Du latin aux langues romanes II: Nouvelles études de linguistique historique 9783110945898, 9783484504998


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French Pages 263 [272] Year 2006

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Table of contents :
Avertissement
Prefazione
I. La différenciation territoriale du latin
II. L’évolution de la structure grammaticale
III. Situation linguistique et conscience linguistique
IV. Revue d'ensemble
Bibliographie des ouvrages cités
Bibliographie des travaux de József Herman
Notice de l’auteur
Index
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Du latin aux langues romanes II: Nouvelles études de linguistique historique
 9783110945898, 9783484504998

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Jozsef Herman Du latin aux langues romanes II Nouvelles etudes de linguistique historique

Jozsef Herman

Du latin aux langues romanes II Nouvelles etudes de linguistique historique

reunies par Sändor Kiss avec une preface d'Alberto Varvaro

MAX NIEMEYER VERLAG TÜBINGEN 2006

Ouvrage publie avec la contribution de 1' Universite de Venise Ca' Foscari et du Ministere Italien de l'Education et de la Recherche, dans le cadre des programmes d'interet national. La correction finale du manuscrit a ete prise en charge par le Departement de Frangais de l'Universite de Debrecen.

Bibliographische Information der Deutschen Bibliothek Die Deutsche Bibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliographie; detaillierte bibliographische Daten sind im Internet über http://dnb.ddb.de abrufbar. ISBN 3-484-50499-4 © Max Niemeyer Verlag, Tübingen 2006 Ein Unternehmen der K.G. Saur Verlag GmbH, München http://www. niemeyer. de Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany. Gedruckt auf alterungsbeständigem Papier. Druck und Einband: AZ Druck und Datentechnik GmbH, Kempten

Table des matieres Avertissement Prefazione

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I. La diffirenciation territoriale du latin La latinite dans les provinces de 1'Empire romain : problemes de sociolinguistique Les ardoises wisigothiques et le probleme de la differentiation territoriale du latin

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II. L 'evolution de la structure grammatical La disparition de -s et la morphologie dialectale du latin parle Accusativus cum infinitivo et subordonnee ä quod, quia en latin tardif - nouvelles remarques sur un vieux probleme On the grammatical subject in Late Latin A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees Remarques sur l'histoire du futur latin - et sur la prehistoire du futur roman L'emploi des noms indeclinables et l'histoire de la declinaison latine DIS MANIBVS. Un probleme de syntaxe epigraphique

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III. Situation linguistique et conscience linguistique Naissance de la Romania Conscience linguistique et diachronie La situation linguistique en Italie au VI e siecle Sur un exemple de la langue parlee ä Rome au VI e siecle Spoken and written Latin in the last centuries of the Roman Empire. A contribution to the linguistic history of the western provinces La transition du latin aux langues romanes : quelques problemes de la recherche The End of the History of Latin

113 115 131 147 158

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IV. Revue d'ensemble L'etat actuel des recherches sur le latin vulgaire et tardif

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Bibliographie des ouvrages cites Bibliographie des travaux de Jozsef Herman Notice de l'auteur Index

233 243 255 257

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Avertissement Le volume, publie aux editions Niemeyer, 1 oü se trouvent reunies les etudes linguistiques les plus importantes ecrites par Jozsef Herman entre 1954 et 1985, a ete regu avec interet, ce dont temoignent les nombreux comptes rendus qui lui ont ete consacres. Ce succes justifierait en soi la composition d'un second recueil presentant une vue d'ensemble des recherches recentes de l'auteur. Mais le vrai motif de cette continuation est fourni, bien entendu, par la rigoureuse continuite de la recherche elle-meme : la serie d' articles qui constitue le present volume incarne une reflexion fidele ä une problematique ancienne, offrant pourtant des solutions et des perspectives nouvelles. C'est ainsi que le chapitre consacre ä la »conscience linguistique« correspond ä une dimension annoncee, certes, par une orientation anterieure, mais qui n'aura ete pleinement developpee par l'auteur que durant les quinze dernieres annees. Pour le choix des textes publies ici, nous avons ete guide par J. Herman. II va sans dire que toutes les publications essentielles de l'auteur - en particulier les plus recentes - n'ont pu etre reproduites pour des raisons editoriales entierement comprehensibles. Le lecteur trouvera cependant une liste complete des travaux de l'auteur ä la fin du volume. Nous remercions chaleureusement la maison d'edition Niemeyer d'avoir bien voulu preter main-forte ä l'entreprise une seconde fois, en garantissant ainsi la haute qualite de la realisation materielle du livre. Les principes de la redaction pleinement approuves par cet editeur - sont ici ä peu pres les memes que pour le premier recueil : l'arrangement thematique ainsi que l'ordre chronologique ä l'interieur des subdivisions refletent clairement la richesse des sujets et des methodes. Toutefois, nous avons opte - en accord avec l'auteur - pour l'uniflcation des donnees bibliographiques, qui apparaitront ainsi dans une liste synthetique ä la fin du volume et sous forme de renvois abreges dans le texte des etudes. ]

Du latin aux langues romanes. Etudes de linguistique historique reunies par Sdndor Kiss avec une pre-

face de Jacques Monfrin. Max Niemeyer Verlag, Tübingen, 1990, 392 p.

Qu'il soit permis de remercier, ici encore, le Maitre, au nom de tous ses eleves et amis, de leur avoir fait ce don d'erudition et d'humanisme. Sändor Kiss

DIS MANIBVS SACRVM MAGISTRO ET AMICO J0ZSEF HERMAN 1924-2005 IN NOMINE DISCIPVLORVM ET AMICORVM OMNIVM

Prefazione II campo di studi in cui si collocano i lavori raccolti in questo volume ha una singolaritä che ne costituisce insieme il fascino e la difficoltä. Chi pensasse che la storia linguistica della Romania tra, diciamo, il II ο III secolo d.C. e il sec. IX non abbia nulla di speciale rispetto ad analoghi periodi di altri tempi e di altre aree, si sbaglierebbe di grosso. Nel 1992 Herman scriveva a ragione: »Puisque l'histoire du latin pendant la periode que nous envisageons et, d'autre part, la prehistoire des langues romanes ne constituent, en somme, qu'une seule et meme chose, qu'un seul et meme faisceau devolutions linguistiques, on penserait, d'emblee, qu'en abordant ce sujet nous entrons de plain-pied dans le domaine de la linguistique romane, que la linguistique historique du latin et la grammaire comparee des idiomes romans se rejoignent sur ce point pour n'etre qu'une discipline. Or, rien n'est moins evident« (184*). Una delle cause di questa inquietante situazione e tutto sommato esterna. Nel suo rapporto sullo stato degli studi (217-231) Herman segnala la duplice estrazione degli studiosi che se ne occupano: da un lato romanisti, che lavorano con uno sguardo retrospettivo e la maggior parte delle volte si preoccupano poco del latino, dall'altro latinisti che spesso non si domandano cio che avverrä della lingua di cui si occupano 1 . L'osservatore esterno non puo che meravigliarsi che, ad occuparsi della stessa situazione linguistica, nella stessa area e nello stesso tempo ci siano studiosi che lavorano solo con il metodo comparativo e giungono perfino a ricostruire un sistema linguistico (il proto-romanzo) puramente ipotetico, altri che ammettono una complessa articolazione tra lingua scritta e lingua parlata e cercano di individuare dai piü vari indizi quale fosse la situazione della seconda, spesso solo in fun-

* I numeri rinviano alle pagine del presente volume. 1

La schizofrenia risulterebbe ancor piu vistosa se Herman considerasse anche i latinisti (in genere critici letterari che della lingua considerano solo gli aspetti stilistici ο retorici) che trattano degli autori letterari di etä imperiale, ed a volte anche post-imperiale, esattamente come potrebbero occuparsi di Cesare ο di Cicerone.

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Prefazione

zione della situazione che troveremo documentata cinquecento anni dopo, ο piü, altri che studiano gli autori del tempo come se nulla di tutto cio avesse importanza. Questa sorprendente situazione ha naturalmente ragioni serie: abbiamo a che fare, infatti, con quello che e apparentemente l'unico caso in cui avvenga sotto i nostri occhi il passaggio da una lingua ad una famiglia di lingue che dalla prima discendono. Date queste premesse, e significativa giä la maniera stessa, molto complessa, in cui Herman definisce il suo oggetto di studi: »une historie globale du latin, langue ä multiples variantes, caracterisee par la presence d'une tradition ecrite certes conservatrice mais, ä la longue ... nullement impenetrable ä Γ influence de la langue quotidienne, de la langue parlee. Cette derniere avait elle-meme plusieurs variantes, dont l'une, celle des couches peu ou point influencees par le prestige de la tradition, etait fortement >vulgaire< et presentait, avec le temps, des traits preromans de plus en plus nets et nombreux; pourtant, raeme ces variantes subissaient de leur cöte l'influence omnipresente de la tradition ecrite« (219). In altre parole, si tratta di »one exceptionally complex but coherent process of linguistic change, with continuous interactions between literary traditions and ambitions on the one side and spoken usage of more or less educated native speakers of Latin on the other, between received grammatical norms and new habits, between old heritage and modified conditions of communication« (169). Queste definizioni, ampie ed articolate, lo portano infatti a liberarsi immediatamente di quelle che egli chiama pseudo-categorie che intralciano la ricerca, piuttosto che agevolarla 2 . Herman tra l'altro abbandona cosi, assai opportunamente ed a favore di una costante considerazione di cio che chiama spesso »latino globale« (cfr. ad es.76), l'etichetta di 'latino volgare' 3 e quella di 'proto-romanzo' 4 . Lo scopo e definito chiaramente: »I think that the main bulk of our work should be to follow in every aspect and in every trend this complex crisis of Latin, not looking for Romance and Proto-Romance in every corner, knowing simply that, in this manifold bundle of linguistic change, there are privileged, deeply anchored trends ... which will constitute, not only in the structural reality but even in the linguistic awareness of those concerned, a set of new languages« (182). II campo cosi delimitate e molto ampio ed ancor piü complesso. Lo studioso lo affronta spesso con understatements che ne sfumano le difficoltä e stemperano il

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Una lista completa p. 169.

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Cfr. ad esempio: »so-called Vulgar Latin« (179), »le fameux latin vulgaire ... apparait comme un raccourci methodologique et didactique« (184). Cfr. ad esempio: »le 'proto-roman' peut servir comme une espece de cadre de reference aux recherches sur le latin dit tardif« (185).

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Prefazione

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Potenziale polemico: il problema, da lui affrontato, del soggetto g r a m m a t i c a l in tardo latino »subsequently proved to be rather inappropriate in itself and led, unavoidably, to slightly misleading answers« (55); la sua ricerca ha conosciuto »false tracks and dead-ends« (ib.); »Le dossier du futur roman est d'ores et dejä bien charge; il peut paraitre surprenant que quelqu'un veuille y ajouter une nouvelle piece« (76); »C'est une constatation qui n'affirme rien de nouveau et corrobore tout au plus ce que ... la recherche serieuse n'a jamais mis en doute« (96 n.8); »La question peut paraitre anecdotique et peripherique« (101). In una prima fase del suo lavoro, Herman ha fatto molto affidamento sulla Statistical Nel bilancio del 1995, infatti, egli stesso si colloca, a ragione, tra coloro che hanno introdotto in questo campo »Γapplication de methodes statistiques« (226). Eppure, fin dal 1974, a proposito dell'ipotesi che ci fosse una correlazione diretta tra densitä epigrafica e numero di latinofoni egli scriveva: »Cette hypothese n'est pas tout ä fait fausse, mais elle est sans doute tres peu vraie« (13). Successivamente egli e diventato ancora piü scettico: »notre methode n'est pas ä proprement parier statistique, puisque nous ne tirons des conclusions que des faits attestes par la totalite ou la presque totalite des exemples chez un auteur donne ... raisons d'ordre pratique ...: les releves presentent parfois des incertitudes de detail, et le nombre des exemples n'est pas toujours suffisamment grand pour se preter ä une analyse statistique serieuse« (45); »without venturing to establish such an overwiew on a rigorously statistical basis« (61); »en raison des nombreux facteurs de distorsion dont il faudrait tenir compte, en raison aussi des nombreuses incertitudes d'interpretation et de lecture, des chiffres et des pourcentages ne donneraient qu'une apparence de precision et seraient sans veritable signification en eux-memes« (80 n. 9). In realtä Herman ha continuato a proporre statistiche, ma esse gli servono solo per individuare i trends piü generali, come indicatrici di una direzione ma in ogni caso non spiegare un fenomeno. Quando egli constata che in latino c ' e una correlazione tra il numero di verbi senza soggetto e 1'incidenza dei soggetti pronominali, la sua conclusione e: »In other words, the decrease in the proportion of subjectless clauses and the growing frequency of the replacement of zero-subjects by pronominal ... elements are complementary and interwoven trends; they manifest themselves on a quantitative, statistical level, but they do not seem to depend on quantitative characteristics of the sentences such as length and complexity. Consequently they cannot be explained, whatever the word explanation means in such a context, by quantitative factors« (58). Con la discrezione a lui consueta, Herman enuncia esplicitamente solo in una 3

Si veda l'attenta valutazione di Jacques Monfrin nella prefazione alia precedente raccolta di Herman, Du latin aux langues romanes, Tübingen, Niemeyer, 1990, pp. 4 - 5 .

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Prefazione

nota uno dei principi piü fermi del suo lavoro: »II convient d'eviter, dans ce domaine comme dans bien d'autres, les affirmations trop absolues ... tout peut arriver et il y a sans doute des exemples isoles fort surprenants, dont 1'existence interdit de dire que telle Variante ne se trouve 'jamais' ou se presente 'toujours'« (90 n. 3). S'intende dunque la diffidenza enunciata piü volte da Herman verso l'uso della nozione di 'diglossia' in riferimento alia situazione tardo-latina ο alto-medievale: si veda tutto il lavoro delle pp. 147-157 e qua e la altrove. Si tratta infatti di un concetto che, se usato in senso proprio, interpreta in modo troppo rigido una situazione quanto mai fluida. Le affermazioni di Herman sono infatti sempre nuancees, la sua posizione dei problemi cauta, il procedimento argomentativo avanza per distinzioni sottili quanto indispensabili. Cito appena qualche esempio: »un nombre relativement petit de 'fautes' preromanes peut etre considere comme le Symptome de situations presque opposees: il peut s'agir d'une romanisation avancee, mais qui n'etait pas encore assez generale pour echapper au contröle de centres urbains ou les traditions romaines etaient fortement representees et ou le niveau culturel, le degre de scolarisation etaient relativement eleves ... Dans d'autres cas ... la bonne tenue linguistique des inscriptions est simplement le signe du caractere isole de la presence romaine, d'une absence presque complete de romanisation parmi les indigenes« (17). Herman nota che la proporzione della caduta di -5 non varia durante l'lmpero e che nelle stesse regioni in cui si hanno casi di caduta, come Γ Italia meridionale, si osservano anche casi di sua pronuncia sicura, e conclude: »II existe ... des inscriptions qui presentent un consonantisme ainsi qu'un vocalisme fortement vulgaires, qui s'ecartent grossierement de la tradition orthographique, et qui n'omettent neanmoins nulle part -s en position finale« (36). Ancora: »Les passages que j'evoque ou que je cite sont done examines en tant que temoignages relatifs ä l'usage et non pas en tant que specimens de l'usage« (147)6. Ancora: »le passage de l'ecrit ä l'oral et de l'oral ä l'ecrit ne fonctionnait pas de la raerae maniere dans les deux sens« (154), con la spiegazione che segue. Negli ultimi decenni Herman e diventato piü sensibile ai problemi della coscienza linguistica dei parlanti7, tanto nel senso che la coscienza rifletta il cam-

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Ciö viene detto nel momento stesso in cui si dichiara di seguire un'impostazione sociolinguistica, perche sia chiaro che lavorando su situazioni antiche la natura della documentazione disponibile e del tutto diversa da quella della documentazione del sociolinguista che esamina situazioni contemporanee. Ad essi e interamente dedicato Naissance de la Romania (115-130), che έ poi l'unico studio della raccolta che sia stato pubblicato finora solo in ungherese ed appaia qui tradotto.

Prefazione

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biamento quanto nel dubbio che essa possa anche influire su di esso. 8 Quanto alia prima domanda, e ovvio che i parlanti prendono coscienza solo a posteriori dei cambiamenti avvenuti qualche tempo prima (ma quanto?). Quanto alia seconda, la risposta rimane piü aperta, perche non sembra probabile, e non e comunque documentabile, altra coscienza che quella degli enunciati reali, rivelata dalle esitazioni e dalle auto-correzioni, ma essa rimane labile, non intenzionale, oltre che puntuale ed episodica 9 . Di fatto, lo studioso affronta ed avvia a soluzione problemi come la valutazione della situazione linguistica della penisola italiana nel sec. VI (cfr. 147-157) ο del termine post quern del crollo dell'unitä linguistica latina proprio e solo in base ad informazioni metalinguistiche che riflettono la coscienza dei parlanti. Ε su questa base che si puo stabilire (cfr. 197-199) che Cesario d'Arles (ca. 520 A.D.), Isidoro di Siviglia (ca. 600 A. D.), Gregorio Magno (602 A. D.) e Gregorio di Tours (fine sec. VI) non rilevano alcun gap comunicativo tra colti ed incolti e danno dunque prova dell'omogeneitä diastratica del latino nella loro area e nel loro tempo, permettendo anche, con un po' di generalizzazione, la conclusione seguente: »The terminus post quem [del crollo di tale omogeneitä] would be consequently a period between A. D. 620 and 630« (200). Ma Herman anche in questo caso non manca di cautele. Piü di una volta egli avverte il lettore che una cosa sono »the metalinguistic aspects of a diachronic process«, un'altra »the linguistic changes themselves« e che il lato metalinguistico »is not language history in itself« (170). Quando ci si pone la questione sulla »congruence between this metalinguistic attitude ..., on the one side, and the real linguistic situation on the other« (ib.: 178), ci si accorge che »the essential unity of Latin was, in part, a delusion« (ib.: 181); altrove si usano i termini 'miraggio' 1 0 ο 'illusione' 11 ). Piü recentemente, nel 1996, Herman ricorda che »In the last decades, many linguists, myself included, have stressed, when speaking about language history and language change, the importance of the metalinguistic awareness... Still, we have to remind ourselves that the core of linguistic change is immune to conscious human influence« (213). Dichiarazioni come queste non vanno prese come espressioni di uno scetticismo paralizzante ma come manifestazioni della coscienza della estrema complessitä dei problemi. Non a caso, a proposito del soggetto grammaticale, Herman

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»Nous nous posons la question de savoir si ces connaissances et activites conscientes des locuteurs exercent une influence quelconque sur les changements linguistiques« (131). Su questo problema cfr. soprattutto Conscience linguistique et diachronie (131-146). »II y avait naturellement, dans ce sentiment d'unite, une part de mirage« (155). »Si le sentiment de l'homogeneite territoriale du latin etait une illusion...« (157); »De lä l'illusion... d'une unite essentielle de la communaute linguistique latine« (192).

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Prefazione

scrive: »What exactly did change? Is the envisaged change, strictly speaking, a grammatical one? Certainly not, if we consider grammar as a taxonomic system of morpho-syntactic elements, and probably not, if we consider it as an ordered set of sentence-generating rules. Something however did change, and it would be a challenging task for further research to try to elucidate the links between this alteration and the slowly ongoing modifications of linguistic structure« (64). 11 senso della complessitä dell'evoluzione linguistica non puo che essere accresciuto dalla coscienza, sempre viva in Herman, che anche evoluzioni iniziate e di cui si sarebbe potuto prevedere il successo che non lo hanno avuto, si sono bloccate e non hanno lasciato traccia nelle lingue romanze. Egli menziona piü volte casi come quelli della declinazione calcata sul greco ο del futuro del tipo amaturus 12

La storia linguistica dell'area latina, dal tardo Impero in poi, e senza dubbio caratterizzata da numerose lignes de partage (riprendo la formula da 190), fratture piü ο meno insensibili e piü ο meno rilevanti, che sommandosi ο approfondendosi hanno finito per provocare il crollo del sistema linguistico latino e la sua sostituzione con i diversi sistemi linguistici romanzi 13 . I risultati, assai importanti, che egli raggiunge nelle singole ricerche sono consegnati alle pagine degli studi raccolti nel libro, oltre che ai lavori piü antichi, e non e il caso di ripercorrerli qui. Negli ultimi decenni nessuno ha fatto tanto progredire le nostre conoscenze su questo problema intricatissimo e decisivo quanto Jozsef Herman. La sua prudenza metodologica e la sua accortezza nel porre i problemi e nel avvicinarsi alle risposte possibili sono la lezione di un maestro. Alberto Varvaro

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Cfr. 74, 84, 180, 191. Herman e ben cosciente che al problema del passaggio dal latino al romanzo si aggiunge quello della diversificazione diatopica di quest'ultimo, ma reagisce a questa ulteriore, e non piccola, complicazione con parole molto nette: »But this is another story, with its own bibliography, which I can not take up here« (210). Io non sono sicuro che sia proprio cosi.

I. LA DIFFERENCIATION TERRITORIALE DU LATIN

La latinite dans les provinces de 1'Empire romain: problemes de sociolinguistique* II n'est guere possible, dans les cadres d'une breve communication, de se lancer dans des questions de terminologie et de discuter des definitions: qu'il me soit done permis de preciser que je considere comme relevant de la sociolinguistique l'ensemble des recherches qui portent sur les relations de tout ordre entre une langue (que celle-ci soit con?ue comme un systeme de signes ou comme un ensemble ordonne de regies pour former des phrases - peu importe ici) et la communaute au sein de laquelle cette langue s'emploie. Cette definition ne pretend pas ä l'originalite et eile est sans doute discutable de plus d'un point de vue, ce qui ne doit pas nous empecher de nous en servir dans la pratique de la recherche. Puisque toute langue comporte des variantes dialectales et des »styles«, puisque toute communaute est stratifiee d'une maniere ä la fois complexe et mouvante, des problemes tels que celui de l'extension, des domaines d'emploi, du degre de connaissance de la langue ou de telle ou telle de ses variantes au sein de la communaute linguistique, ou des problemes comme celui de Γ attitude consciente ou inconsciente des membres ou des diverses couches de la communaute ä l'egard de la langue ou de certaines de ses variantes sont necessairement au coeur raeme des preoccupations de la sociolinguistique. Or, de toute evidence, les problemes de ce type ne font que gagner en complexity au sein des communautes bilingues ou plurilingues, ou les relations sociolinguistiques, toujours fort changeantes sur le plan diachronique, deviennent en outre d'une instability extreme. On peut affirmer que la romanisation linguistique des territoires conquis par Rome - ou du moins de certains de ces territoires - n'etait autre chose que la modification graduelle, au cours des siecles, de la situation sociolinguistique dans des * Atti del XIV Congresso Internazionale di Linguistica e Filologia Romanza. Napoli, II, 1976: 7 - 1 5 .

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La latinite dans les provinces de l'Empire romain: problemes de sociolinguistique

communautes bilingues ou plurilingues; l'approche sociolinguistique serait done en principe une approche privilegiee pour elucider la marche et les mecanismes de la romanisation, qui etait un des aspects les plus importants de la prehistoire ou de la »naissance« des langues romanes. Et ces recherches sont d'autant plus importantes qu'il est difficile de renoncer au postulat - formule, bien qu'avec une toute autre terminologie, par certains de nos »grands ancetres«, comme par exemple Gustav Gröber - selon lequel les modalites ou l'epoque de la romanisation dans les differentes provinces (relevant de la »linguistique externe« selon la terminologie saussurienne) ont joue un role determinant dans la constitution des caracteristiques internes des langues et dialectes romans. Cependant, lorsqu'il s'agit d'appliquer les demarches de la sociolinguistique au probleme de la romanisation des provinces de l'Empire, on se heurte ä des difficultes methodologiques et pratiques d'une nature tres particuliere. Pour decrire les relations entre langue et communaute dans un contexte actuel ou appartenant ä un passe recent (et e'est presque exclusivement ä des recherches de ce type que s'est attachee, au cours des 15 ä 20 ans de son existence plus ou moins autonome, la sociolinguistique) on dispose de moyens qui font totalement defaut quand il s'agit d'examiner le meme ordre de problemes dans l'Antiquite finissante: statistiques, questionnaires, enquetes sociologiques ou dialectologiques, temoignages directs de la part d'un nombre theoriquement illimite d'individus, etc. Aussi mon propos consiste-t-il avant tout ä examiner la question de savoir par quels moyens il est possible - et si, en general, il est possible - d'acceder ä une connaissance au moins partielle de la realite sociolinguistique dans les provinces de l'Empire, en cours de romanisation. II s'agit done d'une modeste interrogation methodologique - peut-etre nous permettra-t-elle d'entrevoir des perspectives qui ne relevent cependant pas uniquement des questions de methode. Que savons-nous, en effet, de la proportion des habitants qui, ä differentes epoques et dans diverses provinces, parlaient latin? Que savons-nous de la position du latin vis-ä-vis des autres langues en presence, dans les differentes couches de la societe? Ou, quand, chez quel genre de personnes le latin etait-il langue vehiculaire plus ou moins pratiquee, mais mal connue, ou et quand est-il devenu langue habituelle, premiere, et enfin langue »maternelle«, naturelle et unique? Nous ne savons pratiquement rien de tout cela, ce qui est pire, nous disons des generalites, par inference ä partir de situations mieux connues et reputees analogues. Les Anciens eux-memes ne nous aident point. II serait trop long de rechercher ici les raisons pour lesquelles les Romains se desinteressaient - tout comme les Grecs, et peut-etre plus encore que ces derniers - du sort des langues »barbares« et, par consequent, de I'extension de leur propre langue. Alors que nous possedons une enorme litterature grammaticale et orthographique, on rencontre ä peine plus d'une douzaine

La latinite dans les provinces de l'Empire romain: problemes de sociolinguistique

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de remarques dans toute la litterature latine et grecque au sujet de l'extension du latin dans les provinces. Et encore ces quelques remarques, citees dans de nombreux manuels, sont-elles presque sans exception imprecises, inutilisables; il s'agit de lieux communs ou de fleurs de rhetorique dont la portee linguistique est nulle. 1 Ici encore, il faudra done se rabattre sur les seuls temoignages parlants et localises, les inscriptions. Si on envisage, d'abord, cette source d'un point de vue purement quantitatif, on serait tente de dire que le nombre des inscriptions dans un territoire donne peut constituer une mesure du degre de romanisation de la province: plus la »densite epigraphique« est grande dans une province, plus il y avait de gens, ä l'epoque romaine dejä, qui parlaient latin. Cette hypothese n'est pas tout ä fait fausse, mais eile est sans doute tres peu vraie. D'abord et surtout, parce que nous ne savons rien de la veritable densite epigraphique. Certes, en Italie, la densite epigraphique etait incomparablement plus grande que dans les provinces - aujourd'hui encore, il reste sans doute plus d'inscriptions en Italie que dans tout le reste de l'Empire, et pour donner un exemple plus precis, la dixieme region augusteenne possede ä eile seule plus d'inscriptions conservees que Γ immense Pannonie. Mais, si on compare les provinces entre elles, les differences s'estompent, puisqu'il est pratiquement impossible de savoir quelle etait la proportion des pierres perdues. II est certain que dans les provinces danubiennes, en Afrique, sans doute aussi en Espagne, les pertes ont du etre enormes - mais tout calcul pretendant ä la precision manquerait de serieux. II ne faut pas oublier non plus - et cela infirmerait egalement les resultats d'une approche purement quantitative - que le nombre des gens ayant acquis une certaine connaissance du latin etait necessairement plus grand - mais dans une mesure variable selon les provinces - que celui des personnes qui ont commande aux ateliers de lapicides une pierre funeraire ou votive. Car une pierre coütait eher: pour faire eriger une stele funeraire, il fallait etre arrive ä une certaine aisance materielle; par ailleurs, l'habitude de faire graver des inscriptions »privees« devait etre propre aux gens qui non seulement parlaient plus ou moins latin, mais etaient dejä inseres dans 1

Pour certaines de ces remarques, ce jugement est peut-etre un peu severe; ainsi, Strabon donne par exemple quelques indications un peu maigres, mais non sans valeur concernant l'extension du latin parmi certaines tribus gauloises de la Narbonnaise (v.p.e. IV, 1, 12); les remarques d'Ulpien (Digesta XXXII, 1 , 1 1 ) concemant 1' usage du gaulois et du punique dans les f i d e i c o m m i s sont egalement precieuses, surtout si on les examine ä la lumiere des Institutions de Justinien (2, 23, 1) d'oü il ressort que les fideicommis n'avaient pas de valeur juridique pleine; la Suprematie du latin etait done legalement etablie des le debut du III e siecle, signe, malgre tout, d'une »politique linguistique«. Ces citations et bien d'autres ont naturellement souvent ete relevees avant nous.

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un mode de vie urbanise, qui faisaient partie d'une communaute de type romain, ressentie comme stable et comme porteuse d'une longue posterite ä l'intention de laquelle les pierres etaient dressees. II s'agissait done, dans des provinces restees essentiellement rurales, de couches tres minces. Je ne peux qu'effleurer ici le probleme extremement complexe de la portee sociolinguistique des donnees anthroponymiques. En principe, la frequence des noms indigenes dans les inscriptions signifie la romanisation rapide des populations locales. Malheureusement - comme je saisirai bientöt une autre occasion pour le demontrer - cette correspondance est egalement plutot caduque: s'il est vrai que les gens ä noms »barbares« ayant fait dresser des inscriptions etaient sans doute en voie de romanisation, il ne s'ensuit pas qu'ils etaient dejä de langue latine, puisque de toutes fa$ons les inscriptions etaient generalement redigees par des professiona l s et, d'un autre cote, de nombreuses personnes aussi »indigenes« que Celles dont nous venons de parier portent des noms latins - nom de leur ancien maitre dans le cas des affranchis, gentilices imperiaux dans le cas de personnes fraichement dotees de la citoyennete romaine, ce qui rend toute statistique fondee sur les noms plus ou moins aleatoire. II nous reste ä nous demander dans quelle mesure la »qualite« linguistique des textes peut etre consideree comme revelatrice de la situation sociolinguistique. Une approche »naive« - qui est celle, d'une maniere comprehensible, de la plupart des historiens, mais aussi celle de certains linguistes - consisterait ä supposer que, plus la tenue linguistique des inscriptions etait generalement »bonne«, c'est-ä-dire conforme aux traditions et aux normes classiques, plus la romanisation linguistique etait avancee - et vice versa. En realite, la situation est bien plus complexe. Rappeions d'abord ce que nous avons dit plus haut: la couche sociale qui est arrivee au niveau materiel et au mode de vie compatibles avec la tradition specifiquement greco-romaine de faire dresser des pierres tombales ou votives individuelles etait de toutes fasons fort mince. Mais, meme si on la considere comme statistiquement representative de la situation linguistique des provinces - ce qui ne doit etre vrai que »cum grano salis« - la qualite linguistique des inscriptions dites »privees« et le degre de romanisation linguistique des populations ne sont pas en relation parallele et simplement univoque. Distinguons, pour plus de clarte, quoique d'une fason inevitablement arbitrage, deux types de »fautes«. 1. Fautes purement techniques, dues au mode de confection des inscriptions, au fait que le lapicide, parfois aussi la personne qui tra9ait sur la pierre les caracteres devant etre graves (l'»ordinator«) pouvait se tromper, le premier parce qu'il etait souvent et simplement analphabete, le deuxieme parce que, peu lettre ou sachant mal le latin, il avait mal lu la cursive qui lui servait de modele - sans meme

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parier des erreurs du redacteur du brouillon en cursive. 2 Ces erreurs techniques produisent des inscriptions ou des mots chaotiques, incomprehensibles, qui n'ont rien ä faire avec la realite linguistique. Voici des exemples pris au hasard parmi les milliers qui couvrent l'Empire: III 10270 EECIT EIIIO = f e c i t filio, le lapicide, analphabete, a mal interprete et mal grave un trace negligent et hätif fait par son »ordinator«; ou, cas plus simple: Hoffiller-Saria 590 PASVERVNT pour posuerunt, qui est plutot une faute de l'ordonnancement: les deux traits qui forment le Ο de la cursive ne devaient pas etre suffisamment incurves et se rencontraient par hasard par le haut, l'ordinator a done lu a pour ο. Evidemment, Γ existence de ces fautes η'est pas denuee de toute signification sociolinguistique: elles prouvent non seulement que, dans certains ateliers, les artisans qui avaient pour metier de graver des inscriptions sur pierre etaient analphabetes et ne savaient que tres mal leur latin - elles prouvent, ce qui est plus grave dans un certain sens, que la personne en principe urbanisee qui a commande la pierre etait assez insensible ä ces fautes grossieres pour prendre la »marchandise« en livraison, et pour faire eriger la pierre devant des amis et des membres de famille qui ne devaient pas davantage se rendre compte ou se soucier de ces fautes que ne le faisait la personne qui avait commande la pierre. Quand on rencontre, par consequent, un nombre relativement important de fautes de ce genre, cela prouve l'existence d'une couche romanisee, du moins dans ses intentions en ce qui concerne le mode de vie, plus ou moins adapte ä l'existence dans des communautes de type romain, mais d'un niveau culturel fort bas, composee de demi-analphabetes et ayant sans doute une connaissance encore fort rudimentaire du latin. Puisqu'il y a de nombreux cas limites difficiles ä interpreter et puisque, dans de nombreux cas, il est difficile de porter un jugement sur la base de la seule reproduction dans le Corpus Inscriptionum Latinarum et qu'il faudrait voir la pierre in situ, des statistiques precises sont sur ce point difficiles; indiquons cependant des ordres de grandeur concernant certaines provinces: en Pannonie, sur un ensemble d'environ 5000 inscriptions, nous avons releve une cinquantaine de pierres fautives de ce type; en Mesie superieure, la proportion est nettement plus forte: environ 35 sur un millier de pierres; sur un echantillon de 1000 inscriptions du Norique, nous η'avons releve que 4 pierres de ce type - en Gaule, en Istrie, en Italie du Nord la proportion est negligeable. Ici, nombre de fautes et degre de romanisation sont dans la plupart des cas dans une proportion inverse, ce qui cor2

Cette description des possibilites de fautes dues au processus de »fabrication« des inscriptions se fonde, on s'en ape^oit, sur les theories et les decouvertes de J. Mallon; voir entre autres un de ses derniers articles dans lesquels on trouve des renvois aux prficedents: L'archeologie graphiques,

Revue historique 226, 1961, 297-312.

des

monuments

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respond done en gros ä la supposition naive dont nous avons parle plus haut - mais en gros seulement. Car le Noricum n'etait sürement pas une province fortement romanisee: si les fautes »chaotiques« y manquent presque totalement, c'est vraisemblablement parce qu'il n'y avait meme pas - ou ä peine - un debut de romanisation linguistique de la population indigene dont temoignent, par leur existence meme, les fautes chaotiques que Ton releve dans les provinces de l'Est europeen. 2. Fautes refletant des evolutions linguistiques de type preroman, commises par consequent sous la pression de la langue parlee. Voici, sous forme de tableau, les resultats de releves d'essai portant sur des pierres de la periode prechretienne, datees en gros du II e et du III e siecles de notre ere, en plus petite partie de la premiere moitie du IV e . Pour plus de simplicite, nous n'avons pris en consideration ici que les »fautes« preromanes les plus classiques, e'est-a-dire les confusions de timbre entre les archiphonemes IE/ et FU d'une part, ΙΟΙ et IUI de Γ autre, comme menus pour minus, cuiugi (III 3990) pour coniugi, etc. etc.; nous avons elimine, dans la mesure du possible, les graphies qui refletent plutot des confusions au niveau morphologique, comme uotu pour uoto (confusion entre les declinaisons II et IV), ainsi que les graphies »archa'iques« comme uiuos pour uiuus. Qu'il soit bien precise ici que ce tableau ne pretend nullement donner une description meme approximative de Γ etat des choses dans l'Empire; le choix des provinces est purement indicatif, arbitraire et les indications numeriques sont ä considerer comme des ordres de grandeur, que nous estimons justes en tant que tels, mais qui ne representent pas des donnees statistiques au sens strict du terme. Province

Nombre approximatif des confusions /V ~ /El et /U/ ~ 101 dans les inscriptions prechretiennes

Ordre de grandeur du corpus examine

3 130 0 100 80 15

2000* 7500 1000* 6000 5000 1000

Gallia (sauf Narbonnaise) Regio X Italiae Noricum Dalmatia Pannonia Moesia Superior

Remarque: Dans la rubrique »corpus examine«, nous donnons en chiffres ronds le nombre des inscriptions du Corpus Inscriptionum

Latinarum; la cependant ou le chiffre est marque

d'un asterisque, il s'agit d'un echantillon arbitraire choisi comme base d'un releve d'essai.

La latinite dans les provinces de l'Empire romain: problemes de sociolinguistique

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Le tableau renferme quelques elements surprenants: la dixieme region augusteenne, oü tout le monde parlait dejä latin ä l'epoque que nous envisageons, presente les memes caracteristiques statistiques que la province barbare de la Pannonie, alors que la Gaule, sans doute en cours de romanisation, differe profondement par son caractere conservateur de l'Italie du Nord-Est et se rapproche du Noricum, oü les peuplades celtiques avaient garde leurs structures sociales et ne faisaient essentiellement que coexister avec la presence romaine. Pour expliquer ces anomalies, il est peut-etre possible d'avancer quelques hypotheses de travail: a) un nombre relativement grand de »fautes« de type preroman, loin de servir d'indice ä une romanisation peu avancee, indique au contraire l'existence d'une couche plebeienne, peu cultivee, mais pour laquelle la langue latine etait dejä le moyen de communication principal et dans le parier de laquelle se manifestaient sans entrave les tendances evolutives du latin »langue maternelle«. Naturellement, ces couches etaient, comme en temoigne le nombre meme des inscriptions et des exemples, bien plus nombreuses dans une region comme Celle d'Aquilee que dans une province comme la Pannonie; b) un nombre relativement petit de »fautes« preromanes peut etre considere comme le Symptome de situations presque opposees: il peut s'agir d'une romanisation avancee, mais qui n'etait pas encore assez generale pour echapper au contröle de centres urbains oü les traditions romaines etaient fortement representees et oü le niveau culturel, le degre de scolarisation etaient relativement eleves - c'est le cas de la Gaule (ä la difference de la region d'Aquilee oü la romanisation etait dejä generale et ä la difference de la Pannonie oü, bien que la romanisation se soit sans doute limitee aux centres urbains et aux entourages des camps militaires, le niveau culturel et scolaire n'etait pas assez eleve pour contrebalancer les tendances »naturelles« de revolution). Dans d'autres cas, comme celui du Noricum, la bonne tenue linguistique des inscriptions est simplement le signe du caractere isole de la presence romaine, d'une absence presque complete de romanisation parmi les indigenes, entrainant la survivance de schemas orthographiques et linguistiques rigides. Des indices secondaires dont il ne serait pas possible de parier ici comme il conviendrait - en particulier la variete et le degre de complexite des formulaires, des schemas syntaxiques, etc. - demontrent egalement le caractere vivant, malgre son apparent conservatisme, de la latinite de la Gaule et le caractere rigide, artificiel de la latinite que representent les inscriptions noriques. Pour schematiques qu'elles soient, ces indications permettent peut-etre d'entrevoir les possibilites que renferme, du point de vue des recherches de sociolinguistique historique, I'examen des produits linguistiques des provinces romaines, et aussi, naturellement, les limites de ces possibilites. II n'est peut-etre pas superflu d'indiquer que les conclusions de caractere sociolinguistique ne constituent qu'un

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moyen ä leur tour, permettant peut-etre de fournir des elements d'explication rendant compte de teile ou teile particularite de revolution romane. II est sans doute un peu temeraire, mais peut-etre non completement inutile du point de vue de recherches futures, d'indiquer ici ä quelle sorte d'elements d'explication nous pensons. En tenant compte aussi de ce que j'ai cru pouvoir constater dans un article publie il y a quelques annees sur le röle de »centre de rayonnement« de la dixieme region augusteenne, done des environs d'Aquilee (v. Herman 1990 [1971] surtout 144-145), il est possible de supposer, ä titre d'hypothese de travail, que les changements strueturaux profonds, comme le sont les changements du systeme phonologique, s'amorcent dans les regions dejä devenues »monolingues« les regions de bilinguisme sont soit conservatives, lorsque leur situation sociolinguistique le determine ainsi (isolement de la langue adventice comme en Norique, »freins« socioculturels puissants comme en Gaule), soit simplement ä la remorque des regions »pilotes« monolingues, comme c'etait le cas de la Pannonie.

Les ardoises wisigothiques et Ie probleme de la differentiation territoriale du latin* 1. Les textes et leurs particularites Le corpus auquel je fais allusion dans le titre de ce travail et qui en constitue le point de depart, a ete jusqu'ici peu exploite du point de vue de la linguistique latine ou romane, si on laisse hors de compte Γ analyse linguistique meritoire que contient la recente edition critique qui lui a ete consacree1. Ce η'est d'ailleurs pas un simple oubli: comme nous le verrons, cette apparente negligence est due ä de tres bonnes raisons. Puisque, ä la suite sans doute d'une diffusion peu active, cette edition, assez recente, n'est pas dans toutes les mains, je decris rapidement les principales caracteristiques du corpus, quitte ä donner des indications que certains lecteurs trouveront redondantes. II s'agit done, dans Γ etat actuel des recherches et des trouvailles, d'une bonne centaine de textes (exactement 104 dans la publication de VS = Velazquez Soriano) incises ä l'aide d'un instrument pointu sur des plaques d'ardoise; en donnant cette precision nous laissons naturellement hors de compte, tout comme le fait VS, les ardoises »numeriques«, presentant uniquement des traits groupes, des V et des Χ non accompagnes de lettres, et qui semblent contenir des notations quantitatives ä fonctions inconnues (v. a ce sujet les indications d'ensemble de Diaz y Diaz 1960:53-54). Dans leur tres grande majorite, ces textes - toujours plus ou moins fragmentaires - proviennent de la deuxieme moitie du VI e et du VIIe siecles, avec quelques pieces dont la date peut etre avancee jusqu'au VIIIe. Nous avons done devantnous les productions d'un nombre considerable de scribes, * Latin vulgaire - latin tardif IV. Hildesheim, Olms-Weidmann, 1995: 6 3 - 7 6 . 1 Velazquez Soriano, Isabel: Las Pizarras visigodas: edition critica y estudio. (Antigüedady cristianismo. Monografias historicas sobre la antigüedad tardia VI.) Universidad de Murcia, 1989. Par souci de brievete, je renvoie ä cet ouvrage, dans le corps de l'article, par le sigle VS. Je cite les documents eux-memes par le chiffre arabe que leur assigne Γ edition; ainsi VS 8, 1, 1 signifie: ardoise no. 8, face 1, ligne 1. Au commentaire, je renvoie en indiquant le paragraphe du texte, p. e. V S § 215.

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dans une ecriture qui, tout en evoluant avec le temps, rentre dans la categorie de la cursive wisigothique. Ces documents proviennent d'une bände de territoire peu etendue, au sud de Salamanque, entre Avila et la frontiere actuelle du Portugal. En ce qui concerne le contenu, ils sont tres varies, bien qu'ils soient tous destines - ce qui leur confere certaines caracteristiques communes - ä un usage local et prive. La plupart des textes ont un caractere economique ou juridique: ce sont des inventaires, des quittances, des actes de vente, mais il y a egalement, entre autres, un texte magique - tablette d'execration vaguement christianisee - et des fragments de textes pieux, d'inspiration biblique, qui sont vraisemblablement des copies ou des dictees effectuees a des fins didactiques, des exercices scolaires. Bien que constitue de pieces assez nombreuses, le corpus est en somme mince: dans l'ensemble, on compte ä peine plus de 200 lignes de texte plus ou moins continu, et quelques centaines de lignes fragmentaires, composees d'un ou de deux mots souvent tronques, ou meme seulement de quelques lettres. De par la nature meme du support - facile a egratigner et prompt ä s'effriter, malgre sa relative durete - et a la suite, aussi, des difficultes et des maladresses techniques inevitables dans Γ execution de ce genre d'ecrit, les textes sont par endroits fort difficiles ä dechiffrer, d'autant plus que des egratignures et des felures diverses, dues aux conditions de conservation precaires, se melent aux traits des signes d'ecriture. II n'est pas etonnant que la premiere edition d'ensemble (Gomez Moreno 1966), executee sans methode eprouvee, soit pleine de lei^ons douteuses ou difficiles ä interpreter, et n'ait pas reussi ä attirer l'attention de la recherche linguistique. Heureusement, peu apres, en reprenant et en reeditant certains des textes de Gomez Moreno, Diaz y Diaz a pu etablir les methodes critiques de la publication de cet ensemble (Diaz y Diaz 1966). II est pourtant evident que le corpus, malgre ses dimensions reduites, est d'un tres haut interet du point de vue de l'histoire tardive du latin, et aussi de celui de la linguistique romane. Comme on sait fort bien, en ce qui concerne les autres territoires occidentaux romanises, surtout l'Italie et la Gaule, nous possedons pour la periode cruciale comprise entre le VI e siecle et les premieres decennies du VIIIe, un certain nombre de textes en gros comparables entre eux et d'une importance linguistique toute particuliere, qui n'ont pas fini d'interesser, et dans un certain sens d'intriguer la recherche. Nous pensons a des textes comme, en Italie, les papyri de Ravenne, ou, dans les premieres decennies du VIIIe siecle, les originaux du Codice Diplomatico Longobardo, comme, en Gaule merovingienne, la majeure partie des documents parvenus jusqu'ä nous en original ou en copies anterieures ä l'epoque carolingienne; evoquons egalement, malgre la difference chronologique, les Tablettes Albertini d'Afrique. En depit des differences evidentes qui les separent, ces textes sont relies entre eux par l'identite de la place qu'ils occupent dans l'ac-

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tivite langagiere des provinces respectives. II s'agit en effet de textes rediges ou dans le cas de traditions manuscrites - copies par des gens dont le metier exigeait qu'ils sachent lire et ecrire, qui vivaient pour ainsi dire dans la tradition scripturale, orthographique latine, qui avaient stocke dans leur memoire ou avaient devant eux des documents, des modeles, des expressions traditionnelles (dont ils ne saisissaient d'ailleurs pas toujours et pas entierement le sens), mais qui n'avaient pas de connaissances et de culture grammaticales, ignoraient les regies d'emploi des elements graphiques et des morphemes et qui, en ecrivant leurs textes ä eux, etaient constamment troubles et induits en erreurs repetees par leur competence vivante, conforme a l'usage parle. Or, pour des raisons historiques et culturelles qu'il ne nous appartient pas d'analyser ici, 2 nous n'avons pas de texte de ce type provenant de l'Espagne wisigothique - sauf, justement, le corpus des ardoises de la region Salamanque-Cäceres. Malgre sa pauvrete relative, malgre des differences evidentes dans les parametres sociolinguistiques, c'est l'unique corpus qui puisse etre mis en parallele avec des documents comme, p.e., les formulaires d'Angers ou de Marculfe, les diplomes originaux des Merovingiens, les diplömes ou certains textes juridiques longobards. 3 II etait par consequent grand temps que cet ensemble füt mis ä la disposition de la recherche dans une forme utilisable et critiquement contrölable. C'est ce qui vient d'etre acheve par Mme Velazquez Soriano, et dans ce qui suit, je fonde mes considerations sur le texte qu'elle publie, reporte a son apparat critique et aux reproductions qui l'accompagnent. 4 La premiere täche qui s'impose a l'historien du latin et au romaniste consiste, 2 3

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Pour quelques remarques ä ce sujet, et une bibliographie utile, v. demierement Wright (1993). Les inscriptions chretiennes d'epoque wisigothique sont elles-memes nettement superieures, du point de vue de 1'observation des normes linguistiques traditionnelles, aux inscriptions contemporaines en Gaule ou ä la majorite des inscriptions romaines du VI e siecle. Pour ce qui est des Formulae Visigothicae, leur parallelisme fonctionnel avec des textes comme les Formulae Andecavenses ou les Formulae Marculfi en Gaule n'implique pas de parallelisme en ce qui conceme le niveau linguistique. Faute de place, de temps et en partie de competence, en ce qui concerne notamment les commentaires paleographiques et archeologiques, nous nous bornons ici ä quelques remarques qui ne constituent pas le compte rendu que ce livre meriterait. Soulignons avant tout la transcription elle-meme, suivant le chemin trace par Diaz y Diaz, et qui nous parait en general fiable, quoique deparee par quelques fautes techniques; le lecteur profite en outre d'un commentaire abondant et d'une serie de tres bons index. Ceci dit, remarquons que le commentaire linguistique, fort detaille, manque souvent de perspective historique et ne s'appuie, en dehors du texte publie, que sur des sources de seconde main. II est dommage que les donnees bibliographiques, les noms et les textes en langues autres que l'espagnol, fourmillent de fautes d'impression et d'orthographe, ce qui affaiblit, ä tort sans doute, la credibilite de ce livre par ailleurs scrupuleux et fruit d'un enorme travail; meme ailleurs, on releve des coquilles parfois troublantes.

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evidemment, ä essayer de situer l'usage parle que ce corpus permet d'entrevoir, par rapport ä l'usage dont nous postulons l'existence pour l'ltalie ou pour les territoires gallo-romans, et d'esquisser ainsi, en ce qui concerne le morcellement dialectal de la Romania occidentale entre le VI e et le VIIIe siecle, un tableau plus complet que celui dont nous disposerions sans cela. C'est la le but que nous nous flxons aujourd'hui, en soulignant naturellement le caractere experimental de l'entreprise. Inutile de s'attarder aux ecueils methodologiques fort nombreux; nous pensons en premier lieu aux mirages de l'approche statistique, impraticable dans son sens rigoureux, puisqu'il s'agit de confronter des ensembles de textes extremement disparates dans leurs dimensions et dans leur structure formulaire.

2. Caracteristiques de la langue des ardoises II va sans dire qu'il ne s'agit pas de fournir des releves detailles, d'autant moins necessaires que VS donne pour tous les phenomenes des listes completes d'exemples et que presque tous les textes semblables de Gaule et d'ltalie ont fait l'objet d'etudes monographiques.5 Nous nous bornons ici a des faits de phonetique et de morphologie, laissant pour le moment de cote les traits syntaxiques, peut-etre moins marquants du point de vue dialectologique; quant au vocabulaire, la variete et la richesse des problemes poses exigeront des etudes autonomes. 2.1.

Phonetisme

Pour ce qui est du systeme vocalique, il y a d'abord des faits evidents et triviaux: la langue refletee par les ardoises presente les resultats de la fusion phonologique des [e:] et des [i] en [e], de meme que, dans la serie velarie, des [ο:] et des [u] en [ο], fusion commune - comrae le prouveront aussi les resultats romans - a tout l'Occident excepte le sarde et certaines parties du Sud de l'ltalie. 6 De ce point de vue, ces textes refletent done une sorte de latin tardif occidental commun.7 Je passe 5

Tout en utilisant les textes originaux, nous allons nous-meme recourir, pour certains exemples et pour des donnees quantitatives, ä des ouvrages tels que Vielliard (1927) pour la Gaule, Β. Löfstedt (1961), Politzer (1953) ou Carlton (1973) pour l'ltalie, Väänänen (1965) pour l'Afrique.

6

Les exemples presentes par les ardoises sontpeu nombreux, mais sürs, je cite en guise d'illustrations (passim) ceuaria (=cibaria), 8, 1, 6 nomero, 55, 1 , 4 matures. Pour les autres regions, la bibliographie est interminable, j'evoque, en relation avec les problemes du vocalisme, Gaeng 1968 et Omeltchenko 1977, en dehors des ouvrages cites ä la note 5.

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Si on possedait des exemples plus nombreux, permettant des considerations statistiques serieuses, on arriverait peut-etre ä nuancer ce tableau. On sait par exemple que, d'apres les statistiques de

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sur des faits non moins triviaux, mais moins centraux du point de vue du paradigme phonologique des voyelles, comme le sort des voyelles en hiatus, le i- prosthetique, et quelques autres (v. VS §§ 178, 186-193). Sur deux points precis, VS a 1'impression de se trouver devant des hispanismes vocaliques avant la lettre. II s'agit, d'une part, de la forme ualiente[s] qui se trouve ä quatre reprises dans un seul document, VS 102, de la fin du VII e siecle, et qui est consideree par l'auteur (§ 160) comme une premiere manifestation de la diphtongaison de [e] accentue en syllabe fermee; eile amene ä l'appui deux autres exemples en -iente, dont en particulier un curriente epigraphique de Cordoue, de l'annee 682. Or il nous semble hors de doute que ces exemples, confines a une seule categorie morphologique, sont de simples formations analogiques (ualeo etant deja prononce ualio, v. justement VS § 186-188, on a done un participe ualientes comme audientes d'apres audio ou facientes d'apres facio). Rappelons que nous relevons, deux siecles plus tot, dans les Tablettes Albertini, plusieurs cas de abiente[s] pour habentes (cf. Väänänen 1965: 27), et des formes analogues ailleurs; pour citer un exemple encore plus precoce (environ II e siecle de notre ere), nous avons dans une inscription de la Gaule meridionale MATER DOLIENS (CIL XII 2863). La forme epigraphique curriente, qui n'entre evidemment pas dans cette equation analogique, semble temoigner, plutöt que d'une evolution phonetique isolee, de l'extension de la terminaison -iente ä partir des formes analogiques proprement dites. Plus difficile ä refuter, mais aussi difficile ä accepter l'hypothese (VS § 130131) d'apres laquelle les mots meseru (VS 75,1,1)8 ou messeru (VS 98,1,5) ainsi que, peut-etre, salere (VS 102,2,3) contiendraient un suffixe remontant ä -ariu(m); on aurait done, a une date bien precoce (l'ardoise VS 98 remonterait ä la fin du VI e ou au debut du VII e siecle), les resultats de revolution ariu>ero, avec toutes les etapes phonetiques intermediaires qu'elle implique. L'hypothese elle-meme repose sur une autre (messeru remonterait ä messarius), d'autant plus difficile ä contröler que les deux cas se presentent dans un contexte gravement endommage et pratiquement non traduisible. Le mot messarius appartient d'ailleurs au latin medieval, et possede une Variante messerius, les deux formes etant attestees dans les documents posterieurs ä l'an 1000 (v. Du Cange s.v.). Precisons que le suffixe ariu(s) apparait a deux reprises inaltere dans nos textes (VS 75, 1,4 uersarios et 97, 1,3 erarario). A tout prendre, la langue que l'on entrevoit a travers les graphies des ardoises Politzer 1953, il existe dans ce domaine des divergences entre l'Italie du Centre-Sud et celle du Nord. 8 Ainsi dans le commentaire, I.e., et e'est ce qui apparait aussi de la reproduction, p. 275; malheureusement, la transcription, par une evidente faute d'impression, donne mesuru.

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Les ardoises wisigothiques et le probleme de la differentiation territoriale du latin

semble avoir eu un vocalisme qui, dans son systeme, ne differait pas du galloroman et de l'italo-roman, du moins dans le Nord de la Peninsule italique. Pour ce qui est du domaine consonantique, j'examinerai en particulier deux problemes d'une importance bien connue du point de vue de la future division des langues romanes: il s'agit du sort des consonnes en position intervocalique et de Celles en position finale de mot. Voyons d'abord le probleme des intervocaliques. Vu les futures caracteristiques des langues hispano-romanes, on s'attendrait ä trouver, dans nos textes, des signes plus ou moins nets d'un affaiblissement de ces consonnes, c'est-a-dire de leur sonorisation quand il s'agit de sourdes et de leur relächement quand il s'agit d'occlusives. Or, ces previsions ne se verifient que partiellement. Sans vouloir entrer sur ce point dans la bataille qui fait rage, surtout depuis l'article celebre de Tovar (1951), autour de la question de la sonorisation des occlusives sourdes intervocaliques en territoire hispanique, notons que les ardoises - tout en presentant sur d'autres points un consonantisme avec tout ce qu'il y a de vulgaire - ne contiennent pas un seul exemple sür d'une telle sonorisation. VS donne l'exemple (cf. les citations qui precedent le § 244 et sqq.) de 45, 2, 11 Teodadu[s] et de 39, 1,2 Uuidericus, Uuiderici, done uniquement de noms de personnes germaniques; quant ä Teodadus, le nom n'a vraisemblablement rien ä faire ici, c'est un nom de prestige gothique, nous connaissons le nom de roi ecrit en general Theodahadus chez les Ostrogoths; ce nom est entierement compose d'elements germaniques, bien qu'il existe, evidemment, une reinterpretation grecolatine de type Theodatus (cf. Schönfeld 1965: 227-228); VS (§ 246) indique d'ailleurs elle-meme la possibilite d'une interpretation ä partir du germanique. Quant ä Uuidericus, sans doute identique au nom royal ecrit ailleurs Vitericus (cf. VS § 537, p. 486), la graphie - imitant la prononciaton d'un [w] germanique par les deux lettres V a l'initiale - peut correspondre simplement ä un essai de transcription de 1'occlusive germanique. Encore faut-il rappeler que la premiere mention du nom, remontant au IV e siecle, presente dejä un d intervocalique, il ne s'agit done pas d'une forme nouvelle et speeifiquement hispanique (cf. Schönfeld 1965: 264). Somme toute, ces formes constituent ä peine l'ombre d'une preuve de l'hypothetique sonorisation des intervocaliques. Pour la sonorisation de [k] et de [p], aueun exemple. Or, rappelons que dans les diplömes merovingiens, la sonorisation de [p t k] en position intervocalique est attestee par des series d'exemples, qu'il y en a egalement dans les diplömes longobards, particulierement dans le Nord de l'Italie (dans le Centre et au Sud, presque jamais) 9 . II serait sans doute faux d'attribuer ce retard de la langue des ardoises ä un simple conservatisme graphique; en effet, dans le traitement des sonores intervocaliques, la graphie ne manque pas de refleter des decalages par rapport ä la

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norme, du moins dans le seul cas - celui de [-b-] - ou l'affaiblissement peut trouver une expression graphique: nous trouvons (cf. le releve de VS § 268, p. 375) des series d'exemples du type auitaciones (104, 1, 7), deuere (18, 1, 3). Dans des cas sensiblement plus rares, nous rencontrons aussi la graphie inverse (b pour u) du type fabore (94, 1, 3), parfois ä l'initiale egalement, p. e. bicini (104, 1, 15). 10 Somme toute, le traitement des intervocaliques - en admettant meme qu'un leger ebranlement ait eu lieu et que l'assibilation des sonores ne se soit pas limitee a [b] - est encore assez proche du traitement plutöt conservateur que Γ on observe dans les documents d'Italie centrale, et la difference entre la langue des ardoises et celle des documents merovingiens (et de ceux d'Italie du Nord) est tres nette sur ce point. En passant ä l'examen de la position finale des consonnes, certaines surprises nous attendent. Je passe sur le cas de -m, qui se presente essentiellement de la meme maniere que dans les autres regions: dans la graphie, chute massive, mais non generalisee, quelques contrepels, attestant de toute evidence l'absence de -m des mots polysyllabiques dans l'usage parle. Pour ce qui est de -t, on note la chute presque systematique de cette consonne dans les formes verbales de 3 e personne de l'ardoise 104, la plus tardive (premieres decennies du VIIIe siecle), p.e. canta, cacena (=cachinnat), consuma, fixi, orabi. 9

10

Cf. Vielliard (1927: 45-7, 52, 56) pour la Gaule, evoquons de notre part des exemples comme, dans le prologue au livre IV de Fredegarius,fagundia ou agumen, comme les formes noncobantes ou similaires, qui constituent des graphies presque courantes, dans les diplömes merovingiens, pour nuncupantes, pour -/-, rappelons avec Vielliard podibat, rodatico. Dans les diplömes du CDL, ces alterations se limitent au Milanais, p.e. CDL 36 (Milan, a. 725) dogomentum, doblus. Dans les papyri de Ravenne, on ne trouve aucun signe appreciable de cette evolution (cf. Carlton 1973: 149-157). Ces faits demandent une interpretation passablement complexe: nous sommes confrontes, d'une part, ä un phenomene abondamment decrit et discute: la confusion entre V et Β, apparue, dans les inscriptions notamment, des les debuts de notre ere, du moins dans certaines provinces (moins qu'on ne penserait dans la Hispania). Mais, comme c'est connu, ä l'origine, on observait une nette superiorite des graphies Β pour V, et une certaine concentration des exemples sur la position initiale. Tout en conservant des traces de cette »crise des labiales« due probablement ä une confusion phonologique entre Pol et /w/, en particulier ä l'initiale et en position postconsonantique, nos ardoises refletent une situation dans laquelle l'affaiblissement de [b] intervocalique est le trait dominant. II est ä noter que cette situation un peu ambigue (affaiblissement de [b] intervocalique mais aussi incertitude phonologique ä l'initiale), est egalement propre aux documents du CDL provenant de l'Italie centrale et meridionale et aux documents de Ravenne (pour ces derniers, cf. Carlton 1973: 119-127). Notons que dans les documents merovingiens, on trouve uniquement des flottements entre betu ä Γ intervocalique; ä l'initiale, revolution ne se presente pas. Pour les premiers siecles de l'Empire, on trouve une revue de la situation et une bibliographie sommaire dans mon article Herman (1990 [1971]: 130 sqq.), pour une epoque plus tardive, v. la riche synthese de Β. Löfstedt (1961: 149-159).

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Remarquons que le meme texte presente les formes caput, et, alors que ce dernier mot apparait souvent sous la forme e dans les documents plus precoces. II existe d'ailleurs d'autres exemples, plus isoles, de chute de -t dans les formes verbales des ardoises anterieures, et aussi des cas de confusions entre -d et -t, p.e. 92, 1,7 conuenid, 39, 1,3 debead.n Ajoutons pour etre complet qu'il y a quelques cas, triviaux, de chute de -t apres consonne (39, 1, 7 pertimescan, 29, 1,6 pos pour post). On a nettement l'impression d'etre temoin d'une evolution diachronique qui conduit ä la chute des -t en position finale, et surtout, de par la nature des choses, dans les formes conjuguees des verbes. Vu les particularites des langues hispanoromanes, c'etait ä prevoir, et cela confirme d'ailleurs la credibilite linguistique de ces textes. Le fait n'en est pas moins significatif du point de vue du morcellement linguistique de la Romania, en particulier sa Chronologie. En effet, alors que les documents du CDL presentent une situation analogue ä celle des ardoises, en particulier de l'ardoise tardive n° 104, c'est-a-dire l'omission en serie de t en position finale,12 les diplömes merovingiens, dans un corpus incomparablement plus vaste que celui des ardoises, ne presentent que deux exemples, les deux d'interpretation douteuse (Vielliard 1927: 53). Comme dans le cas des intervocaliques, les ardoises s'opposent done nettement aux documents merovingiens et rappellent plutot, malgre une tenue orthographique generalement meilleure, la situation que refletent les documents d'Italie centrale du CDL. L'evolution des -s en position finale semble cependant, envisagee sur le plan purement phonologique, plutöt imprevue. Puisque les langues hispano-romanes se rangent parmi les idiomes romans qui conservent -s en position finale, on s'attendrait a retrouver plus ou moins partout les -s latins, comme e'est le cas dans les diplömes - et autres textes - merovingiens, ou, malgre le chaos apparent des graphies, les s des nominatifs ou des accusatifs en -us/-os, ou des datifs-ablatifs pluriels en -bus ne tombent jamais, les omissions et les contrepels dans les autres types de fins de mot etant egalement rarissimes et dus a des hasards techniques ou ä des raisons syntaxiques (v. la description de la situation chez Vielliard 1927: 64—65, en particulier 65 n. 2). Par rapport ä ce maintien tres net en Gaule, les ardoises presentent un tableau trouble: 6 cas sürs13 de s omis en position finale, dans diver11 12

13

V. pour tout ceci le commentaire de VS (§§ 232-233), utile mais sans elements nouveaux. Voici un passage typique, ou on trouve -t ajoute par hypercorrection (accepit qui devrait etre une forme de la premiere personne) aussi bien que des formes de 3 e personne sans -t (CDL 45, p. 150, 10 sqq; AD.730) [pretium] petiui, et in presente accepit, auris soled(us) ...nomero quindecim tantum, sicut...in placetum conuine. et Consta me in omnibufs esse supplejtus... Pour des indications statistiques, cf. Politzer (1953: 14). De la serie d'exemples indiques par VS p. 364 et analyses § 242, j'elimine les deux formes verbales 29, 1 , 4 indigi et 104, 1, 13 obiciari, qui ne sont pas necessairement des formes de la 2 e personne,

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ses pieces, ce qui, dans un si petit corpus, est dejä remarquable. Dans tous les cas sauf un, il s'agit d'un nominatif singulier masculin en -us ecrit -u: 65, 1, 6 Paulu (dans une enumeration entre deux nominatifs, Iulius et Canterius) et, sur le meme fragment, la forme verbale seruimu; 40, 3, 4 Marius rogitu (=rogatus) a sup[ra]seripti^ (dans la ligne precedente, on lit Vararicus rogitus a...); 48, 1, 4 Valeriu (element d'une enumeration de noms de personnes, les autres sont des nominatifs feminins en -a); 48, 1, 15 Vitellu (enumeration de noms de personnes, plusieurs autres en -us), enfin le fragment de mot 6, 1, 7 [...Jguisnu, sans doute fragment de nom propre, dans une enumeration de noms de personnes au nominatif (cf. sur la meme ardoise, 11. 1-5 Rufinus Placidius Macarius Auinus Darens). L'interpretation du phenomene semble relever de la morphologie plutöt que de la phonetique. 2.2. Problemes de morphologie

nominale

Partons done, ici encore, du probleme de -s final. Puisque les dialectes hispanoromans, dans leur grande majorite, ont conserve -s final, il n'y a pas de raison de douter de la persistance, dans l'usage parle qui a influence les textes sur ardoise, de 5 en position finale. Or, nous avons observe la chute de -s dans un nombre limite de cas pourtant sürs. Ce flottement semble etre en premier lieu un flottement -us/-u(m) accompagne de l'extension occasionnelle, ä d'autres positions, de l'incertitude phonologique ainsi generee. La seule possibilite d'explication consiste dans un recours ä Γ analyse morphologique, ou si on veut morphonologique: il y a lieu de supposer que - parallelement, mais pas necessairement par analogie a 1'equivalence deja acquise de -a/a(m) a la premiere declinasion - il se produisit une neutralisation fonctionnelle entre l'accusatif et le nominatif dans les noms de la deuxieme declinaison egalement, neutralisation qui eut pour resultat une incertitude dans l'emploi graphique des formes respectives, surtout quand il s'agissait d'enumerations oil aucun contexte grammatical explicite ne facilitait le choix de la forme. Si l'hypothese est exacte, nous devons retrouver un flottement morphologique analogue au pluriel. Or, e'est justement le cas. Remarquons au prealable que les nominatifs pluriels feminins termines en -as - les seuls connus dans ces textes, puisqu'il n'y a pas d'exemple de formes »classiques« en -ae ou en -e - 1 5 impliquent deja la suppression de la distinction du nominatif et de l'accusatif pluriel dans la premiere declinaison, dont le schema la forme 104, 1 , 5 manu qui pourrait etre un ablatif singulier, et 52, 1 , 5 (et non pas 57, 1 , 7 comme V S I.e. l'indique par lapsus) tre, qui dans le contexte, semblerait remplacer le neutre tria. 14 Pour le datif-ablatif suprascriptis, evidemment. Ce serait lä un septieme exemple, non enumere par V S I.e.; il faudrait reverifier, le dessin publie laisse des doutes.

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s'aligne ainsi sur celui de la troisieme (sans parier de la quatrieme et de la cinquieme). Or, dans les enumerations notamment (il est vrai que ces textes sont, dans leur majorite, constitues d'enumerations), la distinction semble etre devenue incertaine dans la deuxieme declinaison egalement, comme nous l'avait fait entrevoir, pour le singulier, Γ etude de l'amu'issement apparent de -s en position finale. II y a en effet une ardoise particulierement instructive, le n° 53, apparemment de la fin du VI e ou du debut du VII e siecle, presentant, pour des fins inconnues, un inventaire d'animaux domestiques; en voici des extraits, ä partir de la ligne 2: ecuas maiores [...] VII nouellosf...] \ [tjres III trimos duos Vlluitelli anniculi I Xlllfeminas annic[ulas] [uijtelli anniculi masculi tres. Le texte est consequent en ce qui concerne Pemploi de -as pour les feminins de la premiere declinasion; au masculin, -os et -i alternent. Sur ce point encore, les faits s'opposent avec nettete ä ce qui s'observe en Gaule. Vielliard (1927: 113-114) souligne clairement que, dans les diplömes merovingiens, -os/-us ne remplace jamais la desinence du nominatif pluriel. L'analyse des cas de la chute apparente de -s nous amene done a postuler un etat de langue dans lequel, a la 2 e declinasion, la distinction entre nominatif et accusatif se perd sur le plan fonctionnel comme sur le plan morphologique, ce qui entraine l'emploi, a la place du nominatif, des formes de l'accusatif, -u(m) au singulier, -os au pluriel. Nous avons pu constater que la langue representee par les textes sur ardoise s'oppose avec nettete ä celle que refletent les diplömes merovingiens: la premiere s'achemine vers une structure dans laquelle -s final, phonetiquement maintenu, sera le morpheme du pluriel, la seconde prefigure une declinaison dans laquelle le meme s, egalement maintenu, fonctionnera comme marque de la distinction entre nominatif et accusatif (ou cas oblique syncretique), cette distinction s'operant d'ailleurs en directions inverses au singulier et au pluriel, ce qui confere a -s, secondairement, un röle dans la distinction des nombres. Rappelons que nos textes, s'ils se distinguent sur ce point de l'etat de langue dans la Gaule merovingienne, permettent des rapprochements interessante avec d'autres ensembles documentaires de la latinite tardive. Le parallelisme est tres net avec la situation - bien plus evoluee d'ailleurs que refletent les diplömes originaux du CDL, provenant dans leur majorite d'un territoire ou -s finira par disparaitre; dans ces documents, -u/-o et -us/-os se retrouvent indifferemment comme nominatifs singuliers; quant au nominatif pluriel, a cöte de 15

Voici quelques exemples: 5, 1, 14 suas conlibertas Flaina...Maxima; 97, 1, 2 uerfuices] cot ispensas sunt. Remarquons que VS §§ 337-341 examine le probleme des accusatifs pluriels en -as et -os; eile affirme, sans donner d'exemples, que le pluriel regulier en -ae est parfois maintenu dans les ardoises; je n'ai pas trouve de formes, e'est peut-etre un lapsus de ma part.

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la forme reguliere en -i, on y releve egalement -os, et - ce qui est inconnu dans les ardoises mais fort significatif du point de vue de la future evolution de l'italien - la forme -is.16 Malgre les differences phonetiques qui s e p a r e n t - et separeront, surtout - les deux territoires, la similitude des structures morphologiques est evidente: le paradigme nominal ne distingue plus le nominatif de l'accusatif, ni des autres cas obliques. Rappelons que la situation morphologique que nous observons dans les textes sur ardoises et dans les diplömes du CDL est prefiguree, partiellement du moins, en Afrique: les Tablettes Albertini contiennent par exemple des enumerations dans lesquelles des nominatifs reguliere en -us alternent avec des formes en -u (cf. Väänänen 1965: 30); j'ai trouve moi-meme des faits semblables dans des tablettes d'execration d'Afrique (Herman 1987: 103-107, ici meme 38-40), done a une periode encore plus precoce. 1 7 Ajoutons que Gaeng (1992: 120—122) releve la frequence des nominatifs en -u des le V e siecle en Afrique (13% de tous les nominatifs sg. de 2 e declinaison sur les pierres chretiennes), et aussi des cas, plus rares, de nominatifs pluriels en -os, p.e. ILCV 3052 Β Iulia Crescensa, cui filios et nepotes obitum fecerunt. 3. Conclusions Ce n'est pas que tous les traits permettant une confrontation utile entre la langue des ardoises et celle d'autres territoires aient ete evoques - pour 1'essentiel, un resume semble neanmoins etre devenu possible. 1. A un premier niveau, ce resume consiste ä assigner une place ä la langue que refletent les ardoises, par rapport aux autres variantes parlees du latin, aux sixieme et septieme siecles, dans la partie occidentale de ce qui avait ete l'Empire romain. Si, par son vocalisme, cette langue s'integre facilement dans l'ensemble du latin tardif occidental et ne se distingue pas sensiblement du latin de la Gaule merovingienne ou de celle de l'Italie septentrionale et centrale, les particularites du consonantisme la font apparaitre comme une Variante dialectale intermediate entre la langue de la Gaule et celle de l'Italie, notamment l'Italie centrale: le traitement des consonnes intervocaliques est encore - sauf pour -b- - essentiellement conser16

Voici des exemples: CDL 34, 124/20 ( A D 724) Ego Praudipertu uiro relegioso clirico huic cartula... suscripsi et, dans le meme document, 124/11 Ego Talesperianus eximius ep(iscopu)s uhic (sie) cartule...iscripsi; 55, 180/17 si nos Pasquale et Faichisi uel nostros h(ere)d(e)s de ipsa casa exire uoluerimus; 50, 162/3 Nos Pinculu et Macciulu u(iri) h(onesti) germanis filiis q(uon)d(am) Alchis...uindedimus. Cf. les statistiques de Politzer 1953:26.

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On trouve dans mon article des renvois ä la riche litterature qui concerne les limites fonctionnelles entre accusatif et nominatif.

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vateur, comme en Italie, et l'ebranlement vers un affaiblissement de ces consonnes, semblable a revolution deja bien en cours en Gaule, est encore ä peine perceptible. Pour ce qui est des finales, -s a tendance ä se conserver, comme en Gaule, mais -t subit I'amui'ssement comme en Italie. Et, fait morphologique curieux: alors qu'en Gaule la distinction fonctionnelle - et formelle, la ού c'etait possible - entre nominatif et cas obliques est clairement maintenue, les ardoises font entrevoir un etat de langue dans lequel cette distinction est en train de se perdre, aboutissant a une structure qui sera celle presentee par les documents de l'ltalie longobarde. On entrevoit done une etape interessante de la disintegration territoriale du latin occidental: le latin parle en Gaule se differencie dejä nettement des autres variantes, de celle d'Espagne et de celle d'Italie centrale, reliees entre elles par d'importants traits communs, bien que se dessine deja une differenciation encore secondaire entre ces deux variantes meridionales, qui rapprochera, pour certaines particularites, la langue de l'Espagne de celle de la Gaule. 2. Deuxiemement, les faits enumeres permettent certaines constatations au sujet de la prehistoire de la morphologie romane. II apparait que le type flexionnel sans distinction casuelle etait en train de se constituer des le VII e siecle en Espagne comme en Italie, alors que le systeme bicasuel se maintenait, se cristallisait raeme en Gaule. On note avec interet qu'en ce qui concerne au moins la perte de distinction fonctionnelle et formelle entre nominatif et accusatif, le systeme hispano-italien a des antecedents lointains, entre autres en Afrique, plusieurs siecles avant les textes que nous examinons. Enfin, il apparait que pour ce qui est de la formation de ces modeles flexionnels, le role de -s final, de son maintien phonetique ou de sa chute, est secondaire, subsidiaire: pour ce qui est du trait morphologique essentiel de leurs systemes, le manque de distinction entre nominatif et cas obliques, le latin hispanique et celui d'Italie vont de pair, bien que -s se maintienne dans Tun et tombe dans l'autre; la Gaule developpe un systeme bicasuel, done essentiellement different de celui d'Espagne, bien que les deux regions conservent -s en position finale - le fait est simplement que le latin de Gaule, fidele en cela au latin, utilise le -s comme terminaison casuelle, alors qu'en Espagne, le -s maintenu fait automatiquement fonction de signe du nombre. 3. Enfm, ä un troisieme niveau, tout cela a une certaine portee du point de vue de la theorie generale des changements diachroniques: il apparait une nouvelle fois que les mutations du systeme morpho-syntaxique ont une autonomie essentielle et ne sont pas determinees par revolution du systeme phonologique, egalement autonome, mais - en ce qui concerne 1'utilisation grammaticale des phonemes subordonnee au mouvement diachronique de la composante morpho-syntaxique de la langue.

II. L'EVOLUTION DE LA STRUCTURE GRAMMATICALE

La disparition de -s et la morphologie dialectale du latin parle* 1. On eprouve une certaine hesitation, de la reticence meme ä evoquer devant un public d'inities le probleme de -s final en latin tardif et vulgaire. Non pas que tout y soit clair - mais, en fin de compte, une sorte de consensus s'est etabli au cours de ces dernieres decennies, autour de positions qu'a nettement exprimees et corroborees, notamment, V. Väänänen (1966: 77-81): 1 il semble acquis que -s se pronongait encore dans la langue vulgare au cours des premiers siecles de l'Empire; par consequent, sa chute dans la plupart des dialectes Italiens et dans le roumain reflete une innovation plus tardive et locale qui, dans ces conditions, n'a rien en commun avec la chute de -s apres ο (u) dans la latinite archai'que.2 II semblerait done qu'en l'absence de faits nouveaux et decisifs (qui risquent bien de ne pas exister) il est peu prometteur de reprendre cette question qui a dejä fait couler tellement d'encre. L'idee »sociologique« de Wartburg (1950: 21 sqq.) d'apres laquelle le maintien de -s dans l'Ouest serait dü ä une latinisation partant des villes et impregnee par Γ usage scolaire, a ete formulee en laissant pratiquement hors de consideration les donnees latines d'epoque imperiale, et eile apparait par consequent, malgre son indeniable elegance, comme fort mal fondee. 2. Si nous nous hasardons malgre tout ceci ä reprendre une question debattue presque jusqu'ä l'ennui, e'est parce que nous avons l'impression que l'etat du probleme continue ä presenter un aspect quelque peu genant. Car, malgre tout, il existe, tout au long des siecles de l'Empire, des exemples indubitables de formes sans -s, 3 peu

* Latin vulgaire - latin tardif I. Tübingen, Niemeyer, 1987: 9 7 - 1 0 8 . 1 II serait peu utile d'enumerer ici les nombreux travaux relatifs ä la question. On reconstitue facilement une bibliographie en partant de Väänänen 1966, pour un complement, cf. Gaeng 1983: 3 7 - 3 8 . 2 3

Vue corroboree dernierement par un article de W. Maiiczak (1975). Un premier recueil systematique d'exemples (prenant en consideration l'epoque archai'que egale-

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nombreux par rapport aux innombrables cas de maintien, mais - meme apres Γ elimination de tous les cas qui, pour une raison ou une autre, sont susceptibles d'etre expliques par des facteurs de technique epigraphique 4 - assez nombreux pour etre consideres comme des reflets d'une realite linguistique qu'il s'agit par consequent de reconstituer et d'analyser. Or, si nous considerons comme etabli - et je crois, comme j'aurai l'occasion de le preciser, que nous le faisons ä juste titre qu'au niveau strictement phonetique -s etait effectivement maintenu pendant 1'Empire, nous avons lä une raison imperieuse de plus pour vouloir expliquer la presence d'un groupe tenace d'exceptions apparentes.

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ment) se trouve dans Proskauer 1910. A Pompei, Väänänen (1966: 80) a releve 23 exemples de »s final omis sans raison apparente«, qui s'opposent ä environ 170 cas de »m omis sans raison apparente« (ibid. 73-75); voici un exemple au hasard CIL IV 5213 filiu quod. Pour l'Afrique, l'Index de CIL VIII (Suppl. V/3, 312-313) Signale - sauf erreur de ma part - 118 cas de -s omis (exemple pris au hasard M. Liciniu Lu / percu. uixit / annis XXX); le nombre des -m omis peut etre estime ä plusieurs milliers dans le CIL VIII; l'Index (ibid. 311) indique simplement, en donnant des exemples, »passim«. II y a des exemples epars ailleurs, p.e. en Italie du Sud, ainsi ä Brundisium, CIL IX 104 L. Cuspiu (fin de ligne brisee) Primu v.a. XXV. Pour la Peninsule Iberique, Camoy - apres avoir έΐίηύηέ une quantite considerable d'exemples pour des raisons de critique epigraphique (cf. plus loin, note 4), n'en releve que 6 qui soient »omis sans raison apparente« (Carnoy 1906: 184-185); il Signale, il est vrai, une trentaine sur l'instrumentum domesticum (p. e. Aproniu CIL III 4978 3 9 ) qu'il considere cependant comme des abreviations graphiques. Quant ä la Gaule, les exemples reunis par Pirson (1901: 102) devraient etre revus sur la base d'editions plus süres et soumis ä une critique epigraphique systematique; il ne semble pas qu'il y en ait en nombre appreciable (v. nos indications Herman 1990 [1985a]: 82). Une revision s'imposerait aussi pour les exemples de MihSescu en ce qui concerne le Sud-Est de 1'Europe (cf. MihSescu 1978: 211 et nos remarques Herman 1990 [1985a]: 82-83), et egalement pour les exemples, nombreux mais reunis sans critique, de Stati (1961: 61). Tout compte fait, il semble que Ton puisse conserver quelques exemples valables pour les Balkans. II s'agit de l'application aux cas de -s omis des criteres desormais classiques elaboräs par Diehl (1899) au sujet de -m: on ecartera de la consideration linguistique les cas ού -s peut etre absent par la mutilation de la pierre, par manque de place, par abr6viation, devant un autre s, etc. Evidemment, il reste toujours une marge de cas discutables, ce qui rend toutes les statistiques un peu precaires, du moins dans les details: on trouve par exemple en Sardaigne, CIL X 7983 CI. Amarantu devant une marge de pierre intacte, avec assez de place vide pour un S, si on avait voulu en mettre un - Γ exemple reste n6anmoins peu sür parce que la pierre presente quelques fautes de graveur grossieres qui montrent que l'ouvrier ne connaissait pas la valeur des lettres; IX 2305, en Italie du Sud, presente Seppiu. Fortun /, et Γ exemple semble impeccable - on se rend compte, pourtant, que la ligne suivante porte coiug., ce qui prouve que l'apherese d'une lettre par abreviation purement graphique n'est pas ä exclure ä la ligne precedente non plus. Plus delicate encore est la distinction ä faire entre ce qui est phonetique et ce qui ne Test pas (et, comme nous le verrons, la distinction est souvent impossible), p.e. VIII2706 maximifortissimique principi iuuentutis, ou principi pour principis est plutöt le resultat de l'attraction formelle exercee par les genitifs en -i precedents, que la chute phonetique de -ί; dans VIII 17421 uxor. Q. Silici Martiali il s'agit plutöt d'une confusion fonctionelle entre genitif et datif, done d'un datif possessif, que d'un simple genitif sans -s.

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3. Avant de tenter une telle explication, cernons de plus pres les faits dejä plus ou moins connus. II a toujours ete evident que la suppression de la lettre -s sur les inscriptions d'epoque imperiale ne peut pas refleter un fait phonetique au meme titre que la suppression de -m. Cette evidence se fonde d'abord sur la difference dans l'ordre de frequence des deux phenomenes: nous venons de voir que, meme dans les »aires de concentration« de la chute graphique de -s, le nombre des -m omis est souvent 15 ou 20 fois superieur ä celui des -s supprimes. II ne sera pas inutile d'etayer cette evidence intuitive par quelques precisions. II apparait que, sur cent consonnes en position finale, 27,15 sont en latin des -s, et 31,63 des -m.5 Si la suppression de -m et celle de -s etaient les indices de deux processus phonetiques paralleles, il faudrait s'attendre ä trouver les deux omissions graphiques dans un nombre grosso modo egal avec tout au plus une legere inferiorite des -s supprimes. Or, ce n'est nullement le cas, et ce n'est meme jamais le cas dans les inscriptions. II convient de souligner cette constatation: on pourrait penser - et certains l'ont dit - que la difference de frequence correspond ä une difference chronologique entre deux changements phonetiques; alors que la chute de -m etait pratiquement achevee dans la prononciation et entrainait de frequentes deviations par rapport ä l'orthographe habituelle, celle de -s n'etait que graduellement amorcee et n'occasionnait que des hesitations orthographiques eparses. Or, sans meme parier du fait .qu'une telle hypothese implique une prise de position discutable quant au mode de deroulement des changements phonetiques, on constate qu'elle ne correspondrait pas aux faits dont on dispose. En effet, la proportion des signes de la suppression d'un -s, lä oü on en releve, ne semble guere varier tout au long des siecles de l'Empire: pour donner un exemple au hasard, les Tablettes Albertini presentent en gros la meme proportion entre chute de -s et chute de -m (4 contre au moins une trentaine, cf. Väänänen 1965: 29-30) que les inscriptions de Pompei, environ cinq siecles plus töt. Si la suppression de -s en position finale avait ete un changement phonetique en extension, cette longue stabilite des proportions serait peu pensable. II existe d'ailleurs des preuves plus »qualitatives« qui permettraient en elles-memes de demontrer que la suppression graphique des -s en position finale ne peut pas correspondre ä un evolution phonetique »ordinaire«. Dans les regions meme, en effet, oü on releve des groupes d'exemples avec chute de -s, on releve aussi, parfois, des

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Les proportions sont calculees sur la base d'une statistique de phonemes etablie par ordinateur sur une chaine d'environ 25 000 phonemes en chiffres ronds, cf. pour les details Herman 1990 [1968]. Les pourcentages se rapportent ä un total resultant de Γ addition de tous les digrammes »consonne + espace vide«. Les proportions indiquees Herman 1990 [1985a]: 81 resultent d'une methode de calcul differente et presentent des chiffres absolus differents, mais sont mathematiquement equivalentes ä Celles que nous indiquons ici.

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preuves presques tangibles de la prononciation effective de s en position finale. II existe par exemple en Italie du Sud des inscriptions qui presentent un consonantisme ainsi qu'un vocalisme fortement vulgaires, qui s'ecartent grossierement de la tradition orthographique, et qui n'omettent neanmoins nulle part -s en position finale. Ainsi, dans une inscription de Sorrente (CIL X 719) la forme en lettres grecqes KOZOYC (=coniux), avec une graphie qui atteste la transformation de i en affriquee, mais avec -s (ä l'origine, il est vrai, postconsonantique) marque; on evoquera aussi ä une date tardive (sans doute VI e siecle) les celebres inscriptions du cimetiere juif de Venusia qui, malgre une orthographe vacillante fortement modelee par des vulgarismes phonetiques, n'omettent jamais -s; citons ä titre d'exemples CIL IX 6221 Hie pausad Faustinas pat(er) nepus Fastini...; ibid. 6224 Hic requiescet Gesua cum. oxore sua Agnella... Gesua fuet filius Marcelli ... Agnella oxor Gesues fuet filia lositis. 4. II convient de rappeler une autre particularite des cas de -s final amu'i: dans la majorite des cas, il s'agit de la consonne du groupe final -us. A Pompei, dans la categorie »-s final omis sans raison apparente« Väänänen (1966: 80) n'en releve encore que 12 sur 23, c'est-ä-dire ä peine plus de la moitie, par contre, sur - sauf erreur - 118 cas de s final omis, Γ Index grammatical du Corpus des inscriptions africaines (CIL VIII, Suppl. V/3, 312-313) en signale 86 (done 72,88 %, bien plus des deux tiers) oü il s'agit de la chute de s dans le groupe final -us.6 La proportion des cas de -us > -u est preponderate dans les autres groupes d'exemples egalement (v. p.e. les donnees reunies - en vue d'objectifs tres differents du notre - par Kiss, 1972: 44-45). Or, il convient de preciser que la proportion du groupe final -us dans Γ ensemble des groupes en position finale »voyelle + ä« est de 32, 55 % seulement, 7 ce qui veut dire que, dans les textes dont on dispose, la chute de s apparait comme un processus qui se produit d'une maniere preferentielle dans le groupe -us (au lieu de se produire, comme on l'attendrait d'un processus phonetique, d'une maniere ä peu pres homogene dans le cas de tous les s en position postvocalique finale). 8 Ajoutons que le groupe -us frappe par la chute de la consonne est sauf quelques exceptions eparses (-ibu, -ibo au datif-ablatif pluriel) Γ element final du nominatif

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Par ailleurs, il s'agit de quelques cas de -i pour la terminaison is du genitif (cf. plus haut, note 4), de quelques exemples epars et peu sürs de ibu pour la terminaison -ibus de l'ablatif; on trouve un nombre plus considerable de chute de -s dans les indications de temps: anno pour annos, anni pour annis et quelques autres. Comme ces indications font partie de formules toutes faites, il s'agit presque sürement de l'abreviation graphique de formules courantes et connues. Le pourcentage est obtenu sur la base d'un total reunissant les trigrammes »voyelle + s + espace vide«; pour la statistique utilisde, cf. plus haut, note 5. La predominance de -us a dejä ete mise en evidence par Proskauer 1910, passim.

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singulier d'un nom ou d'un adjectif masculin; il a ete dit ä plusieurs reprises (dernierement Gaeng 1983: 58) que, dans la plupart des cas, il s'agit de noms propres. Enfin, il n'est peut-etre pas inutile d'indiquer que, parmi les exemples de chute de -s qui ne sont pas dus ä une circonstance non-linguistique, je n'ai pas rencontre de forme verbale dans les inscriptions proprement dites (sur un plan purement phonetique, les formes actives de la premiere personne du pluriel et des deuxiemes personnes du singulier et du pluriel seraient sujettes ä une supression de -i). 9 Avant de sauter ä des conclusions hätives, disons tout de suite que la plupart des faits decrits seraient susceptibles d'une interpretation completement triviale et qui ne serait sans doute pas fausse en elle-meme. II s'agit en effet de textes epigraphiques, dans leur ecrasante majorite d'epitaphes: or, excepte quelques inscriptions de caractere litteraire qui, pour d'autres raisons, n'entrent pas en ligne de compte ici, la rarete des formes verbales de premiere et de deuxieme personnes est naturelle; la proportion elevee des noms propres de personnes decoule aussi tout naturellement de la structure habituelle de ces textes. Quant au nominatif, s'il est fortement concurrence par d'autres cas (par le genitif du nom de personne apres memoria, ou plus anciennement apres la formule DM, et meme par le datif), il est sans doute d'une frequence d'emblee plus elevee que celle des autres formes nominales terminees en -s. 5. II ressort cependant des considerations qui precedent que - tout en tenant compte de toutes les precautions philologiques qui s'imposent - on se heurte ä un probleme irreductible et qui est de nature linguistique; en voici les donnees fondamen tales: (i) il peut etre considere comme etabli que, dans la langue parlee de l'epoque de I'Empire, il devait y avoir dans une partie du moins des regions romanisees ou en cours de romanisation (notamment en Italie Centrale et Meridionale, en Afrique, peut-etre dans les Balkans et ä un moindre degre dans la peninsule Iberique), une alternance -s ~0; (ii) les donnees qui attestent cette alternance sont d'une frequence relative inferieure, d'un ou de plusieurs ordres de grandeur, ä la frequence ä laquelle nous sommes habitues dans le cas de processus clairement phonetiques (que Γ on pense, pour prendre des flottements epigraphiques courants qui correspondent ä des evolutions phonetiques preromanes, aux cas de E~I, 0~V, B~V, NS~S, et, evidemment, -M~0); (iii) il semble probable - et probable seulement, puisque les inscriptions sur pierre risquent de donner, ä la suite de leurs caracteristiques textuelles, une

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Plus exactement, je connais un seul exemple dans une tablette d'execration, Audollent 286B, 6 - 1 0 agitatore (=agitatores) Ciarum et Felice et Primulum et Romanum ocidas collida neque spiritum Ulis lerinquas (sic). La forme collida presente malgre tout peu de poids, car -s de la deuxieme personne est note partout ailleurs. Ajoutons que Stati (1961: 61) releve dejä l'absence de formes verbales parmi les exemples presentant la chute d'un s final.

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image deformee de la realite linguistique - que l'alternance -s~0 se produisait avec une frequence relative particulierement elevee dans les finales -us du nominatif singulier. Force est done de penser que la suppression de -s ne constituait effectivement pas le reflet orthographique d'alterations phonetiques qui, dans la langue parlee de tous les jours, se realisaient, les conditions une fois donnees, avec automatisme, mais qu'elle correspondait ä une alternance morphosyntaxique liee ä un conditionnement plus complexe et plus profond que les modifications phonetiques et ne se produisant par consequent qu'occasionnellement. Cela equivaudrait ä dire, avec une imprecision deliberee, que la mobilite de -s pouvait correspondre, eventuellement, ä un trouble fonctionnel dans l'emploi des formes casuelles en -s, avant tout sans doute du nominatif. Rappeions que Carnoy, en examinant le probleme de -s (1906: 194 sqq. surtout 199) a dejä abouti ä l'hypothese selon laquelle les cas de chute de -s doivent etre relies au remplacement du nominatif par l'accusatif dans un certain nombre de provinces (v. aussi Väänänen 1966: 79, et plus recemment Gaeng 1983: 58). II est ä se demander s'il est possible d'aboutir ä plus de precision et ä plus de certitude. Les inscriptions proprement dites semblent avoir fourni ce qu'elles avaient ä offrir: mais, en ce qui concerne Γ interpretation morphosyntaxique, Γ austere formulaire des epitaphes constitue un terrain peu propice. 6. On possede toutefois des textes dans lesquels l'emploi d'une forme sans -s, lä oü on attendrait un nominatif, est ä peu pres systematique et dont Γ analyse semble plus prometteuse que celle des epitaphes. II s'agit d'une serie - bien connue d'ailleurs sous divers aspects - de tablettes d'execration d'Afrique du Nord, d'Hadrumete exaetement, publiees de maniere exemplaire par Audollent (1904), et que je citerai desormais par »Audollent+numero d'ordre de la tablette dans Audollent 1904+numero de la ligne (s'il y a lieu)«. Or, dans les tablettes Audollent 275-284, on trouve de maniere tout ä fait consequente les imprecations cadat, cadant, le cas echeant uertat, frangat (utilises dans un sens intransitif) precedees de noms de cochers et de chevaux qui devraient etre consideres comme sujets, mais qui se terminent en -u lorsqu'ils sont de la deuxieme declinaison, en -e (dans le cas des imparisyllabiques, ä la forme longue) lorsqu'ils appartiennent ä la declinaison 3; voici quelques exemples: Audollent 278A, 3-6 Epafu Victore cadant, Lydeu cadat, Elegante cadant, ... Securu Mantineu Prevalente cadant; 283A, 2-4 Supestianu russei qui et Naucelliu cadat uertat, Supestite russei seruu Reguli cadat uertat. Comme en temoigne la forme des noms de 3 e declinaison, ces noms propres doivent etre consideres comme des accusatifs, et Audollent a certainement raison pour l'essentiel lorsqu'il fait remarquer ä propos de la tablette 275: (Audollent 1904: 384) »More plebeio qui titulum exarandum curauit in plerisque nominibus et accusatiuum usurpauit pro nominatiuo et reliquit litteram m in fine ita ut sit emendandum e.g. (v.2) Priuatianu(m) = Priuatianus ...«. II reste ä savoir si ces curieux

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accusatifs sont ä interpreter purement et simplement comme des sujets ou bien s'il s'agit ici d'une serie »d'accusatifs d'enumeration«, 10 interpretation en faveur de laquelle on peut indiquer que le lien syntaxique entre ces noms et les verbes cadat, frangat, etc. semble plus lache que le lien habituel entre sujet et predicat. On releve en effet un nombre appreciable de cas dans lesquels il y a manque d'accord en nombre; il arrive qu'un seul nom propre soit suivi d'un verbe au pluriel, comme p.e. Audollent 275, 6 - 7 Faru cadant, Croceu cadant, Elegantu cadant, ou 278A, 3 Lydeu cadat, Elegante cadant, etc., il arrive aussi, plus rarement, que plusieurs noms soient suivis d'un verbe au singulier: Audollent 276, 18 Ganimede Cursore cadat. 7. Le probleme de Γ interpretation de ces formes peut etre resolu, cependant, grace ä un autre »paquet« de tablettes de contenu semblable, egalement d'Hadrumete, de la meme epoque que les precedentes (done de la fin du II e ou du debut du IIP siecle), mais de redaction plus simple. Ce sont les tablettes Audollent 272-274, ecrites sans doute toutes les trois par la meme main (cf. Audollent 1904: 378). Or, dans la tablette Audollent 272, nous avons des phrases qui sont paralleles quant ä leur structure et leur contenu ä celles des tablettes 275-284, mais, contrairement ä ces dernieres, elles presentent des nominatifs completement reguliere ä la place du sujet: 9-11 Blandus Gemmatus Attonitus prasini Roseus Salutaris cadat, Basilius Nilus Scintilla Clarus cadat, etc. Dans les tablettes 273-274, la structure est quelque peu differente: on trouve une enumeration ininterrompue de noms de chevaux, et ensuite, dans une phrase grammaticalement autonome (separee de 1'enumeration dans la transcription de l'editeur par un point-virgule), Γ imprecation est prononcee concernant les chevaux enumeres. Les noms figurant dans 1'enumeration sont au nominatif parfaitement regulier, p.e. 274A, 3-13 Volucer Nervicus Β [asijlius Nilus Scintilla...; precor bos, sancta nomina, cadant homines et equi frangan(t); la formule finale de la tablette Audollent 273 est un peu differente (lignes 11-13): haec nomina hominum et equorum qu(a)e dedi uobis cadan(t), precor bos. Ce qui nous parait essentiel, e'est que dans les tablettes Audollent 272-274, qui proviennent de la meme ville, de la meme periode et sans doute du meme milieu que les tablettes 275-284 et qui ne sont nullement moins »vulgaires« que ces dernieres, les nominatifs habituels en -us (ainsi que les autres nominatifs »reguliere«) remplissent exactement les memes fonctions que les accusatifs en -u, etc. dans le groupe des tablettes precedemment examinees. Autrement dit: il semble que vers la fin du deuxieme siecle, en Afrique ou du moins 10

A u sujet de l'accusatif servant ä r e m u n e r a t i o n dans les recettes, prescriptions, etc., en s o m m e dans des listes de n o m s en position extrasyntaxique, ä fonction purement denominative, v. surtout Γ expose tres detaille de S v e n n u n g ( 1 9 3 5 : 186 sqq., v. aussi Hofmann-Szantyr 1965: 2 9 et 3 0 - 3 1 ) .

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dans certaines regions fortement romanisees de Γ Afrique, la forme usuelle -us et une forme en -u (provenant ä ce qu'il parait de -um, ce qui n'avait sans doute plus guere d'importance pour les locuteurs de l'epoque) etaient interchangeables dans les fonctions courantes du nominatif (fonction de sujet, forme de remuneration et de la denomination extrasyntaxiques) - mais non pas, sans doute, dans les fonctions traditionnelles de l'accusatif ou des autres cas obliques. Un nominatif comme seruus avait done un doublet seruu, qu'on employ ait sans probleme sauf dans les cas en somme peu frequents oü l'identite de la fin de mot -u avec celle des accusatifs les plus courants aurait risque de brouiller le message. Le -s de -us, au nominatif, etait devenu ainsi une sorte de "s mobile". 8. Comment ce Stade avait-il ete atteint? Etait-ce effectivement, ä cette d a t e , une particularite africaine ou sommes-nous en face d'une illusion d'optique due ä la distribution fortuite des textes? Et enfin, est-on en droit de supposer que les exemples plus epars de -u pour -us, dans les inscriptions »vulgaires« d'epoque imperiale - en Afrique, en Italie et ailleurs - sont egalement des »nominatifs-accusatifs« ä -s mobile comme nous l'avons suppose pour les exemples pris aux tablettes d'Hadrumete? Les reponses que nous pouvons essayer de formuler sont necessairement hypothetiques. Les voici pourtant. (i) II est probable - et nos exemples d'Hadrumete en temoignent clairement que e'est d'abord dans les enumerations, les positions plus ou moins extrasyntaxiques que les accusatifs ont pu fonetionner comme equivalents du nominatif, que les deux cas sont devenus interchangeables. 11 Naturellement, en presence d'un verbe, il y a un facile jeu de bascule entre nominatifs independants et nominatifs sujets, et par consequent aussi entre accusatifs d'enumeration et accusatifs sujets, comme le montre tel detail pris au hasard dans les tablettes d'Hadrumete, oü I'enumeration des noms propres et la repetition incantatoire de verbes tantöt accordes, tantöt non accordes avec les noms enumeres cree une situation grammaticalement equivoque, comme Audollent 283, 17-18 Danuviu cadat, lnhum[a]nu cadaft, D] erisore cadat, Improbu Vagarfi [ta cadant] Iuvene Capria Mirandu cadat... (ii) Svennung a indique (1935: 192) que l'extension de l'accusatif aux depens du nominatif est une etape (et nous ajoutons: sans doute pas la premiere etape) de l'extension de l'emploi de l'accusatif, de sa transformation en une sorte de cas general. II est clair que cette transformation est acceleree, sinon conditionnee par le developpement d'homonymies entre l'accusatif et d'autres cas. Nous croyons 11

V. dejä, chez Löfstedt (1933: 331-332) la meme idee sur la base de faits analogues dans la Regula Benedict!, analysee par Linderbauer.

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avoir montre ailleurs (Herman 1990 [1982]) et en accord avec d'autres, que la perte des oppositions quantitatives des voyelles s'est deroulee en Afrique plus tot que dans les autres territoires de 1'Empire; nous savons egalement (cf. Herman 1990 [1968]) que la disparition des differences de duree s'est operee en syllabe atone, notamment en finale, plus tot que dans les syllabes accentuees. II n'est pas impossible de supposer, par consequent, que la constitution d'une homonymie complete entre p.e. seruu(m) et seruö, filia(m)et filiä a ete relativement precoce en Afrique, ce qui a fait de l'accusatif le cas prepositionnel unique, et - en comptant ses fonctions propres - un cas en voie de devenir le cas general du nom, du moins au singulier. De lä sa frequence croissante dans des emplois typiquement »non marques«, comme les positions independantes, extrasyntaxiques, ce qui ouvre en meme temps la voie ä 1'equivalence avec le nominatif. Que cette hypothese concernant une primaute chronologique de Γ Afrique soit fausse ou non (nous la considerons comme probable), 12 il est certain que le processus que nous observons - 1'intrusion graduelle de l'accusatif dans le domaine d'emploi du nominatif - n'est plus panroman, comme en temoigne la conservation du nominatif en -s dans la periode medievale des futures langues romanes de la Gaule. (iii) Puisque, dans les inscriptions (v. des exemples plus haut, note 3), les nominatifs sont souvent non construits, independants sinon enumeratifs, il est vraisemblable que, dans la plupart des cas oü la chute du -s n'est pas due ä une particularite de la technique epigraphique, il s'agit de la substitution d'un -u correspondant ä un accusatif, en concurrence avec le nominatif dans cette fonction. Les tablettes d'Hadrumete ne constituent done qu'un exemple particulierement net et riche d'un flottement morphosyntaxique qui, en general un peu plus tard et peut-etre moins souvent, s'est egalement manifeste ailleurs. 9. II reste une derniere question: l'alternance morphosyntaxique -us —u (et les alternances similaires, bien que de structure differente et bien plus rares entre gen. -is ~ dat. -i) 13 est-elle completement independante de la future disparition de tous les -s en position finale dans l'Est et dans la majorite des dialectes Italiens? Autrement dit: les flottements qui, ä l'epoque de l'Empire, se cantonnent essentiellement au niveau morphonologique et comportent une motivation clairement

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D'autres recherches que les nötres soutiennent cette hypothese. Sur la base de donnees epigraphiques surtout chretiennes, Omeltchenko (1977: 3 1 9 - 3 2 6 ) a releve 19 exemples de nominatif singulier en -u (contre 503 en -us) en Afrique, alors qu'il n'en a trouve que deux (centre environ 800 -us) dans l'ensemble des autres regions (Bretagne, Dalmatie, provinces balkaniques) qu'il a examinees.

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V. plus haut, ä la fin de la note 4. V. aussi une analyse plus detaillee du probleme dans Herman 1990 [1965],

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morphosyntaxique ont-ils quelque chose en commun avec la future evolution phonetique, la preparent-ils ou la prefigurent-ils? La »devalorisation« morphosyntaxique des -s en position finale, la perte des fonctions distinctives de - j dans la flexion nominale ont-elles contribue ä l'effacement des -s appartenant ä d'autres systemes formels? J'avoue ignorer la reponse - peut-etre suffit-il, pour le moment, de formuler la question avec clarte.

Accusativus cum infinitivo et subordonnee ä quod, quia en latin tardif - nouvelles remarques sur un vieux probleme* Cet expose est consacre au probleme de la construction appelee couramment Accusativus cum Infinitivo (Acl), plus exactement au processus postclassique au cours duquel des subordonnees introduites par quod ou quia (ou, occasionnellement, par d'autres subordonnants: quoniam, quomodo, etc.) ont d'abord concurrence, puis - comme en temoignent notamment les langues romanes - remplace les Acl. La construction Acl constitue un des points les mieux examines de la syntaxe latine, 1 c'est vrai aussi pour l'histoire de son remplacement par des subordonnees conjonctionnelles. 2 Un nouvel examen du probleme nous semblait neanmoins utile. En confrontant, comme on le fait d'habitude, la construction Acl et les subordonnees conjonctionnelles qui la remplacent, au niveau de Γ analyse grammaticale, on arrive le cas echeant ä fonder des considerations theoriques, mais on ne rend pas pour autant compte des mecanismes qui regissent le deroulement historique concret de revolution »Acl - » subordonnee conjonctionnelle«. II est ä prevoir pourtant que ces mecanismes presentent eux-memes un certain interet theorique. II faut partir du fait, si evident qu'on oublie en general d'en parier, que le remplacement des Acl par des subordonnees conjonctionnelles, apres les verbes que Ton appelle si commodement verba sentiendi et dicendi, s'est opere en latin au

* Subordination and Other Topics in Latin. Amsterdam - Philadelphia, Benjamins, 1989: 133-152. 1

C'est vrai pour la grammaire dite traditionnelle, qui voyait lä une structure offrant d'interessante parallelismes avec le grec et d'autant plus digne d'attention que ses attaches indo-europeennes etaient peu claires; c'est vrai aussi pour la linguistique contemporaine, dans sa Variante g6nerative notamment, du trop celebre livre de R.T. Lakoff (1968) ä la note en bas de page de Chomsky (1981:140) et les articles recents de Calboli (1983) et de Maraldi (1983). Perrochat (1932), Herman (1963) et Calboli (o.e.) permettent de reconstituer la riche bibliographie de la question.

2

V. en particulier Mayen (1889), Herman (1963) et Wirth-Poelchau (1977).

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cours d'une periode de transition de plusieurs siecles, pendant laquelle les deux constructions sont en concurrence, ou du moins coexistent non seulement dans l'usage latin en general, mais - ce qui est plus important pour nous - chez les memes auteurs, dans les memes textes, et sans doute chez les memes locuteurs. En utilisant et en completant des decomptes qui remontent au XIX e siecle, j'ai moi-meme fourni des statistiques ä ce sujet (Herman 1963), auxquelles s'ajoutent les donnees recueillies par Wirth-Poelchau (1977). Le bilan d'ensemble de ces releves quantitatifs est facile ä etablir: si les subordonnees conjonctionnelles apres les verba sentiendi et dicendi sont encore sporadiques chez Petrone (et meme chez les auteurs tardifs qui se rattachent ä une tradition classique), elles apparaissent des les ecrits des premiers Peres latins et se maintiennent dans la lignee des oeuvres chretiennes avec une remarquable constance. Pendant presque cinq ou six siecles, leur proportion reste constante: on les trouve dans environ 10% (et plutöt moins) des cas oü on attendrait en principe un Acl, ce calcul etant etabli en laissant de cote les citations bibliques representant la Vetus Latina, ou leur proportion est nettement plus elevee. Autrement dit, cette construction est toujours amplement representee dans la litterature latine chretienne, mais il convient de ne pas oublier que les Acl gardent une position largement dominante. Le depassement de la cote des 10% releve d'exceptions individuelles et est en general peu spectaculaire: mentionnons Egeria avec environ 20% ou Lucifer de Cagliari avec 15%.3 Si ces proportions ont une importance, celle-ci reside justement dans le peu de variete qu'elles presentent: il est clair que pendant un demi-millenaire environ, les auteurs, surtout Chretiens, et - il convient de le souligner encore - les memes auteurs dans les memes textes, dans les memes passages, parfois dans les memes phrases choisissaient dans un cas sur 10 ou sur 15 en moyenne, une subordonnee ä verbe conjugue la ou pourtant un Acl aurait ete possible et meme courant. Ce fait exclut 1'hypothese facile d'apres laquelle l'emploi de l'une ou de l'autre construction dependait essentiellement du »niveau culturel« des auteurs ou de celui de leur public (cf. Wirth-Poelchau 1977: 22). Pour ces auteurs, les deux constructions etaient egalement grammaticales et - pour prendre un exemple sur des dizaines de milliers - si Augustin dit, dans le Sermo 292, ä quelques lignes ou plutot ä quelques dizaines de secondes de distance diceret quod ex Deo nascuntur et plus tard si se dignum diceret, ses options n'avaient sans doute rien ä faire avec des variations dans la receptivite culturelle ou stylistique de son public. 3

Dans ce domaine comme dans tant d'autres, toute indication statistique est approximative. La plupart des textes fourmillent dans certains passages de constructions Acl breves, qui s'imbriquent souvent les unes dans les autres et que Ton saute facilement: je sais par ma propre exp6rience qu'ä la relecture d'un texte on trouve r6gulierement plus d'AcI qu'on n'en avait compte d'abord.

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Par consequent, si l'historien cherche ä rendre compte de la variation entre Acl et subordonnee conjonctionnelle, s'il souhaite en particulier chercher l'explication du remplacement preroman des Acl par des subordonnees, il lui convient d'analyser les motifs du choix entre les deux constructions, chez les auteurs qui utilisaient couramment l'une et l'autre. Aussi avons-nous confronte systematiquement les Acl et les »verba sentiendi et dicendi + quod, quia« dans les textes d'un certain nombre d'auteurs Chretiens, afin de retrouver, si possible, les indices grammaticaux de surface et/ou les indices semantico-pragmatiques susceptibles de reveler le mecanisme de l'option pour l'une ou l'autre construction. Bien que nous presentions, par endroits, des pourcentages pour indiquer Γ ordre de frequence de tel ou tel phenomene, notre methode n'est pas ä proprement parier statistique, puisque nous ne tirons des conclusions que des faits attestes par la totalite ou la presque totalite des exemples consideres chez un auteur donne. Ceci pour des raisons de principe d'abord: nous recherchons des faits de structure, et non pas des faits de style; pour des raisons d'ordre pratique egalement: les releves presentent parfois des incertitudes de detail, et le nombre des exemples n'est pas toujours suffisamment grand pour se preter ä une analyse statistique serieuse. Cet examen se fonde sur les textes de quatre auteurs Chretiens appartenant ä des regions, des periodes et meme ä des niveaux socio-culturels differents: il s'agit, dans un ordre chronologique approximatif et en partie hypothetique, de Saint Cyprien, de Lucifer de Cagliari, de l'auteur de la Peregrinatio (que nous nommerons par convenance, sans pour autant prendre parti dans la discussion philologique ä ce sujet, du nom d'Egeria), et enfin de Salvien de Marseille. 4 Naturellement, d'autres textes ont en outre ete consultes et seront ä Γ occasion cites. En essayant de confronter les subordonnees infinitives (Acl) et les subordonnees ä quod, quia chez les memes auteurs, nous avons d'abord tenu compte d'un nombre appreciable de parametres. Dans ce qui suit, nous concentrerons nos remarques sur ceux - peu nombreux - qui ont permis d'aboutir ä des conclusions interessantes ä notre point de vue. Nous reparlerons de quelques-unes des approches qui n'ont pas donne de resultats appreciates et qui presentent un certain interet justement ä ce titre.

4

J'ai utilise, pour tous ces auteurs, afin de faciliter les references, les iditions de texte qui se trouvent dans la serie Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum. Les renvois se font par page de Γ edition citäe et premiere ligne de la citation, 15 2 signifie done page 15, ligne 2. Pour tous les auteurs, j'ai fait des relevfis sur divers passages pris au hasard, me permettant de reunir environ une centaine de subordonnees conjonctionnelles. J'ai utilise, evidemment, les releves des Index grammaticaux egalement.

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1. Position de la subordonnee ä l'interieur de la phrase On constate chez nos auteurs une regularite simple, que des sondages d'essai operes dans d'autres textes de la meme tradition semblent confirmer. Elle peut se resumer comme suit: Un Acl se place tantot apres, tantöt avant le verbe de perception ou d'enonciation dont il depend (nous le considerons comme place avant non seulement dans les cas oü il se situe entierement avant le verbe, comme me uidisse puto, mais dans les cas relativement rares oü il commence avant le verbe conjugue qui s'intercale dans Γ Acl, comme me puto uidisse). Par contre, une subordonnee ä verbe conjugue et introduite par une conjonction comme quod ou quia se place dans la totalite ou la quasi-totalite des cas apres le verbum sentiendi vel dicendi. Exprimee en pourcentages, cette regularite se presente dans nos releves selon les proportions suivantes:

Apres le verbe Avant le verbe

Cyprien Acl quod quia 55 98

Lucifer Acl quod quia 44 95

45

56

2

5

Peregrinatio Acl quod quia 56 100 44

Salvien Acl quod quia 40 100 60

Voici quelques exemples - choisis au hasard dans nos textes - pour illustrer l'usage: Acl apres le verbe: (1)

credimus quidem posse aput iudicem plurimum martyrum merita et opera iustorum (Cypr. 249 26 ) cum uiderent se nullo modo posse ingredi in ciuitatem (Peregr. 63 12 )

Acl avant le verbe (= un ou plusieurs elements de 1'AcI places avant le verbe): (2)

quisqueprofessus intra diem non est Christianum se esse confessus est (Cypr. 238 25 ) hoc autem ... ita esse manifeste cognoui (Peregr. 38 31 ) ita infiniti... ut non meputarem aliquando altiores uidisse (Peregr. 41 3 )

Subordonnee conjonctionnelle apres le verbe: (3)

nescientes quia opus Dei est omne quod nascitur, diaboli quodcumque mutatur (Cypr. 198n)

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et hoc nobis ipse sanctus episcopus Israhel dimiserant

retulit, eo quod Farao, quando uidit, quod filii

eum ... isset cum omni exercitu suo intra Ramesse (Peregr. 4 9 u )

et putamus, quod poena diuinae seueritatis

indigni simus ... ? (Sal v. 113 ) 6 )

Comme le montrent les pourcentages indiques plus haut, il est tout ä fait exceptionnel qu'une subordonnee conjonctionnelle dependant d'un verbum sentiendi vel dicendi se trouve avant ce verbe; chez certains auteurs, cela n'arrive jamais. Les exemples que Γ on releve trahissent toujours, par la complexite des procedes syntaxiques mis en oeuvre aussi bien que par le caractere du message vehicule, une intention stylistique, habituellement une volonte d'emphase fortement marquees; il s'agit de constructions qui n'ont sensiblement rien ä faire avec l'usage courant. Voici un passage typique trouve chez Lucifer de Cagliari 533Q: (4)

ad Achat quadringenti sequi loquebantur, cuncta consecutura

illi pseudophrophetae

quod possent ilium omnia felicia

contra uero dei dicebat propheta

Michaeas,

quod essent

conilium

mala.

Le mecanisme que nous venons de decrire s'explique d'ailleurs en partie par une necessite de »desambigu'isation«. Un Acl, oü qu'il se trouve dans la phrase, meme s'il n'est precede d'aucun contexte emanant du meme locuteur, se revele immediatement, de par sa propre structure, comme une subordonnee dependant d'un verbe du type »sentiendi vel dicendi«, comme le complement d'objet qui enonce le »contenu« d'un acte declaratif ou perceptif. Une subordonnee ä verbe conjugue et introduite par quod ou quia (ou, ä plus forte raison, quoniam ou eo quod) ne s'interprete par contre comme complement d'objet d'un verbe de declaration ou perception que si elle est effectivement precedee d'un tel verbe (depourvu de tout autre objet); ä defaut de cet indice, la subordonnee sera, normalement, interpretee comme causale. Autrement dit, le locuteur n'a effectivement le choix entre Acl et subordonnee ä verbe conjugue, qu'une fois le verbum sentiendi et dicendi a dejä ete enonce; s'il veut exprimer Γ objet du verbe avant que celui-ci ne soit enonce, le locuteur est oblige de recourir ä Γ Acl. Cette explication est corroboree par des exemples comme la phrase suivante de Salvien 32 5 :

5

Je me suis tenu intentionnellement, ici, ä des indications quantitatives expressement approximatives. L'existence ou la non-existence d'un lien de coreference entre deux termes est souvent affaire d'interpretation subjective de la part du lecteur, il faut se retenir done de donner une fausse impression de precision.

48 (5)

Accusativus cum infinitivo

uides absque dubio, quia non potes queri, quod non aspiciat etiam iniustos deus, quia intellegis generalem quidem esse in omnes domini uisionem

Le premier quia (et evidemment le quod de la subordonnee suivante), precede de uides sans autre complement d'objet, est interprete par la merae comme »Γequivalent« d'un Acl, le deuxieme quia par contre, ä defaut de cet indice, se presente nettement comme causal. Le premier choix qui s'impose au locuteur ne consiste done pas en fin de compte ä opter entre un Acl ou une subordonnee conjonctionnelle: il doit d'abord operer un choix plus fondamental, entre l'anteposition et la postposition de la subordonnee au verbe de declaration ou de perception. Le choix binaire entre Acl et subordonnee conjonctionnelle ne survient que lorsque le resultat de la premiere option, concernant la construction du verbe et de son complement, a fourni le resultat VO. A ce moment, la subordonnee conjonctionnelle pouvant etre utilisee sans danger d'ambiguite, le locuteur est en principe libre de la preferer ä un Acl. II reste ä savoir si les motifs d'une telle preference sont susceptibles d'etre precises.

2. Les particularites du terme exprimant l'agent Nous etions parti d'une hypothese selon laquelle la preference occasionnelle pour la subordonnee conjonctionnelle en face de Γ Acl s'expliquerait par l'independance relative que confere ä la subordonnee conjonctionnelle l'expression de l'agent par un element nominal au nominatif - l'agent ä l'accusatif de 1'AcI pouvant etre ressenti comme directement regi par une expression verbale de la principale. Nos releves ne permettent pas de verifier cette hypothese d'une maniere indubitable; certains indices tendent malgre tout ä montrer qu'elle n'est pas fausse. En examinant en effet les Acl, on trouve que leur agent a normalement un caractere nettement »topical«: il est uni, dans environ 8 ä 9 cas sur 10 dans tous les textes examines, par un lien de coreference ä un terme anterieurement exprime, dans la meme phrase ou dans la phrase precedente; il y a egalement de toute evidence coreference lorsque l'agent est exprime par un pronom personnel renvoyant ä un participant de Γ acte de parole ou bien ä l'agent de la principale. 5 II est presque inutile de citer des exemples; voici neanmoins quelques-uns ä titre d'illustration: (6)

(mandant aliquid martyres fieri) ... ante est ut sciamus illos de Domino inpetrasse quod postulant, tunc facere quod mandant (Cypr. 25018)

Accusativus cum infinitivo

(7)

duxit meprimum

adpalatium

49

Aggari regis et ibi ostendit michi archiotepam

in cuius Aggari uultuparebat...

uere fuisse hunc uirum satis sapientem

ipsius ...

et honoratum

(Peregr. 62 1 0 ) (8)

cum uiderent (sc. Persae, mentionnes dans la phrase precedente) se nullo modo ingredi in ciuitatem

posse

(ibid.63 12 )

II est bien plus difficile de trouver des exemples oü l'accusatif de 1'AcI ne soit pas en coreference avec un terme anterieur ou ne se refere pas ä un referent necessairement presuppose dans le contexte; citons pourtant, au hasard, (9)

nolo aestimet affectio uestra, monachorum scripturis

(10) aiunt...

Dei aut gesta monachorum a deo omniapraetermitti...

aliquando

alias fabulas

esse nisi aut de

maiorum (Peregr. 68 j) et ideo in hoc saeculo deteriorem

admodum

sta-

tum esse meliorum (Salv. 5 2 2 )

Quoi qu'il en soit, les exemples de ce deuxieme type sont relativement rares, d'une interpretation parfois douteuse: dans le cas normal, l'agent de 1'AcI se relie sur le plan semantique et pragmatique ä Γ ensemble du contexte precedent. II n'en va pas de meme pour les subordonnees conjonctionnelles. Bien que le nombre relativement reduit des exemples rende toute generalisation plutot hasardeuse, on η'est sans doute pas loin de la verite en disant que, dans un cas sur deux environ, l'agent a soit un referent nouveau par rapport au contexte precedent, soit un referent d'un Statut particulier, comme deus, dont la simple evocation isole en quelque sorte la subordonnee par rapport ä son contexte. Voici des exemples pris au hasard: (11)

duae statuae excisae ... quas dicunt esse sanctorum hominum, id est Moysi et Aaron; nam dicent, eo quodfilii

Israhel in honore ipsorum eas posuerint

(Peregr. 48 2 5 );

le terme filii Israhel n'est certainement pas le »topic«. Ou encore (12) undeputo,

quod haec in illo iam tunc opinio fuerit quae nunc in multis est, deum scili-

cet terrestria non respicere (Salv. 14 28 ) (13) igitur si stulte atque impie creditur, quod curam rerum humanarum pietas despiciat, ergo non despicit (Salv. 13 23 )

diuina

II y a evidemment bon nombre de subordonnees conjonctionnelles dont l'agent est clairement »topicalise«; c'est en particulier le cas des nombreuses subordonnees

50

Accusativus cum infinitivo

dont I'agent est exprime par la forme verbale elle-meme, et qui equivalent ainsi ä un Acl ayant comrae agent un pronom personnel ou reflechi, p.e. (14)

ut omittam quia et in hoc mendax sis (Lucifer

182 4 )

II serait sans doute exagere de pretendre qu'il y ait la un mecanisme grammatical qui fonctionne avec une sorte d'automatisme, loin de lä. Mais la tendance se dessine: lorsque l'agent ne constitue qu'un rappel du contexte precedent, 1'AcI semble etre le choix preponderant, presque automatique; lorsque, par contre, l'agent se prete ä etre »focalise« ou lorsque, d'une maniere ou de l'autre, il est appele ä se detacher du contexte, la subordonnee conjonctionnelle, dans laquelle l'agent se trouve ä un cas non-dependant, se presente comme un choix plausible, sans etre obligatoire.

3. La structure de la subordonnee Nous avons confronte les Acl et les subordonnees ä quod ou quia qui se trouvent dans nos releves du point de vue du nombre des syntagmes qu'ils contiennent, comme du point de vue du nombre des subordonnees de second ou de troisieme niveau qu'ils regissent. Le resultat n'a pas ete concluant, les differences de ce type entre les deux categories de subordonnees ne sont guere significatives et varient d'ailleurs selon les auteurs. II y a cependant une difference ou plutot une difference potentielle entre les deux types de subordonnees qui semble essentielle du point de vue de revolution future. II est ä rappeler en effet qu'un Acl contenant l'infinitif d'un verbe transitif aussi bien que l'objet direct de ce verbe, done - avec l'accusatif agent - deux accusatifs distincts, preterait en principe ä une double interpretation. Neanmoins, des exemples completement ambigus comme Petrum Paulum diligere scio relevent de I'imagination des grammairiens et meriteraient l'asterisque qui les confine au non-etre. Les textes - les nötres y compris - utilisent tout un arsenal d'indices qui permettent de prevenir toute ambigu'ite: distinction des noms en presence par des marques semantiques (anime - inanime, humain - non-humain, etc.), en rapport avec le semantisme du verbe; clarification anticipee due au contexte precedent; opposition entre un pronom personnel ou reflechi, assumant le role de l'agent et un nom ou un autre type de pronom - et ainsi de suite. Le plus souvent, plusieurs de ces indices sont utilises ä la fois pour rendre 1'equivoque impossible. Voici, au hasard, quelques exemples:

51

Accusativus cum infinitivo

(15) cum uos illic comperissem (16) Dominus...

placandus

... ecclesiam

est qui negantem

alteram

institui (Cypr. 6O4 1 0 )

negare se dixit (ibid. 2 4 9 2 5 )

(17) hoc nobis ultra spem grate satis euenit, ut sanctos ... monachos uideremus, quos tarnen non aestimabam

mesopotamenos

ibi

me penitus posse uidere (Peregr. 66 j)

(18) curare pariter res humanas deum et iudicare cognoscas

(Salv. 20 7 )

Quoi qu'il en soit, il y a la, pour 1'AcI, une limitation qui peut devenir parfois genante: il convient d'eviter - ä moins que le contexte ou la situation ne dissipe d'emblee toute ambigui'te - que l'accusatif agent et celui representant le complement ne se referent ä des entites de merae categorie (animes, humains). Or, la subordonnee conjonctionnelle qui contient un agent au nominatif permet de depasser cette limitation; on observera les exemples suivants: (19) meminisse Dominus

autem diaconi debent quoniam apostolos

id est episcopos

et

praepositos

elegit (Cypr. 4 7 1 3 )

(20) legisti Samuhel quod in omni sanctificatione (21) ... nec me ueritas fallit

iudicarit populum Dei (Lucifer 87 1 5 )

... quod uincere tamen numquam dei possis familiam

(ibid.

3012)

(22) uidit, quodfilii

Israhel dimiserant eum (Peregr. 49 1 3 )

Dans tous ces cas un Acl construit avec les memes termes (et naturellement avec un pronom personnel correspondant la oil la subordonnee conjonctionnelle designe l'agent avec le seul verbe conjugue) preterait ä equivoque. 6 Nous n'affirmons pas que les exemples de ce type soient particulierement frequents; on en trouve neanmoins sans trop de peine. Leur seule existence prouve que la possibilite de construire des subordonnees conjonctionnelles apres des verba sentiendi vel declarandi permettait parfois de surmonter des difficultes et des complications genantes dans la construction des enonces. Precisons, avant de conclure, qu'en dehors des parametres evoques jusqu'ici, nous avons egalement tente d'autres approches. Nous avons notamment essaye de constater si le choix entre Acl et subordonnee ä verbe conjugue n'etait pas influence le cas echeant par des proprietes du verbe, si la preference pour une echelle

6

Retenons que dans l'exemple pris ä Cyprien et le deuxieme exemple dü ä Lucifer, une erreur d'interpretation concernant l'identit6 de l'agent et de l'objet conduirait ä une phrase blasmephatoire. II ne faut absolument pas sous-estimer Γ importance de ce facteur. Les Peres - et ils ne sont pas les seuls - ont pour le pouvoir de la parole un respect presque terrorise et evitent scrupuleusement toute tournure »suspecte«; nous lisons chez notre Salvien, 13 1 9 /an/a ... est maiestatis sacrae et tam tremenda reuerentia, ut... etiam ea, quae pro religione nos ipsi dicimus, cum grandi metu ac disciplina dicere debeamus.

52

Accusativus cum infinitivo

d'expression temporelle plus precise ou pour la possibilite d'expression d'une nuance modale ne pouvait constituer un motif süffisant pour opter en faveur d'une subordonnee conjonctionnelle; nous avions pense aussi que le choix de la subordonnee ä quod, quia pouvait parfois resulter de la volonte d'eviter l'emploi de certains infinitifs passifs. Faute peut-etre d'avoir trouve une methode appropriee, nous n'avons pas reussi ä corroborer ces hypotheses grace ä nos releves; elles restent done des hypotheses. Remarques d'ensemble et conclusions Sans rendre compte de revolution toute entiere, ce qui vient d'etre expose permet peut-etre de retracer les grandes lignes des mutations qui ont prepare, apres les verbes de declaration et de perception, le remplacement de 1'AcI par des subordonnees ä verbe conjugue. Rappeions brievement quelques faits assez bien connus et que nous n'avons pas evoques dans ce qui precede. L'emploi des subordonnees ä verbe conjugue inconnu dans les textes classiques proprement dits, tres exceptionnel chez les bons auteurs postclassiques - s'installe dans Γ usage ecrit avec les auteurs Chretiens (cf. mon resume de revolution dans Herman 1963: 32-33). La question de savoir dans quelle mesure cette nouvelle construction avait ete courante des avant cette periode dans I'usage parle est une question oiseuse qui ne saurait recevoir de reponse süre. II est probable que la langue parlee avait precede Γ usage ecrit dans une certaine mesure, comme e'est d'ailleurs normal; il est improbable que la tournure ait ete tres courante dans la langue parlee de l'epoque classique: nous le saurions. Ce qui parait certain e'est que, pour la tradition chretienne, e'etaient les traductions de la Vetus Latina qui ont leve l'interdit puriste qui semble avoir pese sur cette construction: les Peres, citant les subordonnees de ce type en reprenant leurs passages bibliques, n'avaient plus aucune raison de s'en abstenir dans leur propre texte.7 C'est ainsi que s'etablit la tradition que nous avons, pour l'essentiel, decrite et qui se resume de la maniere suivante: a) avant le verbum sentiendi vel dicendi, on trouve pratiquement toujours 1'AcI, les rares cas de subordonnee conjonctionnelle relevent d'un style pathetique et ampoule et ne sont pas reellement conformes ä l'usage; b) apres le verbe de la principale, on releve tantöt Γ Acl, tantöt la subordonnee. II s'en7

II est fort possible, comme certains l'ont affirme, que la brusque extension des propositions ä quia dans les premieres traductions bibliques soit due ä l'exemple des propositions grecques paralleles, avec o n . L'evolution, dans son ensemble, n'en est pas moins une evolution latine, et me me latine et romane. Je pense que le resume que j'ai jadis donne de cette question (Herman 1963: 37-40) reste pour l'essentiel valable.

Accusativus cum infinitivo

53

suit que la subordonnee, fort minoritaire si on considere l'ensemble des cas, constitue, dans la position specifique ou on peut l'employer - en position postverbale un choix qui est dejä raisonnablement courant, un quart, parfois raeme un tiers de tous les cas postverbaux. Nous n'avons certainement pas mis en lumiere tous les motifs de ce choix, mais certaines tendances se dessinent. II semble que pour un agent »topicalise«, en coreference avec un terme dejä exprime, le choix normal ait ete 1'AcI (sans etre le choix exclusif); lorsque l'agent avait un referent nouveau, un certain relief par rapport au contexte, la subordonnee, avec son sujet au nominatif, independant de la phrase precedente, etait desormais un choix facile, opere, avec une grossiere approximation, dans un cas sur deux. Ce n'etait certes pas un mecanisme contraignant: 1'AcI etait une construction syntaxique stereotypee, fortement automatisee qui s'imposait meme lorsque le reseau des relations semantico-pragmatiques aurait dü favoriser un autre choix. On entrevoit aussi d'autres tendances en faveur de la subordonnee conjonctionnelle: celle-ci constituait, dans un certain sens, une construction plus »confortable« que 1'AcI, susceptible d'etre formee sans danger d'ambigu'ite en omettant meme de consacrer une attention soutenue ä la compatibilite semantique des termes en presence; le cas des doubles accusatifs, evoque plus haut, en constitue un exemple fort clair. Toujours est-il que cette situation semble avoir ete une situation stable qui se maintient pendant des siecles, des premiers Peres jusqu'ä la fin de l'Antiquite, meme un peu au-dela. Elle renferme cependant, ä notre avis, les germes et eile implique par consequent Γ explication de la future evolution qui conduit au roman. Sur ce point, nous nous lan^ons evidemment dans l'hypothese, non sans plaisir, mais conscient de ses dangers. II faut noter avant tout qu'au cours des siecles qui suivent notre periode, une transformation essentielle se deroule, comme en temoignent les langues romanes, dans Γ ordre habituel des termes: 1'ordre VO devient Γ ordre preponderant, dans certains styles presque exclusif. Un recent livre (Panhuis 1982) vient evidemment de prouver ce qu'on savait dejä un peu, que considerer l'histoire de l'ordre des mots en latin comme allant de OV ä VO est une grossiere simplification et que le latin n'a jamais ete une langue SOV, si tant est que des formules de ce type ont plus qu'une valeur heuristique. II n'en est pas moins vrai que, statistiquement, VO, plus ou moins minoritaire auparavant, est largement majoritaire dans les langues issues du latin, des leurs premiers textes. Cela cree de nouvelles conditions pour les subordonnees qui constituent les complements d'objet des verbes de perception et de declaration: elles se trouvent desormais couramment, presque exclusivement apres le verbe de la principale, qu'elles soient infinitives ou non. Cette evolution, sans

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Accusativus cum infinitivo

doute engagee des le latin tardif, a inevitablement fait diminuer le nombre des Acl anteposes, et place les subordonnees conjonctionnelles, normalement postverbales, dans une sorte de nouvelle situation de force: il y avait desormais peu ou point de cas ou 1'AcI constituait un choix inevitable, obligatoire, il n'y avait plus pratiquement qu'une position postverbale ou le locuteur etait libre d'opter ä sa convenance pour 1'AcI ou pour la subordonnee conjonctionnelle. Des lors, les motifs qui pouvaient faire preferer ces dernieres jouaient ä plein, sans le contrepoids d'un automatisme qui rendait les Acl inevitablement majoritaires. D'autres evolutions jouaient d'ailleurs en faveur des subordonnees ä verbe conjugue et leur assuraient petit ä petit une sorte de preponderance aboutissant ä leur grammaticalisation complete. Dans plusieurs articles riches en idees neuves, Calboli (cf. Calboli 1978 et 1983) a dejä attire l'attention sur la connexion entre la disparition graduelle des Acl et Γ emergence de l'article roman: or, nous avons vu plus haut que Γ Acl, forme courante d'une subordonnee avec un agent clairement topicalise, s'opposait plus ou moins ä la subordonnee conjonctionnelle dont le sujet avait plus facilement un referent nouveau. Cette distinction qui n'etait qu'en train de se constituer en latin est devenue superflue par la constitution du moyen de topicalisation commode qu'etait l'article et qui permettait de realiser cette meme opposition, avec une clarte bien plus grande, au sein de la seule subordonnee conjonctionnelle. Ajoutons que la disparition complete ou par endroits presque complete de la declinaison au cours de la periode preromane, en supprimant la marque de subordination specifique qu'etait pour 1'AcI l'existence d'un agent ä l'accusatif, devait fortement contribuer ä I'elimination complete des Acl. Apres une periode d'equilibre, representee par les ecrivains Chretiens de l'Empire, et pendant laquelle la subordonnee conjonctionnelle constituait en position postverbale une alternative que des motifs semantico-pragmatiques pouvaient faire preferer ä Γ Acl, la situation a done dü se modifier profondement au cours de la constitution proprement dite des langues romanes: les transformations d'ensemble de la structure grammaticale ont elimine les facteurs qui, meme dans la latinite de l'Empire finissant, avaient assure ä 1'AcI une position stable dans le mecanisme de la subordination.

On the grammatical subject in Late Latin* Originally this paper was meant to elucidate a question that subsequently proved to be rather inappropriate in itself and led, unavoidably, to slightly misleading answers. However, I shall not limit myself, as it would be usual and proper to do, merely to an exposition of the findings I consider valid or at least potentially interesting to others; instead I shall endeavour to retrace the path of my research, including its false tracks and dead-ends. Sheer humility would be a sufficient reason to do so; but I hope also that the narrative of my errors will provide an opportunity to single out some of the many points of theory and methodology which - in spite of its many laudable achievements - are still obscure in the field of diachronic research. To begin with, two short explanatory remarks: 1. The discussion is about grammatical subject, stricto sensu, that is about a noun or a pronoun in the nominative, functioning as the subject of a verbal predicate in a personal form. This does not mean that I ignore or underestimate the intricacies of the problem, such as the complicated relations between surface cases and categories at deeper levels or the often debated questions about the structure of Accusativus cum Infinitivo clauses and so on. In short, the scope of this study is restricted not for theoretical reasons but for the very practical and methodological one of narrowing down the field of our investigations to the simplest and most unmistakable surface phenomenon. I hope to show that it is, as it stands, intricate enough. 2. Although the following position is partly implied by the first point, it should be * N e w Studies in Latin Linguistics. Amsterdam - Philadelphia, Benjamins, 1991: 4 1 5 - 4 2 5 .

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On the grammatical subject in Late Latin

stated explicitly: this paper deals essentially with the expression of the grammatical subject in clauses where the verb is in the third person, singular or plural, and does not touch the problem of first and second person subjects. This is not an arbitrary limitation; it stems from the essential semantic and distributional difference between first and second persons on the one hand and third on the other.1 The subject of first or second person verbal forms refers normally to direct participants in the verbal communicative act, and as a general rule the given situation helps the listener to identify the denoted individual(s) without difficulty. Hence in languages in which verbal forms unmistakably mark grammatical person, as in Latin, the correct decoding of the message is fully possible without a distinct element indicating the first or second person subject. The use of such an element is statistically exceptional, strictly speaking non-informative (the speaker has no choice: if he wants to indicate the subject, he must use the appropriate personal pronoun - ego, tu, nos or uos), and ultimately due to pragmatic reasons. The situation is completely different when the verb is in the third person, singular or plural: the subject can correspond in this case to any one of the infinitely numerous elements of the speaker's or the listener's universe, and in order to identify it the clause will in principle have to contain an explicit subject which refers to it: the verbal form simply indicates that the subject is not a direct participant in the verbal communication. Instead of the closely limited range of nominative personal pronouns, as in the first and second persons, the subject role in the third person can be played by any noun or any deictic or anaphoric pronoun; such a subject is necessarily informative because it is chosen by the speaker. Under these conditions the absence of an explicit subject could be considered, in a loose generative perspective, as »deletion« due to specific conditions which have to be explored and maintained. In reality such »deletion« is fairly trivial and frequent in Latin; it regularly occurs when an explicitly stated subject is common to a continuous series of verbal predicates; opening at random the nearest Latin text in my book-case, I can quote an example: 2 C. Popilius, cum a Gallis obsideretur neque fugere ullo modo posset, uenit cum hostium ducibus in conlocutionem; ita discessit ut impedimenta relinqueret, exercitum educeret. Rhet. ad Herenn. 1,15,25 1

Concerning the specificity of the third person as opposed to the first and second see the well-kown paper of E. Benveniste (1946).

2

Using an approach very different from mine B. Löfstedt studies several questions that are dealt with in this paper in his rich and useful article »Die subjektlose 3. Person im Lateinischen« (1965-66).

On the grammatical subject in Late Latin

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To sum up: in a Latin clause containing a third person verbal form there seems to be two fundamental options as far as the expression of a subject is concerned; to delete or not to delete the distinct expression of the subject, deletion being a frequent - and, as it seems, in certain cases compulsory - device to reduce redundancy where the identification of the subject is automatic and obvious. This is the very point concerning which our initial question was raised: namely whether this simple system underwent some diachronic shift during the history of Latin; naturally I more or less anticipated a movement towards the future Romance systems, which have in common the existence - at variance with Latin of a real third personal pronoun but which differ as far as its use is concerned (having made it in principle compulsory in French and more or less frequent in other Romance languages). The obvious initial step was to take a rapid quantitative overview of the situation in a series of texts, in chronological order from classical to late Latin. As a first approximation the data thus gained seemed conclusive: the proportion of third person verbal forms without a subject present in the same clause is significantly, if not dramatically, lower in late, especially so-called vulgar, texts than in those of the classical period: in authors like Caesar, Sallust, Tacitus the proportion of verbal forms without explicit subject »of their own« varies roughly between 45 and 50%, whereas it is between 20 and 25% in texts like the Peregrinatio Egeriae or the transcription of the shorthand protocols in the Gesta Conlationis Carthaginiensis (A. D. 411), with intermediate values (between 25 and 35%) for authors like Victor Vitensis, Gregory of Tours, and other Christian historians of the late fifth and the sixth centuries. On the basis of extensive, although rapid, reading, I have the impression that these figures, derived from calculations on random series of 300 to 400 verbal forms represent a real quantitative trend, although it remains to be seen what, if any, is the linguistic significance of the shift it seems to reflect. Anyhow the shift in question is certainly not a purely chronological one: authors representing a more or less literary level and style within the same period tend to have a higher proportion of »subjectless« verbal forms than conversational, natural, »popular« texts. It is significant that the official documents and narratives contained in the Gesta of Carthage present about 35% subjectless verbs (as opposed to the 22-23% in the shorthand protocol). Whereas Egeria has about 23% subjectless verbs, I found in randomly chosen parts of the Confessions of St Augustine an average of 40% - and so forth. The same holds for the classical period: to the 45-50% of Caesar or Tacitus one can oppose the Tusculan Disputations of Cicero, where the proportion of subjectless verbs is very low, especially in the livelier parts of the conversations (around 25%).

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On the grammatical subject in Late Latin

There is a relatively easy, perhaps too easy, explanation for all this: as clearly shown by the example quoted above (and by several of those quoted below), the series of subjectless verbs appears in relatively complicated sentences, containing several coordinate or subordinate clauses; consequently their proportion will be lower in »popular« or colloquial use, where long and complicated sentences appear less often. The growing impact of »popular« colloquial usage on Christian authors of the later period accounts then for the chronological shift, i.e. the diminishing proportion of subjectless verbal forms. This seems to be an answer to our initial question and even a sort of explanation of the historical process. But a closer look at the textual evidence, even from a purely and naively quantitative point of view, reveals that the answer is superficial and the explanation misleading. It appears that, as a rule, texts with a very low percentage of subjectless verbal forms present a relatively high proportion of pronominal subjects: whereas pronominal subjects (demonstratives, relatives, etc.) represent not more than 15-18% of all third person subjects in Caesar or Tacitus (counting as »subjects« the zero-subjects), their incidence is much higher (30% and more of all clauses with a third person verbal form) in texts like Peregrinatio and the shorthand protocol of Carthage, where the proportion of the completely subjectless verbs is low (around 20%). In other words, there is, roughly speaking, a sort of »communicating vessels« mechanism which regulates to a certain extent the usage in clauses without a nominal subject: when the proportion of subjectless verbs is extremely low, this is at least partly compensated for by a high incidence of pronominal subjects. In the later texts, by the way, the difference is chiefly made up by an increase in the number of demonstratives, e.g. in the Peregrinatio only 40% of pronominal subjects are relative pronouns while in the Tusculan Disputations their proportion is around 75%. This means that the frequency of subjectless verbs has nothing to do - or at any rate not much to do with the degree of sentence complexity, as pronouns, both relative and demonstrative-anaphoric ones, which mostly refer to elements of the speaker's world already identified by nouns in the context, can be a result and symptom of sentence complexity as well as subjectless clauses. In other words, the decrease in the proportion of subjectless clauses and the growing frequency of the replacement of zero-subjects by pronominal (in later texts chiefly demonstrative) elements are complementary and interwoven trends; they manifest themselves on a quantitative, statistical level, but they do not seem to depend on quantitative characteristics of the sentences such as length and complexity. Consequently they cannot be explained, whatever the word explanation means in such a context, by quantitative factors. The obvious morpho-syntactic explanation, that it is necessary to use pronouns

On the grammatical subject in Late Latin

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since the verbs do not - or do not any more - indicate clearly the category of third person as opposed to other possibilities, simply does not hold for the period of our texts; it is practically certain that up to the end of the sixth century (and even to a later date, but this is outside our present scope) the mechanism of morpho-syntactic distinctions of person in Latin conjugation worked without any flaw. In order to find a possible explanation I tried to investigate more thoroughly the syntactic conditions under which clauses with zero-subjects occurred in Classical texts, or in other terms the conditions of subject-deletion. We can take as a starting point the rather obvious hypothesis that the condition of subject-deletion is the presence of clues enabling the listener to identify the virtual subject of the third person verbal form. These clues can apparently be twofold: 1. The condition can be met by simple syntactic means: (a) If a clause with an explicit subject is followed by a series of contiguous clauses, the subject - if virtually the same - is deleted in the second clause and in every subsequent one, up to a subject change. After interruption of the series by one short sentence or one clause containing a non-third person verb or a third person verbal form of the other number than the verbs of the series, deletion may be resumed. (b) Even if condition (a) is not met, deletion might occur if explicit anaphoric terms establish a link between the clause in question and the interrupted series. Let us briefly consider an example where all these cases occur: Quorum studio et uocibus excitatus Caesar, etsi timebat tantae magnitudinis flumini exercitum obicere, conandum tamen atque experiendum iudicat. Itaque infirmiores milites ex omnibus centuriis deligi iubet, quorum aut animus aut uires uidebantur sustinere non posse. Hos cum legione una praesidio castris relinquit; reliquas legiones expeditas educit magnoque numero iumentorum in flumine supra atque infra constituto traducit exercitum. Paucis ex his militibus arma in flumine arrepta; ab equitatu excipiuntur atque subleuantur; interit tamen nemo. Traducto incolumi exercitu copias instruit... Caes. Civ, 1,64 From the first mention of Caesar, we find an uninterrupted series of clauses up to iubet; the virtual subject of all the 3 sg. verbal forms being the same, i.e. Caesar, the clauses are »subjectless«. The series is then interrupted by a clause with new subjects and a 3 pi. verb, so that the new series of 3 sg. verbs points clearly back to the virtual subject Caesar; hence the clauses are again subjectless. The new series

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lasts up to the words traducit exercitum, followed by a clause with the subject nemo and, correspondingly, a 3 sg. verbal form. After this interruption however subjectless clauses referring to the virtual subject Caesar are used again, as the first clause of the new series is clearly, almost heavily, tied to the last »Caesar-clause« by an anaphoric repetition: Traducto incolumi exercitu copias instruit... We can state, to conclude this point, that in cases 1(a) and 1(b) overt syntactic means, namely contiguity of the clauses sharing the same already stated subject, or the presence of anaphoric elements linking the clause to the series sharing a subject, permit the speaker to avoid explicit repetition of the subject once indicated as well as its representation by a pronominal element. 2. It happens fairly often however that the listener, the »decoder« cannot rely on overt syntactic clues permitting the identification of the virtual subject of a »subjectless« clause. The virtual subject is not present as a subject in the preceding text; on the contrary, the preceding sentences - more than one - present other explicitly stated third person subjects. In order to identify the virtual subject the decoder has to use non-linguistic, non-syntactic clues, he has to make use of his knowledge of the situation referred to by the text. The correct identification of the virtual subject depends on his correct understanding of the »story«, on his experience concerning the extra-linguistic world. Deletion of the subject - and absence of pronominal anaphora - indicates in such cases that the text is considered as giving sufficient clues to the listener for a subject-identification of this type. Here is an example, from the same text: magnum ... fructum suae pristinae lenitatis ... Caesar ferebat, consiliumque eius a cunctis probatur. Quibus rebus nuntiatis Afranio ab instituto opere discedit seque in castra recipit. Caes. Civ. 1,74-75 The reader-listener, thanks to his knowledge of the »story« will immediately understand that the virtual subject of discedit, recipit is Afranius and not Caesar; he will indeed remember a not too distant, but still separate portion of the preceding text where it was revealed that the protagonist who had begun an opus (construction of a wall to protect a watering-point) and had left his camp in order to supervise the work was the general of the Pompeian army, Afranius. The clue permitting him to identify the virtual subject is therefore non-syntactic. To take another example: ... Appuleiam Varillam ... quia probrosis sermonibus diuum Augustum ac Tiberium et matrem eius inlusisset Caesarique conexa adulterio teneretur, maiestatis delator arcessebat. De adulterio satis caueri lege Iulia uisum; maiestatis crimen distingui

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Caesar postulauit damnarique, si qua de Augusto inreligiose dixisset; in se iacta nolle ad cognitionem uocari. Tac. Ann. 2,50 Clearly, Caesar is the subject of postulauit, as well as of the verbs censeret, reticuit and several others following the above quotation, whereas the virtual subject of dixisset is Appuleia Varilla. But this interpretation follows from the understanding of the events related and not from the syntactic properties of the sentence. We shall call the subjectless verbs whose virtual subject can be identified on the basis of syntactic means linking the verbal form to the previously indicated subject (categories 1(a) and 1(b) above), bound verbs and the verbs whose virtual subjects can be found only on the basis of the extra-linguistic knowledge of the decoder autonomous verbs. These are admittedly rather awkward designations but I can think of nothing better at this point. It will be assumed moreover - although it would be difficult to give a completely valid proof of this rather obvious hypothesis - that subject deletion was compulsory in case 1(a) and optional in cases 1(b) and 2. Having established these categories of subjectless verbs, I then tried to see if a change could be observed in their distribution during the history of Latin without venturing to establish such an overview on a rigorously statistical basis. In the majority of cases the distinction between bound and autonomous subjectless verbs is clear-cut and hence easy to make, but there are examples less easy to interpret; I chose therefore to report only rough quantitative estimations based on extensive and hopefully attentive reading of texts. As the use of autonomous verbs entails the cognitive capacities of the decoder, an attempt was made to follow closely the semantic-pragmatic dimension of the examples reviewed. First of all, texts of the Republican period and the early Empire usually present sizeable amounts of autonomous subjectless verbs. The proportion of such verbs in the total of subjectless third person verbs is somewhere between 10 and 30% in the texts of these periods. It can even be stated that the more or less current use of autonomous verbs is not a literary device nor a property particular to higher stylistic levels: in »vulgar« texts of this early period autonomous verbal forms are easy to find. Homo bellus, tam bonus Chrysanthus animam ebulliit. Modo, modo me appellauit. Videor mihi cum illo loqui. Heu, eheu. Vtres inflati ambulamus. Minoris quam muscae sumus; muscae tarnen aliquam uirtutem habent, nos non pluris sumus quam bullae. Et quid si non abstinax fuisset? ... Medici ilium perdiderunt, immo magis malus fatus; medicus enim nihil aliud est quam animi consolatio. Tamen bene elatus est... planctus est optime. Petr. Sat. 42

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The form (abstinax) fuisset can probably be considered as an autonomous verb, and for elatus est the attribution to this category is clear; without reference to the extralinguistic universe, to the »story« that is being told, subject-identification would be impossible. Clear examples could also be quoted - they are omitted for reasons of space - from a very »vulgar« text of the first half of the second century, the correspondence of the soldier Claudius Terentianus. In the last centuries of the Empire the situation seems to have changed, at least as far as popular or colloquial texts are concerned. In the shorthand protocols of Carthage the verbs that could be considered as belonging to this category - quite numerous at first sight - have almost always one fixed function. Always 3 pi., they have as virtual subject »the other side« or »our adversaries« - never explicitly specified: the autonomous verbs are here a form of »vouvoiement«, a way to speak to the »others« whilst addressing only the judge and seemingly considering them to be absent. It would be possible to consider these verbal forms as representing a specific use of so-called »general subject« clauses. Here is a typical example, chosen at random: 3 Possidius, episcopus ecclesiae catholicae, dixit: »Qua inpatientia et tumultu agant sit testatum his gestis interloquutione nobilitatis tuae. Causam enim satis timent ad cuius meritum descendere nolunt... quid tergiuersantur, quid nescio quae forensia rimantur?« Gesta. III. 142 St Augustine, present himself at the debate, makes abundant use of this device in his interventions: Petilianus, episcopus partis Donati, dixit: »Profiteantur ad quaesita; professionem petiuimus, non conflictum« ... Augustinus, episcopus ecclesiae catholicae, dixit: »Si horum criminum iacturam faciunt, de chartis publicis nihil proferimus. Si autem in eadem criminatione persistunt chartis publicis docemus hanc causam olim esse finitam ...« Gesta. Ill 186-187 Except for some dubious cases Augustine does not use real autonomous subjectless verbs in this discussion, although verbs of this type are easy to find in his writings. As for Peregrinatio, the situation there seems to be essentially similar to the one we find in the Carthage protocols: real autonomous verbs are not to be found, but seemingly autonomous ones, at any rate ones without contextually identifiable 3

The edition used is that of S. Lancel: Actes de la Conference de Carthage en 411. I—III (=Sources Chretiennes, 194, 195, 224) Paris, 1972-1975.

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subjects, are relatively frequent, with two obvious types of fixed function. Mostly we find 3 pi. forms with no contextually given subject, equivalent to what could be called a »general subject« construction; in other cases, which can be considered as peculiar to this text, 3 pi. forms refer to the priests or monks who in different places are Egeria's usual guides and companions. In this type of clause the virtual subjects - sancti, monachi - are from time to time mentioned in the context, but often in sentences very distant from the verbs actually used. Here are some examples: 4 ecce et occurrit presbyter ueniens de monasterio suo ... senex integer et monachus a prima uita, et, ut hie dicunt, ascitis ... Peregr, 3,4 Ac sic ergo cetera loca, quemadmodum profecti sumus de rubo, semper nobis ceperunt ostendere. Nam et monstrauerunt locum ubifuerunt castra filiorum Israhel... Monstrauerunt etiam locum ... ibid. 5,3 As can be expected, the situation is unclear in Merovingian texts, where loose and even sloppy familiar syntax alternates with distant and awkward reminiscences of »good« imperial prose. Still, some sort of a system which would of course need much closer scrutiny, seems to emerge in works like those of Gregory of Tours: subjectless bound forms, linked by evident and explicit syntactic means to the previously expressed subject, are in current use; but clear cases of autonomous subjectless verbs are hard, almost impossible, to find; instead, we find a demonstrative pronoun used as subject, indicating by its very presence and in spite of frequent »errors« in gender or number congruence that the subject is different from the explicit or virtual subject of preceding third person verbal forms. Desideratus ... Virudensis episcopus ... uidens habitatoris ... ualde pauperes ... bonitatem et clementiam circa omnes Theudoberthi regis cernens, misit ad eum legationem, dicens: ...Tunc illepietate commotus, septim ei milia aureorum pristitit, qua ille accipiens per dues suos erogauit... Cumque antedictus episcopus debitam pecuniam obtulisset regi, respondit rex: ... Greg. Tur. Hist. 3,34 To sum up: a change had certainly taken place. In and up to the first centuries of the Empire, Latin, even in its familiar, colloquial variants, had the freedom to use subjectless 3 person verbal forms not only when the virtual subject was clearly indicated

4

I use the new edition by Pierre Maraval: Egerie, Journal de voyage (=Sources Chretiennes, 296), Paris, 1982. The constructions we quote have been commented on by Väänänen 1987: 7 0 - 7 1 .

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by syntactic contiguity or anaphoric elements but even without such purely linguistic identificatory clues, provided that the speech situation or the extra-linguistic universe referred to by the message could be considered as enabling the decoder to identify the virtual subject. In other words, besides the obligatory subject-deletion in the case of what we called »bound« verbs, there existed a kind of optional subject-deletion depending on the speaker's implicit opinion about the consistency of shared knowledge between himself and the listener. In late colloquial texts and in the would-be literary texts of the sixth century such optional deletions do not exist any more: syntactically non-identifiable virtual subjects either correspond to a strictly fixed function (»general subject«) or are made explicit through demonstrative pronouns, which indicate in themselves that the subject has to be looked for in the non-contiguous previous context. Still, we observe this change with a sort of perplexity. What exactly did change? Is the envisaged change, strictly speaking, a grammatical one? Certainly not, if we consider grammar as a taxonomic system of morpho-syntactic elements, and probably not, if we consider it as an ordered set of sentence-generating rules. Something however did change, and it would be a challenging task for further research to try to elucidate the links between this alteration and the slowly ongoing modifications of linguistic structure. The decoder, the listener-reader of texts produced in the early period of Latin has a certain freedom of interpretation: in producing the verbal message, the speaker trusts in the ability of the decoder to identify, thanks to their shared knowledge, the virtual subjects not designated by formal, syntactic means. In late texts the freedom of interpretation of the decoder is reduced in this respect to almost nothing: the speaker-writer uses a network of closed anaphoric links, as if unable to trust the listener's ability to solve ambiguities and to find in an adequate way the structure of the extra-linguistic universe that the text is meant to reflect. There is, to put it briefly, a change in the attitude of the speaker vis-ä-vis the verbal message he produces and its potential efficacy. Where does this change of attitude come from? Is it eventually a factor of linguistic change? Does it give us a possible explanation of some diachronic modifications in grammatical structure? We have no answer for the time being but can only formulate some open questions.

A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees* Je me propose d'examiner, dans ce qui suit, certaines particularites de revolution du systeme grammatical latin et j'espere pouvoir montrer que ces particularites ne sont pas indifferentes du point de vue des problemes generaux de la diachronie. Pour ce faire, je prends comme point de depart un phenomene apparemment marginal du developpement tardif: je tächerai de prouver que - pour marginaux qu'ils soient - ces faits sont en connexion avec des processus centraux et essentiels de l'histoire de la langue, et non seulement dans sa periode tardive. Precisons d'emblee, pour dissiper tout malentendu, qu'un des aspects du Probleme de si interrogatif, car c'est bien de cela qu'il s'agit, n'est ni marginal, ni meconnu: toute grammaire qui depasse le niveau des manuels scolaires strictement normatifs fait etat des interrogations indirectes »totales« (c'est-ä-dire appelant en reponse »oui« ou »non«) introduites par si au lieu d'une des particules prescrites par la norme, comme an, -ne ou num. Le livre, recent encore, de Colette Bodelot sur I'interrogation indirecte en latin consacre au phenomene quelques pages substantielles (Bodelot 1987: 82-85) et, tout dernierement, C. Arias Abellän Γ a decrit et analyse sur la base d'une riche serie d'exemples et une bibliographie tres complete (Arias Abellän 1995). En vous rappelant les faits, je resume done, en y ajoutant quelques remarques, ce que nous savons grace ä mes devanciers - ce bref detour un peu repetitif est inevitable pour mieux cerner la question qui nous occupera, celle de l'emploi de si dans Γ interrogation directe. II semble bien que l'emploi de si dans Γ interrogation indirecte soit dü ä l'origine ä un glissement de sens occasionnel et facile dans la langue de la conversation familiere: apres des verba sentiendi et declarandi, Γ etat des choses reflete dans * Akten des VIII. Internationalen Kolloquiums zur lateinischen Linguistik. Heidelberg, Winter, 1996: 296-307.

A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

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la subordonnee et considere comme une condition prealable de Taction qu'exprime la principale, se ΰοηςοΐί aussi, au niveau du non-reel qui est celui de l'hypothese et aussi de Γ interrogation, comme un ensemble de faits dont l'existence est ä verifier ou ä enoncer. Ainsi, la phrase souvent citee Ter. Haut. 170 ibo, uisam si domist tournure point isolee chez les comiques -s'interprete au sens strict comme 'j'irai et, s'il est chez lui, je le verrai', mais puisqu' il y a de toutes manieres une incertitude dont il faut tenir compte et le cas echeant Γ absence de la personne en question sera egalement et inevitablement »vue«, le sens interrogatif 'j'irai voir s'il est chez lui' (done je verrai s'il y est et je verrai egalement s'il n'y est pas) est psychologiquement toujours present chez les interlocuteurs (cf. surtout Arias Abellän, o.e.). Glissements plus ou moins analogues dans les propositions qui dependent d'un verbe impliquant une finalite, p.e. Plaut.Trin. 98 exspecto si quid dicas (cf. Väänänen 1967, §378). Dans la langue classique, ces constructions restent rares, en partie sans doute ä cause de l'ambigui'te et Γ imprecision de pensee qui leur sont inherentes, en partie parce que la langue possedait dejä sa panoplie d'introducteurs pour ce genre de subordonnees (-ne, num, an). On en trouve pourtant, et jusque dans des textes ou on n'irait point les chercher: Hanc (paludem)

si nostri transirent

Sed fatis

irtcerta feror, si Iuppiter

misceriue

probet populos

hostes expectabant.

(Caes. Gal. 2,9)

unam / esse uelit Tyriis urbem

aut foedera

Troiaque profectis,

/

iungi. (Verg. Aen. 4, 110-112)

II ressort de l'histoire de la recherche que des analyses sans doute fines, mais surtout terminologiques permettent toujours de deceler une nuance conditionnelle dans les exemples point nombreux que nous a legues la periode classique; pourtant, lorsque le verbe de la principale exprime en elle-meme Γ interrogation, la valeur interrogative de si devient indubitable: nulla lex satis commoda prodest.

omnibus est: id modo quaeritur, si maiori parti

et in

summam

(Liv.34,3,5)

Toujours est-il que dans la latinite tardive, surtout chretienne, dans les traductions bibliques comme chez les Peres, les exemples de si interrogatif sont dejä passablement courants; nous citons des exemples au hasard, ä titre purement illustratif: nescimus

si nobis deus pristina

peccata...

remittat.

(Act.Apost.apocr. Actus Petri cum

Simone 1,2) Vade et uide si cuncta prospera Dixit autem ei Petrus:

sint erga fratres

tuos. (Vulg.Gen. 37,14)'

Die mihi mulier, si tanti agrum uendidistis.

(Vulg. Act. 5,8)

A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

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II est connu qu'en grec ει hypothetique a toujours ete courant comme introducteur d'une interrogation indirecte »totale«, et puisque la frequence du phenomene en latin augmente ä partir des premiers textes bibliques, certains manuels le taxent de grecisme, ce qui est faux et vrai ä la fois: les origines proprement latines sont parfaitement decelables, on trouve des exemples surs dans des textes exempts - autant que cela etait possible en latin - de toute influence directe du grec, mais, d'autre part, l'exemple et le modele du grec, ainsi que le prestige particulier des textes bibliques ont certainement contribue ä son extension. Extension d'autant plus radicale que, dans la deuxieme moitie du premier millenaire, si interrogatif indirect semble avoir occupe toute la place de ses anciens »concurrents« et, comme on le sait parfaitement, il est ä l'origme de la seule particule interrogative indirecte »totale« en usage dans les langues romanes 2 . Apres cette recapitulation d'un developpement connu dans tous ses details essentiels, nous pouvons en venir au probleme qui sera au centre de cette etude: celui de si dans Γ interrogation directe. Ce n'est pas que le phenomene soit inconnu: il y a plus d'un siecle Rönsch (1875: 404-405) a dejä cite une serie d'exemples qui reviendront d'ailleurs souvent chez d'autres; par la suite, plusieurs monographies et quelques grands manuels y consacreront des remarques 3 . Les auteurs sont pratiquement unanimes ä estimer qu'il s'agit simplement d'un grecisme, »augenscheinlich ein späterer Gräzismus«, comme dit p.e. Svennung, I.e. II nous a semble cependant que la tournure merite un examen plus attentif et quant ä ses origines, son extension et ses destinees ulterieures, un effort d'interpretation. Je cite, au depart, et ä titre illustratif, quelques exemples typiques (le premier figure dejä dans la liste de Rönsch):

1

La Vetus Latina presente, eile aussi, si interrogatif. Par ailleurs, eile a l'indicatif sunt, comme egalement certains manuscrits de la Vulgate. Dans ce rapide resume sur 1'interrogation indirecte - fait en grande partie de seconde main - nous n'insistons pas sur le probleme de l'emploi des modes, amplement discute chez nos devanciers. II sera süffisant de preciser que, dans les subordonndes interrogatives de ce type, l'indicatif est courant, bien que le subjonctif soit present et renforce meme, dans les textes tardifs, ses positions.

2

II me semble - mais la question meriterait un examen ä part - que -ne, num, an soient reduits dans les textes merovingiens ä un etat de vestiges et que si soit le seul element vraiment »vivant« dans cette fonction (v. Bonnet 1890: 3 2 0 - 3 2 2 , cf. aussi Vielliard 1927: 236-237).

3

Citons, sans l'intention de fournir une liste complete, E. Löfstedt 1911: 327, Salonius 1920: 315, Svennung 1935: 514 n.3, Schrijnen-Mohrmann 1937: II, 132, Hofmann-Szantyr 1965: 464, Väänänen 1967:§348 et 1987: 96.

A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

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interrogabant

eum dicentes:

Domine,

si in tempore

hoc restitues

regnum

Israhel?

(Vulg.Act. 1,6) et dixerunt

quomodo

seit Deus et si est scientia

Et dixit Achab adHeliam:

Si invenisti

in Excelso.

(Vulg.Ps. iuxta L X X , 72,11)

me, inimicus mens? Et dixit Helias: Inveni.

(Vetus

Latina, 3Reg. 21,20, apud Lucif.Cal.Athan. 19,16)

Pour en rester au probleme de l'origine de la tournure, nous sommes oblige de tirer au clair une question triviale mais toujours presente dans ce genre de cas: dans quelle mesure, dans quel sens du terme s'agit-il d'un grecisme, dans quelle mesure s'agit-il (aussi) d'autre chose. Evidemment, dans les exemples bibliques, si correspond en general - comme presque toujours dans les textes traduits - a un εΐ de l'original4. Cependant, meme dans les traductions, on releve des cas qui prouvent, dans l'emploi de si en interrogation directe, une certaine independance vis-ä-vis du modele grec. II en est ainsi dans un des exemples dejä cites par Rönsch, que nous transcrivons avec le texte grec en regard: Et respondens άποχριθείς

Iesus dixit ad legisperitos ό

Ίησονς

εΐπεν

etpharisaeos

... λέγων

'εξεστιν

dicens: Si licet sabbato τω σαββάτφ

curare?

θεραπεϋσαι

ή

και οϋ;

(Vulg.Luc. 14,3)

Dans le texte grec, la disjonetivite exprimee rend la particule interrogative superflue; en choisissant la particule, le tradueteur ou le reviseur du latin se rend independant du grec5. Par ailleurs, si interrogatif direct apparait dans des textes qui ne sont pas traduits, nous citons deux exemples ä titre illustratif: Quid uocaris,

dum peccata

et uos ipsos deeipitis.

4

5

confiteris

tua? si sanetus

es, dum dimittis

aliena?

hoc

modo

(Optat. Milev. 20)

Precisons d'emblee, bien que ce soit une autre question, qu'en grec egalement, la tournure est familiere et relativement recente; Blass-Debrunner (1982: 530-531) relevent pourtant quelques exemples dans le texte des Septante et evoquent la possible influence d'une particule h6brai'que; en ce qui concerne cette derniere, je n'ai pas ete en mesure de verifier. La veritable situation semble avoir ete plus compliquee: comme le montre l'edition Jülicher (A. Jülicher, Das Neue Testament in altlateinischer Überlieferung III. Lucas-Evangelium, Berlin, 1954), le texte de l'Afra, anterieur evidemment ä la Vulgate, employait la particule si mais ajoutait egalement aut non, certains manuscrits de la version Itala font de meme. D'un autre cöt6, il y a une minorite de manuscrits du texte grec qui ajoutent egalement εΐ comme il y en a d'autres qui laissent tomber ή οΰ. Ce qui est essentiel, c'est qu'en face d'une tradition hesitante, le tradueteur de la version latine (ou Jeröme en revisant le texte) ait choisi la particule.

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A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

Si non es tu Constantius

imperator quifmxeris

pacem te facere...?

(Lucif. Cal. de non

conv. 5,58)

La tournure existe egalement dans des textes issus d'une redaction de toute evidence spontanee. Parmi les Epistolae d'Augustin figure une lettre (Ep.46, peut-etre de l'an 398) d'un certain Publicola (ce n'est pas le senateur C. Valerius Publicola, lie par ailleurs ä Augustin et ä Jerome, mais sans doute un obscur proprietaire terrien, cf. Pauly-Wissowa, s.v.) qui, dans une serie de questions, lui expose ses scrupules de croyant: Singulas autem quaestiones et diuersas - dit-il dans le preamb u l e d e l ' e p i t r e - per capitula

designari

feci,

ad quas singillatim

dignare

respon-

dere. Dans cette longue lettre, l'introducteur des questions »totales« directes est toujours si, ä l'exception d'un exemple de an alternatif; num et -ne n'apparaissent pas. Voici quelques passages caracteristiques: De luco si licet ad aliquem usum suum Christianum scientem ligna tollere?

(Publicola

apud Aug.Epist. 46,7) Si Christianus debet in balneis lauare, uel in thermis, in quibus sacrificatur

simulacris?

(ibid. 15) Si in solio ubi descenderunt in solio sacrilegii

suifecerint

pagani ab idolis uenientes in die festo suo, et aliquid et scierit Christianus, si debet in eodem solio

illic

descendere?

(ibid. 16)

Dans le dernier des trois exemples, le si initial apparait d'abord comme interrogatif, mais semble introduire egalement une serie mal construite de propositions hypothetiques, le deuxieme si est uniquement interrogatif. Ailleurs, la valeur conditionnelle est un peu plus nettement distinguee de la fonction interrogative, mais on a bien I'impression que pour le locuteur, les deux se rencontrent dans un brouillard intellectuel ou prevaut le doute: Si Christianus uideat se a barbaro uel Romano uelle interfici, debet eos ipse interficere,

ne ab Ulis interficiatur:

uel si licet sine interfectione

Christianus

eos repellere

uel

impugnare, quia dictum est: Non resistere malo? (ibid. 12)

II semble done etabli que l'emploi de si dans Γ interrogation directe constituait un usage reel, courant et habituel pour certains, un usage dont l'extension reste encore ä preciser, mais qui n'etait pas un grecisme dans ce sens qu'il existait egalement en dehors des enonces modeles sur un original grec. Etait-ce un grecisme quant ä son origine? Si on tient compte du fait que les particules employees dans Γ interrogation directe ont toujours ete essentiellement les memes que celles de Γ interrogation

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A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

indirecte 6 , du fait egalement qu'une valeur interrogative de si etait dejä ancienne et passablement bien etablie, Γ apparition de cette conjonction dans Γ interrogation directe egalement n'a rien d'extraordinaire, et devait se produire de temps en temps spontanement en latin. La possibility de l'apparition de la tournure etait done preetablie - le modele grec, lui-meme »vulgaire« sur ce point, ne l'aurait pas fait naitre sans cela, mais a sans doute contribue ä son implantation. D'ailleurs si interrogatif direct apparait dans les memes textes qui temoignent d'une rapide et massive extension de si interrogatif indirect, done dans les traductions bibliques, chez certains auteurs Chretiens comme Tertullien ou Lucifer; cela montre bien que les deux developpements etaient lies. Malgre ce parallelisme, il y a entre la situation linguistique de la tournure directe et celle de la tournure indirecte des differences qui sautent aux yeux. En effet, la distribution des exemples presente des particularites qui temoignent d'une certaine faiblesse de la tournure directe avec si, par rapport ä si indirect. II ne s'agit pas simplement de la frequence des exemples ou de leur apparition tardive: cela ne prejugerait pas necessairement de »l'avenir« roman. Le contraste est ailleurs. Alors que les exemples de si dans Γ interrogation indirecte, sans etre particulierement nombreux (en somme, la construction de base elle-meme n'est pas parmi les subordonnees les plus frequentes) se rencontrent en latin tardif dans les textes les plus divers, avec une certaine continuite jusques et y compris les siecles de transition le VII e et le VIII e - , la tournure directe presente une distribution partielle et limitee. Partielle, parce que, presente dans certains textes, apparemment courante dans I'usage vivant de certaines personnes, comme en temoigne la lettre de Publicola, eile est absente dans des ecrits ou son apparition serait pourtant ä prevoir, e'est-adire dans des textes qui reproduisent avec une evidente intention de fidelite des conversations reelles. Ainsi, les Actes des Martyrs en latin renferment de nombreuses conversations entre juges et futurs martyrs, avec alternance rapide, realiste, non oratoire de questions et de reponses, il en est de meme des proces-verbaux donatistes publies ä la suite des oeuvres d'Optat de Mileve (CSEL XXVI); or, dans ces textes dont certains remontent pourtant ä des milieux grecophones ou meme ä des originaux grecs et qui presentent une langue familiere, simple, »vulgaire« si on veut, je n'ai pas trouve un seul exemple de si interrogatif direct, les nombreuses questions »totales« ne sont en general marquees par rien dans l'ecrit, si ce n'est l'interponction due aux editeurs. Voici, en guise d'illustration, quelques passages des Acta apud Zenophilum (CSEL XXVI):

6

Sauf, naturellement, l'existence d'une »particule zero« pour l'interrogation directe »totale«, autrement dit l'emploi de l'intonation sans expression segmentale du sens interrogatif.

A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

Zenophilus

u.c. consularis

Victori dixit: dictum est a populo: Siluanus traditor?

dixit: ego ipse luctatus sum episcopus. Zenophilus ebas

traditorem?

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de hoc confitere.

u.c. consularis

Victor respondit:

Victor

Victori dixit: ergo sci-

traditor

fuit.

(Gesta apud

Zenophilum 192,26-29) Zenophilus

u.c. consularis

dixit: Siluanum scis esse traditorem?

lucernam tradidisse argenteam.

Saturninus

dixit: scio

(ibid. 193,6-8)

Et ainsi de suite, dans une longue serie de questions. II y a un e x e m p l e de -ne (194,34: dixit: hine sciunt?) et un e x e m p l e de numquid ( 1 9 4 , 2 6 Numquidpopulus dei ibifuit), mais aucun e x e m p l e de si interrogatif direct (la conjonction se trouve pourtant plusieurs fois dans Γ interrogation indirecte: 195,34 audisti uel uidisti, si dictum est pauper i bus...). La serie des e x e m p l e s semble etre, par ailleurs, limitee dans le temps; j e n'ai trouve aucun e x e m p l e dans les textes merovingiens que j'ai e x a m i n e s 7 ; les e x e m ples les plus tardifs que je connaisse proviennent de la R e g l e de Saint Benoit, encore s'agit-il d'une position syntaxique un peu particuliere (ce sont des titres de chapitres) 8 : Si debeant fratres exeuntes de monasterio iterum recipi. (Bened. Reg.29) Si omnes aequaliter debeant necessaria accipere. (ibid.34) Ces differences entre la tournure directe et la tournure indirecte sont e v i d e m m e n t les signes avant-coureurs de la difference essentielle qui les separe du point de vue de leur avenir dans les langues romanes: alors que si interrogatif indirect sera un element parfaitement grammaticalise, il n'y aura dans ces langues aucune trace de

7

Ce qui est loin d'etre tout. Grdgoire de Tours, qui connait pourtant si en interrogation indirecte (cf. plus haut, note 2), ne presente, si je ne me trompe, aucun cas dans l'interrogation directe; jusqu'ici, je n'ai rien trouve dans la Chronique dite de Fredegaire; les ecrits hagiographiques seraient encore ä voir, mais une rapide lecture des plus anciens n'a pas donne de resultats. II n'est pas ä prevoir que les Formulaires ou les diplömes contiennent des exemples. 8 J'ai releve un exemple dans les Dialogues de Gr6goire le Grand (II, 3,10) Patet quoddicis. Sedquaeso respondeas, si deserere fratres debuit, quos semelsuscepit. C'est un cas plutot special, si le verbe etait par exemple die ou dicas, ce serait de toute evidence une interrogation indirecte, mais comme respondere ne regit pas, normalement, des interrogations, on peut le considerer comme contenant une question directe (c'est Γ interpretation qu'en donne le traducteur, P. Antin, dans Γ edition des Sources chretiennes, Paris 1974: 'Mais repondez-moi, je vous prie: pouvait-il abandonner ses freres, une fois qu'il les avait pris en charge?').

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A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

si interrogatif direct: les langues romanes, comme on sait, expriment Γ interrogation totale soit par 1'intonation seule, soit par une »inversion« de l'ordre preferentiel ou obligatoire des termes fondamentaux de la phrase. II semble done, apres ce que nous avons dit de l'origine du tour direct, que ce n'est pas tellement la formation de ce tour, mais plutot sa faiblesse relative et sa disparition qui attendent une explication. Pour y arriver, nous devons revenir d'abord aux interrogations indirectes introduces par si. Leur apparition initiale repose, comme nous l'avons vu, sur un flottement semantique et done psychologique entre hypothese et interrogation dans certains contextes verbaux (refletant des actes de communication, de perception, ou une certaine intentionnalite), flottement qui reflete les donnees de la situation extralinguistique denotee par ce type d'enonces et par consequent present dans de nombreuses langues, sans pour autant donner partout naissance ä des tournures grammaticalisees. La grammaticalisation de si interrogatif indirect en latin est due ä plusieurs facteurs: au depart, ä la necessite structurelle de compenser une carence, notamment la lente deperdition des elements introducteurs des interrogations indirectes »totales«, ä la fois trop nombreux et mal differencies entre eux, et de surcroit phonetiquement fragiles et menaces par des collisions homonymiques. Pour -ne, rappelons qu'une peri ode de renforcement de 1'accent, de faiblissement des consonnes finales, sans meme parier des distinctions de plus en plus floues des voyelles en fin de mot, n'etait pas favorable aux enclitiques hereditates, qui disparaitront tous; quant ä num, il etait de plus en plus rare (cf. Hofmann-Szantyr 1965: 542) peut-etre aussi parce qu'il etait en constant danger de collision homonymique avec non; dans ces conditions, si devenait une option facile et le cas echeant necessaire. Un autre facteur, ä l'arrivee pour ainsi dire, qui a sans doute consacre le »succes« de la tournure devait etre sa conformite avec les traits structuraux emergeants du latin tardif et du »preroman«: il η'a peut-etre pas encore ete rappele que Γ apparition systematique des subordonnees interrogatives indirectes introduites par si coi'ncidait, dans le temps et aussi pour ce qui est des types de texte concernes, avec 1'apparition massive et Γ extension des subordonnees completives introduites par quod, quia, etc. apres essentiellement les memes verbes que ceux qui pouvaient regir une interrogation indirecte. Des phrases comme scire uolo si pater aduenit ou die si pater aduenit et, d'autre part, scio quod pater aduenit ou die quod pater aduenit font de toute evidence partie d'un systeme commun et unique - un systeme complexe dont il serait interessant d'explorer les particularites. Dans tout cela, le modele grec a joue un role, mais seulement dans l'extension et l'acceptation de la tournure, et non pas dans sa creation. Or, pour ce qui est de la question »totale« directe introduite par si, les conditions ne sont identiques qu'en partie. II existe, au depart, des circonstances qui

A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees

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fondent ses premieres apparitions: le fait meme d'un sens interrogatif desormais frequent et stable dans le cas de si, l'identite par ailleurs pratiquement complete entre elements interrogatifs directs et indirects et aussi, la justification due au modele grec. La carence des interrogatifs hereditates, la fragilite phonetique en particulier de -ne et de num et les dangers homonymiques qui les menaijaient conferaient au tour direct un role compensatoire semblable au tour indirect. Mais semblable seulement, car il y avait une difference essentielle: pour les propositions indirectes, un introducteur, un mot interrogatif etait necessaire dans la langue parlee comme dans la langue ecrite - dans le cas de Γ interrogation directe totale, la presence d'un element interrogatif etait depuis toujours facultative, l'intonation ä eile seule pouvant marquer Γ interrogation dans la langue parlee, ce qui se refletait, dans le cas de facteurs semantiques ou situationnels suffisamment clairs, dans la langue ecrite egalement, surtout lorsqu'elle etait destinee ä reproduire un acte oral. Le röle compensatoire du tour direct n'entrait done vraiment en ligne de compte que dans une variete de langue qui, tout en subissant le contre-coup de revolution d'ensemble, continuait ä s'adapter aux exigences de la communication ecrite. Une autre difference structurelle, en ce qui concerne Γ insertion du tour dans 1'evolution d'ensemble: Γ interrogation indirecte introduite par si s'inserait done dans le systeme, en cours de constitution, de la subordination completive, le tour direct par contre, dejä fortement redondant dans la langue parlee, etait etranger aux principes qui allaient de plus en plus nettement regir la structure des propositions, principes fondes sur la sequence des termes syntaxiques essentiels. Ajoutons que si, dans les interrogations indirectes, devait sa valeur interrogative en grande partie au verbe de la principale qui, d'habitude, le precedait (v. ä ce sujet nos exemples n.1-3) et etait, par consequent, d'une transparence semantique parfaite, un tel facteur faisait par contre necessairement defaut dans le cas de si direct, ce qui aboutissait souvent ä des flottements et des confusions avec si hypothetique, comme en temoignent certains des nos exemples pris ä la lettre de Publicola. Pour nous resumer: alors que si interrogatif indirect correspondait ä une necessity reelle de la structure et s'inserait, au niveau du developpement d'ensemble de la langue, dans les processus fondamentaux de ses modifications diachroniques et constitue ainsi un exemple d'evolution portee jusqu'au bout, si interrogatif direct ne repond qu'ä une necessite partielle, il n'est pas en harmonie avec 1'evolution grammaticale d'ensemble et sera done bloque, apres une breve existence dans des milieux limites de locuteurs. Le cas de cette evolution bloquee n'est pas une simple curiosite, une anecdote sans consequence de l'histoire linguistique. Avant tout, ce n'est pas un exemple isole. D'autres exemples devolutions amorcees et puis bloquees par des mecanismes en gros similaires peuvent etre evoques et meriteraient une analyse attentive.

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A propos du si interrogate f: evolutions achevees et evolutions bloquees

Rappeions brievement un cas auquel je me suis dejä attache - dans une autre perspective d'ailleurs - lors d'un de nos Colloques, le cas de la declinaison que j'appellerais »pseudo-grecque« et qui apparait en masse, apres des debuts plutot modestes, dans des noms propres des inscriptions tardives, surtout chretiennes. Les faits sont connus; il s'agit en partie de l'application de terminaisons grecques (en particulier du genitif singulier des feminins en -η) ä des noms et parfois meme ä des noms communs latins (exemples a-d), soit de l'application ä des noms d'abord grecs, ensuite authentiquement latins du schema flexionnel de certains imparisyllabiques grecs (exemples e-g): a. domus aeterno Septimini et Crescentines (ICVR 3118) b. liberti puelles Sures (ibid. 1032) c. ossua hie sita sunt bonaes feminaes (CIL VI 6573) d. Corneliaes Nymphenis (ibid. 35046) e. Aur.[u]alerius siui et Val.Flauianeti uirginiae suae (ICVR 554) f. depostio Iulianetis (ibid. 2956) g. Iuliae Tatianeti coiugi (CIL VI26943) h. sed ibid. Sabinae Tatianae coniugi (ibid. 20805) Cette curieuse declinaison resulte, eile aussi, d'un mecanisme de compensation dans des contextes, en particulier, qui exigent une distinction plus ou moins claire entre celui qui a pose l'epitaphe et celui (ou celle) ä qui la pierre est dediee ou ä qui eile appartient; l'usage »reinvente« done une declinaison composite ä l'aide d'elements pris ä des noms grecs, dans un milieu en grande partie bilingue, pour pallier ainsi les incertitudes dues ä la confusion croissante dans les terminaisons du nom latin. Mecanisme compensatoire done, dans une langue ecrite ou proche de l'ecrit, mais revolution - contraire aux tendances fondamentales qui, au prix meme de troubles transitoires, impliquaient la disparition du systeme casuel - sera essentiellement bloquee, laissant des traces incertaines et ephemeres dans les langues romanes ä declinaison bicasuelle. Autre exemple, qui meriterait beaucoup d'attention: dans de tres nombreux textes, Chretiens surtout, e'est la construction du type facturus sum qui apparait, vu sa frequence, comme le candidat le plus probable ä la succession du futur synthetique, et pourtant eile ne survivra pas - le fait est connu, mais la question de savoir comment cette evolution fut finalement bloquee serait ä approfondir. Permettez-moi quelques rapides conclusions d'ordre general. Elles ne sont pas neuves, et certaines sont, pour moi-meme, des redites. Je crois cependant qu'il est utile de les rappeler.

A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquies

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Pour ce qui est du mecanisme du mouvement diachronique du systeme grammatical, les faits evoques servent ä illustrer le caractere non lineaire de ce mouvement, et les courants contradictoires et apparemment chaotiques qui le produisent. lis montrent que des reactions ä des carences ou des innovations dues ä des processus de type analogique (comme l'etait en partie le transfert de si interrogatif indirect ä des propositions directes, comme l'etait aussi en partie la creation de la declinaison pseudo-grecque) se produisent ä divers niveaux de la hierarchie des regies qu'est la grammaire, affectant Γ usage de couches plus ou moins reduites de la communaute linguistique, mais ces mutations peuvent ne pas s'harmoniser avec des modifications de structure plus generates, ce qui peut conduire au blocage devolutions dejä amorcees. II y a aussi une conclusion plus specifique peut-etre, mais qui me parait d'une actualite plus evidente et nous touche de plus pres. Les faits examines ont permis de cerner une couche tres particuliere du systeme des varietes latines: c'est le »vulgaire« ecrit, une variete demi-lettree, qui produit des innovations en apparente harmonie avec les tendances qui caracterisent l'usage parle des personnes peu cultivees, mais des innovations qui tiennent surtout compte d'exigences qui sont celles de l'ecrit ou celles de la parole qui s'y rattache. Ces innovations, bien que divergentes par rapport ä la norme hereditaire et dans ce sens »vulgaires«, different cependant par leur essence meme des tendances ä long terme qui se manifestent dans le parle pur, elles ne sont pas ä proprement parier preromanes, elles sont nees au niveau de l'ecrit et restent surtout ä ce niveau, se bloquent done facilement sous la pression de processus plus generaux et plus profonds. En evoquant ce »vulgaire ecrit«, je ne souhaite surtout pas creer un nouveau fantöme, alors que le fantöme d'un »latin vulgaire« considere comme une langue autonome et veritable continue encore de hanter la recherche sous la plume de demi-lettres de nos jours. Je souhaiterais mettre en evidence, plutot, l'infinie complexite de ce latin »global«, tissu de varietes qui s'enchevetrent et que nous commen^ons seulement ä entrevoir.

Remarques sur l'histoire du futur latin - et sur la prehistoire du futur roman* Le dossier du futur roman est d'ores et dejä bien charge; il peut paraitre surprenant que quelqu'un veuille y ajouter une nouvelle piece. D'autant plus que tous les faits essentiels semblent avoir ete releves, et que lumiere a ete faite sur toutes les etapes du processus - il y a bien des problemes dans la grammaire historique romane ä propos desquels nous ne pourrions pas en dire autant. Rappeions - car il ne s'agit naturellement pas de fournir ici une bibliographie ou une revue historique completes - que, des la grammaire de Diez, l'origine du futur des grandes langues romanes (le roumain excepte), done du futur du type chanterai (et, incidemment, des conditionnels comme chanterais ou italien canterei) est presentee comme parfaitement etablie: ces formes remontent, sans Γ ombre d'un doute (ä moins qu'on ne commence ä s'inquieter sur le sens exact qu'il faut donner ici au verbe remonter) ä l'infinitif latin suivi des formes personnelles du verbe habere. A commencer par le monumental article de Thielmann (1885) les latinistes ont reuni une masse d'exemples de la construction »infinitif + habere« (ou »habere + infinitif«), les ont groupes selon les types de verbe et les nuances de sens; des constructions qui paraissaient concurrentes (infinitif avec debere, posse, uelle) ont ete recensees et illustrees d'exemples, d'autant plus que ces constructions semblent avoir eu de lointains descendants dans certaines langues romanes. D'autre part, les romanistes ont passe en revue les particularites du futur roman lui-meme, ont attire l'attention sur le premier exemple sür du futur desormais synthetique 1 tout comme sur les variantes non encore parfaitement synthetisees des langues

* On Latin: Studies Pinkster. Amsterdam, Gieben, 1996: 57-70. 1

II s'agit naturellement du fameux daras Merov. II, 85).

('tu [le] donneras') chez Fredegaire (MGH Script, rer.

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ibero-romanes (cf. entre autres Müller 1964, sans parier des manuels courants de grammaire historique). Le va-et-vient incessant entre la valeur modale inherente (ou attribuee) ä ces tournures periphrastiques et, d'autre part, le futur temporel »pur« a fait l'objet de nombreux travaux et a ete illustre par le beau livre de Fleischman (1982). Soit dit en passant, la transition entre modalite et valeur temporelle une fois erigee en principe d'explication historique, ce principe a ete plus d'une fois applique sans precision et sans esprit critique. II a fallu quelques articles clairs et incisifs de Pinkster (1985; 1987; 1989) pour y mettre bon ordre et pour demontrer que, si le tour avec habere l'a empörte sur les autres Substituts possibles de l'ancien futur, c'est peut-etre justement parce que habere avec infmitif pouvait presenter un emploi non modal. 2 Cependant, malgre la richesse de la bibliographie relative ä cette question (et, dans un certain sens, en raison meme de cette richesse qui a genere des travaux parfois un peu repetitifs) il reste, dans cette histoire, des coins d'ombre; j'ai done decide de reunir ici quelques remarques qui, ä premier abord, sembleraient etre sans lien entre elles, mais qui, en fin de compte, font peut-etre ressortir un message commun. 1. Le sort du futur synthetique latin II a ete dit que le recours ä de nouvelles expressions du futur, par rapport au futur »regulier« du paradigme classique, est consecutif aux changements phonetiques qui ont efface la difference entre le futur du type amabit et le parfait amauit (par l'assibilation des -b- intervocaliques), et aussi entre les futurs du type ages, aget et le present agis, agit, ä la suite de revolution convergente, en latin tardif, de e et de i

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Nous venons de dire que cette rapide revue de la recherche n'est pas presentee avec 1'ambition de fournir une bibliographie detaillee et complete; une telle bibliographie, jusqu'ä une date assez recente, peut etre c o m p o s i e ä partir de Müller (1964), Fleischman (1982) et Pinkster (1989). Rappeions pourtant un aspect fort interessant de l'histoire de la recherche sur le futur roman: la prehistoire et la formation de ce futur constituait un des sujets favoris de la »philologie idealiste«. Lerch (1919) et surtout Vossler (1922) y ont consacre des travaux memorables qui, dans les premieres decennies de ce siecle, ont declenche des discussions philosophiques et m e m e ideologiques interessantes, et ont donne lieu ä une magistrate mise au point - un des morceaux d'anthologie des recherches sur le latin tardif - de la part d'Einar Löfstedt (1933: 6 3 - 7 8 ) ; un peu plus tard, dans un autre esprit mais par une demarche similaire, fut publice l'interpr6tation »chretienne« de Coseriu, ä la fois belle et discutable (1957). Cela n'entre pas dans notre propos ä present, mais il faudra y revenir un jour.

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atones en syllabe finale (et de [e:], done e long - ce qui vaut pour ages - et de i bref en toutes positions).3 Inevitablement, la question se pose de savoir dans quelle mesure ces »collisions homonymiques« ont effectivement conditionne la transformation de l'expression morphologique du futur (cf. Fleischman 1982: 41-43 pour certains aspects de la discussion theorique ä ce sujet). Avant d'entrer dans ce debat, nous chercherons ä constater quelle etait la portee reelle de ces fusions formelles dans l'usage, dans la pratique de la communication. Pour commencer, quelques precisions, evidentes mais qu'il vaut mieux rappeler, au sujet des limites dans lesquelles les homonymies en question se manifestent. Les consequences d'une confusion entre Β et Vdans la graphie, et d'une fusion entre [b] et [w] dans la prononciation, ont pu se manifester, dans certaines regions de l'Empire, des le IIe, au plus tard des le IIP siecle; en position intervocalique, le processus etait sans doute particulierement rapide et repandu. 4 Dans la flexion du verbe, cette confusion effa?ait les limites entre le futur de l'indicatif et le parfait des verbes en -are ä la troisieme personne du singulier et ä la premiere personne du pluriel, done amabit - amauit, amabimus - amauimus; aux autres personnes, les differences dans les desinences maintenaient la distinction des formes, malgre la fusion des consonnes intervocaliques. La deuxieme conjugaison du type moneo avait beau disposer d'un futur en -bo, les possibilites de confusion etaient rares, puisque les parfaits avaient, en majorite, des formes avec lesquelles ces futurs ne risquaient pas de se confondre (sigmatiques comme pour maneo, mansi, avec -ui comme debeo, debui); il ne restait que de rares verbes comme fleo - fleui, deleo deleui dans le cas desquels une homonymie pouvait s'etablir.5 D'autre part, si la confusion entre ages, avec e long, et agis, avec i bref, etait effectivement phonetique et sans doute assez precoce, la confusion entre aget et

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Thielmann (1885: 158-162) souligne dejä le fait; depuis, cet aspect du developpement est ivoque dans tout exposö relatif ä la prehistoire du futur roman. Je regrette de n'avoir pu acceder, jusqu'ä la clöture de mon manuscrit, ä l'article de H.-D. Bork, Der Mythos vom Schwachetod des lateinischen Futurs (in: Arbor Amoena Comis: 25 Jahre Mittellat. Seminar Bonn, Stuttgart, 1990, pp. 15-22). En ce qui concerne le probleme phonetique, v. entre autres mon article dans Herman (1990[1971 ]: 130-138) et la bibliographie qu'il permet de reconstruire. II faut remarquer aussi que l'expression »fusion entre [b] et [w]« constitue une simplification; avant la fusion effective sur le plan phonologique, il devait y avoir un rapprochement graduel des variantes articulatoires des deux phonemes, ce qui produisait une ressemblance sans doute troublante, mais non pas une complete identitd; il est evidemment impossible de preciser si, dans telle forme de tel manuscrit ou de telle inscription, nous avons affaire aux consiquences d'une fusion dejä compete ou d'une erreur graphique provoquee par un voisinage acoustique et articulatoire.

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agit, les deux avec voyelles breves dans la desinence, est un probleme plus complexe, puisqu'un [e] issu de i bref devait rester, en principe, ferme, alors que e bref latin, comme on sait, aboutit normalement ä [ε], done ä e ouvert. Neanmoins, dans les inscriptions provenant des derniers siecles de l'Empire, surtout les inscriptions chretiennes, nous avons des centaines, sinon des milliers d'exemples de confusion graphique entre les terminaisons verbales -et et -it; normalement, e'est -et qui se trouve pour -it, mais 1'inverse est egalement assez frequent. 6 Les confusions n'Interessent pas seulement - et pas surtout - le futur; il s'agit plutot d'une extension analogique - favorisee par la ressemblance phonetique - du present -et des verbes de la deuxieme conjugaison. La confusion qui se manifeste au present devait bientot englober le futur, malgre la difference phonetique qui aurait dü subsister dans ce cas. 7 Toujours est-il que pour ce type de futur egalement, e'est ä la troisieme personne du singulier que l'autonomie morphologique du futur est le plus nettement menacee, et - corollairement - ä la deuxieme personne du singulier. Aux deux premieres personnes du pluriel, il n'y a pas de danger de confusion entre agimus et agemus, ou entre agitis et agetis, parce que, le e de la penultieme dans les formes du futur etant long, done accentue, il reste entre les deux formes - malgre Γ eventuelle fusion des timbres vocaliques - une difference dans la place de 1'accent, done une difference claire et durable. A la troisieme personne du pluriel, agent et agunt, grace ä la solidite de la distinction entre voyelles palatales et velaires, n'etaient pas menaces, en eux-memes, de confusion. Nous pouvons done constater, pour les deux types de futur, que la collision homonymique, quelle que füt la nature phonetique exacte des processus qui l'ont produite, menagait d'abord, presque exclusivement, la troisieme personne du singulier, dans les verbes appartenant surtout ä la premiere et ä la troisieme classe flexionnelle. II est superflu de disserter sur 1'importance particuliere de cette personne de verbe, et surtout de sa predominance, statistique et fonctionnelle, dans les recits de toute sorte, et tout particulierement dans la langue ecrite: il est en tout cas parfaitement indique d'examiner Γ impact du phenomene. Pour ce faire, nous avons choisi un texte dont nous possedons de nombreuses variantes: il s'agit des traductions des Evangiles, qui nous sont conservees - en

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Dans environ 3000 inscriptions chretiennes de Rome, choisies au hasard, G. Miolo (1996: 4 3 - 4 6 ) a relev6 presque deux cents exemples de -et pour -it, du type requiescet, vixet, etc. Rappelons que, dans le cas des futurs de la troisieme (et de la quatrieme) conjugaison, une certaine parente fonctionnelle a egalement dü contribuer ä la confusion: le present a toujours pu s'employer pour marquer un »futur rapproche«, l'effacement de la limite morphonologique correspondait done ä une limite fonctionnelle peu etanche, ce qui n'etait pas le cas pour amabit - amauit.

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dehors de la Vulgate revue et unifiee par saint Jerome - dans un nombre considerable de manuscrits appartenant au groupe designe traditionnellement par le nom Itala et quelques manuscrits, fort anciens, qui constituent la version dite Afra. 8 Sur la base de releves etendus operes sur l'ensemble du texte, 9 nous pouvons faire au sujet de notre probleme les constatations qui suivent. 1. Dans la presque totalite des cas oü le texte comporte un verbe de la premiere conjugaison ä la troisieme personne singulier du futur, done une forme terminee en -abit, les manuscrits de l'Itala et de l'Afra presentent un flottement plus ou moins etendu entre cette forme (qui constitue la traduction exacte d'un futur grec et qui se retrouve aussi ä la Vulgate) et une forme -auit. Voici des exemples choisis au hasard (la premiere ligne fournit la Ιεςοη de la Vulgate): (1) Non omnis ... intrabit in regnum caelorum (Matth. 7,21) [Itala mss. a, 1 intrauit] (2) mitto angelum meum ... qui praeparabit uiam tuam ante te (Matth. 11,10) [Itala mss. a, b parauit; d, f, f f l , g l , 1, q praeparauit; cett. praeparabit] (3) Ego baptizaui uos aqua, ille uero baptizabit uos Spiritu Sancto (Marc. 1,8) [Itala mss. c, rl, t baptizabit; cett. baptizauit] (4) uirtus Altissimi obumbrabit tibi (Luc. 1,35) [Itala mss. b, d, 1 obumbrauit; a inumbrauit; cett. -bit; Afra obumbrauit] (5) omnia demonstrat ei quae ipsefacit et maiora his demonstrabit ei opera (Joh. 5,20) [Itala mss. aur, b, f, ff2,1 demonstrauit; c, rl demonstrabit; Afra ostendit] 2. II est essentiel de noter que les exemples (l)-(5) ne refletent pas, simplement, une confusion phonetique et orthographique: il est hors de doute que le flottement est de nature morphologique. En effet, le -b- intervocalique des formes du futur est normalement conserve dans tous les manuscrits, lorsque la forme ne s'op-

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J'ai utilise, pour les diverses l e n t i s de l'Itala et de l'Afra, l'edition de Jülicher (1938-1970); pour le texte grec et celui de la Vulgate, le texte publie par l'Institut Biblique Pontifical (Merk 1964). Mon propos n'etant pas d'illustrer et encore moins de reconstituer la tradition manuscrite, je me contente le cas echeant de recourir aux sigles de Jülicher, sans donner d'autres pr6cisions: le lecteur retrouvera la liste des sigles, avec des indications sur les manuscrits, en tete de chaque volume de l'edition.

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Ce qui veut dire que je n'ai pas precede ä des statistiques exhaustives; en raison des nombreux facteurs de distorsion dont il faudrait tenir compte, en raison aussi des nombreuses incertitudes d'interpretation et de lecture, des chiffres et des pourcentages ne donneraient qu'une apparence de precision et seraient sans veritable signification en eux-memes.

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pose pas ä une forme parallele du parfait, c'est-ä-dire, pratiquement, lorsqu'il ne s'agit pas de la troisieme personne du singulier d'un verbe dont le parfait se terminerait en -uit. Dans la citation (1), par exemple, nous avons un flottement entre intrabit et intrauit, mais, un peu plus loin (Matth. 18,3)» un intrabitis est inaltere dans tous les manuscrits puisque *intrauitis n'existe pas dans le paradigme du parfait. On pourrait citer par centaines des formes comme Marc. 2,22 peribunt, 6,22 dabo, 14,9 narrabitur, toujours sans flottement orthographique. La seule exception que j'ai notee (il y en a peut-etre d'autres, mais certainement sporadiques) se trouve dans Luc. 1,31, oü ä un uocabis de tous les manuscrits de l'Itala (et de la Vulgate, naturellement), l'unique manuscrit de l'Afra oppose uocauis. 3. A premiere vue, la situation est identique dans le cas des futurs qui ont les terminaisons -am, -es, -et, etc. Α la troisieme personne du singulier, les Ιβςοηβ des diverses versions et des divers manuscrits se mettent ä »flotter« quand il s'agit d'un futur ä la troisieme personne du singulier. Nous nous contentons de deux exemples illustratifs choisis au hasard. (6) Dicite, quia Domino necessarius est, et continuo illum dimittet (Marc. 11,3) [Itala mss. d, f, i, ff2 dimittet; a, q remittet; 1, aur, b dimittit; c remittit] (7) Resurget frater tuus (loh. 11,23) [Itala ms. aur resurgit; cett. resurget] 4. Contrairement, cependant, ä ce qui se produit pour les futurs du type -abit, dans les futurs ä marque vocalique cette »perte d'identite« est assez frequente dans les cas egalement oü, entre formes du futur et Celles du present, on ne peut pas postuler une homonymie complete. Ainsi, nous trouvons des flottements malgre la difference d'accentuation qui subsiste apres les fusions vocaliques: (8) terrena dixi uobis et non creditis [gr. πιστεύετε]; quomodo, si dixero uobis caelestia, credetis [gr. πιστεύσετε]? (loh. 3,12). [mss. unanimes pour la premiere forme verbale; pour la deuxieme: Itala mss. aur, ff2,1 creditis; cett. credetis] (9) positus est hic ... in signum, cui contradicetur (Luc. 2,34) [Itala mss.a, aur, β contradicitur; cett. contradicetur] II y a egalement un bon nombre de lemons flottantes dans des cas oü la distinction phonetique entre futur et present a toujours ete - et est restee - nette; deux exemples pris au hasard:

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(10) qui... perdiderit animam suam propter me ... saluam faciei earn (Marc. 6,35) [Itala ms. c facit; cett. faciei; a, 1 et Afra saluauit]10 (11) mortui audient uocem Filii Dei (loh. 5,25) [Itala mss. c, f audiunt; cett. audient; Afra audiant] Les raisons de cette particularite sont evidentes. La collision homonymique entre le futur et le present, ä la troisieme personne du singulier des verbes de la troisieme conjugaison, s'inscrit dans le contexte d'un flottement fonctionnel, »semantique«: entre present et futur, il y a toujours eu des zones de contact, puisque, dans certains contextes, le present pouvait s'employ er avec reference ä des evenements posterieurs (cf. Hofmann - Szantyr 1965: 307-308; Pinkster 1987: 340-341); l'effacement des limites formelles entre les deux temps ä la troisieme personne du singulier de verbes nombreux et frequents, a sans doute contribue ä rendre ce flottement plus repandu et plus facile. En fin de compte, l'examen de »l'etat de sante« du futur synthetique ä une epoque qui se situe grosso modo entre le troisieme siecle et le cinquieme, 11 conduit aux conclusions suivantes: a) les hesitations des traducteurs et des copistes rendent effectivement manifeste un trouble de la communication lie ä l'emploi du futur; ce trouble se presentait entre autres sur un point particulierement sensible, ä la troisieme personne du singulier. Dans le cas des verbes en -are, il s'agissait d'une coincidence pouvant conduire ä un faux-sens ou ä un non-sens, puisque la confusion due ä revolution phonetique se produisait avec le parfait, un temps verbal lie ä d'autres contextes que le futur; il semble effectivement que les locuteurs se sentaient, sur ce point, en desarroi: une crise du futur, bien que partielle, existait en effet. Pour le futur des verbes de la troisieme conjugaison, l'homonymie, moins troublante du point de vue du sens des messages, diminuait pourtant l'autonomie du futur vis-ä-vis du present; b) s'il semble vrai que les formes du type amabit etaient de venues impropres ä l'usage, il est vrai aussi que cette crise restait circonscrite et, transitoirement du moins, ne touchait pas les autres personnes (eile aurait pu toucher amabimus, mais je n'en possede pas d'exemple dans ces textes): les memes scribes qui sont deroutes

10

11

Cet exemple, tout en illustrant le flottement faciei - facit, presente un interet secondaire non negligeable: la traduction la plus 6vidente du grec serait evidemment saluabit, mais en raison de la confusion mcnagante avec saluauit, qui se presente effectivement dans quelques manuscrits, de nombreux traducteurs - dont Jeröme - preferent recourir ä une solution differente. II y a d'autres exemples de ce genre. Les plus anciens des manuscrits utilises par Jülicher remontent au V e siecle; les variantes en presence se sont constituees ä partir des premieres traductions partielles, probablement africaines.

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toutes les fois qu'ils sont en face d'une forme de la troisieme personne du singulier, ne se trompent pratiquement jamais quand il s'agit d'une autre forme. Le paradigme synthetique hereditaire restait done operatif. II en etait probablement de meme dans le cas du futur en -am, -es, etc., malgre la fragilite de la limite fonctionnelle entre futur et present. Rappeions aussi que la plupart des verbes de la deuxieme conjugaison (type monere, debere) et de la quatrieme (audire), de meme que ceux du groupe facio -facere sont restes ä l'abri de la collision homonymique, et les textes semblent temoigner d'une bonne persistance des paradigmes synthetiques dans ces cas.

2. Les solutions de rechange Dans les travaux consacres ä ce probleme (cf. plus haut, note 2) ont ete passees en revue les diverses constructions, locutions, periphrases, etc., inf. + habeo en tete, mais aussi infinitif avec eo, debeo, possum, uolo, enfin toutes les expressions dont les lointains descendants fournissent ou paraissent fournir des futurs ä certains idiomes romans. Ce faisant, on a perdu un peu de vue, parce que sans descendance romane, la construction qui, dans les textes tardifs, semble effectivement avoir ete la solution de rechange: la periphrase construite avec le participium futuri, done (t)urus sum, etc. Parfois, on la mentionne (dejä Thielmann 1885: 162) et Fleischman (1982: 35-37) lui consacre une interessante analyse semantique, mais elle n'est pas effectivement prise en compte dans la prehistoire du futur roman. 12 Certes, dans les traductions bibliques, elle correspond generalement ä un texte grec presentant μέλλειν avec infinitif, comme p.e. (12) ipse enim sciebat quid esset facturus [... τί εμελλεν

ποιεΐν] (loh. 6,6)

oü toutes les versions et tous les manuscrits adoptent la meme solution. II s'agit ici d'une nuance modale, peut-etre meme aspectuelle, comme dit Fleischman (I.e.), correspondant ä une intentionnalite, ä une resolution consciente concernant une action future. Pourtant, on trouve bien des cas oü cette meme construction correspond simplement ä un futur grec, et les flottements meme de la traduction manuscrite revelent une aeeeption purement temporelle; voici quelques exemples pris au hasard 12

Rappeions que Löfstedt (1933: 6 3 - 6 5 ) foumit une interessante serie d'exemples relatifs ä une tournure tres speciale issue de la periphrase primaire: la construction futurus sum + infinitif, comme Epist. Avell. 75,4 quia ipse est, qui futurus est redimere Israhel. La toumure lui semble livresque, peripherique par rapport ä Involution d'ensemble.

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(Γ expression -(t)urus sum ne se trouve pas necessairement ä la premiere ligne, texte de la Vulgate): (13) Tu es qui uenturus es an alium exspectamus? (Luc. 7,19) [Itala: tous les mss.; Afra uenit] (14) Christus cum uenerit numquid plura signa faciei quam quae hicfacit? (loh. 7,31) [Itala mss. a, q facturus est; cett. et Afra faciei] (15) Hoc autem dixit significans qua morte clarificaturus esset Deum (loh. 21,19) [Itala ms. d honorificabit; rl honoraret; Afra honoraturus; cett. clarificaturus; gr. δοξάσει] Les cas de ce type, qui paraissent relativement nombreux, prouvent que le syntagme »participium futuri + esse« se presentait comme le »remplasant« par excellence du futur. C'etait d'ailleurs ä prevoir: la construction a toujours existe, et la valeur »modale« d'intentionnalite qu'elle renfermait ä l'origine la separait peu du futur simple, puisque, selon les situations et les contextes, le futur lui-meme pouvait toujours evoquer une intention ou une prevision de la part du sujet, quand celui-ci designait une personne humaine. 13 II est interessant de noter, dans cet ordre d'idees, que cette construction et le syntagme »infinitif + habere« apparaissent dans certains cas comme equivalents entre eux (et meme, comme dans le premier exemple, comme equivalents au futur simple): (16) Numquid interficiet semetipsum, quia dixit... (loh. 8,22) [Itala mss. d, q et Afra occisurus est; Itala ms. a occidere se habet] (17) ... ascendit in arborem ut uideret eum quia inde erat transiturus (Luc. 19,4) [Itala ms. d habebat transire]14

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Dans certains textes tardifs, l'emploi du participe -urus, avec ou sans esse exprime, comme un simple equivalent du futur, devient meme un trait de tres grande frequence, presque constant, comme p.e. dans certains textes ariens; un passage caracteristique: (Scripta Arriana Latina, Corpus Christianorum ser. Lat. 87, Fragm. theol. 5, V 285) filius sp(iritum) sanctum dedit et dat semper sanctis, profetas instruxit, templum suum ... suscitauit... peccata dimisit et dimittit cottidie, omnes mortuos resuscitaturus et iudicaturus omnes uiuos et mortuos, bonis ... gloriam ... daturus, malos ...in gehennam missurus. II y a evidemment un jeu de style un peu rigide, une intention pathetique, mais qui ne saurait exister sans une base linguistique reelle.

14

II est cependant ä noter que dans l'exemple (17) nous avons, en grec ήμελλεν διέρχεσΦαι.

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3. La question de toujours: pourquoi habere? Si, pour eviter toute petition de principe, nous essayons de faire abstraction de »l'avenir« roman, et considerons Γ etat des choses tel qu'il se presente en latin tardif, nous devons constater qu'ä premiere vue, c'est bien la periphrase du type facturus sum qui parait le candidat le plus indique pour remplacer le futur defaillant; et, en tenant compte du caractere presque habituel de la construction, de son extreme frequence dans certains textes, on aurait meme l'impression que, dans la langue parlee, le remplacement etait dejä sur le point de se faire. Au risque de nous repeter, soulignons que la construction semblait designee pour ce role: au niveau formel, eile comportait un element bien integre au paradigme et un auxiliaire frequent et habituel dans cette fonction, au niveau du sens, eile explicitait clairement une reference temporelle de posteriorite, et la valeur »modale« qui la separait du futur simple etait legere, souvent ä peine perceptible. Une deficience, pourtant: eile n'offrait de solution qu'ä l'actif, son homologue passif, construit avec le participe en -ndus, avait une valeur modale plus marquee (necessairement, puisque la simple intentionnalite de l'actif avait pour correspondant, au passif, un facteur exterieur au sujet, done necessite, obligation, fatalite, etc.). 15 Malgre cette asymetrie, pourtant, le tour avec -urus semblait parfaitement implante dans Γ usage, en tant que substitut du futur synthetique. En restant dans l'espace hypothetique d'un latin tardif protege contre la projection ä rebours des resultats romans, la periphrase avec habeo apparait, en comparaison, comme une construction occasionnelle et peripherique. Et si, en ouvrant la perspective vers le roman, nous cherchons ä comprendre le mouvement diachronique, ce qui doit etre explique avant tout c'est le mecanisme et Tissue de la concurrence entre le typ e, facturus sum et le type face re habeo. Dire simplement que les participes du type facturus et faciendus etaient des elements peu populaires, est evidemment insuffisant. L'argument serait faible en soi, puisque circulaire: le caractere non »volkstümlich« de ces formes est prouve par le fait qu'elles ne sont pas conservees en roman, mais si on demandait pourquoi elles n'existent pas en roman, la reponse inevitable serait qu'elles n'avaient pas ete, en latin »volkstümlich«. L'hypothese de base est elle-meme faible: ces formes, surtout celle en -urus, sont fort frequentes dans des textes meme tres »vulgaires«; et ce ne serait pas le cas si elles n'avaient pas ete facilement comprehensibles et automatiquement utilisables.

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Son emploi avec une valeur clairement temporelle, moins frequente que celui de -urus sum, etait neanmoins possible (cf. Väänänen 1971: 228 [§ 303]).

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L'explication doit etre cherchee, croyons-nous, dans une autre direction. Nous avons cru pouvoir constater que, malgre le desarroi sensible cause par une collision homonymique qui frappait, en particulier, son element le plus frequent, le paradigme synthetique traditionnel du futur continuait, comme un tout, ä fonctionner. II est par consequent admissible de supposer que le remplacement du paradigme fut graduel, qu'il s'operait d'abord sur les points »menaces« et s'etendait ensuite par analogie aux autres personnes et aux verbes »non menaces«, les elements nouveaux et les anciens coexistant, transitoirement, dans Γ usage. II est meme difficile d'imaginer, concretement, un processus different. S'il en etait ainsi, il etait inevitable que les locuteurs choisissent le plus souvent, dans les innombrables actes de parole qui constituent l'usage, la Variante la plus apte ä s'inserer dans un paradigme compose, ä l'origine, d'elements synthetiques, arbitraires dans le sens saussurien, contrairement ä »l'arbitraire relatif« des periphrases. Or, la periphrase du type facturus sum etait impropre ä jouer ce röle; phonetiquement d'abord, avec sa terminaison bisyllabique terminee par une consonne, frappee d'un immuable accent d'intensite, alourdie par l'auxiliaire qui, d'habitude, suivait. Paradoxalement, sa »futurite« explicite la separait egalement des formes encore vivantes, synthetiques et »arbitraires« du futur simple. Dans ces conditions, les locuteurs avaient ä leur disposition diverses constructions »infinitif + auxiliaire modal« qui, du fait meme de la modalite qu'elles exprimaient, se referaient implicitement ä une dimension temporelle de posteriorite. Parmi ces expressions, celle contenant habere presentait les avantages les plus evidents. Et non seulement, comme on aime ä le dire, du point de vue de la nuance exprimee, qui etait - dans certains cas du moins - une modalite legere, indiquant tout au plus une attitude positive du sujet relativement ä Taction exprimee. Cette tournure avait aussi des avantages morpho-phonetiques, que generalement on oublie: c'etait la seule ä commencer par une voyelle (apres la chute generalisee des h- en position initiale, achevee bien avant l'epoque qui entre en ligne de compte), done ä se souder avec facilite ä un infinitif - ä finale toujours vocalique - qui precedait. Puisqu'on a de bonnes raisons de postuler, pour les formes conjuguees, l'existence de formes »allegro« sans -b- interieur (cf. Väänänen 1971: 238, § 321) - peutetre en trouverons-nous un jour - cette locution se »synthetisait« facilement, bien plus facilement que n' importe quel autre substitut potentiel du futur synthetique. Que la persistance du pattern du paradigme synthetique ait joue un role determinant dans la constitution du nouveau futur, est d'ailleurs prouve ä Γevidence par le simple fait que, de toutes les neoformations periphrastiques de la conjugaison romane, le futur est le seul qui, de tres bonne heure - excepte le retard partiel des langues ibero-romanes - a effectivement abouti ä un paradigme synthetique, para-

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digme qui fonctionne, dans les langues romanes oü eile s'est implantee, comme un systeme de formes de type flechi. Je suis conscient d'avoir emis une hypothese, peut-etre rapide, peut-etre osee, mais qui comporte, dans mes intentions, un message que je crois valable. L'explication d'une modification dans le systeme morphologique doit etre cherchee, d'abord et avant tout, au niveau de la morphologie, c'est-ä-dire au niveau du systeme des variantes formelles qui constituent le paradigme flexionnel, et la discussion sur la formation du futur roman semble avoir souffert, dans une certaine mesure, d'un exces de »semantisation«. L e probleme initial qui avait mis en mouvement le paradigme du futur etait un probleme de nature »morphonologique«. Et nous croyons que le mecanisme du mouvement diachronique a continue ä etre domine par le jeu des modeles et des proprietes formelles des elements. Certes, l'aspect »signifie« de ces elements a contribue ä ce mouvement, si ce n'est qu'en orientant le choix des locuteurs vers certaines alternatives. Mais ces choix essentiellement inconscients, les millions de choix dont la convergence a fini par determiner la transformation morphologique ont ete dictes par le besoin elementaire de formuler et de transmettre des messages linguistiques efficaces et non equivoques, en appliquant dans ces limites des regies formelles aussi automatiques et simples que possible.

L'emploi des noms indeclinables et l'histoire de la declinaison latine* Le nom latin est par definition declinable, c'est done necessairement sous une forme declinee, flechie qu'elle entre dans une phrase grammaticalement correcte - le nominatif etant une forme flechie comme les autres cas. Cette constatation triviale equivaut ä dire que les formes non declinables qui s'emploient ä des points de la chaine oü se situent normalement des syntagmes nominaux (ä un ou ä plusieurs elements) sont exterieures au systeme nominal et par consequent au systeme grammatical du latin. C'est ce qui ressort en fin de compte de l'enumeration des »noms indeclinables« telle que la donnent les grandes grammaires traditionnelles (cf. en particulier NeueWagener 1902: 859-886, dont dependent les descriptions plus recentes);1 la classification meme des formes indiquees remonte en partie ä Varron, et surtout aux grammairiens latins plus tardifs. Sont designes comme indeclinables, d'une part, les noms des lettres (et des sons, dirions-nous): Varro, Ling. 9,36,51 Dicunt, quod uocabula litterarum Latinarum non declinentur in casus, non esse analogias; Prise. Instit. 1,7 (GL II 7-8) sunt indeclinabilia tarn apud Graecos elementorum nomina quam apud Latinos. Le mecanisme est clair: les noms des lettres (ou des sons) restent indeclinables en tant qu'elements qui se situent ä un niveau different de celui de leur contexte: ce sont des termes essentiellement metalinguistiques (comme le sont occasionnellement des mots ou des syllabes cites en exemples); il faut d'ailleurs ajouter que leur variation flexionnelle se heurterait en latin ä d'evidentes difficultes morphologiques et phonetiques. Sont en principe indeclinables, d'autre part, les noms propres »barbares« qui, ne se pretant pas par leur forme ou par leur morphologie d'origine ä une integration * Aspects of Latin. Universität Innsbruck, 1996: 3 8 9 - 4 0 0 .

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dans le systeme morphologique latin ou greco-latin, restent des elements non-latins alors meme qu'ils figurent dans un enonce latin: Varro, Ling. 8,36,65 ... aut ut Poenicum et Aegyptiorum uocabula singulis casibus dicerent, aut pluribus ut Gallorum ac ceterorum; Prise. Instit. 5,11 (GL II 148) Et barbara indeclinabilia non solum in am et in im, sed in alias quoque litteras terminant, in quas Latina uel Graeca nomina non solent desinere, ut Abraham, Joachim, Loth, Ruth, Iacob, Dauid, Balac. Sed haec nomina nulla regula Latina uel Graeca sunt moderanda, nisi transferantur in aliquem declinabilem formam, quod quidem historici fecerunt, ut Abrahamus, Abrahami. II y a enfin un troisieme groupe, que je nommerais celui des »faux indeclinables«; il s'agit d'un ensemble disparate de mots qui ont perdu, au sein de constructions ou de schemas figes, leur caractere nominal, comme/as, nefas,frugi, nihili, pondo, etc., et aussi de quelques elements rares, tres techniques, qui sont dotes de flexion des qu'ils entrent vraiment dans le circuit parle.2 Une liste des mots faisant partie de ce groupe se trouve entre autres chez Charisius (GL I 35-37). A premiere vue, cet ensemble dit des »indeclinables« ne semble pas soulever de questions d'un interet linguistique particulier: e'est en somme un segment marginal et peu caracteristique des faits relatifs au latin, et dont l'inventaire semble avoir ete dresse d'une maniere satisfaisante. Et pourtant, s'il est vrai qu'ils constituent, pour ainsi dire, des corps etrangers dans le systeme latin, il n'est pas superflu de se demander comment ce systeme arrive ä les utiliser dans les phrases qu'il produit, comment il continue ä fonctionner sans heurts malgre leur inevitable presence. Les reponses ä ces questions pourraient etre revelatrices de l'etat et du mouvement du systeme grammatical lui-meme et depasser dans leur portee le domaine des indeclinables. 1. Le premier probleme qu'il s'agit d'examiner est d'ordre morphologique - e'est essentiellement celui du »filtrage« ä la suite duquel les indeclinables sont restes indeclinables, done, vu de Γ autre versant du processus, celui de la partielle

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Dans un article important (Väänänen 1983 b) l'auteur depasse pourtant cette tradition: tout en tenant compte des categories regues, il s' interesse tout particulierement aux formes nominales figees fonctionnant par la suite comme adverbes, prepositions, etc., done aux elements que nous nommons (voir un peu plus bas dans le texte) »faux indeclinables« - tels que, entre autres, uersus, mordicus, en latin tardif casus (pour casu). De notre cöte, par contre, nous nous interessons ä des noms qui, sans flexion casuelle, continuent ä fonctionner - ou ont toujours fonctionne - selon les possibilit6s syntaxiques reservees aux noms. L'approche de Väänänen, dejä adoptee par Ε. Löfstedt ( 1942:86sq. et 1959: 131-133) reste naturellement tout ä fait justifiee, en particulier du point de vue de revolution plus tardive.

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assimilation morphologique des noms sans declinaison latine. L'ensemble que nous allons envisager est celui des noms »barbares«, le seul groupe vraiment nombreux et comportant des elements frequents, du moins dans certains types de textes. En effet, lorsque des noms etrangers non-indo-europeens, notamment semitiques, se presentent en masse, et avec une certaine constance - comme c'etait le cas lors de l'entree du Vieux Testament dans le monde latinophone, ou bien lors de la romanisation apparemment massive, des les premiers siecles de l'Empire, de la population punique (et berbere) en Afrique du Nord - , le traitement de ces elements adventices, du point de vue du latin, est loin d'etre homogene, et ne suit guere les principes enonces par Priscien. On distingue trois procedes: A. Un premier groupe, fort nombreux, est constitue par ceux qui ne passent pas le filtre et restent normalement3 indeclinables. Evoquons ä titre d'exemple, parmi des centaines de cas, celui de Esau, Noe, Iacob, lob, Isaac, Ruth, pour en rester ä des noms courants et bien connus. Notons, puisque le nom Iacob vient d'etre evoque, que la forme latinisee existe par ailleurs, mais eile designe 1'apotre Saint Jacques et non pas le patriarche, fils d'Isaac. Nous reviendrons sur cette distinction. B. Un deuxieme groupe est constitue de noms pourtant »barbares« mais qui passent le seuil et qui, sans latinisation forcee de leur forme de base (done sans la creation de monstres comme Adamus, Abrahamus ou meme Iacobus) sont ordinairement dotes, dans les textes bibliques et patristiques, d'une declinaison de type latin ou greco-latin, ä la suite de Γ assimilation facile de leur portion finale ä une terminaison grecque ou latine existante. C'est notamment le cas de Salomon (Salomonem, Salomonis, etc.), en general des noms en -as (Elias, Eliam, Eliae, de meme Esaias, Zacharias, Micheas, etc.), des noms en -es munis d'une declinaison grecisante comme Moyses, Ioannes (Moysen, Moysi ou meme Moyseos). C. II y a enfin un troisieme groupe dont les elements subissent, dans une proportion ä peu pres equilibree, un double traitement: ils sont employes tantot comme indeclinables, tantot avec des formes flechies. C'est notamment le cas de Adam,

2

3

Par exemple (li)ir 'creux de la main' qui possede pourtant un genitif d'apris Charisius (GL 142), ou sil 'ocre' , souvent dcclinö, mais qui apparait comme indeclinable dans un endroit peut-etre corrompu de Vegece (cf. Neue-Wagener 1902: 865). II convient d'eviter, dans ce domaine comme dans bien d'autres, les affirmations trop absolues. Dans le vaste univers des textes bibliques et patristiques, en tenant compte 6galement des variantes manuscrites, tout peut arriver et il y a sans doute des exemples isoles fort surprenants, dont l'existence interdit de dire que telle Variante ne se trouve »jamais« ou se präsente »toujours«.

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Abraham qui apparaissent parfois avec un genitif-datif en -ae, de quelques noms en -an comme Laban, et de beaucoup de noms en -I: Rachel est souvent indeclinable, tandis que Daniel, Samuel sont plus frequemment flechis aux cas obliques. Par contre, Israel est traditionnellement invariable. 4 II ne semble pourtant pas que le groupe de ces noms ä double traitement soit delimitable d'apres des criteres formels, done selon les types de terminaison; B. Löfstedt (1985: 75) Signale par exemple un traitement similaire pour le nom Dauid. II est inevitable de se demander quels sont les criteres dont dependent ces differences de traitement, puisqu'il ne s'agit de toute evidence pas d'un critere de frequence: nous avons cite dans les trois groupes, ä dessein, des noms bien connus et relativement frequents. Certes, un simple critere formel, nous l'avons indique, a un röle ä jouer: les noms dont la syllabe finale est semblable ä une terminaison usuelle du grec ou du latin, ou bien se transforme ä peu de frais en une telle terminaison, deviennent facilement declinables, alors que ceux qui se terminent en diphtongue, en plusieurs voyelles contigues ou bien une consonne rare ou inusitee ä la finale latine restent plutöt indeclinables. II est pourtant bien evident que ce critere morphologique n'est pas seul ä entrer en ligne de compte: il n'explique pas le traitement double reserve aux elements appartenant au groupe C, ni le fait que Samuel soit declinable et Israel normalement invariable, ni, surtout, une serie de cas que nous n'avons pas encore evoques: dans les inscriptions d'Afrique du Nord, les noms puniques possedent couramment, au mepris de la regle de Priscien, des formes flechies sans latinisation de leur forme de base, alors meme qu' il s'agit d'elements nullement conformes aux schemas morphologiques latins: VIII 4980 BARIC (nom.), 4366 BARICI (dat.), 10475/27 BARICIS (gen.); 16714 MVTTHVN (nom.), 23783 MVTTHVNIS (gen.); 16923 AMORBAL (nom.), 4408 AMOBBALI (dat.), 23509 BABBALIS (gen.). En regardant les textes de plus pres, on trouve, je crois, la clef de ce probleme. On remarque en effet que Jerome, dans la Vulgate, retablit presque regulierement la forme indeclinable alors que les traductions latines plus anciennes avaient une

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Väänänen, en indiquant (1987: 23) que la Peregrinatio presente d'habitude Rachel, Israel, Laban invariables, mais Abraham avec une forme casuelle Abrahae, fait dejä entrevoir les flottements que nous venons d'analyser; voir egalement ses remarques dans Väänänen 1983b: 541 oü il Signale d'ailleurs, sans donner de riference, l'existence d'un genitif Israelis. Sans doute - voir aussi notre opinion precisee plus haut, note 3 - il est possible de relever dans les textes des variantes plus ou moins rares ou exceptionnelles (B. Löfstedt 1985: 77 cite meme un exemple de la Vulgate qui presente le datif Israheli), ce qu'il convient simplement de souligner, e'est que normalement, habituellement le nom Israhel est traite comme s'il n'avait qu'une forme unique.

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certaine tendance - dans le cas des noms du groupe C - ä doter les noms hebrai'ques de terminaisons latines. Voici quelques exemples ä titre purement illustratif: 5 Gen. 26,3

Gen. 28,2

Gen. 31,1

VL: iurationem meam quam iuraui Abrahae patri tuo Vulg.: iuramentum quod spopondi Abraham patri tuo Sept.: τον δρκον μου, δ ν ώμοσα Αβρααμ τ ω π α τ ρ ί σου VL: in domum Bathuelis Vulg.: ad domum Bathuel Sept.: εις τον οίκον Βαθουηλ VL: uerba filiorum Labae Vulg.: uerba filiorum Laban Sept.: τά ρήματα των υίών Λαβαν

II arrive que, pour eviter une forme flechie sans pour autant laisser passer une phrase ambigue, Jerome ait recours ä un pronom au lieu du nom lui-meme. Gen. 2,16

VL: praecepit dominus deus Adae dicens Vulg.: jjraecepitque ei dicens Sept.: ενετείλατο κύριος ό θεός τ ω Αδαμ λέγων.

Ces exemples et bien d'autres du meme genre qu'il serait possible de citer renferment une precieuse indication: la reprise d'un nom etranger sous une forme invariable temoigne d'un registre socio-culturel, d'un niveau de conscience stylistique superieur ä ceux dont releve l'assimilation morphologique des elements adventices. C'est comprehensible: sous leur forme originelle, ces formes gardent leur »extraneitas«, leurs connotations d'archai'sme ou de solennite, voire leur caractere sacre; c'est evidemment la raison pour laquelle Israel, courant d'ailleurs dans des formules figees commefilii Israel, dominus deus Israel, est normalement invariable alors que Daniel, Samuel se declinent facilement; c'est ce qui rend compte du fait que loseph, nom du fils de Jacob, soit invariable, alors que l'historien des Juifs soit toujours Iosephus, que le patriarche s'appelle d'un nom indeclinable Iacob et l'apötre, personnage plus recent et dans un certain sens plus familier, se nomme lacobus. Or, l'inverse de cette constatation apparemment stylistique (le fait que la langue spontanee, stylistiquement incontrolee, »vulgaire« prefere doter les noms etrangers d'une declinaison latine ou greco-latine) renferme une implication qui

5

Dans les exemples pris aux traductions bibliques, VL indique le consensus ou la Variante la plus courante de la Vetus Latina, et, evidemment, Vulg. = Vulgate et Sept. = Septuaginta.

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n'est pas sans importance du point de vue de la grammaire latine et pour le rythme des ses modifications: il apparait en effet que Γ usage spontane recourait encore, aux premiers siecles de notre ere, ä une flexion nominale solidement ancree dans le systeme de la langue, et ressentie comme necessaire, incontournable pour la construction des enonces. II ressort en outre des exemples epigraphiques africains que nous avons cites, que le besoin d'integrer les noms adventices au systeme flexionnel etait plus imperatif que celui d'eviter la creation d'elements ä constitution phonetique inusitee.6 II semble done que la conservation de la forme originelle dans tous les contextes, sous une forme non flechie, releve d'un choix stylistique, d'un acte expressif volontaire, alors que Γ assimilation morphologique correspond plutot au mecanisme spontane de la langue en fonctionnement. L' incorporation morphologique des indeclinables presente d'ailleurs un autre aspect digne d'une rapide remarque. En parcourant les exemples donnes plus haut on se rend compte que toutes les formes citees comme flechies sont soit au datif soit au genitif, et constituent raeme en general un genitif-datif commun. II ne s'agit pas d'un hasard. Certains des noms que nous avons enumeres comme presentant un double traitement, et justement les plus frequents, comme Abraham, Adam, disposent en effet d'une Sorte de declinaison ä deux formes casuelles: on trouve un nominatif-accusatif-ablatif du type Abraham, et un genitif-datif Abrahae, Adae, Labae et ainsi de suite. Je ne connais pas d'exemple pour l'ablatif, ni pour une distinction formelle entre le nominatif et 1'accusatif. A partir des textes d'auteurs plus proches de la langue parlee que Jerome, ou en tout cas d'une conscience grammaticale moins pointilleuse, on reconstruit aisement cette declinaison »bicasuelle«: Egeria, Peregr. 20,4: Ecce puteus unde potauit sancta Rebecca camelos pueri sancti Abrahae, id est Eleazari. Ambrosius, de Abraham 5,23:factis simplicibus Abrahae magnarum institutionum documenta explicantur. ibid. 7,13: quis adnuntiabit Abrahae quoniam lactat infantem Sarra (Gen. 21,7) ibid. 2,6: cum Abraham; 3,20: ex Abraham. Cette meme tendance se dessine avec nettete dans le cas d'autres noms egalement: Rachel est normalement indeclinable, mais on releve Racheiis, Racheli; je ne connais pas d'autre forme flechie, elles doivent etre de toutes manieres sporadiques. 6

Remarquons en passant que Salluste, dans le Bellum lugurthinum, fait normalement entrer les noms propres africains dans des declinaisons de type latin, se conformant sans doute ainsi ä l'usage parle de son epoque.

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On trouve une situation en apparence analogue dans les inscriptions d'Afrique du Nord, oü les formes flechies - comme cela ressort egalement des exemples cites plus haut - sont toujours soit au genitif, soit au datif, ä cote, naturellement, du nominatif. La valeur illustrative de cette indication est cependant tres limitee, parce que cette distribution correspond aux positions syntaxiques courantes et presque exclusives des formes nominales dans les epitaphes. Quoi qu'il en soit, ce que nous venons de dire nous autorise peut-etre ä formuler une deuxieme constatation ä propos de l'assimilation morphologique des indeclinables: il semble que dans les cas oil les noms adventices »barbares« ont fait l'objet d'une integration partielle ou occasionnelle au systeme flexionnel latin, cette integration consistait surtout ä les doter de terminaisons speciales pour le genitif ou le datif, ou d'une terminaison commune pour le genitif-datif. 2. La deuxieme question qu'il convient d'examiner concerne l'aspect syntaxique de l'emploi des indeclinables (c'est-ä-dire des vrais indeclinables non assimiles morphologiquement - done des noms bibliques qui ne sont jamais declines, et des variantes non declinees des noms partiellement assimiles). La question consiste ä se demander quels sont les moyens mis en oeuvre pour constituer des enonces non equivoques, correctement decodables malgre la presence de ces elements etrangers au systeme. Nous laissons evidemment hors de consideration les innombrables exemples dans lesquels le nom etranger est flanque d'une apposition qui precise sans erreur possible la fonction syntaxique de l'element indeclinable lui-meme; 7 nous en citons un, pris au hasard: Gen. 22,20 VL: ecce peperit Melcha et ipsa filios Nachor fratri tuo Sept.:'Ιδού τέτοκεν Μελχα και αύτη υίούς Ν α χ ω ρ τ ω άδελφω σου. Soulignons que malgre la presence frequente, presque reguliere de Γ article qui, dans le texte grec, done l'original par rapport ä la Vetus Latina, precise entre autres la valeur casuelle de Γ indeclinable, la traduction latine - contrairement ä ce que l'on pourrait peut-etre attendre, n'adjoint que tres rarement un element pronominal qui correspondrait en principe ä Γ article grec. Les exemples suivants illustrent le procede usuel: Gen. 30,9

VL: dedit earn Iacob in mulierem Sept.: εδωκεν αύτη ν τω Ιακώβ γυναίκα Gen. 20,18 VL: in domo Abimelech Sept.: εν τω οϊκω τοϋΑβιμελεχ

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Si je ne me trompe, il n'y a que quatre exemples (dejä releves par Abel 1971: 152) dans les manuscrits de la Genese qui presentent un ipse aupres d'un nom indeclinable. A cote d' une »naturelle« fonction morphosyntaxique, le demonstratif semble conserver dans ces exemples une valeur d'insistance, ou du moins une fonction anaphorique clairement discernable: Gen. 21,17 VL: uocauit angelus domini ipsam Agar de caelo Vulg.: uocauitque Angelus domini Agar de caelo Sept.: εκάλεσεν άγγελος τ ο ϋ θ ε ο ϋ την Αγαρ εκ τοϋ οΰρανοΰ. La rarete meme de ces constructions - malgre le modele grec dont Γ influence aurait pu en accroitre la frequence - montre que le latin ne disposait pas ä l'epoque d'elements pronominaux assez »vides« pour etre utilisables comme pures marques fonctionnelles de caractere morphosyntaxique; eile montre d'autre part que de telles marques n'etaient pas absolument necessaires pour rendre la phrase interpretable. 8 Quelles sont, dans ces conditions, les ressources qui permettent ä la langue de produire des phrases comprehensibles malgre la presence de termes indeclinables? Afin de pouvoir donner une reponse precise, nous devons distinguer clairement deux groupes de cas: ceux dans lesquels il y a un seul nom indeclinable qui se trouve dans une construction dont les autres constituants nominaux ont une declinaison reguliere - et ceux qui presentent deux (rarement plusieurs) indeclinables au sein de la meme construction (syntagme nominal ou bien noyau de phrase, c'est-ä-dire le verbe avec le sujet et eventuellement d'autres complements regis par le verbe). A. Dans les cas ou le noyau de phrase comprend un seul indeclinable, des criteres syntaxiques et le cas echeant semantiques - et la connaissance qu'ont ou sont supposes avoir les interlocuteurs concernant l'univers auquel l'enonce se refere assignent sans equivoque une fonction determinee au nom non decline. Lorsque le

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En latin »correct«, le lien qui unit un nom quelconque et son apposition est normalement materialise par l'accord des deux en cas et nombre, et en genre s'il y a lieu. Dans les cas dont il s'agit cet accord est, par definition meme, impossible, mais d'evidents rapports semantiques et la juxtaposition des deux elements dans la chaine »unissent« les deux noms et definissent par lä meme, pour les interlocuteurs, la fonction syntaxique de Γ element indeclinable. On pourrait parier d'une »grammaticalisation de la juxtaposition«, processus que j'ai evoque avec une terminologie differente dans Herman 1990 [1985b]: 335-336.

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nom indeclinable est sujet, Γ identification de cette fonction est quasi automatique, et les connaissances du decodeur relatives ä »l'histoire« n'ont qu'un role subsidiaire: Gen. 27,41 VL: et minatus est Esaufratri suo pro benedictione Sept.: και ένεκότει Ησαυ τω Ιακώβ περί της ευλογίας. Lorsque la place du sujet est occupee par un nom declinable au nominatif, le semantisme et les possibilites de rection du verbe, et le cas echeant la presence d'un autre complement normalement decline determinent avec clarte le role possible de Γ element indeclinable. Dans l'exemple suivant, la presence d'un sujet et par consequence d'un complement d'objet regulierement caracterises indique nettement, sans meme tenir compte de l'evidence qui repose sur »l'etat des choses« represente, que Cain ne peut etre qu' un datif: Gen. 4,15

VL: posuit dominus deus Cain signum Sept.: εθετο κύριος ό θεός σημείο ν τω Καιν.

Un mecanisme parallele, dans le cas d'un verbe intransitif, assigne egalement un role de datif ä Iacob dans un autre exemple: Gen. 35,9

VL: adparuit deus Iacob iterum in Luza Sept.: "Ωφθη δε ό θεός Ιακώβ ετι έν Λουζα.

L'accord en nombre entre verbe et sujet ajoute ä cette determination une certitude supplemental: Gen. 41,50 VL: Ioseph autem nati sunt filii duo Sept.: Τω δε Ιωσήφ έγένοντο υίοι δύο. Ä l'interieur du syntagme nominal, Γ identification casuelle est en general plus simple qu'au niveau du noyau de phrase: puisque Γ indeclinable designe dans l'immense majorite des cas une personne humaine, le semantisme lui assigne automatiquement une fonction de genitif en face d'un nom declinable denotant un »non8

C'est une constatation qui n'affirme rien de nouveau et corrobore tout au plus ce que - malgre quelques affirmations superficielles ou fantaisistes - la recherche serieuse n'a jamais mis en doute: le fait notamment que l'article proprement dit n'apparait qu'ä une date assez tardive et constitue pour l'essentiel une categorie dejä romane, voir dernierement Selig 1992, passim.

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humain«; en plus, il faut tenir compte egalement de la postposition du genitif, ordre absolument rigide dans ces cas, tout comme dans Foriginal grec. 9 Voici un exemple caracteristique, pris au hasard: Gen. 27,22 VL: uox quidem uox lacob manus autem manus Esau Sept. ( H μεν φωνή φωνή Ιακώβ, αί δε χείρες χείρες Ησαυ Tout cela rejoint - comme d'autres considerations qui vont suivre - les considerations de Pinkster (1988: 90-94) sur le caractere partiellement redondant, le cas echeant la »superfluite« des distinctions morphologiques casuelles. Β. II existe des exemples, point trop frequents, qui presentent plusieurs indeclinables dans le noyau de phrase. Gen. 28,5

VL: dimisit Isac lacob Vulg.: cumque dimisisset eum Isaac Sept.: άπέστειλεν Ισαακ τον Ιακώβ Gen. 29,11 VL: osculatus est lacob Rachel Vulg.: osculatus est earn Sept.: έφίλησεν Ιακώβ τήν Ραχηλ Gen. 31,25 VL: et conpraehendit Laban lacob Vulg.: et conprehendit [eum] Sept.: και κατέλαβε ν Λαβαν τον Ιακώβ Dans tous ces cas, Γ observation d'un ordre SO rendait le message suffisamment clair pour le traducteur anonyme de la VL, sans qu'il ait juge necessaire de recourir ä une marque explicite de la fonction casuelle. II serait trop facile de pretendre que nous sommes en face d'une reprise mecanique de l'ordre des termes adopte par l'original grec: s'il s'agissait de simple servilite, le traducteur aurait trouve un equivalent quelconque ä Γ article qui, en grec, exprime sans equivoque les fonctions casuelles.

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On s'attendrait ä trouver, aupres des indeclinables, une trace au moins de la toumure prepositionnelle avec de, future heritiere du genitif. Dans les textes que j'ai manies en preparant cette etude, je n'ai trouve aucun exemple de cfe+nom de personne indeclinable; j'en ai releve dans la Peregrination d'Egerie avec un nom de lieu: 12,7 episcopus loci ipsius, id est de Segor, dixit nobis ... Väänänen (1987: 37) cite quelques exemples en gros similaires, mais dans lesquels l'expression prepositionnelle marque plutöt l'origine.

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Quand il y a plus de deux indeclinables dans le noyau de phrase, ce qui implique qu'en dehors d'un sujet, il y a deux complements de nature differente, le mecanisme ne joue plus, parce qu'il n'y a pas d'ordre habituel qui departage les deux Ό ' : sans recours aux connaissances qui decoulent du contexte precedent connaissances n'ayant rien de commun avec la competence grammaticale - le lecteur-auditeur serait incapable de discerner lequel, d'Esau et d'Elifaz, est le complement d'objet direct dans l'exemple suivant; alors que Tun des traducteurs de la VL reste impuissant et se resigne ä tolerer l'obscurite de la phrase plutot que d'en modifier les termes essentiels, Jerome se tire finalement d'affaire - comme d'autres avant lui - en reduisant, tout simplement, le nombre des complements possibles ä un seul, qui devient ainsi automatiquement celui d'objet direct: 10 Gen. 36,4

VL: et peperit Ada Esau Elifaz Vulg.: peperit autem Ada Elifaz Sept.: ετεκεν δε Αδα τω Ησαυ τον Ελιφασ.

Lorsque c'est dans un syntagme nominal qu'apparaissent plusieurs indeclinables, l'enonce ne devient pas indechiffrable pour autant, puisque la regle - selon laquelle de deux noms juxtaposes le deuxieme est genitif possessif par rapport ä celui qui precede - permet ä la rigueur de proceder ä un decodage correct. Ce decodage peut cependant devenir assez penible et ne plus relever du tout d'un processus de comprehension automatique et inconscient: le lecteur et plus encore l'eventuel auditeur ont besoin d'un recours au contexte et d'un effort reconstitutif special pour demeler la hierarchie correcte des elements. Voici un exemple peut-etre extreme, mais caracteristique: Hieron. Hebr. quaest. 22,20: primogenitus Melcha uxore eius filia Aran natus est Hus.

Nachor fratris

Abraham

de

Si Jerome avait consenti ä doter Abraham et Aran d'un genitif-datif de type Abrahae - comme l'auraient fait ses predecesseurs anonymes en traduisant la »Vetus Latina« - l'enonce serait transparent. 3. Quant ä certains details des formes et de leur emploi, nous avons essaye de tirer des conclusions chemin faisant et il est inutile d'y revenir. II nous reste cependant

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Notre exemple cite le texte de type »O« de la VL, alors que le texte »italique« est de ja conforme ä la solution de Jeröme. Pour les sigles, voir l'ddition B. Fischer (Genesis, in: Vetus Latina, Freiburg, 1951-1954, p. 28*).

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ä formuler - ou ä redire avec plus de precision - certains enseignements d'ordre plus general qui se degagent du tableau esquisse. A. Notre premiere conclusion d'ensemble se rapporte au rythme et aux tendances du mouvement diachronique de la flexion nominale. On constate avant tout - en analysant Γ integration morphologique des indeclinables - Γ essentielle integrite du systeme nominal qui semble avoir constitue ä l'epoque de laquelle proviennent nos exemples, c'est-ä-dire le IIP et surtout le IV e siecles, un element vivant et necessaire de la competence grammaticale des locuteurs latins (et justement des locuteurs les moins embarrasses de scrupules grammaticaux et de preoccupations de style). Tout cela n'est evidemment pas nouveau, mais constitue un argument de plus contre les theories qui tendent ä reculer vers un passe trop lointain les mutations typologiques subies par le latin dans son evolution vers le roman. Certes, toutes les distinctions casuelles n'avaient pas la meme charge fonctionnelle et la meme »vitalite«, temoin le phenomene de Γ assimilation morphologique partielle de certains indeclinables. II est interessant de relever ä ce sujet la force de resistance particuliere dont font preuve le genitif et le datif, souvent sous la forme d'un genitif-datif commun, seules variantes casuelles vraiment vivantes de certains elements occasionnellement declines. II semble que ces cas representaient les categories les moins redondantes du systeme, celles qui dependaient le moins de la structure rectionnelle et du semantisme particuliers du verbe, le datif etant essentiel ä la fois dans la distinction des divers types de complement et en tant que datif possessif, le genitif en tant que moyen permettant d'organiser les sytagmes nominaux contenant plusieurs noms. On a Γ impression que dans un systeme flexionnel encore vivant, fonctionnant mais - du fait aussi de sa redondance - sujet ä des avatars divers, le genitif-datif s'opposait aux autres cas, prompts ä fusionner en un cas indifferencie. 11 B. La deuxieme conclusion d'ordre general concernerait l'ordre SO, qui apparait des l'epoque que nous envisageons comme indice süffisant de la distinction 'sujetautres complements', sans meme la presence d'une distinction casuelle entre nominatif et accusatif ou le cas echeant datif. Ce qui vient immediatement ä Γ esprit, c'est le celebre »Universal I« de Greenberg (1966: 77): »In declarative sentences with nominal subject and object, the dominant order is almost always one in which the subject precedes the object«. En latin, comme dans de nombreuses autres langues, cette propriete generale du langage coexiste avec un mecanisme qui permet justement de s'en ecarter: une flexion nominale grace ä laquelle les syntagmes nominaux peuvent se deplacer dans la chaine, independamment de leurs fonctions

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syntaxiques. Or, il semble bien qu'au moment oü, meme provisoirement, le fonctionnement de la flexion est suspendu, la regle universelle reprend ses droits et l'ordre »dominant« assume une fonction strictement grammaticale. La grammaire de la periode de transition que nous envisageons se presente ainsi comme un mecanisme ä plusieurs niveaux, avec des regies alternatives dont certaines - appelees ä jouer plus tard un role fondamental - constituent, en cas de besoin, des solutions de rechange.

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II est difficile d'ecartcr des associations entre les particularites que je viens de relever et ce que nous savons, par ailleurs, de revolution grammaticale du latin tardif - meme si ces associations nous conduisent ä des speculations un peu risquees. Nous avons pu, dans un article paru il y a quelques dizaines d'annees dejä, attirer l'attention sur la frequence particuliere du datif possessif dans les inscriptions de la Dalmatie (Herman 1990 [1965]); dans un travail plus r6cent (Herman 1987 ici meme, 33-42) nous avons aborde l'autre »versant« du phenomene, en relevant la frequence de la disparition des distinctions formelles et fonctionnelles entre nominatif et accusatif dans des textes »vulgaires« de la region de Carthage. On sait par ailleurs que le roumain possede aujourd'hui encore une declinaison bicasuelle opposant le genitif-datif ä une forme commune heritiere des autres cas. Tout ceci permet d'imaginer une evolution vers une opposition 'cas general de base < > genitif-datif, evolution assez g6nerale en face de laquelle la future apparition, en Gaule, d'une bicasualite qui oppose nominatif et cas oblique unique representerait une voie un peu exceptionnelle, attendant encore en tant que telle son explication.

DIS MANIBUS. Un probleme de syntaxe epigraphique* 1. Remarques preliminaires J'examinerai le traitement syntaxique d'une formule assez simple qui se presente des dizaines de milliers de fois dans les inscriptions des regions latinophones de PEmpire, Rome en tete. La question peut paraitre anecdotique et peripherique, surtout au point de vue de la linguistique d'inspiration structurale et theorique que nous sommes censes pratiquer en ce lieu, et il semble qu'elle releve plutöt de l'epigraphie que de nos disciplines. J'espere cependant pouvoir montrer que l'analyse de ce point, en effet tres particulier, fournit des indications qui Interessent la grammaire latine et meme la grammaire en general. Contrairement ä ce que vous attendriez peut-etre de moi, je ne parle pas de latin vulgaire, avec ou sans guillemets. Les textes que j'examine se retrouvent partout dans l'Empire, ils varient fort peu entre le I er siecle de notre ere et l'avenement du christianisme; ajoutons que l'emploi de la formule ne se limite pas ä telle ou telle couche sociale ou culturelle: il s'agit done d'un phenomene qui interesse le fonctionnement de la grammaire dans le latin tout court. J'ai l'intention d'examiner les precedes grammaticaux au moyen desquels la formule DIS (ou DlIS) MANIBVS, ou l'une de ses nombreuses variantes abregees, jusques et y compris l'abreviation squelettique DM, est rattachee au texte de l'epitaphe. Avant de nous livrer ä cette analyse, nous devons rappeler brievement les conditions extralinguistiques de Γ usage que nous examinons, de meme que le semantisme et l'arriere-plan conceptuel de notre formule.

* Estudios de lingiiistica latina. Madrid, Ediciones Cläsicas, 1998: I, 3 9 7 - ^ 0 8 .

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2. Qui etaient les Dieux Manes? Les anciens rattachaient le mot ä l'archaique et dialectal manus 'bon', cf. Fest. 146 »Inferi di Manes pro boni(s) dicuntur a suppliciter eos uenerantibus propter metum mortis« (cf. aussi Varron Ling. 6, 2, 4 »bonum antiqui dicebant manum«). Peu importe si l'etymologie est juste ou non; eile Test vraisemblablement, mais quant aux attaches indo-europeennes de l'adjectif manis ou manus, il ne semble pas y avoir de solution generalement acceptee. L'explication conferait en tout cas au nom de ces dieux infernaux une valeur euphemistique ou apotropai'que, et etait justifiee par l'existence, de l'autre cöte de l'echelle des valeurs, de immanis 'effrayant, horrible'; c'est en glosant, justement, un immania de Virgile (Aen. 1,139) que Servius rappelle: »... per antiphrasin 'manes' inferi quia non sint boni«. Car les Manes, pour les latinophones, etaient plutot inquietants et dangereux que bons. Iis constituaient une foule, une masse sombre et indistincte de demons, de divinites et d'ämes multiformes, »die nach Zahl und Wesen unbestimmte Masse der im Totenreiche waltenden Gottheiten«, corame Γ a definie dans son ouvrage fondamental Wissowa ( 1971 [1912]: 239). Et, pour citer Breiich (1937: 22 et passim), ce sont des »spiriti tenebrosi«, des »spiriti della morte«, »una folia nebbiosa, indefinita, della quale la prima cosa che sappiamo e appunto che essa e folla«. Les Mänes etaient, essentiellement, sinistres: Γ atmosphere du nom apparait clairement, pour donner un seul exemple litteraire, chez Virgile et de nombreuses fois dans les epitaphes en vers dont il suffira de citer une: (1)... patuere cauernae non secus ac si qua penitus ui terra dehiscens infernas reseret sedes et regna recludat pallida, dis inuisa, superque immane barathrum cernatur, trepident inmisso lumine Manes (Verg. Aen. 8,242—246). (2) secreti Manes qui regna Acherusia Ditis incolitis (CLE 395). Reste indecise cependant la question - et personne, dans Γ Antiquite meme, n'avait lä-dessus des idees claires - si les Mänes etaient d'emblee les ombres des innombrables morts que l'humanite a laisses sur son chemin ou si, ä l'origine, c'etaient des divinites qui n'avaient rien de commun avec les mortels. Le mot - »plurale tantum«, ce qui est significatif - a tot fait d'evoluer vers une polysemie diffuse. Comme le dit Otto (1958: 71): »... dieser uralte, eine große Gemeinschaft bezeichnende Plural ist in seiner Bedeutung frühzeitig derartig verblaßt, daß es für alles, was das dunkle Reich anging oder ihm angehörte, als Name dienen konnte«. Et en effet une expression comme celle de Virgile {Aen. 10,34)»... quae superi Manesque

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dabant...« semble prouver que le nom pouvait etre utilise ä Γ occasion comme simple synonyme de (di) inferi. Le respect pour cette »sombre masse divine« remonte loin; les droits des Dieux Manes - en tant que proprietaries et protecteurs des tombes et de tout ce qui s'y rattache - sont dejä inscrits, d'apres Ciceron (De leg. 2,22) dans la Loi des XII tables. II semble bien que c'est d'abord ä propos du lieu de sepulture que leur nom est evoque dans les inscriptions funeraires; la formule qui apparait dans (3) dis manibus locum consacrauit (CIL IX 3107) estcourante (pourd'autres exemples, pris au hasard, cf. Wissowa 1971 [1912]: 239, n.6). Ce n'est qu'assez tard que l'invocation aux Dieux Manes apparait sur une tombe en meme temps que le nom de la personne defunte; le premier exemple - ou en tout cas un des premiers - serait (4) L. Caecilio L.f. Rufo ... [sur l'autre face:] dis manibus L. Caecili Rufi (CIL XIV 2464). L'inscription remonte ä la fin de l'epoque republicaine selon certains, au debut du regne d'Auguste selon d'autres: eile est en tout cas assez precoce, puisque la masse des exemples n'apparait qu'au cours des premiers siecles de l'Empire. La formule ne sera tout ä fait courante que vers la fin du I er siecle de notre ere, et surtout au IIe, pour le rester jusqu'ä I'apparition massive des inscriptions chretiennes, tant et si bien que sa presence est parfois utilisee en epigraphie comme element - assez vague - de datation. L'extension de la formule entraine naturellement des variations de nature epigraphique qui ne presentent pas d'incidences linguistiques particulieres. Les diverses abreviations et bientöt la simple forme DM se repandent, sans qu'une de ces variantes arrive ä un usage exclusif. Dans certains cas, on adjoint ä la mention Dis Manibus ou DM des voeux plus circonstancies (memoriae aeternae, perpetuae securitati et similaires); ces formules sont normalement coordonnees ä DM, le plus souvent par et, ce qui veut dire qu'elles sont incluses dans le meme geste de dedicace ou de consecration. Des le II e siecle il existait, ä ce qu'il semble, des plaques prefabriquees qui portaient d'emblee les lettres D et Μ, et des sarcophages sans inscription qui les presentaient dejä sur le couvercle; on peut citer ä cet egard l'enseigne commerciale de Rome (5) DM titulos scribendos uel si quid operis marmorari opus fuerit hie habes (CIL VI 9556).

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Or, l'apparition de la formule sur les epitaphes, conjointement au nom du defunt, eut d'inevitables consequences semantiques, car cet emploi remettait en question, pour ainsi dire, les rapports entre les Mänes et les humains, morts ou sur le point de l'etre. Les Mänes, nous l'avons dit, sont essentiellement sinistres; implacables aussi, ils choisissent avec cruaute leur proie et ne la lächent jamais (toujours Virgile, dans les Georgiques, 4,489: »... dementia cepit amantem, ignoscenda quidem, scirent si ignoscere Manes«). Pourtant, du moment qu'on les evoque ä propos d'une personne bien-aimee, on leur attribue facilement des traits plus doux, le pouvoir - et la volonte - de faciliter le passage du defunt vers le regne des morts, de lui rendre »la terre plus legere«; on lit, pour citer deux exemples dont le premier est tres precoce (milieu du I er s. avant J.C.): (6) te di manes tui ut quietam pat[ia]ntur atque ita tueantur opto (CIL VI 1527 (d 69)), (7) uos precor ο Manes sit mihi terra leuis (CLE 1117). C'est sans doute ä la suite de ce deplacement et de cet enrichissement de sens que Γ invocation aux Mänes se double souvent de voeux pour la tranquillite et la paix du defunt. Les Mänes sont desormais accessibles ä la priere: »carmine di superi placantur, carmine Manes«, ecrit Horace (Epist. 2,1,138). Ce premier mouvement semantique, important sans doute du point de vue de la psychologie religieuse, n'a aucune incidence sur la syntaxe de la phrase. On observe cependant un autre deplacement setnantique, susceptible de prolongements grammaticaux. Gräce ä l'emploi de D(is) M(anibus) dans des inscriptions funeraires, conjointement au nom du defunt, une tension qui a toujours existe dans le semantisme du terme manes se manifeste d'une fa^on pour ainsi dire explicite. Le terme designait en effet, d'une part - et sans doute originellement une sorte de divinite funeraire collective, composee de demons et d'esprits sans nom et sans visage. Dans cette foule difforme, on distingue desormais des groupes qui sont lies ä une certaine personne, tout comme les Dii Parentes, divinites evoquees bien plus rarement. Quand on lit des inscriptions comme nos exemples (6) et (7), il s'agit de Mänes qui »s'occupent« de la personne defunte, qui sont cruels ou doux ä son egard, qui dans ce sens lui sont affectes, lui appartiennent, mais qui ne sont evidemment pas identiques avec elle ou avec son »äme« puisqu'ils sont justement appeles ä l'aider. Inevitablement d'ailleurs, le mot en vint ä designer le mort lui-meme, ce qui restait de sa personne, son cadavre, son »corps spectral« ou son »äme«; dans les inscriptions, c'est relativement rare, les exemples que Ton cite ä cet egard sont plutöt litteraires, et le mot y figure en lui-meme, et non pas dans la

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formule que nous examinons. C'est le cas de »... patris Anchisae manes ...« chez Virgile (Aen. 10,534), fort souvent chez Ovide, ou, tres clairement, chez Properce: (8) sunt aliquid Manes, letum non omnia finit, luridaque euictos ejfugit umbra rogos (Prop. 4,7,1-2). En somme, le terme couvre, malgre Γ imprecision d'ensemble des conceptions relatives ä I'autre monde, deux aspects differents et essentiellement distincts des forces qui le gouvernent: il designe, d'une part, la foule, la masse d'ensemble des innombrables demons ou esprits qui peuplent l'outre-tombe, et, d'autre part, les esprits lies en quelque sorte individuellement ä la personne du mort, jusqu'ä etre identifies, dans de rares cas, avec ce dernier. 3. Place syntaxique de la formule D(is) M(anibus) dans le texte de l'epitaphe Du point de vue de l'insertion de la formule dans le texte de l'inscription, on distingue facilement deux grands groupes, distinction qui a dejä ete indiquee dans la litterature et egalement dans certains manuels d'epigraphie. 1. II y a, d'une part, des cas dans lesquels la formule ou son abreviation est syntaxiquement integree ä la phrase qui constitue l'epitaphe; cette integration s'opere grace au fait que le nom du defunt apparait, apres la formule, au genitif, les mots DIIS MANIBVS et le nom de personne constituent ainsi un syntagme possessif. Je cite quelques exemples pris un peu au hasard: (9) Diis Manibus sacrum C. Taciti... uixit ann. XVII... parentes filio optimo et piissimo fecerunt (CIL VI 2477). (10) DM Cn. Domiti Patrocli Domitia Leto coniugi optimo (CIL VI 16959). (11) DM et perpetuae securitati Aeli Sabini pecuari leg(ionis) I ad(iutricis) Plotia Vlpia coniugi ßaciendum) c(urauit) (RIU 508). (12) Aram DM et innocentiae Hipponici ser(ui)... parentes (posuerunt) (CIL XIII 6808). Cette Variante, avec D(is) M(anibus) integree dans un sytagme du texte, constitue d'ailleurs une minorite ä toutes les epoques et dans toutes les provinces, minorite pourtant omnipresente et point exceptionnelle dont la proportion, selon mon experience, varie entre 3^1% et 20-30%. De toutes manieres, les cas se comptent sans doute par milliers.

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Le schema est clair: »DM + nom propre au genitif, avec ou sans le predicat sacrum« constitue une proposition coordonnee suivie d'une nouvelle proposition, avec les noms des parents au nominatif, celui du defunt (ou un element renvoyant au defunt) au datif et un predicat verbal (posuit, posuerunt, fecit etc.) dont la presence en surface n'est pas obligatoire. C'est la la forme la plus simple, comme eile apparait dans notre exemple ( 10). Des formes plus complexes peuvent se greffer sur cette base: une subordonnee supplementaire, comme dans (9), donnant des precisions ulterieures au sujet du defunt et dans laquelle son nom, s'il est exprime, figure au nominatif, adjonction d'autres elements nominaux au datif apres DM (p.e. perpetuae securitati, innocentiae, cf. les exemples 11 et 12) et, plus rarement, Γ integration du syntagme »DM + genitif« dans la proposition qui rend compte de Taction des survivants, constituant ainsi une seule phrase structuree (12). 2. Dans un deuxieme grand groupe de cas, DIIS MANIBVS ou les formules abregees ou amplifiees qui en derivent constituent une invocation separee, non integree syntaxiquement au texte de l'epitaphe. C'est une formule de dedicace, qui confere ä la pierre un caractere funeraire et sacre, offre la tombe aux Dieux Manes dans leur generali te, sans preciser leurs liens avec le defunt. Le texte de Γ inscription est syntaxiquement autonome, constitue une phrase plus ou moins complexe, et ne se refere nullement, en lui-meme, aux Dieux Manes. On peut distinguer deux sous-groupes: A. Le nom du mort est enonce au nominatif et suivi des indications d'usage. Apres, dans une espece de structure coordonnee, le texte indique, au nominatif egalement, les personnes qui ont fait eriger la pierre. (13) DM M. Aur. Auitianus milis leg(ionis) I ad(iutricis) milit(auit) ann(is) XI uixi(t?) annis XXXI Gemella mater eius M. Aur. Genialis secundus aeres (= heres) flaciendum) c(urauerunt) (RIU 720). (14) Diis Manibus Amerimnus uixit ann II mens V Helix uixit arm V mens VI filis b(ene) m(erentibus) Amerimnus Caesaris (seruus) (CIL VI 11543). Ajoutons que ce type A, realisant une independance pour ainsi dire totale du texte vis-ä-vis de la formule d'invocation, est relativement rare, et rappelle des structures plus archa'iques dans lesquelles la formule DM etait encore inconnue. B. II est bien plus courant de trouver le nom du defunt au datif, accompagne du nom - au nominatif - de la personne qui a fait eriger la pierre. La phrase peut commencer par le nominatif, c'est-ä-dire le nom de celui qui a fait graver l'epitaphe; c'est le cas lorsque ce dernier a fait construire la tombe pour lui-meme, de son vivant (exemples 15 et 16); dans ces inscriptions, le datif reprend le nomi-

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natif initial plus tard, sous une forme pronominale. Dans la majorite des cas, c'est par le nom du mort, done par Ie datif, que commence le texte, le nominatif suit (17-21). (15) DM C. Iul. Longus uet(eranus) leg(ionis) I ad(iutricis) CI. Secundinae coiugi et sibi uiuo fecit (RIU 739). (16) Diis Manibus A. Auillius Syneros fecit sibi et Auilliae Trophime Libertae suae (CIL VI 12915). (17) DM Μ. Iul. Proculo uet(erano) leg(ionis) I ad(iutricis) ... liberti etheredes ... fac(iendum) cur (auerunt) (RIU 692). (18) DM Aur. Proculino mil(iti) q(ui) uixit annos XXXV dies L ... parentes filio karissimo posuerunt (RIU 1031). (19) DM Chrysidi puellae fecer(unt) Iulius Clarus et Iulia Nice ancillae b(ene) m(erenti) (CIL VI 14781). (20) Diis Manibus Flauiae Helpidi T. Flauius Herma coniugi sanctissimae (CIL VI 18357). (21) DM etperpetue securitati Aeliae Vitaline coniugi inconparabili... maritus ßaciendum) c(urauit) (RIU 763). Dans la masse des inscriptions de type D(is) (M)anibus celles que nous avons classees dans le groupe 2, e'est-a-dire celles qui presentent la formule sans Γ integrer syntaxiquement dans le texte meme constituent la tres grande majorite. II serait possible d'avancer, ä ce sujet, une explication fort simple: la presence de la formule obeissait ä des habitudes machinales, ä une tradition dont on ne comprenait plus le sens, on acceptait done un schema prefabrique, dans lequel on inserait Γ inscription elle-meme. II est difficile de croire, cependant, que ce füt lä une acceptation tout ä fait passive. Les acheteurs voulaient, choisissaient une plaque ou un sarcophage, muni des lettres DM, parce que cela correspondait ä un usage qui etait aussi le leur, parce que ces lettres leur »disaient quelque chose«. En cherchant, d'autre part, un sens ä cette bipartition, il serait egalement facile de l'attribuer ä une evidente differenciation semantique 1 : dans la plupart des cas predominait le sens »general« du terme Manes, e'est-a-dire qu'on evoquait la masse des divinites d'outre-tombe dans leur ensemble, sans en »privilegier« un groupe ou un element, recommandant le sepulcre ä leur protection collective et leur confiant le defunt. Dans ce cas (notre groupe 2), il etait normal que

1

Cette distinction entre les deux interpretations semantiques possibles ou apparentes de l'expression a dejä ete entrevue et brievement analysee par J. B. Poukens (La Revue Beige 16 [1912], 172-173).

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la phrase füt elle-meme independante de cette invocation, en contenant le nom du defunt au datif ou au nominatif selon les contraintes syntaxiques internes du texte. Dans d' autres cas (notre groupe 1), il s'agissait par contre, pour le redacteur du texte, non pas de la masse difforme de ces divinites souterraines, mais d'un groupe proche, familier de Mänes, protecteurs designes de la personne qu'on venait d'enterrer, groupe qui accueillera le mort comme un des siens, et on pensait merae, confusement, ä l'esprit du mort qui fera part de la foule des Mänes. Dans ce deuxieme cas, s'imposait l'emploi du genitif, faisant ressortir le lien d'appartenance et integrant le mot Manes au texte. Tout cela ferait entrevoir des differences vivantes dans les conceptions que Γ on pouvait avoir de l'outre-tombe, et presque des courants dans les croyances religieuses. Cela serait trop beau - l'analyse linguistique semble conduire ä une analyse moins spectaculaire, mais aussi moins simple. 4. Ambiguites et troubles syntaxiques Notons d'abord que les noms de personnes de la premiere declinaison, done les noms feminins qui apparaissent avec la terminaison -ae, pourraient etre d'un point de vue purement formel genitifs aussi bien que datifs; si nous sorames enclin ä les »lire« automatiquement comme datifs e'est parce que le datif, dans cette position, est generalement plus frequent. Ainsi, nous n'hesitons pas ä considerer que, dans un cas comme (22) DM et memoriae Anniae Lupae quae uixit annis Villi mens XI dieb XVI ... parentes filiae carissimae/(aciendum) c(urauerunt) (RIU 755), le nom de la defunte est au datif, et la formule DM n'est pas integree, malgre la presence de memoriae, qui appelle facilement le genitif. Si on examine, cependant, les cas oü les formes en -ae doivent s'accorder avec un element nominal dont la declinaison permet de distinguer le datif et le genitif, on se rend compte que l'ambivalence etait effective: parfois (exemples 23 et 24) la forme en -ae s'interprete comme datif, dans d'autres epitaphes comme genitif (exemples 25 et 26): (23) Diis Manibus Baebiae Saturae et Μ. Catonio Threpto ... (CIL VI 13493). (24) Diis Manibus Claudiae Saeclari... (CIL VI 15580). (25) Diis Manibus Iuliae Masuetae et Graecini filii Martialis ... (CIL VI 6621). (26) Diis Manibus Italiae et Trophimes ... item Hamilli... (CIL VI 19730). Ce dernier exemple attire dejä notre attention sur les noms, surnoms ou »signa«

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grecs, tres frequents ä Rome, dont la forme »qualifie« la forme en -ae ä laquelle eile se joint; or nous avons, avec l'element grec au datif: (27) Dis Manibus Cassiae Laidi P. Annius Herma coniugi karissimae (CIL VI 14543),

fecit

et nous avons d'autre part, avec l'element grec au genitif: (28) Dis Manibus Cassiae Lochiadis (CIL VI 14546), et il existe des centaines de possibilites de contraposition similaires. II est inutile d'aligner des exemples: il semble clair que les formes en -ae etaient syntaxiquement ambigues, elles n'excluaient ni Γ interpretation par un datif, ni celle par un genitif. Pour d'evidentes raisons morphologiques, la distinction entre genitif et datif restait claire dans le cas des noms masculins. On n'oubliera pas, pourtant, que cette consequente distinction morphologique n'en presentait pas moins une legere ambigui'te fonctionnelle: il est connu que, des Plaute, le datif dit »sympatheticus« presentait une variete d'emploi dans laquelle, comme le dit fort bien Serbat (1996: 162) »le Iocuteur aurait logiquement le choix entre Dfatif] et Genitif complement du nom (ou adjectif possessif)«; on sait aussi (cf. dernierement Herman 1997: 68-69, la contribution fondamentale restant naturellement Löfstedt 1928: 164 sqq.) que ce datif »possessif« a gagne en frequence dans la latinite tardive. Rien n'interdit de penser que, les tournures avec le genitif aidant, un datif comme celui dans notre exemple (18) Aurelio Proculino militi ait presente, pour certains locuteurs, un lien »privilegie« (d'appartenance, de possession, de relation habituelle) avec la formule DM qui precedait. II n'est pas etonnant, dans ces conditions, qu'il y ait eu un certain nombre de cas »troubles« dans lesquels des syntagmes pourtant coordonnes se trouvaient ä deux cas differents: (29) DM Mettii Atissi et Carisiae Athenaidi karissimis fecit (CIL VI 22477).

Volumnia Romula

parentibus

Dans ce cas, on pourrait penser que le datif inevitable de la clause finale (Volumnia Romula parentibus karissimis fecit) ait ete anticipe par la »rechute« au datif du deuxieme syntagme. Mais une semblable interpretation est ä exclure dans les exemples suivants:

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(30) Dis Manibus A. Liui Libani et Liuiae Ariadine uxori eius (CIL VI21398). (31) [DM] et memoriae Aeternae Perpetuiae (sic) Seuerae ciuis Agripinensis matri eximiae pietatis (CIL XIII 6968). II serait sans doute errone de taxer ces cas de »vulgarismes«, ä moins que Ton ne considere comme vulgarismes tous les cas d'inattention, psychologiquement motivables, dans l'application des regies usuelles. En effet, les syntagmes coordonnes sont corrects en eux-memes, leurs termes s'accordent quand il y en a plusieurs. II semblerait plutöt que l'homophonie effective du genitif et du datif au singulier des noms de la premiere declinaison correspondait, dans ces constructions, ä une reelle ambigu'ite de sens, ä la coexistence et l'interpenetration, dans la conscience ou l'imaginaire des locuteurs, de deux conceptions logiquement differentes du monde extralinguistique auquel ces formules epigraphiques se referent. En principe, de deux choses l'une: ou bien on considere les Manes comme une multitude difforme, protecteurs de la tombe et futurs maitres et compagnons des humains; dans ce cas, on prononce 1'invocation, et puis apres et independamment de Γ invocation, on parle du mort, de ses qualites, de son äge, des personnes qui se sont occupees de son sepulcre. Ou, au contraire, les Manes dont on parle sont lies au defunt par un lien privilegie, personnel jusqu'au point de s'identifier avec lui, ce qui exigerait l'integration du nom des Dieux Manes dans le syntagme, en etablissant un lien syntaxique possessif entre le nom du mort et l'invocation. Le probleme, c'est que les locuteurs ne se rendent pas clairement compte de Γ existence de deux constructions grammaticales differentes, les confondent meme assez souvent, parce que les deux conceptions correspondant aux deux constructions syntaxiques, tout en etant contradictoires, se chevauchent et s'entremelent dans leur monde imaginaire. A la suite des flottements fonctionnels qui font parfois deliver le datif vers un sens possessif, les distinctions morphologiques bien nettes du masculin ne constituent pas un contrepoids efficace capable de neutraliser Γ incertitude fonctionnelle des noms feminins. Finalement, les seules constructions qui semblent renfermer une sorte d'option claire sont les rares cas appartenant ä notre groupe 2A (exemples 13 et 14), done les epitaphes qui presentent le nom du defunt au nominatif, et au nominatif egalement celui des survivants qui ont fait dresser la pierre: dans ces cas, »l'exteriorite« des Mänes par rapport ä la personne du mort est indiquee sans equivoque. Certes, il y a egalement des cas de confusion syntaxique qui ne demandent pas une explication aussi nuancee, ou il s'agit effectivement de »vulgarismes«, resultats de confusions formelles entre genitif et datif - ce qui n'etait pas le cas dans les exemples examines jusqu'ici. Ces cas se presentent plutöt au masculin, et resultent presque toujours de Thomophonie des terminaisons du genitif de la deuxieme declinaison 0domini, done i long) et du datif de la troisieme (militi). Nous avons des cas comme

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(32) DM Senni Metili Treueri negotiatori corporis splendidissimi Cisalpinorum ... fabro tignuario (CIL XIII 2029). (33) DM M. Aureli Faustini infantis dulcissimi et incomparabili qui ... (CIL XIII 2073).

5. Conclusions Comme il ressort clairement de mes citations, cet expose, fonde sur un millier ä peine d'exemples puises dans les materiaux de trois territoires ou provinces (Rome, la Pannonie et la Gaule) est loin de constituer un traitement exhaustif du probleme. Des lectures plus ou moins etendues dans d'autres ensembles epigraphiques m'autorisent ä supposer, cependant, que des statistiques systematiques, tout en enrichissant le tableau, tout en fournissant des exemples meilleurs et quelques details nouveaux, ne modifieraient pas essentiellement le »message« d'ensemble. Je crois done pouvoir conclure par quelques observations generates. La crise, le flottement et les incertitudes du choix entre genitif et datif, et, par consequent, entre deux constructions differentes de la phrase epigraphique ne sont pas, contrairement ä ce que Ton penserait au premier abord, une crise ä proprement parier grammatical; eile η'a rien ä faire (sauf pour les deux derniers exemples auxquels je reviendrai) avec la deperdition du paradigme nominal, les confusions banales entre genitif et datif dont tous les manuels et toutes les monographies relatives au latin dit vulgaire donnent de nombreux exemples; la crise est une crise d'interpretation, le resultat d'un fort interessant »desarroi cognitif«: si dans de nombreux cas e'est le systeme linguistique qui n'est pas ä la hauteur des distinctions que les locuteurs auraient besoin d'exprimer, ici, e'est le contraire qui se produit: la distinction »Offerte« par la grammaire est trop fine, trop precise pour Γ image que les locuteurs se font de la »realite« denotee. Le monde des Mänes etait pour les locuteurs un monde trouble, les relations entre Mänes et humains etaient difficiles ä definir avec la precision, bien relative, qu'aurait apportee l'emploi consequent et conscient soit du genitif, soit du datif, des interpretations divergentes etaient concevables dans des cas pourtant identiques: de lä le caractere un peu fortuit du choix entre les deux constructions et, souvent, leur contamination reciproque. Nous connaissons d'autres cas de »desarroi cognitif«: la difficulte, par exemple, ä distinguer la cause et le but (puisque le fait de se fixer un but peut etre coru^u comme la cause de 1'action qu'on entreprend - j'y vais pour voir mon pere - j'y vais parce que je veux voir mon pere) impregne toute l'histoire des prepositions et des conjonctions romanes, et non seulement romanes.

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Certes, cette crise cognitive »rencontre« sur certains points Γ incertitude croissante avec laquelle les locuteurs maniaient le systeme casuel, et en particulier les confusions morphologiques et fonctionnelles qui effacent la limite de toutes fagons un peu flottante, sur certains points, entre l'emploi du genitif et celui du datif. II est peutetre interessant ä noter, ä cet egard, que ces exemples de confusion dejä grammaticale se relevent surtout, avec facilite meme, dans les provinces, en Gaule, en Pannonie, ailleurs aussi, et tres peu, presque pas ä Rome. Je ne veux pas dire par lä qu'il s'agisse d'un fait dialectal, loin de lä, je crois cependant que le fait est ä relever. Cependant, le dilemme est un dilemme de la langue traditionnelle, c'est un dilemme que j'oserais appeler classique, et qui ne sera resorbe qu'avec la disparition de la formule, due en denifitive - malgre sa survivance sporadique et comme machinale dans certaines epitaphes chretiennes precoces - ä l'avenement du christianisme.

III. SITUATION LINGUISTIQUE ET CONSCIENCE LINGUISTIQUE

Naissance de la Romania (Notice sur la decouverte de la parente des langues romanes)*

1. Nos connaissances relatives aux choses de ce monde apparaissent en regie generale sous une forme qui n'est pas celle de l'objet meme auquel elles se rapportent. Car le savoir humain revet, pour etre conscient et communicable, la forme d'une langue, alors qu'il se refere normalement ä un element non-linguistique de l'univers. Les connaissances qui ont pour objet la langue - ou une langue represented par contre un cas particulier, essentiellement »non normal«, avec une structure epistemologique et logique fort complexe, surtout lorsque, dans l'analyse et la description, on se sert de la meme langue naturelle que celle que Γ on souhaite analyser et decrire.1 Cette complexite, tres reelle quand on considere les bases epistemologiques de la science du langage, n'a cependant jamais entrave la pratique de la recherche - ni d'ailleurs la simple reflexion - grace ä Γ extreme souplesse des langues naturelles qui, moyennant quelques precautions elementaires dans Γ expression, permettent de dire tout ce qui est dicible, jusques et y compris des enonces »autoreflexifs«. II y a, sur d'autres points, des difficultes bien plus insidieuses. Le savoir relatif ä la langue - la langue en general et chaque langue prise en elle-meme - comporte en effet de nombreuses couches; la linguistique et la grammaire en font evidemment partie, mais une partie relativement infime, liee par des transitions tantöt insensibles, tantöt abruptes ä d'infmies varietes du savoir ou du pseudo-savoir na'if, non-scien* Traduit d'un original en hongrois: »A Romania születese (Jegyzetek az üjlatin nyelvrokonsäg felfedezesenek törtenetehez)«, Ältalänos Nyelveszeti Tanulmänyok 12 (1978), 133-143. 1

J'evite, pour le moment du moins, le terme »metalangue«, qui a sa place bien definie dans la logique moderne, mais dont l'emploi, dans le cas des langues naturelles, necessiterait, pour etre plus qu'une metaphore, une analyse prealable; par commodite, j'utilise cependant, entre guillemets, l'adjectif »metalinguistique«, equivalent de »relatif ä la langue«.

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tifique, qui peut etre traditionnel et collectif aussi bien qu'occasionnel et individuel, et qui se manifeste dans les remarques et les observations des enfants et des analphabetes aussi bien que dans les raisonnements des esthetes. Le contenu de cette riche conscience linguistique collective n'est determine que partiellement par les proprietes effectives de la langue ä laquelle elle se rapporte; il est modele en meme temps par d'innombrables autres facteurs, d'autres elements de la conscience collective: traditions et prejuges, options politiques, influence du »gout«, de la mode, d'opinions et de croyances diverses, et porteuses, le cas echeant, d'une certaine charge emotionnelle. Et, dans I'interaction entre ces multiples segments des connaissances relatives ä la langue, la linguistique ne joue pas toujours - disons plutot pas souvent - un role determinant. Le reseau de ces facteurs se dessine avec nettete lorsqu'il s'agit du probleme de Γ unite et de la multiplicite des langues, de la constatation de ressemblances et de differences entre langues (et dialectes): les traits objectifs qui prouvent l'identite d'une langue avec elle-meme et sa non-identite par rapport ä une (ou plusieurs) autres se refletent dans des regions de la conscience qui sont influencees, en meme temps, par l'appartenance du locuteur ä tel ou tel groupe humain, ä telle ou telle collectivite. Or, de toute evidence, il s'agit ici d'opinions et de croyances qui sont rarement exemptes d'affectivite, car de nombreux elements de la conscience linguistique se relient ä des jugements de valeur relatifs au groupe auquel on appartient, ou croit appartenir, et aussi au jugement que Γ on porte sur des groupes autres que le sien propre. 2 Ajoutons que tout ce savoir »nai'f« n'est le plus souvent pas pleinement conscient en tant que tel, il n'est pas necessairement explicite, il se manifeste plutot indirectement, sous le couvert de comportements, d'actions, de jugements en apparence non-linguistiques. Tout cela, nous semble-t-il, est vrai pour toutes les families, tous les groupes de langues - les langues romanes ont simplement l'avantage, grace ä la richesse et ä la continuite exceptionnelles de la documentation qui les atteste et les entoure, d'offrir ä la recherche un champ d'observation particulierement favorable et instructif. 2.1. Dans la Divine Comedie, nous rencontrons un seul personnage non-italien ä qui Dante concede le privilege de prendre la parole dans sa langue natale: au

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Ce qui vient d'etre expose se rattache, dans une certaine mesure, aux opinions exprimees par Η. M. Hoenigswald, »A proposal for the Study of Folk-Linguistics« dans Sociolinguistics ( ed. W. Bright, The Hague&Paris, 1966, pp.16-26). Pour les vues sur la multiplicite des langues, on dispose actuellement du volumineux ouvrage d'Arno Borst (Der Turmbau von Babel, I-III, Stuttgart, 1957-1963) qui offre ä la reflexion des materiaux d'une imposante richesse.

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Purgatoire, le troubadour Daniel Amaut, prestigieux representant du trobar clos, repond ä Dante en pro venial. Les huit vers du texte provensal (Purgatoire XXVI, 140-147) s'inserent dans leur entourage italien sans heurt, ä l'aide de rimes parfaites - on observera simplement que les rimes interieures des tercines en provenijal, celles qui ne se rattachent pas aux vers Italiens qui les precedent et suivent, sont des rimes masculines, alors que, dans le texte en italien, predomine tout naturellement le verso piano: El cominciö liberamente a dire »Tan m 'abellis vostre cortes deman, qu'ieu ne me puesc ni voill a vos cobrire. leu sui Amaut, que plor e vau cantan; consiros vei la passada folor, e vei jausen lo joi qu 'esper, denan. Ara vos prec, per aquella valor que vos guida al som de l'escalina, sovenha vos a temps de ma dolor!« Poi s'ascose nelfoco che Ii affinal 2.2. Produire un texte versifie en plusieurs langues n'est pas, en soi, une innovation: haussant Γ artifice au niveau de son message, Dante recourt magistralement ä une technique dejä utilisee, environ un siecle plus töt, dans un style enjoue et avec l'intention d'une innocente raillerie, par un poete bien moins important que lui, mais toujours un poete de marque, le troubadour Raimbaut de Vaqueiras. Dante, que nous sachions, ne le mentionne nulle part, mais il y a des chances qu'il ait rencontre sur son chemin des poemes de Raimbaut. 4 Ce qui ne doit pas faire supposer

3

La traduction que je fournis des vers en provengal (ici et dans les notes suivantes) n'ont aucune pretention litteraire; je m'efforce de rester aussi pres que possible du texte, tout en me cantonnant dans les cadres d'un fran£ais grammatical et lisible. »Voire courtoise demande me plait ä un tel point que je ne puis ni ne veux me couvrir[de secret] devant vous. Je suis Amaut, qui pleure et avance en chantant, je regarde soucieux [majfolie passee et je prevois avec jubilation la joie que j'espere et qui est devant moi. En ce moment je vous prie par la force qui vous guide vers le sommet de l'escalier, souvenez-vous le moment venu de ma douleur«. Ce texte nous a ete legue avec de nombreuses variantes manuscrites qui en modifient le sens meme sur certains points dc detail. Les analyser ici nous conduirait loin de notre propos.

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Sur Raimbaut de Vaqueiras, voir recemment Martin de Riquer, Los trovadores. Hist. lit.y textos, Barcelona, 1975, 811-815, avec bibliographie. Rappelons que Raimbaut a passe la majeure partie de sa vie de chevalier dans l'entourage du marquis Boniface de Montferrat, beau-frere de l'Empereur et chef de la quatrieme croisade, et qu'il a trouve sa mort dans les Balkans, vraisemblablement entre 1205 et 1207.

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que Dante ait ete inspire par le modele que fournissait ce troubadour ou tel autre: il disposait en lui-meme de tous les moyens necessaires pour frayer ce chemin et, d'ailleurs, la »polyglossie« de la poesie n'etait pas, ä son epoque, une nouveaute. Le merite et l'interet de Raimbaut reside dans le fait qu'il avait ete, que nous sachions, le premier ä employer deux ou meme plusieurs langues dans le cadre d'un seul poeme, et ä utiliser cette technique comme moyen d'expression litteraire conscient et voulu. II convient de se demander quelle etait la situation linguistique, la situation communicative qui rendait ce precede possible et son efficacite assuree, et quel etait le »monde metalinguistique« qu'il nous revele. 2.3. Du point de vue qui nous occupe, on citera deux parmi les poesies de notre troubadour. La premiere est une tenso, creee parait-il vers 1190, qui nous presente le dialogue imaginaire du poete et d'une dame de Genes: Raimbaut assiege la dame en amoureux passionne, et celle-ci, inlassablement, lui repond pour le refuser. Les strophes qui presentent les propos du poete sont, naturellement, en provenfjal, celles qui contiennent les paroles de la dame sont redigees - et c'est la l'innovation - en genois, done dans un dialecte italien du Nord-Ouest. Nous reviendrons encore ä ce poeme, nous nous contentons d'en citer ici un echantillon: la premiere moitie de la premiere strophe (propos du poete) et les cinq premiers vers de la deuxieme (qui est done la premiere en italien). Domna tant vos ai pregada si'us platz, qu'amar me voillatz, qu'eu sui vostr'endomeniatz, quar es pros et enseingnada. Iuiar, vois no se 'corteso qi me chaideiai de zö que negota no'η faro; ancefossi voi apesso, vostr'amia non sero.5

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(texte provenfal) Dame, je vous ai tant priee de bien vouloir m'aimer, si cela vous plait, que j'en suis devenu votre vassal, car vous etes valeureuse et pleine de bonnes manieres ... (texte en dialecte de Genes) Jongleur, vous n'etes pas courtois en me demandant cela, car je ne ferai rien de semblable, et meme si vous (la traduction »fussiez pendu« qui s'imposerait fait peu de sens) je ne serais pas votre amie«. Je cite les textes de Raimbaut sur la base du texte fourni par la Provenzalische Chrestomathie de Carl Appel (Leipzig, 2 e ed., 1902).

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Le deuxieme poeme, justement celebre, est un descort en cinq langues: le troubadour nous dit ses soucis d'amoureux en provengal d'abord, puis, dans la deuxieme strophe, en italien (avec des traits dialectaux du Nord-Ouest), dans la troisieme en fran9ais, puis, ä tour de röle, en gascon et finalement en portugais (ou plutöt, vraisemblablement, en galicien). Dans la derniere strophe enfin, le poete change de langue de deux vers en deux vers, pour faire reparaitre tous les idiomes utilises. A titre d'illustration, je cite la premiere strophe en entier, puis les quatre premiers vers de chaque strophe (la derniere exceptee): Eras quan vey verdeyar pratz e vergiers e boscatges, vuelh un descort comensar d'amor, per qu'ieu vauc aratges; quar ma domna'm sol amar, mas camiatz l 'es sos coratges, per qu'ieu vuelh dezacordar los motz e'ls sos e'ls lenguatges. (italien) Eu son quel qe ben non aio ni ia mai non I 'avero ni per abril ni per maio si per ma donna no I 'o (fran9ais) Bele douce dame chiere a vos mi doin et m 'otroi; ja η 'avrai mes joi 'entiere, si je η 'ai vos e vos moi. (gascon) Dauna io mi rend a bos, coar sotz la mes bon' e bera q'ancfos, e gailhard'e pros ab qe no'mfossetz tanfera.6 6

Je cite ainsi, en suivant le texte d'Appel; il est cependant important de noter que plusieurs manuscrits, en suivant une orthographe plus tardive, ecrivent, aux vers 3 et 4 du texte gascon, hos, hossetz et hera, et refletent ainsi l'affaiblissement gascon d e / i n i t i a l .

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(portugais - galicien) Mas tan temo vostro pleito, todo'n soi escarmentado, por vos ei pen 'e maltreito e'l meo corpo lazerado? 2.4. Une analyse esthetique du procede serait hors de notre propos et hors de notre competence. Rappelons simplement que, dans le descort, le poete lui-meme presente le melange de langues comme une expression de sa confusion et de son desarroi; selon une logique similaire, l'opposition des deux langues dans la tenso correspondrait ä celle de deux mondes et de deux attitudes, celle du troubadour et celle de la bonne bourgeoise de Genes. En realite, la fonction expressive est plutot un pretexte: l'essentiel semble bien etre la virtuosite technique, qui »faisait passer« et goüter, grace ä une surprise amüsante, une matiere poetique effectivement peu exigeante et sans nouveaute. Mais cette virtuosite n'est pas le jeu gratuit d'un poete isole, elle reflete plutot certains traits d'une situation socio-culturelle et socio-linguistique parfaitement reelle et aussi une attitude et des connaissances »metalinguistiques« concernant le provensal et les autres langues en presence. Voilä ce qui, de notre point de vue, meriterait d'etre approfondi. 8

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Essai de traduction: (proven^al) Voyant verdoyer les pres, les vergers et les bocages, je veux commencer un 'descort' de I'amour qui me fait errer dans tous les sens; car une dame avail de I'amour pour moi, mais son coeur a change, je fais done desaccorder les mots, les sons et les langages; (italien) Je suis celui qui η 'a aueun bonheur et η 'en aura jamais, ni en avril ni en mai, a moins que je ne I'obtienne grace a ma dame; (fran^ais) Belle, douce dame chere, je me donne a vous, je vous fais don de moi - me me, et tant que je ne serai ä vous et vous ne serez ä moi, je n'aurai jamais de joie entiere; (gascon) Dame, je me rends a vous, car vous etes la meilleure et la plus belle quifut jamais, et vous etes gaillarde et valeureuse, pourvu seulement que vous ne soyez pas aussi cruelle a mon egard; (gallego) Mais je crains a un tel point voire jugement (?) que j'en suis tout intimide, j'ai peine et tourments ά cause de vous, et je suis couvert de blessures.

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Je ne suis naturellement pas le premier ä commenter ces poemes »polyglottes«, je dois evoquer en particulier le celebre ouvrage de Ε. R Curtius, Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter (Bern,1948, p. 40). Dans son appreciation du procedc, cet auteur part d'une constatation un peu hätive, selon laquelle Raimbaut utiliserait ici les langues employees ä son epoque par la po6sie lyrique romane; nous verrons plus loin que le gascon et le dialecte lombard n'etaient pas encore presents dans la litterature ecrite; bien au contraire, les poetes gascons ecrivaient en provengal. Par consequent, le phenomene n'est pas interpretable sur le seul plan litteraire; il s'agit plutot d'un problöme de langues. Pour le procedc en genäral - recours ä des langues differentes ä l'int^neur d'un seul ouvrage litteraire - avec une courte mention de Raimbaut, cf. W. Th. El wert, »L'emploi des langues etrangeres comme proeäde stylistique«, Revue de Litterature Comparee 34 (1960), 409-437.

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3. L'existence meme de ces poemes fait surgir tout d'abord le probleme des connaissances linguistiques, de la polyglossie du public, des poetes eux-memes, de la place de cette polyglossie dans la vie litteraire. 3.1. Le milieu litteraire dans lequel - et pour lequel - ces oeuvres furent creees etait un milieu en grande partie polyglotte, et souvent au moins bilingue (et ce disant nous ne pensons pas ä Γ inevitable dualite latin - langue vulgaire, parmi les »clercs« et en general dans les couches superieures de la societe). Le reseau des liens feodaux etait independant des limites ethniques et linguistiques, et un seigneur important pouvait avoir dans sa cour et dans son armee des vassaux de langues maternelles tres diverses. Dans les cours des grands feodaux, en particulier, cette diversite devait etre fort sensible, et ouvrait la voie ä ce qu'on appellerait aujourd'hui des contacts »interculturels«. Or, grace au prestige, et aussi ä la precocite de la poesie des troubadours, le prover^al devait avoir aux XII e et XIII e siecles une certaine omnipresence, un role preponderant, en particulier dans les cours de l'Europe occidentale et mediterraneenne. Au-delä de leur region d'origine, des troubadours faisaient leur apparition dans les cours d'ltalie, dans les royaumes Chretiens d'Espagne, sans meme parier des territoires d'oil; leur influence - et souvent leur presence physique - est attestee jusqu'en Europe centrale. La poesie de cour »parlait proven9al«, ce qui occasionnait facilement une certaine rupture entre activite poetique et langue maternelle: le provengal devenait le vehicule du message poetique pour ceux meme dont il n'etait pas l'idiome maternel et natif. Les exemples sont nombreux, citons au hasard Sordello (1200-1269?), Mantovan de naissance, evoque par Dante, qui dit de lui dans le De vulgari eloquentia (I, 15,2): »Non solum in poetando sed (etiam in) loquendo patrium vulgare deseruit«, ce qui prouve que le provengal, en vertu mais au-delä de sa place litteraire, pouvait devenir, meme pour certains non-Proven^aux, la langue de la »conversation cultivee«; citons aussi l'exemple du Genois Bonifaci Calvo qui, vers 1270, s'engage dans une discussion poetique en proven^al avec Bertolome Zorzi, de Venise. 9 Dans un de ses sirventes (No. 71 d'Appel, »Un nou sirventes ses tardar...«), Calvo reprend - avec moins d'art et moins d'humour que Raimbaut, la pratique de faire alterner plusieurs langues de strophe en strophe: une strophe en proven9al est suivie d'une autre en portugais, et d'une troisieme en fran^ais. On trouve des poetes portugais qui ecrivent en p r o v e ^ a l - en territoire de langue portugaise. Par jeu, la situation peut

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II est probable qu'ä la suite notamment de la situation geographique centrale du domaine d'oc, le provengal detenait un röle de langue de contact non seulement dans la poesie d'amour, mais aussi dans certaines occasions plus prosaiques de la communication linguistique.

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se renverser: Bonifaci Calvo, que nous venons d'evoquer, poete proven^al de langue maternelle italienne nous a legue entre autres deux poemes »troubadouresques« en portugais. Le probleme du röle interculturel des langues litteraires depasse les cadres que nous nous fixons dans cet article 10 - mais en l'evoquant nous accedons aux questions relatives ä la situation linguistique qui sous-tend la pratique d'ecrire des poemes »multilingues«: quelles pouvaient etre les connaissances de langues des poetes et de leur public, quelle etait la capacite de comprehension de ce dernier? et surtout: quelles devaient etre les opinions, les intentions »metalinguistiques« auxquelles la pratique en question correspondait? 3.2. En ce qui concerne les poetes que nous envisageons - Raimbaut en particulier - le fait qu'ils aient ete capables d'ecrire des textes poetiques en langues etrangeres n'a rien de surprenant. Raimbaut avait eu une vie mouvementee, il avait ete en Espagne, il avait passe une grande partie de sa vie en Italie, enfin, comme d'autres troubadours egalement, il avait pris part ä la croisade »latine«, occasion entre autres de contacts Continus avec d'autres chevaliers, venus de tous les coins du monde occidental, de France ou d'ltalie plus souvent que de Provence. II dispos a l sans doute d'une experience pratique personnelle, prolongee meme, des langues employees dans son descort. Quant ä Dante, quelques generations plus tard, le »plurilinguisme« litteraire etait pour lui un fait normal, naturel. II avait de toute evidence une grande familiarite avec la litterature provengale (et aussi la litterature fran^aise) des siecles precedents et de son epoque, et il etait non seulement lui-meme un ecrivain bilingue - latin et italien - mais il avait eu dans sa jeunesse un maitre et conseiller qui etait ecrivain en plusieurs langues: il s'agit de Brunetto Latini qui, lors de son exil en France, avait ecrit en fran^ais son grand ouvrage didactique, le Tresor. Dans la Comedie, Dante - tout en le pla?ant dans l'Enfer, parmi les sodomites - evoque la figure de Brunetto Latini avec une tendresse filiale, et ne mentionne d'ailleurs que son oeuvre fransaise: (Inf. XV, 119-120) sieti raccomandato il mio Tesoro nel qual io vivo ancora, e piu non cheggio.

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Rappelons sans approfondir l'envers de la medaille: alors que la langue poetique d'oc est le vehicule par excellence de la poesie lyrique, la matiöre epique - sans en general se repandre en franfais meme - est porteuse d'une forte influence linguistique frangaise (voir la pr6sence bien connue de gallicismes dans le Cid, ou les manuscrits epiques franco-venetes).

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Ajoutons - et ceci permet de mieux comprendre la situation de Dante, mais aussi de Calvo, de Sordello et de tous les poetes non-provengaux qui ecrivaient dans la langue des troubadours - qu'aux XIII e et XIV e siecles il etait dejä relativement facile de composer des vers dans cette langue: la tradition de la poesie des troubadours avait produit une routine elaboree, ceux qui souhaitaient faire des vers avaient desormais ä leur disposition tout un tresor de rimes toutes faites, des schemas rythmiques, des unites phraseologiques, des metaphores pour toutes les occasions. 11 3.3. Quant ä la capacite de comprehension du public, la question se pose ä peine pour les lecteurs de Dante: ceux qui etaient capables de comprendre tout ou partie des concepts et des indications philosophiques, theologiques, historiques, litteraires, etc. dont chaque tercine de la Comedie etait chargee, disposaient certainement de la culture minimale necessaire ä la comprehension de quelques vers en prover^al, langue par excellence de la poesie lyrique, et dont - ä la lecture surtout - presque chaque mot ressemblait ä une contrepartie italienne. La question est plus complexe quand on envisage la capacite de comprehension du public de Raimbaut, lequel, ne l'oublions pas, etait anterieur ä celui de Dante d'une centaine d'annees et etait pourtant cense comprendre le texte plurilingue produit de vive voix, chante ou le cas echeant lu. Nous sommes evidemment en droit de supposer - on trouve meme des indications indirectes ä cet egard - que, dans les actuels territoires de l'Italie du Nord, de la France centrale et meridionale, de l'Espagne du Nord, les membres des grandes families etaient bilingues ou connaissaient plusieurs langues. Nous l'avons dit plus haut: les allegeances et les alliances, les mariages dynastiques, les reseaux de pouvoir et de politique reunissaient des personnes de langues natales differentes, faisaient passer les seigneurs, leurs familiaux et leur suite d'un territoire linguistique ä un autre, contribuaient ä la composition de milieux et d'armees polyglottes. Les rapports entre le territoire d'oc - disons pour simplifier la Provence - et la Lombardie, la Ligurie, entre la Provence et la France, entre la Provence et les royaumes Chretiens de la Peninsule iberique etaient, au XIIC siecle, particulierement actifs et etroits. II s'ensuit que de nombreuses personnes - et surtout des personnalites importantes - de celles qui composaient le public habituel de Raimbaut etaient entrees en contact, au cours de leur vie, avec les langues utilisees dans le descort, elles etaient en mesure

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On n'enleve rien ä la puissance pathetique et ä l'originalite des quelques vers provengaux de Dante en faisant noter que - sans doute fort consciemment - il avait lui-meme puise dans ce »tresor«: valor et dolor riment frequemment, meme avec folor c'est une rime facile, de meme que deman rimant avec un participe present comme canlan. Le passage leu sui Arnaut est une sorte de pastiche; c'est ainsi qu'Amaut lui-meme commence la strophe finale d'un de ses poemes les plus celebres.

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de les reconnaitre, de les identifier et de comprendre, ou au moins de »deviner« ce qui etait dit et chante dans les langues qui n'etaient pas les leurs. Cette comprehension etait possible grace ä des facteurs linguistiques d'une part, situationnels de I'autre. Au niveau de l'expression linguistique, les passages cites montrent clairement que les vers en langues autres que le proven^al ne contiennent presque pas de mots qui ne rappellent d'assez pres, dans leur forme prononcee, un element correspondant dans la langue des troubadours. Dans des textes qui maniaient des concepts courants, des idees en somme banales et fort »previsibles«, ces ressemblances etaient sürement süffisantes pour permettre ä un public d'emblee polyglotte de decrypter avec facilite les textes »etrangers«. La distance phonetique relativement plus grande entre le frangais et, d'un autre cöte, le proveni^al, l'italien du Nord, le gascon et le galicien etait probablement compensee par le fait que, pour des raisons politiques et culturelles, la langue d'oil etait dejä une langue de prestige dont la connaissance, dans les couches feodales elevees, devait etre fort repandue. II apparait par ailleurs tres nettement que Raimbaut voulait »surcaracteriser«, caricaturer les langues qu'il employait. On notera que dans la deuxieme strophe du clescort, en dialecte lombard, tous les vers riment en -o, la seule difference etant que -ο accentue alterne avec -o non accentue; il en est de meme, d'ailleurs, dans la strophe »genoise« de la tenso. II est sans doute egalement intentionnel que la strophe en fran^ais soit farcie de diphtongues, et ä une epoque oü les groupes de lettres ai, oi, ie refletaient encore de pres la prononciation, toutes les rimes sont des rimes ä diphtongues. Düment mis en valeur dans la diction, le perpetuel retour des [j] devait paraitre hautement comique. Meme mise en relief dans le cas du gascon: ce n'est pas par hasard que des le deuxieme vers de la strophe en gascon, nous tombions ä la rime - sur une des particulates les plus voyantes de cette langue, la rhotacisation de -11- latin intervocalique, qui oppose par exemple le gascon bera ä la forme qui se trouve dans les autres langues (belle, bella). Dans her a, fera (< lat. /era, cf. a. fr. fiere), rimant avec bera, nous n'avons evidemment pas de rhotacisme, nous rencontrons par contre un autre trait gascon - cf. plus haut, note 6 - qui oppose cette langue ä toutes les autres en presence: l'affaiblissement d e / - initial latin en h- (en gros comme en castillan), certainement audible ä Γ epoque et, dans notre exemple, mis en valeur par une pesante alliteration (hossetz tan hera). En tenant compte encore de la forme bos, resultat d'une neutralisation /b/ - /w/, correspondant ä vos dans les autres langues employees, nous pouvons affirmer que toutes les caracteristiques differentielles importantes de la structure phonologique du gascon nous sont presentees en bonne place des les premiers mots. Ce persiflage, plus exactement l'existence, pour les idiomes evoques, de traits fortement marques qui permettent le persiflage, met en relief un aspect important

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de cette communication »plurilingue«: ä cöte des ressemblances, des identites meme qui rapprochent ces langues, les differences marquees qui les opposent contribuent, de leur part, ä la comprehension du texte - et naturellement ä Γ identification de sa langue - parce que, s'agissant de langues apparentees, elles apparaissaient en systemes, sous la forme de correspondances regulieres. Facteurs linguistiques done: Raimbaut pouvait se livrer au jeu de la poesie en plusieurs langues parce que les langues qu'il employait etaient phonetiquement rapprochees et les differences meme constituaient des reseaux de parallelismes, facilitant une comprehension en grande partie intuitive. Mais aussi, comme il a ete dit, facteurs situationnels: un public compose de gens qui, pour la plupart, avaient ete en contact, au cours de leur vie, avec les diverses langues de l'Europe mediterraneenne et une »matiere poetique« qui constituait dejä un bien culturel commun, avec des expressions et des tourrnures qui, souvent, commengaient ä etre usees jusqu'ä la banalite. Bien que les strophes du descort ne soient pas des traductions l'une par rapport ä l'autre, elles presentent toutes le meme motif, ou ä peu pres: la plainte du troubadour qui souffre des rigueurs de sa Dame, dite et redite avec des schemas verbaux fort similaires des centaines de fois. Raimbaut n'a ici aueune ambition d'originalite pour le »sens«: au contraire, il etait utile que le public füt d'emblee au courant du contenu du message, puisque l'effet comique recherche etait dü, en grande partie, au contraste entre un contenu connu jusqu'ä l'ennui et une forme linguistique inattendue. 12 3.4. Tout ceci nous conduit ä une question qui releve directement de notre sujet: est-il possible d'entrevoir dans la conscience linguistique de l'epoque que nous envisageons, un reflet quelconque de la relation particuliere qui unissait les langues romanes? Peut-on relever les traces d'un savoir explicite au sujet de la »parente« qui constituait la Romania linguistique? En analysant le choix des langues utilisees par Raimbaut dans son descort on ape^oit que, du point de vue du poids »culturel«, de la maturite litteraire des langues en presence, la liste est tres heterogene: le proventjal et le franijais etaient tous les deux des langues de grand prestige litteraire, riches dejä d'une tradition seculaire, ayant, chacune ä sa maniere, un rayonnement notable dans l'Europe de l'epoque, tout en etant porteurs de genres litteraires differents. Quant au portugais, c'etait la langue d'une poesie qui allait dejä constituer une tradition lyrique impor-

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Le fait que Raimbaut de Vaqueiras soit connu et cite en raison surtout de ses poesies en plusieurs langues lui fait en somme tort: ces prouesses techniques font oublier ses poemes »normaux«. Or, Raimbaut, sans etre parmi les plus grands, etait un poete remarquable et avait une personnalite originale et attirante.

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tante, en train d'etre connue en dehors de son pays d'origine. Tout autre etait la situation du dialecte italien utilise dans ces poemes: une litterature genoise ou lombarde n'existait pas encore, la langue poetique du Nord-Ouest de 1'Italie ne devait se constituer que vers la fin du XIII e siecle, Raimbaut ne pouvait avoir recours qu'ä sa propre invention poetique et ä sa propre connaissance pratique de la langue, mais ä aucune tradition etablie. II en etait de raeme, mutatis mutandis, du texte en gascon; les poetes gascons de l'epoque (et dejä ceux des generations anterieures ä celle de Raimbaut: Cercamon et Marcabru entre autres) utilisaient la langue poetique commune des troubadours, une poesie en dialecte gascon n'existait pas, et le premier texte litteraire est justement la strophe ecrite par Raimbaut. Le poete a done choisi deux langues qui etaient connues parce que dejä entrees dans le circuit litteraire de son milieu, et y a ajoute deux »dialectes« 13 qu'il pratiquait lui-meme et qui etaient courants dans les cours du pays d'Oc et les regions italiennes voisines. Cela ne rend pas clairement compte de l'absence du Catalan et du castillan; nous devons faire sa place au hasard; notre poete n'avait certainement pas l'ambition d'etre systematique et complet; Dante, un siecle apres lui, laissera egalement des vides en enumerant et en classant les idiomes hors d'ltalie. Notons que Raimbaut connaissait l'existence d'un idiome distinct en Sardaigne, il l'evoque dans la tenso,14 mais n'etait sans doute pas capable de le parier ou de l'ecrire, e'etait d'ailleurs un dialecte qui n'etait pas utilise dans son milieu. II y a cependant une absence qui semble tellement naturelle qu'on serait presque tente de ne pas la mentionner, et qui possede pourtant son importance: l'allemand n'apparait pas dans nos poemes, nous venons de voir qu'il est simplement evoque dans une petite liste de »langues incomprehensibles« au meme titre que le sarde. Or, tout comme le fransais ou le pro venial, c'est l'une des grandes langues litteraires de 1'Europe du XII e siecle (pour ne parier que de poesie lyrique, depuis le milieu du siecle c'est dejä la grande epoque du Minnesang, et Walther von der Vogelweide est ä peu de choses pres un contemporain - plus jeune - de Raimbaut). Par ailleurs, ce n'etaient pas les occasions de contact et d'echanges qui manquaient: ä la suite des liens etroits, de tout ordre, entre l'Empire RomanoGermanique et l'Italie, ä la suite des campagnes communes lors des Croisades - et, tout particulierement, la quatrieme - la presence de germanophones dans les cours feodales devait etre chose courante; dans le milieu par excellence ghibellin des Montferrat, l'allemand etait sans doute une langue souvent pratiquee. 13

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On me permettra de rester dans le vague en ce qui conceme la distinction entre langue et dialecte, Probleme terminologique dejä difficile dans le cas de l'Europe actuelle, sans espoir pour l'epoque qui nous occupe, de toutes manieres peu importante du point de vue de la question envisagde. Vers 74-75 de la tenso: »ne t'entend plui d'un Toesco, ο Sardo ο Barbari«.

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II s'ensuit qu'en choisissant les langues du descort, Raimbaut observe les limites de ce que nous appellerions une »Romania instinctive«, prenant des langues non necessairement litteraires, mais faciles ä comprendre sans preparation consciente et systematique prealable, sans »acte de volonte«, faciles aussi ä apprendre dans la pratique quotidienne d'un milieu certes limite, mais toujours assez etendu pour constituer le public assure d'une tradition poetique dejä etablie. Le choix etait done un choix linguistique, sans etre pour autant un choix raisonne et conscient. Les locuteurs qui appartenaient ä cette »Romania instinctive« se rendaient sans doute compte de la transparence reciproque de leurs langues, et plus nettement encore du fosse d'incomprehension qui separait celles-ci des autres. Dans ces conditions, le sentiment de la communaute se manifestait surtout dans le rejet, le mepris de l'autre, et notamment de sa langue. On trouve quelques vers bien caracteristiques ä cet egard dans un sirventes du troubadour Peire Vidal, contemporain d'ailleurs de Raimbaut: (xxj, 3 sqq. ) 15 Alamans trop dascauzitz e vilas Ε lor parlars sembla lairar de cas. Per qu 'ieu no vuelh esser senher de Friza Qu 'auzis soven lo glat dels enuios Ans vuelh estar entre'ls Lombartz joyos Pres de midons, qu 'es blanqu 'e gras 'e liza. II est vrai que le poeme contient une attaque politique contre les imperiaux, en particulier contre Genes, ville ghibelline ä l'epoque - ce n'etait malgre tout pas une raison süffisante pour comparer l'allemand ä l'aboiement des chiens. II fallait considerer pour cela, instinctivement et implicitement, que la langue du poete aussi bien que celle des Lombards parmi lesquels il vivait constituaient un ensemble linguistique en quelque sorte homogene qui excluait l'allemand. II existait done, dans la conscience de nos poetes, un ensemble de langues reliees entre elles par la »transparence«, par le caractere reciproquement et directement traduisible des messages, par la facilite de comprehension, une Romania,

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Je cite selon le texte et la numeration de D ' A r c o Silvio Avalle (Peire Vidal, Poesie. Ed.critica e eommenti a cura di D.S.A, Milano-Napoli 1960); traduction »Je trouve les Allemands mal degrossis et rüdes... et leur fagon de parier ressemble ä l'aboiement des chiens. Pour cette raison, je ne voudrais etre seigneur de Frise, pour entendre tout le temps les jappements des malotrus, mais pre/ere sejourner dans la joie parmi les Lombards, aux cötes de ma Dame qui a la peau blanche, molle et lisse«.

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comme nous l'avons dejä dit, »instinctive«, ensemble enumerable peut-etre mais non structure, sans traits distinctifs explicites et conscients. C'est Dante, dans un passage souvent cite de son traite De vulgari eloquentia qui haussera cette Romania instinctive au niveau de la conscience et du raisonnement explicite. Laissant de cöte les autres parlers romans, 16 Dante parle de trois formes d'un seul ydioma, devenu ainsi tripharium, de la langue d'oc, de celle d'oil, et enfin de l'italien, langue si: »signum autem quod ab uno eodemque ydiomate istarum trium gentium progrediantur vulgaria, in promptu est, quia multa per eadem vocabula nominare videntur, ut Deum, celum, amorem, mare, terrain, est, vivit, moritur, amat, alia fere omnia« (1,8,6). Dans cette presentation ä la fois geniale et squelettique, il s'agit desormais effectivement d' une famille de langues, de parlers vulgaires qui proviennent d'un tronc, d'un idiome commun. 17 Cette famille, on le sait, Dante Γ oppose aux deux autres dont il constate la presence en Europe, le groupe du grec et le groupe curieux et composite qui passe du hongrois par les slaves et diverses langues que nous nommons germaniques, jusqu'aux confins atlantiques de l'Europe. 18 II semble, en fin de compte, que c'est dans la pratique de la creation poetique, des troubadours ä Dante, qu'a emerge la conscience, naive et purement descriptive d'abord, de l'existence de ce que nous nommerions aujourd'hui la Romania. C'est grace ä la creation litteraire - et dans les cadres de cette creation - qu'est devenu evident le fait que certaines langues de l'Europe mediterraneenne, unies par une sorte de similitude, de transparence et de permeabilite reciproques, constituaient un groupe oppose aux autres langues connues. Dante, pour sa part, depasse dejä cette constatation en lui conferant une sorte de dimension historique, implicitement explicative, fondee sur l'hypothese de l'origine commune. Mais restant enferme dans les cadres et dans la fixite de la Chronologie biblique, considerant le latin

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Si Dante ne parle que du frangais, du provengal et de l'italien (qu'il nomme Latins), ce n'est pas en vertu d' un choix souverain et arbitraire - procede par ailleurs point etranger ä son attitude - mais parce que l'excursus linguistique est appele ä fonder des considerations litteraires, et il s'agit des trois langues qui, pour Dante, ont sous cet aspect un röle proeminent: le frangais, en tant que langue des romans antiques et de la matiere arthurienne, le provenfal, comme langue des troubadours et l'italien, dejä porteur d'une tradition lyrique (v. De vulgari eloquentia, I, 9-10). Cela veut dire entre autres que les dialectes non litteraires, comme le gascon, present dejä chez Raimbaut, n'interessent pas Dante.

17

On sait que cette source commune, pour Dante, n'etait pas le latin; ce dernier, ä ces yeux, etait etrangement atemporel et portait le nom de gramatica, »que quidem gramatica nichil aliud est quam quedam inalterabilis locutionis idemptitas diversis temporibus atque locis« (ibid. 1,9,11).

18

La question de savoir comment et sur la base de quelles informations Dante avait constitue ce »troisieme groupe« meriterait bien un examen plus approfondi. En realite, il s'agit simplement du groupe des langues d'Europe - en dehors, ividemment, du grec - qui ne sont pas romanes.

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comme une »gramatica« atemporelle et quasi artificielle, Dante n ' a pas entrevu le lien »genetique«, la continuite historique entre latin et langues »vulgaires« romanes; pour lui, les questions memes qui auraient pu conduire ä une telle hypothese ne se posaient pas. 4. Notons que la conscience linguistique connait, dans le domaine de l'identite des langues et des differences entre elles, de curieux mouvements de pendule. Six cents ans environ avant Dante, au cours des siecles qui suivirent la chute de l'Empire d'Occident, quelques clercs savaient encore parfaitement que la langue qu'ils pratiquaient etait du latin, mais un latin en train de changer, de »se deteriorer «, car »leur sagesse allait s'estompant« et ils n'etaient plus ä la hauteur de l'eloquence de leurs lointains devanciers. 19 Malgre la confusion conceptuelle inevitable et constante entre langue ecrite et langue parlee, ces lamentations impliquent encore une certaine conscience de la continuite, de l'identite historique entre le latin de Rome et la langue qu'ils employaient. A la suite de la reforme dite carolingienne, le latin emergeait par contre comme une langue ecrite (parlee ä des occasions et dans des milieux circonscrits), en conformite avec la grammatica, une langue differente, dans son essence et jusque dans ses moindres regies, de la langue couramment et instinctivement utilisee qui, par definition pour ainsi dire, n'etait regie par aucune regle consciente. L'idee d'une essentielle identite du latin avec 1'usage quotidien, d'abord uniquement oral, devenait ainsi inaccessible, la conscience d'une continuite entre les deux, pour trouble qu'elle füt, se perdait. Les peres du Concile de Tours (813), 2 0 en adoptant leur fameuse resolution, consideraient de toute evidence que la »lingua romana rustica«, au meme titre que l'allemand {»thiotisca«), etait une langue differente du latin des homelies, et les origines de cette difference ne les preoccupaient pas: ils ne disposaient d'ailleurs pas des moyens conceptuels permettant de se poser des questions ä cet egard. II faudra attendre des siecles pour que des troubadours, sur la base de leurs experiences communicatives, arrivent ä entrevoir une certaine unite qui rend un nombre de langues - celles que nous

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Nous faisons alllusion ici ä l'auteur anonyme de la preface du livre IV de la compilation dite de Fredegaire (deuxieme moitie du VII e siecle): Mundus iam seniscit, ideoque prudenciae agumen in nobis tepiscit, nequisquam potest huius tempore nec presumit oratoribus precedentes esse consimilis (Monumenta Germaniae Historica. Scriptores Rerum Merovingicarum, Tom. II, 123). Un siecle plus töt, Gregoire de Tours faisait deja, dans la Preface par exemple du premier livre de ses Histoires, des declarations similaires.

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Rappeions le texte de la resolution 17 du Concile: Visum est unanimitati nostrae, ut quilibet episcopus habeat omelias continentes necessarias ammonitiones ... Et ut easdem omelias quisque aperte transferre studeat in rusticam Romanam linguam aut Thiotiscam, quofacilius cuncti possint intelligere quae dicuntur (Monumenta Germaniae Historica. Legum sectio III: Concilia, Tom. II: Concilia aevi Karolini pars prior, 288).

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appelons romanes - permeables entre elles, et il faudra un nouveau siecle pour que Dante formule explicitement la theorie d'une origine commune des langues de ce groupe. Apres les troubadours, avec Dante nous sommes aux limites extremes auxquelles pouvait arriver, dans la conception d'une Romania linguistique, la conscience metalinguistique »naive« appuyee sur les seules experiences communicatives. Pour entrevoir, comprendre et exposer avec certitude les liens de continuite historique entre latin et langues romanes, pour constituer, en somme, la linguistique romane en tant que discipline scientifique, il faudra encore des siecles de tätonnements, il faudra arriver ä la comprehension de la necessaire mutabilite des langues, developper une connaissance historique, realiste et objective du latin, et surtout - de nouvelles conceptions de l'homme, de la societe et de l'histoire; il faudra en somme tout ce qui constitue, desormais, la prehistolre de la civilisation moderne et, entre autres, de la linguistique romane.

Conscience linguistique et diachronie* 1. Nous envisageons d'examiner deux questions, etroitement Hees entre elles. II s'agit de se demander, d'une part, dans quelle mesure et comment des modifications diachroniques en cours du systeme linguistique se refletent dans la conscience, les connaissances explicites des locuteurs, dans l'attention qu'ils consacrent ä leur activite langagiere; d'un autre cote, nous nous posons la question de savoir si ces connaissances et activites conscientes des locuteurs exercent une influence quelconque sur les changements linguistiques. Ces questions embrassent un nombre redoutable de problemes aux limites imprecises et mettent en jeu des concepts en general difficiles ä definir. II est ä esperer neanmoins que la suite justifiera notre demarche. 2. Nous considerons comme »conscience linguistique« (les termes anglais 'linguistic awareness' ou parfois 'linguistic consciousness' sont plus precis et plus explicites) tout etat ou processus mental au cours duquel l'attention du locuteur s'oriente, se concentre sur sa propre activite dans la production ou la comprehension de messages verbaux, ou bien sur l'ensemble de la langue, eventuellement telle ou telle particularite de la langue qu'il utilise. C'est la une definition de travail, qui presente de nombreuses faiblesses, mais qui, telle quelle, nous permet de poursuivre l'enquete. En la proposant, nous mettons entre parentheses, nous ecartons meme les problemes de la conscience en general, du Moi conscient dans son opposition avec les immenses domaines inconscients, non-conscients de Γ activite psychique. Ces considerations relevent de la psychologie, de la neuro-psychologie, de la neuro-physiologie, fondamentalement aussi de la philosophie, et depasseraient de loin les limites des objectifs de cette etude, celles aussi de notre competence.

* Bulletin dc la Societc de Linguistique de P a n s 8 4 ( 1 9 8 9 ) , 1 : 1 - 1 9 .

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3. Cette »conscience linguistique« peut, le cas echeant, se concretiser en enonces concernant la langue ou l'activite parlante, done se manifester dans un langage metalinguistique (soit sous la forme d'enonces effectivement prononces ou ecrits, soit en langage interieur) mais ce n'est pas necessairement et toujours le cas: le domaine de la conscience linguistique (nous ecrivons desormais le terme sans guillemets) deborde, ä ce qu'il semble, sa manifestation articulee. Bien que divers aspects de la conscience linguistique aient ete envisages dans certains ouvrages de linguistique ou evoques dans la litterature psycholinguistique, il n'y a pas, ä notre connaissance, d'etude consacree ä l'ensemble de la question. En nous contentant de quelques renvois bibliographiques rapides et sans doute fort peu systematiques, nous ferons par consequent, dans les quelques paragraphes suivants, le tour de la question, afin de classer et de situer - ne fut-ce que de fa^on provisoire et arbitraire - les differents aspects, les differents »segments« de la conscience linguistique, ce qui nous permettra d'aborder ensuite avec plus de clarte notre sujet proprement dit.

I. »Conscience de langue« et »conscience de parole« 4. II existe, premierement, un ensemble de faits metalinguistiques relativement aise ä circonscrire, riche et varie sur le plan phenomenologique et ne presentant pas, en apparence, de problemes theoriques ardus. II s'agit de la reflexion consciente des sujets parlants normaux (e'est-a-dire non-linguistes, non-grammairiens) sur leur propre langue, celle de la communaute linguistique ä laquelle ils appartiennent. C'est en general une expression articulee et explicite, ou se fondant en tout cas sur des attitudes et des jugements qui apparaissent sans difficultes dans le monde interieur conscient des sujets et peuvent etre traduits le cas echeant en enonces metalinguistiques. Relevent avant tout de cette categorie les opinions, les jugements de valeur des locuteurs au sujet de leur langue, leur dialecte ou leur sociolecte, les rapprochements et les comparaisons qui confrontent cette langue ä celle des autres. Le phenomene est connu et de nombreux exemples sont evoques et analyses de multiples points de vue en sociolinguistique, en psychologie sociale, mais aussi en diverses disciplines historiques. II convient egalement de classer dans cette categorie les jugements d'acceptabilite ou de »grammaticalite« prononces par les sujets parlants en considerant une expression ou une phrase comme conforme ou non conforme aux normes qui leur sont habituelles 1 . Tout cela appelle cependant deux remarques: a) les reflexions metalinguistiques explicites, plus exactement les attitudes et les prises de position conscientes qu'elles expriment, reposent - paradoxalement sur des bases qui se trouvent, essentiellement, dans les domaines de l'inconscient. C'est evident pour la plupart des »jugements d'acceptabilite«: meme lorsque le

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sujet est en mesure de se referer, pour fonder son acceptation ou son refus, ä ses souvenirs de grammaire scolaire, l'acceptation ou le refus se fondent eux-memes, dans le cas du locuteur natif, sur un mecanisme inconscient. Pour ce qui est des opinions et des jugements de valeur au sujet des langues et des dialectes, des ressemblances et des differences entre langue ou dialecte natifs et etrangers ainsi que d'autres reflexions linguistiques de ce genre, leur arriere-plan inconscient est d'un autre ordre et deborde nettement le champ linguistique, mais il n'en existe pas moins: ces opinions et ces jugements sont etroitement conditionnes par les attitudes et les sentiments des locuteurs vis-ä-vis du groupe national, social, local dont ils font partie: ils relevent done du mecanisme complexe de l'auto-identification et de l'auto-evaluation des individus et des groupes, mecanisme dont les prolongements vont bien au-delä des domaines psychiques ouverts ä l'attention et au contröle conscients; b) l'existence de reflexions metalinguistiques chez les locuteurs n'est sans doute pas un fait exceptionnel, accidentel ou aneedotique, mais une consequence inevitable et constante de l'implantation et de l'extension des langues dans le tissu des communautes humaines: les reflexions metalinguistiques constituent la reaction necessaire des locuteurs ä la diversite des langues en contact ainsi qu'ä la diversite dialectale et aux stratifications internes de chaque langue prise ä part. Etant donne cependant que cette reaction est etroitement reliee aux attitudes generates des locuteurs vis-ä-vis de leur propre groupe et des autres communautes humaines, la variete, la variabilite, le contenu en somme des reflexions metalinguistiques est grandement determine par les caracteristiques sociologiques, culturelles et en general existentielles de chaque groupe linguistique. Notons que dans certaines communautes complexes et disposant d'une tradition et d'une pratique ecrites particulierement riches, on observe des types d'activite metalinguistique qui renferment necessairement une reflexion metalinguistique au deuxieme degre, »meta-metalinguistique« - nous pensons, evidemment, ä certaines tendances et ä certaines disciplines de la linguistique, mais aussi ä telle ou telle branche de la theorie de la litterature.

1

Nous ne pensons pas uniquement - ni meme surtout - aux jugements de grammaticalite auxquels la grammaire transformationnelle a confere une importance et un röle theoriques de nature particuliere: les jugements d'acceptabilite ont toujours existe et de nombreux grammairiens - surtout ä tendance normative - y ont eu recours pour fonder leurs regies: Vaugelas, pour ne pas en nommer d'autres, ne fait pratiquement que cela. Ce qu'il convient de souligner, de notre point de vue, est que les jugements de ce type, meme lorsqu'ils se referent - comme e'est normalement le cas - ä une expression ou ä une tournure concretes, conferent ä l'acceptation ou au refus une valeur de generalite, un Statut de regle.

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5. On croit pouvoir identifier, cependant, un deuxieme type de comportements metalinguistiques conscients, qui pourrait eventuellement porter la denomination »conscience de parole« (speech awareness) et qui s'opposerait ainsi, ä la suite de I'adaptation un peu simplifiee de la dichotomie saussurienne, ä la »conscience de langue« dont releveraient plutot les faits exposes plus haut (point 4). II s'agirait d'une attention consciente qui aurait pour objet, chez le locuteur ou son partenaire, l'activite de production ou de comprehension des enonces lors du deroulement de Γ acte de communication verbale lui-meme 2 . En premiere approche, on serait tente de mettre en doute l'existence meme d'une »conscience de parole« simultanee ä Γ acte de communication verbale. II a toujours ete evident pour la linguistique moderne - et cela a ete erige en theorie et en doctrine depuis par Chomsky - que le mecanisme, quel qu'il soit, grace auquel le contenu du message s'organise en phrases, de meme que les operations qui mettent en marche des mouvements articulatoires conduisant une chaTne de phonemes ä une serie de sons prononces, est essentiellement non-conscient, subliminal; ce mecanisme n'est pas accessible ä I'observation du sujet et n'est pas guide par ses decisions conscientes. S'il en etait autrement - comme il en est, en partie, autrement dans le cas d'une langue que Γ on ne connatt qu'ä peine - la formation et la comprehension des enonces seraient impossibles en »temps reel«. Or il semble malgre tout que l'activite parlante peut etre l'objet d'une attention du moins intermittente de la part du locuteur, il se produit un deplacement de 1'attention, un »attention shift« du contenu et du but de la communication vers sa forme, vers les particularites grammaticales, lexicales ou phonetiques de l'enonce lui-meme. D'apres certains auteurs - constatation qui est confirmee par Γ introspection - cette attention intermittente est elicitee par les difficultes, les erreurs ou les troubles qui se sont produits ou sont sur le point de se produire dans la constitution du message verbal, et, dans la production des enonces, eile se traduit par des pauses d'hesitation, le cas echeant suivies d'une reprise ou d'une auto-correction 3 . Le phenomene apparait tres tot dans l'ontogenese 4 et il est courant dans l'activite verbale de tout adulte normal. Cette conscience intermittente

2

Dans la suite de cette etude, nous nous referons en parlant de la »conscience de parole« au seul locuteur et ä son activite de production d'cnonc6s. Ce n'est pas un oubli; il est evidemment clair que le decodage, la comprehension des messages verbaux comporte tout aussi bien que l'activite du locuteur des moments d'attention consciente consacree ä la forme linguistique du message, notamment lors de difficult6s de comprehension ou d'6quivoques. De ce point de vue, il ne doit pas y avoir de difference de principe entre la production et la reception du message. Nous croyons cependant que les manifestations de »conscience de parole« lors du decodage sont diffirentes de celles que l'on trouve chez le locuteur, et pour le moment, il serait difficile de les illustrer par des exemples. Ce Probleme necessiterait - necessitera - une etude speciale.

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de l'activite parlante n'aboutit naturellement pas (ou n'aboutit que secondairement) ä une formulation explicite de la necessite de la correction ou ä une explication du choix; le contenu de l'attention consciente momentanee est simplement la chaine verbale qui vient d'etre formee (et eventuellement dejä prononcee) ainsi que les alternatives du choix ou bien la formule qui s' impose en guise de correction. Cela equivaut ä dire qu'ici encore, l'attention se concentre sur un produit (eventuellement in statu nascendi) et non pas sur les mecanismes de la production qui restent essentiellement derobes ä l'auto-observation. Ajoutons que cette attention momentanee, le sentiment de difficulte ou de gene auquel elle correspond, ainsi que la correction ou le choix qui en resultent emergent eux-memes, semble-t-il, d'un mecanisme d'auto-contröle, de »monitoring«, qui est subliminal 5 . 6. La dichotomie que nous venons de postuler entre activite metalinguistique explicite, c'est-a-dire appreciations, jugements, opinions concernant la langue et, d'autre part, la »conscience de parole«, l'attention intermittente du locuteur dirigee sur son propre enonce lors de la production de celui-ci, constitue un cadre commode et peut-etre meme adequat pour l'examen du probleme central de cet essai: les rapports entre la conscience linguistique et le mouvement diachronique du Systeme de la langue.

II. »Conscience de langue« et diachronie 7. Au niveau metalinguistique explicite, celui des connaissances et des jugements relatifs ä la langue, les changements linguistiques en cours se refletent-ils dans la conscience des locuteurs? d'un autre cote, les connaissances et les attitudes des locuteurs influent-elles sur la direction et la marche des alterations diachroniques? Les deux questions semblent distinctes sur le plan logique, mais, comme nous le verrons, les reponses aux deux se conditionnent. 8. En recherchant, dans n'importe quelle langue dont l'histoire soit düment documentee, des temoignages contemporains concernant un processus d'alteration

3

J'attirerai surtout ['attention sur le volume d'etudes A. Sinclair- R. J. Jarvella-W. J. M. Levelt, The Child's Conception of Language (Springer Series in Language and Communication 2), BerlinHeidelberg-New York, 1978. L'importance du volume depasse de loin les limites d'ouvrages sur le langage enfantin. Le cadre conceptuel est expose dans ['Introduction (pp. 1 - 1 4 ) redigee par les editeurs. Nous nous sommes aussi largement inspire de l'ouvrage de J. Piaget, La prise de conscience, Paris, 1974.

4

Cf. ä ce sujet D. I. Slobin, »A Case Study of Early Language Awareness«, dans le recueil cite plus haut η. 3, pp. 4 5 - 5 4 .

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diachronique, nous arrivons necessairement ä une image deformee: les temoins que nous serons en mesure d'invoquer seront inevitablement des locuteurs dont le niveau de conscience metalinguistique, dont les connaissances linguistiques et grammaticales depassent ceux des autres membres de la communaute. Or, sans merae tenir compte de cette deformation »positive«, on constate - et nous evoquerons quelques exemples pour illustrer cette constatation - qu'ordinairement un changement en cours se reflete dans la conscience metalinguistique des contemporains non pas en tant que processus de modification du systeme linguistique mais en tant que possibility - ou obligation - d'un choix entre deux ou plusieurs variantes. Dans un article qui reste exemplaire, I. Fonagy a dejä abouti ä cette conclusion au sujet des changements phonetiques 6 , mais nous estimons que - sous reserve de certaines limitations sur lesquelles nous reviendrons plus loin (point 14) - la conclusion vaut pour toute alteration du systeme. 9. Vue de pres, la situation semble, comme c'est naturel, contradictoire, en tout cas complexe. II faut faire, avant tout, une difference tres nette entre changements en cours et changements accomplis. Dans les civilisations, notamment, qui disposent d'une tradition ecrite continue et d'un sentiment d'identite dans cette continuite, grammairiens ou lettres se rendent compte, inevitablement, de changements acheves ou sur le point de s'achever et, meme sans avoir une vue nette de la diachronie linguistique, ils arrivent, grace ä la confrontation de textes contemporains et de textes plus anciens, ä identifier des tournures et des formes vieillies, des archai'smes de toutes sortes. Dans les periodes historiques oü Ton assiste ä la formation d'une nouvelle norme litteraire, l'attitude ä l'egard des vestiges qui surnagent ä la suite de changements accomplis est en general une attitude de rejet. C'est ce qui se manifeste dans telle opinion de Ciceron 7 ou, plus systematiquement, dans la veritable chasse aux sorcieres que Malherbe et ses disciples declenchent contre les formes vieillies ou presumees telles. Par contre, lorsqu'il s'agit veritablement d'un changement en cours ou qui s'amorce, la Variante novatrice - qui, dans les civilisations ä tradition ecrite, se detache sur un fond de normes linguistiques ou orthographiques de venues traditionnelles et respectables - n'apparait normalement pas comme une innovation, mais comme une Variante »etiquetee«, soit vulgaire,

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6 7

En dehors du tres important article de J. C. Marshall, »On the Mechanics of EMMA« (dans le recueil cite, v. notre note 3, pp. 225-239), je renvoie encore ä W. J. M. Levelt, »Monitoring and Self-repair in Speech«, Cognition 14 (1983), pp. 41-104. I. Fonagy, »Über den Verlauf des Lautwandels«, Acta Ling. Hung. 6 (1956), 173-278. Pensons seulement ä sa remarque bien connue (Or. 161) au sujet de la suppression de -s dans les finales -us: ...subrusticum, olim politius.

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dialectale, populaire, soit au contraire affectee, manieree, recherchee (etiquettes qui, au niveau synchronique, ne sont pas necessairement et completement fausses 8 ). De toutes manieres, la veritable perspective diachronique est absente de la conscience des lettres eux-memes, et eile est ä plus forte raison non-existante dans la conscience du locuteur moyen. La situation ne semble pas etre essentiellement differente ä une epoque comme la notre qui connait une linguistique diachronique dont les echos simplifies ont penetre jusque dans les manuels scolaires; non seulement parce que stylistes, puristes, enseignants et autres depositaries de Γ evaluation linguistique normative continuent ä operer avec des categories qui n'ont pas beaucoup varie depuis l'Antiquite (ce qui n'est pas necessairement un mal), mais aussi parce que la linguistique elle-meme n'enregistre pas de succes veritable dans la mise en evidence, ä partir de variantes observees, de changements en cours et surtout de revolution ä prevoir 9 . 10. Si les processus diachroniques en cours ne sont pas accessibles en tant que tels ä la reflexion metalinguistique des contemporains, la raison n'en reside pas dans l'ignorance ou l'incompetence des observateurs; il s'agit plutot d'une limitation essentielle, qui decoule du mode d'existence et de fonctionnement du langage. Dans ses fonctions essentielles, communicative et expressive, la langue opere comme un systeme synchronique; c'est une verite desormais triviale, eile implique cependant le fait que les utilisateurs eux-memes, dans leur pratique communicative quotidienne, subissent et emploient la langue comme une realite necessairement immuable, car la garantie de la transmission efficace des messages linguistiques reside justement dans cette non-variabilite de son systeme synchronique. Par ailleurs, le degre de complexite de la langue en tant que systeme est tel que l'utilisateur, et meme 1'utilisateur grammairien, ne sauraient saisir les interactions et les repercussions diachroniques des choix operes entre telles et telles variantes isolees; ajoutons que la perspective temporelle dans laquelle se deroulent les modifications de la structure linguistique depasse, dans son ordre de grandeur, la perspective que permettent d'entrevoir, ä leurs participants, les actes de communication.

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9

Quand apparait, des la fin du X V e et surtout au XVI e siecle, la prononciation e de ecrite oi, et bientöt meme la Variante oa, les grammairiens parlent d'italianisme et de courtisans pour e et de parisianisme inepte pour ce qui est de oa (cf. F. Brunot, Histoire frangaise, II [1922], 2 5 5 - 2 5 7 ) . C'est un exemple choisi au hasard, d'autres seraient ver, dans l'histoire du frangais et ailleurs.

la diphtongue mignardise de de la Langue faciles ä trou-

Rappelons pourtant, pour la mise en evidence de changements en cours ä partir de variantes, les resultats de la methode sociolinguistique de W. Labov et de son ecole.

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11. Dans quelle mesure les connaissances et les attitudes metalinguistiques explicites arrivent-elles ä influencer la marche et la direction des changements linguistiques? II vient d'etre souligne qu'un changement en cours se reflete normalement, dans la conscience linguistique des contemporains, comme une possibility de choix entre variantes, celles-ci etant en general enregistrees - lorsqu'elles le sont sous des rubriques portant des etiquettes essentiellement normatives. Dans certains cas, dans certaines situations sociales et historiques, des activites normatives suffisamment coherentes et consequentes arrivent sans doute ä inflechir sur certains points revolution de la langue; la question a ete souvent et amplement etudiee 10 . II y a pourtant des correctifs ä apporter ä cette remarque d'allure peut-etre trop positive. II convient de souligner avant tout que les activites normatives, les »reformes linguistiques« ont invariablement pour objectif Γ »illustration« de la langue du groupe, Γ amelioration de son efficacite dans la communication, l'elargissement de son domaine d'emploi, le cas echeant son homogeneisation au sein de la communaute linguistique et, par la, le renforcement de la cohesion du groupe et de son sentiment d'identite. Autrement dit, ces objectifs conscients n'impliquent pas directement, en elle-meme et pour elle-meme, une modification diachronique du systeme. D'autre part, les interventions normatives ne sont pas d'une efficacite identique et homogene sur tous les points du systeme: pour des raisons evidentes, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, ces interventions sont relativement efficaces dans le domaine du lexique, et d'une efficacite fort limitee dans celui de la grammaire proprement dite, y compris le systeme phonologique et le phonetisme usuel. Sur ces derniers points Γ efficacite des interventions n'est souvent qu'apparente, notamment lorsqu'elles agissent dans le sens devolutions qui sont de toutes manieres en cours. 12. Le bilan de cet examen rapide concernant les rapports entre la »conscience de langue«, c'est-ä-dire les jugements, les opinions, les connaissances metalinguistiques des locuteurs et le mouvement diachronique du systeme linguistique est plutot decevant. La conscience metalinguistique ordinaire ne reflete pas directement les changements en cours, ne per^oit que l'existence de variantes et n'arrive qu'ä une connaissance retrospective de la diachronie, et ceci aussi, en general, seulement au niveau des professionnels de la langue. D'un autre cote, les interventions normatives n'agissent qu'indirectement sur les mouvements du systeme puisque, destinees ä homogeneiser l'usage et ä repandre des variantes conformes ä un dialecte ou ä un sociolecte de prestige, ces interventions se meuvent au sein de la synchronic de toujours.

10

II existe maintenant un recueil d'etudes tres riche ä ce sujet: I. Fodor-Cl. Hagege (editeurs), Language Reform: History and Future. Hambourg, I—III, 1983-1984.

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13. Comme nous l'avons dejä indique en passant, tout cela se presente un peu differemment dans le cas du lexique. La raison en est claire. Si, pour un instant, nous concevons la synchronic non pas comme une coupe ideale pratiquee ä un instant infinitesimal du flux temporel, mais comme un etat disposant d'une certaine epaisseur dans le temps, une courte periode de quelques mois ou de quelques annees pendant laquelle la somme des experiences de la collectivite et le sentiment d'identite qui en decoule restent pratiquement inchanges, nous constaterons que le systeme grammatical - y compris le systeme phonologique - reste immuable pendant cette »synchronie epaisse«, et leurs mouvements en cours n'apparaissent que sous forme de variantes; par contre, les mouvements (le plus souvent marginaux, il est vrai) du vocabulaire peuvent etre assez rapides pour etre clairement persus. Notons aussi que, pour le locuteur moyen, dans l'ensemble des elements d'une langue, ce sont les lexemes et les lexemes seuls qui denotent des elements definissables, identifiables de la realite extralinguistique; par consequent, les lexemes et les regies de correspondance qui les relient aux donnees du monde apparaissent avec incomparablement plus de facilite devant Γ attention consciente du sujet parlant que les regies et les elements du systeme grammatical. II est done normal que, pour le locuteur »nai'f«, la langue apparaisse d'abord comme une somme de mots et que les changements s'identifient ä Γ apparition de mots (ou de sens) nouveaux. C'est egalement pour des raisons de cet ordre que les »reformes linguistiques«, les mouvements pour l'enrichissement ou le renouvellement du vocabulaire ont pu aboutir, dans l'histoire de certaines langues, ä un succes spectaculaire alors que, dans d'autres domaines, leur impact est reste marginal ou negligeable.

III. »Conscience de parole« et diachronie 14. Tout autre semble etre le rapport entre les »reveils d'attention« instantanes, fugaces - que nous avons appeles moments de »conscience de parole«, v. point 5, plus haut - et les mouvements diachroniques du systeme linguistique. Tout autre, parce que, dans le cas du discours metalinguistique articule, et meme dans celui des opinions et des attitudes plus ou moins implicites au sujet de la langue en tant que telle ou d'une de ses regies, il n'etait pas impossible de s'attendre, du fait meme du caractere articule de ce type de conscience linguistique, ä ce que le mouvement diachronique se presente, devant Γ attention consciente, comme processus en cours ou acheve, et qu'il apparaisse meme comme une modification susceptible d'etre inflechie. Dans le cas de la »conscience de parole«, par contre, il est d'emblee inconcevable que ce type d'attention, concentre sur des enonces ou des fragments d'enonces en train d'etre formules, sorte du momentane, du partiel et de l'indivi-

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duel pour atteindre le systeme dans sa validite sociale et dans sa duree depassant l'acte de communication concret. S'il existe, done, un lien entre cette »conscience de parole« et les changements diachroniques - et, telle sera notre hypothese - ce lien sera paradoxalement non-intentionnel et non-conscient. Nous venons de parier d'hypothese, ce qui implique une deuxieme difference entre ce qui vient d'etre examine jusqu'ici et les considerations qui suivent: en ce qui concerne la conscience explicite concernant la langue, il suffisait en somme de presenter dans un certain ordre, en vue de rapprochements et de conclusions presque faciles, des situations et des faits evidents en eux-memes; dans ce qui suit, nous serons oblige de nous hasarder ä scruter, de maniere prealable et necessairement hypothetique, un mecanisme que nous croyons constituer un des aspects ou une des phases du mouvement diachronique. 15. II n'est peut-etre pas absurde de supposer que les pauses d'hesitation et les auto-corrections qui correspondent ä une attention momentanee du locuteur sur la formulation linguistique de l'enonce qu'il produit, se presentent dans de nombreux cas aux points ou le systeme linguistique en lui-meme offre des alternatives ou bien oü, pour des raisons qui restent ä preciser, telles ou telles proprietes de ce systeme entrainent, de leur cote, des risques d'erreur ou d'equivoque. Cela equivaudrait ä dire, de notre point de vue, que les variantes et les alternatives qui marquent dans la synchronie les changements diachroniques en cours peuvent provoquer par leur simple existence de brefs etats de »conscience de parole« et que, d'autre part, les »imperfections« du systeme (distinctions formelles ou fonctionnelles insuffisantes ou imprecises, surcharges redondantes excessives, etc.) contribuent ä determiner les points oü I'attention du sujet parlant est attiree sur une erreur commise ou une erreur ä eviter. Si tel etait effectivement le cas, cela permettrait de supposer que 1'immense poids des choix concordants de milliers ou de millions de sujets parlants, des cas d'innombrables fois repetes de decisions individuelles, destinees ä prevenir ou ä corriger des fautes, peuvent et doivent agir sur le systeme et, determines de leur cote par les proprietes du systeme, inflechir son mouvement diachronique. 16. II doit etre entendu que les quelques exemples qui suivent ne servent pas ä prouver, mais seulement ä illustrer Γ hypothese et, le cas echeant, ä la nuancer et ä l'elaborer. Precisons avant tout que, de toute evidence, les hesitations et les autocorrections ne relevent pas dans tous les cas de particularites internes du systeme mis en oeuvre, mais peuvent etre dues aux particularites du monde extralinguistique, plus exactement ä I'etat cognitif du sujet parlant concernant cet univers extralinguistique. Dans ces cas, l'hypothese formulee plus haut ne s'applique naturellement pas: Γ effort d'adequation qu'accomplit le sujet parlant apres une breve hesitation emergeant au niveau de la conscience et la decision qui en decoule n'ont aucune portee sur la constitution du systeme linguistique et ses eventuelles modifi-

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cations. Ainsi, en particulier, la recherche du »mot juste«, du lexeme approprie, doit correspondre le plus souvent ä une difficulte qui ne tient pas d'abord ä une particularite de la langue employee, mais plutot ä la maniere dont le locuteur cherche ä saisir, en vue de la communication, la realite denotee. Voici trois exemples simples, non-fictifs dans ce sens qu'ils ont ete notes presque au hasard, immediatement ä la suite de conversations reelles. Iis sont transcrits ici en orthographe usuelle, »...« ou »... euh ... « marquant des pauses clairement pergues (autres que pauses de respiration): (1) Bon, tu depasses les feux, tout de suite tu vois un cinema ä ta droite, cent metres plus loin il y a un carrefour, lä tu tournes ä droi ... pardon, ä gauche. (2) Avec la lettre, il y a les exemplaires du contrat, la il faut signer ... euh ... parapher toutes les pages. (3) Faites maintenant, parce qu'on vient chercher le courrier ... euh ... ä une heure on vient le chercher. (Dit ä une heure moins dix environ.)

Dans les premiers exemples, la situation parait claire: Γ hesitation et la reprise, Γ auto-correction ne sont pas determinees par des particularites du systeme fran^ais. II s'agit de mecanismes psychologiques evidents, simples en apparence. Dans l'exemple (1), il y a un trouble passager dans la representation de la topographie des lieux, auquel contribue peut-etre (mais c'est la un processus psycholinguistique independant des particularites de la langue employee) un phenomene de perseveration declenche par le premier »droite«. Dans l'exemple (2), le locuteur cherche le mot adequat, tombe d'abord sur un quasi-synonyme frequent, puis identifie le terme recherche, d'une frequence considerablement moins elevee. Ici encore, le mecanisme psycholinguistique serait le meme dans toutes les langues (ä condition qu'elles possedent des mots analogues dans leur lexique). Dans les deux cas, on assiste sans doute ä Γ emergence transitoire de la »conscience de parole«, mais, du point de vue de l'hypothese formulee plus haut (point 15), ces exemples n'entrent pas en ligne de compte. L'exemple (3) appelle une analyse differente. Si le sujet interrompt et transforme son »premier jet« (qui aurait vraisemblablement comporte »ä une heure« ä la fin de la proposition) c'est parce qu'il avait le sentiment qu'il n'aurait pas exprime son intention de fa^on completement adequate: il s'agissait pour lui de »mettre en evidence«, de focaliser l'indication de l'heure. Le probleme n'est plus lexical, mais grammatical, et ses donnees sont conditionnees par la variete et la relative complexite des precedes de focalisation en frangais. L'attention du sujet est attiree sur la construction de l'enonce qu'il est en train de produire ä la suite d'une legere difficulte qui tient aux particularites du systeme qu'il manie. 17. Puisque notre hypothese se fonde sur la pression qu'exercent sur le systeme des choix faits au cours de millions d'actes de parole, sa verification et son application heuristique ä des evolutions linguistiques reelles exigeraient le classement et l'analyse d'un nombre considerable - c'est-a-dire d'une quantite statistiquement

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representative d'un etat linguistique dans une langue donnee - de cas d'auto-corrections et de pauses d'hesitation, necessairement extraits de textes paries enregistres et notes avec suffisamment de precision pour se preter ä un tel emploi. Les exemples isoles qui suivent ne donnent sans doute qu'une image approximative et partielle du travail qui s'imposerait. Voici deux exemples, que nous soumettons ä une rapide analyse. A. Transcription d'un passage extrait d'un debat radiophonique sur FranceInter, entre critiques de cinema, enregistre le 23.05.82. Nous transcrivons litteralement Γ edition citee11, mais ne gardons que les signes necessaires ä notre propos: »/« marque une courte pause (coup de glotte); nous remplaijons e de la transcription, qui designe »... euh ...«, par les lettres euh, qui font en somme mieux I'affaire. Nous ne marquons pas les pauses de respiration, notees par les editeurs. ... on s' demande / tout Γ temps bien entendu ä quel moment ces pauvres types ces pauvres diab(les) vont s'apercevoir qu'i sont floues, qu'i sont floues par leur ami et ils le / ils / et ς a leur arrive en effet et ä la fin i lui cassent la figure, mais /euh quand ils lui cassent la figure on trouve qu'il a /qu'ils

ont raison.

Dans ce texte assez banal de point de vue linguistique, on releve trois cas evidents de 1'emergence d'une »conscience de parole«. Dans le premier (marque par le premier passage en italiques dans le texte), le sujet hesite entre plusieurs constructions possibles, il semble pencher d'abord pour quelque chose comme »ils le comprennent« ou »ils s'en rendent compte«, pour choisir enfin, avec le pronom ς a, celle qui est la moins specifique du point de vue des evenements relates. L'hesitation et finalement le choix ne sont pas conditionnes par les donnees du systeme linguistique. mais plutöt par Γ attitude du locuteur vis-ä-vis de son propre texte, par son »style« personnel. La deuxieme pause d'hesitation n'est pas due non plus ä des raisons linguistiques: le sujet veut formuler un message additionnel, nouveau, non previsible par rapport ä ce qui precede et correspondant ä une idee qu'il vient d'entre voir lui-meme »en cours de route«: il a besoin d'une courte pause pour decider (ou avoir l'air de decider afin de menager son effet de surprise) s'il doit l'ajouter, et aussi peut-etre pour la mettre en forme. Dans le troisieme cas, par contre, nous sommes en face d'une erreur et d'une correction subsequente determinees, en quelque sorte, par le systeme: l'identite phonetique complete de il casse et ils cassent semble placer le locuteur dans le registre grammatical non marque, c'est-adire le singulier, ce qui entraine par perseveration automatique il a au lieu de ils ont: faute commise, mais immediatement signalee par le »monitoring« ä l'attention du locuteur, qui corrige. Nous avons affaire ici ä une particularite, ä une insuffisance, si on veut, du systeme fran^ais qui comporte de nombreuses asymetries dans la dis11

Centre de Recherche en Morphosyntaxe du Fran5ais contemporain. Transcription d'un debat radiophonique, Universite de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1984, p. 23.

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tinction formelle entre singulier et pluriel; ce seul exemple en lui-meme ne comporte naturellement aucune information au sujet de la question de savoir s'il existe, dans les erreurs et les choix qui se manifestent dans d'innombrables enonces formules par des sujets frangais, des tätonnements convergents afin de reduire cette tension sur certains points du systeme, au prix d'une modification diachronique qui durerait elle-meme plusieurs dizaines d'annees sinon des siecles. B. Texte hongrois extrait des archives de Γ Institut de Linguistique de l'Academie Hongroise des Sciences, oü se prepare un corpus considerable du hongrois parle de Budapest: l'enregistrement, la transcription et l'analyse phonetique sont dus ä I. Kassai, M. Kontra et T. Szende. Nous donnons des indications frai^aises interlineaires, et ensuite une traduction necessairement approximative. Entre parentheses, seront indiquees les durees des pauses, en millisecondes. Nous laissons de cote d'autres indications de la transcription originale, sans interet direct pour nous. ... ennek a (140) hm (260) (de cette

cuh

magyar filmipari hongroise cinematographique

reszvenytärsasägnak de societe anonyme

a dolgozöi közö ... (260) köztiik a (420) hm (230) az anekdota les travailleurs parmi

parmi eux

de Γ anecdote

iroja is Bissz Robert elindultak hogy a (1160) l'auteur lui-meme B. R. sont partis pour que a reszvenytarsasäg

dolgozöinak

(240) földet foglaljanak

de la societe anonyme aux travailleurs

terres occupent)

Traduction frangaise: »Parmi les ... euh ... les travailleurs de l'entreprise cinematographique hongroise, parmi eux l'auteur lui-meme de l'anecdote, Robert Bissz, sont partis afin de requisitionner des terrains aux travailleurs de la societe anonyme«. Une analyse approfondie du passage demanderait ici des explications trop etendues. Nous l'avons cite afin de pouvoir relever une particularite qui pourrait avoir, du point de vue de ces recherches, des implications methodologiques et peut-etre meme theoriques interessantes: il faudrait evidemment les contröler sur d'autres types de textes, et egalement dans d'autres langues. L'analyse des pauses d'hesitation semble indiquer en effet que les choix lexicaux necessitent une duree en general plus considerable que les choix morphosyntaxiques: devant »magyar filmipari reszvenytärsasäg« ('societe cinematographique hongroise') nous avons une hesitation de 140 + 260 millisecondes, augmentee de la duree de »hm« ('euh'),

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done en tout presque une seconde ou meme plus; devant »anekdota« ('anecdote', en concurrence sans doute avec un terme moins specifique, moins savant), on observe une pause de 420 + 230 + »hm«; devant la deuxieme mention, mais cette fois en luimeme, du mot »reszvenytärsasäg« (en traduction exacte 'societe anonyme', terme peu courant en Hongrie pendant quelques decennies), l'hesitation dure 1160 millisecondes. Par contre, afin d'opter pour »köztük« 'parmi eux' ä la place de »között« 'parmi', le locuteur n'a besoin que de 260 millisecondes; il s'agit pourtant d'une option grammaticale importante qui entraine un changement du sujet et une restructuration de la phrase. De semblables differences s'observent egalement dans d'autres parties du meme texte. II est d'ailleurs de toute evidence impossible de repondre, sur la base de ce seul exemple, ä la question de savoir si l'hesitation grammaticale presentee par ce passage possede, oui ou non, une importance quelconque du point de vue du mouvement diachronique du systeme hongrois. En ce qui concerne cependant la difference dans la duree des hesitations devant options lexicales et devant options ou corrections grammaticales, eile n'a ä nos yeux rien de surprenant: la plupart des choix lexicaux impliquent des considerations extralinguistiques qui exigent, semble-t-il, une activite consciente plus longue que le choix qui s'opere entre alternatives purement linguistiques. 18. II ressort de ces analyses que la verification et Γ elaboration de l'hypothese enoncee n'est en ce moment qu'un programme, presque une proposition de recherche 12 . Telle quelle, l'hypothese contribue peut-etre ä etablir et ä etayer des essais d'explication dejä proposes des processus diachroniques. Nous pensons notamment ä la linguistique historique dite fonctionnelle qui recourt, entre autres choses, pour rendre compte des modifications du systeme, au manque de distinction formelle des fonctions, aux desequilibres et asymetries des paradigmes, ou bien aux surcharges formelles redondantes et par consequent dispendieuses - autant de troubles fonctionnels que le systeme finirait par eliminer 13 . Les explications extremement ingenieuses acquises sur ces bases ont cependant facilement un aspect speculatif, apparemment arbitraire, s'accordant mal avec le peu que nous savons du fonctionnement des communautes linguistiques et laissant dans Γ ombre le mecanisme effectif dont precedent les modifications du systeme. En supposant neanmoins que les desequilibres du systeme et ses tensions fonctionnelles appa-

12

II est ä esperer qu'un tel projet de recherche prendra corps ä Budapest grace aux materiaux de l'Institut de Linguistique de l'Academie: l'extension ä d'autres Iangues, le frangais en particulier, serait sans doute souhaitable. 13 II serait sans doute inutile de citer ici la riche bibliographie de cette litterature, de R. Jakobson ä Α. Martinet et au-delä.

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raissent, au niveau du locuteur, comme des sources d'erreurs et d'equivoques possibles, lui imposant une passagere »conscience de parole« et le f o ^ a n t ä une correction ou un choix, on arrive ä ancrer - on peut l'esperer du moins - les considerations structurales et fonctionnelles dans le deroulement concret de la communication verbale. 19. Presque chaque processus diachronique connu dans n'importe quelle langue peut servir d'exemple. Nous choisissons quelques cas bien connus, en guise d'illustration rapide. On supposera sans peine que si la prononciation finir de l'infinitif, avec -r prononce, apres plus d'un siecle de flottements du XVI e au XVII e siecle, et malgre un soutien de prestige accorde par certains theoriciens ä la prononciation fini(r), Γ a malgre tout empörte 14 , c'etait dü en fin de compte ä des pressions du systeme: d'une part, un infinitif/mi'frj etait en collision homonymique avec un nombre bien plus eleve de formes de son propre paradigme qu'un inflnitif du type aime(r), dont les seuls homonymes etaient aime et aimez (aimai, ä la rigueur); d'autre part, tous les verbes autres que ceux en -er, et parmi eux les verbes statistiquement les plus frequents, comportaient un -r final ou final devant -e ä l'infinitif. Mais cette pression du systeme ne pouvait s'exercer au niveau meme du systeme abstrait: eile s'exer^ait par 1' intermediate des hesitations et du choix de millions de locuteurs au cours d'une periode considerable, choix en partie influence peut-etre par l'exemple de ceux qui n'avaient jamais perdu le -r de finir, mais Oriente surtout par le souci de composer un message »regulier« et comprehensible 1 5 . Ou - pour prendre un autre exemple - si la construction infinitive latine du type scio patrem aduenisse, a ete remplacee petit ä petit par le type »vulgaire« ou »roman« du type scio quod pater aduenit, apres avoir coexiste pendant des siecles dans l'usage des memes locuteurs 16 , c'etait evidemment, dans un certain sens, pour des raisons tenant au mouvement d'ensemble du systeme, mais cela reposait sur d'innombrables choix de locuteurs qui, apres une pause d'hesitation de quelques centaines de millisecondes, ont opte de plus en plus souvent pour la subordonnee ä verbe conjugue, d'une construction plus »aisee« pour eux et constituant un message qu'ils ressentaient comme plus transparent.

14

15

Les details des remarques de grammairiens sur la prononciation de -ir peuvent fort bien etre suivis grace ä Ch. Thurot, De la prononciation frangaise depuis le commencement du XVIe siecle, d'apres le temoignage des grammairiens I—II, Paris, 1881-1882 (voir en particulier II, 161-163). La terminasion -ir avec un r prononce semble avoir ete une prononciation »populaire«, son maintien et son extension ne sont vraisemblablement pas dus ä une influence de grammairiens ou ä une pression de prestige. II n'est d'ailleurs pas exclu - W. Labov l'a maintes fois montre - que des choix individuels soient influences par des pressions de prestige; il peut s'agir lä d'un des facteurs qui entrent en jeu lors des moments d'emergence de la »conscience de parole«.

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Conclusions 20. Un resume veritable ne s'impose pas apres une courte etude. Soulignons pourtant quelques aspects de ce qui vient d'etre expose. Les rapports entre la conscience linguistique et le mouvement diachronique de la langue apparaissent comme reels sans doute, mais aussi comme complexes, contradictoires, voire un peu troublants. Quant ä la conscience linguistique explicite, ä la »conscience de langue«, au discours metalinguistique, cette forme de la conscience ne reflete les changements en cours que d'une maniere fragmentaire et ne les fa^onne que peu. L' impact de la »conscience de parole« de Γ attention transitoire que nous concentrons, lors de nos hesitations et de nos auto-corrections, sur notre propre activite parlante, cet impactlä semble etre bien plus reel, mais aussi fort lent et en quelque sens cache. C'est aussi, il faut le redire, une influence que la conscience exerce d'une fa^on non-consciente, non-intentionnelle. II en est peut-etre comme de l'histoire en general: l'histoire de la langue, notre activite consciente contribue ä la faire, mais nous ne savons pas que nous la faisons et nous ne savons pas ce que nous faisons. La dignite qui reste, dans tout cela, ä la conscience - et ce n'est pas peu - reside dans son pouvoir d'entre voir elle-meme ses propres limites.

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Pour les ddtails, v. Herman 1989a ici meme 43-54, cf. aussi Calboli 1983.

La situation linguistique en Italie au VIe siecle* En parlant de »situation linguistique«, j'ai en vue une des dichotomies saussuriennes, Celle qui est etablie par le Genevois entre »linguistique interne« et »linguistique externe«; je pense en effet ä certaines conditions, done ä certaines donnees externes de l'emploi des langues en presence: leur extension ä l'interieur d'un territoire donne, la connaissance que pouvaient avoir de ces langues les divers groupes de la population, le rapport - le cas echeant - entre leur realite parlee et leur fixation ecrite, la question de Γ existence ou de la non-existence, au sein d'une communaute linguistique, de varietes distinetes 1 . La voie d'approche que j'emprunte s'apparente ä certaines methodes qu'utilise la sociolinguistique contemporaine: je m'efforce de saisir l'attitude des sujets parlants au cours des actes de communication, ainsi que les opinions qu'ils pouvaient avoir sur la situation linguistique dans laquelle ils communiquaient entre eux. Mais comme il n'est guere possible de proceder ä des interviews avec des locuteurs du VI e siecle, j'ai recours pour ce faire ä des temoignages, souvent implicites, qu'on releve dans les textes de l'epoque. Les passages quej'evoque ou que je cite sont done examines en tant que temoignages relatifs ä Γ usage et non pas en tant que specimens de Γ usage. On ne sait que trop ä quel point sont divergentes les opinions en cours concernant la Chronologie de la transformation de la structure latine en structures de type roman, ou concernant la distance qui existait ä telle ou telle epoque entre la realite

* Revue de Linguistique Romane 52 (1988): 5 5 - 6 7 . 1 Cf. Saussure 1922 [1916]: 4 0 - 4 3 . Malgre l'identite presque complete des titres, cette etude se concentre done sur des problemes tres differents de ceux examines dans le riche article de Β. Luiseiii (1981).

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de Γ usage parle et la langue des divers genres ecrits; on connait par ailleurs les difficultes terminologiques que font surgir des expressions comme »latin vulgaire«, »proto-roman« et similaires. Je ne souhaite pas apporter de nouvelles pieces ä un dossier dejä passablement embrouille. L'approche que j'adopte permettra cependant d'entrevoir ces vieux problemes sous un eclairage un peu insolite, done peutetre revelateur.

I. Problemes de bilinguisme C'est la coexistence de plusieurs langues dans le meme cadre geographique qui constitue Γ aspect le plus nettement »externe« de la situation linguistique du territoire en question. Pour Γ Italie du VI e siecle, les donnees elementaires sont bien connues: sur un fond de population autochtone parlant une langue qu'il faut bien nommer, avec les contemporains, le latin, il y avait, depuis les dernieres decennies du V e siecle, un peuplement plus ou moins epars - et inegalement distribue - de locuteurs parlant le gotique, tres inferieurs en nombre aux autochtones, mais vivant en groupes relativement stables jusqu'ä la disparition definitive de l'Etat des Ostrogoths (entre 552 et 555), en vestiges isoles et s'etiolant ensuite. A partir de 568, apparition d'une nouvelle langue germanique, le lombard, vehiculee par des conquerants qui semblent avoir ete plus nombreux que les Ostrogoths, mais toujours tres nettement minoritaires par rapport aux »Romains« 2 . En outre, au gre des vicissitudes de la guerre et des conquetes de Byzance, des elements parlant grec dans divers centres urbains, sans meme parier de la mosai'que de langues et d'ethnies originaires des Balkans et d'Asie mineure, que representait l'armee imperiale (dont la langue de communication etait naturellement le grec, avec d'ailleurs le latin, toujours courant dans les nomenclatures et la terminologie militaires); et, ceci dit, nous laissons de cöte la vexata quaestio de la survie d'anciens ilots grecs dans le Sud. II est evident que tout cet ensemble ne pouvait fonetionner que grace ä Γ existence de couches et de groupes bilingues, et on a pu parier d'une »diffusa condizione di bilinguismo germano-romanzo« (Petracco-Sicardi 1981: 202). Nous nous efforcerons de serrer la realite de plus pres. II est connu, en effet, que les caracteristiques du bilinguisme de divers groupes vivant dans le meme cadre geographique sont en general complementaires et non pas symetriques: autrement dit, c'est le groupe minoritaire, le groupe en position linguistique plus fragile qui, dans

2

On parle d'environ 200.000 personnes constituant 5 ä 8 % de la population globale dans leurs regions de residence, cf. Wickham 1981: 65.

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sa masse, devient bilingue, tandis que, dans le groupe majoritaire, le bilinguisme reste sporadique 3 . Or il semble bien qu'apres quelques decennies de domination en Italie, des le premier tiers du VI e siecle, les Ostrogoths, dans leur masse, etaient bilingues. Pour ce qui est du sommet de la hierarchie sociale, c'est clairement atteste et d'ailleurs peu surprenant; le roi Theodoric avait longtemps ete otage ä Constantinople, et s'entourait ä Ravenne de fonctionnaires remains qui - comme nous le verrons - ne parlaient sans doute pas le gotique; sa fille Amalasuntha parlait le latin, le gotique et meme le grec (cf. Cassiodore, Variae XI, 1, 6). Quant au roi Theodat, il est dit de lui (Procope, Hist, des guerres V, 3, 1) qu'il etait verse en lettres latines et connaissait la doctrine de Piaton. La correspondance administrative, meme adressee ä des dignitaires goths, etait en latin, la correspondance diplomatique egalement. II n'arrive qu'une seule fois, en s'adressant au roi des Herules, tribu consideree comme particulierement arrieree et barbare (v. les longs developpements de Procope, Hist, des guerres VI, 14, 1 —42) que Theodoric precise: ... reliqua per... legatos nostros patrio sermone mandamus, qui uobis et litter as nostras euidenter exponant ... (Cassiodore, Variae IV, 2,4) 4 . II est plus significatif que le clerge ostrogoth, tout en ayant ä sa disposition les textes sacres dans sa propre langue, etait certainement bilingue; temoin le Papyrus de Naples de l'an 551 (Tjäder n° 34) qui porte trois signatures d'Ostrogoths - avec le texte de l'acte de corroboration - en langue et aiphabet gotiques (celles du pretre Optarit, du diacre Suniefridus et du copiste Mirica), tandis que trois membrcs du clerge, Willienant, Igila et Theudila signent et ecrivent en latin (sans doute comme le supppose aussi Tjäder, 1982: 95, note 43, parce que, tout en etant de langue gotique, ils ne connaissaient pas Γ alphabet gotique). On sait aussi (cf. Thompson 1966: 121) qu'un manuscrit des homelies latines de l'eveque arien Maximinus porte des notes marginales en gotique de la main, ä ce qu'il parait, d'un Ostrogoth du VI e siecle. Ajoutons que plusieurs scenes rapportees par Procope dans son recit des guerres d'Italie ne sont comprehensibles que si nous considerons qu'ä cette epoque (entre environ 530 et 552, ä un moment done oü les armees des Ostrogoths etaient dejä composees d'hommes nes et eleves en Italie) le Goth moyen parlait plus ou moins le latin; tel le passage (Procope, Hist.

3

»Majoritaire« et »minoritaire« correspondent dans la plupart des cas ä des realites demographiques, mais il existe des cas exceptionnels; il peut arriver que le groupe linguistiquement »faible« le soit ä la suite d'une inferiorite economique ou culturelle, d'un manque general de prestige.

4

Dans d'autres missives du meme genre, le message oral est simplement evoque, sans l'indication »patrio sermone«; il n'est pas question non plus d'une »explication« du texte de la lettre, p.ex. (ibid. III, 3) lettre au roi des Francs; pereos (sc. legatos) etiam et uerbo uobis aliqua dicenda mandamus.

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des guerres VI, 1, 11-20) qui relate l'histoire d'un Ostrogoth, soldat de l'armee assiegeant Rome, qui se retrouve la nuit au fond d'une fosse profonde avec un »Romain«, done un soldat de l'armee byzantine, qui y etait tombe peu de temps avant lui. Les deux hommes mettent au point un plan plutot complexe qui leur permettra de s'evader; enfin, le Romain, sorti le premier, explique la situation au groupe d'Ostrogoths qui viennent de le sauver. Puisque le Romain ne savait sürement pas le gotique 5 ni les Ostrogoths du commun le grec, ces longues palabres n'ont pu se derouler qu'en latin. Comme c'est normal, il est difficile d'apporter une preuve formelle du fait que, dans le rang des Romains, le bilinguisme latin-gotique etait inconnu ou extremement rare. Des indications existent, pourtant. Pour l'aristocratie, d'abord: il semble (cf. la remarque de Mommsen dans sa preface ä Γ edition des Getica de Jordanes, MGH Auct. Ant. V, p. XXXVII) que Cassiodore lui-meme, ayant pourtant vecu et travaille de longues annees ä la cour de Ravenne, n'etait pas en mesure de se servir du gotique. La seule veritable exception est mise en evidence en tant que telle: le patrice Cyprien, un ambitieux qui semble avoir joue un röle peu reluisant dans la disgrace et la mise ä mort de Boece et de Symmaque, a fait apprendre le gotique ä ses enfants:... pueri stirpis Romanae nostra lingua loquuntur, eximie indicantes exhibere se nobis futuram fidem (Cassiodore, Variae VIII, 21,7: Cypriane ... patricio Athalaricus rex). Pour le petit peuple, il faut se contenter d'un argumentum e silentio unanime; ainsi, dans les Dialogues de Gregoire le Grand, nous assistons ä une serie de scenes montrant de saints personnages en conversation avec des Goths: il n'est jamais question de problemes de comprehension, de paroles en gotique, la conversation se deroule tout naturellement en latin6. II y a meme un miracle (Dialogues IV, 27, 10-12) grace auquel un petit esclave se met subitement ä parier grec et meme bulgare, ainsi que d'autres langues non precisees - en dehors de son latin natal: preuve du fait que le »monolinguisme« latin etait Γ etat naturel des gens du commun. Dans ces conditions de bilinguisme »asymetrique«, dans lesquelles la charge d'apprendre la langue des autres incombait aux Ostrogoths, on peut considerer comme certain que la population de Γ Italie n'etait exposee dans aucune region de

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6

Le plan commun des deux hommes prevoyait en effet que ce serait 1'Ostrogoth qui appellerait ä l'aide dans sa langue, comme s'il etait seul dans la fosse. Que le gotique etait gdneralement inconnu dans l'arm£e de Belisaire, nous le savons aussi par quelques indications precises de Procope; dans son Histoire des guerres, VII, 16, 24, il nous montre une scene au cours de laquelle, lors d'une attaque surprise effectuie en pleine nuit, les Ostrogoths reconnaissent (et massacrent) leurs ennemis grace au fait que ceux-ci ne savent pas leur repondre en gotique. Par contre, lorsque ce sont des Lombards qui entrent en scene, Gregoire, realiste, ne les fait en general pas parier.

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la Peninsule ä un bilinguisme latin-germanique autre qu' individuel et sporadique, et que son latin local continuait, plus qu'ailleurs dans l'ancien Empire d'Occident, ä evoluer sur sa propre lancee, sans etre expose ä une influence germanique veritable, depassant des emprunts lexicaux occasionnels et peripheriques. Sur un plan strictement linguistique, les premieres decennies de Γ occupation lombarde, apres 568, n'ont pas du entamer la Suprematie et l'isolement de la langue des autochtones, malgre toutes les calamites que cette invasion apportait sur d'autres plans. Pour les habitants, les debuts de l'invasion lombarde n'apportaient pas de contacts suivis ou de cohabitation stable avec les occupants; c'etait le deferlement d'une soldatesque mal famee, barbare, etrangere de religion et de langue 7 , d'une gens nefandissima, pour reprendre l'expression de Gregoire le Grand, ä laquelle on cedait ou on resistait selon la situation et le moment, mais avec laquelle on n'avait rien en commun. L'etablissement d'un veritable Etat lombard ne commencera que dans les dernieres annees du VI e siecle; l'abolition graduelle des barrieres juridiques entre Romains et conquerants, plus ou moins parallele ä l'adoption du catholicisme par les Lombards ariens, ainsi que la fusion des deux populations ne commenceront que vers la fin du VII e siecle, bien apres les limites chronologiques que nous nous sommes fixees (cf. l'etude classique de Bognetti 1939; bon resume recent dans Wickham 1981: 28-47). Tout cela produisit les conditions, dans le royaume lombard, d'un bilinguisme transitoire qui meriterait une etude speciale.

II. De l'ecrit ä l'oral et de l'oral ä l'ecrit La deuxieme question que nous abordons est relative ä certains aspects du rapport entre l'ecrit et le parle: il s'agit de se demander dans quelle mesure, pour les locuteurs de l'epoque et dans leur pratique courante, les textes ecrits - tels qu'ils nous sont legues, de nature, de qualite, de style divers - constituaient la forme graphique adequate de la langue qu'ils utilisaient ou, pour formuler la question d'un point de vue inverse, dans quelle mesure la langue qu'ils utilisaient quotidiennement appartenait, pour eux, au meme univers linguistique que les textes qu'ils lisaient ou qu'ils entendaient reciter. II va de soi que les locuteurs du VI e siecle, meme les plus grammairiens, n'ont jamais formule de questions de ce genre et que, par consequent, il ne saurait y avoir de reponse directe. II existe cependant des temoignages plus ou moins implicites, corrobores par l'examen des scriptas ellesmemes; il s'agit de les passer en revue. 7

Gregoire de Tours, en decrivant une incursion lombarde pies de Nice en 581, nous dit que les Lombards devaient faire venir un interprete pour parier avec les habitants (Hist. Fr. VI, 6).

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Soulignons au prealable une nouvelle fois que ces questions relevent de la linguistique externe: elles reviennent ä se demander si l'on peut en rester ä la theorie frequemment avancee (cf. entre autres, dans la litterature recente, Durante 1981, 223) d'apres laquelle, au VI e siecle et meme avant, il y avait une situation que la sociolinguistique qualifie de diglossie, avec, d'un cote, un parier vulgaire de tous les jours, latin »populaire« ou dejä pre- ou proto-roman et, d'un autre cote, un latin ecrit, une langue traditionnelle d'apparat, dont emanaient naturellement des productions orales rattachees au niveau et ä la dignite de l'ecrit. II existe, dans les lettres du pape Gregoire le Grand, un passage que je trouve fort important et que je cite in extenso (Greg. Magni Reg. Epist. XII, 6, ed. MGH 352, 26-30): illud autem quod ad me quorundam relatione perlatum est, quia reuerentissimus frater et coepiscopus meus Marinianus legi commenta beati lob publice ad uigilias faciat, non grate suscepi, quia non est illud opus populäre et rudibus auditoribus impedimentum magis quam prouectum generat. Sed die ei, ut commenta psalmorum legi ad uigilias faciat, quae mentes saecularium ad bonos mores praeeipue informent. L'attitude sous-jacente ä cette instruction est claire: si Gregoire souhaite que l'on fasse lire aux fideles, rudibus auditoribus, le commentaire des Psaumes plutöt que le commentaire sur le livre de Job, e'est parce que ce dernier risque de les troubler, tandis que le texte consacre aux Psaumes les exhortera au bien. La question d'une barriere linguistique ne se pose meme pas: que ces »rüdes auditeurs« vivant dans le siecle soient ä meme de comprendre ces textes d'exegese, ecrits Tun et l'autre dans un latin chretien correct et soigne, e'est pour Gregoire 1'evidence meme. Si le commentaire sur Job risque de les troubler, si celui sur les Psaumes leur sera profitable, c'est justement parce que, au niveau de la comprehension purement linguistique, les deux »passeront«. Ce texte ne fait que reaffirmer ä sa maniere ce qu'un texte plus ancien - de trois quarts de siecle environ - nous apprend avec plus de clarte et de simplicite, ä propos d'une region proche de Γ Italie, reliee d'ailleurs ä cette derniere par une commune sujetion aux Ostrogoths. II s'agit d'un sermon de Cesaire d'Arles. Voici les passages qui nous Interessent: Sermon 6, 2 (cite d'apres Delage 1971) Quando noctes longiores sunt quis erit qui non possit dormire, ut lectionem diuinam uel tribus horis non possit aut ipse legere, aut alios legentes audire . . . Vos ergo, fratres, rogo et admoneo, ut quicumque litteras nostis scripturam diuinam frequentius relegatis, qui uero non nostis, quando alii legunt, intentis auribus audiatis. ibid. 3 Sed dicit aliquis: ego homo rusticus sum et terrenis operibus iugiter occupatus sum; lectionem diuinam nec audire possum nec legere. Quam multi rustici et quam multae mulieres rusticanae cantica diabolica amatoria et turpia memoriter retinent et ore decantant. ... Quanto celerius et melius quicumque rusticus uel quaecumque mulier rusticana, quanto utilius poterat et symbolum discere, et orationem

L a S i t u a t i o n l i n g u i s t i q u e e n Italie au V I e s i e c l e

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dominicam, et aliquas antiphonas. Ibid. 8 Qui potest totum retinere quod dicimus, Deo gratias agat, ... qui totum non potest retinere, uel partem aliquam recordetur ... Dicat unus alteri: Ego audiui episcopum meum de castitate dicentem. Alius dicat: Ego in mente habeo illuin et de elemosynis praedicasse ... Remansit in anima mea, quod dixit ut sie colamus animam nostram quomodo colimus terram nostram. L'opinion implicite de Cesaire au sujet des possibilites de communication linguistique peut se resumer de la maniere suivante (et il est ä rappeler que Cesaire avait un sens aigu de la realite, qu'il connaissait bien ses fideles et qu'il n'avait guere d'illusions ä leur sujet): 1. Les gens sachant lire comprennent sans difficulte Ie latin de la Bible; ceux qui ne savent pas lire comprennent sans difficulte ce qui leur en est lu. 2. Les rustici, hommes et femmes, sont capables de comprendre et d'apprendre par coeur des textes comme le credo ou l'oraison dominicale, aussi et plus facilement que les »cantica diabolica amatoria et turpia«. 3. Les phrases des sermons latins peuvent etre integrees sans difficulte dans la conversation courante entre fideles. Le temoignage de ces textes est clair: un latin comme celui de la Bible (et il s'agissait dejä, surtout, de la Vulgate), comme celui des homelies et des commentaires bibliques, done un latin chretien »courant«, grammaticalement correct, mais utilisant un vocabulaire »standardise«, peu varie et une syntaxe relativement monotone et simple, etait compris sans difficulte, ä la lecture comme ä la simple audition, par le public moyen d'Italie et d'autres territoires mediterraneens, meme par des gens simples, par des paysans, des personnes sans instruction aueune. II y avait done un passage automatique, une permeabilite en apparence complete entre l'ecrit et le parle. Tout ceci appelle cependant des commentaires. Premierement: la lecture ä haute voix des textes ecrits (et meme la lecture effectuee par le lecteur pour lui-meme) devait obeir ä des regies de correspondance entre prononciation et signe graphique qui n'etaient pas les memes que Celles en vigueur ä l'epoque classique. Certaines des modifications etaient assez clairement codifiees par les grammairiens de la fin de 1'Empire, et meme par des contemporains comme Isidore de Seville; il s'agit par exemple de l'obscurcissement de -m final, d'un debut d'assibilation de certaines occlusives devant yod, de la nonprononciation de la lettre h. D'autres modifications, que nous connaissons fort bien - comme les confusions des timbres vocaliques, Γ abolition des anciennes oppositions de duree, les confusions entre b et ν - etaient rapportees par les grammairiens, faute de notions phonetiques claires, faute aussi d'une comprehension adequate des mouvements en cours, de maniere imprecise et confuse, bien que souvent tres prolixe; toujours est-il que des personnes plus ou moins instruites en etaient vaguement

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conscientes. II est ä peu pres certain que la lecture ä haute voix se faisait en conformite avec ces modifications, et suivait un automatisme ä peu pres inconscient: il ne s'agit pas ici de prononciation »vulgaire«, mais d'une prononciation commune ä tous, avec des nuances locales, des differences selon le degre de culture, etc.; mais qui n'en detruisaient pas la fondamentale unite. S'en departir, essayer de reconstituer, en partie du moins, une prononciation conforme aux normes anciennes, relevait d'une prouesse de professionnel: dispositis congruenter accentibus metrum nouit decantare grammaticus (Cassiodore, Variae IX, 21, 3). Deuxiemement: le passage de l'ecrit ä l'oral et de l'oral ä l'ecrit ne fonctionnait pas de la meme maniere dans les deux sens. Dans un excellent article (1964, passim), se concentrant sur une periode bien posterieure ä la nötre, Lüdtke a dejä indique l'importance de la distinction entre ce qu'il appelle »Vorlesen« et »Protokoll« - cette distinction est capitale pour notre epoque. En effet, le passage de l'ecrit ä l'oral, ä la lecture d'un texte ä haute voix par exemple, se faisait, comme nous venons de le voir, avec un automatisme quasi complet, dans ce sens qu'une serie donnee de graphemes correspondait pratiquement toujours ä une seule serie de phonemes. L'inverse n'etait pas vrai: depuis Γepoque classique, il s'est produit des amui'ssements de phonemes, des confusions de timbre vocalique, des simplifications phonetiques dans les groupes de consonnes, etc. - par consequent, une serie de phonemes donnee pouvait correspondre ä plusieurs transcriptions orthographiques. Exemple banal: si dominum se lisait toujours [domino], [domino] pouvait se transcrire non seulement dominum, mais aussi domino, et peut-etre, par endroits, dominus et dominos. D'oü, dans les textes rediges par des gens peu instruits ou ecrits par eux sous la dictee, des flottements multiples dans la transcription des mots et des morphemes devenus homonymes dans la prononciation. On trouve des exemples eloquents dans les chartes ou les papyri qui presentent un texte en principe identique, mais dicte ä differents temoins, sous des formes graphiques fort variees. Dans le papyrus de Γ an 591 dans Tjäder 37, les cinq temoins dont les textes autographes se suivent ä partir de la ligne 73, transcrivent l'ablatif (a) venditrice de cinq manieres differentes: vindetricae, vindetrice, vendetricem, vendetrice et - en caracteres grecs - β ε ν δ ε τ ρ ι κ α ΐ . Dans un environnement ou la formation litteraire et grammaticale systematique etait devenue rare ou meme tout ä fait sporadique, cet etat de choses que nous nommerions transcodage asymetrique entre l'ecrit et l'oral, produit des textes ä orthographes extremement variables (dans certains types de scripta du moins) mais qui, ä la lecture, auraient produit des enonces oraux ä peu pres ou meme rigoureusement identiques. II existait d'ailleurs, entre les deux types de transcodage, une autre asymetrie, bien plus simple. Le passage frequent, normal etait celui de l'ecrit ä l'oral, du texte ä la lecture, soit de textes traditionnels comme les textes bibliques, liturgiques, etc.,

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soit de textes rediges par des personnes plus ou moins instruites, maniant avec une certaine routine la grammaire et l'orthographe traditionnelles. Le passage »direct« de Γ oral ä l'ecrit etait rare dans ce sens qu'il n'engageait d'habitude qu'un petit nombre de professionnels et se limitait, pour les gens du commun, ä la signature de rares actes juridiques 8 . Dans ces conditions l'asymetrie du passage de l'oral ä l'ecrit et de l'ecrit ä l'oral restait tolerable aussi longtemps que l'acte de decodage normal et courant - la lecture des textes ecrits et, naturellement, la comprehension par tous des textes lus - fonctionnait sans difficulte particuliere, ce qui semble avoir ete le cas au VI e siecle: les normes de lecture en vigueur produisaient, il est vrai, certaines homonymies, certaines confusions raeme entre formes flexionnelles des noms, sans pour autant mettre en danger la comprehension d'ensemble des textes. Les contemporains avaient, nous l'avons vu, le sentiment que les textes ecrits faisaient normalement et regulierement partie de l'univers langagier de la population entiere et que, d'autre part, le parier spontane avait, dans l'ecrit, une contrepartie adequate qui η'etait pas linguistiquement inaccessible aux locuteurs. II y avait naturellement, dans ce sentiment d'unite, une part de mirage: dans la langue parlee, prononcee, la flexion nominale etait en ruines, et la structure d'ensemble de la langue en etait ebranlee. Neanmoins, ce sentiment reposait sur Γ experience de la reussite courante, normale, quotidienne de la communication au niveau de la communaute entiere, et avait par consequent un fondement solide dans une realite vecue, done transitoire.

III. Le latin en Italie et hors d'ltalie: un sentiment d'unite Cette langue une, gardee intacte malgre la presence des Germains, a une identite solide et inalienable aux yeux des contemporains: e'est le latin. Certes, un sentiment de decadence subsiste dans cette conscience de continuite, et le cri que prete ä ses moines Cassiodore dans la Preface de son ouvrage De orthographia n'est pas une simple fleur de style: 'quid prodest cognoscere nos uel quae antiqui fecerunt uel ea quae sagacilas uestra addenda curauit nosse diligenter, si quem ad modum ea scribere debeamus omnimodis ignoremus?' (GL VII, 143, 1-5). Cette »latinophonie« vivante correspond, au debut du siecle encore, ä une Ideologie: Cassiodore cherche ä persuader ses maitres germaniques de la possibi-

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La redaction de textes religieux ou littcraires impliquait naturellement aussi un passage de l'oral ä l'ecrit, notamment lorsqu'elle se faisait par la dictee; e'etait cependant un processus plus complexc, impliquant des rivisions, des corrections, done des phases de lecture et de relecture.

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lite et de l'importance d'une legitimation de leur pouvoir grace ä l'usage du latin: (Variae IX, 21, 4) hac (sc. grammcitica) non utuntur barbari reges: apud legales dominos mauere cognoscitur singularis. arma enim et reliqua gentes habent: sola reperitur eloquentia, quae Romanorum dominis obsecundat. Elle correspond aussi ä une sensibilite, et chez un homme comme Gregoire le Grand, ä une sorte de patriotisme linguistique qui frise le mepris pour d'autres langues; Gregoire redit si souvent qu'il ne comprend pas, ne lit pas, ne pratique pas le grec que cette exclusivite merae rend ces denegations legerement suspectes, surtout si on lit la remontrance suivante: (Greg. Magni Reg. Epist. Ill, 63, ed. MGH I, 225, 5-6) Domnae Dominicae salutes meas dicite, cui minime respondi quia cum sit Latina graece mihi scripsit. Ce latin n'est pas, pour les contemporains, un latin d'ltalie, une langue locale: son unite par-delä les limites de la Peninsule n'est jamais mise en doute. L'idee d'une diversite territoriale affectant l'usage commun et l'intercomprehension entre regions de la Romania n'effleurait personne. Meme dans les ecrits grammaticaux, les renvois ä des faits locaux sont presque non-existants, ou repris ä des grammairiens anterieurs de quelques generations. Le seul qui parle de varietes du latin est Isidore de Seville, mais ce sont chez lui des varietes chronologiques (Etym. IX, 1, 6). Pour sa propre epoque, il parle d'une »lingua latina mixta«, correspondant sans doute, comme le prouve le contexte, ä la koine grecque, done encore ä une langue commune ä diverses regions (cf. Wright 1982: 93) 9 . Et Iorsqu'il dit plus loin (Etym. IX, 1, 8) Omnes occidentis gentes uerba in dentibus frangunt sicut Itali et Spani, cela devient parfaitement obscur et prouve simplement, s'il en est besoin, qu'Isidore ne permit pas de difference entre regions romanes (il oublie de mentionner la Gaule). Pour un non-Latin comme Procope, l'identite et l'homogeneite du latin parle dans les diverses regions de Γ Empire est ä un tel point une donnee immuable et naturelle qu'elle ne merite meme pas de mention explicite, bien que ses references au latin soient tres frequentes (explications de noms de lieux, de denominations d'objets, etc., dans les differentes regions qu'il a parcourues ä la suite de son maitre Belisaire). Tout ceci ne veut naturellement pas dire qu'il n'y ait pas eu de differences territoriales dans le latin parle de Γ epoque, entre anciennes provinces et meme ä l'interieur des provinces 10 . Ce qui est certain, pourtant, e'est que ces differences

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Le »patriotisme linguistique« du pape Gregoire n'est pas inconnu ä Isidore non plus, ni sans doute l'intention de propagande que Ton observe chez Cassiodore; cf. Etym. II, 16, 2 Laline autem loquitur qui uerba rerum uera et naluralia persequitur nec a sermone atque cullu praesentis temporis discrepat. Je me suis souvent exprime ä ce sujet; cf. un resume recent (avec bibliographie) dans Herman 1990 [1985a],

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n'entamaient pas, pour les contemporains, Γ unite fondamentale du latin. Nous ne pouvons que redire ce que nous avons dit plus haut en parlant de l'unite de la langue ecrite et de la langue parlee: si le sentiment de l'homogeneite territoriale du latin etait une illusion, cette illusion se fondait sur l'experience continue de l'intercommunication et l'intercomprehension sans obstacle entre latinophones appartenant ä des regions diverses. Cette curieuse contradiction entre la realite consciente et vecue de l'experience communicative quotidienne et, d'autre part, les profonds processus diachroniques qui ne percent pas jusqu'ä la conscience des locuteurs - c'est en eile que reside, pour nous, la Ιβςοη la plus inquietante du tableau que nous venons d'esquisser.

Sur un exemple de la langue parlee ä Rome au VIe siecle* A Aurelio RONCAGLIA, en signe d'amitie et de respect. Le titre de cet essai n'est peut-etre pas tout ä fait heureux: il semble renfermer une presupposition selon laquelle il serait possible de distinguer, grace aux sources et aux methodes dont nous disposons, une langue parlee specifiquement romaine et l'opposef ä l'usage d'autres villes ou regions d'Italie. Ce serait lä une tentative dans laquelle je n'aurais pas l'audace de me lancer. Car s'il est a priori vraisemblable, sur la base de tout ce que nous savons sur la variability de Γ usage parle dans toutes les langues, que la variete parlee par le peuple de Rome avait des traits qui la distinguaient de celle d'autres parties da la Peninsule, il est certain que - jusqu'ä nouvel ordre - nos textes ne permettent absolument pas d'entrevoir ces differences. Si j'ai malgre tout choisi d'examiner le cas de Rome, cela a une raison extremement simple: c'est ä Rome que nous trouvons le plus grand nombre de documents directs - c'est-ä-dire des textes ecrits au VI e siecle meme - et c'est ä Rome plus qu'ä d'autres parties de l'Italie que se rapportent nos sources de caractere historique. Si nous tenons done ä formuler des constatations d'ordre linguistique concernant un lieu circonscrit et precis, c'est ä Rome qu'il y a le plus d'espoir de trouver une mince dechirure dans le voile qui couvre ce qu'on appelle la realite parlee. J'examinerai dans ce qui suit un fait qui semble extremement maigre et dont je me servirai pour tenter des conclusions d'un ordre plus general. Ce sera aussi une audace mais qui me sera, j'espere, pardonnee. II existe, comme Γ on sait, dans la vaste masse des textes latins, de la periode classique ä l'epoque carolingienne, quelques tres rares formes, quelques rares passages ou series de phrases, qui se distinguent par le fait que, pour des raisons diverses, les

* Latin vulgaire - latin tardif II. Tubingen, Niemeyer, 1990: 145-157.

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auteurs des textes dans lesquels ils s'encastraient souhaitaient reproduire par leur intermediate la maniere meme dont ces formes ou ces phrases ont ete prononcees, se rapprocher - dans la mesure oü le permettait le cadre graphique disponible - de la realite »textuelle« de l'enonce oral. II s'agit done de la reproduction volontaire, dans un contexte essentiellement litteraire et latin d'elements d'une langue parlee dont la conservation conforme ä leurs caracteristiques parlees presentait un certain interet. Dans les premiers siecles de notre ere, ces »citations« refletaient, avec plus ou moins de fidelite, un latin parle distinct du latin ecrit, litteraire; au cours de la deuxieme moitie du premier millenaire, elles constituaient dejä des specimens, parfois sans doute deformes, d'un latin »iuxta rusticitatem«, 1 precurseur direct de la »rustica romana lingua« evoquee par le Concile de Tours en 813. Les raisons pour lesquelles cette quasi-reproduetion du parle semblait s'imposer aux auteurs sont fort variees. Souvent, la reproduction »iuxta rusticitatem« correspond ä la valeur performative de la phrase citee: les paroles prononcees constituent en elles-memes un acte dont l'efficacite est liee ä l'authenticite textuelle de la formule. C'est le cas des serments, comme dans le »Breve de Inquisitione« de Siena (a. 715) 2 et plus tard, exemple celebre entre tous, les Serments de Strasbourg; c'est aussi le cas de certaines formules de benediction, comme par exemple les Laudes Regiae de Soissons. 3 La reproduction »litterale« peut s'averer necessaire pour sauvegarder le sens d'un jeu de mots, d'une plaisanterie ou d'une interpretation »etymologique«; evoquons, pour prendre deux exemples aussi distants que differents, le cri Cauneas d'un vendeur de figues ä Brundisium, que cite Ciceron (Div. 2,84) et qui aurait pu etre compris, ä ce qu'il parait, comme »caue ne eas«; citons d'autre part le Daras que donne la Chronique de Fredegaire (II, 62), et qui serait la reponse de Justinien au roi des Perses et en meme temps »Fetymologie« du nom de la ville de Daras oü l'evenement aurait eu lieu. 4 Bien des fois, enfin, il s'agit de la reproduction de chansons ou de slogans, prononces, chantes ou scandes par le peuple ou par des groupes, et que l'on cite de maniere en principe textuelle pour documenter, justement, l'importance d'un evenement, ou bien la popularite, le cas echeant l'impopularite d'un personnage historique. La cantilene dite de Saint Faron serait l'exemple type de ce genre de citations, d'autant plus que l'auteur ajoute meme ä la fin du poeme (Vita Faronis

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Le terme a ete mis en evidence ä juste titre par Avalle (Avalle 1965: p. X). C f . CDL61. 3 Pour le texte, v. Avalle 1965: 25-6; on se reportera au bei article de P. Zumthor 1959 pour les questions de langue. 4 Et aussi - rappelons-le, bien que le fait soit connu - la premiere attestation sure d'un futur roman (dare habes) pleinement constitue. 2

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78, MGH Script, rer. Merov. V, 193): Hoc enim rustico carmine placuit ostendere, quantum ab omnibus celeberrimus habebatur. Cette lignee de »citations parlees« remonte cependant ä une longue tradition, puisque les fameux chants et plaisanteries de soldats qui emaillaient les triomphes et dont plusieurs sont reproduits par les historiens en font dejä partie (pensons au fameux couplet cite par Suetone, Iul. 51, Urbani, seruate uxores: moechum caluom adducimus, etc.). Je souhaiterais, dans ce qui suit, ajouter un petit texte ä cette serie de »citations de l'usage parle«; texte publie ä plusieurs reprises et done loin d'etre inconnu, mais qui n'a pas encore ete, ä ma connaissance, analyse en tant que monument linguistique. Notre texte se trouve encadre dans un passage du Liber Pontificalis, ä l'interieur du chapitre consacre au pape Vigilius. Nous citons le passage en conformite avec I'edition de Th. Mommsen (MGH, Gesta Pontificum Romanorum, Berlin, 1898, p. 151, lignes 8 et ss.), en soulignant la »citation« que nous nous proposons d'examiner: ... miserunt eum in nauem. Plebs et populus sequebatur eum adclamantes, ut orationem ab eo acciperent. Data oratione dixerunt omnis populus: amen; et mota est nauis. Videntes Romani quod mouisset nauis, in qua sedebat Vigilius, tunc populus coepit post eum iactare lapides fustes cacabos et dicere: 'famis tua tecum! mortalitas tua tecum! male fecisti cum Romanis, male inuenias ubi uadis'. Pour situer notre texte dans l'histoire, il convient, avant de proceder ä une analyse linguistique, de poser la question de l'authenticite des faits relates. L'arriere-plan, le cadre historique de Γ anecdote constituent un chapitre bien connu de l'histoire generale et en particulier de l'histoire de la papaute; nous le resumons brievement pour memoire, sans approfondir certains aspects sujets ä discussion, qui sortent de toutes manieres de notre domaine de competence. 5 Le pape Vigilius etait le successeur de Silvere ou Silverius, qui, en conflit de politique ecclesiastique et de doctrine avec Justinien et surtout l'imperatrice, avait ete depose et exile en 537 par Belisaire, sur l'ordre du couple imperial. Vigile ou Vigilius, alors diacre, qui avait sejourne longtemps ä Constantinople, joua un role peu reluisant dans la deposition de son predecesseur et fut meme, au dire de certains de ses contemporains, responsable de la mort malheureuse et indigne de Silverius exile. Devenu pape grace ä la pression de la Cour de Constantinople et en tant qu'homme de Byzance (ä la difference de Silverius qui avait ete accuse de connivence avec les Ostrogoths), Vigilius semble avoir cependant embrasse les positions

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Les faits sont exposes dans tous les manuels d'histoire ecclesiastique detailles, je prefere ä tous le condense donne par L. Duchesne (Duchesne 1925: 179).

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traditionnelles de la papaute et a montre peu d'empressement pour servir d'instrument ä Justinien; il semble notamment avoir ete recalcitrant ä embrasser la cause de Justinien dans la fameuse querelle des »trois chapitres« ä la fois doctrinale et politique. Apres des peripeties dont les details n'ont aucun rapport avec notre propos, l'empereur envoie son emissaire ä Rome que menace dejä l'armee du nouveau roi ostrogoth, Totila, avec l'ordre d'amener Vigilius ä Constantinople, dans le dessein evident de le rendre plus docile et de s'assurer de sa conduite. Vigilius quitte done Rome, le 22 novembre 545, date plus ou moins assuree, 6 et le passage cite nous fait assister ä ce depart. Pour le fait essentiel - le depart du pape - Γ information contenue dans le Liber Pontificalis, confirmee par d'autres sources independantes, 7 est done parfaitement authentique. En ce qui concerne les details, le Liber est le seul ou ä peu pres le seul - ä les donner. 8 Pour l'essentiel, ces details sont parfaitement credibles. II est entre autres plus que vraisemblable qu'au moment oü le Pape fut emmene - sans doute sous escorte, bien qu'avec des egards dus ä son rang - au bateau qui devait l'emporter vers la mer, il y avait autour de l'embarcadere une foule plus ou moins excitee. Rome vivait en effet ces annees dans la misere et dans une incertitude continuelle, exposee aux dangers les plus extremes. Vigilius lui-meme, que certains consideraient comme l'ancien homme de main de Justinien et qui devait eprouver maintenant l'hostilite de son protecteur, etait un personnage contradictoire, et il y avait certainement de nombreux Romains ä le considerer comme en partie responsable non seulement du sort de Silvere, personnage devenu presque legendaire, mais aussi des infortunes de la ville. II est par consequent fort probable que son depart, precede de la venue des emissaires de Byzance, organise au vu de tous et au grand jour, fut accompagne de mouvements de foule; 9 il est vraisemblable aussi qu'en dehors de ses fideles, il y avait aussi bon nombre de ses adversaires dans la masse.

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L'annee est conjecturale, la date, moins vraisemblable, de 544 a ete suggeree par certains; v. la note de L.Duchesne dans son edition du Liber Pontificalis (reedition Paris, 1981), commcntaire ad locum.

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Le fait »nu« que Justinien ait fait venir Vigilius ä Byzance est confirme par plusieurs chroniqueurs de l'epoque, v. les donnees chez Duchesne, I.e. aux notes 5 et 6. L'atmosphere de la scene est pourtant clairement evoquee dans la lettre adressee par des ecclisiastiques d'ltalie aux legats des Francs en route vers Constantinople, et destinee justement ä demander leur intervention en faveur de Vigilius, dejä ä Byzance: Migne PL 69, 115 ueniens enim ibi ante sex annos istos beatissimus papa Vigilius, magis autem, ut quod uerius est dicatur, prope uiolenler deduetus...

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Un contemporain, Facundus semble y faire allusion en rappelant le voyage de Vigilius, Migne PL 67, 624 Romana... uniuersitas egredientem... publica...contestatione pulsauerint... ut nullatenus nouitati quae facta est acquiescat.

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Tout cela etant, il est plus que vraisemblable qu'il y eut des cris et meme des slogans scandes. Nos certitudes ou nos quasi-certitudes s'arretent evidemment lä. Nous ne savons pas, en particulier, si le texte cite plus haut correspond effectivement aux paroles reellement scandees par la foule en 545, et avouons que c'est, en soi, peu vraisemblable. Ce qui est certain, par contre, c'est que ce morceau de texte - nous le montrerons plus loin - constitue dans l'ensemble du chapitre sur Vigilius et meme dans l'ensemble du Liber un element isole, une sorte de corps etranger par sa forme versifiee comme par certains traits de sa langue, il est done improbable que le compilateur - quelle qu'ait ete l'epoque oü ce chapitre a ete redige 10 - ait invente de toutes pieces les cris scandes par la masse de gens reunis autour de l'embarcadere. Le texte de cette espece de slogan a dü arriver jusqu'ä lui grace ä une tradition, ecrite ou peut-etre en partie verbale, qu'il n'est sans doute pas possible de reconstituer dans ses details. Ce qui est important, pour nous, c'est que cette tradition devait präsenter le texte comme un slogan prononce, et que cette presentation comportait assez de credibilite pour se maintenir et arriver jusqu'au compilateur de ce chapitre du Liber. Ainsi, meme si notre texte n'est pas exaetement conforme aux paroles effectivement scandees par une partie du peuple de Rome en 545, il apparaissait aux gens du VII e siecle et meme sans doute de la deuxieme moitie du VI e comme un slogan pronon9able, la reproduction credible des cris de manifestants excites. Nous pouvons done conclure ce raisonnement en disant que notre texte est le resultat d'un effort en vue de rendre les paroles scandees par une foule du VI e siecle, sans doute afin de documenter 1' impopularite de Vigilius et la haine dont il etait l'objet ä Rome, 11 il est done, dans l'intention du redacteur, un morceau de latin »iuxta rusticitatem« - nous dirions »iuxta plebeiam urbanitatem« - il est done linguistiquement authentique sans que son authenticite historique soit certaine. Dans 1'analyse des particularites linguistiques du texte, je me bornerai ä examiner Celles qui permettent d'entrevoir, ä titre d'hypothese au moins, la »realite parlee« derriere la forme ecrite qui nous est leguee. A. Notre texte se decompose en deux parties, une premiere qui comporte deux imprecations paralleles, se terminant par des mots identiques, relevees par des alliterations de sons durs, d'occlusives sourdes, formant ainsi deux courts enonces

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Les opinions de L. Duchesne et de Mommsen divergent, cf. les prdfaces respectives de leurs Editions; la divergence, de notre point de vue, ne tire pas ä consequence: il s'agit sans doute du VIIe siecle. Le Liber Pontificalis, comme ä sa suite sans doute toute l'historiographie, ou presque, du Haut Moyen Age est tres hostile ä Vigilius.

Sur un e x e m p l e de la langue parlee ä R o m e au V I e siecle

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que relient des structures grammaticales semblables ainsi que l'identite des fins d'enonces fortement rythmees. Malgre ces particularites, il ne s'agit pas, ä premiere vue, d'un »couplet« veritable, d'un slogan versifie: famis tua tecum! mortalitas tua tecum. Sauf le terme mortalitas, sur lequel nous reviendrons, ce fragment de texte ne contient aucun element qui ne puisse etre considere comrae un moyen d'expression de la langue parlee, et la reconstruction - sans doute approximative - de la prononciation ne pose pas de difficulte particuliere. En ce qui concerne le vocalisme, notons que les formes tua etaient sans aucun doute monosyllabiques, soit ä la suite de la transformation de u en semi-voyelle (dans le sens de Väänänen 1971: 102), soit - plutöt - par effacement complet de u en hiatus, avec allongement compensatoire de la consonne precedente; il s'agit d'une evolution bien attestee (pour Rome, v. par exemple l'inscription ICVR NS 5057, datable ä 530 environ: GENNARA = Ianuaria; v. ä ce sujet, pour la prehistoire de l'italien, Rohlfs 1949: 481). Dans les syllabes finales (nous ne parlons pas de mortalitas en ce moment), le i de famis (pour le nommshifames) et le u de tecum representaient dejä sans doute et depuis longtemps respectivement un [e] et un [o] plutöt fermes (il s'agit d'une evolution universellement connue, citons pourtant, pour foumir des exemples contemporains et romains des flottements graphiques qui en resultent, d'une part l'inscription ICVR NS 12428, annee env. 500 REQ...ISCIT et plus loin ...ISCE = escit, et d'autre part, pour u - o, ICVR NS 4998, a. 498 SE BIBVM CVNPARAVIT en face de ICVR NS 4179, a. 496 SE VIBO CONPARAVIT). Pour dire un mot du consonantisme, rappelons que, de toute evidence, le -m final de tecum ne s'entendait plus et il est tout ä fait vraisemblable que, devant initiale consonantique en particulier, le -s d & famis etait egalement amu'i.12 Comme le possessif tua, joint directement au nom auquel il se rapportait, etait sans doute enclitique, les premiers mots devaient se prononcer, ä peu pres, [famet:a teko] ou [fämetwa teko]. 13 Mais qu'en est-il, dans cet ensemble qui est pronontjable et populaire, du mot savant et abstrait mortalitas? D'un point de vue purement semantique, la presence de ce mot dans le contexte de cette »malediction« n'a rien d'absurde: dans un langage un peu releve, appliquant par euphemisme Γ idee de la condition generale des humains au cas individuel, il arrive que mortalitas signifie »mort, deces«. Chez Ulpien par exemple, on 12

II serait inutile de reprendre ici le probleme cent fois debattu du -s en latin tardif; j e renvoie pour

13

J ' e m p l o i e les signes de transcription de Γ Association Phonetique Internationale, a v c c un accent

la bibliographie et aussi pour une v u e d ' e n s e m b l e de la question, ä Herman 1987 ici m e m e 3 3 - 4 2 . aigu pour marquer la place de l'acccnt d'intensite.

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a des passages comme Dig. 48,4,11 is qui in reatu decedit integri status decedit extinguitur enim crimen mortalitate, oü il faut sans doute traduire »...l'accusation est en effet invalidee par le deces (de Γ accuse)«. Par ailleurs, on trouve ce mot ä epoque tardive avec le sens »epidemie, peste« (cf. les donnees de Du Cange, s.v.; ajoutons Marcellini cont. ad annum 543, MGH Auct. Ant. XI, 107 mortalitas magna Italiae solum deuastat). II nous semble neanmoins vraisemblable que ce mot n'avait pas fait partie des paroles effectivement prononcees; dans les acceptions seules possibles dans ce contexte et que nous venons d'indiquer, c'etait un euphemisme releve du langage ecrit; sa presence detruisait d'ailleurs le parallelisme rythmique que Γ on attendrait d'apres le parallelisme de structure semantique et grammaticale des deux parties de 1' imprecation. II reste ä supposer que ce terme en remplace un autre que le redacteur de ce chapitre du Liber ou bien sa source voulait eviter. J'opterais pour ma part pour l'hypolhese un peu osee peut-etre, selon laquelle ä un certain moment de la transmission de ce passage on a eprouve le besoin de supprimer, comme trop evidemment incorrect, un nominatif analogique *mortis par un mot grammaticalement acceptable, mais qui ne füt pas simplement mors, d'une part parce que ce monosyllabe etait rythmiquement insatisfaisant, d'autre part parce que l'ancien nominatif etait dejä, peut-etre, peu usite. 14 B. La deuxieme partie de notre texte - malefecisti cum Romanis, male inuenias ubi uadis - constitue un tout ferme; il s'agit d'abord, ä la difference des imprecations traitees jusqu'ici, d'une phrase complexe, grammaticalement complete, composee de deux coordonnees dont la deuxieme exprime - sans conjonction, mais sur la base d'un semantisme evident - la conclusion ä tirer, la consequence de la constatation contenue dans la premiere, avec aussi, dans la deuxieme proposition, une relative jointe ä un antecedent ä sens local n'apparaissant pas en surface. Cette phrase coherente sur les plans grammatical et semantique constitue, dans sa forme, un couplet nettement versifie, chacune des propositions coordonnees formant un vers. La versification met en oeuvre une rime imparfaite - ä la limite de l'assonance - mais evidente; en outre, comme la suppression de -e de male, devenu interieur dans le compose malefacere est plus que vraisemblable, et que cette suppression est certaine dans le deuxieme male devant initiale vocalique, nous avons - inuenias

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Je n'ai pas de forme mortis nominatif dans mes rclev6s, mais je rappellerai avec Väänänen (1971: 190) des formes parfaitement attestees comme mentis pour mens, discordis pour discors, niuis pour nix, curtis, cortis pour cors, cohors, et ainsi de suite; il serait presque anormal que mortis nominatif n'ait pas existe.

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etant evidemment trisyllabique, avec un i devenu semi-voyelle ou bien completement resorbe dans un η palatalise precedent - deux vers octosyllabiques ä schema accentuel ä la fois simple et rude, avec des accents sur les syllabes 1,3,5, et 7. Le tout presente done un slogan facile ä declamer, ä forme bien adaptee ä un message clair et simple dans son agressivite. Si nous avons si longuement envisage les proprietes en somme evidentes de ce morceau de texte, e'est pour plaider en faveur de son authenticity et renforcer la credibilite des remarques linguistiques que nous serons amene ä faire: il apparait en effet que nous avons lä une de ces formules reussies et »fonctionnelles« dont les foules qui manifestent - et sans doute les organisateurs de manifestations - ont le secret. II faut nous arreter brievement ä male fecisti, prononce sans doute en un mot de quatre syllabes, avec un [k] palatalise, en voie de devenir une affriquee et, dans la desinence, un i bref accentue devenu [e] ferme, et un ancien i long final conserve. Deux remarques s'imposent au sujet de ce compose. Premierement: male facere, fort frequent, semble avoir ete d' un usage courant dans la langue de tous les jours, le compilateur de cette partie du Liber l'emploie presque automatiquement dans des contextes semblables, p.e. 158,1 Quo audito Narsis dixit: Si male feci Romanis, male inueniam, ou 158,6 Die, sanctisime papa, quid male feci Romanis? II est ä noter que l'expression synonyme male agere semble etre un concurrent plus litteraire, que le meme auteur emploie plutot dans les cas ou il ne s'agit pas de la citation directe des paroles d'un personnage, ibid. 150,12 suggerentes ... quia male agit cum seruis tuis Romanis et cum ipsa plebe tua, ou ibid. 155,10 satisfecit cuncto populo quia nullum malum peregisset contra Vigilium. La difference est conforme ä ce que Ton attend, puisque non seulement facere lui-meme mais, dans certaines formes romanes, le schema de composition »male+derive ou Variante de facere«15 est conserve, tandis que agere n'a pas de continuateurs. L'autre probleme ä soulever est plus ardu. En general et normalement, male facere s'emploie avec le datif, comme e'est d'ailleurs le cas dans les autres exemples que nous venons de citer. Le seul exemple de male facere avec la preposition cum connu par le Thes. L. L. (VIII 173,53) est celui qui se trouve dans notre texte. II y a pourtant un autre exemple, plus tardif encore, dans les Gesta Episcoporum Neapolitanorum (MGH Script, rer. Langobard. et Ital. saec. VI-IX) 412,18 si male feci cum Romanis, male inueniam. II s'agit evidemment d'une compilation du Liber, mais e'est l'exemple 158,1 (Quo audito Narsis dixit... etc.) qui est reproduit avec adjonction de cum. II devait done y avoir dans la tradition et peut-etre dans

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Le REW de Meyer-Lübke connait (5261) maleficare (qui ne merite pas, ä ce qu'il semble, son asterisque, cf. Schmitt 1974:211), ainsi que (5263) maleficus.

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l'usage de l'epoque un flottement entre le simple datif et l'emploi de cum. La tournure prepositionnelle peut refleter une analogie avec les tournures de ce type toujours possibles apres ago, analogie appuyee d'ailleurs par l'extension inevitable de l'emploi d'une preposition appropriee pour remplacer le datif qui, dans la langue parlee, ne constituait sans doute plus une categorie autonome. Ajoutons que, dans notre texte, la presence de la preposition etait necessaire pour assurer le nombre de huit syllabes dans le vers, et egalement pour constituer le rythme souhaite, en postulant une prononciation - vraisemblable - [konomänis] avec chute de -m et allongement compensatoire de [r]. Dans cet essai de transcription, nous avons indique un -s final prononce; il est fort possible qu'il ait ete muet (cf. ä ce sujet notre note 12). Le syntagme male inuenias presente un interet particulier. Quelque chose de semblable se trouve dejä chez Piaute, Bacch. 546 ex ingenio malo malum inueniunt; s.v. inuenire le Thes. L. L. (146,9 sqq.) enumere plusieurs exemples avec le sens general 'se trouver dans, arriver ä une situation malheureuse' jusque dans la Vulgate, Psalm. 114,3 tribulationem et dolorem inueni. Notre texte est cependant le premier, ä ce qu'il parait, ä employer ce tour avec l'adverbe male au lieu de malum. II est vraisemblable qu'il s'agit lä d'une analogie avec malefacere, maledicere, done avec des composes qui faisaient partie de la langue de tous les jours. Ajoutons qu'il ne serait pas absurde de supposer que, dans la conscience linguistique des locuteurs, la limite n'ait pas ete nette entre male adverbe et malum accusatif; qu'il y ait eu ici une sorte de »zone grise«, est demontre entre autres par une graphie que Ton releve dans une inscription de Rome, bien anterieure d'ailleurs ä notre epoque: CIL VI 37529 QVISQVIS HOC MONVMENTO MALEM FECERIT. Une deuxieme remarque ä ce propos: certes, le verbe inuenire n'est conserve tel quel dans aucune langue romane; il semble cependant que, face ä d'autres verbes presentant un semantisme analogue, comme p.e. reperire, le verbe inuenire - grace sans doute aussi ä ses liens evidents avec le tres courant uenire - a ete relativement et transitoirement populaire et existait par consequent dans la langue parlee. Nous le trouvons en effet dans les Gloses de Reichenau comme interpretamentum expliquant entre autres et ä plusieurs reprises reperio (v. Γ enumeration des cas dans l'Index de Klein-Labhardt 1968: 254). II existe d'ailleurs un - et tant que je sache, un seul et dernier - cas de representation populaire, dans un texte fran^ais du X e siecle, la Passion de Clermont-Ferrand, ligne 175 non fud trovez ne enuenguz, oü le mot ne fait d'ailleurs que reprendre le verbe veritablement populaire trouver. II est done raisonnable de supposer qu'au VI e siecle inuenire, et aussi un compose male inuenire ou plutöt malinuenire 'tomber dans le malheur'ait existe dans la langue parlee.

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Le reste η'est pas particulierement problematique. Les mots ubi et uadis recouvraient de toute evidence des termes paries courants; les graphies correspondaient ä des formes phonetiques que Γ on peut reconstruire d'une maniere approximative: etant donne les confusions bien connues des timbres vocaliques, et Γ incertitude phonologique entre b et v, notamment ä l'intervocalique, on peut postuler une prononciation [ove] pour ubi; pour uadis, se repose le probleme de -s final (v. plus haut, note 12). La valeur [i] de la voyelle de la syllabe finale est assuree par la rime avec Romanis, mais peut etre consideree comme etablie sur la base, egalement, d'arguments de morphologie historique. 16 De ce qui vient d'etre expose, il sera permis de tirer avant tout une conclusion specifique, concernant le texte examine. II semble bien que nous avons ici un texte qui, tel quel - sauf le mot mortalitas, dont la presence s'explique - pouvait etre un texte prononce au VI e siecle, par des locuteurs populaires, done des gens sans instruction et pretentions litteraires. Tous les elements et toutes les constructions du texte se situent en effet dans une evolution qui - tout en se rattachant ä des traditions qui remontent jusqu'ä Plaute - se dessine dans la direction des langues romanes et notamment l'italien. D'un autre cote, il est, je crois, clair que le compilateur et ses sources consideraient ce texte comme du »parle« authentique, et voulaient le conserver et le presenter comme tel. Ceci ressort avec evidence du soin avec lequel on conserve la forme rythmique et en partie versifiee, forme que Γ on ne sacrifie que sur un point, maladroitement d'ailleurs, pour eviter une faute ressentie comme grossiere. Cette conclusion specifique mene cependant ä une autre, bien plus generale. Si l'auteur - ou les auteurs - de notre texte reproduisait dans une forme ecrite entierement latine (malgre des flottements graphiques qui caracterisaient le Liber entier et non seulement notre »citation«) des enonces declames, paries, e'est qu'il considerait comme une evidence, comme un fait inherent ä la nature des choses que l'ecrit et le parle n'etaient que les deux aspects d'une seule et meme langue, le latin. Cette evidence se fondait sur un mecanisme de correspondance entre l'ecrit et le parle qui fonctionnait encore d'une maniere satisfaisante, malgre un eloignement croissant entre la forme prononcee et la forme graphique; e'etait done une evidence qui n'etait trompeuse qu'ä peine: le mecanisme comportait des dangers de »panne«,

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La plupart des dialectes Italiens presenteront, des leur Stade le plus anciennement attest^, un -i ä cette place et en general ä la deuxieme personne du singulier de toutes les conjugaisons. Quelle que soit l'explication de ce -i - et il est bien connu que e'est une question controversee - la rime Romanis: uadis est remarquable ä cet egard egalement.

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lä oü la distance entre les deux niveaux risquait de fausser des relations grammaticales essentielles. Dans ces cas - lorsqu'on s'en rendait compte - on »trahissait« le parle pour la logique et la tradition propres de l'ecrit; la substitution de mortalitas ä autre chose est peut-etre un exemple de ce procede. Mais ä notre epoque et en Italie, ä Rome en particulier, on est encore conscient de parier latin, on en est meme completement sür, et on ne se trompe qu'ä peine.

Spoken and written Latin in the last centuries of the Roman Empire. A contribution to the linguistic history of the western provinces* Respectful courtesy, at least, is due to the dead: so let me state at the beginning that if our field of study - that is, research devoted to the diachronic continuum leading from Latin to separate Romance languages - is based on a tremendous wealth of ascertained and well-ordered material, we owe it to the achievements of scholars like Hugo Schuchardt. He worked through an incredible amount of texts never really considered before him, in order to produce his Vokalismus des Vulgärlateins, a work upon which our knowledge of the phonetic changes in Late Latin is still ultimately established. Also, if we are able today to envisage the history of Latin from the classical age to Romance as one exceptionally complex but coherent process of linguistic change, with continuous interactions between literary traditions and ambitions on the one side and spoken usage of more or less educated native speakers of Latin on the other, between received grammatical norms and new habits, between old heritage and modified conditions of communication, this we owe to the great Nordic school of Latinists. Foremost among these was Einar Löfstedt, who so aptly concealed - behind an apparent lack of theoretical interest and a non-committal scholarly style - a strong synthetic vision of the history of language. This has to be said because, along with all this wealth and all these lucid insights, we also inherited a fair amount of confusion, mainly in terminological guise. We are lost in the labyrinth of ill-defined designations and overlapping pseudo-categories like Late Latin, Early Medieval Latin, Literary Latin, Written Latin, Vulgar Latin, Popular Latin, Colloquial Latin, Spoken Latin, Romance, Early

* Latin and the Romance Languages in the Early Middle Ages. London-New York, Routledge, 1991: 29-43.

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Romance, Proto-Romance, Pre-Romance - and the rest. This is so much the case that worthy colleagues seem to spend a lot of their energy in fighting terminological battles. I definitely do not have the intention of adding a new sheet of paper to this already messy dossier. I simply raise this point in order to put forward another consideration: I think that if, in our field, the terminological trouble is deeper than in some parallel branches of historical linguistics, it is not due to specific intellectual short-comings of our own or of our predecessors, but to substantive features of the field itself. I think that our difficulties in finding adequate and duly delimited concepts and designations to cover the developmental stages and the sociocultural variants in the broad transition process from Latin to Romance stem from the exceptional complexities of these stages and varieties in the sociologically very manifold and immensely widespread Latin speech community. They stem, moreover, from some specific features of what we could call the metalinguistic situation in the transitional age. At that time the knowledge of the speakers about their own language, their linguistic awareness, their feeling of linguistic identity, influenced as they were by the prestige of the written tradition, could not reflect the real situation and the diachronic movements of the language without some necessary simplifications and inadequacies. There is a point here - theoretical as well as methodological - which I wish to stress very strongly, because its neglect is the origin of many terminological troubles and various failures: there is a fundamental logical necessity to clearly distinguish between the metalinguistic aspects of a diachronic process - that is, the options and views prevailing in the linguistic community as far as the language of the community is concerned - and the linguistic changes themselves. This second aspect - language change - is naturally par excellence the object of diachronic research. The metalinguistic side, however important and even informative in its own right, is not language history in itself; it can even happen that it gives a somewhat distorted image of the real linguistic situation. I shall briefly come back to this point in my conclusions. This being said, I can pass now to the problem indicated in the title of this paper, viewed, at first, under this metalinguistic angle. I begin with a minor remark. The evidence I shall make use of in order to clarify the metalinguistic attitudes of fourth- and fifth-century people consists almost exclusively - apart from some grammatical treatises - of examples and statements taken from Christian, mainly patristic, texts. This apparent bias is easy to justify. The Christian faith was based on the Scriptures, that is, a considerable corpus of written texts, so that to propagate Christianity meant, in practice, to make these texts known, to explain them, to bring them close by readings, recitations, comments, and manifold elaborations to people coming from various and, for obvious reasons, mainly lower social and cul-

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tural settings. Thus, for Christian writers and especially the most eminent ones, the conditions under which a written text could or could not be understood, was or was not suitable, when read or recited, to persuade and attract a heterogeneous public, represented an ever-present and central issue. Thus, the Christian views on communication and communicability, the metalinguistic stand of Christian authors on the relations between the texts and the uttered and perceived spoken language can be considered as representative of the Latin linguistic situation at large. At first sight, these relations seemed to have been essentially unproblematic. I have shown in a recent paper 1 that, in the sixth century, the general Christian public, the populus fidelium, were presented as completely able to understand biblical texts and commentaries on the Scriptures when they were read aloud to them. It is not astonishing that this was even more naturally the case in the two last centuries of the Empire. One clear proof will be sufficient: in the year 441, the Council of Orange decided (Cone. Araus. 27, CC 148, p. 83,1. 75) 'Euangelia deinceps placuit catechumenis legi apud omnem provinciarum nostrarum ecclesiam'; a decision which evidently means that everybody being prepared for baptism was considered in Gaul as able to follow a recitation of the Latin text of the Gospels. Besides, there is clear and partly well-known evidence, in the synodal decisions and elsewhere, which shows that in its everyday life the Church worked, after its complete legalization, not unlike the state, with a written administration which was considered as the documentary registration of corresponding oral acts. Members of the Church, even at low levels, quite naturally were able to read, and the first signs of decline in this respect would appear only in the middle of the sixth century. 2 Written language was considered as being evidently of the same linguistic essence as colloquial, everyday usage; Saint Jerome, born in the Illyricum, and who considered himself, being a native speaker of Latin, as a homo Romanus (Ep. XV, 3), says in a nicely playful sentence of a letter written in Syria (Ep. VII, 2) that the Latin letters he receives are his only partners of conversation in a country of Barbarians. Still, our authors are very much aware that the real situation was far from being so simple and so favourable. Even if we disregard the obvious difficulty wltich arose in some provinces from the ignorance of Latin - or Greek - as a language (see, for instance, the complaint of Saint Augustine, Ep. 84, 2, 1), it is often noted that speakers of Latin who

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Herman (1988: 60-2, see above 151-3); the evidence concerns Italy and southern Gaul. It is possible that, in the sixth century, this was no longer true for some other regions, especially the north of Gaul. In 533, the Concilium Aurelianense (CC 148, 101) prescribes 'Presbiter uel diaconus sine literis uel si baptizandi ordinem nesciret nullatenus ordinetur'; in 589, at the Concilium Narbonense (CC 148, 256), the same interdiction has to be repeated.

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had no or only scarce literary and grammatical training were themselves unable to understand or at least to completely follow texts beyond a certain level of linguistic complexity. Saint Jerome notes, for instance (Ep. LVIII, 10), that the prose of Saint Hilarius, with its Gallic oratorial style, its Greek rhetorical flowers, and especially its long sentences, 'a lectione simplicium fratrum procul est'. Elsewhere he remarks (Ep. LII, 8) that speed and volubility of diction are admired by simple people ('imperitum uulgus'; or, as he says in the same letter, 'uilis plebicula et indocta'), who usually admire what they do not understand. It can naturally be said that all this is not astonishing, and that these are stylistic limitations every writer or speaker in any age or in any language has to be aware of when writing or speaking to a so-called popular, moderately or minimally schooled public. Let us add that these limitations are very much in line with the Christian stylistic ideal of simplicitas, a very practically orientated ideal which adheres to the necessity of communicating the message to everybody and in such a way that it can be understood. 'Being understood' has to be taken, in this age of perpetual doctrinal disputes, in a very strong sense: understood without any possibility of double meaning, of equivocation as to the object and content of faith. From Lactantius to fifth-century synodal decisions, long series of texts could be quoted to illustrate this attitude - but this would lead us far from our subject. 3 But - here we reach an essential point which brings us near the very core of the problem - some Christian writers clearly had the feeling that the obstacles to overcome in spreading the message among the indocta plebicula were not simply of a stylistic nature, whatever the words 'style' and 'stylistic' may mean for us at closer scrutiny; that it was not sufficient, in order to be understood, to avoid oratorical pretensions, rare words, long, complicated periods and to speak - or to read out - slowly and distinctly. They felt that between the oral usage of the plebicula and the system of the written tradition, even read out, there were differences which were - even if apparently peripheral - of a systemic nature, as they concerned the functioning of some grammatical rules and certain organizing parameters of the lexicon. Let us see some examples of this dim but unmistakable metalinguistic knowledge. Augustine, at a certain point in his Enarrationes in Psalmos (XXXVI, s. Ill, 6; CC 38, 371), makes a passionate and eloquent sortie against grammarians:

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For instance Lact. Diu. inst. 6, 21, 5; ibid. 5, 1, 15; S. Hieron. Ep. XXXVI, 14, and many others. This highly 'content-orientated' stylistic ideal corresponds not only to the sociocultural conditions in which Christian doctrine had to be propagated but, 'simplicitas' being a characteristic of the basic biblical texts themselves, especially in the so-called Vetus Latina versions, it was sometimes given a specific, almost mystical, value.

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'Quid ad nos quid grammatici uelint? Melius in barbarismo nostro uos intelligitis, quam in nostra disertitudine uos deserti eritis.' If we take a closer look at the problem he speaks about, the difficulty seems to be unimportant ('Feneratur quidem latine dicitur et qui dat mutuum et qui accipit: planius hoc autem dicitur si dicamus fenerat'). Besides, as so often, Augustine exaggerates: although feneratur was in principle the correct variant, the active fenerat never really was considered as a barbarism and was often used even by very good authors. But through this minor problem Augustine takes a more general stand: he accepts as rightful a usage in which verbs with an active construction always have an active form - that is, where deponents as a category do not exist - and besides, he takes advantage of this issue to establish the merits of barbarisms, if helpful in spreading the message. There is another text by Augustine, better known and often cited, but never - as it should be - extensively. 4 The logical structure of the passage is similar to the previous one: there is one concrete issue (vindication of the right to use the analogical ossum for os ös retaining the declension oris, etc., as this analogy prevents the confusion of os and ös in a usage where the phonological opposition of short and long vowels does not exist any more). Unlike the previous one, this example is in itself linguistically significant, as it establishes the necessity - which certainly was already clearly felt in 'popular' speech - to accept the structural rearrangements in inflectional and derivational morphology which inevitably followed from the loss of quantitative vowel-distinctions. Moreover, the concrete case gives Augustine a splendid opportunity to oppose the way of speaking which was latinum to uulgi more sic dicitur and to recommend the latter if clear intelligibility cannot be obtained in conformity with established grammatical norms. There is a similar instance in Saint Jerome's writings (Hiez. XII, 40, 5-13 and XIV, 46, 1-5, CC 75, 561, 712). Closer to his grammar and to scholarly tradition, Jerome does not really identify himself with the barbarism he feels necessary to adopt (neglect of gender difference between cubitus and cubitum, where the special meaning of 'ell' is tied in principle to the neuter), but he explains this apparent weakness as a virtue: he does it 'propter simplices quoque et indoctos quorum in congregatione ecclesiae maior est numerus' (CC 75, 712).

4

Here is the text, still somewhat abridged: De doctr. Christ. IV, χ (CC 32, 132-3): Quamuis in bonis doctoribus tanta docendi cura sit uel esse debeat, ut uerbum, quod, nisi obscurum sit uel ambiguum, latinum esse non potest, uulgi autem more sic dicitur ut ambiguitas obscuritasque uitetur, non sic dicatur, ut a doctis, sed potius ut ab indoctis dici solet. ... Cur pietatis doctorem pigeat imperitis loquentem, ossum potius quam os dicere ne ista syllaba non ab eo, quod sunt ossa, sed ab eo, quod sunt ora, intellegatur, ubi Afrae aures de correptione uocalium et productione non iudicant.

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Besides, a man like Jerome knows very well that the usage of the imperitum uulgus does have a vocabulary which is to a certain extent specific, with elements which normally do not appear at the level of the texts, not even in those which adhere to the stylistic ideal of simplicity. Some of these emerge in the texts in a particular way: Jerome, as he says in Ep. LXIV, 112, wishes 'pro facilitate abuti sermone uulgato' and translates some rare or difficult expressions of the biblical text with a word which 'uulgo dicitur' (in Is. V, 28, 23, these words introduced flagellum in the sense of French fleau, that is, 'scourge'), or which is a 'consuetum uerbum' (like coxale 'a sort of belt' in Zach. Ill, 11, 14), and similarly a fair number of others. In a remarkable way, all these elements presented as being in general use, are in fact hapax legomena, or almost, at the level of the texts, and we would not have met them without Jerome's helpful commentary. We know very well from the 'hypothetical' forms reconstructed from Romance that hundreds of words and expressions, kept in the background by more distinguished and usually less specific written synonyms, lived in the language of the uulgus. What interests us here, is the metalinguistic aspect of the problem: Jerome and a great number, certainly, of others were completely aware of the fact that there was a sort of 'parallel' vocabulary understood by all, while many elements of the seemingly current traditional vocabulary were restricted to written usage, or to its direct oral expression. We shall have a rapid look at pronunciation, at phonetics, when we turn to the 'linguistic awareness' of the grammarians. For the time being, there is only one point to be stressed: the Fathers seemed to consider that their way of pronouncing Latin that is, the pronunciation of the eruditi - was not identical to the way of speaking of their popular public, or at least a good part ot it. We have in this respect some clear testimonies. Ambrose says, for instance {De officiis ministrorum 23, 104, Migne PL 16, 59), 'sit (uox) sane distincta pronuntiationis modo, et plena succi uirilis: ut agrestem et subrusticum fugiat sonum'. Jerome, as usual, is more specific (Ep. CVII, 4): 'Ipse elementorum sonus et prima institutio praeceptorum aliter de erudito, aliter de rustico ore profertur. Unde et tibi est prouidendum, ne ineptis blanditiis feminarum dimidiata dicere uerba filia consuescat.' The interpretation of the terms rustici, subrustici, agrestes for our period is problematic. As they are opposed to the eruditi in the text of Jerome (who, among other things, do not swallow a portion of the word, that is, probably, the final syllable with its flectional function), these pejorative terms could probably be simply interpreted as 'without schooling'. It should be added that Augustine opposed his own pronunciation to the general African one by stressing that he himself was able to distinguish manifesto sensu short and long vowels - a feature whose importance seemed exceptional.5 5

See some indications about this in Herman (1990 [1982]: 219-221).

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Generally speaking - and going on this point beyond the problem of pronunciation - there seems to have been a clear feeling among people of a more or less standard schooling and literary training that they had to take special care if they wanted to enter into satisfactory and successful verbal communication with the indocti and the rustici. We read in an interesting text of the second half of the fifth century (about 475): uiduae uel sanctimoniales quae ad ministerium baptizandarum mulierum eliguntur, tarn instructae sint ad id officium, ut possint aperto et sano sermone docere imperitas et rusticanas mulieres, tempore quo baptizandae sunt, qualiter baptizatoris ad interrogata respondeant et qualiter accepto baptismate uiuant. (Statuta eccl. antiquae, 100, a. circ. 475, CC 148, p. 184, 1. 268) Here again, it is not quite clear what aperto et sano sermone means; but as the use of this kind of sermo is, for the women instructors concerned, the result of a special training, at least of a set of pieces of advice or a certain exercise, it must be a speaking habit appreciably, if not essentially, different from their current usage. Before trying to see if and how far all these metalinguistic views were coherent with linguistic reality, we briefly examine some aspects of contemporary grammatical treatises. For obvious reasons, the metalinguistic attitudes of grammarians seem to be simple: their aim being to help their students and readers in the understanding of classical texts and in reading, writing, and speaking in conformity with classical norms (or norms considered as such), they have a normative view of a more or less homogeneous Latin linguistic universe, based on rules whose neglect leads to definite - although somewhat clumsily defined - categories of errors, mainly barbarisms and solecisms. A barbarism is not only and necessarily what we (or even the Fathers of the Church) would call a vulgar speaking habit, but even occasional slips of the tongue and practically all kinds of unprecedented innovations are covered by this term. Consequently, the grammarians cannot be expected to give a coherent and systematic view of linguistic varieties outside what they consider the norm; nor can we hope to find in their books any clear statement on the existence or non-existence of such varieties. All we have are sometimes precious, but always isolated and occasional glimpses, mainly among the uitia, on spoken habits. Even these pieces of information are rather difficult to use, because they are chronologically very much garbled. For seven centuries or more, from Varro to Cassiodor(i)us, grammarians copy each other, take over arguments, definitions and examples, conceal their own findings in unending enumerations of transmitted

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material.6 So even the image they give about the pronunciation of their own age is rather confused. The best observers among them, like the excellent Consentius, or the somewhat loquacious, but often original Pompeius, quote features of contemporary pronunciation as being in agreement with received norms. So, about two centuries after the fact, the assibilation of t before yod (from the second to the third centuries, according to inscriptional evidence), is mentioned by Servius (GL IV 445); Papirius (ap. Cassiodorum, GL VII 216) and Pompeius (GL V 286) recognize it as a received pronunciation. A number of grammarians of these centuries note in often quoted remarks (add Sturtevant 1940: 107-29 to the sourcebooks cited by Wright 1982: 54) the differences of vowel quality between long and short e, i, and o, u respectively. But in other cases, they recommend evidently obsolete pronunciations, concerning, for instance, the use of h (Consentius, GL V 392 or Sacerdos, GL VI451). They are very far from being permissive towards contemporary current pronunciation or from simply reflecting some imaginary 'vernacular', as is shown in the long lists of errors given in several treatises. Just for the sake of example, let us quote some 'condemnations' by Consentius (GL V 391ff.): singled out as 'barbarisms', among others, are piper with long i instead of short; triginta with the accent on the first syllable; uilam or mile for uilla, mille; the syncopated form socrum instead of socerum; orator with short ο in the first syllable; onorem instead of honorem; bobis for uobis; and so forth. From all these more or less scattered and, for us, very unsystematic remarks and interdictions, one basic fact seems, however, to emerge: if the grammarians are more or less permissive with regard to some minor changes, they always condemn the tendencies which could endanger the syllabic structure of the word; confusion of simple and double consonants, metatheses, and syncopes are always noted with disapproval, and all the grammarians are completely adamant about the necessary distinction of long and short vowels, and very much aware of current 'mistakes'. This is naturally the case with Pompeius too; if we go back to his text instead of one isolated quotation, it becomes clear that he perfectly well knew what this distinction was about, and when he said long and short, he meant 'long' and 'short', and did not, as Wright so nicely puts it, use longa and breuis as 'technical terms unconnected with' duration (Wright 1982: 58).7

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Wright's excellent and intelligent book is unhappily somewhat hasty in its quotations and consequently in some of its arguments; for instance, the most important of the examples he quotes from Cassiodorus are copied by the latter from Annaeus Comutus, a grammarian of the Neronian period (see Wright 1982: 78 ff.)· Some evidence for this is as follows: Pompeius speaks not only about the duration of ο and e, but also of α (GL V 106-7), where there was probably no qualitative difference, at least no perceptible one, between long and short variants; in another passage (ibid. 112-13), speaking about long and short syllables, he explains tolerably well the difference of duration between long and short vowels, including the 'critical' items e and o.

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The reasons which compelled the grammarians, in what seems to us now a desperate rearguard fight, to condemn systematically the neglect of the 'classical' vowelduration system were obviously twofold: on the one hand, the whole tradition of metric poetry was inseparably tied to this system and so were the sentence patterns of oratorial prose; on the other, the grammarians constructed some rules of inflectional morphology - and they did very rightly so - on the inherited distinction of long and short vowels (so, for instance - but there would be many more ancient examples - Pompeius, to remain with him, speaks at length about the relationships of long and short -e ablatives and the declension types, GL V 189-90). They were consequently more or less clearly aware of the fact that, letting the duration system disappear, they would let go with it a substantial part of their own teaching. We are now in a position, I think, to trace the main lines of the metalinguistic views which prevailed in the literate, grammatically trained milieus of the fourth and fifth centuries, concerning the situation in Latin and especially the relation between written tradition and spoken usage. We have to stress beforehand that these views represent a one-way approach to reality. They are inevitably, so to speak, lopsided: they reflect the viewpoint of thoroughly schooled people who produce written works - or try to teach how to produce them - and who are interested in only one side of the relation between the written universe and spoken language: they try to state how far and under what conditions, with what kind of practical limitations, written texts (or sermons, recitations, public talks conforming to written norms) can penetrate the public, how far they are readily understood. They are definitely not interested in the other side of the problem: the questions raised by the written recording, if any, of everyday spoken language. Seen with this bias, the linguistic situation seemed to them essentially favourable. Written texts, when read or listened to, were considered to be normally and usually understood by large popular publics, even unschooled or totally illiterate, on condition that authors and orators conformed to some seemingly obvious limitations: the texts had to be 'simple', without long and complicated periods, without neologisms or new foreign words, and, when said or read aloud, this had to be done without undue speed, with clear and distinct pronunciation. This means that the essential unity of Latin as a language was not questioned; it did not even seem to be a problem to be dealt with: lack of schooling and of trained intelligence - essentially sociocultural factors, normally present in every society, or problems to be taken care of by schoolmasters and grammarians - were the only obstacles which could prevent people from understanding the texts which conformed to written tradition. The idea of territorial differences as obstacles to understanding did not and could not occur.

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Nevertheless, there was a flaw in this wholly optimistic view. First of all, there was a feeling among the best and most language-conscious authors that some of the grammatical rules normally adhered to in written language could in themselves hinder communication with simpler people, or even with people at large. This concerned apparently secondary morphological details, but the feeling was strong enough to compel some of the Fathers to vindicate a sort of right, for Christian writers, to so-called 'barbarisms'. The grammarians, on their side, did not and could not arrive at such conclusions, but some of their scattered remarks show that in their eyes, too, finer grammatical distinctions were endangered among their readers and clients. Moreover, there seemed to be a distinct feeling that there were differences of pronunciation between docti and indocti, between rustici and - though the word is not used - urbani. This surely does not mean that some fundamental features of the contemporary pronunciation of Latin - even some considered by outdated manuals as 'vulgar' - were not common to all, and Wright (1982), in his thought-provoking book, is completely right to stress this point again and again. But inside this unity there were differences, and it seems significant that, in accordance with Augustine, some grammarians felt a danger which could destroy the system of morphophonological rules of the language. Still, we repeat, the dominant feeling was that of unity: the Romani, from Rome and elsewhere, were sure to speak and to write Latin to each other - with some shifts, differences and fine breaks along sociocultural parameters. The trouble which led Augustine, in a remarkable phrase, to oppose that which was Latinum to the speaking habits of the uulgus was perhaps clearly felt by some, but too new to be clearly expressed and become part of widespread metalinguistic opinions and attitudes. We come now to our last question, the most essential perhaps: we shall treat it very briefly. It concerns the congruence between this metalinguistic attitude, these views, on the one side, and the real linguistic situation on the other. We saw that the learned, the eruditi, considered the public, the uulgus, only as potential receivers of their message, but not as a source of messages, and so the idea of considering systematically the speaking habits of the indocti, as these habits really were, did not even occur to them. So the main source, as is well known, which helps us to approach the usage of the uulgus is to be found in the documents which reflect indirectly, but in a written form ready to be analysed, systematic features of the everyday spoken language, that is, documents written, dictated, or more or less formulated, by the indocti themselves. It has to be stated first that the indocti, as far as their metalinguistic attitudes are concerned, certainly did not feel or consider themselves as a linguistic group apart. Not only did they understand - sometimes with difficulty, due mainly to problems of content - what the docti said and wrote, but, when they wrote them-

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selves, which did not happen to them very often in their lives, they tried to follow the orthographic habits generally established and, as far as they could manage it, they used the morphemic elements they found in the common corpus of written Latin. In some cases, the result of this effort of adaptation was excellent. So, for instance, on the beautiful tombstone of Iulia (ICVR NS 11927) from the first half, so it seems to me, of the fifth century: fiiit mihi natibitas romana nomen si quaeres I Iulia bocata so; que uixi munda [corr. ex muda] cum byro meo \ Florentio, cui demisi tresfilios superstetes. If we do not consider some syntactico-stylistic clumsiness, it could be argued that the'vulgarisms' are mainly or exclusively orthographic. 8 Nevertheless, in Rome itself, we find many hundreds and even thousands of Christian inscriptions, more or less rough engravings, from the second half of the fourth or from the fifth century - that is from the very age of Jerome, Augustine, Ambrose, or Consentius - in which the adaptive effort so evident in Iulia's case is not present or not successful, and which clearly reflect grammatical structures essentially different from those qualified as latinum in Augustine's text (quoted above, p. 173). I choose some - by no means all - of these specific structural properties and illustrate them at random, noting that hundreds of further examples could be adduced from the inscriptions of Rome and recalling that these features have already been dealt with, more or less often, by others and by myself in the enormous secondary literature on Late and so-called Vulgar Latin. So it seems that roughly at the time when popular publics were able to understand, with some difficulty sometimes, the sermons of Saint Ambrose and of Saint Augustine, when they were able to follow biblical texts read before them (or, exceptionally, by them), the same people spoke a language which had, among other things, the following particularities: 1. The system of oblique cases, in the declensions, did not correspond any more to distinct syntactic functions; the ablative-accusative opposition did not work any more, not even in the subsystems where the formal differences were not blurred by current phonetic change. We illustrate the point with 'errors' in prepositional phrases:

8

I think, however, that the educated made some systematic effort to keep the consonant b as a pure stop, and hence to maintain [b] and [v] or [w] apart. It is practically certain that they did not pronounce, at the end of a sentence or a clause [so] for sum, but that a nasal was produced in this position, as monosyllabic words are usually conservative in this respect. I am convinced - but this is not at issue here - that the pronunciation of this text was not of the sort Jerome or Ambrose would have approved, not to mention Consentius.

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ICVR NS 9409 Genuarus placuid se uniter poni cum amicum suum Sibirinu9 11798 cesque in pace cum sanctis cum quos mereris (= cum sanctis quibuscum [sepeliri] meruisti) 12566 uale michi kara im pace cum spirita xanta uale (= cum fidelibus quibuscum sepulta iaces?) 9521 in mente habeas in horationes Aureliu Repentinu The same point can be illustrated with the total incomprehension of the traditional phrases se uiuo or se uiuis, and the complicated declensional errors which follow from it: 11166 11512 10924 12351 12293 12258

hunc locum me uiuum paraui se uiuum emit sibi Largianus et Crescentia fecerunt se bibus se uibos Felex et Felecessema se bibi fecerunt Pri[mus]se bibus [fjecet sibi cum suis

2. Through an eventually abortive, but highly interesting development, the partial loss of the traditional declensions was compensated for by the tentative building up of a special declension for personal names, out of bits and pieces and analogical copies of certain Greek declension types: 10 11863 12310 12293 12270

Clus(iae) Aelianeti Clus(ius) A(e)lianus Locus Leopardi et Mercurianetis Dep. Genialinis Locus Aselles

pater

3. Formal differences between essential elements of the present and the future, and of the future and the perfect paradigms, as well as between some parts of the -qre and - ere verbal paradigms, were hopelessly blurred. For the simple form quiescit

9 10

All the inscriptions quoted are taken from ICVR NS. See for this problem Leumann (1977: 459-60). A more extensive and deeper analysis would be useful and probably rewarding.

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or requiescit, we find about twenty graphic variants, from quesquaet (10964) to requisqi (11362); for the future-perfect confusion, see 11133 pr(idie)i[d]. iun. pausabet Praetiosa. We can stop here. It is fairly clear, I think, that the language of the Sermones of Saint Augustine or of the Vetus Latina, even read aloud in conformity with the most 'Proto-Romance' pronunciation we can postulate for these centuries, and the language of the plebicula of Rome as reflected in these inscriptions, are two distinct and distinguishable varieties. This means, I think, that the metalinguistic view concerning the essential unity of Latin was, in part, a delusion. Inside of the Latin linguistic community, in spite of many common features in the pronunciation of the prestige groups and of the popular speakers, in spite of a renewed effort of certain authors towards a greater syntactic and lexical flexibility, the spoken language of the non-schooled people, that is of the majority of the population, slowly drifted away, about the time of the fall of the Western Empire, from the Latin represented in written texts and in the careful oral usage of the eruditi. This centrifugal tendency had not gone yet, in the fifth century, far enough to disrupt the communicative unity of the Latin-speaking community: everybody, with some care, understood everybody, every literate person could read everybody's letters or books and could write in Latin to anybody he wanted to. The delusion of unity reflected the everyday functioning of communicative practice, but not more; linguistically, it remained a delusion. What is the bearing of all this on our research, on our concepts and - let us not avoid this tedious question - on our terminology? Is the language variety of the non-schooled already Romance or Proto-Romance? This would be too simple a solution. I think that, in the middle of the first millennium, we are faced with a Latin language, but a Latin language in at least a twofold crisis. First, because a sociocultural process of differentiation produced an ever deepening gap between an essentially conservative, slowly changing prestige variety, bound chiefly to written expression, and a spoken, everyday, 'popular' variety in relatively rapid, even accelerated evolution, not to speak of the certainly growing linguistic divergences among different Latin-speaking territories. Second, because, on the metalinguistic level, neither the learned nor the non-schooled had nor could have had an even approximately adequate image of the linguistic situation, and consequently they continued their everyday practice and even their grammatical work as if the unity and the identity of Latin were fundamentally unshaken. As collective illusions often do, this one had its usefulness for at least another century or more, but it produced a complicated and contradictory overall situation - for them and for us. I think that the main bulk of our work should be to follow in every aspect and in every trend

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this complex crisis of Latin, not looking for Romance and Proto-Romance in every corner, knowing simply that, in this manifold bundle of linguistic change, there are privileged, deeply anchored trends - the abstract image of which, identified mainly through comparative methods, can be termed Proto-Romance, if we wish which will constitute, not only in the structural reality but even in the linguistic awareness of those concerned, a set of new languages. But this is another story.

La transition du latin aux langues romanes. Quelques problemes de la recherche* Considerations d'ensemble: linguistique latine ou linguistique romane? A la place du titre que je viens de lui donner, cet expose pourrait en porter d'autres; il aurait ete possible de parier de la »transformation du latin en langues romanes« pour insister sur la nature essentiellement linguistique du sujet, mais des titres comme »prehistoire et formation des langues romanes« ou bien »histoire du latin apres la periode classique« se refereraient en somme ä la meme tranche de realite, aux memes evolutions, aux memes processus linguistiques grosso modo millenaires dont le point de depart se situe aux environs des debuts de notre ere (ä ce sujet, des precisions seront encore necessaires) et le point terminal ä la periode de Γ apparition des premiers textes romans, de l'emergence, comme on dit, des langues romanes, c'est-a-dire aux neuvieme et dixieme siecles. Puisque l'histoire du latin pendant la periode que nous envisageons et, d'autre part, la prehistoire des langues romanes ne constituent, en somme, qu'une seule et meme chose, qu'un seul et meme faisceau devolutions linguistiques, on penserait, d'emblee, qu'en abordant ce sujet nous entrons de plain-pied dans le domaine de la linguistique romane, que la linguistique historique du latin et la grammaire comparee des idiomes romans se rejoignent sur ce point pour n'etre qu'une discipline. Or, rien n'est moins evident. Pour la linguistique romane proprement dite, pour la linguistique comparee des langues romanes, telle qu'elle existe depuis Friedrich Diez jusqu'ä nos jours, le probleme - et la periode - de la transition entre latin et roman a toujours constitue une gene 1 . Les raisons en sont assez evidentes: la methode comparative a permis de prouver sans conteste ce qu'on appelle par

* Lalies 11 (1992): 161-171.

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metaphore la parente des langues romanes entre elles, eile a permis de reconstituer, grace ä un systeme de correspondances passablement rigoureux, plusieurs echelons de stades hypothetiques et prelitteraires du point de vue roman (dont le plus hypothetique de tous, le Stade dit proto-roman), mais eile η'est jamais arrivee en elle-meme (c'est-a-dire sans avoir recours, par une evidente petition de principe, aux textes latins qui nous sont legues) ä percer jusqu'au latin tel que nous le connaissons (y compris le latin des textes tardifs qui s'ecartent plus ou moins systematiquement des normes de la langue classique). II suffira de rappeler, ä titre d'exemples, que - si nous ne connaissions pas le latin par ailleurs, si c'etait une langue non attestee comme le finno-ougrien ou l'indo-europeen - Γ existence de distinctions phonologiques entre voyelles longues et breves du meme timbre ne serait qu'une hypothese parmi d'autres pour rendre compte de certains faits 2 ; rien ne permettrait de supposer la possibility d'apparition et meme la frequence elevee d'un -m ä la fin de mots polysyllabiques; la flexion nominale ne pourrait etre entre vue que d'une maniere fragmentaire et incertaine, l'existence d'un neutre apparaitrait tout au plus comme une hypothese audacieuse, et rien ne permettrait de soupgonner la presence, dans cette protolangue hypothetique, d'un passif synthetique, ni d'un grand nombre d'elements lexicaux pourtant frequents, dans la realite du latin, mais perdus ä jamais, comme loquor, pulcher, exiguus, equus, opto, et tant d'autres, pour les citer pele-mele. Quant ä la syntaxe du latin, on n'en saurait rien de vraiment precis. Autrement dit: la grammaire comparee des langues romanes ne permet pas de remonter jusqu'au latin, mais seulement jusqu'ä un stade linguistique hypothetique qui constitue du latin un reflet lointain, fragmentaire et abstrait, qui en est separe par une espece de »zone grise«, un no man's land, un fosse plutöt linguistique et conceptuel que chronologique. Dans cette perspective, le fameux latin vulgaire, source et objet de tant de discussions terminologiques souvent presque penibles, apparait comme un raccourci methodologique et didactique - justifie en tant que tel - destine ä faire le pont entre le latin des textes et le proto-roman postule et reconstruit, un amalgame fait de »fautes« glanees ä dessein dans les textes tardifs ou emanant de milieux populaires, et de formes linguistiques hypothetiques, deduites d'un »avenir« roman.

1

Diez, fondateur de la grammaire comparee des langues romanes au sens moderne, refuse presque avec animosit6 d'inclure le probleme de la genese des langues romanes dans sa grammaire; voici ce qu'il en dit (Diez 1870:4, note): »Der Ursprung der romanischen Sprachen ist schon in früheren Jahrhunderten Gegenstand vieler, mitunter gelehrter und geschickter, oft aber auch langweiliger und unfruchtbarer Untersuchungen gewesen. Auf dieses Thema nochmals einzugehen, ist hier nicht der Ort«.

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Pour nous, cependant, la conclusion la plus importante que nous impose l'incapacite evidente et naturelle de la grammaire romane ä retrouver le systeme latin dans la realite de son fonctionnement et la plenitude des interactions conditionnant son mouvement diachronique consiste ä constater que la prehistoire des langues romanes releve necessairement d'une discipline qui η'est autre chose que la linguistique latine: une linguistique historique du latin centree sur Γ evolution du latin sous l'Empire, sur le jeu des ses variantes, de ses modifications territoriales, et sur I'interaction, ä peine exploree, entre les conditions externes - demographiques, sociologiques, ethniques, culturelles et autres - de l'emploi du latin et d'autre part son evolution interne. Une telle etude - tout en restant dans les cadres de la linguistique latine - peut evidemment etre inspiree par le souci special de rendre compte de la constitution graduelle et de l'apparition des structures postulees et mises en evidence par la grammaire comparee des langues romanes; de cette maniere, le »proto-roman« peut servir comme une espece de cadre de reference aux recherches sur le latin dit tardif, qui n'en restent pas moins les seules ä pouvoir suivre dans leur deroulement reel et meme expliquer - dans la mesure ou le concept d'explication a sa place en diachronie - les transformations qui preparent Γ emergence des idiomes romans. II ne saurait s'agir, dans cet expose, de dresser une liste des problemes ä resoudre et moins encore de fournir un raccourci necessairement banal: je me contenterai de proposer, ä titre d'echantillon, quelques raisonnements et quelques faits qui illustrent les orientations prises, au cours de ces dernieres annees, par les etudes que je suis appele ä faire connaitre 3 .

La Chronologie de la transition - et ce qu'elle recouvre II semble acquis d'emblee, de nos jours, que la transition du latin au roman, la transformation du latin en langues romanes n'est pas, simplement, la somme arithmetique d'une multitude de changements de detail, phonetiques, morphosyntaxiques ou lexicaux, mais que tous ces changements, du moins les plus essen-

2

Certes, en comparant seta et mele de certains dialectes sardes avec, notamment seie et miel de l'ancien frangais, et en tenant compte de nombreux paralleles semblables, la grammaire comparie arrivera avec certitude ä une conclusion selon laquelle la »protolangue« possedait deux sortes de e, postulera meme une difference phonologique entre les deux - mais la nature de la difference sera sujette ä discussion. Avec sagesse, Hall (1976) qui construit sa grammaire sur des bases purement comparatives et ecarte tout recours direct au latin, se retient de reconstituer des voyelles longues et breves.

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tiels et les plus durables d'entre eux, sont solidaires d'une modification d'ensemble de la structure, modification qui implique meme le remplacement d'un type linguistique par un autre. La determination de 1'ensemble par les details et des alterations de detail par le mouvement d'ensemble releve d'une recherche theorique qui, depuis Saussure, voire meme Humboldt, est au coeur des problemes de la diachronie et meme, dans un certain sens, de la theorie du langage - et je serais sans doute mal inspire en m'engageant, ä propos du domaine special qui m'occupe ici, dans ce labyrinthe; notons pourtant que la transition entre latin et roman est un processus hautement exemplaire qu'il conviendrait de mettre ä profit ä ce sujet, bien plus systematiquement qu'on ne le fait. Envisage sous Γ aspect apparemment simple de la Chronologie, le deroulement de la transition reste malaise ä saisir et ä decrire. Cela tient, en partie, ä la difficulte qu'il y a ä dater, meme ä un ou deux siecles pres, la majeure partie des processus de detail; de tres nombreux changements partiels, pourtant discutes, examines ä satiete et meme jusqu'ä l'ennui, s'enferment mal dans une fourchette chronologique indiscutable4. Cette difficulte resulte en partie de Γ etat de la documentation: du fait de la tenacite et de la rigidite du moule orthographique, grammatical et stylistique classique ou classicisant, les varietes et les innovations de Γ usage percent mal ou presentent des formes incertaines; eile resulte cependant, surtout, des particularites meme de la communaute des locuteurs latins: communaute d'une immense complexite, non seulement parce qu'elle etait etendue, ancienne, expansive et done changeante, fortement articulee sur le plan social et territorial, mais aussi parce que, dans son sein, le latin se pratiquait presque partout en coexistence avec d'autres langues ou dialectes, langues »indigenes« ou le grec, parfois plusieurs ä la fois, et tout cela dans des conditions de bilinguisme variables selon la region, le moment et le milieu social. II est evident que, dans une telle communaute linguistique, les innovations ne pouvaient se repandre et surtout se generaliser que par des voies extremement compliquees et souvent avec beaucoup de lenteur. II n'est pas surprenant que, dans ces conditions, il soit difficile de determiner une fourchette

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Constatons avec plaisir que ces etudes prennent de l'essor; dans les notes qui vont suivre, j'evoquerai - sans avoir le moins du monde l'intention de fournir une bibliographie d6taillee ou, quod Deus auertat, c o m p e t e - plus d'une itude interessante et pröcieuse. Ici, je me borne ä evoquer le demier recueil consacrä ä la question: Latin and the Romance Languages in the Early Middle Ages, publie par Roger Wright (Wright 1991b).

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Faut-il rappeler, parmi d'autres, la vexata quaestio de la chute de -s final, Celle de la sonorisation des occlusives sourdes intervocaliques, celle encore des diphtongaisons romanes - dans la datation de ces dernieres, il y a, selon les cas et les auteurs, des divergences d'un demi-rmllenaire.

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chronologique tant soit peu concrete pour situer la periode de la transformation typologique, du »remplacement« d'une langue - le latin - par d'autres dans la bouche des locuteurs. La question souvent formulee qui consiste ä se demander ä quelle epoque »on« a cesse de parier latin, est ä la fois mal posee et naive 5 et il n'est point etonnant qu'elle ait suscite des reponses extremes et parfois fantaisistes. Elle est mal posee parce qu'il est evident que la distinction entre langues, la conscience d'appartenir ä une communaute linguistique donnee relevent de facteurs socio-culturels autant que linguistiques et resultent de Γ elaboration socio-culturelle d'une activite linguistique, d'une experience communicative 6 . La question devrait done porter plutöt sur le »moment« ä partir duquel l'univers linguistique du parle etait devenu distinct, pour les locuteurs eux-memes, de la tradition representee - tant bien que mal parfois - par le monde de l'ecrit. Linguistiquement, la question est naive: aucune presupposition theorique de nature structuraliste ne nous autorise ä imaginer une sorte de rupture de continuite dans la meme communaute, separant des generations successives de locuteurs. Etant donne cependant que la difference de structure qui separe le latin et les idiomes romans est fort nette, et qu'elle ne semble pas avoir resulte d'une transition graduelle et imperceptible, nous devons supposer la coexistence de types differents, de structures concurrentes au sein de la meme communaute, dans des conditions d'intercomprehension, des conditions communicatives qui restent ä examiner 7 . II vaut peut-etre mieux ecarter pour le moment toute consideration de principe qu'une pareille supposition ne manque pas de soulever et nous tourner vers des recherches concretes concernant ce que nous pourrions appeler la situation communicative au sein de la communaute des latinophones dans une periode qu'intuitivement nous pouvons considerer comme cruciale ä cet egard, je veux dire celle qui va du IV e au VI e siecle. La voie la meilleure qui soit ä notre disposition pour explorer la »situation communicative« d'une periode donnee, et en particulier d'une periode revolue, consiste ä soumettre ä un examen critique ce que nous pouvons entrevoir de l'etat

5

II n' empeche que je Γ ai posee moi-meme ä la suite d' autres, dans mon ouvrage, Le latin vulgaire (1967: 114 sqq.). Depuis, une revue generale fort utile du probleme a ete fournie par Marc van Uytfanghe, dans son importante etude (Uytfanghe 1976). Le meme auteur revient ä la question dans un nouvel article (Uytfanghe 1991).

6

Cet aspect de la question a ete examine au cours des demieres decennies dans une s i n e de travaux particulierement interessante; ivoquons une nouvelle fois le nom de Marc van Uytfanghe (cf. la note precedente), celui de Michel Banniard (p. e. Banniard 1992). Je me suis moi-meme engage dans quelques recherches de ce genre: je citerai mon article Herman 1988 (ici meme 147-157).

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Des idees semblables ont dejä ete emises par plusieurs, notamment par E. Coseriu; cf., pour un resume succint mais bien informe, Uytfanghe 1983.

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de la conscience linguistique, des connaissances, opinions, attitudes dites »metalinguistiques« des contemporains. Pour ce faire, je resume les donnees que j'ai reunies pour des recherches recentes 8 et je condense, citations ä l'appui, mes conclusions en quelques points. 1. Repandre, propager le christianisme, c'etait faire connaitre et comprendre la bonne nouvelle par tous, sans exception; il fallait aussi veiller ä ce qu'elle füt comprise sans equivoque, car l'heresie guettait de partout. A la difference des doctes, des pai'ens ou de ceux qui avaient des ambitions litteraires comme ces derniers, et qui, par consequent, n'ecrivaient et ne parlaient qu'ä leurs pairs, les auteurs Chretiens, eux, s'adressaient au peuple entier (sauf quand ils s'adressaient ä d'autres ecclesiastiques de haut rang ou lorsqu'ils combattaient, savamment, les heresiarques). De toute maniere, comme la religion juive qu'elle continuait, la religion chretienne etait une religion du Livre, ou en tout cas de la Parole. Pour les meilleurs des grands auteurs Chretiens, le souci d'etre compris par le peuple entier constituait une preoccupation constante. II semble, au premier abord, que pendant la periode envisagee - periode pourtant longue de trois siecles - aucune difficulte d'origine linguistique ne s'opposait, au sein de la communaute de langue latine, ä la propagation de la Foi: il etait acquis, d'emblee, que les Ecritures en latin, lues ä haute voix, etaient tout naturellement comprises par les fideles. Cela ressort avec simplicite d'une decision du Concile d'Orange (a. 441): Cone. Araus. 27, CC 148, 83 Euangelia deinceps placuit catechumenis legi apud omnem provinciarum nostrarum ecclesiam. Au debut du VI e siecle, saint Cesaire d'Arles considere comme parfaitement evident que des illettres comprennent le texte biblique qui leur est lu 9 , et au tournant du VI e et du VII e siecle encore, Gregoire le Grand parle dans une de ses lettres de la lecture de son commentaire sur les Psaumes devant un public d'auditeurs »rüdes« (Epist. XII, 6). Neanmoins - et en raison, justement, de sa volonte de repandre la bonne parole avec efficacite - l'Eglise et les meilleurs des ecrivains ecclesiastiques se rendaient parfaitement compte du manque d'homogeneite naturel de la communaute linguistique, des differences socio-culturelles qui imposaient un souci de simplicite ä ceux qui voulaient etre compris par les gens du commun. Les admonestations dans ce sens, les remarques qui prönent Γ ideal stylistique de la simplicite (revetant une signification directement religieuse par reference ä la tradition de simplicite de l'Ecriture elle-meme) ne se comptent pas et deviennent meme des lieux communs; citons-en deux, presque au hasard: Lact. diu. inst. 5,1,15 (CSEL 19, 401): propheti communi ac simplici sermone ut adpopulum sunt locuti; Hieron. 8 9

Je renvoie ä mon article Herman 1991b (ici meme 169-182). V. en particulier son Sermon 6, 2 - 8 (Edition recente dans Sources chretiennes, Paris 1971-).

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Ep. XXXVI, 14: Pedestris et cotidianae similis et nullam lucubrationem redolens oratio necessaria est... mihi sufßcit sic loqui ut intellegar et ut de scripturis disputans scripturarum imiter simplicitatem. Un peu plus tard, ä la suite sans doute d'experiences peu encourageantes dans ce domaine, la faculte (et vraisemblablement aussi la volonte) de s'exprimer avec simplicite - en particulier pour faire connaitre les textes fondamentaux relatifs ä la Foi - devient une Sorte de critere essentiel dans le choix des eveques: Statuta eccl. ant. (vers 475), CC 148, 164: Qui episcopus ordinandus est, ante examinetur si natura prudens est, ... si litteratus ... et ante omnia sifidei documenta uerbis simplicibus asserat... II apparait d'apres un autre passage des memes Statuts, que les differences sociales et culturelles deviennent le cas echeant une veritable barriere dans la communication, que Γ on ne franchit pas sans une preparation consciente et speciale: Statuta eccl. ant. (vers 475), CC 148, 184: Viduae uel sanctimoniales, quae ad ministerium baptizandarum mulierum eliguntur, tarn instructae sint ad id officium, ut possint aperto et sano sermone docere imperitas et rusticanas mulieres, tempore quo baptizandae sunt, qualiter baptizatoris ad interrogata respondeant et qualiter accepto baptismate uiuant. La vision fondamentalement »optimiste« au sujet de l'efficacite de la communication verbale, qui se manifeste dans l'attitude d'un Cesaire d'Arles et merae de Gregoire le Grand, se double done de bonne heure d'une prise de conscience - d'une aeuite ä ce qu'il semble de plus en plus nette avec le temps, et cela des le V e siecle - de barrieres pergues comme sociales et culturelles que Γ on ne saurait franchir, du cöte de ceux qui composent et »encodent« des messages destines ä tous , qu'au prix d'un effort conscient. 2. II n'y a lä, ä premiere vue, rien de surprenant: dans tous les temps et toutes les societes, orateurs et ecrivains religieux et politiques - tout en etant essentiellement optimistes en ce qui concerne la possibility de penetration de leur message dans les »masses« - tiennent compte, s'ils sont intelligente et soucieux d'efficacite, des capacites de comprehension du public auquel ils s'adressent et savent parfaitement que, dans des communautes linguistiques tant soit peu stratifiees, un abus d'»ornements« litteraires, une syntaxe compliquee, le recours ä des lexemes et des expressions rares et savants risquent d'empecher le message de »passer« dans les milieux de gens non instruits. II semble cependant que, des le V e siecle, il ne s'agissait plus seulement d'une differentiation linguistique aussi universelle dans son caractere, pour tout dire aussi banale. Cela ressort de plusieurs faits que je resume brievement. A. Les Peres les plus attentifs aux problemes de langue, notamment saint Augustin et saint Jerome, savent parfaitement que la difference entre le latin qu'ils pratiquent et le parier du uulgus a atteint le niveau que nous appellerions

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phonologique et morphosyntaxique. Pour ce qui est de la phonologie, le probleme central est naturellement celui de la reduction des oppositions de duree dans le systeme vocalique; les prises de position et les opinions d'Augustin et les temoignages de grammairiens sont bien connus ä ce sujet, je les ai d' ailleurs evoques et analyses moi-meme il y a quelques annees 10 . Rappelons seulement que cette profonde mutation phonologique, avec les confusions de timbres qui inevitablement 1'accompagnaient, eut en elle-meme des consequences morphologiques profondes, notamment dans la structure de la declinasion. Jerome, dans une remarque curieuse, tout en partant de faits de prononciation, semble toucher ä des traits de nature nettement grammaticale: Hieron. Ep. CVII,4: Ipse elementorum sonus et prima institutio praeceptorum aliter de erudito, aliter de rustico ore profertur, unde et tibi est prouidendum, ne ineptis blanditiis feminarum dimidiata dicere uerba filia consuescat. II est en effet plus que vraisemblable que les »dimidiata uerba« sont simplement des formes dont la portion posterieure ä Γ accent, y compris tout particulierement et dans la plupart des cas la syllabe finale ä fonction morphologique, est reduite ou amui'e. Augustin lui-meme evoque plus d'une fois des problemes de morphologie; August, enarr. in Ps. XXXVI,3,6, CC 38,371: Quid ad nos quid grammatici uelint. Melius in barbarismo nostro uos intellegitis, quam in nostra disertitudine uos deserti eritis. August, de doctr. Christ. IV,x, CC 32,132-133: Quamuis in bonis doctoribus tanta docendi cura sit uel esse debeat, ut uerbum, quod, nisi obscurum sit uel ambiguum, latinum esse non potest, uulgi autem more sic dicitur, ut ambiguitas obscuritasque uitetur, non sic dicatur, ut a doctis, sed potius ut ab indoctis dici solet... cur pietatis doctorem pigeat imperitis loquentem, ossum potius quam os dicere ... II y a done, d'une part, le latin, conforme ä l'enseignement des grammairiens mais qui, le cas echeant, est difficile ä comprendre et obscur, au moins pour les gens du peuple d'autre part, il y a la fa^on de s'exprimer du uulgus, le cas echeant permettant d'eviter obscurites et ambigui'tes. Le choix ne doit faire aucun doute: mieux vaut le barbarisme qui vous fait comprendre que la correction qui vous isole. Jerome, plus pres pourtant de sa grammaire, lui fait echo: Hieron., in Hiezech. XII,40, CC 75, 561: Illud autem semel monuisse sufficiat: nosse me cubitum et cubita neutrali appellari genere sed, pro simplicitate intelligentiae uulgique consuetudine, ponere et genere masculino - non enim curae nobis est uitare sermonum uitia, sed scripturae sanctae obscuritatem quibuscumque uerbis edisserere. II y avait done, aux yeux d'Augustin et de Jerome, aux yeux aussi des grammairiens les plus perspicaces, une ligne de partage au sein de la communaute des

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V. mon article Herman 1990 [1982],

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latinophones: il ne s'agissait certes pas, pour eux, d'un fosse infranchissable mais d'un decalage qui se manifestait dejä, nettement, dans le systeme de ce qui s'appelle en terminologie saussurienne la langue. B. Les vues metalinguistiques de Jerome et d'Augustin, pour perspicaces qu'elles soient, ne peuvent donner qu'une image unilaterale de la situation communicative au sein de la communaute linguistique latine; ces vues emanent en effet de personnes instruites qui s'Interessent avant tout aux conditions requises pour que leurs messages soient compris par les masses non instruites. Rien que de cet unique point de vue, ils sont contraints de constater un certain clivage, meme grammatical, au sein de leur public. L'autre versant de la situation - la maniere dont les »non instruits« arrivent ä formuler leurs messages - ne les interesse guere, d'autant moins que cet aspect de la communication n'impliquait pas, pour eux, de problemes pratiques appreciates: grace ä la vie quotidienne, sans doute aussi ä la pratique pastorale, ils avaient acquis Γ habitude de comprendre, de »decoder« sans difficulte, de leur cöte, les messages paries et les rares messages ecrits du uulgus - ils y constataient, tout au plus, des fautes. Pour preciser ce qu'il y avait de Γ autre cöte de la barriere grammaticale, si nettement perdue par Augustin et Jerome entre autres, on ne peut que recourir aux vestiges ecrits qui, indirectement, revelent certains aspects du systeme de Γ usage oral des »masses«. Les specialistes du »latin vulgaire«, nousmemes y compris, se sont plus d'une fois livres ä de tels exercices. Pour ne pas changer d'epoque, ni vraiment de milieu (je ne parle pas du milieu geographique par rapport ä Augustin ou Jerome, ou meme ä Consentius), j'ai envisage des inscriptions chretiennes de Rome, de la fin du IV e et du V e siecle, desquelles il ressort notamment, que: a) la langue parlee des couches populaires ne disposait dejä que d'une declinaison nominale fort reduite, avec entre autres une fusion pratiquement complete entre ablatif et accusatif, dans les cas meme oü cette fusion ne resultait pas de simples processus phonetiques; b) dans les positions oü la distinction nette d'un genitif ou d'un datif devenait imperative, en particulier dans le cas des noms de personne, cette variete linguistique avait recours ä une declinasion speciale, fondee sur des elements caiques sur le grec 11 . D'autres traits, de toute evidence, pourraient etre enumeres: il ressort de ceux que nous venons d'evoquer ä titre d'exemples (exemples dont la serie pourrait etre

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Je renvoie pour des exemples plus nombreux ä mon travail cite plus haut, note 8. Je pense ä des cas c o m m e ICVR N S 9521 in mente habeas in horationes Aureliu Repentinu, ou ibid. 10924 Largianus et Crescentia fecerunt se bibus\ pour le point b), 12270 Locus Aselles et d'innombrables autres.

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prolongee presque indefiniment) que la langue parlee s'etait constitue, des cette epoque, une grammaire qui, sur des points non negligeables, differait dans son systeme de celle des personnes »instantes« 12 . En resume, tout ceci revient ä dire qu'ä Γepoque que nous envisageons, la communaute linguistique latine se servait dejä d'un systeme linguistique partiellement dedouble: ä la morphosyntaxe de Γ usage ecrit et de Γ usage oral soigne s'opposait une morphosyntaxe partiellement alteree dans l'usage oral »populaire«. A dessein, nous n'utiliserons pas le terme et le concept de diglossie, qui a pourtant ses merites 13 . D'une part, parce que ce n'etait pas une dichotomie consciente et comme codifiee par des differences d'emploi determinees, d'autre part parce que, sans doute, il existait entre les deux usages des zones de transition difficiles ä entrevoir aujourd'hui. Notons aussi que certains traits que 1'on a aujourd'hui l'habitude d'appeler »vulgaires« etaient sans doute plus ou moins communs ä tous, en particulier des faits de prononciation, comme l'assibilation de t devant yod, admise meme par des grammairiens, la chute de h, la perte des distinctions quantitatives des voyelles, l'amu'issement presque total de -m; certes, par souci de marquer des distinctions grammaticales, par volonte d'elegance ou d'archaisme, les variantes de prononciation anciennes pouvaient encore etre employees ou occasionnellement ravivees par certains, mais il est absolument improblable qu'un Augustin, par exemple (pourtant si fier de savoir observer les oppositions quantitatives) se soit hasarde dans ses sermons ä prononcer devant des auditeurs populaires une langue que ceux-ci auraient accueillie comme une langue etrangere. Les problemes d'intercomprehension, dans ces conditions, existaient dejä dans cette communaute, mais n'etaient pas encore particulierement graves: les gens non instruits n'utilisaient plus toutes les regies de la grammaire des »doctes«, mais etaient encore capables de decoder les phrases produites par ces derniers. Les precautions que les gens instruits devaient prendre pour etre compris de tous restaient de nature stylistique et lexicale. De lä l'illusion, persistant jusqu'ä Gregoire le Grand, d'une unite essentielle de la communaute linguistique latine, unite que ni les docti, ni les indocti n'avaient un seul instant Γ idee de mettre en doute.

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13

La difference etait egalement tres sensible dans le vocabulaire; de nombreux mots »vulgaires« expliques par Jerome ä divers endroits n'apparaissent pratiquement que chez lui, c'est-a-dire qu'ils etaient largement utilises dans la vie quotidienne, mais n'apparaissaient dans les textes que pour etre gloses. Et ses dangers, celui notamment d'offrir une explication un peu trop terminologique et presque trop claire pour rendre compte de situations de tres grande complexite. Au sujet des questions traitees ici, plusieurs auteurs ont eu recours ä ce terme, cf. pour un resume Uytfanghe 1976: 84 sq.

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Cela nous ramene, evidemment, ä la question de la Chronologie de la transition entre latin et roman. Pour la transition dans son ensemble, il est clair que la reponse depend de la forme exacte de la question que nous nous posons. Si nous considerons que le »roman« commence ä l'epoque oü la masse des sujets parlants se rend compte d'un manque de comprehension entre ceux qui ne pratiquent que Γ usage quotidien et ceux qui s'en tiennent aux normes, codifiees en conformite avec l'ecrit, done l'epoque oü Γ illusion raeme de l'existence d'une communaute linguistique latine se perd, le debut de la periode romane se circonscrit assez bien et se place ä des moments certes legerement variables selon les regions, mais assez tard: peu avant Γ apparition des premiers fragments ou elements romans et les premieres mentions d'un roman distinct du latin, ä un moment done qui correspondrait en gros au VIII e siecle, plutöt ä sa fin. Si par contre nous nous demandons vers quel moment Γ usage commence ä recourir ä des structures linguistiques conformes au »type« roman, la reponse dependra du critere linguistique choisi; si nous considerons par exemple que la reduction de la flexion nominale, avec toutes les consequences qu'elle comporte (ä moins qu'elle-meme ne soit la consequence d e v o lutions plus profondes) est, avec certaines mutations phonologiques, un fait dejä roman, rien ne nous empeche de fixer la »naissance« des langues romanes vers le milieu du premier millenaire. De mon cöte, malgre la redoutable difficulte theorique que souleve l'hypothese de la coexistence de grammaires partiellement concurrentes pour une seule et meme langue, je m'en tiendrai ä la solution - en partie, evidemment, terminologique - qui consiste, dans la definition des jalons chronologiques, ä prendre comme base les options de la communaute linguistique elle-meme et ä considerer, sur le plan linguistique proprement dit, comme faisant partie de l'histoire du latin les processus qui conduisent, au sein de la masse des locuteurs de langue latine, ä l'apparition de grammaires concurrentes. Remarques supplementaires sur le mecanisme du changement Nous avons preconise, en somme, une situation dans laquelle le latin comportait des grammaires alternatives, dont l'eloignement n'etait pas encore assez grand ni suffisamment etendu sur Γ ensemble du systeme pour que la langue conforme ä la grammaire du uulgus füt ressentie par les locuteurs - et consideree par nous comme dejä distincte du latin proprement dit, etant donne aussi que l'existence de ce clivage n'entravait pas sensiblement ä l'epoque envisagee la communication normale au sein de la communaute entiere. La question se pose naturellement de savoir par quel »miracle« s'est produit ce graduel dedoublement du systeme latin. La place, le temps et peut-etre aussi l'outrecuidance nous manquent pour formuler une reponse ä cette question, qui est en somme la question cle de la transformation

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d'ensemble, de la transformation typologique du latin. Nous nous permettons d'indiquer simplement qu'au cours de ces dernieres annees, nous avons publie un certain nombre de travaux fort modestes, dans lesquels nous croyons avoir demontre ä propos de questions de detail que des mutations essentiellement syntaxiques semblent avoir eu une certaine anteriorite et meme un role determinant dans le mouvement d'ensemble de la structure morphosyntaxique; la tendance ä produire des groupes nominaux sans element »etranger« intercale - done relies plutot par la juxtaposition que par Γ accord des cas - a precede la decomposition du systeme casuel 14 ; la cohesion des groupes nominaux - ä la suite de la necessite de distinguer des groupes nominaux differents - a ete determinante dans Γ emergence d'un ordre des termes qui exigeait la presence d'un verbe entre syntagmes nominaux ä röle independant; la fixation d'un ordre VO a d'autre part joue un role determinant dans I'extension des subordonnees en quod, quia ä la place des Acl 15 ; dans un autre ordre d'idees, nous croyons avoir montre que la frequence croissante des pronoms sujets est due, non pas ä un changement dans la morphologie verbale ou ä l'effacement des distinctions entre personnes du verbe, mais plutot ä une modification de I'attitude des locuteurs vis-ä-vis de leur propre message, notamment ä une confiance diminuee dans la capacite de decodage de leur partenaire dans Γ acte de parole16. II s'agit, en fin de compte, d'une attitude theorique hypothetique et encore fragmentaire, mais qui dessine une approche que nous croyons justifiee: 1'apparition d'une grammaire partiellement nouvelle est due en fin de compte ä la grammaticalisation de variantes syntaxiques qui, de leur cote, correspondent ä une volonte de desambigu'isation, de permeabilite plus complete du message, ä une volonte de permettre ä »l'allocute« un decodage non perturbe et correct. La reponse ä la question de savoir d'oü vient le changement dont cette volonte elle-meme resulte nous conduirait loin de la linguistique et plus loin encore de notre domaine de competence.

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Cf. Herman 1990 [1985b], Cf. mon article, ici meme 44—55. V. J. Herman, »On the Grammatical Subject in Late Latin«, ici meme 55-64.

The End of the History of Latin* Colleagues to whom I have shown a draft of this paper have reacted critically to its title. I have nevertheless chosen to retain it, but feel I owe the readers some explanation. Some have said that my title is absurd because the history of Latin never did come to an end; inasmuch as the Romance languages represent the living form of Latin, its history is still going on. While this is a well-known claim, it amounts to a terminological pseudo-solution of a real and profound linguistic problem. It camouflages the particulars of a highly complex historical continuity between Latin and Romance, languages which, by every standard and every typological parameter, are distinctly different, and, were they spoken in the same century, would be mutually incomprehensible. I have been told by other colleagues that my title is ambiguous, which I acknowledge. There is a sense in which the history of Latin is not finished: Latin is still used in some religious activities and until not so long ago was the language of research and philosophy in Europe. In some countries of Central Europe it was in official use up to the first decades of the 19th century. There is, however, a fundamental distinction to be made. When we speak about the history of a language, we are generally referring to the native, »maternal« tongue of a community, subject to the laws and mechanisms of diachronic change. But we may, on the other hand, consider a language which has ceased to be the native tongue of living individuals (and has not been recalled into general use again, as in the case of modern Hebrew). Such a language will not undergo changes in its rules, but if still in use in restricted contexts for special purposes, it may have an external history, as it were (relating to the conditions and the modalities of its use, its extension, and so forth), which may involve some stylistic variation and artificial lexical enrichment. It should be clear that what I have in mind here is the history of Latin in the first sense, and

* Romance Philology 49 (1996): 364-382.

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hence a history which clearly is finished. Thus the date or time period at which this history ended can and should be identified. Methodological considerations. The famous question posed by Ferdinand Lot and others (»A quelle epoque a-t-on cesse de parier latin?«; cf. Lot 1931) may, as Michael Richter (1983) has argued, be the wrong question to ask. I prefer to say that it is badly worded - we should know better now after decades of modern sociolinguistics - but certainly not unjustified. For there is no answer to the more fundamental issue which inspired the question: when (and how) did Latin cease to be the native language of real, living people? Thus reformulated, the inquiry should be based on a commonsense assumption, i.e., that people can be considered to be »using the same language« if, without special study and conscious preparation, they are capable of understanding each other's utterances. This is presumably the basic, though not the only, defining criterion for the coherence, or the existence, of a language community. We are consequently entitled to look for a time during which part or all of the population of the formerly Latin-speaking regions ceased to understand utterances in Latin good Latin or bad, literary or colloquial, these distinctions can be left aside for the moment. Let us begin with the most basic chronological approach, looking for (a) a terminus post quem, i.e., the last adequately documented date at which Latin was still understood by everyone, and (b) a terminus ante quern, i.e., the earliest date for which it can be stated, on the basis of solid evidence, that utterances in Latin were no longer generally understood. Unfortunately, linguistic facts do not in themselves yield the evidence we need. A linguistic message does not inform us about the conditions and the possibilities of its decoding in a given historical setting. We must therefore look to metalinguistic testimony, that is, the declarations and opinions of contemporaries concerning the linguistic situation in a given region or community. Here again, however, a methodological caveat is in order. We have at our disposal a considerable number of metalinguistic statements by Christian authors, especially in Merovingian Gaul, concerning their own language and the linguistic abilities of their intended public. Usually, these authors assert their intention to produce texts which, due to the simplicity of their language, should be accessible to »the people«, even at the risk of incurring the ridicule of the erudite (often, in a selfcritical vein, these writers confess to their own ignorance of eloquence or even of grammar). Statements of this kind, mostly from hagiographers, have been analyzed by van Uytfanghe (1976, 1985) and again by Banniard (1992: 254-74). Unfortunately, these declarations are not really informative, not only because they represent loci communes, formulaic and more or less obligatory remarks, very sim-

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ilar across the centuries, but also because, even when their authors meant what they said, they certainly had no clear vision of the essential linguistic differences at issue. Moreover, their statements are couched in a vocabulary replete with cliches, prejudices, and misunderstandings concerning language (e.g., the language of the plebs or of the authors themselves is said to be simplex,

rusticus,

incultus,

humilis

without further or more informative qualification). As van Uytfanghe and Banniard point out, these statements provide at least one piece of information about the linguistic situation, i.e., that some hagiographic texts were read aloud to the public during the 7th and the first half of the 8th century and were presumably understood by the audience. However, most of these texts are preserved in relatively late, Carolingian or even post-Carolingian manuscripts and in an amended and rewritten form. It is thus almost impossible to use them to reconstruct the language of the originals read aloud to the faithful in Merovingian times. For all these reasons, we have to look for contemporaneous statements of the type I would call indirect metalinguistic testimonies, i.e., descriptions of communicative situations in which the speakers pronounce and the hearers listen to utterances which undoubtedly were parts of Latin texts. Testimonies of this type usually do not contain explicit remarks about language use or linguistic competence. The information such statements provide about mutual understanding or the linguistic situation in general is consequently implicit, given unintentionally by the authors, and unbiased, in spite of traditional cliches, opinions, and prejudices which would appear in their direct assertions about problems of language. To my knowledge, loci of this type are not frequent. 1 But inasmuch as the information they yield is particularly trustworthy, they can serve to establish a strong chronological hypothesis. The terminus post quem. As to the initial limit, I quoted some years ago (Herman 1988) a very clear testimony from southern Gaul. Ca. A. D. 530, Caesarius, bishop of Aries, repeatedly exhorts the illiterate members of his flock to listen to readings of the Bible and even to hire a reader if they have money to do so. One of these instructions reads: »Vos ergo, fratres, rogo et admoneo, ut quicumque litteras nostis scripturam diuinam frequentius relegatis, qui uero non nostis, quando alii legunt, intentis auribus audiatis« (Caesarius Arelatensis, sermo 6,2). Caesarius was a bishop closely in touch with the everyday life and habits of his countrymen, and for him, the linguistic situation was absolutely simple and unproblematic: the Bible, 1

Some of the texts J cite coincide, at least partly, with loci already quoted by Banniard (1992), but invoked in a different line of argumentation. Texts are given without translation where the meaning is obvious; where translations are given, they are my own.

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altogether Latin despite »vulgarisms« in its pre-Vulgate versions as well as in the Vulgate, was understandable even to illiterate merchants and peasants in Aries and its surroundings, when read aloud with the current pronunciation. 2 It seems, however, that for all major Romanized territories, the date of this initial limit must be placed considerably later. For Visigothic Spain, we can quote some interesting statements made by Isidore of Seville in his De ecclesiasticis ojficiis, written in the last years of the 6th century or the first years of the 7th. Clearly, the author considers the faithful able to understand without difficulty the sacred texts read to them in church: »oportet ut quando psallitur psallatur ab omnibus, cum oratur oretur ab omnibus, cum lectio legitur facto silentio aeque audiatur a cunctis... Nec putes paruam nasci utilitatem ex lectionis auditu, siquidem oratio ipsa fit pinguior dum mens recenti lectione saginata per diuinarum rerum quas nuper audiuit imagines currit« ('when psalms are sung everyone should sing, when prayers are said everybody should pray, when reading takes place one and all should listen in silence... You should not think that listening to reading is only moderately useful: in effect, prayer itself grows richer in substance when the mind, nourished by recent reading, runs through the images of God's works which he has heard', De ecclesiasticis ojficiis 1,10). In the same work (11,11; see Banniard 1975 and 1992:228-30), Isidore advises the lector to read with feeling and expressivity, to take into consideration even hidden meanings of the text. As for the basic understanding by the audience, he seems to take it for granted. For Italy, we can quote as an example, for the same period, a letter written by Pope Gregory the Great in A.D. 602 to the Deacon John, his representative in Ravenna. The Pope expresses concern about his moral comments on Job being read to the unlearned flock: the problems expressed in this book are too complex and beyond their understanding; a reading of the Comment on the Psalms would better

2

Another exhortation from the same author (ibid. 6,3) shows clearly that no difference was perceived between the »natural«, everyday language of the inhabitants and the language of Christian texts: »quam multi rustici et quam multae mulieres rusticanae cantica diabolica amatoria et turpia memoriter retinent et ore decantant... Quanto celerius et melius quicumque rusticus uel quaecumque mulier rusticana, quanto utilius poterat et symbolum discere, et orationem dominicam, et aliquas antiphonas« ('how many peasants, men and women, learn by heart and loudly sing those diabolical and repugnant love songs... How much sooner, how much better, and with what greater usefulness could each and every peasant, man or woman, have learned the Credo and the Lord's Prayer and some anthems...'). The linguistic abilities required for learning, reciting, and chanting the sacred texts are implicitly considered as being the same as those needed to memorize and sing »popular« songs.

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serve their edification: »Illud autem quod ad me quorundam relatione perlatum est, quia reuerentissimus frater et coepiscopus meus Marinianus legi commenta beati lob publice ad uigilias faciat, non grate suscepi, quia non est illud opus populäre et rudibus auditoribus impedimentum magis quam prouectum generat. Sed die ei ut commenta psalmorum legi ad uigilias faciat« (Gregorius Magnus, Registrum epistolarum XII,6 ). 3 Here again, mere linguistic understanding does not seem to be an issue for Gregory: his worries are about content. As for Merovingian Gaul, we can cite inter alia a curious anecdote written in the last years of the 6th century by Gregory of Tours. A sort of half-crazy tramp arrives at Tours, who will later be unmasked as a fugitive slave of an Aquitanian bishop. This person - who speaks, as Gregory notes, with an »unpleasant, broad pronunciation« (whatever »broad« means in this context) - pretends to be a holy man, a protege of the king and the bearer of holy relics. Although he finds the man repulsive, Gregory does not really know at the outset how to deal with him, and when the visitor begins to perform liturgical functions which by right belong to priests or to the bishop himself (e.g., reciting psalms, the Lord's Prayer, and so on), Gregory lets him proceed: »ingressus in oraturio, me postposito, ipse capitellum unum adque alterum ac tercium dicit, ipse orationem profert et ipse consumat... Erat enim ei sermo rusticus et ipsius linguae latitudo turpis atque obscoena« ('he enters the church, moves in front of me, and then recites the first, second and third verses, he says the prayer himself and on his own concludes the mass... His language was rustic and the very breadth of his pronunciation was repellent and obscene', Historia Francorum IX,6 ). For our purpose, the metalinguistic message of the story is clear: the sacred texts, although told with the strange individual's ugly, »vulgar«, and perhaps dialectal pronunciation (he came from distant Aquitania), remained within the linguistically tolerable limits of Latin, and thus remained the sacred texts. Otherwise, Gregory - cautious in politics but adamant in matters of the faith - would not have let him participate in the liturgy. We might perhaps conclude from all this that in the Romanized territories of the West, in the first years or even decades of the 7th century, the Romanized inhabitants understood messages in Latin and considered them as being told in their own language, when pronounced in conformity with a phonological system usually called »vulgar« by our manuals, but which was simply different from the Classical norm and basically common to all, including the learned in their everyday usage. 4 3 4

Banniard (1992:136, n. 124) uses the same example, for very different purposes. This pronunciation included some phonological mergers due to the restructuring of the Latin vowel system, the loss of final -m sounds, mobility of some instances of final -s, the replacement of k,g and t,d stops by affricates before palatal glides, and of the semi-consonant [j] by an affricate.

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On the other hand, utterances of the non-learned, although condemned by the learned as rustic, unpleasant or contrary to rules, were nonetheless understood by the latter, and not viewed as belonging to some other linguistic universe. This is clearly implied in Gregory of Tours' story, but other witnesses could be invoked to confirm the point. The terminus post quern would be consequently a period between A.D. 620 and 630. A terminus of this type, of course, simply represents a limit in our knowledge of reality, and not necessarily in the reality itself. It may be the case that the situation remained the same for some time after the period indicated, but we cannot prove this. The terminus ante quem. As for the time period for which it can be demonstrated that Latin texts, even read aloud, were no longer understood by the masses in the Roman West, the date usually referred to is A.D. 813, the year of the famous resolution of the Council of Tours: »Visum est unanimitati nostrae, ut quilibet episcopus habeat omelias continentes necessarias amonitiones... et ut easdem omelias quisque aperte transferre studeat in rusticam Romanam linguam aut Thiotiscam, quo facilius cuncti possint intelligere quae dicuntur« ('We were unanimous in deciding that every bishop should have at hand homilies containing the necessary admonitions... and that these homilies should be translated in a straightforward way [?] by each one of them into the rustic Roman speech or into Germanic, so that people may more easily understand what is said', Cone. Turon., cap. 17, MGH Concilia II, 288). 5 The canon seems to correspond to some central intention, since other regional councils held in the same year express a similar desire to facilitate the

5

There is some learned speculation going on about the meaning of transferre in this context (the problem was raised in Wright 1982:118-21; see, inter alia, Heene 1991:154 and Banniard 1992:411-12). Wright, followed in this by others, supposed that in the context of the »rustica Romana lingua«, at least, it did not mean 'translate' but rather something like 'transpose', namely, from a register of pronunciation unfamiliar to the faithful (the restored, more or less orthographic-phonemic pronunciation) to the so-called vulgar, Romance-style pronunciation. This issue seems to me very much beside the point: the Fathers of Tours clearly stated that people did not understand, or understood with great difficulty, what was said in the homilies, they implicitly considered everyday usage and the language of the texts read in church as two distinct worlds of verbal communication; thus they recommended taking clear, straightforward (»aperte«) measures in order to reestablish what we may call communicative contact: for some words or phrases, the use of the current pronunciation instead of the learned one could be sufficient, but on the whole, for most words and entire portions of text, translation was the only way.

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common understanding of sermons, although none goes as far as Tours. 6 It is consequently clear that the problem was not only one of pronunciation but a much broader textual problem and, as far as the homilies are concerned, probably a recent one. We know that, at the explicit order of Charlemagne, the literate Italo-Langobard monk, Paul the Deacon, better known as the writer of a history of the Langobards, arranged for the composition of a sort of florilegium of homilies in two volumes, taken mostly from the writings of the great Fathers. These volumes were sent out by the king to all Church authorities some time before the year 800, probably around 790, with a letter stating that the texts currently used as homilies were marred by innumerable defects and errors, and therefore »non sumus passi nostris in diebus in diuinis lectionibus inter sacra officia perstrepere soloecismos, atque earundem lectionum in melius reformare tramitem mentem intendimus« ('we were not willing to tolerate that under our reign the religious texts read during the holy office resound with unharmonious solecisms, and so we made the decision to reform these readings', Karoli Epistola Generalis, MGH Capitularia 80-81). Twenty years was certainly enough time for the dioceses to make use, with due obedience to the king's ruling, of this centrally distributed collection, the pieces of which were conveniently adapted to the celebrations of an entire ecclesiastical year, and enough time to show that this measure, typical of Charlemagne's centralizing tendency and somewhat Utopian voluntarism, was ironically self-defeating. As the homilies »improved«, the people understood them less; hence the council resolutions of A. D. 813 (the words »sermones et omelias sanctorum patrum« of the council of Reims [quoted above, n. 6 ] make a clear reference to the anthology compiled by Paul). But the main point is something else: it seems that the 813 terminus, corresponding broadly to the first years of the 9th century, is too late. The chronological gap can be significantly narrowed down, with some important consequences. We have evidence of linguistic misgivings much earlier than 813. In June 794, Charles held a general Synod at Frankfurt for the bishops of the entire kingdom. Among the usual items referring to ecclesiastical law, morals and order, we find a beautiful and, to my knowledge, new sentence: 7 »Ut nullus credat, quod nonnisi in

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We read in chap. 15 of the Council of Reims, another council held in Romance territory: »Ut episcopi sermones et omelias sanctorum patrum, prout omnes intelligere possint, secundum proprietatem linguae praedicare studeant« (MGH Concilia II, 254). As for Germanic territories there is a similar recommendation in the canons of the Council of Mainz (ibid., 268 ). It is not clear why McKitterick (1991:137) affirms that »the Council of Tours decree... [is] not... echoed by any of the other Reform councils that year«.

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This passage is cited by several authors, among them, Banniard (1992:394, n. 100), but for a different purpose.

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tribus Unguis Deus orandus sit, quia in omni lingua Deus adoratur et homo exauditur, si iusta petierit« ('Lest anyone think that prayers should be said only in the three languages, because prayers can be addressed to God in every language, and if one asks for the right things, they will be granted', Synodus Francofurtensis, cap. 52, MGH Capitularia 78). Following the tradition going back to the Fathers (and in a certain sense even to the Gospels), clearly spelled out by Isidore in his Etymologies (IX, 1,3), the three sacred languages having precedence over all others were Hebrew, Greek, and Latin. The Frankfurt canon evidently meant that in everyday personal religious practice people should not be forced to use a particular language, even a sacred language, which was not their own. The statement does not concern directly the prehistory of Romance: Charlemagne's kingdom was multilingual, the Synod was held in Germanic territory; and in addition, the king was also confronted with new peoples and new languages, Slavs and Avars, among others. Still, the statement reveals a general awareness of a relatively new problem, related to the personal, individual understanding of religion and, as we shall see, even of politics. And it is probable that the Romanized territories, the most extensive, most traditional, best-known and richest regions of the kingdom, had a role - due, among other things, to their linguistic characteristics - in fostering this new understanding of the situation. There are some cues which lead us closer to a realistic assessment of the communicative situation in Charlemagne's kingdom. It should be recalled that in the countries under Charles' rule, all Christian inhabitants were supposed to learn by heart the Credo and the Lord's Prayer. The texts at my disposal are mostly from A.D. 802, but they presumably recapitulate older rules: »Omnibus omnino christianis iubetur simbolum et orationem dominicam discere« (Capitulare de examinandis ecclesiasticis, cap. 13, MGH Capitularia 110), »Ut omnis populus christianus fidem catholicam et dominicam orationem memoriter teneat« (Capitulare Missorum, cap. 30, ibid. 103). These rules were in conformity with an established position of the Church, spelled out already by Isidore {De ecclesiasticis officiis II, 23, 5), according to which a knowledge of the Credo was necessary even for illiterate Christians - a position never enforced to my knowledge before Charles. It was evidently the clergy's duty to teach these texts to the people, as is spelled out in a proposal submitted by the clergy ca. A.D. 802: »Ut unusquisque sacerdos orationem dominicam et symbolum populo sibi commisso curiose insinuet...« ('Every priest, with great care, should teach the Credo and the Lord's Prayer to the people entrusted to him...', Capitula a sacerdotibusproposita, MGH Capitularia 106). But in the official instructions issued to the mis si dominici around the same year, we find an additional item of information which was certainly unpleasant to the clergy: »dominicam orationem ipsi [sc. episcopi et sacerdotes] intelligant et omnibus

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praedicent intelligendam, ut quisque sciat quid petat a Deo« ('they [bishops and priests] should themselves understand the Lord's Prayer and they should teach it in such manner that everyone understands it, because all must know what they are asking for in praying God', Capitulare missorum speciale, cap. 29, MGH Capitularia 103); or again »ipsam orationem uel symboli sensum pleniter discant, et sibimet ipsi sciant et aliis insinuare praeualeant« ('they [the priests] should learn the Lord's Prayer and the meaning of the Credo thoroughly, they should know it themselves and be able to teach it to others', Capitula de examinandis ecclesiasticis, cap. 9, MGH Capitularia 110). These texts are not the first ones to imply that some members at least of the clergy had difficulties in understanding the Credo and the Lord's Prayer, difficulties which were evidently greater among the laity. All these rules and statements seem to have a common source in Charles's first detailed edict concerning ecclesiastical matters, the Admonitio generalis of 789, which was already quite explicit in this respect. After reminding the bishops that priests should understand the text of the Mass, it says (chap. 70): »et dominicam orationem ipsi intelligant et omnibus praedicent intelligendam, ut quisque sciat quid petat a Deo« (MGH Capitularia 59). 8 It could be objected that these statements envision only the non-Romanized, mainly Germanic territories of the kingdom. In all probability, this is not the case, not only because it is never so stated, but also because we have texts that suggest the contrary, e.g., a capitulare speciale from 802 (MGH Capitularia 100) addressed to the missi sent to Paris, Rouen, and Orleans, i.e., to the very heart of the Romanized territories. In this document (chap. 2) the missi are asked to determine whether the clergy understand the canones. One of the famous Councils of 813, the Council of Reims - again in a Romanized region - shows a continuity of concerns that go back to the Admonitio generalis: »Ut orationem, quam dominus noster Iesus Christus discipulos suos orare docuit, uerbis discerent et sensu bene intellegerent, quia illam ignorare nulli Christiano licet« (Concilium Remense, cap. 2, MGH Concilia 11,254). If all this is correct, we can state that the Admonitio Generalis of 789 reflects a linguistic situation in Romanized Gaul (we shall come back to the problem of the other Romanized provinces of the West) in which the words of the Lord's Prayer, not to mention the Credo, were no longer understood by the people, and in which

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Banniard (1992:353, n. 203) also cites this text. However, his paraphrase suggests an unduly incomplete and restrictive interpretation: »Nous comprenons que le pretre doit reciter ä haute et intelligible voix le Notre Päre de maniere ä ce que les fideles puissent ä la fois le rcpeter apres lui et comprendre le sens de cette priere et des demandes qu'elle comporte«. The text does not speak about reading aloud in a clear and intelligible voice, but simply about understanding.

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understanding of the basic texts of the Church was a special and important problem even for a sector of the clergy. It can be assumed that the Admonitio generalis, a long and very detailed text containing many items not treated in previous Carolingian edicts, was written after thorough preparation, which probably began shortly after the publication of Charles' first major edict, the 769-770 Capitulare, or after his accession to undivided power in 771. If this is the case, the statements of the 789 text reflect a situation that corresponds to an assessment made during the preceding decades. Consequently it can be supposed that by 760-770 at the latest, the population at large was already unable to understand, without special help and explanation, a Latin text as simple as the Lord's Prayer. As far as Gaul is concerned, the terminus ante quem would thus be the middle or the beginning of the second half of the 8th century. If we take mutual intelligibility of verbal messages to be a basic criterion of language identity, then the decisive linguistic gap between the language of a Latin text and the spoken usage of the population manifested itself some time between 620-630 and the middle of the 8th century, or soon thereafter. The expression »Latin text« means here any utterance in Latin, any written text read aloud: texts in good or in bad Latin, grammatically correct or »vulgar«. If chronology were our unique or main concern, we could stop here and simply state, with some satisfaction, that the period we have identified - narrowed down, defined more precisely and on the basis of less impressionistic arguments - roughly coincides with the estimates of a number of other scholars who consider the 7th and 8th centuries as the transition period between Latin and Romance. 9 This statement - or restatement - of the chronology of the transition has substantial implications, both linguistic and sociolinguistic, which we address in the following sections. The chronology of the transition and the Carolingian reform. First, though perhaps not foremost, the relative preciseness of the chronological limits we have proposed allows us to redefine in a realistic way the relationship between the so-called Carolingian reforms and what we might call metaphorically the birth of Romance

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This is, in these last decades, the communis opinio of scholars, e. g., Norberg (1943:219) and Mohrmann (1952); years ago, I myself said something similar (Herman 1967:118). As for the terminus a quo, my views and those of Banniard essentially coincide, based as they are on similar or identical testimony (see, e.g., Banniard 1992:487-88). But as far as the »fin de la communication verticale« is concerned, that is, the opening of the gap in understanding, Banniard (1992:492-533) has no clear terminus ante quem, but posits a somewhat wide timespan (750-800 for the North of Gaul, 800-850 for the South).

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in Gaul and even, as we shall see, in other Romanized territories. On the basis of a courageous, clever, and widely known theory, due essentially to the British scholar Roger Wright (1982, 1991a), the importance of this relationship has been strongly stressed in the last decade. It is claimed that before the Carolingians there was no Latin separate from spoken Romance; the spoken form of Latin was identical to pre- or proto-Romance, which found its natural written expression in the so-called vulgar texts, e.g., in Merovingian Latin documents, pronounced in conformity with the evolving proto-Romance phonology. But eventually, under the impulse and leadership of the Carolingians, especially Charlemagne, people like Alcuin, Paul the Deacon, and others reinvented Latin as a written language and, through the reform of its pronunciation, even a spoken one, and so created the conditions leading to an awareness of Latin and Romance as separate linguistic entities. Wright's approach has been instrumental, thanks to its clarity and incisiveness, in reviving creative discussion about the so-called Latin-Romance transition (i.e., it attracted both professional criticism and some irritated attacks). 10 I will abstain from polemics here and simply set forth my opinion on this question: notwithstanding similarities in methods, the difference between my conclusions and Wright's theory should be obvious. If it is true that the gap in understanding existed already, at the latest, around 760-770 in Gaul, then this gap cannot be viewed as a consequence of the Carolingian reform, for the simple reason that this reform was not yet really under way. Admittedly, generations before Charlemagne, the Carolingians, in their desire to improve administration and amend the chaotic state of the Church, perceived the importance of writing in an understandable way. For sound dynastic reasons, they even fostered some activities we would today call literary.11 Already from about 750 on, Pei (1932:7-8 et passim) sees a slow improvement in the writing practice

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It is well known that research similar in inspiration and method, but perhaps less far-reaching in its consequences, has been pursued on problems of verbal communication, sociological aspects of language use and choice, language consciousness, language-naming, and language policy in the Romance world, especially in Gaul, in other words, on the conditions, results, and corollaries of language change in the consciousness and activities of the speakers. Cf. Banniard (now mainly 1992, with an ample bibliography of the author's previous works), Van Uytfanghe (e.g., 1976, 1983, 1985, 1991, 1995), among others. As conscious consequences of language change are necessarily posterior to change itself (see Herman 1989b), some of these authors are inclined to postulate a rather late period for the Latin-Romance transition: the 9th, or even 10th or 11th century. On the whole, and notwithstanding the normal tendency of pioneers towards dogmatism, this is a useful and instructive literature, particularly in view of the fact that Romance linguistics has hardly ever tackled these problems.

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of the royal chancery. Noting that for some time the changes affected only spelling and not grammar, he states that a more rapid return to correctness can only be documented around 768-769. But all this was not a large scale reform: the changes merely affected charters devoted to individual legal cases, the diffusion of which was restricted to a small number of persons. The tendency remained certainly imperceptible as far as the general situation was concerned. Around 760-770, the main cultural assistants and inspirers of Charlemagne were not yet at work: the improvement of the text of the Bible, the establishment of a Court School, the creation of a guide book for homilies by Paul, the active years of Alcuin at Tours - all this would take place only in the last two decades of the 8th century and have no large-scale effects before the first decades of the 9th. Everyday Church practice could not have been affected by this activity in the years preceding the Admonitio generalis. Consequently, the incapacity of the public to understand simple religious texts, implicitly stated in the Admonitio, could not have been a result of the Carolingian reform: it simply was a difficulty met »in the field« by people in charge of preparing the edict. This does not mean that there was no link between the »gap in understanding« and the Carolingian reform: the gap was already there, but it needed Charlemagne's activity to be discovered. He wanted, as we have said, to familiarize all Christian inhabitants of the kingdom with some basic religious texts, but he had to realize that there was a major obstacle to meet: people, including some of the clergy, simply did not know what these Latin texts were about. 12 This

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We can recall some direct textual evidence concerning these matters, e.g., in a letter to the Pope written some time before 742, St. Boniface relates a conversation he had with the dux Francorum Carloman: »promisit, se de aecclesiastica religione, quae iam longo tempore id est non minus quam per sexaginta vel septuaginta annos calcata et dissipata fuit, aliquid corrigere et emendare uelle« (quoted in the Preamble to a Capitulare of Carloman, MGH Capitularia 24). We have a sort of retrospective testimony in one of the Continuationes of the Fredegar Chronicle (MGH Script, rer. Merov. 11,182), where we read, under the year 751: »usque nunc inluster uir Childebrandus comes, auunculus praedicto rege Pippino, hanc historiam uel gesta Francorum diligentissime scribere procurauit« ('up to the present time, count Ch., uncle of the previously mentioned King Pepin, has ordered this history, in other words the deeds of the Franks, to be diligently written'). For a broader perspective see McKitterick 1989.

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Charles had probably experienced similar results in his other mass enterprise: free inhabitants over the age of 12 were required to swear fidelity, personally and in public, to the King and later again to the new Emperor. Reiterated instructions to the missi concerning the mandate show that a certain amount of effort was devoted to seeing that it was carried out. If it was duly fulfilled, it certainly had the effect of putting thousands, even millions, of people in contact with a Latin text, however simple, and if the officials really wanted it to be understood, the outcome was probably frustrating.

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suggests that what we are calling the gap in understanding emerged for linguistic reasons (we shall come back to this point), independently of the Carolingian reform and before it. The reform activity did not create the difficulty, for the general Romanized population, in understanding Latin texts written or read aloud, but it was instrumental in discovering this difficulty and the problems it involved. Naturally, once the reform reached what we might anachronistically call its cruising speed - in the 9th century - its success contributed to widening the gap, to hastening the emergence of a Romance linguistic consciousness and, at the same time, to an awareness of Latin as a distinct language, to be learned as such. There is, moreover, another aspect of the same problem: if it is true that the gap in understanding was already present early in the second half of the 8th century, then it is clear that the difficulty was not limited to texts written with an improved, reclassicized Latinity (in any case, nobody wrote such texts in Gaul at this time) nor to texts read aloud with a correct, »Latinized« pronunciation, as such readings certainly did not take place. The difficulty applied to all Latin texts in all circumstances, even very »vulgar« ones such as the Merovingian charters or the Fredegar chronicles. It is probably true that in the 6th and the 7th centuries there was a link between Merovingian writings and spoken language, such that, with some oratorial simplification, these documents can be considered as a written form of spoken proto-Romance. 13 But there came a moment when, to the illiterate at least, even these texts were scarcely understandable when recited and in some of their parts not understandable at all. I shall try to show in the following section the possible reasons for this change. 14 The gap in understanding: in search of a linguistic explanation. Still as a consequence of the chronology we have established, we come now to the most crucial problem: what exactly happened in Gaul between, roughly, the mid 7th and the mid 8th centuries? What factors, what processes might account for the difficulty, indeed the impossibility, of understanding the oral recitation of written texts? I believe that a tentative answer can be given, certainly not a complete one, but one sufficient to promote further research and discussion.

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I have elsewhere (Herman 1992) tried to show how the apparent morphosyntactic disorder of some Merovingian scripta is in many respects governed by structural pecularities of the spoken language. The widening of the gap in comprehension may have had an interesting, if transitory, side effect: writing practice lost its ties with the (necessarily rule-governed) spoken usage. However, it was some decades before it was reorganized in conformity with the traditional rules for writing in Latin. Consequently, scribes worked for some time in an almost total »independence« from grammatical rules and wrote the worst pieces of written Latin ever produced, e.g., some of the last Merovingian charters from the first decades of the 8th century, which at times verge on utter linguistic chaos.

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There is a phonetic change in the protohistory of both French and Occitan, with a relatively well-established chronology, which separates Gallo-Romance from the other varieties of Romance. This concerns the fate of the vowels in final syllables. It is well known that except for -a, and for vowels in certain phonotactic positions, vowels in final syllables were generally lost in French and Occitan, so that we have in Old French, for instance, corpus > cors, amo > aim, but filia > fille. This was a very important and, by phonological standards, dramatic change, in that it altered the syllabic structure of most words, transformed the Gallo-Romance languages into predominantly oxytonic languages, disrupted what remained of the system of nominal and verbal endings, and where the evolving grammar necessitated the conservation of morphologically distinct categories (e.g., the personal forms of the verb) induced indirectly a series of analogical shifts. It seems certain that this loss of final vowels was the last of the systemic changes in the pre-French and preOccitan vowel systems. Clearly and unequivocally documented in the Strasbourg Oaths (842), it is known to be posterior to all other major changes, e.g., to all French diphthongizations. It is usually supposed that this loss of final vowels occurred in the late 7th and 8th centuries. 15 The parallelism between these dates and our initial and final termini might be more than a simple coincidence. It is very unlikely that, when reading texts aloud in church or performing the liturgy, lectores and priests could easily adapt their pronunciation to the changes going on in the everyday spoken language. This is not only because, on the one hand, the pressure and prestige of the written word were too strong, and on the other, their awareness of relationships between the written and spoken word was too weak, but mainly because the traditional rhythms and melodies of liturgical practice and public reading in church made any systematic reduction of final syllables impossible. It should be added that, for reasons of general policy as much as for strictly religious and ecclesiastical considerations, Pepin

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In her fundamental work on the prehistory of the French phonetic system, Elise Richter (1934: 243-46) states this clearly: »Der Verlust des auslautenden Schallgipfels ist die letzte größere Auswirkung des zentralisierenden Hervorhebungsdruckes«; the change is analyzed as belonging to the group of processes of »7. bis 8. Jahrhundert«. Less specialized manuals simply leave the chronology undiscussed. I quote some at random: in Pope's widely used manual (1952:79) it figures among »changes mainly attributable to the 8th and 9th centuries«, later (113) it is stated that it took place »before the 9th century«. For Bourciez (1967:34) it took place around the end of the 7th century. In his recent work on the problem, Sampson (1980:30), speaking about the complete deletion of the vocalic element originating in final e, i, o, or u, states: »In view of the number of complex changes which has to predate this deletion, any date for it prior to the eighth century would seem to be premature«.

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(751-768) was already proceeding with a liturgical reform, replacing the cantus Gallicanus by the cantus Romanus. This reform affected many details of the liturgical practice, including the mode and melodic line of recitation. 16 The reform of liturgy appears as a long-standing governmental effort, sustained by Charlemagne himself; thus chap. 80 of the Admonitio generalis prescribes: »Omni clero. Ut cantum Romanum pleniter discant et ordinabiliter per nocturnale uel gradale officium peragatur secundum quod beatae memoriae genitor noster Pippinus rex decertauit ut fieret, quando Gallicanum tulit ob unanimitatem apostolicae sedis et sanctae Dei Ecclesiae pacificam concordiam« (MGH Capitularia 61). It indicates, among other things, that the traditional rhythmic and melodic characteristics of church recitation in Frankish Gaul were gradually replaced by rules for reading, singing, and chanting imported from Italy, which certainly did not tolerate the dropping of final syllables. The gap, on this point, between the general spoken usage and the reading pronunciation, already in evidence for some decades, thus widened and was consolidated by the ongoing liturgical reform. All this produced, at the latest around 750-770 but probably somewhat earlier, a clear-cut divorce between everyday language and the verbal recitation of written texts. For the average illiterate speakers, the texts read to them were now full of superfluous, even dysfunctional, syllables, rendering intuitive identification of many words difficult if not impossible. These changes, together with the inevitable syntactic and lexical differences between spoken and written language, created a definitive barrier to comprehension of written texts read aloud. We might sum up our findings as follows: during the last decades of the 7th century and, roughly, the first half or first two-thirds of the 8th, as a result of intralinguistic processes, especially certain phonetic changes that occurred in the spoken language of Frankish Gaul, it became impossible for the illiterate or minimally literate Romanized inhabitants of the country (i.e., for the most of the community) to understand without assistance the oral recitation of written, i.e., Latin, texts. On the other hand, Charlemagne, during the first decades of his reign, continuing and expanding the efforts of Carloman and Pepin, endeavored to raise the overall level and the efficacy of the Church and the administration; he even wanted every Christian inhabitant of his kingdom to be involved in an individual act of faith and of political allegiance. He found that the breakdown in communication of essential messages, along with the poor quality of the documents and texts being

16

Since liturgical texts, recited and chanted in church, were the main form by which illiterate persons came into contact with pronounced Latin, more research on their linguistic impact would be welcome. Concerning the historical problems involved, I refer to the fundamental article of Vogel (1960).

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produced, was a major obstacle to his policy. As an understanding of the nature of the spoken usage and its diachronic modifications was not - and could not be at the time - within the grasp of Charlemagne and his advisers, and as it would have been unrealistic and unimaginable to try to raise the cultural and linguistic level of the whole population, the only possible remedy for this situation, on their part, was to improve the writing practice and, concomitantly, the pronunciation of written texts, all this on the basis of the only available standard, i.e., the Latin tradition. Ironically again, the success of this reform was in a certain respect self-defeating. It ultimately widened and stabilized the gap in understanding within the community, and it led consequently to an awareness of the disparity between Romance and the newly repolished and rebuilt, if not altogether reinvented, Latin. We have here, in a paradigmatic model, the two basic elements marking the emergence of a new language: on the one hand, the crucial language change per se, i.e., the emergence of differences (evidenced by failures to decode messages) between common usage and some language with which the community has been in systematic or traditional contact, and on the other hand, appearing somewhat later, as a sort of conscious consecration of the new linguistic situation, a generalized awareness of this difference as natural and the same time unbridgeable except through translation. A new writing system and writing practice either do or do not become introduced on the basis of these criteria, depending on the community's needs, possibilities, and level of social and cultural development. I would add that in some cases the distance between an awareness of the existence of a new language and its naming seems to be considerable. For a time, the Romance languages were named only in opposition to Latin, i.e., as romanz or volgare, and not in opposition to each other. But this is another story, with its own bibliography, which I can not take up here.17

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Another seemingly related issue, which I also leave out of consideration is that of diglossia. The application of this concept to the centuries - or to some periods - of transition in Romanized territories has been subject of some debate. For bibliography, see Banniard (1992:506-11), who, after some hesitation, wisely decides to avoid this term. The concept of diglossia may have a taxonomic value, and in some cases even an heuristic one, but the use of the term carries its own risks. In their zeal to apply to concrete processes and situations a technical term coined with elegant Greek elements, researchers may neglect to take into account the specific characteristics of the situation under study. Let us keep in mind that the »high« and »low« variants, if there were any, in Romance territories, as well as their relationship to one another, underwent profound changes between the 6th and 10th centuries, and the capacity of different social groups to use and understand these variants differed from one country to the next. The whole process lacks the relative stability and clear distinction of functions between the two variants that Ferguson (1959:336) postulated in his original definition.

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The Gallo-Romance model and the other Romance territories. One important question remains to be discussed: the extent to which the emergence of the GalloRomance languages may be of paradigmatic value for understanding the prehistory of the other Romance vernaculars. The answer to this question must be preliminary and cautious. In the crucial period, i.e., from the 7th to the 9th centuries, Gaul underwent particularly clear-cut, characteristic changes which, through the power and influence of the Carolingian Empire, had some impact on the whole of Western and even parts of Central Europe. As a result of the active and centralizing governing practices of the Carolingians, primarily of Charlemagne, we have at our disposal a number of metalinguistic statements that allow us to assess with some accuracy the linguistic situation in this central and best known region of the Empire. On the basis of the evolution in Gaul, we can consequently formulate some methodological approaches and principles; however, in applying these to Italy or to Spain, not to mention smaller or more remote territories, we soon realize that the dynamics of the processes are clearly different from what we would be led to postulate on the basis of the Gallo-Romance prehistory. For example, it is evident that our terminus ante quem - the beginning of the second half of the 8th century - does not hold for Italy and most probably not for Spain either. For Italy, be it the former Langobardic kingdom, Rome, or any former Byzantine territory, we have, to my knowledge, no outside, metalinguistic evidence for the 9th and early 10th centuries of linguistic difficulties in understanding Latin texts, nor of any awareness of a gap between spoken language and Latin. There were, of course, differences in level of usage and in fidelity to Latin tradition in writing and pronunciation; one has only to compare the prose of Paul the Deacon with 8th-c. Langobardic charters. But it does not seem that these differences produced any overall obstacle to comprehension, save for difficulties involving content. Although proofs e silentio are very weak proofs, we must recall that the Carolingian Capitularia addressed specifically to Italian affairs contain no remarks on the understanding of the sacred texts: for Italy, this problem does not seem to have arisen. The first real evidence of a conscious difference between Latin and a spoken language which was not Latin is from March 960 in the witness formulas from Capua. The whole evolution in Italy, as compared to Gaul, takes place about a century and a half later. For Spain, the state of our extant documentation from the period after the fall of the Visigothic kingdom makes general statements difficult and risky. However, as in Italy, the existence and awareness of a linguistic dichotomy seems to have been clearly later than what we have postulated for Gaul. The earliest date seems to correspond to the redaction of the Glösas de Silos and the Glösas de San Millän: the commentary on and translation of the basic Latin text, using words and con-

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structions which in their form and orthography are clearly and deliberately different, demonstrate for these regions a clear consciousness of the existence of separate linguistic registers. Unhappily, the date of these glosses is highly conjectural; they are usually said to be from the 10th century. They are perhaps from a later date, but certainly not from an earlier one. For the Mozarabic territories, Banniard (1992: 481-84), on the basis of a doctrinal and literary discussion in Cordoba, tries to establish a »dissolution de la latinite« in the second half of the 9th century; the conclusion seems unconvincing, but I cannot enter here in a detailed discussion of the problem. How do we explain the belated evolution in Italy and Spain as compared to Gaul? Simple answers are often misleading; nonetheless, I shall risk a simplification, perhaps not unjustified. It seems that this difference was not due to extralinguistic or socio-cultural conditions, but rather to divergences in the linguistic evolution per se. There was no awareness of a linguistic dichotomy in Italy or Spain in the 9th and early 10th centuries because there was no linguistic dichotomy to be aware of. Neither the syllabic structure of words nor the overall system of stress distribution had changed; in most cases, final -a was neatly conserved, the other final vowels in the spoken language reflected the palatal-velar distribution in Latin; the similarity of meaningful elements between Latin spoken aloud and everyday speech remained perceptible; in short, there was no abrupt break in the continuum from ordinary spoken language to solemn traditional recitation. This would eventually change, probably during the late 10th century. The loss of final consonants in Italian, the weakening of intervocalic stops in Spain, the renewal of the pronominal system and of particles and conjunctions, the syntactic changes subsequent to the loss of the Latin nominal inflection, and the restructuring of verb paradigms, were all features that written usage could not follow beyond a certain point, bound as it was to the Latin orthographic tradition and to Latin formulas. For illiterate native speakers, this must have produced a barrier to understanding utterances that were in conformity with written practice. Eventually, the introduction of Carolingian and post-Carolingian modifications in official and ecclesiastical Latin promoted a slowly generalized awareness of the linguistic dichotomy and, ultimately, the naming of the newly identified languages. The general picture given by Wright (1982) concerning the transition is consequently a fairly accurate representation of the process as it took place in Spain and Italy, though it fails to describe the chronology and the factors of the evolution in Gaul. Concluding remarks. First, I should like to state again, though this finding in itself is not new, that the so-called births of the Romance languages (I see no escape from this metaphor) were not simultaneous. The decisive linguistic differentiation from

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Latin and the subsequent awareness of a linguistic gap arising from this differentiation - both prerequisites for the existence of new languages - emerged at different periods, the intervals extending over almost two centuries. These chronological differences had far-reaching consequences, in particular as regards literary development in the respective Romance territories. Specialists in early literature could certainly say more about this issue. My second concluding observation exceeds, in a way, the original limits of this inquiry. In the last decades, many linguists, myself included, have stressed, when speaking about language history and language change, the importance of metalinguistic awareness, of conscious human action, of social and cultural and even policy factors. Still, we have to remind ourselves that the core of linguistic change is immune to conscious human influence. This does not mean that change is not a human product, since it is ultimately the result of billions of convergent choices made in the course of individual utterances. But, as in other fields, humans produce their history without knowing that they do so and without knowing what exactly it is that they do. So, linguistic consciousness refers to results of essentially unconscious processes; awareness shapes the conditions for the acceptance, diffusion, and generalization of changes which are themselves beyond its reach. In saying this, I do not deny the importance and essential dignity of human consciousness and goal-oriented action: light, as we know, owes its priceless value to the darkness that surrounds it.

IV. REVUE D'ENSEMBLE

L'etat actuel des recherches sur le latin vulgaire et tardif* I. Les recherches sur le latin tardif et sur ce que Ton appelle, d'un terme souvent conteste, le latin vulgaire, ont derriere elles une histoire dejä longue. En tenant compte des reflexions et des remarques plus ou moins occasionnelles sur le developpement tardif du latin, on remonterait presque jusqu'ä l'Antiquite, en tout cas jusqu'ä Isidore de Seville. Si on s'en tient, sans vouloir aller si loin, aux recherches systematiques, continues et strictement linguistiques, on prendra plutöt comme point de depart le livre fondamental de Hugo Schuchardt sur le vocalisme du latin vulgaire, paru il y a bientöt 130 ans, entre 1866 et 1868. Depuis, on rencontre presque periodiquement des etudes qui s'efforcent de resumer la situation et les resultats des recherches, en decrivant ce qui s'appelle en anglais »the state of the art«. Dans la section I de la Bibliographie, j'ai enumere en ordre chronologique ceux de ces travaux que je considere comme les plus importants. II serait hors de propos de les analyser ici un ä un, j'evoque simplement, parmi les plus recents, celui de Β. Löfstedt (1983), qui s'etend aussi sur les editions de texte et qui avance, dans le temps, jusqu'aux debuts de la latinite du Moyen Age, et celui de Väänänen (1983a), consacre en particulier, comme le montre son titre, aux etudes sur le probleme de la differentiation territoriale du latin et faisant suite ainsi ä un celebre article de Tovar (1964). Le resume que je presente ici de mon cöte η'est pas destine ä etre une simple continuation ou un complement de ces etudes: je m'efforcerai de mettre en relief les developpements - substantiels et tres importants, ä mon avis - qui se sont manifestes au cours des deux ou trois dernieres decennies; or, puisque ces evolutions ont leurs racines, comme c'est normal, dans des periodes plus anciennes, je remonterai * Studia Romanica (Tokyo) 28 (1995): 1-18.

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plus loin pour les presenter d'une maniere adequate - quitte ä reparier, le cas echeant, de faits que mes predecesseurs ont dejä traites, quitte aussi ä renoncer ä une presentation exhaustive des faits moins caracteristiques. II. Precisons d'emblee, pour la clarte de 1'expose, que les recherches dont nous allons rendre compte ont, historiquement, une double origine, ce dont elles portent la marque jusque vers le milieu de notre siecle. Au XIX e siecle, le probleme du latin vulgaire etait surtout un probleme de romanistes: il s'agissait de retrouver, surtout par l'etude comparative des langues romanes, le fameux »Volkslatein« de Friedrich Diez, ce latin populaire »cache« par la tradition ecrite dont les langues romanes apparaissaient comme les descendants authentiques et directs. Ce faisant on recourait peu ou pas du tout aux textes latins eux-memes, certains - comme, entre autres, W. Meyer-Liibke dans un ouvrage de jeunesse 1 - consideraient meme que le latin vulgaire etait une langue en somme differente du latin ecrit et litteraire, une sorte de »seconde langue«, dont l'etude ne serait que faussee par les monuments ecrits.2 D'oü la pratique - courante en linguistique romane - de n'utiliser des faits, des formes puises aux textes latins que subsidiairement, comme des preuves ainsi dire secondaires, et prises d'ailleurs le plus souvent de seconde main. Cette methode a sans doute connu des succes appreciables, dans la recherche etymologique notamment, ou en permettant de preciser les caracteristiques communes de la prehistoire des langues romanes. Elle ne pouvait par contre aboutir qu'ä des resultats peu convaincants, parfois arbitraires quand il s'agissait d'eclairer la marche effective de la transformation du latin en langues nouvelles, la Chronologie et les mecanismes de cette transformation.3 Elle comportait aussi un autre danger: le point de depart du developpement roman etant constitue ainsi par une langue hypothetique, reconstruite, la tentation etait grande de con-

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II s'agit exactement de sa contribution ä la premiere edition (Strassburg, 1888) du Grundriss der romanischen Philologie de G. Gröber, I, 351-382. C'est ä cet egard justement que l'ouvrage de H. Schuchardt, que nous avons evoque plus haut, constitue une importante et meme geniale exception: autant et plus que sur des deductions theoriques, Schuchardt fonde son expose sur une masse imposante de donnies puisees ä des sources latines, inscriptions et manuscrits. On rappellera que le livre capital et pourtant fort discutable de W. von Wartburg sur la fragmentation linguistique de la Romania (Wartburg 1950) prötend decrire et meme expliquer le processus de differenciation territoriale du latin sans recourir ä des donn6es latines directes.

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cevoir et de presenter cette langue comme une langue autonome, differente du latin, ayant sa grammaire, son vocabulaire; dans l'introduction de plus d'un manuel de linguistique romane, nous voyons ainsi le »latin vulgaire« decrit comme s'il s'agissait d'une realite bien circonscrite, d'un idiome veritable. D'un autre cote, les origines de notre discipline remontent ä certaines recherches consacrees en particulier ä Γ analyse linguistique de textes latins (litteraires ou autres) dits tardifs, done posterieurs au II e siecle environ, plus ou moins detaches des ideaux stylistiques du latin classique, presentant meme - sous la forme de »fautes de langue« systematiques ou frequentes - des innovations grammaticales par rapport ä ce dernier. Nous enumerons quelques ouvrages importants appartenant ä ce courant, en ordre alphabetique des noms d'auteurs, dans la section II de notre Bibliographie. Comme Γ importance de la litterature chretienne dans le developpement tardif du latin a toujours ete evidente, il n'est pas etonnant qu'une des premieres grandes monographies de ce type soit consacree au particularites de la langue des traductions bibliques - il s'agit de la celebre et toujours indispensable etude de H. Rönsch sur la langue des traductions bibliques, de 1875. Mais la veritable eclosion vient plus tard: relevons en particulier l'importance du grand travail de Marc Bonnet sur le latin de Gregoire de Tours, demontrant implicitement que les »vulgarismes« de Gregoire sont des faits latins et qu'il n'y a pas de solution de continuite entre latin tout court et evolutions »vulgaires«; cela ressort plus clairement encore du premier ouvrage, magistral, d'Einar Löfstedt, consacre ä la fameuse peregrination d'Egeria (ä l'epoque, on supposait encore que le nom de l'auteur etait Aetheria). Le plus grand merite de ce courant, dont le representant le plus fertile et le plus prestigieux fut justement le suedois Einar Löfstedt, est d'avoir montre que la bipartition, la dichotomie entre latin »litteraire« et latin »vulgaire« est un mythe: il y a une histoire globale du latin, langue ä multiples variantes, caracterisee par la presence d'une tradition ecrite certes conservatrice mais, ä la longue - certaines evolutions culturelles, sociales et religieuses aidant - nullement impenetrable ä Γ influence de la langue quotidienne, de la langue parlee. Cette derniere avait elle-meme plusieurs variantes, dont Γ une, celle des couches peu ou point influeneees par le prestige de la tradition, etait fortement »vulgaire« et presentait, avec le temps, des traits preromans de plus en plus nets et nombreux; pourtant, meme ces variantes subissaient de Ieur cöte l'influence omnipresente de la tradition ecrite. Le lien etroit entre parle et ecrit fut egalement demontre, sur un autre plan, par les premieres grandes etudes sur les inscriptions d'une province determinee (evoquons la these de J. Pirson sur la Gaule et celle d' A. Carnoy sur l'Espagne). II apparut en effet que, pour l'essentiel, les inscriptions des provinces ne presentaient aueune caracteristique dialectale claire, leur langue n'apparaissait pas comme moins homogene, ä cet egard, que celle des oeuvres litteraires. L'etude du latin vul-

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gaire est done devenue, dans le cadre de toutes ces oeuvres, une affaire de latinistes, une branche un peu specialisee, peut-etre mal denommee, de Γ etude historique du latin, en particulier du latin postclassique, tardif. A vrai dire, ces deux traditions de recherche, celle des romanisants et celle, plus ample, plus fortement liee aux textes, des etudes historiques sur le latin tardif - consacrees pourtant, au fond, ä la meme etape historique de la meme langue - ne se sont rejointes que rarement, et plutöt tard. L'ouvrage posthume d'Einar Löfstedt, intitule Late Latin, paru ä Oslo en 1959 et qui constitue un resume magistral de son enseignement, presente dejä, pourtant, une ouverture vers les langues romanes, et certaines oeuvres, en gros contemporaines, realisent une veritable fusion des deux approches. Citons, comme exemples de cette rencontre, l'ouvrage fondamental de V. Väänänen sur le latin vulgaire des inscriptions pompeiennes, ou celui de Bengt Löfstedt sur la langue des lois longobardes (v.la section II de notre Bibliographie): dans les deux etudes, Γ analyse s'effectue dans la perspective et avec les methodes de la linguistique historique du latin, les auteurs se referent cependant constamment, lorsque e'est indique et possible, aux futures evolutions romanes, et creent ainsi des etudes sur l'ensemble du developpement allant du latin vers le roman, dans une periode et dans un milieu geographique donnes. III. C'etait done, en gros, la situation jusque vers le milieu de ce siecle. II y eut cependant, des cette epoque, des avant meme, des developpements nouveaux et importants dans les conditions generates de la recherche, qui ont eu, sur nos disciplines, une influence determinante. Nous les indiquerons tres brievement. 1. Depuis l'entre-deux-guerres, en particulier dans les decennies qui ont suivi la deuxieme guerre mondiale, de tres grands progres ont ete realises dans la connaissance et la publication des textes latins tardifs et »vulgaires«. Dans la plupart des cas, il s'agit de textes plus ou moins connus, mais reedites d'une maniere plus pratique, plus accessible, plus süre, plus complete. J'enumere, dans la section III de la Bibliographie, ä titre d'exemples et sans aucune intention de fournir une liste complete, de nouvelles editions de textes bibliques, quelques nouveaux recueils d'inscriptions reprenant ou completant le Corpus Inscriptionum Latinarum et quelques publications de documents recemment decouverts. II y a en effet certains textes inconnus ou laisses hors de consideration auparavant; je pense par exemple aux lettres d'affaire de l'affranchi Eunus, des premieres decennies de notre ere et publiees recemment ä Heidelberg, ou aux tablettes de bois en provenance de Vindolanda, en Angleterre, egalement des premiers siecles de l'Empire. Incidemment, ces deux ensembles de textes, sans doute tres proches de la langue

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parlee de tous les jours, prouvent meme ä premiere vue - malgre quelques decalages entre prononciation et orthographe hereditaire, quelques flottements dans la morphologie - que la distance entre la langue de tous les jours et celle representee par les textes classiques etait encore minime au debut de notre ere, et qu'il ne s'agissait sürement pas d'un »preroman« parle, occulte par les textes ecrits. 2. Au cours des demieres dizaines d'annees, les conditions de la recherche se sont renouvelees grace au developpement des disciplines limitrophes, des disciplines relatives au cadre historique, sociologique, demographique, etc. de revolution linguistique du latin. Le sujet est tellement vaste que je dois me contenter ici d'indications generates puisque les oeuvres et les noms se compteraient, meme dans une liste d'exemples, par centaines. Rappelons pourtant que nous disposons de connaissances bien plus precises qu'auparavant sur l'economie du monde antique et en particulier de l'Empire romain, sur les mouvements de populations, sur des details importants du point de vue de Γ interpretation des textes comme les techniques de l'ecriture et en particulier de l'epigraphie, sur la sociologie culturelle (en particulier sur la connaissance de l'ecriture, la diffusion et l'extension des oeuvres ecrites), sur les conditions sociales et ethniques dans les anciennes provinces latinisees de l'Empire, et ainsi de suite. Fait capital: nos connaissances et notre documentation se sont multipliees, dans certains cas entierement renouvelees au sujet de 1'entourage linguistique du latin avant et au cours du premier millenaire de notre ere, c'est-a-dire les langues qui sont d'habitude traitees de langues de »substrats« ou de »superstrats« et qui, en dehors meme de toute theorie de »-strats«, ont certainement influence revolution du latin, ne serait-ce qu'ä travers les innombrables situations de bilinguisme. Ainsi, I'image que nous pouvons tracer de la situation linguistique prelatine de la Peninsule Iberique differe profondement des idees que Γ on pouvait avoir ä la fin du XIX e siecle; pour le gaulois, nous disposons d'une documentation relativement riche, precise, bien ordonnee, et d'une image enrichie en ce qui concerne l'extension et les branches du celtique continental; pour l'ltalie, nos connaissances de l'etrusque sont desormais relativement precises et contrölables, nous avons des connaissances presque systematiques sur le venete et des idees nouvelles et plus precises sur un nombre de dialectes italiques dans les environs de Rome; pour les Balkans, nous sommes en mesure de passer en revue les restes de la langue dite illyrienne - et Γ enumeration serait susceptible d'etre continuee. 3. La veritable nouveaute dans les conditions de la recherche se situe cependant au niveau de la linguistique elle-meme. Au cours des dernieres decennies la linguistique generale et theorique, de meme que la linguistique dite appliquee ont produit des resultats precieux du point de vue de la linguistique historique, en ont renove les methodes d'approche et d'interpretation. Les faits sont connus et font

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partie desormais de l'histoire de la linguistique au XX e siecle, il suffit de rappeler brievement les plus marquants. On sait, d'une part, que les dernieres decennies ont mis ä la disposition de la linguistique historique de nouvelles ressources pour la representation et 1'interpretation des changements, on peut evoquer notamment la phonologie historique, dont les origines remontent aux alentours de 1930, ou certaines nouvelles theories morphologiques, comme la morphologie dite »naturelle«, ou l'application de considerations typologiques ä l'histoire, ou enfin - et surtout des approches structurelles et fonctionnelles consequentes, qui obligent les chercheurs ä situer les changements dans l'ensemble des modifications du systeme linguistique. II convient de penser, d'autre part, aux progres des methodes quantitatives, et, plus recemment, ä 1'utilisation des ordinateurs qui permettent de manipuler des masses considerables de donnees. Finalement, evoquons un developpement dont 1'impact, dans le domaine justement des recherches diachroniques sur le latin, est certainement considerable, mais encore difficile ä evaluer dans toute son ampleur: Γ apparition d'une sociolinguistique systematique, appliquee notamment aux changements linguistiques et qui, ayant recours egalement aux outils conceptuels de la psycholinguistique, nous permet d'arriver ä une vision nouvelle des facteurs et des voies de diffusion des innovations, ainsi que des contacts de langue, des etats de bilinguisme, de plurilinguisme et de diglossie.4 II est clair que ces theories et ces methodes ouvrent des perspectives nouvelles aux etudes sur l'extension du latin et sur ses alterations ä diverses epoques et dans divers milieux. IV. Les conditions generates dont je viens de faire etat, jointes ä un regain d'interet qui s'est manifeste, depuis 1960 environ, pour les etudes de linguistique historique, ont produit une effervescence nouvelle, une activite renforcee dans le champ de nos recherches.

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Foumir une bibliographie, meme indicative, serait impossible: il s'agit de toute l'histoire de la linguistique moderne. Evoquons seulement des noms, choisis non sans un certain arbitraire, qui pourront servir de points d'ancrage, pour les Interesses, ä des recherches bibliographiques: pour la phonologie historique, on pensera - en relation entre autres avec nos etudes - ä A. Haudricourt et A. Juilland, ä A. Martinet; pour la morphologie naturelle, ä W. Dressier et ä U. Wurzel, pour la typologie, ä R. Jakobson lui-meme, ou ä Th. Vennemann, pour l'approche structurelle et fonctionnelle, c'est encore le nom de Martinet qui emerge parmi les auteurs qui ne se comptent plus, ou encore celui de S.C. Dik et de ses nombreux eleves; quand il s'agit des bases desormais systematiques d'une approche quantitative, on pense p.e. ä G. Herdan; pour ['application historique de la sociologie, il suffira sans doute de rappeler le nom du pionnier, W. Labov.

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Cette activite a eu des signes pour ainsi dire exterieurs. Au cours de la derniere decennie, notre domaine a ete l'objet de plus de discussions organisees, de reunions internationales que cela n'avait ete le cas au cours de toute l'histoire de la discipline depuis Schuchardt. Ainsi, sous l'impulsion d'un groupe de savants - dont G. Calboli, E. Coseriu, J. Herman, V. Väänänen - un premier Colloque international sur le latin tardif et vulgaire fut organise dans la ville hongroise de Pecs, en 1985. Malgre ses dimensions modestes (23 membres de 13 pays), ce fut un succes, et les participants ont decide de continuer: le deuxieme Colloque de la serie eut lieu ä Bologne en 1988, le troisieme, avec dejä plus de 50 participants, en 1991 ä Innsbruck en Autriche, le quatrieme, avec un nombre bien plus grand de membres, en 1994 ä Caen, et un cinquieme doit avoir lieu ä Heidelberg en 1997. Corame le montre notre Bibliographie (cf. Section IV), les actes de tous les colloques ont ete publies (ceux du dernier, tout recent, sont egalement sous presse), avec des articles en general precieux, couvrant une gamme de sujets tres etendue, et fort bien accueillis par la critique. Independamment de cette serie de colloques specialises, une Table ronde portant le titre »Latin and the Romance Languages in the Early Middle Ages«, consacree ä la situation linguistique ä l'epoque de la transition entre latin et roman, fut organisee par le chercheur anglais Roger Wright ä l'occasion du IX e Congres international de linguistique historique, en aoüt 1989, ä l'Universite Rutgers (New Brunswick), aux Etats-Unis. Cette Table ronde a egalement donne naissance ä un volume interessant (v.Bibliographie, Section IV) que nous evoquerons encore. Enfin, dans le cadre du dernier Congres International de Linguistique Romane, ä Zurich en 1992, J. Wüest et J. Herman ont organise une section entiere du Congres, consacree aux problemes linguistiques de la transition entre latin et roman, avec une Table ronde ä la fin pour resumer les travaux. Les exposes tenus ä cette occasion, ainsi qu'un resume des discussions par les organisateurs peuvent etre lus maintenant dans les Actes du Congres (cf. notre Bibliographie). Ont egalement vu le jour des recueils d'articles dus ä l'initiative des editeurs: relevons entre autres deux importants volumes de 1983 consacres ä la situation linguistique et ä revolution du latin pendant l'Empire, dans la serie bien connue intitulee »Aufstieg und Niedergang der römischen Welt«, faisant d'ailleurs suite ä un recueil paru ä Bonn des 1980, consacre aux langues dans le monde romain ä l'epoque de l'Empire (voir pour tout cela notre Bibliographie, fin de la Section IV). Nous serons amenes ä reparier de certains articles parus dans ces volumes.

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V. II est temps de passer au plus important, ä Γ analyse des tendances principales qui se manifestent dans notre domaine au cours des dernieres decennies et en particulier au cours de ces dernieres annees, et - naturellement - aux ouvrages les plus caracteristiques qui represented ces tendances. II ne peut pas s'agir d'une enumeration exhaustive: par la force des choses, nous sommes oblige de choisir, et notre choix pourra ne pas co'incider avec celui qu'opererait un autre. 5 1. Le nouvel elan de nos etudes n'a aucunement entraine l'abandon des genres et des types d'investigation traditionnels. Les etudes monographiques detaillees consacrees ä la langue d'un auteur determine ou ä un ensemble delimite de textes ont toujours ete presentes parmi les travaux sur le latin dit vulgaire, et nous avons fait etat plus haut de quelques-uns parmi les premiers grands exemples de cette lignee (v. plus haut, ch. II). Au cours des deux dernieres decennies, il y a eu de nouveaux ouvrages qui, tout en etant conformes ä cette tradition, avaient pourtant profite des recents progres methodologiques et theoriques. Je mentionne ä titre d'exemple le livre du savant britannique J. N. Adams, consacre ä la langue du Soldat Claudius Terentianus, dont les lettres sur papyrus, adressees ä son pere, dictees plutot qu'ecrites en Egypte dans les premieres decennies du II e siecle de notre ere, fournissent un precieux temoignage de Γ usage des milieux pratiquement illettres dans les premiers siecles de l'Empire. II ressort avec evidence de l'analyse d'Adams que cette langue, dont certaines particularites, notamment dans la syntaxe des pronoms et des cas, prefigurent dejä de futures evolutions romanes, est pourtant indubitablement du latin, et n'est separee par aucun abime de la langue des oeuvres conformes ä la tradition ecrite. C'est ici qu'il convient d'evoquer le dernier grand ouvrage du doyen de notre discipline, V. Väänänen: profitant de la recente et belle edition de la Peregrination d'Egerie,6 Väänänen a procede ä une etude descriptive minutieuse de ce texte celebre: il ressort de cette etude que, ä cette date relativement tardive et chez un auteur qui n'avait certainement pas eu une formation litteraire classique - et n'avait pas la pretention de faire etalage de culture l'armature essentielle, la »morphosyntaxe« de la grammaire latine fonctionnait

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Les ouvrages mentionnes dans ce chapitre sont inclus dans la section V de la Bibliographie, groupes selon les sous-chapitres et, ä l'interieur de ces sous-chapitres,dans l'ordre alphabetique des noms d'auteurs. II s'agit de l'edition due ä P. Maraval (Egerie. Journal de voyage [Itineraire]. Sources Chretiennes, n. 296, Paris, 1982). Resumant et completant les recherches philologiques recentes relatives ä Egerie, Maraval a egalement contribue a fixer notre position en ce qui concerne, entre autres, le nom de la pelerine, sa patrie (le Nord-Ouest de l'Espagne) et la date probable de l'oeuvre (fin du IVe siecle).

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encore sans derogations graves; et pourtant, cette meme langue laisse dejä entrevoir - ä travers les preferences de l'auteur, ses apparentes negligences, ä travers les glissements et les »irregularites« occasionnelles dans l'emploi de regies pourtant vivantes - un developpement net vers de futures structures romanes (progres des structures prepositionnelles au detriment de la simple forme casuelle, progres de l'ordre SVO, frequence et variete des completives ä conjonction ä la place de Γ Acc. c. Inf., etc.)· L'etude des particularites linguistiques de communautes, de groupes sociaux determines, sur la base, en general, d'un corpus, d'un ensemble determine de textes est, dans son principe, similaire ä ces etudes monographiques. Dans ce domaine encore, il y a eu des resultats appreciates au cours des dernieres decennies. Les recherches sur le latin des Chretiens remontent ä des periodes bien plus anciennes que celle que nous envisageons. 7 Dans ce domaine encore, les recherches ont continue. II est clair desormais - comme cela ressort d'un important article recent de R. Coleman (cf. Bibliographie) - que le latin des Chretiens n'existait comme variete linguistique distincte et plus ou moins homogene que dans le domaine du vocabulaire specialise relatif ä la doctrine chretienne, au culte et ä l'organisation ecclesiastique; par ailleurs, ce latin connaissait une stratification que rien ne distinguait de la stratification du latin tout court, avec une Variante »haute«, litteraire, et des variantes plus ou moins »vulgaires« comme, en particulier, la langue de la Bible latine. Evoquons ä titre d'exemple une autre »langue de groupe«, plutot une Variante stylistique et lexicale liee ä une communaute determinee, d'importance evidemment bien moindre que le latin des Chretiens, mais par contre bien plus nettement et exclusivement liee ä l'usage parle, vulgaire: il s'agit de la »langue« des soldats, du sermo castrensis, objet d'une bonne description (sur la base d'un recueil de textes) par M. G. Mosci-Sassi; ici encore, il ne s'agit pas de langue speciale, mais d'un vocabulaire sui generis et souvent, d'une erudite de style caracteristique. 2. Dans la lignee d'une autre tradition de la recherche sur le latin vulgaire celle qui consistait ä rechercher les traces d'une differenciation territoriale, d'une sorte de dialectalisation de l'usage parle (tradition inauguree, comme nous l'avons vu plus haut, ch. II, par des oeuvres comme Celles de Pirson et de Carnoy) - on note dans les dernieres decennies un regain d'interet pour ce que j'appellerais la geo-

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Nous avons fait etat plus haut (ch. II) de l'ancienne monographie de Rönsch sur la langue des traductions bibliques. C'etait pourtant, dans la premiere moitie de ce siecle, l'ecole de Nimegue, se rattachant ä l'activite de J. Schrijnen et surtout de Chr. Mohrmann, qui a fait progresser ces etudes. Pour une evaluation critique de ce courant de recherches, on se reportera surtout au Late Latin d'Einar Löfstedt (v.la section II de la Bibliographie).

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graphie linguistique du latin tardif et vulgaire, probleme necessairement lie ä celui de la formation des diverses regions - et des diverses langues - romanes. Le livre de Wartburg sur la fragmentation de la Romania (v. plus haut, n.3) etant trop lie aux theories des »strats« et trop peu soutenu par ce que nous savons du latin lui-meme, il etait clair que la question devait etre reprise. La veritable nouveaute, dans ce domaine, est apparue dans Γ application de methodes statistiques plus ou moins sophistiquees aux materiaux recueillis dans des inscriptions dites vulgaires, en particulier chretiennes. Avec des approches differentes, ce travail a ete entrepris ä deux endroits surtout: aux Etats-Unis, par P. A. Gaeng et S. W. Omeltchenko, et en Hongrie - plus tard en Italie - par J. Herman et quelques collaborateurs. Jusqu'ici, le resultat positif et, pour 1'essentiel, concordant de ces recherches est d'avoir demontre que, dans les derniers siecles de l'Empire et au milieu du premier millenaire, la presence de fines differences phonetiques et morphologiques (ces dernieres surtout dans la flexion des noms) est dejä demontrable d'une region romanisee ä l'autre, sans qu'il soit pour autant possible de parier d'une veritable et nette dialectalisation. II est egalement clair que certaines de ces differences prefigurent, indirectement et de loin, certaines evolutions romanes. Le probleme a suscite d' autres travaux egalement, on rappellera le livre de Mihaescu sur les inscriptions des provinces danubiennes, celui de I. Fischer sur la latinite danubienne, oeuvres qui corroborent, pour les provinces de l'Est, les resultats obtenus ailleurs. Certes, pour ce qui est de la prehistoire des langues romanes, ces recherches, en resolvant certains problemes, en posent bien d'autres - toujours est-il qu'elles manifestent un interet salutaire pour le mecanisme, le deroulement concrets de la transformation du latin en langues romanes. 3. Apres ces deux groupes d'ouvrages qui traitent des problemes en somme traditionnels avec des approches au moins partiellement nouvelles, abordons un groupe d'ecrits qui constituent, pour le latin vulgaire et tardif, une nouveaute considerable: il arrive en effet de plus en plus souvent qu'il y ait un rapprochement, une sorte d'interpenetration entre notre champ de recherches et, d'autre part, la linguistique generale et theorique. De plus en plus de linguistes se rendent compte du fait que le processus de la transformation du latin en langues nouvelles est un phenomene qui promet des enseignements importants ä la linguistique generale elle-meme - d'autre part, Γ idee se repand egalement que la linguistique theorique moderne peut contribuer aux solutions qui se posent dans le domaine de revolution tardive du latin. Quant aux essais qui consistent ä appliquer ä l'examen du latin tardif des points de vue structurels ou fonctionnels consequents, les exemples deviennent abondants. Mentionnons G. Calboli et ses eleves ä Bologne: dans de nombreux et volumineux articles, ces chercheurs s'attaquent aux processus historiques sans doute relies entre

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eux qui transforment, dans le domaine de la syntaxe et de la morphologie, la structure latine en structure romane. lis s'interessent par exemple aux liens entre l'effacement de la declinaison, l'apparition graduelle d'un precurseur de l'article et les transformations de Γ ordre des mots, transformations qui ont des consequences sur revolution postclassique de Yaccusatiuus cum infinitiuo egalement. Mentionnons d'autre part l'eminent latiniste hollandais H. Pinkster, qui s'interesse de plus en plus souvent aux problemes du latin tardif et vulgaire. II a eu le merite d'avoir mis en lumiere le fait, par exemple en analysant les particularites de l'ordre des mots en latin ou le fonctionnement des cas de la declinaison, que meme certains faits du latin classique s'eclairent mieux si on tient compte de la future evolution tardive. J'ai essaye moi-meme, dans quelques articles, d'elucider certains problemes generaux de revolution de la structure grammaticale, par exemple Γ interaction entre developpement phonologique et developpement morphologique, entre modifications de l'ordre des mots et celles d'autres particularites morphosyntaxiques, en prenant comme exemple des faits de revolution grammaticale tardive du latin. Deviennent de plus en plus nombreuses les tentatives en vue de decrire et d'expliquer des processus d'evolution du latin tardif ou du preroman grace ä l'application de considerations typologiques, en ayant recours notamment ä la typologie dite de Greenberg fondee sur l'ordre des termes dans la phrase. Un exemple caracteristique et influent a ete, dans ce domaine, un article d'Adams qui croit pouvoir observer de tres bonne heure, meme ä partir de la preriode preclassique, la formation du type roman (ä dominance SVO). D'interessants travaux de L. Renzi - plus prudents et plus nuances que l'article d'Adams - sont egalement consacres ä ce probleme (notons d'ailleurs que la problematique semble remonter ä un article de Vennemann qui a des ambitions theoriques generates, mais s'appuie surtout sur l'exemple de 1'evolution romane). Ajoutons que l'eminent linguiste de Tubingen, E. Coseriu traite le probleme du changement typologique sur une autre base, en prenant comme point de depart la typologie humboldtienne. Certes, nous ne sommes sur ce point qu'au debut de la discussion, car il est certain qu'entre latin et roman il y a une difference typologique profonde - quel que soit le parametre sur lequel cette typologie se fonde - et 1'interpretation de cette difference, la question de savoir si la coherence typologique peut etre consideree comme un facteur de changement, occupera encore longtemps la recherche. Dans quelques travaux fort interessants, I'approche d'inspiration generative a egalement ete appliquee aux problemes du latin tardif et du preroman; on evoquera ä ce titre, entre autres, les noms du linguiste americain D. Wanner (v. la section V.4 de la Bibliographie), et d'un grammairien de Budapest, G. Salvi. 4. II existe un courant thematique, initie il y a une trentaine d'annees par une serie d'ouvrages comme celui de Beckmann sur 1'ablatif instrumental et les cons-

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L'etat actuel des recherches sur le latin vulgaire et tardif

tructions qui le remplacent, celui d'Herman sur le systeme des conjonctions de subordination, celui de Kiss sur la structure syllabique: il s'agit de recherches qui mettent en pratique les vues selon lesquelles l'histoire tardive du latin et Γ emergence des langues romanes ne constituent que deux aspects du meme processus et poursuivent par consequent la marche de revolution d'un element donne de la structure phonetique ou grammaticale, eventuellement du vocabulaire, en cherchant dans la tradition latine elle-meme la prefiguration et l'explication des futurs faits romans. C'etait plus ou moins une nouveaute ä l'epoque, excepte peut-etre pour la structure phonologique dont l'histoire, du latin aux langues romanes, a ete mise ä contribution dans cet esprit des la fin des annees 40. 8 Remarquons simplement que cette serie a ete continuee dans les dernieres decennies egalement. S. Fleischman a consacre un Iivre savant et intelligent ä la »futurite« sur la base surtout de la prehistoire et de l'histoire du futur roman; tout recemment, M. Selig a publie un livre riche et important sur la formation de Γ article. 5. Je m'arrete finalement ä un groupe de travaux dont les origines remontent ä une vingtaine d'annees mais dont le nombre augmente dans ces dernieres decennies. II s'agit de Γ application, aux problemes du latin tardif, et en particulier ä la transition entre latin et roman, des vues et des methodes de la sociolinguistique. Les representants les plus marquants de cette tendance sont partis de la consideration selon laquelle les transformations linguistiques sont liees aux situations communicatives qui caracterisent une societe, et que l'apparition d'une langue nouvelle est aussi - et peut-etre surtout - liee ä la conscience que peuvent avoir les sujets parlants des modifications de cette situation, de leurs experiences dans la comprehension ou la non-comprehension des messages ecrits et paries. Ainsi sont nees les recherches fort importantes de Μ. Banniard sur les relations entre parole ecrite, textes lus et public, recherches couronnnees recemment par sa grande monographic intitulee Viva Voce. Egalement importants les travaux richement documentes de Μ. van Uytfanghe sur les rapports entre public et oeuvres ecrites, notamment ä l'epoque merovingienne, et sur la conscience qu'avaient les contemporains de la dualite latin-roman, selon les epoques et les regions. J'ai moi-meme consacre quelques articles aux relations entre langue ecrite et langue parlee et j'ai pu arriver ä une conclusion, notamment, d'apres laquelle la langue latine etait consideree, par les sujets parlants, comme la langue naturelle et commune des habitants dans les anciennes provinces romanisees, et cela jusqu'au VII e siecle au moins, malgre une distance croissante entre la grammaire regissant les textes ecrits et celle qui etait ä la base de Γ usage parle.

8

Nous pensons evidemment au livre bien connu de A. G. Haudricourt et A. G. Juilland.

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L'ouvrage, cependant, qui a suscite les discussions les plus vives est celui de R Wright (Late Latin and Early Romance). Le livre a attire des critiques tres dures, surtout par ses formulations tranchantes et son manque de respect pour certains des predecesseurs, il part pourtant d'une position qui semble essentiellement juste: jusque vers la fin du premier millenaire, latin et roman semblent avoir ete, dans la realite comme dans la conscience des sujets parlants, les aspects differents d'un seul univers linguistique - le latin en tant que moyen de communication distinct de la langue parlee des populations romanisees est un produit, pour ainsi dire, du rearrangement entre ecrit et parle, opere par la reforme orthographique et grammaticale ä l'epoque carolingienne. Ajoutons d'ailleurs qu'il existe des ouvrages relevant d'une sociologie bien plus classique. Nous avons evoque plus haut (ch. V,l) l'ouvrage de Mosci-Sassi sur le sermo castrensis; evoquons aussi le livre precieux de De Meo sur les variantes du latin propres aux professions techniques. C'est ä un romaniste italien, A. Varvaro que nous devons Interpretation la plus nettement »macrosociologique« de la decomposition du latin en differentes langues nouvelles. *

II est temps de conclure cette revue, dejä longue et pourtant inevitablement schematique et incomplete. Elle permet pourtant, nous l'esperons, d'entrevoir et de comprendre la periode de rejouissante et positive effervescence que connaissent, dans les dernieres deux ä trois decennies, les recherches qui ont pour objet le latin tardif et vulgaire, comme aussi celles orientees plus nettement sur la transition entre latin et langues romanes. Nous ne nous trompons peut-etre pas en supposant que ce regain d'interet et d'activite est du aux particularites propres de ce champ de recherches: linguistes et philologues ont compris l'importance exceptionnelle, du point de vue des questions generates et theoriques de la linguistique historique, du processus unique (parce que »directement«, historiquement observable) et grandiose qu'a ete la graduelle transformation du latin en une serie de langues autonomes, differentes de leur source et differentes entre elles.

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L'6tat actuel des recherches sur le latin vulgaire et tardif

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* Pour les donnees detaillees, voir la liste bibliographique ä la fin du volume.

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L'etat actuel des recherches sur le latin vulgaire et tardif

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im Römischen

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und Niedergang

der Römischen

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Vol. 29/1 et 29/2, Berlin-New

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Languages

in the Early Middle Ages. Ed. R. Wright. L o n d o n - N e w

York, 1991. Latein

und Romanisch.

Romanistisches Kolloquium I. Ed. W. D a h m e n - G . Holtus-J.

K r a m e r - M . Metzeltin. Tübingen, 1987. Actes du XXe Congres

de Linguistique

et Philologie

Romanes

Tome II, Section III (pp. 645-698): La fragmentation

(Zürich, 6 - 1 1 avril 1992).

linguistique

de la

Romania.

Tübingen, 1993. V. 1. Etudes monographiques sur la langue d ' u n auteur ou d ' u n groupe de textes: Adams 1977; Coleman 1987; Mosci-Sassi 1983; Väänänen 1987. 2. Etudes sur la differenciation territoriale du latin: Ferro 1982; Fischer 1985; Gaeng 1968; Gaeng 1977; Gaeng 1983; Herman

1990*;

Mihaescu 1978; Omeltchenko 1977; Orbän 1973. 3. Latin vulgaire et linguistique generale: Adams 1976; Calboli 1978; Calboli 1983; Coseriu 1987; Herman 1989a; Itkonen 1978; Pinkster 1991; Renzi 1984; Vennemann 1975. 4. Etudes historiques latino-romanes sur la structure grammaticale: Fleischman 1982; Selig 1992; Wanner 1987. 5. Travaux d'inspiration sociolinguistique et psycholinguistique: Banniard 1975; Banniard 1992; Herman 1988; Herman 1991b; Uytfanghe 1976; Uytfanghe 1983; Varvaro 1991; Wright 1982.

* J. Herman: Du latin aux langues romanes - Etudes de linguistique historique (Tübingen, 1990). Ce volume contient une serie d'articles divers, consacres au probleme de la differenciation territoriale. Pour des donnees plus completes, v. la bibliographie synthetique du present ouvrage.

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* Les etudes reimprimees dans ce volume seront marquees ici par un asterisque (*), place devant le titre.

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Bibliographie des travaux de Jözsef Herman

Accusativus cum infinitivo et subordonnee ä quod,quia en latin tardif. Nouvelles remarques sur un vieux probleme. In: Subordination and Other Topics in Latin, Proceedings of the Third International Colloquium on Latin Linguistics, ed. G. Calboli, Amsterdam-Philadelphia, Benjamins, 1989, pp. 133-152. Cf. ici meme, pp. 43-54. Conscience linguistique et diachronie. In: Bulletin de la Societe de Linguistique de Paris 84 (1989), fasc. 1, 1-19. Cf. ici nfeme, pp. 131-146. Sur un exemple de la langue parlee a Rome au VIe siecle. In: Latin vulgaire - latin tardif II, Actes du II e Colloque international sur le latin vulgaire et tardif, ed. par G. Calboli, Tübingen, Niemeyer, 1990, pp. 145-157. Cf. ici meme, pp. 158-168. Nehäny megjegyzes a magyar fönevragozas paradigmäjänak szerkezeteröl [= Quelques remarques sur la structure paradigmatique de la declinaison hongroise]. In: Emlekkönyv Benkö Loränd hetvenedik születesnapjära [= Travaux offerts ä L. Benkö pour son soixante-dixieme anniversaire], publ. Μ. Hajdu-J. Kiss, Budapest, ELTE, 1991, pp. 265-272. La demarche comparative en linguistique romane. Problemes et perspectives. In: Actes du XVIIP Congres International de Linguistique et Philologie Romanes, Treves, III, Table Ronde I, Tübingen, Niemeyer, 1991, pp. 3-9. On the Grammatical Subject in Late Latin. In: New Studies in Latin Linguistics, Selected Papers from the 4th International Colloquium on Latin Linguistics, ed. R. Coleman, Amsterdam-Philadelphia, Benjamins, 1991, pp. 415-425. Cf. ici meme, pp. 55-64. Gli studi sul latino tardo e sulle origini romanze in Italia. In: La linguistica italiana, oggi, ed. A. Varvaro, Roma, Bulzoni, 1991, pp. 113-122. Spoken and Written Latin in the Last Centuries of the Roman Empire. A Contribution to the Linguistic History of the Western Provinces. In: Latin and the Romance Languages in the Early Middle Ages, ed. R. Wright, LondonNew York, Routledge, 1991, pp. 2 9 ^ 3 . Cf. ici meme, pp. 169-182. La transition du latin aux langues romanes. Quelques problemes de la recherche. In: Lahes: Actes des sessions de linguistique et de litterature 11, Paris, Presses de l'Ecole Normale Superieure, 1992, pp. 161-171. Cf. ici meme, pp. 183-194. Sur quelques aspects du latin merovingien: langue ecrite et langue parlee. In: Latin vulgaire - latin tardif III, Actes du IIP Colloque international sur le latin vulgaire et tardif, ed. par M. Iliescu-W. Marxgut, Tübingen, Niemeyer, 1992, pp. 173-186. Conclusion de la Table Ronde sur la fragmentation linguistique de la Romania. In: Actes du XX e Congres International de Linguistique et Philologie Romanes, Zürich, II, Section III, Bern, Francke, 1993, pp. 694-698.

Bibliographie des travaux de Jozsef Herman

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Presentation de la Section III sur la Fragmentation linguistique de la Romania. Ibid., pp. 336-344. (En collaboration avec J. Wüest.) Les ardoises wisigothiques et le probleme de la differenciation territoriale du latin. In: Latin vulgaire - latin tardif IV, Actes du IV e Colloque international sur le latin vulgaire et tardif, ed. par L. Callebat, Hildesheim-Zürich-New York, Olms-Weidmann, 1995, pp. 63-76. Cf. ici meme, pp. 19-30. L'etat actuel des recherches sur le latin vulgaire et tardif. In: Studia Romanica (Tokyo) 28 (1995), 1-18. Cf. ici meme, pp. 217-231. Az afäziakutatäs nyelveszeti perspektiväi [= Perspectives linguistiques des recherches sur l'aphasie]. In: Altalänos Nyelveszeti Tanulmänyok 18 (1995), 77-90. (En collaboration avec J. Szepe.) A propos du si interrogatif: evolutions achevees et evolutions bloquees. In: Akten des VIII. Internationalen Kolloquiums zur lateinischen Linguistik, edd. A. Bammesberger-F. Heberlein, Heidelberg, Winter, 1996, pp. 296-307. Cf. ici meme, pp. 65-75. Remarques sur l'histoire du futur latin - et sur la prehistoire du futur roman. In: On Latin: Linguistic and Literary Studies in Honour of Harm Pinkster, edd. R. Risselada-J. R. De Jong-Α. M. Bolkestein, Amsterdam, Gieben, 1996, pp. 57-70. Cf. ici meme, pp. 76-87. The End of the History of Latin. In: Romance Philology 49 (1996), 364-382. Cf. ici meme, pp. 195-213. Varietäten des Lateins - Les varietes du latin. In: Lexikon der Romanistischen Linguistik, hgg. G. Holtus-M. Metzeltin-C. Schmitt, II, 1, Tübingen, Niemeyer, 1996, pp. 44-61. L'emploi des noms indeclinables et l'histoire de la declinaison latine. In: Aspects of Latin, Papers from the Seventh International Colloquium on Latin Linguistics, publ. H. Rosen, Innsbruck, Institut für Sprachwissenschaft der Universität Innsbruck, 1996, pp. 389-400. Cf. ici meme, pp. 88-100. Α propos du debat sur le pluriel des noms Italiens (et roumains): ä la recherche d'une conclusion. In: Italica et Romanica: Festschrift für Max Pfister zum 65. Geburtstag, edd. G. Holtus-J. Kramer-W. Schweickard, Tübingen, Niemeyer, 1997, vol. II, pp. 19-30. La Chronologie de la transition: un essai. In: La transizione dal latino alle lingue romanze, Atti della Tavola Rotonda di Linguistica Storica (Universitä Ca' Foscari di Venezia, 14-15 giugno 1996), a cura di J. Herman, Tübingen, Niemeyer, 1998, pp. 5-26. Dal latino alle lingue romanze. In: Dialogare con il passato: Corso di lingua latina, vol I: Teoria, a cura di M. Geymonat e L. Fort, Bologna, Zanichelli, 1998, pp. 185-212.

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Bibliographie des travaux de Jozsef Herman

Postface (en hongrois) ä la traduction hongroise du Cours de linguistique generale de Saussure. In: Ferdinand de Saussure: Bevezetes az ältalänos nyelveszetbe, Coli. Egyetemi Könyvtär, Budapest, Corvina, 1998, pp. 373-379. La situation linguistique dans la Gaule Narbonnaise et les origines de la separation du domaine franqais et du domaine provengal. In: Atti del XXI Congresso di Linguistica e Filologia Romanza, Palermo, IV, Tübingen, Niemeyer, 1998, pp. 4 5 5 ^ 6 6 . L'ordre des mots en latin vulgaire. In: Actas do XIX Congreso Internacional de Lingüistica e Filoloxia Romänicas, Santiago de Compostela, I, A Coruna, 1997[1998], pp. 1051-1060. DIS MANIBUS. Un probleme de syntaxe epigraphique. In: Estudios de lingüistica latina, Actas del IX Coloquio internacional de lingüistica latina, ed. por B. Garcia Hernandez, Madrid, Ediciones Cläsicas, 1998, vol. I, pp. 397-408. Cf. ici meme, pp. 101-112. La conscience linguistique de Gregoire de Tours. In: Latin vulgaire - latin tardif V, Actes du V e Colloque international sur le latin vulgaire et tardif, edd. H. Petersmann-R. Kettemann, Heidelberg, Winter, 1999, pp. 31-39. Nyelvi tudat, nyelvi vältozäs, nyelvi politika [= Conscience linguistique, changement linguistique, politique linguistique]. In: Magyar Tudomäny 45 (2000), 385-396. Morphologie pronominale et evolution syntaxique: remarques sur la formation des formes »vulgaires« de ille. In: Papers on Grammar V, ed. by G. Calboli, Bologna, CLUEB, 2000, pp. 95-107. Dijferenze territoriali nel latino parlato dell'Italia tardo-imperiale: un contributo preliminare. In: La preistoria dell'italiano, Atti della Tavola Rotonda di Linguistica Storica (Universitä Ca' Foscari di Venezia, 11-13 giugno 1998), a cura di J. Herman e A. Marinetti, Tübingen, Niemeyer, 2000, pp. 123-135. Α törteneti nyelveszettöl α nyelvi vältozäsok elmelete feie: problemaväzlatok [= De l'histoire de la langue ä la theorie des changements linguistiques: esquisse des problemes]. In: IJjabb tanulmänyok a strukturälis magyar nyelvtan es a nyelvtörtenet köreböl [= Grammaire structurale du hongrois et histoire de la langue - nouvelles etudes: travaux offerts ä F. Kiefer], publ. M. Bakro NagyZ. Bänreti-K. E. Kiss, Budapest, Osiris Kiado, 2001, pp. 390-407. Vergleichende Sprachwissenschaft. In: Lexikon der Romanistischen Linguistik, hgg.G. Holtus-M. Metzeltin-C. Schmitt, I, 2, Tübingen, Niemeyer, 2001, pp. 704-718. La disparition du passif synthetique latin: nouvel essai sur l'ecrit et le parle en latin merovingien. In: Estudis Romanics 24 (2002), 31-46.

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IV. Comptes rendus A. Martinet: Elements de linguistique generale (Paris, 1960). In: Magyar Nyelv 58 (1962), 125-129. A. Sauvageot: Franqais ecrit, frangais parle (Paris, 1962). In: Acta Linguistica Acad. Scient. Hung. 13 (1963), 409-413. L. Antal: Questions of Meaning (The Hague, 1963). In: Ältalänos Nyelveszeti Tanulmänyok 3 (1965), 242-258. /. Fodor: The Rate of Linguistic Change (The Hague, 1965). In: Ältalänos Nyelveszeti Tanulmänyok 5 (1967), 309-313. W. von Wartburg: La fragmentation linguistique de la Romania (Paris, 1967). In: Bulletin de la Societe de Linguistique de Paris 63 (1968), fasc. 2, 74-75. E. et J. Bourciez: Phonetique frangaise, etude historique (Paris, 1967). Ibid., 79-82. L. Tamäs: Etymologisch-historisches Wörterbuch der ungarischen Elemente im Rumänischen (Budapest, 1966). Ibid., 117. B. Holmes-D. G. Scanion (eds.): The World Year Book of Education 1971/72: Higher Education in a Changing World. In: Perspectives 2 (1972), 373-374. P. A. Gaeng: Collapse and Reorganization of the Latin Nominal Inflection as Reflected in Epigraphic Sources (Potomac, 1983). In: Zeitschrift für Romanische Philologie 103 (1987), 223-225. Μ. Selig: Die Entwicklung der Nominaldeterminanten im Spätlatein (Tübingen, 1992). In: Zeitschrift für Romanische Philologie 111 (1995), 274-276. R. de Dardel: A la recherche du protoroman (Beihefte zur Zeitschrift für Romanische Philologie, vol. 275, Tübingen, 1996); R. de Dardel-A. de Kok: La position des pronoms regimes atones — personnels et adverbiaux — en protoroman, avec une consideration speciale de ses prolongements en franqais (Geneve, 1996). In: Zeitschrift für Romanische Philologie 117 (2001), 307-314. V.

Commemorations

Tamäs Lajos nyolcvaneves [= Lajos Tamäs a quatre-vingts ans]. In: Magyar Nyelv 81 (1985), 118-119. Tamäs Lajos 1904-1984. In: Magyar Tudomäny 30 (1985), 391-393. Sändor Eckhardt grammairien. In: Cahiers des Etudes Hongroises 2 (1990), 15-19.

Notice de l'auteur Je me saisis de Γ occasion, au moment oü ce recueil parait, de joindre au texte quelques remarques de caractere personnel. Avant tout, je dois des remerciements - j'aurais dü en dire des le premier tome (1990) - ä ceux qui ont contribue ä sa parution. Au professeur Sändor Kiss, qui, par amitie, a assume la täche de la republication de ces articles, de la reorganisation des bibliographies separees, mettant sa competence et une grande partie de son temps au service de ce travail souvent ingrat. A mon collegue et ami Alberto Varvaro, qui a bien voulu presenter le livre dans une introduction ä la fois chaleureuse et perspicace. A la maison Niemeyer, qui a permis de publier le volume dans d'excellentes conditions. II faut que j'exprime aussi ma dette pour une assistance d'un autre ordre. II y a, dans le nombre, trois travaux qui ont para, et sont done reproduits ici, en anglais. Les manuscrits que j'avais fournis ont ete revus par des collegues pour en faire des textes anglais acceptables. L'article intitule Spoken and Written Latin in the Last Centuries of the Roman Empire a ete retravaille par Roger Wright, le texte On the Grammatical Subject in Late Latin par Robert Coleman, et le troisieme - The End of the History of Latin - par Susan Fleischman. Au premier, je dis un merci cordial, les deux autres nous ont quittes depuis, il ne me reste qu'ä evoquer leur souvenir avec reconnaissance et emotion. Les textes reproduits ici sont en tous points, sauf evidemment la pagination, conformes aux originaux. Des fautes typographiques - toutes, j'espere, car le diable de la typographic ne se repose jamais - ont ete eliminees. A quatre ou cinq endroits, je me suis permis des retouches destinees uniquement ä corriger des lapsus calami evidents ou des expressions mal choisies qui pouvaient creer un malentendu. Ces interventions se limitent ä un ou deux mots et ne modifient nulle part le sens et le » message « du texte original. Une exception : dans Γ article DIS MANIBUS. Un probleme de syntaxe epigraphique, j'ai omis d'exprimer une filiation d'idees : certains elements de mon analyse semblent remonter indirectement ä un argument de Poukens (1912) ; je le Signale dans une note en bas de page nouvellement ajoutee (p. 108, note 1). J. H.

Index 1.Index

des

auteurs

modernes

Abel, F. 95 Adams, J. N. 224, 227 Antin, P. 71 Appel, C. 118-9, 121 Arias Abellän, C. 65-6 Audollent, A. 37-40 Avalle, D'A. S. 127, 159 Banniard, M. 187, 196-201, 203-5, 210, 212, 228 Beckmann, G. A. 227 Benveniste, E. 56 Blass, F. 68 Bodelot, C. 65 Bognetti, G. P. 151 Bonnet, M. 67, 219 Bork, H.-D. 78 Borst, A. 116 Bourciez, E. 208 Breiich, A. 102 Bright, W. 116 Brunot, F. 137 Calboli, G. 43, 54, 146, 223, 226 Carlton, C. M. 22, 25 Carnoy, A. 34, 38, 219, 225 Chomsky, N. 43, 134 Coleman, R. 225 Coseriu, E. 77, 187, 223, 227 Curtius, E. R. 120 De Meo, C. 229 Debrunner, A. 68 Delage, M.-J. 152 Diaz y Diaz, Μ. C. 19-21

Diehl, E. 34 Diez, F. 76, 183-^l·, 218 Dik, S. C. 222 Dressler, W. 222 Duchesne, L. 160-2 Durante, Μ. 152 Elwert, W. T. 120 Ferguson,C. 210 Fischer, B. 98 Fischer, I. 226 Fleischman, S. 77-8, 83, 228 Fodor, I. 138 Fonagy, I. 136 Gaeng, P. A. 22, 29, 33, 37-8, 226 Gomez Moreno, Μ. 20 Greenberg, J. Η. 99, 227 Gröber, G. 12, 218 Hagege, C. 138 Hall, R. A. Jr. 185 Haudricourt, A. G. 222, 228 Heene, K. 200 Herdan, G. 222 Hoenigswald, Η. Μ. 116 Hoffilier, V. 15 Hofmann, J. B. 39, 67, 72, 82 Humboldt, W. von 186 Jakobson, R. 144, 222 Jarvella, R. J. 135 Juilland, A. G. 222, 228 Jülicher, A. 68, 80, 82 Kassai, I. 143 Kiss, S. 36, 228

258 Klein, H.-W. 166 Kontra, Μ. 143 Labhardt, Α. 166 Labov, W. 137, 145, 222 Lakoff, R. Τ. 43 Lancel, S. 62 Lerch, E. 77 Leumann, M. 180 Levelt, W. J. M. 135-6 Linderbauer, S. 40 Löfstedt, Β. 22, 25, 56, 91, 217, 220 Löfstedt, Ε. 40, 67, 77, 83, 89, 109, 169, 219-20, 225 Lot, F. 196 Lüdtke, Η. 154 Luiseiii, Β. 147 Malion, J. 15 Maiiczak, W. 33 Maraldi, M. 43 Maraval, P. 63, 224 Marshall, J. C. 136 Martinet, Α. 144, 222 Mayen, G. 43 McKitterick, R. 201, 206 Merk, A. 80 Meyer-Lübke, W. 165, 218 Mihaescu, H. 34, 226 Miolo, G. 79 Mohrmann, C. 67, 204, 225 Mommsen, T. 150, 160, 162 Monfrin, J. 5 Mosci-Sassi, M. G. 225, 229 Müller, B. 77 Neue, F. 88, 90 Norberg, D. 204 Omeltchenko, S. W. 22, 41, 226 Otto, W. F. 102 Panhuis, D. G. J. 53

Pei, M. 205 Perrochat, P. 43 Petracco-Sicardi, G. 148 Piaget, J. 135 Pinkster, Η. 77, 82, 97, 227 Pirson, J. 34, 219, 225 Politzer, F. N. et R. L. 22-3, 26, 29 Pope, Μ. K. 208 Poukens, J. B. 107 Proskauer, C. 34, 36 Renzi, L. 227 Richter, E. 208 Richter, M. 196 Riquer, M. de 117 Rohlfs, G. 163 Roncaglia, A. 158 Rönsch, H. 67-8, 219, 225 Salonius, Α. H. 67 Salvi, G. 227 Sampson, R. 208 Saria, B. 15 Saussure, F. de 147, 186 Schmitt, C. 165 Schönfeld, M. 24 Schrijnen, J. 67, 225 Schuchardt, H. 169, 217-8, 223 Selig, M. 96, 228 Serbat, G. 109 Sinclair, A. 135 Slobin, D. I. 135 Stati, S. 34, 37 Sturtevant, Ε. H. 176 Svennung, J. 39-40, 67 Szantyr, A. 39, 67, 72, 82 Szende, T. 143 Thielmann, P. 76, 78, 83 Thompson, Ε. A. 149 Thurot, C. 145

259 Tjäder, J.-O. 149, 154 Tovar, Α. 24, 217 Uytfanghe, Μ. van 187, 192, 196-7, 205, 228 Väänänen, V. 22-3, 29, 33-6, 38, 63, 66-7, 85-6, 89, 91, 97, 163-4, 217, 220, 223-4 Varvaro, Α. 229 Velazquez Soriano, I. 19, 21-8 Vennemann, Τ. 222, 227 Vielliard, J. 22, 25-6, 28, 67 Vogel, C. 209 Vossler, Κ. 77 Wagener, C. 88, 90 Wanner, D. 227 Wartburg, W. von 33, 218, 226 Wickham, C. 148, 151 Wirth-Poelchau, L. 44 Wissowa, G. 102-3 Wright, R. 21, 156, 176, 178, 186, 200, 205, 212, 223, 229 Wiiest, J. 223 Wurzel, U. 222 Zumthor, P. 159

260 2. I n d e x

des

auteurs

anciens

(les chiffres renvoient au passage cite, avec entre parentheses Γ indication de la page de ce volume) Acta apostolorum apocrypha, Actus Petri cum Simone 1,2 (66) Acta apud Zenophilum (ed. CSEL) 192,26 ; 193,6 ; 194,34 ; 194,36 ; 195,34 (71) Alcuin (205-6) Ambrosius (179), De Abraham 2,6 ; 3,20 ; 5,23 ; 7,13 (93), De officiis ministrorum 23,104 (174) Annaeus Cornutus (176) Arnaut Daniel (117, 123) Augustinus (174, 178-9, 181, 189, 191-2), Conf. (57), De doctr. Christ. 4,10 (173, 190), Enarr. in Psalm. 36,3,6 (172, 190), Epist. 46 (69), 84,2,1 (171), Serm. 292 (44) Bertolome Zorzi (121) Boethius (150) Bonifaci Calvo (121-2) Bonifatius (apud MGH Capitularia) (206) Brunetto Latini, Tresor (122) Caesar (3, 57-8), Ciu. 1,64 (59), 1,74-5 (60), Gall. 2,9 (66) Caesarius Arelatensis (7, 189), Serm. 6 (152-3, 188, 197-8) Cantar de mio Cid (122) Capitula a sacerdotibus proposita (ed. MGH) (202) Capitulare de examinandis ecclesiasticis (ed. MGH) 9 (203), 13 (202) Capitulare Missorum (ed. MGH) 29 (203), 30 (202) Carmina Latina epigraphica 395 (102), 1117 (104) Cassiodorus (175-6), De orth. (ed. GL VII) p. 143,1 (155), Variae 3,3 ; 4,2,4 (149), 8,21,7 (150), 9,21,3 (154), 9,21,4 (156), 11,1,6 (149) Cercamon (126) Charisius, Ars gramm. 1,35-7 (89), 1,42 (90) Cicero (3), De leg. 2,22 (103), Diu. 2,84 (159), Or. 161 (136), Tusc. (57-8) Codice Diplomatico Longobardo (ed. Schiaparelli) 34 (29), 36 (25), 45 (26), 50 ; 55 (29), 61 (159) Concilia aeui Karolini (ed. MGH Concilia II) p. 254, p. 268 (201), 288 (129, 200) Cone. Arausicum (ed. CC) p. 83,75 (171, 188) Cone. Aurelianense (ed. CC) p. 101 (171) Cone. Narbonense (ed. CC) p. 256 (171)

261 Consentius (179, 191), Ars de barbarismis et metaplasmis (ed. GL V) p. 391-2 (176) Cyprianus (45) (ed. CSEL) p. 198,13 ; 238,25 (46), 249,25 (51), 249,26 (46), 250,18 (48), 471,3 ; 604,10 (51) Dante (116, 123, 126, 129-30), Inf. 15,119-20 (122), Purg. 26,140-7 (117), De uulgari eloquentia 1,8,6 ;1,9,10-1 (128), 1,15,2 (121) Festus, De uerborum significatu 146 (102) Fredegarius, Chron. (207), 4, Prologus (25, 129), 2,62 (76, 159) Fredegarius, Chron. Continuationes (ed. MGH) p. 182 (206) Gesta Conlationis Carthaginiensis (ed. Lancel) (57-8), III, 142 ; 186-7 (62) Gesta Episcoporum Neapolitanorum (ed. MGH) p. 412,18 (165) Gregorius Magnus (7, 151, 189, 192, 198), Dialogi 2,3,10 (71), 4,27,10-2 (150), Reg. Epist. (ed. MGH) p. 3,63 (156), 12,6 (152, 188, 199) Gregorius Turonensis (7, 57, 219), Historia Francorum 1, Praefatio (129), 3,34 (63), 6,6(151), 9,6(199) Hieronymus (68-69, 80, 82, 91-3, 179, 191-2), Epist. 7,2 ; 15,3 (171), 36,14 (172, 189), 52,8 ; 58,10 (172), 64,112 (174), 107,4 (174, 190), Hebr. quaest. 22,20 (98), Hiez. 12,40,5-13 (173, 190), 14,46,1-5 (173), Is. 5,28,23 (174), Zach. 3,11,14(174) Hilarius (172) Horatius, Epist. 2,1,138 (104) Iordanes, Getica (150) Isidoras (7, 153, 217), De ecclesiasticis officiis 1,10 ; 2,11 (198), 2,23,5 (202), Etym. 2,16,2 ; 9,1,6 ; 9,1,8 (156), 9,1,3 (202) Iustinianus, Instit. 2,23,1 (13) Karoli Admonitio generalis (ed. MGH Capitularia) (203-4, 206), 80 (209) Karoli Epistola generalis (ed. MGH Capitularia) (201) Lactantius, Diu. Inst. 5,1,15 (172, 188), 6,21,5 (172) Uber Pontificalis (ed. MGH) (162, 167), p. 150,12 (165), 151,8 (160), 155,10 ; 158.1 ; 158,6 (165) Livius, Ab urbe cond. 34,3,5 (66) Lucifer Calaritanus (44-6, 70), (ed. CSEL) p. 53,30 (47), 87,15 (51), 182,4 (50), 301.2 (51), De non conv. 5,58 (69) Malherbe (136) Marcabru (126) Optatus (70), (ed. CSEL) 20 (68) Ouidius (105) Papirianus (ed. GL VII) p. 216 (176)

262 Passion de Clermont-Ferrand 175 (166) Paulus Diaconus (201, 205-6, 211) Peire Vidal (ed. Avalle) 21 (127) Peregrinatio Egeriae (45, 57-8, 219, 224), 2,7 (46), 3,4 (63), 3,8 (46), 5,3 (63), 8,2 (49), 8,5 (47, 51), 12,7 (97), 19,6 (49), 19,11 (46, 49), 20,4 (93), 20,6 (51), 20,13 (49) Petronius (44), Sat. 42 (61) Piaton (149) Plautus (109, 167), Bacch. 546 (166), Trin. 98 (66) Pompeius, Comm. in Donatum (ed. GL V) p. 106 ; 112 (176); 189 (177), 286 (176) Priscianus (90-1), Inst. 1,7 (88), 5,11 (89) Procopius (156), Bella 5,3,1 (149), 6,1,11-20 (150), 6,14,1-42 (149), 7,16,24 (150) Propertius, Elegiae 4,7,1-2 (105) Raimbaut de Vaqueiras (117, 121-3, 128), Eras quan vey (descort, ed. Appel) (119-20, 124-5), Domna tant vos (tenso, ed. Appel) (118, 124, 126) Regula Benedicti (40), 29 ; 34 (71) Rhetorica ad Herennium 1,15,25 (56) Sacerdos, Ars gramm. (ed. GL VI) p. 451 (176) Sallustius (57), Bellum Iugurthinum (93) Salvianus (45-6), (ed. CSEL) p. 5,22 (49), 13,19 ; 20,7 (51), 13,23 ; 14,28 (49), 32,5 ; 113,16(47) Scripta Arriana Latina (ed. CC) Fragm. theol. 5,5,285 (84) Servius, ad Werg. Aen. 1,139 (102), Comm. in Donatum (ed. GL IV), p. 445 (176) Sordello (121) Statuta eccl. antiquae (ed. CC) p. 148,164 ; 148,184 (189), 184,268 (175) Strabon, Geogr. 4,1,12 (13) Suetonius, Iul. 51 (160) Symmachus (150) Synodus Francofurtensis (ed. MGH Capitularia) 52 (202) Tacitus (57-8), Annales 2,50 (60) Terentius, Haut. 170 (66) Tertullianus (70) Ulpianus, Dig. 32,1,11 (13), 48,4,11 (164) Varro (175), De lingua Latina 6,2,4 (102), 8,36,65 (89), 9,36,51 (88) Vaugelas (133) Vegetius (90) Vergilius, Aen. 4,110-2 (66), 8,242-6 ; 10,34 (102), 10,534 (105), Georg. 4,489 (104)

263 Victor Vitensis (57) Vita Faronis (ed. MGH) 78 (159) Vulgata (et autres traductions latines de la Bible): Gen. 2,16 (92), 4,15 (96), 20,18 (94), 21,17 (96), 22,20 (94), 26,3 (92), 27,22 (97), 27,41 (96), 28,2 (92), 28,5 ; 29,11 (97), 30,9 (94), 31,1 (92), 31,25 (97), 35,9 (96), 36,4 (98), 37,14 (66), 41,50 (96), 3Reg. 21,20 (68), Psalm. 72,11 (68), 114,3 (166), Matth. 7,21 ; 11,10 (80), 18,3 (81), Marc. 1,8 (80), 2,22 ; 6,22 (81), 6,35 (82), 11,3 ; 14,9 (81), Luc. 1,31 (81), 1,35 (80), 2,34 (81), 7,19 (84), 14,3 (68), 19,4 (84), loh. 3,12 (81), 5,20 (80), 5,25 (82), 6,6 (83), 7,31 ; 8,22 (84), 11,23 (81), 21,19 (84), Act. 1,6 (68), 5,8 (66) Walther von der Vogel weide (126) Sigles des editions cities Audollent = Defixionum tabellae (ed. A. Audollent, Paris, 1904) CC = Corpus Christianorum CDL = Codice Diplomatico Longobardo (ed. L. Schiaparelli, Roma, 1929) CIL = Corpus Inscriptionum Latinarum (les inscriptions contenues dans ce recueil peuvent etre citees sous la forme simplifiee » chiffre romain + chiffre arabe «) CLE = Carmina Latina Epigraphica (vol. I—II ed. F. Buecheler, Leipzig, 1895, vol. III, Supplementum, ed. E. Lommatzsch—A. Riese, Leipzig, 1926) CSEL = Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum GL = Grammatici Latini (ed. H. Keil, Leipzig, 1857-80) ICVR (NS) = Inscriptiones Christianae Urbis Romae (ed. I. B. De Rossi, 1857-) (Noua Series, ed. A. Silvagni—A. Ferrua, 1922-) ILCV = Inscriptiones Latinae Christianae Veteres (ed. E. Diehl, Berlin, 1925-31) MGH = Monumenta Germaniae Historica (Capitularia ed. Boretius, 1883 ; Concilia ed. Wenninghoff, 1906) PL = Patrologiae cursus completus, Series Latina (ed. Migne) REW = W. Meyer-Lübke : Romanisches Etymologisches Wörterbuch (Heidelberg, 3 1935) RIU = Die Römischen Inschriften Ungarns (ed. L. Barkoczi et al., Budapest, 1972-)