être les dimensions mythiques du personnage dans le manichéisme, loin de la foi chrétienne en la personne historique de Jésus, est aussi déplacée, en tant qu’écho lointain des définitions aristotéliciennes de la « substance », être individuel, et de l’« espèce », ou « substance seconde 11 ». Quant à l’insistance sur « l’unique nature » incarnée, dans la conclusion des trois citations, elle implique une doctrine de l’incarnation qui est tout à fait étrangère au manichéisme et la formulation est manifestement forgée pour servir la polémique anti-monophysite. Notons aussi que l’appellation « Galiléens » pour désigner les chrétiens renvoie plutôt à l’empereur Julien qu’à Mani. Quant au choix de nommer Scythianos l’un des destinataires de la correspondance de Mani, il est plus que suspect. Depuis les Acta Archelai, rédigés en grec vers 340, ce nom désigne dans la polémique anti-manichéenne un riche commerçant, magicien et auteur d’ouvrages dont certains titres sont ceux d’écrits authentiques de Mani, personnage dont l’héritier, Terbinthos (Budda censément en « assyrien »), est luimême celui dont Mani est censé avoir recueilli la fortune et la bibliothèque par l’intermédiaire de la femme qui avait recueilli en Perse ce charlatan et qui avait légué ses biens à son petit esclave Mani 12. Cette fable, qui fait remonter Scythianos aux temps apostoliques, trouve une version plus sobre dans les formules d’abjuration : le document découvert par Marcel Richard dans le Codex Vatopedinus 236, édité par ses soins dans son introduction à son édition des œuvres de Jean de Césarée 13, une formule d’abjuration dont il a

9. J.-D. DuBois, Jésus apocryphe, Paris 2011, p. 199-220. 10. M. tarDieu, « Principes de l’exégèse manichéenne », p. 134. 11. Voir Aristote, Catégories 2 a 11-17 ; 2 b 7-10. Certains n’excluent pas cependant que la doctrine de Mani lui-même ait pu porter des traces de philosophie grecque : A. BieDenKopFziehner, Mani und Aristoteles. Das sechste Kapitel der koptischen Kephalaia. Textanalyse und Interpretation, Wiesbaden 2002, p. 163-269, a tenté de percevoir la transposition de la métaphysique grecque, en particulier aristotélicienne, à propos des deux principes originaires, dans le chapitre 6 des Kephalaia, où sont compilés les enseignements catéchétiques de Mani. 12. Cette fable est rapportée par Hégémonius dans les Acta Archelai 62-63 (version latine éditée par C. Beeson, Leipzig 1906 [Die griechischen christlichen Schriftsteller 16]), paraphrasés par Épiphane dans le Panarion, hérésie 66 (« Contre les Manichéens »), 1,4– 4,4. Elle est commentée par S. N. C. lieu, Manichaeism in the Later Roman Empire and Medieval China. A Historical Survey, Manchester 1988 (19851), p. 71-72. 13. Capita VII contra Manichaeos, dans M. r icharD, Iohannis Caesariensis opera quae supersunt, Turnhout 1977 (Corpus Christianorum Series Graeca 1), p. xxxiii-xxxix. Le même manuscrit a conservé deux Homélies contre les Manichéens de Jean de Césarée, éditées par M. Richard dans ce volume (Iohannis Caesariensis, p. 83-105), et un Entretien

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Mani déguisé en monophysite attribué la compilation avec de bons arguments à Zacharie de Mitylène, fait de Scythianos le « maître » de Mani, à côté de « Boudda » 14. Il devient son disciple dans cette correspondance apocryphe. Sur le plan exégétique, le recours à Lc 4,30 n’est pas non plus conforme à l’usage manichéen : il modifie le récit de Luc, où Jésus échappe, à Nazareth, à ceux qui veulent le précipiter en bas d’un escarpement, en y introduisant le souvenir de Jn 8,59, où Jésus court le risque d’être lapidé, à Jérusalem (« Alors, ils ramassèrent des pierres pour les lancer contre lui, mais Jésus se déroba et sortit du Temple »). Une telle contamination de références est tout à fait contraire à l’exégèse manichéenne, très attentive à la particularité des textes et aux différences entre les récits ou les épisodes rapportés dans les évangiles 15, alors qu’elle est courante chez les Pères les plus orthodoxes 16. Aux critères internes qui dénoncent le travestissement s’ajoutent les circonstances extérieures. La production de tels faux est l’aboutissement ultime du mode de réfutation polémique mis en œuvre dès le iVe siècle contre les plus radicaux des apolinaristes, auxquels sont assimilés plus tard les monophysites. Athanase déjà, dans sa Lettre à Épictète (2) 17, accuse ces hétérodoxes de prétendre que le corps né de Marie est consubstantiel à la divinité du Logos, que le Seigneur a revêtu un corps par convention et non par nature, et fait de Mani leur prédécesseur 18. Or, à côté de textes de Cyrille d’Alexandrie, Justinien, dans le florilège argumenté qui oppose aux allégations des

14.

15. 16. 17. 18.

de Jean l’orthodoxe avec un Manichéen, entretien fictif et superficiel dont l’éditeur, M. auBineau (dans M. r icharD, Iohannis Caesariensis, p. 107-128), refuse la paternité à Jean de Césarée, ces trois textes étant suivis de Syllogismes des saints Pères contre les Manichéens, édités par M. r icharD, Iohannis Caesariensis, p. 129-133. Capita VII,1,29-30. Cette précision est reprise dans la formule longue d’abjuration, éditée par Jean Baptiste Cotelier en 1672 dans les notes de son édition des Recognitiones (édition reprise dans Patrologia Graeca 1,1461C-1472A) ; cette formule est plus tardive, car elle ajoute aux anathèmes contre les manichéens des anathèmes qui visent les Pauliciens. S. N. C. lieu, Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leyde 1994, p. 203-296 a réédité en colonnes parallèles les textes des Capita VII et de la formule longue, précédés d’une introduction historique et suivis d’un commentaire. Il rappelle l’intérêt de ces deux sources pour la connaissance de la doctrine manichéenne. Une traduction allemande annotée de la formule longue se trouve dans A. BöhliG – J. P. asmussen, Gnosis III - Der Manichäismus, Munich 1980, p. 295-301 et p. 349-350. M. tarDieu, « Principes de l’exégèse manichéenne », a mis en lumière ces règles, « qui relèvent de ce que nous appellerions aujourd’hui critique littéraire » (p. 145). Ainsi Grégoire de Nazianze réunit-il en une seule formulation Lc 4,30 et Jn 8,59 : Discours 38,18. A. m artin, Athanase d’Alexandrie et l’Église d’Égypte au ive siècle (328-373), Rome 1996, p. 628-635, a parfaitement défini le contexte historique et doctrinal de la Lettre à Épictète et en a donné une analyse précise. Lettre à Épictète 7. Cette lettre d’Athanase a une riche tradition manuscrite et elle est aussi transmise par Épiphane, qui l’a recopiée dans son Panarion (hérésie 77, « Dimoerites, ou Apolinarites », 3-13).

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Alain Le Boulluec monophysites, successeurs des apolinaristes et de Mani, l’autorité des Pères orthodoxes, donne précisément une place de choix à des citations de la Lettre à Épictète 19. La falsification entre ainsi parfaitement dans la constitution de l’arsenal hérésiologique. De plus, les extraits de la correspondance prêtée à Mani dans la lettre de Justinien aux moines de l’Énaton ont une histoire qui empêche elle aussi de croire à leur authenticité. Cette histoire a été exposée de façon exhaustive par Samuel N. C. Lieu, qui en a tiré des arguments très forts en faveur de la thèse d’une falsification. Il serait vain de reprendre ici sa démonstration, qui commence par un examen des documents qui ont imposé l’étiquette « manichéens » aux monophysites. Il suffit de rappeler que, si Justinien est le premier à citer ces trois extraits, ils réapparaissent régulièrement dans des florilèges et des ouvrages polémiques. On les retrouve, parfois abrégés, chez le théologien Pamphile, peutêtre un moine et prêtre de l’Anastasis à Jérusalem 20, chez Eustathe le Moine, qui écrit au milieu ou dans la seconde moitié du Vie siècle 21, chez Euloge, patriarche d’Alexandrie de 580 à 607 22, chez Nicéphore, patriarche de Constantinople de 806 à 815, défenseur des images 23.

19. Contre les monophysites, p. 24,22-30 ; 26,1-7 : le passage où Athanase accuse les hétérodoxes d’avoir la même opinion que Mani. 20. Pamphili theologi opus (Diversorum capitum seu difficultatum solutio), éd. J. H. DeclercK, dans Diversorum Postchalcedonensium auctorum collactanea, t. I, Turnhout 1989 (Corpus Christianorum Series Graeca 19), p. 1-389 (hypothèses sur l’identité de l’auteur, à la suite de J. A. Junglas et M. Richard : p. 23). Pamphile attribue à Valentin un fragment qui mêle le début de la lettre à Adda à une adaptation de la seconde phrase de la lettre à Scythianos, puis il cite le même extrait que Justinien de la lettre à Scythianos (p. 183). 21. Eustathii Monachi Epistula de duabus naturis, t. II, éd. P. a llen, Turnhout 1989 (Corpus Christianorum Series Graeca 19), p. 391-447. Eustathe cite l’extrait de la lettre à Adda, puis celui de la lettre à Scythianos (Ibid., p. 413). L’opuscule d’Eustathe est transmis par un seul manuscrit, le Vaticanus gr. 2195, qui donne ensuite le Contre les monophysites de Justinien (Ibid., p. 403 et p. 185-208). 22. Dans le troisième des traités d’Euloge cités, résumés ou paraphrasés par Photius dans sa Bibliothèque, traité qui combat « ceux qui ont calomnié nos saints Pères et le synode de Chalcédoine » et qui défend la formule utilisée par Cyrille d’Alexandrie, « la nature unique du Verbe incarnée », comprise de façon erronée par Eutychès, qui rendait l’incarnation fictive, à la manière de Mani (Codex 230, 268a23-269a11). Euloge citait d’abord à peu près le même amalgame que Pamphile, attribué à Valentin, puis l’extrait de la lettre à Scythianos (Codex 230, 273b1-8, dans Photius, Bibliothèque, t. V, Codices 230-241, éd. et trad. par R. henry, Paris 1967, p. 27). 23. Dans son Adversus Eusebium XXI,1, il cite l’extrait de la lettre à Scythianos (J. B. pitra [éd.], Spicilegium Solesmense, vol. 1, Paris 1852, p. 406,1-3), pour fustiger le docétisme dont il accuse ses adversaires, de même que dans son Adversus Epiphanidem XXIX,3, où il précise que « chez d’autres » ce passage est attribué à Valentin, dont il fait le maître de Mani, et où il ajoute l’extrait de la « lettre à Candaros le Saracène » (présent aussi dans l’Adversus Eusebium XLII), puis l’extrait de la lettre à Adda (J. B. pitra [éd.], Spicilegium Solesmense, vol. IV, Paris 1858, p. 378,1-19). Dans les amalgames forgés par Nicéphore, les monophysites ont une place de choix à côté des iconoclastes. Ainsi écrit-il, alors exilé,

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Mani déguisé en monophysite Le florilège de la fin du Viie ou du début du Viiie siècle, Doctrina Patrum de incarnatione Verbi, associe lui aussi Mani et Valentin à Apolinaire et aux monophysites 24. Il exploite le fragment de la lettre à Candaros 25, et cite deux autres textes censés appartenir à la correspondance de Mani, extraits de la « lettre à Zabinas », qui nient la réalité corporelle, matérielle, de l’humanité dans le Christ, afin de préserver la nature unique, la divinité, de tout contact avec la « chair » mortelle et corruptible, réduite à une « ombre » : Unique est la nature simple et impassible de la lumière et unique son activité. Car « la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,5). Elle n’a pas en effet touché la substance de la chair, mais elle a été à l’ombre d’une semblance et d’une forme de chair, sans être dominée par le moyen de la substance de la chair, sans pâtir ni se corrompre, comme si les ténèbres pouvaient corrompre son activité lumineuse. Comment donc a-t-elle pâti, si elle n’était pas dominée par l’ombre et si son activité n’était pas enténébrée ?

Autre extrait de la même lettre : La nature simple ne meurt pas et l’ombre de la chair n’est pas crucifiée. La lumière conservait donc unique sa nature, comme son activité, sans pâtir en rien du fait de l’ombre portée qui ne maintenait pas la nature dominée 26.

dans ses Antirrhétiques, vers 818-820 : « La guerre qui nous incombe aujourd’hui est une guerre où nous transpercerons l’athéisme du Madianite avec l’incrédulité du Juif, entendez la fureur du Manichéen avec le délire de l’Arien […]. Faut-il parler de l’hydre polycéphale des Acéphales ou du confusionnisme eutychien ? Ou encore des principes qui font l’accord des Docètes ? » (Patrologia Graeca 100,208A-209C, traduit et cité par M.-J. BauDinet-monDzain, « Autour de quelques concepts philosophiques de l’iconoclasme et de l’iconodoulie », dans F. BoespFluG – N. lossKy, Nicée II, 787-1987. Douze siècles d’images religieuses, Paris 1987, p. 136). Après le rétablissement du culte des images, Nicéphore apparaît comme l’un des triomphateurs : ainsi une miniature du Psautier Hludov (fol. 51vo), du ixe siècle, le représentet-elle foulant aux pieds, à l’instar de Pierre piétinant Simon le Magicien, l’iconomaque Jean le Grammairien, nouveau Simon, que l’empereur Léon V avait chargé de reconstituer un florilège contre les images et qui devait finir par devenir patriarche de Constantinople en 837 (miniature reproduite dans G. DaGron, Décrire et peindre. Essai sur le portrait iconique, Paris 2007, illustration 19, p. 58). Sur l’histoire de cette nouvelle crise, voir G. DaGron, « Le second iconoclasme et l’établissement de l’orthodoxie », dans J.-M. mayeur – c. pietri – L. pietri – a. Vauchez – m. VénarD (dir.), Histoire du christianisme, t. IV, Évêques, moines et empereurs (610-1054), Paris 1993, p. 135-165. 24. F. DieKamp (éd.), Doctrina Patrum de incarnatione Verbi, édition corrigée et complétée par B. phanourGaKis – E. chrysos, Münster 1981, p. 58,11-15 ; p. 175,21 ; p. 176,2-3. 25. Chapitre 9, XIII, p. 64,10-18 DieKamp. 26. Doctrina Patrum, chapitre 41, XV et XVI (p. 306,11-24 DieKamp).

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Alain Le Boulluec Ce faux lui aussi mêle des allusions à la doctrine manichéenne à des éléments qui mettent le message au service de la polémique contre les monophysites, au point d’annihiler le motif de la libération opérée par la « croix de lumière 27 ». Le fait que le fragment de la lettre à Adda introduit par Justinien est attribué par Pamphile et Euloge à Valentin, et non pas à Mani 28, va aussi dans le sens de la falsification. Samuel N. C. Lieu rappelle un précédent, qui l’incite à penser que le climat théologique à Constantinople a pu être favorable à la production de faux écrits manichéens : Julien d’Éclane s’y était procuré une prétendue lettre de Mani avec laquelle il essaya de prouver qu’Augustin avait sur la concupiscence la même opinion que Mani, à quoi Augustin répliqua qu’il n’avait jamais eu vent de cette lettre auparavant 29. Pauline Allen a remarqué que le Contre les monophysites de Justinien semblait être le premier des écrits polémiques de cette période à avoir introduit le procédé consistant à citer des textes hérétiques, réfutés par des citations des Pères, tactique absente chez Jean de Césarée, Ephrem d’Amid, Léonce de Byzance, alors qu’elle est très présente chez Eustathe le Moine, Léonce de Jérusalem, Pamphile, Euloge d’Alexandrie, selon un modèle suivi aux ViieViiie siècles par la Doctrina Patrum et Anastase le Sinaïte 30. L’empereur et les théologiens qui ont composé pour lui ce genre de florilège polémique n’ont pas manié à l’encontre des textes attribués aux hérétiques, en l’occurrence à Mani, la critique d’authenticité qu’ils ont aiguisée pour dénoncer les faux que les apolinaristes avaient mis sous le nom du pape Jules de Rome ou d’Athanase et qu’alléguaient les hétérodoxes visés par la lettre Contre les monophysites 31. Dans le second cas, la démonstration applique avec rigueur les méthodes de

27. Voir J.-D. DuBois, « La croix de lumière chez les manichéens », dans J.-M. prieur (dir.), La Croix. Représentations théologiques et symboliques, Genève 2004, p. 49-65. 28. Le témoignage de Nicéphore montre que l’hésitation entre les deux hérésiarques était inhérente à la circulation du dossier et à son usage. Les extraits des quatre lettres attribuées ainsi à Mani ont été traduits en anglais par Samuel N. C. lieu dans I. GarDner – S. N. C. lieu, Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge 2004, p. 174-175. 29. Augustin, Contra secundam Iuliani responsionem imperfectum opus III,166 et 172 ; Patrologia Latina 45, 1316 et 1318. I. GarDner – S. N. C. lieu, Manichaean Texts from the Roman Empire, p. 172-174, rappellent que l’authenticité de cette Lettre à Ménoch est très controversée. M. stein, Manichaica Latina, Band 1, Epistula ad Menoch, Wiesbaden 1998, p. 28-39, a montré que l’épître est originellement écrite en latin, que l’auteur utilise la version latine des lettres de Paul et que son intérêt pour le baptême des enfants est étranger à Mani. L’authenticité est défendue par G. h arrison et J. BeDuhn, « The Authenticity and Doctrine of (Ps?) Mani’s Letter to Menoch », dans P. mirecKi et J. BeDuhn (éd.), The Light and the Darkness: Studies in Manichaeism and Its World, Leyde-Boston 2001, p. 128-172. 30. Eustathii Monachi Epistula, p. 400-401 a llen. 31. Justinien, Contra Monophysitas, p. 18 schWartz.

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Mani déguisé en monophysite l’enquête historique et de l’analyse des textes 32. Les deux attitudes ne sont pas contradictoires, dans leur symétrie, si l’on s’en tient à la visée polémique. On s’ingénie d’une part à retirer aux « ennemis de la vérité » l’autorité d’un évêque de Rome et du paradigme de l’orthodoxie, Athanase, en dévoilant l’œuvre de faussaires ; on révèle d’autre part la connivence des doctrines combattues avec les opinions du parangon des hérétiques, Mani. C’est l’efficacité du procédé qui compte. C’est elle aussi qui, aujourd’hui, peut surprendre, si l’on ne tient pas compte du fait qu’il s’adresse à un public pour lequel la doctrine manichéenne se réduit à des blasphèmes indéfiniment dénoncés. Mani repoussoir dans l’Hodègos d’Anastase le Sinaïte La référence à Mani est présente encore dans l’ouvrage achevé par Anastase le Sinaïte à la fin du Viie siècle, le Guide, où la visée anti-monophysite tient une place importante 33. Le dossier de la fausse correspondance de Mani, cependant, n’y est pas exploité. Mani y apparaît dans la longue histoire des assauts menés par le diable contre les hommes pour les égarer 34. Même après la venue du Fils de Dieu, le Mauvais n’a pas cessé de comploter, au moyen de ses instruments humains. Simon le Mage de Samarie voulut se faire passer pour Jésus auprès des Romains au temps de Pierre, puis vinrent Cérinthe, Nicolas et Marcion. Leur disparition ne mit pas fin à la guerre contre l’Église : le diable suscita les persécutions. Alors le serpent multiforme inventa une troisième sorte de tromperie. Ayant entendu le Seigneur dire dans les Évangiles : « Quand je retournerai au Père, je lui ferai une demande et il vous enverra un autre Paraclet » (cf. Jn 14,12.16.26 ; 16,10.17.28), il suggéra à certains magiciens et charlatans de dire : Je suis le Paraclet que le Christ a promis d’envoyer au monde. Parmi eux il y avait Manès, le chef des Manichéens, et Montan, du village d’Ardabau, et d’autres encore.

L’association à Montan, depuis longtemps fustigé comme le tenant d’une fausse prophétie prétendument inspirée par le Paraclet, reflète de très loin un épisode du mythe manichéen, l’envoi de l’Esprit vivant par le Père de la grandeur après la prière de l’Homme primordial 35. Anastase passe alors à l’époque ultérieure, où le diable, devant le renforcement et la diffusion de la

32. Cette chasse aux « pseudépigraphes » (Contra Monophysitas, p. 18,17) anime d’autres développements de Justinien. Je me permets de renvoyer à A. le Boulluec, « L’historiographie dans les écrits théologiques de l’empereur Justinien », dans B. pouDeron – Y.-M. DuVal, L’Historiographie de l’Église des premiers siècles, Paris 2001, p. 511-529. 33. Anastasii Sinaïtae Viae Dux, éd. par K.-H. uthemann, Turnhout 1981 (Corpus Christianorum Series Graeca 8) (avec un index complet des noms propres). 34. Viae Dux IV,81-89. Voir aussi XV,10 (« les nouveaux disciples de Manès ») ; XXIII,3,14-15. 35. D’après la version du mythe transmise par Théodore bar Konai, présentée par M. tarDieu, Le Manichéisme, p. 96. Voir aussi S. N. C. lieu, Manichaeism in Mesopotamia, p. 258.

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Alain Le Boulluec prédication du Christ, sema d’autres graines de discorde : Arius, Apolinaire, Eunome, Macédonios le pneumatomaque, Nestorius 36. Quant à l’hérésie des monophysites, elle est censée avoir germé chez Eutychès à la lecture de livres manichéens 37, valentiniens et ariens, qui lui apprirent à professer la « représentation » (φαντασία) et l’« apparence » (δόκησις), et « l’unique nature de la divinité et de l’humanité du Christ 38 ». L’une des objections qu’Anastase oppose aux monophysites est la suivante : Si le Christ est une nature unique, il faut qu’il soit à moitié Dieu (ἡμιγενὴς θεός) et à moitié homme (ἡμιγενὴς ἄνθρωπος), comme l’enseignent les mythes manichéens 39.

L’accusation se fait plus précise au chapitre XIII : S’il y a seulement la divinité dans le Christ, pourquoi reprocher aux manichéens de dire : La chair du Christ consistait en une ombre, une apparence et une représentation, et en remontant il déposa dans le soleil le corps ombreux dont il était revêtu en représentation. Disciple authentique de ces gens-là, je veux dire des manichéens, le vénérable Timothée marche sur le même chemin d’erreur qu’eux et les y accompagne, en prétendant que « la nature du Christ est la divinité seule, même si elle est incarnée » 40.

Le thème du dépôt du « corps ombreux » dans le soleil est éclairé par un développement où Anastase, après avoir raillé l’argument de Sévère d’Antioche, selon lequel les Pères auraient parlé de deux natures dans le cadre de la réfutation des ariens, manie l’ironie contre les monophysites : Peut-être est-ce pour avoir vu Nestorius que la chair toute sainte du Christ unie à lui selon l’hypostase s’est séparée et a fui loin de Dieu le Logos, selon l’enseignement de Manès. Car il dit, celui-là : « Dieu le Logos a déposé la tente de sa chair dans le soleil, lorsqu’il était emporté vers le haut des cieux 41. »

Ce propos sur le sort de la chair du Christ est une amplification de Ps 18,5c LXX : l’image de la « tente » 42 est appliquée au corps du Christ dès le iie siècle, selon des interprétations diverses, comme en témoigne Clément d’Alexandrie dans les Églogues prophétiques, où il commence par mentionner celle d’Hermogène, pour qui les mots du Psaume signifient que le corps du Christ

36. 37. 38. 39. 40.

Qualifié de ἰουδαιόφρων et de χαλδαῖος en IV,142. VI,1,7. VI,1,9-11. X,5,30-32. XIII,2,42-49. Anastase cite la formule de Timothée Aelure introduite par Justinien dans son traité adressé aux moines de l’Énaton, Contra Monophysitas 101, p. 25,1 schWartz. 41. VI,1,74-80. 42. Passage de σκήνωμα, « tente », à σκεῦος, « vase », employé métaphoriquement par Paul (1 Co 4,7) pour désigner le corps.

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Mani déguisé en monophysite est déposé dans le soleil, avant de développer une exégèse qu’il doit à son maître Pantène et qui voit dans la « tente » l’ensemble des justes sur lesquels le Seigneur trouvera le repos à la fin de l’âge présent, et aussi l’unité originelle des « anges protoctistes » dans la contemplation de Dieu 43. Le propos prêté ici à Mani par Anastase paraît résulter d’une assimilation polémique à l’allégorie de l’hérétique Hermogène d’une simplification du rôle attribué par le mythe manichéen au soleil, où a pris place le Messager, dans le filtrage des particules de lumière 44, et de confusions multiples entre les diverses figures du panthéon manichéen. Plus directement, l’allégation d’Anastase dépend d’un motif de la controverse utilisé déjà par Grégoire de Nazianze contre le docétisme : Si quelqu’un vient à dire que le Christ a maintenant quitté sa chair sacrée, que sa divinité est dépouillée de son corps, qu’il est et qu’il viendra sans ce qu’il a assumé, que celui-là ne voie pas la gloire de son avènement ! Où est donc maintenant ce corps, sinon avec celui qui l’a assumé ? Car il n’a évidemment pas pris place dans le soleil, comme les Manichéens le croient dans leur délire en voulant l’honorer par ce déshonneur 45.

Anastase répète ailleurs l’amalgame entre monophysisme et docétisme manichéen. Le plus long développement commence ainsi : À mon avis, tous ceux qui rejettent et nient la nature et la réalité de la nature du corps du Christ et ses propriétés depuis cette souillure de Manès jusqu’à présent se détournent d’elles et les fuient pour la seule raison qu’ils sont tout entiers complètement putréfiés par l’inflammation, la grossièreté, la convoitise et la luxure de la débauche […].

Après avoir détaillé la manière dont tous ces hérétiques sont censés avoir tiré leur doctrine du dégoût du corps que leur propre dépravation leur aurait inculqué, Anastase introduit une autre déclaration qu’il attribue à Mani : Souillé de la fange d’une telle disposition et brûlant d’une telle passion charnelle, Valentin, apparu après les temps apostoliques, fut le premier à proclamer que le Christ n’avait pas assumé une chair comme la nôtre. Ensuite, endossant son impureté charnelle, Manès l’impie prétendait que le corps visible du Christ ne l’était qu’en ombre et en apparence, et non par nature. Aussi énonçait-il

43. Clément, Églogues prophétiques 56-57. Voir les éclaircissements de M. camBe, Avenir solaire et angélique des justes : le psaume 19 (18) commenté par Clément d’Alexandrie, Strasbourg 2009 (Cahiers de la Biblia patristica 10). 44. Processus décrit par Alexandre de Lycopolis (Contre la doctrine de Mani 6,22-7,6) et attesté par les sources proprement manichéennes exploitées par André Villey dans son commentaire (p. 148-158). Voir aussi S. N. C. lieu, Manicheism in Mesopotamia, p. 261 et 287. 45. Lettre 101,25-26 (Grégoire de Nazianze, Lettres théologiques, Introduction, texte critique, traduction et notes par P. Gallay, avec la collaboration de M. JourJon, Paris 1974 [Sources chrétiennes 208], p. 47). Karl-Heinz uthemann signale ce passage de Grégoire dans son apparat des sources dans Anastasii Sinaïtae Viae Dux, ad loc.

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Alain Le Boulluec l’opinion que notre chair n’était pas une création de Dieu mais une création du diable. « C’est pourquoi, dit-il, elle est ainsi enflammée par le démon qui l’a créée et elle est en proie à la guerre ; car le bien, dit-il, n’habite pas dans notre chair (cf. Rm 7,18) ; aussi “la chair désire-t-elle contre l’esprit, et l’esprit contre la chair”, et “la pensée de la chair se fait l’ennemie de Dieu” (Rm 8,7), et encore : “Qui me délivrera de ce corps de mort ?” (Rm 7,24). “Car la chair et le sang n’hériteront pas du royaume de Dieu” (1 Co 15,50) et “Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu” (Rm 8,8) 46. »

Ce sont de tels propos que, selon Anastase, ont dû trouver dans les livres de Valentin et de Mani, Eutychès et Dioscore, puis Timothée et Sévère, et surtout Julien d’Halicarnasse, et qui les ont ensorcelés 47. On voit comment un mobile ignoble dénature l’ascèse manichéenne, qui pouvait se réclamer de certaines formulations pauliniennes, rassemblées ici comme en un florilège démonstratif dans des paroles censées avoir été prononcées par Mani. Il est en effet avéré que les manichéens s’appuyaient au moins sur l’autorité de 1 Co 15,50, d’après Épiphane, les Acta Archelai et Augustin 48. Un autre reproche est fait à Sévère, aggravé lui aussi par l’amalgame avec une pratique manichéenne : l’adversaire est accusé de malmener les témoignages tirés des « Pères » de la même façon que les manichéens traitent les Écritures : Sévère s’est fait le bon disciple des maîtres des Juifs, des Hellènes et des Arabes en recevant une partie des Écritures et en rejetant l’autre, comme le font aussi les Manichéens 49.

Ce grief est fréquent dans le Guide, sous une forme plus large, étendue à la manière d’interpréter les textes et, ce faisant, de les falsifier. La polémique se sert d’un autre repoussoir, qui se trouve ainsi associé implicitement à Mani, dans le chapitre même où « l’hérésie des Monophysites » est présentée comme issue de la lecture de livres des manichéens (ainsi que des valentiniens et des Ariens) et immédiatement après l’exégèse de Ps 18,5c prêtée à Mani : il s’agit d’Aquila et de sa traduction de la Bible. Sévère est accusé d’avoir usé contre le défenseur de Chalcédoine Jean de Césarée, dans son interprétation des textes des « Pères », d’un procédé de falsification comparable à celui d’Aquila, coupable d’avoir travesti l’Écriture ancienne pour supprimer les témoignages sur

46. Viae Dux XIV,2,36-50 ; cf. XIV,2,65-95 (contre les Gaianites, qu’Anastase dit avoir rencontrés à Alexandrie et ailleurs, accusés de nier que le corps du Christ soit de la même substance que le nôtre, au nom d’un mépris pour le corps semblable à celui des Manichéens). En XIII,4,90 Anastase assimile encore la pensée de l’adversaire au docétisme manichéen. 47. XIII,2,51-64. 48. Épiphane, Panarion, hérésie 66 (« Contre les Manichéens »), 87,1 ; Acta Archelai XLV,4, p. 66,9 Beeson ; Augustin, Contra Faustum XVI,29. 49. Viae Dux VII,2,120.

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Mani déguisé en monophysite le Christ. Il s’est fait en quelque sorte le disciple d’Aquila, et il a composé son livre dénommé Philalèthe (Ami de la vérité) ou plutôt, écrit Anastase, « Ami du mythe », « comme ce qui est appelé chez les Hébreux la “Seconde édition (δευτέρωσιν)”, qui implique le rejet de l’édition correcte des soixante-dix traducteurs et la destruction de la loi divine 50 ». La législation impériale, depuis la Novelle 146 de Justinien, autorise « les Hébreux à lire dans les synagogues les textes sacrés en grec, en latin ou en toute autre langue, pourvu qu’elle ne soit pas différente de celle qu’on parle en leur lieu », afin que les auditeurs comprennent et que, sans doute, soit évitée toute tentative de dissimulation subversive entre initiés. Le texte recommandé est la version des Septante, dont la qualité est assurée aux yeux du législateur par la tradition selon laquelle ses auteurs, pourtant séparés, par paires, se sont accordés sur le sens, et par la façon miraculeuse dont ils ont prédit les événements de la venue du Christ. La lecture de la version d’Aquila est cependant permise, « quoiqu’elle ne concorde pas en quelques points avec la version des Septante ». Mais le décret ajoute : Mais nous prohibons absolument l’usage de ce que les Hébreux appellent la « Seconde édition », car elle ne fait pas partie des livres sacrés ; elle ne nous est pas transmise par les prophètes, et elle est pure fiction inventée par des hommes qui ne parlaient que de choses terrestres, et qui n’avaient en eux rien de divin […] 51.

Anastase est enclin au contraire à mettre sur le même plan la version d’Aquila et la δευτέρωσις, la « seconde tradition » (plutôt que « seconde édition »), c’està-dire la mishna 52, pour condamner plus violemment l’ouvrage de Sévère. Le manichéisme sert encore de repoussoir dans une autre mise en garde contre les manipulations que les hérétiques sont accusés de faire subir aux « livres des docteurs » 53 : Seule la divinité est inengendrée, ou incréée. Or, voici ce que nous trouvons chez le saint Denys, au chapitre intitulé Du grand et du petit, qui, à propos de la divinité, dit ceci : « Ne diminuant pas, inengendrée, non en ce sens qu’elle ne serait pas encore engendrée ou qu’elle serait inachevée, ou qu’elle ne serait pas engendrée par ceci ou en tant que ceci, ni en ce sens qu’elle n’existerait d’aucune façon ni jamais, mais en ce sens qu’elle est inengendrée au-dessus de tout ». En disant « inengendrée au-dessus de tout » il a signifié qu’il y a beaucoup d’inengendrés, ou d’incréés. Mais comment est-ce possible ? Nul n’est

50. Viae Dux VI,1,81-85 ; cf. VI,1,93-100 ; X,2,7,36 (Sévère est « comme un nouvel Aquila »). 51. Corps de droit civil romain en latin et français. Les Novelles de l’Empereur Justinien, traduites par M. BérenGer fils, Metz 1810 (réimpression : Aalen 1979), p. 304-305. 52. A. M. r aBello, « A Tribute to Jean Juster », Israel Law Review 11 (1976), p. 2, étude reprise dans iD., The Jews in the Roman Empire. Legal Problems, from Herod to Justinian, Aldershot 2000 (Variorum Collected Studies Series 645, étude XV, avec bibliographie sur la Novelle 146 et addenda). 53. Viae Dux XXII,3,25.

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Alain Le Boulluec inengendré, sinon Dieu seul. C’est quelque Manichéen qui m’a faussé cette citation, pour montrer que les anges, l’âme et les eaux sont incréés, c’est-àdire inengendrés 54.

Il faut traduire ici littéralement ὑπὲρ πᾶν ἀγένητον : « inengendrée au-dessus de tout », pour qu’il y ait matière à controverse, et non pas « inengendrée absolument 55 ». Une référence à un autre passage de l’Aréopagite suit immédiatement, au sujet d’un emploi délicat de οὐσία 56. La solution des deux difficultés est trouvée dans une scholie à Denys l’Aréopagite attribuée à Denys d’Alexandrie 57 : La philosophie du dehors appelle « inengendré » tout être de nature invisible, de même qu’elle appelle « essences » les « hypostases ». Il en résulte que le saint Denys, à la mode des gens du dehors, emploie de tels mots par catachrèse 58.

L’expression d’Anastase, ταύτην τὴν χρῆσιν παρήγαγέ μοι Μανιχαῖός τις, ne signifie pas qu’il a rencontré un Manichéen qui lui aurait opposé cette interprétation des mots du « saint Denys ». Il veut plutôt dire qu’une telle explication serait digne d’un tenant de la doctrine manichéenne. Son propos

54. XXII,3,26-36. 55. Ce qui est le sens chez Denys (Maurice de Gandillac traduit, ou glose, ainsi : « mais bien parce qu’elle échappe totalement et absolument à la catégorie même de l’engendrement »). 56. Hiérarchie céleste (Patrologia Graeca 3,196 B-C), où le terme « essence » est employé au pluriel pour désigner « les puissances supérieures », alors que l’Église affirme que les anges sont « une seule essence » (XXII,3,37-39). 57. Karl-Heinz uthemann a rassemblé les hypothèses concernant l’origine de cette scholie (dans Anastasii Sinaïtae Viae Dux, p. 298). Elle se retrouve dans les manuscrits les plus récents des Scholies du Pseudo-Maxime (Patrologia Graeca 4,60 C5-D1), où le texte attribué à l’Alexandrin est présenté comme la réponse à une question qui est la mise en forme interrogative de la référence faite dans l’intervalle par le Viae Dux au passage de la Hiérarchie céleste (Patrologia Graeca 3,196 B-C) de l’Aréopagite (XXII,3,37-39). On voit que la « scholie » attribuée à Denys d’Alexandrie sert à résoudre les deux difficultés terminologiques (emplois de « inengendré » et de « essence »). W. A. Bienert, Dionysius von Alexandrien. Zur Frage des Origenismus im dritten Jahrhundert, Berlin-New York 1978, p. 33-38, a montré combien il est difficile de tirer parti du témoignage des chaînes exégétiques, parfois mis à contribution, pour juger de l’authenticité de ce fragment. Son contenu même paraît étranger aux débats doctrinaux du iiie siècle, abstraction faite de son introduction comme « scholie » à l’Aréopagite. On connaît par ailleurs une lettre à Xyste, l’évêque de Rome correspondant de Denys d’Alexandrie, forgée par Georges de Scythopolis, prêtre de la grande Église de Constantinople, postérieur à Jean de Scythopolis, pour asseoir l’authenticité du corpus dionysien ; son texte est conservé en syriaque par Phocas (Viiie siècle), qui a fait précéder la traduction des écrits de Denys l’Aréopagite par Serge de Reschaina des préfaces de Jean et Georges de Scythopolis (voir M. Van esBroecK, « La triple préface syriaque de Phocas », dans Y. De a nDia [dir.], Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident. Actes du Colloque International, Paris, 21-24 septembre 1994, Paris 1997, p. 167-186 [p. 176]). 58. Viae Dux XXII,3,42-46.

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Mani déguisé en monophysite est toujours en effet de redresser le sens des termes utilisés par les « Pères » en écartant ce qu’il considère comme des travestissements hérétiques. Il tire des remarques sur le passage dionysien cette leçon : « Il ne faut donc pas interpréter au hasard ni comme bon nous semble les mots des saints Pères, comme le font certains aujourd’hui 59. » Quant à la mention des « anges, de l’âme et des eaux », qui seraient « inengendrés », c’est une déformation de la doctrine manichéenne selon laquelle tous les êtres détiennent des parcelles de la lumière transcendante 60. En conclusion, on peut faire deux constats en apparence contradictoires : d’une part, au Vie siècle, la persistance du manichéisme dans l’Empire d’Orient est attestée tant par la brutalité de la répression politique et l’existence de débats publics, comme celui qui eut lieu, sur ordre impérial, entre un manichéen nommé Photeinos et un chrétien appelé Paul le Perse 61, que par la connaissance des doctrines manichéennes manifestée par le néoplatonicien Simplicius dans son commentaire de l’Enchiridion d’Épictète 62, et même par les formules chré-

59. Viae Dux XXII,3,23-25 ; cf. XXII,3,64-70, après un exemple supplémentaire fourni par les interprétations que donnent les Origénistes de formulations de Basile de Césarée et de Grégoire de Nysse en faveur de leurs doctrines de la préexistence des âmes et de l’apocatastase. Le contraste avec le caractère savant et précis de la critique des Origénistes (en particulier dans la scholie qu’Anastase a ajoutée dans la dernière étape de la composition) confirme que la mention d’une exégèse manichéenne du passage du pseudo-Denys est pure invention, pour les besoins de la polémique contre des doctrines reposant sur le sens des mots. Dans le recueil des Questions et réponses, Anastase a aussi des pointes anti-manichéennes, cette fois pour protester contre l’idée que Dieu aurait déterminé à l’avance la limite de la vie de chacun (Anastasii Sinaïticae Quaestiones et responsiones, éd. par M. r icharD – J. A. munitiz, Turnhout 2006 [Corpus Christianorum Series Graeca 59], Quaestiones 16,3 et 28,12 ; traduction anglaise, avec introduction et notes par J. A. munitiz, Anastasios of Sinaï, Questions and Answers, Turnhout 2011 [Corpus Christianorum in translation 7]). 60. Titus de Bostra en donne une idée moins fausse quand il traite de la présence de l’âme même dans les pierres, les quadrupèdes et les volatiles : Contre les Manichéens II,60-62 (Titi Bostrensis Contra Manichaeos Libri IV) ; voir la traduction d’A. roman – T. S. schmiDt – P.-H. poirier, Turnhout 2015 (Corpus Christianorum in translation 21), p. 278-280. On sait par ailleurs quelle place tient dans la liturgie et la sotériologie manichéenne le filtrage de la lumière. Ainsi « la célébration annuelle de la fête du Bêma […] est au cœur de la machine à distiller la lumière, au centre du processus macro- et microcosmique à procurer le salut », selon les termes de J.-D. DuBois, « Microcosme et macrocosme dans le psaume manichéen du Bêma 241 », dans P. GiGnoux (dir.), Ressembler au monde : Nouveaux documents sur la théorie du macro-microcosme dans l’antiquité orientale, Turnhout 1999, p. 79-93 (p. 93). 61. Disputatio cum Manichaeo, dans A. m ai (éd.), Scriptorum ueterum nova collectio e uaticanis codicibus collecta, Rome 1838 (= Patrologia Graeca 88,529-552) et Photini Manichaei propositio cum Pauli Persae responsione, dans A. m ai (éd.), Scriptorum ueterum (= Patrologia Graeca 88,552-557). Voir M. r icharD, Iohannis Caesariensis opera, p. xxxix-xli. 62. S. N. C. lieu, Manichaeism in Mesopotamia, p. 125-127, retient le développement où Simplicius critique la cosmogonie manichéenne en commentant Épictète, Manuel 27 (voir I. h aDot, « Die Wiederlegung des Manichäismus im Epiktetkommentar des Simplikios »,

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Alain Le Boulluec tiennes d’abjuration. D’autre part, le recours à des faux et l’altération réductrice effacent la réalité du conflit. Cependant, au Vie siècle et encore au Viie, avant que les manichéens ne soient assimilés aux Pauliciens, la polémique dont témoignent les textes parcourus ici ne les vise pas eux-mêmes. Ils ne servent que d’étiquette infamante pour les monophysites et d’épouvantail pour les fidèles ; les pourfendeurs peuvent alors préférer instrumentaliser une erreur dénoncée et sommairement définie depuis des siècles, plutôt que d’entrer dans une controverse sérieuse, étayée par des comparaisons approfondies, dont l’efficacité persuasive ne serait pas assurée. Aussi serait-il plus exact de parler ici de « monophysites déguisés en manichéens ». C’est le déguisement qui compte, avec sa fonction caricaturale et l’ambiguïté de son pouvoir d’illusion ; il offre à la vindicte publique ceux qui sont ainsi revêtus d’oripeaux compromettants, et non plus directement les prétendus modèles.

Archiv für Geschichte der Philosophie 51 [1969], p. 31-57, et eaD., Simplicius. Commentaire sur le Manuel d’Épictète, Leyde 1995, p. 114-144), parmi les documents prouvant qu’on pouvait encore trouver au Vie siècle des informations sérieuses sur le manichéisme.

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LA COLONNE DE LUMIÈRE, UNE NOTION MANICHÉENNE DANS L’ISMAÉLISME ṬAYYIBITE Daniel De smet CNRS, Laboratoire d’études sur les monothéismes (UMR 8584) [email protected]

La colonne de lumière (‘amūd min nūr ou ‘amūd al-nūr) est une notion non-coranique 1 qui apparaît dans un ensemble de traditions attribuées aux premiers imams chiites, en particulier le 6e imam Ǧa‘far al-Ṣādiq (m. 148/765). Toutefois, le chiisme duodécimain et l’ismaélisme de tendance carmathe et fatimide, dont la théologie s’inspire largement des enseignements des premiers imams, ne semblent pas avoir intégré cette notion dans leurs systèmes respectifs. Il en est tout autre de l’ismaélisme ṭayyibite, qui se développa à partir du xiie siècle au Yémen. La colonne de lumière y devient un thème central à la fois en cosmologie, en imamologie et en eschatologie. Plusieurs chercheurs ont relevé des parallélismes frappants entre la doctrine ṭayyibite et le manichéisme et ont mis la colonne de lumière en rapport avec la colonne de gloire manichéenne.

1.

Si le mot ‘amūd n’est pas attesté dans le Coran, son pluriel ‘amad y apparaît à trois reprises : S. 13:2 : « Dieu est celui qui a élevé les cieux sans colonnes visibles. Il s’est ensuite assis en majesté sur le Trône. Il a soumis le soleil et la lune […] » ; S. 31:10 (reprend le début de 13:2) ; S. 104:6-9 : « C’est le Feu de Dieu allumé qui dévore jusqu’aux entrailles. Il se refermera sur eux en longues colonnes » (toutes les traductions de versets coraniques sont de Denise Masson). Nous retrouverons la combinaison Dieu – Trône – colonne invisible – soleil – lune – feu de l’enfer dans les textes chiites relatifs à la colonne de lumière que nous allons examiner. Dès lors, compte tenu des conclusions que je tirerai de ma recherche, on pourrait éventuellement inclure ces versets parmi les réminiscences manichéennes dont le Coran est émaillé.

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Daniel De Smet Après une brève partie introductive consacrée à l’imamisme ancien 2, j’examinerai en détail les sources ṭayyibites afin de cerner avec précision la fonction de cette colonne de lumière. Dans une dernière partie, je tenterai de mettre en évidence les similitudes et les différences avec la colonne de gloire manichéenne. Cet article est issu d’une réflexion menée dans le cadre du projet « Les sources de l’islam chiite » que Jean-Daniel Dubois a co-dirigé (avec Mohammad Ali Amir-Moezzi et moi-même) en 2013-2014 au sein du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (EPHE-CNRS). C’est avec joie que je lui dédie les pages qui vont suivre, en souvenir de notre fructueuse collaboration. La colonne de lumière selon l’imamisme ancien Les sources imamites anciennes transmettent une série de traditions selon lesquelles l’imam est relié à Dieu par une colonne de lumière 3. Cette colonne semble avoir deux fonctions distinctes, mais complémentaires. En premier lieu, elle apparaît dans le contexte de la naissance miraculeuse des imams, décrite par de nombreuses traditions 4. Au moment de la naissance d’un imam, une colonne de lumière est érigée, reliant directement Dieu ou son Trône au nouveau-né. Sorte de cordon ombilical qui demeurera en place durant toute sa vie, cette colonne de lumière – invisible aux yeux des profanes – infuse dans l’âme de l’imam la connaissance de toutes choses. Ǧa‘far al-Ṣādiq aurait dit à ce sujet : « Lorsqu’il [l’imam] apparaît sur terre, [Dieu] lui élève une colonne de lumière par laquelle il voit les actions des hommes 5 ». La lumière transmise par la colonne confère ainsi à l’imam sa science surnaturelle.

2. 3.

4.

5.

350

J’entends par « imamisme ancien » le précurseur du chiisme duodécimain, qui ne se constitue qu’après l’occultation définitive du 12e imam en 329/941. Ces traditions (une cinquantaine) ont été recensées et commentées par M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin dans le shî’isme originel. Aux sources de l’ésotérisme en islam, Lagrasse 1992, p. 42, p. 103 et p. 151-153. Les ouvrages les plus anciens qui les transmettent sont antérieurs à l’occultation du 12e imam. Il s’agit en particulier des Baṣā’ir al-daraǧāt d’alṢaffār al-Qummī (m. 290/903) et des Uṣūl min al-kāf ī d’al-Kulaynī (m. 329/940). Sur la naissance miraculeuse des imams selon l’imamisme, voir M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin, p. 145-154 ; pour le dossier ismaélien, voir D. De smet, « La naissance miraculeuse de l’imam ismaélien : nourritures célestes et corps camphré », Acta Orientalia Belgica 28 (2015), p. 323-333. Al-Mas‘ūdī, Iṯbāt al-waṣiyya, Najaf 1955, p. 176 (cet ouvrage a été faussement attribué au célèbre auteur des Prairies d’or). Pour d’autres traditions analogues, voir M. A. amir-moezzi, Le Guide divin, p. 42, p. 151-152 ; U. ruBin, « Pre-existence and light. Aspects of the concept of Nūr Muḥammad », Israel Oriental Studies 5 (1975), p. 66.

Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite Cependant, cette colonne n’est pas le privilège des seuls imams chiites. Une colonne de lumière apparut également lors de la naissance de Seth (l’imam d’Adam) et du prophète Abraham 6. Selon une tradition rapportée par le PseudoMas‘ūdī, lorsque Dieu voulut faire apparaître le Prophète Muḥammad, Il puisa une goutte d’eau d’en-dessous de son Trône, la fit descendre et la déposa sur un des fruits de la terre. Le père du Prophète consomma ce fruit avant de s’unir à son épouse Āmina, qui devint enceinte. Après quarante jours, on entendit un son dans son ventre ; au bout de quatre mois fut écrit sur l’épaule du fœtus le verset coranique : « La parole de ton Seigneur s’est accomplie en toute vérité et justice. Nul ne peut modifier ses Paroles. Il est celui qui entend et qui sait » (S. 6:115). Au moment de sa naissance, une colonne de lumière fut érigée pour lui, par laquelle il voyait toutes les actions des hommes 7. Par ailleurs – et c’est sa seconde fonction principale – la colonne de lumière sert de canal pour la transmission de la « lumière muḥammadienne » (nūr muḥammadī) dans une lignée ininterrompue de prophètes et d’imams. L’imamisme ancien véhicule en effet tout un ensemble de traditions qui font état de la préexistence du Prophète Muḥammad et des « gens de sa maison » (ahl al-bayt) : ‘Alī, Fāṭima, al-Ḥasan et al-Ḥusayn. Avant même la création du monde, Dieu les aurait créés comme des apparences lumineuses (ašbāḥ) dont la lumière s’infuse, de cycle en cycle, dans les corps humains des prophètes et des imams. Ainsi, Muḥammad aurait déclaré un jour : Nous étions des silhouettes de lumière, jusqu’à ce que Dieu voulût créer nos formes ; Il nous transforma en une colonne de lumière et nous jeta dans les lombes d’Adam ; puis, Il nous fit transmettre à travers les lombes des pères et les matrices des mères sans que nous soyons touchés par la souillure de l’associationnisme ni par aucun adultère dû à l’infidélité ; et lorsqu’Il nous fit parvenir dans les lombes de ‘Abd al-Muṭṭalib [grand père commun du Prophète et de ‘Alī], Il divisa la lumière en deux et déposa une moitié dans les lombes de ‘Abd Allāh [le père du Prophète] et l’autre moitié dans ceux d’Abū Ṭālib [l’oncle du Prophète et le père de ‘Alī] ; Āmina [la mère du Prophète] reçut en son sein la moitié qui me revenait et me mit au monde ; de même, Fāṭima, fille d’Asad [la mère de ‘Alī] reçut en son sein la moitié qui revenait à ‘Alī et le mit au monde. Dieu fit revenir ensuite vers moi la colonne [de lumière] et j’engendrai Fāṭima ; de même, Il la fit revenir vers ‘Alī et il engendra al-Ḥasan et al-Ḥusayn […] Ainsi cette lumière se transmettra d’imam à imam jusqu’au Jour de la Résurrection 8.

6. 7. 8.

Al-Mas‘ūdī, Iṯbāt, p. 91, p. 93 ; cf. U. ruBin, « Pre-existence », p. 93-94. Al-Mas‘ūdī, Iṯbāt, p. 109-110 ; cf. U. ruBin, « Pre-existence », p. 111. Comme nous le verrons plus loin, le thème de l’eau céleste qui asperge la nourriture et les boissons du père d’un imam, prendra une ampleur considérable dans la doctrine ṭayyibite. Ibn Bābūya, ‘Ilal al-šarā’i‘ wa-l-aḥkām, Najaf 1966, p. 208-209, trad. A. M. a mir-moezzi, Le Guide divin, p. 103 ; iD., La Religion discrète. Croyances et pratiques spirituelles dans l’islam shi’ite, Paris 2006, p. 127 ; U. ruBin, « Pre-existence », p. 110. Notons que les

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Daniel De Smet Ces traditions relatives à la colonne de lumière, bien qu’elles aient été reprises par des recueils plus tardifs, n’ont pas donné lieu à une élaboration théorique dans le chiisme duodécimain 9. Probablement suspectées d’« exagération » (ġuluww) – et donc d’hérésie – par les docteurs duodécimains, dont la théologie se rapprochait du sunnisme et du mu‘tazilisme, elles n’ont pas été exploitées par eux. L’idée que la lumière divine s’infuse par l’intermédiaire de cette colonne dans le corps et l’esprit des prophètes et des imams, qui deviennent ainsi des « guides divins », ne pouvait que heurter les susceptibilités d’un chiisme qui voulait se conformer aux normes généralement admises en islam. Par ailleurs, les auteurs ismaéliens de tendance carmathe et fatimide, qui d’habitude sont beaucoup plus éloignés de ces normes que leurs collègues duodécimains, semblent eux-aussi ignorer la colonne de lumière. Plusieurs raisons pourraient expliquer ce silence. Bien que la majorité des traditions relatives à la colonne de lumière soit attribuée aux premiers imams chiites (le 5e Muḥammad al-Bāqir et surtout le 6e Ǧa‘far al-Ṣādiq), reconnus également par les Ismaéliens, les plus anciens auteurs qui les rapportent (al-Ṣaffār al-Qummī et al-Kulaynī) ne sont transmis que par les Duodécimains et ne relèvent pas de la tradition ismaélienne 10. Toutefois, une raison plus profonde et plus décisive me semble être de nature doctrinale. Comme nous l’avons vu, la colonne de lumière relie directement Dieu au prophète ou à l’imam. Or, une telle proximité est incompatible avec l’apophatisme radical de l’ismaélisme. Le Dieu ismaélien étant à tout point inaccessible à ses créatures, Il a instauré l’Intellect universel, qui devient la source ultime non seulement de l’émanation de l’univers, mais aussi de l’inspiration (ta’yīd) et de l’influx

traditions ne sont pas unanimes quant au mode de transmission de cette lumière : tantôt elle s’effectue par des liens biologiques (comme dans la tradition que je viens de citer), tantôt par parenté « spirituelle », au moment de la désignation (naṣṣ) d’un prophète ou d’un imam par son prédécesseur, qui n’est pas nécessairement son père biologique. L’article de Rubin est principalement consacré à cette distinction fondamentale, qui toutefois n’a pas de rapport direct avec le sujet qui nous occupe à présent. 9. En revanche, nous retrouvons le thème de la préexistence de Muḥammad et de la transmission de sa lumière par la colonne de lumière dans le soufisme sunnite, notamment dans le commentaire mystique du Coran de Sahl al-Tustarī (m. 283/896) ; voir L. m assiGnon, La Passion de Hallâj, Paris 1975 : t. I, p. 110-111 et t. III, p. 301. 10. Cela n’exclut pas pour autant que des traditions attribuées aux premiers imams soient transmises conjointement par des auteurs duodécimains et ismaéliens. L’étude comparée du Hadith dans les deux branches majeures du chiisme n’en est encore qu’à ses débuts ; voir F. Gillon, « Une reprise ismaélienne de ḥadīṯ-s imāmites. Nouvelles perspectives sur le traité II du Kitāb al-Kašf attribué au dâ‘î Ğa‘far b. Manṣūr al-Yaman », Arabica 59/5 (2012), p. 484-509.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite (mādda) qui s’infusent dans les prophètes et les imams 11. En d’autres termes, le principe « divin » dont ces derniers sont les porteurs n’émane pas de Dieu, mais de sa première créature : l’Intellect. Dès lors, l’auteur fatimide Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī (m. vers 411/1021) qualifie d’infidélité (kufr) toute doctrine qui soutient que la lumière ou l’esprit de Dieu s’est infusé dans le corps de Muḥammad, de ‘Alī, ou de quelque autre imam 12. La colonne de lumière dans l’ismaélisme ṭayyibite La colonne de lumière fait son apparition dans l’ismaélisme avec le Kitāb Kanz al-walad d’Ibrāhīm b. al-Ḥusayn al-Ḥāmidī (m. 557/1162) qui, dans l’état actuel de notre documentation, semble être le fondateur du système ṭayyibite, dont dépendent tous les auteurs postérieurs. Actif au Yémen comme dā‘ī muṭlaq d’un imam caché, successeur d’al-Ṭayyib – le fils présumé du califeimam fatimide al-Āmir (m. 524/1130) – al-Ḥāmidī a repris le modèle cosmologique élaboré par al-Kirmānī en son Rāḥat al-‘Aql : le Dieu transcendant, ineffable et inconnaissable, a instauré l’Intellect, dont émanent simultanément un Intellect en acte et un Intellect en puissance ; de l’Intellect en acte procèdent sept autres Intellects en acte, formant un ensemble de dix Intellects correspondant aux sphères célestes. Dans ce système, qu’al-Kirmānī avait emprunté à al-Fārābī 13, al-Ḥāmidī introduit le thème d’une faute (ḫaṭī’a) commise par une des hypostases du monde intelligible, qui causa sa chute (hubūṭ), engendra l’obscurité et provoqua la condensation des parcelles de lumière, issues de son essence, en une matière compacte. Manifestement, al-Ḥāmidī s’est inspiré sur ce point de la Risāla al-Ǧāmi‘a, généralement attribuée aux Iḫwān al-Ṣafā’ et qu’il cite abondamment, en l’attribuant à la « personne éminente » (al-šaḫṣ al-fāḍil), un des « imams cachés » antérieurs à l’avènement des Fatimides 14.

11. Sur l’apophatisme intransigeant des Ismaéliens et ses conséquences pour le statut de l’Intellect universel, voir D. De smet, La Philosophie ismaélienne. Un ésotérisme chiite entre néoplatonisme et gnose, Paris 2012, p. 55-64. 12. Voir D. De smet, « Kufr et takf īr dans l’ismaélisme fatimide. Le Kitāb Tanbīh al-hādī de Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī », dans C. a DanG – H. a nsari – M. Fierro – S. schmiDtKe (dir.), Accusations of Unbelief in Islam. A Diachronic Perspective on Takf īr, Leyde-Boston 2016, p. 92-97. 13. D. De smet, « Al-Fārābī’s Influence on Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī’s Theory of Intellect and Soul », dans P. a Damson (dir.), In the Age of al-Fārābī : Arabic Philosophy in the Fourth / Tenth Century, Londres-Turin 2008, p. 131-150. 14. D. De smet, « La Risāla al-Ǧāmi‘a attribuée aux Iḫwān al-Ṣafā’ : un précurseur de l’ismaélisme ṭayyibite ? » à paraître dans le volume d’hommage pour Carmela Baffioni. Les sources de cette Risāla al-Ǧāmi‘a, qui se distingue sur bien des points des Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’, n’ont pas encore été étudiées de façon satisfaisante.

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Daniel De Smet Imbriquant ce thème de l’erreur primordiale et de la chute dans la cosmologie d’al-Kirmānī, al-Ḥāmidī obtient le schéma suivant. Bien que le premier Intellect soit incapable d’intelliger son Créateur et qu’il présente toutes les caractéristiques du Dieu coranique, il professe l’unicité (tawḥīd) de l’Instaurateur (mubdi‘) inconnu et dénie à soi-même la divinité. Le deuxième Intellect le suit sur cette voie, mais le troisième, aveuglé par l’orgueil, refuse de reconnaître la préséance du deuxième et professe le tawḥīd du premier, le confondant ainsi avec le Créateur. Cette erreur cause sa chute : il est dépassé par sept autres Intellects en acte et se retrouve au dixième et dernier rang du monde intelligible. Préfigurant par sa chute le sort de l’Adam terrestre, relaté par la Bible et le Coran, le dixième Intellect assume le rôle de l’« Adam spirituel » (al-Ādam al-rūḥānī). Sorti de sa torpeur, il se repent et demande pardon à Dieu. Mais, entre temps, le mal fut fait. Au cours de sa chute, des parcelles de lumière provenant de son essence lumineuse ont été tellement enténébrées qu’elles sont sorties du monde intelligible pour se coaguler en une matière compacte. Aidé par les autres Intellects, l’Adam spirituel devient le démiurge (mudabbir) du monde sensible : à partir de la matière générée par sa chute, il produit les corps célestes, les minéraux, les plantes, les animaux et l’homme dans le seul but de libérer la lumière de sa prison matérielle. Pour accélérer ce processus de rédemption, il envoie des messagers célestes : les prophètes et les imams 15. Dans ce vaste dispositif, la colonne de lumière joue un rôle décisif et central. Afin de délimiter sa fonction d’une façon précise, j’ai analysé les ouvrages suivants, dont les auteurs n’hésitent pas à recopier, parfois littéralement, leurs prédécesseurs : – Ibrāhīm b. al-Ḥusayn al-Ḥāmidī, Kitāb Kanz al-Walad 16 ; – Muḥammad b. Ṭāhir al-Ḥāriṯī (m. 584/1188), Kitāb al-Anwār al-laṭīfa 17 ; – ‘Alī b. Muḥammad b. al-Walīd (m. 612/1215), Risālat al-Īḍāḥ wa-l-tabyīn 18 ; – Idem, Kitāb al-ḏaḫīra fi l-ḥaqīqa 19 ; – ‘Alī b. Ḥanẓala (m. 626/1229), Ḍiyā’ al-ḥulūm wa miṣbāḥ al-‘ulūm 20 ; – al-Ḥusayn b. ‘Alī b. Muḥammad b. al-Walīd (m. 667/1268), Risālat al-Mabda’ wa-l-ma‘ād 21 ;

15. Pour une présentation plus détaillée du système ṭayyibite, voir D. De smet, La Philosophie ismaélienne, p. 82-111 et p. 151-168. 16. Éd. M. Ġālib, Die ismailitische Theologie des Ibrāhīm ibn al-Ḥusain al-Ḥāmidī, Wiesbaden 1971. 17. Inédit ; je me réfère au Ms. Arabe 671 de l’Institute of Ismaili Studies de Londres. 18. Éd. R. strothmann, Gnosis-Texte der Ismailiten, Göttingen 1943, p. 137-158. 19. Éd. M. al-a‘ẓaMī, Beyrouth 1971. 20. Éd. M. Ġālib, Arba‘a kutub ḥaqqāniyya, Beyrouth 1987, p. 77-111. 21. Éd. et trad. française H. corBin, Trilogie ismaélienne, Téhéran-Paris 1961, p. 99-130 (texte arabe), p. 129-200 (trad.). La traduction française a été reprise dans iD., Trilogie ismaélienne, Lagrasse 1994, p. 165-253.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite – Idrīs ‘Imād al-Dīn (m. 872/1468), Kitāb Zahr al-ma‘ānī 22 ; – Anonyme (xixe siècle ?), Masā’il maǧmū‘a min al-ḥaqā’iq al-‘āliyya 23. Il ressort de ces ouvrages que la colonne de lumière, « imperceptible aux regards et dont les pensées ne peuvent comprendre la magnitude et la sublimité 24 », fonctionne comme une sorte d’« ascenseur » qui, d’une part, fait descendre ici bas la lumière salvatrice et, de l’autre, fait remonter vers leur demeure céleste les parcelles de lumière libérées. La descente de la lumière divine Bien que je n’aie trouvé dans ces ouvrages ṭayyibites aucune mention des traditions imamites examinées dans la première partie de cet article, le mouvement descendant de l’« ascenseur » remplit les deux fonctions que nous y avons relevées : par la colonne de lumière s’infuse la lumière divine dans le corps de l’imam et autres dignitaires religieux ; conjointement, elle leur confère la science salvatrice par laquelle ils pourront libérer d’autres âmes. Selon al-Ḥāmidī, une colonne de lumière se dresse entre Dieu et l’imam : Ce qui se diffuse (al-sārī) est la colonne dont on dit qu’elle est entre l’imam et son Créateur, une colonne de lumière qui procure la révélation (waḥy) tout au long des cycles, pendant la journée [de l’imam] et sa nuit, pendant sa veille et son sommeil 25 […]. Ce qui se diffuse est également la corde (ḥabl), dont on mentionne qu’une extrémité est dans la main de Dieu et l’autre extrémité dans les mains de ses serviteurs. Voici le sens (ma‘nā) de l’union de cette lumière qui se diffuse en chaque lieu (maqām) 26, sans s’interrompre ne fut-ce que le temps d’un clin d’œil, et par laquelle on perçoit ce qu’il y a dans le monde supérieur et dans le monde inférieur […]. C’est l’esprit de sainteté (rūḥ al-quds) qui procède de la première limite, qui est le commandement (amr), la cause des causes, le premier être [c.-à-d. le premier Intellect]. C’est ce qui se diffuse en tous les êtres ; chacun en prend, en fonction de [ses capacités] de réception et de la part qui lui est allotie. Par elle est mû ce qui est en mouvement et c’est elle que les êtres désirent […]. Cette lumière s’unit en particulier à chacun qui mérite le rang de la manifestation, qui est la seconde limite 27.

22. 23. 24. 25.

Éd. M. Ġālib, Beyrouth 1991. Éd. R. strothmann, Gnosis-Texte, p. 4-136. Al-Ḥusayn b. al-Walīd, Mabda’, § 43, p. 117 du texte arabe. Dans le jargon ismaélien, la journée et la veille de l’imam désignent une période durant laquelle l’imamat est apparent, tandis que la nuit et le sommeil se réfèrent à son occultation temporaire (satr) pour des raisons de sécurité. 26. Les auteurs ṭayyibites emploient le terme maqām pour désigner à la fois un prophète, un imam ou les différents grades de la da‘wa (l’organisation de la mission ismaélienne) dans lesquels s’infuse la lumière divine. 27. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 173.

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Daniel De Smet Ce texte dense laisse clairement apparaître que la colonne de lumière procure aux prophètes, aux imams et aux membres de la da‘wa, d’une façon continue (toute interruption étant inconcevable pour la doctrine ismaélienne), la révélation, à savoir la connaissance des réalités du monde intelligible et sensible. C’est « l’esprit de sainteté » qui s’infuse dans l’âme des messagers divins et les permet d’accomplir leur fonction sotériologique : aider les fidèles à atteindre « le rang de la manifestation », la « seconde limite », la « seconde naissance » ou « seconde perfection », c’est-à-dire une régénération spirituelle qui permettra aux âmes purifiées de se libérer définitivement de leurs attaches corporelles. Toutefois, par rapport aux traditions imamites, la fonction de la colonne de lumière est considérablement étendue, en ce sens qu’elle transmet également l’influx (mādda) qui garantit la subsistance du monde sensible et empêche que ce dernier sombre dans le chaos. La colonne devient ainsi l’instrument de la providence divine (al-‘ināya al-ilāhiyya) 28, dont tous les êtres ici-bas profitent à des niveaux différents, en fonction de leurs mérites et de leur rang hiérarchique. La colonne de lumière est la corde par laquelle Dieu retient ses créatures pour éviter qu’elles soient anéanties. L’ismaélisme étant radicalement opposé à toute forme d’anthropomorphisme, il est évident qu’al-Ḥāmidī emploie l’expression « une corde entre les mains de Dieu » en un sens métaphorique. Néanmoins se pose la question de savoir si la colonne de lumière prend son origine auprès de Dieu ou auprès du premier Intellect. Bien que les propos de notre auteur ne soient pas toujours dénués d’ambiguïté à ce sujet, il semble privilégier la seconde option, suivant de près la doctrine d’al-Kirmānī : la révélation et l’influx « procèdent de la première limite, qui est le commandement, la cause des causes, le premier être », termes empruntés au Rāḥat al-‘aql où ils désignent le premier Intellect 29. En effet, dans un autre passage du Kanz al-walad, al-Ḥāmidī identifie la colonne de lumière à : […] la science (‘ilm) que connaît le premier Intellect, par laquelle il est en acte. C’est l’essence et la forme de l’Intellect et la perfection seconde. Ainsi, les ḥudūd [les dignitaires de la da‘wa] rapportent que la science est l’esprit de sainteté, que c’est le commandement de Dieu Très-Haut qui représente la perfection seconde pour celui qui s’unit à elle 30.

28. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 183 ; cf. ‘Alī b. al-Walīd, al-Ḏaḫīra, p. 69. 29. D. De smet, La Quiétude de l’Intellect. Néoplatonisme et gnose ismaélienne dans l’œuvre de Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī, Louvain 1995, p. 187-193. 30. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 177.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite En d’autres termes, la colonne de lumière transmet la science du premier Intellect, qui est une science parfaite, aux prophètes et imams, qui la transmettent aux croyants, leur permettant d’accéder à leur tour à la seconde perfection 31. Mais, un abîme infranchissable sépare Dieu du premier Intellect. À peine une génération après al-Ḥāmidī, Muḥammad b. Ṭāhir al-Ḥāriṯī rompt cet abîme en faisant émaner la colonne de lumière directement de Dieu. Il écrit en effet : La colonne de lumière […] est la science qui s’unit à partir de Dieu Très-Haut au premier Intellect ; puis, à partir de celui-ci, elle s’unit au deuxième Intellect qui le suit ; puis, elle s’unit à partir [du deuxième] au troisième. Ensuite, elle se répand sur les autres Intellects jusqu’au dixième, le démiurge du monde de la nature […]. À partir de ce dixième Intellect, cette colonne s’unit à la personne éminente qui est faite du corps de l’instauration (al-ǧuṯṯa al-ibdā‘iyya) 32 ; puis, à partir de celle-ci, elle s’étend à tous ses dignitaires, selon la succession de leurs rangs, puis à tous les Répondants (mustaǧīb) [c.-à-d. le rang le plus bas de la hiérarchie ismaélienne, celui du néophyte]. Cette colonne est ce qui s’unit à chaque maqām au cours des nuits et des jours. On dit qu’elle se déploie vers chaque imam. C’est la science qui découle de Dieu Très-Haut vers l’ensemble de ses dignitaires et des Répondants de sa da‘wa […]. On dit que c’est la providence divine et la puissance divine […]. On dit que c’est la science qui se répand, la lumière qui jaillit, l’esprit (rūḥ) et la parole (kalima), ainsi que l’ensemble des formes des dignitaires (ḥudūd) spirituels et corporels, et de ceux qui les suivent, du premier Intellect au Répondant : tous sont unis à elle 33.

Tout en recopiant ce passage d’al-Ḥāriṯī, al-Ḥusayn b. al-Walīd dit de façon encore plus explicite que la source (aṣl) de l’inspiration (ta’yīd) et de l’influx (mādda), émanés par la colonne de lumière vers le premier Intellect et ainsi de suite, est « Celui que ne peut atteindre la hardiesse des pensées » (man lā taǧāsara naḥwahu l-ḫawāṭir) : l’Instaurateur inconnaissable 34. ‘Alī b. al-Walīd s’exprime dans le même sens :

31. Pour la distinction entre première et seconde perfection, voir D. De smet, La Philosophie ismaélienne, p. 92-99. 32. Il s’agit du corps de l’imam composé de substances célestes ; cf. infra, p. 362-363. 33. Al-Ḥāriṯī, Anwār, fol. 51r°-52r°. Néanmoins, une ambiguïté subsiste chez al-Ḥāriṯī, due à l’héritage d’al-Kirmānī, notamment dans le passage suivant : « Le noble Livre [le Coran] se réfère symboliquement (ramaza) à cette colonne, dans la parole du Très Haut : “L’Esprit qui provient de son commandement, Il le lance sur qui Il veut parmi ses serviteurs” (S. 40:15). C’est également l’essence véritable de la révélation (waḥy). » L’auteur enchaîne avec une citation d’al-Kirmānī sur le waḥy (Anwār, fol. 53v°-55r°). Or, ce dernier identifie explicitement le commandement ou la parole, la source de la révélation, au premier Intellect. 34. Al-Ḥusayn b. al-Walīd, Mabda’, § 40, p. 116 du texte arabe.

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Daniel De Smet Cette colonne procède du Caché suprême (ġayb al-ġuyūb) vers son instauration (ibdā‘) et son noble voile (ḥiǧāb) [c.-à-d. le premier Intellect ou premier être instauré] ; puis, elle passe de l’instauration vers ce qui la suit [c.-à-d. le deuxième Intellect ou premier être émané] ; puis, de l’émanation (inbi‘āṯ), elle s’étend vers ce qui y fait suite. Elle est ainsi reliée à chaque être inférieur par celui qui lui est supérieur et procède de tout être éminent vers celui qui le suit en noblesse et en éminence, jusqu’à ce qu’elle soit unie à l’imam de l’époque 35.

Nous sommes en présence d’un revirement complet par rapport à l’ismaélisme fatimide, selon lequel l’émanation, l’inspiration et l’influx découlent exclusivement du premier Intellect, celui-ci étant le principe ultime de la providence 36. Par la colonne de lumière, les Ṭayyibites resserrent les liens entre Dieu et ses créatures, mais en même temps ils développent une imamologie que les chiites modérés qualifieraient de ġuluww : la lumière dont les messagers divins sont les porteurs, provient finalement de Dieu et non de sa première créature, le premier Intellect. Visiblement troublé par cette perspective, un disciple anonyme interroge son maître sur la colonne de lumière : il avait cru comprendre que celle-ci se dresse comme une hypostase intermédiaire entre le Caché et le premier Intellect. Le maître dénie cela en des termes qui ne laissent place à aucune ambiguïté : Il n’y a entre le premier instauré et son Instaurateur Très-Haut aucune chose, qu’elle soit de lumière ou autre. Ce que tu as entendu à ce sujet est que le Devançant (al-sābiq) [c.-à-d. le premier Intellect], lorsqu’il devança les membres de son espèce dans la profession de l’unité et de l’unicité (tawḥīd) de son Instaurateur, reçut de la part de son Instaurateur un influx divin (mādda ilāhiyya), par lequel il obtint la science de ce qui a été et de ce qui sera. Cet influx se diffuse dans l’essence de l’instauré et la porte, de sorte qu’il n’y a pas de différence entre lui [l’influx] et elle [l’essence]. Au contraire, il est elle et elle est lui (huwa hiya wa hiya huwa). Il en va de même avec la science qui s’unit à chacun qui l’apprend : lorsqu’elle atteint son âme et que celle-ci la porte, il n’y a plus de différence entre la science et l’âme qui la porte. Cet influx divin se répand à partir du premier instauré vers les Intellects du monde de l’instauration qui lui sont inférieurs et vers les intellects du monde de la nature. C’est la colonne de lumière qui se répand dans ce qui se situe entre les Intellects et le premier instauré, sauf qu’entre le Caché Très-Haut et son instauré il n’y a rien 37.

Cette descente de l’influx par la colonne de lumière et son infusion dans l’âme des messagers divins rend possible le processus de la rédemption par lequel les parcelles de lumière enfermées dans les ténèbres de la matière seront progressivement libérées. 35. ‘Alī b. al-Walīd, al-Ḏaḫīra, p. 68-69 ; cf. Ibid., p. 27 et p. 144. 36. D. De smet, La Quiétude, p. 120-124, p. 343-350. 37. Anonyme, Masā’il, p. 59.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite La voie ascendante et le magnétisme de la colonne de lumière Selon le Ṭayyibisme, le monde sensible a été généré par le démiurge (le dixième Intellect ou Adam spirituel) dans le but de séparer les parcelles de lumière (les âmes) des ténèbres de la matière (les corps) et de permettre leur remontée vers le monde intelligible. Cette purification des âmes s’opère par l’influx et la science transmis par la colonne de lumière aux prophètes et imams des différents cycles, puis aux dignitaires de leur da‘wa respective, qui à leur tour l’infusent dans l’âme de leurs disciples. Les âmes libérées par leur enseignement (ta‘līm) sont aspirées par la colonne de lumière, qui les fait remonter progressivement vers le monde intelligible. Toutefois, cette remontée s’effectue en différentes étapes, selon un processus d’une grande complexité. Nous avons vu que la colonne de lumière relie, comme une chaîne ininterrompue, les dix Intellects du monde intelligible aux dignitaires (ḥudūd) de la hiérarchie religieuse : prophètes, imams et les différents degrés de la da‘wa, pour aboutir finalement au Répondant (mustaǧīb), l’initié ismaélien qui a répondu à l’appel de l’imam. Chaque dignitaire supérieur procure au dignitaire qui lui est immédiatement inférieur les bienfaits de l’influx et de la science : il est dès lors appelé al-mufīd, « celui qui procure les bienfaits ». Inversement, le dignitaire inférieur qui les reçoit est appelé al-mustafīd. Si les « bienfaits » descendent dans la colonne de lumière et se transmettent du mufīd au mustafīd, les parcelles de lumière libérées grâce à ces « bienfaits » y remontent en suivant le chemin inverse, du mustafīd au mufīd, aspirées par le magnétisme divin (al-maġnāṭīs al-ilāhī). [La colonne de lumière] est la corde qui s’étend entre Dieu et ses créatures, la lumière qui se conjoint à chaque maqām, qui se diffuse et s’unit aux ḥudūd [= la voie descendante]. Elle aspire les formes des mustafīds vers la forme du mufīd ; son magnétisme attire ces formes, comme l’aimant aspire le fer et attire ce qui se conjoint à lui […]. Ainsi, la colonne de lumière, qui est l’Esprit de sainteté, aspire les formes et les attire dans toutes les sphères de la religion, aussi bien les formes des mufīds que celles des mustafīds, jusqu’à ce qu’elles se perfectionnent dans l’horizon (ufq) du Seuil (bāb) [de l’imam] qui les réunit 38.

En un autre passage du Kanz al-walad, al-Ḥāmidī ajoute que l’âme « tombée, privée de lumière et unie à l’obscurité suite à son erreur », une fois purifiée et apaisée, s’élève, aspirée par la colonne de lumière, « de la forme inférieure vers la forme supérieure ». Cette aspiration est comparée à « la brise (nasīm) qui fait vivre les animaux », la « brise spirituelle » (al-nasīm al-rūḥānī) qui attire les formes de tous les dignitaires vers le monde supérieur. Toutes les âmes

38. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 177-178 ; sur le Bāb de l’imam, voir infra, p. 361-362.

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Daniel De Smet réunies dans la colonne de lumière n’y forment plus qu’une seule essence. Elles y demeurent en attendant d’atteindre leur destination finale. Pour cette raison, la colonne est appelée « l’élixir de la permanence » (iksīr al-baqā’) 39. Les ouvrages ṭayyibites postérieurs précisent la doctrine ébauchée par al-Ḥāmidī. Ainsi, al-Ḥāriṯī compare la colonne de lumière, dont le magnétisme aspire la forme du mustafīd vers celle du mufīd, à une : […] colonne étendue, couverte de miel : lorsque les mouches viennent sur elle, elles ne peuvent plus s’en éloigner. De même, les formes ne quittent pas cette colonne, puisqu’elle les porte, les aspire et les élève lors de leur ascension 40.

Al-Ḥāriṯī est à ma connaissance le premier auteur qui décrit avec une certaine clarté la manière dont s’effectue cette remontée. Au moment où le Répondant prête devant le missionnaire (dā‘ī) responsable de son instruction le serment de fidélité envers l’imam – condition nécessaire pour accéder à l’initiation 41 – « un point de lumière (nuqṭa min nūr) se joint à son âme et s’unit à la colonne de lumière qui découle de l’imam de l’époque ». En d’autres termes, une fois le pacte conclu, l’âme du néophyte est connectée à la colonne de lumière. À mesure qu’il progresse dans l’acquisition de la science et dans la pratique d’une vie vertueuse vouée à la fidélité envers l’imam (science et vertu étant toujours indissociables), ce point augmente en lumière et en rayonnement. L’auteur identifie le point de lumière à la forme qui façonne la personne en question et à l’âme rationnelle (al-nafs al-nāṭiqa) 42. D’une part, ce point est nourri par la lumière de la colonne qui s’étend de Dieu aux dix Intellects du monde intelligible, puis à partir du dixième Intellect relie entre eux les grades de la hiérarchie religieuse : l’Énonciateur (nāṭiq) [= le prophète], le Fondement (asās) [= le premier imam d’un cycle], l’imam, le Seuil (bāb), la Preuve (ḥuǧǧa), le missionnaire (dā‘ī) et le Licencié (ma’ḏūn), pour aboutir aux croyants (les initiés) et aux Répondants. À cette lumière que l’âme du Répondant reçoit de son supérieur hiérarchique immédiat (le Licencié responsable de son instruction), s’ajoutent les parcelles de lumière qu’il a pu libérer lui-même grâce à ses progrès dans la science et la vertu.

39. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 182-183. 40. Al-Ḥāriṯī, Anwār, fol. 51v°-52r°. 41. Voir H. h alm, « The Isma‘ili oath of allegiance (‘ahd) and the “sessions of wisdom” (majālis al-ḥikma) in Fatimid times », dans F. DaFtary (éd.), Medieval Isma‘ili History and Thought, Cambridge 1996, p. 91-98. 42. En cet endroit, al-Ḥāriṯī introduit dans son exposé une curieuse digression : ‘Alī b. Abī Ṭālib enseigne à un disciple le sens des différentes facultés de l’âme humaine, en adoptant un aristotélisme néoplatonisant ; voir D. De smet, « La perfection de l’intellect et de l’âme selon le Kitāb al-Anwār al-laṭīfa de Muḥammad b. Ṭāhir al-Ḥāriṯī (m. 1188). Recherches de noétique ismaélienne », dans A. musco – r. GamBino – l. pepi et al. (dir.), Universalité de la Raison. Pluralité des Philosophies au Moyen-Âge, t. III, Comunicazioni orientalia Palerme 2012, p. 42-47.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite Lorsque le moment du « transfert » (naqla) – c’est-à-dire la mort physique qui entraîne la séparation de l’âme et du corps – d’un croyant (mu’min) 43 est arrivé, le dixième Intellect ou démiurge du monde sensible meut la colonne de lumière. Ce mouvement atteint l’imam de l’époque qui le transmet aux rangs hiérarchiques inférieurs. De ce fait, l’« aspirateur » est mis en marche : la colonne aspire l’âme lumineuse du croyant défunt. L’âme ainsi aspirée hors de son corps rejoint la forme (ou l’âme) du dignitaire qui lui est immédiatement supérieur (le Licencié) et s’unit à elle 44. En même temps, la colonne opère comme le soleil rayonnant sur un miroir : grâce à sa lumière éclatante, l’âme du croyant aperçoit, au moment de s’unir à celle de son maître, les sciences nobles et les actions pieuses qu’elle a acquises 45. Ce processus se répète à chaque degré de la hiérarchie de la da‘wa : l’âme d’un dignitaire qui a récupéré la lumière libérée par ses subordonnés lors de leur vie terrestre, transmet à sa mort cette lumière, augmentée par la lumière qu’il a lui-même sublimée, à son supérieur hiérarchique, et ainsi de suite. Cette colonne meut et aspire. L’ensemble (ǧumla) [de lumière] est aspiré par son aspiration ; elle aspire cette forme, la sépare de son corps et l’unit à l’ensemble [de lumière contenue dans l’âme du dignitaire supérieur], de sorte qu’ils ne deviennent qu’une seule essence et un seul ensemble. Cet ensemble est alors transféré vers une forme supérieure […] jusqu’à ce qu’ils soient tous réunis dans le lieu de réunion (maǧma‘) inférieur, qui est le missionnaire (dā‘ī) de leur district (ǧazīra). Ils sont mélangés à sa forme et adjoints à son âme, jusqu’au moment de son transfert. Lorsqu’il est transféré dans l’obéissance à celui dans l’horizon duquel il se trouve, ils deviennent une seule forme et une seule essence, transférés selon ce transfert, élevés de rang en rang, jusqu’à ce qu’ils soient unis dans le lieu de réunion supérieur qui est le Seuil (bāb) de l’imam, qu’atteignent toutes les formes de tous les districts 46.

En d’autres termes, l’ensemble de la lumière libérée par les croyants rejoint à leur mort l’âme du Licencié dont ils dépendent. Le Licencié transmet au moment de son décès la lumière ainsi récupérée au missionnaire responsable d’un des douze districts dans lesquels se divise théoriquement la da‘wa ismaélienne. Le missionnaire réunit la lumière sublimée par les membres de son district et la transmet à sa mort à la Preuve (ḥuǧǧa), un haut dignitaire qui

43. Comme la plupart des auteurs ismaéliens, al-Ḥāriṯī distingue les croyants (mu’minūn) des musulmans (muslimūn), ces derniers n’étant considérés que comme des exotéristes (ahl al-ẓāhir) ignorants qui ne tireront aucun profit de leur religion. 44. Al-Ḥāriṯī, Anwār, fol. 73r°-76r°, 135r° ; ‘Alī b. al-Walīd, Ḏaḫīra, p. 143. 45. ‘Alī b. al-Walīd, Ḏaḫīra, p. 143-144. 46. Al-Ḥāriṯī, Anwār, fol. 76v°-77r°, 190r°.

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Daniel De Smet dirige les missionnaires des douze districts. La Preuve transmet la lumière au Seuil (Bāb) qui, selon le Ṭayyibisme, est le « voile » de l’imam, ce dernier vivant en un état d’occultation 47. La remontée de la lumière sur « l’échelle du salut », mue par le magnétisme de la colonne de lumière 48, aboutit donc au Seuil de l’imam. De grade en grade s’est ainsi construit un Temple lumineux (haykal nūrānī) à partir de la lumière arrachée aux ténèbres de la matière. Le moment venu du « transfert » du Seuil, ce Temple est aspiré par le « magnétisme suprême » (al-maġnāṭīs al-a‘ẓam) qui est celui de l’imam. Grâce à l’influx émanant de l’imam, ce Temple se parachève, en prenant l’aspect d’un Homme de lumière, ayant un cœur et des membres. Cet Homme de lumière, au sujet duquel nos auteurs restent très discrets (il s’agit manifestement d’une doctrine considérée comme ultra-secrète), est identifié à la divinité (lāhūt) de l’imam 49. À ce niveau, le système ṭayyibite se complique encore davantage. Afin de recevoir ce Temple de lumière et accroître sa perfection, il faut un réceptacle adéquat : un corps, qui représente l’humanité (nāsūt) de l’imam. Or, ce corps ne peut être celui d’un homme ordinaire, dont l’impureté risquerait de souiller le Temple de lumière qu’il doit accueillir. Il faut donc à l’imam un corps spécifique dans la génération duquel intervient à nouveau la colonne de lumière. Ceci nous ramène aux traditions imamites relatives à la conception miraculeuse de l’imam, mentionnées dans la première partie de cet article. À la mort d’un élu – du simple croyant au Seuil de l’imam – son âme détachée du corps s’élève vers le degré hiérarchique supérieur, comme nous l’avons vu. Cependant, le salut de l’âme impliquant une vie vertueuse, l’élu a également purifié son corps au cours de son existence terrestre. Tout en étant constitué de matière opaque, ce corps renferme un élément lumineux : « l’âme d’effluve » (al-nafs al-rīḥiyya). Trois jours après la mort de l’élu, la colonne de lumière aspire cette âme d’effluve et l’élève d’abord vers la lune et ensuite vers le soleil, afin de lui faire subir un processus de purification. La providence divine fait alors descendre, par la colonne de lumière, cette substance sublimée et la dépose sur des fruits exquis et de l’eau absolument pure, qui serviront de nourriture et de boisson aux parents du futur imam. Grâce

47. Ce schéma est repris par les auteurs postérieurs, qui copient parfois littéralement al-Ḥāriṯī ; voir ‘Alī b. al-Walīd, Īḍāḥ, p. 153-154 ; iD., Ḏaḫīra, p. 68-73 ; al-Ḥusayn b. al-Walīd, Mabda’, § 40-45, p. 116-118 du texte arabe ; ‘Alī b. Ḥanẓala, Ḍiyā’, p. 93 ; Idrīs, Zahr, p. 274-275. Notons toutefois que le nombre et les titres des dignitaires inférieurs au Bāb présentent des différences d’un auteur à l’autre. 48. ‘Alī b. al-Walīd, Īḍāḥ, p. 154. 49. Al-Ḥāriṯī, Anwār, fol. 166r° ; ‘Alī b. al-Walīd, Ḏaḫīra, p. 79-80 ; al-Ḥusayn b. al-Walīd, Mabda’, § 45-46, p. 117-118 ; ‘Alī b. Ḥanẓala, Ḍiyā’, p. 93 ; Idrīs, Zahr, p. 275, p. 277-278.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite à cette substance céleste qui s’introduit dans leur semence, ils génèrent un enfant qui naîtra de façon surnaturelle avec un corps éthéré ayant la blancheur du camphre (ǧism kāfūrī) 50. Sentant sa mort proche, l’imam transfère à son fils ainsi généré sa divinité : son Temple de lumière constitué par les lumières libérées au cours de son imamat et de celui de ses prédécesseurs. Le nouvel imam complètera ce Temple pour le transmettre à son successeur, et ainsi de suite jusqu’à la clôture d’un cycle. Le dernier imam de ce cycle transfère le Temple au Résurrecteur (Qā’im). Celui-ci achève l’Homme de lumière à partir des membres lumineux récoltés par tous les imams de son cycle. À la mort du Qā’im, le Temple ainsi formé est aspiré par la colonne de lumière vers le dixième Intellect, qui récupère de ce fait une partie de la lumière perdue lors de sa chute, ce qui lui permet de remonter d’un cran dans la hiérarchie cosmique. D’autres cycles devront se succéder, avant que l’Intellect déchu ne regagne sa place initiale, au troisième rang après les deux premiers Intellects 51. Ce n’est qu’avec la clôture de ce grand cycle (al-kawr al-a‘ẓam) – estimé par certains auteurs à 360 000 ans, ce qui correspond à la « grande année » platonicienne 52 – que les séquelles de la faute originale seront effacées et qu’un maximum de lumière sera arraché à son mélange avec la matière. Toutefois, même au terme de ce processus de longue haleine, il s’avère impossible de libérer toute la lumière tombée ici-bas. Car il y aura toujours des âmes qui s’obstinent dans l’ignorance et le mal, refusant les appels réitérés qui leur sont adressés au cours des innombrables cycles. Même pour les élus – à l’exception des prophètes et des imams qui sont infaillibles – le risque subsiste de tomber dans l’erreur et de se laisser subjuguer par les passions corporelles. Au moment de leur mort, leur âme n’est pas aspirée par la colonne de lumière : Uniquement les âmes des élus sont attirées par ce magnétisme ; les âmes des adversaires, des apostats et des hypocrites ne sont pas attirées par lui, tout comme le sable et l’argile ne sont pas attirés par l’aimant 53.

50. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 191-194 ; ‘Alī b. al-Walīd, Ḏaḫīra, p. 82-83, p. 86 ; al-Ḥusayn b. al-Walīd, Mabda’, § 47-65, p. 118-125 du texte arabe ; ‘Alī b. Ḥanẓala, Ḍiyā’, p. 93-96 ; Idrīs, Zahr, p. 276-277 ; voir en outre D. De smet, « La naissance miraculeuse », p. 326-328. 51. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 173, p. 192-193 ; al-Ḥāriṯī, Anwār, fol. 166v°-167r° ; ‘Alī b. al-Walīd, Ḏaḫīra, p. 87-89, p. 92, p. 140 ; Idrīs, Zahr, p. 278-279, p. 298, p. 307. 52. Voir D. De smet, La Philosophie ismaélienne, p. 166-168. 53. ‘Alī b. al-Walīd, Ḏaḫīra, p. 80.

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Daniel De Smet Au lieu de remonter par la colonne, l’âme du pécheur tombe et la colonne la dirige vers son châtiment 54 : la réincarnation dans un corps humain moins noble ou, dans les cas plus graves, dans un corps animal, végétal ou minéral 55. À tout moment, il subsiste pour l’âme une possibilité de se repentir et de remonter l’échelle. Mais les âmes récalcitrantes qui, lors de la clôture de tous les cycles, auront résisté à tout appel, seront comprimées et enfermées dans les résidus de matière non sublimée, privées à jamais d’un retour vers le monde de la lumière : c’est l’enfer de Siǧǧīn, un roc situé au centre de la terre 56. La colonne de lumière ṭayyibite et la colonne de gloire manichéenne En 1937, alors que la littérature ṭayyibite était inconnue et inaccessible en Occident, le savant ismaélien Husayn al-Hamdani releva une similitude entre le système exposé par Idrīs ‘Imād al-Dīn en son Zahr al-ma‘ānī et la doctrine de Mani, au point de conclure : When one takes into consideration the great importance that Manichaeism had in the development of younger Islamic creeds, there is reason to believe that there ought to exist some sort of literary, if not directly historical, connection with the school of Mani 57.

Ce constat fut repris par Henry Corbin, qui considère la colonne de lumière ṭayyibite comme « une résurgence explicite du motif manichéen de la colonne de lumière ou colonne de gloire 58 ». Toutefois, pour étayer sa thèse, Corbin ne se réfère pas directement aux sources arabes relatives à la doctrine de Mani 59. Dans les pages qui vont suivre, je m’intéresserai avant tout à ce que les auteurs arabes nous apprennent au sujet de cette colonne manichéenne, tout en notant au

54. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 182-183 ; al-Ḥāriṯī, Anwār, fol. 51v°-52r° ; ‘Alī b. al-Walīd, Ḏaḫīra, p. 145-146 ; al-Ḥusayn b. al-Walīd, Mabda’, § 44, p. 117 du texte arabe ; Idrīs, Zahr, p. 274. 55. Sur la transmigration et la métamorphose (masḫ) dans le Ṭayyibisme, voir D. De smet, La Philosophie ismaélienne, p. 144-149. 56. Voir D. De smet, « ‘Illiyyūn et Sijjīn », dans M. A. a mir-moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris 2007, p. 413-415. 57. H. al-hamDani, « A Compendium of Ismā‘īlī Esoterics », Islamic Culture 11 (1937), p. 212. 58. H. corBin, « De la gnose antique à la gnose ismaélienne », dans Oriente ed Occidente nel Medio Evo. Convegno di scienze morali, storiche e filologiche, Rome 1957, p. 132 ; voir également iD., « Épiphanie divine et naissance spirituelle dans la gnose ismaélienne », Eranos Jahrbuch 23 (1954), p. 201-207 ; iD., Trilogie (Lagrasse 1994), p. 180-181. 59. Pour ce qui concerne la colonne de lumière, Corbin se réfère à la traduction allemande de la première partie des Kephalaia (éd. et trad. H. J. polotsKy – A. BöhliG, Kephalaia I, Hälfte 1, Lfg. 1/10, Stuttgart 1940) et surtout à la littérature secondaire, en particulier E. WalDschmiDt – W. lentz, Die Stellung Jesu im Manichäismus, Berlin 1926 ; iD., Manichäische Dogmatik aus chinesischen und iranischen Texten, Berlin 1933 ; G. WiDenGren, The Great Vohu Manah and the Apostle of God, Uppsala 1945 et H.-C. puech, Le Manichéisme, son fondateur, sa doctrine, Paris 1949.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite passage les similitudes, mais aussi les différences, avec les conceptions ṭayyibites. De part et d’autre, la fonction de la colonne ne peut être comprise qu’à la lumière d’un système complexe, qui englobe à la fois la cosmogonie, la prophétologie et l’eschatologie. En tous ces domaines, l’ismaélisme ṭayyibite présente des ressemblances frappantes avec le manichéisme. Toutefois, il ne peut être question ici d’entreprendre une comparaison globale, qui nécessiterait tout un livre. Je me limiterai donc à quelques points qui me paraissent essentiels. Un des exposés les plus complets et les plus étendus que la littérature arabe nous a transmis sur le manichéisme, se trouve dans le célèbre Fihrist d’Ibn al-Nadīm, achevé en 377/987-988 60. Il décrit longuement un mythe cosmogonique explicitement attribué à Mani (qāla Mānī, « Mani a dit »). En voici un bref résumé. À l’origine, le règne de la lumière, gouverné par le Roi des Jardins de la lumière (malik ǧinān al-nūr), était strictement séparé du règne des ténèbres. Chaque règne possédait cinq « membres » (a‘ḍā’), de sorte que les membres de la lumière étaient exactement opposés à ceux des ténèbres 61. À partir de ses attributs maléfiques, le Roi des ténèbres engendra le Satan primordial (Iblīs al-qadīm) qui, aussitôt apparu, convoita le monde de la lumière et se mit à l’attaquer, ce qui provoqua un premier mélange de lumière et d’obscurité. Pour répondre à cette attaque, le Roi de la lumière engendra l’Homme primordial (al-insān al-qadīm) et le revêtit de cinq principes nobles qui lui servirent d’armes pour combattre Satan. Celui-ci en fit de même : il prit pour armes les cinq principes opposés. Au terme d’un long combat, l’Homme primordial fut encerclé par les forces des ténèbres et les cinq membres lumineux se mélangèrent aux cinq membres ténébreux. Le Roi de la lumière envoya alors

60. Ibn al-Nadīm, Kitāb al-Fihrist, éd. R. taǧaddud, Beyrouth 1988, p. 391-402 ; trad. anglaise (pas toujours fiable) de B. DoDGe, The Fihrist of al-Nadīm, t. I, New York-Londres 1970, p. 773-805. Une partie des sources arabes et persanes relatives au manichéisme a été réunie par Ḥ. taqīzādeh – A. ŠīRāzī, Mānī o dīn-e o, Téhéran 1956. Il faut y ajouter, entre autres, le Kitāb al-Tawḥīd d’al-Māturīdī (cf. G. VaJDa, « Le témoignage d’al-Māturīdī sur la doctrine des Manichéens, des Daysanites et des Marcionites », Arabica 13 [1966], p. 1-38) et le Muġnī du Qāḍī ‘Abd al-Ǧabbār (cf. G. monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes. ‘Abd al-Jabbār et ses devanciers, Paris 1974, en particulier p. 119-128, p. 152164). Malgré l’importance de ces deux ouvrages, qui dépendent largement de la même source qu’Ibn al-Nadīm, ils intéressent moins notre propos, puisque la colonne de gloire n’y est pas mentionnée. 61. L’exposé d’Ibn al-Nadīm (Fihrist, p. 392-393) est assez confus à ce sujet. Il attribue au règne de la lumière cinq membres : la perspicacité (ḥilm), la science (‘ilm), l’intellect (‘aql), le caché (ġayb) et la sagacité ( fiṭna) ; puis, il mentionne une autre série de cinq membres « spirituels » (rūḥāniyya) : l’amour (ḥubb), la foi (īmān), la fidélité (wafā’), l’amitié (mawadda) et la sagesse (ḥikma). À ces qualités éternelles s’ajoutent deux êtres éternels, le ciel et la terre, qui ont à leur tour chacun cinq membres. Les membres du ciel sont les mêmes que la première série attribuée au règne de la lumière ; les membres de la terre sont la brise (nasīm), le vent, la lumière, l’eau et le feu. Les cinq membres des ténèbres sont le brouillard (ḍabāb), l’embrasement (ḥarīq), le vent pestilentiel (samūm), le poison (samm) et l’obscurité (ẓulma).

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Daniel De Smet l’Esprit de la vie (rūḥ al-ḥayāt) pour fortifier l’Homme primordial, afin que ce dernier puisse descendre jusqu’au fond de l’abîme des ténèbres et couper les racines du mal, empêchant ainsi qu’elles s’accroissent. Libéré de son emprisonnement dans le règne des ténèbres, l’Homme primordial remonta vers le monde de la lumière. Il ordonna à ses anges d’extraire du règne des ténèbres le mélange de lumière et d’obscurité produit par tous ces combats et de l’élever aussi près que possible du règne de la lumière. Ce mélange servira de substrat pour la création du monde sensible 62. Toute cette première partie du mythe cosmogonique manichéen ne présente que des similitudes distantes avec la doctrine ṭayyibite. La coexistence éternelle de deux principes antagonistes est non seulement incompatible avec le monothéisme musulman (les polémiques anti-manichéennes en islam s’attaquent avant tout au dualisme), elle l’est a fortiori avec le tawḥīd ismaélien, qui prône un seul Dieu un et unique. « Il n’y a pas de racine au mal dans l’instauration » (lā aṣl li l-šarr fi l-ibdā‘), écrit al-Ḥāmidī, en empruntant cette maxime à la Risāla al-Ǧāmi‘a 63. Puisqu’il n’y a pas de mal dans le monde intelligible, l’erreur commise par le troisième Intellect est uniquement due à un aveuglement temporaire, une négligence (sahw), une inadvertance (ġafla) 64. Le mélange de lumière et d’obscurité n’est pas causé par une attaque extérieure des forces du mal, mais par la chute du troisième Intellect ou « Adam spirituel » vers les confins inférieurs du monde intelligible. Loin d’être des principes éternels, l’obscurité et la matière sont les séquelles de cette chute. Les parties les plus enténébrées de l’Intellect déchu sont poussées « en dehors » du monde intelligible et y sont coagulées en une matière compacte, mélange de lumière et d’obscurité. Or, un sérieux problème se pose à ce niveau. Les auteurs ṭayyibites ne nous donnent, à ma connaissance, aucune précision sur cet « en dehors » du monde intelligible. Existait-il, avant la création de l’univers sensible, un monde parallèle au monde des dix Intellects séparés ? Ce monde a-t-il été créé (et par qui ?) ou est-il éternel ? Manifestement, nous sommes en présence d’une réécriture islamique d’une doctrine antérieure, de type manichéen, un remaniement qui veut à tout prix éviter le dualisme. Le motif manichéen des cinq membres du règne de la lumière, absent du Ṭayyibisme qui a adopté le système décadique d’al-Kirmānī, apparaît toutefois en des textes ismaéliens des ixe et xe siècles, où le monde intelligible se déploie en une pentade d’hypostases 65. Par ailleurs, l’Homme primordial qui descend dans les ténèbres pour remonter le mélange de lumière et d’obscurité

62. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 392-394. 63. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 100 ; cf. Iḫwān al-Ṣafā’, al-Risāla al-Ǧāmi‘a, éd. M. Ġālib, Beyrouth 1984, p. 49. 64. Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 66-68, p. 295-297. 65. Voir H. h alm, Kosmologie und Heilslehre der frühen Ismā‘īlīya, Wiesbaden 1978, p. 67-74.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite aussi près que possible du monde des lumières, avant d’y retourner lui-même, n’est pas sans rappeler le rôle que les Ṭayyibites accordent à l’Adam spirituel ou dixième Intellect. Sans être sorti lui-même du monde intelligible, il devient le démiurge du monde sensible et utilise la matière générée par sa chute comme matériel de construction : avec les parties les moins souillées, il produit les astres et les corps célestes, tandis que les parties les plus enténébrées servent à la constitution d’un roc au centre de la terre. Avec les autres parties, il génère les minéraux, les plantes, les animaux et, enfin, l’homme 66. Poursuivons le récit d’Ibn al-Nadīm : Mani a dit : Le Roi du monde de la lumière ordonna à un de ses anges de créer ce monde-ci et de le construire à partir de ces parties mélangées, afin de libérer (taḫalluṣ) les parties lumineuses des parties ténébreuses. Ainsi furent construits dix cieux et huit terres. Il mit autour de ce monde une tranchée (ḫandaq) pour contenir les ténèbres dont la lumière a été épurée, et il érigea derrière cette digue un mur afin que rien de ces ténèbres, dont la lumière a été épurée, ne puisse s’échapper. Mani a dit : Ensuite, il créa le soleil et la lune afin d’épurer la lumière qui est en ce monde. Le soleil épure la lumière mélangée aux démons de la chaleur et la lune épure la lumière mélangée aux démons du froid. [Cette lumière épurée] s’élève dans la colonne de gloire (‘amūd al-sabḥ) avec ce qui s’élève des glorifications (tasābīḥ), sanctifications (taqādīs), paroles exquises et actions vertueuses. Il dit : [Cette lumière] est poussée vers le soleil ; ensuite, le soleil la pousse vers la lumière qui est au dessus de lui dans le monde de la glorification (‘ālam al-tasbīḥ) ; puis, de ce monde, elle part vers la lumière suprême et pure. Cette action continue jusqu’à ce qu’il ne reste de la lumière unie [aux ténèbres] que ce que le soleil et la lune n’ont pas réussi à épurer 67.

Dès qu’un maximum de lumière a été ainsi libéré, le monde sensible est anéanti. En son Kitāb al-Milal wa-l-niḥal, al-Šahrastānī (m. 548/1153) donne un exposé similaire, tout en mentionnant explicitement sa source : le célèbre zindīq Abū ‘Īsā al-Warrāq (m. 247/861), dont Ibn al-Nadīm semble lui-aussi dépendre 68. Néanmoins, bien qu’étant plus succincte que celle d’Ibn al-Nadīm, la version d’al-Šahrastānī contient quelques variantes, notamment dans le passage suivant :

66. Cette cosmogénèse est résumée, à base d’al-Ḥāriṯī, par al-Ḥusayn b. al-Walīd, Mabda’, § 4-27, p. 102-110 (texte arabe), p. 149-158 (trad. française). 67. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 394. 68. L’ouvrage perdu d’Abū ‘Īsā al-Warrāq sur le manichéisme a également été employé par ‘Abd al-Ǧabbār et par al-Māturidī. Il peut dès lors être considéré comme une source majeure pour la connaissance du manichéisme en islam médiéval ; voir G. monnot, Penseurs musulmans, p. 60-61, p. 104 ; C. colpe, « Anpassung der Manichäismus an den Islam (Abū ‘Īsā al-Warrāq) », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 109 (1959), p. 82-91.

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Daniel De Smet Parmi ce qui aide la libération (taḫlīṣ), la séparation (tamyīz) et l’élévation (raf‘) des parcelles de lumière figurent la glorification, la sanctification, les paroles exquises et les actions vertueuses. Avec cela, les parcelles de lumière s’élèvent dans la colonne de l’aurore (‘amūd al-ṣubḥ) [ou colonne de gloire, ‘amūd al-sabḥ, selon les manuscrits] 69 vers la sphère de la lune, qui ne cesse de les recevoir du début jusqu’au milieu du mois, lorsqu’elle est remplie et devient pleine lune. Alors, elle les transmet au soleil jusqu’à la fin du mois. Le soleil les pousse vers une lumière au-dessus de lui […] 70.

La ressemblance avec la doctrine ṭayyibite est frappante. La création du monde sensible par le démiurge n’a d’autre but que de libérer les parcelles de lumière mélangées à l’obscurité de la matière. Les parcelles libérées sont aspirées par la colonne de lumière. Cette élévation, nous disent Ibn al-Nadīm et al-Šahrastānī, s’opère par la glorification, la sanctification, les bonnes paroles et les actions vertueuses, sans doute celles des élus. Or, pour les auteurs ṭayyibites, la conditio sine qua non pour que l’âme puisse se libérer de ses attaches corporelles est qu’elle professe correctement le tawḥīd, glorifie et sanctifie son Créateur de la manière appropriée. Cela n’est possible qu’après avoir acquis la science salvatrice, qui implique également la pratique de la vertu lors de la vie terrestre. Nous avons vu que pour les Ṭayyibites, les âmes sauvées s’élèvent dans la colonne de lumière par l’intermédiaire des différents dignitaires de la da‘wa, pour finalement rejoindre, via l’imam, le dixième Intellect. Bien que les sources arabes relatives à la doctrine de Mani ne le mentionnent pas explicitement, il est bien connu que le manichéisme accorde aux élus et aux différents grades de l’église manichéenne un rôle central dans le processus de

69. Il est fréquent qu’en des passages mentionnant la colonne manichéenne, chez al-Šahrastānī, Ibn al-Nadīm et bien d’autres auteurs, les manuscrits donnent tantôt ‘amūd al-sabḥ, tantôt ‘amūd al-ṣubḥ, le sīn pouvant facilement être confondu avec le ṣād dans la graphie arabe ; voir les remarques de D. Gimaret – G. monnot, Shahrastani. Livre des religions et des sectes, t. I, Louvain-Paris 1986, p. 660, n. 29 ; G. monnot, Penseurs musulmans, p. 136 ; H. corBin, Trilogie (Lagrasse 1994), p. 186, n. 21. 70. Al-Šahrastānī, Kitāb al-Milal wa-l-niḥal, éd. M. K īlānī, t. I, Beyrouth, s.d., p. 247248 ; trad. fr. D. Gimaret – G. monnot, Shahrastani, t. I, p. 659-660. Les versions d’Ibn al-Nadīm et d’al-Šahrastānī ont été copiées par plusieurs auteurs postérieurs, principalement des chiites duodécimains ; voir les textes réunis par Ḥ. taqīzādeh – A. ŠīRāzī, Mānī, p. 253-254 (un commentaire du Ḥikmat al-išrāq d’al-Suhrawardī), p. 267-268 (Ibn Abi l-Ḥadīd, Šarḥ Nahǧ al-balāġa) ; p. 300-301 (Ibn al-Murtaḍā, Kitāb al-Munya wa-l-amal f ī šarḥ al-milal wa-l-niḥal), p. 322-324 (al-Maǧlisī, Bihār al-anwār). Ces trois derniers auteurs ne mentionnent pas la colonne.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite sublimation de la lumière. Par leur mode de vie ascétique et un régime alimentaire très strict, ils évitent au maximum toute souillure qui pourrait compromettre la pureté de la lumière qu’ils ont réussi à libérer de la matière 71. Dans sa notice sur le manichéisme, Ibn al-Nadīm aborde une seconde fois la colonne de gloire, en un paragraphe intitulé : « la doctrine manichéenne du retour ». Lorsque meurt un élu (ṣadīq, littéralement un « véridique »), l’Homme primordial lui envoie une divinité de lumière, accompagnée de trois autres divinités et d’une vierge ressemblant à l’âme de l’élu. Leur apparition chasse les démons qui tentaient de s’emparer de cette âme. [Ces divinités] s’élèvent avec lui [l’élu] dans la colonne de gloire vers la sphère de la lune, puis vers l’Homme primordial, ensuite vers al-Bahīǧa 72, la mère des vivants et enfin vers [l’endroit] où il était au début, dans les jardins de la lumière. Quant à ce corps qui demeure abandonné, le soleil, la lune et les divinités lumineuses aspirent hors de lui les puissances qui sont l’eau, le feu et la brise (nasīm), de sorte qu’elles sont élevées vers le soleil et deviennent des divinités. En revanche, le restant de son corps, qui est entièrement obscurité, est jeté en enfer 73.

Si l’on admet l’identification de l’Homme primordial manichéen avec l’Adam spirituel ou dixième Intellect ṭayyibite, la proximité des deux systèmes est à nouveau frappante. À la mort d’un croyant, le dixième Intellect meut la colonne de lumière, de sorte que l’âme sauvée est aspirée par elle. Au terme de sa remontée dans la colonne, elle rejoindra l’Adam spirituel. Trois jours après la mort du croyant, la colonne aspire « l’âme d’effluve » qui y était restée et l’élève vers le soleil et la lune pour la purifier. Selon le récit d’Ibn al-Nadīm, parmi les puissances aspirées hors du corps de l’élu figure la « brise » (nasīm), un des cinq membres de la lumière, qu’il nomme par ailleurs « la vie du monde » (ḥayāt al-‘ālam) 74. Al-Ḥāmidī, pour sa part, qualifie l’aspiration de la colonne de lumière de « brise spirituelle » (al-nasīm al-rūḥānī) 75.

71. Voir H.-C. puech, Le Manichéisme, p. 85-91 et notes afférentes ; A. BöhliG, Die Gnosis. Dritter Band. Der Manichäismus, Zurich-Munich 1980, p. 43 ; M. tarDieu, Le Manichéisme, Paris 19972 (19811), p. 109-111 ; J. ries, L’Église gnostique de Mani, Turnhout 2011, p. 117-119. 72. Selon Dodge, la lecture al-Nahnaha, retenue dans l’édition de Flügel et reprise par Taǧaddud, serait erronée ; al-Bahīǧa serait la mère de l’Homme primordial ; voir B. DoDGe, The Fihrist, t. I, p. 780, n. 172 et p. 795, n. 253. 73. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 398. 74. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 396 ; cf. al-Šahrastānī, Milal, p. 246 : « la brise est l’esprit de la lumière » (al-nasīm huwa rūḥ al-nūr) ; p. 247 : « La brise sur terre ne cesse de s’élever, car il appartient à sa nature de s’élever vers son monde. De même, toutes les parcelles de lumière montent et s’élèvent perpétuellement, tandis que les parcelles de ténèbres ne font que descendre et s’abaisser. » 75. Voir supra, p. 359.

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Daniel De Smet Le sort du « combattant » (al-insān al-muḥārib) manichéen, qui a adopté la religion (dīn), pratiqué la vertu et protégé les élus, est tout autre. À sa mort, son âme est prémunie par les mêmes divinités contre l’assaut des démons, mais elle doit rester en ce monde et subir toutes sortes de tourments, « jusqu’à ce que sa lumière et son âme soient purifiées et qu’elle soit attachée à celle des élus ». Quant à l’homme vil, son âme est dévorée par les démons et elle doit sans cesse retourner en ce monde, plongée dans la détresse, jusqu’au jour de la punition où elle sera jetée en enfer 76. Bien que le récit d’Ibn al-Nadīm ne le précise pas explicitement, il est manifeste que seules les âmes des élus remontent par la colonne vers le monde de la lumière, tandis que toutes les autres doivent se réincarner en de nouveaux corps. En effet, le théologien aš‘arite al-Baġdādī (m. 429/1037) l’écrit en toutes lettres : Mani dit en certains de ses livres que les âmes qui se séparent de leur corps sont de deux sortes : les âmes des élus et celles des errants. Les âmes des élus, lorsqu’elles se séparent de leur corps, s’élèvent dans la colonne de l’aurore (‘amūd al-ṣubḥ) 77 vers la lumière qui est au dessus de la sphère pour demeurer en ce monde de toute éternité. Les âmes des errants, lorsqu’elles se séparent de leur corps et veulent rejoindre la lumière suprême, retournent, renversées vers le bas, pour transmigrer en des corps d’animaux jusqu’à ce qu’elles soient purifiées des souillures de l’obscurité. Alors, elles s’unissent à la lumière suprême 78.

Alors que certains auteurs ismaéliens de tradition carmathe et fatimide avaient accepté – avec beaucoup de circonspection, car il s’agit d’un sujet tabou en islam – la transmigration des âmes à l’intérieur de l’espèce humaine, les Ṭayyibites professent ouvertement la transmigration de l’âme non libérée en des corps humains, animaux, végétaux et même minéraux, en fonction des péchés commis. Mais, régulièrement au cours des cycles, ces âmes reçoivent des « appels » leur permettant de se repentir et de remonter progressivement l’échelle du salut 79.

76. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 398-399. 77. Voir supra, n. 69. 78. al-Baġdādī, al-Farq bayna l-firaq, Beyrouth 1987, p. 254. Ce passage a été copié par Abu l-Muẓaffar al-Isfarā’īnī (m. 471/1078-9) en son Tabṣīr fi l-dīn ; voir le texte dans Ḥ. taqīzādeh – A. ŠīRāzī, Mānī, p. 452. 79. D. De smet, « La transmigration des âmes. Une notion problématique dans l’ismaélisme d’époque fatimide », dans O. mir-K asimoV (dir.), Unity in Diversity. Mysticism, Messianism and the Construction of Religious Authority in Islam, Leyde-Boston 2014, p. 77-110 ; pour la réincarnation en des corps animaux, végétaux et minéraux selon le Ṭayyibisme, voir D. De smet, « Scarabées, scorpions, cloportes et corps camphrés. Métamorphose, réincarnation et génération spontanée dans l’hétérodoxie chiite », dans

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite Lorsque le processus de purification s’achèvera et que notre monde n’aura plus raison de subsister, poursuit Ibn al-Nadīm, les forces du mal se retireront dans une tombe, recouverte d’un rocher aussi grand que la terre, dont elles ne pourront plus s’échapper 80. Ce Bôlos (« boule » ou « masse ») manichéen 81 est l’équivalent exact de l’enfer ṭayyibite : al-Siǧǧīn, le roc au centre de la terre dans lequel seront enfermées à jamais les âmes réfractaires qui n’ont pu être sauvées. Le chapitre sur la doctrine de Mani dans le Fihrist, qui dépend probablement d’Abū ‘Īsā al-Warrāq, reprend une série d’éléments qui se trouvent déjà dans les Acta Archelai d’Hegémonius, un traité anti-manichéen du iVe siècle. Ainsi, nous y retrouvons la colonne de gloire qui sert à faire remonter les âmes délivrées, en passant par la lune et le soleil, vers le monde de la lumière. Toutefois, l’auteur ajoute que cette colonne est « l’Homme parfait (vir perfectus). Cet Homme est une colonne de lumière puisque les âmes purifiées y résident 82 ». L’identification de la colonne de gloire avec l’Homme parfait est corroborée par les textes manichéens, en premier lieu par les Kephalaia 83. Il est tentant de rapprocher cet Homme parfait, constitué par les parcelles de lumière purifiées et rassemblées dans la colonne, de l’Homme de lumière dont parlent les auteurs ṭayyibites : cet Homme lumineux dont les membres sont formés par les âmes libérées et qui représente la divinité de l’imam 84. L’exposé sur la doctrine de Mani dans les Acta Archelai évoque le moment où le processus de séparation de la lumière touchera à sa fin : le Troisième Envoyé (Tertius Legatus), identifié à Jésus la Splendeur (Jesus Splenditenens), apparaîtra ; l’Omophoros, la divinité qui porte la terre sur ses épaules, lâchera son fardeau ; la terre s’embrasera ; les âmes damnées seront définitivement enfermées dans le Bôlos, tandis que la dernière « statue » remontera 85. Cette « statue » énigmatique s’éclaire quelque peu à l’aide des textes manichéens. À la fin des temps, la lumière encore libérée in extremis sera réunie dans la « dernière statue » qui remontera par la colonne de gloire, vers le règne de la

80. 81. 82. 83.

84. 85.

A. VroliJK – J. P. hoGenDiJK (dir.), O ye Gentlemen. Arabic Studies on Science and Literary Culture in Honour of Remke Kruk, Leyde-Boston 2007, p. 48-49 ; R. FreitaG, Seelenwanderung in der islamischen Häresie, Berlin 1985, p. 170-182. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 394. H.-C. puech, Le Manichéisme, p. 84-85, p. 178, n. 354. Hegémonius, Acta Archelai. Translated by M. Vermes, with introduction and commentary by S. N. C. Lieu, Louvain 2001, VIII, p. 51. Kephalaia, II, p. 20 et LXXII, p. 177. Par ailleurs, un hymne manichéen en parthe est dédié à « la colonne de lumière, l’homme parfait » ; voir A. BöhliG, Der Manichäismus, p. 246 ; sur l’Homme parfait manichéen qui réunit la lumière épurée et est identifié au Noûs de lumière, voir H. corBin, « Épiphanie divine », p. 294 ; M. tarDieu, Le Manichéisme, p. 105 et p. 108. Voir supra, p. 362. Acta Archelai, XIII, p. 57.

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Daniel De Smet lumière, achevant ainsi le processus de rédemption 86. Serait-il téméraire de mettre cette statue (andreias) en rapport avec le Temple de lumière (haykal nūrānī) ṭayyibite, qui se parachève dans la colonne de gloire lors de l’avènement du Résurrecteur ? Après tout, l’expression haykal nūrānī, que l’on traduit depuis Corbin par « temple de lumière », pourrait également être rendue par « statue de lumière », le mot haykal ayant ces deux sens en arabe. De surcroît, les auteurs ṭayyibites identifient ce « temple » à l’Homme de lumière, qui deviendrait ainsi une « statue de lumière ». Dès lors, la figure du Résurrecteur ismaélien, dont le Temple ou la Statue réunit toute la lumière épurée au cours d’un nombre de cycles prophétiques et qui s’élève dans la colonne vers le 10e Intellect, correspondrait à celle de Jésus la Splendeur, le sauveur sauvé par toute la lumière qu’il a pu récupérer 87. Il ressort de tout ce qui précède que la colonne de lumière, en sa fonction d’aspirer les parcelles de lumière libérées de leur prison matérielle, est un concept manichéen intégré par les Ṭayyibites en un système qui présente, dans son ensemble, une parenté indéniable avec le manichéisme. Les ressemblances (et je pourrai en citer bien d’autres) sont trop nombreuses et trop précises pour qu’elles soient dues à un hasard. Qu’en est-il alors de la fonction descendante de l’« ascenseur » que nous avons reconnu dans la colonne de lumière ṭayyibite : le canal par lequel s’infuse la lumière divine dans les prophètes, les imams et autres dignitaires de la da‘wa et qui leur procure ainsi la science permettant de libérer les âmes déchues dans la matière ? Pour autant que je puisse voir, la colonne de gloire ne joue pas ce rôle dans le manichéisme. Le problème se complique d’autant plus que cette fonction de la colonne de lumière n’est pas propre au système ṭayyibite, mais se retrouve déjà dans les traditions imamites anciennes attribuées aux premiers imams chiites. Se pose alors toute la question des sources de l’imamologie qui ressort de ce type de traditions : la préexistence, sous la forme d’une lumière éclatante, des prophètes et des imams, générés par la lumière de Dieu bien avant la création du monde sensible ; l’infusion de cette lumière dans les corps des différents envoyés et sa transmission ininterrompue au cours des cycles prophétiques ; la lutte perpétuelle des prophètes et des imams contre leurs antagonistes (aḍdād) au service de Satan, etc. Ces thèmes se retrouvent certes, sous une forme ou une autre, dans les sources manichéennes, mais les auteurs arabes se montrent très discrets à cet égard. Bien qu’ils se plaisent à répéter que la doctrine de Mani est une mixture de christianisme et de zoroastrisme, l’image qu’ils en donnent a été

86. Kephalaia, XXXIX, p. 102 et LXVII, p. 165 ; même thème dans un psaume manichéen en copte, voir A. BöhliG, Der Manichäismus, p. 120 ; cf. J. r ies, L’Église gnostique, p. 253254 ; G. WiDenGren, Mani und der Manichäismus, Stuttgart 1961, p. 71. 87. Voir H.-C. puech, Le Manichéisme, p. 81-85 ; J. r ies, L’Église gnostique, p. 26-29.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite épurée de la plupart des éléments païens et, surtout, chrétiens 88. Dès lors, il n’est pas possible d’en extraire une prophétologie cohérente, qui présenterait quelque analogie avec nos textes chiites. En revanche, si on se tourne vers d’autres sources relatives au manichéisme, il est manifeste que la préexistence de la figure de Jésus y est omniprésente. Ainsi, Jésus la Splendeur est émané du Père de la Grandeur et reçoit pour fonction de mettre en place et de régir la machine cosmique servant à libérer la lumière 89. Jésus prend une forme humaine – « bien qu’il ne soit pas un homme » – afin de secourir l’âme du premier homme, Adam, et de lui montrer la voie pour sortir de la matière 90. Identifié au Noûs de lumière, il s’incorpore dans les différents prophètes (Seth, Zoroastre, Bouddha, etc.) et finalement dans Mani, le « sceau des prophètes 91 ». Celui-ci était investi par la lumière divine, de sorte que, lorsqu’il fut présenté au roi perse Šāpūr « il y avait sur ses épaules comme deux lampes de lumière 92 ». À sa mort, son âme quitta son corps, s’installa dans un vaisseau de lumière et, revêtue d’une robe divine et d’un diadème de lumière, elle s’éleva dans la colonne de gloire pour rejoindre le Dieu Ohrmazd 93. Une partie de sa lumière fut transmise, au sein de l’église manichéenne 94, à ses successeurs qu’Ibn al-Nadīm appelle curieusement des « imams 95 » ! D’autres rapprochements entre le manichéisme et l’imamologie chiite ou, plus largement, la prophétologie véhiculée par le Coran, ont été avancés 96. Cependant, nous n’y trouvons pas le thème de la colonne de lumière servant à faire descendre ici-bas le principe prophétique pour qu’il se manifeste dans les corps des envoyés divins. L’origine de cette conception reste donc à établir 97.

88. Cette démythologisation et déchristianisation ont été bien relevées par C. colpe, « Anpassung », p. 90-91. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le récit d’Ibn al-Nadīm aux résumés du mythe manichéen donnés, à partir de sources non arabes, par H.-C. puech, Le Manichéisme, p. 74-85 ; A. BöhliG, Der Manichäismus, p. 27-36 ; M. tarDieu, Le Manichéisme, p. 92-111. 89. Selon les Acta Archelai, VIII, p. 50-51, c’est Jésus, en tant que démiurge, qui construit la noria céleste pour libérer les âmes, avec le soleil, la lune et la colonne de gloire. 90. Ibid., p. 49-50 ; cf. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 394. 91. Kephalaia, I, p. 12-14 et II, p. 20 ; cf. H.-C. puech, Le Manichéisme, p. 72 ; J. r ies, L’Église gnostique, p. 56-57. 92. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 392. 93. Voir le texte manichéen en moyen-persan traduit dans A. BöhliG, Der Manichäismus, p. 100. 94. Kephalaion, CII, p. 255-257 : le Noûs de lumière habite dans les élus. 95. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 397-398. 96. Voir J. M. F. Van r eeth, « Les prophéties oraculaires dans le Coran et leurs antécédents : Montan et Mani », dans D. De smet – M. A. a mir-moezzi (éd.), Controverses sur les écritures canoniques de l’islam, Paris 2014, p. 77-145, en particulier p. 126-136. 97. H. corBin, « Épiphanie divine », p. 202-203 et Trilogie (Lagrasse 1994), p. 180 compare la fonction « descendante » de la colonne de lumière ṭayyibite au motif manichéen de la Croix de lumière. Outre le fait que cette notion n’apparaît pas dans les textes ismaéliens, j’avoue ne voir qu’un rapport lointain avec le concept du Jesus patibilis, le « Jésus cosmique et intemporel crucifié sur la Matière où son âme lumineuse est mêlée » (H.-C. puech, Le Manichéisme, p. 82). Certes, on pourrait voir dans le dixième Intellect du Ṭayyibisme une

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Daniel De Smet Conclusion : le Ṭayyibisme, une résurgence du manichéisme au Yémen ? La doctrine ṭayyibite a été qualifiée de « résurgence du manichéisme 98 ». Or, cette qualification me semble inadéquate à bien des égards. Malgré des similitudes manifestes, des différences considérables séparent les deux systèmes. Outre l’absence d’un dualisme foncier, incompatible avec l’islam en général et avec l’ismaélisme en particulier, le Ṭayyibisme ne partage pas la vision « noire » du monde sublunaire et de la nature humaine. L’espèce humaine n’a pas été générée par des archontes malveillants, suite à des monstruosités abjectes ayant pour seul but de clouer les âmes à la matière. Au contraire, les premiers hommes sont nés par génération spontanée dans les cavernes de l’île de Sarandīb et ils étaient d’une pureté immaculée, grâce à l’alchimie subtile que le démiurge avait mise en œuvre pour permettre leur formation 99. L’église manichéenne, avec ses différents grades, présente certes des similitudes avec l’organisation de la da‘wa ismaélienne, mais les membres de cette dernière sont simplement supposés respecter les préceptes de la loi islamique, sans devoir se soumettre à des abstinences extrêmes, qui sont d’ailleurs condamnées unanimement par les auteurs musulmans. Nulle trace, dans les textes ṭayyibites, des nombreuses divinités qui animent les mythes manichéens ; les éléments chrétiens, sans être tout à fait absents, ont été gommés en faveur de références islamiques, chiites en particulier. Par ailleurs, nous commençons à mieux connaître les sources du système ṭayyibite. Celles-ci peuvent être classées en trois catégories : (1) la littérature ismaélienne fatimide, en particulier les ouvrages de Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī et d’al-Mu’ayyad fi l-Dīn al-Šīrāzī ; (2) les Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’ et surtout la Risāla al-Ǧāmi‘a qui leur est traditionnellement attribuée ; (3) un ensemble de doctrines et de notions emprunté à ce qu’il est convenu d’appeler le « chiisme extrémiste » (ġuluww). Cette dernière catégorie est la plus problématique : les auteurs ṭayyibites nous parlent, par exemple, de la divinité (lāhūt) des imams, qui se manifeste en des corps-simulacres (ġilāf ) et qui transmigre d’un imam

sorte de « sauveur sauvé » : par l’influx qu’il transmet aux imams par l’intermédiaire de la colonne de lumière, il récupère des parcelles de lumière, aspirées par cette même colonne, qu’il a perdues au cours de sa chute. Mais il n’est dit nulle part que l’Intellect « souffre » dans la matière, ni qu’il est crucifié sur elle. Quoi qu’en dise Corbin, il y a encore moins de rapport avec la symbolique des quatre branches de la croix expliquée par Abū Ya‘qūb al-Siǧistānī dans son Kitāb al-Yanābī‘ (éd. H. corBin, Trilogie, § 143-146, p. 73-74 du texte arabe). 98. Sur cette question, voir D. De smet, « Éléments chrétiens dans l’ismaélisme yéménite sous les derniers Fatimides. Le problème de la gnose ṭayyibite », dans M. BarrucanD (dir.), L’Égypte fatimide, son art et son histoire, Paris 1999, p. 45-53. 99. Voir D. De smet, « L’île de Ceylan et la génération spontanée : les Ikhwān al-Ṣafā’, Ibn Ṭufayl et les Ṭayyibites », Acta Orientalia Belgica 26 (2013), p. 117-122, à comparer avec le mythe manichéen de la génération d’Adam et d’Ève décrit par A. BöhliG, Der Manichäismus, p. 33-34.

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Une notion manichéenne dans l’ismaélisme ṭayyibite à l’autre. Ces notions, condamnées par l’ismaélisme fatimide comme ġuluww, mais qui sont attestées à cette époque dans des courants dissidents comme le Druzisme et le Nuṣayrisme, sont parfois associées au nom d’al-Mufaḍḍal al-Ǧu‘f ī, célèbre ġālī dans l’entourage des 5e et 6e imams chiites, dont certaines traditions sont reprises dans les plus anciens recueils imamites. Nous ignorons actuellement par quelle voie ce matériel est parvenu aux Ṭayyibites. Ceux-ci ont imbriqué les uns dans les autres les ingrédients de ces trois types de sources pour en extraire un système plus ou moins cohérent. Dès lors, il n’est guère étonnant que les auteurs ṭayyibites aient intégré et systématisé la thématique de la colonne de lumière telle qu’elle figure dans les traditions imamites anciennes (ce que nous avons appelé « la voie descendante »). En revanche, pour ce qui concerne « la voie ascendante », celle qui présente une similitude indéniable avec la colonne de gloire manichéenne, le manque de sources ne permet pas de trancher si ce motif provient de la tradition des ġulāt ou de l’imamisme ancien, ou si, au contraire, les Ṭayyibites l’ont trouvé dans des textes manichéens. Ce qui vaut pour la colonne de lumière, vaut pour la plupart des thèmes, notions et termes qui rappellent de près le manichéisme : existaient-ils déjà dans le chiisme des premiers siècles de l’islam, voire dans le message originel de Muḥammad, ou les Ṭayyibites les ont-ils adoptés à partir d’une source manichéenne ? En ce cas, il faudrait ajouter à notre liste une quatrième catégorie : les sources manichéennes. N’ayant aucune idée de l’identité de cette ou de ces source(s), ni de la manière dont les Ṭayyibites en auraient pris connaissance au Yémen à partir du xiie siècle, je suis plutôt tenté pour l’instant de privilégier la première possibilité. Quoi qu’il en soit, l’important dossier ṭayyibite ne fait que compliquer encore davantage la question des sources de l’islam chiite et de l’islam en général.

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LES CINQ ESPRITS DE L’HOMME DIVIN (ASPECTS DE L’IMAMOLOGIE DUODÉCIMAINE XIII)* Mohammad Ali amir-moezzi École pratique des hautes études, PSL Research University Paris [email protected]

Dans un article bref mais fort suggestif, publié en 2005 et intitulé « The ‘Five Limbs’ of the Soul: A Manichean Motif in Muslim Garb? », Karim Douglas Crow examine les réminiscences du thème antique des cinq organes de l’âme/l’esprit chez trois auteurs musulmans : l’imam shi’ite Jaʿfar al-Ṣādiq, le mystique sunnite al-Ḥakīm al-Tirmidhī et le penseur shi’ite ismāʿīlien Jaʿfar b. Manṣūr al-Yaman. L’essentiel de l’article, qui passe rapidement sur les antécédents iraniens, est consacré à ces trois auteurs. À la fin de son ouvrage, l’auteur déclare : « Nous nous abstenons de poursuivre la question au-delà de ce point, en espérant que le lecteur intéressé prendra le matériau présenté ici pour mener [plus loin] la réflexion sur les questions soulevées 1. » Je vais essayer d’être ce « lecteur intéressé » mentionné par

*

1.

La présente étude est le treizième d’une série d’articles consacrés à l’imamologie duodécimaine. Les dix premiers sont réunis maintenant dans M. A. amir-moezzi, La Religion discrète. Croyances et pratiques spirituelles dans l’islam shi’ite, Paris 2006 (chap. 3 et 5 à 14 ; trad. anglaise : The Spirituality of Shiʿi Islam : Beliefs and Practices, Londres-New York 2011) ; les suivants sont : « Icône et contemplation : entre l’art populaire et le soufisme dans le shi’isme imamite (Aspects de l’imamologie duodécimaine XI) », Bulletin of the Asia Institute 20 (2006, en fait 2012), p. 1-12 (paru aussi dans H. BiesterFelDt – V. K lemm [dir.], Differenz und Dynamik im Islam : Festschrift für Heinz Halm zum 70. Geburtstag, Würzburg 2012, p. 473-492 ; trad. anglaise dans P. K hosroneJaD [dir.], The Art and Material Culture of Iranian Shi’ism, Londres-New York 2012, p. 25-45) ; « Dissimulation tactique (taqiyya) et scellement de la prophétie (khatm al-nubuwwa) (Aspects de l’imamologie duodécimaine XII) », Journal Asiatique 302/2 (2014), p. 411-438. « We refrain from pursuing the question beyond this point, hoping that the interested reader will take the materials presented here and ponder the questions raised » : K. D. croW, « The ʿFive Limbs’ of the Soul: A Manichean Motif in Muslim Garb? », dans T. laWson (dir.), Reason and Inspiration in Islam: Theology, Philosophy and Mysticism in Muslim

377

Mohammad Ali Amir-Moezzi mon collègue. Évidemment je reviendrai plus loin sur son travail. La présente étude comporte trois parties : 1. Les traditions shi’ites ; 2. leur « préhistoire » ; 3. leurs prolongements et leurs implications. Traditions shi’ites Commençons notre examen par quelques traditions rapportées par l’autorité par excellence du Hadith shi’ite ancien, Muḥammad b. Yaʿqūb al-Kulaynī (m. vers 328/939-940) dans la partie doctrinale (les Uṣūl) de son Kitāb al-Kāfī (Le Livre Suffisant) 2. D’abord, le chapitre consacré aux esprits des imams au sein du Livre de la Preuve (« Kitāb al-ḥujja »). Il contient trois traditions : 1. L’imam Jaʿfar al-Ṣādiq : « […] Dieu le Très-Haut créa les créatures en trois groupes comme Il le dit Lui-même [Coran 56 : 7-11] : “Vous serez trois groupes côte à côte * Les compagnons de la droite [ou ‘de bon augure’] * Qu’est-ce que les compagnons de la droite [/de bon augure] ? * Et les compagnons de la gauche [ou ‘de mauvais augure’] * Qu’est-ce que les compagnons de la gauche [/de mauvais augure] ? * Et ceux qui devancent, ceux qui devancent * Ce sont les rapprochés” [fin de la citation coranique] 3. “Ceux qui devancent” sont les envoyés de Dieu et l’élite parmi Ses créatures en qui Il a placé cinq esprits : Dieu les soutient [d’abord] par l’esprit saint (rūḥ al-quds ; littéralement l’esprit de la sainteté] par lequel ils ont la connaissance des choses. Il les soutient [ensuite] par l’esprit de la foi (rūḥ al-īmān) grâce auquel ils craignent Dieu. Il les soutient par l’esprit de la puissance (rūḥ al-quwwa) grâce auquel ils peuvent obéir à Dieu. Il les soutient par l’esprit du désir (rūḥ al-shahwa) par qui ils désirent l’obéissance à Dieu et détestent la désobéissance à Son égard. [Enfin] Il plaça en eux l’esprit du mouvement (rūḥ al-madraj – littéralement l’esprit de l’avancement, de la progression) grâce auquel les gens se meuvent

2.

3.

378

Thought. Essays in Honour of Hermann Landolt, Londres-New York 2005, p. 30 (l’ensemble de l’article, p. 19-30; sur les antécédents iraniens : p. 19-20 ; sur les auteurs musulmans : p. 21-30 ; notes : p. 31-33). Sur cet auteur et sa compilation voir maintenant M. A. a mir-moezzi – H. a nsari, « Muḥammad b. Yaʿqūb al-Kulaynī (m. 328 ou 329/939-40 ou 940-41) et son Kitāb al-Kāf ī. Une introduction », Studia Iranica 39/2 (2009), p. 191-247 ; version amplifiée dans M. A. a mir-moezzi, Le Coran silencieux et le Coran parlant. Sources scripturaires de l’islam entre histoire et ferveur, Paris 2011, chap. 5. Voir aussi A. J. neWman, The Formative Period of Twelver Shīʿism: Hadith as Discourse Between Qum and Baghdad, Richmond 2000, chap. 6 à 8. Les termes désignant ici « la droite » et « la gauche », respectivement al-maymana et al-mash’ama, sont issus des racines YMN et Sh’M qui évoquent étymologiquement ce qui est bénéfique, de bon augure et ce qui est maléfique, de mauvais augure.

Les cinq esprits de l’homme divin [littéralement : vont et viennent]. Et Dieu plaça dans les croyants (mu’minīn), [qui sont] les “compagnons de la droite”, les quatre derniers [en fait le hadith répète à la lettre ce qui a déjà été dit au sujet des quatre derniers esprits] 4. » 2. Un disciple demanda à l’imam Muḥammad al-Bāqir ce qu’est la connaissance du sage initiateur (ʿilm al-ʿālim) 5. Celui-ci répond : « […] Dans [l’être] des prophètes et des légataires (awṣiyā’, pl. de waṣī ; un des titres de l’imam) se trouvent cinq esprits : l’esprit saint, l’esprit de la foi, l’esprit de la vie (rūḥ al-ḥayāt ; qui remplace ici “l’esprit du mouvement” du hadith précédent), l’esprit de la puissance et l’esprit du désir. C’est par l’esprit saint que [ces hommes] connaissent absolument tout [littéralement “tout ce qui se trouve dans le

4.

5.

Al-Kulaynī, Kitāb al-Kāf ī, al-Uṣūl, éd. J. Muṣṭafawī, avec trad. persane, 4 vol., Téhéran s.d. (le 4e vol. traduit par H. R asūlī M aḥallātī date de 1386/1966), « Kitāb al-ḥujja », bāb f īhi dhikr al-arwāḥ allatī f ī l-a’imma, no 1, vol. 2, p. 15-16. Voir aussi al-Ṣaffār al-Qummī (m. 290/902-903 ; contemporain donc d’al-Kulaynī), Baṣā’ir al-darajāt, éd. Mīrzā Kūčebāghī (= éd. K), Tabriz s.d. (vers 1960), section 9, chap. 14, no 1, p. 445-446 ; éd. ʿA. Zakīzādeh Ranānī (= éd. Z), 2 vol. avec trad. persane, Qumm 1391 solaire/2012, section 9, chap. 15, no 1, vol. 2, p. 622-623. Chez al-Ṣaffār, au lieu de « L’esprit saint par lequel ils ont la connaissance des choses », il y a « l’esprit saint grâce auquel les prophètes sont missionnés ». En effet, l’esprit saint semble ici le correspondant individuel de l’entité céleste du même nom qui est souvent l’équivalent de l’ange Gabriel, l’ange de la révélation, entité qui fait parvenir les messages divins aux prophètes. Voir aussi al-Majlisī Muḥammad Bāqir, Biḥār al-anwār, Téhéran-Qumm, 110 tomes en 90 vol., 1376-1392/19561972, vol. 25, p. 52, no 13. Enfin, il faut noter que le terme mu’min (croyant) désigne dans la terminologie technique shi’ite, le fidèle initié aux enseignements de l’imam. Il est ainsi distingué du terme muslim, simple Musulman non initié ; voir M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin dans le shî’isme originel. Aux sources de l’ésotérisme en islam, Paris 1992 (2007²), index s.v. Chez al-Kulaynī, le troisième groupe, « les compagnons de la gauche/de mauvais augure » ne sont pas définis, mais dans une tradition rapportée par al-Ṣaffār (Baṣā’ir, no 5 dans l’éd. K = no 6 dans l’éd. Z), ils sont identifiés avec les « Gens du Livre » (ahl al-kitāb) qui n’ont pas reconnu ʿAlī comme le légataire de Muḥammad et à qui Dieu retira l’esprit de la foi (ils n’ont donc que les trois derniers esprits). Il s’agit manifestement des Musulmans majoritaires (distingués donc des « Croyants », c’est-à-dire les fidèles de ʿAlī). Dans le hadith suivant, « les compagnons de la gauche » sont dits être des Juifs et des Chrétiens. Il semble qu’il s’agirait d’une sorte de code, d’appellation péjorative pour les Musulmans adversaires des Shi’ites. On voit mal en effet comment ceux qui n’ont pas reconnu la légitimité de ʿAlī sont les croyants des autres religions. Le même procédé se voit également par exemple chez al-Barqī (m. vers 274/888 ou 280/894), Kitāb al-Maḥāsin, éd. J. Muḥaddith Urmawī, Téhéran 1370/1950, « K. ʿiqāb al-aʿmāl », p. 90 sqq. ; voir à cet égard R. Vilozny, « Pre-Būyid Ḥadīth Literature: The Case of al-Barqī from Qumm (d. 274/888 or 280/894) in Twelve Sections », dans F. DaFtary – G. misKinzoDa (dir.), The Study of Shiʿi Islam. History, Theology and Law, Londres-New York 2014, p. 203-230 (p. 216-218). Je vais revenir plus longuement à al-Ṣaffār et son ouvrage à la fin de cette étude. Sur ces significations techniques des termes ʿilm et ʿālim (littéralement « science, connaissance » et « savant »), voir M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin, index s.v. et en particulier la partie III-2 (« La Science sacrée »), p. 174-199 ; aussi iD., La Religion discrète, index s.v.

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Mohammad Ali Amir-Moezzi monde, du dessous du Trône divin jusqu’à ce qui se trouve sous terre”] […] Les quatre derniers peuvent subir des changements mais pas l’esprit saint [littéralement “l’esprit saint ne s’amuse ni ne joue” ; le couple est coranique] 6. » 3. Un disciple demanda à Jaʿfar au sujet de la connaissance qu’a l’imam de ce qui se passe au fin fond de la terre alors qu’il se trouve dans une pièce fermée. L’imam Jaʿfar répondit : « […] Dieu plaça dans le Prophète [c.-à-d. Muḥammad] cinq esprits : l’esprit de la vie qui lui permettait de se mouvoir et de marcher, l’esprit de la puissance qui lui permettait de se lever et de faire des efforts, l’esprit du désir grâce auquel il mangeait, buvait et avait des relations sexuelles licites, l’esprit de la foi par lequel il croyait et il jugeait avec équité et enfin l’esprit saint grâce auquel il portait la prophétie (rūh al-quds fa bihi ḥamala l-nubuwwa). Lorsque le Prophète décéda, l’esprit saint fut transmis à l’imam (al-imām avec article défini; il s’agit de ʿAlī mais aussi sans doute des autres imams). L’esprit saint ne dort jamais, n’est jamais négligent ou distrait, ne s’enorgueillit jamais ; ce qui est le cas des quatre autres esprits. C’est par l’esprit saint que tout est compris 7. »

Les cinq éléments constitutifs de l’homme intérieur, nous les retrouvons sous une autre forme ailleurs chez al-Kulaynī : dans la tradition no 23 du Livre de l’Intelligence et de l’Ignorance (Kitāb al-ʿaql wa l-jahl) de la même partie Uṣūl du Kitāb al-Kāfī où sont mentionnées l’intelligence et ses quatre composantes : Jaʿfar : « Le pilier de l’homme c’est l’intelligence. Celle-ci est composée de la sagacité ( fiṭna), la compréhension ( fahm), l’attention (ḥifẓ) et la connaissance (ʿilm). C’est l’intelligence qui rend l’homme parfait, qui est son guide, qui lui donne perspicacité et qui est la clé de ses affaires. Lorsque son intelligence est soutenue par la Lumière, il devient sage, attentif, conscient, plein de sagacité et de compréhension ; il saura ainsi le comment, le pourquoi et le où [des choses] ; il distinguera ce qui lui fait du bien de ce qui lui est nuisible ; il connaîtra sa direction, ses attachements et ses détachements. Son unification de Dieu se purifiera ainsi que son obéissance à l’égard de Dieu. Devenu ainsi, il récupérera ce qu’il n’a pu réaliser [dans le passé] et il maîtrisera ce qui

6.

7.

380

Al-Kulaynī, Kitāb al-Kāf ī, no 2, vol. 2, p. 16-17 ; al-Ṣaffār, Baṣā’ir, éd. K, no 4, p. 447 ; éd. Z, no 5, vol. 2, p. 627 (ailleurs, dans le même chapitre chez al-Ṣaffār, l’esprit du mouvement/de la vie est remplacé par l’esprit du corps – rūḥ al-badan) ; al-Majlisī, Biḥār, vol. 25, p. 55, no 15. Al-Kulaynī, Kitāb al-Kāf ī, no 3, vol. 2, p. 17; variante dans al-Ṣaffār, Baṣā’ir, section 9, chap. 15, no 13, p. 454 (éd. K) ; section 9, chap. 16, no 13, vol. 2, p. 648-649 (éd. Z) ; ici la tradition se termine par ses mots : « […] L’esprit saint est inébranlable. C’est par lui que l’imam voit [ou “que sont vus”] l’Orient de la terre et son Occident, ses terres et ses océans. » Voir aussi al-Ḥillī, Ḥasan b. Sulaymān (attribué à), Mukhtaṣar Baṣā’ir al-darajāt, Najaf 1370/1950, p. 2 ; al-Majlisī, Biḥār, vol. 25, p. 57, no 25.

Les cinq esprits de l’homme divin lui adviendra [dans le futur]. Il sera pleinement conscient du présent et saura pourquoi il se trouve là où il est ; d’où il vient et vers où il se dirige. Tout cela grâce au soutien de l’intelligence 8. »

Ces traditions, concernant l’homme divin, et en particulier le guide divin qu’est l’imam, et ses membres intellectifs ne semblent pas avoir des fondements proprement islamiques ou arabes. Aucune base dans la culture arabe préislamique, comme la poésie, ou dans le Coran ne peut leur être attribuée. En revanche, des traditions religieuses et spirituelles antiques et tardo-antiques peuvent nous fournir de nombreux parallèles saisissants. « Préhistoire » Au-delà du manichéisme auquel Karim Douglas Crow fait allusion et auquel on reviendra, les textes les plus anciens qui semblent être à la racine de nos traditions seraient Esaïe 11,(1)-2,3 et certaines de ses exégèses. D’abord, les versets bibliques (limitons-nous aux langues sémitiques) :

8.

Al-Kulaynī, Kitāb al-Kāf ī, « Kitāb al-ʿaql wa l-jahl », vol. 1, p. 29, no 23. Chacun de ces termes peut avoir plusieurs traductions (par ex. fiṭna : compréhension, saisie immédiate, etc., ḥifẓ : mémoire, vigilance mentale, etc.). Comme on le verra plus loin, le même problème se pose pour les langues des textes appartenant à d’autres traditions. Voir aussi Ibn Bābūya, ʿIlal al-sharā’iʿ, éd. M. Ṣ. Baḥr al-ʿulūm, Najaf 1385/1966, chap. 91, no 2, p. 103 (version plus courte) ; Ibn Shuʿba, Tuḥaf al-ʿuqūl, éd. ʿA. A. Ghaffārī, 1366 solaire/1988, p. 369-370 (les enseignements de l’imam Jaʿfar al-Ṣādiq, chapitre : kalāmuhu f ī khalq al-insān wa tarkībih). Dans son article mentionné, K. D. croW a étudié cette tradition de Jaʿfar et quelques autres textes parallèles attribués à lui (K. D. croW, « The ‘Five Limbs’ of the Soul », p. 21-23) en relation avec la doctrine des « cinq attributs du Père de la Lumière » correspondant aux « cinq membres de l’âme » de l’Homme parfait dans le manichéisme soit « Reason, Mind, Intelligence, Thought and Understanding », selon l’étude classique de M. Boyce, A Reader in Manichean Middle Persian and Parthian, Leyde 1975, p. 10 (K. D. croW, « The ‘Five Limbs’ of the Soul », p. 20 ; voir aussi iD., « The Role of al-ʿAql in Early Islamic Wisdom, with Reference to Imam Jaʿfar al-Ṣādiq », Thèse de PhD inédite de Mc Gill University, 1996, chap. 5). Je vais y revenir. Curieusement, K. D. croW semble ignorer la tradition des « cinq esprits », attribuée au même Jaʿfar et rapportée par le même al-Kulaynī. Il est vrai que celle-ci se rapporte plutôt à l’anthropologie et la tradition concernant le ʿaql, plutôt à la noétique. Cependant comme nous le verrons, les deux domaines sont indissociables. Sur le rôle central du ‘aql (intelligence humaine, correspondant à l’entité cosmique du même nom) dans le shi’isme ancien voir M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin, partie I-1 (« La hiéro-intelligence et la raison »), p. 15-33. Sur les difficultés de traduire le terme ʿaql (intelligence, intellect, raison, hiér-intelligence, etc.), voir maintenant G. GoBillot, « Les sources de l’anthropologie spirituelle chez les mystiques musulmans : une réflexion à partir de la notion de ʿaql », dans A. temimi (dir.), Mélanges Luce Lopez-Baralt, Zaghouan 2001, p. 267-314.

381

Mohammad Ali Amir-Moezzi 1. (Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines) /2. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur (rūha Yhwh) : esprit de sagesse et de discernement (rūha hakemāh ū-bīnāh), esprit de conseil et de vaillance (rūha ʿeṣāh ū-gebūrāh), esprit de connaissance et de crainte du Seigneur (rūha daʿat ve-yireat Yhwh) 9.

Le texte syriaque de la Peshiṭta a : l’Esprit de Dieu (rūḥā da-Loḥā), esprit de sagesse et de compréhension (rūḥā de-ḥēkemetā wa de-sūkolā), esprit de bienveillance et de puissance (rūḥā de-tarʿīthā wa de-gaborūtā), esprit de sagacité et de crainte de Dieu (rūḥā de-yidʿatā wa de-dēḥeletēh de-Moryā) 10. Comme dans nos textes en arabe, les qualificatifs des esprits, désignant tous des facultés ayant rapport avec la pensée ou la conscience religieuse, prises dans un sens général, sont susceptibles ici aussi de recevoir différentes traductions. Par ailleurs comment faut-il les compter ? L’Esprit de Dieu est-il le premier de la liste ou bien celui qui englobe et comprend les suivants ? Est-il identique avec l’esprit saint ? Les autres esprits sont à compter un par un ou bien chaque groupe de deux compte-t-il pour un seul esprit comprenant deux aspects ? La crainte de Dieu est-elle aussi un esprit ou bien une vertu à part ? Les très nombreuses exégèses des versets en question, surtout par les Pères grecs et latins, proposent différents découpages et donc des décomptes divergents. Nous arrivons ainsi à quatre, cinq, six et le plus souvent à sept esprits ou autant de dons du SaintEsprit, le plus souvent les sept dons suivants : intelligence, science, sagesse, conseil, piété, force, crainte de Dieu (seul Origène en énumère dix 11). Il est cependant indéniable que nous y retrouvons le contenu, parfois la lettre, ainsi que la description des cinq esprits des traditions shi’ites. Le texte hébreu parle du Messie, du Christ selon les exégètes chrétiens (Augustin applique également les dons aux vrais fidèles chrétiens) ; nos hadith-s shi’ites, de l’élite parmi les créatures, soit les prophètes et encore plus particulièrement les imams (certains textes shi’ites les appliquent aussi aux fidèles initiés). On pourrait établir une correspondance approximative entre quelques éléments d’Esaïe 11,2-3 et des hadith-s shi’ites de la façon suivante :

9.

Traduction œcuménique de la Bible, Paris 1986, p. 775-776 ; texte hébreu massorétique de la Bible Society in Israel, Jérusalem 1991, p. 394. 10. Éd. Père Benjamin Beit Yadgar, Tbilissi 2009, p. 1054. Je remercie Paul Neuenkirchen de m’avoir orienté vers cette source. 11. Voir par ex. A. GarDeil, « Dons du Saint-Esprit. Pères grecs ; Pères latins », dans A. Vacant – E. m anGenot (dir.), Dictionnaire de Théologie Catholique, vol. IV/2, 1920, col. 1754-1766 ; K. schluetz, Isaias 11,2 (Die sieben Gaben des Heiligen Geistes) in den ersten vier christlischen Jahrhunderten, Münster 1932 ; p. c. Van lierDe, Doctrina s. Augustini circa dona Spiritus sancti ex textu Isaia XI,2-3, Würzburg 1935.

382

Les cinq esprits de l’homme divin

Esaïe 11,2-3 Esprit de Dieu/esprit de sagesse/ esprit de connaissance esprit de crainte de Dieu esprit de vaillance/puissance (en syriaque) O O

Traditions shi’ites esprit saint esprit de la foi (qui fait craindre Dieu) esprit de puissance esprit de mouvement/vie/ corps esprit de désir

Cependant, des sources plus directement liées à nos textes shi’ites semblent provenir des milieux gnostiques et manichéens. Ces derniers connaissaient bien Esaïe 11,2-3, comme l’atteste sa très riche tradition exégétique chez eux 12. Les parallèles les plus remarquables se rencontrent dans les commentaires du logion 19 de l’Évangile selon Thomas, magistralement repérés, identifiés et étudiés par Henri-Charles Puech, en particulier dans ses cours au Collège de France pendant l’année 1961-1962 13. Voici la traduction de ce logion : Jésus a dit : « Heureux celui qui était avant d’avoir été. Si vous devenez pour moi des disciples et si vous écoutez mes paroles, ces pierres vous serviront. Vous avez en effet cinq arbres dans le Paradis qui ne bougent ni été ni hiver et dont les feuilles ne tombent pas. Celui qui les connaîtra ne goûtera pas de la mort 14. »

Selon d’autres passages de l’Évangile selon Thomas mais aussi des textes gnostiques comme la Pistis Sophia, l’Évangile d’Ève cité par Épiphane, les Actes de Thomas ou encore chez Irénée, ce logion et d’autres parlent des « Élus », des « Uniques », des « Vivants », des « fils de l’homme » ou autrement dit ceux qui ont été initiés par Jésus aux secrets des choses 15. Dans un certain nombre de textes gnostiques coptes, il est question du « mystère des cinq Arbres », des « cinq puissances » ou des « cinq sceaux » traités en symboles noétiques (Écrit anonyme du codex de Bruce, Pistis Sophia, Papyrus de Deir el-Balaʿizah). Cependant, ce sont deux écrits manichéens qui présentent le plus de similitudes avec les traditions shi’ites sur les cinq esprits et sur

12. Voir par ex. J.-P. mahé – P.-H. poirier (dir.), Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi, Paris 2007, index thématique s.v., Esprit, p. 1772 (en particulier : esprit de connaissance, e. de conseil, e. de crainte, e. divin, e. de pensée, e. de puissance, e. de sagesse, e. saint, e. vivant, e. vivifiant). 13. Voir maintenant h.-c. puech, En quête de la gnose, t. II, Sur l’Évangile selon Thomas, Paris 1978, p. 98-104, pour l’examen qui suit. 14. Voir la traduction de l’Évangile selon Thomas, texte copte établi et traduit par A. Guillaumont – h.-c. puech – G. quispel – W. till – Y. ‘a bd al-M asīḥ, Leyde-Paris 1959, p. 13-15 (p. 84 du manuscrit, lignes 17-24). C’est moi qui souligne. 15. h.-c. puech, En quête de la gnose, t. II, p. 99.

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Mohammad Ali Amir-Moezzi les facultés de l’intelligence : il s’agit du Psautier copte 16 et du traité chinois appelé « Traité Chavannes-Pelliot » 17. Dans le premier, « les cinq arbres du Paradis » du logion 19 sont mis en parallèle avec les « cinq vierges sages » de la parabole évangélique et avec plusieurs autres séries d’entités, groupées cinq par cinq, entre autres avec les « cinq dons » de l’esprit saint et les cinq membres de l’âme capable de recevoir l’esprit saint. Le second écrit manichéen expose, lui aussi, un grand nombre de séries de cinq éléments en relation avec les cinq arbres du logion 19, notamment les cinq membres de la nature faite de lumière de l’initié, soit, selon la traduction de Chavannes et Pelliot, la pensée, le sentiment, la réflexion, l’intellect et le raisonnement. Cependant, une note de Paul Demiéville à Henri-Charles Puech indique que les termes chinois désignant ces cinq membres, à savoir siang, sin, nien, sseu et yi, sont beaucoup plus vagues. Tout comme les termes arabes de la tradition de Jaʿfar sur les facultés de l’intelligence (ʿaql), ils sont tous plus ou moins en rapport avec la pensée, prise en général, et désigneraient des notions comme conscience, imagination, cœur, esprit, mémoire, réflexion ou intention. Puech rapproche ensuite ces textes avec d’autres sources manichéennes consacrées à la transformation du « Vieil Homme » en « Nouvel Homme » par le Noûs-Lumière – en l’occurrence le fragment de Tourfan M 14, le chapitre 38 des Képhalaïa coptes ou encore le chapitre 10 des Acta Archelaï. Il arrive ainsi à établir la liste des cinq facultés spirituelles dans trois langues des écrits manichéens : – syriaque : haunā, maddeā, reʿyānā, maḥshabtha, tarʿīthā ; – grec : noûs, ennoïa, enthumêsis, phronêsis, logismos ; – copte : nous, meeue, sbô, sadjne, makmek. Ce qui mérite d’être souligné, c’est que dans cette énumération, les quatre éléments de la pentade mentionnés à la suite du noûs ne sont en réalité que les divers aspects, propriétés ou manifestations de celui-ci. C’est ce que nous retrouvons exactement dans la tradition sur les facultés du ʿaql. Comme l’ont établi Schaeder, Nyberg, Reitzenstein et d’autres, ce système de dénombrement serait d’origine iranienne.

16. C. R. C. a llBerry (éd.), A Manichean Psalm-book, t. II, Stuttgart 1938, p. 161 ; A. Villey, Psaumes des errants. Écrits manichéens du Fayyūm, Paris 1994 : I. Hymne aux Quatre Grands Jours, p. 60,134,2 (sur l’homme nouveau, les cinq psychiques et les cinq spirituels) et les commentaires, p. 147 sqq., en particulier p. 151, p. 161 et p. 166 ; surtout XVIII. Psaume du nombre cinq, p. 104-105, et les commentaires, p. 343-351 ; aussi XXVI. Psaume des Élus, p. 120-121 (où nous retrouvons, au verset 25, les Gens de la droite et les Gens de la gauche des versets coraniques commentés par nos traditions shi’ites ; ci-dessus hadith no 1) et les commentaires p. 395-400. 17. Journal Asiatique (novembre-décembre 1911), p. 557 sqq. ; h.-c. puech, En quête de la gnose, t. II, p. 100-102. Sur les pentades dans le manichéisme voir aussi T. pettipiece, « The Face of the Father: Pentadization in the Manichaean Kephalaia (Chapter 21) », Vigiliae christianae 61 (2007), p. 470-477 ; iD., Pentadic Redaction in Manichean Kephalaia, Leyde 2009.

384

Les cinq esprits de l’homme divin Les manichéens ont dû emprunter ces exégèses du logion 19 aux gnostiques du deuxième siècle. Dans l’épiclèse des Actes de Thomas, il est fait mention de l’esprit saint comme l’Envoyé ou le Messager des cinq membres, soit noûs, ennoïa, phronêsis, enthumêsis et logismos. Résumant une doctrine théologique de Basilide, Irénée évoque le Dieu suprême entouré de cinq hypostases émanées de lui, à savoir noûs, logos, phronêsis, sophia et dunamis 18. Même chose dans la Sophia de Jésus-Christ où cinq des six membres parfaits ou immortels du premier homme sont identiques à la pentade manichéenne et énumérés dans le même ordre. Tertullien de son côté rapporte dans De anima xViii,4, que les gnostiques, notamment les valentiniens, établissaient un parallèle entre les « sens corporels » (corporales sensus) et les cinq vierges folles de la parabole évangélique, de même qu’entre les « puissances intellectuelles » (intellectuales uires) et les cinq vierges sages. La doctrine des cinq membres ou cinq sens spirituels aurait ainsi existé au sein de courants gnostiques antérieurs au manichéisme. Michel Tardieu ajoute les termes latins et moyen-perses aux listes terminologiques de Puech concernant les cinq membres de l’homme parfait manichéen 19. Il énumère d’abord leur intitulé général dans les différentes langues des corpus manichéens : les cinq pensées (en parthe), les cinq éons, les noms de l’âme ou les splendeurs (en grec), les cinq demeures ou les pères (en syriaque), les cinq mondes (en syriaque, grec, latin et arabe dans la description des manichéens chez Ibn al-Nadīm par exemple). Il établit ensuite le tableau suivant : [trad.] syriaque

grecque

latin

moyen perse

1. intelligence 2. science 3. pensée 4. réflexion 5. conscience

noûs ennoïa phronêsis enthumêsis logismos

mens sensus prudentia intellectus cogitatio

bām manohmēd ūsh andeshisn parmānag*

* Voir aussi le tableau de la p. 367 de M. tarDieu, Écrits gnostiques, concernant le § 12 du « Livre de sagesse de Jésus et Eugnoste », p. 180, commentaires p. 366-368 (sur les cinq membres intellectifs de l’Homme primordial).

18. h.-c. puech, En quête de la gnose, t. II, p. 104. La mention de la dunamis semble jeter une certaine lumière sur « l’esprit du mouvement » (rūḥ al-madraj) des traditions shi’ites, a priori inexplicable, comme l’est également « l’esprit du désir » (rūḥ al-shahwa). 19. m. tarDieu, Le Manichéisme, Paris 1981, p. 106-107. Selon M. Tardieu, innombrables sont les textes manichéens où le thème des cinq membres intellectifs ou des cinq membra dei est présent. Pour la littérature gnostique probablement pré-manichéenne voir aussi iD., Écrits gnostiques. Codex de Berlin, Paris 1984, « Livre des secrets de Jean », § 23, p. 101-103 et commentaire p. 268-271 (sur les entités intellectives) ; § 45, p. 123-125 et commentaire p. 300-308 (sur le corps psychique). M. Tardieu date cette source de la seconde moitié du iie siècle alors que dans une étude plus récente, B. Barc – W.-p. FunK, Le Livre des secrets de Jean. Recension brève (NH III,1 et BG, 2), Louvain 2012, elle est datée de la première moitié du même siècle et fondée sur la connaissance du texte hébraïque de la Genèse et non sur le texte grec de la Septante. Je remercie Jean-Daniel Dubois de m’avoir présenté cette étude.

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Mohammad Ali Amir-Moezzi Nous avons déjà vu une possible influence iranienne dans le dénombrement des facultés spirituelles. La mention, par Michel Tardieu, de l’usage de la langue moyen-perse ou pehlevi par les Manichéens nous y ramène de nouveau 20. Justement, un des textes zoroastriens les plus capitaux en moyen-perse, le Dēnkart, comporte des passages significatifs sur les quatre ou cinq facultés spirituelles de l’homme en relation avec le monde divin. Il est vrai que ce texte religieux, datant du ixe siècle de notre ère, est fort tardif mais on sait aussi que les matériaux rassemblés dans ce genre d’ouvrages zoroastriens, composés donc trois siècles après l’avènement de l’islam et très probablement en réaction directe à la religion arabe, sont souvent d’origine très ancienne. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que le Livre d’Esaïe, dont les versets 11,2-3 semble être la source première des doctrines qui nous occupent, traite de la déportation des Juifs à Babylone, de leur retour à Jérusalem et de la reconstruction du temple sur les ordres du souverain achéménide Cyrus le Second. Il est donc postérieur à la période perse où, selon bon nombre de spécialistes, la religion juive a subi quelques influences mazdéennes importantes 21. Quant au Dēnkart, surtout deux des chapitres de son Troisième Livre sont consacrés, entre autres, aux composantes intérieures de l’homme. D’abord, le chapitre 123 sur les correspondances entre le monde spirituel mēnōg et le monde matériel gētī dans l’univers en général et dans l’homme en particulier. Dans une énumération complexe, les composantes « mēnōgienne », spirituelles ou célestes, de l’âme sont les suivantes : ruvān, waxsh, čīhr et frawahr qui sont les puissances de la vie, jān. Le moyen le plus puissant pour vivifier ces facultés est le xrad/ashn xrad, intelligence ou connaissance, elle-même éminemment « mēnōgienne » puisque souvent identifiée à la Bonne Religion (wēh dēn) 22. Nous retrouvons les cinq composantes de l’âme ainsi que le rôle central de l’intelligence de nos traditions shi’ites. Et puis le chapitre 218, dont l’intitulé traduit par le Père Jean de Menasce est : « Sur la réalité mēnōgiennes qui sont dans la [personne] de l’homme, leurs agents et leurs opérations 23. » Ici, les agents des réalités spirituelles en l’homme sont au nombre de quatre : ruwān, jān, frawahr et bōy. Le chapitre s’efforce de

20. Voir aussi Ibid., commentaire du § 45, p. 303 sqq. (comparaison avec plusieurs livres zoroastriens). 21. Voir par ex. J.-D. m acchi – t. römer – c. nihan (éd.), Introduction à l’Ancien Testament, Genève 2005, p. 410 sqq. 22. Le Troisième Livre du Dēnkart, traduit du pehlevi par J. de menasce, Paris 1973, chap. 123, p. 125 sqq. (= texte pehlevi : D. m. m aDan [éd.], The Complete Text of the Pahlavi Dinkart, Bombay 1911, p. 119 ; M. J. DresDen, Dēnkart, a Pahlavi Text, facsimile Edition of the Manuscript B of the K.R.Cama Oriental Institute Bombay, Wiesbaden 1966, p. 89). Les termes sont aussi difficilement traduisibles que la terminologie des composantes de l’âme dans d’autres langues, comme on l’a vu. Sur les conseils du Professeur Frantz Grenet (que je remercie de tout cœur), les transcriptions du pehlevi ont été actualisées en fonction du système Mc Kenzie. 23. Le Troisième Livre de Dēnkart, chap. 218, p. 230-231 (= éd. m aDan, p. 241 ; éd. DresDen, p. 190).

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Les cinq esprits de l’homme divin les définir et de les articuler avec d’autres facultés comme waxsh, čīhr, ahw, etc. Selon Shaul Shaked, complétant les études de Harold Bailey sur la xwarnah/ farrah (« lumière de gloire » des hommes mēnōgiens), la multiplicité des composantes de l’âme et la correspondance de celles-ci avec des puissances célestes est une très vieille conception iranienne. C’est justement cette composition, comprenant de quatre à sept facultés, et son articulation avec le monde mēnōg qui permettent la relation entre l’homme divin et des entités divines ou avec Ahurā Mazdā lui-même 24. Prolongements et implications Revenons à nos quatre traditions shi’ites. L’une d’entre elles remonte au cinquième imam, Muhammad al-Bāqir (m. vers 119/737), et les trois autres au sixième, Jaʿfar al-Ṣādiq (m. 148/765). Ce qui nous ramène à la fin du ier/ Viie et surtout la première moitié du iie/Viiie siècle. D’après l’étude classique de Heinz Halm, complétant celles d’Israel Friedländer et de Marshall Hodgson, cette période correspondrait effectivement à l’adoption des doctrines gnostiques et dualistes manichéennes par les cercles shi’ites 25. L’absence de source directe aux deux premiers siècles de l’islam rend difficile l’étude de la filiation littéraire entre les mouvements gnostiques et les différentes branches du shi’isme. Cependant de nombreuses études, dont la plus complète reste l’ouvrage monographique déjà mentionné de Heinz Halm, ont pu montrer que des courants religieux de type gnostique, notamment ceux influencés ou restés fidèles aux adeptes de Mani (Mānī en arabe), de Bardesane (Bardayṣān) et de Marcion (Marqiyūn), étaient restés actifs en terre d’islam, jusqu’aux iiie et iVe/ixe et xe siècles, parfois se convertissant à la nouvelle religion arabe, avec armes et bagages intellectuels et spirituels 26. Il faut préciser que les régions

24. H. W. Bailey, Zoroastrian Problems in the Ninth-century Books, Oxford 1943, passim ; S. shaKeD, Dualism in Transformation: Varieties of Religion in Sasanian Iran, Londres 1994, p. 53 sqq. ; K. D. croW, « The ‘Five Limbs’ of the Soul », p. 20 et notes 22 et 23, où il est également fait allusion aux quatre facultés intérieures dans le Corpus Hermeticum et chez Jamblique (respectivement références à B. P. copenhaVer, Hermetica, Cambridge 1992, p. 225 et D. J. o’meara, Pythagoras Revived: Mathematics and Philosophy in Late Antiquity, Oxford 1989, Appendix 1, p. 218-219). 25. I. FrieDlänDer, « The Heterodoxies of the Shiites according to Ibn Ḥazm », Journal of the American Oriental Society 28 (1907), p. 1-80 et 29 (1909), p. 1-183; iD., « ʿAbdallāh b. Saba’, der Begründer der Shīʿa und sein Jüdischer Ursprung”, Zeitschrift für Assyriologie 23 (1909), p. 32-63 ; M. G. S. hoDGson, « How did the early Shīʿa become sectarian », Journal of the American Oriental Society 75 (1955), p. 1-31 (maintenant dans E. KohlBerG [éd.], Shīʿism, Aldershot 2003, article 1) ; H. h alm, Die islamische Gnosis. Die Extreme Shia und die ʿAlawiten, Zürich-Münich 1982, passim. 26. Les Gnostiques dualistes et les Manichéens ainsi que leurs doctrines étaient bien connus des Musulmans ; voir G. VaJDa, « Le témoignage d’al-Māturīdī sur la doctrine des Manichéens, des Dayṣānites et des Marcionites », Arabica 11 (1964), p. 1-38 et p. 113-128 ;

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Mohammad Ali Amir-Moezzi de prédilection de ces mouvements étaient presque toutes situées en Irak (surtout les cités de Kūfa, non loin de l’importante cité sassanide de Ḥīra, et de Baṣra), c’est-à-dire la terre natale du shi’isme 27. De ce qui ressort des ouvrages hérésiographiques musulmans, mais aussi des corpus imamites et ismaéliens, ainsi que des ouvrages issus des milieux shi’ites dits « extrémistes » (des livres comme le Kitāb al-Haft wa l-aẓilla ou encore l’Umm al-kitāb sur lequel je reviendrai), on peut raisonnablement déduire que les enseignements de type gnostique, se transmettant surtout de manière initiatique (c’est-à-dire principalement orale ou sous le signe du secret) avaient cours dès l’imamat de nos deux imams, surtout le second, c’est-à-dire donc aux confins des ier et iie/ Viie et Viiie siècles 28. De plus, certaines études consacrées à l’imam Jaʿfar al-Ṣādiq dressent de lui le portrait d’un grand savant entouré d’un cercle de disciples venus de tous horizons, notamment des milieux gnostiques, manichéens, judéo-chrétiens et chrétiens, sans parler du corpus des sentences qui lui sont attribuées dans toutes sortes de genres littéraires et qui contient un très grand nombre

G. monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes. ʿAbd al-Jabbār et ses devanciers, Paris 1974, surtout chap. IV et V ; iD., Islam et religions, Paris 1986, chap. III, V et VI. 27. Il n’y a aucun doute sur la présence des doctrines de type gnostique dans bon nombre de courants shi’ites. Ce qui fait débat ce sont les milieux et les moyens de leur transmission en terre d’islam. Voir par ex. l. massiGnon, « Die Ursprünge und die Bedeutung des Gnostizismus im Islam », Eranos Jahrbuch 1937, p. 55-77 (= Opera Minora, éd. par Y. mouBarac, Beyrouth 1963, vol. 1, p. 499-513) ; h. corBin, « De la gnose antique à la gnose ismaélienne », dans Oriente e Occidente nel Medioevo. Convegno di scienze morali, storiche e filologiche, Rome 1957, p. 105-146 (repris dans iD., Temps cyclique et gnose ismaélienne, Paris 1982, 3e partie) ; iD., « L’idée du Paraclet en philosophie iranienne », dans La Persia nel Medioevo, Rome 1970, p. 37-68 (repris dans iD., Face de Dieu, face de l’Homme, Paris 1983, p. 311-358) ; u. ruBin, « Pre-existence and Light. Aspects of the Concept of Nūr Muḥammad », Israel Oriental Studies 5 (1975), p. 62-119 ; w. al-qāḍī, «The Development of the Term Ghulāt in Muslim Literature with Special Reference to the Kaysāniyya », dans I. Dietrich (dir.), Akten des VII. Kongresses für Arabistik und Islamwissenschaft, Göttingen 1976, p. 295-319 (maintenant dans E. KohlBerG [éd.], Shīʿism, article 8) ; h. halm, Kosmologie und Heislehre der frühen Ismāʿīliyya. Eine Studie zur islamischen Gnosis, Wiesbaden, 1978, passim ; M. Bar-asher – A. KoFsKy, The Nuṣayrī-ʿAlawī Religion. An Enquiry into its Theology and Liturgy, Leyde-Boston 2002, passim. 28. L. m assiGnon, « Der gnostische Kult der Fatima im schiitischen Islam », Eranos Jahrbuch 1938, p. 161-173 (= Opera Minora, vol. 1, p. 514-522) ; E. F. tiJDens, « Der mythologischgnostische Hintergrund des Umm al-Kitāb », Acta Iranica 7 (1977), p. 241-526 ; H. h alm, « Das ‘Buch der Schatten’. Die Mufaḍḍal-Tradition der ghulāt und die Ursprünge des Nuṣairiertums », Der Islam 55 (1978), p. 219-265 et 58 (1981), p. 15-86 ; s. m. Wasserstrom, « The Moving Finger Writes: Mughīra b. Saʿīd’s Islamic Gnosis and the Myths of its Rejection », History of Religions 25/1 (1985), p. 62-90 ; D. De smet, « Au-delà de l’apparent : les notions de ẓāhir et bāṭin dans l’ésotérisme musulman », Orientalia Lovaniensia Periodica 25 (1994), p. 197-220 ; iD., La Philosophie ismaélienne : un ésotérisme chiite entre néoplatonisme et gnose, Paris 2012, passim ; W. tucKer, Mahdīs and Millenarians: Shiite Extremists in Early Muslim Iraq, New York 2008, passim.

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Les cinq esprits de l’homme divin d’enseignements enracinés dans les traditions mystiques et spirituelles tardo-antiques, de la théologie néoplatonicienne aux sciences occultes, notamment l’alchimie, de l’hermétisme au néo-pythagorisme, de l’herméneutique ésotérique à l’anthropologie mystique 29. Enfin, nos trois traditions sur les « cinq esprits » rapportées par al-Kulaynī sont transmises aux noms de ceux que la littérature prosopographique shi’ite connaît fort bien à savoir « les Deux Juʿf ī » : Jābir b. Yazīd al-Juʿf ī et Mufaḍḍal b. ʿUmar al-Juʿf ī, tous deux disciples des deux imams mentionnés. On trouve également leurs noms dans les chaînes de transmetteurs (isnād) des traditions du même genre rapportées par al-Ṣaffār al-Qummī que nous verrons plus loin. Or, les deux sont connus pour avoir transmis notamment des enseignements de type gnostique, ésotérique et mystique de leurs maîtres, surtout ceux de Jaʿfar al-Ṣādiq 30. Tous ces éléments donnent à penser que nos traditions dateraient effectivement de la fin du ier/Viie ou des débuts du iie/Viiie siècle. Même leur attribution aux deux imams Muḥammad al-Bāqir et encore plus à Jaʿfar al-Ṣādiq semble plausible. Dans ce cas, ces enseignements shi’ites seraient effectivement les plus anciennes attestations en islam des thèmes qui nous occupent et témoigneraient des milieux par lesquels ceux-ci ont transité pour passer des traditions antérieures à cette religion. Al-Ḥakīm al-Tirmidhī (m. entre 295 et 310/907-922) est un autre penseur musulman à avoir exploité assez longuement le thème des composantes de l’âme. Exact contemporain d’al-Ṣaffār al-Qummī et d’al-Kulaynī, mystique original d’une importance significative dans l’histoire des idées ésotériques en islam, c’est à lui que Karim D. Crow a consacré la majeure partie de son travail 31. Dans plusieurs de ses ouvrages, en l’occurrence al-Masā’il al-maknūna, ʿIlm al-awliyā’ ou encore Ghawr al-umūr, le Sage de Tirmidh parle des quatre, cinq ou six composantes de l’intelligence (al-ʿaql) qu’il

29. J. rusKa, Arabische Alchemisten, t. II, Jaʿ far al-Ṣādiq, der sechste Imām, Heidelberg 1924 ; p. K raus, Jābir b. Ḥayyān. Contribution à l’histoire des idées scientifiques dans l’islam, Le Caire 1942 (rééd. Paris 1986), index s.n. ; T. FahD, « Ğaʿfar al-Ṣādiq et la tradition scientifique arabe », dans Le shīʿisme imāmite. Actes du colloque de Strasbourg (6-9 mai 1968), Paris 1970, p. 131-142 ; P. lory, Alchimie et mystique en terre d’islam, Paris-Lagrasse 1989, index s.n. ; H. a nṣāRī, « Abū l-Khaṭṭāb » (traduit du persan par R. Gholami), Encyclopaedia Islamica, vol. 2, p. 203-210. 30. Sur Jābir b. Yazīd, voir maintenant H. moDarressi, Tradition and Survival. A Bibliographical Survey of Early Shīʿite Literature, vol. 1, Oxford 2003, index s.n. et en particulier p. 86-103. Sur Mufaḍḍal b. ʿUmar, voir H. h alm, « Das ‘Buch der Schatten’ » ; L. capezzone, « Il Kiāb al-ṣirāṭ attribuito a Mufaḍḍal b. ʿUmar al-Juʿf ī. Edizione del ms. Unico (Paris, Bibliothèque Nationale) e studio introduttivo », Rivista degli Studi Orientali 69/3-4 (1995), p. 29-151 ; et surtout maintenant l’excellente thèse de doctorat de M. asatryan, « Heresy and Rationalism in Early Islam. The Origins and Evolution of Mufaḍḍal-Tradition », Yale University 2012 (sous presse). Je remercie cordialement le Dr Mushegh Asatryan de m’avoir envoyé son ouvrage avant sa parution. 31. K. D. croW, « The ‘Five Limbs’ of the Soul », p. 24-30.

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Mohammad Ali Amir-Moezzi appelle les « armées de l’esprit, du cœur ou de la connaissance ( junūd al-rūḥ/ al-qalb/al-maʿrifa) ». Ici, nous retrouvons souvent les quatre éléments de l’intelligence de la tradition shi’ite du Kitāb al-ʿaql wa l-jahl d’al-Kulaynī (notre quatrième et dernière tradition présentée au début de cette étude), à savoir, en compagnie du ʿaql : al-fiṭna (sagacité), al-fahm (compréhension), al-ʿilm (connaissance), al-ḥifẓ (mémoire/attention ; remplacé parfois par al-dhihn, aptitude à apprendre ; variante : dhukā’, vivacité d’esprit), toujours avec les mêmes réserves concernant leur traduction exacte. La proximité d’al-Tirmidhī avec les traditions shi’ites est également perceptible dans son emploi de l’expression : les « armées de l’intelligence », junūd al-ʿaql qui, évidemment, rappelle la fameuse tradition cosmogonique qui fonde le dualisme shi’ite, à savoir le hadith des 75 Armées de l’Intelligence cosmique et de l’Ignorance cosmique ( junūd al-ʿaql wa l-jahl) 32. On s’aperçoit encore une fois, comme l’a déjà souligné avec pertinence Geneviève Gobillot dans de nombreux passages de ses travaux, du parallélisme frappant entre al-Tirmidhī et al-Kulaynī 33. Ce qui semble montrer de manière assez évidente que le mystique transoxianais puisait dans les mêmes sources shi’ites que l’auteur du Kitāb al-Kāfī, et ce pas uniquement pour ce qui est sa doctrine sur l’intelligence spirituelle.

32. K. D. croW, « The ‘Five Limbs’ of the Soul », p. 24-26 et p. 29 ; voir la traduction du Ghawr al-umūr d’al-Tirmidhī par G. GoBillot, Le Livre de la Profondeur des choses, Villeneuve d’Ascq 1996, p. 259-260 et p. 271-272. Sur la tradition des Armées de l’Intelligence et de l’Ignorance voir K. D. croW, « The Role of al-ʿAql in Early Islamic Wisdom, with Reference to Imam Jaʿfar al-Ṣādiq », chap. 5 ; M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin, p. 18-21 ; iD., La Religion discrète, chap. 12, p. 304 sqq. ; iD., « Words and their Inhabitants. Some Notes on Imami-Shi’i Cosmo-anthropogony », à paraître dans le volume d’hommage à Henri Hugonnard-Roche. Cette tradition est rapportée par de nombreuses sources shi’ites anciennes antérieures, contemporaines ou légèrement postérieures à al-Tirmidhī, comme par ex. dans l’ordre chronologique : al-Barqī (m. vers 274/888 ou 280/894), Kitāb al-Maḥāsin, vol. 1, p. 96-98 ; al-Kulaynī, al-Uṣūl min al-Kāf ī, « K. al-‘aql wa l-jahl », no 14, vol. 1, p. 23-26 ; (Pseudo ?) al-Masʿūdī (m. 345/956), Ithbāt al-waṣiyya, Najaf s.d., p. 1-3 ; Ibn Shuʿba (vivant milieu iVe/xe s.), Tuḥaf al-ʿuqūl, p. 423425. Sur l’attribution de l’Ithbāt al-waṣiyya à al-Masʿūdī et les problèmes qu’elle pose voir C. pellat, « Masʿūdī et l’imāmisme », dans Le shī’īsme imāmite, p. 69-90 ; et maintenant ḥ. a nṣāRī, « Moʿammā-ye čand ketāb : az Kitāb al-awṣiyā’ –e Shalmaghānī tā Ithbāt al-waṣiyya –ye Masʿūdī (hamrāh bā barrasī-ye yekī az manābeʿ-e do ketāb-e al-Hidāyat al-kubrā va Dalā’il al-imāma) », dans iD., Barrasī hā-ye tārīkhī dar ḥawze-ye eslām va tashayyoʿ, Téhéran 1390 solaire/2012, chap. 86, p. 875-918. 33. G. GoBillot, Le Livre de la Profondeur des choses, p. 96, p. 121, p. 134-136, p. 139-140 (où il est également fait allusion à l’influence du manichéisme sur al-Tirmidhī), p. 259-260 et p. 271-272 ; « Jésus selon les mystiques musulmans », Graphé 7, « Les vies de Jésus » (1998), p. 60-135 (p. 101-102) ; « Un point sur les études tirmidhiennes », Annales Islamologiques 32 (2000), p. 67-79 (p. 77) ; « Les sources de l’anthropologie spirituelle », p. 283, p. 288, p. 294-296, p. 309-310 et p. 312 ; al-Tirmidhī, Le Livre des Nuances ou de l’impossibilité de la synonymie (Kitâb al-furûq wa manʿ al-tarâduf ), Traduction commentée, précédée d’une étude des aspects historiques, thématiques et linguistiques du texte par G. GoBillot, Paris 2006, p. 488-489.

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Les cinq esprits de l’homme divin Le troisième et dernier auteur présenté par Crow est le propagandiste shi’ite ismāʿīlien Jaʿfar b. Manṣūr al-Yaman (m. vers 380/990) 34. Dans ses Sarā’ir wa asrār al-nuṭaqā’, celui-ci semble compter quatre composantes pour l’intelligence (al-ʿaql), à savoir fikr (pensée/méditation), dhikr (rappel/ souvenir), dhihn (aptitude à apprendre) et ḥifẓ (mémoire/attention) et établit, dans un système assez confus il faut l’avouer, une correspondance entre les cinq facultés intellectuelles de l’homme (ʿaql, nafs, dhikr, dhihn, fikr) et les cinq « hypostases » du système cosmogonique ismāʿīlien, à savoir sābiq, tālī, jadd, fatḥ et khayāl. Ces deux auteurs se sont occupés de l’intelligence et ses composantes. Beaucoup d’autres auteurs, surtout parmi les philosophes et théologiens ismāʿīliens, y ont également fondé leur noétique 35. D’autres sources se sont intéressées aux esprits multiples de l’homme de Dieu. Par exemple le fameux texte ésotérique shi’ite Umm al-kitāb. Bien que considéré comme un de leurs textes sacrés par les Ismāʿīliens d’Asie Centrale, ce texte dont il n’existe qu’une traduction en persan archaïque faite à partir d’un original en arabe, semble provenir des milieux proto-ismāʿīliens ésotéristes de type gnostiques, ceux que les hérésiographes taxent d’extrémisme (ghuluww). En ce qui concerne la datation de l’original arabe, son éditeur, Wladimir Ivanow, a hésité, au gré de ses publications étalées sur plusieurs décennies, entre le iie/ Viiie et le Ve/xe-xie siècle 36. Or, révisant les analyses d’Ivanow mais aussi celles de Pio Fillipani-Ronconi et de E. F. Tijdens, Heinz Halm, à ce jour l’auteur des études les plus complètes sur le texte, considère que les parties les plus anciennes du Umm al-kitāb dateraient effectivement de la première moitié du iie/Viiie siècle 37. Ce qui nous amène à l’époque de l’imamat de Jaʿfar al-Ṣādiq.

34. K. D. croW, « The ‘Five Limbs’ of the Soul », p. 30. 35. Sur ce système et les pentades sacrées dans l’ismāʿīlisme, trop sommairement présentés par K. D. Crow, voir p. WalKer, « Cosmic Hierarchies in Early Ismāʿīlī Thought. The View of Abū Yaʿqūb al-Sijistānī », Muslim World 66 (1976), p. 14-28 ; et surtout h. h alm, Kosmologie und Heilslehre der frühen Ismāʿīlīya. Eine Studie zur islamischen Gnosis, Wiesbaden 1978, p. 67-74 ; iD., « The Cosmology of the Pre-Fatimid Ismāʿīliyya », dans F. DaFtary (dir.), Mediaeval Ismaiʿili History and Thought, Cambridge 1996, p. 75-83 ; et maintenant D. De smet, « La fonction noétique de la triade al-Jadd, al-Fatḥ et al-Khayāl. Les fondements de la connaissance prophétique dans l’ismaélisme », dans H. BiesterFelDt – V. K lemm (dir.), Differenz und Dynamik im Islam, p. 319-336. 36. W. iVanoW, « Notes sur l’Ummu’l-kitāb des Ismaéliens de l’Asie Centrale », Revue des Études Islamiques 6 (1932), p. 425-426 (Ve/xe-xie s.) ; iD., The Alleged Founder of Ismailism, Bombay 1946, p. 99-101 et Studies in Early Persian Ismailism, Leyde 1948, p. 108 (iie/ Viii e s.) ; i D., Ismaili Literature : A Bibliographical Survey, Téhéran 1963, p. 193 sqq. (V e/ x e -xi e s.). 37. h. h alm, « ‘Das Buch der Schatten’ », p. 36 sqq. ; iD., Die islamische Gnosis, p. 113 sqq. ; iD., « The Cosmology of the Pre-Fatimid Ismāʿīliyya », p. 82 sq. Voir aussi p. Fillipani-ronconi, Ummu’l-Kitāb: Introduzione, traduzione et note, Naples 1966 ; iD., « Note sulla soteriologia e sul simbolismo cosmico dell’Ummu‘l-Kitāb », Annali dell’Istituto Universitario Orientale di Napoli 14 (1964), p. 98-141 ; e. F. tiJDens, « Der

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Mohammad Ali Amir-Moezzi Cependant, beaucoup plus récemment, Sean Anthony, dans une étude fort documentée, est revenu sur cette datation et pense que les plus vieilles parties de l’ouvrage dateraient de la période de l’Occultation mineure du douzième imam des Imamites, c’est-à-dire la seconde moitié du iiie/ixe siècle 38. Dans ce cas, l’ouvrage est l’exact contemporain des Baṣā’ir al-darajāt d’al-Ṣaffār et du Kāfī d’al-Kulaynī. Dans tous les cas, nous nous trouvons pleinement dans ce que j’ai appelé ailleurs « la tradition originelle ésotérique » pré-bouyide 39. Au début du Umm al-kitāb, pendant une séance à l’école, le jeune imam Muḥammad al-Bāqir, doté d’une science initiatique miraculeuse, explique à son professeur ʿAbdallāh b. Saba’, les significations ésotériques des lettres de l’alphabet 40. C’est au cours de ces explications que sont mentionnés les différents éléments des traditions que nous avons examinées chez al-Kulaynī et qui désignent les capacités spirituelles et intellectuelles de l’homme de Dieu : l’esprit de la vie (rūḥ al-ḥayāt), l’esprit de la foi (rūḥ al-īmān), l’esprit de la mémoire/attention (rūḥ al-ḥifẓ), l’esprit de la réflexion/méditation (rūḥ al-fikr), l’esprit du pouvoir (rūḥ al-jabarūt ; cf. rūḥ al-quwwa chez al-Kulaynī), l’esprit de la connaissance (rūḥ al-ʿilm), l’esprit de l’intelligence (rūḥ al-ʿaql), l’esprit saint/de la sainteté (rūḥ al-quds) appelé également l’esprit universel (rūḥ-i kull, en persan) ou l’esprit suprême (rūḥ al-akbar et rūḥ al-aʿẓam [sic, au lieu d’al-rūḥ al-kubrā et al-rūḥ al-ʿuẓmā]). Un peu plus loin, les esprits des cinq sens physiques sont mis en correspondances avec les « Cinq du Manteau » (Muḥammad, Fāṭima, ʿAlī, al-Ḥasan et al-Ḥusayn) et les cinq esprits intérieurs couronnés, là encore, par l’esprit saint 41. Ailleurs, les cinq « hypostases » de l’ismāʿīlisme sont mentionnées : ‘aql, nafs, fatḥ, jadd, khayāl (traduites ici par Intellect universel, Âme universelle, Victoire, Gloire et Imagination), mises en

38. 39. 40.

41.

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mythologisch-gnostische Hintergrund des Umm al-kitāb ». Voir aussi B. RaDtKe, « Iranian and Gnostic Elements in Early Taṣawwuf : Observations Concerning the Umm al-kitāb », dans G. Gnoli – A. panaino (dir.), Proceedings of the First European Conference of Iranian Studies, t. II, Rome 1990, p. 519-530. S. W. a nthony, « The Legend of ʿAbdallāh ibn Saba’ and the Date of Umm al-Kitāb », Journal of the Royal Asiatic Society 21/1 (2011), p. 1-30 (en particulier p. 17-18). M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin, p. 33 sqq. ; M. A. a mir-moezzi – c. JamBet, Qu’est-ce que le shi’isme ?, Paris 2004, partie III, chap. 1 à 3. Éd. W. iVanoW, « Ummu’l-kitāb », Der Islam 23 (1936), p. 21 sqq. (l’ensemble de l’article et du texte persan, p. 1-132). Le nom de ʿAbdallāh b. Saba’ a été changé, volontairement ou non, en ʿAbdallāh b. Ṣabbāḥ (voir Ibid., p. 7) ; sur ce changement voir W. iVanoW, « Notes sur l’Ummu’l-kitāb », p. 428 et note 2 ; E. F. tiJDens, « Der mythologisch-gnostische Hintergrund des Umm al-kitāb », p. 279. Texte de Umm al-Kitāb (éd. W. iVanoW), p. 28-31 : les esprits de la vue (rūḥ-e bīnā’ī), de l’ouïe (shinavā’ī), de l’odorat (būyā’ī), du goût (čāshnīgīr), de la parole (sic : gūyā’ī ! au lieu du toucher ?), correspondant respectivement d’une part avec al-Ḥusayn, al-Ḥasan, Fāṭima, Muḥammad et ʿAlī, et d’autre part avec l’esprit de la vie, de la foi, de la mémoire/attention, de la pensée/méditation, de la connaissance. L’esprit saint coiffant les autres esprits est présenté comme étant la forme visible de la Personne divine (rūḥ al-quds ke muʿāyana-ye shakhṣ-e khodāvand ast).

Les cinq esprits de l’homme divin correspondance avec les afrād (les Esseulés) et les yatīm (les Orphelins ou les Incomparables) que les Shi’ites Nuṣayrī identifient aux cinq compagnons de ʿAlī, c’est-à-dire Salmān le Perse, al-Miqdād b. Aswad, Abū Dharr al-Ghifārī, ʿUthmān b. Maẓʿūn et ʿAmmār b. Yāsir (ou selon une autre liste : al-Miqdād, Abū Dharr, ʿAbdallāh b. Rawāḥa, ʿUthmān b. Maẓʿūn et Qanbar b. Kādān) 42. Mentionnons enfin un texte à priori inattendu dans notre enquête : l’Évangile de Barnabé, dans sa relecture musulmane bien entendu. Apocryphe énigmatique d’origine espagnole, écrit probablement par un ou plusieurs Morisques (Musulmans espagnols convertis de force au christianisme aux xVe et xVie siècles, donc après la Reconquista) ou au contraire par un moine chrétien converti à l’islam, l’Évangile de Barnabé est une « Vie de Jésus » conforme à l’idée que l’islam se fait du Nouveau Testament et de la figure du Christ. Sa plus ancienne mention daterait du xViie siècle, mais son seul manuscrit parvenu jusqu’à nous, écrit en italien et conservé à Vienne (Autriche) date du xVie siècle 43. Ce qui est remarquable au regard de notre problématique c’est que ce texte a été jugé par certains savants, par exemple Lonsdale et Laura Ragg, Luigi Cirillo et Jan Joosten, comme appartenant aux mouvances diatessariques gnostiques 44. Or, on sait maintenant, grâce surtout aux récents travaux de Michael Ebstein et d’Ehud Krinis qui viennent très utilement compléter l’étude classique de Shlomo Pines, que les milieux musulmans de type gnostiques et mystiques en Espagne musulmane étaient profondément

42. Umm al-Kitāb, p. 107 ; sur le plérôme des Esseulés/Orphelins dans l’ismāʿīlisme et surtout dans le Nuṣayrisme voir R. DussauD, Histoire et religion des Noṣairîs, Paris 1900, p. 68 sqq. ; M. moosa, Extremist Shiʿites: the Ghulat Sects, New York 1988, p. 357 sqq. ; M. Barasher – A. KoFsKy, The Nuṣayrī-ʿAlawī Religion, index s.v. yatīm, yatīmiyya. On peut remonter jusqu’à la secte shi’ite des Gens de Cinq (Mukhammisa) ; voir L. m assiGnon, La Passion de Hallâj, martyr mystique de l’Islam, t. IV, Paris rééd. 1975, index s.v. Mukhammisa et Mukhammisî, p. 271. 43. Voir par ex. J. Jomier, « L’Évangile selon Barnabé », Mélanges de l’Institut Dominicain d’Études Orientales 6 (1959-1961), p. 137-226 ; M. De epalza, « Sobre un posible Autor Español des Evangelio de Barnabé », Andalus 28 (1963), p. 479-491 ; P. s. Van KoninGsVelD, « The Islamic Image of Paul and the Origin of the Gospel of Barnabas », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 20 (1996), p. 200-228 ; L. F. BernaBe pons, El texto morisco del Evangelio de San Barnabé, Grenade 1998, introduction. Voir aussi s. pines, The Jewish Christians of the Early Centuries of Christianity according to a New Source, Jérusalem 1966 (selon Pines, un Évangile de Barnabé était connu des auteurs musulmans du xe siècle ; mais s’agit-il du même texte ?). 44. L. & l. r aGG, The Gospel of Barnabas, Oxford 1907, introduction, p. 4-11 ; L. cirillo – M. Frémaux, Évangile de Barnabé, avec préface d’H. corBin (Recherches sur la composition et l’origine, texte italien et traduction française avec notes et index), Paris 1977, introduction ; J. Joosten, « The Gospel of Barnabas and the Diatessaron », Harvard Theological Review 95/1‎ (2002), p. 73-96. Voir aussi s. pines, The Jewish Christians, p. 13 sqq. ; H. corBin, « L’Évangile de Barnabé et la prophétologie islamique », dans La Foi prophétique et le sacré (Cahiers de l’Université Saint-Jean de Jérusalem 3), Paris 1977, p. 169-212.

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Mohammad Ali Amir-Moezzi influencés par la pensée shi’ite notamment ismāʿīlienne 45. Il est donc plausible d’envisager pour notre texte des sources aussi bien chrétiennes de type gnostique que des sources shi’ites, très probablement ismāʿīlienne. Au chapitre XLIV de l’Évangile de Barnabé, on lit : Le messager de Dieu […] est orné d’esprit d’intelligence et de conseil, d’esprit de sagesse et de force, d’esprit de crainte et d’amour […] 46.

Dans cette liste d’esprits, nous retrouvons aussi bien certains esprits d’Esaïe 11,2-3 que ceux de nos textes shi’ites. Et puis au chapitre CX, les mots suivants sont mis dans la bouche de Jésus : […] Ayez le désir d’être des saints […]. Vous ne recevrez pas ce que vous ne voulez pas désirer. Si vous désirez la sainteté, Dieu est assez puissant pour vous rendre saints en moins de temps qu’il n’en faut pour cligner de l’œil 47.

Lonsdale et Laura Ragg traduisent « si vous désirez la sainteté » par « If you really wish the sanctity by your spiritual desire 48 ». Il me semble que nous ne sommes pas très loin de l’énigmatique « esprit du désir (rūḥ al-shahwa) » du premier hadith du « Livre de la Preuve » du Kāfī d’al-Kulaynī examiné au tout début de la présente étude. Qu’impliquent les textes qui viennent d’être examinés (et la liste n’est certainement pas exhaustive) ? Ce qu’ils ont en commun c’est d’abord soit leur appartenance soit leur dépendance aux doctrines shi’ites. Ensuite, l’objectif ultime de leurs auteurs est de prouver et d’expliquer, par des éléments théologiques, anthropologiques et noétiques intimement liés, que l’homme divin est celui qui est en relation directe avec Dieu. Recevoir l’inspiration ou la révélation divine, c’est cela la raison d’être et la fonction de la sainte intelligence (ʿaql), reflet humain de la Hiéro-intelligence cosmique, équivalent de l’esprit saint ou l’esprit de la sainteté (rūḥ al-quds), expression coranique presque toujours associée à Jésus Christ, identifié par certains théologiens sunnites à

45. s. pines, « Shīʿite Terms and Conception in Judah Halevi’s Kuzari », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 2 (1980), p. 165-251 ; m. eBstein, « Secrecy in Ismāʿīlī Tradition and the Mystical Thought of Ibn al-ʿArabī », Journal Asiatique 298/2 (2010), p. 303-343 ; m. eBstein – s. sViri, « The So-Called Risālat al-Ḥurūf (Epistle on Letters) Ascribed to Sahl al-Tustarī and Letter Mysticism in al-Andalus », Journal Asiatique 299/1 (2011), p. 213-270 ; iD., « Absent yet All Times Present: Further Thoughts on Secrecy in the Shīʿī Tradition and in Sunnī Mysticism », Al-Qanṭara 34/2 (2013), p. 387-413 ; et maintenant Mysticism and Philosophy in al-Andalus. Ibn Masarra, Ibn al-ʿArabī and the Ismāʿīlī Tradition, Leyde 2014 ; e. K rinis, « The Arabic Background of the Kuzari », The Journal of Jewish Thought and Philosophy 21/1 (2013), p. 1-56 ; iD., God’s Chosen People: Judah Halevi’s Kuzari and the Shīʿī Imām Doctrine, Turnhout 2014. 46. Évangile de Barnabé, trad. L. cirillo – M. Frémaux, p. 317, p. 130-131 du manuscrit. 47. Ibid., p. 407-409, p. 270-272 du manuscrit. 48. L. & l. r aGG, The Gospel of Barnabas, p. 313.

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Les cinq esprits de l’homme divin l’ange Gabriel, messager de Dieu al-rūḥ al-amīn, et par les philosophes à l’intellect agent (al-ʿaql al-faʿʿāl) 49. Hérité donc très probablement du shi’isme, dans un processus où al-Ḥakīm al-Tirmidhī, un des plus anciens et plus décisifs théoriciens de l’hagiologie musulmane, semble avoir joué un rôle capital, cette capacité de recevoir l’inspiration divine devient une des caractéristiques du saint dans la mystique sunnite. Cependant, la doctrine shi’ite impliquée par les traditions concernant les composantes intérieures de l’homme divin, dont l’imam est la manifestation par excellence, va beaucoup plus loin, puisqu’elle conduit à la persistance, à la continuité de la prophétie. Là encore, nous sommes dans le prolongement des traditions de type gnostiques de l’Antiquité tardive, avec comme toile de fond la théorie de la communication directe avec Dieu, si accentuée dans les Ennéades de Plotin en particulier et, dans les écrits néoplatoniciens, de manière plus générale. Le corpus de Hadith shi’ite ancien semble totalement explicite à cet égard. Or, le shi’isme se trouve ainsi en contradiction avec le dogme « orthodoxe » selon lequel Muḥammad est « le sceau des prophètes » (compris comme étant le dernier des prophètes) et donc l’islam la dernière religion avant la fin du monde. J’y reviendrai. Dans le « Livre de la Preuve » chez al-Kulaynī, le chapitre consacré aux « cinq esprits » de l’imam est précédé par le chapitre où ce dernier est dit être un muḥaddath (celui à qui parlent les entités célestes, y compris les anges) et un mufahham (celui auquel est donné la Compréhension d’En-Haut) 50. Il est de même suivi par un chapitre sur le fait que l’imam est investi de l’entité céleste appelée l’Esprit (al-rūḥ) dont parle le Coran (par ex. Q. 16:2, 17:85 ou 42:52) : « l’Esprit procédant de l’Ordre du Seigneur », et grâce auquel l’imam est capable de recevoir directement les révélations divines 51. Al-Ṣaffār al-Qummī (m. 290/902-903), écrivant très probablement quelques années avant al-Kulaynī, est encore plus audacieux dans ses Baṣā’ir al-darajāt 52. Ainsi, le chapitre sur les cinq esprits des imams, contient plus de deux fois plus de traditions que chez

49. À ma connaissance, dans le shi’isme, l’Esprit saint n’a pas été identifié à l’ange Gabriel. Sur le sujet en général, voir S. GriFFith, « Holy Spirit », dans J. D. mcauliFFe – c. Gilliot – W. Graham (dir.), Encyclopaedia of the Qur’ān, t. ii, Leyde 2002, p. 442-444. 50. Al-Kulaynī, Kitāb al-Kāf ī, « Kitāb al-ḥujja », bāb anna l-a’imma muḥaddathūn mufahhamūn, vol. 2, p. 13-15 ; sur ces termes hautement techniques de l’imamologie shi’ite voir e. KohlBerG, « The Term ‘Muḥaddath’ in Twelver Shīʿism », dans Studia Orientalia memoriae D. H. Baneth dedicata, Jérusalem 1979, p. 39-47 (repris dans iD., Belief and Law in Imāmī Shīʿism, Aldershot 1991, article no V) ; M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin, index s.v. et en particulier p. 176 sqq. 51. Al-Kulaynī, Kitāb al-Kāf ī, bāb al-rūḥ allatī yusaddid allāh bihā al-a’imma, vol. 2, p. 17-20. 52. Sur ce compilateur majeur de hadith-s et son œuvre voir m. a. a mir-moezzi, « Al-Ṣaffâr al-Qummî (m. 290/902-3) et son Kitâb baṣâ’ir al-darajât », Journal Asiatique 280/3-4 (1992), p. 221-250 ; version amplifiée de cet article dans iD., Le Coran silencieux et le Coran parlant, chap. 4 (« Avènement de la gnose. Une monographie sur la connaissance compilée par al-Ṣaffār al-Qummī ») ; a. J. neWman, The Formative Period of Twelver Shīʿism, chap. 5 et 7.

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Mohammad Ali Amir-Moezzi al-Kulaynī 53. Il est immédiatement suivi par cinq chapitres qui soulignent lourdement les capacités des imams dans la réception de la révélation à travers des dizaines de traditions : « chapitre sur le fait que l’esprit saint se joint aux imams lorsque ces derniers en ont besoin 54 » ; « chapitre sur l’Esprit au sujet duquel Dieu a proclamé dans Son Livre : “Ainsi, nous t’avons révélé un Esprit procédant de notre Ordre”, [Q. 42:52] qui se trouve dans l’Envoyé de Dieu [c.-à-d. Muḥammad] et dans les imams et qui les informe, les guide et les soutient 55 » ; « chapitre sur les questions posées au sage initiateur [c.-à-d. l’imam] au sujet de la science initiatique à laquelle il a accès grâce aux Écrits qu’il possède, science qu’il augmente ou qu’il en dévoile le secret/qu’il interprète et tout cela par [l’intermédiaire] de l’Esprit 56 » ; « chapitre sur l’Esprit au sujet duquel Dieu a dit : “On t’interroge sur l’Esprit. Dis l’Esprit procède de l’Ordre de mon Seigneur” [Q. 17:85], qu’il se trouve dans l’Envoyé de Dieu et dans les Gens de sa Famille, qu’il les guide, les soutient et les enseigne 57 » ; « chapitre sur l’Esprit au sujet duquel Dieu a dit : “Il fait descendre les anges par l’Esprit qui procède de Son Ordre” [Q. 16:2], que cet Esprit se trouve avec les prophètes et les légataires et sur la différence entre l’Esprit et les anges 58 ». Je voudrais terminer mon propos avec quelques traditions particulièrement significatives tirées de ces chapitres : 1. « Quelqu’un demanda à l’imam Jaʿfar al-Ṣādiq : “Que je te serve de rançon ! Cela est-t-il possible qu’on vous pose [à vous les imams] une question et que vous ne connaissiez pas la réponse ?” – “Oui, cela peut arriver.” – “Et dans ce cas que faites-vous ?” – “L’esprit saint nous l’enseigne (tatalaqqānā bihi rūḥ al-quds) 59.” »

53. Al-Ṣaffār al-Qummī, Baṣā’ir al-darajāt, section 9, bāb mā jaʿala allāh f ī l-anbiyā’ wa l-awṣiyā’ wa l-mu’minīn wa sā’ir al-nās min al-arwāḥ wa annahu faḍl al-anbiyā’ wa l-a’imma min āl muḥammad bi-rūḥ al-quds wa dhikr al-arwāḥ al-khams/khamsa (chapitre sur les esprits que Dieu a placés dans les prophètes, les légataires [c.-à-d. les imams], les croyants [c.-à-d. les fidèles initiés] et les autres gens et sur le fait que la supériorité des prophètes et des imams de la descendance de Muḥammad est due à [la présence en eux de] l’esprit saint avec la mention des cinq esprits) (dans l’énoncé de ces titres de chapitres, je donne d’abord la version de l’édition K suivie de celle de l’édition Z). 54. Bāb f ī l’a’imma anna l-rūḥ al-quds tatalaqqāhum idha ḥtājū ilayh. 55. Bāb al-rūḥ allatī qāl allāh f ī kitābihi « wa kadhālik a awḥaynā ilayk a rūḥan min amrinā » annahā f ī rasūl allāh wa f ī l’a’imma yukhbiruhum wa yusaddiduhum wa yuwaffiquhum. 56. Bāb mā yus’al al-ʿālim ʿan al-ʿilm alladhī yuhaddathu bihi min ṣuḥuf ʿindahum azdādahu aw riwāya fa-akhbara bi-sirr/sharḥihī wa anna dhālik min al-rūḥ. 57. Bāb al-rūḥ allatī qāl allāh : « yas’alūnnak a ʿan al-rūḥ qul al-rūḥ min amr rabbī » annahā f ī rasūl allāh wa ahl baytih yusaddiduhum wa yuwaffiquhum wa yufaqqihuhum. 58. Bāb f ī l-rūḥ allatī qāl allāh : « yunazzilu l-malā’ika bi l-rūḥ min amrih » wa hiya takūn maʿa l-anbiyā’ wa l-awṣiyā’ wa l-farq bayn al-rūḥ wa l-malā’ika. 59. Al-Ṣaffār, Baṣā’ir, section 9, chap. 15 (éd. K = chap. 16, éd. Z), no 1.

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Les cinq esprits de l’homme divin 2. « Quelqu’un demanda à l’imam Jaʿfar : “Comment jugez-vous [vous, les imams] les affaires [des fidèles] ?” – “Grâce aux préceptes de Dieu, ceux de David et de Muḥammad. Et si un cas se pose qui ne figure pas dans le Livre de ʿAlī, alors c’est l’esprit saint qui nous l’enseigne et Dieu nous gratifie par l’inspiration (talaqqanā bihi rūḥ al-quds wa alhamanā llāh ilhāman) 60.” » 3. « Quelqu’un interrogea l’imam Jaʿfar au sujet du verset coranique : “Ainsi, Nous t’avons révélé un Esprit procédant de Notre Ordre.” Il répondit : “Depuis que Dieu a fait descendre sur Muḥammad cet Esprit, celui-ci n’a pas remonté au ciel car il est resté en nous [nous, les imams] 61.” » 4. « Un disciple demanda à l’imam Jaʿfar : “La science que vous nous enseignez [vous, les imams], est-ce que vous l’avez apprise d’autres hommes ou bien avez-vous à votre disposition un écrit de l’Envoyé de Dieu ?” [sous-entendu : ce que vous nous enseignez ne se trouve pas dans le Coran ; il provient donc d’une autre source] Jaʿfar : – “Cette affaire est plus grande que tout cela (al-amr aʿẓam min dhālik). N’as-tu pas entendu ce que proclame Dieu dans Son Livre : ‘Ainsi, Nous t’avons révélé un Esprit procédant de Notre Ordre alors que tu ignorais ce qu’est le Livre et la foi’ ?” – “Si [je connais ce verset].” – “C’est par le don divin de l’Esprit que [Muḥammad] reçut la connaissance et c’est ainsi qu’un serviteur de Dieu [c.-à-d. Jaʿfar lui-même et par extension tous les imams] est initié à la connaissance et la compréhension (wa ka-dhālik hiya ‘ntahat ilā ʿabd ʿalima bihā l-ʿilm wa l-fahm) 62.” » 5. « On interrogea l’imam Jaʿfar sur le verset coranique : “Et on t’interroge sur l’Esprit. Dis l’Esprit procède de l’Ordre de mon Seigneur.” L’imam répondit : “Il s’agit d’une créature plus grandiose que [les archanges] Gabriel et Michel. Il était avec l’Envoyé de Dieu et il est avec les imams. Il vient du Royaume de Dieu (kāna maʿa rasūl allāh wa huwa maʿa l-a’imma wa huwa min al-malakūt) 63.” »

60. Ibid., no 6 ; aussi al-Ḥillī, Mukhtaṣar Baṣā’ir al-darajāt, p. 1 ; al-Majlisī, Biḥār, vol. 25, p. 56, no 21. David, importante figure biblique du Coran, est le symbole du juge juste et sage car inspiré par Dieu, tout comme Salomon. Le Livre de ‘Alī (Kitāb ʿAlī) est un des livres secrets des imams ; voir M. A. a mir-moezzi, Le Guide divin, p. 185-189 (en particulier p. 187) ; e. KohlBerG, « Authoritative Scriptures in Early Imāmī Shīʿism », dans é. patlaGean – A. le Boulluec (dir.), Les Retours aux Écritures : fondamentalismes présents et passés, Louvain 1993, p. 295-312 (en particulier p. 300-302) ; h. moDarressi, Tradition and Survival, p. 4-12. 61. Baṣā’ir, section 9, chap. 16 (éd. K = chap. 17, éd. Z), no 11 (les trois hadith-s suivants ont pratiquement le même contenu) ; al-Majlisī, Biḥār, vol. 25, p. 61, no 36. 62. Baṣā’ir, section 9, chap. 17 (éd. K = chap. 18, éd. Z), no 3 ; al-Majlisī, Biḥār, vol. 25, p. 62, no 40. 63. Baṣā’ir, section 9, chap. 18 (éd. K = chap. 19, éd. Z), no 9 (dans ce chapitre, de nombreux hadith-s ont à peu près le même contenu) ; aussi al-Kulaynī, Kitāb al-Kāf ī, vol. 1, p. 273 ; al-ʿAyyāshī, Tafsīr, éd. H. Rasūlī Maḥallātī, Qumm 1380/1960, vol. 2, p. 317, no 165 ; al-Majlisī, Biḥār, vol. 58, p. 42, no 15.

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Mohammad Ali Amir-Moezzi 6. « On interrogea l’imam Jaʿfar au sujet du premier imam ʿAlī : “[…] Certains prétendent que lorsque l’Envoyé de Dieu missionna ʿAlī au Yémen afin qu’il aille juger les affaires du peuple, celui-ci déclarait : ‘Je ne règle pas une seule affaire si ce n’est selon les préceptes de Dieu et de Son Envoyé.’ […] Or, comment cela était-il possible alors que la totalité du Coran n’était pas encore révélée et que l’Envoyé de Dieu était absent ?” Jaʿfar répondit : “C’était l’esprit saint qui l’enseignait (tatalaqqāhu bihi rūh al-quds) 64.” »

Cette dernière tradition le déclare, s’il en était besoin, de la manière la plus explicite : l’imam est capable, grâce à l’esprit saint, entité céleste mais aussi composante d’origine céleste de son âme, d’entrer directement en relation avec la source de toutes révélations. Il n’a besoin, le cas échéant, ni du Prophète ni du Coran. Ce point constitue, me semble-t-il, le véritable centre de gravité et en même temps la portée ultime des traditions shi’ites sur les facultés internes de l’homme divin, fondé sur des doctrines héritées de nombreuses traditions religieuses et philosophiques de l’Antiquité tardive, plus particulièrement du manichéisme. Il fait de l’imam, voire de tout initié, un prophète au sens plein du terme. Or, les Imamites ne le disent pas explicitement, contrairement aux différentes branches de l’ismāʿīlisme qui professent plus ou moins ouvertement l’existence d’un prophète et d’une religion appartenant au septième et ultime cycle de l’humanité, venant donc après Muḥammad et l’islam qui sont ceux du sixième cycle. C’est qu’une telle doctrine s’oppose au dogme du scellement de la prophétie par Muḥammad fondé sur l’expression coranique « sceau des prophètes » (khātim/khātam al-nabiyyin) du verset 33,40, autre emprunt au manichéisme. Cette discrétion semble directement liée à l’évolution sémantique de cette expression laquelle, pendant les deux ou trois premiers siècles de l’islam, n’avait pas pour tous les Musulmans le sens qu’elle va prendre de manière exclusive plus tard, à savoir « le dernier des prophètes ». Avant la fixation dogmatique de cette signification, dans bon nombre de milieux, et plus particulièrement dans les cercles shi’ites ésotéristes, on croyait fermement dans la continuité perpétuelle de la prophétie, d’abord à travers les imams bien entendu mais aussi à travers leurs fidèles initiés 65.

64. Baṣā’ir, section 9, chap. 15 (éd. K = chap. 16, éd. Z), no 8 ; aussi al-Ḥillī, Mukhtaṣar, p. 2 ; al-Majlisī, Biḥār, vol. 25, p. 57, no 23 et vol. 39, p. 151, no 2. 65. J’ai consacré à ce sujet une étude monographique : « Dissimulation tactique (taqiyya) », p. 411-438.

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“IN THE NAME OF JESUS” Observations on the Term “Jesus the Messiah” in Christian and Manichaean Texts from Central Asia* Samuel N. C. lieu Macquarie University, Sydney, Australia [email protected]

Among the documents in Parthian from Nisa published in the Corpus Inscriptionum Iranicarum is one containing an intriguingly familiar-looking word for the religious historian on lines 3 and 4: 1 1/ ‘L ’pzrwt KYTN H I 2/ (Ḥ)[k]III ’H II Ḥ III ḤLH 3/ […](II) MŠḤ’ k III ‘L hm(n…) 4/ (Ḥ)k III ’H I MŠḤ’ ’H I 5/ (ḤLH) ’(H I)

If you think that I have discovered some hitherto unknown Jewish or Judaeo-Christian text concerning the Messiah (MŠ(Y)Ḥ’) from Central Asia, then you will be sorely disappointed. The text is a typical economic document, a register of issues of wine, vinegar, oil and linseed or flax-seed (?) inscribed on an ostracon. The accompanying translation in the Corpus reads: 2

*

1.

2.

I am grateful to the Australian Research Council and the Chiang Ching Kuo Foundation for International Exchange for research grants which enabled me to visit a number of libraries in Europe for research on this paper under the aegis of ‘China and the Ancient Mediterranean World’ project. I am grateful too to my wife Professor Judith M. Lieu, Lady Margaret’s Professor of Divinity at the University of Cambridge, for much helpful discussion on (Christian) divine names and titles. I. M. DiaKonoFF – V. A. liVshits, Parthian Economic Documents from Nisa: Texts I, edited by D. N. m acK enzie – A. N. BaDer – N. sims-Williams, Corpus Inscriptionum Iranicarum, Pt. II, Inscriptions of the Seleucid and Parthian Periods and of Eastern Iran and Central Asia: Parthian, vol. 2/1, London 2001, inscr. 2629, p. 173. Ibid.

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Samuel N. C. Lieu 1/ To Afzarut (?) 1 h. (= ḥōphan abbrev. for a liquid measure, ca. 8.7 litres) of linseed (?), 2-3/ 3 k. (abbrev. for a liquid measure ‘chōr’) 2 ah. (abbrev. for a liquid measure) 3 x. (abbrev. for a liquid measure) of wine, 2 […] of vinegar, 3 k. of oil. To Human (?) 4/ 3k. 1 ah. of wine 1 ah. of oil, 5/ 1 ah. of vinegar.

However, Parthian-speakers reading the text out aloud would not have pronounced MŠḤ’ as mašihā but as rōgen—the Middle Persian and Parthian word for “oil”. 3 The same goes for the Aramaic ḤLH for Parthian (wi)trišfak or (wi)trifšak 4 or sik 5 “wine gone sour, i.e., vinegar”. My reason for using an Aramaic “mask” for a common Parthian word from an obscure economic document to preface my paper on the name of Jesus is to remind us how often words with a well-established meaning in one language could be used in transliteration in another with an entirely different set of meanings because their etymology is not obvious in the language to which they have been “loaned”. The English word “Messiah” has long lost its association with “oil” or “anointing” in daily usage. The derivative term “Messianic” certainly does not mean “oily” but “charismatic” or “saviour-like”. Had the Biblical word been always translated as “the anointed one” and not transliterated as “Messiah”, I believe the derived meaning(s) would not have been so easily acquired. I will have much more to say about the term “Messiah” in the second part of the article. Few people nowadays, and not even many scholars outside Biblical studies, would be able to echo the rhetorical question of Faustus of Milevis, the leading Manichaean teacher of the late Fourth Century ce, when he was challenged by a member of his audience who undoubtedly had in mind the docetic teaching of the Manichaean sect with its implied denial of the human existence of Christ: “Do you accept that Jesus was born of Mary?” I (Faustus) said to him, “Which Jesus do you mean? For there were many Jesuses in the Hebrew world. One was the son of Nun, the disciple of Moses. But another was the son of Jehozadak,

3. 4. 5.

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I. M. DiaKonoFF – V. A. liVshits, Parthian Economic Documents, p. 197 (s.v. MŠḤ’). See also D. m acK enzie, A Concise Pahlavi Dictionary, Oxford, 1971, p. 72: rōγn [M(H)ŠYA